The Project Gutenberg eBook of "La Guzla" de Prosper Mérimée

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Title: "La Guzla" de Prosper Mérimée

Author: Vojislav Mate Jovanović

Release date: March 2, 2010 [eBook #31474]
Most recently updated: January 6, 2021

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK "LA GUZLA" DE PROSPER MÉRIMÉE ***

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VOYSLAV M. YOVANOVITCH

DOCTEUR DE L'UNIVERSITÉ DE GRENOBLE
«LA GUZLA» DE PROSPER MÉRIMÉE
ÉTUDE D'HISTOIRE ROMANTIQUE

Préface de M. AUGUSTIN FILON

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

1911

PRÉFACE

Dans ce volume, dont j'ai grand plaisir à être l'introducteur auprès du public, l'auteur, M. Yovanovitch, un écrivain serbe qui s'est établi en France depuis plusieurs années pour étudier de plus près son sujet, a consigné le résultat de ses recherches sur La Guzla de Mérimée. Ce volume lui a valu le titre de docteur, conféré par l'Université de Grenoble; et les éloges qui lui ont été donnés, à cette occasion, par les membres du jury m'autorisent à dire que rarement diplôme de docteur a été plus brillamment conquis par un écrivain étranger.

Que vaut La Guzla? Quelle place doit-elle occuper dans l'œuvre de Mérimée et dans la production littéraire de son temps? Appartient-elle au romantisme? Est-ce une traduction ou un pastiche? Jusqu'à quel point nous laisse-t-elle entrevoir le génie poétique des peuples slaves de la péninsule balkanique? Jusqu'à quel point devons-nous la considérer comme une invention personnelle, une création originale? Nous, les mériméistes de la première et de la dernière heure (car deux générations se sont déjà succédé dans notre petite chapelle), nous n'avions pu qu'entrevoir la réponse à ces questions: M. Yovanovitch, entré après nous dans la confrérie, les résout d'une façon complète et définitive.

Les ballades qui composent La Guzla ne sont pas, bien entendu, l'œuvre du prétendu Hyacinthe Maglanovitch si complaisamment décrit par Mérimée dans l'édition de 1827. Non seulement ce personnage n'a jamais existé, mais il ne représente pas exactement le type de ces chanteurs populaires. Car ceux-ci ne sont pas de véritables auteurs: ils se contentent de répéter, en les modernisant, des chansons transmises de siècle en siècle, à la façon des rhapsodes homériques.

Une douzaine d'années avant la première publication de La Guzla, trois volumes de chants populaires serbes avaient été publiés en Allemagne, sous les auspices de Jacob Grimm, par Vouk Stéphanovitch Karadjitch. Ces chants étaient absolument inconnus de Mérimée, mais ils étaient familiers à Goethe et à un grand nombre de ses contemporains, allemands ou anglais. Devons nous donc, alors, penser que Mérimée était, comme il nous le laisse croire dans la préface de la seconde édition, l'inventeur de tous ces petits drames auxquels se mêlent une ou deux idylles? M. Yovanovitch nous retire cette illusion en nous indiquant l'une après l'autre toutes les sources auxquelles a puisé le grand écrivain. Celui-ci s'était contenté de nommer, comme son principal informateur, l'abbé Fortis, naturaliste italien, qui a visité l'Illyrie en 1771 et qui, dans le récit de son voyage, avait joint à ses copieuses observations scientifiques quelques données sommaires sur l'histoire des mœurs et sur la littérature populaire. Mérimée faisait encore négligemment allusion à certaine compilation de statistique dont l'auteur était «un employé du Ministère des Affaires étrangères», qu'il ne prenait pas la peine de nommer. Avec ces maigres moyens, il avait deviné la poésie des Slaves de la région balkanique et s'était plu à montrer combien il est aisé de fabriquer cette «couleur locale» qui était le grand secret du romantisme.

Si Mérimée avait fait cela, ce serait une véritable création ex nihilo. Mais il n'en est rien et M. Yovanovitch nous révèle impitoyablement à quel fonds Mérimée a emprunté le thème de chacune de ses ballades. Il est parti de ce principe que toutes les civilisations et toutes les races traversent, à un moment donné, la même phase mentale où leur poésie populaire exprime, avec une naïveté parfois féroce, les mêmes passions violentes. Et, s'inspirant de cette donnée, il a cherché ses primitifs aussi bien dans les chansons du Border écossais que dans de vieux contes chinois, dans les idylles de Théocrite comme dans les pages de l'ancien Testament.

Quant à la «couleur locale» dont il se moquait en 1842, mais qu'il cherchait très sérieusement en 1827, s'il la doit à quelqu'un, c'est assurément à Charles Nodier et à Fauriel, dont il ne prononce le nom ni dans la première ni dans la seconde de ses préfaces. Fauriel, en effet, a recueilli et publié les chants populaires de la Grèce moderne qui confine aux pays de nationalité serbe et partage avec eux certains traits de mœurs, certains souvenirs historiques. Nodier a été le bibliothécaire des gouverneurs français de l'Illyrie, en 1813, et le rédacteur en chef de notre journal officiel, publié à Laybach. Sur les informations, plus ou moins authentiques, qu'il avait ramassées là-bas, il a bâti Jean Sbogar et Smarra, sans parler d'une publication semi-érudite à laquelle le Journal des Débats avait ouvert ses colonnes. C'est là, probablement, que Mérimée a entrevu l'âme serbe, ou, du moins, qu'il a trouvé les traits qui lui ont servi à particulariser, à dater, à localiser l'âme primitive qu'il voulait mettre en scène.

Nous voilà maintenant édifiés et vous penserez peut-être que M. Yovanovitch a joué un assez mauvais tour à Mérimée en faisant justice de sa seconde thèse aussi bien que de la première. Mais je crois, au contraire, qu'il a rendu un service signalé à notre auteur en confrontant ses matériaux avec son œuvre et que personne, avant lui, n'avait si bien mis en lumière l'incomparable talent avec lequel le grand artiste transformait une matière souvent bien pauvre. Lisez, par exemple, ce froid apologue chinois d'où Voltaire a tiré une tragédie plus froide encore et lisez ensuite l'Aubépine de Véliko; qui ouvre le volume de La Guzla. Quelle force concentrée! Quelle brièveté effrayante! Quelle profonde émotion sort de ce récit sans pitié et nous étreint à la gorge!

C'est véritablement un chef-d'œuvre et il y a bien d'autres chants dans La Guzla dont on pourrait en dire autant. Je ne m'en étais jamais aperçu aussi bien qu'après avoir lu le livre de M. Yovanovitch. J'ai vraiment devant moi maintenant celui qu'il définit «un grand poète sans imagination». Oui, voilà bien ce qu'a été Mérimée pendant la première et trop courte période de sa vie littéraire, avant les salons, avant l'Académie des Inscriptions, avant la mondanité et l'archéologie: doué d'une vision sans égale, mais incapable de créer.

AUGUSTIN FILON.

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS NOTE SUR LA TRANSCRIPTION DES NOMS SLAVES

PREMIÈRE PARTIE

Origines de «La Guzla».

CHAPITRE PREMIER

Les Illyriens dans la Littérature française avant «La Guzla».

§ 1. Le mot: Illyrien. Les relations serbo-françaises au moyen âge.—§ 2. Du XVIe au XVIIIe siècle.—§ 3. Les voyages de Fortis.—§ 4. La comtesse de Rosenberg-Orsini.—§ 5. Mme de Staël et la poésie «morlaque».—§ 6. L'Illyrie napoléonienne.—§ 7. Charles Nodier en Illyrie.—§ 8. Jean Sbogar.—§ 9. Smarra.

CHAPITRE II

La Ballade populaire avant «La Guzla».

§ 1. Définition de la ballade.—§ 2. La ballade populaire en Angleterre: pastiches de Macpherson; Reliques de Percy.—§ 3. La ballade populaire en Allemagne: Herder.—§ 4. La ballade populaire en France: précurseurs du folklorisme; Ossian en France; l'influence anglaise; Mme de Staël; le Romancero; Chants populaires de la Grèce moderne de Claude Fauriel et leur influence; les romantiques et la poésie populaire.—§ 5. La ballade serbo-croate: les Narodné srpské Piesmé de Vouk St. Karadjitch; succès européen de ce recueil.—§ 6. Les mystificateurs littéraires.

CHAPITRE III

Prosper Mérimée avant «La Guzla».

§ 1. Les débuts littéraires de Mérimée: Cromwell, le Théâtre de Clara Gazul.—§ 2. Influence de Fauriel: goût de la poésie populaire.—§ 3. Influence de Stendhal: goût de la mystification.

* * * * *

DEUXIÈME PARTIE

Les Sources de «La Guzla».

* * * * *

CHAPITRE IV

Nodier, Fauriel, Chaumette-Desfossés, «L'Orphelin de la Chine».

§ 1. Date de la Guzla—§ 2. Influence de Nodier. Le mot: guzla. Hyacinthe Maglanovich.—§ 3. Mérimée commentateur.—§ 4. L'Aubépine de Veliko: une inspiration chinoise.—§ 5. Voyage en Bosnie. Chants populaires de la Grèce moderne.

CHAPITRE V

Fortis, «La divine Comédie», Quelques autres Sources.

§ 1. Les Illyriens de Fortis.—§ 2. Les ballades des heyduques. Les Braves Heyduques: une scène dantesque. Chant de Mort: un vocero morlaque.—§ 3. La vie domestique dans la Guzla: l'Amante de Dannisich. De la différence qu'il y a entre cette pièce et la véritable poésie serbe.—§ 4. La vie domestique dans la Guzla: ballades sur les pobratimi.—§ 5. Les Monténégrins. Les Français dans la poésie populaire serbo-croate.—§ 6. La source de Hadagny.—§ 7. Une note nouvelle: Venise; Barcarolle.—§ 8. Théocrite et les auteurs classiques: le Morlaque à Venise; Impromptu.

CHAPITRE VI

Le Merveilleux dans «La Guzla».

§ 1. Historique du vampirisme.—§ 2. Le vampirisme dans la Guzla. Dissertation de Mérimée. La Belle Sophie. Jeannot. Le Vampire. Cara-Ali. Constantin Yacoubovich.—§ 3. Le mauvais œil. Dissertation sur cette superstition. Le Mauvais Œil. Maxime et Zoé.—§ 4. L'Amant en bouteille.—§ 5. La Belle Hélène..—§ 6.Le Seigneur Mercure.

CHAPITRE VII

«La Ballade de l'épouse d'Asan-Aga».

§ 1. Analyse du poème.—§ 2. Traductions étrangères: en Allemagne; en Angleterre; en France; autres traductions.—§ 3. La traduction de Mérimée. Conclusion.

* * * * *

TROISIÈME PARTIE

La Fortune de «La Guzla».

* * * * *

CHAPITRE VIII

«La Guzla» en France.

§ 1. Publication du livre.—§ 2. Critiques du temps: la Réunion, le Moniteur, le Journal de Paris, le Globe, la Revue encyclopédique, la Gazette de France, le Journal des Savans. La réclame de l'éditeur.—§ 3. L'édition de 1842. Réimpressions postérieures.—§ 4. La Guzla à l'Opéra-Comique.—§ 5. La poésie serbe en France après la Guzla.—§ 6. Un plagiat. Conclusion.

CHAPITRE IX

«La Guzla» en Allemagne.

§ 1. La traduction de Wilhelm Gerhard. Ranke et la Guzla. Otto von Pirch. Siegfried Kapper. La critique de M. Depping.—§ 2. Goethe et la Guzla.

CHAPITRE X

«La Guzla» en Angleterre.

§ 1. Mérimée et John Bowring.—§ 2. La critique de la Monthly Review.—§ 3. La critique de la Foreign Quarterly Review. «M. Mervincet.» Mrs. Shelley.

CHAPITRE XI

«La Guzla» dans les pays slaves.

§ 1. La traduction de Pouchkine. Lettre de Mérimée à Sobolevsky.—§ 2. Chodzko. Mickiewicz et le Morlaque à Venise. Ses relations avec Pouchkine. Son cours au Collège de France. Sa conférence sur la Guzla.

CONCLUSION

APPENDICE: Note sur un poème inédit de Walter Scott

BIBLIOGRAPHIE
INDEX

AVANT-PROPOS

Dans les derniers jours du mois de juillet 1827 parut à Paris, chez
F.-G. Levrault, un volume de XII-257 pages in-12, intitulé La Guzla ou
choix de poésies illyriques recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la
Croatie et l'Herzégowine
. Sorti des presses de F.-G. Levrault, à
Strasbourg, cet ouvrage contenait:

1º Une préface de six pages, dans laquelle son auteur, anonyme, Italien d'origine, Français par son éducation, Dalmate de naissance, expliquait ou plutôt justifiait cette publication. «Quand je m'occupais à former le recueil dont on va lire aujourd'hui la traduction, disait-il, je m'imaginais être à peu près le seul Français (car je l'étais alors) qui pût trouver quelque intérêt dans ces poèmes sans art, production d'un peuple sauvage; aussi les publier était loin de ma pensée. Depuis, remarquant le goût qui se répand tous les jours pour les ouvrages étrangers et surtout pour ceux qui, par leurs formes mêmes, s'éloignent des chefs-d'œuvre que nous sommes habitués à admirer, je songeai à mon recueil de chansons illyriques. J'en fis quelques traductions pour mes amis, et c'est d'après leur avis que je me hasarde à faire un choix dans ma collection et à le soumettre au jugement du public.» Dans la suite de sa préface, «s'imaginant que les provinces illyriques, qui ont été longtemps sous le gouvernement français, sont assez bien connues pour qu'il soit inutile de faire précéder le recueil d'une description géographique, politique, etc.», l'auteur, en quelques mots à peine, nous dit ce qu'est la guzla: «espèce de guitare qui n'a qu'une seule corde faite de crin», et nous parle des bardes slaves, joueurs de guzla, qui parcourent les villes et les villages en chantant des romances; puis vient:

2° Une notice sur Hyacinthe Maglanovich, joueur de guzla, le poète des «ballades illyriques» dont on ne fait qu'offrir au public la traduction littérale. Le portrait lithographié de Maglanovich, signé A. Br., ornait le volume; enfin:

3° Vingt-huit ballades, traduites en prose française, accompagnées de longues notes et deux dissertations folkloriques.

Cette collection de ballades eut peu de succès en France. On l'eût rapidement oubliée si elle n'avait eu pour auteur un jeune homme qui se révéla bientôt écrivain de grand talent, si, enfin, on ne lui avait fait à l'étranger un accueil plus favorable. En effet, peu de mois après sa publication, cet ouvrage eut les honneurs d'une traduction en vers allemands. Goethe lui consacra une notice dans sa revue Art et Antiquité. Le vieux poète le loua fort, mais se donna le malin plaisir de dévoiler à cette occasion une petite supercherie littéraire: l'auteur des ballades n'était autre que le jeune et brillant écrivain qui, deux ans auparavant, avait publié le Théâtre de Clara Gazul, œuvre d'une fictive comédienne espagnole. Le titre même du livre (la Guzla) était-il autre chose que l'anagramme de Gazul?

Cette aimable découverte—inutile, disait le démasqué—ne tarda pas à provoquer une certaine curiosité, sinon pour le livre mis en cause, du moins pour son spirituel et original auteur, que ses autres ouvrages commençaient déjà à rendre célèbre.

Prosper Mérimée, qui avait vingt-quatre ans alors, était, en effet, le véritable auteur de ces ballades prétendues illyriques. Dans une lettre restée inconnue des mériméistes français, lettre adressée à Sobolevsky, ami de Pouchkine, le 18 janvier 1835, et, dans une préface écrite en 1840 pour la seconde édition de la Guzla, édition parue en 1842, il a raconté lui-même l'histoire de cette mystification littéraire.

«Vers l'an de grâce 1827, dit-il dans cette préface, j'étais romantique. Nous disions aux classiques: «Vos Grecs ne sont point des Grecs, vos Romains ne sont point des Romains; vous ne savez pas donner à vos compositions la couleur locale. Point de salut sans la «couleur locale.» Nous entendions par couleur locale ce qu'au XVIIe siècle on appelait les mœurs; mais nous étions très fiers de notre mot, et nous pensions avoir imaginé le mot et la chose. En fait de poésies, nous n'admirions que les poésies étrangères et les plus anciennes: les ballades de la frontière écossaise, les romances du Cid nous paraissaient des chefs-d'œuvre incomparables, toujours à cause de la couleur locale».

«Je mourais d'envie d'aller l'observer là où elle existait encore, car elle ne se trouve pas en tous lieux. Hélas! pour voyager il ne me manquait qu'une chose, de l'argent; mais, comme il n'en coûte rien pour faire des projets de voyage, j'en faisais beaucoup avec mes amis.»

«Ce n'étaient pas les pays visités par tous les touristes que nous voulions voir. J.J. Ampère et moi, nous voulions nous écarter des routes suivies par les Anglais; aussi, après avoir passé rapidement à Florence, Rome et Naples, nous devions nous embarquer à Venise pour Trieste, et de là longer lentement la mer Adriatique jusqu'à Raguse. C'était bien le plan le plus original, le plus beau, le plus neuf, sauf la question d'argent!… En avisant au moyen de la résoudre, l'idée nous vint d'écrire d'avance notre voyage, de le vendre avantageusement, et d'employer nos bénéfices à reconnaître si nous nous étions trompés dans nos descriptions. Alors l'idée était neuve, mais malheureusement nous l'abandonnâmes.»

«Dans ce projet qui nous amusa quelque temps, Ampère, qui sait toutes les langues de l'Europe, m'avait chargé, je ne sais pourquoi, moi ignorantissime, de recueillir les poésies originales des Illyriens. Pour me préparer, je lus le Voyage en Dalmatie de l'abbé Fortis et une assez bonne statistique des anciennes provinces illyriennes, rédigée, je crois, par un chef de bureau du Ministère des Affaires étrangères. J'appris cinq à six mots de slave, et j'écrivis en une quinzaine de jours le livre que voici!»

Mérimée, qui ne s'épargnait pas lui-même dans cette préface, raconta ensuite «le succès immense» de la Guzla. «Il est vrai qu'il ne s'en vendit guère qu'une douzaine d'exemplaires, dit-il, mais si les Français ne me lurent point, les étrangers et des juges compétents me rendirent bien justice.»

«Deux mois après la publication de la Guzla, M. Bowring, auteur d'une anthologie slave, m'écrivit pour me demander les vers originaux que j'avais si bien traduits.»

«Puis M. Gerhart, conseiller et docteur quelque part en Allemagne, m'envoya deux gros volumes de poésies slaves traduites en allemand, et la Guzla traduite aussi, et en vers, ce qui lui avait été facile, disait-il dans sa préface, car sous ma prose il avait découvert le mètre des vers illyriques. Les Allemands découvrent bien des choses, on le sait, et celui-là me demandait encore des ballades pour faire un troisième volume.»

«Enfin, M. Pouchkine a traduit en russe quelques-unes de mes historiettes, et cela peut se comparer à Gil Blas traduit en espagnol, et aux Lettres d'une religieuse portugaise traduites en portugais.»

«Un si brillant succès ne me fit point tourner la tête. Fort du témoignage de MM. Bowring, Gerhart et Pouchkine, je pouvais me vanter d'avoir fait de la couleur locale; mais le procédé était si simple, si facile, que j'en vins à douter du mérite de la couleur locale elle-même et que je pardonnai à Racine d'avoir policé les sauvages héros de Sophocle et d'Euripide.»

Ce récit fut, pendant longtemps, l'unique source de renseignements sur le sujet, tant pour les biographes de Mérimée que pour les historiens de l'époque romantique.

L'ironie de ce passage a éveillé une méfiance générale. M. Augustin Filon, le distingué biographe de Mérimée, sachant bien que ce railleur impitoyable, qui nous a donné la Vénus d'Ille et la Chambre bleue, avait trop de goût et trop d'esprit pour faire de pareilles confessions, M. Filon, disons-nous, alla, non sans raisons, jusqu'à qualifier ces deux pages de «nouvelle mystification greffée sur celle de 1827[1]».

Cependant, à l'exception de P. V. Annenkoff, qui a publié, en 1855, ses Matériaux pour servir à la biographie de Pouchkine (en tête de la grande édition du poète russe que Mérimée a dû posséder!), et de M. Jean Skerlitch, qui a donné, en 1901 et 1904, plusieurs articles sur la fortune de la poésie serbe en France—articles malheureusement écrits en serbe et pour des Serbes—personne n'entreprit de vérifier le récit de notre auteur[2]. Une étude complète sur la Guzla était encore à faire.

Un tel travail ne serait pas sans intérêt ni sans utilité pour qui veut mieux connaître le curieux épisode d'histoire romantique qu'est cette œuvre de jeunesse du parfait écrivain à qui les lettres françaises doivent la Chronique de Charles IX et Colomba. Mais—et nous tenons à le dire avant d'aborder la matière—ce n'est pas exclusivement au critique français que s'adresserait une monographie sur la Guzla. Et tout d'abord, un «choix de poésies illyriques», alors même que les origines en seraient douteuses, intéresse l'historien littéraire serbo-croate. La poésie populaire a joué un grand rôle dans la destinée de cette nation dont elle constitue encore aujourd'hui le plus important monument littéraire; aussi les érudits serbo-croates doivent-ils chercher à savoir quelle fut son influence à l'étranger. La Guzla, d'autre part, appartient à un genre international par excellence: son caractère dépasse les frontières du pays où elle a vu le jour et du pays qui l'a inspirée; son histoire intéresse tous ceux qui s'occupent de l'influence de la ballade populaire sur la littérature en général, sur le romantisme européen en particulier.—Enfin, à propos de ce recueil, Mérimée est entré en relations avec Goethe et Pouchkine. Connaître l'histoire de la Guzla est donc chose importante pour les biographes et les commentateurs de ces deux grands poètes. Il est nécessaire en effet, et nous le montrerons, d'apporter certaines rectifications aux travaux qu'on leur doit, encore que ces mêmes travaux aient fourni un sérieux appoint à notre étude.

Pour ces raisons, nous avons voulu faire œuvre utile à la fois pour les mériméistes, pour les slavicisants, pour ceux qui se sont adonnés à l'étude du romantisme, pour ceux enfin qui font de Goethe leur poète favori.

Il est vraiment difficile d'être parfait alors qu'on s'adresse à des érudits qui ont des préoccupations si différentes, quand on s'expose à la fois à la critique française et aux critiques étrangères. Les méprises sont possibles en effet; de plus, on risque toujours, s'adressant à des publics si divers, d'être ici trop prolixe, ici trop incomplet. En ce qui concerne le premier de ces écueils, nous croyons que le meilleur moyen sinon d'éviter toute méprise, du moins de les faire ressortir d'elles-mêmes, est de donner en notes tout ce qui peut permettre de contrôler et de rectifier le travail. Quant au second, nous avouerons que, pour notre part, nous préférons le superflu à l'insuffisant.

Il est certain que le lecteur versé dans quelques-unes des questions que nous avons à traiter (Poésie populaire dans la littérature européenne; Mérimée avant 1827; etc.) trouvera dans notre livre bien des choses qu'il jugera trop connues pour figurer dans un travail d'érudition. Mais, pour parler sans fausse modestie, il n'est pas moins certain qu'elles lui apparaîtront sous un jour nouveau, dans l'ensemble qu'elles forment avec d'autres faits jusqu'alors ignorés.

Nous nous proposons, en ce qui concerne le plan de notre ouvrage, d'exposer l'histoire de la Guzla dans l'ordre qui nous paraît le plus logique: 1° retrouver les causes littéraires et autres qui ont contribué à la produire (les Origines); 2° étudier les procédés de composition dont l'auteur s'est servi (les Sources); 3° raconter l'histoire du livre une fois paru (sa Fortune). Nous voulons vérifier, rectifier et compléter les faits connus[3], en apporter de nouveaux, les ordonner, les grouper, sans craindre de nous engager dans des digressions et des discussions lorsqu'elles nous paraîtront nécessaires, car notre matière est, après tout, de celles qui sont nettement circonscrites: on peut aisément l'épuiser.

NOTE SUR LA TRANSCRIPTION DES NOMS SLAVES

Nous avons adopté les règles suivantes pour la transcription des noms et des mots slaves:

1° Pour les Slaves qui se servent de l'alphabet romain, nous avons conservé l'orthographe originale;

2° Pour ceux dont l'écriture est cyrillique, nous avons composé des transcriptions phonétiques françaises qui se rapprochent le plus possible de la prononciation du peuple auquel ces mots appartiennent; sauf dans le cas où il s'agit, soit de noms déjà orthographiés par ceux qui les portent, soit, surtout, de noms et de mots cités dans la Guzla, pour lesquels nous avons cru devoir respecter la forme originale.

Depuis un certain temps, les philologues slaves les plus estimés s'efforcent de faire accepter à l'étranger une méthode beaucoup moins compliquée, mais qui a aussi de graves inconvénients. Ils ont proposé d'adopter le plus simple parmi les alphabets slaves romains, c'est-à-dire l'alphabet croate, avec quelques additions indispensables. Ils ont eu beaucoup de succès en Allemagne et un peu en Angleterre. Pour des raisons dont l'énumération serait trop longue ici, nous ne croyons pas qu'il en sera de même en France, et que l'on n'y écrira jamais Puškin au lieu de Pouchkine, Turgenjev au lieu de Tourguéneff, Tolstoj, etc.

PREMIÈRE PARTIE

ORIGINES DE «LA GUZLA»

From the fact that the romantic movement in France was, more emphatically than in England and Germany, a breach with the native literary tradition, there result several interesting pecularities. The first of these is that the new French school, instead of fighting the classicists with weapons drawn from the old arsenal of mediæval France, went abroad for allies.

H. A. BEERS, Romanticism in the XIXth Century, New-York, 1902, p. 190.

«LA GUZLA» DE PROSPER MÉRIMÉE

La Guzla est née de causes multiples. Parmi ces causes, les trois suivantes nous paraissent les plus importantes, c'est:

1º L'exotisme littéraire de 1827. Nous n'avons pas jugé nécessaire d'indiquer les origines ni d'étudier les conséquences de la vogue extraordinaire dont ont joui, aux débuts du mouvement romantique français, les littératures et peuples étrangers, mais nous croyons devoir en donner l'historique en ce qui concerne le peuple auquel nous nous intéressons plus particulièrement: les Serbo-Croates. Cet historique formera notre premier chapitre.

2º Le folklorisme littéraire du temps, en général, et le grand succès de la ballade populaire serbe, en particulier. Cette matière, beaucoup moins explorée que la première (parce que, pour parler franchement, elle est beaucoup moins importante), afin de nous faire mieux comprendre, mérite d'être exposée plus en détail. Ce sera l'objet de notre second chapitre.

3º L'élément personnel, savoir ces deux traits du caractère de Mérimée: a) l'intérêt qu'il portait aux peuples primitifs et à la ballade populaire: b) son goût pour la mystification. Une interprétation des données biographiques sera tentée, dans ce sens, dans le troisième chapitre de cette première partie.

CHAPITRE PREMIER

Les Illyriens dans la littérature française avant «la Guzla».

§ 1. Le mot: Illyrien. Les relations serbo-françaises au moyen âge.—§ 2. Du XVIe au XVIIIe siècle.—§ 3. Les voyages de Fortis.—§ 4. La comtesse de Rosenberg-Orsini.—§ 5. Mme de Staël et la poésie «morlaque».—§ 6. L'Illyrie napoléonienne.—§ 7. Charles Nodier en Illyrie.—§ 8. Jean Sbogar.—§ 9. Smarra.

§ 1

LES RELATIONS SERBO-FRANÇAISES AU MOYEN AGE

Les neuf millions et demi de Serbo-Croates «orthodoxes» et catholiques qui habitent la plus grande partie de la péninsule des Balkans et le Sud-Ouest de la monarchie Austro-Hongroise[4], n'ont pas toujours été connus sous leur véritable nom dans l'Europe occidentale. Par ignorance ou avec intention, on les désignait, on les désigne quelquefois encore (le plus souvent pour des raisons politiques[5]) par une foule de noms qui, tous, ont le tort de faire supposer à un étranger, non pas l'existence de cette unité ethnique qu'est la race serbo-croate, mais la coexistence de nombreuses peuplades de lointaine et vague parenté. Ces noms furent empruntés soit à la géographie ancienne, non-slaves, comme ceux de Triballes, Illyriens, etc., soit à la géographie provinciale moderne, d'origine slave ou étrangère, comme ceux de Dalmates, Morlaques, Bosniaques, Rasciens, Monténégrins, Esclavons[6], etc.; ou bien, ils furent confondus avec les noms des peuples voisins: Bulgares, Valaques et même Grecs. Du reste, il ne pouvait en être autrement, étant donné, d'abord, l'ignorance de cette époque à l'égard des pays slaves; ensuite, la nouveauté relative de la classification scientifique des langues et des nationalités.

Il n'existe donc pas de nationalité illyrienne ou illyrique; c'est le peuple serbo-croate que masque ce nom. On verra, du reste, dans le cours de ce livre, que les écrivains français de 1825, et Mérimée lui-même, s'en étaient rendu compte[7].

Ce peuple serbo-croate n'était pas inconnu dans la littérature française du moyen âge; les Croisades l'avaient mis en relations avec l'Occident. La péninsule des Balkans fut traversée par Godefroy de Bouillon, Frédéric Barberousse, Richard Cœur de Lion. Les chroniques du temps relatent, en effet, en vers et en prose, les pérégrinations des Croisés dans les contrées chrétiennes, comprises entre la Hongrie et l'empire Byzantin, la mer Adriatique et la mer Noire.

Contentons-nous d'indiquer, parmi les documents parvenus jusqu'à nous, la Conquête de Constantinople de Villehardouin et la chronique de Guillaume de Tyr, cette mine si riche où puisèrent les compilateurs et les versificateurs d'itinéraires de la Terre-Sainte[8].

Le chemin de Jérusalem, si fréquenté pendant tout le moyen âge, quand il ne passait pas par la mer Méditerranée et l'île de Malte, passait par Venise et Raguse, ou bien par la vallée du Danube et de la Morava, pour gagner ensuite Constantinople et l'Asie-Mineure. Les guides du temps s'occupèrent de toutes ces routes; et l'on retrouve dans ces vieux bœdeckers dont MM. Charles Schefer et Henri Cordier nous ont donné une collection d'éditions critiques[9], nombre de pages relatives aux Serbo-Croates.

Durant cette même époque, les littératures européennes, la littérature française en particulier, ne restèrent pas inconnues aux Serbo-Croates. Tandis que les Slaves catholiques, par la force même des choses, recevaient directement la civilisation occidentale, les «orthodoxes», christianisés et introduits dans l'histoire par Byzance, virent un jour l'empire Latin se fonder à Constantinople et l'influence française pénétrer profondément dans l'Orient. C'est alors que, grâce aux Grecs, de nombreuses légendes d'origine étrangère entrèrent dans la littérature savante et dans la littérature traditionnelle, non seulement des Serbes et des Bulgares, mais aussi des Russes et des Roumains. Un des plus beaux monuments de l'art médiéval serbe, l'Evangéliaire de Miroslav, doit ses charmantes enluminures à une inspiration française[10]. Cette ardeur cosmopolite des Slaves balkaniques alla jusqu'à se manifester par une version serbe de Tristan, aujourd'hui malheureusement perdue[11]. On fit même, en Bosnie, une version populaire de Maistre Pathelin[12]. Et, avant qu'une invasion turque vînt jeter, pour longtemps, dans une barbarie pitoyable toute cette jeune race qui semblait vouloir prendre la place occupée par ses civilisateurs grecs, ces Serbes eurent l'occasion d'entrer en relations directes avec la France. Au XIVe siècle, une princesse royale française, dont l'identité n'est pas bien établie, devint reine de Serbie (Hélène, femme d'Étienne Ouroch Ier), pendant qu'une famille provençale, les Baux (Balsae) qui seront chantés cinq siècles plus tard par leur grand compatriote Frédéric Mistral, fondait une dynastie au Monténégro[13]. À cette occasion, parait-il, d'après les récentes recherches de M. Pavlé Popovitch, un roman français, la Manekine, de Ph. de Beaumanoir, arriva aux Slaves méridionaux, directement, sans l'intermédiaire de Byzance[14].

§ 2

DU XVIe AU XVIIIe SIÈCLE

L'exotisme littéraire n'est pas une des inventions romantiques: le XVIIe siècle avait déjà des Gustave Wasa, des Mémoires du Sérail et des Anecdotes de la Cour ottomane et maints autres romans dont le sujet avait été emprunté à l'histoire plus ou moins authentique de l'Angleterre, de la Suède, de la Turquie, de la Perse, mais surtout à celle de ces deux derniers pays[15]. Les Slaves ne figurent pas dans cette littérature cosmopolite et, à l'exception du Czar Démétrius, «histoire moscovite» de M. de La Rochelle (1716), rien ne fut tenté pour les y introduire—à ce que nous sachions—antérieurement à ce roman russe que Bernardin de Saint-Pierre se proposait d'écrire, et qu'il n'écrivit jamais[16].

Tandis que, dans la littérature anglaise, Shakespeare avait placé sa Douzième Nuit en Illyrie—une très fictive Illyrie, cela va sans dire;—en France, on n'eut jamais même l'idée de déguiser des héros quelconques sous des costumes «esclavons», «raguzois» ou «morlaques», ou de placer une histoire dans des décors balkaniques ou adriatiques, imaginaires ou réels. Le farouche Scythe de Marc-Aurèle, repris par La Fontaine, et ces joyeux Bulgares de Candide sont, peut-être, les uniques représentants des populations balkaniques dans la littérature française du XVIIe et du XVIIIe siècle.

Maints voyageurs occidentaux étaient passés par la péninsule des Balkans, à cette époque; voire même quelques expéditions scientifiques françaises[17]; mais aucune de leurs relations de voyage, quoique très estimables, n'a obtenu un succès comparable à celui, considérable, des itinéraires turcs, persans ou chinois[18].

L'histoire offrait de meilleures sources à qui désirait connaître les Serbo-Croates. On pouvait consulter surtout l'Histoire de la décadence de l'Empire Grec et de l'établissement de celui des Turcs, par l'Athénien Chalcondyle, ouvrage souvent réimprimé au cours de la seconde moitié du XVIe siècle; l'Histoire universelle, de Th. Agrippa d'Aubigné, l'Histoire de l'Empire Ottoman, par le chevalier Paul Ricault, et, surtout, les travaux importants d'un grand érudit de ce temps, Ch. Du Cange (1610-1668), l'auteur de l'Histoire de l'Empire de Constantinople. Le livre de Ricault, qui fut constamment réédité jusqu'à la seconde moitié du XVIIIe siècle, contient également un récit dramatique de la bataille de Kossovo, bataille fatale aux Serbes, dans laquelle ils «perdirent leur Empire», en 1389. Mais ceci n'intéressa que des savants.

Pour connaître un peuple, ce qu'il faut avant tout connaître: c'est sa langue. Or, personne en France ne connaissait alors celle des Serbo-Croates. L'ignorance, d'ailleurs partagée par l'Europe entière de cette époque, devait être absolue, même en 1765, lorsque l'on publia, en tête des Observations historiques et géographiques sur les peuples barbares qui ont habité les bords du Danube et du Pont-Euxin[19], la curieuse Dissertation sur l'origine de la langue sclavonne prétendue illyrique, par M. de Peyssonnel, de l'Académie des Inscriptions. M. de Peyssonnel ne connaissait pas la langue dont il étudiait les origines, mais l'Académie (à laquelle cet ouvrage fut présenté) ne la connaissait pas davantage, bien que vingt ans auparavant, elle eût compté parmi ses membres un Ragusain, dom Anselme Banduri, antiquaire distingué et bibliothécaire du duc d'Orléans (1671-1743).

Sauf une bande étroite du littoral Adriatique, toute la péninsule balkanique faisait alors partie de l'empire du Grand Turc. La république de Raguse, cité de marchands riches et rusés extrêmement fiers chez eux, «pauvres Ragusains» hors de leur minuscule patrie[20], était le seul pays serbo-croate qui prospérât pendant cette époque, la plus triste de l'histoire des peuples balkaniques. Tandis qu'une barbarie quasi absolue régnait à ses portes mêmes, Raguse possédait une société policée et une littérature florissante, formées surtout à l'école de l'Italie.

Les relations entre les Ragusains et le gouvernement français étaient assez intimes, et même pendant un certain temps leurs vaisseaux trafiquèrent sous la protection du pavillon français, comme nous le montrent les documents conservés à la Bibliothèque nationale, au Ministère des Affaires étrangères et aux Archives nationales, documents publiés depuis par M. Iv. Krst. Švrljuga[21] et par M. V. Jelavić[22]. Leur littérature même ne resta pas inaccessible aux œuvres françaises; les adaptations de Molière, faites à Raguse, surtout dans la première moitié du XVIIIe siècle, sont nombreuses[23]. Mais la petite république adriatique ne devint jamais populaire en France. L'opinion qu'on y avait sur les «Raguzois» n'était pas très flatteuse pour eux: on les accusait de mener une politique équivoque, et on ne les aimait pas parce qu'ils étaient les concurrents redoutables du commerce français dans le Levant[24]. En 1667, les Ragusains ayant demandé l'assistance pécuniaire des princes catholiques pour rétablir les dommages causés par le grand tremblement de terre, Louis XIV chassa leurs députés et refusa de les entendre[25]; mais ce fait n'a pas empêché, il y a quelques années, un poète serbe de grand talent, M. Jean Doutchitch, de célébrer en beaux vers les splendeurs d'une «soirée à Trianon» donnée en l'honneur de ces mêmes «Esclavons».

Quoi qu'il en soit, avant la fin du XVIIIe siècle, on ne commença pas en France à s'intéresser aux lettres dalmates. La première traduction d'un ouvrage littéraire ragusain fut publiée en 1779. C'était un poème latin, les Éclipses, composé par le newtonien bien connu le P. Boscovich, qui représenta pendant un certain temps son pays auprès du Roi de France[26]. Dans l'épître dédicatoire, l'auteur s'adressait à Louis XVI:

Protecteur des nations les plus étendues, tu ne dédaignes pas de veiller sur les états les plus bornés. Des limites étroites resserrent, il est vrai, ceux de ma patrie. Aux bords adriatiques, Raguse ne fleurit que par ses richesses et par l'étendue de son commerce; sa gloire n'est fondée que sur le génie des sciences et des arts, sur sa noblesse antique et sur les droits éternels de sa liberté.

Il est vrai qu'en 1766, M. La Maire, ancien consul de France à Raguse, avait dit quelques mots de la poésie illyrienne, dans un rapport officiel à son gouvernement; mais ce rapport, assez répandu en manuscrits[27], resta cependant inédit presque jusqu'à nos jours et ne fut publié qu'en 1881 par M. Sime Ljubić, dans les Starine de l'Académie Sud-Slave (tome XIII).

Quelques années plus tard, un grand amateur de livres, le marquis de Paulmy d'Argenson, acheta à Venise quelques manuscrits serbo-croates (parmi lesquels le célèbre Osman de Gundulić), pour sa bibliothèque: bibliothèque qui est maintenant celle de l'Arsenal. Il pensait, semble-t-il, en publier la traduction française dans sa fameuse Bibliothèque universelle des romans fondée en 1774[28]. Il y parlait de «livres composés en langue esclavonne et dans les différents dialectes de cet idiome qui se parlent sur les côtes de la mer Adriatique, opposées à l'Italie, dans la Croatie, l'Esclavonie proprement dite, la Hongrie, la Bohème, la Moravie, la Silésie, la Lusace, la Pologne et même (sic) la Russie». Il traitait cette littérature d'«histoires fabuleuses des héros, des conquérants et des premiers souverains de ces pays, où la langue esclavonne est en usage[29]». Le volume soixante et unième de ses Mélanges tirés d'une grande bibliothèque, publié en 1787, est consacré exclusivement aux contrées illyriennes[30].

Le marquis de Paulmy ne tarda pas à trouver des imitateurs et des plus estimables. Le 3 prairial an IV, la troisième classe de l'Institut national adressa une demande au ministre des Relations extérieures, le priant de lui «procurer la jouissance des livres et ouvrages marqués dans la liste relevée par le citoyen du Theil», lequel était chargé d'examiner une notice du consul général de la République à Raguse. Cette liste comportait «plusieurs ouvrages qui paroissent intéressans particulièrement ceux qui sont écrits en langue illyrique… par les principaux écrivains qui ont honoré et honorent aujourd'hui la littérature ragusoise[31]».

Nous ne savons pas ce qu'il advint de cette acquisition de livres serbo croates—si toutefois elle fut faite—mais nous savons que, quarante ans après, l'enthousiaste Charles Nodier écrivait dans la seconde préface de sa nouvelle de Smarra: «Aujourd'hui on sait même à l'Institut que Raguse est le dernier temple des muses grecques et latines[32].»

La bonne volonté de l'Institut ne profita guère aux lettres illyriennes, et, comme nous allons le voir, le véritable intérêt pour elles ne fut pas provoqué par l'initiative de ce corps. Il venait d'un autre côté. Seulement, ce ne furent pas les œuvres élégantes des pseudo-classiques ragusains qui furent découvertes, mais la poésie nationale et populaire des montagnards «morlaques».

Toutefois il nous faut remarquer que, bien avant cette époque, dans la première moitié du XVIIIe siècle, quelque chose qui venait de Serbie, quelque chose d'horrible et de terrifiant, l'idée du vampirisme, avait gagné la France; épouvantables histoires qui, transmises par les Allemands, amplifiées par les éditeurs de brochures à sensation, firent alors le tour du monde. Nous reviendrons dans une autre partie de cet ouvrage sur ce petit événement, dont les conséquences littéraires vont se répercuter jusqu'à la Guzla.

§ 3

LES VOYAGES DE FORTIS

L'abbé Albert Fortis[33], membre de plusieurs académies italiennes et étrangères, que l'on nomme aujourd'hui encore «il primo naturalista d'Italia et uno dei primi d'Europa», publia à Venise, en 1771, son Saggio d'Osservazioni sopra l'isola di Cherso ed Osero (pp. 169, in-4°). Ce livre était le fruit d'une excursion scientifique faite au mois de mai 1770, en compagnie de John Symonds, professeur d'histoire moderne à l'Université de Cambridge, aux côtes et aux îles dalmates[34].

À la fin de son savant ouvrage, après avoir apporté quantité de documents nouveaux, concernant l'archéologie et l'histoire naturelle, l'abbé Fortis publia une lettre adressée à son compagnon anglais; il y parle des pismé ou chansons populaires des Serbo-Croates; il n'estime pas beaucoup ce genre de poésie, et c'est, semble-t-il, pour faire plaisir à son ami qu'il a commencé d'y prendre intérêt. «Io era in collera con questo abuso di tradizione, disait-il, ma me la sono lasciata passare; dopo che ò trovato che nello stesso modo si perpetuano molti curiosi e interessanti pezzi di Poesia Nazionale all'uso de'vostri Celti Scozzesi fra'contadini spezialmente…Voi non vi troverete gran forza di fantasia, niente di maraviglioso, non vani ornamenti: ma bensì condotta quanto in alcun allro Poema, e cognizione dell'uomo, e carattere di nazione, e ciò, che mi sembra più pregevole, esattissima verità Storica[35].»

Il en parla et promit même d'en parler davantage dans un autre ouvrage qu'il préparait alors. Pour le moment, il se contenta d'ajouter à la relation de son voyage une ballade serbo-croate («morlaque») traduite en italien, Canto di Milos Cobilich e di Vuko Brancovich. Cette ballade nous intéresse, car, sous le titre de Milosch Kobilich, Mérimée en a donné une traduction française dans la seconde édition de la Guzla. Nous en parlerons en son temps; qu'il nous suffise de faire remarquer ici que Mérimée ne connaissait pas les Osservasioni et qu'il a tiré sa ballade d'une autre source.

Le Canto di Milos Cobilich e di Vuko Brancovich n'est pas à proprement parler de la poésie véritablement populaire, bien qu'il appartienne au cycle le plus important peut-être des chants serbes: celui de la bataille de Kossovo, qui est une lamentation sur la fatale défaite de 1389. Un savant franciscain dalmate, qui voulut instruire son peuple, André Kačić-Miošić (1696-1760), avait composé cette ballade, comme beaucoup d'autres, sur les thèmes populaires et l'avait publiée, en 1756, à Venise, dans un recueil qui porte le titre de Razgovor ugodni naroda slovinskoga(Entretiens familiers de la nation slovinique). Une copie manuscrite de ce poème se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal à Paris (n° 8701).

Fortis ne dut avoir entre les mains qu'une copie de cette chanson et non pas le texte imprimé, car il s'y trompa et la crut véritable poésie populaire. Nulle part, en effet, il ne mentionna Kačić comme en étant l'auteur[36].

Quoi qu'il en soit, il est intéressant et même utile de se demander comment Fortis eut l'idée de joindre cette pièce à son ouvrage et de promettre la publication ultérieure d'autres ballades «morlaques».

Sur le continent européen, cette idée était chose peu commune en 1770. Dix ans seulement s'étaient écoulés depuis qu'en Angleterre les poèmes d'Ossian avaient été publiés; cinq ans seulement depuis la première édition des Reliques of Ancient English Poetry de Percy, et l'influence de ces deux livres, qui sera énorme, commençait à peine à se faire sentir.

Nous parlerons, au chapitre suivant, du retour à la poésie populaire qui se produisit en Angleterre vers le milieu du XVIIIe siècle; cette nouvelle orientation du goût anglais devait exercer par la suite une profonde influence sur les littératures européennes. Ici nous ne dirons que quelques mots de l'origine probable des préoccupations folkloriques de Fortis.

C'est visiblement sous l'influence britannique qu'il se mit à recueillir les poésies populaires serbo-croates. Il connaissait bien, semble-t-il, la littérature anglaise du temps[37], et admirait particulièrement Ossian qu'il lisait dans la traduction de Cesarotti[38]. Il avait de nombreuses relations en Angleterre et il en parle souvent avec un sentiment de reconnaissance; il avait fait son premier voyage de Dalmatie en compagnie d'un savant anglais; de même qu'il fera son second voyage en accompagnant un évêque irlandais. En Italie, il avait pour amis des Anglais et des Écossais qui l'aidaient de leur bourse et auxquels il dédiait ses œuvres: lord Bute, ancien premier ministre de George III, qui était, comme on le sait, protecteur de James Macpherson[39]; John Strange, résident de Sa Majesté Britannique à Venise; lord Frédéric Hervey, évêque de Londonderry, etc.[40]. Enfin, c'est en anglais qu'il fit rédiger l'édition définitive de son Voyage (1778). Hâtons-nous pourtant de dire qu'à notre sens, plus que la littérature de ce pays, ce sont ses amis qui lui donnèrent le goût de la ballade primitive.

Fortis parle avec dédain de la poésie populaire, dont un vrai savant ne devrait pas s'occuper. Le principal but de son ouvrage fut de lancer quelques nouvelles théories géologiques. Et cependant, le meilleur succès qu'obtint son livre sur la «Morlaquie» et les «Morlaques[41]>», il le dut aux littérateurs plus qu'aux savants.

Le Canto di Milos Cobilich e di Vuko Brancovich ne restera pas enseveli dans les Osservazioni. Un illustre penseur et poète allemand, Herder, va le traduire bientôt en sa langue et l'insérer dans le premier tome de sa fameuse collection de Chansons populaires. Et ce sera la première conquête de la poésie serbo-croate[42].

Au mois de juin 1771, Fortis partit pour la seconde fois en Dalmatie. Il y resta plusieurs mois, envoyant à ses protecteurs anglais de longs rapports qu'il réunira en 1774 et publiera à Venise[43]. Dans un des plus intéressants chapitres de ce célèbre Voyage en Dalmatie, le chapitre De' Costumi de' Morlacchi, il parla de nouveau de la poésie populaire serbo-croate, décrivit la guzla et les bardes «morlaques»: «V'è sempre qualche cantore, il quale accompagnandosi con uno stromento detto guzla, che à una sola corda composta di molti crini di cavallo, si fa ascoltare ripetendo, e spesso impasticciando di nuovo le vecchie pisme o canzoni[44].»

Dans ce chapitre il inséra un poème «morlaque», la Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga («Xalostna Piesanza plemenite Asan-Aghinize») avec, en regard, une traduction en vers italiens («Canzone dolente della nobile sposa d'Asan Aga[45]»). Nous ne savons pas de qui Fortis avait obtenu le manuscrit de cette pièce, car, non seulement elle était inédite à cette époque, mais avait des chances de le demeurer toujours sans son initiative: en effet, aucun collectionneur n'a pu l'entendre réciter[46]. Notons avec la plus grande réserve l'assertion de Hugues Pouqueville dans son Voyage de la Grèce:

Cette pièce (Triste ballade) avait été communiquée à l'abbé Fortis par M. Bruère qui a laissé une grande quantité de poésies slaves inédites qu'il avait recueillies et traduites[47].

M. Bruère, qui a laissé une quantité de poésies slaves, est Bruère-Dérivaux fils (Marko Bruerović) dont nous avons déjà dit quelques mots[48]. Né vers 1770, il n'avait que deux ou trois ans à l'époque des voyages de Fortis; il n'a donc pas pu lui fournir le texte en question. Quant à Bruère-Dérivaux père, qui n'a pas laissé de poésies slaves, il est vrai, mais qui fut longtemps consul de France auprès de la République de Raguse, la chronologie nécessaire nous manque pour pouvoir confirmer ou réfuter la note de Pouqueville[49].—Remarquons aussi que les guzlars serbes n'intitulent jamais leurs productions: ce sont les collectionneurs qui s'en chargent. C'est ainsi que l'on s'explique ce titre prétentieux: la TRISTE ballade de la NOBLE épouse; c'est là le pur langage littéraire des pseudo-classiques dalmates qui avaient recueilli le poème.

Le Voyage en Dalmatie ne trouva pas ce qu'on appelle un accueil chaleureux, du moins auprès des gens de science, malgré tous les efforts de l'auteur pour faire remarquer son ouvrage au moyen de différentes traductions étrangères. Le crédit en fut surtout ébranlé quand un écrivain dalmate, Jean Lovrich, publia sa très sévère critique où il reprochait à Fortis trop de crédulité, les erreurs les plus absurdes et quelques hypothèses très téméraires[50]. Cette réfutation donna lieu à une polémique assez longue, qui finit selon l'usage par devenir fort amère et coûta la vie à celui qui avait entrepris de la faire[51]. Il est juste d'ajouter que plusieurs des conjectures de Fortis ont été depuis confirmées par la science, et que personne n'avait jamais mis en doute sa bonne foi. Il est cité comme autorité par Élisée Reclus, qui fait rarement un tel honneur aux voyageurs anciens[52].

L'année qui suivit la publication du Voyage, le chapitre De' Costumi de' Morlacchi fut traduit en allemand et imprimé à Berne, sous forme de brochure[53]. En 1776 parut dans la même ville la traduction complète en deux volumes in-8º[54]. Au mois de février 1777, le Mercure de France publia un «Fragment sur les mœurs et coutumes des Morlâques (sic) tirés de l'extrait du Voyage en Dalmatie, de M. l'abbé Fortis, inséré dans le tome XX du Journal littéraire de Pise», fragment qui est sans doute la première mention française de l'ouvrage de cet écrivain[55]. Quant à la traduction française, elle sortit en 1778, à Berne, des mêmes presses d'où était sortie la traduction allemande. À titre d'essai, on publia d'abord l'opuscule sur les Mœurs et usages des Morlaques appelés Monténégrins, et celui sur le Pays de Zara[56]; puis, peu de temps après, le Voyage complet[57]. Cette même année 1778 parut à Londres l'édition anglaise, édition définitive, somptueusement imprimée aux frais des amis de l'auteur: Travels into Dalmatia, to which are added Observations on the island of Cherso and Osero; translated with considerable additions (pp. x-584, in-4°).

La ballade «morlaque» publiée et mise en vers italiens à la fin du chapitre sur les mœurs eut plus de succès que le livre entier: elle inspira une trentaine de traductions étrangères, dont treize françaises,—parmi lesquelles la plus importante pour nous est celle de Mérimée, dans la Guzla.

Nous aurons à parler plus loin de la Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga; ici, nous noterons seulement le succès immédiat qu'elle remporta en Allemagne, succès qui assura à la poésie serbo-croate une certaine renommée européenne bien avant le livre de Mérimée.

Dès le mois de mars 1776, les Annonces savantes de Francfort, en présentant la petite brochure bernoise, se mirent à louer le «Klag-Gesang» morlaque[58]. Ces louanges s'adressaient à la lourde version qu'en avait donnée le poète Werthes; mais une traduction plus réussie ne tarda pas à en être faite.

Un grand poète en assuma la tâche. On ne sait pas exactement quand ni comment Die Sitten der Morlakken arrivèrent entre les mains de Goethe, et à quelle occasion ce dernier entreprit de mettre en vers le petit poème. Toutefois, l'auteur de Werther dut composer sa traduction en 1775 ou 1776, et cela non seulement en utilisant celle de Werthes[59], mais aussi en recherchant dans le texte original, imprimé au recto, les particularités de la métrique serbo-croate, ce que Fortis et Werthes avaient négligé. (Le fait est brillamment démontré par Karl Bartsch[60].) Devenu désormais le Klaggesang von der edlen Frauen des Asan Aga, ce morceau trouva, en 1778, une place dans le premier tome des Chansons populaires de Herder[61]. Comme nous l'avons mentionné plus haut, l'éditeur de ce recueil y avait déjà introduit un chant serbo-croate: le Canto di Milos Cobilich e di Vuko Brancovich. Il y avait ajouté, au tome second, deux autres ballades «morlaques», traduites cette fois sur les versions inédites de Fortis: Radoslaus («Pisma od Radoslava») et Die schöne Dollmetscherin («Pisma od Sekule Jankova netjaka, divojke dragomana i passe Mustaj bega»)[62] empruntées toutes deux aux Entretiens familiers d'André Kačić-Miošić. Les versions italiennes sur lesquelles Herder avait traduit ces deux poèmes de Kačić n'ont jamais été imprimées. Nous n'avons trouvé que la copie manuscrite de l'une d'elles: celle du Canto di Mustài Pascià e della Donzella Dragomana («Die schöne Dollmetscherin»), conservée parmi les papiers de John Strange au British Museum, et nous la publions, de même qu'une autre traduction inédite de Fortis, dans l'Archiv für slavische Philologie[63].

D'après le Klaggesang de Goethe, Walter Scott composa plus tard une Lamentation of the Faithful Wife of Asan Aga; mais ce poème, dont nous tracerons l'histoire à son heure[64], resta inédit jusqu'à nos jours.

Ainsi les voyages de Fortis en Dalmatie ont eu leurs conséquences littéraires: ils ont fait découvrir la poésie populaire serbo-croate; elle aussi trouve sa part dans l'influence qu'exerça la ballade populaire sur la littérature romantique.

La Guzla qui doit beaucoup, directement et indirectement, au Voyage en Dalmatie n'est pas cependant la première œuvre inspirée par ce livre.

Avant d'étudier ce que Mérimée, auteur de la Guzla, a pris à Fortis ainsi qu'à d'autres sources, il nous faut dire quelques mots des précurseurs, envers qui il se trouve redevable dans une certaine mesure.

§ 4

LA COMTESSE DE ROSENBERG-ORSINI

De nos jours, Justine Wynne, comtesse des Ursins et Rosenberg, auteur des Morlaques, est absolument inconnue. Ni Sayous ni M. Virgile Rossel ne disent un seul mot de cette Anglo-Italienne qui fut écrivain français; et le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Larousse, qui a exhumé les noms les plus oubliés, ignore pourtant le sien.

Cependant, elle fut célèbre en son temps; les Morlaques, imprimés en 1788, furent lus par Goethe qui s'en souvenait quarante ans après[65]; l'abbé Cesarotti, littérateur distingué du temps, traducteur italien d'Ossian, les loua comme «une poésie qui n'a pas besoin de versification, comme Vénus n'avait besoin, pour se faire aimer de Pâris, ni de ses vêtements ni même de sa ceinture[66]». Les Morlaques eurent l'honneur d'être traduits en allemand[67] et en italien; ils inspirèrent une page de Corinne; et Charles Nodier, qui en possédait l'un des rares exemplaires, les appela un jour «le tableau le plus piquant et le plus vrai des mœurs les plus originales de l'Europe[68]».

Ce roman aujourd'hui complètement oublié méritait que l'histoire littéraire sinon le public lui fît un meilleur sort. Car, malgré tous ses défauts, le livre des Morlaques ne manque pas, à plus d'un point de vue, d'originalité et d'intérêt. Ajoutons que ce curieux ouvrage est un des premiers romans français où se trouve décrite la vie des nations étrangères, avec le souci de ce qu'on appellera plus tard la couleur locale; il se révèle de plus chez son auteur un profond sentiment de la nature sauvage et des mœurs barbares, ce qui est également rare et exceptionnel en 1788. C'est là, sans doute, un titre suffisant pour valoir à la comtesse de Rosenberg au moins une mention parmi les précurseurs de l'exotisme romantique.

Justine (Giustiniana) Wynne naquit à Venise vers 1735. Son père était anglais et protestant; sa mère greco-italiote était catholique fervente. «Placée, au début de la vie, dit son biographe[69], sous ces deux influences religieuses contradictoires, elle subit un tiraillement moral dont l'impression demeura ineffaçable. Ses idées s'altérèrent au contact d'un monde frivole et sceptique, mais elle retint l'exaltation en perdant la foi. Rien ne put détruire en elle le germe de cette sensibilité profonde, qualité qu'elle tenait de sa mère, et qui donne, en grande partie, leur valeur à ses œuvres.

«Justine était l'aînée de cinq enfants, trois filles et deux fils; elle avait quatorze ans, quand une violente attaque de goutte remontée lui enleva son père. Quoique celui-ci habitât l'Italie depuis plusieurs années, il était resté sujet britannique, et sa famille dut se conformer aux prescriptions des lois anglaises. Lord Holland, l'un des grands seigneurs philosophes de cette époque, fut nommé tuteur de Justine et de ses frères et sœurs. Il voulut attirer en Angleterre toute cette famille, y marier avantageusement les filles et donner aux garçons une éducation anglaise. L'opiniâtre Mme Wynne avait l'idée fixe de soustraire ses enfants à l'influence protestante. Deux fois elle fut contrainte de venir avec eux en Angleterre (1751-1756) et deux fois elle parvint à les ramener en Italie sous prétexte que le climat du Nord était préjudiciable à leur santé.

«Malgré ces efforts, les fils de Mme Wynne furent définitivement rendus à l'Angleterre. L'un d'eux, Richard, devint ministre du culte anglican, et s'est fait connaître par des travaux philologiques d'une certaine valeur. Justine elle-même était sur le point de redevenir anglaise, quand un événement, qu'elle ne désigne que sous le nom de combinaison fâcheuse, l'éloigna pour toujours du pays de sa famille.

«Cette combinaison fâcheuse fut son mariage avec le comte de
Rosenberg-Orsini, ambassadeur d'Autriche à Venise.

«Jolie, ambitieuse et avide de plaire, ayant eu des aventures galantes dès l'âge de seize ans, la jeune comtesse ne paraît pas avoir été très contente de son mari, car elle a gardé à son sujet un silence complet dans ses œuvres où se trouve cependant un assez grand nombre de fragments autobiographiques. On sait, seulement, qu'elle résida à diverses reprises en Allemagne, et qu'elle s'amusa fort pendant ce temps qu'elle appelle «les cinq plus belles années de sa vie.»

«Elle se trouva veuve à Venise, jeune et sans enfants. «J'étais charmante, écrivait-elle longtemps après; il m'est permis de le dire aujourd'hui, parce que je survis à ma beauté, et qu'il n'est pas plus ridicule de se louer sur ce que l'on a été que de composer soi-même son épitaphe.» Elle fut une des reines de l'aristocratie vénitienne pendant près de vingt ans (1760-1780) à l'époque de l'omnipotence féminine dans les affaires politiques et administratives de la Sérénissime République.

«Parvenue au déclin de l'âge, elle montra plus de tact que la plupart de ses contemporaines, qui prolongeaient leurs galanteries bien au delà de la jeunesse, ou achevaient de s'avilir en demandant des émotions nouvelles à la funeste passion du jeu. Quand Justine Wynne se sentit vieille, elle se fit ermite.

«C'est alors qu'elle s'adonna à la littérature. Elle s'installa avec ses livres et ses chiens près de Padoue, dans une excentrique villa nommée Alticchiero, appartenant à son vieil ami le sénateur Angelo Quirini. Elle se mit à écrire, même à beaucoup écrire, en français et en anglais; mais ne fit imprimer que quelques ouvrages tirés à un très petit nombre d'exemplaires. Elle nous a expliqué elle-même l'origine de ses premiers essais littéraires. «Quand j'étais jolie femme, dit-elle dans les Pièces morales et sentimentales, j'avais eu du moins le bon esprit de comprendre qu'il me resterait une longue vie au delà de la vie brillante de la jeunesse. Je consacrais à la lecture le temps que j'avais de reste, celui que les autres femmes réservent à leur chien ou à leur sapajou. Heureusement que je n'aimais pas les bêtes alors; je les aime à présent, et je donne à mes chiens les moments que je donnais alors à mes adorateurs. Les livres me restent toujours, ainsi que quelques amis, qui m'aident à supporter l'âge du repentir.»

«Parmi ces amis, on remarquait, outre Quirini, un sénateur nommé Dandolo, qui avait été et redevint depuis provéditeur de Dalmatie, et auquel le futur auteur des Morlaques devait, sans doute, plus d'une information sur ce pays où il a situé ses personnages et où l'action se déroule. Mais le visiteur le plus assidu de la villa Alticchiero était un certain comte Benincasa, qui prit même, paraît-il, une part aux travaux littéraires de la comtesse de Rosenberg. C'est pour ses amis que l'auteur des Morlaques écrivait et faisait imprimer ses œuvres, évitant la grande publicité, agissant avec une ambition littéraire des plus discrètes et des plus mesurées; aussi ses ouvrages sont-ils fort rares aujourd'hui et très recherchés des bibliophiles.» En voici la nomenclature:

Alticchiero, par Mme J.W.C.D. R. Genève, 1781?

Cet ouvrage est la description détaillée de la villa appartenant au sénateur Quirini, et fut adressé en manuscrit à M. Huber, de Genève (ami de Voltaire), qui le fit imprimer à ses frais à un très petit nombre d'exemplaires. En 1787, Quirini en tira une nouvelle édition avec un très grand nombre de planches et une épître dédicatoire signée par le comte Benincasa: Padoue, gr. in-4° de 5 ff. et 80 pp. de texte, avec un plan et 29 planches (British Museum).

Nous empruntons au baron Ernouf la description de cette originale demeure: «Moins somptueuse que ses orgueilleuses voisines, les villas Pisani, Foscarini, etc., Alticchiero avait néanmoins son cachet et sa réputation à part. Une partie du domaine était consacrée à des expériences agronomiques; les jardins étaient dessinés à la française, suivant le goût alors dominant; mais l'agréable y était partout sacrifié à l'utile avec une affection systématique et parfois originale. Les bosquets, les massifs, les avenues étaient exclusivement composés de beaux arbres fruitiers de toute espèce, et symétriquement décorés de statues des divinités du paganisme, de bustes de grands hommes anciens et modernes, notamment ceux de Voltaire et J.-J. Rousseau. On rencontrait là Hercule et Vénus dans un massif d'orangers, Mars de garde au milieu d'un carré de pastèques, et un autel dédié aux Furies, au rond-point d'une belle treille formant labyrinthe. Cette propriété si classiquement décorée avait encore une qualité qui passerait aujourd'hui pour un défaut aux yeux de bien des gens: tout y était aussi uni, aussi plat que régulier. Aucun mouvement de terrain, aucune inégalité malséante, même à l'horizon, n'y altérait l'harmonie et la précision des lignes.»

Du séjour des comtes du Nord à Venise en janvier 1782. Venise, 1783.

Lettre de la comtesse de Rosenberg à son frère Richard Wynne sur les voyages du grand-duc héritier de Russie, Paul Pétrovitch (depuis Paul Ier), et la princesse de Wurtemberg, sa seconde femme. Comme l'ouvrage précédent, cet opuscule est sans valeur littéraire.

Pièces morales et sentimentales de Mme J. W., C-T-SS de R-S-G, écrites d'une campagne sur les rivages de la Brenta dans l'État vénitien. Londres, J. Robson, 1785.

On remarque, parmi ces pièces, surtout la Nouvelle vénitienne plébéienne, placée à la fin du recueil, où l'auteur trace un tableau curieux des costumes et de la physionomie des gondoliers de Venise, encore originaux et pittoresques dans ce temps-là. Mme Wynne se révolte contre la civilisation moderne: «À force de communiquer ensemble, disait-elle, les hommes finissent par se ressembler tous parce qu'ils substituent indistinctement aux caractères nationaux, des manières et des idées de convention générale, ce qui efface la physionomie des nations.» Cette Nouvelle plébéienne fut traduite en italien et publiée en 1786, à Venise, sous le titre Il Trionfo de' Gondolieri.

Il existe aussi une édition anglaise de ce recueil, publiée à la même époque à Londres, en deux volumes, sous le titre des Moral and sentimental Essays.

Les Morlaques, Venise, 1788, dont on va parler plus loin.

5º Une chronique scandaleuse de la société vénitienne de la seconde moitié du XVIIIe siècle, qui est restée inédite[70].

Après avoir fait imprimer les Morlaques, la comtesse de Rosenberg voulut revoir une dernière fois l'Angleterre, qu'elle n'avait pas visitée depuis longtemps. Elle fit ce voyage avec Benincasa, devenu son inséparable, et passa près d'une année auprès de son frère Richard, avec lequel elle était toujours restée en correspondance. Elle revint par la France, où Benincasa se fit fort applaudir dans quelques clubs par ses adhésions chaleureuses à la Révolution, mais elle trouva peu d'agrément dans ce Paris tumultueux de 1790. Rentrée à la villa Alticchiero, elle y mourut presque subitement, peu de temps après son retour.

Les Morlaques[71], dans une certaine mesure, rappellent Bernardin de Saint-Pierre; on y reconnaît également, avons-nous besoin de le dire? l'influence de Rousseau.

Dans sa préface, la comtesse de Rosenberg expose son plan: elle veut peindre dans les Morlaques un pays qui «offre l'image de la nature en société primitive, telle qu'elle a dû être dans les temps les plus reculés… Avant qu'une nouvelle révolution change la nature et l'aspect de ce pays, poursuit-elle, qu'on le voie dans son état actuel beaucoup plus intéressant que celui de la civilisation la plus achevée, dont les biens et les maux sont également connus depuis longtemps parmi nous».

Ce pays idéal, c'est la Morlaquie. Les sauvages paysans slaves sont ces heureux humains qui ont toujours des «jouissances paisibles d'une vie conforme aux goûts de la nature», et qui ne connaissent «pour le moment d'autres lois que celles de la nature et d'autre droit que la force».

Au milieu d'un monde blasé et frivole, la comtesse de Rosenberg avait toujours conservé un très vif attrait pour la mâle poésie des mœurs simples et barbares. Comme nous l'avons déjà noté, elle avait pris dans sa Nouvelle vénitienne plébéienne des gondoliers de Venise pour héros. Dans les Morlaques, elle sort complètement de la société civilisée; elle célèbre d'abord la nature sauvage de la Morlaquie: la mer et les rochers, les silencieuses forêts de sapins, les chutes d'eau vertes, les grottes et les cavernes mystérieuses. Et dans ce décor majestueux, elle nous présente une famille heureuse qui «sur toutes les autres répandait par son exemple l'esprit d'une douce égalité sociale».

Mais l'auteur des Morlaques ne s'en tient pas à peindre un peuple de pasteurs et à glorifier les vertus de la vie patriarcale, comme l'ont imaginé quelques lecteurs peu patients. Le sujet de son roman est un événement tragique dont elle aurait été vivement impressionnée, et qui se serait passé à Venise, sur le quai des Esclavons, vers l'an 1781: la rencontre et le combat acharné de deux voyageurs dalmates, ennemis mortels, par suite d'une rivalité d'amour, combat qui se termina, dit-elle, par la mort du rival préféré. L'auteur eut l'idée de nous faire connaître au fur et à mesure les mœurs primitives des «Morlaques» dans une fiction romanesque, dont l'aventure poignante du quai des Esclavons devait former le dénouement.

La suite naturelle des événements dans une famille morlaque, dit-elle, va nous mettre au fait des mœurs et des usages de la nation, d'une manière plus sensible que la relation froide et méthodique d'un voyageur. On n'a pas cru avoir besoin de recourir au romanesque ou au merveilleux. Les faits sont vrais et les détails nationaux fidèlement exposés. Mœurs, habitudes, préjugés, caractères, circonstances locales, tout résultera des événements et des personnages mêmes mis en action. C'est peut-être la plus agréable façon de donner l'idée juste d'un peuple qui pense, parle et agit d'une manière différente de la nôtre[72].

Il faut relever cette intention de «donner l'idée juste d'un peuple qui pense, parle et agit d'une manière différente de la nôtre». Il est, en effet, curieux de voir une femme auteur s'exprimer de cette façon avant que Mme de Staël ait déclaré qu'il «faut avoir l'esprit cosmopolite»; avant que l'influence de Walter Scott se soit généralisée; avant, enfin, que le mot «couleur locale» ait été découvert[73]. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que Mme de Rosenberg ne s'en tint pas à la théorie, mais essaya de réaliser son idée. Sa grande préoccupation reste, en effet, toujours visible, et de cette préoccupation proviennent les qualités les plus originales des Morlaques: peinture extrêmement vive des passions les plus violentes qui font agir les acteurs du drame sanglant, peinture qui ne tend nullement à démontrer la supériorité morale des «primitifs incorrompus», et qui ne dégage aucune proposition plus ou moins utopique, pour servir à corriger les «civilisés corrompus». Il serait très injuste de voir dans les Morlaques une simple illustration des idées de Rousseau, car, si la comtesse de Rosenberg déplorait la disparition des sociétés primitives, elle la déplorait exclusivement au point de vue artistique,—ce qui était, en 1788, d'une originalité indiscutable. Elle regrettait la disparition des costumes pittoresques, des coutumes barbares, des croyances populaires, voire même de l'ignorance. Rousseau eût abhorré la superstition, dont—en vraie dilettante littéraire—était amoureuse la comtesse de Rosenberg.

Car, si l'on cherche les influences qui peuvent expliquer—jusqu'à un certain point, cela va sans dire—cette manie du «primitif», on les trouvera dans cette autre source du romantisme: les poèmes ossianiques de Macpherson, poèmes où se retrouvent des idées et des sentiments chers à Rousseau, encore que ces deux auteurs n'aient nullement influé l'un sur l'autre[74]. Les Morlaques furent écrits à l'époque la plus ardente, durant la longue vogue de «l'Homère celtique», et ils en portent visiblement les traces. L'abbé Cesarotti, critique influent, traducteur italien du barde écossais, et, de plus, son grand admirateur, partageait l'intimité de la comtesse de Rosenberg. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'on rencontre dans la Morlaquie semi-arcadienne de cette spirituelle dame, non seulement la monotonie sauvage, la mélancolie du passé, le vague du paysage, «les haines renfermées au fond des cœurs», sentiments de l'époque auxquels le fils de Fingal devait la plus grande partie de son succès,—mais aussi et surtout cet autre trait des chants ossianiques, plus original et plus distinctif celui-là, vrai trait celtique, «heureuse erreur des peuples vivant sous la Grande Ourse», qui «ignorent la pire des craintes, celle de la mort[75]»: l'amour des catastrophes terribles et des massacres fatals, la glorification de la haine meurtrière scandée solennellement dans la phrase pathétique du barde plaintif. Et cette inspiration ossianique ne se reflète pas seulement à travers le sanglant et sentimental carnage illyrien; elle va jusqu'à souffler, en certains endroits des Morlaques, la même poussière pseudo-archaïque que Macpherson étala sur sa prose rythmique.

Mais cette double influence de Rousseau et d'Ossian n'était pas suffisante pour amener à elle seule, en 1788, l'auteur de ce roman exotique à conclure que la civilisation moderne détruit le pittoresque, qu'elle «efface la physionomie» des peuples et des individus, qu'elle est néfaste à la littérature, qu'il faut partir pour les pays barbares à la recherche des héros originaux, pour donner, lorsqu'on les a trouvés, «l'idée juste» de leur manière de penser, de parler et d'agir, manière qui est «différente de la nôtre». Quelque fortes que soient les influences littéraires, elles n'expliquent pas complètement les origines de ce livre peu commun. Il y a dans les Morlaques tant de passages vraiment beaux et qui trahissent, sous le cosmopolitisme d'esprit de l'auteur, une telle sensibilité féminine qu'il est impossible de ne pas voir combien profond et entier était l'amour presque hystérique réservé par l'excentrique comtesse de Rosenberg aux simples et pittoresques peuples «primitifs».

Il nous reste à examiner le soin qu'elle apporte à peindre ses héros, à brosser ses décors: Slaves dalmates, paysages adriatiques.

Comme Mérimée qui, quarante ans plus tard, a choisi pour la Guzla les mêmes personnages et la même scène, la comtesse de Rosenberg n'avait jamais vu la Dalmatie. Ce qu'elle en sait, elle le sait de seconde main, et—disons-le tout de suite—elle en sait bien peu pour mériter les éloges décernés par l'abbé Cesarotti à sa prétendue exactitude. Charles Nodier qui avait vu la Dalmatie, et qui en parlait avec autorité, se trompe absolument en jugeant les Morlaques le «tableau le plus piquant et le plus vrai, etc…[76]» Les Morlaques, comme la Guzla, sont une «drogue», mais une drogue de fabrication plus grossière.

La comtesse de Rosenberg avait puisé la plus grande partie de ses renseignements sur la Dalmatie dans ce même Voyage de Fortis[77] que Mérimée mit, plus tard, à contribution. C'est grâce à cette source commune que la ressemblance entre leurs ouvrages n'est ni vague ni incertaine. Dans tous deux on trouve le même bric-à-brac exotique: noms bizarres, de personnes et de lieux,—mots slaves pieusement copiés dans le Voyage, avec toutes les fautes d'impression et de transcription italienne,—mots soigneusement soulignés, incrustés dans le texte avec une abondance orientale,—descriptions de fêtes populaires, de coutumes, de superstitions, de croyances; dans tous deux la guzla est dépeinte, dans tous deux se retrouvent des pismé (chansons).

Quant à la «couleur locale», il serait injuste d'exiger de l'auteur des Morlaques ce que nous a donné, bien après, l'auteur de la Guzla. Les temps étaient changés: le public romantique en demandait bien davantage. De plus—et sans parler de la supériorité du talent de Mérimée sur celui de la comtesse de Rosenberg—les genres dans lesquels chacun d'eux s'était exercé étaient si différents que l'auteur de la Guzla devait fatalement être amené à rechercher le coloris plus que ne l'avait fait l'auteur des Morlaques. En effet, Mérimée, reconstituant quelques pages de Fortis, ne composera que des morceaux fragmentaires, changeant à chaque moment ses acteurs et sa scène, morcelant à dessein son sujet. La comtesse de Rosenberg, au contraire, puisant à la même source, est contrainte—c'est une nécessité du roman—de combler toutes les lacunes pour donner une unité factice à son œuvre. La tâche était plus lourde, sinon impossible, et il n'est que très naturel d'en constater l'insuccès. Mais l'effort était beau, surtout à une époque où il n'y avait pas de précédent; il mérite une attention d'autant plus sympathique que les Morlaques, pris dans leur ensemble, paraissent beaucoup plus «illyriens» que Jean Sbogar ou Smarra, de Charles Nodier, ouvrages écrits pourtant trente ans plus tard, après un séjour de l'auteur parmi les Slaves du Sud, et qu'on croit aujourd'hui encore avoir subi l'influence de ce séjour[78].

Parlant de l'influence de Macpherson, nous avons fait allusion aux morceaux pseudo-antiques qui se trouvent dans les Morlaques. Ces prétendus spécimens de «poésie esclavonne», au nombre de dix, sont disséminés dans le cours du volume conformément aux exigences du récit. On en a réuni l'indication dans une table particulière placée à la fin des Morlaques. Voici les titres de ces poésies: Chanson de Pecirep, Histoire d'Anka, Épithalame de Radomir aux noces de Jervaz, Épithalame de Dascia aux noces de Jervaz, Prière à l'image de Catherina, Chanson de mort de Dabromir, Chanson de la bienheureuse Dianiza, Chanson de Tiescimir et Vukossava, Chanson de mort pour le Starescina de Rostar, Chanson de mort de Jervaz.

Le biographe de la comtesse de Rosenberg nous assure gravement que quelques-unes de ces poésies sont tirées «d'un recueil d'anciens chants héroïques, publié dans le courant du XVIIIe siècle par un religieux dalmate, le P. Morvizza»; les autres, inédites, auraient été rapportées et traduites à Justine Wynne par ses amis de Venise[79]. «Ces chansons, ajoute-t-il, appartiennent à des époques fort différentes; l'une des plus anciennes, Tiescimir et Vukossava (p. 254), est évidemment antérieure à l'invasion musulmane.»

Ces poésies ne sont que des contrefaçons; l'auteur de la notice que nous citons se trompait, mais il n'était pas le premier qui tombait dans cette erreur, car on verra dans les pages qui vont suivre que Mme de Staël, non plus, ne les suspectait pas. Charles Nodier, qui affectait une connaissance de «l'illyrien», prétendait également que les «morceaux de poésie esclavonne» sont «bien choisis» et que «le style de la traduction a quelque chose de la naïveté, du nerf et de la couleur de l'original[80]».

«Le P. Morvizza, religieux dalmate du XVIIIe siècle», n'ayant eu qu'une existence fictive, aucune des poésies insérées dans les Morlaques ne pouvait être tirée d'un recueil imaginaire. Il est probable que le baron Ernouf pensait à un autre religieux dalmate qui avait publié au XVIIIe siècle une collection de chants serbo-croates, André Kačić-Miošić, l'auteur des Entretiens familiers dont nous avons déjà parlé; mais les ballades de ce poète populaire sont par trop différentes de celles qui se trouvent dans les Morlaques pour qu'on puisse y reconnaître la moindre parenté avec ces dernières; certains détails cependant nous ont paru assez significatifs pour ne pas exclure la possibilité d'une connaissance directe des Entretiens familiers de la part de la comtesse de Rosenberg; ce sont de nombreux noms serbo-croates qu'on ne trouve pas chez Fortis, mais qui tous ou presque tous ont été employés par Kačić: Anka, Dobroslave, Pecirep, Dianiza, Radomir, Tiescimir, Vukossava, etc.—Toutefois, la présence de ces noms dans le livre de Mme de Rosenberg peut s'expliquer d'une autre façon: l'auteur des Morlaques n'avait-elle pas des amis qui, connaissant la Dalmatie, Dandolo, par exemple (ou Fortis lui-même peut-être?) ont pu lui donner des renseignements qui ne sont pas dans le Voyage?

Pour donner une idée de ces «morceaux de poésie esclavonne»—qui n'ont pour nous d'autre intérêt que de précéder la Guzla—citons-en un: la chanson récitée aux funérailles d'un ancien chef slave. Le sujet est celui que traitera Mérimée dans une de ses ballades «illyriques», le Chant de mort, ce vocero dalmate qui ressemble tant au vocero corse dont on lit un spécimen dans Colomba.

     Qui nous guidera encore sur les frontières des Turcs, pour leur
          enlever le bétail?

     Qui jugera des meilleurs coups et donnera le prix au bras le plus
          robuste?

     Qui mènera l'épouse à l'époux avec pompe et joie, si notre chef
          est mort?

  Qui nous éclairera de ses conseils, comme notre père, dont la prudence
          égalait la clarté des flambeaux qui dissipent les ténèbres?

     Que t'avons-nous fait, Marnan, pour que tu nous quittes? Nous
   t'aimions, nous obéissions toujours à tes ordres, ô brave Staréscina!

     Mes frères, il nous écoute, il nous entend: nos voix descendent
          jusqu'à lui, mais la sienne ne peut plus monter jusqu'à nous.

Il faut se demander maintenant si Mérimée connaissait cet ouvrage, et si ce roman n'a pas inspiré la Guzla. La réponse qu'on peut faire est à peu près celle-ci: les Morlaques n'étaient pas destinés au public, et le bibliomane Nodier qui en possédait un exemplaire, donné par l'auteur à lord Glenbervie, le jugeait «extraordinairement rare» en 1829[81]. Il est donc fort douteux que Mérimée ait lu cet ouvrage avant 1827—s'il l'a jamais lu—du moins nous n'avons pu trouver trace d'une pareille lecture dans la Guzla, quoique les ressemblances provenant d'une commune source—le Voyage de Fortis—ne manquent pas.

L'on verra que Mérimée n'ignorait pas les nouvelles illyriennes de Charles Nodier: Jean Sbogar (1818) et Smarra (1821); il serait donc intéressant de rechercher si Nodier, lui, connaissait les Morlaques. On pourrait dire alors qu'il existe dans la Guzla une certaine influence provenant indirectement des ballades-pastiches de la comtesse de Rosenberg. Ces recherches seraient d'autant plus utiles que, dès 1862, Paul Lacroix (bibliophile Jacob) remarquait un certain air de parenté entre ces productions[82], et que tout récemment, M. Curčin en est arrivé à conclure que toutes ces «mystifications» forment une «série ininterrompue» de pastiches «qui servaient toujours de modèle l'un à l'autre»: les Morlaques à Smarra, Smarra à la Guzla[83].

Pour des raisons qui nous paraissent bonnes et que nous donnons ci-dessous, nous ne croyons pas que Nodier connût les Morlaques au moment où il écrivait ses feuilletons «illyriques» (1813), ni même à l'époque de Jean Sbogar (1818) et de Smarra (1821). Les Morlaques sont un livre très rare et, probablement, Nodier ne les connaissait pas avant 1823, c'est-à-dire au moins deux ans après la publication de Smarra, son dernier ouvrage «esclavon».

Tout d'abord, il est aisé de se rendre compte qu'en 1816, il n'avait pas encore eu les Morlaques entre les mains. Il fit en effet paraître cette année dans la Biographie universelle un article sur Albert Fortis, où il prétendait que le roman de Mme Wynne n'était qu'une «paraphrase un peu étendue d'un chapitre du Viaggio in Dalmazia», ce qui provoqua une maligne rectification de la part de Ant.-Alex. Barbier (dans son Examen critique et complément des Dictionnaires historiques, Paris, 1820, p. 346). Nodier fut piqué au vif,—c'était au bibliographe qu'on s'en prenait!—il répondit finement à Barbier, tout en avouant du reste s'être lourdement trompé: il avait jugé le livre sans l'avoir jamais vu[84].

D'autre part, lord Glenbervie, à qui avait appartenu l'exemplaire de Nodier, ne mourut qu'en 1823[85]; il n'est guère probable que la bibliothèque de ce grand seigneur, homme d'État, ait été dispersée avant sa mort.

Mais si Mérimée ignorait les Morlaques et si Charles Nodier ne les a connus que longtemps après Jean Sbogar et Smarra, Mme de Staël, bien avant eux, avait lu l'ouvrage de la comtesse de Rosenberg et en avait parlé sans que personne s'en fût jamais douté[86].

§ 5

MME DE STAEL ET LA POÉSIE «MORLAQUE»

Après avoir parcouru toute l'Italie dans leur promenade poétique, Corinne et lord Nelvil arrivent à Venise. Ils montent au campanile de Saint-Marc et contemplent la «Reine de l'Adriatique» dans toute sa splendeur. Ils regardent, ensuite, vers les rives lointaines de l'Istrie et de la Dalmatie, et Corinne, cette improvisatrice admirable, impulsive et éloquente, parle ainsi à son ami:

«Cette Dalmatie que vous apercevez d'ici, et qui fut autrefois habitée par un peuple si guerrier, conserve encore quelque chose de sauvage. Les Dalmates savent si peu ce qui s'est passé depuis quinze siècles, qu'ils appellent encore les Romains les tout-puissants. Il est vrai qu'ils montrent des connaissances plus modernes, en vous nommant, vous autres Anglais, les guerriers de la mer, parce que vous avez souvent abordé dans leurs ports; mais ils ne savent rien du reste de la terre. Je me plairais à voir, continua Corinne, tous les pays où il y a dans les mœurs, dans les costumes, dans le langage, quelque chose d'original. Le monde civilisé est bien monotone, et l'on en connaît tout en peu de temps; j'ai déjà vécu assez pour cela… Mais donnons encore, poursuivit-elle, un moment à cette Dalmatie; quand nous serons descendus de la hauteur où nous sommes, nous n'apercevrons même plus les lignes incertaines qui nous indiquent ce pays de loin aussi confusément qu'un souvenir dans la mémoire des hommes. Il y a des improvisateurs parmi les Dalmates; les sauvages en ont aussi; on en trouvait chez les anciens Grecs; il y en a presque toujours parmi les peuples qui ont de l'imagination et point de vanité sociale; mais l'esprit naturel se tourne en épigrammes plutôt qu'en poésie dans les pays où la crainte d'être l'objet de la moquerie fait que chacun se hâte de saisir cette arme le premier; les peuples aussi qui sont restés plus près de la nature ont conservé pour elle un respect qui sert très bien l'imagination. Les cavernes sont sacrées, disent les Dalmates; sans doute qu'ils expriment ainsi une terreur vague des secrets de la terre. Leur poésie ressemble un peu à celle d'Ossian, bien qu'ils soient habitants du Midi; mais il n'y a que deux manières très distinctes de sentir la nature: l'aimer comme les anciens, la perfectionner sous mille formes brillantes, ou se laisser aller, comme les bardes écossais, à l'effroi du mystère, à la mélancolie qu'inspire l'incertain et l'inconnu[87].»

Cette page de Corinne est intéressante à plus d'un point de vue. Elle démontre d'abord que Mme de Staël, malgré toute la germanisation de son esprit, ne saisissait ni le but des études entreprises sur la poésie populaire par les savants allemands de cette époque; ni les beautés de cette poésie dont les recueils succédaient aux recueils; ni l'importance de tout un courant littéraire influencé par les vieux chants nationaux des «sauvages qui ont de l'imagination et point de vanité sociale». Mais nous reviendrons sur ce sujet.

Ensuite, ce qui est encore plus important pour nous, cette page témoigne que Mme de Staël connaissait bien l'ouvrage de la comtesse de Rosenberg. En effet, ce qu'elle dit de la poésie dalmate, par la bouche de Corinne, est l'expression de réflexions faites après la lecture des Morlaques.

M. Jean Skerlitch, d'après qui nous citons cette page[88], conjecture—sous réserve d'ailleurs—que l'auteur de Corinne devait connaître la poésie «morlaque» par les traductions de Herder et de Goethe dont nous avons déjà parlé.

Il est parfaitement vrai que Mme de Staël connaissait la Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga, qu'elle avait lue dans la traduction de Goethe, et cela avant la publication de Corinne. «Je suis ravie de la Femme morlacque», écrivait-elle, en 1804, à l'illustre poète, dans un de ses billets conservés à Weimar, et publiés depuis par M. F. Th. Bratranek[89]. Elle en était ravie, mais elle ne savait pas que la Femme morlaque fût une production des sauvages «qui ont de l'imagination et point de vanité sociale». Elle pensait que cette pièce était une poésie originale de Goethe, car, six ans après, en 1810, elle écrivait au chapitre XIII de la deuxième partie de son livre De l'Allemagne: «Il [Goethe] devient quand il veut, un Grec [elle faisait allusion à la «Fiancée de Corinthe»], un Indien [«Dieu et la Bayadère»], un Morlaque[90]» Il est hors de doute qu'elle pensait à la Triste ballade serbo-croate.

Il est moins probable que Mme de Staël ait remarqué les poèmes «morlaques» dans les Volkslieder de Herder, car, comme nous l'avons dit, et comme nous le mettrons plus tard en lumière, elle n'admirait pas beaucoup ce genre de poèmes et le recueil de Herder tout particulièrement[91].

Mais ce qui est certain, c'est que Mme de Staël avait lu les Morlaques de la comtesse de Rosenberg, et qu'elle jugeait les Dalmates d'après le tableau qu'en donne cet auteur. Elle ne suspectait pas l'authenticité des ballades populaires qui s'y trouvent et qui «ressemblent un peu à celles d'Ossian, bien que les Morlaques soient habitants du Midi». Toutes les allusions qu'elle fait à la Morlaquie se rapportent exclusivement au roman dalmate que nous connaissons. En voici des preuves:

LES MORLAQUES, pp. 8-9: CORINNE, liv. XV, chap. IX:

Les cavernes de l'Herzovaz cachaient Les cavernes sont sacrées, ses trésors, et les vautours dévoraient disent les Dalmates… au grand air les cadavres des Turcs tombés sous sa main… La pierre qui couvre ses cendres durera moins que sa mémoire, et notre postérité marquera toujours la place de ses restes sacrés.

Ensuite, pp. 9 et 52:

Ainsi les eaux de la Kerka, après avoir Les Dalmates savent si peu ce menacé les arcs des puissants qui s'est passé depuis quinze et renversé les ponts de Roncislap, siècles, qu'ils appellent encore se répandent et se calment dans le lac les Romains les Proclian. tout-puissants.

[En note: «Les Morlaques dans leurs chansons indiquent par ce mot les anciens Romains.»]

……………………………….

Quelque temps après eux, les puissants de l'Italie traversèrent la mer et parurent sur nos côtes.

Enfin, p. 167:

Nous les y suivîmes et, conduits par Il est vrai qu'ils montrent des les guerriers de la mer, nous connaissances plus modernes, en brulâmes leur flotte, nous renversâmes vous nommant, vous autres la ville et il ne resta de toutes les Anglais, les guerriers de la deux le lendemain que des cendres et mer, parce que vous avez des pierres. souvent abordé dans leurs ports.

[Note: «Le Morlaque indiquait de cette manière les Anglais.»]

Il faut noter que les cavernes ne sont et ne furent jamais «sacrées» pour les Dalmates; qu'ils n'appellent pas les Italiens «les tout-puissants», mais leur donnent des noms moins respectueux tels que «foi de chien» ou «foi de Latin»; de même que les Anglais ne sont nullement pour eux les «guerriers de la mer». Toutes ces expressions poétiques furent créées de toutes pièces par la comtesse de Rosenberg, et c'est dans les Morlaques que Mme de Staël les a prises.

Nous avons déjà dit que les ballades prétendues dalmates qui se trouvent dans les Morlaques sont de pure fabrication vénitienne; ainsi, l'appréciation qu'en donne Mme de Staël ne porte pas sur la vraie poésie serbo-croate. Mais au point de vue pratique, il importait peu qu'elles fussent authentiques: cette page avait son importance pour avoir fait mentionner, en 1807, dans un livre à grand tirage et qui eut une grande vogue, l'existence d'improvisateurs parmi les Dalmates et celle d'une poésie nationale slave qui «ressemble un peu à celle d'Ossian».

Prosper Mérimée avait-il lu cette page de Corinne? Et s'il l'avait lue, en avait-il gardé le souvenir? Il est difficile de le prétendre ou de le nier, mais il est aisé de voir, une fois de plus, que l'auteur de la Guzla n'était ni le «seul» ni le «premier» Français qui «pût trouver quelque intérêt dans ces poèmes sans art, production d'un peuple sauvage», comme le relate si candidement la spirituelle préface de la Guzla.

Ce passage de Corinne, peut-être inconnu de Mérimée, ne le fut pas de tout le monde. Le Globe, par exemple, vingt ans après, exprime le désir de voir paraître en France une traduction de poèmes des Dalmates, «aussi célèbres chez eux qu'ils sont inconnus parmi nous»; il va jusqu'à dire: «Il semble que la guzla des Slaves sera bientôt aussi célèbre que la harpe d'Ossian[92]». Nous croyons ne pas nous tromper en reconnaissant là comme un écho d'une leçon entendue à l'Arsenal; un regard que dirige la blanche main de Corinne, montrant du haut du campanile les rives incertaines de la Dalmatie.

§6

L'ILLYRIE NAPOLÉONIENNE

Au moment où Mme de Staël écrivait Corinne, il se passa un événement qui contribua dans une large mesure à faire connaître en France l'Illyrie et les «Illyriens». Par le traité de Presbourg (décembre 1805), la Dalmatie devint une dépendance du royaume d'Italie.

Dans la suite, à l'époque du blocus continental, afin d'isoler complètement l'Autriche de la mer, Napoléon lui enleva, par le traité de Schoenbrunn (14 octobre 1809), la Haute Carniole, une partie de l'Istrie, le Frioul, le Littoral croate et la Croatie méridionale. Il projetait de reconstituer un royaume slave sur l'Adriatique, songeant à y incorporer également et la Bosnie et la Serbie. Il donna le nom de provinces illyriennes à la nouvelle possession impériale. En 1811, il y ajouta l'Istrie vénitienne, la Dalmatie, Raguse et les Bouches de Cattaro[93]. Les provinces illyriennes s'étendaient ainsi des sources de la Save à la frontière monténégrine, et de l'Isonzo à la frontière turque. Le pays avait un gouverneur général à Laybach et était divisé en six provinces civiles et une province militaire; il avait reçu une organisation française, à l'exception de Raguse et de la province militaire[94].

Dans la capitale des provinces, qui était déjà une vraie tour de Babel, une petite colonie française s'était installée et il s'était formé une cour autour du gouverneur. L'éloignement de Paris dans lequel vivait celui-ci lui avait fait décerner «des pouvoirs extraordinaires», suivant les propres paroles de l'Empereur au général Bertrand, le premier titulaire, et le conseil qu'il présidait et dirigeait avait reçu le «pouvoir de prononcer, soit comme Conseil d'État, soit comme Cour de Cassation, sur plusieurs objets importants[95]».

Quatre gouverneurs ont régné à Laybach entre 1811 et 1813: le maréchal Marmont, duc de Raguse, le général comte Bertrand, le maréchal Junot, duc d'Abrantès, et Fouché, duc d'Otrante. Au premier rang de la colonie se trouvait l'intendant général M. de Chabrol, un administrateur actif et capable; il était secondé par le maître des requêtes Las Cases, le futur compagnon de Napoléon à Sainte-Hélène[96]. «À cette époque, dit le biographe de Fouché, où l'extension de l'Empire avait créé un réel cosmopolitisme en facilitant les relations et les allées et venues de pays à pays, on avait vu apparaître à la «cour» de Laybach plusieurs personnages de la société parisienne qui y apportaient les modes, les bruits et l'air des Tuileries. À côté des officiers et administrateurs groupés autour du gouverneur général, d'autres fonctionnaires, Italiens en grande partie, mais aussi Croates, Dalmates et Istriens, des seigneurs allemands et des chefs slavons, et jusqu'à des évêques grecs ou italiens, jusqu'à des chefs de pandours albanais, jusqu'à des envoyés de pachas voisins, créaient au palais du gouverneur une cour disparate, originale et assez brillante où se sentait un vague goût d'Orient mêlé aux élégances du faubourg Saint-Honoré; où des auditeurs frais émoulus du Conseil d'État coudoyaient des chanoinesses autrichiennes, des officiers vénitiens, des chefs auxiliaires croates, des prélats orthodoxes et des ambassadeurs monténégrins et bosniaques. Des fêtes assez fréquentes égayaient cette cour hétéroclite; le Télégraphe illyrien en faisait dans le style bien connu de la presse impériale d'emphatiques comptes rendus. Le lycée où professaient des maîtres de l'Université impériale, ouvrait ses portes au gouverneur général pour de solennelles distributions de prix; de jeunes Dalmates y composaient en latin l'éloge du grand Napoléon, comme le devaient faire, à la même heure, en d'autres lycées, de jeunes Bretons et de jeunes Hollandais[97]; le proviseur haranguait les «jeunes Illyriens» sur le style de Fontanes, croyant faire à la couleur locale une suffisante concession en soutenant, contre toutes les vraisemblances géographiques, qu'ils pouvaient, du haut de leurs montagnes, apercevoir le Pinde et les Thermopyles[98]. Le pays semblait «napoléonisé». Il n'y manquait que la guillotine, mais les fonctionnaires la réclamaient à grands cris. Dès le 23 novembre 1812, elle fut installée à Laybach. On inondait le pays de croix et de rosettes de la Légion d'honneur: grands seigneurs, évêques, chanoines, maires et chefs de pandours participaient à cette manne[99].»

Le poète slovène Vodnik chantait dans une ode:

Napoléon a dit: «Réveille-toi, Illyrie, quatorze siècles durant la mousse t'a recouverte.» Aujourd'hui, Napoléon lui ordonne de secouer sa poussière. Elle sera glorifiée, j'ose l'espérer. Un miracle se prépare, je le prédis. Chez les Slovènes pénètre Napoléon; une génération tout entière s'élance de la terre. Appuyée d'une main sur la Gaule, je donne l'autre à la Grèce pour la sauver[100].

Mais, malgré ces vers, le gouvernement français ne dura pas longtemps dans les provinces. Ni le peuple «illyrien» ni ses voisins n'étaient contents de lui. Les Russes et les Anglais parurent devant Cattaro; les Monténégrins descendirent de leurs montagnes, et à partir de l'automne 1813, les Français ne furent plus maîtres que du pays dominé par leurs canons, c'est-à-dire de quelques places fortes où l'on célébrait d'imaginaires victoires de l'Empereur pour entretenir l'enthousiasme des soldats. Enfin, les événements de 1814 et 1815 replacèrent définitivement l'Illyrie sous la domination de l'Autriche.

Cette occupation momentanée ne resta pas sans conséquences pour la science et pour la littérature[101].

La géographie y gagna d'abord. La Dalmatie, le Monténégro (qui était à deux pas de la garnison française de Cattaro), la Bosnie—pays tous inconnus jusqu'alors—furent étudiés dans une série d'articles, brochures, mémoires, relations de voyage, qui se prolongea longtemps après la restitution des provinces à l'Autriche.

À Laybach, on publie en français des décrets, arrêtés et règlements[102]. On rédige le Télégraphe officiel des provinces illyriennes, journal tétraglotte, publié par le gouvernement (en français, italien, allemand et slovène[103]). À Trieste, on imprime une grammaire française «à l'usage de la jeunesse guerrière des provinces illyriennes[104]».

En France, les journaux donnent régulièrement des nouvelles du pays et s'efforceront de faire connaître à leurs lecteurs la plus récente conquête impériale[105]. Peu de temps après l'occupation de la République de Raguse par Lauriston (1806), un lettré «slovinique», le comte de Sorgo, fut présenté à Napoléon[106] et élu membre de l'Académie Celtique (plus tard Société des Antiquaires de France). Il lut à cette savante compagnie un Mémoire sur la langue et les mœurs du peuple slave[107] dans lequel il exprimait l'opinion suivante: «Depuis qu'une partie des peuples slaves, notamment les Dalmates, furent réunis à la grande confédération de l'Empire Français, l'histoire, la langue, les antiquités de ces peuples devenus pour les savants français des richesses nationales, peuvent réclamer leur attention et quelques instants de leurs travaux précieux[108].»

En même temps, les Annales des Voyages de Malte-Brun publient une Notice géographique et historique sur le Monténégro et un Tableau des Bouches de Cattaro (1808). Cette publication populaire donne aussi, en 1809, une Description physique de la Croatie et de l'Esclavonie, et, en 1811, un Mémoire sur le Monténégro, par A. Dupré. Cette même année 1811 paraissent: la Croatie militaire, mémoire sur les régiments frontières, par le général Andréossy[109]; les Souvenirs d'un voyage en Dalmatie, par C. B., du département de Marengo [Dr Charles Botta], ouvrage où l'on parle de la poésie populaire serbe (pp. 55-57). En 1812, le Voyage en Bosnie dans les années 1807-1808, par Amédée Chaumette-Desfossés, ancien chancelier du consulat général de Bosnie, ouvrage réédité en 1821, connu de Mérimée et utilisé dans la Guzla[110]. L'année suivante, M. Depping fait un long Tableau de Raguse pour les Annales des Voyages (t. XXI), où il parle de la littérature «illyrienne» d'après l'ouvrage italien de F.-M. Appendini[111]. En 1814, on traduit de l'allemand une étude sur l'Illyrie et la Dalmatie, par le savant autrichien Balthasar Hacquet, et on l'augmente d'un Mémoire sur la Croatie militaire[112]. Le Journal des Débats ouvre son feuilleton aux articles sur la poésie «illyrienne», par Charles Nodier. En 1815, Charles Pertusier, attaché à l'ambassade de France à Constantinople, fait paraître une longue notice sur la Dalmatie, dans ses Promenades pittoresques dans Constantinople et sur les rives du Bosphore. En 1818, A. Dupré s'occupe de nouveau de l'Illyrie: il publie son «essai historique et commercial» sur les Bouches de Cattaro[113]. Le dépôt général de la marine fait graver, en 1820 et 1821, les nombreux plans et cartes de la mer Adriatique levés en 1806 par les officiers français[114]. Le colonel L.-C. Vialla de Sommière, ancien chef d'état-major de la deuxième division de l'armée d'Illyrie et de Raguse, donne, en 1820, les deux volumes de son Voyage historique et politique au Monténégro, ouvrage sur lequel Sénancour fait de suite un article dans la Minerve littéraire[115]. En même temps, Hugues Pouqueville, membre de l'Institut, ancien consul général à la cour d'Ali-Pacha de Janina, imprime son grand Voyage dans la Grèce (5 vol. in-8°) qui contient un bon nombre de pages sur les pays «illyriens». En 1822, Charles Pertusier écrit une étude sur la Bosnie, considérée dans ses rapports avec l'Empire Ottoman. Enfin, en 1823, un Dalmate, ancien officier supérieur de la marine, M. le chevalier Bernardini, publie à Paris son Discours sur la langue illyrienne et sur le caractère des peuples habitant la côte orientale du golfe Adriatique[116].

Cette abondance d'ouvrages français relatifs au pays de Hyacinthe Maglanovich dispensa l'auteur de la Guzla (comme il le reconnut lui-même) d'une description géographique, politique, etc.[117]

§ 7

CHARLES NODIER EN ILLYRIE

Le 20 septembre 1812, le comte Bertrand, premier gouverneur des provinces illyriennes, signa l'arrêt par lequel M. Ch. Nodier, homme de lettres à Paris, était nommé bibliothécaire de la ville de Laybach. En même temps, il confia à l'auteur du Peintre de Saltzbourg la direction de la partie française du Télégraphe officiel. Ce fut M. de Tercy, secrétaire général de l'Intendance en Illyrie, qui demanda et obtint cette place pour son futur beau-frère «dans le double but de lui créer une position et de lui faire partager son exil, fort supportable du reste[118]».

Après avoir difficilement pourvu aux frais d'un long voyage[119], Nodier partit de Paris, en pauvre émigré, à la fin de novembre, emmenant avec lui sa jeune femme malade[120] et son enfant de dix-huit mois qu'il faillit perdre dans une tourmente de neige au Mont-Cenis; cette enfant devait être plus tard la «Notre-Dame de l'Arsenal» à laquelle Alfred de Musset adressera de si jolis vers.

Nodier arriva à Laybach vers la fin de décembre 1812[121]. «J'ai vu enfin l'Illyrie, écrivait-il alors à son ami Charles Weiss, bibliothécaire à Besançon, et à travers des neiges de deux pieds j'ai gagné les rigoureux sommets de la Carniole. À peine avais-je cessé de rencontrer l'heureux habitant de l'Adriatique légèrement vêtu d'un frac de toile lilas, et la tête couverte de son grand chapeau où flottent des rubans de toutes couleurs, que j'ai aperçu l'Istrien frileux qui grelotte sous sa mante de poils de chèvre et son bonnet de laine à trois pièces[122].»

Ce n'est parmi ces paysans exotiques qu'il vécut dans ce nouveau pays. Il habita Laybach et se trouva «au milieu d'une cour qui éclipsait celle de plus d'un roi d'Europe». En décrivant à son ami Weiss un dîner chez le comte de Chabrol, qui remplaçait le gouverneur, il disait qu'il y avait été le seul sans dentelles, sans diamants, sans épée, et qu'il «s'aperçut alors qu'il était encore à Paris[123]».

Il ne s'occupa point de politique à Laybach, lui, l'éternel conspirateur que redoutait Napoléon[124]. «Les éventualités de la possession m'étaient à peu près étrangères», dit-il à propos de ses conversations avec Fouché, conversations qu'il inséra dans les Souvenirs et portraits, et qui sont fort sujettes à suspicion[125]. Ses principales occupations se réduisaient à la direction d'une bibliothèque et à la rédaction du Télégraphe officiel[126].

Le Télégraphe officiel datait de 1810: Nodier ne l'avait donc pas fondé, comme le prétendent Sainte-Beuve[127], Quérard[128] et M. Georges Vicaire[129]. Trente mois avant l'arrivée du charmant conteur à Laybach, un arrêté du gouverneur, instituant la censure, avait ordonné qu'un journal serait publié par les soins de l'Intendance[130]; le 28 juillet 1810, un prospectus fut lancé pour annoncer la prochaine apparition du Télégraphe officiel des provinces illyriennes. Ce journal devait avoir quatre éditions: française, italienne, allemande et slave[131]; il devait paraître deux fois par semaine, in-4°, et contenir, outre les actes publics, «toutes les nouvelles qui pourront influer sur l'esprit des lecteurs et sur les intérêts du commerce».—Remarquons que Nodier (qui, personnellement, ne revendique pas le nom de fondateur du Télégraphe comme le font pour lui ses biographes) mentionne cependant dans ses Souvenirs[132] qu'il fut celui qui conseilla à Fouché de publier aussi une «édition en slave vindique» et que Fouché fut enchanté de cette proposition. Comme nous le disions tout à l'heure, la chose était résolue plus de deux ans avant l'arrivée de Nodier à Laybach. Du reste, il ne fut que «directeur chargé de la rédaction du texte françois[133]»; les autres éditions avaient leurs rédacteurs spéciaux.

On ne trouve ce journal ni à la Bibliothèque Nationale, ni dans aucune autre bibliothèque de France. Mais il en existe à Laybach deux collections, toutes deux, il est vrai, incomplètes: au Musée «Rudolphinum» et à la Bibliothèque du Lycée. Nous n'avons pu en obtenir communication, aussi nous bornerons-nous à reproduire la description faite par un lecteur plus heureux, description utilisée par les biographes et bibliographes de Nodier.

«Ce journal (in-4°, bi-hebdomadaire) comprend deux parties. Dans la première se trouvent les lois, décrets et autres actes de l'autorité, ainsi que les dépêches officielles, matériaux fort intéressants pour celui qui entreprend l'étude de cette période historique.

«La partie non officielle ne présente pas moins d'intérêt: car elle était rédigée par un écrivain qui depuis est devenu justement célèbre: Charles Nodier qui, bien que fort jeune encore, avait été nommé conservateur de la Bibliothèque de Laybach et rédacteur du Télégraphe.

«Nous ne trouvons, il est vrai, sa signature qu'au bas d'avis indiquant au lecteur les moyens de faire parvenir à la direction les vingt francs, prix de l'abonnement. Mais on reconnaît sans peine l'auteur des articles qui paraissaient dans le corps du journal. Sous cette rubrique toujours neuve; «on nous écrit» de Palerme, ou du Caire, ou de Berlin… nous retrouvons toujours la même langue pure et élégante, le même style limpide et brillant, une argumentation serrée et ingénieuse qui ne laisse aucun doute sur l'identité des nombreux correspondants que le Télégraphe officiel des provinces illyriennes devait entretenir à l'étranger.

«Enfin, sous le titre de «Variétés», nous voyons paraître des études fort curieuses sur les peuples slaves, leurs mœurs, leur langue, leur littérature, et des articles de critique littéraire ou théâtrale, qui sont dus à la plume féconde qui devait produire plus tard tant de morceaux délicats.

«Le Télégraphe officiel dura autant que l'occupation française. Le dernier numéro paru a Laybach est du 24 août; il fallut reculer devant les armées autrichiennes: la rédaction du journal, transportée à Trieste, fit encore paraître huit numéros (69 à 76) dont le dernier est du 26 septembre; ces derniers numéros étaient imprimés en trois langues: français, allemand et italien. C'est ce qui a donné lieu à la légende communément admise du journal polyglotte[134]. Il faut mettre cette légende au rang de beaucoup d'autres et constater que Nodier n'a pas cherché à éclipser le cardinal Mezzofanti: il s'est contenté d'écrire dans sa langue maternelle des pages charmantes qui méritaient mieux que de dormir oubliées dans la poussière d'une bibliothèque étrangère[135].»

N'ayant pas eu entre les mains le Télégraphe illyrien, nous ne savons rien de ces articles de Nodier. M. Tomo Matić, qui avait consulté la collection de la Bibliothèque du Lycée, et qui en a donné quelques extraits dans l'Archiv für slavische Philologie, ne s'intéressa qu'aux écrits relatifs à la poésie populaire serbo-croate et à la littérature ragusaine; il garda sur le reste le plus complet silence. À en juger d'après la plus grande partie de ce que M. Matić a publié comme de l'inédit[136], et dont on va énumérer de suite les cinq réimpressions postérieures à 1813, Nodier insérait volontiers, dans ses œuvres ainsi qu'ailleurs, ses articles du Télégraphe. Seulement en a-t-il agi de même pour tous? C'est ce que nous nous demandons, avant qu'une réponse ne parvienne de Laybach[137].

Nodier n'était pas très satisfait de son séjour dans la capitale illyrienne. Il devait attendre deux mois ses appointements de bibliothécaire et six mois ses appointements de journaliste, «avec quarante-deux francs, sans plus[138]». D'autre part, le journal l'obligeant à abandonner, après un mois, la direction de la Bibliothèque[139], sa situation devint alors beaucoup moins brillante qu'on ne lui avait laissé espérer. Il fallut créer pour lui de nouveaux postes et le dispenser de se faire faire un costume de cour.

C'est lui qui raconte ainsi sa vie à Laybach, mais il se peut qu'il ait dû renoncer à la direction de la Bibliothèque pour une autre raison. La municipalité de Laybach n'avait pas cessé de protester contre sa nomination: on avait un bibliothécaire allemand[140] et Nodier ne comprenait pas les langues dans lesquelles était écrite la plus grande partie des livres de la Bibliothèque.

D'après M. Matić, on voit que Nodier publia au Télégraphe officiel, du 11 avril au 20 juin 1813, quatre articles intitulés «Poésies illyriennes»; il en fera—M. Matić l'ignore—deux feuilletons pour le Journal des Débats, dès son retour à Paris, c'est-à-dire quelques mois plus tard[141].

Dans le premier, il se plaint que l'étude de la poésie illyrienne soit trop négligée: «Pourquoi, dit-il, un homme instruit, spirituel et sensible ne s'occuperait-il pas de recueillir ces vieux monuments de la poésie illyrique et de les faire imprimer en corps? Ce serait peut-être le moyen de faire renaître l'amour de cette belle langue nationale, qui a aussi ses classiques et ses chefs-d'œuvre[142].» Comme l'a bien remarqué M. Louis Leger[143], Nodier songe ici aux vieux monuments de la littérature ragusaine, dont il a entendu parler, et qu'il confondait avec la poésie populaire, dont il a pu lire un spécimen dans le Voyage en Dalmatie. À cette époque, il connaissait fort bien cet ouvrage, car il en parle dans son premier article, et, dans le troisième et le quatrième, il donne une analyse de la Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga.

Charles Nodier ne savait ni la langue serbo-croate, dont il voulait présenter les chefs-d'œuvre littéraires au public français, ni la langue slovène, parlée à Laybach. Il ne se doutait même pas de la différence qui existe entre elles: ainsi les deux langues ne furent pour lui qu'un seul et même «illyrien». Il ne resta pas longtemps dans ce milieu, à cette époque plus allemand que slave: neuf mois en tout[144]; il lui manqua le temps d'apprendre bien des choses sur les indigènes de ce pays.

Mais, malgré son tempérament extraordinairement fantaisiste, Nodier était un homme infatigable,—ne copiait-il pas Rabelais pour apprendre le français, et ne lisait-il pas jusqu'à sept épreuves de ses ouvrages[145]?—Le temps passé par lui à Laybach ne fut pas complètement perdu. Il se mit en «nombreux rapports avec ces hommes studieux et zélés pour la science, qui sont partout l'élite des peuples, et que l'Illyrie compte par centaines[146]»; il soumit même au comte Bertrand l'idée de créer une Académie libre illyrienne[147]. Ses amis lui avaient communiqué certains livres italiens où il y avait bien des choses à apprendre: en particulier «les savants mémoires d'Appendini sur les antiquités de Raguse et la littérature illyrienne[148]», mémoires d'après lesquels il traduisit, dans son quatrième article (20 juin 1813), le Ver luisant d'Ignacio Giorgi, petit poème d'Ignace Gjorgjić, poète ragusain; il devait en donner plus tard une nouvelle traduction[149].

Il y a dans nos Alpes helvétiques, disait-il dans un de ces articles qui sont toujours agréables à lire[150], des chansons simples et touchantes, qui ne consacrent pas le souvenir des grandes guerres, comme celles du fils de Fingal, parce que la guerre a rarement troublé la paix des chalets, mais qui peignent merveilleusement les sentiments les plus doux de l'homme et qui ne le cèdent point du tout sous ce rapport aux plus beaux chants de l'Homère de Selma. Je retrouve le même genre de poésie dans tout ce qui reste des traditions illyriennes, à cette différence près que la pureté du ciel, la beauté des productions, la grandeur des souvenirs et l'heureux voisinage de la Grèce ont dû donner au barde des Alpes Juliennes une foule d'inspirations que le nôtre n'a pas reçues. Qu'on se représente d'abord le chantre morlaque, avec son turban cylindrique, sa ceinture de soie tissue à mailles, son poignard enfermé dans une gaine de laiton garnie de verroterie, sa longue pipe à tube de cerisier ou de jasmin, et son brodequin tricoté, chantant le pismé ou la chanson héroïque en s'accompagnant de la guzla, qui est une lyre à une seule corde composée de crins de chevaux, entortillés. C'est ordinairement après les premières heures du soir que le Morlaque se promène sur la montagne, en racontant dans son chant monotone, mais solennel, les exploits des anciens barons slaves. Il ne voit pas les ombres de ses pères dans les nuages, mais elles vivent partout autour de lui. Celle de l'homme hospitalier et fidèle, qui n'a point été désavoué par ses amis dans l'assemblée du peuple, et qui a été brave à la guerre, descend souvent à travers les rameaux des yeuses dans un rayon de la lune; elle tremble sur le gazon de sa tombe, la caresse d'une lumière douce, et remonte. Celle du méchant s'égare dans les lieux abandonnés; elle fréquente les sépultures, déterre les morts, ou, plus téméraire, va boire dans un berceau négligé de la nourrice, le sang des enfants nouveau-nés. Souvent un père épouvanté a rencontré le vampire tout pâle, les cheveux hérissés, les lèvres dégoûtantes, et le corps à demi enveloppé des restes de son linceul, penché sur la petite famille endormie, parmi laquelle, d'un regard fixe et affreux, il choisit une victime. Heureux s'il parvient à trancher alors d'un coup de son hanzar les jarrets du cadavre; car désormais celui-ci ne sortirait plus de son cercueil… C'est au milieu de ces prestiges que marche mon poète, car il est poète aussi, et ne se borne pas à répéter les chants connus. La douceur de sa langue harmonieuse, la liberté de son rythme qui n'admet ni la symétrie fatigante d'une césure obligée, ni le monotone agrément de la rime, lui permettent d'obéir à toutes ses inspirations et d'embellir de ses pensées la vieille ballade que la tradition lui a transmise.

Pour se faire une idée du chant morlaque, il faut l'avoir entendu. Fortis essaie de le décrire, mais il oublie une chose qui me paraît essentielle à dire, c'est qu'il ressemble très peu à la voix humaine… Je me souviens d'un voyage que je faisais de nuit sur les bords de l'Adriatique. La lune brillait de cette clarté bleue et immobile qu'on croirait ne lui avoir vue qu'en Italie; l'eau faisait un bruit long, mais très doux et très imposant, celui des mers qui ont peu de reflux. Les roues de la voiture criaient d'une manière uniforme sur le sable égal qui la balançait, et je quittais, fatigué de courses à pied et surtout de grands souvenirs, les plaines historiques de Campo-Formio. Je dormais à demi quand ce bruit étrange d'un chant morlaque frappa mon oreille et me transporta en imagination au milieu des concerts nocturnes de Puck, d'Ariel et de tous les lutins de Shakespeare, lorsque nouvellement sortis des fleurs et encore humides de rosée, ils forment des chants que les hommes n'ont jamais entendus. Je devais cette illusion à un postillon dalmate…

Ces bardes obscurs, dont le nom sera tout à fait ignoré de l'avenir, font le charme d'une nation vive, spirituelle, sensible, qui confine d'un côté à la patrie de Virgile, de l'autre à celle d'Homère et qui ne le cède ni à l'Italie ni à la Grèce antiques dans la beauté du territoire, dans la variété des sites, dans l'originalité des mœurs et des inspirations.

Mais les «études illyriennes» de Nodier furent de courte durée. Quelques mois plus tard, quand Fouché arriva à Laybach, la restitution des provinces illyriennes était, en secret, décidée. Au mois d'août 1813, on abandonna Laybach aux Autrichiens; en septembre, ce fut Trieste. Au commencement de novembre, Nodier se trouvait à Paris et donnait des articles au Journal des Débats[151]. Arrivèrent la chute de Napoléon et les Cent-Jours; c'est alors qu'il fit sa célèbre réponse à Fouché qui, se souvenant de leurs récentes relations en Illyrie, l'avait fait appeler et lui avait demandé ce qu'il désirait: «Cinq cents frans pour aller à Gand[152]!»

«Ce séjour en Illyrie, dit M. Émile Montégut, quelque court qu'il ait été, fut mieux qu'une aventure de plus à ajouter au roman si accidenté de sa jeunesse, car il eut une importance capitale sur ses destinées littéraires. C'est de là que sont sortis à diverses dates Jean Sbogar, Smarra et Mademoiselle de Marsan

Nous allons examiner de près cette influence «illyrienne».

§ 8

«JEAN SBOGAR»

D'après Nodier, Jean Sbogar est un personnage historique «dont la renommée aventureuse remplissait encore les États vénitiens» à l'époque où il publia son histoire. C'est un bandit illyrien révolté contre le gouvernement napoléonien, ou plutôt contre tous les gouvernements du monde. Ce n'est pas un bandit banal, mais un bandit philosophe, comme le témoignent les nombreuses pensées parsemées dans l'ouvrage et qui auraient été toutes «tirées de sa conversation avec une scrupuleuse littéralité[153]». «Ennemi décidé des forces sociales, il tendait ouvertement à la destruction de toutes les institutions.» Avec sa bande armée, qui se donne le nom des Frères du bien commun, il habitait le château de Duino en Istrie, d'où il répandait la désolation et la terreur par l'incendie, le pillage et l'assassinat. Aussi n'était-ce point un simple paysan comme la plupart des camarades qui l'accompagnaient. «Le vulgaire le faisait petit-fils du fameux brigand Sociviska, et les gens du monde disaient qu'il descendait de Scanderbeg, le Pyrrhus des Illyriens modernes.» Il parlait avec élégance le français, l'italien, l'allemand, le grec moderne et, cela va sans dire, la plupart des langues slaves.

Il était pâle et mélancolique, aimait la solitude et les cimetières, et, pour soulager le terrible mal qu'il ressentait sous son front noble et dédaigneux, il passait souvent sa main «blanche, délicate et féminine» dans ses cheveux blonds. Il s'était épris d'une jeune fille d'origine française, la mystique Antonia, qui habitait seule avec sa sœur aînée, Mme Alberti, dans un vieux château près de Trieste. Cette jeune fille venait de perdre son père, taciturne et morose royaliste, émigré au bord de l'Adriatique, et sa mère, poitrinaire, à la sombre imagination.

Mais Sbogar savait qu'il était «né sous une étoile fatale», que «Dieu n'avait rien fait pour lui»; il voulait rester seul, toujours seul, accablé de son châtiment éternel. Il voulait étouffer en lui cet amour criminel, «chimère qu'il n'avait créée que pour la combattre», dans son désir de ne pas rendre Antonia malheureuse, ou plutôt dans son désir de ne partager avec personne ses douleurs infinies.

Antonia ne savait rien de la terrible passion qui consumait Sbogar. Elle ne connaissait de lui que son nom effrayant et les sanglants exploits sur lesquels elle avait longtemps pleuré. Mais, en rêve, elle sentait qu'une âme perdue planait au-dessus de la casa Monteleone, elle entrevoyait un œil farouche qui veillait sur elle jour et nuit; elle entendait des voix sourdes d'inconnus invisibles qui suivaient de loin chacun de ses pas.

Un jour, elle dut quitter l'Istrie et se rendre à Venise avec sa sœur. En ce temps-là, on y parlait beaucoup d'un jeune étranger, nommé Lothario, personnage mystérieux sur lequel couraient les bruits les plus singuliers. Lothario qui se trouve partout, et qui n'est connu de personne, inspire, par son caractère imposant, sa vie cachée, ses libéralités, sa magnificence, un enthousiasme général. «Il s'était concilié, sans qu'on sût de quelle manière, et la faveur du peuple et l'estime des grands.» Il répandait l'or avec la profusion digne d'un souverain. Son pouvoir était tel que, de sa propre autorité, il arrachait aux mains des sbires les malfaiteurs et les prisonniers d'État; d'un seul mot il pouvait exciter la révolte, la guerre civile et renverser les gouvernements. Personne ne lui connaissait d'amis. On se rappelait seulement que, quelques années auparavant, il avait paru s'occuper beaucoup d'une jeune fille noble, qui, de son côté, avait témoigné une vive passion pour lui; mais un grand malheur mit fin à cet amour: Lothario partit; la jeune fille disparut, et on ne retrouva son corps que longtemps après, dans le sable d'une lagune.

Antonia fut très émue de cette histoire; cependant, elle éprouvait un vif désir de voir Lothario: ce désir fut bientôt satisfait, elle le rencontra dans un concert de Venise. La puissance romanesque de ce fascinateur lui inspira un amour violent. «Antonia fut saisie à son aspect d'une émotion qu'elle n'avait jamais éprouvée et qui ne ressemblait point à un sentiment connu. C'était quelque chose de vague, d'indécis, d'obscur, qui tenait d'une réminiscence, d'un rêve ou d'un accès de fièvre. Son cœur palpitait violemment, ses membres perdaient leur souplesse; elle essayait inutilement de rompre ce prestige, qui s'augmentait des efforts qu'elle faisait pour le surmonter. Elle sentait quelque chose de semblable à je ne sais quoi d'odieux et de tendre.»

Lothario paraît ne pas comprendre ce qui se trahit si visiblement chez cette fille sensible. Il continue de maudire la vie et la société civilisée. Il vante à Antonia les charmes d'une vie indépendante, et fait l'éloge des chefs de brigands illyriens:

Bien jeune encore, je sentais déjà avec aigreur les maux de la société, qui ont toujours révolté mon âme, qui l'ont quelquefois entraînée dans des excès que je n'ai que trop péniblement expiés. Par instinct plutôt que par raison, je fuyais les villes et les hommes qui les habitent; car je les haïssais, sans savoir combien un jour je devais les haïr. Les montagnes de la Carniole, les forêts de la Croatie, les grèves sauvages et presque inhabitées des pauvres Dalmates, fixèrent tour à tour ma course inquiète. Je restais peu dans les lieux où l'empire de la société s'était étendu; et, reculant toujours devant ses progrès qui indignaient l'indépendance de mon cœur, je n'aspirais plus qu'à m'y soustraire entièrement. Il est un point de ces contrées, borne commune de la civilisation des modernes et d'une civilisation ancienne qui a laissé de profondes traces, la corruption et l'esclavage: le Monténégro est comme placé aux confins de deux mondes, et je ne sait quelle tradition vague m'avait donné lieu de croire qu'il ne participait ni de l'un ni de l'autre. C'est une oasis européenne, isolée par des rochers inaccessibles et par des mœurs particulières que le contact des autres peuples n'a point corrompues. Je savais la langue des Monténégrins. Je m'étais entretenu avec quelques-uns d'entre eux, quand des besoins qui ne s'accroissent jamais, et qui ne changent jamais de nature, en avaient amené par hasard dans nos villes. Je me faisais une douce idée de la vie de ces sauvages qui se suffisent depuis tant de siècles, et qui depuis tant de siècles ont su conserver leur indépendance en se défendant soigneusement de l'approche des hommes civilisés. En effet, leur situation est telle que nul intérêt, nulle ambition ne peut appeler dans leur désert cette troupe de brigands avides qui envahissent la terre pour l'exploiter. Le curieux seul et le savant ont quelquefois tenté l'accès de ces solitudes, et ils y ont trouvé la mort qu'ils allaient y porter (sic); car la présence de l'homme social est mortelle à un peuple libre qui jouit de la pureté de ses sentiments naturels.

Malgré toute cette misanthropie, Antonia aime plus que jamais cet inconnu qu'elle croit victime d'une des révolutions qui bouleversaient l'Europe de 1808. Mais Lothario refuse sa main et lui écrit qu'il ne la reverra jamais.

Après d'aussi brusques adieux, les deux sœurs quittent Venise pour l'Illyrie, où Antonia espère que Lothario la rejoindra. En route, elles sont attaquées par la troupe de Jean Sbogar. Mme Alberti meurt d'un coup de feu; Antonia évanouie est transportée au château de Duino. Elle y devint folle, mais les égards et le respect qu'avait pour elle Jean Sbogar—notons que la tête de celui-ci était toujours voilée d'un crêpe noir et que personne ne connaissait son visage—commencèrent à lui procurer quelques moments lucides pendant lesquels elle put réfléchir sur son état.

Un jour, le canon gronda aux environs du château. Bientôt un cliquetis d'épées annonça à la jeune fille que l'on se battait à l'intérieur même des murs. Les troupes françaises poursuivaient sans relâche les brigands qui infestaient le pays. Elles venaient d'entrer dans le repaire de Jean Sbogar. Tout à coup, Antonia entendit un tumulte horrible, au milieu duquel s'élevait le nom du fameux bandit dalmate. Un homme poursuivi s'élança dans l'escalier, et passa auprès d'elle comme un éclair.

Antonia courut vers sa chambre; et, en y rentrant, il lui sembla qu'on la nommait d'une voix sourde.

—Qui m'appelle!—dit-elle en tremblant.

—C'est moi—répondit Jean Sbogar,—ne t'effraie pas. Adieu pour toujours.

Quelques instants plus tard, le château de Duino était tombé aux mains des ennemis. On conduisit Jean Sbogar et les siens à Mantoue pour y être jugés. La jeune fille trouvée parmi eux, et dont l'état de démence était bien constaté, fut placée dans un hôpital et confiée aux soins d'un médecin célèbre. Elle recouvra la raison et se décida à prendre le voile dans la maison où elle avait trouvé asile. Le jour de la profession était arrivé, lorsque deux sbires vinrent la chercher au nom de la justice.

L'instruction du procès était achevée; ils avaient été condamnés à mort au nombre de quarante, mais on ne savait si Jean Sbogar était parmi eux, lui, dont personne ne connaissait le visage, et dont le nom continuait à inspirer la terreur dans les campagnes. On se souvint de la jeune fille trouvée dans le château et l'on pensa qu'elle le reconnaîtrait parmi ses complices. Antonia fut donc placée dans la grande cour de la prison, au moment où les condamnés devaient y passer pour la dernière fois. Ils parurent; l'aspect de l'un d'eux la frappa immédiatement: c'était lui. «Lothario!» s'écria-t-elle d'une voix déchirante. Lothario se détourna et la reconnut. «Lothario!» dit-elle en s'ouvrant un passage au travers des sabres et des baïonnettes; car elle comprenait qu'il allait mourir!—«Non,» répondit-il, «je suis Jean Sbogar!»—«Lothario! Lothario!»—«Jean Sbogar!» répéta-t-il avec force.—«Jean Sbogar!» cria Antonia. «Ô mon dieu!» et son cœur se brisa.

Elle était par terre immobile; elle avait cessé de respirer. Un des sbires souleva sa tête avec la pointe de son sabre, et lui laissa frapper le pavé en l'abandonnant à son poids.

«Cette jeune fille est morte»,—dit-il.

—«Morte»,—reprit Jean Sbogar en la considérant fixement.—«Marchons!»

Jean Sbogar parut sous le couvert de l'anonymat au mois de mai 1818, quatre ans et demi après que Nodier fût revenu de Laybach[154]. Il eut d'abord ce que l'on appelle aujourd'hui une mauvaise presse, malgré l'artifice qu'avait imaginé son auteur pour exciter l'intérêt du public. Sur ce point, encore mal éclairé, nous relevons dans le Journal de Paris du 20 juin 1818, cette curieuse note:

Les éditeurs de cet ouvrage nous apprennent, dans une espèce d'avertissement mystérieux, que l'auteur leur avait envoyé son manuscrit au moment où il se disposait à franchir l'espace qui le séparait encore de la Russie. Depuis la publication de ce roman, une note insérée le même jour dans tous les journaux prouve que l'on a voulu profiter de cette circonstance pour attribuer Jean Sbogar à Mme de Krudener. Cet artifice était trop grossier pour réussir; comment, en effet, le lecteur aurait-il pu confondre la mélancolie douce et suave, les sentiments pudiques, les pensées religieuses qui distinguent l'auteur de Valérie, avec cette misanthropie farouche, cet amour forcené d'un brigand pour une femme dont la tendresse est plus bizarre encore, avec des aventures extravagantes qui renchérissent sur les ténébreuses productions d'Anne Radcliffe, en un mot, avec Jean Sbogar[155]?

Ce blâme n'empêcha pas Nodier de déclarer dans sa préface de l'édition de 1832:

L'anonyme me porta bonheur… Des journalistes qui se crurent bien avisés, et qu'avait trompés je ne sais quel mélange d'ascétisme, d'amour et de philanthropie désespérée qui se confondent dans cette bluette (Jean Sbogar), en accusèrent Mme de Krudener… Je n'intervins pas dans ce combat qui ne pouvait durer longtemps.

Jean Sbogar aurait été complètement oublié si un nouvel artifice n'était intervenu quatorze mois plus tard. Le 17 octobre 1819, la Renommée annonça, «d'après les journaux anglais», que le prisonnier de Sainte-Hélène s'était occupé de ce roman deux jours: une nuit à le lire et quelques heures à l'annoter. «Cette apostille, venue de haut lieu, excita un instant de rumeur dans les bureaux de rédaction des feuilletons bonapartistes», et le roman devint célèbre en quelques jours. Le libraire, Gide fils, qui semble avoir beaucoup contribué à répandre cette nouvelle[156], lança à grand fracas une seconde édition dont la couverture porte en entier le nom de l'auteur. Cette révélation ne fut pas très prudente. Nodier ne jouissait pas d'un grand crédit auprès de la presse de l'opposition et, malgré tout le succès du livre, il fut de suite accusé de plagiat: Jean Sbogar, disait-on, était volé au Corsaire de Byron[157].

On avait raison et tort tout à la fois de le prétendre; car, s'il est vrai que Jean Sbogar a été écrit sous une influence étrangère, il n'en reste pas moins vrai que cette influence ne fut pas celle de Byron, malgré les ressemblances frappantes qui existent entre le poème anglais et le roman français. Jean Sbogar est inspiré des Brigands de Schiller, d'où procédait, par une voie différente, l'ouvrage de Byron[158].

Nodier sut se défendre de cette accusation. Il prétendit avoir ébauché son roman «en 1812, aux lieux mêmes qui l'ont inspiré»; donc, «Jean Sbogar avait quatre ou cinq ans de plus que son aîné d'invention»[159] (le Corsaire est du mois de janvier 1814!). Et ce n'était pas tout. Jean Sbogar avait réellement existé: les petits enfants des bords du golfe de Trieste vous l'attesteront quand vous prendrez la peine de les interroger sur ce sujet. La cour de justice qui le condamna était présidée par M. le comte Spalatin. «Je me vois obligé, disait Nodier dans sa préface de 1832, à déclarer que personne au monde n'a de plagiat à m'imputer dans cette affaire, si ce n'est, peut-être, le greffier des assises de Laybach en Carniole, l'honnête M. Repisitch, qui voulut bien me donner, dans le temps, les pièces de la procédure en communication pour y corriger quelques germanismes esclavonisés dont il craignait de s'être quelquefois rendu coupable dans la chaleur de la rédaction. Je proteste en outre que tout ce que j'ai pris dans son dossier se réduit à certains faits que je n'aurais pas pu mieux inventer, quand j'aurais été Zschocke.»

Et, dans ses Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, Nodier raconta une conversation qu'il aurait eue avec Fouché, en Illyrie, au sujet de son héros:

La cour impériale venait de déposer sur son bureau le dossier d'un arrêt en suspens qui attendait son aveu. C'était celui de ce fameux Jean Sbogar, dont les journaux de Paris ont si bien prouvé que j'avais volé le type à lord Byron, par anticipation, sans doute. «Quel est cet homme?» me dit le gouverneur.

—Un bandit systématique, répondis-je; un homme à opinions exaltées, à idées excentriques et bizarres, qui s'est acquis au fond de la Dalmatie une réputation d'énergie et d'éloquence, accréditée par des manières distinguées et une figure imposante.

—A-t-il tué?

—Peut-être, mais à son corps défendant. Au reste, je n'en répondrais pas. Tout ce que je sais de lui, c'est que c'est un brigand fort intelligent et fort résolu, dont le nom revient souvent dans la conversation du peuple.

