Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3237, 11 Mars 1905, by Various

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Title: L'Illustration, No. 3237, 11 Mars 1905

Author: Various

Release Date: October 24, 2010 [EBook #33881]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3237, 11 MARS 1905 ***




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(Agrandissement)


COMMENT EST JALONNÉE LA ROUTE QUI MÈNE AU FEU
Une vision des champs de bataille de Mandchourie.

Photographie de notre correspondant de guerre, Victor Bulla, marchant
avec la 1re armée russe (général Liniévitch).

L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE

Nous avons publié successivement, depuis le 1er janvier: le Bercail, la Conversion d'Alceste, l'Instinct, la Fille de Jorio, la Retraite, la Massière.

Le numéro du 25 mars contiendra:

LES VENTRES DORÉS pièce en cinq actes de M. Emile Fabre, qui vient de remporter à l'Odéon un succès retentissant.

Paraîtront dans les numéros suivants:

SCARRON, pièce en cinq actes, envers, de M. Catulle Mendès, que va jouer M. Coquelin aîné à la Gaité;

L'AGE D'AIMER, pièce en quatre actes de M. Pierre Wolff, annoncée d'abord sous le titre Dernier Amour, et dans laquelle Mme Réjane va faire sa rentrée au théâtre du Gymnase;

L'ARMATURE, pièce tirée du roman de M. Paul Hervieu, par M. Brieux;

LE DUEL et LE GOUT DU VICE, les deux oeuvres nouvelles de M. Henri Lavedan, de l'Académie française;

LE RÉVEIL, de M. Paul Hervieu, de l'Académie française;

MONSIEUR PIÉGOIS, de M. Alfred Capus, etc., etc.

COURRIER DE PARIS

journal d'une étrangère

Une classe au Conservatoire. Il est neuf heures et demie du matin. Une dizaine d'auditeurs à peine s'éparpillent, dans la salle faiblement éclairée, parmi les sièges rouges du parterre. Les musiciens s'installent. Ils sont là soixante-dix ou quatre-vingts jeunes gens et jeunes filles, lauréats des derniers concours, admis à l'honneur de composer l'orchestre qu'une heure par semaine, à huis clos, dirige Taffanel. La petite scène--jusqu'au faîte du décor grec qui en remplit le fond--est encombrée de banquettes et de pupitres disposés en amphithéâtre et au-dessous desquels, à droite et à gauche du maître, des chaises sont alignées. Les plus vieux de ces musiciens n'ont pas beaucoup plus de vingt ans et j'aperçois au milieu d'eux de petits garçons, des fillettes. Tout cela compose un gentil tableau de jeunesse artiste. Aux premiers rangs--côté des violons--les jeunes filles sont nombreuses (costumes simples, tenues de petites bourgeoises bien élevées que ne hantent point les rêves de chic des comédiennes); aux banquettes supérieures, sous la lumière des petites lampes électriques, brillent des boutons d'uniformes,--tuniques de lignards et d'artilleurs. A côté de crânes militaires exactement tondus s'épanouissent des chevelures de «pékins», bien peignées et copieuses. On a d'avance posé sur les pupitres les diverses «parties» de la Pastorale: c'est le déchiffrage d'aujourd'hui. Sur un signal du petit bâton, dans le silence de la salle vide, la voix de la divine mélodie s'élève.

Le maître conduit, le dos voûté au-dessus du pupitre bas, le cou tendu vers les instruments qui chantent et que les mouvements de ses bras ont l'air d'encourager, de supplier, de gronder doucement. Barbe grisonnante, torse trapu sous le veston de travail, le cordon du binocle accroché à l'oreille, il est bien le bon chef, le «papa» qu'on aime et qu'on écoute. De temps en temps, de deux coups secs frappés au bois du pupitre, il interrompt l'orchestre et, d'un ton bonhomme, corrige une faute qu'on a faite, donne un conseil, signale un piège. On repart... et soudain, parmi le tapage des instruments, on entend une note filée, un chant joyeux ou plaintif... c'est le maître qui aide sa petite troupe à franchir un pas difficile, et dont la voix un peu enrhumée fait cortège à la mélodie...

Ils sont déjà très forts, ces enfants, que personne ne connaît et dont peut-être plusieurs, demain, seront célèbres. J'ai passé dans mon coin noir, au milieu des fauteuils et des loges vides, deux heures délicieuses à les écouter. Jamais, au théâtre, une joie si spéciale, et de cette qualité-là, ne m'avait été donnée. Joie égoïste, où peut-être un peu de puérile vanité se mêlait;--joie de sentir s'ouvrir, comme familièrement, à moi seule, dans le secret de cette salle fermée à tout le monde, quatre-vingts petites âmes d'artistes...

Mais est-il bien nécessaire que l'Etat se donne tant de mal pour nous former ces artistes-là? Les amateurs font, ce me semble, une concurrence terrible aux professionnels, depuis quelque temps. L'autre jour, chez Colonne, j'assistais à l'exécution d'une oeuvre lyrique qui fut fort applaudie et dont j'appris que l'auteur est un médecin très estimé; les salons de Paris sont pleins de femmes qui jouent la comédie délicieusement; le Théâtre-Français compte, parmi ses récents fournisseurs de drame, un banquier du Boulonnais; il y a, à la Chambre des députés, des poètes qu'on imprime, et voici que, depuis dimanche dernier, deux «salons» nouveaux se sont ouverts; l'un est, aux Champs-Elysées, le salon--très aristocratique--de la Société des amateurs; l'autre est une exposition de peinture installée à la gare de Lyon et où la Compagnie du P.-L.-M. nous convie à venir admirer les oeuvres de ses administrateurs, de ses ingénieurs et de ses commis.

Ces ambitions font rire certains professionnels. Je n'aurais pas envie de rire du tout si j'étais à leur place. Je me dirais que l'amateur est un concurrent très dangereux, car la musique qu'il joue ou qu'il compose lui procure, en général, bien plus de plaisir que celle qu'on joue ou qu'on compose autour de lui... L'idée lui vient-elle d'être auteur dramatique ou comédien? il aura vite fait de trouver superflu d'aller, au théâtre, applaudir les pièces des autres; statuaire, il trouvera plus amusant (et comme je le comprends!) de faire le buste de sa femme que de le commander; et plus il aura de paysages de lui--s'il est peintre--à accrocher dans son appartement, moins il trouvera de place, sur ses murs, où installer ceux des maîtres. Alors j'entrevois cette terrible chose: une nation d'amateurs, où chacun aurait la coquetterie de faire soi-même sa musique, sa sculpture, ses pièces et ses tableaux, comme certains industriels font leur électricité ou leur gaz, et où l'artiste--j'entends celui qui vit ou voudrait vivre de son art--ne rencontrerait plus, à la place du «client» d'autrefois, qu'un émule respectueux... mais résolu à se suffire!

Le projet d'ériger, dans le jardin des Tuileries, la statue de M. Waldeck-Rousseau a mis de fort mauvaise humeur un député qui voudrait interpeller là-dessus le ministère. Ce député trouve qu'un jardin public n'est point fait pour servir de refuge aux monuments de cette sorte, que ces effigies troublent la paix de nos promenades et n'ajoutent rien à leur beauté et que la place d'une statue politique est dans la rue...

Tout le monde n'est pas de son avis. Je connais un vieux monarchiste qui, de l'appartement qu'il occupe au boulevard Saint-Germain, voit se dresser devant lui, chaque fois qu'il ouvre sa fenêtre, la statue de Danton. Il en souffre. Il me disait l'autre jour: «Voyez l'illogisme de nos moeurs. On défend à mon curé de conduire une procession dans la rue, parce qu'on craint que cela ne gêne, pendant dix minutes, la liberté de conscience des gens qui n'aiment point les processions; et l'on installe--pour l'éternité--sous ma fenêtre, l'image d'un ennemi dont le geste vainqueur a l'air de me narguer du matin au soir. Moi aussi, pourtant, j'ai une liberté de conscience à ménager... Comme on s'en préoccupe peu!...»

Cette remarque m'avait frappée. Et c'est pourquoi je pense que le législateur qui souhaite qu'on interdise aux statues des ministres et des tribuns morts l'entrée des jardins de Paris se trompe tout à fait. Leur place est là, en vérité, bien plutôt que dans la rue. Dans la rue, elles s'imposent à la vue du passant; elles ont l'air de guetter au passage l'adversaire qui les croise; elles le défient... Dans les jardins, elles ne gêneraient personne, car les gens qui ont des passions politiques ne flânent guère dans les jardins. Je vais m'y promener quelquefois. J'y rencontre des vieux qui rêvent, des amoureux qui causent, des pauvres qui dorment, des enfants qui jouent, des nourrices. Qu'est-ce que cela peut bien faire à ces êtres doux et inoccupés que, sur le socle où leur chaise s'appuie, il y ait un Fouquier-Tinville au lieu d'une Velléda? L'important, pour eux, c'est d'y trouver du soleil.

