Title: Journal de Jean Héroard - Tome 1
Author: Jean Héroard
Release date: February 27, 2014 [eBook #45031]
Language: French
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EXTRAIT DES MANUSCRITS ORIGINAUX
Et publié avec autorisation de S. Exc. le Ministre de l'Instruction publique
PAR
MM. EUD. SOULIÉ ET ED. DE BARTHÉLEMY
TOME PREMIER
1601—1610
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 56
JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
Après avoir, à la fin de l'année 1599, obtenu la dissolution de son mariage avec Marguerite de Valois, Henri IV s'était allié, un an plus tard, à la princesse de Toscane, Marie de Médicis. La grossesse de la Reine avait été annoncée dès le commencement de mars 1601 et, au mois de septembre suivant, la Cour était rassemblée à Fontainebleau, attendant les couches de la Reine. Henri IV désirait vivement un héritier de sa couronne: «Je suis bien en peine de notre fils, écrivait-il à Marie de Médicis quelques jours avant d'arriver à Fontainebleau, mais je me résous à la volonté de Dieu, en cela comme en toute autre chose.» Le Roi avait, avec l'espoir de perdre et peut-être par suite de quelque idée superstitieuse, parié mille écus avec le financier Zamet que la Reine accoucherait d'une fille; cependant, en choisissant la future gouvernante des enfants de France, Henri IV ne craignait pas de lui écrire le 19 septembre, huit jours avant l'accouchement de la Reine: «Madame de Montglat, je vous ai choisie pour être auprès de mon fils. C'est pourquoi je vous fais ce mot pour vous prier, incontinent la présente reçue, de vous en venir ici et vous y rendre demain au soir.» Le surlendemain, le Roi s'exprimait en termes presque identiques, lorsqu'il disait au médecin qu'il avait appelé pour l'attacher à l'enfant à naître: «Je vous ai choisi pour vous mettre près de mon fils le Dauphin; servez-le bien.»
Ce médecin se nommait Jean Héroard (on prononçait Hérouard); il était alors âgé d'environ cinquante ans et, depuis près de trente années, il avait été successivement attaché à la personne des rois Charles IX, Henri III et Henri IV en qualité de médecin ordinaire. Le 27 septembre 1601, naissait enfin le prince tant désiré qui devait régner sous le nom de Louis XIII, et, dès son entrée en fonctions auprès du Dauphin, Héroard commençait à écrire un «Journal et registre particulier», dont la rédaction, poursuivie pendant plus de vingt-six années, ne devait cesser qu'avec la vie de l'auteur, mort devant la Rochelle «au service du Roi son maître, à la santé duquel il s'étoit entièrement dédié, âgé de soixante-dix-huit ans, moins curieux de richesses que de gloire d'une incomparable affection et fidélité».
II
Le manuscrit original d'Héroard est conservé à la Bibliothèque impériale; mais il offre quelques lacunes que nous avons pu heureusement combler pour les premières années, grâce à une copie presque contemporaine, appartenant à M. le marquis de Balincourt. Le Journal d'Héroard, connu dès le dix-septième siècle de Tallemant des Réaux et des médecins parisiens, mentionné au dix-huitième dans la Bibliothèque historique du P. Lelong et signalé de notre temps par MM. Cimber et Danjou, Michelet, Paulin Paris, Armand Baschet, est un volumineux recueil, d'une lecture difficile, dont la publication complète serait impossible et fastidieuse. Nous avons essayé d'en extraire tout ce qui, en dehors de la question médicale qui n'est pas de notre compétence, nous a paru de nature à compléter par de nouveaux éclaircissements les nombreux mémoires que l'on possède déjà sur les vingt-cinq premières années du dix-septième siècle. La lecture même de ces extraits fera peut-être reculer quelques-uns de ceux qui y chercheraient une forme suivie, et c'est ce qui nous a engagé, pour montrer tout d'abord le parti que l'on peut tirer du Journal d'Héroard, à rapprocher les faits les plus saillants que l'on rencontre épars dans ce journal: sur Henri IV et ses relations avec sa famille;—sur l'éducation, les exemples et les soins donnés au Dauphin;—sur le caractère de Louis XIII comme dauphin et comme roi;—sur les mœurs, le langage, les usages du temps;—et sur les particularités relatives aux beaux-arts, aux objets de curiosité, armes, faïences, etc., ainsi qu'aux premières constructions de Versailles qui s'y trouvent mentionnées incidemment. Une notice biographique sur Jean Héroard, sur ses ouvrages imprimés et sur ses manuscrits, complète et termine notre introduction à ce journal que des tables chronologique et alphabétique, placées à la fin de la publication, permettront de consulter et d'apprécier facilement.
Au moment de son second mariage, Henri IV était déjà père de trois enfants, nés de Gabrielle d'Estrées, et, un mois après la naissance du Dauphin, la marquise de Verneuil, qui avait succédé à Gabrielle comme maîtresse du Roi, donnait le jour à un fils, nommé d'abord Gaston, puis Henri. Dans les années suivantes la naissance des enfants naturels de Henri IV alterne et coïncide d'une façon singulière avec celle de ses enfants légitimes. Ainsi Mlle de Verneuil, autre enfant de la marquise, naît peu après Mme Élisabeth. Le second fils de Marie de Médicis, Monsieur, duc d'Orléans, vient au monde le 16 avril 1607, et le fils de la comtesse de Moret, trois III semaines plus tard, le 9 mai. Une fille de Charlotte des Essars est, comme Gaston, frère de Louis XIII, du commencement de l'année 1608, et l'année 1609 voit également naître la seconde fille de Mme des Essars et la dernière fille de Marie de Médicis, Mme Henriette, depuis reine d'Angleterre. L'existence de Henri IV avec les deux Reines, car Marguerite de Valois ne tarde pas à reparaître à la Cour; avec ses maîtresses ouvertement et crûment avouées; avec ses enfants légitimes et légitimés, élevés ensemble sous la même gouvernante; le mélange de faste et de simplicité, d'étiquette et de grossièreté qui caractérise cette époque, apparaissent dans le journal d'Héroard avec une naïveté, une vérité que l'on ne trouve, à ce qu'il nous semble, dans aucun autre document contemporain.
Un mois après sa naissance, le Dauphin avait été transporté de Fontainebleau au vieux château de Saint-Germain-en-Laye où il devait passer ses premières années. Pendant cette période on voit le Roi visiter souvent son fils, tantôt seul, tantôt avec la Reine, tantôt avec la marquise de Verneuil dont les enfants ne tardent pas à se joindre à ceux de Gabrielle d'Estrées et de Marie de Médicis. Ces visites donnent lieu à des scènes intimes où l'imagination supplée à la concision d'Héroard. Ainsi, le 12 janvier 1602, la Reine arrive d'abord de Paris, attendant le Roi venant de Verneuil; «elle lui va au-devant, à la porte du cabinet où elle le rencontre», et, après quelques mines et bouderies, «ils vont ensemble voir le Dauphin au berceau», où le Roi manie et considère les pieds de l'enfant, dont le médecin avait signalé la ressemblance avec ceux du Roi. Pourtant la jalousie de Marie de Médicis ne devait pas être bien forte, car, quelques jours plus tard, le 30 janvier, le Roi, la Reine et Mme de Verneuil visitent ensemble le Dauphin «qui leur a fort ri et s'est joué avec eux».
Dans ces premiers temps, Marie de Médicis ne paraît pas éprouver pour son premier enfant des sentiments bien maternels. A la date du 19 mars (le Dauphin a déjà près de six mois), le médecin remarque que la Reine a fort caressé son fils, «ce qu'elle n'avoit encore fait», et trois mois plus tard, le 17 juin, la Reine, arrivant, «trouve au pied des degrés Mgr le Dauphin, au grand escalier; elle devient soudain fort rouge et le baise à côté du front».
A ce moment, avant même que l'enfant n'ait accompli sa première année, commencent à se produire des détails de mœurs et d'éducation sur lesquels nous aurons à revenir; mais nous devons d'abord indiquer ceux dans lesquels figure le Roi «vert galant». Le 22 juin, après que le Roi a voulu manger le reste de la bouillie de son fils et dit en plaisantant: «Si l'on demande maintenant IV que fait le Roi? l'on peut dire: il mange sa bouillie;» après que Mme de Verneuil a fort caressé le Dauphin, «mais, ce disoit-on, avec peine», on fait voir au Roi les caresses que l'enfant faisait à Tiennette Clergeon, fille de chambre de sa nourrice, «le Roi l'ayant lui-même fait approcher et la lui présentant». La même scène se répète quelques jours plus tard pour la Reine, et dans les caresses que l'enfant faisait à la jeune Tiennette, lui riant et lui empoignant la joue à pleine main, on se plaisait à voir un présage que le Dauphin tiendrait de son père. On sait ce qu'il en fut, et l'enfant lui-même ne tarde pas à se montrer plus clairvoyant que ceux qui lui donnent de si singuliers encouragements. Lorsque la folle de la Reine, Mathurine, lui dit: «Viens çà; seras-tu aussi ribaud que ton père?» Il répond froidement, y ayant songé: «Non.» (9 juin 1604.)
L'antipathie du Dauphin pour les enfants naturels du Roi commence à paraître dès la seconde année de son âge, et l'insistance de Henri IV pour combattre cette antipathie amène bientôt, entre lui et l'enfant, des scènes violentes. Ainsi, le 23 décembre 1602, «le Dauphin danse en branle, donnant la main à Alexandre Monsieur (second fils de Gabrielle d'Estrées), le Roi lui ayant commandé de le faire»; et le 23 janvier suivant, après qu'Alexandre Monsieur lui a donné sa chemise (car il était élevé à la fois en frère et en serviteur du Dauphin), «soudain l'ayant prise, il lui élance un coup de sa main pour le frapper. Il ne le pouvoit souffrir,» ajoute Héroard.
Le Dauphin était également élevé à servir le Roi et la Reine, et, dès les premiers jours de l'année 1603, on le porte au dîner du Roi «où il lui donne la serviette». Le 11 août «porté au lever de la Reine, il baise la chemise et la lui donne»; le lendemain «il va au dîner de la Reine, lui donne la serviette». L'enfant ne se prêtait pas toujours à ce service d'étiquette, et un jour (7 décembre 1604), ce qui le fâcha le plus, ce fut quand le Roi lui dit: «Je suis le maître, et vous êtes mon valet.» Il s'aigrit extrêmement de ce mot-là, ajoute Héroard; mais il finit par céder, et lorsque, quelques jours après, on demande au Dauphin: «Qui êtes-vous?» il répond: «Le petit valet à papa.»
A l'âge de deux ans, le Dauphin est sevré; on lui fait dire ses prières; on l'exerce à parler par discours; on lui fait prononcer les syllabes à part, pour après dire les mots; Héroard, tenant la main de l'enfant, lui fait écrire sa première lettre au Roi, et, triste complément de l'éducation de cette époque, on commence à lui donner le fouet, suivant en cela les intentions de Henri IV qui écrivait encore à Mme de Montglat, lorsque son fils avait plus de V six ans: «Je me plains de vous, de ce que vous ne m'avez pas mandé que vous aviez fouetté mon fils; car je veux et vous commande de le fouetter toutes les fois qu'il fera l'opiniâtre ou quelque chose de mal, sachant bien par moi-même qu'il n'y a rien au monde qui lui fasse plus de profit que cela; ce que je reconnois par expérience m'avoir profité, car, étant de son âge, j'ai été fort fouetté.» Pourtant ce système ne paraît guère «profiter» au Dauphin, autant que l'on peut en juger d'après Héroard; ainsi le 22 février 1604: «le Roi le menace du fouet, il s'opiniâtre, veut aller en sa chambre; mené en celle de la Reine, il continue. Le Roi commande qu'il soit fouetté; il est fouetté par Mme de Montglat, au cabinet. Il est apaisé par de la conserve que la Reine lui donne, mais non autrement, ayant voulu battre et égratigner la Reine.»
Dans le premier séjour que le Dauphin fait à Fontainebleau, du 28 août au 9 novembre 1604, Henri IV se montre tour à tour avec son fils très-tendre, très-taquin, très-emporté et très-enfant lui-même. Un jour, le 4 septembre, on voit le Roi arrivant de la chasse et le Dauphin courant à bras ouverts au-devant de son père, «qui blêmit de joie et d'aise, le baise et l'embrasse longuement, le mène en son cabinet, le promène le tenant par la main, changeant de main selon qu'il tournoit, sans dire mot», tout en écoutant M. de Villeroy rapportant des affaires au Roi; l'enfant ne peut laisser son père «ne le Roi lui». Le lendemain, scène bien différente. Le Roi vient le matin chez son fils et «le veut forcer à le baiser; le voilà entré en si fâcheuse humeur qu'il en fut fouetté par Sa Majesté. Il se défend, l'égratigne aux mains, le prend à la barbe. Mme de Montglat le fouette aussi; il le fut cinq ou six fois. Le Roi lui demande en lui montrant des verges: «Mon fils, pour qui est cela?» Il répond en colère: «Pour vous.» Le Roi fut contraint d'en rire; cela dura plus de trois quarts d'heure, le Roi l'ayant pris et laissé diverses fois.»
Mais la journée la plus orageuse, celle qui laissa pour longtemps au Dauphin un sentiment de crainte envers son père, est à la date du 23 octobre. L'enfant s'était levé de mauvaise humeur, et, au moment où il se joue avec un petit tambour, on le mène au Roi contre son gré. Le Roi lui dit: «Otez votre chapeau;» il se trouve embarrassé pour l'ôter; le Roi le lui ôte, il s'en fâche; puis le Roi lui ôte son tambour et ses baguettes, ce fut encore pis: «Mon chapeau! mon tambour! mes baguettes!» Le Roi, pour lui faire dépit, met le chapeau sur sa tête: «Je veux mon chapeau!» Le Roi l'en frappe sur la tête, le voilà en colère et le Roi contre lui. Le Roi le prend par les poignets et le soulève en l'air, comme VI étendant ses petits bras en croix. «Hé! vous me faites mal! hé! mon tambour! hé! mon chapeau!» La Reine lui rend son chapeau, puis ses baguettes; ce fut une petite tragédie. Il est emporté par Mme de Montglat; il crève de colère, est fouetté, égratigne au visage, frappe des pieds et des mains Mme de Montglat, criant: «Tuez Mamanga; elle est méchante. Je tuerai tout le monde, je tuerai Dieu!»
Le bon Héroard constate que le lendemain l'enfant avait des égratignures aux bras et à la tête, et qu'il souffrait de la fièvre. Les jours suivants, lorsqu'on parle au Dauphin de son père, «il se ressouvient toujours d'en avoir été malmené, en a peur, et quand il le voit, demeure étonné, n'a plus cette contenance gaie, hardie,» qu'il avait d'ordinaire. De son côté le Roi, aigri encore par les faux rapports de César de Vendôme, frère naturel du Dauphin, s'en prend à la gouvernante et, en présence de l'enfant, dit à Mme de Montglat: «Vous serez cause qu'un jour je l'écorcherai.» Aussi quelques jours après, le Dauphin est-il ramené à Saint-Germain.
Une nouvelle maîtresse du Roi, la comtesse de Moret, vient à ce moment, comme la marquise de Verneuil, visiter le Dauphin qui lui témoigne la même répugnance et la nomme avec mépris: «Madame de foire.» Il ne se montre pas mieux disposé pour son autre frère naturel, et il faut un ordre exprès du Roi pour que M. de Verneuil puisse garder son chapeau sur sa tête devant le Dauphin. Un jour (25 janvier 1605), le Roi commande à Mme de Montglat de faire manger quelquefois M. de Verneuil avec son fils; il l'entend et dit: «Ho! non, il ne faut pas que les valets mangent avec leurs maîtres.» Le lendemain, il répond encore au Roi qui insiste pour que Mlle de Verneuil et son frère dînent avec lui: «Ho! il n'est pas fils de maman!» A la fin de la même année (21 novembre 1605) Héroard rapporte une singulière conversation du Dauphin avec ses deux autres frères naturels; se jouant après souper avec M. de Vendôme et M. le Chevalier (second fils de Gabrielle), le Dauphin dit qu'il était fils du Roi.—«Et moi aussi, dit M. de Vendôme.—Vous!—Oui, Monsieur, ne m'appelez-vous pas votre féfé?—Ho! ho! mais vous n'avez pas été dans le ventre à maman comme moi! Qui est votre maman?—Monsieur, c'étoit madame la duchesse de Beaufort.—Duchesse de Beaufort! est-elle morte?—Elle est bien loin si elle court toujours,» dit le chevalier de Vendôme, à qui son précepteur ne paraît pas avoir inspiré un grand respect pour la mémoire de sa mère.
Lors de la naissance du fils de Mme de Moret, le Dauphin ne s'exprimera pas d'une manière moins méprisante; «sur le bruit qui en couroit (9 mai 1607), on dit au Dauphin: «Monsieur, vous VII avez encore un autre féfé.—Qui? qui est-il? demande-t-il, comme ébahi.—Monsieur, c'est Mme la comtesse de Moret qui est accouchée d'un fils.—Ho! ho! il n'est pas à papa.—Monsieur, à qui est-il donc?—Il est à sa mère», et n'en voulut jamais dire autre chose.» Dans une autre circonstance (13 mars 1608), le Dauphin se fâche contre un page qui revenait de Moret et lui disait que M. de Moret, son frère, lui baisait très-humblement les mains: «Mon frère! il est pas mon frère; vous êtes un sot! Je vous ferai donner le fouet, et pour chaque mot vous aurez vingt coups de fouet.» C'est ainsi que le Dauphin réagissait contre les intentions du Roi, qui voulait établir entre tous ses enfants des liens et une affection impossibles. Un jour qu'il se promenait dans les jardins de Fontainebleau avec son fils, alors dans sa huitième année, Henri IV rencontre Mme de Moret et, la lui montrant, lui dit: «Mon fils, j'ai fait un enfant à cette belle dame; il sera votre frère.» Le Dauphin honteux se retourne et balbutie: «C'est pas mon frère.» (2 mai 1608.)
L'enfant établissait pourtant des distinctions entre ses frères naturels, et son médecin rapporte à ce sujet, à la date du 18 mai 1608, une conversation bien caractéristique. Avant son coucher le Dauphin s'est retiré dans un cabinet, et, pendant qu'il est sur sa chaise percée, on heurte à la porte; il dit alors à un soldat, nommé Descluseaux, que le Roi avait attaché à sa personne, de demander qui c'est: «Vous l'entendrez bien à la voix, je veux que personne entre.—Monsieur, ne voulez-vous pas que personne entre?—Hé! oui, féfé Chevalier.—Et M. de Vendôme?—Non!—Et pourquoi?—Il n'est pas si connu» (il voulait dire si familier auprès de lui). Descluseaux lui dit: «Mais, Monsieur, ils sont vos frères.—Ho! c'est une autre race de chiens.—Et M. de Verneuil?—Ho! c'est encore une autre race de chiens.—Monsieur, de quelle race?—De Mme la marquise de Verneuil; je suis d'une autre race, mon frère d'Orléans, mon frère d'Anjou et mes sœurs!—Laquelle est la meilleure?—C'est la mienne, puis celle de féfé Vendôme et féfé Chevalier, puis féfé Verneuil, et puis le petit Moret. C'est le dernier; il est après ma m... que je viens de faire.»
Dans cette énumération le Dauphin ne mentionne même pas une autre fille du Roi qui était pourtant née, au commencement de 1608, de Mme des Essars; mais Héroard nous donne, précisément au moment de la naissance de cette fille, une autre conversation de l'enfant qui n'est pas moins libre et dédaigneuse. Le gouverneur de Saint-Germain, M. de Frontenac, l'entretenant de Mme des Essars, lui demande: «Monsieur, la connoissez-vous?—Oui, VIII je la connois bien, dit-il en souriant.—Où l'avez-vous vue?—Je l'ai vue à Fontainebleau, à la chambre de Mamanga.—Monsieur, qui la menoit?—Je sais pas,» dit-il en souriant, car il le savoit bien et jamais ne voulut nommer. M. de Frontenac lui demande à l'oreille si ce n'étoit pas M. de la Varenne?—«Oui»; il étoit vrai.—«Monsieur, elle est accouchée d'une fille, vous avez là une autre sœu-sœu.—Non.—Pourquoi?—Elle n'a pas été dans le ventre à maman.—Papa la fera porter ici pour la faire baptiser et veut que vous soyez le compère.—Qui, papa?—Oui, Monsieur.—Comment la portera-t-on?—L'on empruntera une litière pour la porter.—Ah! oui, car si c'étoit la litière à maman, je monterois sur les mulets, je les ferois tant courir, tant courir, que tout iroit par terre.» L'huissier Birat dit tout bas au Dauphin: «Monsieur, c'est une femme que le Roi aime bien.—C'est une p....., si (donc) je l'aime point.» (11 janvier 1608.)
M. de Frontenac pouvait à la rigueur croire de bonne foi que le Dauphin serait «le compère» de la fille de Mme des Essars, car un mois avant (9 décembre 1607) le Dauphin et Madame Elisabeth avaient tenu sur les fonts de baptême, dans la chapelle de Saint-Germain, M. et Mlle de Verneuil, et, par une singulière association d'idées, le Roi avait voulu que l'on donnât à ces deux enfants de la marquise son propre prénom et celui de la belle Gabrielle.
Lorsque la première femme de Henri IV, Marguerite de Valois, reparaît à la Cour, le Dauphin se montre d'abord presque aussi dédaigneux pour elle que pour Mmes de Verneuil, de Moret et des Essars. En effet, un enfant de quatre ans devait avoir quelque peine à comprendre qu'il dût appeler maman une autre femme que sa mère; mais il cède bientôt aux marques extraordinaires de tendresse que la reine Marguerite lui prodigue et qu'elle ne cessa de lui donner jusqu'au moment où elle mourut en 1615. C'est le 6 août 1605 qu'a lieu leur première entrevue. Le Dauphin était allé de Saint-Germain jusqu'à Rueil au-devant de Marguerite; aussitôt qu'elle l'aperçoit, elle descend de la litière que Marie de Médicis lui avait envoyée. «M. le Dauphin de dix pas ôte son chapeau, va à elle; on le lève, il la baise et l'embrasse: «Vous soyez la bien venue, maman ma fille.—Monsieur, lui dit la Reine, je vous remercie, il y a fort longtemps que j'avois desir de vous voir.» Elle le baise derechef; il faisait le honteux et se cachait de son chapeau: «Mon Dieu, reprend la Reine, que vous êtes beau! vous avez bien la mine royale pour commander comme vous ferez un jour!» Le lendemain le Dauphin va trouver le Roi et Marguerite qui se promenaient dans la galerie de Saint-Germain; «la reine Marguerite lui fait de grandes caresses et quitte le Roi pour l'aller trouver.» Elle lui envoie le même IX jour un magnifique bijou, que décrit minutieusement Héroard et qui n'avait pu être fait que pour le Dauphin. Quelques jours après le médecin nous fait assister à une scène qui, retracée par tout autre que par lui, semblerait invraisemblable; l'enfant, conduit le matin au château neuf de Saint-Germain pour dire adieu à la reine Marguerite, trouve Marie de Médicis couchée, Henri IV assis sur le lit, et Marguerite «à genoux, appuyée contre le lit. M. le Dauphin, mis sur le lit, se joue à un petit chien que le Roi lui avoit prêté.»
L'année suivante Marguerite faisait au Dauphin une donation de tous ses biens. C'était chez elle qu'il allait de préférence quand il se trouvait à Paris, et, lors de la foire qui se tenait chaque année au faubourg Saint-Germain «pour les joailliers, peintres et marchands de Flandre et d'Allemagne», elle lui faisait de riches présents, promettant en outre aux marchands de payer tout ce qu'il demanderait. Le jeune Louis, devenu roi, s'adresse à elle, dans un jour de paresse, afin d'avoir un prétexte pour ne pas travailler. «Après souper, raconte Héroard à la date du 19 juillet 1610, il envoie secrètement prier la reine Marguerite d'envoyer à M. de Souvré (son gouverneur), le prier de sa part à ce que, le jour suivant, il l'exempte de l'étude, à cause que c'est le jour de Sainte-Marguerite. Elle y envoya sur les neuf heures; ce fut au grand cabinet de la Reine, ce qui lui donna sujet de rire.»
