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Fierabras

Saint pol docteur de verité nous dit que toutes choses reduites par escript sont a nostre doctrine escriptes. Et boece fait mencion que diversement le salut d'ung chascun procede. Puis que ainsi est que la foy crestienne est assez par les docteurs de sainte eglise corroboree neantmoins les choses passees diversement a memoire reduites nous engendrent correction de vie illicite. car les ouvrages des anciens sont pour nous rendre a vivre en operacion digne de salut en ensuyvant les bons et en evitant les mauvais/ et aussi en racontant hystoires haultaines l'entendement commun est mieulx content a retenir pour l'ymaginacion localle a laquelle il est soubmis. Je dy cecy voulentiers/ car souventesfoys j'ay esté exité de la part de venerable homme messire henry bolomier chanoine de lausanne pour reduire a son plaisir aucunes hystoires tant en latin comme en rommant et en autre façon escriptes/ c'estassavoir de celluy trespuissant vertueulx et noble charles le grant roy de france et empereur de romme filz du grant roy pepin/ et de ses princes et barons. comme rolant. olivier et autres tant touchant aucunes oeuvres haultaines par leur grant force et tresardant couraige a l'exaltacion de la foy chrestiene faites et a la confusion des sarrazins et mescreans qui est oeuvre bien contemplative a bien vivre. Et pource que ledit henry bolomier a veu ceste matiere desjoincte sans grant ordonnance a sa requeste et selon la capacité de mon petit engin et entendement et selon la matiere que j'en ay peu trouvé j'ay ordonné celluy livre et peult estre que je eusse esté bien informé a plain que j'eusse bien mieulx fait. car je n'ay eu intencion de deduire la matiere que je n'en aie esté informé premierement/ tant par ung livre autentique qui se dit mirouer historial. comme par les cronicques et aucuns aultres livres qui font mencion de l'oeuvre suyvant. Et a cause que je puisse avoir ung petit de fondement honnorable je toucheray du premier roy de france crestien. Car communement cestuy livre est tout comprins a l'onneur des françoys et au prouffit d'ung chascun. Et selon le desir du liseur et de l'escouteur on trouvera assez a plain la matiere de laquelle on aura desir d'escouter et de oyr sans grant attediacion au plasir de dieu/ auquel je submetz toute mon intencion de non escripre chose qui se doie blasmer et qui ne soit a chascun adjutoyre de saulvement.

Cy commencent les tiltres des chapitres de l'oeuvre suyvamment nombrés pour trouver plus legierement la matiere dedans comprinse.

Premierement le premier livre contient troys parties par les chapitres après declairez

La premiere partie du premier livre contient cinq chapitres et parle du commencement de france et du roy clovys.

Des roys de france payens jusques au roy Clovys premier roy de france crestien. Le premier chapitre.
Comment le roy clovys payen eut a femme la noble clotildis fille du roy de bourgoigne et assez merveilleusement. Le .ii. chapitre.
Comment le roy fut admonnesté de la royne clotildis affectueusement qu'il deust croire en la foy crestienne et autres matieres. Le .iii. chapitre.
Comment le roy clovys fut victorieux de ses ennemis pource qu'il creut en jesucrist. Le .iiii. chapitre.
Comment le roy fut baptisé par saint remy/ et en son baptesme fut apportee miraculeusement la sainte ampoule par l'ange de paradis dont après tous les roys de france sont oingtz en leur consecracion a reins. Le .v. chapitre.

La seconde du premier livre contient cincq chapitres et parle du commencement du roy Pepin et de charlemaigne son filz.

Comment Pepin par sa prudence fut esleu roy de france quant la lignee de clovys faillit en succession. Le premier chapitre.
Du roy charles après qu'il eut fait beaucoup de constitucions avec le pape Adrien et comment il fut fait empereur de romme. Le .ii. chapitre.
De la corpulance du roy charles et de la maniere de son vivre. Le .iii. chapitre.
A quoy le roy charles et ses enfans filz et filles estoient dediqués. Le .iiii. chapitre.
De l'estude du roy charles et de son vivre et oeuvres caritatives et autres matieres. Le .v. chapitre.

La tierce partie du premier livre contient trois chapitres et parle comment par revelacion divine charles delivra la terre hors de la main des mescreans.

Comment le patriarche iherosolimitan manda a charles qu'il luy donnast secours après qu'il fut degetté par les turcz. Le premier chapitre.
Comment charles avec grant compaignie s'en alla conquester la terre sainte et plusieurs matieres. Le .ii. chapitre.
Des reliques que l'empereur charles apporta de constantinoble et de la terre sainte et des miracles qui y furent faitz. Le .iii. chapitre.
Cy après commencent les tiltres du second livre qui contient troys parties suyvamment desclarees.

La premiere partie du second livre contient .xvi. chapitres et parle de la bataille qui fut faite entre olivier et fierabras ung merveilleux geant.

Comment en ung lieu qui se disoit mormionde charles se tenoit suyvant guerre contre les paiens après ung petit de prologue. Le premier chapitre.
De fierabras comment il vint exiter l'excercite de charles. Le .ii. chapitre.
Comment Richard duc de normandie dist a l'empereur quel homme estoyt fierabras. Le .iii. chapitre.
La responce que fist Rolant a l'empereur charles son oncle trop subite et qu'il en fut. Le .iiii. chapitre.
Comment le roy charles et rolant sont par l'acteur reprins et excusez aulcunement sur le debat devant dit. Le .v. chapitre.
Comment Olivier fut disposé de combattre fierabras nonobstant qu'il estoit navré après plusieurs parolles Le .vi. chapitre.
Comment Olivier fut detenu par son pere Regnier qu'il n'alast combatre contre le geant requerant charles dont force fust qu'il y alast. Le .vii. chapitre.
Comment Olivier parla premierement a Fierabras qui ne tenoit compte de luy avecques aultres disputations. Le .viii. chapitre.
Comment après plusieurs disputacions olivier aida a armez fierabras et des neuf espees merveilleuses et comment olivier se nomma par son nom. Le .ix. chapitre.
Comment olivier et fierabras commencerent a batailler et de la priere de charles pour olivier et aultres matieres. Le .x. chapitre.
Comment olivier fist priere a dieu quant il se sentit navré. Le .xi. chapitre.
Comment après grande bataille Olivier print le baulme et en beut a son aise et puis après qu'il en fist et aussi comment il se trouva a terre quant son cheval fut occis. Le .xii. chapitre.
Comment olivier et fierabras bataillerent ensemble a pié moult merveilleusement et la priere que charles fist pour olivier. Le .xiii. chapitre.
Comment en ceste bataille fierabras fut vaincu par olivier après qu'il eut recouvré une des espees de fierabras. Le .xiiii. chapitre.
Comment fierabras vaincu creut en dieu et comment fut porté par olivier et comment olivier fut assailli des sarrazins et tormenté. Le .xv. chapitre.
Comment olivier fut prins et bendé les yeulx affin qu'il ne peust estre secouru par les françoys. Le .xvi. chapitre.

La seconde partie du second livre contient .xvii. chapitres. et parle du torment des pers et barons de france. et comment ceulx qui ne furent point prins allerent parler a balam l'admiral.

Comment fierabras fut trouvé par l'empereur charles. et puis après baptisé et guery de ses playes. Le premier chapitre.
Comment olivier et ses compaignons furent presentez a Balam l'admiral et cruellement passionnez de prison. Le .ii. chapitre.
De la prison ou les françoys furent logez. et comment ilz furent visitez par la belle floripes fille de l'admiral et de la beaulté d'elle. Le .iii. chapitre.
Comment les françoys furent mys hors de la prison et visitez par la noble floripes et de la beaulté de sa chambre. Le .iiii. chapitre.
Comment le roy charles manda a Balam l'admiral sept pers de france qui n'y vouloyent pas aller. Le .v. chapitre.
Comment aussi l'admiral Balam transmettoyt quinze roys sarrazins a charles pour ravoir fierabras. lesquelz furent rencontrés par les pers de france et mys a mort. Le .vi. chapitre.
Du pont merveilleux de mantrible. et du tribut qu'il y falloit paier pour le passage. et comment a belles parolles les françoys passerent oultre. Le .vii. chapitre.
Comment les barons de france vindrent parler a l'admiral et quelz messaiges ilz firent. Le .viii. chapitre.
Comment par le moyen de floripes tous les françoys furent saulvez et logés ensemble congneuz de par elle et araisonnez et les reliques monstrees devant eulx et aultres matieres. Le .ix. chapitre.
Comment lucafer nepveu de l'admiral violentement entra en la chambre et après fut confus et occis par le duc naymes en souflant le charbon. Le .x. chapitre.
Comment par le conseil de floripes les françoys deslogerent l'admiral de son palays moult fort a grant bataille. et comment par enchantement une seinture fut prinse a la fille et qu'il en fut. Le .xi. chapitre.
Comment les barons furent assiegez en celle tour avec floripes et ses pucelles qui souffrirent grant fain. et comment les dieux par eulx furent confondus. Le .xii. chapitre.
Comment les pers de france vindrent hors de la tour et grant bataille firent en laquelle ilz rencontrerent vingt sommiers chargés de viandes. Le .xiii. chapitre.
Comment Guy de bourgoigne fut prins des sarrazins. batu villainement et interrogué de l'admiral. et les plaintes que Floripes fist pour luy et aultres matieres. Le .xiiii. chapitre.
Comment les payens proposerent de pendre Guy de bourgoigne voyans les françoys qui le secoururent puissamment. Le .xv. chapitre.
Comment les pers de france devantditz furent despourveuz de vivres. et restaurez et puis assiegez et combatus par les payens. Le .xvi. chapitre.
Comment la tour fut escartellee par enchantement. et les françoys furent en grant peril de mort et restaurez par ung assault qu'ilz firent sur les payens. Le .xvii. chapitre.

Cy après sont les tiltres des chapitres de la tierce partie du second livre et est divisee en .xvi. chapitres. et parle comme les barons de france furens secourus et les payens confondus et dechassez.

Du movement des pers de france pour aller denoncer leurs affaires au roy charles et comment richard de normandie si ordonna pour y aller. Le premier chapitre.
Comment après que richard fut party le roy clarion trespuissant courut après luy lequel fut occis par ledit richard valeureusement et autres matieres. Le .ii. chapitre.
Comment le cheval de richard vint passer par l'excercite de l'admiral et fut veu et congneu des pers de france tant qu'ilz se pensoyent qu'il fut mort. et comment le pont de mantrible fut gardé. Le .iii. chapitre.
Comment richard de normandie passa la riviere de flagot miraculeusement moyennant ung cerf blanc qui se trouva devant luy. Le .iiii. chapitre.
Comment charles fut en propos de s'en retourner sans aller plus avant par le conseil de ganellon traistre et aultres ses compaignons. Le .v. chapitre.
Comment après la complainte de charles richard de normandie vint a luy qui luy raconta les affaires des pers de france et qu'il en fut. Le .vi. chapitre.
Comment par le moyen et conseil de richard de normandie avecques troys aultres barons le fort pont de mantrible fut gaigné non pas sans peine et quel homme estoit Gallafre. Le .vii. chapitre.
Comment par force de mortalité et de bataille charles entra a mantrible après que gallafre fut mort nonobstant que ganellon traistre luy vouloit estre contraire et plusieurs aultres matieres. Le .viii. chapitre.
Comment Amiote geante a tout une faulx fit grant devoyr contre les crestiens et ses deux filz furent baptisez et de l'admiral Ballant quant il ouyt les nouvelles. Le .ix. chapitre.
Comment les pers de france furent asaillis plus fort que jamais et la tour quasi mise par terre et reconfortés par les saintes reliques par eulx adorees et aultres matieres. Le .x. chapitre.
Comment les françoys prindrent nouvelles de l'ost de charles et l'admiral aussi comment ganellon se porta merveilleusement quant seul fut envoyé et qu'il fit. Le .xi. chapitre.
Comment charles ordonna .x. batailles et comment ilz firent et comment ilz furent rencontrés de la puissance de l'admiral ou l'empereur fit merveilles et aultres matieres. Le .xii. chapitre.
Comment en ceste bataille suyvant sortibrant fut occis par regnier pere d'olivier et après l'admiral fist merveilles et grant ennuy aux françoys. Le .xiii. chapitre.
Comment les pers de france qui estoyent en la tour vindrent hors quant ilz veyrent l'ost et adonc fut prins l'admiral et detenu prisonnier. Le .xiiii. chapitre.
Comment ballant pour admonicion que on luy fist ne se voulut baptiser mais fut occis et floripes baptisee. et puis espousee par guy de bourgoigne et couronee royne et Guy couronné roy d'icelle contree. Le .xv. chapitre.
Comment floripes donna les reliques a l'empereur. et comment elles furent esprouvees muraculeusement. et du retour de charles et fin de ce livre. Le .xvi. chapitre.

En après commence le tiers livre qui contient deux parties divisees par chapitres suyvamment declairez.

La premiere partie du tiers livre contient .xiiii. chapitres. et parle des guerres faittes en espaigne et des deux geans merveilleux.

Comment saint jaques apparut a charles et comment moyennent la conduite des estoilles il alla en galice et quelles cités il subjuga. Le premier chapitre.
Des cités acquises en espaigne par charles et comment aulcunes parties luy furent mauldites. Le .ii. chapitre.
De la grande ydole qui estoit en une cité qu'on ne povoit abatre et des signes et condicions d'elle Le .iii. chapitre.
De l'eglise monseigneur saint jaques de galice et des aultres. Le .iiii. chapitre.
Comment après que Aigolant le geant eut prins espaigne et mys a mort les crestiens charles le recouvra et aultres matieres. Le .v. chapitre.
Comment aigolant manda a charles qu'il venist a luy a peu de gens feablement pour faire juste guerre. et comment charles en abit dissimulé parla a luy et autres matieres. Le .vi. chapitre.
Comment charles accompaigné de plusieurs gens retourna au lieu devant dit. et print la cité de agennes et aultres matieres. Le .vii. chapitre.
Des operacions vertueuses que charles fit quant il fut retourné en france. et quelz barons il avoit en sa compaignie et de leur grant puissance. Le .viii. chapitre.
Des tresves de charles et D'aigolant et de la mort de ses gens et pourquoy Aigolant ne se baptisa. Le .ix. chapitre.
De la mort d'aigolant et de ses gens et comment plusieurs crestiens furent mors par concupiscence d'argent. et des crestiens mors miraculeusement. Le .x. chapitre.
De ferragus geant merveilleux comment il emportoit les barons de france sans dangier. et comment après rolant batailla contre luy. Le .xi. chapitre.
Comment le lendemain rolant et ferragus bataillerent et disputerent de la foy et par quel moyen ferragus fut occis par rolant. Le .xii. chapitre.
Comment le roy charles alla a corduble ou le roy du lieu et le roy de cibille l'attendoyent et de leur destruction. Le .xiii. chapitre.
Comment l'eglise de saint jaques fut sacree par l'arcevesque turpin et les eglises d'espaigne subjectes a elle et des eglises principales. Le .xiiii. chapitre.

La seconde partie du tiers livre contient dix chapitres. et parle de la traison faicte par ganellon et de la mort des pers de france.

Comment la trahison fut composee par ganellon de la mort des crestiens et comment ganellon est reprins par l'acteur Le premier chapitre.
De la mort du roy marfurius et comment rolant fut navré de quatre lances mortellement après que toutes ses gens furent mortz. Le .ii. chapitre.
Comment rolant mourut saintement après plusieurs matieres et oraisons faites a dieu moult devotes et la complainte faite sur son espee durandal. Le .iii. chapitre.
De la vision de la mort de rolant et de la douleur de charles. et comment il fut de luy complaint piteusement et aultres matieres. Le .iiii. chapitre.
Comment on trouva olivier escorché et de la mort des sarrazins et de la mort de ganellon hideuse. Le .v. chapitre.
Comment après les choses dessusdictes charles rendit graces et louenge a dieu et a saint denis et des constitucions qu'il fit en france. Le .vi. chapitre.
Comment charles alla en alemaigne ou il mourut saintement. et de sa mort denoncee a turpin arcevesque et ensevely imperialement Le .vii. chapitre.
La capitulacion de l'oeuvre aulcunement faicte. Le .viii. chapitre.
L'excusation du facteur Le dernier chapitre.

Des roys de france payens jusques au roy Clovys premier roy de france crestien.

Le premier chapitre.

Comme on list es histoires des troyens après la destruction de troye il eut ung roy moult noble qui se disoit Francus. lequel estoit compaignon de Eneas. lequel quant il se partit de troye il s'en vint en la region de france et commença a regner en grant prosperité et pour la grant felicité de son nom il fist composer une cité a laquelle il mist nom france. et puis ensuivant toute la region fut appellee france. et puis quant france fut exaulcee et reduite a majesté royalle priamus fut le premier qui regna sur les françoys .v. ans. Le .ii. marcurius .xxxiii. ans Le .iii. pharamondus .xi. ans. Le .iiii. clodius .xviii. ans Le .v. Meroneus .x. ans L'autre hildericus .xvii. ans. Et le .vii. fut clodoneus le premier roy crestien. lequel regna sur les françoys après l'incarnacion de nostreseigneur .cccc.lxxxiiii. ans duquel j'entens a faire ung petit de mencion sur la conversacion miraculeuse

Comment le roy clovys eut a femme la belle et noble clotildis fille du roy de bourgoigne

Le .ii. chapitre.

En celluy temps estoit roy des bourguignons guidengus. lequel avoit quatre filz de grant eage. dont le premier avoit nom agabondus qui succeda au royulme: et occist de glayve ung sien frere ja marié nommé Hispericus qui avoit deux belles filles. et fist noyer sa femme. Et l'ancienne fille qui avoit nom Trosne bannit de son pays. et l'envoya en habit dissimulé l'autre avoit nom Clotildis et ceste retint pour sa beaulté avecques luy en sa maison. Durant cecy le roy clovys payen et qui ne croit avecques ses subjectz sinon es ydoles. souventesfoys pour ses affaires envoioit ses messagiers en bourgoigne. Clotildis ceste belle et noble pucelle souventesfoys veue des messagiers du roy clovys et regardee moult affectuesement. et pour sa beaulté discrecion les messagiers du roy clovys la luy notifierent et quant cestuy roy fut assez informé de la beauté et sagesse de ceste belle pucelle crestienne il fut moult curieulx de transmettre ses heraultz a agabondus l'oncle de ceste fille pour l'avoir en mariage. Durant ces jours le roy clovys avoit avecques luy ung subtil homme qui se disoit aurelianus. lequel du commandement du roy s'en vint la ou estoit ceste fille et se mist en habit moult povre et dissimulé. et ses bons habitz il laissa a ses compaignons au boys et vint moult saintement devant la mere eglise de celluy lieu le jour d'une bonne feste et se mist ou millieu des povres pour recepvoir l'aumosne. Quant l'office fut acomply ceste fille clotildis selon qu'elle avoit de costume au partir de l'eglise commença a donner l'aumosne aux povres. Quant elle vint a aurelianus elle luy donna en la main une piece d'or. et celluy comme bien content baisa la main de la dame. Quant ceste dame fust en sa chambre elle commença a penser a celluy povre qui luy avoit baisé la main et le transmist querre par sa servante. Quant il le sceut il vint a elle joyeusement et portoit en sa main l'aneau du roy clovys. et humblement se tint devant elle La fille luy commença a dire. Dy moy pourquoy tu dissimules les pouvres aurelianus respondit. madame saichez pour verité que je suis messagier du noble roy clovys roy de france qui m'a envoyé a vous. lequel informé de vostre beaulté et sagesse vous veult avoir a femme pour estre royne. et luy presenta l'aneau du roy clovys. Laquelle le print et le mist au tresor de Agabondus son oncle. et dist au messagier qu'elle rendoit salut au roy: en luy exposant qu'il n'estoit pas chose licite a ung payen d'avoir a femme une crestienne toutesfois celluy la pria que de tout cecy ne dist mot et qu'elle ne voulsist faire sinon comme le roy vouloit. et sur ce point aurelianus le vint denoncer au roy. Purquoy le roy clovys l'an ensuivant envoya son messagier aurelianus a Agabondus oncle de clotildis pour l'avoir a femme. quant agabondus sceut l'intencion du roy clovys. il respondit au messagier. Dy hardiment a ton sire qu'il pert bien sa peine de vouloir avoir ma niepce a femme. mais les bourgoignons saiges conseilliers redoubtans la puissance du roy clovys par bon conseil deliberé ilz cercherent bien les tresors de agabondus leur roy et ilz vont trouver l'aneau du roy clovys que clotildis y avoit mis qui estoit escript et pourtrait de son ymage. si alerent conclure a parfaire la voulenté du roy clovys. et sur ce point agabondus furieux et plain de ire delivra la belle clotildis a aurelianus et la mena avec ses gens et grant joye au roy clovys son seigneur. lequel eut plaisir de veoir celle belle fille et a grant solemnité par maniere royalle l'espousa selon la coustume de la loy.

Comment le roy clovys fut admonnesté de la royne clotildis affectueusement qu'il deust croire en la foy crestienne et autres matieres

Le .iii. chapitre.

La nuyt des nopces a l'eure que le roy et la royne devoyent dormir ensemble clotildis embrasee de l'amour de dieu par grant congnoissance de jhesus nostre seigneur alla dire au roy. Mon treschier seigneur je te requiers qu'il te plaise moy ottroyer une petite demande devant que j'entre au lit avec toy. le roy dist demande ce que tu vouldras. car j'en suis bien content. Clotildis luy dist. Premierement je te demande et requiers et si te admoneste que tu vueilles croire au dieu des cieulx pere tout puissant celluy qui fist le ciel et la terre et qui t'a creé. et en jhesucrist son filz le roy des roys qui par sa passion t'a racheté. et au saint esperit confirmateur et illuminateur de toutes bonnes operacions procedant du pere et du filz devantditz et sainte trinité en une seule essence a qui on doit tout honneur et toute creance Croy en celle sainte eglise et laisse tes ydoles. faites des hommes. et qui riens ne valent et pense de restaurer les saintes eglises que tu as fait brusler. Secondement je te requiers que tu vueilles demander ma part et porcion des biens de mon pere et de ma mere a Agabondus mon oncle lesquelz il fist mourir faulcement et sans occasion. mais la vengence je laisse a dieu. Quant elle eut ce dit le roy respondit. Tu m'as demandé ung point et passaige qui m'est trop difficile a toy ottroyer que je renonce a mes dieux par lesquelz je me gouverne pour adorer ton seul dieu duquel tu m'as parlé. Demande moy autre chose. et de tresbon cueur je le feray. Clotildis respondit. tant qu'il m'est possible de requerir je te supplie que tu vueilles adorer le dieu du ciel le formateur de tout a qui seul on doit adoracion. Le roy pour lors n'en fist autre responce. mais transmist tantost Aurelien son facteur a Agabondus pour avoir les biens de la royne Clotildis. Et quant Aurelien eut fait son messaige Agabondus remply de grant ire respondit au messagier qu'il auroit aussitost tout son royaulme que riens de luy. Pour celle cause Aurelien luy dist. Le roy clovys mon maistre te mande par moy que tu luy faces responce sur ma demande. autrement il sera mal content. Adonc les bourguignons tindrent conseil et dirent a Agabondus leur roy. Sire roy donnez a vostre niepce de voz biens selon ce que raison veult. car il est droit. et si congnoissons que ainsi le debvez faire. et prenez plaisir d'avoir bonnes aliances avec le roy Clovys et avec toutes ses gens a celle fin qu'ilz ne nous courent dessus. car celluy peuple est austere et furieux. et que pis est sans avoir memoire de dieu. Et sur ce point Agabondus contraint au conseil des bourguignons ses gens donnerent ung grant partie de son tresor a Aurelien messagier du roy Clovys. Et peu de temps après le noble roy clovys en visitant son royaulme la royne Clotildis fut enseinte d'enfant. et fit ung filz lequel elle vouloit baptiser tous les jours requerant le roy qu'il voulsist croire ainsi comme dessus est dit. mais il n'en vouloit riens ouyr parler ne faire Quant cestuy filz fut baptisé tantost après il expira et fut mort dont le roy fut mal content et dist a la royne. Se tu l'eussez donné et dedicqué a mes dieux il fut vif. La royne respondit pour ceste cause je ne suis rien perturbee en mon couraige/ mais rens graces et louenge a dieu mon createur quant il m'a fait si digne qu'il luy a pleu de prendre en son royaulme le premier fruyt de mon ventre. après l'an ensuyvant elle eut de rechief ung aultre filz nommé Lodomitus. lequel quant il fut baptisé il fut malade si fort que on cuidoit qu'il deust mourir. Et quant le roy le vit ainsi languir tresmal content dist a la royne. Et comment il n'en sera point aultrement de cestuy cy fors ainsi comme de l'autre son frere qu'il n'en meure quant oultre mon vouloir tu en faiz en les baptisant/ donc la royne pour la crainte du roy pria a dieu devotement pour la santé de son enfant et tantost il fut guery.

Comment le roy clovys fut victorieux de ses ennemys pource qu'il creust en jhesucrist.

Le quatriesme chapitre.

Le roy clovys après aulcun temps commença a faire guerre mortelle encontre les alemans. Et quant ainsi perseveroit les alemans avoient grant victoire sur les françoys tellement que de malle mort ilz estoyent gettez par terre. Quant aurelien va veoir le definement des gens du roy il commença a regarder son seigneur et luy dire. Sire roy vous veez devant voz yeulx le diffinement mortel de vostre peuple. Je vous requiers croyez en dieu tout puissant qui a fait le ciel et la terre. celluy que madame adore et presche a croyre. Quant le roy eut ouy aurelien ainsi parlé en grant affection il commença a lever les yeulx encontre le ciel et a plourer moult largement et en grant pitié va dire. O jhesucrist filz du vray dieu tout puissant. auquel ma femme croit et lequel de tout son cueur elle presche et notifie estre celluy qui soubzvient es tribulations et donnez remede a celluy qui a esperance en toy par tresdevot cueur je te requiers ton aide tellement que je soie victorieux de mes ennemys par experience presente. je croy en toy et en ton nom. je me baptiseray. j'ay demandé mes dieux pour moy soubzvenir. Ilz ne m'ont riens aidé et dy ainsi qu'ilz ne sont de nul confort remplis quant a ceulx qu'il les requierent il ne savent soubzvenir. Pourquoy comme vray dieu et seigneur je te requiers comme je ne desire croire que en toy fermement par ta haulte puissance je demande estre delivré tant seulement de mes adversaires. Cecy disant a haulte voix les alemans ses ennemys vaincus et murtris commencerent a fuyr tellement que leur roy fut mort pourquoy ceulx qui demeurerent se donnerent au roy clovys et furent ses subjectz. Puis après ceste victoire par la puissance de dieu obtenue il s'en vint en france et raconta tout a la royne sa femme comme par invocacion divine et de dieu tout puissant il avoit obtenu victoire de ses ennemys.

Comment le roy fut baptisé par saint remy et en son baptesme miraculeusement fut aportee la sainte ampoule par l'ange de paradis dont après tous les roys de france sont oingtz en leur consecration a reins.

Le .v. chapitre.

Après que la royne eut ouy le roy qui estoit converti a la foy crestienne pour la victoire qu'il avoit obtenue elle eut tresgrant joye/ pourquoy tantost manda a saint remy arcevesque de reins moult saint homme qu'il s'en vint a elle pour prescher au roy son sauvement et la maniere de la foy crestienne Et quant il fut venu après qu'il fut informé le roy commença fort a exiter le peuple de france de croire en jhesucrist. dont le peuple ne fut pas contredisant. car en congnoissant l'erreur des ydoles ilz commencerent tous a croire en luy et dire. Sire roy glorieulx meilleur est de relenquir les ydoles pour adorer le dieu immortel. lequel la royne adore et presche et de cecy faire nous sommes tous contens. Incontinent tout cecy fut denoncé a saint remy dont il fut moult joyeulx et vint a eulx diligemment comme le bon pasteur qui prent grant peine de garder les brebis de son adversaire. et grant desir devoit avoir de y venir. car son advenement et son preschement fut commencement de si grant prouffit a devoir faire renaistre le peuple selon l'ordonnance du saint baptesme. sans lequel nul ne peut entrer en paradis. pourquoy la necessité du sauvement du roy illuminé de grace. disposé en creance. conjoint a bonne intencion fit affectueument venir saint remy. car il pensoit bien que quant le roy seroit baptisé qu'il croiroit en jesucrist et a ses commandemens que tout le peuple subject a luy feroyt pareillement. Et quant saint remy fut venu et qu'il eut communicqué avec le roy en parolles de sauvement commença a faire ordonner le lieu pour le baptiser. puis a paindre hystoires selon aucuns poins de nostre foy crestienne moult richement et les places reparer tres delicieusement. et d'autre part fit ordonner et fonder eglises autenticquement et composer baptisoires convenablement. Tout cecy conditionné le roy fut tout prest de recevoir le saint sacrement de baptesme/ auquel le bon amy de dieu saint remy commença a dire par façon de maniere. Sire roy il est heure que vous devez de pure intencion relenquir les dieux auquelz autreffois vous avez donnez creance qui sont plains de toute vanité et ne sont sinon excercite de damnacion et de cueur tres humblement devez croire en ung seul dieu tout puissant le pere le filz et le benoist saint esperit une seule et pure essence/ lequel a creé le ciel et la terre/ et a qui seul on doit foy et creance et en jhesucrist son filz qui pour la salvacion de humaine creature voulut prendre humanité convenable pour reparer l'inobedience de nostre premier pere adam qui fut conceu au ventre de la vierge marie par l'oeuvre du saint esperit/ qui fut après mys en croix et souffrit mort doloreuse pour nous racheter/ ensevely ressucité/ et puis il monta en paradis a la dextre de dieu le pere et qui une fois viendra juger les vifz et les mors. Aussi creés en sainte eglise catholique nostre mere et a son ordonnance Et quant saint remy eut assez informé le roy et le peuple de nostre creance il les baptisa ou nom du pere et du filz et du saint esperit. Après quant il vint a les oingdre selon la coustume de la sainte cresme sans ce que nul l'aportast incontinent par le plaisir de dieu et demonstrance miraculeuse tous estans en ce passaige d'ung moment et subitement du ciel va descendre une coulombe resplendissant et estoit toute envolee en l'air. laquelle portoit en son bec la sainte ampoule et la laissa presentement. en laquelle estoit la sainte cresme dont le roy clovys fut premierement oingt en grant devocion par saint remy laquelle ampoule est de present a reins/ dont de la sainte cresme qui est dedans les roys de france seulement sont oingz une fois en consecracion. En celluy temps que le roy jadis fut baptisé les seurs du roy et trois mille hommes de son exercite furent baptisez et puis ensuyvant plus le peuple de france en grant joye et exaltacion de gloire.

La seconde partie du premier livre contient cincq chapitres. et parle au commencement du roy pepin et de charlemaigne son filz.

Comment pepin par sa prudence fut esleu roy de france quant la lignee du roy clovys deffaillit en succession.

Le premier chapitre.

Le livre precedent fait mencion du roy clovys le premier crestien des seigneurs de france dont la lignee succeda de hoir en hoir jusques au vingt et quatriesme roy qui fut le roy pepin d'une autre lignee. et le roy qui fut le vingt et troisiesme partit du roy clovys et se disoit Hildericus/ lequel estant devocieux et comtemplatif sans cure de exerciter oeuvre roialle se mist en religion pour mener vie solitaire. En celluy temps pepin moult vaillant de sa personne tresnoble tant seulement prince. Et a cause que tous les roys de france de lignee en lignee ont succedé de cestuy pepin/ et specialement charlemaigne son filz/ sur lequel ceste oeuvre est comprinse.

Je veulx icy commencer a dire la matiere de la quelle j'entens superficialement parler. Et ainsi est que le livre qui se dit mirouer hystorial comprens que pepin prince une fois envoya ses messagiers a romme au pape zacharie pour avoir responce sur une demande/ c'estassavoir lequel est mieulx digne d'estre roy ou d'estre dit roy ou celluy qui pour la paix et union prent grant peine et travail ou celluy qui est abandonné a nonchalance et a paresse/ et qui est seulement content du nom d'estre dit roy Quant le pape ouyt la demande il remanda a pepin que celluy par raison et droite equité se doit appeller roy qui gouverne et deduit son fait a l'oeuvre publicque et qui la fait continuelle. Pour laquelle responce et demande les françoys par conseil approuvé alerent considerer hildericus leur roy devant dit estre dedicqué en monastere en vie solitaire et contemplative/ et que nonobstant qu'on ne doit riens inferer contre ceulx qui vivent solitairement/ et selon dieu si ne appartient il pas a ung roy d'estre solitaire/ car tel comme est le roy/ tel est le royaulme. Selon comme salomon dit que la ou le prince est negligent le peuple ne sçait que faire. et benoiste est la terre qui a le prince noble. Tous ces françoys eulx estans bien informez des condicions appartenantes a ung roy selon ung acteur qui dit ainsi. Le prince quant il est ordonné ne doit point avoir de chevaulx superfluz ne faire son peuple plus subject qu'il ne doit et ne doit prendre que serviteurs propices sans superfluité/ sans grant nourricion de chiens ne d'autres bestes inutiles/ mais prendre en tout mesure Multiplicacion de menestriers/ tabourins/ femmes illicites/ hommes luxurieux evitera et repellera/ et ses subjectz il ne corrompra point par exemple/ il n'aura point plusieurs femmes/ voulentiers lira livres/ et aura gens pleins de lettre/ et jugera sans faire a nul aliance/ et devant toutes choses il adorera dieu et servira/ et ne prendra voulentiers dons/ et ne doit pas voulentiers changer ses officiers. Tout cecy bien veu entre eulx pour la conservacion du peuple entre les mescreans qui estoient pour lors alerent eslire roy de france ce noble roy pepin et de ce temps le lignage de clovys ne regna plus sur les françoys/ fut consacré par boniface et par l'auctorité apostolique par saint estienne avecques ses deux filz Charlemanus. et charles le grant fut confermé et approuvé. Et ordonna tous les roys de france en grant benediction a devoir succeder de lignee en lignee plus prochaine Et donna aussi ledit pape grant malediction a tous les opposans aux choses dessusdittes/ dont après cestuy roy Pepin fist aussi grant guerre aux anglois. et la coustume de l'eglise rommaine il ordonna le service es eglises galiennes et françoises avecques plusieurs autres matieres merveilleuses/ dont l'onneur a luy et a tresbon droit fut attribué par victoire obtenue. Et fut ensevely en l'eglise de monseigneur saint Denis en france. Et laissa ses deux filz dessusditz/ lesquelz il avoit eu de la royne Berthe fille du grant. Herclin cesar/ dont le lignaige des rommains/ des germains et des grecz a concurrence/ pourquoy a bon droit au temps suyvant le roy. Charles fut esleu et fait empereur de romme. Et regna le dit roy Pepin .xviii. ans en prosperité digne de salvacion. Et après que le frere dudit Charles eut regné en sa partie du royaulme deux ans il mourut. et fut tout le gouvernement entierement du royaulme de france a charles le grant moult puissant et vertueulx en ses faitz comme après plus a plain se demonstrera

Du roy charles après qu'il eut fait beaucoup de constitucions avecques le pape Adrien/ et comment il fut fait empereur de romme.

Le .ii. chapitre.

Cestuy noble charlemaigne aultrement dit charles le grant. lequel pour la grandeur de son corps puissance et operacions vertueuses par merite est appellé grant. comme j'ay dit que après la mort de son frere il fut seul roy de france. Bien peu de temps après que le pape Adrien regnoit et qu'il faisoit grant diligence de corroborer la foy crestienne en anichilant les heresies et en constituant ymaiges pour representacion des sainctz es eglises et plusieurs aultres labeurs meritoires adjointz es services de dieu et de sainte eglise. Le roy charles contre les mescreans ne sejournoit point a les confondre ou il eut victoire en diverses manieres. toutesfois Adrien pape qui estoit bien informé que cestuy charles estoit une ferme coulonne de la foy et protecteur de saincte eglise il luy manda qu'il venist a romme et quant il fut a pavye il y mist le siege ou il sejourna ung peu de temps et puis a peu de gens s'en partit et vint a romme et la fut receu affectueusement et devotement visita plusieurs lieux et puis quant il retourna il print pavye. Et quant il eut fait a son plaisir il retourna a romme et avec le pape Adrian ilz convoquerent plusieurs evesques abbez en nombre de cent cincquantetrois ou ilz firent plusieurs constitucions sur le fait de l'eglise. Et en elle synode pour la grande sanctité de charles le pape et tous les assistans donnerent droit et pouvoir pour ordonner evesques et archevesques en tous pays et provinces et tout cela seroit loué et fait par ledit charles et celluy qui contrediroit et les rebelles il les anathematisoit et leurs biens estoient confisquez. Cestuy noble roy charles avec ces deux filz l'ung avoit nom pepin. et l'autre Loys. et les douze pers de france qui avoient tous promis fidelité l'ung a l'autre a devoir mourir pour la foy crestienne. en celluy temps firent plusieurs guerres mortelles tant durant la vie du roy pepin pere du roy charles comme après que le royaulme de lombardie fut destruit et delivré des mescreans qui ne se fist pas sans grant travail de venir de france en lombardie a cause des pays dangereux. Quant tout ce fut bien terminé a son plaisir il reduist toute ytalie dessoubz le tribut du royaulme de france tellement que quant ytalie fut destruite il s'en alla a romme pour rendre louange a dieu plus devotement pour la prosperité de son intencion mise sur les ennemys de la foy a execucion Et la avec le pape Adrian il fist beaulcoup de constitutions qui par droicte equité se devoient observer et après qu'il se trouva a romme ainsi victorieux son filz Pepin fut ordonné et consacré roy des ytalies et son filz loys fut ordonné et consacré aussy roy sur acquitaine. Cela fait les romains qui de grant ancienneté furent de grant portement après que l'empereur fut par eulx mys a mort. Puis constantin son filz vouloit regner pour empereur qui ne fut pas au gré des senateurs et aultres rommains lesquelz estant en celluy point après ce qu'ilz eurent deliberacion de grant conseil utile allerent comprendre par effect la valeur et noblesse du roy. Charles qui estoit si parfait en toute noblesse hardiesse prudence et aultres vertus: comme j'en toucheray après tout a plain par tel endroit que du consentement de chescun il fut esleu empereur de romme a grant louenge et exaltation de joye innumerable. et par la main du pape Leo il fut couronné empereur a tous honneurs qui se peuvent comprendre et tous par une voix luy donnoient louenge. Et l'appelloient cesar august. pour une similitude de valeur en contemplant le grant plaisir qu'ilz avoient fait roy des ytalies.

De la corpulance du roy charles et de sa maniere de vivre.

Le .iii. chapitre.

Charlemaigne après qu'il fut empereur il fit plusieurs oeuvres merveilleuses et regna empereur treze ans et avoit ja regné sur les françois trantetrois ans. et au pays de rommenye il edifia plusieurs citez et restaura bonnes villes et plusieurs aultres choses qu'on ne pourroit pas bien racompter a cause de la prolixité de ses causes merveilleuses. toutesfois pour sçavoir quel homme il estoit ses oeuvres le demonstrent tant qu'il touche l'exercite de sa personne. Turpin saint homme arcevesque de reins qui regnoit pour lors qui fut souventesfois en la compagnie de charles dist qu'il estoit homme bien prins de corps et grant de personne et avoit le regart fier et malicieux. La longueur de sa personne contenoit. huyt piedz a la mesure de ses piedz qui estoient longz a merveilles gros et massif estoit des espaules et des reins sans avoir le ventre que bien a point. les bras et les cuisses il avoit bien amples. chevalier estoit subtil et tressaige actif et moult fier. et de tous ses membres estoit resolu en tresgrant force la face avoit desduite en longueur. et si portoit barbe d'ung pié de long. le nez avoit au bout sur rotondité. beau rencontre portoit cestuy homme: car il avoit la face d'ung pié de large. les yeulx avoit comme ung lyon par furieux regart scintillans comme escharboucle. les sourcilz comme demy pasles. si tost qu'il regardoit quelcun par ire chescun de luy avoit paour en oeuvrant les yeulx. la seinture dont il estoit sein estoit de longueur de huyt piedz sans ce que pendoit en bas. Quant il prenoit son repas de peu de pain il estoit content. mais quant a la pitance il mangeoit en ung repas la quarte partie d'ung mouton ou deux gelines ou une grosse oye ou une bonne jambe de porc. ou ung paon ou une grue ou ung lievre entier sobrement bevoyt le vin avec ung petit d'eaue dedans. De sa force ce n'est pas peu de fait. car ung chevalier armé sur son cheval a ung coup d'espee il fendoit des le hault de la teste jusques au bas. et s'il tenoit quatre fers de chevaulx venans de la forge sans esprouver guieres sa force il les estandoit et mettoit en pieces et a une seulle main il prenoit ung chevalier tout armé luy estant hault jusques a l'endroit de sa teste le levoit tres ligierement. Et avoit en luy trois choses bien honnorables. Premierement en dons il estoit tressaige. et a l'exemple de l'empereur titus de vaspasien. lequel estoit si prodigue qu'il n'estoit pas tousjours a luy possible de donner ce qu'il promettoit. Et quant on luy disoit pour quoy il promettoit chose qu'il ne povoit incontinent donner. celluy respondoit que nul ne doit point partir de devant la face du prince desolé et marry et sans quelque chose obtenir. Secondement charles estoit si seur en jugement que personne ne le pouvoit reprendre. Et aussi piteux et misericors il estoit aux crestiens selon la qualité de la personne et l'occasion du delict. Et tiercement en parolles il estoit moult advisé. quant il parloit il pensoit fort a ce qu'il disoit. et quant on parloit a luy moult fort pensoit la maniere pour comprendre l'intencion du parlant.

A quoy le roy charles et ses enfans filz et filles estoient dedicqués.

Le .iiii. chapitre.

Dame bertrode mere de charles pleine de grant science en grant prosperité de vie et en honneur enveillit et finit ses jours et ordonna ses livres pour exercer les ars liberaulx. dont premierement charles prenoit peine d'estudier au temps d'enfance. a ses filz et filles faisoit aprendre science après qu'ilz savoyent leur creance il les faisoit estudier es sept ars liberaulx. Et quant les filz estoient en aage pour monter a cheval a la maniere françoise il leur faisoit porter armes. jouster pour excercer guerre quant besoing seroit. Et quant ilz ne faisoient cela. il les faisoit chasser a toutes bestes sauvaiges et aultres esbatemens de chevalier continuellement. Après ses filles faisoit dedicquer continuellement a filler leurs coguoilles et aultres oeuvres honnorables. et a celle fin que par paresse et faulte d'occupacion elles n'eussent occasion de cheoyr en pensement desordonné pour avoir inclinacion a vice. et quant il n'estoit occupé en matiere pondereuse il mettoit son temps a escripre quelque chose nouvelle affin qu'il ne fust point oyseux selon l'espitre de saint pol qui nous admonneste de faire tousjours quelque bien. pource que nostre ennemy ne nous tienne en oyseuseté pour faire excercer ses intencions damnables. En son palais de ais en allemaigne il fist faire une eglise de nostre dame de merveilleuse beaulté comprinse et moult richement ordonnee. ouvré et en grand honneur exaulsee en signe de parfait crestien car selon qu'on ayme le seigneur et qu'on est donné a luy on fait les oeuvres desideratives a esmouvoir les aultres pour faire au seigneur comme luy et tellement perseveroit en l'amplificacion de son pays que des la mort de son pere Pepin il doubla par puissance le royaulme de france.

De l'estude du roy charles et de son vivre. et de ses oeuvres caritatives et aultres matieres.

Le .v. chapitre.

Après que charles fut instruit en grammaire et aultres sciences morales et speculatives tousjours continuoit en icelles. et par ardant desir frequentoit les livres composez sur la loy crestienne pour estre protecteur des crestiens et defenseur de l'eglise. laquelle il visitoit au matin et au vespre et la nuyt souventesfois. et selon les bonnes festes il ne failloit point a faire grandement son devoir es sacrifices et oblacions introduittes sur le fait de donner pour l'amour de dieu et subvenir aux povres c'estoit moult ample chose. car tant seulement il ne subvenoit pas a son pays de son avoir. mais en plusieurs autres lieux oultre mer il transmettoit or et argent et vivres selon la necessité du lieu. comme en surie en egypte. en jherusalem et aultres pays comme celuy qui disoit. L'or et l'argent n'est point mien. A chascun il vouloit amytié. de corps il estoit ample et robuste. D'une estature bien apparoisante. le bout de la teste avoit en rotundité. les cheveux avoit en reverence et la face joyeuse. la voix clere et de grant force et ne mengoit pour le plus a son soupper que de quatre metz. sinon de la venoison rostie/ laquelle sur toutes autres chairs il aimoit et frequentoit a l'eure de son soupper. Tousjours il avoit liseurs pour lyre cronicques ou aultres choses contemplatives comme celuy qui veult aussy bien repaistre l'ame qui est perpetuelle de viandes spirituelles pour la maintenir en union de grace envers son createur comme de refectioner le corps pour conserver la vie. et entre les aultres livres il se delectoit fort es livres de saint Augustin. et specialement en celluy qui se dit de civitate dei. Et ne bevoit point trop souvent. car a soupper il ne bevoit point plus de trois fois. Au temps d'esté volentairement après my jour il mengeoit ung peu de fruitz et bevoit une fois seulement. et puis tout nud se reposoit dormant au lit deux ou troys heures. et la nuyt il rompoit quatre ou cinq fois le dormir et aloit parmy sa chambre. Ainsi charles perseverant en felicité royalle et imperialle envoyoit par tout son empire ses messagiers et grans conseilliers pour visiter les provinces et bonnes villes pour estre informé des gouverneurs d'icelles pour faire par tout justice et raison a chascun. et fist plusieurs constitucions et loix selon les lieux. et fist commandement de les observer et garder sur peine establie. Semblablement envoya ledit charles par tout le monde pour sçavoir de tout le gouvernement. C'est assavoir pour congnoistre les faitz merveilleux qui se fasoient par le monde et aussi pour aprendre la vie des sainctz saintes desquelz on fait feste et en fist faire livres pour estre memoire eternelle et chascun jour mettoit en escript selon ce qui se faisoit. En telle maniere que selon l'escript pour lors se trouveroyent plus de troys cens festes de saintz une foys l'an. Pourquoy luy exercitant ses oeuvres spirituelles il estoit aymé et chier tenu de chascun En celluy temps Aaron le roy de perse pour la manificence de charles luy envoya ung elephant bien merveilleux pour ung don bien singulier et plusieurs aultres choses bien precieuses. Cestuy charles pour sa grande sainteté et noblesse estoit en telle renommee de honneur et des vertus que pour lors quant ses messagiers venoient du royaulme de perse une foys Aaron entre les aultres dons qu'il transmist au noble empereur Charles il envoya le corps de saint cyprian et de saint speratus et le chief de saint panthaleon martir en france.

La tierce partie du premier livre contient trois chapitres. et parle comment par revelacion divine le noble charles delivra la terre saincte hors de la main des mescreans.

Comment le patriarche Iherosolimitan manda a charles qu'il luy donnast secours après qu'il eust esté degetté par les turcz.

Le premier chapitre.

On lit que pour le temps que charles fut empereur de romme le patriarche de jherusalem fut si fort pressé des payens par mortelle guerre que a grant peine se pouvoit il saulver. et ainsi il ne sçavoit plus que faire. il eut en memoire le noble charles et luy informé de sa saincteté pour benediction luy envoya les clez du sainct sepulchre de nostreseigneur jhesucrist du lieu de calvaire et de la cité. et avec cela luy envoya l'estandart de la foy comme a la coulonne de crestienté et defenseur de saincte eglise. Après cecy le patriarche vint a constantinoble vers l'empereur constantin et son filz leo. et amena avecques luy jehan de naples prestre et ung aultre qui se disoit david archeprestre. lesquelz l'empereur constantin envoya incontinent au noble charles. et avecques ces deux il ordonna pour y aller deux aultres qui estoient ebreux. l'ung avoit nom ysaac et l'aultre samuel. et leur donna une lettre escripte de sa propre main pour porter au roy charles et avoit ledit constantin en une partie de ladicte lettre ainsi. Une nuyt me fut advis que je veoye devant mon lit une jeune femme moult belle et plaisante qui se tenoit droicte et tout bellement me coucha et a doulces parolles me va dire Constantin quant tu as sceu l'affaire des payens qui tiennent la terre saincte par grant affection tu as prié dieu pour avoir aide. Vecy que tu feras/ pourchasse que tu puisse avoir avecques toy charles le grant roy des galliens qui est protecteur de crestienté et defenseur de saincte eglise. Et puis me monstra celle dame ung chevalier armé de tout son corps et de esperons et avoit son escu rouge. et son espee seinte qui avoit le manche comme de pourpre et tenoit une lance moult grande et le fer qui estoit en hault souventesfois gettoit en l'air grans flambes de feu et si tenoit en sa main ung bacinet tout d'or reluysant moult bien formé de tous ses membres luy commençoient a blanchir la barbe. puis après avoit escript. O tu august qui jamais ne refusas de obeir aux commandemens de dieu esjouys toy en jhesucrist et en ta memoire tousjours rens luy graces: soyes enclos en justice comme en honneur tu as esté reclamé: ainsi jhesus te doint perseverer et tiens tousjours les commandemens de dieu dont on doit fondamentalement. Et selon l'escripture l'empereur constantin en son temps avoit ja degetté les payens de jherusalem sept fois pourquoy quant il ne peut plus il envoya ses messagiers au roy charles qui estoit pour lors a paris. Et quant les messagiers eurent presentees les lettres et il les eut veues moult griefvement commença a plourer en contemplant la pitié du saint sepulchre de nostreseigneur ainsi detenu des mescreans. Après cecy il manda l'arcevesque turpin et luy fit publicquement prescher les nouvelles piteuses qui estoient presentement venues: lesquelles estre escoutees tout le peuple y voulut aller

Comment charles a grant compagnie s'en alla conquester la terre saincte et plusieurs aultres matieres.

Le .ii. chapitre.

Après ce que j'ay dit devant fut publié le roy fit faire ung edict et cryer par tout son pay que tout homme qui pourroit porter armes fust prest d'aller avec luy contre les payens et celluy qui n'y viendroit seroit obligé a une bonne somme d'argent pour souldoyer ceulx qui yroient. Estre fait cecy jamais homme pour peu de temps ne veit tant de gens ensemble comme pour lors furent trouvez. Et quant ils furent tous partis au nom de dieu plains d'une grant foy en grant esperance de victoire obtenir dessoubz la conduyte de celluy capitaine de la foy charlemaigne. Et quant ilz eurent beaucoup chevaché ilz se vont trouver en ung grant boys qu'on ne pouvoit passer a moins de deux jours encores a grant peine et charles le pensoit passer en ung jour pourquoy luy et son excercite entrerent dedens celluy boys qui estoit plain de diverses bestes sauvaiges comme de grifons ours lyons tigres et aultres bestes. Quant ilz furent ainsi en ce grant boys et la nuyt survint tous se trouverent esbahys et perturbez sans scevoir le chemin qu'ilz devoient tenir. Et commenda ledit charles qu'on regardast on pourroit veoir ne congnoistre habitacion mais ilz en estoient bien loingz et hors de la droicte voye et chemin et fut force de leur disposer de dormir en tel estat. Et quant ilz furent tous appaisez. le roy charles estant en son dormitoire se confiant de l'aide de nostreseigneur en grant devotion commença a dire le psaultier. Et quant il vint au point qu'il deust dire le verset suyvant. Deduc me domine in semita mandatorum tuorum quia ipsam volui. Cecy disant en son oreille vint ung oyseau qui en la presence de chascun va dire a haulte voix. Ton oraison est escoutee. dont tous ceulz qui estoient presens furent moult perturbez. et nonobstant tout cecy le roy continua de dire le psaultier jusques Educ de custodia animam meam. Et tout ainsi qui le disoit l'oyseau commença plus fort a crier et dire. O françoys que dis tu. o françoys que dis tu. Et après cecy le roy et sa compagnie vont suyvre celluy oyseau et les conduisit jusques au sentier qu'ilz avoyent pardu le jour de devant. et dient aulcuns pelerins que depuis en celle terre sont venuz ses oyseaulx ainsi faisans. mais quant le noble roy Charles et sa tresgrant puissance fut près de ses ennemys ilz furent moult perturbez et les seigneurs crestiens resjoys de sa venue. car sans cesser aulcunement il n'arresta jusques a tant que il eust recouvré le pays des crestiens expulsé tous les payens que tant luy redonda a honneur victorieux. Et en retournant il demanda a l'empereur de constantinoble licence et aux aultres patriarches et archeprestres devant qu'il en partist l'empereur constantin le receut par ung jour naturel. Et pour terminacion ledit empereur pour l'onneur du roy charles le lendemain devant les portes de la cite fist ordonner plusieurs bestes de diverses manieres et couleurs grant quantité d'or et d'argent. pierres precieuses tout a bandon affin qu'il en voulsist prendre pour aulcune remuneracion du grant bien qu'il avoit fait en leur pays. mais aussi tost que charles sceut le fait il print conseil a ses gens qu'il devoit faire de prendre de ses dons precieux et riches ou s'en tourner en france sans prendre riens. Et sur ce il eut conseil de ses barons qu'il ne print riens pour son labeur. car il n'avoit riens fait sinon pour l'amour de dieu seulement. Et luy bien content de ceste responce il commanda que personne sur peine moult grande ne print riens de joyaulx dessus aprestez.

