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NOUVEAU CODE
DU DUEL

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

EN SARDAIGNE:
Améliorations de la race chevaline dans l'île de Sardaigne 1849
Essai sur la réorganisation de l'école de cavalerie dans l'armée sarde 1849
Une parole sur le recrutement et sur l'avancement dans l'armée sarde 1850
Lettre sur l'armée sarde et sur le corps expéditionnaire de Crimée 1854
Biographie du général Alexandre de La Marmora 1854
L'ordre militaire de Savoie et la paix 1854
Divers articles dans le Spectateur militaire, la Gazette militaire de Turin et autres journaux.  
EN FRANCE:
L'Italie et son armée en 1865. 1 vol. in-18 1866

Clichy.—Imprimerie Paul Dupont, 12, r. du Bac-d'Asnières (1763-78).

NOUVEAU CODE
DU DUEL

HISTOIRE
LEGISLATION—DROIT CONTEMPORAIN

PAR

Le Comte DU VERGER SAINT-THOMAS
Officier supérieur de cavalerie
ancien député

PARIS
E. DENTU, LIBRAIRE-ÉDITEUR
PALAIS-ROYAL, 15, 17 ET 19, GALERIE D'ORLÉANS


1879
Tous droits réservés

V

AVANT-PROPOS

S'il est vrai, s'il est justement admis dans toute société civilisée que l'honneur ne soit pas chose moins sacrée que les lois qui régissent les États; bien que le duel soit depuis plusieurs siècles déclaré hors la loi; bien que dans l'ordre légal on ne puisse attribuer la qualité de code qu'à celui sanctionné par la loi; dans l'ordre moral, et suivant les conseils toujours prépondérants de l'esprit pratique, nous ne craindrons jamais de présenter ni de défendre sous le nom de Code, les règles imposées par l'honneur.

—Chacun, nous dit M. de Chateauvillard, est exposé à cette dure nécessité de risquer sa vie pour venger une offense, une injure. C'est donc VI une affaire assez importante dans l'existence pour qu'elle soit d'avance réglée selon les formes voulues par la délicatesse et le droit.

Des exemples sans cesse renaissants nous prouvent chaque jour la nécessité de l'établir d'une manière formelle et d'éviter ainsi des fautes qui compromettent l'existence d'un ami, des assassinats que l'on croit devoir passer sous silence pour ne pas donner aux familles le déshonneur d'une récrimination; enfin, ce droit, c'est la sauvegarde de tous; s'il est enfreint, si le sang d'une victime vient à crier vengeance, il sera là accablant pour l'homme sans foi; il sera là encore pour soutenir l'homme courageux qu'on viendrait taxer d'homicide, pour le défendre, pour l'absoudre et faire tomber sur ceux qui l'attaquent l'infamie d'une blâmable accusation (Chateauvillard, Essai sur le duel, page 5).

—Les édits des rois prononçant les peines les plus sévères contre les duels, enchérissant même par des peines accessoires sur la peine de mort prononcée contre les délinquants; les arrêts des parlements; les injonctions et promesses des administrateurs d'hôpitaux chargés de la confiscation des biens des duellistes; les règlements de MM. les maréchaux de France; VII les efforts de la Ligue du Bien public, et la protestation publique de plusieurs gentilshommes de refuser toutes sortes d'appels; les mercuriales des prélats, des docteurs en théologie; les décrets des conciles; les foudres pontificales et l'excommunication encore en vigueur aujourd'hui; de nos jours, enfin, la vigilance, l'activité déployées par les agents préposés à la sûreté publique; ces mesures répressives que les législateurs contemporains cherchent à faire adopter par les tribunaux de leur pays; rien n'a pu arrêter le cours du duel qui, à son temps et à son heure, sait renverser toutes les digues.

—Ce fait incontestable ne nous donne-t-il pas le droit de penser et d'affirmer que la question du duel est l'un des problèmes d'économie sociale les plus difficiles à résoudre, les plus dignes par là même d'exciter l'intérêt de tout philanthrope désireux de servir les intérêts de l'humanité?

—Établir les règles du duel, le réglementer en un mot, telle est la préface naturelle de toute étude sur cette plaie sociale, jusqu'ici rebelle à la répression. C'est ainsi que l'ont pensé avant nous les hommes honorables qui, en 1836, sont venus engager M. le comte de Chateauvillard, VIII membre distingué du Jockey-club de Paris, à publier un Essai sur le duel.

Ce nouveau code du duel fut appuyé par l'approbation des hommes de l'époque les plus autorisés par leur haute position dans la société.

«Intimement convaincus, disent-ils, que les intentions de l'auteur, loin de propager les duels, tendent au contraire à en diminuer le nombre, à les régulariser, à en éviter les chances funestes, les soussignés donnent leur entière approbation aux règles établies et développées dans le présent ouvrage.»

Suivent les nombreuses signatures d'hommes distingués, parmi lesquels nous remarquons des maréchaux, des pairs de France, députés, officiers généraux, officiers supérieurs, hommes de lettres et gentlemen, etc. (Voir l'Essai sur le duel, par le comte de Chateauvillard, pages 87 et suivantes.)

Nous ne saurions passer sous silence le nom de l'un des signataires les plus compétents, que nous avons eu l'avantage de connaître et d'apprécier: nous voulons parler de M. le marquis de Hallay-Coëtquen, gentilhomme accompli dont les décisions, jusque dans ses dernières années, faisaient autorité en matière de point d'honneur. IX

—Ces réflexions sembleraient suffisantes pour justifier la publication d'une nouvelle étude sur le duel, si des considérations afférentes à l'utilité pratique ne nous eussent induit à persévérer dans notre dessein de l'entreprendre.

—Le code de M. de Chateauvillard est presque introuvable aujourd'hui, et, non seulement nous voyons renaître à chaque instant les abus qu'il avait pour but essentiel de combattre, mais encore des irrégularités très-regrettables se sont introduites depuis sa publication.

Bien que les prescriptions de ce code soient nettes et précises, publiées au moment où les rencontres étaient plus fréquentes, elles nous ont semblé parfois plutôt destinées à être interprétées par des hommes ayant déjà quelque expérience des usages de la société, et par conséquent susceptibles de développements pour être bien comprises et mises en pratique par le plus grand nombre.

Des personnes honorables, dont l'influence morale pourrait être utile soit pour arranger les affaires d'honneur, soit pour en rendre les conséquences moins désastreuses, se refusent à accepter le rôle de témoins, alléguant leur complète inexpérience dans de semblables questions. Un X guide sûr ne suffirait-il pas pour atténuer les scrupules de quelques-uns?

Ce serait autant de gagné dans l'intérêt de l'humanité!

Notre étude sur le duel sera divisée en trois parties:

La première contiendra un précis historique sur les origines du duel; un aperçu analytique sur la législation des principales puissances étrangères, sur la législation et la jurisprudence des tribunaux français, et, enfin, la conclusion fera connaître notre opinion personnelle sur les moyens les plus sûrs de diminuer le nombre des duels, ou tout au moins, d'en atténuer les effets, sans porter atteinte au point d'honneur, lequel, selon nous, ne saurait tomber en désuétude dans toute société civilisée;

Dans la seconde partie on trouvera un code du duel. Les règles établies comporteront les développements, observations et exemples dont l'utilité nous a été démontrée par l'expérience;

Dans la troisième partie, nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs quelques pièces justificatives.

Avons-nous besoin de le proclamer, notre Code du duel n'est nullement pour le favoriser, mais XI bien pour le cantonner sans des limites étroites que, seules, les nécessités réelles et reconnues du point d'honneur puissent lui permettre de franchir; pour déterminer les devoirs comme les droits de chacun; pour persuader à quiconque se trouve dans la nécessité de venger une injure qu'il ne doit confier son honneur et sa vie qu'à des hommes sérieux et entourés de l'estime publique; pour apprendre enfin aux témoins les principes qui doivent les guider dans l'accomplissement du redoutable et important mandat qu'ils ont accepté volontairement, leur montrer l'étendue de la responsabilité qu'ils encourent soit envers l'ami qui leur a confié son honneur et sa vie, soit envers les familles, soit envers la société.

Puissions-nous être assez heureux pour atteindre le but humanitaire que nous nous sommes proposé.

Puissions-nous obtenir par la précision et la clarté des conseils puisés au creuset de l'expérience, que toutes les querelles suscitées par les écarts de l'imagination ou par l'effervescence des passions humaines, et de nos jours, surtout, ce qui est profondément regrettable, par les animosités politiques, soient apaisées dès leur début XII et que les rencontres que l'honneur et la nécessité imposent à l'homme de cœur aient des suites moins funestes, moyennant la salutaire influence de règles connues et admises «à titre de droit commun à tous» par l'opinion générale dans la société.

1

PREMIÈRE PARTIE


PRÉCIS HISTORIQUE
SUR LE DUEL
ET SUR SA LÉGISLATION

3

CHAPITRE PREMIER
PRÉCIS HISTORIQUE SUR LE DUEL ET SUR SA LÉGISLATION JUSQU'A LA RÉVOLUTION DE 1789.

Le duel, tel que nous aurons à le définir plus tard, est une institution toute moderne que les anciens ne connurent jamais, dont ils n'eurent pas même l'idée, car ils ne connurent jamais ce que, dans nos mœurs, on appelle le point d'honneur.

D'ailleurs, les anciens n'étaient point chrétiens, et le duel est une institution chrétienne, car il représente la foi complète dans l'omniscience et dans l'ingérence divines, sentiments inconnus des païens, et que nous verrons plus tard servir de base au jugement de Dieu, dont le duel moderne est le successeur direct.

En entrant dans le champ clos, un chevalier prononçait cette formule: «Me voici prêt avec l'Évangile d'une main, et l'épée de l'autre.» En 971, Vivence, champion du clergé, disait: Ecce me paratum cum Evangelio et scuto et fuste.

Les souverains accordaient la prérogative de décerner la patente du camp à des évêques, à des chapitres. 4 En 1028, l'empereur Conrad l'accordait par une charte à Pierre, évêque de Novare.

On trouve encore dans les anciens missels: Missa pro duello. Basnage cite des prêtres, des moines, des évêques, des cardinaux et des papes, lesquels non seulement ont admis, mais pratiqué et même imposé le duel. Selon cet auteur, le pape Martin IV lança une censure, même une excommunication: «pour défaut de comparution sur le terrain». Nicolas Ier appelait le duel un combat légitime. Le pape Eugène III disait à propos du duel: Utimini consuetudine vestra.

Il n'en est plus de même aujourd'hui: l'Église s'est unie au bras séculier pour défendre le duel. (Voir 3e partie, Pièces justificatives, no VII, Décret du concile de Trente.)

Et pourtant, en consultant les plus anciens et les plus célèbres historiens romains, on remarque que dans les premiers âges de la fondation de Rome, ses habitants ne connurent d'autres juges pour le partage de leurs biens que le hasard des combats.

Laissant à part l'enlèvement des Sabines, ce célèbre combat motivé par le besoin de satisfaire à des nécessités conjugales, et ensuite la lutte entre les Horaces et les Curiaces, ces usages régnèrent jusqu'à la publication de ce recueil de lois dues à la sagesse des législateurs romains, lequel, après avoir traversé la suite des âges, constitue encore aujourd'hui la base de toutes nos législations contemporaines.

Les Gaulois, ce peuple entreprenant, guerrier, 5 ami des querelles et des discussions, ne pouvaient manquer de pousser ce caractère batailleur jusqu'à ses dernières limites. Toujours armés (usage qui ne se rencontrait ni chez les Grecs ni chez les Romains), ils avaient toutes facilités pour satisfaire leurs inclinations. Faute de trouver des ennemis à combattre, ils se battaient entre eux. Chez eux les combats singuliers devinrent une sorte de divertissement public que nous verrons plus tard se perpétuer jusque dans le moyen âge. Les différends se terminaient par les armes; c'était également par les armes que les témoins fournissaient les preuves de leur témoignage. Le sanctuaire même où résidaient leurs dieux ne leur semblait pas profané par cette coutume. La chaise curule du grand prêtre, chef des Druides, devenait le prix d'un combat singulier entre ceux qui ambitionnaient sa succession.

Les compagnes de nos ancêtres partageaient les instincts belliqueux de leurs époux. Elles conservaient dans leur sein le germe de cet esprit guerrier fidèlement transmis à leurs descendants.

Le gracieux et sympathique auteur du Mérite des Femmes, M. Legouvé, a consacré de bien belles pages à nous représenter la femme comme toujours supérieure à notre sexe.

Ange consolateur de la famille, la femme supporte avec une indomptable énergie de grandes infortunes qui trompent la vigueur du sexe fort; son dévouement inépuisable la porte à faire en souriant le sacrifice de sa vie pour le salut des êtres qui lui sont chers. Et, sans remonter bien haut, n'avons-nous 6 pas vu la belle et vaillante princesse Marie-Pie, reine de Portugal (digne fille de notre ancien et bien-aimé souverain Victor-Emmanuel dont tout un peuple pleure aujourd'hui la perte prématurée), n'avons-nous pas vu la femme courageuse terrifier des courtisans affolés, en s'élançant elle-même dans les flots pour reconquérir ses enfants emportés par les vagues envahissantes?

Aux nobles princes, ses aïeux, la bravoure dans les combats, le courage militaire! A la femme couronnée, le dévouement maternel, le courage civil!

Dans sa faiblesse même, la femme puise l'admiration pour la force. Tout indice de pusillanimité lui fait regarder comme indigne de son affection, celui-là même qu'elle eût volontiers choisi pour son protecteur.

La finesse exquise, le tact infiniment supérieur de la femme, les sentiments généreux qui abondent dans son cœur, impriment à ses jugements le cachet de la vérité.

Aussi, n'hésitons-nous pas à regarder cette gracieuse moitié du genre humain comme le meilleur juge du point d'honneur.

Avez-vous remarqué ce jeune homme lancé dans une discussion irritante qui côtoie l'agression et va peut-être bientôt dégénérer en violence? Tout à coup l'orage s'apaise. On le voit reprendre le ton courtois de la bonne société... Un simple regard de l'objet aimé l'a ramené dans la bonne voie.

La tendresse de la femme patronnant la cause de la justice et de la raison ne lui donne-t-elle pas le 7 droit au commandement sur tout homme de cœur?

La femme voit-elle l'objet de ses préférences subir une insulte aussi grave qu'imméritée, un regard calme et fier viendra l'encourager à suivre le sentier de l'honneur. Comment pourrait-il y manquer, puisqu'il a la certitude que son courage sera partagé?

C'est encore dans le sentiment de l'honneur que la femme puise la force nécessaire pour donner l'exemple de deux vertus qui lui sont pourtant si souvent contestées: le silence et la discrétion.

Citons un exemple:

Il y a quelque vingt ans, dans une armée étrangère, une querelle entre deux honorables officiers nécessite un duel à outrance. Pour des motifs que nous ne croyons pas devoir préciser, la rencontre ne peut avoir lieu qu'à l'expiration du terme de trois mois.

Pendant cette longue attente, des mères, une femme, des sœurs, les deux familles enfin, cachent leurs angoisses, leurs inquiétudes, jusqu'au jour du dénouement qui mit l'un des champions hors de combat et fit craindre pendant quelque temps pour la conservation de ses jours.

A quel puissant mobile attribuer un si long silence, une pareille discrétion, si ce n'est au profond sentiment de respect pour le point d'honneur!

Nous le répétons, les sentiments généreux, le respect pour le point d'honneur, l'amour-propre ne sont pas moins développés chez les femmes que chez les hommes. Les mères et les épouses n'aiment point seulement la personne, mais plus encore, si c'est possible, 8 la considération et la dignité de ceux qui leur sont chers.

Et les fiancées surtout, n'ont-elles point voix au chapitre? Souffriront-elles que l'objet de leurs plus chères affections, celui qui doit être bientôt pour elles un protecteur, soit livré au ridicule, aux sourires, aux dédains dans la société? L'amour-propre n'emporte-t-il pas tout?

Jeune homme, si vous osez vous révolter contre l'opinion, vous êtes médusé, quand bien même vous vous seriez assuré l'appui de quelques douairières bien pensantes, en étalant la rigidité de principes du pratiquant, amorce infaillible, rivale de la liqueur à carpes Moriçaud, dans la pêche... à la dot!... Tout est inutile! Une violente secousse brise inopinément la mort-à-pêche!

Quoi qu'il en soit de cette digression, faite pour accidenter la sécheresse de notre course au clocher dans les domaines de l'histoire, c'est chez les peuples barbares dont les diverses agglomérations ont donné naissance aux sociétés modernes, que l'on s'accorde généralement à reconnaître la véritable origine du duel qui dut passer par diverses phases sociales avant de devenir ce qu'il est de nos jours.

Ainsi, le duel nous apparaît d'abord comme une institution judiciaire, un mode de preuve adopté dans les procès, pour obtenir l'éclaircissement des faits contestés.

En justice, il est un principe admis: c'est qu'il appartient au demandeur de fournir la preuve des faits 9 qu'il avance; dans le cas contraire, le défendeur est renvoyé de la plainte.

Des lois barbares méconnurent ce principe en ordonnant que le défendeur prêtât le serment. (Loi des Visigoths, lib. II, tit. II, c. V).

La dissolution progressive des mœurs, l'affaiblissement graduel des caractères et l'abus du serment lui-même, qui n'était plus réservé pour des cas extrêmes, atténuèrent le respect pour la religion du serment qui, au temps de Rome antique, avait enfanté des prodiges.

Placé entre l'alternative de se condamner par un aveu ou de se libérer par un parjure, le défendeur jurait. Pour suppléer à l'insuffisance du serment, on imagina d'exiger que la véracité de celui qui le prêtait, fût attestée par un certain nombre de personnes: conjuratores sacramentales. Le nombre de ces certificateurs de serment était déterminé par la loi, suivant l'importance du procès. (Lib. VI, cap. I, Alamannorum.) Ils juraient sur l'Evangile en même temps que leurs clients. En multipliant les serments, on multiplia les parjures. C'est pour faire disparaître cet abus que fut institué le combat judiciaire.

L'usage de ce combat fut consacré pour la première fois dans la loi des Bourguignons connue sous le nom de loi gombette (du nom de Gondebaud son auteur, tit. XLV).

Cette institution se généralisa bientôt et s'introduisit successivement dans les habitudes juridiques des autres peuples barbares. On la rencontre dans les lois des Francs ripuaires, dans celles des Allemands, des 10 Bavarois, des Thuringiens, des Frisons, des Saxons et des Lombards. L'histoire romaine (Velleius Paterculus, lib. II, 118) nous apprend que c'était la coutume des anciens Germains de terminer par les armes, leurs différends privés.

La loi salique, sauf dans quelques cas très rares et exceptionnels, n'admettait ni la preuve négative par serment ni le combat judiciaire. On observa bientôt combien les mœurs l'emportent sur les lois écrites: cette loi tomba dans l'oubli, et le combat judiciaire s'établit, même parmi les peuples qu'elle régissait.

Au IXe siècle, ce préjugé avait pris de si profondes racines dans les habitudes publiques, et les abus du système qu'il avait remplacé étaient si grands que Charlemagne crut devoir le tolérer par une disposition expresse. (L. Longobard., lib. II, tit. LV, 1, 23.) Forcé d'opter entre deux maux, ce souverain s'efforçait de choisir le moindre.

Cependant, dès son origine même, le combat judiciaire dut essuyer les résistances et les protestations de l'Église. Saint Avit, archevêque de Vienne, adressa à Gondebaud lui-même ses remontrances. Plus tard, saint Agobard, archevêque de Lyon, sollicita énergiquement auprès de Louis le Débonnaire l'abolition de la loi gombette et le retour à la loi salique. L'Église ne se borne pas à adresser de simples remontrances aux souverains, elle établit des peines.

Ainsi on remarque dans les actes du 3e concile de Valence, tenu l'an 855, sous le pontificat de Léon IV, un canon qui déclare assassin celui qui en pareil combat 11 se sera rendu coupable d'homicide ou de blessures graves, le bannit de l'assemblée des fidèles, etc., etc.

Quiconque aura succombé dans le combat, sera considéré comme s'étant suicidé et sera privé de la sépulture ecclésiastique. (Concile de Valence, canon 12.)

Le pouvoir ecclésiastique soutint la lutte dans deux conciles, en demandant que la véracité d'une charte produite pour prendre possession d'un héritage fût certifiée par le serment dans les églises. Les seigneurs persistaient de leur côté à demander le jugement de Dieu, c'est-à-dire la preuve par combat.

Enfin, l'empereur Othon II donne gain de cause à la noblesse par une constitution publiée l'an 969 (V. L. Longobard., lib. II, tit. LV, cap. XXXIV).

La force d'impulsion fut telle que le combat judiciaire pénétra jusque dans les tribunaux ecclésiastiques, et, non seulement les parties contondantes, mais les témoins et même les juges pouvaient être appelés en champ clos (Voir l'Esprit des lois, liv. XXI, chap. XXIII et suivants). Les femmes soutenaient leurs querelles par le moyen de champions.

Cependant avec le temps, la raison commença à prendre le dessus. Les tribunaux ecclésiastiques se mirent à obéir aux injonctions pontificales. La réaction qui s'opérait déjà dans les esprits, se manifesta dans la charte accordée par le roi Louis le Jeune à la ville d'Orléans, en 1168. Cette charte porte qu'il ne pourra y avoir bataille entre deux parties pour une dette de cinq sols et de moins (Laurière, t. I, page 15).

12 Le premier de nos rois qui ait cherché à abolir le combat judiciaire, fut saint Louis: ce sage prince, persuadé que la meilleure autorité d'un chef, c'est l'exemple, le donna lui-même dans ses domaines, espérant avec juste raison que l'exemple du souverain influerait sur la conduite des barons.

Par son ordonnance ou établissement, en date de l'an 1260, il substitua au combat judiciaire la preuve par témoins et réduisit le nombre des cas dans lesquels ce combat pourrait être demandé. Ses ordonnances sont contenues dans l'important recueil appelé Établissements de saint Louis.

Il est bon d'observer qu'à cette époque de désordre social, outre les préjugés invétérés et les habitudes chères à la noblesse belliqueuse, il existait encore un abus plus important et non moins déraisonnable que le combat judiciaire: celui des guerres privées que se faisaient les seigneurs entre eux et les villes entre elles. Cet abus déplorable était dans toute sa force, lorsque saint Louis monta sur le trône.

Ce sage prince fit d'abord admettre ce que l'on appela la trêve de Dieu. Pendant un intervalle de 40 jours à dater de l'offense, les voies de fait étaient interdites.

Philippe le Bel continua l'œuvre réformatrice de son père. Son ordonnance de 1296 défendait les guerres privées pendant tout le temps que durerait la guerre du roi. Pendant le même temps le combat judiciaire était également défendu, et les procès devaient se terminer par les voies ordinaires.

L'ordonnance de 1303 renouvela les mêmes 13 défenses. Les malfaiteurs n'en furent que plus audacieux, quand ils pouvaient commettre leurs méfaits sans témoins. Le nombre des crimes ne fit que s'accroître, et, en 1306, Philippe le Bel, dans une nouvelle ordonnance, accepte le retour aux gages de bataille.

Le dernier combat judiciaire eut lieu en 1387, sous le règne de Charles VI (le premier qui porta le titre de Dauphin de France), entre messire Jean de Carrouge, seigneur d'Argenteuil, et Jacques Legris, tous deux vassaux du duc d'Alençon. Jean de Carrouge ayant cité par-devant le parlement le sieur Legris, comme ayant attenté à l'honneur de sa femme, le parlement déclare qu'il échoit gage, ordonne le combat, et Legris fut tué. On reconnut son innocence dans la suite.

Ce qui amena peu à peu l'abolition du combat judiciaire, ce fut précisément l'attribution exclusive conférée au parlement de Paris du droit de l'ordonner, quand il y aurait lieu, dans toutes les parties du royaume, sans distinction.

On ne saurait donner la date précise de cette réforme; mais ce que l'on peut assurer, c'est qu'elle s'accomplit progressivement à mesure que la juridiction du roi empiéta sur celle des seigneurs et par suite de l'affranchissement des communes, lesquelles préférèrent naturellement faire juger leurs querelles par leurs échevins plutôt que par les seigneurs qui s'étaient soigneusement réservé le droit de donner le gage de bataille.

Cependant, tandis que le préjugé du combat judiciaire 14 s'affaiblissait de jour en jour, l'habitude des guerres privées opposait à nos rois une résistance opiniâtre. Le règne de Jean II, surtout, fut fécond en édits d'une grande sévérité, justifiés d'ailleurs par la présence des Anglais au cœur de la France.

Quand les résistances durent céder devant l'autorité royale, au lieu de disparaître entièrement, l'abus ne fit pour ainsi dire que se transformer, et c'est alors que prit naissance un autre abus qui tenait à la fois du combat judiciaire et des guerres privées.

Nous voici arrivés au Duel.

Cette transformation commença à la fin du XIVe siècle, et se poursuivit pendant le XVe.

On présentait au roi une requête, pour obtenir l'autorisation de combattre en champ clos. L'autorisation obtenue, le cartel était signifié par un héraut d'armes, au nom du Roi.

Le roi assistait à ces combats, et lorsqu'il croyait devoir y mettre fin, jetait son sceptre entre les combattants.

Ainsi agit François Ier dans le combat qui eut lieu, avec son autorisation, entre deux gentilshommes du Berry, les sieurs Vermiers et Harzay.

Le duel n'était permis qu'aux nobles, et au roi seul appartenait le droit de décerner les combats (Etienne Pasquier, Recherches sur la France, liv. IV, chap. XV).

François Ier avait refusé à deux gentilshommes de sa cour, François de Vivonne, seigneur de la Chasteigneraye, et Guy Chabot, seigneur de Montlieu, connu sous le nom de Jarnac, la permission de se 15 battre; ceux-ci obéirent, attendirent le règne de Henri II, son successeur: ce prince, par son ordonnance de 1547, autorisa le duel.

La Chasteigneraye, son favori, ayant succombé (telle est l'origine du coup de Jarnac), il jura de ne jamais plus accorder semblable autorisation.

Sous le règne de Henri II commença une nouvelle phase dans l'histoire du duel. Quand on ne put plus obtenir l'autorisation royale, on s'en passa, et les duels se multiplièrent d'une manière effrayante.

Un abus aussi monstrueux ne pouvait être toléré par l'Église, qui avait si énergiquement protesté contre le combat judiciaire.

Le concile de Trente, par un canon (encore en vigueur aujourd'hui) de l'année 1563 (Session 25, De Reformatione, chap. XIX) fulmina l'excommunication non seulement contre les combattants, mais contre les parrains (témoins), et priva de la sépulture chrétienne ceux qui trouvaient la mort dans le combat. (Voir ce canon aux Pièces justificatives, page 453.) Nous résumerons ici les règles que les duellistes reconnaissaient au XVIe siècle (Voir Brantôme, Discours sur les duels).

Il commence par recommander de ne pas se battre sans témoins, d'abord pour ne pas priver le public d'un beau spectacle, et ensuite, pour ne pas s'exposer à être recherché et puni comme meurtrier.

«Les combattants, ajoute-t-il, doivent être soigneusement visités et tastés pour savoir s'ils n'ont drogueries, sorcelleries et maléfices. Il est permis de porter reliques de N. D. de Lorette et autres choses 16 saintes. En quoi pourtant il y a dispute, si l'un s'en trouvait chargé et l'autre non, car dans ces choses, il faut que l'un n'ait pas plus d'avantages que l'autre. Il ne faut pas parler de courtoisie; celui qui entre en champ clos doit se proposer de vaincre ou de mourir, et surtout de ne se rendre point, car le vainqueur dispose du vaincu tellement qu'il en veut, comme de le traîner par le camp, de le pendre, de le brusler, de le tenir prisonnier, bref, d'en disposer comme d'un esclave.» En lisant les mémoires des contemporains, on est édifié sur la quantité de meurtres que l'on regardait comme des duels, on en trouve mille preuves dans les ouvrages de Brantôme, de d'Audiguier, de L'Estoile, de Tallemand des Réaux, etc.


Le pouvoir civil tenta de s'associer à l'Eglise dans la voie de répression.

En 1560, les États généraux réunis à Orléans avaient présenté leurs doléances et leurs demandes pour obtenir la répression des duels. Le roi Charles IX y fit droit par une ordonnance rendue à Marchois en 1566 (en même temps que la célèbre ordonnance de Moulins, mais par un acte séparé) et dont l'honneur revient au chancelier de L'Hôpital. Cette ordonnance défend aux gentilshommes de vider leurs querelles par des combats, leur enjoint de soumettre les démentis au gouverneur de la province, au connétable et aux maréchaux de France, lesquels décideront de la valeur du démenti et pourront le déclarer nul: en ce cas, celui qui l'aura donné sera 17 tenu d'en faire amende honorable à celui qui l'aura reçu.

Il convient de noter ici un point essentiel: Cette sage ordonnance ne se contentait pas de punir les duels, mais elle s'attachait à les prévenir, en assurant une légitime satisfaction à celui qui aurait reçu un démenti ou toute autre injure. Ce n'est pas tout d'édicter des lois, il faut veiller à leur impartiale exécution. C'était précisément ce qui manquait. Quand les coupables, souvent favoris ou fidèles serviteurs du roi, demandaient grâce, il ne savait pas résister. Le mal ne faisait donc que s'accroître en raison de l'impunité accordée à la faveur.

Pour donner satisfaction à l'opinion publique et faire droit aux réclamations formulées par les États généraux, rassemblés à Blois en 1575, une ordonnance royale, rendue dans cette ville en 1579, confirme par son article 194 les précédents édits, et l'article 278 déclare criminels de lèse-majesté les gentilshommes qui se réuniraient pour vider leurs querelles particulières.

Ce fut en 1580 que s'introduisit la règle pour les seconds de prendre fait et cause pour leurs tenants; jusque-là, ils n'avaient été que témoins. Ce déplorable usage est, avec juste raison, blâmé par Montaigne.

«C'est une espèce de lâcheté, dit-il, qui a introduit dans nos combats singuliers cet usage de nous accompagner de seconds, tiers et quarts. C'étaient anciennement des duels; ce sont à cette heure rencontres et batailles. Outre l'injustice d'une telle 18 action et vilenie d'engager à la protection de notre honneur autre valeur et force que la nôtre, je trouve du désavantage à mesler sa fortune à celle d'un second. Chacun court assez de hasard pour soye, sans le courir encore pour un aultre.»

Parmi les plus célèbres duellistes de cette époque, nous devons citer les Mignons de Henri III. La manie des querelles était du reste devenue si commune que Montaigne disait: «Mettez trois Français aux déserts de Lybie, ils ne seront pas un mois ensemble sans se harceler et s'égratigner.»

Les temps étaient-ils bien propices pour opérer une pareille réforme, au moment où les passions étaient surexcitées par les luttes religieuses, où les partis étaient en armes, quand le pouvoir était lui-même chancelant par suite des désordres d'une guerre civile?

Était-il possible d'espérer triompher d'habitudes profondément invétérées dans les mœurs de la noblesse et d'autant plus puissantes qu'elles étaient fondées sur un sentiment noble en soi et fécond en généreuses inspirations, le sentiment de l'honneur?

Henri III ne possédait dans son caractère ni assez de fermeté ni assez de grandeur pour dominer la situation. Les historiens contemporains nous le prouvent surabondamment en nous racontant que lors du célèbre duel entre Caylus et Maugiron, et qui coûta la vie à tous les deux, le roi au lieu de punir Caylus, ne quittait point son chevet, lui présentait lui-même les bouillons, et faisait les plus belles promesses aux chirurgiens, s'ils conservaient 19 la vie à son favori (Brantôme, Mémoire touchant les duels; Pierre de L'Estoile et d'Audiguier, le Vrai en ancien usage des duels).

Le mal, aggravé par les troubles de la Ligue, était arrivé à son comble au moment de l'avénement de Henri IV (1589).

Ce prince s'applique à en tarir la source, en apaisant par son influence personnelle les différends des seigneurs de sa cour. Le parlement seconda les efforts du souverain par la rigueur qu'il déploya contre les duellistes, lesquels, dans son Arrêt de règlement en date du 26 juin 1599, il déclara criminels de lèse-majesté et perturbateurs du repos public, etc.

Nous avons déjà vu plus haut que l'ordonnance de Blois en avait agi de même pour les assemblées de gens faites pour vider les querelles particulières ou autres. En effet, le droit de rendre la justice est l'attribut le plus précieux et le plus essentiel de la souveraineté, et, se faire justice soi-même, c'est usurper le droit du souverain, c'est offenser la majesté royale.

Dans nos institutions modernes, le droit de justice est délégué à la magistrature qui rend les arrêts au nom du souverain.

En avril 1602, intervint un édit royal donné à Blois, pour la défense des duels. Cet édit prononçait la peine du crime de lèse-majesté, c'est-à-dire, la mort et la confiscation totale des biens, contre les duellistes et contre ceux qui les seconderaient en quelque manière que ce fût, et ordonnait à la partie 20 offensée d'adresser sa plainte au gouverneur de la province, au connétable et aux maréchaux de France pour obtenir la réparation de l'injure qu'elle avait soufferte.

Telle fut l'origine de la juridiction du point d'honneur.

L'excessive sévérité de cet édit produisit l'effet diamétralement contraire au but du législateur. Sully, dont les prévisions à cet égard eussent dû être écoutées, avait fait de vifs efforts pour obtenir que les peines prononcées fussent plus douces, et par conséquent, plus facilement et plus rigoureusement appliquées.

De là, nombreuses lettres de grâce; de là, scandaleuse impunité.

Sully, paraît-il, possédait un don bien essentiel pour gouverner les hommes et les choses, l'esprit pratique!

Les auteurs contemporains et notamment Pierre de l'Estoile (sur l'année 1609, 27 juin), nous apprennent que depuis l'avénement de Henri IV en 1589, jusqu'à la fin de l'année 1608, sept mille lettres de grâce auraient été expédiées en matière de duel, et sept ou huit mille gentilshommes auraient péri en combat singulier dans le même intervalle.

Ces résultats accusaient hautement les vices de l'édit de 1602, et démontraient péremptoirement l'inutilité de toute réforme qui heurterait de front le préjugé dominant. Aussi, fut-on bientôt amené à lui faire des concessions, c'est-à-dire à tolérer le duel comme un mal nécessaire quand l'honneur des parties 21 semblerait l'exiger. C'est dans cet esprit que le roi Henri IV publia l'édit de Fontainebleau, en juin 1609. Le combat pouvait être accordé par le roi ou par le tribunal des maréchaux, lorsqu'ils le jugeraient indispensable pour réparer l'honneur offensé.

Par contre, l'édit prononçait contre les duels non autorisés, des peines plus ou moins sévères selon la gravité des cas. Ainsi, si l'un des combattants succombait, il y avait peine de mort et confiscation des biens contre le survivant; privation de sépulture pour celui qui avait succombé.

Pour une simple provocation non suivie de combat, le provocateur était privé de ses charges, et, en outre, déclaré «deschu de pouvoir jamais se comparer par les armes à aucun».

Le roi faisait défense à la reine, aux princes de son sang, de lui demander aucune grâce, protestant qu'il n'en accorderait aucune.

Cet édit fut d'un excellent effet (Voir d'Audiguier et plus tard le Préambule de la déclaration de 1611). La licence des duels fut réprimée; on ne cite aucun cas où l'autorisation de combattre fut accordée. Le roi lui-même, par son intervention personnelle, évita souvent l'effusion du sang. Son caractère chevaleresque, sa bravoure reconnue, le rendaient éminemment propre à accomplir cette mission toute conciliatrice, digne d'un bon père de famille désireux de conserver tous ses enfants.

Parmi les affaires arrangées durant le cours du règne du bon roi Henri IV, on cite principalement celle de Duplessis-Mornay, dit le Chevalier théologien, 22 avec un gentilhomme nommé Saint-Phalle, qui l'avait bâtonné en pleine rue et laissé pour mort sur le pavé (Voir le Journal de Pierre de l'Estoile, et le Recueil imprimé concernant le tribunal des Maréchaux, tome I, page 344); celle du prince de Joinville avec le sieur de Bellegarde, grand écuyer de France; enfin, celle de Charles de Bourbon, comte de Soissons, proche parent du roi, avec le ministre Sully que le prince accusait d'avoir tenu des propos injurieux contre sa personne (Voir Pièces justificatives, page 409).

Après la mort d'Henri IV, arrivée peu de temps après la promulgation de l'édit de 1609, la fureur des duels recommença, et continua pendant la minorité de Louis XIII. On éludait la loi en représentant le duel sous les apparences d'une rencontre fortuite. Afin d'ôter cette ressource aux duellistes, intervint une déclaration du roi, portant défense d'user d'appels ou de rencontres suivant l'édit de 1609. Donnée à Paris, le 1er juillet 1611, cette déclaration fut enregistrée le 11 du même mois au parlement de Paris.

Une autre déclaration du roi, donnée à Paris le 18 janvier 1613, prescrivait une nouvelle publication de l'édit de 1609, ordonnait aux gentilshommes qui se croiraient offensés de se pourvoir, dans le délai du mois, par-devant le tribunal des maréchaux, sauf, passé ce délai, à subir la juridiction des tribunaux ordinaires. Cette déclaration réserve aux parlements et aux tribunaux ordinaires la connaissance des poursuites relatives aux duels et rencontres, à l'exclusion de tous juges d'exception, et notamment 23 de la prévôté de l'Hôtel. Elle fut confirmée par lettres patentes adressées au parlement de Paris, le 14 mars suivant.

Cette déclaration du roi contre les duels, en date de 1613, avec protestation de n'en accorder jamais la grâce, fut faite à l'occasion du duel du baron de Luz, tué par le chevalier de Guise.

Chose digne de remarque, peu de temps après, le même chevalier de Guise tua le fils du baron de Luz; on n'en fit aucune recherche, parce qu'alors la reine ménageait MM. de Guise, pour les détacher du parti du prince de Condé. Dans ce temps-là, la politique interceptait parfois le cours de la justice. Pouvons-nous répondre qu'il en soit autrement de nos jours?

Un arrêt de la cour du parlement, sur l'exécution de l'édit sur les duels et combats, parut le 27 janvier 1614.

Autre déclaration du roi sur les édits de pacification et sur les duels et rencontres, donnée à Paris le 1er octobre 1614.

Les rigueurs contenues dans l'édit de 1609 ayant paru insuffisantes, on les aggrava par les lettres patentes du 14 juillet 1617, qui donnèrent lieu à l'arrêt du parlement sur l'exécution de l'édit contre les duels et combats, en date du 6 mars 1621.

Plus rigoureux encore fut l'édit de Saint-Germain-en-Laye, en date du mois d'août 1623, et publiant une amnistie. Cet édit effaça les distinctions établies par la sagesse du législateur de 1609 entre des faits d'une culpabilité souvent inégale. Tout y est confondu. Le fait principal et la participation même la 24 plus indirecte à ce fait sont punis de la même peine.

Cette aggravation dans la pénalité était loin de procurer la diminution des duels. Ils allaient au contraire en croissant.

«Les duels, nous dit Richelieu dans ses Mémoires (Collection Petitot, page 40 et suivantes), étaient devenus si communs, que les rues commençaient à servir de champ de combat, et comme si le jour n'était pas assez long pour exercer leur furie, ils se battaient à la faveur des astres et à la lumière des flambeaux qui leur servaient d'un funeste soleil.»

Ces lois ne pouvaient avoir d'influence, et les peines terribles qu'elles édictaient, n'étaient presque jamais exécutées. Les coupables se dérobaient aux recherches de la justice et, plus tard, obtenaient des lettres d'abolition, motivées même sur la gravité des peines qu'ils avaient encourues.

Plus tard, arrêt du parlement contre les sieurs Bouteville, comte de Pongibaud, le baron de Chaulais et des Salles, pour s'être battus en duel le jour de Pâques (24 avril 1624).

Ordonnance du roi portant défense aux seigneurs de favoriser les duels, en date du 26 juin 1624.

Arrêt du parlement contre ceux qui se sont battus en duel, 28 du mois de janvier 1625.

Édit du roi sur les faits de duels et de rencontres, donné à Paris en février 1626.

Cet édit fut un nouvel essai législatif tenté en même temps que l'on publiait une seconde amnistie générale à l'occasion du mariage d'Henriette de 25 France avec Charles Ier roi d'Angleterre. Richelieu nous apprend qu'il exerça sur la rédaction de ces édits une influence décisive.

Il fit rejeter la proposition de permettre le duel en certains cas, mais il fit prévaloir un système de sévérité modérée et proportionnée à la gravité des circonstances:

Le simple appel comportait la privation des charges et offices, la confiscation de la moitié des biens et le bannissement pendant trois années.

Le duel non suivi de mort emportait la perte de la noblesse, l'infamie et la peine capitale suivant le degré de criminalité.

Les peines du crime de lèse-majesté, c'est-à-dire la mort, et de la confiscation totale des biens étaient appliquées en cas de mort de l'un des combattants.

La sévérité des anciennes ordonnances pouvait être encore appliquée quand l'atrocité des faits semblait mériter un châtiment exemplaire.

La peine de mort était prononcée à titre de lascheté contre ceux qui appelaient d'autres personnes à les soutenir dans leurs querelles comme seconds.

Le roi donnait non seulement sa parole de ne plus accorder aucune grâce, mais il fit jurer à son secrétaire des commandements de ne plus signer aucune grâce en cette matière, et au chancelier de n'en plus sceller.

Avant d'enregistrer cet édit, le parlement adressa au roi des remontrances, afin que la sévérité des anciens édits fût maintenue. Le roi envoya des lettres 26 de jussion, et l'édit fut enregistré le 24 mars 1626.

Déclaration du roi pour le retour des ducs d'Halluin et sieur de Liancourt, donnée à Paris le 14 mai 1627.

Richelieu n'eut garde de laisser tomber des lois qui pouvaient si bien le servir dans le projet qu'il avait formé d'abaisser la noblesse. Il persuada au roi de témoigner par quelques actes de sévérité sa volonté d'en poursuivre la rigoureuse exécution. Le comte de Montmorency-Bouteville, déjà deux fois condamné par contumace, irrité de n'avoir pu obtenir la permission de reparaître à Paris et à la cour, était venu braver l'autorité du roi, en se battant sur la Place Royale, en plein midi, avec le marquis de Beuvron. Il avait pour seconds La Frette et François de Rosmadec, comte des Chapelles; son adversaire était assisté de son écuyer et de Henri d'Amboise, sieur de Bussy. Ce dernier avait été tué par des Chapelles. Tous prirent la fuite. Bouteville et des Chapelles furent arrêtés, mis à la Bastille et condamnés par arrêt du parlement, du 21 juin 1627, à être décapités en place de grève. La grâce fut refusée, et l'arrêt exécuté.

L'effet salutaire produit par cet exemple ne fut que passager. L'habitude reprit le dessus. Au mois de mai 1634, le roi rendit une nouvelle ordonnance datée de Fontainebleau pour remettre en vigueur l'édit de 1626.

L'année suivante, en 1635, à l'occasion de la naissance de Louis XIV, une nouvelle amnistie fut proclamée. 27 C'était la troisième, indépendamment des grâces particulières.

Les efforts de Louis XIII pour réprimer le duel étaient nécessairement frappés de stérilité, car le législateur se donnait à lui-même un démenti, en absolvant le lendemain ce qu'il avait si rigoureusement condamné la veille.

Arrêt de la cour du parlement sur le fait des duels, du 3 mars 1638.

Arrêt de la cour du parlement contre ceux qui contreviendront aux édits du roi touchant les duels et rencontres, du 4 mars 1639.

Lettre du roi, envoyée à Messieurs du parlement, sur la défense des duels et rencontres, avec l'arrêt du parlement du 7 décembre.

Arrêt de la cour du parlement, en exécution des édits des duels et rencontres, du 7 décembre 1640.

Malgré tous ces édits et arrêts, à l'avénement de Louis XIV, la fureur des duels était à son comble. On fit sortir l'édit du roi sur la prohibition et punition des duels, donné à Paris au mois de juin 1643.

Cet édit abolissait tous les précédents, afin d'empêcher les juges de choisir à leur volonté, mais il reproduisait toutes leurs dispositions.

Les troubles de la minorité de Louis XIV n'étaient guère propres à diminuer les querelles, aussi évalue-t-on à quatre mille le nombre des gentilshommes qui périrent en combat singulier pendant les huit années que dura la régence d'Anne d'Autriche. Pendant la fureur des duels, pour la cause la plus frivole, on allait se battre à mort, deux contre deux, 28 quatre contre quatre, sur la Place Royale. Le baron de Chantal, père de madame de Sévigné, apprend dans l'église même où il venait de faire ses pâques qu'il est attendu par Bouteville à la porte Saint-Antoine pour lui servir de second; aussitôt il y court en petits souliers à mules et sans se donner le temps de changer d'habits (Mémoires de Conrart; Mémoires de Bussy-Rabutin). Le mari de madame de Sévigné est accusé d'avoir mal parlé du chevalier d'Albret; il n'en est rien, et il le nie; mais seulement, dit-il, pour rendre hommage à la vérité, et non pour se justifier, ce qu'il ne fait jamais que par la voie des armes. Ensuite il se rend sur le terrain, et après avoir assuré le chevalier d'Albret qu'il est son serviteur et l'avoir embrassé, il met l'épée à la main et tombe mort au bout d'un instant (13 janvier 1651). Bussy-Rabutin a un duel, ce qui lui arrivait souvent, et un gentilhomme inconnu vient lui offrir ses services; mais comme Bussy avait déjà son monde, le gentilhomme lui fait force compliments et révérences et va s'offrir à son adversaire; puis, sur le lieu du rendez-vous s'étant trouvés cinq contre quatre, l'un des seconds court se poster sur le Pont-Neuf, accoste un mousquetaire qui passait, lui conte l'embarras où l'on se trouve, et celui-ci, plein d'empressement, monte en croupe et va se battre à mort contre des gens qu'il n'avait jamais vus. Tout ceci cependant ne se passait que dans une seule famille.


Louis XIV, s'il ne réussit pas à extirper un abus aussi contraire à la paix publique, fut tout au moins 29 le seul souverain qui le combattit avec une énergie et un succès qu'on n'avait point vus jusqu'alors.

Dans son premier lit de justice, tenu à Paris le 7 septembre 1651, il fit lire un nouvel édit qui reproduisait à peu près les dispositions de ses prédécesseurs et faisait encore étendre à la postérité des délinquants, les peines de roture et d'infamie prononcées contre eux.

Une nouvelle déclaration, donnée à Paris en 1653, contenait un principe plus conforme aux idées nouvelles qui commençaient à poindre et que le dix-huitième siècle devait faire triompher.

Les dégradations devinrent personnelles. On comprenait enfin, et ce n'était pas trop tôt, que la postérité des délinquants n'étant pas coupable du crime ne devait point avoir part à la punition. Les héritiers du duelliste mort dans le combat pouvaient se porter partie civile et ils évitaient la confiscation, en procurant la condamnation du meurtrier.

Louis XIV alla plus loin: il créa une institution dont tout l'honneur revient à son règne: la Ligue du Bien public, formée au nom de la religion et de la morale, et dans laquelle il s'efforça de faire entrer les seigneurs dont l'exemple devait avoir le plus d'influence et d'autorité morale. Les associés signaient en entrant une déclaration par laquelle ils promettaient de refuser toute sorte d'appels et de ne se battre en duel pour quelque cause que ce pût être. Le roi fit approuver solennellement cette déclaration par le tribunal des maréchaux.

30 Nous reproduisons in extenso (Voir 3e partie. Pièces justificatives):

I.—La lettre du roi Henri IV au comte de Soissons (Différend entre le comte de Soissons et Sully. Pièces justificatives, page 409).

II.—Le jugement rendu par le connétable de Montmorency (Différend entre MM. de Montespan et de Cœuvres. Pièces justificatives, page 410).

III.—Le règlement de MM. les maréchaux de France, touchant les offenses entre les gentilshommes, pour l'exécution de l'édit contre les duels, du 22 août 1653 (page 411).

IV.—La déclaration publique de plusieurs gentilshommes de refuser toute sorte d'appels, etc., sur laquelle MM. le maréchaux de France ont rendu leur jugement le 1er juillet 1651 (page 422).

V.—Approbation de MM. les maréchaux de France (page 423).

VI.—L'édit du roi portant règlement général sur les duels, donné à Saint-Germain-en-Laye, au mois d'août 1679, enregistré au parlement le 1er septembre de la même année (page 424).

VII.—L'extrait du concile de Trente sur la répression du duel, Session 25, De Reformatione, chap. XVIII (page 453).

M. de Chateauvillard reproduit en outre un recueil des édits et arrêts sur les duels (Chateauvillard, page 220 et suivantes).

On y remarque de plus: la résolution de MM. les prélats sur cette matière;

31 L'avis des docteurs en théologie de la faculté de Paris sur le même sujet.

Nous renvoyons nos lecteurs à ce recueil, n'ayant point jugé nécessaire de reproduire toutes ces pièces dans cet exposé purement analytique.

On voit au surplus, par lettres-circulaires de MM. les administrateurs de l'Hôtel-Dieu de Paris aux administrateurs des Hôtels-Dieu des autres villes de France, que ces derniers étaient chargés de la confiscation des biens au profit des hôpitaux, qu'ils créaient des dénonciateurs, des espions: «Pour avoir plus de facilité, disaient-ils, d'arracher le crime et de procurer quelque bien aux pauvres, sur le tiers qui leur est destiné, on fera quelque part de ce tiers à ceux qui dénonceront les duels commis, en s'obligeant par eux d'en administrer les preuves, si d'ailleurs on en peut avoir la conviction, et de donner des lumières des biens, si on ne pouvait autrement en avoir connaissance. Cela se fera eu égard aux circonstances des choses et des personnes.»

Et cependant dans ces temps de loyauté les administrateurs ne trouvaient pas de dénonciateurs.

Pour déterminer les gentilshommes à faire partie de la Ligue du Bien public, on inséra dans un règlement des maréchaux, en date du 22 août 1653, un article ainsi conçu:

«Lorsqu'il y aura démêlé entre des gentilshommes dont les uns auront promis et signé de ne point se battre et les autres non, ces derniers seront toujours 32 réputés agresseurs, à moins que le contraire ne parût par des preuves bien expresses.»

La combinaison de ces mesures, la fermeté de Louis XIV, l'adoucissement des mœurs par l'action civilisatrice des sciences et des lettres qui prirent sous ce règne un si brillant essor, contribuèrent à diminuer le nombre des duels.

Nous ne passerons pas sous silence un arrêt de la cour du parlement portant réitération de la défense contre les duels, du 30 juillet 1657;

Une déclaration du roi, en explication de celle du mois de mai 1653, touchant la succession de ceux qui auraient été tués en duel, donnée à Saint-Germain-en-Laye, au mois d'août 1658.

Nous nous arrêterons quelques instants sur la nouvelle ordonnance rendue en août 1679, proprement appelée l'Edit des Duels, parce qu'elle a fixé définitivement la législation sur cette matière.

Ses dispositions sont rangées en deux classes principales, comprenant, l'une, les mesures préventives, l'autre, les mesures répressives.

Les mesures préventives consistaient dans l'intervention du tribunal des maréchaux. Ce tribunal, déjà institué pour connaître des faits de guerre et des différends entre gentilshommes touchant le service militaire, joignit à ces attributions la connaissance des affaires d'honneur, en sa qualité de juge naturel de la noblesse et de l'armée.

Le droit de convoquer le tribunal des maréchaux appartenait au doyen. Ses collègues se réunissaient 33 toujours à son domicile, au jour et à l'heure qu'il lui convenait d'indiquer.

Dans l'intervalle des séances de ce tribunal, le doyen des maréchaux avait le droit de prononcer sur toute rixe, querelle ou rencontre; de décerner des mandats d'arrêt contre les agresseurs et enfin contre tous contrevenants aux édits et ordonnances.

A peine informé qu'une querelle s'était élevée entre deux gentilshommes, le doyen des maréchaux, ou le gouverneur de la province, ou le lieutenant général, envoyait auprès de chacun d'eux un garde de la connétablie pour lui intimer de s'abstenir de toutes voies de faits ou rencontre, avant d'avoir répondu à l'assignation qui leur était faite de comparaître devant eux. L'affaire était examinée et décidée dès le lendemain. Le moindre retard eut été en effet préjudiciable au milieu des passions surexcitées de cette noblesse française habituée à porter, trop souvent peut-être, la susceptibilité envers le point d'honneur jusqu'à l'exagération. Il est, du reste, plus facile de remédier aux excès de l'exagération qu'aux inconvénients de la décadence!

Les historiens citent le jugement rendu par le connétable de Montmorency dans la querelle qui eut lieu entre M. de Montespan et le marquis de Cœuvres, et après lequel ces deux gentilshommes s'embrassèrent, entièrement satisfaits et réconciliés (Voir Pièces justificatives, page 410).

Le tribunal des maréchaux de France était assisté par un rapporteur, chargé de l'instruction des 34 affaires et choisi, de droit, parmi les maîtres des requêtes au parlement de Paris.

Les maréchaux étaient supplées par les gouverneurs des provinces et subsidiairement par les lieutenants généraux. Des délégués leur rendaient compte dans chaque bailliage ou sénéchaussée.

La juridiction de ce tribunal s'étendait sur tous les gentilshommes et militaires, même étrangers. Les veuves avaient également le droit de porter plainte devant le tribunal des maréchaux.

Les affaires mixtes, en raison de la qualité des parties, étaient renvoyées à la justice ordinaire. Ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, pour que le tribunal des maréchaux fût saisi, il n'était pas nécessaire d'une plainte. Il informait d'office, quand il avait connaissance d'un crime de quelque manière que ce fût.

Les maréchaux pouvaient employer les voies coercitives pour citer les gentilshommes à leur barre. En cas de désobéissance, les revenus des biens des délinquants étaient appliqués aux hôpitaux pendant toute la durée de leur absence. Les maréchaux avaient toute latitude pour apaiser les différends. En cas d'insuccès, ils devenaient juges et appliquaient des peines suivant la nature de l'offense.

La pénalité que l'édit les autorisait à établir, était déterminée par un règlement dressé en vertu de l'ordre contenu dans la déclaration royale du 27 juillet 1653 et publiée sous la date du 22 août suivant. (Voir Pièces justificatives, page 411.)

Le 22 août 1679, parut un nouveau règlement confirmant 35 les dispositions du premier avec quelques modifications que nous résumons pour donner un aperçu des mœurs du temps:

Quiconque, se trouvant présent à une offense, s'abstenait d'en donner avis à qui de droit, devait être puni de six mois de prison. (Art. 6.)

Celui qui aura offensé, subira deux mois de prison, et, lors de sa sortie, devra déclarer à celui qu'il aura offensé: que mal à propos et impertinemment il l'a offensé par des paroles outrageantes, qu'il reconnaît être fausses, et lui en demande pardon. (Art. 7.)

Quel législateur oserait aujourd'hui imposer de pareilles obligations? Les excuses présentées spontanément sont seules acceptables. Par contre, les excuses imposées par une autorité quelconque sont de nulle valeur. Celui qui aurait la faiblesse de s'y soumettre pour éviter les rigueurs de la loi pénale s'empresserait d'en dénier la valeur ou de les tourner en dérision, quelques minutes seulement après être sorti du prétoire. C'est précisément cette raison qui nous a fait considérer la réunion des témoins comme le meilleur et le plus efficace tribunal d'honneur, car ils n'ont d'autorité que celle qui leur est spontanément accordée par les parties. Acceptée, elle ne peut plus être déniée.

Celui qui aura offensé par parole subira quatre mois de prison et, à sa sortie, devra demander pardon à celui qu'il aura offensé. (Art. 8.)

En cas d'offense par soufflet ou coups donnés dans la chaleur des démêlés et précédés d'un démenti, l'agresseur subira un an de prison; s'ils n'ont 36 point été précédés par un démenti, l'agresseur subira deux ans de prison; cela sans aucune diminution pour quelque cause que ce soit, même sur la demande de l'offensé. De plus, à sa sortie de prison, l'agresseur devra se soumettre à recevoir de la main de l'offensé des coups pareils à ceux qu'il aura donnés, et déclarer par parole et par écrit qu'il l'a frappé brutalement, et le supplie de lui pardonner et d'oublier cette offense. (Art. 9.)

D'un seul offensé par la plus grave des insultes, on en créait deux! C'était une excellente réparation!!

Si les coups de bâton et autres semblables outrages ont été donnés après un soufflet ou coup de main, celui qui aura frappé du bâton ou autrement sera passible de deux ans de prison, et, s'il n'avait point été frappé auparavant, il subira quatre ans de prison, et après sa sortie, demandera pardon à l'offensé. (Art. 10.)

Quiconque, soit par témoignage, par autorité ou autres preuves, sera convaincu d'avoir commis une injure de coups de bâton, canne ou armes de pareille nature, avec préméditation, par surprise ou avec avantage, aura frappé seul et par devant, subira quinze ans de prison. Celui qui aura frappé par derrière, quoique seul et avec avantage, soit en se faisant accompagner ou autrement, subira vingt ans de prison. Cette peine sera subie dans une ville, forteresse ou citadelle, éloignée au moins de trente lieues du domicile ordinaire de l'offensé. D'ordre de Sa Majesté, défense est faite à l'offensant de se sauver de la prison, à peine de vie, et à l'offensé de 37 s'approcher de ladite prison de dix lieues, à peine de désobéissance. (Art. 15.)

Au bas de ce règlement, on rencontrait les signatures de MM. les maréchaux de Villeroy, de Grancey, duc de Navailles, d'Estrades, Montmorency-Luxembourg.

Passons aux mesures de répression contre ceux qui, au lieu de soumettre leurs différends au tribunal des maréchaux, tentaient le sort des armes.

Suivant l'édit d'août 1679, la juridiction appartenait aux officiers et prévôts de la connétablie, prévôts généraux, provinciaux et particuliers, même aux vice-baillis, vice-sénéchaux et lieutenants criminels de robe courte, concurremment avec les juges ordinaires, mais toujours à charge d'appel par-devant la cour du parlement.

Pour éviter cette concurrence qui entravait la marche des procédures, Louis XIV, par une déclaration du 14 octobre suivant, rendit aux cours du parlement le droit qui leur avait été conféré par les édits antérieurs de connaître en premier et dernier ressort les causes de duels et d'évoquer à elles toutes les autres affaires dont elles voudraient connaître.

Quand des juges différents avaient commencé une procédure, elle devait être continuée par le magistrat qui avait informé le premier ou par celui qui avait provoqué l'arrestation du prévenu.

Les officiers de justice avaient droit à 1,500 francs pour chaque capture.

Les parlements pouvaient prolonger la détention 38 préventive pour compléter ou pour acquérir des preuves.

Dans la procédure par contumace, sur la simple notoriété publique, un décret de prise de corps était lancé. Faute par les absents d'y obéir, leurs biens étaient immédiatement saisis, et après trois assignations à briefs jours, sans autre forme de procès, les défaillants étaient, dans la huitaine après le crime, déclarés coupables et condamnés aux peines terribles portées par l'édit.

Les biens confisqués étaient aussitôt mis sous le séquestre, leurs maisons démolies et rasées, leurs bois de haute futaie coupés à moitié. Ils étaient privés de toute succession. S'ils venaient à purger leur contumace, ils perdaient les fruits jusqu'au jugement de restitution.

Les condamnations personnelles étaient exécutées immédiatement, telles que dégradation de noblesse et décret d'infamie.

Le condamné ne pouvait purger sa contumace qu'en obtenant des lettres de permission de se représenter, et sur justification du payement intégral des amendes prononcées.

L'action principale contre le duel ne s'éteignait par aucune prescription; bien plus, elle faisait revivre toutes les autres actions criminelles déjà éteintes pour d'autres faits.

Les peines étaient plus ou moins sévères suivant la nature des affaires.

Le simple appel non suivi de duel entraînait la privation de pouvoir jamais obtenir satisfaction d'une 39 offense; la prison pendant deux années; suspension des charges et privation du revenu pendant trois ans; amende égale au moins à la moitié du revenu des biens pendant une année.

L'appelé acceptant était sujet aux mêmes peines.

En cas de duel consommé: peine de mort, confiscation totale des biens pour les deux combattants, quand bien même le duel n'eût occasionné ni mort ni blessures.

Dans les provinces où la confiscation n'était pas admise (et ce n'était que justice!), elle était remplacée par une amende au moins égale à la moitié de la valeur des biens des condamnés.

En cas de mort:

La peine était la même pour le survivant; toutefois, le législateur indiquait qu'elle serait irrémissiblement appliquée.

Quant à celui qui aurait succombé, sa mémoire était soumise à un procès pour crime de lèse-majesté; il était privé des honneurs de la sépulture; ses biens étaient soumis à la confiscation et à l'amende.

Ceux qui engageaient des seconds étaient dégradés de la noblesse; leurs armes étaient brisées et noircies par l'exécuteur de haute justice.

Les enfants n'étaient plus atteints comme autrefois par cette dégradation, mais ils étaient tenus de se pourvoir d'armoiries nouvelles.

Mêmes peines pour les seconds.

Quant au roturier qui avait provoqué des gentilshommes 40 à lui servir de seconds, il était passible de la potence et de la confiscation.

Tout laquais qui avait sciemment porté un billet d'appel, était puni, pour la première fois, du fouet et de la fleur de lis, et, en cas de récidive, des galères à perpétuité.

Les spectateurs eux-mêmes étaient punis, s'ils s'étaient rendus exprès sur le terrain. Ils étaient réputés complices du crime auquel ils avaient assisté et qu'ils n'avaient point empêché de tout leur pouvoir, ainsi qu'ils y étaient obligés, disait l'édit, par les lois divines et humaines.

Louis XIV finissait en protestant que pour aucune circonstance générale ou particulière il ne permettrait sciemment être expédiée aucune lettre contraire à cet édit.

Louis XIV tint-il toujours impartialement sa parole? Cette gloire lui a été contestée par des contemporains et principalement par un magistrat, M. Fougeroux de Campigneulles, dans son intéressante Histoire des duels. L'amélioration obtenue sous le règne de Louis XIV, sur ses prédécesseurs, y est attribuée à la marche graduelle de l'esprit humain, aux progrès de la raison humaine, et, comme nous l'avons indiqué plus haut, à l'influence civilisatrice des arts et des sciences.

L'exagération de cette législation prouvait l'impuissance en même temps que la colère du législateur.

Louis XIV pouvait-il se soustraire comme homme au préjugé qu'il combattait comme roi?

On sait comment le fameux Jean Bart, après avoir 41 reçu les compliments du grand roi sur ses nombreux exploits, finit par lui demander la grâce de Keyser, l'un de ses braves matelots, condamné à mort pour avoir tué son adversaire en duel.

Le roi hésitait.

Mais Jean Bart qui regardait son matelot comme un frère, fait feu de bâbord et tribord, si bien que la Sainte-Barbe sauta.

«—Jean Bart, dit Louis XIV, je vous accorde ce que j'ai refusé à Tourville.

«—Sire, répondit Jean Bart, mon père, deux de mes frères, vingt autres membres de ma famille sont morts au service de Votre Majesté. Vous me donnez aujourd'hui la vie de mon matelot, je vous donne quittance pour celles des autres.»

La famille de l'illustre Jean Bart était-elle la seule en mesure de mettre sous les yeux du grand roi de pareilles quittances?

Écoutons le témoignage de son propre fils.

«J'ai vu, a dit le comte de Toulouse, le feu roi sévère pour les duels, mais en même temps, si dans son régiment, qu'il approfondissait plus que les autres, un officier avait une querelle et ne s'en tirait pas suivant l'honneur mondain, il approuvait qu'on lui fît quitter le régiment

Il y avait des compagnies de gendarmes où l'on ne recevait personne qui ne se fût battu au moins une fois ou qui ne jurât de se battre dans l'année.

D'autres écrivains, au contraire, rendent justice à Louis XIV, et déclarent qu'il poursuivit son œuvre avec une persévérance et un succès dont aucun de 42 ses prédécesseurs n'avait donné l'exemple. Cette justice lui a été rendue par des écrivains dont l'autorité ne saurait être contestée.

Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, termine ses considérations en disant qu'il s'est produit cent fois moins de duels sous le règne de ce prince que sous celui de Louis XIII. Ce jugement est confirmé par un célèbre écrivain anglais, Addisson, dans le Spectator (no 99, 23 juin 1711).

Basnage, protestant réfugié en Hollande depuis la funeste révocation de l'édit de Nantes, rend à Louis XIV un hommage plus éclatant encore.

«Louis XIV, dit-il dans sa dissertation historique sur les duels, a arrêté le cours d'un mal que l'on croyait sans remède. Il a sauvé la vie à une infinité de personnes en ne faisant grâce à personne. Il a assuré le repos d'un très grand nombre de familles, en jetant l'affliction dans quelques-unes par la punition des coupables, etc.»

A ces témoignages imposants, nous ajouterons celui de M. Cauchy, lequel dans son ouvrage remarquable couronné par l'Institut, repousse le reproche d'impuissance adressé par quelques-uns à la législation de Louis XIV.

Tout en ayant pour les opinions de ces messieurs la déférence qu'elles méritent, nous n'en noterons pas moins, et cela nous suffit, que malgré toute sa rigueur et sa persévérance le grand roi ne parvint pas à abolir le duel.

La mort de ce prince fut comme le signal d'une réaction. Le duel apparut comme une sorte d'assainissement 43 au libertinage de la régence. Philippe, le régent, s'en occupait fort peu. D'Aguesseau, dans sa correspondance, nous assure qu'il n'omit rien pour exciter le zèle des parlements. Quelques condamnations rigoureuses suivies de grâces ne produisirent naturellement aucun effet. La douceur des mœurs de cette époque produisit sur la diminution du duel un effet bien supérieur à celui des lois.

Nous ne passerons pas sous silence une condamnation prononcée par le parlement de Grenoble, à la date du 16 septembre 1769, contre un conseiller à ce parlement, du Chélaz, coupable d'avoir tué en duel un capitaine de la légion de Flandre nommé Laurent Béguin. Le fait de ce duel se trouvait aggravé par des irrégularités accessoires. Les conditions d'égalité n'avaient point été observées; ainsi: l'arrêt constate que du Chélaz; «s'étant rendu au lieu du combat avec des armes défensives, avait traîtreusement assassiné son adversaire de plusieurs coups d'épée.» Certes, c'était le cas ou jamais de déployer la plus grande sévérité; aussi, l'arrêt après avoir déclaré du Chélaz «déchu de son état et office de conseiller à la cour», l'avoir dégradé de noblesse et noté d'infamie, ordonne-t-il qu'il sera conduit en chemise, tête nue et la corde au cou, ayant au poing une torche enduite de cire jaune, devant la porte de la principale église où, à genoux, il déclarera que méchamment et traîtreusement il a assassiné le dit Béguin de plusieurs coups d'épée, à terre et étant hors de défense, et qu'il en demande pardon à Dieu, au roi et à la justice; et qu'ensuite il sera appliqué 44 au supplice de la roue, ses armes préalablement noircies et brûlées au pied de l'échafaud.

Le même arrêt supprime la mémoire du sieur Béguin, comme mort du crime de duel; il prononce en outre la peine de la marque et de quatre années de galères contre le domestique de du Chélaz, pour avoir accompagné son maître, et l'avoir favorisé dans son crime.

Ce dernier fut le seul qui subit la peine. L'arrêt contre du Chélaz ne fut exécuté que par effigie.

A cette époque, la philosophie s'attacha elle-même à combattre le duel. Tout le monde connaît la protestation de J.-J. Rousseau contre cette barbare coutume, et pourtant encore, non seulement dans la noblesse et dans l'armée, mais dans la bourgeoisie même, quiconque eût refusé de se battre était déshonoré.

Le règne de Louis XVI ne diffère pas essentiellement de celui de son prédécesseur, malgré ses excellentes intentions. Il fallait, avant tout, reconnaître que les édits de Louis XIV n'étaient plus en harmonie avec les temps, etc. Une réforme législative aussi importante ne pouvait guère être entreprise par un pouvoir qui s'ébranlait toujours davantage.

La Révolution fit table rase de tout. Quelles ont été depuis cette époque les destinées du duel soit dans les mœurs, soit dans les lois? Avant d'aborder cette question et de signaler l'opinion actuellement admise dans la société française sous ces deux rapports, nous croyons devoir donner un aperçu des 45 législations contemporaines chez les principales puissances, afin de voir comment, dans les autres nations civilisées, le législateur a cherché à résoudre le difficile problème de la répression du duel.

Voir et consulter le magnifique recueil de jurisprudence générale de M. Dalloz. Tables de 22 années. Voir Duel, page 534, vol. I.

Répertoire, vol. XIX, de la page 254 à 313.

Voir l'intéressante Histoire anecdotique du duel dans tous les temps et dans tous les pays, par M. Emile Colombey.

46

CHAPITRE II.
LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES CONTEMPORAINES.

Nous ne nous proposons pas dans ce chapitre de retracer l'histoire du duel chez les nations étrangères, nous nous limiterons à présenter une simple analyse de la législation contemporaine chez les principales puissances, afin, tout en faisant nous-même les remarques nécessaires pour motiver notre conclusion, de procurer au lecteur l'avantage d'y trouver la matière d'intéressantes comparaisons et d'utiles rapprochements.

§ 1er.—ANGLETERRE.

Les phases du duel n'ont point suivi, en Angleterre, la même marche qu'en France. Le combat judiciaire et le duel y ont longtemps existé simultanément, le premier comme institution régulière, et le deuxième comme procédé illicite. Le combat judiciaire subsiste en Angleterre jusqu'au XIXe siècle. Il était tombé en désuétude surtout en matière civile. L'ancienne législation qui, en matière criminelle, permettait à un accusé d'assassinat de se justifier 47 par un combat singulier, fut invoquée en 1817 dans le procès Thornton qui fit grand bruit en Angleterre. Le combat n'eut pas lieu, parce que l'adversaire, moins sûr de sa force que de la justice de sa cause, se désista.

Ce rappel à une législation oubliée provoqua le bill d'abrogation adopté par le parlement en 1819. Quant au duel proprement dit, tel qu'il existe encore aujourd'hui dans le Royaume-Uni, on comprend que ni dans les siècles antérieurs ni de notre temps, il n'ait point exercé des ravages aussi conséquents qu'en France, et, qu'aujourd'hui même, il y soit d'un moins fréquent usage. La raison de ce fait s'explique par la différence de caractère entre les deux peuples. Le flegme britannique peut-il être comparé à l'esprit violent et impressionnable du Français? Il faut aussi remarquer que l'offensé, en Angleterre, est toujours sûr d'obtenir, par les voies légales, la réparation de l'injure qui est faite. (??!!) «Là, dit M. Fougeroux de Campigneulles (Hist. des duels, t. II, page 162), on peut plaider en toutes matières, sans craindre ou la capricieuse indifférence du juge ou les malins commentaires de l'opinion.» (?!!)

Blackstone, dans son Commentaire sur les lois anglaises (t. V, page 545), parlant des duellistes, approuve la loi qui les a «déclarés avec justice coupables de meurtre et punissables comme tels avec leurs seconds

Le duel suivi de la mort de l'un des combattants est donc puni comme le meurtre.

S'il n'a pas entraîné la mort, il est puni comme 48 une rixe ou batterie, avec la circonstance aggravante de la préméditation.

L'appel est considéré comme une offense punissable par la loi, puisque c'est un acte conduisant à la perpétration du crime. (Blackstone, tome VI, page 28; Cauchy, tome II, page 126 en note.)

Le code militaire, tout en laissant le duel, quant à ses résultats, sous l'empire du droit commun, contient quelques dispositions au sujet de la provocation. Elles sont citées dans l'ouvrage de M. Louis Dufour (Répression des duels). Ainsi, l'injure, la provocation par parole et gestes, l'appel ou l'envoi d'un cartel donnent lieu à des peines variables, selon qu'il s'agit d'un officier non commissionné ou d'un soldat.

Tout officier commissionné ou non commissionné commandant une garde, qui souffrira sciemment qu'une personne quelconque sorte pour se battre en duel, sera considéré comme auteur et puni en conséquence. Il en est de même des promoteurs, seconds et porteurs de cartel.

Tout officier, quel que soit son grade, a le pouvoir d'empêcher et de réprimer toute querelle et d'ordonner aux officiers les arrêts, et aux officiers non commissionnés et soldats la prison, sauf à rendre compte aux chefs. Quiconque refuserait de lui obéir sera puni à la discrétion de la cour martiale.

Sir H. Hardinge a donné connaissance à la Chambre des communes de quelques articles nouveaux (11 mars 1844).

Tout officier qui enverra un cartel, l'acceptera ou n'empêchera pas un duel projeté, s'il en a connaissance; 49 qui reprochera à un autre de n'avoir pas envoyé de cartel ou d'avoir refusé de se battre, qui rejettera ou conseillera de rejeter des propositions d'arrangement honorables, sera déféré à la cour martiale pour être cassé ou soumis à telle peine que la cour avisera.

L'officier traduit devant la cour pour avoir été second, s'il est établi qu'il a fait ses efforts pour provoquer un arrangement, sans pouvoir y réussir, subira une punition telle que la cour avisera.

Enfin, la reine fait dans le même acte la déclaration suivante, que sir Hardinge signalait à l'attention du Parlement.

«Nous déclarons, par ces présentes, notre approbation de la conduite de ceux qui, ayant eu le malheur d'offenser ou d'injurier, d'insulter autrui, en viennent à rendre franche explication, s'excusent et offrent de réparer leurs torts, ou de ceux qui ayant eu le malheur de recevoir une offense, une injure ou une insulte, acceptent cordialement les explications franches, les excuses ou les réparations qui leur sont offertes. Si on refuse de donner ou d'accepter de telles explications, excuses ou réparations, nous voulons que le cas soit soumis à l'officier commandant le régiment, le détachement ou la place, et nous déclarons entièrement quittes de tout déshonneur ou opinion désavantageuse, tous officiers et soldats qui, étant disposés à accepter ou à faire de telles réparations, refuseront d'accepter des cartels, attendu qu'ils auront agi comme il convient au caractère d'hommes d'honneur et 50 auront fait leur devoir de bons militaires en obéissant à la discipline.»

Nous avons vu la défense invoquer la prohibition de la loi et, ensuite, citer la précédente déclaration dans un conseil de discipline tenu à l'étranger.

L'officier qui avait refusé de se battre, fut condamné à la perte de son épaulette, à l'unanimité! La sentence fut approuvée par l'autorité supérieure, et exécutée.

En Angleterre, la veuve d'un officier qui a perdu la vie par duel ou suicide est déchue de ses droits à la pension. Sans doute, la vie d'un officier appartient à la patrie, mais cette loi nous paraît rigoureuse et même injuste, car elle rend responsables une femme et des enfants d'une faute qui n'est pas la leur; et, d'ailleurs, les services n'ont-ils pas été rendus?

On admet quelquefois des circonstances atténuantes, seulement le droit est perdu. Le pouvoir discrétionnaire de la couronne en décide.

Cet article de la loi est pour l'élément militaire; mais, comme le faisait observer sir Hardinge, si les officiers de l'armée et de la flotte donnent l'exemple de prendre la voie des accommodements pour obtenir les réparations de leurs offenses ou de leurs torts, il est à penser que les particuliers suivront cet exemple.

