The Project Gutenberg eBook of Oeuvres poétiques Tome 2

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Title: Oeuvres poétiques Tome 2

Author: de Pisan Christine

Release date: July 4, 2004 [eBook #12812]
Most recently updated: December 15, 2020

Language: French

Credits: Carlo Traverso and the Online Distributed Proofreading Team

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES POÉTIQUES TOME 2 ***

Carlo Traverso and the Online Distributed Proofreading Team.

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SOCIÉTÉ

DES
ANCIENS TEXTES FRANÇAIS

OEUVRES POÉTIQUES

DE
CHRISTINE DE PISAN

II

OEUVRES

DE
CHRISTINE DE PISAN
PUBLIÉES
PAR
MAURICE ROY

TOME DEUXIÈME

L'ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS, LE DIT DE LA ROSE, LE DÉBAT DE DEUX AMANTS, LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS, LE DIT DE POISSY, LE DIT DE LA PASTOURE, ÉPITRE A EUSTACHE MOREL.

PARIS

LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT ET Cie.

RUE JACOB, 56
M DCCC XCI

Publication proposée à la Société le 23 avril 1884.

Approuvée par le Conseil le 25 février 1885, sur le rapport d'une commission composée de MM. Meyer, Paris et Raynaud

Commissaire responsable: M. P. MEYER.

INTRODUCTION

Avec ce deuxième volume nous abordons la publication d'oeuvres importantes formant de véritables poèmes. Façonné déjà par la composition de la plupart des petites pièces charmantes que nous connaissons, le génie poétique de Christine va maintenant se donner libre carrière et s'élever d'un degré.

1.—ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS

L'Épître au dieu d'amours paraît être le premier effort tenté par Christine pour réaliser ce progrès. Le sujet de ce poème était d'ailleurs bien fait pour inspirer celle qui a toujours eu à coeur la défense de son sexe, mais nulle part, peut-être, elle n'a répondu aux détracteurs de la femme avec plus d'esprit et d'à propos. Parodiant spirituellement la forme des Lettres Royaux, Christine suppose comme entrée en matière une requête adressée au dieu d'amours par des dames de toutes conditions qui portent plainte contre les hommes déloyaux et trompeurs [1].

Elle fait ensuite raconter par le dieu d'amours les stratagèmes que les mauvais chevaliers emploient habituellement pour parvenir à leurs fins et les actions déshonnêtes de ces hommes pervertis qui se vantent de leurs méfaits jusque dans les tavernes, chez les grands de la cour, et même dans le palais du roi. Cupido se déclare naturellement l'ennemi des personnes qui médisent aussi insolemment des femmes, et réserve tous les plaisirs dont il est le dispensateur aux chevaliers loyaux qui observent fidèlement ses salutaires commandements. Puis Christine, entrant au coeur de son sujet, développe avec un remarquable talent toutes les raisons que l'on peut faire valoir en faveur des femmes. C'est un véritable plaidoyer qu'elle entreprend; se posant en arbitre entre les détracteurs et les admirateurs exagérés du sexe féminin, elle se sert d'arguments empruntés plutôt à la simple logique et au bon sens qu'aux textes si souvent cités et interprétés par ses prédécesseurs; elle soutient la première une opinion moyenne, s'attachant surtout à faire remarquer que les femmes en général sont douées de bonnes qualités et qu'il ne faut pas faire retomber sur toutes les égarements de quelques-unes. Cependant, entraînée par l'ardeur de la discussion, elle ne peut s'empêcher de critiquer vivement les auteurs qui se sont, de parti pris, attaqués aux femmes et de dénoncer avec indignation l'Art d'aimer d'Ovide et le Roman de la Rose de Jean de Meun.

Certes une composition de ce genre, qui s'élevait si hardiment contre les théories essentielles d'une oeuvre jouissant encore d'une haute réputation, devait attirer à Christine la contradiction des nombreux et influents admirateurs de Jean de Meun; mais elle ne se laissa pas intimider et sut tenir tête à tous ceux qui l'attaquèrent. Dans cette lutte courageuse elle trouva même de puissants alliés qui embrassèrent complètement sa cause: il suffira de citer Jean Gerson [2], l'illustre chancelier, Guillaume de Tignonville, prévôt de Paris, et surtout le célèbre maréchal Boucicaut [3]. Ce dernier, qui revenait de sa brillante expédition en Orient, s'associa même si complètement aux sentiments de Christine qu'il fonda le jour de Pâques fleuries 1399 (11 avril 1400 n. st.), sous le nom de «l'écu verd a la dame blanche», un ordre de chevalerie pour la défense des femmes.

Mais, à côté de ces puissants personnages, qui venaient apporter leur concours à la vaillante femme, quelques contradicteurs s'efforçaient de faire entendre leurs protestations. Depuis long-temps Christine s'entretenait de littérature avec un humaniste distingué, Jean de Montreuil [4], prévôt de Lille. Plusieurs fois ils avaient échangé leurs appréciations sur certains ouvrages. Il paraît même probable que l'Épître au dieu d'amours, où Christine ne dissimulait pas son sentiment sur l'oeuvre de Jean de Meun, fut le point de départ de la fameuse querelle du roman de la Rose.

A la suite d'une discussion orale au cours de laquelle Christine avait de nouveau contesté les mérites de l'oeuvre si vantée, Jean de Montreuil lui envoya la copie d'une belle épître qu'il venait de préparer et d'adresser en réponse à «un sien ami, notable clerc» partageant la même opinion qu'elle, mais la rhétorique du prévôt de Lille fut sans effet sur les convictions de la célèbre femme qui répliqua par une attaque en règle contre l'immoralité du livre en question [5].

Un autre personnage jouissant d'une haute réputation politique, Me Gontier Col [6], secrétaire du roi, surgit alors pour défendre l'opinion de Jean de Montreuil, son disciple, et reprocha vivement à Christine d'avoir écrit «par maniere de invective» contre le roman de la Rose, la priant de lui envoyer l'épître qu'elle venait d'adresser au prévôt de Lille. Sa lettre est datée du 13 septembre 1401. Christine s'empressa de lui faire parvenir une copie de la lettre qu'il désirait connaître.

Gontier Col riposta immédiatement sur un ton arrogant et frisant presque l'insolence (15 septembre 1401), mais cette attaque inutile fut bientôt suivie d'une dernière lettre de Christine où elle persista dans son opinion et déclara qu'elle la soutiendrait partout publiquement, s'en rapportant au jugement «de tous justes preudes hommes, theologiens et vrays catholiques et gens de honneste et salvable vie».

On le voit, en dépit des attaques réitérées d'hommes érudits et investis d'un crédit considérable, Christine sut maintenir vaillament ses revendications sans laisser la moindre prise à ses adversaires. Bien plus, elle résolut de les confondre en soumettant leur contestation au jugement de l'autorité féminine la plus puissante et la plus redoutée; dans cette intention elle fit faire une copie de tout le débat et l'adressa à la reine Isabeau en même temps qu'au Prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville. Cette requête fut écrite la veille de la Chandeleur 1401[7] (1er février 1402 n. st.).

L'histoire ne nous dit pas si la Reine fit connaître son sentiment, mais nous devons constater qu'en tous cas la lutte ne se termina pas complètement à cette époque. La fameuse Vision écrite par Jean Gerson contre le roman de la Rose vint raviver cette polémique, et servit de thème à une nouvelle discussion littéraire entre Christine et Pierre Col, chanoine de Paris[8].

Après avoir fait ressortir les principaux traits de ce débat, nous sommes autorisés à penser que l'Épître au dieu d'Amours eut un retentissement considérable et dut certainement placer Christine au rang des écrivains les plus remarqués. Cette composition fut même, pour ainsi dire, le point de départ de toute une nouvelle littérature ayant pour but la défense des femmes. Longtemps avant, il est vrai, quelques écrivains[9] avaient déjà élevé leurs protestations, Guillaume de Digulleville surtout s'était distingué par son audace en appelant l'oeuvre de Jean de Meun «le roman de luxure», mais ces légitimes récriminations étaient demeurées à peu près sans écho, et l'on peut avancer qu'à Christine de Pisan revient l'honneur d'avoir la première profondément tracé la voie que suivra désormais toute une école de moralistes»

Pour s'en convaincre il suffira de citer quelques-uns de ces continuateurs et admirateurs[10].

Mathieu Thomassin rend hommage dans son Registre Delphinal aux sentiments de Christine, Martin Le Franc ne tarit pas d'éloges dans son Champion des dames; plus tard Jean Bouchet compose Le Jugement poétique de l'honneur femenin, et enfin Jean Marot se fait l'interprète des mêmes sentiments dans La vray disant advocate des dames[11].

Mais, malgré toutes ces nouvelles manifestations de la même pensée, le souvenir de l'oeuvre de Christine resta longtemps vivace et n'était nullement effacé au commencement du xvie siècle puisqu'à cette époque on jugea encore intéressant d'imprimer son Épître sous le titre de «contre romant de la Rose». Nous ne connaissons qu'un seul exemplaire[12] de cette édition; il a fait partie de la Bibliothèque que Fernand Colomb forma à Séville de 1510 à 1539. Cet unique exemplaire, dérobé à la Colombine, a été acquis en 1884 par M. le baron Pichon. Il consiste en une plaquette in-12 de quelques feuillets, sans date ni nom d'imprimeur. L'Épître au dieu d'amours y est seulement contenue et annoncée sous le titre «Le contre Rommant de la Rose nommé le Gratia dei». Cette édition, fautive comme toutes celles de son époque, paraît cependant avoir été établie sur un bon texte, c'est-à-dire d'après un ms. de la famille A.

Une traduction libre en vers anglais avait déjà été faite en 1402 par Thomas Occleve; elle a été imprimée à Londres en 1721 dans l'édition des oeuvres de Geoffroy Chaucer par John Urry (p. 534 à 537). Toutefois cette pièce, publiée sous le titre de «The Letter of Cupide», est beaucoup plus courte que son modèle, car elle comprend seulement 68 strophes de sept vers.

Le texte de l'Épître au dieu d'amours, que nous donnons plus loin, a été établi d'après les mss. Bibl. Nat. fr. 835 (A1), 604 (B1) et 12779 (B2), Musée Brit. Harl. 4431 (A2), que nous avons décrits dans la préface de notre premier volume[13]. Un autre ms. contenant ce poème existait dans l'ancienne bibliothèque de Bourgogne et se trouve signalé à ce titre dans un inventaire de 1467 publié par Barrois[14] (Inventaire de Bruges n° 1402), on ne sait ce qu'il est devenu.

II.—LE DIT DE LA ROSE

Le Dit de la Rose, daté du 14 février 1401 (anc. st.), est en quelque sorte le couronnement de la polémique de Christine contre l'oeuvre de Jean de Meun. Forte de l'appui de la reine Isabeau qu'elle avait dû certainement gagner à sa cause, Christine joue maintenant le rôle d'un défenseur attitré du sexe féminin et se met elle-même en scène dans une réunion tenue chez le duc Louis d'Orléans. S'inspirant du généreux exemple du maréchal Boucicaut et de la récente institution de la «Court amoureuse[15]», elle fonde, avec l'intervention allégorique de la déesse de Loyauté, l'Ordre de la Rose qui sera l'encouragement et la récompense des chevaliers loyaux défenseurs de la réputation des dames. Ce petit poème, entrecoupé de ballades gracieuses et fort bien présentées, offre un grand mérite par son tour élégant et facile en même temps que par la distinction et l'originalité des idées qui y sont remarquablement exprimées. Le texte du Dit de la Rose ne se trouve que dans les trois mss. de la famille B (Bibl. Nat. fr. 604 (B1), 12779 (B2) et ms. Morgand (B3) dont nous avons donné la description dans notre premier volume.

III.—LE DÉBAT DE DEUX AMANTS

Après avoir vengé son sexe des injures et des calomnies dont il était l'objet, Christine va maintenant se livrer à une étude complète de l'amour; elle le dissèquera sous toutes ses formes et traduira les sentiments si variables qu'il peut faire naître, en leur donnant quelquefois pour cadres des situations réelles empruntées à la vie de la société contemporaine. Ces compositions, inspirées par un esprit surtout métaphysique, se nommaient alors des dits ou ditiés d'amour. Ce genre, qui fut très en vogue au xve siècle, passionna au plus haut degré l'imagination de Christine qui y trouva l'inspiration de la plupart de ses meilleures poésies. En dehors de quelques ballades ou rondeaux qui laissent déjà deviner une semblable tendance, le Débat de deux Amants paraît être le début d'une nouvelle série de compositions entièrement consacrées à l'amour.

La scène de ce poème intéressant doit se placer dans l'hôtel même du duc Louis d'Orléans. Christine retrace une des splendides fêtes qui eurent lieu dans cette demeure magnifique, et, spectatrice attentive des divertissements de la haute société qui s'y était donnée rendez-vous, elle remarque en sa qualité de philosophe et de moraliste les allures opposées de deux seigneurs: l'un, chevalier, porte en son coeur toute l'amertume d'un amour déçu ou incompris, l'autre, un jeune écuyer, se laisse entraîner par l'ardeur d'une vie facile et semble refléter toutes les impressions d'un bonheur complet. De ces deux personnages Christine va faire de l'un le censeur et de l'autre l'apologiste de l'amour; puis, n'osant donner une solution définitive à une question aussi délicate, elle soumet le différend à la haute appréciation de son puissant protecteur, le duc d'Orléans.

Deux faits historiques qui se trouvent cités dans le cours du poème permettent de lui assigner une date certaine. Christine parle aux vers 1593 et 1594 du connétable de Sancerre, et dit qu'il est encore de ce monde; or il mourut le 6 février 1402 et était connétable depuis le 26 juillet 1397. Plus loin (vers 1627 à 1637) elle fait allusion à la défense héroïque de la petite garnison laissée à Constantinople sous le commandement de Jehan de Châteaumorand; cet événement eut lieu au commencement de l'année 1400 (n. st.)» et Jehan de Châteaumorand était de retour en France dès septembre 1402 [16]. C'est donc entre 1400 et 1402 que doit forcément se placer l'intervalle pendant lequel fut composé le Débat de deux Amants.

Nous avons décrit dans la préface du tome I plusieurs mss. qui donnent, avec d'autres oeuvres, le texte de ce poème, mais le Débat de deux Amants fut en outre plusieurs fois transcrit isolément. Un de ces exemplaires (probablement celui même qui fut offert à Charles d'Albret, car il contient une ballade de dédicace adressée à ce prince et publiée dans notre tome I, p. 231) faisait partie de la Bibliothèque de Bourgogne et est mentionné dans les inventaires des librairies de Bruges en 1467 et de Bruxelles en 1487 [17]. C'est aujourd'hui le n° 11034 de la Bibl. royale de Belgique. Ce ms. du xve siècle sur vélin renferme en tête une grisaille à la plume légèrement teintée qui représente Christine agenouillée offrant son oeuvre au duc d'Orléans. Un autre ms. existe à la Bibl. Nat. sous le n° 1740 du fonds français, il porte les cotes annciennes 1023 (Fontainebleau), 980 (inventaire de 1645, Dupuy), et 7692 du catalogue de 1682. Cette copie sur vélin et reliée actuellement en maroquin jaune au chiffre de Louis XIV contient 32 feuillets et une grisaille assez médiocre.

Ces deux mss., absolument identiques pour le texte, constituent une nouvelle famille C qui vient ainsi prendre sa place dans la généalogie précédemment dressée des familles A et B:

A

A1 A2 [B] [C] /————\ /——-\ B1 B2 B3 C1 C2

IV.—LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS

Cet ouvrage, dédié au célèbre et vaillant sénéchal de Hainaut, contient l'exposé de trois cas d'amours.

Le premier récit nous montre une dame, remarquable par ses vertus et sa beauté, qui ayant été délaissée par son premier amant se reprend à donner son amour à un second plus sincère. Est-elle pour cela parjure? Telle est la question que pose Christine.

Le second offre une situation analogue. Un chevalier qui a perdu tout espoir de revoir sa dame, durement retenue en prison par un mari jaloux, peut-il au bout d'un certain temps se livrer à un nouvel amour?

Enfin le troisième cas renferme a la fois une question et un enseignement moral. Une demoiselle, abandonnée par un noble chevalier qui s'adresse à une puissante dame et qui repoussé revient implorer sa grâce, doit-elle acorder son pardon ou le refuser impitoyablement?

Ces trois controverses délicates sont soumises par Christine à la sagace appréciation du bon sénéchal.

V.—LE LIVRE DU DIT DE POISSY

Ce gracieux poème, un des plus intéressants qui soient sortis de la plume de Christine, comprend deux parties bien distinctes. Dans la première Christine nous raconte avec une simplicité charmante le petit voyage qu'elle fit en avril 1400 pour aller rendre visite à sa fille, religieuse au couvent de Poissy; elle partit en compagnie d'une brillante et joyeuse société de dames et gentilhommes qui égayaient la route de leurs chants et de leurs devis amoureux. Les beautés du chemin que suivit la joyeuse chevauchée servent de thème à une description complète des charmes de la campagne par une délicieuse matinée de printemps; les brillantes parures de la nature, les chants harmonieux des oiseaux, les divertissements des pastoures, le doux «bruire» de la rivière, l'aspect sévère des grands bois de Saint-Germain fournissent les éléments d'un tableau gracieux et vrai où Christine fait preuve d'un remarquable talent de description.

Arrivée au but de son excursion, Christine nous conduit à travers la célèbre abbaye et nous décrit exactement la façon de vivre des religieuses, leur habitation avec toutes ses dépendances, leurs privilèges, les ressources qu'elles possèdent, les richesses de leur superbe église, enfin mille détails intéressants. La journée s'écoule rapidement au cours de cette visite, et, le soir arrivé, l'aimable société se retire dans un hôtel de Poissy pour y passer la nuit. Le lendemain de grand matin on entend la messe et l'on vient prendre congé des religieuses et les remercier de leur accueil empressé, puis on reprend le chemin de Paris.

C'est ici que s'ouvre la seconde partie du poème entièrement consacrée au débat amoureux. A peine le joyeux cortège a-t-il pénétré dans la forêt qu'une jeune dame «la plus belle de toutes» s'écarte et affecte de se tenir à distance, laissant deviner quelque triste préoccupation. Christine s'en aperçoit la première et, entraînant avec elle un bel écuyer qui semblait également affligé, se rapproche de la jeune dame pensive et la supplie de lui faire connaître le motif de sa tristesse. Alors commence la controverse: chacune des parties, la dame et l'écuyer, se prétendant tour à tour la plus mal partagée et la plus digne de compassion. La dame nous expose d'abord la vive douleur qu'elle ressent de la captivité de son amant, retenu prisonnier de Bajazet depuis la défaite de Nicopolis, et pour accentuer encore ses regrets, énumère minutieusement les charmes physiques du chevalier qu'elle a perdu. L'écuyer nous raconte ensuite son aventure: c'est celle d'un amant éconduit par une dame qu'il ne peut oublier et à laquelle il reste fermement attaché, malgré tout son dépit. Dans sa douleur il nous retrace à son tour les avantages physiques de sa bien aimée.

Ces deux portraits sont fort intéressants, et réalisent en quelque sorte le type des conditions qui constituaient alors l'idéal de la beauté.

Comme toujours, Christine n'ose se prononcer sur la question délicate qui lui est soumise et remet le jugement de cette controverse à l'appréciation du vaillant sénéchal de Hainaut, pour lequel d'ailleurs elle a vraisemblablement composé tout son poème (voy. note p. 311).

Le texte du Dit de Poissy a été établi d'après les mss. que nous avons signalés dans l'introduction du tome I. (Bibl. Nat. fr. 835 (A1), 604 (B1), 12779 (B2); Musée Brit. Harl. 4431 (A2).

VI.—LE DIT DE LA PASTOURE

Christine se révèle ici dans un genre nouveau. Cette jolie pastorale fait sans doute allusion à quelque intrigue amoureuse, comme l'auteur prend soin de nous en avertir dès le prologue. Car nous ne pouvons croire, comme l'a avancé M. R. Thomassy [18], que Christine ait eu l'intention d'établir une opposition entre l'amour naïf, primitif, et l'amour chevaleresque, afin de placer des sentiments absolument purs en contraste avec la fureur de voluptés décrite par Jean de Meun dans son poème allégorique. Mais il s'agit plus vraisemblablement d'une histoire d'amour dont le héros fut quelque prince contemporain et que Christine dut, sans doute, écrire sur commande.

C'est la pastoure qui parle et présente son aventure amoureuse comme exemple et avertissement aux dames qui ont fait le serment de n'aimer jamais. Elle raconte avec une naïveté charmante et une grâce exquise ses occupations champêtres, nous énumérant les soucis de la bergère et toutes les notions qu'elle doit acquérir pour donner des soins intelligents à son troupeau. Christine s'inspire sans doute dans ces citations de l'expérience de ce Jehan de Brie qui avait composé, à la demande de Charles V, un traité bien connu [19], intitulé «le vray regime et gouvernement des bergers et bergères» où il enseigne la pratique de «l'Art de Bergerie». Puis la Pastoure nous fait un tableau complet de la vie rustique d'alors avec ses jeux enfantins et ses divertissements de toutes sortes. Après ce long exposé, d'ailleurs rempli de détails nouveaux et intéressants, l'action commence à se dérouler. Un jour que la pastoure, se retirant «seulette» dans les bois, gardait son troupeau, assise au bord d'une belle fontaine, ses chants harmonieux attirèrent jusqu'à elle un brillant chevalier et son escorte qui passaient par la grande route voisine. Ici commence l'idylle de la pastoure, qui aura désormais le galant chevalier pour objet constant de toutes ses pensées. Dès lors elle se tient à l'écart de ses compagnes. Seule Lorete, son amie fidèle, connaît son secret et cherche à la détourner d'une si imprudente passion en lui en montrant les dangers et la trop grande disproportion. Mais la pastoure, dominée par l'amour, s'abandonne aux élans de son coeur, elle nous retrace avec une exquise sensibilité les diverses émotions qu'elle ressent tour à tour, et cesse tristement sa mélodie en implorant les prières de tous les vrais amants en faveur du chevalier qu'elle n'a pas revu depuis longtemps, et que sa haute vaillance a sans doute entraîné sur quelque terre lointaine.

Indépendamment des recueils mss. que nous avons signalés dans notre tome I et qui renferment le dit de la Pastoure, ce poème se trouve transcrit séparément dans le ms. fr. 2184 de la Bibl. Nat. C'est une copie du xve siècle sur vélin, comprenant 45 feuillets, et reliée en maroquin rouge au chiffre de Louis XIV sur le dos, elle provient de la bibliothèque de Colbert (n° 5239) et a porté ensuite le n° 7993 du catalogue de 1739. Nous lui avons assigné dans la généalogie la lettre B4.

Un autre ms. du même genre figure au catalogue de la collection Barrois d' «Ashburnham Place» sous le n° LXXII. Ce volume, relié en maroquin vert, comprend 15 feuillets. Il n'est pas au nombre des mss. de cette provenance qui ont fait retour à la Bibliothèque Nationale.

Une troisième transcription isolée du dit de la Pastoure existait aussi dans l'ancienne bibliothèque de Bourgogne et est signalée par Barrois dans sa Bibl. protypographique aux inventaires de 1467 sous le n° 1368 et de 1487 sous le n° 2128. Nous ne savons ce qu'est devenu ce ms.

VII.—EPITRE A EUSTACHE MOREL

Cette lettre, écrite la même année que le dit de la Pastoure, présente un certain intérêt en ce sens qu'elle est la seule parvenue jusqu'à nous qui permette de constater les relations de Christine avec l'un des meilleurs poètes de son époque. Elle a pour objet la critique des moeurs contemporaines, thème si souvent traité par Eustache Deschamps dans le style incisif et personnel qu'on lui connaît.

La lettre de Christine, au contraire, se distingue par sa forme recherchée; malheureusement l'abus des rimes équivoquées en rend la lecture difficile et fatiguante, mais, aux yeux des contemporains, cette recherche était un mérite. Eustache Deschamps y répondit par une ballade pleine d'éloges et de compliments (voy. édit. Queux de Saint-Hilaire, VI, p. 251).

Les deus mss. de la famille A (Bibl. Nat. fr, 605 (_A_1) et Mus. Brit. Harl. 4431 (_A_2), que nous avons signalés dans l'introduction du tome I, renferment seuls l'Épître à Eustache Morel.

[1] Il n'est peut-être pas sans intérêt de faire remarquer que la Chronique du maréchal Boucicaut renferme, au chap. XXXVIII de la 1re partie, la relation d'une requête présentée au roi par des dames qui se plaignent «d'aucuns puissans hommes qui par leur force et puissance les vouloient desheriter de leurs terres, de leurs avoirs et de leurs honneurs…». Bien que ce fait ne soit pas absolument semblable à celui exposé au début de l'Épître au dieu d'amours, il y a pourtant entre eux une certaine analogie et une coïncidence de date qui ne peuvent passer inaperçues. Toutefois il ne faut pas perdre de vue que la Chronique du maréchal Boucicaut paraît avoir été composée par Christine elle-même, ainsi que l'a indiqué pour la première fois M. Kervyn dans son Étude littéraire sur Froissart, I, p. 230. Les divers rapprochements que nous avons faits de notre côté semblent également confirmer cette opinion.

[2] Jean Gerson fit un sermon dans lequel il défendit la lecture du roman de la Rose et écrivit, le 18 mai 1402, un traité allégorique contre l'immoralité de ce poème.

[3] Voy. le rôle que Christine fait jouer au maréchal, Livre des faicts, 1re partie, chap. XXXVIII.

[4] Jean de Montreuil, prévôt de Lille, fut secrétaire du Dauphin, du duc de Bourgogne, puis de Charles VI. Il mourut à Paris en 1418 l'une des premières victimes de la trahison de Perrinet Leclerc. Un choix de ses lettres a été publié par D. Martène (Amplissima Collectio, II, p. 1311 à 1465), mais d'autres en assez grand nombre sont encore inédites (Voy. A. Thomas. De Johannis de Monsteriolo vita et operibus. Thèse de la Faculté des Lettres de Paris, 1883).

[5] Cette réplique n'est pas datée, mais il paraît certain qu'elle a du être écrite en 1401. Elle se trouve avec les lettres suivantes parmi les «Epistres du debat sur le Rommant de la Rose.» (Bibl. Nat. fr. 835, 604, 1563 et 12779).

[6] Issu d'une famille de la bourgeoisie de Sens, Gontier Col était dès 1879 receveur des aides «es terres entre les rivières de Seine et de Dyve» (Delisle, Mandements de Charles V, n° 1869). Secrétaire du roi en mars 1380 (Douet-D'Arcq, Comptes de l'Hôtel, p. 22) il fut, à partir de 1395, chargé de plusieurs missions importantes qui lui valurent bientôt la réputation d'un fin diplomate. Il se fit surtout remarquer par ses habiles négociations avec le roi d'Angleterre. Condamné au bannissement en 1412 pour avoir soutenu le parti du duc d'Orléans (Arch. Nat. X'IA*[** not sure about this word**] 1479 fol. 207 et 278), il rentra bientôt en faveur et reçut dès 1414 une mission auprès de Jean VI, duc de Bretagne; il fit également partie l'année suivante de l'ambassade envoyée en Angleterre et composée, suivant le témoignage du Religieux de Saint-Denys, «des personnages les plus considérables et des plus fameux orateurs du royaume» (Chr. V, p. 507). En même temps qu'il acquérait une grande renommée d'homme politique, Gontier Col se distinguait aussi comme érudit et philosophe. Il était devenu l'ami intime du grand théologien Nicolas de Clemangis et avait réuni une collection d'ouvrages savants de la plus haute valeur. On remarque, en effet, qu'il autorisa le pape Benoît XIII à faire faire la copie d'un exemplaire des lettres de Pline le jeune existant dans sa bibliothèque (Delisle, Cabinet des Mss., I, p. 486) et qu'il offrit aussi au duc de Berry «une bien grande mappemonde bien historiée, enroollée dans un grand et long estuy de bois» (Delisle, Cab. des mss., III, librairie du duc de Berry, n° 191).

Gontier Col avait épousé Marguerite Chacerat appartenant à une famille de riches marchands drapiers de Sens, et était devenu seigneur de Paron.

Il eut un fils, Nicolas Col, né en 1397, qui fut maître des requêtes de l'Hôtel et prévôt de Sens. (Arch. de l'Yonne, E. 300 et H. 528

[7] Nous devons rectifier ici une erreur qui s'est glissée dans la Préface de notre tome 1er, p. xviii, note, où sur la foi d'un ms. et de nombreux auteurs, nous avons incidemment avancé que la requête de Christine à la reine était datée du 1er février 1407; la date exacte est 1401, la plus vraisemblable d'ailleurs et qui se trouve seule confirmée par tous les autres ms. Toutefois l'induction que nous avions tirée de la date en question ne se trouve en aucune façon détruite par le fait de cette inexactitude, car le ms. du duc de Berry renferme d'autres oeuvres composées à une époque très voisine de 1407.

[8] Voy. A. Piaget, Chronologie des Épîtres sur le roman de la Rose, dans Études romanes dédiées à Gaston Paris, 1891, p. 113 à 120.

[9] Voy. «le Bien des Femmes» (Romania, VI, 500), «la Bonté des Femmes» (Romania, XV, 315), etc., mais les pièces dirigées contre le sexe faible étaient bien plus nombreuses, M. P. Meyer en a donné une liste dans Romania, VI, 499.

[10] A partir du milieu du xve siècle la littérature en faveur des femmes comprend un très grand nombre de pièces importantes, telles que le Chevalier aux dames, le Miroir des dames de Bouton, la déduction du procès de Honneur féminin ou l'Advocat des dames par Pierre Michaut, etc. M. A. Piaget en a donné un aperçu fort intéressant dans son Martin Le Franc, Thèse de la Faculté des Lettres de Genève, Lausanne, 1888, p. 127 à 167.

[11] Voy. divers extraits de ces auteurs donnés par R. Thomassy dans son Essai sur les écrits politiques de Chr. de Pisan, p. 92 à 102.

[12] Voy. Harisse, Excerpta Colombiniana, Paris, 1887, p. 80, n° 46

[13] Nous ne parlons pas d'un ms. appartenant à Westminster Abbey et signalé par M. Paul Meyer (Bull, de la Société des Anc. Textes, 1875). C'est une copie sur papier faite au milieu du xve siècle et qui ne paraît pas avoir une bien grande valeur. Elle renferme à la suite de diverses poésies l'Épître au Dieu d'Amours et le Dit de la Pastoure de Christine de Pisan.

[14] Barrois, Bibliothèque protypographique ou Librairie des fils du roi Jean, Paris, 1830, p. 204.

[15] L'association connue sous le nom de «Court amoureuse» avait été fondée dans l'hôtel du duc de Bourgogne le 14 février 1400 un an, jour pour jour, avant la date que Christine donne à son poème du Dit de la Rose. Elle avait été instituée dans l'intention d'honorer le sexe féminin et ne comprenait pas moins de 600 membres dont les noms nous ont été conservés par les mss. du fonds français 5233 et 10469; voy. l'art, de M. A. Piaget dans Romania, XX, p. 417 à 454. On est étonné toutefois de rencontrer parmi les membres d'une semblable société des noms tels que ceux de Gontier Col et de Pierre Col qui, on le sait, étaient de fidèles disciples de Jean de Meun et des adversaires de Christine.

[16] Delaville le Roulx, La France en Orient, I, p. 379.

[17] Barrois, Bibl. protyp. n° 1353 (Bruges) et 1952 (Bruxelles)

[18] R. Thomassy, Essai sur les écrits politiques de Chr. de Pisan, p. 119 et 120.

[19] «Le bon berger ou le vray régime et gouvernement des bergers et bergères, composé par le rustique Jehan de Brie,» publié, d'après l'édit. de 1541, par Paul Lacroix. Paris, Liseux, 1870.

L'ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS LE DIT DE LA ROSE, LE DÉBAT DE DEUX AMANTS LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS LE DIT DE POISSY, LE DIT DE LA PASTOURE ÉPITRE A EUSTACHE MOREL

L'EPISTRE

AU DIEU D'AMOURS

(Mai 1399).

CI COMMENCE L'EPISTRE AU DIEU D'AMOURS

Cupido, roy par la grace de lui, Dieu des amans, sanz aide de nullui Regnant en l'air du ciel trés reluisant, Filz de Venus la deesse poissant, 5 Sire d'amours et de tous ses obgiez, A tous nos vrais loiaulx servans subgiez, SALUT, AMOUR, FAMILIARITÉ, Savoir faisons en generalité Qu'a nostre Court sont venues complaintes 10 Par devant nous et moult piteuses plaintes De par toutes dames et damoiselles, Gentilz femmes, bourgoises et pucelles, Et de toutes femmes generaument, Nostre secours requerans humblement, 15 Ou, se ce non, du tout desheritées De leur honneur seront et ahontées. Si se plaingnent les dessusdittes dames Des grans extors, des blasmes, des diffames, Des traïsons, des oultrages trés griefs, 20 Des faussetez et de mains autres griefs, Que chascun jour des desloiaulx reçoivent, Qui les blasment, diffament et deçoivent. Sur tous païs se complaignent de France, Qui jadis fu leur escu et deffense, 25 Qui contre tous de tort les deffendoit, Com il est droit, et si com faire doit Noble païs ou gentillece regne. Mais a present elles sont en ce regne, Ou jadis tant estoient honnourées, 30 Plus qu'autre part des faulz deshonnourées, Et meismement, dont plus griefment se deulent, Des nobles gens qui plus garder les seulent. Car a present sont pluseurs chevaliers Et escuiers mains duis et coustumiers 35 D'elles traÿr par beaulx blandissemens. Si se faignent estre loyaulx amans Et se cueuvrent de diverse faintise; Si vont disant que griefment les atise L'amour d'elles, qui leur cuer tient en serre, 40 Dont l'un se plaint, a l'autre le cuer serre, L'autre pleure par semblant et souspire, Et l'autre faint que trop griefment empire, Par trop amer tout soit descoulouré Et presque mort et tout alangoré, 45 Et jurent fort et promettent et mentent Estre loiaulx, secrez, et puis s'en vantent. D'aler souvent et de venir se peinent, Par ces moustiers ça et la se pormenent En regardant, s'apuient sus aultelz 50 Par faulx semblans, moult en y a de telz; Parmi rues leurs chevaulx esperonnent Gays et mignos a cliquetes qui sonnent; Moult font semblant d'en estre embesoignez: Mules, chevaulz ne sont pas espargniez. 55 Diligens sont de bailler leurs requestes; Moult enquierent ou sont nopces et festes, La vont pluseurs jolis, mignoz et cointes, Si font semblant de sentir de noz pointes Si qu'a peine les peuvent endurer. 60 Aultres mettent grant peine a procurer Par messages ou par quelque acointance A mettre a fin ce que leur faulz cuer pense. Par telz maintiens en plus de mille guises Les faulz amans se cueuvrent de faintises, 65 C'est assavoir les desloiaulz qui héent Foy, loiaulté, et a decevoir béent; Car les loyaulz ne sont pas en ce compte, Et ceulz doit on amer et tenir compte, Car decevoir en nul cas ne vouldroient: 70 Je leur deffens; pour ce consens qu'ilz aient De noz doulz biens savoureux bonne part, Car a mes gens largement en depart; Et ceulz tienent mes vrais commandemens, Justes, loiaulz, et bons enseignemens; 75 Si leur deffens villenie et meffait, Et leur commans poursuivre honneur de fait, Estre loiaulz, secrez et voir disans, Larges, courtois, et fuïr mesdisans, Humbles et doulz, jolis et assesmés, 80 Fermes et frans, poursuivre a estre amez, Armes suïr a ceulx qu'il apartient Loz acquerir. Qui en ce point se tient, Sache pour vray que ne lui fauldray mie A lui donner dame belle et amie; 85 Car, quant ainsi je suis d'aucun servi, Guerdon lui rens comme il a desservi. Mais se bien vient a ces faulz d'aventure N'est pas droit bien, combien que je l'endure, Car en tous cas le bien est moult petit 90 Quant il est pris sanz desir n'appetit. Et que vauldroit a homs descouragié Grans viandes, ypocras ou saugié Puis que saveur nulle ou pou y aroit? Mais a cellui qui desirant seroit 95 De pain faittis ou d'une miche blanche, S'ataindre y puet, Dieu scet com il la tranche Joyeusement et de grant cuer s'en paist! Ainsi de toute riens desirée est. Ainsi, se trop ne sont aperceües, 100 Sont maintes fois les dames deceües, Car simples sont, n'y pensent se bien non, Dont il avient souvent, veullent ou non, Qu'amer leur fault ceulz qui si les deçoivent, Traïes sont ains qu'elles l'aperçoivent. 105 Mais quant ainsi sont fort envolopées, Les desloiaulz qui les ont attrapées, Or escoutez comment ilz s'en chevissent: Ne leur souffist ce qu'ainsi les trahissent, Ains ont compaings de leur male aliance; 110 Si n'y remaint ne fait ne couvenance Qui ne soit dit l'un a l'autre, et, trop plus Qu'ilz n'ont de bien, se vantent que reclus Sont devenus en la chambre leurs dames Dont sont amez, puis jurent corps et ames 115 Comment du fait il leur est avenu Et que couché braz a braz y ont nu. Les compaignons ce dient es tavernes, Et les nobles font leurs pars et leurs sernes En ces grans cours de noz seigneurs les ducs, 120 Ou chieux le roy, ou ailleurs espandus, Et la tienent de telz plais leurs escoles, Pluseurs y a qui deussent leurs paroles En bons contes drecier sanz bourderie A raconter pris de chevalerie; 125 Mais aux grans feux a ces soirs, ou sus couches, La rigolent l'un l'autre, et par reproches S'entredient: «Je sçay bien de tes fais, Telle est t'amie et tu le jolis fais Pour sienne amour, mais pluseurs y ont part, 130 Tu es receu quant un autre s'en part!» La diffament les envieux la belle Sanz achoison ne nul mal savoir d'elle Et lors cellui qui en est rigolé Monstre semblant qu'il en soit adoulé; 135 Mais moult lui plaist de ce qu'on l'en rigole Et de son bec mainte parole vole Qui blasme vault, combien qu'il s'en excuse; En excusant celle nomme et accuse, Et fait semblant de celer et couvrir 140 Ce qu'il lui plaist a dire et descouvrir. D'aultres y a qui le rigol commencent Ad celle fin que les autres s'avancent D'eulx rigoler et d'eulx ramentevoir Ce qu'ilz veulent a tous faire assavoir; 145 Si s'en rient et, tout en accusant, Se vont du fait laschement excusant. Si en y a qui se sont mis en peine Qu'on les amast, mais perdu ont leur peine; Si sont honteux dont ilz sont reffusé; 150 Ne veulent pas qu'on croie que musé Ayent en vain, pour ce de ce se vantent Qu'oncques n'avint, et, se en ce lieu hantent, Pour aucun cas ou par quelque accointance, De tout l'ostel conteront l'ordenance 155 Pour enseignes de confermer leurs bourdes. La sont dites maintes paroles lourdes; Et qui dire ne les veult mie apertes Les monstre au doigt par paroles couvertes; La sont femmes moult laidement nommées 160 Souventes fois et sanz cause blasmées, Et meismement d'aucunes grans maistresses, Tant ayent ilz blondes ou brunes treces. Dieux, quelz parleurs! Dieux, quelles assemblées Ou les honneurs des dames sont emblées! 165 Et quel proffit vient d'ainssi diffamer A ceulz meismes qui se deussent armer Pour les garder et leur honneur deffendre? Car tout homme doit avoir le cuer tendre Envers femme qui a tout homme est mere 170 Et ne lui est ne diverse n'amere, Ainçois souefve, doulce et amiable, A son besoing piteuse et secourable, Qui tant lui a fait et fait de services, Et de qui tant les oeuvres sont propices 175 A corps d'omme souefvement nourrir; A son naistre, au vivre et au morir, Lui sont femmes aidans et secourables, Et piteuses, doulces et serviables. Si est celui maucognoiscent et rude 180 Qui en mesdit, et plein d'ingratitude. Encor dis je que trop se desnature Homme qui dit diffame, ne laidure, Ne reproche de femme en la blasment, Ne une, ne deux, ne tout generaulment. 185 Et supposé qu'il en y ait de nyces Ou remplies de pluseurs divers vices, Sanz foy n'amour ne nulle loiaulté, Fieres, males, plaines de cruaulté, Ou pou constans, legieres, variables, 190 Cautelleuses, fausses et decevables, Doit on pour tant toutes mettre en fremaille Et tesmoignier qu'il n'est nulle qui vaille? Quant le hault Dieu fist et forma les angelz, Les cherubins, seraphins et archangelz, 195 N'en y ot il de mauvais en leurs fais? Doit on pour tant angelz nommer mauvais? Mais qui male femme scet, si s'en gart Sanz diffamer ne le tiers ne le quart Ne trestoutes en general blasmer 200 Et tous leurs meurs femenins diffamer; Car moult en fu, est et sera de celles Qui a louer sont com bonnes et belles Et ou vertus et graces sont trouvées, Sens et valeur en bonté esprouvées. 205 Et de blasmer celles qui le moins valent Ceulz qui ce font, encor dis je qu'ilz falent, S'ils les nomment, disant qui elles sont, Ou demeurent, quoy ne quelz leurs fais sont. Car le pecheur on ne doit diffamer, 210 Ce nous dist Dieux, n'en publique blasmer. Les vices bien puet on et les pechiez Trés fort blasmer, sanz ceulz qui entechiez En sont nommer, ne diffamer nullui, Ce tesmoigne l'escript ou je le lui. 215 De telz parleurs en y a a grans sommes, Dont grant honte est tel vice en gentilz hommes: Je di a ceulz qui en sont entechié Non mie a ceulz qui n'y ont nul pechié, Car maint y a des nobles si vaillans 220 Que mieulx perdre vouldroient leurs vaillans Que de telz fais restez ne reprouvez Fussent pour riens, n'en telz cas pris prouvez; Mais les mauvais, dont je fais mencion, Qui n'ont bon fait ne bonne entencion, 225 Ne prenent pas au bon Hutin exemple De Vermeilles, ou bonté ot si ample Qu'oncques nulz homs n'y sceut que reprochier, Ne nul mesdit en diffamant n'ot chier; Souvrainement porta honneur aux femmes, 230 Ne peust ouïr d'elles blasme ou diffames; Chevalier fu preux, sage et bien amé, Pour ce fu il et sera renommé. Le bon Othe de Grançon le vaillant, Qui pour armes tant s'alla traveillant, 235 Courtois, gentil, preux, bel et gracieux Fu en son temps, Dieux en ait l'ame es cieulx! Car chevalier fu moult bien entechié. Qui mal lui fist je tiens qu'il fist pechié, Non obstant ce que lui nuisi Fortune, 240 Mais de grever aux bons elle est commune. Car en touz cas je tiens qu'il fu loiaulz, D'armes plus preux que Thalemon Ayaux. Onc ne lui plot personne diffamer, Les dames voult servir, prisier, amer. 245 D'aultres pluseurs furent bons et vaillans, Estre doivent exemple aux deffaillans; Encor en est maint, il est bien mestiers, Qui des vaillans suivent les bons sentiers; Honneur les duit, vaillance les y meine, 250 A acquerir pris et loz mettent peine, De nobles meurs bien entechiez se perent, Par leurs beaulz fais leurs vaillances apperent En ce royaume, ailleurs et oultremer. Mais je me tais de cy leurs noms nommer 255 Qu'on ne deïst que ce feust flaterie, Ou qu'il peüst tourner a vanterie. Et telz doivent gentilz hommes par droit Estre, autrement gentillece y fauldroit. Si se plaingnent les dessusdittes dames 260 De pluseurs clers qui sus leur mettent blasmes, Dittiez en font, rimes, proses et vers, En diffamant leurs meurs par moz divers; Si les baillent en matiere aux premiers A leurs nouveaulx et jeunes escolliers, 265 En maniere d'exemple et de dottrine, Pour retenir en age tel dottrine. En vers dient, Adam, David, Sanson, Et Salemon et autres a foison Furent deceuz par femme main et tart; 270 Et qui sera donc li homs qui s'en gart? Li autres dit que moult sont decevables, Cautilleuses, faulses et pou valables. Autres dient que trop sont mençongieres, Variables, inconstans et legieres. 275 D'autres pluseurs grans vices les accusent Et blasment moult, sanz que riens les excusent. Et ainsi font clers et soir et matin, Puis en françois, leurs vers, puis en latin, Et se fondent dessus ne sçay quelz livres 280 Qui plus dient de mençonges qu'uns yvres. Ovide en dit, en un livre qu'il fist, Assez de maulz, dont je tiens qu'il meffist, Qu'il appella le Remede d'amours, Ou leur met sus moult de villaines mours, 285 Ordes, laides, pleines de villenie. Que telz vices aient je le luy nye, Au deffendre de bataille je gage Contre tous ceulz qui giter voldront gage; Voire, j'entens des femmes honnorables, 290 En mes contes ne metz les non valables. Si ont les clers apris trés leur enfance Cellui livret en premiere science De gramaire, et aux autres l'aprenent A celle fin qu'a femme amer n'emprenent. 295 Mais de ce sont folz et perdent leur peine, Ne l'empeschier si n'est fors chose vaine. Car, entre moy et ma dame Nature, Ne souffrerons, tant com le monde dure, Que cheries et amées ne soient 300 Maugré touz ceulz qui blasmer les vouldroient, Et qu'a pluseurs meismes qui plus les blasment N'ostent les cuers, et ravissent et emblent. Sanz nul frauder ne faire extorsion, Mais tout par nous et nostre imprecion, 305 Ja n'en seront hommes si accointiez Par soubtilz clers, ne pour touz leurs dittiez, Non obstant ce que mains livres en parlent Et les blasment qui assez pou y valent. Et s'aucun dit qu'on doit les livres croire 310 Qui furent fais d'ommes de grant memoire Et de grant sens, qui mentir ne daignerent, Qui des femmes les malices proverent, Je leurs respons que ceulz qui ce escriprent En leurs livres, je trouve qu'ilz ne quistrent 315 En leurs vies fors femmes decepvoir; N'en pouoient yceulz assez avoir, Et tous les jours vouloient des nouvelles, Sanz loiaulté tenir, nez aux plus belles. Qu'en ot David et Salemon le roy? 320 Dieu s'en courça et puni leur desroy. D'autres pluseurs, et meismement Ovide Qui tant en voult, puis diffamer les cuide; Et tous les clers, qui tant en ont parlé, Plus qu'autre gens en furent affolé, 325 Non pas d'une seule mais d'un millier. Et, se tel gent orent dame ou moillier Qui ne feïst du tout a leur vouloir Ou qui meïst peine a les decevoir, Quel merveille? Car il n'est nulle doubte 330 Que, quant uns homs en tel vilté se boute, il ne va pas querant les vaillans dames Ne les bonnes prisiées preudes femmes, Ne les cognoist, ne il n'en a que faire: Fors ceulz ne veult qui sont de son affaire; 335 De filletes se pare et de pietaille. Est il digne d'avoir chose qui vaille Un vilotier qui toutes met en conte Et puis cuide trop bien couvrir sa honte. Quant plus n'en puet et qu'il est ja vieulz homs, 340 D'elles blasmer par ses soubtilz raisons? Mais qui blasmast seulement les données Aux grans vices et les abandonnées, Et conseillast a elles non suivir Comme ilz ont fait, bien s'en pourroit suivir 345 Et ce seroit chose moult raisonnable, Enseignement digne, juste et louable, Sanz diffamer toutes generaument. Et a parler quant au decevement, Je ne sçay pas penser ne concevoir 350 Comment femme peust homme decevoir: Ne le va pas ne cerchier ne querir, Ne sus son lieu prier ne requerir, Ne pense a lui, ne ne lui en souvient, Quant decepvoir l'omme et tempter la vient. 355 Tempter comment?—Voire par tel maniere Qu'il n'est peine qui ne lui soit legiere A endurer et faissel a porter. A aultre riens ne se veult deporter Fors a pener a elles decevoir, 360 Pour y mettre cuer et corps et avoir. Et par long temps dure la trioleine, Souventes fois avient, et celle peine, Non obstant ce que moult souvent y faillent, A leurs esmes ja soit ce qu'ils travaillent. 365 Et de ceulz parle Ovide en son traittié De l'Art d'amours; car pour la grant pitié Qu'il ot de ceulz compila il un livre, Ou leur escript et enseigne a delivre Comment pourront les femmes decevoir 370 Par faintises et leur amour avoir; Si l'appella livre de l'Art d'amours; Mais n'enseigne condicions ne mours De bien amer, mais ainçois le contraire. Car homs qui veult selon ce livre faire 375 N'amera ja, combien qu'il soit amez, Et pour ce est li livres mal nommez, Car c'est livre d'Art de grant decevance, Tel nom li don, et de fausse apparence. Et comment donc quant fresles et legieres, 380 Et tournables, nyces et pou entieres Sont les femmes, si com aucuns clers dient, Quel besoing donc est il a ceulz qui prient De tant pour ce pourchacier de cautelles? Et pour quoy tost ne s'i accordent elles 385 Sanz qu'il faille art n'engin a elles prendre? Car pour chastel pris ne fault guerre emprendre. Et meismement pouëte si soubtil Comme Ovide, qui puis fu en exil, Et Jehan de Meun ou Romant de la Rose, 390 Quel long procès! quel difficile chose! Et sciences et cleres et obscures Y met il la et de grans aventures! Et que de gent soupploiez et rovez Et de peines et de baraz trouvez 395 Pour decepvoir sanz plus une pucelle, S'en est la fin, par fraude et par cautelle! A foible lieu faut il donc grant assault? Comment peut on de près faire grant saut? Je ne sçay pas ce veoir ne comprendre 400 Que grant peine faille a foible lieu prendre, Ne art n'engin, ne grant soubtiveté. Dont convient il tout de neccessité, Puis qu'art convient, grant engin et grant peine, A decevoir femme noble ou villaine, 405 Qu'elz ne soient mie si variables, Comme aucun dit, n'en leur fait si muables. Et s'on me dit li livre en sont tuit plein, C'est le respons a maint dont je me plain. Je leur respons que les livres ne firent 410 Pas les femmes, ne les choses n'i mirent Que l'en y list contre elles et leurs meurs; Si devisent a l'aise de leurs cuers Ceulz qui plaident leur cause sanz partie, Sanz rabatre content, et grant partie 415 Prenent pour eulx, car de legier offendent Les batailleux ceulz qui ne se deffendent. Mais se femmes eussent les livres fait Je sçay de vray qu'autrement fust du fait, Car bien scevent qu'a tort sont encoulpées, 420 Si ne sont pas a droit les pars coupées, Car les plus fors prenent la plus grant part, Et le meilleur pour soy qui pieces part. Encor dient li felon mesdisant, Qui les femmes vont ainsi desprisant, 425 Que toutes sont fausses seront et furent N'oncques encor nulles loiaulté n'urent, Et qu'amoureux telles, qui qu'elles soient, Toutes treuvent quant les femmes essoient; A toutes fins leur est le tort donné, 430 Qui qu'ait meffait, sur elles est tourné; Mais c'est maudit; et on voit le rebours; Car, quant ad ce qui afflert a amours, Trop de femmes y ont esté loiales Sont et seront, non obstant intervales 435 Ou faussetéz, baraz ou tricheries, Qu'on leur ait fait et maintes manteries. Que fut jadis Medée au faulz Jason? Trés loialle, et lui fist la toison D'or conquerir par son engin soubtil, 440 Dont il acquist loz plus qu'autres cent mil. Par elle fu renommé dessus tous, Si lui promist que loial ami doulz Seroit tout sien, mais sa foy lui menti Et la laissa pour autre et s'en parti. 445 Que fu Dido, roÿne de Cartage? De grant amour et de loial corage, Vers Eneas qui, exillé de Troye, Aloit par mer las, despris et sanz joye, Presque pery lui et ses chevaliers. 450 Recueilli fu, dont lui estoit mestiers De la belle, qu'il faussement deçut; Car a trés grant honneur elle receut Lui et ses gens et trop de bien lui fist; Mais puis après vers elle tant meffist, 455 Non obstant ce qu'il lui eust foy promise Et donnée s'amour, voire, en faintise, Si s'en parti, ne puis ne retorna, Et autre part la sienne amour torna; Dont a la fin celle, pour s'amistié, 460 Morut de dueil, dont ce fu grant pitié. Penelope la feme Ulixès, Qui raconter vouldroit tout le procès De la dame, trop trouveroit a dire De sa bonté ou il n'ot que redire: 465 Trés belle fu requise et bien amée, Noble, sage, vaillant et renommée. D'aultres pluseurs, et tant que c'est sanz nombre, Furent et sont et seront en ce nombre; Mais je me tais adès d'en plus compter, 470 Car long procès seroit a raconter. Si ne sont pas femmes si desloiales Comme aucun dit, ains sont pluseurs loiales; Mais il avient, et c'est de commun cours, Qu'on les deçoipt et traïst en amours, 475 Et quant ainsi se treuvent deceües Les aucunes des plus aperceües S'en retraient; de ce font grant savoir. Doivent elles donc de ce blasme avoir? Est ce doncques se Dieux vous doint santé 480 Mal ne folour, barat ne fausseté? Nanil certes, ains est grans sens ainçois; Mais je cognois de voir et aperçois Que se amans tenissent verité, Foy, loyaulté, sanz contrarieté 485 Vers leurs dames, et feissent leur devoir, Comme amant doit faire par droit devoir, Je croy que pou ou nulle fausseroit, Et que toute femme loial seroit. Au moins le plus: rigle n'est qui ne faille, 490 De toute riens n'est pas tout bien sanz faille; Mais par ce que pluseurs faussent et mentent, Et en maint lieux par desloiaulté hantent, Leur fausse l'en, et c'est tout par leur couppe Se on leur fait de tout autel pain souppe. 495 Et aucuns sont qui jadis en mes las Furent tenus, mais il sont d'amer las Ou par vieillece ou deffaulte de cuer, Si ne veulent plus amer a nul fuer, Et convenant m'ont de tous poins nyé, 500 Moy et mon fait guerpy et renié, Comme mauvais serviteurs et rebelles. Et telle gent racontent telz nouvelles Communement, et se plaignent, et blasment Moy et mon fait, et les femmes diffament 505 Pour ce que plus ne s'en pevent aidier Ou que leurs cuers veulent de moy vuidier. Si les cuident faire aux autres desplaire Par les blasmer, mais ce ne pevent faire. Si hé tel gent trop plus qu'autre riens, certes, 510 Et les paye souvent de leurs dessertes; Car, en despit de leurs males paroles, Eulx assoter d'aucunes femmes foles, De pou d'onneur, males, maurenommées, Je fais yceulz: de tel gent sont amées. 515 Si ne remaint en eulz plume a plumer, Bien les scevent a leur droit reclamer. La sont surpris et bien envelopé Ceulz qui le mieulx cuident estre eschappé. Comme il affiert sont tel gent avoyé; 520 Si leur est bien tel meschief emploié. Et encor pis, car ceulz qui plus souvent Vont les femmes par grant soing decevant Et qui le plus se peinent et travaillent, N'il ne leur chault qu'il leur coste ou qu'il baillent, 525 Ne quel peine ilz doient endurer Pour a grant soing leur voloir procurer, Tant qu'ilz tant font par malices prouvées, Par faulz semblans, par choses controuvées, Qu'ilz attraient pluseurs a leurs cordelles 530 Par leurs engins et par fausses cautelles; Et puis après s'en moquent et s'en vantent, Et vont disant que femmes se consentent Legierement, com legieres et frailles, Et qu'on ne doit avoir fiance en elles. 535 C'est mal jugié et trop male sentence De trestoutes pour tant mettre en la dance. Mais s'aucunes attraient en tel guise, Quel merveille! Ne fu pas par faintise, Par faulz consaulz, par traïson bastie, 540 Par parlemens, engins et foy mentie, La grant cité de Troye jadis prise, Qui tant fu fort, et toute en feu esprise? Et tous les jours par engins et desrois Ne traïst on et royaumes et roys? 545 Trop deçoivent les beaulz blandissemens, Tous en sont pleins et livres et romans; Si n'est pas donc chose a trop merveillier Quant, pour mentir, pener et traveillier, On peut vaincre une chose simplete, 550 Une ignorant petite femmellete. Et fust ores malicieuse et sage Si n'est ce pas en ce grant vasselage A homme agu, de grant malice plein, Qui peine y met comme il en est tout plein. 555 Et ainsi sont les femmes diffamées De pluseurs gens et a grant tort blasmées Et de bouche et en pluseurs escrips, Ou qu'il soit voir ou non, tel est li crys. Mais, qui qu'en ait mesdit ou mal escript, 560 Je ne truis pas en livre n'en escript Qui de Jhesus parle ou de sa vie Ou de sa mort pourchacée d'envie, Et mesmement des Apostres les fais Qui pour la foy porterent maint dur fais, 565 N'euvangile qui nul mal en tesmoigne, Mais maint grant bien, mainte haulte besoigne, Grant prudence, grant sens et grant constance, Perfaitte amour, en foy grant arrestance, Grant charité, fervente volenté, 570 Ferme et entier corage entalenté De Dieu servir, et grant semblant en firent, Car mort ne vif oncques ne le guerpirent. Fors des femmes fu de tous delaissié Le doulz Jhesus, navré, mort et blecié. 575 Toute la foy remaint en une femme. Si est trop folz qui d'elles dit diffamme, Ne fust ores que pour la reverence De la haulte Roÿne, en remembrance De sa bonté, qui tant fu noble et digne, 580 Que du filz Dieu porter elle fu digne! Grant honneur fist a femme Dieu le pere Qui faire en voult son espouse et sa mere, Temple de Dieu a la Trinité jointe. Bien estre doit femme joyeuse et cointe 585 Qui autelle, comme Celle, fourme a; Car oncques Dieux nulle rien ne fourma De digneté semblable, n'aussi bonne, Fors seulement de Jhesus la personne. Si est trop folz qui de riens les ramposne 590 Quant femme est assise en si hault trone Coste son filz, a la destre du Pere, C'est grant honneur a femmenine mere. Si ne trouvons qu'oncques les desprisast Le bon Jhesus, mais amast et prisast. 595 Dieu la forma a sa digne semblance Et lui donna savoir et cognoiscence Pour soy sauver, et don d'entendement. Si lui donna fourme moult noblement, Et fut faitte de moult noble matiere, 600 Car ne fu pas du lymon de la terre Mais seulement de la coste de l'omme, Lequel corps ja estoit, c'en est la somme, Le plus noble des choses terriennes. Et les vrayes hystoires anciennes 605 De la Bible, qui ne puet mençonge estre, Nous racontent qu'en Paradis terrestre Fu formée femme premierement Non pas l'omme; mais du decevement, Dont on blasme dame Eve nostre mere, 610 Dont s'ensuivi de Dieu sentence amere, Je di pour vray qu'oncq Adam ne deçut Et simplement de l'anemi conçut La parole qu'il lui donna a croire, Si la cuida estre loial et voire, 615 En celle foy de lui dire s'avance; Si ne fu donc fraude ne decepvance, Car simplece, sanz malice celée, Ne doit estre decepvance appellée. Nul ne deçoit sanz cuidier decepvoir, 620 Ou aultrement decepvance n'est voir. Quelz grans maulz donc en pevent estre diz? Par desservir n'ont elles paradis? De quelz crismes les peut on accuser? Et s'aucuns folz a leur amour muser 625 Veulent, par quoy a eulz mal en conviegne, N'en pevent mais; qui est sage s'en tiegne: Qui est deceu et cuidoit decepvoir Nulz fors lui seul n'en doit le blasme avoir. Et se sur ce je vouloie tout dire 630 Double aroie d'encorir d'aucuns l'ire; Car moult souvent pour dire verité Mautalent vient et contrarieté. Pour ce n'en vueil faire comparoisons, Haineuses sont maintes foiz telz raisons. 635 Si me souffist de louer sanz blasmer; Car on peut bien quelque riens bon clamer Sanz autre riens nommer mauvais ou pire, Car son bon droit aucune fois empire Cellui qui blasme autrui pour s'aloser; 640 Si se vault mieulz du dire reposer. Pour ce m'en tais, si en soit chascun juge Et justement selon verité juge; Si trouvera, se vient a droit jugier, Que le plus grant mal puet pou dommagier: 645 N'occient gent, ne blescent, ne mahagnent, Ne traïsons ne pourchacent n'empregnent, Feu ne boutent, ne desheritent gent, N'empoisonnent, n'emblent or ne argent, Ne deçoivent d'avoir ne d'eritage 650 N'en faulz contras et ne portent domage Aux royaumes, aux duchiez, n'aux empires; Mal ne s'ensuit gaires, meismes des pires. Communement une ne fait pas rigle. Et qui vouldra par hystoire ou par bible 655 Me rampronner, pour moy donner exemple D'une ou de deux ou de pluseurs ensemble Qui ont esté reprouvées et males, Encore en soit celles mais enormales; Car je parle selon le commun cours 660 Et moult pou sont qui usent de telz tours; Et s'on me veult dire que mie enclines Condicions ne taches femmenines Ne soit ad ce, n'a user de batailles, N'a gens tuer, ne a faire fouailles 665 Pour bouter feu, ne a telz choses faire, Pour ce nul preu, louenge ne salaire Ne leur en puet ne doit apertenir D'elles souffrir de telz cas ne tenir, Mais, sauve soit la grace des diseurs, 670 Je consens bien qu'elles n'ont pas les cuers Enclins ad ce, ne a cruaulté faire; Car nature de femme est debonnaire, Moult piteuse, paourouse et doubtable, Humble, doulce, coye et moult charitable, 675 Amiable, devote, en payx honteuse, Et guerre craint, simple et religieuse, Et en courroux tost apaise son yre, Ne puet veoir cruaulté ne martire, Et telles sont par nature sanz doubte 680 Condicions de femme, somme toute. Et celle qui ne les a d'aventure Contre le droit toute se desnature; Car cruaulté fait en femme a reprendre Ne l'en n'y doit fors toute doulceur prendre. 685 Et puis qu'elz n'ont meurs ne condicions A faire fais de sang n'occisions, N'a autres granz pechiez laiz et orribles, Dont sont elles innocens et paisibles Voire des grans et ennormes pechiez, 690 Car chascun est d'aucun vice tachiez, Si ne seront doncques pas encoulpées Des grans meffais ou ne sont attrapées; Si n'en aront, n'en peine ne en coulpe Punicion puis qu'elles n'y ont coulpe, 695 Dont dire puis, ce n'est pas heresie, Que moult leur fist le hault Dieu courtoisie D'elles fourmer sanz les condicions Qui mettent gent a griefs perdicions; Car des desirs s'en ensuivent les fais 700 Dont maint portent sur leurs armes griefz fais. Si vault trop mieulz qu'on n'ait pas le desir Dont l'acomplir fait souvent mort gesir. Qui soustenir vouldroit seroit herite Que qui tempté n'est n'a point de merite 705 De non pechier et de soy abstenir. Telles raisons ne font a soustenir, Car nous veons par les sains le contraire: Saint Nycolas n'eust sceü pechié faire, Onc ne pecha n'oncques n'en fu tempté, 710 N'aultres pluseurs n'en orent volenté; Je di pechier quant est mortelement, Pechier porrent ilz venielement; Si sont tous ceulz appellez preesleus, Predestinez et de Dieu esleüs. 715 Par ces raisons conclus et vueil prover Que grandement femmes a approver Font et louer, et leurs condicions Recommander, qui inclinacions N'ont aux vices qui humaine nature 720 Vont domagiant et grevant creature. Par ces preuves justes et veritables Je conclus que tous hommes raisonables Doivent femmes prisier, cherir, amer, Et ne doivent avoir cuer de blasmer 725 Elles de qui tout homme est descendu; Ne leur soit pas mal pour le bien rendu, Car c'est la riens ou monde par droiture Que homme aime mieulz et de droitte nature. Si est moult lait et grant honte a blasmer 780 La riens qui soit que l'en doit plus amer Et qui plus fait a tout homme de joye. Homs naturel sanz femmes ne s'esjoye: C'est sa mere, c'est sa suer, c'est s'amie, Et pou avient qu'a homs soit anemie; 735 C'est son droit par qui a lui est semblable, La riens qui plus lui puet estre agreable, Ne on n'y puet pris ne los conquester A les blasmer, mais grant blasme acquester; N'il n'est blasme si lait ne si nuisant 740 Comme tenus estre pour mesdisant, Voire encor plus especialement De diffamer femmes communement: C'est un vice diffamable et villain, Je le deffens a homme quant je l'aim; 745 Si s'en gard donc trestout noble corage, Car bien n'en puet venir, mais grant domage, Honte, despit et toute villennie; Qui tel vice a n'est pas de ma maisnie. Or ay conclus en tous cas mes raisons 750 Bien et a droit, n'en desplaise a nulz homs, Car se bonté et valeur a en femme Honte n'est pas a homme ne diffame, Car il est né et fait d'aultel merrien; Se mauvaise est il ne puet valoir rien, 755 Car nul bon fruit de mal arbre ne vient, Telle qu'elle est ressembler lui convient, Et se bonne est il en doit valoir mieulz, Car aux meres bien ressemblent les fieulz. Et se j'ay dit d'elles bien et louenge, 760 Comme il est vray, ne l'ay fait par losange N'a celle fin que plus orgueil en aient, Mais tout a fin que toudis elles soyent Curieuses de mieulz en mieulz valoir, Sanz les vices que l'en ne doit avoir; 765 Car qui plus a grant vertu et bonté En doit estre moins d'orgueil surmonté, Car les vertus si enchacent les vices. Et, s'il est des femmes aucunes nyces, Cest' Epistre leur puist estre dottrine: 770 Le bien prengnent pour loiale dottrine, Le mal laissent; les bonnes vueillent en ce Prendre vouloir d'avoir perseverence: Si aront preu, grant honneur, joye et los Et Paradis a la fin, dire l'os. 775 Pour ce conclus en diffinicion Que des mauvais soit fait punicion Qui les blasment, diffament et accusent Et qui de faulz desloiaulz semblans usent Pour decepvoir elles; si soient tuit 780 De nostre Court chacié, bani, destruit, Et entrediz et escommenié, Et tous noz biens si leur soient nyé, C'est bien raison qu'on les escomenie. ET COMMANDONS de fait a no maisnie 785 Generaument et a noz officiers, A noz sergens et a touz noz maciers, A noz prevoz et maires et baillis, Et vicaires, que tous ceulz maubaillis Et villennez soient trés laidement, 790 Injuriez, punis honteusement, Pris et liez, et justice en soit faitte, Sanz plus souffrir nulle injure si faitte, Ne plus ne soit souffert telle laidure. Nous le voulons ainsi et c'est droitture, 795 Accompli soit sanz faire aucun delais. DONNÉ en l'air, en nostre grant palais, Le jour de May la solempnée feste Ou les amans nous font mainte requeste, L'An de grace Mil trois cens quatre vins 800 Et dis et neuf, present dieux et divins. PAR LE DIEU D'AMOURS poissant A la relacion de cent Dieux et plus de grant pouoir, Confermans nostre voloir: 805 Jupiter, Appollo et Mars, Vulcan, par qui Feton fu ars, Mercurius, dieu de lenguage, Eolus, qui vens tient en cage, Neptunus, le dieu de la mer, 810 Glaucus, qui mer fait escumer, Les dieux des vaulz et des montaignes, Des grans forès et des champagnes, Et les dieux qui par nuyt obscure S'en vont pour querir aventure, 815 Pan, dieu des pastours, Saturnus, Nostre mere la grant Venus, Pallas, Juno et Lathona, Ceres, Vesta, Anthigona, Aurora, Thetis, Aretusa 820 Qui le dieu Pluto encusa, Minerve la bataillerresse, Et Dyane la chacerresse, Et d'aultres dieux no conseillier Et deesses plus d'un millier. 825 CUPIDO LE DIEU D'AMOURS CUI AMANS FONT LEURS CLAMOURS.