On a déjà pu juger à diverses reprises, dans ce qui précède, de la liberté de langage à laquelle le Dauphin était habitué par tous ceux qui l'entouraient, à commencer par le Roi lui-même. Nous passerons plus rapidement encore sur d'autres détails que nous révèle Héroard, à propos des relations de Henri IV avec son fils. Lorsqu'il rentrait fatigué de la route ou de la chasse, le Roi se couchait au milieu de la journée, dans le premier lit venu, faisait souvent «dépouiller» son fils, et le mettait nu dans son lit auprès de lui, pour le laisser gambader en liberté. Lorsque l'enfant n'a pas deux ans (4 août 1603), ce n'est qu'un jeu sans conséquences, mais quand on voit cette habitude se continuer presque jusqu'aux derniers moments de la vie de Henri IV (26 janvier 1610), alors que son fils est dans sa neuvième année; quand le Roi se fait dévêtir par lui ou qu'il le mène baigner à la rivière; quand Héroard nous rapporte naïvement (une seule fois en latin) les gestes, les actions, les «paroles honteuses et indignes de telle nourriture» qui résultent de cet oubli de toute pudeur, on reste confondu d'une grossièreté poussée à ce point. C'est peut-être trop déjà d'avoir reproduit ces passages lorsqu'ils se présentent dans le journal du médecin, et nous nous ferions scrupule d'y renvoyer d'une manière plus précise. Nous préférons rappeler quelques scènes où X le bon roi Henri reparaît avec son caractère traditionnel et populaire, comme le jour où il part pour assiéger Sedan (15 mars 1606). Il vient tout ému dire adieu à son fils, «y est fort peu, le baise, l'embrasse, lui disant: «Adieu, mon fils, priez Dieu pour moi, adieu, mon fils, je vous donne ma bénédiction.—Adieu, papa,» répond le Dauphin. Il étoit tout étonné et comme interdit de paroles.»
Dans une circonstance moins solennelle, un simple départ de Saint-Germain pour Paris (7 décembre 1608), Héroard nous montre le Roi plus tendre encore et les progrès qu'il a faits dans le cœur de son fils. Le Dauphin «conduit le Roi hors de l'escalier; il étoit triste; le Roi lui dit: «Mon fils, quoi! vous ne me dites mot! Vous ne m'embrassez pas quand je m'en vais?» Le Dauphin se prend à pleurer sans éclater, tâchant de cacher ses larmes tant qu'il pouvoit, devant si grande compagnie. Lors le Roi, changeant de couleur et à peu près pleurant, le prend, le baise, l'embrasse, lui disant: «Mon fils, je suis bien aise de voir ces larmes, je y aurai égard;» puis entre en carrosse pour s'en retourner à Paris.»
On aime encore à voir le Dauphin assister pour la première fois au Conseil (2 juillet 1609), le Roi le tenant entre ses jambes; et l'on ne peut se défendre d'un certain attendrissement, lorsque, célébrant pour la dernière fois l'anniversaire de la naissance de son fils (27 septembre 1609), Henri IV «boit au Dauphin», disant: «Je prie Dieu que d'ici à vingt ans je vous puisse donner le fouet!» Le Dauphin lui répond: «Pas, s'il vous plaît.—Comment! vous ne voudriez pas que je le vous puisse donner?—Pas, s'il vous plaît,» répond de nouveau l'enfant. Moins de huit mois plus tard, trois jours après l'assassinat, la nourrice du jeune Roi le trouvait le matin assis sur son lit et lui demandait ce qu'il avait à rêver; il répond: «C'est que je songeois,» puis demeure longtemps pensif. Sa nourrice lui dit: «Mais que rêvez-vous?» Il répond: «Dondon, c'est que je voudrois bien que le Roi mon père eût vécu encore vingt ans. Ha! le méchant qui l'a tué!»
Quatre nourrices en moins de quatre mois: la première, dont le «manifeste défaut de lait» est reconnu par les médecins du Roi, «assemblés par le commandement de Leurs Majestés»; la seconde, qui est obligée de se retirer «pour n'avoir point été agréable à la Reine»; la troisième, qui, bien qu'envoyée par le Roi lui-même, n'est pas «trouvée propre»; la dernière, enfin, amenée par la Reine et qui réussit à remplir les conditions difficiles exigées par l'avidité de l'enfant d'abord, puis par les avis XI opposés des parents et des médecins; tels sont les incidents qui signalent le commencement de la vie du Dauphin. Cette nourrice définitive, Antoinette Joron, femme Boquet, est celle que l'on vient de voir auprès du jeune Roi et qu'il appelait familièrement Dondon ou maman Doundoun. Il avait aussi continué de donner à sa gouvernante, Mme de Montglat, le nom qu'il avait bégayé tout enfant, celui de Mamanga.
Sans le témoignage d'un homme aussi grave que le médecin Héroard, tenant son registre jour par jour, notant, lorsqu'elles se rapportent à l'enfant dont la santé lui est confiée, les actions, les paroles de ceux qui partagent ce soin avec lui, on se refuserait à admettre certains détails qui reviennent fréquemment sous sa plume, et les mêmes faits sembleraient au moins fort exagérés si on les rencontrait dans les Mémoires d'un Bassompierre ou dans les Historiettes d'un Tallemant des Réaux. Que l'on compare les premiers chapitres de Rabelais, ceux qui se rapportent à l'enfance et à l'éducation de Gargantua, avec les premières années du Journal d'Héroard, et l'on sera stupéfait de trouver la joyeuse fantaisie de l'un confirmée et presque dépassée, à soixante-dix ans de distance, par la naïve exactitude de l'autre. Il serait tout naturel d'insister sur ce curieux rapprochement dans un travail sur Rabelais ou dans une annotation de son livre, mais on comprendra que nous nous contentions de l'indiquer ici. Bornons-nous à donner par quelques citations qui, à la grande rigueur, peuvent être reproduites, une idée de la conduite, du langage que tiennent devant l'héritier du trône les personnes qui occupent le premier rang auprès de lui; on jugera par la grossièreté des maîtres de ce que devait être celle des serviteurs.
Le mari de la gouvernante du Dauphin, le baron de Montglat, premier maître d'hôtel de Henri IV, remplissait auprès de l'enfant royal les fonctions d'intendant de sa nombreuse maison. Un jour (27 janvier 1603), le Dauphin, qui depuis quelque temps «commence à cheminer avec fermeté», va après l'une de ses femmes de chambre, «Mlle Mercier, qui glapissoit pour ce que M. de Montglat lui bailloit de sa main sur les fesses; il glapissoit de même aussi. Elle s'enfuit à la ruelle, M. de Montglat la suit et lui veut faire claquer la fesse; elle s'écrie fort haut, le Dauphin l'entend, se prend à glapir fort aussi, s'en réjouit et trépigne des pieds et de tout le corps, de joie, tournant sa vue de ce côté-là, les montre du doigt à chacun.» Animé par cet exemple, il «se joue à la petite Marguerite, la baise, l'accole, la renverse à bas, se jette sur elle, avec trépignement de tout le corps et grincement XII de dents.» Le soir il se prend à rire aussitôt qu'il voit Mlle Mercier, «s'efforce de la fouetter sur les fesses avec un brin de verges.» La remueuse du Dauphin, Mlle Bélier, lui demande: «Monsieur, comment est-ce que M. de Montglat a fait à Mercier?» Il se prend soudain à claquer de ses mains l'une contre l'autre, avec un doux sourire, et s'échauffe de telle sorte qu'il étoit transporté d'aise, ayant été un bon demi-quart d'heure riant et claquant de ses mains, et se jetant à corps perdu sur elle, comme une personne qui eût entendu la raillerie.»
Après les déportements du mari et les désordres qui en résultent, voyons comment la femme parle à son royal élève. Le Dauphin a trois ans de plus (11 janvier 1607); «peigné, coiffé dans le lit, à bâtons rompus, par sa nourrice, Mme de Montglat, pour le faire hâter, y vient et lui dit: «Je m'en vais chausser; si vous n'êtes peigné quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Elle revient, ce n'étoit pas fait; elle lui dit encore: «Je m'en vais p.....; si vous n'êtes peigné et coiffé quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Le Dauphin dit tout bas: «Ha! qu'elle est vilaine, elle dit devant tout le monde qu'elle va p.....; velà qui est bien honnête, fi!» On conviendra qu'en tenant un pareil langage devant l'enfant, sa gouvernante était peu fondée à lui donner le fouet lorsqu'il employait vis-à-vis d'elle des expressions tout à fait analogues (22 août 1608).
Les moyens dont on se servait pour corriger le Dauphin lorsqu'il se montrait opiniâtre ou paresseux n'étaient pas moins vulgaires. Afin de l'intimider on faisait venir, tantôt un lavandier qui le menaçait «de le mettre dans son sac, puis au cuvier,» tantôt un maçon qui faisait mine de l'emporter dans sa hotte, tantôt un serrurier lui montrant des tenailles et une tringle, et lui disant: «Voilà de quoi j'embroche les opiniâtres.» Une autre fois, comme il fait «le fâcheux, l'on fait abaisser une poignée de verges attachée à une ficelle, sous la cheminée; l'on lui faisoit croire que c'étoit un ange qui les portoit du ciel.»
Pour l'amuser ou le distraire, on lui apprenait des chansons plus que libres, on lui faisait danser la Saint-Jean des Choux, espèce de ronde qui consistait à donner du pied dans le derrière de ses voisins, ou bien on jouait devant lui quelque vieille farce comme celle «du badin mari, de la femme garce et de l'amoureux qui la débaucha». Un jour qu'il se promène dans une allée de Fontainebleau, «on l'amuse à voir nettoyer un pourceau; quand le boucher le voulut éventrer il s'en alla, et ne le y sut-on arrêter.»
Comme contraste à ce qui précède, Héroard nous montre le XIII Dauphin recevant dans un âge assez précoce les premiers éléments de son éducation. Ainsi, le 14 mars 1605, «il s'amuse à un livre des figures de la Bible; sa nourrice lui nomme les figures et les lettres, puis après il nomme les lettres et les connoît toutes;» un an plus tard (18 mai 1606), il commence à écrire sous Dumont, clerc de sa chapelle, qui lui montrait; il dit: «Je pose mon exemple, je m'en vas à l'école,» et fait des O fort bien.» Enfin à l'âge de six ans (22 novembre 1607), il lit couramment, «appelle les mots sans faillir» et écrit «sans trace ni aide». Son instruction religieuse commence aussi de bonne heure, car dès qu'il peut prononcer quelques mots de suite, c'est-à-dire à l'âge de deux ans, on lui apprend le Pater et l'Ave, puis cette prière: «Dieu donne bonne vie à papa, à maman, au dauphin, à ma sœur, à ma tante, me donne sa bénédiction et sa grâce, et me fasse homme de bien, et me garde de tous mes ennemis, visibles et invisibles.» A Fontainebleau on voit le Roi lui-même et le P. Coton, son confesseur, faire dire le Pater à l'enfant qui préférait réciter cette prière en français, et disait un soir à Mme de Montglat: «Mamanga, faites pas dire Pater, faites dire Notre-Père.» Étant à ces mots ton règne advienne, il demande: «Mamanga, qu'est-ce à dire ton règne advienne?» Mme de Montglat lui en donne raison, et il continue: «Mamanga, qu'est-ce à dire et nous pardonnez nos offenses?—Monsieur, c'est que nous offensons le bon Dieu tous les jours, nous le prions qu'il nous pardonne.» A ces mots, et nous garde du malin: «Mamanga, qu'est-ce à dire malin?—Monsieur, c'est le mauvais ange qui vous fait dire: Allez-vous-en! Parlez plus haut!» et autres traits de son opiniâtreté. Il dit encore à Mme de Montglat: «Le bon Dieu a été sur la croix, Mamanga?» Héroard, dont la femme est présente à cette conversation enfantine, lui demande: «Monsieur, pourquoi?—Pour ce que nous avions tous été opiniâtres, vous, Mamanga, moi aussi, maman Doundoun et mademoiselle Hérouard.» A l'âge de cinq ans et lorsqu'il marche encore avec des lisières, le Dauphin est mené à la chapelle de Fontainebleau, où «il se confesse à son aumônier pour la première fois», et le 12 avril 1607, jour du jeudi saint, le Roi tient à ce que son fils, malgré «son âge tout foiblet», le remplace dans la cérémonie de la Cène, qui consistait à laver les pieds à treize pauvres.
Lorsque, le 24 janvier 1609, le Dauphin, alors dans sa huitième année, passe des mains des femmes entre celles d'un gouverneur, son éducation devient plus sérieuse, et l'on voit avec plaisir le marquis de Souvré réagir tout d'abord contre une «sale parole, XIV parole de laquais et de palefrenier» dont un des petits gentilshommes attachés à la personne du Dauphin veut continuer à se servir. Aux occupations ordinaires du jeune prince, élevé dès-lors près de son père, s'ajoutent l'escrime et la danse; ce n'est que beaucoup plus tard, dans sa quatorzième année, que Louis XIII prendra de Pluvinel sa première leçon régulière d'équitation, bien que dès l'âge de sept ans il ait commencé à monter à cheval.
Le jeune Louis devait avoir presque autant de précepteurs que de nourrices. Le Roi avait désigné pour faire l'éducation du Dauphin le poëte Des Yveteaux qui sortait de remplir les mêmes fonctions auprès du fils aîné de Gabrielle d'Estrées, César de Vendôme. Un an après la mort de Henri IV, Des Yveteaux, reconnu incapable, était obligé de céder la place à un autre précepteur, le savant Nicolas Le Fèvre, qui, lui, n'avait d'autre défaut que son grand âge. Enfin à Nicolas Le Fèvre, mort en novembre 1612 dans sa soixante-dixième année, succède le sieur de Fleurence qui avait déjà le titre de sous-précepteur du Roi. Héroard nous fait assister à quelques-unes des leçons données par ces trois professeurs successifs, et nous permet de juger leurs enseignements.
Écoutons d'abord Des Yveteaux donnant sa première leçon a un enfant âgé de sept ans et quelques mois: «Après déjeûner M. Des Yveteaux, son précepteur, lui donna la première leçon, commençant par un petit discours qui lui représentoit comme il avoit à reconnoître que Dieu l'avoit fait naître chrétien et dans l'Église apostolique, et fils d'un grand Roi, et par ainsi qu'il avoit à savoir qu'il lui falloit aimer et craindre Dieu, se rendre véritable et juste, à aimer et honorer le Roi et la Reine comme ayant supériorité sur lui, et puis comme ses père et mère; et que les vertus s'apprenoient dans les livres; et commença à lui faire lire le commencement de l'Histoire de Josèphe, puis lui baille par écrit à savoir: «S'il faut que les ecclésiastiques soient appelés aux conseils des princes et ce qui lui en semble.—Je sais pas», répond le Dauphin. (6 mars 1609).
Le 2 mai suivant, «M. Des Yveteaux lui ayant demandé que c'étoit à dire en françois: Discite justitium moniti et non temnere divos, il répond: «Je ne sais.» M. Des Yveteaux reprit: «C'est-à-dire, soyez averti à apprendre à faire justice et à ne craindre point Dieu.»—«Je veux croire que ce fut par mégarde,» ajoute Héroard, se contentant de relever ainsi l'inadvertance du professeur qui confond temnere avec timere.
L'année suivante, on commence à montrer au Dauphin «la carte XV géographique» et «on lui enseigne que la grandeur d'Espagne est venue lancea carnea, non lancea ferrea, comme les François»; singulière leçon pour un enfant de huit ans et que le médecin prend la peine d'expliquer plus clairement dans une note marginale.
Quelques mois après son avénement, c'est le jeune Roi qui veut faire la leçon à Des Yveteaux. Le 25 juin 1610, «son précepteur lui demande s'il lui plaisoit pas traduire quelque sentence de françois en latin; il répond: «Oui, mais j'en veux faire,» prend la plume et écrit de son invention ces mots: Le sage prince réjouit le peuple. Peu après le précepteur lui demande quel étoit le devoir d'un bon prince, il répond: «C'est d'abord la crainte de Dieu,» et, comme il songeoit pour continuer, son précepteur ajoute: «Et aimer la justice.» Le Roi repart soudain: «Non! il faut: Et faire la justice.»
Le 5 octobre 1610, «son précepteur lui commença la leçon par la louange des romans, et lui demanda s'il pensoit pas que la lecture des romans fût pas suffisante pour instruire un prince?—«Non,» répond le Roi, qui commence à n'avoir plus aucun respect pour son précepteur. Un jour (18 mars 1611), Des Yveteaux, poussé à bout par une plaisanterie que le journal ne rapporte pas, répond au Roi «qu'il n'étoit possible pas des plus savants, mais toutefois qu'il n'étoit pas un homme du commun ne du vulgaire, car on ne l'eût pas mis auprès de Sa Majesté». Lors de sa révocation par Marie de Médicis (25 juillet 1611), le pauvre Des Yveteaux, prenant congé du Roi, le supplie de lui donner quelque bague comme souvenir, et se plaint qu'il avait eu la peine de l'instruire, tandis qu'un autre en aurait l'honneur.
Le 12 août 1611, «M. Le Fèvre entend donner la leçon au Roi par M. de Fleurence, pour essayer à reconnoître sa portée», et le 17 il lui «donne la première leçon sur l'Institution de l'empereur Basile». C'était une rude tâche que celle de précepteur du jeune Louis; il avait peu de goût pour l'étude et il fallait concilier le respect dû au Roi avec la sévérité nécessaire pour faire travailler l'élève. Le gouverneur du prince, qui assistait aux leçons, avait lui-même bien de la peine à maintenir son autorité. Ainsi, le 26 septembre 1611, le jeune Roi, en étudiant, «entre en mauvaise humeur contre M. de Souvré, qui le reprenoit de ce qu'il s'amusoit; il avoit le chapeau sur la tête. Le Roi lui dit: «Vous avez votre chapeau sur la tête!—Oui, répond M. de Souvré, et si je le vous ôterai pas pour cette heure. Ce n'est pas que je ne sache ce que je vous dois, qui est cent, mille fois plus. Plaignez vous-en à la Reine.—Je ne vous ôterai pas aussi le mien», répond le Roi en XVI colère. «M. Le Fèvre, son précepteur le voulut aussi un peu presser sur la leçon; le Roi lui dit: «Quoi! et du commencement vous étiez si doux que vous trembliez tout, et maintenant vous êtes si rude!» Un autre jour, «on lui montroit la carte d'Espagne et les avenues de la frontière; il l'étudioit fort attentivement; M. Le Fèvre lui ayant dit que la France étoit bien un plus grand, plus beau et plus riche royaume, le Roi dit: «Si voudrois-je qu'elle fût à moi.» Une autre leçon du bon Le Fèvre rapportée par Héroard (31 décembre 1611) a pour sujet une sentence en latin sur la clémence, dans laquelle le précepteur insiste sur cette vertu «et la loue sur toutes, disant qu'un prince doit toujours pardonner».
Plus le Roi avançait en âge et plus la position de précepteur devenait difficile auprès de lui; à plus forte raison celle de sous-précepteur. Un jour le Roi répond à M. de Souvré, à propos d'une instruction que devait lui faire M. de Fleurence: «Oui! Fleurence me dira encore des sottises!»—Fleurence lui répond: «Sire, j'aime mieux que vous me haïez homme de bien que si vous m'aimiez méchant; je gagnerai aussi bien ma vie en Turquie qu'auprès de Votre Majesté.» Lorsque Fleurence remplace le savant Le Fèvre, le jeune Roi conteste de plus en plus contre lui à propos de leçons de géométrie et de mathématiques. A l'âge de douze ans, le Roi étudie «en l'histoire, n'apprend plus le latin.» M. de Fleurence, qui était dans les ordres, avait aussi la direction de son instruction religieuse; le 21 décembre 1614, la leçon semblant trop longue au Roi, il demande à M. de Fleurence: «Si je vous donne une évêché, accourcirez-vous vos leçons?—Non, Sire;» et le Roi ne répond rien. L'année suivante le Roi étudie encore, mais armé en guerre, avec la cuirasse, les brassards et «un habillement de tête, fait de fer blanc»; à dater de ce moment il n'est plus question de Fleurence, qui ne mourut cependant qu'en 1616.
Sous le gouvernement de M. de Souvré le système de correction recommandé par Henri IV à Mme de Montglat avait continué d'être suivi, et, même longtemps après son sacre, on voit encore le Roi fouetté à l'âge de dix ans pour avoir, la veille, heurté trop fort à la porte du cabinet de la Reine (19 septembre 1611) et à plus de onze ans pour n'avoir pas voulu prendre médecine. Aussi le jeune Louis craignait-il son gouverneur au point qu'un jour où son pourpoint le serre trop «il ne le veut point desserrer qu'il n'ait su si c'est la volonté de M. de Souvré, auquel il l'envoie demander et qui le lui permet». Ce joug lui pesait cependant, et le médecin rapporte à ce sujet un mot caractéristique du prince; XVII il était depuis un peu plus d'un an confié à M. de Souvré lorsqu'un jour (8 mars 1610) Mme de Montglat vient au coucher du Dauphin qui s'amusait dans son lit «à de petits engins», pendant que son ancienne gouvernante et M. de Souvré devisoient ensemble. «Je puis dire, commence Mme de Montglat, que Monseigneur le Dauphin est à moi; le Roi me l'a donné à sa naissance, me disant: Madame de Montglat, voilà mon fils que je vous donne, prenez-le.» M. de Souvré lui répond: «Il a été à vous pour un temps, maintenant il est à moi.» Le Dauphin, qui écoutait tout ce qui se disait sans en faire semblant, murmure froidement, sans hausser la voix et sans se détourner de sa besogne: «Et j'espère qu'un jour je serai à moi.» L'enfant se trompait dans ses espérances, et, quand, à la fin de 1614, il priait la Reine «de lui ôter M. de Souvré, qu'il ne pouvoit plus durer avec cet homme-là», sa colère ne venait que de ce qu'on avait dit au Roi que M. de Souvré «vouloit empêcher que le sieur de Luynes n'entrât en sa chambre».
Louis XIII en effet, bien que d'un naturel opiniâtre et emporté qui se montre de très-bonne heure, devait toute sa vie subordonner sa volonté à celle de ses favoris et de ses ministres, et ne voir jamais le jour où il s'appartiendrait entièrement. Étant enfant, il disait à ses petits chiens en les caressant: «Ha! je voudrois que vous pussiez manger Mamanga;» et comme son maître d'hôtel et son aumônier l'entendaient, il se retournait vers eux et leur recommandait de ne pas rapporter cette parole à la gouvernante. Que de fois le jeune Roi dut en dire autant, soit à ses chiens, soit à ses familiers, en parlant tout bas de M. de Souvré et, plus tard, du connétable de Luynes ou du cardinal de Richelieu! Héroard, l'un de ses plus intimes confidents, en laisse entrevoir quelque chose, malgré la concision des dernières années de son journal, lorsque, quelques mois après la mort du duc de Luynes, le Roi, étant au lit, parle de la fortune et de la famille du connétable (10 avril 1622); ou quand, dans un séjour en Bretagne, le Roi «va à la Haye voir M. le cardinal de Richelieu avant de se mettre au lit». Le Roi, ajoute Héroard, «se met en colère, ne se peut apaiser; en soi-même se plaint à moi qu'il avoit tort.» (18 août 1626.)
Le meurtre de Concini avait été la suite de ces plaintes sourdes que le jeune Louis laissait échapper contre le favori de Marie de Médicis, depuis la journée du 22 novembre 1616 XVIII surtout, où le Roi était dans la grande galerie du Louvre «en l'une des fenêtres qui regardoit sur la rivière, quand le maréchal d'Ancre entra, accompagné de plus de cent personnes, et s'arrêta aussi à une des fenêtres, sans aller vers le Roi, se faisant faire la cour par tous, tête nue; mais il savoit bien que le Roi étoit là, car on lui avoit dit, l'ayant demandé en la chambre.» Le Roi s'en était allé aux Tuileries, «le cœur plein de déplaisir» contre l'insolent, pour qui le Dauphin avait eu déjà une répugnance précoce, si l'on en juge par la petite scène que raconte Héroard à la date du 1er février 1603: «Le sieur dom Garcia, le sieur Conchino arrivent à l'heure de l'habiller. Il se jouoit à un carrosse du palais où il y avoit quatre poupées; l'une étoit la Reine, les autres: Mme et Mlle de Guise, et Mme de Guiercheville. On les lui faisoit montrer, les nommant par leurs noms; il les montroit du doigt. Le sieur Conchino va lui demander: «Monsieur, où est la place de ma femme?» En disant: Ah! il lui montre une avance qui étoit par dehors, au cul du carrosse. Il ne veut point prendre un grain de fenouil confit au sieur Conchino, à qui Mme de Montglat l'avoit baillé pour le lui donner, s'en recule du tout, le regardant, comme importuné.»
Bien que le nom de Marie de Médicis se retrouve presque à chaque page de son journal, sauf la période de l'exil à Blois, Héroard ne cite d'elle qu'un petit nombre de ces traits caractéristiques qui abondent pour Henri IV. On peut juger seulement, en se reportant à quelques passages antérieurs ou postérieurs à la mort du Roi, que les actions et les paroles de la Reine-mère vis-à-vis de son fils n'étaient pas moins libres que celles de son époux.
Il en est de même pour Anne d'Autriche; la première partie du journal révèle beaucoup de particularités relatives au projet d'union avec l'Infante et aux dispositions peu bienveillantes du Dauphin pour les Espagnols; mais, si l'on en excepte les faits qui se rapportent à la célébration et à la consommation du mariage, faits pour la publication desquels nous avons été prévenus par M. Armand Baschet, dans le curieux livre qui a pour titre: Le Roi chez la Reine, Héroard n'a presque rien à nous apprendre sur le caractère et la manière d'être de la jeune Reine.