—Assez, reprit le duc d'Otrante en jetant le dossier dans la corbeille, etc.[160]

Les biographes de Nodier crurent à cette histoire. Émile Montégut, dans sa belle étude qui reste toujours la première à consulter, affirme que Nodier avait «suivi de près les exploits et le procès de Jean Sbogar[161]»; de même que, dans son livre extrêmement intéressant sur _Charles Nodier et le groupe romantique, _M. Michel Salomon, ne se doutant pas combien sont suspectes les prétendues «pièces de la procédure» de «l'honnête M. Repisitch», alla jusqu'à proclamer Jean Sbogar «roman documentaire avant l'invention de ce mot[162]»! Sainte-Beuve lui-même, qui, pourtant, connaissait très bien son «biographié», se laissa tromper et n'hésita guère à dire, parlant du séjour de Nodier en Illyrie, que «_Jean Sbogar _et Smarra et Mademoiselle de Marsan furent, dès cette époque [«vers 1811»], ses secrètes et poétiques conquêtes[163]».

Il nous reste à examiner maintenant à quel point Nodier a su pousser la «couleur locale» dans la peinture qu'il a faite de son poétique aventurier dalmate, ce prétendu «personnage historique, dont la renommée aventureuse remplit encore les États vénitiens».

D'abord, le nom même de son héros n'est pas un nom dalmate, mais un nom tchèque. Nodier, qui aimait les vieux bouquins, le découvrit sans aucun doute, sur la couverture du Theologia radicalis par Jean Sbogar (Prague, 1698 et 1708).

En Illyrie, Nodier n'a vu que des choses toutes extérieures: le pays et les costumes, et il en a donné de très jolies descriptions dans son roman. Une trentaine d'années plus tard, Gérard de Nerval, visitant la Dalmatie, écrira en ces termes à un ami:

Je t'écris en vue de Trieste, ville assez maussade, située sur une langue de terre qui s'avance dans l'Adriatique, avec ses grandes rues qui la coupent à angles droits et où souffle un vent continuel. Il y a de beaux paysages, sans doute, dans les montagnes sombres qui creusent l'horizon; mais tu peux en lire d'admirables descriptions dans Jean Sbogar et dans Mademoiselle de Marsan de Charles Nodier; il est inutile de les recommencer[164].

Il aura raison, le malheureux Gérard: les descriptions de Nodier sont ce qu'il y a de plus beau et de plus vrai dans le genre, malgré leur vague écossais. Personne ne savait reproduire avec plus de grâce et plus de bonheur que l'auteur de Jean Sbogar, les sentiments qu'éveille en nous la vue d'un paysage. Hélas! c'est tout ou presque tout ce qu'il y a de «couleur locale» dans son roman[165]; car, si Nodier a su voir et décrire la nature, s'il a réussi ses décors, il a été beaucoup moins heureux avec les héros. Il ne comprenait ni la langue ni le caractère national du peuple au milieu duquel il avait vécu pendant neuf mois. Sbogar, ce brigand élégant et sentimental, n'est pas plus «illyrien» que ne l'est Charles Moor de Schiller. C'est un fantoche littéraire, qui n'est pas même vraisemblable, et, pour le peindre, Nodier n'avait pas besoin d'aller à Laybach.

Du reste, en admettant que les Illyriens de Jean Sbogar soient inférieurs à ceux de la Guzla, il serait injuste d'en blâmer Nodier, car il ne paraît pas avoir voulu ce que Mérimée fera plus tard. C'était un précurseur en bien des sens, comme l'a dit de lui Sainte-Beuve, mais il ne pouvait se vanter d'avoir introduit la «couleur locale» dans la littérature française. À peu de chose près, Walter Scott était resté lettre close pour cet avant-coureur du romantisme.

Il manquait trop à Nodier pour qu'il pût prendre rang parmi la nouvelle génération qu'il admirait paternellement. George Brandes a dit: «Nodier ne joua un rôle visible que dans le prologue de ce grand drame littéraire que fut le romantisme.» Ce qui est vrai surtout de l'auteur de Jean Sbogar, ce roman dont le thème est des plus romantiques, mais dont la forme ne fut pas assez moderne; ce qui explique aussi l'insuccès de ce livre[166].

§ 9

«SMARRA»

D'Illyrie encore Nodier rapporte Smarra, bizarre interprétation des bizarreries du cauchemar.

M. RENÉ DOUMIC, Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1907, p. 928.

Son séjour de huit mois à Laybach, de trente jours à Trieste «dans une pension allemande», valut à Nodier la réputation de se connaître aux choses d'Illyrie, réputation qui persista jusqu'à sa mort.

Une fois rentré à Paris, l'ancien rédacteur du Télégraphe officiel de Laybach fait réimprimer au Journal des Débats, sous le titre prétentieux de Littérature slave, ses feuilletons illyriens[167]. Quelques mois plus tard, ses articles sont déclarés dignes de foi par le traducteur français d'un ouvrage scientifique sur l'Illyrie et la Dalmatie[168]. Encouragé par le succès, Nodier va les réimprimer plusieurs fois encore[169]!

Ensuite, il rédige, pour le Journal des Débats (1er février 1815), une prétendue étude critique sur les différents ouvrages relatifs à l'Illyrie, parus dernièrement en France et à l'étranger. Il oublie ce qu'il leur doit lui-même, les déprécie tous et déclare avec une belle impertinence que «ces itinéraires sont improvisés par des écrivains estimables mais mal dirigés qui avaient pris tout au plus quelques notes fugitives sur les usages dont ils méconnaissaient le plus souvent le véritable objet, au milieu d'un peuple dont ils ignoraient jusqu'à la langue (sic)».

Après cette sévère critique, quoi de plus naturel qu'une confiance universelle en l'érudition slavicisante de Nodier.

L'année suivante (1816), il en reçut le premier témoignage: on le chargea de composer l'article sur Fortis pour la Biographie universelle de Michaud. Cet article est conservé dans la dernière édition du même dictionnaire.

En 1820, L. Rincovedro (est-ce un pseudonyme?), dans un article sur les romances espagnoles,—où il blâme l'hispanisme fantaisiste des frères Hugo,—espère que M. Ch. Nodier va donner bientôt sa traduction de poésies nationales des Morlaques, «qui chantent encore le succès de Scander-Beg et les malheurs de Spalatin-Beg[170]». Quelques mois plus tard, les journaux annoncent comme un événement littéraire la prochaine publication d'un poème traduit de l'esclavon par M. Nodier. Les Annales de la littérature et des arts, qui se font l'écho de ce bruit, demandent à leur estimable collaborateur son manuscrit et en détachent une page «qui pourra donner une idée de l'ouvrage original et du mérite de la traduction[171]».

En 1836, quand on a besoin d'un article sur la «langue (sic) et la littérature illyrienne» pour le Dictionnaire de la conversation, c'est encore à M. Ch. Nodier, de l'Académie françoise, que l'on confie ce travail. Il envoie, naturellement, ses vieux feuilletons, qui auront du crédit même en 1856, quand on les réimprimera dans la seconde édition de ce répertoire.

Vers la même époque, l'érudit Depping, qui écrivait au Bulletin des sciences historiques rédigé par MM. Champollion, qui savait les langues slaves, et de plus avait composé, en 1813, un article sur la poésie ragusaine pour les Annales des Voyages de Malte-Brun, cite comme le meilleur spécimen de la poésie «morlaque»… Jean Sbogar de M. Ch. Nodier[172].

En 1840, un écrivain polonais de talent, Christian Ostrowski, croit devoir dédier à l'auteur de Smarra un article paru dans la Revue du Nord, sur le poète ragusain Givo Gungulié (Jean Gondola), dont le sympathique bibliothécaire de l'Arsenal avait doctoralement parlé à plusieurs reprises.

Vingt ans après la mort de Nodier, la Biographie universelle de Michaud rend hommage à ses «recherches intéressantes sur les productions littéraires de la Dalmatie, alors complètement ignorées»; recherches «dont quelques-unes portent l'empreinte profonde de ses conquêtes en ce genre[173]».

Aujourd'hui même, d'éminents académiciens croient sérieusement que c'était «d'Illyrie encore» que Nodier rapporta Smarra.

Et toutefois Nodier, qui a mystifié avec ses études illyriennes au moins autant de monde que Mérimée avec les siennes,—car après tout, s'il joua l'érudit, ce fut uniquement dans l'intention de railler la crédulité contemporaine,—Nodier, disons-nous, n'obtint jamais dans ce genre la célébrité de l'auteur de la Guzla, dont il était, comme on le verra, non seulement le prédécesseur, mais aussi en quelque sorte l'initiateur.

C'est ainsi qu'il publia, en 1821, un livre assez étrange: prétendue traduction de «l'esclavon», intitulé Smarra, ou les démons de la nuit, songes romantiques[174].

Dans la préface, il nous raconte que cet ouvrage, dont il «n'offrait que la traduction», est moderne et même récent. «On l'attribue généralement en Illyrie, dit-il, à un noble Ragusain qui a caché son nom sous celui de comte Maxime Odin, à la tête de plusieurs poèmes du même genre. Celui-ci, dont je dois la communication à l'amitié de M. le chevalier Fédorovich-Albinoni, n'était point imprimé lors de mon séjour dans ces provinces. Il l'a probablement été depuis.»

Il existait à cette époque un certain comte KREGLIANOVICH-Albinoni, auteur d'un mémoire sur la Dalmatie, que Nodier connaissait, puisqu'il en a parlé, en 1813, dans les numéros 15 et 16 du Télégraphe officiel de Laybach, et dans le Journal des Débats du 1er février 1815; mais un «chevalier FÉDOROVICH-Albinoni» n'a jamais existé pour la raison bien simple que le nom de Fédorovich n'est pas serbo-croate mais russe, tandis que la famille d'Albinoni était une famille italo-dalmate. Nodier a donc forgé un nom imaginaire, et lui a donné un air d'authenticité, en le modelant sur le nom qu'il avait cité plusieurs fois auparavant et dont personne ne pouvait mettre en doute l'existence.

Comme il l'avait prétendu en 1819, au Journal des Débats, au sujet du Vampire, nouvelle faussement attribuée à Byron, Nodier affirma de nouveau que smarra n'est que «le nom primitif du mauvais esprit auquel les anciens rapportaient le triste phénomène du cauchemar. Le même mot, disait-il, exprime encore la même idée dans la plupart des dialectes slaves, chez les peuples de la terre qui sont les plus sujets à cette affreuse maladie. Il y a peu de familles morlaques où quelqu'un n'en soit tourmenté[175]». Et après avoir donné cette explication qui a si bien l'air savante, il se met à broder dans son «poème esclavon» une étrange histoire sur un thème non moins étrange.

Il y a un moment où l'esprit suspendu dans le vague de ses pensées… Paix!… La nuit est tout à fait sur la terre. Vous n'entendez plus retentir sur le pavé sonore les pas du citadin qui regagne sa maison, ou l'ongle armé des mules qui arrivent au gîte du soir: le bruit du vent qui pleure ou siffle entre les ais mal joints de la croisée, voilà tout ce qui vous reste des impressions ordinaires de vos sens, et au bout de quelques instants, vous imaginez que ce murmure lui-même existe en vous. Il devient une voix de votre âme, l'écho d'une idée indéfinissable, mais fixe, qui se confond avec les premières perceptions du sommeil. Vous commencez cette vie nocturne qui se passe (ô prodige!…) dans des mondes toujours nouveaux, parmi d'innombrables créatures dont le grand Esprit a conçu la forme sans daigner l'accomplir, et qu'il s'est contenté de semer, volages et mystérieux fantômes, dans l'univers illimité des songes. Les Sylphes, tout étourdis du bruit de la veillée, descendent autour de vous en bourdonnant. Ils frappent du battement monotone de leurs ailes de phalènes vos yeux appesantis, et vous voyez longtemps flotter dans l'obscurité profonde la poussière transparente et bigarrée qui s'en échappe, comme un petit nuage lumineux au milieu d'un ciel éteint. Ils se pressent, ils s'embrassent, ils se confondent, impatients de renouer la conversation magique des nuits précédentes, et de se raconter des événements inouïs qui se présentent cependant à votre esprit sous l'aspect d'une réminiscence merveilleuse[176].

C'est pendant une nuit semblable que le jeune Lorenzo, endormi auprès de la belle Lisidis, dans une antique villa au bord du lac Majeur, a l'imagination hantée des rêves les plus bizarres: il se croit transporté en Thessalie; là, il écoute les discours d'un prétendu ami, Polémon, qui lui raconte qu'il est sans cesse poursuivi par les démons de la nuit et surtout par Smarra, roi des terreurs nocturnes. Le narrateur Lorenzo, qui se croit Lucius—Lucius de l'Âne d'Or—se rend ensuite à un repas voluptueux auquel assistent également Polémon et son esclave favorite, Myrrthé et les belles sorcières, Théis et Thélaïre. Les sépulcres s'ouvrent; des morts affamés sortent de leurs cercueils; ils déchirent les vêtements des cadavres, dévorent les cœurs et s'abreuvent de sang. L'affreux festin commence dans les vapeurs du vin et les caresses des enchanteresses; des fantômes s'y mêlent, froids reptiles, salamandres «aux longs bras, à la queue aplatie en rame», monstres sans couleur et sans forme, insectes invisibles comme la pluie. Tous s'endorment et, pendant leur sommeil, Smarra met à mort Polémon et Myrrthé; les Thessaliens accusent Lucius de les avoir tués. Sa tête tombe sous la main du bourreau et «mord le bois humecté de son sang fraîchement répandu»; les chauves-souris la caressent en lui chuchotant: «Prends des ailes!» Et voici que s'envole la tête de Lorenzo par je ne sais quels lambeaux de chair qui la soutiennent à peine… jusqu'au moment où la voix de la belle Lisidis réveille cette «victime d'une imagination exaltée, qui a transporté l'exercice de toutes ses facultés sur un ordre purement intellectuel d'idées», comme nous l'explique quelque part l'auteur.

En 1832, Nodier déclara que ce récit fantastique, n'était qu'un pastiche du premier livre de l'Âne d'Or, dans lequel, sauf quelques phrases de transition, tout appartient à Homère, à Théocrite, à Virgile, à Catulle, à Stace, à Lucien, à Dante, à Shakespeare, à Milton. «Mais, ajouta-t-il amèrement, le nom sauvage de l'Esclavonie prévint les littérateurs de ce temps (1821) contre tout ce qui pouvait arriver d'une contrée de barbares[177].»

Il avait raison dans une certaine mesure. En réalité, rien n'est moins «esclavon» que ces hallucinations littéraires que Mérimée, son successeur à l'Académie française, appellera un jour «le rêve d'un Scythe raconté par un poète de la Grèce». Quoi qu'en dise É. Montégut[178], Nodier, à coup sûr, n'a pu trouver une inspiration suffisante pour un conte de cette nature, ni dans le caractère national des «Esclavons», ni dans leur littérature, ni dans leurs traditions—qu'il ne connaissait pas, du reste—ni dans le caractère sauvage des paysages dalmates qu'il avait vus et qu'il avait décrits dans Jean Sbogar. Quant à l'assertion émise par lui: d'avoir fait dans Smarra un travail de compilateur, plaquant des passages de Théocrite, Virgile, Shakespeare, etc., sur un fond emprunté à Apulée, cette assertion, à notre avis, ne doit être acceptée que sous les plus expresses réserves. Nodier n'était-il pas l'auteur d'une brochure intitulée les Pensées de Shakespeare, dont un tiers appartient en effet au poète anglais, mais dont les deux autres ne sont dus qu'à la plume de leur prétendu traducteur français?

Dans quelle mesure Smarra fut-il un pastiche de l'Âne d'Or? C'est ce que nous ne pouvons décider, mais il nous semble que même au cas où l'on pourrait prouver qu'il y a imitation, la principale question n'est pas là. Peu importe, en effet, que la fantaisie de Nodier se trouve apparentée à la fiction antique alors que l'écrivain ne faisait après tout que satisfaire au goût de l'époque.

M. André Le Breton, dans sa remarquable étude sur Balzac, a déjà rattaché d'une façon péremptoire la nouvelle de Nodier à cette «école de cauchemar» ou «genre frénétique» qui florissait en France de 1820 à 1830[179]. Smarra était le descendant direct de la littérature d'épouvante inaugurée en Angleterre vers 1794 par Mrs. Anne Radcliffe (1764-1823)[180]; par M. G. Lewis (1775-1818), auteur du Moine (que Nodier cite en tête du chapitre VI de Jean Sbogar) et éditeur des Histoires terrifiantes, recueil de ballades anglaises et étrangères[181]; enfin, par l'Irlandais Ch. Robert Maturin (1782-1824), auteur de Melmoth le vagabond, bizarre écrivain dont Nodier traduisit, avec son ami Taylor, la tragédie de Bertram (1821)[182]. Malgré son caractère peu français, le «genre frénétique» obtint en France un succès fou et contribua, pour une part, au développement du roman réaliste. Balzac lui paya son tribut dans ses premiers romans: l'Héritière de Birague, le Centenaire ou les deux Beringheld, le Vicaire des Ardennes (tous les trois de 1822); exemple suivi par Victor Hugo dans Han d'Islande (1823) et Bug-Jargal (1825). Bien plus, ce fameux «grotesque» préconisé par Hugo dans la Préface de Cromwell n'était qu'une conséquence des années passées à cultiver le «genre frénétique[183]».

Ce genre convenait au goût maladif et passager de l'époque où le romantisme apparaissait à peine; en haine des dieux et des héros gréco-romains, froids et impassibles, on se noyait volontairement dans les ténèbres de la magie du vampirisme barbare[184].

Ce goût, qui devait s'accroître, puis se calmer, assura dès 1829 le grand succès des contes fantastiques de Hoffmann[185]; pour quelques-uns, même, l'attrait du «terrifiant» se doublait du plaisir de la mystification et c'est ainsi que la nouvelle «à faire peur» devint un genre fin et agréable par excellence. Nous n'avons pas besoin de dire que l'auteur de la Guzla y excella.

La fureur du «frénétique» était un des points les plus vulnérables de la nouvelle école; les adversaires du romantisme ne la pardonnaient pas facilement. Henri de Latouche, dans son poème burlesque des Classiques vengés, se moque agréablement de ce genre aux dépens de V. Hugo:

     Dites que si, le soir, sous des porches gothiques,
     L'Angelus réunit deux auteurs romantiques,
     Le plus naïf des deux dit à l'autre innocent:
     Monsieur a-t-il goûté l'eau des mers et le sang?
     A-t-il pendu son frère? Et lorsque la victime
     Rugissait palpitante au-dessus d'un abîme,
     A-t-il, tranchant le nœud qui l'étreint sans retour,
     Vu la corde fouetter au plafond de la tour[186]?

Cette satire est de 1825, Han d'Islande de 1823, Smarra de 1821; ce n'est donc pas sans raison qu'un autre ennemi de cette littérature macabre, accusa Nodier d'avoir inauguré la série[187].

Du reste, Smarra agit directement: Victor Hugo s'en souvint dans la
Ronde du Sabbat
, qu'il dédia,—ce serait une preuve suffisante,—«à M.
Charles N.»:

     Goules dont la lèvre
     Jamais ne se sèvre
     Du sang noir des morts!…
     Psylles aux corps grêles
     Aspioles frêles…
     Volez oiseaux fauves,
     Dont les ailes chauves,
     Aux ciels des alcôves
     Suspendent smarra[188].

En 1835, un certain M. Brisset, donna un conte poétique, le Mauvais œil, tradition dalmate, qui n'est autre chose qu'un Smarra plus farouche et plus lyrique encore; l'imitation y va quelquefois jusqu'au plagiat. (Urbain Canel, éditeur.) De même que, beaucoup plus tard, Théophile Gautier se rappela Nodier et sa nouvelle dans les «fantasmagories confusément effrayantes et vaguement horribles» et les «malaises causés par les visions nocturnes», dont est remplie sa Jettatura[189]. La ressemblance des sujets n'est pas accidentelle; en effet, à la page 89 de l'édition originale (Hetzel, 1837, in-16), Gautier parle du smarra qui, «offusqué, s'enfuit en agitant ses ailes membraneuses, lorsque le jour tire ses flèches dans la chambre, par l'interstice des rideaux». Pour prouver encore avec plus d'évidence que Nodier fut le guide de V. Hugo et de Gautier dans ces régions d'épouvanté, disons que ce mot de smarra, employé par ces derniers, ne figure dans aucun dictionnaire, pas même dans celui de Nodier. Par conséquent, ce vocable prétendu esclavon ne put être emprunté qu'au «comte Maxime Odin».

Comme nous avons eu occasion de le dire au cours de ce chapitre, cette «bizarre interprétation des bizarreries du cauchemar» n'a rien de commun avec les croyances illyriennes; elle ne fut pas composée en Illyrie et si le volume qui la contient ne renfermait pas d'autres poèmes, nous n'en parlerions que pour signaler la fausseté de cet état civil auquel on fait toujours crédit[190].

À Smarra succède une dissertation très ingénieuse, qui tend à prouver que le rhombus dont se servaient les magiciennes de l'antiquité, était ce jouet dernièrement renouvelé sous le nom de diabolo, jouet qui faisait fureur en 1821.

C'est après cette dissertation que vient la plus importante partie de l'ouvrage, du moins en ce qui nous concerne. Elle se compose de trois courts poèmes, également traduits de l'esclavon, affirmait Nodier avec plus de raison.

Le premier est un «poème de tradition morlaque», le Bey Spalatin, pièce inédite, disait le traducteur, «une de ces romances nationales qui ne sont conservées que par la mémoire des hommes».

En vingt-cinq pages de prose française, le poète y racontait la triste histoire du vieux bey Spalatin: l'enlèvement de sa petite-fille, la belle Iska, par le cruel Pervan, «chef de mille heyduques farouches», et la course désespérée du vieillard, les poursuivant jusqu'au château même de l'intrépide brigand.

Sa barbe descend en flocons argentés sur ses flancs robustes qu'embrasse une large courroie. Le hanzar est caché dans les vastes plis de sa ceinture de laine bigarrée. La guzla pend à son écharpe.

Il monte d'un pas ferme encore le sentier périlleux du rocher qu'il a vu pendant quatre-vingts ans sous les lois de sa tribu. Il s'arrête devant la palissade impénétrable des jardins de Zetim.

Là il détache la guzla mélodieuse, instrument majestueux du poète, et frappant d'une main hardie avec l'archet recourbé la corde où se lient les crins des fières cavales de Macarska, il commence à chanter.

Il chante les victoires du fameux bey Skender qui affranchit sa patrie de la terreur de l'ennemi; les douceurs du sol natal, les regrets amers de l'exil: et chaque refrain est accompagné d'un cri douloureux et perçant;

Car le chant de deuil du Morlaque ressemble à celui du grand aigle blanc qui plane on rond sur les grèves et tombe avec un gémissement aigu à la pointe la plus avancée du promontoire de Lissa,

Quand il voit la vague immense se rouler comme un long serpent sur l'onde épouvantée, se tourner en replis innombrables, s'arrondir, s'étendre, et soulever une tête écumante et terrible jusqu'au nid de ses petits.

Ainsi chante le divin vieillard devant le château du terrible «chef de mille heyduques farouches». Aucun de ses ennemis ne comprend la vieille chanson; seule, sa petite-fille captive saisit les paroles tristes du morlaque; elle court et se précipite vers la «palissade impénétrable des jardins de Zetim». Le vieux bey laisse tomber sa guzla, il dégage de sa ceinture multicolore son hanzar redoutable et, à travers les barres de fer, tue sa petite-fille et se laisse, à son tour, tuer par ses ennemis pour sauver sa tribu menacée. «Et, ajoute le poète, l'histoire du bey Spalatin, de sa petite-fille morte et de sa tribu délivrée, est la plus belle qui ait été jamais chantée sur la guzla

Nous ne savons s'il est besoin de dire que cette «romance nationale morlaque» est une pure invention de Nodier; car, il faut le reconnaître, la «couleur locale» du Bey Spalatin est sensiblement supérieure à celle de Jean Sbogar. En effet, son héros n'est plus ce bandit-gentleman au menton glabre, musicien, peintre, polyglotte, qui mène une double vie dans la haute société vénitienne et sur les chemins malfamés dalmates. Si nous ne retrouvons pas dans le Bey Spalatin les heyduques authentiques de la ballade serbo-croate: ces brigands vulgaires qui sont sympathiques au chanteur national parce qu'ils sont amis du pauvre, bons chrétiens et ardents patriotes; si nous n'y rencontrons pas davantage les heyduques fantaisistes de Mérimée: gaillards moustachus, durs et féroces,—nous avons en revanche des hommes qui leur ressemblent par cette soif instinctive de carnage et de vengeance qui subsiste même sous le vague et le pompeux qui les enveloppe, sous l'air «divin» et «majestueux» que leur donne Nodier. Tel est ce vieux chef aux cheveux blancs, avec sa «ceinture de laine bigarrée», tel encore ce «cruel Pervan, chef de mille heyduques farouches».

Comme l'avait fait auparavant la comtesse de Rosenberg, comme le fera plus tard Mérimée, Nodier se documente: il emprunte au Voyage de Fortis des noms géographiques, comme Pago, Zuonigrad, Zemonico, Novigradi, Lissa, Castelli, Zeni, Zermagna, Kotar, des mots serbo-croates, comme guzla, hanzar, vukodlack, osvela, pismé, drugh, drushiza, zapis, opancke, kalpack[191]; il copie ces mots soigneusement et les incruste çà et là dans son texte. Le nom du «chef» Pervan est également dû à Fortis, tandis que le vieux bey est baptisé d'une façon plus originale: il reçoit le nom du comte Spalatin, président du tribunal de Laybach à l'époque où Nodier résidait dans cette ville[192]! Chose des plus piquantes, Mérimée, qui s'inspira du Bey Spalatin pour une de ses ballades, et qui crut peut-être à son authenticité, jugea le nom de Spalatin si bien «illyrique» qu'il l'introduisit dans la Guzla[193].

Le Bey Spalatin est accompagné de notes explicatives: sèches, brèves, sans prétentions littéraires. Traitant des questions d'étymologie slave, Nodier y étale avec impertinence sa prétendue érudition, et se moque agréablement de l'ignorance du lecteur. Tout cela rappelle singulièrement les notes de la Guzla; du reste, nous aurons l'occasion d'en parler plus longuement ailleurs.

Le second poème «esclavon» qui se trouve dans Smarra, nous le connaissons déjà: c'est la Femme d'Asan, la Xalostna Piesanza plemenite Asan-Aghinize. En 1813, Nodier avait fait une analyse de cette pièce dans le Télégraphe illyrien et avait traduit quelques passages en «pentamètres blancs»; cette fois, la version est en prose, très libre, très poétisée, faite non pas sur l'original «esclavon», comme le prétend Nodier et comme le croient le baron d'Avril et M. Pétrovitch[194], mais sur les traductions italienne de Fortis et française de l'anonyme bernois.

C'était donc un poème authentique serbo-croate, et on peut dire qu'il conserve l'empreinte de l'original malgré tous les changements que Nodier lui a fait subir. La Femme d'Asan a d'autant plus d'importance pour nous que ce fut elle qui, dans la version de Nodier, signala à Mérimée le Voyage en Dalmatie. L'auteur de la Guzla le reconnut du reste, quelques années plus tard, dans sa lettre au Russe Sobolevsky («Nodier qui avait déterré Fortis…»), mais il se garda bien de le dire au public français, dans sa préface à l'édition Charpentier in-18[195].

Le troisième morceau «esclavon» qui se trouve dans Smarra, est la Luciole, «idylle de Giorgi», courte poésie, non des meilleures, du poète ragusain Ignace Gjorgjić (1675-1737), que Nodier une fois déjà avait traduite, en 1813, dans le Télégraphe illyrien[196]. Cette production purement littéraire du lyrique dalmate n'a aucun rapport avec la poésie nationale du peuple serbo-croate, mais Nodier l'inséra dans son livre, pour la simple raison qu'elle était une des rares poésies «esclavonnes» qu'il pouvait lire. En effet, la Luciole a été traduite en italien par le docteur Stulli, imprimée par F.-M. Appendini dans ses Notices sur Raguse, et c'est d'après cette traduction italienne que Nodier établit la sienne[197].

Cette poésie de la Luciole, quoique d'une authenticité indiscutable, ne paraît pas offrir d'intérêt pour nous.

Nous avons déjà dit que Smarra était connu avant sa publication; les Annales de la littérature et des arts en avaient même inséré un extrait «qui pourrait donner une idée de l'ouvrage original et du mérite de la traduction», et le public lettré attendait avec impatience le reste du «poème». Le critique littéraire de la Minerve, M. La Beaumelle, l'un des traducteurs de la fameuse collection des drames étrangers que Ladvocat publiait à cette époque, fut pourtant moins crédule que les autres, et ne laissa pas passer sans remarque l'annonce faite par les Annales et par son propre collègue de la Minerve, L. Rincovedro[198]. Il exprima sa grande admiration pour l'Esclavonie, mais il engagea Nodier, «pour l'intérêt des lettres», à joindre à son ouvrage des textes originaux[199].

Cette invitation n'embarrassa pas l'auteur de Jean Sbogar. Après avoir reproduit les quatre premiers vers serbo-croates de la Femme d'Asan, il expliqua ainsi, dans une note spéciale, les difficultés qu'aurait rencontrées une publication intégrale du poème «esclavon»:

Un homme de lettres distingué, disait-il, qui a bien voulu prendre quelque intérêt à mes travaux sur la littérature slave, a témoigné dans un journal le désir que je joignisse à quelques-unes de mes traductions le texte original du poète. Il n'a pas observé que la langue slave possède plusieurs articulations que nous ne pouvons exprimer par aucun signe de notre alphabet, et dont quelques-unes sont extrêmement multipliées dans l'usage; de sorte qu'il serait impossible de reproduire ce texte autrement que par des approximations imparfaites, pour ne pas dire barbares, à moins qu'on ne se servît de l'écriture propre de l'idiome, qui serait illisible pour le très grand nombre des lecteurs. On jugera toutefois de cette langue et de cette écriture par la planche où j'ai représenté le premier quatrain de la Complainte de la noble épouse: 1° avec nos caractères, d'après Fortis qui convient qu'il n'a pas pu se dispenser de s'éloigner un peu de la prononciation, et qui s'en est beaucoup plus éloigné qu'il ne le dit ou qu'il ne le croit; 2° en lettres glagolitiques ou géronimiennes des livres de liturgie; 3° en cyrilliaque ancien; 4° en cursive cyrilliaque moderne, comme elle est encore usitée par les Morlaques, et qui se rapproche beaucoup de la cursive usuelle des Russes[200].

Cette planche était simplement une reproduction de celle qu'avait donnée
Fortis dans son Voyage!

M. La Beaumelle se contenta de cette réponse. Il comprit la chose jusqu'à un certain point, loua Smarra, mais l'attribua de suite à son véritable auteur. Quant à l'autre «romance nationale», il fut complètement dupe.

Vient ensuite, disait-il, le chant de Spalatin-Bey qui est bien certainement d'origine ancienne… Le noble et courageux Spalatin est un des plus beaux caractères qu'ait tracés la poésie. Le récit a dans son ensemble toute la simplicité; dans son expression, toute la fierté des temps anciens. C'est une saga islandaise, un chant d'Ossian, une romance des vieux Espagnols, et, quelquefois même, une rapsodie d'Homère[201].

Quelques «journaux libéraux», que nous n'avons pas réussi à découvrir, avaient cru à l'authenticité de l'ouvrage entier, et la Gazette de France se moqua d'eux cruellement. À son tour, sa bonne foi fut surprise quant au Bey Spalatin dont elle loua la simplicité naturelle[202].

Dans les Annales, un rédacteur qui signait «M.D.V.»—ou plutôt une rédactrice, car ces initiales cachaient Marceline Desbordes-Valmore—eut la hardiesse de dire avec bienveillance «que, peut-être, Smarra n'était point une traduction de l'esclavon, mais qu'il n'en était pas de même des poésies morlaques traduites en français par M. Nodier».

On lit avec le plus vif intérêt le Bey Spalatin, disait-elle, et surtout la Femme d'Asan, dont la touchante histoire pourrait fournir le sujet d'un ouvrage dramatique. Peut-être y a-t-il eu un peu de coquetterie de la part de M. Nodier à placer sous les yeux des lecteurs des chefs-d'œuvre des poésies morlaques, pour prouver que ses propres inspirations égalent ou surpassent celles des poètes esclavons: coquetterie bien permise, et dont, en vérité, je suis bien loin de faire l'objet d'un reproche[203].

Malgré l'affabilité de ce critique, le volume n'eut aucun succès de librairie, et l'éditeur Ponthieu dut vendre l'édition au poids. Smarra ne fut réimprimé qu'une seule fois, en 1832, par Renduel, dans les Œuvres Complètes de l'écrivain[204].

Le droit d'auteur ayant expiré en 1894, plusieurs ouvrages de Nodier reparurent en librairie vers cette date: Smarra n'obtint pas les honneurs d'une nouvelle édition[205].

Mais s'il ne fut pas lu du grand public, il eut, par contre, un lecteur remarquable en Mérimée; et le jour où le jeune auteur du Théâtre de Clara Gazul aura envie de visiter les pays inconnus des «touristes anglais»: c'est dans l'Illyrie de Charles Nodier que ce gentleman à l'humeur vagabonde désirera aller éprouver des impressions nouvelles.

CHAPITRE II

La ballade populaire avant «la Guzla».

     No attempt was made to produce false antique ballads until the true
     antiques had again risen in public esteem.

     H. B. WHEATLEY, Introduction à l'édition critique des «Reliques»
     de Percy
, Londres, 1891.

§ 1. Définition de la ballade.—§ 2. La ballade populaire en Angleterre: pastiches de Macpherson; Reliques de Percy.—§ 3. La ballade populaire en Allemagne: Herder.—§ 4. La ballade populaire en France: précurseurs du folklorisme; Ossian en France; l'influence anglaise; Mme de Staël; le Romancero; Chants populaires de la Grèce moderne de Claude Fauriel et leur influence; les romantiques et la poésie populaire.—§ 5. La ballade serbo-croate; Narodné srpské Piesmé de Vouk St. Karadjitch; succès européen de ce recueil.—§ 6. Les mystificateurs littéraires.

La ballade populaire, qui a joué un rôle si mémorable dans le mouvement romantique de la plupart des littératures européennes, et particulièrement dans le mouvement romantique des littératures germaniques et slaves, n'a eu, relativement, que peu de succès auprès des romantiques français. En effet, la Guzla, dont on ne peut pas dire, malgré toutes les sympathies possibles, qu'elle est un livre universellement connu, tient cependant une place d'honneur parmi les quelques ouvrages de troisième ou de cinquième ordre, qui représentent en France, antérieurement à 1840, un genre auquel on devait ailleurs, en Angleterre et en Allemagne par exemple, de véritables révolutions et renaissances poétiques. Aussi est-il très naturel de constater que la ballade populaire ne suscite pas chez l'historien des lettres françaises cet intérêt obligatoire que lui réserve l'historien des lettres anglaises ou allemandes: on peut, en effet, en France ne pas lui faire une place à part dans l'histoire de la littérature.

Cela tient à des causes fort nombreuses et fort diverses qui n'ont pas encore été suffisamment précisées par ceux mêmes qui se sont occupés du romantisme comparé[206].

Nous n'avons ni l'intention, ni la force, d'entreprendre une étude détaillée sur ce sujet; toutefois,—c'est une nécessité de celui que nous traitons,—il nous en faut faire ici une esquisse sommaire.

Nous croyons, en effet, devoir indiquer quelle fut, jusqu'à _la Guzla, _la filiation internationale du mouvement folklorique, sans souligner cependant toutes les différences de caractère qui lui furent imprimées par chacun des pays où il a passé. Parti d'Angleterre, où se trouve l'origine de ce mouvement, passant par l'Allemagne, nous arrêtant plus longuement en France, au moment où son influence commence à s'y faire sentir, c'est-à-dire au moment où Mérimée s'y enrôle, nous continuerons par quelques considérations générales sur l'état de la littérature folklorique française à la veille de la bataille romantique; pour terminer, enfin, par une excursion indispensable en Serbie, où les érudits slavicisants découvrent à la même époque la ballade nationale et populaire.

§ 1

DÉFINITION DE LA BALLADE

Aujourd'hui le nom de ballade sert à désigner deux sortes de poèmes tout à fait différents; la première est «soumise à des règles rigoureusement précises», la seconde «flottante, indéterminée, difficile à définir et à caractériser, qui tend à devenir en tout pays synonyme de _chansons populaires, _dans la mesure où ce mot lui-même désigne, comme on l'entend bien, les chansons légendaires, et non pas les couplets qui s'échappent du tréteau de nos cafés-concerts, pour se répandre à travers les rues des grandes villes[207]».

Nous n'aurons pas à nous occuper du premier genre, celui de la _ballade classique comme en avaient composé Froissart, Eustache Deschamps, Christine de Pisanc, Alain Chartier, Charles d'Orléans, Villon ou Marot. Il n'a, du reste, presque aucun rapport avec le second, si ce n'est la même étymologie (ballar, _danser, sauter). Rappelons seulement que la ballade classique est morte depuis le XVIe siècle, malgré quelques tentatives pour la remettre en honneur, faites au XVIIe siècle par La Fontaine et Mme Deshoulières, de nos jours par Théodore de Banville, Albert Glatigny, François Coppée et M. Jean Richepin[208]; résurrections passagères et artificielles.

Quant à la _ballade romantique, _remarquons que, dans le sens de «chanson populaire», le nom de ballade était inconnu en France jusqu'au commencement du XIXe siècle, et que ce fut tout d'abord Millevoye, puis Victor Hugo qui le firent connaître. En effet, il figure pour la première fois, paraît-il, dans la traduction française du Spectateur d'Addison (1718). Il se trouve aussi dans l'Idée de la poésie anglaise de l'abbé Yart (1749-1759). Mais c'étaient de rares exceptions, et Diderot ne parle dans l'Encyclopédie que de la ballade d'Eustache Deschamps et de celle de Marot; Mme de Staël, de son côté, donne toujours aux ballades allemandes le nom de «romances». En 1842 seulement le Dictionnaire de l'Académie accepta cette nouvelle signification du mot:

«BALLADE, s.f. Il se dit dans la littérature anglaise et la littérature allemande d'un récit en vers disposé par stances régulières. Cette dénomination s'introduit même dans la littérature française, où elle tend à remplacer l'ancienne acception du mot Romance

Nous distinguons deux sortes de ballades romantiques: la ballade populaire et la ballade littéraire.

1° Sous le nom de ballade populaire, nous entendons toute production poétique collective, spontanée et impersonnelle, appartenant au genre épique, épico-lyrique ou lyrique, transmise par la tradition orale et, quant à sa forme et à son sujet, plus ou moins commune à tous les peuples indo-européens[209].

2° La ballade littéraire romantique—dont nous ne nous occuperons pas, du reste—est simplement une interprétation voulue et personnelle de la ballade populaire: telle la Lénore de G.-A. Bürger, tels Tom O'Shanter de Robert Burns, la Fuite d'Adam Mickiewicz, la Tsarévna morte et les sept bogatyrs de Pouchkine, quelques-unes des ballades de Millevoye et de Victor Hugo, tels enfin, de nos jours, les poèmes de M. Jean Richepin (comme la Glu) et ceux de M. Anatole Le Braz.

De plus, on pourrait former un troisième groupe de ballades: les supercheries ou contrefaçons plus ou moins ingénieuses, arrangées spécialement dans le but de mystifier le public savant ou lettré. Nous parlerons ailleurs de ce genre de poèmes.

§ 2

LA BALLADE POPULAIRE EN ANGLETERRE

Quoique les premiers collectionneurs de ballades populaires soient les littérateurs du Danemark et de l'Espagne[210], l'Angleterre est le pays qui a donné naissance au goût moderne pour cette poésie, comme nous avons eu occasion de le dire dans notre précédent chapitre.

Sous le règne d'Élisabeth, en effet, la ballade y jouissait déjà d'une grande faveur, et les drames de Shakespeare abondent en couplets tirés des chansons en vogue de son temps. Dans la Douzième nuit (acte II, scène 4), le Duc demande au Fou:

Eh camarade, arrive; dis-nous la chanson de l'autre nuit.—Écoute-la bien, Césario; elle est vieille et simple.—Les fileuses, les tricoteuses qui se chauffent au soleil,—les chastes filles qui tissent avec la navette d'os,—ont coutume de la chanter. C'est la candeur même,—elle respire l'innocence de l'amour—à la manière du bon vieux temps[211].

Et le Fou chante ces vers touchants: Viens, viens, ô mort!

Sir Philip Sidney n'était pas moins enthousiaste de ces vieux chants; voici ce qu'il dit d'un des plus anciens, la célèbre ballade de la Chasse dans les monts Cheviot: «Je n'ai jamais entendu le vieux chant de Perey et Douglas, sans avoir senti mon cœur plus ému que par le son de la trompette. Et pourtant qu'est-ce qui le fait entendre? Quelque ménétrier aveugle, dont la voix n'est pas moins rude que le style. Si dans ce mauvais accoutrement, souillé de la poussière et des toiles d'araignées de cette époque grossière, ce poème nous remue de la sorte, que ne ferait-il pas s'il était paré de l'éloquence magnifique d'un Pindare[212]?»

Mais ce goût ne dura pas longtemps, et vers le commencement du XVIIe siècle la ballade populaire tomba en discrédit. Il paraît que les ménétriers ou chanteurs ambulants répandaient un esprit de révolte en célébrant les exploits des outlaw de la frontière écossaise, car, en 1597, la reine Élisabeth rendit une ordonnance par laquelle les pauvres poètes furent assimilés à des «coquins, vagabonds et mendiants effrontés» et menacés des peines les plus sévères[213]. En Écosse, rapporte Chambers dans ses Annales domestiques, sous la régence de Jacques Morton (1572-1576), la peine de mort fut édictée contre quiconque composerait ou imprimerait des ballades[214].

L'époque austère de Cromwell fut également défavorable à la poésie populaire, qu'elle estimait un vain amusement propre aux âmes insouciantes.

Quant à la Restauration, elle fut trop frivole et trop hautaine pour s'intéresser aux chants du simple peuple. Les brillants écrivains classiques que produisit l'Angleterre de 1660 à 1740, ne crurent pas devoir s'occuper de la «poésie sauvage des âges grossiers, ce dernier reste de la barbarie». Il fallait une réaction contre la symétrie, l'élégance et l'équilibre pompeux de la littérature pseudo-classique; et cette réaction eut lieu au moment où ces qualités poussées jusqu'à l'exagération aboutissaient à une sécheresse et à une finesse artificielle révoltantes.

Dès le début du XVIIIe siècle, on commença à priser de nouveau la poésie populaire. Dans les fameux numéros 70, 74 et 80 du Spectateur, Addison, après avoir loué la simplicité agréable des vieilles ballades, en commentait deux: _la Chasse dans les monts Cheviot _et _les Enfants dans la forêt. _Bientôt l'on publia quelques recueils de ballades, dont le premier fut: A Collection of Old Ballads, corrected (sic) from the Best and most Ancient Copies Extant, with Introductions, Historical, Critical and Humorous (Londres, 1723-27, 3 vol.). On attribue cette collection à Ambrose Philips. En 1724, Allan Ramsay donna son Evergreen, being a Collection of Scots Poems wrote by the Ingenious before 1600 (Edimbourg, 2 vol.). Dans la préface de son livre il expliqua très nettement son intention: «J'ai remarqué, dit-il, que les plus judicieux des lecteurs se plaignent de notre littérature actuelle, disant qu'elle est pleine de délicatesses affectées et de raffinements étudiés, choses qu'ils échangeraient volontiers contre la vigueur de pensée naturelle et la simplicité de style, qui étaient dans l'habitude de nos aïeux. Je crois que cette collection ne recevra pas un mauvais accueil auprès des lecteurs dont je parle.» En 1725, le même poète publia The Tea-Table Miscellany or a Collection of Scots Songs (Édimbourg, 3 vol.).

Au milieu du XVIIIe siècle, un mouvement se dessinait en Angleterre, emportant beaucoup d'esprits distingués vers le passé et vers la nature. Les uns, comme Walpole, comme Warton, comme Hurd, cherchaient à remettre à la mode l'architecture et la poésie médiévales, à publier des manuscrits poudreux, à célébrer les châteaux «gothiques», les ruines druidiques; les antres, à glorifier la campagne, la mer, les rochers, les cimetières.

Naturellement, les naïfs et vieux chants populaires furent alors mis en grand honneur. On s'appliqua à recueillir des ballades anglaises, irlandaises, galloises. Une antiquité nouvelle semblait renaître, antiquité très différente de la Grèce et de Rome, vierge d'imitations, «pâture offerte aux imaginations avides[215]». On voulait ressusciter toute une civilisation morte, celle des peuples du Nord: des Celtes et des Germains que l'on confondait même au temps de Mme de Staël et qu'on opposait triomphalement aux civilisations vieillies de l'Europe latine[216].

Deux grands événements littéraires dominent ce mouvement: la publication des poèmes ossianiques par James Macpherson (1760), et celle des anciennes ballades anglaises par Thomas Percy (1765).

On connaît les polémiques ardentes sur l'authenticité des chants d'Ossian, polémiques qui cessèrent cinquante ans seulement après l'apparition de la première édition de Fingal. On sait depuis longtemps que cette fameuse épopée n'est qu'une imitation emphatique et paraphrasée, qui est loin d'avoir l'âpre énergie et la couleur des chants originaux dont elle prétendait être une traduction fidèle. Mais on n'ignore pas non plus qu'à travers toutes les interpolations de Macpherson, se reflètent d'admirable façon la rudesse des mœurs et l'enthousiasme guerrier des «primitifs»; de même, malgré toutes les réminiscences littéraires dont les Fragments de la poésie gaëlique[218] sont remplis (en particulier de Virgile et d'Homère), on entrevoit dans cette inégale mosaïque tant d'éléments authentiques[219] qu'il serait injuste de contester à l'ingénieux imposteur l'honneur d'avoir eu une part importante dans le réveil du goût pour la poésie populaire, dans son pays aussi bien qu'ailleurs. Sans nous étendre davantage[220], répétons cependant ce que nous avons dit à propos du Viaggio in Dalmazia et des Morlaques: ce fut en s'inspirant d'Ossian que l'abbé Fortis inséra dans ses livres les deux ou trois ballades serbo-croates qui ont établi la renommée européenne de cette poésie; de même, ce fut sous l'influence du barde écossais que la comtesse de Rosenberg composa ces chants prétendus populaires qu'elle a placés dans son roman dalmate. C'est à Ossian que la Triste ballade doit d'être célèbre; la Guzla lui est redevable en partie de son origine.

Passons maintenant à un autre archaïsant britannique, plus fidèle à ses textes celui-là, et qui contribua également au relèvement de la ballade.

En 1765 parurent à Londres les trois volumes in-8° des Reliques of Ancient English Poetry, consisting of Old Heroic Ballads, Songs and other Pieces of Our Earlier Poets. L'ouvrage était publié sous le couvert de l'anonyme, mais on n'ignorait pas que son éditeur était un jeune clergyman, Thomas Percy, qui deviendra un jour évêque de Dromore.

Percy avait tiré ces ballades d'un vieux manuscrit in-folio, trouvé chez un de ses amis, à Shiffnal, et dont plusieurs feuillets avaient servi pour allumer le feu. Dans sa préface, l'auteur réclamait une grande indulgence de la part de ses contemporains lettrés pour ces «rudes chants des vieux bardes qui chantaient pour le peuple».

Les Reliques furent d'abord froidement accueillies par les coryphées de la littérature. Le docteur Johnson, dont on connaît la célèbre polémique avec Macpherson au sujet des chants ossianiques, ne répondit que par des dédains aux avances flatteuses que lui avait faites l'éditeur des Reliques dans la préface. Du reste, l'éminent critique avait eu déjà l'occasion d'exprimer son opinion sur les imitateurs de vieilles ballades, quatorze ans auparavant, dans son Club des antiquaires:

Cantilenus, dit-il, concentrait toutes ses pensées sur les vieilles ballades, car il les considérait comme des souvenirs fidèles du goût naturel. Il m'offrit de me montrer un exemplaire des Enfants dans la forêt qu'il croyait original et dont il pensait qu'il était utile d'épurer le texte; comme si cette époque barbare avait le moindre titre à de telles faveurs[221]!

Warburton, le commentateur de Shakespeare, ne se montra pas plus clément. «La manie de l'antiquaille est aux vraies lettres, disait-il, ce que de brillants champignons sont au chêne: ils ne poussent et fleurissent que lorsque la vigueur et la sève du bois sont allanguis et presque épuisés[222]!» Un troisième critique fit une charge à fond contre Percy. Le jeune clergyman était traité de contrefacteur qui se serait «servi de son caractère ecclésiastique pour sanctifier la fraude». Il lui reprochait, et d'avoir mal représenté, dans ses commentaires, l'office et la dignité des anciens ménestrels, et d'avoir altéré et interpolé la plupart des vieux poèmes qu'il avait publiés[223].

Ce critique n'avait pas tort en ce qui concerne le manque de scrupules de Percy. En effet, son travail peut être contrôlé aujourd'hui, car le manuscrit original, gardé jalousement par la famille, fut enfin publié en 1867 et 1868[224]. Parmi les cent soixante-seize pièces qui forment le recueil, il n'y en a que quarante-cinq qui soient véritablement copiées sur le fameux manuscrit, et même elles n'ont été publiées qu'après avoir été l'objet de retouches très sensibles de la part de l'éditeur. Le reste était glané un peu partout; la ballade The Friar of Orders Grey était tout entière due à Percy.

Pourtant, malgré tous ses défauts, ce livre fit époque; son influence se fait sentir jusqu'à nos jours. Il est nécessaire de l'ajouter—Hermann Hettner l'a justement remarqué—Percy travaillait inconsciemment et ne se doutait pas de l'importance de son œuvre[225].

Le premier mérite de Percy, c'est d'avoir «sauvé de l'oubli quelques chefs-d'œuvre de la poésie anglaise, dit Macaulay dans l'introduction de ses Lays of Ancient Rome, chefs-d'œuvre dont les uniques exemplaires déchirés étaient à la merci d'une mouchure de chandelle ou d'un mauvais chien». Mais il a d'autres titres à la reconnaissance que celui d'avoir très à propos sauvé ces vieilles ballades du temps et de l'oubli: il stimula le patriotisme local et la vanité littéraire d'autres écrivains, plus ou moins capables d'une pareille entreprise; il fut suivi dans le chemin qu'il avait frayé: d'autres complétèrent son œuvre et même la dépassèrent. Nous n'indiquerons que trois de ces imitateurs et continuateurs: Herd, qui publia sa collection en 1769; Scott, en 1802 et 1803, et Motherwell, en 1827. D'autre part, ses ballades contribuèrent très puissamment à réformer le goût littéraire, à rendre possible la renaissance du style poétique anglais qui se dégageait des règles sèches du pseudo-classicisme, cherchant le naturel dans le «langage direct» des aïeux. Elles inspirèrent des poètes de génie. Wordsworth, Coleridge, Southey, Scott, ont tous reconnu, chacun à leur tour, la dette qu'ils avaient contractée envers le vieux collectionneur de ballades. Wordsworth allait jusqu’à dire que la poésie anglaise fut «et absolument délivrée» (redeemed) par Percy[226]. «Je ne crois pas qu’il y ait un seul poète contemporain, écrivait-il, qui ne serait fier de reconnaître ce qu’il doit aux Reliques. Mes amis en sont là; et, pour ma part, je suis heureux de faire à cette occasion mon aveu public[227].» Walter Scott fait des déclarations à peu près semblables[228],—ce qui n’était pas nécessaire, du reste, car les Chants populaires des frontières méridionales de l’Écosse le témoignent suffisamment, ainsi que l’œuvre tout entière de l’inventeur du roman historique. «Il est évident que l’ouvrage de Percy fut la source où sir Walter alla puiser ses premières inspirations. Ses poèmes ne sont que des légendes romanesques écrites dans le style et le rythme des vieux chants populaires. Lorsqu’il vit que le public commençait à se fatiguer de ces légendes versifiées, il démonta sa harpe écossaise et se contenta de la prose. La même pensée, la même vénération pour les temps anciens, les mêmes études de costumes et de caractères qui avaient fait le succès des poèmes, assurèrent le succès des romans[229].»

Cette influence de Percy se prolongea à travers le XIXe siècle jusqu'à nos jours. Elle est très sensible chez les poètes et les peintres du noble et beau mouvement préraphaéliste, surtout chez Dante Gabriel Rossetti et Edward Burne-Jones[230]; chez le «poète-typographe» William Morris, de même que chez les grands poètes de l'école irlandaise contemporaine: William Butler Yeats et Nora Hopper.

§ 3

LA BALLADE POPULAIRE EN ALLEMAGNE

L'influence anglaise, qui avait commencé à se faire sentir en Allemagne vers le milieu du XVIIIe siècle, révéla aux Allemands le rôle que la chanson populaire pouvait jouer dans un renouvellement nécessaire à leur Muse épuisée par des pastiches continuels du français, ou séduite par les romances «gongoresques» de Gleim.

Lorsque parurent les Fragments de Macpherson, ce fut, en Allemagne, une admiration quasi universelle pour la «noble et sauvage imagination» d'Ossian. Klopstock[231], Voss, Lerse célébrèrent «l'Écossais Ossian», comme «un plus grand poète que l'Ionien Homère». En 1773, Herder écrivit son Ossian et la poésie des peuples anciens[232]. Bürger, qui n'était alors que le poète de la Dame Schnips, avant de devenir celui de la Lénore, éprouva, lui aussi, une sorte de fièvre ossianique[233].

À l'Université de Gœttingue, Christian Heyne se fit le champion de Macpherson. Goethe, à son tour, s'inspira d'Ossian dans Werther et en d'autres endroits de ses œuvres. («Le divin Ossian a chassé Homère de mon cœur[234].»)

Le succès des Reliques de Percy fut encore plus vif et plus durable. Les ballades anglaises furent reçues avec un grand enthousiasme par le cénacle de Lessing[235], tandis que Herder poursuivait sa campagne en faveur d'une nouvelle poésie allemande vraiment nationale et populaire, qui ne serait plus ni une «bulle de savon classique» ni la poésie burlesque de son époque. «Sachez-le, écrivait Herder, sans contredit le plus actif médiateur de l'influence anglaise, plus un peuple est sauvage, c'est-à-dire vivant et agissant (le mot sauvage ne signifie rien de plus), plus aussi ses chansons, s'il en a, seront vivantes, libres, impressives, lyriques et dramatiques tout ensemble! Moins sa tournure d'esprit, sa langue et sa littérature sont artificielles et savantes, et moins sa poésie ressemblera à une versification de commande et à une lettre morte! C'est du lyrisme, de la vie, de la cadence, du chant, de la présence vivifiante des images, de l'accord et pour ainsi dire de la pression des faits et des sentiments, de la symétrie des mots, des syllabes et souvent même des lettres, de la nature, de la mélodie et de cent autres accessoires—qui sont le caractère propre et la vie de la poésie nationale et chantée, mais qui aussi disparaissent avec elle,—c'est de tout cela et de cela seul que dépendent la nature, le but, la force merveilleuse qui font de cette poésie l'enthousiasme, le ressort, la joie, le chant héréditaire et immortel du peuple. Ce sont là les traits avec lesquels cet Apollon sauvage perce les cœurs et fixe le souvenir. Plus un Lied doit durer, plus ces qualités qui tiennent en éveil les âmes doivent être énergiques et sensibles, pour braver la puissance du temps et les révolutions des siècles[236].»

Vers la fin de son Essai, il se plaignit du genre faux dans lequel était tombée la romance en Allemagne. «Vous déplorez, disait-il, que la romance, ce genre de composition originairement si noble et solennel, ait été mise chez nous au service de sujets burlesques ou scabreux, je le déplore comme vous. En effet, quel plaisir plus profond et plus durable ne laisse pas une de ces douces et touchantes romances de la vieille Angleterre ou des Provençaux; au lieu de nos récentes romances allemandes toutes pleines de railleries et de jeux de mots vulgaires et usés!»

En 1777, l'infatigable écrivain publia sa Dissertation sur la ressemblance de la poésie anglaise et allemande au moyen âge[237]; il y signala, entre toutes, la vieille poésie anglaise comme offrant aux poètes allemands les modèles les plus féconds à imiter, en même temps qu'il adressait un appel chaleureux au poète Bürger pour doter l'Allemagne d'un livre semblable aux Reliques: «Ah! si Bürger, qui possède à fond la langue et l'âme de ce sentiment populaire, nous donnait un jour un chant héroïque, une chanson de geste ayant la vigueur et l'allure de ces chansons [de Percy], qui de nous, ô Allemands! n'accourrait pas pour l'écouter avec ravissement? C'est lui qui en est capable: ses romances, ses chansons, même sa traduction d'Homère, abondent en de tels accents. Or, chez tous les peuples, l'épopée et le drame même sont nés des récits populaires, des romans et des chansons.»

Bürger, à proprement parler, n'entreprit pas la tâche que Herder lui avait proposée, mais, au point de vue purement littéraire, il fit quelque chose de plus: subissant l'influence britannique, il créa la ballade littéraire allemande. Il rompit avec la romance burlesque, puisa aux vieilles traditions germaniques, retrempa sa langue aux sources populaires, interpréta avec bonheur la rêverie, l'amour du fantastique, ces deux dons distinctifs de sa race, et inaugura avec la Lénore un genre dans lequel il sera suivi par des poètes tels que Goethe, Schiller, Uhland, Heine.

Ce fut alors Herder lui-même qui se proposa de faire pour son pays ce que Percy avait fait pour le sien. Mais, au lieu de recueillir exclusivement des poésies allemandes, il réunit dans son livre des poésies populaires de tous pays. Concevant l'histoire comme «le développement éternel de l'humanité, où chaque peuple n’est qu’un acteur dans un drame sans fin», il s’appliqua à saisir le génie de chaque nation, et cela non pas dans la littérature savante de nos jours, mais bien dans la poésie primitive et ancienne, «la seule vraie poésie» comme il l’appelait. Il est nécessaire de faire observer ici un détail que Mme de Staël a d’ailleurs fort justement remarqué dans son livre De l’Allemagne (2e partie, ch. XXX): l’allemand est une langue si malléable que, seule, elle permet de traduire la naïveté naturelle du langage de chaque pays. Aussi Herder put-il reproduire dans le rythme original tous les poèmes étrangers qu’il était parvenu à recueillir; il les publia enfin, en 1778 et 1779, sous le titre général de Chansons populaires[238].

J’ai étudié la pensée des différents peuples, disait-il dans sa préface, et ce que j’y ai découvert sans esprit de système et sans subtilité, c’est que chacun d’eux s’est formé des archives à lui en rapport avec sa religion, les traditions de ses pères, et ses idées particulières, que ces documents sont exprimés dans une langue, sous une forme et dans un rythme poétiques, que ce sont par conséquent des chants mythologiques et nationaux sur ses origines et sur ce qu’il y a eu de plus remarquable dans son passé. De pareils chants on en trouve chez chacune des nations de l’antiquité, qui, sans secours étranger et en suivant la voie de sa propre culture, s’est élevée seulement un peu au-dessus de la barbarie… L’Edda des Celtes_ (sic)_, les cosmogonies, théogonies et chants héroïques de la Grèce antique, les traditions des Indiens, des Espagnols, des Gaulois, des Germains et de tous les peuples barbares; tout cela est une seule et même voix et comme un écho isolé de ces traditions poétiques des premiers temps. Tout ce que dans notre âge de culture raffinée nous ne voyons de l’homme qu’en traits faibles et obscurs, est vivant dans les archives de cet âge éloigné.

Le succès des Chansons populaires fut aussi complet que leur influence fut durable et féconde. «Herder, dit Gervinus dans son Histoire de la poésie allemande, a frappé le rocher, et tous les courants poétiques de l’humanité, jaillissant à son appel, ont sillonné la terre allemande.» Un autre historien de l’Allemagne littéraire, A. Vilmar, n’hésite pas à attribuer à Herder l’honneur d’avoir révélé à la conscience du peuple allemand une de ses plus grandes qualités natives: la faculté de comprendre l'esprit étranger, de se l’assimiler, pour le transformer, et le projeter dans le monde[239].

En effet, cet amour du primitif et cette universalité de Herder eurent une double influence en Allemagne: ils frayèrent à la poésie d'autres chemins et découvrirent à la science une nouvelle branche d’études. Par cet ouvrage, Herder est à la fois le père spirituel de poètes romantiques tels que Achim d’Arnim et Clément Brentano, qui complétèrent ses Chansons populaires par un recueil à caractère plus national, le Cor enchanté de l’enfant (1808-1809), et celui de penseurs-érudits tels que les frères Grimm, qui soumirent la littérature traditionaliste à des recherches méthodiques et fondèrent ainsi le folklore et la mythologie comparés.

C'est ainsi que le romantisme allemand doit à ce réveil du goût pour la poésie populaire, non seulement sa note cosmopolite et médiévale (qui caractérise, du reste, tous les romantismes du monde), mais aussi, et surtout, sa note nationaliste et régionaliste, chose plus difficile à trouver—anticipons encore une fois—chez les romantiques de quelques autres pays et en particulier chez ceux de France[240].

§ 4

LA BALLADE POPULAIRE EN FRANCE[241]

Il s’est trouvé en France, en tous temps, des esprits indépendants et délicats qui ont été sensibles au charme naïf de la poésie populaire.

On l’a dit et redit, et dernièrement M. Jean Richepin le faisait à nouveau remarquer dans son discours de réception, Montaigne fut de ce nombre. «La poésie populaire et purement naturelle, écrivait-il, a des naïfvetez et grâces, par où elle se compare à la principale beauté de la poésie parfaicte, selon l’art; comme il se veoid èz villanelles de Gascoigne et aux chansons qu’on nous rapporte des nations qui n’ont cognoissance d’aulcune science, ny mesme d’escripture[242].» À son nom, on ajoute ordinairement le nom de La Fontaine et celui de Molière, qui en parle par la bouche d’Alceste, dans la fameuse scène du sonnet.

Il serait injuste d’oublier, parmi ces précurseurs des études folkloriques, trois autres Français: Christophe Ballard, «seul imprimeur de musique et noteur de la chapelle du Roy», qui publia plusieurs recueils de chansons puisées dans la tradition orale[243]; François-Auguste de Moncrif, qui fit quelques complaintes sur les thèmes populaires[244]; et surtout l’infatigable Restif de La Bretonne, qui cita mainte chanson bourguignonne dans ses étranges romans.

Mais c’étaient là des amateurs d’occasion, et leurs sympathies pour la poésie populaire n’étaient pas assez réfléchies pour constituer un programme littéraire. Moins nombreux et quelque peu attardés furent ceux qui pensèrent à tirer des effets artistiques de la simple et vieille ballade du peuple.

C’est à peine si l’influence anglaise, en Allemagne si bienfaisante, se fit sentir en France au XVIIIe siècle; Percy y fut presque inconnu jusqu’en 1806, aussi les rares tentatives pour transplanter dans ce pays le goût de la ballade populaire demeurèrent-elles toujours sans succès.

Ossian fut plus heureux que Percy. Dès le mois de septembre 1760, le Journal étranger publiait les «fragments d’anciennes poésies, traduits en anglais de la langue erse, que parlent les montagnards d’Ecosse[245]». En 1762 en parut la première traduction française imprimée séparément: Carthon. Le culte de «l’Homère celtique» était entièrement établi quand Letourneur donna sa traduction des «poésies galliques d'Ossian, fils de Fingal» (1778), traduction qui eut un succès prodigieux; il ne sera pas affaibli vingt ans plus tard, quand paraîtra celle de Baour-Lormian.

Chateaubriand, pendant son séjour en Angleterre, se fit grand partisan du barde écossais. «J'aurais soutenu, disait-il beaucoup plus tard, la lance au poing son existence envers et contre tous, comme celle du vieil Homère. Je lus avec avidité une foule de poèmes inconnus en France, lesquels, mis en lumière par divers auteurs, étaient indubitablement, à mes yeux, du père d'Oscar, tout aussi bien que les manuscrits runiques de Macpherson. Dans l'ardeur de mon zèle et de mon admiration, tout malade et tout occupé que j'étais, je traduisis quelques productions ossianiques de John Smith[246].»

Et, en 1797, il écrivait au chapitre XXXVIII de son Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes:

Le tableau des nations barbares offre je ne sais quoi de romantique qui nous attire. Nous aimons qu'on nous retrace des usages différents des nôtres, surtout si les siècles y ont imprimé cette grandeur qui règne dans les choses antiques, comme ces colonnes qui paraissent plus belles lorsque la mousse des temps s'y est attachée. Plein d'une horreur religieuse, avec le Gaulois à la chevelure bouclée, aux larges bracca, à la tunique courte et serrée par la ceinture de cuir, on se plaît à assister dans un bois de vieux chênes, autour d'une grande pierre, aux mystères redoutables de Teutates.

Mme de Staël, dans le fameux chapitre XI de son livre De la Littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, établit la division, plus fameuse encore, des «deux littératures tout à fait distinctes, celle qui vient du Midi et celle qui descend du Nord, celle dont Homère est la première source, celle dont Ossian est l'origine». Elle ajouta que «l'on ne peut décider d'une manière générale entre les deux genres de poésies dont Homère et Ossian sont comme les premiers modèles. Toutes mes impressions, disait-elle, toutes mes idées me portent de préférence vers la littérature du Nord». Nous n’insisterons pas sur l’importance de ces lignes. Disons seulement que l’impérial ennemi de Mme de Staël, lui aussi, admirait le barde écossais; il en porta avec lui la traduction italienne de Cesarotti et la lisait entre deux batailles—comme Alexandre lisait son Homère. Jusque dans ses proclamations, Napoléon imitait la prose rythmée de Macpherson[247].

Il y eut en France toute une génération de Malvina, d’Oscar et de Selma. Sous le Directoire, on voyait dans les nuits froides et orageuses, au milieu du Bois de Boulogne, des bommes demi-nus, assis autour de feux druidiques[248]. En 1804, Charles Nodier composait les Essais d’un jeune barde. En 1808, Lamartine chantait:

     Toi qui chantais l’amour et les héros,
     Toi, d’Ossian la compagne assidue,
     Harpe plaintive, en ce triste repos,
     Ne reste pas plus longtemps suspendue[249].

En 1818, Victor Hugo envoyait aux Jeux floraux de Toulouse un poème ossianique, les Derniers Bardes. Une année plus tard, Balzac, âgé de dix-neuf ans, composant son Cromwell, écrivait à l’une de ses sœurs: «Tiens, ce qui m’embarrasse le plus, ce sont celles [les situations] de la scène première entre le roi et la reine. Il doit y régner un ton si mélancolique, si touchant, si tendre, des pensées si pures, si fraîches, que je désespère! Il faut que cela soit sublime tout du long… Si tu as la fibre ossianique, envoie-moi des couleurs, chère petite, bonne, aimable, gentille sœur que j’aime tant[250]!»

Mérimée, lui aussi, n’échappa pas à cette fièvre bardite, car au mois de janvier 1820, J.-J. Ampère put écrire à son ami Jules Bastide: «Je continue avec Mérimée à apprendre la langue d'Ossian, nous avons une grammaire. Quel bonheur d’en donner une traduction exacte avec les inversions et les images naïvement rendues[251]!»

Sainte-Beuve range Ossian parmi les «grands-oncles étrangers» d’Alfred de Vigny[252] et signale l’influence de Macpherson dans les vers d’Alfred de Musset:

Pâle Étoile du soir, messagère lointaine,

qui sont de 1840, mais qui ne sont pas le dernier écho de «l’Homère celtique».

Les poèmes ossianiques cependant n’ont pas joué en France le même rôle qu’ailleurs. Tandis qu’en Allemagne ou en Bohême, par exemple, ils avaient stimulé le goût de l’étude du passé national, éveillé la curiosité en faveur des traditions populaires, en France, au contraire, ils n’eurent d’influence que par ce qu’ils avaient de plus littéraire et de plus général: cette sensiblerie commune au XVIIIe siècle, cette mélancolie, cette vague tristesse si chère aux solitaires,—sentiments que Rousseau et Goethe n’avaient pas peu contribué à faire partager à leurs contemporains.

Le premier qui ait subi en France l’influence des collectionneurs de ballades anglais, paraît avoir été P.-A. de La Place (1707-1793), écrivain médiocre qui avait appris l’anglais au collège de Saint-Omer et débuté par une insignifiante traduction de la Venise sauvée d’Otway.

En 1773, dans ses Œuvres mêlées, il avait «rajeuni» le langage de quelques «romances historiques» en vers: Léonore d’Argel, Frédégonde et Landri, le Chevalier et la fille du berger[253].

Dans son recueil des Pièces intéressantes et peu connues (Bruxelles, 1784-1785), il donna toute une série d’anciennes romances et contes qui témoignent une certaine connaissance des recueils anglais qu’il avait voulu imiter. C’est ainsi que, dans une note, il reconnaît avoir emprunté à «un historien anglais» la Rosamonde, romance galante et tragique, l’une des plus connues des Reliques de Percy[254]. D’ailleurs, il précisa ses intentions dans une intéressante introduction:

Pourquoi, dit-il, avons-nous si peu ou, pour mieux dire, presque pas, de ces anciennes romances historiques, tragiques ou intéressantes, à quelques égards que ce soit, tandis que les Espagnols, les Anglais, les Allemands, etc., en ont des recueils qui se font toujours lire avec d’autant plus de plaisir, qu’en rappelant plus ou moins bien à la mémoire des événements faits pour occuper ou le cœur ou l’esprit, elles ont de plus le mérite de peindre les mœurs anciennes, toujours faites, soit pour nous amuser, soit pour nous instruire agréablement?

Le prodigieux succès de la romance de Marlborough pourrait seul en donner la preuve, si l’empressement avec lequel nous nous hâtons de transporter les romances étrangères dans notre langue était aujourd’hui moins connu.

Le Français a pourtant chanté dans tous les temps!… Mais dût cette frivolité dont on l’a si souvent accusé, et son goût pour le changement, lui avoir fait négliger et, par degrés, totalement oublier les anciennes chansons de nos aïeux, il n’est pas moins étonnant qu’il s’en trouve si peu de vestiges dans les anciens recueils, où presque tous les genres de poésies qui furent jadis à la mode se trouvent, soit en totalité, soit en partie, conservés jusqu’à nos jours.

Dira-t-on que nos fabliaux (dont M. Legrand vient de nous donner un choix qui lui fait tant d’honneur) n’étaient en effet que des romances chantées par les ménétriers, et dont les airs, probablement peu faits pour en perpétuer la mémoire, sont, ainsi que ces petits poèmes, insensiblement tombés dans l’oubli?… Le contraire se prouve par les chansons amoureuses de Thibaut, comte de Champagne, d’Enguerrand de Coucy et autres, dont les airs ont passé jusqu’à nous, ainsi que leurs chansons.

En attendant que cette question, faite pour inviter quelque plume plus exercée dans ce genre que celle de l’éditeur, soit décidée, il fera des vœux pour que les littérateurs et les amateurs des anciennes romances répandues, ne dût-ce être que parmi le peuple de nos différentes provinces, les communiquent au public, ainsi qu’il en donne l’exemple en insérant celle qui suit dans un recueil, dont le but est de rassembler les parties ou négligées ou presque oubliées servant à l’histoire ou aux belles-lettres de la nation[255].

Le spécimen inséré était une «ancienne romance picarde», le Comte Orry et les nonnes de Farmoutier:

     Le comte Orry disait, pour s’égayer,
     Qu’il voulait prendre le couvent de Farmoutier,
     Pour plaire aux nonnes et pour les désennuyer, etc.[256].

Dans une note, l’éditeur reconnaissait qu’ «il ne restait de cette romance, que l’on croit du XIVe ou du XVe siècle, que quelques fragments, dont la singularité a paru assez piquante, pour engager M. D. L. P. à tenter d’en remplir les lacunes et d’en rajeunir à peu près le langage. Il a cru même devoir en conserver l’air sur lequel il a autrefois entendu chanter et danser ces mêmes fragments, dans la Picardie[257]».—Et il insérait une pièce en plus, le Convoi du Duc de Guise, «romance ou chanson des rues».

Un autre amateur de la ballade britannique essayait vers la même époque d’en transplanter quelques-unes en France. Ce n’était autre que Florian. Il traduisit le Vieux Robin Gray de lady Lindsay; cette charmante ballade d’origine récente et nullement campagnarde était un pastiche adroitement calqué sur un sujet traditionnel et adapté à un vieil air écossais: sous le couvert de l’anonymat, elle passa longtemps pour une ballade populaire authentique[258]. Les paroles de Fiorian furent mises en musique par Martini, l’auteur de Plaisir d’Amour; cette traduction obtint un grand succès en France. En 1816, Mme Charles la chantait à Lamartine, et le poète du Lac, trente ans plus tard, déclarait dans une page de Raphaël qu’il ne pouvait entendre sans pleurer les vers de cette touchante ballade:

     Quand les moutons sont dans la bergerie,
     Quand le sommeil aux humains est si doux,
     Je pleure, hélas! les chagrins de ma vie,
     Et près de moi dort mon vieil époux[259].

Pardonnons à Florian d’avoir cru l’embellir en éliminant de parti-pris ce qui en faisait la «couleur locale» et la valeur expressive. (L’original, par exemple, porte «ronfle» au lieu de «dort».) Faisons-lui plutôt honneur d’avoir été l’un des premiers et l’un des rares qui surent comprendre au XVIIIe siècle le charme de ce genre naïf.

Mais le Français qui le premier exprima des idées claires sur la ballade anglaise et prononça le nom de Percy, ce fut Albin-Joseph-Ulpien Hennet, l’auteur de la Poétique anglaise (Paris, 1806, 3 vol.). «Les Anglais nomment ballade ce que nous appelons romance: c’est le récit, mis en chanson, d’une aventure amoureuse et triste. La ballade a, chez eux, un style plus simple, plus naturel, une couleur plus sombre; il s’y mêle quelquefois des esprits, des revenants, etc.»

Telle est la définition de la ballade anglaise que donna Hennet dans son ouvrage où se trouvait un chapitre spécial consacré à ce genre de poèmes[260]. Il cita comme des plus fameuses: la Chasse dans les monts Cheviot et les Enfants dans la forêt, sans oublier les ballades qui célèbrent les exploits de Robin Hood, Gilderoy et Adam Bell; il en loua surtout la simplicité de la forme et déclara qu’elles avaient toujours beaucoup de succès auprès du public anglais, et qu’on les récitait encore dans les rues de Londres. «Percy, disait-il en terminant, a recherché toutes les anciennes ballades anglaises, écossaises et irlandaises et, en rajeunissant le style, en a fait un recueil.»

L'année suivante, le Conservateur[261] et le Magasin encyclopédique[262] saluèrent l’apparition d’une nouvelle édition des Reliques of Ancient English Poetry, augmentées cette fois d’un quatrième volume.

En 1808, les Archives littéraires de l’Europe donnèrent pour la première fois en France, à ce qu’il paraît, la traduction intégrale d’un morceau des Reliques. C’était l’histoire de Christabelle et Sir Cauline. «Nous avons cru, disait son traducteur, que cette ballade pourrait intéresser, même aujourd’hui, par la noble simplicité et la naïveté touchante qui y régnent[263].»—Notons encore, en passant, une «Lettre de M. Charles Villers à M. Millin, sur un Recueil d’anciennes poésies allemandes», publiée en tête du cahier de septembre 1810, du Magazin encyclopédique.

Nous voici arrivés à un ouvrage qui sous bien des rapports eut une importance capitale: cette importance il aurait pu l’avoir également pour la poésie populaire si son auteur l’eût aimée davantage. En 1810, Mme de Staël fit imprimer la première édition de ce livre si retentissant De l’Allemagne, auquel il nous faut presque toujours remonter quand il s’agit du romantisme. Il va sans dire qu’elle y consacra une large place aux «romances» de Bürger, de Goethe et de Schiller. Elle en fit un grand éloge et ces louanges ainsi données firent que Millevoye, Victor Hugo et Émile Deschamps composèrent des ballades[264]. Mais Mme de Staël ne se prit jamais d’enthousiasme pour la poésie populaire d’où la «romance» littéraire était cependant sortie. «Il y a des improvisateurs parmi les Dalmates, disait-elle dédaigneusement, les sauvages en ont aussi[265].» Aussi ne consacra-t-elle au recueil de Herder que ces quelques lignes assez froides:

Herder a publié un recueil intitulé Chansons populaires; ce recueil contient les romances et les poésies détachées où sont empreints le caractère national et l’imagination des peuples. On y peut étudier la poésie naturelle, celle qui précède les lumières. La littérature cultivée devient si promptement factice, qu’il est bon de retourner quelquefois à l’origine de toute poésie, c’est-à-dire à l’impression de la nature sur l’homme, avant qu’il eût analysé l’univers et lui-même. La flexibilité de l’allemand permet seule peut-être de traduire ces naïvetés du langage de chaque pays, sans lesquelles on ne reçoit aucune impression des poésies populaires; les mots, dans ces poèmes, ont par eux-mêmes une certaine grâce qui nous émeut comme une fleur que nous avons vue, comme un air que nous avons entendu dans notre enfance: ces impressions singulières contiennent non seulement les secrets de l’art, mais ceux de l’âme où l’art les a puisés. Les Allemands, en littérature, analysent jusqu’à l’extrémité des sensations, jusqu’à ces nuances délicates qui se refusent à la parole, et l’on pourrait leur reprocher de s’attacher trop en tout genre à faire comprendre l’inexprimable[266].

Puis, elle passa aux autres ouvrages de Herder qui l’intéressaient davantage. Henri Heine, qui entreprit plus tard de compléter, dans un nouveau livre De l’Allemagne, les informations littéraires de Mme de Staël, reprocha vivement à son illustre devancière d’avoir si peu parlé de la poésie populaire et du culte qu’ont les Allemands pour ce genre[267].

Les Espagnols, les premiers, eurent les honneurs d’une traduction de leurs poésies nationales en français: au mois de juillet 1783, la Bibliothèque universelle des Romans avait publié un choix de romances relatives au Cid, choix qui aurait dû beaucoup intéresser les admirateurs toujours nombreux de Corneille. Mais cette traduction passa presque inaperçue, et l’Espagne attendit le jour où, mieux connue, elle serait plus justement estimée. Les guerres de Napoléon d’abord, et plus tard le succès du Dernier des Abencérages et de Don Juan vont contribuer puissamment à remettre en faveur le pays de Gil Blas.

Il nous paraît, toutefois, que ce fut par l'intermédiaire de l'Allemagne que le Romancero devint à la mode en France; les premiers ouvrages français relatifs à ce sujet ne sont, en effet, que des traductions de l'allemand ou des travaux qui procèdent d'études antérieures allemandes: tel l'Essai sur la littérature espagnole (Paris, 1810, in-8°), telles: l'Espagne en mil huit cent huit, par J.-F. Rehfues, trad. de l'allemand en 1811 (Paris, Treuttel et Wurtz, 2 vol. in-8°), et l'Histoire de la littérature espagnole, traduite de l'allemand de Friedrich Bouterwek (Paris, 1812, in-8°), tel enfin l'ouvrage bien connu De la littérature du Midi de l'Europe de Simonde de Sismondi, livre entièrement écrit d'après les travaux allemands[268].

En 1814, parut la première traduction du Romancero du Cid en vers français: le Cid, romances espagnoles imitées en romances françaises, par le baron A. Creuzé de Lesser (1771-1839), auteur d'un curieux Voyage en Italie (1804) dans lequel il avait vivement attaqué les antiquités classiques, et d'un poème épique qui, s'il n'est pas une œuvre de valeur, a du moins son intérêt comme un signe des temps, les Chevaliers de la Table ronde, poème en vingt chants (1812; trois éditions).

Il va sans dire que Creuzé de Lesser ne conserve pas la couleur locale de ses originaux. «Il en a peur, dit M. Gustave Lanson: tout l’effarouche, tout ce qui n’est pas au goût français de 1810, le brutal, le populaire, le surnaturel et, il faut bien le dire, aussi le naturel. Il demande grâce dans sa Préface pour le détail singulier des mœurs, qui pourrait étonner; mais il a eu soin de ne pas laisser grand’chose qui étonne[269].» Après avoir étudié cette traduction, M. Lanson conclut de la façon suivante: «D’un bout à l’autre de ses traductions, le pauvre écrivain travestit inconsciemment l’original espagnol, même quand il croit le rendre exactement… Les idées conventionnelles du goût classique collent, si je puis dire, au langage ramassé dans les tragédies et dans la poésie du temps, et Creuzé de Lesser, malgré ses bonnes intentions, amène les unes avec les autres, si bien que le Romancero du Cid se recouvre d’un faux vernis qui date déplorablement[270].»

Il nous semble pourtant que l’éminent critique juge un peu trop sévèrement le bon traducteur; il le juge surtout en se plaçant au point de vue d’aujourd’hui. Si Creuzé de Lesser nous paraît peu avancé sur son temps, il le paraissait bien davantage à ses contemporains. Citons d’abord cette Préface où il a exposé les principes qui ont guidé sa traduction: l’ouvrage est dédié aux membres de l’Académie de Madrid. «Puissiez-vous, Messieurs, leur dit-il, juger que je n’ai point dénaturé la singulière énergie et la merveilleuse simplicité de ces romances presque autant antiques que le héros… Même en y laissant bien des choses hasardées pour la délicatesse française, j’ai tâché de conserver tout ce qu’elles offrent de remarquable.» Citons ensuite l’opinion d’un critique du temps, M. Dussault, du Journal des Débats, qui, s’il n’a point de haine pour la romance espagnole, s’irrite cependant contre son traducteur français auquel il reproche de n’avoir pas eu assez le souci de ses lecteurs.

Je ne range point l’auteur de ce recueil parmi les romantiques, écrivait-il; il n’est pas, ce me semble, de la confrérie; il fait des vers et non pas des systèmes. Il est permis au talent de chercher partout des sujets et de mettre à profit les richesses de toutes les littératures du monde… Voyez M. de Sismondi traduisant en prose quelques-unes de ces mêmes romances que M. de Lesser vient de mettre en vers: il en déguise la platitude, il en adoucit la rudesse, il en polit la grossièreté, il ennoblit les détails trop bas; il orne les endroits trop nus; il retranche, il ajoute, etc… M. de Lesser n’a pris soin ni d’effacer, ni de farder et d’embellir[271].

Et le critique blâma sévèrement le poète-traducteur d’être allé jusqu’à «respecter des traits qu’on supporterait tout au plus dans nos chansons de rue». Malheureusement pour le pauvre M. de Lesser, quelques années plus tard, on ira si loin dans ce sens que ses timides essais ne paraîtront pas plus romantiques que ne l’étaient les poèmes sentimentaux du «genre troubadour».—Nous nous trompons, les révolutionnaires littéraires de 1824 sauront les distinguer, et ce sera Émile Deschamps lui-même, le futur traducteur du Cid qui, dans la Muse française, rendra, le premier, hommage à son prédécesseur[272].

La vogue des «choses d’Espagne», qui caractérise non seulement le romantisme français, mais aussi celui des Anglais, des Allemands et des Russes, était maintenant inaugurée. Le Romancero sera très estimé par le Conservateur littéraire des frères Hugo (1819-1821), par la Minerve littéraire, (plus tard l’Abeille) à laquelle un certain L. Rincovedro (est-ce un pseudonyme?) fournira de longs et de curieux articles sur la littérature espagnole, dans lesquels se trouvent déjà signalées les étranges libertés de Victor Hugo à l’égard de l’Espagne. Il sera mis à la mode surtout par la collection publiée en 1821 par Abel Hugo: Romancero e historia del rey de España don Rodrigo, qui fut, s’il faut en croire Sainte-Beuve, le seul livre espagnol que posséda Victor Hugo[273]! En 1825 paraîtra le Théâtre de Clara Gazul de Mérimée; en 1826, Chateaubriand fera enfin imprimer son Dernier des Abencérages, ce «premier témoignage rendu par l’école romantique à un pays si inconnu[274]» (il l’avait écrit en 1809). En 1828, Émile Deschamps publiera sa traduction du Romancero, très belle mais assez fantaisiste, dans ses Études françaises et étrangères, et la fera précéder d’une préface romantique qui est restée fameuse[275]. Viendront ensuite Alfred de Musset avec ses Contes d’Espagne et d’Italie, Théophile Gautier avec Tra-los-Montes, puis toute une série d’autres ouvrages, avant qu’en 1845 Mérimée ne commence la période naturaliste avec sa Carmen[276].

Vers 1820, on se mit en France à étudier avec plus d’ardeur la poésie populaire des pays étrangers. Jean-Alexandre Buchon, historien estimable (1791-1846), publia en 1821, deux ans avant le recueil de Claude Fauriel, un article relatif aux chants populaires des Grecs modernes, dans le Constitutionnel; deux ans plus tard il revenait sur le même sujet dans le Mercure du XIXe siècle[277].—Le baron d'Eckstein, philosophe bien connu, donna en 1823 trois articles sur les Eddas Scandinaves, dans les Annales de la littérature et des arts, journal de la Société des Bonnes-Lettres[278].

Cette même année 1823, Claude Fauriel achevait, pour le faire paraître en 1824-25, chez Firmin Didot, le premier recueil dans ce genre qui fût publié en France, les Chants populaires de la Grèce moderne (2 vol.; texte original et traduction française en regard). Malgré son caractère scientifique, cet ouvrage obtint un succès presque exclusivement littéraire: ce qui n’étonnera pas si l’on se rappelle que son auteur, avant de le publier, avait déjà contribué au mouvement romantique par son influence sur Manzoni, dont il traduisait les tragédies après les avoir inspirées[279].

Chez cet original qu’était Fauriel, «l’homme de goût, l’homme délicat et sensible se retrouvait jusque dans l’érudit en quête du fond et dans l’investigateur des mœurs simples[280]». Son amour pour l’âge où la poésie spontanée et naturelle s’épanchait librement était des plus entiers et des plus sincères. Il est difficile cependant de prétendre que, par une sorte d’intuition géniale, il ait pu comprendre tout le charme du primitif, sans y avoir été amené par des influences étrangères. Mais à qui dut-il ce goût des choses du passé, à quelles sources exactes puisa-t-il «cette intelligence historique des poésies et chants nationaux»? C’est ce qu’il est également difficile de dire. Il voyait dans cette aptitude à se faire une âme primitive, l’une des meilleures et des plus importantes qualités de l’historien littéraire. Les études aussi nombreuses qu’approfondies, poursuivies pendant de longues années, mais sans plan nettement déterminé, firent que, malgré son savoir extraordinaire, il ne commença à produire qu’après la cinquantaine[281]. Son esprit se forma lentement, mais sûrement: et si cette méthode ne lui permit pas d’arriver plus rapidement au but, du moins il lui dut d’avoir pu fondre en lui toutes les influences qu’il avait reçues. Ces influences furent nombreuses: depuis celle qu’exerça sur lui son premier maître, La Tour d’Auvergne,—qui n’était pas seulement le premier grenadier de la République, mais encore l’un des meilleurs érudits de province que la France eût alors[282],—jusqu’à celle de son ami Guillaume de Schlegel. Mais tout ce qu’il a dû à ces influences, il l’a fait si sien que parfois on a peine à croire qu’il ait imité; et, là même où il n’est, en réalité, que le vulgarisateur des idées allemandes, on ne peut se défendre de lui concéder le privilège de l’originalité.

Démêler d’une façon précise quelles furent les origines des Chants grecs, est chose impossible. Contentons-nous de reconnaître à leur éditeur le mérite d’avoir mis au point les idées vagues et flottantes qu’on avait alors en France sur la poésie populaire; il a montré que l’étude de cette poésie avait un but véritable et qu’il y fallait apporter une méthode.

On se demandera peut-être comment Fauriel fut amené à commencer par la Grèce ses investigations sur la littérature primitive. M. Galley, son dernier biographe, nous l’explique: Fauriel, à l’occasion de ses recherches sur les origines de civilisations néo-latines, et sur le moyen âge provençal et italien, avait dû se reporter souvent à l’histoire littéraire des pays grecs de l’empire d’Orient. En ce qui concerne l’étude de la langue grecque vulgaire, il avait dû rechercher avec ardeur les documents nécessaires: les chants et les récits du peuple. C’est de cette étude que son livre est sorti[283]. «Le long Discours préliminaire et les commentaires qui précèdent les textes ne laissent aucun doute sur le soin que Fauriel apporta à ce travail de philologue, d’exégète et d’historien. Établir les textes sur des copies souvent incorrectes où l’on avait figuré la prononciation, conserver cependant la saveur des dialectes particuliers et respecter les idiotismes était déjà une tâche difficile[284].» Mais Fauriel ne s’arrête pas là. Il compare ces textes aux romans grecs du moyen âge, aux autres documents d’une littérature populaire de cette époque, aux vestiges d’une littérature populaire antique signalés dans les œuvres venues jusqu’à nous.—Une partie de ce Discours, la plus considérable peut-être, est l’observation attentive des conditions sociales dans lesquelles se développe la littérature populaire.

Entre les arts qui ont pour objet l’imitation de la nature, disait-il, la poésie a cela de particulier que le seul instinct, la seule inspiration du génie inculte et abandonné à lui-même y peuvent atteindre le but de l’art, sans le secours des raffinements et des moyens habituels de celui-ci, au moins quand ce but n’est pas trop complexe ou trop éloigné. C’est ce qui arrive dans toute composition poétique qui, sous des formes premières et naïves, si incultes qu’elles puissent être, renferme un fond de choses ou d’idées vraies et belles. Il y a plus: c’est précisément ce défaut d’art ou cet emploi imparfait de l’art, c’est cette espèce de contraste ou de disproportion entre la simplicité du moyen et la plénitude de l’effet, qui font le charme principal d’une telle composition. C’est par là qu’elle participe, jusqu’à un certain point, au caractère et au privilège des œuvres de la nature, et qu’il entre dans l’impression qui en résulte quelque chose de l’impression que l’on éprouve à contempler le cours d’un fleuve, l’aspect d’une montagne, une masse pittoresque de rochers, une vieille forêt; car le génie inculte de l’homme est aussi un des phénomènes, un des produits de la nature[285].

Les Chants grecs obtinrent un très vif succès et servirent en même temps deux causes: l’indépendance hellénique et la littérature romantique.

Nous parlerons peu de la première. Rappelons que, sous l’influence de Byron, l’Orient et la Grèce rentrèrent en faveur auprès des poètes et des peintres de la Restauration. «Le romantisme aperçut, dans le ciel enflammé, du côté où le soleil se lève, des Grecs un peu trop magnifiques, des Turcs un peu tartares; on ne sait ce qu’il a le plus admiré, de l’héroïsme des uns ou de la férocité des autres. La garde-robe et le coffre-fort des Palikares étaient un magasin d’accessoires où l’on pouvait puiser, à pleines mains, des broderies lyriques et épiques, bien propres à faire oublier les toges, les casques et les cothurnes de Ducis et de Baour-Lormian. Avec un enthousiasme farouche, les romantiques mirent au pillage la bijouterie levantine[286].» Et, chose prodigieuse, ces sympathies des littérateurs et des artistes, ce déluge de dithyrambes, d’odes, d’élégies, de peintures, de lithographies, provoquèrent la création de comités philhellènes, de quêtes au profit des insurgés[287], entraînèrent enfin le gouvernement lui-même et aboutirent à l’intervention européenne en faveur de la Grèce, à Navarin, l’une «des plus mémorables victoires qu’ait remportées la littérature». Au moment où parurent les Chants populaires de la Grèce moderne, Pouqueville, ancien consul de France auprès d’Ali-Pacha, donna son Histoire de la régénération de la Grèce. Ces deux livres ont été les deux sources littéraires du philhellénisme romantique[288]. Lamartine leur doit son Dernier chant du pèlerinage de Childe-Harold. Hugo s’est directement inspiré de Fauriel dans les Orientales[289]. Les poètes de troisième ordre, comme Népomucène Lemercier, et de cinquième ordre, comme Léon Halévy, mirent simplement en vers français la prose de Fauriel, sans beaucoup de bonheur toutefois. «On n’a pas oublié, écrivait Mérimée après la mort de Fauriel, sa belle traduction des Chants klephtiques, et je ne crois pas me tromper en disant qu’une partie de l’intérêt qu’excita en France l’insurrection grecque était due à cette traduction et à l’excellente préface qu’il y avait ajoutée. Bien des gens qui regardaient les Grecs comme un peuple de rusés intrigants les reconnurent d’après M. Fauriel pour des héros continuateurs de leurs ancêtres[290].»

D’autre part, le recueil des Chants grecs inaugura en France l’étude de la poésie populaire, étude qui prit une double direction: scientifique et littéraire. Le Globe, qui mobilisait alors les forces romantiques, consacra au nouvel ouvrage quatre articles du doux philosophe Théodore Jouffroy[291].

M. Fauriel, y disait-on, familiarisé depuis longtemps avec cette sorte de recherches où la littérature et l’histoire se commentent l’une par l’autre, a conçu l’heureuse idée de recueillir, au profit des lettres, ces chants populaires des Grecs modernes et d’en tirer, pour l’instruction de l’histoire, des renseignements irrécusables sur leur condition politique et civile, leurs habitudes domestiques et religieuses, et les principaux événements qui avaient, avant l’insurrection, signalé leur existence nationale. Il en est résulté un livre où tout est neuf, et que les littérateurs et les historiens se disputeront, parce qu’il offre à ceux-là un monument poétique de la plus grande originalité, et à ceux-ci des documents authentiques sur un peuple inconnu que l’Europe vient de découvrir au milieu de la Méditerranée. Tel est l’ouvrage de M. Fauriel[292].

À l’étranger, le succès fut également vif; le 10 juillet 1824, Goethe écrivait à Mlle Thérèse von Jakob: «L’ouvrage annoncé: Chants populaires de la Grèce moderne, par Fauriel, est paru; ainsi nos voisins nous ont dépassés sur un terrain où nous autres Allemands tâtonnions depuis des années déjà[293].»

Une traduction anglaise, deux traductions allemandes (dont l’une par le poète bien connu Wilhelm Müller), enfin, une traduction italienne, attestent mieux que toute autre chose le succès universel de Fauriel.

Avant de parler de l’influence littéraire des Chants grecs, disons que leur éditeur exerça une influence directe et personnelle sur plus d’un de ses contemporains et particulièrement sur ses jeunes amis J.-J. Ampère et Prosper Mérimée[294].

Toute une collection de traductions, d’imitations des poésies étrangères de toutes espèces, suivit les Chants populaires de la Grèce moderne. Ce fut ce folklorisme romantique qui réhabilita Perrault, le vieux conteur national qui avait puisé le premier au fond des traditions populaires. Charles Nodier se fit le champion des charmants Contes de fées[295]. Quelques années plus tard, Théophile Gautier proclama Peau d’âne le «chef-d’œuvre de l’esprit humain, quelque chose d’aussi grand dans son genre que l'Iliade et l’Énéide[296]», tandis que Gérard de Nerval appelait son auteur «le seul écrivain vraiment national de tout le XVIIe et le XVIIIe siècle[297]».

En même temps que les Chants grecs parut une sorte de roman historique, le Tableau slave du cinquième siècle, par la princesse Zénaïda Wolkonska, étalage de mythologie slave d’après l’historien russe Karamzine. Ce Tableau n’est pas beaucoup plus vrai que le Czar Démétrius de M. de La Rochelle, mais il est intéressant à cause de quelques poésies populaires russes que son auteur avait intercalées dans le texte[298].

Quelques mois seulement après l’ouvrage de Fauriel parurent les Ballades, légendes et chants populaires de l’Angleterre et de l’Ecosse, par sir Walter Scott, Thomas Moore, Campbell, etc., traduits par A. Loève-Veimars (Paris, 1825, in-8°, pp. 413). Cette traduction, faite en prose, obtint un très grand succès. Le Globe, après avoir fait certaines réserves sur le choix des morceaux, loua le recueil «qui nous révèle un genre de poésie anglaise peu connu encore chez nous, et qui contient des pièces de grande originalité[299]». Et, dans les Annales de la littérature et des arts, Edmond Géraud ne proposait rien moins que de faire pour la France un recueil de même nature:

C’est surtout en lisant cette collection de ballades étrangères, disait-il, que nous avons regretté plus d’une fois qu’il ne soit tombé dans la pensée d’aucun homme de goût de faire aussi quelques voyages à travers nos provinces, avec le projet d’y recueillir nos chansons historiques et ces vieilles romances qui se chantent encore dans nos veillées de village, ou dans les travaux de la campagne. Un tel projet ne pourrait paraître tout à fait inutile qu’à ces esprits dédaigneux qui se sont depuis longtemps accoutumés à croire que toutes les sources littéraires résidaient uniquement dans les bibliothèques de Paris. Mais les hommes enclins à penser que les traditions des vieux temps, que la trace de certaines superstitions ou le souvenir de certaines catastrophes locales, font aussi partie de l’histoire poétique d’une nation, ces hommes-là, disons-nous, accueilleront sans doute avec un vif intérêt un recueil de chants populaires, traduits des différents patois que l’on parle encore dans quelques parties de la France…

D’ailleurs, combien de beautés nouvelles, combien de situations attachantes dorment peut-être au fond de cette littérature des hameaux, qui, pour avoir ses racines dans notre propre sol, n’en demeure pas moins encore beaucoup trop ignorée parmi nous. Le talent ne doit rien dédaigner: il est probable, comme l’observe fort bien Mme de Staël (sic), que les événements racontés dans l'Iliade ou dans l’Odyssée, étaient chantés par les nourrices avant qu’Homère en fît le chef-d’œuvre de l’art… Qui peut prévoir ce qu’un homme doué d’une vive imagination apercevrait dans tel récit de nos filandières des Vosges ou des Pyrénées? Nous avons remarqué, pour notre compte, une foule de chansons languedociennes et surtout des rondes gasconnes, où se trouvent, parmi des détails de mœurs très piquants, des sujets de contes ou de ballades, dont pourrait tirer le plus grand parti ce petit nombre de nos poètes qui ont su se garantir du pathos à la mode, et qui sentent encore le mérite d'une simplicité ornée[300].

Cette même année 1825 parurent encore: les Chants héroïques des montagnards et matelots grecs, de Népomucène Lemercier, avec une Suite aux chants héroïques grecs; le Chansonnier alsacien , publié à Strasbourg par C.F. Hartmann; une nouvelle traduction d'Ossian, due à de Saint-Ferréol.

Voulez-vous connaître l'esprit public d'un peuple? écrivait le Journal de la Littérature à propos du recueil Hartmann; lisez ses chansons populaires; je ne parle pas de celles qu'on lui chante, mais de celles qu'il fait lui-même et qu'il chante. Êtes-vous en province, à la campagne? écoutez la chanson du laboureur, du jardinier, de la fille du fermier, de la fileuse; dans une ville de commerce? entendez les chants qui retentissent dans les ateliers, dans les places et sur les ports… C'est surtout dans le département du Rhin et dans l'idiome allemand que l'on peut se convaincre de la vérité de ces observations, et l'on s'aperçoit facilement, par le choix même du recueil que nous annonçons, que ces chansons sont en possession de plaire, et M. Hartmann n'a pas eu d'autre intention que de charmer les loisirs de ses concitoyens, en leur offrant ces étrennes agréables. Nous pouvons assurer, d'après nos connaissances locales, qu'il a parfaitement réussi et qu'il y a peu d'almanachs chantants, de chansonniers et de collections de ce genre qui soient faits avec plus d'à propos et de goût[301].

À la même époque, Augustin Thierry insérait des ballades anglaises dans les «notes et pièces justificatives» qui accompagnent son Histoire de la Conquête de l'Angleterre (1825); Sénancour publiait un article sur les Chansons populaires chez quelques orientaux [Chinois], article probablement composé à l'aide de quelque traduction allemande. La conclusion à laquelle aboutissait l'auteur d'Obermann est assez intéressante pour être citée: «Il nous manque, dit-il, des chants vulgaires, doucement nourris d’une politique vraie, ou même de sentiments religieux exempts de puérilités supersticieuses[302].»

En 1826 virent le jour: les Contes populaires allemands de J.-Ch.-A. Musäus, les Ballades et chants populaires de la Provence traduits en prose française par Marie Aycard, les Chants populaires des frontières méridionales de l’Ecosse par sir Walter Scott, traduits par Artaud[303], ouvrage connu de Mérimée et mentionné—très discrètement—dans la Guzla.

En 1827: les Contes du gay savoir, les fabliaux, ballades et traditions du moyen âge, publiés par Ferdinand Langlé, recueil qui obtint un certain succès littéraire, malgré son caractère scientifique[304]; les Poésies européennes de Léon Halévy, traduction de ballades étrangères, dont plusieurs russes, tchèques et polonaises; les Mélodies romantiques, «choix de nouvelles ballades de divers peuples», livre où se trouve même une pièce serbe; les _Ballades allemandes, _traduites par Ferdinand Flocon; enfin, la Guzla.

Durant cette époque, on le verra au paragraphe suivant, la poésie populaire des Serbo-Croates ne resta pas inconnue ni du public français en général, ni de Prosper Mérimée en particulier.

Si nous jetons un coup d’œil sur ce qui précède, nous constaterons qu’à la veille de la grande bataille romantique, la poésie populaire ne plaisait en France qu’à la condition d’être étrangère. On fit bon accueil aux chants grecs qu’offrait Fauriel, aux ballades écossaises traduites par Artaud, aux ballades allemandes, Scandinaves, anglaises, aux romances espagnoles, aux chants serbes; mais presque personne ne s’intéressa à la poésie populaire française. Peu nombreux furent ceux qui songèrent à s’inspirer de la littérature nationale du moyen âge, qui est, on le sait, un produit aussi collectif, anonyme, impersonnel que l’est la vraie littérature populaire[305]. «Cela doit paraître une chose étrange, dit le professeur américain Henry A. Beers, lorsqu’on se rappelle que la littérature française du moyen âge fut la plus influente de l’Europe et qu’elle contient, depuis la Chanson de Roland jusqu’au Roman de la Rosé et Villon, le plus riche trésor de sujets romantiques: chroniques, chansons de geste, romans d'aventures, fabliaux, lais, légendes de saints, homélies, miracles, chansons, farces, jeus partis, pastourelles, ballades,—bref, tous les genres cultivés au moyen âge. Il est vrai que cette littérature ne resta pas sans exercer une certaine influence sur les romantiques de 1830. Théophile Dondey écrivit un poème sur Roland; Gérard de Nerval célébra la naïveté et la couleur nationale des chansons populaires de la Touraine; mais ce fut tout ou presque tout. Les principales inspirations vinrent de l’étranger[306].»

On pourrait ajouter plus d’un nom à la liste de M. Beers, mais la conclusion resterait sensiblement la même. Du reste, ce manque de sympathie envers le passé de leur pays fut de bonne heure reproché aux romantiques français. Déjà en 1814, le classique Dussault écrivait dans le Journal des Débats: «Si la chanson du Roi Dagobert était l’ouvrage de quelque Anglais ou Allemand, elle enchanterait probablement toute l’école romantique[307].» Quelques années plus tard, Henri de Latouche adressait le même reproche aux jeunes novateurs: «Ce n’est pas ainsi, disait-il, que les Allemands ont agi envers leur pays: écouter dans leurs chants l’accent de la patrie et songer à la vôtre[308].» En vain Edmond Géraud regrettait-il «qu’il ne soit tombé dans la pensée d’aucun homme de goût de faire quelques voyages à travers nos provinces, avec le projet d’y recueillir nos chansons historiques et ces vieilles romances qui se chantent encore dans nos veillées de village ou dans les travaux de la campagne[309]». Ce sera en 1840 seulement que M. de La Villemarqué publiera son Barzaz-Breiz, la première collection de la poésie populaire indigène.

§ 5

LA BALLADE POPULAIRE SERBO-CROATE

Les chants «illyriens»—on peut presque le dire—étaient célèbres avant d’avoir été connus. En 1768, Klopstock, qu’ils intéressaient, proposait qu’on en fît un recueil. Goethe en traduisait en 1775, Herder en 1778, Walter Scott en 1798. Corinne, où Mme de Staël parlait des «improvisateurs dalmates», est de 1807. Dès 1813, Nodier s’occupait de ces improvisateurs. La même année, comme nous le verrons ailleurs, Byron témoigna avoir entendu parler des «chants bosniaques».

Pourtant, les textes que l’on possédait n’étaient ni tous authentiques, ni assez nombreux, ni publiés avec exactitude, ni fidèlement traduits: leurs éditeurs avaient toujours pris le soin de les «embellir» et de les «polir» avant de les livrer au public. En 1814 seulement parut le premier Recueil de chants populaires slavo-serbes; la publication en était due au célèbre collectionneur Vouk Stéphanovitch-Karadjitch[310].

Fils de parents pauvres né en 1787 dans un petit village de la Serbie, Karadjitch étudia quelque temps dans un monastère et devint secrétaire d’un des voyévodas de Kara-Georges pendant l’insurrection contre les Turcs. Deux ans plus tard, en 1806, son protecteur ayant été tué, il se rendit à Sremski Karlovtsi (Karlowitz), en Hongrie, pour y reprendre ses études. Il n’y resta pas longtemps; en 1807, il rentra en Serbie et servit de nouveau l’insurrection, puis il tomba malade et resta boiteux pour la vie. Il fut tour à tour maître d’école primaire, secrétaire du Sénat serbe (dont il a écrit une histoire), juge de paix. En 1813, après la répression de l’insurrection, il se réfugia à Vienne.

Il eut la bonne fortune d’y rencontrer d’excellents maîtres et de se faire des relations indispensables au succès de l’œuvre considérable qu’il allait entreprendre.

Il fut remarqué tout d’abord par Barthélémy Kopitar, de la Bibliothèque Impériale autrichienne, qui était un philologue slave distingué. Les conseils de Kopitar furent d’un prix inappréciable pour le jeune Karadjitch, à qui l’instruction des écoles avait manqué. Grâce à lui, Karadjitch fit la connaissance de Jakob Grimm, célèbre érudit allemand, qui établissait alors les bases de cette méthode scientifique appliquée à l'histoire nationale, d’où sortira non seulement la mythologie comparée, mais encore, comme nous l’avons déjà dit, le folklore et la philologie comparés. Diez pour les langues romanes, Zimmer pour les langues celtiques, feront plus tard seulement ce que Jakob Grimm avait fait déjà pour les langues germaniques.

Par suite de l’enthousiasme général qu’on avait à cette époque pour les études indo-germaniques, une grammaire serbo-croate était devenue nécessaire; on cherchait d’autre part des spécimens de la langue serbo-croate. Il n’était pas facile de s’en procurer, car la langue littéraire des Serbes orthodoxes du temps n’était qu’un mélange arbitraire du russe, du serbe et du slave ecclésiastique; celle des Croates catholiques n’était qu’un pauvre patois demi-slovène. On découvrit alors Karadjitch, jeune homme de talent[3111], qui connaissait à fond le peuple serbe, sa langue, ses traditions, son caractère. On l’instruisit et on l’aida: il publia, outre les Chants populaires, une Grammaire serbe (1814) et un Dictionnaire (1818).

Alors, sous l'influence de la science allemande qui combattait les langues artificielles, il se fit le champion de la langue nationale, le parler populaire de la «grand’mère Smiliana et des gardiens de pourceaux», langage proscrit par les lettres; il simplifia l’orthographe qui copiait servilement l’orthographe russe, et même réforma l’alphabet sur une base strictement phonétique.

En Serbie, ce fut une longue lutte philologique qui ne tarda pas à prendre un caractère politique, lutte malheureuse, car elle absorba pendant cinquante ans toutes les forces intellectuelles de la nation. La traduction de la Bible par Karadjitch fut interdite, et l’on confisqua les livres imprimés avec son orthographe. Ainsi la victoire ne fut définitivement acquise qu’après la mort du grand agitateur: il mourut en 1864, tandis que les mesures prises contre son orthographe ne furent définitivement rapportées qu’en 1868.

À l’étranger, où se passa toute l’activité de sa vie, il ne trouva qu’estime et sympathie. Vater, Bopp, Guillaume de Humbolt s’intéressaient à lui; Goethe, sur ses vieux jours, le recevait à Weimar, admirait de nouveau la poésie serbe,—cinquante ans après sa propre traduction de la Triste ballade,—écrivait, dans sa revue Art et Antiquité, des articles sur cette poésie, discutait longuement, avec son «fidèle Eckermann», sur les beautés des chants serbes. Le grand historien Léopold Ranke consultait Karadjitch dont il utilisa les documents quand il écrivit son Histoire de la Révolution serbe (1828). L’Université d’Iéna lui conférait le titre honoraire de docteur en philosophie; le gouvernement russe lui faisait une pension; le roi de Prusse lui remettait une belle décoration.

Nous nous occuperons seulement du célèbre recueil de Karadjitch, les Narodné srpske Piesmé ou Chants populaires serbes, œuvre qui «constitue encore le plus beau monument de la poésie populaire dans les pays slaves». (Louis Leger[312].)

Avant de dire le grand succès de cette publication, il nous faut consacrer quelques lignes à la poésie serbe en général; nous ne pourrons mieux faire que de citer une remarquable appréciation qu’en a donnée Mlle von Jakob, l’amie de Goethe, l’un des meilleurs connaisseurs en fait de poésie populaire[313]. Cette appréciation est doublement intéressante: d’abord en ce qu’elle est faite par une étrangère qu’on ne saurait soupçonner de prévention patriotique; ensuite parce qu’elle émane d’une femme: il y a, en effet, dans la poésie populaire un élément naïf, sensitif, qu’une femme d’esprit peut analyser avec plus de finesse qu’un érudit.

La poésie des Serbes, dit-elle, est liée de la façon la plus intime à leurs usages, à leurs coutumes, à leur vie même. C’est le tableau de leurs pensées, de leurs sentiments, elle reflète leurs actions et leurs souffrances. Elle représente avec une poétique fidélité les diverses situations dans lesquelles se trouve la masse d’hommes qui forme un peuple. Dans la chambre où les femmes tricotent autour du foyer, dans les montagnes où les bergers mènent paître leurs troupeaux, sur la place du village où se réunissent les jeunes gens pour danser le kolo, dans les champs où se fait la moisson, dans les forêts à travers lesquelles s’avance le voyageur isolé, partout retentit la chanson. Elle est la compagne inséparable de tout travail, bien souvent même elle naît au milieu du travail et comme créée par lui. Le Serbe vit sa poésie.

Les Serbes divisent ordinairement leurs chansons en deux grandes catégories: les unes courtes, de mètres très différents, lyriques ou épiques, se chantent sans accompagnement, ce sont les chansons des femmes,—elles sont très souvent, en effet, composées par les femmes;—les autres, plus longues, se développent en vers régulier, le décasyllabe, et se chantent avec accompagnement de gouslé[314], sorte de violon primitif aune seule corde: ce sont les piesmas héroïques[315]. Les premières sont surtout des poésies domestiques, intimes. Elles nous font pénétrer dans tous les détails de la vie privée, nous accompagnent en quelque sorte dans les joies des jours de fête ou dans les travaux quotidiens, en tempèrent et en colorent la monotonie. Que n’a-t-on pas dit déjà du charme harmonieux de ces chansons, du sentiment si sincère et si vif qui les inspire et que ne pourrait-on pas en dire encore? Je me bornerai à essayer de faire comprendre par quelques remarques ce qui distingue la poésie serbe des autres chansons slaves.

Le trait distinctif de la poésie serbe, c’est avant tout la joie qui en forme le fond, une sorte de limpidité joyeuse et transparente qui rappelle l’azur éclatant du ciel du Midi. Çà et là seulement certaines allusions aux souffrances et aux luttes d'une vie difficile, lourds nuages qui voilent à peine un moment la profondeur sereine du ciel. La crainte d’être livrée à un vieux mari, la peur d’une belle-mère, les querelles avec les belles-sœurs qui viennent attrister le travail de tous les jours,—dans ce pays patriarcal les fils mariés restent dans la maison paternelle, continuent à former une même famille,—altèrent quelquefois la gaieté naturelle des femmes serbes, arrachent à leur résignation quelques plaintes timides ou plus souvent encore quelques paroles d’irritation et de colère. Cela même donne aux chansons plus de force et plus de vérité; toutes celles qui ne sont composées en vue de quelque jour de fête sont ainsi pleines d’allusions à la vie de famille et traduisent avec une admirable fidélité les événements et les sentiments de tous les jours.

De toutes les anciennes chansons que l’on chante dans des circonstances déterminées, les plus curieuses sont les chansons de mariages. Elles décrivent les diverses cérémonies du mariage slave, et nous nous heurtons ici à une de ces contradictions qui abondent dans le monde moral et qui troublent le philosophe. Toutes les cérémonies symboliques rappellent avec beaucoup de netteté le triste état d’esclavage et d’abaissement auquel le mariage condamne la femme slave,—les jeunes filles sont plus libres et plus heureuses que les femmes, et si elles sont jolies et laborieuses, on les traite avec respect, on leur fait même la cour,—et cependant les chansons qui accompagnent ces cérémonies symboliques grossières, barbares, avilissantes, sont pleines de délicatesse et de joie, presque recherchées dans l’expression de l’amour. Différents indices prouvent que, comme les chansons russes de même ordre qui offrent d’ailleurs avec elles tant de ressemblances, elles remontent à une époque fort reculée. Comme les chansons russes aussi, elles ne renferment aucune allusion aux rites de l’Église.

Les piesmas héroïques serbes produisent pourtant une impression plus profonde encore. Légendes simples ou récits compliqués, ces chansons si nombreuses nous révèlent le véritable caractère de la poésie épique populaire, les lois de sa naissance et de son développement, la force naturelle de l’imagination d’une nation, alors que l’art n’est venu encore ni la contenir ni la régler. À ce point de vue, les Serbes sont un exemple tout à fait unique; aucun des peuples modernes ne saurait se vanter d’une pareille fécondité poétique; ils ont jeté une lumière toute nouvelle sur les gigantesques créations des anciens. Il n’y a donc aucune exagération à dire que la publication des ballades serbes est un des plus grands événements littéraires des temps modernes.

Un caractère général des piesmas—c’est leur puissance objective et plastique. Presque toujours, le poète domine de haut son sujet. La vigueur du dessin fait ressortir les points importants du tableau, les couleurs n’en sont pas éclatantes, mais solides et claires; le lecteur n’a besoin ni d’explication ni d’effort, il voit de ses propres yeux. Si l’on compare les ballades serbes à celles qu’ont créées jadis les autres peuples slaves, on reconnaît aussitôt la supériorité des premières… Quand ils nous représentent leurs compatriotes combattant leurs ennemis mortels et leurs oppresseurs, les Serbes trouvent des accents aussi émus, aussi passionnés que ceux que les Grecs inspiraient à Homère… Dans les chansons lyriques, ce qu’il faut admirer, ce n’est pas tel ou tel détail heureusement trouvé, c’est le charme de l’ensemble, le récit clair et bien ordonné, l’habileté et l’art avec lesquels le sujet nous est présenté. Pour le style, un mot suffira. Il n’y a pas dans les poésies slaves une seule de ces expressions grossières et basses qui déshonorent si souvent les ballades des peuples germaniques. Il ne faut pas sans doute demander à la poésie populaire ce que l’on appelle la noblesse de style. Ceux des lecteurs qui, peu faits à ce genre populaire, seraient choqués par des expressions familières répandues en toute innocence au milieu des admirables descriptions, feront mieux de laisser de côté les chansons slaves: leur bon goût serait souvent mis à de pénibles épreuves. Les tableaux sont toujours pleins de fraîcheur, de vérité et de vie, mais c’est par des moyens d’une simplicité absolue que le chanteur produit le plus souvent une puissante impression de grandeur et une profonde émotion tragique; ne cherchez pas chez eux, par exemple, la majesté guindée et l’élégance raffinée des auteurs dramatiques français[316].

Cette distinction des genres dont parle Mlle von Jakob, en ballades héroïques et ballades lyriques, ne se retrouve pas chez Mérimée; et, bien qu’il se rencontre dans la Guzla un troisième genre, qui n’appartient pas, celui-là, à la poésie populaire serbo-croate: la scène dramatique, on peut dire cependant que presque toutes les ballades contenues dans le recueil de Mérimée appartiennent au groupe de celles que le recueil de Karadjitch renferme en plus grand nombre, c’est-à-dire au groupe des piesmas héroïques. C’est donc ce genre qui nous intéresse particulièrement et il convient d’en dire quelques mots de plus.

Tous les piesmas héroïques sont rédigés, on l’a déjà dit, en décasyllabes. Ce vers, d’une régularité invariable de mesure, est composé de cinq trochées, divisé par une césure après le deuxième trochée ou quatrième pied:

Bōjăi mīlĭ | tchōudă vëlĭkōgă! (Dieu clément, la grande merveille!)

La rime et l’enjambement étaient complètement inconnus des chanteurs serbes, mais d’autres artifices de style, primitifs ceux-là, indispensables aux improvisateurs et récitateurs illettrés, procédés qui font le charme de la poésie populaire, abondent dans les ballades serbes: les débuts ou prologues, pouvant servir à toute chanson presque indistinctement, celui-ci par exemple qui est si fréquent:

     Dieu clément, la grande merveille!
     Est-ce le tonnerre qui gronde ou la terre qui tremble,
     Est-ce la mer qui se brise sur les écueils,
     Ou les Vilas qui se battent dans la montagne?
     Ce n'est pas le tonnerre qui, etc…
     Ce n'est pas la mer qui, etc…
     C'est…

prologue qui se retrouve presque identique dans les chants grecs, comme l'a signalé M. Dozon[317]; et, mais plus rarement, les épilogues, les songes, les adages sentencieux servant de transition, comme celui-ci par exemple: «Songe est mensonge et Dieu est vérité», les lieux communs et les hyperboles poétiques, les nombres sacramentels (trois, neuf, trente, soixante-quatorze, soixante-dix-sept); la palinlogie:

     La lune gronde l'étoile du matin:
     «Où as-tu été, où as-tu passe le temps,
     Passé le temps, ces trois jours blancs?»
     L'étoile du matin ainsi s'excuse:
     «J'ai été, j'ai passé le temps
     Au-dessus de la blanche cité de Belgrade,
     À regarder une grande merveille,
     Deux frères partageaient leur patrimoine,
     Yakchitch Dmitar et Yakchitch Bogdan.»

enfin les répétitions et les épithètes invariables, doublement utiles au chanteur en ce qu'elles remplissent le vers (chevillage inconscient) et donnent le temps de trouver l'idée qui va suivre. Ces épithètes du guzlar serbe rappellent, on l’a déjà remarqué, la manière à la fois naïve et sublime d’Homère[318].

Il faut signaler aussi l’uniformité de style et de langue qui caractérise les ballades serbes. En effet, si l’on compare les pièces toutes récentes avec les plus anciennes, rien, sinon l’incident qui en forme le fond, ne nous avertit qu’il y a entre elles un intervalle de plusieurs siècles. Conservées uniquement par la tradition orale, les piesmas ont dû subir au cours des temps de très importantes modifications, surtout dans la forme[319].

Les piesmas héroïques se répartissent, au point de vue de l’histoire, en quatre grandes époques.

À la première appartiennent les poèmes qui renferment quelques souvenirs des traditions mythologiques ou des coutumes primitives, souvenirs que met en lumière la comparaison qu’on en peut faire avec les chansons des autres peuples slaves ou avec les légendes communes à tous les peuples indo-européens; presque toujours ces anciens motifs ne sont arrivés jusqu’à nous que mêlés à des documents beaucoup plus récents; les croyances païennes se sont altérées sous l’influence du Christianisme; quelquefois la couleur, les noms sont chrétiens, et le fond du récit est païen. Telles sont les chansons où apparaissent les vilas[320], les dragons, les monstres à trois têtes; celles qui racontent des aventures miraculeuses, les légendes chrétiennes populaires: le Serpent marié, Momir l’enfant trouvé (histoire d’Œdipe), la Tzarine Militza et le dragon de Iastré-batz, Marie aux enfers et quelques autres. Il convient de rapprocher de ces chansons les légendes et les contes en prose, dont Vouk Karadjitch donna également un recueil[321].

Avec la seconde période, nous entrons dans le domaine de l’histoire; on range dans cette catégorie les piesmas relatives aux anciens rois serbes, à la dynastie des Némagnas. Nous n’en connaissons qu’un assez petit nombre, mais elles ont été, sans doute, autrefois beaucoup plus répandues; puis sont survenus des événements qui ont plus vivement frappé l’imagination populaire et les ont fait en grande partie oublier.

Le troisième cycle, le plus important de tous, renferme les chansons qu’ont inspirées les luttes des chrétiens et des Turcs, la bataille de Kossovo (1389), les exploits de Marko Kraliévitch, des heyduques et des uscoques[322]. C’est là qu’est le centre de l’épopée nationale.

La gloire de Marko[323] a dépassé les frontières de la Serbie; il est devenu le héros national des Bulgares, et, depuis des siècles, les Serbo-Croates du littoral adriatique, les Croates et même les Slovènes connaissent et célèbrent ses exploits. Ce développement de l’épopée s’explique tout naturellement par l’importance même des événements: la lutte séculaire avec les Turcs, en réclamant toutes les forces nationales, a perpétué les traditions de l’ancienne indépendance et préparé la nouvelle liberté. Rien de plus simple, par conséquent, que l’intérêt, la passion que ces combats ont éveillés chez le peuple et les chanteurs.

Les dernières courses des heyduques et des uscoques nous amènent enfin à la dernière période, aux chansons qui nous disent les exploits de Kara-Georges et de ses compagnons, la lutte pour l’affranchissement (1804-1816), les guerres turco-monténégrines[324].

En 1833, époque où Karadjitch écrivait sa célèbre préface, c’est à peine s’il y avait une seule maison bosniaque, herzégovinienne ou monténégrine où l’on ne trouvât pas les gouslé, qui ne manquaient jamais même dans les stations des pâtres. Aujourd’hui, elles se font rares; les chants héroïques de composition récente sont du verbiage démagogique, et il est très douteux que cette poésie renaisse jamais. Heureusement on la fixa par écrit à l’époque où elle florissait encore.

Dès que parut le premier volume des Chants populaires serbes (1814), il fut présenté au public allemand par Barthélémy Kopitar et par Jakob Grimm[325]. Le grand philologue allemand traduisit aussi dix-neuf poésies héroïques et lyriques serbes et recommanda à ses compatriotes l’étude de la langue de ce pays, afin de goûter la saveur des chants originaux[326]. «Ces chansons serbes, disait-il, n’ont pas été copiées sur des manuscrits poudreux, elles ont été recueillies toutes chaudes de la bouche du peuple; peut-être n’avaient-elles jamais été écrites auparavant; dans ce sens, ce ne sont pas des œuvres anciennes, mais elles n’en méritent pas moins d’être comparées aux textes les plus anciens: quelques-unes célèbrent des événements qui se sont accomplis il y a vingt ans à peine, et on ne peut reconnaître aucune différence de style ou de manière entre elles et les poésies qui s’inspirent des souvenirs les plus lointains, des traditions presque incertaines et des légendes primitives[327].» Et, tout plein d’enthousiasme, Jakob Grimm écrivait à ses amis: «Imaginez-vous qu’on a publié jusqu’à ce jour trois gros volumes de ces chants parmi lesquels il n’y en a pas un seul de mauvais. Nos poésies allemandes doivent se cacher devant les serbes (müssen sich alle davor verkriechen[328])».

Il faut ajouter qu’une raison spéciale explique cet enthousiasme. On pensait alors que les piesmas devaient résoudre la grande question de l’authenticité des œuvres homériques, posée par Wolf dans son ouvrage Prolegomena ad Homerum (1795). On a cru que les chants serbes fourniraient des preuves indiscutables à la théorie d’après laquelle l’Iliade et l’Odyssée ne furent qu’un assemblage de morceaux originairement distincts, réunis plus tard en un seul corps. On a cherché à voir dans les piesmas une «épopée en formation» et à étudier sur le vif, pour ainsi dire, une des phases par lesquelles la poésie homérique avait dû jadis passer[329].

En 1824, Jakob Grimm publia une traduction de la Grammaire de
Karadjitch, en la faisant précéder d’une très importante préface[330].
C’est à l’aide de cette grammaire que Goethe se mit à étudier le
serbe[331].

Ce fut aussi Jakob Grimm qui introduisit Karadjitch chez Goethe. Le 13 octobre 1823, le littérateur serbe visita Weimar[332]. «Son Excellence M. le comte de Goethe» reçut le «bon Vouk» avec la plus grande cordialité, et dans la première livraison de sa revue Art et Antiquité qui suivit cette visite, il inséra un poème extrait du recueil de Karadjitch, le Partage des Yakchitch[333]; puis, dans les livraisons suivantes, il publia d’autres poésies serbes: la Mort de Marko Kraliévitch, d’après la traduction littérale de Karadjitch[334], la Fondation de Scutari-sur-Boïana, traduite par Jakob Grimm[335], la Maladie du prince Mouïo, traduite par Mlle von Jakob[336] et trois chansons «de femmes», traduites par Wilhelm Gerhard[337],—le même Gerhard qui va rendre en allemand, quelques mois plus tard, la Guzla aussi, «en y retrouvant le mètre de l’original illyrique sous la prose de Mérimée».

Mais ce ne fut pas tout ce que Goethe fit pour les chants serbes. Quand il publia la Fondation de Scutari-sur-Boïana, il écrivit un long article sur la poésie serbe[338]. Et plus tard, il suivit toujours avec le plus grand intérêt tout ce qu’on en publia[339]. Aussi en 1828, quand il consacrera dans sa revue une notice à la Guzla, ce ne seront pas seulement ses sympathies pour Mérimée qui l’inspireront, mais également ses sympathies pour les chants authentiques qu’il connaissait trop bien pour se laisser prendre à la mystification du jeune Parisien, et cela d’autant plus qu’il avait, en quelque sorte, collaboré lui-même à la Guzla, par le crédit qu’il avait donné aux poésies populaires serbes.

Depuis longtemps déjà, disait Goethe, on accorde une grande valeur aux poésies populaires originales, que ces poésies retracent les événements d’un intérêt historique général, ou qu’elles soient consacrées à des scènes domestiques et à des peintures de sentiments. Je ne nierai pas que je suis au nombre de ceux qui ont cherché par tous les moyens à répandre et à favoriser ces études, dont je me suis toujours occupé moi-même avec plaisir; je n’ai pas négligé non plus de temps en temps d’écrire des poésies dans cet esprit et sur ce mode, poésies que je confiais au goût délicat des compositeurs…

Lorsque nous lisons simplement ces poésies, elles ne conservent pour nous de valeur extraordinaire que si notre esprit, notre raison, notre imagination, notre mémoire, se sentent par elles vivement excités, si elles nous présentent une peinture immédiate des traits originaux d'un peuple primitif, si elles nous retracent avec une clarté et une précision parfaites les pays et les mœurs au milieu desquels elles sont nées. Comme ces chants sont presque toujours la peinture d'une époque primitive faite par un siècle plus moderne, nous exigeons que le caractère des temps primitifs ait été conservé par la tradition sinon d'une manière absolue, au moins dans ses parties principales; nous voulons que le style soit en harmonie avec la simplicité des premiers âges, et nous nous plairons par cette raison à une poésie naturelle, sans art, à des rythmes peu compliqués, et même peut-être monotones; tels sont les chants grecs et les chants serbes.

Et dans une de ses conversations recueillies par Eckermann, il s'exprime ainsi au sujet de cette poésie:

«Mais, passons là-dessus et occupons-nous de notre énergique jeune fille de Halle dont l'esprit viril nous introduit dans le monde serbe. Les poésies sont excellentes! Il y en a dans le nombre quelques-unes qui se placent à côté du Cantique des Cantiques, et ce n'est pas là un petit éloge. J'ai terminé mon article sur ces poésies, et il est déjà imprimé.» En disant ces mots, ajoute le «fidèle Eckermann», il me tendit les quatre premières feuilles d'une nouvelle livraison d'Art et Antiquité, où je trouvai cet article[340].

Après de telles louanges, les deux maîtres, le savant et le poète, ne restèrent pas les seuls en Allemagne et en Europe à s'occuper de la poésie populaire serbe. Déjà en 1823, une jeune dame allemande, qui ne manquait ni d'intelligence ni d'esprit, commença à étudier la langue serbe, traduisit une grande partie du recueil de Karadjitch, et en publia deux volumes, sous les auspices de Goethe[341]. C'était «notre énergique jeune fille de Halle», Mlle von Jakob—mieux connue sous son pseudonyme de Talvj—dont nous avons déjà cité un jugement remarquable sur la poésie serbe[342]. Une foule de traducteurs allemands s’engagèrent à sa suite: Eugène Wesely, K. G. Herloszson, P. von Goetze, W. Gerhard, J. Wenzig, J.N. Vogl, Siegfried Kapper, Ida Düringsfeld, L.A. Frankl, Carl Gröber, le baron Wecker-Gotter, etc. Nous ne nous occuperons pas de la fortune de la poésie populaire serbe en Allemagne; le sujet est admirablement traité par M. Milan Curcin dans une étude que nous avons déjà citée plusieurs fois.

En Angleterre, comme on l’a déjà indiqué, Walter Scott avait mis en vers la Triste ballade de la noble épouse d’Asan-Aga. Quant au recueil de Karadjitch, il fut présenté aux Anglais pour la première fois, paraît-il, en 1821, par un réfugié polonais, K. Lach-Szyrma[343]. Dès que parut la traduction allemande de Mlle von Jakob, deux hommes de lettres londoniens se proposèrent de mettre les chants serbes en vers anglais: J.G. Lockhart, directeur de la Quarterly Review[344] et John Bowring, directeur de la Westminster Review[345]. La traduction de Lockhart fut imprimée, mais ne fut jamais publiée; toutefois on peut lire un long article que lui consacra son propre auteur dans la Quarterly Review du mois de janvier 1827 (pp. 66-80)[346]. Celle de Bowring parut au mois de mars 1827 et eut un certain succès, non seulement en Angleterre, mais aussi en France, comme nous le verrons ailleurs.—Avant de quitter l’Angleterre, il faudrait mentionner aussi les Serbski Pesme (sic); or National Songs of Servia, par Owen Meredith [lord Lytton], publiées à Londres en 1861. Cette traduction, quoique peu fidèle, est une versification vraiment poétique de la traduction française des Poésies populaires serbes par Auguste Dozon (Paris, 1859). Seulement, le poète anglais a oublié d’indiquer sa source.

Quant à la France[347], les publications serbes n’y restèrent inconnues ni du monde scientifique ni du monde littéraire. Dès le mois de mars 1808, le Magazin encyclopédique annonçait de Belgrade qu’on avait imprimé dans cette ville «un almanach pour l’année courante, à l’usage des Serviens, et en langue illyrienne, lequel porte en tête le buste de Czerni-Georges, couronné par la Victoire[348]».

Ensuite, comme nous l’avons vu, Charles Nodier, sans connaître les travaux allemands, avait traduit la Triste ballade de la noble épouse d’Asan-Aga et loué la simplicité classique de la poésie «illyrienne» (1813-1821). Ajoutons qu’un critique anti-romantique dont nous avons déjà parlé, M. Dussault, pensait sans doute à Nodier, quand il attaquait les écrivains qui «vont même jusqu’à prétendre nous faire admirer les plus misérables rapsodies qu’ils découvrent sur les bords de la Baltique, ou de l’Adriatique, ou du détroit de Gibraltar». En réalité, l’article d’où nous tirons cette citation fut écrit en 1815, quelques mois seulement après la réimpression des feuilletons slaves de Nodier, dans les Débats[349].

Au mois d’avril 1819, on parla pour la première fois de Karadjitch en
France. La Revue encyclopédique remarquait qu’il venait de paraître à
Vienne un Dictionnaire de la langue illyrienne ou serbe, par M.
Stéphanowitsch.

Il contient plus de trente mille mots illyriens, y disait-on, usités dans le pays et expliqués en allemand et en latin. Le même auteur a publié, en 1814, une Grammaire illyrienne, la première qui ait été écrite sur cette langue, et une collection de chansons nationales. Comme la langue illyrienne est fort riche en ce genre, cette première collection fut suivie, en 1816, d’une seconde, dans laquelle on trouve aussi dix-sept morceaux de poésie épique. L’ouvrage, commencé par feu le professeur Schloetzer, à Gœttingue, pour faire connaître une langue si peu répandue et pourtant assez bien cultivée, est maintenant continué par M. Stéphanowitsch sur un plan plus étendu[350].

Mais le premier journal qui s’occupa de la collection de chants serbes, paraît avoir été le Globe. Cette publication, dont on connaît le rôle important dans l’histoire du romantisme français, contenait dans son quatrième numéro un article très significatif: une notice sur les Chants populaires des îles de Foeroe[351], où l’on remarquait déjà qu’«en ce moment l’attention des littérateurs de tous les pays se tourne vers l’étude des monuments primitifs et des chants populaires: en France, continuait-on, M. Fauriel pour les Grecs; en Angleterre, Walter Scott pour l’Ecosse; en Allemagne, plusieurs philologues distingués et le grand poète Goethe pour les Serviens, se sont livrés à des travaux qui seront tour à tour l’objet de notre examen, et dont la comparaison peut donner lieu à de curieuses observations sur l’origine et les progrès de la poésie[352]».