CREINTIS

Explicit l'Epistre au dieu d'amours

Rubrique manque dans A1 et B2.

1 A dieu p.

2 A Roy d. a.

5 B t. les o.

36 B Et se f.

39 A2 leurs cuers t.

41 A2 ajoute et en s.

44 A2 Ou p. m. ou t.

45 A2 Si j.

49 A1 regardent

50 A2 mains en

51 B Et par r.

57 A2 m. j. et c.

62 A2 De m.

74 B J. et l.

82 B L. a. Et qui ainsi se t.

83 B Savoir de vray puet que ne f. m.

84 B b. d. et a.

86 A1 rends

101 B ne veulent se

105 A2 a. les ont e.

108 B s. dont a.

114 B D. a. s.

125 A1 a. ses s.

128 A2 B T. t'aime

129 B1 a. et p.

140 B Ce que l.

144 A2 f. savoir.

152 A1 et s'en—A2 s'en cellui l.—A1 hentent

153 B Par a. c. ou pour q.

162 B brunes ou b. t.

163 A2 q. parole

164 B s. blasmées

165 B ajoute les d.

169 A E. f. qui est sa chiere m.

170 B Qui ne

171 B A. lui est s.

172 B A ses b.

174 B Et de q. t. les envies s. p.

178 A2 et amiables

185 B Et s. qu'on en trouvast de n.

200 A1 Ne t.

201 B de telles

207 B Si.

212 B Forment

213 B ne encuser n.

214 A2 Le t.

227 A2 n'y scet

230 B D'elles ne pot avoir b. ne d.

239 A1 l. nuise.

249 B H. suivent

251 et 252 omis dans B

256 B1 q. pleust t.

257 B a d.

260 A1 B l. seurmettent b.

273 B q. pou s.

276 A2 s. qu'en r.

283 A1 appelle

287 A2 B par b.

288 B. S'il est aucun qui contregecte g.

289 B les f.

293 B et a a.

294 B que femmes.

305 B ne s.

309 B l. hommes c.

318 B ne a.

319 le omis dans A1

320 A2 B courrouça.

324 A1 afolié

327 A1 faist

328 B Et

333 et 334 intervertis dans A2.

340 A2 traÿr p.

343 B a celles

346 A2 E. j. d. et l.—B E. loyal j. et l.

347 B t. communement

351 B prier ne requerir

352 B l. n'en son hostel querir

357 A2 ne f.

363 A2 ilz f.

366 B c. par

369 A1 Comme.

375 A1 aimera

392 A Mist il y la

399 A2 ne v.

402 A2 Ou il c. t.

403 A1 que a.

406 B aucuns dient

408 le omis dans B.

410 A1 mistrent

417 B ajoute les f.

420 B l. p. a d. c.

426 B nulle l.

427 A2 Et que t. amans q.—B Les a.

428 B Les treuvent

431 B car on.

459 B D. en la.

469 B je m'en.

472 B mais s.

478 B doncques ce b.

485 et omis dans B

486 B C. amans doivent f.

489 et 490 omis dans A

491 A2 B pour ce

492 A1 hentent

493 B et ce t.

494 B Que l'en l.

497 Ou omis dans B

498 B pas a.

500 A f. de tous poins r.

509 A2 Je hé.

516 B le s.

520 A b. tout m.

527 A1 m. celées—B m. trouvées

528 B f. seremens.

536 B a la

537 B part. g.

547 B p. c. d.

548 omis dans B1

549 B On ne p.

552 A1 vacellage

559 A1 m. ne m.

561 B p. ne de

562 B Ne

563 et 564 omis dans A

571 B Le D.

573 A du tout d.

593 ne omis dans B.

601 B Ains fu faicte de

602 A s'en—602 B e. en toute forme

613 A1 qui lui d.

620 B a. n'est ce d. v.

623 B Desquelz

628 A Fors l. tout s.

631 B par d.

633 B ne v.

634 B s. a la f.

642 A2 Si j.

644 A Q. leurs p. g. maulz pevent p.

646 B ne preingnent

648 A1 ajoute n' devant or

650 B ne ne p.

654 A Car q.

655 A1 Moy r.—B par in.

657 A e. rampronnées.

668 A2 c. n'abstenir

671 A1 a telz choses f.—A2 a. faiz de tel affaire

673 B P. m. p.

686 n' manque dans B

690 B v. entechiez

691 A1 s. p. d. e.

694 A1 que e.

698 B Q. g. m.

703 A s. desherite

705 B Se n. p. de

707 B c. p. l. s. n. v. le

709 B ne fu

711 B Non de p.—A1 mortelment

712 A1 venielment—A2 P. pouoient

720 Tous les mss. portent Va—B et degrevant c.

721 B P. c. raisons

722 B Je preuve.

729 est omis dans B

739 B Il

741 A1 especialment

744 le omis dans A

746 A1 puent

760 A p. louenge.

768 A2 B Et s'aucunes d. f. est de n.

773 A2 Si en a. p. j. h.

774 B en la f.

776 B Ou d.

780 B b. c. d.

785 B G. a tous n.

793 A2 s. enduré t.

800 et omis dans A1

810 A1 q. f. m. e.

813 et 814 viennent après 822 dans B

815 Tous les mss. portent Le d. d. p. P. S.

819 Corr. T. Anrore A.—les mss. portent Arecusa.

Creintis manque dans A2 et B.

On trouve dans «Creintis» l'anagramme de Cristine.

NOTES

ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS (p. 1 à 27.)

Cette pièce a été publiée au xvie siècle, mais on ne connait qu'un seul exemplaire de cette édition (voy. Introduction p. IX). Quelques vers ont été en outre cités par:

1° Mlle de Kéralio dans la Collection des meilleurs ouvrages composés par des dames (III, p. 69 et suiv.), vers 1 à 46, 259 à 266, 279 à 304, 775 à 824.

2° Paulin Paris (Manuscrits françois de la Bibl. du roi, V, p. 168) vers 1 et 2, 168 à 196, 796 à 800.

Vers 225 à 232.—Hutin de Vermeilles, chevalier et chambellan du roi, figure dès 1370 dans un compte de Jean le Mercier[1], comme envoyé par le roi à Avignon avec Bureau de la Rivière à la tête d'une compagnie de trente hommes d'armes. L'année suivante, il reçoit 200 fr. d'or en payement de ses frais de voyage auprès du Sire de Parthenay (Bibl. nat., Pièces orig., vol. 2969); puis nous le trouvons en 1377, capitaine et garde du château royal de Vivier en Brie, aux gages de 300 fr. d'or par an (Pièces orig., vol. cité). Il fut encore chargé de plusieurs missions importantes: en 1383 le roi lui fait don de 1,000 fr. d'or, très probablement pour couvrir de nouvelles dépenses de voyage. Plus tard il touche, en vertu de Lettres du 7 juillet 1388, une même somme de 1,000 fr. qui lui est accordée en récompense de son ambassade auprès du roi d'Aragon et du comte de Foix (Pièces orig., vol. cité). Enfin, d'après la chronique du bon duc Loys de Bourbon il est un des deux chevaliers français admis à Marienbourg à la table d'honneur dressée par le roi de Prusse après sa victoire contre les Suédois.—Hutin de Vermeilles épousa Marguerite de Bourbon, fille de Louis Ier de Bourbon, comte de la Marche; cette dernière mourut en 1362 et fut enterrée dans l'Église de Saint-Pierre-d'Aronville, près de Pontoise, où son mari devait reposer plus tard (P. Anselme, I, 298). Nous avons retrouvé que Charles VI fit faire à Paris en 1390, à l'Église des Blancs Manteaux, l'«obsèque» pour le repos des âmes d'Olivier de Mauny et de Hutin de Vermeilles, chambellans (Bibl. nat., Quittances, vol. 26024, n°. 1493). 233 à 244.—Sur Othe de Granson et ses compositions poétiques, voy. l'intéressant travail que M. A. Piaget a publié dans la Romania, XIX, p. 237 et 403. 267 à 269.—Allusion à certains personnages de l'antiquité qui auraient été trompés par les femmes (voy. Romania, XV, 316 et Bulletin de la Société des Anciens Textes, 1876, p. 129).

[1] H. Moranvillé, Etude sur la vie de Jean le Mercier, dans les Mémoires présentés par divers savants à l'Acad. des inscr., 2e série, t. VI, p. 250.

LE DIT

DE LA ROSE

(14 février 1401, anc. st.).

CI COMMENCE LE DIT DE LA ROSE

      A tous les Princes amoureux
      Et aux nobles chevalereux,
      Que vaillantise fait armer,
      Et a ceulz qui seulent amer
5 Toute bonté pour avoir pris,
      Et a tous amans bien apris
      De ce Royaume et autre part,
      Partout ou vaillance s'espart:
      A toutes dames renommées
10 Et aux damoiselles amées,
      A toutes femmes honnorables,
      Saiges, courtoises, agréables:
      Humble recommandacion
      De loyal vraye entencion.
15 Si fais savoir a tous vaillans,
      Qui pour honneur sont travaillans,
      Unes nouvelles merveilleuses,
      Gracieuses, non perilleuses,
      Qui avenues de nouvel
20 Sont en beau lieu plain de revel;
      Aussi est droiz que ceulz le sachent
      Qui mauvaistié devers eulz sachent,
      A fin qu'ilz amendent leurs fais
      Pour estre avec les bons parfais.
25 Si fu voir qu'a Paris advint,
      Presens nobles gens plus de vint,
      Joyeux et liez et senz esmois,
      L'An quatre cens et un, ou mois
      De janvier, plus de la moictié
30 Ains la date de ce dictié
      Du mois passé, quant ceste chose
      Advint en une maison close
      Et assemblée de nobles gens,
      Riches d'onnour et beaulx et gens.
35 Chevaliers y ot de renom
      Et escuiers de vaillant nom.
      Ne m'estuet ja leurs noms nommer,
      Mais chascun les seult bons clamer;
      Notables sont et renommés,
40 Des plus prisiez et mieulx amez:
      Du trés noble duc d'Orliens,
      Qui Dieu gart de tous maulx liens,
      Si sont de son hostel tous ceulz.
      Et n'y avoit pas un tout seulz
45 Qui n'aime, je croy, tous bons fais;
      Leans a assez de si fais.
      Assemblez les ot celle part
      Courtoisie qui ne depart
      De ceulz qui sont de gentil sorte.
50 La fu bien fermée la porte,
      Car vouloient en ce lieu estre
      Senz estranges gens privez estre
      Pour deviser a leur plaisir.
      La fu appresté a loisir
55 Le soupper; si furent assis
      Joyeux et liez et non pensis.
      Bien furent servis par les tables
      De mez a leur gré delitables.
      Car ne fu, j'en ose jugier,
60 Pas tout leur plaisir ou mangier
      Mais en la compaignie qui
      De vraye et bonne amour nasqui.
      Liez estoient et esbatans,
      Gays et envoisiez et chantans
65 Tout au long de cellui souper,
      Comme gent qui sont tout un per
      Et amis vrais sens estrangier.
      La n'ot parlé a ce mangier
      Fors de courtoisie et d'onnour,
70 Senz diffamer grant ne menour,
      Et de beaulx livres et de dis,
      Et de balades plus de dix,
      Qui mieulx mieulx chascun devisoit,
      Ou d'amours qui s'en avisoit
75 Ou de demandes gracieuses.
      Viandes plus délicieuses
      N'y ot, com je croy, a leur goust,
      Tout soyent d'assez petit coust,
      Et de ris et de bonne chiere;
80 De ce n'orent ils pas enchiere.
      Ainsi se sirent longuement
      En ce gracieux parlement.
      Mais Amours, ses loyaulx amis,
      Qui a valeur se sont soubzmis,
85 Volt visiter droit en ce point.
      Car alors seurvint tout a point,
      Non obstant les portes barrées
      Et les fenestres bien sarrées,
      Une dame de grant noblesse
90 Qui s'appella dame et deesse
      De Loyauté, et trop belle yere.
      La descendi a grant lumiere
      Si que toute en resplent la sale.
      Toute autre beauté si fut pale
95 Vers la sienne de corps, de vis
      Et de beau maintien, a devis
      Bien parée et bien atournée.
      Si fu entour avironnée
      De nymphes et de pucelletes,
100 Atout chappellès de fleurettes,
      Qui chantoient par grant revel
      Hault et cler un motet nouvel
      Si doulcement, pour voir vous dis.
      Que bien sembloit que Paradis
105 Fut leur reduit et qu'elz venissent
      De cellui dont fors tous biens n'issent,
      Celle deesse a tel maisgnie.
      Devant la table acompaignie
      Vint o les siennes bien parées,
110 Si tenoient couppes dorées,
      Si comme pour faire en present
      A celle gent nouvel present.
      Adonc fu la sale estourmie,
      Il n'y ot personne endormie,
115 Tuit furent veoir la merveille,
      Il n'y ot cellui qui l'oreille
      Ne tendist pour bien escouter
      Que celle leur vouloit noter;
      Chascun se tut pour y entendre.
120 Quant les pucelles a cuer tendre
      Orent leur chançon affinée
      Adonc se prist la belle née,
      Qui d'elles dame et maistresse yere,
      A dire par belle maniere
125 Ces parolles qui cy escriptes
      Sont en ces balades et dittes.
      Ne plus ne moins les ennorta
      Et les balades apporta:

Balade.

      Cil qui forma toute chose mondaine
      Vueille tousdiz en santé mantenir
      Et en baudour de grant leesse plaine
      Ceste belle compaignie et tenir.
      Deesse suis, si me doit souvenir
      De trestous bons et des bonnes et belles.
135 Pour ce qu'ainsi il doit appartenir
      Venue suis vous apporter nouvelles.

      De par le dieu d'amours, qui puet la peine
      Des fins amans desmettre et defenir,
      Present nouvel, gracieux, d'odeur saine,
140 Je vous apport et salus sens fenir,
      Si m'escoutez et vueilliez retenir:
      Car je vous di que de haultes querelles,
      Dont il pourra assez de biens venir,
      Venue suis vous apporter nouvelles.

145 De Loyauté deesse souveraine
      On m'appelle, et a mon seurvenir
      Je ne port pas de discorde la graine,
      Com fist celle qui Troyes fist bannir;
      Ains, pour tousjours loyauté soustenir
150 Et pour oster les mauvaises favelles
      Et les mauvais desloyaulx escharnir,
      Venue suis vous apporter nouvelles.

Balade.

      Le dieu d'Amours par moy il vous presente
      Ces roses ci de voulenté entiere,
155 Cueillies sont de trés loyal entente
      Es beaulx vergiers dont je suis courtilliere.
      Si vous mande qu'a trés joyeuse chiere
      Preigniez le don, mais c'est par convenant.
      Que desormais en trestoute maniere
160 Yrez l'onneur des dames soustenant.

      Si veult qu'ainçoiz que nullui se consente
      A recevoir la rose belle et chiere,
      Qu'il face veu que jamaiz il n'assente
      Blasme ou mesdit en nesune maniere
165 De femme qui son honneur tiengne chiere,
      Et pour ce a vous m'envoye maintenant.
      Si vouez tous qu'a parolle pleniere
      Yrez l'onneur des dames soustenant.

      Chevaliers bons et tous de noble sente,
170 Et tous amans, c'est bien droit qu'il affiere
      Qu'a ce veu ci vo cuer se represente;
      Amours le veult, si n'y mettés enchiere,
      Mais ne soit pas de voulenté legiere,
      Car a l'estat de vous appartenant;
175 Et si jurez que jusques a la biere
      Yrez l'onneur des dames soustenant.
      En disant ces balades cy
      La deesse, sienne mercy,
      Assist les couppes sur les tables.
180 Dedens ot roses odorables,
      Blanches, vermeilles et trop belles,
      Et cueillies furent nouvelles.
      Et avecques ce presentoit
      En beaulx rolez qu'elle gectoit
185 Ceste balade qui recorde
      Qu'Amours veult, qu'ainçois qu'on accorde
      A prendre la jolie rose,
      Que l'en face veu de la chose
      Qui est en l'escript contenu
190 Et qu'il soit juré et tenu.
      Et qui tout ce vouldra vouer
      Et celle promesse advouer,
      Hardiement preingne la rose
      Ou toute doulçour est enclose.
195 Si oyez lire la balade
      Qu'apporta la deesse sade:

Balade.

      A bonne amour je fais veu et promesse
      Et a la fleur qui est rose clamée,
      A la vaillant de Loyauté deesse,
200 Par qui nous est ceste chose informée,
      Qu'a tousjours mais la bonne renommée
      Je garderay de dame en toute chose
      Ne par moy ja femme n'yert diffamée:
      Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.

205 Et si promet a toute gentillesse
      Qu'en trestous lieux et prisée et amée
      Dame sera de moy comme maistresse.
      Et celle qui j'ay ma dame nommée
      Souveraine, loyauté confermée
210 Je lui tendray jusques a la parclose,
      Et de ce ay voulenté affermée:
      Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.

      Et si merci Amours et son humblesse
      Qui nous a cy tel semence semée
215 Dont j'ay espoir que serons en l'adresse
      De mieulx valoir; c'est bien chose informée
      Que de lui vint honneur trés renommée.
      Si defendray, s'aucun est qui dire ose,
      Chose par quoy dame estre puist blasmée:
220 Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.

      Princes haultains, ou valeur est fermée,
      Faites le veu, bonté y est enclose,
      L'enseingne en vueil porter en mainte armée:
      Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.

225 Adonc furent en audiance
      Levez, et, senz contrariance,
      Firent tous le beau veu louable
      Qui est gentil et honnorable.
      Quant nullui ne vit contradire
230 La deesse adonc prist a dire
      Ce rondelet, prenant congié,
      Si n'y a pensé ne songié:

      Or m'en vois dire les nouvelles.
      Au dieu d'Amours qui m'envoya.

235 De ses belles roses nouvelles
      Or m'en vois dire les nouvelles.

      A Dieu vous dy, tous ceulz et celles
      Que bonne amour cy avoya,
      Or m'en vois dire les nouvelles.

240 Quant ce fut dit, lors s'envola
      Celle deesse qui vint la.
      Mais les nymphes qui furent liez
      De leurs doulces voix deliez
      Commencierent tel mellodie,
245 Ne cuidez que mençonge die,
      Que il sembloit a leur doulz chant
      Qu'angelz feussent ou droit enchant.
      Ainsi parti de celle place
      La deesse, qui de sa grace
250 Ot la conpaignie esjoÿe,
      Tel nouvelle leur ot gehie,
      D'elle font feste et de ses choses
      Et tous se parent de ses roses,
      Par teste, par braz, par poitrine,
255 En promettant foy enterine,
      Si comme ou veu est devisé
      Qu'ilz orent moult bien avisé.
      Quant assez selon leur loisir
      Orent esté en ce plaisir,
260 Chantans, rians a chiere lie
      Senz dueil et senz merencolie,
      Partis s'en sont, congié ont pris,
      Emportant la rose de pris.

      Et je qui n'oz pas le cuer noir
265 Demouray en cellui manoir
      Ou ot esté celle assemblée,
      Ou je ne fus de riens troublée.
      Tart fut ja et saison en l'eure
      D'aler couchier et bien fu heure;
270 Mais la deesse qui m'ama,
      Sienne merci, et me clama
      Sa belle suer de cuer eslit
      M'ot appresté un trop beau lit,
      Blanc comme noif, encourtiné
      Richement et bien ordonné,
      En belle chambre toute blanche
      Comme la noif qui chet sur branche;
      Pour ce l'ot fait, je n'en doubt mie,
      Que je suis a Dyane amie,
280 La deesse trés honnourée
      Qui toudiz de blanc est parée.
      La me couchay seulette et nue,
      Et m'endormy. Lors une nue
      Si m'apparu en mon dormant
285 Clere et luisant; de ce forment
      Me merveillay que pouoit estre.
      De la nue, qui fu a destre
      Costé du lit, luisant et clere,
      Comme en esté temps qui esclere,
290 Yssi une voix gracieuse,
      Trop plaisant et trop amoureuse;
      Adonc, ou que dormisse ou non,
      La voix m'appella par mon nom,
      Si me dist lors: «Amie chiere
295 Qui m'as amée et tenu chiere
      Toute ta vie, bien le sçay,
      Car souvent t'ay mise a l'essay,
      Je suis la deesse loyale
      De la haulte ligne royale
300 De Dieu qui me fist et fourma
      Et de ses rigles m'enforma.
      Or m'entens, m'amie certaine,
      Et je te diray qui me maine:
      Tu scez comment en ta presence
305 Je vins presenter par plaisance
      Nagueres les roses jolies,
      Qui en nul temps ne sont palies,
      De par vraye Amour, qui conduit
      Ceulx qui de bien faire sont duit,
310 «Qui encor devers toy m'envoye,
      «Messagiere de ceste voye
      «Lui plaist que soye par usage,
      «Et voulentiers fais le message:
      «Amours se plaint trop fort et duelt
315 «D'une coustume qui trop suelt
      «Estre en mains lieux continuée,
      «Bien vouldroit qu'elle fust muée.
      «Car elle est male, laide et vilz,
      «Et vilaine, je te plevis,
320 «Et par especial en ceulx
      «Qui ne doivent estre preceux
      «D'acquerir toutes bonnes meurs
      «Pour plus acroistre leurs honneurs,
      «C'est es nobles et es gentilz
325 «Hommes qui doivent ententis
      «Estre a mieulx valoir qu'autre gent;
      «Bonté leur siet mieulx que or n'argent;
      «Mais des vilains ne fais je force,
      «Car ceulx ne font bien fors a force
330 «N'on ne les pourroit amender
      «Pour leur ennorter ne mander,
      «Car la condicion vilaine,
      «Qui pis flaire que male alaine,
      «Si est trop fort a corrigier;
335 «Trop est fort cil vice a purgier.
      «J'appelle villains ceulz qui font
      «Villenies, qui les deffont,
      «Je n'entens pas par bas lignaige
      «Le vilain, mais par vil courage;
340 «Mais cellui qui noble se fait
      «De lignie trop se deffait
      «Se sa noblesse en villenie
      «Tourne, dis je voir ne le nye,
      «Si font plus qu'autres a reprendre
345 «S'on les puet en vilains faiz prendre.
      «Et pour ce diz, ce n'est pas bourde,
      «Qu'en lait fait n'en parolle lourde
      «Tout nobles homs, s'il aime pris,
      «Se doit garder d'estre repris.
350 «Car trop en vauldroit mains senz faille,
      «Tout feust il bien preux en bataille;
      «Car la prouesse seulement
      «Ne gist pas ou grant hardement
      «D'assaillir ne de soy defendre
355 «Contre aucun qui le vueille offendre,
      «Car ce sont prouesses de corps,
      «Mais certes mieulx valent encors
      «Les bontez qui viennent de l'ame;
      «Ce ne me puet nyer nulle ame.
360 «C'est vaillantise et grant prouesse
      «Quant un noble cuer si s'adresse
      «Qu'en vertus il soit bien propice
      «Et eschever et fuïr vice
      «Ne qu'on ne puist trouver en lui
365 «Riens dont puist mesdire nullui,
      «Se n'est a tort ou par envie;
      «Car n'est en ceste mortel vie
      «Homme qui soit de touz amez
      «Ne de toutes gens bons clamez.
370 «Ce fait Envie qui s'efforce
      «D'abatre loz, n'y face force
      «Bon homme ains face toudiz bien,
      «Car loz vaintra, je te diz bien,
      «Et s'un tel homme ainsi apris
375 «Peut aussi d'armes avoir pris
      «Tant que renommée tesmoingne
      «Qu'en tout bien faire s'embesoingne
      Et qu'en rien ne soit recreant,
      Un tel vassal, je te creant,
380 Est bien digne de loz acquerre
      Se bon est en paix et en guerre,
      Et juste et loyal en tous cas
      Et o lui ait pour advocas
      Courtoisie qui si l'enseingne
385 Que de gentil porte l'enseingne
      En fait, en dit et en parolle.
      Senz orgueil qui maint homme affolle
      Si ait hault cuer et haulte emprise,
      Ce n'est pas l'orgueil qu'on desprise
390 Que d'avoir si haultain courage
      Qu'on ne daingnast faire viltage
      Et que l'en aime les haultaines
      Choses contraires aux vilaines.
      Telz choses sont appartenans
395 Aux nobles, et que soustenans
      Soient justice en tout endroit
      Et toute bonté, c'est leur droit.
      Mais pour revenir au propos
      Pour quoy vins ça sur ton repos
400 Par le commandement mon maistre
      Amours, qu'au monde Dieu fist naistre,
      Et de quoy se deult et complaint
      Et dont par moy a toy se plaint,
      C'est de la coustume perverse,
405 Qui l'onneur de mainte gent verse,
      De mesdire, que Dieux mauldie,
      Par qui mainte femme est laidie
      A tort et a grant desraison
      Et maint bon homme senz raison,
410 Qui queurt ores plus qu'onques mais.
      Ce fait Envie qui tel mais
      Apporte d'enfer pour donner
      Aux gens, et tout empoisonner
      «Et occirre de double mort
415 Qui a si fait vice s'amort.
      Mesdire, qui bien y regarde,
      C'est tel glaive et si faite darde
      Que meismes cil qui le balance
      Occist et cil sur qui le lance,
420 Mais aucunes fois plus blecié
      Demeure cil qui l'a lancié
      Que ne fait cil sur qui le rue.
      Ou soit en maison ou en rue,
      Et son ame plus griefment blece
425 Et son honneur et sa noblece
      Que ne fait souvent l'encusé.
      Et tel s'est maintes foiz rusé
      D'autre qui mieulx de soy valoit
      Pour ce que son bien lui douloit;
430 Et tel diffame autrui souvent
      Qui est plus seurpris, je m'en vent,
      Du mesmes meffait et tachié
      Qu'il dit que l'autre est entachié;
      Si est faulte de congnoissance
435 Et d'envie vient la naissance;
      Car nul ne vouldroit que tel verve
      On deist de lui, quoy qu'il desserve,
      Mais chascun puet estre certain
      Qu'il est un juge si certain
440 Qui tout congnoist et hors et ens,
      Tout scet et tout est clerveans,
      Si rendra a chascun desserte
      De bien ou de mal, chose est certe,
      Trop font mesdisans a haïr
445 Et leur compaignie a fuïr
      Plus que de gent bataillereuse.
      Plus male et trop plus perilleuse
      Est compaignie et plus nuysant
      D'omme jangleur et mesdisant;
450 Qui maie compaignie hante
      Ne puet que du mal ne se sente,
      Et avec les loups fault huler
      Et de leur peau soy affuler.
      Et, quant je di homs, j'entens famme
455 Aussi, s'elle jangle et diffame;
      Car chose plus envenimée
      Ne qui doye estre moins amée
      N'est que langue de femme male
      Qui soit acertes ou par gale
460 Mesdit d'autrui, moque ou ramposne;
      Et se mal en vient, c'est aumosne
      A celle qui s'i acoustume,
      Car c'est laide et orde coustume.
      N'a femmes n'affiert a mesdire,
465 Ainçois, quant elles oyent dire
      Chose qui face autrui dommage,
      Abaissier doivent le langage
      A leur pouoir ou elles taire,
      S'autre chose n'en pevent faire;
470 Car avoir doit, en verité,
      Doulçour en femme et charité;
      S'autrement font c'est leur contraire,
      Car bien siet a femme a point taire.
      Mais, pour ce que ceste coustume
475 Court en mains lieux qu'envie alume,
      Vouldroit bien Amours errachier
      D'entre ceulz qu'il aime et tient chier,
      C'est des nobles a qui tel tache
      Trop messiet, s'elle s'i atache;
480 Car si preux n'est, je l'ose dire,
      Que, s'il a renom de mesdire,
      Qu'il n'en soit partout moins amé,
      Moins prisié et jangleur clamé.
      Mais sur toutes autres diffames
485 Het Amours qu'on parle des femmes
      Laidement en les diffamant,
      Ne veult que ceulz qui noblement
      Se veulent mener pour acquerre
      Pris et honneur en mainte terre
490 Soient de tel tache tachié,
      Car c'est maufait et grant pechié.
      Et pour estrapper tel verjus
      M'envoya bonne Amour ça jus
      Atout l'Ordre belle et nouvelle,
495 De quoy j'apportay la nouvelle,
      Present toy, n'a gueres de temps,
      Mais encor veult, si com j'entens,
      Amours que ceste chose soit
      Publiée comment qu'il soit
500 Et qu'on le sache en maint paÿs
      A fin que mesdit soit haÿs
      En toutes pars ou noble gent
      Sont d'acquerre loz diligent.
      Si veult qu'ayes legacion
505 De faire en toute nacion
      Procureresses qui pouoir
      Ayent, s'elles veulent avoir,
      De donner l'Ordre delictable
      De la belle rose agreable
510 Avec le veu qui appartient.
      Mais Amours veult, bien m'en souvient,
      Que nulle ne soit establie
      A donner l'Ordre gente et lie
      S'elle n'est dame ou damoiselle
515 D'onnour, courtoise, franche et belle,
      Toutes sont belles quant bonté
      A la beauté plus seurmonté.
      Ainsi auras par ce convent
      Ceste charge d'ore en avant,
520 Si l'envoye par toute terre
      Ou noble gent poursuivent guerre
      Aux dames, de qui renommée
      Est de leur grant bonté semée:
      A celles veulz et te commande
525 Bonne Amour par moy et te mande
      Que tu commettes le bel Ordre
      Ou nulz ne puet par droit remordre.
      Et combien que j'aye apportées
      Les roses qui seront portées
530 Des bons a qui je les donnay,
      Et de telles assez en ay,
      Car en mon vergier sont cueillies,
      Ne veult pas Amours que faillies
      Els soient es autres contrées
535 Ou telles ne sont encontrées;
      Car quiconques d'orfaverie
      D'or, d'argent ou de brouderie
      De soye ou d'aucune autre chose,
      Mais que soit en façon de rose,
540 Portera l'ordre qui donnée
      Sera de la dame, ordonnée
      De par toy pour l'Ordre establir,
      Il souffist; et pour acomplir
      Ceste chose voicy les bulles,
545 Ou monde n'a pareilles nulles,
      Si tesmoing la commission.
      Cil Dieu qui souffri passion
      Te maintiengne toudiz en l'euvre
      D'estude qui grant science euvre
550 Et t'otroit son saint paradis,
      Je m'en vois et a Dieu te dis.»
      Adonc est celle esvanoÿe.
      Je m'esveillay toute esbahye;
      Ne vy ouvert huys ne fenestre,
555 Merveillay moy que ce pot estre;
      Si me pensay que c'estoit songe,
      Mais ne le tins pas a mençonge
      Quant coste moy trouvay la lettre
      De la deesse au royal sceptre
560 Qu'elle mist dessus mon chevet
      Coste moy, puis volant s'en vet.
      Par grant entente prises ay
      Les bulles et moult y musay,
      Car j'avoye lumiere d'oile.
565 Je me levay et la chandoile
      Alumay adonc senz tarder
      Pour mieulx la bulle regarder.
      Mais oncques ne vy en ma vie
      Si de beauté lettre assouvie,
570 Merveilles os, je vous plevy,
      De la grant beauté que g'i vy.
      Estrange en est moult la maniere:
      Le parchemin de fin or yere
      Et les lettres furent escriptes
575 De fin azur, non trop petites
      Ne trop grans, mais si bien formées
      Que mieulx ne peust, non pas rimées
      Ne furent, mais en belle prose
      La contint l'Ordre de la rose.
580 Le laz en fu de soye azure,
      Et le seel de belle mesure
      Fut d'une pierre precieuse
      Resplandissant et gracieuse:
      Le dieu d'Amours fut d'une part.
585 Les piez ot sur un liepart,
      De l'autre part fut la deesse,
      De Loyauté dame et princesse.
      Les empraintes moult merveilleuses
      En furent et trop gracieuses;
590 Et bien sembla de si bel estre
      Que n'estoit pas chose terrestre.
      Si leuz la lettre senz y point
      Faillir et notay chascun point.
      Lye fuz de la vision
595 Et d'avoir tel commission;
      Car combien que je ne le vaille
      Ay je desir que nul ne faille,
      Et pour ce moy, qui suis commise
      A ce, ne doy estre remise
600 De faire si bien mon devoir
      Que je n'en doye blasme avoir.
      Et pour ce ay je fait ce dictié
      Ou j'ay tout l'estat appointié
      Et mis la fourme et la maniere
605 Comme il avint et ou ce yere,
      A fin qu'on le sache en tous lieux.
      Si soient tous jeunes et vieux
      Desireux d'estre retenus
      En l'Ordre, maiz n'y entre nulz
610 S'il n'en veult bien son devoir faire,
      Car il se pourroit trop meffaire.
      Aussi aux dames amoureuses
      Qui de tout bien sont desireuses,
      J'entens de l'amour ou n'a vice,
615 Mal, villenie, ne malice,
      Car quiconques le die ou non
      En bonne amour n'a se bien non,
      Et a celles generaulment
      Qui aiment honneur bonnement,
620 Soit en ce regne ou autre part,
      Qui ont les cuers de noble part,
      De par la deesse je donne
      Le plain pouoir et habandonne
      De donner l'Ordre gracieux
625 A tous nobles et en tous lieux
      Ou bien employé le verront
      A ceulz qui avoir le voulront;
      Mais s'aucun le prent et le jure
      Et puis après il s'en parjure
630 Cellui soit tenu pour infame,
      Haÿ de tout homme et de famme,
      Car ainsi le veult la deesse
      Qui ceste chose nous adresse.
      Si feray fin, il en est temps,
635 Priant Dieu que aux escoutans
      Et a ceulz qui liront mes dis
      Doint bonne vie et paradis.
      Escript le jour Saint Valentin
      Ou mains amans trés le matin
640 Choisissent amours pour l'année,
      C'est le droit de celle journée.

      De par celle qui ce dictié
      A fait par loyale amitié,
      S'aucun en veult le nom savoir,
645 Je lui en diray tout le voir:
      Qui un tout seul cry crieroit
      Et la fin d'Aoust y mettroit
      Se il disoit avec une yne
      Il savroit le nom bel et digne.

EXPLICIT LE DIT DE LA ROSE.

Ce poème ne se trouve que dans les mss. de la famille B.

26 B1 Present

46 B1 m'aime.

78 B1 p. goust.

105 B1 qu'el

115 B1 T. fuyent.

137 le omis dans B1

163 B1 Qui f.

216 B1 ceste c. i.

299 manque dans B1

338 B1 baz.

345 B1 le p.

351 bien omis dans B1

425 B1 noblesse

435 manque dans B2

457 B1 q. doy

469 B1 ne p.

503 B1 lez d.

519 B2 d'ores

534 B1 Eles s.

594 B1 L. fu

603 B2 t. le fait a.

646 à 649 renferment l'anagramme de Crystyne.

Rubrique B1 Cy fine le d. de la R.

NOTES

LE DIT DE LA ROSE

Petit poème inédit, quelques vers seulement ont été donnés par Paulin Paris (Mss. françois, V, p. 170), vers 638 à 649. 32.—Christine veut parler ici de l'hôtel du duc Louis d'Orléans. Cette demeure avait porté successivement les noms d'hôtel de Flandre, de Nesle, de Bohême et d'Artois, jusqu'à l'époque où le roi Charles VI l'acheta de Marie de Chatillon, veuve de Louis d'Anjou, pour la donner à son frère alors duc de Touraine (1388). Le duc d'Orléans augmenta considérablement l'importance primitive de l'hôtel, en y réunissant plusieurs maisons situées du côté de la rue Coquillière et de la rue des deux Écus et en y ajoutant encore l'hôtel du Grand Maître des Arbalétriers qui donnait sur la rue de Grenelle, de nombreuses cours et de vastes jardins étaient également compris dans cette propriété qui devint bientôt l'une des plus belles résidences de Paris[1]. Christine, qui devait souvent habiter chez le duc Louis, aimait à retracer les fêtes et réjouissances splendides auxquelles elle pouvait assister de temps à autre. La description qu'elle nous donne au commencement de son Débat de deux Amants, ne peut évidemment s'appliquer qu'à l'une des magnifiques réceptions de son puissant protecteur; son poème du dit de la Rose a aussi pour sujet une réunion toute intime des officiers de la maison du duc Louis, réunion que l'on pourrait peut-être supposer imaginaire, mais qui à notre avis a dû certainement avoir lieu. Nous croyons donc intéressant de donner ici les noms des officiers qui faisaient à cette époque partie de la maison du duc, et qui ont pu pour la plupart assister à la joyeuse assemblée à laquelle Christine fait allusion. L'intéressant travail de M. Jarry sur la vie politique de Louis de France[2] et la collection de Bastard nous ont permis de reconstituer la liste suivante:

  Guillaume de Bracquemont «mareschal de guerre».
  Robert de Bracquemont.
  Jean de Trie, maréchal.
  Arnaud Guilhem de Barbazan.
  Guillaume du Chastel,
  Archambaud de Villars.
  Clignet de Brebant.
  Guillaume Bataille.
  Yves de Karouis.
  Guillaume de la Champagne[3].
  Pierre l'Orfèvre, chancelier du duc.
  Jean de Craon, chambellan.
  Henri, comte de Saumes, id.
  Le Sire de Beaussant, id.
  Le Sire de Ferrières, id.
  Jean de Dreux, id.
  Jean de Béthune, id.
  Pierre de Wisque, sire de Rasse, id.
  Philippe de Florigny, id.
  Guillaume et Raoul de Laire, id.
  Jean de Miraumont, id.
  Alain de Beaumont, id.
  Guy de Nesle, seigneur d'Offémont, id.
  Olivier de Mauny, id.
  Guillaume de Coucy, seigneur de Montmirail, id.
  Gadifer de la Sale, id.
  Jean de Saquainville, dit Sacquet, seigneur de Blarru, id.
  Amaury de Lignières, id.
  Jean des Mousures, seigneur de Morvilliers.
  Guillaume de Meulhon.
  Jean de Garencières.
  Jean de Roussay.
  Jean de Bueil.
  Yves, seigneur de Vieuxpont.
  Aubert de Cany.
  Raoul de Saint-Remy.
  G. de Fayel, dit le Bègue.
  Robert de Cadillac.
  Jean de Tillières.
  Robert Ryout, maître d'hôtel.
  Jean Bracque, id.
  Le poète Eustache Deschamps, id.
  Enguerrand de Marcoignet, id.
  Jean Prunelé, chambellan, depuis le 24 août 1400 gouverneur de
      Charles d'Orléans.
  Ogier de Nantouillet, premier écuyer de corps.
  Hector de Pontbriant, écuyer d'écurie.
  Olivier Ferron, id.
  Bertrand du Mesnil, écuyer.
  Guy et Jacques de Renty, id.
  Jean de Coutes, dit Minguet, id.
  Pierre Paviot, écuyer, échanson.
  Robert de Villequier, écuyer tranchant.
  Richard de Mainemaires, dit Bellegarde, pannetier.
  Denis Mariete, argentier.
  Raoul de Baubigny, huissier d'armes.

[1] Lebeuf, Hist. du dioc. de Paris, édit. Cocheris, t. I, p. 131 et 265, et Bonamy dans les Mém. de l'Acad. des inscr. XXIII, p. 262.

[2] Jarry, Hist. politique de Louis de France, duc d'Orléans, Paris, 1889.

[3] Ce chevalier et les six qui précèdent furent les champions français au combat du 19 mai 1402. Christine a chanté leur victoire (voy. tome I, p. 240 et 305).