Son affection toute paternelle pour l'enfant qu'il avait vu naître n'aveugle pas le premier médecin du Dauphin sur les infirmités et les défauts qui se révèlent au fur et à mesure de la croissance, et Héroard a pris soin de noter en marge de son manuscrit de nombreuses remarques sur le tempérament et sur le naturel de Louis XIII. Né sain et robuste de corps, d'après la minutieuse XIX description écrite au moment même où il vient au monde, le Dauphin avait dû pourtant, dès le lendemain, subir une petite opération; comme «il avoit peine à téter, il lui fut regardé dans la bouche et vu que c'étoit le filet qui en étoit cause; sur les cinq heures du soir (28 septembre 1601) il lui fut coupé à trois fois par M. Guillemeau, chirurgien du Roi». L'opération avait été mal faite ou l'enfant avait un défaut naturel dans la conformation de la langue, car, lorsqu'il commence à prononcer quelques mots, on s'aperçoit qu'il bégaye en parlant et «il se fâche quand il ne peut prononcer autrement». Plus tard Héroard remarque encore (1er décembre 1604) qu'il «bégaye fort en parlant». C'est surtout lorsqu'il est ému, qu'il s'anime ou qu'il se met en colère que le Dauphin mâche «sa grosse langue, comme il avoit accoutumé de faire quand il faisoit quelque chose avec grande ardeur». Le 22 décembre 1609, le Dauphin est «mené chez la Reine, mandé par elle, pour lui avoir été dit que son bégayement provenoit pour avoir encore le filet; il fut jugé» qu'il n'était pas nécessaire de faire une nouvelle opération. «Il craignoit qu'on lui voulût couper la langue quand on la lui faisoit tirer; il dit: «Comment me la veut-on couper?» et commençoit d'en pleurer.» Cette infirmité persiste et cependant ne devait pas être très-forte puisqu'elle pouvait disparaître à un moment donné; ainsi, la veille du jour où il doit «aller à la cour de Parlement pour se déclarer majeur», le jeune Roi «fait vœu à Notre-Dame des Vertus, s'il peut, le lendemain, au Palais, prononcer sans faire faute ses paroles pour sa majorité,» et en effet, le 2 octobre 1614, il prononce son discours «hautement, fermement et sans bégayer».
D'un tempérament très-actif, ayant peine à rester une minute en place, ce qui lui rendait l'étude très-pénible, le jeune Louis était pourtant sujet à des accès de rêverie maladive, qui font comprendre l'expression mélancolique de ses traits. Ces accès lui prennent d'abord à ses repas; un soir, le 2 août 1605, «en soupant, ayant été quelque temps sans dire mot, comme il étoit aucune fois réservé et tout ainsi que s'il eût songé à de grandes affaires, il dit: «Mais, c'est Thomas!» Voyant qu'il ne disait plus mot, le médecin lui demande: «Monsieur, qui est ce Thomas?—C'est un homme de pierre; je l'ai vu à Poissy, dans une chapelle, rangé là, à un petit coin.» Il y avoit environ quatorze mois qu'il fut à Poissy, où il vit et entendit nommer cette image du nom de saint Thomas et au lieu où il la représentoit.» Un autre soir «il songeoit en regardant le feu; sa nourrice lui demande: «Monsieur, à quoi songez-vous?—Je songe à quoi je me jouerai.» On a vu plus haut le jeune Roi s'absorber dans des préoccupations XX plus graves le lendemain de la mort de son père. Héroard caractérise cet état par une expression latine: Quasi aliud agens.
Le sommeil de Louis XIII était fréquemment agité par des cauchemars qui prenaient quelquefois le caractère du somnambulisme. Le 3 octobre 1606, il s'éveille «à une heure après minuit, en sursaut, avec un cri haut extrêmement et effroyable. Sa nourrice et Mlle de Ventelet (qui aidait à le veiller) vont à lui, demandant ce qu'il avoit: «Hé! c'est que papa s'en va sans moi,» dit-il en pleurant et fondant en larmes, «hé! je veux aller avec papa; attendez-moi, papa!» Il le songeoit et s'en éveille... se rendort à peine, ayant le cœur saisi. Le matin sa nourrice lui demande: «Monsieur, qu'aviez à songer et à crier cette nuit?—Doundoun, c'est que je songeois que j'étois à la chasse avec papa; j'ai vu un grand, grand loup qui vouloit manger papa et un autre qui me vouloit manger, et j'ai tiré mon épée, puis je les ai tués tous deux.» Nous regrettons d'avoir à dire que le bon Héroard, avec l'esprit superstitieux qui le caractérise, voit sans doute dans ce cauchemar un présage favorable, et écrit en marge de son journal: Augurium.
Le 29 juillet 1614, le Roi éveillé à une heure, en sursaut, «se veut lever sans dire la cause; ses valets de chambre, les sieurs de Heurles et Armaignac, l'en veulent empêcher, croyant qu'il rêvât: «Laissez-moi, laissez-moi,» dit-il; il se lève en chemise, et ainsi veut aller à la salle.» Le 8 septembre suivant «il raconte comme il avoit songé qu'il voyoit des poissons volants et appeloit de Heurles, son premier valet de chambre; il dormoit et parloit. Il étoit hors des draps sur le milieu du lit, se vouloit élancer pour en aller prendre.» Le 31 novembre 1616, le Roi est pris d'une syncope, à la suite de laquelle il est saigné pour la première fois. Voici une autre indication donnée par Héroard à la date du 4 juillet 1622: «Éveillé à trois heures après minuit, il se plaint, criant et me disant avoir eu froid étant couché dans le lit, et fort peu dormi, les yeux chauds et la tête pesante. Levé, blême, il se sent foible et lassé.» Cette lassitude ne l'empêche cependant pas de partir à quatre heures du matin de la ville de Toulouse, où il était arrivé huit jours avant, et de faire à cheval une dizaine de lieues jusqu'à Villefranche de Lauraguais, où «il se plaint encore des mêmes choses qu'il avoit fait ici dessus». A son entrée à Arles le 30 octobre suivant, le Roi, entouré du peuple qui «crioit en son langage: Vive notre bon roi Louis,» est saisi d'une impression de sensibilité nerveuse «et l'on lui a ouï dire ces paroles: «Dieu vous bénie mon peuple, Dieu vous bénie!» Le soir, pensif, il dit à son médecin «qu'il avoit été triste tout le jour».
XXI
Louis XIII passait alternativement et presque sans transition des exercices les plus pénibles et que le corps le plus robuste pouvait seul supporter, à un état de langueur qui le faisait se mettre au lit «avec inquiétude», ou se coucher au milieu du jour «pour ne savoir que faire». Une indication du journal d'Héroard qui peut servir à dater les portraits de Louis XIII et à juger de son tempérament se rencontre dans le journal au 1er août 1624; le Roi, alors âgé de près de vingt-trois ans, «se fait raser la barbe pour la première fois; il ne y avoit que du poil imperceptible».
A cette nature rêveuse et mélancolique, à cette figure silencieuse et qui se déridait rarement (Héroard remarque à plusieurs reprises que le Dauphin n'est ni parleur ni rieur, et que lorsqu'il rit, c'est d'un gros «rire d'hôtelier» comme quelqu'un qui n'en a pas l'habitude), Louis XIII joignait cependant un esprit assez vif; il avait parfois des reparties pleines de bon sens, parfois aussi il raillait et se moquait; mais en avançant en âge ses saillies deviennent plus sévères et plus âpres. Un jour d'hiver (19 février 1605) le porteur de charbon entre dans sa chambre pendant qu'il se lève et lui dit: «Bonjour, mon maître.—Qui est son maître?» demande l'enfant à son aumônier.—«C'est le Roi et vous.—Qui est le plus grand?—C'est papa et vous après, répond l'aumônier.—Non, c'est Dieu qui est le plus grand!» reprend le Dauphin, qui de sa nature «n'aimoit pas la flatterie». Le lendemain «l'on parloit d'un homme condamné à être pendu, le Dauphin demande: «Qui le pendra?» L'on répond que ce seroit le valet du bourreau, il dit: «Je ne veux donc point avoir un valet.» Peu après il appelle Birat, huissier de sa chambre; il avait l'habitude de lui donner le nom de valet et de lui dire: Valet, faites ceci ou cela; ce jour-là il le nomme par son nom: «Quoi, Monsieur, dit Birat, vous ne m'appelez pas votre valet!—Hé! c'est le bourreau qui a un valet,» répond le Dauphin. Un autre jour Mme de Montglat lui demande après qu'il vient de prier pour le Roi: «Aimez-vous bien papa?—Oui.—Comment l'aimez-vous?—Je l'aime plus que Pataut (le chien de sa nourrice).—Monsieur, reprend la gouvernante, il ne faut pas dire ainsi, il faut dire plus que vous-même.—Plus que moi-même! Eh! il ne faut pas aimer soi-même! il faut aimer des hommes, mais pas soi-même!»
Le Dauphin se plaisait aussi à jouer sur les mots et sur les noms; nous nous bornerons en ce genre à une seule citation où figure le poëte Racan. Le 14 octobre 1606 il y avait à son souper «un page de la chambre auquel il demanda: «Comment vous XXII appelez-vous?—Monsieur, je m'appelle Des Ars.—Vous êtes donc un arc? Il vous faut attacher une corde au nez et au bout des jambes, et puis y mettre une flèche et tirer.» D'un autre page de la chambre qui se nommoit Racan, il dit à sa gouvernante: «Mamanga, velà l'arc en ciel, pour ce qu'il tournoit le nom en son entendement, imaginant Arcan et ajoutoit ciel en sa petite fantaisie. Il se plaisoit à des pareilles rencontres.»
Voici, à la date du jour des Rois, une jolie conversation sur le nombreux personnel de la maison du Dauphin: «Il tenoit une peinture du Roi sur du papier, où étoient les nom, surnom et qualités; il les lisoit. M. de Ventelet lui demande: «Monsieur, quand vous serez un jour le Roi, comment mettrez-vous?» Il répond brusquement: «Ne parlons point de cela!—Mais, Monsieur, vous le serez, s'il plaît à Dieu, un jour après papa.—Ne parlons point de cela!—Monsieur, c'est que vous voulez dire qu'il faut prier Dieu qu'il donne longue vie à papa?—Oui, c'est cela.» En dînant il demanda si, pour son souper, il ne y auroit pas un gâteau pour faire les rois; M. de Ventelet lui dit que oui et qu'il seroit le roi. «Ho! non, dit-il, c'est papa.—Monsieur, j'entends le roi de la fève, ce n'est que pour jouer;» et là-dessus je lui dis: «Monsieur, il faudra s'il vous plaît des charges à tous vos serviteurs; que donnerez-vous à M. Birat?—Ce sera le fou.—Et à M. de Ventelet?—Ce sera le bon vieux homme.—Et à moi, Monsieur?—Vous serez l'imprimeur.» M. Boquet, mari de sa nourrice, lui demande une charge.—«Vous serez maître Guillaume,» c'étoit le fou du roi. Je poursuis à lui demander: «Et à M. de Malleville, que lui donnerez-vous? (Il étoit exempt aux gardes écossoises servant près de lui.)—Ce sera Pantalon;» il avoit la barbe assez grande.—«Et M. de la Pointe? (archer du corps qui étoit gros).—Ce sera le gros ventre.—Et M. d'Origny? (son compagnon).—Ce sera le cuisinier;» il étoit un peu malpropre.—«Et maître Jean? (son sommelier).—Ce sera l'ivre.—Et maître Gilles? (son pannetier).—Il sera confiturier.—Et votre huissier de salle? (il faisoit des vers).—Féfé Vaneuil a un petit chien qui s'appelle Joly; quand ils seront ensemble ils feront des vers et Joly les fera par le c...—Et de Vienne? (c'étoit son cuisinier).—Ce sera Sibilot;» c'étoit le fol du feu Roi.—«Et Champagne? (garçon de garde-robe).—Ce sera mon verseur de m...—Et M. Guérin? (son apothicaire).—Ce sera Frely;» c'étoit le nom que ledit Guérin avoit donné à l'un des chiens.—«Et M. de Cressy? (enseigne de la compagnie qui étoit fort grand).—Ce sera le petit Marin;» c'étoit le nain de la Reine.—«Et M. Aude? XXIII (huissier de chambre de Madame qu'il voyoit souvent enveloppé au visage).—Ce sera l'enrhumé.» M. Boquet, qui n'étoit pas content d'être maître Guillaume, le pressoit pour lui en donner une autre; M. Birat entre en la chambre, M. Boquet lui dit: «Monsieur, voilà M. Birat; quelle charge lui donnerez-vous?—Ce sera maître Guillaume.—Et moi, Monsieur, lui dit Boquet, que serai-je maintenant que je ne suis plus maître Guillaume?—Vous serez maître Guillaume Dubois, le poëte de mousseu de Roquelaure (c'étoit un fol qui avoit été maçon et se faisoit croire qu'il faisoit bien des vers); mousseu Héroua, il me venoit voir souvent à Fontainebleau, sur la terrasse de ma chambre; il me montroit des vers qui étoient si mal faits, si mal faits,» me dit-il avec action, comme s'il se y fût connu et en souriant.—«Et à M. de Bernet? (porteur de M. d'Orléans).—Ce sera le nouveau tondu;» il avoit ses cheveux et sa barbe faits de nouveau.—«Et Bourgeois? (l'un des huissiers de sa chambre qui étoit vêtu de noir, portant le deuil).—Ce sera la corneille.—Et Montalier? (valet de garde-robe, portant le deuil).—Ce sera le corbeau.» (5 janvier 1608.)
Une autre repartie du Dauphin pourrait s'appeler le Dauphin terrible. Le 30 juillet 1608, il jouait avec des figurines en faïence dont une représentait un singe. Henri IV le vient voir et lui dit que ce singe ressemblait à M. de Guise. «Peu après M. de Guise arrive et lui demande: «Monsieur, qu'est cela?—C'est votre ressemblance.—Comment le savez-vous?—Papa le dit.» Le 21 décembre suivant, le Dauphin se fâche contre les petits gentilshommes attachés à sa personne, «veut qu'ils aient le fouet. Mme de Montglat lui dit qu'il leur falloit pardonner et que le Roi pardonnoit à tout le monde.—A tout le monde! il n'a pas pardonné au maréchal de Biron!»
Le 28 avril 1610, peu de temps avant le couronnement de Marie de Médicis qui devait être suivi d'une entrée solennelle, on disait au souper du Dauphin «que les enfants de Paris qui devoient être à l'entrée de la Reine auroient des éperons dorés. «Ho! dit-il, s'ils en ont de dorés, j'en veux avoir de fer noir.»
Citons encore trois ou quatre mots du jeune Roi qui achèvent de peindre une des faces de son caractère et la tournure que prend peu à peu son esprit. Le 15 juillet 1610, il fait donner à boire à son petit chien et demande: «Pourquoi donne-t-on à boire aux chiens?» Il lui fut répondu: «De peur qu'ils n'enragent.» Il repart soudain: «Les ivrognes donc n'ont garde d'enrager, car ils boivent toujours.»
Le 11 décembre 1612 «la Reine avoit commandé qu'on lui fît XXIV la mine pour n'avoir point voulu prendre sa médecine: il s'en aperçut ou il le sut, et s'adressant à Mlle de Vendôme, lui dit tout bas: «La Reine ma mère a commandé que l'on me fasse la mine, mais ils seroient bien tous étonnés si je la faisois.» Soudain il va à Mme la douairière de Guise: «Eh bien, madame de Guise, êtes-vous de celles qui me font la mine?» et s'en va, lui faisant la moue et le hausse-bec.»
Le 9 avril 1616, il construisait un petit fort et y plaçait «des petits canons tirés par des chiens, l'un desquels fait difficulté de passer outre sur une planche qui faisoit du bruit. Il le bat rudement et en colère, le chien passe sans difficulté; lors il dit froidement et de façon sérieuse: «Voilà comme il faut traiter les opiniâtres et les méchants,» et, lui donnant du biscuit, «et récompenser les bons, les hommes aussi bien que les chiens.»
Le 30 décembre 1622, il y avait eu «dispute entre les sieurs d'Ecquevilly et de Sourdis, enfants d'honneur qui portoient des oiseaux de la chambre»; d'Ecquevilly avait été appelé en duel, et on disait au Roi qu'il fallait les empêcher de se battre: «Non, non, répond-il en colère. Qu'on ne les empêche pas; laissez-les battre. Je les séparerai bien; je leur ferai trancher la tête.»
Les inclinations de Louis XIII pour les armes et pour la chasse se montrent chez lui de très-bonne heure; mais, malgré son caractère hautain, il apportera dans ces exercices, comme en toutes choses, des instincts au-dessous de son rang, un esprit subalterne, et il sera plutôt soldat que capitaine, plutôt piqueur que grand veneur. Héroard remarque à plusieurs reprises que le Dauphin «se familiarise de son mouvement avec les soldats plutôt qu'avec toute autre sorte de personnes, faisant du pair et du compagnon avec eux». Son premier favori est un soldat aux gardes, qu'il appelle son mignon Descluseaux; «mais il ne vouloit pas qu'il fût assis à table avec lui pource que, disoit-il, il est pas gentilhomme.» Un jour qu'il faisait ses exercices militaires devant le Roi, avec ses frères naturels MM. de Vendôme et de Verneuil, et les deux petits Frontenac, fils du gouverneur de Saint-Germain, «le Dauphin disoit qu'il vouloit être mousquetaire, et néanmoins il avoit accoutumé de reprendre ceux qui ne faisoient pas bien; le Roi lui dit: «Mon fils, vous êtes mousquetaire et vous commandez!» C'est exactement ce que Louis XIII sera toujours, et roi il joue encore au soldat. Le 23 janvier 1611, après déjeûner, il prend un bâton, se fait mettre en sentinelle par le jeune Loménie, qu'il fait caporal, fait demander à M. de la Curée (lieutenant des chevau-légers) par M. de Préaux (son sous-gouverneur) s'il connoît point ce soldat. M. de la Curée répond que non.—«Il a été aux guerres de Flandre,» XXV dit M. de Préaux.—«Il a bonne mine,» répond M. de la Curée, puis adressant la parole au sentinelle: «Mon compagnon, d'où êtes-vous?—De Gâtinois, répond le Roi.—Comment vous appelez-vous?—Capitaine Louis.—Vous êtes bien habillé! il y a quelque sergent qui est votre camarade, qui vous fournit ce qu'il vous faut?—Oui.»
A l'âge de quinze ans et encore dans sa seizième année, le Roi continue le même jeu. Le 2 septembre 1616, «il s'amuse à faire la garde lui-même, se couche sur la paillasse, s'endort; Descluseaux qui faisoit le caporal l'éveille, le tire par les pieds hors de la paillasse, le met en sentinelle où il se rendort. Descluseaux le y trouve, le met en prison; ce fut en son lit.» Le 20 juin 1617, après avoir, dans la journée, été au conseil et donné une audience à l'ambassadeur de Savoie, et après la cérémonie de son coucher terminée, il se relève dans la soirée et «vêtu légèrement, il descend au jardin, s'amuse à faire la garde, se fait mettre en sentinelle, reçoit le commandement du sergent (c'étoit Descluseaux), y est jusques à une heure après minuit.»
Cinq ans après le jeu devient plus sérieux et produit même une impression pénible. Le Roi qui assiége la ville de Saint-Antonin, occupée par les protestants, descend du rôle de commandant d'armée à celui de simple «artillier»; le 16 juin 1622 «il va au camp à dix heures, au-dessus d'une batterie où il y avoit deux couleuvrines, en pointe par deux fois, tire sur des paysans qui remparoient; à la deuxième fois il en tue deux.» Héroard cite pourtant beaucoup de traits d'humanité de Louis XIII envers les hommes et même envers les animaux, mais ici le désir de prouver son adresse, de se montrer bon soldat, lui fait oublier qu'il n'appartient pas à un roi de tirer sur ses sujets, même révoltés.
Dans son goût passionné pour la chasse, Louis XIII se montre le même. Enfant, il entretient de préférence le veneur maître Martin, lui parle «de tous ses chiens, sait ou demande leurs noms, ce qu'ils savent faire, comme il dresse les jeunes». Roi, il élève lui-même ses oiseaux et leur donne «la mangeaille». Il va seul au bois et à la volerie, en si simple appareil qu'un jour, à Saint-Germain (19 février 1619), un meunier court après lui «le prenant pour un fauconnier, disant et opiniâtrément que c'étoit lui qui lui avoit pris sa poule; à quoi il prenoit plaisir et à le faire contester». Dans un âge plus avancé, il va de Saint-Germain coucher le soir à Versailles, y dort tout vêtu afin d'être plus tôt prêt pour aller à la chasse, et le lendemain (3 août 1624), «éveillé à trois heures, il prend son limier et va au bois pour détourner le cerf, y est deux ou trois heures, et revient tout mouillé à Marly. Il se jette sur un méchant lit sans dormir et, XXVI après dîner, va courir son cerf qu'il avoit détourné. Il ne le prend point et revient à Saint-Germain.»
Héroard nous montre encore le Dauphin «curieux de vouloir tout savoir», ayant «l'œil et l'oreille à tout», se plaisant «toujours à quelque exercice pénible». Son goût pour «les œuvres mécaniques» lui fait, tantôt suivre «un maçon qui raccoustroit», tantôt regarder «des charpentiers qui mettoient des cloisons». Voici par exemple une journée où l'on voit la diversité de ses occupations et de ses instincts: Le 10 août 1607 «il se fait mettre dans son petit carrosse découvert jusqu'à la chapelle où il entend la messe, faisant des gambades sur son carreau. Il va à son carrosse, y fait mettre dedans Madame, la petite Vitry et le petit Gramont de la Franche-Comté. Il dit à l'oreille à Hindret, son joueur de luth, qui le menoit: «Je veux être le valet de pied, mais le dites pas.» Deux pages tirent le carrosse, il va à côté branlant les bras et marchant de l'air d'un laquais, se fait appeler le petit Louis. Mené en sa chambre, il se met sur les outils de menuiserie; il a deux pages et deux garçons de la chambre auxquels il commande, leur fournit la besogne et se fait appeler maître Louis. Il vient en ma chambre, me demande papier et encre, se met à peindre, fait un oiseau, puis se met à faire Dondon, sa nourrice.» Une autre fois, «il s'amuse à maçonner une maison, porte lui-même les pierres», ou bien il pave lui-même un chemin, «porte le pavé, le met en œuvre». Roi, il s'amusera «à faire des paniers de menu jonc», clouera «les tapis du pied de son lit avec le tapissier», travaillera avec un émailleur ou avec un excellent tourneur allemand qui lui apprendra à tourner. Le 15 octobre 1614, «il s'amuse lui-même à travailler avec le menuisier, à dresser le jeu de billard,» et le 12 janvier 1617 à établir «une batterie de petits canons qu'il avoit lui-même fondus à sa forge».
Nous avons vu Louis XIII demander à sa mère de lui ôter son gouverneur M. de Souvré, parce qu'il ne «pouvoit plus durer avec cet homme-là»; quinze jours avant il lui avait servi de cuisinier et de maître d'hôtel. Le 13 octobre 1614 il était allé faire collation dans une maison particulière; après avoir mangé, «il entre en la cuisine, met M. le comte de la Rocheguyon à la porte pour huissier, et lui se fait porter des œufs, ayant été auparavant au poulailler pour en prendre. Il donne deux écus à une femme qui lui en apporta six et un poulet, se prend à faire des œufs perdus et des œufs pochés au beurre noir, et des durs hachés avec du lard, de son invention. M. de Frontenac, premier maître d'hôtel, fait une omelette; le Roi commande au petit Humières de prendre un bâton et de servir de maître d'hôtel, au sieur de Montpouillan XXVII d'huissier, à d'autres de prendre des plats, et lui prend le dernier et marche ainsi à la salle où étoit M. de Souvré, auquel il avoit commandé d'attendre ce qu'on alloit lui servir. Il fait l'essai du plat qu'il portoit».
Le Dauphin montre des goûts plus élevés dans ses dispositions naturelles pour la musique et le dessin. Suivant l'usage de l'époque, deux musiciens étaient attachés à sa personne «pour l'endormir»; l'enfant les écoutait avec transport, retenait les termes de leur art et voulait même faire sa partie avec eux. Le 23 février 1608, il joue du «tabourin de basque fort bien, en concert avec Hindret, son joueur de luth, et Boileau, son violon; il avoit appris de lui-même. Mené pour donner le bonsoir au Roi et jouer leur concert, il s'arrête à la porte du cabinet et ne voulut jamais entrer pour jouer, comme ayant reconnu que c'étoit chose messéante à sa qualité; le Roi le sut et le trouva bon». Le 11 août 1609, «il fait chanter et chante en concert des chansons d'amour; mis au lit, il fait encore chanter Laudate en concert de voix, d'un luth et d'une mandore».
Un jour de la fête de Sainte-Cécile, «M. de Souvré le vouloit mener à Notre-Dame»; le jeune Roi s'y refusait «à cause, disoit-il, qu'il y auroit une grande messe.—Oui, Sire, lui dit M. de Souvré, mais il y aura de la musique que vous aimez tant!—Oui, mais il y en a de deux sortes; il y en a une que j'aime point»; c'étoit le plain-chant.» La musique que le Roi préférait était celle que lui faisaient à son coucher La Chapelle, «excellent joueur d'épinette qui étoit à lui», et Bailly qui chantait en s'accompagnant du luth. «Quand ils cessoient: «Chantez, chantez,» disoit-il, ainsi que souloit faire le feu Roi son père, duquel il avoit toutes les mêmes actions.» Le 1er septembre 1612, le Roi «commence à apprendre à jouer du luth par Ballard,» et à la fin de l'année 1616 on le voit encore chanter en concert avec les orgues, «sur lesquelles jouoit le sieur de La Chapelle».