Toujours est-il que les duels subsistent (beaucoup plus rarement qu'ailleurs, nous en avons signalé la cause), parce que la loi est en désaccord avec l'opinion, et que les verdicts d'acquittement des jurys refusent 51 de confondre le duel avec l'homicide et l'assassinat. Cette situation anormale n'a pas laissé que de préoccuper l'opinion favorable à une réforme. Un député, M. Turner, fit une motion tendant à ce qu'il fût avisé aux moyens de procurer l'abolition du duel; cette motion donna lieu à une discussion intéressante à laquelle prirent part les membres les plus éminents de la Chambre. La motion fut retirée pour être représentée dans des temps plus favorables. Toutefois, dans cette discussion, il fut fait mention d'une association fondée entre personnages éminents de l'ordre civil et de l'armée, ayant pour premier moyen celui de faire prendre aux associés l'engagement de soumettre toute affaire d'honneur à la décision des juges-arbitres qui seraient nommés annuellement par la Société. Les seconds exposeraient l'affaire, et les juges-arbitres dicteraient les termes de la satisfaction, dans le cas où il y aurait lieu à satisfaction soit par une des parties, soit par toutes les deux, et sir Robert Peel déclare que l'influence d'une association ainsi composée et répudiant par une déclaration publique tout envoi ou acceptation de cartel, lui paraissait plus efficace que tout changement dans la loi.

Nous ne nions pas l'efficacité relative, mais l'expérience montre qu'elle est loin d'être absolue. Du reste l'honorable homme d'État constate un fait important, à savoir: que le recours à l'influence de l'opinion publique est plus efficace que l'appel à un changement dans la loi répressive.

52

§ 2.—ÉTATS-UNIS.

La Confédération américaine est composée de différents États ayant chacun leur autonomie, et par conséquent leurs institutions particulières. Sans parcourir toutes ces diverses législations, nous nous y arrêterons cependant dans la mesure absolument nécessaire pour donner à nos lecteurs un aperçu de la législation de ces pays.

A New-York, Massachusetts, Vermont, au Maine, l'homicide commis en duel est puni de mort. Le cadavre du meurtrier est livré, après l'exécution, à la salle d'anatomie.

Dans la plupart des États, le duel, quelle que soit son issue, est puni de l'amende et de l'emprisonnement; cette dernière peine est plus ou moins rigoureuse suivant les circonstances et la diversité des systèmes pénitentiaires.

En Pennsylvanie, l'envoi ou l'acceptation d'un cartel de duel, sont punis d'une amende de 500 dollars et d'un emprisonnement d'un an avec travail pénible.

En cas de mort, le survivant encourt la peine de l'assassinat au 2e degré, c'est-à-dire de quatre à douze ans de prison.

La récidive entraîne la prison à vie.

Tout cela avec privation soit absolue, soit temporaire des droits politiques.

En Virginie, cette dernière peine est la seule dont 53 le duel soit passible. Tous les fonctionnaires quelconques doivent jurer de ne s'être jamais battus en duel et de respecter et faire respecter toujours les lois contre le duel. Ce moyen paraît avoir donné des résultats satisfaisants.

Nous nous arrêterons principalement sur le projet de code rédigé pour la Louisiane par M. Livingstone.

L'exposé des motifs prouve la liaison étroite qui existe entre le duel et l'injure, et établit comme conséquence qu'une législation complète sur cette dernière est le préliminaire obligé d'une répression efficace du duel.

«Partout, dit-il, où l'honneur n'obtiendra pas une entière satisfaction, les passions humaines s'efforceront de suppléer à l'insuffisance de la loi.»

Ce fait nous paraît indiscutable, mais est-il possible d'obtenir dans la pratique que toute offense ou injure reçoive sa complète réparation? Nous soutenons la négative.

M. Livingstone ne consacre pas moins de 43 articles (de 362 à 405), pour définir les délits qui portent atteinte à la réputation. Ces délits sont tous confondus sous le nom de diffamation. Il les définit (art. 363): «un préjudice porté à la réputation d'un autre par une allégation qui est fausse ou qui, si elle est vraie, n'est pas faite avec intention justifiable.»

La diffamation peut avoir lieu par signes ou par parole: elle est alors appelée ou médisance ou calomnie; ou par écrits ou peintures: elle est alors qualifiée 54 de libelle (Art. 364). Il faut pour constituer ce délit qu'il y ait un préjudice porté.

On peut exprimer son avis sur une personne qui veut remplir une place (370); critiquer un ouvrage d'histoire et de littérature, donner son opinion sur la capacité de l'auteur, pourvu que l'opinion ainsi publiée ne serve pas de prétexte pour couvrir l'intention perverse de préjudicier à la partie qui en est l'objet (370).

L'allégation signifie non seulement l'assertion directe d'un fait, mais toute espèce de discours, de caricature ou d'allusion, par lesquels les auditeurs ou spectateurs peuvent comprendre ce que l'on désire insinuer (384).

L'article 386 trace les limites dans lesquelles doit se renfermer la discussion dont les actes officiels ou la conduite des hommes publics peuvent être l'objet; il établit ce qu'il est permis de dire ou d'écrire par les juges, avocats ou témoins, dans les procès pendants ou à intenter.

La mémoire des morts devant être protégée sans léser les droits de l'histoire, l'article 383 établit:

1o Que nulle poursuite ne peut avoir lieu que par délibération d'une assemblée de famille.

2o Tout exposé critique est permis pourvu qu'il soit le résultat impartial de recherches historiques ou littéraires et non celui d'un projet de diffamation.

Quant aux peines applicables, elles consistent dans l'amende et l'emprisonnement ou dans tous les deux ensemble.

L'emprisonnement est simple, quand il se limite à la prison commune, avec faculté d'étudier, d'écrire, 55 de communiquer avec la famille aux heures fixées par les règlements. Il est étroit ou restreint, quand le détenu est renfermé en cellule, soumis à la ration des prisonniers et sans communication avec le dehors.

L'imputation d'un crime est punie d'une amende ne dépassant pas 3000 piastres ou d'un emprisonnement d'une année ou de deux. L'emprisonnement peut être restreint pendant une partie ou la totalité de la peine. Si la diffamation n'impute pas un crime, la peine est diminuée d'un quart.

Si la diffamation est faite par libelle, l'emprisonnement est toujours étroit dans la peine prononcée (Art. 362).

En Amérique, le jury a compétence tant en matière civile qu'en matière criminelle.

D'après la législation française, la médisance et la calomnie sont placées sur la même ligne dans le délit de diffamation, c'est-à-dire que le débat ne peut porter sur la vérité ou sur la fausseté des faits allégués. Aussi, l'honneur de la personne diffamée n'obtient-il aucune satisfaction par la condamnation du diffamateur.

Contrairement à cette législation, l'article 397 du code de la Louisiane porte que, dans le jugement d'un procès en diffamation, le jury doit déclarer expressément dans son verdict s'il trouve les allégations fausses en totalité ou en partie, et si elles sont malicieuses; et cet article ajoute que: l'imputation faite par le défendeur, le prononcé du jury, les jugements de la Cour seront, si le demandeur le requiert, publiés aux frais du défendeur.

56 Enfin l'article 396 contient la disposition conciliatrice suivante: La cour a le pouvoir discrétionnaire de prononcer la remise de la peine en tout ou en partie, si l'offenseur fait à l'offensé des réparations dans la forme à prescrire par la cour elle-même.

L'article 398 établit que si l'offenseur se déclarant l'auteur du libelle ou des paroles offensantes a reconnu que la charge qu'ils impliquent est sans fondement ou ne concerne pas le plaignant, etc., que l'on s'est mépris sur le vrai sens qu'il explique (à sa manière!) il sera exempt de payer les frais, mais les actes du procès peuvent être publiés.

Certes, voilà une belle série d'articles, pour réprimer la diffamation; sont-ils suffisants pour prévenir ou pour réprimer toutes les atteintes portées à l'honneur? Nous soutenons encore la négative. Pour ce qui regarde le duel, M. Livingstone repousse son assimilation à l'assassinat. «Un combat sanctionné par l'opinion publique, dit-il, et qui n'est marqué par aucune circonstance particulière de méchanceté, ne sera jamais considéré ou puni comme assassinat... que la sévérité de la peine soit réservée pour les cas de férocité ou de perfidie... N'infligez qu'une peine légère aux duels loyalement conduits et punissez les insultes.»

Comme on le voit, c'est dans la modération et dans le choix intelligent des peines que le législateur a cherché un remède contre un mal qui, à la Louisiane particulièrement, avait fait de cruels ravages.

La gradation des peines est la suivante:

Insulte par paroles et par gestes:

57 Amende de 50 à 300 piastres, prison restreinte de cinq à trente jours (Art. 549).

Le déni ou réparation jugés suffisants par la cour, peuvent exempter l'insulteur de la peine; les frais restent à sa charge (Art. 550).

Le jugement doit même insérer la cause d'absolution dans le cas où le plaignant serait satisfait comme ci-dessus (Art. 551).

Envoi et acceptation de cartel:

Prison étroite de deux à six mois, suspension pendant quatre ans de l'exercice des droits politiques (Art. 551).

Celui qui inflige une blessure qui ne cause ni la mort ni l'incapacité permanente, est puni de prison étroite de douze à dix-huit mois, avec suspension de l'exercice de ses droits politiques pendant huit ans (Id.).

La blessure qui a causé une incapacité physique permanente emporte la prison pendant douze mois au moins (la loi laisse au juge le droit d'établir le maximum) avec suspension, pendant sept ans, de l'exercice des droits politiques et des droits civils de la 1re et de la 3e classe (Id.).

Les droits civils sont divisés en trois classes.

La première comprend:

Le droit d'être exécuteur testamentaire, administrateur, tuteur, curateur, mandataire légal ou procureur fondé, ou de remplir toute charge privée actuellement établie ou à établir par la loi.

La deuxième:

Le droit d'ester en justice, soit en personne, soit 58 par procureur, comme partie dans une instance quelconque, soit comme demandeur, soit comme défendeur.

La troisième:

Le droit de porter les armes pour la défense du pays, et de remplir les fonctions de juré.

On peut se demander ici quelle perturbation l'application de quelques-unes de ces peines doit porter dans les familles comme dans la société.

La mort, ou une blessure mortelle données dans le duel, emportent la prison étroite de deux à quatre ans avec déchéance absolue des droits politiques de la 1re et de la 3e classe (Id.).

Celui qui donne traîtreusement la mort à son adversaire ou lui fait une blessure mortelle est considéré comme assassin et puni comme tel (Id.).

Suivant l'article 563, la mort est traîtreusement infligée, si elle est donnée en violant les lois qui régissent le combat, ou en prenant tels autres avantages qui, quoique non expressément proscrits par les dites lois, ne peuvent pas être supposés avoir été intentionnellement permis.

Les articles 564 et 565 déterminent encore d'autres cas où l'homicide commis en duel doit être considéré comme assassinat.

Ainsi: quand la blessure mortelle est à dessein et sciemment infligée à un adversaire hors d'état de faire résistance, soit parce qu'il est désarmé ou autrement, soit qu'il ait ou non agi en conséquence de quelque règle convenue préalablement au combat.

Quand la mort est donnée par une partie qui a obtenu 59 par le fait d'une chance convenue d'avance le pouvoir de l'infliger sans risque pour elle-même; par exemple, si un seul pistolet avait été chargé.

Suivant l'article 556, quiconque conseille à un autre de se battre en duel, tient des discours réprobateurs ou méprisants contre une personne parce qu'elle n'aurait pas donné ou accepté un cartel, qu'elle ne se serait pas battue, subira une amende de 50 à 500 piastres et un emprisonnement étroit de trente jours à six mois, avec suspension de l'exercice des droits politiques pendant trois ans.

La loi garde un silence absolu envers les témoins. Ils tombent donc sous les dispositions générales de l'article 62 du code des délits:

Sont aussi réputés auteurs principaux ceux qui ayant conseillé ou approuvé le délit, ont été présents à sa perpétration, soit qu'ils y aient ou non coopéré.

Du reste, l'exposé des motifs a clairement expliqué l'intention de M. Livingstone, de les punir comme les combattants eux-mêmes, afin de rendre les duels aussi rares que possible par la difficulté de trouver des témoins.

Le but de l'auteur du projet a-t-il été atteint en partie? Oui. Totalement? Non. La pratique est là pour témoigner le contraire.

Nous entendions si souvent vanter les institutions américaines, que nous avons cru devoir nous en occuper quelques instants, supposant que nos lecteurs voudront bien nous accorder un bill d'indemnité pour cet acte de déférence envers la mode.

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§ 3.—BELGIQUE

La loi du 8 janvier 1841 est dominée par le principe général: qu'il convient d'appliquer au duel des peines modérées que l'on pourra aggraver dans la suite, à mesure que l'opinion se prononcera plus fortement contre les combats singuliers.

L'amende et la prison correctionnelle y sont graduées suivant la gravité des faits.

Dans certains cas déterminés par la loi, les tribunaux peuvent ajouter:

1o La privation temporaire de tous les emplois civils et militaires et du droit de porter des décorations;

2o L'interdiction également temporaire de l'exercice de la totalité ou d'une partie des droits mentionnés à l'article 42 du Code pénal.

La durée de l'une ou de l'autre de ces peines, ne peut excéder dix années. Le temps ne court qu'à partir du jour où le délinquant subit sa peine.

En réfléchissant qu'un emploi a été souvent obtenu par de longs services ou à titre onéreux; qu'une décoration est souvent le prix du sang versé pour la patrie, quel est le juge sérieux qui se résoudra à appliquer de pareilles peines?

La loi a justement pensé que l'injure est la cause première du duel, et que la provocation n'est le plus ordinairement que la réponse à l'injure.

Passons aux articles:

61 Article 1er.—La provocation au duel sera punie d'un emprisonnement de un à trois mois, et d'une amende de 100 à 500 francs.

Art. 2.—Seront punis de la même peine ceux qui décrient publiquement ou injurient une personne pour avoir refusé un duel.

Art. 3.—Celui qui a excité au duel, ou par une injure quelconque a donné lieu à la provocation, sera puni d'un emprisonnement de un mois à un an, et d'une amende de 100 à 1,000 francs.

(Comment déterminer qu'il y a eu injure suffisante pour amener la provocation? L'injure, comme nous l'avons dit ailleurs, est telle qu'on la sent. Le pouvoir discrétionnaire du juge doit donc suppléer ici aux définitions que la loi ne saurait lui donner.)

Art. 4.—Celui qui dans un duel a fait usage de ses armes contre son adversaire, sans qu'il en soit résulté ni homicide ni blessure, sera puni d'un emprisonnement de deux mois à dix-huit mois et d'une amende de 200 à 1,500 francs.

Celui qui n'aura pas fait usage de ses armes, sera puni conformément à l'article 1er.

Art. 5.—Lorsque dans un duel l'un des combattants a donné la mort à son adversaire, le coupable sera puni d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 1,000 à 10,000 francs.

Lorsqu'il sera résulté du duel des blessures qui auront causé une maladie ou une incapacité de travail 62 personnel pendant plus de vingt jours, le coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à trois ans et d'une amende de 400 à 2,000 francs.

Art. 6.—Si les blessures résultant du duel n'ont occasionné aucune maladie ni incapacité de l'espèce mentionnée dans l'article précédent, le coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 400 à 2,000 francs.

Le combattant qui a été blessé sera puni des peines portées par le § 1er ou le § 2 de l'article 4, selon qu'il aura fait ou n'aura pas fait usage de ses armes contre son adversaire.

L'article 11 prescrit que dans tous les cas prévus par le § 1er de l'art. 4, l'art. 5, et le § 1er de l'art. 6, lorsque l'emprisonnement est prononcé, les tribunaux peuvent, en outre, ajouter les peines facultatives que nous avons signalées plus haut, c'est-à-dire la privation temporaire des emplois et décorations, l'interdiction des droits mentionnés dans l'article 2 du Code pénal.

Le duelliste blessé dans le combat n'est point sujet à ce surcroît de peines.

L'article 12 décide qu'en cas de nouveaux délits de même nature, les récidivistes seront condamnés au maximum de la peine qui pourra être portée au double.

Le législateur, en dehors de la récidive, laisse toutes les circonstances aggravantes à l'appréciation des juges.

La loi a restreint l'admission possible des circonstances atténuantes, à la provocation, à l'injure, à 63 l'excitation et au cas où l'un des combattants se soit abstenu de faire usage de ses armes.

Art. 14 et dernier.—Dans tous les cas prévus par les articles 1, 2, 3, et § 2 de l'article 5 de la présente loi, si des circonstances atténuantes sont reconnues, les tribunaux auront la faculté d'abaisser la peine depuis six jours de prison et 16 francs d'amende. Ils pourront même ne prononcer que l'une ou l'autre de ces peines dans le cas prévu par la deuxième disposition de l'article 4.

La loi du 8 janvier 1841 a dérogé aux principes généraux du Code pénal en fait de complicité.

Aux termes de l'article 7 de cette loi, sont réputés complices des délits commis en duel ceux qui, par dons, promesses et menaces, abus d'autorité et de pouvoir, machinations ou artifices coupables, ont provoqué à les commettre. Cet article ajoute que les complices seront punis comme les autres.

Les témoins ne sont pas considérés comme complices par cela seul qu'ils sont témoins: il faut que leur conduite présente les caractères déterminés par l'article 7.

Nous avons intérêt à faire remarquer ici qu'une grave discussion s'éleva dans la Chambre des représentants au sujet du traitement à infliger aux témoins, contre lesquels il n'y aurait point à relever de circonstances aggravantes; lesquels, au contraire, se seraient bien comportés. Quelques orateurs auraient voulu (et plus tard nous émettrons avec insistance un avis semblable) que quand ils ont loyalement accompli leur devoir, on ne leur appliquât aucune 64 peine, parce qu'alors leur intervention ne peut produire que d'heureux effets, et que, selon l'expression d'un homme dont la parole fait autorité, M. le duc Pasquier, leur présence est secourable à la cause de la raison et de l'humanité. En effet, avant que le combat commence, ils renouvellent leurs tentatives de conciliation et souvent, à ce moment suprême, leurs efforts sont couronnés de succès. Lorsqu'ils ne peuvent empêcher le duel, ils en rendent les conditions plus équitables et moins funestes. Il réussissent quelquefois à l'interrompre et même, en cas de blessure, leurs soins empressés peuvent sauver la vie de celui qui aurait succombé, etc... A cela on répondit que le duel étant un délit, on ne pouvait, sans inconséquence, innocenter la coopération à ces faits, etc.

La réponse était logique. Mais comment faire pour ne point s'écarter des conseils de l'utilité pratique? C'est précisément ce que nous nous proposons d'exposer dans notre conclusion.

En fait, dans l'article 8, on rencontre cette disposition: «Dans les cas prévus par les articles 5 et 6, les témoins, s'ils ne sont pas complices, seront punis d'un emprisonnement de un mois à un an, et d'une amende de 100 à 1,000 francs.»

Lorsque le duel a eu lieu, mais qu'il n'a été suivi ni de mort ni de blessures, la loi ne poursuit pas les témoins, parce qu'elle présume que c'est à la sagesse de leurs dispositions qu'il faut attribuer cet heureux résultat.

La peine facultative portée par l'article 11 peut 65 être ajoutée aussi bien pour les complices que pour les auteurs du délit.

La loi du 8 janvier 1841 ne contient aucune disposition relative à la compétence; il s'en suit que cette loi n'a pas dérogé pour les duels aux règles du droit commun, et qu'ils sont de la compétence des tribunaux correctionnels.

Quelques représentants ont bien proposé de déférer la répression du duel au jury; mais cette sage disposition n'a point prévalu...

Nous mentionnerons encore une disposition de la même loi relative aux militaires.

L'article 9, après avoir déclaré qu'il n'est pas dérogé aux lois qui règlent la compétence des tribunaux militaires, porte cependant que le militaire qui se sera battu avec un individu non militaire sera soumis à la juridiction ordinaire, lors même que ce dernier ne sera pas poursuivi.

§ 4.—AUTRICHE-HONGRIE

La loi autrichienne, suivant les errements de la loi française, divise en trois classes les diverses infractions auxquelles elle applique des peines.

Celles de la première classe, les plus graves, qualifiées de crimes dans la loi française, sont appelées délits.

Celles de la deuxième classe, en France désignées sous la dénomination de délits, sont appelées graves infractions de police.

66 La troisième classe, enfin, comprend les simples contraventions.

Les peines seules applicables aux délits, c'est-à-dire aux infractions les plus graves, sont la mort et l'emprisonnement.

L'emprisonnement a trois degrés:

1o la prison simple; 2o la prison dure (carcere duro); 3o la prison très dure (carcere durissimo).

L'isolement, plus ou moins complet, est accompagné dans les degrés plus ou moins élevés, de la mise aux fers.

Le duel est classé comme délit.

Art. 140. (Code pénal.)—Celui qui, pour quelque cause que ce soit, défie un autre à se battre avec des armes meurtrières, et celui qui, après un tel défi, se présente au combat, commettent le délit de duel.

Ce délit, quand bien même il n'entraînerait aucune conséquence, est puni du carcere duro de un à cinq ans (Art. 141).

S'il en est résulté une blessure, la peine est le carcere duro de cinq à dix ans (Art. 142).

Si le duel est suivi de la mort de l'un des deux combattants, le meurtrier est puni du carcere duro de dix à vingt ans. Le cadavre du mort, s'il est demeuré sur place, est transporté sous l'escorte de la garde dans un lieu hors du cimetière commun pour y être inhumé (Art. 143).

La provocation est simplement considérée comme une circonstance aggravante du duel. «Dans tous les cas, porte l'article 144, le provocateur est puni plus sévèrement que le provoqué et, par conséquent, 67 pour un temps plus long qu'il ne l'eût été s'il eût été provoqué.»

Ici nous demanderons quel est le véritable provocateur? Selon la loi, qui n'envisage que le délit matériel, le provocateur est celui qui envoie le défi. Selon l'opinion publique, d'accord avec la vérité morale et pratique, le véritable provocateur, c'est l'auteur de l'offense, car c'est l'offense reçue qui a donné lieu au défi.

Art. 145.—Ceux qui, d'une manière quelconque, contribuent à la provocation ou à l'acceptation d'un duel, ou qui font des menaces ou des démonstrations méprisantes à celui qui était disposé à se dispenser de l'accepter, sont punis de la prison; mais, s'ils ont particulièrement influé sur la détermination, et si, dans le duel, il y a eu blessure ou mort, ils sont punis de la prison dure de un à cinq ans.

Art. 146.—Ceux qui se présentent au duel comme assistants ou comme seconds pour l'un des combattants, sont punis de la prison dure pendant un an, et, selon l'influence qu'ils ont exercée et le mal advenu, la prison dure peut être étendue à cinq ans.

Les duels sont de la compétence des tribunaux criminels ordinaires.

Les dispositions de la loi contre le duel entre militaires, sont contenues dans le code militaire de 1855 (Militar Strafgesetz), 4me partie, chapitre XIV.

§ 437.—Tout militaire qui en défie un autre en 68 combat singulier, ou qui en accepte le défi, commet le délit de duel (Zweikampf).

§ 438.—Si le duel n'a pas eu lieu, les coupables encourent une punition disciplinaire de un jusqu'à trois mois d'arrêts.

S'il a eu lieu sans qu'aucun des deux adversaires ait été blessé, la peine est de six mois de prison jusqu'à un an.

§ 439.—En cas de blessure, la prison peut être portée d'une année jusqu'à cinq ans.

§ 440.—En cas de mort de l'un des deux adversaires, le meurtrier subira de cinq à six ans de prison. Si pourtant on avait mis pour condition du duel que la mort de l'un des deux adversaires devait s'ensuivre, la peine sera portée jusqu'à vingt ans de prison dure. (Carcere-duro).

§ 441.—Le provocateur sera toujours puni avec plus de rigueur que celui qui aura accepté le défi.

§ 442.—Quiconque favorise d'une manière quelconque la perpétration du délit, sera puni de six mois de prison à un an; et si le duel a pour issue une blessure ou la mort de l'un des deux adversaires, le complice aura la même peine que celui qui aura donné la blessure ou la mort.

§ 443.—Les parrains ou seconds, seront punis de six mois de prison à un an; selon l'influence qu'ils auront exercée, et le mal qui s'en sera suivi, cette peine pourra s'étendre jusqu'à cinq ans.

§ 444.—Ne sont point coupables de ce délit:

69 Ceux qui s'étant défiés, s'abstiennent volontairement de la rencontre.

Ceux qui bien qu'impliqués dans l'affaire, se sont efforcés d'empêcher le duel.

Les officiers qui auront servi de seconds, si parmi les adversaires il se trouve au moins un officier, et s'il résulte qu'ils aient fait tout leur possible pour empêcher la rencontre.

§ 445.—(Punit avec diverses peines graduelles, ceux qui sans défi préliminaire mettent la main aux armes qu'ils portent au côté pour venger une offense personnelle.)

§ 446.—Si le défi a lieu entre militaires de grades inégaux, le délit prend le caractère d'insubordination, et comme tel, est contenu dans la deuxième partie du Code, chapitre II.

§ 447.—Le commandant supérieur d'une localité où le duel aurait lieu, et qui n'a pas fait tous les efforts possibles pour l'empêcher, ou le juge militaire qui ne punit pas les coupables encourront des peines de diverse nature, suivant les conséquences plus ou moins graves qui en dérivent.

2e PARTIE.—CHAPITRE II.—INSUBORDINATION.

§ 155.—Tout militaire qui, en service ou hors de service, provoque un supérieur en grade, quand bien même la rencontre n'aurait pas lieu, se rend coupable 70 d'insubordination, et est punissable de la prison de un an à cinq ans.

Les dispositions que nous venons de parcourir sont très rigoureuses, mais dans la pratique, elles ne sont jamais appliquées.

Nous noterons ici, quant à la compétence, que les militaires qui commettent le délit du duel (Zweikampf), doivent être jugés par un tribunal militaire, et jamais par un tribunal civil, quand bien même un des adversaires serait civil.

Mais par suite d'une habitude invétérée, si un duel a lieu, les tribunaux se préoccupent peu de commencer l'instruction du procès, parce que, si l'affaire est de peu d'importance, aucune autorité militaire n'en fera d'observation, et si au contraire l'affaire est grave, une ordonnance de l'empereur invitera le tribunal à fermer l'œil.

L'année dernière à Vienne, on eut une preuve évidente de cette assertion. Le comte K*** tua dans un duel au pistolet le comte A***. Le premier était caporal dans un régiment, le second était civil, parent du président du conseil, et appartenant à une illustre famille de la Bohême. On croyait que tout au moins pour donner une satisfaction à la famille, le comte K*** serait mis en jugement, quitte à être gracié ensuite. Il n'en fut rien, S. M. l'empereur fit suspendre le procès, et le coupable s'en tira avec quelques jours de consigne à la caserne.

Il est arrivé quelquefois de même, lorsqu'un duel a eu lieu entre supérieur et inférieur, et que le tribunal d'honneur consulté, ou le corps des officiers 71 déclarent que le duel était justement motivé par le point d'honneur. Dans ce cas, l'empereur use de sa prérogative souveraine pour arrêter les poursuites.

Le fait s'est présenté il y a quelque temps: un capitaine C*** contraint presque un jeune officier à jouer avec lui. Pendant la partie, le capitaine oublie la dignité de son grade au point d'adresser des insultes de nature à attaquer l'honneur de son partner. Le jeune officier oppose le calme, et, la partie finie, se retire et envoie demander raison à son supérieur.

Le duel fut approuvé par le corps d'officiers, et le jeune officier ne fut point poursuivi.

Le capitaine se garda bien de se prévaloir de sa supériorité de grade pour refuser la satisfaction demandée, car le refus eût pu lui être funeste.

En effet quelques individualités, assez rares, il est vrai, peu conscientes ou pénétrées du véritable esprit des institutions militaires, semblent considérer le grade comme un pouvoir féodal donnant le droit de cuissage sur leurs subordonnés.

La discipline qui est l'âme des armées, donne au grade le droit constant à l'obéissance et au respect, pour le bien du service et dans l'intérêt de l'État.

Les abus commis par les supérieurs en service ou à l'occasion du service, s'ils n'exemptent pas le subordonné de l'obéissance et du respect, n'enlèvent pas à ce dernier le droit de recourir à l'autorité supérieure, laquelle trouve dans les règlements militaires les moyens de répression suffisants.

Mais il est dans la vie sociale et en dehors du service, 72 des abus que l'autorité disciplinaire est impuissante à compenser, car ils attaquent le point d'honneur.

Dans ces cas exceptionnels, l'intervention de l'autorité suprême s'explique tout naturellement, car, le respect pour le point d'honneur sévèrement maintenu dans les corps d'officiers, produit soit en faveur de la discipline, soit en faveur de la solidité de l'armée, des conséquences morales que le cadre de notre sujet ne nous permet pas de développer.

Le règlement de discipline (service intérieur), ne mentionne point de duel.

En 1871, furent institués les tribunaux d'honneur auxquels on soumit quelquefois des questions regardant le duel, non pour s'occuper de la répression des coupables, mais pour examiner les circonstances et faits qui précèdent la provocation, pour juger de l'honorabilité des personnes avec lesquelles un officier aurait à se battre, pour prononcer un verdict de blâme quelquefois suffisant pour motiver le renvoi de l'armée contre celui qui ayant reçu une offense, ne se serait pas battu, et autres affaires semblables.

D'après ce, l'on voit que les tribunaux d'honneur en matière de duel ne peuvent avoir qu'une compétence modératrice, et jamais répressive ni même préventive.

§ 5.—ITALIE.

Dans les États Sardes qui ont servi de base à la monarchie Italienne d'aujourd'hui, les lois sur le 73 duel ont suivi, comme partout ailleurs, des phases en rapport avec les besoins de l'état social. Ces besoins, du reste, ont toujours été bien compris par la maison de Savoie, dont le gouvernement paternel, même dans les temps les plus reculés, s'est toujours efforcé de se conformer à l'esprit d'actualité, et d'employer la prérogative souveraine pour adoucir avec à propos la rigoureuse application des lois.

Dans le royaume d'Italie, le duel est encore régi par la législation des États Sardes. Nous la rencontrons dans le titre X, section VII du Code pénal de 1859.

Art. 588.—Il y a délit de duel lorsqu'ensuite d'un défi accepté, un des adversaires mis en présence de l'autre, a fait usage des armes destinées au combat.

Art. 589.—L'homicide commis en duel est puni d'un emprisonnement d'un an au moins.

S'il est résulté du duel des blessures constituant par elles-mêmes un crime, celui qui en sera l'auteur sera puni d'un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus.

S'il est résulté du duel des blessures moins graves, l'auteur sera puni d'un emprisonnement qui pourra être porté à six mois.

Si le duel n'a occasionné ni homicide, ni lésions personnelles, les duellistes seront punis d'un emprisonnement qui pourra s'étendre à un mois.

Art. 590.—Dans tous les cas prévus par l'article précédent, la peine de l'emprisonnement pourra, suivant 74 les circonstances, être remplacée par celle du confinement.

(Le confinement consiste dans l'obligation imposée à un délinquant d'habiter une commune désignée et distante, d'un myriamètre et demi au moins, soit du lieu du délit, soit de la commune où le délinquant et la partie offensée ou lésée, ont leur domicile respectif.)

Art. 591.—A la peine de l'emprisonnement ou du confinement, sera toujours jointe une amende correctionnelle qui pourra être portée à mille livres.

Art. 592.—Le minimum de la peine ne sera jamais appliqué à celui des duellistes qui aura été le provocateur de l'altercation, ayant occasionné le duel.

Art. 593.—Les témoins ne seront considérés comme complices que dans le seul cas où ils auraient été les instigateurs du duel.

Art. 594.—Tout militaire ou autre individu faisant partie de la force publique, venant à rencontrer des personnes qui se disposent à se battre ou se battant, devra leur intimer au nom du Roi, de déposer les armes et de se séparer: pour le seul fait de désobéissance à cette intimation, les duellistes seront punis d'un mois d'emprisonnement.

Art. 595.—Les peines prononcées comme ci-dessus contre le duel, seront applicables aux duellistes, lors même qu'ils auraient choisi le lieu du 75 combat hors des Etats, si d'ailleurs le défi et l'acceptation du défi, ont été échangés dans les Etats.

Après cette législation encore en vigueur actuellement en Italie, nous croyons devoir reproduire ici, à titre de renseignement, les articles relatifs au duel, contenus dans le nouveau projet de Code pénal, présenté au Sénat, par le ministre Vigliani, au mois de février 1874.

TITRE XII.—CHAPITRE VII.—DU DUEL.

Art. 396. § 1.—Quiconque défie un autre à se battre en duel, est puni d'une amende extensible jusqu'à 500 francs, quand bien même le défi n'aurait pas été accepté, et le duel n'aurait pas eu lieu.

§ 2.—Sera puni de la même peine, celui qui aura accepté le défi, bien que le duel n'ait pas eu lieu.

§ 3.—Les peines sont augmentées d'un degré, s'il a été exprimé dans le défi, ou qu'il résulte du genre de duel adopté, la condition que l'un des combattants doive y laisser la vie.

Art. 397. § 1.—Tant le provocateur que celui qui accepte le défi, qui se présentent sur le lieu du combat, sont punis par une amende extensible à 4,000 francs, et par la suspension de tout emploi public jusque pendant la durée de cinq ans.

§ 2.—S'ils font usage des armes, bien qu'il n'en résulte aucune lésion personnelle, ils sont en outre punis par la détention de quatre mois à un an.

76 Art. 398.—Le duelliste qui tue son adversaire, ou lui inflige une blessure qui occasionne la mort, est puni par la détention pendant cinq ans, extensible à huit ans, avec une amende supérieure à 6,000 francs, et de plus, la suspension de tout emploi public pendant dix ans.

Art. 399. § 1.—Le duelliste qui inflige à son adversaire une lésion personnelle est puni:

1o Dans les cas spécifiés par les numéros 1 et 2 de l'article 372 (voir page 79), par la détention supérieure à trois ans, et avec l'amende supérieure à 4,000 francs, extensible à 6,000.

2o Dans les cas indiqués par le no 3 de l'article 372, par la détention extensible à un an, et avec une amende supérieure à 1,000 francs, et extensible à 4,000.

3o Dans les cas spécifiés par l'article 373, d'une amende au-dessus de 500 francs, et extensible à 4,000 francs.

§ 2.—Les peines établies par le présent article, sont toujours accompagnées par la suspension de tout emploi public pendant cinq ans.

Art. 400.—Le provocateur du duel est puni par le maximum de la peine établie pour le duel.

Art. 401. § 1—Ceux qui portent le défi, soit écrit, soit verbal, sont punis, si le duel n'a pas eu lieu, par une amende jusqu'à 1,000 francs, ou s'il a eu lieu, par les peines établies pour les duellistes.

77 § 2.—Si ceux qui ont porté le défi, ont empêché le combat, ils sont exempts de peines.

Art. 402. § 1.—Les parrains ou seconds sont punis avec les mêmes peines établies pour les duellistes.

§ 2.—Les parrains ou seconds sont punis avec les mêmes peines diminuées d'un degré, s'ils ont contribué à rendre moins graves les conséquences du duel; et, s'ils ont empêché le combat, ils sont exempts de peines.

Art. 403. § 1.—Quiconque fait une injure publique à une personne, et la signale au mépris public pour avoir refusé le duel, est puni par la détention supérieure à quatre mois, extensible à un an, et par une amende extensible à 1,000 francs.

§ 2.—Quiconque, montrant ou menaçant de son mépris, excite les autres au duel, est puni par les peines établies contre ceux qui portent le défi.

Art. 404.—Les dispositions du présent chapitre s'appliquent même quand le duel a lieu en pays étranger, entre deux citoyens ou entre un citoyen et un étranger, si le défi a été porté dans le royaume, indépendamment des conditions établies pour les crimes commis sur le territoire étranger.

Art. 405. § 1.—Aux peines restrictives de la liberté personnelle, indiquées par les articles 397, 398, 399, 401 et 402, sont respectivement substituées celles de l'homicide volontaire, ou de la lésion personnelle 78 volontaire, établies dans les chapitres I et II du présent titre:

1o Si la discussion n'a pas été préalablement déférée à un jury d'honneur;

2o Si les conditions du combat n'ont pas été préalablement réglées par les parrains ou seconds;

3o Si le combat n'a pas eu lieu en présence des parrains ou seconds;

4o Si les armes employées dans le combat ne sont pas égales ou ne sont pas des épées, des sabres ou des pistolets également chargés, en excluant les armes de précision;

5o Si dans le choix des armes ou dans le combat, il y a eu fraude ou violation des conditions convenues et réglées;

6o Si la convention a été exprimée ou qu'il résulte du genre de duel choisi que l'un des combattants doive y laisser la vie;

7o Si, dans le duel au pistolet, les duellistes n'ont pas été éloignés par une limite de la distance de 16 mètres au moins, et dans tous les cas, à une distance supérieure de la moitié du point en blanc de l'arme.

§ 2.—Dans les cas prévus par le précédent paragraphe, ceux qui ont porté le défi, les parrains ou seconds, sont punis avec les mêmes peines et selon les règles ordinaires, comme complices de l'homicide volontaire et de la lésion personnelle volontaire, étant maintenues les amendes indiquées dans les articles 398 et 399.

79 § 3.—Les circonstances indiquées dans le no 5 du paragraphe 1er, sont à charge non seulement de l'auteur de la fraude et de la violation des conventions, mais encore de celui des duellistes parrains ou seconds qui en a eu connaissance auparavant ou au moment du combat.

Art. 406.—Lorsque les duellistes ou l'un d'eux sont étrangers à la dispute qui a occasionné le duel et se battent à la place de celui qui y est directement intéressé, aux peines restrictives de la liberté personnelle indiquées dans les articles 397, 398, 399, 401 et 402, sont substituées celles de l'homicide volontaire et de la lésion personnelle volontaire établies dans les chapitres I et II du présent titre.

Voici les articles 372 et 373 mentionnés plus haut:

Art. 372.—Celui qui se rend coupable de lésion personnelle et volontaire est puni:

§ 1.—Par la réclusion de cinq à dix ans, si la lésion produit une maladie d'esprit et de corps, certainement ou probablement incurable, ou la perte de l'usage d'un sens, d'un organe, de la parole ou de la faculté génératrice, ou si, étant commise contre une femme enceinte dont l'état était connu, cette lésion a produit l'avortement.

§ 2.—Par la prison supérieure à deux ans, si la lésion a produit une maladie d'esprit ou de corps, de la durée de trente et plus de jours, ou, pour un temps égal, une incapacité de vaquer à ses occupations ordinaires, vu l'affaiblissement permanent d'un sens ou d'un organe, ou une difficulté permanente dans 80 la parole ou une détérioration permanente de la figure.

§ 3.—Par la prison de quatre mois à trois ans dans les autres cas.

Art. 373. § 1.—Si la lésion a produit une incapacité de vaquer à ses occupations ordinaires, ou une maladie d'esprit ou de corps pendant un temps qui ne dépasse pas quinze jours, le coupable est puni par la détention jusqu'à trois mois et par une amende extensible à 500 livres, etc., etc.

Nous avons reproduit sous toutes réserves, et à titre de renseignement, ce projet de loi, lequel sans nul doute devra subir quelques modifications avant d'être adopté par les Chambres italiennes. Toutefois, nous devons noter que le législateur s'est acheminé dans la voie d'un véritable progrès. Il ne se borne pas, en effet, à attaquer le duel en lui-même, mais il s'occupe des faits qui le précèdent, l'accompagnent, et de ses résultats.

Le Code militaire italien ne fait nullement mention du duel; seulement, le règlement de discipline de 1872 contient à son égard les articles suivants:

§ 27.—L'inférieur qui provoque en duel son supérieur ou en accepte le défi commet un acte d'insubordination.

§ 28.—Le supérieur qui provoque en duel son inférieur ou qui en accepte le défi, commet une faute grave contre la discipline.

§ 29.—Le militaire qui défié, pour un motif concernant le service, par quiconque a cessé pour quelque 81 cause que ce soit d'appartenir à l'armée, ne refuserait pas d'accepter la provocation, se rendrait coupable d'une faute grave contre le service.

§ 30.—Il en est de même du militaire provoqué par un autre militaire promu à un grade égal au sien, quand le défi est motivé par des raisons de service antérieures à la promotion.

§ 31.—Les dispositions des quatre paragraphes précédents ne préjudicient en rien aux dispositions du Code pénal commun contre le duel.

Ce dernier paragraphe semble prouver que, même entre militaires, le duel est considéré comme un délit de droit commun.

En pratique, si les conséquences du duel ont été telles qu'il soit parvenu aux oreilles de l'autorité civile qui ne puisse l'ignorer, la justice informe.

Dans le cas de duel entre militaires et civils, l'instruction suit toujours son cours.

Dans le cas de duel entre militaires seulement, l'information aboutit assez rarement à la mise en jugement, à moins de conséquences graves: par exemple la mort de l'un des combattants.

Les supérieurs ignorent toujours les duels avant leur accomplissement.

Un officier qui se permettrait d'avertir les supérieurs ou de réclamer leur intervention pour apaiser la querelle, serait d'abord fort mal reçu par eux, et, de plus, si le fait venait à s'ébruiter, courrait, quel que soit son grade, le risque d'avoir à rendre compte au corps d'officiers.

82 Les chefs de corps ignorent le duel, même après son accomplissement, quand tout s'y est passé suivant les lois de l'honneur. Ils n'en font rapport à leurs supérieurs que dans le cas où le duel aurait eu pour résultat soit une blessure mortelle ou de nature à nécessiter la mise en réforme, ou enfin la mort.

Il peut arriver que le colonel ou un supérieur juge à propos de punir deux officiers qui se sont battus.

C'est uniquement parce que le motif du duel a été scandaleux, et, dans ce cas, ils ne sont pas punis pour s'être battus, mais pour avoir commis un scandale contraire à la dignité de l'épaulette.

On n'admet pas que dans une discussion, des officiers échangent successivement plusieurs offenses ou injures. A la première offense ou injure, la provocation doit s'en suivre. Elle doit être reçue par un acquiescement immédiat. La conversation doit changer de sujet; si le besoin l'exige, les camarades ou les plus anciens d'entre eux interviennent pour inviter les interlocuteurs à la cesser.

Si un officier refuse de se battre, il est soumis à un conseil de discipline ou obligé de quitter le régiment, par délibération du corps d'officiers, pour s'être laissé insulter; pour avoir insulté un camarade; pour avoir manqué à l'honneur, à la dignité de l'épaulette, mais non pour avoir refusé de se battre en duel.

D'après ce, l'on remarque que dans l'armée italienne, malgré la diversité des éléments dont elle a été successivement composée, les traditions du point 83 d'honneur sont aussi rigoureusement conservées que dans l'ancienne armée sarde.

§ 6.—PRUSSE.—EMPIRE D'ALLEMAGNE

Le nouveau Code pénal de l'empire allemand a été voté le 15 mai 1871 et mis en vigueur le 1er janvier 1872.

Les dispositions relatives au duel sont contenues dans la seconde partie, au chapitre quinzième.

Art. 201.—La provocation en duel avec des armes meurtrières, ainsi que l'acceptation d'une pareille provocation, sont punies d'une détention dans une enceinte fortifiée, pouvant aller jusqu'à six mois.

Art. 202.—La détention sera de deux mois à deux ans, lorsque dans la provocation, l'intention a été énoncée, ou bien cette intention résulte du genre de duel choisi, que l'une des deux parties doive perdre la vie.

Art. 203.—Ceux qui se chargent de la mission d'une provocation et la remplissent (porteurs de cartel) sont punis d'une détention pouvant aller jusqu'à six mois dans une enceinte fortifiée.

Art. 204.—La punition de la provocation et de son acceptation, ainsi que la punition des porteurs du cartel n'a plus lieu, lorsque les parties ont volontairement renoncé au duel avant qu'il ait commencé.

84 Art. 205.—Le duel est puni de la détention dans une enceinte fortifiée, de trois mois à cinq ans.

Art. 206.—Celui qui tue en duel son adversaire est puni d'une détention qui ne sera pas moindre de deux ans, dans une enceinte fortifiée; et, si le duel était tel qu'il devait amener la mort de l'un d'eux, d'une détention non moindre de trois ans dans une enceinte fortifiée.

Art. 207.—Dans le cas de mort ou blessure résultant d'une violation intentionnelle des règles convenues ou établies par la coutume, l'auteur de la violation, pour autant qu'il ne sera pas le cas d'appliquer une peine plus forte, en vertu des dispositions précédentes, devra être puni conformément aux prescriptions générales relatives au crime de meurtre et de blessure.

Art. 208.—Si le duel a eu lieu sans seconds, la peine à appliquer pourra être augmentée de la moitié, mais toutefois, pas au delà de quinze ans.

Art. 209.—Les porteurs de cartel qui se sont employés sérieusement pour empêcher le duel, les seconds ainsi que les témoins appelés à assister au duel, les médecins et les chirurgiens n'encourent pas la peine.

Art. 210.—Celui qui pousse intentionnellement un autre au duel avec un tiers, spécialement au moyen de témoignages ou de menaces de mépris, est 85 puni, dans le cas où le duel ait eu lieu, d'un emprisonnement qui ne sera pas moindre de trois mois.

Remarque.—Le Code pénal allemand de 1871 a été révisé par une loi en date du 26 février 1876.

L'article 208 ci-dessus figure parmi les articles qui ont été modifiés à cette occasion. En 1871, il avait été établi que la peine, pouvant être augmentée de la moitié, ne devait pas dépasser dix ans: en 1876 le maximum a été porté à quinze ans.

Dans le Code pénal militaire allemand mis en vigueur le 1er octobre 1872, nous trouvons l'article suivant (Code pénal militaire, 2e partie, chapitre VI):

Art. 112.—Celui qui, à l'occasion d'affaires de service, provoque en duel un supérieur ou un officier occupant un rang plus élevé, est puni d'une détention qui ne sera pas moindre d'un an, dans une enceinte fortifiée; et, si le duel a lieu, d'une détention qui ne sera pas moindre de trois ans dans une enceinte fortifiée. Il sera en outre licencié du service.

Les mêmes peines frappent le supérieur qui accepte là provocation ou accomplit le duel.

Avant de nous occuper des duels entre militaires et officiers, nous nous arrêterons quelques instants sur l'institution des cours d'honneur.

Ces cours avaient pour but de veiller d'une manière générale à la conservation de la discipline dans l'armée et de maintenir intact l'honneur individuel des officiers ainsi que l'honneur collectif des corps auxquels ils appartiennent.

86 Leurs attributions ont été fixées par deux ordonnances du 20 juillet 1843 et en dernier lieu, par un décret royal et une ordonnance et date du 2 mai 1874.

S. M. le roi de Prusse, empereur d'Allemagne, a rendu, le 2 mai 1874, un décret réglant la composition des tribunaux d'honneur pour les officiers de l'armée prussienne. Dans cette ordonnance, Sa Majesté s'est proposé le double but, de conserver intactes les traditions chevaleresques du corps des officiers, et, dans le cas où un officier encourt le reproche d'avoir souffert dans son honneur, ou bien qu'il le craigne lui-même, de procéder, dans cette circonstance, par une voie régulière. Sa Majesté attribue donc aux tribunaux d'honneur: le double but de laver l'honneur d'un officier des soupçons mal fondés dont il pourrait être l'objet, et pour détruire lesquels, il n'ait pas d'autres voies ouvertes dans son état; et de procéder contre tout officier dont la conduite ne répondrait pas au juste sentiment d'honneur et à la dignité d'un membre du corps des officiers. Le décret adressé au ministre de la guerre et accompagnant l'ordonnance du 2 mai 1874, abroge la 2e ordonnance royale du 20 juillet 1843.

La nouvelle ordonnance règle tous les détails de l'organisation de la justice d'honneur des officiers dans l'armée prussienne; la composition des tribunaux selon le rang des officiers, la procédure, etc.

Les tribunaux d'honneur des officiers ont pour but de sauvegarder l'honneur des corps d'officiers, comme l'honneur de chacun des membres en particulier (Art. 1).

87 Leur devoir est:

1o D'intervenir contre tout officier dont la conduite n'est point conforme au droit sentiment de l'honneur et à sa position, et de proposer, quand l'honneur des corps d'officiers le demande, l'exclusion des membres indignes d'en faire partie;

2o De justifier les officiers attaqués dans leur honorabilité par des soupçons non fondés, en tant qu'il n'existe pas pour cela d'autres voies légales.

COMPÉTENCE

Il appartient aux tribunaux d'honneur de juger:

A) Tous les actes et toutes les fautes des officiers qui sont contraires au droit sentiment de l'honneur, à la dignité de leur position, ainsi que tout ce qui peut porter atteinte à l'honneur collectif des corps d'officiers;

B) Les circonstances dans lesquelles les officiers eux-mêmes, pour sauvegarder leur honneur, réclament un jugement constatant leur honorabilité;

C) Lorsqu'un acte ou une faute d'un officier est soumis à la justice ordinaire, et qu'il est également de la compétence du tribunal d'honneur, ce dernier doit attendre que la sentence soit rendue, et, même en cas d'acquittement, il est en droit d'examiner les faits éclaircis par l'information judiciaire, de reconnaître s'ils portent atteinte à l'honneur du corps d'officiers, et de prononcer en conséquence (Art. 3).

Si, au contraire, une condamnation a été prononcée, 88 il appartient exclusivement à l'autorité compétente de provoquer une enquête, et de décider ensuite s'il y a lieu de réclamer un verdict de la part du tribunal d'honneur.

Ces dispositions sont très rationnelles, car, par suite d'un acquittement obtenu par défaut de preuves légales suffisantes, la considération personnelle de l'individu, comme celle d'un corps d'officiers, n'en sont pas moins susceptibles d'être atteintes. Il en est de même en cas de condamnation. L'officier condamné pour une faute contre la prescription de la loi civile, peut, très souvent, n'avoir manqué en rien au point d'honneur, ni à la dignité personnelle, ni avoir compromis en rien la considération du corps d'officiers; dans cette dernière circonstance, surtout, l'officier peut avoir lui-même tout intérêt à le faire constater par un verdict du tribunal d'honneur.

JURIDICTION

§ 3.—Sont soumis à la juridiction des tribunaux d'honneur:

1o Tous les officiers en activité de service;

2o Tous les officiers en disponibilité (réserve et landwehr) et les officiers en non activité, mais susceptibles d'y être rappelés;

3o Les officiers à la suite de l'armée;

4o Les officiers de gendarmerie;

5o Les officiers retraités avec pension, ou ayant obtenu l'autorisation de porter l'uniforme militaire.

89

COMPOSITION DES TRIBUNAUX D'HONNEUR.

§ 5.—Peuvent exclusivement être compris dans la composition du corps les officiers suivants:

1o Ceux qui sont membres du corps d'officiers;

2o Ceux qui, en vertu du § 13 suivant, peuvent être spécialement désignés à cet effet.

§ 6.—Sont considérés comme membres du corps d'officiers:

1o Dans les corps d'officiers en activité de service, tous les officiers qui font partie d'un régiment, d'un bataillon formant corps, d'une division d'artillerie formant corps, et ceux qui portent l'uniforme de ces troupes, pourvu qu'ils ne soient point détachés dans un autre corps;

2o Dans le corps d'officiers de la disponibilité, le commandant du cercle de landwehr et tous les officiers de réserve et de landwehr, d'un bataillon de landwehr sans distinction d'arme.

§ 7.—Les tribunaux d'honneur se divisent ainsi:

1o Pour les capitaines et officiers subalternes, ils sont composés par les officiers appartenant au corps;

2o Pour les officiers supérieurs, par des officiers de ce grade désignés à cet effet.

S'il s'agit d'un officier général ou d'un officier supérieur ayant rang de général ou d'un chef nommé par Sa Majesté, d'un officier dépendant directement de Sa Majesté ou d'un prince allemand, ou d'un officier supérieur détaché en dehors du rayon de 90 l'armée, Sa Majesté se réserve de pourvoir à la convocation du tribunal d'honneur, selon qu'elle le jugera nécessaire.

Par les capitaines et officiers subalternes, dans tous les corps ou bataillons de landwehr, le corps d'officiers réuni forme le tribunal d'honneur.

Les officiers résidants et ne faisant pas partie d'un corps sont soumis à un tribunal d'honneur désigné par le général commandant en chef le corps d'armée et pris dans l'étendue de son commandement.

En temps de guerre, le droit de soumettre les officiers à un tribunal d'honneur de leur commandement, appartient à toutes les autorités ayant qualité pour ordonner une enquête de tribunal d'honneur.

Dans l'armée active, les tribunaux d'honneur sont présidés par les chefs de corps.

Dans l'armée de réserve, ils sont présidés par les commandants des cercles de landwehr.

§ 13.—Pour ce qui regarde les officiers supérieurs, il est formé un tribunal d'honneur dans chaque corps d'armée, composé d'un général et de neuf officiers ayant leur garnison ou leur résidence dans l'étendue du territoire du corps d'armée.

Le général président est choisi par le général en chef avec lequel il communique directement.

Les autres membres et suppléants pour chacun d'eux sont pris parmi les colonels, lieutenants-colonels, officiers supérieurs du corps d'armée. L'élection a lieu le 1er septembre de chaque année, à la majorité 91 relative des voix. Les membres sont élus pour une année; ils sont rééligibles.

En temps de guerre, tout commandant investi des pouvoirs de général en chef peut rassembler un tribunal d'honneur pour juger les officiers supérieurs dans l'étendue de son commandement.

Si, pour un même fait, des officiers supérieurs et des officiers subalternes doivent être soumis au tribunal d'honneur, le tribunal pour les officiers supérieurs est seul convoqué et retient la cause.

CONSEIL D'HONNEUR

A chaque tribunal d'honneur est adjoint un conseil d'honneur qui instruit les affaires au nom du président du tribunal d'honneur et sous sa direction.

La présidence en est dévolue au plus ancien.

Pour les officiers subalternes, il est composé ainsi:

Ils sont élus, au 1er septembre, pour un an, et peuvent être réélus.

Ils sont pris parmi les membres du tribunal d'honneur, à la majorité relative des votes, de la manière suivante:

Le corps d'officiers, en entier, choisit le lieutenant en 2e;

92 Les officiers supérieurs, les capitaines et les lieutenants en 1er choisissent le lieutenant en 1er;

Les officiers supérieurs et les capitaines choisissent le capitaine.

Le président du tribunal d'honneur préside au vote qui résulte de l'envoi ou de la remise du bulletin de vote.

Dans les corps qui ne peuvent former un tribunal d'honneur chez les membres de la justice militaire, les individus appartenant aux établissements militaires, l'autorité supérieure pour former un conseil d'honneur suit les mêmes principes.

En temps de guerre, les chefs peuvent, pour plusieurs fractions de troupes trop faibles, ne faire former qu'un seul conseil d'honneur.

Pour les officiers supérieurs, le conseil d'honneur est composé comme suit:

Ces membres sont choisis parmi les membres du tribunal d'honneur qui ont obtenu le plus de voix dans l'élection.

Tout officier a le droit de porter les actes, peu conformes au point d'honneur, d'un collègue, à la connaissance du conseil d'honneur ou du supérieur immédiat de l'inculpé.

Le conseil d'honneur doit aussitôt en faire part au président du tribunal d'honneur qui statue sur les poursuites à faire.

L'information ordonnée, le conseil doit éclaircir les 93 faits et en faire rapport au président de vive voix ou par écrit.

Tout officier soumis à un tribunal d'honneur a le droit de réclamer une déclaration d'honorabilité, comme aussi le devoir de fournir tous les renseignements désirables au conseil d'honneur.

PROCÉDURE DES TRIBUNAUX D'HONNEUR

§ 27.—Si le président du tribunal d'honneur juge qu'il y a lieu de faire statuer par ce tribunal sur la conduite d'un officier, il doit dresser l'acte d'accusation et le soumettre à l'approbation de l'autorité à laquelle il appartient de donner l'ordre de saisir le tribunal d'honneur, en y joignant les pièces suivantes:

A) Tous les actes et informations avec les conclusions du conseil d'honneur;

B) Un mémoire personnel de l'accusé, contenant les explications nécessaires sur sa conduite.

§ 28.—La procédure du tribunal d'honneur ne peut être ordonnée, s'il s'agit d'un capitaine ou officier subalterne, que par l'autorité compétente sous le commandement de laquelle se trouve le corps dont fait partie l'accusé.

S'il s'agit d'un officier supérieur, que par le général en chef du corps d'armée; et en temps de guerre, par l'officier pourvu du commandement en chef, et sous les ordres duquel se trouve l'officier mis en accusation.

94 S'il s'agit d'un chef de corps et d'un officier assimilé, Sa Majesté se réserve de statuer.

Sur le rapport du président, le chef compétent juge s'il y a lieu de réunir un tribunal d'honneur. Il a le droit également de proposer la suspension de l'officier dans ses fonctions.

§ 30.—Le recours contre la décision du commandant en chef n'est admissible que lorsque, par l'effet de cette décision, il est refusé à un officier de faire établir une enquête du tribunal d'honneur, malgré sa demande.

Dans ce cas, la décision souveraine devrait être demandée par voie d'instance.

§ 33.—L'enquête du tribunal d'honneur étant ordonnée, ne peut plus être suspendue avant sa clôture par un arrêt de ce même tribunal.

L'absence ou le déplacement de l'accusé ne détruisant pas la compétence du tribunal saisi de l'affaire le concernant, l'instruction de l'affaire est faite par écrit, par le conseil d'honneur, sous la responsabilité du président, et sous sa direction. Il donne au conseil les instructions nécessaires pour effectuer l'enquête.

Le président provoque la comparution de l'accusé et des témoins par-devant le conseil d'honneur chargé de l'instruction. S'ils sont absents ou éloignés de la localité, il décerne des commissions rogatoires soit au conseil d'honneur le plus proche, soit aux magistrats militaires ou civils.

Les conseils d'honneur dressent les procès-verbaux 95 des dépositions reçues. Pour leur validité, il est nécessaire que tous les membres ou leurs suppléants soient présents.

Avant de faire sa déposition, l'accusé prend connaissance des griefs articulés contre lui.

Les officiers allemands qui sont témoins, ne sont point sujets au serment, mais ils doivent promettre sur leur honneur de dire la vérité.

§ 37.—Avant la clôture de l'affaire, l'accusé seul ou son défenseur et les tribunaux supérieurs militaires ont le droit de prendre connaissance des actes, mais seulement en présence d'un membre du conseil d'honneur.

§ 38.—Dans le cas où une enquête judiciaire deviendrait nécessaire par suite de la procédure du tribunal d'honneur, les actes de ce dernier peuvent être communiqués à la justice pour lui servir de point de départ, si l'on en reconnaît l'utilité.

§ 39.—En cas de divergence d'avis dans le conseil, le président décide de la marche à suivre et ordonne la clôture de l'information, lorsqu'il la juge suffisante.

§ 41.—Après la clôture de l'instruction, l'accusé est mis en demeure de déclarer de quelle manière il entend se défendre.

Soit vis-à-vis le conseil d'honneur, soit plus tard, vis-à-vis le tribunal d'honneur, il est loisible à l'officier d'exposer sa défense de vive voix ou par écrit, et de se faire défendre par un collègue, pourvu que ce dernier ne soit pas d'un grade inférieur au sien.

96 La défense doit être présentée dans les huit jours.

L'accusé peut exercer un droit de récusation sur quelques membres du tribunal d'honneur. Il appartient au commandant en chef de statuer sans appel sur les récusations.

«Nous voudrions que le droit de l'accusé fût absolu, c'est-à-dire qu'il eût de plein droit la faculté de récuser un nombre déterminé des membres du tribunal.»

Sont exclus du vote les plaignants, intéressés, parents, etc. Le président rassemble le tribunal d'honneur; il expose l'affaire, et communique les pièces. Pareille communication est faite après cette première séance aux membres absents.

Dans la séance définitive, on procède au vote.

Tous les membres absents doivent envoyer leur vote, et le procès-verbal indique la raison de leur absence.

Pour la validité du vote, la présence de 9 membres au moins est nécessaire.

L'arrêt est rendu à la majorité des voix. Le vote commence par le moins ancien, et se termine par le président, dont la voix, en cas de partage, est prépondérante.

L'arrêt et les actes du procès sont envoyés à l'empereur par le commandant en chef qui a ordonné l'enquête.

La décision impériale est communiquée à l'accusé en même temps que l'arrêt du tribunal.

Après cette communication, la décision souveraine et l'arrêt sont rendus publics.

97 L'arrêt sur lequel la décision souveraine a prononcé est sans appel, à moins que l'autorisation de l'empereur n'en décide autrement.

Dans ce cas, Sa Majesté se réserve la révision et le jugement définitif de l'affaire.

L'arrêt du tribunal d'honneur peut prononcer:

1o L'incompétence, lorsque l'affaire ne lui paraît pas regarder un tribunal d'honneur ou bien qu'elle semble de la compétence d'un autre tribunal d'honneur;

2o Le renvoi à plus amples et plus complètes informations;

3o L'acquittement;

4o La culpabilité, compromettant l'honneur de la position, avec proposition de donner un avertissement, lorsque le tribunal est d'avis que les faits articulés ne comportent pas l'indignité de l'officier. Dans ce cas, l'officier est maintenu au service;

5o La culpabilité portant atteinte à l'honneur de la position, avec proposition de renvoi en non-activité, lorsque le tribunal d'honneur est d'avis que l'officier ne peut être maintenu dans son emploi;

6o Enfin, la culpabilité portant atteinte la plus grave à l'honneur de l'officier, avec proposition de la destitution du grade d'officier, lorsque le tribunal d'honneur est d'avis que l'officier est indigne de conserver son épaulette.

§ 52.—La non-activité du renvoi simple comporte la perte de l'emploi.

98 La destitution comporte immédiatement la perte de la qualité d'officier.

§ 53.—Pour les officiers en non-activité selon le § 4, art. 5, le congé avec le renvoi simple, emporte la privation du droit de porter l'uniforme; et la destitution emporte en outre la perte de la qualité d'officier.

Dans cette ordonnance et ce règlement d'exécution dont nous avons cru devoir citer les points essentiels, nous rencontrons pourtant une lacune qui nous paraît regrettable. L'absence d'un tribunal d'honneur suprême pour les chefs de corps, généraux et commandants supérieurs de l'armée. Comme nous l'avons vu, S. M. l'empereur se réserve de pourvoir à leur égard.

Les abords du pouvoir souverain ne sont-ils pas souvent obstrués par des influences auxquelles le souverain le plus intègre et le plus sévère ne sait pas résister?

Pour maintenir la discipline et le point d'honneur dans une armée, l'exemple et la rigueur ne doivent-ils pas partir d'en haut? La confiance, le respect, l'obéissance du soldat, ne sont-ils pas à ce prix? Les chefs supérieurs ne doivent point être soupçonnés! Ces mêmes principes nous les avons développés dans un opuscule publié à Turin en 1851. Soumis ensuite à la haute appréciation de M. le maréchal de Saint-Arnaud, alors ministre de la guerre, en France, ce travail fut de sa part l'objet d'une indulgente approbation écrite que nous conservons encore.

Aux attributions générales que nous venons d'examiner, 99 les tribunaux d'honneur joignent celles d'intervenir dans les querelles et duels entre officiers.

Cette intervention résulte du décret impérial suivant qui précède l'ordonnance:

«Dans l'espoir que les bonnes manières et l'esprit chevaleresque se conserveront dans les corps d'officiers de mon armée, et que ces querelles ou insultes entre officiers deviendront toujours de plus en plus rares, j'ai abrogé l'ordonnance du 20 juillet 1813.»

Dorénavant tout officier qui aura une querelle d'honneur avec un autre officier, devra prévenir ou faire prévenir par un camarade, son conseil d'honneur, au plus tard quand il aura envoyé ou reçu la provocation. Le conseil d'honneur doit aussitôt en donner avis au commandant du corps, et, quand la possibilité en est admise par les usages du corps, essayer de réconcilier les parties. En cas de non-réussite, le tribunal d'honneur doit s'employer pour que les conditions du duel ne soient point disproportionnées avec la gravité du fait. Si le duel a lieu, le président du tribunal d'honneur ou l'un des membres devra se rendre sur le terrain pour y assister comme témoins et veiller à ce que tout s'y passe conformément aux usages admis entre officiers.

Le tribunal n'ouvrira de procédure pour cause de duel contre des officiers que dans le cas où l'une des parties aurait manqué à l'honneur du corps des officiers soit dans l'origine, soit dans la suite de l'affaire. Spécialement, cette procédure aura lieu lorsqu'un 100 officier aura offensé gravement un camarade, sans raison et d'une manière criminelle.

«Car je ne tolérerai pas plus dans mon armée un officier capable de blesser d'une manière criminelle l'honneur d'un camarade, que je n'y tolérerais un officier qui ne saurait pas défendre son honneur.

«Berlin, 2 mai 1874.

«Signé: Guillaume

L'ordonnance impériale ne prescrit ni ne défend le duel; celui-ci rentre dans le droit commun. L'ordonnance ne s'en occupe qu'au point de vue du fait, dans ses rapports avec la question d'honneur soit du corps des officiers, soit de l'officier individuellement.

En résumé, l'institution des tribunaux d'honneur nous paraît excellente. Tout officier, quel que soit son grade, doit pouvoir y trouver un appui pour défendre sa délicatesse et son honneur militaire lorsqu'ils sont attaqués par la malveillance ou par la calomnie. La discipline, le respect pour le commandement dans l'armée sont à ce prix. Ai-je besoin de rappeler l'exemple du brave général Forey (depuis maréchal) dans la campagne de Crimée? Dans ce cas, un tribunal d'honneur composé des principaux généraux, se fût rassemblé sous la présidence du général en chef. Sa sentence avec les actes de l'enquête eût été transmise à la justice militaire pour lui servir de base d'informations et lui permettre de poursuivre et de faire condamner sévèrement les insubordonnés ou mal intentionnés qui faisaient courir des bruits calomnieux 101 portant atteinte à l'honneur militaire d'un chef respecté et estimé.

Nous ferons toutefois les plus amples réserves sur la seconde partie des attributions des tribunaux d'honneur, c'est-à-dire sur leur ingérence préventive dans les querelles ou duels entre officiers.

Cette ingérence maintenue dans le décret royal que nous venons de reproduire se trouve réglée par la 1re ordonnance du 20 juillet 1843, laquelle n'est point abrogée.

Les altercations et offenses à l'honneur, entre officiers, sont soumises au conseil d'honneur, lequel procède à une enquête.

Suivant l'ordonnance royale du 18 juillet 1844, toute personne interrogée doit répondre dans cette enquête. Le conseil d'honneur, si l'offense n'est pas trop grave, propose une réparation, laquelle, consentie par les parties, doit être soumise à l'approbation du commandant, sous la direction duquel la cour d'honneur est placée.

Cette autorisation d'arranger l'affaire étant obtenue, elle est signifiée aux parties par le conseil d'honneur. Si les parties ou l'une d'elles refusent toute conciliation, si, l'incident étant tombé dans le domaine de la publicité (rien de plus facile avec toutes ces lenteurs), le corps d'officiers exprime une opinion divergente, ou que le conseil d'honneur ne regarde pas le fait comme susceptible d'être l'objet d'une conciliation amiable, l'affaire est portée par-devant le tribunal d'honneur qui ouvre une enquête.

Suivant le résultat de cette enquête, si l'honneur 102 individuel ou celui du corps des officiers est attaqué, le tribunal procède sur l'ordre du commandant, comme il a été prescrit par l'ordonnance du 2 mai 1874. Dans le cas contraire, il peut proposer des explications ou des accommodements, ordonner à l'offensant de faire des excuses ou même de demander pardon. Le plus souvent, les officiers obéissent à ces injonctions. (Voir les Études sur l'armée prussienne, par le lieutenant-colonel de Labarre-Duparc.) Croit-on pouvoir obtenir, dans les autres armées, que beaucoup d'officiers se soumettent à de pareilles injonctions? Nous en doutons.

Les excuses par ordre, n'ont, à nos yeux, aucune valeur; elles ne sont qu'une humiliation inutile imposée solennellement. Celui-là même qui s'y sera soumis, ne peut-il pas les dénier comme imposées par le devoir d'obéissance envers l'autorité? Ne peut-il pas les tourner en ridicule même dans le vestibule de la salle du conseil? et alors?... aggravation d'offense, duel inévitable et plus sérieux!

A notre sens, les excuses présentées librement par la seule influence amicale des témoins qui en appellent au cœur, à l'esprit de justice, à la loyauté de l'offensant, ne peuvent être déniées par lui, sans forfaire à l'honneur; elles terminent la querelle d'une manière définitive et satisfaisante pour l'honneur des parties.

Lorsque les parties ou l'une d'elles refusent de se soumettre à l'injonction du tribunal d'honneur, le duel devient inévitable. Le conseil d'honneur (délégué du tribunal) règle les conditions, et assiste à la rencontre 103 pour veiller à ce que tout s'y passe honorablement. Une correspondance de Munster, du 1er juillet 1846, citée par M. Colombey, donne un exemple de cette intervention.

Deux officiers, le baron de D... et M. de B..., ayant eu une querelle au billard, le premier laissa échapper quelques paroles offensantes pour son camarade. Le tribunal d'honneur, n'ayant pu induire M. de D... à retirer ses paroles, rendit une sentence de laquelle il résultait que les paroles prononcées par M. de D... compromettaient effectivement l'honneur de M. de B..., lequel n'aurait pu continuer à servir dans l'armée sans en avoir obtenu une rétractation publique, et que cette rétractation étant péremptoirement refusée par M. de D..., le tribunal autorisait le duel entre les deux officiers suivant les usages militaires.

Sur une place de la ville fut élevée une tribune pour le conseil juge du camp. Vis-à-vis cette tribune se trouvait une lice assez vaste entourée de pieux unis par des cordes. Des détachements de cavalerie et d'infanterie entouraient la lice et les tribunes pour contenir la foule qui s'y était portée dès le matin. Le conseil siégeait en uniforme. Les champions se présentèrent également en uniforme.

Le conseil après avoir renouvelé sans succès une dernière tentative de conciliation (c'était bien le moment, vis-à-vis l'impatience du public!) ordonna le combat. Suivant les conventions des champions approuvées par le conseil, le combat devait avoir lieu au sabre et à outrance, c'est-à-dire, qu'il ne 104 devait cesser que lorsque l'un des deux adversaires serait mis hors de combat.

Après avoir quitté leurs habits et leurs casques, les combattants croisent le fer sur un signe du président, et s'attaquent avec acharnement. M. de B... reçoit deux blessures légères au bras, mais riposte par un violent coup de sabre qui blesse son adversaire à la cuisse et le met hors de combat.

Pendant que les chirurgiens accomplissaient leur devoir, le conseil invitait les deux adversaires à se réconcilier, ce qu'ils firent en véritables gentlemen, sans difficulté, en se serrant la main et ensuite en s'embrassant.

Le public qui avait observé jusqu'alors le plus rigoureux silence (ce qui serait tout au plus possible dans d'autres pays!) accueille cette réconciliation par de vifs applaudissements.

M. de B... aida à transporter M. de D... dans sa voiture.

Nous partageons entièrement l'avis de M. Colombey et de son correspondant: ce duel autorisé légalement, nous offre une réminiscence du moyen âge, sauf la fin de ce drame émouvant, qui reflète les mœurs douces et courtoises, chevaleresques de la société de nos jours.

Si les parties entendent procéder au duel sans s'adresser à la cour d'honneur, ou bien, si, la cause étant pendante vis-à-vis cette cour, les parties se mettent en devoir de passer outre, sans attendre la décision, le conseil d'honneur a le droit de se rendre sur les lieux, de chercher à les accommoder et, 105 faute de pouvoir y réussir, de réglementer les conditions du duel, d'y assister, non sans avoir averti les champions des peines portées contre le duel.

Le conseil de guerre informé, instruit l'affaire et applique des peines suivant les circonstances. Dans aucun cas les conseils ne prononcent la peine capitale, même en cas de déloyauté ou de violation des conditions du duel ayant entraîné la mort de l'un des combattants.

Dans certains cas de peu de gravité, et quand tout s'est passé honorablement, les délinquants sont renvoyés à la punition disciplinaire des chefs de corps.

Dans une circonstance, le tribunal d'honneur ayant condamné l'offensant à faire des excuses, et ce dernier ayant obéi, l'offensé ne se tint pas pour satisfait, exigea le duel et tua son adversaire. Le conseil d'honneur avait assisté au duel comme plus haut, et pourtant le survivant fut puni pour meurtre.

Nous respectons la loi générale de l'Etat qui défend le duel. Nous n'accordons à ce dernier qu'une tolérance de fait, circonscrite dans les limites tracées par l'opinion, nous ne saurions donc admettre, en regard de la loi, une institution gouvernementale ayant le pouvoir d'autoriser le duel, d'en régler la condition, d'y assister publiquement avec la protection de la force armée, ou même simplement d'ordonner des excuses ou réparations lésant la liberté d'autrui.

L'utile institution des tribunaux d'honneur doit avoir pour but, en matière de querelles ou duels, 1o de définir en principe les questions du point d'honneur et de réglementation des rencontres; 2o de donner 106 leur avis sur les affaires qui leur sont soumises librement par les parties ou par leurs témoins, ces derniers trouvant dans ces avis une base sûre et efficace pour les diriger dans l'accomplissement de leur importants devoirs.

Leur ingérence ne doit par aller plus loin.

L'intervention du commandement et du tribunal d'honneur nous paraît dangereuse lorsqu'elle s'impose dès le principe d'une affaire. Après les faits accomplis, rien de plus juste que le tribunal d'honneur, le cas échéant, examine l'affaire pour s'assurer que tout a été réglé suivant les lois de l'honneur et les convenances particulières à l'ordre des officiers.

Peut-être avons-nous donné une trop grande extension à notre exposé analytique sur la législation prussienne; nos motifs sont faciles à comprendre.

En France, et nous ne demandons pas de brevet d'invention pour le répéter, nous nous laissons facilement entraîner par deux courants opposés.

Le plus fort, le chauvinisme ou l'admiration pour nous-mêmes, nous persuade et nous induit trop souvent à proclamer (cela coûte cher!) que nous n'avons rien à apprendre de l'étranger. L'autre courant qui devient plus ou moins envahissant, suivant les passions du moment, nous persuade au contraire que nous pouvons prendre sans examen les institutions étrangères. Tour à tour, nous sacrifions à l'anglomanie aux institutions américaines, aujourd'hui à la prussomanie, quitte à passer plus tard à un autre engouement.

107 Nous ne nous laissons entraîner par aucun de ces deux systèmes. Nous aimons les études comparatives sur les institutions étrangères, car l'expérience nous en démontre journellement, et quelquefois à nos dépens, l'utilité comme la nécessité. Mais un examen sérieux et approfondi tenant compte de nos institutions, de nos mœurs, de notre caractère national, de nos traditions, sous le double point de vue de l'économie politique et militaire, nous paraît devoir s'imposer péremptoirement, avant d'en demander l'introduction totale ou partielle dans notre pays.

Cette pensée nous a guidé en soulignant quelques passages dignes de remarques.

§ 7.—RUSSIE

La législation russe concernant le duel se résume ainsi:

A) DISPOSITION DU CODE DE POLICE PRÉVENTIVE

Art. 355.—Il est défendu en cas d'offense personnelle de provoquer en duel, soit verbalement, soit par écrit, soit par intermédiaire, et il est également défendu d'accepter le duel sur la provocation d'autrui.

Art. 357.—Il est défendu de transmettre une provocation au duel, d'exciter au duel et, en général, de faciliter un duel de quelque façon que ce soit.

Art. 361.—Les témoins du duel ont le droit de 108 défendre le duel au nom de la loi, et, s'ils supposent que les combattants ne voudront pas leur obéir, ils doivent, pour leur propre justification, dénoncer le fait, pour les personnes employées au service de l'État, à leurs supérieurs immédiats, et, pour toutes les autres personnes, à la police locale.

(Cet article est-il d'une exécution facile?)

