The Project Gutenberg eBook of De Napoléon This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: De Napoléon Author: André Suarès Release date: December 18, 2021 [eBook #66965] Language: French Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DE NAPOLÉON *** PREMIER CAHIER DE LA QUATORZIÈME SÉRIE SUARÈS de Napoléon CAHIERS DE LA QUINZAINE périodique paraissant tous les deux dimanches PARIS 8, rue de la Sorbonne, au rez-de-chaussée QUELQUES ŒUVRES de SUARÈS aux CAHIERS DE LA QUINZAINE, 8, rue de la Sorbonne: _Sur la mort de mon frère_, 1 volume petit in-8, 1904. _La tragédie d’Electre_, 1 volume grand in-18, 1905. _Le portrait d’Ibsen_, 1 volume grand in-18, 1908. _Visite à Pascal_, 1 volume grand in-18, 1909. _Tolstoï vivant_, 1 volume grand in-18, 1911. _Dostoïevski_, 1 volume grand in-18, 1911. à l’OCCIDENT, 17, rue Éblé: _Voici l’homme_, 1 volume grand in-8, de 450 pages, 1905. _Images de la grandeur_, 1 volume grand in-8, de 221 pages, 1901. _Bouclier du Zodiaque_, 1 volume grand in-8, de 151 pages, 1907. _Lais et Sônes_, 1 volume grand in-16, 1909. chez CALMANN-LÉVY, éditeur: _Le livre de l’émeraude_, 1 volume in-18, 1901. chez Éd. CORNÉLY, 101, rue de Vaugirard: _Sur la vie; Essais_, tome I, 1 volume grand in-16, 1909. _Sur la vie; Essais_, tome II, 1 volume grand in-16, 1910. _Voyage du Condottière_, tome I, 1 volume grand in-16, 1910. chez ÉMILE-PAUL, éditeur, 100, faubourg Saint-Honoré: _Sur la vie; Essais_, tome III, 1 volume in-18, 1912. SUARÈS DE NAPOLÉON I Le monde est plein de son nom, et pour longtemps encore, il semble plein de son œuvre. Il a épuisé la gloire de l’homme qui veut et qui règne. Napoléon est le souverain spectacle de l’action. Comme elle, odieux et admirable. Mais la grandeur emporte tout. Et ceux qui ont l’âme puissante, pardonnent tout à la puissance. Toute sorte de contradictions en lui, mais toutes accordées. De là qu’on le hait et qu’on l’admire. La France n’a pas cessé d’en être vaine, comme une femme qui a eu pour époux le maître de tous les hommes. Elle ne peut penser à lui sans frémir; et dans son frémissement, autant qu’elle le regrette, elle a peur de lui, elle a peur du regret qu’elle garde. Il est tout ce qu’on veut, bourgeois et jacobin, peuple et soldat, empereur des légions, préfet des préfets, grand pontife des diverses églises. Mais quand il sera dieu, il est toujours chef de bande. Tous les hommes de guerre admirent en lui le maître de la guerre, le prince des généraux. Le génie des armes est le sien: non pas le torrent des invasions, mais l’art achevé de la manœuvre, et le poète sans égal de la stratégie. A l’État et à la paix, il a donné les formes de l’armée et de la guerre. Il a la passion de l’unité: tel est le génie de l’homme seul, sans liens profonds qu’à soi même. II Il est l’homme de la Révolution: il est donc l’homme du destin. Il accomplit l’œuvre énorme que la Révolution lui prépare. Il est pareil, avec sa grosse tête d’enfant boudeur, au marmot qui rassemble les morceaux du jeu. La Révolution lui a jeté en tas les pierres, les poutres neuves, et les débris; il s’empare du chantier, et il bâtit la maison aux deux ailes de bourse et de caserne. Et des arcs de triomphe ouvrent toutes les avenues. Bonhomme en famille, et faible même avec les siens, fidèle ami, il paraît sans cœur comme la Révolution. Parvenu comme celle, comme elle toute raison. D’ailleurs, se servant de la raison sans scrupules, il y asservit tout ce qui le gêne. Il pense: la raison, c’est moi. Et voilà les crimes de l’ordre et la raison d’État. III Ils disaient de lui: l’Usurpateur. Mais rien de plus fort ne peut être dit du conquérant, quand on refuse puérilement de lui donner son nom. Le pouvoir légitime ne doit, d’abord, sa tranquillité et son usage qu’à la faiblesse des hommes. Celui qui usurpe la puissance est celui qui la mérite, s’il la garde: il est l’homme seul qui a osé. Il n’y a rien de plus beau sous le ciel que l’homme qui ose. Celui-là qui est assez hardi pour fonder son droit sur sa puissance, celui-là du moins a plus que le pouvoir: il a l’autorité. C’est pourquoi, lui qui est la force, il est l’ordre aussi; et l’ordre bien plus même que la force; car l’ordre est le second âge de la force, et tout le blé de l’épi. IV On le croit Italien, parce qu’il ne peut pas prononcer les «u». On le dit Toscan, parce qu’il y a eu des Buonaparte à San Miniato. D’ailleurs, on en trouve à Trévise et à Udine. Mais, certes, Napoléon est le moins vénitien des fils de la Méditerranée. Que lui importe la volupté, et la chair? et les femmes? V Il vit de haricots et de vin rouge. Un peu de café. Il ne fume pas. Il prise, pour occuper ses doigts, regardant sa belle main courte et grasse. Il ne lui faut, en tout ce qui regarde la chair, que des en-cas. Il sait dormir quand il veut, moyennant quoi il se passe presque de sommeil. Il sait être amant à l’heure dite: on lui prépare, dans les capitales vaincues, une femme et un souper. Il expédie le souper en un demi-quart d’heure; la femme, en six minutes. VI Une fois, il a aimé de passion: il avait vingt-sept ans, et venait d’avoir la gale. Avoir la