LE DEBAT

DE DEUX AMANS

CI COMMENCE LE DEBAT DE DEUX AMANS

Prince royal, renommé de sagece, Hault en valeur, poissant, de grant noblece, Duit et apris en honneur et largece, 4 Trés agreable Duc d'Orliens, seigneur digne et valable, Filz de Charles, le bon roy charitable, De qui l'ame soit ou ciel permanable, 8 Mon redoubté Seigneur vaillant, par vostre grant bonté Mon petit dit soit de vous escouté, Ne par desdaing ne soit en sus bouté 12 Par pou de pris; Si ne l'ait pas vo haultece en despris Pour ce que j'ay pou de savoir apris, Ou pour ce qu'ay faible matiere pris 16 Et hors l'usage De vo bon sens qui n'escoute language Qui tout ne soit trés vertueux et sage. Mais a la fois point ne tourne a domage 20 A ouïr choses De divers cas en textes ou en gloses, Et meismement ou matieres encloses Joyeuses sont, soient rimes ou proses; 24 Et par ouïr Choses qui font par nature esjouïr On fait souvent tristece hors fouïr. Car trop grant soing tolt souvent a joïr 28 Cuer occupé D'avoir soulas, quant trop envelopé Est es choses ou il s'est entrappé, Ne corps humain, tant soit bien attrempé, 32 Ne pourroit vivre Toudis en soing; et j'ay leu en un livre Que quant David, qui la loy Dieu voult suivre, Vouloit estre de tristece delivré, 36 Lors de sa lire Moult doucement jouoit, et souvent l'yre Il rapaisoit de Dieu; et ouïr lire Choses plaisans font souvent joye eslire 40 Aux escoutans. Si n'est nul mal et en lieu et en temps Lire et ouïr de choses esbatens. Et pour ce, Prince excellent, mal contemps 44 Vous ne soiez De moy pour tant s'ay desir que voiez Un petit dit, lequel ay rimoiez Ad celle fin que vo cuer avoiez 48 A soulacier Aucunement. Si vous vueil commencier A raconter, Dieu m'en vueille avancier, Un grant debat dont j'oÿ fort tencier 52 A deux amans. Car tout d'amours sera cilz miens rommans: Si l'entendront François et Alemans Et toute gent, s'ilz entendent rommans; 56 Mais jugement Y apertient; si suppli humblement Vo noble cuer qu'il daigne bonnement Droit en jugier, si comme sagement 60 Le sara faire. Car li amant, ou il n'a que reffaire, Le requierent, et de tout cest affaire Il vous chargent, noble Duc debonnaire, 64 Et si se tienent A vostre dit, car bien scevent et tienent Que droitturiers les jugemens qui viennent De vous touz sont, nez ceulx qui appartiennent 68 Es faiz d'amours, Qui aux jeunes font souvent changier mours En bien ou mal, en joyes ou clamours; Mais naturel est a tous cil demours, 72 Tant comme il dure, Si ne le doit nul tenir a laidure; Car tout ce qui est donné de Nature Nul ne le peut tollir, dit l'Escripture. 76 Si vous diray Le grant debat, ne ja n'en mentiray, De deux amans, que je moult remiray; Car leur descort a ouïr desiray 80 Et leur tençon Gracieuse, non mie en contençon. Ce fu en May, en la doulce saison, Qu'assemblée ot en moult belle maison 84 Et gracieuse, Qui a Paris siet en place joyeuse, Compagnie joenne, belle et soingneuse De soulacier: creature envieuse 88 N'ot en la route, Fors de jouer, si com je croy sanz doubte. Trés belle fu la compagnie toute, Ou mainte dame ot qui d'amer n'ot goute 92 Et mainte gente Damoiselle parée par entente, Mainte gentil pucelle, et, que ne mente, De chevaliers y avoit plus de trente 96 Et d'autre gent, Beaulz et gentilz, papellotés d'argent, Gays et jolis, assesmés bel et gent; Si furent tous et toutes deligent 100 De joye faire. La ot moult bons menestrelz plus d'un paire Qui haultement faisoient le repaire Tout retentir. Si devoit a tous plaire 104 Celle assemblée, Car feste et joye y estoit si comblée Qu'a cent doubles fu plus qu'autre doublée, N'elle n'estoit de discorde troublée 108 Mais trés unie, Toute tristece en estoit hors banie. Et en place bien parée et ounie, Grant et large, nette, non pas honnie, 112 Menoient tresche Joyeusement par dessus l'erbe fresche; Maint jolis tour, maint sault, mainte entrevesche Y veïst on, et lancier mainte fleche 116 A doulz regart, Tout en requoy traire par soubtil art, Et qui mieulz mieulz chascun faisoit sa part De ce que doulz Deduit aux siens depart. 120 Ainsi dançoient Tous et toutes, ne point ne s'en lassoient, Et en dançant leurs cuers entrelaçoient Par les regars que ils s'entrelançoient. 124 Qui veist jolies Femmes dancier a contenances lies Si gayement de manieres polies, A chapiaulz vers de flours et d'acolies, 128 Par mignotise Bien avenant, doulcetement assise, Rire et jouer, elles plaindre en faintise, Parler attrait de maniere rassise, 132 Les contenances De ces amans a chascun tour des dances, Muer couleur, faire maintes semblances, Moult en prisast les doulces ordenances. 136 Et puis après Les menestrelz, qui bien jouoient très Parmi chambres et parmi ces retrès, Oist on chanter hault et cler a beaulz trèz 140 Bien mesurez. A brief parler, tant furent procurés La ris et jeux qu'il sembloit que jurez Fussent d'ainsi estre a feste adurez 144 A tousjours mais. Et moy, en qui tout anuy est remais Depuis le jour que Mort de trop dur mais M'ot servie, dont je n'aré jamais, 148 C'est chose voire, Plaisir joyeux au monde, ains aré noire Pensée adès pour la dure memoire De cil que je porte en ma memoire 152 Sanz nul oubly, Dont l'esperit soit ou ciel establi, Qui seulete me laissa, n'entroubli Ne fait mon dueil, ou que soye, affoibli 156 En nulle guise, Fus sus un banc en cellui lieu assise Sanz mot sonner, regardant la devise Des fins amans gentilz, plains de cointise, 160 Tant renvoisiez Qui de mener soulaz furent aisiez. Mais je qui oz l'esperit acoisiez Consideray que de tous les proisiez 164 De celle place Un escuier, bel de corps et de face, Y ot jolis, mais tant fut en sa grace Qu'il sembloit bien qu'il eüst plus grant masse 168 De toute joye Qu'autre qui fust ou lieu, se Dieux me voie; Car mon regart a lui toudis avoye, En remirant la gracieuse voie 172 De son maintien; Car il dançoit et chantoit si trés bien, Si liement jouoit, je vous di bien, Que il sembloit que le monde fust sien, 176 Tant resjoÿ Forment estoit, ou qu'il eüst jouÿ De tous les biens dont oncqu' homme jouÿ, Tant parestoit son gay cuer esjoÿ, 180 A droit voir dire; Car ne finoit de jouer et de rire, Ou de chanter et dancer tout a tyre. Mais de ses jeulz nul ne peüst mesdire 184 Tant lui seoient, Car les autres tous resjoïr faisoient, Et ses soulas si gracieux estoient Qu'a toute gent communement plaisoient; 188 N'il ne parlast Fors en riant et sembloit qu'il volast Quant il dançoit. Mais, quoy qu'il se celast, A peine un pas de nul costé alast 192 Que de doulz oeil Ne regardast simplement sanz orgueil Telle qui fu present, ou tout son vueil Estoit assis, mais par soubtil recueil, 196 Comment qu'il fust, Son regarder gittoit, qu'on n'apperceust Qu'a celle plus qu'a autre pensée eust. Si ne cuide je pas que pou lui pleust, 200 Car bien sembloit Que pour elle fust en amoureux ploit, Tout non obstant que des gens tant s'embloit Comme il pouoit. Mais l'amoureux esploit 204 Fort a celler Est aux amans qu'Amours fait afoler Par trop amer et venir et aler. Ainsi surpris d'amours, a brief parler, 208 Cil sembla estre. Mais près du banc ou je seoie a destre Avoit assis decoste une fenestre Un chevalier qui sus sa main senestre 212 Tint appoyé Son chief enclin, comme tout anoyé Et tout pensif, et pou ot festoyé, Ne il n'estoit joyeux ne desroyé, 216 Ne esbatant Ne sembla pas, mais n'estoit pas pour tant Lait ne vieillart, ains de beauté ot tant Com nul qui y fust et moult entremetant 220 En gentillece Et en honneur sembla et de jeunece Assez garny, jolis et sanz parece, Mais bien sembloit que pou eust de leesce 224 Et pou de joye. Car moy qui lors dessus le banc seoie Soingneusement son maintien regardoie Pour ce que si pensif je le veoie 228 Et sanz soulas, Par maintes fois li oÿ dire, hé las! Bassetement, n'estre ne pouoit las De souspirer comme homme qui en laz 232 Est enserré; Et avec ce tant ot le cuer serré Que il sembloit qu'on l'eüst desterré, Tant pale estoit, ou qu'il fust enferré 236 D'un fer trenchant. Et non obstant qu'il s'alast embruschant D'un chapperon, dessus ses yeulz sachant, Qu'on n'aperceust le pié dont fu clochant 240 Ne son malage, Et tout fust il loyal, secret et sage, Si com je croy, si faindre son corage Ne pot qu'il n'eust tout au long du visage 244 Souvent les larmes, Tant ne pouoit estre constant ne fermes Que couvrir peust les trés ameres armes Qu'Amours livre a ceulz qu'il rend trop enfermes 248 Et maladis. Ainsi cellui fut la, com je vous dis. Morne, pensis et petit esbaudis. Mais, si me doint Jhesu Crist paradis, 252 Telle pitié Me fist de lui veoir si dehaitié Qu'oncques homme, tant y eusse amistié, Ne m'atendry le cuer a la moitié 256 Comme cellui Me fist, que la je veoie a par lui Morne, pensif, larmoier; ne nullui N'apercevoit, je croy, l'anui de lui 260 Fors moy sanz plus. Car les autres toudis de plus en plus S'esbatoient, et cil estoit reclus Entre la gent plus simple qu'un reclus, 264 Ne ne pensoit Que le maintien qui triste le faisoit Nul aperceust, car chascun y dançoit Fors lui et moy, et pour ce ne cessoit 268 D'estre pensifs. Mais la cause qui si le tint rassis J'aperceu bien, car des fois plus de six Mua coulour quant près de lui assis 272 Le corps gentil D'une dame belle et gente entre mil Estoit; adonc tout se transmuoit cil, Si la suivoit aux yeulz, mais si soubtil 276 Fu son regart Qu'apercevoir ne le peust par nul art Nul ne nulle, n'avoit l'ueil autre part, Dont j'aperceu et vi tout en appert 280 Que le meschief Qui lui troubloit et le cuer et le chief Venoit de la, je ne sçay par quel chief, Mais sanz cesser souspiroit de rechief. 284 Ainsi se tint La longuement, dont trop de mal soustint. Mais or oiez après qu'il en avint: Quant ot songié assez il se revint 288 Un pou a soy, Comme homme qui un pou a sa grant soy Estanchée; et je qui l'aperçoy Le regarday, mais, s'oncques nul bien soy, 292 Me fu avis A son regart et au semblant du vis Qu'il aperceut que tout son maintien vis, Et come la estoit si com ravis, 296 Si lui greva Que veü l'os. Ne sçay comme il en va, Mais assez tost de ce lieu se leva Et vers moy vint et achoison trouva 300 De m'arresner. Et moy qui moult me voulsisse pener De l'esjouïr, se g'y sceusse assener, Pour la pitié qu'oy eu, dont atorner 304 En tel conroy L'avoie veu, quant devers la paroy Le vi venir vers moy sanz nul desroy Je me levay; mais, s'il fust filz de roy 308 Ou duc ou conte, Sot il assez que gentillece monte. Courtoisie, qui les bons en pris monte Et qui aprent, enseigne, duit et domte 312 Tout bon courage, Lui ot apris; adonc le doulz et sage Si me rassist, et, sanz querre avantage De nul honneur, humblement, sanz hauçage, 316 Dessus le banc Decoste moy s'assist cil qui fu blanc Et pale ou vis, ou n'ot couleur ne sang Par trop amer, et son bras par le flanc 320 Adonc me mist Courtoisement, et bellement me dist: «Que pensez vous cy seule? Car il n'yst De vous nul mot, bien croy qu'il vous souffist 324 De cy penser Sanz autre esbat, pour quoy n'alez dancer?» Et je respons: «Mais vous, sire, avancer Pou vous en voy et ne deussiez cesser 328 De vous esbatre, Ce m'est advis, car en ce lieu n'a quatre Qui plus soient joennes, mais pou embatre Je vous y voy, ne sçay qui fait rabatre 332 Si vo pensée?» Et cil, qui voult la doulour qu'amassée Avoit ou cuer moy celler, a pessée Parole dist: «En peu d'eure est passée 336 Certes ma joye, Tant suis rudes que dancer ne saroye Ne autrement jouer, et toutevoie N'ay je courroux ne chose qui m'anoye, 340 Mais c'est ma guise D'estre pensif, ce n'est pas par faintise; Dieux a en moy tel condicion mise. Ou qu'il m'anoit ou que bien me souffise, 344 C'est ma nature.» Ainsi parlions a bien basse murmure Et ja avions conté mainte aventure Quant vers nous vint cellui tout a esture, 348 Dont j'ay parlé Ycy dessus, qui n'ot cuer adoulé Ains fu joyeux; si a l'autre acolé Tout en riant, et a lui rigolé 352 S'est bellement, Et d'un et d'el parlerent longuement, Mais sus amours tourna le parlement. Si dist adonc l'escuier liement: 356 «A ma requeste Parlons d'amours un pou, et, sanz arreste, D'entre nous trois de deviser s'apreste Son bon avis chascun, et s'amours preste 360 Plus joye ou mains Aux vrais amans, vous pry a jointes mains Qu'en devision, que nul ne l'oye; au mains Pouons parler de ce dont joye ont mains. 364 Si faisons conte Que c'est d'amer, de quoy vient n'a quoy monte Ycelle amour qui le cuer prent et dompte, A quoy c'est bon, s'onneur en vient ou honte; 368 Chascun en die Ce qu'il en scet, ou se c'est maladie Ou grant santé, ou se l'amant mendie Qui dame sert. Le corps Dieu le maudie 372 Qui mentira De son avis et qui tout ne dira Des tours d'amours ce qu'il en sentira! Or y perra qui le mieulx enlira. 376 Mais je conseil Que nous yssions trestous trois hors du sueil De cel huis la et alions en ce brueil, Ou il fait vert, nous seoir en recueil 380 Joyeusement, Pour deviser la plus secretement, Que nul n'oye l'amoureux plaidement Fors que nous trois.» Et adonc vistement 384 Nous nous levasmes, Mais par mon loz une dame appellames Avecques nous, qui het mesdis et blasmes; Encore avec pour le mieulx y menames 388 Une bourgoise Belle, plaisant, gracieuse et courtoise; Par mon conseil fu fait, car qui racoise Des mesdisans la murmure et la noise 392 Moult sages est. Si partismes de la, et, sanz arrest, Ou bel vergier entrames qui fu prest A deduire, plus dru qu'une forest 396 D'arbres moult beaulx, Qui en saison portent bons fruis nouviaulx, Ou en printemps se deduisent oisiault, Et en beau lieu, qui y fist ses aviaulx, 400 Fusmes assis. Adonc cellui qui fu le moins pensis Dist a l'autre qui ot plus de soussis: «Dites, sire, car plus estes rassis 404 Et le plus sage, Vo bon avis de l'amoureux servage, S'il en vient preu, joye, honneur ou dommage?» Et cil respont: «Beaulz amis, c'est l'usaige 408 Selon raison Qu'en trestous cas et en toute saison Honneur porte aux dames tout gentilz hom, Premier diront, beau sire, et nous taison. 412 Dites, ma dame, Vo bon avis de l'amoureuse flamme, Se joye en vient ou dueil a homme et femme?» Et celle dit et respont: «Par mon ame, 416 Je ne sçaroye Qu'en dire au fort, quant est de moy loueroie Que vous deissiez et voulentiers l'orroie, Car proprement certes n'en parleroie; 420 Dites, beau sire, Car je sçay bien que mieulx en sçarés dire.» Et cil respont: «Ne vous doy contredire. Ne vueille Dieux qu'a ce ja mon cuer tire 424 Que vous desdie. Puis qu'il vous plaist, ma dame, que je die Ce qu'il m'est vis, quoy qu'autre contredie, Des fais d'amours et de la maladie 428 Qui vient d'amer, Se plus en vient de doulz et moins d'amer, Selon que sçay et que puis extimer Par essaier et par m'en informer, 432 J'en parleray Ce que j'en sens, ne ja n'en mentiray, Combien qu'autres trop mieulz que ne sçaray En parleroit, toutefois en diray 436 Tout mon avis, S'oncques je sçoz cognoistre ne ne vis Les tours d'amours par qui cuers sont ravis. C'est un desir qui ja n'est assouvis, 440 Qui par plaisir En jeune cuer se vient mettre et choisir Lui fait amour; de ce naist un desir De franc vouloir, qui le cuer vient saisir 444 De tel nature Qu'il rent amant le cuer et plein d'ardure Et desireux d'estre amé tant qu'il dure. Mais tant est grant celle cuisant pointure 448 Qu'elle bestourne Toute raison et tellement atourne Cil qui est pris que du joyeux fait mourne Et le morne en joyeuseté tourne, 452 Souvent avient. C'est une riens de quoy l'omme devient Tout tresmué, si qu'il ne lui souvient De nulle honneur ne de preu ne li tient; 456 Souventes fois Oublier fait et coustumes et drois, Fors volenté n'y euvre en tous endrois. C'est Sereine qui endort a sa vois 460 Pour homme occire. C'est un venin envelopé de mirre Et une paix qui en tout temps s'aÿre; Un dur liain, ou desplaisir ne yre 464 N'a nulle force Du deslier. C'est vouloir qui s'efforce De nuire a soy; une pensée amorse A desirer, par voie droitte ou torse, 468 Avoir aisance De ce en quoy on a mis sa plaisance, Et quant on l'a, n'y a il souffisance. Car le las cuer est toudis en balance 472 S'il aime fort, Car s'il avient que l'amant tant au fort Ait fait qu'il soit amé, et reconfort Lui soit donné, si me rens je bien fort 476 Que celle joye N'yert ja si grant qu'Amours ne lui envoie Mille soussis contre une seule voie D'avoir plaisir, ne que ja son cuer voie 480 Asseüré, Et tout soit il ou jeune ou meüré, Ou bel ou bon, ja si beneüré Ne se verra que trés maleüré 484 Il ne se claime Souventes fois, se parfaittement aime. Car Fortune, qui les discordes semme, En plus perilz que nef qui va a reme, 488 Par maintes voyes, Le fichera, mais le las toutevoies Tout le peril ne prisera deux oies Mais qu'il ne perde aucunes de ses joyes 492 Chier achetées. Haÿ, vray Dieux! quantes doleurs portées Sont es las cuers ou amours sont boutées! Quant m'en souvient, de moy sont redoubtées 496 Les dures larmes, Les durs sangloux et les mortelz voacarmes, Et les souspirs plus poignans que gisarmes. Et se parler en doy comme clerc d'armes, 500 Ce scet bien Dieux, Et quel dongier et quel torment mortieulx Porte l'amant, ou soit jeunes ou vieulx, Pour faire tant qu'il lui en soit de mieulz 504 Devers sa dame, S'il est a droit espris de l'ardent flamme Qui par desir l'amant art et enflamme, Avant qu'il soit amé, je croy, par m'ame, 508 Qu'assez endure De griefs anuis, je ne sçay comme il dure En tel torment, en si mortel pointure, N'il n'a en soy autre soin n'aultre cure 512 Que celle part Ou il aime; si a quitté sa part De tous les biens que Fortune depart Pour cellui seul, qui pou lui en espart, 516 Certes peut estre. Ainsi le las son paradis terrestre A fait de ce qui son cuer plus empestre, Et tout soit il roy ou duc ou grant maistre 520 Fault qu'il s'asserve, Ou vueille ou non, et que sa dame serve Et vraye amour, ains que joye desserve. Et puis y a encor plus dure verve: 524 S'on l'escondit, Or se tient mort le las, or se maudit, Et puis Espoir autre chance lui dit, Puis Desconfort revient et l'en desdit; 528 Ainsi n'a paix. En tous endrois le sert de divers mais Ycelle amour, qui ne lairoit jamais Avoir repos le cuer ou est remais 532 Cellui vouloir. Mais supposé qu'a l'amant tant valoir Lui vueille Amour que cause de doloir N'ait en nul cas, ne lui doie chaloir 536 Fors de leece, Et qu'a son gré du tout de sa maistrece Il soit amé, qui lui tiegne promesse Et loiaulté, ne croiez qu'a destrece 540 Pour tant ne soit; Car Faulz Agait, qui moult tost aperçoit Le couvine des amans et conçoit Par leurs semblans leur fait, comment qu'il soit, 544 Ne s'en taist pas; Si reveille moult tost, plus que le pas, Les mesdisans, cui Dieux doint mau repas, Qui font gaitier Jalousie au trespas 548 Et mettre barres Es doulz deduis des amans et enserres. Lors commencent et murmures et guerres Souventes fois, trop plus grans que pour terres 552 Ne pour avoir. Beau sire Dieux! qui pourroit concepvoir Le grant tourment qu'il convient recepvoir Au povre amant, qui ne peut bien avoir 556 Pour le parier Des mesdisans qui lui tollent l'aler Devers celle qu'il aime et veult celer. Trop durement font l'amant adoler 560 Les mesdisans Ou le jaloux, qui trop lui est nuisans. Ceulz lui tollent ses doulz biens deduisans, Dont tel dueil a qu'au lit en est gisans 564 En desespoir Souventes fois, ou il se met apoir En grant peril de mort, s'il n'a pouoir De soy chevir autrement, ne espoir 568 Qu'autrement puist Celle veoir pour qui le cuer lui cuist. Encor y a une chose qui nuist Trop aux amans et qui a dueil les duist 572 C'est jalousie, Qui oublier fait toute courtoisie Au las amant, qui si fort se soussie Qu'il est aussi comme homme en frenesie 576 Et loings et près. S'il s'aperçoit que un autre amant engrès De celle amer soit, ou son cuer est trais, Sachiez de voir, s'il y voit nulz attrais 580 Qu'elle lui face. Il en muera sens et couleur et face, Ne je ne cuid qu'autre meschief efface Ce mortel soin, quoy qu'il se contreface 584 Joyeux ne lié. C'est mort et dueil, qui estre appalié Certes ne peut, n'en paix estre alié, Le cuer qui est de tel tourment lié. 588 C'est une rage Trop amere qui met l'omme en courage De faire assez de maulz et de domage. Pluseurs en ont honneur et heritage 592 Souvent perdu. Qui jaloux est a meschief s'est rendu, Mieulz lui vauldroit gesir mort estendu, Mais grant amour lui a ce bien rendu 596 En guerredon; Car trop amer si empetre ce don Au pouvre amant, qui de son cuer fist don; Si lui semble que trop perderoit don 600 S'un autre avoit Le bien que si chier comparer se voit. Mais certes se le las mourir devoit N'en partiroit, nez s'il ores savoit 604 Que relenqui Et delaissié l'eüst sa dame, en qui Son cuer a tout, puis qu'amours le vainqui Par un regart qui du doulz oeil nasqui, 608 Que il tant prise. Et qu'a celle qui tant est bien apprise Il s'est donné et qu'elle a s'amour prise; Jamais nul jour n'en doit estre desprise, 612 Comme il lui semble, Pour riens qui soit, mais tous les maulz assemble En son las cuer: qui d'aïr sue et tremble Et souvent het, et puis amour rassemble, 616 C'est dure dance Et moult estrange vie et concordance; Et tout d'amour en vient la dependence. Ainsi en soy n'a ne paix n'acordance, 620 Ains derve d'yre Le las amant jaloux, quant il ot dire Ou apperçoit qu'a autre amour se tire Celle de qui ne peut ouïr mesdire 624 Et si le laisse. Si est plus serf que chien qu'on meine en laice, Que le veneur tient n'aler ne delaisse; Ainsi le tient celle qui pou l'eslece 628 En son dongier. Ha! quel amour qu'on ne puet estrangier Du dolent cuer, tant sache dommagier! On s'en doit bien de dueil vif enragier 632 Que il conviengne A force amer ce dont fault que mal viegne, Et que subgiet obeïssant se tiengne Le las amant, quelque mal qu'il soustiengne, 636 C'est grant merveille. Amours! amours! nul n'est qui ne s'en dueille, Cil qui te sert pou repose et moult veille, Et trop pener lui fault, vueille ou ne vueille, 640 Qui tu accointes. Mais regardons encore les plus cointes, Les mieulz amez et ceulz qui n'ont les pointes Qu'ont les jaloux, qui sont d'amertume ointes, 644 Sont ilz dehors Ces grans meschiefs?—Je croy que non encors, Ains y perdent pluseurs et ame et corps; S'il m'en souvient et se j'en ay recors, 648 Quant sont peris Par tel amour en France et a Paris Et autre part! Ainsi furent meris Jadis pluseurs amans: meismes Paris, 652 Qui belle Helaine Ot ravie en Grece a moult grant peine, Dont Troye, qui tant fu cité haultaine, Fu puis arse, destruitte et de dueil pleine, 656 Ou fu perie La plus haulte et noble chevalerie Qu'ou monde fust, et si grant seigneurie; Meisme a Paris durement fut merie 660 L'amour sanz faille, Car Thelamon l'occist en la bataille. Et deux amans autres, que je ne faille, Reçurent mort, comme Ovide le baille 664 En un sien livre, Pour celle amour qui les folz cuers enyvre; Car moult souvent, pour joyeusement vivre, S'assembloient, et leur vouloir ensuivre, 668 En un bouscages Qu'ot nom Limaux; la les bestes sauvages Devorerent l'amant, ce fu domages. Et Piramus, l'enfant cortois et larges, 672 Et la trés belle Doulce Thysbé, la jeunete pucelle, Ne s'occirent ilz sus la fontenelle? Soubz le meurier blanc il moru pour elle 676 Et elle aussi S'occist pour lui, dont le meurier noircy Pour la pitié dont morurent ainsi. Ainsi grief mort les deux enfans corsi 680 Par trop amer. Piteusement aussi peri en mer Lehander qui, pour garder de blasmer Belle Hero, qui le voult sien clamer, 684 Par nuyt obscure, Le las amant! prenoit telle aventure De mer passer en sa chemise pure, Dont une fois, par grant mesaventure, 688 Y fu noyés Par tempeste de temps. Voiez, voiez Comment les las amans sont avoiez Qui par amours sont pris et convoiez! 692 Qu'ont ilz de peine? Et Achillès aussi pour Polixenne Ne morut il quant en promesse vaine Il se fia, dont mort lui fu prochaine? 696 Ne fut donc mie Raison en lui bien morte et endormie Quant il eslut pour sa dame et amie Celle qui ert sa mortel anemie? 700 Mal lui en prist. Ce fist Amours, par qui maint en perist, Mais, quant mal vient aux gens, il s'en soubzrist. Et ceste amour trop durement surprist 704 Aessacus, Filz au bon roy Priant, qui si vaincus Fu d'amer trop, que sanz querir escus En mer sailli, comme trop yrascus 708 Que reffusé L'ot celle, a qui long temps avoit musé; Dont les fables, qui le fait encusé Ont, tesmoignent qu'en plungon fut rusé 712 Et tresmué: Si com se fu dedens l'eaue rué, En cel oisel fut tantost remué; Pour amour fu en tel forme mué, 716 En tel maniere, Son corps gentil oncques n'ot autre biere; Veoir le peut on en mainte riviere Ou de noier encor monstre maniere; 720 Les Dieux de lors Pour memoire changierent si son corps. Mais regardons d'autres amans encors Qui pour amer furent periz et mors 724 Et exillié. Ypis aussi tant fort fu traveillié Par tel amour, qui si l'ot bataillié, Qu'il s'en pendi, comme mal conseillié, 728 A l'uis de celle Qui reffusé a response cruelle L'ot durement, et pour celle nouvelle Le las s'occist; mais les Dieux de la felle 732 Vengence en pristrent, Car ymage de pierre dure firent Son corps cruel devenir; si la virent Pluseurs dames qui exemplaire y prirent, 736 Ce fu raison. Et a Romme, pour autelle achoison, Un jouvencel s'occist qui sa raison Ot comptée, ne sçay en quel saison, 740 A son amée; Mais la felle, comme mal informée, Le reffusa, et cil en la fumée Tout devant elle a sa char entamée 744 D'agus couteaux, Ainsi fina. Mais de temps plus nouveaux Or regardons: de Tristan qui fu beaulz, Preux et vaillant, amoureux et loyaulz, 748 Quelle la fin En fu pour bien amer de vray cuer fin? Ne le gaita son oncle a celle fin Qu'il l'occisist et mort a la perfin 752 Il lui donna. Mais celle amour Yseut si ordenna Qu'entre les bras de son ami fina; Par mon serment, cy piteuse fin a 756 De deux amans. Et Cahedins, si com dit li romans, Ne morut il plus noircy qu'arremans, Pour tel amour: si fu ses testamans 760 Plein de pitié. Encor depuis regardons l'admistié Du chastellain de Coussy, se haitié Il fu d'amours, je croy, qu'a grant daintié 764 En avoit bien, Mais la dame du Faël, qui pour sien Tout le tenoit, je croy, l'acheta bien, Car puis que mort le sçot ne voult pour rien 768 Plus estre en vie. Et du Vergy la trés belle assouvie Chastellaine, qui de riens n'ot envie Fors de cellui a qui avoit plevie 772 Amour loyale; Mais elle et lui orent souldée male Par trop amer, car mort en ieurent pale. Si ont fait maint et en chambre et en sale 776 A grant dolour Par tel amour, qui fait changier coulour Souventes fois, ou soit sens ou folour, Suer en froit et trembler en chalour. 780 Mais je m'en passe Pour plus briefté, et, se tous vous nommasse, G'y mettroye, je croy, un an d'espace. Mais des periz en y a si grant masse 784 Que c'est sanz nombre, Par tel amour, qui passe comme un ombre Et le las cuer sy empesche et encombre Que ses meschiefs il ne compte ne nombre. 788 En maintes guises Sont les peines des amoureux assises: Les uns si ont voies couvertes quises Pour bien avoir, mais doulours ont acquises 792 Estrangement, L'un pour raport, l'autre pour changement, L'autre ne peut avoir alegement, L'autre par non soy mener sagement 796 En gist pasmé, Par divers cas et tels qu'ilz ont amé Trop haultement, dont ont esté clamé Faulz, desloiaulz, et en chartre enfermé 800 Ou detrenchiez; Et de telz qui en ont perdu les chiefs Diversement, et mains autres meschiefs En sont venus a ceulz qui atachiez 804 En tel maniere Sont tous les jours, c'est chose coustumiere. Pour tel amour sont maint portez en biere Qui comparent yceste amour trop chiere, 808 En maint endroit. Qui tous les cas deviser en vouldroit. Qui avienent, long temps y convendroit. Mais trop souvent avient, soit tort ou droit, 812 Dont c'est domages. Quantes noises sordent es mariages Pour ceste amour qui dompte folz et sages; Car ou s'esprent il n'est si fort corages 816 Qu'elle ne change. Si fait amer souvent le plus estrange Et delaissier le privé pour eschange, Estrangement les cuers entremeslange 820 Sanz que raison Clamée y soit, si n'y vise saison Ne temps ne lieu: c'est l'amoreux tison Qui meismement fait mainte mesprison 824 Faire au plus sage, C'est le piteux et mal pelerinage, La ou Paris ala par mer a nage, Ou il ravi Heleine au cler visage 828 Qui comparée Fu durement par Venus l'aourée Et Cupido son filz, qui procurée A mainte amour, dont pluseurs la courée 832 Et les entrailles Ont eux perciés, ne sont pas devinailles. Quels que soient d'amours les commençailles Tousjours y a piteuses deffinailles. 836 Fuiez, fuiez Yceste amour, jeunes gens, et voiez Comment on est par lui mal avoiez! Ses promesses, pour Dieu, point ne croiez! 840 Car son attente Coste plus chier que ne fait nulle rente, Nul ne s'y met qu'après ne s'en repente, Car trop en est perilleuse la sente, 844 Sachiez sanz doubte, Et moult en est de legier la foy roupte. C'est un trespas obscur, ou ne voit goute Cil qui s'y fiert et nycement s'i boute, 848 N'est pas mençonge; Tant de meschiez en vient que c'est un songe, Si tient plus court que l'esparvier la longe, Et mal en vient, le plus de ce respons je, 852 C'est fait prouvé; Croiez cellui qui bien l'a esprouvé. Si ne suis je mie pour tant trouvé Sage en ce cas, mais nyce et reprouvé, 856 C'est mon dommage. Mais a la fois un fol avise un sage, Et qui esté a en longtain voiage Peut bien compter comment on s'i heberge 860 En mainte guise. Qui s'y vouldra mirer je l'en advise; Car tous les jours avient par tel devise, Mais du peril ne se gaite ny vise 864 L'amant musart, Qui sa vie met en si fait hasart Et n'eschieve l'ardent feu, ou tout s'art, Ainçois le suit et celle amour de s'art 868 L'amant esprent Par le plaisir qui a amer l'aprent; Si le tient si qu'il ne scet s'il mesprent Ou s'il fait bien, et, s'aucun l'en reprent 872 Il s'en courrouce Ne gré n'en scet, tant a pleines de mouce Ses oreilles, qui de raison escouse Sont si qu'ouïr lui semble chose doulce 876 De chose amere, Et sa marastre il retient pour sa mere; Felicité lui semble estre misere, Et de misere et servage se pere; 880 Est il bien bugle? Ainsi amours fait devenir aveugle Le fol amant qui se cuevre d'un creuble Et bien cuide veoir, ou temps de neuble, 884 Le cler soleil, Et juge bon ce qui lui plaist a l'ueil. Ainsi est il; pour tant, dire ne vueil Ce que je di pour ce que n'aye vueil 888 D'amours servir, Ne pour blasmer qui s'y veult asservir, Mais pour dire comme il s'i fault chevir Qui a amours veult loiaulté plevir 892 De cuer certains! Ainsi, ma dame, et vous, beau doulz compains, Ouïr pouez que l'amant a trop mains De ses plaisirs, s'il est a droit atains, 896 Qu'il n'a de joye. Ce scevent ceulz qu'amours destraint et loie En ses lïans, ou maint homme foloie; Savoir le doy, car griefment m'en doloie 900 Quant en ce point Estoie pris, encor n'en suis je point Quitte du tout, dont dessoubz mon pourpoint Couvertement ay souffert maint dur point 904 A grant hachée. Mais je ne croy qu'a nul si bien en chée Que tel peine ne lui soit approuchée, Com je vous ay yci ditte et preschée, 908 Ce n'est pas fable.» Quant le courtois chevalier amiable Ot finée sa parole notable, Que li pluseur tendroient veritable, 912 Et bien contée, Ditte a biaulz trais, ne peu ne trop hastée, La dame adonc, qui bien l'ot escoutée, Recommença et dist: «Se j'ay nottée 916 Vostre parole, Bien a son droit Amours a dure escole Tient les amans, qui n'est doulce ne mole, Si com j'entens, et qui maint homme affole 920 Sanz achoison. Mais quant a moy tiens que mie foison Ne sont d'amans pris en telle prison, Tout non obstant que pluseurs leur raison 924 Vont racontant Puis ça, puis la, aux dames, mais pour tant N'y ont le cuer ne ne sont arrestant En un seul lieu, combien qu'assés gastant 928 A longue verve De leurs moz vont, mais que nul s'i asserve Si durement ne croy, ne que ja serve Si loiaulment de pensée si serve 932 Amours et dame; Et, sauve soit vostre grace, par m'ame Ne croy que nul tant espris de tel flamme Soit qu'il ait tant de griefs dolours pour femme; 936 Mais c'est un conte Assez commun qu'aux femmes on raconte Pour leur donner a croire, et tout ne monte Chose qui soit, et celle qui aconte 940 A tel language A la perfin on la tient a pou sage; Et quant a moy tiens que ce n'est qu'usage D'ainsi parler d'amours par rigolage 944 Et passer temps. Et s'il fu voir ce que dire j'entens Qu'ainsi fussent vray en l'ancïen temps Li amoureux, il a plus de cent ans 948 Au mien cuidier Que ce n'avint, ce n'est ne d'ui ne d'ier Qu'ainsi attains soient; mais par plaidier Et bien parler se scevent bien aidier 952 Li amoureux, Et, se jadis et mors et langoreux Ilz en furent et mains maulz doloreux Endurerent, meismes li plus eureux, 956 Comme vous dittes, Je croy qu'adès leurs doleurs sont petites, Mais es romans sont trouvées escriptes A droit souhaid et proprement descriptes 960 A longue prose. Bien en parla le Romans de la Rose A grant procès et aucques ainsi glose Ycelle amour, com vous avez desclose 964 En ceste place, Ou chapitre Raison qui moult menace Le fol amant, qui tel amour enlace, Et trop bien dit que pou vault et tost passe 968 La plus grant joye D'ycelle amour, et conseille la voie De s'en oster, et bien dit toutevoye Que c'est chose qui trop l'amant desvoye 972 Et dur fleyaulx, Et que c'est la desloiaulté loiaulz Et loiaulté qui est trop desloyaulz, Un grant peril aux nobles et royaulz, 976 Et toute gent Sont perillé s'ilz en vont approchant. Ainsi fu dit, mais je croy qu'acrochant Pou y vont, mais tous n'aiment fors argent 980 Et vivre a aise. Et qui pourroit aussi vivre ou mesaise Qu'avez conté? Je croy, par saint Nycaise! Qu'homme vivant n'est, a nul n'en desplaise, 984 Qui peust porter, Tant soit il fort, les maulz que raconter Vous oy yci, sanz la mort en gouster; Mais je n'ay point ou sont ouÿ conter 988 Ly cymentiere Ou enfouÿ sont ceulz qu'amours entiere A mis a mort, et qui por tel matiere Ont jeu au lit ou porté en litiere 992 Soient au saint Dont le mal vient; et, quoy que dient maint, Je croy que nul, fors a son aise, n'aint. Pour desdire vo dis et vo complaint 996 Ne le dis pas, Sauve vo paix, ne je ne me debas Qu'estre ne puist, mais je croy qu'a lent pas Sont trouvez ceulz qui ont si mal repas 1000 Par trop amer.» Adonc cellui qui ja n'esteut nommer, C'est l'escuier ou n'ot goute d'amer, Parla ainsi com m'orrez affermer 1004 Et briefment dire: «Beaulz doulz compaings et amis, et chier sire, Je me merveil n'il ne me peut souffire Dont vous dittes que c'est des maulz le pire 1008 Que cil qui vient De par amours amer, s'il m'en souvient Vous avez dit que l'amant tout devient Morne et pensis quant telle amour survient 1012 En ses pensées Et qu'aux plus lié ses joyes sont passées Souventes fois et doulours amassées En lieu de ris; et de vous sont tauxées 1016 Moult pou les joyes Qui a l'amant vienent par maintes voies, Par doulz desirs et par pensées coyes Et en mains cas autres; et toutevoies 1020 Tout le plaisir Envers le mal, qui avient par desir Et par servir sa dame a long loisir, Petit prisiez; qui vous orroit choisir 1024 Il sembleroit Que le loial amant, qui aimeroit De tout son cuer, jamais nul bien n'aroit. Espoventé seroit qui vous orroit 1028 D'amer acertes, Quant si payé seroit de ses dessertes: S'ainsi estoit, ja nul n'ameroit certes, Quant telz peines lui seroient offertes 1032 Et nul loier Ou bien petit, il n'est nul qui loier En tel liain se voulsist, mieulz noyer Trop lui vauldroit que ainsi s'avoier 1036 A tel contraire. Mais de tout ce que ouÿ vous ay retraire, Sauve vo paix, je tiens tout le contraire Et que plus bien par amer sanz retraire 1040 Il peut venir Au vray amant que mal, qui maintenir S'y veult a droit et loyaulté tenir. Quant est de moy, je tiens et vueil tenir 1044 Que d'amour vienent Tous les plaisirs qui homme en joye tienent Et tous les biens qui aux bons apartienent. En sont apris et tout honneur retienent 1048 Li amant fin, Qui loiaument aiment a celle fin De mieulz valoir et d'avoir en la fin Joye et plaisir; ne croy qu'a la parfin 1052 Mal leur aviengne; Je consens bien que de frang voloir viegne Ycelle amour, mais que l'amoureux tiegne Morne et dolent n'est drois qu'il apartiegne. 1056 Et supposé Q'amé ne soit, ne tant ne soit osé Qu'a celle en qui tout son cuer a posé Le die, et que ja ne soit repposé 1060 D'amer sanz ruse, S'il fait le droit n'est raison qu'il s'amuse A duel mener; poson qu'on le reffuse: Quant en ce cas, se de raison n'abuse, 1064 Bonne esperance Le doit tenir, ou qu'il soit, en souffrance, Ne doit pour tant s'enfuïr hors de France Ou par despoir son corps mettre a oultrance 1068 De mort obscure. Si ne vient point tant de male aventure, Sauf vostre honneur, ne reçoit tant d'injure, A homs qui met en bien amer sa cure, 1072 Comme vous dittes; Ainçois Amours paye si hault merites A ses servans que toutes sont petites Leurs peines vers les grans joyes eslites 1076 Qu'il leur en rend. Quar quant l'amant a vraye amour se rend, Qui le reçoipt et lui promet garent Contre tous maulz, comme prochain parent, 1080 Il le remplist D'un doulz penser qui trop lui abelist, Qui ramentoit la belle qu'il eslist A sa dame et la doulceur qui d'elle yst 1084 Et tous ses fais. La est l'amant de joye tous reffais Quant lui souvient du gent corps trés parfais De la trés belle, et c'est ce qui le fais 1088 D'amour parfaite Lui fait porter, et espoir qui l'affaitte Et qui lui dit qu'encore sera faitte L'acointance, sanz ja estre deffaitte, 1092 De lui et d'elle; Et ainsi sert, en esperant, la belle Et bonne amour qui souvent renouvelle Ses doulz plaisirs; car, se quelque nouvelle 1096 Ouïr il peut Dont esperer puist avoir ce qu'il veult Ou regardé en soit plus qu'il ne seult, Sachiez de vray que ja si ne s'en deult 1100 Que le confort Ne soit plus grant que tout le desconfort, Ne ja desir ne le poindra si fort Qu'il n'ait espoir et doulz penser au fort 1104 Qui le conforte. Ycelle amour toute pensée torte Tolt a l'amant et tout bien lui enorte; Si met grant peine a estre de la sorte 1108 Aux bons vaillans. S'il aime a droit, courtois et accueillans En devendra et a tous bienvueillans; Si het orgueil ne il n'est deffaillans 1112 En nul endroit, Nul villain tour ja faire ne vouldroit, Tous vices het, si est larges a droit, Joyeux et gay, cointe, apert et adroit 1116 Est devenu. Je n'ara tant esté rude tenu Qu'il ne lui soit lors si bien avenu Que on dira que de tout vice est nu 1120 Et de rudece. Si est apris en toute gentillece Et aime honneur et vaillance et proece Et la poursuit a fin que sa maistrece 1124 Oye bien dire De tous ses fais; son cuer est vuidié d'yre Et du pechié d'avarice qui tyre A maint meschiefs; et gentement s'atire 1128 En vestement Et entre gent se tient honnestement, Liez et appert, et saillant vistement; Joyeux, riant, gracieux, prestement 1132 Apareillié Est a tous biens, songneux et resveillié. Et vous dittes qu'il est si traveillié Par celle amour qui l'a desconseillié 1136 Et mis en trace D'estre plus serf que chien qui suit a trace, Plein de meschief! Mais, Sire, sauf vo grace, Ains est entré en voie plaine et grace 1140 Et plantureuse De tous les biens, benoite et eüreuse, Doulce, plaisant, trés sade et savoureuse; Ne fu il dit de la vie amoureuse, 1144 Trés assouvie: En amer a plaisant et doulce vie, Jolie, qui bien la scet sanz envie Maintenir, et qui vray amant renvie 1148 A tous soulas? Et il y pert; car ja si fort le las N'estraint l'amant que il puist estre las D'ycelle amour, combien qu'il die: hé las! 1152 Tant lui agrée La pensée trés loiale et secrée Qu'il a ou cuer, qui tant lui est sucrée Qu'il ne vouldroit pour riens que deshencrée 1156 De lui ja fust. C'est un doulz mal, chascun amer deüst, Ne blasmée, se le monde le sceust, N'en deust estre femme, qui m'en creüst, 1160 Car c'est plaisance Trop avenant, et de gaye naiscence Vient celle amour qui oste desplaisance Du jolis cuer et remplist tout d'aisance 1164 Et de baudour. Beau Sire Dieux! quel trés souesve ardour Rend doulz regard au vray cuer amadour Quant il s'espart sus l'amant! Onque odour 1168 Tant precieuse Ne fu a corps d'omme si gracieuse, Ne viande, tant fust delicieuse; Si n'en doit pas estre avaricieuse 1172 A son amant Dame qui paist cellui en elle amant, Qu'elle a s'amour tire com l'aïmant Atrait le fer, et, com le dyamant, 1176 Est affermé En sienne amour, et des armes armé Qu'Amours depart a ceulz qu'il a charmé Pour lui servir et du tout confermé. 1180 Mais or dison Quelle joye reçoit le gentilz hom, Le fin amant, qui est en la prison De sa dame sanz avoir mesprison 1184 En riens commise: Se il avient que il ait tel peine mise Que sa dame son bon vouloir avise Tant que s'amour lui donne par franchise 1188 En guerredon, Je croy qu'il soit bien enrichi adon; Car plus joye a, se Dieux me doint pardon, Je croy, que s'il eust le monde a bandon, 1192 Voire plus, certes! S'il aime bien et la desire acertes. Or est il bien meri de ses dessertes, Car ne prise ne ses deulz ne ses pertes, 1196 Or est il aise. Quelle est la riens qui peut mettre a messaise Le fin amant que sa dame rapaise Et doulcement l'embrace et puis le baise? 1200 Que lui faut il? N'est il aise? N'a il plus de cent mil De doulz plaisirs? Je le tendroie a vil Se plus vouloit, certes eureux est cil 1204 Qui en tel cas A eu pour lui Amours pour avocas, Il n'a garde d'estre flati a cas; Joyeux est cil, ne doit pas parler cas 1208 Ne enroué; Bien l'a gari le saint ou s'est voué. Mais dit avez, si ne l'ay contrové, Que Faulz Agait, qui maint homme a trouvé 1212 En recellée, Par qui mainte grant euvre est descellée, Ne s'en tait pas; par lui est pou cellée La chose, car parlant a la voulée 1216 L'amant acuse, Si reveille Jalousie qui muse Pour agaitier et a l'amant reffuse Son doulz soulas; si ne le tient a ruse 1220 Ne s'en deporte, Ainçois le las si fort s'en desconforte Que joye et paix dedens son cuer est morte, Et mesdisans, qui resont a la porte, 1224 De l'autre part Le grievent tant qu'il a petite part De ses soulas, et ainsi lui depart Amours cent maulx pour un tout seul espart 1228 De ses desirs. Quant en ce cas, je consens que souspirs Au pouvre amant sourdent et desplaisirs Quant empesché lui sont ses doulz plaisirs; 1282 Mais vraiement, Quant il bien pense et scet certainement Que sa dame l'aime trés loiaulment, Ce reconfort lui fait paciemment 1236 Porter son deuil, Et s'un doulz ris, regardant de doulz oeil, Lui fait de loing par gracieux accueil, Il souffist bien pour avoir joyeux vueil, 1240 Qui mieulx ne peut. Si est trop folz l'amant qui tant se deult Com vous dites, car en tous cas, s'il veult, Assez de bien et de doulceur recueult 1244 Pour s'esjoïr. Mais merveilles je puis de vous ouïr, S'ainsi estoit mieulz s'en vauldroit fouïr Qu'en tel langour son cuer laissier rouïr 1248 N'en tel courroux, Qui nous dittes que l'amant est jaloux, S'il aime bien, et plus dervé qu'un loups, S'il voit qu'autre pourchace ses biens doulz, 1252 Et souspeçon Sur sa dame a, dont a tel cuisençon Qu'ester ne peut n'en rue n'en maison, Et dont il lit mainte laide leccon 1256 Sanz courtoisie. Si suis dolent quant vous tel heresie Sur vraye amour metés, qui jalousie Y adjoutez, qui tant est desprisie 1260 Et tant maudite. Si nous avez or tel parole ditte Que d'amours vient jalousie despite, Dieux! de l'amour certes elle est petite! 1264 Ne sçay entendre Qu'estre ce puist ne je ne puis comprendre Que souspeçon et amour on puist prendre Parfaittement ensemble, sanz mesprendre 1268 Vers amour fine; Car vraye amour toute souspeçon fine, Et qui mescroit certes l'amour deffine; Car loiaulté, qui tout bon cuer affine, 1272 On doit penser Estre en celle qu'on aime sanz cesser, Et qu'en nul cas ne daigneroit fausser; Ne tel penser en son cuer amasser 1276 En nulle guise Amant ne doit, car chascun croit et prise Ce qu'il aime, c'est communal devise, Si est bien droit qu'a l'amant il souffise 1280 Sanz autre preuve. Et que d'Amours ne viegne je vous preuve Jalousie, que tout homme repreuve, Oïr pourrez la raison que g'i treuve 1284 Sanz variance: Chascun veoir peut par experience Que mains maris pleins de contrariance, Maulz et felons, et de grant tariance 1288 Sont et divers A leurs femmes, et jalous plus que vers Sont ou que chien, et tousjours en travers Leur giettent moz en frapant a revers, 1292 Et tant les batent Souventes fois qu'a leurs piez les abatent, Tant sont jaloux, et non obstant s'esbatent D'autres femmes et en mains lieux s'embatent 1296 De vilté pleins. Diront ilz puis: «Ma femme, je vous aims!» —«Mais vo gibet, Sire, trés ort villains!» Respondre doit et, s'elle n'ose, au mains 1300 Penser le peut. Doncque est ce amour qui ainsi les esmeut? Mais telle amour tire a soy qui se veult; Car quant a moy celle dont on se deult 1304 Je n'en prens point. Si vous respons pour vray dessus ce point Que qui bien aime et est d'amours compoint Je ne cuide que cop ne buffe doint 1308 Ne nul mal face A soy meisme n'a autre, dont defface Ycelle amour qui lui tient cuer et face Joyeux et lié, ne que ja tant mefface 1312 Que jaloux soit De celle dont maint plaisant bien reçoit Et toute riens a bonne fin conçoipt Quanque elle fait; et, s'ores s'aperçoit 1316 Que un ou deux Ou mains aultres en soient amoureux, N'en ara il ne pesance ne deulx, Ains pensera qu'il est amé tous seulz 1320 Et que liece Doit bien avoir quant il a tel maistrece En qui tel bien et tel beaulté s'adrece Que chascun veult amer pour sa noblece 1324 Et grant valour. Si n'a l'amant ne cause ne coulour D'estre jaloux ne de vivre en doulour Pour bien amer, mais maint par leur folour 1328 Mettent la rage Sus a amours, mais c'est leur fol corage Qui recepvoir ne prendre l'avantage Ne scet d'amer; si sont de tel plumage 1332 Et de tel sorte, Et puis dient qu'en eulz est joye morte Par trop amer qui tant les desconforte, Mais ce n'est que leur condicion torte 1336 Qui si les tient. Si a grant tort, sanz faille, qui maintient Que doulce amour, a qui joye apartient, Rende l'amant jaloux; car point ne vient 1340 Tel maladie Fors de failli, lasche cuer, quoy qu'on die, Et d'envie triste et acouardie, Qui personne fait estre pou hardie 1344 Et mescreant, Et soussier fait l'omme de neant; Si cuide estre plus lourt et pis seant Que les autres, et quant il est veant 1348 Jolis et gais Jeunes hommes, lors est en male paix, Car il cuide estre de tous li plus lais, Si ne lui plaist ne souffreroit jamais 1352 Qu'acointés fussent De ses amours de paour que plus plussent; Si sont tristes telz gens et se demussent Pour agaitier qu'aperçeü ne fussent. 1356 Dont par nul tour Ne dites que jalousie d'amour Viengne, ainçois vient de cuer plein de cremour, Ou souspeçon et desdaing fait demour 1360 Par mal vouloir Pour ce que autre ne cuide pas valoir, Et c'est ce qui le cuer fait tant doloir Au maleureux qui n'a autre chaloir 1364 Par foliance. Aussi ne doy pas mettre en oubliance Ce qu'avez dit qu'amoureuse aliance A fait perir par sa contraliance 1368 Maint vaillant homme Ou temps jadis et en France et a Romme Et autre part, si en nommez grant somme Qui dure mort receurent toute somme, 1372 Com vous contez, Par telle amour; mais un pou m'escoutez: Je di pour vray, et de ce ne doubtez, Que, s'il fu vray que ainsi fussent matez 1376 Et mis en biere, Blasme n'en doit en nesune matiere Amours avoir; car leur fole maniere Les fist morir, non pas amour entiere. 1380 Je vous demande: N'est pas bonne, doulce et sade, l'amande? Mais se cellui qui la veult et demande S'en rompt le col ou a l'arbre se pende, 1384 Vault elle pis? Le vin est bon, mais, s'aucun tant ou pis S'en est fichié qu'yvre soit acroupis Ou comme porc gisant com par despis, 1388 Ou une bigne Se fait ou front, par yvrece foligne, Ou il s'occist, ou un autre l'engigne, En doit, je croy, pour ce arrachier la vigne 1392 Qui tel fruit donne? Ne peut on pas de toute chose bonne Trés mal user; d'une bonne personne Peut venir mal a qui mal s'en ordonne. 1396 Ainsi sanz faille Est il d'amours, ce n'est pas controvaille, Car il n'est chose ou monde qui tant vaille, Mais cil est folz qui tel robe s'en taille 1400 Dont pis li viegne. C'est drois qu'amant a une amour se tiegne, De tout son cuer aime et toudis maintiegne Foy, loiaulté, et verité soustiegne; 1404 Mais pour ce faire N'est pas besoing s'occire et soy deffaire. Amours faitte fu pour l'omme perfaire Et non pas pour lui grever ne mefaire, 1408 C'est chose voire. Mais pour ce que ramentu mainte hystoire Avez yci, que li contes avoire, Des vrais amans, dignes de grant memoire, 1412 Qui moult souffrirent Par grant amour et qui a mort s'offrirent, Aussi compter vueil de ceulz qui eslirent Le mieux du jeu et pour amours tant firent 1416 Que renommée Par le monde fu de leur bien semmée Par vaillans fais en mainte grant armée Faire, par quoy a tousjours mais semmée 1420 Sera leur grace Trés honnourable, et riens n'est qui ne passe Fors bon renom, mais après qu'on trespasse Demeure los, sages est qui l'amasse. 1424 Or regardons: Se Lancelot du Lac, qui si preudons Fu en armes, reçut de nobles dons Pour celle amour, de quoy adès plaidons, 1428 Fu il vaillant? Qu'en dittes vous? S'ala il exillant Pour celle amour ne son corps besillant? Je croy que non, ains plus que son vaillant 1432 Lui fu valable, Plus qu'autre riens et bonne et profitable; Car par ce fu vaillant et agreable, Dont ne lui fu ne male ne nuisable, 1486 Je croy au mains, Si ne s'occist, ne fu par autres mains Mort ne blecié, ains de joye en fu pleins. Aussi d'aultres en fu, encore est, mains: 1440 Et meismement Tristan, de qui parlastes ensement, En devint preux; se l'ystoire ne ment, Pour amours vint le bon commencement 1444 De sa prouece; Et non obstant qu'il moru a destrece Par Fortune, qui maint meschief adrece, Tant de bien fit pour sa dame et maistrece 1448 Qu'a tousjours mais Sera parlé de ses haultains biensfais, Ce fist Amours par qui il fu parfais. Si avez dit que de l'amoureux fais 1452 Fors mal ne vient; Or regardons, pour Dieu, s'il m'en souvient, Se a chascun d'amours si mesadvient: Jason jadis, si com l'ystoire tient, 5456 Fu reschappé De dure mort, ou estoit entrapé Se du peril ne l'eüst destrappé Medée, qui de s'amour ot frapé 1460 Le cuer si fort Que le garda et restora de mort, Quant la toison d'or conquist par le sort Que lui aprist en Colcos, quant au port 1464 Fu arrivé; Qui qu'en morust, cellui fu avivé Par telle amour, mais trop fu desrivé Quant faulte fist a celle qui privé 1468 L'ot du peril. Et Theseüs, du roy d'Athenes filz, Quant envoyé fu en Crete en exil, Adriane par son engien soubtil 1472 Le reschapa De dure mort; si le desvelopa De la prison Minos quant s'agrapa A son filé et la gorge copa 1476 Au cruel monstre; Ne nuisi pas Amours, je le vous monstre, A cestuy cy, car hystoire desmontre Qu'il eschapa par mer plus tost que loustre 1480 Gué ne trespasse. Et Eneas, après qu'ot esté arse La grant cité de Troye, a qui reverse Fu Fortune qui maint reaume verse, 1484 Quant il par mer Aloit vagant a cuer triste et amer Ne ne finoit de ses Dieux reclamer, Mais bon secours lui survint pour amer, 1488 Car accueilli Fu de Dido la belle et recueilli; S'elle ne fust, esté eust maubailli, Dont ot grant tort quant vers elle failli. 1492 Si n'en morurent Mie ces trois, ains reschapez en furent. Et mains aultres assez de biens en eurent: Et, si est vray, com les hystoires jurent, 1496 Que Theseüs, Dont j'ay parlé, qui tant fu esleüs Qu'avec le fort Hercules fu veüs En grans effors, en mains lieux fu sceüs, 1500 Quant enfançon Estoit petit, il estoit lait garçon, Boçu, maufait, si com dit la chançon De l'ystoire, mais il changia façon 1504 Pour belle Heleine; Pour lui fu preux et emprist mainte peine. Vous le véés en ces tapis de laine En un aigle d'or, qu'on conduit et meine, 1508 Ou fu mucié Tant qu'il se fu a la belle anoncié; Puis la ravi, dont furent corroucié Tous ses parents, si ne lui fu laissié 1512 La mener loings. Si n'est on pas exillé de tous poins Pour ceste amour quant on aprent les poins D'estre vaillant par honnourables soings. 1516 Autres hystoires Si racontent assez de choses voires Des vrais amans, dont les haultes memoires A tousjours mais seront partout notoires: 1520 Et Flourimont D'Albanie, il n'ot en tout le mont Nul plus vaillant, mais dont li vint tel mont De vaillances fors d'Amours qui semont 1524 Ses serviteurs A estre bons, tant anoblist les cuers; Pour Rome de Naples mains grans labeurs Il endura, non obstant a tous feurs 1528 Il conquestoit Pris et honneur; son temps donc ne gastoit En bien amer, par qui il acquestoit Les vaillances qu'Amours lui aprestoit. 1532 Et le Galois Durmas vaillant, qui fu filz au bon roys Danemarchois, cellui ot si grant voix De proueces que plus n'en orent trois; 1536 Je vous demande Que il perdi quant Roÿne d'Yrlande Prist a amer et tout en sa commande Il se soubsmist, dont passa mainte lande 1540 Pour lui conquerre Son royaume et demena si grant guerre Qu'il le conquist et lui rendi sa terre, Dont il dot bien par droit honeur acquerre. 1544 Cleomadès Fu il vaillant pour Amours? Et adès Armes suivoit aussi Palamedès; Vous souvient il des proeces et des 1548 Grans vaillantises Qu'on dit de lui assez en maintes guises? Tout pour Amours faisoit ses entreprises; Si vous suppli ne soient voz devises 1552 Que mal en prengne. Aussi Artus, qui fu duc de Bretaigne, Pour Fleurance, qui puis fu sa compaigne, Il chevaucha et France et Alemaigne 1556 Et maintes terres, En mains beaulz fais et en maintes grans guerres, Tout pour Amours qui le mettoit es erres D'avoir honeur, pour ce emprenoit ces erres. 1560 Mais sanz aler Plus loings querir, encor pouons parler De nostre temps. Ne devons pas celer Les bons vaillans, qui, sanz eulz affoler 1564 Ne eulz mal mettre, Vouldrent leurs cuers en parfaitte amour mettre. Ne me fault ja autre preuve promettre Ne autre escript pour tesmoin n'aultre lettre, 1568 Car veritable- Ment le scet on: Le vaillant conestable De France, dont Dieux ait l'ame acceptable, Le bon Bertran, le preux et le valable 1572 De Gleaquin, Qui aux Anglois fist maint divers hutin, Dont ot honneur, leurs chatiaulz a butin Mettoit souvent, ou fust soir ou matin, 1576 Et renommé Sera tousjours et des bons reclamé; Premierement pour Amours fu armé, Ce disoit-il, et desir d'estre amé 1580 Le fist vaillant; De bonne heure le fist si traveillant Amours, qui fait chascun bon cuer veillant A poursuivre honneur si est vueillant 1584 Loz qui mieulz vault Que riens qui soit. Et le bon Bouccicaut Le mareschal, qui fu preux, saige et cault, Tout pour Amours fu vaillant, large et bault, 1588 Ce devenir Le fist ytel, celle voie tenir Ses deux enfans veulent, et maintenir D'armes le fais, pour le temps a venir 1592 Louenge acquerre. Et a present encore vit sus terre, Dieu l'i tyengne, le vaillant de Senserre Connestable, si ne convient enquerre 1596 De chevalier Milleur de lui; en son temps bataillier L'a fait Amours, qui moult bon conseillier Lui a esté quant par soy traveillier 1600 A tant conquis Que il a loz entre les bons acquis; Ce fait Amours qui lui a ce pourquis. Aussi d'autres, si com j'en ay enquis, 1604 En ce regné En a esté qu'Amours a gouverné; Encore en est, le jeu n'est pas finé, Qui en armes se sont si bien mené 1608 Qu'a tousjours mais Sera retrait de leurs beaulz et bons fais. Des chevaliers ne sçay pour quoy me tais Qui sont adès en vie, qui le fais 1612 D'armes porter Pour bien amer a fait en pris monter. Des trespassez encore puis conter: Du bon Othe de Grançon raconter 1616 Avez assez Ouÿ comment du bien ne fu lassez, En lui furent tous les biens amassez. De Vermeilles Hutin mie effacez 1620 D'entre les bons Ne doit estre, Dieu lui face pardons! Mais aux vivans chevaliers regardons S'il en y a qui doivent grans guerdons, 1624 Par esprouver, A bonne amour, que l'en peut bons trouver Vaillans, sages, courtois et non aver: Le bon Chastiaumorant, que Dieu sauver 1628 Et garder vueille, Qui en armes sus les Sarrazins veille En la cité Constantin, qu'il conseille, Aide et garde, pour la foy Dieux traveille; 1632 Cil doit avoir Pris et honneur, car il fait son devoir Et ceulz qui sont o ly, a dire voir, Loz acquierent, qui trop mieulz vault qu'avoir, 1636 Et aux François Font grant honneur. Et encor m'aperçois De maint vaillant sages en tous endrois Qu'Amours a fais bons, courtois et adrois 1640 Et honnourables: Bon chevalier est L'Ermite et valables De la Faye, et d'autres telz semblables En est assez de vaillans et louables, 1644 Mais pour briefté M'en tais; mais, se Dieux vous envoit santé, Or regardons, s'en trouverons plenté De plus jeunes, qui plus bien que griefté 1648 Ont et conduis Sont pour Amours, qui si bien les a duis Qu'a toute honeur poursuivre sont aduis; Courtoisie, vaillance est leur reduis, 1652 Ce n'est pas fable. De Monseigneur d'Alebret trés valable Charles, qui est a chascun agreable, Qu'en dites vous? Vous semble il point louable 1656 Ne que son pris Soit bien digne qu'il soit en tout pourpris Ramenteü? Est il sage et apris, Duit aux armes? Peut il estre repris 1660 En nul endroit? Qui vouldroit mieulx souhaidier, il faudroit, Je croy, que lui; car raison aime et droit. Et tout bon fait Amours lui a a droit 1664 Et avoiez. Le Seneschal de Hainault, or voiez S'il est d'amours a droit bien convoiez? Ses jeunes jours sont il bien emploiez? 1668 Est il oiseux? Va il suivant armes, est il parceux? Que vous semble il? N'est il bien angoisseux D'acquerir loz? Dieux lui doint et a ceulz 1672 Qui lui ressemblent; Je croy qu'en lui assez de biens s'assemblent. Courtoisie, valeur ne s'en dessemblent; N'est pas de ceux a qui tous les cuers tremblent 1676 De couardie. Et de Gaucourt que voulez que je die? Il m'est avis qu'en maniere hardie Armes poursuit, nul n'est qui en mesdie 1680 Tant bien s'i porte, Ce fait Amours qui lui euvre la porte De vaillantise; et tout par autel sorte Le bon Charles de Sauvoisi enorte 1684 Et fait vaillant Si que son corps n'espargne ne vaillant Pour avoir loz com preux et traveillant, Ou soit de lance ou d'espée taillant, 1688 En armes faire. Castelbeart et autres plus d'un paire En qui bonté et vaillance repaire, Ce fait Amours qui leur fait tout ce faire 1692 Pour loz aquerre, Car chevaliers meilleurs ne convient querre. Aussi Clignet de Berban, qui enquerre Vouldroit de lui, en France et aultre terre 1696 Est renommé, Car en mains lieux pour Amours s'est armé, Par quoy il est et sera renommé. Si sont jolis, jeunes et assesmé 1700 Et pour leurs dames Vont com vaillans en mains lieux faisant armes, Dont quant les corps seront dessoubz les lames D'eulx remaindra loenges et grans fames 1704 En tout empire; Mais que tousdis se gardent de mesdire, Car c'est chose qui trop noble homme empire, Si feront ilz, car leur bon cuer ne tire 1708 Qu'a fuïr vice Et a suivir toute chose propice; Amours le fait, car c'est son droit office, Dont leur rendra loier et benefice, 1712 S'il le desservent. Si ne dites jamais qu'amans s'asservent Pour bien amer quant un tel maistre servent Qui les fait bons, et se bien le parservent, 1716 Sachiez de voir, Qu'ilz acquerront en faisant leur devoir Prouece, honneur, sens, louenge et avoir. De telz assez, ce pouez vous savoir, 1720 En est sanz doubte, Mais qui vouldroit nommer la somme toute, Des bons et beaulz amans toute la route Dureroit trop, car souvent qui escoute 1724 Un trop long compte Il anuie, mais ceulz dont je vous conte Et d'aultres tant que je n'en sçay le conte Sont gracieux, car il n'est duc ne conte 1728 Prince ne roy, S'il aime a droit, qu'il ne hée desroy Et tout mesdit et qu'en tout son arroy Ne vaille mieulx, car l'amoureux conroy 1732 Les fait apprendre. Dont, beaulz amis, se bien voulez entendre, Ouïr pouez que se l'amant veult tendre A joye avoir, Amours lui est plus tendre 1736 Qu'elle n'est dure, Se doulcement et coyement endure En esperant, combien qu'ycelle ardure Lui soit poignant, mais trop fait grant laidure 1740 Qui tant mesprent Que le mieulx voit et le pis pour soy prent. Si ay prouvé qu'en amours on aprent Bien et honneur et a faire on se prent 1744 Toute vaillance. Se ne dites plus que si grant dueillance Ait en amours et tele deffaillance De reconfort, ne si grant traveillance 1748 Ne si penible.» Quant l'escuier, qui fu sage et sensible, Qui verité ot dit comme la Bible Ce lui sembla, adoncques fu taisible 1752 Sanz plus mot dire, Le chevalier un pou prist a sousrire Et en pensant sanz parler le remire, Et puis vers lui courtoisement se tire 1756 Et dist a trait: «Par Dieu, Sire, vous avez cy retrait Grans merveilles et qui vers vous se trait Pour medecine avoir et bon entrait 1760 A tost tarir Les maulz d'amours, bien en savez garir Et bon conseil donner pour tost perir Toute douleur pour servant remerir 1764 Bien a son aise. Mais qu'on vous creust: mais de petit s'apaise Qui pou a dueil et qui n'a nul mesaise; Ainsi l'avez gaignié, mais que je taise, 1768 Sanz mot sonner, Les grans raisons que je puis assener Contre les ditz que vous oy raisonner; Car vous voulez droittement ordener 1772 A droit souhait Les maulz d'amours et chascun a son hait Pou ou assez a volonté en ait, Si que le bien en prengne et le mal lait. 1776 Ne plus ne mains Mettre voulez et la tenir au mains Bride a Amours et, fors en poins certains, Le faire aler et qu'on n'en soit attains 1780 Fors a sa poste. Autrement va, compaings, qui a tel hoste, A son vouloir ne le met pas decoste. Avez vous cuer qui joye met et oste 1784 A voulenté? Donc n'amez vous, dire l'ose, plenté? Aussi ne font tous ceulz qui sont renté De tel plaisir, com vous avez conté, 1788 Sanz dueil avoir Estre ne puet; il est bon assavoir Que qui aime de cuer sanz decepvoir Perfaittement qu'il ne lui faille avoir 1792 Mainte durté, Ou vueille ou non, ja si bien ahurté Ne se sera qu'il y ait ja seurté Et que toudis yl y ait beneurté 1796 En sa querelle; Mais vous comptez cy d'une amour novelle A vo voloir, ne sçay comme on l'appelle, Dont nous avez conté longue nouvelle. 1800 Mais encor dis je Que l'amant qui est droit, vray subgiet lige Trés grant amour son cuer si fort oblige Qu'estre le fait jaloux, et tant engrige 1804 Celle grief peine Qu'il n'a repos nul jour de la sepmaine, S'il s'aperçoit qu'un autre amant se peine A acquerir l'amour qui le demeine 1808 En maint endroit. Et vous cuidiez noz prover cy en droit, Que, qui jaloux seroit, amours fauldroit; Et je vous di qu'amours ne puet a droit 1812 Sanz jalousie; Si soit de ce vo pensée acoisie, Car je vous di que trop plus se soussie Un cuer amant et mains est adoulcie 1816 Sa peine grieve Qu'a un autre qui de legier s'en lieve. Mais vous parlez d'une amour qui pou grieve, De qui ne chault se elle est ou longue ou brieve 1820 Et se tost passe, Mais elle sert de dire: Amours m'enlace, J'en suis jolis, de servir ne me lasse, Et si n'en ay nulle pensée lasse 1824 C'est avantage.» Adonc respont l'autre et rompt le language Et dit: «Par Dieu, estre cuidiez trop sage; Aultrement va et tout d'autre plumage 1828 Sont amours fines; Et nous serions yci jusqu'a matines, Mais je vous di qui plus sont enterines Vraies amours et mieulx en sont les signes 1832 Et plus certains, Quant un amant qui d'amours est attains Est liez et bault et de gayeté pleins Pour la joye qu'il a, dont est attains 1836 D'amour loiale Quant lui souvient de la haulte royale Dame qui sert toute pensée male Pour sa valeur de son cuer se ravale, 1840 Si s'en tient gay Et envoisiez en Avril et en May Et en tout temps, si n'a douleur n'esmay Par vraye amour qui de son luisant ray 1844 Tout l'enlumine. Quoy que dissiez, encor di et termine Que c'est plus grant et trop plus parfait signe De grant amour parfaitte er enterine 1848 De soy fier En ses amours que de s'en deffier N'estre jaloux; j'ose bien affier Que plus aime cil qui, sanz soussier, 1852 Argent ou or Baille a garder ou aucun grant tresor A un autre et si lui di: «Trés or Me fie en vous, garde vous fais encor 1856 De mon avoir» Que cil qui veult grant seureté avoir Et le conte veult chascun jour savoir Qu'on fait du sien, de paour que decepvoir 1860 L'autre le vueille. Ainsi est il, a qui que plaise ou dueille, Du fait d'amours, car cil qui se despoeille De son vray cuer et tel fiance accueille 1864 Que il le donne A un aultre et du tout lui abandonne Sanz marchander, ne que plus en sermone, C'est mieulz signe que la personne a bone, 1868 Il tient sanz faille, Que cellui qui en marchandant le baille Et qui tousjours se double qu'on lui faille Ou que bonté et loiaulté deffaille 1872 Aucunement; Car qui aime se fie entierement Come j'ay dit, ne seroit autrement Perfaitte amour, et le vray jugement 1876 En ose attendre. S'il est aucun qui sache bien entendre Noz deux raisons et tous les poins comprendre; Si vous suppli que juge vueilliez prendre 1880 Tout a vo guise, Et tout sur lui soit ceste cause mise.» Le chevalier respont: «Et sanz faintise Le jugement consens, a vo devise 1884 Soit juge pris Et esieü, mais qu'en lui ait tel pris Qu'il soit vaillant, preux, sage et bien apris, Noble et gentil, et des amans sur pris 1888 Sache jugier. Car quant a moy, sanz plus tant langagier, Je dis et tiens que plus comparer chier Les biens d'amours convient sans alegier 1892 Qu'on n'en a joye, Et pour un bien plus de cent maulz envoie, Et que l'ome qui a amer s'avoie De tous perilz il se met en la voie. 1896 Et du surplus Je di encor que cellui aime plus Qui pour amours devient mat et reclus, Pensif, pali, morne, taisant et mus, 1900 Que cil qui lié Plus en devient, ne point n'est si lié Le cuer qui a joye c'est alié Comme est cellui qui est contralié 1904 Par tel amour, Et qu'il convient qu'en lui face demour Jalousie, dont les yeulz pleins d'umour En a souvent faisant mainte clamour, 1908 Se sanz retraire Il aime a droit tel mal lui convient traire. Et vous dittes et tenez le contraire; Or nous doint Dieux vers loial juge traire 1912 Prochainement.» Adonc les deux amans leur parlement Ont afiné, mais en grant pensement De juge avoir furent, qui proprement 1916 Sentence a droit Leur sceust donner justement selon droit; Maint hault baron choisirent la en droit, Maint chevalier, cointe, apert et adroit 1920 Gay et jolis, Y nommerent, et de la fleur de lis, Que Dieu maintiegne en joye et touz delis, Eslisoient de telz qui sont palis 1924 Soubz leurs chapeaulz Pour ce que pas ne font tous leurs aviaulz Es fais d'amours, qui depart ses tortiaulz Diversement et amaigrir les peaulz 1928 Fait a maint bons Souventes fois; et ainsi a leurs bons Choisissoient et nommoient les noms De maint vaillant, disans: «Cellui arons»; 1932 Et puis disoient Que mieulz valoit un autre qu'ilz nommoient. Et quant je vi qu'en tel descort estoient Qu'a leur droit gré nul juge ne trovoient 1936 Lors m'avisay Tout en pensant et pris mon avis ay Que pour leur fait un bon juge visay; Quant pensé l'oz, ainsi leur devisay 1940 Com vous pourrez Yci ouïr; si me tiray plus près Et si leur dis: «S'il vous plaist, vous orrez Ce qu'il m'est vis et me pardonnerez 1944 Se je m'avance De mettre accord en l'amoureuse tance Dont vous plaidiez, et croiez sanz doubtance Que j'en desir droitturiere sentence 1948 Et si le fais A bonne fin, et, se chargier le fais De ce descort voulez et soit parfais Selon mon loz, vous en serez reffais 1952 Et tous contens Et assovis a droit gré a tout temps. Se le trés hault noble duc, que j'entens, S'en veult chargier et estre consentens 1956 De ce juge estre, Bon juge arez, vaillant, sage et grant maistre, C'est le trés hault, puissant, de noble encestre Duc d'Orliens, qui ait joye terrestre 1960 Et paradis; Cellui est bon, sage en fais et en dis, Juste, loial, et aux bons de jadis Veult ressembler, car maintenir toudis 1964 Lui plait justice, Si est humain, humble, doulz et propice En trestous cas et meismes en l'office De droit jugier, si n'est mie si nice 1968 Qu'il n'ait apris Les tours d'amours, non obstant son hault pris. Si vous conseil que de vous il soit pris Et esleü a juge, et bien empris 1972 Arez sanz faille; Car je ne cuid que nul autre le vaille, Mais qu'il lui plaise et que tant en travaille Son noble cuer que sentence il en baille, 1976 Ne pourriez mieulx.» Adonc les deux amans, haulçant les yeulz, Respondirent: «Et louez en soit Dieux, Vous nous avez assis en noble lieux 1980 Et ramenteu Juge loial et par nous esleü, Se il lui plaist sera le cas veü, En jugera a son vueil et sceü 1984 S'a gré lui vient. Si vous prions, puis que tant vous souvient De nostre bien, que vous a qui avient Et bien et bel faire dis, dont survient 1988 En mainte place Maint grant plaisir, que de vo bonne grace Faciez un dit du fait et de l'espace De no debat, si nous ferez grant grace 1992 Et grant leesce.» Adonc respons: «Je ne suis pas maistrece De faire dis, non pour tant sanz parece Je le feray pour la haulte noblece 1996 Du bon vaillant Prince royal qui nul temps n'est faillant De bien jugier, d'estre bien conseillant Et en tous fais adroit et traveillant, 2000 Pour mettre en joye Son noble cuer, se il daigne qu'il l'oie. Or me doint Dieux, ainsi com je vouldroie, Faire chose, dont esjouïr se doye 2004 Et faire feste.» Ainsi, trés hault Prince de noble geste, Mon redoubté Seigneur, a qui Dieux preste Longue vie et puis a l'ame apreste 2008 Sa vraye gloire, Ce dittié fis pour vous duire a memoire Joye et solas par oïr ceste hystoire Qui d'amours fait mencion et memoire; 2012 Dont je supplie Vo haultece qu'elle tant s'umilie Qu'en bon gré l'ait, ne le tiegne a folie; Car voulenté et vray desir me lie 2016 A moy pener De vous servir, si g'y sceusse assener. Et or est temps de mon oeuvre affiner, Mais de trouver, s'aucun au deffiner 2020 A volenté, Quel est mon nom, sanz y querir planté, Si le serche, trouver le peut enté En tous les lieux ou est cristienté.