Des relicques que l'empereur Charles apporta de constantinoble. Et de la terre sainte et des miracles qui furent faitz.

Le .iii. chapitre.

Quant l'empereur de constantinoble et le patriarche de jerusalem sceurent que le noble roy Charles ne prendroit riens des biens dessusditz. il fut admonnesté qu'il print quelque chose d'eulx. Et quant il fut ainsi contraint il supplya que pour l'amour de dieu on luy donnast quelque chose des reliques de nostreseigneur et de sa sainte passion. Cecy estre demandé il fut commandé a jeusner par trois jours a chascun pour estre plus incliné a devocion et pour visiter les saintes relicques Et specialement estoient ordonnez douze personnes de grace qui devoient traictié lesdictes relicques. Quant ce vint au tiers jour le noble charles par grant contricion se confessa a l'archevesque Ebron après cecy moult reveramment commencerent a chanter la letanie avecques aucunes pseaulmes du psaultier. Et la fut le prelat de naples nomme Daniel qui en grant reverance va ouvrir le coffret ou estoit la precieuse couronne de nostre seigneur jhesucrist. et va saillir d'icelle si grant odeur que tous les presens pensoyent estre en paradis. Adoncques le roy charles plain d'une foy entiere et de creance parfaicte par contemplatcion se va getter a terre tout estendu et moult fortement priant nostre seigneur que pour la gloire de son nom nouvellement renouvelast les miracles de sa sainte passion et glorieuse resurrection. et aussy tost qu'il eust prié d'ung moment va venir que la couronne commença a florir et yssoit de celles fleurs ung odeur si tres delicieux que chascun pensoit que ses vestemens fussent partis de paradis. Puis après cestuy daniel print ung cousteau bien trenchant bien purifié pour trencher de la dicte couronne. et en trenchant tousjours de plus en plus ladicte couronne flourissoit et l'odeur plus abondamment gettoit. et des fleurs le noble roy charles en mist a part en repositoire. et ung aultre coffret avoit pour mettre les espines de ladicte couronne et plouroit si abondamment que quant il cuida donner des fleurs a l'arcevesque Ebron il retira sa main et pensoit que ledit Ebron les eust en sa main. et elles estoient en sa main miraculeusement et se tenoient par elles l'espace de une grant heure. Et puis quant il voulut donner en garde les espines audit Ebron il veit le coffret en l'air qui estoit plain de odeurs qui se tenoit de par luy. Puis après en visitant ces fleurs furent tantost converties en menne. en celle maniere elles sont a saint denys en france. Et a esté l'oppinion de plusieurs que ce fust de celle manne que dieu envoya au desert a son peuple. Pour lors furent faittes oeuvres miraculeuses. car tous malades qui estoient la presens furent gueris de toutes leurs maladies pour l'odeur des fleurs dessusdictes et le peuple qui entroit en l'eglise par grant violance des gens crioit. Veritablement aujourd'uy est jour de salut et resurrection. car pour l'odeur de ces melodieuses fleurs toute la cité est purifié et remplie de grace. car trois cens et ung malade par compte fait furent saintz et gueris. Entre les aultres y avoit ung malade de vingt et quatre ans et trois nuytz qui estoit aveugle sour et muet. mais au mouvement qu'on tira l'espine de la couronne de nostre seigneur il print le veoir. quant la posa il recouvrit l'ouyr. et en flourissant il recouvrit la parolle. Après cecy ledit daniel print ung clou desquelz le precieulx corps de nostre seigneur jhesucrist avoit esté percé en sa passion. et en grant reverence le mist en reliquaire d'allebastre. et en le prenant fut guery ung jeune enfant qui de sa partie senestre estoit sec et impotent des sa nativité. et courut hastivement en l'eglise et cria a l'eure de nonne. et dist que luy estant en estasie fut guery et compta la maniere comment. Oultre les choses dessusdictes on donna audit charles empereur ung morseau de ladicte croix. et le saint suaire. et avecques ce la chemise de nostre dame et le drap ou nostreseigneur jhesucrist fut envelopé. et aussy les bras de saint Simeon. et tout reveramment en reliquaires precieux les pendit a son col. et en passant par devant ung chasteau il y avoit ung enfant mort de nouveau. le roy Charles le toucha des reliques qu'il portoit. mais tantost il fut ressucité. Et quant il vint a ais en alemaigne qui estoit une moult belle cité ou ledit Charles avoit fait son palais moult beau et riche. et une tresdevocieuse chapelle en l'onneur de nostre dame. la ou il fut ensepvely. Dernierement furent gueris aveugles. fievreux et sans nombre. et douze demoniacles. aussy huyt ladres. des paraliticques quinze. des boiteux quatorze. des noyés trente ressuscistez. de bossus cinquantedeux. des caducz soixante et cincq. des gouteux plusieurs de ceulx du lieu et des voisins. Et fut ordonné que au moys de juing a ais la cité tous les ans on deust venir veoir les devant dictes reliques que le noble roy Charles avoit apportees de jherusalem et de constantinoble. Et oultre plus fut estably que ung jour de la sepmaine des jeunes des quatre temps et au moys de juing se fist celle demonstrance et notification. et en ceste constitution fut le pape leo. l'arcevesque Turpin. Achiles d'alixandrie evesque. et Theophile d'anthioche. et plusieurs aultres evesques et abbez quant la chose fut faicte qui fut oeuvre bien vertueuse et plaine de salut.

Cy commence le second livre de l'oeuvre presente qui contient trois parties par chapitres suyvamment declairez.

La premiere partie du second livre contient .xvi. chapitres. et parle de la bataille faicte par Olivier et Fierabras ung merveilleux geant.

Comment en ung lieu qui se disoit normionde Charles se tenoit suyvant guerre contre les payens après ung petit de prologue.

Le premier chapitre.

J'ay parlé devant au premier livre superficiallement du premier roy de france baptisé en descendant selon mon propos jusques au roi Charles du quel on ne sçauroit pas bonnement raconter la vaillance de luy et de ses barons qui se dient pers de france. desquelz a leur endroit je feray mention selon que j'en pourray recevoir en verité. mais ce que j'ay dessus escript je l'ay prins en ung moult autenticque livre lequel se nomme mirouel historial. et aussy es cronicques anciennes. et l'ay tantseulement transporté de latin en françoys. Et la matiere suyvante que fera le second livre est d'ung rommant fait en l'ancienne façon sans grant ordonnance. dont j'ay esté insité a le reduire en prose par chapitres ordonnez. Et ce dit celuy livre selon nes aulcuns fierabras. a cause que celuy fierabras estoit si merveillex comme j'en feray mention qui fut vincu par Olivier et en la fin se fist crestien et fut baptisé et est saint en paradis. Et parle en effaict de celle bataille et des relicques qui furent conquestees qui avoyent esté prinses a romme. et estoient en la puissance de l'admiral pere dudit. Fierabras. Parquoy en cestuy livre ensuyvant je n'entens si non seulement reduire la ryme ancienne en prose et diviser la matiere par chapitres en la meilleure ordonnance qu'il me sera possible de faire sans y adjoindre chose que je ne treuve audit livre Et tout ainsi que je trouveray pareillement le reduiray. Et cestuy livre est applicqué a l'onneur de Olivier en partie. nonobstant qu'il ya plusieurs aultres matieres. car j'entens que de chascun des barons principaulx de l'empereur Charles qui se dient communement en nombre douze ou treze. et pers de france qui estoient capitaines de l'excercite et moult fors et vaillans de leurs personnes. et estoient grans seigneurs et nobles. mais des seigneurs capitaines vaillans il y en avoit plus de treze selon que je treuve.

Premierement y estoit Rolant conte de cenonia filz de Millon et de dame Berthe propre seur du roy charlemaigne. Après y estoit Olivier comte filz de Regnier de gennes. lequel Regnier estoit aussi a l'excercite du roy Charlemaigne. Après Richart duc de normandie Garin duc de lorraine. geoffroy seigneur de bourdeloys. Hoel comte de nantes. Ogier le danoys roy dairie Lambert prince de brucelles Tierry duc d'ardanne Basin de beauvoys. Guy de bourgoigne. Godefroy roy de frise. Et pareillement y estoit Ganellon qui fist la trahyson en roncevaulx comme il apert en la fin du tiers livre Sanson duc de bourgoigne. Aussy y estoit Riol du mans. Alorry et Guillermet l'escot. Naymes duc de bavieres et plusieurs aultres qui estoient subjetz a charles. Et nonobstant qu'ilz ne fussent pas tousjours avecques luy ceulx que j'ay nommez si estoyent ilz tousjours prestz pour faire son commandement. Et aussy la plus grant partie des dessus nommez estoyent avecques luy continuellement.

De fierabras et comment il vint exciter l'excercite charlemaigne.

Le .ii. chapitre.

L'admiral d'espaigne nommé Ballant payen moult grant et puissant de corps et de gens. avoit ung filz nommé Fierabras le plus merveilleux geant qui jamais fut de mere né. car de la grosseur et grandeur de son corps et aussy de sa force il estoit le non pareil lequel estoit roy d'alixandrie et tenoit dessoubz luy le pays de babylonne jusques a la mer rouge. et estoit seigneur de rossie et de colloigne. et plus oultre estoit dessoubz luy jherusalem et detenoit le saint sepulchre de nostreseigneur jhesucrist et par sa grant puissance entra une foys a romme ou il fit beaucoup de mal. et emporta la sainte couronne de nostreseigneur et les saintz cloux et d'aultres relicques assez. dont cestuy livre fait la fin comment elles furent recouvrees. et se fasoit appeller fierabras d'alixandrie. lequel après que plusieurs guerres et batailles furent faictes en normionde entre les payens et l'exercite de charles. cestuy fierabras moult dissolu vint chevauchant par grant erreur pour trouver quelque crestin et pour batailler contre luy et s'en vint es lices du roy charles moult effrayé et eschaufé a devoir batailler tout armé et bien fourny de glaive et estoit tresmal content de ce qu'il ne trouvoit personne a qui combatre. et près des lices il va veoir les armes de l'empereur charles esquelles estoit l'aigle d'or reluysant. et jura par mahommet son dieu et sa puissance que jamais ne s'en partyroit qu'il n'eust fait guerre a quelque crestien. Et luy regardant que nul ne venoit a haulte voix commença a crier. O roy de paris couart sans hardiesse envoye jouster contre moy aulcuns de tes barons de france les plus fors et les plus hardis comme rolant olivier thierry richart de normandie ou ogier le dannois et je te jure mon dieu mahom que je n'en feray reffus jusques a six ou a sept qu'ilz ne soyent par moy soubstenus. et se tu me fais refus de ce je te prometz que devant qu'il soit nuyt tu seras par moy assailly et desconfit et si te couperay la teste comme meschant sans prouesse quelconques. et puys je emmeneray avecques moy rolant et olivier malheureux et chetifz. car oultraigeusement et follement comme maulvais viellard t'es abandonner de venir en ce pays. dont tu auras cause de t'en briefvement partir. Cecy dit fierabras s'en alla a l'ombre d'ung arbre et des armes dont il estoit vestu se desarma et estacha son cheval a ung arbre. Et quant il fut ainsi a son aise icelluy commença a crier a haulte voix. O charlemaigne roy de paris ou es tu maintenant que t'ay aujourd'uy tant appellé. sans plus grande dilation envoye maintenant jouster contre moy. Olivier duquel tu fais si grant compte. ou rolant ton nepveux valereux. ou ogier le dannois que j'ay ouy louer. et se d'aventure l'ung de ceulx n'ose venir seul viennent hardiement les deux ou les trois. ou les quatre des plus heureux: et qu'ilz soient couraigeux et hardis et bien armez. et se les quatre ne sont bien hardis viennent cinq. Car jusques a six des plus valereux de ton exercite je ne refuseray point et ne m'en pense retourner qu'ils ne soyent confuz et destruitz par moy. Car soyes seur que il ne me sera ja reprouché que je soye fugitif pour françoys vivans. J'ay desja mys a mort par la valeur de ma personne dix roys de grant puissance lesquelz n'ont sceu resister contre ma force nullement.

Comment richard duc de normandie dist a charles quel homme estoit fierabras.

Le .iii. chapitre.

Aussi tost que fierabras eust finee sa parolle l'empereur charles qui bien l'avoit escouté tout esmerveillé de son languaige va demander Richard de normandie auquel il demanda qui estoit ce turc qui avoit ainsi a haulte voix crié la valeur de sa personne car ce dist charles je l'ay bien escouté quant il a dit qu'il ne fauldroit point jusques a six des plus chevalereux de mon exercite auquel richart duc de normandie va respondre. Sire roy c'est ung homme riche a merveilles et ung des fors qui oncques fut né de mere. et si est sarrazin de si grant fierté qu'il ne prise ne roy ne conte ne aultre personne du monde. Quant charles l'entendit il commença a haulser la teste et jura saint denys de france qu'il ne mangeroit jamais ne bevroit que premier n'alast jouster l'ung des pers de france contre luy et aussi demanda richard comme ce payen ce nommoit Richard respondit. Sire empereur cestuy payen se nomme fierabras qui se fait moult redoubter et aussy qui a fait beaucoup de maulx aux crestiens. qui occist l'apostre. qui pendit les abbez. moynes nonnains. et a violé eglises. qui desroba la sainte couronne de nostreseigneur. et plusieurs aultres relicques dont vous prenez grant peine lequel tint jherusalem en grant subjection. et le saint sepulchre ou dieu fut mis. Sur ce respondit charles. de ce que tu me dis je suis plus couroucé. Mais saches de certain que jamais je n'auray joye ne ne sera mon desir acomply jusques a tant qu'il soit vaincu. Et de fait de luy tous les françoys furent commeuz et perturbez. et n'y eut celluy qui se presentast pour y aller. Et quant charles veit que personne ne se courageoit d'aller combatre celluy geant Fierabras il va dire a Rolant. Mon cher nepveu je te prie que tu te disposes pour assaillir celluy turc et que tu y faces ton devoir

La responce faicte per Rolant a l'empereur son oncle trop subite et qu'il en fut.

Le .iiii. chapitre.

Quant l'empereur charles eut parlé ainsi gracieusement a son neupveu rolant. follement et sans raison ledit rolant va respondre. Bel oncle ne m'en parlez jamais. car j'aymeroye trop mieulx que vous fussiez confus et desmembré que je prinse armes ne cheval pour jouster comme vous dittes. car le jour dernierement passez que nous fusmes ainsi prez tenuz des payens cestassavoir plus de cincquante mille. nous aultres jeunes chevaliers y fismes grant portement et y soustenismes maintz coups mortelz. dont Olivier mon compaignon en est quasi a mort navré. car se nous n'eussions secours de nous estoyt fin et destruction entiere. Et quant nous fusmes au repaire et en nostre logis pour prendre repos le soyr quant tu fus bien yvre tu te vantas publicquement que les anciens chevaliers et vieulx que tu avoyes amené avecques toy pour nous faire aide s'estoient beaucoup mieulx portez en fait d'armes et plus fort batailé que les jeunes. Et chascun sçait bien comme le soir je fus affoibly et lassé du travail que je prins celluy jour. mais par l'ame de mon pere ce fut mal dit a vous et de present on congnoistra comment les anciens et viellars se porteront. car par celluy dieu a qui tout doit subjection il n'ya homme jeune en ma compaignie que jamais de moy soit aimé s'il prent party d'aler jouster contre celuy payen. Aussy tost que le duc rolant eut finé sa parolle son oncle l'empereur moult indigné contre luy a grant melancolie de son gantelet dextre qui estoit riche et bordé d'or va donner au travers du visaige de rolant et l'ataindit tellement sur le nez que le sang en vint abondamment du coup dont Rolant par grant fureur mist la main a son espee quant veit son sang. et eust frappé de Charles s'il ne se fust osté de devant luy. Et quant charles veit l'intencion de Rolant il fut esbahy a merveilles. et dist O dieu de paradis qui eust pensé que de rolant mon nepveu je fusse vergoigné qui nous sommes mis ensemble d'une foy contre noz adversaires. et il me vient courre dessus d'affection mortelle qui est le plus prochain en lignaige envers moy qui soit present et qui plus tost me deust secourir que nul qui soit. Or pleust a celuy dieu qui croix souffrit passion que en cestuy jour prengne la fin dont il peut estre digne. Cecy dit par grant fureur demanda les françoys et leur dist. despeschez vous sil le prenez. car je ne mengeray huy qu'il ne soit livré a mort. Quant les françois entendirent la parolle de charles pour devoir accomplir son commandement tous se regarderent l'ung l'autre pour sçavoir qui mettroit la main a luy le premier. Et quant Rolant veit le fait il se mist ung petit apart et a tout l'espee en sa main va crier a haulte voix aux aultres. Si vous estes saiges si vous tenez quoy. car je faiz veu a dieu que s'il ya homme qui se bouge pour venir a moy que je ne face de sa teste deux parties. pourquoy il ny eut si hardy qui a malice se bougeast contre luy et estoient tresmal contens de leur debat. et sur ce le noble ogier doulcement vint a rolant et luy dist. Sire rolant il me semble que vous avez le plus grant tort quant vous avez ainsi courroucé l'empereur vostre oncle. lequel par raison vous devez entre les aultres aimer et deffendre et aussi supporter. Rolant respondit qui fut ja refroidi de son ire. Sire ogier je vous prometz qu'a bien peu de fait j'eusse esté determiné a oultraige sans advis encliné dont je suis mal content.

Comment charles et rolant sont reprins par l'acteur et excusés aulcunement sur le debat devant dit.

Le .v. chapitre.

Sur le debat de l'empereur et de rolant son nepveu je me veulx ung peu arrester. Et parle premierement a toy roy charles qui as esté instruit des ton enfance a toutes sciences plaines de meurs dignes de commemoration qui sçavois la constance des anciens et la mutabilité des jeunes gens Pourquoy disoies tu le vespre que les anciens s'estoient mieulx portez en la guerre de celluy jour que les jeunes chevaliers et tu sçavois bien que olivier estoit navré pour sa vaillance grandement et tellement qu'il estoit au lit et puis rolant ton nepveu avoit fait moult grant portement et se aucunement il a parlé follement tu pouvois bien supporter son premier mouvement qui n'est pas a la puissance de l'omme. Se tu eusses bien prins ton advis au dit qui dit. Vindictam differt donec pertranseat furor. Qu'on doit differer la vengeance jusques a tant que la fureur de l'ire soit passee. Se tu n'eusses point frappé rolant puis qu'il avoit mal dit: et aussi comme sans avis de discretion tu le frappas. Semblablement sans advis il tyra son espee contre toy et se tu n'eusses fait ce tu avois assés temps pour le reprendre de son offence. Tu as l'ecclesiastique qui dit au dixiesme chapitre. Nihil agas in operibus injurie Quant on reçoit injure il n'est pas bon de faire ce qu'on pourroit bien faire Et ainsi est que quant une personne a bien fait son devoir et que celluy du quel il doit estre aucunement honnoré est blasme de tant plusfort est indigné et malcontent car son fait est reputé pour neant ainsi fut fait de rolant qui pensoit plustost estre loué pour le grant devoir qu'il fit. que ce que l'empereur dist que les anciens avoient mieulx fait que les jeunes. Mais je vueil tourner a toy. O roland qui as esté si noble dont vient en toy celle audacité de parler contre ton oncle qui a tousjours si bien fait que ses oeuvres sont dignes d'estre remembrees a celluy qui estoit empereur roy de france et seigneur de si grant craincte et a ton oncle as prins debat et respondu oultraigeusement: n'estoit il pas raison que tu deusses souffrir de luy et nompas luy de toy s'il t'a frappé de son gant par maniere de correction devois tu tirer ton espee sur luy tu n'avois pas en memoire l'obeissance de ysaac qu'il eut a son pere. Tu n'avois pas advisé ce que dit l'apostre. Juvenes servant amicos ad nidumque timorem. Vous aultres jeunes gardez vostre couraige et la faveur d'icelluy sans mettre a excercite. Se l'empereur pour esbatement avoit loué les anciens il ne disoit pas pourtant que tu ne eusses fait bon portement. Et saint Pol dist en l'epistre qu'on ne doit point regarder celluy qui est plus ancien que luy: mais le doit on entretenir et comporter comme son pere mais le fait est tel que personne ne repute injure a soy dire estre petit: et nul ne le blesse qu'il ne soit pacient pourquoy il est bon a chascun de penser et cogiter la chose avant qu'elle se die et voulentiers il n'en prendra que bien.

Comment olivier fut disposé de combatre Fierabras nonobstant qu'il estoit navré après plusieurs parolles.

Le .vi. chapitre.

Moult courroucé estoit charles de roland son nepveu et va dire a ses pers de france. Seigneurs iré suis en divers pensemens de mon nepveu roland qui a voulu faire injure a ma personne auquel j'avoye plus de fiance que en homme vivant Je ne sçay lequel plus parfaitement je doys aimer ne lequel je dois hair et plus oultre je n'ay personne qui se soit presenté a jouster contre ce payen qui m'a demandé. Devant luy se leva. Naimes duc de bavieres qui dist au roy. Sire empereur je vous prie qu'il vous plaise de vous deporter de ces parolles tout viendra a bon droit: et ung aultre yra jouster au sarrazin. Mais toutesfois le roy charles estoit en grant pensement. car personne n'y vouloit aller. Incontinent les nouvelles de charles et de rolant portees a olivier qui estoit en ung aultre lieu malade: et sceut comment estoit venu fierabras et que personne ne s'estoit presenté au roy pour aller jouster contre luy. Et sur ce le noble olivier remply d'un noble couraige et d'un vouloir ardant a complaire ouyez les nouvelles de son lict se leva et commença a estandre ses bras et a sentir s'il seroit possible a luy de porter armes. Et en cecy faisant ses playes se commencerent a ouvrir et en saillit le sang de destresse. Et nonobstant tout cecy comme celluy a qui il n'en chault gueires pour l'amour du roy fit lyer toutes ses playes le mieulx qu'il peust. et dist a guarin son escuyer qu'il fist apporter ses armes/ car il se vouloit armer pour aller jouster contre celluy sarrazin. Auquel garin va dire. Sire olivier en l'onneur de dieu prenés pitié de vostre personne. car il me semble que voulentairement vous voulés occir. Olivier luy respondit faictes mon commandement. nul ne doit tarder cercher son honneur et avancement au nom du seigneur: et a bon droit je me puis employer a servir mon prince et singulier seigneur: et puis que je voy que nul françoys ne s'avance je n'y failliray point: car on dit communement que au besoing lon congnoist son amy. Or tost apportés moy mes armes sans sejourner. Celluy les apporta et tantost olivier se fit armer par ledit guerin son escuyer qui luy chauhast ses chausses son haubergon son heaulme et ses harnoys necessaires il fut fourny et print olivier son espee qui se disoit haulteclere et la seindit laquelle espee il amoit moult. Après guerin luy amena son cheval entre les aultres special qui se nommoit ferrand d'espaigne. Et ainsi qu'il fut devant luy tout sellé et bridé le joly et gentil olivier va saillir en la selle sans mettre le pié en l'estrier et mist a son escu et print en sa main ung espieu bien emolu et agu que guerin luy bailla qui estoit estaché a dix cloux de fin or et puis frappa son cheval des esperons si rudement que du sault qu'il fit le cheval ploya tout dessobz luy. Beau veoir fasoit olivier a cheval a moult fiere contenance. Et ceulx qui estoient presens fasoient requeste a jhesus nostre redempteur qu'il l'eust en sa garde car en teluy jour il devoit batailler contre le plus fort et fier homme payen qui jamais naquist de mere ne qui fust au monde: cestoit fierabaras d'alixandrie filz de l'amiral ballant d'espaigne dont après nous verrons au plaisir de dieu la termination. Après qu'il fut ainsi a cheval en grant point sur son visaige et sur son corps fist la croix au nom de jhesus et se commenda au vouloir de dieu que en celuy jour luy fust en confort et en aide selon sa bonne intencion. Et de tous fut regardé et congneu qu'il avoit le cueur bien entier au ventre pour faire ung grant portement et chevaucha au lices du roy charles avec lequel estoit le duc Naymes Guillaume d'estoc Girard de mondidier Ogier le danoys et des barons de france. et entre les aultres aussi estoit rolant moult dolent des parolles qu'il avoit heues a son oncle le roy: car voulentiers eust faicte la bataille se ne fust la contredicte qu'il avoit devant faicte au roy quant il fut requis. Ainsi olivier estre venu devant charles moult fut honnoré et prisé et des ungz et des aultres bien affectueusement regarda et mist ledit olivier bas son heaulme et regarda au logis du roy et reveramment le va saluer et dist. Noble empereur puissant et redoubté et mon singulier seigneur vueillés moy bien escouter. Vous sçavés qu'il ya trois ans passez que je suys a vostre service et n'ay eu de vos quelconque remuneration ne gaige. Je vous vous supplie de mon pouvoir que maintenant en ung don tout me soit reguerdonné. auquel le roy respondit. Olivier noble conte je jure ma foy que je le feray de bon vouloir et aussitost que nous serons en france ou en bourgoigne ne chasteau ne cité que vous vouldrés avoir ne autre chose a moy possible et faisable par moy ne vous sera contredit Sire roy dist olivier je ne suis a vous demander cela: mais vous demande et supplie bataille contre celluy payen ainsi desmesuré. et de ceste heure je vous ottroye tous mes biens et services. et pour cestuy don soyent quittes. Quant les françoys vont ouyr olivier moult furent esbahys de sa prouesse et se regardent l'ung l'autre et vont dire entre eulx. Saincte marie que a trouvé olivier qui est navré a mort et veult batailler. Charles respondit. Olivier as tu perdu le sens: car tu congnois bien que d'un fer agu et quarré tu as esté feru et navré mortellement et tu te veulx abandonner a plus grant dangier mortel pourquoy pense de t'en retourner et te repose a ton gré: car ne te fie pas que pour riens que je te laisse aller. Veu que tu n'es pas pour le present en santé de corps Sur ce point se leverent Ganes et Andrieu les traistres qui firent la trahyson comme le dernier livre en fera mencion. Et dist ganelon. Sire roy vous avés ordonné en france que ce que par deux de nous est jugé se doit tenir: et ainsi est que nous deux jugeons et ordonnons que Olivier aille faire la bataille pourquoy le roy plein de maltalent la couleur muee respondit. Ganellon tu es de mauvaise contree sans parler qui soit honnorable. puis que ainsi est il fera la bataille et ne peut estre qu'il n'en soit mort: mais je te jure ma loyaulté que s'il est prins ou mis a mort tout l'or du monde ne te rachetera point que de malle mort ne te face mourir villainement et ton lignaige destruiray. Sire empereur dist ganellon dieu et nostre dame m'en veullent garder. Et puis le traistre va dire comme entre ses dens. Et a dieu ne plaise que jamais olivier ne puisse retourner qu'il n'ayt la teste couppee. Et quant l'empereur veit qu'il ne sceut contredire que olivier ne s'en allast pour batailler a fierabras va dire. Je prie le dieu du firmament qu'il te doint bien besoigner: et tellement que tu puisses retourner a joye et puis print son gant dextre et le getta a olivier. Lequel il receut par grant vouloir en le remerciant treshumblement et prenant congié de tous moult doulcement

comment olivier fut entretenu de son pere regnier qu'il n'allast combattre le geant requerant charles que ainsi ne fust dont force lui fut qu'il y allast.

Le .vii. chapitre.

Quant olivier fut licencié du tout pour aler son chemin regnier de gennes son pere quant il veit le fait par grant compassion s'en va mettre aux piedz du roy et dist. Sire roy je vous crye mercy prenés pitié de mon filz et de moy. je vous dy de moy: car je me voy du tout desconforté quant je voy que mon enfant va tout a perdicion veu le dangier ou il est de sa personne. Je vous dis aussi que vous ayés pitié de son jouvent presumptueulx et de son desir trop couvoiteux et de son corps navré moult dangereusement. Vous savez bien que ung homme qui est navré ainsi dangereusement. et aussi qui a perdu son sang ne peut pas bonnement encores endurer bataille. Mais regnier perdoit bien sa peine car le roy luy avoit desja donné son gant en signe de licence. Et nonobstant ces parolles olivier ne doubtoit riens qu'il ne fist son devoir bien grandement Et de rechief Regnier requist au roy et dist. Sire roy en l'onneur de celluy qui pour nous voulut pendre en croix ne permettés point pour le present que mon filz aille jouster. Helas quant j'auray perdu mon filz en quel lieu pourray je aller vous pourrez bien aultre trouver pour faire ceste guerre presente. L'empereur Charles respondit. Regnier vous sçavez bien que je ne puys contredire: car en signe de licence je luy ay getté mon gant devant mes piedz. dont Olivier fut content: et va dire a haulte voix devant chascun. Sire roy tous voz aultres barons ung don par vous me soit donné que je vous requiers: c'est que se j'ay a nul mesprins ne en fait ne en parolle au nom de dieu qu'il me soit pardonné. quant les françoys le vont ouyr n'y eut celluy qui ne plorast tendrement. Et ainsi en prenant chemin a tout son estandart levé le roy le beneist en faisant le signe de la croix et le commenda en la grace du pere du filz et du saint esperit.

Comment olivier parla premierement a fierabras qui ne tenoit compte de luy avecques aultres disputacions.

Le .viii. chapitre.

Olivier se mist en chemin et n'arresta jusques a tant qu'il fut devant Fierabras. Lequel tout desarmé se gisoit a l'ombre. Et quant olivier l'eut araisonné le payen tourna sa teste contre luy et ne le daigna a peine regarder tant peu tenoit compte de luy car il tenoit beaucoup plus moindre que luy et dist Olivier au sarrazin. Reveille toy. aujourd'uy m'as tant appellez que je suys venu icy. si te prie que tu me diez ton nom. Fierabras luy respondit par mahommet mon dieu a qui je doy tout honneur. je suys le plus riche qui soit au monde né. Fierabras d'alixandrie me faitz nommer. Je suys celluy pource que tu le saiches qui fis destruire romme vostre cité: et occis l'apostolle et des aultres plusieurs. et emportay les relicques que je y peuz trouver. dont vous prenés grant peine a les recouvrer. Et plus aultre je tiens Jherusalem celle belle cité. et le sepulchre avec ou vostre dieu fut mis reposer. Olivier luy respondit. Par ma foy je t'ay bien voulu ouyr dire ce que tu as dit. Et s'il est verité comme tu l'exposez. saches pour certain que de present tu te peulx bien dire dolent et malheureux reputer. Or ça sans plus oultre parler despeche toy soyes armé. vois tu la les françois qui ne nous font que regarder. ou par le dieu en qui je croy je te frapperay durement. Quant Fierabras l'ouyt qu'il parloit si hardiement commença a rire et dist. Je suys bien esbahy donc vient en toy la presumpcion de parler ainsi hastivement. mais pour verité je ne bougeray d'icy si sçauray je qui tu es. et quant tu me auras dit ton nom tu me verras armé. et aussy de quel lignaige tu es party. Olivier luy respondit. O payen saiches pour verité que avant qu'i soit nuyt tu sçauras quel je suys. Par moy te mande Charles l'empereur mon redoubté seigneur qui pour la consecracion de ton corps et a la salvacion de ton ame tu laisses la creance de ton dieu mahon et aultres ydoles qui ne sont que abusions et decepcions qui n'ont sens ne raison. ne n'ya sentement ne bon entendement par quoy on soit encliné de y consentir aulcunement. et pense d'icy en avant de croire en dieu le tout puissant. La saincte trinité. le pere. le filz. et le saint esperit. trois persones en une pure essence. d'une voulenté qui a fait le ciel et la terre et tout ce qui y habite. qui pour nostre salvacion voulut naistre de la vierge marie. et quant tu auras celle creance moyen le saint sacrement de baptesme qui a esté sur ce estably. tu pourras parvenir a la gloire eternelle. et se tu ne le fais ainsi comme je le te intime. je suis icy pour te faire batailler. et de deux choses il te fault faire l'une. Premierement que tu t'en allies hors de ceste terre comme ung souffreteux sans aultre chose emporter et sans jamais toy y trouver. ou il te fault venir combattre contre moy pour exaulser ton corps et soustenir ta loy faulse. Fierabras va respondre. qui que tu soyes tu es bien oultrecuidé d'avoir intencion de me vouloir batailler. car seurement tu me vois debout sans armes tu seras bien hardy se de paour tu ne trembles. mais par le dieu en qui tu crois dy moy quel homme est charlemaigne car long temps a que je l'ay ouy priser et redoubter en maintz pays. et plus oultre que je saiche novelles de Rolant et de olivier: et de Ogier le dannois de Gerard de mondidier. car par verité je me vouldroye de ceulx acointer. Olivier respondit. payen sur ce que tu me demandes je te dis que charles l'empereur est si grant maistre qu'il n'ya homme au monde qui se puisse comparer a luy tant pour la valeur de sa personne et de ses meurs comme de sa puissance et richesse innumerable. Au regart de son nepveu Rolant Olivier n'est riens moindre que luy: des aultres françois soies content. car entre tous les humains ilz sont vaillans gens. mais ces parolles n'ont point icy lieu. Depesche toy soies armé. car par le dieu en qui je croy se tu ne t'avance je te frapperay de ceste espee d'acier. fierabras commença a lever la teste et dist. par mon dieu mahommet se je ne pensoye avoir deshonneur de me prendre a toy de ceste heure te copperoye la teste. Olivier respondit je te prie laisse a plaidier. car avant qu'il soit nuyt tu sauras que je suis. car de certain j'ay intencion de plonger en ton ventre mon espee durement. Sur ce fierabras ne sejourna riens tant fut noble et reposa sa teste sur son escu et dist a olivier duquel il ne tenoit compte. Je te prie que tu me dies ton nom et ton lignaige. Olivier luy dist Je me nomme garin. et suis de pierregort filz d'ung homme qui se disoit josué qui m'en vins l'autre jour en france. ou je fus ainsi adoubé par le noble roy charles et suis ordonné pour defendre son droit. mesmement contre toy pourquoy concluons sans plus demourer soies armé et monte a cheval. car je suis prest de faire la bataille se tu es sy hardy de m'atendre fierabras estoit la qui ne vouloit consentir a la batalle car il luy sembloit que c'estoit peu de chose d'olivier pour jouster contre luy et luy dit Garin je te demande pourquoy n'est venu par deça rolant ou olivier. ou gerart: ou ogier qui sont de si grant renommee comme j'en ay ouy parler. car ilz ne tiennent compte de toy. et ne le font sinon pour mesprisance: mais je suis venu a toy comme celluy qui n'a point prins regart a leur intencion et feray la bataille se tu me veulx attendre: mais je te jure saint pierre l'apostre de jhesus que se tu ne te armes je te frapperay mortellement de ce dart que je tiens en ma main. Garin respondit fierabras je te veulx bien dire que de ma vie je ne joustay sinon a roys. a contes ou barons de bien haulte valeur: et tu es de bien basse main party pour dire que je me prengne a toy trop grant deshonneur me seroit que tu fusse mis a mort par moy: mais pour le vouloir que je congnois en toy moult noble. je suis content que tu me frappes et je me laisseray cheoir a terre et prendras mon cheval et mon escu. et t'en yras au roy charles et luy diras que tu m'as vaincu. Et se je fais cecy pour toy ce sera grant amitié. et devras pour le present estre content Sur ce olivier ne peust avoir pacience qu'il ne luy dist. Ton fait ne gist sinon en parolles pleines de presumpcion: car je suis de ceste intencion que devant qu'il soit vespre je te feray vouler la teste de dessus les espaules. Je ne suis pas lievre ne beste sauvaige pour me devoir espuenter. Et tu sces le proverbe commun qui dit qu'il est temps de parler et temps de taire et de l'un et de l'autre on peut estre fol reputé. Or te despeche de ce que je t'ay dit. ou autrement je te feray marry. Fierabras respondit. Je ne te prie ne te demande fors que tu me transmettes rolant ou olivier. ou l'un des autres. et se les deux ne sont hardys viennent les troys ou les quatre. car par ma foy ilz ne seront point refusez. Disans ces parolles olivier qui estoit navré des le jour devant ses playes se commencerent a ouvrir par la force de chevaucher. et seigna tellement que fierabras veit saillir le sang par dessus le genol de olivier. et luy demanda dont luy sailloit le sang qui luy venoit par dessus et couroit par terre. Olivier luy respondit qu'il n'estoit point navré. mais que son cheval estoit dur a l'esperon. pourquoy il estoit ainsi ensanglanté. Fierabras se print garde que ce n'estoit point du cheval et respondit Certes garin vous avez menty: car vous estes au corps blessé. et je le congnois au sang qui vous a desja surmonté le genoil: mais vecy que je te feray il y a deux barilz penduz a la selle de mon cheval qui sont pleins de baulme que j'ay conquis en jherusalem et est celluy dont vostre dieu fut enbaulmé le jour qu'il fut descendu de la croix et mis au sepulchre. despeche toy et en va boire et je te prometz que incontinent seras guery. et te pourras deffendre trop mieulx et sans dangier. Olivier luy respondit qu'il n'en feroit riens. et qu'il parloit d'une grant folie. Dont fierabras respondit qu'il estoit bien fol et sans raison et que a bon droit s'en pourroit repentir.

Comment après pluseurs disputacions olivier aida a armer fierabras et des neuf espees merveilleuses. Et comment olivier se nomma a fierabras par son droit nom.

Le .ix. chapitre.

Quant fierabras eut beaucoup demouré sans se lever pour olivier il se assist et puis dist. Garin je te demande que tu me dies sans celer de qu'elle force est rolant et olivier qui tant sont redoubtez des payens et de quelle grandeur. Olivier luy respondit. Regarde ma grandeur et ma semblance et tu pourras legierement apparcepvoir quel homme est Olivier. car il n'est point plus grant que je suis. Rolant tant qu'il touche au corps est ung petit moindre: mais de couraige il est si treshardy de corps combatant qu'il n'ya son pareil vivant au monde: car il ne se combat a homme du monde qu'il ne soit par luy vaincu. Par la foy que je doy a appollin et a tarvagant va respondre fierabras tu me dis chose dont je suis esbahy: car s'ilz estoient telz quattre comme tu me compte je ne les vouldroie point refuser. ne les lasseroye qu'ilz ne fussent tous occis et mis a mort a mon espee trenchant. Olivier ne pouvoit prendre pacience aux dilations de fierabras mais le vouloit frapper pourquoy fierabras luy dist Tu ne veulx point prendre pitié de ta personne mais par mon dieu mahon se je me lieve et que je monte a cheval charles ton roy ne tous tes dieux ne te deffendroient que tu ne soyes incontinent occis: car seullement se tu me voys devant toy de pié tu seras bien couraigeux se de grant peur tu ne trembles. Olivier respondit Trop longuement tu te vantes de faire chose que tu ne verras jour de ta vie et myeulx te vault a mesure parler: car trop aultrement a bon droit te pourroit venir le meschief. De cecy fierabras fut fort despiteux et se leva debout grant fierté lequel payen avoit par commune estimation quinze piedz de long et s'il se voulut baptiser et croire en jhesucrist. jamais ne fut veu homme de sa valeur et despuis qu'il fut a pié moult luy faisoit mal qu'il n'avoit quelque vaillant homme pour jouster contre luy et dist a olivier. Par ma verité il me prent grant pitié de ton affaire pour la noblesse du couraige que je te congnois. Je suis content pour le present que tu t'en tournes et m'envoyes rolant ou ogier ou gerard de mondidier. Et expressement di a olivier que je ne partiray de ceste place que je ne l'aye conquis Olivier ne peut plus attendre: car ce ne fust pour son honneur il eust frappé plusieursfois tout desarmé. Et quant il vit l'effort ledit fierabras appella olivier et luy pria qu'il luy aidast a armer. Olivier dist s'il s'oseroit fier en luy Fierabras respondit aide moy hardiement: car je te jure que jour de ma vie ne seray traistre a personne vivant. Et sur ces parolles olivier mist diligence de l'armer. Et print premierement ung cuyr de capadoce et le vestit puis sa cotte et son hauberion d'acier bien bouclé et poly et son heaume affiché et garny de pierres precieuses richement et l'estacha seurement: mais bien considere la façon de ce payen et de ce crestien fut si grant courtoisie et loyaulté entre ceulx qui estoient assemblez pour faire guerre mortelle ensemble et ilz se fasoient service bien singulier. Premierement le payen avoit grant pitié de destruire olivier: car il n'estoit point son per au regard de sa personne et d'aultre part quant il le veit ainsy playé et descendre de son sang a terre il luy volut donner du baulme precieux Semblablement quant olivier le trouva desarmé il l'eust occis sans grans peine s'il eust voulu. Et puis a la fin il fut si loyal qu'il le arma pour batailler contre luy. Grant loyaulté de noblesse povoit avoir entre eulx deux qui estoient de foy et de creance contraires. et je croy que dieu seroit bien content s'il avoit telle confiance entre les crestiens et si pleine de toute noblesse naturelle. mais pour desduire la matiere presente quant fierabras fut bien armé. il mercya fort olivier et puis seint son espee nommee plorance. et en l'arçon de sa selle en avoit aultres deux dont l'une se nommoit baptisme. et l'autre graban. lesquelles estoyent faictes tellement qu'il n'estoit harnoys qui les peust desrompre ne gaster. Et qui demanderoit la maniere comment elles furent faictes ne par qui selon que j'ay trouvé par escript Une foys furent troys freres d'un pere engendrez. desquelz l'un avoit nom galant. munificans fut le second et le tiers se disoit anisiax. Ces trois freres firent .ix. espees chascun trois. anisiax tiers nommé fit l'espee nommee baptisme qui avoit le pommeau d'or bien point. et aussi fist plorance et graban lesquelles avoit fierabras comme j'ay dit. Munificans l'autre frere fit l'autre espee qui se disoit durandal. laquelle rolant eut l'autre se disoit sauvaigine. et la tierce cortan que ogier le dannoys eut. Et gallant l'autre frere fit celle qui nommoit flamberge l'autre haulte clere et l'autre joyeuse que charlemagne avoit pour grant especialité. et ces trois freres nommez furent les favres et ouvriers desdictes espees. Et en ce point fierabras monta a cheval et mist près de luy ses deux barilz plains de baulme et puis pendit a son col son escu pesant et bandé de fer et d'acier par merveilleuse force et avoit en painture au milieu dudit escu le dieu appolin. Et après qu'il se fut recommandé a luy il print son espieu agu et mortellement enferré. Grant merveilles fut de la corpulance de ce sarrazin qui estoit sur son cheval nommé ferrant d'espaigne bien dru et pommelé qui avoit une condition specialle. Car quant son maistre en bataillant mettoit a terre son adversaire: celluy cheval faisoit plus grant guerre sans comparaison que son maistre. Et ainsi eulx estant a cheval fierabras va dire a olivier. O garin gracieux je te admonneste que pour la courtoisie que tu m'as faicte tu t'en veulle retourner sans point faire bataille. car il me prent pitié de ton valeureux couraige. Olivier respondit tousjours de grande follie t'es entreprins: car je n'en feray riens au dangier d'estre desmembré. Et ne suis point celluy a qui tu faces paour. car a l'aide de jhesus aujourd'huy par moy tu seras rendu ou vif ou mort a charles l'empereur. Quant olivier eut parlé fierabras fut fort merveilleux de cestuy homme qui ne se vouloit desvier pour menasses qu'il luy fist qu'il ne bataillast: si luy va dire. Tu es crestien et as grant foy aux misteres par vous ordonnez: mais je te conjure que par les fons ou tu a esté lavé et par la foy que tu as donnee a la croix ou ton dieu fut pendu et clavellé. Et aussi par la loyaulté que tu dois a charles et a rolant et aux aultres pers de france dys moy la verité de ton droit nom et de ton lignaige. Olivier va respondre Certes payen celluy qui t'a induit a moy parler tellement t'a bien aprins: car plus haultement ne puis estre adjuré. pourquoy saiches que je suis Olivier filz de regnier conte de gennes le plus especial compaignon de rolant et suis l'ung des douze pers. Par verité dist fierabras je me suis bien pensé que tu estois aultre que tu ne m'avois dit veu ton ardant couraige et que je ne t'ay peu faire paour sur le fait de bataille. Et comment sire olivier vous estes au corps navré et grant deshonneur me seroit se je vous avoye bataillé et deffait quant a ung homme mort je me seroye prins pourquoy tournez arriere nous avons fait pour le present. car pour tout l'or du monde je ne me feroye telle vergongne que a vous deusse jouster. Sire respondist olivier certainement si ferés. car par ma teste quant nous serons ensemble vous n'aurez ja cause de vous truffer de moy si vous pensez que je ne suis homme mort et puis l'admonnesta en ceste maniere doulcement. O payen devant que nous procedons plus oultre tout premierement je te admonneste que tu veuilles croire en dieu de paradis le tout puissant qui t'a fait et formé a qui toutes choses doivent honneur et creance singuliere: car celluy qui n'y prent advis est né en la malleure et laisse mahon et tes dieux plains d'abus et de deceptions et te dispose pour baptiser et tu auras pour grant amy charles et pour compaignon especial rolant le veleureux. Et plus oultre jour de ma vie je ne cesseray de t'acompaigner. Ferabras luy respondit de grant folie t'avises: car pour riens en vostre dieu je ne croiroie ne mahon n'abandonneroye. mais aujourd'uy se tu es amy de Rolant comme tu es: jamais si desplaisant ne fut homme comme pour toy je le feray.

Comment olivier et fierabras commencerent a batailler: et de la priere de charles pour olivier et aultres matieres.

Le .x. chapitre.

Fierabras et olivier en grant point l'ung contre l'autre a cheval devant que Fierabras voulsist laisser courre son cheval il dist a olivier. Mon amy je te prie que tu boyves de mes barrilz. et par la vertu du baulme que est dedens incontinent seras guery. et aussi tu te pourras trop mieulx defendre contre moy. a dieu ne plaise dist olivier que par beuvraige soyez conquis de moy Mais a bataille franche et harnoys fourby. et cecy estre dit laisserent courre leurs chevaulx d'ung grant couraige pour jouster a oultrance comme vous l'orrez cy après: car pour deux champions jamais ne fut cogneue bataille si aspre ne si oultrageuse. Et ainsi comme ilz voyent l'ung contre l'autre les françois qui estoyent en leur logis avoient grant paour qu'il ne mesprint a olivier. et entre les aultres l'empereur Charles en plorant va dire. O benoist jhesus je te requier que a cestuy coup tu ayez pitié de olivier mon baron par maniere que je le revoye vif et en santé et puis vint en sa chapelle son visaige couvert de son manteau et s'enclina contre la croix et embrasse le crucefix en disant. mon dieu duquel je voy la remembrance vueillez faire aide a olivier qui pour l'exaltation de la foy crestienne est en dangier. Ainsi en contemplant fierabras et olivier se donnent si grans coups sur leurs escus que les fers de leur lances sont par force ployez et entrez dedans. dont le feu partit de toutes pars et les boys des lances tronsonnez et fenduz s'en va en l'air. les resnes des brides des chevaulx leur vont hors des mains. Tous deux furent si estourdiz et les yeulx eurent si troublez que d'une grant piece ne sceurent de quel cousté ilz estoyent tournez. et après que tous deux furent rassis fierabras trait florence qui luy pendoit au cousté. Olivier print haulteclere reluisant a merveilles et vint sur fierabras et au hault de son heaulme luy donna si grant coup que les fleurs et pierres precieuses dont il estoit moult anobly fist voler a terre. et de ce coup en descendant bas luy entama l'espaule. mais le cuir de capadoce le saulva et le payen fut frappé si durement qu'il eut les deux piedz hors des etriez et son cheval luy eschappa. et a bien peu qu'il ne versa. dont les françois vont dire tous a une voix. sainte marie quel coup a donné olivier a ce payen voire respond Rolant merveilleusement l'a assené. Or plust a dieu de paradis dist Rolant gentil compaignon olivier que je ne suis ores dessoubz ton escu. car de moy ou du payen brefment se verroit la fin. Auquel l'empereur respond. Ha maulvais glout je t'ay bien ouy parler felon couart. il n'est pas temps que tu le dies. car du commencement tu n'y voulsis aller: dont maintesfois par moy te sera reproché. Sur ce rolant ne respond aultre chose si non qu'il en fist sa voulenté. Fierabras tout estourdy et remply d'une grant ire pour le coup qu'il avoit receu a son espee nommee florance vint de course sur olivier et luy donna sur son heaulme si asprement qu'il luy fist tourner la teste et son haulbert luy desmailla tellement que plus de .v. cens mailles du coup luy trencha et son cheval mallement navra et l'esperon du pié luy coupa et une partie de la cuisse dont le sang courut a terre treshabondamment. et l'espee de fierabras fut toute ensanglantee. pourquoy de ce coup fut le conte olivier si ployé et si commeu que a bien peu de fait ne fut rué par terre se ne eust esté la selle de son cheval. car il fut fort ployé par derriere. et son cheval de ce qu'il fut trenché commença fort a clacher et quant il fut retourné a haulte voix commença a crier. O sire dieu mon createur le mal coup que j'ay receu vierge marie mere de jhesus prenés pitié de moy. car trop fierement trenche l'espee de ce payen. donnés moy grace que je le puisse avoir et leva son espee et en fist sur luy le signe de la croix. Puis fierabras luy dist. Olivier par mahon mon dieu a cestuy coup je t'ay fait paour et tu peulx bien sentir de quoy je sçay jouer. et n'ay point de merveilles se tu te commandes a ton dieu. mais je suis mal content de ce que je t'ay ployé trop a coup. toutesfois soies sur que jamais soleil tu ne verras mucer. car tu commences ja a changer couleur et maniere. Toutesfois je suis content que tu t'en ailles. et sera bien pour toy le meilleur avant que tu congnoisses ma force plus planiere. Car je te admonneste d'une chose que quant je voy mon sang yssir hors de mon corps. adonc double ma vertu et ma force. et je congnois que charles ne t'aime gueres quant il t'envoye a moy. s'il t'eust logé en ung blanc lit tu y fusses beaucoup mieulx que d'estre venu batailler a moy. Quant olivier le va ouyr remply d'un fervent couraige commença a lever la teste et dist ainsi O payen desmesuré tout le jour tu te vantes de me mettre a fin de mes jours je prie a dieu tout puissant qu'il en vueille bien resjouyr mon couraige garde toy bien je te deffie nous avons trop plaidoyé. Sur ces parolles ce sont courus dessus si merveilleusement se frapperent sur leurs heaulmes. tellement que boucles: croches: pierres precieuses: orfaveries: fleurs. sont couppees et volees par terre. Le feu en yssoit largement. grant bruyt faisoient ces espees sur leurs harnois. Cecy faisant charles estoit la en grant meditation et cogitoit que la querelle de olivier estoit juste et que dieu le devoit preserver. Et quant il pensoet que olivier pourroit mourir comme impacient. d'une parfaitte foy va dire. O glorieux dieu pour lequel nous prenons tant de peine vueillés conserver olivier qu'il ne soit mort ne qu'il ne soit prins. car je jure l'ame de mon pere que s'il est pour le present de ce payen occis que jamais au pais de france en eglise qui soit ne sera clerc ne prestre habitué ne revestu. mais feray ardoir monasteres. eglises. autelz et crucefix. Helas ce dist le duc naymes. sire roy laissez ces parolles oyseuses et priés dieu pour olivier qu'il luy soit en aide par sa sainte merce. Cecy disant tousjours perseveroient les champions a frapper l'un sur l'autre par tel endroit que fierabras a son espee luy rompit le cercle de son heaulme. et le fit cheoir sur son visaige. son cheval fust mort s'il n'est saulté oultre. Et fut navré Olivier au corps et speciallement en la poitrine. Et avoit desja tant perdu de son sang que moult en estoit affoibly. donc ce ne fut pas merveilles veu qu'il avoit resisté au plus terrible homme qui de mere nasquit oncques.