Je ne connaissais pas M. Georges Leygues. Je l'ai entendu cette semaine pour la première fois. Il parle bien. Il a de beaux yeux ardents, sous un crâne précocement chauve, des gestes d'apôtre, une voix vibrante de poète, une moustache de soldat. Il m'a beaucoup plu. C'était au banquet des Cigaliers où des méridionaux s'étaient assemblés pour chanter la gloire du Rhône, la beauté de la Garonne et fêter la «petite patrie» que Paris ne leur fait point oublier. Car Paris, à ce qu'on m'assure, n'est la patrie que d'un très petit nombre de personnes. On ne naît guère à Paris. On y vient travailler et s'amuser; on y apporte des rêves de gloire; on y entretient des espérances de fortune; mais, pour la plupart, les souvenirs sont ailleurs. Ils sont là-bas, dans le coin de province où l'on a connu les premières joies de vivre; dans la petite ville où l'on a grandi, où l'on a subi ses premiers pensums et joué ses premiers jeux; où, vers l'âge de treize ans, on a, suivant l'usage, aimé ou cru aimer (ce qui revient au même) sa cousine. Ce sont ces souvenirs-là que les provinciaux de Paris se donnent, de temps en temps, la joie d'évoquer en fêtant la petite patrie commune. Les Félibres et les Cigaliers la chantent, cette petite patrie, un peu plus lyriquement que ne font les autres, un peu plus bruyamment aussi. Ils disent, pour s'excuser, qu'on ne saurait parler du Midi avec équité qu'en en parlant avec enthousiasme... Mais il n'est pas nécessaire que le pays natal soit beau pour qu'on s'en souvienne avec joie. Il suffit qu'il soit le pays natal.

Etrange mystère, et qui m'a souvent intriguée. D'où vient l'émotion délicieuse que je ressens, moi aussi, à me rappeler, non le passé d'hier, mais le temps où je jouais à la poupée? Et pourquoi, dans les rencontres de la vie, le hasard d'avoir été de petits enfants dans le même village semble-t-il, aux êtres les moins sensibles, une raison de s'entr'aimer un peu? J'aurais dû demander à M. Leygues de m'expliquer cela.
Sonia.




Le général Kondratenko, qui
      fut tué à Port-Arthur,
photographié avec sa femme
            et ses enfants.



KONDRATENKO ET SA FAMILLE


Le général Kondratenko, qui, aux côtés de Stoessel, fut, à Port-Arthur, l'âme de la résistance, et dont la disparition a peut-être été le coup le plus fatal porté aux assiégés, laisse derrière lui une femme et trois jeunes enfants. La photographie que nous donnons ici le représente au milieu de ces êtres chers. C'est l'une des dernières effigies qui restent de lui.

Le tsar a pris personnellement intérêt à la famille de ce vaillant et fidèle serviteur et vient d'ordonner qu'une forte pension serait servie à Mme Kondratenko et à ses enfants.


Les Faits de la Semaine

26 Février-5 Mars.

FRANCE

28 février.--La Chambre vote le budget du ministère des finances.

1er mars.--A la suite des faits graves reprochés à plusieurs fonctionnaires coloniaux, notamment à MM Toqué et Gaud, le ministre des colonies charge M. Savoignan de Brazza d'aller faire une enquête sur place au Congo français.

2.--A Paris, une grève des ouvriers carrossiers charrons donne lieu à une bagarre dans le treizième arrondissement: un gardien de la paix est grièvement blessé d'un coup de revolver.

3.--La Sénat adopte une proposition ayant pour objet d'allouer une indemnité de séjour aux jurés des assises.--M. Guérin est élu vice-président de la Haute Cour, en remplacement de M. Barbey, démissionnaire.

4.--La Chambre vote le budget de la guerre.--Dépôt du rapport sur le projet de loi relatif à la séparation des Eglises et de l'Etat, avec un texte unique arrêté d'un commun accord par la commission et le gouvernement.

5.--Election de M. Trannoy, député progressif de la Somme, au siège sénatorial devenu vacant par la mort de M. Tellier.--Election de M. Jules Pasquier, républicain progressiste comme député de l'Aisne, en remplacement de M. Ermant, élu sénateur.

ÉTRANGER

26 février.--Incendie des docks, à la Nouvelle Orléans; les pertes atteignent une valeur de 25 millions de francs.

27.--A Saint-Pétersbourg, Maxime Gorki est remis en liberté.

28.--Lord Milner, haut commissaire dans l'Afrique du Sud, qui joua un rôle principal dans la politique anglaise contre les anciennes républiques boers, donne sa démission; il est remplacé par lord Selborne, premier lord de l'Amirauté.

1er mars.--Démission de M. Hagerup, président du conseil norvégien, causée par l'échec des négociations avec la Suède au sujet de la représentation consulaire des deux Etats.--La commission technique, nommée par le gouvernement des Etats-Unis pour étudier la question de l'achèvement du canal de Panama, s'est prononcée pour un canal à niveau, ayant au minimum 45m,75 de largeur et 10m,66 de profondeur; la durée des travaux est évaluée de dix à douze ans.

3.--Manifeste du tsar, dans le Messager de l'empire, exhortant le peuple russe à se serrer autour du souverain pour défendre l'autocratie contre les ennemis de l'intérieur. --Arrivée, à Port-Madryn (côte sud de la République Argentine), de l'expédition antarctique Charcot, sur le sort de laquelle on commençait à avoir des inquiétudes.

4.--Démission de M. Giolitti, président du conseil italien, pour raison de santé; le ministre souffre depuis un mois et demi d'une attaque d'influenza; les difficultés causées par les menées obstructionnistes des employés de chemins de fer ont contribué à cette retraite.--Rescrit du tsar, dans le Messager de l'empire, adressé à M. Bouliguine, ministre de l'intérieur; le tsar déclare que, «continuant à l'exemple de ses ancêtres augustes l'unification des institutions du pays russe, il a décidé dorénavant, et avec l'aide de Dieu, d'appeler les personnes les plus dignes, élues par le peuple et investies de sa confiance, à participer à l'élaboration préparatoire des projets législatifs».--Le total des indemnités demandées par le gouvernement anglais à la Russie, en raison de l'incident de Hull, s'élève à 1.625.000 fr.


On trouvera plus loin un article avec carte sur la guerre russo-japonaise (bataille de Moukden).


LE FUTUR SOUVERAIN DU JAPON


      L'enfant qui sera mikado: Hirohito Michinomiya, fils
            aîné du prince héritier Yoshihito Harunomiya.


Récemment, nous donnions le portrait de l'«enfant qui sera tsar»; nous publions aujourd'hui celui de l'«enfant qui sera mikado».

Agé de six mois seulement, le grand duc Alexis, que ses petites jambes ne portent pas encore, était représenté couché sur des coussins ou tenu sur les genoux, entre les bras de ses augustes parents; la photographie nous montre déjà en cavalier le jeune prince japonais Hirohito Michinomiya dont la quatrième année s'accomplira le 29 avril prochain. Il monte, il est vrai, comme il sied à son âge, un paisible cheval à bascule; mais, malgré sa robe et sa capeline blanches de baby anglais ayant, au premier aspect, aussi bien l'air d'une fillette que d'un garçon, il ne manque pas d'une certaine allure décidée. Il a d'ailleurs, grandement le temps de se préparer à l'exercice du pouvoir souverain. En effet, il n'est pas l'héritier immédiat du trône du Japon, actuellement occupé par l'empereur Mutsuhito, son grand père; cet héritage appartient de droit à son père, le prince impérial Yoshihito Harunomiya, lequel a deux fils de son mariage avec la princesse Sadako Foudjiwara. Le prince Michinomiya est l'aîné: d'où ses droits à une succession dont l'éventualité doit être en ce moment, comme on dit, le cadet de ses soucis.


L'EXPÉDITION ANTARCTIQUE
DU Dr JEAN CHARCOT

Un câblogramme nous annonçait, ces jours-ci, l'heureuse arrivée, à Port-Madryn--un petit port de la côte est de l'Amérique du Sud, à mi-distance entre le détroit de Magellan et le rio de la Plata--de l'expédition polaire australe dirigée par le docteur Charcot. Ainsi se trouvait dissipée l'anxiété qu'avaient causée les impressions alarmantes rapportées de leur récente croisière antarctique par les officiers de la corvette argentine Uruguay, et un peu légèrement répandues de par le monde par les agences télégraphiques.

Malgré le différend qui me sépara de Charcot et mit fin prématurément à notre collaboration, je ne serai pas le dernier à me réjouir de cette bonne nouvelle et c'est avec une satisfaction sans mélange que je profite de l'hospitalité qui m'est offerte, à cette occasion, par l'Illustration.

Bien que forcément laconique, la première communication de Charcot, adressée au journal le Matin--qui contribua si puissamment à l'organisation de l'expédition du Français,--nous donne quelques indications qui permettent de localiser le champ de recherches des explorateurs et qui font bien augurer du résultat de leurs travaux. C'est ainsi, notamment, que nous sommes fixés sur le lieu de leur hivernage: «Notre hivernage dans l'île Wandel, dit Charcot, a permis d'exécuter dans de bonnes conditions tous les travaux scientifiques.»