Art. 367.—Les individus coupables d'un délit se rapportant à un duel sont renvoyés devant les tribunaux criminels pour y être jugés conformément aux prescriptions des articles 1497, 1512 du Code pénal (édition 1866).

B) DISPOSITION DU CODE PÉNAL (éd. 1866)

Art. 1497.—Quiconque aura adressé une provocation au duel pour quelque raison que ce soit, excepté les cas prévus ci-dessous par l'article 1499, si cette provocation n'a pas eu de résultat, quand bien même ce serait par suite de circonstances indépendantes de la volonté du provocateur, sera puni:

D'une arrestation de trois à sept jours.

Si la provocation a eu pour résultat une rencontre, mais si cette rencontre s'est terminée sans effusion de sang, le provocateur sera puni:

D'une arrestation de trois semaines à trois mois.

Celui qui se sera rendu coupable de ce délit pour la seconde fois, sera puni:

109 De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps de deux à quatre mois.

Art. 1498.—Les peines établies par l'article 1497 seront augmentées d'un ou deux degrés si la provocation a été faite par celui qui a été la cause première de la querelle.

Art. 1499.—Si la provocation en duel a été motivée par une offense grave faite au provocateur même, à son père, à sa mère, ou à un autre de ses parents en ascendance, ou bien à sa femme, sa fiancée, sa sœur, sa fille, sa bru, sa belle-sœur, ou aux personnes dont la tutelle lui est confiée, et si la provocation n'a pas eu de suites, le provocateur n'encourt aucune peine, ou bien est seulement puni:

D'une arrestation d'un à trois jours.

Art. 397.—Tout fonctionnaire qui aura osé provoquer son chef, sera puni, selon les circonstances:

De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps de quatre à huit mois.

Ou de la privation de certains droits civiques, selon l'article 50 du présent Code, et de la réclusion dans une maison de correction pour un temps de huit mois à un an et quatre mois.

Si avec cela le fonctionnaire a provoqué son chef pour une cause provenant de leurs rapports officiels, ou pour se venger d'une peine disciplinaire qu'il aura encourue, le provocateur sera puni:

De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps d'un an et quatre mois à quatre ans et de 110 la privation de certains droits civiques selon l'article 50.

Art. 1500.—Quiconque sera convaincu d'avoir excité un autre à se battre en duel, sera puni selon les circonstances, au cas où il s'en est suivi une rencontre:

De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps d'un an et quatre mois à quatre ans, ou d'un emprisonnement de quatre mois à un an et quatre mois.

Les mêmes peines sont prononcées contre celui qui aura excité quelqu'un à se rendre coupable d'une injure grave à l'égard d'une autre personne dans le but de la provoquer en duel, au cas ou un duel s'en est réellement suivi.

Art. 1501.—Quiconque aura transmis une provocation en duel, s'il n'a pas fait tout son possible pour empêcher ce conflit, ou bien s'il n'a pas autrement tâché que la provocation n'ait pas de suites, sera passible des peines établies par l'article 1497 pour la provocation même.

Art. 1502.—Quiconque, ayant accepté une provocation en duel, se sera rendu au lieu convenu, quand bien même la rencontre serait empêchée par des circonstances indépendantes de sa volonté, sera puni:

D'une arrestation de un à trois jours.

Mais au cas qu'il ait tiré l'épée ou fait usage des armes contre son adversaire, bien que la rencontre 111 n'ait pas eu pour suite l'effusion du sang, sera puni:

D'une arrestation de trois à sept jours.

Art. 1503.—Quiconque s'étant battu en duel aura tué son adversaire ou lui aura causé de graves blessures, s'il est avec cela l'agresseur ou bien si l'on ne peut décider qui est l'agresseur, mais s'il est prouvé qu'il est le provocateur, est puni en cas de mort:

De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps de quatre à six ans et huit mois.

Et en cas de blessures graves et de mutilation:

De la même peine pour un temps de deux à quatre ans.

Si pourtant ce n'était pas lui qui était cause de la rencontre et que la provocation lui ait été adressée par son adversaire, il sera puni en cas de mort:

De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps de deux à quatre ans.

Et en cas de mutilation ou de blessures graves mais non mortelles:

De la même peine pour un temps de huit mois à deux ans.

Art. 1504.—Si en acceptant la provocation il a été convenu entre les combattants de se battre à mort et si par suite d'une telle convention l'un des adversaires a été tué ou mortellement blessé, le coupable sera puni, au cas où cette condition aura été proposé par lui:

De la privation de tous les droits civils et de la déportation en Sibérie.

112 Et au cas où il a seulement accepté cette condition, de la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps de six ans et huit mois à dix ans;

Les témoins, pour avoir admis une telle condition, seront punis:

De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps de deux à quatre mois.

Art. 1505.—Si un duel s'est terminé, bien qu'avec effusion de sang, mais avec des blessures légères ne mettant pas la vie en danger et ne causant ni mutilation, ni dommages sérieux à la santé du blessé, les coupables sont punis d'un emprisonnement ou de la détention dans une enceinte fortifiée;

Celui qui a été l'agresseur, ou, si cela demeure indécis, le provocateur:

Pour un temps de huit mois à quatre mois l'un, et l'autre pour un temps de deux à quatre mois.

Art. 1506.—Si les personnes convenues de se battre en duel, après s'être préparées pour le combat, mais avant d'avoir versé le sang, se réconcilient de leur propre mouvement, ou par suite des conseils des témoins, mais non par des circonstances indépendantes de leur volonté, elles n'encourent aucune peine.

Art. 1507.—Les témoins, qui, avant ou pendant le duel, n'auront pas employé tous les moyens possibles de persuasion pour empêcher ou prévenir le combat, seront punis, si le duel a eu pour suite la 113 mort ou une blessure mortelle de l'un des adversaires:

De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps de quatre à huit mois.

Et dans les autres cas d'un emprisonnement de deux à quatre mois.

N. B. Les médecins invités pour porter secours aux blessés ne sont pas considérés comme témoins.

Art. 1508.—Si les témoins du duel sont convaincus non seulement de n'avoir pas employé tous les moyens possibles de persuasion pour prévenir ou faire cesser le combat, mais d'avoir au contraire excité les combattants à continuer ou à renouveler le duel, ils seront punis:

De la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps de deux ans huit mois à quatre ans.

Art. 1509.—Si le duel a eu lieu sans témoins, et s'il a eu pour résultat la mort ou des blessures graves, le coupable sera puni:

De la peine instituée par l'article 1504, pour avoir proposé ou accepté de se battre à mort.

Mais si cette rencontre n'a eu pour suite ni la mort, ni des blessures graves, les coupables ne seront punis que de la détention dans une enceinte fortifiée pour un temps d'un an et quatre mois à trois ans.

Art. 1510.—Quiconque aura tué en duel son adversaire ou lui aura porté une blessure grave, en employant la trahison, sera puni:

114 Du maximum de la peine établie par l'article 1454 du présent Code pour meurtre avec préméditation.

Et si le duel a eu lieu sans témoins:

De la peine établie pour meurtre avec préméditation, en cas des circonstances aggravantes citées dans l'article 1453.

En cas de blessures graves, le coupable encourt:

Le maximum des peines établies par l'article 1497 pour blessures graves avec préméditation.

Les témoins qui auront aidé le coupable à porter le coup mortel ou à causer une blessure grave, en employant la trahison, subiront la même peine.

Art. 1511.—Quiconque se sera trouvé fortuitement présent à un duel, et n'aura pas profité de cette occasion pour tâcher de persuader les combattants de se réconcilier, sera puni, si le duel a pour suite la mort ou des blessures graves, d'une des peines contenues dans l'article 1521, pour n'avoir pas prêté secours à un homme se trouvant en péril.

Art. 1512.—Quiconque aura reproché à une autre personne ou l'aura injuriée, soit verbalement, soit par voies de fait, de n'avoir pas accepté une provocation en duel ou d'avoir fait cesser le duel par suite d'une réconciliation, sera puni, si le duel en est résulté:

D'une des peines établies par l'article 1509 pour avoir excité au duel, etc...; en cas contraire:

D'une des peines instituées pour injures plus ou moins graves. (Code des peines de la juridiction des juges de paix, art. 130-135.)

115 Jusqu'à l'année 1845, la législation russe n'admettait aucune distinction entre le meurtre et le duel. Il est vrai que les peines édictées contre le meurtre n'ont jamais été appliquées dans toute leur rigueur aux duellistes. Ce n'est que depuis 1845, c'est-à-dire depuis la promulgation du Code pénal que le législateur a considéré le duel comme un crime spécial (sui generis), établissant en même temps différentes catégories de duels auxquelles sont appliquées des peines proportionnées à la gravité des faits. Dans le plus grand nombre de cas, la peine établie est la détention dans une forteresse, peine qui est considérée comme moins infamante que la prison et n'est appliquée d'ailleurs qu'à peu de crimes ayant plus ou moins un caractère politique.

Le Code de 1866, dont nous avons reproduit plus haut les dispositions, s'inspire des mêmes errements.

Le nouveau Code pénal militaire de 1875 ne mentionne d'une manière explicite qu'un seul cas de duel, celui où le subordonné aurait provoqué son supérieur.

Art. 99.—Celui qui provoquera son supérieur en duel pour une affaire relative au service militaire, est passible d'être exclu du service avec perte de son grade, ou d'être détenu dans une forteresse de seize mois à quatre ans; ou d'être cassé de son grade et remis simple soldat.

Le supérieur qui a accepté la provocation est passible de la même peine que celui qui l'a faite.

Si par suite de la provocation le duel a lieu, la 116 peine est fixée d'après les règles admises en matière de connexité de crimes.

Cependant comme ledit Code militaire, dans son premier article, pose en principe que tous les cas non exceptés par une de ses dispositions rentrent dans le droit commun, il est évident que les peines édictées par le Code pénal «ordinaire» contre le duel, sont applicables aux militaires aussi bien qu'aux civils.

Depuis l'année 1867, année de la promulgation de la loi sur les tribunaux militaires (d'arrondissement), tous les duels entre militaires sont soumis au jugement de ces tribunaux. Mais, sauf des cas exceptionnels où la discipline militaire est en jeu, les peines applicables aux délinquants sont celles énumérées plus haut dans les articles du Code civil.

Les sentences des tribunaux militaires sont presque toujours soumises à la sanction de S. M. l'empereur, et, dans la plupart des cas, les peines sont commuées, selon la nature des motifs qui ont amené le délinquant sur le terrain.

Les tribunaux d'honneur sont également institués dans les corps de troupes, avec les mêmes attributions que dans les autres armées, mais ils n'ont pas le droit d'autoriser le duel entre les militaires.

117

CHAPITRE III
DU DUEL DEPUIS LA RÉVOLUTION ET SUIVANT LE DROIT ACTUEL

Lors de la révolution de 1789, on ne songea pas à remplacer par des lois plus appropriées aux idées du moment, les anciens édits sur le duel.

Le préjugé du point d'honneur, né avec la noblesse et enfermé dans les limites de cette caste privilégiée, devait, pensait-on, disparaître avec elle et sombrer sous les coups de la régénération sociale qui confondait toutes les classes de la société dans la grande unité nationale.

On oubliait, ce nous semble, de prévoir les conséquences pratiques de ce principe d'égalité. Le duel pouvait se reproduire moins souvent, par suite, comme nous l'avons précédemment indiqué, de l'adoucissement des mœurs, de l'influence des arts et des sciences, des développements mêmes donnés aux intérêts matériels. Mais aussi, par suite de ce principe d'égalité qui mettait toutes les classes au même niveau, tout individu instruit, et surtout bien élevé, devait croire, avec juste raison, pouvoir faire, autant que quiconque, profession expresse d'honneur et de 118 délicatesse et, par conséquent, pouvoir et devoir même recourir au point d'honneur pour obtenir une réparation à toute injure qu'il serait dans le cas de recevoir.

On ne prévit pas davantage les conséquences des luttes d'opinions politiques; aussi, se prit-on à réfléchir un peu plus sérieusement, lorsque l'on vit commencer les duels politiques entre des membres de l'Assemblée nationale qui appartenaient au parti de la cour et d'autres qui soutenaient les idées libérales. Le duel qui eut le plus de retentissement à cette époque, fut celui de M. de Castries avec M. Charles de Lameth, et dans lequel ce dernier fut blessé.

L'opinion publique s'émut, et l'Assemblée (4 février 1791), enjoignit a ses comités de lui présenter dans le plus bref délai possible un projet de loi contre les duels. Cette injonction resta sans effet.

Le 6 octobre 1791, le Code pénal fut promulgué.

Il n'y fut fait aucune mention du duel. Après avoir spécifié dans quels cas l'homicide peut être déclaré innocent ou excusable, ce Code dispose ainsi (Art. 7, sect. Ire):

«Hors les cas déterminés par les précédents articles, tout homicide commis volontairement envers quelque personne et avec quelque arme ou instrument, et par quelque moyen que ce soit, sera qualifié et puni ainsi qu'il suit, etc...»

Dans l'année même qui suivit la promulgation de ce Code, des poursuites furent intentées contre quelques membres de l'Assemblée, sous l'inculpation de 119 provocation au duel. L'Assemblée annula ces poursuites par un décret d'amnistie (17 septembre 1792) abolissant tous procès et jugements contre les citoyens, sous prétexte de provocation au duel, depuis le 14 juillet 1789, jusqu'à ce jour.

Deux ans après, la Convention nationale, consultée au sujet de savoir si l'article du Code militaire du 12 mai 1793 (Art. 11, sect. IV) qui punissait tout militaire convaincu d'avoir menacé son supérieur de la parole et du geste, devait s'appliquer à la provocation en duel adressée par un inférieur à son supérieur, hors le cas de service, décidait, sur le rapport de son comité de législation, que l'application de la loi devant être restreinte à ce qu'elle avait prévu, et l'article précité ne contenant ni sens ni expression qui s'appliquât à la provocation en duel, il n'y avait pas lieu à délibérer; et, à cette occasion, cette Assemblée renvoya à la commission du recensement et de la rédaction complète des lois, «l'examen de la proposition et des moyens à prendre pour empêcher les duels, et de la peine à infliger à ceux qui s'en rendraient coupables et les provoqueraient.» (Décret du 29 messidor an II, 17 juillet 1794.)

Il en fut de même du Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV, qui reproduisit presque entièrement les dispositions du Code de 1791.

Le gouvernement consulaire fut bientôt appelé à exprimer son opinion sur la répression des duels.

Le grand juge, en plusieurs lettres et circulaires (Voir notamment une circulaire du 13 prairial, an IX, au Recueil administratif de Fleurigeon, tome V, 120 p. 290, vo Duel), posa en principe que d'après les lois en vigueur, le duel, en lui-même, ne constituait ni crime ni délit, et que, par conséquent, le duel qui n'avait été suivi d'aucun meurtre, d'aucune blessure ni contusion, ne pouvait donner lieu à aucune poursuite judiciaire; mais, qu'il était hors de doute que les blessures, contusions, meurtres effectués, étant eux-mêmes des atteintes portées à la sûreté et à la vie des citoyens qui en auraient été victimes, ces voies de fait rentraient dans la catégorie de toutes celles de même nature qu'avaient prévues les lois pénales, et que devaient poursuivre les tribunaux, d'après la nature des circonstances et la gravité du fait matériel.

Le Code pénal de 1810 ne nommait même pas le duel. L'exposé des motifs présenté par l'orateur du Conseil d'État, garde le même silence; mais il n'en est pas de même du rapport présenté au Corps législatif par M. de Monseignat, organe du comité de législation.

«Vous me demanderez peut-être, pourquoi les auteurs du projet de loi n'ont pas désigné particulièrement un attentat aux personnes, trop malheureusement connu sous le nom de duel? C'est qu'il se trouve compris dans les dispositions générales qui vous sont soumises....... Si les duellistes ont agi dans l'ébullition de la colère, ils sont des meurtriers...

«S'ils ont prémédité, projeté, arrêté à l'avance cet étrange combat, si la raison n'a pu se faire entendre, 121 s'ils ont méconnu sa voix et, au mépris de l'autorité, cherché dans une arme homicide la pénalité qu'ils ne devaient attendre que du glaive de la loi, ils sont des assassins!...» (!??!)

Le gouvernement impérial, dès l'origine, interpréta le silence de la loi dans le sens indiqué par M. de Monseignat. Un sieur Marais, accusé d'homicide commis en duel, fut acquitté par la Cour d'assises de la Seine (26 décembre 1811).

Le grand juge (Lettre au procureur général d'Amiens, 25 mai 1815) s'exprimait ainsi: «Le duel par lui-même n'est pas un délit dans l'état actuel de notre législation, mais les circonstances qui l'ont accompagné, les suites qu'il a eues peuvent donner lieu à des poursuites. Dans tous les cas d'homicides, par exemple, on ne peut se dispenser d'informer. C'est ensuite aux magistrats et aux jurés, si l'affaire est portée devant eux, à apprécier cet acte et à le qualifier d'après leurs lumières et leur conscience, suivant qu'ils estiment qu'il a été l'effet ou de la volonté, ou de la préméditation, ou de l'imprudence, ou d'une légitime défense. Tout homicide appartient à l'une de ces classes.»

Cette même année, l'illustre Merlin, procureur général à la Cour de cassation, nous apprend lui-même dans son recueil des questions de droit (Voir Duel, § 1) qu'il a adressé un avis tout contraire à un procureur général qui l'avait consulté sur ce sujet. Après avoir cherché à établir que le silence gardé sur le duel par l'Assemblée constituante, dans 122 les lois pénales, équipollait à une prohibition expresse de punir les duellistes qui avaient loyalement observé dans le combat les règles qu'ils s'étaient réciproquement imposées par une convention préalable, il ajoute: «Le Code pénal de 1810 ne s'explique pas plus à cet égard que celui de 1791: on doit donc appliquer aujourd'hui au silence de l'un, la même intention que l'on avait précédemment induite du silence de l'autre; et c'est ce que j'ai répondu en 1812 à un procureur général qui m'avait consulté au sujet d'un duel dans lequel l'un des deux combattants avait perdu la vie.»

La Restauration mettait en présence, dans l'ordre civil comme dans l'armée, les serviteurs du régime déchu, et les partisans du régime nouveau: la noblesse de race et la noblesse créée par l'Empire. Ajoutons que les luttes de la tribune, de la presse, l'apprentissage laborieux (est-il terminé??) que la France faisait de ses libertés nouvelles, donnaient lieu à de nombreux conflits d'opinions, que les passions aveugles et intransigeantes de l'esprit de parti jugeaient ne pouvoir se terminer sans effusion du sang. Aussi remarque-t-on, à cette époque, une recrudescence dans les duels.

Et pourtant, dans cette période où la répression semblait si nécessaire, l'opinion qui prévalut dans la Cour de cassation, fut celle qui assurait au duel et à ses suites, quelles qu'elles fussent, le bénéfice de l'impunité légale.

Sur un pourvoi contre un arrêt d'une chambre de mises en accusation, qui avait renvoyé un duelliste 123 devant la cour d'assises, sous la prévention d'homicide volontaire mais sans préméditation, cette cour jugea par un arrêt longuement et soigneusement motivé que: ni les articles 295 et 304 du Code pénal, ni aucun autre article de ce Code sur l'homicide, le meurtre et l'assassinat, ne pouvaient être appliqués à celui qui, dans les chances réciproques d'un duel, a donné la mort à son adversaire, sans déloyauté ni perfidie. (Arrêt du 18 avril 1819, aff. Cazelle.)

Nous devons remarquer que bien que cet arrêt ait été rendu par la chambre criminelle, il avait été concerté préalablement avec les autres chambres réunies de la Cour de cassation, et que la solution avait été adoptée à la presque unanimité des voix. (Voir Brillat-Savarin, Essai sur le duel, avertissement, page 8.)

Cet arrêt de la Cour de cassation ne justifie pas le duel en principe; il n'y est pas déclaré légitime en soi, mais la Cour pense que c'est au pouvoir législatif «à juger s'il convient de compléter notre législation par une loi répressive, que la religion, la morale, l'intérêt de la société et celui des familles paraissent réclamer, et régler par quelles mesures doivent être prévenus et punis des faits qui ont un caractère spécial par leur nature, leur principe et leur fin».

M. Cauchy (Du Duel, t. I, p. 309) fait judicieusement observer que la détermination de la Cour a pu être influencée par les raisons suivantes:

Avant la réforme du Code pénal opérée par loi du 28 avril 1832 et, notamment, avant que la faculté de modérer les peines, suivant qu'il existe des circonstances 124 atténuantes, fût introduite dans notre droit criminel, l'assassinat entraînait nécessairement la peine de mort; le simple meurtre, les travaux forcés à perpétuité. Ces peines ne pouvaient être abaissées sous quelque prétexte que ce fût. Or, quel magistrat pouvait, sans répugnance, mettre sur la même ligne le voleur de grands chemins, qui assassine pour voler, et l'honnête homme qui cherche à venger son honneur dans un combat singulier?

L'arrêt du 8 avril fut le point de départ d'une jurisprudence à laquelle la Cour de cassation resta fidèle jusqu'en 1837.

Dans toutes les circonstances, elle jugea constamment que le duel n'étant qualifié crime par aucune loi, il résulte de là que le fait d'avoir, à la suite d'un rendez-vous et dans un duel, tué ou blessé son adversaire, sans qu'il y ait déloyauté ou perfidie, n'est passible d'aucune peine et, qu'en conséquence, l'individu qui donne la mort ou fait des blessures, ne peut être pour ce fait renvoyé devant les tribunaux. De nombreux arrêts de cours royales ont été cassés pour maintenir cette décision. Une lutte s'est établie à ce sujet entre les arrêts de la Cour de cassation et les arrêts de diverses cours royales. Toutes les sentences des chambres de mises en accusation, qui avaient renvoyé devant les cours d'assises des individus prévenus d'homicides commis en duel, ont été cassées, en conformité de cette jurisprudence.

Il est utile de remarquer qu'à cette époque, la Cour de cassation n'avait pas, comme aujourd'hui, le pouvoir 125 d'imposer ses doctrines aux cours et tribunaux du royaume. Aussi une cour royale, saisie de la question sur un renvoi prononcé après deux cassations successives, décide contrairement à la Cour de cassation et conformément aux arrêts cassés, que: la législation pénale ayant déclaré que, lorsque l'homicide ou les blessures graves ne sont pas reconnus par la loi exempts de crimes ou de délits, aux termes du § 3, liv. III, tit. II du Code pénal, ils sont susceptibles d'être l'objet de la vindicte publique. Il suffit que le duel n'ait pas été rangé dans les exceptions, pour qu'alors le principe général lui devienne applicable. (Colmar, 20 novembre 1828, chambres réunies. Affaire Laberte.)

Tout en maintenant la jurisprudence qu'elle avait consacrée, la Cour de cassation, elle-même, reconnaissait que l'homicide commis en duel, les blessures faites, pouvaient, en raison des circonstances et, notamment, si le duel avait été entaché de perfidie et de déloyauté, être assimilés à l'homicide et aux blessures ordinaires, par suite punis de peines édictées par le Code pénal. Cela résulte par argument à contrario et de l'arrêt de 1819, et de tous ceux qui ont été rendus depuis en conformité.

Cela a été jugé expressément par deux arrêts:

1o Il a été jugé que devait être réputé coupable de meurtre avec préméditation et pouvait être poursuivi comme assassin, celui qui, dans un duel au pistolet, à six pas de distance, ayant obtenu du sort l'avantage de tirer le premier, avait persisté à vouloir user de son avantage et avait donné la mort à son 126 adversaire, malgré les instances des témoins pour le décider à s'éloigner davantage; qu'il était coupable, surtout s'il avait été le provocateur du duel, et qu'il l'était encore, bien que son adversaire, blessé mortellement, eût eu la force de décharger son pistolet et lui eût fait une blessure (21 septembre 1821).

2o Il a été jugé également qu'il suffit qu'un arrêt de chambre de mise en accusation, qui a renvoyé devant la cour d'assises, comme prévenu de meurtre, un individu qui avait tué son adversaire en duel, se soit fondé sur des circonstances relevées dans son arrêt et constitutives du crime de meurtre, pour que l'application qu'elle a fait des articles 295 et 304 du Code pénal doive être maintenue, et que par suite cet accusé, qui avait déchargé son arme sur son adversaire après que celui-ci avait tiré, et qui, ainsi, ne se trouvait pas, à vrai dire, dans le cas d'une légitime défense, prétendrait en vain que l'arrêt de la chambre des mises en accusation contenait une fausse qualification des faits incriminés.

Lorsque les poursuites étaient exercées contre un homicide commis en duel, il appartenait aux chambres de mise en accusation d'apprécier si cet homicide avait été la suite d'un duel loyalement accompli, cette constance faisant disparaître la criminalité du fait, ou si, à raison des circonstances, il devait être considéré comme un meurtre ordinaire (Cour de cassation, 8 janvier 1819, affaire Durré, affaire Cazelle; rejet 19 septembre 1822, affaire Durré).

Tout en déclarant que les blessures qui étaient la suite d'un duel loyalement accompli ne rendraient 127 leur auteur passible d'aucune peine, la Cour de cassation reconnaissait cependant, qu'à titre de fait préjudiciable, il pouvait devenir le principe d'une action en dommages et intérêts au profit de la famille de la victime.

Ainsi, elle avait jugé que bien que, à supposer que le consentement d'un duelliste à subir les chances du duel; la rendît non recevable à réclamer des dommages et intérêts pour les blessures qu'il pouvait avoir reçues, ce consentement ne pouvait priver sa femme et ses enfants des droits que la nature et la loi leur assurent, lorsqu'ils les réclament, directement et en leur nom, pour le préjudice personnel qu'ils en éprouvent, et qu'en leur accordant des dommages et intérêts, même lorsque l'accusé a été déclaré non coupable par le jury, la Cour d'assises ne viole aucune loi. (Rejet 29 juin 1827.)

Ce rejet eut lieu à l'occasion d'un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d'assises des Ardennes qui avait accordé des dommages et intérêts à la famille de l'homicide, bien que l'accusé eût été acquitté par le jury.

La même doctrine a été consacrée par un arrêt de cour d'assises des Basses-Pyrénées, le 15 août 1837.

La Cour s'est encore conformée à la jurisprudence précitée, en rejetant le pouvoir formé contre un arrêt de la cour d'assises de Bordeaux en date du 15 avril 1845, au profit de la mère de celui qui avait succombé.

N'omettons pas de mentionner ici une disposition 128 de la loi du 30 juillet 1828 sur l'interprétation des lois.

Lorsqu'après une première cassation, la Cour suprême, saisie de l'affaire par un nouveau pourvoi, persistait dans sa jurisprudence par une seconde cassation prononcée en assemblée solennelle, sa décision n'avait rien d'obligatoire pour la cour devant laquelle elle renvoyait l'affaire, cette cour jugeant alors d'une manière définitive sans être liée par l'opinion de la Cour de cassation; mais cette dernière, en même temps qu'elle prononçait le renvoi, devait en appeler au législateur pour qu'il fixât lui-même le sens de la loi, dont l'obscurité était suffisamment attestée par le dissentiment qui s'était manifesté entre elle et les cours d'appel.

C'est ainsi que l'arrêt du 8 août 1828, affaire Laberte, en même temps qu'il renvoyait la cause devant une troisième cour royale, arrêtait qu'il en serait référé au roi, pour être ultérieurement procédé par ses ordres à l'interprétation de la loi.

Déjà, après l'arrêt du 8 avril 1819, un projet de loi sur le duel avait été présenté par un député, M. Clausel de Coussergues, et malgré le remarquable rapport du baron Pasquier, il n'y fut point donné suite.

Un projet de M. Portalis, alors garde des sceaux, fut adopté par la Chambre des pairs, le 14 mars 1829; et, communiqué à la Chambre des députés, en fin de session, il ne put être l'objet d'aucun rapport.

L'année suivante, le 11 mars 1830, M. Clausel de Coussergues présente un nouveau projet qui reproduisait en partie les dispositions de celui de la 129 Chambre des pairs. Les événements de 1830 empêchèrent de donner suite à aucun de ces essais législatifs.

La loi du 1er avril 1837 avait agrandi et fortifié les pouvoirs de la Cour suprême, en obligeant, après deux cassations successives dans la même affaire, la Cour saisie sur ce second renvoi à se conformer à la décision de la Cour de cassation.

Le 22 juin 1837, la Cour de cassation, saisie de nouveau d'une affaire de duel, décide, conformément au brillant réquisitoire de M. Dupin, procureur général, que si la législation spéciale sur les duels, antérieure à 1789, a été abolie par les lois de l'Assemblée constituante, on ne saurait induire de cette abolition une exception tacite pour le cas de duel, aux dispositions générales qui punissent le meurtre, les blessures et les coups; que ces dispositions sont absolues et ne comportent aucune exception; qu'on ne saurait, d'ailleurs, admettre que le meurtre commis, les blessures faites et les coups portés dans un combat singulier, résultat d'un concert préalable entre deux individus, aient été autorisés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même, puisqu'en ce cas, le danger a été entièrement volontaire, la défense sans nécessité, le danger pouvant être évité sans combat; que le fait de la convention qui a précédé le duel ne peut être considéré comme une excuse légitime; que dans tous les cas, c'est au jury seul qu'il appartient de l'apprécier à ce point de vue; et qu'ainsi, toutes les fois qu'un meurtre a été commis, que des blessures ont été faites, que des coups ont 130 été portés dans un duel, les juges appelés à prononcer sur la prévention ou l'accusation ne peuvent se dispenser de renvoyer l'accusé devant la cour d'assises ou le tribunal correctionnel (Cour de cassation, 22 juin 1837, affaire Pesson).

Dans cette même affaire Pesson, la cour de Bourges ayant jugé, contre l'arrêt précité, que le meurtre commis sans déloyauté dans un duel dont les conditions ont été réglées ne constitue ni crime ni délit, son arrêt, en date du 31 juillet 1837, fut annulé sur un nouveau réquisitoire du procureur général (Cassation, chambres réunies, 15 décembre 1837).

Dans ce réquisitoire, M. Dupin fit mention d'une lettre particulière du célèbre jurisconsulte Merlin qui se réunissait à sa doctrine.

Citons ici quelques arrêts:

1.—Les blessures ou l'homicide commis en duel tombent sous la répression de la loi pénale (4 janvier 1845, a. c. Servient, D. P., 45, 160).(Voir divers autres arrêts conformes dans Dalloz, Table des 22 années. V. Duel, p. 534, vol. I.)

2.—Encore que le duel n'ait été accompagné d'aucune circonstance de déloyauté (20 sept. 1853, a. c. Blot, D. E., 53, 5, 180).

3.—Le duel ne peut perdre le caractère de délit ni être soustrait à la vindicte publique à raison de la renonciation réciproque des parties à recourir à l'action répressive de la loi (4 janvier 1845, a. c. Servient, D. E., 45, 1, 60).

131 4.—Jugé dans les États Sardes dont la législation punit le duel, que les peines particulièrement édictées contre l'homicide commis en duel, sont applicables toutes les fois que l'un des combattants a été tué, lors même que ce malheur ne serait imputable qu'à sa propre imprudence, en ce que dans une attaque maladroitement dirigée il se serait enferré lui-même contre l'épée de l'adversaire, tandis que celui-ci aurait avec intention conservé durant le combat une attitude exclusivement défensive (22 mai 1852, c. c. sarde Dessaix, D. P., 53, 5, 181).

5.—Lorsque l'un des duellistes se trouve être un militaire, il y a lieu de le traduire comme son adversaire devant la cour d'assises, même pour des faits postérieurs au duel, mais s'y rattachant, qui lui seraient particulièrement reprochés, tel que celui d'avoir continué seul le combat, malgré le signal de cessation donné par les témoins (18 février 1854, Ch. réunies, c. Blot, D. P., 54, 5, 275).

6.—Quant à la provocation au duel, alors même qu'elle est suivie d'effet, elle ne constitue pas un délit; d'où il suit que celui qui, par provocation publique, a appelé au duel dans lequel il a reçu une blessure, ne peut être puni comme complice, pour provocation de la blessure à lui faite; en pareil cas la provocation ne constitue qu'un délit d'injure ou de menace que le ministère public n'a pas qualité pour poursuivre d'office (15 octobre 1844, a. r. de Melleveau, D. P., 45, 1, 50).

7.—Les témoins d'un duel qui ont fixé l'heure du 132 combat, apporté et chargé les armes, mesuré la distance et donné le signal du feu, ne peuvent être déclarés non complices par cela seul qu'ils ont fait des efforts pour amener la réconciliation des adversaires (2 septembre 1847, Bocher, D. P., 47, 4, 179).

8.—Jugé, au contraire, que les témoins d'un duel qui ont été reconnus avoir fait jusqu'au dernier moment tous leurs efforts pour l'empêcher, ont pu, par appréciation souveraine de ce fait et bien qu'ils aient assisté au combat, être soustraits à la prévention de complicité du délit, sans que l'arrêt de la chambre des mises en accusation qui le décide ainsi encoure la cassation (4 janvier 1845, Ch. c. Servient, D. P., 45, 1, 60).

9.—Que le fait d'assister comme témoin à un duel dans lequel l'un des adversaires a succombé, a pu être déclaré ne pas constituer un délit, s'il résulte de l'appréciation des circonstances, laquelle rentre dans les attributions de la Cour suprême, que les témoins, après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, ne se sont rendus sur le terrain que pour éloigner toutes les chances probables du malheur qui est arrivé (22 août 1848, Ch. réunies, Bocher, D. P., 48, 1, 164).

10.—En admettant l'assimilation du duel à un fait d'excuse, ce fait ne saurait être apprécié par les chambres du conseil et d'accusation, soit à l'égard du duelliste, soit à l'égard des témoins (25 mars 1845, Ch. réunies, c. Servient, D. P., 45, 1, 135).

133 11.—Ces chambres sont aussi incompétentes pour déclarer si le duel est une circonstance atténuante (Même arrêt).

12.—L'homicide commis en duel, dans le cas même où la déclaration du jury l'a dépouillé de tout caractère délictueux, n'en constitue pas moins un acte illicite engageant, vis-à-vis de la famille de la victime, la responsabilité de celui à la faute duquel il est imputable (25 novembre 1862, C. d'assises de Seine-et-Oise, Caderousse-Grammont, D. P., 64, 1, 99).

13.—Et spécialement, l'individu (un militaire) qui a tué en duel son adversaire peut, même en cas d'acquittement par le conseil de guerre et bien qu'il n'ait pas été le provocateur (??), être condamné à des dommages et intérêts envers la veuve et les enfants de la victime. Toutefois, il y a lieu de tenir compte dans la fixation en chiffres de ces dommages et intérêts, des circonstances qui peuvent atténuer ses torts (3 juin 1819, Tribunal de Marseille, d'Héran, D. P., 54, 5, 274).

Malgré les dissidences des diverses cours royales entre elles, malgré les divers arrêts qui en sont la suite, la Cour de cassation a toujours maintenu sa doctrine, laquelle, d'après les pouvoirs qui lui ont été conférés par la loi du 1er avril 1837, doit fixer définitivement la jurisprudence en matière de duel.

Or, quels résultats pratiques avons-nous à enregistrer? Dans une rencontre, si l'un des adversaires a succombé, le survivant est traduit devant la cour 134 d'assises pour meurtre commis avec préméditation ou assassinat, et comme il est sous le coup d'une condamnation capitale ou, en cas de circonstances atténuantes, d'une condamnation aux travaux forcés à vie ou à temps, le jury l'acquitte infailliblement. Si, au contraire, il n'y a eu que de simples blessures, ces blessures, au lieu d'être considérées comme des tentatives d'assassinat, sont prises pour ce qu'elles sont matériellement, et considérées comme délit principal; l'accusé est alors traduit devant les tribunaux correctionnels; et ces tribunaux placés sous le contrôle de la Cour de cassation condamnent invariablement. Si bien que l'intérêt du duelliste est d'augmenter autant que possible les charges qui s'élèvent contre lui: son acquittement est à ce prix.

Une législation qui amène de semblables résultats n'est-elle pas une législation vicieuse?

La jurisprudence de la Cour de cassation a rencontré une résistance dont l'autorité morale de ses arrêts n'a pu triompher. Comment supposer que le jury ne proteste pas par l'acquittement des accusés contre l'assimilation qu'on prétendrait établir entre le duel et l'assassinat? Nous dirons avec M. Dalloz: «Aux hommes sensés qui ne sont pas légistes, les variations de la jurisprudence, la lutte qui aujourd'hui même existe encore entre la Cour de cassation et un certain nombre de cours d'appel, font de la question du duel, l'une des plus douteuses, l'une des plus difficiles que puisse agiter la science de l'interprétation des lois. Comment donc les jurés n'hésiteraient-ils pas à la trancher dans le sens 135 le plus rigoureux? Comment ne reculeraient-ils pas, eux les interprètes du sentiment public, devant un système qui établit entre deux faits profondément distincts une confusion que repousse le sentiment public?

«Combien de temps encore se prolongera cette lutte?

«Le jury finira-t-il par céder?»


Pour ce qui nous regarde, nous n'en croyons rien. En effet, pourquoi le juge acquitte-t-il? C'est que le fait est trouvé par le jury français innocent des incriminations dont il est l'objet; et, s'il doit échapper nécessairement à toute répression, de quel droit poursuivez-vous le duel loyal, régulier, celui qui a eu lieu dans des conditions que la coutume et la conscience publique ont réglées? Pourquoi tout cet appareil judiciaire qui ne peut qu'aboutir à un acquittement, c'est-à-dire au discrédit des organes de la poursuite et de la répression judiciaire, à la constatation de l'imprévoyance, de l'inertie ou de l'impuissance du législateur?

Dans l'armée française, le duel n'est point défendu. Nous avons entendu bon nombre d'officiers de tous grades manifester le désir de voir revivre l'ancienne et belle institution du tribunal des maréchaux de France, et réclamer principalement l'institution des tribunaux d'honneur, réforme excellente mais qui, une fois admise, devrait fonctionner régulièrement.

Nous nous associons à ce désir sous le bénéfice 136 des observations suivantes relatives à la compétence:

Selon nous, les tribunaux d'honneur devraient avoir pour but essentiel de sauvegarder l'honneur des corps d'officiers et des individus qui les composent.

Le droit de recours à leurs décisions serait égal tant pour les individus que pour les corps, et que pour l'autorité supérieure.

En ce qui touche les querelles et duels, nous rejetons toute compétence autoritaire préventive.

D'après ce, ces tribunaux ne deviendraient compétents:

1o En cas de duel.—Que pour examiner si la cause du duel ne renferme aucun fait scandaleux de nature à offenser la dignité de l'épaulette; et si tout, dans la rencontre, s'est passé suivant les lois de l'honneur;

2o En cas de querelle non suivie de duel.—Pour constater, après examen, que le différend a été apaisé sans aucun préjudice soit pour l'honneur individuel des parties, soit pour celui du corps d'officiers.

Pour l'arrangement des querelles et des duels, le recours aux tribunaux d'honneur devrait être entièrement facultatif et porté d'un commun accord par les parties.

La compétence du tribunal des maréchaux s'étendrait sur les officiers généraux et autres personnages élevés de la hiérarchie militaire ou assimilés.

137 N. B. On pourrait ajouter à la compétence du tribunal suprême des maréchaux le droit de réviser, en cas d'appel, les décisions du conseil de l'ordre de la Légion d'honneur, en fait de radiation. La sentence motivée ne serait rendue qu'après avoir ouï l'inculpé ou son mandataire (ceci pour éviter les influences politiques).

Les tribunaux d'honneur de corps d'armée auraient pour justiciables les officiers supérieurs et assimilés.

Les tribunaux d'honneur de division auraient pour justiciables, les capitaines, les autres officiers d'un grade inférieur et assimilés.

Pourquoi ne pas développer ces propositions?

Pourquoi ne pas établir comme chez d'autres puissances, les tribunaux d'honneur dans chaque régiment?

Et les sous-officiers, candidats nés pour l'épaulette, qui sont presque officiers, et dont avec juste raison on désire améliorer, relever la situation, peuvent-ils être oubliés dans les questions d'honneur?

Voilà bien des questions qui ont été l'objet de nos études, mais auxquelles nous ne saurions répondre ici pour les motifs suivants:

Nos réponses devraient être la conclusion d'un examen détaillé et approfondi sur la manière dont les questions relatives au point d'honneur et au duel ont été envisagées dans l'armée depuis 1789 jusqu'à nos jours. Cet examen devrait indispensablement côtoyer la politique... or, nous le déclarons, la politique est complètement exclue de cette étude.

138 Cet examen, enfin, pour atteindra un but d'utilité pratique, exigerait une complète indépendance d'appréciation, qui ne peut être le partage d'un officier supérieur ayant parcouru la majeure partie de sa carrière dans l'armée sarde et ne comptant que sept ans de services dans l'armée française. Un sentiment de respect pour les convenances justifie notre abstention.

En cas de rencontre entre des militaires et des individus appartenant à l'ordre civil, les affaires sont de la compétence des tribunaux ordinaires.

De ce simple aperçu historique, il ressort une vérité que nous nous croyons fondé à signaler, à savoir: le duel dans ses usages est le reflet des mœurs de son époque; il suit toujours fidèlement les diverses phases de la civilisation. Ainsi, au XVIe siècle, le duel est l'héritier naturel du combat judiciaire; aussi, Brantôme nous l'a-t-il montré sans pitié ni merci. Malheur au vaincu! il est la chose du vainqueur toujours impitoyable comme les hommes de ces temps.

Les armes en usage alors étaient: d'abord, une lourde épée plate et droite, affilée des deux côtés, mesurant un mètre de longueur et plus. Ensuite, chaque champion était pourvu d'une dague dans la main gauche, dont il pouvait se servir soit pour détourner les coups d'épée, soit en certains cas pour l'offensive. Avec le progrès, ces armes si pesantes tombèrent en désuétude et devinrent l'ornement de nos musées et des collections d'amateurs, où nous les rencontrons encore aujourd'hui.

139 Parmi les gentilhommes de la cour de France à cette époque, pas un nom illustre, nous disent les historiens, qui ne prétendît attacher quelque épisode de duel à la devise de son écusson.

Les Guise comptèrent parmi les plus intrépides ferrailleurs, puis les Bussy d'Amboise, baron de Vitaux, les Mignons déjà mentionnés plus haut.

La fin du XVIIIe siècle nous amène l'adoucissement des mœurs; c'est le règne de la frivolité et des aventures galantes. On se bat pour oui ou pour non, parce que l'on est un «beau» et parce que l'on veut paraître brave vis-à-vis des beaux yeux dont on ambitionne la conquête.

Les armes sont devenues moins pesantes, et avec radoucissement des mœurs s'introduit le duel au premier sang, objet d'attaques aussi virulentes qu'insensées de la part de quelques philosophes tels que Bernardin de Saint-Pierre et Jean-Jacques Rousseau, etc.

Jusque-là, le duel à l'épée était reconnu, personne n'étant censé ignorer l'usage de l'arme qu'il portait au côté. A cette époque, apparaît le duel au pistolet, lequel, selon des historiens, devint bientôt en vogue, par suite du changement introduit dans la manière de se vêtir.

La célébrité des duellistes de la Régence ne fut pas moindre que celle des duellistes du XVIe siècle. On a conservé les noms du duc de Richelieu, du marquis de Létorière, du comte de Turpin, de Sainte-Foy, du fameux chevalier d'Éon, du chevalier de Saint-Georges, de Saint-Évremond, créateur d'une 140 botte rivale du coup de Jarnac, du duc de Lauzun, du comte de Tilly, du marquis de Tinteniac, etc.

Le plus fameux entre tous, le duc de Richelieu, eut son premier duel à vingt ans. Chez ce beau séducteur, les coups d'épée marchaient de conserve avec les aventures. Plus d'une fois, il côtoya très intimement la mort à laquelle il sut toujours échapper. Le jour ne lui suffisait pas, il lui fallait encore tirer l'épée pendant la nuit. En 1734, au siège de Philipsbourg, à minuit, sur la tranchée même, il tue le prince de Ligne, son parent. Et pourtant, ce duelliste émérite termine sa vie enferraillée fort tranquillement dans son lit, à l'âge de quatre-vingt-six ans, comme un bon chanoine de Notre-Dame de Paris.

Le marquis de Létorière n'eut pas la patience d'attendre l'âge de vingt ans. A seize ans, il franchit les murailles du collège pour aller se battre. Il ne manqua pas de recueillir diverses blessures plus ou moins graves dans ses nombreuses rencontres.

Sa fin fut moins tranquille, mais plus honorable que celle du duc de Richelieu. «Un jour, raconte la marquise de Créqui dans ses mémoires, on le trouva mort sur les dalles d'un cloître derrière lequel soupirait une très grande dame! ses blessures s'étaient rouvertes... le sang avait coulé pendant toute la nuit... et... il n'avait pas voulu appeler... Le «beau» sut au moins mourir en homme d'honneur!...»

Noble exemple, dont pourraient trop souvent tirer profit certains «beaux» de nos jours, lesquels jouent au gentilhomme ou au gentleman, ou portent l'épée 141 au côté, et, néanmoins, ne se font point scrupule par leurs indiscrétions ou par leur vantardise, de compromettre la paix des familles, faisant ainsi litière de l'honneur des êtres faibles que la générosité du fort, le point d'honneur, les sentiments de l'homme comme il faut, leur imposent l'obligation de sauvegarder et de protéger!

Le duel le plus marquant sous le dernier règne, fut celui du comte d'Artois (depuis Charles X) avec le duc de Bourbon-Condé.

Avec la révolution commencèrent les duels politiques dont nous avons déjà cité le plus remarquable, celui de M. Charles de Lameth avec le duc de Castries.

Sous la Restauration, les débris des phalanges impériales gémissant de moisir dans le repos, au lieu de faire parler la poudre, cultivèrent le duel pour utiliser leurs loisirs; de 1816 date l'éclosion du bretteur, nouveau type de ferrailleur greffé sur les officiers en demi-solde et sur les gentilshommes émigrés faisant partie de la garde royale. Suivant avec acharnement les pas les uns des autres, ils se filaient partout, au café, dans les réunions, dans les promenades publiques; se coudoyaient, se marchaient sur les pieds; jusqu'à ce que ce manège habituel aboutît à une provocation.

Les romanciers de nos jours ont souvent décrit ce type d'une manière intéressante dans leurs publications; nos lecteurs pourront l'y rechercher.

Les duels d'alors reflétèrent le XVIe siècle par leurs allures impitoyables, sans quitter l'atmosphère du XVIIIe siècle, sous le rapport de la frivolité des motifs.

142 Le Palmarès de la Brette enregistre en première ligne le colonel en réforme Barbier-Dufay, terrible spadassin dont l'épée pouvait, assure-t-on, changer de convictions politiques au gré des plus offrants; Fayolle et Fayau et l'ex-garde du corps Choquart, toujours fidèle au drapeau blanc.

Ensuite le sport parisien compte à la tête de ses plus fines lames, le marquis de Hallay-Coëtquen, l'un des collaborateurs de M. de Chateauvillard.

Sur la fin de la Restauration, le bretteur tendit à disparaître, l'amour du bien-être, le désir d'acquérir des richesses et d'en jouir, se conciliant fort peu avec la manie de se trouer la peau.

Cependant au tiers du XIXe siècle le duel abandonne l'état fiévreux; il demeure une plaie sociale s'étendant ou se rétrécissant suivant la situation pléthorique du corps social. Ainsi, après 1830, les duels politiques ont continué suivant l'intensité plus ou moins grande des passions du moment.

Depuis cette époque les duels les plus célèbres sont ceux: du baron Durand de Mareuil avec le comte Dolgorouki, à Naples; du général Gourgaud avec le comte Paul de Ségur, à propos de l'Histoire de Russie de ce dernier; du colonel Pepe avec M. de Lamartine; de Bugeaud et de Dulong; du comte Léon, fils naturel de Napoléon Ier, avec M. Hesse, aide de camp de Wellington (1832); d'Armand Carrel et de M. de Girardin; de MM. Granier de Cassagnac et Lacrosse; Dujarrier et Rosemond de Beauvallon; Clément Thomas et Arthur Bertrand, au sujet de la 143 Légion d'honneur; Thiers et Bixio; Proudhon et Félix Pyat, etc., etc.

Actuellement le duel n'est pas moins fréquent. Il constitue une manie fort en honneur dans la littérature; on compte peu de romans, de drames ou de comédies dans lesquels on soit privé du spectacle de quelque combat singulier. Les journalistes mettent leur amour-propre à soutenir leurs opinions ou leurs caprices de leur épée. La contagion a même entamé l'ordre des avocats; le duel enfin n'a-t-il pas osé faire étape jusque dans l'enceinte du palais législatif?

Parmi les duels qui ont fait quelque bruit sous le second Empire, nous rappellerons ceux: du journaliste Dillon avec le duc de Gramont-Caderousse; de M. de Pêne, autre journaliste, avec un officier de l'armée; de M. Rattazzi avec M. Minghetti; de M. de Bismarck avec M. Virchow; de M. Paul de Cassagnac, journaliste, avec Aurélien Scholl, Lissagaray, Rochefort, etc.; des avocats Laferrière et Maurice Joly; du duc de Montpensier avec l'infant Henri de Bourbon, etc., etc.

Voici les duels de l'année 1878:

Le 2 mars, duel entre MM. Paul de Cassagnac et Thomson, à l'épée, au Plessis-Piquet. M. Thomson a été blessé au menton.

Le 14 mars, entre MM. Paul de Cassagnac et Andrieux.

5 avril.—Un jeune sous-lieutenant du 97e de ligne est tué à Chambéry, dans un duel à l'épée, par un officier du 6e dragons.

144 17 avril.—Entre MM. Gabriel Coffinières de Nordeck et Gomez del Castagno. Les deux adversaires ont été blessés.

24 avril.—Entre M. Joncla, rédacteur en chef du journal l'Avenir de la Dordogne, et M. Paul Dupont, fils du sénateur bonapartiste. M. Joncla a eu le bras droit traversé.

2 juillet.—Entre deux membres du corps diplomatique représentant à Paris deux petites Républiques de l'Amérique centrale. Le combat a eu lieu à l'épée sur la frontière luxembourgeoise. M. Torre Caïcedo a été légèrement blessé à l'épaule.

3 août.—A Vintimille, rencontre à l'épée entre M. Charles Chataud, directeur de la Vedette, et M. Pasquier, dit Neuville, rédacteur de la Jeune République. Après quelques passes, M. Chataud a été légèrement blessé au bras.

M. Huc, directeur du Patriote, journal bonapartiste, et M. Etienne Laffon, républicain, se sont battus en duel. M. Hue a été blessé deux fois au bras.

Octobre.—Entre MM. Georges Duval, de l'Événement, et Jules Jouy, du Tintamarre.

Sur la frontière luxembourgeoise, entre MM. Rogat, du Pays, et Batiau, de l'Événement. A la troisième passe, M. Batiau a été blessé au bras, et le combat a dû être arrêté.

22 novembre.—Duel entre M. de Fourtou et M. Gambetta. Le duel a eu lieu au Plessis-Piquet, au pistolet de tir rayé, à trente-cinq pas et au commandement. 145 Une seule balle a été échangée. Aucun des deux adversaires n'a été blessé.

28 novembre.—Aux environs d'Alger, duel au pistolet d'arçon, sans résultat, entre le chef d'escadron Bernard, officier du général Chanzy, et un rédacteur du Petit Colon Algérien.

Décembre.—A Cherbourg, duel au pistolet entre un capitaine adjudant-major et un autre capitaine d'infanterie de marine. Ce dernier est tué.

26 décembre.—A Châtillon, duel au pistolet entre M. le comte de Bouville, député de la Gironde, et M. Maigne, député de la Haute-Loire. Le combat a eu lieu au pistolet de tir rayé; aucun des adversaires n'a été touché.

Est-il possible de poursuivre le duel directement, ou bien est-il plus conforme aux conseils de l'esprit pratique de chercher à diminuer le nombre des duels, et d'atténuer leurs effets? Cette dernière pensée fut l'inspiratrice du présent travail; nous essaierons, suivant la limite de nos forces, de la faire ressortir dans notre conclusion.

146

CHAPITRE IV
CONCLUSION.

Tout a été dit sur le duel. On l'a attaqué avec les armes de la philosophie, de la raison et de l'éloquence; Rousseau a écrit sur lui quelques pages sublimes dans la Nouvelle Héloïse; et, comme l'a dit un spirituel écrivain, elles n'ont empêché de se battre que ceux qui, si Rousseau ne les avait pas écrites, ne se seraient pas battus davantage. En effet, aux yeux d'un grand nombre d'hommes, le duel loin d'être un fait odieux, un crime, est au contraire une chose nécessaire à l'existence des sociétés. Il y a, disent-ils, des injures que les tribunaux sont impuissants à réparer. Il y a des plaies de famille dont on ne peut demander satisfaction qu'en augmentant cent fois son déshonneur. Il est dès lors permis à chacun de faire justice à soi-même, puisque les voies ordinaires ne sauraient la donner.

Des hommes d'État, des écrivains distingués ont défendu le duel dans les assemblés législatives, entre autres Robert Peel, Guizot qui disait du haut de la tribune: «La société Française doit renoncer à empêcher un duel qui aura une juste cause;» Berryer 147 (voir 2e partie, exemple no 3, procès Beauvallon, page 169); Lemontey; Brillat Savarin, etc.

Écoutons l'un de nos plus célèbres écrivains (Jules Janin): «Celui-là est perdu dans le monde des lâches, qui n'a pas le cœur de se battre; car alors les lâches qui sont sans nombre, font du courage sans danger à ses dépens; celui-là est perdu dans le monde où l'opinion est tout, qui ne saura pas acheter l'opinion d'un coup de feu ou d'un coup d'épée; celui-là est perdu dans ce monde d'hypocrites et de calomniateurs, qui ne saura pas se faire raison, l'épée au poing, des calomnies et surtout des médisances. La médisance assassine mieux qu'une épée nue; la calomnie vous brise bien plus à coup sûr que la balle d'un pistolet. Je ne voudrais pas vivre vingt-quatre heures dans la société telle qu'elle est établie et gouvernée, sans le duel.

«Le duel fait de chacun de nous un pouvoir indépendant et fort; il fait de chaque vie à part la vie de tout le monde; il prend la justice à l'instant où la loi l'abandonne; seul il punit ce que les lois ne peuvent pas punir, le mépris et l'insulte. Ceux qui ont parlé contre le duel étaient des poltrons ou des imbéciles; celui qui a parlé pour et contre était un sophiste et un menteur des deux parts. Nous ne sommes encore des peuples civilisés aujourd'hui que parce que nous avons conservé le duel.»

Nous citerons encore deux passages d'écrivains non moins distingués.

148 «Dans les questions qui se rattachent aux mœurs, il y a plus de sagesse dans les salons que dans les écoles. Les mains qui peuvent tenir une épée sont celles qui tiennent mieux la plume, lorsqu'il s'agit de cette terrible question du point d'honneur et du duel, qui a au moins coûté à la France autant d'encre que de sang.

«Son honneur de gentilhomme lui a dit qu'il ne fallait pas demander à une race d'épée une longanimité et une patience d'injure qui n'est pas dans son caractère. Les Francs reviennent toujours aux armes comme à leur origine. Quand on met le bourreau derrière leur adversaire, on les excite au lieu de les retenir, car il y a deux morts à braver.

«Et puis, si l'on allait au fond des choses ne trouverait-on pas qu'après tout le duel est un dernier vestige de cette magistrature personnelle que la magistrature sociale a peu à peu détruite, mais qu'elle reconnaît encore quelquefois. Le duel, déplorable sous tant de points de vue, a été au moins utile à notre époque, en ce qu'il a seul préservé notre civilisation de ce débordement de grossièreté sous lequel la révolution et la confusion des rangs menaçaient de l'engloutir. La main sur la conscience, voudriez-vous affirmer que la Chambre des députés n'eût pas rétabli le pugilat, si le duel, maître des cérémonies de la civilisation, n'avait point été là pour la protéger?»

(Walsh.)

149 «Il y a longtemps que la controverse sur le duel est épuisée, tout ce qui en est résulté jusqu'à présent, c'est que les adversaires du duel ont victorieusement démontré la barbarie de ce préjugé, et que le duel n'en a pas moins continué, comme par le passé, d'exercer son funeste empire et de lever sur la société un tribut annuel de sang et de larmes. La philosophie a fait tout ce qu'elle pouvait faire: elle a triomphé devant la raison; elle a échoué devant la tyrannie du préjugé et la force des habitudes; quelle ressource reste-t-il donc à celui qui veut tenter encore, en faveur de l'humanité, quelques efforts utiles? La force coercitive des lois ayant échoué, aussi bien que la force persuasive de la raison, quelle digue opposer à ce fléau qui se rit de tous les obstacles et poursuit fièrement sa carrière de meurtre et de destruction? Peut-être, etc., etc.

«Peut-être l'auteur a-t-il employé le seul moyen qui restât à tenter, peut-être a-t-il cherché le seul remède qu'on pût appliquer avec quelque efficacité? Il s'est dit: Le duel ne peut être empêché, voilà trois siècles que la législation et la philosophie sont impuissantes. Eh bien! acceptons le mal puisqu'il est inévitable, mais limitons son action; traçons-lui des règles qu'il ne puisse enfreindre; diminuons ses ravages, en définissant les exigences du point d'honneur, en prémunissant les hommes de bon sens contre les effets d'une susceptibilité exagérée, et surtout en traçant, d'une manière invariable, les devoirs des témoins, dont l'inexpérience, 150 dans ces sortes d'affaires, peut être si funeste, et dont au contraire la sollicitude éclairée et la fermeté peuvent en beaucoup de cas prévenir de grands malheurs, etc., etc.»

(Chatelain.)

MM. Chatelain, Walsh et Jules Janin lui-même voudraient, nous en sommes sûrs, l'abolition du duel, si cela était possible. Ce brave et malheureux Carrel la voulait aussi; mais trop sensible au point d'honneur, il en sentait lui-même l'impossibilité, lorsqu'il écrivait à M. de Chatauvillard:

«J'admets avec vous la haute utilité de ce travail, et, comptez bien, Monsieur, que dans toutes les difficultés du point d'honneur où je pourrai me trouver engagé pour moi ou pour mes amis, je n'irai chercher que dans votre Code du duel mes règles de conduite. Vos préceptes conviendront, sans nul doute, aux gens de bien de toutes les opinions, etc., etc.» (Chatauvillard, page 212.)

Plût au ciel que M. Carrel se fût mieux pénétré des préceptes auxquels il donnait son approbation. Au lieu de marcher droit à son adversaire et d'attendre fièrement le feu sans s'effacer; il se fût conformé à la règle de ce duel, en marchant de côté et en s'effaçant; il eût peut-être épargné à sa famille et à ses amis des regrets partagés par son adversaire lui-même.

Dans cette première partie de notre travail, si nous avons recherché les origines du duel, si nous nous 151 sommes livré à l'examen rapide de la jurisprudence qui l'a régi jusqu'à nos jours, en complétant cet examen par un coup d'œil analytique sur les législations étrangères contemporaines, nous ne nous sommes certainement pas laissé dominer par la prétention de faire un étalage d'érudition, d'empiéter en quelque sorte sur le domaine des écrivains éminents qui ont traité l'importante et difficile matière qui nous occupe avec l'escorte d'une intelligence supérieure et d'un profond savoir.

Mais de cette analyse très incomplète et pourtant suffisante, nous avions pour but de déduire les conséquences nécessaires pour motiver notre conclusion.

Que devons-nous penser des leçons de l'histoire? Et d'abord, qu'ont produit les lois si sévères contre le duel? Souvent d'affreuses catastrophes, d'iniques condamnations. L'esprit de tous les temps les a toujours repoussées. Le plus souvent même, le législateur se donnait à lui-même le plus sérieux démenti, consacrait sa propre impuissance, en absolvant le lendemain ce qu'il avait si rigoureusement condamné la veille.

«Ce n'est point par la rigueur des supplices, dit avec raison Beccaria (Traité des Délits et des Peines, § 27), qu'on prévient plus sûrement les crimes, c'est par la certitude de la punition..... La perspective d'un châtiment modéré, mais auquel on est sûr de ne pouvoir échapper, fera toujours une impression plus vive que la crainte vague d'un supplice terrible dont l'espoir de l'impunité anéantit presque toute l'horreur. L'homme tremble à l'aspect des plus 152 petits maux lorsqu'il voit l'impossibilité de s'y soustraire, tandis que l'espérance, ce doux présent des cieux, qui souvent nous tient lieu de tout, éloigne sans cesse l'idée des tourments même les plus cruels, surtout quand cette espérance est encore fortifiée par l'exemple de l'impunité que la faiblesse ou l'avarice accorde souvent aux plus grands crimes.»

Montesquieu, le savant auteur de l'Esprit des lois ne nous désapprouverait pas, en nous voyant affirmer ici que les lois sont applicables et efficaces, à cette condition essentielle, qu'elles soient en rapport avec l'esprit public.

Louis XIII a inauguré le système des rigueurs en faisant tomber des têtes illustres. Louis XIV, avons-nous constaté, a combattu le duel avec une énergie et un succès dont aucun de ses prédécesseurs n'avait donné l'exemple. Il ne nous est pas défendu de croire que la sévérité de ce prince n'a abouti qu'à empêcher cette multitude de rencontres inutiles, mais que le duel accordant à l'honneur offensé les réparations que la société est impuissante à lui donner, n'a jamais cessé d'exister.

Ne quid nimis! dit le sage. Les cendres du grand roi n'étaient point encore refroidies que la réaction, cet éternel et inévitable «coadjuteur avec future succession» de l'imprévoyance et des mesures violentes, relevait la tête. Les duels ont recommencé et continué jusqu'à nos jours, en parcourant des étapes diverses suivant la situation plus ou moins tempérée de notre état social.

153 M. Dupin, procureur général à la Cour de cassation, a tenté de renouveler à notre époque les efforts de Louis XIV et d'imiter dans les limites tracées par notre droit pénal, la sévérité de ce prince contre les duels. Sans doute cet éminent jurisconsulte s'est abstenu de demander aux cours d'assises de vouloir bien octroyer le pourboire du fouet, de la fleur de lys et des galères à tout laquais convaincu d'avoir porté sciemment un cartel, mais, dans son mode de répression, il a assimilé l'honnête homme qui se bat en duel pour venger son honneur avec le voleur de grands chemins qui tue pour voler. Une telle doctrine, bien qu'admise et consacrée par la Cour suprême, est repoussée par le sentiment public dont le jury, interprète naturel et autorisé, reproduit journellement la protestation par des acquittements. A qui profite ce regrettable conflit, si ce n'est à la perfidie, à la déloyauté, qui n'obtiennent que trop souvent un bill d'indemnité par suite de la répulsion des juges du fait pour une pénalité trop rigoureuse et disproportionnée?

Aujourd'hui, nous devons encore le redire, l'opinion publique, en fait de duel, ne se trouve plus cantonnée dans deux classes: la noblesse et les gens d'épée; elle ne connaît plus de limites que celles de l'unité nationale. Tout citoyen, fût-il né sous le chaume, croit trouver dans l'instruction, dans l'éducation, dans le mérite personnel, le droit de faire profession expresse d'honneur, le droit de prétendre à la première noblesse, la noblesse des sentiments!

Que demande donc l'opinion publique? A l'époque 154 actuelle, les spadassins, les duellistes de profession, les querelleurs et les traîneurs de sabre ont fait leur temps. Chaque citoyen comprend que si dans une circonstance exceptionnelle, il peut exposer sa vie pour la conservation de son honneur, il la doit toujours et principalement à la défense de sa patrie. Le sentiment public réclame la diminution des duels, sans porter atteinte au point d'honneur. Il tolère le duel nécessaire, mais il demande une répression sévère contre la déloyauté, tant contre les auteurs, que contre les complices.

Autant l'opinion publique honore le témoin honnête et loyal dont la coopération est secourable, pour apaiser les passions, pour favoriser les accommodements, pour diminuer les chances funestes des rencontres, autant elle réprouve les mauvais témoins, les déclare responsables et complices.

L'opinion publique, enfin, demande une répression sévère proportionnelle aux méfaits résultants du duel, et, par conséquent, d'une application certaine.

Trouver une combinaison qui mette la répression du duel d'accord avec les principes du droit commun, sans se mettre en lutte, en désaccord avec l'opinion publique, ce serait le chef-d'œuvre. Ce chef-d'œuvre, ni les législateurs anciens, ni les législateurs contemporains ne l'ont encore produit. Loin de nous la prétention d'être plus heureux! Toutefois, comme citoyen d'un État libre, nous nous croyons en droit d'exposer un modeste desideratum.

Ce desideratum le voici:

Une loi quelconque attaquant le duel directement 155 nous paraît impossible. Il en est tout autrement, si la loi laissant à part le duel et l'appel, attaque le duel dans ses résultats et dans les faits et actes qui les ont produits.

Les dispositions de cette loi pourraient être ajoutées comme articles additionnels aux articles du Code pénal général, concernant l'homicide et les blessures.

Et d'abord, en ce qui touche la compétence:

Nous ne reconnaissons pas la qualité de duel, au duel sans témoins; nous abandonnons entièrement sa répression au droit commun.

Éliminons tout d'abord une immense absurdité, la qualification de délit et la pénalité infligées à la simple provocation.

Persévérer dans cette voie, serait perpétuer les rancunes, envenimer les querelles, augmenter les duels en les rendant inévitables, et enfin rendre les rencontres plus désastreuses.

En effet une querelle s'élève par suite d'un mot souvent échappé. Si la provocation s'ensuit immédiatement, la querelle est suspendue, elle appartient aux témoins qui peuvent essayer avec succès une réconciliation.

Si la provocation retarde, les injures se succèdent, la querelle s'envenime, la provocation arrive enfin, mais le duel est inévitable, et alors quelles conséquences peut-on prévoir!

L'injurié s'abstient-il de la provocation? les rancunes se perpétuent et s'étendent peut-être aux alliés et aux familles.

156 Pourquoi ne pas se battre, si l'on tombe également sous le coup de la loi?

Les théories sont excellentes, mais la pratique?

De même que l'homicide, les blessures, coups, dommages et faits quelconques, résultant d'un combat singulier, vulgairement appelé duel, sont réservés à l'appréciation du jury et de la cour d'assises.

Ceux qui ont pris part à un combat singulier ayant donné pour résultats, soit l'homicide, soit des blessures, seront punis suivant les circonstances plus ou moins aggravantes, telles que: irrégularités, oubli ou violation des conventions, perfidie, déloyauté. Il sera également tenu compte des circonstances atténuantes.

Les témoins ou seconds sont déclarés responsables ou complices des irrégularités. Ils seront punis comme les auteurs, et, dans certaines circonstances, plus sévèrement; à moins qu'ils ne dégagent leur responsabilité d'une manière évidente.

La mort ou la mauvaise chance subies par l'auteur de l'irrégularité ou du méfait ne peut innocenter les témoins, ni même leur servir de circonstance atténuante.

Nous ne saurions trop insister sur l'épigraphe du chapitre IV, consacré à établir les devoirs des témoins (2e partie, Code du duel):

«Ce ne sont ni les balles ni les épées qui tuent. Ce sont les témoins.»

Dans la répression du duel, les témoins constituent la clef de la position.

157 Le choix des témoins est d'une importance capitale. Les témoins réunis ne forment-ils pas, sous le point de vue de la discrétion, de la promptitude, de l'efficacité, le meilleur tribunal d'honneur?

Les juges sont choisis ad hoc par les intéressés eux-mêmes. Ils sont investis de leur confiance et de leur sympathie. Quelle autorité n'aura pas une décision à laquelle les antagonistes sont entièrement libres de se soumettre, car elle fait entendre, sans les imposer, les conseils de la raison et du point d'honneur?

Dès le début, en qualité de juges, les témoins, dont l'action secrète et instantanée n'a point à redouter les influences caustiques du qu'en-dira-t-on, écueil inévitable de la procédure officielle, des délais, et de la publicité, les témoins, disons-nous, apprécient les offenses, proposent des accommodements, et, en cas d'insuccès, fixent des conditions équitables, égalisent les chances pour le combat, auquel ils assistent ensuite comme tribunal de bataille, en veillant à ce que tout s'y passe conformément à l'honneur, à la justice, à l'humanité!

Gardons-nous, par une répression matérielle et malentendue, de détourner les honnêtes gens d'accepter le rôle de témoins. Avec de bons témoins, apaisement des passions, des haines et des querelles, diminution positive des duels, résultats moins funestes des duels nécessaires. Avec de mauvais témoins, résultats opposés, résultats souvent déplorables. Les exemples ne sont que trop nombreux pour le prouver.

158 Donc, la loi doit traiter avec sévérité les mauvais témoins, les rendre responsables et complices des méfaits commis, et ne les épargner jamais, quand bien même l'auteur de l'acte irrégulier ou du méfait eût encore la mort ou toute mauvaise chance dans le combat.

Les témoins sont «des héritiers du sang» habiles à recueillir la succession pénale sous bénéfice d'inventaire!

Nous croyons chose inutile de chercher à détourner le jury de prononcer un verdict d'acquittement lorsque tout, dans le duel, se sera passé avec une parfaite loyauté.

En fait de pénalité, quelques personnes pensent que l'homicide commis dans un duel entaché de déloyauté, doit être considéré comme un assassinat, et soumis en conséquence à la pénalité du droit commun. D'autres, ce sont les plus nombreux, repoussant quand même toute assimilation entre le duel et l'assassinat ordinaire, insistent pour que, dans le cas d'homicide commis en duel avec circonstances aggravantes, le maximum de la peine ne puisse être au delà de dix ans de réclusion et de 2,000 francs d'amende.

Entre ce maximum et le minimum, tel qu'un simple blâme ou une légère amende, nous croyons aussi imprévoyant qu'impossible de suggérer une gradation de peine. Nous supposons que la sagesse du législateur le déterminera à laissera la cour d'assises toute latitude à cet égard.

Comment définir et apprécier la criminalité, déterminer 159 la répression pénale de cette multitude de circonstances qui précèdent, accompagnent un combat singulier, ont une influence plus ou moins immédiate sur ses résultats! N'est-il pas plus sage et plus conforme à l'esprit pratique, de laisser aux juges la faculté de prononcer des peines proportionnelles aux appréciations du jury, et basées sur ses réponses catégoriques aux questions posées comme résultantes des débats?

Nous pensons également qu'il doit appartenir à la cour d'assises de prononcer sur les dommages et intérêts à accorder à la partie civile, en examinant toutefois, si la demande ne vient pas du côté de l'agression.

Votre desideratum, nous disait l'un de nos amis, dénote de très bonnes intentions, on ne saurait lui dénier des côtés bien plausibles, mais ne craignez-vous pas de tomber dans un cercle vicieux?

La latitude que, suivant vos désirs, le législateur devrait laisser aux juges de prononcer sur la gradation des peines, ne leur donnera-t-elle pas toute facilité de faire droit à leur répulsion quand même contre le duel, en se rapprochant le plus possible et le plus souvent possible du maximum?

Dans ce cas, les peines paraîtraient trop rigoureuses, et vous verriez renaître le conflit que vos dispositions ont pour but d'éviter?

Voici notre réponse:

«Les successeurs des d'Aguesseau, des Séguier, des l'Hôpital, ne sont point dégénérés! Notre profond respect pour la magistrature de notre pays 160 nous inspire la confiance que les juges du droit, si renommés par leur profond savoir, leur sagesse et leur prudence, ne manqueront pas de s'associer à la pensée conciliatrice du législateur et rendront des arrêts en parfait accord avec les décisions des juges du fait.»

Et, maintenant une dernière réflexion.

Souvent on reçoit une opinion toute faite sur une branche quelconque d'intérêt social, uniquement parce que l'on est d'un parti dont on croit devoir épouser toutes les idées, tous les préjugés même. Fort heureusement pour nous ici, la confusion n'est point possible; quelles que soient les destinées de la France, la question du duel sera toujours indépendante de la forme du gouvernement.

Les préceptes que nous avons conseillés et non imposés, conviendront, nous osons l'espérer; M. Carrel l'assurait, naguère, aux gens de bien de toutes les opinions.

Que si notre espoir était déçu, nous obtiendrons tout au moins l'estime toujours accordée à l'honnête homme désireux de se rendre utile au bien de l'humanité.

161

DEUXIÈME PARTIE
CODE DU DUEL

163

DÉFINITION DU DUEL

Duel, du mot latin duellum, fait lui-même de deux, duo: combat entre deux personnes.

Le duel est un combat singulier que se livrent volontairement deux ou plusieurs personnes pour un intérêt privé, d'après une convention antérieure et en suite d'un défi ou appel en forme de cartel, motivé par une offense.

Reprenons chacune de ces conditions en particulier:

Volontairement. Ceci n'a pas besoin d'être démontré. Si le combat n'était pas volontaire de part et d'autre, il y aurait attaque plus ou moins déloyale d'un côté, légitime défense de l'autre, mais il n'y aurait point de duel.

Pour un intérêt privé. Les temps anciens nous ont offert des exemples de combats singuliers, destinés à vider une querelle publique, mais ce n'étaient pas là des duels dans l'acception que l'on donne maintenant à ce mot.

Il faut que le duel ait été précédé d'une convention, c'est-à-dire que l'on soit convenu de se battre, et que le lieu, l'heure et les conditions du combat aient été déterminés d'un commun accord, et avec l'assistance de tiers appelés témoins.

164 Cet accord constitue l'un des éléments caractéristiques du duel. Ainsi: que dans une rixe deux personnes en viennent aux voies de fait, et que de la lutte il résulte la mort de l'un d'eux, ou des blessures plus ou moins graves, c'est là un délit ordinaire que répriment les lois pénales chez tous les peuples civilisés, mais ce n'est point un duel.

La convention procède de l'acceptation d'un défi, appel ou cartel. Le défi ou cartel est motivé par une offense.

Ces deux dernières conditions ne nécessitent pas d'explications.

Le duel sans témoins ne peut être considéré comme duel. Il est hors la loi du point d'honneur, et ne peut figurer dans le Code du duel.

Nous proscrivons d'une manière absolue le duel entre femmes, et cela, sans nous préoccuper de provoquer l'hilarité de nos lecteurs.

Sans remonter trop loin dans l'histoire des duels, nos lecteurs, tant sur les bords de la Tamise que sur ceux de la Seine, ne peuvent ignorer les exploits de la dame de Chatan Gay de Muret, qui finit dans une rencontre; de madame de Saint-Balmont et enfin, sous le dernier règne, de la danseuse Maupin? Ponson du Terrail, de regrettable mémoire, raconterait mieux que nous l'intéressante et romanesque rencontre qui eut lieu sous la Régence, entre mesdames de Polignac et de Nesle. Irritée de l'abandon du bel et volage duc de Richelieu, madame de Polignac s'en prend à madame de Nesle, et la provoque en combat singulier.

165 Arrivées dans une clairière du bois de Boulogne, les deux amazones descendent de leurs carrosses, et après s'être courtoisement adressé le salut d'usage dans la bonne compagnie, échangent un coup de pistolet. Blessée à la poitrine, madame de Nesle, pendant qu'on la pansait sur le terrain même, s'écrie que celui qu'elle aimait «était digne qu'on versât pour lui un sang encore plus beau.»

Nous sommes d'avis que les dames ne sauraient mieux faire que de conserver le plus pur, le plus beau sang, pour inoculer à leurs fils ces nobles sentiments d'honneur, de délicatesse, de bravoure et de dévouement envers la patrie! Nous dirons donc:

Les femmes ne sont admissibles ni comme acteur, ni comme témoin, dans les rencontres.