Un mois plus tard, le Globe présenta au public français un ouvrage «servien» qui venait de paraître à Bude en Hongrie, ouvrage «intéressant sous plusieurs rapports»: Aventures de Selitsch, archimandrite de Krupa et ex-grand vicaire général des églises orthodoxes d’Orient dans la Dalmatie et aux Bouches de Cattaro. Ce livre est l’autobiographie d’un moine serbe qui, après avoir fait de nombreux voyages, les raconte à «sa nation bien-aimée[353]»; la notice ne nous intéresserait pas si le Globe n’avait particulièrement attiré l’attention sur le point suivant:

Outre le récit des événements de sa vie, le livre de Selitsch est encore remarquable en ce qu’il jette quelque lumière sur l’organisation ecclésiastique et la littérature nationale des Illyriens. Selitsch ne partageait pas le préjugé des moines ses confrères, qui regardent leur langue comme un misérable patois, et dont les plus savants n’écrivent qu’en latin. «Nous avons, dit-il, des poèmes que nous ne savons pas apprécier, et notre langue est une des plus belles du monde; le russe et le polonais en ont pris naissance: mais notre ignorance actuelle est à peine imaginable; les Serviens de l’église d’occident sont moins barbares que nous, mais c’est dommage qu’ils corrompent leur langue par leur commerce avec les Italiens.»

Le 13 novembre 1824, le Globe entreprit la publication d’une série d’articles sur les Poésies nationales des Serviens, dont il ne parut que les deux premiers.

À en croire quelques savants allemands, y disait-on, qui ont pénétré plus avant qu’on ne l’avait fait jusqu’ici dans la littérature slavonne, elle renferme de telles richesses que «l’Europe, à qui elles étaient restées cachées jusqu’à ce jour, sera frappée d’admiration en les voyant»… On en sera surtout redevable à un Servien, M. Wuk Stewanowitsch, dont les solides et importants travaux tendent à la fois à propager la gloire de sa patrie et à y répandre l’instruction et les lumières… Ces publications ont produit une vive impression sur les philologues allemands; on s’est mis avec ardeur à étudier et à traduire ces poésies qui, suivant M. Grimm, le traducteur de la Grammaire servienne, «rappellent à la fois Homère et Ossian, le Tasse et l’Arioste et ces vieilles ballades écossaises et espagnoles si pleines de sensibilité».

Puis, l’auteur indiquait le caractère de la poésie serbe: la force y est mise au premier rang, disait-il. Il parla des chants populaires que «les plus âgés apprennent aux plus jeunes» et que «l’on chante en s’accompagnant d’une sorte de violon, appelé gusla».

Malheureusement, dans la très louable intention de donner à ses lecteurs quelques notions sur la langue «servienne», l’auteur s’adressa à une brochure touffue et confuse: le Discours sur la langue illyrienne ou slavonne et sut le caractère des peuples habitant la côte orientale du golf adriatique, par M. le chevalier Bernardini, Dalmate, ancien officier supérieur de la marine (Paris, 1823[354]). L’ardeur patriotique du chevalier Bernardini réussit à convaincre le Globe «qu’il faut se rappeler que le servien est le dialecte le plus pur de cette langue slave, qui s’étend depuis l’Adriatique jusqu’aux extrémités du nord et jusqu’à la Chine, et dont le russe, le polonais et le bohémien sont considérés eux-mêmes comme des dialectes. Au nord, disait-il ensuite, cette langue s’est altérée et transformée peu à peu: au midi, elle est restée stationnaire comme la vie des peuples qui la parlent».

Dans le second article (20 novembre), l’auteur se perdit complètement au milieu des divagations de l’officier dalmate, et «la suite à un prochain numéro» ne fut jamais publiée. Ce premier essai échoua, on le voit, et les choses en restèrent pour le moment où Nodier les avait laissées.

En 1825, Mme E. Panckoucke traduisit la Complainte de la noble femme d’Asan Aga dans les Poésies de Goethe[355]. La traduction, quoique très gauche, fut assez lue et connue. En 1834, Mme Élise Voïart s’abstint de donner cette ballade dans ses Chants populaires des Serviens, à cause de cette traduction antérieure qu’elle jugeait faite «avec infiniment de grâce[356]».

Cette même année 1825, l’érudit Depping, qui avait déjà parlé de la Grammaire de Vouk dans le Bulletin des sciences historiques, rédigé par MM. Champollion[357], consacra dans le même journal une notice, assez froide, aux Chants populaires serbes, comme il convenait à un journal tel que le Bulletin des sciences historiques.

Les Serviens, disait-il, ont une foule de chansons nationales qui n’avaient jamais été recueillies, et dont un grand nombre n’avait peut-être jamais été mis par écrit, lorsque le savant servien Wuk eut l’heureuse idée d’en faire un recueil qu’il a porté en Allemagne et qui y a été publié. C’est une nouveauté intéressante qui nous fait connaître la poésie d’un peuple dont la littérature, à la vérité peu riche, existait à l’insu de l’Europe. La première partie du recueil contient des centaines de petites pièces de vers, que l’auteur appelle chansons féminines, parce que les femmes en composent et chantent beaucoup dans leur ménage. Ces pièces sont faites sans art, la plupart en vers blancs, et peut-être improvisées; elles sont généralement médiocres sous le rapport de la poésie. Il y en a sur toutes sortes de sujets, sur l’amour, sur la moisson, sur les fêtes du pays; on y trouve même des chansons magiques pour obtenir de la pluie, que chantent les jeunes filles en parcourant les villages. Par-ci, par-là, on trouve des pensées d’un naturel agréable ou des comparaisons originales ou singulières. Les deux autres parties contiennent les chansons héroïques qui abondent chez ce peuple belliqueux. Ce sont des vers monotones, où les mêmes épithètes et les mêmes formules reviennent sans cesse. Quelquefois les aventures qu’elles chantent ont de l’intérêt. Le héros favori des Serviens, Marko, fils d’un roi, y joue un grand rôle. Les batailles y sont peintes avec une sorte de prédilection, surtout celle de 1389 qui ôta l’indépendance à la Servie[358].

Le même Bulletin des sciences historiques, que recevaient certainement Fauriel et Ampère, tous deux amis de Mérimée, publia encore, l’année suivante, deux notices sur la poésie serbe. Dans la première[359], extraite du journal russe Syn otétchestva[360], on reprochait à Vouk d’avoir «cru bien faire d’introduire de nouvelles lettres ainsi qu’une orthographe tout à fait barbare chez les Slaves». Dans la seconde[361], on parlait des Volkslieder der Serben, disant que «la littérature allemande fait une très bonne acquisition dans cet ouvrage».

En 1826, l’intérêt pour la «Muse servienne que Goethe avait rendue célèbre», ne fera qu’augmenter. Le baron d’Eckstein, directeur du Catholique, publia dans sa revue deux longs articles sur les Chants du peuple serbe, en donna quelques extraits (d’après la traduction de Mlle von Jakob) et fit une excellente analyse de la ballade des Noces de Maxime Tsernoyévitch[362]. Ces articles ont plus de valeur qu’on ne leur en a reconnu, mais, malheureusement, la suite qu’en avait promise M. d’Eckstein[363] ne parut jamais.

D’abord, et ceci est très remarquable, disait-il, les chants lyriques et les récits épiques des Slaves diffèrent entièrement de la poésie native des nations de la Germanie. Chez les Serbes on ne rencontre aucun de ces traits caractéristiques des sentiments, des impressions, des actions que chantent ou racontent les ballades et les romances des Allemands, des Suédois, des Anglais, des Écossais. Il y a une noblesse plus élevée, plus de grâce et de pureté, une manière de s’exprimer plus délicate et mieux choisie dans les poésies natives des Bosniens et des Dalmates: mais plus d’originalité, un intérêt plus varié, plus dramatique et plus soutenu, et, nous devons ajouter aussi, un plus riche développement des diverses conditions de l’existence sociale, même dans son état de barbarie, distinguent les chants populaires propres aux nations germaines.

La piété des Serbes a quelque chose d’infiniment touchant, un goût, un parfum, pour ainsi dire, d’innocence dans son expression lyrique: mais elle est uniformément ascétique et monacale. Les pensées et les actions pieuses, exprimées dans les ballades et dans les romances chantées jadis sur les frontières de l’Ecosse, ou sur les bords du Rhin, ne portent pas ce caractère de dévotion, mais dénotent une vie active, même au sein d’occupations religieuses. Il y est souvent question de vocations forcées, d’événements graves et tragiques qui en furent la suite, d’une lutte entre les hommes armés de la lance et les hommes qui portaient la croix; rien de semblable parmi les Serbes. La femme y obéit à ses parents, le moine ne contrarie pas le chef de la tribu; il reçoit ses dons, mais il tremble devant sa violence et ne prétend pas l’assujettir à sa domination.

Ce n’est pas que les traits généraux, propres à la nature humaine et la vérité de sentiment, ne se retrouvent dans les poésies des peuples dont nous parlons: mais leur expression est essentiellement différente. Il y a des actes de grossièreté, de rudesse, de violence, racontés dans les chants des Serbes comme dans ceux des Germains: mais toujours, chez les premiers, les récits de ces faits sont relevés par la noblesse et la dignité du style, tandis que, chez les autres, leur expression âpre et sauvage n’est jamais adoucie. Sous ce rapport, à en juger par les poèmes des Serbes, la culture de l’esprit paraît généralement plus avancée parmi les Slaves que chez les peuples de la Germanie. Cette observation, bien entendu, ne porte nullement sur la civilisation, sur la littérature et sur les arts; car, si nous comparons l’état de ceux-ci avec les progrès faits à cet égard par les nations allemandes, les arts paraissent dans l’enfance chez tous les Slaves, et particulièrement chez les Serbes. Mais il s’agit d’une manière générale d’être, de se mouvoir, de sentir, propre à la masse des peuples ainsi comparés[364].

À Strasbourg, la Bibliothèque allemande (plus tard Revue
germanique
), journal de littérature, publié par MM. H. Barthélémy et G.
Silbermann, consacrait également une notice à la traduction de Mlle von
Jakob (juin 1826).

Ce recueil a dissipé l’obscurité qui régnait en Allemagne, y disait-on, sur la nation des Serves (sic), en montrant que, malgré le joug des tyrans qui oppriment cette peuplade antique, et malgré l’état sauvage auquel un despotisme barbare l’a réduite, elle a toujours conservé l’amour de la poésie, et qu’elle aime retracer dans ses chants le souvenir des hauts faits de ses ancêtres. Ce peuple est doué d’une grande force d’imagination, de beaucoup de jugement; il chérit avec enthousiasme la gloire que ses anciens héros se sont acquise. La douceur des sentiments qui règne dans sa poésie et qui approche de la mélancolie, ne doit pas sembler étrange, si l’on se rappelle qu’il appartient à la grande famille des Slaves, dont toutes les compositions ont toujours respiré la mollesse, dans la musique comme dans les paroles.

Les chants publiés par Talvj ne sont pas le fruit de la méditation: une improvisation naturelle qui les a créés; conservés par les traditions, ils ont peut-être subi plusieurs changements, qui dépendaient du caractère de ceux qui les chantaient. Les petits cantiques retentissent encore dans les réunions des filles occupées de leurs travaux; elles y ajoutent des vers où elles expriment leurs plaintes amoureuses, leurs plaisirs et les sentiments divers qui les dominent. Les morceaux plus étendus, qui retracent des traditions historiques, sont chantés par les hommes assemblés en festins; ils contiennent jusqu’à deux cents vers[365].

La poésie est une fidèle image du caractère national des peuples parvenus à un certain degré de civilisation, quand l’individualité n’est pas encore confondue avec les formes abstraites de la pensée. Les chants des Serviens peignent particulièrement les plaisirs qui sont le prix de la valeur et de la victoire; on y trouve des sentiments nobles et généreux; des traits de barbarie et même de perfidie. On y voit le goût des vengeances particulières, et, surtout, des idées singulières de l’honneur et des convenances sociales. Quelques morceaux sont consacrés à chanter des sujets religieux, tels que des conversions à l’islamisme; l’amitié y est peinte sous des couleurs vives et fortement tracées, et l’amour mieux célébré qu’on ne devait l’espérer chez un peuple qui n’accorde que peu de droits aux femmes; les poésies de cette nation diffèrent de celles des autres peuples slaves, en ce qu’elles ne donnent pas la préférence à la couleur nationale, mais bien à la blancheur de la peau (sic)[366].

Trois mois plus tard, le Globe parla de la revue strasbourgeoise et lui reprocha d’avoir trop sommairement présenté les ballades serbes:

Cette livraison peut nous fournir quelques nouvelles littéraires de l’Allemagne… La première partie d’une traduction des Chants populaires des Serviens a paru à Halle. On l’attribue à Mlle de Jacob, fille du conseiller d’État et professeur de Jacob. Ce n’est que depuis peu d’années que l’on s’occupe en Allemagne de la littérature des Serbes. Le célèbre Herder, dans son recueil de Chants populaires (1777), et Goethe, par son imitation de Asan-Aga, ont les premiers fixé les regards sur le génie poétique de cette tribu de la grande famille des Slaves. Plus récemment, un Servien, M. Wuk Stephanowitsch, s’est livré avec une ardeur admirable à de grandes recherches et à de sérieux travaux d’érudition. Son recueil des chants populaires des Serbes parut en 1814 en deux volumes. Une traduction en vers métriques de toutes les poésies qu’il renferme a, dit-on, été envoyée à Goethe, qui s’est chargé de la revoir et de la publier. En attendant, M. Kopitar, savant établi à Vienne, et les frères Grimm ont fait paraître des traductions partielles. Nous regrettons que les auteurs de la Bibliothèque allemande n’aient rien à nous dire de la traduction nouvelle sinon qu’elle est très agréable à la lecture et qu’elle paraît très fidèle. C’était le cas de citer et d’imiter M. d’Eckstein qui a enrichi de ces morceaux plusieurs numéros de son Catholique. Pourquoi ne nous traduisent-ils pas en partie le Précis historique sur les Serviens que Mlle de Jacob a placé en tête de sa collection et qui, de leur aveu, est clair et suffisamment détaillé[367]?

En même temps, la Revue encyclopédique publiait un avertissement sur la traduction allemande des Chansons nuptiales serbes, faite par Eugène Wesely[368], et sur les Nékoliké piesnitsé («Quelques chansons») du poète serbe Siméon Miloutinovitch, qui avait profité de cet enthousiasme serbophile pour obtenir de Goethe un article sur ses inintelligibles improvisations auxquelles on accordait un certain crédit presque jusqu’à nos jours[369].

On s’est pris en Allemagne, disait la revue, d’une belle passion pour la littérature poétique des Serviens, que l’on connaît seulement depuis quelques années… Il est pourtant de fait que les chansons serviennes sont généralement pauvres de poésie et d’invention. Souvent elles se réduisent à de simples pensées, à des réflexions communes et aux événements vulgaires de la vie (sic). Il y en a que les femmes chantent en filant et qu’elles composent elles-mêmes, en vaquant à leurs travaux. Les chansons d’amour ne sont guère plus remarquables. Il n’y a que les chansons héroïques qui, conservant l’empreinte du caractère belliqueux de la nation, ou se rapportant à des événements historiques, présentent un intérêt particulier. On cite un rapsode aveugle, nommé Philippe, qui improvisait des chants guerriers, même de plusieurs centaines de vers. Il se peut, au reste, que cette poésie servienne gagne dans la langue originale, par la naïveté ou l’originalité de l’expression; mais toujours est-il vrai que, dans les traductions allemandes, elle a très peu de couleurs et de traits piquants[370].

On y parlait ensuite des Nékoliké piesnitsé de Miloutinovitch, «homme d’un esprit cultivé», et l’on terminait en disant quelques mots de la Danitsa («Étoile du matin»), almanach serbe publié par Karadjitch.

Quelques mois plus tard, la même Revue encyclopédique donna une notice de J.-H. Schnitzler sur la traduction de Talvj. Le critique se contenta de résumer l’introduction des Volkslieder der Serbe[371].

Au moment même où Mérimée préparait sa mystification, la poésie «illyrique» avait une telle vogue que le Journal de la littérature étrangère inséra pendant l’année 1827 quatre notices relatives à ce sujet[372]. Pour mieux comprendre combien ces notices sont significatives, il faut se dire qu’à l’heure actuelle bien des années ont passé depuis que les publications françaises ne parlent plus des lettres serbes: chose plus étonnante encore si l’on songe que c’est précisément l’influence française qui a opéré récemment une vraie révolution littéraire en Serbie, et qui donne la direction à la littérature serbe contemporaine, surtout à la poésie et à la critique.

Au moment où la Guzla sortait des presses, Mme Louise Sw. Belloc, traductrice de Thomas Moore, rédigeait en français une traduction d’un certain nombre de chants serbes. Déjà au mois de juin, présentant au public la Servian Popular Poetry de John Bowring, elle déclarait dans la Revue encyclopédique: «On pourra bientôt juger en France du mérite de ces chants serbes, dont la traduction s’imprime et paraîtra incessamment, avec des notes et des éclaircissements indispensables pour bien saisir l’ensemble et les détails d’une poésie tout à fait populaire, née des besoins d’un peuple sur lequel nous avons eu jusqu’à présent si peu de notions, et empreinte de mœurs et d'habitudes que nous connaissons à peine[373].

Mais cet ouvrage ne parut jamais, sans doute parce qu’on le jugea inutile après la Guzla[374].

§ 6

LES MYSTIFICATEURS LITTĖRAIRES

MM. Paul Reboux et Charles Müller firent paraître, il y a quelque temps, un livre qui obtint le plus légitime des succès. Leur livre À la manière de… est un recueil de pastiches. Il en est d’amusants: d’autres nous apparaissent ironiques, tous sont pleins d’esprit. Tour à tour, les auteurs pastichent Mme de Noailles, Maurice Mæterlinck, de Heredia, Shakespeare, La Rochefoucauldt, Huysmans, Conan Doyle. Ce livre est, dans son genre, un chef-d’œuvre, c’est aussi un tour de force.

Mais dans l’esprit des auteurs, il n’y eut jamais l’intention de provoquer de la confusion. Il ne s’agit pas là de mystification.

La mystification littéraire a souvent été employée, presque toujours avec succès. Elle est, du reste, aussi ancienne que les lettres elles-mêmes[375].

Ainsi, dès que la vieille ballade commença à rentrer en faveur auprès du public, il se trouva des imposteurs qui, comptant sur la crédulité publique, en offrirent des contrefaçons. L’époque de Percy produisit les pastiches de Chatterton (1778). Le succès du recueil de sir Walter Scott engagea le révérend R.S. Hawker à composer sa fameuse ballade de Trelawny, mystification à laquelle Scott lui-même se laissa prendre ainsi que Macaulay et Charles Dickens[376]. Le renom que s’étaient attiré les collectionneurs allemands excita l’émulation du poète tchèque Vaclav Hanka (1791-1861), qui fit paraître en 1818, sous le nom de Kralodvorsky rukopis, un recueil d’anciens poèmes épiques et lyriques qu’il déclarait avoir découverts, l’année précédente, dans la petite ville de Kralove Dvor (Königinhof) en Bohème; ce recueil fut accueilli dans tous les pays slaves avec un grand enthousiasme, mais l’authenticité en paraît aujourd’hui des plus contestables—ce qui n’empêcha pas celui qui si habilement l’avait fabriqué de toutes pièces, d’être élu député, nommé docent de langues slaves à l’université de Prague (1848), fait lauréat de l’Académie impériale de Pétersbourg, créé chevalier des ordres de Sainte-Anne et de Saint-Vladimir de Russie, et d’avoir enfin un monument après sa mort[377].

De même, une bande d’imposteurs bulgares, jalouse de la célébrité de Vouk St. Karadjitch, lança vers 1860 à travers les pays balkaniques un prétendu Veda Slave, sous les auspices d’un nommé Verkovitch. Ce livre fit bien des dupes à Sofia, à Belgrade, à Prague, à Saint-Pétersbourg et même à Paris où, après qu’il eut provoqué l’admiration du Collège de France, il en parut une traduction chez le respectable éditeur Ernest Leroux[378].

Dès 1787, la France eut en la personne d’un de ses poètes un mystificateur qui ne le cède en rien à Macpherson. Chose curieuse, ce fut le plus brillant représentant de la poésie érotique au XVIIIe siècle qui composa le premier recueil français du folklore fantaisiste. Ėvariste Parny, né, comme on le sait, à l’île Bourbon, publia en 1787 ses Chansons madégasses, prétendue traduction de poésies populaires des Malgaches. Plus d’un lecteur se laissa mystifier par ces Chansons, et en particulier Herder qui, après les avoir traduites en allemand, en inséra quelques-unes dans ses Volkslieder. Ce n’est qu’en 1844 que Sainte-Beuve dévoila la supercherie qui accompagnait ce «choix agréable[379]».

Seize ans après le livre de Parny parurent deux nouvelles collections de pastiches: les charmantes Poésies de Clotilde de Surville, publiées par Ch. Vanderbourg, et les Poésies occitaniques de Fabre d’Olivet (1803), livre moins connu que le précédent, mais également intéressant. Fabre d’Olivet prétendait avoir traduit son ouvrage du provençal et du languedocien; en réalité les poèmes étaient, en grande partie, de sa propre composition. «En insérant dans ses notes des fragments prétendus originaux, Fabre avait eu l’artifice d’y entremêler quelques fragments véritables, dont il avait légèrement fondu le ton avec celui de ses pastiches; de sorte que la confusion devenait plus facile et que l'écheveau était mieux brouillé[380].»

Enfin, en 1821, Charles Nodier essaya de faire passer son poème de Smarra comme une traduction de «l'esclavon». Nous avons vu qu'il n'y réussit pas; mais nous verrons qu'il fut, par cet ouvrage, l'un de ceux qui donnèrent à Mérimée l'idée de la Guzla.

* * * * *

Les causes qui créent les supercheries littéraires ne sont pas toujours les mêmes. Tantôt c'est le mal d'écrire d'un fou ou d'un génie bizarre, tantôt la tentative criminelle d'un charlatan; d'autres fois le caprice d'un bibliophile, l'amusement méchant d'un esprit moqueur.

Quelle était la cause qui a amené Mérimée à donner à la Guzla un caractère de mystification? C'est ce que nous verrons dans le chapitre qui va suivre. Pour le moment, il nous faut résumer le présent.

Bien que les plus anciens précurseurs du folklore soient des Français, c'est à la suite de l'Angleterre et de l'Allemagne qu'en ce pays on s'est épris de la poésie populaire. Claude Fauriel y révéla, avec ses Chants grecs, un genre de recherches dont on ne soupçonnait pas l'importance, une source d'inspiration poétique dont on ignorait la richesse.

Son recueil fut littéralement mis au pillage par les romantiques de 1825, si amoureux de la «couleur locale». Les poésies populaires anglaises, écossaises, espagnoles, allemandes—toutes, excepté les françaises—excitaient au plus haut point la curiosité de la nouvelle école littéraire. Les chants «serviens» ou «illyriens», eux aussi, furent tenus en grande réputation; mais on les connut surtout de nom, car il en manquait une traduction. Cette traduction, si souvent désirée et réclamée, était enfin annoncée comme étant sous presse, quatre semaines seulement avant l’apparition de la Guzla.

CHAPITRE III

Prosper Mérimée avant «la Guzla».

§1. Les débuts littéraires de Mérimée: Cromwell, le Théâtre de Clara Gazul.—§2. Influence de Fauriel: goût de la poésie populaire. §3. Influence de Stendhal: goût de la mystification.

L'on connaît bien aujourd'hui la jeunesse de Mérimée, grâce aux excellents travaux de MM. Taine, le comte d'Haussonville, Augustin Filon, Maurice Tourneux et Félix Chambon[381]. Avant nous et mieux que nous ne le pouvons, ils ont ranimé dans leurs études d'ensemble cette curieuse physionomie qu'est le Mérimée du règne de Charles X, auteur du Théâtre de Clara Gazul et de la Guzla.

Il ne faudra donc pas chercher dans le présent chapitre de nouveaux documents biographiques; toute notre originalité ne consistera qu'à rapprocher quelques faits connus, d'un certain nombre d'indications relatives aux recherches purement littéraires qui restent encore à faire. Nous espérons ainsi pouvoir être utile à qui veut connaître les débuts de Mérimée dans la carrière littéraire. Nous croyons, en effet, devoir mettre plus en lumière certains traits de son caractère, sur lesquels on n'avait pas assez insisté: particulièrement en ce qui concerne son goût pour la poésie primitive et la mystification.

§ 1

LES DÉBUTS LITTÉRAIRES DE MÉRIMÉE

Prosper Mérimée est né à Paris, le 28 septembre 1803. Son père était un peintre de talent; il avait une érudition professionnelle peu commune: nous avons de lui un livre d'assez grande valeur (faussement attribué à son fils par quelques biographes mal renseignés) sur la Peinture à l'huile et les procédés matériels employés dans ce genre de la peinture depuis Hubert et Jean van Eyck jusqu'à nos jours. Nommé en 1807 secrétaire de l'École des Beaux-Arts, Léonor Mérimée, alors âgé de cinquante ans seulement, abandonna son atelier de peinture pour se consacrer complètement à ses travaux favoris, aux analyses chimiques des couleurs et des vernis. «De même son fils, nommé à l'Académie française, renoncera, à quarante-deux ans, aux œuvres d'imagination qui lui avaient valu une légitime renommée, et se consacrera presque exclusivement à des travaux historiques et à des études d'archéologie[382].»

Sa mère, qui était une personne très intelligente et très spirituelle,—c'est Stendhal qui nous le dit et cela veut beaucoup dire[383],—s'était fait un renom avec ses portraits d'enfants. Elle avait reçu une éducation dix-huitième siècle qu'elle avait transmise à son fils. Dans un âge mûr, sénateur et académicien, Prosper Mérimée se vantait avec plaisir de n'avoir jamais été baptisé, et les personnes charitables, comme Mme de La Rochejaquelein, essayaient en vain de Je convertir.

Il était fils unique et, semble-t-il, cet état lui fut profitable. C’est ainsi qu’au collège Henri IV où l’avaient mis ses parents, il se distinguait par l’élégance de sa tenue et par sa connaissance précoce de l’anglais[384]: deux choses qui serviront aussi bien l’homme de lettres que l’homme du monde. Il ne manifesta, en revanche, aucun goût pour les exercices scolaires. «Tandis que ses camarades Ampère et Saint-Marc Girardin portaient haut le drapeau de Henri IV dans les luttes du concours général; tandis qu’à la même époque Cuvillier-Fleury et Sylvestre de Sacy, au collège Louis-le-Grand, Sainte-Beuve et Vitet, au collège Charlemagne et au collège Bourbon, préludaient à leurs succès académiques par leurs succès de rhétoriciens, Prosper Mérimée ne semblait pas très jaloux de leurs lauriers[385].» Il se permit même de redoubler une classe (1816)[386], «sans doute, dit M. Filon, parce qu’il n’avait pas la faconde diluvienne des rhétoriciens du temps».

Au collège il lia amitié avec Jean-Jacques Ampère, amitié qui durera jusqu’à la mort de ce dernier. C’est ainsi que le 18 mai 1848 Mérimée pourra dire, recevant son ami à l’Académie française, en qualité de directeur: «Il y a trente ans, vous vous en souvenez, nous étions assis sur les bancs du même collège; maintenant, c’est à l’Académie que nous nous retrouvons, ou plutôt, sans nous être jamais quittés, poursuivant chacun des études chéries, nous leur devons, l’un et l’autre, la plus flatteuse distinction que puisse ambitionner un homme de lettres[387].»

Mais à cette époque l’Académie était chose lointaine, et l’on s’occupait simplement à lire et à admirer les poèmes ossianiques. On nous permettra de citer pour la seconde fois la lettre qu’au mois de janvier 1820, Ampère écrivait à son ami Jules Bastide: «Je continue avec Mérimée à apprendre la langue d’Ossian, nous avons une grammaire. Quel bonheur d’en donner une traduction exacte avec les inversions et les images naïvement rendues[388]!»

Il avait alors dix-neuf ans; Mérimée, son professeur, n’en avait que seize. Mais Ossian était bien vieux en 1820; ils le laissèrent bientôt de côté. Tout en conservant leur inclination pour les «images naïvement rendues», ils s'éprirent de Byron. Le changement devait se produire brusquement, car, quatre mois seulement après la lettre que nous venons de citer, Ampère en écrivait une autre à Bastide à l’occasion, cette fois, de ses lectures byroniennes; il lui envoyait quelques vers qu’il avait traduits de la première scène du premier acte de Manfred[389]. Les deux jeunes hommes dévoraient le Corsaire et Lara et commençaient à se passionner pour Don Juan, qui, même pour la plupart des admirateurs français de Byron, était «quelque chose d'horrible» que seuls pouvaient goûter quelques byroniens avancés, comme Stendhal[390]. Ampère, lui, le savait par cœur; quant à Mérimée, c'était merveille de lui entendre lire et commenter le poème[391].

Léonor Mérimée voulut faire son fils avocat. Avec un sentiment de fierté paternelle écrivait-il, le 22 novembre 1821, à son ami Fabre: «J'ai un grand fils de dix-huit ans, dont je voudrais bien faire un avocat. Il a des dispositions pour la peinture, au point que, sans avoir jamais rien copié, il fait des croquis comme un jeune élève et il ne sait pas faire un œil. Toujours élevé à la maison, il a de bonnes mœurs et de l'instruction[392].»

Le jeune Prosper passa sa licence en droit en 1823, après avoir suivi les cours du Collège de France et après avoir étudié un peu de tout, jusqu'à la magie et la cuisine[393].

À cette époque il ne s'était pas encore essayé dans la littérature; du moins ne connaît-on rien de lui avant cette épave qu'on appelle, on ne sait pourquoi, la Bataille[394], car c'est seulement le titre du premier chapitre. Ces quelques pages sont du 29 avril 1824[395].

Ses études finies, Mérimée commence à fréquenter le monde littéraire et artistique. Il est toujours en relations avec Ampère; ses amis sont Albert Stapfer, l'un des premiers traducteurs français du Faust[396], Stendhal, David d'Angers, Victor Jacquemont, jeune naturaliste mort prématurément, dont la Correspondance obtint un très vif succès[397]. Stendhal trace dans son journal un curieux portrait du Mérimée de ce temps-là:

Ce pauvre jeune homme en redingote grise et si laid avec son nez retroussé, avait quelque chose d'effronté et d'extrêmement déplaisant. Ses jeux petits et sans expression avaient un air toujours le même et cet air était méchant. Telle fut la première vue du meilleur de mes amis actuels. Je ne suis pas trop sûr de son cœur, mais je suis sûr de ses talents, c'est M. le comte Cazal, aujourd'hui si connu et dont une lettre reçue la semaine passée m'a rendu heureux pendant deux jours [398].

Il court les salons: celui de Mme Ancelot dont il dira tant de mal dans une brillante lettre à Stendhal[399]; dans ce salon on admire son cosmopolitisme[400]. Il est l'un des visiteurs assidus de Mme Clarke et de Mme Récamier[401]. Albert Stapfer l'introduit chez son père, ancien ministre plénipotentiaire de la Confédération helvétique à Paris, un vieux lettré chez qui se réunissent Humboldt, Stendhal, Victor Cousin[402]. Il suit les vendredis de Viollet-le-Duc, «où se livraient de terribles batailles littéraires entre l'auteur du Nouvel art poétique et l'auteur de la brochure Racine et Shakespeare[403].

Il fréquente le salon du «bon Étienne» [Delécluze], cette chambre au cinquième d'où va sortir toute la rédaction du Globe et… la réputation littéraire de Mérimée. Il y fait des lectures, en particulier de Cromwell, pièce de théâtre bizarre qui n'a jamais été publiée et dont le manuscrit fut sans doute anéanti pendant la Commune, après la mort de l'auteur, dans l'incendie qui dévora sa bibliothèque et ses papiers[404]. Selon Albert Stapfer, auprès duquel M. Tourneux se renseigna, «le principal acteur était un montreur de marionnettes qui faisait causer ensemble les personnages de l'époque de Cromwell pour l'amusement des spectateurs assemblés autour de sa baraque: ceux-ci prenaient de temps en temps eux-mêmes la parole, blâmant ou approuvant ce qu'ils entendaient[405]». Delécluze, qui a laissé ses Souvenirs de soixante années, parle aussi de cette lecture:

Mérimée, âgé de vingt-deux à vingt-trois ans, avait déjà les traits fortement caractérisés. Son regard furtif et pénétrant attirait d'autant plus l'attention que le jeune écrivain, au lieu d'avoir le laisser-aller et cette hilarité confiante propre à son âge, aussi sobre de mouvements que de paroles, ne laissait guère pénétrer sa pensée que par l'expression, fréquemment ironique, de son regard et de ses lèvres. À peine eut-il commencé la lecture de son drame, que les inflexions de sa voix gutturale et le ton dont il récita parurent étranges à l'auditoire. Jusqu'à cette époque, les auteurs lisant leurs ouvrages, et surtout les lecteurs de profession, déclamaient avec emphase, et en changeant continuellement de ton, les sujets sérieux et tragiques, sans renoncer à ce genre d'affectation en récitant des comédies et même des vaudevilles. Mérimée faisant alors partie de la jeunesse disposée à provoquer une révolution radicale en littérature, non seulement avait cherché à en hâter l'explosion en composant son Cromwell, mais voulait modifier jusqu'à la manière de le faire entendre à ses auditeurs en le lisant d'une manière absolument contraire à celle qui avait été en usage jusque-là. N'observant donc plus que les repos strictement indiqués par la coupe des phrases, mais sans élever ni baisser jamais le ton, il lut ainsi un drame sans modifier ses accents, même aux endroits les plus passionnés. L'uniformité de cette longue cantilène, jointe au rejet complet des trois unités auxquels les esprits les plus avancés, à cette époque, n'étaient pas encore complètement faits, rendit cette lecture assez froide. On saisit bien le sens de quelques scènes dramatiques et la vivacité d'un dialogue en général naturel, mais le sujet extrêmement compliqué et les changements de scènes trop fréquents rendirent l'effet total de cette lecture vague, et la société des lecteurs de Shakespeare eux-mêmes ne put saisir le point d'unité auquel tous les détails devaient se rattacher. Néanmoins, comme la plupart des auditeurs partageaient les idées et les espérances du lecteur, et qu'au fond il entrait encore plus de passion que de goût littéraire dans le jugement qu'il fallait porter sur le drame, tous les jeunes amis de Mérimée l'encouragèrent à suivre la voie qu'il avait prise. Beyle, en particulier, quoique déjà d'un âge mûr, le félicita de son essai avec plus de vivacité que les autres. En effet, le Cromwell de Mérimée était une des premières applications de la théorie que Stendhal avait développée, en 1823, dans sa brochure intitulée Racine et Shakespeare[406].

Mérimée n'imprima pas ce drame, mais il continua à s'occuper de théâtre. Selon Sainte-Beuve, il collabora un peu au Globe qui venait d'être fondé. Ce fut lui, probablement, à qui l'on doit les articles sur l'Art dramatique en Espagne et le Théâtre espagnol moderne, qui y parurent sous la signature «M.», les 13, 16, 23, 25 novembre 1824[407].

Quelque temps après, il lut et fit lire aux habitués de Delécluze les six pièces qui composent la première édition du Théâtre de Clara Gazul, que publia son ancien camarade de lycée, l’éditeur Sautelet[408]. Ce volume ne portait pas de nom d’auteur. Il était précédé d’une Notice sur Clara Gazul, comédienne espagnole, notice habilement rédigée et faite pour persuader au lecteur que Clara Gazul était une véritable comédienne de Cadix et qu’elle avait fait imprimer, en 1822, à Madrid, un recueil de comédies encore inconnues en France. Au bas de cette notice se lisait la signature de Joseph l’Estrange. Mérimée, qui aimait l’anecdote et qui savait la préparer aussi bien que son fameux macaroni, n’oublia pas de glisser quelques détails pittoresques dans cette aventure. Il fit reproduire, pour le joindre à quelques exemplaires de son livre, un portrait de la «célèbre comédienne espagnole», en robe décolletée et sous une mantille d’où sortait son propre visage dessiné par le bon Etienne Delécluze[409]. Ensuite, il mit dans le commerce le mot d’un Espagnol qui aurait loué ainsi le Théâtre de Clara Gazul: «Oui, la traduction n’est pas mal, mais qu’est-ce que vous diriez si vous connaissiez l’original!»

Qu’est-ce donc que cet ouvrage? Un recueil de petites pièces qui n’ont en général que quatre ou cinq scènes (le Ciel et l’Enfer n’en a que deux, et l’Amour africain qu’une seule), et où le développement dramatique est à peu près nul. Elles se terminent presque toutes par le poison, le pistolet ou le poignard. Elles font une impression générale d’effroi et d’horreur dans le genre de Lewis—la pièce intitulée Une Femme est un Diable n’est en réalité autre chose que le terrifiant Moine resserré en trois scènes[410]—qui fait penser au réalisme licencieux de lord Byron dans Don Juan, à son humour cynique et blasphématoire. Par sa première qualité, le Théâtre de Clara Gazul se rattache directement à l’école que Robert Southey a qualifiée de «satanique», école dont on constate l’influence non seulement dans les Orientales de Victor Hugo, mais encore dans la Chute d’un ange de Lamartine, et dont le plus parfait spécimen nous a été donné par le plus farouche des romantiques, Pétrus Borel, l’auteur de Dina, la belle Juive. Par la seconde, le Théâtre appartient plutôt au byronisme stendhalien, au fond duquel se trouve quelque chose de très XVIIIe siècle et surtout de voltairien: l’anticléricalisme, la puissance épistolaire, voire même le rictus amer plus ou moins affecté d’un «sourire hideux».

Dans ce livre de pure littérature, une chose annonce pourtant le futur écrivain. C’est le contraste remarquable entre la brutalité du fond—voulue ou non, peu importe—et l’impassibilité de la forme; le style froid et sobre au milieu de scènes brûlantes et passionnées; un ton très décidé, où rien ne trahit l’hésitation, le tâtonnement; enfin, la mise en pratique de ce principe de Stendhal: Faisons tous nos efforts pour être secs; principe que l’auteur de Colomba pouvait inscrire en tête de son œuvre entière. (Edmond Biré.)

Reste la question de la fameuse «couleur locale» de ces pièces soi-disant espagnoles. Comme la compétence nécessaire nous manque pour en juger, nous ne saurions mieux faire que de citer une note malheureusement trop courte qu’a insérée M. Paul Groussac, directeur de la Bibliothèque nationale de Buenos-Ayres, dans sa belle étude sur la «Carmen» de Mérimée[411].

Tout ce qu’on avala, dit-il, comme dragées romantiques sous la Restauration et même après! Le Théâtre de Clara Gazul frappa par son aspect de sincérité, par la «couleur locale», et il fut accepté comme un recueil de pièces espagnoles très authentiques[412]! Même aujourd’hui, l’Espagne est aussi ignorée, en France et ailleurs, que la Chine ou l’Hindoustan. Taine parle quelque part du théâtre «tout nerfs de l’Espagne». C’est un contresens. L’image exacte du théâtre espagnol, depuis Lope jusqu’à Cañizares, se trouve dans nos tragi-comédies de Hardy, Théophile, Tristan, etc., qui, du reste, s’inspiraient de l’espagnol. Rien de plus éloigné de cette déclamation à jet continu, de ce lyrisme à paillettes, de ces imbroglios tourbillonnants, toujours les mêmes, que la manière ironique, condensée, froidement cruelle de Mérimée. Il dut le succès de ses pièces pseudo-espagnoles à l’illusion des détails, très exactement plaqués sur un fond adapté au goût d’exotisme extravagant qui régnait alors. J’ai lu quelquefois une ou deux pièces de Clara Gazul, en espagnol, devant les personnes qui ne comprenaient pas le français: cela ne portait pas du tout.

Quoi qu’il en soit, ces pièces obtinrent un assez vif succès; mais comme elles n’étaient pas destinées à la scène, ce succès fut purement littéraire. Le Globe (4 juin 1825), le Mercure du XIXe siècle (tome IX, pp. 494-99) témoignèrent une grande bienveillance à leur auteur, qui se trouva ainsi l’un des premiers champions du drame romantique; ils n'hésitèrent pas à proclamer un nouveau Shakespeare, ce jeune dramaturge dont «le talent parut avoir frappé son rival… Charles de Rémusat». Le Journal des Débats reconnut que «M. de Lestrange nous a rendu service en traduisant ce théâtre» (4 juillet 1825), tandis que le Journal de Paris s’empressa «d’avouer au public français qu’un de nos compatriotes est caché sous la mantille de cette comédienne imaginaire «(8 août et 21 septembre 1825).

L’auteur de Racine et Shakespeare fut très satisfait du succès de son disciple; à cette occasion il écrivit aux journaux anglais[413] pour louer le naturel de Mérimée; son manque de sentimentalité; l’habileté à développer les caractères; la profondeur de son observation; sa connaissance des passions,—en faisant ainsi une sorte de portrait de Stendhal, par Henri Beyle. Le London Magazine traduisit de suite les Espagnols en Danemark (juillet 1825); quelques mois plus tard parut la traduction anglaise complète de Clara Gazul[414]; la traduction allemande se fit attendre encore vingt ans[415]. Cet ouvrage n’en fit pas moins la réputation littéraire de Mérimée qui a tenu à honneur pendant plusieurs années de mettre pour signature au bas de chacun de ses écrits: par l’auteur du Théâtre de Clara Gazul; comme Walter Scott avait inscrit pendant longtemps, au bas de chacun des siens: par l’auteur de Waverley.

Cette réputation, sinon imméritée, était prématurée et ne correspondait pas au vrai caractère de Mérimée, car, un jour, il sera le premier à reconnaître qu’il n’avait pas «la moindre habitude de la scène» et qu’il se sentait «particulièrement impropre à écrire pour le théâtre[416]». Son talent ne s'était pas encore révélé; il se cherchait, et se cherchait surtout dans les spirituelles contrefaçons (ne disons pas: pastiches , car ce n'en est pas) du drame espagnol, comme il se cherchera dans celles de la ballade «illyrique»—avant que de se trouver dans la nouvelle impeccable telle que Colomba, Carmen ou la Vénus d'Ille.

§ 2

L'INFLUENCE DE FAURIEL SUR MÉRIMÉE: GOÛT DE LA POÉSIE PRIMITIVE

Sainte-Beuve raconte que, peu après la publication des Chants grecs,
Jean-Jacques Ampère emmena Mérimée chez Fauriel et le lui présenta[417].

Fauriel était en Italie au moment où parurent les Chants grecs. Il ne rentra à Paris que vers la fin de janvier 1826[418]. Ampère, d'autre part, quitte la France le 6 août suivant et ne revoit ses amis qu'en novembre 1827, soit trois mois après la publication de la Guzla[419]. Comme Sainte-Beuve déclare expressément que la visite de Mérimée eut lieu avant cet événement, il en résulte qu'elle eut lieu entre les mois de janvier et août 1826.

Toutefois, il nous semble que, dès 1822, Mérimée dut rencontrer Fauriel dans le salon de Mme Clarke, rue Bonaparte, où il venait souvent «s'exercer à parler anglais» avec Mlle Mary Clarke (plus tard Mme Jules Mohl); l'auteur des Chants grecs était l'un des amis intimes de ces dames écossaises[420]. Il est possible, et même probable, que Mérimée lui fut présenté par son ami Ampère dont le père était également un habitué de la maison. On rencontrait, entre autres, chez Mme Clarke, Augustin Thierry, le jeune Thiers fraîchement débarqué à Paris et, pendant un certain temps, M. le baron de Stendhal qui, pour ne pas reconnaître une sottise qu'il avait dite, s'entêta à n'y pas revenir.

On avait dans ce salon des préoccupations de littérature et d'art, très liées à l'esprit le plus libéral; d'après le biographe de Fauriel[421], c'est dans ce milieu qu'il faut placer une anecdote d'histoire littéraire rapportée par Sainte-Beuve, intéressante pour qui veut mieux connaître les deux premiers maîtres de Mérimée:

Chants serbes, chants grecs, chants provençaux, romances espagnoles, moallakas arabes, il [Fauriel] embrassait dans son affection et dans ses recherches tout cet ordre de productions premières et comme cette zone entière de végétation poétique. Il y apportait un sentiment vif, passionné et qui aurait pu s'appeler de la sollicitude. J'en veux citer un exemple qui me semble touchant et qui montre à quel point il avait aversion de l'apprêté et du sophistique en tout genre.

Il avait raconté un jour devant M. Stendhal (Beyle) qui s'occupait alors de son traité sur l'Amour, quelque histoire arabe dont celui-ci songea aussitôt à faire son profit. Fauriel s'était aperçu que, tandis qu'il racontait, l'auditeur avide prenait au crayon des notes dans son chapeau. Il se méfiait un peu du goût de Beyle; il eut regret, à la réflexion, de songer que sa chère et simple histoire, à laquelle il tenait plus qu'il n'osait dire, allait être employée dans un but étranger et probablement travestie. Que fit-il alors? Il offrit à Beyle de la lui racheter et de la remplacer par deux autres dont, tout bas, il se souciait beaucoup moins; en un mot, il offrit toute une menue monnaie pour rançon du premier récit: le marché fut conclu et Beyle, enchanté du troc, lui écrivit: «Monsieur, si je n'étais pas si âgé, j'apprendrais l'arabe tant je suis charmé de trouver quelque chose qui ne soit pas copie académique de l'ancien, etc.»

Stendhal savait rendre hommage à un ami si savant et si obligeant. «C'est, disait-il, avec Mérimée et moi, le seul exemple à moi connu de non-charlatanisme parmi les gens qui se mêlent d'écrire[422]»

L'influence de Fauriel sur les débuts de son jeune ami Ampère fut sensible. «Il contribua, dit Sainte-Beuve dans l'article consacré à Fauriel, à développer en cette vive nature l'instinct qui la tournait vers les origines littéraires, à commencer par celles des Scandinaves.» Mais l'auteur des Lundis n'oublie pas l'action de Fauriel sur la jeunesse de Mérimée. «La première fois que M. Mérimée lui fut présenté, Fauriel l'excita à traduire les romances espagnoles d'après le même système qu'il venait d'appliquer aux chants grecs[423].» Et dans son article sur J.-J. Ampère, Sainte-Beuve en parle de nouveau, en apportant une légère correction. «C'est Ampère qui fit faire à M. Mérimée la connaissance de Fauriel. La première fois que M. Mérimée le vit, Fauriel avait sur sa table un ouvrage qu'il lui montra. «Voici, dit-il, deux volumes de poésies serbes qu'on m'envoie; apprenez le serbe[424].»

Dans la partie suivante nous verrons que Mérimée avait lu et relu les Chants populaires de la Grèce moderne avant d'écrire ceux de l'Illyrie moderne. Signalons seulement que l'auteur de la Guzla ne composa pas son recueil pour parodier les ballades populaires et se moquer de ceux qui collectionnaient ces poésies, comme on est encore quelquefois tenté de le croire. Il leur portait un véritable intérêt, intérêt qui était plus qu'un caprice passager, et dont les traces sont visibles à travers l'œuvre entière de l'écrivain. F. Brunetière, qui n'était pas un critique crédule et qui ne distribuait pas facilement les compliments, cite ainsi, dans son article sur la ballade dans la Grande Encyclopédie, «l'auteur de Colomba—qui est aussi celui de la Guzla—et qui se connaissait en chants populaires».

Déjà dans le Théâtre de Clara Gazul, Mérimée avait inséré une ballade écossaise, John Balleycorn; dans Colomba, un vocero corse. Il emprunta le sujet de la Vénus d'Ille, son «chef-d'œuvre» comme il l'appelait[425], à une tradition populaire du moyen âge; celui de Lokis, sa dernière nouvelle, à une vieille ballade lithuanienne. Il alla même jusqu'à s'occuper de collectionner les chants populaires. En 1852, quand le fameux décret Fortoul fit croire un instant que le gouvernement allait entreprendre la publication d'un corpus général de la poésie populaire française, Mérimée fut nommé membre du comité qui devait diriger cette publication. L'auteur de la Guzla ne se contenta pas du rôle de surveillant: il communiqua au comité une version auvergnate de la chanson De Dion et de la fille du roi, que son ami J.-J. Ampère insérera dans les Instructions pour les correspondants provinciaux du comité:

     Le roi est là haut sur ses ponts
     Qui tient sa fille en son giron;
     . . . . . . . . . . . . . . . .[426]
     C'est en lui parlant de Dion.

     —Ma fille, n'aimez pas Dion;
     Car c'est un chevalier félon;
     C'est le plus pauvre chevalier,
     Qui n'a pas cheval pour monter, etc.[427]

On voit, d'après les comptes rendus du comité, que Mérimée déploya une certaine activité dans la grande entreprise qui n'a pas abouti. À la séance du 9 mai 1853, «M. le président fait connaître que M. Mérimée propose, dans l'intérêt du recueil des poésies populaires, de s'entremettre près de M. Capelle, qui possède une très curieuse collection de chants corses. M. Mérimée est lui-même possesseur de deux recueils imprimés de chants de cette contrée[428]». Le 11 juillet, «le secrétaire fait connaître que, sur l'obligeante entremise de M. Mérimée, M. Capelle a mis sa riche collection de chants corses à la disposition du comité. M. le Ministre (H. Fortoul) a écrit à M. Capelle pour le remercier».

Mérimée avait une bonne raison d'aimer la poésie populaire: il ne faisait pas de vers et, comme son ami Stendhal, n'aimait pas ceux que l'on faisait à son époque. À ses yeux, la poésie lyrique de l'homme moderne n'est qu'un vain et ridicule étalage de fausse sensiblerie, genre très inférieur aux chants naïfs et naturels de l'homme primitif. «Mérimée que vous paraissez admirer comme je le fais aussi, écrivait vers 1830 Eugène Delacroix à Paul de Musset, est simple, mais a un peu l'air de courir après la simplicité en haine de l'horrible emphase des grands hommes du jour[429].» Trente ans plus tard, sénateur et courtisan, Mérimée gardera le même dédain pour ses contemporains qui «se grisent de leurs propres paroles[430]». On nous permettra de citer à ce sujet deux passages caractéristiques, d'autant plus intéressants qu'ils n'ont jamais été recueillis dans les œuvres de l'écrivain. Nous détachons le premier d'un feuilleton du Moniteur universel (17 janvier 1856), dans lequel Mérimée présenta au public français les Ballades et chants populaires de la Roumanie, recueillis et traduits par Vasile Alecsandri[431].

J'aime les chants populaires de tous les pays et de tous les temps, disait-il, depuis l'Iliade jusqu'à la romance de Malbrouk. À vrai dire, je ne conçois pas, et c'est peut-être une hérésie, je ne conçois guère de poésie que dans un état de demi-civilisation, ou même de barbarie, s'il faut trancher le mot. C'est dans cet heureux état seulement que le poète peut être naïf sans niaiserie, naturel sans trivialité. Il ressemble alors à un charmant enfant qui bégaye des chansons avant de construire une phrase. Il est toujours amusant, parfois sublime: il m'émeut, parce qu'il croit tout le premier les contes qu'il me débite.

Tous les pays ont eu leur époque poétique, et j'en demande bien pardon à mes contemporains, je crois que les Muses ont rarement honoré les humains de leurs visites après les temps de sauvagerie. Alors tous les hommes de même race parlaient la même langue, avaient les mêmes passions, presque les mêmes besoins, qu'ils fussent riches ou pauvres, nobles ou serfs. La gendarmerie, qui veille quand la société dort, n'étant pas encore instituée, chacun était obligé de se protéger lui-même, et la grande préoccupation de tout homme était de vivre, chose plus malaisée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Pour vivre, l'individu qui ne compte pas sur son voisin doit être prudent et brave; il ne se fait une position, comme on dit aujourd'hui, qu'avec un peu d'héroïsme.

Ainsi, la véritable poésie, selon Mérimée, ne saurait fleurir chez les peuples civilisés. La raison, il la donne dans le passage suivant que nous extrayons de son Introduction aux Contes et Poèmes de la Grèce moderne, de Marino Vreto:

Bientôt il n'y aura plus de Klephtes. L'industrie et le commerce tueront la poésie déjà bien malade par le fait des journaux et de l'érudition. Aujourd'hui, de même qu'en Occident, les métaphores hardies et ingénieuses ne se trouvent plus guère que dans la bouche des gens illettrés… Je ne suis point de ceux qui regrettent les progrès ni même les raffinements de la civilisation. Pour ma part, je m'en accommode fort et je ne lui demande qu'une bagatelle, c'est de ne pas perdre les choses qu'elle détruit. Je voudrais que l'on conservât les restes de la poésie populaire, comme on conserve les ruines d'un temple dont on a chassé le dieu… L'archéologie, surtout appliquée à la littérature, est une étude toute nouvelle, et ce n'est que depuis bien peu de temps que la critique s'est assez dégagée des vieux préjugés pour reconnaître des beautés éternelles sous une forme grossière, et dans un idiome parlé par des paysans[432].

Cette «archéologie appliquée à la littérature» qui est «une étude toute nouvelle», Mérimée l'avait apprise de Fauriel. Lorsque parut l'Histoire de la poésie provençale, deux ans après la mort de l'auteur, Mérimée lui consacra un long article dans le Constitutionnel, disant que «M. Fauriel possédait surtout une qualité bien rare dans un esprit aussi cultivé: c'est une merveilleuse facilité à comprendre la poésie primitive et populaire, à y découvrir comme le cri de la nature, souvent sauvage et bizarre, mais quelquefois sublime[433]».

C'est en lisant les textes publiés dans les Chants populaires de la Grèce moderne que l'auteur de la Guzla apprit ce qu'on appelait alors le «romaïque».

Laissez donc de côté le romaïque, écrivait-il à l'Inconnue (5 août 1848), où vous avez tort de vous complaire, car il vous jouera le même tour qu'à moi, qui n'ai pu l'apprendre et qui ai désappris le grec… Dès 1841, on n'entendait plus prononcer, dans la Grèce du roi Othon, un seul des mots turcs si fréquents dans les τραγούδια de M. Fauriel. Vous ai-je traduit une ballade très jolie, etc.

C'est de Fauriel aussi que Mérimée apprit une foule de détails qui caractérisent la poésie populaire. Nous nous en occuperons dans notre deuxième partie.

§ 3

L'INFLUENCE DE STENDHAL SUR MÉRIMÉE: GOÛT DE LA MYSTIFICATION

Mérimée fit la connaissance de Stendhal en 1821, chez Lingay, le Maisonnette des Souvenirs d'Égotisme. Mérimée avait dix-huit ans et Stendhal trente-huit; Joseph Lingay était le professeur de rhétorique du futur auteur de Colomba[434].

Nous avons mentionné déjà quel curieux portrait Stendhal fait à cette occasion, de «ce pauvre jeune homme en redingote grise et si laid avec son nez retroussé». Nous avons noté également l'influence de la brochure Racine et Shakespeare dans les saynètes pseudo-espagnoles que ce «pauvre jeune homme» composa en 1823. Ajoutons qu'une très vive amitié lia bientôt les deux écrivains, au point qu'il est aujourd'hui impossible de la passer sous silence, que l'on parle de l'un ou de l'autre, de Mérimée surtout.

Mérimée fut le premier à reconnaître combien Beyle avait contribué à former son caractère. «Je passe tout mon temps à lire la correspondance de Beyle, écrivait-il à Mlle Dacquin en 1852. Cela me rajeunit de vingt ans au moins. C'est comme si je faisais l'autopsie des pensées d'un homme que j'ai intimement connu et dont les idées des choses et des hommes ont singulièrement déteint sur les miennes[435].»

M. Filon, avec son habituelle finesse d'analyse, étudie cet aveu de Mérimée. Il le trouve d'une sincérité par trop exagérée. Sans aucun doute, dit-il, ce fut Beyle qui apprit à Mérimée à aimer la musique italienne, à comprendre Shakespeare, à ne goûter que les anecdotes dans l'histoire et à préférer celles qui lui paraissent les plus significatives et les plus suggestives; ce fut lui aussi qui lui inculqua ses idées sur le patriotisme. Mais c'est tout. «Mérimée ne prenait pas au sérieux Stendhal comme écrivain. Comment demander, par exemple, des leçons de style à un homme qui se raturait et se recopiait, non point pour corriger ses fautes, mais pour en ajouter de nouvelles[436]?»

C'est l'opinion d'un mériméiste, mais les stendhaliens veulent que cette influence ait été plus considérable. M. Édouard Rod croit que ce fut, peut-être, à l'école de Beyle que l'auteur de Carmen «apprit à rechercher cette précision qui va souvent jusqu'à la sécheresse, et qui marque d'un cachet si personnel ses nouvelles les plus réussies[437]». M. Arthur Chuquet trouve également les traits particuliers de Stendhal reproduits chez son plus jeune ami. «Comme Beyle, dit-il, Mérimée regrette l'effacement des caractères: il représente volontiers les âmes énergiques, sauvages, un peu primitives, et il affectionne les personnages que de fortes passions entraînent au crime. Comme Beyle, il ne voulait pas être dupe, ni laisser percer l'émotion. Comme Beyle, il a quelque chose d'ironique et de narquois: Beyle et Mérimée, écrivait Balzac, c'est le feu dans le caillou. Toutefois, ajoute l'éminent critique, si Mérimée a connu Stendhal de bonne heure, de bonne heure Mérimée était un maître et Beyle enviait son style sobre et ferme[438].»

Il nous paraît, pourtant, que Mérimée doit à Beyle encore quelque chose, dont ne parlent pas les estimables critiques dont nous venons d'exposer les jugements. Nous pensons à son goût de la mystification.

On sait que l'auteur de la Chartreuse de Parme en était tourmenté, et il suffit de lire sa volumineuse Correspondance pour s'en rendre compte. Beyle n'écrivit jamais une lettre sans la signer d'un nom imaginaire: César Bombet, Ch. Cotonet, etc.; il la datait d'Abeille au lieu de Civita Vecchia et ne désignait ses amis que par des sobriquets mystérieux. La nomenclature de pseudonymes qu'il s'est donnés—y compris celui de Stendhal—n'en contient pas moins de cent quatre-vingt-huit; et certainement elle est incomplète. Beyle pillait les revues anglaises sans avouer ses emprunts et attribuait aux autres ses propres écrits. Il admirait les supercheries littéraires et recommandait aux Anglais les Poésies de Clotilde de Surville[439] et le Théâtre de Clara Gazul[440].

D'après M. Félix Chambon, ces bizarreries voulues n'ont pas d'autre motif qu'une naïve préoccupation de dérouter la police (dont Stendhal se croyait toujours poursuivi). Pour mettre les choses au point, il nous paraît nécessaire de citer une amusante anecdote rapportée par Mme Ancelot dans son livre des Salons à Paris, anecdote qui peint à merveille le célèbre Grenoblois:

Un soir de bonne heure, comme je n'avais pas encore beaucoup de monde, raconte cette spirituelle dame, on annonça M. César Bombet. Je vis entrer Beyle, plus joufflu qu'à l'ordinaire et disant: «Madame, j'arrive trop tôt. C'est que moi, je suis un homme occupé, je me lève à cinq heures du matin, je visite les casernes pour voir si mes fournitures sont bien confectionnées; car, vous savez, je suis le fournisseur de l'armée pour les bas et les bonnets de coton. Ah! que je fais bien les bonnets de coton! c'est ma partie, et je puis dire que j'y ai mordu dès ma plus tendre jeunesse, et que rien ne m'a distrait de cette honorable et lucrative occupation. Oh! j'ai bien entendu dire qu'il y a des artistes et des écrivains qui mettent de la gloriole à des tableaux, à des livres! Bah! qu'est-ce que c'est cela en comparaison de la gloire de chausser et de coiffer toute une armée, de manière à lui éviter les rhumes de cerveau, et de la façon dont je fais avec quatre fils de coton et une houppe de deux pouces au moins…» Il en dit comme cela pendant une demi-heure, entrant dans les détails de ce qu'il gagnait sur chaque bonnet; parlant des bonnets rivaux, des bonnets envieux et dénigrants qui voulaient lui faire concurrence, etc.—Personne ne le connaissait que M. Ancelot, qui se sauva dans une pièce à côté, ne pouvant plus retenir son envie de rire, et moi qui aurais bien voulu en faire autant… Plus tard arrivèrent des personnes qui le connaissaient; mais il y avait alors grand monde. La conversation n'était plus générale, et nul ne se fâcha de la mystification[441].

Mérimée imite son maître et le dépasse même. Il confectionne une prétendue lettre de Robespierre pour en faire cadeau à Cuvier, grand amateur d'autographes. À l'école de Beyle, il prend l'habitude des sobriquets énigmatiques. Il lui emprunte jusqu'à ses pseudonymes et adresse à Mme Ancelot une lettre signée: Charles Cotonet, jeune[442]. Comme Stendhal, Mérimée fait des calembours sur les noms de ses amis: il écrit «1/3» pour M. Thiers; «De la +» pour Delacroix.

Il va sans dire qu'un écrivain du talent de Mérimée ne manifesta pas cet esprit de mystification exclusivement dans des plaisanteries de ce genre. De fait, rares sont ses nouvelles où le lecteur avisé ne soupçonne pas, en dépit du masque impassible dont l'auteur s'est couvert, un ricanement discret qui accompagne les scènes les plus émouvantes. C'est du reste un point sur lequel nous n'avons pas besoin d'insister.

Ce goût de la mystification était chez Mérimée essentiellement une arme défensive. Comme Stendhal,—on l'a déjà remarqué,—il possédait une méfiance instinctive, une peur de paraître ridicule, une «préoccupation constante qu'on ne le surprît pas en flagrant délit d'émotion[443]». Au fond, cet ironiste ne manquait ni de sensibilité ni d'enthousiasme: les nombreuses correspondances intimes qu'on a publiées depuis sa mort le prouvent suffisamment.

Aussi le jour où il entra dans le camp romantique,—car il y fut un moment,—il se trouva un peu ahuri du bruit belliqueux et de l'esprit de fanfaronnade qui y régnaient. Non pas qu'il abhorrât dès cette époque le fanatisme littéraire de sa génération; mais il le jugea, pour sa part, ridicule. Il ne voulut pas être pris au sérieux; affectant la désinvolture du dilettante ou la brutalité du «blasé», se moquant le premier de son ardeur de néophyte, il sut désarmer la raillerie, en attendant le jour où il se mettra si peu dans son œuvre qu'il n'aura plus le même besoin de recourir à la mystification.

DEUXIÈME PARTIE

LES SOURCES DE «LA GUZLA»

J'ai voulu faire un extrait de mes lectures, et cet extrait, le voici… Je n'aime dans l'histoire que les anecdotes, et parmi les anecdotes je préfère celles où j'imagine trouver une peinture vraie des mœurs et des caractères à une époque donnée.

     P. MÉERIMÉE, Préface de la «Chronique du temps de Charles IX»,
     Paris, 1829.

Dans la partie qui va suivre, nous nous sommes proposé d'étudier les procédés de composition de l'auteur de la Guzla.

Surprendre un écrivain sur son travail: rattacher à leurs vraies sources les éléments dont il a formé son œuvre—retrouver les principes qui l'ont guidé dans le choix de ces éléments—indiquer la manière dont il s'en est servi—l'art avec lequel il les a combinés—l'effet qu'il a produit—est en soi une tâche suffisamment intéressante, utile et, il faut bien le reconnaître, des moins ingrates.

Appliqué à un écrivain comme Mérimée, ce genre d'études prend une importance exceptionnelle. Privés de ses manuscrits, de sa bibliothèque, de ses collections,—un accident stupide ayant détruit l'atelier d'où sont sorties les_ Carmen et les Colomba—_nous ne pourrons connaître que très imparfaitement—et par quels longs détours, après quelles recherches pénibles,—la mystérieuse élaboration des chefs-d'œuvre du Maitre.

Poursuivies particulièrement sur la Guzla—qu'il nous soit permis de le dire—ces investigations offrent un intérêt non moins considérable. Guidé par une intuition puissante, le jeune romantique de 1827 a-t-il su deviner «l'âme» du peuple serbo-croate, comme l'ont cru quelques critiques contemporains? Ou au contraire, doué d'une imagination qui ne tardera pas à se dessécher, et suivant la voie ordinaire de sa génération, a-t-il tout simplement créé de toutes pièces un pays qui ne ressemble à rien moins qu'à l'Illyrie? Ou enfin, inspiré par des lectures plus ou moins instructives, a-t-il pu reconstituer un monde déjà existant?

Telles sont les questions qui se posent et auxquelles nous tâcherons de répondre.

CHAPITRE IV

Nodier, Fauriel, Chaumette-Desfossés, «L'Orphelin de la Chine».

§ 1. Date de la Guzla.—§ 2. Influence de Nodier. Le mot: guzla. Hyacinthe Maglanovich.—§ 3. Mérimée commentateur.—§ 4. L'Aubépine de Veliko: une inspiration chinoise.—§ 5. Voyage en Bosnie. Chants populaires de la Grèce moderne.

§ 1

DATE DE «LA GUZLA»

Dans sa lettre à Sobolevsky, du 18 janvier 1835[444], Mérimée raconte que, «en cette même année 1827» où la «couleur locale» faisait fureur, il projeta, avec un ami qu'il ne nomme pas, la fameuse excursion d'Italie et d'Illyrie, dont il proposa alors d'écrire par avance la relation. Nous savons par la préface de l'édition Charpentier in-18, que cet ami était J.J. Ampère. «Je demandai pour ma part, dit Mérimée, à colliger les poésies populaires et à les traduire; on me mit au défi; et le lendemain j'apportai à mon compagnon de voyage cinq ou six de ces traductions.»

Tout en admirant la belle impertinence du spirituel écrivain, il ne faut pas accorder à son récit une entière confiance. Mérimée, c'est trop évident, se donne une attitude; ce n'est qu'un jeu d'écrire la Guzla; il le fait pour relever un défi. Combien est différent le ton du passage où, dans la préface de la seconde édition, il rapporte à peu près la même histoire: non seulement on ne le mit nullement au défi, mais c'est en rechignant—autre affectation—qu'il se vit infliger par son ami Ampère cet étrange métier de collectionner des ballades.

Où est la vérité? Probablement ni dans l'une ni dans l'autre de ces déclarations. On sait assez que la sincérité n'est pas la qualité la plus éminente de Mérimée; il la considérait comme une faiblesse. Ainsi vaut-il mieux croire que s'il en vint à composer la Guzla ce fut tout simplement parce qu'il eut idée de faire par anticipation ce voyage qu'il se proposait de faire un jour effectivement. Plus tard, lorsqu'il n'eut plus la même admiration pour ces débordements de l'imagination, il sut dire tout naturellement, pour excuser une fantaisie de jeunesse: «Dans ce projet qui nous amusa quelque temps, Ampère, qui sait toutes les langues de l'Europe, m'avait chargé, je ne sais pourquoi, moi ignorantissime, de recueillir les poésies originales des Illyriens.» Méfions-nous des renseignements que nous donne cet incorrigible mystificateur sur ses propres œuvres et demandons-nous si la date à laquelle il dit avoir eu ce dessein est bien la véritable.

Il ne sera pas difficile d'en prouver l'inexactitude. En «cette même année 1827», son «compagnon de voyage» était loin de France, en Allemagne et dans les pays du Nord, faisant des études sérieuses, visitant—fils d'un père glorieux—les sommités scientifiques de l'époque[445]. En effet, le 6 août 1826, sous prétexte d'un voyage au Mont Dore, entrepris en compagnie de ses amis de Jussieu, J.-J. Ampère était parti vers la Suisse, pour fuir cette proposition de mariage qui finit si tragiquement[446]. Il ne revint à Paris qu'au mois de novembre 1827, soit trois mois après la publication de la Guzla. On ne pouvait donc en 1827 former le plan d'un voyage en Illyrie.

D'autre part, comme le témoignent les recherches de M. Maurice Tourneux, l'exécution matérielle du volume était en bonne voie dès le printemps 1827[447]; or, Mérimée lui-même ne déclare-t-il pas que son livre fut écrit pendant un automne et à la campagne, «en une quinzaine de jours[448]»? Ainsi cet automne ne saurait être celui de 1827 (le livre, du reste, parut vers la fin de juillet); c'est ou celui de 1826, ou même celui de 1825.

À ce sujet nous relevons dans une lettre de Mérimée à Albert Stapfer, écrite le 3 août 1826, mais publiée tout récemment[449], une courte phrase aussi suggestive que mystérieuse. «La Morlaquène est au diable», mandait-il de Boulogne-sur-Mer, où il passait les vacances, avec des amis.

Nous ne savons pas ce que veut dire ce mot de Morlaquène, qui porte, il nous semble, une marque nettement stendhalienne. Serait-ce un ouvrage sur les Morlaques, le Voyage de Fortis par exemple, que Mérimée aurait eu fini de lire? ou bien, est-ce un surnom appliqué par lui à l'un de ses amis? M. Félix Chambon, qui a eu l'extrême obligeance de mettre à notre disposition sa vaste érudition mériméiste, penche pour cette dernière hypothèse et croit que le mot désignerait Victor Jacquemont ou Stendhal. On n'apportera probablement pas de réponse définitive à la question, mais ce qui est certain,—et suffisant pour le moment,—c'est qu'à l'époque où Mérimée écrivait cette ligne, c'est-à-dire, jour par jour, une année entière avant la publication de la Guzla, il s'occupait de la «Morlaquie» et des «Morlaques», en parlait à ses amis et y faisait des allusions qui étaient comprises de ses familiers. Cela est d'autant plus important à constater que, quelques admirateurs trop fervents de Mérimée mystificateur (et, nous l'avouons, nous sommes parfois de ce nombre), ne cessent pas de représenter la Guzla comme un livre improvisé même en matière d'impression, comme si elle avait été écrite, composée, imprimée, reliée, mise dans le commerce, enfin, oubliée par son auteur lui-même,—dans l'espace du seul et beau mois d'août de l'an de grâce 1827.

M. Chambon pense que la Guzla fut peut-être écrite en collaboration avec Ampère[450]. Cela est fort possible, mais les preuves suffisantes nous font toujours défaut. Les lettres de Mérimée à Ampère sortiront-elles un jour de quelques cartons oubliés et jetteront-elles une nouvelle lumière sur les origines du recueil de ballades illyriques? Nous n'en savons rien. Pourtant, si nous ne pouvons dire certainement que la Guzla fut écrite en collaboration avec Ampère, nous croyons pouvoir assurer qu'elle fut écrite (du moins dans sa plus grande partie) sous les yeux du «compagnon de voyage». C'est Mérimée même qui le raconte dans sa lettre à Sobolevsky, et qui le laisse entendre dans la préface de 1840: «On me mit au défi; et le lendemain j'apportai à mon compagnon de voyage cinq ou six de ces traductions. Je passai l'automne à la campagne. On déjeunait à midi et je me levais à dix heures; quand j'avais fumé un ou deux cigares, ne sachant quoi faire avant que les femmes ne paraissent au salon, j'écrivais une ballade.» Cela se passait, donc, avant le départ d'Ampère (6 août 1826): autre preuve que la Guzla fut composée avant 1827[451].

Reste à savoir pendant quel «automne» et dans quelle «campagne»? Fut-ce pendant l'automne 1826 (si l'on peut appeler ainsi le mois de juillet et le commencement d'août!) à Boulogne-sur-Mer d'où est expédiée la lettre à Stapfer, sur cette «plage romantique», patrie de l'Inconnue[452]? Ou ne faudrait-il pas reporter d'une année en arrière la naissance,—nous entendons la confection du manuscrit,—de la Guzla et chercher la «campagne» ailleurs qu'à Boulogne-sur-Mer?

Les correspondances publiées jusqu'à aujourd'hui ne nous permettent pas de répondre d'une façon certaine à cette double question; mais, comme nous avons dû renoncer à placer en 1827 la composition de la Guzla, de même nous rejetterons l'opinion d'Eugène de Mirecourt selon qui elle aurait été «fabriquée à Paris, dans un bureau de ministère[453]», prétention d'autant plus dangereuse qu'Eugène de Mirecourt est une des «autorités que l'on consulte toujours, mais qu'on ne cite jamais». Non seulement la Guzla ne fut pas écrite à Paris, mais surtout elle ne le fut pas dans un «bureau de ministère», car Mérimée n'entra dans l'Administration que plus tard. Encore en 1828, il «attendait, de pied ferme, son ambassade[454]».

Néanmoins, si la Guzla ne fut écrite qu'en 1825 ou 1826, l'idée en devait être beaucoup plus ancienne, comme l'était le projet de voyage en Illyrie. Pour notre part, nous croyons que Mérimée y songea pour la première fois à l'occasion d'une lecture de Jean Sbogar, qu'il faut placer au moins sept ans avant la publication de la Guzla. Mérimée et ses amis devaient avoir lu le roman de Nodier déjà en 1820, car c'est alors que le pays du brigand dalmate commença à les intriguer; en effet, pendant les vacances de 1820, en compagnie d'Adrien de Jussieu et d'Albert Stapfer, Ampère visita la Suisse et devait visiter l'Illyrie. La caravane ne comptait pas Mérimée, mais c'est au dernier moment seulement que celui-ci renonça au voyage qui avait pour but Trieste et Raguse[455].

Et ce n'est pas la seule raison capable de nous persuader que la Guzla était en germe pendant ses dernières années de collège. La magie, qui joue un si grand rôle dans son livre illyrien, fut une de ses préoccupations en 1819 et 1820[456]. Ensuite, Smarra, qu'il avait lu avant d'entreprendre la confection de son recueil, avait paru en 1821; il est très probable que le futur auteur de la Guzla en prit connaissance et commença d'en sentir l'influence dès le jour même où il fut publié.—Le vampirisme qui tient aussi une place considérable dans ses ballades et dont, chose curieuse, Charles Nodier était également le représentant le plus connu en France, battait son plein entre 1820 et 1823; en 1827, il n'était plus de mode même auprès des parodistes.—Enfin, les Chants populaires de la Grèce moderne de Fauriel, qui provoquèrent ceux de l'Illyrie moderne de Mérimée, sont de 1824. Il est fort improbable que Mérimée ait attendu trois ans pour s'en inspirer, d'autant plus qu'il connaissait personnellement leur éditeur.

La Guzla fut donc écrite en 1825 ou en 1826; «en une quinzaine de jours» peut-être, mais après avoir été longtemps mûrie et comme élaborée dans la mémoire. Il faut reporter à 1820 la première idée que Mérimée put en avoir, époque où il rêvait avec Ampère «une traduction exacte d'Ossian, avec les inversions et les images naïvement rendues».

§ 2

INFLUENCE DE NODIER—LE MOT «GUZLA» HYACINTHE MAGLANOVICH

Dans son discours de réception à l'Académie française, qui est un chef-d'œuvre de cruelle ironie, Mérimée, prenant la place de Ch. Nodier, déclarait n'avoir «malheureusement» connu son prédécesseur que dans ses ouvrages[457]. Ces «ouvrages», l'auteur de Colomba ne les estimait pas beaucoup; ou plutôt, il affectait à leur propos un sourire légèrement indulgent. C'est ainsi qu'il écrivait à son ami Stapfer quelques mois avant sa réception: «Nodier était un gaillard très taré, qui faisait le bonhomme et avait toujours la larme à l'œil. Je suis obligé de dire, dès mon exorde, que c'était un infâme menteur. Cela m'a fort coûté à dire en style académique[458].» Et comme il ne se sentait plus capable d'être aussi élogieux qu'il l'aurait voulu, il demanda à H. Royer-Collard, en lui envoyant copie de ce qu'il avait fait, d'y ajouter «tous les mots sublimes qui lui viennent en tête[459]». Nous ne savons dans quelle mesure Royer-Collard contribua à ce discours, mais il est évident qu'en y mettant plus de pompe, il ne pouvait qu'en rendre l'ironie plus sensible.

M. Chambon nous apprend que Mérimée ne pouvait souffrir Ch. Nodier et que ce discours fut pour lui une chose non seulement «terriblement ennuyeuse» mais vraiment désagréable[460]. Cela paraît d'autant plus étrange qu'ils avaient de nombreux amis communs (songeons au salon de l'Arsenal!); d'autre part, il y avait entre eux une grande différence d'âge et, par conséquent, point de rivalité; enfin, Nodier était le plus accueillant et le plus obligeant des amis de la nouvelle génération. Une sympathie réciproque semblerait plus naturelle en eux; comme écrivains ils avaient beaucoup d'idées communes: ces deux grands conteurs étaient tous deux éclectiques—romantiques quant à la substance, classiques quant à la forme[461].—Pourtant, les choses furent ainsi: Mérimée n'alla jamais rendre visite à son vieux devancier qui, tout en gardant ses bonnes relations avec les réactionnaires en matière littéraire, patronnait les jeunes, leur ouvrait les portes du Théâtre-Français et, dans la mesure où il le pouvait, celles de l'Académie[462].

Il y avait, à ce qu'il nous semble, un ressentiment purement personnel entre Mérimée et «l'aimable Charles Nodier» et nous croyons que ce ressentiment était dû à l'Illyrie. Le lendemain du jour où parut la Guzla,—c'est Mérimée lui-même qui le raconte dans sa lettre à Sobolevsky—Nodier «cria comme un aigle» de ce qu'il avait été pillé. On avait probablement parlé à l'Arsenal du livre anonyme dalmate—témoin une critique du Globe qui contient certaines indications très significatives, et dont nous nous occuperons ailleurs[463];—c'est à la suite de cette conversation que Nodier se serait plaint de «pillage» et il est possible que V. Hugo, alors ami de Mérimée, l'un des visiteurs les plus assidus de Nodier, ait été mêlé à cette affaire. Ce serait lui, en effet, qui, le premier, aurait dévoilé la supercherie et inscrit en tête de son exemplaire de la Guzla ces deux mots: M. PREMIÈRE PROSE qui constituent l'anagramme de PROSPER MÉRIMÉE[464]. Si Nodier véritablement a «crié comme un aigle» ou s'il s'est contenté de reprocher amèrement au jeune illyricisant de l'avoir suivi sans le reconnaître,—c'est ce que nous ne saurions dire. Malgré de nombreuses et longues recherches (la bibliographie de Nodier laisse toujours à désirer), nous n'avons réussi à trouver aucune trace d'une accusation quelconque dans les écrits de Nodier, dans sa correspondance, etc. Et M. Léon Séché, qui a tant d'autorité en ce qui concerne l'histoire intime du romantisme, nous assure que «le bon Nodier» était absolument incapable d'un tel acte.

Mais Nodier avait, toutefois, raison de se plaindre. Car c'était lui qui avait introduit l'Illyrie en France; exagéré, comme on le verra, l'importance du vampirisme et imaginé que le poète serbe ne chantait que cette monstrueuse superstition; lui encore qui avait «déterré» (c'est l'expression de Mérimée lui-même) le Voyage en Dalmatie de Fortis, traduit la ballade de la Noble épouse d'Asan-Aga que l'auteur de la Guzla va traduire à son tour, et, en plus de cela, avait préparé un recueil de faux et demi-faux poèmes «esclavons»; lui qui, enfin, avait lancé ce recueil SIX ANS AVANT CELUI DE MÉRIMÉE, mystification qui, il est vrai, avorta piteusement.

Tout cela, l'auteur du Théâtre de Clara Gazul le connaissait parfaitement bien, et les ressemblances entre les deux ouvrages ne sont pas accidentelles. Il avait lu Jean Sbogar bien avant la mort de celui qui l'avait précédé à l'Académie française, quoi qu'il en ait dit dans une de ses lettres[465]. Il avait lu Smarra, aussi et surtout Smarra. Il avait même, peut-être, passé une soirée à la Porte-Saint-Martin, écoutant le Vampire de Nodier, gros succès théâtral de 1820 à 1823. Il se souvint plus d'une fois de Smarra dans son livre et particulièrement au commencement. On dirait que Nodier lui a montré le chemin et qu'il ne fait que continuer la route qu'on lui avait tracée. Du reste, Mérimée le premier reconnut qu'il avait été devancé par Nodier.

Il le fît dans une allusion discrète et maligne, en vrai pince-sans-rire qu'il était. «Quand je m'occupais à former le recueil dont on va lire la traduction, dit-il dans sa préface, je m’imaginais être à peu près le seul Français (CAR JE L'ÉTAIS ALORS) qui pût trouver quelque intérêt dans ces poèmes sans art.» Alors, c’était l’année 1816, époque où l’aimable auteur n’avait que treize ans, mais également celle où Jean Sbogar et Smarra n’étaient pas encore parus! Il antidate ainsi son livre pour prouver qu’il a priorité sur Nodier; mais il ne fait, en définitive, par cette manœuvre que nous convaincre qu’il connaissait la vogue de la poésie populaire serbo-croate, aussi passagère qu’elle eût été[466].

Ce mot même de guzla qu’il donna pour titre à son recueil, avait été employé plusieurs fois avant lui par l’ancien rédacteur du Télégraphe de Laybach. Dans les extraits des articles de Nodier sur la poésie «morlaque» que nous avons donnés, on a pu rencontrer la description de cet instrument. On la rencontre dans Jean Sbogar, de même que dans la ballade du Bey Spalatin, publiée à la suite de Smarra. Il est juste de faire remarquer que le traducteur bernois de 1778 a surtout le droit d’en réclamer la priorité[467]; mais ce n’est pas seulement la guzla que Nodier avait décrite; il avait mis en scène ce même «barde slave» dont Mérimée traça le brillant portrait qui domine la Guzla tout entière.

C’est ainsi qu’on reconnaît dans Jean Sbogar, au troisième plan seulement, il est vrai, bien derrière l’élégant brigand dalmate et sa mélancolique bien-aimée, les traits d'un véritable «aîné» d'Hyacinthe Maglanovich, plus poétique et moins gai sans doute, mais aussi vivant,—à sa façon,—que l'est le héros de Mérimée. Il est assis au milieu d'une assemblée populaire, ce vieillard «qui promenait régulièrement sur une espèce de guitare, garnie d'une seule corde de crin, un archet grossier et en tirait un son rauque et monotone, mais très bien assorti à sa voix grave et cadencée». Et il chantait,

en vers esclavons, l'infortune des pauvres Dalmates, que la misère exilait de leur pays; il improvisait des plaintes sur l'abandon de la terre natale, sur les beautés des douces campagnes de l'heureuse Macarsca, de l'antique Trao, de Curzole aux noirs ombrages; de Cherso et d'Ossero où Médée dispersa les membres déchirés d'Absyrthe; de la belle Epidaure, toute couverte de lauriers rosés; et de Salone, que Dioclétien préférait à l'empire du monde. À sa voix, les spectateurs d'abord émus, puis attendris et transportés, se pressaient en sanglotant; car, dans l'organisation tendre et mobile de l'Istrien, toutes les sympathies deviennent des émotions personnelles, et tous les sentiments, des passions. Quelques-uns poussaient des cris aigus, d'autres ramenaient contre eux leurs femmes et leurs enfants; il y en avait qui embrassaient le sable et qui le broyaient entre leurs dents, comme si on avait voulu les arracher aussi à leur patrie. Antonia surprise s'avançait lentement vers le vieillard, et en le regardant de plus près, elle s'aperçut qu'il était aveugle comme Homère. Elle chercha sa main pour y déposer une pièce d'argent percée, parce qu'elle savait que ce don était précieux aux pauvres Morlaques, qui en ornent la chevelure de leurs filles[468].

De même on voit dans le Bey Spalatin le vieux chef de tribu détacher sa guzla mélodieuse et chanter «les victoires du fameux Scanderbeg, les douceurs du sol natal, les regrets amers de l'exil», accompagnant chaque refrain d'un cri «douloureux et perçant[469]». Et à la fin du poème, l'auteur pousse cette exclamation qui prouve combien sincèrement il a en horreur la fausse modestie de ses confrères occidentaux: «L’histoire du bey Spalatin, de sa petite-fille morte et de sa tribu délivrée, est la plus belle qui ait jamais été chantée sur la guzla

Le poème de Mérimée diffère trop de celui de Nodier pour qu’on puisse prétendre qu’il en soit une simple copie. La «couleur locale» est répandue à flot chez ce vieux gaillard moustachu d’Hyacinthe Maglanovich, grand mangeur, beau buveur, vaniteux et capricieux, qui sait louer ses propres poèmes comme le poète de Nodier. «L’Aubépine de Veliko, dit-il au début de son histoire, par Hyacinthe Maglanovich, natif de Zuonigrad, le plus habile des joueurs de guzla. Prêtez l’oreille!»—Le poète illyrique, d’après Mérimée, n’est pas seulement un bon chanteur: c’est un vrai maître chanteur, qui sait choisir le moment le plus intéressant pour couper son récit en deux et faire appel à la générosité de son auditoire:

Quand elle eut mangé ce fruit, qui avait une si belle couleur, elle se sentit toute troublée, et il lui sembla qu’un serpent remuait dans son ventre.

Que ceux qui veulent connaître la fin de cette histoire donnent quelque chose à Jean Bietko[470].

Seulement, sous le rapport de la «couleur locale», il n’est pas beaucoup plus vrai que le barde de Nodier. Il est rapiécé, fait de morceaux divers, étalés sur son fond d’une authenticité douteuse, que Mérimée avait emprunté à son prédécesseur.

Mais laissons Nodier pour le moment et examinons de plus près de quoi se compose cette fameuse «couleur» d’Hyacinthe Maglanovich. Et tout d’abord, Mérimée devait avoir vu quelque part et pris «sur le vif» le visage pittoresque de son poète, car il le reproduisit presque sans changement une année plus tard, sous un casque formidable, lorsqu'il dessina son capitaine de reîtres au premier chapitre de la Chronique du temps de Charles IX. La ressemblance est frappante entre le Slave et le Germain, qui sont esquissés tous les deux, semble-t-il, d'après le même modèle parisien:

NOTICE SUR MAGLANOVICH: CHRONIQUE DE CHARLES IX.

Hyacinthe avait alors près de soixante C'était un _grand et puissant ans. C'est un grand homme, vert et homme_ de cinquante ans environ, robuste pour son âge, les épaules avec un gros nez aquilin, le larges et le cou remarquablement gros. teint fort enflammé, les Sa figure est prodigieusement basanée; cheveux grisonnants et rares, ses yeux sont petits et un peu relevés couvrant à peine _une large du coin; son nez acquilin, assez cicatrice qui commençait à enflammé par l'usage des liqueurs l'oreille gauche et qui venait fortes; sa longue moustache blanche et se perdre dans son épaisse ses gros sourcils noirs forment un moustache_[471]. ensemble que l'on oublie difficilement quand on l'a vu une fois. Ajoutez à cela une longue cicatrice qu'il porte sur le sourcil et sur une partie de la joue. Il est très extraordinaire qu'il n'ait pas perdu l'œil en recevant cette blessure.

D'autres détails sont ramassés un peu partout; la description du guzlar est empruntée à Fortis:

FORTIS: MÉRIMÉE:

Dans les assemblées champêtres, qui se Je dirais seulement quelques tiennent à l'ordinaire dans les maisons mots des bardes slaves ou où il y a plusieurs filles, se perpétue joueurs de guzla, comme on les le souvenir des anciennes histoires de appelle. la nation. Il s'y trouve toujours un chanteur qui accompagne sa voix d'un La plupart sont des vieillards instrument, appelé guzla monté d'une fort pauvres, souvent en seule corde, composée de plusieurs guenilles, qui courent les crins de cheval entortillés… villes et les villages en chantant des romances et Plus d'un Morlaque est en état de s'accompagnant avec une espèce chanter, depuis le commencement à la de guitare, nommée guzla qui fin, ses propres vers impromptus, n'a qu'une seule corde faite de toujours au son de la guzla… Leur crin… chant héroïque est extrêmement lugubre et monotone. Ils chantent encore un peu Ces gens ne sont pas les seuls du nez, ce qui s'accorde, il est vrai, qui chantent des ballades; assez bien avec le son de l'instrument presque tous les Morlaques, dont ils jouent… Un long hurlement, jeunes ou vieux, s'en mêlent consistant dans un oh! rendu avec des aussi: quelques-uns, en petit inflexions de voix rudes et grossières, nombre, composent des vers précède chaque vers, dont les paroles qu'ils improvisent souvent. se prononcent rapidement, et presque sans modulation qui est réservée à la Leur manière de chanter est dernière syllabe, et qui finit par un nasillarde, et les airs des roulement allongé… Quand un Morlaque ballades sont très peu variés; voyage par les montagnes désertes, il l'accompagnement de la guzla ne chante, principalement de nuit, les les relève pas beaucoup, et hauts faits des anciens rois et l'habitude de l'entendre peut seigneurs slaves, ou quelque aventure seule rendre cette musique tragique. S'il arrive qu'un autre tolérable. À la fin de chaque voyageur marche en même temps sur la vers, le chanteur pousse un cime d'une montagne voisine, ce dernier grand cri, ou plutôt un répète le verset chanté par le premier. hurlement, semblable à celui Cette alternative de chant continue d'un loup blessé. On entend ces aussi longtemps que les chanteurs cris de fort loin dans les peuvent s'entendre[472]. montagnes, et il faut y être accoutumé pour penser qu'ils sortent d'une bouche humaine.

De même, les données topographiques de l'introduction (Zuonigrad, Livno, Scign, Zara, etc.) sont tirées du Voyage en Dalmatie et des cartes qui l'accompagnent,—il faut le reconnaître, avec un grand souci d'exactitude et de façon à ne rien avancer qui ne soit vraisemblable.

Mérimée loue et apprécie, avant tout, la large et simple hospitalité que les Morlaques savaient offrir au voyageur. Voici ce que nous raconte le prétendu traducteur de son prétendu poète: «En 1817, je passai deux jours dans sa maison [de Maglanovich], où il me reçut avec toutes les marques de la joie la plus vive. Sa femme et tous ses enfants et petits-enfants me sautèrent au cou, et quand je le quittai, son fils aîné me servit de guide dans les montagnes pendant plusieurs jours, sans qu'il me fût possible de lui faire accepter une récompense.» Est-ce autre chose qu'une réminiscence du récit de Fortis quand il raconte la visite qu'il fit en 1771 à un chef dalmate:

Je n'oublierai jamais l'accueil cordial que j'ai reçu du voïvode Pervan à Coccorich. Mon unique mérite à son égard était de me trouver l'ami d'une famille de ses amis[473]. Une liaison si légère l'engagea néanmoins à envoyer à ma rencontre une escorte et des chevaux; à me combler des marques les plus recherchées de l'hospitalité nationale; à me faire accompagner par ses gens et par son propre fils, jusqu'aux campagnes de Narenta, distantes de sa maison d'une bonne journée; enfin à me fournir des provisions si abondantes, que je n'avais rien à dépenser dans cette tournée.

Quand je partis de la maison de cet excellent hôte, lui et toute sa famille me suivirent des yeux et ne se retirèrent qu'après m'avoir perdu de vue. Ces adieux affectueux me donnèrent une émotion que je n'avais pas éprouvée encore et que je n'espère pas sentir souvent en voyageant en Italie. J'ai apporté le portrait de cet homme généreux, afin d'avoir le plaisir de le revoir malgré les mers et les montagnes qui nous séparent et pour pouvoir donner en même temps une idée du luxe de la nation à l'égard de l'habillement de ses chefs. Le Morlaque, né généreux et hospitalier, ouvre sa pauvre cabane à l'étranger, fait son possible pour le bien servir et ne demandant jamais, refuse même souvent avec obstination les récompenses qu'on lui offre[474].

Une belle planche en taille douce représentant il Vaïvode Pervan di Coccorich accompagne le récit de Fortis. Mérimée suivit son exemple et inséra dans la Guzla une lithographie qui représente son poète imaginaire. À l'inverse de ce qu'il avait fait à propos de Clara Gazul, il joignit ce portrait à tous les exemplaires de l'édition originale.

Il est inutile de chercher sous les traits d'Hyacinthe Maglanovich la physionomie plus ou moins défigurée de Mérimée, comme l'ont voulu Ch. Asselineau et M. Leger[475], mais il est juste de dire que, sous le rapport de l'exactitude, ce portrait ne laisse rien à désirer. MM. Tourneux et Leger se demandent où Mérimée s'était procuré les documents nécessaires à la confection de cette lithographie. Nous nous posons à notre tour la même question. Le bonnet d'agneau noir, la ceinture large et multicolore, ornée d'un énorme couteau, ressemblent à ce qu'on voit sur la planche de Fortis, mais le reste, la guzla surtout et la position accroupie du vieux racleur qui n'en est pas moins authentique, ne peut avoir été dessinée que d'après un modèle. Nous avons examiné, sans succès, un grand nombre de relations de voyage, albums de costumes et autres publications antérieures à 1827, et il ne nous semble pas que le portrait d'Hyacinthe Maglanovich ait été copié sur aucune gravure.

Il nous paraît plus probable qu'il fut dessiné d'après nature par quelqu'un qui avait visité les provinces illyriennes et vu un joueur de guzla, par Fauriel, peut-être, qui avait passé, en 1824, quelques mois à Trieste (où les chanteurs serbes n'étaient pas plus rares que les chanteurs grecs, qu'il y cherchait alors) ou bien par Fulgence Fresnel, cousin de Mérimée, qui fournit à l'auteur certains «renseignements» sur l'Illyrie où il avait fait de nombreux voyages, si nous nous en rapportons à Eugène de Mirecourt[476] et à la Littérature française contemporaine de Bourquelot et Maury[477]. Grâce à M. Tourneux, nous savons maintenant que Mérimée n'obtint ce dessin qu'au moment où la Guzla s'imprimait déjà; il avait envoyé d'abord à son éditeur strasbourgeois, le 22 mars 1827, deux croquis de la guzla (qui sont, semble-t-il, de sa main, et que M. Tourneux a reproduits dans sa brochure Prosper Mérimée, comédienne espagnole et chanteur illyrien); plus tard, le portrait de Maglanovich prit définitivement place en tête du volume. Ni M. Tourneux, ni M. Félix Chambon n'ont su dire qui était le mystérieux artiste qui signa: A. Br.—M. Lucien Pinvert penche pour le nom de Mérimée lui-même[478]. Il est difficile de le prétendre ou de le nier, car le procédé de reproduction (la lithographie) n'est pas un de ceux qui respectent l'original.

Mais revenons à notre poète. Mérimée nous assure qu'Hyacinthe était un ivrogne incorrigible et qu'il ne pouvait jamais chanter sans avoir fait une copieuse libation d'eau-de-vie.

[Illustration: Hyacinthe Maglanovich.—Lithographie de F.G. Levrault.]

Suivant l'avis du voïvode, j'eus soin de le [Maglanovich] faire boire, et mes amis, qui étaient venus nous tenir compagnie sur le bruit de son arrivée, remplissaient son verre à chaque instant. Nous espérions que quand cette faim et cette soif si extraordinaires seraient apaisées, notre homme voudrait bien nous faire entendre quelques-uns de ses chants. Mais notre attente fut bien trompée. Tout d'un coup il se leva de table et se laissant tomber sur un tapis près du feu (nous étions en décembre), il s'endormit en moins de cinq minutes, sans qu'il y eût moyen de le réveiller.

Je fus plus heureux une autre fois: j'eus soin de le faire boire seulement assez pour l'animer, et alors il nous chanta plusieurs des ballades que l'on trouvera dans ce recueil.

Il me quitta d'une façon étrange: il demeurait depuis cinq jours chez moi, quand un matin il sortit, et je l'attendis inutilement jusqu'au soir. J'appris qu'il avait quitté Zara pour retourner chez lui[479].

N'en déplaise à M. Louis Leger qui veut que «l'ivrognerie soit très rare chez les Slaves méridionaux[480]». Mérimée ne se trompe nullement dans ce qu'il avance. Voici, en effet, les termes dans lesquels s'explique Karadjitch, sur le compte d'un célèbre guzlar, le vieux Miliya, qu'il avait eu occasion de fréquenter quelque temps:

Quelques jours après arriva le knèze[481], amenant Miliya. Mais quand je me fus mis en rapport avec ce dernier, ce fut pour moi un nouveau sujet de souci, et toute ma joie fit place d'abord à une triste déception. Non seulement Miliya, comme tous les chanteurs (qui ne sont que chanteurs), ne savait pas réciter, mais uniquement chanter, mais ceci même il ne le voulait pas faire à moins d'avoir de l'eau-de-vie devant lui. Or, à peine y avait-il goûté que, affaibli soit par l'âge, soit par l'effet de ses blessures (il avait eu jadis la tête hachée de coups de sabre dans une rixe avec un Turc de Kolachine), il s'embrouillait tellement qu'il devenait incapable de chanter avec tant soit peu d'ordre et de régularité. Miliya en savait beaucoup d'autres, mais il ne me fut pas donné de profiter de cette occasion unique. L'oisiveté et le travail que je lui imposais commençaient à peser au vieillard; de plus, il se trouva là de ces gens bien intentionnés, qui se font un plaisir de tout tourner en ridicule et de mystifier les autres à tout propos. Ces gens donc se mirent à lui dire: «Comment toi, un homme d'âge et de bon sens, es-tu devenu bête à ce point? Ne vois-tu pas que Vouk est un fainéant qui ne s'occupe que de piesmas et de futilités pareilles? Si tu l'écoutes, il te fera encore perdre ici tout l'automne; retourne donc chez toi et occupe-toi de tes affaires.» Miliya se laissa persuader, et il partit un beau jour en cachette de moi[482].

Il est vrai que ce récit ne fut publié en serbe que six ans après la Guzla; mais il est fort probable que les amis allemands de Karadjitch en avaient eu la primeur; de conversations en conversations, on s'était peu à peu figuré, dans la société littéraire européenne d'avant 1833, un type du guzlar analogue au vieux Miliya. La Revue encyclopédique ne parlait-elle pas déjà en 1826 d'un «rapsode serbe aveugle, nommé Philippe, qui improvisait des chants guerriers même de plusieurs centaines de vers[483]»? Il est aussi, surtout, possible que Fauriel, qui témoignait un intérêt tout particulier à la poésie serbe, ait signalé à Mérimée ces détails. Ne poussait-il pas son jeune ami à apprendre le serbe et à traduire les piesmas «d'après le même système qu'il avait appliqué aux chants grecs»?

Quant à la vanité de poète, autre trait du caractère de Maglanovich, elle est d'autant plus contestable que les poésies populaires serbes sont pour ainsi dire anonymes: on ne connaît même pas les auteurs des ballades les plus récentes: le véritable poète d'une piesma se défend toujours de l'être et prétend l'avoir apprise de la bouche d'un autre. Le guzlar n'est qu'un simple récitateur même quand il débite ses propres vers,—tant s’y efface sa personnalité,—moulés qu’ils sont dans les formes traditionnelles selon des procédés depuis longtemps établis; on lui trouverait tort d’en réclamer la propriété: le bon goût et une timidité de convention l’empêchent de s’en dire l’auteur aussi ouvertement que le fait le poète de Mérimée: «Celui qui a fait cette chanson était avec ses frères au rocher gris; il se nomme Guntzar Wossieratch[484].» Le guzlar sait que ses autres confrères modifieront son ébauche avant qu’elle prenne sa forme définitive; rien n’est plus faux que cette Improvisation d'Hyacinthe Maglanovich où l’on sentie cabotinage:

Étranger, que demandes-tu au vieux joueur de guzla? que veux-tu du vieux Maglanovich? Ne vois-tu pas ses moustaches blanches, ne vois-tu pas trembler ses mains desséchées? Comment pourrait-il, ce vieillard cassé, tirer un son de sa guzla, vieille comme lui?…

La guzla d’Hyacinthe Maglanovich est aussi vieille que lui; mais jamais elle ne se déshonorera en accompagnant un chant médiocre. Quand le vieux poète sera mort, qui osera prendre sa guzla et en tirer des sons? Non, l’on enterre un guerrier avec son sabre: Maglanovich reposera sous terre avec sa guzla sur sa poitrine[485].

La renommée d’un guzlar,—et son orgueil de poète aussi,—n’était jamais si grande que l’imaginait Mérimée, oubliant un peu trop qu’il avait dit que «la plupart sont des vieillards et fort pauvres, souvent en guenilles, qui courent les villes et les villages en chantant des romances». Si un guzlar était connu, il ne l’était pas par son talent de poète, mais par sa bonne mémoire et pour son répertoire choisi. Donc, pour le salut de la «couleur locale», le nom du soi-disant auteur des ballades de la Guzla ne devait pas figurer sur le recueil. Pour comble de malheurs, quelques biographes par trop zélés ont rendu à Mérimée le mauvais service de souligner avec trop d’enthousiasme la pittoresque figure de Maglanovich.

Mérimée fut trompé, soit,—et c’est le plus probable,—par Ch. Nodier qui donnait une grande importance à la personnalité de «l’Homère esclavon», soit par Fortis, qui parle une fois de Triboco, village qui était la patrie de «Pappizza, paysan improvisateur qui, né vers la fin du XVIIe siècle, est encore célèbre après sa mort, à cause de la quantité de ses poésies, qu’il chantait lui-même en s’accompagnant de la guzla, et dont il semble qu’on a perdu le souvenir[486]». À notre avis, les Chants populaires de la Grèce moderne de Fauriel ont largement contribué à pareille méprise. Dans son introduction, le savant ami de Mérimée avait longuement parlé des chanteurs grecs, des difficultés qu’on a pour se procurer leurs récits, etc. L’auteur de la Guzla nota soigneusement cela pour s’en servir dans la notice qu’il plaça en tête du volume. Mais c’est surtout dans les chants mêmes des Grecs qu’il trouva les formules naïvement orgueilleuses qu’il prodigua dans ses ballades illyriques. Celle-ci, par exemple, que nous tirons de Fauriel, semble appartenir à la Guzla: «Je m’arrête pour vous faire un récit [dont vous] serez bien émerveillés[487].» Ou bien une autre: «J’ai donc composé cette histoire: et je la joue sur ma lyre, pour mon divertissement:—car quiconque sait parler avec agrément et avec raison, peut faire qu’un cœur attristé reçoive des consolations. C’est Manuel de Seti, fils du Pappas Hiéronyme, Charciote, qui est l’auteur de toute cette histoire.» Ou bien, enfin, celle-ci: «Celui qui bien écoute, bien aussi raconte, s’il lui arrive de bien rappeler [les faits] dans sa tête. Et moi aussi j’ai écouté, et j’ai fait une Georgide, sur George Skatoverga de la plaine. Comme je ne sais point lire, pour ne point oublier cette histoire, j’en ai fait une chanson, afin d’en bien conserver le souvenir[488].»

Quant à la prétendue ruse du barde illyrique, qui aurait l’habitude de s’interrompre à l’endroit le plus intéressant de son récit, pour faire une quête, elle n’est mentionnée ni par Fortis et Nodier pour les Serbes, ni par Fauriel pour les Grecs modernes. Nous ne savons si le chanteur grec était capable de tant d’habileté, mais pour le guzlar serbo-croate naturellement simple et enthousiaste, nous pouvons dire que cette sommation pressante serait contraire à son caractère national. Aussi nous faut-il comprendre combien fut blessée la susceptibilité des critiques serbes de 1827; ils reprochèrent amèrement à l’auteur de la Guzla d’avoir calomnié par cette fausse assertion tout un peuple[489].

Pourtant, si Mérimée attribuait mal à propos cette ruse professionnelle, il ne l’avait pas inventée. Le jongleur français la connaissait bien avant lui et la pratiquait quelquefois:

     Huimès commence chançon à enforcier
     Que vous orrez, se donez un denier,

dit-on dans une chanson de geste citée par M. Léon Gautier[490]. Mérimée, qui avait pour amis, à l’époque où il composait la Guzla, un futur historien de la littérature française au moyen âge (J.-J. Ampère) et un futur historien de la poésie provençale (Claude Fauriel), n'avait que trop l'occasion de s'initier à la vie intime des anciens poètes ambulants. Nous savons, du reste, que Fauriel prodiguait les anecdotes, les traits saillants et pittoresques, et que ses amis moins savants, mais non moins littérateurs,—Stendhal surtout,—exploitaient volontiers cette mine vivante.

D'autres sources, moins importantes celles-là, servirent à la Notice sur Hyacinthe Maglanovich. Ainsi, tout au début, Mérimée raconte que son poète fut enlevé à l'âge de huit ans «par les Tchinguéneh ou bohémiens» et que «ces gens le menèrent en Bosnie», le «convertirent sans peine à l'islamisme qu'ils professent pour la plupart» et que «un ayan ou maire de Livno le tira de leurs mains et le prit à son service». Il faut rapprocher ces détails du Voyage en Bosnie par Amédée Chaumette-Desfossés (Paris, 1812), où l'on parle de «Tchinguènèh (Bohémiens), gens les plus misérables et les plus dégoûtants», qui «professent, en apparence, le musulmanisme», mais «sont tellement méprisés qu'il leur est défendu d'entrer dans les mosquées[491]», et où l'on explique longuement quel est le rôle d'un ayan[492]. À cet ouvrage est dû aussi, semble-t-il, le nom même de Maglanovich, dérivé probablement de Maglay (Maglaï), ville de Bosnie, dont il est parlé à plusieurs reprises[493]. Il est douteux que Mérimée ait connu le mot serbo-croate magla (qui veut dire le brouillard), le seul autre auxiliaire possible pour fabriquer le nom de Maglanovich. En effet, on ne le trouve dans aucun des ouvrages consultés par Mérimée à l'occasion de ses ballades.—M. Leger croit que l'auteur de la Guzla n'ignorait pas la signification de magla et qu'il en voulut former le nom de son héros, afin de lui faire signifier: Fils du brouillard [ou plutôt Desbrouillards], parce que, «vers 1830, la poésie ossianique était encore fort à la mode et les brouillards d'Ecosse charmaient encore les imaginations[494]».—Il serait bon d'ajouter que les Slaves du Sud ne connaissent pas ce nom. De même, ils donnent très rarement à leurs enfants le prénom presque exclusivement monastique d'Hyacinthe.

Mérimée enfin utilisa encore un ouvrage français, le Voyage pittoresque de l'Istrie et de Dalmatie rédigé d'après l'itinéraire de L.F. Cassas, par Joseph Lavallée (Paris, 1802); dans le récit du mariage de Maglanovich (arrangé à l'aide d'un chapitre de Fortis sur les enlèvements et les mariages chez les Morlaques[495]), il baptise le beau-père de son héros du nom de Zlarinovich et donne au rival du poète celui d'Uglian. Aucun de ces deux noms n'est authentique: Zlarine désigne une localité; Uglian, une île de l'Adriatique, plus connue sous la dénomination italienne d'Isola Grossa[496].

§ 3

MÉRIMÉE COMMENTATEUR

«Dans le commentateur imaginaire, Mérimée fait le portrait de l'antiquaire naïf, de l'érudit ignorant et dénué de critique. Ce type, il le pressentait à merveille; plus tard sa profession lui permit de l'étudier à fond; il y est revenu à plusieurs reprises, jamais avec plus de bonheur que dans la Guzla»,—a très justement remarqué M. Filon[497].

Non seulement Mérimée est le traducteur de son poète, mais il en est encore le commentateur sans prétention. Quand il avait collectionné ces ballades, il s'imaginait être le «seul Français qui pût trouver quelque intérêt à ces poèmes sans art, production d'un peuple sauvage». Ses amis lui ont persuadé qu'elles seraient agréables au public; peu jaloux de son trésor, il a bien voulu les lui faire connaître et les lui expliquer. À tout cela, il n'a pas beaucoup de mérite: grand amateur de voyages, sans occupations bien importantes, il a pu parcourir le pays qu'il habitait et, au hasard de ses découvertes, rassembler quelques fragments assez curieux d'anciennes poésies. Comme il a affaire à des coutumes parfois fort différentes de celles des autres pays, il fournira toutes les explications qu'il pourra donner pour faciliter la lecture de ces poèmes; il dira ses conjectures, ce qu'on lui a rapporté, sans jamais rien affirmer dont il ne soit sûr. Il emploie volontiers des formules assez vagues: on dit que… il est vraisemblable… c'est sans doute… etc. Pourquoi rechercher à toute occasion la certitude; ces ballades valent-elles la peine qu'on se livre à un véritable travail d'exégèse; pour lui il n'est qu'un simple amateur, qui n'approfondit pas les choses d'aussi près; toute explication lui semble bonne pourvu qu'elle permette d'interpréter et de comprendre son texte; il collectionne des ballades comme un autre des bibelots, sans y attacher trop d'importance; il est folkloriste amateur; il aime mieux des probabilités douteuses, où se complaît son imagination un peu paresseuse, que des certitudes qui lui seraient une peine et un travail. Aussi le lecteur ne saurait-il exiger de lui que ce dont il s'est contenté lui-même. Et voici Mérimée à couvert des critiques avisées que des lecteurs mieux renseignés pourraient faire de sa science. Ce lui fut une habileté de se dire étranger à la fois au pays qu'il voulait faire connaître et à celui auquel il présentait son recueil. Mais s'il se posa dans sa préface comme un antiquaire «naïf et dénué de sens critique», dans la pratique il suivit le plus souvent les leçons d'un maître excellent, vrai savant celui-là, nous voulons dire Fauriel. Il lui devait déjà le goût de la poésie primitive; il lui dut aussi de composer un livre dont l'esprit et la manière se rapprochent très sensiblement de ce que l'on trouve dans les Chants populaires de la Grèce moderne. Pour tromper complètement son lecteur, il emprunte à Fauriel la façon de présenter ses remarques.

C'est ainsi qu'il va jusqu'à déclarer très sérieusement qu'ici manque une stance[498] à un poème qu'il a lui-même composé tout entier, parce que, à l'occasion d'une poésie grecque authentique, Fauriel avait signalé qu'il manquait à cette chanson quelques vers de la fin[499]. Ailleurs il dira: «Il est évident que cette intéressante ballade ne nous est pas parvenue dans son intégrité[500].»

Fauriel regrette-t-il de n'avoir pu trouver sur un certain sujet qu'une assez mauvaise chanson, incomplète d'ailleurs: «Je n'ai pu me procurer sur Androutzos que la seule chanson suivante, et encore n'est-elle pas complète et le sujet en est-il assez vague[501]?» Mérimée lui aussi a son fragment de ballade qui ne vaut pas grand'chose et qui «ne se recommande que par la belle description d'un vampire[502]».

Comme Fauriel, Mérimée fait ses trouvailles qu'il signale comme autant de joyaux de la collection et sur lesquelles il attire tout particulièrement l'attention:

FAURIEL: MÉRIMÉE:

Dans les assemblées champêtres, qui se Je dirais seulement quelques Ce joli vers… je l'ai retrouvé dans J'ignore à quelle époque eut une longue pièce sur la prise de lieu l'action qui a fourni le Constantinople, composée à l'époque de sujet de ce petit poème, et le l'événement; et là même, il a l'air joueur de guzla qui me l'a d'être tiré de quelque chanson récité ne put me donner d'autres populaire plus ancienne. (Chants informations, si ce n'est qu'il grecs, tome II, p. 186.) le tenait de son père, et que c'était une ballade fort ancienne. (La Guzla, page 132.)

Ce morceau, fort ancien, et revêtu d'une forme dramatique que l'on rencontre rarement dans les poésies illyriques, passe pour un modèle de style parmi les joueurs de guzla morlaques. (Page 165.)

Ce passage est remarquable par sa simplicité et sa concision énergique. (Page 89.)

Cette jolie chanson, très populaire Cette chanson est, dit-on, dans la Grèce entière, etc. populaire dans le Monténégro; (Idem, p. 125.) c'est à Narenta que je l'ai entendue pour la première fois. (Page 243.)

Ainsi Mérimée sut jouer admirablement l'un et l'autre rôle: ici accuser la modestie du simple amateur, et là laisser accroire que son Italien, traducteur et commentateur, possède en ces matières une autorité indiscutable. Il y en a dans son livre pour tout le monde: pour les sceptiques, les réserves toutes naturelles que doit faire un étranger qui traite d'un pareil sujet; pour ceux tout disposés à croire à l'authenticité de ses soi-disant ballades illyriques, la belle assurance d'un homme qui s'entend aux choses qu'il dit. À la fois caricature et portrait: portrait de l'érudit amateur et caricature ou parodie du vrai savant, tel nous paraît être le commentateur de la Guzla[503].

§ 4

«L'AUBÉPINE DE VELIKO»: UNE INSPIRATION CHINOISE

Il paraît que l'Aubépine de Veliko, qui est la première ballade du recueil, fut aussi composée la première. Elle marque une sorte de transition entre Smarra et le reste de la Guzla.

Le sujet de l'Aubépine de Veliko ressemble beaucoup à celui du Bey Spalatin de Nodier, bien que le fond de cette ballade soit emprunté à un autre ouvrage: l'Orphelin de la maison de Tchao, drame chinois dont nous parlerons tout à l'heure.

Comme son prédécesseur, Mérimée raconte une vendetta illyrienne: la lutte longue et acharnée du vieux bey Jean Veliko avec ses «ennemis de l'Est».

Le bey de Nodier a eu vingt-quatre fils, tous tués dans les combats avec le «cruel Pervan»; celui de Mérimée en avait douze: «cinq sont morts au gué d'Obravo; cinq sont morts dans la plaine de Rebrovje». Jean Veliko avait un fils qu'il chérissait entre tous; ses ennemis l'ont enlevé,—tout comme Pervan enleva la belle Iska;—ils l'ont enfermé «dans une prison dont ils ont muré la porte». Il lui reste un fils, Alexis, «trop jeune pour la guerre», le dernier descendant des Veliko; c'est avec cet enfant qu'il fuit devant Nikola Jagnievo, Joseph Spalatin et Fédor Aslar; il passe la rivière Mresvizza et se réfugie chez son ami George Estivanich. Et George Estivanich le reçoit sous sa protection; il mange le pain et le sel avec le bey Jean Veliko, et «nomme Jean le fils que sa femme lui a donné».

Or, Nicolas Jagnievo, et Joseph Spalatin, et Fédor Aslar se sont réunis à Kremen. Ils ont bien mangé et bu de l'eau-de-vie de prunes et ils ont dit tous ensemble: «Que Jean Veliko meure avec son fils Alexis!» Le lendemain de la Pentecôte, ils descendent de la montagne avec leurs heyduques en armes. Ils passent la Mresvizza et s'arrêtent devant la maison de George Estivanich.

«Que venez-vous faire, beys de l'est? que venez-vous faire dans le pays de George Estivanich? Allez-vous à Segna complimenter le nouveau podestat?»

     —«Nous n'allons pas à Segna, fils d'Étienne, a répondu Nicolas
     Jagnievo; mais nous cherchons Jean Veliko et son fils. Vingt
     chevaux turcs, si tu nous les livres.»

     —«Je ne te livrerai pas Jean Veliko pour tous les chevaux turcs
     que tu possèdes. Il est mon hôte et mon ami. Mon fils unique porte
     son nom.»

     Alors a dit Joseph Spalatin: «Livre-nous Jean Veliko, ou tu feras
     couler du sang. Nous sommes venus de l'est sur des chevaux de
     bataille, avec des armes chargées.»

     —«Je ne te livrerai pas Jean Veliko, et, s'il te faut du sang, sur
     cette montagne là-bas j'ai cent vingt cavaliers qui descendront au
     premier coup de mon sifflet d'argent.»

     Alors Fédor Aslar, sans dire mot, lui a fendu la tête d'un coup de
     sabre; et ils sont venus à la maison de George Estivanich, où était
     sa femme, qui avait vu cela.

     —«Sauve-toi, fils d'Alexis! sauve-toi, fils de Jean! les beys de
     l'est ont tué mon mari; ils vous tueront aussi» Ainsi a parlé
     Thérèse Gelin.

     Mais le vieux bey a dit: «Je suis trop vieux pour courir.» Il lui a
     dit: «Sauve Alexis, c'est le dernier de son nom!» Et Thérèse Gelin
     a dit: «Oui, je le sauverai.»

     Les beys de l'est ont vu Jean Veliko. «À mort!» ont-ils crié: leurs
     balles ont volé toutes à la fois, et leurs sabres tranchants ont
     coupé ses cheveux gris.

     —«Thérèse Gelin, ce garçon est-il le fils de Jean?» Mais elle
     répondit: «Vous ne verserez pas le sang d'un innocent.» Alors ils
     ont tous crié: «C'est le fils de Jean Veliko!»

     Joseph Spalatin voulait l'emmener avec lui, mais Fédor Aslar lui
     perça le cœur de son ataghan, et il tua le fils de George
     Estivanich, croyant tuer Alexis Veliko.

Dix ans après, devenu un chasseur robuste et adroit, Alexis Veliko demande à Thérèse Gelin: «Maman, pourquoi ces robes sanglantes suspendues à la muraille.»

-«C'est la robe de ton père, Jean Veliko, qui n'est pas encore vengé; c'est la robe de Jean Estivanich, qui n'est pas vengé, parce qu'il n'a pas laissé de fils.»

     Le chasseur est devenu triste; il ne boit plus d'eau-de-vie de
     prunes; mais il achète de la poudre à Segna: il rassemble des
     heyduques et des cavaliers.

     Le lendemain de la Pentecôte, il a passé la Mresvizza, et il a vu
     le lac noir où il n'y a pas de poisson: il a surpris les trois beys
     de l'est, tandis qu'ils étaient à table.

     —«Seigneurs! seigneurs! voici venir des cavaliers et des heyduques
     armés; leurs chevaux sont luisants; ils viennent de passer à gué la
     Mresvizza: c'est Alexis Veliko.»

     —«Tu mens, tu mens, vieux racleur de guzla. Alexis Veliko est
     mort: je l'ai percé de mon poignard.» Mais Alexis est entré et a
     crié: «Je suis Alexis, fils de Jean!»

     Une balle a tué Nicolas Jagnievo; une balle a tué Joseph Spalatin;
     mais il a coupé la main droite à Fédor Aslar, et lui a coupé la
     tête ensuite.

     —«Enlevez, enlevez ces robes sanglantes. Les beys de l'est sont
     morts. Jean et George sont vengés. L'aubépine de Veliko a refleuri;
     sa tige ne périra pas!»

Ceux qui connaissent l'Orphelin de la Chine remarqueront que l'histoire du jeune Alexis rappelle singulièrement l'histoire du jeune prince dans la tragédie de Voltaire. En effet, après avoir emprunté à Nodier l'idée, point de départ, de sa ballade, à l'abbé Fortis quelques détails sur le sentiment de la vengeance chez les «Morlaques», Mérimée eut recours à un drame chinois pour l'intrigue; nous voulons dire la traduction du drame: Tchao-Chi-Cou-Ell ou le petit Orphelin de la maison de Tchao que le père Du Halde avait insérée dans sa Description de la Chine (1735) et qui fut la source principale de la tragédie de Voltaire[504]. Dans cette pièce, il s'agit de sauver de la mort un jeune orphelin, rejeton d'une illustre famille; l'ouvrage entier, féroce jusqu'à la barbarie, éclate en dévouements tout aussi sauvages. Le roi Ling-Kong a deux ministres préférés: Tchao-Tun, ministre des choses civiles, et Ton-an-Kou, ministre des choses militaires. Ce dernier est l'ennemi mortel de l'autre, et il parvient à faire massacrer toute la famille de Tchao-Tun, excepté sa femme qui est enceinte. Deux amis sont restés à cette femme, malgré ses malheurs, Tching-Ing et Kong-Sun-Tchou-Kiéou. Ils se décident à sauver l'héritier de Tchao-Tun. Tching-Ing a un fils; il le fait passer pour le fils de Tchao auprès des autorités chinoises devant lesquelles il accuse son ami Kong-Sun-Tchou-Kiéou d'avoir dérobé cet ennemi public aux recherches de la justice: Kong-Sun-Tchou-Kiéou est tué avec le fils de Tching-Ing, qui passe pour l'héritier de Tchao, et ainsi le véritable héritier est sauvé. Sauvé au prix de tant de sacrifices, l'orphelin grandit, parvient à reprendre l'autorité, se fait reconnaître et venge alors son père en même temps que l'infortuné Kong-Sun-Tchou-Kiéou, qui s'est dévoué pour lui.

En 1755, Voltaire emprunta à ce drame le sujet de sa tragédie l'Orphelin de la Chine; mais il a affaibli, par le mélange d'une intrigue amoureuse, une histoire pleine de sauvagerie tragique. C'est aussi une conception philosophique qui, dans l'Orphelin de la Chine, annihile la bonne volonté exotique de Voltaire[505]. Gengis-Khan veut assurer son trône par la mort du dernier survivant de la dynastie qui régnait avant lui. C'est un enfant confié à un mandarin, Zam-Ti, qui, pour le sauver, est prêt à livrer son propre fils au tyran à la place du jeune prince. Idamé, l'épouse du mandarin, pour sauver son enfant, dénonce à Gengis-Khan la substitution. Le Tartare avait autrefois aimé Idamé et son ancienne passion se rallume à la vue de cette femme. Il veut l'enlever au mandarin et l'épouser; mais Idamé, aussi fidèle épouse que mère tendre, propose à son mari de se tuer avec elle. Gengis-Khan les surprend au milieu de cette scène pathétique. Charmé de leur vertu, il fait grâce de la vie au jeune prince et prend le mandarin pour conseiller[506].

Ainsi dans l'adaptation que Voltaire a donnée de ce drame plein d'atrocités et de sublimes dévouements, tout finit comme dans la comédie, par un heureux dénouement. Gengis-Khan se laisse séduire au charme de la vertu et sent s'amollir la férocité de son cœur. La tendresse de la mère, la fidélité de l'épouse sont des sujets très édifiants, bien dignes de la comédie larmoyante ou du drame bourgeois; tous ces gens-là commencent à devenir bons, excessivement bons; trop bons pour qu'on puisse supposer un instant que Mérimée n'a connu le drame chinois que par l'intermédiaire de Voltaire. Il s'est inspiré directement de la traduction publiée par Du Halde. Le critique de la Foreign Quarterly Review[507], qui a signalé le premier la dette de Mérimée, ne s'est pas trompé; il déclare que la mère illyrienne atteint à un degré d'héroïsme très supérieur celui de l'Idamé de Voltaire; ce qui veut dire que son sacrifice lui coûte beaucoup moins, parce qu'il lui paraît beaucoup plus naturel. Est-ce là du véritable héroïsme? nous sommes tentés de croire que c'est à la fois plus de fanatisme et de sauvagerie. Au reste il n'y a qu'une seule passion exprimée dans la ballade de Mérimée: le désir de la vengeance, et ce n'est pas sur ce sentiment que Voltaire a édifié sa tragédie. Mérimée, d'autre part, qui s'intéressait aux Grecs de Fauriel, aux Illyriens de Nodier, aux Morlaques de Fortis, a pu éprouver le même intérêt pour les Chinois de Du Halde. De l'original, il a su retrouver la sauvage énergie, la soif inassouvie de la vengeance longtemps désirée. Dans cette courte pièce on reconnaît déjà la manière de Carmen ou de Matéo Falcone, les actes nous révèlent la passion qui agite les cœurs.

Ce drame chinois, pour le faire illyrien, Mérimée s'adresse à Fortis; grâce aux renseignements qu'il trouve dans le Voyage, il répand sur son poème une couleur toute superficielle, il est vrai, mais qui ne nous en transporte pas moins dans un autre monde: monde de fantaisie, Illyrie peu différente de celle de Nodier, mais qui se transformera plus tard en une Illyrie plus originale sinon plus véritable. C'est chez Fortis qu'il trouve le détail de la chemise ensanglantée:

Si les amitiés des Morlaques, non corrompus, sont constantes et sacrées, leurs inimitiés ne sont pas moins durables et presque indélébiles. Elles passent de père en fils, et les mères n'oublient jamais d'inculquer, déjà aux enfants de bas âge, le devoir de venger un père tué, et de leur montrer souvent, à cet effet, la chemise ensanglantée, ou les armes du mort. La passion de la vengeance s'est si fort identifiée avec la nature de ce peuple, que toutes les exhortations du monde ne pourraient pas la déraciner[508].

Dans une note—car les notes ont une grande importance: ce sont elles qui nous révèlent d'une façon plus précise où Mérimée puise sa science—il emprunte, à peu de chose près, le texte même de Fortis:

FORTIS: MÉRIMÉE:

Ce peuple se sert d'un proverbe La vengeance passe pour un familier, qui n'est que trop accrédité: devoir sacré chez les Morlaques. Ko ne se osveti, onse ne posveti, qui Leur proverbe favori est ne se venge pas, ne se sanctifie pas. celui-ci: Qui ne se venge pas Il est remarquable que dans la langue ne se sanctifie pas. En illyrienne, osveta signifie également illyrique, cela fait une espèce vengeance et sanctification. de calembour: Ko ne se osveti onse ne posveti. Osveta, en illyrique, signifie vengeance et sanctification[509].

Ici Mérimée suit si fidèlement le Voyage, qu'il reproduit deux fautes typographiques. En réalité, il faut lire: Ko se ne osveti, on se ne posveti.

Les noms de personne, s'ils ne sont tous authentiques, ont un certain cachet d'exotisme. Le nom de Fédor est russe et non pas serbe; Spalatin est emprunté à Nodier; Estivanich, Aslar, Gelin, n'existent pas; Veliko veut dire grand et Mérimée a dû l'apprendre sur la carte où ce nom figure très souvent; les noms de lieux sont exacts et c'est sans doute d'après une carte géographique que Mérimée indique les divers itinéraires suivis par ses héros.

Que manque-t-il à ce poème pour être sinon véritablement illyrien du moins un pastiche de la poésie illyrienne? Indépendamment d'un peu plus d'exactitude dans le détail, il lui faudrait encore se rapprocher davantage par son inspiration des sources de la poésie populaire serbo-croate. Un poème qui a pour sujet la haine de deux familles ou de plusieurs chefs, est de tous les peuples comme de tous les pays, mais si le chanteur serbe avait traité cette histoire, il lui aurait assurément donné une plus large allure épique et il y aurait mis plus de naïf enthousiasme que ne l'ont les courtes scènes serrées de Mérimée.

§ 5

«VOYAGE EN BOSNIE»—«CHANTS GRECS»

Dans sa lettre au Russe Sobolevsky, Mérimée indique, comme une des sources où il a puisé «la couleur locale tant vantée» de la Guzla, «une petite brochure d'un consul de France à Banialouka», dont il avait oublié le titre. Dans sa préface à la seconde édition de son livre, il cite «une assez bonne statistique des anciennes provinces illyriennes, rédigée, croit-il, par un chef de bureau du Ministère des Affaires étrangères».

En 1901, M. Jean Skerlitch a identifié cet ouvrage[510]. C'est un volume intitulé: Voyage en Bosnie dans les années 1807 et 1808, par M. Amédée Chaumette-Desfossés, consul de France en Prusse; ci-devant chancelier du consulat général de Bosnie, etc., etc.[511] Imprimé à Paris chez Didot en 1812, ce livre ne fut pas mis dans le commerce; sa couverture porte: Berlin, 1812. Dix ans plus tard, l'auteur fit tirer un nouveau titre et réimprima la dernière page (155) au bas de laquelle fut inscrite la mention: Imprimerie de Jules Didot, l'aîné, imprimeur du roi. C'est sans doute cette édition que Mérimée a connue, car c'est la seule où il est dit que M. Desfossés était «ancien rédacteur au département des Affaires étrangères», et «autrefois, chancelier du consulat général de Bosnie». Il faut remarquer que ce consulat était à Travnik et non pas à Banialouka, comme le dit Mérimée.

Chaumette-Desfossés était excellent observateur et son travail sur la Bosnie abonde en documents de premier ordre, relatifs à la géographie, au commerce, aux institutions et aux coutumes de cette contrée, alors province turque. À l'époque de son séjour à Travnik, le consulat général de France dans cette ville jouait un rôle politique très important et le futur auteur du Voyage en Bosnie dut prendre de nombreuses informations sur le pays et les habitants. Il ne s'agissait rien moins que d'une occupation française de la Bosnie et de son incorporation dans les Provinces Illyriennes. Les grands seigneurs bosniaques—Slaves islamisés—voyaient de mauvais œil l'envoyé du «Grand Napoléon»; une mutuelle méfiance séparait les «Frantzousi» des gouvernants du pays et, pendant un certain temps, le consul n'osa sortir de sa maison; c'est pourquoi Chaumette-Desfossés n'emporta pas un très bon souvenir de Travnik; aussi quelques inévitables exagérations ne doivent-elles pas étonner dans son livre. Voici du reste la peinture qu'il fait des Bosniaques:

La chose qui frappe le plus l'Européen arrivant en Bosnie, c'est l'abord dur et les regards farouches des habitants de Bosna-Séray, de Travnik et des villes de confins. La situation de cette province, frontière des états de l'empereur d'Autriche et de ceux de Venise, avec lesquels elle était habituellement en guerre, avait rendu les Bosniaques très méfiants vis-à-vis de ceux qui se présentaient sur leur territoire. Tout étranger qui s'arrêtait plus de trois jours dans un endroit, sans en avoir la permission des autorités turques, était pendu comme espion; et, ce qui prouve l'inhospitalité des naturels, c'est que, quoique beaucoup d'entre eux soient intéressés dans le commerce des marchandises qu'ils tirent d'Allemagne ou de Dalmatie, aucun négociant de ces derniers pays n'a jamais osé s'établir chez eux. Le commerce d'échange se fait par des marchés, établis sur les frontières, à des jours fixés dans chaque semaine.

Au reste, cette férocité des habitants paraît moins extraordinaire à celui qui connaît leur manière de se nourrir. Leur régime se compose principalement de crudités, d'aliments salés et d'eau-de-vie: toutes choses très propres à exciter l'effervescence et l'âcreté du sang. Quand un Bosniaque se lève, il commence par boire un grand verre d'eau-de-vie de prunes sauvages (slibovitç). Un peu avant le dîner, il en boit au moins deux autres, en mangeant des pâtisseries. Pour étouffer la chaleur épouvantable que cette boisson lui donne à l'estomac, il dévore son potage à l'oignon et aux navets, coupés par petits morceaux, et sans pain; son ragoût horrible de viande de mouton fumée grossièrement (paçterma) et ses choux aigres. On sert ensuite une copieuse soupe aux haricots; et le repas finit par un renouvellement de boisson d'eau-de-vie. Tel est le dîner habituel dans la mauvaise saison. En été, les Bosniaques ne vivent presque que de melons d'eau, de concombres, etc., qu'ils mangent crus. C'est mettre de la cérémonie dans un festin que d'y servir un agneau rôti à la manière turque, c'est-à-dire tout entier, et farci de riz avec les intestins hachés. Les naturels boivent peu d'eau. Ils prétendent que sa crudité occasionne des coliques, donne des goitres et fait tomber les dents: ce qui peut être vrai pour les eaux de source. C'est apparemment pour obvier à ce mal qu'ils boivent tant d'eau-de-vie, qu'on peut regarder cette liqueur comme la principale boisson du pays, et que l'on accoutume un jeune homme à en user, comme ses pères, du moment qu'il atteint l'âge de puberté[512].

Évidemment, Chaumette-Desfossés exagérait. L'ivrognerie, sans doute, n'est pas rare chez les Serbo-Croates; elle n'est pas pour autant un vice général dont la nation tout entière se trouve profondément atteinte. Toutefois, les fiers cochons bosniaques[513] de Chaumette séduisirent Mérimée et il fit couler à pleins bords l'eau-de-vie de prunes dans la Guzla.

Quant aux informations culinaires que donne l'auteur du Voyage en Bosnie, Mérimée n'oublia pas de les mettre à contribution à l'occasion de ses ballades; c'est ainsi qu'il parle plusieurs fois de «l'agneau cuit»; il explique même ce que c'est que ce mets, dans les notes qui accompagnent la Querelle de Lepa et de Tchernyegor: «Mot à mot, dit-il, du mouton fumé assaisonné avec des choux; c'est ce que les Illyriens nomment paçterma[514].» Mais c'étaient là des emprunts peu considérables. Ce qui est plus important, c'est que Mérimée trouve chez Chaumette-Desfossés cette idée de la férocité des Illyriens qu'il avait déjà introduite dans l'Aubépine de Veliko; de plus, le Voyage en Bosnie lui donne certains détails sur l'histoire de ce pays qu'il est heureux de pouvoir exploiter. Comme Fortis, mais moins que Fortis, nous le verrons, Chaumette-Desfossés fournit à Mérimée les renseignements qu'il insère dans ses longues notes, et quelquefois des motifs pour ses ballades[515].