EXPLICIT LE DEBAT DE DEUX AMANS

La rubrique manque dans A1; dans A2 Ci c. le livre du d. des d. a.

2 B g. prouesse

13 A1 haulté

15 B m. empris

21 B Ne

24 C Et a o.

25 B1 q. sont pour n.

42 B2 des c.

83 A1 assemblé

86 A1 et joyeuse

87 B c. ennuyeuse

95 C y ot p.

97 A1 B. et jolis

122 A1 les c.

129 B et doulcement a.—C a. doulcement a.

130 A2 et B1 suppriment et

133 B t. de

143 B a. d'estre

155 B C N'en

161 A2 de nener

163 de omis dans A1 et C

166 B C tout f.

169 A1 ou bien

173 B c. et d.

174 B Et l.

177 B Tant fort e.

181 B ne de r.

199 A2 ne cuidoye p.

219 A1 supprime y

245 C2 contens ne

247 trop manque dans B

266 A N. perceüst—B N. n'apperceust

270 A2 supprime J'

273 B1 supprime et

277 le omis dans A1

281 B1 t. tout le

285 B Moult l.

303 A2 B C qu'ay eu

306 A2 vi v. adont s.

319 A2 a. s. b. dessus le f.

357 B1 un p. d'a.

362 C Que d.

374 B1 De t.

386 A1 Avec n.

391 A2 B De m.

398 A1 primtemps

399 B les a.

410 tout omis dans B1

421 A2 sariés d.

435 B1 Et p.

438 A1 cuer

467 A1 Houblier

469 C ce a q.

476 BC Q. icelle j.

510 A2 de si—B n'en si

515 A1 en depart

519 B1 De t.

531 B en e.

557 A2 t. d'a.

567 A2 n'a e.

573 A1 houblier

575 B C ainsi c.

582 B Je ne c. pas q.

593 B1 supprime s' devant le 2'me est

599 B2 perdroit le d.

619 B n'a p. ne a.

621 B l. j. a.

631 B C on se d.

650 B f. peris

652 A Q. dame H.

657 B n. et h. c.

658 A1 Que ou—B C Qui ou

681 A1 B C a. moru

686 A1 m. passoit

690 B omet las

698 A1 omet sa

710 A2 le cas e.

714 B En tel o.

725 A2 a. en fu t. t.—B C Y. fu si durement t.

733 A2 ajoute en f.

746 A1 Or regardez

751 A1 B1 Q. l'occist

783 A2 p. il y

785 A2 Ou t.

788 B C En quantes g.

795 A1 m. mausagement (ce mot a été écrit après grattage, mais on a oublié de rayer non)

797 A2 t. qui o.

801 B1 leurs c.

806 B1 P. celle a.

818 A2 C en e.

847 B se b.

860. A1 Et

863. A1 garre—B C ne s'i g.

866 A2 le grant f. et t.

867 A de sa art

869 A2 a. le prent

883 B C ne t.

933 BC Mais s.

957 B1 omet sont

965 A1 c. traison q.

975 B1 et n. et 1.—A1 et loyaulz

979 A2 P. s'i v.

981 B ainsi v.

983 A1 Que h.

986 B V. voy i.

998 B qu'au l. p.

1031 B1 celz p.

1033 à 1035 A2
       Hom ne seroit qui se voulsist l.
       En t. l. mieulx lui vauldroit n.
       Que soy aler soubmettre et avoyer

1052 B C l. en viengne

1073 A2 si grans m.

1089 B et c'est ce q.

1097 B omet avoir

1123 B C la m.

1133 B et esveillié

1141 A2 beneurée et e.

1147 A2 M. qui le v.

1159 A2 Ne d.

1188 A1 guerdon

1193 B S'il l'a.

1207 B omet pas

1214 B1 omet pas.—B pour l.

1217 B Si s'esveille

1221 A1 l. amant s'.

1233 B C omettent bien

1257 A1 dont v.

1265 B omet le second ne

1281 A2 le v. p.

1287 A2 Rudes et m. et

1322 B et loyauté s'a.

1331 A2 d'amours

1341 A1 que on

1350 A2 supprime li

1357 B1 Ne d. plus q.

1377 A1 B2 C n. maniere

1387 A2 c. mort g.

1388 A1 u. igne (b gratté)

1389 A ajoute et p.

1399 B1 M. il e.

1402 A1 t. s'i m. (toudis rayé)

1433 A2 Sur toute r.

1439 A2 d'a. encores en e.

1458 A1 Et du

1461 B C Qu'elle le g.

1471 B1 pour s.

1478 C c. l'h.

1479 B2 e. de m.

1485 A1 A. najant a

1493 B2 a. eschappés

1526 A1 P. Roÿne de N. m. l.

1543 B C il doit b.

1550 B1 par a.

1552 B en viengne

1572 A1 De Clequin

1583 B2 C s'il e.

1587 B v. saige et

1593 A1 vid

1594 B1 C D. lui t.

1598 B2 Le f.

1602 A2 S'a f.

1617 B C c. oncques de b.

1618 et 1619 intervertis dans B

1658 B Il est s.

1670 B C omettent N'

1709 A2 a fuïr t.

1726 A2 t. dont je

1733 B C b. compains se

1738 A1 que y.

1759 A2 et pour b. trait.

1760 B C Pour t.

1765 B m. d'un p.

1773 A2 L. fais d'a.

1787 A1 c. nous a.

1789 A1 ne puent

1794 A2 B C omettent ja

1795 B C omettent y

1797 B C suppriment d'u.

1801 A2 e. vray et s.—B C v. d. s.

1817 A2 Que un—B se l.

1827 A1 A. est et

1835 B C e. ençains

1841 B Et renvoisiez

1860 C se v.

1871 A1 Ou qu'en b.

1883 A2 j. conseil

1889 A2 Et q.

1891 B C Le b.

1922 et 1923 A2 Eslisoient de tieulx qui sont palis Par fort amer dont n'ont pas tous delis

1923 A1 Choisissoient de

1930 A1 et nommerent

1935 B C g. bon j.

1939 A1 p. l'ot

1977 A1 haulcent

2001 B c. que il

2005 A2 Et a. h.

2010 B1 C pour o.

2018 B1 Car or

2023 On trouve dans cristienté l'anagramme de Cristine

NOTES

LE DÉBAT DE DEUX AMANTS (p. 49 à 109.)

M. Paulin Paris (Mss. françois, V, p. 162 à 167) a seul donné jusqu'à présent quelques extraits de ce poème, vers 1 à 5 et surtout 1520 à 1688. Toutefois, l'abbé Sallier avait déjà dans les Mémoires de l'Acad. des inscr., XVII, 515, consacré une courte notice à ce poème et cité quelques vers: 1 à 6, 8 à 10, 53 à 55, 82 à 89, 99 à 104, 120 à 123, 145 à 154, 384 à 392, 746 à 749, 753, 754 et 757.

671 à 680.—Ovide, Métamorphoses, Livre IV, vers 55 à 165.

681 à 689.—Ovide, Héroïdes. Ep. XVIII et XIX. Le même sujet est traité par Christine dans la Ballade III du recueil des «Cent Balades». (Voy. tome I. p. 3.)

693 à 700.—Ovide, Métamorphoses, Livre XII, vers 580 à 628, et Livre XIII, vers 399 à 575.

704 à 721.—Esacus, fils de Priam et d'Alexirhoé, nymphe du Mont Ida, devint amoureux de la belle Hespérie (Ovide, Métamorphoses, Livre XI, vers 749 à 795).

725 à 736.—Iphis et Anaxarète (Ovide, Métamorphoses, Livre XIV, vers 698 à 764. Allusion déjà faite par Christine dans une complainte amoureuse. (Voy. t. I, p. 285 et 286).

757 à 760.—Cahedin, héros du roman de Tristan.

761 à 768.—Inspirés du châtelain de Coucy, roman de la fin du XIIIe siècle. Voy.Hist. littéraire de la France, XXVIII, p. 352 à 390.

769 à 774.—Châtelaine du Vergy. Voy. Méon,Fabl. IV, 296. Cf.Romania, XIX, 341.

960 à 975.—Passage reproduisant des idées émises dans le roman de la Rose (Discours de Raison à l'Amant. Voy. éd. F. Michel, tome I, p. 98 à 100).

1455 à 1468.—Ovide, Métamorphoses, Livre VII, vers 1 à 158.

1469 à 1476.—Ovide, Héroïdes, Ep. X; Métamorphoses, Livre VIII, vers 154 à 182, et Les Fastes, Livre III.

1496 à 1512.—Christine fait ici allusion au roman de Thésée. La tapisserie qu'elle nous montre devait effectivement figurer dans l'Hôtel du duc Louis qui l'avait payée, en 1389, au célèbre Nicolas Bataille la somme de 1,200 fr. (Voy. Guiffrey,Hist. de la Tapisserie. Tours, 1886, p. 34.)

1520 à 1531.—Florimont d'Albanie, héros principal du roman d'Aimon de Varenne (1188), épousa la belle Romadanaple, fille de Philippe, roi de Grèce. M. Paulin Paris (Manuscrits françois, V, p. 163, note) a cru deviner dans la citation de Christine l'anagramme de Romanadaple, mauvaise leçon que l'on trouve dans quelques passages des mss. de Florimont qui s'accordent presque tous d'ailleurs pour donner la véritable forme Romadanaple, c'est-à-dire Rome de Naples (Bibl. nat., F. fr. 353, 1374, 1376 et 1491).

1532 à 1543.—Voy. sur Durmart le Gallois Hist. littéraire de la France, XXX, p. 141 à 159. Le texte de ce roman a été publié en 1873 par M. Edm. Stengel dans la Bibliothèque du Cercle littéraire de Stuttgart (116° vol.)

1544.—Cléomadès, héros du roman d'Adenet le Roi (fin du XIIIe siècle).

1546 à 1550.—Palamède est le titre d'un important roman du cycle de la Table Ronde.

1553 à 1559.—Christine fait allusion au roman connu sous le nom de Petit Artus ou Artus le Restoré (Bibl. Nat. F. Fr. 761, 1431, 1432 et 12549), qui a été plusieurs fois imprimé aux XVe et XVIe siècles. (Voy. Brunet au mot ARTUS).

1569 à 1584.—Le passage relatif à Bertrand du Guesclin doit se rapporter aux prouesses que ce héros fit pendant le siège de Rennes (1356-1357) et qui furent le point de départ de sa brillante renommée. Il était alors épris de Tiphaine Raguenel qu'il épousa un peu plus tard vers 1363. (Voy. Siméon Luce,Hist. de Bertrand du Guesclin, I, p. 195 à 229 et 399 à 401, édit. in-8, Paris, 1876).

1585 à 1592.—Jean le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France, mort en 1367.

Ses deux fils, dont la réputation était déjà établie à l'époque où écrivait Christine, furent:

1° Jean II, né vers 1364, le célèbre maréchal dont nous possédons la chronique, auteur de ballades et de rondeaux.

Toujours prêt à défendre l'honneur des dames, il fonda en 1399, à son retour d'Orient, l'ordre de chevalerie de la Dame blanche à l'écu verd (Voy. tome I, note, p. 303). Il mourut prisonnier en Angleterre en 1421.

2° Geoffroy, gouverneur du Dauphiné en 1399, mort en 1429.

1593 à 1601.—Louis de Sancerre, né vers 1342, nommé maréchal de France en 1369, seigneur de Charenton, Beaumez, Condé et Luzy, chargé du commandement de la Guyenne en 1381, dirigea l'année suivante l'avant-garde de l'armée à la bataille de Rosebecque. Créé connétable le 26 juillet 1397, il marcha, en 1398, contre le captal de Buch auquel il imposa la paix. Il mourut le 6 février 1402.

1615 à 1618.—Othe de Granson (voy. ci-dessus, p. 304).

1619 à 1621.—Hutin de Vermeilles (voy. aussi plus haut, p. 303).

1627 à 1637.—Jehan de Chateaumorand était le second fils de Hugues de Chatelus, seigneur de Chateaumorand. Il fut l'un des chevaliers les plus distingués de son temps et suivit le duc Louis de Bourbon dans tous les hasards de sa vie militaire, d'abord comme écuyer portant le pennon ducal, puis comme chevalier à la tête d'une compagnie de gens d'armes. Il fit ses premières armes vers 1371, à la détrousse d'un aventureux partisan anglais, Michelet La Guide, puis il assista au siège de Chateauneuf-Randon et à celui de Nantes où il commandait les gens du duc de Bourbon. Au banquet donné le jour du sacre de Charles VI (4 nov. 1380), l'écuyer placé sous la table où le roi tenait ses pieds était Jehan de Chateaumorand qui fut très probablement armé chevalier le même jour «pour le honneur du sacre». Puis nous le retrouvons successivement à Vannes, où eut lieu le combat de cinq Français contre cinq Anglais, devant Courbies les Granges et Montvalent, où il contribue à la délivrance du Poitou[1], ensuite à Gênes avec Boucicaut et comme négociateur de la rançon des prisonniers de Nicopolis[2]. Enfin le maréchal Boucicaut ayant réussi en 1399 à repousser les Turcs et à délivrer Constantinople, confia la garde de cette ville à Jehan de Chateaumorand qui, avec les cent hommes d'armes placés sous son commandement, résista vaillamment aux attaques de l'ennemi[3]. A peine rentré en France en 1402, Chateaumorand retourna en Orient à la tête de 200 hommes d'armes formant l'escorte de Manuel qui revenait prendre possession de ses États après la défaite de Bajazet par Tamerlan, le grand prince des Tartares.

Plus tard, lorsque l'âge l'obligea à se retirer des combats, il rassembla ses souvenirs et sous sa dictée, un pauvre pèlerin nommé Jehan Cabaret d'Orville, composa, en 1429, l'intéressante chronique du bon duc Loys de Bourbon. Jehan de Chateaumorand faisait partie de l'Association fondée par Boucicaut pour la défense de l'honneur des dames.

1641 à 1642.—Guillaume de Montrevel, plus connu sous le nom de L'Hermite de la Faye, fut un des plus fidèles compagnons d'armes du duc Louis II de Bourbon. Il était, d'après une pièce du cabinet des Titres, seigneur de Chasteaubon. (Pièces orig., vol. 2038). Nous le voyons d'abord venir en aide au roi de Prusse contre les Suédois, se distinguer au siège de Verteuil, combattre vaillamment à Rosebecque, puis faire partie de la tentative de débarquement sur l'Angleterre qui eut lieu en 1386; nous le retrouverons plus tard, en 1399, marchant avec Boucicaut au secours de l'empereur grec. Il fut l'un des exécuteurs testamentaires du duc de Bourbon qui mourut le 19 août 1410[4].

1653 à 1664.—Charles d'Albret (voy. tome I, p. 302).

1665 à 1676.—Jehan de Werchin, sénéchal de Hainaut (voy. tome I, p. 307 et plus bas p. 311).

1677 à 1682.—Raoul de Gaucourt, seigneur d'Argicourt et en partie de Luzarches, chambellan du roi, faisait partie de l'Hôtel en 1388 et accompagna la même année Charles VI dans son expédition en Allemagne contre le duc de Gueldre. Il fut ensuite désigné pour remplir plusieurs missions lointaines et reçut le 16 août 1397 une somme de 1,000 écus en récompense de ses services. En 1399 il fut charger de traiter des affaires de la reine Yolande d'Aragon, plus tard nous le retrouvons au service du duc de Bourbon, puis marchant au secours de Boucicaut, gouverneur de Gênes. Nommé bailli de Rouen, il périt dans une sédition qui éclata dans cette ville en 1417. Raoul de Gaucourt avait épousé Marguerite de Beaumont, dame de Luzarches, fille de Jean de Beaumont, chevalier. Il était le frère d'Eustache de Gaucourt, grand Fauconnier de France. (P. Anselme, VIII, p. 370).

1683 à 1688.—Charles de Savoisy, seigneur de Seignelay, conseiller et premier chambellan du roi, grand échanson de France, fut élevé à la cour de Charles VI dont il était chevalier d'Honneur en 1388. Il servit en Poitou en 1397 à la tête d'une compagnie de treize écuyers, mais il est surtout connu par les fâcheuses aventures dont il fut victime: ayant commis l'imprudence de faire maltraiter chez lui le procureur de l'Hôtel du roi venu pour arrêter un de ses domestiques, il n'échappa aux poursuites qu'en vertu de lettres de rémission du 23 janvier 1402. Quelque temps après, il fut déclaré responsable des outrages et des coups dont ses gens s'étaient rendus coupables le 14 juillet 1404 envers quelques écoliers de l'Université de Paris. Cependant, malgré ces incidents compromettants, Charles de Savoisy resta toujours fort bien en cour et exerça la charge de grand Échanson de 1407 à 1413, puis devint premier chambellan du roi en 1418. Il mourut vers 1420. (P. Anselme, VIII, p. 548).

1689 à 1693.—Bernard de Castelbajac (voy. tome I, p. 304).

1694 à 1698.—Pierre de Brebant, dit Clignet (voy. tome I, p. 306).

[1] Chronique du bon duc Loys de Bourbon, édit. Ghazaud, 1876, p. 153
    et suiv.

[2] Chroniques de J. Froissart, édit. Buchon, III, p. 293, et Livre
    des faicts du Mareschal Boucicaut, 1re partie, chap. XXVIII.

[3] Chronique du Religieux de Saint-Denys, III, 51.

[4] Chronique du bon duc Loys de Bourbon, p. 64, 145, 172, 185 et 314, et Livre des faicts du Mareschal Boucicaut, 1re partie, chap. XXX.