Nous ne contestons point à tout témoin soupçonneux le droit d'employer les moyens ordinaires des commandants de recrutement pour s'assurer, avant d'accorder son assistance, que le champion «habet quod habere debet

Que si quelque amazone de la deuxième portion du XIXe siècle, parvenait à traverser tous les obstacles, nous l'adressons à M. le procureur général Dupin, dont l'inflexibilité ne pourra manquer de se laisser tant soit peu désarmer par les beaux yeux du plus gracieux, du plus charmant produit de la création!

166

CHAPITRE PREMIER
DE L'OFFENSE

Art. 1er.—Toute parole, tout écrit, dessin, geste, coup, blessant l'amour-propre, la délicatesse ou l'honneur d'un tiers constitue une offense.

Art. 2.—Dans les offenses, les degrés et les nuances se multiplient à l'infini. Pour plus de clarté, nous croyons devoir les classer sous trois degrés principaux:

Art. 3.—L'offense est personnelle et ne peut être relevée que par celui qui l'a reçue. (Voir art. 22 du présent chapitre, art. 16 et 17 du chapitre III et les Observations.)

Art. 4.—Dans une querelle amenée par une discussion, celui qui le premier reçoit une injure est l'offensé.

Art. 5.—Toutefois, si à une impolitesse il est 167 répondu par une injure, si, tant l'agresseur que celui qui a reçu l'injure se prétendent tous les deux offensés, les chances de la rencontre sont soumises au sort.

Art. 6.—Lorsqu'il n'est intervenu aucune injure et, qu'à la suite d'une discussion où les convenances ont été parfaitement observées, l'un des interlocuteurs demande raison, le demandeur ne prend pas pour cela le rang d'agresseur, ni le défendeur celui de l'offensé. Les chances de la rencontre sont également soumises au sort.

Art. 7.—Si l'injure est suivie d'une autre injure, c'est celui qui le premier a été injurié qui est l'offensé.

Art. 8.—Si celui qui a reçu la première offense répond par une injure grave attaquant l'honneur et la délicatesse, c'est celui qui a reçu cette dernière injure qui reste l'offensé.

Art. 9.—L'injure grave constitue positivement l'offense, et bien qu'il lui soit répondu par une autre injure, c'est le premier qui l'a reçue qui reste l'offensé.

Art. 10.—Si l'injure est suivie d'un coup, c'est celui qui a reçu le coup qui reste l'offensé.

Art. 11.—Si le coup provoque une riposte, c'est celui qui le premier a été touché, qui reste l'offensé.

168 Art. 12.—Une blessure ne constitue ni l'offense ni même une aggravation dans l'offense.

Art. 13.—La voie de fait constitue seule l'offense: ainsi, lorsqu'une voie de fait, soufflet ou autre, obtient pour riposte une autre voie de fait occasionnant une blessure, le droit de l'offensé appartient au premier touché.

Art. 14.—Dans les offenses par coups ou blessures, qui touche frappe; aucune différence n'est admissible.

Art. 15.—Il n'est dû qu'une seule réparation pour une même offense.

Art. 16.—Lorsqu'une même offense atteint plusieurs personnes, et que ces personnes demandent réparation, le sort désigne la personne à laquelle sera dévolu le droit de recevoir cette réparation.

Art. 17.—Lorsqu'une même offense est commise par diverses personnes envers un même individu, l'offensé a le droit de choisir la personne à laquelle il entend demander la réparation de cette offense.

Art. 18.—Lorsque dans diverses querelles successives, des offenses ont été commises par un même individu envers des personnes différentes, la primauté de réparation appartient à la première offense, si les offenses sont de même valeur; autrement, 169 l'offense avec injure grave, et surtout la voie de fait, ont toujours droit à la primauté de réparation.

Art. 19.—Il existe certaines offenses tellement graves, que la coutume, malheureusement, en exige la vengeance par une représaille instantanée. Nous disons, malheureusement, parce que la violence conduit à une lutte, et la lutte au duel à outrance.

Quiconque dans ces circonstances difficiles sait garder son sang-froid, conserve tous les droits de l'offensé.

Art. 20.—Quiconque provoque ou adresse un appel sans raison suffisante, prend de plein droit le rang d'agresseur. Les témoins d'ailleurs, avant de permettre toute rencontre, doivent connaître et apprécier la valeur des motifs de l'appel. (Voir chapitre IV, page 208, art. 10, Devoirs des témoins.)

Art. 21.—Lorsque les deux adversaires refusent de faire connaître la raison de leur rencontre, les témoins, avant de permettre le combat, doivent exiger qu'ils déclarent sur l'honneur que cette raison ne peut être divulguée par un motif de délicatesse.

Art. 22.—Les offenses se vengent personnellement, avons-nous dit à l'article 3; toutefois:

Un fils peut prendre la défense de son père aux conditions suivantes:

1o Que le père soit déclaré trop faible pour venger son offense;

2o Que l'adversaire soit plus rapproché de l'âge du fils que de celui du père;

170 3o Que le père ait au moins dépassé l'âge de 60 ans;

4o Enfin, que le père ait le droit de l'offensé.

Dans ce cas, le fils se met aux lieu et place de son père, et prend le droit de l'offensé.

Art. 23.—Un neveu peut également demander à venger une offense supportée par son oncle.

A. Si ce dernier n'a point d'enfants parvenus à l'âge viril.

B. Si cet ascendant se trouve dans des conditions analogues à celles posées dans le précédent article. Dans ce cas le neveu se met aux lieu et place de son ascendant, et prend le droit de l'offensé.

Art. 24.—Le frère peut prendre la défense de son frère mineur, pourvu que l'agresseur soit majeur, et que le frère n'ait point la qualité d'agresseur.

Dans ce cas le frère se met aux lieu et place de son puîné et prend le droit de l'offensé.

Art. 25.—L'offense faite à une famille ne peut être vengée que par un seul membre de cette famille.

Art. 26.—Il en est de même de l'offense faite à une corporation quelconque, cette offense ne peut être vengée que par un seul membre de ladite corporation. (Voir chapitre III, art. 16.)

Art. 27.—Dans les trois degrés d'offenses, l'offensé n'a pas les mêmes prérogatives.

171 Art. 28.L'offensé a le choix des armes.

Art. 29.L'offensé avec insulte a le choix du duel et des armes.

Art. 30.L'offensé avec coups ou blessures a le choix du duel, des armes, des distances.

Toutefois, si l'offensé entend exiger que son adversaire ne se serve pas de ses propres armes, il perd la prérogative de se servir des siennes.

Art. 31.—Le choix du duel ne peut être exercé que parmi les duels légaux.

Les duels exceptionnels peuvent toujours être refusés par l'agresseur. (Voir chapitre X, Duels exceptionnels, page 386.)

OBSERVATIONS

L'importance des offenses est assez difficile à établir.

L'offense est telle qu'on la sent, et on la sent de mille manières différentes; cela dépend de l'éducation, du milieu social dans lequel on vit encore.

Ainsi, chez un tel, une grossièreté passera complètement inaperçue; chez tel autre, une parole vive, une contradiction paraîtront une offense. Celui-ci regardera comme une insulte ce qui n'est tout au plus qu'une impolitesse. Celui-là au contraire, ayant frappé son interlocuteur au visage, prétend qu'il n'a 172 donné que la représaille d'une grave insulte, et revendiquera le droit de l'offensé!

Dans une discussion irritante ayant amené une succession d'injures réciproques, tel homme à esprit très conciliant, prétendra que le solde débiteur et le solde créditeur, se balançant chez les deux adversaires, ils ne se doivent rien l'un à l'autre, et qu'ils n'ont en conséquence qu'à se serrer la main sans plus!

Dans tout autre milieu le même incident provoque une solution bien différente.

Il y est soutenu et admis, qu'une semblable discussion faisant litière des convenances usitées dans la bonne compagnie, devient nuisible à la considération des deux adversaires et qu'en conséquence, pour donner satisfaction à leur honneur réciproque, une rencontre sérieuse est de toute nécessité.

Nous avons donc cru devoir distinguer plusieurs degrés dans l'offense, pour servir de jalons principaux aux appréciations des témoins, car il fallait nécessairement distinguer au moins les offenses simples, l'injure grave qui attaque la délicatesse et l'honneur, et enfin, l'insulte la plus grave de toutes, la voie de fait, principalement un coup frappé au visage.

La représentation nationale est inviolable; sans nul doute la tribune comporte toute liberté pour traiter des grands intérêts de l'Etat. Mais ce droit absolu et incontestable de discussion ne saurait autoriser des représentants à compromettre la dignité de la tribune et leur dignité personnelle en injuriant des 173 collègues qui soutiennent des opinions différentes des leurs, ou bien en critiquant d'une manière insultante des fonctionnaires ou d'autres citoyens. Les offenses ou attaques contre l'honorabilité lancées du haut de la tribune nationale, ont par cela même un grand retentissement, et ne peuvent manquer d'être ressenties plus vivement par ceux qui en sont l'objet.

Dans une séance récente du Sénat, M. Jules Simon prononçait ces paroles:

«Messieurs, il serait bon d'habituer le pays à comprendre qu'on peut ne pas siéger sur les mêmes bancs et avoir les uns pour les autres, estime et considération.» (Applaudissements unanimes.)

Dans un Etat régi par les institutions libérales, la presse est libre. Cette liberté a pour but d'éclairer et d'instruire les populations par une discussion approfondie des intérêts religieux, moraux et matériels de la société. Comprise ainsi, la presse est un véritable sacerdoce. Livrée à la licence des passions, la presse devient un poignard effilé, l'arme la plus dangereuse donnée à la méchanceté pour insulter les personnes et les familles. Les blessures de la presse sont d'autant plus dangereuses, qu'elles s'étendent par le fait d'une publicité que l'on ne peut ni arrêter, ni circonscrire, ce qui rend la réparation de ces offenses très difficile et même presque impossible à obtenir.

Il arrive quelquefois, assez rarement cependant, que des personnes, dans le but d'éviter toute collision scandaleuse de nature à provoquer des conséquences 174 sociales et judiciaires, répondent à une insulte par ces seuls mots:

«Monsieur! tenez-vous pour souffleté!» Ce soufflet verbal n'équivaut pas absolument au soufflet réel et consommé, mais il lui est uni par une parenté tellement étroite, qu'il occupe la droite des injures graves classées dans la deuxième catégorie.

Cette sorte d'insulte demande une provocation immédiate, et, ensuite, l'envoi des témoins dans les délais prescrits.

L'affaire peut encore s'arranger, mais avec des conditions plus sérieuses dans la réparation. La difficulté d'obtenir cette réparation rend le plus souvent la rencontre inévitable.

Nous n'ignorons pas la vieille plaisanterie faite à ce sujet:

Deux Gascons s'étant pris de querelle, l'un d'eux dit à son antagoniste: «Monsieur! tenez-vous pour souffleté!»

L'autre réplique: «Monsieur! Je vous donne un coup d'épée, tenez-vous pour mort!»

Cette gasconnade peut être goûtée, peut même avoir du sel auprès de certaines personnes pour lesquelles nous n'écrivons pas...

SUR L'ARTICLE 5.

Le principe de donner le droit de l'offensé à la primauté d'offense doit être évidemment maintenu, si l'on veut avoir une base juste et rationnelle dans l'appréciation des offenses; dans certaines circonstances 175 son application absolue peut donner lieu à une légitime hésitation. Celui qui reçoit le premier une impolitesse ou une malhonnêteté, est l'offensé, soit; mais s'il répond par une injure, laquelle ne peut être classée dans les injures graves, et paraît pourtant avoir une importance majeure relativement à l'impolitesse ou à la malhonnêteté subie par son adversaire, n'est-il pas évidemment plus sage de la part des témoins de n'accorder à personne le droit de l'offensé et de remettre ce droit à la décision du sort? Nous ajouterons que les exceptions aux principes essentiels ne doivent être admises que bien rarement et à bon escient.

SUR L'ARTICLE 13.

Il est de toute évidence que le coup ou voie de fait constitue seul l'offense. La blessure résultant du coup n'est qu'une conséquence purement matérielle qui n'a aucune importance réelle sur l'insulte qui a été subie, et par conséquent ne peut être considérée comme une aggravation de nature à être comptée dans l'appréciation du débat.

SUR L'ARTICLE 14.

Qui touche frappe est un principe établi pour écarter les équivoques et les différends produits par la méchanceté et par la mauvaise foi. Le frapper est 176 regardé comme la dernière des offenses morales, il n'est point considéré sous le rapport matériel.

Le toucher comme sanction d'une insulte équivaut donc au frapper; s'il en était autrement, tel qui aurait jeté son gant à la figure de son interlocuteur en l'injuriant prétendrait qu'il ne l'a point frappé; tel qui aurait donné un soufflet, prétendrait qu'il a été frappé le premier, parce que son adversaire l'avait préalablement retenu par le revers de son habit ou par le bouton de son gilet! Mais, ce qui est encore plus fort, tel qui dans une altercation tire son revolver, le décharge, et trace avec la balle un chemin vicinal dans la chevelure de son antagoniste, prétendra qu'il ne l'a point frappé!

Evidemment l'interprétation de cet article exige de la part des témoins une parfaite loyauté, une entière bonne foi.

Ainsi, certaines personnes ont la mauvaise habitude de toucher la personne avec laquelle ils sont en conversation, soit en lui tirant le revers, le pan de l'habit, soit en saisissant le bouton du gilet, de la chaîne de montre, soit on les frappant légèrement sur l'épaule, sur la hanche, sur l'avant-bras, soit en les touchant sur le ventre ou même sur la figure.

Tous ces gestes sont réprouvés par les usages de la bonne compagnie, et surtout les derniers peuvent donner lieu à une admonition et par suite à une querelle.

Vous êtes en conversation, vous êtes en train de développer votre pensée, votre interlocuteur (ce qui est du reste impoli) n'attend pas la fin de votre 177 phrase, s'éloigne. Tout entier à votre argumentation vous le saisissez par le revers de son habit pour qu'il entende la fin de la phrase commencée, il se choque, une querelle s'engage dans laquelle il vous donne un soufflet; sera-t-il en droit de prétendre, en vertu du principe qui touche frappe, qu'il est l'offensé, parce qu'il a été touché le premier? Non sans doute, car la bonne foi est évidente.

Dans une vive altercation vous lancez une injure à votre interlocuteur et vous le frappez en même temps sur l'épaule, sur le ventre ou même lui passez la main devant ou sur le visage. Tout naturellement, il riposte par un soufflet. Prétendrez-vous être l'offensé? ou bien, votre adversaire, en vertu du principe, qui touche frappe, n'aura-t-il pas le droit de soutenir avoir été frappé le premier, et en conséquence de revendiquer le droit de l'offensé? Dans ce cas l'affirmative n'est point douteuse.

SUR L'ARTICLE 15.

Si une seule personne devait répondre à un certain nombre d'offensés, il y aurait lieu, dans un principe d'honnêteté, de faire revivre en sa faveur l'usage des seconds, des tiers, des quarts, etc., de revenir aux luttes féroces du moyen âge.

Pour une seule et même offense, il est donc juste qu'une seule personne qui l'a commise, n'ait à fournir qu'une seule et même réparation.

Après la funeste rencontre dans laquelle l'infortuné Carrel laissa la vie, M. de Girardin, son adversaire, 178 reçut une autre provocation pour le même objet.

Le général Excelmans (depuis maréchal) et M. Taxile Delord, journaliste (depuis député de Vaucluse à l'Assemblée nationale) déclarèrent qu'une réparation loyale et complète ayant été donnée pour cette offense, il n'y avait pas lieu à en donner une seconde. Le cartel fut refusé par M. de Girardin, avec verdict conforme de l'opinion publique.

SUR L'ARTICLE 17.

Cet article devrait sembler superflu, car on ne peut supposer que dans notre société moderne l'abaissement du sens moral et chevaleresque arrive au point de permettre que plusieurs personnes se concertent pour en insulter une seule. Cependant, l'exemple s'est malheureusement rencontré, or, ab actu ad posse valet consecutio, nous avons donc cru nécessaire de pourvoir à l'éventualité. Rien de plus juste que d'accorder à l'offensé toute compensation possible contre le nombre; nous lui avons, en conséquence, attribué le choix de la personne à laquelle il entend demander réparation.

En pareille circonstance, et selon la nature ou les motifs de l'agression, l'offensé est en droit de se demander si l'affaire ne doit point être remise dans les mains de la justice ordinaire. (Voir chap. IV, Observations sur l'art. 12.)

179

SUR L'ARTICLE 19.

Nous ne saurions l'ignorer, la coutume indique certaines offenses très graves comme devant être l'objet d'une représaille instantanée. Cette coutume paraît se justifier par la certitude qu'aura l'offensé d'obtenir ainsi plus facilement la réparation par les armes qu'il serait disposé à demander. Nous pensons en thèse générale, que tout homme de cœur n'a nul besoin de subir une violente représaille pour accorder la réparation d'une offense qu'il aurait faite. Une lutte devient la conséquence d'une pareille conduite, et cette lutte nécessite un duel à outrance.

Il est donc plus sage d'éviter de pareils excès. Sans doute il faut beaucoup de sang-froid pour résister à la tentation d'obtenir une vengeance éclatante et immédiate, mais le sang-froid trouve sa récompense dans le privilège du droit absolu de l'offensé, considération qui n'est pas sans importance dans un débat qui ne peut tout au moins se terminer que par une rencontre sérieuse.

Dans les affaires d'honneur, comme en jeu, heureux celui qui par une sage et adroite retenue, sait éviter les mauvaises chances de la carte forcée!

SUR L'ARTICLE 20.

Cette disposition est la conséquence naturelle des principes posés dans la première partie de cette étude. Par la réglementation du duel, nous poursuivons 180 un double but: diminuer les rencontres motivées mais susceptibles d'être évitées par un accommodement honorable; atténuer les conséquences sanglantes des duels nécessaires. A fortiori, nous proscrivons complètement les duels sans motifs ou à prétextes futiles.

En attribuant aux témoins la responsabilité de toutes les rencontres, comme nous l'avons fait dans notre Conclusion, nous sommes persuadé qu'il sera impossible à quiconque de trouver des témoins qui consentent à permettre une rencontre dont la raison suffisante ne soit pas parfaitement établie.

SUR L'ARTICLE 21.

Souvent, trop souvent même dans la société, on entend parler de rencontres causées par des atteintes contre l'honneur des familles. Nos lecteurs ont compris qu'au devoir impérieux de l'article 20 on devait adjoindre une exception pour des faits que, tant la délicatesse de l'agresseur que celle de l'offensé, ne permettent point de divulguer. La parole d'honneur de tous les deux est le seul moyen de garantie que puissent obtenir les témoins; elle est d'autant plus nécessaire que cette seule parole indique la nécessité d'un duel à outrance.

SUR L'ARTICLE 22.

Nous n'entendons nullement porter atteinte au sentiment naturel qui engage un fils à défendre son 181 père. Toutefois le droit d'un fils de venger toute offense faite à son père, ne saurait lui être accordé d'une manière absolue; il doit l'être conformément aux exigences de la justice et de l'humanité.

Un fils ne peut être juge impartial de la cause de son père.

La demande de réparation formulée par un fils, doit être appréciée par les témoins avec la sévérité et l'impartialité désirables. Il faut pour qu'elle puisse être accueillie, que le père ait été gravement insulté, que l'offense soit parfaitement établie, que le père n'ait point provoqué l'offense par une offense égale; qu'en conséquence le droit de l'offensé lui soit pleinement acquis.

En dehors de ces conditions essentielles, la demande du fils doit être péremptoirement rejetée par les témoins.

Les articles 23 et 24 sont interprétés par analogie avec l'article 22.

SUR L'ARTICLE 30.

Le choix de l'arme est déjà trop important, ce serait accorder un droit bien exorbitant à l'offensé, même se trouvant dans les conditions de l'article 30, que de lui permettre de se servir de ses propres armes, en privant l'agresseur de la faculté de se servir des siennes.

Ce que nous conseillerons toujours, c'est que les armes destinées à une rencontre soient inconnues aux deux adversaires.

182

SUR L'ARTICLE 31.

Nous commençons ici, contre les duels exceptionnels, une campagne que nous pousserons très vigoureusement plus tard, lorsqu'à notre grand regret, nous serons obligé de nous en occuper.

183

CHAPITRE II
DE LA NATURE DES ARMES

Art. 1er.—L'usage admet trois sortes d'armes légales:

Art. 2.—Toute autre arme est de convention, et peut être refusée même par l'agresseur comme appartenant à la catégorie des duels exceptionnels.

Art. 3.—Les armes doivent être déclarées propres à servir au duel. Les témoins ont l'attribution de leur reconnaître cette qualité.

OBSERVATIONS
SUR L'ARTICLE 1er.

Le duel étant hors la loi, aucune de ses règles ne peut avoir le caractère de légalité dans l'acception 184 ordinaire de ce mot. L'usage, la coutume consacrés et acceptés par l'opinion publique donnent seuls force de loi aux prescriptions relatives au duel, c'est donc dans ce sens purement relatif et restreint que l'on doit interpréter la qualification donnée par l'article 1er.

SUR L'ARTICLE 2.

Certaines personnes voudraient accorder le droit de refuser le duel au sabre, à l'agresseur, à condition qu'il soit officier en retraite et qu'il ne soit pas propre à s'en servir. Pourquoi pas également l'épée? Pourquoi ce droit ne serait-il pas également accordé à un officier mutilé, blessé, ou même à un civil qui se trouveraient dans le même cas?

Nous n'avons pas cru devoir établir d'exception.

Les cas exceptionnels sont soumis à l'appréciation des témoins, lesquels, sous leur propre responsabilité, les jugent en conformité des lois de la justice et de l'humanité.

D'autres voudraient accorder le même droit à l'agresseur s'il est dans le civil. Cette proposition pouvait être plausible, il y a quelques années, mais, aujourd'hui toute la nation est armée. Les carrières administratives elles-mêmes et la magistrature fournissent des officiers à l'armée de réserve.

Il est évident que des individus appartenant soit à la réserve, soit à l'armée territoriale ne sauraient 185 refuser le sabre qui est leur arme professionnelle lorsqu'ils sont sous les drapeaux, en alléguant qu'ils sont dans le civil.

186

CHAPITRE III
DE L'APPEL ET DU DUEL

Art. 1er.—L'appel ou le cartel se demande, soit instantanément, soit postérieurement à l'offense.

Art. 2.—Lorsque le cartel a été demandé, le demandeur, soit qu'il soit l'offensé ou l'agresseur, doit donner son nom et son adresse, ou sa carte; celui qui reçoit l'appel doit y répondre de la même manière.

Art. 3.—Dès ce moment toute discussion entre eux doit cesser, et le cas échéant, les assistants doivent s'y opposer. De plus, jusqu'au règlement définitif de l'affaire, les deux adversaires ne doivent plus avoir ni communication, ni rapport entre eux que par l'intermédiaire des témoins. Un témoin même, ne peut avoir d'entrevue directe ou particulière avec l'adversaire de celui qu'il assiste.

Art. 4.—Les deux adversaires doivent immédiatement chercher leurs témoins, et s'envoyer réciproquement les noms et l'adresse desdits témoins. Il est 187 bien entendu que les deux adversaires doivent dès lors se mettre en mesure de pouvoir recevoir sans délai toutes les communications verbales ou écrites de leurs témoins respectifs.

Art. 5.—Lorsque l'appel a lieu postérieurement à l'offense, il se fait de deux manières, verbalement et par écrit. Il se fait plus souvent verbalement.

Dans les deux cas il est transmis par les témoins.

Art. 6.—L'appel verbal est porté par les témoins au nom de leur client. Il doit être bref et motiver purement et simplement la demande de satisfaction.

Art. 7.—L'appel écrit doit être rédigé sous forme de lettre, motiver brièvement et sans qualification aucune, la demande de satisfaction, et se terminer par la suscription en usage dans la bonne société.

Les témoins doivent en prendre connaissance et refuser péremptoirement de la porter ou transmettre, si cet appel n'est pas conforme aux prescriptions du précédent alinéa.

Art. 8.—Dans les deux cas, toute discussion avec l'adversaire de leur client est absolument interdite aux témoins, qui doivent recevoir une réponse immédiate; si celui qui reçoit l'appel tentait de provoquer une discussion, les témoins doivent se retirer sans plus et dresser procès-verbal.

Art. 9.—Les témoins chargés de porter un appel ne doivent jamais remplir leur mission étant armés.

188 Art. 10.—Quiconque reçoit un appel, doit accueillir les témoins avec courtoisie, écouter leur communication sans les interrompre et leur donner, sans plus, sa décision.

En cas de négative, ce refus peut être motivé brièvement, sans la moindre discussion, et encore moins avec une appréciation peu convenable pour l'adversaire.

Les témoins dressent procès-verbal du refus, soit péremptoire, soit motivé. (Voir 3e partie, pièce no VIII.)

Art. 11.—Sous aucun prétexte, il n'est permis à quiconque de se rendre au domicile de son adversaire pour lui porter un appel; de même, toute entrevue consentie pour ménager un rapprochement entre deux personnes divisées par un grief quelconque, ne doit avoir lieu qu'au domicile d'une tierce personne, et en présence de témoins.

Art. 12.—Si les adversaires se ménagent une entrevue, s'ils conviennent des conditions du duel (chap. IV, art. 20), c'est une précipitation blâmable, car ils se sont exposés à aggraver l'affaire par le danger d'un pareil rendez-vous, ou bien à la rendre dérisoire par suite d'un arrangement ultérieur provoqué par l'intervention nécessaire des témoins, qui ont toujours le droit de révision ou de contrôle, toute convention est nulle sans leur acceptation.

Art. 13.—La déclaration spontanée d'un tort par celui auquel il revient réellement, ne porte aucune atteinte à son honneur; si celui qui a commis une 189 insulte en offre une réparation suffisante pour annuler l'offense de l'avis de ses propres témoins; si ces mêmes témoins déclarent que, dans un cas semblable, ils se tiendraient pour complètement satisfaits; s'ils sont prêts à insérer cette déclaration dans un procès-verbal appuyé par leur signature.

Si celui qui par écrit a injurié ou calomnié un tiers, en offre, également par écrit, une réparation suffisamment explicite, celui qui a offert la réparation, si elle n'est point acceptée, ne prend plus le rang de l'agresseur, ni par conséquent son adversaire, le droit de l'offensé.

Dans ce cas, le sort décide du choix des armes.

Mais, à un coup, il n'y a pas d'excuses possibles.

Les réparations ne sont valables que par-devant les témoins (Chap. IV art. 14).

Il faut toujours éviter que ces sortes d'arrangements aient lieu sur le terrain.

Art. 14.—Cependant, si sur le terrain l'un des combattants juge convenable de présenter des excuses que les témoins adversaires déclarent accepter comme valables et satisfaisantes, s'il y a blâme, il ne peut retomber que sur celui qui les a faites. Il en assume l'entière responsabilité, si les témoins qui l'assistent ne les lui ont point conseillées.

Art. 15.—Si des témoins sur le terrain présentent des excuses au nom du client qu'ils assistent, le blâme, s'il y a lieu, retomberait sur eux seuls, car le client est censé n'y avoir consenti que 190 par déférence pour ceux qui ont assumé la responsabilité de son honneur.

Art. 16.—Tout cartel envoyé en nom collectif doit être refusé. Si une famille, un corps, une association, une réunion quelconque de plusieurs individus, a reçu une insulte, il n'appartient à la famille, au corps, à l'assemblée ou à l'association que le droit d'envoyer un seul de ses membres pour venger cette insulte.

Dans le cas ou plusieurs cartels seraient envoyés par divers membres de la famille ou de l'association intéressée, l'agresseur a le droit de choisir le premier appel qui lui a été présenté ou de soumettre au sort la désignation du cartel qu'il devra agréer.

Art. 17.—Un ami, un parent, un frère même ne peuvent prétendre venger par un nouvel appel lancé, le parent, le frère qui aurait laissé la vie dans une rencontre.

Tout ami ou parent qui, par la suite, provoquerait une discussion, une querelle pour insulter ou se faire insulter par l'adversaire de celui qui aurait succombé et éluder ainsi la prescription du 2e alinéa du présent article, prendrait le rang de l'agresseur, et l'adversaire jouirait de plein droit des prérogatives de l'offensé suivant l'article 29, ou même, s'il y a lieu, suivant l'article 30 du chapitre Ier.

Art. 18.—Est susceptible d'être récusé par la question préalable, l'appel adressé au nom de:

191 1o Toute personne notoirement connue pour avoir violé les règles et conditions du duel.

2o Tout témoin notoirement connu pour avoir été complice de ladite violation, ou pour l'avoir sciemment autorisée.

Art. 19.—Nul appel ne peut être envoyé ou accepté dans les plus proches degrés de parenté, c'est-à-dire de père à fils, de frère à frère et réciproquement.

Art. 20.—Quiconque ayant reçu une offense, porte plainte à l'autorité, perd le droit d'adresser un appel ou cartel pour obtenir la réparation de cette offense.

Même lorsque la plainte a été retirée, malgré les démarches faites pour empêcher que l'on y donne suite; dans ce cas, l'adversaire est entièrement libre d'accepter ou de refuser l'appel.

Art. 21.—Nul appel ne peut être adressé par un débiteur à son créancier, avant que la dette ne soit soldée, il n'en est pas de même lorsque le créancier adresse un appel à son débiteur.

Art. 22.—Tout appel doit être porté ou adressé avant l'expiration des vingt-quatre heures à dater de l'offense.

La réponse de l'appelé doit être donnée ou adressée dans le même délai à dater de la réception de l'appel.

Tout retard doit être justifié par une raison suffisante.

192 Art. 23.—Tout duel doit avoir lieu dans les quarante-huit heures après l'appel, à moins d'une convention contraire de la part des témoins.

OBSERVATIONS,
SUR L'ARTICLE 3.

Entre gens bien élevés, après un appel donné et accepté, toute discussion doit cesser. Une altercation prolongée peut aller très loin et par là même paralyser d'avance toute chance d'accommodement. Une altercation prolongée produit le scandale en augmentant la publicité des offenses et rend par ce fait seul, tout arrangement difficile et parfois impossible.

L'intervention des assistants doit être ferme, mais dirigée avec tact et mesure, et surtout avec impartialité. Montrer la moindre préférence pour l'un ou pour l'autre des antagonistes, serait provoquer les inconvénients que l'on a pour but d'éviter.

SUR L'ARTICLE 7.

Sans parler des conseils d'une bonne éducation, que celui surtout qui entend être réputé homme d'honneur, ne saurait oublier, toute lettre inconvenante ou injurieuse ne peut qu'envenimer et fermer la porte à tout arrangement honorable. (Voir chapitre V, exemple no 1.)

193

SUR LES ARTICLES 8, 9 ET 10.

Les témoins chargés de porter un appel soit verbal, soit écrit, ne sont que des parlementaires protégés aux yeux de tout homme d'honneur par la nature même de leur mandat, qui ne comporte qu'une simple communication.

Toute discussion serait tout au moins inutile, et pourrait devenir nuisible; on en a vu des exemples. Il est donc rationnel de prescrire aux témoins de refuser toute discussion, et de se retirer immédiatement, si celui auprès duquel ils remplissent leur mission tentait de la provoquer.

Sous aucun prétexte, les témoins porteurs d'un appel ne doivent remplir leur mission étant armés. En effet, on n'adresse un appel, on ne consent à porter un appel qu'à une personne que l'on réputé homme d'honneur. Se munir d'armes défensives ou agressives pour remplir une pareille mission peut donner à supposer, dans certaines circonstances, que l'on espère susciter, ou tout au moins profiter d'une altercation, pour s'en référer à la violence, et transformer ainsi le rôle de témoins en celui d'agresseurs.

Nous ne croyons pas devoir citer d'exemples pour justifier l'utilité de ces prescriptions.

Certains témoins se croient obligés de rechercher la personne à laquelle ils auraient porté un appel et qui se serait fait nier à plusieurs reprises. On a même vu des témoins prendre le train-poste pour 194 chercher à atteindre celui qui se serait enfui pour éviter de les recevoir...

Ce mode de procéder est tout à fait incompatible avec la dignité des témoins et avec celle de leur client.

Les délégués du point d'honneur ne sont point faits pour se livrer à la chasse aux lapins!...

Les témoins, lorsqu'ils ne rencontrent point à son domicile la personne à laquelle ils sont chargés de porter un appel, doivent laisser leur carte en indiquant une heure précise à laquelle ils doivent renouveler leur visite.

A l'heure indiquée, s'ils ne sont point reçus, ils doivent immédiatement écrire à la personne en lui disant que si, dans les vingt-quatre heures, ils ne reçoivent point de réponse, ils considéreront cette façon d'agir comme un refus de toute explication, et par conséquent de duel, et qu'ils en dresseront procès-verbal.

La lettre chargée doit être remise à la poste, en exigeant le récépissé constatant qu'elle a été remise dans les mains du destinataire.

Ne recevant aucune réponse, les témoins dressent procès-verbal circonstancié, et le remettent à leur client.

C'est à la fois un manque de courtoisie aggravant l'offense, et une faute blâmable que de ne point recevoir les témoins, et surtout, de refuser de les recevoir.

Quand bien même on aurait l'intention de refuser le duel par l'allégation d'une question préalable, il 195 est plus convenable et plus sage de recevoir les témoins, en leur annonçant une réponse dans les délais prescrits. On charge alors les témoins que l'on aura choisis de signifier son refus motivé par la question préalable, dans la réunion qui doit avoir lieu, suivant l'article 12 du chapitre IV.

En agissant d'une manière différente, on s'expose quelquefois à des représailles violentes que toute personne de bonne compagnie ne peut que déplorer.

SUR L'ARTICLE 11.

Il paraîtrait sans doute inutile d'insister sur l'opportunité de la prescription contenue dans l'article 11, et pourtant, la nécessité n'a été que trop démontrée de proscrire de semblables démarches, principalement lorsqu'elles deviennent des bravades entraînant les plus funestes conséquences. (Voir exemple no 8, page 311.)

Lorsque deux personnes parfois unies par les liens de l'amitié ou même de la parenté, se trouvent divisées par suite de dissidences politiques ou de racontars assez souvent faux ou le plus souvent exagérés, des amis bienveillants leur proposent une entrevue destinée à provoquer un échange de loyales explications, et par là même une réconciliation.

Qui peut prévoir l'issue d'une entrevue seul à seul? Le résultat ne peut-il pas être contraire au but proposé?

Sans avoir égard aux questions d'âge ou de position, 196 les parties n'entendent se faire mutuellement aucune avance.

Une entrevue au domicile d'une tierce personne ou sur tout autre terrain neutre, coupe court à toute susceptibilité.

En second lieu, l'entrevue en présence de témoins assure la chance de parvenir au but désiré, les témoins étant à même de maintenir les explications échangées sur le terrain de la courtoisie, et d'éviter ainsi qu'elles ne dégénèrent en une discussion passionnée qui peut amener de si regrettables conséquences.

Les explications échangées, les réconciliations obtiennent un caractère sérieux et ne peuvent être déniées.

Enfin, la partie qui refuserait d'accepter une entrevue présentée d'une manière aussi convenable, assumerait une grande responsabilité, dans le cas d'une querelle subséquente, et pourrait passer aux yeux de tout homme impartial, comme nourrissant des sentiments de rancune et de passion inavouables.

SUR L'ARTICLE 12.

Cette conduite irrégulière ne saurait atténuer en rien le droit de révision qui appartient toujours aux témoins responsables et garants de l'honneur et des intérêts de leurs clients.

Sans leur acquiescement, tout accord est nul et de nul effet, et ne peut donc acquérir la valeur d'une convention.

197

SUR L'ARTICLE 13.

Un arrangement est toujours désirable, s'il peut s'effectuer honorablement pour les deux parties. Les témoins ont dû faire tous les efforts pour l'obtenir avant de convenir du duel.

Les adversaires ont eu le temps de réfléchir avant de refuser les propositions des témoins. Un arrangement, s'il a lieu sur le terrain avant le combat, peut donner prise à la médisance et à la malignité, inconvénients qu'il faut toujours éviter, principalement dans les affaires d'honneur. (Voir article 14, chapitre IV, Témoins.)

SUR L'ARTICLE 14.

Un honnête homme qui a commis une offense, ne refuse jamais de la réparer lorsque des témoins honorables, après discussion sérieuse, lui conseillent une réparation compatible avec son honneur.

S'il la refuse obstinément en moment opportun, c'est-à-dire au moment de la discussion de l'affaire, n'est-il pas inconséquent de le voir changer d'avis sur le terrain, si l'on veut tenir compte des réflexions présentées au sujet du précédent article? Il est donc évident que ses témoins qui lui ont en vain conseillé de s'excuser en temps utile, sont en droit, tout en le laissant libre, de dénier toute responsabilité pour une détermination qui lui appartient entièrement. Mais il y a plus. Dans certains cas, les 198 excuses peuvent être refusées par l'offensé, lequel, supposant que l'agresseur ne l'a entraîné sur le terrain que pour mettre son courage à l'épreuve et obtenir ainsi un arrangement plus favorable, répond par l'organe de ses témoins qu'il est trop tard, et que l'on n'accepte pas d'arrangement sur le terrain.

Il en est tout autrement dans une affaire entre un homme ignorant des armes et du duel, et un adversaire d'une adresse éprouvée dans d'autres rencontres, ce dernier étant l'agresseur.

Désireux d'éviter une rencontre aussi inégale, les témoins, arrivés sur le terrain, font un suprême effort pour obtenir de l'agresseur une réparation convenable qu'il a refusée jusqu'alors.

Dans cette circonstance toute spéciale, si ce dernier se rend à leurs instances, non seulement son honneur ne peut souffrir aucune atteinte, mais sa conscience d'accord avec l'opinion des gens sensés, lui dira: Il n'est jamais trop tard de bien faire!

SUR L'ARTICLE 15.

Sans nul doute, toute déférence est due aux avis des témoins; cependant dans des circonstances, rares, il est vrai, il se rencontre des témoins qui ne prennent point assez au sérieux leur mission et se laissent guider par le désir de se débarrasser à tout prix d'une affaire dont ils appréhendent d'avoir à subir quelques conséquences désagréables. Dans ce cas, leur client est libre de refuser sur le terrain ce qu'il a dû nécessairement refuser préalablement.

199

SUR LES ARTICLES 16 ET 17.

Toute rencontre a pour but de venger une offense ou de donner réparation de l'offense. Comme nous l'avons déjà fait observer, il est plus sage, il est plus équitable de reconnaître ses torts, de les réparer; l'on s'épargne ainsi des regrets; car si l'on compromet sa vie pour expier un tort, on met également en jeu la vie d'un innocent.

Mais il est un tort bien plus grave, une injustice plus criante que celle d'invoquer les liens de parenté, d'amitié, de confraternité dans une association, pour prétendre tirer vengeance de l'homme d'honneur qui a donné satisfaction par les armes ou qui l'a reçue, si les chances du combat lui ont été favorables.

Beaucoup trop souvent, on a vu des parents, des amis, des collègues prétendre tirer vengeance immédiate du sang répandu, annoncer par avance leur prétention. N'a-t-on pas vu des témoins se porter une double provocation?

Quand bien même la force morale d'un homme ne se laisserait point abattre par de pareilles attaques, ne serait-il pas juste de lui accorder le droit de ressusciter l'ancien usage des seconds, des tiers, des quarts? Chacun pourrait compléter son monde, et combattre en nombre pair. Cette injuste prétention tendrait à perpétuer une querelle à l'infini, à régulariser la vendetta!!!

Ici les lois de l'honneur sont en parfait accord avec les lois civiles; le payement éteint la dette, la 200 réparation éteint l'offense. Vouloir déroger à ces principes d'une justice reconnue, c'est demander la vie d'un homme honorable au nom des rancunes et des passions qui pouvaient commander naguère dans les mœurs des siècles de barbarie, mais qui, fort heureusement, ne sont plus en rapport avec la civilisation moderne. (Voir chapitre V, exemple no 2.)

Il est bien entendu qu'un père répond de sa fille, un frère de sa sœur, un mari de sa femme, etc., un cavalier répond également des dames qu'il accompagne.

Réciproquement, le droit leur est acquis de demander raison de toute injure ou même impolitesse qui pourrait être commise envers des femmes que le droit naturel ou social oblige à protéger.

La femme jouit d'une considération et de prérogatives très étendues dans notre société civilisée. Les plus nobles et les plus délicats sentiments du cœur, les conseils d'une éducation distinguée, le tact, obligent à n'en jamais abuser, afin d'éviter de compromettre les objets de sa tendresse, en se mettant elle-même sur la sellette.

Rien n'est plus vrai que le proverbe:

La femme la mieux louée est celle dont il n'est jamais parlé.

Nous avons été scandalisé d'un mot prononcé par un homme pourtant bien placé dans la société, en parlant de sa femme, très inconsidérée dans ses discours: «La femme ça ne compte pas! (sic

Celui qui prononçait de telles paroles ne s'exposait-il 201 pas à la présomption de ne point compter lui-même pour beaucoup sur un terrain donné?

SUR L'ARTICLE 18.

Les dispositions contenues dans cet article paraîtront peut-être rigoureuses; cependant, est-il admissible qu'une personne ayant violé ou permis de violer le point d'honneur, puisse plus tard l'invoquer pour son propre compte?

N'est-il pas juste de chercher à obtenir la parfaite loyauté dans les rencontres?

Du reste, comme on l'a remarqué, cet article n'est point absolu, il doit être appliqué avec bonne foi, et peut être mitigé lorsque les irrégularités commises sont de peu de conséquence pour l'issue du combat, ou motivées par un simple oubli ou défaut d'attention.

SUR L'ARTICLE 19.

L'opinion publique réprouve avec juste raison l'appel ou le duel entre proches parents. Mais à quel degré faudrait-il s'arrêter?

Nous ne nous sommes pas cru autorisé à le préciser. Tout dépend des circonstances et des rapports d'affection qui se perpétuent dans les familles jusqu'à un degré plus ou moins éloigné.

Il est un fait certain, c'est que les offenses ou même les mauvais procédés se ressentent plus vivement entre personnes unies par les liens de parenté 202 plus ou moins rapprochée; que les haines qui en résultent s'apaisent plus difficilement et entraînent des conséquences plus fâcheuses pour les intérêts et pour la paix des familles. Sous ce point de vue, nous préférons un bon appel qui soumette l'affaire à l'appréciation de témoins sérieux et bien intentionnés, lesquels invoqueront avant tout les liens de parenté, provoquant une bonne réconciliation, et mettront fin à une querelle qui pourrait produire des inconvénients séculaires.

«Mieux vaudrait sans doute reconnaître ses torts spontanément, car si les liens de parenté existent, me disait-on, ils sont réciproques et les procédés doivent l'être également. De quel droit alors me forcera-t-on à endurer un affront, à subir une offense de la part d'un parent, parce que, pourvu que l'on donne une extension exagérée à votre article, je ne trouverai aucun témoin pour transmettre une demande de satisfaction?»

L'opinion publique est seule en mesure de répondre. Il appartient à elle seule de déterminer l'extension que comporte la prescription de notre article.

SUR L'ARTICLE 20.

Il est un axiome de jurisprudence bien connu qui dit:

Non bis in idem.

Celui qui reçoit une offense, doit avant tout se 203 demander auprès de quelle juridiction il entend en poursuivre la réparation.

S'il s'adresse à la juridiction ordinaire, il doit, en vertu de l'axiome précité, perdre nécessairement le droit d'invoquer la juridiction du point d'honneur.

Le retrait de la plainte, les démarches même les plus pressantes pour en empêcher les suites, ne signifient rien. L'autorité n'en est pas moins avertie. Quel est le magistrat qui donnera par écrit la promesse de ne pas poursuivre une offense, quand il sait que cette promesse seule peut permettre le duel, délit réprimé par la loi? A supposer qu'il puisse donner cette promesse (car il a le ministre de la justice derrière lui), il ne s'engagera jamais à ne pas empêcher un duel dont l'éventualité lui est signalée.

Par suite, est-il digne d'hommes sérieux de se rendre sur le terrain quand ils sont sûrs d'y rencontrer les agents de l'autorité?

En résumé, rien ne pouvant arrêter le cours de la justice, dans le cas de retrait d'une plainte et d'un appel postérieur à ce retrait, les témoins de celui qui en est l'auteur doivent soumettre la question aux témoins de l'adversaire, lequel est dès lors en possession de toute liberté pour accepter ou pour refuser l'appel qui lui a été transmis. En cas de refus, les témoins dresseront procès-verbal motivé.

Suivre une voie nette dès le principe, est le meilleur moyen d'éviter les commentaires.

204

SUR L'ARTICLE 22.

Il est inutile de développer les nombreuses raisons qui exigent que toute demande de réparation ne soit point sujette à des retards dus aux caprices, et souvent même à des calculs plus ou moins honorables. Le délai de vingt-quatre heures que nous conseillons tant pour la demande que pour la réponse, est une base essentielle dont la limite ne doit être franchie que pour des motifs parfaitement justifiés.

Le retard non motivé, pourrait entraîner, de la part de l'adversaire, l'allégation de la question préalable.

SUR L'ARTICLE 23.

Les affaires d'honneur doivent être réglées le plus promptement possible pour éviter les inconvénients de la publicité. Sans doute, lorsque les adversaires sont plus ou moins éloignés, le délai peut être plus ou moins prolongé par raccord motivé des témoins; mais, tout retard doit être impérieusement justifié.

Généralement, sauf impossibilité réelle, quiconque reçoit une offense, doit envoyer ses témoins avant l'expiration des vingt-quatre heures. Réciproquement, à moins d'empêchement justifié, quiconque reçoit un appel, doit y répondre avant l'expiration 205 des vingt-quatre heures. Ce temps paraît suffisant à tous les deux, pour désigner leurs témoins, et aux témoins pour convenir de leur entrevue.

206

CHAPITRE IV
DES TÉMOINS ET DE LEURS DEVOIRS

«Ce ne sont ni les balles
ni les épées qui tuent:
ce sont les témoins.»
Alphonse Karr.

Art. 1er.—Quiconque demande ou reçoit un cartel, doit immédiatement choisir ses témoins. (Voir art. 1, chap. III.)

Art. 2.—Le choix des témoins ne doit porter que sur des personnes reconnues parfaitement honorables dans la société.

Ne sont point admissibles à remplir le rôle de témoins:

1o Dans le cas prévu par l'article 16 du chapitre Ier, les personnes ayant demandé réparation;

2o Dans le cas prévu par l'article 17, même chapitre, ceux ayant participé à l'offense commise;

3o Dans le cas prévu par l'article 18, même chapitre, les personnes ayant demandé réparation;

4o Dans le cas prévu par l'article 16 du chapitre III, 207 les membres de l'association ou corporation ayant envoyé individuellement des cartels à l'offensant;

5o Toute personne notoirement connue pour avoir violé les règles et conditions du duel;

6o Tout témoin notoirement connu pour avoir été complice de la violation précitée, ou pour l'avoir sciemment autorisée.

Art. 3.—Un père, un frère, un fils, enfin un parent au premier degré, ne peut être témoin de son parent ni contre son parent.

Art. 4.—Chacun a le droit de remercier ses témoins et d'en choisir d'autres avant le combat.

Art. 5.—Dans ce cas il doit immédiatement notifier aux témoins de son adversaire sa détermination; il doit leur notifier également son nouveau choix.

C'est alors aux nouveaux témoins choisis à se rendre chez les témoins de l'adversaire.

Art. 6.—Réciproquement, les témoins choisis peuvent se retirer avant le combat.

Art. 7.—Dans ce cas, ils doivent remettre leurs pouvoirs à leur client, lequel alors devra se conformer aux prescriptions de l'article 5.

Art. 8.—Les témoins doivent être au nombre de deux pour chacun des combattants dans tous les duels. (Voir les Observations, page 227.)

208 Art. 9.—Les témoins de celui qui demande le cartel doivent aller trouver ceux de l'adversaire ou leur écrire pour convenir d'un rendez-vous, procéder à l'examen de l'affaire, et régler, s'il y a lieu, les conditions de la rencontre.

Art. 10.—Les témoins doivent juger de la nécessité ou de l'inutilité de l'affaire, en dire leur avis à celui dont ils prennent la charge en se reportant à l'article 13 du chapitre III.

Art. 11.—Après avoir reçu les instructions du champion qu'ils assistent, afin de ne laisser échapper aucune chance qui lui soit avantageuse, ils doivent se réunir.

Art. 12.—Cette réunion a pour but d'étudier ensemble consciencieusement l'affaire.

Après avoir examiné les questions préalables afférentes: à l'identité, à l'âge, à la situation physique, à la moralité, tant sous le rapport des personnes que sous celui des motifs apparents ou réels de la querelle, ils doivent reconnaître les antécédents, s'il en existe; établir leur accord sur les faits; suspendre même la séance, quitte à la reprendre le plus vite possible, pour prendre de nouvelles informations; ne rien négliger pour que cette constatation des faits soit établie et admise partout. (Voir les Observations, page 228.)

Art. 13.—Les faits étant établis, il y a lieu à déterminer la nature et la valeur de l'offense ou des offenses, s'il en existe des deux côtés; à déterminer 209 enfin quel est l'offensé, et dans quelle catégorie il peut se ranger.

Art. 14.—Les témoins doivent alors faire tous leurs efforts pour arranger l'affaire, si elle est arrangeable.

L'arrangement, convenu entre les témoins, doit être relaté en termes précis et explicites, dans un procès-verbal fait à double expédition, daté et signé par les quatre témoins.

Ce procès-verbal doit faire mention expresse de l'acceptation dudit arrangement par les parties, et certifie qu'il a été exécuté, dans sa teneur et sans plus, en présence des signataires.

Une expédition du procès-verbal est conservée par chacune des parties. (Voir Remarques sur l'art. 41, page 263.)

Art. 15.—Tout arrangement étant reconnu impossible, les témoins doivent discuter les armes, en attribuer le choix à celui auquel il appartient, décider des distances, établir les conditions du duel, fixer le lieu, le jour et l'heure du rendez-vous. Ils doivent aussi convenir, en se conformant aux règles établies, de tous les points essentiels, afin d'éviter toute difficulté sur le terrain.

Art. 16.—Les témoins doivent chercher à obtenir, dans les limites du possible, les conditions les moins désavantageuses pour celui qu'ils assistent. Le respect pour la vérité, la justice, les formes les 210 plus courtoises doivent régner dans leurs conférences.

Art. 17.—S'il y a dissidence entre les témoins, ils peuvent, ils doivent dans cette occurrence, choisir parmi les hommes les plus honorables et expérimentés, un tiers arbitre, pour les départager.

Art. 18.—Les témoins doivent déclarer, en premier lieu, quelles sont les armes choisies par leur client, et se conformer aux articles 28, 29, 30 et 31 du chapitre Ier.

Art. 19.—Les témoins doivent aussitôt avertir les combattants des conditions qui ont été fixées dans leur conférence, les leur faire ratifier en leur faisant promettre de s'y conformer honorablement.

Art. 20.—Dans un cas grave, si l'insulte est patente, s'il ne peut y avoir de discussion sur les armes, si chacun des combattants est propre à s'en servir, que le rendez-vous donné ait été accepté, que le duel ait été choisi par les deux adversaires, les témoins appelés, après avoir usé de leur droit de contrôle, peuvent consentir aux conventions déjà faites, veiller à l'exécution loyale du combat qui a lieu selon les règles prescrites au Ier chapitre, de chaque arme.

Art. 21.—Les témoins d'un jeune homme doivent éviter de le laisser battre avec un homme âgé de plus de 60 ans, à moins que le jeune homme n'ait été gravement injurié ou frappé par celui qui a 211 passé l'âge des combats. Ils doivent exiger que ce dernier lui envoie, par écrit, l'appel ou son acceptation de l'appel. Son refus d'écrire équivaut à un refus de duel. Dans ce cas, tous les témoins réunis en dressent un procès-verbal qui doit suffire à l'honneur offensé du jeune homme. (Voir Observations, page 251.)

Art. 22.—Aucun témoin ne doit, ni proposer, ni accepter la condition que le duel soit à mort. Toutefois les témoins peuvent convenir, s'il s'agit d'une affaire grave, que le duel est à outrance, c'est-à-dire qu'il doit continuer jusqu'à ce que l'un des champions soit déclaré hors de combat; ils peuvent même admettre la faculté de changer d'armes si l'offensé se trouve dans le cas du 30e article du chapitre Ier.

Art. 23.—Les témoins ne doivent jamais permettre à un maître d'armes de choisir son arme professionnelle, à moins qu'il ne se trouve dans le cas prévu par l'article 30 du chapitre Ier.

Dans ce cas exceptionnel, le maître d'armes doit abandonner le choix des armes à son adversaire; ce sacrifice est imposé aux professeurs d'escrime par la dignité même de leur profession.

Art. 24.—Les témoins peuvent refuser l'épée, s'il s'agit d'un homme estropié de manière à ne pouvoir s'en servir, à moins que l'insulté ne soit dans le cas de l'article 30 du Ier chapitre.

Art. 25.—Les témoins d'un borgne peuvent refuser le pistolet, à moins qu'il ne soit l'agresseur, et 212 que l'insulté soit dans le cas des articles 29 et 30 du Ier chapitre.

Les témoins d'un homme ayant perdu le bras droit peuvent refuser le sabre ou l'épée, à moins qu'il ne soit l'agresseur et que l'insulté ne soit dans le cas de l'article 30 du Ier chapitre.

Art. 26.—Les témoins d'un homme ayant perdu une jambe peuvent refuser le sabre ou l'épée, à moins qu'il ne soit l'agresseur et que l'insulté ne soit dans le cas de l'article 30 du Ier chapitre. Mais si les témoins font ce refus, ceux de l'insulté, dans telle catégorie qu'il soit, choisissent parmi les duels au pistolet, son duel et ses distances.

Art. 27.—Les témoins ne doivent jamais permettre que le fer puisse être détourné, avec la main gauche, même par convention réciproque. Cette convention, du reste, peut toujours être refusée par l'agresseur.(Voir chap. VI, art. 16, Du duel à l'épee.)

Art. 28.Les témoins sont déclarés responsables de tous les faits relatifs au duel auquel ils ont assisté, sous le bénéfice de se conformer aux prescriptions des art. 40, 41 et 42 du présent chapitre.

Art. 29.—Les témoins doivent convenir entre eux si l'on arrêtera les combattants, pour leur faire prendre haleine; bien entendu avec le consentement des champions sur le terrain.

213 Art. 30.—On doit éviter de prolonger le repos plus de dix minutes sans faire continuer le combat.

Art. 31.—Les témoins doivent convenir entre eux, sans en faire part à leur ami, si le combat finira à la première blessure donnée ou reçue. La gravité de l'affaire, ou son peu d'importance est en cela leur guide. Ils doivent obtenir l'assentiment des champions sur le terrain.

Art. 32.—Avant de se rendre sur le terrain, les témoins doivent visiter soigneusement les armes, afin de constater qu'elles sont en conformité de l'article 3 du chapitre II. Ils les remettent ensuite aux champions au moment du combat.

Art. 33.—Arrivés sur le terrain, les champions et leurs témoins doivent se saluer courtoisement. Les premiers gardant un silence absolu.

Art. 34.—Les témoins doivent s'assurer que les adversaires ne portent sur eux aucune espèce d'objet pouvant paralyser l'action des armes. Le refus d'un champion à se soumettre à cette visite équivaut à un refus de duel. (Voir exemple no 5, p. 306.)

Art. 35.—Cette visite terminée, le doyen d'âge ou le témoin que le sort a désigné pour diriger le combat, lit les conditions du duel, rappelle aux combattants qu'ils les ont ratifiées et que l'honneur les oblige à s'y conformer exactement. Les champions répondent à cette lecture par un signe d'acquiescement. On leur livre les armes.

214 Art. 36.—Les places étant tirées au sort et désignées, les champions y sont conduits par les témoins, et doivent attendre le signal.

Art. 37.—Les témoins se placent dans la position désignée par la nécessité de chaque espèce de combat.

Ils sont disposés intervertis, de manière à ce que chaque champion ait à sa proximité l'un des témoins de son adversaire.

S'ils ne sont point armés, ils doivent toujours être pourvus d'une forte canne. Bien entendu que l'usage des cannes à épée est complètement interdit.

Les témoins gardent le silence, s'abstiennent de tout geste et surveillent attentivement le combat.

Art. 38.—Dans le cas où le combat serait arrêté par quelque cause que ce fût, les deux témoins voisins des champions doivent se rapprocher d'eux, les faire rompre, se placer à leurs côtés et les surveiller jusqu'à ce que les deux autres témoins aient pu conférer entre eux et juger si le combat doit cesser ou recommencer.

Art. 39.—Les témoins peuvent parfois arrêter un combat, par consentement entre eux, lorsque les deux champions se sont battus bravement: cela dépend de la nature de l'affaire et des conventions qui ont été posées; ils doivent obtenir l'assentiment des champions. (Voir les Observations, page 260.)

Art. 40.—Les témoins doivent arrêter le combat, à leurs risques et périls, s'ils s'aperçoivent, soit qu'il 215 y ait contravention aux règles établies, soit qu'il y ait blessure, désarmement ou chute.

Art. 41.—Les témoins doivent, si l'affaire se passe contre les règles, en dresser un procès-verbal et poursuivre l'auteur de l'infraction devant les tribunaux par toutes les voies de droit en leur pouvoir.

Art. 42.—Les témoins de la partie contre laquelle une plainte en contravention ou assassinat vient s'élever sont engagés d'honneur à déclarer la vérité. Cette faute, d'ailleurs, ne peut retomber sur eux, à moins qu'ils ne se soient montrés négligents, qu'ils ne soient complices ou même qu'ils n'aient prêté main forte, ce qui ne peut être jamais supposé sans de graves motifs.

Art. 43.—Les témoins ne sont pas des seconds; chaque second doit avoir ses témoins; si c'est à ce titre qu'ils ont été choisis par leur ami. (Voir les observations, p. 265.)

Art. 44.—Nul témoin ne peut accepter un duel immédiat. Cet appel est une affaire nouvelle d'une nature toute différente.

Art. 45.—Tous témoins recevant un appel d'autres témoins au sujet du duel où ils assistent, s'ils ont raison dans la discussion qui donne lieu à ce nouvel appel, prendront le rang de l'offensé, selon l'article 30 du Ier chapitre.

Art. 46.—Les témoins doivent s'abstenir de toute discussion et surtout de toute polémique par la voie 216 de la presse, au sujet de l'affaire à laquelle ils ont assisté.

Art. 47.—Les témoins, lorsqu'ils reconnaissent la nécessité de donner satisfaction à l'opinion publique, peuvent s'entendre pour livrer à la publicité le procès-verbal.

Art. 48.—Il est formellement interdit aux témoins d'entamer aucune polémique au sujet de leur participation aux faits relatés sur le procès-verbal de duel signé par eux.

Ils ne doivent compte de leurs actes qu'à leur conscience et à la justice, lorsqu'ils sont légalement interpellés par elle.

OBSERVATIONS.

Nous ne saurions mettre trop d'insistance pour inviter nos lecteurs à concentrer leur attention sur le chapitre IV.

Dans un code du duel, nous l'avons précédemment noté, le chapitre consacré à établir les devoirs des témoins constitue la clef de la position.

Ces devoirs se multiplient suivant les circonstances, et, sur cette matière, on pourrait écrire de belles et nombreuses pages.

Nous avons essayé d'en parler plus brièvement, sans pourtant négliger d'insister sur les points les plus essentiels, à notre sens, dans les affaires d'honneur.

Le chapitre qui précède, Devoirs des témoins, est 217 donc le plus important; aussi, nos lecteurs nous ont-ils vu, dans notre conclusion, faire peser entièrement sur eux la responsabilité des duels et de leurs conséquences.

SUR L'ARTICLE 2.

Dans le choix que l'on fait de ses témoins, si la bravoure est quelque chose, si la fermeté n'est pas moins appréciable, si l'expérience est beaucoup, la moralité est plus encore, car ils doivent loyalement apprécier les faits, chercher à arranger l'affaire. Une parole acerbe d'un témoin mal élevé ou mal intentionné peut empêcher, non seulement l'arrangement d'une affaire, mais encore en aggraver les conditions. Une imprévoyance, un oubli dans la discussion de l'affaire, peuvent compromettre la vie d'un honnête homme. Une négligence, une distraction de la part d'un témoin, pendant le combat, peuvent amener les mêmes conséquences. Il appartient aux témoins de fixer des conditions équitables pour le duel. Pendant le combat, ils doivent veiller à la stricte exécution des règles du duel et des conditions particulières qui ont été adoptées. Après le combat, ils deviennent juges impartiaux et sévères de l'honorabilité de la rencontre, et enfin, jurés vengeurs de la victime qui aurait succombé par suite de la violation des règles et des conventions établies.

Ces devoirs multiples ne sont pas toujours très faciles à remplir; aussi, nous sommes-nous cru autorisé à conseiller à tout homme sérieux de ne choisir 218 comme témoins que des personnes d'une honorabilité reconnue, autant que possible expérimentées.

Les prescriptions de cet article sont donc pleinement justifiées par le rôle important et décisif que nous avons assigné aux témoins.

La première qualité du témoin, avons-nous dit, c'est l'honorabilité; vient ensuite l'impartialité, et enfin les autres qualités, telles que l'intelligence, la capacité, la fermeté, etc.

Or, des personnes intéressées peuvent-elles être impartiales?

Les personnes contemplées dans les deux derniers alinéas du présent article peuvent-elles inspirer plus de confiance?

L'évidence décidera; elle n'a parfois que trop décidé.

SUR L'ARTICLE 3.

Le rôle assigné aux témoins dans les affaires d'honneur, fait voir qu'ils ne peuvent être choisis parmi les parents du 1er degré.

Un parent proche peut-il juger avec impartialité et sang-froid les actes de son parent?

Peut-il connaître, évaluer et apprécier ses torts? Pourra-t-il se résoudre à dénoncer une irrégularité commise par son parent?

SUR LES ARTICLES 4, 5, 6 ET 7.

Une inviolable discrétion est le devoir le plus essentiel 219 du témoin. En aucune circonstance, il ne peut violer le secret de son entretien confidentiel avec celui qui a réclamé son concours.

Ainsi, il peut arriver qu'un champion dise à son témoin: «J'ai des raisons particulières pour désirer que cette affaire aboutisse à une rencontre. Ces raisons naissent de précédents qu'il est impossible de faire connaître. Montrez-vous exigeant pour la satisfaction demandée, n'insistez pas trop pour l'obtenir, afin de ne pas me mettre dans l'obligation de l'accepter...»

Un autre dira aussi: «Montrez de la fermeté, mais faites tous vos efforts pour que l'affaire s'arrange. Je veux sauver mon honneur, mais j'ai des motifs pressants pour ne point me battre. Une rencontre, même me fût-elle favorable, porterait de très grands préjudices à mes intérêts. La plus petite satisfaction compatible avec mon honneur me suffit...»

Si les instructions données à un témoin ne lui paraissent pas devoir s'accorder avec sa délicatesse, son honneur ou même ses convictions, il doit, après avoir fait ses observations, se récuser en conservant, toutefois, le secret professionnel, sous peine d'être considéré lui-même comme manquant de délicatesse et d'honneur.

Si c'est un droit pour les témoins de juger de la nécessité ou de l'inutilité de l'affaire pour laquelle leur concours est demandé, réciproquement, si dans l'entrevue préliminaire et confidentielle qu'ils ont avec leur client, ils soutiennent une opinion différente 220 de la sienne, ce dernier est en droit de les remercier.

Jusqu'au moment de la rencontre le droit de réparation appartient également au champion comme aux témoins. Ainsi, supposé que des témoins proposent à leur client un arrangement, qu'à tort ou à raison, il regarde comme incompatible avec son honneur, il ne doit point attendre le moment tardif de la rencontre pour refuser d'accepter cet arrangement. Il doit, à l'instant même, remercier ses témoins et en choisir d'autres immédiatement.

Sans doute, s'il est du devoir des témoins d'apporter dans les conférences, le calme et la conciliation, ils ne doivent pas moins considérer avant tout les exigences du point d'honneur, soutenir avec fermeté mais avec les formes les plus courtoises, les droits de leur client, suivre l'impulsion de leur cœur et n'accepter que les arrangements ou les conditions qu'ils seraient disposés à accepter pour eux-mêmes.

Ce serait un très grand tort pour un témoin que de paraître accepter les instructions de son client, de s'en écarter ensuite sans son aveu et, après des pourparlers trop longs et inutiles, de conclure un arrangement défectueux, sous prétexte que l'affaire n'en vaut pas la peine!

Si l'on pense que l'affaire n'en vaut pas la peine, pourquoi ne pas le faire observer et se récuser de prime-abord? La raison la voici: on ne croit pas devoir laisser passer une bonne occasion de se poser dans la société comme un esprit conciliateur, de 221 s'attirer les sympathies de certaines douairières (qui, s'entend, pensent tout différemment que nos aïeules d'autrefois), de quelques jeunes femmes à têtes légères, des indifférents, voire même des intéressés qui, dans un moment donné, pourront s'en montrer reconnaissants!...

N'a-t-on pas vu, cela n'arrive pas souvent il est vrai, des témoins éloignés de leur client, écrire aux témoins adversaires qu'ils abandonnent l'affaire, et cela, sans en avoir conféré préalablement avec leur client et sans lui avoir remis leurs pouvoirs!

L'usage de recevoir les regrets ou excuses valables et suffisantes présentés soit par un champion, soit même par ses témoins, doit être conservé, mais seulement à titre de principe général.

Ici l'adage: Point de règle générale sans exception, peut rencontrer son application. Ce serait sans doute manifester un entêtement et une animosité regrettables que de ne point se contenter d'excuses déclarées bonnes et acceptables par tous les témoins. Mais ce principe ne peut être établi comme règle absolue. En effet, indépendamment des observations que nous avons faites plus haut au sujet des excuses présentées tardivement sur le terrain, il y aurait un grand inconvénient social à accorder ainsi aux querelleurs et aux méchantes langues toutes facilités d'offenser à volonté, quitte à donner cours au stock d'excuses et de regrets toujours préparé dans leur poche, dans le cas où on leur demanderait raison. Il faut aussi tenir compte d'une offense isolée et des offenses aggravées par des précédents. On comprend que dans ces cas 222 particuliers l'offensé, craignant que la méchanceté ne suinte à travers le blindage des excuses, désire couper court à tout, au moyen d'une réparation plus sérieuse.

Il appartient donc aux témoins tenant compte du principe général, de juger et d'apprécier la situation et de se servir de l'arme mise à leur disposition par l'article 13 du chapitre III, en déclarant que le champion qui a refusé les excuses suffisantes, perd le droit de l'offensé et que les chances de la rencontre sont soumises à l'arbitrage du sort.

Ce serait commettre un acte d'injuste obstination et, de plus, un manque de tact que de refuser d'accepter des regrets ou excuses valables et suffisants présentés spontanément et en temps utile, par un homme qui se serait oublié envers vous et auquel ses convictions religieuses défendraient de vous offrir une réparation par les armes.

Bien que l'oubli d'un instant soit parfaitement compatible avec la faiblesse humaine, quiconque manifeste ainsi son respect pour les préceptes de notre sainte religion ne saurait négliger trop souvent la pratique de la charité chrétienne qui commandite merveilleusement les instincts de bonne compagnie, et prescrit essentiellement la tolérance, l'urbanité, la courtoisie soit dans les discussions politiques ou autres, soit dans tous les rapports avec le prochain.

Les convictions religieuses sont toujours respectables et doivent toujours être respectées. Nous ne mentionnerons donc pas ici un tort bien grave, frisant même la lâcheté, celui de chercher querelle, de commettre 223 quelque malhonnêteté ou offense envers un homme que l'on saurait ne pouvoir en poursuivre la réparation par les armes. L'opinion publique et tous les gens sensés s'uniraient pour flétrir une pareille conduite.

Des témoins sérieux ne manquent pas de dépister les chercheurs d'affaires. Quelquefois un débutant dans la presse, un jeune homme désire se poser en gentleman aux yeux d'une famille, d'un cercle, d'une société. Pour ce faire, il lui faut un duel. A la première occasion, il s'accoste sous un léger prétexte à une personne qui lui plaît plus ou moins; il en reçoit une réponse plus ou moins sèche. Voilà l'affaire trouvée! Le lendemain, il s'empresse d'envoyer ses témoins. Il se peut même parfois qu'il rencontre un adversaire animé des mêmes intentions qui accepte purement et simplement la provocation. Tout va donc pour le mieux.

Mais des témoins sérieux et honorables ne se prêtent pas ainsi à une rencontre, sans examen préalable.

Ils éventent la mine, proposent un accommodement honorable pour les deux parties et, en cas de non-acceptation par l'une d'elles ou par toutes les deux, déclarent carrément que la cause est futile, qu'ils se récusent et ne peuvent les assister.

Quant aux batailleurs, aux querelleurs d'habitude, l'anathème prononcé contre eux par l'opinion publique, les empêche de trouver facilement des témoins. Encore faut-il, pour qu'ils en trouvent, que l'offense dont ils entendent demander la réparation soit parfaitement 224 établie et n'ait été amenée par aucune provocation de leur part.

Disons un mot sur les lâcheurs.

Ces messieurs au verbe haut et aux allures dédaigneuses, entament une discussion dans un cercle ou dans une réunion quelconque; après quelques paroles échangées, leur interlocuteur leur signifie que s'ils ont quelque explication à lui demander, ils peuvent s'adresser à son domicile.

Au lieu d'accepter ou de s'incliner et de cesser l'entretien, ainsi que les bienséances les y convient, ces messieurs continuent l'altercation et bientôt reçoivent de leur interlocuteur impatienté quelques apostrophes vives et mêmes insultantes. Alors ils crient à l'offense, et le lendemain on apprend qu'ils se sont adressés à la justice pour obtenir réparation.

Sans nul doute, on ne peut leur contester le droit de s'adresser à la justice, quittes à s'exposer aux appréciations diverses de la société dans laquelle ils vivent.

Mais ils ne s'en tiennent pas là. Pour justifier leur conduite, ils racontent l'affaire à leurs amis et connaissances en disant: «Si nous avions affaire avec des personnes comme vous, nous nous battrions certainement, mais avec des gens tels que M. un tel on ne saurait se compromettre, etc., etc.»

De tels propos constituent une injure bien grave pour la personne qui en est l'objet et exposent ceux qui les tiennent à de vives représailles.

Personne n'est autorisé à décerner ainsi, ad hoc et dans sa propre cause, des brevets d'indignité.

225 La loi seule déclare l'indignité des citoyens contre lesquels elle a prononcé des peines infamantes.

Subsidiairement, la société déclare parfois notoirement indignes ceux qui ayant fraudé la loi ont commis des actes d'indélicatesse, réprouvés dans son sein. En dehors de cette notoriété admise, aucun individu n'est en droit de décerner un brevet d'indignité à qui que ce soit. Aussi l'opinion publique n'est-elle point dupe de ces fanfaronnades inconvenantes; elle décerne à son tour à leurs auteurs le brevet de lâcheurs (pour ne pas employer une expression plus énergique).

Il va sans dire que la juridiction du point d'honneur ne confirme en rien les brevets d'indignité que se distribuent journellement et réciproquement les hommes de parti dans leurs discussions politiques.

Aux yeux du point d'honneur, l'action qualifiée indélicate, seule, comporte l'indignité pour quiconque l'a commise, quel que soit le parti politique auquel il appartient.

Cet acte d'indélicatesse ne saurait être excusé par un motif dit «politique». Quiconque refuse un appel en opposant la question préalable de l'indignité de l'adversaire prend vis-à-vis de ce dernier le rang de demandeur.

C'est donc à lui qu'il appartient de prouver l'indignité qu'il allègue comme motif de son refus.

L'indignité acquise par une personne réputée possédant l'âge et l'état de discernement ne s'efface point par la prescription.

Dans une querelle motivée par une discussion 226 d'intérêts pécuniaires, suscitée par un débiteur, les témoins ne doivent point autoriser la rencontre, à moins que le débiteur n'ait purgé sa dette.

Ce serait vraiment un trop beau privilège accordé aux spadassins et aux bretteurs que celui de pouvoir mener la vie à grandes guides aux dépens d'autrui, de posséder la facilité toute spéciale de purger leurs dettes au moyen de deux pouces de lame ou d'une balle de pistolet. En pareil cas, les témoins doivent rejeter énergiquement le cartel et signaler le motif de leur refus dans un procès-verbal qui suffit pour sauvegarder l'honneur du créancier.

Le cas est bien différent, si le cartel est envoyé au débiteur par le créancier. Nous pensons néanmoins que les témoins doivent blâmer une pareille rencontre et refuser d'y assister. Ce n'est point en plein XIXe siècle qu'il convient de revenir aux coutumes des siècles barbares, pour la décision des intérêts matériels en champ clos.

Aujourd'hui l'opinion publique regarde avec juste raison les intérêts matériels ou pécuniaires comme appartenant entièrement à la compétence de la juridiction civile.

La juridiction du point d'honneur ne peut, ne doit être invoquée que pour sauvegarder le bien moral le plus important pour l'honnête homme: l'honneur! Soit! nous dira-t-on, les dettes de jeu sont en dehors de la loi civile: ce sont des dettes d'honneur! Dans une querelle de jeu, ce n'est pas la quotité matérielle de la dette qui fait l'objet de la discussion; c'est l'honorabilité des contendants qui est en question, par 227 le déni de l'un et par l'affirmation de l'autre. Notre réponse sera la demande suivante:

Quel est l'homme honorable, jaloux de conserver la considération dont il jouit, qui, en présence du déni d'une dette contractée envers lui sur le tapis vert, ne préfère pas abandonner son droit, admettre même, ce qui ne trompe personne, qu'il s'est trompé, qu'il a pu faire erreur, pour éviter une querelle ou une rencontre de jeu toujours blâmée dans la bonne société? Quel est le témoin sérieux qui n'approuvera pas cette conduite?

Le verdict sévère de opinion publique ne suffît-t-il pas pour faire justice du débiteur déloyal, peu soucieux du respect envers la foi jurée?

SUR L'ARTICLE 8.

Suivant l'opinion d'un certain nombre de personnes, un témoin de chaque côté suffirait à la rigueur pour le duel à l'épée. Il est plus difficile, disent-ils, d'obtenir une entente entre quatre témoins qu'entre deux... Le secret connu d'un moindre nombre de personnes est plus facile à garder. L'épée est l'arme la moins dangereuse et la plus connue... Il est plus difficile de trouver quatre témoins...

Nous regrettons de ne pouvoir nous rendre à ces raisons. Nous sommes bien loin de regarder l'épée comme une arme moins dangereuse que les autres armes, nous sommes encore plus loin d'être persuadé que le combat à l'épée soit plus facile à surveiller et à diriger que les autres combats.

228 Nous croyons donc quatre témoins aussi utiles dans les duels à l'épée que dans les autres combats.

Quatre témoins discutent l'affaire d'une manière plus approfondie et, par conséquent, peuvent plus facilement trouver le moyen de l'arranger; ils établissent les conditions d'une manière plus équitable.

Il est évident que dans le combat ils sont plus en force pour maintenir les conditions établies.

Il est plus difficile de les voir s'entendre tous, pour cacher les irrégularités qui pourraient s'y commettre.

Nous persisterons donc à conseiller de prendre quatre témoins dans toutes les rencontres.

SUR L'ARTICLE 12.

Identité.—Il est de toute importance que MM. les témoins mettent toute leur sollicitude et leur intelligence dans l'examen de la question de l'identité.

Les offenses sont personnelles, et doivent être relevées par celui-là même qui les a reçues.

Sauf le cas prévu au chapitre Ier, articles 22, 23, 24, toute substitution de personne est absolument interdite; soit que cette substitution soit demandée officiellement, soit qu'elle ait été amenée d'elle-même ou avec intention.