Parmi les photographies rapportées par l'expédition antarctique belge, se trouve précisément un bon cliché de cette île Wandel vers laquelle l'attention se trouve actuellement si vivement sollicitée, et ce m'est un plaisir de communiquer au plus important des journaux illustrés ce document encore inédit.

L'île Wandel fait partie d'un chapelet d'îles qui s'étendent parallèlement à la terre de Danco, à l'extrémité sud du détroit que découvrit la Belgica en 1898. Nous leur donnâmes le nom d'îles Danebrog, en reconnaissance de l'appui que notre expédition trouva auprès des autorités danoises.

C'est notamment à l'obligeance de l'amiral Wandel, dont le nom fut attribué à la plus importante de ces îles, que nous dûmes une grande partie des engins et apparaux de pêche en eau profonde qui servirent à bord de la Belgica, et qui furent embarqués ensuite à bord du Français.

L'île Wandel se trouve approximativement par 65° de latitude sud et 64° de longitude ouest de Greenwich, c'est-à-dire, à très peu près, à 1.000 kilomètres au sud du cap Horn. Sa longueur du nord au sud est de 4 à 5 kilomètres. La photographie reproduite plus loin est prise du canal
      Le «Français» naviguant dans les glaces.--Dessin de Johanson.
Lemaire, qui sépare les îles Danebrog de la terre de Danco. De ce côté, le seul que nous ayons vu, elle ne présente pas d'indentation; il est donc probable que c'est sur le versant ouest, c'est-à-dire du côté du pacifique, que le Français aura trouvé un havre d'hivernage.

Le câblogramme de Charcot nous apprend aussi que l'expédition a exploré une partie de la terre de Graham, qu'elle a élucidé la question du détroit de Bismarck, qu'elle a relevé la côte ouest de l'archipel de Palmer (îles Anvers, Brabant, Liège, etc., reconnues seulement par l'est en 1898) et qu'enfin elle s'est avancée jusqu'en vue de la terre d'Alexandre, défendue par une banquise impénétrable.

Le tracé de ces côtes n'est que vaguement indiqué sur les cartes actuelles. La terre d'Alexandre fut découverte en 1821 par le marin russe Bellingshausen,
        Etat de la cartographie des terres antarctiques
        au sud du cap Horn, avant l'expédition Charcot.

        La + indique le lieu d'hivernage de l'expédition
        Charcot.--La terre d'Alexandre, qu'a atteinte
        l'expédition, prolonge la terre de Graham, à 500
        kilomètres dans le sud-sud-ouest de l'île Wandel.
qui ne put pas s'en approcher. Elle se trouve à quelque 500 kilomètres dans le sud-sud-ouest de l'île Wandel. La terre de Graham fut aperçue en 1832 par le baleinier anglais Biscoe, qui s'en tint très éloigné. Aussi ne sait-on rien de ces terres, sinon qu'elles existent, et tout ce qu'en rapportera Charcot sera d'un grand intérêt. Quant au détroit de Bismarck, il se présentait en 1874, au baleinier allemand Dallmann, sous forme d'une indentation de la terre de Graham s'étendant à perte de vue vers l'est. Ce pourrait bien n'être qu'une vaste baie...

L'expédition Charcot clôt cette véritable croisade scientifique qui, depuis 1898, s'est livrée sans interruption à l'assaut des glaces australes et qui, commencée par l'expédition de la Belgica, s'est poursuivie par celles de la Southern Cross, de la Discovery, du Gauss, de l'Antarctic et de la Scotia. On peut être assuré que les marins et les savants du Français auront déployé autant d'énergie et de persévérance que leurs devanciers.

Adrien de Gerlache.




L'île Wandel, où a hiverné l'expédition Charcot.
Photographie prise par l'expédition de la «Belgica» en 1898 et communiquée
à
l'Illustration par le commandant de Gerlache.



Un champ de carnage: la colline Poutilov.
Photographie prise après l'assaut par les Russes de la colline Poutilov (octobre 1904)
pendant la bataille du Cha-Ho.

LA BATAILLE DE MOUKDEN

JUSQU'AU 7 MARS

La plus grande bataille que l'histoire ait encore enregistrée se livre en ce moment sous les murs de Moukden: 700.000 à 800.000 hommes sont aux prises, et plus de 3.000 canons tonnent. D'après certains correspondants il y aurait déjà eu, à la date du 6 mars, 80.000 morts ou blessés.

Depuis quatre mois, après la bataille sanglante et indécise du Cha-Ho, les deux adversaires, fait unique dans l'histoire, étaient restés face à face en contact intime, se canonnant journellement, se harcelant de petites attaques, envoyant de continuelles reconnaissances, inquiétant les communications de l'adversaire par des raids remarquables de cavalerie, fortifiant formidablement leur front et étendant leurs ailes.

Un froid terrible rendait toute opération importante impossible, mais cet arrêt était dû surtout à ce que chacun attendait, pour agir, l'arrivée de renforts suffisants: Kouropatkine recevait, avec de l'artillerie et des provisions, environ 1.000 hommes par jour, tandis qu'Oyama, en plus d'importantes réserves, voulait avoir les 50.000 hommes de Nogi que la chute de Port-Arthur rendrait libres.

Aujourd'hui, bien que les états-majors des deux partis aient rigoureusement gardé le secret sur l'effectif et l'organisation des armées, il semble que les Japonais disposent de quatre armées de 50.000, 80.000, 70.000 et 130.000 hommes respectivement commandées par Nogi, Oku, Nodzu et Kuroki, en face des trois armées russes de Kaulbars (80.000 hommes), Bilderling (70.000 hommes), Liniévitch (90.000 hommes), derrière lesquelles se trouveraient de fortes réserves d'un total de 80.000 à 100.000 hommes sous le commandement direct du généralissime.

Ce sont les Japonais qui, se croyant suffisamment prêts, ont, les premiers, rompu le silence, avec leur ardeur offensive que d'aucuns croyaient désormais enrayée.

L'armée de Kuroki, à l'est, entamait la lutte, dès le 19 février, en repoussant les détachements de Rennenkampf, chargés de la protection du flanc gauche russe. A la fin du mois, on pouvait craindre sérieusement que les Japonais, s'ils parvenaient à enlever l'une ou l'autre des portes naturelles de Gou-Tou-Ling, Makian-Tsien (Kanda-Li-San) ou Koudiassa, qui barrent les routes conduisant au Houn-Ho dans la région de Fouchoun, ne tournent le flanc gauche des armées russes et, gagnant par le col d'Ouan-Kiao-Ta-Ling, n'arrivent à menacer leur unique ligne de retraite.

Mais les Russes avaient très solidement fortifié ces positions et y arrêtèrent net les progrès de leurs adversaires. Depuis le 5 mars, les Japonais, qui n'ont pas hésité à tenter en deux nuits jusqu'à trente-deux attaques au col de Gou-Tou-Ling, défendu par. Meyendorf, paraissent renoncer à la lutte de ce côté: Koudiassa, un instant tombé entre leurs mains, est redevenu russe. Peut-être les opérations engagées dans cette région n'étaient-elles qu'une importante démonstration destinée à détourner les réserves russes.

Au centre, Nodzu, doté d'un parc considérable d'artillerie de siège, crible d'énormes projectiles les lignes russes et en particulier les deux fameuses collines Poutilov et Novogorod et tente, tantôt sur Fan-Kia-Pou, tantôt sur Cha-Ho-Pou, Lamatoun ou Ling-Si-Pou, des attaques qui se brisent toutes contre les travaux russes énergiquement défendus, Nodzu n'a guère pu enregistrer que l'occupation de Ling-Si-Pou.

C'est à l'ouest que semble se jouer la partie principale. Le 1er mars, la bataille s'engage autour de Tchan-Tan entre l'armée d'Oku et celle de Grippenberg, aujourd'hui commandée par Kaulbars. Celle-ci est forcée de reculer peu à peu, finit par perdre Sou-Khou-Dia-Pou-Tsé, où était établie une première ligne de défense, mais arrête à Ma-Kia-Pou, sur sa seconde et principale ligne, tous les efforts acharnés des Japonais.

Pendant ce temps, Nogi, renforcé probablement d'une partie des forces de Kuroki et protégé par presque toute la cavalerie réunie des Japonais, traversait le Houn-Ho, enlevait Szu-Fan-Taï, puis se rabattait à l'est, conquérant Sa-Lin-Pou, mais ne pouvant forcer Ta-Chi-Kiao. Déjà les Japonais sont à 8 kilomètres de la gare de Moukden, formant un immense demi-cercle autour des positions russes. Leur front, démesurément étendu, englobe plus de 130 kilomètres.

Ajoutons que la cavalerie japonaise, violant la neutralité de la Chine, a mis la main sur Sin-Min-Ting où sont ensuite arrivées par chemin de fer deux brigades d'Inkou. La perte de ce point, si elle est définitive, serait très pénible pour les Russes qui en tiraient la plus grande partie de leurs approvisionnements.
L. de Saint-Fégor.