VOYAGE EN BOSNIE: LA GUZLA:

[1460]… Peu après, Thomas fut Thomas Ier, roi de Bosnie, fut assassiné par ses deux fils naturels, assassiné secrètement, en 1460, Étienne et Radivoï. par ses deux fils Étienne et Radivoï. Le premier fut couronné Étienne, l'un des meurtriers, fut sous le nom de Étienne-Thomas couronné sous le nom d'Étienne Thomas II; c'est le héros de cette II, sans que son parricide fût connu. ballade. Radivoï, furieux de se Radivoï, se voyant exclu du trône, voir exclu du trône, révéla le révéla le crime du roi et le sien. crime d'Étienne et le sien, et Cette découverte, en rendant le roi alla ensuite chercher un asile odieux, ne l'empêcha pourtant pas de auprès de Mahomet. régner. Mais la fortune l'abandonna bientôt. L'évêque de Modrussa, légat L'évêque de Modrussa, légat du apostolique de la cour de Rome en pape en Bosnie, persuada à Bosnie, persuada à Thomas II qu'il Thomas II que le meilleur moyen devait cesser de payer aux Turcs le de se racheter de son parricide tribut qu'ils avaient imposé sur le était de faire la guerre aux royaume. Mahomet II, irrité, vint Turcs. fondre sur la Bosnie, à la tête d'une armée formidable. On prétend que, dans cette occasion, les hérétiques paterniens et les Grecs [lisez: Serbes orthodoxes], aigris depuis longtemps par les persécutions des Catholiques, ne firent aucune résistance. Quoi qu'il en soit, le royaume dévasté n'offrit bientôt que l'image d'un Elle fut fatale aux Chrétiens: désert. Le roi, contraint à se Mahomet ravagea le royaume et réfugier dans la forteresse de Kloutch, assiégea Thomas dans le château y fut assiégé par les Ottomans. Il de Kloutch en Croatie, où il était réduit à l'extrémité, lorsque s'était réfugié. Trouvant que la Mahomet lui offrit la paix, ainsi qu'à force ouverte ne le menait pas tous les grands, sous la condition de assez promptement à son but, le lui prêter serment de fidélité, et de sultan offrit à Thomas de lui lui payer l'ancien tribut. Ces offres accorder la paix, sous la avantageuses ne pouvaient être condition qu'il lui paierait rejetées. Thomas II, suivi des seulement l'ancien tribut. principaux de sa cour, se rendit au Thomas II, déjà réduit à camp de l'empereur ottoman. Arrivés là, l'extrémité, accepta ces on leur signifia que, pour première conditions et se rendit au camp preuve de sincérité, ils eussent à se des infidèles. Il fut aussitôt faire circoncire et à professer arrêté, et sur son refus de se l'islamisme. Tous ceux qui ne prirent faire circoncire son barbare pas ce parti, éprouvèrent une mort vainqueur le fit écorcher vif et cruelle. Le roi fut de ce nombre. On achever à coups de flèches. frémit d'horreur au récit de son supplice. Après avoir été écorché vif, on le lia à un pieu, où il servit de but aux flèches des Turcs. Par sa mort, les Ottomans, restés maîtres du royaume, y établirent un Bèylerbèy. Cette forme de gouvernement subsiste encore aujourd'hui.

Des informations qui lui étaient données, Mérimée a tiré la courte notice que nous avons mise en regard du texte de Chaumette-Desfossés. Sèche et brève, elle contient ce qu'il y a d'essentiel dans le récit du consul; elle est faite pour éclairer le lecteur sur les origines de ce drame sanglant et sur le drame lui-même dont Mérimée s'est proposé d'illustrer certaines phases; car, avec son extraordinaire puissance d'évocation, il a vu se dérouler l'horrible tragédie dans le palais de Thomas Ier; il a su se représenter les tourments affreux, les terreurs de l'âme du parricide; il a compris qu'un tel crime devait être expié d'épouvantable façon; la main de Dieu devait conduire la vengeance; mieux que cela, il a su donner la vie à ce roi meurtrier dont l'ambition ne recule pas devant le forfait le plus abominable et qui reste cependant bon chrétien.

Séduit par le pathétique de cette histoire, il l'a conçue un peu à la façon d'une épopée où le sang coule à flots, où les passions sont violentes, les crimes inouïs. Mais il avait l'haleine trop courte pour créer un poème d'une telle envergure; il s'est borné à en décrire quelques scènes, à peindre quelques tableaux. À ce Thomas II, roi de Bosnie, personnage absolument inconnu dans la tradition populaire, Mérimée consacre quatre ballades qui sont comme les fragments d'un grand poème: la Mort de Thomas II, la Vision de Thomas II, le Combat de Zenitza-Velika et le Cheval de Thomas II.

Dans ces ballades, suivant sa manière habituelle, il a mis en œuvre l'idée que lui avait suggérée Chaumette, en s'inspirant de récits ou de scènes analogues, trouvées çà et là au hasard de ses lectures. Dans la Vision de Thomas II, il ébauche sa nouvelle: la Vision de Charles XI, qui est, on le sait, fondée sur un récit du colonel Gustafson, roi détrôné de Suède[516]. Nous n'avons pu découvrir à quelle autre source que Chaumette l'auteur de la Guzla a puisé l'inspiration de la première et de la troisième ballade; aussi nous contenterons-nous de dire que le récit, dans la Mort de Thomas II[517], affecte un tel air de simplicité qu'il n'est pas impossible qu'il y ait là une influence directe des livres saints:

Alors les mécréants leur coupèrent la tête, et ils mirent la tête d'Étienne au bout d'une lance, et un Tartare la porta près de la muraille en criant: «Thomas! Thomas! voici la tête de ton fils. Comme nous avons fait à ton fils, ainsi te ferons-nous!» Et le Roi déchira sa robe et se coucha sur de la cendre, et il refusa de manger pendant trois jours…

Et les murailles de Kloutch étaient tellement criblées de boulets qu'elles ressemblaient à un rayon de miel, et nul n'osait lever la tête seulement pour regarder, tant ils lançaient de flèches et de boulets qui tuaient et blessaient les Chrétiens. Et les Grecs et ceux qui se faisaient appeler «agréables à Dieu» nous ont trahis, et ils se sont rendus à Mahomet

Pour ce qui est de la troisième, le Combat de Zenitza-Velika[518], c'est le combat fameux de un contre plusieurs, de dix contre cent; le combat qu'on trouve dans toutes les histoires et dans toutes les littératures; la Grèce a eu Léonidas et ses trois cents Spartiates, Rome les trois cents Fabius au Crémère; en France Roland à Roncevaux, l'Illyrie fantaisiste de Mérimée aura Radivoï et ses vingt cousins.

Dans la quatrième, le Cheval de Thomas II, Mérimée brode sur un thème des plus connus dans la poésie populaire de toutes les nations: l'attachement du cheval à son maître. Nous connaissons Xanthos le cheval d'Achille, le poulain Babiéca du Cid; le héros des chants serbes Marko Kraliévitch a son cheval Charatz; ne fallait-il pas que Thomas II eût son cheval aussi? Mérimée a appris que les chevaux parlent souvent, de Fauriel, dans les Chants grecs.

Vévros et son cheval. Le Cheval de Thomas II.

À Vardari, à Vardari,—dans la plaine «Pourquoi pleures-tu, mon beau de Vardari,—Vévros, las! était cheval blanc? pourquoi hennis-tu gisant;—et son cheval moreau lui dit: douloureusement? N'es-tu pas «Lève-toi, mon maître, et cheminons; harnaché assez richement à ton voilà notre compagnie qui s'en gré? n'as-tu pas des fers va.»—«Je ne puis cheminer, mon d'argent avec des clous d'or? moreau;—je vais mourir.—Viens creuse n'as-tu pas des sonnettes la terre avec tes pieds,—avec tes d'argent à ton cou? et ne fers d'argent; enlève-moi avec tes portes-tu pas le Roi de la dents,—et dans la terre fertile Bosnie?»—«Je pleure, jette-moi,—puis prends aussi mon mon maître, parce que l'infidèle mouchoir—et le porte à ma belle m'ôtera mes fers d'argent et mes amie,—pour qu'elle me pleure sonnettes d'argent. Et je en le voyant[519]…» hennis, mon maître, parce que avec la peau du Roi de Bosnie le mécréant doit me faire une selle[520].»

Que Mérimée ait songé à Fauriel quand il composa sa ballade, c'est chose sûre, car trente ans plus tard, parlant de la poésie albanaise, il va dire: «On notera que les sabres et les chevaux qui parlent sont fréquents dans les ballades des klephtes[521].»

Comme le cheval de Vévros, le cheval de Thomas II a des fers d'argent; il est vrai que tous les chevaux que chante la poésie populaire ont tous, ou à peu près tous, des fers d'argent, une parure recherchée[522]: ces nobles bêtes aiment le panache. Toutefois l'on peut dire que, guidé par Fauriel, Mérimée approche, autant que faire se pouvait, du véritable esprit de la poésie populaire en général et de la poésie populaire serbe en particulier. Voici, par exemple, le commencement d'une pièce intitulée la Mort de Marko Kraliévitch:

Marko Kraliévitch était parti de bonne heure, un dimanche; avant le lever du soleil, il était au pied du mont Ourvina. Tandis qu'il le gravissait, Charatz, sous lui, commença à chopper, à chopper et à verser des larmes. Cela causa à Marko un grand trouble: «Qu'est cela, Charatz? dit-il; qu'est-ce, mon bon cheval? Voilà cent cinquante années que nous sommes ensemble; jamais encore tu n'avais bronché, et voilà que tu commences à broncher et à verser des larmes! Dieu le sait, il n'arrivera rien de bon; il va y aller de quelque tête, soit de la tienne, ou de la mienne.» Marko ainsi discourait, quand la Vila s'écrie du milieu de la montagne, appelant Marko: «Mon frère, dit-elle, Marko Kraliévitch, sais-tu pourquoi ton cheval bronche? Charatz s'afflige sur son maître, car vous allez bientôt vous séparer.» Mais Marko répond à la Vila: «Blanche Vila, puisse ton gosier devenir muet! Comment pourrais-je me séparer de Charatz, quand j'ai parcouru la terre à ses côtés, que je l'ai visitée de l'orient à l'occident, et qu'il ne s'y trouve point un meilleur coursier ni un héros qui l'emporte sur moi? Je ne pense point quitter Charatz, tant que ma tête sera sur mes épaules.—Mon frère, reprend la blanche Vila, personne ne t'enlèvera Charatz; et pour toi, tu ne peux mourir, ni de la main d'un guerrier, ni sous les coups du sabre tranchant, de la massue ou de la lance de guerre; car tu ne crains sur la terre aucun guerrier. Mais tu dois mourir, Marko, de la main de Dieu, l'antique tueur[523].»

En tous pays la poésie populaire se ressemble; le cheval, compagnon inséparable des héros qu'elle chante, s'y retrouve loué pour les mêmes qualités et pour les mêmes services. Nous comprendrons donc que Mérimée traitant d'un pareil sujet ait atteint tout naturellement au ton de la vraie poésie populaire serbo-croate.

Qu'est-ce donc que fait la valeur littéraire de ces poèmes si les sujets n'en sont pas nouveaux? Hâtons-nous de le dire, c'est la manière dont ils sont traités. Sous les murs de la forteresse de Kloutch nous assistons à un véritable combat avec tous ses épisodes, tels qu'on peut les imaginer dans ces temps où l'on se battait presque corps à corps; ce père qui du haut des murailles voit la tête tranchée de son fils, promenée au bout d'une pique; ce mur tout «percé de boulets comme un rayon de miel»; la trahison; les injures que s'adressent les adversaires en présence: tout cela donne l'illusion de la réalité. Le récit est court et rapide; il nous fait passer d'émotions en émotions; trois scènes des plus dramatiques en quelques lignes: l'apparition saisissante du spectre, l'entrevue du roi avec Mahomet II, la mort du parricide; et il semble que rien n'y manque. Peut-on mettre plus de couleur et plus de vie dans ce bref exposé de la bataille de Zenitza-Velika:—«Quand les Dalmates ont vu nos étendards de soie jaune, ils ont relevé leurs moustaches, ils ont mis leurs bonnets sur l'oreille»… Gestes fanfarons avec lesquels leur lâcheté fera un singulier contraste; le scintillement des sabres, le hennissement des chevaux, la fuite précipitée des poltrons insolents; le serment de vaincre ou de mourir qui fait songer à la vieille garde, fout cela est noté avec une rare précision et une sobriété admirable.

Ce cheval avec ses fers d’argent et ses clous d’or, ses sonnettes d’argent qui parent son collier, éveille en nous l’idée de ces beaux chevaux arabes si fiers de leur parure. Quoi de plus dramatique que l’antithèse que fait la réponse de l’animal avec l’interrogation du maître: «Et je hennis, mon maître, parce qu’avec la peau du roi de Bosnie le mécréant doit me faire une selle.»

Cette attention à soigner le détail, à mettre une image ou une intention dans presque tous les mots, nous l’avons dit et nous le redirons encore, Mérimée l’apporte jusque dans les notes; et c’est ce qui fait la valeur et le fini de ses ouvrages.

Donnons quelques exemples:

«Un Catholique, en voyant passer un Grec, ne manque pas de lâcher un pàsa vjerro (foi de chien), et d’en recevoir l’équivalent», dit Chaumette-Desfossés[524]. «Les Grecs et les catholiques romains se damnent à qui mieux mieux», dit Mérimée[525]; on croirait les entendre.

Ce fut pendant cet intervalle que l’hérésie des Paterniens se propagea en Bosnie. Ces sectaires, qui se donnaient le nom de Bogou-Mili (agréables à Dieu), excitèrent plusieurs guerres civiles par leur grand nombre et leur fanatisme, et finirent par causer la ruine de leur patrie… Leurs principales erreurs consistaient à regarder l’homme comme l’ouvrage et le séjour du démon, à rejeter les prêtres, l’eucharistie, et presque tous les livres de la Bible. Ils disaient encore que, pour être sauvé, il suffisait d’avoir la volonté d’être baptisé. On entrevoit dans ce dernier principe la raison de leur facilité à embrasser l’islamisme[526].

Mérimée traduit par des actes les effets funestes de cette hérésie: «Et les Grecs et ceux qui se faisaient appeler agréables à Dieu nous ont trahis et ils se sont rendus à Mahomet, et ils travaillaient à saper les murailles.» Et dans une note il s'explique; il n'y a pas besoin d'être grand clerc pour le comprendre, ni d'être très versé dans les questions de théologie; c'est très simple: les Paterniens considèrent que tous les hommes sont les enfants du diable: «En illyrique, bogou-mili; c'est le nom que se donnaient les Paterniens. Leur hérésie consistait à regarder l'homme comme l'œuvre du diable, à rejeter presque tous les livres de la Bible, enfin à se passer de prêtres[527].» Voici une bonne explication, facile à comprendre pour tout lecteur qui, comme Mérimée, se soucie peu des questions de dogmes.

C'est ainsi qu'il communique la vie à tout ce qu'il doit aux autres; une vie qui ne vient que de lui. Il prend son bien où il le trouve, mais il lui imprime sa propre marque, toujours reconnaissable.

CHAPITRE V

Fortis, «La Divine Comédie», Quelques Autres Sources.

§ 1. Les Illyriens de Fortis.—§ 2. Les ballades des heyduques. Les Braves Heyduques: une scène dantesque. Chant de Mort: un vocero morlaque.—§ 3. La vie domestique dans la Guzla: l'Amante de Dannisich. De la différence qu'il y a entre cette pièce et la véritable poésie serbe.—§ 4. La vie domestique dans la Guzla: ballades sur les pobratimi—§ 5. Les Monténégrins. Les Français dans la poésie populaire serbo-croate.—§ 6. La source de Hadagny.—§ 7. Une note nouvelle: Venise; Barcarolle—§ 8. Théocrite et les auteurs classiques: le Morlaque à Venise; Impromptu.

Le Voyage en Dalmatie de l'abbé Fortis est l'une des sources de la Guzla; l'auteur de ce dernier ouvrage n'a pas craint de nous le dire, et par deux fois: d'abord dans sa lettre à Sobolevsky en 1835, puis dans la préface à la nouvelle édition de 1842, préface qui fut écrite en 1840. Mais cet aveu paraît si peu sincère, Mérimée affecte un air si dédaigneux à l'égard du bon abbé, que le lecteur non prévenu juge sa dette insignifiante et volontiers croirait à une «nouvelle mystification». Eugène de Mirecourt,—qu'on nous permette de le citer, bien que plus d'une légende lancée par lui trouve encore crédit de nos jours,—Eugène de Mirecourt, disons-nous, nous assure avec son beau sang-froid que, pour sa part, il ne voit pas «franchement» de quel secours a pu être à Mérimée le Voyage en Dalmatie, «livre indigeste, dit-il, qui ne parle que de métallurgie, de botanique et de géologie[528]». M. Filon, d'autre part, bien qu'il suspecte,—et pour cause!—la sincérité de Mérimée, déclare à son tour le Voyage de Fortis «un bouquin pédant et insipide[529]». Le livre du savant abbé est—qu'il nous soit permis de le dire—bien autre chose qu'un «bouquin pédant et insipide»; et, s'il y est question de «géologie, de botanique et de métallurgie», ce n'est pas là le seul intérêt qu'il présente à qui veut s'instruire.

Il y avait deux façons de suspecter la bonne foi de Mérimée: croire qu'il affectait lui devoir quelque chose, sans qu'il en fût rien, dans le seul but de se couvrir d'une autorité; ou croire enfin qu'en reconnaissant lui avoir fait quelque emprunt, il ne faisait qu'obéir à un scrupule de conscience, sans déclarer toutefois jusqu'à quel point il lui était redevable. C'est l'hypothèse qu'un examen plus attentif de l'ouvrage de Fortis nous a fait admettre comme la plus vraisemblable. Rendons au bon abbé ce qui lui appartient: son deuxième chapitre, celui que Mérimée a mis plus particulièrement à contribution, est un petit chef-d'œuvre dans son genre.

§ 1

LES ILLYRIENS DE FORTIS

Écrit sous la forme d'une lettre adressée à Mylord John Stuart, comte de Bute, ce deuxième chapitre qui traite des «Mœurs des Morlaques[530]» nous donne quantité de renseignements utiles sur la vie privée de ces populations; leurs coutumes, leurs usages, leurs inclinations, leurs fêtes, leurs croyances, leurs rapports entre hommes et femmes sont autant de sujets qui ont attiré l'attention d'un voyageur curieux d'apprendre du nouveau et de faire profiter les autres de ses observations. On trouve dans son livre tout un arsenal d'informations très judicieuses, et qui, si elles ne sont pas toujours exactes, sont le plus souvent notées avec une grande précision et bien faites pour servir de documents à qui veut faire paraître une connaissance approfondie des mœurs et institutions des «Morlaques». Tour à tour l'auteur y parle des origines de ce peuple; de l'étymologie du nom qu'il porte; de la différence qu'il y a entre les montagnards et les habitants des bords de l'Adriatique; puis ce sont les heyduques ou brigands illyriens qu'il nous fait connaître; pour s'étendre ensuite sur les «vertus morales et domestiques» des habitants de ces pays; leurs «amitiés» et leurs «inimitiés»; leurs talents; les arts qu'ils cultivent; «les manières des Morlaques» sont autant de choses que nous apprenons dans son livre; les cérémonies du mariage, l'alimentation, les meubles, les cabanes, l'habillement, les armes, tout cela l'intéresse; il nous parle de la poésie, de la musique, des danses et des jeux; de la médecine; des funérailles enfin;—toute la vie publique et privée des «Morlaques».

Malheureusement, les Serbo-Croates que Fortis avait vus forment une tribu aux confins des contrées habitées par cette nation; leur pays est naturellement isolé; ils mettent tout leur soin à ne pas se laisser pénétrer par les populations voisines. C'est ainsi que Fortis qui croit peindre une nation, peint en réalité certains individus très particuliers; il juge d'après les coutumes toutes locales, les mœurs, les usages, les sentiments de tout un peuple; il croit aller au général, signaler les traits distinctifs d'une race et il ne fait qu'indiquer certaines différences qui existent de province à province. De plus, Fortis, Italien et catholique, en dépit de ses sympathies pour les «Morlaques», ne pouvait juger impartialement un pays que divisait la question des religions et où la sienne se trouvait intéressée, un pays enfin où sa propre nation était détestée. D'autre part, il était littérateur; avec beaucoup de curiosité, il avait le goût du pittoresque plus que les qualités du psychologue; il se laissait prendre à l'extérieur des choses qu'il voyait, sa fantaisie s'y amusait et Fortis était pour beaucoup dans la nature des observations que faisait l'abbé Fortis. Mais il savait infiniment de choses et ce qu'il avait vu il était très capable de le faire voir aux autres. Si ses observations ne sont pas toujours très exactes, elles témoignent néanmoins d'une justesse de vue remarquable à cette époque, pour des choses qui lui étaient étrangères. Il avait accepté dans une large mesure les idées les plus nouvelles; ses amis d'Angleterre, nous l'avons vu, avaient réussi à lui donner quelque goût pour la poésie populaire; il était donc homme à comprendre un peuple «primitif». Sans nier les cruautés, les excès abominables qu'on peut voir en Dalmatie, il prend la défense du peuple «morlaque», qui n'est pas responsable, dit-il, des atrocités commises par quelques individus corrompus. Cet état de corruption d'une certaine catégorie de gens, il l'explique; il nous dit pourquoi il y a des heyduques, des outlaw serbes, qu'un concours de circonstances a jetés dans cette vie irrégulière: ce furent les guerres continuelles avec les Turcs, ce voisinage d'une nation sanguinaire et cruelle, qui, peu à peu, ont développé en eux des instincts de férocité, le goût d'une existence aventureuse, pleine de périls, de misères, mais libre et indépendante. «Mais quelles troupes, se demande-t-il, revenues d'une guerre, qui semble autoriser foutes les violences contre un ennemi, n'ont pas peuplé les forêts et les grands chemins de voleurs et de meurtriers[531]?» Il laisse entrevoir—on ne peut s'y méprendre—que ce peuple barbare est bon, hospitalier, très ouvert et même naïf, qu'il ne manque pas de sentiments humains, de vertus domestiques, d'intelligence naturelle; que ses institutions sont primitives, mais non immorales. «Je crois devoir une apologie à une nation qui m'a fait un si bon accueil, et qui m'a traité avec tant d'humanité. À cet effet, je n'ai qu'à raconter sincèrement ce que j'ai observé de ses mœurs et de ses coutumes. Mon récit doit paraître d'autant plus impartial que les voyageurs ne sont que trop enclins à grossir les dangers qu'ils ont courus dans les pays qui ont fait l'objet de leurs recherches.»

Ce trésor si abondant de renseignements de toute nature que lui donnait Fortis, Mérimée l'a mis largement au pillage. Quels sont ces emprunts, sinon tous, du moins les principaux? De quelle manière s'est-il assimilé tout ce qu'il devait à son informateur? C'est ce qui maintenant nous intéresse. Remarquons toutefois, avant d'aborder la question, que Mérimée était par avance condamné à reproduire et même à accuser toutes les inexactitudes qu'il allait trouver dans le Voyage[532].

§ 2

LES BALLADES DES HEYDUQUES

Les heyduques jouent un rôle important dans la Guzla. Aussi convient-il de rappeler ici qu'il ne faut pas confondre, surtout à l'origine, les bandits ou heyduques de l'histoire et de la poésie serbes avec les vulgaires détrousseurs de grands chemins. Ce nom d'heyduque, on doit le prendre dans son sens étymologique d'homme mis ou qui s'est mis volontairement hors la loi politique plutôt que civile[533]. Comme les klephtes chez les Grecs, les heyduques ont joué sous la domination turque un rôle important dans l'histoire nationale et sociale des Slaves balkaniques.

«Notre nation, dit Karadjitch dans son Dictionnaire serbe, est persuadée et elle exprime cette croyance dans ses chants—que l'existence des heyduques a été le résultat de la violence et des injustices des Turcs. Admettons que quelques-uns d'entre eux le soient devenus sans y être contraints par la nécessité, poussés par le désir de porter des habits et un équipement à leur convenance ou d'exercer une vengeance particulière; il n'en est pas moins hors de doute que plus le pouvoir ottoman a été doux et humain, moins il y a eu d'heyduques, et plus il s'est montré inique et cruel, plus leur nombre a été grand, et de là vient qu'il y a eu parfois parmi eux des gens fort honorables et même, à l'origine de la domination turque, on a compté dans leurs rangs des seigneurs et des gentilshommes de distinction.

«Il est vrai que beaucoup ne se jettent point dans la montagne dans l'intention de commettre des crimes, mais quand une fois un homme, surtout sans éducation, se sépare de la société et s'affranchit de toute autorité, il est bientôt entraîné par la contagion de l'exemple; c'est ainsi que les heyduques font du mal à leurs compatriotes qui les aiment, en comparaison des Turcs, et les plaignent; et c'est encore aujourd'hui [1818] faire à un heyduque la plus grande injure et le plus mortel outrage que de le traiter de voleur et de chauffeur.»

Ces bandits-patriotes ont inspiré très souvent les chanteurs serbes, et ils occupent une large place dans la collection de Karadjitch. Voici les noms, recueillis par la poésie, de quelques-uns de ces aventuriers, dont plusieurs ont péri dans d'atroces supplices: Starina Novak et ses fils (XVe siècle), Yanko de Kotar et son fils Stoïan Yankovitch (XVIIe siècle), Ivo de Sègne, Mihat le berger, Mato le Croate, Rade de Sokol, Voukossav, Louka Golovran, Vouïadine et ses fils, Ivan Vichnitch, Baïo de Piva et d'autres[534].

Mérimée, sans avoir connu leurs exploits, fait cependant aux heyduques une place d'honneur dans la Guzla. Nous avons vu que, s'inspirant de Nodier, il s'était déjà exercé à en parler dans l'Aubépine de Veliko. Mais, peu renseigné, il s'était alors borné à faire quelques vagues allusions à ceux qui devaient être les héros de deux nouvelles ballades.

C'est après avoir lu plus attentivement une page de Fortis qu'il les écrivit; et l'on peut dire que mieux documenté il a su mettre dans ses historiettes plus de couleur. Cette page la voici:

Le plus grand danger à craindre vient de la quantité des heyduques, qui se retirent dans les cavernes et dans les forêts de ces montagnes rudes et sauvages. Il ne faut pas cependant s'épouvanter trop de ce danger. Pour voyager sûrement dans ces contrées désertes, le meilleur moyen est précisément de se faire accompagner par quelques-uns de ces honnêtes gens (galantuomini), incapables d'une trahison. On ne doit pas s'effaroucher, par la réflexion que ce sont des bandits: quand on examine les causes de leur triste situation, on découvre, à l'ordinaire, des cas plus propres à inspirer de la pitié que de la défiance. Si ces malheureux, dont le nombre augmente sans mesure, avaient une âme plus noire, il faudrait plaindre le sort des habitants des villes maritimes de la Dalmatie. Ces heyduques mènent une vie semblable à celle des loups; errant parmi des précipices presque inaccessibles; grimpant de rochers en rochers pour découvrir de loin leur proie; languissant dans le creux des montagnes désertes et des cavernes les plus affreuses; agités par des soupçons continuels; exposés aux mauvais temps; privés souvent de la nourriture, ou obligés de risquer leur vie afin de la conserver. On ne devrait attendre que des actions violentes et atroces de la part de ces hommes devenus sauvages et irrités par le sentiment continuel de leur misère: mais on est surpris de ne les voir entreprendre jamais rien contre ceux qu'ils regardent comme les auteurs de leurs calamités, respecter les lieux habités, et être les fidèles compagnons des voyageurs. Leurs rapines ont pour objet le gros et le menu bétail, qu'ils traînent dans leurs cavernes, se nourrissent de la viande et gardent les peaux pour se faire des souliers… Il faut remarquer que les opanké (souliers) sont de la nécessité la plus indispensable à ces malheureux, condamnés à mener une vie errante dans les lieux les plus âpres, qui manquent d'herbe et de terre, et qui sont couverts par les débris tranchants des rochers. La faim chasse quelquefois ces heyduques de leurs repaires, et les rapproche des cabanes des bergers, où ils prennent par force des vivres quand on les leur refuse. Dans des cas semblables, le tort est du côté de celui qui résiste. Le courage de ces gens est en proportion de leurs besoins et de leur dure vie. Quatre heyduques ne craignent pas d'attaquer et réussissent, à l'ordinaire, à piller et à battre une caravane de quinze à vingt Turcs. Quand les pandours prennent un heyduque, ils ne lient pas, comme on fait dans le reste de l'Europe: ils coupent le cordon de sa longue culotte, qui, tombant sur ses talons, l'empêche de se sauver et de courir[535]…

Toutes ces informations, Mérimée se les rappelle au moment où elles lui deviennent nécessaires; et, d'abord, son poète Maglanovich n'est pas un poète ordinaire, un songe-creux, qui ne sait qu'arranger des mots ensemble; avant de promener sur la guzla l'archet qui lui sert à en tirer des sons tantôt gémissants et plaintifs, et tantôt frémissants comme les éclats d'une violente colère, Maglanovich a manié d'autres instruments et plus d'un pandour est tombé sous son hanzar redoutable. La guzla du vieux chanteur dit toutes les passions qui jadis ont agité le cœur de l'heyduque jeune et vaillant que fut Maglanovich. C'est sa vie qu'il chante ce vieillard, ses passions et ses haines, ses compagnons, ses combats d'autrefois; il est sincère en chantant ses héros, car leur vie est la sienne, et, tout ce qu'ils ont fait, il aurait pu le faire.

Par deux fois, il a célébré ses anciens compagnons: dans les Braves
Heyduques
et dans le Chant de Mort.

LES BRAVES HEYDUQUES[536].—Comme Fauriel, Mérimée ne se donne pas seulement pour le traducteur de son poète, il en est également le commentateur; nous l'avons déjà vu, il se charge de faire savoir au lecteur tout ce que celui-ci pourrait ne pas connaître. Or, cette fois, toute sa science il la doit à Fortis; aussi est-ce dans les notes que nous chercherons, tout d'abord, à nous rendre compte de la dette qu'il a contractée envers l'auteur du Voyage.

C'est d'après Fortis qu'il dépeint les heyduques, et dans le tableau qu'il en fait il se montre très fidèle à son guide qu'il suit, pour ainsi dire, pas à pas; l'exemple suivant est bien fait pour rendre sensible la manière dont Mérimée emprunte et s'approprie les renseignements qui se trouvent à sa disposition:

VOYAGE EN DALMATIE: LA GUZLA:

Quand les pandours prennent un Lorsque les pandours ont fait
heyduque, ils ne le lient pas, comme on un prisonnier, ils le
fait dans le reste de l'Europe: ils conduisent d'une façon assez
coupent le cordon de sa longue culotte, singulière. Après lui avoir ôté
qui, tombant sur ses talons, l'empêche ses armes, ils se contentent de
de se sauver et de courir. couper le cordon qui attache sa
                                        culotte, et la lui laissent
                                        pendre sur les jarrets. On sent
                                        que le pauvre heyduque est
                                        obligé de marcher très
                                        lentement, de peur de tomber sur
                                        le nez.

Où Fortis, en curieux, n'avait noté qu'une coutume au moins étrange, Mérimée, lui, nous fait voir un petit tableau plein de saveur et de piquant. Et d'abord, il a l'habileté de mettre en éveil la curiosité de son lecteur: «Lorsque les pandours ont fait un prisonnier, ils le conduisent d'une façon assez singulière.» Puis il nous les montre dépouillant leur prisonnier de ses armes et… coupant le cordon qui retient sa culotte; enfin il a la charité toute chrétienne de plaindre le pauvre heyduque qui «est obligé de marcher très lentement de peur de tomber sur le nez». Fortis, au chapitre consacré à la Médecine des Morlaques, nous dit que les Dalmates savent très bien remettre les membres disloqués et fracturés; c'est toute une opération chirurgicale à laquelle nous fait assister Mérimée: «Un jeune homme, s'étant laissé tomber du haut d'un rocher, avait eu les jambes et les cuisses fracturées en cinq ou six endroits, etc.» C'est à ces petites choses que se reconnaît le talent de l'artiste; où l'un se contentait d'exposer clairement l'objet de sa remarque, l'autre fait plus: en s'adressant à notre imagination, il nous invite à nous arrêter un moment sur ce dont il est frappé.

Voyons maintenant, au cours du récit lui-même, comment Mérimée, pour donner à son poème plus de couleur locale, sait mêler, à d'autres inspirations plus poétiques, les documents qu'il doit à Fortis. Il a fait pour les Braves Heyduques ce qu'il avait fait pour l'Aubépine de Veliko, mais cette fois-ci le Dante a fourni le fond de l'histoire; Mérimée s'inspire de l'épisode du comte Ugolin. De la tour du Dante, il transporte la scène dans une caverne—car les cavernes sont les repaires des heyduques, nous apprend Fortis. Du reste voici les textes:

L'ENFER, chant XXXIII: LA GUZLA, pp67-69.

Déjà ils étaient réveillés, et l'heure Dans une caverne, couché sur des approchait où l'on nous apportait notre cailloux aigus, est un brave nourriture, et chacun de nous tremblait heyduque, Christich Mladin[537]. de son rêve, quand j'entendis clouer À côté de lui est sa femme, la sous moi la porte de l'horrible tour; belle Catherine, à ses pieds ses alors je regardais fixement mes enfants deux braves fils. Depuis trois sans prononcer un mot. Je ne pleurais jours ils sont dans cette pas; mon cœur était devenu de pierre. caverne sans manger; car leurs Ils pleuraient, eux, et mon Anselmuccio ennemis gardent tous les me dit:—Tu me regardes ainsi, père, passages de la montagne, et, qu'as-tu? s'ils lèvent la tête, cent fusils se dirigent contre eux. Cependant je ne pleurais pas, je ne Ils ont tellement soif que leur répondis pas, tout ce jour ni la nuit langue est noire et gonflée, car suivante, jusqu'à ce que le soleil se ils n'ont pour boire qu'un peu leva de nouveau sur le monde. Comme un d'eau croupie dans le creux d'un faible rayon se fut glissé dans la rocher. Cependant pas un n'a osé prison douloureuse, et que j'eus faire entendre une plainte, car reconnu mon propre aspect sur leurs ils craignaient de déplaire à quatre visages, _je me mordis les deux Christich Mladin. Quand trois ans. C'est un grand homme, vert et homme_ de cinquante ans environ, mains de douleur, et mes enfants jours furent écoulés, Catherine croyant que c'était de faim, se s'écria: «Que la sainte Vierge levèrent tout à coup en disant:—Ô ait pitié de vous, et qu'elle père! il nous sera moins douloureux si vous venge de vos ennemis!» tu manges de nous: tu nous a vêtus de Alors elle a poussé un soupir, ces misérables chairs, dépouille nous et elle est morte. Christich en. Mladin a regardé le cadavre d'un œil sec; mais ses deux fils Lorsque nous atteignîmes le quatrième essuyaient leurs larmes quand jour, Gaddo se jeta étendu à mes pieds leur père ne les regardait pas. en disant:—Tu ne m'aides pas, mon Le quatrième jour est venu, et père! Là il mourut, et comme tu me le soleil a tari l'eau croupie vois, je les vis tomber tous les trois, dans le creux du rocher. Alors un à un, entre le cinquième et le Christich, l'aîné des fils de sixième jour, et je me mis, déjà Mladin, est devenu fou: il a aveugle, à les chercher à tâtons l'un tiré son hanzar[538], et il après l'autre, et je les appelai regardait le cadavre de sa mère pendant trois jours alors qu'ils avec des yeux comme ceux d'un étaient déjà morts… Puis la faim loup auprès d'un agneau. l'emporta sur la douleur. Alexandre, son frère cadet, eut horreur de lui. Il a tiré son Quand il eut achevé, avec les yeux hanzar et s'est percé le bras. hagards, il reprit le crâne misérable «Bois mon sang, Christich, et ne dans ses dents, qui broyaient l'os avec commets pas un crime: quand la rage d'un chien[541]. nous serons tous morts de faim, nous reviendrons sucer le sang de nos ennemis[539].» Mladin s'est levé; il s'est écrié: «Enfants, debout! mieux vaut une belle balle[540] que l'agonie de la faim.» Ils sont descendus tous les trois comme des loups enragés. Chacun a tué dix hommes, chacun a reçu dix balles dans la poitrine. Nos lâches Alors je m'apaisai pour ne pas les ennemis leur ont coupé la tête, contrister davantage; tout ce jour et et quand ils la portaient en l'autre qui suivit nous restâmes tous triomphe, ils osaient à peine la muets. Ah! terre, dure terre, pourquoi regarder, tant ils craignaient ne t'ouvris-tu pas? Christich Mladin et ses fils.

La dette est évidente et fut signalée par trois critiques du temps[542].
Toutefois il faut reconnaître que l'auteur de la Guzla réussit
merveilleusement à combiner le récit de Dante et les renseignements de
Fortis.

De Dante, il tient la terrible tragédie de la faim,—qu'il essaya pendant un certain temps de transformer en tragédie de la soif,—où la bestialité humaine dépasse les scènes les plus horribles de Germinal,—ou de Tamango, si l'on veut;—il lui emprunte même ce développement lent et graduel:

DANTE: MÉRIMÉE:

Déjà… l'heure approchait… Tout ce Depuis trois jours ils sont dans jour et la nuit suivante… Tout ce cette caverne sans manger… jour et l'autre… Lorsque nous Cependant… Quand trois jours atteignîmes le quatrième jour… Entre furent écoulés… Alors… Le le cinquième et le sixième jour… quatrième jour est venu… Alors…

De Dante ensuite, l'anthropophagie, le regard silencieux et effrayant qui se laisse comprendre; enfin, le cadavre. Mais, pour finir sa ballade, Mérimée revint à Fortis, par qui il avait commencé:

FORTIS: MÉRIMÉE:

Ces heyduques mènent une vie… des Alors… Mladin s'est levé, il loups; errant… grimpant… pour s'est écrié: «Enfants, debout! découvrir de loin leur proie… privés mieux vaut une belle balle que souvent de la nourriture… La l'agonie de la faim.» Ils sont faim chasse quelquefois ces heyduques descendus tous les trois comme de leurs repaires… Le courage de ces des loups enragés. _Chacun a gens est en proportion de leurs besoins tué dix hommes, chacun a reçu et de leur vie dure. Quatre heyduques dix balles dans la poitrine. ne craignent pas d'attaquer… une caravane de quinze à vingt Turcs_.

«Chacun a tué dix hommes, chacun a reçu dix balles dans la poitrine!» Le récit est court, sec et froid,—trente-trois morts en treize mots!—mais il est plein d'effet. Le vieux Maglanovich ne s'attendrit pas, ni Mérimée non plus. Les faits se suffisent à eux-mêmes; ils portent en eux toute l'émotion qu'ils doivent provoquer. Rien de plus impersonnel que ce poème. L'auteur a voulu nous donner une impression d'horreur d'abord; nous faire admirer, ensuite, la grandeur sauvage de ces hommes pour qui la mort est si peu de chose; il n'a nullement voulu émouvoir notre pitié. Un souffle dramatique anime tout le récit; un drame épouvantable se déroule sous nos yeux avec des phases horriblement longues et douloureuses, d'autres au contraire sont décrites avec une rapidité effrayante, comme tout cela se serait passé dans la réalité; on ne sait si l'on entend raconter une histoire, ou bien si l'on n'assiste pas véritablement aux événements qui y sont rapportés. On éprouve un sentiment pénible tant il y a d'horreurs accumulées volontairement, avec une froideur cynique: Hyacinthe Maglanovich nous fait peur; qui ne reconnaîtra pas la main de Mérimée dans cette histoire?

Pourtant cette ballade n'est pas sans ressemblance avec les véritables poésies serbes, et M. Jean Skerlitch avait raison de comparer[543] les malheurs de Christich Mladin avec ceux du vieux Vouïadine emmené prisonnier avec ses deux fils par les Turcs à Liévno:

Quand ils furent près de Liévno et qu'ils l'aperçurent, la ville maudite et sa blanche tour, ainsi parla le vieux Vouïadine: «Mes fils, mes faucons, voyez-vous le maudit Liévno et la tour qui y blanchit! c'est là qu'on va vous frapper et vous torturer, briser vos jambes et vos bras, et arracher vos yeux noirs; mes fils, mes faucons, ne montrez point un cœur de veuve, mais faites preuve d'un cœur héroïque; ne trahissez pas un seul de vos compagnons, ni les receleurs chez qui nous avons hiverné, hiverné et laissé nos richesses; ne trahissez point les jeunes tavernières, chez qui nous avons bu du vin vermeil, bu du vin en cachette.» Lorsqu'ils arrivèrent à Liévno, la ville de plaine, les Turcs les mirent en prison et trois jours les y laissèrent, délibérant sur les supplices qu'ils leur infligeraient. Au bout de trois jours blancs, on fit sortir le vieux Vouïadine, on lui rompit les jambes et les bras, et comme on allait lui arracher ses yeux noirs, les Turcs lui dirent: «Révèle-nous, vaurien, vieux Vouïadine, révèle-nous le reste de ta bande, et les receleurs que vous avez visités, chez qui vous avez hiverné, hiverné et laissé vos richesses, dis-nous les jeunes tavernières, chez qui vous buviez du vin vermeil, buviez du vin en cachette.»

Mais le vieux Vouïadine leur répond: «Ne raillez point, Turcs de Liévno; ce que je n'ai point confessé pour sauver mes pieds rapides qui savaient échapper aux chevaux, ce que je n'ai point confessé pour sauver mes mains vaillantes qui brisaient les lances et saisissaient les sabres nus, je ne le dirai point pour mes yeux perfides qui m'induisaient à mal, en me faisant voir du sommet des montagnes, en me faisant voir au bas les chemins par où passaient les Turcs et les marchands[544].»

Il est vrai qu'il manque à la pièce de Mérimée ce sentiment patriotique du chanteur serbe, cette haine nationale et sociale contre «les Turcs et les marchands»; haine qui transforme les cruels bandits de la frontière turco-vénitienne en véritables héros de la race entière, et fait que toute une nation retrouve ses aspirations dans leurs chants emportés,—mais pourtant (grâce à Fortis!) le Christich Mladin de Mérimée ne diffère pas beaucoup de ce vieil heyduque de la ballade serbe; et, par contre, se différencie très sensiblement des heyduques de l'Aubépine de Veliko.

LE CHANT DE MORT[545].—La pièce qui se rattache aux Braves Heyduques , c'est le Chant de Mort. «Ce chant, dit Mérimée dans une note, a été improvisé par Maglanovich, à l'enterrement d'un heyduque son parent, qui s'était brouillé avec la justice et fut tué par les pandours.»

Le Chant de Mort est composé de dix courts couplets de trois lignes de prose qui sont censés correspondre à des strophes de l'original illyrique[546]. Le couplet:

     Adieu, adieu, bon voyage! Cette nuit la lune est dans son
     plein; on voit clair pour trouver son chemin, bon voyage!

se répète trois fois comme une sorte de refrain. Il rappelle singulièrement le célèbre refrain de la Lénore:

—Lénore, vois! la lune nous éclaire; Nous et morts nous voyageons bon train. ………………………. ……………..Vois la _lune _rayonne; Courrons, hourrah tout cède à nos efforts! Les morts vont vite[547]!

Le reste de ce poème contient des commissions données au défunt pour l'autre monde, comme celle-ci:

     Dis à mon père que je me porte bien, que je ne me ressens plus de
     ma blessure, et que ma femme Hélène est accouchée d'un garçon.

Est-il besoin de dire que ce n'est pas Mérimée qui a inventé ce genre de poésie? L'improvisation funèbre qui se débite dans la maison mortuaire,—et non pas à l'enterrement,—près du corps du défunt, est une coutume qui paraît avoir été commune à toute l'humanité et qui subsiste toujours chez les Slaves, en particulier chez les Serbo-Croates. C'est le vocero, qui n'est pas exclusivement corse et dont Fortis parle ainsi au chapitre consacré aux funérailles des Morlaques:

Pendant qu'un mort reste encore dans la maison, sa famille le pleure déjà… Dans ces moments de tristesse, les Morlaques parlent au cadavre et lui donnent sérieusement des commissions pour l'autre monde… Pendant la première année après l'enterrement, les femmes morlaques vont faire de nouvelles lamentations sur le tombeau du mort… Elles lui demandent des nouvelles de l'autre monde et lui adressent souvent les questions les plus singulières[548].

En 1788, comme on a pu le voir déjà, ce passage avait inspiré le vocero illyrique de la comtesse de Rosenberg; mais ni elle, ni Mérimée, cela va sans dire, n'ont réussi à mettre plus de «couleur locale» dans leurs compositions que ne le permettaient les renseignements assez vagues donnés par l'abbé Fortis et que nous venons de citer. Dans ce chant, Mérimée a commis une très grave erreur que les folkloristes ne lui pardonneront pas. Les voceri ne sont jamais débités par les hommes:—surtout par un ancien heyduque!—c'est une occupation—et aussi une profession—réservée aux femmes. Il en est ainsi en Illyrie, comme l'a fort bien dit l'auteur du Voyage en Dalmatie; il en est de même en Corse, nous assure A. Fée[549].

Cependant Maglanovich, ce vieux brave, fait paraître un tel mépris pour la mort, qu'il n'y a pour nous rien d'étrange à le voir se lamenter sur celui qui n'est plus; c'est un ami, un parent qu'il regrette, et non la mort qu'il craint; ses plaintes sont mâles et telles qu'il convient à celui qui jadis, sans souci du danger, exposa sa vie dans maints et maints combats.

Ce qui fait la supériorité de ces deux ballades sur l'Aubépine de Veliko , c'est que Mérimée ne s'est pas contenté d'y répandre une couleur toute artificielle par l'emploi de noms et de dénominations qui nous semblent étranges et par le choix d'un sujet qui fait frémir, mais qu'il a su, à ce qu'il nous paraît, sinon pénétrer tout entière, du moins découvrir certains sentiments de l'âme des «primitifs».

§ 3

LA VIE DOMESTIQUE DANS «LA GUZLA»

Une des choses qui ont le plus frappé Fortis,—et à juste titre,—c'est l'esprit de famille chez les Serbo-Croates. «Ces âmes simples, dit-il, non corrompues par les sociétés que nous appelons civilisées, sont susceptibles d'une délicatesse de sentiment qu'on voit rarement ailleurs.» Observateur intelligent, il avait bien remarqué le rôle important qu'avait joué, dans l'histoire nationale et sociale des Slaves méridionaux, cette organisation patriarcale qui unit quelquefois un village presque entier dans une grande communauté si pleine d'intérêt pour le sociologue moderne[550]. Homme du XVIIIe siècle, idéaliste, Fortis s'était particulièrement enthousiasmé pour cette Illyrie quasi arcadienne que nulle influence étrangère n'avait encore gâtée. C'est ainsi qu'il consacre à la vie intime de ses habitants une très large place dans son chapitre des Mœurs morlaques.

On ne trouve pas tous les renseignements désirables dans ces pages éloquentes de sincérité sinon de vérité. On y rencontre aussi, nous l'avons dit, plus d'une exagération, involontaire mais inévitable chez un voyageur qui par malheur n'a visité qu'une province, un peu particulière, du pays dont il avait voulu peindre les mœurs. Enfin, son ignorance de la langue lui enlevait la plus riche source d'informations à ce sujet: la poésie populaire que Karadjitch appelle «féminine», c'est-à-dire domestique, poésie aussi profondément réaliste que lyrique. Cette ignorance eut de fatales conséquences pour l'écrivain français qui voulut, à l'aide du Voyage en Dalmatie, reconstituer la vie intime des «primitifs» serbo-croates.

En 1788, Mme de Rosenberg, qui avait la sensibilité naturelle d'une femme et qui ne craignait pas de la manifester, souligna,—même plus qu'il n'était nécessaire,—cet esprit de famille, l'un des traits caractéristiques du peuple «morlaque». En effet, dans son roman des Morlaques malgré la sauvagerie dramatique de l'intrigue, l'idylle pleurnichante affaiblit très sensiblement la bonne volonté exotique de l'auteur.

Nodier, bien que sentimental, n'insista jamais trop sur ce point.

Mérimée sut-il être le poète de la famille illyrique?

Il va sans dire qu'il chercha des renseignements chez son informateur italien; il les trouva, ou plutôt il crut les avoir trouvés. Nous avons vu, du reste, qu'il s'en était servi en composant la biographie de son joueur de guzla et qu'il avait très adroitement réussi à mettre quelques détails authentiques,—à côté d'autres qui ne le sont pas,—dans le portrait si vivant d'Hyacinthe Maglanovich. Le caractère cordial et hospitalier du vieux racleur et de sa famille: nous avons indiqué de quelle façon Mérimée l'avait «deviné». Mais, s'il avait été heureux à cette occasion, il le fut moins dans ses ballades qui traitent de la vie domestique, et qui sont véritablement,—au point de vue de la couleur,—les plus faibles du recueil entier. En voici la première, l'Amante de Dannisich.

Eusèbe m'a donné une bague d'or ciselée; Wlodimer m'a donné une toque rouge ornée de médailles; mais Dannisich, je t'aime mieux qu'eux tous.

     Eusèbe a les cheveux noirs et bouclés; Wlodimer a le teint blanc
     comme une jeune femme des montagnes, mais Dannisich, je te trouve
     plus beau qu'eux tous.

     Eusèbe m'a embrassée, et j'ai souri; Wlodimer m'a embrassé, il
     avait l'haleine douce comme la violette; quand Dannisich m'embrasse
     mon cœur tressaille de plaisir.

     Eusèbe sait beaucoup de vieilles chansons, Wlodimer sait faire
     résonner la guzla; j'aime les chansons et la guzla, mais les
     chansons et la guzla de Dannisich.

     Eusèbe a chargé son parrain de me demander en mariage, Wlodimer
     enverra demain le prêtre à mon père; mais viens sous ma fenêtre
     Dannisich et je m'enfuirai avec toi[551].

Cette ballade repose tout entière sur les documents fournis par Fortis; les notes de Mérimée sont toutes empruntées au Voyage.

FORTIS: MÉRIMÉE:

… Par ces badinages commencent à Avant de se marier, les femmes l'ordinaire leurs amours, qui, quand reçoivent des cadeaux de toutes les amants sont d'accord, finissent mains sans que cela tire à souvent par des enlèvements. Il arrive conséquence. Souvent une fille a rarement qu'un Morlaque déshonore une cinq ou six adorateurs, de qui fille ou l'enlève contre sa volonté… elle tire chaque jour quelque Presque toujours une fille fixe présent, sans être obligée de elle-même l'heure et le lieu de son leur donner rien autre que des enlèvement. Elle le fait pour se espérances. Quand ce manège a délivrer d'une foule d'amants auxquels duré ainsi quelque temps, elle a donné peut-être des promesses ou l'amant préféré demande à sa desquels elle a reçu quelques présents belle la permission de galants, comme une bague de laiton, un l'enlever, et elle indique petit couteau ou telle autre bagatelle. toujours l'heure et le lieu de (Voyage en Dalmatie, t. I, pp. l'enlèvement. Au reste, la 100-101.) réputation d'une fille n'en souffre pas du tout, et c'est de Une fille qui donne atteinte à sa cette manière que se font la réputation risque de se voir arracher moitié des mariages morlaques. son bonnet rouge par le curé, en public dans l'église, et d'avoir les cheveux Une toque rouge est pour les coupés par quelque parent, en signe femmes un insigne de virginité. d'infamie. Par cette raison, s'il Une fille qui aurait fait un arrive qu'une fille manque à son faux pas, et qui oserait honneur, elle dépose volontairement les paraître en public avec sa toque marques de sa virginité et quitte son rouge, risquerait de se la voir pays natal. (Page 105.) arracher par un prêtre, et d'avoir ensuite les cheveux Une belle fille morlaque rencontre en coupés par un de ses parents en chemin un compatriote et l'embrasse signe d'infamie. affectueusement sans penser à mal. J'ai vu les femmes, les filles, les jeunes Quand une jeune fille rencontre gens et les vieillards se baiser tous un homme qu'elle a vu une fois, entre eux, à mesure qu'ils elle l'embrasse en l'abordant. s'assemblaient sur la place de l'église; en sorte que toute une ville Si vous demandez l'hospitalité à paraissait composée d'une seule la porte d'une maison, la femme famille. Cent fois j'ai observé la même ou la fille aînée du chose au marché des villes où les propriétaire vient tenir la Morlaques viennent vendre leurs bride de votre cheval et vous denrées. (Page 100.) embrasse aussitôt que vous avez mis pied à terre. Quand un Morlaque voyageur va loger chez un ami ou chez un parent, la fille [En 1817, je passai deux jours aînée de la famille, ou la nouvelle dans sa maison, où il me reçut épouse s'il y en a une dans la maison, avec toutes les marques de la le reçoit en l'embrassant. (Page 84.) joie la plus vive. Sa femme et tous ses enfants et petits-enfants me sautèrent au cou[552]…]

Les femmes morlaques prennent quelque Cette réception est très soin de leurs personnes pendant agréable de la part d'une jeune qu'elles sont libres: mais, après le fille, mais d'une femme mariée mariage, elles s'abandonnent tout de elle a ses désagréments. Il faut suite à la plus grande malpropreté; savoir que, sans doute par excès comme si elles voulaient justifier le de modestie et par mépris pour mépris avec lequel leurs maris les le monde, une femme mariée ne se traitent. (Page 101.) lave presque jamais la figure: aussi toutes sont-elles d'une malpropreté hideuse. (La Guzla, pp. 75-76.)

La plupart des détails relatés par Fortis sont exacts,—excepté toutefois l'histoire de cette toque rouge que les prêtres arrachent aux jeune filles indignes de la porter. Et pourtant, malgré cela, l'Amante de Dannisich ne s'harmonise pas avec le ton de la véritable poésie serbe. Il est évident que, lisant le Voyage, Mérimée ne se rend pas suffisamment compte du caractère moral, des coutumes nationales dont il y est parlé. De là chez la jeune fille morlaque cette habileté montmartroise à tirer chaque jour quelque présent de se adorateurs, de là ce beau cynisme naïf avec lequel elle s'en vante; de là, enfin, cette note de sensualité tout à fait étrangère à la poésie populaire serbe[553] et qui a choqué tous les lecteurs slaves de la Guzla[554].

Le fait est que la jeune fille serbe, comme, du reste, la jeune fille orientale, se distingue par une modestie qui va souvent jusqu'à la vraie sauvagerie: Fortis lui-même avait noté que «à l'arrivée d'un étranger, les jeunes filles se cachent ou se tiennent dans l'éloignement». Voici un exemple caractéristique qui peut donner une idée de la différence qui sépare le poème de Mérimée de la véritable poésie serbe: la Modeste Militza, poème dont nous empruntons la traduction à M. Achille Millien—on sait que le poète de la Moisson est un folkloriste distingué;—si la forme n'est pas respectée, le fond est reproduit avec un rare bonheur et l'impression que nous donne la traduction est à peu près la même que celle que donnerait l'original:

     Les longs cils, Militza, dont s'ombrage ta joue,
     Recouvrent tes beaux yeux. En vain j'ai regardé:
     Depuis plus de trois ans, je n'ai pu, je l'avoue,
     Voir à mon gré ces yeux qui m'ont affriandé.

     Pour les voir, j'assemblai la ronde du village;
     Elle en était aussi, la blonde Militza.
     Les filles dansaient donc en rond sous le feuillage,
     Un nuage soudain sur nos fronts s'embrasa.

     Dans le ciel un éclair, puis un autre, étincelle;
     Toutes lèvent alors les yeux au firmament;
     Mais seule, Militza regarde devant elle
     Et tient ses beaux yeux noirs voilés modestement.

     Elle tient ses beaux yeux inclinés, et chacune
     Des fillettes demande alors avec douceur:
     «Es-tu folle, ou plutôt, sage comme pas une,
     Sage par-dessus tout, Militza, notre sœur?

     «Tu restes là, les yeux fixés sur l'herbe verte,
     Au lieu de les lever comme nous vers les cieux,
     Où la sombre nue est incessamment ouverte,
     Par l'éclair qui la fend en sillons radieux!»

     —«Folle, je ne le suis, ni sage entre les sages,
     Dit-elle, et je ne suis la Vila dont la loi
     Régit, grossit, assemble et pousse les nuages:
     Je suis fille et je vais regardant devant moi.»

Il y a un abîme entre cette belle fille aux yeux noirs obstinément baissés et l'Illyrienne un peu effrontée de Mérimée. Militza est un modèle de pudeur virginale, l'amante de Dannisich nous paraît déjà quelque peu sœur de Carmen et bien plus Espagnole qu'elle n'est Serbe.

§ 4

LA VIE DOMESTIQUE DANS «LA GUZLA» (suite)

Si les Illyriennes de Mérimée ne le sont que de nom, ses Illyriens sont plus vrais. Sans doute, les traits qui les distinguent sont parfois grossièrement accusés, ils ne manquent pas toutefois d'une certaine «couleur», ou du moins, on démêle dans les portraits que Mérimée en a laissés l'intention d'y mettre de la «couleur». Initié par le Voyage en Dalmatie, l'auteur de la Guzla réussit quelquefois à trouver des sujets et des motifs que l'on rencontre fréquemment dans la véritable poésie serbe. C'est le cas des ballades qu'il a brodées sur le chapitre que consacre Fortis aux Amitiés morlaques.

Mais pour être moins loin de la vérité, ces ballades n'en sont pas beaucoup meilleures; le choix du sujet est plus heureux, mais la manière de le traiter bien défectueuse encore.

L'amitié joue, en effet, un rôle important dans les piesmas. Nombreuses sont les histoires serbes qui nous racontent les glorieux exploits et les sublimes sacrifices d'un ami qui veut délivrer de la prison turque ou vénitienne celui avec lequel il s'est lié d'amitié. On risque sa vie en attaquant l'ennemi, ou bien on paie une rançon exorbitante («trois charges d'or»). Le dévouement conduit à la mort ou à la misère, mais toujours à la gloire. Dans une des plus jolies ballades qui se rattachent au cycle de Marko Kraliévitch, ce héros légendaire chevauche avec son pobratime Miloch, à travers une forêt et le prie de lui chanter quelque chanson; il s’endort et la blanche Vila de la montagne, jalouse de la voix superbe du beau Miloch, perce avec une flèche la gorge du chanteur. Il faut voir alors la grande colère de Marko et l’ardeur avec laquelle il poursuit la Vila pour la forcer de guérir son pobratime!

Sur l’amitié, Mérimée a trouvé chez Fortis les renseignements suivants qu’il a reproduits dans une des notes qui accompagnent la Flamme de Perrussich:

FORTIS: MÉRIMÉE:

L’amitié, si sujette parmi nous au L'amitié est en grand honneur changement pour les causes les plus parmi les Morlaques, et il est légères, est très durable chez les encore assez commun que deux Morlaques. Ils en font presqu’un hommes s’engagent l'un à l'autre article de foi, et c’est au pied des par une espèce de fraternité autels qu’ils en serrent les nœuds nouvelle. Il y a dans les sacrés. Dans le rituel esclavon il se rituels illyriques des prières trouve une formule pour bénir destinées à bénir cette union de solennellement, devant le peuple deux amis qui jurent de s’aider assemblé, l’union de deux amis, ou de et de se défendre l’un l’autre deux amies. J’ai assisté à une toute leur vie. Deux hommes unis cérémonie de cette espèce dans l’église par cette cérémonie religieuse de Perrussich où deux jeunes filles s’appellent en illyrique se firent posestré. Le contentement pobratimi, et les femmes qui brillait dans leurs yeux, après la posestrime, c’est-à-dire formation de ce lien respectable, demi-frères, demi-sœurs. Souvent montrait aux spectateurs de quelle on voit les pobratimi sacrifier délicatesse de sentiment sont leur vie l’un pour l’autre, et susceptibles ces âmes simples, non si quelque querelle survenait corrompues par les sociétés que nous entre eux, ce serait un scandale appelons cultivées. Les amis unis d’une aussi grand que si, chez nous, manière si solennelle prennent le nom un fils maltraitait son père. des pobratimi et les amies celui des Cependant, comme les Morlaques posestrimé, qui signifient aiment beaucoup les liqueurs demi-frères et demi-sœurs[555]. fortes, et qu’ils oublient quelquefois dans l’ivresse leurs Dans ces amitiés, les Morlaques se font serments d’amitié, les un devoir de s’assister réciproquement assistants ont grand soin de dans tous les besoins, dans tous les s’entremettre entre les dangers, et de venger les injustices pobratimi, afin d’empêcher les que l'ami a essuyées. Ils poussent querelles, toujours funestes l’enthousiasme jusqu’à hasarder et dans un pays où tous les hommes donner la vie pour le pobratime. Ces sont armés[557]. sacrifices mêmes ne sont pas rares, quoiqu’on parle moins de ces amis sauvages que des Pylades des anciens. Si la désunion se met entre deux pobratimi, tout le voisinage regarde un tel événement comme une chose scandaleuse. Ce cas arrive cependant quelquefois de nos jours, à la grande affliction des vieillards morlaques, qui attribuent la dépravation de leurs compatriotes à leur commerce trop fréquent avec les Italiens. Mais, le vin et les liqueurs fortes, dont cette nation commence à faire un abus continuel, produisent chez elle, comme partout ailleurs, des querelles et des événements tragiques[556].

Comme il le fait volontiers, Mérimée rapporte ensuite un fait auquel il aurait, dit-il, assisté et qui traduit d’une manière sensible les effets de l’amitié chez les peuples de ces pays: «J’ai vu à Knin, rapporte-t-il, une jeune fille morlaque mourir de douleur d’avoir perdu son amie, qui avait péri malheureusement en tombant d’une fenêtre.» Parisien qu’il était, il ne savait pas que les maisons de Knin n’ont qu’un étage!

Il consacre trois ballades aux pobratimi: la Flamme de Perrussich, les
Pobratimi
et la Querelle de Lepa et de Tchernyegor.

Dans la première, il nous paraît avoir adopté un ton assez naturel et qui, dans une certaine mesure, se rapproche du ton de la vraie poésie populaire[558]. Il mêle adroitement,—trop adroitement même,—quelques croyances superstitieuses aux renseignements que lui donne Fortis. On croit ordinairement, dans les masses profondes du peuple de certains pays, qu’une flamme bleuâtre voltige autour des tombeaux pour annoncer la présence de l’âme d’un mort. «Cette idée, dit-il, est commune à plusieurs peuples, et est généralement reçue en Illyrie.» C'est là une remarque qui ne manque pas de vérité, comme le fait justement observer M. Matić; mais, il convient d’ajouter que ce merveilleux par trop grossier n’a jamais inspiré aucune piesma; ce sont là contes de grand’mères, pour effrayer les petits enfants. Un joueur de guzla se croirait déshonoré s’il traitait un sujet que les vieilles femmes racontent dans les villages.

Ainsi jamais aucun guzlar ne se serait laissé séduire à l'histoire du bey Janco Marnavich telle que Mérimée l'a imaginée. Mais la douleur du bey «qui cherche les lieux déserts et se plaît dans les cavernes des heyduques», cette douleur inconsolable; ce morne désespoir; sa mort enfin causée par le remords d’avoir lui-même tué son fidèle ami: tout cela constitue un thème bien digne de la poésie populaire; disons toutefois que si ce merveilleux d’un genre inférieur n’est pas conforme au véritable esprit de là poésie populaire serbo-croate, le poème de Mérimée présente bien des analogies avec certaines légendes des bords du Rhin.

La seconde ballade dans laquelle Mérimée parle de l'amitié qui unit les Illyriens, les Pobratimi[559], est conçue à la façon d'un scénario dramatique. Il n'y a rien là de véritablement lyrique et populaire, rien qui nous fasse songer à un pays plutôt qu'à un autre; deux hommes aiment une même femme, mais ils sont liés d'étroite amitié, aussi préfèrent-ils sacrifier celle qu'ils chérissent tous deux plutôt que de détruire le sentiment qui les attache l'un à l'autre. Ce partage de Salomon nouveau genre, cette terrible histoire, nous l'avons dit, n'appartient nécessairement à aucun pays; l'auteur de la Guzla avait eu la sincérité d'avouer dans une note supprimée dans les éditions postérieures, que l'auteur du Théâtre de Clara Gazul y avait sans doute trouvé le thème d'une de ses saynètes espagnoles.

Je suppose, dit-il, que cette chanson, dont on a donné un extrait dans une revue anglaise, a fourni à l'auteur du théâtre de Clara Gazul l'idée de l'Amour africain[560].

Si nous avons affaire dans _les Pobratimi _à un petit drame: le drame de l'amour sacrifié à l'amitié, nous trouvons dans la troisième ballade: la Querelle de Lepa et de Tchernyegor[561], toute une comédie. Il y a là comme une parodie discrète des chants dont le ton est plus sérieux; Mérimée s'amuse à se moquer de l'auteur de la Guzla. On y pourrait voir aussi, jusqu'à un certain point, une contrefaçon plaisante d'une querelle célèbre: la querella d'Agamemnon et d'Achille dans _l'Iliade. _Généreux, ivrognes, rancuniers, mais point sots, tels sont Lepa et Tchernyegor, les deux héros que le poète commence à chanter sur un mode des plus lyriques; puis vient la bouffonnerie:

«J'ai abordé cette barque le premier, dit Lepa; je veux avoir cette robe pour ma femme Yeveihimia.»—«Mais, dit Tchernyegor, prends le reste, je veux parer de cette robe ma femme Nastasia.» Alors ils ont commencé à tirailler la robe, au risque de la déchirer…

Aussitôt les sabres sortirent de leurs fourreaux: c'était une chose horrible à voir et à raconter.

Enfin un vieux joueur de guzla s'est élancé: «Arrêtez! a-t-il crié, tuerez-vous vos frères pour une robe de brocard?» Alors il a pris la robe et l'a déchirée en morceaux[562]…

Lepa se disait à lui-même: «Il a tué mon page chéri qui m'allumait ma pipe: il en portera la peine.»

* * * * *

Ils ont abordé ce gros vaisseau.—«Nos femmes, ou vous êtes morts!» Ils ont repris leurs femmes; mais ils ont oublié d'en rendre le prix.

Le comique n'est pas seulement dans les mots, il est aussi dans l'intrigue; il y a là tout un imbroglio plus digne du vaudeville que de la poésie épique.

En somme, on ne saurait dire que Mérimée ait été heureusement inspiré par ce thème favori de la poésie primitive: l'amitié. On a pu s'en rendre compte à la lecture de ce qui précède: ce sont des traits tout extérieurs que Mérimée emprunte à Fortis, une couleur toute de surface; le Voyage en Dalmatie est pour lui comme un magasin de décors et de costumes, où il puise à volonté pour déguiser ses héros. Même quand il semble qu'il va s'en inspirer plus directement, et pénétrer un peu les sentiments qui font battre les cœurs dans ces pays, il passe à côté de son sujet; dans les ballades des heyduques il n'a pas su comprendre le caractère tout particulier que donne à ces brigands la lutte qu'ils soutiennent contre les oppresseurs et c'est là ce qui eût été véritablement «illyrien»; la jeune fille: il ne l'a pas connue; l'amitié, telle qu'elle existe en ces pays: nous avons dit combien ses ballades étaient insuffisantes pour la peindre.

§ 5

«LES MONTÉNÉGRINS»

La Première République, après ses victoires remportées sur les Turcs d'Egypte, avait été saluée avec enthousiasme par les Slaves balkaniques, qui ne supportaient qu'avec impatience le joug de Venise, de l'Autriche et de la Turquie. Mais dès que Napoléon en vint jusqu'à faire alliance avec le sultan de Constantinople, tout changea de face[563]. Sous l'influence russe, le Monténégro devint un foyer d'intrigues et d'excitations contre la domination française dans les Provinces Illyriennes, anciennes dépendances de Venise et de l'Autriche. Une longue guerre s'engagea entre les garnisons françaises et les Monténégrins qui, désireux d'obtenir un débouché sur la mer, ne cessaient de réclamer la possession de Cattaro, ville située à quelques centaines de mètres de leur frontière. Aidés par l'amiral russe Siniavine, ils repoussèrent les Français jusque dans Raguse et mirent le siège devant Cattaro[564]. Enfin vaincus, ces montagnards ne cédèrent pas sans avoir vaillamment combattu. Ils n'oublièrent pas leur défaite et essayèrent de la venger par des incursions continuelles dans le territoire français. Dans une de ces escarmouches, ils coupèrent la tête au général Delgorgues, qui était tombé vivant entre leurs mains. Un adjudant de Marmont, nommé Gaiet, partagea le sort du général. Enfin, à l'affaire de Castel-Nuovo, en 1807, ils laissèrent tant de morts qu'ils ne purent plus tenir la campagne et conclurent avec les Français une paix sincère qui ne fut plus troublée jusqu'en 1813. À cette époque, à l'instigation de la Russie, ils redemandèrent Cattaro et se préparèrent à s'emparer de cette place à force ouverte.

Les chants populaires expriment avec autant de simplicité que de force les principaux épisodes de cette campagne. Avant de parler des Monténégrins de Mérimée, nous croyons devoir donner l'extrait de l'une des piesmas qui chantent les combats franco-monténégrins. Remarquons que ce cycle de poèmes n'est nullement estimé par les collectionneurs.

Le vladika[565] Pierre écrit de Niégouchi, au gouvernadour Vouk Radonitch: «Holà! écoute-moi, gouvernadour Vouk, rassemble tes Niégouchi, et avec eux tous les Tchicklitch, et marche à leur tête sur Cattaro pour y assiéger les braves Français, en barrant les chemins et les escaliers de cette citadelle, de telle sorte que personne désormais n'y puisse pénétrer. Moi pendant ce temps, j'irai de Tzétinié à Maïna, et je m'emparerai avec les miens de la ville de Boudva.» Quand Vouk eut reçu cette lettre aux fins caractères, et quand il vit ce qu'écrivait le vladika, il parla ainsi à ses compagnons: «Nous allons mourir de honte! Alors, nous nous lèverons demain matin; et nous nous jetterons sur la tour de la Trinité, faubourg de la ville de Cattaro.» Lorsque le lendemain le matin eut lui, Vouk se leva de bonne heure; il réveilla ses compagnons, et fit l'attaque sur la Trinité. Quand l'élite de la jeunesse fut choisie, et s'approcha davantage de la forteresse, les canons lancèrent des pierres. Le puissant général[566] voit cela du haut des murs de la blanche Cattaro, et, en se promenant, il dit:—«Gloire à Dieu unique! Regardez ces chèvres de Monténégrins, comme ils brisent la forteresse de l'Empereur! N'y a-t-il pas un vrai héros qui veuille aller vers la Trinité et chasser ces étourdis de Monténégrins?» Alors un valeureux capitaine parle; de son nom, c'est le héros Campagnol.—«M'entends-tu, mon général? Ouvre-moi la porte du côté de Chouragne; donne-moi quelques soldats. Je veux monter vers la Trinité, pour chasser ces souris de Monténégrins: je t'en amènerai une vingtaine de vivants, o Ban! pour que tu les jettes dans les caveaux.» On lui ouvre la porte de Chouragne. On lui donne quelques centaines de soldats. Devant eux marche le brave Campagnol, et quand il est monté à Chvalar, il prend avec lui le chef de Chvalar. Et quand il approche de la Trinité, les sentinelles des Monténégrins l'aperçoivent, et elles préviennent Vouk: «—Voici que l'armée arrive de Cattaro.» Quelques jeunes gens s'appellent mutuellement, et ils vont au-devant du faucon[567] et ne lui permettent pas d'approcher de la Trinité. Quelques-uns même le prennent par derrière et ne lui permettent pas de rentrer à Cattaro. Le brave capitaine Campagnol s'est fatigué, et il court à travers le large Vernetz; il court à travers le Vernetz et se défend en faisant feu. Et quand il arrive au plus large du Vernetz, il forme le carré. Alors un fusil monténégrin tire et atteint le héros Campagnol. Le faucon tombe sur le vert gazon. Un second coup arrive sur ses compagnons; le chef de Chvalar est atteint: la terre ne le reçoit pas vivant. La troisième décharge vient du côté des Français; elle atteint un jeune Monténégrin, qui était de la tribu des Tchieklitch. Les malencontreux Français s'envolent comme un troupeau qui a perdu son berger. Derrière eux vont les jeunes Monténégrins, qui les poursuivent jusqu'à la porte de Chouragne[568]. Ils n'en ont laissé échapper aucun vivant; ils ont fait vingt prisonniers, qu'ils conduisent vivants vers la Trinité. Les Français, qui sont à la Trinité, l'ont vu. Ils tournent alors leurs fusils en arrière, et livrent le fort de la Trinité. Les Monténégrins pillent le fort, ils le pillent et l'incendient. Alors le vladika Pierre se met en route. Il traverse la plaine de Gerbalie; il arrive auprès de Vouk, à la Trinité. Vouk lui fait une réception; il ne fait pas la réception en tirant des fusils; mais il fait feu des armes françaises: il fait tirer les verts canons, dont la jeunesse s'est emparée dans le fort français de la Trinité.

     Gloire à Dieu et à la mère de Dieu, qui sont toujours en aide aux
     justes[569].

Ce n'est pas la seule piesma qui célèbre la guerre contre les
Français. Il s'en trouve plusieurs autres dans les recueils serbes. De
nos jours même, les guzlars bosniaques chantent la chute du «roi
Napéléon Bonéparta[570]».

Ainsi Mérimée ne s'est-il pas trompé en choisissant pour sujet d'une de ses ballades, les Monténégrins, une bataille imaginaire entre les Français et les fils du Rocher Noir[571].

Des montagnards ont osé s'opposer à l'Empereur tout-puissant. Napoléon a dit: «Je veux» et vingt mille hommes sont partis pour les châtier. Ils n'ont pu résister à la bravoure de cinq cents héros de la liberté. Devant une poignée d'hommes, des milliers d'autres se sont enfuis.

«Écoutez l'écho de nos fusils», a dit le capitaine. Mais avant qu'il se fût retourné, il est tombé mort et vingt-cinq hommes avec lui. Les autres ont pris la fuite.

Vraiment, le poète serbe est plus obligeant pour Napoléon et les soldats français que ne l'est ici Mérimée; jamais il ne leur a dénié ni la valeur ni le courage, et la mort du brave faucon Campagnol est assurément plus héroïque que celle de l'anonyme capitaine de l'auteur de la Guzla.

Quant à la forme, Mérimée n'a jamais été plus concis et plus sec que dans cette courte ballade des Monténégrins. Ce n'est pas là la candeur, ni la prolixité du chanteur populaire qui vibre d'enthousiasme au souvenir des grands coups qui furent jadis donnés; qui revoit en imagination tous ces exploits merveilleux, les enjolive et pour leur donner plus l'apparence de la vérité précise les détails et s'y arrête avec complaisance[572]. La verve imaginative de Mérimée est d'un tout autre genre: de phase en phase il nous mène en courant à la fin du combat; et si les Monténégrins devaient nous faire songer à quelque chose, ce serait plus à l'Enlèvement de la redoute qu'à la poésie primitive.

§ 6

«HADAGNY»

Il est dans la Guzla une autre pièce qui traite de la vie des
Monténégrins: Hadagny[573].

La première partie de cette ballade est inspirée des Lettres sur la Grèce, notes et chants populaires, extraits du portefeuille du colonel Voutier, Paris, 1826. Au profit des Grecs. Elle n'est que la mise en œuvre dramatique et poétique de deux anecdotes qui s'y trouvent rapportées. Mérimée eut tout d'abord la franchise de citer, à propos d'un détail insignifiant et dans une note bien dissimulée, «les lettres sur la Grèce du colonel Voutier». Il supprima cette note dans les éditions postérieures.

Nous n'avons pu établir quelle fut la source de la seconde partie; mais nous croyons fermement qu'ici encore, nous avons affaire à une sorte de contamination, et qu'on saura probablement un jour qui a fourni à Mérimée ce second épisode.

Voici les textes dont il s'est inspiré dans le premier.

COLONEL VOUTIER: MÉRIMÉE:

… Mais laissons-les, pour nous Serral est en guerre contre occuper des Monténégrins et de leur Ostrowicz: les épées ont été courtoisie que j'ai promis de vous tirées; six fois la terre a bu faire connaître. Quelle que soit la le sang des braves. Mainte veuve fureur des querelles qui s'élèvent trop a déjà séché ses larmes; plus souvent parmi les Monténégrins, les d'une mère pleure encore. femmes sont toujours religieusement respectées. Cette neutralité donne à ce Sur la montagne, dans la plaine, sexe l'occasion de rendre d'importants Serral a lutté contre Ostrowicz, services. Lorsque leurs maris sont en ainsi que deux cerfs animés par vendetta, elles les accompagnent le rut. Les deux tribus ont partout et vont en avant visiter les versé le sang de leur cœur, et lieux où l'on pourrait leur avoir tendu leur haine n'est point apaisée. quelque piège. À la guerre elles font l'office de hérauts, servant Un vieux chef renommé de Serral d'éclaireurs, font les reconnaissances, appelle sa fille: «Hélène, monte et l'on a vu souvent les vaincus vers Ostrowicz, entre dans le trouver un asile derrière elles. Y village et observe ce que font a-t-il rien de plus touchant? Un des nos ennemis. Je veux terminer la principaux habitants, qui me contait guerre, qui dure depuis six ces détails comme la chose du monde la lunes.» plus naturelle, me dit que dans une occasion où il marchait contre un Les beys d'Ostrowicz sont assis village, sa troupe, supérieure en autour d'un feu. Les uns nombre à celle du parti opposé, se polissent leurs armes, d'autres promettait une victoire facile. font des cartouches. Sur une L'ennemi fit ranger en haie toutes ses botte de paille est un joueur de femmes et, à l'abri de ce rempart, guzla qui charme leur veille. commença un feu terrible sur les assaillants qui ne pouvaient riposter. Hadagny[574], le plus jeune Après avoir essuyé quelques pertes, d'entre eux, tourne les yeux ceux-ci étaient sur le point de se vers la plaine. Il voit monter retirer, lorsque mon conteur qui, quelqu'un qui vient observer disait-il, ha girato il mondo se leur camp. Soudain il se lève et décida à lâcher son coup de fusil; saisit un long fusil garni aussitôt les femmes se retirèrent en d'argent. les maudissant, et sa troupe obtint un plein succès: cependant il en est «Compagnons, voyez-vous cet resté une vraie tache à son nom. ennemi qui se glisse dans l'ombre? Si la lumière de ce feu En ce moment deux villages sont en ne se réfléchissait pas sur son conférence pour traiter de la paix, bonnet, nous serions surpris; mais on est fort embarrassé de la mais si mon fusil ne rate, il conclure, parce qu'une jeune fille a périra.» été tuée: c'est la plus grande des calamités. Voici à quelle occasion est Quand il eut baissé son fusil, arrivé ce funeste événement. La troupe il lâcha la détente, et les qu'elle accompagnait, craignant de échos répétèrent le bruit du s'engager dans un défilé où elle coup. Voilà qu'un bruit plus soupçonnait une embuscade, l'envoya en aigu se fait entendre. Bietko, avant, et plusieurs coups de fusil son vieux père, s'est écrié: étaient partis avant que l'on eût «C'est la voix d'une femme!» reconnu que c'était une femme[575]. «Oh! malheur! malheur! honte à notre tribu! C'est une femme qu'il a tuée au lieu d'un homme armé d'un fusil et d'un ataghan!»

… «Fuis ce pays, Hadagny, tu as déshonoré la tribu. Que dira Serral quand il saura que nous tuons les femmes comme les voleurs heyduques?[576]»

§ 7

LA «BARCAROLLE»

Quelques mots seulement sur la Barcarolle[577]. Elle nous paraît avoir été intercalée au milieu des autres ballades avec assez de bonheur, pour mettre un peu de variété dans le recueil. Mérimée a senti qu'il nous avait trop promenés à travers les montagnes escarpées, aussi a-t-il jugé convenable de nous mener nous rafraîchir quelque peu au bord de la mer. Ce petit poème assez gracieux jette dans le recueil une note nouvelle; il complète la série des couleurs sous lesquelles l'auteur de la Guzla s'est plu à imaginer l'Illyrie; couleurs chatoyantes et diverses où se mêlent des éléments turcs, byzantins et enfin vénitiens. Nous aurons l'occasion de voir dans la suite qu'il est fait dans la Guzla plusieurs fois allusion à Venise, mais dans aucune de ces pièces il n'y a songé aussi exclusivement que dans celle-ci.

Pisombo, pisombo! la mer est bleue, le ciel est serein, la lune est levée et le vent n'enfle plus nos voiles d'en haut. Pisombo, pisombo!

Venise commençait à devenir fort à la mode; le séjour qu'y avait fait Byron avait rendu célèbre la pittoresque ville des doges, des sbires, des gondoliers. La barcarolle avait fait une fortune rapide. En 1825, les Annales romantiques en publièrent une d'Ulric Guttinguer, dont les premiers vers ressemblent quelque peu au premier couplet de celle de Mérimée:

     Embarquez-vous, qu'on se dépêche,
     La nacelle est dans les roseaux;
     Le ciel est pur, la brise est fraîche,
     L'onde réfléchit les ormeaux[578].

Nous ne savons si celle de Mérimée est un pastiche de quelque barcarolle vénitienne incontestable. Toutefois le genre était assez facile et devait tenter un écrivain peu inventif; il ne faut pas beaucoup d'imagination, en effet, pour parler agréablement de l'eau, du ciel, du vent léger qui souffle dans les voiles, du plaisir qu'on éprouve à se sentir mollement bercé sur la mer[579]; il ne faut pas non plus beaucoup d'idées pour songer qu'un pirate, toujours à craindre, peut venir troubler cette douce quiétude; et c'est pourquoi nous dirons que si la Barcarolle de Mérimée ne nous semble pas plus mauvaise que d'autres, elle ne nous en paraît pas moins artificielle.

§ 8

THÉOCRITE ET LES AUTEURS CLASSIQUES

Si Mérimée n'avait pas fait de très bonnes études au collège Henri IV, il en fît d'excellentes après être sorti des bancs du lycée. Il fut pendant de nombreuses années l'auditeur assidu de Boissonade au Collège de France[580]; et c'est à juste titre que son successeur à l'Académie française, M. de Loménie, le déclara un des meilleurs hellénistes de son temps[581]. Il est donc tout naturel de retrouver ici et là, dans la Guzla, des souvenirs classiques.

Le critique de la Foreign Quarterly Review (juin 1828) avait déjà remarqué cette influence de la Grèce antique dans les ballades «illyriennes». C'est ainsi qu'il rapproche, non sans raison, la XIVe Idylle de Théocrite du Morlaque à Venise de Mérimée. Ajoutons que, si dans le début de son poème Mérimée s'est inspiré de Théocrite, c'est encore à la Grèce, mais à la Grèce moderne, aux Chants populaires de Fauriel qu'il en doit la fin. Nous nous bornerons ici à rapprocher les textes; ils parlent assez d'eux-mêmes.

L'AMOUR DE KYNISKA: LE MORLAQUE À VENISE

[Aiskhinès se plaint à son ami Quand Prascovie[583] m'eut Thyonikhos de l'inconstance de Kyniska, abandonné, quand j'étais triste et lui déclare qu'il veut aller sur les et sans argent, un rusé Dalmate mers chercher un remède à ses chagrins. vint dans ma montagne et me dit: Thyonikhos lui donne un conseil.] Va à cette grande ville des eaux, les sequins y sont plus Ce que tu désirais devait arriver, communs que les pierres dans ton Aiskhinès. Mais si tu veux t'expatrier, pays. sache que Ptolémaios, de tous ceux qui donnent une solde, est le meilleur chef Les soldats sont couverts d'or pour un homme libre. Il est prudent, et de soie, et ils passent leur ami des Muses, tendre, très affable, temps dans toutes sortes de connaissant qui l'aime et mieux encore plaisir: quand tu auras gagné de qui ne l'aime pas, très généreux et ne l'argent à Venise, tu reviendras refusant jamais ce qu'il est convenable dans ton pays avec une veste de solliciter d'un roi… De sorte que, galonnée d'or et des chaînes si tu veux t'agrafer le manteau sur d'argent à ton hanzar. l'épaule droite, et attendre bravement le choc d'un porteur de bouclier, pars Et alors, ô Dmitri! quelle jeune au plus vite pour l'Égypte. Les tempes fille ne s'empressera de blanchissent et la joue ensuite; il t'appeler de sa fenêtre et de te faut agir pendant qu'on a le genou jeter son bouquet quand tu vigoureux[582]. auras accordé ta guzla? Monte sur mer, crois-moi, et viens à la grande ville, tu y deviendras riche assurément. LE GREC DANS LA TERRE ÉTRANGÈRE:

… La terre étrangère m'a séduit; le Je l'ai cru, insensé que terrible pays étranger,—et voilà que j'étais, et je suis venu dans ce je prends pour sœurs des étrangères, grand navire de pierres; mais des étrangères pour gouvernantes;—pour l'air m'étouffe, et leur pain me laver mes vêtements, mes pauvres est un poison pour moi. Je ne habits.—Elles lavent une fois, elles puis aller où je veux; je ne les lavent deux, trois et cinq puis faire ce que je veux; je fois.—Mais passé les cinq fois, elles suis comme un chien à l'attache. les jettent dans la rue:—«Étranger, ramasse tes vêtements; étranger, Les femmes se rient de moi quand ramasse tes habits.—Retourne dans ton je parle la langue de mon pays, pays, étranger; retourne-t'en et ici les gens de nos montagnes chez toi[584].» ont oublié la leur, aussi bien que nos vieilles coutumes: je suis un arbre transplanté en été, je sèche, je meurs[585]…

À la même époque, un critique français constatait, lui aussi, l'influence de Théocrite. Après avoir blâmé la sauvagerie qui règne dans la plupart des pièces qui composent la Guzla, «nous excepterons, dit-il, deux petites pièces: l'Impromptu du vieux Morlaque et le Morlaque à Venise. Il règne dans la seconde une mélancolie douce et vraiment poétique, et qui décèle un grand fonds de raison. L'autre est une imitation assez gracieuse de la Galatée de Théocrite[586].» Et là, comme si souvent ailleurs, nous retrouvons le procédé familier de Mérimée: pauvre d'invention, l'auteur de la Guzla emprunte à Théocrite l'inspiration de son poème et à Chaumette-Desfossés la couleur locale:

CHAUMETTE-DESFOSSÉS: MÉRIMÉE:

La chaîne du Prolog qui sépare la Impromptu Bosnie de la Dalmatie… Cette chaîne renferme les plus hautes montagnes. La neige du sommet du Prolog Quelques-unes… sont couvertes de n'est pas plus blanche que n'est neige pendant dix mois de l'année[587]. ta gorge.

THÉOCRITE:

Ô blanche Galatée, pourquoi Un ciel sans nuage n'est pas repousses-tu celui qui t'aime, ô toi plus bleu que ne sont tes yeux. qui es plus blanche que le lait caillé, L'or de leur collier est moins plus délicate qu'un agneau, plus brillant que ne sont les pétulante qu'un jeune veau, toi dont la cheveux, et le duvet d'un jeune chair est plus ferme qu'un grain de cygne n'est pas plus doux au raisin vert! (Idylle XI.) toucher. Quand tu ouvres la bouche, il me semble voir des Sois heureuse, jeune femme, _sois amandes sans leur peau. Heureux heureux, époux au noble beau-père! Que ton mari! Puisses-tu lui donner Latone, Latone par qui prospère la des fils qui te jeunesse, vous donne une belle ressemblent[589]! progéniture_! (Idylle XVIII[588])

Dans les deux pièces que nous venons de citer, l'imitation paraît intentionnelle; il en est d'autres où elle n'est pas moins évidente, mais il n'est pas sûr qu'elle ait été voulue. C'est ainsi que Mérimée emprunte à Homère quelques expressions toutes faites: Il regardait Lepa de travers (p. 197), ύπόδρα ίδών; il est mort misérablement à cause de la malédiction de son père (p. 29) rappelle l'expression si fréquente en grec de χαχώς avec les verbes signifiant «mourir» et «faire mourir».—À certaines comparaisons on reconnaît de même que Mérimée se souvient de l'antiquité classique:

Avez-vous vu une étoile brillante parcourir le ciel d'un vol rapide et éclairer la terre au loin. Bientôt ce brillant météore disparaît dans la nuit, et les ténèbres reviennent plus sombres qu'auparavant: telle disparut la vision de Thomas[590].

C'est la manière et l'esprit d'Homère et de Virgile. L'Illyrie de Mérimée est peuplée de chevriers comme l'était la Sicile de Théocrite; d'aèdes et de citharistes devenus joueurs de guzla, comme l'était la Grèce d'Homère: «Qu'il laisse à d'autres, plus habiles que lui, l'honneur de charmer les heures de la nuit, en les faisant paraître courtes par leurs chants» (p. 174), ad strepitum cithara cessatum ducere somnum[591]. Ou ce passage: «Je gardais mes chèvres… et les cigales chantaient gaiement sous chaque brin d'herbe, car la chaleur était grande» (p. 239), qui fait penser à Théocrite: «Et dans les rameaux touffus les cigales brûlées par le soleil chantaient à se fatiguer.» (Idylle VII.)

Le bey Marnavich qui «se plaît dans les cavernes qu'habitent les heyduques», fait un peu songer à Gallus sola sub rupe jacentem (Virg., Egl. X.), plus loin à Io, l'infortunée Io de la mythologie: «Il court çà et là comme un bœuf effrayé par le taon.» (La Guzla, p. 119.) «Dis-moi en quel lieu de la terre erre la malheureuse Io; le taon me pique à nouveau infortunée…» (Eschyle, Prométhée, v. 566 sq.)

Sans doute, nous ne voudrions pas prétendre que Mérimée a pensé en effet à tout ce à quoi son livre nous fait songer, mais il nous semble qu'il y a là des rapprochements en assez grand nombre pour pouvoir dire, même s'ils ne sont pas tous très probants, que Mérimée, en composant la Guzla, s'est souvenu dans une certaine mesure de ses études classiques[592].

En somme, ce qu'il faut ici remarquer, c'est que le romantisme de l'auteur des ballades illyriques est d'une nature toute spéciale. Mérimée supplée à son manque d'imagination, en puisant à droite et à gauche, dans les auteurs excellents et classiques dont il a été nourri, dans quelques livres qui lui sont tombés par hasard sous la main, des situations émouvantes qu'il accommode de façon nouvelle. Pour se donner un air de ressemblance avec les auteurs alors à la mode, il habille les héros de ses drames d'oripeaux que, tant bien que mal, il est parvenu à décrocher du magasin romantique. Il met dans leur bouche certaines expressions toutes faites qu'il a trouvées un peu partout et qui sont comme la base du vocabulaire de la poésie populaire en tous pays. Il a retenu de cette langue un peu puérile que parlent volontiers les peuples dans l'enfance, certains tours très généraux qui ne pouvaient échapper même à la sécheresse de son imagination. Et c'est à vrai dire ce qu'il y a dans son livre de plus véritablement lyrique et populaire. Quant au reste, nous ne faisons qu'y découvrir Mérimée tel qu'il sera un jour: l'auteur froid, impersonnel, qui, de parti pris, se retranche de tout ce qu'il écrit; qui se surveille et ne veut pas s'abandonner.

CHAPITRE VI

Le merveilleux dans «la Guzla».

§ 1. Historique du vampirisme.—§ 2. Le vampirisme dans la Guzla. Dissertation de Mérimée. La Belle Sophie. Jeannot. Le Vampire. Cara-Ali. Constantin Yacoubovich.—§ 3. Le mauvais œil. Dissertation sur cette superstition. Le Mauvais Œil. Maxime et Zoé.—§ 4. L'Amant en Bouteille.—§ 5. La Belle Hélène.—§ 6. Le Seigneur Mercure.

Afin de donner à la Guzla une apparence d'ancienneté, en même temps qu'un air de naïveté, qualités indispensables à un recueil de poésies populaires, Mérimée consacre une grande place au merveilleux et à la superstition. Les vampires monstrueux et les jeteurs de sort jouent un rôle très important dans ce livre qui devait avoir le semblant d'une production de l'imagination exaltée des «primitifs» ignorants.

On a déjà pu s'en apercevoir dans les ballades dont nous avons parlé aux chapitres précédents. Le Chant de Mort est fondé entièrement sur la croyance populaire. Dans les Braves Heyduques, c'est cette invitation de Christich Alexandre à son frère aîné: «Bois mon sang, Christich, et ne commets pas un crime. Quand nous serons tous morts de faim, nous reviendrons sucer le sang de nos ennemis»: allusion évidente au vampirisme. Dans le Cheval de Thomas II, il y a un cheval qui parle; dans la Flamme de Perrussich, une flamme qui voltige autour des tombeaux.

Il y a à faire une remarque avant d’entrer dans notre sujet. Cet élément surnaturel et effrayant ne fut pas incorporé par hasard dans la Guzla. Tout en apportant une couleur folklorique nécessaire, il concordait si bien avec le goût régnant en ce temps, que nous devons nécessairement rattacher ces ballades à leur vraie source.

§ 1

HISTORIQUE DU VAMPIRISME

Selon une superstition populaire répandue non seulement chez les peuples slaves, comme on le veut quelquefois, mais aussi chez les Roumains, les Albanais, les Grecs modernes, les Allemands, les Anglais, les Irlandais[593], les vampires sont des morts qui sortent de leur tombeau pour venir sucer le sang des vivants pendant la nuit. On ne peut, d’après la tradition, s’en débarrasser qu’en les exhumant pour leur percer le cœur avec un pieu, leur couper la tête et les brûler.

Le nom de vampire, quoique d’origine incertaine[594], passa, vers 1730, de la langue serbe dans toutes les langues européennes, même dans celles où la chose était déjà connue et n’avait besoin que d’un nom, comme l’anglais et l’allemand. On avait parlé, il est vrai, à plusieurs reprises, avant 1730, des upiorz polonais[595], des vroucolaques grecs[596], des Toten et des Blutsäuger de Silésie et de Bohème, mais toutes ces histoires n'avaient pas eu le succès qu'obtinrent, à partir de 1725, les extraordinaires nouvelles rapportées du pays serbe.

Au mois de septembre 1724 mourut le paysan Pierre Blagoyévitch de Kissilovo, petit village que les rapports du temps placent dans la «Hongrie du Sud», mais qui se trouve en Serbie actuelle, alors occupée par les Autrichiens. Dix semaines après sa mort, neuf autres personnes du même village succombèrent en huit jours, déclarant avoir vu pendant la nuit Pierre Blagoyévitch venir leur sucer le sang. Le neuvième jour, la femme du vampire raconta que la nuit précédente Pierre Blagoyévitch lui était apparu et lui avait demandé ses souliers.

Alors le village entier se présenta au proviseur impérial à Gradischka (Véliko Gradichté); celui-ci vint avec un pope et un bourreau, pour examiner l'affaire. Il ordonna d'ouvrir le tombeau du mort. On trouva Pierre Blagoyévitch «tout frais» (ganz frisch), comme nous assure l'acte officiel. Ses cheveux, sa barbe, ses ongles s'étaient renouvelés; sa bouche était pleine de sang. On lui enfonça un pieu dans le cœur et on le brûla. L'officier impérial rédigea un long rapport au Gouvernement de Belgrade, qui le fit envoyer à Vienne où il provoqua une grande sensation dans la presse et même dans les milieux scientifiques[597].

Un nouveau cas de vampirisme, plus sensationnel encore, fut signalé en Serbie en 1732. On manda au colonel Botta d'Adorno à Belgrade qu'une épidémie terrible régnait à Medvédia, près de Krouchévatz. Le colonel envoya tout de suite sur les lieux un «contagions-medicus», M. Glaser; il en reçut, quelques jours après, un rapport très confus; le médecin demandait la permission de faire une «visitation chirurgique» dans le cimetière du village, ce qui eut lieu le 7 janvier 1732[698]. Voici l'histoire entière[599]:

En 1727, un heyduque, Arnaout Pavlé de Medvédia, fut écrasé par la chute d'un chariot de foin. Trente jours après sa mort, quatre personnes moururent subitement et de la manière dont meurent, suivant la tradition du pays, ceux que poursuivent les vampires. On se souvint alors que cet Arnaout Pavlé avait souvent raconté qu'aux environs de Kossovo Polié (Vieille-Serbie) il avait été tourmenté par un vampire turc, mais qu'il avait trouvé moyen de se guérir en mangeant de la terre qui recouvrait le vampire et en se frottant de son sang; précaution qui ne l'empêcha pas cependant de devenir vampire à son tour après sa mort. Donc, on l'exhuma quarante jours après son enterrement. Son corps était vermeil, ses cheveux, ses ongles, sa barbe avaient poussé et ses veines étaient toutes remplies d'un sang fluide et coulant de toutes les parties de son corps sur le linceul dont il était enveloppé. Le hadnagi ou le bailli du lieu lui enfonça un pieu aigu dans le cœur; on lui coupa la tête et l’on brûla le tout. Après cela, on fit subir la même opération aux cadavres des quatre autres personnes mortes de vampirisme, de crainte qu’elles n’en fissent mourir d’autres à leur tour.

Au bout de cinq ans, c’est-à-dire en 1732, éclata à Medvédia la terrible épidémie qui fit venir la commission impériale de Belgrade. De nouveaux cas de vampirisme furent constatés, mais on n’en savait pas la cause.

On découvrit enfin, après avoir bien cherché, que le défunt Arnaout Pavlé avait tué non seulement les quatre personnes dont nous avons parlée mais aussi plusieurs bêtes dont les nouveaux vampires s’étaient repus. On résolut alors de déterrer tous ceux qui étaient morts depuis un certain temps, et parmi une quarantaine de cadavres, on en trouva dix-sept avec tous les signes les plus évidents de vampirisme: aussi leur transperça-t-on le cœur; on leur coupa la tête et on les brûla, puis on jeta leurs cendres dans la rivière Morava.

Un procès-verbal fut dressé par la commission impériale, signé par les officiers autrichiens et les chirurgiens-majors des régiments. Il fut expédié au conseil de guerre à Vienne, qui établit une commission spéciale pour examiner la vérité de tous ces faits.

L’Empereur Charles VI s’intéressa vivement à cette histoire, qui eut tôt fait de se répandre à travers l’Europe entière. L’année suivante (1733), rapporte un écrivain du temps, «à la foire de Leipzig, on ne voyait aux magasins de livres que des brochures sur les buveurs de sang[600]». Une ville allemande déclara la guerre aux vampires et demanda secours aux Universités et aux sociétés savantes[601]. La chose suscita de l’intérêt même en France, et Louis XV s'adressa à son ambassadeur à Vienne, le duc de Richelieu, pour avoir des détails[602].

En Allemagne, on publia une foule de dissertations écrites d'après les points de vue les plus différents; théologiens, philosophes, chirurgiens, historiens crurent devoir dire leur mot là-dessus: les uns, ne croyant pas, mais essayant d'expliquer la superstition par les raisons les plus étranges, les autres, prenant la chose au sérieux et se demandant si c'était le corpus, l'anima ou le spiritus qui faisait agir les vampires[603].

En France, Boyer d'Argens, d'abord, «ce d'Argens, comme l'a dit Voltaire[604], que les jésuites, auteurs du Journal de Trévoux, ont accusé de ne rien croire», raconta le plus sérieusement du monde des histoires de vampires dans ses Lettres juives qui sont, on le sait, une des nombreuses imitations des Lettres persanes. Nous ne savons si nous nous abusons, mais il nous paraît que ce fut lui qui introduisit le mot serbe dans la langue française (1737)[605].

Après lui, un érudit célèbre, le R.P. dom Augustin Calmet, l'historien de la Lorraine et le commentateur de la Bible, publia en 1746 ses Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et les vampires[606], livre absurde «dont on n'aurait pas cru son auteur capable[607]». Voici les conclusions auxquelles il arrive:

I. Que les Anges et les Démons ont souvent apparu aux hommes; que les âmes, séparées du corps, sont souvent revenues, et que les uns et les autres peuvent encore faire la même chose.

II. Que la manière de ces apparitions, et de ces retors, est une chose inconnue, et que Dieu abandonne à la dispute et aux recherches des hommes.

III. Qu'il y a quelque apparence que ces sortes d'apparitions ne sont point absolument miraculeuses de la part des bons et des mauvais Anges, mais que Dieu les permet quelquefois pour des raisons dont il s'est réservé la connaissance.

IV. Que l'on ne peut donner sur cela aucune règle certaine; ni former aucun raisonnement démonstratif, faute de connaître parfaitement la nature et l'étendue du pouvoir des États spirituels dont il s'agit.

V. Qu'il faut raisonner des apparitions en songe autrement que de celles qui se font dans la veille; autrement des apparitions en corps solide, parlant, marchant, buvant et mangeant, et autrement des apparitions en ombre, ou en corps nébuleux et aérien; enfin que les corps qui reviennent en Grèce, en Hongrie, en Moravie, en Silésie, demandent encore une manière de raisonner différente.

VI. Ainsi il serait téméraire de poser des principes, et de former des raisonnements uniformes sur toutes ces choses en commun. Chaque espèce d'apparitions demande son application particulière[608].

Ces Dissertations eurent un succès prodigieux qui dura longtemps. Les éditions, les traductions étrangères se succédèrent pendant une vingtaine d'années. Le nom de vampire devint si célèbre qu'en 1762 Buffon donna le nom de vespertilio vampyrus à une chauve-souris de l'Amérique du Sud[609].

On peut s'imaginer ce que les esprits forts du XVIIIe siècle eurent à dire d'une telle superstition. C'est Voltaire en personne qui se chargea de répondre.

Quoi! disait-il dans l'article consacré aux vampires dans son Dictionnaire philosophique, c'est dans notre XVIIIe siècle qu'il y a eu des vampires! c'est après le règne des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins; c'est sous le règne des d'Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos, qu'on a cru aux vampires, et que le révérend P. dom Augustin Calmet, prêtre bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénones, abbaye de cent mille livres de rentes, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l'histoire des vampires avec l'approbation de la Sorbonne, signé Marcilli!

Puis, après avoir parcouru le sujet d'une plume légère, il expose brièvement quels en sont les points les plus discutés, en même temps qu'il apporte de plaisantes solutions:

La difficulté était de savoir si c'était l'âme ou le corps du mort qui mangeait: il fut décidé que c'était l'un et l'autre; les mets délicats et peu substantiels, comme les meringues, la crème fouettée et les fruits fondants, étaient pour l'âme; les rosbifs étaient pour le corps.

Jean-Jacques Rousseau, dans sa Lettre à l'Archevêque de Paris, ne s'indigne et ne s'étonne pas moins d'une pareille superstition:

S'il y a dans le monde une histoire attestée, c'est celle des vampires; rien n'y manque: procès-verbaux, certificats de notables, de chirurgiens, de curés, de magistrats; la preuve juridique est des plus complètes; avec cela, qui est-ce qui croit aux vampires?

Donc, au XVIIIe siècle on ne pouvait songer à exploiter le vampirisme dans la littérature, du moins en le prenant au sérieux. Le revenant sanguinaire avait été tué sous le ridicule avant d'être sorti de sa tombe. Aussi faudra-t-il le romantisme frénétique du XIXe siècle pour le déterrer et lui donner la vie.

Ce fut un illustre écrivain qui ouvrit la brèche. En 1797, Goethe composa sa Fiancée de Corinthe, «une histoire vampirique», comme il l'appela lui-même (eine vampirische Geschichte[610]), cet impressionnant poème «où chaque mot produit une terreur croissante» et «indique, sans l'expliquer, l'horrible merveilleux de la situation[611]». Une véritable orgie vampirique y est décrite dans la scène principale, «la plus extraordinaire que l'imagination en délire ait jamais pu se figurer», où, à l'heure de minuit, la jeune fille promise au jeune païen d'Athènes, puis faite chrétienne et religieuse, apparaît à son fiancé et «partage avec lui les dons de Cérès et de Bacchus», dans ce «mélange d'amour et d'effroi où il y a comme une volupté funèbre dans le tableau» et où «l'amour fait alliance avec la tombe, la beauté même ne semble qu'une apparition effrayante»:

«Je suis poussée hors de la tombe—pour chercher encore le bien qui me fut ravi,—pour aimer encore l'homme déjà perdu,—et sucer le sang de son cœur.—Quand c'est fait de lui,—je dois passer à d'autres,—et les jeunes gens succombent à ma fureur.»

On a voulu voir dans ce poème une reconstitution poétique du monde païen; mais d'après M. Stefan Hock qui s'en est tout particulièrement occupé, le fond de la Fiancée de Corinthe n'est pas du tout antique, mais au contraire moderne, et, chose des plus curieuses, absolument étranger aux personnages et au décor[612]. La Grèce moderne n'ignorait pas les vampires, mais ce n'est pas de ces études sur la Grèce moderne que Goethe tenait l'idée de cette jeune fille qui sort de sa tombe pour sucer le sang du cœur de son bien-aimé. Le poète allemand fut initié au vampirisme par le livre de dom Calmet et par quelques pages sur la même superstition dans le Voyage en Dalmatie de Fortis, d'où il avait déjà traduit, vingt ans auparavant, la Triste Ballade. «Dans la Fiancée de Corinthe, dit M. Hock, Goethe a changé les costumes serbo-hongrois (sic) pour les costumes grecs, parce que, après son voyage en Italie, ces derniers lui semblaient plus universellement humains»[613].

La Fiancée de Corinthe n'eut pas un gros succès en France. Mme de Staël, si avancée qu'elle fût, n'aimait pas beaucoup cette ballade. «Je ne voudrais assurément défendre en aucune manière, disait-elle dans son livre De l'Allemagne, ni le but de cette fiction, ni la fiction elle-même; mais il me semble difficile de n'être pas frappé de l'imagination qu'elle suppose… Sans doute un goût pur et sévère doit blâmer beaucoup de choses dans cette pièce[614].» Le baron d'Eckstein, directeur du Catholique, qui aimait peut-être le plus intelligemment en France, après Fauriel, la ballade étrangère, accusait la Fiancée de Corinthe, pour des raisons faciles à comprendre, d'être d'une profonde immoralité[615]; et le Mercure de France au XIXe siècle, qui ne manquait pourtant pas de sympathie pour les hardiesses de la nouvelle école, déclara, dans une critique amère de la traduction d'Emile Deschamps[616], que «ce poème n'a rien de touchant pour nous[617]». Mme Panckoucke, qui traduisit aussi la Fiancée de Corinthe dans ses Poésies de Goethe (Paris, 1825), jugea les allusions au vampirisme de mauvais goût et les supprima purement et simplement. Le Moniteur (22 octobre 1825) loua surtout «l'art avec lequel Mme Panckoucke a adouci quelques teintes un peu crues de l'original de cette poésie». La Fiancée de Corinthe inspira à Théophile Gautier sa pièce de vers intitulée: les Taches jaunes et sa nouvelle vampirique la Morte amoureuse.

Ajoutons que Goethe, tout en condamnant plus tard les excès du «genre frénétique», conserva jusqu'à sa mort un intérêt bienveillant pour les vampires dont il fait deux fois mention dans la seconde partie de son Faust[618].

Un autre grand poète a associé son nom au même sujet. Après Goethe, Byron, dans son poème du Giaour, fait allusion à cette superstition (1813):

     Vampire affreux, et contraint de poursuivre,
     Dans ta fureur, tous ceux qui te sont chers;
     Tu suceras le sang de ta famille;
     Bientôt ta sœur, ton épouse, ta fille,
     Expireront sous ta cruelle dent;
     Tu maudiras le banquet dégoûtant
     Qui doit nourrir ton cadavre vivant[619].

Trois ans plus tard, une petite société romantique anglaise se forma à Genève. Byron, Mrs. Shelley, le docteur William Polidori et M.G. Lewis en faisaient partie. On s'amusa pendant un certain temps à lire les histoires de revenants allemands. À cette occasion, Mrs. Shelley écrivit son roman de Frankenstein; Byron se rappela une nouvelle effrayante qu'il s'était proposé d'écrire depuis longtemps, le Vampire et il la raconta à ses amis. Le docteur Polidori jeta l'histoire sur le papier et la publia, au mois d'avril 1819, sous le nom de Byron, dans le New Monthly Magazine[620].

Cette nouvelle, toute remplie de scènes macabres, et d'une morale plutôt douteuse, avait pour héros un jeune débauché, lord Ruthwen, qui, tué en Grèce, devint vampire, séduisit la sœur de son ami Aubrey et l'étouffa la nuit qui suivit sa noce. Elle eut un éclatant succès: chose incroyable, le vieux Goethe la proclama la meilleure œuvre de Byron[621]. En France, elle fut traduite immédiatement par un certain H. Faber. Son succès fut si grand que le traducteur de Byron, Amédée Pichot, se trouva obligé de l'insérer dans son édition des Œuvres complètes du poète anglais. «Cette production apocryphe, disait-il dans l'Essai sur le génie et le caractère de lord Byron, a autant contribué à faire connaître le nom de lord Byron en France que ses poèmes les plus estimés[622].» Protégé par le nom de l'auteur du Corsaire et de Lara, le Vampire fit fortune dans les salons. Il inspira un roman de vogue, Lord Ruthwen ou les vampires, par Cyprien Bérard, roman que l'éditeur Ladvocat lança sous le nom de Charles Nodier. Les théâtres s'emparèrent du sujet. Au Théâtre de la Porte-Saint-Martin on donna, le 13 juin 1820, la première du Vampire, mélodrame de Nodier, Carmouche et A. Jouffroy, musique d'Alexandre Piccini. Alexandre Dumas a laissé une relation intéressante de cette mémorable première et de la fièvre vampirique qui régnait alors[623]. Et l'auteur de Smarra écrivait:«Le Vampire épouvantera de son horrible amour les songes de toutes les femmes: et bientôt, sans doute, ce monstre encore exhumé prêtera son masque immobile, sa voix sépulcrale, son œil d'un gris mort… tout cet attirail de mélodrame à la Melpomène des boulevards; et quel succès alors ne lui est pas réservé[624]!»

Cette pièce était «dégoûtante» selon le Conservateur littéraire des frères Hugo[625]; elle offrait, disaient les Lettres Normandes, «des tableaux qu'une honnête femme ne peut voir sans rougir[626]». Mais elle faisait fureur et tout Paris y allait. «Il n'était pas de petit théâtre qui ne voulût avoir son Vampire, dit M. Estève dans son étude Byron et le romantisme français; une lignée de ces monstres sortait de la nouvelle de Polidori et de son adaptation française: au Vaudeville, le Vampire de Scribe et Mélesville; aux Variétés, les Trois Vampires de Brazier, Gabriel et Armand; sans compter les charges et les parodies: le Vampire, mélodrame en trois actes, paroles de M. Pierre de la Fosse, de la rue des Morts, et un Cadet Buteux au Vampire de Désaugiers[627].» Malgré les plaisanteries dont il fut souvent la victime, le vampirisme resta longtemps à la mode: trois ans après la première représentation, la pièce de Nodier attirait encore la foule à la Porte-Saint-Martin, comme l'attirera à l'Ambigu, vingt-huit ans plus tard, un drame d'Alexandre Dumas père, où l'on ressuscitait de nouveau le sinistre lord Ruthwen[628].

Du reste, cela tenait à l'époque. La révolution romantique fut précédée—et non pas par hasard—d'une vogue assez prolongée de la magie, du surnaturel monstrueux, effrayant. Mme de Staël ne songeait pas qu'un tel goût soit possible quand elle affirmait qu'en France «rien de bizarre n'est naturel». On savourait la Lénore de Bürger et on dévorait les romans de Lewis, Mrs. Radcliffe et Maturin[629]. Collin de Plancy rédigea, en 1818, une vraie encyclopédie de ce genre, le Dictionnaire infernal, qui contenait déjà des articles spéciaux sur le vampirisme. Cet ouvrage est un des cinq ou six livres qui ont servi à Hugo pour sa Notre-Dame de Paris[630]. En 1819, Gabrielle de Pahan fit paraître une Histoire des fantômes et des démons qui se sont montrés parmi les hommes; en 1820, on publia sans nom d'auteur une Histoire des Vampires et des spectres malfaisants et les Notes sur le Vampirisme, dont fut augmentée la seconde édition de Lord Ruthwen; en 1822, Infernaliana, édité par Charles Nodier, livre plein d'histoires de vampires. C'est alors que florissait «l'école du cauchemar», inaugurée en France par Nodier que suivirent les jeunes auteurs, comme Balzac et Hugo, dans leurs premiers romans[631].

C'était le temps où les amoureux se promenaient sous le balcon de leurs belles, non une guitare, mais une tête de mort à la main. Relativement à ce trait de mœurs romantiques, M. Anatole France note cette curieuse anecdote: «Sainte-Beuve, environ vers ce temps, reçut la visite d'une jeune et illustre dame [G. Sand?]; elle lui remit une tête de mort préparée pour l'étude. Le crâne scié formait couvercle et s'ouvrait sur charnière. Elle avait mis dedans une mèche de ses cheveux: «Vous remettrez cela à A… [Alfred?], dit-elle[632].» Également intéressante est la description qu'a donnée Théophile Gautier de dîners romantiques de ce genre. «On se réunissait à la barrière de l'Étoile, chez Graziano, au cabaret du Moulin-Rouge, pour manger du macaroni au sughilo et boire du vin dans une tête de mort. Le doux Gérard de Nerval se chargea de fournir cet accessoire. Il apporta un crâne de tambour-major dérobé à la collection paternelle. Une poignée de commode en cuivre vissée à la boîte osseuse en faisait une coupe très présentable[633].» Et dans le Pandæmonium de Philothée O'Neddy (Théophile Dondey), Pétrus Borel exalte les anciens jours où il faisait bon vivre,

     Lorsqu'on avait des flots de lave dans le sang,
     Du vampirisme à l'œil, des volontés au flanc[634]!

Dans le grand manifeste romantique qu'est la préface de Cromwell, la chose fut sanctionnée comme faisant partie du fameux grotesque:

Les naïades charnues, les robustes tritons, les zéphyres libertins ont-ils la fluidité diaphane de nos ondins et de nos sylphides? N'est-ce pas parce que l'imagination moderne sait faire rôder hideusement dans nos cimetières les vampires, les ogres, les aulnes, les psylles, les goules, les brucolaques, les aspioles, qu'elle peut donner à ses fées cette forme incorporelle, cette pureté d'essence dont approchent si peu les nymphes païennes[635]?

Ceci est d'autant plus significatif que Victor Hugo, six ans avant cette préface, traitait le Vampire de Nodier de pièce «dégoûtante».

Goethe, qui s'intéressait vivement à la littérature française de cette époque, jugea sévèrement cette «direction ultra-romantique» qui se manifestait chez «quelques talents remarquables», direction dont il est lui-même jusqu'à un certain point responsable, car plusieurs de ses ballades de ce genre furent célébrées en France en ce temps-là. Voici ce qu'il disait à son «fidèle Eckermann»:

Dans aucune révolution il n'est possible d'éviter les excès. Dans les révolutions politiques, ordinairement, on ne veut d'abord que détruire quelques abus, mais avant que l'on ne s'en soit aperçu, on est déjà plongé dans les massacres et dans les horreurs. Les Français, dans leur révolution littéraire actuelle, ne demandaient rien autre chose qu'une forme plus libre, mais ils ne se sont pas arrêtés là, ils rejettent maintenant le fond avec la forme. On commence à déclarer ennuyeuse l'exposition des pensées et des actions nobles; on s'essaie à traiter toutes les folies. À la place des belles figures de la mythologie grecque, on voit des diables, des sorcières, des vampires, et les nobles héros du temps passé doivent céder la place à des escrocs et à des galériens. «Ce sont des choses piquantes! Cela fait de l'effet!» Mais quand le public a une fois goûté à ces mets fortement épicés et en a pris l'habitude, il veut toujours des ragoûts de plus en plus forts.—Un jeune talent qui veut exercer de l'influence et être connu, et qui n'est pas assez puissant pour se faire sa voie propre, doit s'accommoder au goût du jour et même il doit chercher à dépasser ses prédécesseurs en cruautés et en horreurs. Dans cette chasse des moyens extérieurs, toute étude profonde, tout développement intime régulier du talent et de l'homme est oublié. C'est là le plus grand malheur qui puisse arriver au talent, mais cependant la littérature dans son ensemble gagnera à ce mouvement[636].

§ 2

LE VAMPIRISME DANS «LA GUZLA»

Avec la Guzla, qui contient un assez grand nombre d'histoires terrifiantes, Mérimée, lui aussi et à sa manière, avait pris cette «direction ultra-romantique» dont parle Goethe. En 1819 et 1820, il s'était mis à étudier la magie[637]; il lisait alors le Monde enchanté du «fameux docteur Balthazar Bekker», le Traité sur les apparitions du père Calmet, la Magie naturelle de Jean-Baptiste Porta[638], ouvrages dont il se servira en composant la Guzla et dont il se souviendra au chapitre XII de la Chronique de Charles IX. Il faisait, en effet, de l'«ultra-romantisme» avec ses ballades sur les vampires et les jeteurs de sort, qui tiennent une place considérable dans son recueil de poésies illyriques.

Mais il serait injuste de prétendre que Mérimée a introduit dans la Guzla ce monde merveilleux uniquement pour faire de l'«ultra-romantisme». Le surnaturel se retrouve fréquemment dans la véritable poésie populaire et Mérimée dut s'en souvenir lorsqu'il se mit à confectionner ses contrefaçons du folklore.

De plus, il crut donner ainsi plus de «couleur» à ses ballades illyriques. En effet, le vampirisme est une superstition particulièrement remarquée chez les peuples de l'Adriatique et des Balkans. Chez son guide Fortis, il avait trouvé une page qui suffit à le décider:

Les Morlaques croient avec tant d'obstination aux sorciers, aux esprits, aux spectres, aux enchantements, aux sortilèges, comme s'ils étaient convaincus de l'existence de ces êtres par mille expériences réitérées. Ils sont persuadés aussi de la vérité des vampires, à qui ils attribuent, comme en Transylvanie, le désir de sucer le sang des enfants. Lorsqu'un homme soupçonné de pouvoir devenir vampire, ou comme ils disent voukodlak[639], meurt, on lui coupe les jarrets et on lui pique tout le corps avec des épingles; ces deux opérations doivent empêcher le mort de retourner parmi les vivants. Quelquefois, un Morlaque mourant croyant sentir d'avance une grande soif du sang des enfants, prie ou oblige même ses héritiers à traiter son cadavre en vampire avant de l'enterrer. Le plus hardi heyduque se sauve à toutes jambes à la vue de quelque chose qu'il peut envisager comme un spectre ou comme un esprit follet; de telles apparitions se présentent souvent à des imaginations échauffées, crédules et remplies de préjugés. Ils n'ont aucune honte de ces terreurs et les excusent par un proverbe qui rappelle bien un vers de Pindare: «La crainte des esprits fait fuir même les enfants des dieux.» Les femmes morlaques sont, comme il est très naturel, cent fois plus craintives et plus visionnaires que les hommes[640].

L'auteur du Voyage en Bosnie avait, lui aussi, parlé des vampires: nouvelle preuve pour Mérimée que la «couleur» serait insuffisante s'il ne leur accordait une place importante dans la Guzla[641].

Ainsi, persuadé que l'âme serbo-croate était constamment tourmentée par les monstrueuses histoires des buveurs de sang, il n'hésita pas à composer cinq ballades exclusivement consacrées aux vampires. Une sorte de dissertation folklorique servait d'introduction à cette partie de son ouvrage.

La note Sur le Vampirisme[642] n'est, en somme, qu'une transcription fidèle de quelques pages de dom Calmet, suivie d'une paraphrase sur le même thème. S'il y a là vraiment ce ton «candide et pédant» dont parle M. Filon[643], le mérite en revient surtout au savant bénédictin qui a fourni la matière,—Mérimée le reconnaît,—de huit pages sur vingt-deux.

Dans cette paraphrase, l'auteur de la Guzla raconte le plus sérieusement du monde un «fait du même genre dont il a été témoin». Ce récit est, lui aussi, arrangé à l'aide de nombreuses histoires rapportées dans le Traité sur les apparitions, mais on y reconnaît facilement les passages où dom Calmet cède la plume à notre spirituel auteur.

Selon son habitude, Mérimée y raconte une visite qu'il aurait faite à un Morlaque «riche, très jovial, assez ivrogne», Vuck Poglonovich. «Je voulais rester quelques jours dans sa maison, dit-il, afin de dessiner des restes d'antiquités du voisinage; mais il me fut impossible de louer une chambre pour de l'argent; il me fallut la tenir de son hospitalité.» Ce Vuck Poglonovich avait une fille de seize ans, charmante enfant, nous assure Mérimée.

Un soir les femmes nous avaient quittés depuis une heure environ, et, pour éviter de boire, je chantais à mon hôte quelques chansons de son pays, quand nous fûmes interrompus par des cris affreux qui partaient de la chambre à coucher. Il n'y a en qu'une ordinaire dans une maison, et elle sert à tout le monde. Nous y courûmes armés, et nous y vîmes un spectacle affreux. La mère, pâle et échevelée, soutenait sa fille évanouie, encore plus pâle qu'elle-même, et étendue sur de la paille qui lui servait de lit. Elle criait: «Un vampire! un vampire! ma pauvre fille est morte!» Nos soins réunis firent revenir à elle la pauvre Khava[644]: elle avait vu, disait-elle, sa fenêtre s'ouvrir et un homme pâle et enveloppé dans un linceul s'était jeté sur elle et l'avait mordue en tâchant de l'étrangler. Aux cris qu'elle avait poussés, le spectre s'était enfui, et elle s'était évanouie. Cependant elle avait cru reconnaître dans le vampire un homme du pays, mort depuis plus de quinze jours et nommé Wiecznany. Elle avait sur le cou une petite marque rouge; mais je ne sais si ce n'était pas un signe naturel, ou si quelque insecte ne l'avait pas mordue pendant son cauchemar. Quand je hasardais cette conjecture, le père me repoussa durement; la fille pleurait et se tordait les bras, répétant sans cesse: «Hélas! mourir si jeune avant d'être mariée!» et la mère me disait des injures, m'appelant mécréant et certifiant qu'elle avait vu le vampire de ses deux yeux et qu'elle avait bien reconnu Wiecznany. Je pris le parti de me taire[645].

Ainsi, et dès les premières lignes de son récit, Mérimée prend nettement position: il ne croit pas aux vampires, mais il cherche à donner de cette superstition une explication rationnelle. Hallucination ou folie, maladie de l'imagination, tel est son pronostic. «Elle avait vu, disait-elle… elle avait cru reconnaître un homme du pays… elle avait sur le cou une petite marque rouge; mais je ne sais si ce n'était pas un signe naturel, ou si quelque insecte ne l'avait pas mordue…» Il y a là un cas pathologique qui intéresse au plus haut point Mérimée, curieux observateur de pareils phénomènes. Dès lors c'est en docteur, en psychologue, qu'il va étudier les effets de cette maladie singulière: mais aussi en artiste, car il saura nous rendre palpables tous les progrès de cette étrange affection. Et d'abord, il lui faut établir que certains peuples croient sincèrement à l'existence des vampires; un tableau d'un réalisme saisissant, habilement amené par quelques phrases de transition, convaincra l'incrédule qu'il existe bien réellement des vampires, sinon en vérité, du moins dans l'imagination de certaines gens.

«La mère avait vu le vampire de ses yeux et l'avait bien reconnu.» Suit une scène de sauvagerie, la plus horrible qu'on puisse imaginer, et qui étonne chez des peuples qui ont cependant le respect de la mort; mais la superstition ne connaît point de mesures. Ce crâne fracassé à coups de fusil, ce cadavre déchiqueté par la morsure des hanzars, ce liquide rougeâtre qu'on recueille sur des linges blancs pour servir de compresses aux épaules de la pauvre Khava: Mérimée accumule tant de détails repoussants et dégoûtants qu'on est bien forcé de convenir que ce n'est pas chose ordinaire qu'une maladie où il faut employer des remèdes de cette nature. Il y aune telle précision dans le récit, l'auteur donne tant d'indications circonstanciées sur tout ce qui s'est passé, à ce qu'il dit, sous ses yeux, qu'on a peine à ne pas l'en croire sur parole et qu'il réussit bien mieux que ne l'avaient su faire dom Calmet, Chaumette-Desfossés et Fortis, à nous initier à ce qu'est véritablement le vampirisme: abominable et effrayante superstition dont il va nous dire tous les effets funestes. Comme un médecin qui, au chevet d'un malade, note au jour le jour tous les progrès de la maladie, Mérimée indique avec une exactitude qui paraît scrupuleuse tout ce qui peut nous faire connaître le mal dont meurt la malheureuse Khava. «Les craquements du plancher, le sifflement de la bise, le moindre bruit la faisaient tressaillir… Son imagination avait été frappée par un rêve et toutes les commères du pays avaient achevé de la rendre folle en lui racontant des histoires effrayantes.» Rien à faire contre le mal qui la dévore; la bonne volonté, le dévouement sont impuissants, impossible de prendre sur elle la moindre autorité; absorbée dans la méditation de sa misère, elle a cette perspicacité des malades qui, mortellement atteints, savent discerner toute la fausseté des espérances qu'on essaie de leur donner. Observateur attentif, Mérimée n'en est pas pour autant impassible; il se meut peu, il est vrai, dans ce récit de la mort d'une jeune fille, tout juste autant qu'il faut pour pouvoir nous découvrir, phase par phase, la maladie, et pour «donner enfin, de bon cœur, au diable les vampires, les revenants et ceux qui en racontent les histoires[646]».

Mais si sa sensibilité est contenue, elle n'en est pas moins évidente: il a su donner la vie à la touchante et infortunée Khava et pour cela il fallait bien qu'il fût ému lui-même. Il l'a fait gracieuse et dévouée, superstitieuse il est vrai, mais quelle jeune fille ne l'est un peu? Pleine d'attentions délicates: elle sait éloigner sa mère à ses derniers moments, elle laisse à son garde fidèle une amulette pour souvenir; victime d'un sort funeste, résignée, affectueuse et tendre elle fait songer à plus d'une jeune fille du répertoire romantique.

Ce qui ressort de cette notice Sur le Vampirisme, c'est que Mérimée s'est intéressé à la superstition morlaque d'abord parce que c'était pour lui matière à peintures saisissantes et horribles qu'il se plaira de nous tracer dans toute leur hideur, ensuite parce qu'il y avait là un phénomène moral, quelque chose de bizarre dont les raisons étaient obscures à démêler et dont il fallait rendre compte. Aussi bien nous retrouverons dans les cinq ballades qu'il a consacrées aux vampires cette double tendance: nous y découvrirons le peintre de tableaux réalistes affreux et le froid psychologue qui examine, juge et critique une superstition.

LA BELLE SOPHIE[647].—Est-ce une habileté? la première des ballades vampiriques de Mérimée peut se comprendre dans une certaine mesure. Ce n'est pas, là, du merveilleux à haute dose: une jeune fille méprise un jeune amant qui l'aime, pour se donner à un homme riche et déjà vieux; le jeune homme se suicide et la belle Sophie, avant que d'entrer dans la chambre nuptiale, meurt épuisée dans les bras d'un spectre qui la mord à la gorge. Nous y pouvons voir comme un symbole du remords qui un jour poursuivra la glorieuse épouse du riche hey Moïna. Le vampirisme se glisse dans cette ballade, plutôt qu'il n'y paraît. Ce n'est pas le bey Moïna qui enserre, étouffe et tue la jeune épousée, c'est le spectre vengeur de Nicéphore qui vient demander rançon de son sang qu'il a répandu. Or, les spectres, c'était le «genre frénétique» le plus pur; nous ne remarquerons donc rien de très original dans cette ballade, si ce n'est ces derniers mots: «Il m'a mordue à la veine du cou et il suce mon sang.»

La ballade, d'ailleurs, a d'autres mérites. Scène lyrique dit Mérimée à très juste titre: lyrique par la façon dont elle est composée en strophes d'à peu près égale longueur et finissant sur un refrain qui varie très peu: «Le riche bey de Moïna épouse la belle Sophie», ou «Tu es l'épouse du riche bey de Moïna», etc.; mais pathétique aussi, par le contraste que fait la joie des cérémonies nuptiales avec l'atrocité du dénouement.

La «couleur», comme toujours, Mérimée l'emprunte à Fortis, ainsi que la matière de ses notes. Couleur toute superficielle qui n'a d'autre raison d'être que de situer la scène dans un pays plutôt que dans un autre. Simple prétexte pour citer le Voyage en Dalmatie et faire preuve d'érudition.

VOYAGE EN DALMATIE: LA GUZLA

On conduit à l'église l'épouse voilée, [Les svati] Ce sont les membres au milieu des svati à cheval. Après des deux familles réunis pour le la cérémonie de la bénédiction, on la mariage. Le chef de l'une des ramène à la maison de son père, ou à deux familles est le président celle de son époux, si elle est peu des svati, et se nomme éloignée, parmi les décharges d'armes à stari-svat. Deux jeunes gens, feu et parmi les cris de joie et des appelés diveri, accompagnent témoignages d'une allégresse barbare… la mariée et ne la quittent Le stari-svat est le premier qu'au moment où le kuum la remet personnage de la noce, et cette dignité à son époux. Pendant la marche se donne toujours à l'homme le plus de la mariée, les svati tirent considéré parmi les parents… Les deux continuellement des coups de diveri destinés à servir l'épouse, pistolets, accompagnement obligé doivent être les frères de l'époux. Le de toutes les fêtes, et poussent kuum fait les fonctions de parrain… des hurlements épouvantables. Ajoutez à cela les joueurs de Avant d'entrer dans la maison, guzla et les musiciennes, qui la mariée se met à genoux et baise chantent des épithalames souvent le seuil de la porte; sa belle-mère improvisées, et vous aurez une ou quelque autre femme de la parenté idée de l'horrible charivari lui met alors en main un crible, rempli d'une noce morlaque. de grains et de menus fruits, comme noix et amandes, qu'elle doit répandre La mariée, en arrivant à la derrière elle par poignées. maison de son mari, reçoit des mains de sa belle-mère ou d'une des parentes (du côté du mari), un crible rempli de noix; elle le jette par-dessus sa tête et baise ensuite le seuil de la porte.

Quand les époux sont déshabillés, le Le kuum est le parrain de l'un
kuum se retire et écoute à la porte, des époux. Il les accompagne à
s'il y en a une. Il annonce l'événement l'église et les suit jusque dans
par un coup de pistolet, auquel les leur chambre à coucher où il
svati répondent par une décharge de délie la ceinture du marié, qui,
leurs fusils. ce jour-là, d'après une ancienne
                                        superstition, ne peut rien
                                        couper, lier ni délier. Le kuum
                                        a même le droit de faire
                                        déshabiller en sa présence les
                                        deux époux. Lorsqu'il juge que
                                        le mariage a été consommé, il
                                        tire en l'air un coup de
                                        pistolet, qui est aussitôt
                                        accompagné de cris de joie et de
                                        coups de feu par tous les
                                        svati[648].

JEANNOT[649].—La deuxième ballade, Jeannot, tout entière, a trait au vampirisme; mais c'est pour s'en moquer. Mérimée se décide avec peine à en parler sérieusement. Il ménage son lecteur et veut à l'avance lui bien faire connaître quelle est sa propre pensée au sujet de cette superstition. Jeannot est un petit conte qui veut être drolatique et qui est à peine amusant; Mérimée réussit peu dans ce genre; et puis on peut penser qu'il y a comme un manque de goût à introduire si brusquement un personnage aussi couard dans un recueil où tous les héros ont pour moindre défaut la poltronnerie. De plus, ce pauvre Jeannot a le tort de nous faire par trop songer au fameux «Jeannot lapin» de La Fontaine. L'aventure de l'infortuné poltron, mordu par un chien qu'il croit être un vampire, est à peine plaisante; elle n'a pour nous d'autre intérêt que de nous faire remarquer encore une fois que Mérimée se défend d'avoir jamais cru, le moins du monde, aux histoires de vampires. Ceci bien établi, son imagination pourra se donner libre cours; se complaire à des tableaux effrayants et raconter avec un semblant de sincérité des histoires à faire frémir.

LE VAMPIRE[650].—Le Vampire la troisième ballade du genre, se réduit à un tableau: c'est la description d'un vampire tel que Mérimée l'imagine d'après les renseignements que lui a donnés dom Calmet. Remarquons que ce portrait, type du vampire selon l'auteur de la Guzla, présente tous les traits principaux qu'on rencontre chez les autres vampires du recueil. Comme lui, Nicéphore de la Belle Sophie, le «Grec schismatique» de Constantin Yacoubovich], et très probablement aussi Cara-Ali de la ballade du même nom, sont de jeunes hommes: comme lui, ils sont étrangers et doublement dignes de mépris, comme vampires et comme «chiens d'infidèles»; ils sont généralement séduisants: le «Vénitien» s'est fait aimer de Marie, comme Cara-Ali s'est fait aimer de Juméli. Les yeux bleus, le teint pâle, cet air de jeunesse qui jamais ne les quitte, même quand ils ont les cheveux blancs, sont les signes distinctifs auxquels on peut reconnaître un vampire tandis qu'il est en vie; mort, ses yeux se ternissent, mais n'en gardent pas moins une étrange puissance de fascination; son sang circule toujours chaud à travers les veines; les corbeaux évitent de l'approcher. Malheur à qui passe près de ce cadavre!

Le vampire selon Mérimée,—nous parlons de ses ballades,—c'est un héros, fatal encore après sa mort. Fatal à lui-même et fatal à ceux qui se trouvent sur sa route; son amour est maudit; il entraîne dans sa perte celle à qui il s'attache; c'est un vampire très byronien que le vampire de Mérimée. Nicéphore se tue comme Werther, parce qu'il n'a pu épouser la belle Sophie; le «Vénitien» du Vampire et Cara-Ali sont des damnés qui excitent plus de pitié que de haine; à tout cela on ne reconnaît guère le vampire traditionnel que la superstition déclare tel, parce que durant sa vie il a vécu en original, ou parce que la nature avait placé dans ses yeux et dans ses traits quelque chose d'anormal; ou parce que, enfin, des circonstances bizarres ont accompagné sa mort.

CARA-ALI[651].—Héros fatal, le vampire est dévoué à ceux qu'il aime; car ce n'est pas sa faute s'il provoque leur ruine; le «Vénitien» est mort pour l'amour de Marie: «Une balle lui a percé la gorge, un ataghan s'est enfoncé dans son cœur»; Cara-Ali meurt pour l'amour de Juméli: «Juméli! Juméli! ton amour me coûte cher. Ce chien de mécréant m'a tué, et il va te tuer aussi.» Mais si le vampirisme est au fond de cette ballade, il n'en forme pas le véritable sujet: c'est un poème à tendance moralisatrice auquel nous avons affaire.