L'action de requérir contre son ennemi personnel le bras d'un tiers, n'est-elle pas, avec juste raison, considérée comme le plus pervers, comme le plus sûr des guet-apens?

S'il est bien vrai que les champions, vicaires, 229 bravi, sicaires ne soient plus de mode de nos jours, il est nécessaire de repousser par la question préalable toute substitution de personnes permettant de donner des successeurs contemporains à ces coupe-jarrets du moyen âge dans la personne de certains brigands en gants paille, de certains chevaliers d'industrie, toujours disposés à prostituer leurs bras aux caprices des passions du plus offrant.

Dans les offenses de personne à personne, la constatation de l'identité des adversaires ne présente généralement aucune difficulté. Il n'en est pas de même dans les offenses par le moyen de la presse.

La responsabilité d'un article offensant appartient de plein droit au signataire de l'article, soit qu'il signe de son propre nom, soit d'un pseudonyme connu, ce qui est facile à connaître.

Toutefois, ici, le duel par mandat, en vertu d'une substitution de personne, n'est point impossible. La fraude peut se glisser, car, moyennant finance, il n'est que trop facile de disposer d'une signature de complaisance. Si l'on en peut acquérir la preuve simplement morale, le véritable auteur de l'article peut être recherché.

En seconde ligne, vient le directeur ou rédacteur en chef du journal. Sans son visa, aucun article ne doit être inséré dans son journal; à défaut par lui de faire connaître le nom du véritable signataire, il est responsable.

En troisième ligne, enfin, faute du directeur ou de rédacteur en chef connu ou désigné par le public, 230 vient le gérant, qui est ordinairement un homme de paille admis par la légalité pour répondre à la justice. La juridiction du point d'honneur n'admet point les hommes de paille; elle veut atteindre exclusivement l'auteur, aussi n'accepte-elle la responsabilité du gérant qu'en dernière ligne, et faute de mieux.

D'après ces réflexions, faute de signature, le directeur ou rédacteur en chef est responsable personnellement des offenses faites par son journal. Il ne peut déléguer cette responsabilité à un de ses amis ou collaborateur tant pour donner réparation d'une offense faite par son journal, que pour poursuivre la réparation d'une offense faite à lui-même ou à son journal.

Que si l'on voulait admettre la possibilité de cette substitution de personnes, alors, à la rédaction de chaque journal seraient bientôt attachés un ou plusieurs travailleurs du champ clos, payés et destinés à soutenir les offenses faites par le journal et à poursuivre les réparations des offenses qui pourraient être faites au journal et à son directeur.

Voici pour les principes généraux, cependant dans quelques petits journaux, de province surtout, chaque journal a bien un rédacteur, un gérant attitré. Ce personnel est suffisant pour répondre devant la loi; mais derrière ce personnel officiel se trouve parfois un directeur in partibus lequel est l'âme du journal: ce directeur occulte est bientôt connu et désigné par le public.

Voulez-vous obtenir une insertion quelconque, vous vous adressez au rédacteur. Il verra et vous rendra 231 bientôt réponse, ou bien même il vous dira naïvement qu'il en parlera à M. R.... Enfin, vous êtes à votre cercle, vous montrez à vos amis une note intéressante sur le phylloxera, l'un d'eux vous la demande en vous disant qu'il la remettra à M. R..., pour être insérée dans son journal.

Un beau jour paraît un article blessant un de vos amis. Il est de suite attribué au directeur occulte dont nous venons de parler: il est facile de reconnaître son style et ses allures. Votre ami ne sera-t-il pas en droit de se prévaloir de la désignation du public, pour demander raison à M. le directeur occulte? Sans nul doute, les répondants officiels peuvent suffire vis-à-vis de la loi; mais la juridiction du point d'honneur recherche l'auteur réel de l'offense et l'atteint si elle peut le découvrir.

Ce serait sans doute bien commode de pouvoir frauder la loi et de se permettre, sans risques ni périls, de déverser le ridicule ou la méchanceté sur ses concitoyens.

Age.—En ce qui touche la question d'âge entre les adversaires, relativement à l'âge sénile, nous nous en référons aux articles 22 et 23, chapitre Ier; article 21, chapitre IV, et aux observations relatives aux articles précités.

Quant à la minorité, nous croyons devoir distinguer, vis-à-vis du point d'honneur. Il y a selon nous deux catégories de mineurs.

La première comprend les mineurs non seulement reconnus comme tels par la loi, mais même par la société. Cette classe d'adultes a donc la minorité 232 légale et sociale, c'est-à-dire la minorité complète; elle comprend les jeunes gens qui sont encore sur les bancs du collège ou n'ont point encore fait leur entrée dans le monde; elle est encore entièrement sous la tutelle paternelle. C'est spécialement ceux qui appartiennent à cette catégorie que nous regardons comme des mineurs, jouissant du bénéfice de la protection de leurs ascendants ou de leurs frères majeurs, exclus par ce fait même ou par la question préalable de l'âge, du droit de figurer dans les rencontres tant comme acteurs que comme témoins.

La deuxième catégorie comprend les mineurs ayant la minorité légale, mais jouissant d'autre part d'une situation que nous appelons abusivement majorité sociale. Ce sont des jeunes gens ayant terminé leurs études, déjà admis dans la société. Tels que les élèves de nos universités, étudiants en droit, médecine; élèves de nos grandes écoles supérieures, engagés ordinaires, engagés volontaires, volontaires d'un an, dans l'armée; on ne saurait en pratique leur appliquer la question préalable de l'âge. Ils sont donc admissibles à adresser, à recevoir des appels et répondent personnellement de leurs actes.

Cette majorité sociale forme un temps de transition entre la minorité réelle, et la majorité légale fixée à 21 ans.

Point de doute que ce temps de transition entre la faiblesse et l'entière possession des forces physiques et morales, ne doive être considéré dans les discussions, dans les démarches conciliatrices des témoins.

233 Dans les cas de rencontre entre deux de ces jeunes gens et principalement dans le cas d'une rencontre entre l'un de ces mineurs avec un individu ayant la majorité complète, les témoins doivent nécessairement chercher à se prévaloir de cette situation particulière pour établir et mitiger les conditions du duel.

Condition physique.—La situation physique relative des adversaires doit être certainement prise en grande considération par MM. les témoins, mais nous ne saurions accorder à l'impotence le bénéfice de la question préalable. Certainement nos articles 24, 25 et 26 donnent lieu à des critiques et à des observations, nous ne nous le dissimulons pas, mais M. de Chateauvillard et ses collaborateurs ont surmonté les mêmes appréhensions. Leur œuvre a été approuvée par des signatures nombreuses et tellement autorisées que, pour notre part, nous ne nous sentons pas de force à établir une divergence sur un sujet de cette importance.

L'injure contre l'honneur, la calomnie contre un homme honorable et une famille, pénètrent-elles moins facilement dans la société; y rencontrent-elles moins de créance, sont-elles sous une influence moins pernicieuse, lorsqu'elles sont dues à un impotent que lorsqu'elles procèdent d'un homme valide?

Admettre la question préalable en faveur de l'impotent serait lui accorder par diplôme le droit d'outrage. Tout ce que nous croyons pouvoir accorder, c'est que la situation physique soit l'objet d'un sérieux examen de la part des témoins, qu'elle exige de leur 234 part un redoublement d'énergie dans les démarches conciliatrices: mais nous leur demanderons en outre une louable fermeté, une sollicitude extrême pour chercher à atteindre, dans la limite du possible, une raisonnable égalité de chances et à mitiger les conditions de la rencontre, si la gravité de l'affaire la rend malheureusement inévitable.

Moralité des personnes et des querelles.

L'appel d'un homme honorable n'est admissible qu'avec un homme reconnu comme en possession d'une égale honorabilité. Toute personne contre laquelle l'opinion publique a prononcé l'indignité est exclue de la juridiction du point d'honneur. Le recours à la justice ordinaire lui est ouvert.

Lorsqu'une personne est poursuivie devant les tribunaux ordinaires pour un délit quelconque pouvant entacher son honorabilité, les témoins doivent tenir en suspens tout appel adressé ou reçu par cette personne jusqu'à ce que la sentence soit prononcée.

Une condamnation judiciaire n'entraîne pas toujours avec elle l'indignité; cela dépend de l'appréciation du motif sous le point de vue de l'honneur et de la délicatesse.

Par contre, un acquittement prononcé faute de preuves légales, n'exempte pas toujours de l'indignité, cela dépend du verdict prononcé par l'opinion publique sur les circonstances et preuves morales résultant des débats.

235 Un étranger, lequel n'a pas encore acquis une notoriété prouvée par suite d'un long séjour dans le pays, est naturellement sujet, en cas de querelle, à un examen de la part des témoins qui sont en droit de lui demander ses références auprès des agents diplomatiques de son pays. Il n'a aucun droit de s'étonner de leur démarche, et encore moins de se refuser à produire les justifications demandées. Son refus entraînerait la question préalable.

Nous avons été nous-même dans l'occasion de soulever cette question préalable en faveur de l'un de nos subordonnés.

En 185... nous commandions le 1er escadron de Savoie-cavalerie. Un flibustier contrefaisant à merveille le gentleman vint chercher d'abord à nuire à l'un de nos jeunes subordonnés dans l'esprit du colonel par une lettre dans laquelle, en demandant son intervention pour obtenir la réparation de torts qu'il reprochait au jeune homme, il laissait percer l'éventualité d'une demande en réparation par les armes, si le colonel n'accédait pas à ses désirs. Cette missive était accompagnée de diverses lettres de recommandation portant des signatures de personnes parfaitement connues par le colonel et par nous et d'une notoriété distinguée dans la société de Turin.

Le colonel, suivant son habitude, remit l'affaire entre les mains du capitaine commandant en lui demandant son avis.

Nous soulevâmes immédiatement cette objection: toutes ces recommandations qui peuvent être données par complaisance à un étranger que l'on a rencontré 236 dans les cercles ou dans les établissements thermaux, ne présentent point une caution suffisante pour suppléer au défaut de références honorables auprès des agents diplomatiques de son pays.

Le flibustier vint en personne nous parler en nous apportant une recommandation d'une personne très distinguée de nos connaissances, adressée à nous-même.

Parfaitement autorisé à conduire cette affaire à notre guise, nous lui répondîmes simplement ceci: «Monsieur, en vous adressant au colonel, vous n'étiez point sans doute informé que les colonels de Sa Gracieuse Majesté le roi Victor-Emmanuel ignorent toujours les affaires d'honneur de leurs subordonnés jusques après les faits accomplis. A ce moment, commence seulement leur ingérence d'appréciation. Ainsi donc, si vous avez quelque compte à régler avec M. de X***, vous avez le champ libre, vous pouvez vous adresser directement à ce jeune homme dans les formes usitées entre gentlemen de votre sorte; sa réponse sera satisfaisante, comme il est d'usage dans notre régiment.»

Deux bons témoins, choisis par nous, devaient déclarer aux témoins adversaires que leur client était à la disposition de ce monsieur, mais à la condition sine quâ non qu'il témoignât de sa position d'honorabilité par le moyen de références positives, émanant du représentant diplomatique de son pays.

Notre bonhomie toute montagnarde donna-t-elle quelque soupçon? Aucun appel ne fut reçu. L'étranger quitta bientôt la capitale pour aller opérer ailleurs...

237 Bien des malheurs eussent été évités, s'il nous eût fourni le moyen de le démasquer par notre question préalable.

Ce gentleman accompli, qui avait su se procurer des recommandations de personnes distinguées, n'était qu'un chevalier d'industrie de la pire espèce, pouvant produire de très belles références..... de la Préfecture de police de Paris!

Un homme réputé indigne par l'opinion n'est point sujet à l'appel, même pour des offenses ordinaires commises au moyen de la presse. Sa personne est repoussée par la question préalable, soit par l'excommunication in odium auctoris.

Les appels incompatibles avec la loi naturelle et sociale ont été fixés par l'article 19 et les observations du chapitre III.

Suivant l'article 20 du même chapitre, toute personne ayant réclamé l'appui de l'autorité judiciaire, perd le droit d'adresser un appel pour demander réparation de la même offense (Voir les Observations).

L'appel d'un débiteur à son créancier n'est point admissible à moins que la dette ne soit soldée (Voir article 21, chapitre III, Observations et chapitre IV, Observations).

Dans ce cas, les témoins qui opposent la question préalable à ce cartel doivent consigner leur déclaration dans un procès-verbal qu'ils remettent à l'appelé comme garantie de son honneur.

Il est évident que la situation d'un créancier adressant un appel à son débiteur est complètement différente.

Motifs des querelles.—La tolérance accordée au 238 duel dans la société est motivée par l'insuffisance de la législation ordinaire pour donner réparation satisfaisante à certaines attaques contre l'honneur des individus. Le duel ne peut, ne doit léser en rien la liberté ni les droits de chacun.

Ainsi: le banquier, le capitaliste, seront-ils sujets à recevoir un appel de la part d'une personne à laquelle ils auront refusé un prêt?

Le père de famille sera-t-il exposé à recevoir une demande de réparation de la part d'un prétendant éconduit par sa fille?

Un fonctionnaire civil ou militaire devra-t-il répondre à un cartel adressé par un subordonné qu'il aura réprimandé ou puni dans l'exercice légal de ses fonctions?

Tous les fruits-secs des cinq parties du monde se croiront-ils autorisés à envoyer leurs témoins aux professeurs qui les auront boulés aux examens?

Certes, la négative est évidente!

Toute querelle basée sur des motifs lésant la liberté ou les droits d'autrui ou tirant son origine de motifs vils ou déshonnêtes repoussés par l'opinion publique, est donc sujette à être repoussée par la question préalable. MM. les témoins doivent apporter la plus grande attention à remonter aux antécédents des querelles, à reconnaître les causes occasionnelles, sans s'arrêter à l'apparence, mais en se rendant un compte exact de la réalité.

Plus souvent que l'on ne croit, dans une querelle, le motif apparent n'est point le véritable; il est donc rationnel que les témoins, avant de permettre un duel 239 en connaissent la raison suffisante, et s'enquièrent surtout que cette raison ne soit pas une violation de l'honneur et de la moralité. Toute négligence à cet égard donnerait lieu à l'abus des duels pour les causes les plus déloyales, aux duels par mandat ou par marché, etc., enfin, aux entreprises des spadassins ou chevaliers d'industrie dont nous avons déjà parlé plus haut.

Dans les grandes villes principalement, on rencontre une certaine classe d'individus menant la vie à grandes guides, habitués des tapis verts, ayant leurs entrées dans la bonne société comme dans la société interlope, jouissant d'une réputation d'adresse dans les salles d'escrime et dans les tirs au pistolet, sablant le champagne, souvent en bonne compagnie, dans les meilleurs restaurants. On ne leur connaît ni châteaux en Espagne ni oncles d'Amérique!

Quand dans un cercle ou au théâtre, l'on voit l'un de ces messieurs chercher querelle à un honnête homme pour des motifs assez futiles, n'est-on pas en droit de flairer l'anguille sous roche, et de deviner sous la couverture du viveur, l'un de ces spadassins toujours prêts à mettre leur épée à la disposition de quiconque veut contribuer à leur bien-être, voir même à s'en servir pour leur propre compte dans l'honorable but de chercher finance au dépens d'autrui?

Lorsque MM. les témoins parviennent à démasquer l'un de ces brigands en gants paille, ils doivent agir en conséquence.

Ayant rencontré l'un de nos anciens compagnons 240 d'armes, de l'armée italienne, nous échangeâmes quelques idées sur le duel et précisément sur l'opportunité des réflexions qui précédent.

—Il y a quelques années, nous dit-il, j'ai lu dans un auteur estimé de notre pays, un exemple excellent pour justifier tes observations.

Dans un cercle de l'une de nos grandes villes d'Italie, un certain M. X*** insulte grossièrement au jeu un jeune homme appartenant à une très riche famille. Le jeune homme demande réparation par les armes, et, M. X*** qui ne cherchait pas mieux, accepte et choisit l'épée. La veille de la rencontre, il parvient à se ménager une entrevue avec la mère du jeune adversaire. Il est de première force, dit-il à cette mère éplorée... la vie de son fils est entre ses mains... cependant il y a un moyen certain de sauver cette vie si précieuse... il est jeune, il a la réputation de mener joyeuse vie, mais il n'est heureux qu'en apparence, cette vie dont il a besoin coûte cher à son cœur, car elle est utile à d'autres, à un père qu'il doit sauver du déshonneur... une famille qu'il doit protéger contre la misère, etc., etc... Après avoir piqué la curiosité et excité l'intérêt de la dame, il termine en lui disant qu'il dépend d'elle de sauver son fils, qu'il était de force à se faire blesser par lui à l'avant-bras dès la première passe, à condition qu'elle lui donnât une somme de 25,000 francs dont il avait besoin. Cette somme payable ainsi, savoir: 10,000 francs avant, et 15,000 francs après la rencontre.

Tout fut accepté, le chevalier d'industrie tint fidèlement 241 sa parole, fut blessé au bras à l'endroit indiqué, toucha la somme aux termes fixés, et, pour sauver les apparences, après avoir gardé la chambre pendant quelques jours, il se promena quelque temps le bras en écharpe. Et veux-tu encore savoir quelque chose de mieux? Ce M. X*** eut l'effronterie de se faire présenter à la mère dans son propre salon et par son fils lui-même! Le lendemain, le pigeon reprochait à sa mère d'avoir accueilli trop froidement un adversaire qu'il avait blessé sans qu'il en conservât aucun ressentiment! As-tu entendu?

—Non seulement nous avons entendu, goûté et même retenu, tu en auras plus tard la preuve; mais cet exemple prouve en outre l'injustice d'un usage encore en vigueur en Italie, celui d'accorder le choix des armes à l'appelé, plutôt qu'à l'offensé. Cet usage détestable et contraire à la raison, n'a été introduit que par les adversaires intransigeants, dans le but de diminuer le nombre des provocations, et surtout celui des duels. Il conduit directement au but opposé, en envenimant les querelles. Chacun cherche à escamoter à son profit la provocation; ainsi, au lieu de relever la première offense, on répond par une offense égale ou plus forte, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la querelle arrive à un point où la provocation devient indispensable, et le duel également.

Notons en passant que par suite de cet usage, des adversaires qui, moyennant le choix des armes accordé à l'offensé, auraient pu dès le principe consentir à un accommodement, ou tout au moins se rencontrer 242 sans scandale ni ressentiment, se rendent sur le terrain dans de telles conditions de haine et de violence, que des conséquences d'une gravité proportionnelle deviennent inévitables, sous peine d'exciter la risée publique, et contre les champions, et contre les témoins, et contre le duel lui-même.

La solution ridicule doit être, comme tu le peux bien penser, très désirée par les intransigeants...

En résumé, accorder le choix des armes à l'appelé, c'est favoriser les plus lâches et les plus odieux calculs, c'est favoriser l'incivilisation, les querelles injustes et déshonnêtes, les duels par mandat, les marchés; donner le champ libre aux chevaliers d'industrie, aux spadassins toujours prêts à «chercher fortune,» à mettre leur épée à la disposition de tout bailleur de fonds disposé à soutenir leur existence de jouisseurs.

Nous comprenons qu'en Italie, l'unité morale n'étant point encore constituée, il ne s'est point encore formé une majorité sociale assez puissante pour mettre un frein à de pareils abus, mais cela viendra, nous l'espérons, en France...

—Ici, permets-moi de t'arrêter, en France tout comme ailleurs, ces abus peuvent exister également et existent en effet. En voici un exemple que j'ai lu dans le même auteur, si ma mémoire ne me fait point défaut. Ecoute cet exemple, il est di primo cartello ou de great attraction, comme tu aimeras mieux!

En France, sous la monarchie de Juillet, un comte ou baron de M*** se trouvait en mesure d'obtenir la main d'une demoiselle très distinguée et en même 243 temps, le poste de premier secrétaire dans une légation très recherchée.

Au théâtre, il fut bousculé et insulté par un jeune homme, en présence de témoins.

Sa considération vis-à-vis le public, vis-à-vis même sa belle fiancée, tout lui indiquait la route à suivre. Cartel, duel à l'épée, blessure grave, et, tranquillité pendant une convalescence de plusieurs semaines.

Quelque temps après, à son cercle, au milieu d'une discussion sur les maladies de la race bovine, il reçoit tout à coup de l'un des interlocuteurs un démenti des mieux accentués. Nouveau duel, la mauvaise chance le poursuit, son bras droit est profondément labouré par une balle de pistolet.

Pendant sa convalescence, le malheureux comte recevait les visites d'amis ou de soi-disant amis. Un jour, resté seul avec l'un d'entre eux, cet ami plus empressé prend un air mystérieux, lui fait donner sa parole d'honneur de garder le secret le plus absolu sur la communication qu'il va lui faire.

Selon des conjectures basées sur divers indices, circonstances, ou demi-mots, les duels du comte étaient l'effet d'une coalition passée, dont le fil remontait à un seul bailleur de fonds. Ainsi son premier adversaire à l'épée avait touché pour récompense une somme de 2,500 francs environ. Le deuxième au pistolet avait reçu quelques centaines de francs, plus la quittance d'une somme de 3,000 francs et plus à valoir sur une dette de jeu contractée sur parole.

Avant peu de temps, le comte devait encore être exposé à subir une autre querelle basée sur des motifs 244 plus plausibles... et, l'estimable ami prononçait le nom d'un mari...

Mais, objecta le comte, la dame en question l'avait remplacé depuis plusieurs mois; ensuite, le mari bien qu'informé, s'était montré complaisant...

Peu importe répliqua l'ami, le mari a tous les privilèges, il peut ignorer ou savoir comme bon lui semble, ou puiser à son temps et à son heure dans la boîte aux surprises! L'amant actuellement en titre, ancien soldat d'Afrique, notoirement connu par sa vivacité, pourrait revenir à la charge moyennant quelques mille francs, que son ennemi plus que millionnaire mettrait volontiers à sa disposition?... Là-dessus, l'ami se retire non sans avoir embrassé le comte sur les deux joues et lui avoir fait renouveler sa parole d'honneur.

Resté seul, le comte repasse les circonstances de ses deux précédents duels, il se rappelle ces agressions inattendues. S'agirait-il de sa fiancée? Non sans doute, on n'aurait point osé toucher ce chapitre. C'était à la légation que l'on en voulait, car il se rappelait certaines démarches, et certaines offres qui avaient été tentées auprès de lui...

Il valait mieux céder, pour obtenir la tranquillité... Quel meilleur et plus commode intermédiaire pour traiter, que l'officieux ami, qui savait plus qu'il n'en voulait dire, et avait sans doute reçu la mission honorable et confidentielle de venir lui mettre la puce à l'oreille?

Comme tu le penses, la visite de l'ami ne se fit 245 point attendre. Après quelques difficultés inhérentes à la modestie pour accepter ce mandat, après avoir reçu les remerciements du comte pour son adhésion, leur accord fut conclu, par lequel, le comte de M*** moyennant le retrait de sa candidature au poste de premier secrétaire à la légation de X***, aurait à l'avenir sa parfaite tranquillité. Ainsi il advint. Quelques jours après en effet, la place fut donnée à un concurrent que l'on avait peut-être intérêt à éloigner de France, et qui n'y aurait vraisemblablement consenti qu'à la condition d'être appelé au poste qu'il ambitionnait.

L'un des parents très proches affirmait ne point connaître le nom du bailleur de fonds, mais prononçait tout haut le nom de celui qui tenait compagnie à la dame restée à Paris, pour raison de santé.

Ce qu'il y a de plus mauvais dans ces sortes de marchés, c'est que le pigeon lui-même a le plus grand intérêt à cacher sa mésaventure et sa faiblesse.—Est-ce bien clair?

—Sans doute, c'est aussi clair que c'est fâcheux.

Permets-moi de te servir deux autres exemples, lesquels, étant «dans des prix plus modérés», sont tout naturellement plus à la portée des consommateurs.

Ton neveu, Albert de C***, est un parfait gentleman, il parcourt avec succès une honorable carrière; c'est un jeune homme d'avenir. Aussi, as-tu obtenu pour lui la main d'une charmante demoiselle fille du baron de T***, ton copain. La jeune fiancée joint aux qualités physiques et morales une opulente situation 246 et de belles espérances. Cette union ne peut manquer d'exciter la convoitise et la jalousie. Comment l'empêcher? Rien de plus facile. Un ami complaisant cherche querelle à Albert sous un prétexte quelconque, et l'insulte. Il envoie ses témoins, un duel a lieu dans lequel il se conduit honorablement. Pour toi comme pour moi, comme pour bien de nos amis, tout s'est passé à merveille, mais il n'en est pas ainsi de l'autre côté.

La chanoinesse de Sainte-Cunégonde, tante de la jeune fiancée, signifie carrément qu'elle n'entend pas que l'on accorde la main de sa nièce à un duelliste!

Et le tour est joué.

Ou bien, s'il n'envoie pas ses témoins, peut-on prévoir les conséquences?

En bon ami, je ne t'engage pas à plaider en séparation avec ta femme. La cause est inscrite au rôle, et le jour de l'audience est fixée: si tu ne le gardes pas à carreau les jours qui précéderont cette date, il peut t'arriver ceci: Un ami complaisant de la partie adverse (elle en trouve toujours) te rencontre par hasard au moment où tu débouches sur la place Chateau, à Turin, après avoir dégusté le Vermouth Marendazzo; il te croise en te bousculant avec une légèreté suffisante; tu t'impatientes et tu lui lances une apostrophe quelconque; il te répond sur le même ton en te disant que si tu n'es pas content, il est à ton service, et t'offre sa carte.

L'aventure fait bruit.

Enverras-tu tes témoins?

Dans ce cas, bonne aubaine pour l'avocat de ton 247 estimable épouse. Nous voici à l'audience. Après avoir gonflé à vingt-cinq soupapes le ballon de tes «mœurs faciles» pour servir de repoussoir au panorama des vertus angéliques de sa cliente, exploitant la répulsion des magistrats pour le duel, l'orateur termine par un grand effet de manchettes, en s'écriant: «Non, Messieurs de la cour, vous ne comblerez pas la mesure des maux déjà soufferts par une femme infortunée, en la forçant à demeurer sous le toit d'un homme emporté, querelleur, d'un duelliste contre lequel tout honnête homme est exposé à risquer sa vie, et cela pour le motif le plus futile, par exemple parce qu'en le contre-passant, il aura, par un choc involontaire, troublé la sieste d'une puce en villégiature sur son avant-bras! Non, Messieurs de la cour, vous ne permettrez point une pareille énormité! Je m'en rapporte avec confiance à votre justice pour accorder aide et protection à la faiblesse et au bon droit!»

La séance est levée et la cour remet à quinzaine le prononcé du jugement.

Et le tour est joué!

N'enverras-tu pas tes témoins?

Alors, qu'en adviendra-t-il de ta considération?

Le tour est encore joué!

On t'a mis en demeure de choisir entre deux écueils presque également redoutables.

Je répéterai encore que des témoins solides et déterminés peuvent donner à ces épisodes une fin toute différente que celle attendue par ceux qui les ont provoqués.

248 —Eh bien! mon cher ami, je partage les idées que tu viens d'émettre, je comprends l'utilité et même la nécessité de la réglementation et du mode de répression que tu entends proposer dans ta prochaine publication sur le duel, mais il tempo è un gran maêstro! C'est au temps seul qu'il appartient d'amener la constitution d'une majorité sociale antipathique à de pareils abus.

Dans les agressions, nous avons pensé qu'il y avait lieu d'établir une distinction entre les offenses ordinaires échappées à la promptitude des caractères et des passions, et les agressions matérielles, violentes, sauvages, déloyales, avec ou sans guet-apens.

Les premières appartiennent à la juridiction du point d'honneur.

Aux dernières, on est en droit d'opposer la question préalable.

Elles sont de la compétence de la police correctionnelle ou de la cour d'assises.

Il doit en être de même par analogie, dans l'appréciation des offenses commises au moyen de la presse.

Les offenses inspirées par la passion, excédant les bornes des convenances, mais non celles de l'honnêteté, appartiennent à la juridiction du point d'honneur. Toute autre offense vile, déshonnête ou dégoûtante, repoussée par l'opinion publique comme indigne d'un galant homme, doit être renvoyée à la justice ordinaire.

L'interprétation équitable de l'article 12, constitue le témoin sérieux, intelligent et expérimenté, l'homme 249 habitué à comprendre les usages de la bonne société, et à s'y conformer. Nous souhaitons à nos lecteurs, le cas échéant, d'en rencontrer toujours de semblables.

SUR L'ARTICLE 15.

Il appartient aux témoins de fixer le lieu, le jour et l'heure de la rencontre, et cela d'accord avec les parties et d'une manière précise. Il est d'une suprême inconvenance de se faire attendre sur le terrain. Le quart d'heure de grâce admis habituellement pour le rendez-vous dans la société, nous semble très suffisant pour faire la limite de l'attente. Ce temps largement écoulé, la partie adverse est en droit de se retirer, ses témoins bien entendu dressant procès-verbal. Le droit de se retirer après un retard prolongé au delà de la limite fixée ci-dessus, trouve son application plus ou moins sévère, suivant les conditions de l'atmosphère et l'intempérie des saisons. Dans ce dernier cas, lorsque les témoins sont convaincus que le retard prolongé peut amener des conséquences fâcheuses pour leur client, ils doivent non seulement lui conseiller de se retirer, mais l'exiger formellement en refusant de l'assister.

Lorsqu'un obstacle impossible à prévoir empêche l'une des parties d'arriver à l'heure précise, ses témoins doivent mettre toute la diligence possible à prévenir les témoins adversaires, et s'entendre avec eux pour remettre la rencontre quelques heures plus tard, ou même au lendemain, s'il y a lieu.

250 Si l'on doit voyager pour se rendre au lieu du rendez-vous, on ne doit négliger aucune des précautions nécessaires pour éviter de manquer le train

Nous ne parlons pas ici de ces retards calculés, dont les mobiles ne se rencontrent pas dans les plus nobles et généreuses inspirations de l'espèce humaine!

SUR LES ARTICLES DE 10 A 21.

On pourra peut-être nous trouver un peu prolixe dans l'établissement des articles composant ce chapitre. Nous acceptons volontiers le reproche s'il nous est adressé. Car nous pensons que lorsqu'il s'agit de la conservation de la vie humaine, on ne saurait être trop minutieux.

SUR L'ARTICLE 21.

Généralement on s'accorde à fixer, en moyenne, à 60 ans la limite d'âge pour les combats.

Sans doute les témoins doivent s'y référer en général, en tenant compte toutefois des circonstances; telle par exemple l'affaire d'un jeune homme avec un homme de 60 ans. Mais si l'insulté se trouve être d'un âge beaucoup plus rapproché, il y a évidemment lieu à une discussion.

L'âge de 60 ans est l'âge des cheveux blancs, l'âge de la diminution et de l'infériorité des forces physiques, il commande le respect et la déférence chez tous les gens bien élevés; mais aussi c'est l'âge de la sagesse et de la prudence, l'âge de l'observation 251 de toutes les convenances sociales, l'âge de la modération.

Un homme de 60 ans, s'il prend part à une discussion, doit donner l'exemple de la modération et de l'esprit de convenance. Se croit-il obligé d'intervenir dans une discussion pour la modérer ou la faire cesser, il doit le faire avec tact et mesure, avec impartialité et en des termes de nature à ne blesser aucun des interlocuteurs. Dans le cas contraire, il peut s'exposer à de vives représailles, ou même à une provocation, qu'il pourra refuser selon les circonstances, mais à laquelle il se sera évidemment exposé, faute d'avoir conservé la dignité en rapport avec son âge.

En résumé, ce principe n'a rien d'absolu; son application dépend des circonstances. En effet, quelle ne serait pas l'hilarité des témoins si l'on venait exciper de l'article 21 en faveur d'un homme de 60 ans, habitué à se livrer aux fatigues de la chasse à tir ou de la chasse à courre, à consacrer les loisirs du chômage à suivre les excursions du club Alpin dans les belles montagnes de notre Savoie, afin de conserver la vigueur et l'élasticité de ses jarrets pour la prochaine ouverture??!

Les règles exceptionnelles n'ont rien d'absolu. Elles ne peuvent être invoquées qu'en faveur d'une situation exceptionnelle constatée par les témoins, juges compétents et responsables!

Les considérations qui précèdent acquièrent majeure importance, lorsqu'il s'agit d'une offense commise par la voie de la presse.

252 On comprend que dans une discussion entre un homme de soixante ans et divers interlocuteurs, des paroles vives et offensantes puissent s'échanger de part et d'autre.

Dans une offense commise par la voie de la presse, le cas est bien différent. Celui qui s'est permis cette offense, sans avoir été provoqué par une offense de même nature, a prémédité son article dans le silence du cabinet; il a calculé les conséquences de la publicité.

Prétendre lui accorder le bénéfice de l'immunité de l'âge paraît une opinion fausse et insoutenable; car il en arriverait que les hommes ayant dépassé la soixantaine auraient le monopole des candidatures pour les places de rédacteurs en chef ou de directeurs dans les journaux.

Les correspondants eux-mêmes, ne se feraient point faute de faire signer leurs articles par des vieillards.

Ainsi, l'âge des convenances et des respects serait transformé en un lieu d'asile privilégié en faveur de l'insulte et de l'agression.

Le rédacteur en chef d'un journal est soumis au secret professionnel. Il manquerait donc à l'honneur, si, malgré la convention consentie par lui, il divulguait le nom de ses correspondants.

Toutefois, le cas n'est pas rare surtout dans les journaux de province, où le rédacteur en chef, refusant l'insertion d'un article, le correspondant en sollicite la publication, déclarant qu'il en accepte entièrement 253 la responsabilité. Dans ce cas exceptionnel, le rédacteur en chef est en droit de nommer l'auteur, et sa responsabilité serait dégagée.

La dignité d'un journal sérieux commande au rédacteur ou directeur de persévérer dans son refus d'insérer un article qu'il juge sujet à caution.

S'il croit devoir céder à des instances formelles, il sera bien conseillé d'exiger que la demande d'insertion lui soit produite par écrit et renferme la clause expresse que l'auteur en accepte entièrement la responsabilité, non seulement au point de vue légal, mais encore vis-à-vis toute demande de réparation formulée en conformité de l'honneur.

Avons-nous besoin d'ajouter que cette précaution, toujours utile, devient absolument nécessaire, lorsqu'il s'agit d'obtempérer au désir manifesté par un homme ayant passé la soixantaine.

SUR L'ARTICLE 24.

L'exception établie dans cet article peut être soutenue comme empreinte d'une espèce de sagesse et de justice. En effet, l'homme exaspéré qui reçoit une offense ou une insulte ne peut-il pas en demander et obtenir la réparation suffisante?

En interprétant cette exception dans un sens absolu, l'impotence, au lieu d'être un empêchement, deviendrait un avantage pour celui qui, tout naturellement, pour en jouir, passerait son temps dans les salles du tir au pistolet.

254 Dans tout autre degré d'offense (art. 28 et 29), la justice demande que le choix des armes lui soit attribué.

Quiconque peut frapper, n'est-il pas censé pouvoir se servir de toute arme pour donner satisfaction?

Des empêchements anodins, soit de minime conséquence, sont insuffisants pour être en droit d'alléguer l'impotence.

L'impotence, état exceptionnel, doit être prouvée, constatée et admise par les témoins, toujours sous leur responsabilité.

SUR L'ARTICLE 26.

Les droits accordés dans les situations exceptionnelles n'ont point pour but de créer des situations privilégiées, mais bien de remédier, dans les limites du juste et du possible, aux situations défectueuses, par des dispositions prises à titre de compensation, dispositions soumises, d'ailleurs, au contrôle et à l'appréciation des témoins.

Ceci dit, en thèse générale, et s'appliquent également aux articles 24 et 25, comme du reste à tous les articles d'exception, nous ne croyons pas devoir insister sur la justice de la règle établie dans l'article 26.

L'insulté qui se trouve dans la catégorie ordinaire désignée par les articles 28 et 29 du chapitre Ier choisit les armes ou bien ses armes et son duel.

Si l'agresseur a perdu une jambe, l'exception admise 255 par l'article 26 lui donne le choix de l'arme. Il est de toute évidence qu'il a laissé de côté la salle d'escrime, pour fréquenter de préférence les tirs au pistolet.

Il devient donc favorisé aux dépens de l'ayant droit, de l'insulté. La seule compensation que l'on puisse accorder à ce dernier consiste à lui réserver le choix du duel et des autres conditions de la rencontre.

Cette compensation est motivée par l'esprit de justice, car elle est minime et ne peut paraître équivalente au choix de l'arme, auquel il a dû renoncer, à l'obligation qu'il a de se battre au pistolet.

SUR L'ARTICLE 27.

Au moyen âge, dans les combats singuliers, on avait pour arme offensive une longue, large et pesante épée que l'on maniait des deux mains (éternisée dans le langage de nos loustics, sous le nom de Durandale). Plus tard, l'épée fut allégée et put se manier d'une seule main, et la main gauche fut pourvue d'une dague ou poignard dont la principale destination était de détourner le fer, et qui, en certain moment servait d'arme offensive. Enfin, dans les temps modernes, la lourde épée fit place à la fine et gracieuse lame que nous possédons aujourd'hui; l'usage de la dague fut abandonné et fut remplacé par l'intervention de la main gauche pour détourner le fer. Cet usage a persévéré jusqu'à nos jours, principalement dans quelques salles d'armes 256 d'Italie. Aujourd'hui, surtout en France, il est tombé en désuétude; il est proscrit de nos salles d'armes, et nous nous sommes cru autorisé à maintenir cette proscription dans l'article 27.

La faculté de détourner le fer avec la main donne un immense avantage à celui qui en a l'habitude, sur un adversaire, même plus adroit.

Cette faculté n'est qu'un accessoire du duel, admissible par convention réciproque; elle peut donc être refusée par les deux parties, même par l'agresseur; cela est incontestable, car le droit de l'offensé est de choisir armes, duel, conditions ordinaires, mais non pas d'établir des conditions extraordinaires ou aggravantes au duel en usage.

Ces principes établis, passons à la pratique:

N'est-il pas possible à l'un des champions, en détournant le fer avec la main, de saisir ce fer, ce qui lui permet de frapper sûrement son adversaire? Cet acte machinal ou involontaire, ou traître et déloyal qui, dans tous les cas, amène un meurtre par imprudence ou bien un assassinat, peut-il être facilement aperçu, prévu, empêché par la vigilance des témoins? Non sans doute. Les témoins peuvent-ils assumer la responsabilité d'un fait qui échappe nécessairement à leur surveillance? Que devient alors le Code du duel sur la responsabilité des témoins?

La faculté de détourner le fer avec la main est tombée en désuétude: il nous a paru convenable d'éviter de la faire revivre.

257

SUR L'ARTICLE 29.

Lorsque la convention énoncée dans cet article est admise, il est nécessaire, pour sa loyale exécution, d'obtenir sur le terrain le consentement des parties. Autrement, lorsqu'un témoin verrait son client faiblir ou hésiter dans son jeu, il pourrait s'en prévaloir pour arrêter le combat et faire perdre ainsi à l'adversaire un avantage légitimement acquis.

En général, sauf les circonstances où les témoins ont de plein droit le devoir d'arrêter immédiatement le combat, il est plus sage qu'ils ne se réfèrent à la convention précitée qu'après avoir laissé durer le combat un laps de temps suffisant pour pouvoir constater que les adversaires se sont battus bravement. Cette manière de procéder leur procure l'avantage de pouvoir se prévaloir, s'il y a lieu, de l'article 39, pour essayer de réconcilier les adversaires pendant le temps du repos. (Voir art. 29, page 212.)

SUR L'ARTICLE 31.

Nous ne nous sommes pas fait faute d'accorder aux témoins des pouvoirs discrétionnaires pour modérer les duels, pour en éloigner les mauvaises chances, mais à une condition, c'est que l'honneur et la considération des individus n'en puissent ressentir aucune atteinte.

Désormais, nous l'espérons, on n'acceptera une rencontre que pour des raisons plausibles, et après 258 que tout arrangement aura été déclaré inacceptable.

Les conditions de la rencontre sont établies d'avance et ratifiées par les intéressés. On les relit sur le terrain pour leur donner une consécration solennelle, et constater leur acceptation par les champions.

Il est de toute justice que toute innovation, non prévue et proposée instantanément sur le terrain, soit consentie par les intéressés.

Un homme sérieux ne se retirera pas du champ clos, pour une égratignure, et, dans certains cas, s'il consent à se retirer, il ne le fera qu'après une blessure, sinon très grave, tout au moins d'une conséquence suffisante.

Nous nous proposons de réaliser de notables économies sur le budget des duels. N'est-il pas logique de commencer par refuser le bill d'indemnité à ces rencontres de parade qui provoquent le ridicule dans la société et fournissent aux auteurs dramatiques le sujet d'une scène d'hilarité pour charmer leurs auditeurs?

Toute personne occupant un rang élevé dans la société, et, principalement, toute grande illustration politique ou autre, préférera toujours accepter un arrangement convenable, que de se soumettre à une rencontre sans résultat... Qui ne sait que vis-à-vis la malignité du public la roche Tarpéienne est la commère la plus voisine du Capitole!

259

SUR LES ARTICLES 37 ET 38.

Ces articles semblent encore minutieux, mais on ne saurait trop prendre de précautions pour éviter soit la négligence, soit la déloyauté. Tout dans un duel doit être réglé de manière à ce que rien ne puisse échapper à la surveillance des témoins, qu'ils soient à même de faire respecter leur volonté et, par conséquent, de dégager leur responsabilité.

Un de nos amis nous fait l'observation suivante: Si les témoins sont armés ou même simplement pourvus d'une forte canne, comme vous le conseillez, ne peut-il point arriver que l'un d'eux ne se permette de parer les coups ou même de feindre de les parer, portant ainsi préjudice à l'adversaire?

Toute réglementation humaine doit toujours être basée sur la généralité des faits qui peuvent se produire; elle pourvoit au plus essentiel, c'est-à-dire, dans la question qui nous occupe, que son principal but est de fournir aux témoins le moyen le plus efficace de surveiller le combat et de faire respecter leur volonté.

L'abus signalé par notre ami est réprouvé par les règles de l'honneur. Il est du reste interdit implicitement par le dernier paragraphe de l'article 37: «Les témoins gardent le silence, s'abstiennent de tout geste, etc.»

Parer un coup ou même faire le simple geste de le parer, serait de la part d'un témoin une grave infraction contre les règles du duel, un acte de traîtrise, 260 tel que tous les témoins devraient arrêter immédiatement le combat, tancer vertement le témoin fautif et dresser procès-verbal en se conformant aux articles 40 et 41 du chapitre IV, présent Code.

L'adversaire est en droit de récuser le témoin fautif, et, dans le cas où l'affaire, vu sa gravité, ne serait point arrangeable, on devrait remettre la rencontre à un autre moment, de manière à permettre de pourvoir à son remplacement, à moins que l'adversaire intéressé ne déclare positivement vouloir continuer la rencontre avec un seul témoin de son côté.

Si cette déclaration est admise par les témoins, elle doit être relatée sur le procès-verbal.

Tout témoin ayant commis une pareille faute, constatée par procès-verbal, peut être récusé de plein droit dans toutes les rencontres, par application de l'article 2 du présent chapitre.

SUR L'ARTICLE 39.

Suivant les conseils de la sagesse, de l'humanité, nous n'avons pas cru devoir refuser aux témoins la prérogative de pouvoir, en certaines circonstances et lorsque les deux champions se sont bravement battus, arrêter un duel.

Tout en nous référant aux conditions présentées plus haut au sujet de l'article 31, nous dirons: Lorsque le duel s'est prolongé assez longtemps, 261 l'insulté n'a-t-il pas donné la preuve qu'il est en mesure de venger son offense honorablement?

L'agresseur n'a-t-il pas prouvé également qu'il est en mesure de donner, par les armes, la réparation de l'offense qu'il a faite?

Si donc, l'affaire n'est pas très grave et qu'aucune condition contraire n'ait été posée, pourquoi refuser aux témoins le droit de persuader aux champions qu'ils doivent se réconcilier, qu'ils sont faits pour s'estimer réciproquement, car leur honneur est satisfait?

La délicatesse de MM. les témoins leur impose l'obligation de n'user de cette prérogative qu'à bon escient et avec pleine certitude de ne préjudicier à aucun droit, principalement à celui de l'offensé.

SUR L'ARTICLE 40.

Les témoins doivent à leurs risques et périls arrêter le combat, s'il y a contravention, blessures, désarmement ou chute.

Pour ce qui regarde la violation des conditions établies, non seulement ils doivent arrêter le combat, mais encore, s'il y a lieu, dresser procès-verbal et déclarer que la rencontre ne peut plus être tolérée.

Quant à la blessure, point de doute qu'il ne soit dans les règles de la courtoisie de s'arrêter, si l'on croit avoir blessé son adversaire ou qu'il vous avertit que vous êtes blessé et se tient naturellement moins en état de défense.

Mais la règle générale du duel donne l'entière 262 direction de la rencontre aux témoins. Il en résulte que le combat ne doit être arrêté que par la voix des témoins ou par leur corps, si l'impétuosité des champions les empêche d'entendre ou d'obtempérer au commandement.

Un adversaire déloyal ne pourrait-il pas crier à son antagoniste qu'il est blessé, afin de profiter d'un moment d'hésitation ou de confiance pour lui porter plus facilement un coup mortel?

Un champion peut ne pas s'apercevoir de suite que son adversaire est désarmé, les témoins ont besoin de toute leur vigilance pour le remarquer en temps utile.

Une chute peut être regardée un instant comme une feinte. Dans tous les cas, il est un principe sûr et qui coupe court à toutes les méprises comme à tous les abus:

Les combattants dans telle situation qu'ils puissent se trouver, doivent s'arrêter à la voix des témoins.

Dans les duels à l'arme blanche ils doivent rompre en se tenant en garde et rester immobiles jusqu'à nouvel ordre.

Pour le duel au pistolet, ils doivent élever l'arme perpendiculairement à la hauteur du visage, en s'effaçant et rester également immobiles jusqu'à nouvel ordre.

Pour faire mieux respecter leurs volontés dans toutes les occasions et pouvoir mieux se jeter, le cas échéant, au milieu des combattants, il vaudrait mieux que les témoins fussent armés tous d'une épée ou d'un sabre. Dans le cas contraire nous leur avons 263 conseillé et leurs conseillons encore l'usage d'une forte canne, qui n'est qu'une arme défensive, et nous semble suffisante pour parer à toutes les éventualités.

SUR L'ARTICLE 41.

Comment les témoins pourraient-ils dégager leur responsabilité, si ce n'est par le moyen d'une pièce authentique destinée à éclairer la justice ou bien à satisfaire l'opinion publique? Mais nous irons plus loin.

Non seulement si le duel se passe contre les règles, le procès-verbal est obligatoire pour certifier les conventions faites, en constater la violation et les irrégularités commises, mais nous en conseillerons encore l'usage dans toutes les rencontres.

S'agit-il d'une affaire arrangée honorablement; un procès-verbal signé par quatre témoins sérieux est une garantie contre la médisance et la malignité et souvent la mauvaise foi.

En effet, quiconque fait une offense s'expose à recevoir une demande en réparation. Les témoins réunis, si l'offense, quoique réelle, n'est point de majeure gravité, proposent un arrangement, lequel, après quelques pourparlers, est accepté par l'offensé, soit volontairement, soit par pure déférence pour ses témoins! Tout doit donc être fini.

Il n'en est malheureusement pas toujours ainsi.

Celui qui a dû témoigner ses regrets ou faire des excuses (principalement si le courage et la fermeté 264 laissent à désirer) oubliant la discrétion recommandée par les convenances, ou même cherchant à se tailler une réputation de bravoure aux dépens d'un adversaire trop confiant, raconte l'affaire à ses amis, en déniant la portée des excuses et de la satisfaction qu'il a accordée. De là, une nouvelle affaire dont l'accommodement se trouve tout naturellement beaucoup plus difficile, et même souvent impossible à obtenir.

L'existence d'un procès-verbal qui engage parties et témoins devient une garantie contre l'inconvénient que nous venons de signaler, par le fait seul de la crainte d'une publication qui donnerait pleine satisfaction à qui de droit.

Il est du reste un principe dont MM. les témoins ne sauraient trop se pénétrer, c'est que les affaires superficiellement arrangées ne peuvent amener que les plus déplorables résultats.

Quelquefois, lorsque la notoriété des personnes et le retentissement de l'offense l'exigent, la publication du procès-verbal devient une nécessité.

Il est bien entendu que l'on doit éviter que le procès-verbal ne devienne un instrument de réclame pour certains témoins, entraînés par la gloriole de voir leurs noms jusqu'alors inconnus photographiés au bas d'un procès-verbal de rencontre.

Nos conseils n'ont certes point pour but d'établir un élément de publicité de nature à faire concurrence à l'administration des petites affiches...

Mais poursuivons: le duel a-t-il eu lieu d'une manière légale? Le duel a-t-il été arrêté par les témoins 265 quand les champions se sont battus bravement? Le procès-verbal fixe l'opinion publique à cet égard et devient un rempart contre la malveillance. Enfin, comme dans l'article dont nous nous occupons, le procès-verbal est de toute nécessité pour constater les faits et servir de première base aux poursuites de la justice.

SUR L'ARTICLE 42.

Les témoins ont tout intérêt à dire la vérité, car la moindre réticence de leur part donnerait à penser qu'ils sont complices et par conséquent responsables des irrégularités commises et de leurs conséquences.

L'intérêt s'unit ici au point d'honneur pour les engager à dire la vérité.

SUR L'ARTICLE 43.

L'usage des seconds est fort heureusement aboli de nos jours; personne, nous le croyons, ne sera tenté de le faire revivre; aussi n'avons-nous cru devoir établir cet article qu'à toute bonne fin, et pour des raisons éventuelles motivées par des travers possibles de l'excentricité des passions humaines.

266

SUR L'ARTICLE 44.

Cet article est la conséquence du principe admis plus haut: Quiconque reçoit un appel, jouit d'un délai de vingt-quatre heures pour y répondre (Voir observations sur l'article 22, page 204); si l'on accorde ce délai à l'homme frais et dispos, combien de raisons à faire valoir pour l'accorder au témoin qui vient de subir les émotions d'une rencontre.

SUR L'ARTICLE 45.

Suivant les usages de la bonne compagnie, la justice, l'équité, les formes les plus courtoises sont les seules bases sur lesquelles doivent s'appuyer tous gentlemen réunis en qualité de témoins, pour discuter une affaire, régler les conditions d'une rencontre. Cette conduite d'ailleurs est la plus efficace pour atteindre promptement le résultat le plus équitable pour tous les intéressés. Du reste, en cas de contestation, ils doivent avoir recours à la faculté qui leur est laissée par l'article 17.

Le fait d'une provocation entre témoins se produit bien rarement; cependant nous devons noter un fait scandaleux: il arrive parfois que des témoins ayant acquis une célébrité sur le turf de la ferraille et ayant affaire à d'autres témoins moins expérimentés, abusent de leurs avantages en faisant les rodomonts, en suspendant sur la tête de leurs collègues, comme une épée de Damoclès, l'éventualité d'une provocation 267 subséquente, et cela, pour imposer plus sûrement des conditions plus ou moins équitables. S'ils rencontrent dans leurs adversaires la fermeté de l'homme d'honneur, ils vont jusqu'à la provocation, soit immédiate, soit à propos d'une difficulté sur le terrain.

Sans doute, l'article 45 est sévère, mais on conviendra qu'il n'est que la réciproque d'un fait odieux et anormal, celui d'une injuste provocation entre les témoins; entre des hommes qui par la nature sérieuse de leur mandat, doivent être contenus par des sentiments de justice et de modération.

SUR LES ARTICLES 46, 47 ET 48.

Il est un abus tout à fait récent, ne datant même que de quelques années, et qui tend malheureusement à prendre racine dans la société d'aujourd'hui. Nous voulons parler des polémiques que certains témoins se permettent d'agiter entre eux par la voix des journaux, au sujet des affaires d'honneur auxquelles ils ont pris part.

Une affaire de duel donnera-t-elle lieu (ce qui d'ailleurs est inévitable) à quelques critiques plus ou moins fondées, à quelque cancans de ville ou de société; aussitôt, l'un des témoins blessé dans l'infaillibilité qu'il se persuade devoir lui être dévolue, lance une lettre dans un journal pour offrir au public le panégyrique de ses faits et gestes dans l'affaire en question. Un autre témoin intéressé répond et voilà la polémique engagée.

268 Dans les circonstances où, soit la notoriété des personnes, soit l'éclat de l'affaire, soit enfin une imputation fausse attaquant l'honneur des intéressés l'exigent, la publication du procès-verbal suffisant pour éclairer et satisfaire l'opinion publique, semble devoir couper court à tout débat ultérieur; mais on ne s'arrête pas là. La polémique s'entame ou se prolonge sur les actes et faits relatés dans le procès-verbal.

Sans doute, cette succession de scandales plus ou moins anodins donne naissance à une vache à lait très prolifique pour la caisse des journaux. La vente fructifie au moyen des aliments plus ou moins carabinés fournis à la curiosité du public. Les habitantes des kiosques, les crieurs de rues voient avec délices augmenter le chiffre de leurs remises.

Mais l'union dans la société, la tranquillité, la considération des familles, les sentiments élevés, les traditions du point d'honneur y trouvent-ils un égal profit? L'expérience démontre journellement le contraire.

N'est-on pas en droit de se demander comment il est possible que des témoins sérieux, ayant une position acquise dans la science, dans les lettres, dans la politique, enfin des hommes distingués dans la société, tombent dans une pareille souricière et se laissent entraîner, par un faux amour-propre, à se mettre eux-mêmes, à mettre tant de personnes sur la sellette, à se déclarer ainsi justiciables des oisifs, des indifférents, et ce qui est plus fort, de gens auxquels 269 leur intelligence et leur éducation enlèvent toute compétence pour apprécier leurs actes?

Combien de rancunes, de haines n'ont pas fait éclore ou perpétué, combien d'affaires nouvelles n'ont point suscité, combien de germes, de discussion n'ont point jeté dans la société, de si regrettables débats? Pourquoi donc, dans les affaires d'honneur, le secret fut-il toujours regardé comme un dogme de «foi jurée,» si ce n'est pour protéger les intéressés dans leurs familles, etc., contre les inconvénients de la publicité? Cette dernière question suffit pour justifier les articles 46, 47 et 48; nous ne croyons point devoir insister davantage.

Loin de nous la prétention d'avoir présenté une complète analyse des devoirs des témoins, trop heureux si nous avons pu nous arrêter suffisamment sur les points principaux.

Dans le code du duel, le témoin, nous l'avons dit, nous le répétons encore, constitue la clef de la position.

Dans les affaires d'honneur, le rôle du témoin est le plus important, car il doit tour à tour remplir de sérieuses obligations. D'abord l'ami, le confident, le conseil de celui qui lui a confié son honneur et sa vie, puis juge du point d'honneur pour constater l'offense, en déterminer la valeur, ensuite conciliateur pour apaiser les rancunes; ensuite avocat chargé d'obtenir pour son client, soit une réparation honorable, soit des conditions favorables pour la rencontre. Il devient, enfin, juge du camp pour surveiller l'exécution loyale des règles du duel et des 270 conventions adoptées. Sa délicatesse et son honneur lui imposent une discrétion à toute épreuve.

Un acte déloyal se produit-il dans le combat: juge impitoyable il doit poursuivre la vengeance de la victime qui a succombé. Vis-à-vis de la justice, plus de secret, point de réticences inspirées par des influences étrangères. Il doit parler, dire la vérité, rien que la vérité. L'organe de la loi revendique les droits sacrés de la société, de la famille, le témoin ne se montrera point rebelle à sa voix.

Malheur au témoin prévaricateur, car le verdict sévère du jury lui donnera un billet de logement pour le panthéon verrouillé.... où la félonie et la déloyauté peuvent rougir dans l'obscurité et le silence, mais où jamais honnête homme n'a retenu ni logis ni domicile!

Les dispositions contenues dans les deux derniers alinéas du présent article ne nous semblent demander aucune justification, nous nous en rapportons à l'évidence.

271

CHAPITRE V
EXEMPLES

Nous croyons devoir consacrer ce chapitre à la production de quelques exemples de nature à faire voir l'importance des prescriptions relatives aux devoirs des témoins.

1o

Le journaliste D... attaque dans un petit journal satirique l'ex-fonctionnaire M... pour des faits relatifs à l'exercice de ses fonctions.

Les critiques paraissent blessantes pour la famille. M..., le fils aîné, au lieu d'envoyer purement et simplement ses témoins à D... pour demander réparation, lui écrit une lettre insolente, dans laquelle après lui avoir reproché d'une manière injurieuse les offenses qu'il a faites à sa famille, il le menace de lui cracher au visage partout où il le rencontrera, s'il ne lui accorde pas satisfaction. Les témoins de M... ont connaissance d'une telle lettre et lui donnent cours! En l'état, il était impossible de songer à un accommodement. Le duel à l'épée est proposé par les témoins 272 de M..., qui se prétend offensé. Il est accepté par D..., malgré qu'il n'ait jamais manié une épée et que son adversaire ait fréquenté les salles d'armes. Le combat commence. D... se tient sur la défensive; après plusieurs attaques infructueuses, l'épée de M... se casse à la pointe. Les armes ne sont donc plus de la même longueur; les témoins proposent de suspendre et de remettre le combat. M... s'y refuse, D... également. On recommence avec ardeur, M... se fend à fond, s'enferre et reste presque sur le coup.

L'affaire vient vis-à-vis la Cour, et la défense se prévaut naturellement de l'existence de la lettre injurieuse de M..., qui a empêché une réparation honorable que D... eût certainement accordée, n'ayant entendu user de son droit de critique que contre les actes du fonctionnaire, sans nulle intention de blesser une famille honorable... D'ailleurs D... a subi les désavantages... Il s'est purement tenu sur la défensive... En conséquence c'est sur M... seul qu'il est juste de faire retomber les funestes conséquences de cette affaire... donc condamnation légère.

2o

Les membres d'une corporation s'étant trouvés offensés par un article d'un homme de lettres, le signataire de l'article reçoit diverses provocations et se bat en duel à l'épée avec l'un des membres de la corporation précitée, lequel est assisté par un de ses collègues en qualité de témoin. L'homme de lettres blesse sérieusement son adversaire. Aussitôt, l'un des 273 témoins prétend prendre la place de son collègue, et, sans s'inquiéter de l'opposition des témoins du journaliste, menace ce dernier de l'insulter gravement, s'il refuse de se battre immédiatement avec lui. Le combat a lieu, et l'homme de lettres est blessé grièvement.

Indépendamment du texte formel de l'article 43 du chapitre IV, des articles 16 et 17 des observations sur lesdits articles 16 et 17 du chapitre III, page 199, on remarquera que dans cette circonstance, les chances ne pouvaient plus être égales; l'homme de lettres était fatigué par un premier combat, son adversaire était frais et dispos et, de plus, ayant assisté au précédent combat en qualité de témoin, avait pu étudier et apprécier à loisir le jeu de son adversaire.

3o

La mystérieuse et célèbre affaire Dujarrier-Beauvallon, présente un intérêt puissant, non seulement par la notoriété des personnages qui en furent les auteurs et les témoins, parce qu'elle met dans tout son jour la vie de la bohème dorée, mais encore et surtout, parce que de la variété des incidents qui l'accompagnèrent ressort péremptoirement la nécessité de veiller à la stricte observance des règles du duel. Ce point de vue, si essentiel, nous engage à nous y arrêter quelques instants.

Le 7 mars 1845, une artiste du Vaudeville, mademoiselle Liévenne, réunissait à dîner aux Frères-Provençaux, à Paris, une vingtaine de personnes.

274 Mademoiselle Liévenne avait fait une seule invitation. Les autres payaient leur écot. L'invité, M. Dujarrier, était l'un des rois du journalisme, co-propriétaire de la Presse et directeur du feuilleton de ce journal.

Les dîneurs au pique-nique étaient: M. Roger de Beauvoir, romancier; M. Rosemond de Beauvallon, créole de la Guadeloupe, rédacteur du feuilleton du journal le Globe. Ajoutez à ces noms un certain nombre de fils de famille, viveurs émérites, sans oublier que mademoiselle Liévenne avait sous ses ordres un charmant bataillon d'actrices de son âge.

Le souper fini, on replia une cloison, et l'espace doublé permit d'organiser, d'un côté de la salle, le lansquenet obligé et de l'autre, un bal improvisé.

M. Roger de Beauvoir presse M. Dujarrier au sujet d'une nouvelle que Dujarrier ne se hâtait pas de publier. Ce dernier lui déclare qu'il fallait attendre. Piqué, M. Roger de Beauvoir eut des mots un peu vifs. «Ah çà! dit Dujarrier, cherchez-vous à avoir une affaire avec moi?—Je ne cherche pas les affaires, mais j'en trouve quelquefois,» répondit superbement le romancier.

Dans un coup de banque à laquelle Dujarrier et Beauvallon étaient associés, d'une manière proportionnelle, il y eut une difficulté; elle fut ajournée pour la fin.

A la fin de la nuit seulement, M. de Beauvallon vint reparler à M. Dujarrier de ce règlement de compte ajourné. Ce dernier répondit avec sécheresse qu'il ne devait rien et qu'il ne payerait rien. Cependant 275 comme il se reconnaissait débiteur envers M. de Beauvallon de quatre-vingt-quatre louis à un autre titre, il le rappela et lui remit soixante-quinze louis, et les personnes présentes n'ayant pu lui fournir le restant de la somme, il l'emprunta au restaurateur pour s'acquitter entièrement envers M. de Beauvallon...

Qu'un duel à mort pût sortir de cet incident, personne ne le pensait. Cependant, le lendemain, Dujarrier vit se présenter chez lui, au nom de M. de Beauvallon, deux personnes, M. le comte de F... et M. le vicomte d'Ecquevilley. Ce dernier indique la nécessité d'une réparation, pour l'attitude prise, la veille, en face de M. de Beauvallon. Dujarrier répondit: «Beauvallon, Grandvallon... Je ne connais pas... Mes témoins sont MM. de B... et Arthur Bertrand.»

En se retirant M. d'Ecquevilley annonça qu'il représentait également M. Roger de Beauvoir, à qui était due une réparation du même genre. Cette complication ne parut sérieuse à personne. Mais il n'en fut pas de même pour l'affaire avec M. de Beauvallon.

Le Globe s'était attaqué à la Presse dirigée par M. de Girardin, qui avait payé ses succès et sa rapide fortune par des luttes incessantes. M. de Girardin avait eu quatre duels, dont le dernier avait coûté la vie au regrettable Armand Carrel. Depuis ce dernier duel, M. de Girardin ne se battait plus, ayant acheté bien cher le droit de ne laisser à personne un doute sur son courage.

276 Mais la Presse se battait toujours. Ces duels de journaux, d'ailleurs, étaient à la mode dans ce temps-là. Le Globe se battait avec la Réforme: M. Solar contre M. Ferdinand Flocon. Le Globe se battait avec le National: M. Granier de Cassagnac contre M. Lacrosse.

Aussi, à peine apprit-on les suites de la soirée des Frères-Provençaux, qu'il n'y eut qu'une voix pour dire: «C'est le Globe qui veut se battre avec la Presse

M. Dujarrier, on le savait du reste, avait eu avec la direction du Globe quelques difficultés d'intérêt, qui avaient été réglées par voie judiciaire.

M. Dujarrier crut-il devoir prêter le collet à une première provocation, pour être en droit de refuser à toutes les autres son temps et sa vie? Plus tard, le doute ne sera plus permis à cet égard.

Dans une conférence entre les témoins, le lundi 10 mars, on écarta tout d'abord l'affaire de M. Roger de Beauvoir, en laissant comprendre qu'il y avait irrégularité à se présenter, en un seul jour, devant un même individu au nom de deux adversaires. La prétention de M. de Beauvallon fut appuyée sur trois motifs:

Le ton pris par Dujarrier lors de la discussion du jeu;

L'empressement marqué de se libérer envers M. de Beauvallon;

Un propos d'une dame Albert, actrice, qui recevait Dujarrier depuis cinq ans. Au mois de décembre 1844, Beauvallon avait été présenté à cette dame, et quelque temps après, Dujarrier cessait ses visites.

277 Madame Albert aurait dit à M. de Beauvallon que Dujarrier ne venait plus chez elle pour ne point s'y rencontrer avec lui.

Ce propos rapporté à Dujarrier fut nié par lui, et les témoins de M. de Beauvallon eurent connaissance de cette dénégation.

«Nous voulons bien faire des excuses, disaient les témoins de Dujarrier, mais au moins dites-nous sur quoi?»

Les témoins de M. de Beauvallon n'en persistèrent pas moins à exiger des excuses et des explications, ajoutant que leur ami était disposé à se battre, et qu'on saurait contraindre Dujarrier à une rencontre...

Les témoins de Dujarrier exigèrent seulement des témoins de Beauvallon la déclaration suivante qui constatait la provocation:

«Nous soussignés déclarons qu'à la suite d'une discussion, M. de Beauvallon a provoqué M. Dujarrier en termes tels, qu'il n'a pas pu se refuser à une rencontre. Nous avons fait tous nos efforts pour concilier ces deux messieurs, et ce n'est que sur l'insistance de M. de Beauvallon que nous avons accepté la mission de les assister.»

Ayant vu M. Alexandre Dumas, son ami, M. Dujarrier lui parle de son duel. Il ne voulut pas le prendre pour témoin, parce que, disait-il: «Vous feriez tant que vous arrangeriez l'affaire. C'est mon premier duel: c'est une chose étonnante que je n'en aie pas eu encore. C'est un baptême qu'il faut que je subisse.»

278 Parlant des causes du duel: «Ce sont des choses futiles; mais il y a là-dessous une haine de journal; c'est une guerre du Globe avec la Presse, et non pas de M. Dujarrier avec M. de Beauvallon.»


M. Dumas qui connaissait la force de M. de Beauvallon à l'épée, conseillait néanmoins à Dujarrier d'éviter le pistolet, supposant que M. de Beauvallon, en vrai gentilhomme, remarquant l'ignorance de son adversaire en fait d'escrime, ne prolongerait point le duel ou le rendrait tout au moins sans conséquences funestes.

A cela Dujarrier avait répondu qu'au pistolet il avait tout au moins une chance d'échapper, tandis qu'à l'épée il n'en avait aucune.

Bien qu'animé des meilleures intentions, M. Alexandre Dumas avait-il suffisamment calculé l'effet produit par le conseil qu'il donnait à Dujarrier, tenant compte des mobiles qui dirigeaient ce dernier et de la situation d'esprit dans laquelle il se trouvait?

Le mardi 11, à 9 heures du matin, les témoins réglèrent par écrit les conditions de la rencontre.

(M. de F..., l'un des témoins de M. de Beauvallon, n'assistait pas à cette réunion!)

Les témoins de M. de Beauvallon avaient proposé l'épée; mais la provocation venant de leur côté, le choix des armes fut attribué à ceux de Dujarrier, lesquels, sur l'ordre exprès de leur client, et quoi qu'on eût pu lui dire sur la force de M. de Beauvallon, choisirent le pistolet.

Suivant les conventions:

279 Les combattants, placés à trente pas, pouvaient en faire cinq avant de tirer.

Chacun d'eux devait s'arrêter après avoir essuyé le feu de son adversaire.

Un coup tiré devait appeler l'autre à l'instant même.

La question de savoir par qui les armes seraient fournies fut laissée à la décision du hasard.

Les armes devaient être absolument inconnues aux deux combattants.

Le sort s'étant déclaré pour M. de Beauvallon, M. d'Ecquevilley présenta des pistolets d'arçon et des pistolets de précision.

Les témoins comprirent que les premières armes étaient la propriété particulière de M. d'Ecquevilley; les pistolets d'arçon furent donc rejetés.

On partit pour le bois de Boulogne, Dujarrier dans sa voiture était accompagné de ses deux témoins et de M. de Guise, médecin. Tous quatre arrivèrent à 10 heures à Madrid. La température était froide; il était tombé beaucoup de neige, et quelques rares flocons volaient encore dans le ciel; M. de Beauvallon se fit attendre pendant une heure et demie.

Dujarrier saisi par le froid, d'ailleurs toujours un peu souffrant le matin, comme un homme qui abuse du travail et du plaisir, était en proie à une surexcitation nerveuse qui fit craindre à ses témoins que l'issue d'un combat dans des conditions pareilles ne lui fût fatale. Ils insistèrent donc, ainsi que M. de Guise, pour que Dujarrier quittât le terrain, comme c'était son droit. Il s'y refusa.

280 Enfin, M. de Beauvallon et ses témoins arrivèrent dans un fiacre.

M. de B..., après une observation sur le retard, fit auprès de M. de Beauvallon une démarche suprême, le suppliant de ne pas pousser plus loin une rencontre sans motif. M. de Beauvallon répondit froidement qu'il y avait eu insulte et que l'on n'arrangeait pas une affaire sur le terrain.

MM. de B... et de F... furent chargés de choisir le terrain. Le premier avec l'autorisation tacite du second, mesura quarante-trois pas de distance, et les deux diminuèrent de chaque côté l'espace dont il serait permis aux combattants de se rapprocher.

M. d'Ecquevilley, cependant, avait tiré de son sein cette paire de pistolets de précision dont on a parlé, reconnaissable à la couleur bleue du canon. M. Bertrand qui en prit un pour le charger, introduisit son doigt dans le canon et le retira noirci jusqu'à la naissance de l'ongle. Il manifesta la crainte que les pistolets n'eussent été essayés; mais M. d'Ecquevilley le rassura en affirmant qu'il n'avait fait que les flamber; il jura d'ailleurs, sur l'honneur, que M. de Beauvallon ne connaissait point les armes dont il allait se servir.

Les deux adversaires furent placés sur le terrain. Dujarrier était un tireur tellement novice que, après avoir armé son pistolet, il en fit jouer involontairement la détente; si le coup n'eut point raté, M. de B... était atteint par la balle. Le signal donné, Dujarrier tira aussitôt: son adversaire n'était pas atteint. Dujarrier laissa tomber à terre son pistolet qu'il aurait 281 dû réserver pour garantir sa tête, et, au lieu de s'effacer il présenta sa poitrine.

M. de Beauvallon releva lentement son arme, ajusta lentement. «Mais tirez donc, f...., tirez donc!» s'écria M. de B... traduisant ainsi l'anxiété des témoins. Le coup partit. Dujarrier resta debout; mais tout à coup s'affaissa et tomba comme une masse. Le projectile ayant frappé au-dessus de l'aile droite du nez, avait traversé l'os maxillaire supérieur jusque dans la partie la plus profonde de la face, avait brisé l'os occipital de manière à produire une commotion sur la moelle épinière.

On ramena chez lui Dujarrier, qui n'était plus qu'un cadavre.

MM. de Beauvallon et d'Ecquevilley s'étaient réfugiés en Espagne, pour se soustraire à l'action de la justice.

A la suite d'une première instruction, la chambre des mises en accusation de la cour royale de Paris avait déclaré qu'il n'y avait lieu à suivre, contre aucun des prévenus, se fondant, à l'égard des témoins sur des raisons de fait, à l'égard de Beauvallon sur des raisons de droit. La Cour de cassation cassa ses arrêts, en ce qui concernait Beauvallon seulement, et désigna pour connaître de l'affaire la cour royale de Rouen, qui adopta la décision de la Cour de cassation.

L'instruction s'était enquis de l'origine des pistolets. L'incident du doigt noirci fit présumer que les pistolets avaient été essayés. C'est dans ces circonstances que Beauvallon qui était venu se constituer 282 prisonnier, comparaissait le 26 mars 1846, devant la cour d'assises de la Seine-Inférieure, comme accusé d'homicide volontaire avec préméditation.

MM. Berryer et Dain étaient au banc de la défense, au banc de la partie civile étaient M. François, beau-frère de Dujarrier, assisté par MM. Léon Duval et Romiguière.

M. de Beauvallon affirme qu'il ne s'est jamais servi des pistolets.

Il a tiré après le temps strictement nécessaire pour s'effacer et faire feu.

M. Alexandre Dumas raconte son entrevue avec Dujarrier, et dit que ce dernier était préoccupé de l'idée de passer pour un lâche aux yeux de M. de Beauvallon. Dujarrier aurait ajouté que l'un des témoins de M. de Beauvallon, M. d'Ecquevilley, lui avait dit: «Si vous n'acceptez pas le combat, vous serez bien forcé de vous battre pour une autre raison. On vous y forcera bien, votre figure déplaît.»

Ce propos fut tenu le samedi entre trois et quatre heures.

On se demande si cette entrevue de M. Dujarrier et de M. d'Ecquevilley était régulière?

On s'étonnera encore qu'une querelle qui a eu lieu dans la nuit du 7 au 8 mars, n'ait été réglée que le 11 au matin, les intéressés étant tous dans la même ville.

Ce temps était très suffisant pour permettre les cancans, embrouiller les affaires; aussi M. Alexandre Dumas raconte-t-il que son fils lui avait assuré que M. de Beauvallon désarmerait Dujarrier, le blesserait 283 au bras. Ce propos répété à Dujarrier par des personnes officieuses, quel effet pouvait-il produire?

Le choix du pistolet!!!

Nous nous arrêterons ici sur l'incident suivant:

M. Berryer.—Que pense M. Dumas du renvoi de la réponse de M. Dujarrier par deux témoins?

M. Dumas.—Cela se fait toujours ainsi et arrive souvent lorsqu'on risque sa vie, un capital contre un autre capital, on prend des témoins pour faire des concessions que soi-même on ne voudrait pas faire.

Les témoins répondent pour vous; ce sont deux parrains qui sont chargés de votre vie, de votre honneur. Ils font des concessions en leur nom privé; ils font des choses que l'on ne ferait pas soi-même. La discussion entre les témoins est plus facile; ils n'ont pas le droit de se fâcher; ils peuvent se dire des choses qui, dites par les adversaires eux-mêmes, rendraient le duel inévitable. Quand on envoie des témoins, cela ne veut pas dire qu'on veut se battre; ce n'est pas placer la question sur le terrain du duel: c'est choisir un moyen d'arrangement. Cela est consigné dans le Code du duel, qui est signé par M. le comte de Chateauvillard et par des premiers noms de la littérature, de l'armée et de la noblesse. Vous l'avez ici, ce Code du duel, il doit être chez vos libraires.

En se divisant entre les adversaires et les témoins, le danger diminue.

M. l'avocat du roi.—D'après ce Code du duel, est-ce qu'il est loyal de provoquer à l'épée l'homme qui ne sait pas manier cette arme?

284 M. Dumas.—On ne sait presque jamais la force de son adversaire, c'est là un avantage de position pour chacun. Cela est si vrai que beaucoup de personnes s'exercent chez elles afin qu'on ne sache pas quel est leur fond; c'est là leur secret, c'est là un avantage.

M. l'avocat général.—Voilà qui n'est pas très loyal.

M. Dumas.—Dans un duel les questions de générosité et de délicatesse passent après la grande question d'existence.

M. l'avocat général.—Je ne trouve pas cela moral.

M. le Président.—Le Code du duel ne prendra pas place dans ma bibliothèque!

M. Dumas.—Cet ouvrage a empêché plus de duels qu'il n'en a causé.

Rien n'est plus vrai, aussi protestons-nous de toutes nos forces contre l'anathème sommaire et sans connaissance de cause dont M. le président des assises a prétendu frapper le Code du duel, œuvre excellente et philanthropique de M. le comte de Chateauvillard.

A notre sens, au contraire, le code Chateauvillard est fait pour figurer honorablement dans la bibliothèque des magistrats, des avocats, comme dans celle des militaires et des gens du monde.