Comment olivier fit priere a dieu quant il se sentit navré.

Le .xi. chapitre.

Olivier le noble conte estant en ceste melencolie des grandes playes qu'il avoit au corps pour son reconfort en disant en ceste maniere. O dieu glorieux cause et commencement de tout ce qui est dessus et dessoubz le firmament. par vostre seul plaisir formastes nostre premier pere adam. et pour sa compaignie luy donnastes eve. moyen lesquelz humaine generation se contient. Tous fruitz leur abandonnastes fors seulement d'ung. duquel eve moyen le serpent en fit mengier a adam. dont ilz en perdirent paradis. Et par la sedution des ennemis d'enfer plusieurs ont estez deceuz et damnez. dont vous eustes pitié de la perdition du monde. et venistes prendre chair humaine au ventre de la benoiste vierge marie par la nonciation du saint ange gabriel. et nasquistes comment il vous pleut. Et bien petit après. les trois roys vous vindrent adorer et faire obeissance. D'or d'ensens. et de mirre vous firent les presens. Puis après le roy herodes vous cuidant faire mourir. fist mourir maintz enfans qui sont ores en joye permanable. Et quant vous fustes en aage pour vous determiner vous allastes par le monde en preschant voz amis. dont après par envie les juifz desloyaulx vous pendirent en la croix. en laquelle existant longis le chevalier vous perça vostre costé par l'induction des juifz. Et quant il creut en vous qu'il eut lavé ses yeulx de vostre precieux sang il veit beau et cler. et vous cria mercy dont il eut salvement. Puis par voz amys vous fustes mys au saint sepulchre et le tiers jour après vous ressuscitastes. et reprinstes la vie et descendistes en enfer. et mistes hors adam et Eve et tous ceulx qui estoyent dignes d'avoir paradis. Et au jour de vostre merveilleuse ascention vous montastes es cieulx devant tous voz apostres. Ainsi mon dieu mon createur comme tout cecy est verité et je le croy fermement soyez a mon confort contre ce mescreant que je le puisse vaincre par maniere qu'il soit saulvé. Et cecy estre dit se seigna de son espee en faisant le signe de la croix au nom de dieu et de la sainte trinité. et frappa le cheval sur l'esperance de l'aide de dieu. et fierabras luy va dire en riant. Olivier bel amy je te prie que tu ne me vueilles celer qu'elle est l'oraison que tu as dicte maintenant voulentiers l'ay escoutee par mon dieu talvagant. Or pleust a dieu de paradis dist olivier que vous fussiez en celle grace que vous y creussez ainsi fermement que je fais. car je vous jure que je vous aymeroie autant que je fais rolant. Et fierabras luy respondit. Par mon dieu mahon et talvagant presentement parles d'une folie moult grande.

Comment après grant bataille Olivier conquist le baulme et en beut a son aise. et qu'il en fist. après comment il se trouva a terre quant Fierabras eut occis son cheval.

Le .xii. chapitre.

Fierabras courroucé des parolles de olivier par grant ire luy dist. garde toy de moy. car je te deffie A moy l'auras dist olivier et a dieu me commande. Et se vont rencontrer par si dure maniere qu'on veoit le feu habondamment par leurs harnoys. leurs chevaulx plaioyent dessoubz eulx et la terre trembloit de ce bruit en la prarie de mormionde. Fierabras print l'espee en la main et frappa olivier dont fut mallement navré en la poictrine soubz la mammelle et de ce coup luy tournerent les ieulx en le teste et eut la face moult muee Et haultement s'escria dieu et la vierge marie qu'ilz luy voulsissent garantir l'ame. Fierabras par grant couvoitise luy va dire. Olivier entens a moy descens bas seurement et va prendre du baulme et en boy a ton aise: et tantost tu seras guery. et te pourras mieulx defendre encontre moy. et recouvreras force nouvelle. mais olivier pour riens ne l'eust fait s'il eust deu mourir. car d'armes loyalles il le vouloit avoir. Et prestement vindrent l'ung contre l'autre. et adonc se frapperent tellement que fierabras fut navré dangereusement. car l'espee de olivier luy entra dedens la cuysse bien demy pié de parfont. et du sang qui en yssoit l'erbe en estoit toute arrousee. et quant il se veit ainsi navré il beut de son baulme par lequel il fut tantost guery dont olivier fut moult doulant de ce qu'il ne pouvoit mettre fin en ce payen. Et les françoys qui les veoyent feirent a dieu grande priere qu'il voulsist conserver en ce jour olivier et especiallement charlemaigne qui entre les aultres pluschier le tenoit. mais quant olivier veit le payen guery et pour le baulme ainsi consolé. se confiant de l'aide de dieu vint a luy et le frappa sur le heaulme si durement que le coup descendit sur la selle. et trencha la cordelle a laquelle les barilz estoient estachez. et le cheval de fierabras eut paour de celluy coup et fist une petite course par le plaisir de dieu dont olivier avant que le payen s'en print garde s'enclina contre terre et leva les barilz et en beut a son aise et largement. et tantost il fut guery et reconfermé en force nouvelle. et se pensa que se d'aventure fierabras estoit plus navré par luy et ne pouvoit jamais ravoir ses barilz que en la fin il luy en pourroit mal venir. pour quoy luy estant près d'une grande riviere print les barilz et les getta dedens. lesquelz furent tantost enfondrez. Et comme on lit a toutes les festes de saint jehan ces deux barilz se demonstrent dessus l'eaue evidamment. Quant fierabras veit que ces deux barilz estoient perduz a peu de fait qu'il ne perdit le sens. et par grant reprouche dist a olivier O mauvais homme que tu es m'as tu perdu mes barilz qui valoient mieulx que tout l'or de crestienté. mais je te prometz que avant qu'il soit vespre. ilz te seront bien chiers venduz/ car je ne cesseray jusques a ce que tu ayes le chief couppé. Et ce disant vint contre luy: mais olivier qui ne le doubta plus tant comme par avant le vint attendre puis qu'il le pouvoit a son aise eviter. et quant il le veit venir il mist a la deffense de son chief son escu pour eviter le coup. toutesfois fierabras conceut olivier si asprement que son heaulme en fut demaillé. et ne fut point navré et descendit bas le coup si impetueusement qu'il trencha le col du cheval d'olivier et cheut bas a terre et se trouva. olivier tout de pié. mais grant miracle fut du cheval de fierabras qui ne fist semblant de courre sur luy comme il avoit aprins selon que devant j'en ay parlé mais se tint quoy oultre sa propre acoustumance.

Comment fierabras et olivier bataillerent ensemble a piedz merveilleusement. et la pierre que charles fist pour olivier.

Le .xiii. chapitre.

Moult furent dolens les françoys quant ilz veirent olivier a pié et se vouloyent armer pour le secourir. mais charles n'y voulut pas consentir pour maintenir son honneur et sa loyaulté. et mist ledit charles les deux genoulx a terre. et fist priere a dieu qu'il fust en confort a olivier qui estoit ainsi de cheval despourveu. Quant olivier se veit ainsi de pié moult fut dolent. et vint a quatre pas de fierabras et luy dist. O roy d'alixandrie envers moy t'es vaillamment porté. aujourd'uy au matin tu t'es tant prisé et as dit que se cincq chevaliers venoyent a toy que tu le vouloyes attendre et conquester. et tu sçays que le roy qui occist cheval doit partie avoir en l'eritage Fierabras respondit. je sçay que tu as dit verité. mais je ne l'ay pas fait de mon gré. toutesfois affin que tu ne soyes mal content de moy je descendray a terre/ et te donneray mon cheval pommelé et tu seras bien monté/ et sachez que jamais jour de ma vie je ne fus si esbahy comme quant il t'a veu a terre qu'il ne t'a estranglé: car jamais je ne mys homme a terre et il fust present qu'il ne fust tantost par luy occis et mis a mort. Olivier respondit. je te prometz que je ne prendray ja ton cheval que premierement ne soit par moy conquesté et gaigné justement. Sur cecy fierabras fut tant noble que pour la vaillance de olivier va dire certes pour la noblesse que je congnois en toy. je vueil faire ce que jamais ne fis pour homme et mist piedz a terre. et fut content de batailler a luy a piedz pource qu'il avoit point de cheval qui fust sien. et estoit ledit fierabras plus hault que olivier d'ung grant pié. et joustoyent de pié l'ung contre l'autre d'un accort si merveilleusement que ce fut grant chose que tous deux ne demourerent au champ tous pasmez du travail qu'il vont la prendre. Ainsi continua celle bataille qui ne povoit prendre fin entre eulx. Pluseurs parolles et reprouches se disoyent l'un a l'autre. mais le noble empereur charles tout cecy voyant grant pitié luy print d'olivier. dont le conte Regnier qui estoit pere de olivier moult doulant de son filz vint aux piez de charles et dit. O noble empereur en l'onneur de dieu prens remors de mon filz que je voy en moment de mourir. aumoins fay priere a Jhesus le createur qu'il luy soit en aide par maniere que je le puisse revoir près de moy en santé. Incontinent charles va dire. Sire dieu se vous permettez que olivier soit vaincu. et que mon droit pour le present soit ainsi avillé je fais promesses que tout crestienté sera destruite. je ne laisseray en france eglise ne monastere. ymage ne aultel. Et puis se mist a deux genoulx a terre et pria en ceste maniere. Mon createur qui pour nostre salvacion naquistes de la vierge marie comme bien je le croy et de vostre glorieuse naissance tout le monde fut enluminé. qui alastes par le monde et y fustes plus de trentedeux ans passez. et fistes au commencement Adam et Eve desquelz nous sommes venuz. et fut en paradis terrestre lieu moult delectable: et leurs furent par vous tous fruitz abandonnez excepté seulement le fruit de vie comme vous pleust l'ordonner. duquel Adam mangea et fut desobeissant. Pourquoy a la reparacion de son meffait et pour le racheter de captivité eternelle et nous aussi vous fustes content de prendre mort en l'abre de la croix après que par judas le traistre vous fustes vendu .xxx. deniers sans plus. Et ung jour de vendredi ainsi fustes pené. et les mains et les piedz mortellement clouez et couronné d'une moult aspre couronne d'espines. Et puis longis vous frappa au cousté qui jamais n'avoit veu. et après qu'il mist sur ses yeulx de vostre sang precieulx il veit clerement. et puis descendites es enfers et en mittes hors voz amys. Et en la fin devant tous voz apostres. montastes es cieulx. Et laissates vostre lieutenant saint pierre. et ordonnastes baptesme pour nous regenerer et faire crestiens pour avoir sauvement. Sire comme tout cecy est vray et je le croy fermement. aujourd'uy soyés en aide a olivier pour le present qu'il ne soit mort ne vaincu: Cecy disant devotement en son secret tantost si luy apparust ung ange que dieu de paradis luy envoya. et dist l'ange a charles O empereur de noblesse saches de vray que je suis icy envoyé de par dieu te dire que tu ne te doubtes riens de olivier. car sans faulte il gaignera la bataille quoy qu'il tarde et sera par luy le sarrazin vaincu Cecy dit l'ange s'en alla et charles par glorieuse meditacion remercia dieu devotement. Toutesfois après plusieurs batailles entre fierabras et olivier faictes et grans menasses. Fierabras par grant fureur voulut frapper olivier oultre mesure. mais olivier qui veit le coup venir se desavança par telle maniere qu'il donna deux mauvais coupz a fierabras. Pourquoy le payen fut si induré de maltalent sur olivier et olivier sur luy que tous deux furent tresactifz de non jamais se departir jusques a tant que l'ung fust vaincu et destruit. Et pour celle fois olivier fut si fort affoibly que la main ou il tenoit son espee luy vint toute endormie et enflee pour la peine qu'il avoit de frapper. et lui desirant frapper son ennemy a oultrance son espee voula loing de luy plus d'une toise. dont il fut moult esmeu et determiné. et ce n'estoit point merveille. et moult courageusement courut prendre son espee. et mist sur sa teste son escu pour le preserver. mais nonobstant le payen le frappa deux fois si puissamment qu'il luy mist son escu en pluseurs parties. et son haulbert fut moult fort cassé et se trouva tout estourdy pour celle fois. et doubta si fort le payen qu'il n'osa prendre son espee. Et moult subitement les françois qui veirent ainsi olivier despourveu furent armez. et en propos de courre sur le sarrazin pour secourir olivier mais Charles ne voulut point que homme y alast leur disant que dieu estoit assez puissant pour le maintenir en son bon droit. car s'il n'eust contredit plus de .xiiii. mille hommes estoyent desja tous prestz pour y aler. et nonobstant de tout cecy le payen n'en fist que rire et dist a olivier. Pour verité j'ay obtenu sur toy ung petit de mon intencion. mais pourquoy n'oses tu prendre ton espee. et je congnois de present que tu es assez vaincu puis que tu te acouardis. tu ne te sçauroye baisser pour demy le tresor du monde. et je suis bien content de te faire une pache. Regnie la foy que tu tiens. le baptesme ou tu as esté lavé. et le dieu ou tu croys pour lequel tu as prins tant de peine. croy en mon dieu mahon plein de bonté et je te lairray vivre. Et plus oultre je seray bien content de te donner ma seur a femme en laquelle tu seras richement marié c'est floripes l'une des plus belle de mere nee. puis tantost conquerrons france avant que l'an soit passé. et de l'ung des royaulmes je te feray roy couronné. Olivier luy respondit. Payen tu me parle d'une grande folie: car a dieu ne plaise que jamais soye de telle intencion de laisser mon dieu qui m'a fait creé et formé et les saintz sacremens qui ont esté establis pour mon saulvement pour croire en mahom et en tes dieux pleins d'abusion qui n'ont force ne vertu sinon cause de damnacion. Fierabras luy dist. Par mon dieu mahon tu es tousjours bien obstiné pour peine ne pour tourment on ne te peut desvier. et d'une chose plus grande tu te peulx bien vanter que jamais de personne ne fus si travaillé ne si agravé comme je suis de toy et tu t'en dois bien louer. je suis content prens ton espee hardiment et seurement: car sans glave competent tu ne peulx valoir plus que une femme. Olivier respondit. Payen je ne sçauroy dire que tu ne me presentes service et bonté: mais pour la valeur de dix mille mars d'or je ne le feroye nompas pour mourir: car se j'avoye moyen toy mon espee par ta courtoisie: et il advenoit que tu fusses dessoubz ma puissance et tu me demandoies amitié et je te mettoye a mort ce seroit vileté a moy et reprouche. Et de present ma mort et ma vie soyent en la volenté de dieu mon createur auquel je me suis donné: mais je gaigneray mon espee ou tu le comparras et deusse cy mourir autre chose n'en auras Par ma foy dist fierabras tu es bien oultrecuidé et glorieux pourquoy soyes seur que briefvement seras confus desconfis et matté.

Comment en ceste bataille fierabras fut vaincu par olivier après que il eut recouvree l'une des espees de fierabras

Le .xiiii. chapitre.

Quant fierabras va ouyr que olivier estoit si fier de fait et de couraige grant merveille s'en donna: car il n'avoit voulu son espee: mais la vouloit a juste guerre conquester pourquoy le payen vint desmesurement contre luy et tenoit en sa main plorance son espee: alors ce ne fut pas merveille se olivier eust paour de attendre son contraire: luy estant despourveu de glave et de son escu qui estoit cassé rompu et en deux parties divisé: mais comme il pleut a dieu il regarda au cousté de luy et veit le cheval de fierabras dont a l'arçon de sa selle estoyent les deux autres espees dont j'ay dessus parlé et tantost s'en y courut olivier moult abillement et print une des espees dessusdittes qui se disoit baptisme qui avoit le talliant moult large et reluysant a merveilles et puis s'en vint contre le payen et mist devant luy de son escu ce qu'il en povoit avoir. Et quant il fut près du payen il commença a dire. O roy d'alixandrie il est maintenant temps de compter: car je suis de present pourveu de vostre espee de laquelle je vous feray mal content et gardez vous bien de moy: car je vous deffie. Adonc quant fierabras le veit et l'eut ainsi ouy parler tantost il commença a muer la couleur et dit. o baptisme bonne espee maintz jours je t'ay gardee pour l'une des bonnes espees que jamais pendit au cousté de moy ne de homme qui oncques fut vivant. et puis regarda olivier en disant. Par mon dieu mahon je te cognois de grant fierté se tu veulx: pren ton espee et me laisse la mienne: et puis ferons comme nous avons commencé. Par mon chief dist olivier ce ne sera ja fait a mon gré: car avant que je face pache a toy je esproveray ceste espee sur ta personne: garde toy bien de moy car trop avons sermonné. Cecy disant et aultre chose comme ung lyon qui est affamé vint olivier contre fierabras le payen et frappa premierement son adversaire. mais ne le peust point attindre sur la teste qu'il ne rencontrast premierement l'escu du payen lequel il cassa et rompit mallement par telle façon que la moytié volla a ses piedz dont Fierabras redoubta moult celluy cop: car oultre tout l'espee de ce coup entra près d'ung piez dedens la terre. Adonc benist olivier celluy qui l'espee avoit forgee et trempee. Et après plusieurs menasses rigoreuse ilz furent en partie descouvers de leurs heaulmes. Et quant olivier veit le payen fierabras au visaige fier et courageux il va dire. O sire dieu de paradis createur du ciel et de la terre que celluy payen est preux et plain de cruaulté. Or fut il vray que maintenant le tenist charles a son povoir et qu'il se voulsit baptiser rolant et moy serions ses compaignons privez. Glorieuse vierge marie mere de dieu priés nostre seigneur jhesucrist vostre enfant qu'il doint grace a cestuy payen qu'il croye en la foy chrestienne car par luy moult pourroit estre exaulcee. Fierabras respondit en ceste maniere. Olivier laisse ces parolles. dy moy se tu veulx plus batailler ou que tu as entreprins. Ouy dist olivier garde toi de moy: car je te deffie. Et se coururent sus et fut premierement frappé olivier sus son escu par telle fierté et rudesse que au près du poing luy fut mis en pieces son escu et fut grant merveille qu'il ne fut coppé. Pourquoy ledit Fierabras luy dist ainsi qu'il l'avoit mys en terme par telle maniere qu'il n'avoit plus guaires a vivre en ce monde. Olivier ne dist mot: mais s'en vint a son espee contre le payen fierabras moult furieusement Adonc le payen qui veit le cop venir getta son escu contre olivier pourquoy il fut tantost esquartellé et furent tous deux si estourdis que les yeulx en la teste si leur furent tous de douleur troublez et firent faillir le feu des espees et escutz moult abondamment. Et ainsi en frappant fierabras dist au noble olivier en ceste maniere. Ores est il l'eure que jamais n'auras aide de ton dieu jhesus en qui tu croys que tantost ne soyes mort puis que tu te sens vaincu. Et olivier respondit Jhesus est bien puissant pour monstrer sa puissance: mais tantost tu congnoistras que mahon et tavergant ne te pourront aider: ne estre si grant que tu ne soyes mort je t'en feray tantost congnoissance. Et sur ce vindrent l'ung sur l'autre et olivier fut frappé sur son heaulme tout auprès de la chair par tel endroit que tout ce qu'il conceut trencha et passa oultre et dit a olivier: Je te jure mon dieu mahon que je t'ay bien conceu et feru: ne jamais ne verras charles ne rolant de ce tu es bien seur. Olivier respondit. O fierabras de alexandrie ne soyes si esperdu: car avant que je parte de toy je te tiendray mort ou vaincu: et dieu m'en ottroye ce que j'ay si souventesfois desiré. Et sur ce frapperent si merveilleusement l'un sur l'autre que les corps de tous deux tressuerent d'angoisse et peine. Fierabras frappa olivier sur son heaulme si durement que jusques a la chair il mist tout bas et se dieu n'y eust ouvré il estoit mort a celle foys. pourquoy olivier comme homme enraigé vint contre le payen et le payen leva hault son escu tant qu'il fut tout descouvert dessoubz les bras et eut desarmez les flans. Olivier fut saige et print garde au fait et bien tost. et frappa fierabras aux flans puissamment et tellement qu'il luy mist l'espee dedans l'un des flans bien perfont et fut son espee fort ensanglantee. Ainsi fut navré que a peu que les boyaulx de son ventre ne tombirent par terre. Car en celluy cop olivier employa toute sa puissance pour le mettre a fin: car longuement l'avoit combatu et luy fit prendre fin.

Comment fierabras vaincu creut en dieu. et comment il fut porté par olivier et comment il fut assailly des sarrazins et tormenté.

Le .xv. chapitre.

Après que le payen fut frappé et navré mortellement comme j'ay dit et luy voyant qu'il ne povoit plus resister contre olivier par la vertu de dieu il fut illuminé tellement qu'il eut congnoissance de l'erreur des payens et leva les yeulx contre le ciel et commença a escrier la grace de la saincte trinité: et puis regarda olivier et dist. O noble olivier et vaillant chevalier en l'onneur de dieu que tu croys auquel je consens je te crye mercy et te requiers que je ne meure pas jusques je soye baptisé et rendu vaincu a charles qui tant est redoubté car je croiray en la foy crestienne et rendray les relicques dont vous estes assemblez et pour lesquelles vous prenés tant de peine et je te jure que se par ton deffault je meurs sarrazin: de mon damnement je te feray culpable. et se tu ne me prens en ta garde je pers mon sang tu me verras mourir devant tes yeulx: pourquoy en l'onneur de dieu aye pitié de moy. Olivier eut telle compassion de luy pour son mal moult fermement ploura et puis le coucha a l'ombre dessoubz ung arbre et puis luy benda ses playes mortelles et les luy benda par telle maniere qu'il ne perdoit plus son sang si habondamment et puis luy pria le payen qu'il luy pleust de le porter. car luymesmes ne s'en pourroit aller: mais quant olivier veit qu'il estoit moult pesant luy dist qu'il estoit a luy impossible. Fierabras moult s'esforça et vint près de luy et dist. O noble olivier en l'onneur de dieu meines moy a charles avant que je meure. car je suis près de ma fin tout mon corps saigne prens celluy cheval et monte dessus et viens près de moy se je puis traverser devant toy sur l'arçon de la selle tu me pourras mener et tiens mon espee et la metz a ton cousté si en auras quatre que lon ne sauroit payer et te despaische: car aujourd'uy au matin j'ay laissé en ce boys que tu voys la près de nous cincquante mille hommes qui sont tous mes subjetz et leur ay dit que nul ne bougast jusques je fusses retourné de la bataille. Quant olivier l'eut entendu il en fut tout effroié. mais nonobstant dist il. Sire roy puis qu'il vous plaist j'en suis content et monta au travers sur le cheval comme il estoit dit et se mist a chemin en grant douleur. et subitement va partir de celuy boys ou estoient les subjectz de Fierabras ung moult fier payen nomme Brullant de mommiere. Sortibrant de conimbres. Le roy de mantrible. Le roy maradas / et bien cincquante mille après. Quant olivier le veit venir il commença a frapper de l'esperon son cheval. mais sa charge estoit si pesante qu'il ne pouvoit aller selon que les ennemys venoient a luy. quant les françoys veirent venir payens en si grant nombre moult habilement furent armez et entre les aultres Rolant Gerard de mondidier Guillaume l'estoc. Naymes de bavyeres. Ogier. Richard de normandie. Guy de bourgoigne. Geoffroy l'angevin et semblablement Regnier de gennes pere de olivier ne faillit point. Olivier regarda aval le pré et veit venir les aultres. Brullant de mommiere qui estoit monté sur ung cheval qui couroit comme ung lievre et fasoit moult grant bruyt entre les aultres. car il sembloit que ce fust fouldre et tempeste. et en sa main portoit ung dart a grant fer d'acier quarré et agu qui estoit tout envenymé du sang d'ung crapault et estoit fort dangereux: Quant olivier le veit il fut tout esbahy et dist a Fierabras. Sire roy il fault que vous descendiés plus ne vous puis conduyre dont je suys desplaisant. et je congnois qu'il me convient estre oppressé vous le veez. et s'ilz me peuvent attaindre je seray mis a mort. ne jamais charles ne me verra qui luy sera grant desconfort. tantost Fierabras crya a haulte voix O noble olivier me voulés vous laisser. vous m'avés conquis a vous me suis donné et rendu. ce ne seroit pas noblement fait a vous de me regnyer. Helas povre dolent et chetif que je suis se je meurs payen que deviendray je vierge marie mere de dieu prenés pitié de moy indigne que je suis de me trouver a vous puis dist a olivier. O noble conte je suis conquis par toy et ay promis que je me feray baptiser. se tu me laisse tu te peulx bien peu priser encores vois je que ne suis ne frappé ne vaincu. Olivier respondit. Fierabras tu parles en chevalier. mais je voue dieu et la court celestielle que je ne te laisseray si auray je bataille pour toy et deffendray tant que je seray en vie tu t'y peulx bien fier et sur ce il print le haubert du sarrazin et de ce qu'il se peust mieulx armer prestement s'abilla et mist a sa teste ung chappeau de fin acier. et tint son espee traicte nommee haulteclere de laquelle il se sçavoit bien aider. et sur cecy tantost vint Brullant a tout son faulx dart et si attaint olivier en la poictrine et luy donna ung mauvais coup tellement que celluy faulx dart se rompit. adonc dist Fierabras. Sire olivier vous avés assés fait pour moy. car vous en estes navré. descendés moy et me mettés a part hors du chemin affin que je ne soye foulé des sarrazins prins ne gasté. De cecy eut grant compassion olivier. et mist le payen a l'ombre d'ung pin loing de la voye. Et quant il s'en voulut fouyr il veit entour luy bien dix mille sarrazins et va dire. Helas bon jhesus mon createur tu scés mon intencion. je te requiers que tu me donne grace que je ne meure point pour le present jusques a ce que pour l'exaltation de la sainte foy me trouve avec rolant mon compaignon. et au nom de jhesus trait haulteclere et se mist en chemin et le premier qu'il rencontra ce fut le filz du plus grant que y fust. et luy donna tel coup qu'il le fendit jusques a la poictrine bien avant et cheut mort. et olivier fut abille et print son escu tout neuf. car en la bataille devant faicte il avoit perdu le sien. et aussi il eut sa lance et laissa courre son cheval et se mesla parmy ces mescreans. et va ataindre du premier coup clorgis et le frape jusques au cueur dont fut la mort et en se retournant trois sarrazins a occis et couroyent devant luy comme les brebis devant le loup qui est affamé. Sur ce vindrent sur luy maradas. turgis. fortibrant de conimbres et le roy margaris et le crierent a haute voix tous ensemble. par mahon nostre dieu françois de nous n'eschapperas garde toy bien. car par nous tu mourras. et sur ce olivier vint aux ennemis et frappa et les mist a mort. Et ces sarrazins fraperent dessus luy dont ce fut merveilles qu'il ne fut deschappelé et vaincu. mais a force de coupz et de trait son cheval luy fut occis dessoubz luy. et luy estant a terre a force le plus tost qu'il peust se leva sus et tout dempié mist devant luy l'escu qu'il avoit conquesté et tint haulteclere qui estoit tout son confort pour le devoir secourir. Tousjours celluy qu'il en attaignoit tresbuschoit bas et estoit mis a mort. On ne list point en livre que oncques homme desja navré comme il estoit fist si grant portement.

Comment olivier fut prins et bendé les yeulx piteusement qu'il ne peust estre secouru par les françois.

Le .xvi. chapitre.

Olivier retourna tout seul et de pié entre ces sarrazins esquelz il fit grant resistance et merveilleuse: mais ne luy fut pas chose possible que il peut eschapper de leurs mains. car a glayves a espees et a faulx dartz de fer le vont tant presser que son escu fut percé en plus de trente lieux et quant son haubert fut aussi percé. cassé et rompu. de quatre faulx dartz agus le vont percer au corps mortellement parquoy force luy fut qu'il cheust a terre et le prindrent moult oultrageusement. et puis luy ont bendé les yeulx et conceuz estroictement qu'il ne veoit riens. ne ne sçavoit ou il estoit. et le monterent sur ung bon cheval et l'estacherent bien seurement. Et quant cestuy vaillant olivier fut ainsi despourveu de toute adjutoire. de toute clarté. de toute esperance. de tout confort. que sans le dire se peut entendre. luy estant en celle desplaisance. car il ne sçavoit qu'on alloit faire de luy a haulte voix par une compassion de cueur va dire. O charlemaigne roy de noblesse. empereur de valeur ou es tu maintenant. et sçay tu point ou je suis voy tu riens que je fais. te souvient il de moy. noble compaignon rolant es tu bien endormy. suis je sourt ou comment je ne puis ouyr. Est il homme crestien qui s'en peust souvenir. Cecy et aultres plaintes faisant le roy maradas luy dist. Françoys quelque tu soyes tu parles de folie. car je ne mengeray que tu ne soyes pendu Ces sarrazins s'en coururent a tout olivier les yeulx bendez. les mains liees bien estroictement en la garde de quatre faulx tyrans. Et specialement sur ce vindrent rolant. tierry. et tous les pers et charles aussy. mais ce fut bien tart pour saulver olivier a grans crys requierent dieu et tous les saintz de paradis. et avec parolles malicieuses rolant frappa corsuble en la poictrine. Gerard de mondidier vint contre turgis. ogier fier athennas et richard de normandie. guy de bourgoigne brullant. Il n'y eut celluy des pers de france n'ait mis bas son homme. et firent si grant desconfite de ses sarrazins qu'ilz estoient tous empechez d'eulx tenir a aller oultre. mais les aultres payens qui conduisoient olivier alloyent tousjours oultre. Et a celle bataille fut occis guillaume gautier et assez des françoys moult valeureuses gens et plusieurs menues gens des françoys. Et misdrent par terre gerad de mondidier le filz au duc tyerry. Guillaume l'estoc. et geoffroy l'engevin. et puis diligenment les lierent a cheval. et chevaucherent moult hastivement. mais quant charles les veit ainsi emmener. a bien peu qu'il ne perdit le sens et a haulte voix crya sauvegarde secours a ses barons. o chevaliers desloyaulx que vous estes tardifz. s'ilz emmaine les contes ja bien ne vous en viendra. Quant les françoys ouyrent charles ainsi esmeu comme enragés frapperent des esperons et les vindrent attendre au bas d'une montee. et se trouva rolant des premiers qui tint son espee durandal traicte pour se venger fierement et celluy qu'il attaignoit estoit bien seur de passer par la mort. car il estoit tout enragé de ce qu'on emmenoit son compaignon olivier. et va attaindre lampatris et le fendit jusques au millieu du corps. Et en celle heure fit grant portement rolant. mais a cause de la multitude des payens ilz ne peurent passer oultre pour secourir les barons prisonniers. et les dechasserent plus de cinq lieues de long et si ne les sceurent approcher. Et furent pour lors plusieurs bons chevaulx mors morfonduz et lassez. Et nonobstant rolant jura que jamais ne tourneroit jusques a tant que les barons de france fussent ostez de la main de leurs ennemis. mais il ne se peust faire. car la nuyt survint et ne sçavoient ou aller. Les sarrazins qui estoient devant vont tousjours fuyant a leur plaisir. Cecy voiant charles ne sceut plus qu'il deust dire ne faire. car il doubtoit que les payens n'eussent fait agait et arriere garde pour les laisser enclorre. Et par ainsi leur fut force laisser les champs et en grant desplaisance d'angoisse se vont tous mettre a eulx en retourner.

La seconde partie du second livre contient .xvii. chapitres et parle du torment des barons de france. et comment ceulx qui ne furent point prins allerent parler a Ballant l'admiral d'espaigne.

Comment fierabras fut trouvé par charles l'empereur. et puis baptisé et guery de ses playes.

Le premier chapitre.

Après que charles congneut qu'il ne povoit ravoir olivier ne les aultres prisonniers. force luy fut de retourner avec ses gens. car la nuyt leur fut pour lors nuysable. et ainsi en retournant vont trouver Fierabras dessoubz ung arbre languissant. auquel le roy va dire. O payen malheureux je te doy bien hayr. car par toy sont mes hommes prisonniers et perdus. Tu m'as osté olivier l'un des bien aymez que j'eusse entre tous les humains celluy qui a esté singulier a maintenir mon honneur. et par toy en la fin en lieu de joye me rens douleur quant fierabras l'entendit ung grant soupir va getter et dire. O riche empereur et noble le plus puissant des humains. en l'onneur de dieu je te crye mercy pardonne moy. Il est vray que olivier m'a conquis ja ne le celeray et luy ay promis que je me feray crestien j'ay laissé tous mes dieux et n'en fais plus compte et me rens a jhesus le createur du monde. et te requier de rechief que je soye baptisé. et se je estoie de mes playes guery. je exaulceroie de mon povoir la foy crestiene et seryont fais plusieurs crestiens moyen moy. Je rendray le saint sepulchre et les reliques saintes dont vous prenez tant de peine. Et si vous fais serment par le dieu que je croy que je suis plus dolent du noble olivier qui est prins pour prisonnier que je ne suis de mon corps qui est navré mortellement. et se dieu plaist nous l'aurons une foys. Pourquoy concluons que je soye crestien se je meurs sarrazin il vous sera reprouche. et charles qui en eut compassion le fit porter en son logis par ses barons. Quant ilz le veirent ainsi membré il furent tous esbahis de la grandeur et grosseur de luy: car quant il fut desarmé c'estoit ung des beaulx hommes qui fust jamais veu et tous les françoys donnerent grant honneur a olivier qui avoit combatu ung tel homme. Et ainsi qu'il fut devestu ses playes se vont ouvrir et commencerent a seigner dont le cueur luy faillit et cheut tout paulmé Mais rolant le retint Et tantost furent les fons aprestés. et incontinent on manda l'arcevesque Turpin et naymon qui estoient moult joyeulx de ce que celluy payen devoit estre crestien. Et après que le baptesme fut apresté les sarrazins luy misrent aultre nom. et fut nommé florent. mais tant comme il vesquit fierabras s'appella. Et la fut mis en ung lit moult honnorable. et en la fin de ses jours fut saint et fist plusieurs miracles. Et se dit ores saint Florent de roye. Et puis tantost l'empereur le fist visiter par les medecins bien expers. et cercherent en toutes ses playes les plus mortelles. et comment il pleust a dieu ilz ne trouverent point les boyaulx entamés Pourquoy les medecins furent seurs de le rendre bien guary devant deux moys advenir. En faisant celle visitacion l'empereur estoit present et dist a fierabras. Si devant toy tu veois Olivier et les aultres prisonniers nous serions bien contens. Et se tenoit charles assis couroucé et marri moult fort pensant sur les barons plus qu'il n'en faisoit semblant.

Comment olivier et ses compaignons furent presentés a Balam l'admiral et cruellement passionnez de prison.

Le .ii. chapitre.

Les sarrazins après qu'ilz eurent les barons de france dessus nommés pour prisonniers ilz n'arresterent de courre jusques qu'ilz fussent en une riche cité qui se disoit aigremoire. et a l'entree de la cité ilz vont sonner trompettes faisant grant bruit. Quant Balam l'admiral pere de Fierabras les veit venir il s'en vint au devant d'eulx et se mist près de brullant de mommiere. auquel l'admiral va dire. O brullant mon amy comptez nous des nouvelles comment se portent mes affaires. avez vous prins l'empereur charles que tant se fait redoubter. et ces pers de france sont ilz point desconfitz. Brullant luy va dire. O sire admiral les nouvelles que je vous apporte sont beaucoup moindres que vous ne dittes. De par le roy charles nous avons a peu esté deffaitz et desconfitz. car sa puissance est chose merveilleuse. Fierabras vostre filz est avec luy vaincu par l'ung de ses barons et c'est fait crestien. et a esté prins vaincu. Et en loyalle bataille sans faire traison. Et quant l'admiral l'eut entendu tout transy va cheoir a terre. et avant qu'il peust retourner en sa memoire il demoura une grant piece de la douleur qu'il eut de son filz. Et quant il fut relevé il va crier a haulte voix O dolent malheureux que je suis povre chetif que doys je devenir. O fierabras mon fils treschier ou estes vous allé dont vient cestuy meffaict de quoy vous fustes prins qui jamais en bataille ne fustes lassé ne reprins. O la maulvaise nouvelle qu'on m'a comptee de vous. s'il s'est fait crestien dolant suis de sa vie j'aymaisse mieulx qu'il eust esté desmembré et mys a mort. et sur ce comme tout scandalizé cheut a terre et va crier. O brullant de mommiere qu'est devenu le roy si noble de cordube et mon nepveu bruchard et nugis de pramelle. puis mon filz fierabras le conduiseur de tout s'il est vray qu'il soit perdu je fendray la cervelle a mahommet le dieu qui m'a promis tant de biens a qui je me suis donné et rendu: Ce disant comme tout enraigé se tormenta briefvement sur la terre. et quant l'admiral fut ung peu refroidi de son mal. il demanda a brullant lequel estoit le chevalier qui avoit vaincu fierabras son filz brullant respondit. Sire admiral vostre filz a esté conquis par cestuy damoyseau en luy demonstrant olivier qui estoit beau et bien formé et membré: lequel eut entre les aultres les ieulx bendez. Or tost ce dist l'admiral d'espaigne despeschez vous amenez le moy. jamais ne boyray ne mangeray qu'il ne soit desmembré. Quant les françoys vont entendre qu'on vouloit faire mourir olivier qui estoit tout leur confort se vont prendre a plourer griefvement et olivier qui les entendit les reconforta en leur disant par maniere que les sarrazins ne sçavoient qu'ilz disoient. Messeigneurs et mes freres vous sçavez nostre necessité se l'admiral ballant peult sçavoir que nous soions des pers de france nostre vie est terminee. car pour nul riens ne prendroit pitié de nous que ne mourions pourquoy je vous prie que nous nous disions aultre comme je commenceray auquel olivier tous les aultres françoys qui estoient prisonniers vont consentir et dirent qu'il ne feroient si non ce qu'il leur conseilleroit. après que l'admiral l'eut commandé venir devant luy les payens le vont desarmer et luy destacherent les mains et desbenderent les yeulx dont il estoit moult grevé et dangereusement navré. Et tantost L'admiral furieusement luy demanda Françoys garde toy bien que tu me dies verité: comment te nommes tu ne me cele pas. Olivier va respondre et dire Sire je me nomme enginees filz a ung vassal de povre lignaige et m'en partis une foys et fus né en lorraine: si vins une foys a la court de charles l'empereur qui me donna armes après que je fus adoubé et aussi mes compaignons que vous veez devant vous sont povres chevaliers adventuriers et avons prins peine de servir nostre roy affin que par nostre service nous puissions estre avancez et avoir quelque bon guerdon. O mahon va dire l'admiral or suis je bien trompé: je cuydoie par mon dieu avoir cincq vaillans contes des plus grans de france et avoir le royaulme de france par le moyen de ses barons. Et tantost appella barcabas son chamberlant et luy dist. Despeschés vous prenez moy ces françois: faictes les despoiller et a ce pillier estacher durement et puis me faictes apporter mes dars de fer bien eschauffez et enrougis et a ces françois les feray frapper et tirer a mon plaisir. Sur ce se leva brullant et dist. Sire admiral je vous prie que pour le present vous ne fasiés ceste entreprinse car ce ne seroit pas bien fait. vous voyés qu'il est vespre et trop tard pour faire justice et en pourriez bien estre blasmé: veu que vostre seigneurie et voz barons ne sont point cy presens pourquoy je vous supplye que pour meshuy vous ne leur facés riens jusques demain que chascun le sçaura et vostre jugement sera mieulx approuvé: car je sçay bien qu'ilz ont ja deservy la mort evidente. Et d'autre part se charles vous vouloit rendre monseigneur Fierabras vostre filz de bon gré vous luy pourriez semblablement remettre les françoys que vous avez. Pour l'amour de vous dist l'admiral j'en suis content et demande brutamont qui estoit garde de la prison et luy recommanda les françoys moult grandement et qu'il fust bien seur d'eulx et qui les mist en lieu pour apprendre comment ilz avoient ouvré follement d'eulx mettre en sa main.

De la prison ou les françoys furent visitez par la belle floripes fille de l'admiral et de la beaulté d'elle.

Le .iii. chapitre.

Après que ballant l'admiral eut dist que les françoys fussent mis en griefve prison brutamont le chartrier vint descendre olivier et les aultres ses compaignons en une prison moult dangereuse qui estoit tant estroicte en terre qu'on ne veoit clarté quelconcques: en laquelle estoient mis et nourriz serpens crapaulx et aultres bestes venimeuses et detestables. auquel lieu estoient toutes punaisies et y passoit ung ruisseau de la mer sallee qui avoit son entree sans conduit par lequel l'eaue peust partir qu'elle ne fust bien hault selon l'eure que la marine croist. Et avant que le maistre de la prison s'en allast il leur desbenda les yeulx et ferma les partuis dessus eulx et eulx estans en ce travail et punaisie tantost l'eau y vint si treshabondamment que les povres françoys furent en l'eau jusques aux espaules dont les playes d'olivier se commencerent a ouvrir et la douleur a cause de l'eaue sallee luy tresperçoit le cueur vous pouvés penser l'angoisse especiallement d'olivier qui estoit navré mortellement en plusieurs lieux qui avoit grant necessité de remede et il fut mis an lieu auquel toutes ses douleurs furent renouvellees et ses plaies ouvertes car tantost se sentit baigné tantost va cheoir tout pasmé et fut mort a l'eure se ne fust Guerard de mondidier lequel le soubstint et vous me pourriez demander comment ilz ne furent noyez voyant que l'eaue croissoit tousjours vous devez sçavoir que en celle prison d'aventure avoit deux gros pilliers bien de quinze piez de hault sur lesquelz ilz vont monter a grant force Olivier qui ne se pouvoit gueres aider. Et quant olivier fut la assis par grant angoisse de ce se va complaindre et dire O pouvre homme malheureux soubmis a faulce fortune. O reignier mon chier pere pour dieu que faictes vous sçavez vous ou je suis: pensez vous que je fais congnoissez vous mon dueil jamais ne me verrez. Cecy disant et aultres parolles de desolacion. Guerard de mondidier respondit. Sire olivier ne vous deconfortez plus car a tel chevalier que vous estes n'appartient de ce plaindre: resjouissons nous en dieu duquel fust maintenant le plaisir que nous qui sommes ceans fussions lassus tous armez avec chascun son espee car je prometz a dieu que tout avant que nul de nous fust avallé seans vaincu des sarrazins j'en y mettroye troys cens ou plus Les françoys dessusditz estans sur les pilliers de marbres devant ditz. Cecy disant et aultres choses Floripes fille. de l'admiral et seur de Fierabras les escoutoit et eut grant compassion des complaintes que Olivier faisoit Ceste fille qui estoit jeune non mariee estoit moult bien comprinse de corps par longueur moderee. blanche comme la rose du moy de may les cheveulx avoit reluysans comme le fin or. et dessoubz avoit sa face terminee en ung petit de longueur des yeulx qui estoyent rians et clers comme de faulcon mué. estincellans comme deux estoilles. Le visaige avoit devisé moult esgallement pour son nez qui estoit moult seant. les deux sourcilz qui estoyent dessus apparans faisoyent obumbracion sur les yeulx. joues rondes blanches comme la fleur du lys. ung petit tissues de rougeur. et dessoubz le nez estoit la bouche rondete eslevee en competant espace jusques au menton proporcionnee au demourant. la teste et petites espaules droictes et bien esgalles. et devant dessus la seinture estoit eslevee de la façon de deux pommes rondes droictes comme le bout d'une montaignette. Et elle estoit habillé d'une robe de pouppre merveilleusement riche trespainte d'estoilles de fin or. laquelle fut faicte d'une fee et estoit de telle vertu que personne qui l'auroit ne pourroit estre empoisonné de herbe ou venin. Et estoit floripes si belle a tous et ses habillemens que se une personne eust jeuné troys ou quatre jours sans menger et il la veoit il estoit remply et saoulé. Et plus oultre elle portoit ung manteau qui avoit esté fait en l'isle de corlcos la ou jason print la toison d'or comme on list en la destruction de troyes. lequel manteau estoit semblablement fait d'une fee et avoit si grant odeur que c'estoit merveilles pourquoy de la beaulté de celle damoiselle chascun s'esmerveilloit. et avoit comme j'ay dit devant bien ouy parler les françois en prison. et specialement de Olivier duquel elle eut grant pitié et va partir de sa chambre avec douze pucelles ses subjectes et entra premierement en la salle commune ou estoyent les payens moult desolez de Fierbras qui estoit prins et de pluseurs aultres grans seigneurs qui estoyent mors. Et quant la fille eut demandé des nouvelles. ilz luy vont dire que Fierbras son frere estoit prins et vaincu pourquoy tantost elle fist ung grant cry et souspira d'angoisse dont pour elle tout le dueil fut entre eulx renouvellé. Et quant elle eut cessé ung petit de plourer elle demanda tantost a Brutamont qui sont ceulx que j'ay ouy parler en la prison qui si fort se deulent. Ma dame respondit le portier ilz sont françoys hommes de Charles le roy de france. lesquelz ne cesserent jamais de destruire nostre loy et mettre a mort noz gens. vituperer nostre creance et anichiller noz dieux. et sont ceulx qui ont aidé a occir Fierabras vostre frere entre lesquelz il y en a ung de grant valeur qui est l'ung des bien faitz homme qui jamais fut congneu. et a esté si trespuissant qu'il a conquis en bataille loyalle Fierabras Tantost floripes eut envie de les ouyr parler. et dist a Brutamont je vueil parler a eulx vien moy ouvrir la prison: car je vueil sçavoir de leur fait. Brutamont va respondre et dist. Ma dame vous me pardonnerez. il ne se peut faire que vous y allez pour l'inhonnesteté du lieu. et il ne vous appartient pas: et d'aultre part vostre pere m'a deffendu que personne n'aproche de la prison. je me remembre que souvent par femmes plusieurs preudommes j'ay veu vergoignez et deceuz. Quant Floripes l'entendit elle cuida perdre le sens et luy dist. O maulvais glout despiteux me dois tu mettre ce langaige devant. je te prometz que je t'en feray payer briesment. et demanda son chamberlam lequel luy bailla ung baston. et fist semblant la fille de ouvrir la prison. et Brutamont la voulut contredire et subitement elle cecy voyant luy donna si grant coup au visaige que les deux yeulx luy fist voler hors de la teste: et puis après qu'il fut a terre elle le fist mourir et puis le getta sans ce qu'il fust sceu de nul des payens dedens la prison. dont les françoys qui estoyent dedens furent tous esperdus quant il vont ouyr cheoir et pensoient que ce fust le dyable qui les voulsist tempter et decepvoir. Puis tantost floripes fist alumer ung grande torche de cire et se fist ouvrir la prison. et mist devant elle la lumiere pour veoir les prisonniers. et près d'ung pillier leur va dire. O seigneurs respondés moy. qui estez vous et comment vous nommez vous. ne le me celés pas. Olivier respond et dist. Ma belle dame nous sommes de france et hommes de charlemaigne. et avons esté amenez a l'admiral qui nous a en ceste creuse prison ordonnez. et mieulx nous vauldroit qu'il nous fist desmembrer et mourir que de demourer en cestuy lieu. Floripes la courtoise nonobstant qu'elle ne fust pas crestienne si avoit elle grant noblesse. et leur va dire. Je vous prometz que je vous mettray dehors seulement que vous me promettez et jurez que vous m'ayderés a ce que vous diray Olivier respondit cecy. Ma dame je vous asseure que vous nous trouverés trestous telz par effaictz comme a la bouche. ne jamais ne fusmez aultres ne aussi ne serons encores. Et soyés seure que ne vous fauldrons tant que nous ayons vie au corps seulement que nous soyons fournis d'armes et puis estre lassus pour nous mesler avec les sarrazins j'en feray une grant desconfite. Vassal dist la fille vous vous pourriés bien trop vanter encores estes vous leans et bien loing d'estre dehors et vous menassez les aultres qui sont a leur liberté. Mieulx vault soy bien taire que follement parler. Richard de normandie dist a la dame. Madamoiselle je vous diray ung mot. celluy qui est detenu et empesché chante moult voulentiers pour oblier son mal et sa melancolie. Et floripes regarda Richard le gracieux qui excusa olivier de ce que il parloit trop hardiement. mais ce ne fut pas grant merveille. car de joye que olivier eut quant la fille luy dist qu'ilz seroient mys hors. il pensoit ja estre hors et armé en sa franche voulenté. mais ceste fille va dire a Richard. pour verité sire vous vous sçavez bien louer et vostre compaignon excuser prestement. et je croy fermement que vous sçauriés bien jouer avec pucelles en quelque chambre dessoubz courtines seulet a seullette. pour vous bien deporter en amours vous sçavez la maniere Guillaume l'estoc respondit et dist par mon ame ma dame vous dictes verité de luy et avez bien deviné. et d'icy a troys cens lieues on ne trouveroit le pareil.

Comment les françoys furent mis hors de prison et visitez par la noble pucelle Floripes et la beaulté de sa chambre.

Le .iiii. chapitre.

Quant floripes la belle eut parlé a son plaisir aux barons prisonniers elle demanda son chamberlam et luy fist aporter une corde et ung baston lié au travers. puis la descendit dedens. et quant les françoys veirent le fait vont monter dessus. premierement Olivier. et puis la fille et son chamberlan le vont tirer a grant force et puis legierement monterent les aultres et puis les mena par une vielle porte et secrete. et sans ce que nul le sceust des payens ils vont entrer en la chambre de floripes dont l'entree estoit faicte merveilleusement selon l'oeuvre sarrazine. dessus la maistresse porte par beaulz ars estoyent faitz les cieulx. les estoilles. le soleil. la lune. le temps d'esté et d'yver. boys. montaignes. oyseaulx. bestes. poissons. y estoyent paintz de toutes especes et figures par merveilleuse façon. et selon les escriptures le filz matusale la fist faire et estoit celle chambre sur une roche noire toute environnee de la mer. et en ung des quarrés de la maison avoit ung pretoire merveilleusement bel ou jamais fleurs ne fruitz ne failloyent. et de la toutes maladies fors de celle de la mort on trouvoit confort et bon adjutoire. La dedens vient et croist la mandegloire. et avec la belle floripes en la salle estoyent ses dames. Claremondine. florette florimonde. et plusieurs aultres belles pucelles et sa maistresse qui se disoit maragonde laquelle dist a floripes. Je vueil mourir se je ne congnois ces françoys Celluy bel escuyer que vous veez c'est Olivier qui est filz a Regnier de gennes et frere a Adam l'une des belles qui soit nee. et est celluy qui a vincu Fierabras ton frere. Et celluy est Guerard de mondidier. et l'autre est Guillaume l'estoc. et le camus qui est par dela est geoffroy l'angevin. mais je prie a mahon mon dieu qu'il me mauldie se jamais menge ne boy que premier ne l'aye compté a vostre pere monseigneur l'admiral. Floripes mua tout le sens quant elle ouyt ces parolles et moult secretement elle retint son ire contre elle. et va demander celle femme au près d'une fenestre. et puis luy donna si grant coup qu'elle la mist a terre. et elle demanda son varlet lequel vint a elle presentement et vont bouter celle femme en la mer. car floripes redoubtoit fort son pere. Et quant la ville tomboyt floripes luy dist. Or alez vielle despiteuse vous avez vostre guerdon je suis bien seure maintenant que les françoys qui sont icy ne seront jamais par vous encombrez ne en dangier. Et de cecy les barons vont faire grant joye. et tantost floripes vint aux françoys et les baisa moult doulcement. et veit olivier qui estoit tout ensanglanté. et congneut qu'il estoit navré et dist. Sire olivier ne vous doubtez. car je vous rendray tantost en bonne santé. et s'en vint a la mandegloire et en print ung petit. Et tantost que Olivier en eut usé il fut reduyt en bonne santé. Les barons estans en celle noble chambre tantost furent assis a table et bien pourveux de tous vivres et de viandes delicieuses desquelles ilz avoyent bien mestier a cause de la fain que desja avoyent enduré. Au departir du mengier ilz eurent les baingz eschauffez esquelz ils se vont tous refaire. et au partir chascun fut affeublé d'ung manteau de paille et bordé d'or. Et dist la belle floripes Seigneurs barons vous sçavez comment me suis mise en dangier pour vous mettre hors de la prison mortelle et estes ceans a seurté: mais se d'avanture quelc'un nous avoit ouy nous serions trestous mal venuz et ne suis en aultre doubte Olivier qui est icy present a vaincu mon frere. auquel naturellement je devoye faire opprobre et reprehension je vous congnois bien tous n'en soyés de riens esbahys et vous sçavez que vous m'avez promis que mon secret seroit celé entre vous et tous luy vont promettre de faire sa voulenté de leur pouvoir Et puis dist floripes Seigneurs je vous diray. Il ya ung chevalier en france que j'ay long temps aymé qui se nomme Guy de bourgoigne qui est plus beau que ne sçauroie dire. et est du parentaige a charlemaigne et de rolant le trespuissant. une fois que j'estoye a romme je le veis de celle heure je luy donnay mon cueur quant mon pere l'admiral destruist la cité de romme lucafart de bendas qui estoit moult redoubté entre les payens et ledit guy de bourgoigne jousterent ensemble. mais ledit guy le mist a terre dessoubz son cheval. ainsi que moult me pleut. et prins si en gré la vaillance de luy que despuis que le veis si vaillant je l'ay eu en mon cueur tellement que se je ne l'ay a mary jamais ne seray mariee. Et pour l'amour de luy je me vouldroye baptiser et croyre au dieu des crestiens. A celle parolle les françoys furent moult joyeux et vont rendre graces a dieu de la voulenté de ceste belle pucelle et dist girard. Ma dame je vous jure que se nous estions armez maintenant et nous fussions en la salle des payens nous en ferions grande desconfite. mais floripes fut saige et dist. Seigneurs pensons saigement a noz affaires. et puis que vous estes a seurté prenez ung petit de repos. Veez cy six pucelles de grande noblesse. chascun de vous prengne la sienne pour mieulx desduyre le temps et se reposer et preigne desbatement: et je vous regarderay s'il vous vient a plaisir. car quant est de moy je n'ay que faire de homme qui vive que de guy de bourgoigne a qui j'ay donné mon cueur. toutesfois a bien considerer en cestuy chapitre grant oeuvre. fut comprinse. Quant premierement floripes la courtoise. qui estoit payenne eut desir de parler aux françoys et cecy touche bien la voulenté des femmes pour sçavoir des nouvelles. mais en tant qui touche l'oeuvre qu'elle fit contre le maistre et garde de la prison. et comment ilz furent mis dehors ce fut oeuvre divine bien approuvee et grant dommaige eust esté se ces barons fussent demourez dedens. mais la foy des personnes fait grant allegement de tourment car les saintz de paradis par sainte foy ont obtenu paradis et plusieurs terriennes victoires de leurs ennemis. Et a bon droit celluy qui bataille pour la foy. et il advient qu'il soit detenu. la misericorde de dieu luy est prouchaine pour le delivrer. La cause pourquoy ilz furent delivrez de prison elle estoit de loing venue: c'est de rome pour guy de bourgoigne que avoit en amour. et estoit contente de se baptiser et croire en dieu pour avoir a mary Guy de bourgoigne pourquoy on peult comprendre comme amour en ceste damoiselle estoit enserree et comprinse de longue amour et affection: laquelle fut cause de saulver les prisonniers qui estoyent comme j'ay dit en grant dangier.