Louis XIII enfant avait moins d'ardeur pour la danse, peut-être parce que cet exercice faisait partie de son éducation, tandis que la musique et le dessin n'étaient que des arts d'agrément qui ne lui étaient pas imposés. Cependant, le 21 février 1608, il danse fort bien son ballet des Falots devant Henri IV qui «en pleure de joie»; mais plus tard Héroard écrit à la date du 5 janvier 1611: «Dansé à regret; il n'aimoit pas la danse de son naturel, et si il faisoit bien; il le fait pour faire les révérences à M. de Souvré qui le forçoit à les bien apprendre.» Dans les années suivantes au contraire le Roi figure lui-même dans plusieurs ballets, et on sait qu'il se plaisait à en composer.
XXVIII
Dès l'âge de trois ans, le Dauphin commence à «crayonner sur du papier» et Héroard a conservé précieusement ces premiers griffonnages, dans lesquels il voit déjà une «merveilleuse inclination à la peinture»; on les retrouve dans le manuscrit de son journal, ainsi que les premiers essais d'écriture de l'enfant. Ces dispositions pour le dessin se développèrent un peu plus tard, pendant les séjours à Fontainebleau où de nombreux artistes, à la tête desquels se trouvait Martin Fréminet, continuaient les travaux de décoration commencés sous François Ier. Le 14 décembre 1606, le Dauphin s'amuse à peindre «ayant fait venir un peintre qui lui apprend; il l'écoute et suit ce qu'il lui dit, maniant aussi dextrement le pinceau que l'ouvrier, et tenant les couleurs au pouce comme le peintre, qui lui fait tirer un visage». Le matin, il avait dit à Mme de Montglat: «Je peindrai, je vous ferai un beau petit chérubin.—Ho! lui dit la gouvernante, vous êtes un beau peintre! Vous ne sauriez peindre le beau temps.—Si ferai.—Comment ferez-vous?—Je prendrai du blanc, puis des couleurs de chair et du bleu.—Mais vous ne sauriez faire le soleil ne la lune.—Si ferai.—Comment ferez-vous le soleil?—Je prendrai du jaune et du rouge, et je les mêlerai.—Et la lune?—Je prendrai du blanc et du jaune, je les mêlerai, puis je ferai un visage, puis ce sera la lune.» Le lendemain, «il envoie quérir deux jeunes peintres, dit qu'il veut apprendre à peindre; étant arrivés, il prend les couleurs au pouce, peint des cerises après le crayon du peintre, demande: «Que faut-il que je fasse? Faut-il du blanc, du rouge?» et besogne dextrement et avec attention.»
Deux jours après, c'est Fréminet lui-même qui vient donner au Dauphin une leçon dont Héroard a conservé les dessins, et son journal nous fait assister à la petite scène d'intérieur qui se passe entre le prince et le premier peintre du Roi. Aussitôt que Fréminet entre dans sa chambre, le Dauphin lui montre ses peintures des jours précédents et lui dit: «J'ai fait ces cerises, j'ai fait cette rose.» M. Fréminet, «peintre du Roi, excellent personnage», lui dit: «Monsieur, vous plaît-il que je vous fasse faire un oiseau avec la plume?» Il lui répond gaiement: «Oui; Mamanga, envoyez quérir mon écritoire;» il met son papier sur sa petite table et commence à griffonner tout seul un oiseau dont le corps est semé de grosses taches d'encre: «Les taches noires du milieu, dit-il, ce sont les plumes.» Fréminet lui propose alors de lui conduire la main et lui fait dessiner un perroquet, mais ce n'est pas sans peine, à cause de l'impatience de l'enfant qui veut aller plus vite que l'artiste. Fréminet dessine ensuite XXIX une tête de profil et dit au prince: «Faites un visage comme celui-là.—Ho! ho! dit-il en souriant, je ne saurois.» Fréminet lui reprend alors la main et lui fait dessiner deux profils, puis, pour terminer la leçon, l'artiste retourne le papier et dessine une belle tête de guerrier coiffé d'un casque; l'enfant ravi lui donne pour le remercier une grosse poire.
Le 6 février 1607, le Dauphin, qui est toujours à Fontainebleau, parle dans son lit, avant de s'endormir, «sur les peintures qu'il a faites, d'un bois, d'une montagne, du ciel; qu'il n'avoit pas les couleurs pour faire les ombrages du soleil et de la lune; que demain il achèvera, peindra la chasse au blaireau pour la présenter à papa; il n'en pouvoit sortir tant il y prenoit de plaisir». En effet, le lendemain, «il s'assied et accommode une petite toile carrée, et la cloue sur un petit ais pour peindre dessus, ayant auprès de lui le petit-fils de l'un de ses jardiniers, qui savoit peindre et qui lui montre. Il le suit avec son pinceau, froidement, attentivement, dextrement et avec vouloir et affection d'apprendre. Ce désir l'avoit fait lever plus matin que de coutume, il y avoit de l'inclination comme aux autres sortes de mécaniques. Ayant achevé son bocage, il dit au petit peintre: «Faites l'accoustrer.—Monsieur, lui dit le peintre, y ferai-je faire un châssis?—Oui, oui.—Monsieur, je n'ai point d'argent.—Mamanga, donnez-moi de l'argent pour faire un châssis à mon petit tableau.» Elle lui baille deux quarts d'écu; il va au peintre et lui dit: «Tenez, velà deux quarts d'écus, gardez-en un pour en faire un autre.» Trois jours après le Dauphin «tire de son pupitre le paysage qu'il avoit fait avec le petit peintre; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il vous faut écrire.—Non, Mamanga, qu'on aille quérir le petit peintre;» il aimoit la peinture», répète encore Héroard.
Une autre fois c'est Dupré, le graveur en médailles, qui donnera au jeune prince, toujours à Fontainebleau, une leçon de modelage. Le 6 juin 1607, le Dauphin, qui pose pour un sculpteur en cire nommé Paolo, s'amuse pendant ce temps à «tirer en cire» son mignon Descluseaux. Dans l'après-midi «il s'amuse, avec de la cire, à faire un visage, pendant que M. Dupré, statuaire du Roi, le tire pour en faire une médaille; il sait tout ce qu'il faut faire et travaille fort dextrement, polit, fait les cheveux, perce les yeux, les oreilles, tout sur la trace grossière que M. Dupré lui en avoit faite». Le lendemain il dit à son médecin qu'il le «veut peindre en cire pendant que M. Dupré l'achèvera» et qu'il lui fera la barbe pointue comme une épingle.
Plus tard le Dauphin fait faire par Boileau, son joueur de violon, et fait lui-même des copies d'après quelques-uns de ces dessins XXX dont la mode s'était conservée depuis le seizième siècle et que l'on nommait des crayons; c'est tantôt Duguesclin ou Louis XII, tantôt ses deux grands-pères Antoine de Bourbon et le duc de Toscane; lui-même pose pour Boileau et il fait attacher ces crayons sur la tapisserie de sa chambre. Héroard a joint à son manuscrit une copie de la main du Dauphin d'après un crayon représentant la marquise de Ménelay. Une autre fois le Dauphin copie le portrait de la reine Jeanne de Sicile et «en huile le portrait du Roi qui étoit devant lui; il étoit fort reconnoissable».
Louis XIII conserva toute sa vie son goût pour la peinture et le dessin. Lorsqu'au mois de février 1611, Marie de Médicis veut lui acheter à la foire Saint-Germain une chaîne de diamants, «il n'en veut point, dit mieux aimer des tableaux», et à diverses reprises il se remet à peindre «ayant fait venir Bunel, l'un de ses peintres et excellent». Le 25 juillet 1622, étant à Béziers, le Roi «s'amuse à peindre en crayon, ne laisse pas d'entendre ses affaires par M. de Puisieux, secrétaire d'État»; et au mois d'août 1627 on le retrouve à Versailles, s'occupant encore «à peindre». Si Héroard avait vécu jusqu'aux derniers jours de son maître il l'aurait vu, quelques semaines avant sa mort, ainsi que le rapporte Dubois, l'un des valets de chambre du Roi, «travaillant fort longtemps à peindre certains grotesques, à quoi il se divertissoit ordinairement».
La liberté de mœurs et de langage qui régnait sous Henri IV commence à disparaître avec Louis le Juste, que l'on a aussi surnommé Louis le Chaste. Dès la première année de son avénement au trône, un jour que le Roi «fait faire la musique de voix et d'instruments» et qu'il parle des chansons qu'il vient d'entendre, M. de Souvré lui demande: «N'avez-vous point fait chanter de celles du feu Roi, qui étoient pour les amours de Mme la princesse de Condé et autres?—Non, répond le Roi.—Pourquoi?—Je les aime point,» dit-il brusquement. L'année suivante, Concini s'étant permis au coucher du jeune Louis une indécente plaisanterie sur la nourrice du Roi et sur les femmes qui veillaient encore près de son lit, le Roi, «le regardant en colère, lui tourne le dos» en lui reprochant ces «vilainies»; et encore, le 25 décembre 1619, comme il dînait à sa petite chambre où le prince de Condé et plusieurs seigneurs «se parloient de mots qui dépassoient la gaillardise», le Roi dit: «Je ne veux point que l'on dise des saletés et des vilainies.»
XXXI
Louis XIII n'avait non plus aucun goût pour les fous de Cour, les faiseurs d'horoscopes, les soi-disant poëtes à cervelle dérangée qui étaient admis familièrement auprès de son père. Étant Dauphin, on le voit chasser à coups de pied Engoulevent, prince des sots, qui était entré en sa chambre; «il haïssoit naturellement, dit Héroard, les plaisants et bouffons.» Une autre fois il renvoie de sa chambre «un gentilhomme de Normandie, nommé le sieur de la Valée, qui se mêloit de prédire par horoscopes et nativités; il s'adresse à lui parmi la troupe, lui dit: «Allez-vous-en,» et le presse si fort qu'il fallut sortir.»
L'accès des résidences royales était alors d'une facilité inouïe. Les épousées de village y venaient danser le jour de leurs noces; les merciers, les porte-paniers y entraient pour débiter leurs marchandises, les mendiants pour demander l'aumône; les musiciens ambulants pénétraient jusque dans l'intérieur des appartements. Le 10 juin 1604, on voit le Dauphin faire sortir de la salle du Roi, à Saint-Germain, «un cul-de-jatte qui jouoit du flageolet, disant: «Mettez dehors! qu'il joue, mais je ne le veux pas voir.» Il ne veut point voir Olyvette, folle de feu Mme de Bar (sa tante), ne veut point voir maître Guillaume (fou de Henri IV), n'aime point les fols de cette sorte.» Son goût pour la musique lui fait pourtant un autre jour, pendant son dîner, écouter ce même cul-de-jatte avec plaisir jusqu'à ce que, «après avoir joué longtemps et deux violons avec lui,» l'estropié lui dit d'une voix rude: «Monsieur, buvez à nous.» Il devient rouge, disant soudain: «Je veux qu'il s'en aille.» Son médecin lui dit: «Monsieur, il est pauvre; il ne les faut pas chasser.—Il ne faut pas que les pauvres viennent ici.—Monsieur, non pas tous, oui, bien ceux qui vous font jouer comme lui.—Qu'il aille donc jouer là-bas.» Mme de Montglat l'en veut aussi distraire, il lui répond: «Mamanga, il m'étourdit;» et puis après il dit: «Je ne bois qu'à papa et à maman.»
Héroard note dans son journal non-seulement les grands personnages qui viennent visiter le Dauphin, mais encore les plus infimes. Pendant la première année c'est une véritable procession de gens de toute sorte qui font le voyage de Paris à Saint-Germain en «grande troupe» ou en «compagnie», et qui sont admis à voir l'enfant au berceau ou dans les bras de sa nourrice. Tantôt ce sont des courtisans qui rendent au Dauphin le plus singulier hommage; tantôt c'est une vieille revendeuse de Paris, à moitié folle, qui «se prend à danser devant lui», avec les mots et les gestes les plus indécents. A côté de ces scènes burlesques le médecin nous en montre de touchantes, telles que celle du 28 avril 1602, où le XXXII lieutenant-général de Fontenay-le-Comte «âgé de quatre-vingts ans, arrive en jupe, se met à genoux et à pleurer, le voit remuer, et s'en retournant dit à Mme de Montglat qu'il plût à Dieu de donner à Monseigneur le Dauphin le bonheur de son père, la valeur de Charlemagne et la piété de saint Louis; et s'étant retourné pour s'en aller, étant au coin du grand pavillon, il lève les mains au ciel et dit: «Dieu, m'appelle quand il lui plaira, j'ai vu le salut du monde.»
Une autre visite d'un caractère bien particulier est celle que Sully fait au Dauphin le 20 juillet 1606: «A midi, M. de Sully, revenant de Rosny, le vient voir. Mme de Montglat fait ouvrir la grande porte de la salle; M. le Dauphin y est mené en attendant M. de Sully; comme il est au milieu de la cour, elle le fait courir au-devant de lui, pour l'embrasser comme il faisoit au Roi. Il s'arme à l'accoutumée, est piquier, fait armer la compagnie, entre en garde, va à la charge, fait les exercices. M. de Sully lui donne cinquante écus en quadruples, ses soldats les lui arrachent des mains; il n'eut presque pas le temps de les manier; il ne lui en demeura qu'une pièce qu'il tient ferme contre Montailler, tailleur de Mme de Montglat, dont il s'écrie: «Hé! maman, Montailler me l'arrache;» elle y vient, la prend et fait rendre les autres, qu'elle retient. Il n'en dit mot, ne s'en plaint point, mais peu après il dit: «Mais moi je suis soldat et je n'ai point eu d'argent;» M. de Sully lui donne un doublon, puis s'en va.» Après avoir constaté cette «grande indiscrétion» envers le Dauphin, Héroard ajoute en marge de son manuscrit que Mme de Montglat eut quatre de ces doublons, le chevalier de Vendôme un, le musicien «Hindret, un, etc.»
On a d'autres exemples de cette incroyable avidité de la gouvernante; le 30 septembre de la même année, après avoir soupé avec le Roi, le Dauphin suit son père «en la chambre de la Reine, laquelle lui donne deux pièces de monnoie d'or. Ramené en sa chambre, querelle pour ces deux pièces d'or entre Mme de Montglat et sa nourrice, lui bien empêché pour les contenter toutes deux.» Moins de deux mois plus tard, le 20 novembre, le Dauphin est mené dans la chambre du Roi où se trouve Sully. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, l'on dit que vous êtes avaricieux, demandez à M. de Sully de l'argent pour donner.» Il ne dit mot et ne veut point; il ne demandoit pas aisément, de peur d'être refusé; il s'en offensoit. Mme de Montglat l'en presse, et sur cela il entend que M. de Sully disoit: «Il n'est pas encore temps;» il se retourne soudain, comme dépité, disant: «C'est pas du sien, c'est de celui à papa,» et s'en va. Mme de Montglat le retire vers M. de Sully: «Monsieur, dit-elle, dites à M. de Sully qu'il fasse pour moi ce XXXIII que je lui demanderai.—Qu'est-ce?—Monsieur, dites-lui seulement cela.» Il demanda toujours ce que c'étoit, et enfin, fort pressé, dit par acquit et se retournant: «Faites cela pour Mamanga, et s'en va tout dépité.»
Le Dauphin n'aimait pas à s'adresser à Sully, et disait de lui: «C'est un glorieux.» Quelques jours avant l'assassinat de Henri IV il est «mené en carrosse à l'Arsenal où M. de Sully lui demande: «Monsieur, voulez-vous de l'argent?—Non, dit-il par dédain.—Mais, Monsieur, dites si vous en voulez,» et il le lui demande par plusieurs fois.—«Si vous en voulez bailler, répond le Dauphin, faites l'apporter à Monsieur de Souvré.» Il avoit cueilli des brins fleuris d'un arbre qui lui avoit plu; M. de Sully lui dit: «Monsieur, quand vous reviendrez ici, vous trouverez cent bourses pleines d'écus sur cet arbre-là que vous avez trouvé beau.—Ce sera un bel arbre,» dit-il, négligemment et sans le regarder. Cependant lorsqu'au commencement de 1611, Sully est «démis de la garde de la Bastille et de la surintendance des finances, le Roi dit à M. de Souvré: «L'on a ôté mousseu de Sully des finances?—Oui, Sire.—Pourquoi?» demande-t-il, avec contenance d'étonnement.—«Je n'en sais pas les raisons, répond le gouverneur, mais la Reine ne l'a pas fait sans beaucoup de sujets, comme elle fait toutes choses avec grande considération. En êtes-vous marri?—Oui.»
La figure du brave Crillon, lorsqu'il visite le Dauphin, est un peu celle d'un capitan de comédie. Le 19 avril 1605, «arrive M. de Crillon, mestre de camp du régiment des gardes, qui ne l'avoit pas encore vu; le Dauphin lui ôte son chapeau, lui donne sa main à baiser, disant: «Bonjour, moucheu de Crillon.» M. de Crillon lui dit: «Monsieur, voulez-vous que je tue cettui-ci, cettui-là?» en montrant les personnes qui sont autour de lui.—«Non,» répond l'enfant étonné.—«Qui donc? demande Crillon.—Les ennemis de papa.» Ces manières semblent si étranges au Dauphin, qu'un peu plus tard, lorsque Crillon accompagnant le Roi revient à Saint-Germain et que Henri IV demande à son fils: «Qui est celui-là?» il répond: «Le fou.» M. de Crillon lui dit brusquement s'il vouloit qu'il battît M. de Souvré.—Non.—Si je ne le bats point, m'aimerez-vous?—Oui.» Le 6 avril 1606, Crillon vient encore voir, pendant son goûter, le Dauphin qui ne veut pas lui dire adieu; Mme de Montglat «l'en tance dans sa petite chambre: «Mais, Mamanga, c'est un méchant homme. Je suis brave, je suis furieux!» dit-il, en faisant les contenances de M. de Crillon.»
Le Dauphin est en perpétuelle opposition contre tout ce qu'il voit XXXIV et ce qu'il entend, au grand étonnement de son médecin lui-même. Un jour, à Fontainebleau, une troupe d'Égyptiens vient danser au château et les gens de service se divertissent avec les bohémiennes. Le Dauphin regarde danser ces Égyptiens, mais il défend que «pas un des siens danse avec leurs femmes»; le soir on parlait devant lui «de ce qu'il n'avoit permis la danse aux siens avec ces femmes». Héroard lui demande: «Monsieur, voudriez-vous bien que j'eusse dansé avec elles?—Non, dit-il, je ne voudrois pas que vous eussiez touché la main à ces vilaines femmes; elles sont si sales!» Le lendemain on fait entrer ces bohémiens pendant son dîner, alors «il ne veut plus manger que l'on ne fasse sortir trois Égyptiens, disant qu'ils sentoient mauvais».
Cette répugnance du Dauphin fait comprendre la résistance que Henri IV rencontre chez son fils la première fois qu'il veut lui faire laver les pieds aux pauvres à sa place, le jour du jeudi saint: «Je ne veux point, dit-il, la veille, ils sont puants,» et le lendemain lorsqu'on lui demande s'il lavera bien les pieds aux pauvres, il répète encore: «Non, je ne veux point, ils ont les pieds puants.» On juge de ce que, Roi et à peine âgé de neuf ans, il dut souffrir lorsque, quelques jours après son sacre, il eut à toucher plus de neuf cents malades des écrouelles. «Il se reposa quatre fois, dit Héroard, mais peu, ne s'assit qu'une seule fois. Il blêmissoit un peu du travail, et ne le voulut jamais faire paroître, ne voulut pas prendre de l'écorce de citron.» Le jour de l'Assomption 1611, le Roi touche quatre cent cinquante malades, «se trouve foible; il faisoit une extrême chaleur»; ayant «lavé les mains avec du vin pur et respiré du vin, il revient à lui». En 1613, il touche jusqu'à onze cent soixante-dix malades; mais lorsqu'en 1619, Héroard lui demande «s'il toucheroit les malades (il y avoit de la peste à Paris), le Roi lui répond avec colère: «Non! mais ces gens-ci me pressent si fort, si fort! Parlez à eux, ils me persécutent si fort! Ils disent que les rois ne meurent point de la peste; ils pensent que je sois un roi de carte!»
Tous ceux qui s'occupent de l'histoire de l'art français savent par expérience combien sont rares les renseignements qu'on peut trouver sur ce sujet dans les collections de mémoires et de chroniques, et l'on ne songerait guère à aller chercher des indications de ce genre dans le journal d'un médecin. Héroard en donne cependant de très-précieuses, de très-nouvelles et de très-inattendues. On a déjà pu voir d'après lui un Louis XIII artiste, que XXXV l'on connaissait à peine sous ce rapport; assistons maintenant aux séances dans lesquelles le Dauphin pose pour les dessinateurs, les peintres, les sculpteurs chargés successivement de reproduire son effigie.
Le premier en date est Charles Decourt, «peintre du Roi», dont les dessins, s'il en subsiste encore aujourd'hui, doivent être attribués à l'un des Du Monstier. En effet les quatre portraits du Dauphin que Decourt fait de 1602 à 1607, le premier «par commandement de la Reine, pour l'envoyer à Florence», sont tous «peints en crayon».
Le 27 mars 1602, c'est «le peintre du Quesnel» qui peint le Dauphin en pied, de grandeur naturelle, «il avoit deux pieds et demi»; ce portrait paraît destiné à la duchesse de Mantoue, sœur de Marie de Médicis et tante de l'enfant.
Le 25 février 1603, le Dauphin est «amusé dans sa petite chaise, auprès du peintre nommé Charles Martin, demeurant à Paris, sur le pont Notre-Dame, près Saint-Denis de la Chartre»; l'indication est précise et ne peut se rapporter qu'à un portrait. En 1604, le Dauphin est encore «peint par le sieur Martin», et un an plus tard l'enfant se rappelle cette circonstance; «en goûtant il entend parler de M. Martin et dit: «C'est celui qui a fait la peinture de moucheu le Dauphin.» Le 3 mars 1605, «il s'amuse seul, sans dire mot, avec un petit puits d'argent... donnant une extrême patience à se laisser peindre par maître Jehan Martin»; ce maître Jehan Martin est-il le même que le Charles Martin cité deux ans avant, et y a-t-il dans le journal une erreur de prénom? Quoi qu'il en soit, ce doit bien être ce dernier «maître Martin» qui, au mois d'août 1605, fait le portrait de Mme Élisabeth, âgée de deux ans, et qui, le 10 mai 1606, peint d'après le Dauphin un portrait dont Héroard nous donne cette minutieuse description: «Maître Martin, son peintre, vient pour le peindre, le peint armé de son corcelet, sous sa robe de velours cramoisi garnie d'or, l'épée au côté et la pique de la main droite, la tenant droite, la tête couverte de son bonnet de satin blanc, d'enfant, avec une plume blanche; c'est la première fois qu'il ait été ainsi peint.» Le Dauphin «se fait donner des couleurs et un pinceau, imite le peintre mêlant ses couleurs, regarde parfois la besogne de son peintre. Il tenoit sa chienne Isabelle, la caressoit, la baisoit, l'appeloit sa mignonne, car il aimoit extrêmement les chiens; il disoit à son peintre qu'il peignît sa chienne auprès de lui. Mlle Mercier lui dit: «Monsieur, il ne faut pas que ceux qui sont armés aient des chiens avec eux;» il répond soudain: «Mais ce sera pour prendre les ennemis par les jambes.»
XXXVI
Voici deux autres crayons d'après le Dauphin: Le 20 mars 1604, «il voit le jeune Du Monstier, peintre,» se posant devant lui avec un portefeuille, et, croyant que c'est pour écrire, il lui dit: «Écrivez.» Héroard lui explique: «Monsieur, il veut écrire votre visage, votre nez, vos yeux.» Alors le Dauphin dit au peintre: «Écrivez-moi;» il «lui soutient doucement le portefeuille et a peur de l'empêcher». Le lendemain il s'amuse à ses échecs d'argent «pendant que le jeune Du Monstier tire son crayon». Le 27 septembre suivant, jour où le Dauphin a trois ans accomplis, il s'amuse encore «à ses échecs d'argent», pendant que «Mallery en tire le crayon».
Voyons maintenant les sculpteurs: Le 20 août 1604, le Dauphin «baise un portrait en cire de la Reine, assez mal fait, qu'il reconnut; il est tiré en cire, avec sa nourrice, par le sieur Paolo, pour être porté en Italie». Une autre fois, «il se joue, tenant un portrait du Roi, fait en cire, dans une boîte d'ivoire, et s'amuse à travailler sur de la cire, comme il avoit vu faire au sieur Jehan Paulo». Ce Paolo fait encore un portrait en cire du Dauphin, à la date du 6 juin 1607.