Quel est donc le but du code Chateauvillard, de cette coutume écrite? Réglementer le duel en traçant les droits et les devoirs de tous ceux qui sont appelés à y prendre part, adversaires et témoins.

285 Cette réglementation empêche non seulement les duels inutiles, atténue les conséquences des duels inévitables, mais encore fournit une excellente base de répression pour les méfaits qui peuvent s'y commettre.

En effet, quand les duellistes sont traduits à la barre, ne présentent-ils pas, comme circonstance atténuante, la nécessité de se soumettre au point d'honneur admis dans la société?

N'est-ce point alors que M. l'avocat général peut leur répondre avec beaucoup plus d'à-propos que ci-dessus:

«Comment osez-vous invoquer les nécessités du point d'honneur! Ne les avez-vous pas oubliées? N'avez-vous pas dans telles et telles circonstances violé les règles énoncées dans la coutume écrite, dans le code Chateauvillard?... c'est donc par vos propres armes, c'est donc encore au nom du point d'honneur que vous invoquez, que nous sommes en droit de vous combattre, et d'appeler sur vos actes les rigueurs de la justice!»

M. d'Ecquevilley prétend que la déclaration constatant qu'une provocation irrémédiable était partie de Beauvallon, avait été convenue entre tous les témoins pour dégager leur responsabilité. Il avoue l'écrit extraordinaire; M. de Beauvallon lui a donné sa parole d'honneur qu'il ne s'était point servi des pistolets qu'il portait.

Quant au doigt noirci de M. Bertrand, il affirme sur sa parole d'honneur qu'il n'en avait aucune souvenance.

286 Après le coup tiré par Dujarrier il se passa à peine une ou deux secondes avant le coup de Beauvallon. Il est convaincu que ce dernier n'a pas visé!

M. de B..., outre les autres faits que l'on connaît, dit: Quand Dujarrier eut tiré, Beauvallon était encore l'arme basse, je trouvais l'intervalle de temps très long. Je l'avoue, j'ai pu dire une minute, puis quarante à cinquante secondes; mais je crois m'être exagéré la longueur de l'intervalle.

M. de Guise, médecin.—Après le coup tiré par Dujarrier, j'attendis le deuxième coup; le temps m'a paru long, très long, assez long pour que M. de B... ait dit: «Tirez donc, etc.» et a exagéré d'abord sur l'intervalle du temps en parlant de deux minutes. Pendant l'attente, Dujarrier lui a parlé des motifs du duel dans le même sens qu'à M. Dumas.

Nous demanderons ici, si quelques secondes seulement d'intervalle ne donnaient pas aux témoins le droit et le devoir d'empêcher M. de Beauvallon de tirer en retard?

M. Arthur Bertrand confirme l'épisode du doigt noirci. Il ne se rappelle nullement avoir vu flamber les pistolets sur le terrain. En sorte que la crosse du canon lui a fait supposer qu'ils avaient été essayés ailleurs. Il en fit l'observation. M. d'Ecquevilley déclara sur l'honneur qu'ils n'avaient été que flambés.

Selon M. Boutigny, chimiste expert, une détonation de capsule ne peut noircir l'intérieur du canon.

Quelques passages du plaidoyer de M. Léon Duval: «... Peut-être que cette mort prématurée, peut-être que les malédictions qui ont éclaté contre le duel 287 sur cette tombe sitôt ouverte finiront par avertir les pouvoirs qui font les lois, et les pouvoirs qui les appliquent

C'est parler d'or! mais l'avertissement est inutile, preuve en est, l'anathème inconsidéré lancé à priori du haut de son siège par un magistrat contre le Code du duel, sans le connaître! Preuve en est encore la série des faits du même genre qui se succèdent de nos jours.

«M. de Beauvallon, continue l'avocat, a non seulement touché les pistolets, mais il les a essayés à poudre et à balles. Voyons l'emploi de son temps, depuis sa sortie de chez lui à six heures et demie du matin, jusqu'à neuf heures, moment où les pistolets ont été apportés chez M. de B... par M. d'Ecquevilley, etc., ..... Je ne sais, Messieurs, si je me trompe, mais il me semble qu'après un duel, la grande, la vraie compétence du jury, c'est l'appréciation de la cause qui a conduit un homme à en tuer un autre. Il n'est pas possible que, sur une terre chrétienne, le duel même loyal soit impuni s'il a été imposé au mort pour une cause frivole et non avouable.........

«.......Convenons-en, Messieurs, et que ce soit le trait le plus effrayant de nos mœurs, ces sortes de catastrophes ont un dénouement parfaitement simple. On tue un homme parce que sa figure vous déplaît, ou pour quelque autre raison de cette force..... on se cache, et au besoin même on donne le change à la justice par des articles de journaux destinés à lui persuader qu'on est à l'étranger, et l'on dépiste ainsi la police. La police n'est pas toujours 288 aussi crédule..... mais elle a aussi son faible pour le duel, et elle se laisse mystifier...

«Cependant les débats judiciaires s'ouvrent; alors on revient et l'on est enfin le héros d'une grande et belle réunion judiciaire. On dit ses raisons: on a tué un homme parce qu'il refusait de payer 20 louis, parce qu'il avait tutoyé une femme de théâtre..... que sais-je moi? pour quelques graves raisons de cette espèce..... Sur quoi on est absous à l'unanimité et en cinq minutes..... absous à une condition, et à une condition indispensable: C'est qu'on ait tué son homme sans rémission ni miséricorde; car si l'on s'est borné à le blesser, c'est différent, on est jugé sérieusement par un tribunal correctionnel et l'on est infailliblement condamné.

«Infailliblement condamné, voilà l'excès pratique, voilà le mal! Oui, Messieurs, c'est là le beau spectacle que le jury donne à la France. Toutes les fois, sans exception, que le duel a produit ces blessures qui n'ont pu arrêter le patient pendant vingt jours, la justice fait son devoir et le duel a toujours été puni; au contraire, toutes les fois qu'il y a eu mort d'homme, le duel a été absous. Jetez les yeux sur les tables funéraires du duel: en 1837, trois morts, trois acquittements; en 1838, six morts, six acquittements (après l'introduction de la nouvelle jurisprudence Dupin?); en 1839, trois morts, trois acquittements; en 1840, un mort, un acquittement; en 1841, cinq morts, cinq acquittements.»

289 La cause de ces acquittements, nous l'avons indiquée dans la première partie de ce travail.

«Maintenant, Messieurs les jurés, vous avez en face de vous une mère à qui on a tué son fils unique. Entendez-vous cela? vous qui êtes heureux et qui en rentrant chez vous allez revoir vos enfants, recevoir et leur rendre leurs caresses. Celle-là n'a plus d'enfant; c'est à vous de voir si vous trouvez cela plaisant, et si vous êtes disposés à en rire!» (Sensation.)

L'auteur dit que la loi ne manque pas pour réprimer le duel. Il en trouve le texte, avec la Cour de cassation et l'élite des cours royales, dans l'article 295 du Code pénal, qui qualifie de meurtre tout homicide commis volontairement, dans l'article 64 qui interdit d'excuser un meurtre quand la loi ne permet pas de le déclarer excusable; enfin, dans le silence du Code pénal, qui n'admet pas le duel comme une excuse. Il termine par ces mots: «Si M. de Beauvallon sort absous de cette enceinte, le duel frauduleux, le duel sans motif aura gagné une partie, mais le duel sera déshonoré!...»

M. Berryer s'enquiert de la véritable cause du duel, en suivant pied à pied son adversaire. La véritable cause, il la signale dans les faits qui ont suivi le dîner et la partie de jeu; après avoir raconté la scène du coup douteux dans le dîner du 7 mars et avoir justifié la conduite de M. de Beauvallon dans cette circonstance, M. Berryer s'écrie:

«Eh! je l'avoue, je me serais cru flétri si, après le mot: «Prenez-le comme vous voudrez», on m'eût 290 fait ce que Dujarrier a fait à M. de Beauvallon. Comment, Dujarrier veut payer M. de Beauvallon seul, il emprunte pour cela l'argent qu'il n'a pas, et à qui? au restaurateur! Oui, je vous le déclare, je me serais cru, il n'y a pas en France un homme qui ne se serait cru gravement offensé...

«Lisez les édits de Louis XIV, l'édit de 1679; en pareil cas, Louis XIV entendait que l'on demandât des éclaircissements; comment sont-ils reçus? «Je ne connais pas M. de Beauvallon, Duvellon, Grandvallon... dit Dujarrier; je ne sais pas ce que c'est que ce monsieur-là, au surplus, je vous enverrai mes témoins.» Cette réponse rapportée à M. de Beauvallon, lui a paru à bon droit une aggravation d'offense. Il demande des excuses ou une déclaration qu'on n'a pas voulu l'offenser. M. Dujarrier se contente de dire. «Je n'ai rien dit, je n'ai point offensé M. de Beauvallon.» Et il a pénétré ses témoins de cette idée. M. de Beauvallon est réduit à demander une réparation par les armes.»

«Ainsi, le premier jour, demande d'explications; le second demande d'excuses; le troisième demande de réparation.»

Trois jours pour régler cette affaire! nous avons remarqué plus haut que ce temps était bien long.

«On a dit: «la loi punit d'homicide.» Je dis oui, quand les circonstances qui l'accompagnent font de l'homicide un meurtre ou un assassinat; je dis: oui, la loi punit cet homicide qui est un meurtre ou un assassinat, mais la loi ne punit pas, ne doit 291 pas punir l'homicide par le duel, elle ne le punit pas.

«L'homicide par le duel ne peut pas avoir le caractère du meurtre, de l'assassinat; cela est évident; aussi le duel, quand il était puni en France, l'était-il par des lois spéciales, par les édits sur le duel.

«On nous dit que le duel est entré dans le droit commun. Expliquez-vous; qu'entendez-vous par le droit commun? est-ce qu'il n'y avait pas de droit commun quand les édits des rois étaient rendus? Est-ce que sous Henri IV, est-ce que sous Louis XIII, sous Louis XIV, sous Louis XV, il n'y avait pas aussi un droit commun qui punissait le meurtre et l'assassinat? Oui, mais on ne recourait pas aux subtilités, on ne demandait pas la tête d'un homme par des assimilations, on n'avait pas la déloyauté de croire qu'on peut punir un fait par une loi qui ne le nomme même pas.

«Qu'en résulte-t-il, c'est que la prohibition de se battre en duel n'existe plus.

«Mais dites-vous, la religion, la morale s'opposent au duel..... Oui, les papes, les conciles, la religion catholique ont proscrit le duel, cela est vrai; mais il importe de ne pas confondre les lois faites dans ces temps de confusion d'idées avec celles faites sous l'autorité d'un principe. Ce n'est pas au nom du droit de l'homme sur l'homme que Henri IV, que Louis XIII, que Louis XIV, que Louis XV ont fait des édits contre le duel; ils ont agi, pour 292 rappeler leurs expressions, contre les transgresseurs des commandements de Dieu.

«Il n'y a pas, sur la terre, il n'y a pas de roi, il n'y a pas de juge qui ait le droit de dire à l'homme qu'il ne peut pas disposer de ses jours; Dieu, la religion, l'Eglise ont seuls ce droit suprême; aussi, ce n'est pas comme législateurs humains que nos rois punissaient le duel, mais comme ministres de Dieu, chargés de faire respecter ses commandements.

«Voilà ce qu'on aurait dû comprendre. Et cela est si vrai qu'autrefois on faisait ainsi, après la mort, le procès à l'adversaire qui avait succombé; on le traînait sur la claie. C'était en vertu du même principe qu'on punissait la profanation, le sacrilège, l'apostasie. Est-ce que tout cela serait punissable en vertu du droit de l'homme sur l'homme? Non, mais en vertu de l'autorité sacrée de Dieu. Vous avez effacé le principe, les conséquences sont tombées avec lui.

«Est-ce que vous ne violeriez pas toutes les lois, est-ce que vous ne renverseriez pas toutes les bases de votre société, si vous vouliez prononcer une peine contre le suicide? Si vous ne pouvez pas poursuivre le suicide, comment pourriez-vous poursuivre le duel?

«Au point de vue moral, vous n'avez pas plus de raison......... Enfin l'adultère le plus public ne reste-t-il pas impuni si le mari, maître de son honneur, ne juge pas devoir poursuivre l'outrage qui 293 lui a été fait; ce sont pourtant là de graves atteintes à la morale et vous êtes impuissants contre elles!

«Je me résume: on veut réprimer un duel, et l'on vous déterminerait, pour venger la morale, à prononcer une peine qui n'est pas inscrite, que n'a pas prévu le législateur, et qui n'est claire pour personne!

«Ne savez-vous pas que tout le monde a voulu faire une loi sur le duel? La Constituante, la Convention, l'Assemblée des Cinq-Cents, la Restauration en 1816, la Restauration en 1828, deux fois depuis 1830, on a voulu faire une loi sur le duel: en 1833 et ensuite en 1845 au sujet de la proposition de MM. Dozon et Taillandier.

«Il a plus: des chanceliers, des ministres, des cours royales ont déclaré et déclarent que le duel n'est pas puni.

«Que déclarait en 1838 la Cour de cassation? Qu'il n'y avait pas de loi contre le duel, et qu'il fallait en faire une, et cela est tellement clair, tellement évident, qu'il n'y a pas eu encore jusqu'ici une condamnation.

«Et remarquez-le bien, ce ne sont pas seulement les jurés qui désirent punir les duels suivis de mort, c'est la magistrature elle-même. Qu'avons-nous vu récemment? M. le duc d'Uzès s'est battu, et il n'a point été poursuivi. M. le maréchal Bugeaud a tué un de ses collègues, et il n'a point été poursuivi; dans d'autres duels encore, dans les duels les plus célèbres il n'y a point eu de poursuites.

294 «Serait-ce qu'il y a des degrés dans la répression? non évidemment. Ce qui a lieu prouve tout simplement qu'il n'y a point de loi. Et cela est tellement vrai, que vous n'avez pas traduit les témoins. Est-ce parce qu'il y avait des excuses en leur faveur? non, c'était au jury à décider ce point; si vous n'avez pas traduit les témoins, c'est que vous saviez bien que cette loi que vous alléguez n'existe pas.

«Au demeurant, quel est l'acte dont nous nous occupons? c'est un acte prévu par l'article 528, l'acte d'un homme qui répond à un coup par un coup, et qui n'est pas puni. Il n'y a ni crime ni délit. Mais, dit-on, il y a là un meurtre... il y a un homme qui a tué son semblable! La société est blessée, elle doit s'émouvoir! Soit je le veux bien; mais n'y a-t-il pas des effets déplorables dont la société s'émeut, et qui ne sont point punis?»

Cette magnifique plaidoirie fut suivie d'un verdict d'acquittement. Beauvallon fut seulement condamné à 20,000 francs de dommages et intérêts envers la partie civile.

Le président des assises dut être bien satisfait de ce résultat! MM. les jurés s'étaient conformés d'avance à son anathème contre le Code du duel de M. de Chateauvillard; à coup sûr aucun d'eux ne l'avait lu et encore moins, ne l'avait honoré d'une modeste place dans sa bibliothèque!

Cette fois, l'opinion publique était d'accord avec la magistrature! elle regrettait un acquittement produit par le fait d'une législation et d'une jurisprudence 295 en opposition avec les mœurs et avec le sens pratique.

Mais ce drame n'était point terminé, on venait seulement de lever la toile après le premier acte.

Passons au 2e acte auquel nous assisterons sur une autre scène. Pendant le cours des débats de Rouen, il y avait dans la salle des assises un homme qui savait que chacune des paroles du témoin d'Ecquevilley était un mensonge. Cet homme, M. Charles de Meynard, n'avait pas été entendu dans l'instruction, ne figurant pas sur la liste des témoins. Dès le 11 mars 1845, M. de Meynard avait déclaré à un M. Augier, qu'il avait assisté dans le jardin d'Ecquevilley, le matin du duel, à l'essai des pistolets (dont il indiquait la provenance), fait par d'Ecquevilley et Beauvallon; d'un mot il pouvait confondre toutes ces dénégations. Ce mot, il ne le dit pas. Mais en revenant de Rouen, avec M. de Guise, il ne put contenir plus longtemps ce secret qui lui pesait. Parler alors, après l'acquittement, ce n'était plus dénoncer. Le propos fit son chemin, on le répéta au Jockey-Club, chez M. Alexandre Dumas et ailleurs. Tout ce bruit attira l'attention de la justice et celle de la famille Dujarrier. Sur une plainte de M. François, beau-frère de Dujarrier et tuteur de son fils mineur, Victor-Vincent d'Ecquevilley fut renvoyé devant la cour d'assises de la Seine sous l'accusation de faux témoignage en matière criminelle.

D'Ecquevilley se pourvut contre l'ordonnance de la chambre d'accusation de la cour royale. En vain son avocat soutint que la loi ne peut forcer le témoin à 296 s'accuser lui-même; M. l'avocat général Nicias Gaillard repoussa cette théorie de l'impunité du mensonge, et le 22 avril 1847, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. L'instruction avait rassemblé sur d'Ecquevilley un faisceau de renseignements assez tristes.

A raison de sa position particulière, Beauvallon n'avait pas été entendu dans l'instruction; il se cachait pour se soustraire à l'exécution de la condamnation en dommages-intérêts prononcée contre lui, avec contrainte par corps au profit de la famille Dujarrier. Il fut assigné comme témoin à la requête de d'Ecquevilley, et obtint un sauf-conduit.

Il parut le 13 août 1847 devant la cour d'assises de la Seine.

D'Ecquevilley, Beauvallon, déclarent sur l'honneur, que les pistolets étaient inconnus à M. de Beauvallon. Mais M. de Meynard vient raconter très simplement que, la veille du duel, Beauvallon l'a prié de venir s'exercer au tir, avec lui, le lendemain vers six heures et demie, dans le jardin d'Ecquevilley; Beauvallon vint le chercher chez une demoiselle Valory; ils allèrent ensemble à Chaillot, et Beauvallon tira en effet, avec une remarquable adresse, une dizaine de coups sur le mur du jardin, avec les deux paires de pistolets, celle d'arçon et celle de précision, en lui indiquant la provenance de cette dernière. Cet exercice terminé, d'Ecquevilley partit pour aller au rendez-vous des témoins, et le témoin s'en alla à pied avec Beauvallon, etc.

A ces détails si précis d'Ecquevilley n'opposa 297 que des dénégations faites avec hauteur et des lettres insignifiantes, anonymes, attribuées à une femme qui aurait été en relations intimes avec lui.

M. de Guise se rappelle parfaitement maintenant que les pistolets ont été flambés sur le terrain, mais seulement avec des capsules, un genou en terre et les armes basses, ce qui eût rendu impossible l'emploi de la poudre. Le témoin ajoute qu'à Rouen, dans la chambre des témoins, d'Ecquevilley «paraissait indiquer à chacun le rôle qu'il avait à jouer; à moi-même, il me dictait les paroles que je devais prononcer; comme elles étaient contraires à la vérité, je lui déclarai que je m'en rapporterais à ma seule mémoire. Il voulait entre autres choses, que je lui donnasse le beau rôle, en disant qu'il s'était précipité le premier au secours de Dujarrier, tandis que lui et Beauvallon s'étaient seulement avancés pour ramasser le pistolet; comme par voie d'intimidation, il parlait beaucoup de duels qu'il avait eus, de ceux que le procès occasionnerait encore. Telle fut sa jactance, que je déclarai que si une provocation m'était adressée je la voulais par écrit, pour l'envoyer au procureur du roi.»

M. Arthur Bertrand raconte à nouveau l'épisode du doigt noirci, et, comme Beauvallon l'accuse d'exploiter une fable, et que le président fait remarquer l'insistance de M. Bertrand. «Mais, monsieur le président..., s'écrie Beauvallon, enfin... c'est donc un duel avec M. Bertrand que vous demandez!...»

Et depuis quand le point d'honneur a-t-il empêché 298 tout témoin de dire et de soutenir la vérité devant la justice?

La loi, d'accord avec le point d'honneur, ordonne aux témoins de dire et de soutenir la vérité. Ils ne peuvent donc être sujets à aucune provocation pour ce fait; et, dans le cas où l'on menacerait de leur en adresser, ou même on oserait leur en adresser, ils sont en droit d'en référer à la justice. Toutefois, le témoin déclaré inviolable quant à la recherche de la vérité, doit s'abstenir, en s'acquittant de son devoir, d'employer des épithètes, des termes injurieux contre l'accusé, ou contre sa famille.

La déposition de mademoiselle Valory amène un nouvel et suprême incident.

Le témoin déclare que, le matin du duel, Beauvallon est venu chercher chez elle M. de Meynard pour tirer le pistolet; Beauvallon nie.

La mesure est comble: en vertu de l'article 333 du Code d'instruction criminelle, le président usant de son pouvoir discrétionnaire, fait arrêter Beauvallon.

Un verdict de culpabilité, avec admission de circonstances atténuantes est rendu contre Vincent d'Ecquevilley, qui s'entend, avec le plus grand calme, condamner à dix ans de réclusion sans exposition.

Nous touchons enfin au 3e acte, au dénouement.

Le 31 août 1847, la chambre des mises en accusation maintient le mandat d'arrestation décerné contre Beauvallon et requiert une instruction nouvelle. 299 Renvoyé devant la cour d'assises, comme accusé de faux témoignagnes en matière criminelle, Beauvallon y parut le 8 octobre.

Après la lecture de l'acte d'accusation dont on connaît suffisamment les éléments, Beauvallon se lève et répond d'une voix lente et ferme:

«Je déclare, de la manière la plus positive, que les pistolets qui ont servi au duel n'ont pas été essayés par moi; j'ignorais complètement les conditions du duel au moment du combat.»

Les conditions convenues n'auraient donc pas été signifiées aux deux adversaires et acceptées par eux???

M. de Meynard répète la déposition déjà connue. Il affirme sur l'honneur que lui-même a tracé avec un caillou une ligne sur la muraille du fond du jardin, que cette ligne a servi de point de mire, que plusieurs coups ont été tirés.

C'est après le procès de Rouen qu'il a confié le secret des pistolets essayés à M. de Guise. La chose s'ébruite, plus tard à un dîner chez Ledoyen, M. d'Ecquevilley le prie de n'en point parler. (Sensation.)

M. de Guise, docteur.—Monsieur de Meynard lui a raconté à Rouen que, dans cet essai du jardin, il avait admiré l'excessive précision du tir de Beauvallon; ce qui lui avait fait dire à celui-ci: «—Mais vous connaissez donc ces armes!»

Il raconte alors les manœuvres employées pour obtenir de lui une rétractation.

M. Arthur Bertrand reproduit de nouveau l'épisode oublié du doigt noirci.

300 M. Emile de Girardin.—Le jour du malheureux événement, de midi à deux heures, on a «annoncé chez moi M. Bertrand, que je n'avais pas jusque-là l'honneur de connaître. Je le reçus assez mal. Il s'est présenté à moi vivement ému, et m'a fait le récit de ce qui venait de se passer. A l'appui de ce récit, il me montra le bout de son doigt encore très noir.—Mais, lui dis-je, comment alors avez-vous pu laisser Dujarrier se battre, ayant dans l'esprit de tels soupçons?—Je l'ai laissé se battre parce que l'un des témoins de M. de Beauvallon m'a donné sa parole d'honneur que les armes n'avaient pas été essayées.»

J'ignorais ces conditions établies, mais il est généralement admis en France que les armes qui doivent servir à un duel ne doivent jamais avoir été essayées. On dit qu'aux colonies il en est autrement, je n'en sais rien; mais ce que je puis affirmer, c'est qu'en France, on ne se bat pas avec des armes essayées, d'ailleurs j'ajouterai que je n'étais pas seul, M. Lepelletier Saint-Rémy se trouvait avec moi. J'avoue du reste qu'en lisant les comptes rendus des journaux j'ai été étonné moi-même qu'un doigt noirci par la poudre restât noir, même après le lavage; cependant des renseignements que j'ai pris, il résulte que la tache résultant d'un corps gras, comme celui de la poudre mêlée à l'huile, a beaucoup de peine à disparaître.

Mademoiselle Valory confirme sa déposition précédente, et dépose que, le matin du duel, vers six heures, Beauvallon entra dans sa chambre à bas 301 bruit; elle était encore au lit, il lui demanda si M. de Meynard était là, et dit qu'il venait le chercher pour tirer avec lui au pistolet. Beauvallon continue ses dénégations.

M. Devismes, armurier.—Le 18 août 1844, les pistolets en question ont été vendus, et le 17 septembre 1844, le propriétaire les a demandés pour les emporter à sa campagne. Il lui a fait demander en même temps 400 balles découpées pour pistolets et des poupées. Le 10 mars, le même propriétaire est venu chez lui; il lui a demandé ses pistolets et l'a prié de les envoyer chez M. de Beauvallon, rue de Notre-Dame-de-Lorette. Il a envoyé chez lui, et le lendemain le duel a eu lieu. Quand il a livré les pistolets ils étaient très propres, et quand le propriétaire les lui a rendus, ils étaient très sales.

Les débats sont clos; après le résumé du président, le jury au bout de dix minutes rapporte un verdict affirmatif mitigé par des circonstances atténuantes.

M. le président prononce un arrêt qui condamne M. de Beauvallon à huit années de réclusion, aux frais du procès, et le dispense de l'exposition.

Le dénouement des trois procès de l'affaire Dujarrier-Beauvallon a causé bien des étonnements que nous ne saurions partager. Il n'est que la conséquence du mode de répression actuellement en vigueur contre le duel, et dont nous nous sommes déclaré l'adversaire convaincu.

La procédure, comme l'issue en eussent été bien différentes suivant le mode de répression que nous 302 avons proposé dans la conclusion de la première partie de cet ouvrage.

Discuter et apprécier, au point de vue du Code du duel, tous les faits et incidents du duel Dujarrier-Beauvallon, en même temps que les actes des personnes qui y ont pris part; résoudre les nombreuses questions à poser au jury comme résultantes des débats; formuler la sentence suivant la législation que nous avons préconisée dans notre desideratum (voir première partie, chapitre IV, conclusion, page 146) eût été un travail d'une trop grande étendue. L'analyse que nous avons donnée plus haut nous paraît suffisante pour y suppléer.

Toutefois, nous croyons devoir donner un aperçu des conséquences de notre desideratum, en retenant un seul incident essentiel, la violation d'une condition établie, l'essayage des pistolets.

D'après ce:

M. de Beauvallon était renvoyé devant la cour d'assises sous prévention d'homicide volontaire avec préméditation, commis en duel sur la personne de M. Dujarrier.

Les quatre témoins renvoyés devant la même cour, sous la prévention de complicité dans l'homicide précité.

M. de Beauvallon—à l'unanimité, déclaré coupable d'homicide volontaire avec préméditation, commis en duel, avec la circonstance aggravante de la violation d'une condition établie: l'essayage des pistolets.—Maximum: 10 ans de réclusion—2,000 303 francs d'amende—20,000 francs de dommages et intérêts, frais de procès.—A la majorité, refus de circonstances atténuantes.

Nous disons à la majorité, car il pouvait se trouver dans le jury une minorité opinant pour accorder à M. de Beauvallon le bénéfice des circonstances atténuantes, parce que son témoin eut et pu l'empêcher de violer la condition établie, et, pour ce, désirant réserver toute la sévérité de la loi pour le témoin prévaricateur. Cette minorité se fût peut-être transformée en majorité, si l'on eût voulu tenir compte de l'offense, laquelle, bien que légère et classée dans la première catégorie de l'article 2 du chapitre Ier du Code du duel, n'en existait pas moins; et enfin, de l'attitude de M. Dujarrier qui ne paraissait pas dénoter le désir d'un accommodement.

Dans ce cas, diminution de peine, d'amende et de dommages.

M. d'Ecquevilley—à l'unanimité—déclaré complice dudit meurtre, pour avoir connu la violation préméditée de la condition du duel, y avoir coopéré, au lieu de l'empêcher, comme il en avait le devoir.—Maximum: 10 ans de réclusion—2,000 francs d'amende—20,000 francs de dommages-intérêts.—Moitié des frais du procès.

M. Arthur Bertrand—absous sur le chef de complicité, avec blâme sévère du président, pour, ayant eu légitime soupçon de la violation de la condition essentielle du duel, n'en avoir point fait part à son collègue, n'avoir point protesté et exigé que l'on se servît d'autres armes.—500 francs d'amende.

304 Les autres témoins—absous sur le chef de la complicité—observations du président.—Amendes proportionnellement aux infractions au Code du duel, qu'ils ont pu commettre ou laisser commettre même involontairement ou par oubli dans la conduite de cette affaire.

Cette solution, crayonnée pour ainsi dire à vol d'oiseau, nous paraît suffisante pour signaler la différence entre le mode de répression directe du duel, et la répression indirecte objet de notre préférence, comme plus sévère et surtout plus efficace.

Nous rencontrons encore dans ce triste exemple la nécessité de la prescription insérée dans l'article 32, chapitre IV, Devoirs des témoins, à savoir:

Que les armes doivent être consignées par avance dans les mains des témoins, lesquels après les avoir visitées et acceptées d'un commun accord, les remettent aux champions au moment du combat. (Voir Observations sur les duels au pistolet, chapitre IX, page 375.)

4o

Au mois d... 185... un duel eut lieu entre deux honorables citoyens, MM. A*** et B***.

Suivant les conventions, M. B*** eut le choix des armes, et opta pour le pistolet. Par contre, le droit de tirer le premier fut dévolu à M. A***.

M. A*** fit feu, et manqua; M. B***, au lieu de riposter immédiatement, abaissa son arme, puis la releva, ajusta et tira.

305 Atteint près de la tempe, M. A*** tomba et resta mort sur place.

A qui la faute?

Sans doute personne n'est excusable d'oublier les règles et les conditions du duel, quoique, soit dit en passant, la surexcitation, l'émotion puissent permettre à un honnête homme de les oublier.

Les témoins ne sont-ils pas faits pour veiller à l'exécution des règles et des conventions?

Dans le cas présent, quand ils ont vu M. B*** baisser son arme et prêt à faire feu après l'expiration de la limite réglementaire (Voir le Duel au pistolet de pied ferme), ne devaient-ils pas non seulement crier d'arrêter, mais s'élancer pour obtenir l'exécution de leur commandement?

MM. les témoins demanderont-ils le bénéfice d'inventaire en alléguant que l'anxiété les a mis dans la situation de la femme de Loth, ou bien, que la fumée du pistolet de M. A*** les a empêché de bien voir?...

De pareils faits exciteront toujours les regrets des champions qui ont pu commettre un oubli, des témoins qui eussent pu et dû empêcher cet oubli, cause de conséquences aussi désastreuses, de tous les honnêtes gens enfin, que nous entendons journellement déplorer les irrégularités qui se commettent dans les rencontres.

Cette réflexion nous donne encore le droit de répéter notre «delenda Carthago» à savoir:

Toutes les irrégularités commises dans les duels 306 doivent tomber,—sauf le bénéfice d'inventaire,—sous la responsabilité des témoins!

5o

Un duel à l'épée a lieu entre M. R... et M. X...; ce dernier y laisse la vie. On trouve sur lui une ceinture large et plus épaisse que les bandages herniaires habituels, ayant à l'intérieur une plaque métallique très forte qui en faisait une véritable armure évidemment destinée à protéger les parties inférieures du corps.

L'un des témoins prétend que M. X... était affligé d'une hernie, mais le médecin ne reconnaît aucune trace de cette prétendue infirmité.

L'information établit que M. X... avait coutume de mettre ce bandage toutes les fois qu'il se battait en duel.

En effet, peu de temps auparavant, dans une autre rencontre, son adversaire l'ayant touché vivement en se fendant, eut son épée faussée comme ayant heurté un corps qu'elle ne pouvait pénétrer, X... était assisté des mêmes témoins. Ils ne s'émurent point de cet incident ni les uns ni les autres et l'un d'eux se borna à redresser la lame pour que le combat pût continuer... X..., l'auteur de l'irrégularité était mort, le jury acquitta!...

6o

Au mois de novembre 1835, eut lieu une rencontre 307 au sabre entre M. A. S..., fils d'un célèbre jurisconsulte, et l'un de ses parents par alliance, M. D...

Après quelques passes, nous apprend le procès-verbal, M. S... finit par fondre sur son adversaire. M. D... paraissait calme et de sang-froid; il reculait en présentant la pointe de son arme. Sa première botte ne put être parée, comme elle arrivait à la poitrine de M. S... Celui-ci la détourna avec le dos de la main gauche, dont l'épiderme fut légèrement écorché. En rompant, M. S... fit une chute; M. D... n'en profita pas. S... relevé, on revint sur le lieu où le combat avait commencé. On s'en était sensiblement écarté.

Au bout d'une dizaine de minutes, M. S... recevait dans le haut de la poitrine un coup de pointe sans gravité qui déterminait une effusion de sang, et presque au même moment, M. D... fut atteint d'un coup de pointe vivement porté qui lui traversa le foie. «Il ne survécut que vingt-deux heures à sa blessure.»

Cet exemple peut donner lieu aux réflexions suivantes:

Et d'abord la faculté de détourner le fer avec la main gauche avait-elle été accordée aux deux adversaires par une convention expresse?

Dans le cas contraire le devoir des témoins était d'arrêter le combat, d'avertir sévèrement M. S..., et de plus, les témoins de son adversaire étaient en droit d'exiger que sa main gauche fut fixée derrière le dos. (Voir art. 27, chap. IV, page 212; Remarques 308 sur l'article 27, chap. IV, page 255; art. 16 et 17, chap. VI, page 338.)

M. S... ayant fait une chute, M. D... n'en profita pas; c'est très bien, mais dans l'entraînement du combat, il eut pu en profiter.

Ne peut-on pas se demander ici, si ce serait attribuer un sens trop étendu à l'article 40, chapitre IV et à l'article 18 du duel à l'épée, en observant que M. S... étant à terre, les témoins eussent pu se croire en droit d'arrêter le combat jusqu'à ce qu'il se fût relevé? Et, d'ailleurs, les témoins n'eussent-ils pas été fondés à se prévaloir de la faculté qui leur est attribuée par l'article 39, chapitre IV, page 214, pour arrêter les combattants, essayer de mettre fin au duel, en représentant que l'irrégularité commise au commencement par M. S..., avait pour corrélatif l'acte honorable que son adversaire venait d'accomplir envers lui, et que les deux champions s'étant d'ailleurs battus très bravement, il y avait lieu à réconciliation?

Enfin, quand M. S... reçut le coup de pointe sans gravité qui détermina l'effusion du sang, et que presque au même moment M. D... fut atteint, les témoins à la moindre apparence d'effusion de sang, ne devaient-ils point arrêter le combat, pour visiter la blessure, s'assurer de la gravité! (Art. 40, chap. IV, Devoirs des témoins.) Naturellement, l'opportunité de cette dernière réflexion dépend d'abord de la possibilité produite par l'intervalle qui s'est écoulé entre la lutte et la riposte, et aussi de la vigilance et de la promptitude des témoins.

309

7o

M. D..., étudiant en droit, rencontrant M. G..., étudiant en médecine, dans l'une des soirées ordinaires du quartier Latin, l'accoste et lui adresse quelques paroles offensantes sur un sujet assez divergent de l'interprétation des Pandectes de Justinien. Ce dernier, au lieu de relever l'offense, prononça quelques paroles dilatoires inoffensives, et laissa éloigner sans plus M. D...

Plus tard, M. G... raconte le fait à M. T..., son copain, autre étudiant en médecine.

Quelques instants après, M. T..., se trouvant en présence de M. D..., lui cherche querelle au sujet de l'incident qui vient de se passer entre lui et M. G... Des paroles vives et insultantes sont échangées, une provocation est lancée, et amène un duel dont le résultat fut fatal à M. D...

Comme de juste et de droit obligatoire, les témoins devaient examiner et reconnaître les précédents de cette affaire, les motifs ayant donné lieu à la provocation.

Cet examen attentif ne devait-il pas leur faire reconnaître une substitution de personne?

M. G... ayant été offensé le premier, ne lui appartenait-il pas de relever lui-même son offense?

L'acte d'indiscrétion commis par M. G... (nous disons indiscrétion, parce que, tant l'éloignement des faits que la charité évangélique nous le conseillent) n'a-t-il 310 pas été la cause de la querelle subséquente entre M. T... et M. D...?

N'était-il pas impossible d'invoquer la primauté de réparation pour cette deuxième querelle ayant lieu pour le même motif et conduisant naturellement à la substitution de personne signalée?

D'après ce, les témoins de M. D... n'étaient-ils pas en droit de se rendre en son nom chez M. G... pour lui offrir réparation de l'offense qui lui avait été faite de prime-abord, et lui demander en même temps raison de la querelle qu'il avait suscitée par son indiscrétion, et en cas de fin de non-recevoir ou de refus, de dresser procès-verbal?

Les mêmes témoins n'étaient-ils pas en droit de déclarer aux témoins de M. T... qu'ils n'entendaient prendre en considération sa querelle avec M. D... que lorsque la querelle de ce dernier avec M. G... aurait été apurée?

Soit qu'il s'en suivît une ou deux rencontres (ce qui est encore à examiner), M. G... et M. T... pouvaient-ils être admis à se servir réciproquement de témoins? Non!

Évidemment, la question de substitution est prépondérante dans cette affaire.

La première querelle à vider, était celle entre MM. D... et G....

Celle entre MM. D... et T... ne venait qu'en seconde ligne, et bien que les insultes eussent été plus graves que dans la première querelle, elles ne pouvaient paralyser la substitution. A supposer même que l'on eût remis au sort la primauté de réparation, 311 et que la deuxième querelle l'eût emporté, la première querelle venait ensuite; de là deux écueils. Le premier d'admettre deux rencontres pour la même querelle et pour les mêmes motifs. Le deuxième d'admettre la substitution de personnes en négligeant la primauté d'offense; c'est ce qui de fait a eu lieu.

Pour échapper à cette complication de principes, de droits et d'intérêts nous ne connaissons qu'une solution satisfaisante, et c'est la suivante:

En l'absence de toute voie de fait et de tout outrage attaquant directement l'honneur d'aucun des champions en cause, des témoins intelligents, fermes et expérimentés, s'appuyant énergiquement sur la complication de l'affaire, devaient opposer une vigoureuse martingale aux ardeurs juvéniles de leurs clients, et obtenir non seulement un arrangement honorable, mais encore une réconciliation complète de la part de tous les adversaires.

Telle est notre conclusion. Nous espérons que la brillante jeunesse de nos écoles nous pardonnera d'avoir employé le mot de «martingale». Un seul et vif désir inspire notre plume, celui de conserver de belles et généreuses intelligences pour la défense de la patrie, pour la gloire de la France, pour l'honneur et la consolation de chères et respectables familles!

8o

Un M. X..., dînant habituellement avec quelques-uns de ses collègues, détestait cordialement 312 l'un d'eux, M. T... Déjà plus d'une fois des discussions orageuses s'étaient élevées entre eux, et ce dernier avait été très malmené par M. X... Un jour, au milieu d'une vive altercation, M. X... se permit de dire à M. T... «Je vous mets en défi de venir chez moi.»

Les assistants laissent passer sans protestation ni opposition, une façon d'agir aussi inconvenante.

Au lieu d'envoyer ses témoins chez M. X... pour se mettre à sa disposition ou bien demander satisfaction, un faux sentiment d'amour-propre porte M. T... à se rendre au domicile de ce dernier. Il n'en sortit point vivant, et la justice dut ensuite apprécier les funestes conséquences de cette rencontre.

9o

Un officier des plus braves s'étant involontairement rendu coupable d'une malhonnêteté envers des dames, reçoit un appel de la part du cavalier qui les accompagnait.

Désolé d'avoir commis un acte indigne d'un homme bien élevé et surtout ayant l'honneur de porter l'épaulette, il s'empresse de témoigner ses regrets à celui qui l'a provoqué en l'assurant qu'il est prêt à répondre à son appel et à lui donner toute satisfaction qu'il pourra désirer.

Le cavalier, touché d'une si noble conduite, lui répond courtoisement: «Non, monsieur, un homme honorable comme vous a le droit de présenter ses excuses à des dames, permettez-moi de vous serrer 313 la main avant de vous y conduire.» Les excuses du brave officier reçoivent l'accueil gracieux et sympathique qu'elles méritaient. Il eut tout lieu de s'applaudir de cette belle action; car il en fut bientôt récompensé par d'excellentes relations. Dans une société civilisée, la bonne éducation, la noblesse des sentiments suffisent pour ouvrir toutes les portes.

10o

Dans un duel au pistolet entre un propriétaire et un banquier, le propriétaire, favorisé par le sort, tire le premier et manque; la balle du banquier rencontre un corps dur et dévie.

Les témoins dans leur visite avaient oublié d'inviter le champion à divorcer pendant quelques instants avec un porte-monnaie bien garni qu'il tenait dans son gousset.

Le banquier, homme d'esprit, s'incline devant son adversaire avec autant de sang-froid que de courtoisie, et lui dit: «Monsieur, je viens vous faire mon compliment, vous savez parfaitement placer votre argent!»

11o

M. de R..., dans un duel au commandement, tire au troisième coup suivant la règle; son adversaire continue à le viser; alors M. de R..., se tourne vers ses témoins et leur dit: «Ai-je tiré avant le troisième coup, Messieurs!» Réveillés et rappelés à leur 314 devoir par cette apostrophe, les témoins se précipitent entre les deux, et arrêtent l'adversaire qui n'avait point tiré au signal uniquement parce qu'il avait oublié d'armer. Sans cet oubli qu'en serait-il résulté? un assassinat! A qui la responsabilité?

12o

Dans un duel au commandement, L... tire au 2e coup, tue son adversaire; il a commis un assassinat. Qu'en résulte-t-il pour lui? Néant! Voilà de la belle et bonne justice!

13o

D***, ancien militaire, privé d'une jambe par suite d'une blessure gagnée dans sa dernière campagne, reçoit une insulte très grave. Le choix des armes ne pouvait lui être contesté; mais il choisit des témoins faibles et ignorants. Les témoins adversaires s'en aperçoivent, en profitent pour imposer leurs conditions. D*** succombe nécessairement dans ce duel à l'épée accepté contre toute règle par ses témoins.

De pareils témoins ne mériteraient-ils pas une bonne leçon de la part d'un jury consciencieux?

14o

M. P..., dans une discussion, reçoit une insulte aussi grave qu'imméritée. Il en demande raison. 315 Peut-on lui refuser le choix des armes? Non, sans doute.

Les témoins de l'adversaire proposent d'abord une arme, ensuite une autre, et finissent par demander le sabre sans pointe. Les témoins de M. P..., faibles et surtout ignorants, acceptent tout! Cependant M. P... avait servi autrefois, et sans avoir approfondi particulièrement les règles du duel comprenait qu'une pareille rencontre devenait dérisoire en proportion de l'offense qu'il avait reçue; cependant faute d'oser récuser ses témoins, il se soumet!

15o

M. de B... homme d'un âge mûr, dans une de ces discussions politiques qui empoisonnent la société, est frappé par un jeune homme. Un duel à outrance est la suite de cette insulte. Après plusieurs blessures échangées de part et d'autre, les témoins aussi enragés que les champions ordonnent d'arrêter pour permettre à ces derniers de reprendre des armes et de faire panser leurs blessures. Dans cette deuxième reprise, plusieurs blessures légères sont encore échangées entre les deux adversaires. Mais le jeune homme ayant par deux fois détourné le fer avec la main, on arrête chaque fois pour le réprimander. A la deuxième fois ce jeune homme demande lui-même que sa main gauche soit attachée. Bientôt il s'affaisse et tombe, frappé par un coup d'épée dans la poitrine.

A ce moment suprême les bons sentiments reprennent 316 le dessus. «Monsieur, dit-il en s'adressant à M. de B..., maintenant il m'est permis d'avouer mes torts. Pardonnez-moi, donnez-moi votre main, je vais mourir!»

M. de B... ému se tourne vers ses témoins, qui tous lui disent: «Donnez la main, votre honneur est satisfait.» Il donne la main à ce brave jeune homme qui répond par un dernier soupir à ce signe de pardon.

16o

Dans une rencontre à l'épée entre M. le baron de Saint-Y... et M... de C..., ce dernier reçoit une blessure; les témoins ordonnent d'arrêter. M. de Saint-Y... rompt l'épée basse comme l'honneur lui en faisait un devoir. Il n'en est pas de même de M. de C... qui, emporté par la fureur de sa rancune, n'écoute point la voix des témoins, et se précipite sur M. de Saint-Y... lequel parant le coup avec adresse, riposte par un coup d'épée qui étend M. de C... sur le carreau; quelques instants après il avait cessé de vivre.

Ici, la fin donne raison à la justice et au droit; il pouvait et devait en être autrement, si M. de Saint-Y... n'eût paré avec agilité l'attaque déloyale de son adversaire.

En pareil cas, les témoins ne doivent point se borner à crier, ils doivent s'élancer et séparer les combattants.

317

17o

M. de N... assiste un de ses amis dans un duel. Il s'aperçoit que l'adversaire est blessé. N'écoutant que la voix du devoir, il se précipite sur son ami et reçoit lui-même un coup d'épée avant de parvenir à l'arrêter.

Voilà un témoin honorable qui ne craint pas de risquer sa vie pour dégager la responsabilité du mandat qui lui a été confié.

18o

Deux étudiants, A... et C..., font leur droit à Paris; A... vient de commencer sa première année; C... est un ancien, c'est un étudiant de 12e année, plus habile à culotter des pipes, à gobelotter, à courir les aventures et les querelles qu'à commenter le Digeste et les Donations de Demolombe. Bien que du même pays, A... cherche à éviter C..., leurs familles respectives ayant eu des différends pour une succession. La fatalité les réunit à la Chaumière. C... ne manque pas l'occasion si favorable de chercher querelle à son jeune camarade, et, dans la discussion, se permet de lui donner un soufflet. Les assistants interviennent; A... se retire aussitôt, court chez un parent ex-sous-officier de cavalerie, commis dans un des grands magasins de la capitale.

Ce dernier se rend en compagnie d'un autre étudiant chez C... et lui demande une réparation par les 318 armes. Le duel est convenu avec les conditions suivantes: on se battra jusqu'à ce qu'une blessure sérieuse permette aux témoins de déclarer l'honneur satisfait.

Le combat commence; quelques instants après, dans une passe vivement engagée, l'ex sous-officier s'aperçoit que C... avait saisi le fer de son camarade et allait lui plonger l'épée dans le ventre. S'élancer sur le traître, la canne à la main, le terrasser, le menacer de l'assommer sur le coup s'il ne fait des excuses, ne fut que l'affaire d'un instant.

A... put continuer ses études en toute sécurité; on savait qu'il ne reculait pas devant la botte et qu'il avait un bon témoin!

Les dernier exemples qui précèdent, s'ils offrent une bonne leçon de nature à réveiller la vigilance et le zèle des témoins dans les combats, contiennent également un salutaire avertissement pour les champions, en leur démontrant la nécessité de se tenir toujours sur leurs gardes, lorsqu'ils entendent le commandement d'arrêter.

19o

Voici un duel à marche interrompue jusqu'à une ligne intermédiaire: L'un des adversaires marche, tire et manque. L'autre, au lieu de s'arrêter et de viser tout le temps prescrit par les articles 10 et 12 des règles du duel, arrive jusqu'à la ligne, vise longtemps et tue raide son antagoniste.

A qui donner la responsabilité d'un pareil assassinat, 319 si ce n'est aux témoins? et pourtant tous continuèrent à se bien porter!

20o

Nous nous occuperons ici d'un exemple récent dont la discussion nous paraît utile et opportune.

M. C... père, propriétaire à..., injurié dans deux articles du journal de la localité notoirement connu comme appartenant à M. Z..., envoya à ce dernier deux de ses amis pour lui demander soit une rétractation de ses outrages, soit une réparation par les armes.

M. Z... mit deux de ses amis en rapport avec les témoins de M. C..., mais il leur avait donné pour mission de refuser et la rétractation et la réparation par les armes.

M. Z... se fondait, pour refuser la réparation demandée, sur ce que, n'étant pas le gérant du journal, il n'était pas légalement responsable des articles qui y étaient publiés.

A la suite de ce refus, M. C... désireux d'avoir une entrevue avec M. Z... pour l'amener à rétracter les injures qu'il disait lui avoir été prodiguées par le journal de ce dernier, se rendit plusieurs fois dans la même journée à l'hôtel où habitait M. Z..., mais il ne l'y trouva pas. Lorsque le soir, à six heures, en rentrant chez lui, M. C... le rencontra dans la rue, accompagné de deux personnes, il l'aborda et lui demanda d'avoir une entrevue avec lui à son hôtel.

M. Z... lui répondit qu'il ne voulait avoir aucune 320 explication avec lui. M. C... insista; M. Z... refusa de nouveau.

Alors M. C..., outré des refus et de l'attitude de M. Z..., lui cracha au visage.

Ce dernier se rendit immédiatement chez le procureur de la République et déposa une plainte.

Ici, nous nous arrêterons, pour présenter quelques observations.

Nous nous étonnerons, en premier lieu, que M. Z... ait pu trouver des témoins disposés à transmettre sa communication et à soutenir son refus d'accorder la satisfaction demandée, sous prétexte que leur client n'étant pas le gérant du journal, il n'était pas légalement responsable des articles qui y étaient publiés.

Cette allégation légalement admissible vis-à-vis de la justice ordinaire, est complètement inadmissible par-devant la juridiction du point d'honneur.

La justice ordinaire s'appuie sur la loi et n'admet que les preuves légales. Ainsi, dans la presse, le gérant d'un journal est déclaré responsable de par la loi; c'est un homme de paille breveté pour répondre légalement des infractions qui peuvent être commises par d'autres.

Il n'en est pas de même dans la juridiction du point d'honneur. Cette juridiction est entièrement basée sur l'opinion publique; ses preuves sont fournies par la notoriété publique. Elle n'admet point d'hommes de paille, de bretteurs, ni de spadassins brevetés pour répondre des méfaits attribués à d'autres. Vis-à-vis d'elle, chacun est responsable des 321 actes qu'il est réputé avoir accomplis ou qui ont été accomplis par son ordre.

Vis-à-vis le point d'honneur, le gérant ou le rédacteur en chef ne sont déclarés responsables que lorsque l'opinion publique ne désigne point l'auteur réel.

Dans bien des circonstances, et pour des motifs faciles à comprendre, on ne recherche pas même le gérant, quand bien même il se déclarerait responsable d'un article injurieux; ou l'on garde le silence du dédain, ou l'on s'adresse aux tribunaux ordinaires.

D'après ce, un ou même plusieurs hommes honorables étant réputés comme patrons d'un journal, peuvent être sujets à des demandes d'explications ou de réparations pour des articles injurieux envers les personnes et les familles, qui pourraient être insérés dans ce journal.

Un désaveu catégorique de leur part dans le journal même est le moyen de dégager leur responsabilité aux yeux de l'opinion publique et des intéressés.

M. Z..., à supposer qu'il ne fût point l'auteur de l'article offensant, qu'il n'ait point été inséré par son ordre, ou même (ce qui arrive quelquefois), que cet article ait été inséré à son insu, devait le désavouer. Ce désaveu pouvait s'effectuer par une simple lettre écrite et signée par lui, insérée dans le journal, ou bien par un procès-verbal signé par lui, par les témoins, et inséré également dans le journal.

Nous nous étonnons encore que les témoins de M. C... n'aient point protesté contre la fin de non-recevoir 322 qui leur était alléguée par les témoins adverses, et ne leur aient point signifié que si leur client persévérait à s'en prévaloir et à refuser toute explication ou réparation ultérieurs, ils dresseraient un procès-verbal de son refus motivé, et le feraient insérer dans les journaux.

M. C... n'avait aucune raison ni obligation de chercher à rencontrer à son domicile M. Z... (Voir Code du duel, chap. III, art. 11, page 188 et Observations, page 195).

En refusant toute explication et réparation, sous un prétexte inadmissible, M. Z... s'est évidemment exposé à l'acte de violence commis envers lui par son adversaire.

Dans l'audience du tribunal, à laquelle toute la ville était venue assister, le procureur de la République soutint naturellement la prévention légale, et requit contre M. C... l'application de la loi, tout en laissant le tribunal juge de la mesure dans laquelle la peine devait être appliquée en présence des circonstances qui avaient amené M. C... à commettre le délit qui lui était reproché.

L'avocat du barreau de Paris avait la partie belle, il ne fut jamais mieux inspiré. Sa parole élevée et souvent dédaigneuse et sarcastique a fait une vive impression et a augmenté encore, s'il était possible, les sympathies qui entouraient M. C... père.

Après la plaidoirie, alors que le tribunal allait se retirer pour délibérer, l'avocat de M. Z... se lève et déclare que son client qui venait de déposer comme témoin, se porte partie civile et demande comme 323 dommages-intérêts l'insertion dans dix journaux à son choix du jugement à intervenir aux frais de M. C...

La réplique du défenseur de M. C... a dû faire regretter à M. Z... le parti qu'il avait pris d'intervenir comme partie civile.

Après une courte délibération, le tribunal prononce un jugement où il déclare: «Que si les injures prodiguées à M. C... dans le journal précité, ne l'excusent pas entièrement de la voie de fait à laquelle il s'est laissé entraîner à l'égard de M. Z..., le refus de ce dernier de donner toute explication au sujet des articles injurieux publiés dans son journal, est une atténuation du fait pour lequel il a porté plainte; qu'aucun préjudice n'a été causé à Z...» En conséquence, il condamne M. C... à 200 francs d'amende et déclare M. Z... mal fondé en sa demande de dommages-intérêts et l'en déboute.

L'affaire paraissait terminée sur le terrain choisi par M. Z... lui-même, lorsqu'au grand étonnement de toute la ville, M. Z... envoya ses témoins à M. C... fils.

Ce dernier répondit: «Que, si M. Z... avait demandé au moment de l'injure une réparation à M. Édouard C... il la lui aurait sans nul doute accordée, quoique son père fût absolument disposé à la lui accorder lui-même, et que son âge, dont on s'était prévalu, ne pût être un obstacle; aujourd'hui, une réparation a été demandée aux tribunaux et accordée par eux: aucune raison d'honneur ne commande à M. C... fils d'en accorder une autre.»

La réponse de M. C... fils est en tout point correcte. 324 Suivant le Code du duel, chapitre III, article 20, page 191, quiconque s'adresse à la justice ordinaire pour la réparation d'une injure, perd tout droit de s'adresser à la juridiction du point d'honneur pour la réparation de cette même offense, suivant l'axiome cité plus haut, non bis in idem.

M. C... était donc en droit de refuser toute réparation ultérieure, il en est à plus forte raison de même de son fils qui n'a lui-même, et que l'on n'a aucune raison de faire intervenir.

M. Z... en mettant ses témoins en rapport avec ceux de M. C... n'avait point excipé l'incompétence de ce dernier. Il l'avait donc virtuellement accepté comme adversaire. Il ne lui était plus permis d'en choisir un autre suivant son caprice.

En dernière analyse, à supposer que, dès le principe, M. Z... se fût adressé à M. Édouard C... fils, cette demande devait passer par la filière froide des témoins, lesquels, se rapportant par analogie au Code du duel, chapitre Ier, article 22, page 169, eussent dû examiner s'il y avait lieu de déclarer M. C... père capable et susceptible de fournir la réparation de l'injure qu'il avait faite, et par conséquent d'opposer une barrière à la louable accession de M. Édouard C... fils.

Nous reproduisons du reste les termes dans lesquels un organe accrédité de la presse parisienne apprécie la fin de cet incident:

«Nous ne saurions trop approuver, dans cette circonstance, la conduite de M. C... fils; il est bien évident que si M. Z... avait eu sérieusement une seule minute l'intention de se battre, il eût accepté, 325 à l'origine, la rencontre qui lui était proposée, et plus tard, quand M. C... l'insulta en pleine rue, il lui eût envoyé tout de suite ses témoins, au lieu d'en appeler purement et simplement aux tribunaux.

«Ce n'est pas la faute de M. C... si le terrain sur lequel il voulait tant aller vider le différend a été changé par son adversaire; le terrain nouveau choisi par M. Z... a dû être subi par M. C... et nous ne comprendrions pas que ce dernier, ni son fils, consentît aujourd'hui à une rencontre, que les façons d'agir de M. Z... ont selon nous rendue impossible.

«Puis, ce serait vraiment commode de pouvoir à son gré choisir son adversaire et d'aller provoquer tel ou tel membre d'une famille, frère, fils, neveu ou cousin, sous prétexte qu'on ne veut pas se battre avec celui-là seul qui est en cause.

«En s'adressant aux tribunaux, M. Z... a défini lui-même la seule satisfaction qu'il désirait, ce n'est pas davantage la faute de M. C... si le tribunal lui a refusé cette satisfaction en le déboutant de sa demande en dommages-intérêts.»

21o

Un ami du Figaro, M. G..., le créateur et correspondant du Courrier des États-Unis, communique à ce journal les détails suivants sur un duel qui, il y a un an et demi environ, causa dans le public une certaine émotion.

326 Ce duel eut lieu par suite d'une offense avec coups et blessures, commise envers M. B... par M. M...

Laissons d'abord la parole à M. G....

«Les détails, jusqu'à ce jour enveloppés de mystère, du duel du mois de janvier 1877, entre MM. B... et M..., sont publiés par le Times, qui les tient de M. Georges W..., qui lui-même les tenait d'un chirurgien présent à la rencontre. Ce récit réduit à néant les hypothèses plus ou moins comiques et malveillantes qui avaient été faites au sujet du duel, et démontre que la conduite de M. B... a été celle d'un homme de cœur.

«Chacun des deux adversaires avait apporté ses pistolets, et il a été décidé de se servir de ceux de M. M..., qui étaient vieux, rouillés et très durs à la détente. Quand les duellistes ont été en position, les seconds ont donné leurs instructions comme il suit: on devait tirer pendant que le témoin chargé de donner le signal disait: «Feu! un, deux, trois!» Il n'était pas permis de tirer après ce dernier mot.

«Le coup de pistolet de M. M... a retenti en même temps que le commandement de feu. Mais M. B... a eu beau presser la détente de toute sa force pendant la période de temps convenu, le chien a refusé de s'abattre. Son second a fait observer alors que c'était par une circonstance indépendante de la volonté de M. B... que son pistolet n'était pas parti, et, qu'ayant essuyé le feu de son adversaire, il devait avoir le droit de riposter.

«L'observation ayant été reconnue juste, les duellistes 327 ont repris leurs positions, le pistolet de M. B... étant tout chargé. Il a ajusté M. M..., mais, à la dernière seconde, la colère dont il avait évidemment été animé jusque-là a fait place à un sentiment plus noble. Il n'a pas voulu tuer l'homme qui maintenant était à sa merci, et, relevant son pistolet, il l'a déchargé en l'air. En se retirant, il a demandé au chirurgien: «N'ai-je pas bien fait, docteur?» Le docteur regarda alors la cicatrice que la brutalité de M. M... avait laissée sur le visage de M. B...—cicatrice qu'il gardera toujours—et répondit que, tout en rendant hommage à la générosité de sa conduite, il aurait éprouvé à sa place une terrible tentation d'assouvir la vengeance qui était entre ses mains.»

Comme on le voit, et comme tout le monde le savait d'avance, ajoute le Figaro, M. B... s'est conduit en véritable gentleman.

La conduite de MM. les témoins dans le duel dont nous venons de reproduire les curieux détails pourrait donner lieu à une discussion longue et approfondie de nature à soulever de nombreuses questions; nous croyons devoir nous borner à examiner deux points principaux et les plus essentiels.

En premier lieu, nous manifesterons le regret que les témoins aient cru pouvoir choisir des pistolets «vieux, rouillés et très durs à la détente

Suivant les prescriptions du chapitre II, Nature des armes (Voir Chateauvillard, même objet), le choix des témoins ne peut porter que sur des armes 328 en parfait état, et de nature à pouvoir s'en servir en duel.

Serait-on fondé à alléguer que les témoins n'ont agi ainsi que dans l'intention de diminuer les chances funestes de la rencontre, en choisissant des armes moins dangereuses par suite de leur imperfection?

Nous ne saurions admettre une semblable excuse.

Et d'abord, l'imperfection des armes ne peut-elle pas causer de fâcheux accidents à ceux mêmes appelés à en faire usage?

Nous avons établi (chapitre IV, Devoirs des témoins) que: dans une affaire, le premier devoir des témoins est la conciliation, ensuite, tout arrangement étant impossible et la rencontre étant décidée, leur devoir est la modération, afin d'atténuer—dans les limites du juste et du possible—les conséquences funestes du duel, tout en se conformant strictement aux conditions acceptées par les parties.

Nous avons également établi que: ces devoirs des témoins doivent, en pratique, s'accomplir en conformité des règles du point d'honneur, que les témoins sont responsables, sur leur propre honneur, de la vie et de l'honneur de leur client; qu'enfin, dans un duel sérieux,—et nous proscrivons les duels de théâtre,—les conditions de la rencontre doivent être arrêtées d'une manière proportionnelle à l'offense, et rigoureusement accomplies.

Or, dans l'affaire qui nous occupe, où l'offense avec coups et blessures est de la dernière gravité, comment admettre que des témoins puissent «dans 329 un but pacifique» choisir des armes «plus ou moins inoffensives», sans s'exposer, eux et leurs clients, aux commentaires plus ou moins comiques de la malveillance ou de la malignité?

Poser cette question, c'est la résoudre. Tout en maintenant nos regrets pour cette conduite irrégulière des témoins, nous saisissons l'occasion d'insister sur les prescriptions contenues dans les chapitres II et IV du présent Code, à savoir:

Que les armes doivent être en parfait état et de nature à pouvoir s'en servir en duel; qu'après avoir été scrupuleusement visitées et acceptées par les témoins, elles doivent être apportées par eux sur le terrain, et remises entre les mains des champions, seulement au moment du combat.

Lorsque les champions ont le droit de se servir de leurs propres armes, elles doivent être remises préalablement entre les mains des témoins qui les apportent sur le terrain après avoir satisfait aux prescriptions sus-énoncées.

Mais il est une irrégularité bien plus essentielle contre laquelle on ne saurait trop protester, irrégularité d'autant plus blâmable qu'elle constituait de la part des témoins, une aggravation du combat en dehors des règles du duel adopté, et en la défaveur totale de l'un des champions.

Nous demanderons en vertu de quel principe les témoins se sont arrogés le droit d'accorder à M. B... la faculté de riposter, à son adversaire après le mot «trois?»

330 Déblayons le terrain.

Dans les duels au pistolet, les conventions doivent décider: si le duel sera terminé après une seule reprise, c'est-à-dire, après un seul échange de feu entre les adversaires, quand bien même il n'en résulterait point de blessures; ou bien si le duel ne doit se terminer, quoiqu'il soit sans résultat, qu'après un nombre de reprises déterminé, à moins qu'une simple blessure ou une blessure grave (ce qui est encore à fixer) n'en vienne avancer le terme.

Ou bien enfin, si le duel aura lieu à outrance, c'est-à-dire, ne devra se terminer que lorsqu'un des antagonistes aura été reconnu hors de combat?

L'usage assez universellement admis réclame l'outrance dans les affaires motivées par l'insulte la plus grave, et avec coups et blessures.

Coup raté compte pour tiré, à moins d'une convention contraire, laquelle en peut être virtuellement posée, comme nous allons le voir, dans certaines espèces de duel.

Dans le duel au signal, au commandement tel que nous l'avons décrit (Voir chapitre VIII, Duel au signal), le témoin désigné frappe trois coups séparés par des intervalles égaux et déterminés. Personne ne peut tirer ni avant, ni après le troisième coup, on doit tirer simultanément. Les témoins sont en droit et en devoir d'empêcher quiconque de tirer après le troisième coup; car le duel est terminé, à moins qu'il ne soit à plusieurs reprises où à outrance. Dans ce cas le duel recommence comme si tous les deux avaient 331 fait feu, c'est-à-dire, à chances égales comme dès le principe.

Comme on le voit, dans le duel au signal ou au commandement, les deux adversaires sont à chance égale, tous les deux sont sujets aux mêmes émotions; tous les deux ont la même préoccupation, celle de pouvoir être atteints; cette parité de préoccupation, d'appréhension influe tout naturellement sur la justesse du tir chez tous les deux.

D'après ce, l'on remarque que la faculté d'une riposte après le troisième coup est impossible, car elle vicie la base essentielle de ce duel.

Ainsi, celui qui riposterait après le troisième coup, jouirait, au détriment de son adversaire, de deux avantages d'une importance majeure.

Celui de pouvoir ajuster sans émotion, puisqu'il est exempt de l'appréhension de recevoir la balle de son adversaire.

Cette sécurité n'influe-t-elle pas sur la précision de son tir?

Ayant déjà ajusté son adversaire à la même place, ne lui est-il pas plus facile de régler son tir en recommençant?

D'après ce, sous quelque prétexte que ce soit, que le chien du pistolet soit paralytique, que la capsule soit anémique, que la gâchette soit tombée en léthargie, dans le duel au signal ou commandement, personne ne doit faire feu après le troisième coup. Le duel est terminé, et ne peut recommencer qu'à chances égales, si les conditions arrêtées en imposent l'obligation.

332 Dans la rencontre qui nous occupe, le narrateur omet de relater si le duel devait finir à la première reprise, où s'il devait continuer jusqu'à une reprise déterminée, ou s'il devait être à outrance.

Il nous fait connaître dans l'espèce, que c'était un duel au commandement, et qu'après le mot «trois» il n'était plus permis à personne de tirer.

Cela nous suffit pour soutenir, suivant les principes exprimés plus haut, que: malgré que le chien du pistolet de M. B... ait été rénitent, les témoins ont commis une blâmable irrégularité en accordant à ce dernier la faculté de riposter après le mot «trois»!

Quelle responsabilité pour les témoins, principalement pour ceux de M. M..., si M. B... n'eût pas généreusement renoncé au droit qui lui était injustement accordé, et qu'il en fût résulté une blessure grave ou même la mort?

De si graves irrégularités peuvent se mettre sur le compte de l'inexpérience des témoins, soit; mais n'eût-il pas été plus sage et plus prudent de leur part de consulter au préalable et confidentiellement des personnes plus expérimentées?

Dieu préserve nos lecteurs de se trouver dans l'obligation de réclamer l'assistance de pareils témoins!


Un mot sur l'acte de tirer en l'air.

Cet acte généreux termine naturellement le combat. 333 Si le duel, suivant les conventions, doit se terminer après une seule reprise, rien de mieux. Mais si le duel, dans une affaire grave, doit continuer, trouvera-t-on toujours des témoins disposés à accepter ou à permettre que l'un des adversaires, tirant en l'air, mette ainsi fin au duel avant le terme fixé par les conditions arrêtées?

Cette question demanderait de trop longs développements; nos lecteurs voudront bien y suppléer.


La plupart du temps, ceux qui proposent un duel à bout portant avec une seule arme chargée ne sont que des lâches, cherchant à se bâtir une réputation de bravoure, sur le refus qu'un honnête homme est toujours en droit de leur opposer. C'est parfois un acte de courage, quand celui qui fait cette proposition se trouve dans l'impossibilité réelle de trouver une satisfaction équitable de la dernière des insultes dans les duels légaux; du reste nous aurons à revenir sur ce triste sujet dans les duels exceptionnels.

22o

Un jeune homme aventureux ayant entendu parler de la bravoure du comte K..., désire s'en assurer; il va lui proposer un duel à bout portant avec une seule arme chargée. Le comte K... lui répond: «Je ne pense pas avoir encore fait de folie dans ma vie, mais une fois n'est pas coutume, j'accepte votre proposition!»

334 Quelques heures après, l'écervelé avait eu la récompense de sa curiosité; ayant eu la mauvaise chance, il avait laissé sa vie dans le combat.

Quel mauvais génie l'avait poussé à solliciter un passeport pour aller étudier le Code du duel dans l'autre monde?

23o

Le même duel est proposé à M. V... «Soit, dit-il, j'accepte. L'administration des pompes funèbres enverra un corbillard sur le terrain pour emporter celui de nous deux qui aura succombé. Vous avez sans doute choisi vos témoins, je me hâte de sortir pour chercher les miens.»

Cela dit, il prend son chapeau et se dispose à sortir.

Le faux brave ne lui en laisse pas le temps, et le prie très sincèrement d'agréer ses regrets!

Les exemples variés que nous venons de présenter suffiraient sans nul doute pour justifier aux yeux de nos lecteurs, les articles établis dans les précédents chapitres.

Nous passerons donc aux règles spéciales des différents duels en commençant par le duel à l'épée.

335

CHAPITRE VI
DU DUEL A L'ÉPÉE

Art. 1.—Arrivés sur le terrain, les adversaires se saluent courtoisement ainsi que tous les témoins respectifs; ils ne doivent avoir entre eux aucune explication, toute décision quelconque qu'ils pourraient prendre peut être considérée comme nulle.

Art. 2.—Dans la généralité des duels, sauf les cas où une règle particulière remet ce droit à la désignation du sort, le doyen d'âge, parmi les témoins, dirige la rencontre assisté par le plus âgé de la partie adverse. Les deux témoins moins âgés les aident dans l'accomplissement de leur mission.

Art. 3.—Les témoins, après avoir reconnu le terrain le plus égal et le plus propre au combat, choisissent le plus également possible deux places à distances suffisantes pour que les adversaires étant fendus ne puissent avoir de contact par la pointe de leurs épées.

Art. 4.—Les places sont tirées au sort.

Art. 5.—Les champions sont invités à se dépouiller de leurs habits, et les témoins constatent 336 qu'ils ne portent aucuns corps étrangers capables de parer un coup d'épée.

Le refus de leur part de se soumettre à cette visite équivaudrait à un refus de duel (Voir chap. IV, art. 34).

Art. 6.—Le témoin qui dirige le duel, invite celui qui l'assiste à lire aux combattants les conditions établies. Cette lecture terminée. Il leur dit: «Messieurs, vous avez entendu la lecture des conditions adoptées par vos témoins et ratifiées par vous. Promettez-vous de vous y conformer honorablement?»

Sur la réponse affirmative des deux adversaires, il continue:

«Je vous avertis que vous ne devez ni croiser le fer, ni avancer, avant le commandement: «Allez!» et que l'honneur vous oblige à vous arrêter immédiatement au commandement: «Arrêtez!» (Voir chap. IV, art. 35.)

Art. 7.—Cette formalité accomplie, les deux témoins les plus jeunes conduisent chacun leur client à la place qui lui est échue par le sort.

Art. 8.—Les témoins prennent les armes acceptées antérieurement et qu'ils ont apportés sur le terrain, ils les soumettent à une contre-visite pour constater définitivement qu'elles sont de même nature, parfaitement égales, très également équilibrées, également effilées, et que les épées ne sont ni tranchantes, 337 ni ébréchées; les armes sont remises aux champions.

Art. 9.—L'insulté a le privilége de se servir de ses armes s'il est dans le cas de l'article 30 du Ier chapitre; toutefois ces armes doivent avoir été remises par avance aux témoins, reconnues propres au combat, acceptées et apportées par eux sur le terrain.

Art. 10.—Les gants d'armes sont de convention réciproque; nul ne peut prétendre imposer cette convention; un gant ordinaire ou un gant d'ordonnance est toujours permis.

Art. 11.—Chaque combattant a le droit d'entourer sa main par un mouchoir roulé ou par un cordon. Les bouts du mouchoir ne doivent pas pendre.

Dans le cas contraire, les témoins adversaires sont en droit d'exiger qu'il l'enlève et ne se serve que d'un simple cordon.

Art. 12.—Après la remise des armes, les témoins, armés chacun d'une épée ou d'une canne dont ils tiennent la pointe ou le bout baissé, se rangent de chaque côté des combattants, de manière à ce que chaque champion ait auprès de lui un témoin adversaire.

Ils doivent observer attentivement, et se tenir prêts à arrêter, s'ils remarquent la moindre irrégularité dans le combat. (Voir art. 40, chap. IV.)

338 Art. 13.—Tout le monde étant à son poste, le témoin désigné donne le signal: «Allez!»

Art. 14.—Si avant le commandement, les épées se sont rapprochées ou jointes par l'initiative des combattants, les témoins doivent les faire arrêter, les faire rompre, réprimander celui qui s'est avancé le premier et faire recommencer le combat suivant les règles.

Art. 15.—Les règles du combat permettent de se baisser, se soulever, se jeter à droite ou à gauche, en avant, rompre, en un mot toute évolution autour de l'adversaire.

Art. 16.—Dans le duel à l'épée, il est expressément défendu de détourner le fer avec la main gauche, à moins d'une convention expresse à cet égard.

Les témoins feront bien d'éviter d'accéder à une pareille convention laquelle pourra toujours être refusée par l'agresseur.

Art. 17.—En cas de contravention de la part d'un champion au précédent article, les témoins adversaires peuvent exiger que la main du contrevenant soit attachée de manière à ce que cette irrégularité ne puisse se renouveler.

Art. 18.—C'est une action blâmable, contraire aux règles de ce duel, de frapper son adversaire, s'il 339 est désarmé, s'il a fait une chute, s'il est à terre; de lui saisir la main ou le corps.

Art. 19.—Un combattant est regardé comme désarmé, lorsque son épée est visiblement sortie de la main, ou s'en est échappée.

Art. 20.—Lorsqu'un des combattants se déclare blessé, ou qu'un témoin quelconque s'en aperçoit, il doit arrêter immédiatement le combat.

Le combat ne peut recommencer qu'avec le consentement du blessé. Ce consentement étant affirmé par les témoins, celui qui dirige le duel donne le commandement suivant: «Messieurs, en garde!» et ensuite, le commandement: «Allez!» (Voir chap. IV, Devoirs des témoins.)

Art. 21.—Si après le combat arrêté le blessé continuait à se battre ou se jetait sur son adversaire, tous les témoins doivent l'arrêter de nouveau, et ses témoins principalement doivent le réprimander.

Si après le combat arrêté, et une blessure déclarée, le champion non blessé se jetait sur son adversaire, tous les témoins doivent l'arrêter, dresser procès-verbal, car il est considéré comme ayant violé les règles du duel.

Art. 22.—Si dans les cas précités, ou voyant la fatigue des champions, l'un des témoins lève la canne ou l'épée, ce signe indique de sa part le désir d'arrêter. Dans ce cas, celui qui dirige le duel ou son 340 collègue, si le signal ne vient pas de leur côté, ou s'il en est autrement, tous autres témoins de la partie adverse peuvent crier: «Arrêtez!»

Les combattants doivent rompre aussitôt et se tenir en garde, même si l'un d'eux croit avoir blessé son adversaire, jusqu'à l'avis contraire des témoins.

Art. 23.—Si l'un des combattants est tué ou blessé contrairement aux règles du duel ou aux conventions établies, les témoins doivent dresser procès-verbal et se conformer sans délai aux prescriptions des articles 40 et 41 du chapitre IV.

Cet article essentiel est obligatoire pour tous les duels.

OBSERVATIONS
SUR L'ARTICLE 1er.

Les conventions du duel ayant été établies de manière à éviter toutes difficultés sur le terrain, il est naturel d'interdire toute conversation entre les adversaires à ce moment suprême.

D'abord cette conversation est inutile et peut même amener de graves inconvénients.

Elle est inutile, car les champions, s'accorderaient-ils pour modifier les conventions, leur décision devrait être soumise à la discussion des témoins et regardée par eux comme nulle et non avenue.

Elle peut amener de graves inconvénients, celui 341 par exemple d'une altercation qui serait, indépendamment de ses conséquences pour envenimer l'affaire, tout au moins, des plus inconvenantes.

Arrivés sur le terrain, les adversaires doivent se saluer courtoisement, ainsi que leurs témoins respectifs, garder le silence, et conserver toujours cette attitude pleine de dignité qui dénote l'homme aussi brave que bien élevé.