gale est une bonne entrée de jeu: la peau flambe. L’ambition est une autre espèce de gale, où le cœur démange à jamais. En ce premier amour, Bonaparte se venge d’avoir trop attendu la fortune et la gloire. Il se venge d’avoir pensé se faire Turc. La créole mûre, à mi chemin entre la femme galante et la marquise, sans tête, sans mœurs, sans esprit, a tout, le charme de l’idole charnelle. Elle a le goût des parfums et de la toilette. Elle se couvre de dentelles et de soie. Elle est gourmande. Elle jacasse à bout de branche, sur le cocotier des îles, l’arbre chaud du plaisir. Elle s’adore. Et lui, le chaste ambitieux aux joues creuses, le lion maigre, il croit tenir en elle tout le raffinement de l’ancien monde. Cet homme qui ne dépense rien pour sa table, rien pour ses habits, rien pour rien enfin, s’imagine de posséder, en cette femme, tout ce qui tente les autres et tout ce qu’il dédaigne: il s’empare du luxe et de la chair; il croit jouir en elle de toutes les folies: peut-être même jouit-il d’être dupe. Plus tard, il a un autre amour de raison pour Marie-Louise. L’homme de quarante-cinq ans, l’aigle gras, au gros jabot, le ventre plein sur les petites cuisses, veut sentir, dans une victime choisie, le monde qui palpite. Il jubile de presser entre ses serres la fille des Habsbourg, et il rit de la lèvre pendante qui fait toujours la moue. Ah, s’il avait pu faire un enfant à la fille de Louis XVI! Le mariage, qui a perdu Napoléon, tout de même l’accomplit; alors, il est tout calcul. Qu’il est beau de voir l’homme du fait, le dieu du réel, ne rien saisir de la réalité qu’en géomètre, qui modèle toutes les formes sur les figures de son esprit! L’amour de tête est l’exercice favori des tyrans. VII Sans doute, parler du Corse, c’est nommer Napoléon: il faut encore le peindre. La Corse à fait toute sa lignée maternelle. Mais la terre a ses secrets, même si elle fuit tout. Les Corses ne sont pas tous des Bonaparte, si chaque Corse se reconnaît en lui. La Corse est une nation antique, et plus antique même que Rome ou l’Italie du treizième. Rien de Grec en elle. Mais elle a l’odeur profonde de l’Orient. En mer, par la nuit d’été, le parfum de la Corse enivre les narines, comme la tunique de la Sulamite déployée. C’est une senteur de cédrat et de myrrhe, d’encens, de thym et de cyprès: plus douce que la fleur d’oranger, plus chaude que l’œillet, plus fraîche que les épices, comme si une source coulait sur le bois de santal et le clou de girofle. Dans son exil d’Elbe, chaque soir, le vent d’Ouest portait l’odeur vivante de la Corse à Napoléon, tourné vers le couchant. Et, fermant les yeux, il s’en laissait hanter; il s’en faisait bercer; car ce parfum roucoule, pareil à la tourterelle, qui va et vient, et qui enveloppe le solitaire aux écoutes, de son aile à la fois et de son doux gémissement. La Corse est une Phénicie villageoise, au génie punique. Le clan est l’âme de la Corse. Ils vivent par clans, comme il y a trente siècles. Ils ont la morale du clan, qui est le respect de la force: toujours fidèles au plus fort. Et le plus fort est le plus intelligent. Ce peuple vénère l’intelligence comme le Juif ou l’Arabe. Pour lui comme pour eux, dans l’intelligence, il y a le succès, la ruse et le juste, l’excuse de la perfidie, au besoin, et l’usage légitime de la violence. Ainsi, la vengeance n’est pas un droit, mais un devoir; et jamais le clan n’y manque. VIII Le Corse est le cousin du Génois, mais non de l’espèce latine qu’on prétend. Les Ligures, grands hommes d’action en tout ordre, depuis Jules II jusqu’à Massini, marins de naissance, pleins d’astuce et de ressource, volontaires et rusés, fourbes parfois et souvent prophètes, animés de l’esprit qui devance les temps, et qui les précipite sus aux actes, ils sont Romains par la culture et l’élection, non pas d’instinct ni d’origine. Ligure, Corse, Napoléon a le génie punique dans toute sa puissance. C’est le Carthaginois consul de Rome. C’est le nouvel Annibal, l’épée dans une main, et de code dans l’autre. IX Napoléon est l’homme du clan; mais son clan est le noyau du monde. Égoïste comme la conquête, comme la possession de la toute-puissance, égoïste au point qu’il ne paraît plus l’être. Car il est seul de son bord; et sur l’autre, tout le reste des hommes, la matière où travaille sa volonté. Il traite la Révolution, la France, et l’Europe comme un village allié, ou un village ennemi qu’il a conquis pour sa famille. Quand l’Europe lui échappe, il lui reste la France; quand la France, les débris de la grande armée; quand l’armée, l’île d’Elbe; et quand l’île d’Elbe, ses geôliers dans l’enfer de Sainte-Hélène. Et là même, il fait main basse sur la postérité. Nature naïve dans l’amour de soi jusqu’à la simplicité. Cette simplicité nourrit la force. Maître du monde, le dieu du clan fait figure de grand bourgeois, tant il administre avec une parfaite économie son empire et son Olympe de gloire. X Simplicité qui déconcerte l’analyse: le moi plus fort et plus plein, plus continu que tous les éléments qui le composent. Tout lui est objet, à prendre, à manger, à garder ou à briser: c’est