Le 21 septembre 1604, c'est une figure en terre, destinée sans doute à être cuite à la poterie de Fontainebleau, où l'on fabriquait de rustiques figulines dans le genre de Bernard de Palissy. Ce jour-là le Dauphin, après avoir été dire adieu au Roi et à la Reine qui allaient à la chasse, est ramené «pour être retiré tout de son long, en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains jointes, l'épée au côté, par Guillaume Dupré, natif de Sissonne près de Laon. A trois heures et demie goûté; il donne la patience au statuaire tout ce qui se peut». On a vu, plus haut, ce même Dupré, «statuaire du Roi», modeler le 6 juin 1607 une médaille du Dauphin. M. A. Jal, dans son utile Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, nous apprend que le célèbre graveur en médailles Guillaume Dupré était protestant; mais il n'a pas trouvé son acte de décès sur les registres du temple de Charenton, et il en conclut que Dupré n'est pas mort à Paris. Quant au lieu de naissance de Dupré Mariette prétend qu'il était de Troyes, et la date de cette naissance est également inconnue. Peut-être l'indication formelle donnée par Héroard servira-t-elle à retrouver des dates précises pour la biographie d'un de nos plus éminents artistes.
Il est un autre sculpteur du nom de Dupré ou de Després qui vient modeler encore une statue du Dauphin, mais malheureusement Héroard ne donne cette fois que des renseignements vagues et difficiles à éclaircir. Le 10 mars 1605 «arrive un sculpteur envoyé de la Reine; le Dauphin lui demande: «Peintre, comment XXXVII vous appelez-vous?» Il répond: «Després». Il est tiré en bosse de cire pour jeter en fonte par Després.» Cinq jours après, nouvelle mention de ce «statuaire» dont le nom est laissé en blanc, et qui est désigné comme Flamand de naissance et retiré à Florence. Il continue à travailler à son modèle de cire «de la hauteur d'un pied et demi» qui, «par le commandement de la Reine», doit être jeté en or pour l'envoyer à l'Annonciade de Florence. Le Dauphin dit: «C'est mon frère de cire,» s'amuse à son petit ménage d'argent et dit à M. de Vendôme: «Allez-vous-en.» Mme de Montglat l'en reprend, il répond: «Ce n'est pas moi, c'est mon petit frère de cire qui l'a dit.» Enfin, le 17 mars, troisième et dernière séance de deux heures, pour achever de «tirer sa figure de cire» par «Du Pré», dont le prénom reste en blanc.
Héroard ne donne pas non plus le nom de famille d'un peintre italien attaché à un neveu de Marie de Médicis, le prince Ferdinand de Gonzague; le 21 août 1606, pendant que le Dauphin s'amuse à peindre, cet artiste, du prénom de Francesco, «le pourtrait de son long».
Le lendemain du jour où l'on a vu le premier peintre de Henri IV donner une leçon de dessin au Dauphin (18 décembre 1606), «M. Fréminet commença de le peindre», et le Dauphin ayant dit: «Mamanga, je voudrois bien avoir des couleurs, mais je voudrois des siennes, elles sont plus belles,» on lui en envoie quérir au logis du sieur Fréminet, au jardin des Canaux; il s'en amuse avec le pinceau.» Le 23, «M. Fréminet achevoit de le peindre, lui s'amusant à peindre, et il fit un oiseau sur de la toile avec de la craie». Nous ne pouvons quitter Fréminet sans montrer le Dauphin fuyant son maître d'écriture pour aller voir travailler le peintre de la chapelle de la Trinité, ou bien se promenant dans les appartements de Fontainebleau en faisant ses observations enfantines. Le 16 août 1608, «il ne se peut mettre à l'écriture; y ayant demeuré un quart d'heure, il sort et dit à M. de la Court, exempt des gardes: «La Court, je ne sarai rien faire qui vaille, allons voir Fréminet;» c'étoit une excuse. Il vient en ma chambre, y joue à la paume, va à la galerie qui mène à la volière, puis s'en retourne à la chapelle y trouver Fréminet; ce n'étoit que pour fuir l'école». Trois jours après, le 19 août, «il monte tout au haut de son pavillon, à la chambre de sa nourrice et à celle des peintures de M. de Franco, peintre du Roi; y a goûté.»
Le lendemain il vient dans la chambre d'Héroard «pour y écrire, y trouve M. Fréminet, peintre du Roi, celui qui a fait les desseins et les peintures de la chapelle. Il est bien aise de trouver cette occasion et demande à voir ce qu'il en avoit fait, y va, monte par XXXVIII un escalier de bois tenant à la garde-robe de M. d'Anjou, au bout de la galerie lambrissée, sur un échafaud près de la voûte de la chapelle, sans peur ne étonnement, se plaît à voir les peintures, y est assez longtemps; s'en retournant il dit: «Aussi vrai, velà qui est bien fait;» descendu il s'en va voir les peintures qui étoient là où se mettent les musiciens, y monte par une petite échelle, y voit une Annonciation et dit encore: «Aussi vrai, velà qui est bien fait.» Il se fait descendre par un trou entre deux planches.»
L'année précédente, comme le Dauphin se promenait dans la galerie de Fontainebleau, «Mme de Montglat lui montre la peinture d'un léopard, lui demande que c'est, il répond: «Je sais pas.—Monsieur, c'est un léopard.—Il ressemble à de Hoey.» C'étoit un peintre; il étoit vrai. Il avoit l'imagination fort bonne. M. de Malleville lui montre une voile de navire et lui demande: «Monsieur, à quoi sert une voile?—C'est pour faire aller le navire, car le vent le pousse.» Il y avoit des H peintes, Mme de Montglat lui demande: «Quelle lettre est cela?—C'est un H; quand je serai grand je ferai mettre des L auprès.»
Le dernier portrait du jeune Louis comme Dauphin est de bien peu antérieur à son avénement au trône; le 16 février 1610 «en étudiant, il est peint par Bunel, peintre excellent qui est au Roi».
Dans la seconde partie de son journal, Héroard ne mentionne que deux portraits de Louis XIII: l'un de Porbus, «flamand, peintre excellent», qui le 11 février 1611 «le tire de sa hauteur pendant qu'il se joue à des petites besognes»; l'autre de Fernand, aussi «peintre excellent»; pendant que le Roi est au bain (2 août 1617) il le peint «étant dans l'eau».
Le médecin rapporte encore un trait d'humanité du jeune Roi envers un artiste, mais il dédaigne de donner le nom de ce pauvre diable; le 16 juillet 1611 «un certain peintre lui apporte un portrait de cire de son visage; le Roi lui demande: «Combien en voulez-vous?—Sire, il vaut bien deux pistoles.—En velà sept.—Sire, ma pauvre femme est bien malade; s'il vous plaît de me donner quelque chose pour la faire assister?—Tenez, je vous donne tout ce que j'ai,» dit le Roi en vidant sa bourse; il y avoit encore sept pistoles.»
Ce n'est pas seulement à propos des portraits de Louis XIII que le journal d'Héroard nous fournit çà et là des renseignements utiles à recueillir pour l'histoire des arts, et lorsqu'il nous montre le Dauphin jouant avec «ses petits marmousets de poterie», le bon médecin ne se doute pas qu'il va jeter quelque lumière sur une question dont on se préoccupait peu de son temps, mais qui de nos jours a le plus vif intérêt pour les amateurs de curiosités. XXXIX Nous voulons parler de ces nombreuses pièces de faïence française, datant évidemment du commencement du dix-septième siècle, et classées jusqu'à présent, faute de documents certains, sous le nom de faïences de l'école de Palissy. Les collectionneurs pourront désormais désigner avec certitude sous le nom de faïences de Fontainebleau quelques-unes de ces pièces, et entre autres le plat représentant Henri IV, Marie de Médicis portant le Dauphin, et à côté d'eux féfé Vendôme, ce frère naturel de Louis XIII dont il est si souvent question dans Héroard. Divers passages de son journal servent à reconnaître les produits de cette «poterie de Fontainebleau» où le Dauphin va fréquemment acheter ses jouets. Ainsi, le 20 mars 1608, «il s'en va à la poterie; on lui demande ce qu'il veut?—«Attendez, j'y songe: Combien vendez-vous cela?» dit-il en montrant la figure du Roi. On lui en demande trois écus; il commande de les bailler, prend l'effigie du Roi, l'embrasse, la donne à porter à sa nourrice». Le 7 mai suivant la princesse de Conty devait danser un ballet dans la chambre de la Reine et venir après dans celle du Dauphin. «On lui propose de faire préparer une collation de petites pièces qu'il avoit prises en la poterie,» et, le ballet fini, il mène toutes les personnes qui l'avaient dansé à sa collation; «et de rire, et de faire des exclamations: c'étoient des petits chiens, des renards, des blaireaux, des bœufs, des vaches, des écurieux, des anges jouant de la musette et de la flûte, des vielleurs, des chiens couchés, des moutons, un assez grand chien au milieu de la table, un dauphin au haut bout, un capucin au bas».
Ce petit catalogue se trouve complété à diverses reprises; ainsi, le 23 octobre 1604, le Dauphin mené à la poterie «s'y joue longtemps et voulut avoir un cheval blanc». Le 7 novembre 1606, «il s'amuse à mettre en bataille, file à file, toute sa compagnie de pièces de poterie, et le Dauphin étoit à la tête». Le 12 décembre suivant, «il s'amuse à un chandelier de poterie, dont il fait une fontaine, siffle d'un rossignol de poterie où il fait mettre de l'eau, s'amuse au buffet du roi, fait du temps du roi François Ier, qui s'ouvroit par un marmouset». Le 29 mai 1607, «il va à la poterie, où il prend plusieurs pièces, chiens, lions, taureaux, puis revient en sa chambre où, sur le tapis de pied, il les fait combattre». Le 5 juin suivant, le fils de M. de Saint-Luc, âgé de quatre ans, vient dire adieu au Dauphin. Héroard lui demande bas à l'oreille: «Monsieur, vous plaît-il pas de lui donner quelque chose?—Oui.—Monsieur, quoi?—Un cheval marin (qui étoit de poterie).—Monsieur, vous plaît-il que je l'aille quérir?—Oui, mais ne prenez pas celui qui est cassé.» Enfin, le 24 avril 1608, XL le petit duc d'Orléans, frère puîné de Louis XIII, donne à la fille de Mme de Montpensier «une petite nourrice de poterie qu'il tenoit»; on sait que cette figure a été attribuée jusqu'à présent à Bernard de Palissy.
Héroard nous signale aussi à diverses reprises (et quelquefois par des descriptions qui pourraient servir à les reconnaître si on les rencontrait aujourd'hui dans quelque collection) les bijoux, les pièces d'orfévrerie, les objets précieux de toute sorte, donnés en présent au Dauphin. C'est d'abord Henri IV qui envoie à son fils âgé de deux ans «une croix du Saint-Esprit, premier présent que le Roi lui a fait, la croix tenue par un dauphin émaillé de bleu». Marie de Médicis lui donne «une enseigne de diamants avec un bouquet de plumes d'argent», une autre fois le «petit coffret d'argent où elle mettoit ses pendants d'oreille,» puis «une petite montre couverte de diamants». Le 15 septembre 1610 «la Reine lui veut donner des petites besognes, comme des Agnus Dei, garnis de diamants»; il ne les prend pas et demande «un petit livre couvert de diamants», que la Reine lui refuse, «disant que le feu Roi son père le lui avoit donné; il le désiroit pour le mettre en son oratoire».
Ce n'est pas la reine Marguerite qui aurait eu le courage de refuser, et les présents qu'elle fait au Dauphin sont les plus magnifiques de tous. La première fois qu'elle le voit c'est: «un Cupidon parsemé de diamants, assis sur un dauphin, et tenant un arc d'une main et un brandon de l'autre, parsemé de diamants; au ventre du dauphin il y avoit une émeraude gravée d'un dauphin couronné et entouré de petits diamants.» Elle lui donne encore «un petit cimeterre parsemé de diamants et à Madame un serre-tête de diamants». Un autre jour elle lui envoie «un navire d'argent doré, sur roues, allant au vent à la hollandoise»; lors de la foire de Saint-Germain, elle lui donne «une enseigne et un cordon de diamants, le tout estimé à deux mille écus,» et elle commande à l'orfévre de lui «bailler tout ce qu'il demanderoit, promettant de le payer».
La princesse d'Orange, fille de l'amiral Coligny, a aussi pour le Dauphin une amitié singulière; en revenant de Flandre elle «lui apporte des ouvrages de la Chine, à savoir: un parquet de bois peint et doré par dedans, peint des feuillages, arbres, fruits et oiseaux du pays, sur de la toile qui lioit les ais de demi-pied; l'on s'en servoit comme de cabinet. Elle donne à Madame de la vaisselle tissue de jonc et crépie, par le dedans, de laque, comme cire d'Espagne. Mme de Montglat demande au Dauphin: «Monsieur, aimez-vous bien Mme la princesse d'Orange?—Oui.»—Héroard XLI lui demande: «Comment l'aimez-vous?—De tout mon cœur.» Mme la princesse d'Orange en rougit et en pleura de joie.» On «lui avoit donné le matin de petites besognes de bois qui se font en Allemagne»; le lendemain (16 août 1605) «il fait porter son petit cabinet de la Chine, se met dedans et se joue avec ses petits jouets d'Allemagne et d'argent».
Un autre présent fait à la sœur aînée du Dauphin, Mme Élisabeth, par sa marraine l'infante Isabelle, gouvernante des Pays-Bas, est «une chaîne de diamants, où tenoit au bout une enseigne de diamants, en laquelle étoit une relique des os de sainte Élisabeth».
Lorsque César de Vendôme épouse Mlle de Mercœur, le Dauphin reçoit de Mme de Mercœur «une petite chaîne de chiffres d'or, où pendoit un Hercule enrichi de petits diamants, et à la base au-dessous étoient écrits ces mots: La grandeur de ton père et ta vertu te font plus grand qu'Hercule». Enfin le Dauphin reçoit encore de l'électeur de Brandebourg «un échiquier où les carrés étoient d'ambre jaune, et au-dessus les rois de France en ivoire».
On peut aussi, avec Héroard, reconstituer en partie le riche cabinet d'armes de Louis XIII. Sa première épée lui est donnée à l'âge de un an par la belle Corisande, ancienne maîtresse de Henri IV, qui lui envoie aussi sa première arbalète. La duchesse de Bar, tante du Dauphin, lui envoie, le 26 janvier 1603, un charmant joujou, «des armes complètes de la hauteur d'un demi-pied,» et à la fin de la même année les députés de Moulins lui offrent, au nom de la ville, sa première armure: «une épée, une lance et une paire d'armes complètes» qu'il revêt le 14 juillet 1604, et dont il se joue encore deux ans après: le 5 juillet 1606, «il monte tout en haut de sa garde-robe, où il fait prendre ses armes toutes complètes, faites à Moulins, les fait porter en sa chambre avec la croix (pour les suspendre), les fait accommoder dessus, y travaille lui-même, va quérir en son armoire son épée rouge et la y fait ceindre, puis fait apporter sa pique, la met lui-même sous le brassal, toute droite comme s'il eût été en sentinelle.»
Le 31 octobre 1604, «M. de Blainville, maréchal des logis de sa compagnie de gendarmes, lui fait présent d'une belle et petite arquebuse d'un pied et demi de long», et c'est avec cette arquebuse, «faite à Rouen par Timothée», et qu'il appelait la Blainville, que, le 21 octobre 1611, le jeune Roi tirera pour la première fois à balle.
Le 18 septembre 1605, le duc de Lorraine envoie au Dauphin «un mousquet dans un fourreau de velours vert et une bandoulière brodée d'or et d'argent, les charges d'or émaillé et la fourchette qui étoit un dauphin». En 1606, M. de Rosny, que l'on XLII n'appelle pas encore Sully, lui donne «un petit canon d'argent»; en 1607, le prince de Galles, frère aîné de Charles Ier, lui envoie une escopette et une couple de petits pistolets.
Héroard indique encore deux armures complètes données à Louis XIII: l'une présentée au Dauphin en 1609, de la part du duc de Lesdiguières, avait été faite à Milan et avait coûté mille doublons; l'autre est envoyée au Roi, en 1611, par le prince Maurice de Nassau.
A la fin de l'année 1611, Louis XIII possédait sept arquebuses; le 1er janvier 1614 il en a quarante, et six semaines après cinquante-cinq. Le Roi avait sans doute fait cette nombreuse acquisition à la foire de Saint-Germain, car le 4 février 1616, il va «en carrosse à la foire Saint-Germain des Prés où il a acheté quatre arquebuses, ayant méprisé toutes autres sortes de marchandises». Son cabinet d'armes le suivait dans ses voyages, et une des occupations favorites du jeune Roi était de démonter et de nettoyer lui-même ses arquebuses.
Cet instinct particulier, qui le porte en toute circonstance à faire lui-même «œuvre de ses mains», devait naturellement détourner le jeune Roi de concevoir et d'entreprendre ces grands travaux de bâtiments affectionnés par son père Henri IV et repris depuis avec tant de passion par son successeur Louis XIV, le fils tardif de Louis XIII et d'Anne d'Autriche. Dans la seconde partie de son journal Héroard nous montre assez fréquemment le Roi, posant la première pierre de divers monuments, tels que: le bâtiment neuf de Vincennes et le collége de Cambrai (1610), l'aqueduc d'Arcueil (1613), le soubassement de la statue de Henri IV sur le Pont-Neuf (1615), le portail de Saint-Gervais (1616), le pont Saint-Michel (1617), les Récollets de Saint-Germain (1621), les Carmélites de Toulouse (1622). Ces cérémonies devaient plaire au jeune Louis qui y trouvait une occasion publique de montrer son adresse et faisait «merveilles», en jetant «le mortier pris dans un bassin d'argent, avec une petite truelle d'argent». La dernière mention de ce genre est à la date du 28 juin 1624. Dans cette journée le Roi «monte à cheval; part du Blanc-Mesnil (résidence du secrétaire d'État Potier d'Ocquerre), arrive à Paris à une heure, va au Louvre pour mettre la première pierre du pavillon du côté du jardin, avec une médaille de la face et du revers du pavillon faite par M. Grotius, flamand, homme très-docte. Au partir de là il est allé à l'Hôtel de Ville, y a goûté, y met la première pierre d'une fontaine que l'on avoit fait venir en la place des eaux de Roungy, puis monte à cheval, va au galop à Versailles, y arrive à cinq heures, va à la chasse au renard, revient souper à huit heures.»
XLIII
Le château de Versailles, où l'on vient de voir le Roi se retirer et chasser encore après une journée aussi fatigante, est la seule construction de quelque importance à laquelle Louis XIII ait attaché son nom. On sait par Félibien avec quelle «piété pour la mémoire du feu Roi son père» Louis XIV voulut conserver les bâtiments qui s'élèvent encore au centre de ce château et entourent la cour de marbre. Dès le mois de février 1621, Héroard nous montre le Roi chassant et dînant pour la première fois à Versailles, terre qui appartenait alors à l'évêque de Paris, Jean-François de Gondi, mais dont le «vieil» château était depuis longtemps «ruineux et inhabitable»; puis le nom de Versailles ne revient qu'au commencement de l'année 1624, après une lacune de plus de onze mois dans le manuscrit du médecin. Sans cette interruption si regrettable, on saurait de source certaine comment Louis XIII peut, en moins d'une année, créer à Versailles une installation assez rapide et assez complète pour qu'à la date du 9 mars 1624, Héroard écrive: «Il entre en carrosse et va pour la chasse à Versailles, y dîne, par après monte à cheval, va courir un cerf, le prend, revient de bonne heure et prend un renard. Après souper il va en sa chambre, fait faire son lit qu'il avoit envoyé quérir à Paris, y aide lui-même.» Cette installation est définitive au milieu de la même année, et le Roi passe à Versailles une semaine entière; le 30 juin 1624, le Roi «étant à son château de Versailles» fait tenir sur les fonts de baptême par un de ses gentilshommes la fille de François Mongey, «concierge du château de Versailles»; le 2 juillet «il va à la messe, va faire donner la curée du cerf à ses chiens, revient au château, va faire faire l'exercice à ses mousquetaires, puis a tracé le plan de la basse cour de sa maison de Versailles». Le 2 août suivant, «après souper il monte à cheval, part de Saint-Germain, va au déçu de chacun à Versailles, où il arrive à huit heures et demie, s'amuse à voir toutes les sortes d'ameublements que le sieur de Blainville, premier gentilhomme de la chambre, avoit fait acheter, jusques à la batterie de cuisine.» En 1626, le Roi fait la Saint-Hubert à Versailles, y donne «un excellent festin aux Reines et princesses, où il porte le premier plat, puis s'assied auprès de la Reine. Il y fit garder un ordre merveilleux, puis leur donna le plaisir de la chasse.»
Pendant la dernière année du journal et de la vie d'Héroard, on voit encore Louis XIII, malade, languissant de corps et d'esprit, se traîner à Versailles où un jour, pour se distraire, «il mange d'un pâté que M. le cardinal de Richelieu avoit envoyé à ses mousquetaires.» Le 24 août 1627, le Roi arrive en carrosse à Versailles, «se met auprès du feu, puis sur son lit, à midi dîne à table, puis XLIV va en sa chambre, se couche sur son lit, se fait couvrir les jambes de sa robe fourrée, y est environ une heure, s'amuse à peindre. A quatre heures et demie il sort à pied, va à la porte entretenir les soldats du corps de garde, puis entre dans son petit carrosse tiré par un cheval et va se promener, voir son plant.» Enfin la fièvre disparaît, et le 15 septembre 1627 le Roi renvoie «tous les médecins qu'on avoit appelés»; le surlendemain Louis XIII retourne à Versailles pour quelques jours, et y fait encore «faire l'exercice à ses mousquetaires», avant de les emmener au siége de la Rochelle, où le fidèle premier médecin du Roi devait terminer ses jours.
Dans ses Mémoires pour servir à l'histoire de la faculté de Montpellier, un ancien professeur de cette école de médecine, Jean Astruc, écrivait vers 1760: «Il est fâcheux d'être obligé, comme je le suis, de prendre les particularités de la vie de Jean Héroard dans les ouvrages d'un de ses plus grands ennemis.» Cette fâcheuse obligation, ajouterons-nous, se rencontre dans presque toutes les questions biographiques, et, que le personnage dont on s'occupe soit des plus célèbres ou appartienne à un ordre secondaire, l'on est à peu près certain de se trouver en présence de renseignements incomplets, contradictoires, erronés, dictés par la légèreté ou par la passion. Les documents qui peuvent servir à composer une notice sur le premier médecin de Louis XIII offrent les mêmes difficultés de contrôle et vont nous laisser dans l'incertitude sur bien des points.
«Jean Héroard étoit de Montpellier, dit le docteur Astruc. Il fut immatriculé dans le registre de la Faculté le 27 août 1571, et prit ses degrés en 1575.» Ces dates sont positives et doivent avoir été relevées sur les registres de la Faculté de Montpellier; il n'en est pas de même de celle de la naissance d'Héroard qu'un manuscrit de la Bibliothèque impériale place au 12 juillet 1552. L'erreur manifeste qui précède cette date, relativement à l'âge d'Héroard au moment de sa mort, permet de la mettre en doute, et celle donnée par le P. Lelong semble plus vraisemblable; il dit Héroard «né le 22 juillet 1551». Si la note qui termine le manuscrit original est exacte, Héroard, mort en 1628 «âgé de soixante-dix-huit ans», serait né vers 1550.
D'après le médecin Charles Guillemeau qui est le «grand ennemi» signalé par le docteur Astruc, et qui a écrit contre Héroard plusieurs diatribes en latin, le père du «futur premier médecin XLV de Louis XIII» était un barbier de Montpellier qui appartenait, ainsi que son fils et toute sa famille, à la Religion «prétendue réformée». Après avoir étudié quelque temps les lettres et la médecine «en dépit des Muses et d'Apollon», Héroard se serait enrôlé comme simple soldat dans l'armée de Coligny, et, saisi de frayeur à la bataille de Moncontour, il se serait enfui à toutes jambes jusqu'à Montpellier, où il aurait repris ses études. Peu de temps après, le chirurgien Jacques Guillemeau, père de celui qui raconte à sa manière la vie d'Héroard, étant venu dans sa jeunesse à Montpellier «curieux de voir et d'apprendre du nouveau», s'y serait lié avec Héroard; puis, de retour à Paris et nommé chirurgien ordinaire de Charles IX, il aurait bientôt rencontré son camarade de Montpellier battant le pavé de la capitale. Après l'avoir embrassé et lui avoir demandé pourquoi il était à Paris, ce qu'il y faisait et ce qu'il savait faire, Jacques Guillemeau (toujours suivant le récit de son fils) annonce à Héroard que le roi Charles avait chargé son premier chirurgien, Ambroise Paré, de lui trouver un jeune homme capable, et disposé à s'adonner à l'étude des chevaux et de leurs maladies; puis il lui propose de le présenter à son ami et collègue Paré pour cet emploi. Héroard saisit avec empressement cette occasion d'entrer dans la maison du Roi; il est amené par Guillemeau au logis d'Ambroise Paré, qui le conduit à Vincennes, où le Roi se plaisait d'ordinaire à jouer à la paume: «Sire, lui dit Paré, je vous amène, ainsi que vous me l'avez commandé, un futur médecin de cheval;» et le Roi, ne voulant pas se dédire, ordonne de coucher Jean Héroard sur l'état de sa maison, en lui assignant quatre cents livres de traitement par an.