LE LIVRE

DES TROIS JUGEMENS

CY COMMENCE LE LIVRE DES TROIS JUGEMENS

Bon Seneschal de Haynault, preux et sage. Vaillant en fais et gentil de lignage, Loyal, courtois de fait et de langage, 4 Duit et apris De tous les biens qui en bon sont compris, Par noblece de cuer soubsmis et pris Es laz d'amours pour accroistre le pris 8 De vo noblece, Sage a jugier du mal d'amours qui blece Quelz sont les tours, soit en force ou foiblece, Pour ce vous ay, chier Sire, plein d'umblece, 12 Esleu a juge. Car vo bon cuer bien sçay que le droit juge Ou il affiert; pour ce vien a reffuge A vous, ainsi comme ou temps du deluge 16 Qui tout noya Le coulomb blanc a l'arche s'avoya, La attendi tant que soleil roya, Aucques ainsi mon cuer celle voye a 20 Prise sans faille Pour le debat de certaine fermaille Qu'aucuns amans beaulx de corps et de taille Ont ensemble; si veullent que j'en taille 24 Le court ou long. Mais je ne vi tel cas avenir onc Et trop peu sçay pour en bien jugier, donc Juge en soyez et je diray au long 28 Tout leur descort De mot a mot, si com j'en ay record, Et a voz diz en tous cas je m'accord. Si feront ilz, car vostre bon record 32 Doit bien souffire. Le premier cas, ainsi com j'oÿ dire, Fu tel qu'il a en France ou en l'Empire Une dame si belle qu'a redire 36 Ne scet nul ame, Sage, vaillant, prisiée et haulte dame, Envoisiée, loyal de corps et d'ame, Ou n'a meffait, reproche ne diffame: 40 Amer souloit Un chevalier qui pour elle affoloit, Avant qu'elle l'amast tant se doloit, Ce disoit il, et mieux morir voloit 44 Qu'endurer plus L'amoureux mal qui le rendait conclus, Tant le tenoit morne, mat et reclus, Ne fors la mort n'attendoit au surplus, 48 Se brief mercy Elle n'avoit de lui qui d'amer si En grief langueur estoit taint et noircy, Dont pour secours lui requeroit mercy 52 D'umble vouloir. Ainsi long temps l'oÿ plaindre et doloir, Mais celle tout mettoit en nonchaloir; Quanqu'il disoit pou lui pouoit valoir 56 Ains qu'elle amast Lui ne ses fais, ne en riens se tournast Devers Pitié, ne secours lui donnast, Ne que pour lui nul bon point ordenast, 60 Tant qu'en la fin Loyal Amour, qui sieult a la parfin Aux vrays amans, qui aiment de cuer fin, Faire secours et ayde, a celle fin 64 Qu'il fust amez, Fist que Pitié, par qui sont informez Les gentilz cuers et pris et enfermez Es laz d'Amours, fist tant qu'ami clamez 68 Fu de la belle, Qu'Amours navra de l'ardent estincelle Qui mainte dame et mainte damoyselle Contraint d'amer, ou soit vesve ou pucelle 72 Ou d'autre guise; Quant il lui plaist soubsmettre a sa devise Qui qu'elle veult, riens n'est qu'elle n'atise. Ainsi avint de celle en qui Franchise 76 Fist ottroyer Le nom d'ami a cil qui par proyer Et bien amer ne le devoit noyer, Car bien l'avoit desservi en loyer, 80 Comme il disoit. Dont une fois a elle devisoit En la priant du mal qui lui cuisoit Elle eust pitié, se assez souffisoit 84 La grieve peine Qu'il ot souffert, si disoit: «Dame, pleine De grant doulçour et plus belle qu'Heleine, Pour vous ay eu mainte dure sepmaine 88 Et maint meschief Pour bien amer, et n'en suis pas a chief, Ainçois croistra ma doulour de rechief: Se reffusé suis de vous, par mon chief, 92 Je suis honnis. Dame plaisant, sanz per com le phenis, Desservi n'ay a tort estre punys; Si ne soye maubaillis et honnis 96 Par escondit, Doulce dame, ne de mon vueil desdit, Mais m'acordez l'amour sans contredit De vous, belle, car je vueil a vo dit 100 Moy gouverner. Si me ferez comme droit roy regner Se il vous plaist vostre amour moy donner, Or en vueilliez en tous cas ordenner 104 A vo bon vueil. Mais garison du mal dont je me dueil Me promettent vo doulz riant vair oeil Qui en joye font remuer mon vueil 108 Souventes fois, Car leurs regards doulz, amoureux et cois, Me garissent et blecent a la foiz Si que ne sçay souvent ce que je fois.» 112 Par tel semblant Se complaingnoit cil qui le cuer emblant, A celle aloit par beaulz moz assemblant Et tout estoit devant elle tremblant 116 Ou sembloit estre. Adonc celle, qui sieult estre senestre A son vouloir par reffus qui empestre Aux vrays amans toute joye terrestre, 120 Lui dist: «Amis, Je ne te vueil plus tenir si soubmis, Car il est temps que tu soies remis Es doulz soulas qui d'Amours sont promis, 124 Qui me commande Que sans reffus a lui servir me rende. Si j'ay meffait, que j'en paye l'amende Et que guerdon du service te rende 128 Que tu as fait A lui et moy, et je voy bien de fait Que tu es mien, et de vray cuer parfait M'aimes et crains, ne je ne cuid meffait 132 En toy trouver, Car par long temps t'ay peü esprouver Par quoy te puis bon et loyal prouver. Pour ce m'amour t'otroy sanz plus rouver 136 A tousjours mais; Car je ne cuid que tu ayes jamais Desir d'avoir nul autre amoureux mais Fors le mien cuer, car le tien m'est remais, 140 Ce sçay je bien. Si suis tienne, tout aussi tu es mien, Or soyes lié et ne pensez qu'a bien Amours servir, et gayement te tien, 144 Mon doulz ami, Car tout est tien le mien cuer sanz demi, Si soies bon tout pour l'amour de mi, Plus ne te plaing d'amours disant: Aymi! 148 Mais soies lié.» Adonc l'amant, qui ot esté lié Par dur reffus qui l'ot contralié, Devant sa dame se est humilié 152 A humble chiere Et liement lui dist: «Ma dame chiere, Que j'aim et craing et ay plus que riens chiere, Dire ne doy qu'aye comparé chiere 156 Si doulce amour Qui tant me vault qu'elle fait sanz demour Mon povre cuer, en qui n'avoit humour De nul plaisir, saillir hors de cremour 160 De desespoir, Car par ce don d'or en avant j'espoir Trop plus de bien que ne penses apoir, Et le confort de si joyeux espoir 164 Bien doit garir L'amoureux mal dont j'estoye au mourir. Et puis qu'ainsi me daignez secourir Je prie a Dieu qu'il le me doint merir, 168 Ma dame gente Que je mercy de toute mon entente, Et vous promet que jamais autre attente N'aray qu'a vous servir, car doulce rente 172 M'en payera; C'est la doulceur qu'Amours m'envoyera En vous servant, qui me convoyera A haulte honneur et me ravoyera 176 A tous bons fais.» Ainsi l'amant de cuer lié et reffais La mercia et promist que tous fais, Foibles ou fors, et deust estre deffais, 180 Il porteroit Pour sienne amour ne ja n'arresteroit Mais qu'ou païs ou la dame seroit, Fors pour honneur conquerre ou il pourroit 184 Et pour vaillance Yroit il hors; ja n'en eüst deuillance Par son congié, mais de lui sanz faillance Nouvelle aroit. Ainsi sa bienvueillance 188 Garder vouloit Cil qui si lié qu'a pou qu'il ne voloit Sembloit qu'il fust, ne plus ne se douloit Et plus joyeux seroit qu'il ne souloit 192 Comme il promist, Et tout sembloit que de joye fremist. A brief parler, l'un a l'autre soubmist Tout cuer et corps et sus le livre mist 196 Chascun sa main, Et par serment promistrent main a main Que loyaulté tendroient soir et main; Sans attendre du soir a lendemain 200 S'entreverroyent A tousjours mais, tout le plus qu'ilz porroyent, Honneur gardant, et tousjours s'aimeroient De vraye amour ne ja ne fausseroient 204 Jour de leur vie. Et ainsi fut ycelle amour plevie Et bien sembloit que l'amant n'eust envie Fors que par lui la dame fust servie 208 D'umble courage, Et promettoit en lui faisant hommage Qu'a tousjours mais seroit en son servage Et que s'amour comme droit heritage 212 Vouloit garder. Ainsi promist, mais j'oÿ recorder Qu'autrement fist sanz longuement tarder Et son faulz cuer, que l'en devroit larder, 216 Tost se changa Et pou a pou d'ycelle s'estrangia Qui tant l'amoit qu'a pou vive enraga Pour son maintien qui trop la domaga, 220 Si com j'entens; Non pas troys moys mais encor moins de temps Cellui l'ama qui fu pou arrestans En celle amour, si vous diray par temps 224 Qu'il en avint: La dame, qui pour lui pale devint, Maigre et lasse, car toudis lui souvint Du doulent jour qu'elle sienne devint, 228 Si ne pouoit Cil oublier a qui donné avoit Tout cuer et corps et de certain savoit, Dont la lasse toute vive desvoit, 232 Qu'il n'amoit mie Elle en nul cas; car heure ne demie Ne peu n'assez celle qui fu blesmie Pour sienne amour et que dame et amie 236 Souloit clamer, N'enjoÿssoit, ne nul semblant d'amer Ne lui monstroit, n'en recepvoit qu'amer. Et ce faisoit la doulente pasmer 240 Qu'il avenoit Que cil, a qui moult peu en souvenoit, Aucunes fois devers elle venoit Parce qu'elle du mander ne finoit; 244 La lasse adonc, Pleine de plour et de griefs souspirs dont Son cuer fondoit, lui disoit: «Lasse! et dont Mourray je ainsi, car, se Dieu me pardont, 248 Ne puis plus vivre Se je ne suis de ce meschief delivre. Et je vous jur et promet sur le livre Que je ne sçay ou je suis ne qu'un' yvre, 252 Souvent avient. Hé las! amis, nostre amour que devient! Je muir de dueil certes quant me souvient Que si tost fault, mais par moy pas n'avient. 256 Et qui vous meut! Ne voyés vous comment mon cuer se deult Et je ne sçay que le vostre se veult! Mais je voy bien que moult petit recueult 260 En soy mes larmes; Si soit mon fait exemple a toutes dames De croire pou ceulz qui jurent leurs ames, Car ce n'est tout fors pour decepvoir femmes. 264 C'est fole attente, Beau doulz ami, et se je me guermente Ne pensez vous, que je soye doulente Quant ne vous voy ne en chemin n'en sente 268 Ne autre part, Ne nouvelles n'en oy, dont mon cuer part, Dont je puis bien de vous quitter ma part; Je le voy bien, mais se avez a part 272 Autre pensée Par quoy l'amour de moy en vous cessée Soit et autre vous ayez en pensée Et de tous poins la moye aiez cassée, 276 Ne le cellez, Mais dites moy le fait, se vous voulez, Car je ne sçay de quel mal vous dolez, Mais devers moy ne venez ne alez, 280 Et se j'en mens, Ce savez vous, non obstant les sermens Que m'avez fais pleins de decevemens, Qui me livrent au cuer trop de tourmens; 284 Mais c'est pechié D'un pouvre cuer livrer a tel meschié Et quant il est pris et fort atachié De lui laissier durement empeschié. 288 Et dont me dittes Se vous vouldriez de m'amour estre quittes Et se j'aray tout mal pour mes merites, Ou se voulez la valeur de deux mittes 292 Vous amender Par devers moy qui ne fais que mander Souvent vers vous sanz pou en amender, Si m'en dittes, je vous pry, sanz tarder, 296 Trestout le voir.» Ainsi souvent la dame son devoir Faisoit vers cil qui n'en vouloit avoir Nulle pitié, mais pour la decepvoir 300 Il s'excusoit Qu'il avoit trop a faire et lui nuysoit De mesdisans le parler qui cuisoit, Mais en la fin promettoit et disoit 304 Qu'il la verroit D'or en avant souvent quant il pourroit, Mais non pour tant son honneur garderoit, Mais jamais jour nul autre n'aimeroit. 308 Ce promettoit Le desloyal qui en tous cas mentoit, Et celle qui a lui se guermentoit L'en croioit bien et du tout s'attendoit 312 Au mençongier; Car fole amour fait croire de legier. Ainsi parfois lui faisoit alegier Son grief tourment ou par son messagier 316 Lui envoyer, Mais moult souvent avoit petit loier Celle qu'amours faisoit si foloier, Si se pouoit en douleur desvoier 320 S'elle vouloit; Car moult petit a cellui en chaloit Qui pas souvent a elle ne parloit Ne vers elle ne venoit ne aloit 324 Et qui loisir Avoit assez, mais qu'il y eust plaisir Et qu'il voulsist point et heure choisir, Mais n'y avoit ne amour ne desir. 328 Ainsi dura Troys ans ou plus, ainsi com me jura Celle qui tant de maulz en endura Que je ne sçay comment elle dura 332 Sans la mort traire, Si ne pouoit son cuer de cil retraire Qui par nul tour elle ne pot attraire. Ainsi vesqui en dueil et en contraire 336 Un grant termine, Mais il n'est riens ou monde qui ne fine Et malade quiert par droit medecine, Si commença pou a pou la racine 340 A estrangier De celle amour qui la tint en dongier, Dont ot perdu repos, boire et mengier; Si n'envoya plus vers lui messagier, 344 Et de tous poins Le frain aux dens et la bride a deux poings Elle saisi, et de près et de loings, Pour s'en oster, tant qu'elle vint aux poins 348 Qu'elle vouloit; Et par raison, qui pas ne lui celoit Que folement pour cellui se douloit Qui de son fait en riens ne lui chaloit, 352 Si s'en osta, Mais du faire mie ne se hasta, Ainçoys long temps en l'amour arresta Qui maint meschief et mal lui apresta, 356 Et a tant vint La dame, a qui yceste chose avint, Que le sien cuer a raison se revint Et assez pou de cellui lui souvint 360 Qui l'ot deceue, Dont elle avoit mainte douleur receue, Tout se fust elle assez tart aperceue, Mais plus cellui n'yra a sa sceüe 364 Ou elle soit. Si avint cas comme elle devisoit Qu'un autre amant durement la pressoit Qu'il fust amez et souvent lui disoit 368 Qu'il l'amoit tant Qu'a toujours mais seroit sien, mais pour tant De quanque cil lui aloit promettant Ne lui chaloit en riens, mais non obstant 372 Sans amesir Cil ne finoit de lui faire plaisir Ne pour reffus ne cessoit son desir, Ains lui disoit que, sans autre choisir, 376 Son vray amant A tousjours mais seroit en elle amant, Ferme et loyal com pierre d'aÿmant. Ou que cil fust François ou Alemant 380 Ou d'autre part, Toudis avoit son penser celle part Ne de tous biens, pour en choisir sa part, Autre soulas, n'en publique n'a part, 384 Ne desiroit, Comme il disoit; et aussi y parroit, Car par le fait tout le vray apparoit Que cil l'amoit, car il ne reparoit 388 Ne mais es lieux Ou peust veoir la trés belle aux beaulz yeulz, Qu'il aouroit et servoit comme Dieux, Se ce n'estoit es places ou de mieulz 392 Quant a valour Li peust venir, car pour nulle doulour Qu'amours lui fist, ou fust sanz ou folour, Ne s'arrestoit quant il avoit coulour 396 D'aler de hors Pour esprouver en vaillance son corps, Car en honneur estoit tous ses depors. Mais bien cuida pour amours estre mors 400 Ains que pitié Celle eust de lui, pour laquelle amistié Malade en fu long temps et dehaitié Ains que pour lui eust pensé n'apointié 404 Nul bon accord; Car la dame toudis avoit record Du faulz amant, par qui si grant descord Fu en son cuer qu'a pou en receupt mort; 408 Si n'ot besoing De jamais jour ne de près ne de loing Nul homme amer, car elle avoit tesmoing Que mal venoit et meschief de tel soing, 412 Et pour ce attraire Ne vouloit plus si penible contraire. Si n'en pouoit l'amant nullement traire Fors escondit, mais pour tant s'en retraire 416 Ne voult il mie N'ycelle amour remesse n'endormie Ne fu en lui, ains com dame et amie Il la servoit, ne heure ne demie 420 Il n'arrestoit Que ou service d'elle, ou pou conquestoit Et moult de ses paroles y gastoit, Mais non pour tant souvent l'amonnestoit 424 De sa besoingne. Ainsi long temps dura par mainte alongne Cest' affaire, com la dame tesmoingne; Mais il n'est riens qui bien s'en enbesogne 428 Que on n'achiefve Ne si pesant fardel que l'en ne lieve. Au vray du fait dire en parole briefve, Cil tant l'ama, quoi qu'il eust peine grieve 432 Et tant servi De vray loyal cuer, subgiet asservi, Que par raison il avoit desservi, Qu'il ne fust pas de joye desservi 436 Mais guerdonnez Et que le don d'ami lui fust donnez; Car tant s'estoit doulcement ordonnez En elle amant et pour elle penez 440 Qu'apercevoir Que il l'amoit de cuer sanz decepvoir Elle pouoit, tant faisoit son devoir D'elle servir, et si, qu'a dire voir, 444 Tort lui feïst Se pitié n'eust de lui, se Dieux m'aïst, Car n'estoit droit que son servant haïst Ne qu'en reffus le sien cuer envaïst 448 Par fel dongier. Alors Amours, qui sieult assouagier Les maulx crueulx qu'en ceulz fait hebergier Qui le servent, voult adonc alegier 452 Les griefs anuys Qu'il eut souffert par maintes dures nuys, Dont son las cuer estoit de joye vuis; Si fist Pitié a Secours ouvrir l'uis 456 De Reconfort, Si ne pot plus souffrir la dame au fort Tenir l'amant en si grief desconfort, Car bien savoit qu'il n'estoit riens si fort 460 Comme il l'amoit. Adonc un jour l'amant se reclamoit De ses douleurs a celle qu'il cremoit, Piteusement de l'amour l'informoit 464 Qui l'ot surpris Par sa beaulté, a qui se rendoit pris, Et pour son los, la grace et le hault pris Dont elle estoit, si ne l'ait en despris 468 Par desdaingnier. Et adonc celle, ou il n'ot qu'enseignier, Qui tout veoit l'amant en plours baignier, Vid qu'en sa mort ne pouoit riens gaigner, 472 Si le retint Pour son amant, ainsi qu'il apertint. Et lui, qui fu loyal, si se contint Devers celle qui son cuer ot et tint 476 Qu'elle l'ama De tout son cuer et ami le clama. Ainsi l'amant promist et afferma Qu'il l'aimeroit, et elle conferma 480 Tout cest affaire, Ainsi promist et ainsi le voult faire; Quar il l'ama loyaument sanz meffaire Si bien, si bel qu'il n'y ot que reffaire 484 Par long espace, Et non obstant que tel amour tost passe Souventes fois cil sembla le toupase Qui de verdeur et de clarté trespasse 488 Toute autre pierre. Ainsi toudis fu en lui plus vert que yerre Ycelle amour qu'il n'ot pas, par saint Pierre, Tost acquise n'emblée comme lierre 492 Qui moult tost emble. Ains y souffri maint grant grief, ce m'en semble, Mais il n'est riens, quoy que descort dessemble, Que vraye amour ne racorde et assemble 496 En un moment Quant il lui plaist. Ainsi trés loyaument Li dui amant s'amerent longuement Sanz nul descord et sans decepvement 500 En tel plaisir Que leurs deux cuers n'avoyent qu'un desir: Ce qui plaisoit a l'un ja desplaisir Ne peüst estre a l'autre, ne choisir 504 Aultre solas Ne voulsissent qu'estre ensemble, et ja las Ilz n'en fussent, car tous deux d'un seul las Furent lié, plaisant, sans dire, hé las! 508 Et ainsi furent Par moult long temps, mais maint scevent et sceurent Que faulz parleurs sur les amans murmurent; Si leur avint que mesdisans s'esmurent 512 A parler d'eulx Pour les semblans qu'ilz choisirent es deux, Dont ilz orent au cuer pesance et deulx. Si ne porent si souvent estre seulz 516 A leur deport Com souloient, si furent a dur port Lors arrivé, ou peu orent deport, Et raconté fu par mauvais raport 520 Et par envie Au faulz amant premier toute leur vie Et tout comment la dame fu servie Du vray amant, a qui elle eut plevie 524 E toute assise L'amour d'elle du tout a sa devise. Et quant cellui ot bien par mainte guise La verité toute sceue et enquise, 528 Lors a quis voye Qu'il peust parler, en chemin ou en voye Ou en secret si que nul ne le voye, A celle a qui un messagier envoye 532 En lui priant, Moult chierement, non mie en mescriant, Que parler puist a elle, et detriant Ne voit le jour. Lors celle en sousriant 536 A pris journée A y parler par une matinée, Et quant furent en la place ordonnée Adonc cellui a la dame arresnée 540 Par tel maintien: «Dame certes, ne cuidasse pour rien Que vostre cuer, que disiez estre mien, Daignast jamais consentir fors que bien. 544 Ne que fausser Vous daignissiez en fait ne en penser, Tant vous sceüst nul autre amant presser, Que voulsissiez vostre serment casser 548 Ne loyaulté Que vous avez brisiée et feaulté. Si prise pou tel grace et tel beaulté Ou il n'a foy, car serment sur l'auté 552 Et sur les saints Me jurastes Dieu, sa mere et les saints, Que jamais jour vostre cuer n'yert desçains De moye amour, dont il estoit enceins, 556 Ce disiez vous, Et seroye vo loyal ami doulz, Et ainsi fu accordé entre nous. Mais or vous puis faulse par devant tous 560 Et parjurée Prouver certes, et pou asseürée, Puis qu'autre amour vous avez procurée; Si est la foy que vous aviez jurée 564 Fausse sans doubte.» Adonc respond celle et plus ne l'escoute: «Beau sire Dieux, je me merveille toute De vostre fait et, s'oncques je vi goute, 568 Voicy merveilles: Vous me cuidez par vo tabour aux veilles Encor mener, mais jamais mes oreilles N'escouteront telles ou les pareilles 572 Com voz paroles Sont envers moy toudis toutes frivoles; Car ne vous chault pas de deux poires moles Se j'ay ami ou non, et telz bricoles 576 M'alez gitant, Mais non pour tant vous en diray je tant Que, se je l'ay, fausse ne suis pour tant. Car vostre cuer fu premier consentant 580 De moy laissier Et grans sermens feistes au commencier Que jamais jour ne verroye plaissier L'amour de vous qui trop a fait blecier 584 Mon cuer long temps, Ce savez vous; si ne sçay ne n'entens Comment, puis que vous estiez consentans De m'esloingnier, que mon cuer arrestans 588 Y deüst estre A tousjours mais a douleur si senestre, Puis que veoir je pouoye vostre estre, Car par l'oeuvre on doit louer le maistre; 592 Et grant injure Vous m'avez dit de m'appeller parjure, Car ne le suis, g'y mettroye gageure, Car qui promet quoy que ce soit et jure 596 Se doit entendre Cil qui reçoit le serment, s'il veult tendre A loyaulté, qu'aussi doit il entendre A desservir le bien qu'on li veult tendre 600 Et son devoir Doit faire aussi; il est bon assavoir Que qui promet pour quelque chose avoir, Se il ne l'a, quitte doit estre voir 604 De son serment. Ainsi a vous promis mon sacrement, Voire en espoir que j'eusse entierement L'amour de vous comme premierement 608 M'aviez promis.» Adonc respond cellui: «Certes tost mis M'ariez au bas, dame, et moult tost remis Par voz raisons, mais de ce qu'entremis 612 Je me seroye De soustenir, partout ou je seroie, Par devant tous proposer oseroie. Et pour ce di, car mentir n'en saroye, 616 Que vous avez Vers moy faussé, et pour riens vous sauvez De dire que certainement savez Qu'en moy n'avoit amour, ainsi trouvez 620 Vostre excusance. Car se vers vous tout a vostre ordennance Je n'aloye, fust a feste ou a dance Ou autre part, tout estoit en doubtance 624 De mesdisans, Pour vostre honneur garder des moz cuisans De leurs parlers, et, se fusse dix ans Sans vous veoir, mais que obeïssans 628 Ne fusse mie A autre amour ou de dame ou d'amie, Ne deussiez vous ja heure ne demie Pour tant fausser, mais a droitte escremie 632 D'amour entiere Et loyaulté vraye en toute maniere Vous bien garder. Mais d'amour trop legiere M'avez amé, bien en voy la maniere; 636 Pour ce redi Que fausse estes, et de ce que je di Le jugement devant le plus hardi En ose attendre et tous ceulz contredi 640 Qui au contraire Vouldront dire, ne vous vueille desplaire.» Adonc respond la dame debonnaire: «Or nous doint Dieux vers loyal juge traire, 644 Mais voycy rage Et merveilles que de vostre langage: Qu'il soit ainsi qu'une dame en servage Se soit mise en recevant l'omage 648 De son servant Qu'elle cuidoit bon, loyal et fervent, Si voit après qu'il la va desservant De tout plaisir, ne il n'est desservant 652 Qu'amer le doye; Et vous dittes qu'elle doit toutevoye En celle amour se tenir ferme et coye, Mais la raison n'en voy par nulle voye. 656 Pour ce consens Que ce debat nous mettions en tous sens Dessus loyal juge ou il ait sens, Car nullement je ne voy ne ne sens 660 Vostre raison.» Adonc pristrent congié, il fu saison, Et s'entourna chascun en sa maison, Et en escript chascun mist sa raison 664 Pour juge querre. Après vindrent devers moy pour enquerre Le mien avis, mais pou pourroye acquerre De complaire a l'un pour avoir guerre 668 A la partie Adversaire, pour ce m'en suis partie. Et autressi ne sçay tout ou partie De tel debat jugier, pou apertie 672 Y suis sans faille. Pour ce, Sire, la charge vous en baille, Ne convient ja que querre autre juge aille Pour les amans, chascun d'eulz me rebaille 676 Pouoir du faire, Si sont d'acord que vous soit de l'affaire, Car bien scevent qu'il n'y a que reffaire En vostre bon, noble cuer, qui meffaire 680 Ne daigneroit; Ce jugement, s'il vous plaist, selon droit Vous jugerez. Et encor or en droit Deux autres cas diray ou il fauldroit 684 Donner sentence, Et tout sur vous en est mise la tence Et le descord. Or vueil sans arrestance Vous raconter, fust foiblece ou constance, 688 Ce qu'il avint A deux amants beaulz et gens entre vint, Loyaulz et bons, mais trop leur mesavint Par Fortune, dont chascun d'eulx devint 692 Morne et pensis: Il n'a mie des ans encore six Qu'une dame, en qui tous biens sont assis, Un chevalier amoit sage et rassis, 696 Joenne et joly, Et qui toute bonne tache ot o ly; Et tout fust il mignot, cointe et poli, Oncques encor fausseté n'amoli 700 Son bon courage, Ce disoit il. Aussi fu belle et sage La dame, qui de cuer et de langage Vaillant estoit et riche d'eritage. 704 Si s'entr' amoyent Lui dui amant loyaument et clamoyent L'un l'autre amour souvraine et ne cremoient Fors mesdisans qui les amans esmoyent, 708 Et longuement S'entr'amerent et si secretement Que de leur fait ne fut grant parlement. Si la servoit l'amant soingneusement 712 Comme il devoit. Et celle qui entierement savoit Que son ami loyaument la servoit Le sien cuer tout entierement ravoit 716 En lui fichiés. Si souffrirent tous deux mains griefs meschiez Par trop amer qui les ot si fichiez En grant desir qu'ilz furent tous sechiez 720 De souffrir peine; Car grant Amour, qui les amans demaine, Trop durement mainte dure sepmaine Leur fist avoir, car les amans a peine 724 Et a dongier S'entreporent veoir, ne de legier N'avenoit pas souvent, car dommagier Ne vouloient honneur pour alegier 728 Leur grant desir. Car tant fu vray l'amant que mieulz choisir Voulsist la mort et tout meschief saisir Que deshonneur ne riens qu'a desplaisir 732 Peust ja tourner Envers celle, de qui tel atourner Le voult Amours qu'il ne savoit tourner De nulle part ou il peust destourner 736 Ne mettre jus Le grief fardel qu'il portoit sus et jus; Et de trop plus griefve aigreur que verjus Li ot Amours destrempé et fait jus 740 Un divers boire Qu'adès avoit en cuer et en memoire, Tant en eut beu, non en coupe n'en voirre, Qu'il en fut tout rempli, c'est chose voire 744 Et enyvré; Et tel hanap a celle ot relivré Loyal amour qui son cuer ot livré A si dur point que jamais delivré 748 Ne s'en verra, Car sans partir en ses las l'enserra Amour ferme qui oncques jour n'erra Vers loyaulté; si dit qu'elle querra 752 Coment qu'il soit Voye et chemin, car trop fort l'angoissoit Desir de cil veoir qui la pressoit Qu'il la veïst, et ainsi l'oppressoit 756 De toutes pars Amours, Desir encor plus les deux pars Le vray amant, dont souvent les espars De ses doulz yeulz sur elle erent espars. 760 Si n'en pot plus Celle souffrir en qui ot amours plus Qu'en nul autre, tout fust son corps reclus Par fel dongier qui rend amans conclus 764 Et desconfis. Tant l'estraingnoit Cupido d'Amours filz, Qu'elle aouroit plus que le crucefilz, Qu'elle trouva, fust domage ou proffis, 768 Au paraler Voye comment a cellui peust parler Que tant amoit que ne pouoit celer La grant amour qui faisoit afoler 772 Son cuer sans doubte; Car qui d'amours afole ne voit goute, Ne nul peril ne meschief ne redoubte; Ainsi celle, qui a l'amant fu toute, 776 Tant y mist peine Qu'a son ami plus d'un jour la sepmaine, Sans le sceü de personne mondaine, Parloit souvent, tout fust de paour pleine 780 Et de grant crainte Pour les perilz qui avienent a mainte En si fait cas quant la chose est attainte, Mais non pour tant tant fu d'amours contrainte 784 Qu'elle oublioit Tout le meschief qu'avenir li pouoit. Ainsi souvent son doulz ami veoit, Si lui dura, si comme elle disoit, 788 Tout un esté Ce trés doulz temps, mais Fortune apresté A mains meschiefs aux amans et esté Leur contraire, et souvent a arresté 792 Tous leurs depors. Ainsi adonc par desloyaulz rapors Sceut le mari d'ycelle les accors Des deux amans, tout le fait et les pors, 796 Le lieu, la place Ou moult souvent, a qui qu'il en desplace, S'assembloient; si dist qu'il fault qu'il face Tant que tous deux les treuve face a face, 800 Comment qu'il aille. Dont le mary, qui fu de laide taille Ne en bonté ne valoit une maille, Tant se muça ou en fain ou en paille 804 Qu'il esprouva La verité et tous deux les trouva En lieu secret, mais l'amant bien sauva L'onneur d'elle par ce qu'il controuva 808 Bonne excusance, Qu'il avoit loy, juste cause et aisance, De y parler, ja n'en eust desplaisance, Et lors trouva cas juste ou la semblance 812 Par quoy raison Ot d'y parler en ycelle maison; Si n'y ot mal, pechié; ne desraison, Ja n'en doubtast, car en nulle saison 816 Ne vouldroit faire, Ce disoit il, riens qui li deust desplaire. Et le mary, pour sa deshonneur taire, Faisoit semblant, quoy qu'il creust au contraire, 820 Qu'il creoit bien Ce qu'il disoit; mais oncques puis n'ot bien La dolente, car lors sur toute rien Lui deffendi cellui, de mal merrien 824 Que bien gardast, Que jamais jour en place n'arrestast Ou cellui fust, et que ja ne doubtast Que la vie du corps ne lui ostast 828 S'apercevoir Pouoit jamais par sens ne par savoir Qu'a lui parlast pour nul cas, recepvoir Lui feroit mort; ce lui faisoit savoir 832 Par grant promesse. Or fu tourné en doulente tristece L'amoureux temps qui tenoit en leesce Les deux amans, or ne voient adrece 836 Par nulle voye De jamais jour avoir solas ne joye, Tant ont doulour que vivre leur anoye, Ne leurs piteux regrais tous ne saroye 840 Conter ne dire, Ne le dur temps ne le crueux martire Que la lasse dame ot, car tire a tire Son dolent cuer fondoit comme la cire 844 En pleurs et lermes. Mais non obstant toudis constans et fermes Fu son las cuer en amours, dont li termes Estoit la mort attendre, n'autres armes 848 N'avoit d'espoir Qui gardassent encontre desespoir Son dolent cuer, et cheoite y fust apoir Se grant raison, qui en a le pouoir, 852 Ne l'eust gardée. Et le dolent amant d'autel souldée Refu payé; mais trop griefment fraudée Fu la lasse, plus loyal que Medée, 856 De ce que point N'osoit faire semblant par nesun point Du mal amer qui si au cuer la point. Dont moult souvent se mettoit en tel point, 860 Quant seule estoit, Qu'a pou ses jours et sa vie hastoit Et son cler vis tout de larmes gastoit, Mais en ce pleur moult petit conquestoit, 864 Car n'y ot tour De son ami veoir, car une tour, Forte de murs et close d'eaue autour, Bien la gardoit, n'il n'y avoit destour 868 Ne voye aucune, Fust en secret ou en voye commune, De lui veoir, ne maniere nesune; Dont moult souvent pleurant seule a la lune 872 Se complaignoit A vraye Amour que si la destregnoit. Et d'aultre part l'amant ne se faignoit, Ains en griefs plours le dolent tout baignoit, 876 En regraittant La belle qui de savoureux biens tant Faire li sieult, or en a autretant De griefs doulours dont se va guermentant 880 Piteusement. Mais non pour tant enquist soigneusement D'elle en secret et paoureusement Que le mary nel sceust aucunement, 884 Et par message Bon et secret, certain, loyal et sage, Lui escrisoit souventes fois la rage Ou ot esté, puis que son doulz visage 888 Et son gent corps Ne pot veoir, dont moult divers acords Font en son cuer desir et les records Des doulz soulas, dont lui souvient encors, 892 Qu'il a perdus; Si s'en treuve dolent, mat, esperdus, Et a tousjours yert du tout confondus S'il ne la voit, et, deust estre pendus, 896 Fault qu'il la voye, Et par escript tel complaint lui envoye: «Dame sans per, le chemin et la voye Qui a vie ou a mort me convoye, 900 Tout mon desir, Tout mon espoir, sans qui je n'ay plaisir, Celle qu'Amours desur toutes choisir En remirant vo beaulté a loisir 904 Me fist, ma dame Sage, vaillant, bonne sur toute femme, Que j'aim et serfs et obeïs, par m'ame, Plus qu'aultre riens, ne ne pourrait plus ame 908 Amer maistresse Que je fais vous, si oyez la destrece Ou suis pour vous qui si le cuer mestrece Que je n'y voy fors de la mort l'adrece 912 Se ne vous voy, Ma doulce amour, et tout vif me desvoy Quant je pense qu'ay perdu le convoy De vo doulz oeil; quant m'en souvient, avoy! 916 Je muir de dueil, Belle plaisant, de ma joye le sueil, Mon paradis terrestre, autre ne vueil, Reconforter le mal que je recueil 920 Vous plaise, hé las! Et que fera mon doloureux cuer las Sans vous veoir, mon gracieux soulas. Belle, bonne, qui me tient en ses las! 934 Or mettez peine Que vous voye, ma dame souveraine, S'il peut estre, car je vous acertaine Que grant desir a desespoir me meine 928 Tant me destraint, Et pour ce suis du requerir contraint; Mais non pour tant mieulz vouldroie estre estraint Jusqu'a la mort que cil qui a restraint 932 Noz doulz deduis, C'est le jaloux de tout mal faire aduis, Aperceüst qu'a vous servir suis duis Ne qu'en appert ou en aucun reduis 936 A vous parlasse; Non pas pour tant qu'en riens je le doublasse, Mais tout pour vous, dame qui toutes passe, De qui je vueil l'onneur en toute place 940 Tout mon vivant Garder, chierir; mieulx morir en vivant Vueil pour amer que ce qu'aille estrivant A vostre honneur. Dame, a qui suis servant, 944 Me pardonnez Se j'ay requis secours, car certenez Suis que par vous ne puet estre donnez A moy qui suy a grant meschief menez, 948 Mais plus me poyse De vostre mal, doulce dame courtoise, Que du tourment qui si griefment me poise, Car je sçay bien que, sanz mener grant noise, 952 Grant dueil portez, Ne que en riens vous ne vous deportez Sanz moy veoir, dont vous vous deportez A grant peine, car vo cuer raportez 956 A loyaulté Qui vous conduit en especiaulté, Car sur toutes portez la reaulté De vaillance, d'onneur et de beaulté, 960 Qui vous conduit, Et tous les biens font en vous leur reduit. Si ne pourriez pour loyaulté, qui duit Vostre bon cuer, joye avoir ne deduit 964 Sans vostre ami; Mais je vous pri, belle, pour qui gemy, Que vous vueilliez, tout pour l'amour de mi, Reconforter vo cuer qui sans demi 968 Est trestout mien Et esperer qu'encor arons du bien Maulgré le faulz, jaloux, desloyal chien! Car par souffrir bonnement, vous di bien, 972 Le gaignerons, Et l'eust juré, nous nous entr'amerons Et a grant joye encore nous verrons Et noz douleurs doulcement porterons 976 En esperant. Si ne diray plus que j'aille mourant Pour vous, belle, de qui en desirant Nomme le nom souvent en souspirant; 980 Si vous tenez Joyeusement, mais toudis maintenés Foy, loyaulté, ne moy qui suis penez Point n'obliez; s'ainsi vous ordennez 984 Mieulx en vauldrez N'envers Amours de riens ne deffauldrez, Ainçois a voz desirs trop moins fauldrez Par joye avoir, car par ce vous perdrez 988 Le faulz agait Du desloial mary qui en agait Est sans cesser, et, pour ce qu'en dehait Vous voit, toudis a vous gaitier ne lait 992 Ne jour ne nuit. Si confortez le mal qui si vous nuyt En moy amant, ne ja ne vous anuyt Un pou de temps qui ne demain n'anuyt 996 Ne passera, Ma doulce amour ou mon cuer pensera Tout mon vivant ne ja ne cessera De vous aimer tant que trespassera 1000 L'ame du corps. Cent mille fois et plus, mes doulz depors, Me recommand a vous et aux records Doulz amoureux que vous arez encors 1004 De voz amours, Et pri a Dieu par devotes clamours Que vo gent corps, garni de bonnes mours, En ce monde face long temps demours 1008 Par bonne vie Et puis après vostre ame soit ravie Avecques Dieu ou ciel, ou n'a envie, Et de tous biens vous soiez assouvie 1012 A tousjours mais.» Ainsi l'amant, servi de divers mais, Reconfortoit sa belle dame, mais En son las cuer tous maulz furent remais. 1016 Et puis la belle, Qui conforter pour nesune nouvelle L'amoureux mal, qui desoubz la mamelle Trop l'angoissoit, ne pot, adoncques celle 1020 Lui rescripsoit Piteusement et ainsi devisoit: «Beau doulz ami, en qui se deduisoit Mon cuer a qui vous tout seul souffisoit 1024 Pour seule amour Depuis le jour qu'il receupt la clamour De vo complaint, qui en lui fist demour, Sachiez de vray, cil par qui en cremour 1028 Vif en dongier, Que j'aime tant qu'il n'est riens qu'estrangier Peüst le mal qui me fait enragier, Quant ne vous puis veoir riens alegier 1032 Ne me pourroit Et mon las cuer de dueil ainçois morroit Qu'il s'esjoïst, car qui souvent orroit Ses griefs complains grant pitié en aroit, 1036 Ne il n'est dueil Pareil au mien, ne je n'ay autre vueil Fors de mourir et trop je me merveil Coment je vif, car sanz cesser je veil 1040 Ne ne repose. Et ce qui m'est encor plus dure chose C'est qu'il convient que ma dolour enclose Porte en mon cuer, ne semblant faire n'ose 1044 De mon meschief, Ne je n'espoir jamais venir a chief De cest anuy, car je ne voy bon chief De vous veoir jamais, dont, par mon chief, 1048 Je mourray d'yre! Et ce sera briefment. vous l'orrez dire, Et je desir que la mort hors me tire De ce grief dueil qui trop mon cuer martire 1052 Et mal demeine Ma doulce amour, puis que je suis certaine Qu'il n'y a tour jamais pour nulle peine Que vous voye et plus que riens mondaine 1056 Je vous desir. Et comment donc pourroye avoir plaisir, Dont me venroit quand je ne sçay choisir Aultre soulas qui feïst amesir, 1060 Pour nul avoir, Mes griefs peines n'espoir ne puis avoir? Car n'y a tour que peusse decepvoir Ceulz qui bien font en tous cas leur devoir 1064 De nous gaitier. Trés doulz ami, si n'y a nul sentier De vous veoir, n'en chemin, n'en moustier, Ne autre part, si ne puis apointier 1068 Nul autre tour. Si en mettez vo cuer hors de tristour, Laissiez a moy le duel faire en destour, Et vous prenez en faucon ou oustour 1072 Ou en deduit De chace en bois, amis, vostre deduit, Car a amant pour passer temps aduit. En ce prenoit Pyramus son reduit, 1076 Ou temps jadis, Quant pour rapors et desloyaulz mesdiz La trés belle Tysbé, en qui toudis Fu son vray cuer, c'estoit son paradis, 1080 Fu mise en mue, Qui pour meschief oncques ne fu desmeue De lui amer, car droit ne se remue Qui bien aime ne change ne ne mue 1084 Pour infortune. Mon vray ami, je n'y sçay voye aucune D'autre deport. Dieux qui fist ciel et lune Vous reconfort et moy qui par Fortune 1088 Suis mise au bas Doint brief finer, car de tous les esbas Quitte ma part et en plourant rabas Tous mes soulas, ne vueil autre repas 1092 Ne autre joye.» Ainsi la dame a son ami renvoye Ses griefs complains, ne n'y scet lieu ne voye Que jamais jour par nesun tour le voye 1096 Pour les agais Des mesdisans qui plus que papegais Vont barbetant et tousjours firent gais, Si ne fu plus son corps jolis ne gais 1100 Come ot esté. Ainsi Fortune ot tout mal apresté Aux deux amans et tout leur bien osté, Et ja par deux yvers et un esté 1104 Enduré orent Ces grans anuys, ne veoir ne se porent, Tant traveillier ne pener ne s'i sçorent; Dont tout l'espoir avoir perdu ilz dorent, 1108 Comme il sembla A l'amant qui gaires mais n'en troubla Et avec gent plus souvent assembla Qu'il n'ot apris et son corps affubla 1112 Plus sur le gay; Et tout ainsi com le cerf pour l'abay Des chiens s'enfuit, qui l'ont mis en esmay, Cil esloingna sa dame ou moys de may 1116 Qui renouvele Et oublia du tout en tout la belle Ne n'envoya plus messagier vers elle, Et accointa autre dame nouvelle 1120 Que il ama Tant et servi qu'a ami le clama Ne l'autre plus en riens ne reclama. Dont après moult l'en reprist et blasma 1124 La premieraine Qui bien un an après en fut certaine, Dont li pesa si durement qu'a peine N'en receupt mort, si n'ot mais tant de peine 1128 Des agaitans Comme el souloit, car toutes riens leur temps Ont et saison, ne riens n'est arrestans En un estat. Et ainsi, com j'entens, 1132 Un jour avint Qu'en certain lieu cellui amant survint Ou sa prime dame fu qui devint Vermeille ou vis; quant le vid lui sovint 1136 Du temps passé, Dont ne fu pas de son cuer effacé Le souvenir qu'Amours ot entassé Si que jamais il n'en sera lassé, 1140 Ains lui duroit Tousjours l'amour dont mains maulz enduroit Et de rechief durement souspiroit; Si se pensa que a lui parleroit, 1144 Car n'y ot gent Mie foison, ne gaitte ne sergent Qui en ce cas lui fussent domagent; Si l'appella adonc et bel et gent, 1148 Vers lui se trait Et commença a lui dire en retrait: «Ha! qui pensast en vous trouver faulz trait Ne que pour riens fussiez jamais retrait 1152 De moy amer Ne qu'on vous peust faulz ne mauvais nommer! Car tant de foys vous oÿ affermer Que mieulz vouldriez estre noyé en mer 1156 Que moy laissier Ne loyaulté enfraindre ne froissier, Et vous m'avez, dont moins vous doy prisier, Deguerpie, si n'en puis apaisier 1160 Mon cuer, par m'ame, Et faulz estes d'avoir fait autre dame Et desloyal vers moy! C'est grant diffame A vous certes a qui affiert grant blasme 1164 D'avoir ce fait!» Ainsi celle blasma cellui de fait; Tout en plourant se complaint du tort fait Qu'il a commis; mais il dit «que meffait 1168 Il n'a vers elle En nesun cas et a tort faulz l'appelle, Ne d'autre amer, soit dame ou damoiselle, Il n'a mespris et de son dit appelle 1172 Par devant tous Juges d'amours, et y fussent trestous, Soubsmettre veult que son corps soit aux loups Livré ou pris de malage ou de tous 1176 S'il est jugié Qu'il ait mespris ne qu'il soit estrangié De loyaulté, non obstant que changié Il ait dame sanz ce qu'il eust congié 1180 D'elle du faire; Devant juge ne pense mie a taire Ces grans raisons et comment neccessaire Il lui estoit de soy d'elle retraire 1184 Et mesmement Pour son honneur, car elle scet comment Il ne pouoit la veoir nullement Et le peril et grant encombrement 1188 Ou ilz en furent, Et mesdisans, qui encor en murmurent, Tout ce tourment par faulz rapors esmurent, Et telz parleurs aux amoureux procurent 1192 Trop de meschief; Et elle aussi lui manda de rechief Que jamais jour ne porroit par nul chief A lui parler ne en long temps n'en brief 1196 Le veoir plus, Dont longuement en fu morne et enclus, Mais n'estoit droit qu'il se rendit reclus A tousjours mais ou du tout fust desclus 1200 De joye avoir; Car sans amours ne pourroit recepvoir Nul joenne cuer joye, a dire le voir. Et doncques puis que pour nesun avoir 1204 Ne la pouoit Veoir, certes pourchacier se devoit En autre part, pour ce mespris n'avoit, Ce disoit il, du faire bien savoit; 1208 Mais s'il espoir D'elle veoir eüst eü apoir Il eust mespris, mais elle en desespoir Trop le mettoit, si n'avoit plus pouoir 1212 De soustenir La grant dolour qu'il lui falut tenir Par trop long temps; doncques pour revenir A reconfort li falu retenir 1216 Dame nouvelle Pour en avoir quelque bonne nouvelle, Car par long temps il n'avoit receu d'elle Fors que doulour; si a tort qui l'appelle 1220 Faulz pour ce cas.» Mais la dame qui ot le parler cas Pour le grief plour, ou elle chut a cas, Lui dist: «Certes ne vous fault advocas 1224 Pour raconter Vostre raison, mais je m'ose vanter Que, se juge loyal veult escouter Noz deux raisons, tort arez sanz doubter 1228 Si com moy semble, Car vostre cuer qui du mien se dessemble Si n'a trouvé en moy riens qui ressemble A fausseté depuis le jour qu'ensemble 1232 Premier parlames. Si n'avez droit, juge en fois toutes dames Et tous amans loyaulz et sanz diffames, Et si soustiens que vous n'avez deux drames 1236 De cause bonne. Si soit juge trouvé, bonne personne Qui de noz cas tous deux nous araisonne. Plus n'est mestier que je vous en sermonne, 1240 Au jugement Je m'en attens du tout entierement.» Atant fina d'eulz deux le parlement, Et tost après vindrent soingneusement 1244 En ma maison, De leur debat me distrent l'achoison En moy priant qu'oÿe leur raison J'en jugiasse, mais je dis qu'a foison 1248 Ilz trouveroient Ailleurs meilleurs juges qui mieulz saroient Droit en jugier; si distrent qu'ilz vouloient Que j'en jugiasse ou que ilz me prioient 1252 Que je leur queisse Juge loyal et bien en enqueïsse Et sur cellui tout le fait asseïsse; Et je leur dis que voulentiers feïsse 1256 Leur bon plaisir, Mais, s'en tel fait je devoie choisir Juge pour moy, ne vouldroie saisir Aultre que vous pour l'amoureux desir 1260 Bien discerner Et pour savoir bon jugement donner. Et lors distrent qu'en nul autre assener Ne pourroient mieulz, et pour ce ordener, 1264 S'il vous plaisoit, Vous vouloyent leur juge et souffisoit Vo jugement, si com chascun disoit; Pour ce, Sire, tout le fait sur vous soit, 1268 S'a gré vous vient. Et du tiers cas, si comme il me souvient, Je vous diray le fait, il apertient Puis que leur vueil a juge vous retient. 1272 Tel fu l'affaire: Un chevalier, si com j'ouÿ retraire, Avoit promis a tousjours sans retraire Toute s'amour a doulce et debonnaire 1276 Et bonne et belle Et si plaisant qu'aultre ne passoit celle Fors seulement qu'elle estoit domoiselle, Jeune d'age, simple comme pucelle 1280 Jolie et gente; Et elle aussi ravoit mise s'entente A lui amer, et de loial entente S'entr'amoient et bien, que je ne mente, 1284 Plus de deux ans S'entr'amerent leaument les amans. Ce me jura saint Julien du Mans Celle qui cuer ferme ot com dyamans 1288 Que d'un descort En leur amour elle n'avoit record; Ainçois tous deux furent si d'un accord Qu'oncques n'y ot un tout seul mesaccort 1292 En ce termine. Mais il n'est mur si fort que l'en ne mine Ne si grant tas, que qui veult mine a mine L'apetissier, que l'en ne le termine, 1296 Ne riens ne dure Sans avoir fin par le cours de nature En ce monde, n'il n'est chose tant dure Qui ne s'use, soit chaleur ou froidure, 1300 Et qui ne tire A quelque fin, et ainsi tire a tire S'usent amours souvent, s'ay je ouy dire, Et non obstant que souvent on souspire 1304 Par trop amer Et que les maulz d'amours soient amer, Si ne voit on mie amours affermer A tousjours mais, ains les ot on clamer 1308 Et c'est souvent, Fol s'i fie; fole amour est tout vent Qui peu dure et les cuers va decevant Et un espoir dont après ensuivent 1312 Va joye vaine. Ainsi fina, qui qu'en eust après peine, Ycelle amour qui souloit si certaine Estre, et puis fut desprise et incertaine 1316 Et deffaillie. Car l'amant qui l'amour en sa baillie De celle avoit, qui puis fu maubaillie Pour lui amer et en grief dueil saillie, 1320 Se changia tout Et delaissa et estrangia de bout Celle qu'amer souloit, et fu derout Leur joyeux temps qu'elle cuidast qu'a bout 1324 Ne deust ja estre; Si lui sembla qu'il estoit trop grant maistre Pour elle amer et voult en plus hault estre Mettre son cuer, et bien cuida a destre 1328 Droit assener. Pour haultement son cuer mettre et donner Si s'acointa, com j'oÿ raisonner, D'une poissant dame a qui sans finer 1332 Son cuer promist, Et tant l'ama et si grant peine y mist Qu'elle l'ama en la fin, tant lui dist Que il l'amoit qu'elle en grace le prist 1336 Et le retint Pour son servant et a ami le tint. Si ne sçay pas comment il s'i contint, Car pou dura l'amour, a qui il tint 1340 Ne sçay je pas; Mais il n'est nul qui vous deist en nul pas La grant doulour et le mauvais repas Que la lasse ot, qui auques au trespas 1344 Et mise en biere En fu pour lui la doulente premiere, Quant elle vid et perceut la maniere De son amant qui se tyroit arriere 1348 De sienne amour Et trop faisoit d'elle veoir demour Ne n'ot pitié de sa lasse clamour, Non obstant ce que souvent, en cremour 1352 Et a dongier, A lui parloit d'elle le messagier Et lui disoit pour quoy si estrangier Vouloit celle qui mie de legier 1356 Ne l'oblieroit Ains pour s'amour sans faille se morroit, S'il la laissoit, du mal qu'elle tiroit. Il respondoit qu'au plus tost qu'il porroit 1360 Yroit vers elle, Mais survenu il lui estoit nouvelle Qui l'empeschoit pour certaine querelle. Si s'excusoit ainsi de veoir celle 1364 Qui ne finoit De dueil mener, car bien apercevoit Que delaissier son ami la vouloit, Dont trop griefment la lasse se doloit, 1368 Mais pour neant Se travailloit et s'aloit delaiant, Car bien pouoit, s'elle estoit clerveant, Apercevoir qu'il s'aloit recreant 1372 D'elle sans doubte; Si en ploura en grant dueil mainte goute Et de courroux elle se fondi toute. A brief parler, du tout en tout desroute 1376 Celle amour fu, Et la laissa et la mist en reffu Le faulz amant, que fust il ars en feu! Ainsi celle bien vid et aperceu 1380 Qu'une aultre amoit, Dont longuement dolente se clamoit, Mais n'y ot tour: pour riens le reclamoit. Si s'en souffri quant vid qu'elle semoit 1384 Pour riens ses larmes. Car il n'est riens qui n'ait saisons et termes, Si n'estoit droit que tousjours mais fust fermes Son cuer en dueil qui fait perdre les armes 1388 Et corps en terre; Si apaisa son cuer de celle guerre Au chief d'un temps et ne voult plus enquerre De son amant n'aucune voie querre 1392 Pour luy veoir, Ne autre part sienne amour asseoir, Car d'amer plus ne lui devoit seoir En son vivant ne d'ami pourveoir 1396 Son cuer jamais, Ce lui sembloit, car trop lui fut remais Dolent penser pour amer et dur maiz, Si s'en tendroit, ce disoit, des or mais. 1400 Mais escoutez Ce qu'il avint de ce fait et notez Coment l'amant estoit peu arrestez, Car ains que fust l'an passé, ne doubtez, 1404 Il esprouva Grant fausseté en la dame et trouva, Ce disoit il; car s'il le controuva Ne sçay je pas, mais par ce se sauva 1408 D'elle laissier Et dist que cuer haultain et boubensier Avoit vers lui et legier a ploissier A autre amour plus que verge d'osier. 1412 Si lui souvint Des doulz plaisirs de celle qui devint Pale pour lui et comment y avint. Alors son cuer a raison se revint 1416 Et s'avisa Qu'il l'aimeroit, car oncques n'avisa Plus loiale, si comme il devisa, Ne pouoit mieulx; pour ce se ravisa 1420 Et repenti Dont oncques mais loiaulté lui menti Ne dont son cuer a aultre consenti. Si a dit lors comme vray converti 1424 Que humblement Lui requerroit mercis piteusement Et du meffait a son vueil vengement Prensit sur lui, mais qu'après bonnement 1428 Lui pardonnast Et de bon cuer loial elle l'amast, Si qu'en tout cas son vueil lui ordenast, Et se jamais failloit, si le blasmast 1432 Comme mauvais. Ainsi cellui voult pourchassier sa paix Devers la belle, a qui peu chaloit mais De son amour, et vers elle s'est trais: 1436 Si l'araisonne Moult doulcement et qu'elle lui pardonne Prie humblement, et de ce la sermonne Moult longuement et dist qu'oncques personne 1440 N'ama plus dame Qu'il l'aimera des or mais, par son ame! Et lors celle, en qui plus n'avoit la flamme De fole amour qui deçoit homme et femme, 1444 Prist a respondre Et dist «qu'on la devroit bien a sec tondre, Puis qu'elle estoit hors du meschief qui fondre Son cuer faisoit, pour prier ne semondre, 1448 S'a tel meschief Se mettoit plus; si ne l'aimeroit brief Puis que laissée il l'avoit de rechief, Ne s'i fieroit jamais par nesun chief 1452 Puis que deceue L'a une fois et mauvaistié perceue En lui; jamais n'en quiert avoir veüe, Ne plus ne veult estre d'amer meüe 1456 Certainement. Si ne lui en tiengne plus parlement, Car n'aimera jamais jour nullement.» Et cil respont et lui dit doulcement 1460 «Qu'elle aroit tort, Car repentant on ne doit mettre a mort Et le pecheur que conscience mort Dieu a mercy le prent, s'il se remort 1464 Com repentant.» Et celle dit «qu'il s'en peut bien atant Souffrir, s'il veut, car moult peu arrestant Il y seroit, quoy qu'il voit promettant, 1468 Mais que nouvelle Dame veïst qui lui semblast plus belle; Si n'en veult plus ouïr male nouvelle.» Et cil a dit «que de son dit appelle 1472 En jugement, Car monstrer veult par raison clerement Qu'elle grant tort lui feroit s'ensement Le guerpissoit, puis qu'a repentement 1476 De son meffait, Et se plaindra aux amans du tort fait Qu'elle lui fait et juge veult de fait Pour en jugier; car oncques si parfait 1480 Homs ne nasqui Qui ne mesprist, fors Dieu qui tout vainqui, Ce disoit il, ne si vaillant en qui N'eust vice aucun; et d'estre relenqui 1484 En tel maniere Ne seroit pas chose bien droitturiere, Et pour ce veult que loial juge on quiere; Et s'il est dit en si faitte maniere 1488 Qu'elle nel doie Prendre a mercy, aler s'en veult sa voye.» Et celle dit «qu'au jugement s'autroie, Mais non obstant elle veult toutevoie 1492 Que, ains que l'en rende Le jugement, aux dames on demende Leur bon avis, et si se recommande En leur priant que chascune y entende 1496 Diligement, Et puis si soit donné le jugement.» Ainsi greé cest accort bonnement Ont ambedeux; atant leur parlement 1500 Ont afiné. Et puis après de cerchier n'ont finé Juge par qui il soit determiné De leur debat et leur procès finé. 1504 Si sont venu Par devers moy, combien qu'apartenu N'ait pas a moy, et si se sont tenu Sur mon avis. Adonc m'est souvenu 1508 De vous, chier Sire, Si leur ay dit qu'il vous vueillent eslire, Car mieulx sarez de leur debat voir dire. Et droit jugier que moy; car a bon mire 1512 Doit le naivré. Soy adrecier, s'estre veult delivré De son grief mal, dont par vous decevré Le droit du tort soit: si ont recovré 1516 Droit justicier En vous, Sire, s'il vous plaist radrecier Le grant debat dont j'ai oÿ tencier. Mais or est temps de mon oeuvre avancier 1520 Et affiner, Le demourant commet a parfiner A vo bon sens, car bien sarez finer De ce qu'il fault a bien l'euvre affiner 1524 Et la parfaire. Si est saison que je m'en doie taire, Mais au dernier ver vueil dire et retraire Quel est mon nom, qui le voldra hors traire 1528 Comme il deffine. Et en la fin, de pensée enterine, Qui vous ottroit joye parfaitte et fine Pri Jhesu Crist, qui ne fault ne ne fine.

EXPLICIT LE DIT DES TROIS JUGEMENS

Rubrique: A2 ajoute qui s'adrece au Seneschal de Haynault—B1 Ci c. le dit d.

2 B g. en l.

3 B c. en f.

6 A2 c. duis et appris

9 B supprime a j.

10 B s. ou f.

21 B omet Pour

27 B et le d.

29 B m. en. m.

36 B N'y s.

46 A1 mate et

59 B1 l. nulle riens o.—B2 b. secours o.

75 A2 c. a q.

106 A2 d. v. r. o.

107 A2 m. dueil

111 A2 Si q. je ne

125 B l. s. entende

126 B q. j'en soye a l'a.

127 A1 q. guedon

131 A2 ne ja ne

161 A2 Mais p.

182 A1 que ou

184 A2 B Car p.

185 B1 e. doubtance

187 A2 B N. orroit

199 B1 au l.

22l A2 p. ij m.

238 B ne r.

255 B pour m. p.

273 B q. en m. l'a. de v. c.

273 A1 cessé

279 A2 ajoute vous ne v.

286 A1 p. f. et a.

330 B1 t. ou plus e.

365 B a. lors c.

366 A2 omet Qu'un

375 A1 chosir

393 B c. par n.

394 A1 folor—A1 Que on li faist

399 B1 omet amours

401 B omet de lui

406 B si mal d.

407 B en recevoit m.

409 A2 Que j.

433 B v. c. l.—A1 s. et a.

447 A1 c. esbaïst

454 A1 Donc

457 A2 Et ne

461 B l'a. un j.

466 A2 et de h.

493 A2 m. mal g.—A2 B ce me s.

494 B1 omet que

501 A1 que un

502 A2 Ce qu'il p.

515 A2 Tout ne

547 A1 serement

553 B et ses s.

569 B cuidiez—A1 a. velles

572 A1 c. vous p.

573 B omet toudis

577 A2 je y t.

583 A2 q. tant a

589 A2 Et a t. m. en d. s.—B en d.

595 A2 Et q.

602 A2 B p. autre c.

605 A2 A. avoye p. par m.—A1 par m. serment

610 B1 M'avez

611 A2 De v.

615 A2 d. tant m.

630 A1 supprime ja

639 A omet En

641 A Vouldroit

649 A2 et servant

655 A1 r. n'i v.

663 B e. ont mise leur r.

675 A2 B a. car c. me r.

677 B qu'en v.

697 B ot en li

699 A1 faussetté

703 A2 Ere v. et

706 Les mss. portent souveraine

717 B m. grans m.

731 A1 n'a r.

737 A2 porta

745 A2 Et t. h. ot a c. livré

759 A1 errent

761 B ot amer p.

770 B qu'elle ne pot c.

791 B omet a

792 A2 les d.

795 A1 et le p.

809 B Q. a. lors j.

811 A2 Et la t.

818 B p. son d.

829 A2 J. nul jour p. s.

841 B Ne le doulz t.

849 A1 encourre d.

863 A2 m. p. acquestoit

873 B De v.

879 A2 B d. s'en va

885 A2 B et s. l. ami et s.

891 B Les d.

893 A m. et e.

933 B de tous maulz f.

936 B Qu'a v.

950 A2 omet si

957 A2 v. porter en

961 B1 t. ces b.

965 B par q.

980 A2 Et v.

985 B Ne vers A.

990 A c. car p.

991 A1 a nous g.

1010 A1 B2 Avec D.

1019 B a. ne p. c.

1027 B S. amis p. q. vif en c.

1028 B Et en d.

1034 A1 oroit

1039 B v. et s.—A1 je vueil

1041 A1 encore

1059 B s. me f.

1061 A1 Mais g.

1070 B1 m. de d.

1073 et 1074 intervertis dans A2

1085 B1 je ne s.

1097 B De m.

1098 A1 borbetant—B fureut g.

1109 B1 ne t.

1117 A1 houblia

1135 A2 V. q. le v. si l. s.

1137 A2 p. en s.

1165 A2 ajoute Et a.

1197 B omet en

1205 B omet veoir

1213 A qui l.

1217 A2 a. fait une autre n.

1217 et 1219 intervertis dans A2

1253 B1 omet en

1269 A2 supprime Et

1307 A2 l. voit on

1309 A et t.

1321 A2 et remist en debout

1323 A1 que b.—B q. cuidoit

1333 A et tant g.

1337 B1 a amant

1338 B il se c.

1343 A1 q. oncques au—B Qu'en la l. et q.

1348 B De son a.

1373 A2 B en grief d.

1380 A2 B Que a.

1383 A1 que e.

1387 A2 c. ou d.—B2 l. ames

1393 B p. son a.

1403 B n'en d.

1409 A2 c. hault et

1446 A1 omet du m.

1454 A2 n'en j. q.

1470 A2 o. nulle n.—B vueil p.

1473 A2 C. p. r. v. m. c.

1486 A2 q.j.l.

1499 B adonc 1.

1506 A2 p. ami et

1509 A2 ait

1518 A1 d. je le oy—A2 d. les oÿ

1529 A1 entrine

1530 A1 joy p.

1531 On trouve dans ce vers l'anagramme de Cristine

Rubrique A1 Explicit seulement

NOTES

LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS (p. 111 à 157.)

33 à 681.—Cf. tome I, Autres Ballades, XIII, p. 221.

591.—Cf. tome I, Cent Ballades, LVI, p. 57.

LE LIVRE

DU DIT DE POISSY

(Avril 1400).