l’idée d’un enfant qui joue avec la vie universelle, ne doutant jamais de soi, et par là donnant crédit à toutes choses; car les choses ne sont rien que par rapport à l’usage qu’il en fait. Magnifique simplicité, toute contraire à celle de l’artiste! Comme il pense, il se décide: il prend parti, comme il prend contact: jamais il ne s’oublie. Jamais il ne sort de sa ligne. Il est le chêne corse, qui peut croire toute la terre faite uniquement pour ses racines, et le ciel uniquement pour lui dispenser le soleil et la pluie. Jamais homme ne fut si peu de l’Occident. Il n’était pas vulnérable à la tête ou au cœur, ni même au talon, comme tous ceux que le rêve a trempés, dès la naissance, dans la vague atlantique. Soit. Et, du moins, qu’on regarde en face les moyens de la conquête! Ah, qu’on ne marchande jamais à la victoire, le droit d’être égoïste: car la victoire est la seule charité de l’action. XI Où donc est l’unité de cet homme, en qui l’unité est si forte? On est maître dans l’action, à la mesure où l’on est un. Nul n’en a l’instinct plus que lui, le grand Punique. Napoléon est L’HOMME DE LA VALEUR, en tout ordre, en tout lieu, en tout temps. Personne n’a connu comme lui la valeur de tout objet, de toute idée, et de tout acte. Il est une prodigieuse machine à peser des valeurs, hommes et événements. Peser, penser. Il place tout sur ses balances, et il n’a que faire de ce qui ne s’y laisse pas placer. Il n’est pas mathématicien: il est l’arithmétique incarnée. Au soir de Friedland, vingt mille morts, soixante mille blessés, c’est lui qui dit: «Une nuit de Paris réparera tout cela.» Il n’est pas aveugle, il n’est pas insensible: il a vue sur ce charnier énorme; il en a la puanteur au nez. On était en juin. Mais ni l’horreur, ni la tristesse, ni la putréfaction, ni les cris des mourants ne l’occupent. Son affaire est ailleurs: ayant considéré l’immense carnage, il l’a pesé; puis il l’a compensé, selon les règles de son arithmétique, laquelle est sa justice. Aussitôt qu’il pèse, il compense. Et non moins sûrement, il récompense. XII La guerre, calcul des masses, est le calcul suprême des valeurs, dans l’ordre des corps. Celui qui commande à la guerre, commande à tous les marchés. Il règne sur les valeurs de la matière; il donne l’étalon légal à toutes. C’est pourquoi le plus grand des hommes nés pour peser les valeurs et les fixer, Napoléon, est aussi le plus grand des hommes de guerre. Il a tout engagé dans la guerre, quand il l’a fallu; et depuis Napoléon, à la guerre il y va, pour un peuple, de la vie et de la mort. La guerre est l’opération qui les enferme toutes: elle est le mètre temporel entre les intérêts et les nations. XIII Ce grand juge de la valeur, en conquérant qui a besoin de la vie des autres hommes, devait faire de la valeur militaire la valeur par excellence. Et le courage, en effet, est la plus haute valeur à ses yeux. Le chef de guerre n’est rien sans la valeur des soldats: voilà le pire ennui pour Alexandre. Ce n’est pas à leur vie qu’il tient, mais au don qu’ils savent lui en faire. Napoléon en est donc avare et très sagement ménager. Il sait qu’il dépend étroitement de ceux qui veulent bien mourir pour lui. Napoléon pardonnait tout au courage. Il n’a rien tant haï, dans ses lieutenants devenus princes, que l’attachement à la vie et aux biens. Il ne concevait pas que ces forts parvenus, à quarante-cinq ans et à cinquante, ne voulussent plus risquer leur vie et tous les biens de la vie sur un coup de dé, comme ils avaient fait à trente ans, pour acquérir la gloire et la fortune. XIV Le chef de guerre spécule sur les hommes: ils sont la matière première de son jeu. Mais si le blé, le sucre, la laine, l’or et le cuivre se laissent toujours faire, il arrive que les hommes se refusent. Les mêmes se font toujours tuer, jusqu’au jour où ils sont morts en effet: le jour aussi où ils se retirent de la partie et veulent vivre. XV A force de manier les valeurs, Napoléon a oublié que la valeur humaine est sujette à varier, et qu’elle n’est pas uniquement passive. De là, que si profond et si maître de lui dans le succès, quand il pèse bien les hommes, il semble si étrangement aveugle dans les revers, si brutalement obstiné dans la défaite. Il calcule toujours aussi bien; mais il ne s’aperçoit pas que les unités et les éléments de son calcul ne sont plus les mêmes. Il fait les mêmes opérations avec des grandeurs qui ne sont plus du même ordre; et il s’étonne de ne plus trouver au problème une solution juste. XVI Sa politique était celle de la victoire. Dans le désastre, il n’était pas pris de court sur le champ de bataille; mais il perdait pied pour négocier. Il lui fallait au moins le roi et le valet d’atout pour bien écarter. XVII Il regardait un homme comme un fait, toute passion comme un chiffre, toute action comme un nombre, toute vie enfin comme un signe entrant dans son arithmétique. Les êtres vivants et les sentiments propres qui les animent ne sont, à ses yeux de comptable souverain, que les éléments de ses opérations. C’est lui qui multiplie, qui soustrait, qui divise selon les règles de sa volonté; et