Comment le roy charles manda a Ballant l'admiral sept pers de france qui n'y vouloyent pas aller.

Le .v. chapitre.

Le duc de gennes pere d'olivier qui ne povoit dormir ne boire ne menger pour la douleur qu'il avoit de son filz. quant il ne peust plus endurer il s'en vint au roy charles et luy dist. Sire empereur pour la sainte amour de dieu que il vous plaise prendre pitié de moy. vous sçavés ma douleur. doy je perdre mon filz olivier. et pour lequel je suis en angoisse continuellement se je n'en ay aultres nouvelles je mourray devant deux jours de melencolie. ou il m'est force de me mettre a chemin pour y aller. Quant charles l'entendit moult fut esmeu et plain de compassion pour la melancolie de regnier et demanda Rolant et luy dist Beau nepveu Rolant entendés a moy demain bien matin il vous fault aller a aigremoire et dictes a ballant l'admiral sans riens celer qu'il vous rende la couronne de jhesucrist et les aultres reliques. pour lesquelles j'ay prins grant peine. et puis luy demandés mes barons qu'il tient prisonniers. et s'il vous contredit dictes luy que je feray trainer villainement et puis après pendre par le col les yeulx bendés comme larron prouvé. Quant il eut dit Rolant respondit. Sire roy et bel oncle prenez mercy de moy. Je suis bien seur que se je y voys veritablement que jamais ne me verrés. Le duc naymes fut la qui dist. Sire empereur regardez que vous voulez faire. Rolant est vostre nepveu vous sçavez de quelle valeur il est. s'il va la ou vous dictes jamais n'en reviendra. Et charles respondit. Et je vous jure sire naymes que vous irés avecques luy et porterés mes lettres que je mande a l'admiral. Cecy estre dit basin de genevoys vint devant et dist. Et comment voulez vous ainsi perdre voz chevaliers je suis certain que s'ilz y vont comme vous l'avés dit ung seul jamais n'en retournera. Charles jura les deux yeulx de sa teste que basin iroit avec les deux aultres et par ainsi seront trois. Tierry le duc d'ardaigne dit comme les aultres pourquoy il fut ordonné pour y aller. Ogier le dannoys semblablement parla qu'on n'y deust point aller mais avec les aultres il fut ordonné pour y aller Richart de normandie s'en vint a l'empereur et dist. Sire roy je suis esbahy comment il ne vous prent pitié de voz chevaliers que sachamment vous voulés faire mourir je sçay bien que se celle part vont vous les avez perduz. Par le dieu en qui je croy dist charles vous irés entre les aultres et serez six pour pourter mes lettres a ballam que j'ay tant en hayne et puis regarde guy de bourgoigne et luy dist venez a moy. vous estes mon cousin et mon parent de moy prisé et aymé: vous serez le septiesme pour faire mon messaige a l'admiral d'espaigne. Et luy dirés qu'il propose de soy baptiser et qu'il tiengne de de moy son royaulme ses villes et citez et aussi qu'il me rende les reliques dont je prens tant grant peine et travail. Et s'il vous contredit dittes luy que je le fray pendre et estrangler et mourir villainement. Helas dist guy de bourgoigne empereur treschier je congnois a ceste fois que vous me voulés perdre. Se je y vois jamais je n'en reviendray j'en suis bien seur. Et sur ce le souleil coucha et fut encliné vers la nuyt et vont soupper. Et le matin aussi tost que le soleil fut levé les sept barons dessus nommés vindrent devant charles. Et va dire naymes de bavieres. Empereur de noblesse redoubté en tous lieux nous sommes icy pour obeyr a ton commandement. Nous te prions que nous donnes licence et congié pour partir. et s'il ya personne en ceste presence ne en tout l'exercite qui nous ait mesfait: nous luy pardonnons et semblablement se nous avons offencé a nulluy en l'onneur de dieu qu'il nous soit pardonné. A ces parolles les françoys qui estoyent presens de pitié commencerent a plourer et dist charles aux barons. Mes princes et barons treschiers et tresbiens amez a dieu de paradis je vous commande: et du merite de la saincte passion et au glorieux vaisseau de la croix qu'il vous soit en aide. Et a chemin se mirent hastivement eulx transportans en estrange pays.

Comment l'admiral transmettoit quinze roys sarrazins a l'empereur pour ravoir fierabras lesquelz furent rencontrez par les pers de france et mis a mort.

Le .vi. chapitre.

En aigremoire pour lors estoit Balam l'admiral doulent et courroucé et avoit mandé venir vers luy .xv. roys sarrazins pour avoir conseil. lesquelz il attendoit. Et quant il furent venus Maradas le plus fier des xv. parla premierement et dist a Balam. Sire admiral pourquoy sommes nous mandez a toy Balam respondit et dist. Seigneurs je vous diray la verité. charlemaigne de france me requiert grand folie car il veult que je soye subject a luy et que je tiengne mes pays de luy: mais cecy ne se fera point et il est bien fol a mon semblant de pancer en ces folyes pour son meilleur preigne plaisir a dormir et en chambres reposer son corps et prier dieu en ses eglises et qu'il mange ce qu'il a: toutesfois je conseille que vous aillés a luy a mormionde ou il a son logis et que je luy mande le viellart rassoté que il croye en mahon nostre dieu sans prendre dilation et il fera que saige: et oultre plus qu'il me rende mon filz fierabras pour lequel je suis detenu en douleur et d'aultre part veulx qu'il tiengne de moy france et toute sa region: et que s'il ne le fait comme vous deviserez je le iray querir atout cent mille hommes armez. et se d'aventure en vostre chemin vous trouvés homme crestien couppez luy la teste sans avoir mercy. Quant l'admiral eut ce dit Maradas respondit. Sire admiral je congnois que vous nous voulés affoller: car les françois sont moult felons et se nous disons ce que vous avés proposé de nous sera fin: car tantost serons desmembrez: mais ne croyés point que je die cecy pour obvier a vostre commandement ne que je soye celluy qui n'y veulle aller: car j'ay ce couraige que se d'aventure je me mesle parmy ces crestiens j'en mettray a mort dix avant que je soye lassé. Et se je ne faiz comme je l'ay dit je vueil que me facez copper la teste. ses compaignons dirent que chascun d'eulx feroit bien autant que Maradas: pourquoy sans aultre chose deliberer ilz monterent sur gros chevaulx sejournez a grosses lances pennons levez puissantement se sont mys a chemin et n'arresterent jusques au pont de mantrible et le plustost qu'ilz peurent sont passez oultre. et les françoys devant nommez vont rencontrer les sarrazins. et premierement les veit venir le duc naymes qui va dire. O sire dieu de paradis quelle entreprise ont fait les sarrazins les veez vous venir contre nous a grant puissance avisons que nous pourrons faire rolant va dire. seigneurs ne vous doubtez riens regardez ilz ne sont ne vingt ne trente allons tout droit a eulx: les aulcuns furent de son oppinion et vont oultre roydement de la partie des payens fut maradas puissant et bien armé qui va dire aux françoys et comment que vous soiés maulditz estes vous crestiens. Le duc naymes respondit quelque tu soyes tu parlles villainement vasal et ung petit trop follement. nous sommes hommes de charles l'empereur redoubté et allons de par luy faire ung message a ballant l'admiral. Maradas luy dist vous estes en dengier vous voulez vous deffendre ou faire aultrement. Naymes respondit. nous nous voulons deffendre a l'aide de jhesus nostre createur. Maradas va dire. lequel de vous oseroit a moy jouster. Je suis tout prest dist naymes. Maradas respondit tu es bien presumptueulx. car se j'en avoye telz dix comme tu es a mon espee je les vouldroie confondre et leurs testes porter a l'admiral sans gueires me lasser. envoye moy pour jouster quelque abile chevalier. car tu es trop vieillart et chenu pour te prendre a moy et puis dist a ses compaignons attendez moy. personne de vous ne se bouge car seulet je les vueil conquerre. et puis les presenteray a ballant l'admiral. Quant rolant l'eut escouté il cuida perdre le sens et puis dist a maradas. tu as follement parlé et pensé chose ou ja ne te verras avant qu'il soit vespre tu sçauras que nous sçavons faire garde toy de moy. car tu es deffié. Cecy disant frappa son cheval de l'esperon asprement et se rencontrerent si durement a tout les espieux quarrez et agus que ce fut grant merveilles que tous deux ne sont mors De ce coup leurs haubertz furent cassez si asprement et feruz durement sur leurs heaulmes richement oeuvrés Rolant tout furieux tint durandal et attaint maradas fort sur son heaulme et le descercla et divisa. et puis par grant force recouvra son coup sur la teste nue et luy fendit jusques au dessoubz de la cervella et tout mort le renversa a terre. Quant les aultres veirent le roy maradas mort que le roy vouloit emporter sa teste. ilz regarderent l'ung l'autre comme tous esperdus et prindrent conclusion de vouloir prendre vengence des françoys et coururent sur rolant pour le mettre a mort. mais trop merveilleusement se deffendit Et sur ce l'une des parties vint sur l'autre. Et se tindrent en bataille si rudement et especiallement les françoys contre les payens que tous furent mors et occis. Et ne fut saulvé des quinze sinon ung qui s'en fouit quant il veit les aultres mourir et s'en vint denoncer comment ils estoient destruitz par les françoys. et ne cessa celluy qui se saulva de fuyr jusques il fut en la maison de l'admiral. auquel ledit admiral va dire. Sire roy vous estes bien hatif au retourner. dictes moy maintenant comment vous avez fait. L'autre luy dist. Sire admiral par mahon il va tresmal oultre le pont de mantrible nous avons rencontré sept gloutons qui sont tous enragez. et sont des hommes du roy charles. et dirent qu'ilz vous venoyent faire ung messaige par luy. et puis sont courus dessus nous et ont fait si grand devoir contre nous que tous sont mors sinon moy qui suis eschappé a grant peine pour le vous venir denoncer. Quant l'admiral l'entendit bien peu qu'il ne mourut tant fut doulent de la mort de ses roys dessusditz.

Du pont merveilleux de mantrible du tribut qui y failloyt payer pour y passer et comment par belles parolles les françoys passerent oultre.

Le .vii. chapitre.

Quant les françoys dessusditz eurent mis a mort les sarrazins ilz en furent tous travaillés et lassés. et s'en vont reposer en ung pré verdoient et puis dist le duc naymes. Mes seigneurs je conseille que nous nous en retournons a charles et luy dirons comment nous avons fait. et je sçay bien qu'il sera bien content quant il verra nostre governement. Adonc rolant va respondre. et comment sire duc naymes parlés vous du retourner. n'en parlés plus. car entre tant qu'il plaira a dieu que je pourray tenir durandal en ma main je ne me pense retourner si aurons nous parlé a ballant l'admiral comment qu'il soit et feront une chose dont chascun parlera nous prendrons de ces testes chascun la sienne et la presenterons a l'admiral. Naymes luy dist. Sire rolant il me semble que vous soyés hors du sens: car se cecy se fasoit nous serions tantost occis. Tierry et les aultres furent de l'oppinion de rolant et prindrent chascun une teste et se mirent au chemin. Le duc naymes fut le premier qui va regarder le pont de mantrible merveilleux comme vous orrez et dist a ses compaignons. Seigneurs entendés dela le pont est aigremoire ou nous devons trouver l'admiral. Ogier le dannois dist. Il nous convient premier passer le pont moult dangereux il ya trente arches de marbres bien spacieuses qui sont fondees a plomb et cyment et a grandes barres de fer: sur lequel pont sont grosses tours et beaulx pilliers richement ordonnez et les meurs sont de grant force: car au plus bas on peult bien dix toises mesurer. de la largeur du pont vous la pouvez bien comprendre. car vingt chevaliers y pouvoient bien aller bras a bras a leur aise et y est le pont pour lever qui descend a dix grosses chaynes de fer et en hault ung aigle d'or moult reluysant et apparent comme le soleil tellement qu'il semble que ce soit feu alumé et la veoit on d'une grande lieue reluyre et la riviere qui passe par dessoubz se nomme flagot et a plus de quinze piedz mesurez jusques aux arcz du pont et court si impetueusement qui sembloit ung quarreau d'arbaleste tellement qui n'est navyre ne engin moyennant lesquelz on peust passer celle riviere pour son impetueuseté. et si vous dis plus oultre Le pont est gardé d'ung geant de par l'admiral qui se nomme galaffre l'ung des terribles des humains et tient une grosse hache d'acier pour consumer celluy qui fera oultre sa voulenté: et plus oultre il est de necessité qui vouldra parler a l'admiral il convient passer par luy. Seigneurs va respondre rolant. Ne vous doubtez de riens je vous en prie ne vous chaille de passer par le pont car je vous jure que tant comme il plaira a dieu de me garder mon corps et que je pourray tenir durandal en ma main je ne doubteray payen la valeur d'ung denier quel qu'il soit. Et par le dieu qui pendit en croix je frapperay le portier s'il se met devant moy quoy qu'il en doyve advenir. Le duc naymes de bavieres le print et dist. Sire rolant vous ne parlés pas saigement: il n'est pas bon de donner ung coup pour en retourner quinze: laisse moy faire. car au plaisir de dieu et de ses sainctz je leur diray tant de menssonges et d'aultres choses que nous passerons oultre sans dangier. Quant les françoys furent devant le pont le portier print cent chevaliers et le vint avaller avec gisarmes. et aultres glayves de deffence. Le premier qui se mist devant ce fut le duc naymes a tout ses cheveulx meslez car il estoit eagé plus que nulz des aultres. Tantost le portier passa oultre et print naymes par la main et puis luy dist. Respondés moy ou voulés vous aller. Naymes respondit. je vous diray la verité. Nous sommes hommes de charles le noble empereur et allons a aigremoire faire messaige a ballant l'admiral: mais certainement il a bien acquité son pays de faulces gens: car n'a pas long temps que sur les champs nous trouvasmes quinze gloutons lesquelz sans raison nous vouloient oster noz chevaulz et nostre vie toutesfois nous les avons gouvernez par maniere que veez cy les testes: regardez bien quelz ilz sont se vous ne m'en croyez. Quant le portier l'eut ouy a bien peu de fait qu'il ne perdit le sens et dist a naymes. Vassal entendez moy. car il vous fault paier le passaige du pont devant toutes choses. Le duc naymes luy dist. demandés moy ce qu'il vous fault et nous vous contenterons. Par mahon dist le portier ce n'est pas peu de fait. car je vous demande premierement trente couples de chiens: puis cent pucelles chastes et de bonnes meurs et cent faulcons muez: après il vous fault cent palefrois en bon point et pour chascun pié de cheval ung marc d'or affiné: et finablement il nous convient avoir quatre sommiers chargez d'or et d'argent: pour ainsi vous sçavez ce qu'il vous fault ou vous ne debvez point icy estre venuz. Et celluy qui ne peult donner le tribut luy convient laisser sa teste sans aultre excusation. Le duc naymes ne fut point esbahy nonobstant qu'il congneust l'occasion que le portier queroit qu'il deusse mourir a cause qu'il n'estoit pas possible de payer ce qu'il avoit devisé. et respondit au portier en ceste maniere. Sire portier se je ne vous doys plus que vous avez devisé je vous feray content avant que midy soit sonné. Après nous vient nostre bagage et harnoys a plus de nombre de cent mille ou il ya pucelles belles et gentes faucons et chiens a grant planté de haubertz heaulmes et bons escutz il ya sans nombre et plusieurs aultres bagues nobles et riches prenez ce qu'il vous plaira a vostre volenté. Le portier se pensa qu'il dist verité et fut bien content et lacha ce pont et puis passerent oultre legierement. Rolant qui ce ouyoit ne se pouvoit tenir de rire et dist. En verité sire duc naymes vous avez bien parlé. car par voz mensonges nous passerons le pont: et alloit rolant tout derriere les aultres. Et quant ilz furent ung petit avant sur le pont rolant va rencontrer ung turc et puis dist a son couraige. Ha sire dieu de paradis laisse moy faire chose dont tu soyes honnoré et tout bien en puisse advenir et sans dire mot a ses compaignons il descendit de dessus le cheval puis print celluy turc par le millieu du corps et le getta hastivement en la riviere Le duc naymes regarda derriere luy et veit cheoir le turc que rolant mist dedens et fut moult courroucé et dist. Sire dieu de paradis je croy que le dyable est au corps de rolant car il n'a point de pacience en luy et se dieu ne nous aide il nous fera occir et villainement mourir. car rolant estoit si fier de couraige que il ne regardoit ne le temps ne le lieu pour soy gouverner mais vouloit ouvrer de fait a son ennemy quelque par que il le peust trouver: car il estoit couraigeux a merveilles.

Comment les barons de france vindrent parler a ballam et quel messaige ilz luy firent.

Le .viii. chapitre.

Les barons dessus nommez quant ilz eurent passé le pont et ilz furent près de aigremoire ou Ballam se tenoit vont entrer aval la ville en grant ordonnance et a contenance de toute fierté et noblesse Et veoyent par les rues les faulcons et autres oyseaux de proye sur les perches grans beufz escorchez. gros porcz estranglez. et rencontrerent ung sarrazin et luy ont demandé ou se tenoit l'admiral Ballam. Et il leur monstra qu'il estoit dessoubz ung arbre a l'ombre. Et quant ilz furent a terre le duc Naymes dist Mes beaulx seigneurs je porteray la lettre et parleray premierement et vous après Rolant fut la qui se presenta et vouloit a force qu'il deust parler premierement. et le duc Naymes dist. Ne dittes mot. car vous estes demy forcenné sans avoir attrempance. Se dieu ne nous fait grant grace vous nous ferez trestous mourir avant que le jour soit passé. Et sur ce ilz vont entrer. et devant l'admiral se vont tous presenter sans reverence quelconque. et parla premierement le duc Naymes de baviere et dist en ceste maniere. Le createur de tout le monde a qui tant seulement on doit creance entiere et honneur sault et garde le noble roy Charlemaigne puissant fort et saige empereur. Rolant. Olivier et tous les autres pers de france. et confonde des la croix du chief jusques au plantes des piedz l'admiral present tant a esté mal pourveu de subjectz. Devant hyer dela le pont de mantrible nous trouvasmes .xv. gloutons sarrazins sur les champs qui nous vouloyent tollir noz chevaulx et faire villannye. mais la mercy dieu de paradis ilz ont comparé grandement. Nous en portons cy les testes. Jamais ne les doubterons. Quant ballam l'admiral entendit ce langaige a bien peu de fait qu'il ne enraiga. Et la devant vint le roy qui eschappa. duquel j'ay parlé dessus. et dist a l'admiral Ballam en ceste maniere. Treschier sire pensés de vous venger. Ce sont les sept gloutons desquelz je vous ay parlé qui ont occis et fait mourir voz roys et fait telle vilité. L'admiral respondit. Laisse les ester pour le present. et puis après dist au duc Naymes qu'il finist son message. et le duc naymes respondit qu'il le feroit voulentiers. et dist en ceste maniere. Le grant noble roy de france redoubté te mande de par nous que tu luy rendes la couronne dont le benoist saulveur jhesucrist fut couronné. et les aultres reliques pour les quelles il a prins tant de peine. et puis ses chevaliers que tu tiens pour prisonniers follement. et se tu ne fais comme je t'ay devisé Charles te fera pendre par le col en ung gibet et estrangler moult villainement. et te emmenera premierement en dextre comme on fait ung viel matin enchainé. et ne trouvera ne bouillon ne fange qu'il ne te face passer. Ballam l'admiral remply d'une intencion moult oultrageuse dist au duc Naymes vous m'avez laidoyé et grandement oultragé et vous ay voulentiers ouy parler. Alez vous en seoir près de ce pillier si parleront les aultres que je n'ay pas escoutez. Mahommet me mauldie mon dieu a qui je suis totalement donné se jamais jour de ma vie je menge ne boy que premier ne vous face de dessus les espaulles la teste voller. Le duc naymes dist. S'il plaist a dieu le createur et a sa mere vous aurés dit mensonge. Après parla le duc Richard de normandie et dist. Entens a moy Admiral. Charles le roy a la barbe flourie te mande par moy que tu te faces baptiser pour amender ta vie tresmaulvaise. et luy transmetz les reliques que tu as en ta puissance. et puis luy rens ses nobles chevaliers que tu sans cause ne raison pour prisonniers detiens Et se tu ne le fais comme tu as ouy Charles te fera pendre par le col en ung gibet et estrangler moult villainement je le te dy sans celer. et n'aura jamais mercy de toy. L'admiral le cuida congnoistre et luy va dire en ceste maniere Mahommet en qui je croy te mauldie si bien resemble tu Richard de normandie qui m'a occis mon treschier oncle Corsuble. Or pleust il a mahom qu'il fust icy a ceste heure devant moy. jamais ne mengeroit tant qu'il seroit en vie. vat'en seoir avec ton compaignon jusques a tant j'aie esté a ces aultres qui n'ont point encores parlé a moy Cecy estre dit Basin de gennevoys se leva de piez et dist. Ballant admiral Charles le noble roy sur tous les humains redoubté te mande que tu luy rendes les reliques desquelles on t'a parlé par devant ou aultrement il te fera pendre et estrangler comme larron prouvé. Quant il eut ce dit il s'en alla seoir avecques les aultres et puis se leva tierry le duc d'ardaine qui fit faulx semblant de chere et de maniere. Quant l'admiral ballant veit qu'il avoit le regart si hideux il fut moult esbahy. et cuida que ce fust ung dyable. Puis luy dist ledit tierry. Entens a moy admiral et retiens bien mes parolles. Charles le noble empereur redoubté te mande que tu luy envoyes les reliques que tu emportas de romme Et aussi luy envoye prestement et quittez ses barons. lesquelz tu as a ton pouvoir. aultrement soyes seur qu'il te fera desmembrer et pendre moult villainement par le col L'admiral respondit et dist vassal je te prie ne me cele pas de dire verité. Quel homme est charlemaigne et de quelle force. lequel j'ay tant ouy louer et vanter. Adoncques le noble duc tierry respondit. Je te dis admiral et faitz assavoir pour verité que charles est preux et saige. courtoys et debonnayre et soyes seur que s'il estoit icy a son excercite moult tost et moult asprement il te donneroit sur le visaige. Et d'aultre part de tes dieux il ne tient compte aussi peu que d'ung vieil chien mort ou d'une pomme pourrie. Incontinent l'admiral ballant se print a rire de felonnie. Et puis dist a tierry Mon amy par la foy que tu dois a ta vie dy moy la verité. Se a ceste heure presente j'estoye en ta bonne voulenté et subjection comme tu es en la mienne. par ta foy que feroies tu de moy ne le me cele pas. Par ma foy ce dist adoncques. Tierre je n'en mentiray point. Cestes je te feroye pendre par ton col et estrangler villainement en ung gibet avant qu'il fust nuyt Vassal dist l'admiral tu as dit grant folie. Car par mahommet mon dieu ainsi feray je de toy comme tu as dit de moy. Vat'en seoir avec tes compaignons. Puis après le bon ogier le dannoys vint de piez devant l'admiral ballant et luy dist O admiral d'espaigne entens que te mande Charles le plus noble de tous les humains et riche sans comparaison. Rens luy les reliques que tu as emportees ou aultrement il te fera desmembrer et mourir honteusement. L'admiral le fit seoir avecques les aultres. Cecy estre dit rolant couraigeux vint devant Ballam l'admiral sans luy faire honneur ne reverence et luy dist. Sarrazin malheureux entens a mes parolles. Charles le noble roy et empereur redoubté te mande par moy que tu croyes en dieu jhesucrist le createur de tout le monde et en la glorieuse vierge marie sa mere. et te fais baptiser. et pense de rendre les reliques que tu occupes et retiens oultre son vouloir et faiz que ses barons luy soyent renduz saintz et en bon point. se tu oeuvres aultrement. Charles le valeureux te fera pendre comme ung larron. Lors l'admiral ballant luy dist vous m'avez laidoyé et blasmé orguilleusement. mais je jure par mahom mon dieu et talvagant que je ne mengeray jamais jusques vous soiés tous penduz et estranglez. Adonc rolant respondit pour verité sarrazin se tu attendoyes jusques a celle heure que tu le deusses faire ce seroit trop jeusne a toy tu ne le feras pas ainsi. je ne te doubte pas la valeur de ung viel chien mort et noyé guy de bourgoigne vint après devant l'admiral et luy dist en ceste maniere. Charles l'empereur te mande que tu luy faces grant obeissance et restitues les reliques et aussi ses barons et tu feras que saige. Et se tu me veulx croire je te vueil bien conseiller. Croy en dieu jhesucrist tout puissant sans fin et sans commencement. et se tu croys mon conseil tu pourras estre en sa grace. et voicy que tu feras oste ta robe. tes chausses. tes souliers de dessus ton corps et te metz en chemise et porte sur ton corps une selle de cheval et n'arrestes jusques a tant que tu soyes devant la face de charles et humblement presente toy a luy et crye mercy a dieu le createur tout puissant de tes erreurs et oultrages et luy crye mercy en l'onneur de dieu tout puissant. et se tu ne fais comme je t'ay dit. il te fera pendre ou noyer et honteusement mourir. L'admiral fut plus determiné et forcenné qu'il n'avoit esté paravant. Et demanda Brullant de mommiere. Sortibrant de conimbres et des aultres de son conseil et leur demanda conseil sur les choses dessusdictes et tantost Sortibrant luy dist. Sire admiral je vous conseille que tantost ilz soyent desmembrés et occis. et puis par vostre force pourrés aller et chevaucher par tout et viendrez a mormionde ou charles est pensif. et se vous le pouvez prendre vous le ferés mourir. puis descrendrés en france et vous serez couronné roy par mahon dist Ballant vous avez bien dist. or soit fait a vostre devis. allés en la prison et amenés les aultres leurs compaignons pour faire selon l'entreprise et ainsy comme j'ay dit l'admiral fut intencionné de faire des françoys dessus nommez selon que devant est devisé.

Comment par le moyen de floripes les françoys furent logez et saulvez et congneuz par elle et arraisonnez et les reliques monstrees devant eulx et aultres matieres.

Le .ix. chapitre.

Floripes la courtoise après qu'elle eut bien escouté secretement tout le debat devant dit. elle vint hors de sa chambre et salua son pere et demanda qui sont ces chevaliers assiz cy apart. L'admiral respondit et dist Ma fille ilz sont natifz de france. lesquelz m'ont dit parolles de grant importance plaines de reproches. et m'ont vituperé et offendu grandement plus que je ne vous sçauroye dire. quel conseil me donnez vous que je doy faire d'eulx. La fille dist. Je vous diray mon pere que vous ferez d'eulx: c'est que sans gueire tarder vous leur facés les testes copper et oster les mains et ardoir en ung feu dehors vostre cité. car ilz ont deservy. Ma fille dist l'admiral vous avez bien dit et ainsy sera il fait. alez en la chartre et me amenez les aultres. Mon pere dist la fille il est temps de disner. et se vous voulés commencer a faire justice vous ne pourrés menger qu'il ne soit midy passé. car ceste fille ne queroit aultre chose sinon occasion par belles parolles consonantes a la voulenté de son pere pour mettre les françoys ensemble avec ceulx qui desja estoient prisonniers. et puis dist a son pere: Donnez moy ces françoys je les feray garder et après vostre disner vous en ferés justice et seront voz gens ensemble. A laquelle l'admiral va consentir. et fut content que sa fille les eust en garde. toutesfois. Sortibrant qui sçavoit bien la mutabilité des femmes et l'inconstance va dire a ballam. Sire admiral ce n'est chose convenable que sur ce fait vous doiez fier en femme a cause de leur mutabilité. et vous en avez beaucoup ouy dire de exemples et congneu la verité comment plusieurs ont esté deceuz par femmes. Moult fort fut mal content Floripes des parolles de Sortibrant et dist. Filz de putain et traistre desloyal parjure se je ne pensoye estre plus oultre blasmee de me prendre a toy je te donneroye tel sur le visaige que le sang aval en viendroit habondamment. Et après ces parolles l'admiral fut content de ce debat. et sur ce elle print les françoys et les mena en sa chambre sans arrester. En alant par la voye le duc Naymes va dire. Helas dieu de paradis roy de gloire eternelle quel est celuy qui jamais veit plus belle dame en sa vie. Moult bien seroit inspiré de la grace de dieu celluy qu'elle auroit en son couraige en amour. Rolant en fut mal content et dist a Naymes quelz cent mille diables vous font parler d'amours. il est bien temps de dire telle chose. Le duc Naymes dist ainsi. Sire Rolant ne vous desplaise point. Car une fois je fus amoureux. La fille leur dist qu'ilz n'estoient point assemblez pour pladoyer l'ung contre l'autre. Et aussi tost qu'ilz furent dedens la chambre la fille fist tresbien serrer les portes. et tantost Rolant et Olivier se vont congnoistre. et se vont baiser et acoller de franc cueur en plorant moult tendrement. et les aultres semblablement. et dist Rolant. Helas Olivier mon feal compaignon comment vous va despuis que je ne vous veis. Tresbien dist Olivier. Et demanderent l'ung a l'autre de leurs faitz des pays des seigneurs et des nouvelles presentes. Vous pouvez penser jasoit ce qu'ilz se trouvassent entre ces pers de france s'ilz ne sçavoient ilz riens l'ung de l'autre tant qu'ilz se soient trouvez ensemble en bon point moyennant floripes qui fit grant secours a crestienté quant par elle et moyennant sa discrecion les capitaines de la foy crestienne tant qu'il touche l'excercite de bataille a destruire les mescreans se sont trouvez ensemble a seureté qui estoient en la main premierement venuz de leurs ennemys mortelz. Mais c'est grant science de obvier a la volenté de femme quant par effect elle mist son entente a une chose qui son cueur directement tyra et ne regarda point la fin de son intencion sinon seulement qu'elle la puisse terminer. Il ne chailloit a floripes sinon qu'elle peust avoir aulcunement nouvelles certaines de guy de bourgoigne auquel elle avoit donné son cueur. et estoit bien contente de soy faire crestienne pour l'amour de luy. Ceste fille quant elle veit ces barons ensemble elle leur dist. Seigneurs je vueil que tous vous me promettés la foy de loyaulté que vous m'ayderés de ce que je vous demanderay et loyallement envers moy vous porterés. Tresvolentiers respondit le duc naymes et aussi vous nous asseurés que nous serons ceans a seureté sans nous doubter de homme vivant. Elle en fut contente et eulx contens et promettirent fidelité l'ung a l'autre. Cecy estre fait la fille vint au duc naymes pour sçavoir quel il estoit et luy demanda son nom. Le duc luy dist. Ma dame je suis appellé naymes de bavieres homme et conseillier prochain de l'empereur redoubté. Helas ce dist la fille. par vous est vostre roy dolent. Après vint a richard et luy demanda comment on l'appelloit. Il luy respondit. Ma dame je suis richard de normandie. La fille luy respondit. Mahommet te mauldie: tu mys a mort une foys corsuble mon oncle. mais pour l'amour des aultres compaignons tu n'auras aultre dangier. Floripes après vint a rolant et luy demanda quel est ton nom. Je suis nomme roland dist il filz au duc millon et suis nepveu a charles filz de sa propre seur. tantost la fille luy cria mercy et se getta a ses piedz et roland doulcement la leva. Après la fille leur dist. Vous sçavez que m'avés promis. Je vous diray mon intencion. Il est vray que j'ayme ung chevalier de france sur tous ceulx du monde qui se nomme guy de bourgoigne duquel j'aurois volentiers nouvelles. Roland dist. Je vous jure mon chief qu'il est devant voz yeulx que entre vous et luy n'a pas quatre piez mesurez. Seigneurs dist floripes je vous prie que je le congnoisse et qu'on le me donne car de luy est mon plaisir. roland va dire. Sire gui de bourgoigne venés a la pucelle recepvez la joyeusement. Guy de bourgoigne va dire. A dieu ne plaise que je preigne femme que ne me soit donnee de par charles l'empereur. Quant floripes l'entendit le sens eut tout mué et jura mahon son dieu que s'il contredisoit a la prendre qu'elle les feroit trestous mourir. Roland enhorta guy qu'il deust faire sa volenté. Et sur ce il s'avança et firent convenance. Et dist la fille. Le dieu des crestiens en puisse avoir louenge. Car j'ay devant mes yeulx le plusgrant desir que jamais fut desiré de mon cueur. pour luy je croiray en jhesucrist et me feray baptiser et puis s'approcha de luy pour luy traicter ung petit le desir de son cueur et ne l'osa baiser en la bouche sinon es joues et au menton pour cause qu'elle estoit payenne Adonc floripes joyeusement et par grant amour s'en vin avec ung escrin et si l'ovrit devant les barons et estendit ung beau drap de soye et desploya les reliques dont j'ay parlé dessus et y avoit de la glorieuse couronne de quoy jhesucrist fut couronné a sa passion. les saintz cloux dont il fut percé piez et mains Et dit a rolant veez icy le tresor que vous avez tant desiré. Quant les françoys furent ainsi devant les reliques de joye ilz vont tous plourer. l'ung après l'autre les vont baiser a genoulz moult humblement et puis furent retournez comme par avant estoyent poseez.

Comment lucafar nepveu de l'admiral violantement entra en la chambre et après fut mys a mort par le duc naymes

Le .x. chapitre.

Ballant l'admiral estant courroucé luy estant a table ung payen moult fier et orgueilleux especial amy de l'admiral qui se disoit Lucafar de bendas dist a l'admiral affectueusement. Sire admiral est ce vray ce que j'ay ouy dire que fierabras vostre filz soit prins le meilleur chevalier qui jamais fut au monde. L'admiral dist. Par ma loy je ne le vous celleray my ung françois l'a conquist lequel mahon mauldie Brullant de mommiere y fit grant deffence et le roy de sulye: et firent bon portement tant qu'ilz nous amenerent cincq des gloutons de france hommes de charles qui sont en chartre et puis de present nous en avons sept autres qui sont venuz pour messagiers de la partie dudit charles lesquelz m'ont moult fort blasmé et vituperé grandement vituperans la loy et mesprisans mes dieux. Floripes ma fille les conduit en prison. Sire dist lucafar vous faictes grant follie les femmes pour peu de fait sont changeez de fait et de pensement: toutesfois pour conduyre le fait plus seurement s'il vous plaist je m'en iray a eulx et sçauray qu'ilz sont et qu'ilz veullent dire. Allez dist l'admiral vous dittes tresbien et faictes retourner ma fille avec vous. Sur ce Lucafar moult orguilleux remply d'une grant fierté vint a la chambre ou estoit la fille et les françoys et sans demander a ouvrir la porte il leva le pié destre et tellement frappa la porte que les gons et serrueres allerent par terre. Quant floripes le vit elle fut toute esperdue. Et tantost demanda rolant et dist. Noble chevalier je suis mal contente de la violance et semblablement de la grande injure qu'on m'a faicte. c'est celluy qu'on me garde pour mary oultre ma volenté je vous requiers en tant que vous me vouldriez faire plaisir que vous pensez de venger cestuy deshoneur: car je me plains sans trop faire mal semblant Rolant dist ne vous doubtez de riens: car avant qu'il parte de ceans il congnoistra qu'il a mal fait. et vous prometz que jamais n'acheta serrure du pris de celle qu'il a rompue devant vous Sur cecy lucafar entra leans et regarda les françoys tous armez sans ce qu'il se doubtast riens d'eulx et vint premierement au duc naymes qui estoit desarmé et nue la teste. et sans aultre deliberacion print par la barbe ledit Naymes et le tyra a soy si rebellement que a peu qu'il ne le versa a plat a terre. et puis luy dist dont es tu viellart ne le me cele mye. Le duc naymes respondit. Pepin je suis de baviere et est mien le pays et suis homme de charlemaigne conseillier especial. et tous ces barons qui sont cy en presence sont tous contes et grans seigneurs et sommes venus denoncer ung messaige a l'admiral de la part dudit charles l'empereur redoubté. et pour la cause que nous n'avons party a son intencion il nous a fait prisonniers ceans. toutesfois ostez la main de dessus moy. car vous m'avés assez tenu. et soies seur que je ne te diray pas encores du tout mon intencion Le payen respondit j'en suis bien content. ta folie te soit pardonnee. mais je te demande par ta loyaulté quelz gens sont ilz en france et de quelle entreprinse. et de quelz jeux sçavent ilz user. que font ilz en vostre royaulme. En verité dist le duc naymes quant le roy a disné celluy qui veult s'en va esbatre la ou luy plaist. les aultres vont a cheval jouer. les aultres es prés chanter et faire bonne chiere aux tables aux eschas. et aux aultres jeux plaisans. Et au matin chascun va ouyr messe voulentiers a l'heure qu'elle se dit. et sont bien charitables pour donner aux povres de Jhesuchrist largement et coustumierement. Puis après quant ilz viennent en la bataille ilz sont fiers et hardis. et ne sont pas tantost vaincus. Veez la qu'on fait en france et au pays des crestiens. Lucafar commença a rire. et dist par mon dieu mahon viellart et assoty que vous estes. vous parlés bien follement il n'est riens de vostre fait. ne ne sont françoys de nulle valleur s'ilz ne sçaivent les gros charbons souffler en verité ce dist le bon duc Naymes jamais je n'en ouy parler. Le payen respondit. Je vous en apprendray tantost la maniere et approcha le duc au près d'ung gros feu. en allant oultre Rolant luy fist signe qu'il fist bon portement. Tantost lucafar print le plus gros tison qui fust au feu et le souffla si asprement que le feu en volla abondamment et puis dist a Naymes qu'il luy failloit souffler. Le duc print le tison et congneut bien la maniere que le payen se vouloit farcer de luy. et s'aprocha de luy et soufla le tison si fort et si trespuissamment que après que il fut bien esprins la flamme vint au visaige du payen par telle maniere qu'il eust toute la barbe bruslee. Quant le payen veit le le fait a peu qu'il ne perdit le sens. Le duc Naymes a tout le tison le frappa tellement par le col qu'il luy rompit les os le attaignant si tresfort et si virilement que les yeulx de la teste luy fist voller a terre et luy dist. Faulce creature que tu es dieu te mauldie. tu me cuidas n'ya pas gueires bien faire muser a tes folies. Rolant luy dist. Par ma foy sire vous sçavez bien jouer benoist soit le bras qui a donné ce coup. Seigneurs dist Naymes je luy ay fait entendre sa folie. vous ne m'en devez pas blasmer. vous avez bien veu qu'il se truffoit de moy. Floripes la courtoise moult joyeuse vint au près du duc Naymes. et luy dist. Certes vous estes digne d'estre honnoré. je regarde que Lucafar n'a plus cure de jouer a vous au près du feu il a son aise: je le vois qu'il ne se remue et congnois que jamais il n'aura fain de moy espouser: car a force me vouloit avoir et mon pere m'eust donnee a luy mais je l'eusse fait a peine d'estre chappellee et a ville mort devant tous estre livree.

Comment par le conseil de floripes les françoys deslogerent l'admiral de son palaix moult fort a grant bataille. et comment par enchantement une seinture fut prinse a la fille et qu'il en fut

Le .xi. chapitre.

Or fut floripes saige et eut consideracion que lucafar qui estoit mort estoit bien aimé de l'admiral et va dire aux françois. Seigneurs sachez de verité que mon pere aime plus cestuy homme que personne vivant Il l'attend pour venir en son manger et ne sera aise jusques a ce qu'il soit retourné et se d'aventure il congnoist le fait et vous estes ceans encombrez et assailliz tout l'or du monde ne vous racheteroit pas que vous ne soyez mortz: pourquoy je vous conseille que vous soyez armez et mys en point. prenez voz abillemens voz heaulmes et voz escuz car gens qui sont armez sont fort redoubtez des autres je ne veulx pas que vous demourez ceans enserrez. Quant vous serez au palaix ou l'admiral se tient faictes tellement que soyez maistres et seigneurs du lieu et vous serez bien logez La fille avoir ce dit furent tous contens et moult prestement eurent mys leurs armes et leurs espees seinctes et deux a deux issirent de leans et vont hardiment comme lyons robustement comme loupz affamez et en tel point que qui les doit attendre il doit avoir grant paour. et vont saillir dehors a l'eure que le soleil estoit ja mucé comme entre nuyt et jour. et fut tout premier en la voye rolant et les autres après moult bien refroichis pour batailler. Tous ces payens et sarrazins ilz trouverent au palais et a haulte voix rolant crya a ses compaignons que chascun se monstrast tel qu'il estoit lesquelz n'ont point failly Rolant frappa corsuble mortellement Olivier mist a mort le roy coldroyé. il n'y eut celluy qui ne fist grant diligence Le soupper qui estoit tresbien appareillé tantost fut par terre versé et perdu. couppes d'or et d'argent volerent et sonnerent par leans. et sarrazins vont par terre occiz et desmembrés les autres sont saillis par les fenestres qui furent trouvez les ung mors. les autres espaullez et jambes rompues. L'admiral tout enragé se mist en fuite contre une fenestre et a deux piedz et saulta a parfont des fossez. Rolant alloit après qui l'avoit bien au cueur et le cuida frapper et attaignit le mabre de la fenestre par telle maniere que son espee entra dedans ung pié. Compains dist olivier L'admiral vous est il eschappé Ouy certes dist rolant dont je suis mal content. Toutesfois ilz firent tel portement qu'ilz furent seigneurs de la maistresse tour du chasteau et palais. et puis fermerent les portes et furent tous seurement. et n'y eut dangier fors qu'ilz ne povoyent avoir a manger. Estre passé ung bien peu de temps L'admiral estoit aux fossez moult esperdu et qui ne l'eust tiré de leans jamais n'en fust party. et commença a crier a ses gens qu'ilz venissent a luy pour le tirer de leans. Brullant de mommiere et Sortibrant de connimbres le misrent hors. et puis dist Sortibrant. Sire admiral croyés moy une autre foys. tousjours en la queue d'ung viel chien vous tenez. L'admiral respondit. Je vous prie ne me decriez plus. car je le suis assés. je me vengeray bien de tout avant que deux moys soyent passez. faictes sonner l'assault pour assaillyr la tour. Sortibrant dit il est raison que vostre voulenté soit faicte mais la nuyt s'approuche. a mon advis le meilleur sera d'attrendre a demain que vostre exercite sera assemblé pour besoigner plus seurement L'admiral en fut content et va dire a grant desplaisance. Ha beau Lucafar jamais ne me verras. j'ay perdu ma joye. O françoys maulditz soyez vous. vous le m'avez osté. mais par mahon mon dieu a qui j'ay donné ma vie demain sera mis le siege devant la tour et ne me osteray jamais pour mal temps qu'il face ne pour chose qui soit que la tour ne soit prinse et les murs mis par terre. et feray les françois traisner a mes chevaulx. puis feray ardoir Floripes la putain en ung feu publicquement. et je suis bien seur qu'ilz se rendront. car ilz n'ont pas a vivre pour quatre jours. et d'aultre part bien sçay qu'ilz ne pourront avoir secours de nully qui soit. car nous tenons le fort passaige de mantrible. et ilz ne pourront avoir secours de nully se ce n'est par dessus le pont et d'aultre part Charles ne sçaura nulles nouvelles de ses barons et ne sçaura s'ilz sont mors ou vifz. ou en liberté ou en subjection. et sur ce ilz firent conclusion et s'en vont jusques a lendemain. Le lendemain au matin l'admiral manda tous ses subjectz et delibera tenir le siege et le jura tenir jusques a sept ans a venir. Pour lors vindrent tant de payens en celle contree que leurs logis tenoyent quatre lieues d'espace. vous povez penser le dangier ou estoient les françoys qui n'estoient que .xii. et n'avoyent aultre conduite sinon estre leans assiegés en grant peril et famine. toutesfois ces sarrazins firent grant devoir pour entrer leans mais ilz ne les sceurent rien grever. L'admiral appella Marpin l'enchanteur et luy dist. Marpin par la barbe que je porte au menton se tu pouvoyes faire qu'on peust embler le seincture que Floripes porte je te donneray de mon or et de mon argent grandement et seroyes mon tresgrant amy. car se je la povoye avoir je suis seur que les françoys seroyent tantost mors et ne me pourroyent grever. Celle ceinture est de telle vertu que tant qu'elle durera dedans la tour ne y aura famine. Sire dist le larron laissés venir le vespre et je vous jure que demain avant que le soleil soit levé je vous delivreray la servitute. et sur ce quant il fut bien vespre secretement s'en entra es fosses qui estoient plains de eaue et passa oultre. et puis quant il fut au pié de la tour a ses engins subtilz legierement monta aux fenestres. et entra en la tour et aluma de la chandelle. Et puis vint en la chambre de floripes et la trouva fermee. mais a faulces parolles dyaboliques il l'ouvrit. Et quant il fut dedans il va veoir les barons tous endormis. Et fist ses enchantemens que pour riens ne se peussent esveiller. et puis vint a floripes et cercha tant secretement qu'il peult la seinture. et fist tant qu'il la trouva puis la seignyt entour de luy. Cecy estre fait regarda la fille toute nue qui estoit moult belle et moult blanche. et fut incliné a dormir avec elle. et tellement qu'il l'accola toute nue par les flans. laquelle subitement s'esveilla et commença moult fort a crier ses puceiles et les barons. pourquoy ses filles y vindrent tantost toutes espoventez. et quant elles veirent Marpin le larron ainsy noir comme meure la plus hardie de toutes se mist a fuyr. Sur ce Guy de bourgoigne qui ouit la voix de floripes hastivement l'espee en la main s'en vint a elle et l'escria qu'elle ne se doubtast de riens. toutesfois il vint bien a point. car le larron eust vergnoignee la fille s'il ne fust. mais aussi tost que le larron l'ouyt il saillit hors du lict a grant haste. et Guy de bourgoigne le rencontra et luy donna si grant coup qu'il le fendit par le millieu et fut couppee la seinture et la chandelle estaincte. Les aultres barons vindrent la. puis quant il veirent la besoigne ilz misrent celluy larron tout mort en la mer. et le dommaige qui y fut c'estoit de la sainture tant noble qu'il portoit qui fut perdue dont floripes ploura tresaprement en disant. Mes seigneurs la perte de la sainture jamais ne sera retrouvee. toutesfois les barons a belles parolles l'ont reconfortee par maniere que tous furent contens.

Comment les barons furent affligez en celle tour avec floripes et ses pucelles qui souffroyent grant fain. et comment les dieux par eulx furent confondus.

Le .xii. chapitre.

Quant le jour apparut et l'admiral ne veit point retourner Marpin l'enchanteur il fut fort esbahy et manda Brullant. Sortibrant et ses plus feaulx. et leur demanda conseil qu'il devoit faire veu que Marpin n'estoit point retourné. Sortibrant va dire sire admiral sachez que le larron est mort puis qu'il n'est venu. mais je conseille que vous facez sonner vos trompettez et assembler vos gens pour assaillir la tour a tous engins mortelz. et ainsi que Sortibrant dist il fut fait. et vindrent tous ces sarrazins a grande puissance pour destruire la tour et confondre les crestiens. et a frondes et aultres engins ilz leurs gectoyent cailloux et dartz envenimez. mais la mercy dieu les françoys n'en doubtoyent riens. Après qu'il eurent continué assez. le pain le vin et tous vivres vont faillir aux barons et pucelles par telle maniere qu'ilz n'avoient que menger. dont de dueil les pucelles qui estoient moult belles et plaines de compassion furent toutes desolees et entre les aultres la noble floripes. laquelle estoit moult desplaisante de la necessité des françoys d'elle et de ses damoiselles plusieursfois se pasma et cheut a terre comme morte. Guy de bourgoigne son espoux qui va venir moult doulcement la leva et reconforta de son povoir et dist a ses compaignons. Mes freres et seigneurs vous voyez la necessité que nous soustenons. car il ya desja troys jours passez que nous n'avons mengé de pain. et plus mal content je suis pour ces damoiselles que pour moy et je vous dy bien que je ne pourroye plus endurer que ne facions aultrement. car soyez seur que j'aymeroye mieulx mettre mon corps a estre blessé et navré mortellement que je ne feroye estre ceans enclos en ceste melancolie. pourquoy je dy que nous allons dehors pour avoir des vivres. et mieulx nous vault mourir a honneur que vivre a honte. Tous les françoys furent de l'oppinion de guy. Sur ce floripes va dire Mes seigneurs je congnois que vostre dieu est de petite puissance quant il ne vous donne aide ne confort. et je vous dy bien que se vous eussiez autant adoré les nostres ilz vous eussent pourveuz de menger et de boire. Avant qu'elle eust finee sa parolle rolant respondit et dist. Ma damoiselle je vous prie que vous monstrez les dieux dont vous nous parlez. et s'ilz ont la puissance que vous nous dictes qu'ilz nous puissent donner a boire et a menger et qu'ilz facent tant que la puissance de france vienne icy pour nous secourir nous y croirons tous sans varier. La pucelle leur dist. Tantost vous les verrez et moult prestement après qu'elle eut les clefz les barons va conduire par dessoubz terre. et leur monstra les dieux des sarrazins qui estoient en lieu noble precieux et riche. et la estoient en grande majesté. Apolin et Talvagant le dieu margot et Jupin et plusieurs aultres qui estoient tous massifz de fin or d'arabie. aournez de plusieurs joyaulx avec baume et encens odorant et plusieurs aultres tresors estoyent la assemblez. Guy de bourgoigne va dire quant il veit tant grant tresor oultre son gré. Sire dieu qui eut peu croyre que en cestuy lieu eust eu tant grant richesse assemblee. Or pleust a dieu que Richard de normandie tint maintenant Jupin en sa cité de rouan. car il en acompliroit l'eglise de la sainte trinité et le roy charles tint les aultres dieux il en feroit l'eglise de romme qui est gastee et des aultres il feroit les hommes resjouyr. multiplier et mettre en point. Floripes respondit. Sire Guy vous parlez villainement des dieux criez leur mercy et les adorez affin que ilz soient enclinez a vous faire confort Guy luy dist. je ne le sçauroye prier ma damoiselle. car je regarde que ilz ont les yeulx tous endormis. et vous verrez qu'ilz ne pourront ouyr ne veoir. Et ce disant a tout son espee frappa Jupin et ogier le dannoys ferit sur margot. et les firent cheoir a terre et desrompirent moult fierement. Pourquoy rolant dist a la fille. En verité je regarde que vous avez des dieux qui ne valent riens. de tous ceulx qui sont a terre je n'en voy pas ung remuer ne faire semblant de eulx relever. A celle heure floripes les eut en despit et creut en dieu jhesucrist en disant ainsy. Je voy sire rolant que vous dictes la pure verité. mais se jamais g'y croy je vueil que mon corps vienne a malle fin et de bon cueur je requier a celluy dieu qui fut né de mere vierge. duquel vous m'avez informé qu'il vous envoye secours de france. et que nous trouvons maniere d'avoir a menger pour nostre necessité rapaiser.