CY COMENCE LE LIVRE DU DIT DE POISSY

Bon chevalier, vaillant, plein de savoir, Puis qu'il vous plaist a de mes diz avoir Et le m'avez par escript fait savoir 4 De vostre humblece, Non obstant ce que ma povre foiblece Ne soit digne que vostre gentillece S'encline ad ce, j'en tendré la promesse 8 Que je promis Au messagier que vous m'avez tramis De loings de cy, et comme a vrais amis Me recommant a vous de cuer soubsmis. 12 A vo comant Si vous envoy faire ce jugement Dont deux amans contendent durement; Si m'ont prié et requis chierement 16 Que je leur quiere Juge loyal et que bien en enquiere Pour droit jugier leur descort en maniere Qu'il leur en doint sentence droituriere 20 Selon raison. Et non obstant qu'en France ait grant foison De bons et biaux, qui en toute saison Saroient droit jugier, pour achoison 24 Du bien de vous Vous ay choisy a juge desur tous, Tout non obstant soiez vous loings de nous, Si en vueilliez, s'il vous plaist, Sire doulz, 28 Le droit jugier. Et, s'il vous plaist a du fait vous chargier, Je vous diray le cas pour abrigier; Comme il avint vous orrez sans targier 32 Et en quel temps, La ou ce fu vous sera dit par temps, Car il n'a pas ne mille ne cent ans, Non pas un mois, ains fu en l'esbatans 36 Gracieux moys D'Avril le gay, ou reverdissent bois, Ce present an Mil quatre Cens ainçois La fin du mois. Il avint une fois 40 Que j'os vouloir D'aler jouer, si voulz aler veoir Une fille que j'ay, a dire voir, Belle et gente, joenne et de bon savoir, 44 Et gracieuse Au dit de tous; si est religieuse En abbaïe riche et precieuse, Noble, royal et moult delicieuse, 48 Et est assise Loings de Paris six lieues celle eglise, Qui moult faite est de gracieuse guise; Poissi a nom la ville ou elle est mise 52 Et celle terre. Si apprestay a un lundi mon erre, Compagnie plaisant envoyay querre Qui tout plaisir me vouldroient pourquerre 56 Sans deslaier, Si y avoit maint jolys escuier Qui de leur bien me vindrent convoier Pour esbatre, non pour autre loier. 60 Lors a grant joye Nous partismes de Paris, nostre voye Chevauchames, et moult joyeuse estoie; Si furent ceulx qu'avecques moy menoie 64 Et toutes celles, Ou il avoit de gentilz damoiselles, Doulces, plaisans, gracieuses et belles. Lors liement devisions des nouvelles 68 Et des estours Qui moult souvent aviennent en amours; En chevauchant gayement de mains tours Nous parlames, n'y ot muez ne sours 72 Ne nul taisant, Ainçois chascun y aloit devisant Ce que le mieulx lui estoit advisant; La n'avoit dit ne sonné mot cuisant 76 Mais tous joyeux. Si y chantoit qui savoit chanter mieulx, Si hault, si bien, que souvent tous li lieux Retentissoit, et ainsi qui mieulx mieulz 80 S'esjouïssoit Chascun en soy; et moult resjouïssoit Le temps nouvel qui adonc commençoit, Et le soleil clerement reluisoit 84 Sur l'erbe vert. Tout le chemin y fu plein et couvert De floretes, chascune a l'ueil ouvert Vers le soleil qui luisoit descouvert. 88 Mais en l'anée Il n'avoit fait si doulce matinée Et toute fu la terre enluminée De rosée que le ciel ot donnée, 92 Qui resplendir Fist l'erbe vert pour les cuers esbaudir, La n'avoit riens pour la terre enlaidir, Tout estoit bel pour amans enhardir 96 A bien amer. Parmi ces prez Nature ot fait semer Marguarites et flours qu'on sieult nommer Fleurs de printemps; partout veist on germer 100 Maintes diverses Herbes et flours qui a la terre aherses Encor furent, verdes, rouges et perses, Jaunes, indes, qui malles ne diverses 104 Ne furent mie. La ot la flour de ne m'oubliez mie, Souviengne vous de moy, qui n'est blesmie Mais vermeille, dont amant et amie 108 Font chappellez Et qu'il mettent souvent en anellez Pour devises et autres jouellez Qu'ilz se donnent jolis et nouvellez 112 Par druerie. Ainsi adonc fu la terre flourie, Mais il n'est nul qui deist la chanterie Des oysillons qui de voix trés serie 116 Nottes nouvelles Chantoient hault, et ces aloues belles En l'air sery disoient les nouvelles Du doulz printemps, chantant de voix ysneles 120 Et a haulx sons; Sur les arbres et parmi ces buissons Ces oissillons disoient leurs chançons; La peüst en oïr maintes lecçons 124 De rossignolz Qui disoient leurs virelais mignos, Et pastoures qui gardoient aignaulx Leurs chappellez faisoient a lignaulx 128 Parmi ces champs Tous purs de flours, en escoutant les chans Des oisillons et par buissons crochans. Près de Seine venimes approchans 132 A lie chiere. Si fist plus bel encor sur la riviere, Car oisillons de plus lie maniere Par ces ysles a haulte voix plainiere 136 Se deduisoient Si liement que tous esjouïssoient Les cuers de nous, et trop fort nous plaisoient Arbres et prez qui partout verdissoient, 140 Et ces saussoies Reverdissans et ces jolies voies Souef flairans; ces buissons et ces haies Ou rossignolz disoyent chançons gaies, 144 Et le doulz bruire De l'eaue qui en courant faisoit bruire Ces gors, ces pieux, pour noz cuers plus deduire, Si qu'il n'est dueil qui la ne deüst fuire 148 N'estre remis. Adonc d'errer nous sommes entremis Pour estre la a l'eure qu'os promis. Alors fichié s'est entre nous et mis 152 Un ventelez Doulz et plaisant, qui noz cours mantellez Nous soubslevoit souefs et freschelés, C'est zephirus qui boutons novellez 156 Fait espanir Et ces belles doulcetes fleurs venir Et aux amans donne maint souvenir De leurs amours; pour ce voult survenir 160 En celle place Que le soleil ne gastast nostre face, Ce fist Amours, ce croy je, de sa grace Qui l'envoya ainsi en tel espace. 164 Par le serain Chevauchames tant que tous main a main Arivames, encor ert assez main, Au bel chastel qui a nom Saint Germain 168 Qu'on dit en Laie. Adonc entrer nous convint en la gaie Doulce forest, mais ou monde n'a laye Gent ne lettrés, qui nel scet ou essaie, 172 Qui peüst croire Le doulz deduit du lieu, car j'ay memoire Que tout ainsi comme a marche ou a foire S'assemblent gent a tas, c'est chose voire; 176 Avoit atant De rossignolz en cellui lieu chantant, Qui ça et la aloient voletant, Qu'oncques je croy ensemble on n'en vid tant 180 Comme il eut cy, Qui disoient: «ocy, ocy, ocy Le faulz jaloux, se il passe par cy Sans le prendre n'a pitié n'a mercy 184 En no pourpris.» Et la forest espesse que moult pris Reverdissoit si qu'en hault furent pris L'un a l'autre les arbres qui repris 188 Sont, et planté Moult près a près li chaine a grant planté Hault, grant et bel, non mie en orphanté, Ce scevent ceulz qui le lieu ont hanté, 192 Si que soleil Ne peut ferir a terre a nul recueil. Et l'erbe vert, fresche et belle a mon vueil, Est par dessoubz, n'on ne peut veoir d'ueil 196 Plus belle place A mon avis, et qui peut face a face La ses amours veoir ou les embrace Je ne cuide mie que pou li place, 200 Car c'est deduit Trop avenant que d'estre en ce reduit Ou doulz printemps, ou oisillons sont duit De demener leur soulas et leur bruit 204 Ou temps d'esté. Si croy pour vray qu'Amours ot apresté A cellui jour toute gaye honnesté; Aussi croient ceulz qui orent esté 208 O moy le jour, Car d'esbatre ne cessames tousjour Rire et jouer, et chanter sans sejour, Ou deviser d'aucun parti d'amour. 212 Et la forest Nous passames et vimes sanz arrest Droit a Poissi, ou tost trouvames prest Quanqu'il convint et tout ce que bon est 216 A droit souffire. Quant descendus fumes, chascun s'atire Le mieulz qu'il peut de vesteure et se mire Si qu'en l'atour il n'y a que redire; 220 Et puis alames Ensemble en l'abbaïe vers les dames Au parlouer, et puis dedens entrames, Tout non obstant que portes a grans lames 224 Y ait moult fortes; Mais par congié on eut ouvert les portes. La trouvames dames de belles sortes, Car il n'y eut contrefaittes ne tortes 228 Mais moult honnestes De vestemens et des atours des testes, Simples, sages et a Dieu servir prestes. La nous firent noz amies grans festes 232 Et lie chiere. Adonc celle que j'aim moult et tiens chiere Vint devers moy, de trés humble maniere S'agenoilla, et je baisay sa chiere 236 Doulcete et tendre, Puis main a main alames, sanz attendre En l'Eglise pour servise a Dieu rendre; Si oÿmes la messe et congié prendre 240 Vosmes après, Mais les dames si nous prierent trés De boire un cop et ylec assés près Nous menerent en lieu bel, cler et frès 244 Pour desjuner, Car n'estoit pas encor temps de disner. Mais n'ommes pas loisir de sejourner La longuement ne gaires desrener, 248 Quant la soingneuse Et trés vaillant, noble religieuse, Ma redoubtée dame gracieuse, Marie de Bourbon, qui est prieuse 252 De celle place, Tante du roy de France, en qui s'amasse Toute bonté et qui tout vice efface, Si nous manda de sa benigne grace 256 Que allissions Devers elle, ne point ne laississions; Joyeux fumes de ce, ne voulsissions Que sans veoir elle nous yssissions 260 De ce pourpris. Si nous sommes deux a deux entrepris Et alames a la dame de pris: Par les degrez de pierre, que moult pris, 264 En hault montames Ou bel hostel royal, que nous trouvames Moult bien paré, et en sa chambre entrames De grant beaulté, si nous agenoillames 268 Lors devant elle, Et la trés humble dame nous appelle Plus près de soy et de mainte nouvelle Nous arainna doulcement, comme celle 272 En qui humblece A, et bonté et tout sens et noblece. Et tost après la trés noble princece, Fille du roy, qui venoit de la messe 276 Et est rendue En cellui lieu et voillée et vestue, A Dieu servir donnée et esleüe, A qui honneur est donnée et deüe, 280 Entre en la chambre, C'est ma dame Marie, joenne et tendre, Mais ne fu pas seule, bien m'en remembre, Ains mainte dame ot o soy, dont la mendre 284 Fu gentil femme, Noble, poissant, et avec celle dame Fu la noble fille de bonne fame Du conte de Harecourt, ait son ame 288 Dieu qui ne fine, Qui près estoit sa parente et cousine: Et adonc ma dame, sans plus termine, La prieuse se lieve et si s'encline, 292 Si fimes nous Trés humblement, si nous reçut trestous Si doulcement que ja ne fussions saoulx D'elle veoir, tant a le maintien doulz 296 Et humble chiere. Si nous plut moult a veoir la maniere Du bel estat royal qui leans yere, Toutes dames, car en nulle maniere 300 N'i entreroit Pour les servir nul homme, on n'i lairoit, Ne a elles aucun ne parleroit, S'il n'est parent, ou ceulz que il menroit 304 Avecques lui; N'on n'y lairoit jamais entrer nullui Fors par congié, a dongier, n'a par lui N'entre dedens seul, n'il n'y a cellui 308 Non en convent. Ne je ne sçay se il leur va grevant, Mais jamais jour pour pluye ne pour vent De la n'ystront et ne voient souvent 312 Les gens estranges. Et de belles plusiers y a comme angelz. Si ne vestent chemises, et sus langes Gisent de nuis; n'ont pas coultes a franges 316 Mais materas Qui sont couvers de biaulx tapis d'Arras Bien ordenés, mais ce n'est que baras, Car ilz sont durs et emplis de bourras, 320 Et la vestues Gisent de nuis celles dames rendues, Qui se lievent ou elles sont batues A matines; la leurs chambres tendues 324 En dourtouer Ont près a près, et en refectouer Disnent tout temps, ou a beau lavouer. Et en la court y a le parlouer 328 Ou a treillices De fer doubles a fenestres coulices, Et la en droit les dames des offices A ceulz de hors parlent pour les complices 332 Et neccessaires Qu'il leur convient et fault en leurs affaires. Si ont prevosts, seigneuries et maires, Villes, chastiaulx, rentes de plusieurs paires 336 Moult bien assises; Et riches sont, ne nulles n'y sont mises Fors par congié du roy qui leurs franchises Leur doit garder, et maintes autres guises 340 A la en droit, Dont me tairay, car qui conter voldroit Toutes choses longuement y mettroit. Si tourneray a parler or en droit 344 Coment prenimes De noz dames congié et nous enveimes; Mais ne l'omes mie quant le requismes, Tout non obstant notre devoir en feismes. 348 Ains voult, ainçois Que partissions, que bussions une fois Ma dame la prieuse, a basse voix Moult nous pria par doulz maintien cortois 352 De desjuner, Car en ce lieu nullui n'ose disner. Si nous convint son vueil enteriner, Et par pluseurs dames nous fist mener 356 En une chambre Belle, plaisant, la ou ot fait estendre Nappes flairans blanches et tapis tendre; Vins, viandes aportent sans attendre 360 A grant largece En vaissiaulz d'or et d'argent par noblece; Et les dames pleines de gentillece, Ou voulsissions ou non, de leur humblece 364 S'entremettoient De nous servir et les mez aportoient Delicieux et goute n'en goustoient, Dont nous pesoit fort, et moult se penoient 368 D'umble maniere De nous servir, Dieux leur rende la chiere Qu'ilz nous firent liement sanz enchiere. Et après ce devers ma dame chiere 372 Nous retournames Prendre congié et la remerciames, Puis les degrez du palais avalames, Vers le convent de rechief nous alames 376 Pour congié prendre Des dames de leans, car point mesprendre Ne voulsissions; lors nous pristrent a prendre Parmi les mains et nous vouldrent aprendre 380 Le trés bel estre De cellui lieu qui fu fait de bon maistre, Car ce semble droit paradis terrestre. Si nous firent devaler en leur cloistre 384 Qui tant est bel Que plus plaisant depuis le temps Abel. Ne fut veüs, car maint jolis chambel Y a ouvré, et sus maint fort corbel 388 Sont soustenues Les grans voultes, haultes devers les nues, Et par dessoubz pavées de menues Pierres, faittes a ouvrages, et nues 392 Luisans et belles, Et tout autour a haultes colombelles Bien ouvrées a fueillage et tourelles D'entailleure de pierre; ainsi sont elles 396 En tous les lieux Du cloistre grant, large et espacieux, Qui est quarré, et, a fin qu'il soit mieulx, A un prael ou milieu gracieux, 400 Vert, sans grapin, Ou a planté en mi un trés hault pin, Ne fut veü plus bel depuis Pepin, Si est fueillu et plus droit que sapin; 404 Bien y avient. Après ou reffectouer on revient Qui tant est bel que pas ne me souvient Qu'oncques si bel lieu veisse, et si contient 408 Moult grant espace; Hault, grant et cler est et luisans com glace, Les voirrieres y sont de belle face Et de menus karriaulx par la terrace 412 Est tout pavé Et si trés net qu'il semble estre lavé, Et près de la le chapitre est trouvé Qui est moult bel et gentement ouvré. 416 A brief parler Par tant de lieux biaux on nous fist aler Que du veoir ne nous poions saouler Ne nulle part n'y a que regaler, 420 Tant sont plaisans Et en esté delictable et raisans. Mais de conter ne doi estre taisans Comment partout, pour estre plus aisans, 424 Vient la fontaine Clere, fresche, doulce, plaisant et saine, Qui en ce lieu sourt de dois et de vaine Et par tuyaulx vait par leans, n'a peine 428 A il reduit Nesun leans, grant ne petit, je cuit, Ou ne voise fontaine par conduit. Es cuisines es grans pierres y bruit 432 Toudis et chiet A grans gorgons ne nul temps n'y dechiet; Ainsi partout leans ou il eschiet Est assise, dont moult bien en enchiet 436 A mains affaires Qui sont ou lieu, qui de repos n'ont gaires; Tonnes a vin, celiers de plusieurs paires, Fours, despenses et aultres neccessaires 440 Tous a compas Y sont assis, car en ce lieu n'a pas Petit convent mais plus grant qu'au Hault Pas, Ainsi partout nous trassames maint pas 444 Et par grans cours Larges, longues plus d'un cheval le cours, Ou grans chantiers de busche furent sours, Bien pavées et belles a tous tours. 448 Mais encor voulrent Plus nous monstrer les dames qui moult sçorent; Car leur dortouer ordenné comme il l'orent Et leurs beaulz lis, que sur cordes fait orent, 452 Ilz nous monstrerent; Mais en ce lieu de noz hommes n'entrerent Nul quel qu'il fust, car hommes ne monterent Oncques mais la, par droit s'en deporterent 456 A celle fois. Si est moult bel, grant, large, cler et cois. Bien ordenné et fait en tous endrois, Si qu'il pert bien qu'il fu fondé de roys 460 Et de grant gent Qui espargné n'y ont or ne argent. Après tout ce, li degré bel et gent Descendimes, trouvasmes nostre gent 464 Et de rechief Volmes aler ou moustier, ou maint chief A de maint saint, si volmes en tout chief Considerer le lieu, mais ja a chief 468 Je ne venroie De deviser la beaulté qu'y veoie, Car tant est bel, hault, cler, se Dieux me voye, Que sa beaulté retraire ne saroie 472 Entierement, Et semble estre fait tout nouvellement, Tant est fin, blanc, et le maçonement Et ens et hors fait si joliement 476 Qu'on ne pourroit D'or ne d'argent ouvrer en nul endroit Mieulx qu'ovrées sont pierres la en droit. A brief parler, a souhaidier fauldroit 480 Qui vouldroit mieulx; Et si est grant et large, se m'aist Dieux, Et hault voulté a piliers gracieux, Qui soustiennent l'edifice, et li lieux 484 Moult bien ouvrez. Et le moustier est en deux decevrez A fin qu'omme d'elles ne soit navrez; N'y entreroit nesun pour dire: «ouvrez», 488 Ne d'aventure, Car ou milieu il a une closture Qui le moustier separe sans roupture; Ceulz qui dient la messe et l'escripture 492 De l'euvangile Si sont de hors et les gens de la ville, Et en la nef sont les dames sanz guile Qui respondent de haulte voix abile 496 A ceulz de hors Et de leurs voix femmenines accors Font gracieux; et vegiles de mors, Nonne, vespres, matines et recors 500 Chantent leans. Mais il n'est nul, tant fust il clerveans, Qui racontast, et tout seroit neans, Comment toutes choses y sont seans, 504 Ne je n'en mens, Car il y a tant beaulx aournemens, Riches, nouveaulz, et nobles paremens Sur les autelz et tous estoremens, 508 Et ces doreures Sur chapitiaulx et pomiaulx a pointures D'or et d'azur, tant belles pourtraitures, Biaulx ymages et propres pourtraitures 512 Selon la guise Que il convient a paremens d'eglise, Qu'il n'est chose qui n'y soit a droit mise, Dont les dames et le lieu chacun prise 516 En tous affaires, Car devotes, sages et debonnaires Simples, doulces sont, et portent deux paires De vesteures, carfros et scapulaires, 520 Et leur gonnelle Qui est dessoubz blanche est com noif nouvelle, Large, floutant, ceinte soubz la mamelle, Mantel de noir ont dessus, n'y a celle 524 Qui aultre aroy Ait a vestir, neis la fille du roy, Et de ventres de conins sanz desroy Sont ces manteaulz fourez de bon conroy, 528 Mais bien ont robes De bons fins draps, ce ne sont mie lobes, Tout ne soient ne mignotes ne gobes, Blanches, nettes, sanz ordures ne bobes, 532 Et cuevrechiefs Blans comme noif, desliez sur leurs chiefs, Et un voille noir dessus atachiez. Sans cointise, simplement sanz pechiez 536 Sont atournées, Et en tous cas si bien sont ordenées Que je les tiens pour de bonne heure nées D'estre ensement a servir Dieu données; 540 S'il leur souffist: Oïl, je croy, car c'est leur grant proffit, Ne oncques mais nulle ne s'i meffist Et bien leur plaist servir Dieu qui les fist 544 En celle guise. Quant nous omes bien remiré l'eglise, Clere com jour et couverte de bise Pierre ardoise, bien taillée et assise 548 Comme il convient, Et tout le lieu qui grant place contient, Encor dient que veoir nous convient Leurs beaulx jardins, la ou maint bon fruit vient. 552 Si nous menerent En leurs jardins celles qui se penerent De nous faire plaisir et ne finerent Tant que leans fumes, ne s'en tanerent. 556 Mais pour voir dis Que ce semble estre un trés doulz paradis, Et y est on tout d'oisiaux essourdis, Car la, je croy, plus de soixante et dix 560 Y a de paires D'arbres portans fruit, et est cilz repaires Tout de haulz murs bien clos, ne il n'est gaires Choses estans en jardins neccessaires 564 Qui la ne soient. Et un beau clos, y a que moult prisoient Ceulz et celles qui en la place estoient, La y a dains a cornes qui couroient 568 Moult vistement; Lievres, connins y sont habondamment, Et deux viviers la sourdans proprement, Bien façonnez de tout estourement, 572 Pleins de poisson; Chevriaulx y a sauvages a foison, Qu'en diroie? Ja en nulle saison Ne fussions las d'estre en celle maison, 576 Se Dieux me gart, Tant y fait bel. Mais ja estoit moult tart Temps de disner au convent, ou sa part Celle perdroit qui y vendroit a tart 580 Et durement Reprise fust; et adonc haultement Ont le timbre sonné: le partement Convint faire lors bien hastivement 584 A grant reclaim, Et ma fille, qui toudis par la main M'aloit tenant, de cuer de desir plein Moult me prioit a jusque a l'endemain 588 De sejourner Et retourner leans après disner Nous voulsissions. Adonc falu finer Nostre parler et nostre erre ordener, 592 Et la portiere Bonne, sage et de doulce maniere, Et celles, qui tant nous firent grant chiere, Merciames; adonc la claceliere 596 A dessarrées Les grans portes, fortes et bien barrées, Hors yssimes, puis les ont ressarrées. Mais de celles qui la sont demourées 600 Et de la place N'y a cellui qui grant conte ne face; Tout en parlant vismes en pou d'espace Ou lieu qu'on dit Bourbon, ou gent s'amasse 603 Pour bien lougier. La trouvames tout prest nostre mengier, Si assismes au disner sans targier, Mais n'avions pas besoing de nous chargier 608 De grant viande, Mais on feroit bien une grant legende Du long parler de la chiere trés grande Qu'on nous ot fait et du lieu ou lavande 612 Croist et rosiers A grant foison sans façon de closiers, C'est es jardins ou a maint cerisiers, Et du beau lieu qui n'est pas clos d'osiers 616 Mais de cloison Fort et belle pour oster l'achoison Des maulx qu'on fait au monde a grant foison. Ainsi fu la ditte mainte raison, 620 Et puis lavames Après disner noz mains et nous levames, Et tout en piez une piece parlames, Puis reposer un petit nous alames, 624 Tant qu'il fust temps De retourner ou lieu si delittens; Car quant a moy me sembloit bien cent ans Que g'y fusse, mais gaires arrestans 628 Ne fusmes mie Après disner, je croy, heure et demie Quant celle, qui est maistresse et amie De ma fille, nous manda; endormie 632 Ne fus lors pas Et de dormir oz ja fait mon repas. Si esveillay les autres, et le pas Nous alames en devisant tout bas 636 Jusques au lices De la grant court de hors, ou edifices A grans et biaulx pour les gens des offices Qui sont au lieu neccessaire et propices. 640 De la nous vismes Au parlouer, longuement nous y tismes; Car d'entrer ens a peine nous chevimes Et requerir de grace le feïsmes 644 A la trés sage Ma dame la prieuse au franc corage. Car d'entrer ens deux fois n'est pas usage N'a estrangiers ne a ceulz du lignage 648 Non en un jour, Mais bien estre y voulsissions toutjour, Car aux hommes trop plaisoit la doulçour De ces dames qui de moult simple atour 652 Furent voillées; Si ne furent ne noires ne hallées, Mais comme lis blanches et potellées. Si sont de nous les nouvelles alées 656 Devers ma dame Qui l'entrer ens souffri; ce fu par m'ame A grant peine, car pour tant s'elle est femme De tel honneur, si craint elle le blasme 660 Des ancïenes. Quant ens fumes, les dames trés humaines Nous menerent ou jardin vers fontaines; La nous sismes et de choses mondaines 664 Pou devisames, N'y parlames d'amours ne ne dançames, Ains enquismes tout et leur demandames De leur ordre les poins, et n'y pensames 668 Decepcion, La n'ot parlé fors de devocion, De Dieu servir en bonne entencion, Et d'oroisons et de la Passion 672 Et de telz choses. Car les belles, plus freschetes que roses, Qui moult joennes furent ou lieu encloses, N'oyent parler fors de si faittes proses 676 En nul endroit, Et grant pechié feroit qui leur touldroit Leur bon propos. Et quant fu temps et droit De nos partir, lors nous levames droit 680 Pour congié prendre, Car demourer la trop on puet mesprendre; Mais nous convint le vin ainçois attendre: Si mengiames et bumes, et reprendre 684 De leurs joyaulx Il nous covint, non fermillez n'aniaulx Mais boursetes ouvrées a oysiaulx D'or et soies, ceintures et laz biaulx, 688 Moult bien ouvrez, Qui autre part ne sont telz recouvrez. Si leur deismes: « Dames, or nous ouvrez, Temps est d'aler, a peines decevrez 692 De vous serons, Mais guerdonner jamais ne vous pourrons Ne mercier assés, et ou serons Vos bons servans estre tousdis voulrons, 696 Et commander Vous nous pouez et au besoing mander Com les vostres, s'il vous plaist demander. » Ainsi parlant venimes sans tarder 700 Tout a loisir Vers la porte. Lors failli mon plaisir Si que des yeulx convint larmes yssir Quant je laissay celle ou est mon desir, 704 Qui m'est prochaine; En la baisant li dis « a Dieu » a peine, En l'enortant qu'a Dieu servir se peine, Et de toutes congié pris mate et vaine, 708 Et par pitié; Mais ceulz, qui la furent, de m'amistié Me blasmerent, dont j'oz cuer dehaistié Et a parler pristrent d'aultre dittié 712 Pour m'oublier Et moy tollir a malencolier, Dont je les doz de leur bien mercier. Ainsi parlant alions sanz detrier 716 A voix serie, Tant qu'au logis a nostre hostelerie Fumes venus, ou une galerie A et dessoubz une place fleurie, 720 Moult belle et gente, Et un jardin joly ou a mainte hente. Lors d'entrer ens nous mismes a la sente. Quant y fumes, adoncques sans attente 724 A chiere lie Une belle damoiselle jolie Jeune, gente, fresche, gaye et polie, Qui fu o nous, dist sans melancolie: 728 « Cy que ferons? Si vous m'en creez, trestous nous dancerons Et la carole yci commencerons. » Lors distrent tous: « Ne vous en desdirons. » 732 Si commença La dance adonc et chascun se pensa De sa chançon dire; si s'avança Celle qui au premier les empressa 736 Et sa chançon Dist haultement et de gracieux son Ou il avoit en la prime leçon: «Trés doulz amis, de bien amer penson.» 740 Et puis après Un escuier qui d'elle fu emprès, Qui moult courtois est et bel et doulz trés, Et voulentiers de chanter est engrés, 744 Voix enrouée Il n'avoit pas mais doulce et esprouvée, Si a dit lors, ne sçay s'il l'ot trouvée: « Gente de corps et de beaulté louée. » 748 Et de renc puis Chascun chanta tant qu'il fu près de nuys, Car le dancier ne tournoit a anuys A nul qu'y fust. Si fu le souper cuis, 752 Ce nous dist on, Adonc de la dance nous departon, Ou il avoit maint joli valeton, Mainte belle pucelle a doulz menton, 756 Mignote et gente, N'estions pas seulz mais bien, que je ne mente, Y avoit la, ce croy je, plus de trente Tous joenne gent et de joyeuse entente, 760 Que de nous gens Que d'autre gent, trestous mignoz et gens, Qui de servir deduit sont diligens Et bien semblent estre d'amours sergens 764 Moult amiables. Congié pristrent, adonc seismes aux tables Qui ou jardin soub treilles delictables Furent mises, adonc les mez notables 768 Nous aporterent Noz maignées, mais ne se deporterent Mie atant, ainçois nous presenterent Celles que Dieu et noblece enorterent 772 A tous biensfais, Car ma dame la prieuse un beau mais Nous envoya et de son bon vin, mais De meilleur vin ne buvra homs jamais 776 De Saint Porçain, En poz dorez, largement et a plain. Pour ce le fist qu'o nous avoit tout plain Des gens du roy, vaillans et de sens plein, 780 Trés noble gent. Si rendismes les biaulx vaissiaulz d'argent, Humble mercy en nous moult obligent A ma dame et mercy a son sergent 784 Qui l'aporta; Mais le convent pas ne se deporta, Car de par les dames nous enorta Un messagier salu et raporta 788 Bonnes goieres Bien sucrées, bien faittes et legieres, Pomes, poires de diverses manieres. Lors de leurs biens et de leurs bonnes chieres 792 Les merciames. Et après ce d'aultre chose parlames Et en propos de pluseurs cas entrames Et d'un et d'el la en droit devisames, 796 Tant qu'il avint Que a parler de chevaliers on vint: De ce royaume et d'autres plus de vint Furent nommez et de pluseurs souvint, 800 En celle place, Qui ont bonté, sens et valoir et grace. Qui plus a fais de beaulz fais et qui passe Autres en pris fu dit en cel espace, 804 Et qui se porte Si vaillamment que renom on lui porte En toutes pars, tant est de gentil sorte; Et ou prouece et valour n'est pas morte, 808 Fu raconté, Et ceulz qui plus ont les armes henté Et les hentent et qui plus surmonté Ont en beaulz faiz et ceulz qui voulenté 812 Ont et desir De faire bien, et qui ont leur plaisir De voyagier ne ne prenent loisir De nul repos et ne vueillent choisir 816 Aultre deport, Liquel sont bel et liquel joenne et fort, Et qui le mieulx se revenche de tort. Ainsi de ceulz lors devisames fort 820 A long sermons; Et adonc vous, Sire, que je semons Du jugement jugier, entre les bons Fustes nommé, pour tant s'oultre les mons 824 Estes adès, Car voiagier plus que Cleomadès, Vray fin amant comme Palamedès, Fustes nommé, et bien leur sovint des 828 Beaulz vacellages Que avez fais pluseurs fois en voiages Et corps a corps rabatus les oultrages De mains autres et porté les grans charges 832 En mainte guerre, Et la fu dit qu'il ne convenoit querre Nul chevalier meilleur en nulle terre, Ce savoit on en France et Angleterre 836 Et oultremer, Et en maints lieux allieurs, ainsi nommer Vous oÿ bon et pour voir affermer Que plus loyal oncques es fais d'amer 840 Ne fu de vous, Bel, gracieulx, franc, amiable et doulz, Ce disoient pluseurs qui avec nous Furent venus et noble gent trestous 844 Qui cognoissoient Vous et voz fais et du bien en disoient Si largement que voulentiere louoient Ceulz et celles qui en la place estoient, 848 Et de ditter Meisme en françois et gayement chanter Vous louoient, et voulentiers henter Dames d'onneur pour plus en vous planter 852 Toute noblece. Lors quant j'oÿ parler de vo sagece, Comme autrefois aye de vo prouece Ouÿ parler, je fis veu et promesse 856 Que je feroye Aucun beau dit et si l'envoyeroie A vous, Sire, quant messagier aroie, Car voulentiers vostre acointe seroie 860 En tout honnour, Car a tous bons on doit avoir amour. Adonc ot un qui lors dist sans demour Que ou païs, ou vous estes, un tour 864 Et sans targier Devoit aler, et se de ce chargier Le vouloie, voulentiers messagier Il en seroit. Et adonc du mengier 868 Somes levé, Dites graces après qu'omes lavé; Tout en parlant, par dessus le pavé Somes alez jouer tant que trouvé 872 Avons les champs, Ou grant deduit prenions d'oïr les chans Des rossignolz quant fumes approchans Des ysletes sur Seine, ou acrochans 876 Engins avoit Rez et filez pour prendre la en droit Le gros poisson se celle part venoit, Et moult joly païs entour soy voit 880 Qui la demeure, Car prez et bois, saulsoies qu'on labeure On peut veoir et vignes par desseure. La chantames et jouames une heure 884 Tant qu'il fut nuyt. Si laissames atant nostre deduit, Car il fu temps de soy traire au reduit. Lors devisans, sans riens qui nous anuyt, 888 Nous en tornames A nostre hostel ou a joye couchames. Et au matin la messe oïr alames, Primes congié des dames, puis montames 892 Sur haquenées Grosses, belles, gentement ordennées, Qui ains partir furent bien desjunées; Si fusmes nous pour ce que matinées 896 Furent longuetes. Lors au chemin par ou croissent herbetes Nous sommes mis et de flours nouveletes Eusmes chapiaulx, et parlant d'amoretes 900 Chevauchions fort Par la forest, pleine de grant deport, Ou oisillons font maint divers accort, Qui aux amans fist plus poignant record 904 De leurs amours. Lors s'avança en chevauchant tousjours La plus belle de toutes, et le cours Bien d'un cheval fu loins, et par destours 908 Aloit pensive; Mais les autres chantoient a l'estrive. Et quant je vi celle si ententive A fort penser, doubtay que maladive 912 Fust ou doulente, Car palie trop estoit et moult lente A soulacier, peu y avoit s'entente; Pour ce eus paour que d'aucun mal en sente 916 Fust ou troublée Pour quelque cas. Lors un de l'assemblée Qui bien voulsist avoir amour emblée, Ce croy je bien, et aucune affublée 920 D'amour entiere Vais appeller, ne en la place n'yere Nul escuier de plus gente maniere, Ne plus gentil ne de meilleure chiere, 924 Mais souspirant Aloit souvent, bien croy qu'en desirant Avoit maint mal. Lors dis en lui tirant: «Beau sire, veez com celle retirant 928 S'en va lontaine De nous; certes, je me doubt qu'elle ait peine De quelque anui ou qu'elle ne soit saine, Vers elle alons, qu'elle ne soit trop vaine 932 Ou a mal aise; Car ne cuid pas que sans cause se taise.» Et cil respont et dit: «Par saint Nicaise! Aler y fault, car elle n'est pas aise 936 Ce croy je bien.» Lors son cheval brocha et je le mien, Et en pou d'eure aconsumes le sien. Si lui dis lors: «Quel chiere? Avez vous rien 940 Qui bon ne soit Que si pensez?» Et celle demussoit Son visage, et pour ce le baissoit Que trop grief plour durement la pressoit, 944 Ne vouloit mie Qu'aperceussions que larme ne demie De l'ueil gitast ne qu'elle fust blemie. Et quant celle qui moult estoit m'amie 948 Je vi pleurer Trop m'en pesa, et lors, sans demourer, M'en tyray près, car moult volz labourer Ad ce savoir qui si fort acourer 952 Fist la doulente; Si lui priay de toute mon entente Que l'achoison me deïst sans attente Qui la troubloit et pour quoy se demente 956 Si durement. Adonc celle prist plus parfondement A souspirer et plourer tendrement. Quant l'escuyer perceut le plourement, 960 Tant en ot dueil Que les larmes lui en vindrent a l'ueil Et, com cellui ou tout bien ot recueil, Très doulcement lui dist et de bon vueil: 964 « Ma damoiselle Doulce, plaisant, trés gracieuse et belle, Ne nous cellez desplaisir ou nouvelle Que vous avez, car je vous jur, par celle 968 Vierge Marie Qui Dieu porta, qu'en vous sera tarie La grief douleur dont je vous voy marrie, Se c'est chose qui puist estre garie 972 Par mon labour. Si vous requier et pry par grant amour, Ne nous celez vostre trés grant doulour, Car bien savez qu'en tous cas vostre honneur 976 Vouldrions garder. Si nous dites vostre cas sanz tarder Et puis vous plaise a dire et commander; Se nullement il se puet amender 980 Je le feray, Sachiez de vray et secret vous tenray. » Et je li dis: « Amie de cuer vray, Ne nous celez vostre anuy ou seray 984 Trop courrouciée, Car ne croiez qu'il me plaise ne siée Dont si vous voy estre mal apaisiée, Si vous suppli que soiez acoisiée 988 Et nous contez Pour quoy adès si grant dolour sentez. » Et lors cellui de rechief presentez S'est a elle, si lui dist: « N'en doubtez, 992 Doulce, courtoise, Que l'amender vouldray comment qu'il voise. » Et lors celle respont a basse noise: « Vostre mercy, mais riens n'est qui racoise 996 Mon grief anuy Qui n'est mie commencié ne yer n'uy, Mais laissiez moy plourer: a nul ne nuy, Ne vous doit point chaloir de fait d'autrui; 1000 Laissiez m'ester, Car ne pourriez ma grief pesance oster, Ce poise moy dont m'oiez guermenter, Mais le grief plour ne puis ore arrester 1004 Qui si me point, Dont me desplait, car il vient mal a point, Mais de pieça, sachiez, suis en ce point, Non obstant ce que je n'en vueille point 1008 Faire semblant Devant les gens, combien c'aille tremblant Souventes fois du mal qui si troublant Va mon las cuer, mais je me vais emblant 1012 Souventes fois D'entre les gens, et lors mon grief duel fois.» Adonc respont cellui qui fu courtois: «Hé las! pour Dieu, gracieuse aux crins bloys, 1016 Ne nous cellez, Mais nous dittes vo mal, se vous voulez, Car pour voir croy que d'amours vous dolez, Mais il n'est nul qui soit plus affolez 1020 Las! que j'en suis, Quelque chiere que je face, et ne truis Nul bon repos et de joye suis vuis, Dont je me doubt qu'Amours a ouvert l'uis 1024 De ma grief mort; Ne point n'est tant grande, je m'en fais fort, Vostre doulour com le mal que je port, Car il n'est nul qui peust plus grief effort 1028 De dueil sentir Sans mort souffrir, car souvent consentir Me vueil a mort com d'amours vray martir Et d'entre gent m'esteut souvent partir 1032 Pour dueil mener. Si vueilliez donc vostre grief plour finer, A moy laissiez le grant dueil demener Qui plus en ay et dont me fault pener 1036 Toute ma vie.» Adonc celle qui n'ot de riens envie Fors de plourer dont n'estoit assouvie, Revint un pou a soy comme ravie 1040 Et dist: «Hé las! Comment puet cuer avoir moins de solas Que le doulent mien, douloureux et las! Et puis qu'il fault que descueuvre le laz 1044 Qui si me lie, Par quoy je suis en tel melancolie Que de dueil muir, ou soit sens ou folie, Et la cause pour quoy ne suis pas lie 1048 Je vous diray De mot a mot, ne ja n'en mentiray, Et la chose qu'oncques plus desiray, Et pour quoy plus de mal tire et tiray, 1052 Ja a long temps; Car a vo dit souffrez, si com j'entens, Plus mal que moy, mais ne suis consentens De croire que nul ait pis, et par temps 1056 Le voir sarez; Mais, avant tout, vo foy me baillerez Que tout le voir vous me regeïrez De vostre anuy et le mien celerés. » 1060 Adonc respont Cil qui maint mal dedens son cuer repont: « Tenez ma foy, car Cil qui fist le mont Me puist grever quant chose diray dont 1064 Soiez dolente, Et tout le mal qu'il convient que je sente Par trop amer vous diray sans attente, Mais qu'aiez dit le vostre et la tourmente 1068 Qui si vous tient. » Adonc celle qui trop d'anuy soustient Un grant souspir gita qui du cuer vient, Et puis a dit: « Or diray dont me vient 1072 La grant doulour Dont j'ay palie et tainte la coulour Ne qu'oublier ne puis de ma folour Et qui mon las dollent cuer noye en plour 1076 Souventes foys. Sire, il a bien sept ans et plusieurs moys Que je donnay m'amour au plus courtois Et au meilleur chevalier a mon chois 1080 Qu'on peust trouver En ce monde, car par soy esprouver A tous bons fais on le pouoit prover Pour le meilleur de tous; ainsi sauver 1084 Me vueille Dieux Com je ne cuid qu'il soit joene ne vieux Homs plus parfait adès dessoubz les cieulz; Car on ne peust esgarder de deux yeulz 1088 En nul endroit Nul plus trés bel, car long cors grant et droit Et si bien fait qu'a souhaidier faudroit Qui vouldroit mieulx, en riens ne l'amendroit, 1092 Et le coursage Il avoit bel a droit, aussi visage, Car cheveleure crespe ot et plumage Sus le brunet; mais sur tous l'avantage 1096 Ot de beaulté Son trés beau front karré en loyaulté, Car grant et large en especiauté Fu, avec ce portoit la royaulté 1100 De beaulx sourcilz; Longs enarchiez, bruns, grailles furent cilz Sur les doulz yeulz qui des maulz plus de six M'ont fait et font et livré mains soussis 1104 Et maint grief dueil, Car oncques homs ne porta plus doulz oeil Brunet, riant, persant, de doulz accueil, Qui ont occis mon cuer, mais son entreoeil 1108 Fu large et plain, Et son regart tant fu de doulçour plain Qu'il m'a donné le mal dont je me plain, Car quant sur moy l'espart venoit a plain. 1112 Je vous dy bien, Contenance n'avoie ne maintien, Car a mon cuer sembloit qu'il deist: «ça vien», Tant le tiroit a soy comme tout sien. 1116 Nés trés bien fait Longuet a point, traittis sanz nul meffait, Droit, et selon le vis si trés parfait Que le viaire en grant beauté reffait; 1120 Mais a merveilles Ses trés belles levres furent vermeilles, Grosses sans trop: n'ot pas jusqu'aux oreilles Bouche grande, mais petite et com fueilles 1124 De vert lorier Souef flairant ou rose de rosier; Li dent fin, blanc; petit, net et entier, Menton rondet; encor ot pou mestier 1128 De barbe faire, Car joenne estoit, et son trés doulz viaire, Qui de beaulté fu le droit exemplaire, Sanguin et plein, riant pour a tous plaire 1132 Estoit sans faille; Et col bien fait, gros par la chevessaille, Mais espaules ot de trop belle taille, Larges, droittes, plaines, et ou qu'il aille 1136 Croy que son per Ne trouvera de braz a coups fraper Pleins de force, legiers pour agrapper Contre ces murs pour ces chastiaulz happer 1140 Et prendre a force, Si les ot longs, gros, bien fais; n'ot pas torce Sa belle main, de tout bien faire amorce, Droitte, longue et plus dure qu'escorce, 1144 Ferme et ossue; Mais la beaulté est en mon cuer conceue De son beau pis, quant m'en souvient j'en sue De grant doulour, car maintes fois receue 1148 Par amour fine G'y ay esté, car sa belle poittrine Large, longue, bien faitte en tout termine Passe toutes de beaulté, c'est la mine 1152 De toutes graces. Ventre ot petit, basset, et hanches basses, Gent par les flans, rains rondes, non pas casses, Grosses cuisses qui onc ne furent lasses 1156 De souffrir peines En fais d'armes, jambes longues et pleines, De nerfs seches, droites depuis les haines, Grosses assez, en bas grailes, sans veines, 1160 Bien façonnées. Mais ses beautez de nature ordonnées Trés parfaittes ne furent pas finées, Car en ses piez furent enterinées: 1164 Ne furent pas Grans ne petiz trop, mais faiz par compas Selon le corps, droiz, longs, pour faire pas Bien mesurez et pour saillir trespas 1168 A la barriere. Sa charneure ferme, dure et entiere, Souefve au tast et de bonne maniere, Clere, brune, plaisant et si belle yere 1172 Que plus ne peust. Ainsi fu bel, si qu'a peine le creust Nul se veü avant sa beaulté n'eust, Cil qui mon cuer avoit; droit fu qu'il l'eust, 1176 Car desservi Bien le m'avoit puis que premier le vi; Mais ne cuid pas c'onques plus assouvi Chevalier fust ou mond, je vous plevi, 1180 En toute grace; Car de proece avoit en toute place Sur tous renom du joenne age et espace Qu'il ot d'armer, et si estoit la masse 1184 De gentillece; De lignée astrait de grant noblece, Riche d'amis, d'avoir et de sagece, Et si estoit encor de tel joenesce 1188 Qu'a mon avis Vint et quatre ans n'ot encor assouvis L'eure et le jour que premier je le vis Et que mon cuer fu par ses yeulz ravis 1192 En son amour; Et son gent corps, de beauté fait a tour, Tant fut aisié qu'il n'estoit si fort tour, Fust en armes pour conquester honnour 1196 Ou a jouster, Lancier barres et dars, baston oster, Saillir, lutter, legieretez haster, Nul ne pouoit devant lui arrester. 1200 En toutes choses, A brief parler, toutes graces encloses Furent en lui, n'en diroie les closes Jamais nul jour ne en rimes n'en proses, 1204 Mais son arroy Jolis et gay fu cointe sans desroy Et de maintien vous semblast filz de roy, Tant fu plaisant et de gentil conroy, 1208 Et humble et doulz Fu entre gent et gracieux sur tous, Joyeux, riant, envoisiez, sans courroux, Et belle voix ot et haulte sans toux, 1212 Et entre dames Franc et courtois, et servoit toutes femmes A son pouoir, mais n'en oïst diffames Pour riens qui fust, et qui en deïst blasmes 1216 Ne le souffrist, Certes son corps ainçois a mort offrist! Et s'a feste venist ou il se prist A la dance, je vous jur Jhesu Crist 1220 Que le dancier Et le chanter ou a soy envoysier Tant li seoit, ou a jeux commencier, Qu'il n'estoit nul qui le voulsist laissier, 1224 Tant fu amé, N'oncques de riens, je croy, ne fu blasmé; En fais, en dis estoit trés affermé, Et ja s'estoit en tant de lieux armé 1228 Que renommée Estoit de lui ja en maint lieux semée, Tant vaillamment s'estoit en mainte armée Bien esprové; mais de lui si amée 1232 Fus par long temps Trés qu'il n'avoit encore pas vint ans, Qu'oncques encor homs ne fu plus constans En nulle amour, plus loyal n'arrestans 1236 Qu'il fu en celle, N'oncques ne fu dame ne damoiselle Mieulx servie d'amant, non tant fust belle, Qu'il me servi; ainçois que sa querelle 1240 Voulsisse entendre Et en griefs plours sa belle face tendre Souvent moilloit, priant qu'a mercy prendre Le voulsisse, tant qu'Amours me fist rendre 1244 Et recevoir Sa doulce amour, mais tant fist son devoir De moy servir qu'oncques, a dire voir, Plus loiaulté ne pot amant avoir 1248 Envers sa dame. Si m'amoit tant et moy lui, par mon ame, Que n'avions soing ne d'omme ne de femme Ne d'autre riens, fors d'amer sans diffame 1252 Trés loyaulment. Ainsi deux ans regnames doucement Sanz avoir grief ne nul encombrement, Si n'avions soing ne autre pensement 1256 Qu'a bien amer. Lasse! doulente! or fault dire l'amer Qui mon dolent triste cuer faist pasmer Et qui me fait tant de larmes semer 1260 Pleine de rage! Ce fu le mal et doloreux voiage De Honguerie, ou trop ot grant dommage, Qui me tolli le bel et bon et sage 1264 Que tant amoye. Il a cinq ans et plus que celle voye Fu emprise, dont mon cuer en plours noye, Et qui me met de desespoir en voye, 1268 Tant suis marrie. Ha! voyage mauvais de Honguerie, La ou peri tant de chevalerie! Et Turquie, puisses estre perie 1272 Long et travers! Qui fis aler Monseigneur de Nevers En ton païs desloyal et divers, A qui Fortune ala trop a revers 1276 A celle fois, Ou moururent tant de vaillans François Et d'autre gent bons, gentilz et courtois, Dont le dommage est et fu de grief pois 1280 Et trop grevable. La s'en ala cil qui tant agreable Mon cuer avoit, dont j'ay dueil importable, Et le Basac, l'ame en soit au deable, 1284 L'emprisonna; Ne le fist pas occire ains rançonna Lui et d'aultres, si comme raisonna Un sien parent qui de la retourna 1288 Bien d'aventure. Si n'est pas mort cil en qui j'ai ma cure, Mais encor est en griefve prison dure; Il n'a pas moult que le vid, si com jure, 1292 Un vaillant homme Qui dudit lieu vint pelerin a Rome Puis en France, si raporta la somme Qu'on lui demande et la guise et la forme 1296 De sa rançon. Ainsi le bel et bon en tel façon Des Sarrazins est tenu en prison, Dont mon las cuer sueffre tel cuisançon 1300 Qu'il derve d'yre, Et ce qui plus encor mon mal empire C'est qu'il m'est vis qu'il n'y a qui l'en tire; Car leur devoir en font mal, a voir dire 1304 Comme il me semble, Tous ses parens, dont mon cuer de dueil tremble, Car leurs terres deussent tous vendre ensemble Ains qu'ilz n'eussent cil qui angel ressemble 1308 De beaulté fine. Et plust a Dieu, qui ne fault ne ne fine, Que traire hors l'en peusse en brief termine Pour tout vendre ma chevance enterine 1312 Et mon vaillant, Et moy mesmes alasse traveillant Jusques ou lieu ou est le bon vaillant; Certes mon cuer ne lui seroit faillant 1316 Jour de mon age, N'y querroye tramettre autre message Pour viseter le bel et bon et sage, Et se la mort me prenoit ou voyage, 1320 De par Dieu fust; Durast mon corps tant comme durer peust; Et se Fortune vouloit et li pleust Que jusques la alasse, et il y fust, 1324 Et tant feïsse Qu'en la prison ou il est me meïsse, Ne cuidiez pas que la durté haïsse, Non pour mon corps, du lieu, et l'en treïsse, 1328 Ce m'est avis. Ainsi seroit mon desir assovis Qui du veoir est si trés alouvis Qu'il n'en craindroit peine, je vous plevis, 1332 Pour prendre mort. Et qui saroit le dueil et le remord Que j'ai souffert pour lui tant grief et fort, Merveille aroit comment je suis si fort 1336 De le souffrir! Car bien cuiday mon corps a mort offrir Quant la nouvelle j'ouÿ descouvrir Du grant meschief, ou il convint mourir 1340 Tant de vaillans, Car mon las cuer senti si deffaillans Que je ne sçay qu'il ne me fu faillans Ou que mon corps de griefs cotiaulz taillans 1344 N'alay occire, Ne le grief dueil tout ne saroye dire Qu'ay eu depuis, car ne saroye eslire Quel m'est meilleur ou le plorer ou rire; 1348 Trestout m'est un. Et pour tant se bonne chiere en commun Je fais, certes mon cuer n'a bien nesun, Et moult souvent plorer devant chascun 1352 Il me convient Quant grant desir trop fort sur moy survient, Car sans cesser de cellui me souvient Qui a mon cuer, qu'en prison on retient 1356 Si durement, Et quant plus suis en grant esbatement Lors me souvient plus de son grief tourment Qui ma joye rabat trop durement. 1360 Ainsi vous ay Dit mon meschief et puis quant commençay: C'est la cause pour quoy je vous laissay Et pour plourer devant je m'avançay. 1364 Doncques ne dittes Jamais nul jour que plus soient petites Que les vostres mes griefs doulours despites; Car ce ne sont fors que roses eslites 1368 Envers les moyes. Mais les vostres, s'il vous plaist toutevoies, Vous me direz et les tours et les voies Dont vous vienent tristes pensées coyes 1372 Et si griefve yre.» Lors a finé son parler sans plus dire; Mais oncques mais ne raconter ne lire N'oÿ parler d'aultre qui tel martire 1376 Alast menant, Car en plorant si s'aloit demenant Qu'il convenoit que cellui soustenant Alast son corps et a force tenant 1380 Ou du cheval Cheoite fust plus de cent fois aval. Si nous faisoit a tous deux si grant mal Que les larmes couroient contreval 1384 De nostre face, Et de bon cuer nous confortions la lasse, Mais tant souffroit de tristece grant mace Que de plorer ne pouoit estre lasse 1388 Et de dueil faire. Adonc le doulz escuier debonnaire Li dist: «Hé las! Pour Dieu vueiliez vous traire De ce grief plour qui tant vous est contraire! 1392 Vous vous tuez Et vo beau corps tout changiez et muez. Si n'est pas sens dont si vous arguez, Et un petit tristece loings ruez. 1396 Si m'escoutez Et vous orrez comment suis assotez Par trop amer, plus ne vous guermentez, Laissiez a moy le dueil, car, n'en doubtez, 1400 Trop plus en ay. Si vous diray le fait de mon esmay: Il a cinq ans ou avra en ce may Que m'embati en lieu que trop amay 1404 En ma male heure. Mais Fortune, qui sans cesser labeure Pour nuyre aux gens, me voult lors corir sure, Car je n'avoye ains, se Dieux me sequeure, 1408 Soing ne tristour; Jolis et gay estoye en mon atour Et joennement je vivoie a tout tour, Ne cognoissoie alors d'amour le tour 1412 Ne sa pointure Qui m'a depuis esté diverse et dure. Si m'embati par ma mesaventure Un jour en lieu ou Amours sa droitture 1416 Vouloit avoir Des joennes gens, dont la, a dire voir, Avoit assez qui moult bien leur devoir En lui servir mettoient et savoir 1420 Entierement; En un jardin fu plein d'esbatement Ou de mon mal vint le commencement, Car en ce lieu me prist trop doulcement 1424 Le grief malage Qui puis m'a fait et fait trop de domage, Car par regart m'enyvray du buvrage Qu'Amours livre, qui met au cuer la rage 1428 De dueil comblée. En ce jardin avoit une assemblée Belle, plaisant, ou joye estoit doublée, Mainte dame de beauté affublée 1432 Et mainte belle Et avenant jolie damoiselle. Il y avoit mainte doulce pucelle, Son chevalier par la main n'y ot celle 1436 Qui ne tenist Ou eseuier se près d'elle venist; La dançoient, mais il vous souvenist Que Dieux y fust qui si les soutenist 1440 En grant leesce. Car onc ne vi de joye tel largece Et en ce lieu ot mainte grant maistrece Et mainte autre parée de noblece 1444 Et maint jolis Gay chevalier, car de la fleur de lis Noble et royal, ou lieu plein de delis Avoit aucuns et d'aultres si polis 1448 Que ce sembloient Dieux, deesses, qui ou lieu s'assembloient, Dont l'un a l'autre les cuers s'entr'embloient Moult soubtilment et du mal s'affubloient 1452 Qui a grant joye Est commencié et puis en griefs plours noye. Ou lieu entray ou Fortune la voye Lors m'adreça qui a mort me convoye 1456 Sans departance. Quant je fus près pour veoir l'ordenance, Une dame, qui de ma cognoiscence Estoit, adonc me va prendre a la dance, 1460 Voulsisse ou non; Lors de pluseurs fus nommé par mon nom, Si disoient que de chanter renom, Bien voulentiers, avoye, dont de non 1464 Je ne deïsse. Si fu raison que je leur obeïsse, Ou bien ou mal que mon chant asseïsse; Villennie fust se ne le feïsse. 1468 Adonc chantay, Si com je sceus, un rondel que dittay. Quant j'oz chanté, gaires la n'arrestay Qu'une dame chanta, mais n'escoutay 1472 Jour de mon age Chant si bien dit de voix et de langage, Ne si plaisant a ouïr, l'avantage Celle en avoit sur toutes par usage 1476 Et de nature. Quant le doulz chant oÿs dit par mesure Mes yeulz hauçay, regarday par grant cure De celle qui chantoit la pourtraitture 1480 Et le viaire Qui tant fut bel, doulcet et debonnaire Que je ne sçay com nature pourtraire Pot si bien fait n'en tel beauté parfaire 1484 Ne mettre a chief. Car celle avoit comme fin or le chief, Blont, crespellet, et d'un seul cuevrechief Bien delié le couvert de rechief 1488 Mignotement. Mais a son front ne fault amendement; Car grant et plain, ouny, blanc, proprement Comme yvoire ouvré poliement, 1492 Ert façonné, Et sy sorcil par nature ordenné, Grailes, longuez, bassez et affiné De grant beaulté, brunez; n'ymaginé 1496 Plus bel entroeil Ne puet estre, large, ouny, et si oeil Vairs et rians; plaisans et sans orgueil Fu son regard et de trés doulz accueil. 1500 Beau nés traittis Ot, non trop grant, trop long ne trop petiz, Mais droit, bien fait, odorant et faitis, Selon le vis gracieux et gentilz; 1504 Et ses trés belles, Doulces, plaisans jouetes et macelles Ce sembloit lis avec rouses nouvelles Entremeslé, n'aultre beaulté a celles 1508 Ne s'appareille, Car grassetes de beaulté non pareille Furent et sont, et sa petite oreille Assise a point et de coulour vermeille; 1512 Souef flairant La bouchete ot, petite et riant, Grossete a point, et quant en soubriant Elle parloit, corn perle d'Oriant 1516 Ses dens menus On veoit blans et serrez plus que nulz, Ouniz, doulcès, en santé maintenuz, Bien arrengiez, en tous lieux beaulz tenuz, 1520 Et deux petites Fosses plaisans, de grant doulçour eslites, En souriant, es jouetes escriptes, Ot bien seans; mais les doulçours, descriptes, 1524 Du mentonnet Rondet, plaisant, gracieux, sadinet Et fosselu, vermeillet, mignonnet, Ne pourroient, tant est fin, doulcinet, 1528 Et a doulz vis Bien respondant, qui fu tout assouvis De grant beaulté, rondelet a devis, Le plus doulcet et plus bel qu'oncques vis 1532 Mieulx façonné; Et son beau col, par mesure ordenné, D'un colier d'or entour avironné, Fu riche et bel, que le roy ot donné, 1536 Sur sa gorgete Moult avenant, qui fu blanche et bien faitte Et de petiz filez semble estre traitte. Mais Nature, qui mainte oeuvre a parfaitte, 1540 Ne fist ouvrage Oncques plus bel, je croy, ne dis oultrage, Que sa plaine, polie, blanche et large Poitrine, fu sans os ne vaine umbrage, 1544 C'est chose voire, Blanche com lis, polie comme yvoire, Et le tetin tout ainsi qu'une poire Poignant, rondet ot ou sain; ne memoire, 1548 Bien dire l'ose, N'ay d'avoir veu oncques si doulce chose. Hé las! eureux est qui la se repose! Mais plus tendrete et plus fresche que rose, 1552 Je vous asseure, Ferme, clere fu sa belle charneure Et ses beaulx braz longs, grailes par mesure, Et plus belle main oncques creature 1556 Longuete et lée Ne pot avoir, n'est pas chose cellée, Blanche a longs dois, grassete et potellée, Bien faitte, ounie, droitte et bien dolée; 1560 Et corsellet Grailet, longuet, droit, appert, grasselet. Hanches basses, rains voultis, rondelet, Le ventre avoit fin doulcet et mollet, 1564 Si com je tiens; Car Nature qui en lui mist tous biens Ou demourant, je croy, n'oblia riens, Ainçois la fist, ainsi com je maintiens, 1568 Toute parfaitte En grant beaulté; si ot jambe greslette Et petit pié, de guise nouvelete Doulcetement chauciez; et ainsi faitte 1572 Par moult grant cure L'ot creée et formée Nature Belle, plaisant sur toute creature; Et avec ce en bonté fu si pure 1576 Qu'il n'y ot vice En son bon cuer qui fu vuit de malice, Et en tous cas elle fu si propice Qu'elle n'estoit de riens faire novice 1580 Qui a valable Dame d'onneur soit faire raisonable, Et de lignée astraitte moult notable. Mais en tous fais elle est tant agreable 1584 En doulz maintien Et en parler et en tout autre bien Qu'il n'est tresor qui s'acompare au sien. Rire, jouer, dancer, sur toute rien 1588 Bien lui avient Et ses plaisans doulçours mon cuer retient, Comment ou lieu la vis bien m'en souvient. Rire, parler, jouer comme apertient 1592 A noble dame Par si trés doulz maintien que, par mon ame, Tant li seoit qu'il n'y avoit nulle ame Qui ne deïst qu'oncques si doulce femme 1596 N'avoit veüe, De gaietté par a point esmeüe, Lie, jouant et de sens pourveüe. Si ot vestu adonc la trés esleue 1600 Un vert corset De fin samit, ou son beau corps doulcet Estoit estroit cousu a un lacet A son cousté rondelet et grasset, 1604 Qui gentement Lui avenoit. Ainsi songeusement La regarday ne ne pos nullement D'elle mes yeulx retraire aucunement, 1608 Tant me plaisoit. Mais Amours, qui tout ce faire faisoit, Aperceut bien que mon cuer y musoit Et pour ce l'arc, qui souvent entesoit, 1612 Traÿ de poche Et fleche prist poignant et mist en coche, Tire vers moy et roidement descoche, Parmi le cuer m'assena de la floche 1616 De doulz regart, Or fus navrés: ne feri pas en dart, Car en tel point fus mis, se Dieux me gart, Ains que partis fusse de celle part 1620 Qu'en moy n'avoit Sens ne avis, mais encor pou grevoit La navreure qu'Amours faitte m'avoit, Ne savoie la force qu'elle avoit, 1624 Ains agreable Me fu ce trait ne me sembla grevable Mais si trés doulz et si trés savorable Qu'il m'yere avis qu'il me seroit valable 1628 En tous endrois Et seroie par ce trop plus adrois Et plus jolis et plus gay, c'estoit drois. Et si fus je, car j'en devins plus drois 1632 Et trop plus cointe. Ainsi devins adonc d'amours acointe Et me plut bien au de premier la pointe Qui m'a depuis esté d'amertume ointe 1636 Diverse et dure. Ou lieu me tins jusqu'a la nuit obscure, Car de veoir celle en qui mis ma cure Ne fusse las jamais, je le vous jure, 1640 Mais par raison De departir il fu temps et saison, Si s'en ala chascun en sa maison; Mais ne cuidiez que dormisse foison 1644 Celle nuittée. Tant doulcement s'est adonc delittée Ma pensée qui toute a recitée La grant beaulté qui en celle habitée 1648 A, qui largece En a. Ainsi pensant a sa noblece Fus maintes nuis et mains jours en simplece Sans sentir mal ne chose qui me blece, 1652 Ainçois estoie Gay et jolis plus qu'oncques, et hantoye Souvent les lieux ou ma dame sentoye. Si jouoye et dançoie et chantoie 1656 Par grant revel Moult liement comme amoreux nouvel, Et du gay temps le trés doulx renouvel Lié me tenoit, et ainsi me fu bel 1660 Par un espace De temps, ainçois qu'eusse pensée lasse; Mais vraye amour, qui les amans enlasce, Souffrir ne voult plus que me deportasse 1664 D'ardent desir D'elle estre amé: cellui me vint saisir Parmi le cuer tellement que plaisir Ne pos avoir oncques puis ne choisir 1668 Autre soulas Qu'elle veoir, dont oncques ne fus las; Mais ce veoir plus estraignoit le las De mon desir, dont souvent dire: hé las! 1672 En regraittant Me convenoit, desirant s'amour tant Que n'estoie nulle part arrestant Qu'ou service de ma dame, et pour tant 1676 Je m'acointay De ses amis et souvent les hantay, Plaisir leur fis, les servi et pourtay Leur grant honneur et si me presentay 1680 Du tout a eux. Ainsi tant fis par promesses et veux Et par servir ses amis en tous lieux Que je poz bien sans blasme aler tous seulz 1684 En son hostel Quant me plaisoit, dont j'en oz plaisir tel Que ne voulsisse avoir autre chastel; Et moult souvent parloie et d'un et d'el 1688 Avecques elle. Et par tel sens long temps hantay la belle Que mesdisans n'en esmurent nouvelle, Car sagement me gouvernoye en celle 1692 Amour qu'avoye Et ay encor et aray ou que soie Tout mon vivant, quoy qu'avenir m'en doye. Ainsi souvent m'esbatoie et jouoye 1696 D'umble maniere Avecq celle, que tant aim et tiens chiere, A toute heure liement sanz enchiere, Et elle aussi me faisoit bonne chiere 1700 Et me mandoit Souventes fois et son vueil commandoit. Si faisoie, comme amans faire doit, Tout son command; assez bien m'en rendoit, 1704 Ce m'yere avis, Le guerredon: quant de son trés doulz vis Avoie un ris, tous estoie assouvis, Ou un plaisant regart; quant vis a vis 1708 A long loisir La pouoie veoir, aultre plaisir Ne sceüsse en ce monde choisir. Mais ne cuidiez que mon ardent desir 1712 J'osasse dire Ne raconter comment pour lui martire, Car trop doubtoye encheoir en son yre Mais bien pouoit cognoistre mon martire 1716 A mon semblant. Car moult souvent estoie tout tremblant Devant elle, tant m'aloient troublant Souspirs et plours et mon vis affublant 1720 Par grant destrece, Mais non pour tant ma trés dure tristece Ne geïssoie a ma doulce maistresse Qui me veoit souvent par grant asprece 1724 Muer coulour Devant elle; et ainsi ma dolour Je lui cellay, bien croy que ce ert foulour. Et quant tout seul demenoie mon plour 1728 Par grant aïr, Lors pensoie a lui tout regehir, Mais la paour qu'elle m'en peust haïr Et que mon plaint ne daignast point oïr 1732 Si me touloit Force et vigour du mal qui me douloit Devant elle dire; si s'en aloit Tout mon propos et de moy s'envouloit 1736 Tout hardement. En ce point fus et souffris longuement Sans requerir nul autre alegement; Si me sembla que trop petitement 1740 Desservi eusse D'elle estre amé et que digne ne fusse D'elle prier ne qu'a dame l'eleusse, Pour tant que pou valoie; et pour ce en Pruce 1744 Et oultremer Et en mains lieux aillours me voulz armer. Pour moy vanter ne le dis, car amer Faisoit tout ce, dont louer ne blasmer 1748 On ne m'en doit. Par son congié d'elle mon corps partoit, Mais le vray cuer point ne s'en departoit; Au retourner elle me recevoit 1752 A lie chiere. Ainsi l'amay de vraye amour entiere Sans lui oser dire en nulle maniere, Ne d'aultre riens soingneux en nul temps n'yere 1756 Que de servir Elle, qui tant me pouoit desservir Qu'il m'yere avis que mon cuer asservir N'y pouoie assez pour assouvir 1760 Son bon vouloir. Mais autrement m'avint, dont tant douloir Il m'en esteut que tout en nonchaloir Ma vie met souvent, mais pou valoir 1764 Me pot mon dueil; Car la belle doulce, en qui j'ay mon vueil, Ne sçay pour quoy se changia ne acueil Plus ne me fist ne de chiere ne d'ueil 1768 Ne de maintien, Et tout m'osta l'esperance du bien Que j'avoie, et si me monstra bien, Qu'elle n'amoit moy ne mes fais en rien, 1772 Ne sçay pour quoy, Mais tout a cop me planta la tout coy, Sans moy vouloir n'en appert n'en recoy Plus regarder ne veoir entour soy, 1776 Tant me fu fiere. Et quant je vi et perceu la maniere Et que tant me faisoit diverse chiere Se j'en oz dueil, nul nel demant n'enquiere, 1780 Car esbaïs Si me trouvay d'estre d'elle haïs Et sans savoir pour quoy, qu'onc fol naïs Plus erragiez ne fu, et s'envaïs 1784 Et dechaciez De tout le mont fusse en exil chaciez, Ne me fust pas tant de mal pourchaciez, Ce m'yere avis, com le mal qu'enchaciez 1788 Fu et fichié En mon las cuer a tort et a pechié, N'oncques depuis il n'en fu relachié, Dont j'ay souffert et ay trop de meschié. 1792 Mais qu'avint il Quant je me vi gitté en tel exil? Trop bien cuiday ouvrer comme soubtil De lui compter mon trés mortel peril 1796 Et la grief peine Que j'oz souffert pour lui mainte sepmaine. Si la trouvay un jour en une plaine, Vers elle alay a chiere triste et vaine, 1800 Et hardement Je pris en moy de dire ouvertement Ma grief languour, si dis couardement La grant amour et le grant marrement 1804 La ou j'estoye, Et en plourant en grant doulour contoie Tout mon estat et si me guermentoye Pour quoy d'elle si estrangié estoie 1808 Et pour quel cas Elle m'avoit ainsi flati a cas Et de mon bien si estrangié et cas, Ne qui m'avoit esté tel avocas 1812 Ne si contraire. Car ne cuiday oncques dire ne faire A mon pouoir riens qui lui deust desplaire Mais la servir en tous cas et complaire 1816 A mon pouoir, Ce pouoit bien de vray apercevoir. Ainsi lui dis de tout mon fait le voir. Mais quant lui os mon cas fait assavoir 1820 Or valu pis, Car response si pleine de despis Me fist et fus d'elle si racroupis Que bien cuiday mortellement ou pis 1824 Tout devant elle M'aler ferir, car la response d'elle Me poingny trop, n'oncques n'oÿ nouvelle Si desplaisant, certes, comme fu celle. 1828 A brief parler, Celle me dist plainement sans celer Ne lui plaisoit ne mon venir n'aler, Ne se pour lui morir ou affoler 1832 Or en devoie Ne m'aimeroit jamais par nulle voie, Si n'y pensasse, ains alasse ma voie, Car autre riens jamais d'elle n'aroie, 1836 Par son serment, Et que je l'en creüsse seurement. Si s'en parti mal de moy durement; Je demouray plus noirci qu'arrement 1840 De grant doulour Et comme mort, sans poulz et sans coulour, Un mien compaing me trouva sans chalour La enroiddi, qui de ma grant folour 1844 Trop me reprist. Si m'emporta et a force me prist, Et bien cuidoit que dure mort surprist Mon povre corps, qui fu, par Jhesu Crist, 1848 Si tormenté Que mainte fois me vint en volenté De moy tollir la vie ou la santé, Si que je fusse en trés dure orphanté 1852 Trestout mon age. Ainsi me fu celle dame sauvage, Mais ne cuidiez qu'oncques puis son corage Vers moy changiast, mais toudis si ombrage 1856 Et si trés dure De pis en pis, et encor ainsi dure Que je ne sçay veoir comment j'endure Si grant meschief ne si cuisant ardure 1860 Ne tel contraire Come j'en ay et ne m'en puis retraire; Ne tant ne sçay pour elle de mal traire Que je m'en puisse eslongnier n'en sus traire 1864 Pour l'oublier. Ainçois la voy souvent pour plus lier Mon dolent cuer, ne par humilier, Las! je ne puis son cuer amolier, 1868 Ains est plus dur Encontre moy que de marbre un gros mur. Si sueffre mal et meschief pesme et sur, Ou je n'espoir fors la mort! je vous jur 1872 Dieu et les sains. Et pour ce di que vous avez trop mains De mal que moy et que vo cuer est sains Envers le mien qui de mal est ençains 1876 Et de pesance.» Ainsi cellui ot dit sa mesaisance Et comme il ert de mort en grant balance. Adonc respont celle sans arrestance 1880 Et dist: «Ay lasse! Que dites vous? Certes, sauve vo grace, J'ay plus de mal en un tout seul espace Que vous n'avez tant que tout un mois passe, 1884 Et c'est raison Ne il n'y a point de comparoison; Car quant je pense a la dure prison, Ou mon ami a ja mainte saison 1888 Esté en mue, Et qu'il est la comme une beste mue, N'ay si bon sens que tout ne se remue. Et comment donc pourroie estre desmue 1892 D'avoir la rage Douloureuse qui trop me fait d'oultrage? Mais vous avez sur moy grant avantage, Car vous veez la belle au cler visage, 1896 Souvent avient, Et si avez espoir qui vous soustient, Car s'a present vostre dame se tient Dure vers vous, certes mon cuer maintient 1900 Que desservir Pourrez encor s'amour par bien servir; Si vous pourra et donner et plevir Toute s'amour, ainsi pourrez chevir 1904 Tout a vo gré, Et puet estre qu'elle fait tout de gré Pour essaier vous; et, se tout en gré Prenez son vueil, encor en hault degré 1908 Vous pourra mettre. Si vous en di tout le voir a la lettre. Hé las! mais moy quel reconfort m'empetre Nul bon espoir fors ma vie desmettre 1912 Par desespoir!» Et cil respont: «Dites vous donc qu'espoir Ay qui me dit que bien aray apoir, Certes non ay, ains du tout me despoir 1916 D'avoir jamais L'amour d'elle, car ja long temps remais Suis en ce point, mais oncques n'en eux mais Que tout meschief et divers entremais 1920 Trop douloureux. Et si la voy, dont je suis eüreux, Ce dites vous, mais pou m'est savoureux Cellui veoir, las! dolent, meseureux; 1924 C'est vision Qui trop me vient a grant confusion, Car j'alume ma grant destruction Et le grief feu qui mon entencion 1928 Ne lait changier. Car, quant la voy si trés belle, estrangier Je ne m'en puis, mais vif doy enragier Quant ses semblans voy pour moy domagier 1932 Si trés contraire A mon vouloir, et si ay pluseurs paire De grant doulours, car trop me fait contraire Jalousie, dont ne me puis retraire. 1936 Car trop ay doubte Que ma dame d'elle tant me deboute Pour autre amer, a qui ne plaisoit goute Q'entour elle j'alasse, somme toute, 1940 Car n'a raison De moy haïr pour nulle autre achoison. Et donc, se bien entendés ma raison, J'ay plus de mal que vous, si nous taison, 1944 Atant souffise, Car bien savez qu'en vous est toute assise De vostre ami la vraye amour et mise, Et moy j'aime celle qui me desprise 1948 En grant contant; Dont vostre cuer ne pourroit avoir tant De grans anuys comme je vois sentant: Je ne dis pas que n'en aiez pour tant 1952 A grant planté, Mais vostre ami, a qui Dieux doint santé, Pourrez veoir brief, car son parenté Ne le lairoit mie en ce lieu planté 1956 Par long termine; Et si n'est dueil ne meschief qui ne fine, Car il a ja long temps que ce fu, si ne Peut estre que l'amour ne se decline, 1960 Car qui est d'oeil Moult esloingnié, pou lui dure son dueil; Et si pouez avenir a vo vueil Prochainement et tout en aultre fueil 1964 Soy atorner, Fortune qui a voulu bestourner Vo bien en mal, si se porra tourner Si que verrez vostre ami retourner 1968 Et tost mander. » Adonc le prist ycelle a regarder Et respondi: « Dieux le doint sans tarder! Mais s'il y meurt, Dieux l'en vueille garder! 1972 Comment ravoir Le pourray je? Il est bon assavoir Qu'a grant peine vif eschapera voir, Et c'est ce qui me fait plus recevoir 1976 De grief martire. Et je vous ay cy en droit ouÿ dire Que qui est loings d'oeil le cuer loings s'en tire, Hé las! aimi! Dieux scet que je desire 1980 Plus ou autant Mon doulz ami et l'aim tout autretant Com quant de moy estoit près arrestant, Ne jamais jour, tant que l'ame batant 1984 Me voit ou corps, Ne l'oblieray, et vous diray encors Ce qui me fait encor plus durs recors C'est que je sçay qu'il a de moy remors 1988 Et grant pitié, Car il scet bien que pour son amistié J'ay cuer dolent et triste et dehaitié. Et vous dittes que j'en ay la moitié 1992 Moins de doulour Pour ce que sçay que j'ay toute s'amour, Mais, sauve soit vo paix, ainçois mon plour En est plus grant et en ay plus favour 1996 A sa personne; Car plus trouvé ay sa doulce amour bonne Et tant plus l'aim. Mais celle qui fellonne Est si vers vous droitte achoison vous donne 2000 D'avoir moins dueil De son reffus, et par ce prouver vueil Que mille fois et plus que vous recueil De pesant mal et ay moins de recueil 2004 Et moins reffuge A bon espoir, et de ce requier juge, Sage et loial, qui de no debat juge. » Et cil respont: « Et de cel acort suis je. 2008 Or soit trouvé Juge loial, par qui il soit prouvé Et droit jugé, car par moy reprouvé Ne sera ja puis que l'avez rouvé. 2012 Or avison Qui il sera, et si soit gentilz hom Qui sache bien entendre no raison Et en jugier le droit selon raison, 2016 Et si soit sage En fais d'amours par sens et par usage. Si en mettrons sur lui toute la charge, Et nous tendrons de fait et d'arbitrage 2020 Au jugement Qu'il en donra, sanz nul descordement. » Ainsi greé l'ont tous deux bonnement, Et puis si m'ont prié moult chierement 2024 Que j'avisasse Qui seroit bon et que leur devisasse. Lors y pensay un bien petit d'espace, Si me souvint de la trés bonne grace 2028 Et bon renom De vous, chier Sire, ou il n'a se bien non, Si leur dis lors et vous nommay par nom Mais qu'il vous pleust ne leur dire de non, 2032 Qu'il m'yert avis Qu'ilz aroient en vous juge a devis Sage et loyal et de tout bon avis. Cé leur pleut moult et furent assouvis 2036 De leur vouloir, Car tant orent ouÿ, a dire voir, Dire de vous de bien et de savoir Q'aultre juge ja ne quierent avoir; 2040 Mieulx ne demandent Se il vous plaist, et si se recommandent A vous, Sire, a qui supplient et mandent Que vos pensers un petit y entendent, 2044 Non obstant qu'armes Vous occupent; et de leurs dures larmes Me prierent que le cas misse en termes Pour envoier a vous dedens briefs termes 2048 Pour droit jugier Lequel par droit doit avoir plus legier Mal a porter ou en doit plus chargier Et qui plus vit en peine et en dongier 2052 Des deux parties. Atant se sont noz paroles parties, Car de Paris approchions les parties, Et de noz gens, dont estions departies, 2056 Nous approchames Et liement ensemble chevauchames Tant que chieux moy a Paris arrivames. Ou a grant joye et a festes disnames. 2060 Et quant mengié Et solacié eusmes, prendre congié Vouldrent trestuit, mais bien m'ont enchargié Lui dui amant que tost fust abrigié 2064 De leur affaire; Dont tost après je commençay a faire Ce present dit, si com l'oiez retraire. Mais or est temps que je m'en doye taire 2068 Et en la fin Du derrenier vers de cuer loyal et fin Me nommeray, et Dieu pri au defin Que bonne vie et puis a la perfin 2072 Son paradis Il vous ottroit et a tous les gentilz Vrais fins amans loiaulz et non faintis Que vraye amour tient subgiez et creintis.