tout finit toujours par une addition. Il faut que la caisse se fasse, et il y veille d’un soin inflexible. Voilà la toute-puissance de la raison. Et voici sa faiblesse: le sens du sentiment lui manque. Il ne le nie même pas: il s’en sert, et s’en défie; il l’évalue en titres, il l’estime en monnaie d’échange; et il l’estime peu. Car, il est vrai, c’est la valeur la plus variable. Elle n’est pas assez sûre, pour l’Empereur de la valeur: il s’étonne de ces cours forcenés. Tant qu’il est là, il ne veut pas croire que cette valeur puisse réduire à rien toutes les autres. Maître de la France, il méconnaît la force qui la lui a donnée. Telle est l’origine de ses erreurs les plus grossières, où il était forcé de persévérer. Avec le pape, un vieillard en prison, qu’il pensait réduire à la charge de chapelain. Avec le tsar Alexandre, qu’il croyait avoir séduit au point d’endormir son amour-propre, comme si l’amour-propre d’un jeune souverain ne sommeillait pas que d’un œil. Avec les tristes Habsbourg, qui peuvent bien avoir tout perdu dans le naufrage, mais à qui reste toujours la grosse lippe; et elle se gonfle de rage, quand il leur faut mettre leur blonde fille dans le lit du capitaine ligure, qui sent l’ail et l’eau de cologne. L’empereur pèse les provinces et les royaumes; mais il n’a pas d’assez fines balances, pour peser les sentiments. Il n’y a pas d’états tenus à jour pour les passions, comme pour les régiments. XVIII Le triomphe de l’idée punique est sans doute le triomphe de la raison: à tout le moins, celui de la pensée antique. On peut toujours ramener les espèces de la raison à des valeurs en quantité. Plus que jamais, ici, Napoléon est le fléau de la Révolution, battant le blé du monde. Car la Révolution est un essai à fonder le genre humain sur la raison et les valeurs de la raison. La raison souveraine ne considère que des nombres; maîtresse absolue, elle est une table des valeurs toujours au courant. Elle n’omet, précisément, que la vie, les sentiments et les passions. XIX Dans la paix, Napoléon s’exerce à la guerre par l’implacable exercice de la raison. Il est admirable, comme un Étai fondé sur la raison, se gouverne par les maximes de la force. Sa loi est sans pitié. XX La connaissance de l’or et du pouvoir véritable dépend de la raison. Par la haine qu’on lui voit des voleurs domestiques, des parasites, de la concussion, on sent que le respect de l’or était dans Napoléon une habitude dominante. Nul n’aimait moins la fortune pour soi-même; mais il avait pénétré le sens de l’or. Il n’aime pas l’or comme un avare. L’avare est l’esclave du signe. Napoléon, sous le signe, adhère au fait comme la pie-mère au cerveau. Il vénère l’or en conquérant. Le conquérant a sa façon de vénérer, qui est la possession jalouse. S’il avait pu, Napoléon eût été l’unique banquier de l’univers: il rêvait de détenir tout l’or et tout le crédit de la planète. XXI Napoléon, le premier depuis les grands politiques de Rome, a su que l’or est le signe de la force et l’outil de la puissance. Reste l’homme capable de les conquérir et de les manier. Le fer est le manche et le levier de l’or; mais l’or est la pointe du fer, qui perce tout. Le fer disperse l’or, et l’or dissout le fer. Aussi, Napoléon ne peut souffrir qu’on prévarique. Le moindre vol fait à l’État, il le punit comme une trahison. Le code est terrible contre les faux monnayeurs: n’est-ce pas le dernier mot de la raison, et son pouce baissé dans le cirque? Derrière l’homme de guerre, on ne perd pas de vue l’arbitre des valeurs. En Napoléon, c’est le même homme. Par où il ne faudrait pas entendre que l’homme de la bourse est l’homme de la guerre. L’un des deux contient l’autre; mais le conquérant est le grand homme, non pas vos porchers de Chicago. Que les serfs de l’opinion, aujourd’hui, n’aient pas le front de comparer à Austerlitz et à Léna un coup sur le suif et les cochons. Quand Napoléon règne, Ouvrard est forcé de servir. XXII Le destin, dit Napoléon, c’est la politique. La politique est la balance exacte du négoce. Ne méprisez pas le négoce, si vous avez le sens du latin. Tous les proconsuls et tous les chevaliers se dressent; le négoce est la grande affaire du monde: c’est la négation du repos,--_neg-otium_,--le mouvement, l’action qui affirme. C’est l’homme en volonté. Il s’agit bien de commerce et de faire fortune! il est question de forcer la fortune, et de museler la fatalité. Qu’elle suive son maître à la chasse, la chienne! Qu’elle arrête pour lui! XXIII Pour achever l’homme de la valeur, en Napoléon, il y avait l’esprit latin, le juge à la romaine: la tête de l’ordre, qui cherche à faire l’unité de l’espèce, et qui l’impose. Pour la tête romaine, l’ordre est dans l’unité. Une seule valeur, une seule monnaie, une seule signature: un étalon immuable pour toutes les formes de la richesse et de l’action. Voire, de la pensée: Sublime ridicule des idées de Napoléon sur l’art et les poètes. C’est en quoi Napoléon n’a jamais compris qu’on lui opposât le génie des artistes, la liberté des partis, l’indépendance des peuples, le droit des particuliers. A ses yeux, il n’est