Croquis de la bataille de Moukden (situation le 7 mars).


Le général Liniévitch inspecte les retranchements de la position avancée près d'Erdagou.


Transport des blessés après un engagement.


Les batteries couvertes de la position d'Erdagou inspectées par le général Liniévitch.


En corvée de fourrage.
AUX AVANT-POSTES DE L'AILE GAUCHE RUSSE (1ère ARMÉE, GÉNÉRAL LINIÉVITCH)

Photographies de notre correspondant de guerre, Victor Bulla, prises à la fin de janvier dans les positions où l'armée de Liniévitch est actuellement aux prises avec celle de Kuroki.



Première et deuxième batteries de la 1ère division sibérienne, en position.


Casemates de l'artillerie près d'Erdagou.


A trois verstes de l'ennemi: les généraux Liniévitch et Saroubaïef inspectent les retranchements près du village de Houdé.
RETRANCHEMENTS ET CANTONNEMENTS DE LA PREMIÈRE ARMÉE RUSSE AU SUD-EST DE MOUKDEN
Photographies de notre correspondant de guerre, Victor "Bulla", prises dans les positions que l'armée de Liniévitch défend actuellement contre celle de Kuroki.


Guichets du Carrousel1. Grande galerie de peinture des Écoles étrangères2. Salle de Van Dyck3. Salle de Rubens et cabinets des Écoles flamande et hollandaise4. Pavillon de Flore (ministère des Colonies)5.
                      1               2                                                                             3                            4                           5


(Agrandissement)
SI LE LOUVRE BRULAIT.
On lisait dans les JOURNAUX du mercredi 8 mars le fait divers Suivant: «Vers sept heures du matin, l'autre nuit, de hautes flammes s'élevaient avec impétuosité de l'aile du palais du Louvre occupée par le ministère des Colonies... Le feu avait pris naissance dans la cheminée desservant les cuisines du personnel. Les pompiers du marché Saint-Honoré parvinrent à conjurer tout danger après une demi-heure de travail.» Cette gravure n'est donc pas une simple fantaisie sans portée. Exécutée rigoureusement à l'aide de documents photographiques, elle évoque aux yeux de tous un danger national dont on a parlé beaucoup et souvent, mais sans avoir encore rien fait pour l'écarter; elle montre, sans dramatiser le spectacle par des moyens factices, quel désastre résulterait d'un incendie plus grave éclatant au pavillon de Flore, dans les bureaux du ministère des Colonies, et se communiquant par les charpentes des toits au Musée du Louvre. Puisse cette image émouvoir ceux qui ont la mission de conjurer le péril!

SI LE LOUVRE BRULAIT...

(Voir la gravure à la page précédente.)

Quel est l'artiste ou l'amateur d'art, sortant émerveillé, ravi encore d'une séance de travail, d'une visite d'étude au musée du Louvre,--quel est le flâneur pensif, jaloux de la gloire de son pays, fier du rayonnement qu'il jeta sur le monde, qui, traversant la majestueuse enfilade des cours autour desquelles une partie de l'histoire de la France, resplendissante tour à tour et tragique, est, pour ainsi dire, cristallisée dans la pierre, a pu songer sans effroi que tout cela, le palais admirable des Valois, des Bourbons, des Napoléon, les trésors d'art qui, désormais, y ont trouvé asile, pouvait quelque jour disparaître dans la plus désastreuse catastrophe qu'on puisse imaginer, dévoré par les flammes?

Pourtant, journellement, à toute heure, le palais des rois et des empereurs, avec les inestimables richesses qu'il recèle, somptueux écrin digne de tels joyaux, est exposé à ce lamentable sort. Car les deux ministères des finances et des colonies, installés sous le toit même du Louvre, avec leur armée de fonctionnaires grands et petits, parfaitement insouciants, pour la plupart, de ce noble voisinage; car, de plus, le personnel nombreux qui vit, mange, dort, habite, enfin, entre ces murs fameux, gardiens des musées, concierges, garçons, sont là comme la menace d'un redoutable et perpétuel danger.

Il est midi et demi, une heure: le moment à peu près où le feu éclata au Théâtre-Français. Le fourneau à gaz ou à pétrole sur lequel une ménagère soigneuse préparait le repas de son homme, ou--on ne sait exactement--la cheminée où flambait un luxueux feu de bois, dans le bureau momentanément abandonné par les expéditionnaires sitôt le chef parti déjeuner, a allumé l'incendie. La grenade, la rassurante grenade en évidence dans un coin du corridor a été impuissante à éteindre les flammes. Il n'est pas très sûr, même, que la femme du gardien ou le garçon de bureau affolé, stupide, ait pensé à en faire usage.

En un clin d'oeil, le feu a gagné, par les cloisons de bois du pavillon de Flore, par la vieille charpente des combles, les salles remplies de chefs-d'oeuvre.

Les pompiers sont vite arrivés sur les lieux, ceux de la Cité les premiers. Et l'on assiste au spectacle que nous avons reconstitué avec une précision photographique et qui répète, aux détails près, celui dont nous fûmes témoins le 8 mars 1900.

Aux murs, les hautes échelles de sauvetage sont dressées. Sur les toits, les pompiers sont apparus, tirant après eux les longues manches de cuir, brandissant des lances luisantes. Quelques-unes, tout naturellement, n'ont pas d'eau, l'incendie s'étant juste produit un après-dîner où, par hasard, les réservoirs manquaient de pression. Et, sur le terre-plein du Carrousel, on peut voir les conservateurs, atterrés, muets devant une si navrante catastrophe, depuis tant d'années prévue et annoncée, se tordant les mains, impuissants, des larmes dans les yeux.

Cependant, à l'intérieur, on a commencé le déménagement.

Il est des oeuvres qu'il ne fallait pas songer même à tenter de sauver, à cause de leurs dimensions. C'est ainsi que l'on devra abandonner au brasier les Noces de Cana.

Mais voici, aux bras mercenaires des gardiens, des soldats accourus à la rescousse, des déménageurs improvisés et maladroits qui vont, courent, se bousculent, déraisonnent, des pages sublimes et si précieuses que, lorsque les conservateurs et leurs restaurateurs faisaient mine, seulement, d'y toucher d'une main trop lourde, s'élevait un cri d'universelle réprobation.

Voici, passant par les fenêtres, descendus au bout de cordes mouillées, mal attachées, incertaines, les Pèlerins d'Emmaüs, de Rembrandt, que ne remplacerait jamais tout l'or des lointains Transvaals; voici la Kermesse, de Rubens, source de joie abondante et saine; le Charles 1er de Van Dyck que, jadis, la Dubarry avait conservé à la France; le pâle et hautain Richelieu de Philippe de Champagne, et cent autres merveilles pour chacune desquelles on aurait pu reprendre le mot de Paul de Saint-Victor sur la Vénus de Milo: «Si elle disparaissait, une lumière s'éteindrait sur le monde...»

Cauchemar, rêve, soit! Mais ce cauchemar, ce rêve peut être la réalité demain. Et l'on hésiterait, en ayant les moyens, à rendre impossible un pareil désastre?

Depuis dix ans, vingt ans, depuis que voisinent entre les mêmes murailles les chefs-d'oeuvre immortels et les fonctionnaires indifférents, on a signalé le péril. La question n'avait pas progressé d'un pas. Or, nous voici en présence d'un ministère nouveau qui semble bien décidé à en hâter la solution. M. Clémentel, ministre des colonies, ne demande pas mieux que d'abandonner le pavillon de Flore,--ce qui serait un premier et enviable résultat,--et l'un des actes du sous-secrétaire d'Etat aux beaux-arts, M. Dujardin-Beaumetz, le montre animé des meilleures intentions: à peine arrivé rue de Valois, il constituait une commission à laquelle il donnait mission d'aviser aux moyens de parer aux dangers incessants que courent les collections d'art du Louvre.

Dix projets différents ont été présentés: transfert des colonies dans les bâtiments du commissariat général de la défunte Exposition de 1900, qui seront peut-être enfin libres dans quelques mois; transfert au Palais-Royal, dans la partie occupée par l'administration des beaux-arts, qui émigrerait à son tour à la caserne de la rue de Bellechasse; construction d'un hôtel pour les colonies sur les terrains de la rue Oudinot où s'élève le noviciat des frères des écoles chrétiennes expulsés; nous en passons!... Le meilleur sera celui qui sauvera le plus vite le Louvre. Et nous serions heureux, pour notre part, si, en montrant d'une façon tangible les irréparables conséquences qu'aurait un sinistre comme celui qu'on peut prévoir, en mettant sous les yeux de ceux desquels dépend, sur ce point, notre tranquillité l'image même de ce que serait ce drame, nous avions stimulé un peu le zèle qu'on leur sait pour la bonne cause.
GUSTAVE BABIN.




         L'échafaudage de l'église de la Trinité, à Paris.
                   --Photographie prise d'une fenêtre des
                            Ambulances parisiennes.