Abandonnons ici le mauvais latin de Charles Guillemeau, que nous abrégeons et traduisons tant bien que mal, pour rappeler ce que nous apprend Héroard lui-même, dans la préface de son Hippostologie, sur ses rapports avec Charles IX: «Le feu roi Charles, lequel sur toutes choses prenoit un singulier plaisir à ce qui est de l'art vétérinaire, duquel le sujet principal est le corps du cheval, me commanda, quelques mois avant son décès, d'y employer une partie de mon étude, pour en dresser après quelque instruction aux maréchaux et autres qui travaillent, et sans raison et sans science, aux maladies des chevaux... J'avois déjà conçu le gros de l'œuvre et fait dessein de l'ordre que je devois tenir pour élever cet édifice, quand il décéda; de telle sorte que je me vis frustré par son trépas de l'espérance que j'avois de rendre témoignage de mon ardent désir à satisfaire et obéir au vouloir de mon Roi.»
XLVI
Si l'on en croit Guillemeau, le successeur de Charles IX n'ayant pas pour la chasse, les chiens et les chevaux la même passion que son frère, Henri III se serait tout d'abord privé des services d'Héroard qui n'aurait réussi à rentrer dans la maison du Roi qu'après avoir passé par celle du duc Anne de Joyeuse, qui «était pour le Roi un autre Héphestion». Guillemeau insinue ensuite que Héroard se montra lâche et ingrat envers le duc de Joyeuse et qu'il l'abandonna, lors de sa campagne de 1586 en Guyenne, comme il avait abandonné Coligny à Moncontour. Héroard rappelle une seule fois dans son Journal ses services sous Joyeuse: «M. le marquis de Renel et moi, écrit-il le 25 octobre 1607, parlions des voyages où nous nous étions vus aux armées, du temps du feu Roi, conduites par feu M. de Joyeuse.» On voit, aussi, à la date du 20 octobre 1605, Héroard conserver précieusement le livre d'heures de Henri III, «un livre jaune» où «il y a un roi qui prie Dieu» que le médecin avait eu à Tours et qu'il tenait probablement du Roi lui-même. Contrairement à ce que prétend Guillemeau, Henri III avait chargé son médecin de continuer l'ouvrage sur l'art vétérinaire commencé sous son prédécesseur. «Le feu Roi, dit-il, me commanda de le poursuivre, de façon que dès lors j'en tirai les premiers traits, par un recueil sommaire du nombre et de la figure des os du cheval, leur donnant noms françois pour, puis après, comme sur un premier crayon, représenter les vives couleurs, non-seulement par le discours entier de l'anatomie, mais aussi de tout l'art vétérinaire.» Le célèbre bibliographe Antoine Du Verdier avait vu et, suivant son expression, «tenu à son aise», bien avant la mort de Henri III, le manuscrit de ce livre; «Jean Héroard, dit-il dans sa Bibliothèque, imprimée à Lyon en 1585, conseiller, médecin ordinaire du Roi, a écrit Hippostologie c'est-à-dire discours des os du cheval, dédié au Roi, non encore imprimé, selon une inscription latine mise au front du livre avant l'épître liminaire,» et Du Verdier reproduit cette inscription d'où il résulte que: Henri III, roi de France et de Pologne, voulant rétablir et remettre en lumière le noble art hippiatrique, obscurci depuis tant de siècles par l'ignorance et l'incurie, a commandé pour l'usage public cet ouvrage, composé par Jean Héroard, de Montpellier, sous les auspices de Marc Miron et d'Alexis Gaudin, premiers médecins du Roi et de la Reine.
Il est encore un témoignage précieux à recueillir pour prouver que Jean Héroard n'était pas autant l'ennemi des Muses que le veut Charles Guillemeau. Après la mort de Ronsard (27 décembre 1585), un grand nombre de pièces en vers latins furent composées par les XLVII amis du poëte vendômois et imprimées l'année suivante sous ce titre: Tumulus Petri Ronsardi et Syntagma Carminum, Elegiarum, Eclogarum, ab Amicis, in ejus obitum. Parmi toutes ces pièces il s'en trouve une signée: Jo. Heroardus Regis Medicus P. et c'est précisément celle qui fut choisie pour figurer sur le tombeau, érigé au poëte dans le chœur de l'église de Saint-Cosme de Tours, dont Ronsard était prieur. Pendant les guerres de Religion, dit M. Prosper Blanchemain dans son Étude sur la Vie de Ronsard, «les huguenots envahirent le monastère de Saint-Cosme et détruisirent le tombeau que de pieuses mains avaient élevé à sa mémoire, et ce fut seulement en 1609 que Joachim de La Chétardie, conseiller-clerc au Parlement de Paris, étant alors prieur commendataire de Saint-Cosme, lui fit ériger un monument de marbre orné de son buste et de cette inscription:
EPITAPHIUM PETRI RONSARDI
POETARUM PRINCIPIS ET HUJUS CŒNOBII QUONDAM
PRIORIS.
D. M.
CAVE VIATOR, SACRA HÆC HUMUS EST,
ABI, NEFASTE, QUAM CALCAS HUMUM SACRA EST,
RONSARDUS ENIM JACET HIC
QUO ORIENTE ORIRI MUSÆ,
ET OCCIDENTE COMMORI,
AC SECUM INHUMARI VOLUERUNT.
HOC NON INVIDEANT, QUI SUNT SUPERSTITES,
NEC PAREM SORTEM SPERENT NEPOTES.
IN CUJUS PIAM MEMORIAM
JOACHIM DE LA CHETARDIE,
IN SUPREMA PARISIENSI CURIA SENATOR
ET ILLIUS, VIGINTI POST ANNOS,
IN EODEM SACRO CŒNOBIO, SUCCESSOR
POSUIT.
«Cette épitaphe, sauf les six dernières lignes, a été insérée dans le Tombeau de Ronsard, comme ayant été composée par J. Héroard, médecin du Roi. Il est vraisemblable que La Chétardie se sera borné à reproduire l'inscription originale, en ajoutant XLVIII que le monument avait été reconstruit par ses soins. Le biographe et l'un des derniers admirateurs du maître, Guillaume Colletet, la traduit de cette façon:
Epitaphe de Pierre de Ronsard,
Prince des poëtes et autrefois prieur de ce monastère.
Arreste, passant, et prends garde; cette terre est sainte. Loin d'icy, prophane! cette terre que tu foules aux pieds est une terre sacrée puisque Ronsard y repose. Comme les Muses, qui naquirent en France avecque luy, voulurent aussy mourir et s'ensevelir avecque luy, que ceux qui luy survivent n'y portent point d'envie, et que ceux qui sont à naistre se donnent bien de garde d'espérer jamais un pareil advantage du ciel.
C'est à la mémoire de ce grand poëte que Joachim de La Chétardie, conseiller au souverain Parlement de Paris et, vingt ans après, son successeur en ce mesme prieuré, a consacré cette inscription funèbre.
«De même que la première, continue M. P. Blanchemain, cette nouvelle sépulture devait disparaître à son tour. L'orage révolutionnaire de 1793 emporta le prieuré de Saint-Cosme; nul ne s'inquiéta du buste érigé par La Chétardie, et le marbre tumulaire à demi brisé n'obtint l'hospitalité d'un musée de province qu'après un demi-siècle d'oubli.» L'épitaphe latine de Pierre de Ronsard, composée par Jean Héroard, existe en effet, «très-fruste, mais en partie lisible encore,» au Musée de Blois.
Héroard était de service auprès de Henri III lorsque le Roi fut frappé par Jacques Clément, et le docteur Astruc nous apprend que c'est en qualité de «médecin par quartier» qu'il fut présent à l'ouverture du corps. Il conserva ses fonctions sous le roi de Navarre avec le titre de «conseiller, médecin ordinaire et secrétaire du Roi», et dédia à Henri IV son Hippostologie, imprimée enfin en 1599. Deux ans après il était nommé premier médecin du Dauphin, et Guillemeau prétend que ce fut grâce à la protection du grand écuyer de Bellegarde. Vers la même époque Jean Héroard devint seigneur de Vaugrigneuse, par son mariage avec Anne Du Val, fille et héritière de Guillaume Du Val, trésorier de la généralité de Tours et seigneur de Vaugrigneuse.
Avec la naissance de Louis XIII commence pour Héroard une nouvelle existence qui va nous permettre de laisser de côté les diatribes de son ennemi Charles Guillemeau. La tendresse du XLIX médecin pour l'enfant qui lui est confié a un caractère tout paternel et vraiment touchant. Lorsque, quelques années plus tard, il sera question de donner un précepteur au Dauphin, Héroard écrira: «Je lui fais offre (à ce précepteur) d'un journal d'où il pourra tirer, fil après autre, des conjectures évidentes des complexions et des inclinations de notre jeune Prince; et si l'affection se pouvoit transporter, je lui en fournirois à suffisance et autant que nul autre, voire de cette tendre et cordiale passion que naturellement les pères ont pour leurs propres enfants.»
Héroard a développé ses idées sur l'éducation, dans un livre qui a pour titre De l'Institution du Prince, qu'il devait dédier au Dauphin et imprimer à la fin de l'année 1608. «Il faut, dit-il dans les premières pages de ce livre, bégayer avec les petits enfants, c'est-à-dire s'accommoder à la délicatesse de leur âge et les instituer plutôt par la voie de la douceur et de la patience que par celle de la rigueur et de la précipitation;» suivant cette méthode le Dauphin est à peine âgé de deux mois que le médecin lui parle déjà comme si l'enfant pouvait le comprendre et il commence à lui dire «qu'il falloit être bon et juste, que Dieu l'avoit donné au monde pour cet effet et pour être un bon roi; que s'il le étoit Dieu l'aimeroit»; on comprend combien le digne médecin est heureux de constater que l'enfant «l'écoutoit fort attentivement et sourioit à ses paroles».
Quand le Dauphin commence à souffrir des dents, Héroard passe la nuit entière à le veiller; «j'ai toujours, dit-il le 13 avril 1602, demeuré debout, accoudé sur le bord de son berceau, tenant sa main droite dedans la mienne.» Aussi son médecin est-il un des premiers que l'enfant reconnaît et nomme en son jargon. Après une absence de quelques jours, Héroard note en ces termes, à la date du 29 avril 1603, l'accueil que lui fait le Dauphin: «A onze heures et un quart j'arrive, de retour de Paris; je le salue, lui disant: «Monsieur, Dieu vous donne le bonjour.» Il ne fait pas semblant de me voir, mais se prend à courir et se cacher deçà delà, me guignant des yeux pleins d'allégresse et en passant tout riant, il me tendoit la main pour la baiser. Il en faisoit ainsi à ceux qu'il aimoit.» Il faut dire que presque toutes les fois que le médecin s'absente, il rapporte à l'enfant quelque jouet; c'est tantôt un suisse, un lion ou un cheval de poterie, tantôt un petit arc avec des flèches et quelques jours après «un bracelet d'ivoire pour mettre au bras à tirer de l'arc», tantôt un trompette turc à cheval ou un gendarme sur un cheval noir, tantôt, lorsqu'il commence à grandir, une arbalète à jalet.
L
Le Dauphin va souvent dans la chambre de son médecin regarder des livres d'images: ceux de Gesner sur l'histoire naturelle, dont les estampes d'animaux et d'oiseaux amusent et instruisent l'enfant; le livre des bâtiments de Vitruve et celui des antiquités de Rome, dont il demande «la raison de chacune des figures», ou encore des livres et des cartes de géographie, et même l'Hippostologie, dont l'auteur lui «rend raison de toutes les figures». Aussitôt que l'enfant peut comprendre que son médecin tient un registre «journalier» de ses faits et gestes, Héroard essaye d'user de ce moyen pour exercer sur lui une influence salutaire; ainsi, le 16 juin 1604, le Dauphin vient en la chambre de son médecin. «Je tenois sur ma table, dit Héroard, la liasse de mon journalier pour le montrer à Mme de Panjas (dame d'honneur de la duchesse de Bar) qui étoit avec Mme de Montglat. «Ce livre, Monsieur, lui dis-je, c'est votre histoire pisseusse.» Il répond: «Non.—C'est votre histoire breneuse.» Il répond: «Non.—C'est l'histoire de vos armes.» Il répond: «Oui.» En s'exprimant ainsi sur la forme de son journal, le médecin allait, sans s'en douter, au-devant du reproche que Tallemant des Réaux devait lui adresser un jour dans son Historiette de Louis XIII.
Le 23 janvier 1606 le Dauphin demande à Héroard: «D'où venez-vous?—Monsieur, je viens de mon étude.—Quoi faire?—Monsieur, je viens d'écrire en mon registre.—Quoi?—Monsieur, j'étois prêt à écrire que vous avez été opiniâtre.» Il me dit, à demi pleurant: «Ne l'écrivez pas.» Le 25 septembre 1607, le Dauphin, dit encore Héroard, «s'amuse à écrire et à peindre, m'appelle pour me montrer son ouvrage, et me le donne en intention de le mettre en mon registre.» Cependant, il faut bien l'avouer, Héroard transcrit parfois, et sous la dictée même du Dauphin, quelques-unes de ces «paroles honteuses» dont, en d'autres occasions, il cherche à le reprendre.
Héroard, qui voulait élever les enfants plutôt par la voie de la douceur que par celle de la rigueur, devait cruellement souffrir dans ses principes et dans sa tendresse pour le Dauphin, lorsque l'enfant était châtié. La première fois que le Dauphin est fouetté (9 octobre 1603), c'est en l'absence d'Héroard, et un peu plus tard, le 7 janvier 1604, jour où «on met le Dauphin en si mauvaise humeur qu'il fault de crever à force de crier», le médecin ajoute: «Tout fut en si grande confusion que je n'eus point le courage de remarquer ce qu'il fit, sinon qu'il vouloit battre tout le monde, criant à outrance; fouetté longtemps après.» Héroard devait intervenir souvent pour demander grâce, sous prétexte de santé, et on se cachait un peu de lui pour punir l'enfant. Ainsi il écrit, le LI 2 mars 1607: «Fouetté comme je suis entré en la chambre; j'ai trouvé Mme de Montglat en colère contre lui et marrie de ce que j'ai rencontré la chambre ouverte.» Le 28 juin 1607 Héroard est plus heureux; le Dauphin éveillé à huit heures «se jette du lit à bas, fait fermer les portes de peur que Mme de Montglat ne lui donnât le fouet, qu'il craignoit pour des fautes faites le jour précédent; elle vient, il y court pour l'empêcher; j'obtiens grâce, il ouvre».
On peut juger, par quelques autres passages du journal, de la profonde affection que le médecin éprouve pour l'enfant et de l'attachement toujours croissant du Dauphin pour lui. Voici, par exemple, à la date du 20 décembre 1606, une scène où figurent Héroard et sa femme: le soir, en le déshabillant pour le coucher, la nourrice du Dauphin «lui tire tant soit peu un cheveu; il s'en prend à crier et plaindre fort dolentement. Ma femme lui dit: «Mais, Monsieur, vous criez tant pour un cheveu, vous ne sauriez plus crier pour un coup d'épée?—Je m'en soucie bien, d'un coup d'épée!» répond le Dauphin. Ma femme réplique: «Monsieur, et pourquoi ne vous soucieriez-vous pas d'un coup d'épée?—Pour ce que je serois mort,» dit-il avec façon, comme ne se souciant et se déplaisant de la vie», et le bon médecin, tout attendri, ajoute en marge: «Il m'en arracha des larmes.»
Le 21 juillet suivant, autre scène qui demande une petite explication préliminaire. Le médecin craignait beaucoup pour l'enfant l'usage du vin; Henri IV, au contraire, toutes les fois que son fils dînait avec lui, en faisait verser au Dauphin qui y prenait goût, et alors Héroard effrayé ne manque jamais d'inscrire en marge de son journal: «Nota, nota. Son goût pour le vin; il y faudra prendre garde.» Donc, le 21 juillet 1607, le Dauphin s'avise de demander du vin à son dîner, et à la première observation qu'on lui fait, répond: «Bien, c'est tout un, donnez m'en,» et, raconte Héroard, «il me regarde et me commande de lui en faire donner. Je lui dis: «Monsieur, il vous feroit mal.—Papa le veut.—Monsieur, c'est quand vous mangez avec lui.» Il commence à s'échauffer de colère: «Vous êtes un homme de neige, vous êtes laid!—Oui, Monsieur, mais vous ne boirez pas de vin, car il vous feroit mal.» Sur ce refus il prend un couteau et, tout ardent de colère, m'en menace. Je lui dis: «Adieu, Monsieur, je m'en vais tout à fait.» Je pars et m'en allai en ma chambre; il envoie plusieurs fois vers moi, et, après plusieurs refus, je retourne. Il dit qu'il est bien marri de ce qu'il a fait et que jamais il n'y retournera, demande à boire. On lui sert de son breuvage dont il ne vouloit pas, en boit fort peu et LII par menace. Il est toujours sur ce vin, il en vouloit, je lui résiste encore: «Je vous aime point, vous êtes un bel homme de neige.—Monsieur, je l'écrirai au Roi, ou je m'en irai le lui dire.—Je m'en soucie bien.—Bien donc, Monsieur, puisque je ne vous sers plus de rien, adieu, je m'en vais tout à bon trouver le Roi.» Je pars, il envoie plusieurs fois après moi; je ne y retourne plus, cependant il continue à dîner. A deux heures il vient en ma chambre, après s'être informé de lui-même si je m'en allois; on lui dit que oui, et que c'étoit en carrosse: «Ho! son carrosse est à Vaugrigneuse et celui de Mamanga est à Paris!» Mme de Montglat le conduisoit, il marchandoit à entrer; il entre, je le salue sans dire mot; il s'en vient enfin à moi: «Je vous prie, ne vous en allez pas!—Monsieur, que voulez-vous que je fasse ici, auprès de vous, puisque vous ne voulez pas faire ce qui est pour votre santé? je ne y sers plus de rien.—Je fairai plus;» et la paix fut faite.»
Une autre fois, pendant que le Dauphin est à Fontainebleau, son frère naturel le chevalier de Verneuil est pris de la rougeole, et le Roi écrit le 20 mars 1608 à Mme de Montglat: «Pour ce que M. Hérouard à cause de cela ne le peut voir, de peur d'apporter du mal à mon fils le Dauphin et à mes autres enfants, j'envoie Hubert, l'un de mes médecins que vous connoissez, et qui vous rendra cette-ci de ma part, pour avoir soin de la santé de mon fils de Verneuil et lui ordonner ce qu'il jugera à propos, avec l'avis dudit Hérouard.» Le médecin Hubert arrive avec cette lettre et le Dauphin demande à Héroard ce qu'il venait faire. «Monsieur, lui dis-je, c'est pour me relever; il vient en ma place.» Rougissant et souriant, il me saute au col: «Ha! vous vous moquez, je veux pas!»
Quelque temps avant que le Dauphin ne fût remis entre les mains des hommes, Héroard, et cette fois nous le savons par son journal même, à la date du 15 juillet 1608, avait été maintenu, grâce à l'intervention de Marie de Médicis, dans la place de premier médecin du Dauphin. Une première lacune, assez inexplicable, se rencontre dans son registre pendant les dix jours qui précèdent la prise de possession du Dauphin par M. de Souvré. Quel que soit le motif de cette lacune, c'est ici le moment de donner un aperçu du livre que méditait sans doute le médecin depuis son entrée en fonctions près de l'héritier du trône, et dont il lui avait présenté un exemplaire le premier jour de l'an 1609. Ce livre, dont nous avons déjà cité quelques passages, est fort rare, et il est resté ignoré des biographes d'Héroard qui ont seulement connu la traduction latine qui en a été faite en 1617 par un LIII autre médecin du Roi, Jean Degorris. C'est ce qui nous a déterminé à reproduire intégralement l'original dans l'appendice du journal.
Le livre De l'Institution du Prince est écrit en forme de dialogue et divisé en six matinées. L'auteur suppose que, dès la première année de la vie du Dauphin, il rencontre dans le parc de Saint-Germain le futur gouverneur de l'enfant, M. de Souvré, et que celui-ci le consulte d'abord sur la santé et sur le caractère du prince, puis qu'il lui demande ses conseils sur la manière de l'élever. Dans le premier dialogue, Héroard, après avoir signalé avec toutes sortes de précautions le tempérament colère du Dauphin, trace de la gouvernante un portrait idéal qui n'est pas celui de Mme de Montglat et qui est par conséquent une critique indirecte du choix fait par le Roi. Il passe ensuite au commencement d'instruction que, dès l'âge de deux ans, on peut donner à l'enfant, en ce qui concerne la religion, la lecture et l'écriture. Il recommande, pour cet âge «tendrelet», les Proverbes de Salomon, les histoires tirées de la Bible, les quatrains de Pibrac, les fables d'Ésope; et en effet on voit dans les sept premières années de son journal le Dauphin à peu près élevé dans le sens de ce dialogue préparatoire.
Dès la seconde matinée l'auteur, qui jusque-là s'est renfermé dans une période sur laquelle il n'y a plus à revenir, entre dans le vif de la question et trace à M. de Souvré la route qu'il doit suivre pour «d'un enfant fait en former un homme, et de cet homme prince en façonner un roi». Les fonctions de gouverneur et de précepteur le préoccupent tout d'abord, et l'on pense bien que, pour le premier, Héroard se contente d'indiquer à son interlocuteur ce qu'il désirerait qu'il fût pour son prince. Quant au précepteur, le médecin dit modestement: «Il me seroit plus malaisé de le trouver que de le peindre. Je désire pour cette charge un homme mûr d'âge et de sens, de bonne vie et louable réputation; un homme sans reproche et droit en ses actions, d'honnête extraction, instruit aux bonnes lettres, l'esprit poli, de courage élevé, sans vanité, non pédant;..... qui soit d'une agréable conversation, de bon et ferme entendement; industrieux, après avoir bien su connoître le naturel, l'inclination et la portée de l'esprit de ce prince, à lui faire goûter la douceur des semences de la piété, des bonnes mœurs et de la doctrine; ayant fait naître dextrement en son âme le désir d'apprendre et de bien retenir ce qu'il jugera propre; et en somme de telle vie qu'elle prêche à l'égal de ses enseignemens.»
La troisième matinée est consacrée par l'auteur à exposer le LIV plan des études que, suivant lui, le prince doit suivre pendant une période d'environ six années, et le programme qu'il trace est traité avec une grande connaissance du caractère du Dauphin et un esprit que l'on appellerait aujourd'hui très-libéral.
Héroard demande qu'on enseigne d'abord au prince la piété et la «prudhomie» par «un petit Catéchisme fort abrégé, et qui contienne seulement les choses nécessaires, et celles que le long et légitime usage a fait passer en nature de loi, ayant à prendre soigneuse garde de ne point faire un superstitieux au lieu d'un homme pie et vraiment religieux; ne se trouvant aucune chose plus contraire à la religion chrétienne pure, sans fard et sans macule, comme est la superstition: celle-là forme l'homme doux, débonnaire, hardi et charitable, engendre en lui l'amour, la révérence et la crainte de Dieu, et la paix en son âme; et celle-ci le transforme en une bête brute, plein de félonie, de cruauté, de lâcheté et bête impitoyable, lui laissant dedans sa conscience l'inquiétude perpétuelle qui la remue par la peur et l'effroi qu'il va s'imaginant de la seule justice et vengeance divine.»
Le médecin qui avait composé pour le tombeau de Ronsard l'épitaphe que nous avons rapportée devait insister sur l'étude des «bonnes lettres», et il le fait avec un sentiment de retour vers le passé et de regrets sur le temps où il écrit. Les Lettres ont, dit-il, «cette vertu de donner l'embellissement, la vigueur et la force à l'esprit de l'homme, si elles y rencontrent un bon sens naturel, et la tête bien faite;» il conseille «de l'en instruire autant qu'il se pourra, étant très-raisonnable que celui qui doit un jour commander à tous, les surpasse aussi trétous en suffisance. C'est un bien certes plus aisé à souhaiter qu'à espérer pour notre jeune prince, vu le siècle où nous sommes, où la vieille rouillure d'une cuirasse est plus en prix que l'excellence de la splendeur et lumière de la doctrine; ce sont malheurs qui suivent à la queue des guerres intestines. Mais espérons que le Roi son père appellera auprès de sa personne des pareilles lumières à celles-là que nos pères ont vues reluire de leur temps autour de celles de quelques-uns de ses prédécesseurs; et tout ainsi comme il travaille incessamment pour le repos et la grandeur de son empire, qu'il ne sera moins curieux d'épargner quelques heures pour les donner à son Dauphin, et aviser à faire tout ce qu'on peut imaginer pour élever ce fils au degré le plus haut de la perfection où l'homme puisse atteindre par les voies humaines: pour, après infinis labeurs soufferts en cette vie, remporter dans le ciel, pour le comble de ses trophées, cette joie en son âme d'avoir remis entre les mains de ce cher enfant un LV royaume assuré, florissant et paisible, et de tous ses sujets l'obligation d'une étreinte éternelle de leur avoir laissé un fils pour successeur, c'est-à-dire un prince des plus parfaits et accomplis, et rétabli en sa personne l'honneur des bonnes lettres sur le trône royal, leur estime à la Cour et par toute la France. C'est toujours acte digne de gloire en un bon père de laisser un enfant semblable à soi.»