Nous disons toujours, car, pendant le combat, les adversaires doivent s'abstenir de cris, exclamations, etc., de mauvais goût.

Il est au contraire de suprême bon goût, de voir un champion interpellé par ses témoins s'il consent à s'arrêter, s'incliner et répondre qu'il est à la disposition de son adversaire.

La courtoisie est toujours de meilleure mise dans les affaires d'honneur.

SUR L'ARTICLE 2.

Dans les duels à l'arme blanche, comme dans tous les duels d'ailleurs, le choix du terrain est de grande importance.

Le terrain doit être choisi sur une surface plane, aussi égale que possible, assez spacieuse pour permettre aux combattants d'effectuer toutes les évolutions permises dans ce genre de combat.

On doit éviter tout terrain encaissé, borné par des élévations ou obstacles de nature à produire des 342 chutes, des faux pas, ou à permettre aux adversaires de s'acculer mutuellement.

L'ampleur du terrain doit être telle, que les témoins placés sur une ligne et sur le côté, puissent se trouver toujours à une distance de deux mètres au moins des champions, afin de ne jamais les gêner dans leurs mouvements, sans pourtant cesser un seul instant de pouvoir surveiller le combat.

En aucune circonstance, et sous aucun prétexte, les témoins ne doivent se trouver derrière les combattants.

SUR L'ARTICLE 5.

Souvent des combattants portent sur eux, soit des médailles, soit de l'argent, soit des médaillons ou portraits. Une pièce dans le gousset peut sauver la vie, nous l'avons prouvé par l'exemple du porte-monnaie que nous avons cité au chapitre V. Toutes les chances, dans un duel, doivent être parfaitement égales. Il est donc de toute justice que chaque champion se dépouille de tout ce qui peut sauver sa vie au détriment de son adversaire, et les combattants doivent loyalement s'empresser de donner la preuve qu'ils ne portent sur eux aucun corps étranger capable de parer un coup d'épée.

D'après ce, tout champion obligé de porter par exemple une ceinture herniaire, dont il ne pourrait sans danger se passer pendant le combat, doit préalablement 343 le déclarer à ses témoins, qui en font part immédiatement aux témoins de l'adversaire.

Cette déclaration doit être faite au moment où l'on établit les conventions du duel et par conséquent cette circonstance est connue par l'adversaire et par ses témoins avant d'aller sur le terrain.

Arrivés sur le terrain, les témoins de ce dernier sont en droit de vérifier la ceinture déclarée, afin de s'assurer si elle constitue simplement le bandage dont on use communément dans les affections herniaires. (Voir chap. V, exemple no 5.)

SUR L'ARTICLE 8.

Pour éviter tout inconvénient, nous avons établi que les témoins fussent chargés de porter les armes sur le terrain.

Quand bien même les champions auraient le droit de se servir des leurs, ils doivent les remettre aux témoins qui les déclarent admissibles après avoir procédé à leur visite, et ont soin qu'elles soient d'égale longueur, etc. L'usage de lier chaque paire d'épée choisie et de sceller les bouts sur un papier fort, en y apposant le cachet d'un témoin de chaque partie, nous paraît de très bon conseil.

Cependant au moment où les combattants sont conduits à leur place après la rupture des scellés, le mesurage se renouvelle pour la forme, et on donne les armes à choisir à celui qui en a le droit.

344 Les armes ne doivent point être ébréchées, parce que la brèche, accrochant le fer de l'adversaire, le détourne et rabat plus facilement, et que la blessure est nécessairement plus grave.

Nous conseillons aux témoins de veiller à ce que la garde soit de la même importance et que la poignée soit également équilibrée. Équilibrée dans la moyenne ordinaire: ceci, pour éviter qu'un homme fort fasse équilibrer d'une manière plus pesante les armes, afin d'avoir un avantage sur un antagoniste plus faible.

SUR L'ARTICLE 11.

Le mouchoir dont on s'entoure la main ne doit pas pendre parce que si, au commencement du combat, l'un des champions laissait avec ou sans intention voltiger les bouts ou même un seul bout de ce foulard, son mouvement continuel d'oscillation troublerait la vue de l'adversaire et diminuerait pour ce dernier l'égalité des chances. Nous avons eu nous-même l'occasion de constater de visu l'utilité de cet article. Aussi n'entendons-nous laisser pendre ni les bouts d'un cordon, ni même l'olive d'une dragonne.

SUR L'ARTICLE 16.

Pour ce qui regarde cet article nous n'avons rien à ajouter aux observations relatives à l'article 27 du chapitre IV.

345

SUR LES ARTICLES 18, 19, 20 ET 21.

Sur une riposte du tout au tout portée dans un combat mené avec une égale vigueur de part et d'autre, où les coups se succèdent avec une précipitation proportionnelle à l'ardeur croissante des combattants, ne peut-il point arriver, et n'arrive-t-il pas assez souvent qu'on n'ait pas eu le temps de s'apercevoir que son adversaire est désarmé? C'est dans le but d'éclairer cette situation que nous avons introduit dans l'article 19, le mot visiblement. Sans doute tout combattant pour lequel il a pu être visible que son adversaire est désarmé, doit, sans attendre la voix des témoins, rompre en garde et s'arrêter; si les témoins ont pu voir que l'épée était sortie de la main avant la riposte, le combattant armé est sensé s'en être aperçu, et s'il a touché son ennemi, il a commis une violation des règles du duel. Si l'on se refusait à admettre cette supposition, on arriverait à frapper son adversaire quand son épée serait à terre. Ici tout dépend de la vigilance et de la sûreté de coup d'œil des témoins, le temps et la position doivent leur fournir les bases nécessaires pour établir leur jugement sur cette importante question.

Nous le répétons, tout combattant qui a blessé son adversaire doit, selon les règles de la délicatesse du point d'honneur, rompre en restant en garde et s'arrêter; mais il arrive souvent que l'animation du combat empêche pendant quelques instants de 346 sentir une blessure; d'ailleurs, le combat n'est réellement arrêté, selon les règles du duel, que par le commandement des témoins, ou en cas de désarmement. Ceci s'explique parfaitement. Emporté par l'amour-propre et par son ardeur, souvent le blessé continue peut-être avec plus de vigueur, au moins pour le moment, et celui qui a porté le coup croit n'avoir pas touché.

Il ne suffit pas que les témoins crient d'arrêter, mais il faut que leur voix soit toujours entendue et obéie, et qu'ils aient les moyens de dégager leur responsabilité à cet égard. C'est dans ce but que, dans le chapitre IV, nous avons établi les articles 38 et 39.

Au moment où les témoins crient d'arrêter, les deux témoins les plus proches s'avancent vers les combattants, les font rompre, et se tiennent à leur côté presque face à face, en baissant le bout de leur arme, et invitant les adversaires à baisser la pointe de leur épée. Pendant ce temps-là les deux autres témoins peuvent conférer et aviser sans craindre le moindre inconvénient.

Cette méthode que nous avons vu pratiquer dans différentes affaires auxquelles nous avons assisté, soit comme acteur, soit comme témoin, nous a paru excellente pour garantir de toute violation des conditions du duel.

Sauf la condition d'une blessure sérieuse, ou surtout d'un duel à outrance, le combattant blessé peut ne pas recommencer s'il le juge convenable; mais s'il y consent, ses témoins doivent juger s'il leur 347 convient d'assumer la responsabilité de le lui permettre, et dans le cas de l'affirmative, ils doivent ne pas être plus de dix minutes avant de le faire mettre en garde.

348

CHAPITRE VII
DU DUEL AU SABRE

Art. 1er.—Comme article 1er, duel à l'épée.

Art. 2.—Comme article 2, duel à l'épée.

Art. 3.—Les témoins, après avoir reconnu le terrain le plus égal et le plus propre au combat, choisissent le plus également possible deux places à un mètre de distance des pointes des sabres, les deux adversaires étant fendus.

Art. 4.—Les places sont tirées au sort.

Art. 5.—Les champions sont invités à se dépouiller de leurs habits, et les témoins constatent qu'ils ne portent sûr eux aucuns corps étrangers capables de parer un coup de sabre.

Le refus de leur part de se soumettre à cette visite, équivaudrait à un refus de duel. (Voir chap. IV, art. 34.)

Art. 6.—Le témoin qui dirige le duel invite celui qui l'assiste à lire aux combattants les conditions établies. Cette lecture terminée, il leur dit: Messieurs, 349 vous avez entendu la lecture des conditions adoptées par vos témoins et ratifiées par vous. Promettez-vous de vous y conformer honorablement? Sur la réponse affirmative des deux adversaires, il continue ainsi:

Je vous avertis que vous ne devez ni croiser le fer, ni avancer avant le commandement: Allez! et que l'honneur vous oblige à vous arrêter immédiatement au commandement: «Arrêtez!» (Voir chap. IV, art. 35.)

Art. 7.—Cette formalité accomplie, les deux témoins les plus jeunes conduisent chacun leur ami à la place qui lui a été désignée par le sort.

Art. 8.—Les témoins prennent les sabres acceptés antérieurement, et qu'ils ont apportés sur le terrain. Ils les soumettent à une contre-visite pour constater définitivement qu'ils sont de même monture, de même nature, parfaitement égaux, soit également équilibrés, soit également tranchants et effilés à la pointe, et que les lames ne sont point ébréchées.

Dans la même paire de sabres, le choix de l'arme se tire au sort.

Les armes sont remises aux champions.

Art. 9.—L'insulté a le privilége de se servir de ses armes, s'il est dans le cas de l'article 30 du chapitre Ier, à charge à lui d'en offrir une à son adversaire, qui peut le refuser et dans ce cas se servir des siennes.

350 Si les deux combattants sont du même régiment, chacun peut se servir de son propre sabre, pourvu qu'il soit de même monture et de même nature, conformément aux prescriptions de l'article 8.

Toujours et dans tous les cas, les armes doivent avoir été remises préalablement aux témoins, reconnues propres au combat, acceptées et apportées sur le terrain.

Art. 10.—Le gant crispin peut être permis en vertu d'une convention réciproque. Nul ne peut prétendre imposer cette convention.

Un gant ordinaire ou un gant d'ordonnance sont toujours permis.

Art. 11.—Chaque combattant a le droit de s'entourer la main d'un mouchoir roulé ou d'un cordon; les bouts du mouchoir ne doivent pas pendre.

Dans le cas contraire, les témoins adversaires sont en droit d'exiger qu'il enlève le mouchoir et ne se serve que d'un simple cordon.

Art. 12.—Après la remise des armes, les témoins, armés chacun d'un sabre ou d'une forte canne, dont ils tiennent la pointe ou le bout baissé vers la terre, se divisent et se rangent de chaque côté des combattants, de manière à ce chaque champion ait auprès de lui un témoin adversaire.

Ils doivent observer attentivement et se tenir prêts à arrêter s'ils remarquent la moindre irrégularité dans le combat. (Voir chap. IV, art. 40.)

351 Art. 13.—Tout le monde étant à son poste, le témoin désigné donne le signal: Allez!

Art. 14.—Si avant le commandement les sabres se sont rapprochés ou joints par l'initiative des combattants, les témoins doivent les faire arrêter, rompre, les réprimander (principalement celui qui s'est avancé le premier) et faire recommencer le combat suivant les règles.

Art. 15.—Les règles de ce duel permettent de porter des coups d'estoc et de taille, de se baisser, de se soulever, de sauter à droite et à gauche, de rompre, avancer, faire, en un mot, toute évolution autour de son adversaire.

Art. 16.—Dans ce duel, il est expressément défendu de détourner le fer avec la main gauche, à moins d'une convention expresse à cet égard. Les témoins feront bien d'éviter d'accéder à une pareille convention, laquelle peut toujours être refusée par l'agresseur.

Art. 17.—En cas de contravention au précédent article de la part du champion, les témoins adversaires peuvent exiger que la main du délinquant soit attachée de manière à ce que cette irrégularité ne puisse se renouveler.

Art. 18.—C'est une action blâmable, contraire aux règles de ce duel, de frapper son adversaire s'il est désarmé, s'il a fait une chute, s'il est à terre, 352 de lui saisir la main ou le corps, de saisir son arme avec la main.

Art. 19.—Un combattant est regardé comme désarmé lorsque son sabre a visiblement abandonné la main, s'en est échappé.

Art. 20.—Lorsque l'un des combattants se déclare blessé, ou qu'un témoin quelconque s'en aperçoit, il doit arrêter immédiatement le combat.

Le combat ne peut recommencer qu'avec le consentement du blessé.

Ce consentement étant affirmé par les témoins, celui qui dirige le duel donne le commandement: «Messieurs, en garde!» et ensuite le commandement: «Allez!» (Voir chapitre IV, Devoirs des témoins.)

Art. 21.—Si, après le combat arrêté, le blessé continuait à se battre ou se jetait sur son adversaire, tous les témoins doivent l'arrêter de nouveau, et ses témoins principalement doivent le réprimander.

Si, après le combat arrêté et une blessure déclarée, le champion non blessé se jetait sur son adversaire, tous les témoins doivent l'arrêter, dresser procès-verbal, et il est considéré comme ayant manqué aux règles du duel.

Art. 22.—Si dans les cas précités, remarquant la fatigue des champions, l'un des témoins lève le sabre ou la canne, ce signe indique de sa part le désir d'arrêter. Dans ce cas, celui qui dirige le duel, 353 si le signe ne vient pas de son côté, ou, s'il en est autrement, tout autre témoin de la partie adverse peut crier: Arrêtez!

Les combattants doivent rompre aussitôt en se tenant en garde, même si l'un d'eux croit avoir blessé son adversaire, jusqu'à l'avis contraire des témoins.

Art. 23.—Si l'un des combattants est tué ou blessé contrairement aux règles du duel ou aux conditions établies, les témoins doivent dresser procès-verbal et se conformer, sans délai, aux prescriptions des articles 40 et 41 du chapitre IV.

Du duel au sabre sans pointe.

Art. 1er.—Dans ce duel, on doit, autant que possible se servir du sabre sans pointe.

Art. 2.—Les armes sont tirées au sort.

Art. 3.—Il est expressément défendu aux adversaires de se porter des coups de pointe.

Toute contravention à cette disposition essentielle serait un assassinat, car l'adversaire, ne devant prévoir un tel coup, ne peut se tenir sur ses gardes et venir à la parade.

Art. 4.—Dans ce duel, les témoins peuvent convenir, par avance, que le combat finira à la première blessure. Cela dépend de la gravité de l'affaire et des conventions.

Il est même d'usage de l'arrêter à la première 354 blessure; cela dépend encore des conventions et du consentement des adversaires sur le terrain.

Art. 5.—Sauf les dispositions particulières énoncées dans les quatre articles ci-dessus, toutes les prescriptions contenues dans les articles du duel précédent sont obligatoires dans le duel au sabre sans pointe.

OBSERVATIONS

Sur les duels au sabre (page 348).

SUR L'ARTICLE 5.

Les témoins peuvent toujours permettre que l'on garde la chemise ordinaire; dans les temps très froids, ils peuvent tolérer le gilet de laine, pourvu que les deux parties en fassent usage.

Quelques personnes désirent que l'on puisse préserver la figure par des masques d'armes. Nous ne connaissons point d'exemple d'une pareille tolérance. Du reste, tout est de convention réciproque. C'est encore une convention exceptionnelle qui n'est, en aucun cas, obligatoire pour aucun des combattants.

SUR L'ARTICLE 8.

Il serait à souhaiter que les témoins puissent spécifier l'usage des sabres courbes comme moins dangereux. Tant mieux, s'ils peuvent réussir à faire 355 établir cette convention; mais elle ne peut être imposée par personne.

SUR L'ARTICLE 9.

Nous avons obvié à tout inconvénient en établissant que les armes doivent être visitées et acceptées par les témoins avant d'aller sur le terrain; et que lesdites armes doivent être apportées par eux. (Voir art. 32, chap. IV.)

SUR L'ARTICLE 10.

On se sert de gants à la crispin, suivant les conventions. Nous avons, nous-même, assisté à plusieurs duels où l'on se servait tout simplement d'un gant ordinaire, un peu fort, ou d'un gant d'ordonnance. Renseignements pris, cet usage est le plus commun. Même dans le cas de l'article 9, nous ne croyons pas que le gant crispin puisse être imposé; c'est une convention purement exceptionnelle.

SUR LES ARTICLES 17, 18 et 19.

En plaçant les témoins dans l'ordre prescrit par l'article 37 du chapitre IV, ils ont toute facilité pour veiller à l'exécution loyale des conditions du duel, soit en cas de désarmement, de blessure; soit même qu'il leur plaise d'arrêter le combat pour quelque motif que ce puisse être.

356

Sur le duel au sabre sans coups de pointe (page 353).

Le duel au sabre sans pointe, moins d'usage en France qu'à l'étranger, trouve néanmoins sa place parmi les duels légaux, parce que le duel au sabre sans pointe est un duel auquel, ordinairement, la moindre blessure doit mettre fin, un duel peu dangereux, un duel pour se laver d'une offense et non pour se venger, un duel au premier sang.

C'est donc combattre l'inhumanité du duel que de donner celui-ci comme légal.

Quelques personnes appréhendent ce duel dans la crainte que l'un des adversaires, dans l'ardeur du combat, ne soit assez oublieux pour porter un coup de pointe, et ne soit, par ce fait même, considéré comme étant dans le cas des articles 40 et 41 du chapitre IV; ce qui serait en effet s'il transgressait les conditions de ce combat que nous nous croyons autorisé à maintenir, d'autant plus que notre étude a pour but de satisfaire à un intérêt général.

Cependant, faisant droit à cette appréhension, si l'un des adversaires déclarait qu'il ne peut être assez maître de lui pour ne point porter des coups de pointe, qu'il craint de manquer aux lois du combat et de l'honneur, les témoins seraient tenus de se servir d'une paire de sabres sans pointe.

Dans les duels au sabre comme dans les autres, le combattant qui voit son adversaire désarmé doit, sans attendre la voix des témoins, rompre en garde et s'arrêter. La courtoisie et la délicatesse lui indiquent 357 encore de rompre en garde lorsqu'il croit avoir blessé son adversaire. Les combattants et les témoins dans ces différents cas doivent suivre les mêmes errements que dans les observations sur les duels à l'épée.

Quelques amateurs se montrent très peu partisans du duel au sabre, dont ils allèguent l'infériorité sous le point de vue de l'art de l'escrime, et ensuite sous le rapport de la répulsion pour les blessures effroyables qui en sont parfois le résultat.

L'escrime du sabre moins compliquée, disent-ils, donne lieu à une largeur de mouvements qui laissent une vaste surface à découvert. Le tireur à l'épée a donc une supériorité positive sur son adversaire. Cette supériorité, il est vrai, n'est plus la même, lorsque la pointe est défendue.

C'est précisément le peu de complication de l'escrime au sabre qui engage à le conseiller à ceux dont l'ignorance est à peu près complète sur l'usage des armes.

Un poignet vigoureux, bon pied, bon œil, du cœur au ventre surtout, suffisent à un honnête homme, moyennant quelques séances chez un maître d'armes expérimenté, pour se trouver en mesure de défendre sa vie dans une rencontre au sabre.

De nombreux exemples prouvent que l'on y parvient facilement, si l'on a le sang-froid de garder la défensive, de tenir la pointe au corps et d'attendre pour riposter à son adversaire que l'impatience le porte à se découvrir. Dans certaines armées, on préconise le sabre, non seulement parce que cette arme est plus facile à manier, mais parce que l'on pense 358 que nul n'est censé ignorer l'usage de l'arme qu'il emploie devant l'ennemi.

Du reste, chez les militaires comme chez tous, l'offensé qui se trouve dans le cas de l'article 30 du chapitre Ier a toujours le droit de choisir l'arme qui lui convient le mieux.

359

CHAPITRE VIII
DES DUELS AU PISTOLET

Il y a diverses sortes de duels au pistolet, il existe une règle généralement admise pour tous, savoir:

1o Que la distance la plus rapprochée entre les adversaires ne peut être inférieure à 12 mètres environ (15 pas).

2o Que les armes doivent être inconnues aux champions à moins de conventions contraires.

3o Que le guidon de ces armes soit parfaitement fixe.

4o Que l'on ne peut tolérer entre les armes une différence supérieure à 3 centimètres (15 lignes) de longueur pour le canon.

Duel au pistolet et de pied ferme.

Art. 1er.—Arrivés sur le terrain, les adversaires se saluent courtoisement ainsi que leurs témoins respectifs, et gardent le silence, ils ne doivent avoir entre eux aucune explication. Toute décision quelconque qu'ils pourraient prendre, peut être considérée comme nulle, par les témoins, qui sont leurs fondés de pouvoir.

360 Art. 2.—Dans ce duel, un témoin désigné par le sort dirige la rencontre assisté par le témoin le plus âgé de la partie adverse. Les autres témoins les aident dans l'accomplissement de leur mission.

Art. 3.—Les témoins, après avoir reconnu le terrain le plus propre au combat, marquent le plus également possible deux places séparées par une distance de 12 à 27 mètres (15 à 35 pas).

Art. 4.—Les places sont tirées au sort.

Art. 5.—Les armes doivent être égales et de la même paire de pistolets.

Elles doivent être absolument inconnues aux combattants. Cependant, par convention réciproque, dans certains cas, les témoins peuvent permettre à chacun de se servir des siennes.

Art. 6.—Il est permis à l'insulté, s'il se trouve dans la catégorie de l'article 30 du Ier chapitre, de se servir de ses propres armes, mais il doit en offrir une à son adversaire, lequel est libre de la refuser, d'en demander d'autres ou même, dans ce cas, de se servir des siennes.

Art. 7.—Dans les cas prévus par l'article 6, celui auquel appartiennent les armes, doit en abandonner le choix à l'adversaire, à moins que chacun ne soit autorisé à se servir des siennes. Dans tout autre cas, le choix des armes est tiré au sort.

Art. 8.—Dans tous les cas, les armes doivent avoir été remises, par avance, entre les mains des 361 témoins, reconnues propres au combat, acceptées et apportées par eux sur le terrain.

Art. 9.—Si les témoins ont amené un chargeur (ce qui est une excellente précaution), ce dernier accomplit son office à l'écart, en présence, au moins, de l'un des témoins de chaque partie.

Art. 10.—Dans le cas contraire, les témoins doivent charger les armes, les uns devant les autres, sans précipitation, et avec la plus scrupuleuse attention.

Chacun d'eux, si c'est la même paire de pistolets qui sert au combat, doit faire connaître aux témoins adversaires la mesure de sa charge; ces derniers comparent avec la même baguette le contenu du pistolet.

Dans tout autre cas les témoins chargent les uns devant les autres, et l'un après l'autre, en présence de tous les quatre.

Art. 11.—Si la distance est fixée à 27 mètres, (35 pas) l'insulté, s'il est dans la situation prévue par les 29e et 30e articles du Ier chapitre, a le droit de tirer le premier.

Si les distances sont plus rapprochées, la primauté du tir est laissée à l'arbitrage du sort.

Art. 12.—Les champions sont invités à se dépouiller de leurs habits et les témoins constatent qu'ils ne portent sur leur personne aucun corps étranger susceptible d'amortir et de parer le choc de la balle.

Le refus de leur part de se soumettre à cette visite 362 équivaudrait à un refus de duel. (Voir chap. IV, art. 34.)

Art. 13.—Le témoin qui dirige le duel invite celui qui l'assiste à lire aux combattants les conditions établies; cette lecture terminée, il leur dit:

«Messieurs, vous avez entendu la lecture des conditions adoptées par vos témoins et ratifiées par vous, promettez-vous de vous y conformer honorablement?»

Sur la réponse affirmative des deux adversaires il continue ainsi: «Je vous avertis qu'au commandement préparatoire: «Armez!» vous devez armer, et que l'honneur vous oblige à attendre avant de faire feu le 2e commandement: «Tirez!»

Art. 14.—Les témoins désignés conduisent chacun leur client à la place qui lui est échue par le sort.

Les armes sont livrées aux combattants.

Art. 15.—Les témoins se placent tous les quatre d'un même côté et sur la même ligne, en ayant soin que chaque champion ait pour voisin un témoin adversaire.

Art. 16.—Les témoins étant placés, celui qui dirige le duel, donne le commandement préparatoire: «Armez!» Quelques secondes après, il commande: «Tirez!»

Art. 17.—Tout coup raté compte pour tiré, sauf convention contraire.

363 Art. 18.—Après le signal donné, les deux adversaires doivent faire feu successivement, dans l'ordre de primauté convenu, et comme suit:

Art. 19.—Celui qui doit tirer le premier, n'a qu'une minute pour le faire, à dater du signal.

Art. 20.—Le champion qui tire le second, n'a qu'une minute pour riposter, à dater du feu de son adversaire. Passé ce temps, il ne peut plus le faire.

Art. 21.—Le blessé a le droit de tirer sur son adversaire, mais il n'a que deux minutes pour user de ce droit.

S'il tire après les deux minutes écoulées, il viole les conditions du duel.

Art. 22.—Si les deux adversaires ont fait feu sans qu'il en soit résulté aucune blessure, on recommence suivant les prescriptions énoncées dans les articles précédents.

Il en est de même si le combat devait recommencer après blessure insuffisante.

Art. 23.—Si l'un des deux combattants est tué ou blessé contrairement aux règles du duel ou aux conventions établies, les témoins doivent dresser procès-verbal et se conformer sans délai aux prescriptions des articles 40 et 41 du chapitre IV.

Cet article essentiel est obligatoire pour tous les duels.

364

Duel au pistolet à volonté.

Dans ce duel, on se conforme aux prescriptions relatives au duel de pied ferme, sauf les dérogations contenues dans les articles suivants.

Art. 1er.—La distance entre les champions est de 19 ou 20 mètres (25 pas).

Art. 2.—Ils sont placés dos à dos.

Art. 3.—Au seul commandement: «Tirez!» les champions se retournent face à face et tirent à volonté.

Du duel au pistolet, à marcher.

Dans ce duel on se conforme aux prescriptions relatives au duel de pied ferme, sauf les dispositions particulières contenues dans les articles suivants:

Art. 1er.—Les distances marquées doivent être de 30 à 27 mètres (40 à 35 pas) et deux lignes sont tracées également entre ces distances, lesquelles doivent être éloignées l'une de l'autre de 15 à 12 mètres (20 à 15 pas), de manière à ce que chaque champion ait la faculté de marcher 8 mètres; ces deux lignes sont marquées par une baguette ou par un mouchoir blanc.

Art. 2.—Par dérogation à l'article 6 du duel de pied ferme, l'insulté ne peut revendiquer le droit de se servir de ses propres armes que s'il se trouve 365 dans la catégorie désignée par l'article 30 du chapitre Ier.

On se conforme pour le reste aux prescriptions des articles 6 et 7 du duel de pied ferme.

Art. 3.—Le témoin désigné par le sort pour diriger le duel donne le signal par ce seul commandement: «Marchez!»

Art. 4.—Les combattants marchent à volonté, en marchant droit l'un sur l'autre.

Ils doivent tenir le pistolet verticalement en marchant, il leur est facultatif de mettre en joue en s'arrêtant même sans tirer, de marcher après, s'avancer jusqu'à la ligne tracée par la baguette ou le mouchoir entre les distances, ayant soin de ne point la dépasser, faire feu sur place avant de marcher, faire feu après avoir marché, en un mot faire feu à volonté.

Art. 5.—Il est toujours permis de tirer sur son adversaire si l'on n'a pas encore fait feu; l'on peut également avancer jusqu'à la ligne tracée; en aucun cas, l'adversaire n'est tenu d'avancer.

Art. 6.—Le champion qui a fait feu doit attendre le feu de son antagoniste dans une parfaite immobilité, ce dernier n'a qu'une minute d'intervalle pour avancer et pour tirer.

En cas de contravention, les témoins doivent commander et faire mettre arme bas.

Art. 7.—Il est permis au blessé de riposter en 366 face de son adversaire, mais dans l'espace d'une minute à dater du moment où il est frappé.

Il lui est accordé deux minutes s'il est à terre.

Art. 8.—Quelquefois dans ce duel l'insulté demande à ce que deux pistolets soient mis à la disposition de chacun des combattants.

S'il ne se trouve pas dans la catégorie de l'article 30 du chapitre Ier, les témoins doivent rejeter absolument cette demande.

Art. 9.—Dans le cas où cette demande serait admise, la même paire de pistolets ne peut servir à un seul des combattants, chacun doit se servir d'un pistolet de chaque paire.

Par extraordinaire et sur une demande formelle de leur part, les témoins peuvent leur accorder la faculté de se servir chacun de leurs propres armes.

Art. 10.—Dans le cas prévu par le précédent article 8, les témoins ne peuvent arrêter le duel qu'après les quatre coups tirés, à moins qu'il n'y ait un blessé.

Lorsqu'il y a blessure, le combat doit toujours être arrêté et le blessé, s'il n'a pas instantanément fait feu en recevant la blessure, ne doit plus le faire, parce que l'adversaire pouvant avoir gardé son second coup, conserverait, même en essuyant son feu, un trop grand avantage sur lui.

Art. 11.—Si le duel continue, on se conforme aux prescriptions précédentes.

Cependant s'il y a blessure, le duel ne peut continuer 367 sur la demande même du champion blessé, si les témoins ne le déclarent point propre au combat.

Cette déclaration doit être spécifiée sur le procès-verbal.

Duel au pistolet, à marche interrompue.

Dans ce duel, on se conforme aux prescriptions rélatées au duel de pied ferme, sauf les dispositions particulières contenues dans les articles suivants.

Art. 1er.—Les distances marquées doivent être de 38 à 34 mètres (50 à 45 pas); deux lignes sont également tracées entre les distances, lesquelles doivent être éloignées l'une de l'autre de 15 à 12 mètres (20 à 15 pas), de manière à ce que chacun des champions ait la faculté de marcher 12 mètres environ (15 pas).

Art. 2.—Les armes doivent être inconnues aux combattants et de la même paire de pistolets.

Même par convention réciproque, il ne peut être dérogé à cette prescription.

Art. 3.—Le choix parmi les armes adoptées par les témoins appartient au sort.

Art. 4.—Le témoin désigné par le sort pour diriger le duel, donne le signal par le commandement: «Marchez!»

Art. 5.—Les champions marchent l'un sur l'autre; il leur est facultatif de marcher en lignes 368 brisées ou tortueuses, autrement dit en zig-zag, pourvu qu'ils ne s'éloignent pas de deux mètres de chaque côté de la ligne qui les conduit à la ligne intermédiaire. Ils peuvent marcher droit à cette ligne, s'arrêter, rester en place, viser sans faire feu, même en marchant, s'arrêter et faire feu.

Au premier coup de feu, les deux champions doivent s'arrêter et rester en place.

Art. 6.—Celui des deux champions qui a conservé son coup, peut tirer, mais sur place.

Art. 7.—Celui qui a fait feu doit attendre la riposte de son adversaire en gardant l'immobilité absolue.

L'adversaire riposte dans l'espace d'une demi-minute.

A peine ce laps de temps passé, les témoins doivent commander et faire mettre arme bas.

Art. 8.—Le blessé peut riposter, mais seulement dans l'espace d'une minute à dater du moment où il est tombé, s'il laissait passer ce temps, les témoins doivent l'empêcher de tirer.

Art. 9.—Comme l'article 11 du précédent duel.

Duel au pistolet à ligne parallèle.

Dans ce duel on se conforme aux prescriptions relatives au duel de pied ferme, sauf les dispositions particulières contenues dans les articles suivants:

369 Art. 1er.—Après avoir choisi le terrain le plus propre an combat, les témoins tracent deux lignes parallèles, à 12 mètres (15 pas) l'une de l'autre, et chacune de la longueur de 27 à 19 mètres (35 à 25 pas).

Art. 2.—Ils marquent le plus également possible les places destinées aux combattants à l'extrémité de chaque ligne parallèle en regard l'une de l'autre.

Art. 3.—L'insulté a la faculté de se servir de ses armes, seulement s'il se trouve dans la catégorie du 23e article du chapitre Ier.

On se conforme du reste aux prescriptions des articles 6 et 7 du duel de pied ferme.

Art. 4.—Il est également facultatif aux témoins de permettre à chacun de se servir de ses propres armes.

Dans le cas contraire, les armes doivent être égales et de la même paire de pistolets.

Art. 5.—Après avoir remis les armes aux combattants, les témoins prennent leur place par couple, c'est-à-dire deux témoins adversaires derrière l'un des combattants, et les deux autres derrière l'autre. Ils se placent en ordre inverse de manière à être défilés contre le feu, et cependant à portée de surveiller le combat et de faire arrêter s'il y a lieu.

Art. 6.—Le témoin désigné par le sort pour diriger la rencontre donne le signal par le commandement: «Marchez!»

Art. 7.—Dans ce duel, les combattants marchent 370 à volonté, chacun dans la direction de la ligne qui lui a été tracée, ce qui le rapproche nécessairement de son adversaire soit que ce dernier ait marché, soit qu'il ait cru devoir s'arrêter sur un point quelconque de la ligne qui lui a été tracée à lui-même.

Art. 8.—Celui des combattants qui veut faire feu doit s'arrêter, mais il peut s'arrêter sans faire feu, et marcher après avoir essuyé le feu de son adversaire; chacun des combattant peut tirer quand bon lui semble.

Art. 9.—Le blessé peut faire feu sur son adversaire, lequel n'est point obligé d'avancer. Il doit user de cette faculté dans l'espace de deux minutes à dater du moment où il est tombé.

Art. 10.—Celui qui a fait feu, doit attendre la riposte de son adversaire dans l'immobilité la plus absolue.

L'adversaire n'a qu'une demi-minute pour avancer et tirer.

En cas de contravention les témoins doivent commander et faire mettre arme bas!

Art. 11.—Si le duel n'a produit aucun résultat ou qu'il doive continuer, on recommence en suivant les mêmes errements que précédemment.

Art. 12.—En cas de blessure, le duel ne peut continuer que sur la demande expresse du blessé, approuvée par le consentement de ses propres témoins.

371

Duel au pistolet et au signal ou au commandement.

Dans ce duel, on se conforme aux prescriptions du duel de pied ferme, sauf les dispositions contenues dans les articles suivants:

Art. 1er.—Les distances sont marquées de 27 à 19 mètres (35 à 25 pas).

Art. 2.—Les places marquées le plus également possible, se tirent au sort.

Art. 3.—Les armes doivent être inconnues aux champions, mais de la même paire de pistolets.

Art. 4.—L'insulté classé dans la catégorie du 23e article du chapitre Ier peut se servir de ses armes, en se conformant aux articles 6 et 7 du duel de pied ferme.

Art. 5.—Sauf le cas où les combattants, par convention réciproque, obtiennent par le consentement unanime des témoins, de se servir de leurs propres armes, le choix des armes de la même paire de pistolets est soumis au sort.

Art. 6.—Le droit de donner le signal est dévolu à l'arbitrage du sort.

Art. 7.—Par dérogation au précédent article, le droit de donner le signal est dévolu à l'un des témoins de l'insulté, si ce dernier se trouve dans le cas du 30e article du chapitre Ier.

372 Art. 8.—Le signal se donne par trois coups frappés dans la main à égale distance les uns des autres.

Art. 9.—L'intervalle entre chaque coup frappé est fixé de deux manières différentes:

1o De 3 à 9 secondes: soit 9 secondes pour les trois coups;

2o de 2 à 6 secondes: soit 6 secondes pour les trois coups.

Le choix entre ces deux manières de donner le signal appartient au témoin désigné, sans qu'il soit tenu d'en aviser les témoins adversaires.

Art. 10.—Dans ce duel, le témoin désigné par le sort qui avait fait faire précédemment la lecture prescrite par l'article 3 du duel de pied ferme, rappelle encore les règles du duel aux combattants lorsqu'ils sont en place, et qu'on leur a donné les armes, par les mots suivants, prononcés à haute et intelligible voix: «Rappelez-vous, Messieurs! que sous peine de félonie les lois de l'honneur exigent que vous vous conformiez au signal qui est de trois coups; que chacun de vous tire au troisième coup frappé, ne lève pas l'arme avant le premier coup, et surtout ne tire pas avant le troisième. Messieurs! attention au signal!» et il donne le signal.

Art. 11.—Les champions ayant reçu leurs armes doivent armer, et tenir le bout du canon penché vers la terre, jusqu'à ce qu'ils entendent le signal.

373 Art. 12.—Au premier coup, les combattants doivent lever l'arme verticalement, viser jusqu'au troisième coup. Au troisième coup, faire feu instantanément et simultanément. (Voir les Observations, page 383.)

Art. 13.—Si l'un des combattants fait feu avant le troisième coup ou une demi-seconde après le troisième coup, il commet un acte de félonie, et s'il blesse ou tue son adversaire, il a commis un assassinat.

L'adversaire qui a essuyé le feu avant le troisième coup, a le droit de tirer à volonté.

Art. 14.—Si l'un des champions a fait feu au troisième coup, et que l'adversaire continue à viser, les témoins doivent s'élancer à leurs risques et périls entre les adversaires, commander et faire mettre arme bas!

Art. 15.—Dans ce cas les témoins du champion qui a combattu loyalement doivent refuser de laisser continuer ce duel, en demander un autre avec l'autorisation de leur client qui peut dès lors, s'il le juge convenable, se retirer et refuser toute espèce de rencontre.

Art. 16.—Les témoins du délinquant sont engagés d'honneur à le réprimander énergiquement et peuvent s'entendre avec les témoins adversaires pour choisir un autre duel; à supposer que dans certains cas, leurs convictions personnelles ne les invitent 374 pas à signifier à leur client qu'ils considèrent leur mandat comme terminé.

Art. 17.—Dans le cas même d'une simple blessure, les témoins doivent se conformer aux prescriptions de l'article 20 du duel à pied ferme et des articles 40 et 41 du chapitre IV, Devoirs des témoins.

375

CHAPITRE IX
OBSERVATIONS SUR LES DUELS AU PISTOLET

De tous les duels, le plus dangereux et le plus difficile, est, sans contredit, le duel au pistolet.

En établissant les conditions de chacun de ces duels, il est sage et nécessaire de se préoccuper d'une question importante, celle de décider si les armes seront cannelées ou non cannelées. Il est de toute évidence qu'une blessure d'une arme cannelée produit plus de ravages, est plus difficile à guérir, que celle produite par une arme non cannelée; souvent la vie d'un homme dépendra du choix de l'une de ces armes.

Les règles du duel en permettent indifféremment l'usage. Toutefois, cédant aux considérations ci-dessus énoncées, dans un but d'humanité et de prudence, les témoins, lorsque l'insulte est peu grave et se trouve classée, par exemple, dans l'article 21 du chapitre Ier, doivent essayer d'obtenir l'usage de pistolets non cannelés. Mais, il est plus difficile pour eux de réaliser ce louable désir, si l'insulté se 376 trouve dans le cas des articles 29 et 30 du chapitre Ier. Cela devient même impossible dans le cas prévu par l'article 23 du chapitre précité.

Le guidon des armes est souvent mobile, et doit être parfaitement fixe, parce qu'il serait possible que la méchanceté, la trahison qui forment l'avant-garde ordinaire des mauvaises passions, engageassent, soit un témoin prévaricateur, soit un combattant qui se servirait de ses armes, à déranger le guidon, soit par avance soit sur le terrain même en profitant avec adresse du moment où on lui donne son pistolet, pour pousser la mire et la régler ainsi approximativement, ce qui lui donnerait un perfide avantage sur son adversaire.

Suivant la règle, à moins d'une convention contraire que nous recommandons d'éviter, les armes doivent être complètement inconnues aux deux champions; il est nécessaire, pour que cette prescription essentielle soit loyalement observée, que les deux adversaires ne les aient jamais vues et encore moins touchées, car il n'en faut pas davantage à un tireur exercé pour adapter les pistolets à sa main, pour en étudier les ressorts, la couche et la détente.

Il vaut encore mieux que les combattants ne connaissent pas même la provenance des pistolets, s'ils ont été prêtés par quelque amateur au lieu d'avoir été achetés ad hoc chez un arquebusier.

Nous croyons devoir insister ici de nouveau pour que toutes les armes soient remises par avance 377 entre les mains des témoins, lesquels après les avoir visitées, acceptées, les apportent sur le terrain et les remettent aux champions au moment même du combat.

Cette prescription est d'une importance capitale, dans les duels au pistolet, non seulement pour éviter toute fraude, mais plus encore sous le point de vue du changement des armes.

Suivant l'article 10 du chapitre VIII, page 361, les témoins doivent charger les armes les uns devant les autres. Quelquefois il arrive que les témoins, d'un commun accord, confient à un seul le soin de charger les armes, pensant obtenir ainsi l'unité de charge. Or, quelle mission plus difficile et plus délicate que celle de charger un pistolet de tir? Ainsi un coup de baguette donné en surplus sur une balle, ou même sans être donné en surplus, appuyé avec une puissance de main trop forte ou inégale, peut faire perdre au projectile sa forme sphérique, ou bien influer sur la précision du tir. Quel est le témoin assez sûr de lui-même pour répondre que l'émotion, un simple mouvement nerveux ne l'empêcheront pas de charger plusieurs pistolets d'une manière parfaitement égale, quand il n'en a pas l'habitude? Et en ce qui touche l'amorce, le même témoin pourra-t-il répondre que la précipitation du moment ne l'empêchera pas d'assujettir la capsule, afin d'éviter qu'en ne s'enflammant que mollement ou point du tout, elle ne donne pour résultat un long feu ou un raté?

Sera-t-il bien temps de faire ces réflexions, par 378 exemple, après la funeste issue d'un duel au signal, après un meurtre involontaire, il est vrai, mais qui n'est pas moins dû à l'inégalité des chances?

La conviction de l'importance capitale du chargement des pistolets est tellement ancrée, tant chez MM. les arquebusiers que chez MM. les amateurs, que si les uns cherchent à former et à retenir le plus longtemps possible les bons chargeurs, les autres ne désirent pas moins que, dans leurs délassements, le soin d'apprêter leurs armes soit confié à un chargeur expérimenté.

D'après ce, nous insistons pour que dans les duels au pistolet, les armes, après avoir été visitées et acceptées par les témoins, soient réglées et chargées en leur présence par un arquebusier ou un chargeur.

Cette opération terminée, les armes sont renfermées dans leurs boîtes, sur les serrures desquelles seront apposés des scellés portant l'empreinte du cachet de l'un des témoins de chaque partie.

Au moment du combat, on procède à la rupture des scellés et à l'ouverture des boîtes, et les armes sont remises à chacun des combattants suivant les règles établies.

Quelquefois, lorsque les règles du duel au pistolet convenu permettent aux combattants de se servir de leurs propres armes, ils demandent à les charger eux-mêmes, les témoins peuvent leur accorder cette faculté aux conditions suivantes:

1o La mesure de la charge doit être déterminée entre les témoins;

379 2o Chacun des combattants doit charger devant les témoins adversaires. Cette faculté doit leur être refusée si les armes adoptées pour le duel leur sont étrangères.

Dans le cas où l'offensé ne jouirait pas du droit de choisir ses distances, ou si elles étaient soumises à discussion, on peut s'arrêter à la moyenne des distances prescrites pour chaque duel.

Toutefois les témoins ne doivent jamais consentir à ce qu'elles soient rapprochées de plus de 12 mètres (15 pas) dans les duels ordinaires, et de plus de 19 mètres (25 pas) dans le duel au signal. On doit en outre, dans les duels à marche, réserver à chacun des combattants la faculté d'avancer les 8 mètres (10 pas) prescrits dans ce genre de duel.

En cas de dissidence entre les témoins, le sort décide entre les distances choisies par chaque partie; les témoins peuvent convenir de partager par moitié la différence entre les distances préférées.

Cet accord établi et les places étant marquées sur le terrain le plus également uni et le plus favorable possible, les témoins doivent éviter avec soin que l'un des combattants soit placé devant un objet, arbre ou autre, qui l'encadre et aide à le viser, tandis que l'autre, isolé dans l'espace, aurait par là même une place beaucoup trop avantageuse. Inutile d'ajouter qu'aucun des combattants ne doit être placé en face du soleil ou du vent.

En édictant les règles de ces duels, bien que nous nous soyons scrupuleusement attaché à suivre les 380 errements signalés par la pratique et par l'expérience, il nous a été impossible d'éviter certaines divergences d'opinion.

Dans certains cas, le droit de tirer le premier accordé à l'offensé est sujet à discussion. Et d'abord quelques personnes prétendent que ce droit de l'offensé est imprescriptible, quelle que soit la distance, fût-elle même au-dessous de 12 mètres (15 pas).

D'autres soutiennent l'opinion opposée; elles n'entendent accorder à l'offensé que le choix des armes, laissant à l'arbitrage du sort le soin de déterminer la primauté de tir. L'article 11 du duel de pied ferme peut se justifier par les considérations suivantes:

L'offensé classé dans le 1er degré (art. 28, chap. Ier) choisit surtout son arme.

L'offensé avec insulte grave (désigné Art. 29, chap. Ier) n'a droit à la primauté du tir que si les distances sont fixées à 27 mètres (35 pas).

Enfin l'offensé avec coups ou blessures (3e degré, art. 30, chap. Ier) n'ayant le droit de primauté de tir que dans le cas où il fixerait la distance à 19 mètres (25 pas).

L'article 11 du duel de pied ferme ne présente-t-il pas une moyenne raisonnable pour donner, dans la limite du possible, une satisfaction à ces opinions divergentes?

Dans le duel au pistolet à marcher, lorsqu'un des adversaires a fait feu, celui qui aurait conservé son 381 pistolet chargé peut avancer pour riposter jusqu'à la limite tracée par le mouchoir; mais l'autre n'est plus obligé d'avancer et doit seulement attendre le feu, en cherchant à s'effacer le mieux possible.

La vitesse de la marche n'étant pas fixée, celui qui tire le premier tire sur un but mobile, par conséquent a moins de facilité pour ajuster. Ainsi, celui qui tire le dernier trouve sa compensation dans l'avantage de viser sur un but fixe.

Lorsqu'il a été établi que le feu d'un champion doive être immédiatement suivi du feu de son adversaire, les témoins ne doivent point souffrir le moindre retard.

Celui qui a subi le feu n'a que le temps strictement nécessaire pour armer et pour tirer, c'est-à-dire une demi-seconde ou une seconde (Voir art. 13, Duel au pistolet et au signal, page 373). Le moindre retard donne aux témoins le droit, leur impose même le devoir de faire mettre arme bas.

En pareille circonstance, l'usage d'une montre à précision et à secondes leur est absolument nécessaire.

Dans le duel à marcher, si par suite d'une convention réciproque, il a été admis que chacun des adversaires aurait une paire de pistolets à sa disposition, et qu'il y ait un blessé, il est absolument nécessaire pour égaliser la chance que le combat soit arrêté, car s'il en était autrement le blessé serait encore soumis à la chance d'essuyer le deuxième coup de 382 feu de l'adversaire, à supposer qu'il l'ait conservé, et de plus cette chance serait, dans ce cas, des plus désavantageuses, puisque son adversaire, encore dans son état normal, jouirait de toute la plénitude de la vigueur et du sang-froid, dont la blessure aurait privé son adversaire.

L'égalité des chances se présente d'ailleurs, si le blessé a encore ses deux coups à tirer.

Si donc l'action d'arrêter le combat produit un désavantage pour l'un d'eux, c'est le fait du hasard, et cette règle établie n'en est pas moins égale, puisque les deux adversaires ont la même fortune au commencement du duel.

Au surplus, cette règle porte en elle-même un cachet d'honnêteté et de moralité incontestable. En effet, serait-il possible de voir sans indignation un homme intact faire feu sur un homme déjà mutilé par une balle, et serait-il admissible d'autre part que celui qui reste intact, reçût successivement, à une distance parfois très rapprochée, deux coups susceptibles de lui donner la mort sans qu'il lui fût possible d'éteindre ce feu avec l'arme qui lui resterait? En résumé, ce duel a l'avantage de ne présenter que l'éventualité d'une victime à regretter.


Dans le duel à lignes parallèles, quoique ce soit à marcher, il est impossible d'éloigner les distances de plus de 27 mètres (35 pas) parce que les témoins marchent presque toujours en face de leur ami, et le combat étant à feu croisé, ils seraient trop exposés. 383 Ils doivent nécessairement se placer derrière et à la droite de leur partie adverse, afin d'être, autant que possible, défilés contre le feu de leur ami.

Ils se rapprochent en suivant progressivement la marche des combattants qui finissent en avançant par se trouver côte à côte à une distance de 19 mètres (25 pas), ou de 12 mètres (15 pas), suivant que les lignes ont été plus ou moins rapprochées.


Dans le duel au signal ou au commandement, l'intervalle des coups à frapper avant de commencer le feu doit être réglé; sans cette précaution le témoin d'un habile tireur donnerait ce signal très lentement afin de permettre à son client de profiter de ses avantages.

Par contre, le témoin du plus faible donnerait le signal très vite, afin de paralyser les moyens du plus adroit. Ce duel n'étant bon qu'à égaliser les chances entre l'adresse et l'inexpérience, il est aussi juste que nécessaire de régler les intervalles du signal.

Il est juste encore que le droit de le donner appartienne au témoin de l'insulté, comme il est dit à l'article 8 du présent duel.

La règle essentielle et inflexible est, nous le répétons, de tirer au troisième coup frappé et tirer simultanément! Simultanément! Oui! Ici la situation est de toute gravité. Pour tous les deux, elle décide de la vie et de l'honneur, et pour tirer avant, pour tirer après le signal, on n'admet ni l'excuse de l'émotion ni aucune excuse imaginable.

384 Dans ce duel, la responsabilité des témoins est des plus grave. Aussi exige-t-il de leur part la plus scrupuleuse attention. Heureux les témoins qui par leur vigilance et par leur fermeté, parviennent à obtenir la complète précision, la parfaite régularité d'exécution dans la conduite d'un duel au commandement.

Il est parfaitement logique que dans les règles des divers duels au pistolet, le blessé n'ait pas même limite de temps pour faire feu. La raison en est évidente; comme dans le duel de pied ferme par exemple, on tire l'un après l'autre, en prenant tout le temps nécessaire pour viser avant le premier feu; qu'on accorde une minute à celui qui n'aurait pas tiré, pour le faire, quand bien même il ne serait pas blessé; n'est-il pas on ne peut plus juste de lui accorder le double de temps, s'il est blessé?


Dans le duel à marcher, la marche n'étant pas interrompue, et celui qui est blessé et tombé perdant l'avantage de marcher jusqu'à la limite indiquée, il est donc aussi équitable que nécessaire de lui accorder une minute de plus pour compenser le dommage qu'il éprouve de ne pouvoir plus diminuer la distance qui le sépare de son adversaire.

Il n'en est plus de même dans le duel à marche interrompue, car au premier coup tiré le champion reste en place.

Le blessé ne perdant plus l'avantage d'avancer, il n'y a donc plus nécessité de lui accorder aucune compensation, et une minute doit paraître plus que 385 suffisante pour tirer, s'il lui reste une force en mesure d'obéir à sa volonté.

Dans les duels au pistolet, nous conseillerons toujours aux témoins de s'arrêter aux plus simples, car il est beaucoup plus facile pour eux de les surveiller, d'obtenir la stricte exécution des conventions, et par là même de dégager leur responsabilité.

386

CHAPITRE X
DES DUELS EXCEPTIONNELS

En parlant avec le plus profond dégoût des duels exceptionnels, nous recommandons aux témoins de ne permettre d'y avoir recours que dans les circonstances absolument extraordinaires, absolument exceptionnelles et qui ne peuvent se présenter que très rarement.

Si dans les autres duels, les offenses et les griefs doivent passer par la filière froide des témoins, à fortiori, si l'un des intéressés ou même tous les deux demandent à des hommes sérieux de consentir à les assister dans ces sortes de rencontres, les témoins déjà animés, et c'est de justice naturelle, de sentiments hostiles contre une pareille requête, doivent en examiner les motifs avec la plus scrupuleuse attention, et saisir tous les prétextes possibles et imaginables pour se défendre d'y adhérer.

Signalons quelques différences avec les pratiques des duels ordinaires ou légaux.

Dans les duels légaux, on se base d'abord sur des règles écrites admises par l'usage et consacrées par l'opinion.

387 Ce sont des règles auxquelles on ajoute des conventions particulières, si la nécessité en est démontrée.

Ces conventions particulières sont consignées dans un procès-verbal portant la signature des témoins. Elles sont ratifiées par le consentement verbal des champions.

Dans les duels exceptionnels, au contraire, les règles ne sont données qu'à titre de simples renseignements. Le procès-verbal doit renfermer minutieusement toutes les conventions. Il doit porter la signature des champions, être en outre contresigné par les quatre témoins. Le procès-verbal doit être en double expédition.

Dans les duels légaux, il est d'usage d'accepter les conventions faites par ses propres témoins.

S'il s'agit d'un duel exceptionnel, c'est le contraire; on a toute liberté de refuser de les signer; il est bien entendu qu'aucun n'est obligé de signer sur la demande des témoins adversaires.

Dans les circonstances ordinaires, il est d'usage de ne point refuser d'adhérer à la requête d'une personne de votre société, d'un ami, qui vient vous demander de vouloir bien l'assister en qualité de témoin. Le duel exceptionnel provoque encore une dérogation à ce devoir de l'amitié; on est en droit de répondre à son ami, en l'assurant de son sincère dévouement: «Pour tout autre genre de rencontre, je suis à vos ordres, mais pour un duel exceptionnel, ma foi, je vous conseille fortement d'y renoncer, je renonce moi-même à vous assister, car, je ne 388 veux pas me mettre dans le cas de transporter mon domicile dans le phalanstère de Charenton

Enfin, dans les rencontres ordinaires, lorsque les conditions proposés par les témoins ont été ratifiées par les champions, il serait d'un suprême mauvais goût d'élever quelque difficulté de nature à suspendre la rencontre sur le terrain.

Il en est tout autrement des duels exceptionnels. Bien que l'on doive réfléchir sérieusement avant de se décider à convenir de pareilles rencontres, on comprend par exception, que même arrivé sur le terrain un sentiment de raison et d'humanité induise n'importe lequel des intéressés à retirer sa signature et à demander un duel légal. L'homme de cœur, l'homme réellement brave ne peut-il pas souffrir le mal de mer au moment de s'embarquer sur la sinistre frégate «La Panthère

Dans les duels exceptionnels, on peut se battre à pied comme à cheval, de toutes les manières, en faisant usage de toutes les armes.

Comme nous l'avons dit, dans ces duels, la convention est tout, elle doit être écrite, signée par les champions, et contresignée par les témoins et faite en double expédition. Il reste bien entendu que dans les duels exceptionnels, à fortiori, les témoins ont la plus stricte obligation de se conformer, en cas de violation des conditions établies, aux articles 40 et 41 du chapitre IV.

389

Combat à cheval.

Dans un combat à cheval, les témoins sont montés comme les combattants.

Le choix du terrain et des armes s'opère suivant les règles ordinaires. Le champ clos doit être établi sur une surface plane aussi unie que possible et de la superficie au moins d'un manège ordinaire, favorable en un mot aux évolutions équestres.

Le duel peut avoir lieu avec une ou plusieurs armes.

Les combattants placés de prime-abord à 19 mètres (25 pas) de distance l'un de l'autre, marchent, tirent à volonté, après avoir entendu le signal qui se donne par le commandement suivant: «Allez!»

Combat à la carabine.

Les carabines doivent être de même calibre et de même nature.

Les places des combattants sont choisies et marquées le plus également possible par les témoins, en prenant toutes les précautions recommandées précédemment dans les duels au pistolet, pour que les champions se trouvent dans une situation parfaitement identique sous tous les rapports.

Les places sont marquées à 45 mètres (60 pas) de distance.

390 Lorsque les conventions admettent une primauté de tir, elle est donnée au sort.

S'il en est autrement, le témoin désigné donne le signal par trois coups frappés dans la main et après le troisième coup frappé, chacun tire à volonté.

Combat au fusil.

Dans ce duel, les places des combattants sont choisies et marquées par les témoins comme dans le précédent duel.

Le combat peut être de pied ferme ou à marche; dans le premier cas, les champions sont placés à 45 mètres (60 pas).

Dans le 2e cas, les champions sont placés à 75 mètres (100 pas). Une ligne intermédiaire est tracée et marquée par un mouchoir pour indiquer à chaque combattant la limite qu'il ne doit pas dépasser en marchant.

Les fusils doivent être du même système; une convention expresse doit déterminer s'il sera permis aux combattants de recharger eux-mêmes leurs armes après avoir fait feu.

Le signal se donne par le commandement: «Tirez!» et chacun tire à volonté.

Duel au pistolet.

Le procès-verbal décide seul des distances qui peuvent être très rapprochées, permettre même aux 391 combattants de marcher l'un sur l'autre jusqu'à bout portant, en tirant quand bon leur semble.

Nous insisterons pour engager à ne jamais rapprocher les distances à moins de 8 mètres. Nous renouvelons ce conseil dans un but d'humanité, car dans les duels exceptionnels, les conseils sont de peu d'utilité, c'est la convention qui est souveraine et peut seule modérer la fureur!

Du duel au pistolet à des distances plus rapprochées.

Dans ce duel on observe les mêmes règles que dans les autres duels au pistolet, sauf les dispositions particulières contenues dans les articles suivants.

Art. 1.—Les distances peuvent être fixées à 8 mètres (10 pas); nous ne pouvons que conseiller aux témoins de ne pas accepter de distances plus rapprochées.

Art. 2.—Le choix de l'arme et celui des places sont laissés au sort.

Art. 3.—Il en est de même du droit de donner le signal et de diriger le duel.

Art. 4.—Dans ce duel les armes doivent être absolument inconnues aux combattants; elles doivent être de la même paire de pistolets.

392 Art. 5.—Les témoins ayant conduit les combattants aux places qui leur sont échues, les mettent dos à dos, leur remettent leurs armes, et ensuite vont prendre leur places.

Art. 6.—Le témoin désigné par le sort, dit aux combattants: «Messieurs, faites attention au signal que je vais donner, ne vous tournez face à face que lorsque vous l'entendrez», puis après un simple temps d'arrêt, il donne le signal par le commandement suivant: «Tirez!»

Art. 7.—Au commandement, les combattants se tournent face à face et font feu à volonté.

Art. 8.—Le duel devant continuer, on recommence en suivant les précédents errements.

Du duel exceptionnel au pistolet avec une seule arme chargée.

Art. 1er.—Les mêmes prescriptions que dans les autres duels au pistolet sont obligatoires dans ce duel, sauf les dispositions particulières indiquées dans les articles suivants.

Art. 2.—Ce duel est sans contredit le plus atroce, le plus dangereux des duels exceptionnels; il est donc le moins acceptable de tous, et même dans les circonstances 393 spécialement extraordinaires, il engage tellement la responsabilité des témoins, qu'il est difficile d'en trouver qui consentent à y assister.

Art. 3.—On doit se servir de pistolets non cannelés.

Art. 4.—Pour procéder au chargement des armes, deux témoins adversaires s'écartent à 40 mètres au moins du terrain choisi pour le combat, à moins qu'à une distance plus rapprochée, ils ne trouvent un objet de nature à les dérober parfaitement à la vue des combattants. Ils mettent la charge dans une seule arme, se contentent d'amorcer l'autre. Cette opération terminée, ils font signe aux deux témoins restés près des combattants de venir prendre les armes. Le témoin désigné par le sort pour les remettre directement aux combattants reste à son poste, l'autre témoin les reçoit et les donne en silence à celui désigné par le sort pour les remettre aux combattants, lequel les remet à ces derniers, en observant également un silence absolu.

Art. 5.—Les témoins ont dû amener un chirurgien avec eux, il doit se tenir à quelques mètres seulement de distance derrière les deux témoins les plus éloignés, afin de pouvoir au premier signe accourir pour donner des soins à une blessure, qui, dans ce triste duel est toujours très grave.

Art. 6.—Les témoins doivent être plus scrupuleux 394 dans leur visite des combattants, ils doivent exiger qu'ils ne conservent que la simple chemise ordinaire jusqu'à la ceinture.

Art. 7.—Le dernier témoin qui a reçu les armes, s'approche des champions en tenant les armes derrière le dos. Celui des deux auquel le sort en a attribué le choix, dit: droite ou gauche; et le témoin lui remet l'arme qu'il tient dans la main droite ou dans la main gauche.

Art. 8.—Les deux témoins chargés de prendre les armes sont eux-mêmes armés, et assistent seuls au combat. Ils se placent à 3 mètres des combattants, dans l'ordre habituel; les deux autres témoins se placent à 15 mètres environ derrière leurs collègues, afin d'être en mesure de surveiller et, le cas échéant, de leur venir en aide.

Art. 9.—Les témoins présentent aux combattants un mouchoir que chacun d'eux doit tenir par un bout.

Art. 10.—Le témoin désigné dit aux combattants:

«Messieurs, je vous le répète une dernière fois, l'honneur vous oblige à attendre le signal, qui consiste en un seul coup frappé dans la main, vous devez tirer simultanément, à peine vous l'entendrez!»

395 Art. 11.—Après un simple temps d'arrêt, il donne le signal par le seul coup frappé avec vigueur dans la main.

Art. 12.—Si l'un des champions, même pourvu de l'arme non chargée, tire avant le signal, son adversaire est en droit de lui brûler la cervelle à bout portant.

Art. 13.—Si c'est au contraire celui qui a tiré avant le signal qui tue son adversaire, les témoins de la victime sont obligés au nom de l'honneur de dresser immédiatement procès-verbal et de le transmettre sans le moindre délai au parquet du tribunal le plus voisin, ou en cas d'éloignement, au juge de paix du canton; en un mot de poursuivre par tous les moyens de justice et de droit.

Du duel au pistolet à marche non interrompue et à ligne parallèle.

A première vue, ce duel paraît le moins dangereux de tous les duels au pistolet, on peut même s'étonner qu'il ne soit pas classé dans les duels légaux. Toutefois en l'examinant de plus près et en détail, on ne tarde pas à se convaincre que dans telle circonstance donnée, il peut être tellement désavantageux pour l'un des champions, que le consentement unanime des témoins est absolument nécessaire pour en permettre l'usage. C'est pour cette raison qu'il est mis 396 hors la loi, et peut être refusé comme tous les autres duels exceptionnels.

Dans ce duel, on observe les prescriptions des autres duels au pistolet, sauf les dispositions qui vont suivre.

Art. 1er.—On trace sur le terrain deux lignes de 27 mètres (35 pas) de longueur. Ces lignes tracées parallèlement à 19 mètres (25 pas) de distance l'une de l'autre.

Art. 2.—Les armes doivent être inconnues aux combattants. Le sort décide du choix des places et des armes.

Art. 3.—Après l'accomplissement des formalités usitées dans les autres duels au pistolet, les témoins remettent les armes aux champions, et se placent par couples, deux témoins adversaires derrière l'un des combattants, et les deux autres derrière l'autre. Ils ont soin de se placer de manière à être défilés du feu, c'est-à-dire à l'inverse, sans cesser d'être à portée d'arrêter le combat si les circonstances leur en imposent le devoir.

Art. 4.—Le témoin désigné par le sort donne le signal par ce seul commandement: «Marchez!»

Art. 5.—Les combattants marchent en avant, chacun dans la direction de la ligne qui lui a été tracée, de manière qu'en suivant la direction précitée 397 ils se trouvent toujours séparés par une distance au moins de 19 mètres (25 pas).

Art. 6.—Les champions ne peuvent interrompre leur marche, ils doivent au signal marcher, simultanément, sans interruption. Il doivent faire feu en marchant, marcher après avoir fait feu jusqu'à l'extrémité de la ligne, marcher toujours en attendant le feu de leur adversaire.

Art. 7.—Le combattant blessé n'a pour faire feu que le temps employé par son adversaire pour parvenir à l'extrémité de la ligne. Ce dernier doit atteindre le but sans précipitation en continuant à marcher régulièrement comme auparavant, et le combat est terminé.

Art. 8.—Si aucun des champions n'est blessé on peut recommencer le combat suivant les mêmes errements; cependant il est d'usage d'arrêter ce duel après le coup de feu des deux adversaires; tout dépend des conventions.

Observations sur les duels exceptionnels.

Dans l'état de nos mœurs et de notre civilisation, le duel légal est plus que suffisant pour laver toute injure, même la dernière des insultes, donner toute réparation équitable et complète à l'honneur offensé.

398 Quel est donc le sentiment qui porte à vouloir recourir aux duels exceptionnels? Est-ce une situation extraordinaire et toute exceptionnelle, obligatoire, de la part de celui qui les invoque? Dans la presque totalité des cas, nous ne craignons pas d'affirmer le contraire.

Dans le sous-sol de cette demande, on reconnaît bien facilement et presque toujours, l'existence d'un stock de sentiments de rancune, de haine, de vengeance, enfin de passions aveugles et désordonnées. Le noble besoin de laver une insulte n'y entre pour rien.

Sans doute et bien rarement un homme impotent qui aurait subi une insulte lâche et imméritée se trouverait dans le cas d'en appeler à la délicatesse de quelques amis pour égaliser les chances en sa faveur, au moyen d'un duel exceptionnel.

Il appartient aux témoins seuls d'apprécier la nécessité de cet appel et de l'agréer; mais, dans cette circonstance toute spéciale, les témoins doivent avant tout consigner les motifs de leur adhésion dans le procès-verbal signé tant par les combattants que par eux-mêmes, car ils ne doivent jamais oublier leur entière responsabilité.

Nous réprouverons toujours les duels exceptionnels, parce qu'ils ne sont quelquefois qu'une sanglante excentricité, non seulement sous le rapport du dédain qu'ils semblent professer pour le sang humain, pour la vie humaine, mais encore parce que l'honnête homme y court parfois le double danger de venir se placer en face d'un traître.

399 Le duel avec une seule arme chargée n'est-il pas une sinistre parcelle de l'affreux héritage des temps de barbarie? Ne tend-il pas à ressusciter cet usage du champ gagé de bataille et du jugement que les hommes appelaient le jugement de Dieu? Et pourtant, dans le sanctuaire même de la loi, n'admet-on pas que le duel au signal avec une seule arme chargée soit le moyen unique d'équilibre et de chance égale entre l'homme qui éteint une bougie avec son pistolet, et l'homme inexpérimenté qui n'a jamais manié une arme à feu? (Voir Dalloz, Réquisitoires de M. le procureur général Dupin. Cour de cassation, 27 juin 15 décembre 1837.)

Les précautions minutieuses détaillées dans l'article 3, qui regarde ce duel, n'ont été prises que dans le but d'éviter toute occasion de traîtrise, pour avoir la certitude acquise qu'aucun signe ne puisse être indiqué à aucun des combattants ou simplement lui faire deviner quelle est l'arme chargée.

L'article 10 de ce duel a pu donner lieu à bien des réclamations.

On ne peut concevoir, on conteste sérieusement l'importance donnée au moment où l'un des adversaire tire, puisque, dit-on, l'un des pistolets est chargé et que l'autre ne l'est pas?

«Remarquez, disait à M. de Chateauvillard un honorable président, qu'à ce duel la chance, la seule chance est d'avoir ou de n'avoir pas l'arme chargée. Or, tirer avant ou après le signal, peu importe. On ne tuera pas avec le pistolet 400 sans poudre, et l'on tuera avec l'autre. Ce n'est donc pas un assassinat de tirer trop tôt.»

Ici, nous laisserons la parole à M. de Chateauvillard, car, il a sur nous l'avantage d'avoir eu pour collaborateurs des hommes expérimentés; il peut donc parler ex professo «son Conseil d'État entendu».

«L'importance de tirer simultanément la voici: lorsqu'un homme se bat avec une arme chargée, il peut calculer ainsi: je tirerai le premier, se dit-il, si je tue mon adversaire, j'en serai débarrassé tout d'abord.

«Si j'ai eu le mauvais choix des armes, ma vie sera en sa puissance et comme c'est un homme courageux et généreux en même temps, j'aurai une grande chance dans sa générosité. En effet, celui qui vient d'acquérir la certitude que sa vie est hors de danger éprouve à son insu un bien-être qui le porte à tous les mouvements de générosité et puis, tirer sur un homme maintenant sans défense aucune, un homme qui ne peut plus lui faire du mal, à qui il peut donner la vie, accorder une grâce, un pardon, tout cela est entraînant; il tire en l'air et remet son arme aux témoins. Il a fait une bonne action, il le croit du moins, il s'en va le cœur content. Son offense est bien effacée, s'il a reçu l'offense; effacée s'il l'a faite, car il a rendu raison et on ne lui doit plus que de la reconnaissance.

«Il se dit tout cela et s'applaudit.

«Et moi, dit M. de Chateauvillard, je dis qu'il a 401 laissé un félon sur la terre, un drôle qu'il faut punir sévèrement, qu'il faut flétrir, car il a eu pour lui toutes les chances d'un combat qui devait être égal. Cet homme eût commis un assassinat, je le répète, et c'est pour cela même que ces mots qui paraissent irréfléchis: «Il peut en toute conscience lui brûler la cervelle» ont été mis comme une digue à la trahison!»

Les témoins verront bien s'il faut poursuivre celui qui, faisant un calcul si bas, tue parce qu'il a eu la chance de l'arme chargée; car il ne peut plus obtenir sa grâce, celui qui la lui eût généreusement faite n'étant plus! (Chateauvillard, p. 124.)

Malgré notre déférence pour l'avis de l'honorable magistrat, il va sans dire que nous soutenons l'opinion de M. de Chateauvillard par la raison toute simple, que le point d'honneur ne juge pas au point de vue de la jurisprudence légale, mais à son point de vue naturel et particulier qui le porte à ne considérer que la violation de la foi jurée, sans se préoccuper des conséquences.

L'article 7 n'est pas d'une facile surveillance pour les témoins, ses prescriptions ne sont pas d'une facile exécution; comment définir, régler la marche régulière des deux combattants?

Dans le calcul des distances, nous nous sommes basé sur le pas militaire établi par la dernière ordonnance, à 75 centimètres, nous l'avons regardé comme une moyenne convenable, en ce que devant servir à la marche d'une troupe, qui se règle suivant la moyenne 402 des forces physiques, il en résulte évidemment que l'homme isolé possède toujours un avantage de vitesse sur une troupe encadrée.

Grâce aux nouvelles institutions militaires en usage chez toutes les puissances, tout le monde peut avoir la prétention de connaître le pas militaire.

Le pas de 75 centimètres étant admis, une marche régulière donne environ 90 mètres par minute.

C'est à cette évaluation que doivent s'arrêter les témoins pour régler la marche des champions, suivant les prescriptions de l'article 7, en adoptant une vitesse moyenne de 30 mètres par minute.

Nous croyons opportun de leur renouveler le conseil de se munir d'une montre à secondes et à précision.

Nous parlions il y a quelques instants de l'excentricité des duels exceptionnels; quelles horreurs et quelles absurdités n'a-t-on pas vues! Tantôt des combattants blessés et mourants se faire porter en face l'un de l'autre pour s'achever, sans doute par jalousie pour la férocité des bouledogues...! d'autres avec une seule arme chargée, se viser à bout portant, en présence même du corbillard préparé d'avance pour emporter la victime!... ceux-ci armés chacun d'un pistolet chargé, se viser à bout portant dans une fosse creusée pour eux. Ceux-là s'égorgeant dans un cuvier avec des rasoirs.

N'a-t-on pas vu des hommes se chasser comme des bêtes fauves dans des champs de blé?

Un mot sur la chasse à l'homme, laquelle nous 403 assure-t-on, a été, si la coutume ne l'admet pas encore aujourd'hui, en usage dans quelques contrées d'Amérique.

A une heure convenue les champions sont conduits par deux témoins adversaires à l'extrémité d'une forêt dans un périmètre limité.

A l'heure déterminée, les témoins se retirent et abandonnent à eux-mêmes les combattants qui se chassent à volonté pendant plusieurs jours jusqu'à ce que l'un succombe.

Les combattants emportent avec leurs vivres leurs armes qui sont la carabine, ou fusil, le révolver, suivant les conventions. (En Amérique les duels à la carabine et au révolver sont en usage!)

Les combattants accidentent cette chasse par toutes les ruses possibles, afin de pouvoir approcher de leur ennemi, le viser à leur aise, sans qu'il s'en aperçoive.

Par exemple, ils cachent un mannequin dans un fourré et se cachent au mieux à proximité dans une tanière voisine et bien dissimulée. L'adversaire venant à remarquer le mannequin et persuadé de n'être point aperçu, s'avance avec précaution et, au moment où il met en joue, reçoit une balle inattendue qui le couche par terre, ou, s'il a pu tirer, se trouve ainsi à la merci de son antagoniste. (A toute bonne fin, nous dirons, se non è vero è ben trovato.)

Pour couronner cet édifice d'horreurs et d'absurdités, parlons du duel au suicide. M. de Chateauvillard (p. 214) a cité l'exemple suivant: deux officiers 404 servant dans le même régiment (en Autriche) étaient convenus d'un duel à mort. Les témoins très avisés décidèrent (sans doute pour éluder la loi sur les duels) que les adversaires devraient tirer au sort à qui se brûlerait la cervelle. Celui qui eut la funeste chance demanda trois jours pour régler ses affaires, et les trois jours révolus, le malheureux se suicida.

Les témoins furent condamnés à cinq ans de détention dans une forteresse.

Cette condamnation est très juste et très rationnelle, elle ne pèche à nos yeux que par un seul côté: la bénignité!

Et le carcere duro! est-il réservé pour les hannetons?

Si la mémoire ne nous fait défaut, cet exemple s'est encore renouvelé il y a quelques années seulement.

Anathème aux duels exceptionnels qui, nous le répétons, ne sont plus de notre temps et doivent moisir à jamais dans les archives poudreuses des siècles de barbarie! Nous invitons nos lecteurs à s'unir avec nous pour leur lancer des deux mains la Jettatura et la malédiction, urbi et orbi.

Nous avons cité quelquefois l'Essai sur le duel, de M. le comte de Chateauvillard; c'était justice, car n'a-t-il pas été l'initiateur de la route que nous avons modestement suivie, bien qu'avec des allures et des errements complètement différents?

Nous ne craignons pas d'ailleurs de protester contre certain anathème inconscient et inconsidéré, pour 405 rendre hommage à la mémoire de M. le comte de Chateauvillard, à ses collaborateurs[1] et approbateurs distingués qui l'ont secondé dans son désir de travailler pour le bien public.

[1] MM. le général comte Excelmans, le comte du Hallay-Coëtquen, le général baron Gourgaud, Brivols, le vicomte de Contades.

407

TROISIÈME PARTIE
PIÈCES JUSTIFICATIVES

409

I

Lettre du roi Henri IV au comte de Soissons.

Cher cousin,

J'ai vu par l'écrit que vous m'avez envoyé par le comte de Saint-Paul, le maréchal de Brissac et de la Rochepot, le langage qu'on vous a rapporté avoir été tenu par M. de Rosny, duquel vous vous plaignez, et l'offre que vous faites de prouver qu'il a été dit par lui; mais je n'ai pas jugé à propos d'entrer en telles preuves, parce que je révoque en doute que ce rapport ait été fait; qu'il ne venait de M. de Rosny; que son intention ne fut jamais de dire chose qui vous pût offenser, étant votre serviteur comme il est, et désire que les choses s'adoucissent et se terminent à la satisfaction qui vous est due. Je vous prie de recevoir de M. de Rosny celle qu'il offre de vous faire et en demeurer satisfait.

Henri.

410

II

Jugement rendu par le connétable de Montmorency, président du tribunal des maréchaux, dans la querelle entre M. de Montespan et M. le marquis de Cœuvres.