Comment les pers de france saillirent hors de la tour et grant bataille firent en la quelle ilz rencontrerent vingt sommiers chargés de viandes.

Le .xiii. chapitre.

Quant floripes eut finee sa parolle elle cheut tout pasmee de dueil et d'angoisse. dont guy de bourgoigne ploura moult asprement pour l'amour d'elle. Sur ce olivier le couraigeux vint devant eulx et dist. Mes seigneurs je vous dy et vous jure par le dieu qui souffrit mort pour les humains j'aymeroye mieulx que mon corps fust esquartelé et bouté en pieces que je deusse plus souffrir ceste prison que je ne me combate aux payens vivement. et semblablement dist rolant Pourquoy sans autre deliberacion ilz vont seindre leurs escuz et se misrent en grant point et avalerent les pontz et monterent a cheval d'ung tresferme couraige. et après que tous furent devant celle tour de mabre rolant dist aux aultres. Sire naymes et vous ogier il fault que l'ung de vous demeure pour garder la place que au retour nous puissions entrer seurement. Le duc naymes ne peust prendre pacience qu'il ne respondist ainsy. Sire rolant ne pensez pas que je soye si malheureux de personne et de lignaige que ja on me reproche que je soye vostre portier. je n'en feray rien. et je se suis vieil si fais je bien tourner mon cheval. je suis endurcy de nerfz. et si ay le cueur asseuré. et vueil estre assez hardy pour frapper sur mes ennemis quant temps en sera n'en doubtez riens. Rolant respondit. Sire vous dictes bien vous viendrez avec nous Tierry ou geoffroy l'ung des deux demoura. mais il n'estoit point de leur plaisir de demourer leans enclos toutesfois a la requeste de rolant tierry demoura avec geoffroy qui fermerent les portes seurement après que les aultres barons furent dehors. lesquelz a tout chascun son espee seinte et espieu en sa main se vont monstrer hors du chasteau esbatans. L'admiral par une fenestre congneut bien les françoys pourquoy hastivement fist venir brulant a luy. sortibrant et aultres. ausquelz il dist Mes barons et subjectz les françoys sont saillis dehors. et me semble qu'ilz veullent batailler. s'ilz ne sont tous occis j'en seray mal content. pourquoy faictes sonner voz corps pour assembler voz gens c'est trop tardé. et aussi tost qu'il l'eut fait grant multitude de sarrazins furent assemblez et vindrent assallir les françoys. mais Rolant qui tint durandal en sa main avec ses compaignons vint sur ces sarrazins par telle fureur que en petit d'espase plus de cent furent occis. Car dolent estoit celluy qui se mettoit devant eulx pour secourir aux payens. Lors vint clarion qui estoit nepveu de l'admiral a .xv. mille combatans et sachez qu'il n'y avoit en espaigne sarrazin plus redoubté que luy Quant les barons le veirent venir. rolant va escrier gerard ogier et guy. O nobles chavaliers en l'onneur de dieu chascun face son devoir par telle maniere que a ceste foys moyen victoire obtenue nous puissions aux pucelles pourveoir a menger Cecy estre dit rolant piqua son cheval et s'en vint a tout durandal et frappa ung payen qui se disoit Rampin si trespuissamment qu'il luy fendit la teste dont ceulx qui estoient presens furent esbahis. et de celle heure les sarrazins doubterent si fort rolant que personne ne se osoit mettre devant luy s'il ne pensoit mourir. Gerard de mondidier valerreux va dire. Mes freres et seigneurs qui vouldra avoir après plaisir et estre honnoré. il est temps qu'il se monstre et n'est pas mestier que entre nous en soit congneu ung seul desloyal. car souvent pour ung meschant quelque valeureux est en dangier. pourquoy a ceste parolle tous ces barons furent plus fervens qu'ilz n'avoient esté. affin que chascun se monstrast comme il devoit estre. Et après que la bataille fust finee pour celluy jour par le plaisir de dieu les barons vont trouver près de la tour dessusdicte ung grant adventure. c'est qu'ilz vont passer par devant ung chasteau et veirent .xx. muletz sommiers chargez de vivres ou il y avoit pain. vin. venoison et des aultres biens assez. et les conduisoit ung payen de margote aux dessusditz sarrazins. mais incontinent les conduiseurs des sarrazins et de leurs vivres furent tantost avec eulx occis par les barons. et le duc naymes et guillaume l'estoc les conduirent. et Rolant et les aultres vindrent devant pour faire place sur esperance de les faire mener en la tour. en laquelle chose ne se fist pas sans dangier et grant peine.

Comment guy fut prins des sarrazins et interrogué de l'admiral et les plaintes de la belle floripes fist pour luy et aultres matieres.

Le .xiiii. chapitre.

Comme j'ay dit devant les barons de france ainsi qu'ilz s'en aloient a leur repaire et qu'ilz emmenoient les sommiers dessus nommez tant grant abondance de gensdarmes vindrent de la part du roy clarion que ce fust merveilles qui se vont rencontrer moult asprement et par tel endroit que le duc basin y fut mort et aulbery son filz. car tantost qu'il veit son pere mourir. incontinent il se getta dessus et y demoura. Et encores ce ne fut pas le plus fort. car le noble guy de bourgoigne après qu'il fut menassé du roy clarion il s'avança pour le frapper. et luy vint si mal a droit que des payens son cheval fut occis dessoubz luy. et subitement fut environné de plus de cent chevaliers sarrazins qui le prindrent et luy osterent son heaulme de la teste et puis luy benderent les yeulx tellement qu'il n'y veoit riens. et a tout ses mains liees derriere son dos le vont pourmenant et quant guy se veit ainsi estre detenu a haulte voix commença a crier. o vray dieu jesus qui m'as fait et formé ou vois je maintenant mal fortuné jesus conforte moy. O noble charlemaigne monseigneur et mon oncle jamais ne me verrez. Le roy clarion luy dist. Bel amy riens ne te vault le crier ne le braire. a l'admiral d'espaigne tout vif je te rendray aujourd'uy qui te gardera demain tu seras pendu. mais vous povez penser comment les autres pers de france ses compaignons furent mal contens et fort dolens quant ilz veirent le conte guy ainsy estre prisonnier. toutesfois ilz firent grande bataille avant qu'ilz fussent contrains d'entrer en la tour. et si tost qu'ilz furent descenduz et les portes barrees chascun se ferma a menger. Et sur ce floripes tantost s'en vint a Rolant et luy dist. Sire rolant je vous requiers que vous me dictes ou est guy de bourgoigne mon mari a venir. Je sçay bien que quant vous alastes dehors qu'il ala avec vous pourquoy entre les autres vous le me devez rendre. jamais n'auray le cueur joyeulx que je ne saiche ou il est. Rolant dist. Ha floripes dame courtoise ne vous fiez en luy. car certes vous l'avez perdu. jamais ne le verrez les payens l'ont emmené malgré nous et ne sçavons qu'on en fera floripes oyant ces parolles de dueil et d'angoisse cheut a terre toute pasmee plus de quatre fois comme morte. mais rolant qui pour elle ploura assez souventesfois la releva Et quant elle fut levee elle commença a crier a haulte voix. O barons de france par celluy dieu qui fist le ciel et la terre se je n'ay guy de bourgoigne a qui je doy estre espousee je rendray ceste tour avant qu'il soit passé demain. O sainte vierge marie je devoye a luy estre mariee et pour l'amour de luy estre crestienne. Helas noz amours nous ont bien tost failly. Helas malheureuse suis quant ceste douleur m'a fait oblier l'amour de quoy j'estoye pleine Rolant ne peut veoir la douleur de ceste fille mais luy promist pour la resjouyr que dedans deux jours elle verroit guy a son plaisir: et sachés dist il que j'ameroye mieulx estre desmembré qu'il ne se fist aultrement de guy de bourgoigne qu'il ne soit rendu ou sa mort soit vengee. et toutesfois ma dame le dueil et les pleurs que vous menez ne le vous peuvent rendre. il ya troys jours que nous n'avons mangé: j'ay pourchassé des vivres pour nous et pour ces pucelles lesquelles vous veez et aussi la pitié: prenons pacience de ce petit et soyons contens d'entretenir la vie car vous sçavez qu'on ne peult conquester les sommiers dessusditz a cause de la tribulacion de guy de bourgoigne. Après que rolant eut ce dit les barons et les damoiselles rendirent graces a dieu de tout et furent repeuz souffisamment en louant dieu devotement. Or parlons de guy de bourgoigne qui fut mené devant l'admiral moult fut perturbé descouloré et changé de face tant pour la cause qu'il y avoit ja troys jours passez qu'il n'avoit mangé de pain: et d'aultre part du dangier ou il se sentoit d'estre en la main de ses ennemys et la devant l'admiral fut despoillé de ses armes. Lors apparut son beau corps et bien membré et luy demanda l'admiral son nom et qu'il estoit. Le baron respondit. Admiral ne te doubte point que je ne te die verité. Je suis appellé Guy de bourgoigne subject a la couronne de france et cousin a rolant le valeureux qui est homme qu'on doit bien doubter Ballam dist je te congnoys assez il ya plus de sept moys que ma fille t'a en amours moult grande dont il me desplaist fort. et sçay bien qu'elle t'ayme plus que homme vivant. et moyennant ses amours j'ay perdu de mes hommes plusieurs et de grant façon et suis mys hors de ma tour le chief de force de tout mon pays. Mais se tout ne m'est rendu tu seras esquartelé en bref temps et desmembré. Et plus oultre je te commande que tu me dies la verité: qui sont ceulx qui sont en la tour enfermez desquelz avon esté assaillis avec toy si dangereusement. Guy dist voulentiers le te diray. soye seur que rolant le valeureux y est. olivier son compaignon. le courageux tierry duc d'ardaine Richard de normandie. gerat de mondidier. naymes de baviere et basin de gennevoys que vous avez occis et je suis l'autre que vous tenez en prison. mais au plaisir de dieu et a l'aide de charles il vous sera chier vendu L'admiral fut tresmal content des menasses de guy. pourquoy ung sarrazin moult fier haulça le poing et donna sur le visaige a guy par maniere que le sang en vint abondamment. et a ce coup fut guy alumé d'ire. et pour estre esquartelé en l'eure il ne se peut tenir qu'il ne print celluy sarrazin par les cheveulx a l'une des mains et de l'autre luy donna si bon sur le gros os du col par derriere qu'il le luy rompit. et sans tirer jamais ne pié ne main il cheut mort devant l'admiral. L'admiral fut si tresmal content de ce coup qu'il cuida yssir hors du sens non tant pour la mort du payen comme pour sa mesprisance faicte devant luy. et cria a haulte voix qu'on le print. et aussi tost les sarrazins le vindrent tant batre qu'il ne sçavoit ou il estoit et l'eussent occis se l'admiral n'eust dit qu'on ne le mist point a mort.

Comment les payens eurent proposé de pendre guy. et puis les crestiens le secoururent puissamment.

Le .xv. chapitre.

Après que guy de bourgoigne fut bien lié estroictement l'admiral fist venir brullant de mommiere. Et sortibrant et leur dist. je vous prie que me donnez conseil que je doy faire de cestuy prisonnier qui m'a fait telle vergoigne et mesprisance comme vous veez et savez. Sire dist sortibrant je vous conseilleray tresbien se vous me voulez croire. Vous ferez lever unes fourches près des fossez de la tour en laquelle sont les prisonniers de france et y ferez demain pendre par le col cestuy prisonnier. et faictes que vous ayez en lieu secret près des dictes fourches dix mille turcz bien armez et grant point. et je suis seur que ces françoys sont si hardis et desmesurez que quant ilz verront pendre leur compaignon qu'ilz viendront dehors pour le secourir. et voz gens qui seront mucez la au près viendront sur eulx pourquoy vous les aurez tous et bien seurement pour en faire du tout a vostre plaisir. Cestuy conseil fut approuvé par l'admiral estre bon et en fut bien content. pourquoy sans aultre deliberacion avoir les fourches furent faictes comme devant avoit esté dit. et bien près de celluy lieu avoit ung petit boys et fit secretement mettre en grant point vingt mille combatans et les commanda estre gouvernez par le roy clarion et les aultres capitaines et puis l'admiral fist mener guy a trente sarrazins contre les fourches. lesquelz ne cesserent point de fraper sur son corps de gros bastons qui du tout luy perçoient la chair et desrompoient les os bien amerement. vous povez pencer en quel estat estoit son corps quant on le desrompoit ainsi villainement quant il avoit les mains lyees derriere son dos moult estroictement quant il sentoit une grosse corde parmy son col quant il avoit les yeulx bendez et ne veoit riens ne ne sçavoit ou il alloit. Cecy pensant crya a haulte voix. O redempteur et mon dieu du quel je suis en peine et vois mourir maulvaisement pour le merite de ta sainte passion prens mon ame en ta garde car le corps prent sa fin. et ainsi que j'ay mestier de ton aide vueille moy conseiller et aider. O nobles barons de france me verrez vous jamais. ne me viendrez vous point secourir. se vous me laissez pendre ce vous sera grant vergoigne. O rolant beau cousin souviengne vous de moy ou jamais ne me verrez vif. Cecy disant piteusement Rolant estoit en une fenestre et regarda oultre une petite roche et veit les fourches levees pourquoy tout commeu il vint a ses compaignons et leur dist. Messeigneurs je me esmerveille bien que veulent dire les fourches que j'ay veues sur les fossez je ne sçay pas a quel propos ce a esté fait. Quant les aultres veirent le fait naymes leur dist que sans faultes elles estoient faictes pour pendre guy. Cecy disant ilz le vont veoir tout despoillé allant contre les fourches. et congneut bien que s'il n'avoit secours qu'il seroit pendu. Quant floripes ouyt pladoier ces barons: elle s'en vint a eulx pour sçavoir que c'estoit. et puis quant elle veit les fourches dressees et guy son amy et espoux advenir ainsi pour mener vitupereusement vous povez penser en quel estat elle estoit reduyte et commença a cryer. O nobles chevaliers laisserez vous pendre guy vostre compaignon devant vous et devant voz ieulx. ne vous fiez point que s'il meurt par celluy dieu qui m'a faicte et formee je me laisseray cheoir aval ces fenestres et mourray en desperation. et puis s'en vint devant rolant enclinee des deux genoulz. et luy va baiser les piedz bien humblement en disant. Sire rolant en l'onneur de dieu je te veulx prier qu'il te plaise de prendre peine pour devoir mon amy secourir aultrement je suys femme perdue. pensés de vous armer: et je vois faire aprester voz chevaulx. car le temps est tant brief que au plaisir de dieu soyez vous a temps et heure. Avant que floripes parlast guieres Rolant a ses compaignons se vont armer hastivement et seindre leurs espees et leurs escus et vont hors de la tour et monterent tous a cheval. puis saillirent dehors et devant qu'ilz se missent a chevaucher Rolant va dire. Seigneurs a ceste heure gist nostre mort ou nostre vie tellement que se nous n'avons bonne conduyte et loyalle. jamais nous ne retournerons. Nous ne sommes que dix et les payens sont de multitude innumerable et de grant force a merveilles. en l'onneur de dieu je vous prie et requiers que tousjours nous nous tenons ensemble et que l'ung soit garde de l'aultre et le plus que faire se pourra: car se nous sommes divisez nous serons prins et penduz et d'autre part que se l'ung de nous tombe a terre que des autres soit levé ne pour mort ne pour vie qu'il ne soit abandonné. ne ne faille l'ung a l'autre et je seray celluy qui vous meneray ensemble au plaisir de dieu. car je vous jure ma vie que tant que je pourray tenir en ma main durandal ne que j'auray sang en mon corps ne vie vous aurés en moy ung bon garent. et pareillement ont dit les autres Floripes dist mes seigneurs vous pourrez trop demourer et s'en va en sa chambre et ouvrit son coffret ou estoit la couronne de jhesucrist et moult reveramment la baiserent et la poserent sur leurs testes pourquoy de couraige ilz ne doubterent riens la puissance des payens et vont dehors. puis floripes et ses damoiselles vont relever le pont et fermer la tour. Les nobles pers de france s'en vont bellement en bonne ordonnance contre les fourches aval les prés. et les payens estoient dessoubz les fourches et montoyent guy de bourgoigne qui avoit les yeulx bendez et les poingz liez. et si avoit une grosse corde autour du col. Cecy voyant rolant hasta son cheval et les autres après. et commença a crier aux payens. Ha traistres mastins il ne sera pas comme vous pensez. vous avez commencé telle chose. dont vous vous verrez mal contens. De cestuy bruit qui fut fait impetueusement les plus hardis des trente qui tenoyent guy se mirent a fouyr. et furent si hastivement poursuyvis que les vingt furent occis. Sur cecy ceulx qui estoient aux boys vindrent dehors faisant grant bruit. et tout premier cornifer merveilleux payen sur ung moreau de grant façon et commença a crier. Ha françoys desmesurez venés vous secourir le pendu de l'admiral. vous avez fait folle entreprinse. car avec luy tous penduz vous serez. Quant rolant ouyt le payen il fut moult courroucé et tint durandal. et vint contre luy comme ung loup enragé. toutesfois le payen frappa sur son escu moult dangereusement. mais après qu'il se fut recouvré il attaignit le payen si puissamment qu'il luy fendit la teste jusques au corps bien avant. Après qu'il fut mort rolant s'en vint courir jusques aux fourches et puis desbenda et deslya guy de bourgoigne et luy dist qu'il se tint près de luy jusques il fust armé. et après que rolant eut occis ung autre payen. Guy estant en l'asseurance dudit rolant et des autres pers de france il s'arma incontinent des armes de celluy payen moyennant ses compaignons et monta sur son cheval. mais ce ne fut pas sans grant peine et merveilleuse deffence qu'ilz firent. car tous ses sarrazins qui estoient au boys vindrent sur les barons de france. avecques ce ilz leur firent beaucoup d'inconveniens Toutesfois a l'aide de dieu ilz furent de si trebon gouvernement. et si entier couraige. de si merveilleuse deffence et si grant puissance que pour celle heure ilz misdrent tant de ces sarrazins a mort que la place en estoit toute encombree et estoyent tous empeschez d'aler oultre. entre lesquelz fist merveilles Guy de bourgoigne: car après qu'il fut armé par la conversacion de ses compaignons il fit grant portement en disant aux payens. O traistres mastins je vous monstreray ceste journee que je suis eschappé de voz mains. Et par ainsi combatans firent retourner les sarrazins ung grant trait d'arc. Cecy faisant d'aultre part plus de dix mille sarrazins estoient appareillés pour leur empescher le passage qu'ilz ne se peussent retraire. Pourquoy roland tenant durandal en sa main voyant cecy appella tous ses compaignons et leur dist. Seigneurs il ne nous est pas besoing de reculer. mais nous est necessité d'avancer pour nostre conservacion. se nous povons gaigner le pont nous ne doubtons riens. et bonnement nous pourrons saulver. Sire roland dist guy de bourgoigne vous sçavez que en la tour n'a riens a menger. et se nous estions dedens nous ne sçaurions que faire sinon bailler. et je vous jure sur ma vie que j'aymeroye mieulx que mon corps fust playé dangereusement en combatant sur ces payens que de mourir de fain leans et sans dangier. et s'il est le vouloir de dieu que nous devons mourir en cestuy jour tout soit fait a son plaisir et nous prendrons en gré comme bons et loyaulx chevaliers de dieu. Tous les aultres barons furent de son oppinion et vont avoir grant propos d'eulx porter vaillamment Eulx estans en ce propos de ce porter vaillamment comme dit est. Floripes fut la en une fenestre de la tour et veit Guy de bourgoigne son amy dont elle estoit moult joyeuse et luy cria a haulte voix qu'il luy pleust de la venir baiser en disant que se elle vivoit pour la promesse des barons que son pere l'admiral seroit une fois en son dangier. Pourquoy ogier le dannoys va dire. Seigneurs chevaliers avez vous ouy la pucelle comme elle parle noblement dont elle est bien digne que on face beaucoup pour elle. et sachez que se nous n'y retournons je ne seray pas a mon aise. Sans plus aultre langaige faire les françoys s'en vont contre les sarrazins hastivement desquelz rolant estoit tousjours le premier et faisoit grant bruyt et desconfite des payens qui le evitoyent et s'enfuyoyent devant luy comme l'oyseau devant l'esprevier. Guy de bourgoigne vint de course courir contre ung payen moult fier et orgueilleux qui se nommoit Rampier et l'attaignit si durement au hault de la teste qu'il fendit jusques au millieu du corps. pourquoy quant roland veit son grant portement il luy dist guy beau cousin j'ay bien veu comment vous avez menassé le payen. et avez fait par maniere que floripes vous doit bien aymer et tenir chier.

Comment les pers de france devanditz furent despourveuz de vivres. et puis restaurez. et puis assiegez et combatus par les payens.

Le .xvi. chapitre.

Quant floripes la courtoise estant avec ses damoiselles en la tour veit les barons de france estre asseurez devant le chasteau elle leur cria haultement. Seigneurs je vous prie que vous aiez souvenance de recouvrer des vivres devant que vous entrez ceans affin que n'en ayons necessité mortelle Olivier et Roland entendirent bien la pucelle qui dirent qu'elle avoit bien parlé et assez a temps. Car se nous entrons au chasteau nous n'en pourrons pas partir a nostre aise. et sur ce tous ces barons d'ung couraige vont contre ces sarrazins et les desrompirent tellement qu'ilz vuiderent la place et les firent reculer moult loing Et ainsi qu'ilz retournoyent contre la tour une bonne adventure leur advint. car vingt sommiers vont passer par la lesquelz estoyent chargez de vin. de blé. de pain. de chair abondamment et tantost tous ceulz qui les menoyent furent occis et mis a mort. Puis s'efforcerent de les mener prestement et conduire tant qu'ilz furent en la tour. et en passant ilz vont trouver basin qui estoit mort comme j'ay dit dessus. et l'emporterent en la tour avec eux et furent leans a seureté. car incontinent leverent les pontz et fermerent les portes bien seurement. et eurent assés a manger pour deux moys ou plus. Vous povez penser se l'admiral estoit joyeulx quant il vit guy qui avoit esté en sa subjection. et estoit adonc avec ses compaignons. et aussi quant il sceut qu'ilz estoyent fournis de vivres tant abondamment Pourquoy tresmal content il va convoquer tout son conseil. et demanda brullant de mommiere Sortibrant de connimbres et de ses familiers et leur dist. Mes barons vous sçavez que ces françoys nous ont tresmal gouvernez. Ilz ont la tour garnie de blé. de vin et d'aultres viandes. et se d'aventure il vient a sçavoir a roy Charles nous serons empeschez. car il les viendra secourir. et ne luy pourrons faire resistance continuelle pour sa puissance qui est tant grande vous le sçavez. dont je suis en grant pensement et melancolie que nous pourrons faire A cecy Sortibrant respond et dist. Sire admiral je conseille que chascun soit armé et en grant point pour asseoir engins pour assaillir et rompre la tour. et puis qu'on face sonner et tromper mille corcz impetueusement. et quant les françois les ourront de paour ilz seront espoventez. pourquoy a noz volentez nous pourrons entrer dedans. Brullant de mommiere luy dist. Sortibrant mon amy vous parlés d'une grant folie. ne croyez point que les françoys qui sont leans soyent de si foible condicion que vous les espoventés a sonner cors. certes vous ne les aurez point pour menasser et vous diray la raison. La fleur des barons de france est leans les plus puissans et les plus nobles. Rolant y est qui est si puissant et si courageux que personne ne se ferme a luy qu'il ne mette a mort. Le conte Olivier sçavez riens de sa grant fierté qui conquist le roy fierabras le plus puissant de tous les payens. et je vous jure mahom qu'il est en leur compaignie. car je l'ay bien ouy dire. Après y est le conte de mondidier Gerard qui nous a fait grant dommaige. Aussi y est Tierry duc d'ardaine et ung viellart qui nous a occis et estranglé de noz gens plus de mille qui se nomme Naymes duc de baviere. Semblablement guy de bourgoigne qu'ilz nous ont osté quant on le menoit pendre. et d'aultres y sont que je n'ay pas nommez. Il n'en ya. que .xi. car l'ung a esté occis. et vous sçavez qu'ilz sont tous de grande resistance. Rolant le nepveu de charles a le corps si fier qu'il ne doubte homme vivant ne coup ne trait qu'on luy donne. et ne doubtés point que s'ilz estoient tous telz comme luy en ce chasteau. ilz nous mettroient hors de ce royaulme ou nous y feroient mourir. et je croy que leur dieu veille pour eulx. car moult il les a gardez. les nostres dieux sont malheureux. car long temps a qu'ilz ne nous ont riens aidé. De la parolle de brullant fut moult courroucé l'admiral et luy dist. Vous avez tresmal et follement parlé et cecy disant il frappa de son baston. mais le roy sortibrant le luy osta en disant. Sire admiral laissez vostre courroux et pensons d'assaillir ceste tour et faisons que ces françoys desloyaulx soyent vaincuz et decoupez. Et ainsi comme il fut dit l'admiral fit venir trompettes et clerons et autres engins a tromper et faire bruit tellement que tant de sarrazins furent la assemblez qu'ilz tenoient une lieue a la ronde. Après l'admiral fist venir ung ingenieux enchanteur qui s'appelloit Marbou qui fit deux engins a couvertes seures et gardoient que ceulx qui estoient dessoubz ne pouvoient estre gastez des françoys. Et moyennant ces engins ilz conqueterent les premieres gardes du chasteau. pourquoy les françoys furieux comme lions vindrent aux portes de la tour et les pucelles aussy toutes armees lesquelles avec les barons firent grant devoir car celluy qui estoit frappé par elles estoit bien terrible s'il ne cheoit mort par terre. car elles estoient en hault et gettoient grosses pierres dars de fer et autres engins mortelz desquelz ilz firent resistance continuelle

Comment la tour fut esquartellee et brullee par enchantement et les françoys furent en grant peril de mort et restaurez par ung assault qu'ilz feirent sur les payens.

Le .xvii. chapitre.

Les payens perseverans en l'assault devantdit l'enchanteur vint devant l'admiral et luy dist trescher sire j'ay faitz mes engins tous apprestez. moyennant lesquelz sur ma vie je vous rendray les françoys faictes oster voz gensdarmes du lieu et que j'en aye cincquante mille bien destres de la personne et bien armez. Et quant ilz furent bien apprestez ainsi comme il estoit devisé l'enchanteur les fit mettre a l'entour de la tour et par son art il va faire enflambez fusilz merveilleux que les pilliers de marbres et autres pierres vont commencer a bruller et a faire feu a oultrance dequoy par les françois furent tous perturbez et vont dire qu'il leur seroit force de rendre la tour sans sçavoir moyen de saulver leurs personnes. A cecy floripes leur dist. Seigneurs ne vous esmayez encores si fort jusques a tant que voyez plus oultre: et incontinent elle va prendre aulcunes herbes et autres medicines et les fist destremper en vin car elle congnoissoit et sçavoit la maniere comment celluy feu artificiellement brulloit les pierres: aussi fist elle brevaige que quant il fut getté sur celluy feu il ne brulloit plus riens l'admiral cuida enrager: mais sortibrant luy dist que tout cecy se faisoit moyen floripes sa fille: pourquoy l'admiral estoit d'une intencion de faire mourir cruellement le roy sortibrant et luy dist qu'il fist sonner ses cors et trompettes et recommencer l'assault de nouveau et que a celle fois il seroit force que les françoys fussent vaincuz. car je suis seur que ilz n'ont riens a getter sur nous car tous les traitz et pierres leur sont faillies Et fut fait l'assault comme il fut dit si tres impetueusement que il sembloit qu'ilz fussent tenebres en ce lieu des fleches dars espieux pierres et autres traitz et engins par telle maniere que les gros quartiers des murailles tomboyent a terre. Les barons de france moult esbahyz de l'assillie disoient l'ung a l'autre que a celle heure il fauldroit qu'il fussent vaincuz: car ilz veoient a terre ruer les murailles principales du chasteau: en grant pensement floripes leur dist. Seigneurs ne vous esmayés point. la tour est assés forte pour nous garder bien plus avant: et d'aultre part le tresor de mon pere est ceans qui est en billons et platines d'or allons les querre aussi bien en pourrons nous occir les payens comme d'aultres pierres et mieulx. Cecy estre dit guy de bourgoigne son amy vint a elle de grant joye et la baisa moult amoureusement et puis elle va ouvrir la tour ou estoit celluy tresor innumerable et a grande quantité le porterent sur les creneaulx de la tour et gettoyent a ces payens tellement que ilz en fasoient moult grande desconfiture. oultre plus les payens voyans l'or en celle grande habondance cheoir sur eulx vont cesser de l'assault: mais pour leur avarice de celluy or se vont combatre et occir l'ung l'autre: pourquoy l'admiral fut desplaisant tellement qu'il cuida mourir et commença a crier a haulte voix. O barons sarrazins laissez cestuy assault qui me vient a dommaige irreccuperable: car je voy bien que mon tresor se pert que j'ay tant mys a assembler et je l'avoye recommandé au dieu mahom et l'en avoye fait garde dont il a failly maintenant: mais sur mon ame se je le puis tenir je l'en feray plourer. Le roy sortibrant respondit. sire admiral ne prenez point merveilles de vostre tresor: et n'en sachés maulgré a mahom car il n'en peult mais se de present on le luy a emblé et desrobé il a esté endormy aultrement j'en suis esbahy: car tousjours la ville jusques maintenant et ces françoys sont cautz larrons qui l'ont emblé bien subitement. L'admiral bien courroucé a cause du soir vint en son repaire avec ses gens pour souper. cecy estre fait quant l'admiral fut assis a table roland qui estoit en la haulte tour avec ses compagnons bien seurement pour soy aiser se va mettre sur une fenestre et en pensant il veit l'admiral assis a table par une fenestre et puis s'en vint aux autres barons et leur dist. Messeigneurs et mes freres je regarde que l'admiral est avec ses principaulx a soupper et pense de soy tenir bien aise et il me semble que grande prouesse nous seroit et grant bien que nous trouvassons maniere de luy faire laisser son repas. Les autres compagnons vont estre de son accord et prestement ilz furent armez et mys en point et bellement vont yssir de la tour venans contre la maison de l'admiral. mais l'admiral qui estoit son nepveu luy dist. Chier nepveu espoulard par adventure les françoys nous veullent faire refroidir nostre souper despeche toy soyes appresté et fais qu'ilz soient decoupez et confonduz et tantost fut en point espoulard et bien monté et vint devant les barons et tenoit en sa main ung dart d'acier mortel. et tout premier rencontra roland et l'attaint sur son escu tellement qu'il fut tout estourdy: mais bien luy en print: car en la chair il n'eut point de playes Roland vit après luy le payen et luy donna si bon coup qu'il le fit tresbucher de son cheval: mais le turc fut valeureux et homme de grant force/ car moult legierement remonta a cheval et roland le frappa de son espee tellement que le payen ne sçavoit ou il estoit. et ainsi que le payen cheoit bas roland puissamment le charga devant luy au travers du col de son cheval et l'emporta. L'admiral voyant cecy tout enraigé escria ses gens qu'ilz secourussent a son nepveu: mais ilz n'y sceurent que faire. car en le deffendant plusieurs furent tuez et sans nombre en y eut de navrez: pourquoy fut force aux payens d'eulx enfouyr et roland ne cessa de courre jusques a tant qu'il fut en la tour. Et quant les barons furent en la tour n'avoient doubte de nul.

Cy commence la tierce partie du second livre qui contient .xvi. chapitres. et parle comment les barons de france furent secouruz et les payens confonduz

Comment les pers de france allerent denoncer leurs affaires au roy charles et comment richard de normandie se ordonna pour y aller.

Le premier chapitre.

Les pers estans assailliz et detenuz comme j'ay dit devant ilz avoient prins ung turc moult fier et grant amy de l'admiral et le vont donner a floripes pour en faire a sa volenté et vont dire a la fille quel homme il estoit. floripes leur respondit et dist. Il est filz a ma tante et est nepveu de l'admiral et est riche a merveilles et se vous voulés faire grant desplaisir a mon pere faictes le morir Le duc naymes va dire. Je vous jure mon ame qu'il ne sera pas ainsi ma damoyselle que nous le facions mourir: mais puis qu'il est homme d'audience nous en sommes plus joyeux Et je vous diray pourquoy. se l'ung de nous estoit prins de noz ennemys moyen cestuy il seroit rendu et rachaté: et de ceste conclusion furent contens tous les pers de france. Cecy estre dit richard de normandie appella les autres et leur dist. Vous sçavez comment nous sommes enclos ceans en ceste tour. et suis bien seur que a la fin il nous fauldra finer par ces sarrazins nous n'avons moyen pourquoy puissions eschapper: et conseille qu'on mande a l'empereur qu'il nous viengne secourir ou autrement nostre vie est finee. Le duc naymes respondit. Sire richard a mon advis vous parlés d'une grande folie car il n'ya homme ceans qui voulsist faire ce messaige que vous dittes et la chose est assés apparente: car vous voyez que la terre est couverte de sarrazins et aussitost qu'il seroit hors de ceans il seroit chose impossible qu'il ne fust mort soyez seur que se dieu ne nous fait grace nous ne partirons jamais de ceans. Sur ce dist floripes autre chose pour le present ne sçauroye que dire sinon que nous menons la plus joyeuse vie que mener pourrons. Vous avez icy belles pucelles chascun preigne la sienne et en face a son plaisir pourquoy a cecy rolant et aulcuns des autres se vont resjouyr des parolles de floripes et la vont louer affectueusement. Tierry duc d'ardaine qui estoit moult courroucé dist. Messeigneurs je suis en grant pensement. car nous sommes ceans enserrez et congnois bien que en brief temps nous serons desconfitz: nous en voyons assés l'experience devant nos yeulx Faisons que nostre fait soit notifié a charles que luy ou sa puissance nous viengne secourir. Ogier respondit et dist. Pour envoyer a charles ne fault point estre presumptueux: car il n'ya ceans si hardy qui se mist en chemin Si feray dist rolant j'ay entreprins a moymesme d'y aller demain et feray mon devoir. Le duc naymes devant qu'il eust finee sa parolle respondit. Sire rolant ne vous desplaise: car d'entre nous vous estes le plus mal convenable pour y aller car quant les payens le sçauront d'eulx ne serons plus redoubtez comme nous sommes. et quant nous vous avons avec nous. nous sommes en seureté et en cremeur de noz ennemys. Guillaume se presenta pour y aller voulentiers. aussi Gerard. Semblablement se abandonna pour y aller et guy de bonne affection. Mais floripes jamais ne l'eust consenty. toutesfois après plusieurs disputacions richart dist. Messeigneurs vous sçavez que je suis de grant parentaige et si ay ung filz suffisant a porter armes et croy qu'il sera valeurex et s'il avenoit que je fusse prins et occis des payens après ma mort il me pourra representer et tenir mon heritage en mon nom et faire service a Charles et je le doy bien faire pour faire plaisir audit Charles. car quant il m'eust donné ma terre et revestu de mon pays je ne le voulsi point accepter sinon par ung moyen qui est tel. que s'il venoit ung homme estrange non pas subject a mon pays et qu'il fust serf de serve condicion et il demouroit ung an en ma terre qu'il fust après franc toute sa vie et plusieurs autres choses. Et par ainsi il fut conclu que richart y allast. mais rolant luy fist promettre qu'il ne tarderoit en lieu despuis qu'il seroit party ne sejourneroit nullement jusques a tant qu'il seroit a charles sinon qu'il fust grevé de sa personne ou prisonnier detenu. Richart le promist et jura comme il a esté dit. et ledit richart après son serment va dire. pour le present nous n'avons a penser sinon la maniere comment je pourray passer oultre que ses gensdarmes ne me voyent. car se je suis congneu par eulx aulcunement a moy ne seroit pas possible de resister. Rolant dist par ma foy je vous diray voulentiers mon oppinion sur cestuy fait. Je conseille que demain bien matin nous soyons armés et yrons faire une cource sur ces sarrazins par grant devoir et quant ilz seront sur nous a frapper et que leur affection sera du tout pour nous occir richar passera oultre et nous laissera. et puis nous nous remettrons ensemble pour retourne a seureté entretant richart qui sçait bien la region pourra estre bien loing avant qu'ilz en sachent riens et s'il plaist a dieu et a sa sainte mere il le saulvera par ceste maniere que en brief temps nous aurons joye consolatoire que nous yrons dehors par asseurance. Cecy disant les pers de france voyant que la chose n'estoit pas asseuree commencerent tous a plourer tendrement pour la pitié de leur affaire. Le noble richart ses compaignons qui pour luy plouroyent va dire Mes seigneurs ne vous doubtés de riens se dieu me fait la grace auquel je suis abandonné que je puisse passer cest ost et ce pays. et specialement que je me puisse trover vif oultre le pont de mantrible je vous puis bien jurer que je vous ameneray secours tellement que vous serez delivrez. Les barons luy respondirent Jhesus par sa puissance te doint bien aller et mieulx retourner. Après ceste conclusion ilz n'en dirent plus mot. La nuyt vint et chascun s'en alla a son repaire jusques a lendemain pour commencer d'acomplir leur entreprinse.

Comment après que richard fut party le roy clarion trespuissant courut après luy lequel fut occis par ledit richart vaillamment.

Le .ii. chapitre.

Grant ennuy vint aux pers de france quant richart de normandie devoit partir pour aller au roy charles. le matin quant ilz vindrent aux portes de la tour en laquelle ilz estoyent ilz trouverent grant multitude de gens sarrazins qui si tenoyent affin que nul des françoys ne peust yssir dehors pourquoy par l'espace de deux moys ilz ne sceurent trouver moyen de saillir hors: mais ung jour que l'admiral estoit allé a la chasse ung petit loing et qu'il fasoit feste pleniere et que une nuyt la garde du pont fut oublye adonc les barons s'armerent et monterent a cheval et allerent courir jusques aux hostellieres: mais aussitost qu'ilz furent veuz des payens trompettes commencerent a sonner si fort que incontinent gens innumerables furent assemblez pour courir aux pers de france et quant lesditz pers furent encloz chascun fasoit devoir de les batailler. Le duc richart en plourant va commander a dieu ses compaignons et secretement se despartit et se mist hors du chemin pour tyrer a son adventure. et avant que les barons fussent en leur logis pluseurs des payens furent occis. et en ceste maniere vont entrer en leur tour. hardiement et seurement et vont veoir richart bien loing qui ja avoit passé l'ost tout oultre et en plourant doulcement le recommanderent pluseursfois a dieu Richard de normandie chevauchant durement qui avoit peur d'estre assailly quant il fut loing au hault d'une montaigne son cheval seigna d'eschaufoison dont il se doubta forment qu'il ne fust empesché et va dire O sire dieu mon createur a qui toute ma volenté est ordonnee au jourd'uy preserves mon corps de mes ennemys tellement que je ne perde point la vie et fist le signe de la croix plusieurs foys sur luy. Luy estant en ce lieu que le jour apparut bien cler les payens qui estoyent en leurs logis le povoient bien veoir clerement et premier s'en apperceut brulant de mommiere et puis sortibrant de conimbres qui estoient ensemble lesquelz s'en vont hastivement au roy clarion payen moult puissant nepveu de l'admiral ballant. et luy dist premierement brulant. Sire clarion veez la ung messagier des prisonniers de france qui s'en va et qui est party d'avec ses compaignons et se vous n'y pensez de mettre secours il nous en pourra mal venir. car il va a charles compter leurs affaires. Il nous pourra tourner a ung grant dommaige. Aussi tost que le roy Clarion ouyt les nouvelles moult prestement fut armé et monta sur ung cheval le plus merveilleux que jamais fut veu. car pour courre trente lieues il n'estoit point lassé et print son escu et ung espieu d'acier quarré et agu. et courut celle part comme s'il fust enragé et d'aultres sarrazins vont après luy. Richard monta a cheval sans sçavoir qu'il fust poursuivi aultrement et disoit. O mon createur donne moy consolacion et grace que je puisse veoir charles le puissant empereur auquel je suis envoyé par maniere que mes compaignons qui sont en la tour doulans et courroucez je puisse faire joieux Et puis se seigna devotement faisant le signe de la croix. Et ainsi qu'il estoit en ce pensement il regarda derriere et veit les sarrazins venir hastivement après luy qui estoient par commune estimacion plus de .xiiii. mille desquelz le roy clarion nepveu de l'admiral sur ung courcier devant nommé venoit devant les aultres et les precedoit de beaucoup. Toutesfois richard se trouva sur une petite montaigne et regarda contre l'ost des payens et les veit venir contre luy moult affectionnez. Vous povez ymaginer en quel estat estoit son cueur quelle chose se povoit penser qu'on feroit de luy. quelles nouvelles pourroient attendre les pers de france ses compaignons quant il estoit tout seul pour attendre et soustenir la fureur et malice de tant de gens. Cecy ymaginant et qu'il ne pourroit pas fuyr tantost a luy fut Clarion sur celluy courcier qui couroit plus fort que ung levrier ne sçauroit lequel courcier estoit tout blanc de l'un des costé comme la fleur de lys. et de l'autre costé estoit aussi rouge comme feu embrasé. la queue avoit de la façon d'ung paon. le bout derriere en hault levé. et goutte aussi menu comme une perdris pourroit estre. a grosses cuisses et courtes. Les piez avoit platz et copez a petites oreilles. la crigne du coul blanche. les narines larges et amples. devant estoit moult large. et les yeulx vers et clers. Et après estoit d'une selle d'ivoire ensellé. et les frains de la bride a fin or entrelassés. et beaulx estriers de fin or Et poytral moult bien aorné et richement. et estoit senglé a quatre fortes sangles bien seurement sur luy avoit plus de cent clochettes de fin or sonnantes moult melodieusement. Et le payen le frappa des esperons moult asprement tellement que le cheval fist ung sault bien de .xx. piez de long et puis escria Richard le noble duc en disant a haulte voix. Par mahom mon dieu souverain messagier vous ne le ferés point selon vostre entreprinse: car sans aller plus avant vous finerés vostre vie. Quant richart l'entendit tout le sang au corps luy fut mué et va respondre Sarrazin pourquoy es ne de telle intencion contre moy que t'ay je mesfait ne je t'ay riens offencé ne robé ton tresor. je te requier par amour que tu ne me vueilles destourber. et se tu le fais je le te tiendray a ung grant service je te jure que une fois te sera reguerdonné par moy. Le payen respondit certes françoys tu parles de grant folie. et de mahom soye mauldit se j'en feroye riens je ne te laisseroie pas aller pour la moitié du tresor du monde. Aussi tost que richart sceut son intencion il s'avença contre luy. et le payen vint a richart et de son espieu le frappa moult rudement sur son escu. mais il estoit si dur qu'il ne le faulça pas tout oultre Sur ce noble richart qui estoit plain d'une grant yre contre le payen de mort affectionnee vint a luy a son espee trenchante et ainsi que son cheval sailloit oultre le payen leva la teste et Richart l'attaignit au travers du col si bien a droit qu'il luy couppa la teste par le nou du col tout oultre tellement qu'elle vola loing du corps la longueur d'une lance et bouta le corps a terre tout mort et puis descendit de dessus son cheval et monta sur celluy du payen qui estoit merveilleux contre tous dont richart povoit bien dire que jamais il ne fut si bien pourveu de cheval. car si trespuissant estoit qu'il eust porté .vii. chevaliers armez avant que d'une goutte de eaue on le fist suer. et pour naiger et passer une riviere moult parfonde c'estoit chose non pareille que de luy. Et après qu'il fut ainsi monté a son aise il dist a son premier cheval par bonne affection O gentil cheval doustin par toy je suis bien courroucé quant je ne te puis conduire en quelque lieu a mon plaisir. je prie a dieu de paradis qu'il te doint tirer telle part et prendre tel chemin que tu puisses servir en la main des crestiens. en plusieurs grans batailles et maulvais passages tu m'as bien servy et de ton grant service tant comme a moy appartient je te rens grace et te mercye grandement. Et sur cecy il se mist a chemin. et tantost les sarrazins qui venoient après vont trouver leur roy mort. duquel ilz furent si surprins de melancolie et de dueil qu'il ne sceurent faire aultre chose. sinon de courre premierement au cheval de richart pour le prendre. mais il n'y eust si hardy qui l'approchast tant faisoit celluy cheval grande deffence. et se mist a chemin courant pour retourner la dont il estoit party

Comment le cheval de richart vint passer parmy l'excercite de l'admiral et fut veu et congneu des pers de france qu'ilz se pensoient qu'il fust mort et comment le pont de mantrible fut gardé.

Le .iii. chapitre.

Richart de normandie l'espee au poing chevaucha hastivement sur les sarrazins qui couroyent après luy vont trouver le roy mort. dont la teste estoit d'une part de la voye. et le corps de l'autre. Il ne fault point raconter la melancolie en la quelle ilz estoient soubzmis quant le chief des payens de force et de parentaige fut desconfit. et pour chose qu'il fissent ilz ne peurent retenir le cheval de richart. et le premier qui le veit venir ce fut l'admiral qui va appeller gorrant le filz du roy grehier. sortibrant de conimbres aussi et leur dist par mon dieu appolin quant je advise maintenant je doy bien aymer mon nepveu clarion et tenir chier entre les aultres. je regarde qu'il a mys a mort le messagier des françoys. qu'il soit ainsi veez la son cheval qui s'en vient. et commanda l'admiral qu'on le print prestement mais quant le cheval veit qu'on le vouloit prendre il courut et s'espoura et ne cessa de courir jusques il fut en la porte du palays ou estoient les aultres barons enclos. Et quant les françoys veirent ainsi venir le cheval de richart ilz furent tous effroyez: et vindrent ouvrir la porte et tantost il entra dedens. et après que la porte fut close ilz se vont arrenger autour dudit cheval pour une compassion de dueil en plourant piteusement. Et pour le premier le duc naymes et dist. Ha richart de normandie je prie a dieu qu'il te soit en bon confort et qu'il ait pitié de ton ame. Je congnois bien que pour ta mort jamais nous ne serons secourus. ne ta part nous n'aurons adjutoire: Escoutans ces parolles rolant olivier et les aultres plourerent amerement. Sur ce vint floripes la courtoise qui en faisoit grant dueil leur dist Seigneurs en l'onneur de dieu laissez vostre dueil. nous ne sçavons encores comment la verité se porte. Ainsi qu'il estoient en ces pensemens les sarrazins vont venir qui avoient laissé aller ledit richar et qui en grant torment apportoient mort le roy clarion. Et quant l'admiral le veit venir tout ethroclite en son entendement crya. Mon nepveu est il sain et en bon point les sarrazins dirent. Sire admiral nous ne sçaurions mentir. clarion est mort plus n'en convient parler. L'admiral ouyant les parolles dessusdites il cheut a terre quasi tout transi et plus de quatre fois il pasma comme mort. pourquoy entre luy et ses subjectz fut fait grant dueil et melancolie. Les sarrazins faisans cestuy torment les barons de france les vont oyr et entendre et speciallement floripes laquelle sçavoit mieulx le langaige affin qu'elle sceut la cause de leur dueil elle vint aux barons de france et leur dist en parlant a rolant. Sire sçavez vous pourquoy les sarrazins meinent si grant douleur. Il est chose vraye que richart vostre messagier a occiz le roy clarion a gaigné son cheval qu'il n'en ya point le pareil au monde de bonté. Et tant de la mort de clarion comme de la perdicion de ce cheval ilz meinent ce torment que vous voiez. pourquoy je vous prie que chascun face son devoir a mener bonne chiere. Olivier dist a rolant. Mon compaignon d'armes vous ne sçavez comment je suis joyeulx des nouvelles que vous ouyez: et vous jure que je suis aussi seur de passer dangier de vie que ce je estoie au plus fort chasteau de france. Benoist soit richart quant il a fait si noble portement et semblablement ses compaignons dirent. Après que richart chevaucha l'admiral fit venir ung homme qui chevauchoit bien et s'appeloit orages et le fist monter sur ung dromadaire hastivement pour porter ses lettres a galaffre qui gardoit le pont de mantrible: et luy dist garde bien que tu ne cesses de courir jusques a ce que tu soyes a mantrible et dy a galaffre pourquoy il a laissé passer les messagiers de charles oultre le pont: lesquelz nous ont tant fait d'ennuy ainsi que tu le sçauras bien dire et je jure mahon mon dieu qu'il fist une tresgrande folie et puis d'aultre part le messagier des françoys y va et si convient que charles le saiche il viendra a nous et me vouldra mettre en subjection. pourquoy dy a galaffre qu'il garde si bien le pont que personne n'y passe: et luy dy plus oultre que s'il fait aultrement je luy feray crever les yeulx et mourir honteusement. Sire dist orages je feray vostre commendement sachez que je feray autant de chemin en ung jour comme l'autre en quatre. car pour chevaucher cent lieues continuellement jamais ne suis lassé. Et ainsi se despartit de l'admiral sur ung dromadare et n'arresta jusques il fut a mantrible et parla a galaffre. Sire galaffre je ne te celleray point que l'admiral est mal content de ce que tu as laissé passer les françoys oultre le pont qui luy ont porté grant dommaige. car ilz sont logez en la maistresse tour et tiennent en subjection les dieux avec floripes sa fille et plusieurs ont occiz des plus valeureux de la court de l'admiral: et la cause pourquoy je suis si hastivement venu est telle car après moy vient ung messagier qui est des barons de france qui va querir aide vers charles leur roy lequel a fait mourir le roy clarion pourquoy garde bien qu'il ne passe: car se tu fais aultrement tu ne sçauras trouver maniere de saulver ta vie que tu ne meures villainement. De ces parolles fut tout perturbé galaffre et remply d'une grant ire pour son courroux faisant laide chiere et commença a escumer comme s'il fust ung sanglier eschauffé et print ung baston et en eust frappé le messagier ce ceulx qui estoient presens ne fussent. Toutesfois il monta sur une tornelle et au son d'une trompette convoca plusieurs gensdarmes qui estoyent en nombre de .xv. mille lesquelz furent tantost a cheval et passerent le pont. Et quant ilz furent oultre il fut tantost levé et vont courant ça et la pour rencontrer le messagier des barons de france se ilz le trouveroyent

Comment richard de normandie passa la riviere de flagot moyennant ung cerf blanc qui se trouva devant luy miraculeusement.

Le .iiii. chapitre.