Cependant Héroard désirerait que le Dauphin continuât à être élevé loin de la Cour. Je souhaiterais, dit-il, un lieu particulier «pour y laisser ce jeune prince jusques à ce qu'il eût apprins ce que l'on peut savoir, pour être aucunement capable d'apprendre de soi-même, et tant que l'âge avec l'instruction eût un peu façonné ses actions, formé son jugement, et du tout égoutté ces petites humeurs qui accompagnent communément les premières années de la vie; ce qui seroit, à mon avis, fort à considérer en cette nourriture. Car si le Roi trouvoit bon de ne le voir que par fois, il n'en rapporteroit que le contentement du profit remarquable qu'il y verroit de temps, et n'auroit pas le déplaisir des mauvaises créances qui pourroient échapper aucune fois, en sa présence, à la foiblesse de son âge..... J'estime toutefois qu'il le voudra retenir auprès de sa personne, là où j'espère que, pour l'amour extrême qu'il porte à Sa Majesté et l'incroyable crainte qu'il a de lui déplaire, et sur la connoissance que je puis avoir acquise de son bon naturel, de la portée et de la force de son entendement, et assuré de votre vigilance, il réussira selon nos vœux et nos espérances. Et pourtant, Monsieur, ne laissez pas à renforcer vos gardes à ce que la bonne semence que vous aurez jetée dans ce bon fonds ne soit enlevée par les vents des débauches, naturalisées aux Cours des grands.»
Après avoir indiqué du quelle manière on doit enseigner au Dauphin les préceptes de la langue latine «sans perdre le temps sur ces principes, par les longueurs dont usent ceux qui ont mis en trafic l'instruction de la jeunesse,» et avoir recommandé l'étude de Cicéron, «le plus pur et le plus élégant entre tous les Latins», Héroard indique comment doit être employée la journée du prince et ne demande pas plus de quatre heures de travail pour l'enfant: «Vêtu et tout prêt à sept heures,» il doit se mettre à l'étude jusqu'à neuf, aller à l'église, puis se récréer jusqu'à onze, heure de son dîner, reprendre l'étude de une heure après midi jusqu'à trois, puis être «libre jusques à six, heure de son souper; et son coucher à neuf».
Le médecin revient ensuite à son plan d'études. Il regarde celle de la langue grecque comme inutile, «d'autant qu'elle n'est LVI que pour ceux qui font particulière profession des lettres, et sans usage aujourd'hui;... mais on lui apprendra, au lieu de celle-là, les langues vulgaires des nations voisines, avec lesquelles les affaires de ce royaume se mêlent ordinairement le plus». Pour les sciences mathématiques, Héroard recommande d'abord que l'étude «des nombres tienne le premier lieu, comme l'entrée pour pénétrer à toutes», puis la géométrie, la géographie, l'astronomie et la mécanique qui «lui sera, dit-il, nécessaire, pour être la science qui donne les inventions de composer et fabriquer toutes les sortes de machines, étant ici à remarquer l'inclination extrême qu'il y a de la nature». Le médecin termine son programme par cet éloge remarquable de l'étude de l'histoire: «Je tiens, ajoute-t-il, que l'histoire est l'école des princes et que le nôtre y doit être nourri pour y apprendre à vivre et la manière de bien faire sa charge, et se rendre meilleur par l'imitation ou dommage des autres. C'est où il trouvera des yeux pour tous ceux qui seront sous son obéissance; c'est une glace de cristal, le miroir de la vie, où il verra en la personne d'autrui louer ses actions sans flatterie, et les blâmer sans crainte. C'est un bon conseiller, sans passion, et ami très-fidèle, duquel il apprendra les dits, les faits et les conseils des princes et des grands personnages. Sa connoissance est si utile et nécessaire que, la savoir parfaitement, c'est, vivant notre vie, vivre de celle des autres qui ont vécu, et acquérir les siècles tout entiers par l'emploi fait à la lecture d'un petit nombre d'heures, hâtant notre vieillesse sans abréger la vie, en tant qu'elle est la vieillesse des jeunes gens;.... cette seule école.... lui fera voir les choses jà passées pour se savoir souplement gouverner sur le train des présentes et pourvoir aux futures. Et de ce lieu il tirera ce maître conducteur pour le tenir inséparable auprès de sa personne et lui donner à faire le ménage de ses actions et de ses pensées, et en effet pour lui confier sa fortune et sa vie. C'est en somme ce que je pense qui se peut proposer comme un projet pour l'accomplissement de la première partie de cette instruction.»
Comme délassement et récréation, Héroard recommande la musique «non pour chanter, mais pour l'écouter et prendre plaisir», puis «le promener, danser, sauter, courir, jouer aux barres, à la paume et au pale-mail, se promener à cheval, la chasse de l'oiseau, celle du lièvre avec des lévriers». Le médecin a oublié parmi ces distractions une de celles qui plaisait le plus au Dauphin, celle du dessin et de la peinture.
La quatrième matinée est employée par l'auteur à revêtir le prince «de sa robe royale», c'est-à-dire à indiquer les vertus et les conseils qui doivent «le rendre capable de pouvoir dignement LVII à l'avenir tenir le trône de ses pères». On peut croire que dans les trois derniers dialogues, qui deviennent de plus en plus des monologues, Héroard s'adresse moins à M. de Souvré qu'au Dauphin même, puisque ce livre est, dit-il dans son journal, «fait pour lui». L'auteur cherche à lui inspirer l'amour de ses futurs sujets, et lui dit «qu'étant né, comme il est, dedans cette royale et ancienne famille qui domine sur les François, c'est pour y être le maître un jour et commander sur eux, non point en étranger, les gourmandant outrageusement pour satisfaire à l'abandon de ses cupidités, mais en père et en roi, ayant toujours devant les yeux ces paroles du peuple saint et celles de son roi: Nous sommes, sire, vos os et votre chair, et vous êtes, mes frères, et ma chair et mes os; pour y apprendre que le devoir d'un bon et sage roi, c'est de conduire et gouverner son peuple avec amour de frère et charité de père, s'il en veut retirer une franche et prompte obéissance. Nourrissant donc dedans son âme une si sainte intention, il régira ses peuples, les contenant en leur devoir par une juste égalité, mère, nourrice et gardienne de toutes choses, armé de la Justice et tenant en sa main cette balance qu'il a portée, du ciel à sa nativité.»
Il lui conseille de faire «peu de nouvelles lois, la multiplicité étant indubitable marque d'une insigne corruption dans le corps d'un État; les vraies lois, ce sont les bonnes mœurs. Et puis un jour il doit entrer en la possession d'un royaume comblé de bonnes lois, toutes fois accablé dessous la pesanteur du tas de ces formalités qui en ont prins la qualité et occupé la place, par la malice industrieuse de quelques-uns, qui ont rendu vénale la poursuite de la justice, et convertie en un métier de sordide déception. C'est un mal envieilli où il faudra qu'il remédie à temps, avec prudence et bon conseil, faisant faire une élection de toutes les meilleures lois, pour en garder l'usage».
Il lui prêche la clémence, en lui citant pour exemple «les actions du Roi son père, lequel donnant par préférence ses intérêts particuliers aux offenses publiques, n'a point trouvé plus de secours en sa grande valeur qu'en sa rare clémence; ayant par les rayons d'icelle, comme un puissant soleil, dissipé les épaisses obscurités et profondes ténèbres où ce pauvre royaume étoit enseveli, lui redonnant le jour et la sérénité dont il jouit et s'éjouit par toutes ses parties».
Il recommande encore au prince, entre autres vertus, la foi dans la parole jurée, la libéralité, la chasteté «comme l'une des tutrices de la santé du corps et l'un des contrepoisons des souillures de l'âme», le prévient contre son inclination à la colère LVIII et surtout contre les flatteurs et les effets de la flatterie. Voici les moyens qu'il lui indique «pour découvrir l'hypocrisie de ces galants» et lui apprendre à «reconnoître les flatteurs dessous le masque de l'affection»: Vous les verrez en général, dit-il, «souplir comme couleuvres et complaire en toutes façons, couler toujours sans résistance aucune de fait ne de parole, et surpasser aucunes fois les vrais amis et les plus fidèles serviteurs, en soin, en diligence, et en tout autre témoignage qui se peut rendre d'une sincère affection. Ayant connu qu'il n'y a rien entre les hommes qui les oblige plus étroitement que de se voir aimés et voir aimer pareillement les mêmes choses qui leur sont agréables, ..... ils s'étudient à imiter entièrement et à tromper, en imitant les mœurs, les complexions et les façons de faire, et tous les exercices où ils s'apercevront que le prince prendra plaisir. S'il est voluptueux, ils seront des Sardanapales; s'il est d'humeur colère, ils seront furieux; s'il est mélancolique, ce seront des Timons; s'il contrefait le borgne, ils se feront aveugles; s'il a la goutte au bout du doigt, ils feindront de l'avoir nouée par toutes les jointures; si les Lettres lui plaisent, ils auront toujours en parade un livre pendant à leur ceinture; et s'il se plaît à la chasse du fauve ou de la bête noire, ils porteront dedans leur sein les meutes à douzaine et, sans partir d'un cabinet, avaleront les forêts toutes crues. Ces gens ici, gens sans honneur, qui n'ont non plus de honte qu'ils ont de conscience, pleins d'artifices dissimulés et doubles, on les verra railler, mentir effrontément, médire, bouffonner et tirer de leur forge des petits contes pour lui donner à rire, frappant aucunes fois sur leurs intimes amis et sur eux-mêmes, plutôt que de n'avoir aucune chose à lui dire, ne tâchant qu'à complaire à quel prix que ce soit; faire parfois de bons offices en public pour être crus, et assommer après, comme on dit, dessous la cheminée; dire du bien pour avoir loi de nuire, ne parlant qu'à demi; tous variables à dessein en leurs opinions, donnant au noir la blancheur de la neige, à la blancheur la noirceur de l'ébène, et réprouvant, selon l'occasion, ce qu'ils auront auparavant loué; puis exaltant jusques au neuvième ciel les mêmes choses qu'ils auront réprouvées et ravalées jusques au centre de la terre..... Ils sont mouvans, actifs et assidus, et vont chauffant la ceinture à chacun, s'entremêlent de tout. Ils savent faire tout, ils sont tout, ils font tout, et devant lui les bons valets, faisant valoir impudemment des services non faits ou à faire, en parole, se présentant souventes fois sans respect et sans sujet à des imaginaires, jusques à souffler sur le manteau, ou le poil ou la plume qu'ils n'y auront point vue. Jamais tant serviables, LIX voire invincibles, que aux choses déshonnêtes, ne moins qu'aux vertueuses; car s'il se parle de porter le poulet, ils élancent la main tout les premiers pour en faire l'office.... Voilà ce peu d'observations qui s'est pour cette fois représenté à ma mémoire, touchant cette sorte de faux visages qui, par le grand malheur des princes et des rois, font leur repaire coutumier au milieu de leurs Cours, dans leurs conseils, dans leurs palais, dedans leurs chambres, dedans leurs cabinets, où, en toute saison, elles trouvent de quoi à faire proie de tout âge.» Donc, «quand il entendra quelqu'un louer son nom, admirer ses vertus, magnifier toutes ses actions, le nommant prince juste, clément, fidèle, libéral, courageux, courtois, doux, et galant entre les dames, et l'honorant de telles ou de pareilles qualités vertueuses, qu'il entre en soi-même pour y faire une vive recherche de la vérité, éprouvant ces paroles sur la pierre de touche du jugement intérieur, qui ne peut s'abuser, pour reconnoître si elles sont de bon ou de mauvais aloi, et considère à froid s'il ressent en son âme du repentir ou de la honte de n'être rien moins que cela.» Louis XIII aurait pu faire plus de profit de cette verte tirade, dans laquelle son médecin cherchait à le prémunir contre sa propension naturelle à choisir parmi ceux qui l'approchaient un «mignon» comme le soldat Descluseaux ou des «favoris» comme Luynes et Cinq-Mars.
Les cinquième et sixième matinées sont consacrées à exposer l'art de gouverner, et l'auteur s'y flatte de l'espoir que c'est de Henri IV lui-même que le Dauphin apprendra «à connoître en masse quelle est la composition et la situation» du royaume, les lois et coutumes des provinces, «les humeurs des hommes» qui y commandent, la nature du peuple français, «ses changemens, ses inégalités et mouvemens divers, par où ce prince puisse juger de l'instabilité des dominations, étant fondées sur la mobilité d'un sujet si bizarre, et apprendre que toutes prennent fin, mais plus tôt ou plus tard, selon les bons ou mauvais moyens, les forts ou les foibles liens que chaque prince employe pour établir et maintenir la souveraineté; et que cet établissement et conservation dépend de la prudence, du bon entendement et de l'expérience du prince souverain, pour savoir retenir à l'ancre du devoir l'inconstance de ce vaisseau par les câbles de bonnes lois divines et humaines, et former son autorité par la bonne opinion dont il rendra aimable sa personne, admirable par sa vertu, et redoutable par la réputation et la propre puissance de son État, non-seulement à ses sujets, mais envers les peuples voisins et nations lointaines, étant certain que sans l'autorité il n'y a plus de domination.»
LX
Héroard continue cependant à exposer ses propres idées sur le choix des personnages à nommer aux dignités, aux «charges d'importance,» aux ambassades, au commandement des armées, dans les conseils de l'État et dans la maison du prince. En ce qui concerne les impôts il conseille que les «tributs soient modérés, assis également, et demandés à une seule fois, non imposés sur un fond déshonnête»; que le prince «se tienne aux anciens, évite les nouveaux, et de nom et d'effet, autant comme il pourra, et que la seule nécessité des affaires publiques lui en fasse la loi. Si elle est si grande qu'elle le force, pour le salut commun, d'avoir recours aux nouveautés et moyens extraordinaires, ayant fait reconnoître, non par prétextes déguisés, ains par causes notoires, le péril de l'État, c'est aux peuples alors à les donner à double main, au prince à les contraindre quand ils refuseront, sans en venir, s'il est possible, à cette extrémité de saisir le troupeau, ne le bœuf, ne la vache, ne d'enlever le couvert des maisons, ne se prendre aux personnes pour leur faire épouser l'effroi d'une triste prison, ou faire souffrir quelque peine. Il choisira des gens de bien pour les lever et recueillir, et pour les mettre après en son épargne, sous la clef de personnes fidèles; et que ce soit un réservoir pour subvenir aux soudaines émeutes et aux affaires de l'État; les dépense à propos et les ménage mieux que si c'étoit son bien particulier, se rendant libéral tant seulement du sien, mais chiche de celui de la république. Ainsi faisant, il bâtira un autre trésor dans le cœur de ses sujets, qui ne tarira point, et se verra par ces moyens extrêmement puissant, pour autant que le prince qui a leur cœur est assuré d'en avoir à sa discrétion la bourse.» L'auteur indique ensuite l'emploi de cette «épargne» destinée à munir les «arsenaux de toutes sortes d'instrumens et de machines propres à la guerre, et de matériaux pour en faire à loisir»; à «fortifier à bon escient, ou faire de nouveau des places fortes dessus les avenues, pour empêcher l'invasion soudaine et arrêter ou rompre les desseins d'une force ennemie»; à garnir «les havres et les ports de certain nombre de navires et de galères». Puis il descend dans le détail des «régimens de gens de pied et de gens de cheval», de leurs exercices, et va jusqu'à prévoir les circonstances dans lesquelles le prince pourra se trouver un jour à la tête de ses armées. Puisque le Roi, dit-il en terminant, veut que son fils «entre en son conseil à l'âge de douze ans, et qu'il se façonne et fasse son apprentissage dans cette école de la chose publique, depuis cet âge jusqu'à celui qui le rendra majeur par les lois du royaume», on peut penser que «Sa Majesté, pour couronner cette œuvre, prendra plaisir aucunes fois d'employer LXI en la personne de son Dauphin tout ce que le long temps et la pénible expérience lui ont si chèrement apprins, et plus par aventure qu'à nul autre des princes qui vivent sur la terre. Mais pource que je sais qu'il n'y a rien dessous le ciel qui ne soit périssable et sujet à sa fin, même que les grandeurs des plus puissans empires ont leur point limité, je prie Dieu et le supplie de vouloir différer le décret final préordonné sur cette monarchie, à ce que la tempête n'en tombe sur ce prince, et que jamais elle ne puisse choir sur les rois de son nom, de le garder et conserver toujours sous l'abri de ses ailes, gouverner et conduire toutes ses actions, et lui permettre de régner après Sa Majesté paisiblement, heureusement et à longues années.» Toutes ces leçons du sage et fidèle médecin, toutes ces prévisions qu'il se plaisait à émettre dans son livre De l'institution du Prince devaient être déjouées un an plus tard par la mort prématurée de Henri IV, l'avénement au trône d'un enfant de huit ans et la régence de Marie de Médicis.
Dès que le Dauphin passe sous le gouvernement de M. de Souvré, le journal d'Héroard commence à devenir plus concis et l'on y rencontre de moins en moins ces conversations, ces reparties, ces détails de mœurs qui, pendant les premières années de la vie de Louis XIII, font de ce journal un document unique en son genre. Jean Héroard devait cependant conserver longtemps encore auprès du Roi les fonctions qu'il avait remplies auprès du Dauphin; le 25 mai 1610, écrivait-il dans son registre, je reçus de la Reine «l'honneur du commandement qu'elle me fit de servir le Roi en qualité de premier médecin». Bien qu'alors âgé d'environ soixante ans, il passa encore dix sept années dans ce service, rendu de plus en plus pénible par les voyages et les campagnes de Louis XIII. Lors d'un de ces voyages, celui fait en 1614 par le Roi dans les provinces d'Anjou, de Poitou et de Bretagne, le premier médecin se trouvant indisposé avait, le 10 septembre, quitté Louis XIII à la Ferté-Bernard et il était venu se reposer dans sa terre de Vaugrigneuse, située sur le chemin de Chartres à Paris. Cinq jours plus tard, le Roi, qui rentrait à Paris pour la déclaration de sa majorité, «passe par Angervilliers, et là, enregistre Héroard avec un bonheur facile à comprendre, nous fait l'honneur non espéré ne attendu, et de son propre mouvement, de venir à Vaugrigneuse... Il arrive à neuf heures et demie, va au jardin, au clos, déjeûne de ce qui se trouva de prêt.» Le Roi trouva si bon le pain de son médecin «qu'il en fit prendre et emporter trois».
Nous pourrions revenir ici sur les diatribes latines dirigées contre LXII Héroard par Charles Guillemeau, alors premier chirurgien de Louis XIII, et qui, dit Éloy dans son Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne, «ne cessoit de blâmer la conduite du premier médecin dans toutes les incommodités du Roi, et de le poursuivre de ses basses manœuvres et de ses sourdes détractations»; mais en ce qui concerne la vie d'Héroard, comme dans les extraits de son journal, nous nous abstenons, autant que possible, de toucher à des questions médicales qui ne sont pas de notre ressort. Il est certain, d'après le Journal d'Arnauld d'Andilly, que le premier médecin avait des ennemis auprès du Roi; l'on y lit à la date du 19 octobre 1616: «Le Roi se trouve mal d'une fort grande colique qui lui donne quelque peu de tranchées. M. Hérouard étoit lors à Vaugrigneuse; on se voulut servir de cette occasion pour lui faire un mauvais office;» et plus loin, au commencement de septembre de la même année, Arnauld d'Andilly ajoute: «On continue à vouloir faire de mauvais offices à M. Hérouard, lequel, voyant le Roi guéri, lui fit demander son congé par M. de Luynes, dont le Roi se fâcha extrêmement et dit qu'il ne souffriroit jamais qu'il le quittât.»
Dans son Histoire des Secrétaires d'État, publiée en 1668, Fauvelet du Toc prétend que lorsque Charles le Beauclerc fut nommé secrétaire d'État en 1624, il le fut «avec un applaudissement si universel que le cardinal de Richelieu, qui commençoit à s'introduire au ministère, en eut de la jalousie; il appréhenda qu'il ne fît quelque obstacle à son élévation, et ne put s'empêcher de dire qu'il ne craignoit que deux hommes auprès du Roi, M. le Beauclerc et Hérouard, premier médecin de Sa Majesté.» Si ce mot est historique, il faudrait peut-être ajouter foi à un document d'après lequel «le sieur Hérouard» est compris parmi les personnages «emprisonnés sous le ministère du cardinal». (Archives curieuses de l'histoire de France, 2e série, tome V.) Cette détention pourrait être la vraie cause d'une des longues interruptions qui existent dans les dernières années du journal et que des notes ajoutées après coup attribuent à la négligence de la veuve et des parents d'Héroard qui auraient «misérablement perdu, pillé, dissipé et vilainement employé» de nombreux cahiers du manuscrit.
Les regrets que causent sur certains points ces lacunes sont pourtant, il faut l'avouer, un peu atténués par la sécheresse, la rareté des informations utiles données par le médecin, au moment où son grand âge ne lui permet plus de voir et d'entendre par lui-même. Ainsi, dès le 13 août 1620, il en est réduit à écrire, lors d'une entrevue de Louis XIII avec sa mère: «Les paroles, je LXIII ne les sais pas.» Les réserves, les expressions «j'ai appris que» ou «je n'y étois pas» reviennent de plus en plus fréquemment sous sa plume. Louis XIII conserva pourtant jusqu'aux derniers moments de son vieux médecin la confiance et l'amitié qu'il lui avait toujours témoignées. Le 24 janvier 1628, Héroard, qui avait suivi son maître au camp devant la Rochelle, écrivait encore dans son registre: «J'arrive à Aitré, mandé en diligence; j'arrive à neuf heures du soir, le Roi étoit couché. Il m'envoie commander de me trouver le matin à son lever; j'ai l'honneur de le voir à sept heures;» et le premier médecin donne pour la dernière fois son avis dans la consultation à la suite de laquelle le Roi est saigné. Cinq jours après Jean Héroard, «saisi de maladie à Aitré», y meurt le 11 février 1628, «visité en sa maladie par Sa Majesté et regretté après sa mort par Sa dite Majesté en ces paroles: «J'avois encore bien besoin de lui.» Ce dernier fait est rapporté dans un livre publié en 1653, par Simon Courtaud, ancien médecin de Louis XIII et neveu maternel d'Héroard.
Nous avons suivi, pour la date de mort de Jean Héroard, le registre de l'église paroissiale de Sainte-Marie-Madeleine de Vaugrigneuse dans laquelle son corps fut transporté et enterré le 28 février 1628, ainsi que la légende d'une médaille dont nous parlons plus loin. D'après une longue épitaphe qui existait encore dans le sanctuaire de l'église de Vaugrigneuse du temps de l'abbé Lebeuf, mais qui en a disparu et que le savant abbé transcrit avec quelques fautes de lecture ou d'impression, Héroard «décéda à Autré le dixième jour de février en l'an soixante-septième de son âge». Les deux manuscrits de la Bibliothèque impériale portent que Héroard décéda le huitième février, âgé de soixante-dix-huit ans, dit le premier manuscrit, âgé de soixante-sept ans sept mois, dit le second qui ajoute «il étoit né le 12 juillet 1552». Cette dernière date ne paraît pas non plus bien exacte, mais dans tous les cas il y a erreur manifeste dans les indications qui donnent soixante-sept ans à Héroard au moment de sa mort, ce qui placerait sa naissance vers l'année 1561. Inscrit sur les registres de la faculté de Montpellier en 1571, Héroard devait avoir alors de dix-huit à vingt ans.
Les titres donnés à notre médecin par le registre de l'église de Vaugrigneuse et par l'épitaphe que rapporte l'abbé Lebeuf sont: Jean Héroard, chevalier, seigneur de Vaugrigneuse, de l'Orme le Gras et de Launay-Courson, conseiller du Roi en ses conseils d'État et privé, secrétaire de Sa Majesté, maison et couronne de France et de ses finances, premier médecin de Sa Majesté et surintendant des eaux minérales de France. L'épitaphe ajoute que, par son testament, Héroard «a voulu être inhumé dans sa chapelle LXIV qu'il a fait bâtir en cette église, laquelle il a fait rétablir en paroisse qui avoit été unie avec la paroisse de Briis plus de cent cinquante ans auparavant, et a voulu être fondateur de la paroisse de Vaugrigneuse...» On lit ensuite, ajoute l'abbé Lebeuf, que cette inscription a été apposée par les soins d'Anne Du Val, femme du même Jean Hérouard.» Si, comme le prétend Guillemeau, Héroard et ses parents appartenaient à la religion protestante, le médecin de Charles IX avait dû se convertir de bonne heure.