pas de personne privée. Tout individu est d’abord dans l’État. XXIV Il avait fixé le type légal de toutes ces valeurs rebelles. Il en avait pris la tutelle et la garde. Il était prêt à y tout sacrifier, et en partie lui-même. Il ne pouvait pas admettre qu’on cherchât des variables ou des obliques aux perpendiculaires politiques et morales, qu’il avait abaissées du point fixe: l’intérêt de l’État, tel qu’il l’avait conçu et confondu dans son propre intérêt, à lui. En tout le souci de l’unité, et si l’on veut, la manie. Un seul État, un empire entouré de royaumes feudataires. Un seul esprit, un seul lycée, une seule école. Le blocus continental est l’unité dans l’ordre économique. Les codes, l’unité dans l’ombre des lois; et l’on peut dire que le vice profond de ces codes, qui ont conquis l’Europe, est assurément le mépris des espèces: ils nient le changement; ils ignorent l’individu. Au criminel, ils poussent cette ignorance jusqu’à l’atrocité, jusqu’à la sottise. Napoléon eût volontiers promené le même rouleau sur les églises et sur les religions. Au Caire, il fait le mahométan, et le vieil orthodoxe à Moscou. Il enrage de n’avoir pas un nouvel Évangile à promulguer, avec le vicaire de Jésus-Christ. Il croyait être la Révolution et l’ancien régime, la raison et la foi. XXV Quelques traits de sa morale, quelques nombres de son arithmétique. Il dit lui-même que son nom signifie: _le lion du désert_. D’où tire-t-il ce sens-là? Mais comme le nom lui va! le désert étant de Carthage et le lion de Rome. Il aime le désert; il en est profondément touché. Et la vie est sa proie: tout lui est proie. Il ne respire que pour le règne. XXVI L’homme du destin sera toujours l’homme du jeu. La politique est le hasard heureux; et le grand homme qui gagne la partie fait croire aux vaincus qu’il a prévu tous les coups. Il parle du hasard asservi, quand il gagne; et quand il perd, de la fatalité. Mais ces idées-là sont pour le peuple. Se parlant à lui-même, Napoléon invoque son étoile: et quand elle est bonne, il la fait luire aux yeux des soldats. Il est joueur comme Annibal. A tout moment, l’on sent qu’il ne croit pas plus à sa fortune qu’à rien autre. Mais non pas moins. Il croit au coup de dés; et surtout qu’on peut toujours les piper, avec l’aide de la fortune, qui est le hasard complice. La fortune d’un conquérant est toujours soumise à quelques coups de dés extraordinaires. Lui-même, c’est son génie de les tenter. Le grand César n’a pas craint d’en faire l’aveu, parce qu’il avait tous les courages. XXVII Napoléon parle de son étoile, comme un fidèle parle de son patron. Il la loue, il la vante, il l’accuse. Je suis sûr qu’il la prie. Quel joueur n’est pas superstitieux? Napoléon a ses fétiches et ses secrets pour conjurer le mauvais sort. La parole est son talisman de prédilection: il donne beaucoup aux mots qui font titre, et aux imprécations de la fausse colère; il donne aussi au spectacle. Toute sa comédie avec le Pape et avec les Rois, j’y vois une cérémonie magique. Un tel homme avait une trop grande tête, pour ne pas sentir le ridicule de ces mascarades et l’odieux des couronnes en tas sur ce beau front, qu’elles diminuent et qu’elles alourdissent, mais qu’elles ne sauraient pas grandir. XXVIII Il joue sur les faits, le fort aventurier. Il a souvent caché la table de jeu sous les oripeaux, sacrés à tous les hommes, de l’éloquence, de la pompe royale et de la prophétie. Mais au fond il jouait l’empire sur une chance, à Waterloo comme devant Saint-Roch. Sa mère ne s’y trompait pas, l’œil sur lui, cet œil de la nourrice qui s’attend à tout et qu’on ne trompe pas, l’œil qui a connu le corps de l’homme au berceau, l’œil de la femme qui a changé son petit dans les langes. Joueuse elle aussi, Letizia, la vieille Parque, mettait des millions à l’abri, dans les temps solaires d’Austerlitz et d’Iéna, en prévision de la saison noire. Et elle osait dire de ses fils, tous ensemble en peloton, le grand avec les petits, comme ils sont mêlés sur la quenouille d’une mère: «Ils seront bien contents plus tard, que je sois là. Cela ne durera pas.» Quelle parole! et quelle perspective! Un arc de triomphe qui mène à un cachot. De toutes les idées, la dernière qui fût jamais venue à l’un de nos rois: le hasard, maître du prince, et roi des rois! On ne peut pas gagner toujours, et il faut admettre que l’on perde. XXIX _Si_... Le mot de la chance! c’est l’étendard du jeu. Le mot qui flotte, le mot qui palpite, le mot qui tombe. _Si_... La conjonction de la volonté et du pouvoir, le nœud du fait à l’hypothèse, et du présent à l’avenir. Le mot qui revient sans cesse dans les propos de Napoléon: «Si... J’aurais pacifié tous les partis. J’aurais réconcilié les hommes et les siècles. J’aurais fait le bonheur de la France. J’aurais changé la face du monde. Si... Si... Si...» Ce grand réaliste rêve par _Moi_ et par _Si_, à l’infini. Et sans cesse, en tout, pour faire l’ordre, il lui faut changer la face du monde. XXX Quel autre moyen que la force? Le grand artiste ne vit que pour posséder le monde, et le refaire à sa guise. Napoléon est le poète de l’action: la guerre est son art magnifique. Il pétrit la glaise humaine; il modèle dans le vif de la masse chaude, dans la chair et la pourpre du sang. XXXI Il était fort causant, mais jamais sans dessein. Il fait parler les autres, pour apprendre ce qu’il veut savoir. Dès qu’il le sait, l’entretien n’est plus pour lui, ayant une opinion, qu’une escarmouche où il l’impose, et parfois un combat. Telle est la causerie à Ninive: un plaisir sans contradiction. XXXII Puissance de l’imagination: il la connaît; mais non pas assez en lui. A tout instant, il croit ce qu’il veut; il se voit lui-même comme il s’imagine. Et telle est sa force, sur les faibles, qu’on le voit encore comme il a voulu qu’on le vît. Il y a de quoi rire et de quoi admirer, quand il parle de son amour pour la paix, de tout ce qu’il y voulait faire. C’est pour faire la paix qu’il va jusqu’à Moscou, mettant l’Europe à feu et à sang; et s’il avait pu, il eût été faire la paix aux Indes, en Perse et en Chine. Il ne ment pas. Il voit ce qu’il rêve, comme l’artiste au travail. Ha! donnez-moi un monde ou deux à conquérir, pour que j’y fasse la paix, pour que je le taille, en plein bloc, à l’image de ce que je veux, de ce que je suis! XXXIII Il est sans pitié pour tout ce qui trouble la valeur, pour tout ce qui altère l’étalon d’or, tel qu’il le fixe en tous les ordres. Il chasse l’homme qui ne veut pas servir l’État; et s’il n’y est pas apte, il le proscrit: à quoi est-il bon? La lâcheté aux armées, le manque à servir dans les cadres de l’Empire, deux crimes que Napoléon ne pardonne pas. Il a donc horreur de la femme qui fait l’homme. Il tourne le dos à madame de Staël; il ne met point l’aigrette à ce turban de prétentions infinies. Et comme ce grenadier turc, pour piper un compliment, demande au Premier Consul quelle est la femme qu’il préfère, il répond: «Celle qui fait le plus d’enfants.» Mot brutal, qui n’est pas à la française, mais à l’antique, et moins de Scipion que d’Annibal. Faire l’homme, en effet, c’est le plus sûr moyen, pour la femme, de ne plus faire d’enfants. Les femmes à plumes n’ont pas encore trouvé la recette de muer leurs ridicules époux en nourrices. A sa Joséphine, quand il l’aime encore en amant trop épris, il ne donne pas de la bien-aimée, ni de mon cœur, ou mon amour. Il l’appelle: ma bonne amie, ma bonne. Elle lui aurait fait présent d’un fils, il ne l’eût jamais répudiée. Il dit, plus tard, à ses maîtresses d’une heure, quand il leur ouvre la porte, prenant congé après une effusion brève: «Tu es une bonne fille!» Éloge suprême dans sa bouche: une bonne femme, une bonne mère. Jamais homme ne fut moins amant de l’amour. Il y met peut-être moins de vulgarité bourgeoise, que l’accent du peseur juré, ou de l’essayeur d’or: une bonne femme, une bonne fille, une bonne monnoie; elle vaut ce qu’elle vaut; elle ne ment pas sur sa frappe ni sur son titre. XXXIV Il tient à toutes les valeurs, jusqu’à s’en rendre dupe. Homme de l’antiquité en tout, il est le héros de la famille. Il fait arbre, il est dans la famille comme le tronc dans les racines et dans les branches. Il respecte dans l’aîné la seule qualité qu’il n’a pas. Il croit à ses frères, même quand il les juge. Il leur montre une indulgence infinie. Il pourrait les écraser, même il le devrait, et il les ménage: souvent, je crois voir un lion avec ses poux; et quand ils le tourmentent, il les fait sauter de la griffe, au lieu de les anéantir sur sa litière. Étonnant d’ironie, il s’amuse de cette vermine; il s’en laisse manger. Il est dupe, le veut être et le sait. XXXV Il a eu du cœur pour ceux de son clan. Il n’en a pas eu pour la France. Il n’y a absolument rien du chrétien, en lui. C’est pourquoi le sentiment n’est une valeur, à ses yeux, que dans les autres. Il se sert de l’immense amour qu’il excite dans les Gaulois, toujours fous de justice et chevaliers de la gloire. Il a la tête froide; il les mène par la raison; mais elle n’est passionnée qu’en eux. Pour étouffer leurs cris, il les gorge de victoires. Mais plus d’une fois, il les effraie. Dans les affaires politiques, il est plus terrible que Néron: parce qu’il est immuablement raisonnable. L’État est le monstre de pierre. Napoléon est l’État: ses crimes sont glacés. Raison d’État, crime d’État,--droit de l’État, pour Napoléon. Soumis au destin, il se prend pour le destin; il y soumet inexorablement les autres. Les crimes du destin sont à peine des accidents. Certain matin pluvieux, dans l’ombre d’une nuit très noire et très mauvaise, le duc d’Enghien est mort d’accident, dans le fossé de Vincennes. XXXVI Napoléon est impassible. Certes, il aime la France. Et comment non? Où jamais eût-il fait une telle fortune? La France est le levier divin. Rien n’a manqué à Annibal qu’une France: Rome eût disparu. Malgré tout, il n’avait pas le cœur de la vieille France, celui qu’il avait reçu de la France nouvelle, et qu’elle lui avait donné, sans qu’il le sût, en lui donnant son cœur. Il n’était pas capable de s’oublier pour elle. Comme l’État, pour Napoléon, la France c’est lui; c’est son fils, c’est son sang. Quand la France se sépare de Napoléon et