Richard de normandie messagier des françoys prisonniers chevauchoit en grant doubte vous le pouvez bien penser et ymaginer comment luy seullet devoit passer si fort pont dangereux. et en chevauchant il regarda oultre devant luy et vit toute la terre couverte de gensdarmes. cecy voyant tout perturbé en son entendement commença a crier et a dire en ceste maniere O jhesus roy de gloire a ceste heure soyes garde de mon corps et conservateur de mon ame car je voy bien le declin de ma vie: se je me metz a batailler j'auroye la teste coppé. et se je entre en ceste riviere hydeuse je ne pourray pas passer oultre Ainsi a ceste foys il me convient mourir et si m'est force de retourner a mes compaignons Je feroye une grande faulte au comte roland auquel j'ay promys leaulté de faire mon devoir pour faire mon messaige. pourquoy mon Dieu je ne sçay dire autre chose sinon que ta volenté soit faicte de moy. tu sces mon intencion selon s'elle me gouverne. Luy estant près de la riviere les sarrazins firent grant bruit en venant a luy. entre lesquelz le nepveu de l'admiral s'avança de courre contre luy et crya a haulte voix. O messagier quelque tu soye pense de mourir tu as desja trop chevauché ores est il heure que la mort du roy clarion soit vengee Ces parolles estre escouteez ne furent pas trop plaisantes a richard: mais en fut si mal content que subitement esprouva son cheval contre luy tenant ung espieu quarré et agu en sa main. lequel il avoit conquis de clarion et vint a luy et le frappa si dangereusement contre la poitrine qu'il luy faulça et rompit son escu tellement qu'il cheut a terre tout mort. et puis print son cheval par la bride qui estoit riche et doree et va a la rive de l'eaue et regarda qu'elle couroit comme quarreau d'arbelestre et bruoit comme fouldre tellement que gallee ne autre engin ne pouvoit aler seurement par dessus. Par grant contricion de cueur il se recommanda a nostre seigneur qu'il le preservast de mourir jusques a tant que l'empereur charles eust bonnes nouvelles de luy. Pour lors dieu de paradis que jamais ne laisse les siens au besoing va monstrer ung grant signe d'amour qu'il avoit a charles. car richart de normandie estant en ceste meditacion de passer oultre. dieu va envoyer ung cerf blanc qui passa par devant richart. et en venant vous devez sçavoir que la rive de l'eau estoit moult haulte et tant comme on pourroit getter une pierre en la main jusques en hault mais par le vouloir de dieu la riviere commença a confler contre mont tellement que l'eaue passoit par dessus la rive si haultement qu'on pouvoit naiger sans trouver contraire et puis cestuy cerf se mist devant en l'eaue. Et richart regarda derriere luy et vit venir sarrazins a grant multitude derriere pour le mettre a mort Et adonc se va recommander a dieu de tresbon cueur et fit le signe de la croix sur son corps tousjours ayant en son cueur le saint nom de jhesus qu'il le preservast de paour et de mal tellement qu'il se trouva oultre la riviere. Adonc les payens voyans cecy furent esbahys et perturbez et n'y eut personne qui se mist a faire comme luy car incontinent l'eaue s'en retourna en son premier estat. grant dueil et grant torment vont faire les payens qui ne peurent avoir le messagier. galafre qui estoit le plus mal content vint au pont et avala les chaines et commanda aux payens que sur peine de mourir ilz ne cessassent jusques a tant que richart fut prins aultrement il seroient tous en l'indignacion de l'admiral et en dangier d'estre penduz. Richart de normandie se trouva oultre en bon point et devotement remercia Dieu de la grace qu'il luy avoit faite et descendit de son cheval pour le resengler et puis a son aise chevaucha grant espace davant les sarrazins qui couroient après luy et menoit a destre l'autre cheval avec le sien et ne se doubta plus gueres: car en brief temps il pensoit trouver l'exercite du roy charles. Les payens cecy voyans s'en retounerent douloreusement et se vont desarmer car autre chose ne sçavoient que faire.

Comment charles fut en propos de n'aller plus avant par le conseil de ganellon traistre et ses compaignons et autres matieres.

Le .v. chapitre.

En tant que richart chevauchoit qui moult estoit lassé et hors de grant pensement. l'empereur charles estoit tout pensif et courroucé de ses barons qui estoient detenuz par l'admiral. Et luy voyant qu'il n'en n'avoit nouvelles il demanda a luy de venir Ganellon geoffroy de haulte feulle Aubert macaire et plusieurs aultres. Et entre les aultres fist venir Regnier de gennes pere d'olivier ausquelz il dist. Seigneurs et amis je suis en tribulacion moult grande la cause est bien apparente. c'est de mes barons et plus speciaulx qui furent envoyés pour messagiers a Ballam l'admiral. je voy que personne ne nous en rapporte nouvelles. pourquoy saichez que de mon fait je me desprise moymesmes. dont par plus forte raison les aultres me doivent despriser. et je vous jure que jamais ne regneray. mais veulx tout laisser. tenés veez cy la couronne de majesté prenez la. car je m'en despose d'icy en avant. Ganellon estoit la qui en fut bien joyeulx quelque semblant qu'il en fist et dist. Sire empereur se vous me croyez je vous donneray bon conseil. faites tantost oster ces logis et habitacions qu'on trousse tout le bernaige sur ces sommiers et pensez de vous en retourner. car se vous alés plus avant jamais vous ne retournerez. le pays d'aigremoire est moult fort. et puis Ballam est de grande fierté. avec cela il a tous les payens et sarrazins en son aide. et pource que fierabras son filz est detenu par vous et fait crestien de tant est plus affectionné contre vous. Et d'aultre par voz barons ne sont point vifz je vous asseure. retournons en france. nous y avons laissé plusieurs de noz enfans et parens qui viendront grans. et avant qu'il soit .xx. ans ilz porteront armes. et lors eulx avec nous viendront en espaigne pour conquester les terres et seigneuries que nous avons entreprinses. et recovrerons les saintes reliques dont il me prent pitié. et plus oultre vous vengerez la mort de rolant le noble pourquoy vous avez telle melancolie. car jamais vous ne le verrez. Quant charles ouyt les parolles de ganellon il eut si grant dueil que après il cheut pasmé et ne parla d'une grande heure. et en plourant amerement il dist a luy mesmes. Povre chetif et malheureux que feras tu se tu te metz a retourner tu seras deshonnoré. mieulx te vault perdre la vie que d'estre ainsi vitupere. Après qu'il fut revenu a soy il dist aux barons qui la estoient. Vous voyez le conseil que ganellon me donne lequel ne me peut plaire. se je m'en retourne sans prendre vengence de mes nobles barons qui ainsi sont detenuz on ne tiendra jamais de moy compte. mais seray vituperé a bon droit Macaire. Aulberry. Geoffroy et des aultres plus de cent qui estoient tous parens et traistres avec Ganellon et qui estoient moult puissans ensemble vont dire d'ung consentement. Sire empereur ne proposez de faire aultrement que Ganellon a dit. car il a parlé saigement. pensez de retourner en france sans aler plus avant. Nous sommes .xx. mille hommes qui avons fait serment ensemble que pour chose que vous dyés ne facez nous n'yrons plus oultre. car puis que rolant est mort ilz ont perdu leur confort et celluy qui estoit le chief de la conservacion de leurs personnes. Charles tout triste respondit. O dieu de paradis comment suis je determiné se je m'en retourne sans venger mes barons je feray pouvrement quant ilz soustenoient la couronne imperiale et mon vouloir. et je m'en retourne sans les venger. celluy qui me donne tel conseil ne m'ayme gueres je le voy bien. regnier frere de olivier se leva et dist. O empereur se tu croys es parolles qu'on t'a dictes ton gouvernement se portera si mal que par eulx toute france sera destruicte et mise a neant. et a qui que soit le dommaige il s'en passe de legier. Alors alorry qui estoit des traistres vint avant et dist Regnier vous avez menty de ce que vous avez dit. et se ne fust pource que le roy est present vous eussiez le chief coppé. nous sçavons bien qui vous estes. Vostre pere Guerin ne fut jamais que povre homme et de basse condition. et tout vostre lignaige ne sont que gens de neant. Le duc regnier ne peut pourter celle injure: mais s'en vint a luy et le frappa du point tellement qu'il le mist a terre. et la firent plusieurs reprouches. et y eut tel debat que se le roy n'y eust esté et n'y eust mys transquillité ilz se fussent tué l'ung l'aultre: car plus de mille se trouverent du lignaige de Ganelon. mais fierabras qui la estoit present les blasma moult fort. Et d'aultre part le roy jura sa couronne que s'il y avoit homme qui commençast bataille qu'il le feroit pendre comme larron prové de quelque estat qu'il fust. Et par ainsi ilz eurent paour d'offencer. et n'en fut plus parlé aultrement. Non obstant que le conseil fut prins entre eulx qu'ilz mettroient a mort regnyer aussi tost qu'ilz seroient en france. Charles les fit venir a luy et leur dist. Seigneurs vous m'avez fait une grande vergoigne. mais s'elle n'est amendee devant moy je en feray justice publicque. toutesfois il fut force pour obeyr au roy que alorry a genoulx criast mercy a regnier et jamais ne l'eust fait si ne fust pour appaiser la fureur du roy. et ainsi ilz firent paix. Et après cecy l'empereur dist son oppinion que se il s'en tourne arriere que ce sera grant deshonneur. La fut Geoffroy de hauteville pere de ganelon qui dist. Sire empereur je suis ancien et ay veu beaucoup: pourquoy il me semble que vous me deussiez aussi tost croire que homme de vostre compagnie. vous sçavez comment moy et ganelon mon filz vous avons tousjours aymé. et comment qu'il soit celuy qui vous conseille de retourner il a bon droit. j'ay desja le corps tout lassé de porter les armes. et soyez seur que avant qu'il soient vingt ans passez les enfans qui sont en france seront grans a porter armes. et se trouveront si grande compaignie que legierement pourrez conquester espaigne et venger la mort de rolant et des aultres ses compaignons. Quant charles entendit les parolles il ploura amerement. et luy fut force oultre son vouloir qu'il deust retourner en france et laisser ester ses ennemys. pourquoy a son de trompettes lon cry le retrait. et tantost les artilleries furent assemblees et les harnois troussez dont la compagnie des traistres fut joyeuse et plusieurs des aultres malcontens Et specialement regnier qui s'en tournoit sans son filz Olivier dont vous pouvez penser en quel estat estoit son cueur. car il avoit tout son confort perdu

Comment après la complainte de charles Richart vint a luy qui luy raconta les affaires des pers de france et qu'il en fut

Le .vi. chapitre.

Quant charles fut monté a cheval en chemin pour retourner il va prendre remors de rolant et des aultres comment il les laissoit sans faire aultre devoir. il s'arresta en disant. O malheureux que je suis je puis bien mener dueil quant de present je laisse les hommes que j'amoye au monde plus et m'en vois quant je les deusse venger a bon droit. j'en seray tenu pour fol et vituperé. O rolant comme je vous ay aymé. pourra jamais tant vivre vostre oncle qu'il voye vostre mort vengee. ne plaise pas a dieu que jamais je porte couronne sur mon chief veu la povreté de mon fait. Cecy disant a peu qu'il ne cheut a terre de la desplaisance qu'il eut. Grant dueuil fut fait a celle heure. Helas dist charles bien mal advisé je fus Rolant quant jamais je vous envoyé a l'admiral bien suis cause de vostre perdicion En faisant se dueil sa compaignie faisoye si grant bruit de retourner leur bernage que c'estoit merveilles. Et ainsi qu'ilz commencerent a chevaucher l'empereur regarda contre orient et de loing vit venir richart sur ung cheval moult courant. et tenoit en sa main son espee toute nue pourquoy l'empereur demanda a luy venir des plus grans de sa compaignie. et fist arrester l'ost qu'il n'alast plus oultre Je voy la venir ce dist il ung chevaucheur qui fait grant bruit. et meine a dextre ung beau courcier. et si me semble au chevaucher que ce soit richart de normandie. dont je prie a dieu le tout puissant que en cestuy jour me doint nouvelles de rolant et des aultres barons qu'ilz soyent en vie. Adonc voicy richart qui fist saillir son cheval moult dextrement devant le roy lequel le salua moult humblement. et dist a richart de normandie. Filz de noble baron comment vous portés vous qu'est devenu mon nepveu rolant et les aultres barons estes vous tout seul: sont ilz vifz ou mortz: dictes le moy je vous en prie richart respondit. Sire empereur rolant et les aultres quant je party d'eulx ilz estoient tous sains et en bon point et sont en aigremoire en une forte tour assiegez par l'admiral et sont envyronnez de cent mille sarrazins et saichez que l'admiral est ung homme moult fier et terrible qui a juré son dieu mahom que jamais ne partyront dehors qu'ilz ne soient tous penduz par le col et estrangler car voz barons ont avec eulx floripes la courtoise fille dudit admiral la plus belle que jamais fut veue laquelle a en sa garde les reliques que tant desirés: et vous mandent par moy que vous leur aidés a saulver leur vie et se vous leur subvenez vous pourrés conquester le pays d'espaigne et d'aultres biens assés. Grant consolation eut le roy charles et assez elle se peult entendre sans dire: et va jurer saint denis que ganellon estoit traistre plain de toute mauvaistie. et que jamais sa parolle ne son conseil ne seroient escoutez en sa court: car je voy que par luy ne demeure point que rolant ne soit mort. Or ça gentil richart dist le roy charles: est la tour en laquelle ilz sont bien garniz de vivres pour deffendre ung petit de temps s'ilz se peuvent tenir six jours je feray mourir l'admiral et tous ses complices. Sire respondit richart: je vous diray la verité. L'admiral est fier a merveilles et plain de cruaulté: et a grande multitude de gens innumerable lesquelz tiennent l'espace de deux lieux: la ville est forte ou il habite et remplye de tous biens et puis est deça la ville le pont de mantrible ou le passaige est si dangereux que merveilles les murailles de ceste cyté sont faictes de marbre encymentees et fortifiees de grosses tours: et y court une riviere treshydeuse qui se nomme flagot de parfont a deux lances et bruit si impetueusement qu'il n'est navire qui la peust passer et y est le pont qui dure une demye lieue et au milieu a une tour de marbre si forte que on ne la pourroit abbatre. La porte est garnie par dedens de barrieres de fer bien seures le pont et la garde de ce lieu est ung payen grant gros et hideux tellement qu'il ressemble mieulx ung dyable q'une personne: il est noir comme pege boullie. et a dix mille chevaliers en sa compaignie. pourquoy je sçay que nous n'y passerons point par force: car pour assault qu'on leur pouroit faire ilz ne doubtent riens. Et pource il nous fault passer par engins et subtilitez. aultrement ne pourrons passer nous conviendra par engins ou subtilitez: et aulcuns de nous serons dessoubz leurs vestemens bien armez: et par dessus porteront une grant chappe de drap et leurs espees dessoubz et viendront après noz gros sommiers de marchandises et vous a tout la chevalerie serez en ce petit boys et que chascun soit en grant point Et puis quant nous aurons gaignee la premiere porte je sonneray mon cors et a ce moment vous viendrez: par ainsi nous aurons passaige au plesir de dieu et viendrons a nostre intencion. Cestuy conseil fut bien approuvé par le roy charles qui donna plusieurs benedicions a richart pource qu'il avoit si bien dit: et par ainsi il fit mettre ensemble tous ses gens et en grant point lesquelz furent armez subitement. les estandartz furent levés et l'oriflant descouvert. Richart print son cheval et le donna au duc regnier. et vont lier herbes et foin et trousser sur plusieurs sommiers a guise de marchans chascun bien armé dessoubz la chappe. et l'espee seinte. et vont monter tous a cheval couvers. affin qu'on ne s'en print garde. et estoient en nombre de cinq cens chevaliers de grant façon et vont acueillir devant eulx ces sommiers par bonne entreprinse. Richart alloit devant de grande representacion. le duc hoel de nantes après. et guy de la valee. aussi Riol du mans qui frappoyent moult bien de l'espee le duc regnier pere d'olivier semblablement. et ainsi se misrent en chemin sans arrester. et Charles a toute sa baronie demoura en ung boys comme devant j'en ay fait mencion.

Comment par le moyen et conseil de richart de normandie a tout troys aultres barons le fort du pont de mantrible fut gaigné non pas sans grant peine et quel homme estoit galafre.

Le .vii. chapitre.

L'empereur de romme a tout cent mille hommes demoura au boys devant dit. et richart de normandie. hoel de nantes. riol et regnier gens qui estoyent tous vaillans de personne furent a chemin pour aller a mantrible et menoyent une quantité de sommiers chargez. quant les compaignons de richart virent flagot la riviere ainsi bruiant et l'entree de mantrible si forte le pont si dangereux a passer les portes de fer enchainees moult furent esbahys. car pour y venir par assault toute la puissance des crestiens n'y eust peu entrer par ce lieu qui n'avaleroit les pons et chaines de fer. Riol demanda a richart que ce peut estre de ce lieu et il respondit. Sachez que c'est la plus forte cité qui soit d'icy a acres et si a plus de mille hommes armez dedans. Hoel de nantes en fut tout effroyé et se recommanda a dieu qu'il fust garde de leurs personnes Richart dist. seigneurs je vueil aller devant et parleray premier. et quant nous aurons passee la premiere porte gardez que vous ostiez voz chappes pour frapper dessus ces payens et pour chose qui vous viengne que l'ung ne faille point a l'autre. Riol du mans respondit Ne doubtez point que quant je seray avec ces sarrazins que je ne face si grant devoir qu'il appareistra et se je ne fais comme je dis je veulx estre reputé mescreant et debouté. Après ces parolles ilz vont haster leurs sommiers contre le pont. et galafre les va veoir de loing et se va arrester près de la premiere porte: et tenoit en sa main une grande hache d'acier et n'estoit riens qu'elle ne tranchast. Celluy payen estoit grant et de forme si hydeuse et de telle representacion qu'il ressembloit mieulx ung dyable que une personne raisonnable les yeulx avoit si enflammez et estoit noir comme pege boullie: la gorge avoit grande d'une paulme: et de nés avoit plus de demy pié: les oreilles avoit si grandes qu'elles pouvoient bien tenir demy septier de blé les bras avoit longz et corbes. et les piez tortuz et le demorant du corps estoit assez contrefait: l'admiral ballant l'amoit moult et estoit son nepveu auquel pour la confiance qu'il avoit en luy il luy donna le pont de mantrible a garder a cause du passaige qui estoit plus le fort de toutes les marches de celluy pays. Lequel payen estoit connestable de toute la terre de l'admiral pourquoy il n'estoit pas besoing que personne des françoys fusse congneu de luy: mais ung seul n'en fust eschappé qui n'en fust mort. Ainsi qu'ilz furent a mantrible richart passa devant Et quant il fut a l'entree du pont galafre vint a luy et luy demanda vassal qui estes vous: pourquoy venés vous icy richart comme saige changa son langaige. et parla arragonnoys et dist. Sire je suis marchant qui viens de tarrascon avec aultres marchans et mene de drapperie grande quantité et voulons aller aux marchez moyen le dieu mahon auquel nous alons presenter noz marchandises et se nous estions a aigremoire nous nous sejournerions et donnerions a l'admiral aulcuns dons precieux que nous portons. ces aultres marchans qui sont icy sont tous esclaves et ne sçavent point de langaige: pourquoy beau sire montrez nous s'il vous plaist comment nous devons faire et par quel lieu nous nous en debvons aller Galafre va respondre. Sachez que je suis garde du pont et des aultres passaiges qui sont cy entour: mais devant hyer passa par cy sept gloutons françoys qui estoient messagiers a l'empereur charles qui ne m'ont pas encores payé le tribu toutesfois mon sire l'admiral les tient en prison desquelz en est eschappé ung coyment comme larron qui estoit monté sur ung cheval le meilleur que jamais je veis qui passa oultre ceste eaue courante qui m'a occis mon cousin le roy clarion dont j'ay melancolie bien grande Or pleust au dieu mahom qu'il fust icy sur ce pont je le fendroye jusques au millieu du ventre sans avoir de luy ne pitié ne mercy. L'admiral despuis s'est doubté de trahison pour son filz fierabras qui a regnié mahom et la loy payenne pour devenir crestien. et m'a mandé troys fois que je ne laisse passer personne ne seigneur ne chevalier ne serviteur. et que j'avisasse bien la façon de tous pour sçavoir la condition des passans. ainsi je veulx sçavoir la vostre: Monstrés moy quelz vous estes. Richard voyant cecy baissa le menton. Riol du mans Hoel de nantes et Renier de gennes vont avant sur le pont. Quant galafre les veit il se commença a doubter et leur dist qu'ilz n'entrassent plus avant et s'avança et tyra le pont amont. et ne furent leans sur le pont que quatre desquelz il ne se doubtoit point et leur dist par grant fierté. Vous avez estez bien hardys quant vous estes entrez ceans sans mon commandement. et pourtant tous quatre serez emprisonnez et les aultres qui viennent après vous: et demain vous transmettray prisonniers a mon syre l'admiral pour faire de vous a son plaisir. deffeublés toutes ces chappes pour veoir que vous portés dessoubz: car vous semblez tous gens de mal affaire Cecy disant il print Hoel par le chapperon et luy fit faire par devant luy quatre tours Par dieu ce dist Riol je ne pourroye plus endurer qu'on fist plus injure a mon cousin. et se plus je le soeuffre que je soye confus. Adonc si deffubla sa chappe et frappa sur le payen: mais il estoit si fort armé qu'il ne luy sceut faire dommaige si non qu'il luy coppa ung petit de l'oreille. Richard et regnier semblablement furent desaffeublez chescun l'espee en la main frapperent tous ensemble sur galaffre et maintz coupz luy ont donné: mais le corps ne la teste ne luy povoient entamer car il estoit armé de la peau d'ung viel serpent croté et moult endurcy. Cestuy payen fut courroucé et cuyda ferir riol et hauça sa hache moult trenchante: mais Riol veit venir le coup et habile pour tyrer arriere et le coup frappa a terre tellement qu'il fendit la pierre de marbre sur laquelle le coup se trouva. He dieu de paradis ce dist regnier comment il a frappé oultrageusement. je suis tout esbahy de la puissance de ce dyable que nous ne povons conquerir ne grever. Cecy disant il print une grosse branche de boys qui estoit longue et forte et avisa le payen et vint contre luy si impetueusement et l'ataignit tellement par dessoubz qu'il le fit tresbucher a terre. et ainsi qu'il se veit cheoir il fit ung cry si hault que la riviere et les roches en firent grant bruyt. a celle voix les payens de mantrible furent commeuz et assemblez si que en peu d'eure ilz se trouverent plus de dix mille armez grant commocion se fit en celle heure. Richard de normandie courut au pont et l'avalla et entrerent leans les cincq centz chevaliers que les quatre barons avoient amenez avec eulx: mais a l'entree de la porte les payens les ont rencontrez. adonc grant meslee se fit. maintz coupz mortelz se sont donnez. plusieurs se trouverent mortz et navrez. Richard print son cor et alla sonner haultement trois fois Charles l'entendit bien qui estoit au bois devant dit avec toute sa puissance. et chescun fut a cheval prestement. et n'y eut personne qui cessast de courir jusques au pont. Ganelon qui se trouva après traitre se porta adonc vaillamment: car il fut le premier qui se trouva sur le pont a tout estandart levé: mais loiaulté de luy et de ses parens ne dura gueres comme après verrons au dernier livre.

Comment par force de mortalité et de bataille charles entra en mantrible après que galafre fut mort: nonobstant que alorry traitre luy vouloit estre contraire et d'autres matieres.

Le .viii. chapitre.

A l'entree de mantrible furent plusieurs mortz et confonduz tant des françoys comme des sarrazins et a celle heure l'empereur y fit ung grant portement: car celluy qu'il attaignoit de son espee il failloit qu'il morust tant frappoit roidement: et près de luy celluy jour ganellon qui faisoit grant debvoir. Les fossez estoient parfondz et plains d'eaue dont plusieurs furent plongez dedens. ainsi comme charles passa devant et ses gens après il veit galafre que n'estoit point mort et qui sembloit mieulx dyable que personne raisonnable et tenoit la hache en sa main: dont il avoit mis a mort trente françoys dont l'empereur estoit moult courroucé et par adventure il eust porté grant dommaige aux françoys le voyant ainsi a paulx et perches ilz l'ont tellement frappé qu'ilz ont occiz. Le bruyt fut si grant que a cincq lieux a la ronde les payens ouyrent le cry comment le pont de mantrible estoit conquis: pourquoy a ces nouvelles vindrent plus de cincquante mille sarrazins armez pour faire aide aux citoyens de mantrible a destruire tous les françoys. Les murailles de la ville estoyent de marbre et si fortes que bien estoit chose impossible les conquester. A celle meslee vint ung geant moult fier qui se disoit Aupheon. et avoit sa femme nommee Amyote partie des geans qui avoit faicte sa gesine de deux filz qui avoient quatre moys et chascun de poictrine deux piedz et de long dix piez comme l'ystoire le dit. Cestuy geant ouvrit la porte et tenoit en sa main ung pal de fer gros et massif. Et quant il fut oultre la porte a sa voix tenebreuse et dyabolicque il va crier. Ou est charles le roy de france veult il maintenant porter les reliques a saint denis. par mahom auquel je me conforte: il vaulsist mieulx au viellard rassoté qu'il fust maintenant a paris. Et sachés de certain que se l'admiral le tient jamais de luy n'aura mercy: mais le fera pendre ou escorcher tout vif ou ardoir en ung feu. après qu'il eut parlé il mist a mort plusieurs françoys de ce pal de fer. En celle rencontre furent trouvez une si grant multitude d'ommes qu'ilz fasoient empeschement aux autres Charles qui veit la façon descendit a terre moult courroucé en son couraige et mist son escu devant luy l'espee au poing et ses barons après luy vindrent a ce geant. et après que le roy et luy furent assemblez charles a tout joyeuse le frappa si roidement qu'il le fendit jusques aux piedz. et puissamment il recouvra son coup et le fit cheoir a terre dont tantost après il fut mort: pourquoy les sarrazins furent tous commeuz et espouvantez et comme gens enragez frapperent sur les françoys de dartz et de plombees et d'autres engins mortez charles crya secours pour mettre ses gens ensemble. A celle voix furent près de luy Richart de normandie Regnier de gennes Hoel de nantes et le sire Riol du mans. qui tous avoient couraige de lyons. Ces quatre barons avec charles firent remuer les payens et entrerent a force dedans la ville de mantrible. Et tantost ces turcz qui estoient plus de .x. mille vindrent a la porte pour la fermer. Et faisans grant deffence a tous ars et aultres traitz sans les autres qui venoient après et qui gardoient les passages qui estoient bien selon l'istoire cinq mille mais ilz ne sceurent trouver maniere de lever le pont: car il fut conservé par les françois qui vindrent contre les sarrazins. Grant bruit se fit en celle rencontre et se charles le doubta ce ne fut pas merveilles. car il sçavoit bien que ce les sarrazins eussent levé le pont contre la porte de la ville il n'estoit pas a luy possible de passer oultre Et luy voyant lever contre les portes les grosses barres de fer il se pensa tantost qu'il ne passeroit plus oultre. et de cueur doulent il commença a regreter. rolant son nepveu et les aultres comme se jamais il ne les pensast veoir. Richart cecy considerant dist. Sire empereur en l'onneur de dieu ne vous esmaiez point mais pensons de chappler ces turcz et frapper sur eulx dieu nous aidera. vous sçavez qu'il n'est si franc ne si valeureux que s'il se veult acouardir qu'il ne soit mesprisé et a bon droit et je te prie qu'il soit confondu celluy qui se laissera prendre vif pour mourir après et qui ne ayme mieulx estre chapplé et mis en pieces que de retourner. et sans plus sermonner avançons nous. car a ceste fois il fait besoing que chascun esprouve sa force et valeur de sa personne. A celle parolle d'ung grant couraige vont entrer en la ville et charles regnier. hoel. riol. et richart ces cinq tant seulement l'espee en leur main et devez sçavoir qu'ilz ne sont point entrez sans grant meurtre de ces turcz et payens. Charles voyant venir grant multitude de sarrazins va crier a l'arme et secours moult haultement et furieusement. Ganellon l'entendit. et luy en print pitié moult grande et nonobstant que a la fin il ne se trouva pas bon il s'en vint a geoffroy et escryia haulteville son pere et ses aultres parens qui estoient armez en nombre de .vii. mille. et tous a pié vindrent assaillir la porte. les turcz firent grande deffence a tisons de boys. barres de fer. et aultres traitz mortelz. Et pour lors furent plusieurs mortz et navrez des gens dudit ganellon. Allorry le traistre va venir Par ma foy nous sommes bien folz de nous faire mourir et submettre a tel torment puis dist a ganellon de rechief. Bel amys alons nous en charles est leans bien empesché ne plaise pas a dieu que jamais il en saille et tu peulx veoir que de luy et de regnier maintenant nous avons vengence des contraditions qu'il nous ont faites et des aultres leurs subjectz semblablement de malle mort puisse il mourir qui plus avant les suivra. car nous pouvons gaigner france a nostre aise et a nostre vouloir. et la tenir sans contradicion veu qu'il n'est baron qui se mist a nous vouloir estre contraire. Ganellon respondit. Ne plaise pas a dieu de gloire que je face telle traison a mon seigneur droiturier. nous tenons de luy noz terres et seigneuries je seroie trop desloyal esprouvé se je consentoye a sa mort nous n'avons pas cause que nous ne facions nostre devoir pour luy. Quant alorry l'entendit a peu qu'il n'enragea. et puys dist a ganelon vous estes fol tout esprouvé que allés attendent quant maintenant venger vous povez. se l'empereur est occis les aultres barons auront tous la teste copee et par insi de tous noz ennemys nous avons vengeance bien propice laissez tout et vous en venez. ganelon respondit: ja a dieu ne plaise que je soye trouvé traistre a mon seigneur ne que je le laisse ainsi empesché que je ne face mon devoir. j'ameroye mieulx estre desmembré que de personne en cestuy fait estre blasmé. De ces parolles fut mal content alourry et aussi geoffroy de haulteville tellement qu'il en fut grant debat entre eulx Sur ce vint fierabras en grant point et commença a crier ou estoit charles. Le traistre respondit. Sire jamais vous ne le verrez il est leans enclos et cuide qu'il soit ja mort. Fierabras respondit et vous aultres que faictes vous icy que attendez vous que ne le secourez vous. de cestuy fait vous pourrez estre de traison reprins et a bon droit et puis commença a cryer secours haultement pourquoy a sa voix les françoys vindrent sans arrester jusques au beffroy. et trouva fierabras ganelon qui avoit ja laissé les traistres a l'entree du pont navrez fierabras fut bien joieux quant il veit que le pont n'estoit point levé. pourquoy luy et ganelon feirent grant devoir d'entrer en la cité. Et quant ilz furent leans et les traistres virent la ville ainsi gaignee par maniere de faire grant devoir vont entrer après et fraperent avec les aultres communement et grant abondance de sang couroit parmy la ville des corps tant qu'on s'esmerveilloit. Ces sarrazins cryoent et braioyent comme loupz affamez: quant ilz veirent qu'ilz ne sceurent resister ilz demanderent a l'admiral qu'il les secourust et prierent a mahom et talvagant qu'ilz leurs voulsissent aider et se desconforterent doulentement. Ilz sont deboutez dehors de leurs maisons. ilz sont robez et pillez de leurs richesses. Cecy faisant ung messagier departit secretement pour aller contre aigremoire dire nouvelle de leur destruction.

Comment amyote geante a tout une faulx fit grant devoir contre les crestiens et comment ses deux filz furent baptisez: et de l'admiral ballant quant il sceut les nouvelles.

Le .ix. chapitre.

Quant mantrible fut prins maintz coupz y furent donnez: mais quant amiote la geante ouyt le cry des citoyens moult fut perturbee elle estoit noyre comme pege bouillie. les ieulx avoit rouges comment feu ardant. grosses levres. visaige tortu et grande de l'aulteur d'une lance. et toute effroyee tant de la mort de son mary comme de la paour de ses deux filz. desquelz elle estoit nouvellement relevee. voyant cecy comme esgaree saillit hors de sa maison et trouva une faulx trenchant a merveilles et vint sur les françois si impetueusement que grande desconfite en fit tellement qu'ilz n'osoyent soy mettre devant elle. Le roy charles cecy voyant fut malcontent de la mort de ses gens et demanda une arbalestre. Et quant elle fut tendue il tyra a elle si droit qu'il l'attaignit entre les deux sourcilz. et tantost cheut a terre comme morte. Elle commença a getter par la gorge une flambe de feu moult hideuse. toutesfois tant fut frappé de pierres et autres choses que jamais ne se bougea. pourquoy après cecy les portes de la ville et aultres deffences ne furent gardees que charles ne fist a sa voulenté de tout Grande richesse vont trouver en ceste belle ville et moult bien refaitz en furent les subjetz de charles de l'or et de l'argent qui y estoit moult abondant. car l'admiral ballant a cause du lieu qui estoit fort et seur y avoit mis grans tresors. Le roy fit par maniere que les grans et les menuz furent tous contens de lui tant fit valeureusement. Et demoura troys jours en celluy lieu en distribuant les biens selon les degrés et qualités des subjectz Et après que charles s'en alloit esbatant près de flagot en une cave furent trouvés les deux enfans dessus nommez filz d'amyote la geante. desquelz il fut bien joyeulx et les fit baptiser a l'ung il mist nom rolant et a l'autre Olivier. et les fit nourrir tendrement. mais avant deux moys ils furent trouvez mortz en leurs litz. dont l'empereur fit male chiere. Toutesfois en celluy temps qui estoit le moys de may que la forte cité de mantrible fut prinse et mise en subjection charles fit venir a luy richart de normandie. regnier de gennes. hoel de nantes. riol du mans et prindrent conseil lequel garderoit le passage de mantrible tandis qu'ilz devoient destruire ballant l'admiral et mettre hors de prison les autres pers de france. Richart respondit. Sire ampereur a mon semblant bon sera que hoel et sire Riol demourent pour le garder acompaignez de cincq milles hommes. Et ainsi que richart le dist il fut fait et demourerent leans. et les navrez qui se firent guerir a leur loisir. Et puis a son de trompettes l'ost de l'empereur fut en point et en chemin pour aller a aigremoire. et estoient tant de gens et en si grant estat que c'estoit merveilles. Ainsi qu'ilz furent ung petit loing l'empereur monta sur une petite montaigne pour regarder ses gens et subjectz. voyant la multitude il leva les yeulx au ciel et dist Sire dieu mon createur qui par vostre plaisir et grace m'avez fait seigneur et conduiseur de celluy peuple de tresbon cueur je vous en rends louenge. Grande puissance m'avez donnee quant j'en puis faire a ma voulenté. Après qu'il eut ce dit il se seigna et au nom de jhesus se mist en chemin. Et avoit en sa compaignie cent mille chevaliers et bien faisoient besoing. car l'admiral avoit les batailleurs. de .xiii. contrees Les françoys chevaucherent. richart de normandie fist l'avangarde et le duc regnier fit l'autre et vont sans arrester oultre la terre de surie. et tantost les nouvelles furent a l'admiral que galaffre estoit mort et que mantrible estoit prinse et desconfite dont il pasma de dueil. et cria comme tout hors du sens en disant. Ha dieu mahom que ta force est bien faillie maulvais dieu recreant tu ne me vaulx riens bien est fol celuy qui en toy se fie quant m'as laissé mourir mes hommes et as consentu a mon deshonneur. Cecy disant l'admiral print une massue a deux mains et courut a mahom et aux autres dieux et donna si grant coupt a mahom sur la teste qu'il fut tout cassé et desrompu. Se l'admiral et les autres payens n'estoient bien abusez ilz pouvoyent bien congnoistre clerement leur infidelité et faulte de creance de invoquer les ymages qui ne sçavent parler ne donner confort. et n'ont consolacion quelconque. petit entendement est de cecy faire et contrarieté de nature donne foy de adjutoire a la chose faicte de la main de l'omme. toutesfois sortibrant de conimbres voyant la desolacion de l'admiral le consola tant qu'il peut en le chastiant de l'injure faicte a mahom. L'admiral luy dist je ne me pourroye incliner a luy faire obeissance voyant que charles a gaigné par sa puissance ma cité et forte tour de mantrible ou j'avoye mon dernier confort a moy tenir pour le plus sur. sortibrant respondit. Sire admiral envoyez une espie pour sçavoir se l'ost de charles vient contre vous. et s'il est vray chevauchons contre luy a bataille unie. et s'il peut estre prins et ses gens. faictes le pendre sans en avoir misericorde. et puis vous pourrez getter de vostre tour ces gloutons qui la gardent. et que vostre filz fierabras que leur fait aide ait la teste couppee et criez mercy a mahom que avez offencé et luy priez qu'il vous soit en aide. Quant l'admiral eut ouy sortibrant considerant son affection il se trouva contre mahom et intencionné de faire ce que devant a esté dit.

Comment les pers de france furent assaillis plus fort que jamais. et la tour quasi mise par terre. et reconfortees par les sainctes relicques par eulx adorees et aultres matieres.

Le .x. chapitre.

Sortibrant pria tant l'admiral avec luy le viel roy Coldroe tempeste et Brullant de mommiere que pour l'injure qu'il avoit faicte a mahom devant tous ils luy firent amander. L'admiral content pour leur affection jura qu'il croistroit mahom et augmenteroit d'ung mille pesant selon leur coustume de fin or et aultres preciositez. Et tantost fist sonner trompettes et aultres engins au son desquelles furent assemblez sarrazins innumerables tous armez. et fist l'admiral apporter tous ses engins pour getter grosses pierres affin qu'il peust mettre bas la tour. et aussi qu'il destruist les françoys et sa fille. et ainsi furent qu'ilz n'avoyent jamais esté. et vint assaillir celle tour et tirer ses engins contre dont ces mescreans desloyaulx firent cinq pertuis a cinq coups que par le moindre fust passé ung char oultre a son aise charroyant. Quant cecy se faisoit aux fenestres estoyent olivier et rolant leurs escuz en leurs colz et l'espee en la main et n'y eut si hardy d'entre eulx qui lors ne fust esbahy nonobstant que tous avoyent bon vouloir d'eulx deffendre. Celluy tousjours qu'ilz pouvoyent attaindre de pierres et aultres traitz jamais ne leur faisoit dommaige. Cecy faisant l'admiral va crier. O mes amys et subjectz faictes bon devoir de mettre par terre celle tour. car se vous le faictes vous aurez mon amour entiere. et puis feray. Floripes la putain mourir honteusement en ung ardant feu. car bien la deservy en me faisant deshonneur que chascun scet Après ces parolles les payens furent plus fermés qu'ilz n'avoyent esté devant. et a force vont echeler la tour et monter aux pertuis tellement que les .x. barons ne tenoyent sinon le meilleur estage qui y fust Rolant voyant cecy leur dist. Seigneurs en l'onneur de dieu le createur d'un couraige faisons tous bon portement ou aultrement nous ne passerons point cestuy jour que nous ne soyons surprins et deffaictz. Compaing respondit olivier nous sommes ceans .x. tant comme il plaira a mon createur et tous bons batailleurs au nom de dieu je conseille que nous yssions hors pour assallir noz ennemys j'ayme myeulx mourir la hors et me faire chappler que mourir ceans a deshonneur. Ogier le dannoys et les aultres dirent semblablement Floripes voyant cecy fut bien marrye et demanda les barons qui se mettoient a chemin pour assallir les payens et leur dist Francz chevaliers d'onneur je prie a dieu que a ceste foys vous doint victoire et faire bon portement et je vous prometz que se vous yssiez hors de cestuy assault present je vous monstreroye chose dont vous seriés joyeux. A ces parolles les barons vont frapper et chappler les turcz si vigoureusement que plusieurs furent mortz et navrez qui estoient aux pertuys faitz en la tour tellement que plus de cent furent getez aux fossez. et tantost que les barons eurent gaignez les partuitz et degetez leurs ennemys tantost ilz furent cloz et estoupez. Et puis floripes demanda tout premierement Naymes le duc de bavieres et Thierry le duc d'ardaine et dist. Seigneurs desja une foys m'avez promis et juré que vous ne ferez chose oultre ma volenté. Je vous vueil monstrer la couronne de jesucrist et deux des cloux dont fut cloué que j'ay gardé longuement. Les barons voyans cecy vont plourer de joye et luy jurerent qu'ilz ne feroient a elle sinon toute loyaulté. Floripes ala querir le coffret moult riche et bel. et puis devant eulx le va ouvrir. et tantost que les reliques furent desaffublees grande clarté y fut veue et merveilleuse resplendisseur. Adonc les barons s'enclinerent devotement eulx frappans a la poictrine par grant contriction de cueur. Le duc naymes de baviere fut le premier qui les baisa en grant reverence et les autres après et puis vint aux fenestres car les payens estoient montez en hault et aussi tost qu'ilz les veirent tous en ung bruyt tomberent a terre mortz et desromputz. Quant naymes vit ce dist. O sire dieu de gloire qui peulx tout faire je te rens graces et louenges: car je congnois bien que ce sont les reliques dont avons parlé souventesfois. Et incontinent print hardiesse et couraige et dist a ses compaignons. Freres maintenant sommes reconfortez que jamais ne doubterons ne payens ne sarrazins. Puis floripes print les reliques et les mist au coffret honnestement. L'admiral vit les princes aux fenestres et sa fille avec eulx. et plain d'une fauce intention l'escrya a haute voix affin qu'il fust entendu. O floripes belle fille je voy bien ou vous estes. moult fut fol vostre pere quant en vous se fia et plain de fol conseil fut celuy qui mist en vostre main moyen vostre langaige les premiers prisonniers. J'ay tousjours ouy dire que l'omme est fol qui se fie en femme en chose d'importance. mais toutesfois vostre puterie ne durera guieres ainsi que m'y fie. car je vous jure que je despartiray les amours que vous avez avec ces gloutons françois et chascun de vous feray ardoir sans pitié nulle avoir. Floripes ouyt les parolles et puis print ung baston et fist signe de menasses a son pere pourquoy l'admiral cecy voyant commença a sonner et fit convoquer ses gens et traire pierres et beffroys contre celle tour tellement que bien tost une grande partie tomba a terre adonc les françois se doubterent fort de ceulx qui montoyent a mont et vindrent en une chambre rolant olivier et ogier ou estoyent mahom. appolin. talvagant. et margot les dieux moult riches. Rolant print appolin qui estoit moult pesant et le getta sur les payens. Olivier talvagant et ogier tint margot et en frapperent les sarrazins tellement que ceulx qui en furent attains ne leur firent jamais dommaige ne contraire. Quant l'admiral vit ainsi vituperer et getter ses dieux il print telle ire et si grant courroux en son courage que de dueil il tomba comme mort a terre. sortibrant a grans pleurs le leva sus et avec luy plusieurs aultres plourerent et firent desolacion bien grande. et puis dist l'admiral. Seigneurs et amys a tousjours sera mon amy special celluy qui vengera la honte que ces gloutons ont fait a mes dieux. sortibrant mist grant peine a le conforter et le voulut conforter en disant que en brief temps se vengeroit de tous veu que la tour estoit faulcee en plus de .xv. parties. o mahom dist l'admiral bien m'avez oublié au plus fort vous faictes faulte. vous estes ja tant vieil que vous estez assoté. j'ay bien veu le jour que vous aviés grant puissance. sortibrant respondit. sire vous avez maulvaise coustume quant sur mahom parlés ainsi mallement vous sçavez que oncques ne fut ne ja ne sera si bon dieu. Il nous donne planté de blé. de vin et d'aultres biens assez. il fera assez bien pour nous quant il aura pensé. mais maintenant il est tresmal content encontre vous pour le cop que vous luy avez donné sur le nez. attendés ung petit qu'il soit desenflé les françoys vous rendra bien tost que vous tiendrés a vostre plasir. Sur ces parolles mahom fut apporté devant luy. et ung diable entra dedens qui parla en ceste maniere après que de tous fut adoré. Amiral riche sire ne vous desconfortés point. faictes sonner voz trompettes et cors et assemblez vous gens puis assallés ceste tour. car je vous dy pour vray que a ceste fois vous prendrés les françois A ces parolles l'admiral fut tout esjouy et fit crier l'assault de rechief. et tous les beffroys et gresles et aultres engins a getter pierre furent en grant point et vont traire contre la tour qui estoit ja bien corrumpue et firent tel portement que a peu de fait tout venoit par terre. Les pers de france voyans cecy eurent meditacion de gangner et non pas sans cause: toutesfois ogier le dannois dist a ses compaignons loyaulx remplis de fidelité sur peine de mourir gardons que entre nul de nous ne soit trouvee traison et mettre hors de son pensement infidelité et couardise vous voyez maintenant que la tour va par terre et a peu de fait ces mastins sarrazins seront meslez avec nous. mais quant est de moy je jure dieu mon createur que devant que l'ame me parte du corps que tant que je auray puissance et tant que je pourray tenir courtain mon espee je feray si grande desconfite de ces payens que chascun en prendra merveilles. A ces parolles rolant regarda durandal et chascun des aultres regarderent leurs espees et furent tous renouvellez de force et de couraige. Et tous d'une voulenté vont sur les payens et firent telle diligence que tousjours furent seigneurs de la tour et recullerent arrieres leurs ennemys. Floripes considerant leur affaire estoit fort doulente voyant qu'il ne leur venoit point de secours et aussi considerant les menasses de l'admiral son pere: mais Guy la reconfortoit tant qu'elle estoit contente.

Comment les françoys ouyrent nouvelles de l'ost de charles et l'admiral aussi: et comment Ganellon se porta merveilleusement quant tout seul fut envoyé a l'admiral et qu'il fist.

Le .xi. chapitre.

Les françoys estans en ceste peine continuelle de batailler pour deffendre la tour. Le duc naymes de bavieres monta hault sur une fenestre et veit aval la valee une enseigne de saint denis qu'on portoit bien haultement: et puis grand compagnie d'ommes armez après luy et pensa a luy mesmes qu'ilz leur venoyent au secours: et appella les autres barons pour veoir celle banniere. Aussi tost que floripes entendit les parolles elle vint a Guy en disant Glorieuse vierge marie mere de dieu vous soyez honnoree de parolles que j'ay ouyes. Noble chevalier Guy de bourgoigne mon amy chier. Approuchez vous de moy s'il vous plaist et me baisez. De la joye de floripes furent joyeux les contes et pouvez penser s'ilz furent consolez quant ilz veirent l'estandart de france ou estoit le dragon bien figuré: grant joye estoit entre eulx et a bonne cause veu le dangier ou ilz estoient. Tantost ung payen vint a l'admiral et luy dist comme charles l'empereur a tout cent mille hommes armez venoit faisant grant bruyt. Le roy coldroé conseilla que chascun fust armé et qu'on allast audevant de luy pour le confondre de la premiere face son conseil fut approuvé par l'admiral et par les aultres pourquoy cinquante mille turcz furent assemblez en grant point pour garder le grant val de josué affin qu'on ne peust venir a agremoire. Rollant vit richart de normandie et l'estandart levé qui venoit tout devant et se arresterent pour repaistre leurs chevaulx et pour passer la nuyt s'aprochoit fort et pour faire logis sans aultre chose ilz se vont reposer celle nuyt. car leurs tentes estoyent demourees a mantrible. Le matin l'empereur fit armer ses gens et mettre en point et demanda fierabras d'alixandrie et luy dist. Amys treschier tu sçays que je t'ay fait baptiser dont je t'en ayme plus amplement: se tu veulx point pourchasser que Ballam ton pere se veulle baptiser et renoncer mahom et tous ses dieux diabolicques j'en seray bien joyeux: et te prometz que du sien je ne prendray pas ung denier: et s'il ne le veult faire force me sera de batailler contre luy: et se le mal luy en vient tu ne m'en sçauras point de malgré car je n'en pourray mais. Sire empereur dist fierabras Prenez ung messagier et luy mandez s'il veult faire ce que vous dictes et j'en seray content: car s'il contredit jamais pour luy ne prieray ne partie de luy n'auray se je le veoye mourir. Sur ce charles demanda regnier et richart qui estoient ses conseilliers prouchains et leur dist Seigneurs lequel vous semble estre propice pour faire ce messaige a l'admiral: a mon advis que ganellon sera bon. quant il veult pour raconter et parler entierement je le congnois bien suffisant et vous sçavez qu'il fist grant portement a l'entree de mantrible se vous voulez consentir a moy il fera le messaige. Richart respondit et regnier aussi qu'il feroit bien le messagier. Le roy demanda ganellon et luy dist mon amy nous vous avons esleu pour aler dire a l'admiral Ballam qu'il se baptise. qu'il regnie mahom et qu'il preigne jhesucrist pour son dieu. et qu'il croye en luy et en sa passion. et puis qu'il me rende mes barons qu'il me tient en prison. et aussi les relicques que de long temps je luy demande. et s'il fait cecy nous luy laisserons son pais. et sa terre. se aultrement il veult faire nous luy ferons guerre mortelle et ne le prendrons point a mercy. Ganellon fut content d'y aler seulet. et se fist relier son heaulme et monta sur ung cheval nommé gascon en son col pendu son escu ou estoit le lyon paincturé. et puis s'en va en la valee de josué hastivement. et tantost il fut prins des turcz qui gardoyent le passaige. et quant ilz sceurent qu'il estoit messagier pour parler a l'admiral ilz ne le turberent point aultrement. et ne arresta point tant qu'il fust devant l'abitacion de l'admiral. et puis se appuya a sa lance a belle contenance. et moult resembloit baron de grant valeur pour bien dire son messaige comment qu'il en aille. Quant l'admiral sceut les nouvelles il vint a luy et puis ganellon a belles parolles luy dist hardiement en ceste maniere. Sarrazin entens a moy. je suis messagier du noble charles du roy de france et trespuissant empereur. et te mande par moy que tu veuilles regnier mahom et tous autres dieux diaboliques. et croy en jhesucrist le redempteur qui print chair humaine et souffrit mort amere en l'arbre de la croix pour racheter le monde. et se tu le fais tu es asseuré de non pas mourir. et ne perdras pas de ta terre riens qui soit. et si seras tousjours de luy aymé et de ton filz fierabras. et se tu contredis sachez de certain que de charles tu es deffié et de tous ces gens et se tu te veulx sauver pense d'aler hors de ceste terre. car se tu peulx estre tenu tu seras livré a mort et tous tes subjectz seront desmembrez et occis. et puis donnera ton royaulme a ses serviteurs. pourtant advise bien le passage. Quant l'admiral l'ouyt a peu de fait qu'il ne enraga de ces parolles. et par detresse de deuil il print ung baston pour frapper ledit messagier. et luy dist glouton paillart tu es bien desmesuré en ton langaige. par mahom a qui je me suis donné a ceste fois tu as bien esté trop hardy et bien peu t'ayme charles quant il t'envoye a moy. et tu es bien seur que jamais ne luy raconteras ton message. et seur ce il commanda a ses gens qu'il fust prins. Ganellon voyant qu'il n'estoit pas bien seur avec eulx il print son espieu qui avoit le fer quarré et agu et donna si grant cop a brullant de mommiere en la poictrine qu'il le traversa tout oultre et cheut aux piedz de l'admiral. lequel cecy voyant cria moult fort dont a sa voix furent tantost a cheval plus de .l. mille turcz pour prendre ganellon lesquelz ne font que courre après luy par le val de josué. mais il ne fut point attaint. Le duc naymes estoit aux fenestres et le vit chasser et demanda rolant et olivier et vont congnoistre de certain qu'il estoit crestien et par presumption faicte entre eulx ilz vont juger que c'estoit ganellon qui parle a l'admiral Helas dist rolant je prie au redempteur qu'il te doint passer oultre sans dangier: bien seray malcontent se tu ne viens a ton desir. Les aultres barons disoient semblablement et prioient dieu pour luy. Ganellon courut tousjours oultre tant qu'il fut au hault de la montee et puis se tourna contre les payens et veit venir contre luy ung gros payen de la cité d'aigremoire/ et il tira son espee nommee murgalle fort trenchante et attaignit le payen sur son heaulme et le fendit jusques a la poictrine/ et puis occit tenebre qui estoit frere du roy sortibrant. Olivier veit tout son portement et dist a rolant. Frere regardez la vaillance que ce baron fait: je prie a dieu qu'il conserve: et sachez que en mon cueur je l'ayme tant excepté vous et charles je n'en ayme point plus chierement. Pleust a dieu que je fusse maintenant en sa compaignie. grant martire feroye a ces mauditz payens. Tousjours plus fort il fut chassé des mescreans mais quant ilz veirent l'ost de charles ilz retournerent arriere et vont compter toute l'affaire a l'admiral et comment ilz estoient plus de cent mille combatans pourquoy ilz conseillerent que chascun fust armé et celluy conseil fut approuvé: mais quant sortibrant sceut que son frere estoit mort fit venir innumerable compagnye de sarrazins pour venger sa mort en menassant charles grandement. De son intencion fut bien joeux l'admiral affin qu'il peust mieulx venir a son vouloir.

Comment charles l'empereur ordonna .x. battailles et comment ilz firent et comment ilz furent rencontrez de la puissance de l'admiral ou l'empereur fit merveilles et aultres matieres.