Messieurs,

Nous avons ouï le discours de votre querelle par la bouche de l'un et de l'autre et nous avons trouvé qu'elle a procédé d'un seul désir que vous avez d'essayer vos épées, sans que vous y ayez été provoqués par aucune offense. Vous avez fait ce que vous avez pu pour vous contenter en cela. Vous en avez été empêchés. De sorte qu'il n'y a rien qui vous doive ou puisse empêcher que vous ne soyez amis, comme le roi le veut. Par ainsi, je vous commande de sa part de vous embrasser, et qu'il ne s'en parle jamais, ni pareillement de vos seconds ni entre eux.

411

III

Règlement de M. les maréchaux de France touchant les réparations des offenses entre les gentilshommes, pour l'exécution de l'Édit contre les duels.

Sur ce qui nous a été ordonné par ordre exprès du roi, et notamment par la déclaration de Sa Majesté contre les duels, lue, publiée et enregistrée au Parlement de Paris le 27 juillet dernier, de nous assembler incessamment pour dresser un règlement le plus exact et distinct qu'il se pourra sur les diverses satisfactions et réparations d'honneur que nous jugerons devoir être ordonnées suivant les divers degrés d'offenses, et de telle sorte que la punition contre l'agresseur et la satisfaction à l'offensé soient si grandes et proportionnées à l'injure reçue, qu'il n'en puisse renaître aucune plainte ou querelle nouvelle; pour être, le dit règlement, inviolablement suivi et observé à l'avenir par tous ceux qui seront employés aux accommodements des différends qui toucheront le point d'honneur et la réputation de gentilshommes, nous, après avoir vu et examiné les propositions de plusieurs gentilshommes de qualité de ce royaume qui ont eu ensemble diverses conférences sur ce sujet, en conséquence de l'ordre qui leur a été donné par nous, dès le 1er juillet 1651, lesquels nous ont présenté dans notre assemblée les dites 412 propositions rédigées par écrit et signées de leurs mains et avons pris une mûre délibération, conclue et arrêté les articles suivants:

Article 1er.

Premièrement, que dans toutes les occasions et sujets qui peuvent causer des querelles et ressentiments, nul gentilhomme ne doit estimer contraire à l'honneur tout ce qui peut donner entier et sincère éclaircissement de la vérité.

Art. 2.

Qu'entre les gentilshommes plusieurs ayant déjà protesté solennellement et par écrit, de refuser toutes sortes d'appels, et de ne se battre jamais en duel pour quelque cause que ce soit: ceux-ci y sont d'autant plus obligés à donner leurs éclaircissements, que, sans cela ils contreviendraient formellement à leur écrit, et seraient par conséquent plus dignes de répréhension et de châtiment dans les accommodements de querelles qui surviendraient par faute d'éclaircissements.

Art. 3.

Que si le prétendu offensé est si peu raisonnable que de ne pas se contenter de l'éclaircissement qu'on lui aura donné de bonne foi, et qu'il veuille obliger celui de qui il croira avoir été offensé à se battre contre lui, celui qui aura renoncé au duel lui pourra répondre en ce sens ou autre semblable: qu'il s'étonne bien que sachant les derniers édits du roi, particulièrement la déclaration de 413 plusieurs gentilshommes, dans laquelle il s'est engagé publiquement de ne point se battre, il ne veuille point se contenter des éclaircissements qu'il lui donne, et qu'il ne considère pas qu'il ne peut ni ne doit donner ni recevoir aucun lieu pour se battre, ni même lui marquer les endroits où il le pourra rencontrer; mais qu'il ne changera rien en sa façon ordinaire de vivre. Et généralement tous les autres gentilshommes pourront répondre que si on les attaque ils se défendront; mais qu'ils ne croient pas que leur honneur les oblige à s'aller battre de sang-froid et à contrevenir ainsi formellement aux édits de Sa Majesté, aux lois de la religion et à leur conscience.

Art. 4.

Lorsqu'il y aura eu quelque démêlé entre les gentilshommes dont les uns auront promis et signé de ne point se battre, et les autres non, ces derniers seront toujours réputés agresseurs, si ce n'est que le contraire paraisse par des épreuves bien expresses.

Art. 5.

Et parce qu'on pourrait aisément prévenir les voies de fait, si nous, les gouverneurs ou lieutenants généraux des provinces, étions soigneusement avertis de toutes les causes et commencements de querelles, nous avons avisé et arrêté, conformément au pouvoir qui nous est attribué par le dernier édit de Sa Majesté, enregistré au Parlement, le roi y séant, le 7 septembre 1651, de nommer et commettre incessamment en chaque bailliage et sénéchaussée de ce royaume un ou plusieurs gentilshommes de qualité, âge et suffisance requis, pour 414 recevoir les avis des différends des gentilshommes, et nous les envoyer ou aux gouverneurs et lieutenants généraux des provinces, lorsqu'ils y sont résidents; et pour être généralement fait par lesdits gentilshommes commis, ce qui est prescrit par le second article dudit édit.

Et nous ordonnons, en conformité du même édit, à tous nos prévôts, vice-baillis, sénéchaux, lieutenants criminels de robe courte et autres officiers de maréchaussée, d'obéir promptement et fidèlement auxdits gentilshommes commis pour l'exécution de leurs ordres.

Art. 6.

Et afin de pouvoir être plus soigneusement avertis des différends des gentilshommes, nous déclarons, suivant le 3e article du même édit, que tous ceux qui se rencontreront, quoique inopinément, aux lieux où se commettront des offenses soit par rapports, discours ou paroles injurieuses, soit par manquements de paroles données, soit par démentis, menaces, soufflets, coups de bâton ou autres outrages à l'honneur, de quelque nature qu'ils soient, seront à l'avenir obligés de nous en avertir, ou les gouverneurs ou les lieutenants généraux des provinces; ou les gentilshommes commis, sous peine d'être réputés complices desdites offenses et d'être poursuivis comme y ayant tacitement contribué; et que ceux qui auront connaissance des procès qui seront sur le point d'être intentés entre gentilshommes pour quelques intérêts d'importance, seront aussi obligés, suivant le même article 3 dudit édit, de nous en donner avis ou aux gouverneurs et lieutenants des provinces, ou aux gentilshommes commis dans les bailliages, afin de pourvoir aux moyens d'empêcher que les parties ne sortent des voies de la 415 justice ordinaire pour en venir à celles de fait et se faire raison par elles-mêmes.

Art. 7.

Et parce que, dans toutes les offenses qu'on peut recevoir, il est nécessaire d'établir quelques règles générales pour les satisfactions, lesquelles répareront suffisamment l'honneur dès qu'elles seront reçues et pratiquées, puisqu'il n'est que trop constant que c'est l'opinion qui a établi la plupart des maximes du point d'honneur, et considérant que dans les offenses il faut regarder avant toutes choses, si elles ont été faites sans sujet, et si elles n'ont point été repoussées par quelques reparties ou revanches plus atroces, nous déclarons que dans celles qui auront été ainsi faites sans sujet et qui n'auront point été repoussées, si elles consistent en paroles injurieuses, comme de sot, lâche, traître et semblables, on pourra ordonner pour punition que l'offensant tiendra prison pendant un mois, sans que le temps en puisse être diminué par le crédit ou prière de qui que ce soit, ni même par l'indulgence de la personne offensée; et qu'après qu'il sera sorti de la prison, il déclare à l'offensé que, mal à propos et impertinemment, il l'a offensé par des paroles outrageantes qu'il reconnaît être fausses et lui en demande pardon.

Art. 8.

Pour le démenti ou menaces de coups de main ou de bâton, on ordonnera deux mois de prison, dont le temps ne pourra être diminué non plus que ci-dessus; et après que l'offensant sera sorti de prison, il demandera pardon à l'offensé avec des paroles encore plus satisfaisantes 416 que les susdites et qui seront particulièrement spécifiées par les juges du point d'honneur.

Art. 9.

Pour les offenses actuelles du coup de main ou autres semblables, on ordonnera pour punition que l'offensant tiendra prison durant six mois, dont le temps ne pourra être diminué non plus que ci-dessus, si ce n'est que l'offensant requière qu'on commue seulement la moitié du temps de ladite prison en une amende qui ne pourra être moindre de quinze cents livres, applicable à l'hôpital le plus proche du lieu de la demeure de l'offensé, et laquelle sera payée avant que ledit offensant sorte de prison; et après même qu'il en sera sorti, il se soumettra encore de recevoir de la main de l'offensé des coups pareils à ceux qu'il aura donnés, et déclarera, de parole et par écrit, qu'il l'a frappé brutalement et le supplie de le pardonner et oublier cette offense.

Art. 10.

Pour les coups de bâton ou autres pareils outrages, l'offensant tiendra la prison un an entier; et ce temps ne pourra être modéré, sinon de six mois, en payant trois mille livres d'amende, payables et applicables en la manière ci-dessus; et après qu'il sera sorti de prison, il demandera pardon à l'offensé, le genou en terre, se soumettra en cet état de recevoir de pareils coups; le remerciera très humblement, s'il ne les lui donne pas comme il le pourrait faire et déclarera, en outre, de parole et par écrit, qu'il l'a offensé brutalement, qu'il le supplie de l'oublier, et que, s'il était en sa place, il se contenterait des 417 mêmes satisfactions; et dans toutes les offenses de coups de main, de bâton ou autres semblables, outre les susdites punitions et satisfactions, on pourra obliger l'offensé de châtier l'offensant par les mêmes coups qu'il aura reçus, quand même il aurait la générosité de ne pas les vouloir donner, et cela en cas seulement que l'offense soit jugée si atroce par les circonstances qu'elle mérite que l'on réduise l'offensé à cette nécessité.

Art. 11.

Et lorsque les accommodements se feront en tous les cas susdits, les juges du point d'honneur pourront ordonner tel nombre d'amis de l'offensé qu'il leur plaira pour voir faire les satisfactions qui seront ordonnées, et les rendre plus notoires.

Art. 12.

Pour les offenses et outrages à l'honneur qui se feront à un gentilhomme, pour le sujet de quelque intérêt civil, ou de quelque procès qui serait déjà intenté devant les juges ordinaires, on ne pourra, dans les offenses ainsi survenues, être trop rigoureux dans les satisfactions; et ceux qui régleront semblables différends pourront, outre les punitions spécifiées ci-dessus en chaque espèce d'offense, ordonner encore le bannissement, pour autant de temps qu'ils jugeront à propos, des lieux où l'offensant fait sa résidence ordinaire; et lorsqu'il sera constant par notoriété de fait ou autres preuves, qu'un gentilhomme se soit mis en possession de quelque chose par les voies de fait ou par surprise, on ne pourra faire aucun accommodement, même touchant le point d'honneur, que la 418 chose contestée n'ait été préalablement mise dans l'état où elle était devant la violence ou la surprise.

Art. 13.

Et pour ce, outre les susdites causes de différends, les paroles qu'on prétend avoir été données et violées en produisant une infinité d'autres, nous déclarons qu'un gentilhomme qui aura tiré parole d'un écrit sur quelque affaire que ce soit, ne pourra y faire à l'avenir aucun fondement, ni se plaindre qu'elle ait été violée, si on ne la lui a donnée par écrit ou en présence d'un ou plusieurs gentilshommes; et ainsi, tous gentilshommes seront désormais obligés de prendre cette précaution non seulement pour obéir à nos règlements, mais encore pour l'intérêt que chacun a de conserver l'amitié de celui qui a donné sa parole et de ne pas être déclaré agresseur, ainsi qu'il sera dorénavant dans tous les démêlés qui arriveront ensuite d'une parole sans écrit ni témoins, et qu'il prétendra n'avoir pas été observée.

Art. 14.

Si la parole donnée par écrit ou par-devant d'autres gentilshommes se trouve violée, l'intéressé sera tenu d'en demander justice à nous, aux gouverneurs ou lieutenants généraux de provinces ou aux gentilshommes commis; à faute de quoi il sera réputé agresseur dans tous les démêlés qui pourront arriver en conséquence de ladite parole violée; comme aussi tous les témoins de ladite parole violée qui n'en auront point donné avis, seront responsables de tous les désordres qui en pourront arriver; et quant à ce qui regarde lesdits manquements de la parole, les réparations 419 et satisfactions seront ordonnées suivant l'importance de la chose.

Art. 15.

Si par le rapport des présentes ou par d'autres preuves, il paraît qu'une injure ait été faite de dessein prémédité, de gaieté de cœur et avec avantage, nous déclarons que, suivant la loi de l'honneur, l'offensé peut poursuivre l'agresseur et ses complices par-devant les juges ordinaires, comme s'il avait été assassiné, et ce procédé ne doit point sembler étrange, puisque celui qui offense un autre avec avantage se rend par cette action indigne d'être traité en gentilhomme; si toutefois la personne offensée n'aime mieux se rapporter à notre jugement, ou à celui des autres juges du point d'honneur, pour la satisfaction et pour le châtiment de l'agresseur, lequel doit être beaucoup plus grand que tous les précédents qui ne regardent que les offenses qui se font dans les querelles inopinées.

Art. 16.

Au cas qu'un gentilhomme refuse ou diffère, sans aucune cause légitime, d'obéir à nos ordres ou à ceux des autres juges du point d'honneur, comme de se rendre par-devant nous ou eux, lorsqu'il aura été assigné par acte signifié à lui ou à son domicile, et aussi lorsqu'il n'aura pas subi les peines ordonnées contre lui, il sera nécessairement contraint, après un certain temps prescrit, par garnison dans sa maison ou emprisonnement, conformément au 8e article de l'édit; ce qui sera soigneusement exécuté par nos prévôts, vice-baillis, vice-sénéchaux, 420 lieutenants criminels de robe courte et autres lieutenants, exempts, archers de maréchaussée, sous peine de suspension de leurs charges et privation de leurs gages; et ladite exécution se fera aux frais et dépens de la partie désobéissante et réfractaire.

Art. 17.

Et suivant le même article 8 dudit édit, si nos prévôts, vice-baillis, vice-sénéchaux, lieutenants criminels de robe courte et autres officiers de maréchaussée ne peuvent exécuter lesdits emprisonnements, ils saisiront et annoteront tous les revenus desdits désobéissants, donneront avis desdites saisies à MM. les procureurs généraux ou à leurs substituts, suivant la dernière déclaration contre les duels, enregistrée au parlement le 29 juillet dernier. Pour être lesdits revenus appliqués et demeurés acquis durant tout le temps de la désobéissance, à l'hôpital de la ville où sera le parlement dans le ressort duquel seront les biens des désobéissants conjointement avec l'hôpital du siège royal d'où ils dépendront aussi, afin que, s'entr'aidant dans la poursuite, l'un puisse fournir l'avis et la preuve, l'autre la justice et l'autorité. Et au cas qu'il y ait des dettes précédentes qui empêchent la perception du revenu confisqué au profit desdits hôpitaux, la somme à quoi pourra monter ledit revenu deviendra une dette hypothéquée sur tous les biens meubles et immeubles du désobéissant pour être payée et acquittée en son ordre, suivant le même article 8 dudit édit.

Art. 18.

Si ceux à qui nous et les autres juges du point d'honneur 421 aurons donné des gardes s'en sont dégagés, l'accommodement ne sera point fait qu'ils n'aient tenu prison durant le temps qui sera ordonné.

Art. 19.

Et généralement dans toutes les autres différences d'offenses qui n'ont point été ci-dessus spécifiées et dont la variété est infinie, comme si elles avaient été faites avec sujet, et si elles ont été repoussées par quelques réparties plus atroces ou si, par des paroles outrageantes, l'offensant s'est attiré un démenti ou quelque coup de main; et en un mot, dans toutes les autres rencontres d'injures insensiblement aggravées, nous remettons aux juges du point d'honneur d'ordonner les punitions et satisfactions telles que le cas et les circonstances le requerront, les exhortant de faire toujours une particulière considération sur celui qui aura été l'agresseur et la première cause de l'offense; et de renvoyer par-devant nous tous ceux qui voudront nous représenter leurs raisons conformément au second article du dernier édit de Sa Majesté, enregistré comme dit est, au parlement, le 7 septembre 1651.

Fait à Paris, le 22 août 1653.

Signé: D'Estrées de Grammont,
de Clerembault.

Et plus bas: Guillet.

422

IV

Déclaration publique et protestation solennelle de plusieurs gentilshommes de refuser toutes sortes d'appels et de ne se battre jamais en duel, pour quelque cause que ce puisse être.

Les soussignés font le présent écrit, déclaration publique et protestation solennelle, de refuser toutes sortes d'appels et de ne se battre jamais en duel pour quelque cause que ce puisse être, et de rendre toutes sortes de témoignages de la détestation qu'ils ont du duel, comme d'une chose tout à fait contraire à la raison, au bien et aux lois de l'État, et incompatible avec le salut et la religion chrétienne, sans pourtant renoncer au droit de repousser par toutes voies légitimes, les injures qui leur seraient faites, autant que leur profession et leur naissance les y obligent, étant aussi toujours prêts de leur part d'éclaircir de bonne foi ceux qui croiraient avoir lieu de ressentiment contre eux, et de n'en donner sujet à personne.

Nota.—Les noms des gentilshommes qui ont signé se voient dans l'original de la déclaration sur laquelle MM. les maréchaux de France ont rendu leur jugement, le 1er juillet 1651.

423

V

Voici cette approbation:

«Nous avons approuvé et approuvons le contenu dans ledit écrit, le déclarons conforme aux édits du roi, exhortons tous les gentilhommes de ce royaume d'y souscrire et de l'observer en tous les points comme aussi les soussignés audit écrit et tous ceux qui voudront y souscrire et remédier aux désordres des duels, de conférer et aviser ensemble sur les satisfactions qu'ils croiraient pouvoir raisonnablement tenir lieu de celles qu'on espère par le duel, pour en dresser mémoire et les mettre incessamment entre les mains de notre secrétaire de la maréchaussée de France, afin que les ayant vues et examinées, nous en puissions faire rapport à Sa Majesté, pour être, si elle juge à propos, confirmées par un nouvel édit ou déclaration à l'avantage de la religion et du bien de son Etat.»

424

VI

Edit du roi portant règlement général sur les duels, donné à Saint-Germain-en-Laye, au mois d'août 1679, enregistré au parlement le 1er jour de septembre de la même année.

Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, à tous présent et avenir, salut.

Comme nous reconnaissons que l'une des plus grandes grâces que nous ayons reçues de Dieu dans le gouvernement et conduite de notre État, consiste en la fermeté qu'il lui a plu de nous donner pour maintenir la défense des duels et combats particuliers et punir sévèrement ceux qui ont contrevenu à une loi si juste et si nécessaire pour la conservation de notre noblesse, nous sommes bien résolu de cultiver avec soin une grâce si particulière, qui nous donne lieu d'espérer de pouvoir parvenir pendant notre règne à l'abolition de ce crime, après avoir été inutilement tentée par les Rois, nos prédécesseurs. Pour cet effet, nous nous sommes appliqué de nouveau à bien examiner tous les édits et règlements faits contre les duels, et tout ce qui s'est fait en conséquence, auxquels nous avons estimé nécessaire d'ajouter divers articles.

A ces causes et autres bonnes et grandes considérations à ce nous mouvant, de l'avis de notre conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, 425 après avoir examiné en notre dit conseil ce que nos très chers cousins les maréchaux de France qui se sont assemblés plusieurs fois, sur ce sujet, nous ont proposé; nous avons en renouvelant les défenses portées par nos édits et ordonnances et celle des Rois nos prédécesseurs et en y ajoutant ce que nous avons jugé nécessaire, dit, déclaré, statué et ordonné, disons, déclarons, statuons et ordonnons par notre présent édit perpétuel et irrévocable, voulons et nous plaît:

Article 1er.

Nous exhortons tous nos sujets et nous leur enjoignons de vivre à l'avenir ensemble dans la paix, l'union et la concorde nécessaires pour leur conservation, celle de leur famille et celle de l'Etat, à peine d'encourir notre indignation et de châtiment exemplaire. Nous leur ordonnons aussi de garder le respect convenable à chacun, selon sa qualité, sa dignité et son rang, et d'adopter mutuellement les uns avec les autres tout ce qui dépendra d'eux pour prévenir tous différends, débats et querelles, notamment celles qui pourraient être suivies de voies de fait; de se donner les uns aux autres, sincèrement et de bonne foi, tous les éclaircissements nécessaires sur les peines et mauvaises satisfactions qui pourront survenir contre eux; d'empêcher qu'on ne vienne aux mains en quelque manière que ce soit, déclarant que nous respectons ce procédé pour un effet de l'obéissance qui nous est due et que nous tenons être plus conforme aux maximes du véritable honneur aussi bien qu'à celles du christianisme, aucun ne pouvant se dispenser de cette mutuelle charité, sans contrevenir aux commandements de Dieu aussi bien qu'aux nôtres.

426

Article 2.

Et autant qu'il n'y a rien d'aussi honnête ni qui gagne davantage les affections du public et des particuliers que d'arrêter le cours des querelles en leur source, nous ordonnons à nos très chers et bien-aimés cousins les maréchaux de France, soit qu'ils soient à notre suite ou en nos provinces, et nos gouverneurs généraux en icelles, de s'employer eux-mêmes très soigneusement et incessamment à terminer tous les différends qui pourront arriver entre nos sujets, par les voies et ainsi qu'il leur est donné pouvoir par les édits et ordonnances des Rois, nos prédécesseurs. Et en outre, nous donnons pouvoir à nos dits cousins de commettre en chacun des bailliages ou sénéchaussées de notre royaume un ou plusieurs gentilshommes, selon l'étendue d'icelles, qui soient de qualité, d'âge et capacité requise, pour recevoir les avis des différends qui surviendront entre les gentilshommes, gens de guerre et autres, nos sujets, les renvoyer à nos dits cousins les maréchaux de France, ou aux plus anciens d'eux ou aux gouverneurs généraux de nos provinces et nos lieutenants généraux en icelles, lorsqu'ils y seront présents; et donnons pouvoir auxdits gentilshommes qui seront ainsi commis de faire venir par-devant eux, en l'absence des gouverneurs et lieutenants généraux, tous ceux qui auront quelque différend, pour les accorder ou les renvoyer par-devant nosdits cousins les maréchaux de France, au cas que quelqu'une des parties se trouve lésée par l'accord desdits gentilshommes ou ne veuille pas se soumettre à leurs jugements. Même lorsque les dits gouverneurs généraux de nos provinces et nos lieutenants généraux en icelles seront dans nos provinces, en cas que les querelles qui surviendront requièrent un 427 prompt remède pour en empêcher les suites, et que les gouverneurs fussents absents du lieu où le différend sera survenu, nous voulons que lesdits gentilshommes commis y pourvoient sur-le-champ, et fassent exécuter le convenu aux articles du présent édit, dont ils donneront avis à l'instant aux dits gouverneurs généraux de nos provinces ou, en leur absence, aux lieutenants généraux en icelles, pour travailler incessamment à l'accommodement; et pour cette fin nous enjoignons très expressément à tous les prévôts des maréchaux, vice-baillis, vice-sénéchaux, leurs lieutenants, exempts, greffiers et archers d'obéir promptement et fidèlement, sur peine de suspension de leurs charges et privation de leurs gages, auxdits gentilshommes commis sur le fait desdits différends, soit qu'il faille assigner ceux qui auront querelle, constituer prisonniers, saisir et annoter leurs biens ou faire tous autres actes nécessaires pour empêcher les voies de fait et pour l'exécution desdits gentilshommes ainsi commis, le tout aux frais et dépens des parties.

Article 3.

Nous déclarons, en outre, que tous ceux qui assisteront ou se rencontreront, quoique inopinément, aux lieux où se commettront des offenses à l'honneur soit par des rapports ou discours injurieux, soit par manquement de promesse ou de parole donnée, soit par démentis, coups de main ou autres outrages, de quelque nature qu'ils soient, seront à l'avenir obligés d'avertir nos cousins les maréchaux de France ou lesdits gouverneurs généraux de nos provinces et nos lieutenants généraux en icelles, ou les gentilshommes commis par nos dits cousins, sur peine d'être réputés complices desdits offenses et délit, poursuivis comme y ayant tacitement contribué, pour ne 428 s'être pas mis en devoir d'en empêcher les mauvaises suites. Voulons pareillement et nous plaît que ceux qui auront connaissance de quelque commencement de querelle et animosité causées par les procès qui seraient sur le point d'être intentés entre gentilshommes pour quelque intérêt d'importance, soient obligés à l'avenir d'en avertir nosdits cousins les maréchaux ou les gouverneurs généraux de nosdites provinces et lieutenants généraux en icelles ou, en leur absence, les gentilshommes commis dans les bailliages, afin qu'ils empêchent de tout leur pouvoir que les parties ne sortent des voies civiles et ordinaires pour venir à celles de fait. Et pour être d'autant mieux informé de tous les duels et combats qui se font dans nos provinces, nous enjoignons aux gouverneurs généraux et lieutenants généraux en icelles, de donner avis aux secrétaires d'État, chacun en son département, de tous les duels et combats qui arriveront dans l'étendue de leurs charges; aux premiers présidents de nos cours de parlement, et à nos procureurs généraux en icelles, de donner pareillement avis à notre très cher et féal le sieur Letellier, chancelier de France, et aux gentilshommes commis, et nos officiers de maréchaussée, aux maréchaux de France; pour nous en informer chacun à leur égard. Ordonnons encore à tous nos sujets de nous en donner avis par telles voies que bon leur semblera, promettant de récompenser ceux qui donneront avis des combats arrivés dans les provinces, dont nous n'aurons pas reçu d'avis d'ailleurs, avec les moyens d'en avoir la preuve.

Art. 4.

Lorsque nosdits cousins les maréchaux de France, les gouverneurs généraux de nos provinces et nos lieutenants 429 généraux en icelles en leur absence ou les gentilshommes commis auront eu avis de quelque différend entre les gentilshommes et entre tous ceux qui font profession des armes dans notre royaume et pays de notre obéissance, lequel procédant de paroles outrageantes ou autre cause touchant l'honneur, semblera devoir les porter à quelque ressentiment extraordinaire, nosdits cousins les maréchaux de France enverront aussitôt des défenses très expresses aux parties de se rien demander par des voies de faits, directement, et les feront assigner à comparaître incessamment par-devant eux pour y être réglés. Que s'ils appréhendent que lesdites parties soient tellement animées qu'elles n'apportent pas tout le respect et la déférence qu'elles doivent à leurs ordres, ils leur enverront incontinent des archers et gardes de la connétablie et maréchaussée de France, pour se tenir près de leur personne, aux frais et dépens desdites parties, jusqu'à ce qu'elles se soient rendues par-devant eux; ce qui sera ainsi pratiqué par les gouverneurs généraux de nos provinces et nos lieutenants généraux en icelles dans l'étendue de leurs gouvernements et charges, en faisant assigner par-devant eux ceux qui auront querelles, en leur envoyant de leurs gardes ou quelques autres personnes qui se tiendront près d'eux pour les empêcher d'en venir aux voies de fait, et nous donnons pouvoir aux gentilshommes commis dans chaque bailliage de tenir, en l'absence des maréchaux de France, gouverneurs généraux de nos provinces et nos lieutenants généraux en icelles, la même procédure envers ceux qui auront querelles, et se servir des prévôts des maréchaux, leurs lieutenants, exempts et archers, pour l'exécution de leurs ordres.

430

Art. 5.

Ceux qui auront querelles étant comparus devant nos cousins les maréchaux ou gouverneurs généraux de nos provinces et lieutenants en icelles ou en leur absence devant lesdits gentilshommes, s'il apparaît de quelque injure atroce qui ait été faite avec avantage, soit de dessein prémédité ou de gaieté de cœur, nous voulons et entendons que la partie offensée en reçoive une réparation ou satisfaction si avantageuse qu'elle ait tout sujet d'en demeurer contente; confirmant en temps que besoin est, par notre présent édit, l'autorité attribuée par les feus Rois, nos très honorés aïeux et père à nosdits cousins les maréchaux de France, de juger et de décider par jugement souverain tous différends concernant le point d'honneur et réparation d'offense, soit qu'ils arrivent dans notre cour ou en quelque autre lieu de nos provinces où ils se trouveront, et auxdits gouverneurs et lieutenants généraux, le pouvoir qu'ils leur ont aussi donné pour mettre fin, chacun en l'étendue de sa charge.

Art. 6.

Et parce qu'il se commet quelquefois des offenses si importantes à l'honneur que non seulement les personnes qui les reçoivent en sont touchées, mais aussi que le respect qui est dû à nos lois et ordonnances y est manifestement violé, nous voulons que ceux qui auront fait de semblables offenses, outre les satisfactions ordonnées à l'égard des personnes offensées, soient encore condamnés par lesdits juges du point d'honneur à souffrir prison, bannissement et amendes.

431 Considérant qu'il n'y a rien qui soit si déraisonnable ni si contraire à la profession d'honneur que l'outrage qui se ferait pour quelque intérêt civil ou de quelque procès qui serait intenté par-devant les juges ordinaires, nous voulons que dans les accommodements des offenses provenues de semblables causes lesdits juges du point d'honneur tiennent toute la rigueur qu'ils verront raisonnable pour la satisfaction de la partie offensée, et que pour la disposition de notre autorité blessée, ils ordonnent, ou la prison pendant l'espace de trois mois au moins, ou le bannissement pour autant de temps des lieux où l'offensant fera sa résidence, ou la privation du revenu d'une année ou de deux de la chose contestée.

Art. 7.

Comme il arrive beaucoup de différends entre lesdits gentilshommes à cause des chasses, des droits honorifiques des églises et autres prééminences des fiefs et seigneuries, pour être fort mêlés avec le point d'honneur, nous voulons et entendons que nosdits cousins les maréchaux de France, les gouverneurs de nos provinces et nos lieutenants en icelles et les gentilshommes commis dans lesdits bailliages et sénéchaussées apportent tout ce qui dépendra d'eux pour obliger les parties de convenir d'arbitres qui jugent sommairement avec eux, sans aucune consignation ni espèces, le fonds de semblables différends à la charge de l'appel en nous corps du parlement, lorsqu'une des parties se trouvera lésée par la sentence.

Art. 8.

Au cas qu'un gentilhomme refuse ou diffère sans aucune cause légitime d'obéir aux ordres de nos cousins 432 les maréchaux de France ou à ceux des autres juges du point d'honneur, comme de comparaître par-devant eux, lorsqu'il aura été assigné par acte signifié à lui ou à son domicile et aussi lorsqu'il n'aura pas subi le bannissement ordonné contre lui, il sera incessamment contraint, après un certain temps que lesdits juges lui prescriront, soit par garnison qui sera posée dans sa maison ou par l'emprisonnement de sa personne, ce qui sera soigneusement exécuté par les prévôts de nosdits cousins les maréchaux de France, vice-baillis, vice-sénéchaux, leurs lieutenants, exempts et archers sous peine de suspension de leurs charges et de privation de leurs gages, suivant les ordonnances desdits juges; ladite exécution sera faite aux frais et dépens de la personne désobéissante ou réfractaire. Que si lesdits prévôts, vice-baillis, vice-sénéchaux, leurs lieutenants, exempts et archers ne peuvent exécuter ledit emprisonnement, ils saisiront et annoteront tous les revenus dudit banni ou désobéissant, pour être appliqués et demeurer acquis durant tout le temps de la désobéissance, savoir: la moitié à l'hôpital de la ville où il y a parlement établi et l'autre moitié à l'hôpital du lieu où il y a siège royal, dans le ressort duquel parlement ou siège royal les biens dudit banni et désobéissant se trouvent, afin que, s'entr'aidant dans la poursuite, l'un puisse fournir l'avis et la preuve, et l'autre interposer notre autorité par celle de la justice pour l'effet de notre intention. Et au cas qu'il y ait des dettes précédentes qui empêchent la perception de ce revenu, applicable aux profits desdits hôpitaux, la somme à quoi il pourra monter vaudra une dette hypothéquée sur tous les biens meubles et immeubles du banni, pour être payée et acquittée dans son ordre, du jour de la condamnation qui interviendra contre lui.

433

Art. 9.

Nous ordonnons en outre que ceux qui auront eu des gardes de nos cousins les maréchaux de France, des gouverneurs généraux de nos provinces et nos lieutenants d'icelles ou des dits gentilshommes commis, et qui s'en seront dégagés en quelque manière que ce puisse être, soient punis avec rigueur, et ne puissent être reçus à l'accommodement sur le point d'honneur que les coupables de ladite garde enfreinte n'aient tenu prison; qu'à la requête de notre procureur de la connétablie et des substituts aux autres maréchaussées de France, le procès en leur ait été fait selon les formes requises par nos ordonnances. Voulons et nous plaît que sur le procès-verbal ou rapport des gardes qui seront ordonnés près d'eux, il soit, sans autre information décrété contre eux à la requête desdits substituts et leur procès sommairement fait.

Art. 10.

Bien que le soin que nous prenons de l'honneur de notre noblesse paraisse assez par le contenu des articles précédents et par la soigneuse recherche que nous faisons des moyens estimés les plus propres pour éteindre les querelles dans leur naissance et rejeter sur ceux qui offensent le blâme et la honte qu'ils méritent, néanmoins, appréhendant qu'il ne se trouve encore des gens assez osés pour contrevenir à nos volontés si expressément expliquées et qui présument d'avoir raison en cherchant à se venger, nous voulons et ordonnons que celui qui, s'estimant offensé, fera un appel à qui que ce soit pour soi-même demeure déchu de pouvoir jamais avoir satisfaction 434 de l'offense qu'il prétendra avoir reçue, qu'il tienne prison pendant deux ans et soit condamné à une amende envers l'hôpital de la ville la plus proche de sa demeure, laquelle ne pourra être de moindre valeur que la moitié du revenu de ses biens pendant une année, et de plus, qu'il soit suspendu de toutes ses charges et privé des revenus d'icelles pendant trois ans. Permettons à tous juges d'augmenter lesdites peines, selon que les conditions des personnes, les sujets des querelles, comme procès intentés ou autres intérêts civils, les défenses ou gardes enfreintes ou violées, les circonstances des lieux et des temps rendront l'appel plus punissable.

Que si celui qui est appelé au lieu de refuser l'appel et d'en donner avis à nos cousins les maréchaux de France ou aux gouverneurs généraux de nos provinces et nos lieutenants en icelles ou aux gentilshommes commis, ainsi que nous lui enjoignons de le faire, va sur le lieu de l'assignation ou fait effort pour cet effet, il soit puni des mêmes peines que l'appelant. Nous voulons de plus que ceux qui auront appelé pour un autre ou qui auront accepté l'appel sans en donner l'avis auparavant soient punis des mêmes peines.

Art. 11.

Et d'autant qu'outre la peine que doivent encourir ceux qui appelleront, il y en a qui méritent doublement d'être châtiés et réprimés, comme lorsqu'ils s'attaquent à ceux qui sont leurs bienfaiteurs, supérieurs ou seigneurs et personnes de commandement et relevées par leurs qualités et charges, et spécialement quand les querelles naissent pour des actions d'obéissance auxquelles une condition, charge ou emploi subalterne les ont soumis, ou pour des châtiments qu'ils ont subis par l'autorité de 435 ceux qui ont le pouvoir de les y assujettir, considérant qu'il n'y a rien de plus nécessaire pour le maintien de la discipline, particulièrement entre ceux qui font profession des armes, que le respect envers ceux qui les commandent, nous voulons et ordonnons, que ceux qui s'emporteront à cet excès, et notamment qui appelleront leurs chefs ou autres qui ont droit de leur commander, tiennent prison pendant quatre ans, soient privés de l'exercice de leurs charges pendant ledit temps, ensemble des gages et appointements y attribués, qui seront donnés à l'hôpital général de la ville la plus prochaine; et en cas que ce soit un inférieur contre son supérieur ou seigneur, il tiendra prison pendant les mêmes quatre années, et sera condamné à une amende qui ne pourra être moindre qu'une année de son revenu; enjoignant très expressément à nosdits cousins maréchaux de France, gouverneurs généraux de nos provinces et lieutenants généraux en icelles, et gentilshommes commis, et singulièrement aux généraux de nos armées, dans lesquelles le désordre peut être plus fréquent qu'en tout autre lieu, de tenir la main à l'exacte et sévère exécution du présent article. Que si les chefs ou officiers supérieurs et les seigneurs qui auront été appelés reçoivent l'appel et se mettent en état de satisfaire les appelants, ils seront punis des mêmes peines de prison, de suspension de leurs charges et revenus d'icelles et amendes ci-dessus spécifiées, sans qu'ils puissent en être dispensées, quelques instances et supplications qu'ils nous fassent.

Art. 12.

Et d'autant que nous avons résolu de cesser et priver entièrement de leurs charges tous ceux qui se trouveront coupables dudit crime, même par notoriété; si ceux qui 436 auront été ainsi cassés et privés de leurs dites charges s'en ressentent contre ceux que nous en aurons pourvus, en les appelant ou excitant au combat par eux-mêmes ou par autrui, par rencontre ou autrement, nous voulons qu'eux et ceux dont ils se seront servis tiennent prison pendant six ans et soient condamnés à l'amende de six années de leurs revenus, sans pouvoir jamais être relevés desdites peines; et généralement ceux qui viendront pour la seconde fois à violer notre présent édit comme appelants, et notamment ceux qui se seront servis de seconds pour porter leurs appels, soient punis des mêmes peines de prison, destitution de charges et amendes, encore qu'il ne s'en soit ensuivi aucun combat.

Art. 13.

Si contre les défenses portées par notre présent édit, l'appelant et l'appelé venaient au combat actuel, nous voulons et ordonnons qu'encore qu'il n'y ait aucun blessé ou tué, le procès criminel et extraordinaire soit fait contre eux, qu'ils soient sans rémission punis de mort, que tous leurs biens meubles et immeubles nous soient confisqués, le tiers d'eux applicables à l'hôpital de la ville où est le parlement dans le ressort duquel le crime aura été commis et conjointement à l'hôpital du siége royal le plus proche du lieu du délit, et les deux autre tiers tant aux frais de capture et de la justice qu'en ce que les juges trouveront équitable d'adjuger aux femmes et enfants, si aucuns il y en a, pour leur nourriture et entretènement, seulement leur vie durant.

Que si leur crime se trouve commis dans les provinces où la confiscation n'a pas lieu, nous voulons et entendons qu'au lieu de ladite confiscation il soit pris sur les biens des criminels au profit des hôpitaux, une amende dont la 437 valeur ne pourra être moindre de la moitié des biens des criminels.

Ordonnons et enjoignons à nos procureurs généraux, leurs substituts et ceux qui auront l'administration desdits hôpitaux, de faire de soigneuses recherches et poursuites desdites sommes et confiscations, pour lesquelles leur action pourra durer pendant le temps et espace de vingt ans, quand même ils ne feraient aucune poursuite qui la pût proroger, lesquelles sommes et confiscations ne pourront être remises ni diverties pour quelque cause et prétexte que ce soit. Que si l'un des combattants ou tous les deux sont tués, nous voulons que le procès criminel soit fait contre la mémoire des morts, comme contre criminels de lèse-majesté divine et humaine et que leurs corps soient privés de la sépulture, défendant à tous curés, leurs vicaires et autres ecclésiastiques de les enterrer ni souffrir être enterrés en terre sainte, confisquant en outre comme dessus leurs biens meubles et immeubles. Et quant au survivant qui aura tué, outre la susdite confiscation de tous ses biens ou amende de la moitié de la valeur d'iceux dans les pays où la confiscation n'a point lieu, il sera irrémissiblement puni de mort suivant la disposition des ordonnances.

Art. 14.

Les biens de celui qui aura été tué et du survivant seront régis par les administrateurs des hôpitaux pendant l'instruction du procès qualifié pour duel, et les revenus employés aux frais des poursuites.

Art. 15.

Encore que nous espérions que nos défenses et des 438 peines si justement ordonnées contre les duels retiendront dorénavant tous nos sujets d'y retomber, néanmoins, s'il s'en rencontrait encore d'assez téméraires pour oser contrevenir à nos volontés, non seulement en se faisant raison par eux-mêmes, mais en engageant de plus dans leurs querelles et ressentiments, des seconds, tiers ou autre plus grand nombre de personnes, ce qui ne peut se faire que par une lâcheté artificieuse qui fait rechercher à ceux qui sentent leur faiblesse la sûreté dont ils ont besoin dans le courage d'autrui, nous voulons que ceux qui se trouveront coupables d'une si criminelle et si lâche contravention à notre présent édit soient sans rémission punis de mort, quand même il n'y aurait aucun de blessé ni de tué dans ces combats, que tous leurs biens soient confisqués comme dessus, qu'ils soient dégradés de noblesse, déclarés roturiers, incapables de tenir jamais aucunes charges, leurs armes noircies et brisées publiquement par l'exécuteur de la haute justice.

Enjoignons à leurs successeurs de changer leurs armes et d'en prendre des nouvelles pour lesquelles ils obtiendront nos lettres à ce nécessaires, et en cas qu'ils reprissent les mêmes armes, elles soient de nouveau noircies et brisées par l'exécuteur de haute justice et eux condamnés à l'amende de deux années de leur revenu, applicable, moitié à l'hôpital général de la ville la plus proche, et l'autre moitié à la volonté des juges.

Et comme nul châtiment ne peut être assez grand pour punir ceux qui s'engagent si légèrement et criminellement dans le ressentiment d'offenses où ils n'ont aucune part et dont ils devront plutôt procurer l'accommodement pour la conservation et satisfaction de leurs amis que d'en poursuivre la vengeance par des voies aussi destituées de véritable valeur et courage comme elles le sont de charité 439 et d'amitié chrétienne, nous voulons que tous ceux qui tomberont dans le crime d'être seconds, tiers ou autre nombre également soient punis des mêmes peines que nous avons ordonnées contre ceux qui les emploieront.

Art. 16.

D'autant qu'il se trouve des gens de naissance ignoble et qui n'ont jamais porté les armes qui sont assez insolents pour appeler les gentilshommes, lesquels refusent de leur faire raison à cause de la différence des conditions, ces mêmes personnes suscitent contre ceux qu'ils ont appelés d'autres gentilshommes; d'où il s'en suit quelquefois des meurtres d'autant plus détestables qu'ils provenaient d'une cause objecte, nous voulons et ordonnons qu'en tels cas d'appels ou de combats, principalement s'ils sont suivis de quelque grande blessure ou de mort, lesdits ignobles et roturiers qui seront dûment atteints et convaincus d'avoir causé et procuré semblables désordres, soient sans rémission pendus et étranglés, tous leurs biens meubles et immeubles confisqués, les deux tiers aux hôpitaux des lieux les plus prochains et l'autre tiers employé aux frais de la justice, à la nourriture et entretènement des veuves et enfants des défunts, si aucuns il y a; permettant en outre aux juges desdits crimes, d'ordonner sur les biens confisqués telle récompense qu'ils aviseront raisonnable au dénonciateur et autres qui auront découvert lesdits cas, afin que dans un crime si punissable chacun soit invité à la dénonciation d'icelui; et quant aux gentilshommes qui se seront ainsi battus pour des sujets et contre des personnes indignes, nous voulons qu'ils souffrent les mêmes peines que nous avons ordonnées contre les seconds, s'ils peuvent être appréhendés, sinon il sera procédé 440 contre eux par défaut et contumace suivant la rigueur des ordonnances.

Art. 17.

Nous voulons que tous ceux qui porteront sciemment des billets d'appel ou qui conduiront aux lieux des duels ou rencontres, comme laquais ou autres domestiques, soient punis du fouet et de la fleur de lis pour la première fois, et, s'ils retombent dans la même faute, des galères à perpétuité. Et quand à ceux qui auront été spectateurs d'une duel, s'ils s'y sont rendus exprès pour ce sujet, nous voulons qu'ils soient privés pour toujours des charges, dignités et pensions qu'ils possèdent; que s'ils n'ont aucunes charges, le quart de leurs biens soit confisqué et appliqué aux hôpitaux; et si le délit à été commis en quelque province où la confiscation n'a pas lieu, qu'ils soient condamnés à une amende au profit desdits hôpitaux, laquelle ne pourra être de moindre valeur que le quart des biens desdits spectateurs que nous réputons avec raison complices d'un crime si détestable, puisqu'ils y assistent et ne l'empêchent pas tant qu'il peuvent, comme ils y sont obligés par les lois divines et humaines.

Art. 18.

Et d'autant qu'il est souvent arrivé que pour éviter la rigueur des peines ordonnées par tant d'édits contre les duels, plusieurs ont cherché les occasions de se rencontrer, nous voulons et ordonnons que ceux qui prétendront avoir reçu quelque offense et qui n'en auront point donné avis aux susdits juges du point d'honneur, et qui viendront à se rencontrer et se battre seuls, ou en pareil état et nombre, avec armes égales de part et d'autre à pied ou 441 à cheval, seront sujets aux mêmes peines que si c'était en duel. Et pour ce qu'il s'est encore trouvé de nos sujets qui ayant pris querelle dans nos États, et s'étant donné rendez-vous pour se battre hors d'iceux ou sur nos frontières, ont cru par ce moyen pouvoir éluder l'effet de nos édits, nous voulons que tous ceux qui en useront ainsi soient poursuivis criminellement, s'ils peuvent être pris, sinon par contumace, et qu'ils soient condamnés aux mêmes peines et leurs biens confisqués, comme s'ils avaient contrevenu au présent édit dans l'étendue et sans sortir de nos provinces, les jugeant d'autant plus criminels et punissables que les premiers inconvénients dans la chaleur et nouveauté de l'offense ne peuvent plus les excuser, et qu'ils y ont eu assez de loisir pour modérer leur ressentiment, et s'abstenir d'une vengeance si défendue, sans que, dans les deux cas mentionnés au présent article, les prévenus puissent alléguer le cas fortuit, auquel nous défendons à nos juges d'avoir aucun égard.

Art. 19.

Et pour éviter qu'une loi si sainte et si utile à nos États ne devienne inutile au public faute d'observation d'icelle, nous y enjoignons et commandons très expressément à nos cousins les maréchaux de France, auxquels il appartient, sous notre autorité, la connaissance et décision des contentions et querelles qui concernent l'honneur et la réputation de nos sujets, de tenir la main exactement et diligemment à l'observation de notre présent édit, sans y apporter aucune modération, ni permettre que par faveur, connivence et autre voie il y soit contrevenu en aucune manière.

Et pour donner d'autant plus de moyens et de pouvoirs à nosdits cousins les maréchaux de France, d'empêcher 442 et réprimer cette licence effrénée des duels et des rencontres; considérant d'ailleurs que la diligence importe grandement pour la punition desdits crimes, et que les prévôts de nosdits cousins les maréchaux, les vice-baillis, vice-sénéchaux et lieutenants criminels de robe courte, se trouvent le plus souvent à cheval pour notre service, pour être plus prompts et plus propres pour procéder contre les coupables des duels et rencontres, nous avons de nouveau attribué et attribuons l'exécution du présent édit, tant dans l'enclos des villes que hors d'icelles, aux officiers de la connétablie et maréchaussée de France, prévôts généraux de ladite connétablie de l'Ile-de-France et des monnaies, et tous les autres prévôts généraux, provinciaux et particuliers, vice-baillis et vice-sénéchaux et lieutenants criminels de robe courte, concurremment avec nos juges ordinaires, et à la charge de l'appel en nos cours de parlement auxquelles il doit ressortir, dérogeant pour ce regard à toutes déclarations et édits à ce contraire, portant défense auxdits prévôts de connaître des duels et rencontres.

Art. 20.

Les juges ou autres officiers qui auront supprimé et changé les informations, seront destitués et privés de leurs charges et châtiés comme faussaires.

Art. 21.

Et d'autant qu'il arrive assez souvent que lesdits prévôts, vice-baillis, vice-sénéchaux et lieutenants criminels de robe courte, sont négligents dans l'exercice des ordres de nosdits cousins les maréchaux de France, nous voulons 443 et ordonnons que lesdits officiers manquant d'obéir au premier mandement de nosdits cousins les maréchaux ou l'un d'eux, ou autres juges du point d'honneur, de sommer ceux qui auront querelle de comparaître au jour assigné, de les saisir et arrêter, en cas de refus et de désobéissance, et finalement d'exécuter de point en point, et toutes affaires cessantes, ce qui leur sera mandé et ordonné par nosdits cousins les maréchaux de France et juges du point d'honneur, ils soient par nosdits cousins punis et châtiés de leurs négligences par suspension de leurs charges et privation de leurs gages, lesquels pourront être réellement arrêtés et saisis sur la simple ordonnance de nosdits cousins les maréchaux de France ou de l'un d'eux, signifiée à la personne ou au domicile du trésorier de l'ordinaire de nos guerres qui sera en exercice. Nous ordonnons en outre auxdits prévôts, vice-baillis, vice-sénéchaux, leurs lieutenants et archers, chacun en leur ressort, sur les mêmes peines de suspension et de privation de leurs gages, que sur le bruit d'un combat arrivé, ils se transporteront à l'instant sur les lieux pour arrêter les coupables et les constituer prisonniers dans les prisons royales les plus proches du lieu du délit, voulant que pour chacune capture il leur soit payé la somme de quinze cents livres, à prendre avec les autres frais de justice sur le bien le plus clair des coupables, et préférablement aux confiscations et amendes que nous avons ordonnées ci-dessus.

Art. 22.

Et comme les coupables, pour éviter de tomber entre les mains de la justice, se retirent d'ordinaire chez les grands de notre royaume, nous faisons très expresses 444 inhibitions et défenses à toutes personnes de quelque nature et condition qu'elles soient, de recevoir dans leurs hôtels et maisons ceux qui auront contrevenu à notre présent édit. Et en cas qu'il se trouve quelques-uns qui leur donnent asile et qui refusent de les mettre entre les mains de la justice, sitôt qu'ils en seront requis, nous voulons que les procès-verbaux qui en seront dressés et dûment arrêtés par lesdits prévôts des maréchaux et autres juges soient incontinent et incessamment envoyés aux secrétaires d'État de nos commandements, chacun en son département, ensemble aux procureurs généraux de nos cours du parlement et à nosdits cousins les maréchaux, afin qu'ayant pris avis d'eux, nous fassions procéder à la punition de ceux qui protégeront de si criminels désordres.

Art. 23.

Que si nonobstant tous les soins et diligences prescrits par les articles précédents, le crédit et l'autorité des personnes intéressées dans ces crimes en détournaient les preuves par menace ou artifice, nous ordonnons que, sur la simple réquisition qui sera faite par nos procureurs généraux et leurs substituts, il soit décerné des mémoires par les officiaux des évêques des lieux, lesquels seront publiés et fulminés selon les formes canoniques contre ceux qui refuseront de venir à la réclamation de ce qu'ils sauront touchant les duels et rencontres arrivés. Nous ordonnons en outre qu'à l'avenir nos procureurs généraux en la cour du parlement et leurs substituts, sur l'avis qu'ils auront des combats qui auront été faits, former leurs réquisitions contre ceux qui par notoriété en seront estimés coupables, et que, conformément à icelles, nosdites 445 cours, sans autres preuves, ordonnons que, dans les délais qu'elles jugeront à propos, ils seront tenus de se rendre dans les prisons, pour se justifier et répondre sur les réquisitions de nosdits procureurs généraux; et à faute dans ledit temps de satisfaire aux arrêts qui seront signifiés à leurs domiciles, nous voulons qu'il soit procédé contre eux par défaut et contumace; qu'ils soient déclarés atteints et convaincus des cas à eux imposés, et comme tels, qu'ils soient condamnés aux peines portées par nos édits, et leurs biens à nous acquis et confisqués et mis à nos mains; et sans attendre que les cinq années des défauts et contumaces soient expirées, que toutes leurs maisons soient rasées et leurs bois de haute futaie coupés jusque à une certaine hauteur, suivant les ordres que nous en donnerons; et eux déclarés infâmes et dégradés de noblesse, sans qu'ils puissent à l'avenir entrer en aucune charge.

Défendons à toutes nos cours de parlement et nos autres juges de les recevoir en leur justification après les arrêts de condamnation, même pendant cinq années de la contumace, qu'auparavant ils n'aient obtenu nos lettres portant permission de se représenter et qu'ils n'aient payé les amendes auxquelles ils seront condamnés et ce nonobstant l'article 18 du titre VII de notre ordonnance criminelle, auquel nous avons dérogé et dérogeons pour ce regard et sans tirer à conséquence.

Art. 24.

Et lors même que les prévenus auront été arrêtés et mis dans les prisons ou qu'ils s'y seront mis, nous voulons qu'en cas que nos procureurs généraux trouvent de la difficulté à administrer les preuves desdits combats, nos cours leur donnent les délais qu'ils requerront, se 446 mettant à l'honneur et conscience de nosdits procureurs généraux de n'en user que pour le bien de la justice.

Art. 25.

Pendant le temps que les accusés ou prévenus desdits crimes ne se rendront point prisonniers, nous voulons que la justice de leurs terres soit exercée en notre nom, et nous pourvoirons pendant ledit temps aux offices et bénéfices dont la disposition appartiendra auxdits accusés ou prévenus.

Art. 26.

Et que pour éviter que pendant l'instruction des défauts et contumaces, les prévenus ne puissent se servir des moyens qu'ils ont coutume de pratiquer pour détourner les preuves de leurs crimes, en intimidant les témoins, en les obligeant de se rétracter dans le récolement, nous voulons que nonobstant l'article 3 du titre XV de notre ordonnance du mois d'août 1670, auquel nous avons dérogé et dérogeons pour ce regard dans les crimes et duels seulement, il soit procédé par les officiers de nos cours et lieutenants criminels des bailliages où il y a siège présidial, au récolement des témoins dans les vingt-quatre heures, et le plus tôt qu'il se pourra, après qu'ils auront été entendus dans les informations, et ce avant qu'il y ait aucun jugement qui l'ordonne, sans toutefois que les récolements puissent valoir confrontation qu'après qu'il aura été ainsi ordonné par le jugement de défaut et contumace.

447

Art. 27.

Nous déclarons les condamnés par contumace incapables et indignes de toutes successions qui pourraient leur échoir depuis la condamnation encore qu'ils soient dans les cinq années, et qu'ils se fussent ensuite restitués contre la contumace. Si les successions sont échues avant la restitution, la seigneurie et la justice des terres seront exercées en notre nom et les fruits attribués aux hôpitaux, sans espérances de restitution, à compter de la condamnation par contumace.

Art. 28.

Nous voulons pareillement et ordonnons que dans les lieux éloignés des villes où nos cours de parlement sont situés, lorsqu'après toutes les perquisitions et recherches susdites, les coupables des duels et rencontres ne pourront être trouvés, il soit, à la requête des substituts de nos procureurs généraux, sur la simple notoriété du fait, décerné prise de corps contre les absents, et qu'à faute de les pouvoir appréhender en vertu du décret, tous leurs biens soient saisis, et qu'il soit procédé contre eux suivant ce qui est porté par notre ordonnance du mois d'août 1670, au titre XVII, des défauts et contumaces, et sans que nosdits procureurs généraux ou leurs substituts soient obligés d'informer et de faire preuve de notoriété.

Art. 29.

Quand le titre de l'accusation sera pour le crime de duel, il ne pourra être fourni aucun règlement de juges, 448 nonobstant tout prétexte de prévention, assassinat ou autrement, et le procès ne pourra être poursuivi que par-devant les juges du crime de duel.

Art. 30.

Et afin d'empêcher les surprises de ceux qui pour obtenir des grâces nous déguiseraient la vérité des combats arrivés, et mettraient en avant de faux faits, pour faire croire que lesdits combats seraient survenus inopinément et ensuite de querelle prise sur-le-champ, nous ordonnons que nul ne pourra poursuivre au sceau l'expédition d'aucune grâce ès cas où il y aura soupçon de duel ou rencontre préméditée, qu'il ne soit actuellement prisonnier à notre suite ou bien dans la principale prison du parlement dans le ressort duquel le combat aura été fait; et après qu'il aura été vérifié qu'il n'a contrevenu en aucune sorte à notre présent édit, et avoir sur ce pris l'avis de nos cousins les maréchaux de France, nous pourrons lui accorder des lettres de rémission en connaissance de cause.

Art. 31.

Et d'autant qu'en conséquence de nos ordres, nos cousins les maréchaux de France se sont assemblés pour revoir et examiner de nouveau le règlement fait par eux sur les diverses satisfactions et réparations d'honneur, auquel, par nos ordres, ils ont ajouté des peines plus sévères contre les agresseurs, nous voulons que ledit règlement en date du 22e jour du présent mois, ensemble celui du 22 août 1653, ci-attachés, sous le contre-scel de notre chancellerie, soient inviolablement suivis et observés 449 à l'avenir par tous ceux qui seront employés aux accommodements des différends qui touchent le point d'honneur et la réputation des gentilshommes.

Art. 32.

Et d'autant plus que quelquefois les administrateurs des hôpitaux ont négligé le recouvrement des amendes et confiscations adjugées auxdits hôpitaux et autres personnes qui auront été négligées pendant un an à compter du jour des arrêts de condamnation, soit fait par le receveur général de nos domaines auquel la moitié desdites confiscations et amendes appartiendra pour les frais de recouvrement, nous réservant de disposer de l'autre moitié en faveur du tel hôpital qu'il nous plaira, outre que celui auquel elles auront été adjugées.

Art. 33.

Voulons de plus que lorsque les gentilshommes n'auront pas déféré aux ordres des maréchaux de France et qu'ils auront encouru les amendes et confiscations portées par le présent édit et le règlement desdits maréchaux de France, il en soit à l'instant donné avis par lesdits maréchaux de France à nos procureurs généraux en nos cours de parlement ou à leurs substituts, auxquels nous enjoignons de procéder incessamment à la saisie des biens, jusqu'à ce que cesdits gentilshommes prévenus aient obéi; et en cas qu'ils n'obéissent dans trois mois, les fruits seront appliqués en pure perte aux hôpitaux jusqu'à ce qu'ils aient obéi, les frais de prévôts de procédure, de garnison et autres frais par préférence; et pour cet effet, nous voulons que les directeurs et administrateurs desdits hôpitaux soient 450 mis en possession et jouissance desdits biens. Enjoignons à nosdits procureurs généraux, leurs substituts, de se joindre auxdits directeurs et administrateurs, pour être faite une prompte et réelle perception desdites amendes.

Faisons très expresses défenses aux juges d'avoir aucun égard aux contrats, testaments et autres actes faits six mois avant les crimes commis.

Art. 34.

Lorsque dans les combats il y aura eu quelqu'un de tué, nous permettons aux parents du mort de se rendre parties dans trois mois du délit, contre celui qui aura tué et en cas qu'il soit convaincu du crime, condamné et exécuté; nous faisons remise de la confiscation du mort au profit de celui qui aura poursuivi, sans qu'il soit tenu d'obtenir d'autres lettres de don que le présent édit. A l'égard de celui des parents, au profil duquel nous faisons remise de la confiscation, nous voulons que le plus proche soit préféré au plus éloigné, pourvu qu'ils se soient rendus parties dans les trois mois, à condition de rembourser les frais qui auront été faits.

Art. 35.

Le crime de duel ne pourra être éteint ni par la mort, ni par aucune prescription de vingt ni de trente ans, ni aucune autre, encore qu'il n'y ail ni exécution, ni condamnation, ni plainte, et pourra être poursuivi, après quelque laps de temps que ce soit, contre la personne ou contre la mémoire; même ceux qui se trouveront coupables de duel depuis notre édit de 1651, registre en notre cour du parlement de Paris, au mois de septembre de la même année, 451 pourront être recherchés pour les autres crimes par eux commis auparavant et depuis, nonobstant ladite prescription de vingt et trente ans, pourvu que leur procès leur soit fait en même temps pour le crime de duel et par les mêmes juges, et qu'ils en demeurent convaincus.

Art. 36.

Toutes les peines contenues dans le présent édit, pour la punition des contrevenants à nos volontés, seraient inutiles et de nul effet si, par des motifs d'une justice et d'une fermeté infaillibles, nous ne maintenions les lois que nous avons établies. A cette fin, nous jurons et promettons en foi et parole de Roi, de n'exempter à l'avenir aucune personne, pour quelque cause et considération que ce soit, de la rigueur du présent édit; qu'il ne sera accordé par nous aucune rémission, pardon et abolition à ceux qui se trouveront prévenus desdits crimes de duels et rencontres.

Défendons très expressément à tous princes et seigneurs près de nous de faire aucune prière pour les coupables desdits crimes, sous peine d'encourir notre indignation.

Protestons de rechef que ni en faveur d'aucun mariage de prince ou princesse de notre sang, ni pour les naissances des princes et enfants de France qui pourront arriver durant notre règne, ni pour quelque considération générale et particulière qui puisse être, nous ne permettrons sciemment être expédiées aucunes lettres contraires à notre présente volonté. L'exécution de laquelle nous avons jurée expressément et solennellement au jour de notre sacre et couronnement, afin de rendre plus authentique et plus inviolable une loi si chrétienne, si juste et si nécessaire.

Si donnons un mandement à nos amés et féaux conseillers, 452 les gens tenant notre cour de parlement, que ces présentes ils fassent lire, publier et registrer, et le contenu en icelles garder et observer inviolablement, sans y contrevenir ni permettre qu'il y soit contrevenu, car tel est notre bon plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces dites présentes.

Donné à Saint-Germain-en-Laye, au mois d'août, l'an de grâce 1679, et de notre règne le 37e.

Signé: LOUIS.

Et plus bas:

Par le Roi: Colbert.

Et scellé du grand sceau de cire verte, sur lacs de soie rouge et verte.

Registrées, ouï et ce requérant, le procureur général du Roi, pour être exécutées suivant leur forme et teneur.

A Paris, en Parlement, le 1er septembre mil six cent soixante-dix-neuf.

Signé: Dongois.

453

VII

Voici comme parle le saint concile de Trente sur le même sujet des duels, session vingt-cinquième, de Reformatione, chapitre XIX.

«L'usage détestable des duels, qui a été introduit par l'artifice du démon pour perdre les âmes après avoir donné cruellement la mort au corps, doit être entièrement aboli parmi les chrétiens.»

Et après il dit: «Nous excommunions, dès à présent et sans autre forme de procès, tous empereurs, tous rois, ducs, princes, marquis, comtes et autres seigneurs temporels, à quelque titre que ce soit, qui auront assigné et accordé quelque lieu pour le duel entre chrétiens.»

Ensuite il ajoute: «Pour ceux qui se seront battus, et les autres vulgairement nommés leurs parrains, nous voulons qu'ils encourent la peine de l'excommunication et de la proscription de tous leurs biens, et passent désormais pour gens infâmes, et soient traités avec la même sévérité que les sacrés canons traitent les homicides; et s'il arrive qu'ils soient tués dans le combat, ils seront pour jamais privés de la sépulture en terre sainte. Nous ordonnons, en outre, que non seulement ceux qui auront approuvé ou donné le conseil de se battre ou qui auront induit et porté quoiqu'un en quelque manière que ce soit, 454 mais encore ceux qui auront assisté en qualité de spectateurs soient excommuniés, frappés d'anathème perpétuel, sans avoir égard à aucun privilège ou mauvaise coutume introduite, quoique de temps immémorial.»

OBSERVATIONS.

Bien qu'établies dans des temps très différents des nôtres, les prescriptions du concile de Trente sont encore en vigueur de nos jours. Il n'est pas trop rare, cependant, de voir les autorités ecclésiastiques en mitiger la rigueur, lorsque les circonstances en indiquent l'opportunité.

Cette manière d'agir peut s'expliquer par les considérations suivantes:

Le duel n'est point un acte attaquant directement les dogmes de notre sainte religion; c'est une faute grave contre un canon, contre un simple règlement disciplinaire de l'Église.

Ce canon n'existait pas dans les temps où florissaient le jugement de Dieu ou le combat judiciaire, dont le duel n'est que le successeur naturel.

Le duel n'a point pour instigateur un sentiment anti-religieux, mais bien le sentiment de l'honneur.

N'a-t-on pas vu en effet, par le passé; ne voit-on pas encore tous les jours des hommes connus par leurs sentiments religieux, prêts même à répandre leur sang pour défendre la liberté de leurs croyances, se prosterner aux pieds des autels quelques heures, quelques instants même avant de se rendre sur le terrain?

Qui peut assurer que celui qui se bat en duel, au moment 455 même où il reçoit le coup mortel, ne balbutie pas quelques paroles d'invocation envers Dieu?

Ou bien même, si la parole lui fait défaut, ne les profère-t-il pas mentalement en tournant son suprême et dernier regard vers le ciel?

Cette présomption n'est-elle pas surtout légitime en faveur de celui dont les sentiments religieux étaient notoires?

Les instances, les larmes de sa famille pour lui obtenir une sépulture chrétienne, ne sont-elles pas un solennel hommage rendu à la religion, qu'on l'a vu respecter et pratiquer la veille de sa mort?

Une dernière considération.

Quelques individualités connues sous le nom de libres penseurs ou de solidaires, tendent, nous le déplorons, à introduire l'usage des enterrements civils.

Un convoi suivi par d'honorables corporations, par l'élite de la société, ne leur fournit-il pas une superbe occasion qu'ils se gardent bien de laisser échapper pour manifester leurs tendances, en se groupant à la suite du convoi, suscitant ainsi parmi la multitude des curieux des commentaires plus ou moins édifiants?

Ces considérations, certes, ne peuvent échapper à la haute sagesse des vénérables princes de l'Église qui, unissant le tact, l'esprit de conciliation, la mansuétude évangélique à la fermeté dans le devoir, ont jugé convenable de mitiger quelquefois, comme nous l'avons indiqué plus haut, la sévérité des prescriptions du concile de Trente; donnant ainsi raison à un axiome goûté par les théologiens eux-mêmes.

Odia sunt restringenda.
Favores sunt ampliandi.

Que si quelque casuiste, rencontrant dans nos points 456 d'interrogation une trop forte offense pour son système nerveux, nous octroyait les férules, nous ne chercherions pas à aggraver la situation en lui citant les deux vers célèbres du Lutrin de Boileau, et, pour ce qui nous regarde, nous n'aurions pas besoin de recourir au chloroforme; nous avons à notre portée un baume réparateur pour cicatriser nos blessures.

La mère de Dieu étend sa main protectrice sur le modeste chalet où nous écrivons ces lignes. Nous nous transporterons, et ce ne sera ni la première ni la dernière fois, au pied ne son autel privilégié, et nous lui dirons:

«Sainte Vierge! nous sommes soldat, catholique et Savoyard! nous ne vous disons que ça! Voilà notre plan:

«Réglementer et diminuer un mal incurable, éviter des scandales nuisibles à la religion que nous avons toujours professée et vénérée. Si nos moyens moraux doivent sécher au soleil, si notre plan ne vaut rien; eh bien! Mère de miséricorde, vous daignerez nous accorder notre pardon. Nous vous le demandons au nom de celui qui, naguère, faisant sonner le clairon du silence pour étouffer les bourdonnements des Pharisiens et des intransigeants, prononçait cette indulgente parole, belle et grande leçon pour les sages et les puissants de la terre: «Laissez venir à moi les petits enfants.»

Et, v'lan!

457

VIII

Procès-verbaux pour les Duels.

OBSERVATIONS.

Nous ne croyons pas devoir présenter un modèle pour la rédaction des procès-verbaux des rencontres. Dans sa forme générale, cette pièce dont nous avons signalé toute l'importance est rédigée comme toutes les autres pièces du même genre.

Nous nous bornerons donc à quelques remarques et à quelques indications particulières.

Le procès-verbal d'une affaire de ce genre doit être aussi court que possible. Il ne doit contenir que la simple et unique relation des faits, sans appréciation ni discussion, ni épithète peu déférente pour aucune des parties. Son style doit être bref, concis, très correct, de manière à éviter toute expression dont le sens pourrait être contesté ou bien donner lieu à équivoque.

Ceci établi, cette pièce se divise en deux parties.

Première Partie.

§ 1. (Indiquer) l'année, le mois, le jour, l'heure, le lieu 458 de la réunion des soussignés réunis pour examiner le différend ou la querelle entre MM. tel et tel.

§2. Les motifs de la querelle ayant été constatés et les faits reconnus exacts d'un commun accord, et comme suit

(Indiquer) les motifs et les faits.

§3. Après une discussion tendant à proposer un arrangement satisfaisant et honorable pour les deux parties, tout arrangement ayant été reconnu impossible, ou bien, rejeté par...

Les soussignés ont reconnu la rencontre inévitable, et les conditions en ont été établies comme suit:

(Indiquer) les conditions, le jour, l'heure, le lieu du rendez-vous.

Les conditions ci-dessus mentionnées ont été soumises aux parties et ratifiées et acceptées par elles, avec promesse de s'y conformer suivant les lois de l'honneur.

En foi de quoi, etc.

(Indiquer) le lieu, le jour, le mois, l'heure, l'année.

SIGNATURE DES TÉMOINS.

Les témoins de M. M*** Les témoins de M. N***
A. C.
B. D.

Deuxième Partie.

La rencontre déterminée par la première partie du présent procès-verbal a eu lieu au jour, à l'heure, au lieu indiqués.

Après 10 minutes de combat, M. M*** ayant reçu une blessure (Indiquer la nature et l'importance de la blessure).

459 Les témoins soussignés ont déclaré l'honneur satisfait.

(Indiquer si les adversaires se sont réconciliés.)

En foi de quoi, etc.

(Indiquer) le lieu, l'heure, le jour, le mois, l'année.

SIGNATURE DES TÉMOINS.

Les témoins de M. M*** Les témoins de M. N***
A. C.
B. D.

A) Dans la réunion des témoins, les témoins d'un champion déclarent qu'ils refusent en vertu d'une question préalable (indiquer les motifs), les témoins en dressent procès-verbal, et bien entendu, le procès-verbal n'est alors composé que d'une seule partie.

B) Si les témoins jugent à propos de suspendre la séance pour prendre de nouvelles informations, ils doivent l'indiquer, ou désigner l'heure de l'interruption et ensuite l'heure de la reprise, et pour le reste suivent le § 2.

C) Si les témoins tombent d'accord sur un projet d'arrangement, ils l'indiquent au § 3, en détaillant les conditions, et faisant connaître s'il est accepté ou refusé par les parties ou par l'une d'elles.

En cas d'acceptation, la 2e partie du procès-verbal certifie que les conditions de l'arrangement ont été exécutées loyalement en présence de quatre témoins, etc.

(Indiquer) si les adversaires se sont réconciliés.

D) Si après quelque temps les témoins jugent convenable de faire reposer les champions, ils doivent le mentionner en déterminant le temps du repos accordé.

E) S'ils jugent à propos de faire terminer le combat, les champions s'étant battu bravement, l'indiquer. En cas 460 de refus de la part de l'un des champions, ou de la part de tous les deux, le mentionner.

F) Si la blessure reçue n'est pas assez sérieuse suivant la gravité de l'affaire ou les conditions établies, les témoins doivent le déclarer et motiver ainsi la continuation du combat.

G) Si, pendant le combat, les témoins remarquent quelque irrégularité, violations des règles du duel ou des conditions établies, ils doivent faire cesser le combat, et dresser procès-verbal suivant les prescriptions du chapitre IV.

461

NOTE DE L'AUTEUR

Dès janvier 1876, nous avions fait connaître à l'éditeur notre intention d'entreprendre la présente étude. En février 1877, elle était terminée. Des circonstances indépendantes de notre volonté en ont retardé la publication jusqu'à ce jour.

A cette même époque, paraissait un projet de loi sur la répression du duel, dû à l'initiative de M. le sénateur Hérold. Inspiré par les anciens errements, ce projet ne fit qu'affirmer nos convictions sur la nécessité de réglementer le duel, de faire revivre en conséquence les traditions oubliées du code Chateauvillard, et de trouver un mode de répression présentant des garanties d'efficacité par son accord soit avec les principes de notre droit public, soit avec les mœurs de notre société actuelle.

Parmi les différentes critiques dont le projet Hérold fut l'objet de la part de quelques organes de la presse, nous signalerons l'article du Figaro, sous la signature Ignotus. Cet article, remarquable par le sens pratique, la verve spirituelle et attrayante qui sont l'apanage ordinaire des collaborateurs distingués de M. de Villemessant, se termine par ces mots auxquels nous ne pouvons manquer d'applaudir des deux mains:

462 «Le sénat ne votera pas une loi que la Chambre des députés, mieux avisée, rejetterait peut-être. En France, aucun parti politique n'osera soutenir une loi qui tend à faire du descendant des Gaulois, un Français sans honneur et sans humeur.»

Nos lecteurs reconnaîtront avec nous que cette étude ne saurait être exempte de quelques lacunes ou erreurs. Nous osons compter sur leur indulgence pour y suppléer ou les corriger. Si quelqu'un d'entre eux voulait bien prendre la peine de nous honorer de quelques critiques ou observations, elles seraient reçues par nous avec gratitude et déférence, et nous nous empresserions d'y faire droit, si jamais nous en trouvions l'occasion.

463

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos.   V
PREMIÈRE PARTIE.
Précis Historique et Législation.
I.— Précis historique sur le duel et sur sa législation jusqu'à la Révolution de 1789 3
II.— Législations étrangères et contemporaines 46
  §   I.—Angleterre 46
  §  II.—États-Unis 52
  § III.—Belgique 60
  § IV.—Autriche-Hongrie 65
  §  V.— Italie 72
  § VI.—Prusse, Empire d'Allemagne 83
  §VII.—Russie 107
III.— Du duel depuis la Révolution et suivant notre droit actuel 117
IV.— Conclusion 146
DEUXIÈME PARTIE.
Code du duel
  Définition du duel 163
I.— De l'offense 166
  Observations 171
II.— De la nature des armes 183
  Observations 184
III.— De l'appel et du duel 186 464
  Observations 192
IV.— Des témoins et de leurs devoirs 206
  Observations 216
V.— Exemples 270
VI.— Du duel à l'épée 334
  Observations 340
VII.— Des duels au sabre 347
  Duel au sabre sans coups de pointes 353
  Observations sur les duels au sabre 354
VIII.— Des duels au pistolet 359
  Duel au pistolet de pied ferme 359
  Duel au pistolet à volonté 364
  Duel au pistolet à marcher 364
  Duel au pistolet à marche interrompue 367
  Duel au pistolet à lignes parallèles 368
  Duel au pistolet au signal 371
IX.— Observations sur les duels au pistolet 375
X.— Des duels exceptionnels 386
  Combat à cheval 389
  A la carabine 389
  Au fusil 390
  Au pistolet 390
  Au pistolet à distances plus rapprochées 391
  Au pistolet avec une seule arme chargée 392
  Au pistolet à marche non interrompue et à ligne parallèle 395
XI.— Observations sur les duels exceptionnels 397
TROISIÈME PARTIE.
Pièces justificatives.
I.— Lettre du roi Henri IV au comte de Soissons (différend entre le comte de Soissons et Sully 409
II.— Jugement rendu par le connétable de Montmorency (différend entre MM. de Montespan et Cœuvres) 410
III.— Règlement de MM. les maréchaux de France touchant les réparations et les offenses entre les gentilshommes pour l'exécution de l'édit sur les duels 411
IV.— Déclaration et protestation solennelle de plusieurs gentilshommes de refuser toutes sortes d'appels et de ne se battre jamais en duel pour quelque cause que ce puisse être 422 465
V.— Approbation de MM. les maréchaux de France 423
VI.— Edit du roi portant règlement général sur les duels, donné à Saint-Germain-en-Laye au mois d'août 1679, enregistré au Parlement le 1er jour de septembre la même année 424
VII.— Le saint concile de Trente sur le même sujet des duels. Session vingt-cinquième de Reformatione, chap. XIX 453
VIII.— Procès-verbaux pour les duels 457
Note de l'auteur   461

Clichy.—Imp. Paul Dupont, 12, rue du Bac-d'Asnières. (1763, 12-78).

*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 41614 ***