LES ÉCHAFAUDAGES DE LA TRINITÉ

On répare, en ce moment, la façade de l'église de la Trinité. Bien qu'elle n'ait pas encore quarante ans d'existence, elle commençait, parait-il, à s'effriter. Le monument de Ballu n'a rien à gagner ni à perdre, sans doute, au point de vue esthétique, à ces travaux de pur entretien, et personne n'y aurait pris garde si l'échafaudage élevé autour de la flèche principale et des deux clochetons latéraux de l'église n'était, en soi, une merveille de grâce aérienne, de beauté même, en son genre un chef-d'oeuvre, et, en ce moment, à tout le moins, une des curiosités de Paris. Il est d'une légèreté qui confond et qui inquiéterait un peu, si l'on n'avait, d'autre part, la certitude que le système a fait ses preuves de solidité. Et les passants s'arrêtent involontairement pour le contempler, les uns étonnés, les autres ravis de tant d'élégance et de tant d'audace.

En quelques jours, l'échafaudage de la Trinité a surgi de terre et escaladé la façade qu'il garnit si joliment. Les éléments principaux, comme on le voit sur notre gravure, en sont des échelles, qui forment les montants, l'armature essentielle. Il en est entré dans la confection de cette charpente environ deux cents de 14, de 12 de 10 mètres de long. Le tout ne cube que 155 mètres. Et c'est un fort remarquable travail aux yeux des constructeurs comme à ceux des artistes.



Le général Stoessel et son aide de camp, le lieutenant Nevelskoy, quittant Nagasaki.


Major Bielaïef. Major Seifouline, Docteur Troitzky. Médecin japonais. Général Tretiakof. Officiers russes, prisonniers sur parole, dans le jardin d'une maison de thé à Inasa, près de Nagasaki.

LES VAINCUS DE PORT-ARTHUR AU JAPON


LA MISSION BRAZZA AU CONGO FRANÇAIS


Le village de Krébedjé (Fort-Sibut).


                        M. Savorgnan de Brazza.

Le gouvernement, décidé à faire toute la lumière sur les faits atroces reprochés à deux fonctionnaires coloniaux, M. Gaud et M. Toqué, et que nous avons mentionnés dans notre numéro du 25 février, a donné mission à M. Savorgnan de Brazza, gouverneur honoraire des colonies, qui fut l'un des plus célèbres pionniers de la France en Afrique, de poursuivre une enquête complète sur la situation de notre colonie du Congo, dont il fut, précisément, le fondateur et dont le chef-lieu porte son nom. M. de Brazza s'embarquera le 15 de ce mois pour se rendre à Brazzaville et de là dans le Haut-Congo et le Haut-Oubangui.

On souhaiterait, on voudrait pouvoir espérer que cette enquête ne confirmât pas les effroyables accusations que l'on connaît, mais qu'au contraire elle démontrât que le Congo fut toujours, partout, la terre idyllique que montre la photographie ci-dessus, où de bons nègres oisifs, et contents de peu, s'amusent à des jeux d'enfants au grand soleil.


     Carte de la région du Haut-Oubangui, où va
                    enquêter la mission Brazza.

Ce Toqué, encore que certaines lettres de lui, qui ont été récemment publiées, révèlent un détraquement littéraire un peu inquiétant, n'a vraiment pas l'air de la bête féroce qu'il serait si les crimes qu'on lui impute étaient prouvés. Allongé sur son rocking-chair, son boy attentif à ses côtés, il semble seulement, pour le quart d'heure où fut pris le cliché qui le représente ici, un fonctionnaire qui a des loisirs et qui s'ennuie, peut-être.

Il est vrai que l'ennui est souvent un terrible conseiller!


Toqué au poste de Fort-Crampel (Gribingui).



LES «VENTRES DORÉS», DE M. EMILE FABRE, AU THEATRE DE L'ODÉON

Scène du 3e acte. Le cabinet du conseil d'administration de la «Nouvelle Afrique» a été envahi par la foule des petits porteurs d'actions, affolés par la dégringolade des cours; au moment où ils exhalent leur colère contre les administrateurs, le baron de Thau, président de la Société, fait son entrée, le visage radieux; il annonce la hausse; revirement complet: on acclame le baron, on lui baise les mains, c'est du délire.--A cet instant, plus de 60 personnages occupent la scène, et jamais on ne vit au théâtre spectacle aussi vivant et mouvements aussi bien réglés. Notre numéro du 25 mars contiendra le texte complet des «Ventres dorés» avec de nombreuses illustrations photographiques.

Documents et Informations.


        Kiosque téléphonique public
                        à Stockholm.

La téléphonie pratique à Stockholm.



Heureux habitants de Stockholm et que leur sort nous apparaît enviable!

Alors que, chez nous, pour téléphoner à notre femme que nous ne rentrons pas dîner, à un ami que nous venons dans une demi-heure le surprendre et partager son brouet, il nous faut courir à la recherche d'un bureau de poste, solliciter l'employé embusqué derrière son grillage, subir l'interminable attente d'un tour problématique, si bien que le mieux que nous ayons à faire est souvent de prendre une voiture,--ils ont, là-bas, le long de promenades, de commodes cabines pas beaucoup plus décoratives, évidemment, que les kiosques de nos boulevards, mais ingénieusement disposées, avec leur partie inférieure à claire-voie, pour qu'on puisse voir, en passant, si elles sont occupées. Et de là, moyennant dix centimes glissés dans une fente semblable à celle de nos distributeurs automatiques, on met en branle la sonnette d'appel et,--qui sait,--peut-être a-t-on immédiatement, sans poser si peu que ce soit, la communication demandée.

Le thé chez le dinosaure.




«Dinosaures, dit le dictionnaire, du grec deinos, terrible, et sauros, lézard, sauriens de très grande taille qu'on trouve à l'état fossile.» Les dinosaures étaient donc de monstrueux lézards qui existèrent, aux époques géologiques, aux temps indéterminés où se formaient les terrains appelés, par les savants, jurassiques. Et ils vivaient, croit-on, à en juger par leur structure dont quelques caractères l'appellent les plantigrades, d'autres les sauriens amphibies, crocodiles et caïmans, moitié sur les arbres et moitié dans l'eau.

Les restes d'un de ces dinosaures, d'une variété appelée brontosaure, furent découverts en 1897, aux Etats-Unis, dans les montagnes Rocheuses. On passa deux années à extraire du sol le fossile. Les cinq années suivantes furent employées à nettoyer les ossements et à reconstituer le squelette. Cette besogne délicate vient seulement d'être achevée. Alors, le Muséum américain d'histoire naturelle, à New-York, tout fier d'être le seul au monde qui, actuellement, puisse montrer une pièce pareille, a, pour l'inaugurer, la présenter au public, convié un certain nombre de sommités scientifiques et, tout naturellement, dans un but de vulgarisation, des hommes du monde et de gracieuses femmes à un thé aussi élégant que pittoresque.

Les tables étaient dressées dans la salle même où le brontosaure érige sa formidable armature. Et ce dut être un spectacle fort amusant et, en tout cas, inattendu que celui de cette foule d'invités corrects, de professional beauties habillées à la dernière mode, fleur de la société new-yorkaise, évoluant, discutant, caquetant, autour de ces tables fleuries servies par de raides maîtres d'hôtel en frac et plastron glacé, devant ce squelette de vingt mètres de long, monstrueux vestige d'un animal contemporain de quelque déluge plus ancien encore que ceux que virent Deucalion ou Noé.


Un thé au Muséum de New-York dans la salle du dinosaure.

La race et la couleur chez le cheval.



C'est une sorte de dogme, accepté par les éleveurs, que les races pures sont toujours de couleur sombre, et leur répugnance est grande pour les reproducteurs de robe claire et notamment sous poil gris et blanc. Dans les stations de monte, lorsque l'administration des Haras place un excellent reproducteur percheron de couleur grise, des réclamations se produisent. Nos éleveurs veulent des percherons noirs.

Or, se basant sur des recherches très étendues, M. Lavalard, dont l'observation sur la cavalerie de la Compagnie générale des Omnibus date de plus de trente ans, affirme que la coloration de la robe chez le cheval ne peut être considérée comme un caractère de race.

Bien plus, la robe du vrai percheron serait le plus souvent grise et les types de couleur sombre auraient le plus souvent des formes et des jarrets défectueux.

Dans le même ordre d'idées, on n'est pas autorisé à dire qu'il existe une race nivernaise de chevaux de trait, parce que les éleveurs lui ont donné une robe noire. Les nivernais sont bien des métis, qui ne supportent pas la comparaison avec les vrais percherons. La robe foncée, provenant de mésalliances ou de croisements, n'a pu qu'altérer la qualité d'énergie et d'endurance de la race percheronne.

D'ailleurs, si l'on envisage le pur sang, on voit de temps à autre reparaître la robe grise que l'administration des Haras, s'appuyant sur un préjugé erroné, a voulu interdire. N'a-t-on pas vu des pur sang gris, tels que le Sancy et sa fille Semendria, démontrer, sur les hippodromes, qu'ils n'étaient pas inférieurs à ceux de couleur sombre?