Cara-Ali a séduit la belle Juméli parce qu'«il est couvert de riches fourrures», tandis que son mari «Basile est pauvre». Quelle est, en effet, la femme qui résiste à beaucoup d'or?» se demande le sauvage poète illyrien. Pour ses richesses, Juméli a aimé l'infidèle. «Où es-tu, Basile? Cara-Ali, que tu as reçu dans ta maison, enlève ta femme Juméli que tu aimes tant.» Le vampire est non seulement séducteur, mais il se fait un jeu, nouveau Pâris, de violer les lois de l'hospitalité. Le mari tire une terrible vengeance de celui qui l'a trompé; de son «beau fusil orné d'ivoire et de houppes rouges» il tue le pervers mécréant. Et non content d'avoir blâmé dans sa première partie la cupidité de la femme; d'avoir châtié comme il le mérite, le crime honteux d'un étranger peu soucieux de ce qu'il doit à son hôte, Mérimée, pour une fois farouche moraliste, punit d'abominable façon la sotte curiosité de l'homme qui, lui aussi, se laisse prendre à l'appât des richesses et de la domination. Avant de mourir, en effet, Cara-Ali a remis à l'épouse infidèle «un talisman précieux», le Coran qui lui vaudra sa grâce, mais causera la perte de l'infortuné Basile. «Basile a pardonné à son infidèle épouse; il a pris le livre que tout chrétien devrait jeter au feu avec horreur.» Mal lui en prend, car «en ouvrant le livre à la soixante-sixième page» il se livre, «pour avoir renoncé à son Dieu» aux mains du vampire «qui le mord à la veine du cou et ne le quitte qu'après avoir tari ses veines».

Étrange histoire où le merveilleux ne paraît que dans la seconde partie, selon un procédé habituel à Mérimée qu'il nous sera plus commode d'étudier dans la ballade suivante. La morale, sans doute, est au fond de cette pièce; mais est-elle bien sincère? ce sont de vieux thèmes que la cupidité de la femme, la violation des droits de l'hospitalité, l'ambition des hommes. Mérimée, il faut le dire, nous paraît un moraliste quelque peu ironiste; son vampire qui représente ici le doigt de Dieu, nous semble tout juste bon à effrayer les petits enfants; il a voulu faire très gros, pour produire beaucoup d'effet; on ne saurait nier qu'il y a dans son poème beaucoup de choses qui surprennent et frappent l'attention.

CONSTANTIN YACOUBOVICH[652].—La cinquième ballade que Mérimée a consacrée aux histoires de vampires est bien faite, elle aussi, pour nous étonner. Vampire dans la première partie du poème,—car il a mordu le fils de Constantin à la veine du cou,—le «Grec schismatique» se transforme dans la seconde partie en un fascinateur. C'est trop pour un seul homme: on n'est pas à la fois vampire et «mauvais œil»; l'un ou l'autre devrait suffire.

Extraordinaire, cette ballade, et cependant meilleure au point de vue de la couleur, que ne l'étaient les précédentes.

Comme le «Vénitien» du Vampire, le «Grec schismatique» ne porte point de nom. C'est un inconnu, venu d'on ne sait où; un être fatal, prédestiné, qui n'ose dire ni qui il est, ni où il va, toujours forcé de fuir les lieux où il voudrait s'attacher. Un jour, blessé à mort, il tombe au milieu d'une famille paisible qui prend soin de ses derniers moments, et c'est son dernier crime. Ce cimetière, ces arbres verts qu'il voit là-bas, dorés par le soleil, ce dernier refuge dans lequel il voudrait dormir son dernier sommeil, il ne pourra y reposer car il est poursuivi jusque dans la mort par son mauvais destin. Funeste à tous ceux qui l'entourent, même à ceux qui lui veulent du bien, pourquoi faut-il que Constantin Yacoubovich ne se soit pas demandé «si la terre latine souffrirait dans son sein» ce «Grec schismatique». Et nous découvrons ici, toujours et encore, ce perpétuel souci de Mérimée de faire accepter ses histoires, en leur donnant, en dehors de la notion du vampirisme même, quelque motif plausible qui puisse faire passer le merveilleux. Deux personnages jouent un rôle important dans cette ballade: c'est l'inconnu et le saint ermite qui lui aussi est anonyme; et pourtant Constantin Yacoubovich, qui y tient une place insignifiante, a donné son nom au poème; c'est lui, en effet, qui noue le drame en commettant le sacrilège, c'est lui qui aurait dû chasser comme un chien, loin de sa porte, ce mécréant maudit.

Toute cette ballade nous paraît assez bien venue et bien composée; c'est insensiblement que Mérimée nous fait passer de la réalité dans le domaine du merveilleux; quelque part il a donné sa recette pour y plonger le lecteur sans qu'il s'en aperçoive.

Commencez par des portraits bien arrêtés de personnages bizarres, mais possibles, et donnez à leurs traits la réalité la plus minutieuse. Du bizarre au merveilleux, la transition sera insensible, et le lecteur se trouvera en plein fantastique bien avant qu'il se soit aperçu que le monde réel est loin derrière lui[653].

Cette ballade nous offre une excellente occasion d'étudier la manière dont Mérimée s'y prend pour y réussir en effet.

Un tableau d'abord, en quelques lignes, pour situer la scène: Constantin Yacoubovich est assis devant sa maison; devant lui son fils joue avec un sabre; sa femme Miliada est accroupie à ses pieds. Survient un inconnu; ce sera le personnage important du drame, il faut donc attirer l'attention sur lui: ici et là quelques traits qui nous le feront reconnaître tout à l'heure pour ce qu'il est véritablement: figure jeune, cheveux blancs, yeux mornes, joues creuses. Ce personnage énigmatique nous intrigue plus qu'il ne nous étonne; avant qu'il ne meure, Mérimée place dans sa bouche quelques mots seulement qui nous font deviner tout un passé de douleurs et de nouvelles misères: «Triste, triste fut ma vie; triste sera ma mort…» Enfin deux traits qui attirent et retiennent notre attention: Et sa bouche a souri et ses yeux sortaient de leurs orbites.» Puis, quand l'auteur a déclaré que Constantin «l'a porté au cimetière sans s'inquiéter si la terre latine souffrirait dans son sein le cadavre d'un Grec schismatique», nous sommes bien persuadés que ce mort est un être étrange, nous l'admettons pour tel à l'avance et nous n'avons qu'une curiosité, savoir qui il est. Mérimée est bien trop habile pour nous le dire de suite: il nous montre d'abord le jeune fils de Constantin qui se meurt d'un mal inconnu; ce qui ne fait qu'accroître notre désir de connaître le pourquoi de toutes ces choses; puis un grand mot nous met davantage en éveil: «La Providence a conduit dans la maison de Constantin un saint ermite, son voisin.» Enfin, nous allons savoir, et, à l'avance, nous acceptons toutes les explications merveilleuses qui nous seront données. Ce mort est un vampire, c'est lui qui vient sucer le sang du fils de Constantin; on le déterre:

Or, son corps était frais et vermeil; sa barbe avait crû, et ses ongles étaient longs comme des serres d'oiseau; sa bouche était sanglante, et sa fosse inondée de sang. Alors Constantin a levé un pieu pour l'en percer; mais le mort a poussé un cri et s'est enfui dans les bois.

Nous sommes en plein merveilleux; il n'y a plus de raison pour nous arrêter; et c'est la fuite fantastique du mort à travers les bois; et ces apparitions consécutives et ces conjurations sans cesse renouvelées. Du domaine des choses possibles, où nous étions dans la première partie, nous avons passé, par des transitions habiles et presque sans nous en apercevoir, en pleine fantaisie.

Est-il besoin de dire qu'ici encore, lorsque Mérimée a besoin d'un document précis,—qui, à vrai dire, n'ajoute rien à son poème parce que le plus souvent il n'est pas nécessaire,—c'est à ses sources bien connues qu'il s'adresse.

VOYAGE EN DALMATIE: LA GUZLA

Le plus poli Morlaque en parlant de sa Dans un ménage morlaque le mari femme, dit: Da prostite, moya xena, couche sur un lit, s'il y en a pardonnez-moi, ma femme. Ceux en petit un dans la maison, et la femme nombre, qui possèdent un mauvais sur le plancher. C'est une des châlit, où ils dorment sur la paille, nombreuses preuves du mépris n'y souffrent jamais leur femme, qui avec lequel sont traitées les est obligée de coucher sur le plancher. femmes dans ce pays. Un mari ne J'ai couché souvent dans les cabanes cite jamais le nom de sa femme des Morlaques, et j'ai été témoin de ce devant un étranger sans ajouter: mépris universel qu'ils marquent au Da prostite, moya xena (ma sexe[654]. femme, sauf votre respect)[655].

Mérimée a compris le vampirisme de deux façons très différentes: dans sa notice et dans ses ballades.

Dans la notice, s'inspirant directement de dom Calmet et de Fortis, il a pénétré le véritable esprit du vampirisme; hallucination ou folie, maladie de l'imagination: le vampirisme n'est rien autre chose.

Dans ses ballades, au contraire, Mérimée l'a interprété à la façon de Byron et de Nodier; c'est un vampirisme fantaisiste, un vampirisme romantique. Le vampire est un type particulier du héros fatal; s'il est nuisible, c'est parce qu'il est maudit, ou parce que sont maudits ceux dont il vient réclamer vengeance.

Ce vampirisme littéraire n'a rien de commun avec le vampirisme traditionnel et populaire qui n'est qu'une superstition analogue à la peur du loup-garou.

Mais si Mérimée, dans ses ballades vampiriques, s'est éloigné du véritable esprit populaire, il s'est écarté bien davantage de la poésie populaire serbo-croate qui ne chante jamais les vampires. Histoires de bonnes femmes, ce sont des récits que racontent parfois les vieilles grand'mères aux petits enfants dans les campagnes. Le guzlar rougirait de chercher son inspiration à des sources aussi grossières; et c'est faire les peuples de ce pays par trop naïfs que de croire qu'ils ont sans cesse l'imagination tourmentée de terreurs aussi puériles. Le merveilleux sans doute ne manque pas dans les piesmas, mais ce merveilleux, jamais effrayant, est le plus souvent symbolique. Tous les peuples, en effet, ont divinisé à une certaine époque les forces de la nature: les souffles du vent, le murmure des ruisseaux sont le langage que parlent les esprits de la forêt et des monts. Les nymphes et les sylphides sont connues en tous pays; le peuple serbo-croate lui aussi a sa nymphe qui habite la montagne, la Vila, qui est souvent l'amie des héros; les poètes de ces pays, comme tous les poètes, aiment la fiction; les chevaux ailés, les miracles sont pour eux choses assez familières; mais comme les poètes sincères qui sentent encore vibrer en eux les vraies cordes du lyrisme, ce sont les riantes et gracieuses images qu'ils aiment et non pas des tableaux tout remplis d'horreurs que seule peut apprécier une société quelque peu corrompue et avide de sensations nouvelles.

§ 3

LE MAUVAIS ŒIL

La superstition du mauvais œil est plus ancienne et mieux connue que les croyances relatives aux vampires. Aussi pensons-nous ne pas devoir nous étendre aussi longuement sur ce sujet que nous l'avons fait à l'occasion des précédentes ballades.

Théocrite s'inspire de cette superstition dans ses idylles[656]; Pline l'Ancien en parle dans ses histoires[657]; Ovide enfin dans ses Amours explique ce qu'est le mauvais œil:

     Oculis quoque pupula duplex
     Fulminat, et gemino lumen ab orbe venit[658].

Au XVIe siècle, un célèbre physicien italien, Jean-Baptiste Porta, consacre au mauvais œil tout un chapitre de son gros ouvrage: Magiæ naturalis sive de miraculis rerum naturalium lib. XX, Naples 1589[659]. Ce livre où, à côté d'une quantité de choses ridicules compilées sans critique, il se trouve de nombreuses observations très judicieuses sur les phénomènes naturels, eut une renommée universelle; on en fit des traductions en plusieurs langues et même en arabe; toutefois il n'en existe pas de version française complète. Mérimée a connu Porta et l'a très longuement cité à la fin de sa dissertation sur le mauvais œil; dans la seconde édition il supprima cet emprunt.

Avec le romantisme, le mauvais œil et les jeteurs de sorts redevinrent à la mode. En 1820, Nodier en parle en détail dans un appendice de Lord Ruthwen de Cyprien Bérard. En 1835, un certain M. Brisset écrit un Mauvais œil qui n'est en somme qu'une imitation plus horrible et plus fantastique encore du Smarra de Nodier[660]. Théophile Gautier, en 1857, écrit une Jettatura[661]. Dumas père dans le Corricolo, lui aussi, traite en un chapitre de cette superstition et, comme le folkloriste anglais Elworthy[662], constate que les femmes à Naples sont heureuses si l'on crache à la figure de leurs enfants qu'elles croient ensorcelés; c'est le plus sûr moyen de rompre le charme fatal qu'exercent sur eux les paroles louangeuses.

L'un des maîtres de Mérimée, Fauriel, estimait déjà en 1824 la matière trop connue pour s'en occuper particulièrement:

Mais, pour en venir aux superstitions restées des anciens Grecs à ceux d'aujourd'hui, il en est auxquelles je ne m'arrêterai pas, parce qu'elles se trouvent partout… Telles sont, par exemple… l'opinion que certains individus sont doués de ce qu'on appelle le mauvais œil, ou la faculté de porter malheur aux autres en les regardant, etc.[663]

La croyance au mauvais œil est en effet une superstition universelle et fort ancienne; c'est qu'aussi bien cette superstition a pu avoir à l'origine, pour point de départ, l'observation de phénomènes réels; ce mystérieux pouvoir qu'ont certains tempéraments sur d'autres, l'hypnotisme dont on ne connaît pas bien encore aujourd'hui les raisons, était bien fait pour effrayer les imaginations primitives; les anciens voyaient dans ce que nous désignons aujourd'hui d'un simple mot: catalepsie, sans nous en étonner outre mesure, comme un avant-goût de la mort. Quoi qu'il en soit, Mérimée était bien renseigné sur ce sujet, soit par ce qui traînait çà et là, un peu partout dans les livres, soit enfin par les ouvrages que nous l'avons vu consulter si souvent à l'occasion de la Guzla. Fortis parle, en effet, et très amplement, de ces superstitions, encore qu'il insiste davantage sur les moyens de se garantir contre ceux qui ont ce pernicieux pouvoir[664].

SUR LE MAUVAIS ŒIL[665].—Comme pour le vampirisme, Mérimée a jugé qu'une introduction était nécessaire à ses ballades sur le mauvais œil. Il en parle en homme entendu; est-il besoin de dire que nous n'y trouverons rien qui ne se rencontre dans les ouvrages que nous venons de citer? Mais si le fond ne lui appartient pas, la forme est bien à lui; dans cette introduction, comme dans les précédentes, aux choses qui lui viennent des autres, Mérimée a mis sa marque personnelle. Après avoir indiqué en quelques mots les effets funestes du pouvoir qu'exercent sur autrui certains personnages mystérieux, Mérimée cite sa propre expérience: il a vu, de ses yeux vu, par deux fois, des victimes du mauvais œil. Et au lieu de faire sur le mauvais œil un long et plat exposé en termes très généraux et abstraits, il nous traduit en termes sensibles, dans un récit presque entièrement composé de vivantes anecdotes, toutes les manifestations de cette superstition. «Une jeune fille est abordée par un homme du pays qui lui demande le chemin; elle le regarde, pousse un cri et tombe par terre sans connaissance.» Puis c'est la visite chez un prêtre; les pratiques superstitieuses auxquelles elle est soumise «et deux jours après… elle était en parfaite santé». Ici nous reconnaissons les précieux renseignements de Fortis[666]. Une autre fois c'est un jeune homme qui tombe fasciné sous le regard d'un heyduque; «sa figure était repoussante et ses yeux étaient très gros et saillants»; il maudissait lui-même ce pouvoir fatal que la nature avait placé en lui. Jamais, bien qu'il l'en priât, il ne voulut consentir à lever son regard sur Mérimée. Mais un cas plus étrange, c'est la double prunelle qui brille dans les yeux de certains hommes. «J'ai entendu aussi parler de gens qui avaient deux prunelles dans un œil, et c'étaient les plus redoutables, selon l'opinion des bonnes femmes qui me faisaient ce conte.» C'est le mauvais œil traditionnel, celui de Théocrite, de Pline et d'Ovide, celui aussi de Porta qu'il citera à la fin de sa préface. Il y a plusieurs moyens de se préserver du mauvais œil: des cornes d'animaux, des morceaux de corail vous en garantissent; on peut également toucher du fer ou jeter du café à la tête de celui qui vous fascine; mais le plus sûr moyen c'est un coup de pistolet tiré en l'air; bien plus sûr encore, si on le dirige contre l'enchanteur prétendu. Les louanges aussi sont funestes à ceux auxquels elles s'adressent, surtout aux enfants; Mérimée s'est vu contraint, sous menace de mort, de cracher au visage d'un bel enfant pour rompre l'enchantement qu'il avait involontairement provoqué; suit un extrait des idées de Jean-Baptiste Porta sur le sujet[667].

Disons-le encore, il n'y a rien de bien original pour le fond dans cette introduction; elle n'a d'autre mérite que d'être agréable à la lecture par la vie et le mouvement que l'auteur de la Guzla a su y mettre.

LE MAUVAIS ŒIL[668].—Parmi les ballades que Mérimée a consacrées à ce genre de superstition, l'une a pour titre le Mauvais œil. Toutes ces croyances s'y résument en quelque sorte; elle est comme une illustration poétique de toutes les idées contenues dans la dissertation. Le personnage funeste est «mauvais œil» et sait aussi des paroles magiques dont le charme est fatal. Une mère au chevet de son enfant se lamente sur le mal cruel qui le mine: un maudit étranger est venu dans la maison, «il a vanté la beauté de l'enfant, il a passé la main sur ses cheveux blonds… Beaux yeux, disait-il, bleus comme un ciel d'été et ses yeux gris se sont fixés sur les siens… Et les yeux bleus de l'enfant sont devenus ternes par l'effet de ses paroles magiques, et ses cheveux blonds sont devenus blancs comme ceux d'un vieillard». Ah! s'il était ici ce maudit étranger, comme elle l'obligerait à cracher sur le joli front de son enfant! Mais on le sauvera, car son oncle est allé à Starigrad et rapportera de la terre du tombeau du saint; car l'évêque, son cousin, a donné à la bonne mère une relique qu'elle va pendre au cou de son enfant.

D'une inspiration émue, cette originale mélopée d'une mère au chevet de son enfant agonisant est d'un charme à la fois triste et pénétrant; on y sent comme une émotion contenue; la mère enveloppe son enfant d'une tendresse si grande que ce dernier espoir qu'elle se donne, cette foi si sincère qu'elle a en des pratiques superstitieuses, nous paraissent tous naturels.

MAXIME ET ZOÉ[669].—En bien des endroits, nous l'avons vu, Mérimée en composant la Guzla a dû songer à ses auteurs classiques. Pour ce poème il avoua, dans une note supprimée dans les éditions postérieures, s'être inspiré de Virgile. «On voit ici, dit-il, comment la fable d'Orphée et d'Eurydice a été travestie par le poète illyrien qui, j'en suis sûr, n'a jamais lu Virgile.[670]»

C'est plus qu'un travestissement que Maxime et Zoé. C'est un déguisement sous lequel il eût été impossible de reconnaître Virgile si Mérimée n'avait pris la précaution de nous en avertir, ce qui nous fait croire de plus en plus que les quelques rapprochements que nous avons pu faire entre les autres ballades et la littérature classique, s'ils ne sont évidents, sont du moins très probables. Il n'y a d'autre ressemblance, en effet, entre le récit de Virgile et la ballade de Mérimée si ce n'est que, chez l'un comme chez l'autre, l'un des amants se retourne pour causer la perte de l'autre.

Échappé de tous les dangers, Orphée revenait des sombres bords, et Eurydice, qui lui était rendue, marchait vers les régions de la lumière, le suivant sans qu'il la vît; Proserpine ne la lui rendait qu'à ce prix. Mais, ô délire soudain d'un amant insensé, et bien digne de pardon, si l'enfer savait pardonner! il s'arrête, et presque aux portes du jour, s'oubliant lui-même, hélas! et vaincu par l'amour, il regarde son Eurydice. En ce moment tous ses efforts s'évanouirent; les traités furent rompus avec l'impitoyable tyran des enfers, et trois fois les gouffres de l'Averne retentirent d'un épouvantable fracas. Mais elle: «Quelle folie m'a perdue, malheureuse que je suis! et te perd en ce jour, ô mon Orphée[671]!»

Orphée, le divin poète, s'est transformé en un troubadour mystérieux: la nuit, on entend sous la fenêtre de la belle Zoé un grand jeune homme soupirer et chanter son amour sur la guzla[672]. Les nuits qu'il préfère sont les nuits obscures. «Quand la lune est dans son plein, il se cache dans l'ombre.» Zoé seule sait son nom, mais ni elle ni personne n'a vu son visage. Car aussi grand chasseur qu'excellent chanteur, tout le jour il «court à la poursuite des bêtes fauves»; toujours «il rapporte des cornes du petit bouc de la montagne et dit à Zoé: Porte ces cornes avec toi et puisse Marie te préserver du mauvais œil!» Et Zoé est tombée éperdument éprise de l'étranger, car dans la nuit elle a reconnu qu'il était beau; et elle s'en est enfuie avec lui «sur un coursier blanc comme lait, sur la croupe duquel était un coussin de velours pour porter plus doucement la gentille Zoé». N'étaient cette allure mystérieuse du ravisseur et ces allusions fréquentes au mauvais œil, jusqu'ici l'on dirait d'une gracieuse ballade moyenageuse. Mais Zoé, trop coquette, a négligé d'emporter les amulettes que lui avait données Maxime; elle a voulu partir en plein jour pour emporter ses beaux habits; mais elle est trop amoureuse pour obéir en tout à son amant.

—«Arrête, arrête, ô Maxime! dit-elle, je vois bien que tu ne m'aimes pas; si tu ne te retournes pour me regarder, je vais sauter du cheval, dussé-je me tuer en tombant.»

     Alors l'étranger d'une main arrêta son cheval, et de l'autre il
     jeta par terre son voile; puis il se retourna pour embrasser la
     belle Zoé: sainte Vierge! il avait deux prunelles dans chaque œil!

     Et mortel, et mortel était son regard! avant que ses lèvres eussent
     touché celles de la belle Zoé, la jeune fille pencha la tête sur
     son épaule, et elle tomba de cheval pâle et sans vie.

Désespéré, Maxime Duban, comme un nouvel Œdipe, s'est arraché les yeux avec son hanzar; et, bientôt, «l'on ouvrit le tombeau de la belle Zoé pour y placer Maxime à côté d'elle[673]».

Pas plus que le vampirisme, un guzlar n'aimerait à chanter le mauvais œil. Plus ancienne que la précédente, cette dernière superstition est moins grossière et trouve un fondement véritable dans l'observation de certains phénomènes naturels. Les Grecs ont eu terreur du mauvais œil; ils ont cru au charme funeste des paroles louangeuses; ne pouvant trouver d'explications à certaines maladies qui s'abattaient sur les troupeaux ou sur les hommes, il leur était commode de croire aux jeteurs de sort. Ce sont là des superstitions universelles et qui, même actuellement, ont laissé des traces; mais la poésie populaire n'a jamais, que nous sachions, chanté de tels sujets.

§ 4

«L'AMANT EN BOUTEILLE»

Il y a dans la Guzla trois autres ballades dont le merveilleux est aussi l'un des éléments importants, mais qui ne sauraient former de catégories spéciales; il nous faudra donc les étudier isolément.

Dans la première, l'Amant en bouteille, Mérimée s'est inspiré d'un célèbre théologien hollandais, Balthazar Bekker (1634-1698). C'était un étrange personnage que Balthazar Bekker: ministre protestant, il s'attacha à la philosophie de Descartes et voulut démontrer qu'elle pouvait s'allier à la théologie. Il le fit dans un livre De philosophia cartesiana admonitio sincera (1665), qui lui attira beaucoup d'ennemis. Adversaire déclaré des croyances superstitieuses, il combattit d'abord dans ses Recherches sur les comètes le préjugé qui attribue à ces astres une influence sur la destinée; mais son ouvrage le plus considérable est le Monde enchanté (1691), livre dans lequel il s'éleva avec une hardiesse singulière pour son temps contre l'opinion du peuple sur le pouvoir des démons. Ce livre, qui a été traduit en allemand, en anglais, en italien et en français[674], souleva contre son auteur une tempête de calomnies et d'injures, le réduisit enfin à une vie vagabonde. Bekker mourut sept ans après avoir donné son chef-d'œuvre.

Ce pauvre homme était très sympathique à Voltaire qui fit de lui un éloge quelque peu ironique, mais sincère. «On ne peut pas parler du diable, dit-il, sans mentionner un de ses plus grands ennemis, Balthazar Bekker. Ce Balthazar, très bon homme, grand ennemi de l'enfer éternel et du diable, et encore plus de la précision, fit beaucoup de bruit en son temps par son gros volume du Monde enchanté. Le diable alors avait encore un crédit prodigieux chez les théologiens de toutes les espèces, malgré Bayle et les bons esprits qui commençaient à éclairer le monde. La sorcellerie, les possessions et tout ce qui est attaché à cette belle théologie étaient en vogue dans toute l'Europe et avaient souvent des suites funestes. Tous les tribunaux retentissaient d'accusations portées contre les sorciers. De telles horreurs déterminèrent le bon Bekker à combattre le diable. On eut beau lui dire, en prose et en vers, qu'il avait tort de l'attaquer, attendu qu'il lui ressemblait furieusement, étant d'une laideur horrible, rien ne l'arrêta; il commença par nier absolument le pouvoir de Satan et s'enhardit encore jusqu'à soutenir qu'il n'existe pas. S'il y avait un diable, disait-il, il se vengerait de la guerre que je lui fais[675].»

Dans une note, Mérimée reconnaît avoir trouvé dans le Monde enchanté du «fameux docteur Balthazar Bekker» une histoire qui avait beaucoup de rapport avec la sienne[676]. C'était un demi-aveu. Il n'y a pas qu'une simple coïncidence entre la ballade de Mérimée et l'anecdote qu'il emprunte à Bekker; on peut dire, au contraire, que, fondue avec une autre page de ce même écrivain, cette anecdote lui a fourni tout le sujet de l'Amant en bouteille.

De quoi s'agit-il, en effet, dans cette ballade? D'une jeune fille qui porte dans une bouteille un amant mystérieux qui satisfait tous ses désirs. Or, que trouvons-nous dans l'anecdote de Bekker rapportée par Mérimée: l'histoire d'une jeune fille, fiancée à un esprit également mystérieux qui, comme celui de la ballade, remplit tous ses vœux. Il est vrai que ce dernier amant n'est pas renfermé dans une bouteille; mais les quelques lignes qui suivent et que nous extrayons du même Monde enchanté, nous persuadent aisément que c'est encore à Balthazar Bekker que Mérimée doit d'avoir eu idée de placer son étrange héros dans cette prison:

La première chose de celles que j'ai remarquées dans mon premier livre, dit l'écrivain hollandais, qui demande que nous y fassions réflexion, est ce que je cite à l'article 18 du chapitre 19, des diables qui s'enferment dans du cristal ou dans des bagues. Et comme à l'endroit que j'ai cité, Gaspar Schot me renvoie à Wierus, j'y trouve cette commodité, que je n'ai qu'à traduire ses propres termes, sans y ajouter la moindre annotation de ma part. Wierus en parlant des diables enchâssés dans le verre ou dans les bagues, au chapitre premier de son sixième livre, articles 3 et 4: «Il ne faut pas, dit-il, oublier ceux qui portent le pauvre diable sur eux, enfermé dans une bague par l'artifice d'un habile orfèvre, avec plusieurs parfums et grimaces circonstanciées; non plus ceux qui le montrent si étroitement enchaîné dans un cristal de roche, qui ne se rompe pas, comme l'on sait, ou dans un verre…» Là-dessus il nous raconte comment la cour de Gueldre reconnut et punit, en 1548, un nommé Joffe Rosa de Courtray, qui fut «obligé, par une sentence légitime, d'ouvrir et de rompre à coup de marteau, sur un billot, en plein marché, en présence de la cour et d'un nombre infini de spectateurs, cette prison de diable, à savoir son anneau, et de donner la liberté au prisonnier qui y était enfermé; à moins que quelqu'un ne s'imagine que le diable pouvait être écrasé de ce marteau, s'il croit qu'il ait pu être retenu dans cet anneau par sa dureté[676]».

Dans sa ballade, Mérimée s'est tout simplement proposé d'exciter la curiosité du lecteur; c'est de la pure fantasmagorie; nous l'acceptons comme telle, car dès les premiers mots nous sommes prévenus.

     Jeunes filles qui m'écoutez en tressant des nattes, vous seriez
     bien contentes si, comme la belle Khava, vous pouviez cacher vos
     amants dans une bouteille.

     La ville de Trebigne a vu un grand prodige: une jeune fille, la
     plus belle de toutes ses compagnes, a refusé tous les amants,
     jeunes et braves, riches et beaux.

     Mais elle porte à son cou une chaîne d'argent avec une fiole
     suspendue, et elle baise ce verre et lui parle tout le jour,
     l'appelant son cher amant.

     Ses trois sœurs ont épousé trois beys puissants et hardis.—«Quand
     te marieras-tu, Khava? Attendras-tu que tu sois vieille pour
     écouter les jeunes gens?»

     —«Je ne me marierai point pour n'être que l'épouse d'un bey: j'ai
     un ami plus puissant. Si je désire quelque objet précieux, à mon
     ordre il l'apporte.

     «Si je veux une perle au fond de la mer, il plongera pour me
     l'apporter: ni l'eau, ni la terre, ni le feu ne l'arrêtent, quand
     une fois je lui ai donné un ordre.

     «Moi, je ne crains point qu'il me soit infidèle: une tente de
     feutre, un logis de bois ou de pierre est une maison moins close
     qu'une bouteille de verre.»

     Et, de Trebigne et de tous les environs, les gens sont accourus
     pour voir cette merveille: et, si elle demandait une perle, une
     perle lui était apportée.

     Voulait-elle des sequins pour mettre dans ses cheveux, elle tendait
     sa robe et en recevait de pleines poignées. Si elle eût demandé la
     couronne ducale, elle l'aurait obtenue.

     L'évêque, ayant appris la merveille, en a été irrité. Il a voulu
     chasser le démon qui obsédait la belle Khava, et lui a fait
     arracher sa bouteille chérie.

     —«Vous tous qui êtes chrétiens, joignez vos prières aux miennes
     pour chasser ce noir démon!» Alors il a fait le signe de la croix
     et a frappé sur la fiole de verre un grand coup de marteau.

La fiole s'est brisée: du sang en a jailli. La belle Khava pousse un cri et meurt. C'était bien dommage qu'une si grande beauté fût ainsi victime d'un démon[677].

Ne plaignons pas la belle Khava plus que ne l'a plaint le poète de la Guzla. C'est ici du merveilleux auquel nous avons affaire et rien autre chose. Disons toutefois qu'un merveilleux aussi merveilleux nous paraît de beaucoup dépasser ce qu'ont pu jamais se permettre les véritables poésies populaires.

§ 5

«LA BELLE HÉLÈNE»

Le sujet de la Belle Hélène[678] présente bien des analogies avec celui de la célèbre légende de Geneviève de Brabant. C'est l'histoire d'une femme accusée d'infidélité par un prétendant rebuté, auprès de son mari qui revient après une longue absence; mais la vérité finit par éclater au grand jour. Citons ici le commencement d'une complainte populaire qui chante l'histoire de Geneviève:

     Approchez-vous, honorable assistance,
     Pour entendre réciter en ce lieu
     L'innocence reconnue et patience
     De Geneviève, très aimée de Dieu;
         Étant comtesse
         De grande noblesse,
     Née du Brabant était assurément.

     Geneviève fut nommée au baptême.
     Ses père et mère l'aimaient tendrement;
     La solitude prenait d'elle-même,
     Donnant son cœur au Sauveur tout-puissant.
         Ses grands mérites
         Firent qu'à la suite,
     À dix-huit ans fut mariée richement.

     En peu de temps s'éleva grande guerre:
     Son mari, seigneur du Palatinat,
     Fut obligé, pour son honneur et gloire
     De quitter la comtesse en cet état:
         Étant enceinte
         D'un mois sans feinte,
     Fit ses adieux ayant les larmes aux yeux.

     Il a laissé son aimable comtesse
     Entre les mains d'un méchant intendant
     Qui l'a voulu séduire par finesse,
     Et l'honneur lui ravir subitement;
         Mais cette dame
         Pleine de charmes
     N'y voulut consentir nullement.

Composée d'abord en latin, cette légende doit sa popularité surtout au célèbre ouvrage du jésuite René de Cerisier: l'Innocence reconnue, ou Vie de Sainte Geneviève de Brabant (Paris, 1638)[679]. Elle a inspiré plusieurs écrivains français; Corneille-Blessebois[680], D'Aure[681], La Chaussée, Lévrier de Champriontz[682], Cécile, Anicet Bourgeois, ont fait de cette touchante histoire le sujet de tragédies, de drames, de mélodrames. Duputel et Louis Dubois ont publié chacun un roman sur ce sujet, 1805, in-8º, et 1810, 2 vol. in-12. Berquin en a fait l'objet d'une romance fort connue. En Allemagne, des romanciers, des auteurs dramatiques, Tieck et Hebel entre autres, ont exploité la même matière[683].

À ce récit, devenu quelque peu banal pour avoir été trop raconté, Mérimée a donné une couleur nouvelle; un enchantement produit par un crapaud noir met la belle Hélène dans une situation telle que son mari a bien quelque raison de l'accuser. C'est à Porta encore qu'il doit d'en avoir eu idée; voici, en effet, ce que raconte à ce sujet l'auteur de la Magie naturelle:

Aussi par non moindre efficace le sang des Menstruës putréfié peut engendrer des Crapaux & Raines, car facilement il se corrompt & se convertit, & mesme souventes fois femmes engendrent d'iceluy avec portée humaine des Crapaux, Lesards, & autres bestes semblables. Et nous lisons que les femmes de Salerne au commencement de leur conception, & alors que le fruit doit estre vivifié, sont coustimières de les tuer par Jus d'Ache, ou Persil, ou de Porreaux. Or estant quelquesfois advenu qu'une femme contre espérance semblast estre enceinte, enfin elle enfanta quatre bestes semblables à Raines: Voilà qui fait que souvent par un tel cas elles avortent, & ne doit-on cercher d'autre cause de cette monstrueuse generation, que cette qui a esté cy-dessus déclarée. Aussi par la corruption de la semence humaine s'engendrent és entrailles de petites bestes qui sont comme vermisseaux. Alcipe a enfanté un Éléphant, & sur le commencement de la guerre des Marses une chambriere engendra un serpent[684].

Combinant les renseignements que lui donne le physicien italien, à la vieille légende bien connue, Mérimée a écrit la Belle Hélène.

L'héroïne de ce poème n'a pas grand mérite à se refuser aux avances de Piero Stamati; il est laid et méchant, et il ne sait offrir pour la séduire que de l'or. Grande et forte, Hélène a jeté sur le dos le vieillard camus et rabougri qui est rentré dans sa maison pleurant, les genoux à demi ployés et chancelant. Il a juré de se venger; un juif lui en donne le moyen: et c'est une scène de magie à laquelle nous assistons.

Il lui apporta un crapaud noir trouvé sous la pierre d'une tombe, et il lui a versé de l'eau sur la tête et a nommé cette bête Jean. C'était un bien grand crime de donner à un crapaud noir le nom d'un si grand apôtre!

     Alors ils ont lardé le crapaud avec la pointe de leurs ataghans,
     jusqu'à ce qu'un venin subtil sortît de toutes les piqûres; et ils
     ont recueilli ce venin dans une fiole et l'ont fait boire au
     crapaud. Ensuite ils lui ont fait lécher un beau fruit.

Et Stamati a dit à un jeune garçon qui le suivait: «Porte ce fruit à la belle Hélène, et dis-lui que ma femme le lui envoie. Le jeune garçon a porté le beau fruit, comme on le lui avait dit, et la belle Hélène l'a mangé tout entier avec une grande avidité.

Dans une note, Mérimée s'explique: «C'est une croyance populaire de tous les pays que le crapaud est un animal venimeux. On voit dans l'histoire d'Angleterre qu'un roi fut empoisonné par un moine avec de l'ale dans laquelle il avait noyé un crapaud. Ce détail est emprunté à sir Walter Scott[685]; quelques lignes plus loin il s'inspire d'une autre anecdote également connue du monde littéraire et que le Globe rapporta vers la même époque. On voit, en effet, dans le Rozier historial qu'en 1460, on brûla à Reims une sorcière qui, pour servir la vengeance d'un prêtre du diocèse de Soissons, «baptisa un crapaud au nom de Jean, et le fit communier[686]».

Dans la seconde partie, nous sommes en plein merveilleux; c'est d'abord l'étrange maladie de la dolente dame; puis le retour de son mari, qui revient tout juste après avoir passé à l'étranger le temps nécessaire pour être convaincu de l'infidélité de sa noble épouse. D'un seul coup de son sabre il lui tranche la tête; puis il veut arracher de «son sein si blanc» l'enfant innocent, pour reconnaître plus tard, à ses traits, l'infâme séducteur; mais il n'a trouvé qu'un crapaud noir. Et la tête de sa femme bien aimée a parlé, et lui a dit que Piero Stamati lui avait jeté un sort, aidé par un méchant juif; et Théodore Khonopka a coupé la tête de Piero Stamati, il a tué aussi le méchant juif et a fait dire trente messes pour le repos de l'âme de sa femme.

§ 6

«LE SEIGNEUR MERCURE»

Quant à la ballade intitulée le Seigneur Mercure[687] qui, elle aussi, est pleine de merveilleux, son fond, malgré les broderies plus ou moins ingénieuses, n'est pas d'une invention originale.

Le commencement du Seigneur Mercure rappelle la Belle Hélène. Comme le héros de cette ballade, le seigneur Mercure quitte sa maison, y laisse seule sa femme. Il ne s'en va pas à Venise comme Théodore Khonopka, mais «à la guerre» contre «les mécréants». Pendant ce temps, sa femme reçoit les déclarations d'amour, non pas d'un vieillard «camus et rabougri», comme l'est Stamati, mais du jeune Spiridion Pietrovich, cousin de son mari.

Avant de partir, le seigneur Mercure a donné à sa femme un collier magique. Il restera entier tant qu'elle lui restera fidèle. Mais celle-ci le trompe avec le cousin et le collier se brise.

Le mari revient, après de longues aventures, et demande le collier; mais la femme en avait préparé un autre tout semblable et empoisonné.—«Ce n'est pas là mon collier, dit Mercure.»—«Comptez bien tous les grains, dit-elle; vous savez qu'il y en avait soixante-sept.»

Et Mercure comptait les grains avec ses doigts, qu'il mouillait de temps en temps de sa salive, et le poison subtil se glissait à travers sa peau. Quand il fut arrivé au soixante-sixième grain, il poussa un grand soupir et tomba mort[688].

Ce collier magique, le collier dénonciateur, n'est, sous une autre forme, que «le lotus rouge des contes de l'Inde, le lotus qui change de couleur et se flétrit lorsque l'un des deux époux trahit ses serments[689]; c'est le bouquet du conte persan, qui reste frais tant que la femme reste sage; c'est la source qui se trouble, le lait qui rougit, le vin qui écume, la plante qui se dessèche, la bague qui se brise, le couteau qui se rouille, le portrait dont les couleurs pâlissent, la ceinture qui ne se noue plus, etc., etc., de tant de récits et des légendes populaires; c'est le cornet à boire des romans de Tristan et de Perceval, que les dames ne peuvent approcher de leurs lèvres si elles ont été infidèles, sans que le vin ne s'élance hors du vase; le court mantel ou le mantel mautaillé du célèbre fabliau[690] et de Messire Gauvain; la coupe enchantée de l'Arioste et de La Fontaine; le miroir magique de la nouvelle XXI de Bandello, de la Quenouille de Barberine d'Alfred de Musset».

Il est difficile de dire à qui Mérimée a emprunté l'idée de sa ballade. Tant de récits, contes ou légendes ont trait au même sujet que M. Child, à les énumérer seulement, emploie quatorze pages de son recueil in-4º[691].

D'autre part, si les légendes authentiques du moyen âge étaient peu connues du temps de Mérimée, il en était cependant arrivé jusqu'aux hommes de sa génération certains échos affaiblis par l'intermédiaire des conteurs populaires d'une époque postérieure. Ici et là le récit de Mérimée rappelle le conte à la manière du bon La Fontaine.

Alors Euphémie a poussé un grand cri, et elle s'est roulée par terre, déchirant ses habits. «Mais, dit Spiridion, pourquoi tant s'affliger? ne reste-t-il pas au pays des hommes de bien?»… Et la même nuit elle a dormi avec le traître Spiridion.

Euphémie se console plus vite encore que «la jeune veuve» du célèbre fabuliste.—N'est-ce point ici tout à fait l'allure du conte:

«Bien est fou qui s'attaque au diable, dit Mercure. J'ai vaincu un démon, et ce qui m'en revient, c'est un cheval fourbu et une prédiction de mauvais augure.»

Quoi qu'il en soit, nous demeurons persuadés qu'ici encore l'auteur de la Guzla n'a fait que se ressouvenir; il a fondu en un tout diverses vieilles impressions qu'il devait à ses études ou à ses lectures; dans le fonds, dans l'ensemble du récit, dans l'expression, dans les détails on rencontre trop de choses qui font songer à d'autres choses pour qu'on puisse s'imaginer que c'est là un simple effet du hasard.

Au reste, ce qui importe, c'est que le motif lui-même de la ballade est un motif folklorique incontestable; et c'est ce qui arrive quelquefois, nous l'avons vu, dans les ballades où Mérimée a introduit le merveilleux comme nouvel élément. Son merveilleux, très souvent, est plus littéraire que véritablement populaire; si dans certains pays il y avait des gens pour croire sincèrement à l'existence des vampires, la poésie populaire de ce pays ne les a jamais chantés; ces sortes de terreurs superstitieuses ne durent en effet qu'autant que leur objet est encore flottant, vague, indéterminé. Sitôt qu'elles trouvent dans les vers leur expression, on peut être sûr qu'il n'y a plus grand monde pour y croire, ni celui qui les chante, ni ceux qui l'écoutent. Les bouviers de Théocrite avaient peur des jeteurs de sort, mais l'auteur des Idylles assurément ne partageait pas cette crainte. Ovide, lui aussi, en a parlé; mais pourrait-on prétendre un instant que l'auteur des Amours est un poète populaire? Lorsque la poésie s'attache à des objets de ce genre,—ou nous nous abusons fort,—elle est déjà littéraire. C'est presque une nécessité: la poésie naturelle et spontanée, la véritable poésie populaire ne chante pas de pareils sujets; ils sont exclusivement du domaine du conte, de la légende merveilleuse. C'est en écrivain qui fait «un extrait de ses lectures» et en romantique stendhalien que Mérimée découvre l'esprit des nations «primitives» plutôt qu'il n'approche de la véritable ballade traditionnelle.

CHAPITRE VII

«La Ballade de l'épouse d'Asan-Aga.»

§ 1. Analyse du poème.—§ 2. Traductions étrangères: en Allemagne; en Angleterre; en France; autres traductions.—§ 3. La traduction de Mérimée. Conclusion.

La Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga est la seule pièce authentique qui se trouve dans la première édition de la Guzla. Elle y occupe la dernière place[692], et c'est aussi par elle que nous finirons cette partie de notre étude.

Nous avons dit comment, en 1774, l'Italien Fortis révéla à l'Europe littéraire ce poème «morlaque» destiné à devenir célèbre[693]. Nous n'avons pas cru devoir mentionner ici la longue série—toute une bibliothèque—des travaux spéciaux qui furent consacrés, particulièrement en Allemagne, à ce petit chef-d'œuvre de quatre-vingt-onze vers[694]. Nous avons voulu, dans les pages qui suivent, donner seulement une interprétation en partie nouvelle de cette ballade; tracer à un point de vue purement bibliographique la fortune de l'Épouse d'Asan-Aga en France et Angleterre, dans ces deux pays surtout, car en Allemagne et dans les pays slaves cette question a provoqué déjà bien des curiosités et la bibliographie des travaux qui la concernent est presque complète. Pour l'Angleterre et la France elle était encore à faire; nous nous sommes efforcés de combler cette lacune. Nous terminerons, enfin, par une étude détaillée de la version de Mérimée, étude qui ne sera pas, croyons-nous, sans intérêt ni sans utilité à qui veut connaître jusqu'à quel point l'auteur de la Guzla sut être un traducteur consciencieux.

§ 1

ANALYSE DU POÈME

Nous ne chercherons pas à classer la Triste ballade dans aucun des cycles connus des chants populaires serbo-croates; on lui a réservé une place à part sous le titre de poésie de famille, nom qui lui fut donné par Goethe (Familienlied)[695]. Chez les Slaves du Sud, elle est l'unique spécimen de poésie qui soit exclusivement une peinture de la vie privée, et qui touche vraiment à une question sociale, tout en conservant le développement dramatique et la forme traditionnelle que prend généralement la ballade chez ce peuple.

La scène de la Triste ballade se passe chez les Serbes musulmans de Bosnie, pays où cette piesma fut composée à une époque difficile à déterminer; le style et la langue des poésies serbes sont, en effet, par trop uniformes en tous temps[696]. Le poème débute par des antithèses qu'affectionnent les chanteurs slaves:

     Quelle est cette blancheur dans la verte montagne?
     Sont-ce des neiges, ou sont-ce des cygnes?
     Si c'étaient des neiges, elles seraient déjà fondues,
     Des cygnes, ils auraient déjà pris leur vol.
     Ce ne sont ni des neiges, ni des cygnes,
     Mais la tente de l'aga Asan-Aga.
     Il y est étendu navré de cruelles blessures[697].

L'histoire d'Asan-Aga est des plus simples: il a été mortellement atteint; sa mère et sa sœur viennent le visiter dans sa tente; mais sa femme, par pudeur ou par retenue, n'ose y venir aussi. Voilà qui nous paraît extraordinaire, mais qui n'en est pas moins surpris sur le vif. La femme compte pour si peu de chose dans ces pays d'Orient; elle est mère, elle est sœur, mais c'est à peine si elle est épouse; elle est bien plutôt l'esclave d'un maître qu'elle redoute et qu'elle n'ose froisser: «élevée dans la cage» comme le dit très souvent le poète national. Mérimée ne pouvait comprendre «comment la timidité empêche une bonne épouse de soigner un mari malade[698]»; nous le comprenons mieux: c'est qu'il n'y a pas de «bonnes épouses» dans ces pays, au sens où l'entendait Mérimée. Une femme peut librement s'intéresser au sort de son père, de ses fils ou de son frère; la pitié est permise à une parente, mais il n'est pas permis à une femme d'en témoigner à son époux; les démonstrations qu'elle en ferait blesseraient celui dont elle est l'humble servante; ses soins, en lui valant de la reconnaissance, porteraient atteinte à l'omnipotence qu'un mari doit avoir sur sa femme. Une femme doit tout attendre de son mari et celui-ci ne lui rien devoir. Ch. Nodier, qui a donné une mauvaise traduction de ce poème, en a fait une des meilleures analyses; il a voulu essayer d'y prouver «que le poète dalmate connaissait bien les grands ressorts du pathétique[699]». Il remarque très justement, quoique en idéalisant un peu, que «les femmes morlaques sont assujetties à une obéissance plus servile qu'en aucun autre pays» et qu'elles «ne pénètrent presque jamais dans l'appartement du chef sans y être appelées. Cette simple circonstance, ajoute-t-il, transporte déjà l'auditeur au temps des mœurs primitives; elle lui rappelle Esther tremblante au pied du trône d'Assuérus, dont aucun mortel n'ose tenter l'accès, et attendant que le roi daigne la frapper, en signe de grâce, d'un coup de son sceptre d'or[700]».

Si cette pudeur est donc toute naturelle, la conduite d'Asan-Aga nous paraît plus difficile à justifier. Il croit sa femme insensible et s'irrite contre elle:

     Quand il fut un peu guéri de ses blessures,
     Il fit dire à sa fidèle épouse:
     «Ne m'attends pas dans mon blanc palais,
     Ni dans mon palais, ni dans ma famille.»

Il la répudie, mais on n'en voit pas la raison, la possibilité d'un malentendu étant exclue. Voudrait-il que sa femme s'affranchisse de la coutume? Ou est-ce dans l'excès de sa douleur physique qu'il s'oublie et prononce les mots irrévocables qu'il devait regretter plus tard? On a voulu adopter cette dernière explication, mais elle ne nous semble pas assez solide. Il est plus probable que le poète dans ses sympathies pour la malheureuse femme a caché quelque motif plus sérieux,—oh, pas bien compromettant!—qui, dans la réalité, a provoqué cette rupture; car, on le sait, toutes les piesmas ont un fond véridique[701]. Mais revenons à notre poème.

L'épouse d'Asan-Aga apprend la cruelle décision de son mari et «demeure désespérée à penser quelle est sa misère»; on entend piétiner les chevaux devant le «palais». L'infortunée croit son mari revenu et, n'osant l'attendre, elle s'enfuit par les degrés de la tour pour se rompre le cou en se précipitant de la fenêtre; mais ses deux petites filles, effrayées, courent après elle en criant:

     «Reviens-t'en, notre chère maman,
     Ce n'est pas notre père, Asan-Aga,
     Mais notre oncle, le bey Pintorovitch.»

La pauvre femme revient, elle embrasse son frère en sanglotant: «Oh! mon frère, quelle grande honte! Il veut me séparer de cinq enfants.» Le bey garde gravement le silence, «garde le silence et ne dit rien», mais il met la main dans sa poche de soie et en tire la lettre de répudiation:

     Afin qu'elle reprenne son douaire entier,
     Afin qu'elle revienne avec lui chez sa mère.

Quand la dame eut lu cette lettre, «elle baisa ses deux fils au front, ses deux filles sur leurs joues vermeilles»; elle put s'en séparer, mais elle ne put se séparer de l'enfant qui était au berceau.

     Alors son frère la prit par la main
     Et à grand'peine l'éloigna de l'enfant,
     Et la prit avec lui sur son cheval,
     Avec elle il partit pour son blanc palais.

Après cette exposition «qui est aussi bonne, dit Ch. Nodier, que si Aristote lui-même en avait fourni les règles», le vrai drame commence. La dame était «bonne et de bonne famille», aussi un grand nombre de prétendants la «demandaient»; le kadi d'Imoski insistait davantage. Le poète, qui ne voit d'autre cause à ce drame que le fatal asservissement de la femme levantine, ne dit aucun mal de cet aspirant à tous égards digne de considération.

Répudiée, en vain l'épouse d'Asan-Aga supplie son frère: «Mon frère, puissé-je ne jamais désirer te revoir [si tu ne veux m'écouter]!—Veuille ne me donner à personne,—afin que mon pauvre cœur ne se brise,—à la vue de mes petits orphelins!» Le frère, qui n'est pas un tyran moins impitoyable que le mari, n'eut point souci de ses plaintes; il accorde la jeune femme au kadi d'Imoski.

Le rôle fatal du bey Pintorovitch ne s'explique que par certaines modifications apportées dans le poème à l'histoire véritable dont nous parlions tout à l'heure. Le poète ne parle point des relations antérieures des deux beaux-frères, comme il a évité de faire la moindre allusion au caractère de la mère d'Asan-Aga, qui seule avec sa fille visita son fils blessé. Tout cela est intentionnel, car le guzlar ne veut absolument accuser personne. Le frère est aussi un «maître», il a le droit d'ordonner, il ordonne; la sœur est une esclave, elle doit obéir, elle obéit. Elle le fait en vraie héroïne de tragédie, poursuivie par son destin. La fatalité seule est cause de tout.

Résignée, la dame demande une grâce à son frère; elle le prie d'écrire et d'envoyer une «feuille de lettre blanche» au kadi d'Imoski:

     «L'accordée te salue bien,
     Et bien te prie par cette lettre,
     Quand tu rassembleras les seigneurs svats,
     D'apporter un long voile pour l'accordée,
     Afin qu'en passant devant le palais de l'aga
     Elle ne voie point ses petits orphelins.»

Son frère ne lui refuse point cette grâce. Il envoie la lettre au kadi; celui-ci rassemble ses amis («les seigneurs svats») et part pour chercher l'accordée, lui portant le long voile qu'elle a demandé[702]. Et nous voici en pleine action dramatique:

     À bon port les svats arrivèrent chez l'accordée
     Et en bonne santé avec elle repartirent.
     Mais quand ils arrivèrent devant le palais de l'aga,
     Les deux filles les regardent de la fenêtre,
     Et les deux fils sortent au-devant d'eux,
     Et à leur mère ils parlent:
     «Reviens chez nous, notre chère maman,
     Que nous te donnions à dîner.»
     À ces paroles, l'épouse d'Asan-Aga
     Parla ainsi au premier des svats:
     «Mon frère en Dieu! premier des svats,
     Fais arrêter les chevaux devant le palais,
     Que je donne des cadeaux à mes orphelins.»
     On arrêta les chevaux devant le palais.
     À ses enfants elle fait de beaux cadeaux:
     À chaque fils, des couteaux dorés,
     À chaque fille, une robe de drap [longue] jusqu'au pré,
     Et à l'enfant au berceau
     Elle envoie des habits d'orphelin.

Le brave Asan-Aga, qui a vu de loin cette scène, rappelle autour de lui ses enfants: «Venez ici, mes orphelins,—puisqu'elle ne veut pas avoir pitié de vous,—votre mère au cœur infidèle.» Le dénouement du poème tient en quatre vers:

     Quand l'épouse d'Asan-Aga entendit cela,
     De son visage blanc contre terre elle donna,
     À l'instant rendit l'âme,
     L'infortunée, de la douleur qu'elle eut à regarder [ses orphelins].

«Il n'y a point ici de ces sentiments frénétiques, écrivait Nodier en 1813, de ces passions outrées, turbulentes, convulsives, qui se retrouvent à tout moment dans les écrivains de nos jours; et c'est par là que ces fragments se rapprochent des meilleurs modèles, sans en avoir eu d'autres que la nature. La douleur poétique des anciens était souvent déchirante; quoiqu'elle fût toujours grave et presque immobile comme celle de Niobé. Quand l'Hercule d'Eschyle a tué ses enfants, il se voile et se couche sur la terre. Chez nous il déclamerait. Maintenant, les nations vieillies se plaignent de n'avoir plus de poètes, et elles oublient qu'elles n'ont plus d'organes. S'il se rencontrait encore par hasard un génie créateur comme celui d'Homère, il lui manquerait une chose qu'Homère a trouvée: c'est un monde qui pût l'entendre… J'avais besoin d'un poème qui offrît les beautés de l'antique sans y réunir les défauts choquants, la puérile afféterie, la froide enluminure de la littérature à la mode; et ce n'est pas ma faute si tant de poètes, mes contemporains, m'ont forcé à le choisir chez les sauvages. Je ne demanderais pas mieux que de l'avoir trouvé dans leurs livres[703].»

§ 2

TRADUCTIONS ÉTRANGÈRES

I. ALLEMAGNE.—Nous avons déjà parlé du succès estimable qu'obtint en Allemagne la chanson «morlaque» du Viaggio in Dalmazia[704]. D'abord traduite par un poète médiocre, Werthes (1775), la Triste ballade trouva bientôt en Goethe un meilleur interprète; et bien que cette traduction ne soit pas très conforme à l'original, nous croyons ne pas nous tromper en disant que c'est elle surtout qui fit comprendre aux étrangers les beautés du poème serbo-croate. Il ne rentre pas dans le cadre de notre travail d'étudier dans le détail la fortune de la Triste ballade en Allemagne: le sujet, du reste, a été suffisamment traité dans les nombreux écrits dont nous avons donné la liste au début de ce chapitre. Ajoutons seulement que la version de l'illustre poète n'a nullement découragé les nouveaux traducteurs. Ainsi, en 1826, Mlle von Jakob, croyant reconnaître dans le texte défectueux de Karadjitch une version plus exacte que celle de Fortis, en donna la traduction dans ses Volkslieder der Serben (t. II, pp. 165-168). Une année plus tard, M. Gerhard, le malheureux traducteur de la Guzla, mit également la Triste ballade en vers allemands. Il se servit de la traduction de Mérimée, mais par une modestie bien compréhensible,—il avait eu l'honneur d'être reçu dans l'intimité de Goethe,—il ne voulut pas publier son poème. Ce ne fut qu'en 1858, au lendemain de la mort du brave Gerhard, qu'une revue technique, l'Archiv für das Studium neuerer Sprachen und Literaturen, inséra cette traduction à titre de document littéraire (tome XXIII, p. 211 et suiv.).

* * * * *

II. ANGLETERRE.—À notre connaissance, la Triste ballade a été traduite sept fois en anglais. Chose étonnante, elle ne figure pas dans la traduction anglaise du Voyage en Dalmatie (Londres, 1778). Est-ce le manque de quelques caractères typographiques spéciaux qui en aura empêché l'impression, ou bien Fortis avait-il alors perdu le goût de la poésie populaire? Nous n'en savons rien. Toutefois, la première version anglaise qui en ait été faite paraît être:

1º «The Lamentation of the Faithful Wife of Asan-Aga», par sir Walter Scott (1798 ou 1799). Ce poème non seulement ne figure pas dans les Œuvres complètes du poète anglais, mais il est encore inédit; son histoire sera traitée dans un appendice spécial.

2º Traduction de John Bowring, dans son livre Servian Popular Poetry, Londres, 1827, pp. 52-57, sous le titre de «Hassan Aga's Wife's Lament». Cette traduction n'est pas faite sur l'original serbe, comme son auteur le laisse entendre, mais d'après la traduction allemande par Talvj.

     What's so white upon yon verdant forest?
     Is it snow, or is it swans assembled?

3º Traduction d'Edgar Bowring, fils du précédent, dans The Poems of Goethe, translated in original metres, Londres, 1853, pp. 197-199, sous le titre de «Death-Lament of the Noble Wife of Asan-Aga (from the Morlack)». Elle a été réimprimée plusieurs fois depuis.

     What is yonder white thing in the forest?
     Is it snow, or can it swans perchance be?

4º Traduction de W. Edmondstoune Aytoun, dans les Poems and Ballads of Goethe, Edimbourg, 1859, pp. 106-110. «The Doleful Lay of the Wife of Asan-Aga.»

     What is yon so white beside the greenwood?
     Is it snow, or flight of sygnets resting?

5º Traduction d'Owen Meredith [sir Robert Bulwer Lytton] dans ses Serbski Pesme, or National Songs of Servia, Londres, 1861, pp. 120-127: «The Wife of Hassan Aga.» Comme le volume entier, cette traduction est versifiée d'après la traduction française en prose de Auguste Dozon (Poésies populaires serbes, Paris, 1859), mais l'auteur passe cela sous silence. Peu fidèle, elle est peut-être la plus artistique des traductions de la Triste ballade.

     What is it so white on the mountain green?
     A flight of swans? or a fall of snow?

6º Traduction d'Edward Chawner, dans les Goethe's Minor Poems, Londres, 1866, pp. 99-102: «Elegy on the Noble Wife of Assan Aga.»

     What shines whitely in the green wood yonder?
     Can it be snow, or is it swans, perchance?

7º Traduction de William Gibson, dans The Poems of Goethe, Londres, 1883, pp. 32-34: «The Lament of the Noble Wife of Asan Aga» (from the «Morlach»).

     What so white is yonder by the greenwood?
     Is it really snow, or white swans resting?

III. FRANCE.—Tandis que toutes les traductions allemandes et anglaises de la Triste ballade que nous venons d'énumérer sont en vers, de treize traductions françaises que nous connaissons, et dont nous donnons ci-dessous la nomenclature, douze sont en prose:

1º Traduction faite d'après la version italienne de Fortis, par l'anonyme qui donna l'édition française du Voyage en Dalmatie, Berne, 1778. Elle porte le titre de la «Chanson sur la mort de l'illustre épouse d'Asan-Aga[705]».

Quelle blancheur brille dans ces forêts vertes? Sont-ce des neiges, ou des cygnes? Les neiges seraient fondues aujourd'hui, et les cygnes se seraient envolés. Ce ne sont ni des neiges ni des cygnes, mais les tentes du guerrier Asan-Aga. Il y demeure blessé et se plaignant amèrement. Sa mère et sa sœur sont allées le visiter: son épouse serait venue aussi, mais la pudeur la retient.

2° Traduction de Marc Bruère, consul de France à Raguse (1770-1823), qui fut un poète serbo-croate distingué, comme il fut poète italien, français et latin[706]. Elle fut donnée en 1807 à Hugues Pouqueville, qui la publia en 1820 dans son Voyage de la Grèce sous le titre du Divorce[707]. Il nous paraît que Marc Bruère avait utilisé non seulement l'original serbo-croate (ce qui est incontestable), mais encore la traduction française que nous venons de citer. Il est possible que le poème ait subi quelques retouches de la part de Pouqueville.

Quelle blancheur dans ces vertes forêts! sont-ce des neiges ou des cygnes? Hélas! les neiges seraient fondues, les cygnes envolés. Ce ne sont ni des neiges ni des cygnes, mais les tentes d'Asan-Aga, où il demeure gémissant et blessé. Sa mère et sa sœur l'ont visité; son épouse serait venue aussi, mais la pudeur la retient.

3º Traduction de Charles Nodier, à la suite de Smarra ou les démons de la nuit, Paris, 1821, pp. 181-199: «La Femme d'Asan.» Nous avons déjà parlé de cette traduction.

     Quelle blancheur éblouissante éclate au loin sur la verdure immense
     des plaines et des bocages?

     Est-ce la neige ou le cygne, ce brillant oiseau des fleuves qui
     l'efface en blancheur?

     Mais les neiges ont disparu, mais le cygne a repris son vol vers
     les froides régions du nord.

Ce n'est ni la neige, ni le cygne; c'est le pavillon d'Asan, du brave Asan qui est douloureusement blessé, et qui pleure de sa colère encore plus que de sa blessure.

Car voici ce qui est arrivé. Sa mère et sa sœur l'ont visité dans sa tente, et son épouse qui les avait suivies, retenue par la pudeur du devoir, s'est arrêtée au dehors parce qu'il ne l'avait point mandée vers lui. C'est ce qui cause la peine d'Asan.

4º Traduction de Mme Ernestine Panckoucke, dans les Poésies de Goethe, Paris, 1825: «Complainte de la noble femme d'Azan Aga. Traduite du slave.»

Qu'aperçoit-on de blanc dans cette vaste forêt? est-ce de la neige, ou sont-ce des cygnes? Si c'était de la neige, elle serait fondue; si c'étaient des cygnes, ils s'envoleraient. Ce n'est pas de la neige, ce ne sont pas des cygnes, c'est l'éclat des tentes du fier Azan Aga. Sous l'une d'elles il est couché, dompté par ses blessures; sa mère et sa sœur viennent le visiter souvent. Sa femme, retenue par une timidité excessive, tarde à se rendre près de lui.

5º Traduction de Prosper Mérimée, dans la Guzla, Paris et Strasbourg, 1827, pp. 251-255: «Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga.» Nous nous occuperons plus longuement de cette traduction.

Qu'y a-t-il de blanc sur ces collines verdoyantes? Sont-ce des neiges? sont-ce des cygnes? Des neiges? elles seraient fondues. Des cygnes? ils se seraient envolés. Ce ne sont point des neiges, ce ne sont point des cygnes: ce sont les tentes de l'aga Asan-Aga. Il se lamente de ses blessures cruelles. Pour le soigner, sont venues et sa mère et sa sœur; sa femme, retenue par la timidité, n'est point auprès de lui.

6º Traduction de Gérard de Nerval, dans ses Poésies allemandes, Paris, 1830: «La Noble femme d'Azan-Aga.» Publiée à nouveau en 1840 avec la troisième édition de Faust, en 1867, etc.

Qu'aperçoit-on de blanc, là-bas, dans la verte forêt?… de la neige ou des cygnes? Si c'était de la neige, elle serait fondue; des cygnes, ils s'envoleraient. Ce n'est pas de la neige, ce ne sont pas des cygnes, c'est l'éclat des tentes d'Azan-Aga. C'est là qu'il est couché, souffrant de ses blessures; sa mère et sa sœur sont venues le visiter; une excessive timidité retient sa femme de se montrer à lui.

7º Traduction de G. Fulgence (fragment en vers, sept quatrains), dans le recueil intitulé Cent chants populaires des diverses nations du monde, avec les airs, les textes originaux, des notices, la traduction française, accompagnement de piano ou harpe. Paris, Ph. Petit, 1830, deuxième livraison, pp. 28-29: «Asan-Aga, chant illyrien.»

     Quelle blancheur en la forêt voilée?
     Est-ce la neige ou le cygne au corps blanc?
     Le cygne blanc aurait pris sa volée;
     La neige fond sous le soleil brûlant.

     Ce ne sont point des neiges éclatantes,
     Les cygnes blancs ne s'y reposent pas;
     D'Asan-Aga ce sont les blanches tentes
     Asan revient blessé de trois combats.

8º Traduction anonyme [d'après Goethe]: «Complainte de la noble femme d'Azan-Aga. Poésie morlaque.» Parue dans le Magasin pittoresque, 1840, nº 52, pp.406-407.

Que voit-on de blanc sur la verte forêt? Est-ce bien la neige ou sont-ce des cygnes? Si c'était de la neige, elle serait déjà fondue; si c'étaient des cygnes, ils seraient envolés. Ce n'est pas la neige et ce ne sont pas des cygnes; ce sont les blanches toiles des tentes d'Azan-Aga. Il est couché là, souffrant cruellement de ses blessures; sa mère et sa sœur sont venues le visiter, mais par timidité sa femme s'est arrêtée sur le seuil et n'ose entrer.

9º Traduction de Henri Blaze [de Bury] dans les Poésies de Goethe, Paris, 1843, 1862, etc. Elle porte pour titre: «Complainte de la noble femme d'Hassan-Aga. Imité du morlaque.»

Que vois-je de blanc là-bas dans le bois vert? Est-ce de la neige, des cygnes? Si c'était de la neige, elle se fondrait; si c'étaient les cygnes, ils s'envoleraient; ce n'est pas de la neige, ce ne sont pas des cygnes, c'est l'éclat des tentes d'Hassan-Aga. Il est là, gisant et blessé; sa mère et sa sœur le visitent; sa femme néglige de venir vers lui.

10º Traduction de Xavier Marmier [d'après Talvj] dans la Revue contemporaine, 1853, et dans ses Lettres sur l'Adriatique et le Monténégro. Paris, 1854, t. I, pp. 300-303: «Femme d'Assan.»

Que voit-on de blanc dans la verte forêt de la montagne? Est-ce de la neige? est-ce une nuée de cygnes? Si c'était de la neige, elle serait fondue; si c'étaient des cygnes, ils se seraient envolés. Ce n'est pas de la neige, ce ne sont pas des cygnes. C'est la tente de l'aga Hassan, où il s'est retiré souffrant d'une profonde blessure. Sa mère et sa sœur ont été le visiter. Sa femme, par pudeur, n'a osé faire comme elles.

11º Traduction d'Auguste Dozon, dans les Poésies populaires serbes, Paris, 1859: «La Femme de Haçan-Aga.» Cette traduction est faite d'après le texte serbe de Karadjitch et non pas d'après celui de Fortis[708]. M. Matić se trompe lorsqu'il prétend qu'elle «direkt auf dem Original beruht». (Archiv für slavische Philologie, t. XXIX, p. 67.)

     Que voit-on de blanc dans la verte montagne?
     Est-ce de la neige, ou sont-ce des cygnes?
     Si c'était de la neige, elle serait déjà fondue,
     [Si c'étaient] des cygnes, ils auraient pris leur vol.
     Ce n'est ni de la neige, ni des cygnes,
     Mais la tente de l'aga Haçan-Aga.
     Haçan a reçu de cruelles blessures;
     Sa mère et sa sœur sont venues le visiter,
     Mais sa femme, par pudeur, ne pouvait le faire.

12° Traduction de Jacques Porchat, dans les Œuvres de Goethe, t. I, Paris, 1861, pp. 90-92: «Complainte de la noble femme d'Asan Aga.»

Que vois-je de blanc là-bas près de la forêt verte? Est-ce peut-être de la neige ou sont-ce des cygnes? De la neige, elle serait fondue; des cygnes, ils seraient envolés. Non, ce n'est pas de la neige, ce ne sont pas des cygnes: ce qui brille, ce sont les tentes de Asan Aga. Là il est gisant, il est blessé. Sa mère et sa sœur le visitent; la pudeur empêche sa femme de se rendre auprès de lui.

13° Paraphrase donnée par M. Colonna [d'après Mérimée] dans les Contes de la Bosnie, Paris, 1898, pp. 115-121: «Triste ballade.» Nous reviendrons ailleurs sur les plagiats de M. Colonna.

Le Bélierbey de Banialouka est à la chasse… Il a tué un cerf et un chamois, mais en rechargeant son long fusil d'or et de corail, il s'est blessé, et son sang coule sur son caftan de soie, comme le sang de l'aigle sur ses plumes blanches!

     Ses serviteurs fidèles ont dressé dans la montagne sa tente de
     pourpre. Sa mère et sa sœur sont accourues soigner sa blessure;
     seule sa femme, la belle Militza, n'a point osé quitter le harem
     sans être appelée par son seigneur…

C'est là, la fortune de la Triste ballade en France. Ajoutons qu'Adam Mickiewicz analysa longuement cette poésie serbo-croate dans son cours des littératures slaves, professé au Collège de France en 1840 et 1841, et publié en 1849.

M. Tomo Matić, qui a fait une étude spéciale sur les traductions françaises de la Triste ballade[709], mais qui n'en connaissait que cinq, en cite deux autres, sur l'autorité de M. Skerlitch, dit-il[710]. La première aurait été publiée par le baron Eckstein dans le Catholique en 1826, la seconde par Mme Sw. Belloc dans le Globe en 1827. Vérification faite, M. Matić blâme sévèrement M. Skerlitch de l'avoir induit en erreur, car ces traductions n'existent pas[711]. Nous avons lu et relu l'article qu'il cite; une seule phrase a retenu notre attention; mais il n'y est question que des traductions françaises de poésies serbes en général[712]. En effet, on trouve dans le Catholique de 1826 deux longs articles sur la poésie serbe, et dans le Globe de 1827 plusieurs chants du recueil de Karadjitch, traduits par Mme Sw. Belloc. Du reste, nous en avons déjà parlé.

IV. Autres Pays.—Outre la version de Fortis, il existe d'autres traductions italiennes: de P. Cassandrich, dans les Canti popolari epici serbi, Zara, 1888, pp. 195-202; de N. Jakšić, de Zarbarini, etc. George Ferrich a mis la Triste ballade en hexamètres latins, dans son Epistola ad Joannem Muller, Raguse, 1798, pp. 17-20. Il s'est servi de la traduction italienne de Fortis[713]. Le poète hongrois bien connu, François Kazinczy a traduit le Klaggesang de Goethe en sa langue maternelle. La ballade est traduite aussi en tchèque, par S.R. Slovak, et en russe (deux fois: par Vostokoff et, en partie, par Pouchkine). Une version espagnole figure, sans doute, dans la traduction de Smarra de Charles Nodier, parue à Barcelone en 1840[714].

§ 3

LA TRADUCTION DE MÉRIMÉE

Rien de plus intéressant—ni de plus instructif—pour qui veut bien connaître de quelle façon composait l'auteur de la Guzla, qu'un examen approfondi de sa traduction de la Triste ballade. C'est là, en le suivant de près, ligne par ligne, mot par mot, qu'on peut le mieux se rendre compte de ses scrupules et de son aptitude à interpréter la poésie populaire.

Il faut le reconnaître: avant nous, M. Tomo Matić avait déjà entrepris cette enquête et l'a conduite avec tant de soin et tant de bonheur[715] qu'il nous faut bien lui rendre hommage. Mais, si nous avons préféré refaire à notre tour ce travail au lieu de nous borner à apporter ici les résultats de notre prédécesseur, c'est qu'en dehors de notre intention de donner une monographie complète sur l'ouvrage de Mérimée, nous avons désiré pouvoir tirer quelques conclusions plus générales que ne l'avait fait M. Matić.

C'est ainsi qu'il nous faut, tout d'abord, faire remarquer la concision de la version de Mérimée. Tandis que l'anonyme bernois qui a traduit le Voyage en Dalmatie, avait eu besoin de 687 mots pour rendre en français le poème serbo-croate, tandis que Ch. Nodier n'en avait pas employé moins de 991, Mérimée se contenta de 629, sans rien omettre de ce qui se trouvait dans l'original.

La précision fut du reste l'un des principes qui le guidèrent. Dans une note qui accompagne la Triste ballade, il déclare avec une fierté peu dissimulée que «l'on sait que le célèbre abbé Fortis avait traduit en vers italiens cette belle ballade» et que, venant après lui, il n'a pas la prétention d'avoir fait aussi bien. «Seulement, dit-il, j'ai fait autrement. Ma traduction est littérale, et c'est là son seul mérite[716].» «Je crois ma version littérale et exacte, ajouta-t-il dans sa seconde édition, ayant été faite sous les yeux d'un Russe qui m'en a donné le mot à mot[717].» Et, dans la lettre à Sobolevsky, il fournit quelques détails relatifs à son travail:

Il [Fortis] a donné le texte et la traduction de la complainte de la femme d'Asan-Aga, qui est réellement illyrique; mais cette traduction était en vers. Je me donnais une peine infinie pour avoir une traduction littérale en comparant les mots du texte qui étaient répétés avec l'interprétation de l'abbé Fortis. À force de patience, j'obtins le mot à mot, mais j'étais embarrassé encore sur quelques points. Je m'adressai à un de mes amis qui sait le russe. Je lui lisais le texte en le prononçant à l'italienne, et il le comprit presque entièrement.

Il suffit de jeter un coup d'œil sur la version de Mérimée, sur celle de Fortis et sur l'original serbo-croate pour être persuadé que le soi-disant improvisateur qui a «écrit la Guzla en quinze jours», s'était vraiment donné une «peine infinie» pour faire une traduction convenable de la Triste ballade, et qu'il a beaucoup plus droit de s'en vanter que ne le suppose le lecteur volontiers sceptique. En effet, bien qu'elle ne soit pas exempte de fautes, la traduction de Mérimée est une des plus exactes parmi toutes celles que nous avons énumérées plus haut. Goethe, qui dans la plus grande partie de son Klaggesang s'appuyait sur la traduction de Werthes, faite elle-même d'après les vers de Fortis, ne manqua pas de reproduire un certain nombre de fautes qu'avaient commises ses prédécesseurs. Mlle Talvj et M. Dozon, les deux traducteurs les plus fidèles de cette ballade, malgré leur connaissance approfondie du serbo-croate, ont utilisé tous les deux les mauvais textes de Karadjitch; ainsi s'ils ne péchèrent pas par ignorance, ils péchèrent pour avoir négligé de bien choisir leur original.

Mérimée voulut composer sa traduction sans le secours de ceux qui l'avaient précédé. Il avait une méfiance instinctive des vers italiens du «célèbre abbé Fortis», qu'il croyait même beaucoup plus inexacts qu'ils ne le sont en réalité. Préférant s'inspirer directement de l'original, ce fut, paraît-il, la seule version étrangère qu'il consentit à consulter incidemment, et il ne la consulta jamais que dans le cas où ni lui ni son mystérieux ami qui savait le russe ne purent déchiffrer le sens du texte «morlaque[718]». Il paya cette hardiesse par plusieurs méprises qu'il aurait pu éviter s'il avait voulu se fier un peu plus en l'auteur du Viaggio in Dalmazia. Ainsi, par exemple, les vers serbo-croates:

     Kad kaduna kgnigu prouçila
     Dva-je sîna u celo gliubila
     A due chiere u rumena liza.
     [Quand la dame eut étudié cette lettre,
     Elle baisa ses deux fils au front,
     Ses deux filles sur leurs joues vermeilles.]

Fortis les a traduits assez exactement:

                Allor che vide
     L'afflitta donna il doloroso scritto,
     De' suoi due figliuolin' baciò le fronti,
     E delle due fanciulle i rosei volti.

Quant à Mérimée, s'il remarqua bien, «en comparant les mots du texte qui étaient répétés» avec l'interprétation italienne, que les épithètes: afflitta, doloroso ne se trouvent pas dans l'original, et s'il les effaça—comme il effacera presque toutes les épithètes dont l'abbé Fortis avait surchargé le poème: magion paterna, dure parole, fratello amato, etc.[719],—il poussa la méfiance trop loin en ne voulant pas suivre la leçon de Fortis là où elle était bonne[720]. Il rendit liza (visages, joues) par bouche: «La dame a lu cet écrit; elle baise le front de ses deux fils et la bouche vermeille de ses deux filles.»

En revanche, cette passion de remonter toujours aux sources mêmes le rapprocha plus d'une fois du vrai ton de la ballade serbo-croate, là où Fortis et tous ceux qui l'avaient suivi, y compris Goethe, s'étaient trompés. Nous citerons quelques exemples d'après M. Matić.

I

Texte original:

     Za gnom terçu dve chiere djevoike.
     [Ses deux filles courent après elle.]

Fortis:

     Ma i di lei passi frettolose, ansanti
     Le due figlie seguir.

Anonyme bernois:

Les deux filles épouvantées suivent ses pas incertains.

Goethe:

Aengstlich folgen ihr zwei liebe Tõchter.

Nodier:

Mais ses petites filles tremblantes se sont attachées à ses pas.

Mérimée:

Mais ses deux filles ont suivi ses pas.

II

Texte original:

     Ni-je ovo babo Asan-Ago,
     Vech daixa Pintorovich bexe.
     [Ce n'est pas notre père, Asan-Aga,
     Mais notre oncle, le bey Pintorovich.]

Fortis:

… del genitore Asano Non è già questo il calpestio; ne viene Il tuo fratello, di Pintoro il figlio.

Anonyme bernois:

Ces chevaux ne sont point ceux de notre père Asan; c'est ton frère, le Beg Pintorovich qui vient te voir.

Goethe:

     Sind nicht unsers Vaters Asan Rosse,
     Ist dein Bruder Pintorowich kommen!

Nodier:

     Ce n'est point notre père bien-aimé; c'est ton frère, le bey
     Pintorovich.

Mérimée:

     Ce n'est point notre père Asan-Aga, c'est notre oncle
     Pintorovich-bey.

III

Texte original:

     Kaduna-se bratu svomu moli.
     [La dame supplie son frère.]

Fortis:

…Prega piagnendo Ella il fratel.

Anonyme bernois:

D'une voix plaintive elle dit alors à son frère.

Goethe:

Und die Frau bat weinend ihren Bruder.

Nodier:

Elle tombe éplorée aux pieds de son frère, elle gémit, elle prie.

Mérimée:

La dame implore son frère.

IV

Texte original:

Josc kaduna bratu-se mogliasce, Da gnoj pisce listak bjele kgnighe, Da-je saglie Imoskomu kadii: «Djevoika te ljepo pozdravgliasce…»

[La dame supplia encore son frère, D'écrire sur une feuille de lettre blanche, Pour l'envoyer au cadi d'Imoski: «L'accordée te salue bien…»]

Fortis:

     Allor di nuovo ella pregò: «Deh! almeno,
     (Poichè pur così vuoi) manda d'Imoski
     Al cadi un bianco foglio. A te salute
     Invia la giovinetta…»

Anonyme bernois:

Alors elle le prie de nouveau: «Puisque tu veux absolument me marier, envoie au moins une lettre en mon nom au Kadi, et dis-lui: la jeune veuve te salue…»

Goethe:

     Doch die Gute billet ihn unendlich:
     «Schicke wenigstens ein Blatt, o Bruder,
     Mit den Worten zu Imoski's Cadi:
     Dich begrüsst die junge Wittib freundlich…»

Nodier

Dévouée, elle prie encore: «Du moins, reprend-elle, écris en ces termes à l'époux que tu m'as choisi. Écoute bien! «Kadi, je te salue[721]…»

Mérimée:

Elle lui fait encore une dernière prière: qu'il envoie au moins une blanche lettre au cadi d'Imoski, et qu'il lui dise: «La jeune dame te salue…»

V

Texte original:

     Kad kadii bjela kgniga doge,
     Gospodu-je svate pokupio.
     Svate kuppi, grede po djevoiku.

     [Quand la blanche lettre parvint au kadi,
     Il rassemble les seigneurs svats,
     Les svats rassemble, va chercher l'accordée.]

Fortis:

                Appena
     Giunse al cadì la lettera, ei raccolse
     Tutti gli svati, e pella sposa andiede,
     Il lungo velo, cui chiedea, portando.

Anonyme bernois:

Après avoir reçu la lettre, le Kadi assemble sur-le-champ les seigneurs svati pour chercher son épouse et pour lui porter le long voile qu'elle demande.

Goethe:

     Kaum ersah der Cadi dieses Schreiben,
     Als er seine Suaten aile sammelt,
     Und zum Wege nach der Braut sich rüstet,
     Mit den Schleier, den sie heischte, tragend.

Nodier:

À peine la lettre est parvenue au Kadi, celui-ci réunit ses amis pour être témoins de cette fête. Ils viennent, et présentent à la fiancée, au nom de son nouvel époux, le long voile qu'elle a demandé.

Mérimée:

Quand le cadi eut lu cette blanche lettre, il rassembla les nobles svati. Les svati allèrent chercher la mariée.

VI

Texte original:

     Ustavise kogne iza dvora;
     Svoju dizu ljepo darovala.

     [On arrêta les chevaux devant le palais;
     À ses enfants elle fait de beaux cadeaux.]

Fortis:

                Stettersi fermi
     Dinanzi alla magion tutti i cavalli;
     Ed ella porse alla diletta prole
     I doni suoi, scesa di sella.

Anonyme bernois:

Les chevaux s'arrêtent devant la porte, elle descend et offre des présens à ses enfans.

Goethe:

     Und sie hielten vor der Lieben Thüre
     Und den armen Kindern gab sie Gaben.

Nodier:

Les coursiers restent immobiles, pendant qu'elle va partager à sa famille chérie quelques bijoux ou quelques vêtements, derniers témoignages de sa tendresse.

Mérimée:

Les chevaux s'arrêtèrent près de la maison, et elle donna des cadeaux à ses enfants.

Il est un autre endroit de la Triste ballade où Mérimée rétablit le vrai sens, mal interprété par ses devanciers; M. Matić ne le cite pas, mais il nous paraît être l'un des plus importants. C'est à la fin même du poème, le dénouement tragique de l'histoire de la noble épouse.

Après avoir chanté la triste scène où la mère morlaque fait des cadeaux à ses enfants qu'elle abandonne, le guzlar termine par ces vers:

     Kad to çula Asan-Aghiniza,
     Bjelim liçem u zemgliu udarila;
     Un pût-se-je s' dusciom raztavila
     Od xalosti gledajuch sirota[722].

qui signifient: «Quand l'épouse d'Asan-Aga entendit cela,—de son visage blanc contre terre elle donna,—à l'instant rendit l'âme,—l'infortunée, de la douleur qu'elle eut à regarder [ses orphelins].» Fortis, jugeant que le naïf poète illyrien n'avait pas su tirer tout l'effet possible de cette pathétique situation, transforma la dernière et la plus importante ligne:

                Udillo; e cadde
     L'afflitta donna, col pallido volto
     La terra percuotendo; e a un punto istesso
     Del petto uscille l'anima dolente,
     Gli orfani figli suoi partir veggendo[723].

Cette retouche arbitraire fut reproduite par tous ceux qui, ignorant la langue de l'original, façonnèrent leurs versions sur celle de l'écrivain italien. L'anonyme bernois (1778), comme son prédécesseur allemand (1776), ne soupçonna pas la main de Fortis dans cette calomnie du sentiment filial chez les enfants morlaques. Il traduisit: «Entendant ces paroles, cette affligée veuve pâlit et tombe par terre. Son âme quitte son corps au moment qu'elle voit partir ses enfans[724].» Goethe se trompa également:

     Wie das hõrte die Gemahlin Asans,
     Stürzt' sie bleich den Boden schütternd nieder,
     Und die Seel' entfloh dem bangen Busen
     Als sie ihre Kinder vor sich fliehn sah[725].

Nodier, dont la version paraît avoir été faite plutôt d'après celle de Berne que d'après Fortis, tombait lui aussi dans la même erreur à l'occasion du dénouement. Il terminait ainsi: «Elle prête l'oreille, son sang se glace, elle tombe, et sa tête, couverte d'une mortelle pâleur, va frapper la terre retentissante; au même instant, son cœur se brise et son âme s'envole sur les pas de ses enfants[726].»

Mérimée, lui, s'il ne rend pas tout ce qu'il y a dans le texte, se montre cependant le plus exact de tous les traducteurs: «La pauvre mère pâlit, sa tête frappa la terre et elle cessa de vivre aussitôt, de douleur de voir ses enfants orphelins[727].»

* * * * *

Ce soin si scrupuleux qu'apporte Mérimée à être plus sobre encore qu'un texte qui est la sobriété même, nous révèle un des traits de son caractère d'artiste: le désir de la précision. Il est heureux pour nous de pouvoir juger Mérimée sur une ballade où l'invention est nulle, car il n'en est que le traducteur; et où la forme est tout, car sa traduction se distingue des autres par des qualités véritablement personnelles qui nous révèlent l'homme. Mérimée a deux textes en main: une version italienne qu'il peut lire aisément, un texte original qu'avec un dictionnaire il est à peine capable de déchiffrer; et malgré toute l'aridité de ce travail c'est à l'original qu'il va, parce qu'il y sent des beautés plus naturelles que ne lui en offre la traduction fardée du savant abbé italien. Tout ce vernis «XVIIIe siècle» que Fortis a répandu sur la poésie, il en a la nausée: il se rend compte que la traduction du voyageur est «une belle infidèle» et que celui-ci s'y laisse deviner au moins autant qu'il nous fait entrevoir les mœurs et les caractères des héros de sa ballade; aussi, ce qu'il veut, c'est goûter le poème lui-même, dans sa saveur originelle, et malgré toute la difficulté d'une telle entreprise, sans se laisser rebuter, avec une patience digne d'un archéologue. Nous avons vu qu'il y est presque arrivé. Travail, souci de l'exactitude, une certaine réserve qui se défend les effusions du sentiment, sa traduction témoigne de tout cela. Dès lors, le croirons-nous, quand avec son flegme habituel il nous déclare avoir mis tout juste une quinzaine à composer la Guzla, «cette sottise»? D'autres, avant nous, ne s'y sont pas laissé prendre. L. Clément de Ris, en 1853, se méfiait déjà de cette superbe indifférence. «Pour faire ce recueil, disait-il, l'auteur a travaillé beaucoup plus qu'il n'affecte de le dire.» Et, «jusqu'à preuve évidente du contraire», il restait convaincu que «Monsieur Mérimée avait cédé au désir de paraître avoir mystifié le public[728]». C'est aussi notre avis, quand Maxime du Camp ne serait pas là pour nous assurer que Mérimée allait jusqu'à recopier seize fois de suite ses manuscrits en les corrigeant[729]. La Guzla ne nous paraît pas être une œuvre d'improvisation. Pour le fonds, nous l'avons vu, il n'y a rien de très original, rien de véritablement personnel; c'est comme une agglomération de souvenirs qu'on rencontre dans chacune des ballades. Qu'est-ce donc qui en ferait la valeur si ce n'était la forme? Cette forme qui fond et unit tant de matériaux épars en un tout qui a une vie propre. Mais cette forme elle-même n'existerait pas, sans ce secret instinct de metteur en scène qui pousse et conduit Mérimée, qui lui fait choisir ici cela, ailleurs une autre chose: enfin ce qu'il lui faut. Elle ne serait rien non plus, sans ce labeur long et continu vers cet idéal qu'il s'efforce d'atteindre. C'est ce qui nous fait dire que la Guzla n'est point une œuvre composée exclusivement pour s'amuser «à la campagne», «après avoir fumé un ou deux cigares», «en attendant que les dames descendent au salon». Elle nous semblerait bien plutôt avoir été écrite dans une bibliothèque, au milieu de livres qu'on peut consulter au besoin, quand le souvenir est par trop infidèle. La Guzla peut avoir été élaborée en quinze jours, elle n'a reçu sa forme définitive, croyons-nous, qu'après que Mérimée eût eu le temps de la revoir de très près. Nous ne nierons pas non plus qu'il n'y ait dans la Guzla une certaine tendance au lyrisme[730], mais à un lyrisme de pure forme, qui n'est en définitive qu'un «extrait des lectures» de l'écrivain. Mérimée a su faire vivre des personnages, mais on ne le retrouve pas, lui, en eux. Et c'est pourquoi nous ne nous étonnerons pas qu'il n'ait pas continué dans cette voie, parce qu'à vrai dire elle n'était pas la sienne; sa première pudeur de jeune écrivain qui n'osait donner sous son nom un tel recueil au public; son superbe dédain de quelques années plus tard, tout cela nous paraît fort naturel: il était déjà tel au moment où il écrivait sincèrement ces pages qu'il était nécessaire, sinon qu'il les désavoue, du moins qu'il les condamne un jour.

TROISIÈME PARTIE

LA FORTUNE DE «LA GUZLA»

«Je crois que vous seriez plus grand, mais un peu moins connu, si vous n'aviez pas publié la Jacquerie et la Guzla, fort inférieures à Clara Gazul. Mais comment diable auriez-vous deviné tout cela? Quant à la gloire, un ouvrage est un billet à la loterie… Écrivons donc beaucoup.»

STENDHAL À MÉRIMÉE, le 26 décembre 1829, à cinq heures du soir, sans bougie.

CHAPITRE VIII

«La Guzla» en France.

§ 1. Publication du livre.—§ 2. Critiques du temps: la Réunion, le Moniteur, le Journal de Paris, le Globe, la Revue encyclopédique, la Gazette de France, le Journal des Savans. La réclame de l'éditeur.—§ 3. L'édition de 1842. Réimpressions postérieures.—§ 4. La Guzla l'Opéra-Comique.—§ 5. La poésie serbe en France après la Guzla.—§ 6. Un plagiat. Conclusion.

§1

PUBLICATION DU LIVRE

Son recueil de ballades illyriques achevé, Mérimée se mit à la recherche d'un éditeur. Pour ne pas être démasqué, il ne s'adressa à aucun des libraires attitrés du romantisme et poussa la méfiance jusqu'à rester inconnu même de celui auprès duquel il finit par se réfugier. Un de ses amis, Joseph Lingay, se chargea de négocier l'affaire.

Nous savons peu de choses sur Joseph Lingay. C'était, semble-t-il, un original que «ce polémiste de petites feuilles de la Restauration, ce lauréat de concours académiques, ce fonctionnaire qui, sous le titre vague de secrétaire général de la présidence du conseil, minuta tant de discours ministériels[731] et même royaux (1830-1833), ce publiciste qui remplaça un moment Girardin à la direction de la Presse et que Balzac appelait le plus fécond journaliste de son époque, en lui envoyant une de ses lettres à Mme de Hanska, pour sa collection d'autographes[732]». Il mourut officier de la Légion d'honneur, le 21 décembre 1851, dans une grande misère à ce qu'il semble; il ne revit aujourd'hui que dans quelques pages de Francis Wey, enfouies elles-mêmes dans un recueil collectif de nouvelles[733], et par une trentaine de lignes dans la France littéraire de Quérard qui consacrent sa mémoire.

Ancien professeur de Mérimée, il était ami de Stendhal et, comme nous l'avons dit, c'est par lui qu'ils se connurent. On trouve dans la Correspondance de l'auteur de la Chartreuse de Parme plusieurs passages relatifs à Maisonnette,—sobriquet par lequel, nous dit la clef, cet incorrigible parrain désignait Joseph Lingay. «Je sens souvent en vous la manière de raisonner de Maisonnette, écrivait Beyle à Mérimée, id est une jolie phrase au lieu d'une raison, id est le manque d'avoir lu Montesquieu et de Tracy + Helvétius. Vous avez peur d'être long[724].» Il ne serait pas inutile, peut-être, de déterrer les écrits de l'ami à qui Mérimée, par sa manière de raisonner, ressemblait tant, mais ce serait un peu nous égarer. Remarquons seulement que Lingay devait avoir au moins quinze ans de plus que l'auteur de la Guzla, car, en 1814, il avait déjà publié un Éloge de Delille et critique de son genre et de son école, et, en 1816, une brochure De la monarchie avec la Charte[735].

Lingay trouva un éditeur pour la Guzla en la respectable maison F.-G. Levrault, imprimeur à Strasbourg, 32, rue des Juifs (cette maison existe toujours, mais à Nancy depuis 1871, et transformée en société anonyme Berger-Levrault et Cie). L'imprimerie avait alors une librairie à Paris, 81, rue de Laharpe, dirigée par M. Pitois, devenu plus tard M. Pitois-Levrault[736].

Ce fut dans cette succursale parisienne que les conditions de la publication furent arrêtées entre M. Pitois et Lingay, qui négociait «au nom de son ami». Elles étaient très simples: rien ne fut signé, «ni même consenti verbalement». Comme l'expliqua Lingay, quelques années plus tard, dans une lettre à F.-G. Levrault, que nous pourrons donner ailleurs in extenso grâce à l'extrême obligeance de M. Félix Chambon, «la réputation de M. Mérimée n'étant pas encore établie [à cette époque], et la nature des opérations de votre maison ne s'accordant pas avec le genre de cet ouvrage, il n'y eut rien de stipulé. Seulement, l'auteur vous laissa soin de publier une édition, sans rien recevoir, ni sans rien payer».

Ce précieux aveu, ignoré jusqu'à aujourd'hui, réfute une fois pour
toutes la fameuse légende d'après laquelle Mérimée aurait VENDU la
Guzla
(«à son libraire»), afin d'effectuer un voyage authentique en
Illyrie pour reconnaître s'il s'était trompé, etc.

M. Tourneux, de son côté, à l'occasion des recherches qu'il fit en 1887 en vue de sa plaquette Prosper Mérimée, comédienne espagnole et chanteur illyrien, étude citée plusieurs fois au cours de ce travail, avait obtenu du regretté M. O. Berger-Levrault communication du dossier de l'éditeur, relatif à l'impression de l'ouvrage, qui était en bonne voie au mois de mars 1827, comme l'atteste cette lettre de Lingay à l'imprimeur strasbourgeois:

Monsieur et honorable ami,

… Voici les premières épreuves de la Guzla. Vous recevrez successivement par le courrier du lendemain celles que vous voudrez bien m'expédier dorénavant. Le choix du format et du caractère me semble parfait. Je trouve seulement un peu grosses les capitales du haut des pages. Tout le reste est au mieux. Je vous remercie d'y destiner un beau papier et d'en recommander le tirage; l'ouvrage le mérite et il y a de l'avenir, beaucoup d'avenir dans l'auteur. Allez maintenant aussi vite que vous voudrez. Nous vous suivrons courrier par courrier. Il faudrait paraître pour mai, époque des provisions de campagne.

P.-S.—Les épreuves sont très bien lues. Nous admirons l'exactitude des noms propres. On n'est pas si exact à Paris.

2º P.-S.—Il me semble que sur la couverture imprimée une guzla ferait bien. J'en ai demandé le dessin exact. Pourrez-vous le faire clicher?

16 mars 1827.

     Rue des Brodeurs, nº 4, au coin de la rue Plumet, faubourg
     Saint-Germain[737].

Dans la lettre suivante (22 mars) il envoie deux nouvelles pièces et le double croquis de la guzla, «croquis, dit M. Tourneux en le reproduisant[738], que sa sécheresse et sa précision permettent de restituer sans hésiter à Mérimée». Ce ne fut là qu'un projet d'embellissement sans doute, parce qu'une guzla identique figure déjà sur le portrait d'Hyacinthe Maglanovich, qui sera adopté définitivement, et dont il n'est question, suivant M. Tourneux, que dans une troisième lettre, sans date celle-là. Comme nous l'avons déjà dit[739], ce dessin représente bien l'instrument serbo-croate: quoiqu'un peu trop long, il ne lui manque rien d'essentiel.

Pendant ce temps, l'exécution matérielle de l'ouvrage avançait, à Strasbourg; mais le livre ne put paraître en mai, «époque des provisions de campagne», comme le désirait l'auteur. Il ne sortit des presses que vers la fin de juillet et fut enregistré dans la Bibliographie de la France du 4 août 1827[740].

Au moment de la publication, le libraire, à ce qu'il semble, ne prit aucun soin de le faire remarquer au moyen des annonces payées qui étaient fort en pratique déjà en ce temps-là: nous eûmes beau feuilleter les collections poudreuses des journaux de l'époque: la maison F.-G. Levrault ne figure pas dans les courtes réclames entremêlées aux dernières nouvelles de la cour et à celles qu'on donnait sur la santé de M. Canning qui devait mourir quelques jours après la publication de la Guzla.

§ 2

CRITIQUES DU TEMPS

Les critiques ne manquèrent pas; généralement la louange y domine, mais il s'y mêle ici et là, au moins dans quelques-unes, quelques pointes de facile raillerie.

Le mardi 7 août 1827, la Réunion, «journal de la littérature, des sciences, des arts, des tribunaux, des théâtres et des modes» (3e année, nº 208), consacra à la Guzla une colonne, c'est-à-dire le huitième de son numéro entier.

«Le perfectionnement graduel des beaux-arts en France, y disait-on, dans un siècle de force et de vie ne nous a pas rendus insensibles aux beautés simples et irrégulières des peuples moins avancés que nous. À côté de la noble et imposante musique de Moïse, nous aimons à répéter le chœur écossais de la Dame blanche, et les montagnards tyroliens ont charmé par leur simple mélodie les mêmes hommes qu'avaient ravi les chants passionnés de la Pasta. Après les Messéniennes de Casimir Delavigne et les Méditations de Lamartine, voilà qu'un chantre demi-sauvage, Hyacinthe Maglanovich, fils d'un cordonnier dalmate, enlevé par des Bohémiens qui lui apprennent leurs tours et le convertissent à l'islamisme à l'âge de huit ans, puis reconverti au christianisme par un moine catholique qui l'aide à voler l'aga turc son maître, vient à son tour captiver notre attention par les sons un peu aigus quelquefois de sa guzla ou guitare montée d'une seule corde de crin.

«Le recueil de ces chants a été traduit de l'illyrique en français par un Italien très familier avec les deux langues. Ce petit volume mérite d'être lu en entier. Nous nous contenterons d'en citer un chant qui paraît être des plus anciens et qui, comme les chants des montagnards grecs, s'est perpétué de bouche en bouche.»

Après quoi, l'auteur de cette anonyme notice cita le Morlaque à Venise en entier.

* * * * *

Six jours plus tard, le Moniteur donna un article sur la Guzla, signé «N.», qui semble être écrit par quelque ami de Mérimée, qui, sans vouloir cependant dévoiler le secret, se permit de faire une allusion assez claire à l'auteur du Théâtre de Clara Gazul.

«Aurait-on supposé, il y a moins de vingt-cinq ans, l'existence d'un écrivain assez hardi pour traduire des poésies illyriques, un libraire assez mauvais calculateur pour les publier, un journaliste assez téméraire pour en rendre compte avec quelque éloge? Y aurait-il eu assez de risées, de sifflets pour les punir? Concevez, si vous le pouvez, la belle colère des Laharpe, des Geoffroy! Grand Dieu! régaler de poésies dalmates, bosniaques et consorts, la nation du goût le plus pur, le plus classique, le plus sévère! Vouloir faire prononcer des noms barbares à déchirer la bouche! Y pensez-vous? Eh! qu'est-il besoin de productions étrangères, même des moins imparfaites? Qu'avons-nous à désirer? N'avons-nous pas nos chefs-d'œuvre et les productions de ceux qui tentent chaque jour de les imiter?

«Alors, le père Bouhours n'avait pas encore tout à fait tort. De la littérature anglaise, nous ne connaissions Shakespeare que par les parodies de Voltaire; l'on s'arrêtait à peu près à Pope et aux écrivains de la reine Anne. La littérature allemande, hors Gessner, nous était étrangère ou peu s'en faut. Quant aux nations moins civilisées, elles étaient tout à fait inconnues… Comment peut-on être Illyrien?

«Mme de Staël, dans son livre De l'Allemagne, a porté le premier coup à ces injustes et superbes dédains. Mais c'est de la grande ère nationale, de la Restauration, que date un changement, depuis successivement progressif, dans nos idées et nos doctrines. La révolution politique terminée, une révolution littéraire commence. Des rapports plus immédiats, par suite plus affectueux, s'établissent entre les peuples divers; l'on met en commun les trésors de l'intelligence; les théâtres étrangers sont traduits; mieux encore, nous étudions les idiomes de nos voisins: les préjugés littéraires s'évanouissent avec beaucoup d'autres. Toujours pénétrés d'une juste admiration pour les chefs-d'œuvre du siècle de Louis XIV et de Louis XV, nos écrivains les plus distingués n'ignorent cependant pas que le domaine des lettres est soumis, comme toutes choses, aux lois générales des variations humaines; ils s'aperçoivent qu'il est temps de se frayer une route nouvelle, que plus d'une voie mène au cœur et atteint le but de toute composition littéraire. Chénier disait des auteurs de mélodrames: «Qu'ils apprennent à écrire et nous sommes perdus.» Ce fut aussi le sentiment du célèbre critique Geoffroy, qui y mettait la condition de génie. Deux écrivains illustres, Byron et sir Walter Scott, ont surtout contribué à ce changement déjà si sensible, et qui chaque jour peut-être le deviendra davantage.

«Revenons à notre sujet, bien que ceci ne soit pas, à tout prendre, une digression.

«Dans un pays où tous les genres de connaissances sont cultivés avec un succès éclatant et une ardeur infatigable, en Allemagne, l'on s'occupe beaucoup actuellement, dit-on, des poésies nationales des Illyriens, des Dalmates et des Morlaques. N'en soyons pas surpris: richesse d'imagination, variété de tons, fleur exquise de poésie, tableaux fantastiques, terrifiants et bizarres, originalité; enfin, je ne sais pas quoi d'une simplicité naïve, biblique ou homérique, tels sont les attributs de ce petit volume.

«Les morceaux qu'il renferme ont été recueillis et traduits en français par un Italien qui a voyagé longtemps dans ces pays, dont il connaît parfaitement la langue. Autrefois il fut notre concitoyen; depuis, les événements politiques l'ayant forcé à quitter sa patrie, il est venu s'asseoir à nos foyers. Sa traduction est sans apprêts, ce qui nous garantit sa fidélité. L'on pourrait parfois signaler quelques étrangetés, quelques italianismes; mais nous n'en sommes pas à des pointilleries grammaticales. Le traducteur a trop de titres à notre reconnaissance, et d'ailleurs il ne prétend qu'au mérite de la correction et de l'exactitude.

«La guzla est une sorte de guitare à une corde dont les bardes morlaques se servent pour accompagner leurs ballades: souvent ces ballades ou romances sont improvisées; souvent aussi le poète s'interrompt au moment le plus intéressant, pour obtenir avec plus de facilité de ses auditeurs une légère rétribution. L'Italien anonyme fait connaître dans sa préface ces mœurs homériques (sic).

«Vient ensuite une notice sur Hyacinthe Maglanovich, célèbre joueur de guzla, que l'éditeur-traducteur a connu personnellement à Zara. Ce n'est point là un de nos poètes d'Académie ou de salon. Pour l'extérieur, voyez son portrait en tête du livre: les habitudes, les mœurs, l'en séparent bien plus complètement encore. Il y avait en Angleterre un certain M. Barrington, voleur de poches (pick-pocket) très expert, profession qu'il faut soigneusement distinguer de celle de voleur de grand chemin (highwayman), car on ne cumule pas en ce genre. Or donc, lorsque la police de Londres était informée de la présence de ce gentleman à un spectacle, une manière de commissaire, avant le lever du rideau ou dans l'entr'acte, apostrophait le public en ces termes: «Mesdames et Messieurs (nous dirions Messieurs et Mesdames), j'ai l'honneur de vous prévenir que M. Barrington est dans la salle.» De même je dirais à nos poètes, si jamais leur confrère en Apollon venait les visiter: «Attention, Messieurs, à vos montres et à vos tabatières.» Ce bon Maglanovich a contracté certaines habitudes que le code n'approuve pas et qui, parmi nous, pourraient peut-être le rendre justiciable d'un tribunal de police correctionnelle, voire même d'une cour d'assises; témoin l'aventure de la paire de pistolets dont le traducteur anonyme paya le plaisir de donner l'hospitalité à notre barde. J'allais oublier une autre de ces habitudes, celle de boire outre mesure. Vit-il encore? L'éditeur a négligé de nous en instruire.

«Les poésies dont se compose ce recueil sont d'auteurs, de temps et de genres divers. Ballades, romances, barcarolles, fragments détachés, petits poèmes complets, petits drames, vous y trouverez de tout cela. Plusieurs morceaux, et des plus remarquables, sont de Maglanovich, parmi lesquels se distinguent particulièrement la vision du parricide Thomas II, roi de Bosnie, pièce d'un effet terrifiant, et les Braves Heyduques, tableau qui a quelque analogie avec l'épisode d'Ugolin.

«Le genre terrible et surnaturel domine dans ces poésies. Elles nous font connaître les mœurs, les usages et surtout les superstitions des Dalmates, toutes choses si opposées à ce que l'on voit dans l'Europe civilisée C'est là que la tradition du vampirisme se conserve dans toute sa pureté. Nous avons renouvelé connaissance avec cette horrible superstition depuis l'histoire de lord Ruthwen, imprimée dans les Œuvres de Byron et qui est due à Polidori, médecin de ce poète célèbre. L'éditeur a consacré une notice au vampirisme; notice dans laquelle il cite trop longuement peut-être le livre de dom Calmet; toutefois, dans cette notice se trouve un fait étrange dont l'auteur fut témoin en 1816, et qui prouve jusqu'à quel point cette superstition, qui s'étend dans une grande partie de l'Europe et de l'Asie, a fasciné l'imagination des Morlaques. Le croira-t-on? Les lois de la Hongrie statuent sur le vampirisme; elles ordonnent ou du moins ordonnaient l'exhumation des individus signalés comme vampires et la destruction des cadavres avec des détails affreux et dégoûtants. Plusieurs de ces ballades ont trait au vampirisme, d'autres au mauvais œil, croyance fort répandue dans le Levant, en Dalmatie et en Russie. C'est le pouvoir qu'ont certaines personnes, souvent involontairement, de jeter un sort par leurs regards. L'individu fasciné meurt la plupart du temps de consomption. Dans ce pays vous seriez fort mal venu de dire à quelqu'un: «Ah! Monsieur, que vous avez bon visage!»

«L'éditeur consacre également une notice à cette superstition. Il donne les recettes en usage dans le pays pour détruire ce charme funeste, et cite à ce sujet plusieurs histoires bizarres.

«Bien que ces poésies ne soient pas toutes d'un égal mérite, il n'en est cependant aucune que la critique, même la plus sévère, voulût élaguer. Nous apprenons à connaître des mœurs qui offrent d'étranges contrastes. À côté de sentiments élevés, quelquefois sublimes, il en est de révoltants. Telle action racontée naïvement serait sévèrement punie par nos lois. Nos oreilles si chastes et si susceptibles se trouveront peut-être blessées de quelques expressions dont la rudesse native aura sans doute encore été adoucie par le traducteur. Je me dispenserai de toute analyse et de toute citation, ne voulant rien ôter au plaisir du lecteur. C'est une mine riche et féconde, pleine de charme, d'originalité, et qui, sans doute, donnera naissance à plus d'un mélodrame.

«Un seul morceau a déjà été publié par l'abbé Fortis (Voyage en Dalmatie). C'est l'histoire de l'épouse d'Asan-Aga, ballade pleine d'un intérêt touchant. Mais la traduction de l'abbé Fortis est libre; celle de notre Italien est, au contraire, littérale.

«Chaque morceau est accompagné de notes et d'explications fort utiles. L'éditeur cependant mérite le reproche de laisser ignorer dans quelles mesures ces poésies sont écrites. Il aurait pu très convenablement, ce semble, nous donner un travail philologique, que quelques personnes auraient trouvé à la fois intéressant et utile.

«Je ne doute pas que ce recueil ne soit accueilli avec autant d'empressement et de plaisir par le public, que les chants des Grecs modernes et la collection des romances espagnoles. Le lecteur goûtera cet intérêt, ce charme si vif qui s'attache aux poésies des peuples peu avancés encore dans la civilisation. J'ajouterai, pour terminer, que l'exécution typographique ne laisse rien à désirer[741].»

* * * * *

Un autre anonyme, sous la signature «T.», présenta la Guzla aux lecteurs du Journal de Paris[742]. «Savez-vous, chers lecteurs, demandait-il, ce que c'est que la guzla? Non sans doute, car moi-même, avant d'avoir entre les mains le petit volume dont je vais vous entretenir, j'aurais été fort embarrassé de répondre à cette question. Apprenez donc que la guzla est la lyre des Morlaques, des Croates, des Dalmates, de tous les peuples enfin qui habitent ces provinces illyriques qui firent un moment partie du grand empire, et qui en furent détachées avant que nous eussions eu le temps de faire connaissance avec ces Français improvisés. Cette lyre, il faut bien l'avouer, nous paraîtrait peu mélodieuse; c'est une espèce de guitare, etc. À la fin de chaque vers, le chanteur pousse un grand cri ou plutôt un hurlement semblable à celui d'un loup blessé.

«Il y a loin de là, sans doute, au violon de Lafont et aux accents de Mlle Cinti; mais si cette musique enragée faisait fuir tous nos dilettanti, les amis de la littérature peuvent mettre quelque intérêt à connaître les poésies auxquelles seront adaptés ces sauvages accords. Nous avons raffolé d'Ossian, de Byron; qui sait si Maglanovich n'obtiendra pas aussi chez nous quelque célébrité?

«Ce Maglanovich, l'Homère des contrées illyriques, est l'auteur des principales pièces contenues dans ce recueil. C'est bien le poète de la nature, car il n'a pas même appris à lire et à écrire. Tout son répertoire lyrique est dans sa tête, et son seul talent acquis est celui de jouer de la guzla. C'est en l'excitant à moitié que le traducteur de ce livre est parvenu à lui faire chanter et à fixer sur le papier quelques-unes de ses ballades; il lui en a même coûté quelque chose de plus, car Maglanovich ne se borne pas, comme nos trouvères, à recevoir les dons de ceux qui veulent entendre ses chants: il paraît qu'en quittant ses hôtes, il tient à emporter toujours quelque chose qui lui serve de souvenir. C'est ainsi que le traducteur anonyme, après l'avoir hébergé cinq jours, a vu disparaître un beau matin avec lui une paire de pistolets anglais. En revanche, lui-même, à son tour, a reçu plus tard chez Maglanovich l'hospitalité la plus distinguée. On serait fort heureux, dans nos pays civilisés, si l'on trouvait ainsi table ouverte chez tous les gens qui vous volent de manière ou d'autre.

«Ce Tyrtée des grandes routes a été lui-même quelque temps associé aux heyduques, espèce de bandits qui mènent dans ces provinces une vie vagabonde. Sa lyre, ou, pour mieux dire, sa guzla, a chanté leurs exploits; leur féroce et courageuse constance lui a inspiré, entre autres pièces, celle que je vais citer, et que le chantre d'Ugolin n'aurait pas, ce me semble, désavouée.»

* * * * *

Et après avoir cité la ballade des Braves Heyduques en entier, le critique continuait:

«Dans ce morceau, et dans plusieurs autres, le style du traducteur, qui se déclare Italien de naissance, m'a semblé bien approprié aux sujets.

«La superstition du vampirisme, connue chez nous par l'histoire du bon dom Calmet, des romans et des mélodrames, a fourni à Maglanovich et à ses confrères le sujet de plusieurs ballades qui ne manquent pas non plus d'imagination et d'énergie. D'autres ont pour sujet le mauvais œil, cette superstition de ces contrées, où l'on est persuadé que certaines personnes ont le pouvoir, parfois même involontaire, de faire périr de langueur ceux sur lesquels tombent leurs regards. Il est encore une autre espèce de fascination que l'on pourrait exercer innocemment, si l'on n'était bien averti. Dieu garde tout honnête particulier un peu complimenteur de son naturel, voyageant en Bosnie ou en Dalmatie, d'aller s'extasier sur la beauté ou la gentillesse d'un enfant! Le pauvre petit est dès lors réputé ensorcelé et le voyageur pourrait fort mal passer son temps. Heureusement il est un remède très facile à cette fascination; comme la lance d'Achille, la bouche du faiseur de compliments peut guérir le mal qu'elle a fait; il suffit pour cela qu'il veuille bien cracher à la figure de l'enfant, ce que je ne lui conseillerais pas de refuser. Si vous avez des enfants gâtés, envoyez-les en Bosnie.

«Tous les peuples sont tant soit peu gascons, et on serait fort surpris, je crois, si la modestie était allée se nicher dans des pays où chacun a l'habitude de vanter ses exploits, ne fût-ce que pour effrayer ses ennemis. On lira donc sans étonnement dans ce recueil une espèce de messénienne dalmate, où l'on verra que Napoléon ayant envoyé vingt mille soldats pour soumettre cinq cents Monténégrins, ces derniers leur ont tué vingt-cinq hommes, ce qui a tellement effrayé le reste «qu'ils ont pris la fuite, et jamais de leur vie n'ont osé regarder un bonnet rouge» (coiffure des Monténégrins). Quel dommage que sir Walter Scott n'ait pas eu connaissance de cette pièce justificative qui aurait merveilleusement figuré dans sa véridique histoire[743].

«Il ne faut pas croire, au surplus, que toutes ces poésies respirent le sang et le carnage. On y trouve de petites odes presque anacréontiques, telles que l'Amante de Dannisich, où une jeune fille passe la revue de ses trois amants, et même une espèce de chanson bouffonne, intitulée Jeannot. Ce pauvre garçon revenant chez lui, la nuit, par un cimetière, entend quelqu'un ronger. Persuadé que c'est un brucolaque (espèce de vampire qui mange dans son tombeau) et craignant d'être mangé lui-même, il se résout, pour éviter ce désagrément, à introduire dans son estomac, suivant une autre croyance du pays, un peu de la terre de la fosse; mais un chien, qui rongeait un os de mouton, croyant qu'on veut lui enlever sa proie, saute à la jambe de Jeannot, et le prétendu vampire le mord de manière à le convaincre qu'il n'est pas un fantôme. J'avouerai que la gaîté de nos chansonniers du Caveau est d'un meilleur ton, même quand ils nous régalent de Caron et de sa barque fatale; mais il n'y faut pas regarder de si près, vu le pays et avec un vaudeville croate.»

* * * * *

Les mêmes jours, le Globe publiait une série de poésies serbes, traduites en prose par Mme Louise Sw.-Belloc: la Fondation de Scutari, Bataille de Kossovo, la Tête de Lazar retrouvée, les Frères, le Mariage de Haïkouna, etc.[744] On se rappelle que Mme Belloc avait annoncé un volume de piesmas, quelques semaines seulement avant l'apparition de la Guzla[745]; devancée par cet anonyme Italien qui envoyait de Strasbourg un recueil tout fait, elle communiqua son manuscrit à la rédaction du journal romantique[746]. Mais, chose des plus louables, elle ne se contenta pas de cela; elle écrivit une notice dans la Revue encyclopédique et vanta l'ouvrage de son concurrent. «Il a donné, dit-elle, dans une introduction et dans des notes, des souvenirs pleins d'intérêt, et qui ont d'autant plus de charme qu'il ne s'y mêle pas la moindre prétention… Ces chants ont un caractère très original, et dont on ne peut guère donner l'idée. Moins nobles, moins austères que les chants grecs, ils sont peut-être plus spirituels et plus vifs[747].»

Trois semaines plus tard, un critique qui signait «B.», [Brifaut] présenta la Guzla aux lecteurs de la Gazette de France.

«Qu'est-ce que la guzla? Qu'est-ce que Hyacinthe Maglanovich? A-t-on jamais ouï parler du bey de Veliko, du bey de Moïna, de Constantin Yacoubovich et des deux grands guerriers Lepa et Tchernyegor?

Wurtz! ah! quel nom, grand Dieu! quel Hector que ce Wurtz!

«Voilà ce que ne manqueront pas de dire les hommes aux molles habitudes, les sybarites de l'euphonie, pour qui le concours d'une gutturale et d'une dentale est comme un caillou tranchant sous les pieds d'une petite maîtresse. Il faudra bien qu'ils s'aguerrissent. Les temps sont accomplis. Ne voyez-vous pas que les vieilles mythologies tombent en ruines, et avec elles les vieilles délicatesses, les vieilles admirations et les vieilles règles? Nous sommes las des yeux de bœuf de Junon, des talonnières du fils de Maïa, de l'aigle de Jupiter. La jeune Hébé nous semble quelque peu surannée, et la ceinture même de Vénus n'a pas conservé ses couleurs. Or, ce sont les prêtres de ces folles divinités qui ont imaginé les entraves qui nous gênent; c'est à eux que nous devons toutes ces susceptibilités de l'oreille et de l'esprit, qui font de l'art d'écrire le plus complexe et le plus difficile de tous les arts. Laissons aux esclaves ce code de l'arbitraire. Frayons-nous un passage dans quelque monde mystérieux, et encore infréquenté du moins, s'il n'est pas nouveau. Demandons aux Scandinaves, aux Croates, aux Illyriens mêmes des modèles. C'est une matière encore vierge, et que le rabot des pédants n'a pas encore effleurée. Il y a plus de véritable poésie dans le balai des sorcières que dans le thyrse des bacchantes; et l'imagination se plaît davantage dans un monde peuplé de vampires, de brucolaques, de fascinateurs à double prunelle, qu'au milieu de ces faunes et de ces dryades dont les danses lascives et les séculaires amours ont fatigué notre enfance. Le goût n'approuvera peut-être point cette défection. Mais nous jugeons le goût à son tour; et puisqu'il n'est dans son origine qu'une convention, dans sa pratique qu'une habitude, il n'y a pour le détrôner qu'à convenir entre nous qu'il a menti, et à penser et sentir en conséquence. Ainsi le tétracorde fera place à la guzla, et la gloire de l'aveugle de Smyrne s'éclipsera devant celle du buveur de Zuonigrad. Mais quittons la plaisanterie.

«Si l'on se représente la nature comme l'œuvre d'un être intelligent lui-même, on sera forcé d'adopter l'idée d'un archétype, c'est-à-dire d'une pensée antérieure, ne fût-ce que d'une antériorité logique à la création des êtres. Car, à moins de nous détacher de nous-mêmes, il nous est impossible de concevoir une œuvre quelconque autrement que comme l'exécution d'un dessein; et lorsque l'homme aura pu se figurer la simultanéité parfaite de la conception et de l'œuvre, la nature de son esprit ne sera plus la même; ce ne sera plus l'homme. Nous sommes faits de manière à ne pouvoir comprendre autrement le beau que par la préexistence du type, et il faut que les partisans de la doctrine contraire ou n'aient pas porté sur eux-mêmes un regard assez attentif, ou se servent des mêmes mots pour exprimer les choses différentes.

«Il s'ensuit que, dans l'ordre naturel de nos idées, le grand ouvrier dut avoir sous les yeux un archétype sur lequel s'est modelée cette nature qu'il a laissé tomber de ses mains. Le philosophe prouve la nécessité de cet archétype; il est donné au peintre et au poète de se figurer l'archétype même; et c'est ainsi que la nature qui est l'objet des arts se nomme la belle nature, nature épurée, nature primordiale, nature typique; mieux que l'œuvre, la pensée du créateur. Si l'on adopte ces principes, et il serait difficile de les combattre avec quelque avantage, on sera forcé d'accuser la nouvelle école, d'un grand attentat contre la dignité de l'esprit humain; car, puisque c'est du sentiment du beau que la règle est née, peut-on affranchir l'esprit humain de la règle, sans le dégrader?»

Malgré toute son érudition philosophique ce fougueux défenseur de la vieille antiquité classique ne nous convainc qu'à demi; malgré sa brillante démonstration de la nécessité de l'archétype, malgré sa foi si ferme en l'excellence des règles, nous ne pouvons nous persuader qu'il soit plus beau et plus conforme à l'archétype d'appeler les héros d'une tragédie, d'un drame ou d'un roman de noms grecs et latins plutôt que de noms serbes, croates ou illyriens.

Dans la suite, on voit bien que le critique ne s'entendait guère en matière de poésie primitive; il jugeait la Guzla comme une production littéraire et considérait la façon dont elle fut présentée comme la chose la plus naturelle du monde. «Le petit recueil, disait-il, que nous annonçons, est peut-être une gageure: les AUTEURS l'ont gagnée, s'ils n'ont voulu que faire preuve de talent. Il en faut beaucoup pour FABRIQUER un livre si bien empreint des couleurs locales, que les naturels mêmes du pays y seraient trompés; c'est comme une histoire vivante de ces peuples à peu près inconnus qui forment la chaîne entre le grec et l'allemand. La Guzla vous fera connaître les mœurs, les costumes, les traditions, les superstitions de ces peuples, aussi bien qu'aurait pu faire un long séjour parmi eux. Sous ce rapport, le livre est à la fois amusant et instructif, et l'auteur ou les auteurs auraient arboré l'utile dulci, que nous ne les chicanerions point sur l'épigraphe. Nous nous montrerions plus sévères s'ils avaient eu le projet de nous offrir pour modèles ces produits ou ces imitations d'une muse barbare, et que la Guzla fût un nouveau brandon lancé contre les monuments immortels du goût.

«On parle d'amour dans ces poésies; mais quel amour! je ne trouve ni suavité dans ses épanchements, ni tendresse dans ses douleurs, ni délicatesse dans ses dépits. C'est l'amour des sauvages, sensuel jusqu'à la débauche ou furieux jusqu'à la cruauté. Ou plutôt amour, ambition, vengeance, tout présente un même aspect, tout porte un même caractère; on dirait d'une seule passion. Il n'y a que deux états en effet pour l'âme du sauvage, le repos, qui est de l'apathie; le mouvement, qui est de la fureur ou de la terreur.

«Nous excepterons pourtant deux petites pièces: l'Impromptu du vieux Morlaque et le Morlaque à Venise. Il règne dans la seconde une mélancolie douce et vraiment poétique, et qui décèle un grand fonds de raison. L'autre est une imitation assez gracieuse de la Galatée de Théocrite:

Nerine Galatea, thymo mihi dulcior Hyblæ Candidior cycnis, hedera formosior alba, etc.

La neige du sommet du Prolog n'est pas plus blanche que n'est ta gorge. Un ciel sans nuage n'est pas plus bleu que ne sont tes yeux; l'or de ton collier est moins brillant que ne sont tes cheveux, et le duvet d'un jeune cygne n'est pas plus doux au toucher. Quand tu ouvres ta bouche, il me semble voir des amandes sans leur peau. Heureux ton mari! puisses-tu lui donner des fils qui te ressemblent!

Après avoir cité le Morlaque à Venise, le critique finit en disant: «Je répète mon assertion: si les auteurs ont prétendu nous initier aux usages et aux mœurs d'une contrée neuve encore pour nous, c'est une couronne qu'il faut leur décerner; car le succès est complet. S'ils n'ont voulu qu'insulter aux grands modèles, et mettre en problème les règles éternelles du beau, il faut les marquer d'un stigmate connu des ennemis de la civilisation; nigrum præfigere theta; car on doit de l'indulgence à la faiblesse qui s'égare; mais on ne doit que de l'animadversion au talent qui cherche à nous égarer[748].»

Le 29 septembre, le Globe, à son tour, fut dupe de Mérimée. «Il semble que la guzla des Slaves, y disait un critique anonyme, sera bientôt aussi célèbre que la harpe d'Ossian. Tandis que Madame Belloc nous traduit les poésies serviennes, voici qu'un Italien pour qui la France est devenue une seconde patrie nous donne quelques échantillons des pismés ou chants illyriens. Qui sait si bientôt nous ne posséderons pas l'Osmanide, ce poème épique des Dalmates, aussi célèbre chez eux qu'il est inconnu parmi nous, et qui n'existe encore que dans la bouche des rhapsodes et dans les quelques manuscrits infiniment rares? Le recueil que nous annonçons n'est pas, comme on pourrait le croire d'après le titre, un choix de poésies illyriques; l'éditeur n'a pu communiquer au public que ce qu'il possédait, c'est-à-dire une trentaine de morceaux; mais ce recueil n'en est pas moins fort précieux et fort remarquable[749].»

Puis le critique cita la ballade des Pobratimi «en attendant qu'on puisse mieux faire connaître l'ouvrage entier». Il est étonnant qu'il ne s'aperçût pas d'une note, dans laquelle l'éditeur du recueil supposait que cette chanson avait fourni à l'auteur du Théâtre de Clara Gazul l'idée de l'Amour africain[750]. Il est très probable que cette notice a été écrite par quelqu'un qui fréquentait Nodier, car on y trouve la même erreur au sujet de l'Osmanide qu'avait commise l'aimable bibliothécaire dans son article du Télégraphe illyrien[751]. Comme nous le disions ailleurs, ce fut sans doute à l'Arsenal que V. Hugo dévoila la supercherie, et cela peu après le 29 septembre 1827, car la «suite» promise par l'enthousiaste critique du Globe ne parut jamais[752].

Néanmoins, le livre de Mérimée continuait à mystifier la presse, et même la plus respectable. Le Journal des Savans, dans son numéro de septembre 1827, assura que les pièces de la Guzla «sont des ballades populaires, empreintes d'anciennes croyances superstitieuses et dans lesquelles se rencontrent aussi des traits ingénieux ou poétiques[753]». Dix-sept mois plus tard, le même journal crut devoir présenter encore une fois l'ouvrage: «Ce volume s'ouvre par une préface du traducteur… Cette préface est suivie d'une Notice sur Maglanovich, auteur de plusieurs des pièces contenues dans ce recueil. Né à Zuonigrad et fils d'un cordonnier, il vivoit encore en 1817 et avoit environ soixante ans. Ses romances et celles de quelques autres Slaves ne sont pas dépourvues de tout intérêt: elles paroissent traduites avec soin; mais l'importance excessive qu'on attacheroit à de pareilles productions ne contribueroit point à la meilleure direction des études littéraires[754].»

Nous raconterons dans le prochain chapitre comment le Bulletin des sciences historiques rédigé par MM. Champollion, qui ne voulut dire un seul mot de la Guzla quand elle parut en français, consacra une longue notice à la traduction allemande de M. Gerhard.

Bien que le livre de Mérimée eût obtenu ainsi un assez joli succès auprès des critiques, le succès de librairie fut presque nul. Au mois de décembre, six mois après la publication, l'éditeur augmenta, nous ne savons pourquoi, le prix du volume, qui fut porté de 4 francs à 5 francs. Ce fut alors seulement qu'il songea à faire de la réclame. Il donna au Journal des Débats, en même temps qu'au Constitutionnel et au Courrier français, le communiqué suivant:

LA GUZLA

ou

Choix de Poésies illyriques,

recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et l'Herzégowine.

Un vol. grand in-18, cartonné. Prix, 5 francs.

Hyacinthe Maglanovich, joueur de guzla et poète illyrien, est peu connu hors de son pays; mais l'élégant traducteur ou imitateur de ses chants poétiques assure l'avoir rencontré dans ses voyages, et donne sur sa personne des détails trop positifs pour qu'on puisse, sans témérité, regarder son récit comme une simple fiction. Quoi qu'il en soit, on peut affirmer, sans crainte de se voir contredit, qu'après avoir lu quelques-unes des ballades ou barcarolles du barde illyrien, telles que l'Aubépine de Veliko, la Belle Hélène ou le Vampire, soit l'Amant en bouteille ou Hadagny, il ne se trouvera personne qui n'accorde volontiers à la muse d'Hyacinthe Maglanovich une originalité fort remarquable, un intérêt vif et soutenu, et des inspirations fortes, souvent gracieuses et toujours poétiques. Cela posé, que le traducteur soit Français, comme on serait porté à le croire, ou qu'il soit Italien, si l'on s'en rapporte à la préface, nous ne chercherons point le mot de cette énigme, bien qu'il ne nous fallût peut-être pas remonter très haut pour le trouver. Bornons-nous à dire qu'il serait difficile de tirer un meilleur parti qu'il ne l'a fait des poésies du joueur de guzla, et qu'il a su les traduire en notre langue, non seulement avec goût, mais en leur donnant un plus vif intérêt, par des notes fort curieuses sur les mœurs peu connues des Morlaques et peuples voisins, témoin celle sur le vampirisme, si fort en vogue il y a quelques années.

Le volume contenant ces poésies est imprimé en fort beaux caractères, sur papier vélin, et cartonné à la Bradel. En tête se trouve un joli portrait lithographié d'Hyacinthe Maglanovich, jouant de la guzla. Il peut prendre rang parmi les livres agréables qu'on est dans l'usage d'offrir pour étrennes.

XX.

Il se vend à Paris, chez F.-G. Levrault, rue de la Harpe, nº 81; et même maison, à Strasbourg[755].

Cette annonce contient un témoignage précieux: c'est que l'imprimeur strasbourgeois reconnaît qu'il ne faut pas peut-être remonter très haut pour trouver l'élégant traducteur ou imitateur de ces chants poétiques». Elle est donc inexacte cette légende qui veut que la personne de l'auteur de la Guzla fût mystérieuse même pour le libraire jusqu'au jour où l'avertissement de l'édition de 1842 vint la lui révéler.

§ 3

L'ÉDITION DE 1842

Mérimée paraît avoir été fort mécontent de l'insuccès du livre; il lui a toujours gardé rancune. Quatre ans après la publication de la Guzla, il écrivit à un ami, dont nous ignorons le nom, la lettre que voici:

Le 16 juillet 1831.

Je voudrais bien avoir votre avis sur la proposition suivante: Fournier m'offre 1.500 pour mon manuscrit [de Mosaïque?] qu'il publierait d'abord in-12, puis trois mois après in-8° en volume avec la Guzla qui serait réimprimée ad hoc. Quant aux termes de payement, nous ne nous sommes pas expliqués.

Je n'aime guère la réimpression de la Guzla, qui est une drogue et une vieillerie, il serait un peu ignoble de faire de cela un volume in-8°. Dites-moi ce qu'il faut répondre. Je serais particulièrement charmé d'avoir 1.000 francs tout de suite, proposition qui paraîtrait fort exorbitante à notre ami libraire. Quid dicis?

Tout à vous,

Prosper MÉRIMÉE[756].

Fournier, sans doute, fut peu disposé, à ce moment-là, à risquer mille francs pour la seconde édition d'un livre dont la première était loin d'être épuisée. Deux ans s'écoulèrent avant que Joseph Lingay s'adressa à F.-G. Levrault avec la lettre suivante qui démontre que les négociations n'avaient pas encore abouti:

PRÉSIDENCE

du

CONSEIL DES MINISTRES[757]

Paris, le 2 avril 1833.

Monsieur,

Il y a huit à dix ans (sic) que j'eus l'honneur de me trouver en rapport avec M. Pitois, pour proposer à votre maison l'acquisition d'un manuscrit de M. Mérimée, ayant pour titre la Guzla.

La réputation de M. Mérimée n'étant pas encore établie, comme aujourd'hui, et la nature des opérations de votre maison ne s'accordant pas avec le genre de cet ouvrage, il n'y eut rien de stipulé. Seulement, l'auteur vous laissa soin de publier une édition, sans rien recevoir, ni sans rien payer.

Aujourd'hui, M. Fournier, libraire-imprimeur, qui a déjà fait une édition complète du Théâtre de Clara Gazul (du même auteur), demande à M. Mérimée le droit de réunir en deux volumes tous les morceaux qu'il a successivement publiés dans la Revue de Paris, et il désire y joindre les compositions que renferme le volume de la Guzla.

Quoique aucune condition n'ait été écrite, ni même consentie verbalement, entre M. Mérimée et M. Pitois, ni par moi, au nom de mon ami, sur la propriété de ce recueil, M. Mérimée croit se devoir à lui-même, ainsi qu'à votre maison, de ne pas accorder cette dernière autorisation, avant de vous en faire part. L'ouvrage ayant été publié à vos frais, il désire avoir la certitude que vous n'éprouverez pas de dommage de cette publication, mêlée à celle d'autres compositions qu'il cède à M. Fournier. Nous sommes donc empressés de vous communiquer ces offres, et nous vous serons obligés de nous faire part de vos sentiments à cet égard.

Vous apprécierez, Monsieur, les motifs qui ont dicté cette démarche; ils vous prouveront combien nous avons gardé, mon ami et moi, bon souvenir des rapports que nous avons eus, un moment, avec M. Pitois et avec votre honorable maison.

Agréez, Monsieur, les assurances de mes sentiments les plus dévoués.

J. LINGAY, allée Marbeuf, nº 19, aux Champs-Élysées[758].

Nous ne savons pas quelle réponse donna l'éditeur strasbourgeois, mais il en donna une, car, au dos de la lettre de Lingay, il inscrivit: Répondu le 11 avril 1833. Nous sommes tentés de croire que cette réponse fut défavorable: trois mois plus tard, les morceaux de la Revue de Paris, dont parlait l'ami de Mérimée, reparurent seuls, sous le titre de Mosaïque. Ainsi l'idée d'une nouvelle édition de la Guzla échoua, du moins pour l'instant.