de son petit, Napoléon n’a plus pitié de la France. La grand’pitié qui est au royaume de France, il ne la pas sentie, quand elle saignait. Après la Russie et Leipzick, il a pu refuser la frontière du Rhin: par amour-propre! Il ne voulait pas laisser la France plus petite qu’il ne l’avait reçue. Sire, il ne fallait pas vous croire plus grand qu’elle. XXXVII Napoléon a le plus profond mépris des Bourbons: un mépris sans violence, comme on l’a des malades fanfarons, des mineurs, des imbéciles. Mépris légitime, si j’ose dire en riant. Et, à la vérité, les Bourbons ne se sont jamais lavés de ce mépris-là. Obscurément, le peuple les en accable. Le dernier terme du mépris qu’un peuple fait de ses rois: il les ignore, totalement. Napoléon a tué les rois. XXXVIII L’homme de la valeur et du change le plus strict ne déteste rien tant que l’homme d’ironie: car l’ironie brouille toutes les valeurs et bouleverse les changes. L’ironie est la fausse monnoie elle-même dans les jugements. Encore, la fausse monnoie est-elle connue par comparaison à la bonne. L’ironie est un faussaire plus subtil: elle altère le métal, au nom d’un droit supérieur, dans la main de ceux qui donnent et de ceux qui reçoivent; elle confond les titres. Elle prête une valeur souveraine à ce qui n’en a peut-être aucune, ou médiocre. En s’y substituant, elle avilit le meilleur crédit du monde; elle l’use, elle le défigure. Elle corrompt la signature. Le seing, qui valait de l’or en barres, ne vaut plus que du cuivre. L’ironie, enfin, démonétise les statères de Syracuse, pour en transférer, le prix, non pas à ce qui n’en a point, bien pis, à la valeur fictive, qui parfois est réelle, mais qui d’abord est perturbatrice, étant la valeur non connue. Et plus elle est inconnue, plus elle est ruineuse de toutes les habitudes. L’ironie est la fausse monnoie du roi. Elle est la négation de la valeur. Voilà comment Napoléon n’a pas cessé de haïr Talleyrand, sans réussir à se passer de lui. Talleyrand était sa faiblesse, son vice, son bas de soie, son goût perverti, le seul, son goût d’Occident. Talleyrand l’irritait et le tentait dès son nom, qu’il n’arrivait pas à prononcer comme il est écrit: Taillerand, disait-il. Que n’eût pas donné Napoléon pour écraser ce prince de la corruption, ou pour lui inspirer un peu de sa saine conscience? Mais l’intelligence glacée du maudit boiteux échappait aux reproches: cet esprit reste incorruptible dans toutes les putréfactions de l’action et des mœurs. Il se dérobe même au mépris, par le mépris supérieur du sceptique et de l’égoïste accompli. Il émousse la violence du tyran par le masque impassible qu’il oppose aux offenses; et il est plus fort que la menace, plus fort que les coups, mettant entre eux et lui la distance cruelle de l’ironie, et l’éloignement infini d’une politesse qui ne fut jamais prise en défaut, et qui ne livre rien de soi. A toute heure, Napoléon déconcerté perdait pied devant Talleyrand; et grondant contre lui, il était séduit, effrayé peut-être par ce démon de l’ironie secrète. A toute heure, il s’étonnait avec rage d’en souffrir la présence, et de ne l’avoir pas encore anéanti. XXXIX Il faut un paysan français, et surtout un paysan du Midi, pour comprendre tout ce que Napoléon a été, tout ce qu’il a reçu de la France, tout ce qu’il lui a donné, et tout ce qu’il lui a permis de rendre en échange. Napoléon est, comme Jeanne d’Arc, une occasion suprême de la race. Mais Jeannette est de la race, et Napoléon non pas. Tandis que Jeanne d’Arc porte tout l’idéal de la nation, au point de créer la nation même, c’est la nation qui donne son idéal à Napoléon, et qui l’en charge. Il en devrait être accablé, et ne l’est pas. Il n’abdique pas son génie propre. Napoléon est une force sublime, mais sans amour. L’idéal de la France est infiniment plus fort que lui, et tout de même sublime. Il n’est qu’un homme, après tout; et elle, même après lui, elle dure. Rien ne dure que par l’amour. Quand l’armée du Midi a élu Napoléon pour son maître et son idole, il y avait un conquérant en chacun de ces paysans maigres, à l’échine de chat, allant par bonds et par rires, sans hardes et sans souliers. Peu importe le pillage, l’amour à la hussarde, les mœurs grossières, la violence des camps, et tous les crimes de la guerre. Chacun de ces laboureurs bruns était une flamme vivante. Elle brûlait pour le Messie, pour la Justice et pour la Raison, comme ils l’appelaient. Sont-ce là des mots vides, au cœur de ces fils de la terre? Des mots? Non, les pavillons de la France libre et délivrant le genre humain: la même France, les mêmes étendards qui proclamaient, sous Jeanne d’Arc, Jésus et le Roi. Napoléon n’a point d’égal, tant qu’il s’égale au génie de la France. S’il parle pour soi-même, pour sa maison, pour son ordre, la France se détourne de lui. Plus grand, sans doute, de s’être perdu ainsi. Sa faiblesse n’est pas de l’homme; mais au contraire, qu’un moment est venu où la force de l’homme souverain s’est séparée de la force nationale. Et la faiblesse de la France a paralysé la force de l’homme souverain. La France tombait de fatigue, et Napoléon