Le .xii. chapitre.

Quant ganellon fut au roy charles il ordonna dix batailles après que le dit ganellon luy eut racompté son son message qui fut tel. Sire empereur je vous dy de par l'admiral qu'il ne vous prise ne doubte vous ne voz faitz ne voz ditz: ne dieu ne ses sains ne sainctes si suis esté adventureux quant ne m'ont occiz: car j'ay esté chassé par .xx. mille sarrazins après que l'admiral m'a voulu detenir. Et après ces parolles je leur ay mis ung de leurs roys a mort pour quoy il fut loué du roy et d'aultres. Et tantost fit sonner les cors et trompetes et fut ouverte la guerre de toutes pars. Rolant ouyt bien le son des françoys pour quoy tous se vont resjouyr et faire bonne chiere. Quant les deux ostz se vont rencontrer tout le pays reluysoit de leurs armes tant y en avoit. puis comme j'ay devant dit le roy Charles fit .x. batailles. La premiere il ordonna a richart de normandie. Le duc regnier de gennes eut la .ii. Ganellon la .iii. La .iiii. alorry. La quinte geoffroy. La .vi. Macaire. La .vii. Hardre. Amanguis. La .viii. Sanson la .ix. De la .x. fut conduiseur charles: et en chascune avoit .x. mille hommes pour le moins. Quant l'admiral veit venir le roy dist a brullant qu'il seroit le premier a entrer en bataille a tout cent mille payens et luy dist que s'il prenoit charles qu'il ne fust point occiz ne fierabras: car il leur vouloit faire copper les testes Et sur ce point commença a aller. Brullant ung grant traict d'arc devant les aultres et commença a crier Haro haro ou est charles a sa maulvaise chiere: je viens a luy grande folie tu entreprins quant tu passas la mer et trop tard tu t'en repentyras aujourd'uy sera le diffinement de la vie de tes gens et sans faulte tu seras rendu a l'admiral et tout ton pays sera gasté. L'empereur ouyt bien ces parolles pourquoy tout furieux laissa courre son cheval et vint contre le payen et l'attaignit tellement que ses harnois furent faulcez et puis tyra son espee et ne l'abandonna point tant qu'il fust mort: de la s'en vint a ung turc roy de pietrelee et le frappa tellement qu'il cheut mort a terre. Et quant sa lance fut brisee fit grant devoir avec joyeuse son espee: car celluy qu'il attaignoit jamais ne luy faisoit paour A telle heure il fit merveilleux portement. L'ung des ostz parmy l'autre se va mesler par telle maniere que jamais ne fut veue guerre si mortelle: car ceulx qui estoient vifz furent empeschez pour les mortz. Adonc entre les payens avoit ung turc qui avoit nom tenebre qui vint faisant grant bruyt sur les françoys et attaignyt premierement le noble jehan de ponthoise sur son escu et le mist en pieces et le faulsa par le corps tellement qu'il cheut mort par terre. Puis tyra son espee et mist a mort huon de guernier l'ancien puys dist aux françoys que en celluy jour charles et ses subjectz auroient perdue force. richard de normandie eut despit de ces parolles et vint contre luy et l'attaingnit si dangereusement qu'il luy faulsa son haubert et mist par quartiers son escu et cheut par terre mort sans jamais parler en luy reprouchant ses parolles devant dictes/ puis par force surmontez surmonterent le val de josué et vindrent trouver l'admiral a toute sa puissance. Lequel estoit acompaigné de quatre roys couronnez et de cent mille combatans tant a pié comme a cheval. tantost ung messagier vint a l'admiral luy racontant comment brullant son frere estoit mort. et plusieurs de sa compaignie Adonc il demanda tempeste son nepveu et sortibrant de conimbres ses plus speciaulx amis et leur dist. Mes barons et feaulx amys se jamais vous m'avez aymé et se vous avez intencion de moy faire plaisir faictes tant que vous trouvez Charles le roy. car je vueil aller a luy et suis intencionné de combatre ma personne contre la sienne. et puis que je devray mourir. mais seulement que le puisse occir il me souffit bien et seray content. et se je meurs après il ne m'en chault point aultrement seulement que j'en soye vengé. Sortibrant et plusieurs aultres considerans l'estat de l'admiral commencerent a plourer de pitié en le confortant.

Comment en ceste bataille suyvant sortibrant fut occis par regnier pere d'olivier et après l'admiral fit merveilles et grant ennuy au françoys.

Le .xiii. chapitre.

Ballant l'admiral fut monté sur ung cheval le mieulx courant de tout son pays tresbien armé. et estoit aussi noir comme une meure et si estoit gros de corps et bien membré grande barbe avoit jusques a l'arçon de la selle et blanche comme nege. et puis fit sonner ses cors grandement et fit aller devant ses archiers qui savoient bien tirer aux arcz turquoys. et tous furieux l'ung sur l'autre vont a faire guerre tresmortelle plus espesse que gresle voloient les sayettes par l'air. Tant de gens vont la mourir que les chemins estoient tous empeschez de corps mortz. Le duc Regnier passa oultre et le premier qu'il rencontra ce fut le roy sortibrant. et luy donna si grant coup sans fiction que son escu ne luy valut riens car son haubert fut cassé et rompu tant qu'il luy fist baigner sa lance en son corps et plonger bien avant et demoura la mort comme une beste et puis a son espee fist si grant murtre de ces turcz desloyaulx que c'estoit grant merveilles. Tantost l'admiral sceut la mort de sortibrant dont a peu qu'il ne forcenna de raige et puis dist O sortibrant mon amy special je voy bien maintenant que j'enrageray se je ne venge vostre mort. A ces parolles fit bruyre son cheval et courre sur les françois si despiteusement que celluy qu'il attaingnit il mist a mort. et vint a huon de millan et l'ocist dont ce fut grant dommaige et batailla a celle heure si fort qu'il mist a mort sept françois et bien .xiiii. allemans moult valeureux en disant. O françoys mal heureux maintenant vous feray congnoistre que l'admiral d'espaigne est venu. aujourd'uy sera destruit l'ost des françois. et n'y aura celluy qui jamais repaire en son pays. Je emmeneray avec moy le roy Charles a la barbe florie et le pendray nu et le feray ardre. et avec luy rolant. olivier et leurs compaignons. Et a ces parolles les payens se vont enhardir tellement qu'ilz firent grant devoir contre les françoys A ceste meslee le conte Ganellon. Haldre. Alorry et Geoffroy de haulteville et celluy lignaige orgueilleux firent grant portement. car en peu de temps par eulx furent occis plus de mille payens. L'admiral le plus valeureux des sarrazins attaingnit le conte Millon par son heaulme tant que a peu de fait qu'il ne demoura en la place et du cop que l'admiral luy donna il coppa son cheval par le col et cheut a terre et puis le print et mist devant luy pour emporter mais le lignaige de ganellon le saulva nompas que plusieurs n'y fussent mortz et gastez. Toutesfois les françoys estoient surmontez des payens se ne fust fierabras qui pour l'amour de charles se mist a batailler et fist tantost grande desconfite de ces payens. la il mist a mort tempeste et se le viel Rubion et plus de .lx. aultres de ces mastins mescreans. et tellement il se portoit que personne ne se vouloit mettre devant luy pour y devoir resister.

Comment les pers de france qui estoient en la tour vindrent hors quant ilz virent l'ost et adonc fut prins l'admiral et detenu prisonnier

Le .xiiii. chapitre.

Les payens et françois tousjours perseverans en bataille mortelle ne sceurent mettre fin l'ung sur l'autre. car la multitude des payens estoit si grande qu'on ne les pouvoit desconfire. Quant les contes qui estoyent en la tour virent le fait et que les gardes de la tour estoient allez au secours et cry de l'admiral ilz vont saillir dehors et prindrent chascun ung cheval de ceulx qui estoient mortz et qui aloyent a l'aventure. et puis chascun en la main l'espee subitement vindrent aux sarrazins pour passer oultre jusques aux françoys. et firent si grant bruit que les plus hardis leur firent passaige. et specialement rolant. car celuy qui sentoit durandal jamais ne se mist devant luy. A celle despartie fut chierement recommandé Guy de bourgoigne par floripes. car elle avoit moult grant paour de luy toutesfois quant ilz furent assemblez avecques les aultres sans se faire congnoistre vont aux payens et les tindrent de si près qu'ilz ne sceurent que faire sinon d'eulx laisser occir et mettre en fuyte. car oncques allouete ne fouyt devant espervier comme ces sarrazins fuioyent devant rolant. L'admiral congneut bien sa destruction pour l'advenement des pers qui estoyent en la tour. et cria a haulte voix mahom mon dieu a qui je suis donné et a qui j'ay fait tant d'onneur que veulx dire que tu m'as oblié souviengne toy de moy maintenant. et je te jure que se tu ne m'aides et que jamais te puis tenir je te battray tant les flans que jamais ne feras bien et te creveray les yaulx maulvais dieu recreant. Cecy disant il fut tellement poursuivy et frappé qu'il cheut dessoubz son cheval puis il fut prins et non point occis a la requeste de son filz fierabras affin qu'il fust avisé de croire en jhesucrist et en la saincte trinité et qu'il se baptisast et tout son pais. Adonc la bataille print fin et celluy qui ne se vouloit convertir estoit mort incontinent. les ungz fuyrent. les aultres furent detenuz. Après cecy se vont desarmer les françoys la ou charles veit ses barons qu'il aymoit tant. et specialement son nepveu Rolant et olivier qu'il aymoit tant et qui estoient valeureux. Il n'est pas a dire ne rescripre la joye qui fust entre eulx et la consolacion de charles inestimable. Adonc ilz denoncerent tout comme il leur estoit advenu et de leur portement. et les dangiers ou ilz avoient esté dont charles et plusieurs plouroyent de pitié. et dura cecy par plusieurs jours la ou les malades se firent guerir. et les sains dedusoyent leur temps en joye.

Comment ballam pour admonicion qu'on luy fist ne se voulut baptiser. mais fut occis. et floripes baptisee et puis espousee a guy de bourgoigne et coronnee royne et guy couronné roy de celle contree

Le .xv. chapitre.

Quant charles eut tout appaisé il print Ballam l'admiral devant sa noblesse et luy dist en ceste maniere. Ballam admiral toutes creatures raisonnables doivent honneur singulier et amour particulier a celuy qui leur a donné estre congnoissance et vie. Et est bien necessité que celuy aye honneur et reverence qui a fait le ciel et la terre et tout ce qui y habite pourquoy a bon droit il est superieur de tout. et grant abusion est comprinse en celuy qui donne esperance en ce qu'il a fait de sa main et de matiere morte insensible et qui n'a raison ne ame comme tes dieux diaboliques qui ne sçavent donner consolation a leurs subjectz. Pourquoy je te admonneste pour le salut de ton ame et pour la preservation de ton corps et de tes biens que tu oste tes iniquitez et affections perverses. et croy la saincte trinité. le pere le filz et le sainct esperit ung seul dieu tout puissant et croy que le filz de dieu pour reparer l'offence du premier pere adam descendit a terre et print chair humaine au ventre de la vierge marie qui estoit toute pure et sans macule. et croy les commandemens qu'il nous a donnez pour nostre salut. et comment il fut prins des juifz et pendu par envie en l'arbre de la croix pour nous racheter des peines d'enfer. Croy sa resurrection et ascension en corps glorifié. et les aultres choses comme le sainct baptesme qu'il a establiz avecques les autres sacremens. et se tu me croys tu feras ton sauvement. et ne perdras point ton corps ne tes biens. L'admiral respondit qu'il n'en feroit riens et jura que pour mort ne pour vie ne laisseroit mahom. L'empereur tenant l'espee nue luy dist que s'il ne le fasoit qui le feroit mourir. Fierabras cecy voyant mist les deux genoulx a terre et pria a son pere qu'il fist comme l'empereur avoit dit. l'admiral doubta la mort et dist qu'il en estoit content seulement que les fons fussent benoitz et qu'ilz luy pleussent. Charles fut joyeux et fit apprester les fons d'une belle eaue et ung beau vaisseau. l'evesque et aultres gens de l'eglise vont sacrer les fons et mettre bien adroit. et puis quant l'admiral fut devestu l'evesque luy demanda. Sire Ballant renoncés vous mahom: et pareillement cryés vous mercy a dieu de paradis de voz mesfaictz et croyés jhesucrist le filz de la glorieuse vierge marie Quant l'admiral entendit ces parolles tout le corps luy commença a fremir. et en despit de jhesus il craha aux fons et puis print l'evesque et le voulut noyer et de fait il l'eust plongé dedans si ne fust ogier qui l'en garda et nonobstant il donna si grant coup a l'admiral sur le visaige du poing que le sang par la gorge luy sortit en tresgrant abondance. De cecy furent tous esbahys ceulx qui estoient presens. Et puis dist le roy a fierabras. Vous estes mon grant amys special et privé Vous voyés que vostre pere ne sera jamais crestiens et puis de l'outraige qu'il a fait aux fons il ne peult estre excusé qu'il ne luy faille mourir et estre desmembré. Fierabras luy requist de rechief qu'il eust ung peu de pacience et que s'il ne se vouloit amender qu'il face a sa voulenté. Floripes voyant cecy dist. Sire empereur pour quoy mettés vous tant a faire mourir celuy dyable tant desloyal il ne m'en chault s'il meurt que guy de bourgoigne soit mon espoux que tant j'ay desiré fierabras respondit. Belle seur vous avés grant tort. Je vous jure par le dieu qui nous a fait et formez que je vouldroye avoir coppez et perdutz deux de mes membres et il fust bon crestien et qu'il creust en jesucrist et qu'il fust baptiser. Vous sçavez qu'il est nostre pere et qu'il nos a engendrez. nous devons priser et aymer son salut. Vous estes bien obstinee quant vous n'en prenés pitié. Et puis en plourant dist a son pere. Je vous prie chier pere que vous prenez advis et croyez en celuy qui nous a formez a son ymaige Jhesus dieu souverain comme l'empereur la dit. et laissez mahon qui n'a sens ne raison. auquel il n'a sinon l'or et pierre dont il est composé vous nous ferez grant joye. et de voz ennemys ferés voz amys. Ballant respondit. fol et glot n'en parle plus es tu bien desraisonné. ja ne croiray en luy qu'il ait force ne vertu. Il y a bien cincq centz ans qu'il est mort et lapidé. Mauldit soit celuy qui mettra foy ne creance qu'il soit ressucité. Par mahom mon dieu se j'estoye sur mon cheval monté devant que je fusse prins je feroye malcontant charles celuy fol assoté. Quant fierabras l'entendit il dist a l'empereur qu'il fit de luy a sa voulenté. car a bon droit il devoit morir. Tantost l'empereur charles demanda qui vouldroit occir ballant celuy felon payen desmesuré. Ogier fut present qui ja l'avoit au cueur et dist qu'il estoit tout prest et tantost il luy coppa la teste fierabras luy pardonna lyement. Après cecy floripes dist a rolant qu'il acomplist ses promesses entre elle et guy de bourgoigne. Rolant respondit. Vous dictes verité. et puis dist a guy. Sire vous sçavez les parolles et amour de vous et de floripes la courtoise Tenez vostre loyaulté. Guy respondit qu'il ne tiendroit point a luy et qu'il feroit ce que l'empereur vouldroit. Charles content pourquoy devant chascun floripes se despoilla toute nue pour soy baptiser. Elle estant despoillee se demonstra tresbelle blanche et bien formee et si plaisante et amoureuse pour la formosité de sa personne que c'estoit merveilles: car elle avoit les deux yeulx clers comme belles estoilles beau front et large. le nez tresbien seant posé au milieu du visaige. les joues avoit vermeilles colorees d'une blancheur parfaicte. les sourcilz compassez qui fasoient ung petit d'ombre a la couleur de son visaige. les cheveulx reluysans en si tresbon ordre assemblez jusques passé le milieu du corps. la bouche avoit tresbien composee d'une rondeur attrempee. le col ung petit long et ung petit plus bas avoit les espaules et bien croisees et d'aultre part les mammelles petites et rondeletes eslevees sur le corps comme deux petites montaignetes et si bien fut faicte et amoureuse qu'elle frappa les cueurs de plusieurs et agita leur intencion de concupiscence et specialement de charles combien qu'il fust ancien aux fons qui estoient apprestez pour l'admiral son pere elle fut baptisee et la tindrent charles et le duc thierry d'ardaine sans luy muer son nom ne changer. et tantost aussi tost qu'elle fut vestue honnorablement l'evesque les espousa et puis charles fit apporter la couronne de ballant et couronna guy de bourgoigne et floripes. et l'evesque les sacra et benoist et fut roy de celle contree ledit guy. et donna une partie a fierabras dessoubz condicion que ce que fierabras auroit le tiendroit de guy et tout ce que guy auroit il le tiendroit de charles Après cecy furent faictes nopces planieres et moult honnorables qui durerent huyt jours et demoura la charles deux moys et deux jours tant que le pais fut asseuré

Comment floripes donna les reliques a l'empereur. et comment elles furent esprouvees miraculeusement et du retour de charles et fin de ce livre.

Le .xvi. chapitre.

Charles fit telle deligence en aigremoire et aux pays prochains que celuy qui ne se vouloit baptiser il le faisoit mourir et cercha partout. puis ung dimenche après il demanda floripes et luy dist. belle fille vous sçavés comment je vous ay couronnee et faite royne de ceste contree. j'ay acomply vostre desir vers guy de bourgoigne vostre espoux. et plus oultre vous estes baptisee et en voye de salut et avez ung des vaillans corps qui soit d'icy a affricque: et luy et fierabras vostre frere tiendront ceste region: et leur laisseray dix mille hommes de mes subjectz affin que tousjours soyent en tremeur les payens: mais vous ne m'avez encores riens monstré des reliques que vous gardés. La fille respondit. Sire empereur a vostre plaisir soit fait et luy apporta l'escrin ou elles estoyent posees honnorablement L'empereur se mist a genoulz et s'enclina de cueur et de corps et puis dist a l'evesque qu'il les descouvrist et ainsi le fist il. Et premierement monstra la precieuse couronne de jhesucrist qui estoit d'espines poignantes et de jons marins En grande devocion elle fut monstree et adoree et plouroyent plusieurs la mort de nostre seigneur jhesucrist et furent en grande devocion et contemplacion. L'evesque qui estoit devot et saige homme la voulut esprouver et la leva hault en l'air et retira sa main et la couronne se tint tout a par soy en l'air. Et adonc l'evesque certifia au peuple qui estoit present que c'estoit la couronne de jhesucrist laquelle fut mise sur la teste a sa benoiste passion: ainsi chascun l'adora benignement et devotement et estoit terriblement odoriferante. Puis l'evesque print les cloux dont il fut clavellé en l'arbre de la croix et les esprouva comme la couronne semblablement ilz se tenoyent en l'air miraculeusement. Cecy faisant et voyant charles remercya dieu disant. Sire dieu eternel qui m'avés donné grace que je soye surmonteur de mes ennemys infeaulx et m'avez mis en chemin et donné conduyte de trouver voz reliques que j'ay tant long temps desirees humblement je vous rens graces: car maintenant mon pays pourra bien dire qu'il sera honnoré perpetuellement de ce tresor quant il aura en sa continue. L'evesque les benist tous en faisant le signe de la croix desdictes reliques et puis les retourna en leur place. Et quant ce fut fait l'empereur les fist mettre soubz ung paille d'or moult devocieux et riche. Et quant elles furent dessoubz ce qui demoura sur le premier drapeau en quoy elles estoient comme aulcunes scintilles il les print devotement et les mist en son gant. puis luy estant en propos de retourner en son pays le getta a ung chevalier mais ce chevalier n'en sceut nouvelles et ne le print point. Et quant charles fut ung petit loing il se donna garde de son gant et retourna et vit son gant en quoy estoient lesdictes scintilles des reliques qui estoient en l'air sans avoir qui les soubstenist de riens: adonc fut veu miracle bien evident. et tout cecy fit demonstrer et denoncer a son peuple il demoura bien en ceste maniere qu'on pourroit faire demy lieue. et pour cecy furent tous reconfermez de dyre qu'il n'y avoit point d'abusion en croire et adorer lesdictes reliques. Et ces choses devant escriptes en cestuy second livre soyent entendues en la meilleure signification que j'ay voulu dyre et n'ay point dit chose dont je ne soye informé par escripture: toutesfois le livre suyvant fera mencion d'aulcunes batailles et de la fin des barons de france desquelz j'ay assez parlé au long.

Cy commence le .iii. livre contenant deux parties par les chapitres suyvans desclarez.

La premiere partie du .iii. livre contient .xiiii. chapitres parlans des guerres d'espaigne.

Comment saint jaques s'apparut a charles: et comment moyennant la conduite des estoilles il alla en galice.

Le .i. chapitre.

Charles le noble empereur après qu'il eut prins beaulcoup de peine pour maintenir le nom de dieu pour exaulcer la foy crestienne et pour mettre tout le monde en une foy et creance et qu'il avoit acquis plusieurs pays proposa de non jamais batailler: mais se vouloit reposer et mener vie contemplative en remercyant son createur de la grace qu'il luy avoit faicte en surmontant ses ennemys: toutesfois il luy advint que le vespre il regardoit contre le ciel et vit une quantité d'estoilles en ordre tendentes toutes les nuitz ung chemin et sentier et commençoient despuis la mer de frises en passant entre allemaigne et ytalie: entre france et acquitaine droictement passoient ces estoilles par gascoigne et basque navarre et espaigne lesquelz pays ils avoit ja conquis par sa puissance et faitz crestiens et puis la fin desdites estoilles ainsi allant en ordre venoit jusques a saint jaques en gallice ou le corps de monseigneur saint jaques estoit sans sçavoir le lieu propre. toutes les nuitz charles regardoit le chemin desdictes estoilles et pensoit moult continuellement que ce pouvoit estre et que cecy n'estoit pas sans cause. une nuyt que charles pensoit en ce chemin ung homme luy apparut en vision qui estoit si reluisant que c'estoit merveilles et luy dist. Que fais tu mon beau filz. Charles tout ravy respondit. qui es tu. Il luy dist je suis jaques appostre de jhesucrist filz de zebedee et frere de saint jehan evangliste et suis celluy que dieu a voulu estre et prescher la foy crestienne sa doctrine en la mer de galice et de galilee par sa saincte grace et celluy que le roy herodes fit mourir et occir de glave: et mon corps demoura entre les sarrazins qui villainement l'ont traicté et gist en ung lieu qui n'est point sceu: mais je suis esbahy quant tu n'as point conquis ma terre veu et consideré que tu as conquis tant de pays et de religions: villes citez parmy le monde pourquoy je te fais sçavoir de certain que ainsi que dieu le redempteur t'a esleu et fait superieur en puissance mondaine sur tous les aultres seigneurs temporelz. ainsi entre tous les vivans tu as esté esleu pour aller a la conduicte desdictes estoilles delivrer ma terre de la main des mescreans sarrazins et ennemys de crestienté. Et affin que tu ne ignores en quel lieu tu dois aller tu as veu le chemin au ciel par magnificence divine que ainsi pour obtenir plus grant gloire en paradis a la fin a grande puissance et haultaine tu surmonteras tes ennemys. et en celluy lieu tu fonderas une eglise en mon nom: car de toutes regions les crestiens meriter y viendront pour acquerir pardonnance de leurs pechez. Après que tu auras visitee ma sepulture et fait le chemin seur et ordonné crestiens pour garder le lieu il en sera memoire perpetuelle et en ceste maniere apparut trois fois saint jaques a l'empereur charles. Après ces visions en petit de temps il convocqua ses subjectz et en fit mettre en point une grande multitude et puis se mist en chemin et tyra la contree des estoilles devandictes: et vint premierement contre espaigne: et la premiere cité qui luy fist rebellion ce fut pampelune qui estoit moult forte de murailles et de tours garnie de sarrazins et demoura trois moys devant qu'il sceust trouver maniere de la confondre. Adonc charles ne sceut que faire sinon de prier dieu et sainct jaques pour lequel il alloit que en la vertu de son nom il peust prendre celle cité: et dist. Beau sire dieu mon createur moy qui suis venu en ceste contree pour accroistre la foy crestienne et establir vostre saint nom: et aussi vous sire saint jaques par la revelacion de qui je me suis mis a chemin je vous requiers que je puisse subjuguer ceste cité et entrer dedans pour monstrer au peuple la cause de son erreur affin que cestuy commencement puisse mieulx terminer la fin de mon intention. Aussi tost que charles eut finee son oraison les murs de la cité qui estoient de marbre merveilleusement fors vont tomber par terre et puis charles et son ost vont entrer dedans. et qui se vouloient baptiser et croyre en dieu sans fiction il estoit sauvé et mis apart. et qui disoit le contraire il estoit mis a mort. Tout le peuple de celle contree quant il sceut les nouvelles et operations merveilleuses de la cité tournee en ruine a la simple postulation de charles sans faire contredicte se vont tous rendre et mettre a la mercy du roy et aussi plusieurs furent baptisez. et furent ordonnés eglises et reduit tout le pays a certain tribut dessoubz la fidelité de l'empereur. Charles sans contredire aultrement mais apporterent les tributz des citez sans contredire.

Des citez acquises en espaigne pour Charles. et comment aulcunes par luy furent mauldites et aultres matieres

Le .ii. chapitre.

Après que charles eut la domination quasi en toute espaigne il vint au sepulcre de monseigneur saint jaques la ou il fit sa devotion. et puis s'en vint contre ung lieu en la mer qui estoit si avant qu'on n'y pouvoit passer plus oultre. Et la ficha sa lance. et celuy lieu se disoit petronium et remercia dieu premierement et sainct jaques quant par leur voulenté il estoit venu si avant seurement sans aultre contradiction comme seigneur empereur jusques en lieu qu'il ne pouvoit passer plus oultre. et en celle terre qui vouloit croyre en dieu l'arcevesque turpin les baptisoit et qui ne vouloit estoit occis et mys en prison Et puis se mist charles a aler des l'une des mers jusques a l'aultre. Et adonc il acquist en gallice .xiii. citez: entre lesquelles compostelle lors estoit petite. En espaigne il avoit .xv. grosses villes et fortes. entre lesquelles estoit Oncea en laquelle souloit avoir .x. tours fortes a merveilles. En une ville qui se disoit Petrosse en laquelle on fasoit le fin argent et le meilleur qui courust. En une ville qui se disoit attentiva estoit le corps de sainct torquestre qui fut disciple de sainct jaques et la dessus sa sepulture lon veoit l'olyvier florir et porter fruit meur ung certain jour de may tous les ans sans faillir. Toute la terre des espaignolz en celuy temps fut subjecte a Charles. c'estassavoir la terre alandaluf. la terre de pardonrez la terre des castellans. le terre des maures. la terre de portingal. la terre des sarrazins. la terre de navarre. la terre des allemans. la terre des biscayns. la terre des basques. la terre des palagiens. les aulcunes de leurs citez prinses par charles sans guerre. les aultres a grant peine et guerre subtille et mortelle. La grande ville de lucerne il ne peut avoir jusques a la fin de tout. puis mist le siege devant et le tint par quatre moys durans tant estoit forte. et estoit assise en la valee verte et puis quant il vit qu'ilz ne se vouloient rendre et qu'il ne la pouvoit avoir il fit sa priere humblement a dieu qu'il en fust victorieux veu qu'il n'avoit plus a terminer en celle contree que celle cité seulement. Son oraison fut exaulcee tant que les murs vindrent par terre et la mist a destruction tellement que jamais on n'y habita puis après se leva en celle cité abysmee une eaue la ou on trouva après les poissons tous noirs. Entre les aultres cités qu'il print il en y eut quatre qui firent beaulcoup de peine et de melancolie devant qu'il les peust avoir. et pource il leur donna la malediction de dieu. et furent mauldictes tellement que jusques aujourd'uy il n'ya habitacion quelconque. et sont nommeez lesdictes cités. lucerne ventose. caparee. et adame.

De la grande ydole qui estoit en une cité qu'on ne pouvoit abatre et des signes et des condicions d'elles.

Le .iii. chapitre.

Quant charles eut fait en espaigne et aultres lieux des habitans a sa voulenté toutes les ydoles et aultres simulacres qu'il trouva il fit tout destruire et mettre a confusion. mais en la terre d'alandaluf en une cité nommee salancadis en arabique et interpretee. c'estoit le lieu du grant dieu si comme disent les sarrazins. Celle ydole fut faicte de la main de mahommet au temps qu'il vivoit et eut nom mahommet en l'onneur de luy. et par art magique et diabolique il enclouoit pour lors une legion de diables pour la garder et faire signes pour abuser le peuple. Et tellement celle ydole fut gardee de diables que personne vivant par puissance ne pour sçavoir ne l'eust sceu destruire ne mettre au bas. En telle maniere que se aulcuns crestiens venoyent au près d'elle pour la veoir ou pour la destruire ou conjurer aussi tost qu'il la conjuroit ou preschoit. il estoit perillé et abismé. et les sarrazins y venoyent pour l'adorer et faire sacrifice ou rendre obeissance ou pour prescher d'icelle sans peril quelconques ilz alloient a elle. et se par advanture ung oyseau en volant se posoit sur elle incontinent il estoit mort. La pierre sur laquelle l'ydole estoit mise fut faicte merveilleusement. C'estoit une pierre de mer ouvree de sarrazins et sculptee de façon subtile grandement et richement. laquelle fut eslevee toute droitte et non pas sans grant art et sçavoir. Contre la terre elle estoit grosse a merveilles et toute quarree et tousjours contre le hault elle aloit en estroissant. et estoit tant haulte celle pierre comme ung corbeau pouvoit voler en hault. sur laquelle pierre estoit mise l'ydole faicte d'ung fin yvoire a la semblance d'ung homme tout droit sur ces piez et avoit sa face tournee contre le midy et tenoit en sa main droite une clef. Et estoient les sarrazins certifiez de long temps pour verité que quant ung roy de france seroit né et en puissance a devoir subjuguer le pays d'espaigne et mettre en la foy des crestiens. et se l'ymage laissoit cheoir la clef que ce seroit signe dudit roy de france qu'ils auroyent de l'affaire sans faillir. Pourquoy au temps que le noble roy charles regnast en espaigne pour la mettre en la foy crestienne L'ydole laissa cheoir a terre la clef. et quant les sarrazins virent ilz misdrent tous leurs tresors en terre. et s'en vont en aultre region sans attendre la venue du roy

De l'eglise de saint Jaques de galice et d'aultres qu'il fist fonder.

Le .iiii. chapitre.

Charles estant en galice innumerable quantité d'or d'argent et de pierres precieuses il eut tant de roys. princes et barons et aultres seigneurs comme des tributz des citez qu'on donna pour seigneurie comme aussi du tresor qu'il conquist quant il prenoit les villes et les pays d'espaigne dessus nommez luy voyant son tresor en galice la ou avoit trouvé le corps de saint jaques. tantost fist composer l'eglise monseigneur saint jaques et y demoura troys ans. En celluy lieu il ordonna evesques et y fonda belle chanoinye riche dessoubz la regle de sainct ysidore le confesseur. et y ordonna rentes censes tributz et y donna seigneurie singuliere. Il fournit l'eglise de clochis. vaisselle d'or et d'argent. draps precieux et de toutes choses necessaires et appartenantes a une eglise pontificalle comme aussi de tous livres et plusieurs aultres escriptures sainctes et puys du demourant de l'or et de l'argent dessus designez qu'il apporta d'espaigne fit edifier les eglises ensuyvantes. Premierement a aix en allemaigne ou il fut enterré il fist faire l'eglise de nostre dame que combien qu'elle soit petite elle est moult richement faicte. l'eglise de sainct jaques en la ville de viterbe. et puis l'eglise de saint jaques en la ville de thoulouze. Aussi l'eglise de saint jaques en gascoigne. Item l'eglise de saint jaques de paris entre la saine et le mont de martyrs Et oultre les eglises dessus nommeez il fonda renta et releva plusieurs et diverses eglises et monasteres et aultres abahies par le monde eut plusieurs et divers lieux.

Comment après que Aigolant le geant eut prinse espaigne et mis a mort les crestiens charles le recouvra et aultres matieres

Le .v. chapitre.

Après que charles fut retourné en france ung roy sarrazin de affricque nomme aigolant avec grant puissance vint en espaigne et la remist en sa subjection: et les crestiens que charles y avoit laissez ceulx qu'il peut tenir il mist a mort et les autres se misrent en fouyte et en brief temps les nouvelles en vindrent au roy charles dont il fut moult esbahy et courroucé quant on luy denonça l'affaire qui estoit piteux. pourquoy tantost il commença son ost. et a grant multitude de combatans il vint celle part sans sejourner. Et fit le conduisseur de tout Millon de anglieres le pere de Rolant et ne cesserent tant qu'ilz sceurent nouvelles ou estoit Aigolant le geant qui avoit cela fait. Quant charles sceut ou il estoit logé. et semblablement Aigolant ou charles se tenoit. tantost le geant manda a charles qu'il vouloit faire bataille ainsi comme il vouloit c'estassavoir que charles luy transmist. vingt de ses hommes contre ving des sarrazins. ou quarante contre quarante ou cent crestiens contre cent payens ou mille contre mille ou deux contre deux. ou ung contre ung. Charles voyant l'intencion de Aigolant pour l'onneur de noblesse il ne voulut point faillir. mais luy envoya cent chevaliers en grant point et le geant en mist aultre cent contre les crestiens mais tantost les payens furent vaincuz et mis a mort. et puis de par aygolant furent envoyez cent sarrazins contre cent crestiens. et en brief temps par le vouloir de dieu les sarrazins furent occis et mis a mort. De rechief aigolant mal content envoya deux cens contre deux cens crestiens. lesquels sans faire grande resistance furent mortz Aigolant ne se voulut tenir a cecy mais envoya deux mille sarrazins contre deux mille crestiens et quant ilz furent en bataille plusieurs sarrazins furent mortz et les aultres se misrent a fouyr pour soy sauver. Le tiers jour après Aigolant fit aulcunes experimentacions et congneut que se charles fasoit guerre perdroit grandement. et va mander a charles s'il vouloit faire guerre planiere. Charles en fut content. Et sur ce ilz firent apprester leurs gens et speciallement charles: car ses subjectz estoient moult affectionnez de batailler et aussi aucuns des crestiens le jour devant que la batalle se fist prindrent grant peine pour abiller leurs armes et par grant affection devant leurs tentes près d'une riviere qui se dit ceye ilz vont planter et ficher leurs lances toute droictes. auquel lieu le corps de saint faconde et de saint primitif martyrs furent posez au près de l'eglise devotement fondee et une cité moult forte moyen ledit charles. En celuy lieu auquel les lances furent posees grant miracle monstra nostre seigneur. car de ceulx qui devoient morir martyrs de dieu et estre couronnez en paradis les lances furent lendemain toutes verdes a l'escorce verde feullees et fleuries qui fut signe evident que ceulx qui devroient prendre mort auroient gloire au royaulme de paradis. Chascun print la sienne et la tranchea près de la terre et osta la racine et les fueilles. desquelles lances les plantes dessoubz enracinees. après peu de temps vont garder le boys et creut et vint grant comme les aultres bois font lequel boys encores se peult demonstrer en celluy lieu. Lesdictes lances estoient de fresne. Grande merveille fut de la joye des chevaulx qui fasoient selon eulx leurs devoirs comme les hommes et fut grant chose du monde qui y print mort. Adonc .lx. vaillans chevaliers crestiens furent mortz et entre les aultres le duc millon qui estoit pere de rolant. et le cheval de charles fut occis dessoubz luy et quant il fut a terre il fist grant meurtre a tout joyeuse son espee et tellement se porta que les sarrazins doubtans le vespre s'en vont fouyr et reculer en lieu d'asseurance et comme il fut de la voulenté de dieu le jour après vindrent a charles en adjutoire quatre marquis des ytalies acompaignez de .iiii. mille combatans et gens d'eslite pourquoy aigolant aussi tost qu'il sceut leur venue il se mist a fouyr et se recula en sa terre bien avant oultre mer. mais toutesfois ilz ne peurent pas emporter avec eulx tous les tresors qu'ilz portoyent. mais en fut france enrichie a grant merveilles et constituee en l'onneur d'avoir entre tous aultres pays. et quand charles vit le fait a tout celle richesse il s'en vint en france. Et adonc .vii. ans durant il fist faire les offices par les gens d'eglise des festivitez des saintz de tout l'an. et grande vertu et merveilleux effect estoit comprins en cestuy homme. car quant il n'estoit en guerre sur les champs pour amoindrir les infeaulx et pour augmenter la foy crestienne et exaulcer le nom de dieu il augmentoit la foy en faisant oeuvres divines et faisant faire les offices des saintz martirs en establissant les festes et faisant reduire en memoire les oeuvres des saintes gens pour les ensuyvir. et aussy des maulvais pour les devoir eviter. et la magnitude de cestuy roy s'esprouva bien aux signes qui furent veuz au ciel. car en cestuy an la lune obscura troys foys et le soleil une. et compaignies de gens furent veuez merveilleuses qui monstroyent que cestuy charles estoit bien grant et de toute grandeur. c'estassavoir en terre et aux cieulx.

Comment aigolant manda a charles qu'il venist a luy a peu de gens feablement pour faire juste guerre. et comment charles en habit dissimulé parla a luy et aultres matieres.

Le .vi. chapitre.

Comme j'ay dit devant que le roy Aigolant geant s'en fouist en son pays quant secours fut venu a charles de quatre marquis il ne dormit point sur son affaire. mais print une grande diligence de mettre de gens ensemble dont innumerables sarrazins convoca. car il assembla sarrazins. mores moabites. ethiopiens. affriquans et persens. Il amena aussi avecques luy le roy d'arabie. le roy d'alixandrie. le roy de bugie. le roy d'agabie. le roy de barbarie. le roy de maltost. le roy de majorice. le roy de cibille. et le roy de corduble lesquels s'en vindrent avecques gens ou il n'avoit point de nombre certain en gascoigne en une forte cité qui se disoit agennes. Et la print et puis manda a charles qu'il venist a luy paisiblement et feablement et a peu de gens luy promettant qu'il luy donneroit .ix. chevaulx chargez d'or d'argent et d'autres preciositez s'il vouloit aler a son commandement. Cestuy payen luy monstra cecy pour cause qu'il vouloit congnoitre sa personne. car sa force et puissance congnoissoit il bien par experience. affin que quant il le congnoistroit qu'il se peust occir en la guerre comment qu'il en fust. Quant le roy charles sceut cestuy mandement il ne fit pas grant amas de gens. mais y vint seulement a deux mille chevaliers d'onneur et de grant force. Quant il fut a quatre mille près de la cité ou estoit aigolant et tous les roys dessus nommez il laissa la ses gens secretement et puis s'en vint jusques sur une montaigne bien près acompaigné de .xl. chevaliers tant seulement. et de celluy lieu ilz veoyent la cité a cause que se multitude de gens fussent partis de leans qu'il ne fust point deceu. Toutesfois sur celle montaigne il laissa tous ses gens secretement et se desvetist de ses habitz puis se revestit en guise de messagier et print ung chevalier seulement avecques luy sans porter glayve aulcun quel qu'il fust que son espee seulement et son boucler dessubz son dos et s'en vint en la cité et tantost il fut mené devant aigolant le geant. Et quant ilz furent devant luy il dist en ceste maniere. Charles le roy nous envoye devers toy et te mande par nous qu'il est venu comment tu l'as commandé acompaigné de .xl. chevaliers sans plus et vient en celluy lieu faire ce qu'il devroit. Or viens donc a luy a tout .xl. chevaliers sans plus acompaigné se tu luy veulx tenir ce que tu luy as promis. Aigolant leur dist qu'ilz tournassent a charles et qu'ilz luy dissent qu'ilz ne s'en tournast pas. mais qu'il l'attendist et qu'il viendroit visiter. Après que charles eut congneu le geant. il visita bien la ville pour congnoistre la partie plus foible pour la prendre et conquester quant ilz viendroient et vit tous les roys dessus nommez et leurs puissances et puis s'en retourna a ses gens qu'il avoit laissez sur la montaigne. puis s'en vint avec ses deux mille chevaliers. tantost aigolant acompaigne de .vii. mille chevaliers vint après eulx sans arrester. mais charles s'en print garde quant ilz venoient contre luy qu'ilz estoyent beaucoup plus de payens qu'ilz n'estoyent de crestiens. et sans demourer charles et ses gens retournerent en france sans aultre deliberacion avoir

Comment charles acompaigné de plusieurs gens s'en retourna au lieu devant dit et print la cité de agennes et aultres matieres.

Le .vii. chapitre.

Après que charles fut retourné en france il convoca plusieurs gens et puis s'en vint en la cité de agenne et l'assiega par grant façon l'espace de .vii. mois aigolant estoit dedans et plusieurs aultres sarrazins. et avoyent fait les crestiens des chasteaulx et des forteresses de bois devant celle cité par maniere qu'on ne les pouvoit grever. quant aigolant et les roys seigneurs. et le plus grans de sa compaignie virent qu'ilz ne pouvoyent pas durer leans longuement ilz firent faire des pertuis et cavernes dessoubz terre pour saillir hors secretement. en celle maniere ilz vindrent hors de la cité et passerent oultre ung fleuve qui couroit près de celle cité qui se disoit goronna et ainsi se saluerent. Le jour après qu'on ne fist pas grande deffence aux crestiens charles a grant triumphe et puissance entra en la cité et mist a mort .x. sarrazins qu'il y trouva. Les aultres voyans le fait par la riviere se misrent en fuite. Aigolant estoit en une aultre forte ville. et quant charles le sceut il le vint assaillir et luy manda qu'il luy remist la cité. aigolant respondit qu'il n'en feroit riens sinon par ung moyen qu'ilz deussent venir en bataille. et celluy qui aura victoire de l'autre il sera seigneur de la cité et vont assigner bataille. et la près de ce lieu entre le chasteau talebor et ung fleuve nommé quarante. les aulcuns crestiens vont planter leurs lances en terre et specialement ceulx qui lendemain devoyent mourir et obtenir couronne de gloire comme martyrs de dieu. le matin vont trouver leurs lances toutes verdes et miraculeusement fueillees et ramees de bois neuf dont les crestiens de ce miracle furent joyeulx et ne leur chailloit de mourir pour la foy en maintenant le nom de dieu. Après que leurs lances furent coppees ilz vont entrer en bataille et mirent plusieurs sarrazins a mort: mais en la fin furent occis et martyrizez des crestiens plus de .iiii. mille qui furent sauvez en paradis. Et adonc le cheval de charles fut occis dessoubz luy. Et puis tantost par ledit charles furent mis a mort le roy de bugie et d'aultres puissans sarrazins a grant merveille

Des operations vertueuses que charles fit quant il fut retourné en france et des barons qu'il avoit en sa compagnie et de leur puissance

Le .viii. chapitre.

La bataille devant dite faite aigolant s'enfouit et vint jusques en pampelune et manda au roy charles qu'il l'attendist la pour batailler plus amplement Quant charles sceut le fait il s'en retourna en france pour avoir adjutoire de gens il fist ung mandement publicque en toute france que toute maniere de gens qui estoient en maulvaise coustume et dessoubz condicion de servitude que eulx qui estoient presens et les successeurs fussent francz et liberez les taillables fussent a leurs drois comment qu'ilz fussent condictionnez Aussi tous les prisonniers qui estoient en france il les delivra de prison tous ceulx qui estoient detenuz par malfaitz a devoir prendre mort il leur donnoit la vie tous les povres gens qui n'avoient de quoy vivre il leur donna des biens largement. tous ceulx qu'il trouva mal vestuz il les fit vestir selon leur estat Tous ceulx qui avoyent debat l'ung avec l'autre il les accorda. tous ceulx qui estoient desheritez de bien et d'onneur il leur restituoit tout. tous ces gens qui pouvoient porter armes il les armoit. Les escuyers villains de la personne il les fit chevaliers et tous ceulx qui estoient en son indignacion et privez de son amour et bannis par le vouloir de dieu il fut contraint de leur pardonner et fit paix avec chascun et adonc il fut forny de plus de cent mille sans ceulx qui aloient de piez. ausquelz il n'avoit point de nombre et sur les noms des princes de charles Turpin l'arcevesque de raims dist en ceste maniere Je turpin arcevesque de raims dys que par la voulenté de dieu par ensegnemens mettroye bon couraige aux crestiens et mettroye a mort les infeaulx sarrazins de mes propres mains. Avec charles estoit rolant de cenoine nepveu de charles filz de sa seur dame Berthe femme du duc Millon a tout .iiii. mille combatans. Olivier de gennes filz du duc Regnier a tout .iii. mille combatans. Arastagius roy de bretaigne a tout .vii. mille combatans. nonobstant que en bretaigne avoit ung aultre roy. Eugelius qui estoit duc d'aquitaine. auquel august Cesar ordonna les bituriciens. les moniques. les poetevins. santonas et elogismes citez avec leurs provinces dessoubz acquitaine et après tout vint a neant. car a roncivaulx tous les citoyens furent occis et destruitz et y vint a tout .iii. mille chevaulx Garferus roy de bourdeloys a .iiii. mille hommes. Gaudeffroy roy de frise a tout .vii. mille hommes. Salomon compaignon d'estoc Baudoin le frere de rolant aussy naymes le duc de bavieres a .x. mille combatans Ogier le dannois a .x. mille combatans. hoel de nantes et lambert prince de bourges a deux mille combatans. Sansom duc de bourgoigne a .x. mille combatans. Garin duc de lorraine et plusieurs aultres Et de la terre de charles y avoit plus de .l. mille hommes. Si grande et si ample fut l'excercite de charles le noble empereur et trespuissant roy de france que il tenoit de longueur deux journees et de largeur la moitié tellement que du bruit qu'ilz fasoient pour la multitude on les ouyoit de .xii. lieues et plus.

Des treves de charles et de aigolant et de la mort de ces gens et purquoy aigolant ne se baptisa.

Le .ix. chapitre.

Du temps que charles fut june enfant il apprint a tholette le langage des sarrazins et le parloit quant il vouloit. Aigolant le geant et grant seigneur ne se peut tenir qu'il ne venist près de crestienté et manda a charles venir a luy de pampelune et firent treves ensemble: car aigolant considera la multitude de ces gens et la puissance de leurs personnes: car par cours de nature ilz devoient surmonter les crestiens: il print en luy pensement que par adventure le dieu des crestiens estoit plus certain que celluy des payens: mais devant qu'il declinast de ses dieux il eut desir d'essayer encores une foys le nombre des payens contre le nombre des crestiens: et fut content aigolant de faire paches avec charles que celuy qui obtiendroit victoire sur les gens de l'aultre que son dieu fust adoré: et que celluy qui perdroit que son dieu fust de nulle valeur et reputé a neant. Et ainsi sur ceste pache furent envoyez .xx. chevaliers crestiens contre .xx. payens et tantost qu'ilz furent meslez emsembles les sarrazins furent mortz et puis après furent envoyez .xl. contre .xl. et tantost les sarrazins furent vaincuz et occiz et puis furent envoyez cent sarrazins contre cent crestiens: et a celle fois les sarrazins ne furent pas mortz: mais se misrent a fouyr. Aigolant pensa mieulx faire et envoya .ii. cent contre .ii. cens et tantost furent mortz et occiz les sarrazins. Cestuy geant fut mal content de la destruction de ses gens et pour faire une grande desconfite ou de l'une des parties ou de l'autre il tranmist mille sarrazins contre mille crestiens: et sans faire grande rebellion les sarrazins tantost furent mys a mort. Adonc le roy aigolant par experience devant luy faicte afferma veritable la foy des crestiens estre meilleure et plus seure que celle des payens et sarrazins: et par ainsi il fut incliné a la foy crestienne et se disposa de recepvoir le baptesme lendemain sans faintise. Il demanda treves et seurté pour aller et venir a charles. on luy ottroya de bon cueur. Et a l'eure de tierce que charles estoit au disner. Aigolant eut intention de veoir charles au manger pour congnoistre son estat s'il estoit si valeureux et si grant comme il estoit en armes et en batailles. Et aussi s'il vint principalement pour soy baptiser et vit charles que estoit a table bien magnifiquement: et puis regarda l'ordre de ses gens: et veit que les aulcuns estoient a table en habit de chevalier et grans princes. les aultres en habit de chanoines. les aultres en abit de moynes et puis demanda qu'il fust instruict d'une chascune ordre et de la cause de leur estat. Et après il veit emprès terre .xiii. povres qui se disnoyent comme les aultres. et charles de sa coustume ne prenoient point de repas qu'il n'eust lesditz .xiii. povres en l'honneur des .xiii. apostres de nostre seigneur et veit que ces povres estoient près de terre sans nappe et en pouvre abit et demanda quelz gens c'estoient Charles respondit ilz sont gens de dieu messagiers de nostre seigneur jhesucrist lesquelz je soubstiens en l'onneur des .xiii. apostres qu'il menoit avec luy en leur donnant refection corporelle. Et aigolant dist Et comment il est vray que celuy sert mal a son seigneur qui reçoit ses messagiers si povrement je regarde que ceulx qui sont assis près de toy sont bien vestutz et bien pensez: et les serviteurs de ton dieu vivent povrement et mal vestutz et sont fort loingz de toy. grande vergoigne fait a son seigneur celuy qui reçoit ses messagiers en telle maniere. Je voy la loy que tu m'as dicte bonne et par tes oeuvres tu la monstre de nulle valeur. Et de cecy fut aigolant tout perturbé en son entendement et propos et print licence du roy et s'en retourna a ses gens et renonça a se baptiser: mais manda a charles bataille plus forte que jamais a commencer le lendemain

De la mort de aigolant et de ses gens comme plusieurs crestiens furent mortz par concupiscence d'argent et des crestiens trouvez mortz miraculeusement.

Le .x. chapitre.

Quant charles veit Aigolant pour se debvoir baptiser il fut joyeulx: mais quant il s'en retourna scandalizé il fut mal content et print advis a ses parolles sur les povres qu'il disoit qu'ilz sont messagiers de dieu: car selon la povreté de ceulx et selon qu'ilz estoyent tenuz ce n'estoit pas honneur a leur maistre et pensa bien l'empereur que les gens de dieu devoient bien estre receuz et honnorablement tenuz pourquoy les povres qu'il trouvoit en l'exercite il les fit bien vestir et honnestement et largement leur fit donner a manger. Et print celle coustume en soy qu'il ne faillist point que les povres de nostre seigneur fussent receuz a honneur en sa compagnie. Sur ce propos ung jour ensuyvant ilz se misrent a batailler par grant fierté les payens contre les crestiens: et fut faicte si grande destruction celuy jour des sarrazins que les crestiens estoient empeschez transversez du sang qui couroit si abondamment comme s'il eust plu par plusieurs jours eau et sang: pourquoy aigolant voyant la destruction de son peuple comme celuy qui ne doubtoit riens a mourir et a qui ne chailloit de sa vie s'avança tellement sur les crestiens qu'il fut occis et mys a mort. Et puis entrerent en la cité de pampelune et tous les sarrazins qui y estoient ilz mirent a mort. Adonc se saluerent le roy de cibille et le roy de corduble avec aulcuns de leurs subjectz. Après cecy les crestiens plains de concupiscence pour avoir l'or et l'argent des sarrazins qui la estoient mortz se misrent a retourner. Et quant ilz furent bien chargez d'or et d'argent et d'aultres richesses le roy de cibille et le roy de corduble s'en prindrent garde et avec tous leurs hommes ilz vindrent couvertement sur les cretiens et les misrent a mort en nombre de ames sans victoire et a dieu desplaisante. Le lendemain les nouvelles comme tant de sarrazins estoient mortz et specialement de aigolant vindrent au prince de navarre moult puissant homme qui s'appelloit furre. pourquoy il manda a charles batalle ordinaire. Charles estoit si noble si puissant et tant vaillant se confiant de l'aide que quant il batailloit pour la foy crestienne a vouloir maintenir estre telle tant seulement par laquelle on doit avoir paradis a la fin qu'il ne refusast point a batailler contre cestuy prince furre. Et après que le jour de la bataille fut assigné de l'une des parties et de l'aultre. ledit charles se mist en oroison et pria dieu devotement qu'il luy pleust de monstrer les crestiens qui devoient morir en celle bataille. Le jour ensuyvant que chascun fut armé pour batailler par la voulenté de dieu charles vit sur tous ceulx qui devoient mourir celuy jour le signe de la croix toute rouge sur leurs espaules derriere sur leurs harnois. Quant charles le vit il remercya nostreseigneur et luy print compassion de leur mort a cause de la valeur de leurs personnes Adonc il va demander tous ceulx qui portoient l'enseigne et les fit venir en son oratoire. puis les enferma leans affin qu'ilz ne prinssent mort celuy jour. Et atout sans aultre ost il se mist a bataller contre l'ost du prince furre: mais ne tarda pas guyeres que ses gens et luy furent mortz et destruictz Et quant tout cela fut fait l'empereur vint en son oratoire victorieux de ses ennemys et trouva tous ceulx qu'il avoit enfermé leans mortz et expirez. Et adonc congneut bien la voulenté de dieu estre telle que ceulx a qui il donna le signe de la croix estoient assignez celuy jour en son paradis recepvoir gloire et couronne de martire qu'il n'appartenoit point a charles de prolonguer leur salut pourquoy celluy est bien simple qui veult mettre peine a obvier le passaige dont il n'est point le maistre.