EXPLICIT LE DIT DE POISSY

Rubrique: A2 supprime l. du dit et ajoute qui s'adrece a un estrange

1 A1 Mon c.

i5 A1 priée et requier

22 A2 Des b.

41 A1 si vous

43 A2 supprime et g.

55 B p. si me voldrent p.

62 B1 Chevauchoye

63 A1 B2 qu'avec

77 A2 q. c. s. m.—B chantoit

88 A2 B Ne en

93 A2 p. tous c.—B1 c. resbaudir

110 A2 Par d.

121 B S. ces a.

129 B1 en estoient l.

154 B N. s. souvent et.

163 B l'envoyoit

174 B marchié ou f.

179 B on ne v.

181 A1 aussi a. a.

183 A2 supprime le 1er n'

201 B omet que

206 A1 honnesteté

219 A2 B ait q.

224 B Y ot

229 A2 Des v.

231 A1 f. nous a.

233 A1 et trés c.

242 A1 asés p.

262 B vers la d.

264 B1 Et h.

291 A2 B l'encline

292 A1 Si finees

302 A1 e. homme ne

307 B omet n'

313 B1 b. y a p.

325 B et ou r.

344 B preïsmes

345 A1 conjé

358 A2 N. b. f.

378 A2 v. e l. n. vindrent p.

386 B1 c. moult j.

401 A2 p ou mi—B t. bel p.

403 A2 qu'un s.

410 A2 voirriere

415 A1 b. ce puet estre prouvé

418 A1 et B2 omettent nous—A2 ne pouoit s.

435 B en eschiet

437 B1 r. n'a g.

452 B1 omet nous

461 A2 e. n'orent or ne a.

468 B1 ne verroye

475 B1 omet si

495 A1 hault v.

500 A1 chantant

502 A1 racontant

510 et 511 intervertis dans A2

514 B N'il

52l B1 omet le deuxième est

525 A2 A. de v.

527 A2 S. leurs m.

532 A1 De c.

536 B1 Vont

537 A1 s. si b. o.

540 B1 Si l.

544 B En telle

551 A1 b. vergiers

558 B Et la e.

559 B C. croy que bien p.

562 A2 de beaulz m.

570 A1 Et un v.

582 A2 s. departement

593 B ajoute et s.

601 A1 n'en f.

621 A1 d. et de table l.

631 A1 B2 f. est n.

632 B N'y f.

645 A2 au grant c.

647 A1 estrangier

649 A tousjour

663 B1 et des c.

665 A1 denssames—A2 Ne p.

694 B a. mais ou

702 A1 ques

703 A2 ou j'ay m.

707 A2 B p. c. m.

718 B1 v. en u.

719 A2 A par d.

721 B omet a

722 A1 d'entre eulx n.—B1 omet ens

726 A1 g. f. et p.

741 B1 Un e. delez elle fut près—B2 e. q. dellez e. fu e.

749 B1 presque n.

761 B omet trestous

763 A2 s. d'a. e. s.

765 A1 au t.

803 B en tel e.

813 A1 B2 l. desir

819 A1 de ce l.

851 B1 D. d'amour p.

855 veu et p. écrits après grattage dans A2—A2 B f. une p.

862 A2 l. q. d.—B q. d. l.

879 A1 voioit

887 B n. ait nuit

891 A2 P. d. d. c. et p.

902 A2 Dont o.

903 B a. font p.

907 B omet fu

913 B omet trop

916 B1 omet ou

919 B ou a. a.

928 B Se va

932 B ou en m.

938 A2 En p. d'e. aconsuivismes

939 B1 que c.

942 A1 vissage

943 B1 Car t.

949 B me p.

950 B1 Me t.

967 A2 v. ayés

984 A B courroucié

985 A1 B sié

998 et 999 intervertis dans B1

1001 B ma grant p.

1002 B1 m. vous m'o.

1006 B en tel p.

1017 A2 Car n.

1039 A2 B R. a s. un p. et com r.

1042 B m. d. d. et maz

1075 B l. c. d.

1081 B c. pour s.

1082 A2 En t.

1086 A2 H. de lui p. p. soubz l.

1092 A1 se c.

1094 A2 c. ot. c. et de p.—B omet ot

1100 A1 beau

1118 A t. bien fait

1122 A2 t. non pas.

1123 B omet et

1125 B com r. de

1126 A2 b. n. p.

1135 A2 L. p. d.

1145 B M. en m. c. e. la b. c.

1147 A2 d. qu'ay m.

1149 A1 ay est c.

1153 A1 ot pet b.

1163 A2 Ains en

1171 B C. b. et si trés p. y.

1174 B se a. v.

1178 B ajoute M. je

1183 B d'armes

1189 A et B2 omettent et

1197 A L. barre, lances, b.

1198 A2 l. hanter—B legierement hanter

1206 B f. d'un r.

1211 A2 B h. sur tous

1219 B1 omet jur

1233 A2 n'a. p. e.

1236 B1 omet fu

1249 B et je l.

1251 B supprime d' devant amer

1262 A2 B ou tant ot

1269 A1 B1 Hongrie

1273 A2 a. le Conte de N.

1285 A1 raçonna

1297 B bon et b. de t.

1309 B Hé! p.

1311 A2 Par t.

1319 B p. en v.

1321 A1 com d.

1324 A2 Certes t.

1337 A2 m. cuer a m.

1339 B Du grief m.—A2 c. perir

1341 A2 B c. je s. si dueillans

1372 B Et grief martire

1374 A m. r. n'oÿ l.

1375 A Moy p.

1377 A2 en parlant s'a. si d.

1390 A1 v. taire—A2 d. tous bas: P.

1393 B t. chargiez et

1419 A m. leur s.

1426 B r. je pris trop du b.

1430 A2 B et p.

1450 B Et l'u.

1463 A1 don

1470 A2 c. la g. n'a.

1491 B y. ouny p.

1492 Les mss. donnent Est

1501 A2 B Et n.

1504 B1 omet ses

1505 A1 Et trés p.

1523 B1 Et b.

1525 B R. doulcet, g.

1529 A1 respondent

1537 A1 M. avenoit

1546 B a. comme p.

1547 A2 s.; onc m.

1566 A1 demouroit

1569 A1 j. grassete

1573 A B creé

1580 A1 a sa v.

1586 B q. se compare

1590 A2 b. me s.

1591 A2 R. j. p. c.

1593 B t. bel m.

1597 A2 p. si meüe

1616 B Le d.

1634 A1 promier

1645 A omet s'e.

1647 A2 Sa g.

1649 A2 En va. A

1655 B Et j.

1661 A2 Le t.—A1 que e.

1667 A2 Ne p. o. p. a. ne

1670 B p. estrangoit

1675 A1 Qu'el

1678 A2 f. et s.

1681 A1 promesse et

1686 A1 Qu'en v. a. a. chetel—A2 Que n'en v.

1687 B supprime le deuxième et

1698 omis dans A1

1698 et 1699 intervertis dans A2

1705 A1 guerdon

1707 A2 En un p.

1710 A1 chosir

1713 A l. m'atire

1721 A1 B2 d. destrece

1729 B a elle t. r.

1733 B Le hardement du m.—A1 omet me

1742 B d. je l'eusse

1743 B supprime et

1745 A2 l. me v. pour elle a.

1782 A1 que o.—B q. n'onc f.

1802 A2 g. doulour, si d. couvertement

1822 A1 raccopis

1829 A2 Elle me

1830 B en m.

1846 B b. cuida

1858 A2 c. je dure

1862 A2 s. de m. p. e. t.

1863 B e. ne soustraire

1881 A1 s. vostre—B sauf vostre

1910 A2 q. confort

1912 à 1915 omis dans B1

1915 B1 desespoir

1918 A1 mains o.

1958 A1 omet ja

1975 B trop r.

1978 A1 d'o. que le c. s'en t.

1981 A2 t. autrement

1979 B s. se je

1987 A1 Ce qui je

2006 A1 supprime et l.

2013 B et qu'il s.

2023 A2 p. ilz m'o.

2034 A1 supprime et l.

2038 B Sire, de v.

2042 A2 q. prient et

2069 B2 Au d.

2075 On trouve dans creintis l'anagramme de Cristine

Rubrique B1: Cy fine le d. de P.

NOTES

LE LIVRE DU DIT DE POISSY (p. 159 à 222).

Des extraits assez importants de ce poème ont été donnés par Pougin dans la Bibl. de l'Ecole des Chartes, (4e série, III, p. 535 et suiv.) vers 1 à 14, 35 à 52, 212 à 731, 773 à 794. Paulin Paris a, de son côté, cité (Mss.fr. V, p. 171) les vers 34 à 46.

1 à 28.—Le chevalier auquel Christine dédie son livre de Poissy doit être sans aucun doute le célèbre sénéchal de Hainaut. Jean de Werchin était fils de Jacques de Werchin également sénéchal de Hainaut; d'abord simple écuyer à la tête d'une petite compagnie, (Revue passée à Corbeil le 1er sept. 1380. Titres scellés. Clair. III) il devint bientôt lui-même sénéchal et mérita d'être appelé par Froissart «moult vaillant homme et très renommé en armes». A l'époque où Christine composa le dit de Poissy, il était allé faire un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle où il défia tous les chevaliers de France et d'Espagne. Christine fait allusion, dans deux passages différents, à ce lointain voyage et aux glorieuses actions qui en résultèrent (vers 7 à 10 et 821 à 829).

46 à 52.—L'Abbaye royale des dominicaines de Poissy fut fondée en 1304 par Philippe le Bel et placée sous l'invocation du roi Louis IX qui venait d'être canonisé. Ce monastère était d'une construction remarquable et jouissait des plus grands privilèges. On en trouve une description suffisamment complète dans Noël, Histoire de Poissy, 1869.

248 à 264.—Marie de Bourbon, fille de Pierre Ier de Bourbon, était la septième prieure de l'Abbaye de Poissy. Elle se trouvait être la tante du roi Charles VI, par suite du mariage de sa soeur Jeanne de Bourbon qui avait épousé Charles V. Elle prit l'habit religieux en 1351 dès l'âge de quatre ans, mais ne fit naturellement profession qu'à dix-sept ans. Élue prieure de l'abbaye le 14 août 1380, elle gouverna avec sagesse et distinction. Le duc de Bourbon, son frère, lui avait reconnu par acte du 1er mars 1380 une pension viagère de 500 liv., et fit en même temps don à la communauté de la seigneurie de Carrière, de l'hôtel de Bourbon sis à Paris et de la terre de Villevrard près de Lagny-sur-Marne. Marie de Bourbon mourut le 10 janvier 1401 et fut inhumée dans le choeur de l'église abbatiale de Saint-Louis où on lui érigea une belle statue en marbre blanc et noir. Ce monument, qui a échappé à la destruction du monastère, est aujourd'hui conservé dans l'église de Saint-Denis (Noël, op. cit.).

274 à 282—Marie de France, fille de Charles VI et d'Isabeau de Bavière, née le 22 août 1392. A cinq ans elle prit le voile au prieuré de Poissy le jour de la Nativité de la Vierge, en 1397. Elle mourut le 28 août 1438 et laissa au couvent la terre de Pissefontaine ainsi qu'un fief situé à Triel (Bibl. Nat. Fr. 20,176, fol. 1185).

286 à 289.—Catherine d'Harcourt, fille de Jean, comte d'Harcourt. Elle était effectivement la cousine germaine de la princesse Marie, son père ayant épousé Catherine de Bourbon, soeur de Jeanne de Bourbon, reine de France. Entrée au couvent de Poissy en 1380, on lui reconnut 200 liv. de rente le 8 août 1396. Sa soeur Blanche, d'abord religieuse à Sainte-Marie de Soissons, était, depuis 1391, abbesse du célèbre monastère de Fonteyrault (Bibl. Nat., Pièces orig. 1479 et P. Anselme, V, 133).

317.—La ville d'Arras possédait dès le XIVe siècle des ateliers dont la réputation fut universelle (Voy. Guiffrey, Hist. de la Tapisserie, p. 59).

334 à 340.—Philippe le Bel, par sa charte de fondation (juillet 1304), assigna au couvent de Poissy des revenus considérables. Cette riche dotation se composait de la plus grande partie du produit des domaines royaux de Poissy, Béthisy, Verberie, Pierrefont, Vernon et Andilly, plus de droits de pâturages dans les forêts royales, excepté celles de Laye et de Coucy, etc. La communauté possédait en outre de nombreux droits et privilèges, tels que le droit de passage sous les arches du pont de Poissy (Arch. Nat. L 1084, liasse 1), le droit de chasse dans la garenne royale de Draveil où elle avait un hôtel (Arch. Nat. K 191, liasse 5), des rentes établies sur les halles et moulins de Rouen (Arch. Nat. Xia 1473 fol. 206 v°), et bien d'autres avantages. A tous ces revenus il fallait encore ajouter les rentes souvent fort importantes servies par les familles aux filles de grandes maisons et les donations ou legs faits par les religieuses elles-mêmes à leur communauté. Le nombre des soeurs fut d'abord fixé à cent vingt, il s'éleva plus tard à deux cents; elles devaient être issues de familles nobles et avoir obtenu pour leur admission une autorisation expresse du roi (Noël, op. cit.).

1273 à 1280.—Jean sans Peur, duc de Bourgogne et comte de Nevers, partit à l'âge de vingt-cinq ans au secours de Sigismond, roi de Hongrie dont la patrie était menacée de l'invasion des Turcs commandés par Bajazet. On sait que l'armée française éprouva une sanglante défaite à Nicopolis, le 28 septembre 1396, le comte de Nevers et quelques chevaliers échappèrent seuls au massacre qui suivit ce désastre. Moyennant une rançon considérable, Bajazet consentit à rendre la liberté au comte de Nevers et à quelques-uns de ses compagnons d'armes qui firent leur rentrée à Dijon le 28 février 1398.

LE DIT

DE LA PASTOURE

(Mai 1403).

CY COMMENCE LE LIVRE DE LA PASTOURE

      Moy de sagece pou duitte
      Ja par mainte fois deduitte
      Me suis de faire dittiez
      De plusieurs cas apointiez,
5 Combien que pou entremettre
      M'en sache, mais pour desmettre
      Aucunement la pesance
      Dont je suis en mesaisance,
      Qui jamais ne me fauldra
10 Jusques vie me fauldra;
      Car oublier impossible
      M'est le doulz et le paisible
      Dont la mort me separa,
      Ce dueil tousjours m'apparra.
15 Ay fait ce dittié en rimes,
      A mon pouoir leonimes,
      A requeste de personne
      Dont par le mond le nom sonne,
      Qui bien me puet commander
20 Et son bon vouloir mander.
      Si le fis et le rimay
      En ce desrain moys de may
      L'An Mil Quatre Cens et troys;
      Et m'est avis, qui veult drois
25 Y visier, qu'on puet entendre
      Qu'a aultre chose veult tendre
      Que le texte ne desclot,
      Car aucune fois on clot
      En parabole couverte
30 Matiere a tous non ouverte,
      Qui semble estre truffe ou fable,
      Ou sentence gist notable.
      Si diray le sentement
      En rimant presentement:

La Pastoure

35 Antendez mon aventure,
      Vrais amans, par aventure
      Oncques n'oïstes pareille,
      Si y tendez tous l'oreille,
      Voiez comment Amours traire
40 Scet soubtilment pour attraire
      Les cuers et faire subgiez
      De ceulz qu'il lie en ses giez.
      Pastoure suis qui me plains
      En mes amoureux complains,
45 Conter vueil ma maladie,
      Puis qu'il fault que je la die.
      Comme d'amours trop contrainte,
      Par force d'amer estraintte,
      Diray comment je fus prise
50 Estrangement par l'emprise
      Du dieu qui les cuers maistroie
      Et qui bien et mal ottroie.
      Si soit exemplaire aux dames
      Mon fait, qui jurent leur ames
55 Que jamais jour n'aimeront.
      Voiez comment Amours rompt
      Par son trés poisant effort
      Tout propos, soit foible ou fort.

Trés que joenne touse estoie, 60 Parmi bouscages hantoye Et par ces landes sauvages Pour repaistre enmi herbages Les berbietes mon pere, Et quoy qu'adès en appere, 65 Ainsi par maintes anées Furent par moy pormenées, Tant que je fus ja percreue, Sans estre nul jour recreue Du mestier, qui me plaisoit, 70 De bergerie, et faisoit Matin lever par grant cure. D'autre riens n'avoye cure Fors de repairier en champs Et en bois, ou les doulz chans 75 Des oysiaulx souvent ouoye, N'autres gens je n'avouoye Fors pastoures et pastours. Si savoye tous les tours Du mestier de bergerie: 80 Aigniaulx en la bergerie Soignier, mettre fein en creche, Semer en toit paille fresche, Et les mottons d'une part Trier, oindre et mettre a part, 85 Berbis traire, et faire a heure Aigneulx teter, et desseure Le fourrage es rastiaulx mestre; Ne nulle mieulx entremettre Ne se sceust de tout l'affaire 90 Qu'il convient au mestier; faire Anble de son et d'aveine Pour faire remplir la veine Aux berbis, qui aignelé Avoyent qui n'est coulé, 95 Savoye, et mes berbis tondre En may assise en belle onbre Au matin et a vesprée, Et aporter de la prée Herbe aux aignelez petiz, 100 Pour leur donner appetiz Quant ilz viennent en saison Qu'on les tient en la maison; Et bien raporter des champs Aucunes berbis meschans, 105 Vieilles et a dos pelé; Et, s'aucune eust aignelé La hors, l'aignel entre bras Porter dedens mon rebras, Et eulz garir de la rongne. 110 N'y avoit si grant besoingne Dont je ne fusse maistresse Et des bergieres l'adrece. De tout ce soigneuse estoye. A droitte heure me hastoye 115 De mener a remontée Mes berbis sus la montée D'un tertre ou herbe ot menue; Et quant soleil ert soubz nue, Au matin a la rousée 120 D'ou terre estoit arrosée, Ou temps d'esté, par herbis Couvers mener mes berbis Bien savoye, et assembler Mon parc, que le loup embler 125 Ne m'en peüst chief ne queue Et que nulle ne fust seue. La en l'ombre me seoie Soubz un chaine et essayoye A ouvrer de filz de laine, 130 En chantant a haulte alaine; Ceinturetes je faisoie, Ouvrées com ce fust soye, Ou je laçoye coyfettes Gracieusetement faittes, 135 Bien tyssues et entieres, Ou raisiaux ou panetieres Ou l'en met pain et fromage. La soubz le chaine ramage S'assembloient pastourelles, 140 Et non mie tout par elles, Ainçois veissiez soir et main Son ami parmi la main Venir chascune tenant, Plus de vint en un tenant, 145 Dont l'un flajolant venoit Et l'autre un tabour tenoit, L'autre musete ou chievrete; N'il n'y avoit si povrete Qui ne fust riche d'ami. 150 Et la vous veissiez enmi La place mener la tresche Joliement sus l'erbe fresche Parrot, Soyer et Harnou Et Regnault, qui ot maint nou 155 D'amours fait sus son chappel Et boquet sus le jupel Que Rambourt ot atachié Et mis le chappel ou chié, Comme a son ami trés chier. 160 Ainsi les veissiez treschier Et karoler et baler, L'un en dançant reculer Tenant la main au cousté, Et le pan devant osté 165 Et a la ceinture mis, Puis en dançant s'est remis A la queue emprès Gilon Et devant met Sebilon. Joliement y vait Belote 170 Qui bien joue a la pelote, E Mangon et Jehanneton Et Belon, au joly ton Des instrumens acordés. La veissiez bergiers hordez 175 De gans blans et d'aumosnieres Et de diverses manieres D'outilz telz qu'il apartienent A bergiers qui gays se tiennent: Trenche pain, cysiaulx, forsetes, 180 Boiste a ointure, esguilletes, Aloine, cernoir, cordele, Une grande tace belle, Fil, aguille, et deel avec Y a, bergier n'est sanz hec; 185 Mainte autre chose a dedens Bonne, et lanieres pendans, Et la grant clef de la porte De la bergerie on porte Qui a une bille pent 190 Et derriere vait frappent, Et tout pent a la ceinture, Ou le mastin a esture On tient lié a toute heure Qu'après les conins ne cueure, 195 La houlete bien taillée, Par amoretes baillée, Que bergier tient en sa main, Et la panetiere a pain, Ou aulx et fromage on met. 200 Biaulx oysiaulz, je vous promet, Ont ceulz qui sont les plus cointes, Tout n'ayent ilz nulles pointes Qui leur voise au pas grevant, Et la poittrine devant 205 Desnoulée, ou le blanchet Pert blanc de nouvel achet Ou la croix de la chemise Quant toute neufve elle est mise. La a cotes de buriaulx 210 Vous veissiés ces pastoreaulx Mener feste a desmesure, Pour attaindre a la mesure Fraper du pié en dançant, Gautier emprès Helissant 215 A cloche pié faire un sault, Si comme amours les assault, Huer, crier, rigoler Et ensemble entr'acoler; Est ce vie vie vie? 220 Qui jamais a d'autre envie? Puis, quant de dancier sont las, Les veissiez par grant solas Eulx seoir sus l'erbe drue, Chascun amant lés sa drue, 225 Sus la clere fontenelle, En chantant de voix isnelle, Ataindre pain et fromage Et tout mettre sus l'erbage, Et ces pastoureaulx gentilz 230 Vous trenchier ce pain faitis Par lesches grandes et lées, Après doulces acollées Les gitter en la fontaine Et par bonne amour certaine 235 D'ycellui mengier eulx paistre. En celle lande champestre, De flours couverte a tous tours, Sont ilz aise ces pastours Berbis gardans par sillons, 240 Et ces jolis oysillons Qui les cuers leur resjoïst! En celle place on oÿst Chanter Parrot et Margot: «Larigot va larigot, 245 Mari, tu ne m'aimes mie, Pour ce a Robin suis amie.» Ainsi amont et aval Tout y retentist li val Des haultes voix deliées 250 De ces pastorelles liées, Chantans a joyeuse chiere. Et Robin, qui a moult chiere Marion qu'il aime moult, Si quiert aval et amont 255 Pour trouver couldre qui ploye, Large et longe, et la s'employe Atout un large coutel, Assis sus son bleu mantel, Si fent la couldre par mi 260 Et dit que, par Saint Remi! Esclisse fera de couldre, Ensemble veult les bous couldre, Si ara de flours chapiau Moult bien suroré d'orpeau 265 Que s'amie a en sa bourse. Adonc n'y a si rebourse Qui chapel a lie face A son doulz ami ne face De muguet et flours d'amer 270 Ou de roses d'oultremer. Tendis vont o leurs musetes Cueillir cormes ou noisetes, Ou chastaignes en ce boys Abatre ou cerner des noix, 275 Selon qu'il est la saisons, Ou roysins en moustoisons, Li pastours, puis les aportent Aux belles qui se deportent En l'ombre et leur font chapeaulz. 380 Chascun dit: «Li miens est beaulz.» Si broustent la tel viande Ne nul d'eulx plus ne demande. Telz y a qui jus leurs fleustes Mettent et trayent aux butes, 285 Aultres la lute commencent, Et les autres si s'avancent A faire aucuns jeux de forces, Ou arrachent les escorces Des arbres vieulx et mossus; 290 Leurs chaperons lient sus De bien estroitte maniere Et cousent une lasniere Grande et large a celle escorce, Leur main ou creux de la torse 295 Boutent et bouclier en font, Espées de boys reffont; Lors commence l'escremie, Chascun dru devant s'amie Joue du bouclier et fiert 300 Ses compains comme il affiert. La veissiez vous de beaulx coups Lancier sur teste et sur coulz, Et cellui qui mal se targe De l'escorce dont fait targe, 305 En emporte mainte boce Souvent quant lui fault l'escorce; L'aultre le mort, et se couche, Fait, et tient close la bouche; La chascun se vient ploier 310 Et au lever essaier, Et cellui qui mieulx le lieve Le pris et l'onneur enlieve. En yver jouent aux billes Et au parquet et aux quilles 315 Et aux meriaulx et aux noix Et a autres esbanois. D'aultres jeux font ilz assez Biaulx et plaisans, ce pensez, Devant leurs belles amies 320 Qui ne sont pas endormies A jugier des mieux apris Et bien asseoir le pris. Et orriez ces valetons, Quant ilz sont es sommetons 325 Des montaignes, jargonner Et l'un l'autre ramposner En jargon, tout en chantant, Que nul fors qu'entr'eulx n'entent. Ainsi se vont deportant 330 Li pastorel, mais pour tant Ne laissent a prendre garde Des berbis qu'ilz ont en garde; Puis au vespre s'en retournent Et tous et toutes s'atournent 335 De trier leurs berbietes; Congié de leurs amietes Prenant li joli pastour, Et se mettent au retour. Ainsi longuement hantay 340 Celle vie ou je chantay Mainte jolie chançon, Et en l'ombre du buisson, O mes compaignetes belles Et leur ami avec elles, 345 M'ombroyay mainte journée. Joenne estoye et atournée Comme pastoure polie: Surcot vert, cote jolie J'avoye et graille ceinture, 350 Bourse, espinglier a esture Fait et cotelet faitis Et tous les gentilz outilz Qu'apertiennent a bergiere, Et sus pelice legiere, 355 Chainse crespé et delié, Blanc flairant et bien lié. Mignote estoie et grassete, Et riant a voix bassete, Et gente, ce disoit on. 360 Si fus de maint valeton Amée moult chierement, Mais si me tins fierement Que nul ne daignay amer; Maint bergier a cuer amer 365 Plourant vint m'amour requerre, Mais nul ne la pot acquerre. Non obstant que mes compagnes Veoye par ces champaignes O leurs doulz amis deduire, 370 Nul ne pouoit mon cuer duire Ad ce que l'amer empreisse Ne qu'aultre vie appreïsse Que celle qu'aprise avoie. Qu'estoit amer ne savoie 375 N'aprendre ne le vouloie, Ne de riens ne me doloie. Tout mon soing ert de berbis Garder parmi ces herbis Et ces flours par prez cueillir 380 En may, ne un seul jour faillir On ne veist, main ne ressie, Que chappellet de soussie Ne meisse ou de passeroses Ou de muguet ou de roses 385 Ou d'aultres flours plus nouvelles. Ces pastoureaulx leurs nouvelles Me venoient raconter Et pour mieulx mon cuer domter Nouvellès dons m'aportoyent: 390 Ceinturetes ou estoient Pendans bourses et couteaulx, Et aultres soubz leurs manteaulx, Chappellez vers, devisez Gentement, moult desguisez, 395 Me presentoient en don; Et vous y veissiez adon Varlez descendens d'un tertre, Qui maton, formage et tartre M'aportoient ou flamiche; 400 Pomes, poires, blanche miche Me venoient presenter, Et de leurs maulx guermenter Piteusement se penoient, Et près de moy se tenoient 405 Pour moy servir, s'eusse chier Leur servise, ou pour trenchier Devant moy pain et fromage. L'un me disoit: «C'est dommage, Marotele, se tu n'aimes 410 Je te pry qu'ami me claimes, Pastourele gente et belle, Ne soiez vers moy si felle.» L'autre disoit: «Doulce amie, Et ne m'aimeras tu mie 415 Quant je suis ton chier ami? Tu vois que, s'un seul demi Pain avoie, la moitié T'en donroye a cuer haitié. Aime moy, fillete doulce, 420 Je te donray une bourse Jolie d'or et de soye.» Ainsi alors ne pensoie Nulle riens qui me grevast, N'il ne fust riens qui levast 425 De moy parole d'acort D'amer, pour tout leur recort. A tous faisoie response Que pour neant tel semonse M'aloient amonnestant; 430 Si s'en souffrissent atant, Car amer par tel devise Ne vouldroie en nulle guise. En ce point longuement fus Faisant de m'amour reffus 435 Et dongier a toute gent; Tant fussent preux, bel ou gent, Pou m'estoit de leurs clamours. Orgueilleusete d'amours On m'appelloit pour le temps; 440 Mais je vous diray par temps Coment Amours s'en venga, Qui bien mon vouloir changa, Combien qu'il m'estoit avis Que tant eust homme cler vis, 445 Gent corps, beaulté ne valour, N'aimeroie, ains grant folour Me sembloit d'ainsi amer Pour en sentir doulz n'amer. Or diray je que m'avint, 450 Il n'a mie des ans vint, Ains croy que quatre ans passez N'a mie encore d'assez: Un jour en l'ombre seoie Soubz un chaine et asseoie 455 Un vert jolis chappellet Dessus mon chief crespellet, Sus une fontaine belle. Et comme d'amours rebelle Vouloye la seulete estre; 460 Ou lieu avoit moult bel estre, Bois fueillu tout environ Et l'erbe jusqu'au giron, Par placetes drue et basse; De flouretes a grant masse 465 Diverses ot et planté, Sus la fontaine planté Arbres beaulz de moult belle ombre Que soleil ne feist encombre. Mes berbietes gardant, 470 La seoie en regardant Les floretes que cueilloye, Qu'en la fontaine mouilloie, Et de haulte voix serie Chantoye si que l'orie 475 Du boys en retentissoit. Droit a celle heure passoit Par le grant chemin ferré, Qui ert lez le bois querré, Une grant tourbe de gens 480 Sus chevaulx mignoz et gens Qui entendirent le son Et le dit de ma chançon. Adonc se sont arrestez Et ou boys, y ot de telz, 485 Entrerent, suivant la voix Du chant queroient ou bois, Mais ne m'ont pas tost trouvée, Car le boys fueillu leur vée; Mais moy, qui fus seule en crainte, 490 Des chevaulx ouÿ la frainte Qui par le bois se hastoient Et ja près de moy estoient, Tout ne me veissent ilz mie. Adonc la char me fremie 495 De paour, si me tins coye Et du tout mon chant acoye. Au chief de piece tant firent Ceulz qui en riens ne meffirent Que dessus la fontenelle 500 Me trouverent; voix ysnele N'oz pas a les saluer, Ainçoys, sans moy remuer, Me tins assise et honteuse Et de baudour souffraiteuse. 505 Tremblant et rougie ou vis Je devins quant je les vis, Car je n'oz gens de tel pris A veoir souvent apris: Frains dorez, selles couvertes 510 Avoyent blanches et vertes Et de diverses couleurs Faittes aux devises leurs. Dessus gros chevaulx mignos Et sus genez espagnolx 515 Montez estoient li ber, Plus gentilz que nul ober, Riches robes et trainans, Vestues trés avenans, D'or et de soye brodées 520 Et a devises bandées, L'une d'or, l'autre d'argent, Escharpes qui bel et gent Leur estoient avenans, Dont les cliquetes sonnans 525 Tout le boys retentissoient Pour les sons qui en yssoient, Chappeaulx jolis de festus Sus leurs chaperons vestus Avoyent jusques a l'ueil 530 Pour l'arsure du soleil. Moult furent bien assesmez Les gentilz hommes amez, Beaulx et gens a droit souhaid, Gracieux et de bon hait. 535 Adonc assembla la route Ou mainte haye fu route Pour venir a l'assemblée Ou sans cause fus troublée. Lors, comme frans, sans orgueil, 540 Tous descendirent ou brueil. Or me tins je pour surprise, Bien cuiday morte estre ou prise. Vers moy adreçant leur pas Tous ensemble isnel le pas 545 Distrent a joyeuse chiere: «Dieux vous gard, doulce bergiere.» Et je honteuse et tremblant Me lieve a couart semblant; Si com je sceus leur rendi 550 Leur salu, plus n'atendi Mais loings fus plus d'une toyse. En celle route courtoise Ot un si fait chevalier Que, s'ilz fussent un millier, 555 Si passast il, com moy semble, Trestous les aultres ensemble De valeur, de sens, de pris Et de quanque bien apris Doit avoir en tous endrois. 560 Beauls et gens, jolis et drois Fu dessus les aultres tous, Et me semble que trestous L'appelloient Monseigneur, Dont vi qu'il ert le greigneur 565 Et le plus autorisié. La un chevalier prisié S'avance et me prist a dire: «Pastoure, paour n'ayez n'yre, Car vous n'arez se bien non 570 Par nous.» Lors nomma par nom Cil qui les autres passoit Et dist: «Par cy trespassoit Monseigneur que voiez cy Et sa compagnie aussi. 575 Si chantiez, ce m'est avis, Bel et bien a droit devis De haulte voix deliée, Pour ce vostre chiere liée Moult desira a veoir 580 Et decoustes vous seoir Pour vostre doulz chant ouïr. Si ne nous pouez fouïr: Chanter il vous convendra Dont ja mal ne vous vendra.» 585 Adonc vers cellui me meine Qui Dieu doint bonne sepmaine, Et je humblement m'encline Devant lui la chiere cline, Si le saluay tout bas, 590 Mais cellui fist un grant pas Et tost relever me vint, Un doulz ris qui lui avint Gitta moult joyeusement Et dist gracieusement: 595 «Et, par Saint Sauveur d'Esture Voycy joyeuse aventure!» Adonc sus l'erbe menue S'assist et par la main nue Me prist et decouste lui 600 M'assist, si n'y ot cellui Qui ne se soit tost assis. Adonc des foys plus de six Me pria que je chantasse Hault et cler, riens ne doubtasse, 605 Mais longuement m'excusay De chanter, car je n'osay. Cil dist: «Doulce, pastourele, N'escondissez la querelle Que vous fais, ainçois chantez 610 La chançon que plus hantez.» Quant vis la grant courtoisie De ceulz, aucques acoisie Fut la paour qu'eue avoye; Si m'asseuray toutevoye 615 Et dis a cil, qui rioit Doulcement et me prioit, Que par son commandement Chanteroye ysnelement, Mais en gré le voulsist prendre, 620 Car moult y ot a reprendre. Lors a chanter commençay La chançon que je pensay Qui la plus nouvelle estoit Et qui le mieulx me goustoit. 625 Si vous diray la chançon Dont ouÿrent du chant son:

Bergierette

        Il n'est si jolis mestier
        Com de mener en pasture
        Ces aigneaulx sus la verdure,
630 Jamais faire aultre ne quier.

        Qui verroit ces bergieretes
        Et ces jolis pastoureaulx
        Entr'amer par amouretes
        Et faire de flours chapeaulz,

635 Il diroit qu'il n'est sentier
        Ne voye qui soit si pure,
        Jamais d'aultre n'aroit cure,
        Si s'en vouldroit accointier.
        Il n'est si jolis mestier.

640 Ces pastours o leurs chevretes
        Au joli chant des oysiaulx
        Vous dient ces bergieretes
        Et ces beaulx motez nouveaulx,

        Et aiment de cuer entier,
645 Au son de leur turelure
        Dançant tant comme esté dure,
        D'autre joye n'ont mestier.
        Il n'est si joli mestier.

      Ainsi ma chançon finay
650 Et devant cil m'enclinay
      Qui de chanter m'ot requise.
      Mon chant loua de grant guise
      De son bien et de sa grace,
      Si m'en sceut et gré et grace
655 Et bien m'en remercia,
      Et dist: «Pastoure, cy a
      Maint gentil homme vaillant,
      Si ne soyez deffaillant
      D'encore une a leur requeste
660 Chanter, vous l'arez tost preste,
      S'il vous plaist, en petit d'oure,
      Or chantez, doulce pastoure.»
      Adonc pour leur vueil perfaire
      Plus prier ne me voulz faire,
665 Si chantay joliement
      Ceste chançon liement:

Bergierete

          Au joly bousquet
          Vont ces pastoureles
          Cueillir du muguet.

670 Chappellet de flours
          Font a leurs amis,
          Par fines amours
          Ou chief leur ont mis.

          La font maint hocquet
675 O leurs chalemeles
          Parrot et Huguet,
          Au joly bousquet.

Après ma chançon finée Joye et bonne destinée 680 Ilz m'ont trestuit aouré, Mais ja orent demouré Longuement, et la vesprée Fu ja bien près qu'avesprée Comme a soleil resconçant; 685 Mes berbis, qu' ou bois paissant Aloyent, fu temps de traire En leur toyt, et moy retraire. Si dis lors a voix rassise A cil lés qui fus assise: 690 «Monseigneur, trop tarde jé; S'il vous plaist, prendray congié Que je ne soye blasmée. Tart est, près de nuyt fermée, Temps est de mes berbis mettre 695 En toyt et de m'entremettre D'afforrer mes aignelez En noz petiz hostelez.» Lors en piez me suis levée, Et cil le congié ne vée, 700 Ains de bon cuer l'ottroya; Hors du boys me convoya, Ne point ne m'ot en despris Pour tant s'a trier me pris Mes bestes a mon appel, 705 Ainçois aida au tropel Assembler, dont pris a rire Et en souriant lui dire: «Monseigneur, par saint Legier! Bien vous siet estre bergier; 710 Oncques si jolis pastour Ne repaira cy entour.» A rire s'en commença, Congié pris, il me laissa, Mais ainçois a moy s'offry 715 Ne oncques il ne souffry Que genoil je meisse a terre N'au congié n'a don requerre. Tous me touchierent la main En disant: «Et soir et main 720 Vous doint Dieux, doulce bergiere, La riens que plus ariez chiere.» Ainsi adonc se partirent Ceulz de moy et congié prirent, Et ou terminoit li vaulz 725 On leur mena leurs chevaulz; Si s'en vont dessus ridant, Jouant, riant et chantant. Et je a l'ostel m'en tourne, Mais tart m'est que je retourne; 730 Si mis mes berbis en toit, Car la nuit ja me hastoit Et les pris a affourrer, Besoing n'oz de demourer. Ainsi celle nuit passay, 735 Mais sachiez que moult pensay A ceulz qui sus la fontaine Me trouverent a grant peine, Sur tous d'un me souvenoit Et au devant me venoit 740 Son beau corps, gent et faitis, Et son doulz maintien gentilz, Son parler, son regard doulz Qui plaire el me fist sur tous. Au matin, quant vachier corne, 745 Que toutes bestes a corne On meine aux champs pour repaistre, Mis mes berbis en champestre Et vers le bois me tournay, Mais ainçois bien m'atornay 760 D'estroitte cotte de vert; Mon peliçon fu couvert D'un beau ridé chainse blanc, Et ceinte parmi le flanc Fus de ceinture ferrée, 755 Reluisant com fust dorée, La ou pendoit la boursete De soye fine, doulcete. Et le faitis esguillier Lez le coutel a taillier. 760 La alay ou je souloye, Et ainsi comme j'aloye Mes compaignetes encontre; En alant en leur encontre De loings me pristrent a rire 765 Et commencerent a dire: «Dont me vient ce, Marotele, Qu'adès ta belle cotele Tu as vestue et es ceinte De ta jolie sursainte? 770 T'a ton pere fiancée, Ou se as nouvelle pensée? Oncques ne te veismes yer; Ou alas tu ombroier? Si fus tu bien demandée; 775 Or le demande a Houdée. En l'aunoy fusmes en l'ombre; De pastours y ot grant nombre Atout flajolz et bedons, Qui aporterent maints dons 780 Aux pastoureles qui tindrent La feste et bien s'i maintindrent: Parrot a la joue enflée Aporta de giroufflée Trestout fin plein son giron 785 A Belote du Firon; De soussie plein chappel Aporta Robin Happel A Marion la Gautiere; Une tartre toute entiere 790 Et un beau gros grant gastel Aporta soubz son mantel Colin Gautre de la Broce; Jehannot pendant a sa croce Aporta tout un jambon, 795 Oncques je ne vi si bon, Et la meilleure despense Qui oncques entrast en pense, Deux bouteilles toutes pleines. Si dançames en ces plaines 800 Ou ot moult belle assemblée De joye et baudour comblée. N'y a pastoure ou paÿs Jusqu'en ces larris laÿs Qui ne venist a la feste, 805 De dancer et chanter preste. Si n'y ot en ceste année Plus grant feste et mieulx menée. Girout te demanda moult, Ne oncques dancer ne voult 810 Pour ce que pas n'y estoies. Et ou fus tu toutesvoyes Quant avecques nous ne vins? Or nous di que tu devins?» Adonc Lorete appellay 815 Et tout bas a lui parlay, Car celle fu plus m'amie, Et dis: «Ne m'esgaray mie, Ains compagnie plaisant Plus que vous vi et faisant 820 Chiere bonne et doulcereuse, Dont je suis toute amoreuse. Si n'y avoit pas pastours, Mais ceulz qui scevent les tours De courtoisie et d'onneur, 825 Car n'y avoit nul menour De chevalier ou gentil Escuier, de baron fil. Sus la fontaine en ce bois, Ou souvent seulete vois, 830 Me trouverent ou chantoye Et mon entente mettoye A ces floretes cueillir. La me vindrent acueillir, Ainsi mon chant me traÿ. 835 Quant je les vi m'esbahy, Car cuiday estre honnie Et de toute honneur banie. Mais de ce garde n'avoye, Car oncques, se Dieux me voye, 840 Je ne vi gent si courtoise. Doulcement sans mener noise Gracieux salu me dirent, Puis des chevaulx descendirent Et s'assirent couste mi, 845 Mais sur tous, par saint Remi! Y ot un qu'ilz appelloient Monseigneur, quant l'appelloient, Qui estoit doulz et plaisant Et bonne chiere faisant, 850 Qui de chanter me requist Et moult doulcement m'enquist De mon estre et que faisoie En ce bois ou m'esbatoye; Et tant fist que je chantay, 855 Quant plus riens je ne doubtay, Une chançonnete ou deux, Et certes je fus bien d'eulx Merciée et chier tenue; Et ja estoit nuyt venue 860 Quant d'eulx je me departi. Or t'ay dit en quel parti Je fus yer la remontée, Mais en pensée boutée Nouvellete suis sans doubte, 865 Tant me plaist ycelle route De gens doulz et avenans, Et adès suis souvenans De cil qui le mieulz me plaist, Qui me dist sans trop long plaist 870 Qu'il me revendroit veoir Et decouste moy seoir. Si me tarde qu'il y viengne. Dieux doint qu'il lui en souviengne Et que, sans penser villain, 875 Me vueille amer com je l'aim, Sans villennie me faire! Car ne pense a me meffaire Pour homme qui soit en vie, Ne d'autre riens n'ay envie 880 Fors que nous chantions ensemble, Il n'y pense, ce me semble, Autre mal et non fais je.» «Hé Dieux! que c'est bien songé!» Lorete adonc respondi: 885 «Par le Dieu qu'en crois pendi! Or te voy en male cole Qui veulz laissier nostre escole Et renoncier au mestier Pour de tel gent t'acointier. 890 Laisse en paix tout, soterele. Est ce estat de pastorelle Qui bestes a a garder? Il te convient regarder A ton honneur, ou, sans doubte, 895 Tost la perderoies toute, Mieulx te vauldroit estre morte. Sont telle gent de ta sorte? Ilz t'aroient tost honnie De toy faire villennie. 900 Certes, pou tenroient conte. Te fault il un filz de conte Se d'amours te veulz tramettre? Certes, chascun son cuer mettre Doit, se joïr veult a droit 905 D'amours, selon son endroit. Il est tant de valetons Si beaulx qui gardent motons Et pour t'amour se deffrisent Et te servent et te prisent; 910 Choisis un, se veulz amer, Et ne te fay pas blasmer De ceulz qui d'amour legiere Aymeroient toy, bergiere.» Adonc respons: «Certes, suer, 915 Amer ne vueil a nul fuer Par amours, ce n'est pas fable, Qui qu'il soit, mais s'agreable M'est un seul plus qu'aultres mille Pour son corps gent et abille, 920 Pour tant n'ay je pas envie D'emprendre amoureuse vie; Ja Dieux ne m'y doint embatre! Mais je me vueil, bien esbatre Et jouer sans villennie, 925 Ne fault ja que je le nye. La veue riens ne me couste De cil qui me plaist et gouste; Si ne m'en fault ja blasmer, Car sans mal le vueil amer 930 Pour le bien qui en lui maint, Et ainsi sont amé maint Vaillans pour leur grant bonté Si com l'en m'a raconté.» Lorete adonc me respond: 935 «Voir est, si com lievre pont, Qu'a ton vueil a droit compas Aimeras, n'y fauldras pas. Cuides tu faire a ta guise D'Amours qui les cuers desguise 940 Estrangement et scet prendre? Et ja le pues tu aprendre Quant elle te fait tant plaire Homs de nature contraire Au mestier de bergerie. 945 Par Dieu! c'est grant resverie Coment ton cuer y puet tendre, Et si te pues bien attendre, Tant t'en vueil bien ores dire, Puis que le tien cuer y tire, 950 Se souvent as sa hantise, Qu'Amours, qui les cuers atise, Ne te laira pas durer Sans de lui t'enamorer, Se il est tel qu'il te face 955 Semblant ne d'ueil ne de face. Mais je te pri, toutevoye S'il te plaist, que je le voye Et que le secret tout sache, Car en soy maint mal ensache 960 Cuer qui aime ou veult haïr Sans a nul le regehir.» Lors dis qu'il me plaisoit bien, Car je la savoye bien Secrete, et o moy venroit 965 Ou boys ou j'aloye droit, Si seroye mieulx que seule, Mais ja n'yssist de sa gueule Chose qui a celer feist, Gardast que tant ne meffeist; 970 Et celle le me jura Par serment et asseura. Ainsi, noz berbis chaçant Qui devant nous vont paissant, Entre noz deux seulement, 975 De ce parlant belement, Vers le bois nous sommes traittes Et loings des autres retraittes Tant qu'a la fontaine veismes Et sus l'erbe nous seïsmes. 980 La fusmes la matinée, Reveismes a la disnée, A ressie retournames Ou boys, ou d'amours parlames. Ainsi trois ou quatre jours 985 En ce boys allons tousjours Qu'onques nul vers nous ne vint, Mais tost après cil revint Dont m'anuyoit la demeure; Les chevaulx senti en l'eure 990 Car l'oreille ailleurs n'avoye, Si saillis tost en la voye Pour savoir se cil estoit Que le cuer m'amonnestoit. Quant de loings le vi venir 995 Amours me fist devenir Vermeille ou vis, et couleur Muay, sans sentir douleur. De loings je le regardoye; A l'entrée l'attendoye 1000 Du boys dont il approchoit. Lui troisiesme chevauchoit Sans plus, li biaux et li gens. N'ot pas mené tant de gens Comme a l'aultre fois avoit. 1005 Ma compaingne qui le voit De paour prist a trembler Et ou vis morte sembler; Si me dist par grant freour: «Je mourray cy de paour, 1010 Nous serons ja tost honnies, De folie t'ensonnies De tel seigneur t'acointier. Yssons hors de ce sentier, Il nous en vault mieulx fouïr 1015 Et nous aler enfouïr Soubz ces fueilles en ce boys. Vien se tu veulz, je m'en vois; Mieulz voulsisse estre grevée D'un bras que t'avoir trouvée 1020 Anuyt n'ycy convoyée. —Dieux! que tu es effroyée!» Dis je, «Lorete, regarde Comme il rit; tu n'aras garde: Il n'est pas tel qu'il nous face 1025 Villennie ne mefface.» Cellui ainsi chevaucha Tant que de nous approcha, Et je contre lui m'aval. Il descent de son cheval, 1030 Je m'encline et le salue Comme affiert a sa value, Mais tost me vint relever Et dist: «Dieu vueille sauver Ceste bergierete gente, 1035 D'aigniaulx garder diligente.» Lors me prent parmi la main, Et je ou vert boys le main Seoir sus la fontenele. Doulcement dist: «Marotele, 1040 Vous veoir moult desiroye N'a aultre riens ne tiroye Qu'a cy retourner arriere, Car oncques ne vi bergiere, Dont je soye souvenant, 1045 A mon gré si avenant Ne dont le chant tant me pleust, Tant autre bien chanter sceust. Or vous pri je, doulce amie, Que ne m'escondissiez mie 1050 De chanter sans plus long plait, Car vostre chant moult me plait. Mais dites, doulce maignete, Est ce vostre compaignete Que je voy la toute seule 1055 Assise sus celle esteule?» Lors a respondre me pris Au chevalier que tant pris, Bassement sans arrestance, Et de mesprendre en doubtance 1060 Dis: «Monseigneur, grant mercy Dont tout mon fait vous plait si. C'est de vostre bien sans faille, Non mie que je le vaille. Si suis de bonne heure née 1065 Quant Dieu m'a ad ce menée Qu'a tel chevalier je plais Dont tout li mondes tient plais Du grant renom et vaillance; Si vueil du tout sans faillance 1070 Estre vostre en tout honneur, Car bien sçay que deshonneur Jamais ne pourchaceriez Vers moy, vous ne daigneriés. Si commandez a vo guise, 1075 Soit chant ou autre devise, Ja ne vous contrediray Mais du tout obeïray Sans que nulle riens remaigne, Monseigneur; mès ma compaigne, 1080 Que veez la, seure n'est mie.» Lors dist: «Venez ça, m'amie, N'aiez ja de moy doubtance, Car a vous faire ne pense Chose qui vous desagrée. 1085 —C'est ma conpagne secrée, Monseigneur, faittes lui chiere,» Ce dis je, «et l'aim et tiens chiere.» Lors celle c'est approchée Qui tint la chiere embrunchée, 1090 Et de contenance simple, Le chapperon, que ot sans guimple Affulé, de son chief oste Et s'agenoilla decoste Cellui, qui lui tend la main 1095 Et dit: «Dieux vous doint bon main, Bergierete savoureuse, Ne soiez pas paoureuse De moy qui suis vostre ami, Mais vous seez coste mi. 1100 Et dittes de voz nouvelles Entre vous deux, pastourelles, Car pastouriaux aussi sommes, Voz chiers amis et voz homes.» En sa compagnie avoit 1105 Deux chevaliers qu'il savoit Secrez, sages, sans murmure, Car d'autres gens n'ot il cure, Qui furent jolis et cointes, N'orent pas gonnele a pointes 1110 Mais haincellins a grans manches, Estrois, serrez sus les hanches. De velous vert decouppez, Brodez, d'or entour frappez, Et coliers d'orfavrefie, 1115 Moult riches a pierrerie; Si n'a de cy en Artois Nul chevalier plus courtois En fait, en dit, en langage Et en maintien doulz et sage. 1120 Cellui ou le plus pensoye Lors n'estoit vestu de soye, Mais d'une grant hoppellande Longue et ot une guerlande En son chief o un fermail 1125 De pierrerie et d'esmail, Un riche colier luisant Qui moult lui fu aduisant, De dyamans tout semé Et de perles asesmé, 1130 Mais de ce ne fais je conte Combien qu'adès vous en conte, Car ses condicions, faittes A souhait, toutes perfaittes Furent a mon gré, par m'ame, 1135 Telles qu'en ce monde dame N'a que on la deust blasmer D'un tel chevalier amer, Et ce plus l'embelissoit Que le fin or qui luisoit 1140 Ne la pierrerie aussi. Longuement fusmes yssi, Ou mainte raison ot ditte Que je n'ay pas cy escripte Pour le conte qui seroit 1145 Si long qu'anuyer porroit; Pluseurs chançons y chantay, Et cil chanter escoutay De qui le chant me plaisoit Et trestout quanque il faisoit. 1150 La devisames sans conte D'amours maint gracieux conte, Et a mainte belle enqueste Respondis a sa requeste; Maint doulz ris, maint doulz regart 1155 Fu gitté, se Dieux me gard, Celle part ou fist bel estre; Et, tout soit il bien grant maistre, En son fait n'en son accueil N'ot ne mauvaistié n'orgueil, 1160 Dont forment m'esbaÿssoie Quant a sa valour pensoye Et le veoie sur tous Humble, gracieux et doulz, Et ce yert ce que plaissoit 1165 Mon cuer a qui il plaisoit. Longuement ou lieu nous seismes, Ou maint plaisant conte deismes Qui a conter bien seoit Mais pas ne nous desseoit, 1170 Tant y fussions grant espace, Car legierement temps passe Cuer qui en ayse demeure, Un jour ne lui est une heure. Ja d'avesprir s'aprestoit; 1175 Un chevalier qui estoit En la place avoit ja dit Maintes fois, dont fu maudit De moy, a basse murmure: « Sire, le temps pou vous dure, 1180 Ja est tart, le jour nous fault; Souviengne vous qu'il vous fault Devers noz seigneurs aler A qui avez a parler. » Lors disoit cil: « Je m'en vois », 1185 Puis se rasseoit ou bois Et ne s'en pouoit partir, Et moy aussi sans mentir Voulsisse bien qu'a tousjours Près de lui fust mes sejours, 1190 Mais partir nous convenoit Pour la nuit qui ja venoit. De moy se parti atant Le bel et bon que j'aim tant; Au departir m'acola, 1195 Je m'encline, il s'en ala Esperonnant son cheval; Et je m'en viens contreval La prée, atout vert chappel Ou chief, menant mon tropel, 1200 Devisant a ma compagne. Et ainsi par la champagne Venismes en noz maisons, De hebergier fu saisons; Si failly no parlement 1205 Atant, mais tout bellement Avons l'une a l'autre ou bois Mis journée; a basse voix Deismes: « Lieve toy par main, A Dieu jusques a demain. » 1210 Celle nuit ainsi passa C'oncques mon cuer ne pensa Fors a cil sanz qui n'avoie Nul bien se ne le veoie. Si n'y ay gaires dormi, 1215 Mais en pensant a par mi Disoie ces mos yci Comme ouïr les pouez ci:

Bergierete

        Dont me vient telle aventure
        Qu'amer me fault maugré mien?
1220 Je ne cuidasse pour rien
        Qu'amours fust de tel nature.

        Simple sans amer estoye
        Ne pensée sossieuse,
        Je me jouoye et chantoye,
1225 De plus n'estoye envieuse.

        Or n'ay fors de penser cure
        Ne je n'ay nul aultre bien
        Fors veoir cil qui le mien
        Guer a tout, je le lui jure,
1230 Dont me vient telle aventure?

        Son gent corps ou que je soye
        Et sa chiere gracieuse
        Adès m'est vis que je voye,
        De plus ne suis curieuse.

1235 Hé las! je sens la pointure
        D'amours qui me tient si bien
        Que je n'ay sens ne maintien,
        Tant mez en amer ma cure,
        Dont me vient telle aventure?