Les derniers aurochs européens.



On sait qu'aux Etats-Unis le gouvernement a dû intervenir pour protéger les bisons contre la destruction totale dont ils étaient menacés et qu'un énorme troupeau de ces beaux animaux est réuni dans un parc spécial et s'y développe sous la protection de l'Etat.

Il en est de même en Europe, où l'on ne trouve plus d'aurochs ou bisons que dans la Lithuanie, en Pologne. C'est dans une forêt voisine de Biélovège, célèbre par ses chasses, que l'on peut voir les derniers bisons européens. On protège, avec un soin jaloux, les 700 derniers représentants de cette belle race animale, appelée à disparaître, et qui sont d'ailleurs la seule curiosité de la forêt de Biélovège.

D'après une légende du pays, ces animaux, d'allure paisible, mais très dangereux quand on les excite, auraient jadis quitté leur forêt pour attaquer et mettre en fuite une horde de Tatars.

L'âge où l'on se marie à Paris.



Il a été fait en 1902 un total de 25.728 mariages, exactement, à Paris. Comme l'on connaît l'âge de chacun des conjoints, il est facile de savoir à quelle période de la vie les gens entrent le plus fréquemment dans les liens conjugaux. Tout d'abord, il faut indiquer les limites extrêmes. Elles sont fort distantes l'une de l'autre: on commence à se marier à 16 ans et même un peu avant, et l'on continue à 70 ans et même après. En 1902 se sont mariées 41 Parisiennes de moins de seize ans et 4 de 70 ans et plus. Il ne s'est point marié de Parisiens de moins de 16 ans, mais on en compte 113 ayant de 16 à 19 ans qui sont entrés dans la vie conjugale. L'âge où l'homme se marie le plus à Paris, c'est de 25 à 29 ans. Pour cette période nous comptons plus de 11.000 mariés, alors qu'aux périodes immédiatement précédente et suivante (20 à 24 et 30 à 34), le chiffre est très inférieur: 4.000 environ. L'âge d'élection de mariage des femmes est moins caractérisé. Il y a bien un maximum pour la période de 20 à 24 ans; mais on se marie encore beaucoup à la période suivante. De 20 à 24 ans, nous comptons 9.621 mariages; de 25 à 29, 6.267. A mesure que l'on considère des âges plus avancés, la proportion des hommes l'emporte de plus en plus sur celle des femmes. Dans les mariages tardifs, la proportion des hommes âgés est nettement supérieure à celle des femmes âgées. Il faut remarquer que si l'on considère la différence d'âge des époux, il y a à Paris une forte proportion de mariages où l'épouse est plus âgée que l'époux pour les unions où le mari est le plus âgé.

En 1902, il a été célébré 25.728 mariages, avons-nous dit. Or, dans 18.073 cas, le mari était le plus âgé; mais dans 7.155 cas il était le plus jeune. C'est dans les XVIIe et XVIIIe arrondissements que la proportion des mariages à mari plus jeune est le plus élevée. La différence d'âge peut être considérable. Elle varie de 1 à 25 ans et plus; dans 73 unions, la différence d'âge était de plus de 20 ans à l'avantage de la femme, «Avantage» est une forme de langage qui pourrait se discuter.


A VALESCURE.--Une fontaine de Théodore Rivière. Phot. Bandieri.

La colonie étrangère qui hiverne a Valescure, sur la Côte d'Azur, a eu la généreuse idée de doter ce joli faubourg de Saint-Raphaël d'une fontaine artistique et en a confié l'exécution au sculpteur Théodore Rivière: notre photographie permet d'apprécier la conception fantaisiste de l'artiste. Cette fontaine a été inaugurée le 27 février.


A ROME.--Un cyprès historique abattu par un orage. Phot. Abeniacar.

Au musée des Thermes, à Rome, il y avait, au milieu du cloître des chartreux, édifié par Michel-Ange, des cyprès qui, d'après la légende, étaient contemporains du génial artiste et qu'on entourait d'une pieuse vénération. L'avant-dernier de ces arbres vient de s'abattre, miné par les ans et achevé par un violent orage.

Le commerce du Japon en 1904.



On aurait pu croire que la guerre paralyserait dans une certaine mesure le mouvement commercial du Japon. Il n'en a rien été. Pendant l'année qui vient de s'écouler et qui, presque tout entière, a été une année de guerre, le commerce du Japon a été plus considérable que jamais, s'élevant à 1.780 millions de francs, dont 957 aux importations et 823 aux exportations. Comparée à l'année précédente, l'année 1904 a donné un excédent de 210 millions.

Il faut noter les exportations d'or, qui ont été très fortes et ont atteint plus de 260 millions de francs.


Mouvement littéraire

Madame Rècamier et ses amis, par Edouard Herriot (Plon, 2 vol. à 7 fr. 50 chacun.)--Mémoires du comte de Rambuteau, publiés par son petit-fils (Calmann-Lévy, 7 fr. 50). Misère et Assistance, par Louis Singer (Hébert, 2 fr.).--Nouveau Dictionnaire historique de Paris, par Gustave Pessard (Rey, 30 fr.).

Madame Rècamier et ses amis.



Née le 4 décembre 1777, à Lyon, de Me Jean Bernard, conseiller du roi, notaire, Mme Rècamier vint s'installer de bonne heure à Paris, avec sa famille. Garda-t-elle l'empreinte de sa ville natale? Eut-elle pendant sa vie cette décence tendre, cette chasteté voluptueuse, cette séduisante réserve que M. Renan considérait comme la marque de la femme lyonsaise? Elle nous apparaît bien avec ces traits charmants, mais dont il ne faudrait peut-être pas faire un privilège ethnique. A seize ans, on la maria avec le banquier Jacques Rècamier qui en avait quarante deux. Etait-il son père, comme l'a prétendu Mme Mohl, et l'épousa-t-il uniquement pour lui faire passer sa fortune? Cela nous expliquerait certaine réputation qu'on fit à Mme Rècamier. Cette opinion, à laquelle M. Herriot s'attarde un peu, ne me semble mériter aucune créance.

Sous le Directoire, partout où elle parut, elle disputa le prix de la beauté à Mme Tallien, tout en observant la plus aimable retenue. En 1798, elle rencontra Mme de Staël dont le salon eut sur elle la plus grande influence. Le trait distinctif de la vie de Juliette, ce sont les passions qu'elle inspira, sans que son bon renom en souffrit et sans qu'on ait mis en doute sa vertu. Longue est la liste de ses soupirants. Voici d'abord Lucien Bonaparte, dont les moeurs grossières ne devaient pas séduire la plus délicate des femmes. Combien nombreux ceux qui, vers 1802, se pressaient dans son salon, avec une nuance d'adoration! On y voit Louis de Narbonne, Camille Jordan, Bernadotte, Junot, Moreau, Eugène de Beauharnais, Philippe de Ségur. Devant eux, elle chante en s'accompagnant de la harpe. Mais, les deux plus empressés, ce sont les deux cousins Adrien et Mathieu de Montmorency, qui lui resteront tendrement attachés jusqu'à leur mort. Le jeune Prosper de Barante, pour qui s'était allumée Mme de Staël, s'enflamme pour la divine Juliette. Le neveu du grand Frédéric, le prince Auguste de Prusse, l'aima assez ardemment pour la vouloir épouser. Ce jeune étranger, de six ans moins âgé qu'elle, inspira à Mme Rècamier un sentiment fort et vif. Son coeur, calme à l'endroit des Montmorency, battit pour le prince Auguste. En 1812, Ballanche, âgé de trente six ans, naïf et rêveur, se présenta devant elle et resta, jusqu'aux dernières années, son fidèle suivant. Le jeune Ampère brûla l'encens de sa passion devant Juliette.

Plus tard surgit celui qui devait régner souverainement jusqu'à la fin sur la pensée de Mme Rècamier. Chateaubriand avait aperçu, pour la première fois, la divinité en 1801, à la toilette de Mme de Staël, mais l'avait perdue de vue. Ce fut à la fin de 1818 qu'il entra dans la vie de Mme Rècamier. «Ce fut l'invasion d'un épervier dans une volière, où des oiseaux harmonieux gazouillaient tranquillement autour d'une colombe. «Il avait déjà aimé et brisé beaucoup de femmes: fut-il fidèle à Mme Rècamier?

Autour du grand écrivain et près de la divine Juliette on apercevait la nièce de Rècamier, Mme Lenormant, et tous les hommes célèbres, jusqu'à Sainte-Beuve et Quinet.

Mais quelle fin eurent de si beaux jours! Tous les amis s'en vont l'un après l'autre. Ballanche meurt en 1847. Malade, impotent, Chateaubriand attend la mort dans un immense ennui. Aveugle, Juliette se tient près du lit d'agonie du grand ami, en juillet 1848. Elle-même, de la Bibliothèque où elle était allée vivre avec le ménage Lenormant, fut portée, après une atteinte de choléra, au cimetière Montmartre, en mai 1849. Bonne, fidèle, d'une beauté qu'ont immortalisée les pinceaux de David, de Gérard et celui de Massot, elle fut reine par le tact et la bienveillance. Le livre de M. Herriot, plein de documents inédits, nous rend fort bien la plus délicieuse et la plus influente des femmes du dix-neuvième siècle.