De ferragus le geant merveilleux comment il emportoit les barons de france sans dangier et comment après rolant batailla contre luy.

Le .xi. chapitre.

Après que aigolant fut occiz et furre et plusieurs roys sarrazins comme devant il est escript les nouvelles vindrent a l'admiral de babilonne lequel avoit ung geant moult terrible lequel estoit de la generacion de golias le fit acompaigner de .xx. mille turcz moult fors et puissans et puis le transmirent pour batailler contre charles. car sa puissance estoit redoubtee par tout le monde et s'en vint ledit geant qui se nommoit ferragus jusques en la cité de vagiere près de saint jaques entre crestienté et sarrasinaisme et manda au roy charles qu'il venist a luy pour batailler. Moult estoit merveilleux celluy geant car il ne doubtoit ne lance ne sayete ne aultre traict et avoit la force de .xl. hommes fors et puissans: tantost que charles sceut les nouvelles de sa venue il alla a luy et fut en sa garde près de vagere. Quant cecy fut fait le geant yssit hors de la ville et demanda a charles bataille singuliere de personne a personne. Charles qui jamais ne l'avoit refusee a personne luy transmist ogier le dannois mais quant le geant le vit tout seul aux champs sans faire nul semblant de guerre il vint tout seul a luy et le print a une main et le mist dessoubz son bras sans luy faire aultre mal et l'emporta en son logis et le fit mettre en prison. Et ne faisoit nen plus de compte de l'emporter que fait ung loup d'emporter une brebis ou ung chat. La haulteur de cestuy geant estoit de .xii. couldees. la face avoit large d'une coudee. le nez avoit long d'une paulme. les bras et les cuisses il avoit de .xiiii. coudees. les dois de la main il avoit de .iii. paulmes de long après que ogier fut emporté charles. y transmist regnault d'aubepin. Quant ferragus le vit il le charga et l'emporta avec l'autre legierement. Charles fut esbahy et envoya deux aultres. c'estassavoir constantin de romme et le conte hoel. Cestuy geant print l'ung a la main dextre et l'autre a la main senestre et les emporta tous deux en prison en son logis devant chascun. De rechief deux aultres y furent transmis. et semblablement ilz furent emportez sans contredite faire. quant charles vit le fait de cestuy homme il fut tout esbahy et n'y osa plus transmettre personne. car nul ne pouvoit faire contre luy resistence. rolant qui estoit prince de tout l'exercite de charles estoit mal content de ce que le geant estoit victorieux et se vint presenter a charles son oncle pour y aller. mais charles ne luy voulut ottroyer toutesfois force luy fut qu'il luy donnast licence et se mist rolant devant cestuy ferragus. mais tantost il fut prins et retenu a la main dextre comme les aultres et le mist devant luy sur son cheval. Quant rolant vit qu'on l'emportoit il print ung grant couraige en luy et invoca le nom de jhesus en son aide. puis se retourna contre ferragus et le print par le menton et le fit verser de son cheval et cheut a terre aussi. et puis tantost ilz furent levez et monterent chascun sur son cheval. Rolant qui estoit abile et couraigeux a merveilles tira son espee durandal et vint contre le geant et donna si grant cop au cheval du payen qu'il le trencha par le millieu et cheut le payen a terre. ferragus estant mal content de son cheval qui estoit mort tint son espee pour frapper rolant et l'eust occis d'ung coup s'il eust esté attaint. mais ainsi qu'il leva le bras pour le frapper rolant fut abille et s'avança et donna au geant sur le bras dequoy il tenoit son espee ung tel coup qu'elle luy cheut a terre dont ferragus eut despit et le cuida frapper du poing et attaint le cheval de rolant tellement qu'il le tua. par ainsi tous deux furent de piez lesquelz sans glaive commencerent a batailler a tout les poingz et a pierres continuellement jusques a l'eure de nonne. pourquoy tous deux furent laissez et prindrent treves d'ung accord jusques a lendemain et qu'ilz deussent batailler sans cheval et sans lance et sur ces convenances chascun s'en ala.

Comment lendemain Rolant et ferragus bataillerent et disputerent de la foy et par quel moyen ferragus fut occis par rolant.

Le .xii. chapitre.

Le jour ensuyvant au matin rolant et ferragus vindrent au champ de bataille le geant apporta son espee moult grosse. mail elle ne luy valut riens car rolant fit provision d'ung gros baston tortu et maille bien long duquel il ne fit que frapper sur le geant. mais il ne le peut onques navrer. et le frappoit aussi de gros cailloz et pierres rondes et ne le peut entamer en la chair et en celle maniere ilz ne cesserent de batailler jusques a l'eure de myjour. Le geant fut lassé et demanda treve a rolant pour ung petit dormir rolant en fut content. et fut si noble et si valeureux que quant le geant fut couché il alla querre une grosse pierre et la luy mist dessoubz la teste a celle fin qu'il peult mieulx dormir a son aise. Et après qu'il eut ung petit dormy et qu'il fut esveillé il se dressa et le noble rolant se vint seoir au près de luy et luy dist. Je suis tout esbahy de ton fait comment tu es tant fort qu'on ne te peult navrer ne faire dangier au corps ne pour espee ne pour baston ne pour pierres ne aultrement. le geant qui parloit espaignoil dist. Je ne puis estre occis sinon par le lombril. Quant rolant l'ouyt il fit semblant qu'il ne l'avoit point entendu puis luy demanda ferragus comment il avoit nom et de quel lignaige il estoit. rolant luy dist j'ay nom rolant et suis nepveu de charles le trespuissant empereur. Et ferragus luy demanda quelle foy il tenoit. Rolant respondit. Je tiens la foy crestienne et suis crestien par le vouloir de dieu. Ferragus dist quelle est celle foy et qui l'a donnee. Pour quoy rolant respondit. Il est vray que après que le dieu tout puissant eut fait le ciel et la terre et qu'il fist nostre premier pere adam qui fut desobeissant a ses commandemens le monde estoit jugé en terre sans avoir beatitude ne felicité. et après ung long temps le filz de dieu la seconde personne de la trinité se recorda de la valeur de l'ame qu'elle estoit donnee a toute personne et descendit du ciel et print humanité et souffrit griefve passion des peines infernalles. et luy regnant en cestuy monde a donné enseignemens et estably constitucions pour nous saulver. et principalement qui croira en luy parfaitement et qu'il soit baptisé après ceste mortelle vie il sera saulvé en paradis. et voycy la foy que je tiens en la quelle je vueil mourir. et après que ferragus luy eut fait plusieurs questions et que rolant eut respondu honnorablement par tout. ferragus dist en ceste maniere. Tu es crestien et veulx maintenir la foy de laquelle tu m'as parlé et suis payen et tiens mon dieu mahon. celluy qui sera vaincu sa loy soit tenue pour nulle et la foy du victorieux soit bonne et qu'elle soit tenue entierement et observee. rolant le valeureux accepta son langaige. adonc chascun fut apresté pour batailler tantost rolant vint a luy et ferragus haulça le bras pour frapper rolant moult malicieusement rolant vit venir le cop sur luy et pour l'eviter il lança son baston contre l'espee du payen pour obvier a son intencion. et du cop le baston fut trenché et vint le geant a rolant et le mist dessoubz luy. Rolant considerant qu'il ne pouvoit fuyr ne eschaper devotement en son cueur il invoca le nom de jhesus et se rendit a dieu et a la vierge marie. et se resolut en force tellement qu'il se leva ung petit et vertueusement il repugna le geant en telle maniere qu'il mist le geant dessoubz luy et puis habillement et subtilement il mist la main a son espee et le poignit ung petit ou nombril et puis se leva et se mist a fouyr contre l'ost de charles. Tantost que ferragus se sentit blessé en celluy lieu il cria si haultement que tous ceulx qui estoient en celluy lieu furent esbahys de son cry et dist. O mahommet mon dieu a qui je me suis donné viens moy secourir. car tu vois bien que je meurs et ne tarde plus. A celle voix hideuse les sarrazins vindrent et l'emporterent en leurs bras le mieulx qu'ilz sceurent en son logis. et desja Rolant tout sain estoit venu a charles. et puis les crestiens vindrent si impetueusement sur les sarrazins que portoient ferragus qu'ilz entrerent en la cité et firent que le geant fut du tout mort. et vindrent en la prison valeureusement et misrent hors Ogier. Regnault. Constantin. Hoel et les aultres prisonniers.

Comment charles alla a corduble ou le roy du lieu et le roy de cibille attendoyent et de leur destruction.

Le .xiii. chapitre.

Après cecy devant dit le roy de cibille et le roy de corduble vont mander a charles s'il vouloit venir a corduble pour batailler Tantost que charles le sceut a toute sa puissance il vint celle part. Et quant ilz furent près pour batailler les sarrazins firent une chose moult sauvaige. car devant les hommes sarrazins qui estoient a cheval ilz vont ordonner des gens de pié qui pourtoient des visaigieres contrefaictes toutes noires et rouges cornues et barbues comme diables. car ilz ne pouvoient aultrement en bonne maniere faire contrarieté aux crestiens. mais s'aviserent de faire dissimulacions. et chascun des pietons sarrazins deguisez portoit en sa main une clochette ou une campane. Et a l'entree de ceste bataille ilz commencerent a sonner et faire bruit tellement que tantost que les chevaulx des crestiens les virent ainsi contrefaitz et ainsi sonner impetueusement ilz commencerent a fouyr et desrenger et esprouver en telle maniere que personne ne les pouvoit tenir. mais force fut d'eulx en fouyr et retraire. Charles se avisa de remede il fit lendemain mettre des drappeaulx devant les yeulx des chevaulx qu'ilz ne virent riens. et fit boucher et aussi estouper leurs oreilles. affin qu'ilz ne peussent veoir ne escouter ces sarrazins deguisez et contrefaitz. Et quant en celle maniere ilz vindrent en la bataille ilz ne firent sinon les mettre a mort jusques a midy. mais non pas qu'ilz fussent du tout vaincus. car ilz avoyent ung char gros et fait pour faire grant empesche a resister a leurs ennemys. et si fort conduisoyent celluy engin a .viii. beufz qui l'emenoyent en guerre et estoit dessus en hault l'estandart de leur enseigne. et avoyent de coustume que sur peine de mourir personne ne retournast arriere ne reculast pour riens entretant que l'estandart seroit droit. De cecy fut informé charles pourquoy moult puissamment il se mist parmy les sarrazins tellement qu'il vint a l'estandart et a tout joyeuse son espee il couppa: cecy voyant les sarrazins de fouyr. et furent des payens plusieurs mortz et occis. Et puis le lendemain la ville fut remise a charles par le seigneur du lieu qui ne luy pouvoit resister. Et après charles fut content de luy laisser la vie s'il se vouloit baptiser et la ville aussi mais qu'il la tenist de luy. Et adonc charles ordonna en espaigne de ces barons par maniere que nul ne l'osast plus assaillir a faire guerre. car tousjours se trouvoit victorieux de ses ennemys par la puissance qu'il menoit et par la discrecion de sa personne et par la grace de dieu qui ne fault pas a subvenir a ses amys.

Comment l'eglise de saint Jaques fut sacree par l'arcevesque Turpin et les eglises d'espaigne subjectes a elle et des eglises principales

Le .xiiii. chapitre.

Charles le noble empereur après que en espaigne il eut mis bon estat et bonnes gardes il s'en ala a saint jaques et a peu de gens. et quant il fut la les crestiens qu'il trouva il les remunera et leur fit beaucoup de biens et mist en audience. les apostatz et aultre maniere de gens qu'il trouva infeaulx et desobeissans a sainte eglise ou il les fit mourir ou les transmist en france en penitence et bannist. Et adonc par les citez d'espaigne il ordonna evesques et religieux et aultres gens d'eglise et fit plusieurs constitucions sinodales et autres ordonnances sur l'eglise et sur aultres gens. Et en l'onneur de saint jaques il fit constitucions et institua que tous evesques princes et roys habitans en espaigne fussent tous subjectz a l'evesque de saint jaques et tous luy deussent fidelité avec toutes gens de la terre de galice. Et je turpin arcevesque de rains fut en celluy lieu ou les ordonnances dessudictes furent faictes et moy acompaigne de .ix. evesques honnorables et de sainte vie a la requeste et postulacion de charles au moys de jullet l'eglise de saint jaques et l'autel d'icelle dediay benis et consacray. Et adonc le roy charles donna toute la terre d'espaigne et de galice a celle eglise et puis ordonna que chascun hostel d'espaigne et de galice donnast a l'eglise de saint jaques .iiii. deniers monnoye courance de annuel tribut et moyen celle cense ilz estoient frans et liberez de servitude. Et pour l'onneur de saint jaques il fut estably que l'eglise dudit lieu fut dite apostolique pour l'exalctacion dudit lieu et plus oultre que les eveschez et dignitez speciales de toute espaigne et de galice et semblablement les couronnes des roys de toute celle contree fussent donnees et livrees pour honneur a l'evesque de saint jaques Tout ainsi comme devant avoit esté fait en asie au lieu de epheson pour l'onneur de monseigneur saint jehan evangeliste frere de saint jaques et filz de zebedee. Et aussi sainct jehan fut logé en la partie dextre et saint jaques a la senestre qui estoit son frere. Et adonc fut acomplie la peticion de la mere des deux enfans glorieux et amys de dieu quant elle disoit a nostre seigneur jhesucrist quant il preschoit de son royaulme que l'ung fust assis a sa dextre et l'autre a senestre par ces choses devant dictes fut acomplie. Et pource sont au monde sieges et eglises principales que les crestiens par droit doyvent exaulcer deffendre et maintenir de toute leur puissance. c'estassavoir l'eglise rommaine. l'eglise de epheson l'eglise de saint jehan evangeliste et l'eglise de saint jaques en galice. Et se on demandoit de la cause de ces troys lieux et sieges principaulx de toute crestienté. la cause est assez apparente. Ces troys lieux sont exaulcez et honnorez de dieu et des crestiens ausquelz pecheurs principalement doyvent avoir secours pour effacer leurs pechez et obtenir pardonnance. Premierement ces troys apostres comme saint pierre. saint jehan et saint jaques ont precedé tous les aultres en la compaignie de jhesucrist quant il estoit au monde et si ont esté appellez a sez secretz et qui ont mieulx continué avec luy. Ainsi a bon droit les lieux ausquelz il ont conversé et continué leurs vies et leurs corps reposent doyvent estre honnorez. Principalement monseigneur saint pierre fut le premier et prescha a romme et y fut martyrisé et ensepvely. Aussi l'eglise rommaine est sublimee et exaulcee sur toutes aultres eglises. En après saint jehan qui vit le secret de dieu en la cene et epheson ou il fist son evangile. In principio erat verbum. Et par son saint prechement a converty les infeaulx a la foy crestienne. Et puis saint jaques qui print grant peine en espaigne et en galice pour l'onneur de dieu. pourquoy tant pour sa sainte vie pour ses miracles que pour les martirs et sepulture de luy a bon droit en est memoire par tout le monde universellement

La seconde partie du tiers livre contient dix chapitres/ et parle de la traison faicte par ganellon et de la mort des pers de france.

Comment la traison fut comprise par ganellon/ et de la mort des christiens/ et comment ganellon est repris par l'acteur.

Le premier chapitre.

En celluy temps estoient en cesarye dux roix sarrazins moult puissans/ l'ung se disoit marfurius et l'aultre bellegandus son frere qui furent envoiez de par l'admiral de babilonne en espaigne lesquelz estoient dessoubz le roy charles. Et luy faisoient signe d'amour et de subjection et alloient a son commandement aulcunement saintement et soubz umbre de deception/ l'empereur charles voyant qu'ilz n'estoient point cristiens pour obtenir seignourie sur eulx il leur manda par ganellon au quel il avoit fiance ou que ilz se fissent baptizer ou qu'ilz luy envoiassent tribu en signe de fidelité de leurs pays/ Ganellon le traictre y alla et leur fit le message. Et après qu'il eut beaucop de parolles avec eulx deceptoires ilz transmirent a charles .xxx. chevaux chargez d'or et d'argent de draps de soye et aultres richesses/ et quatre cens chevaulx chargez de vin doulx et melodieux pour donner aux gens de guerre a boire. et aussi ilz transmirent par ceulx dessusdis mille femmes belles sarrazines en grand point et de eage/ Et tout cecy en signe d'amours et d'obeissance. Et puys donnerent a ganellon .xx. chevaulx chargez d'or d'argent et de soye et d'aultres preciositez moyennant qu'il debvoit mettre en leurs mains la compaignie de charles et luy s'il povoit faire/ Adonc ganellon fut surpris de celle faulce avarice qui consume toute la doulceur de charité qui est es personnes pour avoir or argent et aultres richesses il filt pache avec ces sarrazins de trayr son seigneur et ses voisins et freres christiens et jura de non point faillir a l'entreprise/ mais je suys bien esbahy de ganellon qui fist la traison sans avoir cause coulouree ne juste/ O mauvais ganellon tu fus party de noblesse et tu as fait oeuvre villaine tu estoies riche et grant seigneur et pour argent tu as tray ton maistre/ Entre tous les aultres tu fus esleu pour aller aux sarrazins pour estre certain entre les aultres et pour la fidelité qu'on avoit en toy et tu as consentu a trayson et seullet commis infidelité/ dont vient ton iniquité sinon d'une faulce voulenté plongee en abisme d'avarice/ Ton seigneur droiturier rollant olivier et les aultres que t'avoient ilz fait/ Se tu avois iniquité contre une personne pourquoy consentois tu aux innocens/ n'y avoit il personne que tu eusses en amours quant a tous les cristiens tu as esté traictre raison estoit elle en toy quant capitaine as esté contre la foy/ que vault la prouesse que tu as faicte au temps passé quant ta fin ne moustre qu'il mal amasse/ O faulce avarice et ardeur de concupiscence Celluy n'est pas le premier qui par toy est venu a meschief/ par toy adam fut a dieu desobeissant/ et la noble cité de troyes la grande en fut mise a destruction/ O le bon regard que la personne fait et prend de laisser la chose qui est sans raison pour complaire a raison qui ne veult point chose contraire a nature/ Toutesfoys en ceste maniere ganellon en mena l'or et l'argent le vin les femmes et autres richesse comme devant il fut entrepris. Quant charles le vit il pensoit que tout fut fait a bonne equité et sans barat/ les grans seigneurs batailleurs chevaliers prirent le vin pour eulx tant seullement charles eut l'or et l'argent et les menus gens prirent les femmes sarrazines/ L'empereur donna consentement aux parolles de ganellon car il parloit moult sagement/ et en telle maniere besongna que charles et tout son ost passerent les pors de cesarie/ Car ganellon luy fist entendre que les roix dessusdis se vouloient faire christiens et jurer fidelité a l'empereur. Et tantost transmist ses gens devant et il fist la derriere compaignie/ Et avoit mis rollant et olivier et les plus especiaulx de ses subjects avec vingt mille combatans et furent en roncivaulx/ Lors les roix marfurius et bellegandus selon le conseil de ganellon atout cinquante mille sarrazins furent chacez en ung boys attendant les françoys/ et demourerent la deux jours et deux nuys/ et diviserent leurs gens en deux pars En la premiere ilz mirent vingt mille sarrazins/ et en l'aultre ilz mirent .xxx. mille sarrazins. En l'avantgarde de charles ilz estoient vingt mille christiens qui tant furent assaillis de .xx. mille sarrazins et firent guerre tellement qu'ils furent contrains de reculer/ car des le matin jusques a tierce ilz ne cesserent de fraper dessus/ Pourquoy les christiens furent tous lassez et eurent bon besoing de reposer. Toutesfois il beurent de ce bon vin doulx des sarrazins largement. Et après que pluseurs furent yvrez ilz vont habiter avec ses femmes sarrazines et plusieurs aultres qu'ilz avoyent amenez de france. pourquoy la voulenté de dieu fut qu'ilz deussent tout mourir affin que leur martire et passion leur fust cause de salut et effacement de celluy peché. car tantost après les .xxx. mille sarrazins vindrent qui faysoyent la seconde bataille sur les françois si impetueusement qu'ilz furent tous mortz et occis Excepté Rolant Baudoin et Thierry. Les aulcuns furent occis et mortz de lances. les autres escorchez. les aultres bruslez. les autres esquartelez et en plusieurs aultres tormens soubmis. Et quant ceste desconfite fut faicte Ganellon estoit avec charles et l'arcevesque Turpin qui ne savoient riens de l'afaire tant douloureux. sinon le traistre qui l'entretenoit tant que tout fut destruit et mis amort. De l'angoisse que charles attendit ne fault pas parler. car de soy mesmes elle se peut bien entendre.

De la mort du roy Marfurius et comment rolant fut navré de quatre lances mortellement après que tous ses gens furent mortz.

Le .ii. chapitre.

La bataille comme j'ay dit devant estre faicte moult aspre. Quant Rolant qui estoit moult lassé retournoit il rencontra en son chemin ung sarrazin moult fier. et le print tantost a l'entree d'ung boys et l'estacha a quatre portes bien estroit sans luy faire aultre mal. et puis monta en ung hault arbre pour veoir l'ost des sarrazins et les crestiens qui s'en estoyent fuys et veit moult grande quantité de payens. pourquoy tantost il sonna son cor d'ivoire moult haultement. et a celle voix vindrent a luy cent crestiens bien habillez sans plus. Et quant ilz furent venus a luy il retourna au sarrazin qu'il avoit lyé a ung arbre. et tenoit Rolant son espee traite devant luy en disant qu'il le feroit mourir s'il ne luy monstroit clerement le roy Marfurius. et s'il luy monstroit qu'il ne mourroit point. Le sarrazin en fut content et jura qu'il le feroit voulentiers pour saulver sa vie. Et ainsi il le mena avec luy jusques a tant qu'ilz veirent les payens et luy monstra le roy qui estoit sur ung cheval roulx et aultres enseignes certaines. Et en ce point rolant reconfermé en force soy confiant de la vertu de dieu et au nom de Jhesus comme ung lyon entra en la bataille et entre les aultres rencontra ung sarrazin qui estoit plus grant que nul des aultres et luy donna si grant cop de durandal sur la teste qu'il le fendit et luy et son cheval tellement que l'une des parties alla a dextre et l'autre a senestre. pourquoy les sarrazins furent perturbez et esbahys de la puissance de rolant et tous se misrent a fouyr. Et lors demeura le roy Marfurius avec peu de gens. Adonc Rolant vit celluy roy et sans doubter il vint a luy et le mist a mort incontinent. Et tous les cent chevaliers crestiens qui estoyent avec rolant en celle rencontre douloureusement furent occis et mis a mort. Excepté tant seulement baudouyn Tyierry qui de paour s'en fouyrent au boys. mais après que Rolant eut occis le roy Marfurius il fut moult oppressé et tellement detenu que de quatre lances il fut navré mortellement et frappé de pierres. cassé et blessé de faulx dartz et de traitz mortelz. et nonobstant ces tourmens oultre la voulenté des sarrazins il saillit hors de la bataille et le saulva le mieux qu'il peut. Belgandus frere de Marfurius redoubtant que adjutoire ne venist de par les crestiens s'en retourna en aultre pays avec ses gens moult hastivement. et l'empereur charles avoit ja passé la montaigne de roncivaulx et ignoroit la maniere devant dicte et qu'on avoit fait.

Comment rolant mourut saintement après plusieurs martires et oraisons faictes a dieu moult devotes. et de la complainte faicte sur son espee durandal.

Le .iii. chapitre.

Rolant le valeureux et champion de la foy crestienne fut moult doulent de la mort des crestiens de ce qu'il n'avoit nul secours. moult fut lassé moult doulent. moult fut esbahy. et moult fut affoibly de sa personne que avoit perdu son sang qui estoit blessé de quatre playes mortelles desquelles la moindre estoit assez souffisante pource qu'il mourust qui print grant peine de se mettre hors des sarrazins pour avoir ung petit de commemoracion de dieu devant qu'il rendist l'ame tant s'esforça qu'il vint au bout d'une montaigne près du port de cesare et se va mettre près d'une roche droicte en roncivaulx dessoubz ung arbre en ung beau pré. Quant il fut a terre il regarda son espee la meilleure que jamais fut nommee durandal qu'il vault autant a dire comme dur coup donnant laquelle estoit moult belle et richement faicte. le manche avoit de bericle fin reluysant a merveilles en hault avoit une croix d'or en laquelle le nom de Jhesus estoit escript. Si bonne et si fine elle estoit que plustost fauldroit le bras qui la tient aulcunement que l'espee Il la mist hors du forreau et la vit moult reluisante. et pourtant qui convenoit qu'elle changast maistre grant douleur luy en fit au cueur. et en plourant en ceste maniere il dist bien piteusement. O espee de valeur la plus belle que jamais fut oncques ne me fus que belle jamais ne te trouvay que bonne tu estoies longue a mesure or estoyes tant honnouree que tousjours portoye avec toy le nom du benoist jhesus saulveur de tout le monde qui es environnee de la grande vertu de dieu. qui pourroit comprendre ta valeur. helas qui te doit avoir après moy et te tiendra jamais ne sera vaincu tousjours il aura bonne fortune helas que pourray je dire plus oultre. par toy belle espee sont plusieurs sarrazins destruitz. par toy sont occis infeaulx et mescreans. par toy est haulcé le nom de dieu. par toy est fait le sentier du saulvement. O quantesfois j'ay par toy vengee l'injure faicte a dieu. O quante gens j'ay faulcez et trenchez et mis par le millieu. O mon espee qui as esté mon confort et ma joye que jamais ne navras personne qui peust eschapper de mourir. o mon espee se quelque personne de neant te tenoit et je le sçauroye quant je n'auray aultre mal si mourray je de douleur. Après que rolant eut assez plouré il eut paour que aulcuns payens ne la trouvassent après sa mort et la voulut rompre et la print et en donna sur la roche de toute sa puissance troys fois sans le grever de riens. mais de ces copz il fendit la roche jusques a terre et ne la peut despecer aulcunement. quant il vit la façon et qu'il ne pouvoit faire aultre chose il print son cor qui estoit d'ivoyre moult richement fait et en sonna moult fort affin que s'il y avoit aulcuns crestiens mucez au bois ou en chemin de s'en retourner qu'ilz venissent a luy devant qu'ilz deussent aller plus oultre. et aussi devant qu'il rendist l'ame. Voyant que nul ne venoit il sonna de rechief par si grant force et vertu et si trespuissamment que le cor rompit par le millieu tout oultre et les veines de son col rompirent et les nerfs de son corps furent estandutz Et celle vois vint par la grace de dieu jusques aux oreilles de charles qui estoit loing de luy .viii. mille. L'empereur oyant celle voix il sceut que c'estoit rolant et voulut retourner arriere. mais ganellon le traistre qui sçavoit bien le fait le destourba en disant que rolant avoit corné pour quelque beste sauvaige en soy esbatant: car il prenoit plaisir a corner souventesfois pour peu de fait et qu'il ne se doubtast de riens. et tellement il subourna le roy qu'il le creut et n'en fit aultre semblant. Toutesfois rolant estant en ceste douleur il pacifia ses playes le mieulx qu'il peut et s'estendit sur l'arbre a la frescheur pour oblier la soif qu'il avoit si grande. Sur se passaige Baudoin son frere vint a luy qui fut moult marry et doulant de le veoir en celle grande necessité. tantost rolant luy dist. mon amy et mon frere j'ay si grant soif que je meurs icy se je n'ay a boyre. Baudoin print grant peine alant ça et la et ne peut trouver goute d'eaue et revint a luy en plorant et disant qu'il n'en trouvoit point. Et en grant angoisse il monta sur le cheval de rolant et courut après charles: car il congneut bien que rolant estoit près de la mort. Tantost après luy vint Thierry duc d'ardaine qui ploura sur rolant si continuellement qu'il ne luy peut dire mot si non a grant peine qu'il se confessast et disposast de sa concience: toutesfois celluy jour rolant avoit receu le corps de nostre seigneur car la coustume estoit que les subjectz de charles le jour qu'ilz se devoient combatre ilz se confessoient aux gens d'eglise qu'ilz menoient avec eulx Rolant qui congneut sa fin par contemplation entiere les yeulx au ciel eslevez et les mains joinctes tout estandu va dire. Beau sire dieu mon createur et redempteur filz de la glorieuse mere de tout confort tu sçais mon intencion. tu sçais que j'ay fait pour la bonté qui en toy abonde. par le merite de ta passion saincte et amere de bon cueur je te requiers que devant toy au jourd'uy mes faultes et ignorances me soyent pardonnez. ne prens pas advis se je t'ay meffait. mais regarde que je meurs pour toy et en la foy que tu as ordonnee. regarde que tu pendis en la croys pour les pecheurs. et aussi comme tu m'as racheté que je ne soye pas perdu. Helas mon createur dieu omnipotent de bon vouloir je suys party pour deffendre ton nom et pour maintenir crestienté. tu sçays que j'ay suffert plusieurs angoisses. comme de fain. de soif. de froit de chault de playes mortelles de jour de nuyt. a toy mon dieu je me rens coulpable. Je ne me deffie mye de ta misericorde. tu es piteux. tu es venu pour les pecheurs tu as pardonné a marie magdalene. au bon larron en l'arbre de la croix pource qu'ilz se retournerent a toy. ilz estoyent pecheurs comme je suis. je te crie mercy comme eulx et mieulx se je le savoye dire. Tu regarderas comment Abraham te fut obeissant de son filz ysaac. pourquoy il en vault bien mieulx. regarde comment je suis obeissant aux commandemens de l'eglise. je croy en toy. je t'ayme sur tous j'ayme mon prouchain. Mon createur pardonne a tous ceulx qui sont aujourd'uy mors en ma compaignie et qu'ilz soyent saulvez. Je te requiers en après mon createur comme tu regardas la pacience de Job laquelle il eut et pour laquelle il vault mieulx mon createur je meurs de soif et suis seulet: je suis playé mortellement. je ne me puis aider et prens tout en pacience. de la douleur que je souffre je suis content quant il te plaist. Ainsi comme tout cecy est vray pardonne moy. conforte mon esperit. reçoy mon ame et la metz en repos pardurable. Quant rolant eut prié dieu il mist la main sur sa fourcelle tenant sa chair et puis dist troys foys. Et in carne mea videbo deum salvatorem meum Et puis mist les mains sur ses yeulx et dist Et oculi isti specturi sunt. En ceste chair que je tiens vray dieu qui m'as saulvé lequel ces yeulx doyvent regarder. Et puis dist qu'il veoit ja choses celestielles que les yeulx humains ne pouvoyent regarder ne les oreilles escouter ne le cueur penser. la gloire que dieu a aprestee a ceulx qui l'ayment. et en disant In manus tuas domine commendo spiritum meum. Il mist ses bras sur sa forcelle en maniere de croix et rendit l'esperit a dieu le .xvi. kalende de jullet.

De la vision de la mort de Rolant et de la douleur de charles et comment il fut de luy piteusement complaint et aultres matieres

Le .iiii. chapitre.

Le jour que Rolant le martir rendit l'ame a dieu. Je Turpin arcevesque de rains estoye en la valee de roncivaulx devant Charles l'empereur et disoye messe pour les trespassez. et ainsi que j'estoye au secret de la messe je fus ravy et ouy les anges de paradis chanter et faire grant melodie et ne sçavoye pourquoy ce se faisoit. ainsi que les anges montoyent en hault je vis venir une grande legion de chevaliers tous noirs contre moy. lesquels portoyent proye dont ilz faisoyent grant noyse et desroy. Quant ilz furent devant moy en passant je leur demanday qui ilz estoient et qu'ilz portoyent. L'ung des diables respondit et dit. Nous portons ce roy Marfurius en enfer. car long temps a qu'il l'a deservy. et Rolant vostre trompette par michiel l'ange et plusieurs aultres est acompaigné et mené en joye pardurable aux cieulx. Tantost que la messe fut dicte je racontay a Charles la vision que j'avoye veue comme les anges de paradis emportoyent l'ame de rolant en paradis. et les diables emportoyent l'ame d'ung sarrazin en enfer. Ainsi que je disoye ces parolles Baudoin qui estoit sur le cheval de rolant vint erramment et dist a charles comment les crestiens estoient mortz et trahiz. et en quel estat il avoit laissé rolant Aussi tost qu'il eut ce dit le cry se leva par l'ost. chascun se mist en chemin pour retourner arriere mais charles auquel il toucha mieulx au cueur que a nul des aultres s'avança d'y aler et trouva Rolant expiré les mains en croix sur son visaige tout estandu tantost il se laissa cheoir sur luy et commença a plourer moult tendrement: a frapper son visaige desrompre ses habitz et a tormenter son corps puis ne sceut parler d'une grant piece. Quant il fut tourné a luy par ardeur de dilection et exercite de douleur il va dire ainsi. O confort de mon corps honneur de françoys espee de justice lance qui ne povoit ployer haubert qu'on ne sçavoit faucer heaulme de salut ressemblant a judas machabeus de prouesse semblant a sanson de force semblant a absalon de beaulté. O nepveu treschier bel et saige en batailles royal. O destruiseur de sarrazins deffendeur des crestiens mur de clergé baston de femmes vesves et de povres orphelins sublevateur des eglises langue droituriere bouche sans mentir prince de bataille conduiseur des amys de dieu augmenteur de la foy crestienne aymé de chascun. Helas pourquoy t'ay je amené en estrange contree pourquoy ne suis je mort comme toy. O rolant pourquoy me laisse tu triste doulant. Helas chetif que feray je: helas doulent ou iray je Je prie a dieu qu'il te conserve. Je requiers les martirs desquelz tu es du nombre qu'ilz te veullent recepvoir sans faillyr/ en joye pardurable soyes tu logé. tousjours en moy tu es en pleur: tousjours je sentiray ta departye comme david fit de natam et de absalon. Helas rolant tu t'en vais en vie et en joye pardurable et tu me laisses en ce monde doulant. Tu es aux cieulx en consolacion et je suis en pleurs et tribulations. tout le monde est mal content de ta mort et les anges en menent confort. En ceste maniere et aultres charles ploura son nepveu. Et tantost fist estandre ses pavillons et logis et la demoura celle nuyt et fit faire grans feux et lumieres pour veiller le corps de rolant et le fit arrouser de mirre d'uylle et de baulme et d'autres choses aromaticques pour consoler le corps sans en issir malle odeur. Et furent faictes ses obseques aussy ses offrendes et aulmones en grant contemplacion.

Comment on trouva olivier tout escorché et de la main des sarrazins et de la mort de ganellon hydeuse.

Le .v. chapitre.

L'endemain bien matin charles et les aultres vindrent la ou avoit esté la bataille et trouverent le noble olivier mort estandu en façon de croix qui estoit faulcé de quatre paulx en terre estaché de quatre riortes asprement lyé et despuis le col jusques aux ongles des piez et des mains il estoit estaché durement de grosses lances il estoit faucé tout oultre: de faulx dartz quarrez et aguts de sayettes decouppé: de bastons il estoit navré cassé et tout rompu dont les crys de plusieurs commencerent a renouveller pour la mort hydeuse d'olivier et de plusieurs aultres pourquoy charles jura le dieu tout puissant que jamais ne cesseroit tant qu'ilz eust trouvé les sarrazins. lors luy et sa noblesse se misrent en chemin: et pource que les payens estoyent bien loing d'eulx dieu monstra ung beau miracle car celluy jour fut prolongué de troys heures sans ce que le soleil se remuast: et les trouverent près d'ung feu qui se disoit ebra qu'ilz prenoyent leur refection a leur aise sans se defier de riens: et vint sur eulx charles et toute sa noblesse si impetueusement qu'en peu d'eure il furent mortz .iiii. mille et les aultres firent leur sauvement puis l'empereur voyant qu'il ne povoit aller plus oultre s'en retourna a roncivaulx et enquist qui avoit faicte la traison: desja il estoit informé que ganellon l'avoit faicte et estoit la commune opinion de tous. Et entre les aultres. Thierry l'accusa de la traison et qu'il le vouloit combatre: car thyerry l'avoit sceu par le sarrazin que rolant avoit estaché aux riortes en ung boys. Le roy charles ordonna ung chevalier pour ganellon qui s'appelloit prinalle en contre thyerry. Et quant deux chevaliers furent au lices tantost prinalle fut occis par thyerry et tantost moyen cecy comme aultrement il apparut clerement que ganellon les avoit trahis pourquoy charles sans aller plus oultre fit prendre quatre chevaulx gros et fors et dessus chascun ung homme fort et robuste et fit estacher ganellon aux deux chevaulx par les deux mains et aux deux aultres les deux piez fit tirer l'ung contre orient et l'autre contre occident l'autre contre septentrion et l'autre contre mydy. Et ainsi chascun des chevaulx emporta son quartier du corps de la partie ou ilz estoyent tournez.

Comment ce fait charles rendit graces a dieu et a saint denys et des constitutions qu'il fist en france.

Le .vi. chapitre.

Quant l'execution de ganellon fut faicte charles et ses gens vindrent la ou estoient mortz les françoys: et vont recongnoistre leurs parens et amys et seigneurs pour les porter en terre benoiste: aulcuns les emportoyent sur leurs chevaulx et les autres les salloient de sel pour les maintenir et emporter en son pays. l'autre les enterroit en celuy lieu l'autre les emportoit sur son col. l'autre les oignoit d'uyle et de mirre. l'autre de baulme le mieulx qu'ilz povoyent. toutesfois il y avoit deux cimitieres bien devotz et sanctifiez principaulx entre les aultres qui estoyent sacrez. de .vii. sainctz evesques. L'ung des cimitieres estoit en arles et l'autre en bourdegal: et les avoyent consacrez. Saint maximien d'ays Saint turpin d'arles Paule de narbonne Saint saturnin de tholouze Saint fautin de poictiers Saint marcel de lymoges Et sainct eutrope de xainctes. Ausquelz lieux furent enterrez la plus part de françoys destruictz en roncivaulx. L'empereur fit porter rolant le glorieux martyr sur deux muletz couvers de drapt de soye honnorablement jusques a blaive et en l'eglise saint rommain laquelle il avoit desja edifiee et fondee de chanoynes reguliers richement il le fit ensepvelyr et au hault de sa sepulture fit mettre son espee et près de ses piedz il fit mettre son cornet d'yvoire. nonobstant que incontinent après celluy cornet fut emporté honnorablement en l'eglise de saint severin a bourdegal. de bourdegaulx a blaives furent ensepveliz Olivier et gaudefroy roy de frize ogier roy de dacie et crestien roy de bretaigne et garin duc de lorraine et plusieurs aultres comme caferus roy de bourdeaulx eugelerius roy d'aquitaine lambert roy de bourges et galerus regnault avec .v. mille aultres pour lesquelz charles donna pour la salvacion de leurs ames .xii. onces d'argent selon celuy temps courant et autant de talens d'or et plusieurs robes et viandes pour les povres de dieu et toute la terre a l'entour de l'eglise de saint rommain jusques a .vii. milliers il fit subjecte a celle religion et tout blaives et ses appartenances et la mer a celluy en droit et le territoire semblablement pour celle eglise pour charité et amour de rolant il ordonna et constitua. Et au jour de sa passion il ordonna que en celluy lieu fussent tous les ans perpetuellement trante povres repaissuz et vestuz competamment et que les chanoynes deussent dire trante psaultiers et trante messes pour ceulx qui la estoient enterrez et ensepveliz: et pour tous ceulx qui estoyent mortz en espaigne pour la foy crestienne. Et en arles fut ensepvely le conte de langres: sanson duc de bourgoigne: et naymes duc de bavieres: arnault de bellendes et aubert bourgoignon et autre cinq chevaliers avec dix mille aultres menues gens. Constantin prevost de romme par dessus la mer fut emporté a romme avec plusieurs aultres rommains: et pour le remede de leurs ames l'empereur donna en arles pour aulmosne .xii. onces d'argent et douze talentz d'or qui valoyent grande somme d'or et d'argent courant pour le temps present.

Comment charles alla en allemaigne ou il mourut sainctement et de sa mort denoncee a turpin et fut ensepvely imperialement.

Le .vii. chapitre.

Après les choses dessusdictes l'empereur charles et turpin et tous les aultres s'en vindrent et passerent par vienne et la turpin arcevesque moult saint homme demoura pour cause qu'il estoit lassé et affoibli de la peine qu'il avoit eue pour la foy qu'il avoit mise en espaigne: et charles s'en ala a paris et tantost il assembla toute la noblesse et tous les plusgrans de son pays pour faire aulcunes ordonnances et rendre graces a dieu et a saint denis de la victoire qu'il avoit obtenue en son temps sur les payens sarrazins et mescreans: et après qu'il eut loué dieu et saint denis a son eglise de paris ainsi comme saint pol l'apostre et saint clement pape avoyent fait le temps passé. Et fit constitucion entiere que tous les roys de france presens et advenir obeyroient au pasteur qui pour lors estoit ou seroit de celle eglise et que jamais le roy ne fust couronné sans le pasteur de celle eglise ou son conseil donné ne l'evesque de paris ne fust receu a romme sans son consentement. Et donna plusieurs richesses a celle eglise et en signe que france estoit donnee a celle eglise de saint denis il ordonna que chascun possesseur de toute la nacion donnast et fust tenue de donner a l'eglise de saint denis pour l'augmenter et edifier .iiii. deniers de monoye courante annuellement et perpetuellement. Et tous ceulx qui les donneroyent voulentiers s'il estoyent de serve condicion il fit francz. Et après toutes les choses il ala devant le corps de monseigneur saint denis et devotement pria qu'il voulsist interceder a nostre seigneur jhesucrist que tous ceulx qui estoient mortz pour la foy crestienne au temps qu'il avoit regné qu'ilz fussent sauvez. et que la peine qu'ilz avoient prinse leur fust couronne de martire en la gloire perdurable. Semblablement pria pour tous ceulx qui payeroyent voulentiers les deniers dessusditz a son eglise. par la voulenté de dieu celle nuyt monseigneur saint denis s'apparut a luy et luy dist. Roy entens a moy. Sachez que mon createur a ottroyé par mes prieres que tous ceulx qui ont estez contre les sarrazins avec toy ilz ont pardon de leurs mesfais et ceulx qui voulentiers payeront les deniers pour l'edification de mon eglise et augmenteront le service de dieu ilz auront amendement de vie et pardon de leurs pechez. Ceste vision le matin l'empereur charles raconta a ses gens comme il avoit ouy affin que ilz payassent voulentiers ces deniers ordonnez et celluy qui les donna estoit nommé franc de saint denis pource qu'il estoit franc et quitte de tout servaige par le vouloir du roy. Et tantost ce que s'appelloit gallia s'appella france comme veez au jourd'uy. Et france vault autant a dire comme franche de tout servaige envers toutes gens et pource les seigneurs de france doivent estre honnorez et prisez sur tous autres.

La recapitulacion de l'oeuvre.

Le .viii. chapitre.

Glorieusement continua le roy charles sa vie en operacions vertueuses et quant il sentit le declin de sa vie il s'en alla a aix ou il avoit desja beaulcoup fait de biens et anoblyt une eglise de nostre dame la ronde laquelle il fit faire et y mist grant tresor des reliques des sainctz et d'or et d'argent de draps de soye de d'aultres preciositez et merveilles Et y mourut en l'eage de .lxxii. ans et pour la magnificence de ses oeuvres il fut dit charles le grant et eut troys filz pour lors vivant dont l'ung avoit nom charles. le .ii. pepin et le tiers loys et aussi troys filles. l'une se disoit Rotrudis. l'autre Berga. et l'autre Gilla Et quant il congneut qu'il ne pouvoit plus vivre son filz Loys lequel il avoit ordonné roy d'aquitaine pour amour specialle il luy laissa la magesté imperialle. pour sçavoir la saincte et glorieuse fin de charles et comment il fut sauvé en paradis et saint homme renommé et devot arcevesque Turpin de rains dit ainsi. Je turpin arcevesque de rains estoie a vienne en l'eglise devant l'autel et y fus ravy en disant Deus in adjutorium meum intende. Je vis une compagnie de gens noirs comme pege qui estoient en quantité innumerable lesquelz aloient contre lorraine et en vis ung qui aloit devant les aultres et luy demanday ou ilz aloient Lequel respondit. Nous alons a ais a la mort de charles qui veult expirer et nous voulons veoir se nous pourrons avoir son ame pour la porter en enfer a dampnation. Adonc je luy dis. Je te adjure par la vertu de jesucrist que sans faire faulte après que vous aurez fait que tu retournes par devers moy. tantost après quasi que n'avoye pas finy mon pseaulme ces dyables après bien tost vont retourner en celluy ordre qu'ilz estoient allez et puys demanday au dernier qui estoit celluy auquel j'avoye parle premierement. que avez vous fait la ou vous avez esté. Celluy dyable respondit que jaques de gallice amys de Charles nous a esté fort contraire: car nous avons esté presens pour recevoir son ame et on a egallement divisé ses biens et ses maulx il a tant apporté de pierres et de boys des eglises qu'il a fait faire au non de luy que les biens ont surmonté les maulx: pourquoy nous n'y avons peu avoir part. et cecy disant le diable fut evanouy et perdu par vision. Ainsi charles au moys de fevrier rendit l'esperit a dieu sainctement. Et despuis qu'il estoit retourné d'espaigne il n'avoit fait que languyr. Et en son definement il ordonna plusieurs aulmosnes et dire plusieurs messes et psaultiers. Et la vision que l'arcevesque turpin amy de dieu vit est signification que celluy qui maintient et edifie eglises en ce monde qu'il fait preparation de sieges en paradis. Sa sepulture fut honnorable entre toutes les sepultures du monde noble et riche excellentement si belle qu'on ne pourroit dire plus. et dessus sa tombe fut fait ung arc d'or et d'argent et de pierres precieuses comprins de grande science Et y fut pape leon acompaigné des princes rommains. des arcevesques evesques abbez ducz comtes et plusieurs autres seigneurs. Et firent une belle representation du corps de charles vestu richement et imperialement a une belle couronne d'or sur la teste posee et fut assis sur une chaiere d'or moult reluysante. et ressembloit bien ung juge notable tout vif. Et puis poserent sur ses genoulx notablement le texte de .iiii. evangiles en lettre d'or. et a la main dextre il tenoit la lettre et a la senestre tenoit le ceptre royal et imperial fort riche. et d'aultre part affin que la teste ne s'enclinast de l'une partie ne de l'autre a une chaine d'or elle fut soustenue despuis la couronne jusques a l'arc qui estoit posé par dessus moult bien fait et les conduitz de la sepulture furent rempliz de toute odeurs aromatiques precieuses: et après clotz moult subtillement et honnorablement gardé comme bien luy devoit estre fait comme sçavez.

L'excusacion du facteur.

Le dernier chappitre.

L'oeuvre accomplie au plaisir de dieu devant escripte contient troys livres par les chapitres divisez comme aux liseurs il appert: et en ay voluntairement fait .iii. selon que j'ay peu comprendre en la separacion de la matiere. Desquelz le premier parle. Qui fut le commencement de france et du premier roy crestien qu'on disoit clovys moyennant sa femme clotildis jusques au roy pepin pere de l'empereur charles en l'onneur duquel cestuy livre a esté composé pour la plusgrant partie auquel Pepin la lignee de clovys print fin et succession du royaulme de france. Et parle plus oultre ledit premier livre de charles comment il fut nourry de sa corpulance de son manger de sa force science et aultres oeuvres magnificques. Le second livre parle de bataille que olivier fit contre le geant qui s'appelloit fierabras d'alixandrie filz de ballant l'admiral d'espaigne roy moult puissant. Et toute la premiere partie est attribué en honneur au noble olivier. Après vous trouverez comment les pers de france furent detenuz en aigremoire et mys en seurté. Puis comment lesditz pers furent saulvez finablement par la belle floripes la courtoise fille dudit ballant et les sainctes reliques recovrerent et aultres grandes et merveilleuses matieres de guerres. Le troisiesme livre parle comment par revelacion de monseigneur saint jaques de galice l'empereur charles alla conquester espaigne et galice ou il fit operacions vertueuses et miraculeuses et constitucions de sauvement avec pluseurs batailles par luy et ses subjectz faites et finablement de la traison de ganellon en laquelle de la mort de rolant bien piteuse et celle d'olivier doloreuse et de ses autres pers et barons crestiens furent encloses. Et finablement celle de charles l'empereur comme ja devant est dit. Et selon que la personne vouldra ouyr ou lira de ceste presente matiere la table faicte au commencement luy monstrera legierement se son plaisir est de lire ou d'escouter de l'oevre en cestuy livre comprinse.

Comme j'ay dit au commencement de l'oeuvre presente les escriptures et faitz aulcuns ont esté reduitz en escript pour en estre memoire affin que ceulx qui ont bien fait nous soyent exemple en les ensuyvant et ceulx qui ont mal fait qu'ilz soyent cause de rigler nostre vie pour venir au port de salut: car le commun entendement est plus content a retenir paraboles et exemples pour l'ymaginacion localle que a simple auctorité laquelle se retint par entendement. Et aussi semblablement hystoires parlantes de nostreseigneur jhesucrist de ses miracles et de ses subjectz vertueux chascun le doit voulentiers escouter et retenir car il est nostre createur. Et ainsi est que a la postulation et requeste du devant nommé venerable homme Messire henry bolonnier chanoine de lausaine. Je jehan baignon petit citoyen de lausanne ay esté incité de le luy translater et reduyre en prose françoyse la matiere devantdicte tant comme il toche le premier et le tiers livre je les ay prins et extraictz d'ung livre qui se dit mirouel hystorial pour la plusgrande partie et le second livre j'ay tant seulement reduyt d'ung romant ancien en françoyes et sans aultre informacion que de celluy livre je l'ay reduit en prose substanciallement sans faillir par ordonnance des chapitres et parties du livre selon la matiere en celluy contenue. Et se aucunement en ce livre j'ay mesprins ou parlé aultrement que bon langaige substancieux plain de bon entendement A tous facteurs et clercz j'en demande correction et emandement et des faultes pardon. car se la pleume a mal escript le cueur ne pensoit que bien dire et aussi mon entendement qui est bien petit ne porte pas de desduire si grande matiere sans errer: toutesfois qui entendra bien la lettre et comprendra mon intencion ne trouvera que bien et moyen pour venir a sauvement. Auquel puissons tous parvenir. Amen.

Cy finist Fierabras imprimé a lyon par Pierre mareschal et barnabas chaussard. L'an de grace .M.cccc.xcvii. le .iiii. de avril.

pierre mareschal bernabé chaussard
P B

Note concernant la transcription

On a conservé l'orthographe, la ponctuation et l'emploi des majuscules de l'original. Pour la commodité de lecture on a cependant résolu les abréviations par signes conventionnels, introduit cédilles et accents, et distingué les lettres i/j et u/v conformément à l'usage.

La lacune de l'exemplaire d'origine (un feuillet manquant entre "par tout le monde universellement" et "tous lassez") a été comblée à l'aide de l'édition de Genève du 28 novembre 1478.

La table des matières et le corps du texte indiquent que la seconde partie du troisième livre contient 10 chapitres, mais seuls 9 titres de chapitre sont présents. En effet à partir du chapitre VI de cette partie chaque titre de chapitre figure un alinéa trop tôt (il manque donc le titre de ce chapitre VI décrivant les obsèques des français). On a conservé ce décalage, présent dans les trois autres éditions consultées (1478, 1484 et 1536).

On a effectué les corrections suivantes:

On a également harmonisé la numérotation des chapitres entre la table des matières et le texte, et corrigé plus de 200 coquilles manifestement introduites par le typographe: caractères retournés de 180°, confusion entre lettres de formes similaires, doublons, permutations de lettres, etc.

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