Parmi ces pièces se trouvent, en effet, trois «ballades illyriennes»: le Fusil enchanté, le Ban de Croatie et l'Heyduque mourant[759]. D'autres poèmes du même genre reposaient, paraît-il, dans les tiroirs de Mérimée. Vers 1832, il écrivait à Mlle Dacquin: «Rassurez-vous pour vos lettres. Tout ce qui se trouve d'écrit dans ma chambre sera brûlé après ma mort; mais pour vous faire enrager je vous laisserai par testament une suite manuscrite de la Guzla qui vous a tant fait rire[760].»

«La suite» dont il est question resta inédite et périt, sans nul doute, dans l'incendie de 1871. La deuxième édition de la Guzla, qui parut quelques années après cette lettre, ne contient que deux ballades inédites: la Jeune fille en enfer et Milosch Kobilitch. La première (que M. Lucien Pinvert a tout récemment publiée comme un fragment inédit bien qu'elle eût été réimprimée treize fois)[761] était une traduction du grec moderne, tandis que la seconde était une ballade authentique serbo-croate: il est donc fort improbable que Mérimée ait désigné par le nom de «suite manuscrite» ces deux morceaux qui n'étaient pas de lui.

Il ne rentre pas dans le cadre de la présente étude de nous occuper longuement de la deuxième édition de la Guzla, mais il est nécessaire de dire quelques mots de Milosch Kobilitch. Nous avons déjà vu que ce poème avait pour auteur un religieux dalmate, André Kačić-Miošić et qu'il en existe deux traductions, l'une en italien, par Fortis, l'autre en allemand, par Herder[762]. Il est utile de remarquer—M. Matić l'a définitivement établi—que la version de Mérimée n'a aucun rapport avec ces deux traductions; elle procède directement de l'original. Faite par un indigène—Mérimée n'en était que l'éditeur,—elle est de beaucoup supérieure en exactitude à celles de Fortis et de Herder[763].

Dans une note qui accompagnait cette pièce, Mérimée déclarait en être redevable «à l'obligeance de feu M. le comte de Sorgo, qui avait trouvé l'original serbe dans un manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal à Paris»; il ajoutait que son traducteur (i. e. M. de Sorgo) croyait ce poème écrit par un contemporain de l'événement qui en forme le sujet (1389)[764].

M. Jean Skerlitch a signalé le premier que la ballade de Mérimée n'est autre chose que la traduction d'un poème imprimé de Kačić[765]; il croit qu'il y eut comme une sorte de mystification de la part du comte de Sorgo,—ou plutôt Sorcočević,—à présenter Milosch Kobilitch comme une œuvre du XIVe siècle, tandis qu'elle datait en réalité seulement du XVIIIe. Accepter cette thèse, c'est dire que le rusé Ragusain a voulu se venger des railleries que Mérimée avait faites aux dépens de ses compatriotes, en lui faisant croire que le poème qu'il lui présentait avait véritablement une très ancienne origine. Mais il n'en est rien; le comte de Sorgo eut moins d'esprit que ne le pense M. Skerlitch. Le manuscrit de l'Arsenal, dont le savant professeur de Belgrade suspectait l'existence, existe toujours[766]. En 1882, M. Th. Vetter, croyant faire une importante découverte, l'a publié dans l'Archiv für slavische Philologie[767] et, pendant vingt-deux ans, personne parmi les érudits slavicisants ne s'aperçut que ce chant était une vulgaire transcription de l'une des piesmas les plus populaires de Kačić[768]. Nos contemporains les plus avisés s'y sont eux-mêmes trompés; qu'y a-t-il d'étonnant à ce que le comte de Sorgo s'y soit trompé lui aussi en 1840? Il n'était pas un érudit, le sens critique lui faisait complètement défaut, témoins ses brochures sur la langue et la littérature «slovinique[769]»; c'était donc une erreur qu'il pouvait tout naturellement commettre, de croire que Milosch Kobilitch avait été composé par un contemporain de ce héros.

À en juger d'après la minutieuse exactitude avec laquelle la traduction de la Guzla rend l'original serbo-croate[770], il ne semble guère que Mérimée ait apporté de très importantes retouches à la version qui lui avait été fournie par M. de Sorgo. En revanche, les notes dont il a fait accompagner son texte, paraissent être toutes de sa main.

* * * * *

Cette nouvelle édition vit le jour chez Charpentier en 1842, avec une préface datée de 1840, préface dont il est à peine besoin de parler. Cette fois, la Guzla eut la bonne fortune d'être jointe à la Chronique du règne de Charles IX et à la Double méprise. Le premier de ces deux ouvrages étant l'un des écrits les plus populaires de Mérimée, il est très naturel que, en si bonne compagnie, la Guzla ait eu de nombreuses réimpressions. En 1847 déjà, on lançait la troisième édition; la quatrième, parue en 1853, fut stéréotypée et eut dix tirages: 1853, 1856, 1858, 1860, 1865, 1869, 1873, 1874, 1877 et un sans date, évidemment le dernier, car les planches témoignent de beaucoup d'usure[771].

L'année 1881 fut d'une grande importance dans l'histoire de la Guzla. Par un contrat passé le 5 février 1881 entre M. Charpentier et M. Calmann-Lévy, on échangea quelques œuvres de Théophile Gautier, propriété du second, contre quelques œuvres de Mérimée, propriété du premier[772].

La maison Calmann-Lévy devenue ainsi l'éditeur de la Chronique de Charles IX et de la Guzla, coupa en deux le volume de M. Charpentier. La Guzla, republiée en 1885 avec la Double méprise seulement, forme un volume à part, comme le fait la Chronique de Charles IX. Après cette malheureuse séparation, les ballades illyriques n'obtinrent qu'une seule édition pendant vingt-cinq ans. Elle parut en 1885. Nous regrettons d'avoir à le dire, c'est la plus mauvaise de toutes. Sans compter les nombreuses fautes d'impression, une nouvelle disposition typographique, des plus arbitraires, a fait changer la place des Notes de Mérimée. Comme dans les Chants grecs de Fauriel, ces notes étaient données en appendices, après chacun des poèmes. Dans l'édition de 1885, on les a mises au bas des pages. De même, on découpa en mille morceaux les stances régulières du texte primitif; au lieu de la belle ordonnance de strophes qui succèdent les unes aux autres, au lieu d'alinéas pleins et serrés d'à peu près égale longueur, c'est un texte haché et déchiqueté qu'on présenta au public, au mépris des intentions de l'auteur. Tout le mouvement que Mérimée avait su mettre dans l'agencement de ses phrases disparaît de la sorte; l'effet est plus dramatique peut-être, mais plus grossier et moins lyrique.

D'après les renseignements qu'ont bien voulu nous donner MM. Calmann-Lévy, il ne semble pas que nous ayons bientôt une nouvelle édition de la Guzla, si ce n'est peut-être une édition de luxe, imprimée à un très petit nombre d'exemplaires d'un prix très élevé, livre que seuls pourront se procurer des bibliophiles privilégiés.

En 1920, les Œuvres de Mérimée tomberont dans le domaine public; il est probable que la Guzla aura alors plus d'une réimpression. Aussi nous espérons que ses futurs éditeurs sauront bien se garder du texte donné en 1885 parles typographes des IMPRIMERIES RÉUNIES, B., de Bourloton[773].

§ 4

«LA GUZLA» À L'OPÉRA-COMIQUE

Mérimée n'a pas eu de succès au théâtre. Les drames de Clara Gazul ne virent jamais la scène, un seul excepté, le Carrosse, qui fut sifflé à la Comédie-Française en 1852.

En revanche, ses saynètes espagnoles, ses admirables contes surtout, ont inspiré plus d'un écrivain dramatique de talent. Quelques-unes des pièces dont il est en quelque sorte le père spirituel, ont eu depuis un succès universel. Il suffit de nommer le Pré-aux-Clercs, Carmen, les Huguenots, la Périchole.

La Guzla n'échappa pas aux librettistes: elle servit de «source» aux Monténégrins, drame lyrique en trois actes, paroles d'Alboize et Gérard de Nerval, musique de M. Limnander, représenté pour la première fois à l'Opéra-Comique le 31 mars 1849. Elle ne fut, à vrai dire, ni l'unique, ni la plus importante inspiration de ce livret; l'intrigue en particulier n'a rien de commun avec l'ouvrage de Mérimée. Néanmoins, nous trouvons dans la «couleur locale» des Monténégrins plus d'une trace de la Guzla, et c'est là une raison suffisante pour que cette pièce nous intéresse.

Hector Berlioz a consacré aux Monténégrins un feuilleton des Débats, plein de sa verve habituelle (4 avril 1849). En vrai romantique qu'il était, il fit une peinture aussi brillante qu'inexacte de ce farouche pays. «L'action a lieu, dit-il, dans ces terribles montagnes des bords de l'Adriatique, où les hommes passent pour être sombres et durs comme les rochers qu'ils habitent, marchent toujours armés, exècrent tout ce qui est étranger, et s'entretuent pour s'entretenir la main quand personne ne vient des pays voisins leur fournir l'occasion d'exercer leur talent sur le poignard et la carabine.»—Gérard de Nerval avait visité la Dalmatie, quelques années auparavant, mais, comme Nodier, observateur superficiel, il n'avait été frappé que des paysages. Toute sa documentation est fantaisiste, plus encore que celle de Mérimée dans la Guzla. Théophile Gautier se trompait évidemment quand il écrivait au lendemain de la représentation ces lignes stupéfiantes:

Les Monténégrins pourraient, à l'appui de presque tous leurs détails, apporter des documents officiels et des attestations authentiques. Le poème, dont nous allons rendre compte, est non seulement vraisemblable, ce qui serait suffisant, mais il est vrai[774].

C'est un drame historique, ou soi-disant tel, auquel nous avons affaire. La scène se passe en 1807, à l'époque où les Français étaient maîtres des Provinces Illyriennes, à deux pas de la frontière monténégrine. Le chef des Monténégrins Andréas s'est vendu à la Russie, mais le peuple désire le protectorat de Napoléon. Un certain Ziska (ce nom n'est point monténégrin mais tchèque), poète improvisateur et joueur de guzla, s'est fait le chef du parti national. Sa fille adoptive, qui aime un jeune officier français, le capitaine Sergy, le seconde dans ses projets. La vie de cet officier est exposée aux plus grands dangers: il tombe entre les mains de ceux des Monténégrins qui sont hostiles à la France; étroitement surveillé, il passe une nuit dans un château démantelé qu'on appelle la Maladetta. Enfin, comme dans la Dame blanche, nous assistons à minuit à une scène de revenants, qui se déroule dans la grande salle du château; puis tout finit par s'arranger au mieux des intérêts de nos amoureux, au gré des Monténégrins et de l'honneur national français. Feux de Bengale, grandiose et touchante apothéose: «Les Français et les Monténégrins se tiennent embrassés, tandis que le canon ne cesse de gronder au loin.»

Indépendamment de tout ce merveilleux d'opéra-comique, de ces brûlantes et naïves amours qui sont de pure invention, il y a dans cette pièce de véritables hérésies au point de vue de l'histoire. En réalité, il n'y eut jamais au Monténégro de parti national pour désirer le protectorat d'aucun maître; on ne vit jamais de chef trahir son peuple ou vouloir le vendre à la Russie. Toute cette politique raffinée est un contresens. Ces braves montagnards résistèrent avec l'énergie du désespoir à l'envahisseur, simplement parce qu'ils sentaient leur indépendance menacée. C'est un Monténégro de fantaisie que celui de Gérard de Nerval; l'auteur ne doit à ce pays qu'un décor où il a pu laisser errer librement sa romantique imagination.

Les journaux du temps louèrent beaucoup la musique du Belge Limnander[775], mais le livret ne fut pas inséré dans les Œuvres complètes de Gérard de Nerval. La pièce obtint un succès si grand que, durant le carnaval de 1850, «les bouchers adoptaient pour le cortège du bœuf gras les costumes pittoresques des figurants et invitaient l'auteur à un banquet où il développa,—sans faire de prosélytes, on peut le croire,—ses théories végétariennes[776]».

Toute la «couleur» qu’il pouvait y avoir dans cette pièce était due, sans doute, plus au tailleur et aux décorateurs qu’à l’auteur lui-même. Nous avons vu déjà que le sujet est faux dans son ensemble; dans le détail cependant on rencontre ici et là quelques traits qui rappellent certaine «couleur», guère plus authentique, à laquelle nous sommes déjà accoutumés; en plus d’un endroit l’influence de Mérimée se fait sentir: c’est d’abord ce type de vieux chanteur qui, poète excellent, n’est plus simplement un vaillant heyduque comme Hyacinthe Maglanovich, mais un chef de parti, un héros de la liberté; c’est un Rouget de Lisle à sa manière.

           Debout, c’est le moment!
           Lève-toi, notre barde,
     Improvise à l’instant ces magiques refrains,
             Chant sublime
             Qui ranime
           Les cœurs monténégrins.

Et Ziska se lève et chante sur la guzla cet hymne aux accents guerriers:

            Sur ces monts qui touchent le ciel
        Dieu fit naître un peuple de braves,
            Unis par un vœu fraternel,
            Effroi des nations esclaves.
     Gardons toujours cette âme noble et fière
        Qui nous égale aux Romains, nos aïeux, (sic)
        Car la croix sainte est sur notre bannière,
                    Et dans les cieux
                    Notre nom glorieux.

Une autre fois ce sont les femmes illyriennes qui chantent:

     Aux accords de la guzla,
     Chantons, ô! mes compagnes
           La Romaïka,
     C’est le chant de nos montagnes[777].

Un autre souvenir évident de Mérimée, c'est au premier acte une sorte de ballade sur les vampires:

     Hélène était la dame
     De ce lieu redouté
     Elle vendit son âme
     Pour garder sa beauté.
     Le temps qui nous dévore
     Lui laissa de longs jours.
     Au bout d'un siècle encore
     On l'adorait toujours.

     Craignez, craignez Hélène,
         La châtelaine,
     Errante sur la tour,
         C'est un vampire,
         Qui vous attire
     Avec des chants d'amour.

Enfin une preuve, décisive celle-là, que Gérard de Nerval s'est inspiré de Mérimée, c'est qu'il a mis en vers toute une pièce de la Guzla.

MÉRIMÉE: GÉRARD DE NERVAL

Les Monténégrins. Chant monténégrin.

Napoléon a dit: «Quels sont ces hommes C'est l'empereur Napoléon, qui osent me résister? Je veux qu'ils Un nouveau César, nous dit-on, viennent jeter à mes pieds leurs fusils Qui rassembla ses capitaines: et leurs ataghans ornés de nielles.» —Allez là-bas Soudain il a envoyé à la montagne vingt Jusqu'à ces montagnes hautaines mille soldats. N'hésitez pas!

Il y a des dragons, des fantassins, des Là sont des hommes indomptables, canons et des mortiers. «Venez à la Au cœur de fer, montagne, vous y verrez cinq cents Des rochers noirs et redoutables braves Monténégrins. Pour leurs canons, Comme les abords de l'enfer. il y a des précipices; pour leurs dragons, des rochers, et pour leurs Ils ont amené des canons fantassins, cinq cents bons fusils.» Et des houzards et des dragons. —Vous marchez tous, ô capitaines! Alors a dit leur capitaine: «Que chaque Vers le trépas; homme ajuste son fusil, que chaque Contemplez ces roches hautaines, homme tue un Monténégrin…» N'avancez pas!

«Écoutez l’écho de nos fusils, a dit le Car la montagne a des abîmes capitaine.» Mais avant qu’il se fût Pour vos canons; retourné, il est tombé mort et Les rocs détachés de leurs cimes vingt-cinq hommes avec lui. Les autres Iront broyer vos escadrons. ont pris la fuite, et jamais de leur vie ils n’osèrent regarder un bonnet Monténégro, Dieu te protège, rouge… Et tu seras libre à jamais, Comme la neige De tes sommets![778]

Ainsi le peu de «couleur» qu’il semble y avoir dans le livret de cet opéra est dû à la Guzla. Comme tout imitateur, l’auteur est allé à ce qu’il y avait de plus gros dans le livre de Mérimée; il a exagéré, pour produire plus d’effet, tout ce qu’aurait dû suspecter un lecteur avisé. Ce sont les histoires de vampires que le «doux Gérard» a empruntées de préférence à la Guzla; l’idée de ces montagnards quelque peu fanfarons, de ce barde chef de parti et guerrier redoutable.

De nos jours l’influence du recueil de Mérimée a continué de se faire sentir dans le même sens, et c’est toujours ce qu’il y a peut-être de plus contraire à l’esprit du peuple serbe qu’on a été tenté de croire le plus authentique. Dans son beau drame Pour la Couronne, François Coppée a imaginé un certain Ibrahim-Effendi, agent secret du sultan Mohammed II, qui voyage sous le déguisement d’un joueur de guzla serbe, et pour la circonstance porte le nom de Benko. Il se présente à la cour de Balkanie:

MICHEL.

     Qui donc à mes genoux courbe si bas la tête?
     Quel est cet étranger?

BENKO.

     Moins que rien. Un poète,
     Ayant pour tout trésor sa guzla de sapin,
     Prince, et qui vous demande un asile et du pain.

BAZILIDE.

     Tu nous diras, ce soir, les nouveaux airs.
     Tu sais, ces chants roumains, ces légendes valaques
     Qui font peur. Mauvais œil, sorcières, brucolaques
[779]…

De même, très vraisemblablement c’est en songeant à Mérimée que
Victorien Sardou a fait figurer dans sa pièce Spiritisme un certain
Stoudza, «Serbe subtil et irrésistible», sorte d’enchanteur qui n’est
pas sans avoir bien des points communs avec ceux de la Guzla[780].

Ainsi, on ne saurait trop le redire, c’est par ce que le recueil de
Mérimée contenait de plus faux qu’il a paru le plus exact.

§ 5

LA POÉSIE SERBE EN FRANCE APRÈS «LA GUZLA»

Quelques écrivains mieux renseignés que ne l’étaient Gérard de Nerval, Théophile Gautier ou François Coppée par exemple, savaient parfaitement combien la Guzla différait de la poésie serbe authentique. Dès 1856, E. de Laboulaye écrivait: «La Guzla est un joli pastiche, une aimable débauche d’imagination; mais les Serbes de M. Mérimée ne sont pas tout à fait ceux de Vouk Stéphanovitch[781].»

En effet, il devenait de jour en jour moins difficile de s'initier à la poésie populaire serbo-croate, et ceux qui se laissèrent prendre au recueil de Mérimée en sont d'autant plus impardonnables: il eût été facile de ne pas tomber dans une telle erreur; les piesmas étaient assez connues en France: il eût suffi de consulter les collections qu'on en avait publiées, les excellents articles qu'on leur avait consacrés, pour éviter de se tromper aussi lourdement sur leur véritable caractère.

Les revues du temps en avaient donné de nombreux extraits[782]; de plus, Fauriel, le premier titulaire de la chaire de littérature étrangère à l'Université de Paris, avait fait pendant l'année 1831-32 un cours sur la poésie populaire serbe[783]. Peu de temps après, une femme de lettres qui ne manquait pas de talent, Mme Élise Voïart (la belle-mère de Mme Amable Tastu)[784], donna deux volumes des Chants populaires des Serviens, recueillis par Wuk Stephanowitsch Karadschitsch et traduits d'après Talvj (Paris, J.-A. Mercklein, 1834). L'ouvrage cependant n'eut aucun succès, bien que H. Fortoul lui eût consacré une notice bienveillante dans la Revue des Deux Mondes[785]. Lamartine qui, vers la même époque, fit son voyage en Orient, lut avec attention ce recueil, s'en documenta et, dans une édition postérieure, inséra dans son itinéraire plusieurs chants serbes de cette traduction, comme «commentaire» de ses notes.

Nos lecteurs, disait-il, nous sauront gré de leur faire connaître cette littérature héroïque. C'est une poésie équestre qui chante, le pistolet au poing et le pied sur l'étrier, l'amour et la guerre, le sang et la beauté, les vierges aux yeux noirs et les Turcs mordant la poussière. Son caractère est la grâce dans la force, et la volupté dans la mort. S'il me fallait trouver à ces chants une analogie ou une image, je les comparerais à ces sabres orientaux trempés à Damas, dont le fil coupe des têtes et dont la lame chatoie comme un miroir[786].

On peut ne pas trouver très exacte cette manière de caractériser les chants serbes, mais un fait est certain: Lamartine, quand il en eut besoin, s'adressa à une collection de poésies authentiques, et ne paraît pas avoir songé le moins du monde à Mérimée[787].

Six ans plus tard, la poésie serbe eut l'honneur d'un cours spécial au Collège de France, et ce fut le célèbre poète polonais Adam Mickiewicz qui en fut chargé. Nous nous occuperons ailleurs de ces leçons. Sans faire ici l'histoire de la chaire de slave au Collège de France, disons toutefois que tous ses titulaires ont fait une large place à la poésie serbe: Cyprien Robert, auteur d’un remarquable ouvrage sur les Slaves de Turquie: Alexandre Chodzko, auteur des Contes des paysans et des pâtres slaves; enfin le représentant actuel des études slaves en France, M. Louis Leger.

Quelques autres écrivains, non moins zélés, contribuèrent à faire connaître en France les piesmas. Une dame russe, la princesse Kolzoff-Massalsky, donna, sous le pseudonyme de «Mme Dora d’Istria», de nombreux articles à la Revue des Deux Mondes (1858-1873). Ces articles, il est vrai, témoignent plus de bonne volonté que de connaissance du sujet, mais on n’a qu’à se louer des excellentes traductions des poésies serbes faites par Auguste Dozon, ancien consul de France et professeur à l’École des langues orientales. Celui-ci avait passé une trentaine d’années parmi les Slaves du Sud; il connaissait à fond leurs idiomes, mœurs et caractère. Son ouvrage l’Épopée serbe (Ernest Leroux, 1888) est assurément la plus exacte traduction qui existe des chants serbes[788].

Le baron Adolphe d’Avril, qui a laissé une belle traduction de la Chanson de Roland en français moderne, ainsi que plusieurs intéressants travaux relatifs aux Slaves méridionaux, a fait en 1868 une excellente traduction des piesmas appartenant au cycle de la Bataille de Kossovo[789]. Moins rigoureux philologue que A. Dozon, le baron d’Avril a mis dans sa traduction plus de chaleur poétique que son prédécesseur. On ne peut lui faire qu’un reproche: il avait pratiqué trop longtemps la littérature française du moyen âge, et lorsqu'il voulut rendre en français la naïveté des piesmas serbes, il fut amené à leur donner un cachet qui n'était pas le leur. La poésie occidentale et catholique du moyen âge a déteint légèrement sur la poésie serbe, orientale et orthodoxe.

En 1893, le délicat poète nivernais Achille Millien nous a donné un petit volume des Chants populaires de la Grèce, de la Serbie et du Monténégro (A. Lemerre, éditeur). M. Millien ne connaît pas le serbe et ses versions ne sont en définitive que la mise en vers de celles de Mme Voïart, de Cyprien Robert et de A. Dozon; mais—nous avons déjà eu occasion de le dire—si la forme que le poète leur a donnée ne ressemble en rien aux formes habituelles des chants serbes, le fond est reproduit avec un rare bonheur. Sous le souffle vivifiant du poète, les traductions un peu froides de ses prédécesseurs ont retrouvé les grâces naïves qu'elles avaient perdues; elles ne se ressemblent plus à elles-mêmes que comme brillante fleur éclose au milieu des prés rappelle une plante desséchée dans un album.

* * * * *

Ainsi, sans prétendre que la poésie serbe ait jamais joui en France d'une immense popularité, on peut dire cependant qu'elle y était et qu'elle y est assez connue pour qu'on puisse facilement se mettre en garde contre des mystifications du genre de celle de Mérimée. On ne s'y trompe que si l'on veut bien s'y tromper[790].

§6

UN PLAGIAT

Les visiteurs de l'Exposition Universelle de 1900 ont pu voir dans une des vitrines du pavillon bosniaque un petit volume in-12, illustré, intitulé: Contes de la Bosnie. C'était un recueil-traduction des ballades populaires de cette charmante et petite contrée que le Traité de Berlin avait arrachée à l'Empire Ottoman et soumise à «l'occupation» austro-hongroise.

«Dans le plus beau pays du monde, déclarait dans sa préface l'auteur inconnu de cet ouvrage, sous le pseudonyme de «M. Colonna», entre la Slavonie, la Dalmatie et le Monténégro, un coin de pur Orient est resté intact qui dit la splendeur et la poésie du passé et le respect du progrès moderne pour toutes ces choses.

«C'est la Bosnie-Herzégovine, provinces turques jadis, aujourd'hui possessions austro-hongroises.

«Ce peuple heureux entre tous, dont on a respecté les croyances et les coutumes, et qui ne s'est aperçu du changement de maîtres qu'à la liberté soudain acquise (sic) et au bien-être toujours grandissant, n'a rien changé à ses traditions des âges lointains…

     «Là, tout est tradition: histoire, chants populaires, récits
     héroïques se racontent de père en fils en un langage d'une
     singulière poésie et d'une délicatesse tendre, qui surprennent,
     chez ce peuple un peu rude et si longtemps privé de culture…

«Les ballades qui suivent sont pleines de ces tendresses, elles sont simples, ces ballades, comme les êtres bons et sages qui me les ont contées cet hiver, au coin du feu, là-bas, dans leurs montagnes couvertes de neige[791].»

À franchement parler, c'est un pauvre livre que ces Contes de la Bosnie, comme du reste toute cette foule de publications officielles et semi-officielles que le gouvernement des «provinces occupées» répandait naguère à profusion—avant l'annexion définitive du pays—dans le but d'éclairer l'opinion publique européenne[792]. Du reste, que pouvions-nous espérer de mieux d'un étranger qui ignorait complètement la langue serbo-croate (ou «bosniaque» comme il l'appelait)[793], et qui n'avait visité que les «villages de Potemkine» de Bosnie, les resplendissantes Ilidjé, où le «train des journalistes» débarque de Budapest, deux fois par an, les représentants de la presse européenne, armés d'appareils photographiques et d'une plume alerte, dans une nature poétisée, décor idéal, où se trouvent entre les pittoresques minarets orientaux, les chutes d'eau argentées, les fermes subventionnées par le gouvernement, des hôtels confortables.

Examinons de près ces Contes de la Bosnie.

L'ouvrage est divisé en trois parties: Mœurs et coutumes—Ballades—Contes.

Dans la première: des lieux communs. Ce sont les superstitions, les vampires, le mauvais œil, les coutumes du mariage, les pobratimi; toutes choses évidemment racontées d'après les voyageurs allemands (à en juger d'après le sentimentalisme bourgeois et l'orthographe des noms propres); tout est embelli, fardé, sucré, une vraie Arcadie moderne; mais en même temps c'est toute une parodie de la vie «bosniaque».

Dans la troisième partie, l'auteur rapporte sept «contes populaires»,—dont la plupart sont authentiques,—qu'il traduit sur la traduction portugaise d'une traduction allemande[794], en un langage qui affecte un faux air de naïveté. Tout cela a pour nous peu d'intérêt.

* * * * *

La deuxième partie en offre davantage. Elle contient douze «ballades bosniaques». Il est difficile de reconnaître pour authentiques même celles qui ont un fond véritablement populaire. Dans la Belle Léposava par exemple, qui n'est autre chose que la Mort de Militch le porte-drapeau, l'auteur a tellement mutilé et fardé le texte, pour le faire plus naïf, qu'il l'a rendue méconnaissable.

D'autres sont purement et simplement fabriquées par l'auteur, dans la même forme soi-disant populaire; et nous ne saurions y voir autre chose qu'une espèce de travestissement ridicule.

Quatre de ces ballades prétendues populaires sont des paraphrases des ballades illyriques de Mérimée. «M. Colonna» a librement raconté, gâté plutôt, les pièces de la Guzla. Sans le reconnaître et sans citer Mérimée, il transforme: les Braves Heyduques en la Mort des Héros (pp. 145-149); Maxime et Zoé en le Secret de Lepa (pp. 123-128); la Vision de Thomas II, roi de Bosnie, devient la Vision de Thomas II, dernier roi de Bosnie (pp. 129-135); enfin, la Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga devient la Triste Ballade tout court (pp. 115-121).

Il suffira de citer ici un exemple caractéristique: ce sont les deux Visions que nous choisirons.

MÉRIMÉE: M. COLONNA:

_La Vision de Thomas II, Roi La Vision de Thomas II, dernier de Bosnie. roi de Bosnie_.

1 I

Le Roi Thomas se promène dans sa Dans la montagne de Proloque le chambre; il se promène à grands pas, tonnerre gronde sinistre, tandis que ses soldats dorment couchés effrayant comme la charge des sur leurs armes; mais lui il ne peut cent canons de Venise… Le ciel dormir, car les infidèles assiègent sa est noir comme les plus noirs ville, et Mahomet veut envoyer sa tête abîmes du mont Kumara… Les à la grande mosquée de Constantinople. torrents sont gonflés de toutes les larmes de la Bosnie et de 2 tous les sanglots des mères… Le roi Thomas II ne peut dormir; Et souvent il se penche en dehors de la il marche à grands pas dans la fenêtre pour écouter s'il n'entend salle d'armes, ses yeux brûlés point quelque bruit; mais la chouette par la fièvre ne savent plus seule pleure au-dessus de son palais, pleurer, sa tête lourde comme parce qu'elle prévoit que bientôt elle vingt massues est penchée sur sa sera obligée de chercher une autre poitrine, sa tête que Mahomet, demeure pour ses petits. qui assiège la ville, a juré d'envoyer à la grande mosquée de 3 Constantinople…

Ce n'est point la chouette qui cause ce II bruit étrange; ce n'est point la lune qui éclaire ainsi les vitraux de Le roi Thomas marche à grands l'église de Kloutch; mais dans l'église pas tandis que ses guerriers de Kloutch résonnent les tambours et sommeillent sur leurs les trompettes, et les torches allumées manteaux… Parfois il s'arrête ont changé la nuit en un jour éclatant. et prête l'oreille, mais le vent, qui s'engouffre par les 4 meurtrières, lui apporte de telles plaintes, que, livide, il Et autour du grand Roi Thomas dorment se recule, et de nouveau marche, ses fidèles serviteurs, et nulle autre marche!… Il se souvient… et oreille que la sienne n'a entendu ce un frisson d'angoisse le fait bruit effrayant; seul il sort de sa trembler comme la mora fait chambre, son sabre à la main, car il a trembler les grands chênes de la vu que le ciel lui envoyait un montagne… Par une nuit lugubre avertissement de l'avenir. comme cette nuit de tempête, lui, Étienne Thomas, et son 5 frère, Radivoï, n'ont-ils pas assassiné leur père: le roi D'une main ferme il a ouvert la porte Thomas Ier?… Le peuple, de l'église; mais quand il vit ce qui ignorant le crime, a mis sur son était dans le chœur, son courage fut front taché de sang la couronne sur le point de l'abandonner: il a pris royale… et Radivoï, jaloux, de sa main gauche une amulette d'une s'est vengé… Il a révélé vertu éprouvée, et plus tranquille l'abomination commise, puis alors, il entra dans la grande église s'est réfugié auprès de Mahomet de Kloutch. II qui le protège en le méprisant[795]… Thomas veut 6 expier son forfait… il couche sur la cendre… porte le Et la vision qu'il y vit est bien cilice… mais toujours le étrange: le pavé de l'église était fantôme de Thomas Ier, la nuit, jonché de morts et le sang coulait secoue sa robe sanglante sur la comme les torrens qui descendent, en tête du fils parricide. automne, dans les vallées du Prologh, et pour avancer dans l'église, il était III obligé d'enjamber des cadavres et de s'enfoncer dans le sang jusqu'à la L'évêque de Madrussa[796], légat cheville. du pape, a ordonné au roi, comme expiation, de faire la guerre 7 aux Turcs, et c'est pourquoi la ville est assiégée et les Et ces cadavres étaient ceux de ses murailles de Kloutch tellement fidèles serviteurs, et ce sang était le criblées de boulets qu'elles sang des chrétiens. Une sueur froide ressemblent à un rayon de coulait le long de son dos et ses dents miel… car Thomas est moins s'entrechoquaient d'horreur. Au milieu fort que les infidèles… du chœur, il vit des Turcs et des Tartares armés avec les Bogou-mili, Il pense à toutes ces choses, ces renégats! l'infortuné qui veille seul au milieu de ses soldats 8 endormis… Il pense! et soudain son visage devient plus pâle Et près de l'autel profané était encore… le bruit étrange qu'il Mahomet au mauvais œil, et son sabre vient d'entendre n'est plus était rougi jusqu'à la garde; devant celui du tonnerre, et la grande lui était Thomas Ier, qui fléchissait lueur qui illumine les vitraux le genou et qui présentait sa couronne de l'église de Kloutch ne vient humblement à l'ennemi de la chrétienté. pas des éclairs… Des torches sont allumées et les vieux murs 9 tressaillent d'épouvante et s'écroulent lentement aux À genoux aussi était le traître accents de l'infernale musique Radivoï, un turban sur la tête; des guerriers du Prophète… d'une main il tenait la corde dont il étrangla son père, et de l'autre il IV prenait la robe du vicaire de Satan, et il l'approchait de ses lèvres pour la Le grand roi jette à ses fidèles baiser, ainsi que fait un esclave qui qui dorment, la main crispée sur vient d'être bâtonné. leurs sabres, un long regard navré… aucun ne s'éveille… 10 Thomas seul a perçu l'effroyable écho… Il se redresse… il Et Mahomet daigna sourire, et il prit serre la garde en pierreries de la couronne, puis il la brisa sous ses sa vaillante épée, et, brave, il pieds, et il dit: «Radivoï, je te donne sort de la forteresse, se dirige ma Bosnie à gouverner, et je veux que vers l'église, fait le signe de ces chiens te nomment leur Beglierbey.» la croix, et ouvre la lourde Et Radivoï se prosterna et il baisa la porte… Ô roi, que vois-tu de terre inondée de sang. si horrible que ta main tremble et cherche l'amulette 11 protectrice?… que vois-tu de si effrayant que tes yeux Et Mahomet appela son visir: «Visir, s'agrandissent comme deux que l'on donne un caftan à Radivoï. Le cavernes en flammes?… Thomas caftan qu'il portera sera plus précieux est brave… il rentre… oh! ce que le brocard de Venise; car c'est de qu'il voit! des cadavres la peau de Thomas écorché que son frère amoncelés jusqu'au chœur de va se revêtir.» Et le visir répondit: l'église de Kloutch… des «Entendre c'est obéir.» ruisseaux de sang semblables aux ruisseaux qui, en automne, 12 descendent dans la vallée de Kumara… Et le bon Roi Thomas sentit les mains des mécréans déchirer ses habits, et V leurs ataghans fendaient sa peau, et de leurs doigts et de leurs dents ils Le roi avance… Ces cadavres tiraient cette peau, et ainsi ils la sont ceux des soldats de lui ôtèrent jusqu'aux ongles des pieds, Bosnie… ce sang est celui de et de cette peau Radivoï se revêtit de ses héros!… Mahomet II le avec joie. regarde venir… Mahomet avec du sang jusqu'au front… son 13 mauvais œil est fixe sur lui… et sa main s'appuie à l'autel Alors Thomas s'écria: «Tu es juste, mon profané… Agenouillé à ses Dieu! tu punis un fils parricide; de pieds est Radivoï l'infâme, qui mon corps dispose à ton gré; mais de la corde avec laquelle il daigne prendre pitié de mon âme, ô étrangla son père, s'est fait divin Jésus!» À ce nom, l'église a une ceinture… tremblé; les fantômes s'évanouirent et les flambeaux s'éteignirent tout d'un «Radivoï, s'écrie le Sultan, je coup. te donne ma Bosnie, et pour manteau royal, le caftan le plus 14 précieux que mon vizir aura choisi… ce caftan, je veux Avez-vous vu une étoile brillante qu'on le taille dans la peau de parcourir le ciel d'un vol rapide et Thomas II…» Alors les Tartares éclairer la terre au loin? Bientôt ce approchent, déchirent les brillant météore disparaît dans la vêtements du roi, puis, de leurs nuit, et les ténèbres reviennent plus ongles et de leurs dents, ils sombres qu'auparavant: telle disparut l'écorchent jusqu'aux la vision de Thomas. chevilles… L'infortuné voit le tyran jeter cette peau à son 15 frère qui s'en revêt avec un sourire de triomphe… À tâtons il regagna la porte de l'église; l'air était pur et la lune VI dorait les toits d'alentour. Tout était calme, et le roi aurait pu croire que Le roi Thomas se réveille… Il la paix régnait encore à Kloutch, quand marche à grands pas tandis que une bombe lancée par le mécréant vint ses guerriers dorment sur leurs tomber devant lui et donna le signal de manteaux… Il sait que sa l'assaut. vision est un rêve… un mauvais rêve, tel que lui en donne sans cesse le fantôme de son père qui l'a maudit… Et cependant, qui sait?… Il regarde au dehors, l'orage ne gronde plus dans la montagne de Proloque… le ciel est plein d'étoiles… les torrents ont fait silence… Oh! si Dieu touché de son remords avait fait grâce!… Et Thomas joint les mains, et des larmes douces coulent de ses yeux brûlés par la fièvre… Mais soudain son visage devient plus pâle… Un grand bruit a fait tressaillir la montagne, et la forteresse, et l'église de Kloutch… Et tous les siens, tous ses braves soldats fidèles se sont levés, prêts à la bataille!… La vision était une pitié du ciel pour que le roi se prépare!… Les boulets criblent les murailles comme un gâteau de miel… Mahomet II et Radivoï enfoncent la porte de l'église de Kloutch… Et tandis que le Sultan, las d'avoir tué tant de héros, s'appuie à l'autel profané, le traître se prosterne et baise la robe trempée de sang.

Ce volume médiocre et peu original a échoué sur les quais de Paris, où les mériméistes pourront aisément se le procurer pour la modique somme de vingt centimes[797].

* * * * *

Telle fut la destinée de la Guzla en France. La ballade n'a pas joué dans l'évolution du romantisme français le rôle qu'elle avait eu dans les autres pays. Elle s'est inspirée de tout sauf des légendes nationales, et par cela même elle était destinée à n'avoir qu'un succès éphémère. Tant qu'on s'intéressa en France à ces fantaisies de l'imagination, la ballade fut en honneur. Ce fut une affaire de mode ou de snobisme; on goûtait les ballades étrangères ou tout ce qui en avait l'air; puis on se lassa de ces pays de chimères; on voulut connaître les peuples eux-mêmes, sans les voir à travers le prisme de l'imagination; on découvrit même la poésie nationale et populaire française; on fut capable d'apprécier les trouvailles que l'on fit, mais non de redonner à ces poésies, qu'on exhumait de la tombe, une vie qu'elles semblaient avoir pour toujours perdue.

Et ces mêmes raisons nous permettent de comprendre pourquoi le succès de la Guzla fut plus durable à l'étranger: c'est que dans ces pays on s'intéressa davantage et plus longtemps à ces essais de résurrection parce qu'ils avaient véritablement un but, et un but national. Même un recueil de faux folklore pouvait donc y jouir d'une faveur plus grande qu'il n'en aurait jamais pu obtenir en France.

CHAPITRE IX

«La Guzla» en Allemagne.

1. La traduction de Wilhelm Gerhard. Ranke et la Guzla. Otto von Pirch. Siegfried Kapper. La critique de M. Depping.—§ 2. Goethe et la Guzla.

§ 1

LA TRADUCTION DE WILHELM GERHARD

Au mois de mai 1827, M. Berger, le beau-frère de M. Levrault, imprimeur à Strasbourg, fit à Leipzig, pendant la foire de Pâques, connaissance d'un Allemand aimable, riche, lettré, M. Wilhelm Gerhard, ancien marchand de toiles.

M. Gerhard était un personnage intéressant. Ami de Goethe, il composait de longues odes à propos de chaque anniversaire du grand poète qui l'avait reçu dans son intimité; il lui dédiait humblement ses livres, traduisait pour lui des poésies populaires de tous les pays, qui devaient subir un triage cruel avant de voir le jour dans la revue du Maître: Art et Antiquité.

Retiré des affaires, M. Gerhard avait mis ses talents au service de la littérature. Il traduisit en allemand des chants serbes, grecs modernes, espagnols, écossais; il fit paraître deux gros volumes de ses propres poésies, élégamment imprimés en jolis caractères sur lourd papier de bibliophile, qui garde toujours, quatre-vingts ans après la publication, sa blancheur de neige.

Plus tard, il écrivit quelques scènes de théâtre que des amateurs jouèrent dans des salons bourgeois; satisfait de ses succès littéraires, il s'adonna à la peinture et à la sculpture, étudia les sciences naturelles, collectionna des fossiles, composa des dissertations sur quelques questions d'économie politique. Avant de mourir, en 1858, le brave vieil homme commença à prendre des leçons de solfège[798].

Tel était «M. Gerhard, conseiller et docteur quelque part en Allemagne», dont parle l'auteur de la Guzla dans sa seconde préface; le «juge compétent» que citent tous les biographes de Mérimée,—Taine l'appelle «savant allemand[799]»,—«l'autorité allemande» selon l'expression de l'illustre critique qu'est M. George Saintsbury[800]!

En réalité, M. Gerhard ne fut jamais ni un docteur, ni une «autorité»; les dictionnaires biographiques de sa patrie sont pleins d'ingratitude pour une vie aussi laborieuse; ils ne croient même pas devoir mentionner son nom.

Ce fut M. Gerhard qui donna la version allemande de la Guzla. Pendant l'impression même du livre, les bonnes feuilles lui avaient été communiquées par son nouvel ami M. Berger[801], et M. Gerhard lui écrivait en les lui renvoyant à son hôtel (22 mai 1827): «Les feuilles intitulées la Guzla ont beaucoup d'intérêt pour moi. Mon Serbe qui part demain pour la Serbie regrette de ne pouvoir faire votre connaissance. J'ai grande envie de traduire les chansons en vers allemands. Les rythmes serbes me sont connus[802].»

«Le Serbe» dont il parle était le poète Sima Miloutinovitch, qui traduisait pour lui les piesmas en prose allemande,—car cet homme qui était une «authorité» en fait de littérature serbe, ne croyait même pas devoir connaître cette langue. Dès 1826, il préparait ainsi son recueil de poésies populaires serbes traduites en vers allemands avec le secours du pauvre diable de Miloutinovitch auquel il payait galamment «en thé et en cigares» le temps perdu et les services rendus[803].

Son livre devait paraître dans le courant de l'été 1827[804], mais il ne parut pas avant décembre, car, les feuilles de la Guzla une fois reçues, M. Gerhard se mit à traduire les ballades de Mérimée, afin de «compléter» son recueil. Le 5 juillet 1827, il écrivait, en français, à l'éditeur de la collection strasbourgeoise la lettre que voici:

Monsieur, j'ai eu l'honneur de faire la connaissance de M. Berger à la foire de Pâques. Il m'a communiqué quelques feuilles des chansons morlaques que vous fûtes sur le point de publier sous le titre: La Gouzla (sic) parce qu'il avait appris par Goethe que je viens de traduire une collection des chansons semblables de Serbie. Il m'a encouragé de traduire encore ceux que vous publiez et de dire quelques mots sur votre ouvrage dans les feuilles publiques et d'écrire à Goethe qu'il en parle dans son journal: Kunst und Alterthum dans lequel il vient de dire bien des choses flatteuses sur les miennes. J'ai fini la traduction des pièces contenues dans les feuilles communiquées qui vont jusqu'au commencement de l'histoire de Maxime et Zoé [pp. 1-108], et je vous prie, Monsieur, de m'envoyer au plus tôt possible par la voie de la diligence le reste des feuilles qui composent le petit ouvrage, ou, s'il n'était pas encore fixé, au moins celles qui sont parues depuis ce temps-là, pour me mettre à même de finir ma traduction allemande qui est faite en rythmes serbiens au lieu de la prose et comme on les chante dans leur pays. Je désire beaucoup de recevoir ces feuilles au plus tôt possible et avant de perdre l'envie et le goût pour ces poésies-là (sic), et je me flatte que vous accomplirez mes désirs, comme M. Berger m'assurait que vous auriez la bonté de faire.

J'ai l'honneur d'être, avec estime,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

W. GERHARD[805].

Sans doute, il obtint ces feuilles avant d'avoir «perdu le goût et J'envie» de les traduire, car quatre mois après l'apparition de la Guzla, le livre de M. Gerhard était prêt[806]; il parut à la fin de l'année 1827[807] sous le titre de Wila, serbische Volkslieder und Heldenmãrchen, deux gros volumes in-8º, formant la troisième et quatrième partie des Poésies de M. W. Gerhard[808].

Aux pages 89-188 du second volume sont traduites les ballades de la Guzla, excepté la dernière, la seule authentique, la Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga. Dans la préface, le traducteur motivait cette absence: «Comment oserais-je, dit-il, venir après un tel Maître que Goethe et traduire de nouveau en allemand ce chant divin[809]!»

En traduisant avec Miloutinovitch les véritables chants serbes, Gerhard s'était assimilé une foule d'expressions: des épithètes homériques, des répétitions fréquentes, enfin, certains autres procédés de l'improvisateur serbe. Il avait appris chez les traducteurs qui l'avaient précédé, particulièrement chez Mlle von Jakob, à manier «le vers de l'original», c'est-à-dire l'octosyllabe des courtes pièces lyriques et surtout le mètre des piesmas héroïques, décasyllabe sans rime composé de cinq trochées, divisé par une césure après le deuxième trochée ou quatrième pied. Donc, s'il ignorait, le malheureux, bien des choses sur la poésie serbe, il avait, naturellement, droit de se croire expert en «rythmes serbiens» et pouvait penser se connaître aux signes extérieurs de cette poésie, qui font complètement défaut dans la prose de Mérimée. Du reste, c'est ce qu'il nous dit dans sa modeste préface[810].

Ainsi, il ne s'est pas vanté dans sa traduction d'avoir «découvert le mètre original sous la prose française», comme le veut Mérimée et comme on ne le répète que trop. Il a simplement fait bénéficier les poèmes du recueil de la pratique qu'il avait acquise en traduisant les véritables chants serbes. On pourra le voir dans cette ballade, dont nous avons déjà cité l'original.

DIE TAPFERN HAJDUKEN.

     Tief in einer Hõhl' auf spitzen Kieseln
     Liegt der tapfre Rãuber Kristitsch Mladen,
     An des Rãubers Kristitsch Mladen Seite
     Seine Frau, die schõne Katherine,
     Ihm zu Füssen beyde wackre Sõhne.
     Schon drey Tage sind sie in der Hõhle,
     Haben schon drey Tage nichts gegessen;
     Denn es hüten draussen ihre Feinde,
     Alle Pässe rings im Waldgebirge,
     Und wenn sie das Haupt erheben wollen,
     Sind auf sie gerichtet hundert Flinten.
     Schwarz sind ihre Zungen und gesohwollen
     Von dem Durste, den sie leiden müssen,
     Denn sie haben nichts als faules Wasser,
     Das in einem Felsenloch sich sammelt.
     Dennoch waget Keiner eine Klage,
     Fürchtend Kristitsch Mladen zu missfallen.

     Als drey Tage hingeschwunden waren,
     Rief voll Schmerz die schöne Katherine:
     «Eurer mag die Jungfrau sich erbarmen,
     Und euch an verhassten Feinden rächen!»
     Tief aufseufzend ist sie drauf verschieden.

     Kristitsch Mladen schaute trocknen Auges,
     Schaute trocknen Auges auf den Leichnam,
     Doch die Söhne wischten ab die Thränen,
     Wenn der Vater weg die Blicke wandte.

     Ist nun auch der vierte Tag gekommen,
     Und das faule Wasser in dem Felsen
     Hat die Sonne vollends aufgetrocknet.
     Aber Kristitsch, ältester Sohn des Mladen,
     Ist hierauf in Raserei verfallen;
     Aus der Scheide zieht er seinen Handschar,
     Schaut der Mutter Leichnam an mit Blicken
     Wie der Wolf, wenn er ein Lamm betrachtet.

     Grausen fühlte drob sein jüngster Bruder,
     Der Alexa, und er zog den Handschar,
     Und durchschnitt den Arm sich mit dem Stable:
     «Trink von meinem Blute, Bruder Kristitsch,
     Und begehe ja nicht solch Verbrechen!
     Wenn wir erst den Hungertod erlitten,
     Kehren wir, der Feinde Blut zu trinken.»
     Sprang der Mladen jetzt auf seine Füsse:
     «Auf, ihr Kinder! besser eine Kugel,
     Als die Höltenangst des Hungertodes!»

     Alle Dreye sind herabgestiegen,
     Wie die Wölfe die vor Hunger wüthen.
     Jeglicher hat zehn der Feind' erschlagen,
     Zehn der Kugeln in die Brust empfangen.
     Feinde hieben ihnen ab die Köpfe;
     Aber wie sie im Triumph sie trugen,
     Wagten sie sie kaum noch anzuschauen,
     Also fürchteten sie Kristitsch Mladen
     Und des Kristitsch Mladen wackre Söhne[811].

On remarque dans cette traduction, d'abord, le décasyllabe, «vers de l'original», dans lequel M. Gerhard avait déjà traduit la plus grande partie des ballades authentiques serbes qui composent la Wila, comme on le verra d'après l'exemple suivant:

     Lieber Gott, dir werde Dank für Alles!
     Welch ein Mann war Delibascha Marko
     Und wie siehet heut' er aus im Kerker
     In der Asakburg verdammten Kerker[812]!

Ensuite, on y trouve le procédé très usité par les guzlars, procédé que Mérimée ne paraît pas avoir connu et que M. Auguste Dozon à su si bien conserver dans sa traduction des chants serbes en prose française, à savoir la répétition très fréquente de mots, d'expressions, quelquefois de vers entiers:

Mes fils, mes faucons… ne trahissez pas un seul de vos compagnons, ni les receleurs chez qui nous avons hiverné, hiverné et laissé nos richesses; ne trahissez point les jeunes tavernières chez qui nous avons bu du vin vermeil, bu du vin en cachette[813].

Quand on improvise, comme le guzlar serbe, et quand on a besoin de dix syllabes, ce moyen est des plus avantageux. M. Gerhard le connaissait et le pratiquait en traduisant les chants du recueil de Karadjitch. Voici quelques exemples:

Möchtest du auch gleich das Ross erzürnen, Möchtest gleich den scharfen Säbel ziehen?

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Schauet in das Amselfeld hinunter, Schaut hinunter auf das Heer der Türken.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Schlägt sie mit der flachen Hand den Türken, Schlägt ihn heftig auf die rechte Wange, Auf die Wang' und redet zu ihm also[814].

Avant qu'il se mît à traduire la Guzla, la palinlogie était donc familière à M. Gerhard; en traduisant les ballades de Mérimée, il l'appliqua chaque fois que la fidélité qu'il gardait à son texte le lui permit. On en trouve des preuves dans ces vers des Braves Heyduques:

     …Liegt der tapfre Räuber Kristitsch Mladen,
     An des Räubers Kristitsch Mladen Seite…

ce qui correspond à la phrase suivante de Mérimée: «[Dans une caverne], couché [sur des cailloux aigus], est un brave heyduque, Christich Mladin. À côté de lui [est sa femme, etc.]»

Voici encore quelques exemples tirés de cette ballade seulement:

Schon drey Tage sind sie in der Höhle, Haben schon drey Tage nichts gegessen.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Kristitsch Mladen schaute trocknen Auges, Schaute trocknen Auges auf den Leichnam…

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

     Also fürchteten sie Kristitsch Mladen
     Und des Kristitsch Mladen wackre Söhne.

Ces répétitions, on le remarquera, font complètement défaut dans l'original français.

On y remarquera encore une chose: «Un brave heyduque, Christich Mladin» est rendu par «der tapfre Räuber Kristitsch Mladen». En effet, tous les héros de la ballade serbe sont personnages connus—ou du moins supposés tels;—c'est leur faire injure que de mettre devant leur nom l'article indéfini.—Enfin, au vers:

Sprang der Mladen jetzt auf seine Füsse

on trouve une expression tout à fait serbe, dont il n'y a pas l'équivalent chez Mérimée,—il dit simplement: «Mladin s'est levé.» Sauter sur ses pieds et sauter sur ses pieds légers est une des expressions favorites du chanteur serbe, et M. Gerhard la connaissait bien. En voici quelques exemples tirés du premier volume de la Wila:

     Und sie sprangen auf die leichten Füsse.
     . . . . . . . . . . . . . . . . . .
     Springt die Jung' auf ihre leichten Füsse.
     . . . . . . . . . . . . . . . . . .
     Sprang der Komnen auf die leichten Füsse[815].

Ainsi il illyrisait davantage la «couleur locale» de la Guzla; mais sans le faire toujours avec le même bonheur. Il changeait des noms: Jean devenait Iwan; fils d'Alexis: Alexewitsch; George Estivanich: Gjuro Stewanitsch; fils de Jean: Iwanowitsch; Hélène: Jellena; Théodore Khonopka: Todor Knopka; saint Eusèbe: der heilige Sawa[816]!

Comme le guzlar, M. Gerhard employait très fréquemment le vocatif serbe au lieu du nominatif—licence poétique qui fournit une syllabe de plus quand on en a besoin. D'où:

     Hyazinth Maglanowitschu singt es,
     Aus der Veste Swonigrad gebürtig,
     Der geschickteste der Guszlespieler[817].

Même il allait plus loin, et sous sa main le prêtre de Mérimée devenait un pope[818].

Mais c'était tout, ou à peu près tout ce qu'il pouvait devoir à ce que M. Karl Braun appelle «une rare connaissance du sujet[819]». Plus nombreuses sont les preuves qui n'en témoignent aucune: et d'abord cette prétention de traduire «en vers de l'original». Nous avons déjà dit que les piesmas héroïques serbes sont presque toutes en décasyllabes et que les piesmas lyriques n'ont pas de forme fixe. Nous avons dit également qu'il est impossible d'établir aucune distinction entre ces deux genres dans le recueil de Mérimée. Or, M. Gerhard traduisit dix-neuf pièces de la Guzla en décasyllabes, mais il mit le reste en mètres différents, qui ne sont pas toujours les «rythmes serbiens, comme on les chante dans leur pays», et dont le choix fut complètement arbitraire et plutôt hardi. On trouve même des vers rimés dans cette traduction:

     Der Himmel ist hell, das Meer ist blau,
     Es wehen die Lüftchen so sanft und lau,
     Der Mond erhebet sich wolkenleer,
     Nicht zauset der Sturm die Segel mehr[820].

La poésie populaire serbe ne connaît pas la rime.

Avant de devenir la victime de Mérimée, ce brave homme avait déjà été celle de la fantaisie extraordinaire du poète Miloutinovitch dont nous parlions tout à l'heure. Plusieurs des poésies qu'il s'était fait traduire avaient été composées par Miloutinovitch lui-même et ne sont nullement «populaires» en Serbie. Dans ses Notes, M. Gerhard nous raconte parfois des choses vraiment surprenantes. Sous l'influence de cet aventurier, il établit gravement tout un nouveau système d'études mythologiques et étymologiques, grâce auquel l'Europe se rendra enfin compte du rôle important qu'avaient joué les Serbes dans l'histoire ancienne. En effet, tous les dieux gréco-romains ne portent-ils pas des noms serbes que des scribes ignorants ont corrompus? Morlaque veut-il dire autre chose que «celui qui supporte facilement la mer[821]?» Et le brave Allemand n'oublia pas de nous apprendre qu'il y a des Gerhard en Serbie et qu'ils y portent le nom de Djero[822]!

Six mois avant l'apparition de la Guzla, Goethe vantait à Eckermann le talent de Gerhard. Avec son indulgente bonhomie, il voyait en cet esprit simple et naïf un personnage propre à comprendre et à interpréter l'âme des primitifs. «Ce qui aide Gerhard, disait-il, c'est qu'il n'a pas une profession savante… S'il se borne toujours à mettre en vers de bonnes traditions, tout ce qu'il fera sera bon; mais les œuvres tout à fait originales exigent bien des choses et sont bien difficiles[823]!» Le vieux poète ne se trompait pas, dans un certain sens: quelques-unes des chansons de Gerhard, composées à la manière populaire, se chantent encore en Allemagne[824]; mais il ne pensait pas que Mérimée allait bientôt lui donner un démenti formel, prouvant que même la mise en vers de «bonnes traditions» n'est pas chose si facile et que l'on peut souvent s'y méprendre, surtout quand il s'agit de choisir ces «traditions».

* * * * *

La Wila eut un certain succès, tant en Allemagne qu'à l'étranger. Goethe la présenta au public dans sa revue Art et Antiquité en même temps qu'il parlait du recueil de Mérimée et de la traduction anglaise des chants serbes, par John Bowring[825]. Il ne s'occupa, il est vrai, que de la première partie du livre, c'est-à-dire des piesmas authentiques; mais d'autres critiques ne surent pas distinguer si nettement le vrai du faux; ils louèrent avec le même enthousiasme toutes les ballades sans exception. Ainsi par exemple l'Allgemeine Literatur-Zeitung se plut à faire une allusion spéciale aux ballades «du mauvais œil, de la flamme voltigeante, des nains-cavaliers et des vampires sanguinaires» (von bösen Blicken, wandelnden Flämmchen, reitenden Zwergen, blutsau-genden Vampyren[826]).

Un jeune professeur allemand, dont le nom devait rester célèbre, attaché à une école historique fameuse, Léopold Ranke, fut également l'une des nombreuses dupes de la Guzla, à notre sens la plus distinguée. Au moment où parut le livre de Mérimée, il préparait, en compagnie de Vouk Karadjitch, cette Histoire de la révolution serbe, d'après les documents et les communications serbes, que Niebuhr regarde comme la production historique la plus remarquable de son époque. «Il y a cinquante ans de cela, écrivait Ranke en 1878; j'habitais alors Vienne et j'entendais chaque jour mon inoubliable ami Vouk monter l'escalier—il avait une jambe de bois—pour venir me raconter l'histoire de son peuple[827].»

«Leur ouvrage» fut publié à Hambourg, en 1829[828]. C'était un exposé extrêmement clair et saisissant, quoique assez souvent partial, d'événements quasi contemporains. Dans une importante introduction, Ranke traçait un magistral tableau des mœurs du pays et du caractère national serbe. Il va sans dire qu'il utilisa dans ce but surtout les chants populaires, très connus en 1828. Il ne savait pas le serbe et dut se servir des traductions de Mlle von Jakob et de M. Gerhard, mais, bien qu'à cette époque Goethe eût déjà dévoilé la supercherie, le grand historien ne trouva aucune différence entre les pièces authentiques de la Wila et celles qui ne l'étaient pas; il cita même les Pobratimi de Mérimée comme une peinture véridique des mœurs serbes. «Dans les chants populaires de ce peuple, dit-il, on nous représente d'une façon très vivante la sainteté de la fraternité[829]. C'est un des traits des plus caractéristiques de la nation serbe que ce sentiment où sont réunis les contrastes les plus frappants et qui fait que les deux amis enfoncent leurs poignards dans la poitrine de la jeune fille turque qu'ils aiment tous deux, afin de ne pas se brouiller à cause d'elle. «(…diese Gesinnung, in der sich das Entgegengesetzte vereint,—in welcher etwa Bundesbrüder ihren Dolch zugleich in den Leib der Türkin senken, die beide lieben, um sich nicht ihrerhalb zu entzweien[830]…)» L'allusion à la ballade de Mérimée est assez claire.

Un officier prussien, Otto von Pirch, qui avait en 1829 visité la Serbie et qui publia l'année suivante une relation de ce voyage[831], est également parmi ceux qui se laissèrent prendre à la Guzla. Bien qu'il ignorât complètement la langue serbe, il crut avoir assez de compétence pour juger les différentes traductions étrangères des piesmas, et n'hésita pas à proclamer la meilleure celle de M. Gerhard[832]. Ce qu'il loua le plus chez lui, c'étaient les nombreuses notes si judicieuses qui accompagnaient la Wila; or, ces notes sont, on le sait, presque toutes empruntées à Mérimée.

Quatorze ans plus tard, un jeune poète de la Bohême allemande, qui se révélera un jour l'un des meilleurs connaisseurs de la vie sud-slave, Siegfried Kapper, prit au sérieux la traduction de Gerhard et s'en inspira. Le futur auteur de Lazar, der Serbencar, publia, en 1844, sous le titre des Slavische Melodien, un recueil d'imitations des chants et des contes populaires slaves; dans deux de ces poèmes l'on sent très nettement l'influence des ballades illyriques de Mérimée:

     Also sprach der Wirth zu seinem Gaste:
     «O Fremdling, sprich, so willst du weiter ziehn?
     Vor wenig Tagen kamst du in's Gebirge,
     Und irrtest scheu und einsam in den Klüften;
     Wo Wölfe heulen, Wasserfälle rauschen,
     Blutgierige Vampyre Nester bau'n.» U. s. w.

(Der Flüchtling in der Czernagora.)

     «Was betrübt, o Marko, deine Seele,
     Dass dein Auge also finster schauet?
     Was bedrückt dein Herz, dass deine Stirne
     So gefurcht und deine Wang' erblichen?
     Hat der Hagel dir die Saat zerschlagen?
     Glaubst du, dass ich wankend in der Liebe?
     Oder saugt in mitternächt'ger Stunde
     Ein Vampyr das Blut dir aus dem Herzen?»

     «Hätte Hagel mir die Saat zerschlagen,
     Brächt' ein nächstes Jahr wohl Doppelernten;
     Wärst du wankend in der Liebe worden,
     Neue Zeit brächt' wohl auch neue Liebe.
     Aber ein Vampyr saugt mir am Herzen,
     Nachts und Morgens, lange, lange Tage,
     Seit Stavila ist zu Schutt geworden,
     Seit an unsern Küsten fremde Kähne,
     In den Bergen fremde Männer streifen.»

(Ein Vampyr[833].)

Mais on savait à cette époque en Allemagne que la Guzla était une
production apocryphe, et le traducteur stuttgartois des Œuvres de
Prosper Mérimée
élimina de sa traduction cet ouvrage dont «un certain
M. Gerhard» avait déjà donné une version allemande[834].

La Wila ne passa pas inaperçue en France. Une année après sa publication, G.-B. Depping, cet érudit franco-allemand à qui l'on doit le Romancero castellaño (Leipzig, 1844) et l'édition de la Correspondance administrative de Louis XIV (Documents inédits de l'Histoire de France), la présenta au public dans le Bulletin des sciences historiques, antiquités, philologie, rédigé par MM. Champollion. Nous ne citerons de sa notice que quelques passages qui se rapportent aux ballades traduites de la Guzla.

Depuis qu'un Servien, Wouk Stéphanovitch, disait-il, a fait paraître à Vienne un recueil des poésies populaires de sa nation, les Allemands se sont adonnés avec zèle à l'exploitation de cette mine inconnue, qui leur procurait la connaissance d'une littérature étrangère presque entièrement ignorée. Un M. Talvi (sic) prit dans le recueil servien un grand nombre de pièces pour les traduire en allemand; une Dlle Jacob (re-sic) en fit autant. M. Gerhard, à l'aide d'un poète servien qui a séjourné en Allemagne, Siméon Milutinovitch, a traduit ou imité une foule d'autres pièces du même recueil, qui avaient été négligées par ses devanciers… M. Gerhard a voulu compléter sa collection, en traduisant aussi l'ouvrage récemment publié à Paris sous le titre de la Guzla, ou choix de poésies illyriques recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et l'Herzégowine. Toutes ces pièces forment ensemble deux volumes…

En bon traducteur, M. Gerhard professe une grande admiration pour la poésie servienne; il la trouve plus près du genre anacréontique que la poésie des Grecs modernes… Ces poésies sont curieuses, d'abord parce qu'elles sont l'expression de l'esprit national et de l'imagination d'un peuple peu connu; en second lieu, parce qu'elles font continuellement allusion à des mœurs, des usages, des préjugés, etc., bien différents des nôtres. Par exemple, le morceau: la Fiancée vampire[835], nous retrace une superstition qui passe dans l'Est de l'Europe presque pour un article de foi…

Puis, après avoir parlé sur le caractère général des piesmas héroïques où «les brigands et les Turcs jouent un grand rôle», M. Depping ajoutait:

Un glossaire des termes et noms serviens employés dans ce recueil termine le second volume: l'auteur y a donné aussi quelques notes historiques sur les événements auxquels les romances font allusion; une partie de ces notes est tirée de celles qui accompagnent le recueil français de la Guzla[836].

Ainsi M. Gerhard ne contribua pas peu à faire connaître Mérimée et la Guzla même en France. Si celui-ci n'avait pu lire une critique de ses chants dans le respectable journal de MM. Champollion, il y en trouva une de la traduction, qui dut lui faire plaisir. Car il la lut très probablement; ses amis Fauriel et Ampère, très versés dans les sciences, recevaient certainement ce journal. S'il put se féliciter qu'à la suite du bon M. Gerhard d'autres encore allaient se tromper et qu'ainsi le succès de son livre dépasserait même ses prévisions, ne croyons pas cependant que «tous les amateurs de poésie populaire en France et en Europe s'y laissèrent prendre également», comme l'affirmait solennellement M. de Loménie dans son discours de réception à l'Académie Française. Nombreux furent ceux qui devinèrent la supercherie de Mérimée et cela sans aucune peine, parce qu'ils avaient eu tout simplement le mérite d'être mieux instruits des choses de ces pays qu'on ne l'était alors. (Kopitar, Jakob Grimm, Goethe, Mlle von Jakob, Schaffarik, etc.)

Mais pour en finir avec M. Gerhard, disons encore une fois qu'il n'était pas un érudit, ni un docteur, ni une autorité dans la matière; et que cette légende savamment accréditée par Mérimée, longtemps soutenue par la confiance que lui ont témoignée des critiques comme Taine, Brandes, Saintsbury, doit enfin s'évanouir.

§ 2

GOETHE ET «LA GUZLA»

Goethe, qui avait toujours porté beaucoup d'intérêt aux choses de France, en manifesta tout particulièrement pendant la dernière période de sa longue vie. La littérature de son pays suivant une voie qu'il jugeait mauvaise, il préférait s'occuper soit de l'antiquité, soit de l'étranger et surtout de la France. La politique, la science et l'art français étaient alors sa grande préoccupation; mais ce qu'il suivait avec le plus d'attention et de sympathie, c'étaient les débuts de la nouvelle école littéraire, la lutte des romantiques de la Muse française et du Globe, avec les classiques de l'Académie. Personne à l'étranger ne connaissait mieux que le patriarche de Weimar le mouvement littéraire de la Restauration. Avec une joie sincère il voyait la France «se relever de ses ruines, se consoler de ses malheurs par la gloire des lettres et reconquérir dans le domaine de l'esprit la suprématie qu'elle avait perdue dans l'ordre politique[837]».

Le grand homme, on le sait, avait tort de «rester trop chez lui» et Sainte-Beuve a justement remarqué qu'il aurait eu une influence plus considérable en France s'il avait daigné y venir passer «six mois, en 1786». Mais si ce manque d'ambition personnelle retarda le succès du Faust, il ne paraît pas qu'il influa sensiblement sur l'Olympien. De tous côtés, d'aimables informateurs satisfaisaient sa curiosité universelle.

C'est ainsi qu'en 1826, les rédacteurs du Globe crurent devoir rendre hommage au vieux poète et lui envoyèrent la collection de leur journal. Goethe en eut beaucoup de plaisir. «Tous les soirs, écrivait-il au comte Reinhard (27 février 1826), je consacre quelques heures à la lecture des anciens numéros; je note, je souligne, j'extrais, je traduis. Cette lecture m'ouvre une curieuse perspective sur l'état de la littérature française, et, comme tout se tient, sur la vie et sur les mœurs de la France[838].»

Dès qu'il arrivait de Paris quelque visiteur, Goethe demandait des renseignements «sur les hommes d'État, les littérateurs et les poètes célèbres»: Chateaubriand, Guizot, Salvandy, Alfred de Vigny, Mérimée, Victor Hugo, Émile Deschamps. Si Lamartine n'est pas au nombre des favoris de l'auteur de Werther, Béranger en est l'un des premiers[839].

Goethe aimait à parler de la littérature française; il trouvait un jour qu'elle ne manque pas de «talents ordinaires» qui sont, d'après lui, «emprisonnés dans leur temps et se nourrissent des éléments qu'il renferme»; Eckermann osa poser une question:

—«Mais que dit Votre Excellence de Béranger et de l'auteur des pièces de Clara Gazul?»

—«Je les excepte, répondit Goethe, ce sont de grands talents qui ont leur base en eux-mêmes et qui se maintiennent indépendants de la manière de penser du jour[840].»

Au mois de mars 1827, A. de Humboldt, revenant de Weimar, apporte des présents pour Salvandy et Mérimée, probablement cette «médaille assez mauvaise» dont parle Gustave Planche[841]. À la même époque, Goethe conseille à son ami Zelter de lire le Théâtre de Clara Gazul[842]. Deux mois plus tard, il reçoit très cordialement Ampère et A. Stapfer, qui lui donnent mainte information sur les derniers événements littéraires. «Le 4 mai, rapporte Eckermann, grand dîner chez Goethe en l'honneur d'Ampère et de son ami Stapfer. La conversation a été vive, gaie, variée. Ampère a beaucoup parlé à Goethe de Mérimée, d'Alfred de Vigny et d'autres talents remarquables[843].» Quelques années plus tard, lorsque David d'Angers envoya à Goethe sa collection de médaillons, le bon Eckermann désirait surtout voir Mérimée. «La tête nous parut, dit-il, aussi énergique et aussi hardie que son talent, et Goethe y trouva quelque chose d'humoristique[844].»

On le sait, ce fut Goethe qui, à propos de la Guzla, dévoila la supercherie. Au mois de mars 1828, il publia dans sa revue Art et Antiquité la notice suivante:

LA GUZLA, OU CHOIX DE POÉSIES ILLYRIQUES.

Ouvrage qui frappe, dès le premier coup d'œil, et qui, si on l'examine d'un peu plus près, soulève une question mystérieuse.

C'est depuis peu seulement que les Français ont étudié avec goût et ardeur les différents genres poétiques de l'étranger, en leur accordant quelques droits dans l'empire du beau. C'est également depuis peu qu'ils se sont sentis portés à se servir, pour leurs œuvres, des formes étrangères. Aujourd'hui, nous assistons à la plus étrange nouveauté: ils prennent le masque des nations étrangères, et dans des œuvres supposées, ils s'amusent avec esprit à se moquer très agréablement de nous. Nous avons d'abord lu avec plaisir, avec admiration, le faux original, et, après avoir découvert la ruse, nous avons eu un second plaisir en reconnaissant l'habileté de talent qui a été déployée dans cette plaisanterie d'un esprit sérieux. On ne peut certes mieux prouver son goût pour les idées et les formes poétiques d'une nation qu'en cherchant à les reproduire par la traduction et l'imitation.

Dans le mot Guzla se cache le nom de Gazul; le nom de cette bohémienne espagnole masquée qui s'était récemment moquée de nous avec tant de grâce, nous donna l'idée de faire des recherches sur cet Hyacinthe Maglanovich, principal auteur de ces poésies dalmates, et nos recherches ont réussi. De tout temps, quand un ouvrage a obtenu un grand succès, on a cherché à attirer l'attention du public et à gagner ses louanges en rattachant un second ouvrage au premier, sous le titre de Suite, Deuxième partie, etc. Cette fraude pieuse, connue dans les arts, a aidé à former le goût; en effet, quel est l'amateur de médailles anciennes qui n'a pas de plaisir à rassembler la collection de fausses médailles, gravées par Jean Cavino? Ces imitations trompeuses ne lui donnent-elles pas un sentiment plus délicat de la beauté des monnaies originales?

M. Mérimée ne trouvera donc pas mauvais que nous le déclarions ici l'auteur du Théâtre de Clara Gazul et de la Guzla, et que nous cherchions même à connaître, pour notre plaisir, tous les enfants clandestins qu'il lui plaira de mettre ainsi au jour[845].

Ceux qui ont parlé de la Guzla,—et ils sont nombreux; on le verra dans la Bibliographie que nous plaçons à la fin du présent ouvrage—ont cru, avec raison, devoir tous dire un mot de la critique de Goethe. Et pourtant, il nous semble que la plupart d'entre eux l'ont mal interprétée; il reste toujours à mettre les choses au point. Maxime du Camp, par exemple, alla jusqu'à affirmer que le poète allemand s'était laissé prendre à la mystification[846]!

Gustave Planche, qui paraît avoir été le premier qui ait parlé de cette notice, déclara, en 1832, que Mérimée lui-même ayant envoyé un exemplaire de la Guzla à Goethe, celui-ci «se donna le plaisir de dévoiler ce qu'il savait parfaitement[847]». Quelques années plus tard, un Allemand, qui traduisit les œuvres de Mérimée,—et en omettant toutefois la Guzla,—assura à nouveau la même chose[848]. En 1875, Léo Joubert donne une nouvelle explication: «Goethe, quand il reçut la Guzla, ne devina pas tout d'abord de quelle main elle partait; il inclinait à regarder le recueil comme authentique. Ampère, alors à Weimar, et qui voyait tous les jours le grand poète allemand, se hâta de le détromper en lui révélant le nom du véritable auteur[849].» Ampère séjourna à Weimar pendant les mois d'avril et mai 1827; or, la Guzla ne parut que fin juillet: l'assertion de Léo Joubert est donc inexacte. Mais elle n'en est pas moins intéressante: Ampère, qui savait que l'impression de la Guzla touchait à sa fin, parla beaucoup de Mérimée à Goethe pendant le grand dîner du 4 mai 1827; sut-il garder un silence complet sur la dernière production de son ami? On serait tenté de croire qu'il commit une indiscrétion, si nous n'avions la preuve du contraire; nous en parlerons tout à l'heure.

Mérimée, il est vrai, envoya un exemplaire à Weimar. «Remerciements pour l'article de Goethe que vous avez pris la peine de traduire pour moi, écrivait-il à son ami Stapfer. S'il faut vous dire la vérité, il m'a paru un peu plus lourd que les morceaux de critique du Globe, ce qui n'est pas peu dire. Je n'en suis pas moins très reconnaissant de ce souvenir… Ce qui diminue son mérite à deviner l'auteur de la Guzla, c'est que je lui en ai adressé un exemplaire, avec signature et paraphe, par un Russe qui passait par Weimar. Il s'est donné les gants de la découverte afin de paraître plus malin[850].» Cet exemplaire, conservé à Weimar, porte la dédicace suivante que nous pouvons reproduire en fac-similé, grâce à l'extrême amabilité de la direction du Goethe-Nationalmuseum:

[Illustration: À son Excellence

Monsieur le Comte de Goethe

Hommage de l'auteur du théâtre de Clara Gazul

Paris août 27 1827 ]

Cette dédicace peut facilement induire en erreur; MM. Ludwig Geiger et Félix Chambon, qui l'ont publiée avant nous, l'ont mal interprétée à notre avis[851]. Elle est, en effet, datée du 27 août; or, dès le 25 juillet 1827, Goethe fait mention dans son Journal des «ballades apocryphes dalmates[852]». Assurément, il avait dû recevoir les bonnes feuilles de la Guzla, soit directement de Strasbourg, soit de Leipzig, d'où Wilhelm Gerhard lui envoyait souvent ses traductions[853]; le 5 juillet, celui-ci avait promis à F.-G. Levrault d'écrire à Goethe au sujet de l'ouvrage[854].

Du reste, il n'y a rien d'étonnant à ce que Goethe se soit aperçu de suite que ces poèmes diffèrent complètement des véritables chants serbes. Il connaissait beaucoup ces derniers et en avait longuement parlé à ses amis, ainsi que dans sa revue.

Mais s'il suspecta les ballades dalmates, il ne pensa pas un moment que Mérimée en pût être l'auteur, avant d'avoir reçu de lui l'exemplaire qui portait sa signature.

Nous ne savons ni qui était ce «Russe qui passait par Weimar» et qui remit à Goethe l'envoi de Mérimée, ni à quelle date il le fit. Le 10 octobre 1827, Goethe note dans son Journal: «Dans la soirée, lu la Guzla[855].» Les Russes qui ont visité Weimar entre le 27 août et le 10 octobre sont: le grand poète Joukovsky, le professeur Chichkoff et le prince Lioubomirsky. Le premier avait fait un séjour à Paris cette année-là, mais il en était déjà parti vers la fin de mai 1827[856].

Toutefois, comme la revue Art et Antiquité paraissait très irrégulièrement, Goethe ne parla de la Guzla que six mois après la publication de ce livre. Le 16 mars 1828, il dicta à Schuhardt sa notice sur les Chants populaires serbes; le lendemain celle sur la Guzla[857].

Car, il faut bien le dire, ce ne fut pas exclusivement par sympathie pour le jeune écrivain français que Goethe parla de la Guzla; il avait sur sa table plusieurs recueils de poésies serbes; il voulut dire de tous un mot en même temps. Dans le numéro où il démasqua Hyacinthe Maglanovich, il présenta au public la traduction anglaise que John Bowring avait faite de certains chants serbes (Servian Popular Poetry), ainsi que la traduction allemande de Gerhard.

Parlant de cette dernière, il ne dit pas un mot de toute la seconde partie de la Wila, sans doute pour ménager la susceptibilité de ce brave Gerhard qui s'était laissé si facilement mystifier. Mais, cela va sans dire, il se trouva obligé de dévoiler, dans une notice à part, le mystère qui enveloppait la Guzla, cet «ouvrage qui frappe, dès le premier coup d'œil».

Cette notice, il ne l'inséra pas tout entière comme il l'avait dictée; ce n'est qu'après sa mort qu'on en a publié une suite où il disait: «M. Mérimée est, en France, un de ces jeunes indépendants occupés à chercher une route qui soit vraiment la leur; la route qu'il suit pour son compte est une des plus attrayantes; ses œuvres n'ont rien d'exclusif et de déterminé; il ne cherche qu'à exercer et à perfectionner son beau talent enjoué, en l'appliquant à des sujets et à des genres poétiques de toute nature.» Quant à la Guzla, Goethe lui reprochait de n'être pas suffisamment un pastiche de la poésie serbe. «Le poète, dit-il, a laissé de côté, dans ses imitations, les modèles qui présentaient des tableaux sereins ou héroïques. Au lieu de peindre avec énergie cette vie rude, parfois cruelle, terrible même, il évoque les spectres, en vrai romantique; le lieu où il place ses scènes est déjà effrayant; le lecteur se voit la nuit, dans des églises, dans des cimetières, dans des carrefours, dans des huttes isolées, au milieu de roches, au fond d'abîmes; là se montrent souvent des cadavres récemment enterrés; le lecteur est entouré d'hallucinations menaçantes qui le glacent; des apparitions, et des flammes légères par des signes mystérieux veulent nous entraîner; ici nous voyons d'horribles vampires se livrer à leurs crimes, ailleurs c'est le mauvais œil qui exerce ses ravages, et l'œil à double prunelle inspire surtout une terreur profonde; en un mot, tous les sujets sont de l'espèce la plus repoussante.» Mais à la fin, il rendait justice à Mérimée: «Il n'a épargné, dit-il, aucune peine pour bien se familiariser avec ce monde; il a montré dans son travail une heureuse habileté, et s'est efforcé d'épuiser son sujet[858].»

Goethe a-t-il sainement jugé Mérimée de 1827?

À notre avis, il le croit plus artiste et dilettante qu'il ne l'est à ce moment; il ne soupçonne pas assez le poète. Nous pensons qu'il y a plus de sincérité dans la Guzla que n'en a voulu reconnaître l'illustre vieillard. C'est pour Mérimée plus qu'un «exercice, un moyen de perfectionner son talent». La Guzla, c'est la pierre qu'apporte en convaincu, un jeune littérateur, à l'édifice que d'autres enthousiastes sont en train d'élever. Mais est-ce sa faute si son tempérament le portait à s'abstraire de ses œuvres, à ne s'y mettre en aucune façon? Si au lieu d'entasser les horreurs pour en frémir lui-même le premier, il «ressemble à un artiste qui s'amuse à essayer aussi une fois ce genre?» S'il a tout à fait en cette circonstance dissimulé son être intime?

Toutefois, et ce que Goethe a justement remarqué, pour cette même raison, Mérimée se sépare, de son premier ouvrage, des autres romantiques; il sait se contenir, ne jamais se laisser entraîner en racontant; retracer des choses horribles «avec sobriété et un parfait sang-froid comme quelqu'un de neutre et d'impassible[859]». À ces qualités il devra d'atteindre un jour à l'art impersonnel mais un peu froid qui caractérise ses nouvelles impeccables. Car, si Mérimée n'est pas plus lyrique dans la Guzla, c'est qu'il n'a pas pu l'être davantage; ne craignons pas de le répéter: il y est aussi sincèrement romantique qu'il en était capable.

Ainsi Goethe a été tenté de vieillir notre auteur, en le devinant tel qu'il sera quelques années plus tard.

CHAPITRE X

«La Guzla» en Angleterre[860].

§ 1. Mérimée et John Bowring.—§ 2. La critique de la Monthly Review. —§ 3. La critique de la Foreign Quarterly Review. «M. Mervincet.» Mrs. Shelley.

§ 1

MÉRIMÉE ET JOHN BOWRING

Dans sa préface à l'édition de 1842, Mérimée raconte que, deux mois après la publication de la Guzla, M. Bowring, «auteur d'une anthologie slave», lui écrivit pour lui demander les vers originaux qu'il avait si bien traduits.

Cette lettre, si elle a été conservée par Mérimée,—ce qui est très peu probable, car il en détruisait de beaucoup plus intéressantes, par exemple celles de ses amis Jacquemont et Stendhal[861]—a été brûlée avec tous ses papiers dans l'incendie de sa maison pendant la Commune. Ainsi nous ne l'aurons jamais et nous ne pourrons savoir quel en était exactement le contenu. Remarquons seulement que, sans nul doute, comme celle de Gerhard, elle fut adressée à Mérimée par les bons soins de la maison F.-C. Levrault.

«Deux mois après la publication de la Guzla», dit Mérimée; c'est-à-dire au commencement d'octobre 1827. À défaut d'indication précise, nous avons accepté cette date, et comme la lettre précède d'un mois la publication du premier article anglais relatif à l'ouvrage de Mérimée, nous avons voulu en parler tout d'abord.

Disons de suite que nous ne comprenons pas suffisamment,—de peur de ne le comprendre que trop,—pourquoi Mérimée a choisi cet Anglais comme un témoin de «l'immense succès» de son livre à l'étranger. Croyait-il vraiment que «M. Bowring, auteur d'une anthologie slave», représentait une autorité non seulement parmi les slavicisants de l'autre côté du détroit, mais encore parmi ceux de l'Europe entière. Nous en doutons fort. Dans une des lettres publiées par M. Chambon, Mérimée suspecte Renan de ne pas savoir son hébreu; il avait appris de son maître Stendhal à se méfier des faux savants qui pullulent en ce monde, débitant la «blague sérieuse»; aussi ne saurait-on croire qu'il fut dupe dans cette occasion et qu'il pensa qu'un traducteur anglais de poèmes slaves était un personnage autorisé à prononcer un jugement sur une prétendue traduction française de poèmes dont il ne connaissait pas l'original. Très habilement, Mérimée se garda de dire quelle était la renommée scientifique de son correspondant anglais et laissa à son naïf lecteur le plaisir de l'imaginer. C'était, de sa part, une petite mystification de plus, et elle réussit parfaitement. En effet, tous ses biographes, après nous avoir parlé du «docteur Gerhard», nous assurent que M. Bowring, érudit compétent, se laissa prendre lui aussi à la supercherie. Le plus savant des critiques contemporains anglais, M. George Saintsbury, dans le bel article sur Mérimée qu'il a écrit pour la neuvième édition de l'Encyclopædia Britannica[862], nous apprend que l'auteur de la Guzla a mystifié, entre autres, «sir John Bowring, a competent Slav scholar[863]».

Sir John Bowring (en 1827 simplement: Mr. John Bowring) n'était pas un «competent Slav scholar»; il ne fut jamais reconnu pour tel par ceux qui l'étaient. En réalité, tandis que le «juge compétent» allemand était un ancien marchand de toiles, le «juge compétent» anglais était un ancien marchand de draps.

John Bowring (1792-1872) descendait d'une vieille famille bourgeoise du Devonshire[864]. Fils et petit-fils du commerçant, sa seule ambition était de continuer à diriger une maison florissante, sans jamais abandonner le métier de ses pères. Malheureusement, les affaires n'allèrent pas comme il l'avait espéré, et un beau jour il dut renoncer au commerce. Il se tourna alors vers la politique et la littérature et, bientôt, son esprit d'entreprise et sa rare ténacité lui valurent d'estimables succès.

Dès sa jeunesse, il avait parcouru, comme courtier, l'Europe entière. Il s'attacha à l'étude des langues vivantes et apprit en quelques années, dit-on, le français, l'italien, l'allemand, l'espagnol, le portugais et le hollandais. En 1819, il passa plusieurs mois à Pétersbourg, fit de nombreuses connaissances dans le monde scientifique et littéraire russe et publia, en 1820, une Anthologie russe. Il donna un second recueil en 1823; en 1824, il publia sa traduction des romances espagnoles et bataves; trois ans plus tard, des poésies serbes et polonaises; en 1830, des chants magyars; en 1832, des chants tchèques.

Quant à la politique, il s'y fit remarquer dès 1822. Arrêté à Calais, porteur de dépêches au ministre portugais annonçant le projet du gouvernement des Bourbons d'envahir la péninsule hispanique, il fut mis en prison. Canning le fit relâcher, mais déjà compromis dans le complot pour délivrer les sergents de La Rochelle, il fut expulsé du territoire français. Il s'en vengea par un pamphlet: Détails sur l'emprisonnement et la mise en liberté d'un Anglais par le gouvernement des Bourbons (Londres, 1823). En 1830, il rédigea, au nom des citoyens de Londres, une adresse félicitant le peuple français d'avoir expulsé les Bourbons; aussi fut-il le premier Anglais reçu par Louis-Philippe après qu'il eût été reconnu par la Grande-Bretagne. Élève et ami du publiciste Jérémie Bentham, dont il exposa les principes dans la Revue de Westminster, il devint son exécuteur testamentaire et donna une édition posthume des Œuvres complètes du maître. Député de Kilmarnock en 1832, il fut nommé membre d'une commission chargée d'étudier les relations commerciales entre la France et l'Angleterre et rédigea avec Villiers un rapport remarquable sur cette question: Reports on the commercial relations between France and Great-Britain (Londres, 1835-1836, 2 vol.). Malgré ses opinions avancées, le gouvernement lui confia à plusieurs reprises la mission d'étudier les méthodes financières des divers États de l'Europe, et ses observations apportèrent un complet changement dans l'Échiquier britannique. Il fit de nouveaux voyages dans toute l'Europe, la Turquie d'Asie, l'Égypte et la Nubie. Ami de Cobden, il joua un rôle important dans l'abolition du système protectionniste; mais, ayant perdu une partie de sa fortune dans des spéculations industrielles, il abandonna la politique et fut nommé, en 1849, consul britannique à Canton; en 1854, gouverneur de Hong-Kong et créé baronnet. Ce fut lui qui provoqua la guerre anglo-chinoise. Rappelé de son poste, il négocia plusieurs fois des traités de commerce avec les divers pays étrangers et mourut le 23 novembre 1872.

* * * * *

John Bowring était un polyglotte réputé et si son nom n'est pas encore oublié, c'est surtout à cette connaissance de nombreux idiomes qu'il le doit.

Nous ne prétendons pas lui disputer ce mérite qu'il n'a du reste jamais revendiqué. Nous nous préoccupons uniquement de savoir s'il connaissait des langues slaves. Nous regrettons d'avoir à le dire, M. Bowring était un polyglotte quelque peu pressé; il voulait, en six mois, apprendre la langue des Magyars ou des Tchèques, en traduire les chefs-d'œuvre et jusqu'à en écrire l'histoire littéraire. Il va sans dire que ce manque de patience eut quelques inconvénients. C'est ainsi qu'après avoir appris le russe, le serbe et le polonais, en étudiant le hongrois[865], il classait cette dernière langue parmi les idiomes slaves[866]. Heureusement pour lui, l'ignorance en ces matières était si grande dans les pays étrangers que personne ne songea à le corriger—car personne n'aurait pu le faire. Tout au contraire, au mois d'août 1821, Raynouard consacra, dans le Journal des Savans, un long article à l'Anthologie russe[867] de Bowring et l'engagea à publier l'histoire littéraire qu'il avait annoncée: «Son goût et son talent, disait-il, garantissent d'avance le succès de cette belle entreprise[868].»

M. Bowring avait trouvé un moyen assez simple de confectionner ses versions. Le russe, il l'ignorait, ou tout au plus il n'en connaissait que l'alphabet, car, sept ans après sa première anthologie, il ne put comprendre une lettre que lui adressait Karadjitch, en cette langue; il avait besoin d'une traduction anglaise[869]. Mais il savait l'allemand et le français, et les naïfs écrivains de Pétersbourg, comme plus tard ceux de Prague, heureux de voir leurs poèmes présentés au public européen, se chargeaient de fournir à lord Bowring des traductions littérales en ces deux langues[870]. Ainsi il lui arriva une singulière aventure: il inséra dans son Anthologie russe une traduction de la Chute des feuilles de Millevoye!

Lorsqu'il connut le grand succès des Volkslieder der Serben de Mlle von Jakob, John Bowring eut idée d'éditer, lui aussi, une anthologie serbe. Il donna d'abord, dans la Westminster Review, un article sur la poésie de ces pays (juillet 1826), et, neuf mois plus tard, un recueil de chants choisis, précédé d'une longue introduction: Srpske Narodne Piesme (Servian Popular Poetry). Dans l'introduction, comme dans l'ouvrage, il cita abondamment les écrits de Karadjitch, mais il garda le silence sur la traduction allemande d'après laquelle la sienne était faite, comme il le reconnut dans une lettre de pénitent qu'il écrivit à Mlle von Jakob, mais qu'il ne rendit jamais publique[871].

Il est facile, en effet, de se rendre compte de sa dette envers la spirituelle dame allemande. Toutes ses notes, quand elles ne proviennent pas d'un article de Kopitar sur la poésie serbe et la poésie grecque[872], proviennent des Volkslieder der Serben. Sa traduction même est une reproduction fidèle de la version allemande. Là, où Mlle von Jakob, pour conserver l'allitération de l'original, avait rendu:

     Oï snachitzé, remmena roujitzé!
     [Belle-sœur, rose vermeille!]

Brudersweibchen, süsses schönes Täubchen!

Bowring traduisit littéralement:

Brothers wife! thou sweet and lovely dovelet[874]!

Croyant que Mlle von Jakob ne comprenait pas l'anglais, il voulut lui adresser un exemplaire de son livre, mais lorsqu'il eut appris qu'elle le savait aussi bien que sa langue maternelle, il attendit que les critiques eussent dit leur mot au sujet de la Servian Popular Poetry et n'envoya le livre qu'une année plus tard[875]. Il ne fut pas peu surpris de lire un jour la vérité dans l'ouvrage bien connu de Mlle Jakob: Historical View of the Slavic Languages and Literature (New-York, 1850).

M. Bowring était un amateur d'autographes et, comme la plupart des Anglais, entretenait une correspondance énorme. Il accablait de ses lettres tous les grands hommes du jour. «Les injures anonymes et signées pleuvent de tous côtés, écrivait Lamennais, dans une lettre à une de ses amies, au lendemain de la publication de l'Essai sur l'indifférence. Il m'en vient jusque d'Angleterre. Un nommé Bourring prend la liberté de m'adresser un petit pamphlet où, d'un bout à l'autre, il me représente comme une espèce de monstre, moitié âne et moitié tigre; ce qui ne l'empêche pas, chose plaisante, de finir son billet d'envoi en assurant qu'il respecte comme il doit respecter les talents, le zèle et le cœur de Monsieur l'Abbé. Que dites-vous de ce brave homme et de cette politesse anglaise[875]?»

Ce «nommé Bourring» qui irritait tant l'auteur des Paroles d'un croyant, n'était autre que l'aimable traducteur de l'anthologie russe. On a de lui en effet une petite brochure, celle dont parle Lamennais: Ultra-Catholicism in France, in a Letter to the Editor of «The Monthly Repository» (Hackney, s. d., 8 pp. in-8º)[876].

Bowring était entré en relations avec plusieurs philologues slaves distingués: Dobrowsky, Kopitar, Hanka, Karadjitch. Mais dès qu'il eut publié quelques articles en anglais, on comprit qu'il n'était pas aussi savant qu'on l'eût imaginé. Le 26 juillet 1828, Kopitar écrivait à Hanka: «Bowring non solum me ridiculum fecit, et compromisit, ac si quid fecissem pro re slavica, imo plus Dobrovio fecissem—woran kein wahres Wort ist, sed et vos omnes, utpote de nemeis querentes, praesertim vero Kollarium, quem dicit non fuisse intellectum a censore Budensi. In Ungarn kann alles in integrum restituirt, und Kollar für das kleine Vergnügen des Bowringschen Compliments blutig büssen. «Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami. Mieux vaudrait un sage ennemi», sagte schon der alte La Fontaine. Ich habe den Bowring und seine Commissionen an Dr. Rumy cedirt, ne invitus noceam amicis et bonae causae[877].»

John Bowring était assez connu à Paris. Le Moniteur annonçait son arrivée[878]. David d'Angers a fait de lui un médaillon qu'on peut voir aujourd'hui au Musée du Louvre.

Il est probable que Mérimée l'avait rencontré quelque part après la lettre dont nous avons parlé (1827) et la nouvelle édition de la Guzla (1842). Ses amis Sutton Sharpe et Edward Ellice le connaissaient[879]. Lui-même, plus tard, en 1860, dans une lettre à Panizzi, parle de sir John Bowring comme d'un homme qu'il connaît personnellement[880].

Ce qu'il y a de plus amusant dans cette histoire, c'est que, le 4 septembre 1828, Bowring écrivait à Čelakovsky pour tourner en dérision Gerhard qui avait traduit la Guzla en allemand: «Vous savez peut-être qu'une collection apocryphe a été publiée à Paris, sous le nom de la Gusla (sic); M. Gerhard en a publié à Leipzig une traduction complète comme si elle était authentique[881].»

Sans doute, Bowring était un honnête homme, mais il s'exagérait son importance et ne se rendait pas assez compte combien toutes ces petites manœuvres étaient ridicules. Son biographe nous assure gravement que sir John préparait une œuvre monumentale qui devait être publiée sous sa direction, une Histoire universelle de la poésie populaire (sic); il devait avoir pour COLLABORATEURS: Mlle von Jakob, Fauriel, Mickiewicz, etc.[882] Or, Mlle von Jakob se moquait de lui, l'appelait «dandy qui voulait être universel» et jugeait sévèrement son ignorance[883]. Nous ne savons ce que Fauriel pensait de lui, mais il est très douteux qu'il ait consenti à collaborer à cette vague entreprise. Au demeurant, c'était un excellent homme que sir John; et n'est-ce pas déjà beaucoup, pour un homme aussi affairé qu'il l'était, d'avoir su goûter comme il l'a fait, la poésie populaire[884]?

§ 2

LA CRITIQUE DE LA «MONTHLY REVIEW»

C'est sans doute sur le conseil de son ami Stendhal, collaborateur de plusieurs revues anglaises, que Mérimée adressa un certain nombre d'exemplaires de la Guzla aux bureaux de rédaction londoniens. Il ne fut pas déçu dans son espoir: trois mois après l'apparition de son ouvrage, un des périodiques britanniques les plus en renom, la Revue du Mois, lui consacra une critique de douze pages. Cet article, resté, comme tant d'autres, absolument inconnu des bibliographes de Mérimée, contient plus d'un passage intéressant et qui, même, ont un certain piquant; il prouve combien Mérimée a su exploiter la curiosité qu'on manifestait à l'étranger pour la poésie populaire[885].

«Sous le titre de la Guzla, y disait-on, un charmant petit livre vient de faire son apparition à Paris. Il a la prétention de nous donner la traduction littérale française de quelques ballades populaires illyriennes telles que, par les montagnes au Sud du Danube, au son de la guzla, les chantent, aujourd'hui encore, d'errants ménétriers.

«Cet instrument est celui dont fait mention M. Bowring dans son introduction à ses intéressants spécimens de la poésie populaire serbe, comme étant employé par les bardes de Serbie pour accompagner leurs chants.»

«Les Provinces d'Illyrie sont, en fait, comprises sous le nom de Serbie, et leurs habitants, pour diverses raisons, en sont généralement si semblables de mœurs, de coutumes, de langage, que nous nous attendions à plus d'homogénéité qu'il n'en semble exister entre les poésies populaires recueillies dans cet ouvrage et celles publiées par M. Bowring. Nous n'hésitons pas à donner notre préférence au volume que nous avons actuellement devant nous, quoique, à vrai dire, il présente à la comparaison certains désavantages. Cependant, il ne faut pas oublier que M. Bowring doit entièrement ses spécimens à un célèbre Serbe, Vouk, qui publia ses volumes dans une contrée où l'on doit tenir compte de la jalousie, et souvent aussi du caprice, enfin des craintes absurdes: une simple ballade, aussi insignifiante soit-elle, peut provoquer la colère des autorités politiques. On pourrait également faire ressortir qu'un Serbe ne saurait être le meilleur juge de celles de ces manifestations poétiques de son pays qui doivent s'imposer à l'admiration des étrangers. Mais enfin, le petit volume que nous venons de signaler est l'ouvrage d'un étranger perspicace et persévérant qui vit le ménétrier lui-même, étudia les caractères de son œuvre; il fut guidé dans le choix qu'il fit des chants traditionnels de l'Illyrie par l'impression qu'ils firent sur son propre cœur et son imagination.»

«On appréciera comme nous la compétence du traducteur (dont nous ignorons le nom) lorsque nous aurons dit que, Italien de naissance, il avait pour mère une Morlaque de Spalato dont la langue lui était familière à l'égal de la sienne.»

Après quoi, le critique cita abondamment la préface de la Guzla et la Notice sur Hyacinthe Maglanovich; il remarque toutefois que Mérimée donne de l'instrument serbe une autre description que M. Bowring. Il s'agissait de savoir si la guzla n'avait qu'une seule corde, comme le disait la traduction française, ou trois, comme le prétendait l'Anglais. Grâce à Fortis, la traduction française eut raison.

Puis le critique continuait: «Presque toutes les compositions attribuées dans ce volume à Maglanovich, y compris les effusions improvisées de sa Muse, sont particulièrement remarquables. Élevé au milieu de ces scènes de la nature si propres à exalter un tempérament poétique, il n'eût pas été surprenant de voir le barde illyrien abandonner son imagination à d'innocentes rêveries méditatives. Mais ce maître de la guzla a des dispositions plus pratiques. Ses poèmes visent à l'effet direct: hardiesse de pensée, énergie d'expression: telles sont leurs caractéristiques. Ils chantent la vengeance triomphante et la bravoure hardie. Parfois aussi ils sont d'une légèreté d'expression, avec laquelle les plus puissantes émotions de la passion ne sont pas incompatibles. Peut être, le lecteur voudra-t-il trouver dans les deux chants suivants un exemple des remarques précédentes. Le premier fut improvisé par Maglanovich sur les funérailles d'un parent, un brigand, qui trouva la mort dans une rencontre avec la police.»

Suit une traduction en prose du Chant de Mort et des Braves Heyduques, cette dernière pièce, de l'avis du critique anglais, est «d'un caractère plus puissant». «Les effets d'un pareil lyrisme sur les foules sauvages auxquelles ces chants étaient adressés, accrus surtout par le charme personnel du ménétrier, sont incalculables.» Et il poursuivait: «Après avoir, par des exemples, permis au lecteur d'apprécier le génie de Maglanovich, nous choisissons dans les autres parties du volume une ou deux pièces qui, bien que différentes par leur caractère de celles déjà données, sont encore, par leur perfection, dignes de figurer parmi les meilleures productions du barde illyrien. La ballade suivante fut tirée d'un chant de Narenta; on la dit très populaire dans le Monténégro.» C'était: Hadagny, dont il rendit en anglais la première partie, tandis qu'il analysait la seconde; puis venait la Barcarolle qu'il traduisit en vers «parce que la prose se transformait ainsi d'elle-même». Nous citerons cette traduction qui est assez heureusement tournée:

I

     Pisombo, Pisombo! the waters, to-night,
     So tranquilly sleep in the moon's soft light!
     Pisombo, Pisombo! no longer the gale
     Comes rudely to swell out our flapping sail.

II

     Pisombo, Pisombo! from each manly oar
     Now dash the white foam, that Ragusa's shore
     Pisombo, Pisombo! ere the night be past,
     In safety may welcome our lonely mast.

III

     Pisombo, Pisombo! now over the deep,
     A vigilant watch through the night we'll keep;
     Pisombo, Pisombo! for on the still sea,
     With sabres and guns roves the pirate free.

IV

     Pisombo, Pisombo! a chapel is near,
     'Tis holy St. Stephen's.—Now, good Saint, hear!
     Pisombo, Pisombo! as wearied we pray,
     For favouring breezes to speed our way.

V

     Pisombo, Pisombo! how trimly we glide!
     —If the rich Carrack, that creeps o'er the tide,
     Pisombo, Pisombo! were offered to me—
     My own loved bark, would I take her for thee?

Suivait un commentaire: «Ces extraits, qui, nous devons le dire en toute justice, n'ont pas plus de valeur poétique qu'il n'est possible d'en attribuer à presque toutes les autres compositions du volume, satisferont peut-être le lecteur, par cette hardiesse de la pensée, cette vigueur de l'expression, cette simplicité aussi, qui sont le propre de la ballade populaire et assurent aux chants illyriens une incontestable supériorité sur les œuvres des autres bardes serbes. De plus, nous ne trouvons dans les spécimens de poésie serbe de M. Bowring aucune allusion à ces deux étranges superstitions qui, de l'Adriatique à la Mer Noire, étendent leur terrible influence et d'où proviennent dans la langue illyrienne certaines tournures empreintes de tristesse.

«La première est la superstition du mauvais œil: superstition digne d'attirer l'attention, en ce que la description de ce prétendu pouvoir de fascination auquel on croit religieusement, particulièrement en Dalmatie, s'applique exactement, sans qu'on ait à y changer une phrase, à certaines croyances populaires d'Irlande. Dans l'un et l'autre pays, le pouvoir de diriger les destinées d'autrui est accordé à certaines personnes, et cela grâce à un simple regard.»

«La seconde de ces superstitions, plus répandue encore que la précédente, le Vampirisme, rencontre de nombreux croyants dans les populations de Hongrie et de Turquie; elle est heureusement ignorée dans les Iles Britanniques.»

Après avoir ainsi relevé dans la Guzla ces deux traits qui lui paraissaient si bien caractériser le véritable esprit d'un peuple particulier, le bon critique de la Revue du Mois rendait hommage à l'extrême modestie du traducteur: «Nous n'ajouterons qu'un mot pour faire remarquer cette manière toute simple et dénuée de prétention avec laquelle ce petit travail est présenté au public. Le nom même de l'auteur si industrieux, si bien informé et d'un goût si parfait, est supprimé et sans doute avec lui nombre d'anecdotes qui eussent jeté une lumière plus intense sur cette œuvre poétique. Si, comme nous croyons devoir l'y encourager, il continue la publication des ballades illyriennes, il serait à désirer qu'il le fît avec moins de discrétion que dans les pages que nous avons sous les yeux.»

Mérimée dut être flatté d'un tel compliment.

§ 3

LA CRITIQUE DE LA «FOREIGN QUARTERLY REVIEW»

Sept mois plus tard, une autre revue anglaise, spécialement consacrée aux littératures étrangères, la Foreign Quarterly, publia un article aussi long que le précédent. M. Thomas Keightley, qui en était l'auteur, écrivain assez connu par ses études sur la mythologie, crut naturellement à l'authenticité du recueil.

«Ce petit volume, disait-il, présente un certain intérêt, à la fois par sa nature et par le caractère personnel d'Hyacinthe Maglanovich; à son talent nous devons la plus grande partie de la Guzla.

«Il existe certains états de société éminemment favorables à l'éclosion de la poésie populaire, à la formation et au développement du goût pour elle. Tel était, pendant le moyen âge, l'état du peuple espagnol, des habitants des frontières anglaises et écossaises, ainsi que de la Scandinavie. Ces nations, libres et indépendantes, étaient perpétuellement engagées dans des guerres extérieures ou en proie à des luttes intestines. Le peuple, que la tyrannie et l'oppression ne courbaient pas sur la terre, était ardemment attaché par le véritable esprit féodal aux familles de ses seigneurs et s'adonnait avec passion à tout travail, à tout jeu où ceux-ci étaient mêlés. À cette époque où le commerce et l'industrie étaient peu développés, les loisirs étaient nombreux. Toutes les classes recherchaient les distractions qui pouvaient occuper le temps que n'occupaient ni la guerre, ni la chasse, ou les travaux nécessaires des champs et les soins domestiques; rien alors n'était plus goûté, si propre au but proposé, que les récits d'aventures. Les livres étaient rares et peu de gens savaient les lire: une simple histoire en prose ne satisfait d'ailleurs pas autant, ne se grave pas aussi profondément dans la mémoire que celle qu'agrémentent quelques rimes simples et leur rythme très accusé. Ce fut l'affaire de ceux qui comprirent à quelles nécessités devaient répondre les contes d'amour et de guerre, d'en rehausser l'éclat en les présentant sous une forme plus harmonieuse. Chaque langue offre quelques-unes de ces formes simples de versification auxquelles peut s'adapter presque tout genre de poésie, sans grande dépense de temps ni de patience de la part du compositeur. Rien, pour citer un exemple, n'est plus simple ni plus conforme au génie de la langue espagnole que la redondilla avec ses vers de six ou huit syllabes et ses rimes assonantes. De même, les ballades écossaises et scandinaves présentent peu de difficultés avec leurs stances de quatre vers assujettis à cette simple règle que le premier et le troisième aient quatre accents ou, pour employer le mot technique, quatre pieds de deux ou de trois syllabes, et le second et le quatrième, trois accents ou pieds du même genre, avec une rime assonante ou consonante entre eux. Une forme de versification légère et facile une fois établie, il s'ensuit naturellement qu'elle pourra exprimer presque toutes les histoires et tous les sentiments; et les nations qui possèdent le plus de ballades historiques sont aussi les plus riches en chants populaires.

«Parmi les nations que nous venons de citer, l'état de la société est maintenant si profondément transformé par l'art de l'imprimerie, le développement du commerce et de l'industrie et bien d'autres causes encore, que cette variété de l'art poétique tend à disparaître. Certes, il est encore certains poètes de talent qui composent des ballades en cette forme ancienne, mais ils le font en stances ciselées et élégantes. Ce ne sont plus des poèmes faits pour les campagnes, on les y entend rarement et ceux que le peuple chante encore sont ceux qui furent chantés à ces époques lointaines, rudes et simples comme les temps où ils virent la lumière. Pourtant, il existe encore en Europe une race d'hommes qui touche presque à cet état de société que nous venons de décrire. Tout d'abord ils sont en guerre avec les Turcs; maîtres et sujets, ces deux nations, de religions et de coutumes différentes, vivant mêlées l'une à l'autre, aujourd'hui amies, demain ennemies, présentent un tableau qui n'est pas sans ressemblance avec celui qu'a donné l'Espagne au temps des Maures. De romanesques événements survenaient incessamment; pas d'histoire ou de contes écrits ou imprimés, la poésie populaire florissait donc dans toute sa plénitude et atteignait un degré de perfection qui ne fut surpassé dans aucune autre contrée. Il est à peine besoin de dire au lecteur que le peuple auquel nous faisons allusion est cette partie de la race slave qui habite la Serbie, la Croatie, la Bosnie et la contrée qui se trouve au Nord-Est de l'Adriatique. Nous sommes aujourd'hui suffisamment familiarisés avec la poésie serbe dont de grandes parties furent traduites en français et en allemand, mais ce n'était pas la première fois que la poésie slave se faisait connaître en Europe. L'abbé Fortis, a dans son Voyage en Dalmatie et ses Observations sur les Iles de Gherso et Osero, il y a déjà bien des années, non seulement donné une description complète et soignée des mœurs et du caractère des Morlaques, mais encore publié dans ces ouvrages quelques spécimens de leur poésie populaire, en langue originale, avec une traduction en regard, que Herder rendit en allemand dans ses Stimmen der Völker in Liedern. Mais, ces dernières années exceptées, le sujet ne semble guère avoir attiré l'attention.

«Pour diverses raisons que nous ne nous arrêterons pas à énumérer, le goût de la poésie simple et naturelle du vieux temps a été réveillé, et quantité de ballades populaires sont aujourd'hui accueillies avec délices par les lecteurs cultivés. Même en France, où la muse fut si longtemps enchaînée dans les convenances poétiques de l'époque de Louis XIV, se manifestent les symptômes d'un certain progrès sur ce point aussi bien que sur les autres. Le traducteur anonyme du petit ouvrage dont nous parlons a noté cette transformation du goût public et c'est la raison pour laquelle il s'est, dit-il, hasardé à publier ces ballades illyriennes.»

Le critique, ensuite, présenta—dans la mesure où il le put—l'anonyme traducteur de la Guzla, «Italien né d'une mère morlaque». Il lui reprocha de n'avoir pas traduit les poèmes en vers italiens, beaucoup plus souples que la prose française. «Malheureusement, dit-il, quoique Italien, il n'a pas suivi l'exemple de Fortis en donnant une version italienne qui eût respecté la forme originale de ces trochées blancs illyriens, mais il en a donné une traduction en prose française, transformation dont souffre terriblement le vers le moins artificiel, car il existe un lien insaisissable, nous dirions presque mystérieux, entre le mètre et la tournure, la succession des idées, des sentiments et des images, et qui n'admet pas le divorce. Pour s'en rendre compte, le lecteur ne saurait mieux faire que de comparer la traduction qu'a donnée Fortis de La noble épouse d'Asan-Aga avec celle du présent volume.

«La poésie illyrienne, ainsi que l'on pouvait s'y attendre, offre de grands points de ressemblance avec la poésie serbe. Comme elle, elle célèbre des hauts faits d'une atroce sauvagerie et la vertu noble et héroïque. À en juger par les fragments que nous avons vus, peu de ces pièces présentent un intérêt historique; comme elles proviennent d'une nation faible, elles ne relatent pas de grandes batailles, et Thomas II, dernier roi de Bosnie, en est le seul héros de marque. Mais elles chantent en un style très fier, le courage et l'audace des heyduques (brigands) dans leur lutte contre les pandours (soldats de la police) lâches et détestés. Les superstitions sont d'un genre lugubre, les saints n'y apparaissent guère portés à des actes de bonté, le soleil et les étoiles n'y dialoguent pas avec les hommes, la Vila de la montagne y déploie à peine ses aspects merveilleux. L'horrible vampire est un fréquent acteur de ces scènes et les terreurs du mauvais œil, avec qui nos lecteurs se sont familiarisés dans un précédent article, y sont traitées de la plus sérieuse façon du monde.»

L'auteur donnait alors la biographie de Maglanovich, puis disait quelques mots des joueurs de guzla. «Nous revoyons peut-être là, dit-il, en pleine vie, dans ces pauvres chanteurs illyriens, et dans ceux de la Grèce voisine, les bardes de l'ancienne Hellade. Nous avons été conduits à donner cette silhouette d'un ménétrier illyrien par notre tendance à observer l'homme dans les transformations que lui font subir les différents états de la société, et nous considérons Hyacinthe comme un personnage peu commun.»

Pour donner un exemple de la poésie illyrienne, M. Keightley traduisit d'abord l'Aubépine de Veliko, loua la ballade et remarqua sa ressemblance avec l'Orphelin de la Chine, dont nous avons déjà parlé. «Nous croyons pouvoir affirmer, sans crainte d'être accusé de partialité, qu'un dessin aussi délicatement adapté aux parures de la langue et des vers ne saurait être surpassé par les poésies populaires d'aucun pays. La manière dont est sauvée la vie du jeune Alexis remet en la mémoire de chacun l'Orphelin de la Chine, mais la mère illyrienne atteint à un degré d'héroïsme très supérieur à celui de la dame chinoise. Encore que toutes deux soient guidées par un instinct profondément naturel: élevée dans la mollesse, au milieu d'un peuple très civilisé, l'âme d'Idamé est incapable de l'énergie d'un esprit journellement témoin d'actes sanglants et de traits d'héroïsme. Elle ressent cette folle affection pour son enfant que lui ont inculquée, en Chine, la religion et la loi, affection si forte qu'elle doit lutter longtemps même contre la loyauté. Mais Thérèse Gelin entrevit cette satisfaction toute de fierté, d'avoir purement observé les règles sacrées de l'hospitalité. Elle sait que le dernier des Veliko sera pour elle un fils et ressent ce noble désir d'un renom de vertu, cette gloire d'être le centre des regards de l'univers qui pousse l'héroïsme de Sophocle à engager sa plus timide sœur à un acte qu'elle juge être une juste et nécessaire vengeance. Nous pourrions faire ressortir bien d'autres points de ressemblance entre cette ballade et d'autres poésies, anciennes ou modernes; nous ne retiendrons que les circonstances pittoresques dans lesquelles sont suspendus les vêtements sanglants, qui, croyons-nous, se retrouveraient très semblables dans certaines romances.

«Sur le poème suivant de Hyacinthe: les Braves Heyduques, composé, dit-on, alors qu'il était membre de cette honorable confrérie, nous dirions mieux encore, et n'hésitons pas à le considérer comme l'un des plus grands efforts du plus grand poète que le monde ait jamais connu.»

Si ce dithyrambe n'alla pas tout droit au cœur de Mérimée, nous ne savons ce qui aurait pu flatter son amour-propre d'auteur. Et pourtant, est-ce par modestie? il n'en parla pas dans sa préface de 1840.

Après avoir traduit en anglais cette ballade, le critique cita une version en prose de la scène d'Ugolin, dans le but de comparer les deux histoires. «À supposer que ce merveilleux passage soit l'œuvre de quelque barde inconnu, présenté uniquement sous le lourd vêtement de prose que nous citons; peu hésiteraient à en établir la comparaison avec les fragments illyriens mentionnés. Un critique dirait sans doute: le poème illyrien est plus pittoresque, car le théâtre de l'action, une caverne dans la montagne, l'est plus qu'une tour dans une cité. Aucune circonstance, ajouterait-il, ne tend à rabaisser l'heyduque dans notre estime, le terrible silence dans lequel ils se renferment lui et sa famille, craignant même de lever la tête, est plus effrayant que les lamentations des enfants; l'introduction d'un personnage féminin et sa fermeté jusqu'au trépas accroissent l'effet; avec ces enfants qui versent des larmes en secret, en jetant un regard sur le corps de leur mère, il n'y a rien qu'on puisse mettre en parallèle dans l'autre poème. Cette folie que provoque la soif est d'une saisissante vérité, et ce regard de loup que jette l'infortuné jeune homme sur le corps de sa mère nous fait tressaillir d'horreur. Les pieux sentiments de son frère se conçoivent aisément, tandis que ceux des enfants d'Ugolin, enveloppés dans un langage théologique, expriment le sacrifice de soi-même, et sont peut-être au-dessus de leur âge. Pas une parole ne traverse la vie du vieil heyduque, il s'enfonce en un repos muet et une apparente apathie, mais de profondes pensées traversent son âme; enfin il s'élance appelant ses enfants à sa suite, et le père et ses fils tombent, mais vengés. Comme ce père est supérieur au comte aveugle qui tâte le corps de ses enfants!»

Passant à un autre sujet, le critique déclarait: «Le héros de la poésie historique de l'Illyrie est Thomas II, roi de Bosnie. Il y a, dans cette collection, un joli fragment d'un vieux poème où sa mort est décrite, et d'un autre que notre ami Hyacinthe appelle la Vision de Thomas II. Le dernier des deux poèmes nous a frappés, comme étant d'un caractère supérieur. Comme il décrit la guerre entre les Turcs et les Chrétiens, nous avons espéré y découvrir quelque analogie avec les vieilles romances espagnoles.»

Vient alors un long passage sur ces ballades bosniaques. Enfin, M.
Keightley terminait:

«Mais les pièces les plus intéressantes de ce petit volume sont peut-être les poèmes sur le vampirisme et le mauvais œil, ces extraordinaires illusions de l'imagination qui produisent tant de malheur et de misère. Les poèmes qui traitent du dernier sujet se rapprochent beaucoup des classiques grecs et latins.—Chaque passage de Théocrite et de Virgile sur l'ensorcellement des troupeaux et des chanteurs qu'admirent les critiques et qu'étudient les écoliers, pourrait trouver un équivalent dans les poèmes de la Guzla. Le vampirisme est un vieux sujet, inconnu, croyons-nous, de l'antiquité; un ouvrage sur cette question [le Traité de dom Calmet] qui en contient une très remarquable analyse, auquel le traducteur de ces poèmes lui-même rend hommage, nous remémore avec force l'ignorance, le barbarisme et la crédulité dont notre contrée même a donné nombre d'exemples dans les procès de sorcellerie, avant l'établissement des règlements qui mirent un terme à la persécution légale d'innocentes victimes accusées de ces pratiques diaboliques[886].»

Le mois suivant, cet article était résumé dans un journal littéraire allemand, l'Intelligenzblatt der Allgemeinen Literatur-Zeitung (juillet 1829, nº61, pp. 494-495). À la fin de la notice, le traducteur allemand faisait cette intéressante déclaration:

Au moment où nous écrivons ces lignes, nous lisons dans le Supplément littéraire du Morgenblatt (nº31) que ces poésies illyriennes sont simplement une mystification dans le genre de Macpherson. Un certain M. Mervincet (sic) de Paris, qui n'a jamais vu l'Illyrie, se serait plu à écrire cette petite collection. Donc, critiques, prenez bien garde désormais quand il vous arrivera quelque chose de Paris: car ce génial jeune homme—il l'est incontestablement—avait déjà mystifié le public sous le masque d'un auteur dramatique espagnol.

Mais la leçon venait trop tard pour M. Thomas Keightley, le critique de la Foreign Quarterly. Non content d'avoir loué la Guzla dans cette respectable revue, il en parla de nouveau dans un ouvrage intitulé la Mythologie féerique (The Fairy Mythology) qu'il fît paraître à Londres, en deux volumes in-12. Il y consacra un chapitre spécial à la mythologie slave (pp. 317-324), et, pour l'écrire, se documenta également dans la Servian Popular Poetry de John Bowring et dans la Guzla. Pour illustrer sa dissertation, il traduisit une des pièces de Mérimée, le Seigneur Mercure (Lord Mercury), mais il eut la franchise d'avouer qu'il ne savait pas lui-même «comment classer les êtres surnaturels de cette charmante ballade[887]».

M. Keightley ne fut pas en Angleterre la dernière dupe de la Guzla. Gustave Planche raconte que plusieurs pièces de ce recueil furent mises en vers, «presque sans altération», par Mrs. Shelley, femme de l'illustre poète. «C'est qu'en effet, dit-il, la prose de Mérimée possède dans sa contexture presque toutes les qualités de la poésie rythmée[888].» Nous avons fait de longues mais vaines recherches au sujet de cette traduction. Ni le catalogue du British Museum, ni l'article consacré à Mrs. Shelley dans le Dictionary of National Biography, ni, enfin, les deux biographies dont elle a été l'objet, n'en disent un seul mot[889]. Est-ce parce que Mrs. Shelley fut informée juste à temps qu'elle ne la publia jamais? C'est ce que nous ne saurions dire.

Environ trente ans plus tard, un anonyme anglais mettait à son tour en vers la prose de Mérimée en s'inspirant de la version allemande de Wilhelm Gerhard. Il rendit en décasyllabes blancs deux ballades de la Guzla: Hadagny (The Fatal Shot) et les Pobratimi (The Bounden Brothers), qui furent insérées dans le Chambers's Journal du 22 septembre 1855. Nous citerons seulement le commencement de Hadagny:

     There is war 'tween Ostroviz and Serral:
     Yea the swords of both the tribes are shining:
     Earth six times hath drunk the blood of heroes.
     Many a widow's tears are dried already,
     More than one gray mother sheds them still.

Ainsi en Angleterre, comme en Allemagne, Mérimée fit un assez grand nombre de dupes. Mais il n'y avait pas à cela grand mérite: ceux qu'il a trompés n'étaient pas capables d'être juges en pareille matière; ceux qui, au contraire, avaient quelque compétence eurent tôt fait de démasquer le véritable auteur. Le succès de cette mystification fut un succès facile; il n'y avait pas à se vanter d'avoir abusé des gens qui ne pouvaient que l'être et qui, en somme, ne demandaient qu'à l'être.

CHAPITRE XI

«La Guzla» dans les pays slaves.

§ 1. La traduction de Pouchkine. Lettre de Mérimée à Sobolevsky.—§ 2. Chodzko. Mickiewicz et le Morlaque à Venise. Ses relations avec Pouchkine. Son cours au Collège de France. Sa conférence sur la Guzla.

§ 1

LA TRADUCTION DE POUCHKINE

Après s'être moqué de Gerhard et de Bowring, dans sa préface de 1840, Mérimée ajoutait: «Enfin, M. Pouschkine (sic) a traduit en russe quelques-unes de mes historiettes, et cela peut se comparer à Gil Blas traduit en espagnol, et aux Lettres d'une religieuse portugaise, traduites en portugais[890].»

Cette remarque nous paraît tendancieuse, non parce qu'elle venait trois ans après la mort sensationnelle du poète russe, mais parce qu'elle insinuait pour la première fois cette «restitution aux Slaves de ce qui appartenait aux Slaves» dont nous parle M. Filon[891]. En effet, Gil Blas a été traduit mainte fois dans la langue de Don Quichotte, presque toujours par de jaloux patriotes qui ont voulu reprendre le bien ravi à la nation espagnole par le señor Le Sage[892]. Mérimée qui, dès l'époque de la Guzla, connaissait bien la littérature espagnole, n'aurait pas été étonné, s'il les avait pu lire, des louanges que lui donne son biographe:

Pouchkine traduisit plusieurs pièces [de la Guzla] en russe, comme pour rendre aux Slaves ce qui appartenait aux Slaves. Ce fait donne à réfléchir. Lorsque le génie d'une grande race, représenté par son poète le plus illustre, se reconnaît dans une manifestation littéraire, personne n'a plus le droit de mépriser cette manifestation, pas même celui qui en est l'auteur[893].

L'éminent écrivain nous pardonnera si nous sommes obligé de faire sur ce point quelques réserves. De fait, le grand poète dont il parle, non seulement ne représente pas le peuple dont la Guzla prétendait être l'expression nationale, mais lui aussi, il comprit la poésie primitive comme on la comprenait dans son temps: il fut un curieux avec plus de fantaisie que de documentation, avec plus de bonne volonté que de scrupules. Un écolier de nos jours, après quelques études historiques, même superficielles, ne ferait pas une surprenante découverte s'il nous disait que, à plus d'un point de vue, Pouchkine était dépourvu de sens critique.

Tout d'abord, il faut dire qu'il existe entre le russe et le serbo-croate autant de différence qu'entre le français et le portugais. Pouchkine, malgré quelques études du serbe, n'avait pas plus de compétence pour juger de l'authenticité de la Guzla que n'en aurait eu Alfred de Musset pour décider sur un recueil de faux folklore catalan ou romanche. Il était aussi peu renseigné sur le pays d'Hyacinthe Maglanovich que l'étaient le critique de la Monthly Review ou l'honnête M. Gerhard. Nous croyons n'étonner personne: Goethe connaissait infiniment mieux que lui le caractère et l'histoire des Slaves du Danube et de l'Adriatique[894]. Il ne faut pas oublier, non plus, que toute la famille de Pouchkine parlait exclusivement le français et qu'il débuta dans la littérature en s'essayant à imiter Molière, en français.

Ensuite, il est nécessaire de faire observer que le poète de Rouslan et Lioudmila, bien qu'il fût l'un des premiers poètes russes qui s'inspirèrent des traditions populaires, avait sur le folklore des idées aussi vagues et aussi indécises que les critiques français de 1827. Suivant son dernier biographe, M. V. Sipovsky[895], il confondait la superstition et la légende, ne se souciait pas de la provenance du récit aussi bien qu'il ignorait quelle conscience le collectionneur de ballades doit mettre dans l'interprétation de ses textes et quelle fidélité il leur doit toujours garder. Mérimée, dans l'article qu'il consacra à Pouchkine plusieurs années après avoir écrit l'Avertissement de la deuxième édition, ne se trompe pas quand il dit qu'à cette époque «le beau monde de Saint-Pétersbourg n'entendait rien aux antiquités slaves», mais il exagère en prétendant que «Pouchkine n'y apporta que la curiosité un peu méprisante d'un voyageur européen qui aborde dans une île de sauvages[896]». Pouchkine, au contraire, ne manqua jamais de sympathie, d'enthousiasme même, pour la tradition populaire; l'information seule lui fit défaut, du moins dans ses premiers poèmes. Tandis que son ami Joukovsky, au lieu de recueillir de la bouche des paysans les chansons populaires russes, les RETRADUISAIT d'après la traduction française de la princesse Zénaïda Wolkonska[897], Pouchkine, tout simplement, inventait lui-même ses contes, quand, toutefois, il ne s'adressait pas au chevalier Parny. En effet, on conteste aujourd'hui l'origine populaire de Rouslan et Lioudmila; on a même trouvé des morceaux des Chansons madégasses intercalés dans la Fontaine de Bakhtchi-Saraï et qui devaient y mettre de la couleur… tartare! S'inspirant de Byron, Pouchkine chante les vampires dans ce dernier poème, tandis que la poésie populaire les ignore totalement[898].

Ces remarques faites, nous pouvons aisément comprendre que le poète russe se soit laissé mystifier par le littérateur parisien[899].

Pouchkine s'intéressait très vivement aux Serbes; ce fut une des principales raisons qui lui firent traduire la Guzla. La lutte héroïque contre la domination turque (1804-1815) avait fait sur lui presque autant d'impression que la révolution grecque en avait fait sur Byron[900]. En 1818, des propos imprudents l'ayant forcé à prendre du service à la chancellerie du général-gouverneur de la Bessarabie, il trouva dans cette province de nombreux émigrants serbes, chefs de l'insurrection de Kara-Georges. À Kichéneff, il fréquenta le général Inezoff, «ministre de la colonie bulgare», chez qui l'on rencontrait les voïvodas: Voutchitch, Nénadovitch, Jivkovitch[901]. Il put y entendre chanter des guzlars et s'informa de la traduction qui convenait aux expressions serbes[902]. Plus tard, à Odessa, il fut l'ami d'une famille dalmate, les Riznitch, qui l'initièrent aux mœurs Spartiates des Monténégrins[903].

Le souvenir de Kara-Georges massacré brutalement par les pandours, en 1817, était encore vivant. Le caractère romanesque de cet homme de génie, libérateur de son peuple et assassin de sa famille, avait captivé Pouchkine. Le 5 octobre 1820,—sept ans avant la Guzla,—il écrivit sa poésie À la fille de Kara-Georges.

            … Guerrier de la liberté,
     Couvert du sang sacré,
     Ton sublime père, criminel et héros,
     De l'horreur et de la louange digne tout à la fois[904].

C'est dans ce milieu serbe, on n'en peut douter, que Pouchkine prit connaissance du recueil de Karadjitch, dont il traduisit tant bien que mal trois chansons: le Rossignol[905], les Frères et la sœur et le commencement de la Triste ballade[906]. Il composa même, en 1832, deux prétendues chansons serbes: le Chant de Georges le Noir et le Voïvoda Miloch, où il célèbre ces deux chefs d'insurrection, d'après les données historiques qui lui avaient été fournies par des émigrants serbes[907].

De retour à Pétersbourg, en 1826, Pouchkine garda toujours le souvenir de ses amis de Kichéneff, à la stature martiale, armés de pistolets et de yataghans, ces voïvodas moustachus et réservés dont il avait imaginé plutôt qu'il n'avait compris le caractère. Aussi nous pouvons penser avec quel plaisir, disons avec quelle avidité, «le Byron russe» goûta les savoureuses ballades qu'offrait le modeste traducteur strasbourgeois; elles venaient lui révéler, croyait-il, l'âme de ces héros danubiens, ces primitifs qu'il avait vus, dont il se souvenait et qu'il regrettait de n'avoir pu connaître davantage. P. V. Annenkoff l'a déjà remarqué[908], de onze ballades de la Guzla que Pouchkine a traduites[909], cinq chantent les luttes des Serbes contre les Turcs et l'une, la sixième, les Monténégrins, la lutte contre Napoléon. C'est que le poète russe fut, sans le savoir, l'un des premiers apôtres du panslavisme et qu'il voulut, par sa sympathie pour l'indépendance des Slaves balkaniques, imiter en quelque sorte son maître anglais qui était tombé si glorieusement en combattant pour l'indépendance hellénique. Les guerres intestines, les vendettas, les histoires du mauvais œil, l'intéressèrent évidemment beaucoup moins que les récits des nobles exploits des Christich Mladin et des Thomas II.

Aussi ses versions sont-elles plutôt des adaptations que de simples traductions. Pouchkine croit à l'authenticité de ces poésies, il en est enchanté; mais les juge-t-il bizarres en quelque endroit, trouve-t-il un détail qui lui paraît mal peindre cette nation-sœur qu'il ignorait, il abrège, coupe, taille, efface, ajoute, retouche ou polit. Il change les noms: Constantin Yacoubovich devient Marko Yakoubovitch, sa femme Miliada—Zoïa[910]. Il invente même des localités et introduit dans le Chant de Mort un village nommé Lisgor dont personne n'a jamais entendu parler. Son Hyacinthe Maglanovich ne vante plus ses talents de poète et n'exploite plus son auditoire par des ruses indignes d'un barde national. Toute cette scène scabreuse entre la belle Hélène et Piero Stamati,—cynisme inconscient des primitifs, croyait Mérimée,—est résumée habilement en six vers; l'allusion à la grossesse de la jeune femme dont nous parle le Chant de Mort est simplement supprimée. Au contraire, Pouchkine rencontre-t-il un trait «slave», «orthodoxe», voire même «cosaque», il le dégage davantage, le met en lumière et le souligne. «Bois mon sang, Christich, et ne commets pas un crime», dit le cadet des fils du vieil heyduque Christich Mladin, remarquant que son frère regardait le cadavre de leur mère «avec des yeux comme ceux d'un loup auprès d'un agneau[911]». Pouchkine adoucit l'atrocité des termes qu'emploie Mérimée et traduit: «Cher frère, bois mon sang brûlant. Ne perds pas ton âme!» Dans une autre ballade, lorsque le roi de Bosnie, le parricide Thomas II, va visiter à minuit l'église de son château où il voit une lumière étrange et entend résonner les tambours et les trompettes, «d'une main ferme il a ouvert la porte, dit Mérimée, mais quand il vit ce qui était dans le chœur, son courage fut sur le point de l'abandonner: il a pris de sa main gauche une amulette d'une vertu éprouvée, et plus tranquille alors, il entra dans la grande église de Kloutch[912]». Pouchkine christianisa, ou plutôt russifia, la dernière partie de la phrase: «Son cœur est engourdi d'horreur, mais il dit la grande prière, et entre tranquillement dans l'église de Dieu

Mérimée enviait aux écrivains russes la concision de leur langue[913]. Lui, qui était la concision même, savait mieux que personne jusqu'à quel point un écrivain français peut condenser sa phrase. Eh bien! nous croyons que le jour où il lut ses ballades illyriques dans les Œuvres complètes de Pouchkine,—car, après tout, il a dû les lire,—il s'en rendit compte une fois de plus. Nous ne trouvons pas, comme le fait le critique Annenkoff, la traduction russe de la Guzla plus expressive que l'original français[914], mais nous pensons ne pas nous tromper en disant qu'elle garde toute la précision de l'original là même où le traducteur l'a dépouillée de ce qu'il a jugé n'être pas nécessaire. Dans le Morlaque à Venise, le soldat expatrié se plaint de cette grande ville maudite: «Les femmes se rient de moi quand je parle la langue de mon pays, et ici les gens de nos montagnes ont oublié la leur[915].» Les gens de nos montagnes, Pouchkine le rend par un seul mot: nachi (les nôtres), et ce mot qui, à cette place, exprime à la fois plus d'amertume et plus de nostalgie que n'en contient la périphrase de Mérimée, ne le cède pas en clarté à celle-ci.

Le souffle vif et puissant d'un poète qui n'a pas honte de son émotion, remplace dans cette traduction l'impassibilité voulue de l'écrivain français. On y sent passer comme la main d'un nouveau maître pour rehausser les effets de ces ballades qu'on croyait déjà parfaites. Car il ne faut pas oublier que la prose de Mérimée se transforme chez Pouchkine tantôt en décasyllabes blancs qui coulent lentement, larges et réguliers, avec une dignité épique[916], tantôt en strophes courtes et rapides agrémentées de rimes qui résonnent clairement de vers en vers[917].

Pouchkine fit ces traductions entre l'automne 1832 et le printemps 1833, mais il ne les publia que deux années plus tard, dans une revue de Saint-Pétersbourg, la Bibliothèque de Lecture[918]. Quelques mois après cette publication, il les inséra au tome IV de ses Poésies, en y joignant un certain nombre de notes et une très intéressante préface[919]. Le poète russe reconnaissait avec une entière bonne foi qu'il avait cru à l'authenticité de ces ballades avant d'avoir entrepris son travail, mais qu'il avait appris plus tard qui en était le véritable auteur. Du reste, il le présenta à son public:

Ce collectionneur anonyme n'était autre que Mérimée, cet écrivain fin et original, l'auteur du Théâtre de Clara Gazul, de la Chronique du règne de Charles IX, de la Double méprise et d'autres productions des plus remarquables[920] dans la littérature française actuelle, si profondément et si piteusement tombée en décadence.