était infatigable. Voilà où ce grand homme de la valeur a perdu le sens de la valeur. Qu’il meure d’ulcère ou du ventre ou du foie: nul ne fut plus sain que celui-là: il meurt de ne plus être. La valeur et la santé, ce que peut l’homme et ce qu’il vaut pour vivre, c’est tout un. Et peut-être, dans ce qu’il vaut, y a-t-il profondément tout ce qu’il faut. La pleine valeur est la fatalité fixée, et qui possède toute sa force. Héros de la possession autant que de la conquête, Napoléon a ressuscité le monde des anciens à l’échelle de la fatalité moderne. Il est l’homme qui a épuisé la puissance, ayant sommé de soi toutes les valeurs de l’action. Août 1910. Nous avons donné le bon à tirer après correction pour deux mille exemplaires de ce premier cahier et pour vingt-huit exemplaires sur whatman le mardi 23 juillet 1912. Le gérant: CHARLES PÉGUY Ce cahier a été composé et tiré par des ouvriers syndiqués JULIEN CRÉMIEU, imprimeur, 13 et 15, rue Pierre-Dupont, Suresnes.--6559 *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DE NAPOLÉON *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the trademark license is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. Project Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase “Project Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg™ License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. 1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™ electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is unprotected by copyright law in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg™ mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™ works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg™ name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg™ License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg™ work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country other than the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any work on which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which the phrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. 1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase “Project Gutenberg” associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™ trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg™ License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work. 1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™ License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg™. 1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg™ License. 1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a format other than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg™ website (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original “Plain Vanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg™ License as specified in paragraph 1.E.1. 1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg™ electronic works provided that: • You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg™ works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg™ trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, “Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation.” • You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg™ License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg™ works. • You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work. • You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg™ works. 1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg™ electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of the Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread works not protected by U.S. copyright law in creating the Project Gutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™ electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Right of Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg™ trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE. 1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a written explanation to the person you received the work from. If you received the work on a physical medium, you must return the medium with your written explanation. The person or entity that provided you with the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a refund. If you received the work electronically, the person or entity providing it to you may choose to give you a second opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy is also defective, you may demand a refund in writing without further opportunities to fix the problem. 1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. 1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions. 1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg™ electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™ Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate. While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate. Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our website which has the main PG search facility: www.gutenberg.org. This website includes information about Project Gutenberg™, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.