1240 Au matin quant le jour crieve
      Pensant a amours me lieve,
      A soleil levant m'en vois
      O mes berbis vers le bois.
      Ma compaingne d'assez près
1245 Me suivoit, si vint après,
      Dont je fus moult resjouÿe
      Si tost que je l'oz ouÿe;
      De loings le chief me hocha,
      Puis, quant elle s'approcha,
1250 Sus la fontaine en alons
      Seoir, ne fu mie longs
      Ly chemins, lors commençay
      Com celle qui plus pensay:
      « Dis, Lorete, doulce amie,
1255 Et ne te mentoys je mie?
      Est il bel le chevalier,
      Par ta foy, que tu vis hyer?
      N'est il gracieux et gent
      Et plaisant a toute gent?
1260 Sont pastoureaulz de tel sorte?
      Bien aroit pensée torte
      Ou aveugle les deux yeulx
      A qui il ne plairoit mieulx
      Qu'un bergier, tant fust apris.
1265 De quoy ay je donc mespris
      S'il me plaist, sans mal penser
      Et sans nullui offenser? »
      Lorete respond atant:
      « Bel et gracieux est tant
1270 Voirement que riens n'y fault,
      Ne je n'y voy nul deffault,
      Et bien voy que l'aimeras,
      Dont encor te blasmeras.
      Mais, s'il les autres surmonte,
1275 A toy ce que vault et monte
      Qui pastourelle remains?
      De tant t'aimera il mains
      Comme en lui a plus valour.
      Bien tendroit a grant foulour
1280 D'en toy mettre s'amour toute.
      Quelque dame aime sans doubte
      Belle et de grant renommée.
      Cuideroies tu amée
      Estre de lui, fole, nyce!
1285 Garde qu'il ne te honnisse,
      Car s'amour n'aras tu pas;
      Et ne te fie en ce pas
      N'en son regard doulz et simple;
      Chascun te tendroit a simple
1290 De toy attendre a s'amour.
      Mais me croy et sans demour
      Esloingne ce bois ramage
      Ains que plus ayes domage,
      Et gard que plus ne t'y treuve
1295 Ains que fole amour t'esmeuve
      A faire plus grant folie,
      Car a grant sens cil s'alie
      Qui esloingne le meschief
      Ains qu'il en viengne a mal chief;
1300 Mais pour bien je le t'anonce,
      Car tu n'aras ja une once
      De s'amour, ne pou ne grain:
      Tel espi n'est pas sans grain.
      Cuides tu qu'a pourveoir
1305 Soit adès bon? a veoir
      Est au regard savoureux
      Qu'il a le cuer amoreux,
      Mais pour passer temps puet estre.
      Tout soit il noble et grant maistre,
1310 Bien vouldroit trouver aucune,
      Car pou sont qui n'aiment qu'une,
      A qui se peüst esbatre,
      S'a ce se pouoit embatre.
      Mais c'est trop grevable peine
1315 A cuer, qui d'amour certaine
      Aime entierement, partie
      Qui en deux lieux est partie
      Ou en pluseurs, et scet bien
      Qu'il n'en a pas tout le bien;
1320 Et mieulx vauldroit, n'est pas gas,
      Amer en un lieu plus bas
      Qu'en si hault n'en si grant pris
      Qu'on soit tenu en despris.
      Ne te souvient il, Marote,
1325 Que ton pere, Jehan Burote,
      Qui est sage homme entre mille,
      N'a pareil en nostre ville,
      A de beaulx rommans assez
      Qui parlent des temps passez.
1330 L'aultrier en un, dessoubz l'orme,
      Lisoit seant sus sa forme;
      Au propos de telz amans
      Raconte cellui rommans,
      Ainsi com je me recorde
1335 Il me semble qu'il recorde
      D'un filz de roy, et m'est vis
      Comme il compte en son devis,
      Qu'on appelloit roy de Troye
      Le pere; avint toutevoye
1340 Que la roÿne un fier songe
      Songa, nel tint a mençonge,
      Quant de cel filz grosse estoit,
      Avis lui fu qu'elle avoit
      Enfanté un grant tyson
1345 Ardent qui la bastison
      De la ville toute ardoit,
      La cité toute perdoit
      Le païs et le regné.
      Le roy, quant l'enfant fut né,
1350 Occire le commanda,
      Mais la roÿne manda
      Qu'a son pastour fust baillié
      Et non de coteaulx taillié,
      Car trop ert bel enfançon.
1355 Si fu nourry en façon
      De filz de bergier ou bois,
      Et quant grant fu, atout oys,
      Cuidoit au pastour filz estre,
      Nés en village champestre.
1360 Si fu bel, gentil et gent
      Et plaisant a toute gent,
      Sur toute autre creature.
      Bien retrait a sa nature,
      Car, tout gardast il berbis
1365 Et mengast lait et pain bis,
      Courtoys fu et avenant,
      Abille et bien souvenant;
      En lui ot gentil bergier;
      En maint boys, en maint vergier
1370 Repairoit berbis paissant.
      Une pucelle en passant
      Vid li gentilz homs naïs,
      La plus belle du paÿs,
      Menant berbis en pasture;
1375 Cent corps et belle faitture
      Ot la pucelle au cler vis,
      Et nommée a mon avis
      Fu par droit nom Senonné,
      Si lui a son cuer donné,
1380 Car trop lui plot son doulz ris.
      Le bergier nommé Paris
      Fu puis, comme on fait entendre,
      Mais lors nommé Alixandre
      Estoit cil gentil pastour,
1385 Si n'y avoit la entour
      Pastourel a lui semblable,
      Tant fust doulz et amiable
      Que Senoné moult l'ama
      Et doulz ami le clama.
1390 Si orent, si com j'entens,
      Les deux amans moult bon temps;
      Un tendis et lit faisoient
      De fueilles vers, ou gisoient
      Braz a braz sans couverture
1395 Fors de branches et verdure,
      N'aultre ne voulsissent mie,
      Paris promist a s'amie
      Qu'a toujours mais l'aimeroit
      Ne jamais ne la lairoit,
1400 Ainçois une grant riviere
      Tourneroit son cours ariere
      Que son cuer fust deposé
      D'elle amer ne reposé.
      Si fist ceste convenance:
1405 En un arbre en souvenance
      L'escript atout le coutel,
      Dont il tailloit maint fretel,
      Et dist que cel arbre et fust
      Tesmoing du convenent fust.
1410 Mais puis autrement avint,
      Car dit lui fu dont il vint
      Et de quel gent estoit né,
      Dont desplut a Senonné,
      Car aussi tost s'en ala,
1415 Plus berbis ne garda la,
      Ains s'en retourna a Troye
      Dont ses parens orent joye,
      Sa pouvre amie oublia
      Qui moult s'en contralia,
1420 Puis ama roÿne Heleyne
      Dont il eut doleur et peine.
      Doncques puez tu bien veoir
      Que chascun veult asseoir
      Son cuer selon son degré,
1425 Car Senonné plus a gré
      Ne vint a cil par nul tour
      Quant sceut qu'il n'estoit pastour,
      Ains yert de royal orine;
      Pour ce amer une roÿne
1430 Voult, dont mal lui ensuivi.
      Et ainsi, je te pleuvi,
      Puez tu veoir et aprendre
      Qu'on se doit a son per prendre
      Qui veult joïr a son vueil
1435 D'amours et avoir moins dueil.
      Or t'ay conseillié, moy semble,
      Loyaument, car, puis qu'ensenble
      Loyalles compaignes sommes,
      Ne devons pour nulles sommes
1440 Souffrir l'une l'autre traire
      A riens qui lui soit contraire,
      S'estre y puet remede mis
      Par nous ou par noz amis.»
      Adonc a celle respons
1445 Qui m'ot tel sermon expons:
      «Lorete, tu dis merveilles
      Qui l'amer me desconseilles
      Pour ce que pastoure simple
      Suis sans atour et sans guimple,
1450 Et dis qu'en moy a nul fuer
      Cellui ne mettroit son cuer
      Pour ce que d'estat pareil
      Ne sommes ne d'appareil,
      Et a Senonné, te semble,
1455 Bien devroye prendre exemple,
      Que Paris tost oublia.
      Tu dis voir, mais il y a
      Aultre livre, il m'en recorde,
      Qui d'Ercules nous recorde,
1460 Qui fu si chevalereux
      Et en armes tant eureux
      Qu'oncques nul ne le passa,
      Tant en armes s'avança,
      Et si ert roy couronné
1465 De grant terre et de regné;
      Mais Amours si le lia
      Et si fort humilia
      Qu'il ne lui desplaisoit mie
      Charpir laine avec s'amie;
1470 Et lui, qui ert de tel pris
      Que les lyons rendoit pris,
      Fut subgiet a une femme
      Qu'il servoit comme sa dame.
      Si n'y a nulle grandeur
1475 En amours quant grant ardeur
      Fait par plaisance soubzmettre
      Le cuer ou il se veult mettre.»
      Ainsi respondis atant
      A Lorete, mais pour tant
1480 Lui dis que ja ne doubtast
      Et son penser en ostast,
      Que ja mon cuer si volage
      Ne seroit qu'il eust folage
      En l'amour ou m'embatoye,
1485 Mais amer, bien le sentoye,
      Le me convendroit sans faille,
      Quel mal que souffrir m'en faille,
      Car mon cuer s'y adonnoit
      Et du tout a lui donnoit,
1490 Voulsisse ou non, et ne peusse
      Pour poyssance que g'y eusse
      M'en oster ja, tant l'amoye;
      Et que trop mieulx l'amour moye
      Me plaisoit a lui donner
1495 Et mon cuer abandonner
      Qu'a nul aultre; posé ore
      Que tant ne m'amast encore
      Comme un autre m'aimeroit
      Qui dame me claimeroit
1500 Souveraine et redoubtée.
      Tant y eux m'amour boutée,
      Si ne m'en blasmast jamais,
      Car trop tart ert dès or mais.
      Et celle me dist qu'atant
1505 S'en deporteroit et tant
      Comme elle pourroit au fort
      Me donroit bon reconfort,
      Car puis qu'une riens fault estre
      N'y a lieu sermon ne maistre.
1510 En tel devis tout le jour
      Nous fusmes et sans sejour
      Ne parlions d'autre matiere
      Ensemble, et se toute entiere
      Une sepmaine en parlasse
1515 Ne me sembloit pas l'espace
      D'une heure, tant me plaisoit
      En parler, si me faisoit
      Resjoïr la souvenance
      De sa doulce contenance.
1520 La tous les jours assemblions
      Et des aultres nous amblions
      Entre nous deux bergieretes
      Parlant de noz amoretes;
      Si repairions la souvent,
1525 Ou fust par pluie ou par vent,
      Nul mal ne nous estoit grief.
      Mais, pour conter plus en brief
      Sans tous les jours raconter
      Qu'Amours nous y feist hanter,
1530 Nous y fusmes celle année
      Mainte heure et mainte journée,
      Et cil souvent y venoit
      A qui bien en souvenoit.
      Si me plut tant sa hantise
1535 Que je l'amay de tel guise
      Que tout mon age y parra.
      Ainsi ou bois repaira
      Celui qui si s'y maintint
      Qu'entre ses laz bien me tint,
1540 Combien que peine mettoie
      A moins l'amer, et doubtoye
      Que mal m'en peüst venir,
      Et se m'en peusse tenir
      Volentiers trop moins l'amasse
1545 Pour n'en souffrir si grant masse
      De doulour pour sienne amour
      Dont j'estoye en grant cremour.
      Pour ce contre Amours disoie
      Ainsi, quant je m'avisoie,
1550 Et m'yert vis qu'en mes clamours
      Ainsi respondoit Amours:

Balade a responses

        Amours, escoute ma complainte.
        —Or dis: qu'as tu? de quoy te plains?
        —De toy par qui je suis destraintte.
1555 —Tort as quant de ce te complaings.
        —Non ay voir, car ma joye estains.
        —Joye en aras s'en toy ne tient.
        —Trop crain le grant mal qui en vient.
        —Pense au bien, non pas au domage.
1560 —Vueille ou non, d'un seul me souvient.
        —Aime ley; si feras que sage.

        Veulx tu que j'aime? est ce contrainte?
        —C'est drois quant ton cuer est atteins.
        —Sera ce cil qui m'a estraintte?
1565 —Oïl, car de tout bien est pleins,
        —Je n'ay donc pas tort si je l'aims?
        —Non, car chascun a bon le tient.
        —Et se mon honneur ne soustient?
        —Si fera voir, c'est son usage.
1570 —Or me dy qu'en faire apartient?
        —Aime ley; si feras que sage.

        Raison me met en trop grant crainte.
        —Ne la croys, joye tolt a mains.
        —Tu m'as vers elle en guerre empainte.
1575 —Desconfis la, joing moy les mains.
        —Honneur dist qu'en vauldroye mains.
        —Il ment, chascun bon en devient.
        —Fait, et donc amer me convient?
        —Ce te sera grant avantage.
1580 —Que feray donc se cil revient?
        —Aime ley; si feras que sage.

        Princes gentilz, Amours me tient.
        —Il apertient bien a ton age.
        —Un seul ami mon cuer retient.
1585 —Aime ley; si feras que sage.

      Ainsi je me debatoye
      A par moy et combatoye,
      Pensant a son doulz maintien
      Si trés plaisant que je tien
1590 C'oncques plus perfait en somme
      Ne l'ut autre mondain homme.
      Et ad ce mon cuer pensoit
      Tout temps et ne reposoit.
      Mais quant la ensemble estions
1595 Toute l'entente mettions
      A nous entre regarder.
      Ne sçaroye recorder
      Les regars, les doulz parlers,
      Les venirs et les alers,
1600 Les doulz ris, les contenances,
      Les trés plaisans ordenances
      Amoureuses; tout n'aroye
      Jamais dit, je ne pourroye.
      La se seoit couste mi
1605 Mon trés savoureux ami,
      Que j'ay maint jour attendu,
      Ou gisoit tout estendu
      Sus l'erbete qui venoit,
      Et en mon giron tenoit
1610 Sa teste et j'aplanioye
      Son chief et aonnyoye,
      Puis je lui mettoye au col
      Les deux braz dont je l'acol.
      Or pensez se la avoit
1615 Plaisir et s'il y devoit
      Avoir maint doulz mot conté,
      Tout ne soit cy raconté.
      Et sachiez certainement
      Qu'ainsi dura longuement
1620 Sans que m'amour me requist,
      Mais ne failloit qu'il enquist
      Se il la pourroit avoir,
      Car savoir pouoit de voir
      Que toute entiere l'avoit,
1625 Apercevoir le pouoit.
      Mais, comme soit chose dure
      A souffrir la grant ardure
      Dont Amours les cuers destraint,
      Il me dist, comme contraint,
1630 Une fois que vers moy vint,
      Et ou moys de may advint,
      Qu'il m'amoit de cuer entier,
      Et que ja n'estoit mestier
      De ce long sermon en faire,
1635 Car aviser son affaire
      Je pouoie bien de fait
      Et com de vouloir perfait
      Il m'amoit, et que l'amasse
      Seurement, et ne doubtasse
1640 Que mon honneur garderoit;
      Et moult bien se garderoit
      De faire chose nesune
      Dont j'euse pesance aucune.
      Ainsi cellui me pria
1645 Qui mon cuer sur tous tria;
      Si fus adonc esperdue,
      Car doubtay qu'en guise deue
      Respondre ne lui sceüsse
      Ainsi comme je deüsse,
1650 Car ne le peusse escondire
      N'aussi ne vouloye dire
      L'amour que je lui portoye.
      Aussi en mon cuer sentoye
      Que pour riens chose ne feisse
1655 Dont nullement me meffeisse;
      Si doubtoye a ottroyer
      Chose dont mauvais loyer
      Me venist et cuer dolent,
      Et ne sçavoye el talent
1660 Qui l'ot meu a me prier.
      Et cellui sans detrier
      Me prie que je le croie
      Et que m'amour lui ottroye
      Et mon vouloir lui responde.
1665 Lors de pensée perfonde
      Souspiray sans avoir yre,
      Et lui commençay a dire
      Craintivement en tremblant:
      « Monseigneur, par mon semblant
1670 La moye amour se descele;
      Ne fault ja que je le cele,
      Bien sçay que l'apercevez;
      Apercevoir le devez,
      Car Amours si le demonstre;
1675 Mais pour tant se je le monstre,
      Vueille ou non, ne croy je mie
      Que n'ayez dame et amie
      Aultre part qui vous adrece
      Et de moy plus grant maistrece.
1680 Si ne devez requerir
      Autre amour n'ailleurs querir,
      Se loyal estre voulez,
      Et mon cuer trop adoulez
      Seroit, quelque povre femme
1685 Que je soye, s'autre dame
      Avoit la joye de vous
      Et j'en eusse le courroux;
      Si nous en passons ainsi,
      Car sachiez que vous aim si
1690 Qu'aultre je ne vueil amer,
      En aye doulz ou amer;
      Mais de vous je ne vueil, voir,
      Nulle aultre promesse avoir
      Ne qu'aultrement je me loye:
1695 Il me souffist que vous voye
      Et que vous aime a par mi,
      Car a autre estes ami;
      Et aussi je vous di bien
      Que pour morir ne pour rien
1700 Je ne m'abandonneroye
      A folie, ainçois mourroie.
      Je ne sçay se vostre entente
      Seroit a si faitte attente,
      Mais, pour voir, sus sains vous jure
1705 Que jamais si faitte injure
      Ne feray a mon honneur,
      Soit pour grant ou pour meneur. »
      Adonc cil respond atant:
      « Et qui vous en requiert tant?
1710 Ne m'en fault ja escondire,
      Car pourchacier, faire ou dire,
      Je ne pense, par mon ame!
      Chose dont vous aiez blasme
      Ne dont vostre honneur descroisse,
1715 Ains desir que je l'accroisse
      Ne ja ne le requerray,
      De vous avoir ne querray
      Fors l'amour en bonne foy
      Et le doulz baisier par foy;
1720 Nulle n'est qui excuser
      S'en doye ne reffuser
      Ce a son ami; par m'ame!
      Ce n'est pas trop, belle dame.
      Aultre chose ne demand,
1725 Est ce oultrage a un amant?
      Quant de plus feray requeste
      Je vueil qu'on m'oste la teste! »
      Lors m'en ris et pris a dire:
      «Qui vous pourroit escondire
1730 Requeste si trés courtoise?
      Je l'ottroy, comment qu'il voise,
      Car mon cuer sens par mi fendre,
      Si ne le puis plus deffendre. »
      Lors cil m'embrace et me baise
1735 Doulcement, souspirant d'aise,
      Et puis m'en regracia
      Humblement et mercia.
      Mais ce baisier me trahy,
      Maintes fois l'ay puis haÿ,
1740 Car mon cuer vint du tout prendre
      Et d'amoureux dart esprendre.
      Si en fusmes puis si duit
      Que c'estoit tout no deduit
      Trés plaisant, sans nous lasser,
1745 Et noz braz entrelacer
      En baisant a longue alaine
      Sans pensée autre villeine.
      Ainsi en ce bois ramé
      J'acointay mon bien amé
1750 Et devins toute changée
      Et de pastours estrangée,
      Ou je souloie hanter
      Autres chançons a chanter
      Que celles qu'ains oz apris,
1755 Et ceste balade apris,
      Que cy deviser propos,
      Qui fu selon mon propos:

Balade

        Ha! le plus doulz qui jamais soit formé,
        Le plus plaisant que nulle autre accointast,
1760 Le plus perfait pour estre bon clamé,
        Le mieulx amé qu'onques mais femme amast!
        De mon vray cuer le savoreux repast,
        Tout quanque j'aim, mon amoreux desir,
        Mon seul amé, mon paradis en terre,
1765 Et de mes yeulx le trés perfait plaisir,
        Vostre doulceur me meine dure guerre.

        Vostre douleur voirement antamé
        A le mien cuer qui jamais ne pensast
        Estre en ce point, mais si l'a enflammé
1770 Ardent desir qu'en vie ne durast
        Se doulz penser ne le reconfortast,
        Mais souvenir vient avec lui gesir;
        Lors en pensant vous embrace et vous serre,
        Mais quant ne puis le doulz baisier saisir
1775 Vostre doulceur me meine dure guerre.

        Mon doulz ami, de tout mon cuer amé,
        Il n'est penser qui de mon cuer gitast
        Le doulz regard que voz yeulz enfermé
        Ont dedens lui; riens n'est qui l'en ostast
1780 Ne le parler et le gracieux tast
        Des doulces mains qui, sanz lait desplaisir,
        Veulent partout encerchier et enquerre,
        Mais quant ne puis de mes yeulx vous choisir
        Vostre doulceur me meine dure guerre.

1785 Trés bel et bon, qui mon cuer vient saisir,
        Ne m'oubliez, ce vous vueil je requerre,
        Car quant veoir ne vous puis a loisir
        Vostre doulceur me meine dure guerre.

      Pour ce qu'en ce point estoie
1790 A mon pouoir je mettoye
      Peine a me tenir jolie,
      Une heure triste, autre lie,
      Selon les divers assaulx
      Qu'Amours livre à ses vassaulx.
1795 Or ploroye, ores chantoye,
      Mes compaignes pou hantoye
      Fors Lorete qui savoit
      Tout quanque mon cuer avoit.
      Si n'est riens qui ne soit sceu
1800 Au desrain et aperceu,
      Et a peine, quoy qu'on die,
      Muce amant sa maladie;
      S'il est d'amours bien attaint
      Fort est qu'il ne pere au taint.
1805 Si commença grant murmure
      Du fait, qui encore dure,
      Aussi tost qu'a estrangier
      Je pris bergiere et bergier
      Et je me tins solitaire;
1810 Les gens ne s'en porent taire,
      Si y mirent avant garde
      Li pasteur, et par leur garde
      Sçorent comment cil venoit
      Ou boys et près se tendit
1815 De moy, dont furent dolent
      Tous et toutes, et parlant
      En aloient entr'eulx bas,
      Car hault n'oserent ilz pas,
      Et comme amans envieux
1820 Disoient joennes et vieulx:
      « Plus n'a la doulce bergiere
      Nostre compagnie chiere.
      Hé las! la bien enseignée
      Bien a du tout eslongnée
1825 Nostre assemblée si belle,
      Plus ne sera pastourele,
      Ains par un autre acointier
      Renoncera au mestier.
      C'est domage, par saint Pere!
1830 Qui le deïst a son pere
      Puet estre l'en garderoit,
      Mais comparer le porroit
      Cil qui diroit telz nouvelles.
      Hé! entre vous, pastoureles,
1835 Mettez peine a la retraire
      Du bois, qui Dieux doint contraire,
      Et vers nous la ramenez,
      Nous sommes bien fortunez
      D'avoir perdu tel pastoure,
1840 Ce fu bien en la male houre
      Que cil oncques l'acointa
      Qui si nous en despointa.
      Et dont lui puet ce venir?
      Oncques ne vi avenir
1845 Que d'amours estre surprise
      Peüst, mais or en est prise
      Durement et bien y pert.
      Hé las! son honneur se pert
      Ou perdra, ce n'est pas doubte,
1850 Puis qu'en tel amour se boute
      Qui petit la prisera.
      Hé Dieux! qui l'avisera
      De s'en retraire bon erre!
      Lorete fault mander querre
1855 Qui est sa chiere compagne,
      Nulle autre ne l'acompagne.
      A celle dirons de fait
      Qu'elle l'enorte du fait,
      Si l'en retraye briefment. »
1860 Ainsi li pastour griefment
      Se complaignoient de mi
      Qui oz fait nouvel ami.
      Ma compagne estoit mandée
      Et lui estoit demandée
1865 La cause pour quoy guerpis
      Les avoye, dont trop pis
      M'en pourroit venir sanz faille,
      Si le me die et n'y faille;
      Et celle m'en excusoit
1870 Disant « que point ne musoit
      Mon cuer a nullui amer,
      Ne desservi que blasmer
      On me deust pour tant n'avoye,
      S'ou bois souvent m'ombroyoye
1875 Pour estre plus solitaire;
      Si s'en voulsissent tuit taire
      Du fait dont mon cuer ert sains;
      De ce leur juroit sur sains.
      Et du chevalier disoit
1880 Que pour tant ne me nuisoit
      En riens s'en ce bois chaçoit.
      Et repairier y pouoit
      Un chascun; si leur louoit
      Qu'ilz s'en teussent sans plus dire,
1885 Car mal venoit de mesdire. »

      Or avez vous entendu
      Coment j'avoye attendu
      Longuement sanz m'entremetre
      D'amer n'en nul mon cuer mettre,
1890 Et comment depuis fu pris;
      Si diray qu'il m'en est pris
      Depuis et com m'en va ore,
      Car faillie n'est encore
      Celle amour, ne deffauldra
1895 Jusques vie me fauldra.
      En joye au commencement
      Je fus, non pas longuement,
      Cy après diray pour quoy,
      Mais lors souvent en recoy
1900 Mon trés doulz ami veoye,
      Vers moy bien savoit la voye
      Et son devoir en faisoit
      Si bien qu'il me souffisoit.
      Doulceur, paix et bonne amour
1905 G'y trouvay, et sans demour
      Tout plaisir qu'il pouoit faire
      Me faisoit en tout affaire
      Tant que n'y sceusse amender
      Ne riens plus lui demander.
1910 Bien est voir, si dire l'ose,
      Que j'en fus un pou jalose
      Un temps et me fu avis
      Qu'un petit changié le vis;
      Ne sçay s'essaier vouloit
1915 Combien de lui me chaloit,
      Ou puet estre sans raison
      Y avoye souspeçon,
      Car le cuer d'amours estraint
      Ce qu'il aime a perdre craint,
1920 Et com de ce mal malade
      Disoye ceste balade:

Balade

        Ja ne vueille consentir
        Vostre trés noble courage
        Que mon cuer en dueil partir
1925 Faciez, plein de telle rage
        Com d'apercevoir mestrait
        En vous qui l'avez attrait,
        Si qu'il s'est tout ordonné
        A vous et abandonné.

1930 Mais je me doubt sans mentir
        Qu'ainsi que maint ont usage
        D'en plusieurs lieux departir
        Leurs cuers de penser volage,
        Qu'ainsi ja se soit fortrait
1935 De moy qui vous a pourtrait
        Ou mien qu'ay tout assené
        A vous et abandonné.

        Tart venroye au repentir,
        Mais oncques perte ou domage
1940 Ne me fist tel dueil sentir
        Com j'aray trestout mon age
        Se de moy vous voy retrait
        Et que m'aiez fait tel trait,
        Pour tant se j'é me donné
1945 A vous et abandonné.

        Si pry vostre doulz attrait
        Qu'il lui souviengne du trait
        Qui mon cuer a adonné
        A vous et abandonné.

1950 Mais, quant ma douleur perçut
      Et mon trés amer plour sceut,
      Il m'apaisa doulcement,
      Et me jura fermement
      Qu'aultre que moy il n'amoit;
1955 Pour certain le m'affermoit.
      Aussi une fois avint
      Que partir il lui convint
      Bien en haste et n'ot espace
      De dire a Dieu, dont grant masse
1960 De dueil oz, mais il revint
      Tost et excuser se vint.
      Si dis quant il fu parti
      Ces moz cy en dur parti:

Rondel

        Pour quoy m'avez vous ce fait,
1965 Trés bel ou n'a que redire?
        Et si savez mon martire
        N'oncques ne vous fis meffait.

        Et parti estez de fait
        Sans moy daigner a Dieu dire;
1970 Pour quoy m'avez vous ce fait?

        Au dieu d'amours du tort fait
        Me plaindray, disant: « Dieux Sire,
        Amy m'avez fait eslire
        Dont me vient si dur effait;
1975 Pour quoy m'avez vous ce fait? »

      Mais je vous diray la dure
      Pesance qu'encor me dure
      Tous les jours et plus agrieve
      Le tourment qu'encor me griefve.
1980 Cil ou toute valour maint,
      Ce scevent maintes et maint,
      N'ot pas apris qu'a sejour
      Demourast, ains sans sejour
      Aloit et va par la terre
1985 En maint païs honneur querre.
      Si n'estoit pas tousjours près
      De moy cellui que j'aim trés,
      Ains souvent s'en departoit,
      Dont a pou que ne partoit
1990 Mon cuer pour sa departie.
      Lors toute estoit convertie
      Ma joye en pesant doleur;
      Triste et a pale couleur
      Demouroie et esplourée.
1995 Ha! mainte larme ay plourée
      Pour s'amour et maint souspir
      Gitté, encor en souspir;
      Au departir me pasmoye,
      Quant a cellui que j'amoye
2000 Disoye « a Dieu », lors mi oeil
      Demonstroient mon grief dueil
      Dont griefment a lui pesoit;
      Si me baisoit et disoit
      Qu'il revendroit en brief temps,
2005 De ce ne fusse doubtans.
      Ainsi demouroie, lasse!
      De plourer non jamais lasse,
      Et jusqu'au retour nul bien
      N'avoye, je vous dy bien,
2010 Dont toute en plours me baignoie
      Et ainsi me complaingnoie:

Balade

        Quant je voy ces amoreux
        Tant de si doulz semblans faire
        L'un a l'autre et savoreux
2015 Et doulz regars entretraire,
        Liement rire et eulx traire
        A part, et les tours qu'il font,
        A pou que mon cuer ne font!

        Car lors me souvient, pour eulx,
2020 De cil dont ne puis retraire
        Mon cuer qui est desireux
        Qu'ainsi le peüsse attraire;
        Mais le doulz et debonnaire
        Est loings, dont en dueil parfont
2025 A pou que mon cuer ne font!

        Ainsi sera langoreux
        Mon cuer en ce grief contraire
        Plein de souspirs doulereux
        Jusques par deça repaire
2030 Cil qu'Amours me fait tant plaire;
        Mais du mal qui me confont
        A pou que mon cuer ne font!

        Princes, je ne me puis taire
        Quant je voy gent paire a paire
2035 Qui en joye se reffont,
        A pou que mon cuer ne font!

      Mais quant le terme passoit
      Que mis m'avoit, ne pensoit
      Mon cuer qu'a toute dolour.
2040 Ou fust sens ou fust folour,
      J'enqueroye a toutes gens
      S'on savoit ou li trés gens
      Jolis chevalier estoit,
      Qu'Amours si amonnestoit.
2045 Si en ouoie souvent
      Telz nouvelles dont griefment
      M'anuioit quant dire ouoye
      Qu'il feroit moult longue voye
      Ains qu'il retournast arriere.
2050 Encore plus dure m'yere
      La paour que son corps gent.
      D'acquerre honneur diligent,
      Ne fust quelque fois mal mis
      En guerre ou par anemis.
2055 Si prioye saints et sainttes,
      Et veulx et promesses maintes,
      Pleurant seulete en destour,
      Faisoie pour son retour.
      Lorete avoit les reclaims,
2060 A lui disoye mes plains
      Souvent a moillée face:
      « Ha! je ne sçay que je face,
      Doulce compaigne et amie.
      Bien n'ay heure ne demie
2065 Quant cil que j'aim tant demeure;
      Le cuer ay plus noir que meure,
      Je ne puis avoir repos
      N'oncques puis dormir ne pos
      Qu'il parti, et, s'il ne vient,
2070 Bien sçay, morir me convient!
      Hé las! Lorete m'amie,
      Et ne te souvient il mie
      Comment il est gracieux?
      Est il homme soubz les cieulx
2075 Plus perfait en toute grace?
      Beaulté, bonté, sens et grace
      Sont en lui entierement.
      Ha! je te pri chierement,
      Ne te remembre il des fais
2080 De lui en doulceur perfais
      Et comment a toy parloit
      Doulcement et t'appelloit
      Quant loings de nous tu estoies,
      Et quant flours lui aportoies
2085 Ou chose qui lui plaisoit
      Quel grant chiere il en faisoit?
      Son venir et son aler
      Et son gracieux parler
      Adès m'est vis que je voye
2090 Et qu'il vient par celle voye
      Par ou venir il souloit,
      Et comment il m'appelloit
      Quant devant lui m'enclinoye.
      Tout le cuer en plours me noye
2095 Et me deffaillent li membre
      Quant tous ses fais je remembre,
      Et il est de moy si loings;
      Ha las! mais mes trés durs soings,
      Ma trés doulce chiere amie,
2100 Sont plus griefs, car je fremie
      De paour d'estre oubliée
      De lui qui me tient liée.
      La! quel chose! la mort viegne
      Ainçois que le cas m'aviegne!
2105 Mais la grant valeur haultaine
      Qui en maint païs le meine
      Lui donne, bien dire l'oz,
      Honneur, grace, pris et loz,
      Par quoy pluseurs grans maistresses,
2110 Voyans les belles adreces
      De sa grant chevalerie,
      L'aimeront; ainsi perie
      Pourra estre l'amour doulce
      Dont cellui m'amoit, et pour ce
2115 Vifs en soussi, n'est merveille!
      Mais, quiconque amer le vueille,
      Sçay je bien certainement
      Que jamais plus fermement
      Ne plus loyaument amé
2120 Ne sera n'ami clamé
      De nulle qui plus de bien
      Lui vueille, je le sçay bien;
      Dieux! mais trop est loings de mi!
      Ha! mon trés loyal ami,
2125 Quant verray je la journée
      Que voye la retournée
      De vous que je tant desir
      Et sans qui je n'ay plaisir!»
      Ces paroles et plus maintes
2130 Je disoie en mes complaintes
      En plour ou mon cuer fondoit,
      Et celle me confortoit
      A son pouoir; par pitié
      Plouroit pour mon amistié.
2135 Mais quant cellui revenoit
      De qui tant me souvenoit,
      Lors n'estoie plus troublée,
      Ains joye m'yert redoublée
      A cent doubles quant vers my
2140 Retournoit mon doulz ami
      Qui en desir attendus
      Ert de moy; lors estendus
      Braz vers lui m'en acouroie
      Et de grant joye plouroye
2145 Sans dire mot, mais le doulz
      Me disoit: «Et qu'avez vous,
      Ma belle amour gracieuse?
      N'estes vous pas bien joyeuse
      Du retour de vostre ami?
2150 Or nous seons cy enmy
      Ceste herbete, et bonne chiere
      Me faites, doulce amour chiere
      Qu'a veoir tant desiroye!»
      Adonc dire ne pourroie
2155 La joye que nous menions.
      Braz a braz entretenions
      L'un l'autre si trés estrains
      Qu'oncques Tristan, qui destrains
      D'amours fu oultre mesure,
2160 Yseut, par qui ot mort seure,
      Gaires plus fort n'estraigny
      Quant a mort le contraigny;
      De baisier, disant: hé las!
      Doulcement, n'estions pas las,
2165 Car lasser ne nous peussions
      Se sans cesser y fussions.
      Long ne nous fust le demour
      Ne oncques en celle amour
      Qui en deux cuers fu unie
2170 Il n'ot mal ne villennie
      Ne n'ara jamais sans faille.
      Si ne croys je qu'elle faille
      Nul temps, car nos esperiz,
      Quant mors seront et periz
2175 Les corps, croy qu'ilz s'aimeront
      Et ensemble demourront.
      Ainsi duroit ma plaisance
      Tant que j'avoye l'aisance
      D'estre près du doulz et cointe
2180 Qu'Amours fist si mon acointe,
      Et certes près de lui estre
      M'estoit paradiz terrestre
      N'autre nul ne demandasse.
      Mais pou duroit cel espace,
2185 Car petite ert sa demeure
      Ou païs, dont noir com meure
      Mon povre cuer devenoit
      Aussi tost qu'il avenoit
      Que cil me disoit: «M'amour,
2190 Partir me fault sans demour
      Pour aler en tel voyage.»
      Ha Dieux! com piteux visage,
      Lassete, adonc je faisoie!
      Et par grant doulour disoye:
2195 «Or me voulez vous occire,
      Ma doulce amour, mon doulz sire,
      Qui ja vous voulez partir?
      Morte une fois sanz mentir
      Me trouverez au retour,
2200 Car je ne puis par nul tour
      Souffrir longuement tel peine!»
      Et cil qui me veoit vaine
      Et lasse adonc m'apaisoit
      Doulcement, et me baisoit
2205 Disant: «Ma belle maistrece,
      Pour Dieu ceste grant destrece
      Ostez, car trop il m'en poise;
      Il convient que je m'en voise
      Mais je revendray briefment.»
2210 Ainsi «a Dieu vous commant,»
      Me disoit cil que baisoie
      Cent fois, et grant dueil faisoie
      Au departir et toute heure
      Tant com duroit la demeure.
2215 Or diray comme or me va
      De cil qui ja me trouva
      Ou bois seule, et qui en may
      Me pria, et je l'amay.
      Hé las! il party de moy
2220 Et prist congié en l'ormoy,
      Dont de dueil cuiday partir
      Quant je le vis departir.
      Il a ja un an passé,
      N'oncques puis mon cuer lassé
2225 Ne fu de mener tel dueil,
      N'aultre deduit je ne vueil
      Fors guermenter et plorer
      Et Dieu et sains aourer
      Et prier qu'il tourne a joye
2230 De la longue et griefve voye
      Qu'il a par valeur emprise,
      Dont chascun le loe et prise.
      Mais mon cuer n'est pas asseur
      Pour doubtance de meseur
2235 Qui moult souvent aux bons griefve.
      Dieux l'en gard qui la mort briefve
      Me doint ainçois qu'il aviengne
      Ne que mal n'anuy lui viegne.
      Desir aussi d'autre part
2240 Assez de mal me depart,
      Dont souvent je me demente
      A vray Amour et guermente
      Qui me fist enamourer
      D'un tel que son demourer
2245 Me fait livrer a martire
      Et destruire tire a tire
      Cuer et corps et esperit.
      Et ainsi Amours merist
      Ceulx et celles qui le servent:
2250 Mal ont et ne le desservent;
      C'est bien diverse aventure.
      Mieulx me vaulsist en pasture
      Encor mes aigniaulx garder
      Et d'amours bien me garder
2255 Que d'amer un tel sans faille,
      Combien qu'il mieulx de moy vaille,
      Qu'en souffrir si faitte peine,
      Que, se Dieux tost ne l'ameine,
      Il en est pic de ma vie!
2260 Car sanz lui je n'ay envie
      De vivre; il est la pasture
      Sans qui de vivre n'ay cure.
      Si pry Dieu qu'il le rameint
      Et me doint grace qu'il m'aint
2265 Toudis ainsi com je l'aim,
      Car ses doulz yeulx pris a l'aim
      Ont mon cuer, c'est sans partir;
      Mieulx vouldroit en deux partir.
      Si vous suppli, tous et toutes,
2270 A nuds genoulz et a coutes,
      Fins amans, priez pour lui,
      Car je vous jur que cellui
      Entre les bons est clamé
      Vaillant et des preux amé.

EXPLICIT LE DIT DE LA PASTOURE

3 B s. a f.

15 A omet ce

25 A1 que on

43 B2 Bergiere s.

46 A1 je le d.

56 B Voient c.

61 B4 p. les l.

62 B en ces h.

76 A1 n'avooye

82 A2 s. ou t.

87 A1 foubrage

92 B2 f. emplir

99 A. Herbes a.—B2 Herbes a. aigneaux

105 B4 V. ou a

120 B Dont t.

121 B2 Ou chault

125 A2 c. ou q.

138 A1 Dessoubz

153 B4 P. seoir et

155 A2 s. s. juppel

156 A3 s. le chappel

176 A1 Et des d.

178 B A pastours

180 A B4 a oindre et e.

205 B et le

207 B Et la

209 B2 La o c.

212 A1 a. et la m.—B4 a leur m.

217 A2 Hucher c.

220 B Q. a j.

223 B2 Les s.

225 et 226 omis dans A

235 B4 e. repaistre

241 B2 Q. leurs c.

255 B P. querir c.

256 B2 supprime le 1er et

263 B Et dit qu'il a. c.

264 B2 M. bel

269 B m. ou f.

272 B2 c. et n.

274 B ou cueillir d.

283 A1 leur f.

286 B Et pluseurs a. s'a.

301 B Si y verriez de

302 B par t. et par c.

312 B4 L'o. et le p. e.

314 B ou au p. ou

315 B ou aux m. ou

316 B Ou aux a.

318 B2 p. et p.

325 B D. haulx tertres j.

328 B2 supprime qu'—B4 Q. nulz f. eulx ne l'entendent

335 A1 leur b.

344 B4 Et leurs amis a.

349 B Avoie

355 A1 Chainge

362 B2 t. cointement

369 A1 leur

372 A2 Mais q.

374 et 375 omis dans B4

380 B2 m. nul s.

383 A1 passerosses

387 A v. presenter

395 B2 Et p.

398 B4 f. ou t.

407 B m. tartre ou f.

424 B4 f. nul q.

432 B Ne vouloie

436 B b. et g.

439 B2 par le

445 B c. bonté ou v.

449 B je qu'il

452 B4 n'a pas e.

459 A1 le s.

471 B2 L. fueilletes

472 A1 moulloie

481 B4 Q. entr'ouirent

486 B4 c. qu'ouoient

495 B me tiens

500 A Me saluerent

525 B2 Tous les b.

540 A1 ou prael

551 B2 omet plus

555 B2 passoit il

578 A1 chiée l.

588 B2 c. encline—B4 l. a c.—B4 a c. c.

591 A t. saluer

601 B Q. t. ne

613 A1 que e.

629 A2 Ses a.

637 B Nul jour d'a.

638 B se v.

655 A me regracia

661 B et en pou d'o.

664 B2 ne m'en v.

670 B2 Chappelles

674 B2 m. boquet

683 B2 Estoit b. p.—B4 Estoit ja p.

685 A1 que ou

697 B2 En leurs p.

704 B4 M. berbis.

714 A1 s'ouffry

717 B2 Au c.

720 A2 D. v. d. d. b.

725 B1 l. menoit

734 B C. n. a. p.

740 A1 beaul

746 A1 repastre

762 A1 Chainge

757 B4 f. et d.

785 B4 Fuiron

793 B4 Perrot p.

796 A1 ajoute de devant la

801 B Qui de riens ne fu troublée

803 B4 ce l.

805 A1 chaster

808 B2 Gigoult

825 B N'il n'y a. pas m.

826 B Que c.

835 A1 omet je

848 A1 estoient

850 B2 Car de

853 B ou je seoie

865 B2 me plut

868 B2 q. trop m.

885 B4 P. D. qui en c.

892 A1 as a.p.

897 B S. itelz gens

909 A1 Et se s.

913 B4 Aimeront t.

917 B2 omet s'

935 A1 Voire

941 A ja la

948 A2 B4 T. te v.—B v. or en droit d.

951 B4 c. desguise

955 B ou d'u. ou

956 A1 omet je

964 B2 et ou bois v.

965 B2 Ou je m'en a.

966 B2 Et s.

969 A1 meffaist

971 A s. m'en a.

978 A1 venismes

979 B2 n. asseimes

981 A1 Revenisme, s finale grattée—B4 Venismes

982 B2 Arriere si r.

985 B2 En ces b.

986 B2 supprime ne

986 A1 Que o.

1022 A2 L. d. je r.

1023 B2 r. nous n'aurons g.

1051 A1 plest

1064 A1 b. heurée

1069 B4 Pour ce v. s. deffaillance

1072 A1 pourchariez

1073 B2 V. nous

1080 B2 Q. voyla

1085 A1 secré

1087 B2 supprime le 1er et

1099 seez gratté en partie dans A1

1109 B p. cottelle

1116 B4 Si n'y a

1117 A1 B Nulz chevaliers

1124 B2 c. ot

1141 B2 f. ainsi

1150 B2 La dançames nous s.

1157 B2 Et tant s.

1164 A2 qui cy p.—B2 Et c'est ce qui si p.

1166 B Grant piece en ce lieu

1167 B2 p. dit d.

1168 B2 Ainsi le temps se passoit

1169 B4 Et p.

1177 B Pluseurs f.

1187 A1 nentir

1196 B Ridant dessus s.

1213 B4 Aucun b. se nel v.

1217 A1 p. yci

1218 B2 celle a.

1223 A1 Et p.

1228 A2 q. tout sien

1229 A2 A. mon c. je

1237 B n'ay cuer qui soit mien

1238 B Ains met tout ailleurs sa c.

1248 A haucha

1257 B2 omet tu

1259 B2 p. lui et sa g.

1284 B2 f. et n.

1287 A2 B4 en ses p.

1294 B ne te t.

1311 A1 que u.

1313 B2 S'en ce

1322 B2 Que si

1323 A1 que on

1325 B2 J. Pirote—B4 Birote

1326 B Lequel est de nostre ville

1327 B Le plus saige et entre mille

1331 B2 s. la f.

1333 B4 Racontoit

1334 B2 m'en r.

1335 B2 Il m'est avis q.

1352 B s. bergier

1358 B au bergier

1365 B4 Et l. m.

1377 B2 Fu n.

1378 B2 Par son d. n. Cenoné

1379 B2 Cil l.

1407 B2 De quoy t.

1408 B2 Si d.

1416 B s'en tourna droit a

1422 B Or p. tu donc b.

1429 B2 ce ama il la r.

1430 B2 Dont tout m.

1433 A1 Que on

1435 A1 B4 ou a.

1436 B2 me s.

1440 B2 Pu. a l'a.

1442 B2 Se r. e. y p. m.

1450 B2 Si d.

1458 B2 me r.

1467 B4 f. l'umilia

1477 B c. la ou se v.

1482 B2 Q. m. c. ja

1483 A1 qu'il y e.

1487 B2 Q. que m. qu'en s. f.

1491 B4 Par p.

1501 B2 y est

1504 B2 omet me

1509 B2 N'y vault neant conseil de m.

1515 A1 d'e.—B4 semblast

1516 B4 h. si me

1517 B2 p. et me—B4 p. tant me

1522 A1 noz d.

1523 A1 nous a.

1539 omis dans A1

1543 B2 me p.

1550 B qu'a m.

1554 B4 s. estrainte

1564 A1 B destraintte

1565 B4 de tous biens

1570 B2 m'en dy

1580 A2 Qu'en f.

1593 B2 et n'en

1601 A1 Le t. plaisances o.

1607 A2 Se g.

1610 B2 supprime j'

1625 B4 le devoit

1645 A Que

1648 B2 l. peüsse

1653 B2 Ainsi

1655 A1 et B4 omettent me—A1 meffaisse

1662 B4 je l'ottroie

1704 A1 saints

1712 B2 sur m.

1716 B4 omet le

1718 B par b.

1723 B2 En celle n'a point de blasme

1725 B4 ce trop a

1726 A1 que on

1731 B4 Je l'accort c.

1746 A1 baissant

1749 B supprime J'

1750 B Si d.

1751 B Et des

1754 A1 que a.

1759 A2 B qu'onques n. accointast

1761 A1 que o. f. a.

1763 A2 B2 m. savoreux d.

1770 B2 D'a.

1779 A1 gitast

1795 B2 p. et puis c.

1798 B2 quanqu'en m.

1800 A1 que on

1803 A e. fort d'amer a.

1810 B4 ne se p.

1834 B2 ajoute v. autres

1840 A1 hore

1842 B2 en descointa

1848 A1 omet se

1867 B4 Me p.

1869 B4 Mais c.

1873 B2 m'en d.

1876 B si se v.

1885 A1 et B2 portent en regard de ce vers le mot « nota »

1895 B2 Tant que v.

1909 B p. r.

1913 A1 Que un—B2 changa

1918 B destraint

1920 B tel m.

1934 B2 ja soies fors trait

1935 B v. ay p.

1936 B ou cuer qui t. a.

1947 A Qui l.

1952 A1 m'apaissa

1962 B2 q. se fu

1977 B Penance

1985 B2 h. conquerre

2009 B N'a. Dieu le scet b.

2022 A Que a.

2028 B de pensers d.

2039 B4 qu'en t.

2044 A1 Que A.—B Qui bonté a.

2045 B4 en avoie s.

2049 B4 q. s'en tournast a.

2055 B2 p. et s.

2078 B2 ajoute moult c.

2089 B2 q. le v.

2092 B2 il m'acouloit

2112 A2 l'aimeroit

2116 A1 quiconques

2129 A2 B Telz p.

2131 A2 B4 Ou p.

2134 A P. par m.

2138 A1 redoublé

2140 B Revenoit

2158 A1 Que o.

2162 B2 la. c.

2168 B2 Mais o.

2174 A1 seroit

2178 B4 T. com j'

2185 A1 petit e.

2196 B Ma belle a.

2213 B4 Au partir et a t.

2214 B4 d. sa d.

2215 B Si d.

2216 B De lui q.

2224 B4 Qu'o.

2228 A1 saints

2230 B g. et l. v.

2261 B2 v. c'est la

2262 B4 de vie n'

2264 A1 me a.

NOTES

LE DIT DE LA PASTOURE (p. 223 à 294.)

Indépendamment des vers 148 et 149 qui ont été fréquemment cités, R. Thomassy (Essai sur les écrits politiques de Christine de Pisan, p. 116 à 120) a publié les vers 24 à 32, 43 à 52, 127 à 149, 2190 à 2214, 2271 à 2274.

1324 à 1421.—Christine fait allusion ici à une compilation d'Histoire ancienne dont on possède deux rédactions qui ont été étudiées il y a quelques années par M. Paul Meyer dans le tome XIV de la Romania. La plus récente de ces rédactions, fort répandue à la fin du XIVe siècle, se distingue surtout de la première en ce qu'on y a introduit une version en prose du Roman de Troie de Benoit de Sainte-Maure (Voy. Romania, XIV, 63 et suiv.). Christine a, sans aucun doute, fait usage de la seconde rédaction; c'est là, en effet, qu'elle a trouvé la forme Senoné ou Cenoné pour Oenone dans l'épisode des amours de Paris et d'Oenone qui fait défaut dans la première rédaction. (Voir Bibl. nat. fr. 301, fol. 36 b et 48ve a, ms. du XIVe siècle. Même forme dans les mss. fr. 254, 15455 et 24396 qui sont moins anciens).

2156 à 2162.—Allusion au dénouement du roman en prose de Tristan. C'était d'ailleurs la rédaction la plus répandue et celle qui a servi de base aux nombreuses éditions parues en France et à l'étranger depuis la fin du XVe siècle. (Voy. Hist. littéraire de la France, XIX p. 688 et XXX p. 19).

UNE EPISTRE

A EUSTACE MOUREL

(10 Février 1403, anc. st.)

      A trés expert, en scens apris,
      Eustace Mourel ou a pris,
      De Senlis baillif trés nottable,
      Orateur de maint vers notable.

5 Ta grant valeur en moy a mis
      Le vouloir, chier maistre et amis,
      De cestuy mien' epistre en vers
      T'envoyer, non obstant qu'envers
      Ton fait riens ne fait, bien le say je,
10 Mais comme nous lisons: le saige
      Enseigne aux disciples a prendre
      Amistié aux saiges, se apprendre
      Desirent; et pour tant en voye
      M'a mis ton scens que je l'envoye.
15 Sy soit premisse a humble chiere
      Recommandacion trés chiere,
      Te suppliant que a desplaisance
      Ne te tourt se adès plaisance
      Ay qu'em singulier nom je parle
20 A toy, car je l'ay apris par le
      Stille clergial de quoy ceulx usent
      Qui en science leurs temps usent.
      Et moy, désirant de tes oeuvres
      Vertueuses veoir, que oeuvres
25 Te suppli humblement trés or
      A moy ton valable tresor
      Que ou giron Science puisas,
      Lequel bien estendu puis as.
      Mon femenin scens ne desprises
30 Sy que g'i faille, ains adès prises
      La grant amour qu'ay a savoir,
      Par quoy te foys ce assavoir.
      Et se de veoir apetis,
      Combien qu'en moy scens a petis,
35 De mes dittiez, saiches de voir,
      Commander puez par droit devoir,
      Sans enquerir ou ne comment,
      Car tout est en ton bon comment.
      Et, pour ce que je suis certaine
40 De ton scens, t'envoyé certaine
      Desplaisance que j'ay complainte
      Plourable, expliquant ma complainte,
      Doulousant de ce que mieulx estre
      Adès ne voy le mondain estre
45 Gouverné, qui de mal em pire
      Va, ce m'est vis, en tout empire;
      Et ce mal qui m'anuye et poyse
      Sçay que ton meismes scens moult poise,
      Car que on se gouvernast a droit
50 Tout hom desire en qui a droit.
      O maistre! quel merveille dure
      Est de veoir ou temps qui dure
      Mençonge et barat si en cours
      En cités, en chastiaulx, en cours
55 De princes, par rigle commune,
      En nobles gens et en commune,
      En clergie et en toute court
      De justice, sans doubte, court
      Sy que verité point n'a part,
60 En lieu aucun mucié n'appart,
      Mais chascun s'efforce d'avoir
      Par grant convoytise d'avoir
      Malice frauduleuse et cure
      De decepvoir, et nul n'a cure
65 De vertueux prouffiz acquerre.
      Sans plus s'estudient a querre
      Les biens vains qui a vices tirent,
      A riens plus les mondains ne tirent.
      O te souvient il, mon chier sire,
70 Com trop plus le miel que la cire
      Phillosophie nous apreuve,
      Sy com Bouesce trait a preuve
      En son bel et notable livre
      Qui consolacion nous livre,
75 Quant les biens met sy a despris
      Qui des mondains sont adès pris
      Et esleuz plus que autre grace?
      Mieulx aiment que ciel terre grace
      Semée de fiens et d'ordure.
80 Tel convoitise ou temps d'or dure.
      On treuve en escript es leus
      Livres que jadiz les esleuz
      Saiges phillosophes estoyent
      Des cités ou lieux ou estoyent
85 Conseilleurs, et aussi des roys,
      Et par leur bon scens les desroys
      Supperflus erent confondus,
      Sy com jadiz fu confondus
      L'orgueil du roy Emiradès,
90 Com mon scens voit et mire adès,
      Par Philometor, le vaillant
      Phillosophe, qui son vaillant
      Et soy meisme en ame et en corps
      Mist pour bien commun et encors.
95 Ce prouffit meisme adès faisoyent
      Les bons saiges qui desfaisoyent
      Les laides settes, mais en vie
      A pou n'est nul qui ait envie
      Devers le bien commun soy traire,
100 Mais chascun le propre a soy traire
      Veult; plus n'est la chose publique
      Gardée, ainçois tout en publique
      De telz orreurs faire on n'a honte
      Dont meisme Nature en ahonte.
105 Es voluptez chascun s'enlace,
      Ne je ne voy nul qui s'en lasse;
      Gent ne considerent qu'ilz faillent;
      Toutes bonnes coustumes faillent,
      Car vertus sont mis en mesconte;
110 De science on ne tient mais compte
      Par qui on gouvernoit jadis
      Les raignés, comme ailleurs ja dis;
      Pour ce estoit equité au monde,
      Mais ore y a pou de gent monde.
115 Lors le siecle estoit de fin or
      Qui du tout est a defin or.
      Les princes estoyent lettrez,
      Lesquels les pilliers et les trefz
      Doivent estre pour soustenir
120 Justice et puepple soubz tenir
      Par ordre de loy et raison.
      Eloquens par vraye rayson
      Les nobles travaillans confors
      Donnoyent aux pueples confors
125 Excercitant les meurs parfaiz
      En sollicitude et par faiz,
      Et leur vie ainsi employoyent,
      Combien que l'eschine en ployoient
      Souventes foiz par mainte paine
130 Pour vertu dont pou ore on paine.
      Or regardes s'en tel maniere
      Ceulx qui de fait et de maniere
      Se doivent delitter en suivre
      Noble fait vueillent ceulx ensuivre:
135 S'il en est assez d'ainsi faiz,
      Louez ent Dieu et je aussi faiz.
      Freres chiers, pourroit on compter
      Le nombre de ceulx dont compter
      On puet les grans orguieulx hautains
140 Pour supperflus habis hault tains
      Ou par richesces que on a quises
      Au grief d'autruy et mal aquises
      Puet estre en honneurs ou estas?
      Apperçois tu nulz telz es tas
145 Des mondains? croy que si sens faille:
      N'ay doubte que de ce je faille
      Et appert que trestuit enssemble
      Cuident estre dieux; que t'en semble?
      Est ce voye d'en meurs errer
150 Ou ce c'est la sante d'errer?
      Meismes voit on qu'en orgueil monte
      Maint de qui le scens petit monte
      Et qui n'ont pas vaillant ma coiffe
      Des fortunez biens, et a quoy fe-
155 Roye de ce plus long procès?
      Car certain es qu'a la proces-
      Sion en dure longue route,
      Et par tel erreur foy est route
      Au monde ou pou on voit aprendre
160 Les meurs qui bonnes sont a prendre.
      Aux juges par ta foy meffaire
      Vois tu fors droit en riens meffaire,
      Chier frere et amy, or prens garde
      Se adès justice bien on garde.
165 Ha! Justice la trés eleue
      Com notablement tu es leue
      Et enseignée es traittiez
      Ou l'en apprent justes traittiez!
      Voiz tu que la faveur des droiz
170 Soit estendue adès es droiz
      Povres orphelins et aux lasses
      Vefves de plourer non ja lasses.
      Et que t'en semble? est il ainsi?
      Je croy que non certes, ains si
175 Est tout le monde adès tourné
      Que tout bien leur est destourné.
      Et ce puis pour certain tenir,
      Car bien m'en sçay a quoy tenir,
      Et Fortune m'a fait maistresce
180 Du sçavoir par preuve, mais trés ce
      Que fus en ses liens liée
      Nul ne vint plus a chiere liée
      M'offrir confort en bonne entente
      Fors puet estre ainsi comme en tente
185 Les simples pour les decepvoir,
      Et certes je dis de ce voir,
      Dont mes adversitez communes
      Sont ainsi tournées comme unes
      Acoustumances qui adès
190 Continuent, ainsi a des
      Meschiefs eüz de ma partie
      Puis que je parti ma partie
      Vraye et loyal a ton amy:
      Estoit cil, si ert il a my
195 Sy que jamais si fait n'aray
      Comme ailleurs qu'ycy le naray.
      Et de telz annuis encor ay je
      Dont je te pri de bon couraige,
      Que Dieux pries que pacience
200 M'i doint, car je n'ay pas science
      De toudis me tenir com forte
      En pacience qui conforte.
      Dieu pry qu'il t'ottroit par durable
      Temps vivre au monde et pardurable.
205 Escript seullette en m'estude
      Le dixsiesme jour par estude
      De Fevrier l'An Mil quatre cens
      Et trois en deliberé scens.

      Christine de Pizan, ancelle
210 De Science, que cest an celle
      Occuppacion tint vaillant,
      Ta disciple et ta bienveillant.

1: Cette pièce ne se trouve que dans les mss. de la famille A.

Dans la rubrique A2 ajoute tout de rimes equivoques

9 On pourrait corriger: r. ne soit

50 A1 homme

59 A n'appart

87 A1 errent

125 A1 Exercititant

162 A2 ajoute n' devant en

174 A1 nom

196 A1 que y.

199 A prie

201 A conforte

209 A P. an ce celle

ERRATA

[corrigées dans l'édition électronique]

ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS

P. 15, vers 445, mettre un point d'interrogation après Cartage.

P. 15, vers 449, remplacer le point d'interrogation qui est à la fin de ce vers par un simple point.

P. 16, vers 489, il serait préférable de mettre deux points après plus et d'écrire rigle au lieu de riglé.

LE DIT DE LA ROSE

P. 31, vers 81, on pourrait corriger firent par sirent.

P. 32, vers 100, lire: chappellès.

P. 32, vers 108, on peut écrire aussi acompagnie en un seul mot.

P. 47, vers 590, lire: bel estre.

LE DÉBAT DE DEUX AMANTS

P. 51, vers 62, supprimer l'apostrophe après cest.

P. 58, vers 309, mettre un point à la fin de ce vers.

P. 66, vers 565, lire: apoir en un seul mot.

P. 71, vers 749, il vaudrait mieux supprimer le D majuscule de de et reporter le point d'interrogation à la fin du vers.

P. 79, vers 1013, corriger en mettant au plus lié au singulier.

P. 84, vers 1165, supprimer la virgule après Sire.

P. 109, vers 2004, fermer les guillemets après feste.

LE LIVRE DES TROIS JUGEMENTS

P. 116, vers 162, lire: apoir en un seul mot.

P. 122, vers 356, atant serait peut-être mieux écrit ici a tant.

P. 125, vers 480, supprimer l'apostrophe après cest.

LE DIT DE POISSY

P. 161, vers 77, il vaut mieux prendre la forme de B chantoit et supprimer la virgule après ce mot.

P. 163, vers 119, lire: ysneles au lieu de ysveles.

P. 166, vers 217, lire: descendus.

P. 166, vers 247, on pourrait écrire aussi desrener au lieu de d'esrener.

P. 170, vers 357, on peut mettre ou à la place de on.

P. 172, vers 431, lire: Es cuisines.

P. 177, vers 587, écrire: l'endemain.

P. 184, vers 841, remplacer le point qui est après gracieulx par une virgule.

P. 192, vers 1101, mettre une virgule après Longs et écrire enarchiez en un seul mot.

P. 194, vers 1154, mettre une virgule après flans et supprimer le point et virgule après rains.

P. 205, vers 1518, lire: doulcès.

P. 212, vers 1747, reporter la virgule après ce.