Mémoires du comte de Rambuteau.



Il représenta, en administration, les idées sages et la modération. Préfet de la Seine pendant les quinze dernières années de Louis-Philippe, c'est-à-dire pendant presque tout le règne, il s'occupa de voirie, de crèches, d'hospices, d'oeuvres de bienfaisance. Si grande était sa popularité qu'en 1848 les gens du peuple couchaient son portrait dans l'Hôtel de Ville en fredonnant:

Dors, papa Rambuteau,

T'as bien mérité de faire dodo.

Avant de prendre la préfecture de la Seine, M. de Rambuteau, qui était né dans le Mâconnais en 1781 et qui avait épousé la fille du comte de Narbonne, avait, dans sa jeunesse, exercé près de Napoléon Ier les fonctions de chambellan. Brillant danseur, il s'était distingué dans tous les bals et dans toutes les fêtes de l'Empire. Il nous peint, en détail, la société de 1809 à 1812, nous fait assister aux repas particuliers et à la toilette de Napoléon. Il fit de l'opposition sous les Bourbons et se rallia après 1830 au duc d'Orléans. Ce fut un administrateur fort humain et--ses Mémoires en font foi--un lettré qui savait écrire en la langue de la bonne compagnie.

Misère et Assistance.



Comment ne pas remarquer, parmi les récentes publications: Misère et Assistance, notes historiques, par Louis Singer (Hébert, 2 fr.)? Ce volume curieux n'est qu'une amorce qui nous fait vivement désirer la suite. Il était naturel que l'histoire de l'assistance fût écrite par un homme dont la famille est si connue par l'usage qu'elle fait de sa grande fortune.

Nouveau Dictionnaire historique de Paris.



Il nous donne sur l'origine et sur l'histoire des rues, des boulevards, des avenues, les renseignements les plus complets. Nous assistons, grâce à lui, à la création successive de la grande ville. Si le livre ne relève pas de la littérature proprement dite, il appartient à la bibliographie la plus sérieuse et à l'érudition.
E. Ledrain.



Ont paru:

Louis XIV et la Grande Mademoiselle, par Arvède Barine, 1 vol. in-16, Hachette, 3 fr. 50. --En Asie centrale, par le capitaine Anginieur. 1 vol., Ernest Leroux, 2 fr. 50--Malgaigne, 1806-1805, par E. Pilastre. 1 vol. in-8°, Félix Alcan, 5 fr.--Les unes et les autres, cent dessins, par Albert Guillaume. Garnier frères, 3 fr. 50

MARCEL SCHWOB

Sans doute on étonnera bien des gens en proclamant que Marcel Schwob, qui vient de disparaître, à quarante ans, était l'un des plus parfaits écrivains de langue française de cette génération. Pourtant, le Roi au masque d'or, ce conte qu'eût signé Villiers de l'Isle-Adam et admiré le somptueux Barbey d'Aurevilly, le Livre de Monelle, d'un charme mystérieux et pénétrant, et ce savoureux pastiche des Mimes, tout embaumé des douces brises de l'Hellas, et les Vies imaginaires, d'une si ingénieuse invention, enfin la Croisade des enfants, ce
                    Marcel Schwob.
chef-d'oeuvre, sont des livres où l'irréprochable harmonie, la beauté pure de la forme, habillent d'un vêtement magnifique des idées abondantes et profondes.

Marcel Schwob aimait à conter que, s'il devait sa haute culture intellectuelle à son oncle, Léon Cahun, en son vivant conservateur à la bibliothèque Mazarine, un autre homme avait eu, sur le développement de son imagination, une influence décisive, un Américain, cet étrange capitaine Paul Boyton, inventeur d'un engin de sauvetage singulier. Il était enfant quand il avait rencontré le capitaine. Celui-ci lui avait mis en main un volume de Mark Twain et les oeuvres d'Edgar Poe. Il y puisa l'amour du mystère et une belle passion pour la langue anglaise. Il la possédait comme sa langue maternelle elle-même, et les traductions qu'il a données de l'Annabella de Ford, de l'Hamlet de Shakespeare, de Moll Flanders, roman peu connu de Daniel de Foë, ont la saveur même et l'accent des originaux.

Je n'ai connu personne qui fut plus séduisant que Marcel Schwob, avec son masque nerveux, expressif, qu'éclairaient des yeux de clair et grésillant métal, et sur lequel, en ces derniers temps, une maladie longue et cruelle, héroïquement supportée, avait jeté on ne sait quelle auguste et impressionnante sérénité. Sa conversation révélait une érudition prodigieuse. On devinait qu'il portait en lui des clartés de tout. Poète exquis, c'était encore un savant qu'estimaient hautement les savants: M. Gaston Paris, qui avait fait de l'étude du folk-lore le but de toute sa carrière, aimait à le saluer comme un pair.

Il aurait pu, armé comme il l'était, prétendre aux charges, à la gloire. Il dédaigna les succès bruyants, heureux seulement de l'admiration de quelques centaines de frères intellectuels. Et nulle âme ne fut plus stoïque ni meilleure que la sienne. G. B.


             

LES THÉÂTRES

M. Emile Fabre vient de remporter une victoire complète sur la scène de l'Odéon, avec une mordante et très dramatique étude des moeurs financières de notre époque. Le public prendra grand plaisir à voir fustiger comme ils le méritent les forbans qui raflent périodiquement ses économies. Mais il n'est pas question que d'argent dans les Ventres dorés: l'amour, ou tout au moins la femme, y trouve une place importante et corrige sensiblement ce que cette vigoureuse satire aurait pu avoir de trop spécial. Grand succès pour les interprètes: MM. Gémier, Candé, Janvier et Mlle Sergine, particulièrement, et pour la mise en scène qui est de tous points remarquable.

L'Ambigu tient aussi un grand succès avec la Belle Marseillaise, comédie dramatique en quatre actes de M. Pierre Berton. L'action se passe à Paris sous le Consulat, et débute par l'attentat de la rue Saint-Nicaise. Bonaparte y joue un rôle important. On se croirait en présence d'une oeuvre de Dumas père, tant est grande l'aisance du dialogue et de l'enchaînement des scènes. M. Castillan a très bien composé le rôle de Bonaparte; MM. Dieudonné, Brûlé, Mlles Maud-Amy et Béryl tiennent les leurs avec talent et l'on nous montre quelques jolis tableaux de l'époque.

M. Brieux ayant expérimenté en Belgique l'effet que pouvait produire sur une salle de théâtre son oeuvre de polémique médico-sociale: les Avariés, s'est décidé à la faire représenter chez Antoine. Bien lui en a pris, puisque le public a parfaitement accepté les hardiesses du sujet en faveur des intentions moralisatrices de l'auteur et surtout de son rare talent dramatique.

Au théâtre de l'Athénée, MM. H Dumay et L. Forest ont donné la Petite Milliardaire. comédie fantaisiste en trois actes. On y fait gaiement le procès des moeurs américaines et particulièrement de la manie qu'ont certains Crésus du nouveau monde de rechercher pour leurs filles les décavés de l'aristocratie européenne; une agence matrimoniale dirigée par deux juifs polonais imagine un trust et toutes sortes de tours amusants pour canaliser à son profit les «bons à revenir» de ces unions dorées. Très bien montée, très bien jouée par Mlle Diéterle, MM. Lévesque, Milo et Beaudouin, cette pièce un peu folle, mais décente en somme, divertit beaucoup le public.

Le Châtelet voulait sans doute offrir aux enfants, grands et petits, un spectacle amusant et de merveilleux décors. MM. de Cottens et Darlay l'ont servi à souhait en lui donnant leur Tom Pitt, dont les exploits de pickpocket ne se réclament guère de l'art dramatique, M. Max Dearly dans le principal rôle, M. Pougaud et de jolis ballets, il n'en faut pas d'avantage pour réussir.

Au théâtre Cluny, MM. Daniel Riche et Léo Marchés nous content, un peu confusément peut-être, mais avec esprit, l'histoire d'une photographie féminine d'une pose plutôt libre, mais rendue anonyme par le loup qui couvre la figure. La Femme au masque est un bon vaudeville, dans le goût de ceux que le joyeux théâtre de la rive gauche a donnés avec succès.

La Société des Concerts Alfred Corlot a fait entendre dernièrement, au théâtre de la rue Blanche, une oeuvre admirable et presque inconnue de F. Liszt: la Légende de sainte Elisabeth. C'est une évocation magnifique du moyen âge mystique et guerrier: l'inspiration la plus haute contient et discipline le développement harmonique qui est d'une richesse et d'un coloris extraordinaires. L'orchestre, les solistes et les choeurs se sont montrés à la hauteur de l'oeuvre. On ne saurait trop féliciter M. Alfred Corlot de ses efforts vers le grand art et des résultats qu'il a déjà obtenus.

NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL

Nous publions aujourd'hui dans notre supplément un fragment de la belle partition de M. Alfred Bruneau, l'Enfant-Roi. Cet ouvrage vient de remporter à l'Opéra-Comique un succès éclatant et nous sommes heureux de féliciter le compositeur de sa franche et saine inspiration. De toutes les oeuvres écrites jus qu'ici par M. Bruneau, le Rêve, l'Attaque du Moulin, Messidor et l'Ouragan, l'Enfant-Roi nous séduit particulièrement par l'ensemble de ses qualités de grandeur, de sincérité, de charme et de mélancolie. L'orchestre, sans jamais couvrir les voix, reste vibrant, chatoyant, pittoresque, les thèmes sont développés et spirituellement transformés et cela sans monotonie ni complications agressives. L'interprétation fut excellente, la mise en scène exquise.

Nous publions aussi une Romance extraite des Dragons de l'Impératrice, le triomphe actuel du théâtre des Variétés. Cet opéra-comique d'une rare élégance musicale, très supérieur aux musiques d'opérettes, est dû à la plume de M. André Messager, l'auteur des P'tites Michu, de la Basoche et d'un chef-d'oeuvre que nous aurons prochainement la joie d'applaudir rue Favart, Madame Chrysanthème.


L'AFFAIRE BONMARTINI.--Les débats de l'affaire Bonmartini devant la cour d'assises de Turin, qui avaient été interrompus à cause des élections générales en Italie, ont repris le 21 février et se poursuivent lentement depuis cette date. L'interrogatoire des accusés est commencé. A tour de rôle chacun d'eux est extrait de la cage de fer, pour répondre aux questions du président Dusio, vient s'asseoir près des caisses renfermant les pièces à conviction. Et une assistance aussi nombreuse que le comporte l'étroite salle se presse pour apercevoir la comtesse Linda, son frère Tullio Murri et leurs coïnculpés.


A TURIN.--L'affaire Bonmartini en cour d'assises: interrogatoire de la comtesse Linda.--Phot. Nino Fornari.



Charles Bianchini.--Phot. Paul Boyer.

CHARLES BIANCHINI--Charles Bianchini est mort presque subitement, le 3 mars, à l'âge de quarante-cinq ans.

Originaire de Lyon, il était venu de bonne heure à Paris, où il devait acquérir la réputation d'un maître en l'art de dessiner les costumes de théâtre. Nos principales scènes, l'Opéra, l'Opéra-Comique, la Comédie-Française, avaient recours à sa science et à son habileté spéciales: pendant des années, nombre d'ouvrages importants furent montés avec sa précieuse collaboration. Avant réuni dans son atelier de l'Opéra une collection très complète de documents sur l'histoire du costume, il possédait en cette matière une véritable érudition, qui lui permettait de faire des reconstitutions aussi exactes que pittoresques.

Au moment même où allait disparaître l'excellent artiste, si répandu, si apprécié dans le monde des théâtres, les affiches annonçaient deux pièces nouvelles qu'il avait «habillées»: l'Enfant-Roi, à l'Opéra-Comique et la Belle Marseillaise, à l'Ambigu. C'est en sortant de la répétition générale de celle-ci qu'il a ressenti tout à coup les premiers symptômes du mal auquel il a succombé au bout de quelques heures.

L'imprévu, la soudaineté de cette fin et aussi le souvenir évoqué d'un drame judiciaire remontant à six ans ont suggéré d'abord l'hypothèse d'un empoisonnement criminel: mais l'autopsie légale a établi que la mort était naturelle et résultait d'une lésion du coeur.

LES OBSÈQUES DE M. EUGÈNE GUILLAUME.--L'École de Rome a rendu au vénéré maître, M. Eugène Guillaume, son ancien directeur, un pieux hommage. Dès qu'il avait appris la mort de son prédécesseur, M. Carolus-Duran avait demandé qu'on transportât la dépouille mortelle du sculpteur à la Villa Médicis, qu'il avait tant aimée jusqu'à sa dernière heure. On plaça le cercueil dans une chapelle ardente improvisée, où les pensionnaires de l'Académie, constitués en garde d'honneur, veillèrent jour et nuit. Et c'est de là, de cette dernière demeure chère à son coeur, que M. Eugène Guillaume partit pour la France, pour Paris, où le monde des arts se préparait à lui faire de solennelles obsèques.


A ROME--Service funèbre de M. Eugène Guillaume, ancien directeur
de l'Académie de France à Rome: le cortège quittant la Villa Médicis.


L'ASILE SOEUR-ROSALIE.--Le 2 mars, MM. Desplas, président du conseil municipal; Mesureur, directeur de l'Assistance publique, etc., venaient inaugurer la réédification de l'asile «Soeur-Rosalie», pour vieillards et malades indigents, fondé en 1850 par la soeur de Saint Vinrent de Paul, Rosalie Rendu, rue de l'Epée-de-Bois. Mme Loubet honorait de sa présence la cérémonie officielle.


A PARIS.--Inauguration, par Mme Loubet, de l'asile
Soeur-Rosalie pour les vieillards et les malades indigents.


Mlle Elsie Porter, fille de l'ambassadeur des Etats-Unis
en France qui vient d'épouser M. le docteur Edwin Mende, de Berne.

--Phot. Pirou, rue Royale.



(Agrandissement)


NOUVELLES INVENTIONS

(Tous les articles publiés sous cette rubrique sont entièrement gratuits)

NOUVEAU FER A REPASSER ÉLECTRIQUE

Les remarquables avantages de l'électricité comme agent de chauffage sont bien connus de tout le monde, et le seul reproche que l'on puisse faire à ce procédé consiste dans son prix de revient relativement élevé.

L'électricité a été appliquée comme agent de chauffage universel; mais pratiquement ses applications se restreignent à de petits ustensiles, tels que: fers à repasser, chauffe-plats, chauffe-lits, etc.

L'une des applications les plus intéressantes concernant les fers à repasser a été l'objet de soins tout spéciaux de la part de M. Forte, constructeur de nombreux types d'appareils à chauffage par l'électricité. Le fer nouveau que met en vente cette maison possède des qualités précieuses de commodité, de simplicité et d'économie. Il se compose d'une boîte de fonte nickelée munie d'un couvercle et d'une poignée qui lui sont fixés par des vis (fig.). Un double contact formé de deux tiges de cuivre, isolées de la masse par des disques de porcelaine, recueille le courant qui lui est transmis par un contact
                        Coupe du fer électrique.
universel et un cordon souple. Ce courant circule dans une série de spires de fil de nickel inoxydable enroulées autour de plusieurs feuilles de carton de mica et les porte à une température élevée; ces spires sont isolées les unes des autres à l'aide d'autres feuilles épaisses de mica.

D'après l'inventeur, les avantages de ce système sur les autres sont les suivants:

Son maniement est très facile et sans aucun danger, un enfant peut s'en servir.

La dépense d'électricité est faible; pour faire chauffer cet appareil, il suffit, la première fois, de sept minutes de passage de courant pour obtenir la température de chaleur maximum, ou de trois à quatre minutes lorsque le fer est encore chaud à la suite d'une opération précédente. Ensuite, on ôte la fiche et l'appareil reste libre en augmentant encore sa chaleur pendant dix minutes et en la conservant pendant des heures, la chaleur accumulée dans les fils et dans le mica se transmettant progressivement au fer tout entier.

L'appareil supprime les pertes de temps: les blanchisseuses qui repassent le linge très mouillé peuvent s'en servir pendant 30 minutes, et, avec deux fers, une ouvrière ne perd pas un instant.

Lorsque l'appareil a atteint sa température maximum, il ne reçoit presque plus de courant en raison de l'augmentation de résistance due au grand échauffement des fils. Il ne peut donc se brûler ou se détériorer.

Au point de vue hygiénique, les avantages de ce fer à repasser sont considérables; la température des pièces où l'on s'en sert ne s'élève jamais à une température désagréable et les ouvrières n'ont pas à subir les émanations nuisibles du charbon.

Ce fer électrique est soigneusement nickelé et poli et son application donne d'excellents résultats; il se fabrique en plusieurs modèles: fer dit ordinaire, fer dit à glacer, fer pour chapelier, etc., poids de 2 à 4 kilos et prix 20 francs, avec 1m,50 de cordon souple.

S'adresser à MM. Forte et Cie, 12, rue Rochambeau, ou, Maison Ström, Annexe, 12, rue de la Chaussée-d'Antin, Paris.

Modification de prix.--M. Crabbe, 36, rue de Lancry, Paris, fabricant des gilets en papier décrits dans l'«Illustration» du 18 février dernier, nous prie d'annoncer que ses nouveaux prix sont, franco poste pour la France, respectivement: 1 fr. 95, 3 fr. 15 et 4 fr. 65 au lieu de 2 fr. 05, 2 fr. 60 et 3 fr. 60.



[NOTE DU TRANSCRIPTEUR:
Ce supplément ne nous a pas été fourni avec notre document source.]








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