Puis il raconta comment il avait été renseigné sur l'origine de ce prétendu recueil illyrique: «J'ai voulu savoir exactement, dit-il, d'où provenait la «couleur locale» de ces poèmes. À ma prière, mon ami S. A. Sobolevsky, qui connaît Mérimée personnellement, lui écrivit à ce sujet. Il en reçut la réponse suivante:

Paris, 18 janvier 1835.

Je croyais, Monsieur, que la Guzla n'avait eu que sept lecteurs, vous, moi et le prote compris; je vois avec bien du plaisir que j'en puis compter deux de plus, ce qui forme un joli total de neuf et confirme le proverbe que nul n'est prophète en son pays. Je répondrai candidement à vos questions. La Guzla a été composée par moi pour deux motifs, dont le premier était de me moquer de la couleur locale dans laquelle nous nous jetions à plein collier vers l'an de grâce 1827. Pour vous rendre compte de l'autre motif, je suis obligé de vous conter une histoire. En cette même année 1827, un de mes amis et moi nous avions formé le projet de faire un voyage en Italie. Nous étions devant une carte traçant au crayon notre itinéraire. Arrivés à Venise, sur la carte s'entend, et ennuyés des Anglais et des Allemands que nous rencontrions, je proposai d'aller à Trieste, puis de là à Raguse. La proposition fut adoptée, mais nous étions fort légers d'argent et cette «douleur nompareille», comme dit Rabelais, nous arrêtait au milieu de nos plans. Je proposai alors d'écrire d'avance notre voyage, de le vendre à un libraire et d'employer le prix à voir si nous nous étions beaucoup trompés. Je demandai pour ma part à colliger les poésies populaires et à les traduire; on me mit au défi, et le lendemain j'apportai à mon compagnon de voyage cinq ou six de ces traductions. Je passai l'automne à la campagne. On déjeunait à midi et je me levai à dix heures; quand j'avais fumé un ou deux cigares, ne sachant que faire, avant que les femmes ne paraissent au salon, j'écrivais une ballade. Il en résulta un petit volume que je publiai en grand secret et qui mystifia deux ou trois personnes. Voici les sources où j'ai puisé cette couleur locale tant vantée: d'abord une petite brochure d'un consul de France à Banialouka. J'en ai oublié le titre, l'analyse en serait facile. L'auteur cherche à prouver que les Bosniaques sont de fiers cochons, et il en donne d'assez bonnes raisons. Il cite par-ci par-là quelques mots illyriques pour faire parade de son savoir (il en savait peut-être autant que moi). J'ai recueilli ces mots avec soin et les ai mis dans mes notes. Puis j'avais lu le chapitre intitulé Dei costumi dei Morlacchi dans le Voyage en Dalmatie de Fortis. Il a donné le texte et la traduction de la complainte de la femme d'Asan-Aga[921], qui est réellement illyrique; mais cette traduction était en vers. Je me donnai une peine infinie pour avoir une traduction littérale en comparant les mots du texte qui étaient répétés avec l'interprétation de l'abbé Fortis. À force de patience, j'obtins le mot à mot, mais j'étais embarrassé encore sur quelques points. Je m'adressai à un de mes amis qui sait le russe. Je lui lisais le texte en le prononçant à l'italienne, et il le comprit presque entièrement. Le bon fut que Nodier qui avait déterré Fortis et la ballade d'Asan-Aga, et l'avait traduite sur la traduction poétique de l'abbé, en la poétisant encore dans sa prose, Nodier cria comme un aigle que je l'avais pillé. Le premier vers illyrique est

Sclo se bieli u gorje zelenoj

Fortis a traduit:

Che mai biancheggia [là] nel verde bosco.

Nodier a traduit bosco par plaine verdoyante; c'était mal tomber, car on me dit que gorje veut dire colline. Voilà mon histoire. Faites mes excuses à M. Pouchkine. Je suis fier et honteux à la fois de l'avoir attrapé, etc.

Cette lettre, reproduite presque dans toutes les éditions du poète russe, est restée inconnue des mériméistes français[922]; nous croyons qu'il n'était pas superflu de la donner en entier, bien que nous en ayons déjà cité plusieurs passages. Remarquons toutefois qu'elle paraît avoir eu une suite que Pouchkine n'imprima pas, parce qu'elle n'avait pas trait à la Guzla. À Paris, Mérimée avait souvent soupé en compagnie de Sobolevsky[923],—qu'il appelait Boyard[924];—il est probable qu'il lui envoya à cette occasion les derniers potins de la capitale. Sans nul doute, nous lirons une collation nouvelle et complète de cette lettre dans l'édition définitive des Œuvres de Pouchkine que publie en ce moment l'Académie Impériale russe. Pour l'instant, contentons-nous de constater que, même après avoir été si bien informé sur le caractère fictif d'Hyacinthe Maglanovich, le poète d'Eugène Oniéguine, réimprimant la Notice de Mérimée, reconnut avec une parfaite loyauté: «J'ignore si Maglanovich a jamais existé. Quoi qu'il en soit, les dires de son biographe ont un charme extraordinaire d'originalité et de vraisemblance[925].»

Pour conclure, nous pourrions dire que Pouchkine n'a pas eu tort de traduire les ballades de ce barde imaginaire, et de les publier. Il n'était point un érudit, lui, et n'avait pas à compromettre sa science. Il était poète et, comme il avait trouvé la poésie dans ces ballades, qui le blâmera d'avoir su leur donner ce qui leur manquait pour être de vrais poèmes: la forme du vers? Il était artiste aussi, qui lui reprochera d'avoir su serrer davantage les récits déjà si condensés de Mérimée, d'avoir mis plus de couleur sur des dessins qui pouvaient sembler parfaits[926]?

§ 2

CHODZKO-MICKIEWICZ ET «LE MORLAQUE À VENISE

Pouchkine ne fut pas le seul poète slave qui prit la Guzla pour une collection de chants serbes authentiques. Trois ans avant lui, un jeune Polonais qui devait plus tard enseigner les littératures slaves au Collège de France, mais qui, à l'époque dont nous parlons, n'était que l'auteur de quelques poésies qui avaient fait concevoir les plus hautes espérances, Alexandre Chodzko, s'enthousiasma pour la beauté sauvage des ballades de Mérimée et en traduisit trois en vers polonais, dans un volume de ses poésies édité à Saint-Pétersbourg en 1829[927].

Vers la même époque, un compatriote et ami de Chodzko, bien plus célèbre poète celui-là, Adam Mickiewicz, se fit également l'admirateur de la Guzla. Il s'efforça de rendre en polonais le Morlaque à Venise, cette peinture délicate des mélancolies d'un Slave attiré à la grande ville, qui regrette son pays natal «comme une fourmi jetée par le vent au milieu d'un vaste étang».

M. Louis Leger qui, le premier en France, a parlé de cette traduction, nous en explique ingénieusement l'origine. «Le Byron catholique de la Pologne» se trouvait alors loin de sa chère Lithuanie, exilé dans une Venise du Nord, à Moscou (1825-1828), et il «devait éprouver une sorte d'amère volupté à mettre en vers des stances qui répondaient si bien à l'état de son âme[928]». Pendant toute sa vie de Chrétien errant, Mickiewicz fut tourmenté par le mal du pays; son plus beau poème, Messire Thaddée, débute par cette touchante apostrophe:

Lithuanie, ô ma patrie, tu es comme la santé. Combien il faut l'apprécier, celui-là seul le sait qui l'a perdue. Aujourd'hui, je vois et je décris ta beauté dans tout son charme, car je soupire après toi[929].

Dans ce Livre du pèlerin polonais dont le style biblique a inspiré les Paroles d'un croyant, le poète ne regrette pas moins le sol natal qu'il ne plaint sa nation malheureuse. La nostalgie du jeune Morlaque de Mérimée devait donc tout naturellement lui plaire; il n'est pas étonnant qu'il ait voulu l'exprimer en vers polonais.

Observons toutefois que cette traduction n'est pas sans rapports avec celle de Pouchkine[930]. À Moscou, Mickiewicz était entré en relations avec plusieurs écrivains russes en renom: les deux frères Polevoï (qui rédigeaient ensemble une revue intitulée le Télégraphe, dont le rôle peut être comparé à celui du Globe de Pierre Leroux), les poètes Boratynsky, Vénévitinoff, Pouchkine, Pogodine, le prince Viazemsky, qui tous admiraient son talent prodigieux. Dans ce milieu romantique, Mickiewicz constatait avec douleur le retard de la littérature polonaise sur celle dont Pétersbourg et Moscou étaient les principaux foyers. Les classiques de Wilna et de Varsovie, attachés à l'imitation de Delille et de Voltaire, n'avaient pas encore déposé les armes, tandis qu'en Russie la victoire de la jeune école était presque complète sur toute la ligne[931].

Mickiewicz lia plusieurs amitiés intimes dans ce pays des «Moscals» qu'il maudira si noblement, quelques années plus tard, après la sanglante répression de la Révolution polonaise. Il y avait notamment entre Pouchkine et lui une communauté singulière de pensées et d'aspirations: tous deux ils avaient le même amour de la liberté, le même culte pour Byron, et ils étaient tous deux considérés dans leurs pays respectifs comme les chefs de l'école romantique. «Pouchkine est à peu près de mon âge, écrivait Mickiewicz à son ami Odyniec (mars 1826), il a lu beaucoup et bien, il connaît les littératures modernes, il a des idées élevées sur la poésie.»—«Pouchkine, raconte Polevoï, apprécia Mickiewicz dès leur première rencontre et montra pour lui la plus grande déférence. Habitué à dominer dans le cercle de nos littérateurs, le poète russe était d'une modestie extraordinaire en présence de Mickiewicz; évidemment il s'efforçait de l'exciter à parler, et quand il exprimait lui-même une opinion, il se tournait vers lui pour obtenir l'approbation du maître. En réalité, Pouchkine, ni par l'éducation, ni par la largeur de l'érudition, ne pouvait se comparer à Mickiewicz. Il l'avouait lui-même avec une sincérité qui est toute à sa gloire… Un soir, dans une réunion donnée en l'honneur du poète russe, Mickiewicz improvisa. Pouchkine se leva brusquement de son siège et, se prenant aux cheveux, il se mit à courir par la salle en criant: «Quel génie! Quel feu sacré! Que suis-je auprès de lui[932]!»

Aussi ce fut pour Pouchkine une consolation de n'avoir pas été la seule dupe de Mérimée; il se trouvait en bonne compagnie. Dans la notice qui précède les Chants des Slaves occidentaux, il raconte, en effet, qu'il avait consulté Mickiewicz à propos de la Guzla. «Ce poète était, dit-il, un critique clairvoyant et un délicat connaisseur de la poésie slave; il ne doutait pas de l'authenticité de ces chants. Un érudit allemand avait même écrit là-dessus une dissertation considérable[933].» Il avait donc bien le droit, lui, de s'y être trompé, quand ces écrivains qu'il jugeait compétents s'y étaient laissés prendre.—En réalité, ces prétendus connaisseurs étaient aussi ignorants que lui; la «dissertation» de «l'érudit allemand» n'existe pas et n'a jamais existé; et Mickiewicz ne fut jamais un critique autorisé en matière de poésie serbo-croate. Du reste, nous en parlerons tout à l'heure.

Il conviendrait, en effet, de dire auparavant quelques mots de sa traduction du Morlaque à Venise. Malheureusement, notre connaissance imparfaite du polonais ne nous permet pas de nous étendre longuement. Le vers nous paraît être très harmonieux, mais l'ensemble offre-t-il quelque chose de remarquable? nous ne le savons pas. Toutefois, il est visible qu'à l'inverse de Pouchkine, Mickiewicz suit de très près son modèle; il traduit scrupuleusement, comme on doit traduire la véritable poésie populaire; à moins d'erreur de notre part, sa version est fidèle et, par conséquent, aussi impersonnelle que possible. Il est facile de s'en rendre compte en comparant la prose de Mérimée à celle de Christian Ostrowski, qui a RETRADUIT en français le Morlaque à Venise, dans sa traduction des Œuvres poétiques de son grand compatriote[934].

Un des biographes de Mickiewicz, M. Piotr Chmielowski, affirme que le Morlaque fut mis en vers en 1828[935]. Nous ne savons ni où, ni quand cette traduction fut publiée pour la première fois. Le plus ancien texte que nous en connaissons est de 1844: Morlach w Wenecyi (z serbskiego); il se trouve aux pages 127-129 du tome IV des Pisme Adama Mickiewicza (Poésies), na nowo przejrzane, Paryz, w drukarni Bourgogne et Martinet, przy ulicy Jacob, 30.

Mais revenons à notre poète, autorité en matière de poésie serbo-croate. M. Leger remarque très justement que Pouchkine avait raison de regarder Mickiewicz comme un très grand poète, mais qu'il avait tort de le considérer comme un bon connaisseur de la poésie serbe. Toutefois, M. Leger se trompe quand il dit que «Mickiewicz ignora toujours la réponse de Mérimée à Pouchkine» et qu'il ne sut jamais qui était le véritable auteur du Morlaque[936]. S'il est vrai que dans une édition de ses œuvres publiée à Varsovie en 1858 (trois ans après la mort de l'auteur), le Morlaque à Venise figure encore comme une pièce «traduite du serbe», il est également vrai que, dès 1841, le poète polonais avait parlé de la Guzla comme d'un ouvrage apocryphe. C'est de cette appréciation que nous voulons dire quelques mots.

* * * * *

Par un arrêté ministériel du 8 septembre 1840, Mickiewicz fut nommé chargé de cours au Collège de France. Qu'on nous pardonne un léger détour; cela nous permettra de mieux comprendre à quel étrange professeur avaient affaire les auditeurs du Collège de France, combien il s'entendait aux matières dont il traitait et combien peu il s'en souciait. Il habitait depuis dix ans Paris, mais occupait au moment de cette nomination la chaire de littérature latine à l'Académie de Lausanne. Ses amis français, notamment Paul Foucher (beau-frère de Victor Hugo), avaient organisé une véritable campagne en sa faveur auprès de Victor Cousin, alors ministre de l'Instruction publique. À la suite de ces démarches, une chaire des langues et des littératures slaves fut créée à Paris, la première de ce genre en Europe. Dans l'exposé des motifs du projet de loi pour cette création, présenté à la Chambre des députés, le ministre disait:

Les poésies primitives marquées de la grandeur et de la naïveté des mœurs héroïques, des épopées, des odes, des pièces de théâtre… un passé plein de grandes choses et de grands noms, Lazare, Huniade, Étienne Batory (sic), Sobieski, Pierre Ier, tout cela formerait la matière d'un enseignement tel qu'il convient d'en doter le Collège de France[937].

Le 22 décembre 1840, le poète ouvrit son cours avec un certain éclat. La salle était beaucoup trop petite pour contenir les auditeurs. Comme aux cours de Michelet et de Quinet, les notabilités littéraires se donnaient à l'envi rendez-vous à celui de Mickiewicz; J.-J. Ampère, professeur des littératures du Nord, à peine descendu de sa chaire, venait à son tour, bénévole auditeur, s'asseoir parmi ses élèves, et «prodiguer à son successeur les témoignages d'une sincère et non-équivoque admiration[938]»; Montalembert, M. de Salvandy, Michelet, Sainte-Beuve, George Sand, tels étaient les personnages qui venaient «s'emparer, au nom de la civilisation, de ce nouvel hémisphère de la pensée que le savant polonais était chargé de lui découvrir[939]». Dans un de ces élégants portraits qu'a tracés Louis de Loménie, on retrouve une page excellente relative à ce sujet:

La diction de M. Mickiewicz, bien que difficile et hésitante, n'en a pas moins un charme extrême: d'abord elle est très nette, très claire, très pure, quoique originale dans son étrangeté. Le mot arrive lentement, mais il arrive. Il y a surtout quelque chose de singulièrement attrayant à entendre ces vieux chants polonais, russes, bohémiens ou serbes, qui vous arrivent reproduits dans toute leur rudesse et leur simplicité homérique, à travers une parole étrange, cadencée, abrupte et pittoresque. La personne même du professeur est en harmonie avec son sujet: s'il y a du contemporain dans ce regard profond et dans cette physionomie triste et rêveuse, il y a aussi du vieux Slave dans ces traits anguleux, dans cette bouche proéminente et sillonnée aux deux coins, dans cette voix aux brusques intonations, dans cette figure constamment impassible au milieu de l'hilarité provoquée par telle ou telle naïveté d'un héros bohémien ou russe du Xe siècle… Comme il faut toujours un peu de critique, je dirai que le professeur me semble se perdre un peu dans les innombrables détails de son sujet… Dans ce champ si vaste des littératures slaves, il me paraît glaner çà et là, à l'aventure; l'auditeur aurait besoin, pour se retrouver, d'un fil d'Ariane; un peu plus de méthode ne nuirait pas, à mon avis, et l'on se prend parfois à regretter ces vues larges, ce coup d'œil synthétique des premières leçons[940].

Ces conférences provoquèrent un profond intérêt dans tous les pays. On en fit des traductions en allemand, polonais, russe, italien, et la British and Foreign Review leur consacra un long article (octobre 1844).

Malheureusement, ce succès ne dura pas longtemps. Tout d'abord, les compatriotes de Mickiewicz, qui formaient la plus grande partie de l'auditoire, ne tardèrent pas à reprocher au poète «d'être panslaviste, de transformer l'histoire en un poème, de trop parer les légendes historiques des couleurs de son imagination, d'y mêler trop de religion et de présenter l'histoire telle qu'elle devrait être et non telle qu'elle est en réalité[941]». Ensuite, vers 1843, Mickiewicz tomba sous l'influence néfaste d'un pseudo-prophète mystique nommé Towianski, personnage bizarre qui prétendait régénérer le christianisme et la société contemporaine à laquelle il promettait la venue d'un nouveau Messie. Mickiewicz, qui eut de grands chagrins domestiques à cette époque,—sa femme, gravement malade, avait dû entrer dans une maison de santé,—fut en proie à de véritables hallucinations, et ses amis voyaient avec peine quel triste rôle lui faisait jouer le Maître illuminé[942]. La chaire des littératures slaves au Collège de France fut érigée en tribune messianiste où le professeur-poète développait, dans un style apocalyptique, des théories socialistes et humanitaires et faisait une critique acerbe des gouvernements monarchiques tout en prêchant un culte singulier de Napoléon Ier. «L'auditoire du Collège de France, dit l'historien de cette chaire, devint le théâtre de scènes étranges: des hommes sanglotaient, des femmes s'évanouissaient[943].» On distribuait des lithographies représentant Napoléon dans le costume d'un rabbin israélite, pleurant sur la carte de l'Europe. «Un jour, le professeur déclare qu'il ne prépare plus ses leçons et qu'il compte uniquement sur le secours de l'Esprit qui les lui dicte[944].»

Le gouvernement de Louis-Philippe s'émut, et, devant la protestation du clergé catholique, le prophète Towianski fut expulsé de France. Mickiewicz, sous la pression de Villemain, ministre de l'Instruction publique, demanda et obtint un congé qui dura plusieurs années[945]. Un jeune Français déjà connu par ses travaux, Cyprien Robert, le remplaça (1844).

* * * * *

Or, le vendredi 19 mars 1841, au moment où Mérimée préparait la deuxième édition de son livre, Mickiewicz dans son cours parla de la Guzla. C'était au début même de son enseignement. Il s'efforçait alors d'observer vis-à-vis de tous les Slaves la neutralité scientifique qu'il avait promise à M. Cousin[946]; aussi se proposa-t-il de jeter dans son introduction un coup d'œil synthétique sur le monde slave, exposé très clair et assez exact. De fait, les premières leçons de Mickiewicz, surtout celles qui traitent de la poésie serbe, sont ce qu'il y a de mieux dans les cinq gros volumes de son cours[947]. Mickiewicz, il est vrai, ne connaissait pas le serbe et ses conférences furent préparées sans études approfondies. Vingt jours avant l'ouverture du cours, il écrivait au baron d'Eckstein la lettre que voici:

Ce mercredi, 2 décembre 1840.

Monsieur le baron,

Avez-vous eu la bonté et la patience de chercher parmi vos livres la traduction allemande des chants populaires serbes? J'espère que vous me pardonnerez de vous importuner ainsi; j'ai grand besoin de cette traduction et je ne sais où la trouver. Je passerai chez vous samedi avant midi, si vous pouvez et voulez me recevoir.

ADAM MICKIEWICZ[948].

M. d'Eckstein, probablement, ne trouva pas dans sa bibliothèque l'ouvrage demandé car, le 25 décembre de la même année, Mickiewicz adresse une semblable prière à son ami Bohdan Zaleski, poète polonais très distingué et traducteur de plusieurs chansons serbes[949]; suivant M. Wladislaus Nehring, ce fut lui qui fournit à Mickiewicz tous les matériaux nécessaires à ses leçons sur la poésie populaire serbe[950].

Quoi qu'il en soit, le nouveau professeur crut devoir prévenir ses auditeurs que la vraie poésie serbo-croate, dont il parlait, diffère complètement de cette prétendue traduction de l'illyrien parue sous le nom de la Guzla. «Ceux qui ne connaissent pas la langue slave (sic), disait-il, et qui voudraient lire en entier les poèmes que j'ai cités par fragments, peuvent en prendre connaissance dans la traduction anglaise de M. Bowring, mais surtout dans celle faite en allemand par Mlle Thérèse Jakob, sous le nom de M. Talvj, traduction incomplète, il est vrai, mais très fidèle. En France, l'auteur connu du Théâtre de Clara Gazul publia, de 1825 à 1827 (sic) en gardant l'anonyme, une collection de poésies slaves. Cette collection causa une certaine sensation dans les pays du Nord. L'auteur prétendait connaître parfaitement la langue illyrienne. Il disait avoir parcouru le pays, et surtout avoir consulté un célèbre rapsode slave, Maglanovich, dont il donnait le portrait et la biographie. Dans ce recueil, excepté la ballade sur la Noble femme de Hassan-Aga, toutes les pièces paraissaient inédites. Les poètes slaves, ne pouvant pas se procurer les originaux, commençaient à traduire, ou plutôt à retraduire en slave cette traduction française. Cependant on voyait dans l'ouvrage français certains caractères étrangers à la poésie slave, entre autres des histoires très longues de revenants et de vampires, qui ne sont pas du domaine de la poésie, mais plutôt des contes populaires. Cette remarque excita nos soupçons. Le célèbre poète russe Pouchkine fit alors écrire à l'auteur français pour lui demander des renseignements sur sa découverte.»

Le reste du récit est une paraphrase de la lettre de Mérimée à Sobolevsky, ce qui prouve que Mickiewicz était fort au courant de toute cette histoire. «L'auteur français avoua naïvement la fraude, continuait-il. Il dit qu'il avait l'intention d'entreprendre un voyage dans les pays slaves; mais que d'abord il avait voulu essayer, par un récit fantastique, de se procurer les fonds nécessaires, sauf plus tard, après avoir vu le pays, à rectifier les erreurs dans lesquelles il n'aurait pu manquer de tomber. Un autre motif l'avait aussi guidé dans sa publication: il avait voulu se moquer de l'engouement momentané que l'on montrait alors pour la couleur locale. En effet, lors de cette publication frauduleuse, la guerre entre les romantiques et les classiques était dans toute sa force. Le monde à la mode s'occupait de la poésie populaire; les publications de M. Fauriel excitaient un enthousiasme général. Une tourbe d'imitateurs se jeta dans ce genre et en abusa tellement que, plus tard, on n'a pas voulu même croire à l'existence de la poésie slave. Peut-être est-ce la cause du mauvais succès des traductions véritables qu'on a publiées plus tard, entre autres de celle de Mme Voïart, qui est très fidèle, quoiqu'elle fût faite d'après la traduction allemande de Thérèse Jakob[951].»

Mais ces réflexions venaient un peu tard et n'excusaient pas la méprise de Mickiewicz à propos du Morlaque à Venise. Aussi, pour conclure, pourrions-nous dire que, si la traduction polonaise de cette ballade n'a rien ajouté à la gloire de l'illustre poète, elle nous montre cependant, d'une façon très significative, jusqu'à quel point les Slaves s'ignorent entre eux. Nous pourrions ajouter également que cet état de choses, hélas! ne s'est pas amélioré beaucoup depuis l'époque de Mickiewicz. À l'exception de quelques érudits isolés, les peuples slaves se méconnaissent toujours[952].

CONCLUSION

I

Arrivé au terme de notre étude, reprenons et résumons en quelques pages, pour les mettre une dernière fois en lumière, les principaux aspects sous lesquels nous avons voulu envisager Mérimée et son recueil de ballades illyriques.

* * * * *

Et d'abord, il nous faut insister sur cette humeur inconstante, sur ce goût de vagabondage qui lui fait fuir le triste spectacle d'une vie qui lui paraît banale. Il est avide de sensations nouvelles; le pays où il se trouve attaché est trop petit pour lui; ainsi que ces Anglo-Saxons nomades qui plantent leurs tentes dans les sables des tropiques ou sur les plateaux de l'Himalaya, ainsi que son ami Jacquemont qui meurt sous le soleil brûlant de l'Inde, Mérimée voudrait pouvoir s'élancer à travers le monde à la recherche de terres inexplorées. Il est ennuyé de tout ce qui l'entoure; il en veut à la civilisation de jeter sur tout ce qu'elle enveloppe un voile uniforme; de la voir en tout substituer l'artificiel au naturel. Ce qu'il demande aux pays étrangers ce sont de fortes impressions; le spectacle de beautés brutales, d'instincts non encore bridés. C'est pourquoi il évite les chemins «suivis par les touristes» et préfère les pays à demi civilisés; il se plonge avec délice dans une Espagne de gitanos, de toréros et de cigarières, il fréquente des contrebandiers basques, assassins authentiques, voleurs de grands chemins, bandits corses; bohémiens de toute sorte, vieilles cartomanciennes, filles en cheveux: voilà le monde pittoresque où il se plaît. Es de nostras, disait-on dans les roulottes, de ce gentleman distingué au visage glabre; et ce compliment sincère ne lui faisait pas moins plaisir, dit son biographe, que les mots les plus flatteurs qu'il pût entendre dans les deux illustres compagnies auxquelles il appartint.

C'est ainsi qu'après avoir imaginé, dans le Théâtre de Clara Gazul, toute une Espagne de fantaisie,—ou même avant,—son goût personnel et ses lectures le portent vers un pays bien moins connu et bien plus pittoresque que ne l'était l'Espagne qui déjà était entrée dans le domaine littéraire. Les romans de Charles Nodier lui avaient signalé l'Illyrie.

* * * * *

D'autre part, l'amour du primitif avait poussé Mérimée du côté de la poésie populaire. À l'école de Fauriel, le jeune écrivain avait appris à «découvrir comme le cri de la nature souvent sauvage et bizarre, mais quelquefois sublime», à goûter le charme exquis de ces productions naïves. Car il y avait au fond de cet être d'apparence égoïste et sec, un véritable poète, un peu timide et jaloux parce que conscient de son impuissance en comparaison des «grands hommes du jour», mais un poète quand même, capable d'être ému et d'émouvoir. S'il avait peur du lyrisme exubérant, s'il avait en horreur l'emphatique et l'artificiel, cet ennemi de la sensiblerie était, après tout, d'une sensibilité et d'un enthousiasme aussi grands que discrets.

Ainsi n'eut-il pas un moment d'hésitation avant d'entrer dans le «mouvement» et de se déclarer, avec la plus entière bonne foi, solidaire de ceux qu'il raillera quelques années plus tard.

Mais une certaine réserve tempère en lui les élans du lyrisme. Il a ceci de distinct de la seconde génération romantique, qu'il ne veut pas faire aussi impudemment étalage de son cœur. De plus, l'imagination créatrice lui fait défaut; s'il a le don d'interpréter d'une façon saisissante certains traits qu'il trouve rapportés par d'autres d'une manière banale, il est presque incapable de rien concevoir par lui-même; il lui faut une matière où se prendre, quelque chose qui le frappe et qu'il puisse à loisir repenser à nouveau. Cette pauvreté d'invention, qui le contraint à demander sans cesse à autrui ce qui lui est nécessaire, développera en lui d'autres qualités qui tueront le poète au profit de l'observateur et de l'artiste. À l'inspiration il substituera le travail et la perfection de la forme, la rigoureuse exactitude d'un homme qui n'invente rien, mais qui se borne à saisir sur le vif les manifestations de la passion. Tout cela est déjà sensible dans la Guzla.

Si son alliance avec le romantisme est sincère, elle n'est pas complète; il n'en adopte que ce qui est conforme à son tempérament; il en approuve le cosmopolitisme qui permet une plus grande liberté dans le choix des sujets; la manière plus vive et plus expressive aussi de les traiter, mais avec ce souci déjà évident de brider la fantaisie débordante pour la remplacer par la notation exacte et tout aussi pittoresque du détail authentique. En même temps qu'adepte, il est initiateur: après avoir manifesté en l'honneur du drame romantique et écrit le Théâtre de Clara Gazul, il voulut contribuer pour sa part à la rénovation de la poésie en lui signalant les riches sources si glorieusement exploitées en Angleterre et en Allemagne. En réalité, ce que Clara Gazul était aux Cromwell et aux Ernani, la Guzla, dans la pensée intime de l'auteur, devait l'être aux Ballades et aux Orientales.

* * * * *

Son tribut au romantisme, il le paie d'une façon très particulière: Stendhal est là, son maître en mystification, qui lui apprend comment on peut livrer au public une œuvre de conviction et, en somme, de passion littéraire, sans avoir à encourir le ridicule; aussi est-ce la comédienne espagnole Clara Gazul qui signe la profession de foi dramatique de Mérimée, le chanteur illyrien Hyacinthe Maglanovich qui sera responsable de son premier et unique essai de poète.

II

Voyons maintenant comment il a composé la Guzla.

Et d'abord, comme nous le disions tout à l'heure, peu d'imagination créatrice dans ce livre; simplement de la mise en œuvre très habile, il faut le reconnaître, et très sobre. Mérimée aime l'anecdote à la façon de Stendhal; il invente peu, mais il cherche beaucoup et n'adopte que ce qui lui paraît «peindre les mœurs et les caractères à une époque donnée». Nous savons maintenant que sa Colomba a réellement existé: un Allemand, M. Kuttner, a retrouvé en Corse, il y a quelques années, la famille de cette Colomba Bartoli qui, en 1858, implorait «le très digne sénateur» et le suppliait «de vouloir bien exaucer les prières d'une vieille femme qu'il avait daigné écouter autrefois[953]»; le sujet de Lokis est celui d'une ballade lithuanienne; Carmen est une histoire véridique qui fut racontée à Mérimée par la comtesse de Montijo[954]; la Vénus d'Ille est une légende du moyen âge, comme Matéo Falcone aurait été suggéré par un fait arrivé en Corse et publié par un journal de la Restauration[955]. La Guzla ne fait pas exception à la règle. Comme la Chronique du règne de Charles IX, elle est un «extrait des lectures» de son auteur. Les compositions de Mérimée sont, en définitive, comme autant d'illustrations qu'on met en marge de ses lectures. Hâtons-nous de dire que les illustrations de Mérimée font toujours oublier le modèle. C'est là son secret d'artiste: ne raconter jamais que des histoires qui l'ont frappé, mais les mettre en œuvre avec quelle vigueur et quelle précision! Les sources de la Guzla sont nombreuses: les relations de voyage de Fortis, de Voutier, de Chaumette-Desfossés, Smarra de Nodier, le Dante, un drame chinois, les Chants grecs de Fauriel, les histoires merveilleuses de dom Augustin Calmet, Jean-Baptiste Porta et Balthazar Bekker, les idylles de Théocrite et jusqu'à la Bible. On est quelque peu étonné de découvrir que tant de livres ont servi à produire un aussi petit recueil. C'est qu'aussi bien Mérimée n'emprunte à chacun que ce qui lui est nécessaire; à celui-ci une anecdote: idée ou point de départ de son poème; à celui-là un renseignement, un détail pittoresque, une expression significative ou suggestive. Mais quand il lit, ce qu'il remarque tout particulièrement, c'est le trait général, permanent, ce à quoi tout homme pourrait se reconnaître; il élimine de parti pris l'accessoire, et en cela il suit fidèlement la tradition littéraire de son pays. Romantique farouche, il procède à la façon des grands classiques français, en modifiant à son usage les éléments que lui fournissent des modèles rapprochés. Ce qui est fugitif, passager, ce qui ne tient qu'à un peuple, à un pays, à une époque, tout cela ne vaut pas la peine d'être noté; inutile de s'en souvenir; quand il en sera temps on n'aura qu'à recourir à quelques livres bien documentés qui donneront, et au delà, de quoi répandre sur l'œuvre autant de «couleur» qu'il sera nécessaire. Et c'est pourquoi la «couleur» dans la Guzla est toute à la surface; il suffit de gratter un peu pour s'apercevoir qu'il n'y a rien là qui distingue véritablement les primitifs illyriens des primitifs albanais ou slovaques, comme l'a judicieusement conjecturé M. Filon[956]. En réalité, ce que Mérimée a peint c'est l'homme—tel qu'il se l'est représenté—avant que la société l'ait policé; peinture, un peu à la manière du XVIIIe siècle.

* * * * *

Cette fameuse «couleur locale» de la Guzla n'est pas de très bonne qualité et Goethe le remarquait de suite, car il connaissait, lui, les véritables poésies serbes. Ce que nous trouvons dans le recueil de Mérimée, c'est la peinture de la société à un certain degré de civilisation; non telle qu'elle fut, mais telle qu'il nous semble qu'elle dut être. Œuvre de poète plus que d'historien, la Guzla est un jeu d'esprit, une reconstitution poétique d'un monde fantaisiste, reconstitution pleine de vie parce qu'elle est fondée presque tout entière sur des débris authentiques de littératures et croyances primitives. C'est par cette qualité que la Guzla dépasse l'exotisme vague et indécis des XVIIe et XVIIIe siècles et annonce l'exotisme réaliste et psychologique des Carmen, des Salammbô et des Aphrodite.

III

Donc, considérée comme telle, la Guzla est mieux qu'une simple mystification; il y a au fond des sujets dont elle traite quelque chose d'éternellement vrai; les conditions de la vie pourront changer; l'homme trouvera toujours de l'intérêt à ce portrait qu'a fait Mérimée de ses ancêtres.

Mérimée n'a pas peu contribué à jeter le discrédit sur son œuvre. Dans sa préface de 1840, il a eu le grand tort d'affecter à son égard trop de mépris; il a laissé entendre qu'il avait composé son recueil en dérision des règles du romantisme qui recommandaient de chercher la «couleur locale», et la «couleur locale», selon Mérimée, c'est chose facile. Ne croyons pas sur parole l'écrivain connu de 1840 lorsqu'il raille le jeune littérateur de 1827: dans une de ses lettres à Mme de La Rochejacquelein ne parle-t-il pas de ses «sottises d'autrefois» et ne reconnaît-il pas qu'il fut un temps où il était romantique sincère[957]? S'il a cessé de goûter ces premiers essais, c'est qu'avec les années le métier de l'écrivain s'est perfectionné, et parce qu'aussi en lui, et pour plusieurs raisons, la veine lyrique s'est tarie tout à fait.

Dans un âge plus avancé, il est devenu plus difficile, il ne se laisse plus aussi volontiers aller aux caprices de la fantaisie: il se documente; il se préoccupe davantage de la vérité. Des inclinations qui semblaient tout d'abord vouloir l'entraîner aux œuvres de pure imagination, ont changé d'orientation et le portent vers un réalisme d'archéologue. Mais parce qu'il a pu le mieux, doit-on condamner ce qu'il a fait de bien? Malgré le jugement qu'il en a lui-même porté, nous dirons bien plutôt de la Guzla ce que Sainte-Beuve a cru devoir dire du Théâtre de Clara Gazul: «Lorsque Mérimée publia sa Clara Gazul, il ne connaissait l'Espagne que par les livres, et il ne la visita que plusieurs années après. Il lui est arrivé de dire, je crois, que s'il l'avait connue dès lors, il n'aurait pas fait son premier ouvrage. Eh bien! tout le monde et lui-même y auraient perdu[958].»

Ajoutons que ce dédain que Mérimée professa pour ces «sottises d'autrefois» ne va pas sans un peu d'aigreur; nombreux étaient ceux qui s'étaient couverts de gloire sur le chemin qu'il avait déserté.

* * * * *

Aussi nous croyons que cette étude détruira quelques légendes que, maître en mystifications, Mérimée a si ingénieusement créées au sujet de son livre. Aujourd'hui, l'histoire de la Guzla intéresse plus que les poèmes qu'elle contient; on la connaît surtout par les anecdotes qui s'y rapportent; quand on parle du Mérimée des premières années, c'est pour raconter l'histoire du docteur allemand «qui avait découvert le mètre de l'original serbe sous sa prose», ou pour dire que le «savant anglais» M. Bowring s'y était laissé prendre, ou pour plaisanter enfin sur ce naïf Pouchkine qui traduisit en russe quelques historiettes de la Guzla. Or, nous l'avons vu, le respectable docteur allemand était tout simplement un riche marchand de toiles; le savant anglais ignorait le serbe, et Pouchkine était sans compétence pour juger en pareille matière.

Ce ne fut que plus tard, en 1840, lorsqu'il avait depuis longtemps rompu avec le romantisme, lorsqu'il songeait à l'Académie[959], que Mérimée donna son recueil comme un modèle de supercherie littéraire. À l'origine, nous croyons l'avoir suffisamment montré, il n'y avait pas mis beaucoup plus de mystification que Montesquieu n'en avait mis aux Lettres persanes et qu'il ne s'en trouve dans les Voyages de Gulliver.

Assurément la Guzla ne compte pas au nombre des chefs-d'œuvre de Mérimée; loin de là, elle est peut-être l'un de ses plus faibles ouvrages. Et pourtant on y devine l'auteur de Carmen et Colomba: peu d'invention, mais un art merveilleux à choisir le détail et à le mettre en valeur; un style sec et sobre, une brutalité voulue, un récit court et rapide qui ne dit que ce qu'il faut dire: à tout cela on reconnaît la marque de Mérimée.

Stendhal disait: «Quant à la gloire, un ouvrage est un billet à la loterie. Écrivons donc beaucoup.» Si la Guzla est un billet de loterie qui n'a jamais gagné, elle est néanmoins un billet qui vaut bien quelque chose encore aujourd'hui; en effet, quelques-unes de ses ballades ne le cèdent pas aux ballades littéraires les plus réputées. Avec raison, M. Filon remarque qu'il ne leur manque que la versification pour être vrais chefs-d'œuvre du genre.

À un point de vue plus général, nous pourrions dire que la Guzla, considérée comme document de «Mil huit cent trente, époque fulgurante», se rattache surtout à ce courant caractéristique de la nouvelle école, où fraternisent la littérature et la peinture, où l'on est amoureux du ciel levantin, des visages basanés, de la bijouterie orientale. De fait, le résultat le plus positif qu'ait légué l'exotisme romantique aux lettres françaises,—nous ne parlons que des lettres,—est l'enrichissement et le perfectionnement de cet art descriptif qui fut la grande innovation de Bernardin de Saint-Pierre: introduction de couleurs, d'images et de types ignorés jusqu'alors, reconstitution enthousiaste, sinon très exacte, de paysages lointains, évocation de races étrangères: l'Espagne, l'Italie, la Grèce, l'Orient,… l'Illyrie enfin. À vrai dire, ces peintures sont trop vives, trop éclatantes: elles visent à l'effet immédiat et sont parfois entièrement et volontairement fantaisistes. Néanmoins, par cette intention même de sortir d'un cadre étroit et exclusif, elles inaugurent,—quel que soit le ton des railleries faciles d'une postérité ingrate,—elles inaugurent, disons-nous, l'art descriptif et le cosmopolitisme littéraire de notre époque, plus calme et plus consciencieux, depuis H. Taine jusqu'à Jean Lorrain.

Celui qui a écrit le Théâtre de Clara Gazul et la Guzla, qui a introduit dans la littérature française les Carmen et les Colomba; celui qui a traduit les Russes, admiré les Anglais, a très largement collaboré à la formation de ce goût nouveau et ceci en dépit de toute la sécheresse de son style et de toute l'horreur que, plus tard, plus scrupuleux et mieux documenté, il eut—ou affecta d'avoir—pour ses premiers essais dans le genre.

À notre sens, c'est précisément dans les ouvrages de Mérimée qu'il faut étudier l'évolution de l'exotisme romantique, exotisme fantaisiste, et sa transformation graduelle en l'exotisme réaliste contemporain. La première manière de Mérimée, celle de la Guzla, présente, on a pu s'en apercevoir, assez de traits communs avec sa seconde manière, celle de Carmen, pour qu'on puisse avancer que celle-ci eût été impossible sans celle-là.

APPENDICE

Note sur un poème inédit de sir Walter Scott[960].

(Voir pp. 36, 171 et 372.)

On a parlé plusieurs fois, vaguement toujours, d'une version anglaise qui aurait été faite par sir Walter Scott de la Triste ballade.

Le premier qui appela l'attention sur cette traduction fut le savant M. Alois Brandl, professeur à l'Université de Berlin, dans sa remarquable étude «Die Aufnahme von Goethes Jugendwerken in England»; il y dit qu'en 1799 Scott fit imprimer, sous le titre d'Apology for Tales of Wonder, sa version du «Klaggesang» et quelques autres traductions de l'allemand, entre autres le Roi des Aulnes et l'Enfant infidèle. Cet ouvrage aurait été tiré à douze exemplaires et distribué aux amis du poète[961].

M. Brandl écrivait cela en 1882; l'année suivante, Franz Miklosich lut devant l'Académie Impériale de Vienne son travail sur le «Klaggesang» de Goethe, et répéta ce que M. Brandl avait dit sur la traduction de Scott, citant, comme son devancier, la Vie de sir Walter Scott par John Gibson Lockhart[962]. Miklosich ajouta que les douze exemplaires de cette édition ont tous disparu (verschollen).

Après eux, MM. Preisinger, Ćurčin, Skerlitch[963], Popovitch[964], d'autres encore, parlèrent à nouveau de cette traduction que les Œuvres complètes du grand écrivain ne contiennent pas et que les bibliographes de sir Walter ignorent.

Il faut rectifier d'abord la légère erreur que commet M. Brandl en citant le titre de ce rarissime opuscule. La brochure était intitulée Apology for Tales of Terror comme le dit expressément Lockhart[965].

Consultons directement le biographe de sir Walter sur ce sujet. Voici ce qu'il dit:

Après avoir passé une semaine à Liddesdale, en compagnie de M. Shortreed, Walter Scott resta quelques jours à Rosebank; il s'apprêtait à partir pour Édimbourg, lorsque James Ballantyne vint le voir un matin en le priant de lui donner pour son journal [The Kelso Mail[966]] quelques feuillets sur une question juridique du temps. Scott y consentit et, avec son article, il apporta aussi à l'imprimerie quelques-unes de ses poésies les plus récentes, destinées à paraître dans la collection de Lewis: Tales of Wonder. Comme le dit le journal manuscrit de Ballantyne, il s'y trouvait en particulier le «fragment morlaque d'après Goethe». Ballantyne fut enchanté et exprima son regret de ce que l'ouvrage de Lewis se faisait si longtemps attendre… En partant, Scott s'étonna de ce que son vieil ami n'essayait pas d'entreprendre quelque travail de librairie «pour garder en mouvement ses caractères pendant le reste de la semaine[967]». Ballantyne répondit qu'il n'avait jamais pensé à cela et qu'il n'avait pas la moindre connaissance avec les libraires d'Édimbourg; s'il en eût été autrement, ses caractères étaient bons et il pensait qu'il pouvait exécuter un ouvrage à des conditions plus avantageuses que les imprimeurs de la ville[968]. Scott, «avec son sourire de bonne humeur», dit alors: «Il sera mieux pour vous d'essayer ce que vous pouvez faire. Vous avez loué mes petites ballades; mettons que vous en tiriez à peu près une douzaine d'exemplaires; nous prendrons autant de poèmes qu'il sera nécessaire pour former une brochure qui pourra donner à mes amis d'Édimbourg une idée de votre habileté.» Ballantyne consentit et, en conséquence, «William and Helen[969]», «The Fire-King[970]», «The Chase[971]» et quelques autres de ces morceaux furent tirés, je crois, à douze exemplaires exactement, sous le titre général d'Apology for Tales of Terror, 1799. Ce titre faisait allusion au long retard de la collection de Lewis[972].

Comme on le voit, Lockhart nous dit ici deux choses: 1° Walter Scott a lu, en 1799, à son futur éditeur James Ballantyne, le «fragment morlaque d'après Goethe», qui était destiné aux Tales of Wonder, de Lewis; 2° James Ballantyne a imprimé, cette année même, une brochure intitulée Apology for Tales of Terror, où se trouvent les ballades suivantes: William and Helen, The Fire-King, The Chase, et encore quelques autres pièces destinées aux Tales of Wonder.

Lockhart ne nomme pas le «fragment morlaque d'après Goethe» parmi les morceaux qui furent insérés dans cette Apology, comme le veulent M. Brandl et Miklosich.

De même, il est inexact de dire, comme le prétend Miklosich, que cet opuscule ait disparu. Il en existe un exemplaire à la bibliothèque de Walter Scott à Abbotsford. Hon. Mrs. M. M. Maxwell-Scott, à qui nous nous sommes adressé à ce sujet, nous a envoyé la description suivante de cet unique exemplaire.

Il est imprimé in-4°, 79 pages, et porte au verso cette note: «This was the first book printed by Ballantyne of Kelso only twelve copies were thrown off and none for sale.» Le titre exact est:

AN
APOLOGY
FOR
TALES OF TERROR

—————————————————————— —A thing of shreds and patches.

HAMLET.

——————————————————————

KELSO:
PRINTED AT THE MAIL OFFICE.

1799.

L'ouvrage contient: 1° The Erl-King, from the German of Goethe [traduit par M. G. Lewis]; 2° The Water-King, a Danish ballad [traduite par M. G. Lewis]; 3° Lord William [par Robert Southey]; 4° Poor Mary The Maid of the Inn, [par Robert Southey]; 5° The Chase [Der wilde Jäger de Bürger, traduit par Scott]; 6° William and Helen [la Lénore de Bürger, imitée par Scott]; 7° Alonzo the Brave, and the Fair Imagine [par M. G. Lewis]; 8° Arthur and Matilda; 9° The Erl-King's Daughter, a Danish ballad [traduite par M. G. Lewis].—Donc, la ballade «morlaque» ne se trouve pas dans cette Apology.

De même elle fait défaut dans les Tales of Wonder auxquels elle fut destinée. On ne sait rien sur la raison de cette omission, mais nous croyons que Lewis jugea la Triste ballade insuffisamment frénétique pour figurer parmi ses effrayants poèmes.

Pourtant, le journal manuscrit de Ballantyne (sur lequel est fondé le passage de Lockhart que nous venons de citer) dit une chose exacte: la traduction de la Triste ballade par Scott existe, toujours en manuscrit, semble-t-il.

En 1871, on pouvait la voir à l'Exposition d'Édimbourg, à l'occasion du centenaire de la naissance du célèbre écrivain. En effet, le catalogue des objets prêtés[973] porte sous le n° 368:

     ORIGINAL MANUSCRIPT.—«The Lamentation of the Faithful Wife of Asan
     Aga, from the Morlachian language.» In twenty-seven stanzas[974]
     beginning:

          What yonder glimmers so white on the mountain,
          Glimmers so white where yon sycamores grow?
          It is wild swans around Vaga's fair fountain?
          Or it is a wreath of the wintry snow?

     This spirited translation from the German ballad by Goethe has
     probably never been printed. The handwriting is about 1798, and the
     translation was well known to some of Sir Walter's early
     friends.—Lent by Messrs. A. & Ch. Black.

Nous nous sommes adressé à MM. A. & Ch. Black, éditeurs à Londres, et leur avons demandé ce qu'ils avaient prêté lors de l'Exposition de 1871. Ils nous ont répondu que l'indication du catalogue est sans doute fautive, et qu'ils ne possèdent pas le manuscrit en question.

Nous ignorons où il se trouve actuellement. Conservé jusqu'à 1871, il n'a vraisemblablement pas été perdu après cette date; peut-être un jour sera-t-il publié.

Pourtant, les quatre premiers vers que nous connaissons suffisent à démontrer qu'en 1798, le futur inventeur de la «couleur locale» était encore loin de songer aux principes qui le rendront plus tard célèbre. À en juger d'après le début, le style de cette Lamentation manque de «couleur»; il est semi-classique, semi-ossianique («wreath», «wild swans», «Vaga's fair fountain»); il est évident que la pièce n'apporterait pas beaucoup à la gloire de Scott. Mais, si on comprend facilement que son auteur l'ait gardée en manuscrit, on se demande pourquoi le possesseur actuel de l'autographe croit devoir le tenir caché. Il faut ajouter que ce n'est pas la famille du poète qui en interdit la publication.

Walter Scott ne fut pas le seul grand poète anglais qui connut l'existence de ce poème «morlaque». Byron, qui voyagea tant en Orient[975], paraît aussi n'avoir pas ignoré la Triste ballade; c'est à elle qu'il pensa quand il fit allusion aux «chansons bosniaques» dans la Fiancée d'Abydos[976].

BIBLIOGRAPHIE

I

ÉDITIONS DE «LA GUZLA»

1. LA GUZLA, OU CHOIX DE POÉSIES ILLYRIQUES RECUEILLIES DANS LA DALMATIE, LA BOSNIE, LA CROATIE ET L'HERZEGOWINE. À Paris, chez F.-G. Levrault, rue de la Harpe, n° 81; et rue des Juifs, n° 33, à Strasbourg, 1827; pp. XII (faux-titre, titre, table des matières et préface); et pp. 257, in-12. Portrait lithographié d'Hyacinthe Maglanovich, hors texte. Publié à 4 francs. [Le prix fut porté à 5 francs au mois de décembre 1827.]

Bibliographie de la France du 4 août 1827.—Journal des Débats du 21 décembre.

2. ŒUVRES DE PROSPER MÉRIMÉE. CHRONIQUE DU RÈGNE DE CHARLES IX, SUIVIE DE LA DOUBLE MÉPRISE ET DE LA GUZLA, par Prosper Mérimée. Nouvelles éditions revues et corrigées. Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 29, rue de Seine, 1842. Imprimé par Béthune et Plon; pp. IV (faux-titre, titre); et pp. 484, in-18. Publié à 3 fr. 50.

La Guzla, augmentée de quatre pièces et d'une nouvelle préface, se trouve aux pp. 345-484. Cette édition est mentionnée dans la Bibliographie de la France du 13 août 1842.

3. ŒUVRES DE PROSPER MÉRIMÉE. CHRONIQUE DU RÈGNE DE CHARLES IX, SUIVIE
DE LA DOUBLE MÉPRISE ET DE LA GUZLA, par Prosper Mérimée, l'un des
Quarante de l'Académie française. Nouvelles éditions corrigées. Paris,
Charpentier, libraire éditeur, 17, rue de Lille, 1847. Impr. de Dupré, à
Poitiers; pp. IV (faux-titre, titre); et pp. 504, in-18. 3 fr. 50.

La Guzla se trouve aux pp. 365-504.—Bibliographie de la France du 1er juillet 1848 (sic).

4. Même titre. Nouvelles éditions revues et corrigées. Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 19, rue de Lille, 1853. Imprimerie de Gustave Gratiot, 30, rue Mazarine, pp. IV (faux-titre, titre); et pp. 443, in-18. 3 fr. 50.

La Guzla se trouve aux pp. 313-443.—Bibliographie de la France du 12 février 1853.

5. Même titre. Paris, Charpentier, 39, rue de l'Université. 1856. Imprimerie de Gratiot.

Réimpression stéréotypique de l'édition précédente. Notée dans la Bibliographie de la France du 28 juin 1856.

6. Même titre. Paris, Charpentier, 1858. Imprimerie Bourdier et Cie.

Réimpression stéréotypique, notée dans la Bibliographie de la France du 7 août 1858.

7. Même titre. Paris, Charpentier, 1860. Imprimerie Bourdier et Cie.

Réimpression stéréotypique, notée dans la Bibliographie de la France du 21 juillet 1860.

8. Même titre. Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 28, quai de l'École, 1865. Imprimerie de P.-A. Bourdier et Cie, 6, rue des Poitevins.

Réimpression stéréotypique, notée dans la Bibliographie de la France du 28 janvier 1865.

9. Même titre. Nouvelle édition revue et corrigée. Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 28, quai du Louvre, 1869. Imprimerie P.-A. Bourdier, Capiomont fils et Cie, 6, rue des Poitevins.

Réimpression stéréotypique, notée dans la Bibliographie de la France du 19 juin 1869.

10. Même titre. Paris, Charpentier et Cie, libraires éditeurs, 28, quai du Louvre, 1873. Imprimerie Viéville et Capiomont, 6, rue des Poitevins.

Réimpression stéréotypique, notée dans la Bibliographie de la France du 1er mars 1873.

11. Même titre. Même éditeur. Même imprimeur, 1874.

Réimpression stéréotypique, notée dans la Bibliographie de la ronce du 12 décembre 1874, comme ayant paru le 20 novembre.

12. Même titre. Paris, G. Charpentier, éditeur, 13, rue de Grenelle-Saint-Germain, 1877. Imprimerie Capiomont et Renault, 6, rue des Poitevins.

Réimpression stéréotypique, notée dans la Bibliographie de la France du 2 juin 1877.

13. Même titre. Paris, G. Charpentier, éditeur, 13, rue de Grenelle-Saint-Germain, s. d. Imprimerie E. Capiomont et V. Renault, 6. rue des Poitevins.

Cette édition, qui devait être la dernière chez Charpentier, est sans doute postérieure à 1877 et antérieure à 1881. Elle n'est pas notée dans la Bibliographie de la France, mais elle se trouve à la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris.

14. ŒUVRES COMPLÈTES DE PROSPER MÉRIMÉE. LA DOUBLE MÉPRISE. LA GUZLA. Paris, Calmann-Lévy, éditeur, 3, rue Auber, 1885. Bourloton, Imprimeries réunies, B. pp. IV (faux titre, titre); pp. 320, in-18. 3 fr. 50.

Bibliographie de la France du 9 mai 1885, comme ayant paru le 21 avril. Dans cette édition, la Guzla se trouve aux pp. 129-320.

II

TRADUCTIONS DE «LA GUZLA»

1° Allemagne:

GERHARD (Wilhelm).—Wila. Serbische Volkslieder und Heldenmärchen.
Zweyte Abtheilung. Leipzig, Verlag van Joh. Ambr. Barth, 1828 [W.
Gerhard's Gedichte. Vierter Band.], pp. X et 317 in-8°.

Aux pages 91-188 se trouvent traduites vingt-sept pièces de la Guzla.
Ne manque que la Triste ballade de la noble épouse d'Asan-Aga.

LIPPERT (Dr. Robert).—Alexander Puschkin's Dichtungen. Aus dem
Russischen übersetzt. Leipzig, 1840. 2 vol. in-8°.

Aux pages 311-312 du tome premier: Serbisches Lied, poème qui n'est autre chose que le Cheval de Thomas II de Mérimée, traduit sur la traduction russe de Pouchkine:

     Sprich, was wieherst du so traurig,
     Stampfest mit dem Huf so schaurig—
     Sprich, mein Ross, was dich gekränkt,
     Dass dein schlanker Hais gesenkt?—etc.

2° Angleterre:

ANONYME.—Quatre pièces insérées dans l'article sur la Guzla, dans la Monthly Review, novembre 1827.

Ces pièces sont: Death Song, The Brave Heyducs, Hadagny (première partie) et Barcarolle.

KEIGHTLEY (Thomas).—Deux ballades insérées dans l'article sur la
Guzla
, dans la Foreign Quarterly Review, juin 1828.

Ces deux pièces sont: The Hawthorn of Velico et The Brave Heyduks.

LE MÊME.—The Fairy Mythology. Londres, 1828. 2 vol. in-12

Aux pages 323-324: Lord Mercury [de Mérimée].

ANONYME.—Deux ballades traduites dans l'article intitulé Servian Ballads, dans le Chambers's Journal, Édimbourg, septembre 1855, pp. 190-192.

The Fatal Shot (Hadagny) et The Bounden Brothers (les Pobratimi), traduites en vers, d'après la traduction allemande de Gerhard.

3° Russie:

POUCHKINE (Alexandre Serguiévitch).—Onze ballades traduites dans la Bibliotéka dlia Tchténiya, Saint-Pétersbourg, 1835, t. VIII et t. IX.

Au tome VIII, première partie, p. 158: le Cheval de Thomas II (le Chant serbe). Au tome IX, première partie, pp. 5-26: dix autres pièces de la Guzla. Elles sont réimprimées au t. IV des Poésies de Pouchkine (Stikhotvoréniya, pp. 115-177), avec une préface inédite. Il existe une quantité de réimpressions postérieures.

4° Pologne:

CHODZKO (Alexandre).—Poésies (en polonais), Saint-Pétersbourg, 1829.

Nous ne connaissons cet ouvrage que de nom. Suivant M. Leger, on y trouve trois pièces de la Guzla, traduites en vers.

MICKIEWICZ (Adam).—Pisme, na nowo przejrzane, Paryz, w drukarni
Bourgogne et Martinet, przy ulicy Jacob, 30. 1844.

Aux pages 127-129 du tome IV: Morlach w Wenecyi (le Morlaque à
Venise), traduit en vers. Cette traduction polonaise de la ballade de
Mérimée est RETRADUITE en français dans l'édition française des Poésies
complètes de Mickiewicz (Paris, 1844, 1857, etc.).

III

CRITIQUES DU TEMPS

1° En France:

LA RÉUNION du 7 août 1827.

MONITEUR UNIVERSEL du 13.

JOURNAL DE PARIS du 27.

REVUE ENCYCLOPÉDIQUE, août 1827, pp. 463-464.—Même notice dans le Journal général de la littérature de France, août 1827, p. 243.

GAZETTE DE FRANCE du 19 septembre.

LE GLOBE du 29.

JOURNAL DES SAVANS, septembre 1827, p. 569.

JOUHNAL DES DÉBATS du 21 décembre 1827 (communiqué). Même annonce dans le Constitutionnel du 22, et dans le Courrier français du 24.

BULLETIN DES SCIENCES HISTORIQUES, ANTIQUITÉS, PHILOLOGIE, rédigé par
MM. Champollion, Paris, 1828, t. X, pp. 146-148.

Un article de M. Depping, sur la traduction de Gerhard.

JOURNAL DES SAVANS, février 1829, pp. 125-126.

2° À l'Étranger:

MONTHLY REVIEW, novembre 1827, pp. 375-384.

UEBER KUNST UND ALTERTUM, t. VI, livr. 2, 1828, pp. 326-29.

Critique de Goethe.

SERBSKÉ LÊTOPISSI, 1828, t. XII. p. 154: t. XIII, pp. 136-139.

Notices sans intérêt.

FOREIGN QUARTERLY REVIEW. article de Thomas Keightley, juin 1828, pp. 662-671.

ALLGEMEINE LITERATUR-ZEITUNG (Ergänzung-Blätter), mars 1829, n° 36, p. 287.

Sur la traduction de Gerhard.

INTELLIGENZBLATT DER ALLGEMEINEN LITERATUR-ZEITUNG, juillet 1829, n° 61, pp. 494-495.

Cf. Literaturblatt des Morgenblattes, n° 31 [1829?].—Aussi les Serbské Lêtopissi, 1830, t. XX. pp. 132-134.

IV

ÉCRITS SUR «LA GUZLA»

ANNENKOFF (P. V.).—Matérialui dlia biografii Alexandra Serguiévitcha
Pouchkina. Saint-Pétersbourg, 1855, pp. 373-380.

[«Matériaux pour servir à la biographie de Pouchkine.» Constitue le tome
Ier des Œuvres complètes de Pouchkine, publiées par P. V. Annenkoff.]

CHLIAPKINE (I. A.).—Iz néizdanuikh boumague A. S. Pouchkina.
Saint-Pétersbourg, 1903.

[«Quelques papiers inédits de A. S. Pouchkine.» Pp. 32-35: sur la
Guzla
.]

ĆURČIN (Dr. Milan).—Das serbische Volkslied in der deutschen Literatur.
Leipzig, 1905.

Pp. 176-184: sur la Guzla.

GEIGER (Ludwig).—Goethe und Mérimée. Goethe-Jahrbuch pour l'année 1894. Francfort-sur-Mein, in-8°, vol. XV, pp. 290-291.

HOCK (Stefan).—Die Vampyrsage und ihre Verwertungin der deutschen
Literatur. Berlin, 1900.

Passim.

KOULAKOVSKY (Platon).—Slavianskié motivui v tvortchestvié Pouchkina. Rouski filologuitcheski Viestnik, Varsovie, 1899, n° 3 et 4, pp. 1-22.

[«Les motifs slaves dans l'œuvre de Pouchkine.» Discours prononcé le 26 mai 1899 à l'Université Impériale de Varsovie.]

LAVROV (P. A.).—Pouchkine i Slaviané. Odessa, 1900.

[«Pouchkine et les Slaves.» Nous ne connaissons ceTte brochure que de nom. Une traduction bulgare en est parue dans la Belgarski Pregled de Sofia, en 1900.]

LÉGER (Louis).—Une supercherie littéraire de Mérimée. La Nouvelle
Revue
du 15 juin 1908, pp. 445-455.

Avant de publier cet article M. Leger avait entretenu de ce sujet l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres dans la séance du 13 mars 1908. Voir Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus des séances de l'année 1908. Paris, 1908, p. 127. Cf. le Petit Temps du 17 juin 1908, n° 2 562: «Une mystification de Mérimée.»

MATIĆ (Tomo).—Prosper Mérimée's Mystifikation kroatischer Volkslieder. Archiv für slavische Philologie, t. XXVIII. pp. 321-350; t. XXIX, pp. 49-96. Berlin, 1906-07.

LE MÉME.—Odgovor na tchlanak G. prof. Skerlitcha: «Dvé nové stoudiyé o Mériméovoï mistifikatziyi srpskih narodnih pessama.» Brankovo Kolo des 2 (15) et 9 (22) octobre 1908.

[«Réponse à l'article de M. le professeur Skerlitch, intitulé Deux nouvelles études sur les contrefaçons de la poésie populaire serbe par Mérimée.»]

MATVÉEFF (P.).—Prosper Mérimée i iégo otnochéniya k rouskoï litératourié. Novoe Vrémia, Pétersbourg, n° 6702, 25 octobre (6 novembre) 1894.

[«Prosper Mérimée et ses rapports avec la littérature russe.»]

MICKIEWICZ (Adam).—Les Slaves. Cours professé au Collège de France (1840-1844). Paris, 1849.

Le 19 mars 1841 (t. I, pp. 332-334).—Cf. une notice d'Émile Tchakra dans la Slovenka de Novi Sad, 1860, t. XIII, pp. 647-648.

SKERLITCH (Jean).—Prosper Mérimée i niégova mistifikatziya srpskih narodnih pessama. Srpski kgnijevni Glasnik du 1er décembre 1901, pp. 355-366.

[«Prosper Mérimée et ses contrefaçons de la poésie populaire serbe.»]

LE MÉME.—Frantzouski romantitchari i sprska narodna poéziya: Charles Nodier. Srpski kgnijevni Glasnik des 16 mai et 1er juin 1904, pp. 747-756 et 837-851.

[«Les romantiques français et la poésie populaire serbe: Charles
Nodier.»]

LE MÉME.—Yoch yednom o «Gouslama» Prospera Mériméa. Srpski kgnijevni
Glasnik
du 1er juillet 1904, pp. 981-987.

[«Encore une fois sur la Guzla de Prosper Mérimée.»]

LE MÊME.—Dvé nové stoudiyé o Mériméovoï mistifikatziyi srpskih narodnih pessama. Srpski kgnijevni Glasnik du 1er septembre 1908, pp. 375-380.

[«Deux nouvelles études sur les contrefaçons de la poésie populaire serbe par Mérimée.» Notice sur les travaux de MM. Matić et Leger[977].]

ŚREPEL (Dr. Mitivoj).—Puškin i hrvatska književnost. Ljetopis
Jugoslavenske Akademije
, t. XIII (1898). Agram, 1899, pp. 118-140.

[«Pouchkine et la littérature croate.» Discours prononcé le 7 juin 1899 devant l'Académie sud-slave.]

THIERRY (Gilbert-Augustin).—Les Grandes Mystifications littéraires. IV. Le Théâtre de Clara Gazul et La Guzla. Dans le Supplément littéraire du Figaro, 27 novembre 1909.

TOURNEUX (Maurice).—Prosper Mérimée, comédienne espagnole et chanteur illyrien. L'Age du romantisme, 5e livraison. Paris, Monnier, 1887, pp. 12, in-4°.

WÜSCHER (Gottlieb).—Der Einfluss der englischen Balladenpoesie auf die französische Litteratur von 1765 bis 1840. Zürich, 1891.

Pp. 66-68: sur la Guzla.

YOVANOVITCH (Voyslav M.).—«Gouslé» Prospera Mériméa ou ingleskoï kgnijevnosti. Srpski kgnijevni Glasnik du 16 décembre 1906, pp. 925-929.

La Guzla de Prosper Mérimée dans la littérature anglaise.»]

V

ÉCRITS SUR MÉRIMÉE[978]

ASSELINEAU (Charles).—Bibliographie romantique. Catalogue anecdotique et pittoresque des éditions originales des œuvres de Victor Hugo—Alfred de Vigny—Prosper Mérimée… 2e édition. Paris, 1872.

Pp. 21 et 22.

LE MÊME.—Appendice à la seconde édition de la Bibliographie romantique.
Paris, 1874.

Pp. 289-291.

BARBIER (Auguste).—Souvenirs personnels et silhouettes contemporaines.
Paris, 1883.

Pp. 293-297: Mérimée.

BIRÉ (Edmond).—Portraits littéraires. Lyon, 1888.

Pp. 1-76: Prosper Mérimée.

BRANDES (George).—Prosper Mérimée. Deutsche Rundschau, mars-avril 1880, pp. 355-371 et 65-80.

Réimprimé au tome 5e de l'ouvrage bien connu que M. Brandes a publié
depuis: Die Litteratur des neunzehnten Jahrhunderts in ihren
Hauptströmungen: die romantische Schule in Frankreich
, Leipzig, 1883.
(Traduction française par M. A. Tapin, Berlin, 1902.)

BRUNETIÈRE (Ferdinand).—Manuel de l'histoire de la littérature française. Paris, 1898.

Pp. 438-440: Prosper Mérimée.

CHAMBON (Félix).—Introduction des Lettres inédites de Prosper
Mérimée
. Moulins, 1900.

LE MÊME.—Notes sur Prosper Mérimée. Paris, 1902.

LE MÊME.—Introduction des Lettres de Prosper Mérimée aux Lagrené.
Paris, 1904.

LE MÊME.—Prosper Mérimée. Dans Pro Memoria P. M., publié par le
Comité du centenaire de Mérimée. Paris, 1907.

CHUQUET (Arthur).—Stendhal-Beyle. Paris, 1902.

Passim.

CLÉMENT DE RIS (Louis).—Portraits à la plume. Paris, 1853.

Pp. 99-119: Prosper Mérimée.

CORDIER (Henri).—Stendhal et ses amis. Notes d'un curieux. Évreux, 1890.

DEROME (Léopold).—Causeries d'un ami des livres. Les éditions originales des Romantiques. Paris, 1887, 2 vol.

Tome I: pp. 74 et 75.—Tome II: pp. 301-322.

DU CAMP (Maxime).—Souvenirs littéraires. Paris. 1882-1883, 2 vol. in-8°.

Passim.

FAGUET (Émile).—Études littéraires sur le dix-neuvième siècle. Paris, 1887.

Pp. 325-346: Prosper Mérimée.

FILON (Augustin).—Mérimée et ses amis. Avec une bibliographie des
Œuvres complètes de Mérimée, par le Vicomte de Spoelberch de Lovenjoul.
Paris, 1894.

Publié d'abord dans la Revue des Deux Mondes, 1893. Nouvelle édition,
Paris, 1909. (Bibliographie revue par M. Félix Chambon.)

LE MÊME.—Mérimée. Collection des Grands écrivains français. Paris, 1898.

Le texte est différent de celui du précédent ouvrage.

FOUCHER (Paul).—Les coulisses du passé, Paris, 1873.

Chapitre VII: Mouvement littéraire de 1830.

GALLEY (J.-B.)—Claude Fauriel, membre de l'Institut, 1772-1844.
Saint-Étienne, 1909.

Passim.

GRAPPE (Georges).—Dans le Jardin de Sainte-Beuve. Essais. Paris, 1909.

Pp. 259-277: Prosper Mérimée.

GRENIER (Édouard).—Souvenirs littéraires. Paris, 1894.

Pp. 127-153: Mérimée et Sainte-Beuve.

GROUSSAC (Paul).—Une énigme littéraire: le «Don Quichotte» d'Avellaneda… La «Carmen» de Mérimée. Paris, 1903.

HAUSSONVILLE (Comte Othenin d').—Études biographiques et littéraires:
Prosper Mérimée—Hugh Elliot. Paris, 1885.

Paru d'abord dans la Revue des Veux Mondes du 15 août 1879.

JOUBERT (Léo).—Prosper Mérimée. Revue de France, 31 juillet 1873, pp. 36-61.

LACROIX (Octave).—Quelques maîtres étrangers et français. Etudes littéraires. Paris, 1891.

Pp. 369-394: Prosper Mérimée.

LARROUMET (Gustave).—Petits portraits et notes d'art. Deuxième série.
Paris, 1900.

Pp. 127-134: Un Évadé du romantisme [Mérimée].

LEFEBVRE (Alphonse).—La célèbre Inconnue de Prosper Mérimée.
Préface-introduction par Félix Chambon. Paris, 1908.

LION (Henri).—Introduction des Pages choisies de Prosper Mérimée.
Paris, 1897.

LÖNNBOHM (Kasimir).—Prosper Mérimée elämäkerta ja teokset kirjallishistonalliselta kannalta. Helsingissä, 1895, pp. VII-258, in-8°.

LOMÉNIE (Louis de).—Discours prononcés dans la séance publique tenue par l'Académie française pour la réception de M. de Loménie, 8 janvier 1874.

Discours sur Mérimée que M. de Loménie a remplacé à l'Académie française. Aussi la réponse de Jules Sandeau.

MERLET (Gustave).—Portraits d'hier et d'aujourd'hui. Paris, 1863.

Pp. 198-276: La Vérité dans l'Art. M. Mérimée.

MIRECOURT (Eugène de).—Les Contemporains: n° 79. Mérimée. Paris,
Gustave Havard, éditeur, 1857.

Nouvelle édition, 1869.

PINVERT (Lucien).—Sur Mérimée. Notes bibliographiques et critiques.
Paris, 1908.

PLANCHE (Gustave).—Prosper Mérimée. Revue des Deux Mondes, t. II, 1832, pp. 576-591.

Réimprimé dans les Portraits littéraires du même auteur.

LE MÊME.—Écrivains modernes de la France. Prosper Mérimée. Revue des
Deux Mondes
du 15 septembre 1854, pp. 1207-1232.

SAINTE-BEUVE.—M. Prosper Mérimée. Le Globe du 24 janvier 1831.

LE MÊME.—M. Prosper Mérimée. Essai sur la Guerre sociale. Colomba. Revue des Deux Mondes, t. IV. 1841, pp. 77-90.

Inséré dans les Portraits contemporains, tome III.

SAITSCHICK (Robert).—Französische Skeptiker: Voltaire—Mérimée—Renan.
Zur Psychologie der neueren Individualismus. Berlin, 1906.

Pp. 157-215 et 298-301: Mérimée.

STAPFER (Paul).—Études sur la littérature française moderne et contemporaine. Paris, 1881.

Pp. 315-336: Prosper Mérimée.

STRVIENSKI (Casimir).—Soirées du Stendhal Club. Première série. Paris, 1905.

TAINE (Hippolyte).—Introduction des Lettres à une Inconnue. Paris, 1873.

Parue d'abord dans le Journal des Débats des 4 et 6 décembre 1873.

TAMISIER (M.).—Prosper Mérimée. L'écrivain et l'homme. Marseille, 1875.

THIÈME (Hugo P.).—Guide bibliographique de la littérature française de 1800 à 1906. Paris, 1907, pp. 276-278.

TOURNEUX (Maurice).—Prosper Mérimée, ses portraits, ses dessins, sa bibliothèque. Paris, 1879.

LE MÊME.—La Correspondance générale de Mérimée. Notes pour une édition future. Revue d'histoire littéraire de la France, 1899, pp. 55-71.

VICAIRE (Georges).—Manuel de l'amateur de Livres du XIXe siècle. Tome cinquième. Paris, 1904. Col. 700-762.

INDEX

(La bibliographie non comprise.)

A

Abeille (l').

Abicht (Rudolf).

Abrantès (duc d'), voir Junot (le général).

Absyrte.

Académie celtique.

Académie française.

Académie Impériale russe.

Achille.

Addison (Joseph).

Adrien (M.).

Agamemnon.

ALBANAISES (BALLADES).

Albinoni (les).

Alboize [de Pujol].

Alecsandri (Vasile).

Alembert (Jean d').

Alexandre le Grand.

Ali-Pacha de Janina.

ALLEMANDES (BALLADES).

Allgemeine Literatur-Zeitung.

Allibone (S. Austin).

AMANT EN BOUTEILLE (L').
AMANTE DE DANNISICH (L').

Ampère (A.-M.).

Ampère (J.-J.).

Ancelot (Jacques).

Ancelot (Mme Virginie).

Andréossy (le général).

Androutzos.

ANGLAISES (BALLADES).

Anicet-Bourgeois.

Annales de la littérature et des arts.

Annales des Voyages.

Annales encyclopédiques (les).

Annales romantiques (les).

Anne (reine d'Angleterre).

Annenkoff (P. V.).

Apostolescu (N. I.).

Appendini (F.-M.).

Apulée.

Archives littéraires de l'Europe.

Argens (Boyer d').

Argenson (Paulmy d').

Ariosto (Lodovico).

Aristote.

Armand (auteur dramatique).

Arnaout Pavlé (heyduque).

Arnim (Achim d').

Arsenal (Bibliothèque de l').

Artaud (N.-L.).

Art et Antiquité, voir Ueber Kunst und Altertum.

Asselineau (Charles).

AUBÉPINE DE VELIKO (L').

Aubigné (Agrippa d').

Aure (d').

Avellaneda.

Avril (Adolphe d').

Aycard (Marie).

Aytoun (W. Edmondstoune).

B

Babiéca.

Bædecker (Karl).

Baïo de Piva (heyduque).

Balchitch (les), voir Baux (les).

Baldensperger (F.).

Ballantyne (James).

Ballard (Christophe).

Balzac (H. de).

BAN DE CROATIE (LE).

Bandello (Matteo).

Banduri (dom A.).

Banville (Th. de).

Baour-Lormian.

Barbier (Ant.-Alex.).

Barbier (Aug.).

Barbier (F.).

BARCAROLLE.

Barginet (Alex.).

Barrington (M.).

Barruel (l'abbé de).

Barthélémy (H.).

Bartsch (Karl).

Bastide (Jules).

BATAILLE (LA).

Batory (Etienne).

Baux (les).

Bayle (Pierre).

Beaumanoir (Jean de).

Beaumanoir (Ph. de).

Beer (Robert).

Beers (Henry A.).

Bekker (Balthazar).

Bell (Adam).

BELLE HÉLÈNE (LA).
BELLE SOPHIE (LA).

Belloc (Mme Louise Swanton).

Benincasa (le chevalier).

Bentham (J.).

Béranger (P.-J. de).

Bérard (Cyprien).

Berger (imprimeur).

Berger-Levrault (O.).

Berger-Levrault et Cie.

Berlioz (Hector).

Bernardin de Saint-Pierre.

Bernardini (le chevalier).

Berquin (Arnaud).

Bertrand (le général comte).

Beyle (Henri), voir Stendhal.

BEY SPALATIN (LE).

Bible (la).

Bibliographie de la France (la).

Bibliotéka dlia Tchténiya.

Bibliothèque allemande (la).

Bibliothèque Nationale (la).

Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Bibliothèque universelle des romans.

Biedermann (W. von).

Bigeon (J.-M.-H.).

Biré (Edmond).

Black (A. & Ch.).

Blagoyévitch (Pierre).

Blaze de Bury (Henri).

Blessebois (Pierre Corneille).

Boissonade (Jean-François).

Bombet (César), voir Stendhal.

Bonet-Maury (G.).

Bonneville (N. de).

Bopp (Franz).

Boratynsky (E. A.).

Bordeaux (Albert).

Borel (Pétrus).

Boscovich (Roger).

Bosniaque (le gouvernement).

Botta (Charles).

Botta d'Adorno (le colonel).

Bouhours (le père).

Bourquelot (Louis-Félix).

Bouterwek (F.).

Bowring (Edgar).

Bowring (sir John).

«Boyard».

Brandes (George).

Brandl (Alois).

Bratranek (F. Th.).

Braun (Karl).

Braun (Léopold).

BRAVES HEYDUQUES (LES).

Brazier (Nicolas).

Brentano (Clément).

Breton (M.).

Breuillac (M.).

Brifaut (Charles).

Brisset (M.).

British Museum.

Brohan (Mlle Augustine).

Brückner (Alexandre).

Bruère-Dérivaux (Marc).

Bruère-Dérivaux (père).

Bruerović (Marko), voir Bruère-Dérivaux (Marc).

Brunet (J.-Ch.).

Brunetière (F.).

Buchon (J.-A.).

Buffon.

Bulletin des sciences historiques.

Bürde (Samuel Gottlieb).

Bürger (G. A.).

Burne-Jones (Edward).

Burns (Robert).

Burton (sir Richard).

Bute (lord John Stuart).

Byron.

C

Calderon de la Barca.

Calmann-Lévy (libraire-éditeur).

Calmet (dom Augustin).

Campagnol (le capitaine).

Cañizares (Joseph).

Canning (George).

Capelle (M.).

CARA-ALI, LE VAMPIRE.
CARMEN.

Carmouche (P.-F.-A.).

Cassandrich (P.).

Cassas (L.-F.).

Catherine II.

Catholique (le).

Catulle.

Caussidière (Marc).

Cavino (Jean).

Cécile (A.-M.).

Ćelakovsky (Ladislav).

Cerisier (René de).

Cesarotti (Melchiore).

Chabrol (M. de).

Chalcondyle (Laonique).

Chambers (David).

Chambers's Cyclopædia of English Literature.

Chambers's Journal.

Chambon (Félix).

CHAMBRE BLEUE (LA).

Champollion.

CHANT DE MORT.

Chapond (l'abbé),—pseudonyme de Mérimée.

Charatz (cheval).

Charles VI.

Charles (Mme).

Charles d'Orléans.

Charpentier (libraire).

Chartier (Alain).

Charves (Claude).

Charves (Mlle Désirée).

Chastopalli (A.-E. de).

Chateaubriand.

Chatterton (Thomas).

Chaumette-Desfossés (Amédée).

Chawner (Edward).

Chénier (M.-J.).

Cheuvreux (Mme H.).

CHEVAL (LE) DE THOMAS II.

Chichkoff (professeur).

Child (F. J.).

Chliapkine (I. A.).

Chmielowski (Piotr).

Chodzko (Alexandre).

Christine de Pisane.

Christich (Mladin).

Christmas (Henry).

CHRONIQUE DU RÈGNE DE CHARLES IX.

Chuquet (Arthur).

Cinti (Mlle).

Claretie (Jules).

Clarke (Mme).

Clarke (Mlle Mary), voir Mohl (Mme Jules).

CLASSICISME de Mérimée.

Clément (F.).

Clément de Ris (L.).

Cobden (Richard).

Coleridge (E. H.).

Coleridge (S. T.).

Collège de France.

Collin de Plancy.

Collins (J. A.).

COLOMBA.

Colonna (M.).

COMBAT (LE) DE ZENITZA-VELIKA.

Conservateur (le).

Conservateur (le) littéraire.

CONSTANTIN YACOUBOVICH.

Constitutionnel (le).

Coppée (François).

Cordier (Henri).

Cormenin (M. de).

Corneille (Pierre).

Correa (M. de).

CORSES (VOCERI).

Cotonet (Charles), voir Stendhal.

Cotonet (Charles, jeune),—pseudonyme de Mérimée.

Coucy (Enguerrand de).

COULEUR LOCALE (LA), dans les Morlaques de la comtesse de Rosenberg; dans Jean Sbogar de Nodier; dans Smarra de Nodier; dans le Bey Spalatin de Nodier; dans la Guzla.

Courrier français (le).

Courtray (Joffe Rosa de).

Cousin (Victor).

Creuzé de Lesser (A.).

Cromwell (Oliver).

CROMWELL, drame inédit de Mérimée.

Cunningham (Allan).

Ćurčin (Milan).

Cuvier (Georges).

Cuvier (Mlle).

Cuvillier-Fleury (A.)

D

Dacquin (Mlle Jenny).

Dagobert (Chanson du roi).

Dandolo (Vincenzo).

Dante Alighieri.

Darmesteter (A.).

David d'Angers.

Delacroix (Eugène).

Delangle (N.).

Delavigne (Casimir).

Delécluze (E.-J.).

Delérot (Émile).

Delgorgues (le général).

Delille (Jacques).

Denis (Ernest).

Denis (Michel).

Depping (George-Bernard).

Désaugiers.

Desbordes-Valmore (Marceline).

Descartes (René).

Deschamps (Émile).

Deschamps (Eustache).

Deschamps (Gaston).

Deshoulières (Mme).

Deslongchamps, voyez Loiseleur-Deslongchamps.

Devani (John).

Devéria (Eugène).

Dickens (Charles).

Dictionnaire de l'Académie française.

Dictionnaire de la Conversation.

Dictionnaire d'Hatzfeld et Darmesteter.

Diderot (Denis).

Didot (Biographie générale).

Diez (Friedrich).

Dioclétien.

Djordjévitch (Djordjé S.).

Dobrowsky (Joseph).

Dondey (Théophile).

Dora d'Istria, voir Koltzoff-Massalsky.

DOUBLE MÉPRISE (LA).

Doumic (René).

Doutchitch (Jean).

Doyle (sir A. Conan).

Dozon (Auguste).

Dubois (Louis).

Du Camp (Maxime).

Du Cange (Charles du Fresne).

Ducis (J.-F.).

Duclos (Ch.-P.).

Du Halde (J.-B.).

Du Loir (sieur).

Dumas (Alexandre, père).

Dupré (Adrien).

Duputel (Pierre).

Düringsfeld (Ida).

Dussault (François-Joseph).

Du Theil, voir La Porte du Theil.

E

Eckermann (Johann Peter).

Eckstein (Ferdinand d').

Élisabeth (reine d'Angleterre).

Ellice (Edward).

Elsner (Heinrich).

Elworthy (Fred. Th.).

Encyclopédie (l').

Encyclopédie des gens du monde.

ENLÈVEMENT (L') DE LA REDOUTE.

Ernouf (le baron A.).

Eschyle.

ESPAGNOLES (ROMANCES).

Essling (le prince d').

Estève (Edmond).

Estignard (A.).

Etienne-Ouroch Ier, roi de Serbie.

Étienne-Thomas Ier, roi de Bosnie.

Étienne-Thomas II, roi de Bosnie.

Euripide.

Eurydice.

EXOTISME ROMANTIQUE (L').

Eyck (Hubert van).

Eyck (Jean van).

F

Faber (H.).

Fabius (les).

Fabre, ami de Léonor Mérimée.

Fabre d'Olivet (A.).

Fauriel (Claude).

Fédorovich-Albinoni (le chevalier).

Fée (A.).

Fellows (Alfred).

Ferrich (George).

Féval (Paul).

Filon (Augustin).

Fiorentino (P.-A.).

FLAMME DE PERRUSSICH (LA).

Flaubert (Gustave).

Flocon (Ferdinand).

Florian.

Fontanes (Louis de).

Foreign Quarterly Review (The).

Förster (Friedrich Christoph).

Fortis (Albert).

Fortoul (H.).

Fouché (Joseph).

Faucher (Paul).

Fournier (libraire).

FRANCE (LA BALLADE POPULAIRE EN).

France chrétienne (la).

France (Anatole).

Frankfurter Gelehrten Anzeigen.

Frédéric Barberousse.

FRÉNÉTIQUE (LE GENRE).

Fresnel (Fulgence).

Friedel (Adr.-Chr.).

Froissart (Jean).

Fulgence (G.).

Furnivall (Frederick J.).

FUSIL ENCHANTÉ (LE).

G

Gabriel (vaudevilliste).

Galet (adjudant).

Galley (J.-B.).

Garachanine (Iliya).

Gaster (Moses).

Gauthier (le général baron).

Gautier (Léon).

Gautier (Théophile).

Gauvain (Messire).

Gazette de France (la).

Geiger (Karl).

Geiger (Ludwig).

Geneviève de Brabant.

Geoffroy (J.-L).

Georges (Mlle).

Géraud (Edmond).

Gerhard (Wilhelm).

Gervinus (Georg Gottfried).

Gessner (Salomon).

Gibson (William).

Gide fils (libraire).

Gilderoy (outlaw).

Girardin (Émile de).

Gjorgjić (Ignace).

Glaser (médecin).

Glatigny (Albert).

Gleim (Johann Wilhelm Ludwig).

Glenbervie (lord).

Globe (le).

Godefroid de Bouillon.

Goethe (J. W. von).

Goethe-Nationalmuseum à Weimar.

Goetze (P. von).

Gogol (Nicolas).

Golz (Bruno).

Gondola (Jean), voir Gundulić.

Goszczynski (Sévérin).

Gray (Thomas).

Graziano (restaurateur).

GRECQUES (CHANTS POPULAIRES).—Voir aussi Fauriel (Claude).

Grenier (Édouard).

Grimm (Jakob).

Grimm (Wilhelm).

Gröber (Carl).

Groussac (Paul).

Gubernatis (Angelo de).

Guiguer de Prangins (famille).

Guillaume de Tyr.

Guizot (Fr.).

Gundulić (Givo).

Gunnell (Doris).

Gustafsson (le colonel).

Guttinguer (Ulric).

GUZLA (le mot).

H

Hacquet (Balthasar).

HADAGNY.

Hadjitch (Yovan), voir Swétitch (Miloch).

Haeser (C. G.).

Hales (John W.).

Halévy (Léon).

Hanka (Vaclav).

Hanska (Mme de).

Hardy (Alexandre).

Hartmann (C. F.).

Hatzfeld (Ad.).

Haussonville (comte d').

Hawker (R. S.).

Hebbel (Friedrich).

Heine (Heinrich).

Hélène, reine de Serbie.

Helvétius.

Hennet (A.-J.-U.).

Herd (David).

Herder (Johann Gottfried von).

Heredia (José Maria de).

Herloszson (K. G.).

Herold (A. Ferdinand).

Herold (Theodor).

Herrmann (Karl).

Hervey (lord Frederick).

Hettner (Hermann).

Heyduques.

HEYDUQUE MOURANT (L').

HEYDUQUES (LES BRAVES), voyez BRAVES HEYDUQUES (LES).

Heyne (Christian).

Hidalgo (don Dionisio).

Hock (Stefan).

Hoffmann (E. T. W.).

Holland (lord).

Homère.

Hood (Robin).

Hopper (Nora).

Horace.

Huber (Jean).

Hugo (Abel).

Hugo (Victor).

Huguenots (les).

Hulme (W. H.).

Humboldt (A. von).

Humboldt (W. von).

Hunyade (Jean).

Hurd (Richard).

Huysmans (J.-K.).

I

ILLYRIEN (le mot).

IMPROMPTU.
IMPROVISATION D'HYACINTHE MAGLANOVICH.

Inezoff (le général).

Institut de France.

Intelligenzblatt der Allgemeinen Literatur-Zeitung.

Ivo de Sègne (heyduque).

J

Jacquemont (Victor).

JACQUERIE (LA).

Jacques de Voragine.

Jagić (Vatroslav).

Jakob (L. H. von).

Jakob (Thérèse von).

Jakšić (N.).

JEAN SBOGAR.
JEANNOT.

Jelavić (V.).

Jérôme (le roi).

JEUNE FILLE EN ENFER (LA).

Jivkovitch (le voïvoda).

Johnson (Samuel).

Joret (Charles).

Joubert (Léo).

Jouffroy (A.).

Jouffroy (Th.).

Joukovsky (V. A.).

Journal de Paris.

Journal des Débats.

Journal des Savans.

Journal du Commerce.

Journal étranger (le).

Journal général de la littérature de France.

Journal général de la littérature étrangère.

Jullien (Adolphe).

Junot (le général).

Jusserand (J.-J.).

Jussieu (Adrien de).

K

Kačić-Miošić (André).

Kapper (Siegfried).

Karadjitch (Vouk Stéfanovitch).

Kara-Georges.

Karamzine (N. M.).

Kazinczy (François).

Keightley (Thomas).

Klopstock (Fr. G.).

KOBILICH (MILOSCH), voir MILOSCH KOBILICH.

Köhler (Reinhold).

Kollar (Jan).

Koltzoff-Massalsky (la princesse).

Kopitar (Barthélemy).

Korff (le baron).

Kossowski (Albert).

Koulakovsky (Platon).

Krauss (Friedrich).

Kreglianovich-Albinoni (le chevalier).

Krudener (Mme de).

Kuttner (M.).

L

La Beaumelle (M.).

Laboulaye (E. de).

La Chaussée (P.-Cl. de).

Lach-Szyrma (K.).

Lacroix (Octave).

Lacroix (Paul).

Lacurne de Sainte-Palaye.

Ladvocat (libraire).

Lafont (Ch.-Ph.).

La Fontaine (Jean de).

La Guilletière (de).

La Harpe (J.-F. de).

Lalanne (Ludovic).

La Maire (consul de France).

Lamartine (Alphonse de).

Lamennais.

Lamothe-Langon (baron de).

Lang (Andrew).

Langlé (Ferdinand).

Lannoy (baron de).

Lanson (Gustave).

La Place (P.-A. de).

La Porte du Theil.

La Rochefoucauld.

La Rochejacquelein (Mme de).

La Rochelle (M. de).

Larousse (Pierre).

Las Cases (E. de).

Latouche (Henri de).

La Tour d'Auvergne.

Lauriston (marquis de).

Lavallée (Joseph).

Lazar, prince de Serbie.

Le Braz (Anatole).

Le Breton (André).

Leconte de Lisle (Ch.).

Leger (Louis).

Legrand d'Aussy.

Lehr (P.).

Lemercier (Népomucène).

Lenormant (François).

Léonidas.

Leroux (Pierre).

Lerse (Fr. Chr.).

Lesage (AIain-René).

Lessing (G. E.).

Lestrange (Joseph),—pseudonyme de Mérimée.

Le Tourneur (Pierre).

Lettres d'une religieuse portugaise.

Lettres normandes.

Levrault (F.-G.).

Levrier de Champriontz.

Lewis (Matthew Gregory).

Limnander (compositeur).

Lindsay (lady Anne).

Lingay (Joseph).

Lion (Henri).

Lioubomirsky (le prince).

Lippert (Robert).

LITHUANIENNES (BALLADES).

Ljubić (Sime).

Locke (John).

Lockhart (John Gibson).

Loève-Veimars (A.).

Lohre (Heinrich).

Loiseleur-Deslongchamps.

LOKIS.

Loménie (Louis de).

London Magazine (The).

Lope de Vega (Félix).

Lorgna (Antonio).

Lorrain (Jean).

Louis XIV.

Louis XV.

Louis XVI.

Louis-Philippe.

Louka Golovran (heyduque).

Lovrich (Jean).

Lucas (Hippolyte).

Lucerna (Camilla).

Lucien.

Lyngbye (Hans Christian).

Lytton (sir Robert Bulwer), voir Meredith (Owen).

M

Macaulay (Thomas B.).

Macpherson (James), voir OSSIANIQUES (POÈMES).

Madelin (Louis).

MADEMOISELLE DE MARSAN.

Maeterlinck (Maurice).

Magasin pittoresque (le).

Magasin encyclopédique (le).

MAGLANOVICH (HYACINTHE).—Son portrait.

Magnin (Charles).

Mahomet II.

Maine-Sumner (Henry).

«Maisonette», voir Lingay (Joseph).

Maistre Pierre Pathelin.

Maistre (Xavier de).

Malbrouk (la romance de).

Malçzewski (Antoine).

Malte-Brun (Conrad).

Manuel de Seti.

Manzoni (Alexandre).

Maquet (Auguste).

Marc-Aurèle.

Marcilli.

Mareste (M. de).

Marie de Médicis.

Marko Kraliévitch.

Marković (Franjo).

Marmier (Xavier).

Marmont (le maréchal).

Marot (Clément).

Marsan (Jules).

Marschner (Heinrich).

Marshall (Mrs. Julian).

Martin (Aimé).

Martini (compositeur).

Martino (Pierre).

Massé (Amédée).

Matavouil (Simo).

MATÉO FALCONE.

Matić (Tomo).

Matković (Petar).

Mato le Croate (heyduque).

Maturin (Ch. R.).

Matvéeff (P.).

Maury (Alfred).

Mauvais œil (le).

MAUVAIS ŒIL (ballade du).

MAUVAIS ŒIL (SUR LE).
MAXIME ET ZOÉ.

Maxwell Scott (Hon. Mrs.).

Médée.

Mélesville (Duveyrier).

Melgounoff (M.).

Mélodies romantiques.

Mennessier-Nodier (Mme).

Mercure de France.

Mercure du XIXe siècle.

Meredith (Owen).

Mérimée (Anna).

Mérimée (Léonor).

«M. Mervincet».

Mézières (A.).

Mezzofanti (le cardinal).

Michaud (Biographie universelle).

Michaut (G.).

Michelet (Jules).

Mickiewicz (Adam).

Mickiewicz (Ladislas).

Mihat le berger (heyduque).

Miklosich (Franz).

Miliya l'aveugle (guzlar).

Miller (William).

Millevoye (Ch.-H.).

Millien (Achille).

Millin (A.-L.).

MILOSCH KOBILICH.

Miloutinovitch (Simo).

Millon (John).

Minerve littéraire.

Mirecourt (Eugène de).

Miroslav (l'Évangéliaire de).

Mistral (Frédéric).

Moell (Otto).

Mohl (Jules).

Mohl (Mme Jules).

Molière.

Moncrif (Fr.-Aug. de).

Moniteur universel.

Montaiglon (Anatole de).

Montaigne (Michel de).

Montalembert (M. de).

Montégut (Émile).

MONTÉNÉGRINS (LES), ballade.

Monténégrins (les), drame lyrique.

Montesquieu.

Montferrand (A. de).

Monthly Review (The).

Montijo (la comtesse de).

Moore (Thomas).

Morgenblatt (Das).

Morillot (Paul).

MORLAQUE (le mot).

MORLAQUES (LES), roman.

Morlaques (les), ballet.

Morlaques (les), opéra.

MORLAQUE À VENISE (LE).

Morley (Henry).

Morosini (Jacques).

Morozoff (P. O.).

Morris (William).

MORT DE THOMAS II (LA). Voir aussi Étienne-Thomas II.

Morton (Jacques).

«Morvizza» (le P.).

MOSAÏQUE.

Motherwell (William).

Muller (Charles).

Müller (Friedrich von).

Müller (Johann von).

Müller (Wilhelm).

Murko (Matthias).

Musäus (J. Ch. A.).

Muse française (la).

Musset (Alfred de).

Musset (Paul de).

MYSTIFICATEURS LITTÉRAIRES (LES).

N

Nagy (J.).

Napoléon Ier.

Napoléon III.

Nehring (Wlad.).

Némagnas (les).

Nénadovitch (Yakov).

Nerval (Gérard de).

New Monthly Magasine (The).

Niebuhr (B. G.).

Nisard (A.).

Noailles (Mme de).

Nodier (Charles).

Nodier (Mme Charles), voir Charves (Mlle Désirée).

Noire-Isle (Charles de).

Novak le vieillard (heyduque).

Novakovitch (Stoyan).

O

Odin (le comte Maxime),—pseudonyme de Charles Nodier.

Odyniec (A. G.).

O'Meara (K.).

O'Neddy (Philothée), voir Dondey (Théophile).

Orphée.

Orphelin de la Chine (l').

OSSIANIQUES (POÈMES).

Ostoyitch (Étienne-Thomas).

Ostrowski (Chr.).

Othon, roi de Grèce.

Otrante (duc d'), voir Fouché (J.).

Otway (Thomas).

Ouroch Ier, roi de Serbie.

Ovide.

Oxenford (John).

Ozanam (A.-F.).

P

Pahan (Gabrielle de).

Palerne (Jean).

Panckoucke (Mme Ernestine).

Panizzi (sir Anthony).

Pappizza (guzlar).

Pâris.

Parny (Évariste).

Pathelin (Maistre Pierre).

Paul Ier (de Russie).

Paupe (Adolphe).

Perceval.

Percy (Thomas).

Périchole (la).

Périer (Casimir).

Perrault (Charles).

Perry (Thomas S.).

Pertusier (Charles).

Pervan (de Coccorich).

Petit de Julleville (Louis).

Pétranovitch (Bogolioub).

Pétrovitch (Nicolas S.).

Peyssonel (Charles de).

Philippe (guzlar), voir Vichnitch (Philippe).

Philips (Ambrose).

Piccini (Alexandre).

Pichot (Amédée).

Pierre Ier (de Russie).

Pierre Ier (prince-évêque de Monténégro).

Pindare.

Pingaud (Léonce).

Pinvert (Lucien).

Pirch (Otto von).

Pisani (Paul).

Pitois (M.).

Pitois-Levrault (M.), voir Pitois (M.)

Pitton de Tournefort.

Planche (Gustave).

Plaute.

Pline l'Ancien.

Pniower (Otto).

POBRATIMI (LES).

Pogodine (Mikhaïl Pétrovitch).

Polévoï (Nikolaï Alexéïévitch).

Polidori (William).

Ponthieu (libraire).

Pope (Alexandre).

Popovitch (Pavlé).

Porchat (Jacques).

Porta (Jean-Baptiste).

Pouchkine (Alexandre Serguiévitch).

Pouqueville (Hugues).

Pré-aux-Clercs (le).

Preisinger (H.).

Prévost (Hippolyte).

Pypine (Alexandre Nikolaévitch).

Pyrrhus.

Q

Quarterly Review (The).

Quérard (J.-M.).

QUERELLE DE LEPA ET DE TCHERNYEGOR (LA).

Quinet (Edgar).

Quirini (Angelo).

Quotidienne (la).

R

Rabelais (François).

Racine (Jean).

Radcliffe (Mrs. Anne).

Rade de Sokol (heyduque).

Radonitch (Vouk).

Raguse (duc de), voir Marmont.

Rambler (The).

Ramoux (compositeur).

Ramsay (Allan).

Ranft (M.).

Ranke (Léopold).

Raynaud (Gaston).

Raynouard (François).

Rebaux (Paul).

Récamier (Mme).

Reclus (Élisée).

Redlich (Karl).

Rehfues (J. F.).

Reinhard (le comte).

Rémusat (Charles de).

Renan (Ernest).

Renduel (libraire).

Renommée (la).

Renouard (A.-A.).

Repisitch (M.).

Restif de la Bretonne (N.).

Rétif de la Bretonne (Victor-Vignon).

Réunion (la).

Revue d'Europe.

Revue de Paris.

Revue des Deux Mondes.

Revue du Nord.

Revue encyclopédique (la).

Reymond (William).

Ricault (Paul).

Richard Cœur de Lion.

Richelieu (duc de).

Richepin (Jean).

Rincovedro (L.).

Ristitch (Jean).

Riznitch (les).

Robert (Cyprien).

Robinson (Mrs. Edward), voir Jakob (Thérèse von).

Rod (Édouard).

Roland (la Chanson de).

Romanovitch (professeur serbe).

ROMANTISME DE MÉRIMÉE.

Rose (Roman de la).

Rosemond (M. de).

Rosenberg-Orsini (le comte de).

Rosenberg-Orsini (la comtesse de).

Rossel (Virgile).

Rossetti (Dante Gabriel).

Rossetti (Mrs. W. M.).

Rossi (compositeur).

Rouget de Lisle.

ROUMAINES (BALLADES).

Rousseau (Jean Jacques).

Roux de Rochelle.

Royer-Collard (H.).

Rozier historial (le).

Rumy (le Dr.).

RUSSE (POÉSIE POPULAIRE).

S

Sacy (Sylvestre de).

Saint-Aulaire.

Sainte-Beuve.

Saint-Ferréol (de).

Saint-Lambert.

Saint-Marcel (Léon de).

Saint-Marc Girardin.

Saintsbury (George).

Salomon (Michel).

Salvandy (N.-A. de).

Sand (George).

Sardou (Victorien).

Santelot (libraire).

Sayous (P.-A.).

Sbogar (Jean).

SCANDINAVES (BALLADES).

Schaffarik (Paul-Joseph).

Schefer (Charles).

Scheffler (Wilhelm).

Schiller (Friedrich von).

Schlegel (Wilhelm von).

Schlözer (A. L. von).

Schnabel (B.).

Schnitzler (J.-H.).

Schot (Gaspar).

Schuhardt.

Schuré (Édouard).

Sclamer (Pietro).

Scott (sir Walter).

Scribe (Eugène).

Séché (Léon).

Segall (J. B.).

SEIGNEUR MERCURE (LE).

Selitsch (G.), voir Zélitch (C.)

Senancour.

SERBO-CROATE (POÉSIE POPULAIRE).

Seuffert (B.).

Shaftesbury.

Shakespeare (William).

Sharpe (Sutton).

Shelley (Mrs.).

Shortreed (Mr.).

Sidney (sir Philip).

Silbermann (G.).

Siniavine (amiral russe).

Sipovsky (V.).

Sismondi (Simonde de).

Skander-Beg.

Skatoverga (George).

Skerlitch (Jean).

Slovak (S. R.).

SMARRA.

Smith (John).

Sobieski (Jean).

Sobolevsky (S. A.).

Soleinne (M. de).

Sophocle.

Sorgo (Antoine de).

Sotchivitza (brigand).

Souriau (Maurice).

Southey (Robert).

Spalatin (le comte).

Spasowicz (W. D.).

Spectateur français (le).

Spectator (The).

Spoelberch de Lovenjoul (le vicomte de).

Šrepel (Milivoj).

Stace.

Staël (Mme de).

Stapfer (Albert).

Stapfer (Paul).

Stapfer (Philippe-Albert).

Steig (R.).

Stendhal (Henri Beyle).

Stoïkovitch (Sréta Y.).

Stow (John).

Stoyanovitch (Lioubomir).

Strange (John).

Stryienski (Casimir).

Stuart (John), voir Bute (lord).

Suphan (Bernhard).

Surville (Clotilde de).

Švrljuga (Iv. Krst.).

Swétitch (Miloch).

Swift (Jonathan).

Symonds (John).

Syn otetchestra.

T

Taine (Hippolyte).

Talvj, voir Jakob (Thérèse von).

TAMANGO.

Tamisier (M.).

Tasso (Torquato).

Tastu (Mme Amable).

Taylor (le baron).

Tchoïkovitch (Tchoubro), voir Miloutinovitch (Simo).

Techener (libraire).

Télégraphe officiel des provinces illyriennes.

Tercy (M. de).

Texte (Joseph).

THÉÂTRE DE CLARA GAZUL.

Théocrite[979].

Théophile de Viau.

Thibaut IV, comte de Champagne.

Thieme (Hugo P.).

Thierry (Augustin).

Thierry (Gilbert-Augustin).

Thiers (Adolphe).

Tieck (Ludwig).

Tipaldo (Biografia).

Tolstoï (Léon).

Tomachévitch (Etienne-Thomas II).

Tomachévitch (Radivoï).

Tourguéneff (Ivan).

Tourneux (Maurice).

Towianski (André).

Tracy (Destutt de).

Trawinski (F.).

Trenchard (John).

Tristan et Iseult.

Tristan l'Hermite.

TRISTE BALLADE DE LA NOBLE ÉPOUSE D'ASAN-AGA.

Tropsch (Stjepan).

Tzernoyévitch (Maxime).

U

Ueber Kunst und Altertum.

Uhland (Ludwig).

V

Valnay (M.).

VAMPIRE (LE).

Vampirisme.

VAMPIRISME (SUR LE).

Vanderbourg (Ch.).

Vater (J. S.).

Vedova (G.).

Vénévitinoff.

VÉNUS D'ILLE (LA).

Verkovitch (Stefan).

Vesselofsky (Alex.).

Vetter (Th.).

Vialla de Sommière (L.-C.).

Viazemsky (le prince).

Vicaire (Georges).

Vichnitch (Ivan).

Vichnitch (Philippe).

Vigny (Alfred de).

Vila (la).

Villehardouin (Geoffroi de).

Villemain (François).

Villemarqué (Hersart de La).

Villers (Charles).

Villiers (lord Clarendon).

Villoison (d'Ansse de).

Villon (François).

Vilmar (August).

Viollet-le-Duc.

Virgile.

Virieu (M. de).

VISION DE CHARLES XI (LA).
VISION DE THOMAS II (LA).

Vitet (Louis).

VOCERI.

Vodnik (Valentin).

Vogl (J. N.).

Voïart (Mme Élisa).

Voïnovitch (Louis de).

Voltaire.

Voss (Johann Heinrich).

Vostokoff (A. K.).

Vouïadine le vieillard (heyduque).

Voukossav (heyduque).

Voutchitch (Thomas).

Voutier (le colonel).

Vreto (Marino).

W

Wagener (H. F.).

Walpole (Horace).

Warburton (William).

Warton (Thomas).

Watts-Dunton (Th.).

Weber (Karl).

Weber (Veit).

Wecker-Gotter (le baron).

Weiss (Charles).

Wenzig (J.).

Werthes (F. A. Cl.).

Wesely (Eugène).

Westminster Review (The).

Wey (Francis).

Wheatley (H. B.).

Wiener Diarium.

Wierus.

Witkowski (Georg).

Wolf (Friedrich August).

Wolkonska (la princesse Zénaïda).

Wordsworth (William).

Woycicki (folkloriste polonais).

Wurzbach (Dr. Constant von).

Wüscher (Gottlieb).

Wynne (Justine), voir Rosenberg-Orsini (la comtesse de).

Wynne (Richard).

X

Xanthos.

Y

Yakovlieff.

Yanko de Cattaro (heyduque).

Yankovitch (Stoïan).

Yart (Antoine).

Yeats (William Butler).

Young (Edward).

Yovanovitch (Voyslav M.).

Yovanovitch (Zmaï-Yovan).

Z

Zaleski (Bohdan).

Zarbarini.

Zélitch (Ghérassim).

Zelter (Karl Friedrich).

Zimmer (Heinrich).

Zschokke (Heinrich).

NOTES

[1: A. Filon, Mérimée et ses amis, Paris, 1894, pp. 37-38.]

[2: Il est vrai que Eugène de Mirecourt, l'auteur des Contemporains, avait essayé de faire quelques recherches et qu'il avait consulté le Voyage de Fortis, source principale de la Guzla. Mais, avant d'avoir trouvé ce qu'il cherchait et ce qu'il aurait pu trouver avec quelque diligence, il ferma le «gigantesque volume», déclarant «franchement» qu'il ne voyait pas de quel secours a pu être à Mérimée «ce livre indigeste, qui ne parle que de métallurgie, de botanique et de géologie». (Les Contemporains, n° 79, Mérimée, Paris, 1857, p. 37.)]

[3: Voir à la fin du présent volume une liste de travaux relatifs à la Guzla.]

[4: Notamment: le royaume de Serbie, la Bosnie-Herzégovine, le royaume de Croatie, une partie de l'Istrie et une autre de la Hongrie du Sud, la Dalmatie, la principauté de Monténégro, la Vieille-Serbie (Macédoine du Nord et le sandjak de Novi-Bazar), enfin une partie de la Macédoine.]

[5: Même de nos jours, le gouvernement bosniaque ne reconnaît pas l'existence d'une langue serbo-croate officielle et lui donne le nom de langue provinciale (sic), die Landessprache.]

[6: Ce nom, qui désigne aujourd'hui exclusivement les habitants de l'Esclavonie (pays faisant partie de la Croatie), désignait autrefois les Slaves en général; il commença à disparaître dès la fin du XVIIIe siècle, surtout sous l'influence des écrivains russes. Pour remplacer le nom d'Esclavons par un terme plus précis, un Ragusain, le comte de Sorgo, proposait, en 1807, à l'Académie Celtique de Paris le nom de Slovinski-narod (peuple slovinique). Mémoires de l'Académie Celtique, t. II, pp. 21-62.]

[7: Voir ci-dessous, ch. II, § 5.]

[8: Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française, t. II, pp. 308-311.]

[9: Ernest Leroux, éditeur.]

[10: Édition fac similé, par L. Stoyanovitch, Belgrade et Vienne, 1897.]

[11: M. Murko, Geschichte der älteren südslawischen Litteraturen, Leipzig, 1908, pp. 181-184.—A. Brückner, Ein weissrussischer Codex miscelianeus, Archiv für slavische Philologie, t. IX, 1886.]

[12: Dr Friedrich Krauss, dans la Zeitschrift für vergleichende Litteraturgeschichte, Neue Folge, III Band, Berlin, 1890, p. 351.]

[13: F. Lenormant, Deux dynasties françaises chez les Slaves méridionaux, Paris, 1861.]

[14: Pavlé Popovitch, Manekine in der südslavischen Litteratur dans la Zeitschrift für romanische Philologie, 1908, pp. 312-322 et 754.]

[15: Paul Morillot, Le Roman de 1660 à 1700 dans l'Histoire de la langue et de la littérature française publiée sous la direction de Petit de Julleville, t. V, p. 574.]

[16: Maurice Souriau, Bernardin de Saint-Pierre, Paris, 1905.]

[17: À ce sujet, consulter la Bibliographie française sur les Serbes et les Croates, par M. Nicolas S. Pétrovitch (Belgrade, 1900), et les travaux du Dr Petar Matković, dans les Rad de l'Académie Sud-Slave d'Agram, et ceux de M. Stoyan Novakovitch, dans les Godichnitsa Nikolé Tchoupitcha et ailleurs.]

[18: Pierre Martino, L'Orient dans la littérature française aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1906.]

[19: À Paris, chez N.-M. Tilliard, 1765, pp. XLIV et 364, in-4°. Manque dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[20: «Ces Ragusois sont gens de grand traffic, et principalement sur ceste mer Méditerranée, ayans plus de six-vingts gros navires, avares, superbes et hautins, qui se persuadent n'y avoir gens plus nobles qu'eux: et pour paroistre tels, portent ordinairement l'oyseau sur le poing en se promenans par la ville, avec leur long habit, suyvans au reste l'église romaine et recognoissans le Pape. Leur commun idiome est l'Esclavon, le plus fâcheux de toutes les autres langues: pour lequel ils ont un alphabet et characteres à part, duquel aussi se servent les Serviens, Bossenois, Bulgariens, etc.» (Jean Palerne Foresien, Pérégrinations, Lyon, 1606, p. 517.)—«Nous vismes après Raguse, qui est la ville capitale d'une république, écrivait vers 1610 un Parisien; bien qu'elle ne soit guère plus grande que la place Royalle, mais que la beauté des édifices et la quantité des fontaines rendent si jolie que je pourrois vous assurer qu'il y en a peu dans l'Europe de mieux bastie, si depuis peu de temps les tremblemens de terre n'en avoient tellement ébranlé les fondemens qu'il a fallu traverser les rues avec des estayes pour en appuyer les maisons.» (Voyage du sieur Du Loir, Paris, 1654.)—Ces deux ouvrages manquent dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[21: Starine de l'Académie Sud-Slave, t. XIV, Agram, 1883, pp. 58-82.]

[22: Glasnik du Musée «provincial» bosniaque, t. XVI, Sarayévo, 1904.]

[23: Cf. Louis Leger, Molière à Raguse, dans la Revue d'histoire littéraire, juillet-septembre 1908.]

[24: Bibl. nat. Mss. fonds fr., dossier Raguse.]

[25: Louis de Voïnovich, Louis XIV et Raguse, dans la Revue d'histoire diplomatique, 1907, pp. 57-95.]

[26: Les Éclipses, poème en six chants, dédié à Sa Majesté par M. l'abbé Boscovich; traduit en français par M. l'abbé de Barruel, Paris, 1779; réimprimé en 1784.]

[27: Il en existe deux copies à Paris, l'une à la Bibliothèque nationale, l'autre aux Archives nationales. Il y en a aussi à Raguse et à Venise, paraît-il.]

[28: Léon Gautier, Les Épopées françaises, t. II, Paris, 1892, p. 679.—M. Gottlieb Wüscher, dans son étude Der Einfluss der englischen Balladenpoesie auf die französische Litteratur (Zurich, 1891, p. 23), attribue faussement cette collection à J.-B. de la Curne de Sainte-Palaye.]

[29: Bibliothèque universelle des romans, mai 1777, p. 6.]

[30: Manque dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[31: Toute la correspondance à ce sujet entre l'Institut, le ministre des Relations extérieures et le consul général de France à Raguse, a été publiée par M. Švrljuga dans les Starine, t. XIV, pp. 70-79.]

[32: Parmi les derniers poètes serbo-croates de l'école ragusaine il faut mentionner un Français, Marc Bruère-Dérivaux (Marko Bruerović), né vers 1770, mort en 1823. Son père représentait la France auprès de la République de Raguse, aussi apprit-il si bien la langue indigène qu'il devint capable d'écrire des traductions, des satires et des comédies. Bruère-Dérivaux passa toute sa vie parmi les Slaves méridionaux, fut consul de France à Scutari en Albanie et mourut pendant un voyage dans l'île de Chypre. Sur son œuvre poétique, il existe une étude critique de M. J. Nagy, Marko Bruère als ragusanischer Dichter, dans l'Archiv für slavische Philologie, t. XXVIII, pp. 52-76, Berlin, 1906.]

[33: Né à Vicence en 1740, mort à Bologne le 21 octobre 1803. Cf. l'article de G. Vedova dans la Biografia degli Italiani illustri del secolo XVIII de Tipaldo, t. II, p. 237 et suiv.—A. Pypine, Poésie populaire serbe (en russe), dans le Viestnik Evropy, décembre 1876, p. 718 et suiv.—Archiv für slavische Philologie, t. XXX, pp. 586-590.]

[34: Les biographes de Fortis désignent simplement comme «un certain Anglais, nommé Symonds», ce scholar accompli, successeur du poète Thomas Gray à la grande Université anglaise. Nous croyons que c'est ici, pour la première fois, que l'on identifie la personnalité de ce distingué compagnon de Fortis. Sur John Symonds lire Dictionary of National Biography, t. LV, p. 271, et Allibone's Dictionary of British and American Authors, art. «Symonds (John)».]

[35: Osservazioni, pp. 160-161.]

[36: Milan Čurčin, Das serbische Volkslied in der deutschen Literatur, Leipzig, 1905, p. 24.]

[37: Dans son Voyage en Dalmatie, il écrit une fois: «L'endroit où il nous attendait… est le lieu le plus propre pour y méditer les Nuits de Young» (t. II, p. 93).]

[38: Viaggio in Dalmazia, t. I, p. 89. Cesarotti était même un ami de sa famille. Il eut beaucoup de succès avec ses réflexions sur les poèmes ossianiques, dans la Gazette littéraire du 1er septembre 1765.]

[39: Le plus important chapitre du Voyage en Dalmatie, celui des «Mœurs des Morlaques», était dédié à lord Bute. Ce seigneur écossais était un grand admirateur de son compatriote Macpherson, qu'il fit venir à Londres en 1762, au moment de son arrivée au pouvoir. Macpherson lui dédia la première édition de Fingal et cette politesse fut très libéralement rendue: lord Bute paya les frais de la publication de Temora (Dictionary of National Biography, t. XXXV, p. 263). Un tel homme ne pouvait que très chaudement conseiller à Fortis de recueillir des ballades populaires.]

[40: Archiv für slavische Philologie, t. XXX, pp. 586-596.]

[41: Quoi qu'en disent quelques écrivains, sous ce nom, Fortis entendait le peuple serbo-croate en général, et non pas exclusivement la tribu dalmate désignée aujourd'hui par ce nom. Il déclare expressément que «le pays habité par les Morlaques s'étend plus loin vers la Grèce, l'Allemagne et la Hongrie»: c'est-à-dire qu'il comprend la Bosnie, la Serbie et la Macédoine (Viaggio, t. I, p. 44).

Morlaque vient d'une forme primitive morovlach: moro représente le grec μαυρος (noir, misérable); vlach (valaque) est le mot par lequel les Slaves musulmans et catholiques désignent volontiers leurs congénères de religion orthodoxe.]

[42: Volkslieder, Erster Teil, Leipzig, 1778, pp. 130-138: «Ein Gesang von Milos Cobilich und Vuko Brankowich. Morlakisch.»]

[43: Viaggio in Dalmazia dell'Abate Alberto Fortis. In Venezia, Presso Alvise Milocco, all'Apolline, 1774, 2 vol. in-4°, pp. 180 et 204; nombreuses planches.]

[44: Viaggio, t. I, p. 88.]

[45: Viaggio, t. I, pp. 98-105.]

[46: Charles Nodier se moque agréablement de son lecteur quand il prétend avoir «recueilli de la bouche des Dalmates» la version qu'il en a donnée dans Smarra (1821).]

[47: F.-C.-H.-L. Pouqueville, Voyage dans la Grèce, 2e édition, Paris, 1826, t. III, p. 135.]

[48: Cf. ci-dessus, p. 25.]

[49: M.J. Nagy, dans son article sur Marc Bruère, tout en ignorant l'ouvrage de Pouqueville, discute, par anticipation, la possibilité de ce qu'on y avance. Sa conclusion est négative. (Archiv für slavische Philologie, 1906, pp. 52-76.)]

[50: Osservazioni sopra diversi pezzi del Viaggio in Dalmazia del Signor Abate Alberto Fortis, coll'aggiunta della cita di Sochivizca. In Venezia, 1776, pp. 264, in-4º.]

[51: Sermone parenetico di Pietro Sclamer Chersino al Signor Giovanni Lovrich, Modena, 1777.—L'Abate Fortis al Signor Giovanni Lovrich, Brescia, 1777.—Lettera apologetica di Giovanni Lovrich al celebre Signor Antonio Lorgna, Padoua, 1777. (Lorgna avait attaqué Lovrich dans les Efemeridi letterarie di Roma du 31 août 1776.)]

[52: É. Reclus, Géographie universelle, t. III, p. 235.]

[53: Die Sitten der Morlacken. Aus dem Italienischen übersetzt [par F.-A.-C. Werthes]. Mit Kupfern. Bern, bey der typographischen Gesellschaft, 1775, pp. 99, in-8°.—Extrait de l'ouvrage suivant:]

[54: Abbate Alberto Fortis, Reise in Dalmatien. Aus dem Italienischen. Mit Kupfern. Bern, bey der typographischen Gesellschaft, 1776, 2 vol. in-8°, pp. 266 et 284.]

[55: Mercure de France, février 1777, pp. 109-116.]

[56: Lettre de M. l'abbé Fortis à Mylord comte de Bute sur les mœurs et usages des Morlaques, appelés Monténégrins. Avec figures. À Berne, chez la Société typographique, 1778, pp. 85, in-8º.—Lettre à Son Excellence Jacques Morosini sur le pays de Zara. Avec figures. À Berne, chez la Société typographique, 1778, pp. 43, in-8º.—Ces deux brochures sont tirées à part de l'ouvrage suivant:]

[57: Voyage en Dalmatie par M. l'abbé Fortis. Traduit de l'italien. Avec figures. Berne, chez la Société typographique, 1778, 2 vol., pp. 246 et 276, in-8º.—M. Milan Ćurčin (op. cit., p. 48) prétend que cette traduction française n'est pas faite sur l'original italien mais sur la traduction allemande de 1776. Nous n'avons pu comparer les trois éditions complètes,—au British Museum manque la traduction française et à la Bibliothèque Nationale manque l'original—mais nous avons comparé le chapitre sur les Mœurs des Morlaques et, jugeant d'après ce chapitre, il nous semble que M. Ćurčin se trompe. On trouve tant de mêmes mots d'origine latine dans le texte italien et la traduction française que des coïncidences si nombreuses seraient inexplicables si la traduction française avait été faite sur la traduction allemande. (Cf. surtout le commencement du § 9: De' Costumi). Mais ce n'est pas tout. Le traducteur français NE REPRODUIT PAS nombre de fautes d'impression et de transcription des noms slaves, fautes que l'on trouve dans l'édition allemande, mais non dans l'original. Aussi son texte se rapproche-t-il (son texte serbo-croate de la Xalostna piesanza) plutôt du texte de Fortis que de celui du traducteur allemand. La preuve apportée par M. Ćurčin que les planches sont identiques dans les deux traductions n'est pas suffisante, étant donné que les deux ouvrages sont sortis des mêmes presses.]

[58: Frankfurter Gelehrten Anzeigen, des 1er et 5 mars 1776, p. 149. (Cité par M. Karl Geiger, dans l'Archiv für Literaturgeschichte, t. XIII, Leipzig, 1885, p. 339.)]

[59: Die Sitten der Morlacken, pp. 91, 93, 95, 97, 99. Le Klaggesang ne porte pas la signature de Werthes, mais on sait bien que la traduction était sienne. Cf. Dr. Theodor Herold, Friedrich August Clemens Werthes und die deutschen Zriny-Dramen, Münster i. W., 1898, p. 35 et suiv. (Cité par M. Ćurčin, op. cit., p. 45.)

Goethe avait fait la connaissance de Werthes une année avant la publication de cette traduction (1774). Cf. Allgemeine deutsche Biographie, t. XLII, p. 132, et Goethe-Jahrbuch, t. VII, p. 206 et suiv. Pour notre part, nous croyons que ce fut à cette occasion qu'il prit aussi connaissance de la traduction de Werthes.]

[60: Karl Bartsch, Goethe und das serbische Versmass, article publié dans la revue berlinoise Die Gegenwart, t. XXIV, 1883, n°41, p. 229 et suiv.]

[61: Volkslieder, Erster Teil, Leipzig, 1778, pp. 309-314. La traduction fut publiée anonymement; le nom de Goethe ne figure que dans les Goethes Schriften, t. VIII, 1789, pp. 177-182.—Sur cette traduction existe toute une littérature dont, ailleurs, nous donnerons la nomenclature.]

[62: Volkslieder, Zweiter Teil, Leipzig, 1778, pp. 168-171. Nombreuses réimpressions, dont la meilleure est celle de Karl Redlich: Herders Poetische Werke, Erster Band, Berlin, 1885 (dans les Herders Sämmtliche Werke, herausgegeben von B. Suphan, XXV Band).]

[6: Tome XXX, pp. 593-596.]

[64: Voir à l'appendice.]

[65: Il en parle dans son article Serbische Lieder, publié pour la première fois dans Ueber Kunst und Altertum, t. V, livr. 2 (1824), p. 53. Pourtant, Goethe fait erreur lorsqu'il affirme avoir traduit le Klaggesang d'après la comtesse de Rosenberg; les Morlaques, en effet, ne contiennent pas cette pièce. Ils sont, du reste, postérieurs de treize ans à la traduction de Goethe, qui est de 1775 ou 1776. (Voir Franz Miklosich, Ueber Goethe's «Klaggesang von der edlen Frauen des Asan Aga», Vienne, 1883, pp. 50-52.)]

[66: Giornale encyclopedico di Vicenza, 1789 ou 1790. L'article fut traduit en français et publié dans l'Esprit des journaux, juillet 1790, pp. 225-249.]

[67: Par Samuel Gottlieb Bürde, Breslau, 1790. Cf. une notice de Karl Geiger dans l'Archiv für Literaturgeschichte, Leipzig, 1885, t. XIII, p. 348 et suiv.]

[68: Charles Nodier, Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, Paris, 1829, pp. 187-194.—Cf. aussi la note de Nodier, jointe à son exemplaire des Morlaques et publiée par le baron A. Ernouf dans le Bulletin du Bibliophile, juin-juillet 1858, p. 1010: «Je connais, dit-il, peu de livres plus neufs, plus piquants et plus curieux; c'est un tableau très vrai des mœurs les plus originales de l'Europe, et j'ose dire qu'il n'existe dans aucune langue un ouvrage aussi complet sur cette matière.»]

[69: Notice sur la vie et l'œuvre de Justine Wynne, par le baron Ernouf, dans le Bulletin du Bibliophile, 1858, p. 997 et suiv. (En citant cet article, nous l'abrégeons.) Outre cette curieuse Notice, nous avons consulté: l'Introduction des Essays moral and sentimental (Londres, 1785); l'article cité de Charles Nodier; Biographisches Lexikon des Kaiserthums Oesterreich, von Dr. C. v. Wurzbach (art. «Rosenberg-Orsini»); l'ouvrage cité de Franz Miklosich.—Un érudit français, d'Ansse de Villoison, qui séjourna à Venise en 1782, parle souvent de la comtesse de Rosenberg, dans les très intéressantes lettres qu'il écrivit cette même année 1782 de la cour de Weimar à John Strange, ministre anglais à Venise. D'Ansse de Villoison était un des premiers Français qui aient connu Goethe personnellement, et M. Ch. Joret lui a récemment consacré trois articles dans la Revue d'histoire littéraire de la France (1895-1896) et dans la Revue germanique (1909). Les lettres dont nous parlons non seulement sont restées inédites, mais encore personne n'a songé à les étudier. Elles se trouvent au British Museum, Eg. MSS. 2002, ff. 112-120, 127, 130, 138, 145, 155, 167, 181.

Peut-être fût-ce cet ami de la comtesse de Rosenberg qui parla pour la première fois d'elle devant Goethe.]

[70: Wurtzbach, Biographisches Lexikon des Kaiserthums Oesterreich, t. XXVIII, p. 17 et suiv.]

[71: Deux tomes en 1 vol. gr. in-8°, ensemble de 358 pages. Titre gravé, avec les initiales J.W.C.D. U.& R. et une dédicace à Catherine II, avec les noms de la comtesse en toutes lettres. Il semble qu'il y ait des exemplaires où ces noms figurent sur le titre aussi, et qu'il y en ait dans lesquels manque la dédicace. L'exemplaire que nous avons eu entre les mains, celui du British Museum, ne porte que les initiales. J.-Ch. Brunet cite aussi une édition de Modène, Société typographique, in-4° [1788?] (Manuel du libraire, t. V, col. 1486.)]

[72: Préface aux Morlaques.]

[73: À propos de la «couleur locale» des Morlaques, l'abbé Cesarotti écrivait: «On a même souvent reproché aux poètes de France que leurs héros, soit Turcs, Chinois ou Américains, ne sont dans le fond que des Français déguisés. Ici, au contraire, tout ce que l'on voit et que l'on entend est morlaque, tout est convenable, tout est dans les coutumes et dans la vérité.» (L'Esprit des Journaux, juillet 1790, p. 247.)]

[74: Cf. Joseph Texte, Jean-Jacques Rousseau et le cosmopolitisme littéraire, Paris, 1895, pp. 384-440.]

[75: J.-J. Jusserand, Histoire littéraire du peuple anglais, t. I, p. 7.]

[76: Nous ne croyons pas qu'il faille attacher beaucoup d'importance à ce jugement: c'est Nodier bibliomane et non pas Nodier critique qui parle («un joli exemplaire, larges marges», etc.). Le rare in-8° qu'est ce roman, est très apprécié par les amateurs de livres.—Pourtant, l'auteur de Jean Sbogar fut blâmé plusieurs fois pour cet éloge de la «couleur locale».]

[77: Elle reconnaît cette dette dans sa préface.]

[78: À ce sujet, voir ci-dessous, §§ 7, 8 et 9.]

[79: Bulletin du Bibliophile, 1858, pp. 1005 et 1011.]

[80: Charles Nodier, Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, pp. 189 et 192.]

[81: Ch. Nodier, op. cit., p. 188.—Cet exemplaire a appartenu, depuis, au prince d'Essling et, ensuite, au baron Ernouf, mort en 1887. Nous ne connaissons pas son possesseur actuel. Un autre exemplaire, marqué 70 francs, se trouvait au mois de juillet 1847 sur le catalogue de la librairie J. Techener à Paris (Bulletin du Bibliophile, 1847, p. 326). Un troisième, appartenant à Aimé Martin, a passé en vente en 1848. Les Morlaques se trouvent au British Museum à Londres, ainsi qu'à la Bibliothèque Impériale de Vienne; à Saint-Pétersbourg on en a deux exemplaires, dont l'un fut offert par l'auteur à Catherine II. (Cf. la lettre du baron Korff au directeur du Bulletin du Bibliophile, sept. 1858, pp. 1226-1228.) La Bibliothèque Nationale ne possède pas cet ouvrage.]

[82: Bulletin du Bibliophile, 1862, pp. 1261-1262. Cf. aussi la notice du baron Ernouf dans le même journal, 1881, pp. 463-468.]

[83: M. Ćurčin, op. cit., p. 181.]

[84: Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, pp. 190-191.—Miklosich (op. cit., p. 51) et M. Ćurčin (op. cit., p. 49), ignorant que cet article de la Biographie universelle était de Nodier lui-même, le citent pour démontrer qu'il y avait des gens qui «ont jugé les Morlaques d'une façon plus juste que ne le fit Nodier dans ses Mélanges»!]

[85: Sylvester Douglas, baron Glenbervie (1743-1823). Cf. Dictionary of National Biography, t. XV, p. 348.]

[86: Un «ballet historique», la Vente des esclaves, fut dansé à Berlin pendant le carnaval de 1802 à une fête donnée par l'ambassadeur de Portugal, M. de Correa, fête mémorable à laquelle assistaient le roi et la reine de Prusse. La pièce ne fut jamais imprimée, mais on voit d'après l'extrait qu'en a publié le baron Ernouf (Bulletin du Bibliophile, 1868, pp. 385-390) qu'un Morlaque y jouait un rôle important.—Le Magazine encyclopédique enregistrait, au mois d'août 1806, un nouveau ballet des Morlaques qui venait d'être donné au Théâtre de la Ville de Vienne et qui n'avait point réussi.—Un opéra intitulé les Morlaques, en deux actes, musique du baron de Lannoy, texte italien de Rossi, fut représenté en 1817 à Graz. L'illustre savant autrichien Miklosich, qui ne connaissait l'ouvrage de Mérimée que de nom, et pas du tout celui de Nodier, se trompa singulièrement en prétendant que cet opéra fut le dernier écho du Viaggio in Dalmazia. (Cf. Ueber Goethe's Klaggesang, pp. 38 et 49.)]

[87: Corinne ou l'Italie, livre XV, ch. IX.—Cette idée sur la poésie d'Ossian était déjà exprimée par Mme de Staël au chapitre consacré à la littérature du Nord, dans son livre De la littérature (pp. 210-224 de l'éd. originale). On remarquera ici la même fameuse division des «deux littératures tout à fait distinctes, celle qui vient du Midi et celle qui descend du Nord».]

[88: Srpski kgnijevni Glasnik du 16 mai 1904, p. 748.]

[89: Goethe-Jahrbuch, 1884, p. 118.]

[90: De l'Allemagne, éd. Garnier, p. 175.]

[91: Idem, partie 2e, ch. XXX.]

[92: Le Globe, samedi 21 septembre 1827, p. 410.]

[93: Paul Pisani, La Dalmatie de 1797 à 1815, épisode des conquêtes napoléoniennes. Paris, 1893.—Simo Matavouil, Le Littoral adriatique et les plans de Napoléon (en serbe) dans la Délo de Belgrade, décembre 1894.—William Miller, Napoléon in the Near East, dans la Westminster Review, novembre 1900.—Louis Madelin, Fouché (1759-1820), Paris, 1901, t. II.]

[94: Décret du 15 avril 1811.]

[95: Louis Madelin, Fouché, t. II, p. 246.]

[96: Ibid.]

[97: Le 26 juillet 1812, le Moniteur annonçait que «la langue française étant devenue la langue du gouvernement et celle de l'armée, il vient d'être pris des mesures pour que les habitants des villes illyriennes soient à même d'étudier cette langue. On a donc établi des chaires de français dans tous les collèges de l'Illyrie». Pourtant, l'intendant d'Istrie se plaignait au gouvernement général de ce que «l'instruction ne fût pas adaptée ni aux localités, ni aux mœurs des habitants». (Madelin, op. cit.)]

[98: Télégraphe illyrien, 27 août 1812 et 28 janvier 1813.]

[99: Madelin, op. cit., loc. cit.]

[100: L. Leger, Le Monde slave, Paris, 1873, pp. 15-17.]

[101: Jean Skerlitch, Les Romantiques français et la poésie populaire serbe: Charles Nodier (en serbe), dans le Srpski kgnijevni Glasnik des 16 mai et 1er juin 1904.]

[102: N.S. Pétrovitch, Bibliographie française sur les Serbes et les Croates, Belgrade, 1900, pp. 25-26.]

[103: Manque dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[104: Louis Leger, Une mystification littéraire de Mérimée, dans la Nouvelle Revue du 16 juin 1908, p. 447.]

[105: Par exemple: Recherches sur l'Illyrie ancienne et moderne, dans le Moniteur universel du 20 mars 1810.]

[106: Moniteur universel, 1806, p. 463.]

[107: Mémoires de l'Académie Celtique, Paris, 1808, t. II, pp. 21-62. Cf. aussi pp. 143-145 (lettre de Marc Bruère) et 403-434.]

[108: Le comte de Sorgo, qui prit plus tard le titre de duc, passa le reste de sa vie à Paris, où il mourut le 17 février 1841, après avoir publié quelques opuscules sur la littérature ragusaine. Nous parlerons plus loin de sa traduction d'une ballade serbo-croate qu'il donna à Mérimée et qui figure aujourd'hui dans la Guzla.]

[109: Manque dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[110: Voir ci-dessous, ch. IV, § 5.]

[111: Manque dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[112: On peut lire sur cet ouvrage une critique de Ch. Nodier, dans le Journal des Débats du 1er février 1815, et dans ses Mélanges, t. II, pp. 1-10.]

[113: Annales encyclopédiques, mars 1818.]

[114: Manquent dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[115: Manque dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[116: Manque dans la bibliographie de M. Pétrovitch.—Il existe dans les archives de la famille Guiguer de Prangins, à Lausanne, un manuscrit intitulé: Souvenirs de mon séjour en Illyrie et de mes voyages avec le général comte Bertrand, gouverneur des provinces illyriennes, en 1812, 1813 et 1814, par Amédée Massé, secrétaire intime du général. (Le Correspondant du 10 février 1910, p. 543.)]

[117: Préface de la Guzla.]

[118: Madame Mennessier-Nodier, Ch. Nodier, épisodes et souvenirs de sa vie, Paris, 1867, p. 141.—Correspondance inédite de Ch. Nodier, publiée par A. Estignard, Paris, 1876, p. 135.]

[119: Correspondance inédite (lettres à Charles Weiss).]

[120: Il avait épousé Mlle Désirée Charves, fille du juge Claude Charves, le 30 avril 1808.]

[121: On le voit bien dans la Correspondance inédite. Pourtant, M. Pisani, op. cit., p. VIII, prétend que Nodier «passa à Laybach l'année 1812 et le commencement de 1813». Nous reviendrons sur ce point.]

[122: Correspondance inédite, p. 141.]

[123: Ibid.]

[124: L'on connaît quel rôle fantaisiste il attribue à la société secrète des philadelphes dont il disait avoir été l'un des membres des plus actifs.]

[125: Souvenirs et portraits: Fouché, p. 313.

[126: Ibid.]

[127: Portraits littéraires, t. I, p. 472.]

[128: Quérard, La France littéraire, t. VI, p. 429.]

[129: G. Vicaire, Manuel de l'amateur de livres, t. VI, col. 91.]

[130: Marmont, Mémoires, liv. XIV, p. 435.]

[131: Prospectus du Télégraphe officiel.]

[132: Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, Paris, 1850, t. II, p. 332.]

[133: Télégraphe officiel, janvier 1813, p. 32 (Cité par M. Tomo Matié, Archiv für slavische Philologie, 1906, p. 324.)]

[134: «Vers 1811… Nodier fut chargé de la direction… d'un journal intitulé le Télégraphe, qu'il publia d'abord en trois langues: français, allemand et italien, puis en quatre, en y ajoutant le slave vindique.» Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. I, p. 472.]

[135: P. Pisani, dans le Bulletin critique du 15 novembre 1887.]

[136: Archiv für slavische Philologie, t. XXVIII, p. 324, et t. XXIX, pp. 70 et 79-80.]

[137: Il semble que Nodier n'apporta pas d'Illyrie la collection du journal dont il était rédacteur, car elle ne figure pas sur le catalogue de sa bibliothèque, rédigé après sa mort en 1844. En 1821, ayant voulu insérer dans Smarra une pièce du poète ragusain Ignace Gjorgjić, pièce dont il avait déjà fait une traduction dans le Télégraphe, Nodier se trouva obligé d'en faire une autre, sans doute parce que le numéro où parut la première lui manquait.]

[138: Lettres à Weiss.]

[139: Nodier, Souvenirs et portraits: Fouché, p. 313.]

[140: P. Pisani, La Dalmatie de 1797 à 1815, Paris, 1893, p. 345.]

[141: Journal de l'Empire des 4 et 21 février 1814 (manque le quatrième article). Ces feuilletons, qui sont d'après M. Leger «spécimens d'ignorance naïve et de creuse phraséologie», sont réimprimés encore plusieurs fois, à savoir: dans les Mélanges de littérature et de critique par M. Charles Nodier, mis en ordre et publiés par Alexandre Barginet de Grenoble, Paris, 1820, t. II, pp. 353-371; dans les Annales romantiques pour l'année 1827-1828, pp. 112-118 (en partie); sous la signature de M. «Ch. Nodier de l'Académie Françoise» dans le Dictionnaire de la conversation, art. «Illyrie» (Paris, 1836); dans le même Dictionnaire, t. XI de la deuxième édition (Paris, 1856). Cette dernière fois l'article fut abrégé.]

[142: Cité par M. Matić, Archiv für slavische Philologie, t. XXVIII, p. 324.]

[143: Nouvelle Revue du 15 juin 1908, p. 447.]

[144: À Laybach, de la fin de décembre 1812 au 26 août 1813; à Trieste, un mois. Au mois de novembre 1813, Nodier se trouvait déjà à Paris et écrivait des articles aux Débats.]

[145: É. Montégut, Nos morts contemporains, t. I, p. 131.]

[146: Ch. Nodier, Souvenirs et portraits, p. 314.]

[147: «L'évacuation de la province arriva trop vile, dit-il, pour l'exécution de ce plan.» Journal des Débats du 1er février 1815.]

[148: Francesco-Maria Appendini, Notizie istorico-critiche sulle antichità, storia e letteratura de' Ragusei, Raguse, 1802-03, 2 vol. in-4°.]

[149: Voir ci-dessus, p. 73, et ci-dessous, pp. 105-106.]

[150: Nous citons d'après les Mélanges de littérature et de critique de Nodier.]

[151: Il y fut introduit par ordre du duc de Rovigo, avec appointements de 3.600 francs. (Léonce Pingaud, Fouché et Charles Nodier, dans les Mémoires de l'Académie de Besançon, 1901, p. 184.)]

[152: Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. I, p. 473.]

[153: Préface à l'édition de 1832.]

[154: Jean Sbogar, Paris, Gide fils, 1818, 2 vol. in-12, pp. VI-234 et ff. 2, pp. 229-VI. Publié à 5 francs.]

[155: Quelques jours plus tard, le Journal du Commerce(6 juillet 1818) indiquait M. Ch. Nodier comme l'auteur probable de Jean Sbogar, en ajoutant: «L'éditeur de ce roman nous annonce dans sa préface que cet auteur part pour la Russie; puisse cette contrée tempérer un peu la fougue de son imagination! et puisse-t-il, si son amour pour l'état sauvage lui fait chercher les peuples dans l'état le plus près de la nature, ne pas trouver chez les Cosaques une réfutation ad hominem de ses systèmes exagérés!» Nodier répondit au rédacteur, le 10 juillet, par la lettre suivante qui ne fut insérée par celui-ci que sept jours plus tard:

«Monsieur,

«J'apprends par un numéro de votre journal qui vient de tomber dans mes mains, qu'on m'a attribué un roman intitulé Jean Sbogar. Les personnes qui me connaissent savent que je ne fais pas de romans; et comme je n'en lis pas plus que je n'en fais, je n'ai pas lu Jean Sbogar. Le jugement que vous exprimez sur ce livre pouvant donner cependant une idée fort étrange de mon caractère, qui, grâces au ciel, n'avait pas encore été compromis, et qui est à peu près tout ce qui me reste, j'espère que vous voudrez bien accorder à mon désaveu une mention de deux lignes.

«Quant au vœu que vous avez la complaisance de former pour que les Cosaques ne répondent pas par un argument ad hominem à mes systèmes sur les peuples nouvellement civilisés, j'en sais apprécier la délicatesse, et je vous en remercie au nom de ma famille.

«Charles Nodier.»]

[156: Il nous paraît que c'est là une légende habilement arrangée pour écouler l'édition. On invoque ordinairement le témoignage de N. Delangle, ami de Nodier et éditeur de ses Poésies diverses (Paris, 1829). Mais Delangle, ce prétendu témoin ou vérificateur, ne cite que le numéro de la Renommée dont nous venons de parler plus haut, et le Mémorial de Sainte-Hélène. (Préface des Poésies diverses, p. 10.) Nous avons cherché, au Mémorial, le passage en question, mais nous n'avons pas réussi à le trouver. Du reste, le comte de Las Cases avait quitté Sainte-Hélène DIX-HUIT MOIS AVANT que Jean Sbogar eût paru, et, par conséquent, ne pouvait rien savoir d'une pareille lecture.]

[157: Renouard, Catalogue de la bibliothèque d'un amateur, Paris, 1819, t. III, p. 123.]

[158: Edmond Estève, Byron et le romantisme français, Paris, 1907, p. 31.—Jean Sbogar n'est pas une imitation directe des Brigands. La pièce de Schiller était traduite, en 1785, dans le Nouveau Théâtre allemand de Friedel et Bonneville. La Martelière en tira un gros mélodrame, Robert, chef de brigands, en 1792. En 1799, traduisant le théâtre de Schiller, il renonça à y faire entrer les Brigands comme trop universellement connus. Il les remplaça par une tragédie de Zschocke, Abelino ou le grand bandit, «pièce qui a un mérite tout à fait original, et qui, par sa contexture et la singularité du sujet, semble appartenir au même écrivain». (Théâtre de Schiller, traduit de l'allemand, Paris, 1799, préface, t.1, p. VII.) C'était cette imitation qui avait inspiré Jean Sbogar.]

[159: Préface de l'édition de 1832.]

[160: Ch. Nodier, _Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, _Paris, 1850, t. II, p. 328.]

[161: É. Montégut, _Nos Morts contemporains, _Paris, 1883, t. I, p. 141.]

[162: M. Salomon, _Charles Nodier et le groupe romantique, _Paris, 1908, p. 267.]

[163: Sainte-Beuve, _Portraits littéraires, _Paris, 1862, t. I, p. 472.]

[164: Gérard de Nerval, Voyage en Orient. Paris, 1851, t. I, p. 58.]

[165: Une citation fantaisiste du poète ragusain Gondola (Gundulić) figure en tête du chapitre II de Jean Sbogar. Dans ce chapitre se trouve également le très intéressant portrait d'un vieux chanteur illyrien, dont nous reparlerons ailleurs. Dans le cinquième, Nodier définit le pismé dalmate: «sorte de romance qui n'est pas sans charme quand l'oreille y est accoutumée, mais qui l'étonne par son caractère extraordinaire et sauvage quand on l'entend pour la première fois, et dont les modulations sont d'un goût si bizarre que les seuls habitants du pays en possèdent le secret». Dans le septième chapitre, Jean Sbogar chante à Antonia «la fameuse romance de l'Anémone, si connue à Zara», qui est «la production la plus nouvelle de la poésie morlaque». Cette romance, nous n'avons pas besoin de le dire, n'est pas plus authentique que les ballades de Mérimée.]

[166: Jean Sbogar a inspiré, en 1838, un roman de George Sand, l'Uscoque, prétendue histoire véritable du héros des deux poèmes de lord Byron, le Corsaire et Lara.]

[167: Journal de l'Empire des 4 et 21 février 1814.]

[168: Balthasar Hacquet, L'Illyrie et la Dalmatie, trad. de l'allemand par M. Breton, Paris, 1814, 2 vol. in-12.]

[169: Voy. ci-dessus, la note 141.]

[170: Minerve littéraire, t. I, p. 354.]

[171: Annales de la littérature et des arts, t. IV, pp. 262-264.]

[172: Encyclopédie des gens du monde, t. XVIII, p. 159.]

[173: Biographie universelle, t. XXX, p. 641.]

[174: À Paris, chez Ponthieu, pp. 212, in-12; prix: 3 francs.]

[175: Préface à la première édition. Cette étymologie est très arbitraire; le mot «esclavon» n'est pas smarra mais mora (incube). Pourtant, ce n'était pas Nodier qui avait inventé le mot. M. Tomo Matić a bien trouvé un chapitre intitulé Incubo o Smarra dans la réfutation de Lovrich, Osservazioni sopra diversi pezzi del Viaggio in Dalmazia del Signor Abate Alb. Fortis (p. 201).]

[176: Smarra, pp. 11-13.]

[177: Préface à l'édition Renduel.]

[178: «En Illyrie, Nodier avait trouvé une population dont les sommeils étaient troublés habituellement par le cauchemar et dont les veilles étaient assombries par la plus monstrueuse et la plus noire superstition qui existe: la croyance au vampirisme.»—Émile Montégut, Nos Morts contemporains, Paris, 1883, t. I, p. 150.]

[179: André Le Breton, Balzac, l'homme et l'œuvre, Paris, 1905, pp. 57 et 70. Cf. aussi Byron et le romantisme français, par Edmond Estève, Paris, 1907, p. 491 et suiv.]

[180: Sur Anne Radcliffe et son influence, voy. History of Romanticism in the XVIIIth Century by Henry A. Beers, pp. 249-264.]

[181: Cf. H. A. Beers, op. cit., pp. 404-410 et passim.—F. Baldensperger, Le «Moine» de Lewis dans la littérature française (Journal of comparative Literature, juillet-septembre 1903).]

[182: Sur Maturin, voy. les Portraits littéraires de Gustave Planche.—Victor Hugo cite Bertram en tête de son ode la Chauve-Souris.]

[183: André Le Breton, op. cit., loc. cit.]

[184: Nous consacrerons au vampirisme un chapitre spécial dans la deuxième partie de notre étude.—Remarquons le même goût de l'épouvantable chez les peintres romantiques. À cet égard, nous trouvons la Danse macabre de Deveria (Musée de Grenoble), très caractéristique.]

[185: M. Breuillac, Hoffmann en France dans la Revue d'histoire littéraire de la France, 1906-1907.]

[186: Jules Marsan, Notes sur la bataille romantique (Revue d'histoire littéraire, 1906, p. 596).]

[187: Victor Vignon Rétif de la Bretonne, dans sa parodie Og, Paris, Hubert, 1824, in-12.]

[188: Odes et Ballades, Paris, Hetzel, p. 300.]

[189: Cf. ci-dessous, ch. VI, § 3.]

[190: Notons encore une œuvre inspirée par la nouvelle de Nodier: Smarra ou le démon des mauvais rêves, divertissement arrangé par MM. Valnay et Adrien pour les représentations de John Devani (au Théâtre de Drury Lane à Londres) qui remplit les rôles de Yakoff et de Smarra. La scène est en Finlande. Paris, typ. de Mme veuve Dondey-Dupré, rue Saint-Louis, 46, s. d. [1853].—Bibliographie de la France du 12 mars 1853.

En 1840, Smarra fut traduit en espagnol. Voici le titre de cette traduction: Smarra, ó los demonios de la noche. Sueño romántico, traducido del esclavon al francés por Carlos Nodier, y del francés al español por A. M. Barcelona, 1840, imp. de T. Tauló, ed. Madrid, lib. de Cuesta. En 16°. Con Iáms. (Don Dionisio Hidalgo, Bibliografia española, Madrid, 1870, t. IV. p. 502.)]

[191: Jean Skerlitch, Srpski kgnijevni Glasnik du 1er juin 1904, pp. 847-48.]

[192: Cf. Louis Madelin, Fouché, Paris, 1901, t. II, p. 248.]

[193: L'Aubépine de Veliko.]

[194: Pétrovitch, Bibliographie française sur les Serbes et les Croates, Belgrade, 1900, p. 32.]

[195: Cf. ci-dessous, ch. IV, § 2 et ch. XI, § 1.]

[196: Cf. ci-dessus, ch. I, § 7.]

[197: On peut lire l'original serbo-croate de ce poème dans les Piesni razlike d'Ignace Gjorgjić, ed. Lj. Gaj, Agram, 1855, p. 16, sous le titre de Zgoda ljuvena. M. Malić a reproduit in extenso les deux versions de Nodier, dans l'Archiv für slavische Philologie, t. XXIX, pp. 79-84.]

[198: Voy. ci-dessus, p. 92.]

[199: Minerve littéraire, ch. I, § 9.]

[200: Smarra, pp. 184-185.]

[201: L'Abeille (suite de la Minerve littéraire), 1821, t. IV, p. 361.]

[202: Gazette de France du 28 septembre 1821.]

[203: Annales de la littérature et des arts, t. IV, Paris, 1821, p. 391.]

[204: Sur cette réimpression lire Le Romantisme et l'éditeur Renduel, par Adolphe Jullien, Paris, 1897, pp. 180-184.]

[205: Nous ne parlerons pas de Mademoiselle de Marsan, dont l'action se passe presque exclusivement en Italie, et qui n'est, du reste, qu'une édition abrégée de Jean Sbogar.—On ne considère plus comme une œuvre de Nodier: Lord Ruthwen ou les Vampires, roman de C.[yprien] B.[érard], publié par l'auteur de «Jean Sbogar» et de «Thérèse Auber», Paris, Ladvocat, 1820, 2 vol. La seconde édition, parue quelques mois plus tard, porte à la couverture le nom de Nodier, mais il désavoua la paternité du livre, à la grande colère de Ladvocat. (E. Estève, Byron et le romantisme français, Paris, 1907, pp. 76-77.)]

[206: M. Henry A. Beers, auteur de History of Romanticism in the XIXth Century, aborde pourtant cette question aux pages 190-191 de son excellent livre.]

[207: F. Brunetière, art. «ballade» dans la Grande Encyclopédie.]

[208: Ibid.]

[209: Cf. Andrew Lang, article «Ballads» dans l'Encyclopædia Britannica.]

[210: Cf. Andrew Lang, loc. cit.]

[211:
     O, fellow, come, the song we had last night.
     Mark it, Cesario, it is old and plain.
     The spinsters and the knitters in the sun
     And the free maids that weave their thread with bones
     Do use to chant it: it is silly sooth,
     And dallies with the innocence of love
     Like the old age.
]

[212: Sir Philip Sidney, Defence of Poesie, Londres, 1580. (Cité par M. Bonet-Maury, G.-A. Bürger et les origines de la ballade littéraire allemande, Paris, 1889, p. 27.)]

[213: Ibid.]

[214: Bonet-Maury, loc. cit.—En 1850, I. Garachanine, ministre de l'intérieur de Serbie, se trouva aussi obligé d'interdire dans certains districts le chant public des piesmas, qui exaltaient encore assez les auditeurs pour en pousser quelques-uns à gagner la montagne et se faire bandits.]

[216: Joseph Texte, Jean-Jacques Rousseau et les origines du cosmopolitisme littéraire, Paris, 1895, p. 386.]

[217: Idem, p. 384.]

[218: Fragments of Ancient Poetry, collected in the Highlands, and translated from the Gaelic or Erse Languages, Édimbourg, 1760. Une souscription publique engagea Macpherson à faire un voyage dans les montagnes écossaises, afin d'y recueillir d'autres poèmes si remarquables dont s'enorgueillissait le patriotisme régional des avocats édimbourgeois et des grands seigneurs calédoniens. Fingal, Ancient Epic Poem in six Books parut en 1762, Temora en 1763. En 1765, tout fut réuni sous le titre général de poésies d'Ossian. Avant les Fragments, Macpherson avait donné un poème épique très médiocre: The Highlander (1758).]

[219: «Nevertheless, there can be no doubt that large parts of both Fingal and Temora were what they claimed to be: translations (frequently very free) from Gaelic originals.»—W.H. Hulme, dans Modern Language Notes, 1899, col. 436-437.]

[220: Cf. B. Schnabel, Ossian in der schönen Litteratur England's bis 1832, dans Englische Studien, t. XXIII, pp. 31-73 et 366-401.]

[221: N° 177 du Rambler (1751).]

[222: Lettre à Hurd, mars 1765.]

[223: G. Bonet-Maury, op. cit., pp. 32-34.]

[224: Bishop Percy's Folio Manuscript, edited by John W. Hales and Frederick J. Furnivall, Londres, 1867-68, 3 vol.]

[225: Hermann Hettner, Geschichte der englischen Literatur von der Wiederherstellung des Königthums bis in die zweite Hälfte des achtzehnten Jahrhunderts, 3e édition, p. 454.]

[226: H. A. Beers, History of Romanticism in the XVIIIth Century, New-York, 1899, p. 299.]

[227: Appendice à la préface de la 2e édition des Lyrical Ballads.]

[228: H. A. Beers, op. cit., p. 300.]

[229: Allan Cunningham, English Literature in the last Fifty Years, dans The Athenæum pour l’année 1833.]

[230: Th. Watts-Dunton, Encyclopædia Britannica, t. XX, p. 859.]

[231: Chose pour nous des plus intéressantes: dans son enthousiasme pour la poésie populaire, Klopstock s'efforça de se procurer d'authentiques ballades «illyriques», bien avant Goethe et Herder, pour ne rien dire des «illyricisants» du XIXe siècle. Le 22 juillet 1768, il écrivit au jésuite viennois Michel Denis, qui traduisait Ossian en hexamètres allemands, pesants et monotones, et qui connaissait bien les «Illyriens»: «Sie haben mir durch Ihre Nachricht, dass noch illyrische Barden durch die Ueberlieferung existiren, eine solche Freude gemacht, dass ich ordentlich gewünscht hätte, dass mir Ihr Ossian weniger gefallen hätte, um Sie bitten zu können, ihn liegen zu lassen und diese Barden zu übersetzen… Aber ich will auch einige Blumen aus Ihrem illyrischen Kranze in meine Sammlung haben.» Et il lui donna alors des instructions pour préparer le texte original et la traduction en regard. Mais cette tentative resta sans effet. (M. Ćurčin, Das serbische Volkslied, p. 39.)]

[232: Joseph Texte, Jean-Jacques Rousseau et le cosmopolitisme littéraire , p. 388.]

[233: Hermann Hettner, op. cit., p. 455.]

[234: J. Texte, op. cit., loc. cit.]

[235: G. Bonet-Maury, op. cit., pp. 48-54.—H. A. Beers, Romanticism in the XVIIIth Century, pp. 300-301.—H. F. Wagener, Das Eindringen von Percy's Reliques in Deutschland, Heidelberg, 1897.—Heinrich Lohre, Von Percy zum Wunderhorn, Beiträge zur Geschichte der Volksliedforschung in Deutschland, Berlin, 1902.]

[236: Joret, Herder, Paris, 1875, p. 478.]

[237: Publié dans le Deutsches Museum.]

[238: Cet ouvrage est plus connu sous le nom des Voix des peuples dans la poésie (Stimmen der Völker in Liedern), qui exprime, il est vrai, beaucoup mieux la pensée intime de Herder, mais qui n’est pas de lui. En effet, ce titre avait été donné aux Volkslieder, en 1807, par leur éditeur J. von Müller.]

[239: A. Vilmar, Geschichte der deutschen National-Litteratur, Marburg, 1886, p. 389.]

[240: On peut signaler sous l’action allemande un mouvement folklorique en Bohème, en Suède, en Danemark, en Serbie. Nous ne nous occuperons que de ce dernier, et pour cause.]

[241: Edouard Soharé, Histoire du Lied, Paris, 1868. (Nouvelle édition, publiée en 1903, est précédée d’une Étude sur le réveil de la poésie populaire en France.)—Wilhelm Scheffler, Die französische Volksdichtung und Sage, Leipzig, 1884, Introduction.—Gottlieb Wüscher, Der Einfluss der englischen Balladenpoesie auf die französische Litteratur, von Percy’s «Reliques of Ancient English Poetry» bis zu de La Villemarqué’s «Barzaz-Breiz», 1765-1840, Zurich, 1891.]

[242: Essais, livre I, ch. LIV.]

[243: Brunettes ou Petits airs tendres, avec les doubles et la basse continue, méslées de chansons à danser, 3 vol. Paris, 1703, 1704, 1711.—Les Rondes, chansons à danser, Paris, 1724.]

[244: Les constantes Amours d’Alix et d’Alexis et les infortunes inouïes de la très belle, honnête et renommée comtesse de Saulx. (Œuvres de Moncrif, Paris, 1769, tome III.)]

[245: Joseph Texte, op. cit., p. 389.]

[246: Wüscher, op. cit., pp. 33-34.]

[247: Thomas S. Perry, English Literature in the Eighteenth Century, New-York, 1883, p. 417.]

[248: J. Texte, op. cit., p. 400.]

[249: Lettre à M. de Virieu.—Cf. aussi: Cours familier de littérature, tome XXV.]

[250: Correspondance de H. de Balzac (1819-1850), t. I, p. 6.]

[251: André-Marie Ampère et Jean-Jacques Ampère, Correspondance et souvenirs (de 1805 à 1864), recueillis par Mme H. Cheuvreux, Paris, 1875, t. I, p. 160.]

[252: Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. II, p. 62.]

[253: Lettres diverses et autres œuvres mêlées, tant en prose qu’en vers. Bruxelles, 1773, 3 vol. in-12, t. I, pp. 118, 162 et 199.]

[254: Reliques, Second Séries, Book the 2nd, n°7. (T. II, p. 19 de l’édition J.M. Dent and C°.)—John Stow, A Summary of the Chronicles of England from the first coming of Brute into the Land unto this present Year, Londres, 1565. Souvent réédité et continué jusqu’à l’an 1611.]

[255: Pièces intéressantes et peu connues pour servir à l’histoire et à la littérature, par M.[onsieur] D.[e] L.[a] P.[lace], Bruxelles, 1784-5. Tome III, pp. 236-238.]

[256: Idem, pp. 239-243.]

[257: Pièces intéressantes, tome III, pp. 247-249.]

[258: Elle est traduite en prose française par Loève-Veimars, dans ses Ballades, légendes et chants populaires de l’Angleterre et de l’Ecosse, Paris, 1825.]

[259: Léon Séché, Le Roman de Lamartine, Paris, 1909, pp. 89-103.]

[260: Tome I, pp. 292-300.]

[261: Mars 1807 (t. I, p. 441).]

[262: 1807 (t. III, p. 186).]

[263: Archives littéraires, t. XVII, p. 299.—Percy, Reliques, First Series, Book the 1st, n° 4. (Cité par M. Wüscher, op. cit., p. 38.)]

[264: Victor Hugo, leçons faites à l’École Normale Supérieure par les élèves de la 2e année (lettres) 1900-1901, sous la direction de Ferdinand Brunetière, Paris, 1902, t. I, p. 62.]

[265: Cf. ci-dessus, ch. I, § 5.]

[266: Mme de Staël, De l’Allemagne, 2e partie, ch. XXX.]

[267: Henri Heine, De l’Allemagne, t. I, pp. 316-317.]

[268: Paris, 1813; nouvelles éditions 1819, 1829, 1840.—M. de Sismondi y traduisit un assez grand nombre de romances, non pas sur l'original espagnol mais sur la traduction allemande de Herder, qui était elle-même… une simple traduction du français! (Cf. Reinhold Köhler, Herders Cid und seine französische Quelle, Leipzig, 1867. Cette «source française» était la Bibliothèque des Romans.) «Un poète philosophe allemand, disait M. de Sismondi, Herder, les a recueillies [les romances] il y a peu d'années; et il les a traduites en vers de même mesure, avec cette exactitude scrupuleuse que les Allemands apportent dans leurs traductions.» Dans la seconde édition, l'auteur déclarait qu'il s'était aperçu, depuis, que les vers de Herder s'éloignaient souvent de l'original; mais il n'entrevit pas la raison de ces différences.]

[269: Gustave Lanson, Émile Deschamps et le Romancero, étude sur l’invention de la couleur locale dans la poésie romantique. (Revue d’histoire littéraire, 1899, p. 6.)]

[270: Idem, pp. 7-8.]

[271: Journal des Débats du 25 juillet 1814.]

[272: La Muse française, 1823, t. I, pp. 310-321.]

[273: Sainte-Beuve, Lettre-Préface à l’Étude sur l’influence anglo-germanique au XIXe siècle, par William Reymond, Berlin, 1864.]

[274: Joseph Texte, Revue des Cours et Conférences du 13 février 1896.]

[275: Gustave Lanson, art. cité.]

[276: Ibid.]

[277: T. I, pp. 461 et suiv.—Le premier écrivain français qui avait collectionné les chansons populaires grecques fut La Guillelière, auteur de la Lacédémone nouvelle et ancienne (1676).]

[278: T. IX.—Le baron Eckstein écrivit également, trois ans plus tard, dans sa revue le Catholique, deux longues notices sur la poésie populaire serbe. Nous en parlerons dans le paragraphe suivant, qui sera consacré spécialement à cette poésie.]

[279: Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. IV, pp. 206-208 (éd. 1870).—Angelo de Gubernatis, Il Manzoni ed il Fauriel studiati nel loro carteggio inedito, 2e édition, Rome, 1880.]

[280: Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. IV, p. 230.]

[281: Il était né en 1772 et ne fut nommé professeur qu’en 1830.—Cf. A.-F. Ozanam, Mélanges, t. II.]

[282: Notamment, on lui doit les Nouvelles recherches sur la langue, l’origine et les antiquités des Bretons, Bayonne, 1792.]

[283: J.-B. Galley, Claude Fauriel, membre de l’Institut, 1772-1844, Saint-Étienne, 1909, pp. 285-286.]

[284: Ibid.]

[285: Cité par Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. IV, p. 236.]

[286: Gaston Deschamps, dans l'Histoire de la langue et de la littérature française de Petit de Julleville, t. VII, pp. 278-79.]

[287: À Grenoble, une représentation donnée par Mlle Georges produisit une recette de 2.225 francs. (Revue des Cours et Conférences, 23 juin 1898, p. 704.)]

[288: Gaston Deschamps, Victor Hugo et le Philhellénisme, dans la Revue des Cours et Conférences du 23 juin 1898.]

[289: Otto Moell, Beiträge zur Geschichte der Entstehung der «Orientales» von Victor Hugo, Mannheim, 1901.]

[290: Le Constitutionnel du 17 février 1846.]

[291: le Globe des 30 octobre, 20 novembre, 18 décembre 1824 et 19 février 1825.]

[292: Cité par Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. IV, pp. 237-8.]

[293: Goethes Briefe, Weimar, 1906, t. XXXVIII, p. 191.]

[294: À ce sujet, voir ci-dessous, ch. III, § 2.]

[295: H.A. Beers, History of Romanticism in the XIXth Century, p. 194.]

[296: Paul Morillot, dans Histoire de la langue et de la littérature française de Petit de Julleville, t. V, p. 588.]

[297: H.A. Beers, op. cit., p. 349.]

[298: Sur cet ouvrage cf. Gazette de France du 31 mai 1824.]

[299: Le Globe, 1825, p. 165.]

[300: Annales de la littérature et des arts, tome XXVI, pp. 376 et suiv. (1826).]

[301: Journal général de la littérature de France , t. I, p.19. (Cité par M. Wüscher, op. cit., p.69.)]

[302: Mercure du XIXe siècle, tome VIII, p. 607 et suiv. (1825).]

[303: Paris, Gosselin, 4 vol. in-8°.]

[304: La France chrétienne des 28 décembre 1827 et 2 janvier 1828.—Le Globe du 17 mai 1828.]

[305: À ce sujet, voir les Épopées françaises de Léon Gautier, t. II, Paris, 1892.]

[306: H.A. Beers, Romanticism in the XIXth Century, New-York, 1902, pp. 190-191.]

[307: Journal des Débats, 25 juillet 1814.]

[308: Cité par M. Léon Séché dans son livre le Cénacle de la Muse française, p. IX.]

[309: Voir ci-dessus, § 4.]

[310: Mala prostonarodnia slaveno-serbska piesnaritsa, izdana Voukom Stéphanovitchem. Vienne, 1814, pp. 120, in-8°. Cette brochure fut bientôt suivie d’une seconde (1815). Une nouvelle édition, considérablement augmentée, fut publiée en quatre volumes de 1823 à 1833. Une troisième édition parut de 1841 à 1865 (5 vol. in-8°). L’édition complète a été éditée par l’État serbe en neuf grands volumes in-8°, Belgrade, 1891-1902. En outre, il existe une foule d’éditions abrégées, morceaux choisis, éditions populaires, etc. (depuis dix centimes). Nous parlerons plus loin des traductions étrangères.]

[311: Sur l’œuvre de Karadjitch on peut consulter: A.N. Pypine et W.D. Spasowicz, Histoire des littératures slaves, Paris, 1881, pp. 299-307; Lioubomir Sloyanovitch, Vouk S. Karadjitch, Belgrade, 1899 (en serbe). L’article «Karadjitch» dans la Grande Encyclopédie est bon, mais trop court; celui de la Biographie générale (Didot) ne vaut rien, de même que celui de la Biographie universelle (Michaud). Dans ce dernier répertoire, Karadjitch est inscrit sous le nom incroyablement déformé de «Wurk».

Ajoutons qu’un jugement définitif sur le «père de la littérature serbe» ne sera possible qu’après la publication complète de sa très volumineuse correspondance, dont les trois premiers volumes sont déjà sortis de l'Imprimerie Nationale serbe.]

[312: Nouvelle Revue du 15 juin 1908, p. 448.]

[313: On estime toujours son ouvrage Versuch einer geschichtlichen Charakteristik der Volkslieder germanischer Nationen, mit einer Uebersicht der Lieder aussereuropaischer Völkerschaften, Leipzig, 1840.—Sur la poésie serbe, lire: Karadjitch, Préface du tome IV des Chants serbes, Vienne, 1833 (en serbe); Talvj [Mlle von Jakob], Historical View of the Slavic Languages and Literature, New-York, 1850; Stoyan Novakovitch, Préface au recueil de Pétranovitch, Belgrade, 1867 (en serbe); Pypine et Spasowicz, Histoire des littératures slaves, trad. par É. Denis, Paris, 1881, pp. 367-396; Auguste Dozon, l’Épopée serbe, Paris, 1888, Introduction.]

[314: Ou plutôt «des gouslé», car ce mot est le plus souvent du pluriel féminin en serbe. Mérimée tient la forme italianisée: guzla, de Fortis et de Nodier.]

[315: Piesma(chant; pl. piesmé) vient du verbe pievati, chanter. Pisma (pl. pismé), dont parlent Fortis, Nodier, le Globe, etc., n’est que le même mot dans le dialecte dit «occidental» de la langue serbo-croate.]

[316: Talvj, Historical View, pp. 368-378.—Nous suivons la traduction de M. Denis.]

[317: A. Dozon, L'Épopée serbe, p. LXXII.]

[318: A. Dozon, ibid., pp. LXXI-LXXII.]

[319: Dès le VIe siècle, les écrivains byzantins attestaient l’existence de poètes chanteurs parmi les Slaves païens.]

[320: Personnages mythiques qui ressemblent aux nymphes de l’antiquité et que les Russes appellent roussalkas.]

[321: Traduction allemande, avec une préface de Jakob Grimm, Berlin, 1854.]

[322: Adolphe d’Avril, La Bataille de Kossovo, rhapsodie serbe tirée des chants populaires et traduite en français, Paris, 1868.—Un professeur serbe, M. Sréta Y. Stoïkovitch, a fait tout récemment un nouvel essai, très réussi, pour fondre en un seul poème les nombreux fragments de cette épopée.]

[323: John Oxenford, Marko Kraliévitch, the Mythical Hero of Servia, dans le Macmillan's Magazine, janvier 1877, pp. 222-229; V. Jagić, dans l’Archiv für slavische Philologie, t. V; Auguste Dozon, op. cit.; Louis Leger, Le Cycle épique de Marko Kraliévitch, dans le Journal des Savants, novembre-décembre 1905.]

[324: Pypine et Spasowicz, op. cit., pp. 388-389.]

[325: Wiener allgemeine Literatur-Zeitung, 1814, 1815 et 1816. Ces articles sont recueillis dans les Kleinere Schriften de Jakob Grimm, t. IV, Leipzig, 1868.]

[326: Neunzehn serbische Lieder übersetzt von den Brüdern Grimm, dans la Sängerfahrt de Förster, Berlin, 1818, pp. 216-218. Malgré la signature des deux frères, signature mise par l’éditeur Förster, Guillaume Grimm n’avait eu aucune part à cette traduction. (R. Steig, Goethe und die Brüder Grimm, p. 165). Cf. aussi St. Tropsch, Wer ist der Uebersetzer der «Neunzehn serbischen Lieder» in Försters «Sängerfahrt»? [réponse: B. Kopitar], dans l’Archiv für slavische Philologie, XXVIII Band, 4 Heft, Berlin, 1907.]

[327: Article consacré à la seconde édition des Chants serbes, dans les Götting. gel. Anzeigen, 1824.]

[328: Freundschaftsbriefe von W. und. J. Grimm, Heilbronn, 1878, p, 32.]

[329: «Seit den Homerischen Dichtungen ist eigentlich in ganz Europa keine Erscheinung zu nennen, die uns wie sie [les poésies serbes] über das Wesen und Entspringen des Epos klar verständigen könnte». (Jakob Grimm, Götting. gel. Anzeigen, 1826, p. 1910.)]

[330: Wuk's Stephanowitsch, Kleine serbische Grammatik, verdeutscht von Jakob Grimm, Berlin, 1824.]

[331: Goethes Aufsätze zur Litteratur (1822-1832), herausgegeben von Dr. Georg Witkowski, p. 111.]

[332: Goethes Tagebuch (Œuvres, éd. de Weimar, tome IX de la troisième partie, p. 382).—Lettre de Karadjitch à Kopitar dans la Correspondance qu’on vient de publier à Belgrade.]

[333: Erbschaftstheilung (Ueber Kunst und Altertum), t. IV, livr. 3, pp. 66-71.]

[334: Ueber Kunst und Altertum, t. V, livr. 1, pp. 84-92.]

[335: Idem, t. V, livr. 2, pp. 24-35.]

[336: Idem, t. V, livr. 2, pp. 60-63.]

[337: Idem, t. VI, livr. 1, pp. 141-146.]

[338: Serbische Lieder (Ueber Kunst und Altertum), t. V, livr. 2, pp. 35-60). Un autre article sur le même sujet, écrit en 1823, est resté inédit jusqu’à l’année 1903, quand on le publia pour la première fois dans l’édition de Weimar des Œuvres de Goethe, sous le titre de Serbische Literatur (première partie, t. XLI (1), pp. 463-469.]

[339: Serbische Gedichte (Ueber K. und A., t. VI, livr. 1, pp. 188-192).—Das Neueste serbischer Literatur (idem , pp. 193-196).—Une notice sur les traductions de Gerhard (idem, livr. 2, pp. 321-323).—Sur les traductions de Talvj, idem, p. 324.—Sur Servian Popular Poetry, translated by John Bowring (idem, pp. 325-326).—Sur la Guzla de Mérimée (idem, pp. 326-329).—Volkslieder der Serben, fragment inédit, publié dans Goethes nachgelassene Werke, t. VI, 1833, pp. 324-329.]

[340: Eckermann, Conversations avec Goethe, trad. par Émile Délerot, Paris, 1863, t. I, p. 154.]

[341: Volkslieder der Serben, metrisch übersetzt und historisch eingeleitet von Talvj [Thérèse-Albertine-Luise von Jakob], Halle, 1825 et 1826, 2 vol. in-8°. L'ouvrage eut trois éditions.]

[342: Sur Talvj lire: M. Ćurcin, op. cit., pp. 130-163.—Stjepan Tropsch, Rad Jugoslavenske Akademije, t. CLXVI, Agram, 1906, pp. 1-74.—Goethe-Jahrbuch, t. XII, pp. 33-77.—Miklosich, op. cit., pp. 52-79.]

[343: Sclavonic Traditional Poetry, dans le Blackwood's Magazine, septembre 1821, pp. 145-149. Le même auteur publia en 1823 un ouvrage intitulé Letters literary and polilical on Poland; comprising Observations on Russia and other Sclavonic Nations and Tribes, Edimbourg, 1823. Aux pages 55-56 il traduisit le Rossignol, chanson serbe de la collection de Karadjitch, que Pouchkine rendit plus tard en russe.]

[344: Translations from the Servian Minstrelsy, to which are added some Spécimens of Anglo-Norman Romances, Londres, 1826, in-4°. Privately printed.—Nous n’avons jamais vu ce livre.]

[345: Servian Popular Poetry, translated by John Bowring. Londres, 1827, pp. XLVIII-235, in-12. Avant de publier cet ouvrage, Bowring avait donné un article sur les chants serbes, dans la Westminster Review, juillet 1826, pp. 23-29.]

[346: Cf. aussi Chambers’s Edinburgh Journal, mai 1845, p. 310.]

[347: Nous ne croyons pas devoir donner une nomenclature complète des diverses traductions étrangères des poèmes serbes. On la trouvera dans les ouvrages cités de Pypine et Spasowicz et de M. Curcin.]

[348: Magazin encyclopédique, mars 1808, p. 171.]

[349: Spectateur français, Paris, 1815, n°91.]

[350: Revue encyclopédique, avril 1819, p. 169.]

[351: Hans Christian Lyngbye, Fœröiske Qvaeder om Sigurd Fafnersbane og hans œt. Med et Anhang. Randers, 1822, in-8° (texte islandais et danois).

En même temps, le Globe publiait une quantité de chansons grecques inédites, de la traduction Fauriel.]

[352: Le Globe, journal littéraire, paraissant tous les deux jours. Paris, mardi 21 septembre 1824.]

[353: Il vit Napoléon à Compiègne à l’époque où les lois françaises vinrent bouleverser les institutions nationales des «Illyriens»; il lui demanda la permission de retourner en Dalmatie. «Allez, lui répondit Bonaparte, et dites à vos concitoyens que je tiens d’une main la justice et de l’autre l'épée, pour récompenser les bons et châtier les méchants.»]

[354: Manque dans la bibliographie de M. Pétrovitch.]

[355: Poésies de Goethe, auteur de Werther, traduites pour la première fois de l’allemand. (Traductions des chefs-d’œuvre étrangers, 8e livraison.) Paris, 1825. Quérard prétend que Mme Panckoucke n’avait fait que signer ce livre qui serait dû à Loève-Veimars (ami de Stendhal) et à d’autres collaborateurs. (Les Supercheries littéraires dévoilées, t. III, p. 24.)]

[356: Chants populaires des Serviens, t. II, pp. 255-256.]

[357: 1825, t. III, pp. 439-440.]

[358: Bulletin des sciences historiques, 1825, t. IV, p. 17.]

[359: 1826, t. V, p. 26.]

[360: 1824, n° 26, p. 241.]

[361: 1826, t. VI, p. 107.—Le Bulletin des sciences historiques s’occupa de la littérature serbe aussi en 1827, t. VII, pp. 121-130, et en 1828, t. IX, pp. 228-229, et t. X, pp. 149-150. Nous parlerons ailleurs de l’accueil amusant qu’il fit à la Guzla de Mérimée.]

[362: Le Catholique, Paris, février et juin 1826; t. I, pp. 243-269; t. II, pp. 373-410. Un extrait du deuxième article est donné dans la Quotidienne du 29 juin 1826.]

[363: Idem, juin 1826, p. 410.]

[364: Premier article, pp. 258-260.]

[365: En réalité, beaucoup de chants serbes dépassent ce nombre. (V. M. Y. )]

[366: Bibliothèque allemande, juin 1826, t. I, pp. 374-376.]

[367: Le Globe du 7 octobre 1826, p. 128.]

[368: Serbische Hochzeitslieder, metrisch ins Deutsche übersetzt und von einer Einleitung begleitet. Pesth, 1826.]

[369: Ueber Kunst und Altertum, t. VI, livr. 1, pp. 193-196. La Revue encyclopédique n’était pas la seule qui crut devoir consacrer une notice à Miloutinovitch. Au mois de juillet de cette même année 1826, le Journal général de la littérature étrangère avait parlé aussi des Nékoliké Piesnitsé (p. 208).]

[370: Revue encyclopédique, septembre 1826, pp. 712-713.]

[371: Février 1827, pp. 509-511.]

[372: Serbische Hochzeitslieder de Wesely (p. 14); Serbianka de Miloutinovitch (p. 48); l’Art poétique de Horace, traduction serbe de Miloch Svétitch (p. 141); la traduction italienne de l’Osmanide (p. 177).]

[373: Revue encyclopédique, juin 1827, p. 676.]

[374: Voir ci-dessous, ch. VIII, § 2.—Quelques jours après la Guzla parurent les Mélodies romantiques, «choix de nouvelles ballades de divers peuples», où figure aussi (pp. 76-79) une poésie serbo-croate, les Fiançailles de Vaivode, «nouvelle hongroise», qui n’est autre chose que la Pisma od vojvode Janka de Kačié, traduite sur l’extrait italien qu’en a donné l’abbé Fortis dans son Viaggio in Dalmazia.]

[375: Ludovic Lalanne, Curiosités littéraires, Paris, 1845.—Charles Nodier, Questions de littérature légale, Paris, 1812 et 1828.]

[376: H. B. Wheatley, Percy’s Reliques, Londres, 1891, t. I, p. XLV.]

[377: Sur Hanka lire deux articles de M. Louis Leger dans le Journal des Savants, février et mars 1907.]

[378: Louis Leger, Nouvelles études slaves, Paris, 1880.]

[379: Portraits contemporains, éd. 1870, t. IV, p. 448.]

[380: Raynouard, Journal des Savants, juillet 1824.—Sainte-Beuve, Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1841, p. 354.—Villemain, Cours de littérature française au moyen âge, 1862, t. II, p. 204.]

[381: Nous en donnons une nomenclature à la fin du présent volume.]

[382: Edmond Biré, Portraits littéraires, Lyon, 1888, p. 5.]

[383: Stendhal, Souvenirs d'égotisme, Paris, 1893, p. 109.]

[384: Maurice Tourneux, Prosper Mérimée, comédienne espagnole et chanteur illyrien, Paris, 1887, p. 1.]

[385: Biré, op. cit., pp. 8-9.—«Si les premières études de Mérimée furent un peu négligées, il ne devait au surplus guère y paraître dans l’avenir. Il répara vite le temps perdu. Il ne possédera pas moins de huit langues: le latin, le grec ancien et moderne, l’anglais, l’espagnol, l’italien, l’allemand et le russe,—sans parler des patois et des jargons qui se rattachent plus ou moins à ces langues, et de l’arabe, qu’il eut aussi la fantaisie d’apprendre.»]

[386: Félix Chambon, Lettres inédites de Prosper Mérimée, Moulins, 1900, Introduction, p. XII.]

[387: Réponse au discours de réception de J.-J. Ampère à l’Académie française, le 18 mai 1848.]

[388: André-Marie Ampère et Jean-Jacques Ampère, Correspondance et souvenirs (de 1805 à 1864), recueillis par Mme H. Cheuvreux, Paris, 1875, t. I, p. 160.]

[389: Le 20 mai 1820.—Cf. E. Estève, Byron et le romantisme français, Paris, 1907, pp. 63 et 68.]

[390: E. Estève, op. cit., p. 70.]

[391: É.-J. Delécluze, Souvenirs de soixante années, Paris, 1862, pp. 222-223.—A. Filon, Mérimée et ses amis, p. 17.—Ampère, Correspondance, t. I, p. 279.]

[392: M. Tourneux, op. cit., p. 1.]

[393: P. Chambon, Notes sur Mérimée, p. 4.—Le même, Lettres inédites de Prosper Mérimée, p. XIV.]

[394: Publiée pour la première fois en 1888 par M. Tourneux dans l'ouvrage que nous citons plus haut.]

[395: M. Hugo P. Thieme, à la page 276 de son Guide bibliographique de la littérature française de 1800 à 1906 (Paris, 1907), attribué à Mérimée, nous ne savons d'après quelle autorité, un Rapport fait à la société d'encouragement pour l'industrie nationale, Paris, 1821. Ce rapport est dû à Léonor Mérimée.]

[396: Publié en 1828. Le premier traducteur du Faust paraît avoir été Saint-Aulaire (1823).]

[397: F. Chambon, Notes sur Mérimée, Paris, 1903, pp. 4-5, 22.]

[398: Stendhal, Souvenirs d'égotisme, pp. 108-109.]

[399: Revue de Paris, du 15 août 1899.]

[400: Mme Ancelot, Un Salon à Paris, 1824 à 1864, Paris, 1866, pp. 169-171.]

[401: F. Chambon, op. cit., loc. cit.]

[402: A. Filon, Mérimée et ses amis, Paris, 1894, pp. 13-14.]

[403: A. Filon, op. cit., p. 15.]

[404: À ce sujet, lire: Maurice Tourneux, Prosper Mérimée, ses portraits, ses dessins, sa bibliothèque, Paris, 1879.]

[405: M. Tourneux, Prosper Mérimée, comédienne espagnole et chanteur illyrien, p. 3.]

[406: É.-J. Delécluze, Souvenirs de soixante années, pp. 223-224.]

[407: G. Michaut, Sainte-Beuve avant les «Lundis», Fribourg (Suisse), 1903, p. 54.—Ces articles ne sont pas mentionnés dans la Bibliographie des Œuvres complètes de Mérimée, par le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul.]

[408: Théâtre de Clara Gazul, comédienne espagnole, Paris, A. Sautelet et Cie, 1825, pp. IX et 337, in-8°. Contient: Les Espagnols en Danemark, Une Femme est un Diable, L’Amour africain, Inès Mendo ou le Préjugé vaincu, Inès Mendo ou le Triomphe du préjugé, Le Ciel et l’Enfer.—Deux nouvelles pièces sont ajoutées à la seconde édition (1830): L’Occasion et Le Carrosse du Saint-Sacrement.]

[409: Cf. Revue rétrospective, janvier juin 1889, pp. 68-69.]

[410: F. Baldensperger, Le «Moine» de Lewis dans la littérature française (Journal of Comparative Literature, juillet-septembre 1903).]

[411: Paul Groussac, Une Énigme littéraire: le «Don Quichotte» d’Avellaneda, Paris, A. Picard et fils, 1903.—L’étude en question se trouve aux pp. 263-303.]

[412: M. Groussac se trompe légèrement. Mérimée ne cachait pas qu’il était l’auteur de Clara Gazul (il signait même ses lettres de ce «divin» nom stendhalien); son ami Ampère le dévoila aussitôt dans le Globe, et Léonor Mérimée présentait l’ouvrage aux professeurs de son fils. (M. Tourneux, Prosper Mérimée, comédienne espagnole, p. 5.)]

[413: London Magazine, juillet 1825, pp. 401-404.—New Monthly Magazine août 1825 (Foreign publications).—Cf. Doris Gunnell, Stendhal et l’Angleterre, Paris, 1908, pp. 382, 387, 392.]

[414: The Plays of Clara Gazul, a Spanish comedian; with Memoirs of her Life. London: printed for Geo. B. Wittaker, 1825, in-8°.]

[415: Taschenbibliothek Klassischer Romane des Auslands: n° 3-12 et 19-22. Prosper Mérimée's Werke. Das Theater der spanischen Schau-spielerin Clara Gazul, übersetzt von Karl Herrmann. Stuttgart, 1845.]

[416: Lettre de Mérimée à Mlle Brohan (16 septembre 1848), publiée par M. Filon, op. cit., p. 208.]

[2: M. Octave Lacroix pense que le Théâtre de Clara Gazul n'a pas été pour peu dans les origines des Contes d'Espagne et d'Italie, d'Alfred de Musset. «L'influence de Mérimée sur cet enfant gâté de tous les romantismes, dit-il, lequel se montre très irrévérent ensuite et très sceptique à l'égard de ses pères, me paraît incontestable et prouvée en bien des endroits.» (Octave Lacroix, Quelques Maîtres étrangers et français, Paris, Hachette, 1891, p. 371.) Ne faut-il pas rattacher à cela les vers souvent cités de la Coupe et les Lèvres (1832):

     L'un comme Calderon et comme Mérimée
     Incruste un plomb brûlant sur la réalité, etc.,

et la respectueuse lettre à Mérimée qu'on peut lire dans la Correspondance d'Alfred de Musset?]

[417: Nouveaux Lundis, t. XIII, p. 200.]

[418: J.-B. Galley, Claude Fauriel, membre de l'Institut, 1772-1844, Saint-Étienne, 1909, p. 312.]

[419: A.-M. et J.-J. Ampère, Correspondance, t. I, passim.]

[420: K. O'Meara, Un Salon à Paris: Mme Mohl et ses intimes, Paris, 1886, p. 51.]

[421: J.-B. Galley, op. cit., p. 259.]

[422: Casimir Stryienski, Stendhal et les salons de la Restauration, Paris, 1892, p. 12.]

[423: Revue des Deux Mondes, 1845.—Portraits contemporains, t. IV, p. 232.]

[424: Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1868.—Nouveaux Lundis, t. XIII, p. 200.]

[425: Une Correspondance inédite, 18 février 1857.]

[426: Un vers manque. (Note de Mérimée).]

[427: Bulletin du comité de la langue, de l'histoire et des arts de la France, t. I, Paris, 1852-1853, pp. 254-257. (Manque dans la bibliographie de M. Spoelberch de Lovenjoul.)—Cf. Une Correspondance inédite de Mérimée, Paris, 1897, p. 116.]

[428: Bulletin du comité de la langue t. I, p. 323.]

[429: H. Cordier, Stendhal et ses amis, Paris, 1890, p. 67.]

[430: Lettres à une Inconnue, 27 septembre 1862.]

[431: Ce grand poète roumain était l'ami de Mérimée; ils avaient fait de compagnie un voyage en Espagne. (Edouard Grenier, Souvenirs littéraires, Paris, 1893, p. 134.) Il se trouvait à Cannes pendant les derniers jours de Mérimée (1870) auquel il a consacré une notice: Vasile Alecsandri, Prosa, Bucarest, 1876, IIIe partie, pp. 605-614. Mérimée a exercé sur Alecsandri une certaine influence. (Voir l'Influence des romantiques français sur la poésie roumaine, par N.I. Apostolescu, Paris, 1908.)]

[432: Marino Vreto, Contes et Poèmes de la Grèce moderne, Paris, Émile Audois, 1855.—L'introduction de Mérimée occupe les pages 7 à 16.]

[433: Le Constitutionnel du 17 février 1846. (Cet article n'est pas recueilli dans les Œuvres de Mérimée.)]

[434: Casimir Stryienski, Soirées du Stendhal-Club, Paris, 1904, p. 227.]

[435: Lettres à une Inconnue , 1er juin 1852. Deux ans auparavant, Mérimée disait tout au contraire, dans sa brochure: H.B. «Sauf quelques préférences et quelques aversions littéraires, nous n'avions peut-être pas une idée en commun, et il y avait peu de sujets sur lesquels nous fussions d'accord.»]

[436: Mérimée et ses amis, Paris, 1909, pp. 19-25, 98-100.]

[437: É. Rod, Stendhal, Paris, 1892, pp. 133-134.]

[438: Arthur Chuquet, Stendhal-Beyle, Paris, 1902, p. 475.]

[439: Correspondance de Stendhal, Paris, 1908, t. II, p. 371.—Pourtant, il n'aimait pas la Guzla.]

[440: Voir ci-dessus, ch. II, § 5.]

[441: Mme Ancelot, Les Salons de Paris, foyers éteints, Paris, 1858, pp. 67-68.]

[442: L'Amateur d'autographes, 1877, p. 109.—Cette lettre est du 29 décembre 1830. Vingt ans plus tard, Mérimée écrit à une autre dame, date du grand séminaire de Carcassonne et signe: l'abbé Chapond, professeur de théologie. (Revue des Deux Mondes du 15 août 1879).]

[443: Henri Lion, _Pages choisies de Mérimée, _Paris, 1897, Introduction.]

[444: Nous reproduisons cette lettre dans la troisième partie de notre livre.]

[445: A.-M. et J.-J. Ampère, Correspondance, tome I, passim.]

[446: Par la mort de la jeune fille, Mlle Cuvier. (A.-M. et J.-J. Ampère, Correspondance, t. I, p. 372.)]

[447: Maurice Tourneux, L'Age du romantisme, 5e livraison, p. 8.]

[448: Lettre à Sobolevsky.]

[449: Pro Memoria P.M., Paris, 1907, pp. 76-78.]

[450: F. Chambon, Notes sur Prosper Mérimée, Paris, 1903, p. 5.]

[451: Toutefois, deux des ballades ne furent ajoutées que le 22 mars 1827, pendant l'impression même du livre. (M. Tourneux, op. cit., p. 9.)]

[452: Cf. Léon Séché, Plages romantiques: Boulogne-sur-Mer, dans l'Écho de Paris du 11 août 1908.]

[453: Eugène de Mirecourt, Mérimée, pp. 38-40.]

[454: Lettres inédites de Victor Jacquemont à Sutton Sharpe, publiées par A. Paupe dans la Revue d'histoire littéraire, octobre-décembre 1907, p. 701.]

[455: A.-M. et J.-J. Ampère, Correspondance, t. I, pp. 170 et 176.]

[456: Félix Chambon, Lettres inédites de Prosper Mérimée, Moulins, 1900, p. XII. Cf. la lettre à Mme de La Rochejacquelein, du 23 novembre 1859 (Revue des Deux Mondes, 1er mars 1896), où Mérimée raconte qu'après le collège il se livra, six mois durant, à l'étude de la magie.]

[457: Recueil des discours de l'Académie française, 1840-1849, p. 419.—Il fut reçu le 6 février 1845.]

[458: Paul Stapfer, Études sur la littérature moderne et contemporaine, Paris, 1881, p. 338.—Cf. aussi la lettre à la comtesse de Montijo, avril 1844, citée par M. Aug. Filon, Mérimée et ses amis, p. 145.]

[459: Félix Chambon, Notes sur Prosper Mérimée, p. 196.]

[460: Ibid.]

[461: En 1829, le Journal des Savans, (avril, p. 249) louait le nouvel ouvrage de «M. Mérimée fils» (Chronique du temps de Charles IX) comme un «roman historique, qui semble offrir un caractère plus original que celui de plusieurs productions du même genre».]

[462: Cf. Léon Séché, le Cénacle de la Muse française, Paris, 1908, p. 317.]

[463: Voir ci-dessous, ch. VIII, § 2.]

[464: M. Tourneux, L'Âge du romantisme, 5e livraison.]

[465: Paul Stapfer, op. cit., p. 338.]

[466: Dans la seconde édition de la Guzla, Mérimée reconnaît que «M. Charles Nodier avait publié également une traduction de la Triste ballade, à la suite de son charmant poème de Smarra».]

[467: Le dictionnaire d’Hatzfeld et Darmesteter ne connaît pas d’exemple avant 1791. Le mot guzla est, en France, de treize ans plus âgé.]

[468: Jean Sbogar, ch. II.]

[469: Cf. ci-dessus, ch. I, § 9.]

[470: La Guzla, pp. 81-82.]

[471: Chronique du règne de Charles IX, Paris, 1842, pp. 15-16.]

[472: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 129-136.]

[473: «Mon ami, l'estimable voïvode Nicolas***, avait rencontré à Biograd, où il demeure, Hyacinthe Maglanovich, qu'il connaissait déjà; et, sachant qu'il allait à Zara, il lui donna une lettre pour moi.» (Notice sur Hyacinthe Maglanovich.)]

[474: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 82-84.]

[475: Ch. Asselineau, Appendice à la bibliographie romantique, Paris, 1874, pp. 289-290. Il y dit que «Mérimée confessa dans l'avertissement à la réimpression de la Guzla que le prétendu portrait de Hyacinthe Maglanovich est le sien propre». Louis Leger, dans la Nouvelle Revue du 15 juin 1908, p. 451.—Cf. M. Tourneux, Prosper Mérimée, ses portraits, ses dessins, sa bibliothèque, Paris, 1879, p. 22.]

[476: Mérimée, p. 40.]

[477: Tome V, p. 372.—Fulgence Fresnel avait visité l'Italie pendant l'année 1826, et c'est alors, sans doute, qu'il passa la mer Adriatique. Il était un orientaliste distingué, mais ne connaissait pas les langues slaves. (Cf. la notice nécrologique que lui a consacrée Jules Mohl dans le Journal asiatique, 1857, pp. 12-22.)]

[478: Lucien Pinvert, Sur Mérimée, Paris, 1908, p. 65.]

[479: La Guzla, pp. 10-11.]

[480: La Nouvelle Revue du 15 juillet 1908, p. 451.]

[481: Knèze, petit chef local.]

[482: Karadjitch, Préface à l'édition de 1833.—A. Dozon, op. cit., pp. XXVII-XXVIII.]

[483: Revue encyclopédique, septembre 1826, pp. 712-713.]

[484: La Guzla, p. 247.]

[485: La Guzla, pp. 173-176.]

[486: Voyage en Dalmatie, t. I, p. 232.]

[487: Claude Fauriel, Chants populaires de la Grèce moderne, t. I, p. 213.]

[488: Idem, t. II, pp. 367 et 359.]

[489: Serbské Lêtopissi de Budapest, t. XX, pp. 132-134.]

[490: les Épopées françaises, t. II, Paris, 1892, p. 262.]

[491: Voyage en Bosnie, p. 65.]

[492: Idem, pp. 43, 107 et suiv.]

[493: Idem, pp. 28, 45 et 105.]

[494: La Nouvelle Revue du 15 juin 1908, p. 451.]

[495: Voyage en Dalmatie, t. 1, pp. 105-121.]

[496: Voyage pittoresque, pp. 54 et 81.]

[497: A. Filon, Mérimée (Collection des Grands Écrivains français), Paris, 1898, p. 28. «La biographie du prétendu barde Maglanovich, les notes, les appendices… toute cette partie accessoire de l'œuvre a une physionomie et un sens.»]

[498: La Guzla, p. 248.]

[499: Chants populaires de la Grèce moderne, t. I, p. 81.]

[500: La Guzla, p. 203.]

[501: Chants populaires de la Grèce moderne, tome I, p. 112.]

[502: La Guzla, p. 191.]

[503: Sainte-Beuve dit que Fauriel dut voir dans la Guzla «une atteinte légèrement ironique à des sujets pour lui très sérieux et presque sacrés»; on a même dit qu'il fut mécontent de cette conséquence inattendue de ses conseils littéraires. (J.-B. Galley, op. cit., p. 314.)]

[504: Jean-Baptiste Du Halde, Description de la Chine, Paris, 1735, 4 vol. in-folio. (Tome III, pp. 339-378.)]

[505: Pierre Martino, L'Orient dans la littérature française au XVIIe et au XVIIIe siècles, Paris, 1906, p. 220.]

[506: Un professeur serbe, M. Romanovitch, a fait représenter et imprimer, il y a quelques années, un «psychodrame» intitulé: Prokop, fondé sur la même histoire. M. Romanovitch a oublié de nous indiquer sa source.]

[507: Foreign Quarterly Review, juin 1828, pp. 662-671.]

[508: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 88-89.]

[509: Ibid.La Guzla, p. 26.]

[510: Srpski kgnijevni Glasnik, 1er décembre 1901.—Donc, ce n'est pas M. Tomo Matié qui a «mis la main sur l'ouvrage» comme on l'a laissé entendre dans l'Archiv für slavische Philologie, t. XXIX, p. 78.]

[511: Sur Chaumette-Desfossés lire un article nécrologique de Roux de Rochelle, dans le Bulletin de la Société de Géographie, mars 1842.]

[512: Voyage en Bosnie, pp. 51-53.]

[513: Voy. la lettre de Mérimée à Sobolevsky.]

[514: La Guzla, p. 205.]

[515: Voyage en Bosnie, pp. 22-24.—La Guzla, pp. 30-31.]

[516: Léo Joubert, Revue de France du 31 juillet 1875, pp. 45-46.—La Guzla, pp. 33-42.]

[517: La Guzla, pp. 27-32.]

[518: La Guzla, pp. 129-133.]

[519: Fauriel, Chants populaires de la Grèce moderne, t. II, p. 135.]

[520: La Guzla, p. 249.]

[521: Revue contemporaine, 31 décembre 1854, p. 239.]

[522: Fauriel, Chants populaires de la Grèce moderne, t. I, p. 139; t. II, p. 141; etc.—Voir aussi le mot: horse dans l'index alphabétique de l'ouvrage suivant: English and Scottish Popular Ballads, edited by F. J. Child, Boston, 1884-1898, 5 vol. in-4°.]

[523: A. Vozon, L'Épopée serbe, pp. 116-117.]

[524: Voyage en Bosnie, p. 75.]

[525: «Les Grecs et les catholiques romains se damnent à qui mieux mieux dans la Dalmatie et la Bosnie. Ils s’appellent réciproquement passa-vjerro, c’est-à-dire foi de chien.» La Guzla, p. 31.]

[526: Voyage en Bosnie, p. 20.]

[527: La Guzla, pp. 28 et 31.]

[528: Les Contemporains, nº 79, Mérimée, Paris, 1857, p. 37.]

[529: Mérimée et ses amis, Paris, 1894, p. 37.]

[530: Viaggio in Dalmazia, t. 1, pp. 43-105.]

[531: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 65-66.]

[532: Sauf l'indication contraire, toutes nos citations sont empruntées à l'édition bernoise du Voyage (1778).]

[533: Heyduque (haïdouk), vient de l'arabe-turc haïdout brigand, mais dans la poésie populaire il n'a nullement une signification flétrissante.]

[534: A. Dozon, op. cit., p. LV.]

[535: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 78-81.]

[536: La Guzla, pp. 67-71.]

[537: Le nom de Christich Mladin est un nom serbe des plus authentiques. Pourtant Mérimée ne le tient ni de Fortis, ni de Chaumette-Desfossés, mais d'une source où il avait très peu puisé,—et qui est restée inconnue jusqu'aujourd'hui,—du Voyage Pittoresque de l'Istrie et de Dalmatie, rédigé d'après l'itinéraire de L.F. Cassas, par Joseph Lavallée, Paris, 1802. Ce nom se trouve à la page 37.]

[538: Grand couteau que les Morlaques ont toujours à leur ceinture. (Note de Mérimée.)]

[539: Allusion au vampirisme dont on parlera ailleurs. Mérimée remarque dans une note que «ce mot rappelle celui de l'écuyer breton au combat des Trente: «Bois ton sang, Beaumanoir!»]

[540: «Kalo molyvi, une bonne balle, c'est le souhait que les klephtes se faisaient dans leurs toasts.» (Mérimée à Mme de La Rochejacquelein, 10 juillet 1859.)]

[541: Traduction P.-A. Fiorentino.]

[542: Moniteur universel du 13 août 1827; Journal de Paris du 27; Foreign Quarterly Review, juin 1828.]

[543: Srpski kgnijevni Glasnik du 1er décembre 1901, p. 358.]

[544: Karadjitch, Chants populaires serbes, t. III, n° 50.—A. Dozon, l'Épopée serbe pp. 244-245.]

[545: La Guzla, pp. 49-53.]

[546: En réalité, la poésie populaire serbo-croate ne connaît pas les strophes.]

[547: Traduction de M. P. Lehr.]

[548: Viaggio in Dalmazia, t. I, pp. 94-95.]

[549: A. Fée, Voceri, chants populaires de la Corse, Strasbourg, 1850.]

[550: Henry Maine-Sumner, De l'organisation juridique de la famille chez les Slaves du Sud, dans la Revue générale de droit, Paris, 1878.]

[551: La Guzla, pp. 73-74.]

[552: Notice sur Hyacinthe Maglanovich.]

[553: Énumérant les titres et qualités de ses amants, la jeune fille, en vraie Espagnole, compare leurs talents de joueur de guzla, comme si cet instrument accompagnait les chansons d'amour! Mérimée avait-il oublié qu'il avait dit que «la plupart des joueurs de guzla sont des vieillards fort pauvres, souvent en guenilles»?]

[554: P. V. Annenkoff, Matérialui dlia biografii Pouchkina, Saint-Pétersbourg, 1855, pp. 373-377.]

[555: Cette étymologie est fausse. Pobratime vient du verbe pobratimiti se (fraterniser) où le préfixe po ne représente pas une idée de division (po veut dire aussi demi) mais une action accomplie.]

[556: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 86-88.]

[557: La Guzla, p. 122.]

[558: La Flamme de Perrussich (la Guzla, pp. 117-123).]

[559: La Guzla, pp. 225-231.]

[560: Idem, p. 231.]

[561: Idem, pp. 193-205.]

[562: Mérimée ajoute, en note: «On peut voir par ce trait de quelle considération jouissent les vieillards et les poètes illyriens.» C'est là, hélas! une grande exagération de sa part.]

[563: Cyprien Robert, Les Slaves de Turquie, Paris, 1844.—A. d'Avril, La France au Monténégro, Paris, 1876.]

[564: P. Pisani, La Dalmatie de 1797 à 1815, Paris, 1893.]

[565: Le prince-évêque de Monténégro.]

[566: Le général baron Gauthier.]

[567: Le mot faucon s'emploie pour désigner un homme brave.]

[568:
     «Pobiégoché iadovi Frantzousi,
     Ka i pousta stoka bez tchobana
     A za gnima mladi Tzernogortzi
     Tiéraché ih do vrata Chouragna.»
]

[569: Tchoubro Tchoïkovitch [Simo Miloutinovitch], Piévania tzernogorska i herzégovatchka, Leipzig, 1837, n° 48.—Nous suivons la traduction de M. d'Avril.]

[570: Dr. Friedrich Krauss, La Fin du roi Bonaparte, chanson des guzlars orthodoxes de la Bosnie, dans la Revue des traditions populaires, Paris, 1889, pp. 1-9, 146-157.]

[571: La Guzla, pp. 245-248.]

[572: Nous retrouvons ce trait caractéristique dans beaucoup de poésies populaires. La célèbre Bataille de Morat, de Veit Weber, rappelle singulièrement les ballades serbes du même genre.]

[573: La Guzla, pp. 233-244.]

[574: Mérimée a emprunté ce nom au Vampire de Polidori.]

[575: Lettre à Mme Récamier (Budva, le 17 avril 1824).]

[576: La Guzla, pp. 233-237.]

[577: Idem, pp. 125-127.]

[578: Annales romantiques, 1825, pp. 306-307.]

[579: N'oublions pas que Mérimée passa l'automne 1826 à Boulogne-sur-Mer.]

[580: Léo Joubert, Revue de France du 31 juillet 1875.]

[581: Recueil des Discours lus dans les séances de l'Académie française, 1870-1879, t. I, p. 462.]

[582: Traduction Leconte de Lisle.]

[583: Ce nom est russe. Comme l'a remarqué M. Leger, il était popularisé en France par la Jeune Sibérienne de Xavier de Maistre.]

[584: Claude Fauriel, Chants grecs, t. II, p. 197.]

[585: La Guzla, pp. 43-45.]

[586: Gazette de France du 19 septembre 1827.]

[587: Voyage en Bosnie, pp. 2-3.]

[588: Traduction F. Barbier.—Pour dépister le critique, Mérimée déclara dans une note que cet Impromptu fut fait à sa requête par un vieux Morlaque, pour une dame anglaise. Il fournit même une chanson kirghise «qui offre une grande analogie» avec la sienne!]

[589: La Guzla, p. 187.]

[590: La Guzla, p. 39.—«Avez-vous jamais lu Homère? écrivait Mérimée à Mme de La Rochejacquelein. Pour les héros grecs, c'était une grande douleur de mourir sans être pleuré, sans être enterré.» (Une Correspondance inédite, p.19.)]

[591: Horace, Épîtres, I, 2, v. 31.]

[592: À notre prière, M. A. Kossowski a voulu bien revoir et compléter ce paragraphe.]

[593: Alfred Fellows, The Vampire Legend, dans The Occult Review, 1er septembre 1908, p. 125.]

[594: Probablement emprunté au turc septentrional über, sorcier. (Miklosich, Etymologisches Wörterbuch der slavischen Sprachen, Vienne, 1886, p. 374 et suiv.). En serbe vampir; en polonais upior.]

[595: Le Mercure galant, mai 1693, février 1694, cité par M. Stefan Hock dans son étude très documentée: Die Vampyrsage und ihre Verwertung in der deutschen Literatur, Berlin, 1900, pp. 33-34.]

[596: D'abord dans l'Histoire de l'état présent de l'Église grecque et de l'Église arménienne, par l'Anglais Paul Ricault (trad. par M. de Rosemond, Middelbourg, 1692, p. 281 et suiv.); ensuite dans la Relation du Voyage du Levant de Pitton de Tournefort, Lyon, 1717, t. I, pp. 158-165. Ce voyageur français avait entendu parler des vroucolaques à Mycone, en 1700, et avait assisté à des scènes vraiment effroyables.]

[597: Wiener Diarium du 25 juillet 1725.—Entselzliche Begebenheit, welche sich in dem Dorff Kisolava ohnweit Belgrad in Ober-Ungarn (sic) vor einigen Tagen zugetragen, Vienne 1725.]

[598: Rapport conservé au Hofkammerarchiv à Vienne; cité par M. Hock, op. cit., p. 38.]

[599: Calmet, Traité sur les apparitions, pp. 36-39.—La Guzla, pp. 139-145.—Hock, op. cit., pp. 38-39.]

[600: M. Ranft, Tractat von dem Kauen und Schmatzen der Todten in den Gräbern, Leipzig, 1734, p. 179.]

[601: Stefan Hock, op. cit., p. 40.]

[602: Histoire des Vampires, Paris, 1820, p. 243.]

[603: Voir la liste de ces ouvrages chez M. Hock, pp. 36 48.]

[604: Dictionnaire philosophique, article: «vampires».]

[605: Le Dictionnaire d'Hatzfeld et Darmesteter ne connaît pas d'exemple avant 1762.]

[606: À Paris, chez de Bure aîné, 1746, pp. 500 in-12. Les éditions postérieures sont en deux volumes.]

[607: Diderot et d'Alembert, l'Encyclopédie, article: «vampires.»—Pourtant, il faut le reconnaître, l'ouvrage du père Calmet a toujours une certaine valeur. Abstraction faite des réflexions de l'auteur, les documents qui y sont ramassés forment la plus complète monographie, pour ainsi dire, sur cette superstition populaire. The Phantom World, by Augustin Calmet, edited with an Introduction and Notes by the Rev. Henry Christmas, Londres, 1850, 2 vol. in-8°, Introduction.]

[608: Dissertations sur les Apparitions, pp. 225-226.]

[609: Stefan Hock, op. cit., loc. cit.]

[610: Hock, op. cit., p. 66.]

[611: Mme de Staël, De l'Allemagne, 2e partie, ch. XIII.]

[612: Hock, op. cit., pp. 66-89.]

[613: Hock, op. cit., p. 69.]

[614: De l'Allemagne, 2e partie, ch. XIII.]

[615: F. Baldensperger, Bibliographie critique de Goethe en France, Paris, 1907, p. 193.]

[616: Parue dans ses Études françaises et étrangères, Paris, 1828.—Goethe vantait cette traduction à Eckermann, le 14 mars 1830.]

[617: Baldensperger, op. cit., loc. cit.]

[618: Faust, II (éd. de Weimar), vers 7981, 8820 et suiv.]

[619: Traduction J.M.H. Bigeon.]

[620: Hock, op. cit., pp. 72-73.]

[621: Goethes Unterhaltungen mit dem Kanzler Friedrich von Müller, éd. Burkhardt, Stuttgart, 1898, p. 51.—Hock, op. cit., pp. 79-80.]

[622: Essai sur le génie de Byron, p. 161.]

[623: Mes Mémoires, Paris, 1852, t. VII, pp. 163-313.]

[624: Mélanges de littérature et de critique, Paris, 1820, t. I, p. 417.]

[625: Tome II, 1820, p. 245.—Pourtant Hugo se concilia bientôt avec ce genre.]

[626: Tome XI, 1820, p. 93.]

[627: Voici encore quelques ouvrages du temps: Jacques Fignolet sortant de la représentation du Vampire, par M. A. R.; Encore un Vampire ou Fanfan la Tulipe sortant de la Porte-Saint-Martin, par Emile B.-L.; Les Étrennes d'un Vampire, manuscrit trouvé au cimetière du Père-Lachaise; Demoniana ou nouveau choix d'aventures surprenantes, de nouvelles prodigieuses, d'aventures bizarres sur les revenants, les spectres, les fantômes… par Mme Gabrielle de Paban; les Fantômes nocturnes ou les terreurs des coupables, théâtre de forfaits offrant… des visions infernales; une nouvelle traduction du Vampire de Polidori, par A. E. de Chastopalli, le Vampire ou la Vierge de Hongrie, par le baron de Lamothe-Langon, etc.]

[628: Le Vampire, drame fantastique en 5 actes et 10 tableaux, par A. Dumas et Aug. Maquet, représenté le 30 décembre 1851. Cf. E. Estève, op. cit., p. 78.—Un opéra allemand en quatre actes, le Vampire, paroles de C.-G. Haeser, musique de Marschner, fut représenté à Leipzig le 28 mars 1828. «Cet ouvrage fort remarquable, dit le Dictionnaire des Opéras se distingue particulièrement par l'expression caractérisée des personnages de la pièce et par une harmonie originale et vigoureuse. Le Vampire ne pâlirait pas à côté du Freyschütz de Weber, l'ancien compétiteur de Marschner.» Cet opéra fut accueilli avec enthousiasme et représenté sur les théâtres de toutes les villes de l'Allemagne. Il le fut aussi à Londres et à Liège le 27 janvier 1845, avec succès. Il a été traduit et adapté à la scène française par Ramoux, et on se disposait à le donner à l'Académie de Musique lorsque les événements de 1830 en firent ajourner la représentation.

Paul Féval traita une histoire de vampire dans son Chevalier Ténèbre (1861).—De nos jours, M. A. Ferdinand Herold s'est inspiré du vampirisme (indien cette fois) dans ses Contes du Vampire (Mercure de France, 1902).—Notons encore le Voukodlak, nouvelle de Léo Joubert, publiée dans le Siècle du 2 au 9 août 1855; Vikram and the Vampire, or Tales of Hindu Devilry, par sir Richard Burton, orientaliste anglais bien connu.]

[629: Voir ci-dessus, chapitre I, § 9.]

[630: Victor Hugo, leçons faites à l'École Normale supérieure, sous la direction de Ferdinand Brunetière, Paris, 1902, t.1, p. 245.]

[631: Voir ci-dessus, chapitre I, § 9.]

[632: Anatole France, Sainte-Beuve poète, p. 12.]

[633: Th. Gautier, Histoire du romantisme, pp. 50-51. Gautier lui-même débuta en 1828 par une pièce de vers intitulée: la Tête de mort, avec laquelle (la poésie et non la tête) il se présenta chez Sainte-Beuve.]

[634: Ph. O'Neddy, Feu et Flamme, poésies, Paris, 1833.]

[635: M. Souriau, La Préface de «Cromwell» (Introduction, texte et notes), Paris, 1897, pp. 204-206.]

[636: Eckermann, Conversations de Goethe, t. II, p. 193.]

[637: F. Chambon, Notes sur Mérimée, p. 4.—Le même, Lettres inédites de Prosper Mérimée, p. XIV.]

[638: La Guzla, pp. 97, 137, 213.]

[639: Les deux mots sont en usage chez les Serbo-Croates; le dernier n'est, sans doute, qu'une corruption de vroucolaque, nom sous lequel les Grecs modernes désignent la même chose.]

[640: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 95-96.]

[641: Chaumette-Desfossés, Voyage en Bosnie, p. 74.]

[642: La Guzla, pp. 135-156.]

[643: Augustin Filon, Mérimée et ses amis, Paris, 1909, p. 38.]

[644: Khava n'est pas un nom serbo-croate. Nous croyons que Mérimée l'a forgé en s'inspirant du Khavass («huissier extérieur») dont parle Chaumette-Desfossés (Voyage en Bosnie, p. 75). Le groupe KH lui paraissait si romantique!]

[645: La Guzla, pp. 146-148.]

[646: La Guzla p. 156.]

[647: La Guzla, pp. 157-167.]

[648: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 109-113.—La Guzla pp. 165-166.]

[649: La Guzla, pp. 169-171.]

[650: La Guzla, pp. 187-191.]

[651: La Guzla, pp. 217-223.]

[652: La Guzla, pp. 177-185.]

[653: Article sur Nicolas Gogol, cité par M. Filon, op. cit., p. 102.]

[654: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 117-118.]

[655: La Guzla, p. 185.]

[656: Idylles, VI, 39.]

[657: Histoire naturelle, VII, 2.—Cf. aussi les Captifs de Plaute, vers 475-495.]

[658: «Dans ses yeux brille une double prunelle d'où jaillissent à la fois des rayons de feu.» (Amores, I. Éleg. 8, 15.)]

[659: Livre VIII, ch. XIV.]

[660: Cf. ci-dessus, chapitre I, § 9.]

[661: Ibid.]

[662: Fred. Th. Elworthy, The Evil Eye, Londres, 1898, pp. 14 et 18.]

[663: Fauriel, Chants grecs, t. I, p. LXXXI.]

[664: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 98-99.—Cette croyance existe même aujourd'hui parmi les Serbo-Croates.]

[665: la Guzla, pp. 91-100.]

[666: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 98-99.]

[667: C'est le passage qui fut supprimé dans la deuxième édition.]

[668: La Guzla, pp. 113-116.]

[669: La Guzla, pp. 101-112.]

[670: Idem, p. 112.]

[671: Les Géorgiques, liv. IV, vers 485-495. (Traduction A. Nisard.)]

[672: Cf. ci-dessus, note 553.]

[673: Remarquons qu'il existe une légende populaire polonaise dans laquelle un père se crève les yeux pour sauver ses enfants de son regard; mais la publication en est postérieure à la Guzla et certainement Mérimée ne l'a pas connue. (Woycicki, Contes populaires polonais, traduction allemande, p. 25.)]

[673: Le Monde enchanté, ou examen des communs sentiments touchant les esprits, leur nature, leur pouvoir, leur administration et leurs opérations et touchant les effets que les hommes sont capables de produire par leur communication et leur vertu. Divisé en quatre parties. Par Balthazar Bekker, docteur en théologie et pasteur à Amsterdam. Traduit du Hollandais. À Amsterdam, chez Pierre Rotterdam, 1694. 4 tomes en 6 volumes, in-12.]

[674: Dictionnaire philosophique, article: Bekker.]

[675: La Guzla, p. 212.]

[676: Le Monde enchanté, t. II, pp. 293-295.—Naturellement, Mérimée ne cite pas ce passage. C'est M. Matié qui l'a retrouvé le premier.]

[677: La Guzla, pp. 207-211.]

[678: La Guzla, pp. 77-89.]

[679: On la rencontre pour la première fois dans la Légende dorée de Jacques de Voragine.—B. Seuffert, Die Legende von der Pfalzgrãfin Genovefa, Würzburg, 1877.]

[680: Les Soupirs de Siffroi, ou l'Innocence reconnue, tragédie, 1675. (Voir sur cette pièce singulière le Catalogue de la bibliothèque dramatique de M. de Soleinne, t. II, p. 24.)]

[681: Geneviève, ou l'Innocence reconnue, tragédie chrétienne, 1679.]

[682: Geneviève de Brabant, comédie, 1793.]

[683: Bruno Golz, Pfalzgrãfin Genovefa in der deutschen Dichtung, Leipzig, 1897.]

[684: Jean-Baptiste Porta, Napolitain, La Magie naturelle qui est, les secrets & miracles de Nature. Nouvellement traduite de Latin en François. À Rouen, 1680, pp. 360-361.]

[685: Minstrelsy of the Scottish Border, t. III, p. 287.—Cf. F.-J. Child, English and Scottish Popular Ballads, t. I, p. 157.]

[686: Le Rozier historial de France, contenant deux roziers… Paris, 1522, goth. 214 ff.—Cité par le Globe, t. VI, p. 413.]

[687: La Guzla, pp. 55-66.]

[688: La Guzla, p. 64.]

[689: Deslongchamps, Essai sur les fables indiennes, p. 107 et suiv.—Cité par F.-J. Child, The English and Scottish Popular Ballads Boston, 1884-98, t. I, p. 269.]

[690: Montaiglon et Raynaud, Recueil général des fabliaux, t. III, pp. 1-34.—Cité par F.-J. Child, op. cit., t. I, p. 257.]

[691: F.-J. Child, op. cit., pp. 257-274.—Reinhold Köhler, Jahrbuch für romanische und englische Literatur, t. VIII, p. 44 et suiv.]

[692: La Guzla, pp. 251-255 et 256-257 (notes).]

[693: Voir ci-dessus, pp. 31-36.]

[694: Nous citerons seulement les plus importants:

Franz Miklosich, Ueber Goethes Klaggesang von der edlen Frauen des Asan Aga, publié d'abord dans les Comptes rendus de l'Académie impériale de Vienne (section d'histoire et de philosophie), tome CIII, pp. 413-490, puis tiré à part, Vienne, 1883.—Cf. Anzeiger für deutsches Alterthum, t. X, p. 400 et suiv. (Otto Pniower); Archiv für slavische Philologie, t. VII, p. 499 et suiv., et t. X, p. 659 et suiv.; Goethe-Jahrbuch, t. V, p. 396 et suiv.

Karl Geiger, Ueber Goethes «Klaggesang von der edlen Frauen des Asan
Aga
», dans l'Archiv für Literaturgeschichte, t. XIII, pp. 336-350,
Leipzig, 1885.—Écrit avant la publication de l'étude précédente.

Karl Bartsch, Goethe und das serbische Versmass, article publié dans la revue berlinoise Die Gegenwart, tome XXIV, 1883, nº 41, p. 229 et suiv.

H. Preisinger, Goethe and the Servian Folk-Song, dans les Transactions of the Manchester Goethe-Society, 1886-1893, Warrington, 1894, pp. 77-89. (Tous ceux qui, plus tard, ont étudié le même sujet, ont ignoré ce travail.)

Fr. Marković, Prilog esteličkoj nauci o baladi i romanci (Contribution aux études esthétiques de la ballade et de la romance), Rad Jugoslavenske Akademije, tome CXXXVIII, pp. 181-185.

Matthias Murko, Goethe und die serbische Volkspoesie, dans la revue viennoise Die Zeit, 1899, nº 256, p. 134 et suiv. (Nous ne connaissons cet article que de nom.)

Camilla Lucerna, Die südslavische Ballade von Asan-Agas Gattin und ihre
Nachbildung durch Goethe
, Berlin, 1905.—Cf. une notice de M. Rudolf
Abicht dans Studien zur vergleichenden Literaturgeschichte,
herausgegeben von Dr. Max Koch, Berlin, 1905, t. V, pp. 366-376.

Dr Milan Ćurčin, Das serbische Volkslied in der deutschen Literatur, Leipzig, 1905.—Cf. Studien z. vergl. Literaturgeschichte, t. VI, 1906, pp. 508-511 (W. Nehring); Deutsche Literatur-Zeitung, Leipzig, 1906, p. 1824; Literar. Zentralblatt, Leipzig, 1906, col. 1047-48; Archiv für slavische Philologie, tome XXVIII, Berlin, 1906 (Matthias Murko); Literar. Handweiser, Münster, 1907, p. 353; Allgem. Literaturblatt, Vienne, 1907, p. 561.

Stjepan Tropsch, Njemački prijevodi našijeh narodnijeh pjesama (Les traductions allemandes de nos poésies populaires), Rad Jugoslavenske Akademije, t. CLXVI, Agram, 1906, pp. 1-74. (Sera continué.)]

[695: M. Ćurčin, op. cit., p. 59.—Auguste Dozon, qui était un des meilleurs connaisseurs de la piesma serbe, considéra la Triste ballade comme une poésie, «féminine» ou lyrique, quand il la traduisit en 1859 dans ses Poésies populaires serbes, et ne l'inséra point dans la seconde édition de cet ouvrage qui parut en 1888 sous le titre plus exclusif de l'Épopée serbe.]

[696: M. Ćurčin pense que la Triste ballade a reçu sa forme définitive vers l'an 1700. (Das serbische Volkslied, p. 65.)]

[697: Nous traduisons littéralement d'après le texte serbo-croate, tel qu'il est publié par Fortis.]

[698: La Guzla, p. 254.]

[699: Télégraphe officiel des provinces illyriennes du 20 juin 1813. L'article est réimprimé par M. Matić dans l'Archiv für slavische Philologie, t. XXIX, pp. 79-81.]

[700: Ch. Nodier, Mélanges de littérature et de critique, Paris, 1820, t. II, pp. 365-366.]

[701: Cf. Auguste Dozon, L'Épopée serbe, p. LXXV.]

[702: Ces derniers mots manquent dans le texte original, mais ils se retrouvent dans la traduction de Fortis.]

[703: Ch. Nodier, Mélanges de littérature et de critique, mis en ordre et publiés par Alexandre Barginet, de Grenoble, Paris, 1820, tome II, pp. 369-371.]

[704: Voir ci-dessus, chapitre I, § 3.]

[705: Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 143, 145, 147, 149.—Lettre sur les mœurs des Morlaques, pp. 79, 81, 83, 85.—Cf. Matić, Archiv für slavische Philologie, t. XXIX, pp. 67-69, 84-86 (réimpression).]

[706: Cf. ci-dessus, chapitre I, § 2 et 3.]

[707: Voyage de la Grèce, 2e édition, Paris, 1826, t. III, pp. 135-137.]

[708: Karadjitch inséra la Triste ballade dans la première édition de son recueil (1814), mais non dans la seconde. Il espérait en obtenir une version plus exacte. N'ayant pas réussi à la trouver, il inséra de nouveau, dans la troisième édition (1846), le texte de Fortis, en le corrigeant sensiblement, beaucoup moins cependant que dans la première édition. A. Dozon reproduisit toutes ces corrections, p. ex.: vers 2, de la neige (Fortis, sniezi, pl. Karadjitch, snieg, sing.); vers 86, cœur de pierre (Fortis, srca argiaskoga; Karadjitch, srca kamenita); etc.]

[709: Archiv für slavische Philologie, t. XXIX, pp. 64-78 et 84-96.]

[710: Idem, p. 66.]

[711: Idem, pp. 66-67.]

[712: Srpski kgnijevni Glasnik du 1er décembre 1901, p. 355.]

[713: Ćurčin, op. cit., pp. 66-69.]

[714: Voir note 190.]

[715: Archiv für slavische Philologie, tome XXIX, pp. 72-78.]

[716: La Guzla, p. 256.]

[717: Chronique du règne de Charles IX, suivie de la Double Méprise et de la Guzla, Paris, 1842, p. 475.]

[718: Qui était cet ami qui l'aida à traduire la Triste ballade? M. Matić veut que ce soit J.-J. Ampère, parce que Mérimée dit une fois de lui: «Il sait toutes les langues de l'Europe.» (Archiv, XXIX, 78; Brankovo kolo, 1908, p. 646.) Mais M. Matić oublie qu'ailleurs l'auteur de la Guzla déclare expressément que cet ami non seulement SAVAIT le russe, mais qu'il ÉTAIT Russe. (Éd. de 1842, p. 475.) Ampère ne connaissait aucune des langues slaves et, quand il avait à parler des Slaves, il utilisait des ouvrages allemands. (Littérature et voyages, 1833, Mélanges, 1867.)

Nous ne voyons pas pour quelle raison Mérimée n'aurait pu se renseigner auprès d'un véritable Russe. Dès cette époque, il avait des relations dans la colonie, alors très nombreuse, des Russes à Paris,—ne fut-ce pas, en effet, un Russe qui se chargea de transmettre la Guzla à Goethe?—On le voyait chez Mme Zénaïda Wolkonska, et il pouvait rencontrer chez les Stapfer un M. Melgounoff (Novoé Vrémia du 25 oct. 1894). Il est resté dans la Guzla plusieurs traces de ces fréquentations, en particulier un assez grand nombre de noms propres: Dmitri, Wlodimer, Alexis, Prascovie, Yacoubovich, Tchernyegor, Miliada, etc. Ce dernier est très significatif, car c'est le nom que porte l'héroïne du poème historique le Tableau slave de Mme Wolkonska.]]

[719: Goethe non seulement conserva toutes ces épithètes, mais il en ajouta de nouvelles: Aengstlich folgen ihr zwei liebe Tõchter (vers 19); Und sie hielten vor der Lieben Thüre / Und den armen Kindern gab sie Gaben (vers 77-78). Il va sans dire que nous ne songeons pas à le lui reprocher: une traduction en vers était autrement difficile qu'une traduction en prose. Nous constatons seulement le fait.]

[720: Pourtant, deux ou trois fois il y recourut, mais tomba malencontreusement sur les passages les moins bien traduits. (Archiv, t. XXIX, p. 75.)]

[721: La suite que Nodier donne de cette lettre est complètement fantaisiste.]

[722: Viaggio in Dalmazia, t. I, p. 104.]

[723: Idem, p. 105.]

[724: Voyage en Dalmatie, t. I, p. 149.]

[725: Goethes Werke, éd. de Weimar, première partie, t. II, p. 52.]

[726: Smarra ou les démons de la nuit, Paris, 1821, p. 199.]

[727: La Guzla, p. 255.]

[728: L. Clément de Ris, Portraits à la plume, Paris, 1853, pp. 109-110.]

[729: Maxime du Camp, Souvenirs littéraires, Paris, 1883, t. II, p. 328.—Cf. aussi l'Introduction des Lettres à une Inconnue, par H. Taine, p. XXIX, et A. Filon, Mérimée, p. 47.]

[730: Impromptu, le Morlaque à Venise, le Cheval de Thomas II.]

[731: «Lingay est auteur de tous les discours de Casimir Périer.» (J.-M. Quérard, Les Supercheries littéraires, 2e éd., t. III, p. 79.)]

[732: M. Tourneux, Prosper Mérimée, comédienne espagnole, p. 8.]

[733: Entre amis (publication de la Société des gens de lettres), Paris, E. Dentu, 1882, pp. 459-479.]

[734: Le 26 décembre 1829. (Correspondance de Stendhal, Paris, 1908, t. II, p. 509.)]

[735: Publiée sous le pseudonyme de «Léon de Saint-Marcel». (Quérard, La France littéraire, t. XI, pp. 255-256.) Les autres ouvrages de J. Lingay sont: Notice sur Casimir Delavigne. (Extrait du «Musée des familles», numéros de mars 1844), Les Batignolles, 1844, 8 pages in-4º à deux colonnes.—La France en Afrique, Paris, 1846, in-8º Anon.—Défense de Marc Caussidière pour les affaires du 15 mai et les journées de juin. Publiée dans le Moniteur universel et tous les journaux de Paris. Lingay écrivit à un journal, dans les premiers jours d'octobre 1848, pour démentir les bruits qui lui attribuaient la rédaction du discours du prince Louis-Napoléon Bonaparte. Il ajoutait qu'il avait écrit la défense de Caussidière, mais il s'étonnait qu'en 1848, sous la République, on blâmât un avocat d'avoir plaidé pour un ami et pour un proscrit.—La Liste civile dévoilée. Lettre d'un électeur de Joigny à M. de Cormenin, député de l'Yonne. Paris, 1837, pp. 128 in-32. C'est une réponse aux Lettres sur la liste civile et sur l'apanage, par M. de Cormentin.]

[736: 25.000 adresses de Paris, Paris, Panckoucke, 1827-1842.]

[737: L'Âge du Romantisme, 5e livraison, p. 9.]

[738: L'Âge du Romantisme, 5e livraison, p. 9.]

[739: Cf. ci-dessus, pp. 233-234.]

[740: La Guzla, ou choix de poésies illyriques, recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et l'Herzegowine. À Paris, chez F.-G. Levrault, rue de la Harpe, nº 81; et rue des Juifs, nº 32, à Strasbourg [et chez Mongie, à Paris, boulevard des Italiens, nº 10; cf. le Nouveau Journal de Paris du 27 août 1827], 1827, pp. xii (faux-titre, titre, table des matières et préface) et pp. 257, in-12. Prix 4 francs.

M. Gustave Lanson a tort de dater la Guzla: 1826. (Voir son Histoire de la littérature française, 9e édition, Paris, 1906, p. 995.)]

[741: Moniteur universel du 13 août 1827.]

[742: Nouveau Journal de Paris et des départemens, feuille administrative, commerciale, industrielle et littéraire du 27 août 1827.]

[743: La Vie de Napoléon Buonaparte, par sir Walter Scott, venait de paraître et la presse française s'en occupait beaucoup au moment où la Guzla fut publiée.]

[744: Le Globe des 23 et 28 août, 1, 6 et 11 septembre 1827.]

[745: Voir ci-dessus, chapitre I, § 5.]

[746: Mme Belloc ne disait pas d'où elle avait traduit ces pièces, mais il est facile d'établir qu'elle les avait tirées de la traduction anglaise de John Bowring et non pas du recueil original serbe, car elle avait fidèlement reproduit non seulement l'orthographe anglaise des noms propres et topographiques, mais aussi les notes qui accompagnaient la Servian Popular Poetry.]

[747: Revue encyclopédique, août 1827, pp. 463-464.—Même notice dans le Journal général de la littérature de France, août 1827, p. 243.]

[748: Gazette de France du 19 septembre 1827.]

[749: Le Globe, tome V, p. 410.]

[750: Voir ci-dessus, chapitre V, § 4.]

[751: La Nouvelle Revue du 16 juin 1908, p. 449.]

[752: Cf. ci-dessus, chapitre V, § 2.]

[753: Journal des Savans, 1827, p. 569.]

[754: Idem, février 1829, pp. 125-126.—Deux mois plus tard, Charles Magnin écrivait dans le Globe, rendant compte de la Chronique de Charles IX: «Qu'importe que l'auteur se donne pour un grand dénicheur d'anecdotes et lecteur de mémoires, et que son livre, daté, en gros caractères, 1572, peigne des mœurs de trente ans postérieures, et bien moins les modes du temps de Charles IX que celles du commencement de la régence de Marie de Médicis! c'est là un assez petit malheur, et qui ne porte presque aucune atteinte au mérite du romancier. Une œuvre d'imagination n'est pas tenue de faire une illusion complète; et la Guzla, par exemple, ne serait pas moins digne d'éloges quand le Journal des Savans, après dix-huit mois d'examen, n'eût pas annoncé cet ouvrage comme une traduction assez soignée de plusieurs petits poèmes illyriens.» (Le Globe du 25 avril 1829.)]

[755: Journal des Débats du 21 décembre 1827.—Le Constitutionnel du 22.—Le Courrier français du 24.]

[756: L'Univers illustré du 12 mars 1881, p. 162.]

[757: Biffé.]

[758: Lettre inédite.—Collection de M. Félix Chambon.]

[759: Revue de Paris, octobre-décembre 1829.]

[760: Lettres à une Inconnue, t. I, p. 26.]

[761: Bulletin du Bibliophile, 1908, pp. 227-228.—Sur Mérimée, Paris, H. Leclerc, 1908.]

[762: Cf. ci-dessus, chapitre I, § 3.]

[763: Archiv für slavische Philologie, t. XXIX, pp. 59-64.]

[764: Chronique du règne de Charles IX, Paris, 1842, p. 476.]

[765: Srpski kgnijevni Glasnik du 1er décembre 1901, p. 366.]

[766: Milosch Kobilitch se trouve à la suite d'un manuscrit de l'Osmanide de Gundulić, portant le numéro 8701 (anc. 8700 et 1 illyrien), pages 622-677: «Pisma od Miloscia Cobilichja i Vuka Brancovichja» (Canto di Milos Cobilich e di Vuko Brancovich). En serbo-croate et en italien [trad. par Fortis].]

[767: Th. Vetter, Bibliographisches aus Paris (Archiv für slavische Philologie, tome VI, pp. 121-126).]

[768: Cf. Ćurčin, op. cit., pp. 28-29.]

[769: Osman, poème illyrien, Paris, 1838.—Fragments sur l'histoire politique et littéraire de l'ancienne République de Raguse et sur la langue slave, Paris, 1839.—Sur la ville et l'ancienne République de Raguse, Paris, 1839.]

[770: À ce sujet lire l'article cité de M. Matić, pp. 63-64.]

[771: Voir la Bibliographie placée à la fin de cette étude.]

[772: Nous devons ce détail à une obligeante communication de la grande maison d'édition de la rue Auber.]

[773: M. Matić fut la première victime de leur fantaisie. Dans un des appendices de son étude, il a reproduit la Triste ballade en entier, se servant de ce texte haché de 1885.]

[774: Art. inséré dans le Rêve et la Vie de Gérard de Nerval, Paris, 1855, p. 267.]

[775: Journal des Débats du 4 avril 1849 (Hector Berlioz).—Le Moniteur du 12 (Hippolyte Prévost).—F. Clément et P. Larousse, Dictionnaire des Opéras, Paris, 1897, p. 755.]

[776: Maurice Tourneux, Gérard de Nerval (l'Âge du romantisme, 3e livraison), Paris, 1887, p. 10.]

[777: La Romaika n’est point «le chant des montagnes monténégrines». C’est la danse nationale des Grecs modernes.]

[778: Gérard de Nerval, La Bohème galante, Paris, 1855, pp. 63-64.]

[779: F. Coppée, Pour la Couronne, acte I, scène 2.]

[780: Théâtre de la Renaissance, 1897.]

[781: E. de Laboulaye, L’Allemagne et les pays slaves, p. 130.—L’auteur de la Guzla lui-même ne dédaigna pas de faire plus ample connaissance avec cette poésie qu'il avait voulu imiter sans la connaître. Nous en avons plusieurs témoignages. Dans son article De l'Origine des Albanais (Revue contemporaine du 31 déc. 1854), après avoir constaté que les échantillons de la littérature albanaise qu'il avait sous les yeux «n'étaient pas faits pour l'encourager dans l'étude de cette littérature», Mérimée se demande «comment un peuple placé entre les Serbes et les Grecs est resté si parfaitement étranger au mouvement poétique de ses voisins». Dans l'introduction qu'il écrivit pour les Contes et poèmes de la Grèce moderne de Marino Vreto (1855), il déclare qu'on ne trouve dans ces chants «ni l'ampleur des poèmes serbes, ni l'invention romanesque des ballades anglaises ou des romances espagnoles». Enfin, dans le feuilleton qu'il consacra aux Ballades roumaines de son ami Alecsandri (1856), il rapproche fort judicieusement une ballade de ce recueil d'une version serbe qu'il en connaissait. (Voir plus haut, chapitre III, § 2.)]

[782: N.S. Pétrovitch, Essai de bibliographie française sur les Serbes et les Croates (1544-1900), Belgrade, 1900.]

[783: Lire à ce sujet notre notice: Claude Fauriel et la poésie populaire serbe (en serbe), dans la revue Srpski kgnijevni Glasnik des 1 et 16 février 1910.]

[784: Elle collabora au fameux Livre des Cent et Un.—Sur Mme Voïart lire: Femmes auteurs contemporains, par Alfred de Montferrand, Paris, 1836, t. I, pp. 167-178.]

[785: Revue des Deux Mondes du 1 novembre 1834, pp. 347-348.]

[786: Œuvres complètes de Lamartine, t. VIII, Paris, 1861, pp. 33-108.]

[787: À propos du Voyage en Orient, il faut faire remarquer que dans les pages relatives aux pays serbes, les noms propres sont généralement mal orthographiés. Un nouvel éditeur ne pourrait-il remédier à cet état de choses?]

[788: Première édition: Chants populaires serbes, Paris, 1859.]

[789: La Bataille de Kossovo, rhapsodie serbe, tirée des chants populaires et traduite en français par Adolphe d’Avril, agent et consul général de France en Roumanie, Paris, 1868.]

[790: De nos jours encore, pareille aventure est arrivée. Un ingénieur français qui, ayant exploré la Bosnie, avait entendu parler des célèbres ballades serbes, voulut en joindre quelques-unes à son livre. (Albert Bordeaux, La Bosnie populaire, Paris, Plon-Nourrit, 1904.) On lui en fournit un certain nombre qui semblent avoir été faites par quelque poète-fonctionnaire, excepté pourtant la Mort du guzlar qui est du grand poète national Zmaï-Yovan Yovanovitch.]

[791: M. Colonna, Contes de la Bosnie. Orné de trente-quatre illustrations originales de Léopold Braun. Paris, 1898, pp. 1-3.]

[792: Voir le catalogue méthodique de la Bibliothèque Nationale, fiches: Bosnie, bosniaque, Balkans, Herzégovine, etc.]

[793: Dire qu'on parle le «bosniaque» en Bosnie, c'est comme si l'on disait qu'on parle le «messin» à Metz.]

[794: Revue d'Europe, 1899, 1900.]

[795: Cf. plus haut, chapitre IV, § 5.]

[796: Ibid.]

[797: Presque toutes les pièces des Contes de la Bosnie ont été réimprimées dans la Revue d'Europe, économique, financière et littéraire, Paris, 1890 et 1900.]

[798: M. Ćurčin, Das serbische Volkslied, pp. 163-186.—W. von Biedermann, Goethe und Leipzig, t. II, pp. 294-326.]

[799: Introduction des Lettres à une Inconnue, t. I, p. XXIII.]

[800: Encyclopædia Britannica, t. XVI, p. 37.]

[801: W. Gerhard, Gedichte, t. III, p. XII.—Maurice Tourneux, Prosper Mérimée, comédienne espagnole et chanteur illyrien, p. 9.]

[802: M. Tourneux, op. cit., loc. cit.]

[803: Djordjé S. Djordjévitch, Sima Miloutinovitch-Saraïliya, Belgrade, 1893 (en serbe).]

[804: W. Gerhard, Gedichte, t. III, préface.]

[805: M. Tourneux, op. cit., p. 10.]

[806: La préface est du 29 novembre 1827.]

[807: M. Ćurčin, op. cit., p. 173×.]

[808: W. Gerhard's Gedichte. Dritter und vierter Band: Wila, serbische Volkslieder und Heldenmãhrchen. Leipzig, Verlag von Joh. Ambr. Barth, 1828, pp. XXIV-416 et X-317 in-8º.]

[809: Wila, Erste Abtheilung, p. XII.—Pourtant, il osa la faire. Sa traduction, faite sur la version de Mérimée, resta en manuscrit jusqu'à 1858, quand elle fut publiée dans l'Archiv für das Studium neuerer Sprachen und Literaturen, XIII Jahrgang, 23 Band, p. 211 et suiv.]

[810: «Vertraut mit dem Periodenbau serbischer Rhythmik, ward ihm [au traducteur] die Arbeit leicht, und so gab er sie [la Guzla] als Anhang zu dem 2ten Bande gegenwärtiger Sammlung», etc.—Wila, t. I, p. XII.]

[811: Wila, t. II, pp. 114-116.—Cf. plus haut, pp. 276-278.]

[812: Wila, t. I, p. 195.]

[813: Cf. plus haut, chapitre V, § 2.]

[814: Wila, t. I, pp. 176-177.]

[815: Wila, t. I, pp. 270, 307, 320.]

[816: Quelques-uns de ces noms accusent évidemment la collaboration de Miloutinovitch dans la confection de ce surcroît de «couleur» qui se manifeste dans la traduction de Gerhard. Ainsi, la véritable forme serbe du nom George n'est pas Gjuro, mais Djordjé. Gjuro n'est qu'un provincialisme. Il s'explique dans la traduction allemande des poèmes de Mérimée par la manie bien connue de Miloutinovitch qui, bien que Bosniaque, avait adopté le langage, les mœurs et jusqu'au costume du peuple monténégrin, plus pittoresques et plus «spartiates» que ceux des autres pays serbes.]

[817: Wila, t. II, p. 91.]

[818: L'Amante de Dannisich (Der Auserwählte).]

[819: Wilhelm Gerhard's Gesänge der Serben, Zweite Auflage, herausgegeben, eingeleitet und mit Anmerkungen versehen von Karl Braun, Leipzig, 1877.—La Guzla entière manque dans cette édition.]

[820: Wila, t. II, p. 138.—Mérimée dit simplement: «La mer est bleue, le ciel est serein, la lune est levée, et le vent n'enfle plus nos voiles d'en haut.» (La Guzla, p. 125.)]

[821: Moré signifie en serbe la mer; lak veut dire léger, facile; mais Morlaque a une étymologie tout autre, que nous avons donnée, du reste. (Cf. plus haut, p. 30.)]

[822: Wila, t. II, p. 210.]

[823: Eckermann, Conversations de Goethe, t. II, pp. 295-296.]

[824: «Auf, Matrosen, die Anker gelichtet», «Bin der kleine Tambour Veit», «Die Mädchen in Deutschland sind blühend und schön», etc.]

[825: Ueber Kunst und Altertum, t. VI, livr. 1, p. 192; livr. 2, pp. 321-323.]

[826: Allgemeine Literatur-Zeitung (Ergänzung-Blätter), mars 1829, nº 36, p. 287.]

[827: L. von Ranke, Zur eigenen Lebensgeschichte, Leipzig, 1890, p. 621. [À propos d'une visite du ministre serbe Jean Ristitch.]]

[828: Leopold Ranke, Die serbische Revolution. Aus serbischen Papieren und Mittheilungen, Hambourg, 1829, pp. 38-39. Nouvelles éditions en 1844 et 1879.]

[829: Cf. plus haut, chapitre V, § 4.]

[830: L. Ranke, op. cit., pp. 38-39.]

[831: Otto von Pirch, Reise in Serbien im Spätherbst 1829, Berlin, 1830, 2 vol. in-8º.]

[832: Tome II, p. 159.]

[833: Siegfried Kapper, Slavische Melodien, Leipzig, Wilhelm Einhorn, 1844, pp. XII, 156.]

[834: Taschenbibliotliek klassischer Romane des Auslands: Prosper Mérimée's Werke, übersetzt von Heinrich Elsner, Stuttgart, 1845, t. VII, pp. 250-251.]

[835: Die Vampyrenbraut.—C'est la Belle Sophie de Mérimée.]

[836: Bulletin des sciences historiques, antiquités, philologie, tome X, pp. 146-148, Paris, 1828.]

[837: A. Mézières, Goethe, Paris, 1874, t. II, p. 295.]

[838: En vérité, plusieurs des articles du Globe, traduits par Goethe, furent publiés dans sa revue Art et Antiquité. Il vantait également à son «fidèle Eckermann» la publication française: «Je mets le Globe parmi les journaux les plus intéressants, et je ne pourrais pas m'en passer. (Eckermann, Conversations de Goethe, jeudi 1er juin 1826.)]

[839: J.B. Segall, An Estimate of Béranger by Goethe, dans Modern Language Notes, 1899, col. 412-425.]

[840: Conversations de Goethe, 21 janvier 1827.]

[841: Gustave Planche, Portraits littéraires, t. I, pp. 207-208.]

[842: Correspondance, le 2 mars 1827.]

[843: Conversations de Goethe, t. I, p. 359.]

[844: Idem, le 7 mars 1830.—Nous reproduisons ce portrait en tête de notre livre.]

[845: Ueber Kunst und Altertum, tome VI, livr. 6, 1828, pp. 326-329.—Eckermann, op. cit., pp. 320-321.]

[846: Maxime du Camp, Souvenirs littéraires, Paris, 1883, t. II, p. 324.]

[847: Gustave Planche, Portraits littéraires, t. I, pp. 207-208.]

[848: Taschenbibliothek klassischer Romane des Auslands: Prosper Mérimée's Werke, übersetzt von Heinrich Elsner. Stuttgart, 1845, t. VII, pp. 250-251.]

[849: Revue de France, 31 juillet 1875, p. 42.]

[850: 11 décembre 1828. (A. Filon, Mérimée et ses amis, Paris, 1909, p. 40.)]

[851: Goethe-Jahrbuch, t. XV, p. 291.—Notes sur Prosper Mérimée, Paris, 1903, p. 5.]

[852: «Unterschobene dalmatische Gedichte». Goethes Tagebücher, éd. de Weimar, t. XI, p. 90.]

[853: Correspondance de Goethe, le 21 avril 1827.]

[854: Cf. plus haut, p. 447.]

[855: Goethes Tagebücher, t. XI, p. 123.]

[856: Vesselofsky, Joukovsky, Saint-Pétersbourg, 1904.]

[857: Goethes Tagebücher, t. XI, p. 193.]

[858: Goethes Nachgelassene Werke (1833), t. VI, p. 137 et suiv.—Eckermann, op. cit., p. 391.]

[859: Eckermann, Conversations de Goethe, t. II, pp. 194-195.]

[860: Nous avons publié sur le même sujet une notice, en serbe, dans le Srpski kgnijevni Glasnik du 16 décembre 1906. Un autre article intitulé John Bowring et la poésie populaire serbe, a paru dans la même revue (1er juillet 1908). On y trouvera quelques détails, d'importance secondaire, que nous n'avons pu reproduire ici. Depuis l'époque où nous écrivions ces articles, nous avons quelque peu changé d'opinion sur sir John Bowring.]

[861: Cf. les tables de la Correspondance de Victor Jacquemont (Paris, 1867, 2 vol.) et l'Introduction à la Correspondance de Stendhal (Paris, 1855, 2 vol.). «J'ai la mauvaise habitude de brûler les lettres pour ne pas compromettre les belles dames», écrivait Mérimée à Sainte-Beuve. (M. Tourneux, Prosper Mérimée, ses portraits, ses dessins, sa bibliothèque, Paris, 1879, p. 108.)]

[862: Encyclopædia Britannica, t. XVI, p. 37.—On doit à M. Saintsbury également une traduction anglaise de la Chronique de Charles IX (Londres, 1890), précédée d'une pénétrante étude sur Mérimée.]

[863: À vrai dire, l'Angleterre n'a eu, presque jusqu'à nos jours, aucun érudit slavicisant. Comparée à l'Allemagne, à la France et même aux pays Scandinaves, elle est restée fort en arrière. Il n'y a que dix-neuf ans qu'a été nommé le premier lecturer in Slavonic dans une Université (celle d'Oxford), mais l'enseignement est limité aux choses les plus élémentaires. M. Moses Gaster, le seul slavicisant compétent anglais, ne professe nulle part; il est rabbin de la commune de Whitechapel (faubourg de Londres).]

[864: The Times, 25 novembre 1872.—Autobiography of Sir John Bowring, Londres, 1877.—Dictionary of National Biography, tome VI, p. 76 et suiv.]

[865: Lettre à Kopitar (31 oct. 1827); Poetry of the Magyars, translated by John Bowring, Londres, 1830.]

[866: Servian Popular Poetry, translated by John Bowring, Londres, 1827, Introduction.]

[867: Russian Anthology, Specimens of the Russian Poets, Londres, 1820.]

[868: Journal des Savans, août 1821, pp. 477-486.]

[869: Srpski kgnijevni Glasnik du 1er juillet 1908, p. 36.]

[870: Le 20 déc. 1827, il demande au poète Čelakovsky deux exemplaires de The Lady of the Lake que celui-ci venait de publier en tchèque: l'un pour lui, l'autre pour sir Walter Scott qu'il espère voir dans quelques jours à Abbotsford. Le 19 avril 1828, il écrit, au même, qu'il a vu sir Walter, qu'il a eu avec lui une longue conversation et qu'on parla surtout de cette traduction. En 1830, Bowring composa une anthologie tchèque, la dédia à Čelakovsky, mais ne la publia qu'en 1832. Il demandait 100 souscripteurs en Bohème avant de la livrer à l'impression. On lui en trouva 40; il imprima l'ouvrage et envoya 100 exemplaires, espérant qu'on placerait le reste. (Korrespondence Johna Bowringa do Čech, podava Robert Beer, Comptes rendus de l'Académie royale tchèque, Prague, 1904.)]

[871: Miklosich, Ueber Goethe's Klaggesang, pp. 70-72.]

[872: Dans les Wiener Jahrbücher der Literatur, t. XXX, pp. 159-274.]

[873: Lettre de Mlle von Jakob à Kopitar, du 2 février 1828, publiée par Miklosich, op. cit., pp. 70-72.]

[874: Idem.—Elle le qualifie dans cette lettre d'un «dandy littéraire».]

[875: Cité par M. Jules Claretie, Le Temps du 14 mai 1909.]

[876: Manque dans la Bibliographie lamennaisienne de J.-M. Quérard.]

[877: V. Jagić, Neue Briefe von Dobrowsky, Kopitar, etc. Berlin, 1897 pp. 76-77.—Il s'agissait d'un article de Bowring, relatif à la littérature et la poésie de la Bohême, paru dans la Foreign Quarterly Review et traduit en français dans la Revue britannique, avril 1828.]

[878: Moniteur universel, 1835, pp. 1895, 1911, 2003.]

[879: Autobiographical Recollections of sir John Bowring, Londres, 1877.]

[880: Lettres à Panizzi, le 11 novembre 1860.]

[881: Robert Beer, Korrespondence Johna Bowringa do Čech, Prague, 1904, p. 17.]

[882: Dictionary of National Biography, t. VI, p. 79.]

[883: Miklosich, op. cit., p. 70.]

[884: Cf. Chambers, Cyclopædia of English Literature, Édimbourg, 1893, t. II, p. 482.]

[885: Monthly Review, novembre 1827, pp. 375-384.]

[886: Foreign Quarterly Review, juin 1828, pp. 662-671.]

[887: «In the fine Illyrian ballad of Lord Mercury we find another species of supernatural beings, which know not well how to class.» The Fairy Mythology, by Th. Keightley, Londres, 1828, pp. 323-324.]

[888: Gustave Planche, Portraits littéraires, t. I, pp. 207-208. M. Tamisier mentionne la même chose, dans sa brochure Prosper Mérimée, Marseille, 1875, p. 11. (Probablement d'après G. Planche).]

[889: Mrs. Julian Marshall, Mary Wollstonecraft Shelley, Londres, 1889.—Mrs. W. M. Rossetti, Mrs. Shelley(Eminent Women Series.)]

[890: Chronique du règne de Charles IX, suivie de la Double méprise et de la Guzla, Paris, 1842, p. 349.]

[891: Augustin Filon, Mérimée (Collection des Grands écrivains français), Paris, 1898, p. 29.]

[892: Don Dionisio Hidalgo ne mentionne pas moins de trente-sept éditions de ces traductions. (Diccionario general de Bibliografia española, t. I, Madrid, 1862, pp. 173-180.)]

[893: A. Filon, op. cit., loc. cit.]

[894: Pouchkine appelle naïvement les Serbes: les Slaves occidentaux. Or, de son temps déjà, ce nom était réservé aux Tchèques et aux Polonais. Il fallait dire: les Slaves méridionaux.]

[895: V. Sipovsky, A. S. Pouchkine, jizn i tvoratchestvo, Saint-Pétersbourg, 1907, pp. 447-474.]

[896: Moniteur universel des 20 et 27 janvier 1868.—Portraits historiques et littéraires, Paris, 1874.]

[897: Tableau slave du cinquième siècle, Paris, 1824.]

[898: V. Sipovsky, op. cit., loc. cit.]

[899: Quelques critiques russes, afin de justifier la méprise de Pouchkine, sans soupçonner combien la Guzla diffère de la véritable poésie serbe, nous assurent gravement que si Mérimée avait réussi à composer un si bon pastiche de cette poésie, c'est parce qu'il avait passé sa jeunesse en Dalmatie, à Raguse, où son père, «le célèbre peintre et architecte Louis-Léonor Mérimée», accompagnait le maréchal Marmont! «Attentif et intelligent, l'enfant y avait entendu des chants, remarqué des croyances serbes dont il garda le souvenir.» (Voir la Grande encyclopédie russe, articles: Mérimée, Pouchkine; et la Novoé Vrémia du 25 oct. 1894: Prosper Mérimée et ses rapports avec la littérature russe, par M. P. Matvéeff.)]

[900: Platon Koulakovsky, Slavianskié motivui v tvortchestvié Pouchkina, dans Rouski filologuitcheski Viestnik, 1899, pp. 1-22.]

[901: Ibid.]

[902: Rouski Arkhiv, 1866, p. 1266 et suiv. (Cité par M. Koulakovsky.)]

[903: Yakovlieff, Otzivui o Pouchkinie na ioughie Rossii, Odessa, 1887, p. 138. (Cité par M. Koulakovsky.)]

[904: K dotchéri Kara-Ghéorghia.]

[905: Cette pièce a été traduite en anglais par l'écrivain polonais K. Lach-Szyrma. Cf. plus haut, chapitre II, § 5.]

[906: Ce fragment était resté inédit jusqu'à 1855, quand il fut publié par Annenkoff. En 1903, M. Chliapkine en a donné une nouvelle édition qui prouve que la collation faite par Annenkoff était loin d'être scrupuleuse. (I. A. Chliapkine,Iz néizdanuikh boumague A. S. Pouchkina, Saint-Pétersbourg, 1903, pp. 32-35.)]

[907: Koulakovsky, art. cité, p. 5.—M. Šrepel, dans le discours qu'il a prononcé le 7 juin 1899 devant l'Académie sud-slave, Pouchkine et la littérature croate, essaie de démontrer que le poète russe avait connu la Serbianka de Simo Miloutinovitch, dont nous avons déjà parlé. (Ljetopis Jugoslavenske Akademije, t. XIII, p. 129.) Les rapprochements qu'a faits M. Šrepel sont très intéressants, mais nullement concluants.]

[908: P. V. Annenkoff, Matérialui dlia biografii A. S. Pouchkina, Saint-Pétersbourg, 1855, pp. 373-380.]

[909: En voici la nomenclature: Serbskaïa piesna (le Chant serbe—le
Cheval de Thomas II), Vidienie korolia (la Vision du Roi), Yanko
Marnavitch
(la Flamme de Perrussich), Bitva ou Zénitzui Vélikoï (le
Combat de Zenitza-Velika), Fiodor i Éléna (la Belle Hélène), Vlakh v
Vénétzii
(le Morlaque à Venise), Gaïdouk Christich (les Braves
Heyduques), Pokhoronaïa piesna Yakinfa Maglanovitcha (Chant de Mort),
Marko (sic) Yakoubovitch (Constantin Yacoubovich), Bonaparte i
Tchernogortzi
(les Monténégrins), Vourdalak (Jeannot).]

[910: Ce nom est absolument inconnu des Serbo-Croates.]

[911: Les Braves Heyduques.]

[912: La Guzla, p. 35.]

[913: Étude sur Pouchkine. (Portraits historiques et littéraires, Paris, 1874.)]

[914: P. V. Annenkoff, op. cit., loc. cit.]

[915: La Guzla, p. 45.]

[916: La Vision du Roi, Yanko Marnavitch, le Combat de Zenitza-Velika, Fiodor i Éléna, le Valaque à Venise, Christich l'Heyduque, Marko Yakoubovitch.]

[917: Le Chant serbe, Chant de Mort, Bonaparte et les Monténégrins, Jeannot.]

[918: Bibliotéka dlia Tchténia, 1835, t. VIII (1re partie, p. 158) et t. IX (1re partie, pp. 5-26).]

[919: Stikhotvorénia A. S. Pouchkina, t. IV, Saint-Pétersbourg, 1835, pp. 115-177.]

[920: L'original porte: «extraordinairement remarquables».]

[921: Pouchkine imprime: Hassan-Aga.]

[922: Cf. Maurice Tourneux, La Correspondance générale de Mérimée. Notes pour une édition future. (Revue d'histoire littéraire de la France, 1899, pp. 55-71.)]

[923: Nous croyons qu'ils firent connaissance par l'intermédiaire de M. de Mareste, homme d'esprit, fort répandu dans la société moscovite.]

[924: Félix Chambon, Notes sur Mérimée, Paris, 1902.]

[925: Sotchinénia A. S. Pouchkina, izd. P. V. Annenkova, Saint-Pétersbourg, 1855, tome III.—Édition P. O. Morozoff, Saint-Pétersbourg, 1887, t. III, pp. 480-508, etc.]

[926: Un traducteur allemand des poèmes de Pouchkine, Dr. Robert Lippert, a retraduit, en vers, sous le titre de Serbisches Lied, le Cheval de Thomas II de Mérimée. Voir: Alexander Puschkin's Dichtungen, Leipzig, 1840, t. I, pp. 311-312.]

[927: Louis Leger, Russes et Slaves, études politiques et littéraires, troisième série, Paris, 1899, p. 237.—Nous ne sommes pas parvenus à trouver nulle part ce recueil et nous ne saurions dire quelles ballades M. Chodzko a traduites.]

[928: Idem, p. 239.—Piotr Chmielowski, Adam Mickiewicz, Varsovie, 1886, t. I, p. 435.]

[929: Adam Mickiewicz, Œuvres poétiques, trad. par Chr. Ostrowski, Paris, 1859, t. II.—Louis Leger, Russes et Slaves, deuxième série, Paris, 1896.]

[930: Nous ne voulons cependant pas laisser entendre que le poète polonais ait utilisé la version russe en composant la sienne. Du reste, elle n'existait pas encore à cette époque (1828).]

[931: Louis Leger, op. cit., p. 231.]

[932: Louis Leger, op. cit., pp. 232-234.]

[933: Ibid.]

[934: Voir l'article de M. Louis Leger, dans la Nouvelle Revue du 15 juin 1908, pp. 454-455.]

[935: Piotr Chmielowski, op. cit., loc. cit.]

[936: Russes et Slaves, t. III, p. 239.—Nouvelle Revue du 16 juin 1908, p. 454.]

[937: Ladislas Mickiewicz, Adam Mickiewicz, sa vie et son œuvre, Paris, 1888, p. 181.—Cf. aussi, Victor Cousin, Huit mois au Ministère de l'Instruction publique, dans la Revue des Deux Mondes du 1er février 1841, p. 394.]

[938: Hippolyte Lucas, Préface à la deuxième édition des Œuvres poétiques de Mickiewicz, Paris, 1842.]

[939: Idem, ibid.]

[940: Galerie des contemporains illustres, par un Homme de rien, tome III, Paris, 1842.]

[941: F. Trawinski, article: Mickiewicz, dans la Grande Encyclopédie.]

[942: On peut se faire une idée de cette influence par le propos suivant prêté à Mickiewicz: «Si Towianski, aurait dit l'illustre poète, m'ordonnait de me jeter du haut des tours Notre-Dame, j'obéirais sans hésiter.» (Loménie, op. cit.)]

[943: Louis Leger, Russes et Slaves, t. III, p. 212.]

[944: Idem, t. II, p. 230.]

[945: Il fut définitivement révoqué après le Coup d'État du 2 décembre, en compagnie de Quinet et de Michelet, mais il obtint, grâce à l'influence du roi Jérôme, une place de bibliothécaire à l'Arsenal, qu'il conserva jusqu'à sa mort (1855).]

[946: Les émigrants polonais avaient voulu exploiter l'institution de cette chaire dans leurs polémiques anti-russes et proclamer Mickiewicz «l'ambassadeur intellectuel de la Pologne auprès du peuple français».]

[947: Adam Mickiewicz, Les Slaves, cours professé au Collège de France de 1840 à 1844, publié d'après les notes sténographiées. Paris, 1845-1849, 5 vol. in-8º.]

[948: Korespondencya Adama Mickiewicza, Paris, 1880, t. I, p. 263.—L'éditeur de cette correspondance donne une date erronée: 1842. Le 2 décembre 1842 n'était pas un mercredi mais un vendredi; c'est donc: 1840 qu'il nous faut rétablir.]

[949: Idem, p. 229.—Un autre Polonais, qui signait «Charles de Noire-Isle», a retraduit en français ces poésies serbes dans son ouvrage intitulé Poètes illustres de la Pologne (Cycle ukrainien, Antoine Malçzewski, Bohdan Zaleski, Sévérin Goszczyñski), Nice, 1878, pp. 261-275. On a déjà très justement remarqué que les traductions de «Charles de Noire-Isle» sont de véritables «parodies inconscientes» de l'original.]

[950: Studien zur vergl. Literaturgeschichte, t. VI (1906), pp. 508-511.]

[951: Adam Mickiewicz, Les Slaves, t. I, pp. 332-334.]

[952: Mickiewicz s'occupa à nouveau de la poésie populaire serbe. En 1855, il fut envoyé par le gouvernement français en Orient, avec la mission de jeter les premières bases d'une organisation de légions polonaises qu'on devait employer à la guerre contre la Russie. Il devait aussi faire un rapport politique et littéraire sur les pays slaves de la péninsule balkanique, et il reçut à ce sujet les instructions suivantes du Ministre de l'Instruction publique (H. Fortoul): «De Constantinople, 1: Mickiewicz se rendra, en traversant la Bulgarie, à Widdin, centre commercial de ce pays. Un court séjour dans la Bulgarie suffira pour prendre connaissance de tout ce qui peut avoir trait à la présente mission. La cité qui offrira le plus d'intérêt sous tous les rapports est Belgrade; mais on ne doit point se borner à profiter des ressources scientifiques qui se trouvent dans cette capitale de la Serbie. Le pays serbe est si important au point de vue historique et littéraire qu'il serait utile d'en visiter toutes les villes les plus considérables. De la frontière de la Bosnie, on pourra prendre des informations sur la Bosnie et sur l'Herzégovine, dans le cas où, par suite des circonstances, il serait impossible de parcourir ces pays et de pousser l'excursion jusqu'au Monténégro.» (Ladislas Mickiewicz, Adam Mickiewicz, sa vie et son œuvre, p. 364.) Toutefois, le poète ne vit jamais la Serbie car, parti de Marseille pour Constantinople, il mourut dans cette dernière ville, le 26 novembre 1855, d'une attaque de choléra.]

[953: F. Chambon, Prosper Mérimée dans Pro Memoria P. M., Paris, 1907, p. 16.]

[954: Augustin Filon, Mérimée et ses amis, Paris, 1909, p. 157.]

[955: Auguste Barbier, Souvenirs personnels et silhouettes contemporaines, Paris, 1883, pp. 293-97.]

[956: Augustin Filon, Mérimée (Collection des Grands écrivains français), Paris, 1898, p, 29.]

[957: «Je corrige en ce moment des épreuves d'une réimpression d'une de mes sottises d'autrefois [Clara Gazul]. Il se fait dans mon esprit un commentaire perpétuel à ce sujet. Cela me rajeunit et me fait souffrir parce que je lis entre les lignes.» (29 octobre 1856.)]

[958: Sainte-Beuve, Lettre-Préface à l'Étude sur l'influence anglo-germanique en France au XIXe siècle, par William Reymond, Berlin, 1864.]

[959: Augustin Filon, op. cit., loc. cit.]

[960: Nous avons publié sur ce sujet une notice: A Lost Translation by Scott dans la revue anglaise The Athenæum du 5 septembre 1908, p. 270. Nous la complétons ici.]

[961: Goethe-Jahrbuch, t. III, 1882, p. 50.]

[962: Ueber Goethes Klaggesang, pp. 48-49.]

[963: Histoire de la Jeune Serbie (Omladina), Belgrade, 1900.]

[964: Histoire de la littérature serbe (en serbe), Belgrade, 1909, p. 144.]

[965: Life of sir Walter Scott, Edinburgh Edition, t. II, p. 37.—Cette «Apology» était une apology pour le retard des Tales of Wonder de M. G. Lewis, recueil de ballades anglaises et étrangères, que le public anglais attendait avec impatience depuis plus de trois ans. Scott, l'un des collaborateurs, inséra dans cet ouvrage—deux ans avant que les Tales of Wonder parurent—quelques-unes des ballades destinées au livre de Lewis. Il voulut parodier le titre et intitula sa brochure Apology for Tales of Terror. Le recueil de Lewis ne parut qu'en 1801. Quelques années plus tard, Lewis lui-même publia une parodie des Tales, intitulée Tales of Terror. Les deux ouvrages ont été publiés à nouveau par le professeur Morley dans sa «Universal Library» (1887).]

[966: La collection de ce journal ne se trouve pas à Londres. Les chercheurs écossais feront sans doute d'intéressantes trouvailles en la feuilletant dans une de leurs bibliothèques.]

[967: The Kelso Mail était hebdomadaire.]

[968: Kelso est situé à soixante kilomètres d'Édimbourg.]

[969: La Lénore.]

[970: Lockhart se trompe: on trouve dans l'«Apology» The Erl-King et The Water-King, mais on ne trouve pas The Fire-King.]

[971: Der wilde Jäger de Bürger.]

[972: J.G. Lockhart, op. cit., loc. cit.]

[973: Catalogue of the Loan Exhibition, Édimbourg, 1871.]

[974: Cent huit vers. Donc, la traduction ne paraît pas être seulement un «fragment», car le Klaggesang de Goethe est plus court; il n'a que 91 vers.]

[975: Dans le chant II de Childe Harold, il signalait déjà, dès 1809, l'Illyrie au futur auteur de la Guzla:

     From the dark barriers of that rugged clime,
     Ev'n to the centre of Illyria's vales,
     Childe Harold passed o'er many a mount sublime,
     Through lands scarce noticed in historic tales.
]

[976: The Bride of Abydos, canto II, vers 701.—Le commentateur de l'édition critique de Byron, M. E.H. Coleridge, a tort d'expliquer les «chansons bosniaques» par le recueil de Karadjitch. Le deuxième chant de la Fiancée d'Abydos est de novembre 1813, tandis que Karadjitch ne commença ses publications qu'en 1814. Si Byron vraiment connaissait quelque poésie serbo-croate (la Bosnie est un pays où l'on parle cette langue), il ne pouvait la connaître que par Fortis ou par les traductions de Herder et de Goethe. Très probablement, il pensait au Klaggesang de ce dernier, son «prince» auquel il dédiait ses poèmes et à qui il déclarait «faire les honneurs de vassal».]

[977: M. Skerlitch vient de réunir ces articles en une petite brochure: Frantzouski romantitchari i srpska narodna poéziya [les Romantiques français et la poésie populaire serbe], Mostar, chez Pacher et Kissitch.]

[978: Cette liste ne comporte que des ouvrages utilisés au cours de notre étude. On trouvera une bibliographie plus complète dans les livres de MM. Pinvert, Thieme et Vicaire.]

[980: Les vers cités à cette page sont faussement attribués à Théocrite par le critique de la Gazette de France. Ils sont de Virgile. (Les Bucoliques, VII.)]