On possède de Jean Héroard un portrait gravé et une médaille, exécutés tous deux après sa mort et peut-être par les soins de sa veuve. Le portrait, indiqué dans la Bibliothèque historique du P. Lelong comme étant d'Ant. Bosse, est sans nom de peintre ni de graveur et se trouve classé dans l'œuvre d'Abraham Bosse, dont le catalogue a été publié par M. Georges Duplessis. Héroard est représenté de trois quarts, à droite, dans une bordure octogone posée sur une console ornée de ses armoiries, d'azur au chevron d'argent accompagné de trois étoiles d'argent, avec la devise: Jove dignus Apollinis arte. La médaille, signée Warin, porte au revers les mêmes armoiries, la même devise et cette mention: Ob. XI fev. 1628. Les indications données par le portrait et la médaille sont identiques: I. HEROARD S. D. VAVGRIGNEVSE P. MEDECIN DV ROY LOVIS XIII. Le nom du Roi manque seul sur l'inscription de la médaille, le reste est absolument semblable.
La veuve de Jean Héroard, Anne Du Val, dame de Vaugrigneuse et de l'Orme le Gras, lui survécut jusqu'en janvier 1640, ainsi que le constate le registre de l'église de Vaugrigneuse. La terre et seigneurie de Launay-Courson était échue à des neveux maternels d'Héroard, les frères Courtaud, qui la vendirent dès l'année 1634, ainsi qu'il résulte des titres de cette terre, appartenant aujourd'hui à M. le duc de Padoue.
Jean Héroard était mort depuis seize années lorsque son nom se trouva mêlé, d'abord incidemment, puis avec un éclat bien fâcheux pour sa mémoire, dans la controverse qui agita les Facultés de Paris et de Montpellier pendant la seconde moitié du dix-septième siècle. Un des neveux maternels et héritiers d'Héroard, Simon Courtaud, après avoir été, par la protection de son oncle, pourvu pendant quelque temps d'une charge de médecin par quartier, s'était retiré à Montpellier où il était devenu doyen de la Faculté. En 1644 Courtaud, dans un discours latin prononcé à l'ouverture de l'école de Montpellier, mentionne Héroard parmi les docteurs sortis de cette école qui avaient eu l'honneur d'occuper la première place auprès des rois de France. Cette apologie, imprimée à Montpellier, vient aux oreilles des médecins de Paris LXV et provoque de la part de l'un d'eux, Jean Riolan, une longue réponse, publiée en 1651 sous le titre de Curieuses recherches sur les Écoles de médecine de Paris et de Montpellier, dans laquelle Riolan insinue en passant que Jean Héroard n'a pas été choisi parce qu'il avait étudié à Montpellier, mais parce qu'il se trouvait déjà auprès de Louis XIII, au moment de sa nomination comme premier médecin du Roi. Simon Courtaud réplique en 1653 par un gros in-4o intitulé: Seconde apologie de l'Université en médecine de Montpellier, etc., envoyée à M. Riolan, professeur anatomique, et là il reprend l'éloge de son oncle Héroard, à propos de la préférence donnée par les Rois à la Faculté de Montpellier sur celle de Paris, puis il attaque Charles Guillemeau comme ayant abusé de la confiance de son collègue et ami Héroard «pour muguetter la charge de premier médecin». C'est alors que l'année suivante Charles Guillemeau entre dans la lice avec le libelle latin dont nous avons extrait et traduit librement quelques passages; il y attaque, avec une violence inouïe, Héroard et son neveu qu'il n'appelle pas autrement que le chien Courtaud, et il termine sa brochure par ce parallèle entre Riolan et Héroard:
«Jean Riolan est né à Paris d'un père éminent dans les lettres et dans la médecine, et n'a fait qu'augmenter la gloire du nom de son père; Jean Héroard a eu pour père un méchant barbier de Montpellier et le plus ignare de tous parmi les barbiers. Jean Riolan, après avoir puisé les principes sacrés de l'art de la médecine à la Faculté de Paris, a reçu d'emblée son bonnet de docteur; Jean Héroard n'a jamais été reçu médecin, mais seulement bachelier dans votre École, et encore par la complaisance du grand conseil et du doyen de Montpellier. Jean Riolan a érigé des monuments immortels, divins, dans les lettres et dans l'art de la médecine; Jean Héroard n'a jamais écrit que son Hippostologie, ouvrage bien digne d'un vétérinaire et qui fait que toute la France s'écrie qu'il n'a jamais été un médecin royal, mais un médecin de cheval!» Enfin, nous en passons et des meilleurs, «est-il possible, dit-il à Courtaud, de comparer, sans la plus mortelle injure, Jean Héroard avec ce grand médecin Jean Riolan! Non! il faut le comparer, ton Héroard, à ces charlatans africains dont les éloges, et telle était la Ludovicotrophie de ton oncle, tuaient les gens de bien, pétrifiaient les arbres, faisaient périr les enfants! à ces Triballiens et Illyriens, peuples de la même espèce, qui ensorcelaient par leurs regards et mettaient à mort tous ceux sur qui ils tenaient trop longtemps les yeux attachés! Ah! Roi infiniment trop bon! Ah! il t'a regardé trop longtemps de son mauvais œil, cet Héroard! Il faut le comparer encore avec ces sorcières de LXVI Scythie, appelées Bythies, avec cette race de Thibiens Pontiques dont Philarque écrit à Pline qu'ils avaient dans un œil deux pupilles et dans l'autre la figure d'un cheval, ce qu'un ami de la médecine peut bien dire d'un médecin de cheval, d'un archi-âne tel que Héroard!... Reléguons-le, cet Héroard maudit, qui a abrégé la vie de son Roi et n'a point péri lui-même, parmi ces peuples d'Éthiopie dont l'odeur et les exhalaisons communiquaient la peste par le seul contact de leur corps!»
On croirait vraiment, à entendre Guillemeau, que Louis XIII n'a pas survécu quinze ans à son premier médecin; mais est-il bien nécessaire d'insister plus longtemps sur ces invectives qui se reproduisirent, avec plus de virulence encore, dans deux brochures latines publiées l'année suivante et qui auraient été sans doute suivies de bien d'autres, sans la mort de Guillemeau, arrivée en 1656? Cédons pourtant à une dernière tentation, en ce qui concerne Guillemeau, pour rappeler, nous l'apprenons de lui-même, que ce médecin était un protégé du grand louvetier Saint-Simon, père de celui qui s'est montré lui-même si passionné et si injuste dans ses célèbres Mémoires. Les injures, les calomnies si peu fondées qu'elles soient, laissent toujours après elles, surtout lorsqu'elles se produisent après la mort et que les individus attaqués ne peuvent plus se défendre, des traces profondes, des préventions invincibles. C'est ainsi que Guy Patin, dont l'esprit satirique était d'ailleurs tout disposé à prendre parti pour la Faculté de Paris dont il était doyen, écrivait encore en 1663 à son ami André Falconet, médecin de Lyon: «M. Bouvard m'a dit autrefois qu'il avoit entretenu le feu Roi du mérite et de la capacité de quelques médecins par les mains de qui Sa Majesté avoit passé, et après qu'il lui en eût dit ce qu'il en savoit, que le Roi s'écria: «Hélas! que je suis malheureux d'avoir passé par les mains de tant de charlatans!» Ces messieurs étoient Héroard, Guillemeau et Vautier. Le premier étoit bon courtisan, mais mauvais et ignorant médecin. M. Sanche, le père, m'a dit ici l'année passée que cet homme ne fut jamais médecin de Montpellier.»
Vers la même époque Tallemant des Réaux disait dans son Historiette de Louis XIII: «J'oubliois que son premier médecin Hérouard a fait plusieurs volumes qui commencent depuis l'heure de sa naissance jusqu'au siége de la Rochelle, où vous ne voyez rien, sinon à quelle heure il se réveilla, déjeuna, cracha, p...., ch... etc.» Le savant et dernier éditeur de Tallemant, M. Paulin Paris, cite en note un autre livre intitulé: La santé du Prince, ou les soings qu'on y doigt observer, 1616, in-12, qui serait attribué à Jean Héroard. «Une partie de ce livre, ajoute M. Paulin LXVII Paris, contient les Rencontres et promptes reparties de M. le duc d'Anjou. Il y en a une pour chaque jour du mois; mais, comme on le devine, les bons mots qu'on prête à cet enfant de six à huit ans sont généralement assez mauvais.» Nous pensons que ce livre doit plutôt avoir été écrit par le médecin attaché à la personne du frère puîné de Louis XIII, Gaston, depuis duc d'Orléans.
M. J. Michelet, parlant ironiquement du volumineux manuscrit d'Héroard qu'il nomme le Journal des digestions de Louis XIII, dit dans une note de son livre sur Henri IV et Richelieu: «L'historien, le politique, le physiologiste et le cuisinier étudieront avec profit ce monument immense.»
Les Archives curieuses de l'histoire de France, publiées par MM. Cimber et Danjou, avaient, dès l'année 1838, commencé à faire mieux connaître le journal d'Héroard par un long extrait comprenant toute l'année 1614; plus récemment M. Armand Baschet a puisé dans ce journal des détails spéciaux sur le mariage de Louis XIII et a donné du manuscrit original d'Héroard une très-exacte description. Nous apportons à notre tour le résultat d'un travail, entrepris d'abord en vue d'une publication autorisée le 10 janvier 1859 par S. Exc. M. Rouland, alors ministre de l'Instruction publique, continué et complété depuis par une bienveillante communication de M. le marquis de Balincourt. Il ne nous est pourtant pas permis d'affirmer, malgré le double dépouillement auquel nous nous sommes livrés, que l'on ne trouverait pas encore beaucoup de faits intéressants à signaler dans les manuscrits d'Héroard. Les extraits d'un document inédit ne représentent toujours que l'impression personnelle de celui qui le consulte, et tout lecteur qui surviendra aura inévitablement des préoccupations différentes de celles de son prédécesseur. Des extraits ne peuvent donc en aucun cas tenir lieu d'une publication intégrale; mais, quelles que soient les facilités que l'on trouve de nos jours pour imprimer des documents beaucoup plus volumineux, il est bien peu probable que les manuscrits d'Héroard soient jamais reproduits dans toute leur étendue. Il nous reste maintenant à donner sur ces divers manuscrits les renseignements qui permettront de recourir à ceux que nous avons eus à notre disposition.
Le manuscrit original de Jean Héroard est ainsi décrit dans la Bibliothèque historique du P. Lelong: «21447. MS. Journal particulier de la vie du Roi Louis XIII, depuis l'an 1605 jusqu'en 1628; composé et écrit de la main de Jean Héroard, seigneur de Vaugrineuse, son premier médecin, in-fol. 6 vol.—Ce journal étoit conservé dans la bibliothèque de M. Colbert, numéro 2601-606 LXVIII et est dans celle du Roi.» On remarquera qu'il manque à ce manuscrit original un peu plus de trois années, c'est-à-dire les cahiers d'Héroard depuis le 15 septembre 1601 jusqu'au 31 décembre 1604. Les six tomes de ce manuscrit sont aujourd'hui catalogués à la Bibliothèque impériale sous les nos FR. 4022 à 4027.
La Bibliothèque impériale possède aussi, dans le Supplément français, no 928, un autre manuscrit de douze feuillets qui a pour titre: Particularitez de la vie du Roy Louys XIII, des mémoires d'Erouard médecin. C'est une analyse succincte du manuscrit original, année par année, depuis la naissance du Dauphin jusqu'à la mort d'Héroard. Cette analyse paraît avoir été faite par un médecin; elle se termine ainsi: «Érouard... étoit moins curieux de richesses que de gloire; il faisoit la médecine un peu différemment des autres; il saignoit moins et usoit de cordiaques et spécifiques.»
Un autre extrait se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal, dans le Recueil de pièces sur l'histoire de France, no 184. Ce manuscrit a pour titre: Journal du Roy Louis XIIIe par Me Jeh. Hérouard, son premier médecin; il comprend de janvier 1614 à décembre 1617.
Le quatrième et dernier manuscrit que nous avons eu entre les mains est catalogué dans la Bibliothèque du P. Lelong à la suite du manuscrit original: «21448. MS. Ludovicotrophie ou journal de toutes les actions et de la santé de Louis Dauphin de France, qui fut ensuite le Roi Louis XIII, depuis le moment de sa naissance (le 27 septembre 1601) jusqu'au 29 janvier 1628; par Jehan Hérouard, premier médecin du Prince, in-4o, 4 vol.—Ce manuscrit qui contient des anecdotes singulières, et qui est important pour les dates, est conservé dans le cabinet de M. Genas, conseiller au Présidial de Nismes. Le premier volume, qui commence à la naissance du Prince, finit à l'année 1604. Il manque les années 1605 et 1606. Le second contient depuis 1607 jusqu'à 1610. Il manque ensuite les années 1611, 12 et 13. Le troisième volume commence à 1614 et finit en 1617. Il manque ensuite quatre années. Le quatrième et dernier volume comprend les années 1622 et suivantes, jusqu'au 29 janvier 1628 où l'auteur tomba malade à Aitré, et y mourut le 8 février suivant. Il étoit né le 22 juillet 1551. Outre ce qu'on a marqué, il y a encore quelques petites lacunes.»
Cette description est rigoureusement exacte, et c'est ce manuscrit, appartenant aujourd'hui à M. le marquis de Balincourt, dont la communication nous a permis de combler la lacune des trois premières années qui existe dans le manuscrit original de la Bibliothèque LXIX impériale. On a vu plus haut, sous la plume de Charles Guillemeau, l'ennemi d'Héroard et de son neveu Courtaud, ce nom de Ludovicotrophie que portent en effet, sur le dos de leur reliure en parchemin, les quatre volumes appartenant à M. de Balincourt. Une note d'une écriture microscopique, qui se trouve au bas de la première page du premier volume, indique que ce manuscrit a été commencé le 25 septembre 1648. Le manuscrit de M. de Balincourt n'est pas une reproduction intégrale de l'original avec lequel on peut le confronter dès le 1er janvier 1607; c'est aussi un extrait dans lequel on a supprimé la plus grande partie des détails qui choquaient Tallemant des Réaux. Ce travail a été exécuté d'après le manuscrit original, et l'on en trouve la preuve dès les premières lignes, en regard desquelles est relié un fragment de l'écriture d'Héroard qui est le commencement même de son registre: «Le 15e jour de septembre 1601[1] je reçus lettre, etc.» La copie, faite de la main même d'Héroard, de la lettre écrite par Biron à Mme de Montglat le 24 avril 1602, est également placée dans le manuscrit de M. de Balincourt, en regard de la journée du 28 avril, où le médecin mentionne cette lettre.
Toutes ces circonstances nous font supposer que, postérieurement à la mort de la veuve Héroard en 1640, Simon Courtaud était devenu possesseur du manuscrit de son oncle; que c'est lui qui, aux endroits des lacunes du manuscrit original, s'est plaint de la négligence de la veuve et des autres parents d'Héroard; et que c'est lui enfin qui, en préparant cet extrait et en imaginant le titre de Ludovicotrophie, projetait une publication pour laquelle il aurait rédigé la préface que nous reproduisons. Cet avis au lecteur se trouve en tête du manuscrit appartenant à M. le marquis de Balincourt; mais il n'est pas de la même écriture que le reste de la copie, et il n'est certainement pas de la main de Jean Héroard. Le texte en est autographe et corrigé par l'auteur, que nous croyons être Simon Courtaud.
Le dessein de l'auteur en cet œuvre a été divers et doit être diversement considéré: car son but étant de s'acquitter dignement du soin de la nourriture du Prince qui lui avoit été commise, il s'est principalement et particulièrement arrêté aux observations qu'il reconnoissoit, de jour en jour et d'heure à autre, nécessaires pour établir un solide jugement à l'avenir aux altérations et changemens auxquels, dès la naissance, la nature assujettit tous les hommes, et, par cette remarque sage, pénible, judicieuse et curieuse, prendre instruction et fondement pour conduire à bonne fin la charge de la santé du Prince pour laquelle le roi Henry le Grand avoit fait choix de sa personne, l'ayant considérée pour son expérience, pour son jugement et pour sa fidélité reconnue dès longtemps auparavant par Sa Majesté, par longs et signalés services. A quoi l'auteur se seroit porté avec tout le soin et diligence qui se pouvoit requérir, n'ayant laissé passer aucun accident, concernant la santé et infirmités du Prince, dont il n'aye fait les remarques, y joignant l'ordonnance et la sage application des remèdes, ensemble le récit et observation de ses inclinations et appétits particuliers; le tout si exactement et simplement décrit que l'on peut dire cet ouvrage sans exemple ni espérance d'un pareil à l'avenir. D'autre part l'auteur n'a point voulu donner à son ouvrage le titre d'histoire, ains seulement Journal et Registre particulier, d'autant que son but n'a point été de s'étendre plus avant dans l'histoire, comme il eût bien pu faire s'il eût voulu, ains il s'est tenu dans les limites de la vie particulière de son Prince et de son Maître, afin de ne rien prendre d'autrui et de ne mettre en avant que les choses qu'il auroit vues; imitant en quelque sorte ce qui étoit jadis usité par les anciens grands empereurs du Cathay, qui au bas de leur table tenoient toujours quatre secrétaires assis, qui mettoient en écrit tout ce que le Roi disoit, soit bien, soit mal; et de cet usage l'auteur n'a point été mauvais imitateur n'ayant laissé passer aucune parole ni action remarquable du Prince qui ne soit insérée en ce journal, ne faisant aussi en cela qu'obéir à son Prince qui lui commandoit expressément d'enregistrer les sentences et actions louables et vertueuses qu'il reconnoissoit dignes de lui: lequel commandement l'auteur faisoit souplement servir d'occasion pour réprimer les défauts de la jeunesse du Prince en le menaçant d'en charger son journal dont il étoit jaloux que cela ne fût point. Et de tout cet ouvrage non pareil et qui est comme une riche et agréable tapisserie de diverses matières et un chef-d'œuvre du soin d'un fidèle serviteur et sujet envers la personne de son Prince et de son Maître, il n'y a rien dont il soit fait mention en aucune histoire, et qui pourra servir de modèle et d'instruction à ceux qui ont ou auront à l'avenir la conduite de la santé et éducation des Princes, étant mêlé du médecin, du politique, du moral, même de méthode à tous pour l'éducation des enfans.
JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
Héroard est nommé premier médecin du futur Dauphin; paroles que lui adresse Henri IV.—Naissance du Dauphin à Fontainebleau.—Témoins de l'accouchement.—Description du corps de l'enfant; remarque de la duchesse de Bar.—Le Roi annonce lui-même l'événement.—Départ des courriers.—Paris de Zamet avec le Roi et la Reine.—Première nourrice.—Le Roi manque de laisser tomber son fils.—Visites de grands personnages.—Première chemise; mot de la duchesse de Bar.—Avidité de l'enfant.—Seconde nourrice.—Le Dauphin transporté de Fontainebleau à Saint-Germain en Laye; son passage et sa réception à Melun et à Paris.—Visites à Saint-Germain; la Reine y vient avec Mme de Guise et la Concini.—Arrivée du Roi; il se joue avec son fils.—Premier mot de l'enfant à sa nourrice.—Arrivée des gardes du corps.—La marquise de Verneuil à Saint-Germain.—Jargon du Dauphin; il aime la musique.—Visite des nonces du Pape.—Remplacement de la première nourrice.
Le 15e jour de septembre 1601 je reçus lettre de Mme de Guiercheville[2], le 17e, celle de M. de la Rivière, premier médecin du Roi. Le 20e, dimanche, j'allai coucher à Fontainebleau.
Le 21e, sur les quatre heures du soir, à l'entrée du
jardin des canaux, je rencontrai le Roi qui revenoit de
la chasse, et m'appelant, me fit l'honneur de me dire:
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«Je vous ai choisi pour vous mettre près de mon fils le
Dauphin; servez-le bien.»
En l'année 1601, le 26e jour de septembre, Marie de
Médicis, reine de France et de Navarre, se trouvant à
Fontainebleau sur la fin du neuvième mois de sa grossesse,
environ les onze heures du soir, commença de
sentir quelques douleurs que l'on jugea pouvoir être d'enfantement.
Toute la nuit elles furent lentes, la reprenant
de loin à loin sans point de violence; continuèrent en
la même façon jusques sur les deux heures après midi
du jour suivant qu'il lui survint une colique venteuse
qui la traita bien fort cruellement l'espace de deux heures
et enfin s'apaisa par l'aide des remèdes qui furent faits;
et fut après cela une bonne heure sans douleur aucune.
Les premières la reprirent comme devant, mais aussi
avec plus de rigueur et moins de repos; passa jusques à
huit heures en cette sorte. Alors on la leva de son lit, où
elle avoit été toujours couchée, pour la mettre sur une
chaise faite exprès pour accoucher, estimant qu'elle y
pourroit être plus aisément délivrée. Au même temps les
douleurs la saisirent si vives et si pressantes que, sans
aucun ou fort peu de relâche, elles continuèrent jusques
à l'entier accouchement, qui fut d'un Dauphin, le 27e du
mois susdit, quatorze heures dans la lune nouvelle, à dix
heures et demie et demi quart, selon ma montre faite à
Abbeville par M. Plantard. L'enfant fut reçu par dame
Louise Bourgeois, dite Mme Boursier[3], sage-femme à
Paris, qui fut longtemps à couper le nombril de peur de
le blesser, d'autant qu'à tout propos il y entortilloit ses
mains et le tenoit de telle force qu'elle avoit peine de
l'en retirer. Et sur ces entrefaites la Reine demanda par
deux fois en ces termes: E maschio? A quoi ne lui étant
point répondu se leva en pied de la chaise où elle venoit
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d'accoucher pour voir ce qui en étoit. Le Roi ne l'en sut
empêcher, qui étoit tout debout derrière la chaise et d'où
il n'étoit parti depuis l'heure qu'elle y fut mise. François
de Bourbon, prince de Conty[4], Charles de Bourbon,
comte de Soissons[5], et Henri de Bourbon, duc de Montpensier[6],
furent présents à cet accouchement, auxquels
fut commandé par Sa Majesté de s'approcher de la sage-femme
et de se baisser pour voir l'enfant tenant à l'arrière-faix,
avant qu'elle en fît la séparation. Catherine de
Bourbon, duchesse de Bar[7], sœur du Roi, Anne d'Este,
duchesse de Nemours[8], et Antoinette de Pons, marquise
de Guiercheville[9], dame d'honneur de la Reine, la servirent
à cet accouchement. Durant cette longueur de
mal, et âpreté de tant de sortes de douleurs, la constance
et fermeté de la Reine fut merveilleuse et incroyable,
voire à ceux même qui ont eu l'honneur de la servir en
cette occasion, n'ayant en ses plus grandes douleurs,
sinon sur les dernières, haussé plus haut sa voix et son
Oimè je morio, qu'il se pût qu'à peine entendre d'un
bout de chambre à l'autre; et, la douleur passée, faisant
paroître sa face autant joyeuse comme en pleine
santé. Lors mêmement que le Roi (qui tout le long de son
travail alloit et venoit), arrivoit auprès d'elle, on la
voyoit revenir toute à soi, le recevant et l'entretenant de
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propos de personne contente, lâchant ce néanmoins
parmi ces gaietés des grosses larmes. Pendant le cours de
ces assauts, comme elle avoit un peu plus de repos, demandoit
quelquefois combien on tenoit de la lune, craignant
d'accoucher d'une fille, sur l'opinion vulgaire que
les femelles naissent sur le décours, et les mâles sur la
nouvelle lune. Étant donc entièrement délivrée et l'enfant
se trouvant foible, pour avoir longtemps séjourné en attendant
l'arrière-faix, il lui fut donné un peu de vin
par M. Guillemeau, chirurgien ordinaire du Roi; puis
étant élevé par la sage-femme, pris par Mlle de la Renoulière,
première femme de chambre de la Reine, à
laquelle le Roi lui commanda, disant: «Baillez-le à
Mme de Montglat[10],» qui le prit enveloppé et le porta
devant le feu, où il fut assez longtemps, pendant
que la sage-femme pansoit la Reine, qui alla sur ses
pieds, depuis sa chaise d'où elle venoit d'accoucher jusques
dedans son lit, sans l'aide de presque de personne.
Cependant je lui donnai (à l'enfant), dans sa cuiller, un
peu de mithridate détrempé avec du vin blanc, qu'il avala
fort bien et en suça ses lèvres comme si ç'eût été du lait.
Puis elle vint à monseigneur le Dauphin, où l'on put voir
alors un enfant grand de corps, gros d'ossements, fort
musculeux, bien nourri, fort poli, de couleur rougeâtre
et vigoureux tout ce que l'on peut penser pour cette
petite âge. Il avoit la tête bien formée, de bonne grosseur,
couverte de poil noirâtre, les yeux tannés, le nez un
peu enfoncé vers sa racine, épaté et relevé par le bout,
les oreilles de moyenne grandeur et bordées, la bouche
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très-belle, petite et fort relevée, ayant le dessus du
milieu de la lèvre haute par le dehors fort canelé, et
le milieu de la basse aussi; le menton fourchu, le tout
fait comme d'un trait, et le bas du visage fort arrondi;
le col gros et fort, et les épaules larges; la poitrine
bien relevée, les bras grands, les mains aussi et d'une
blancheur naïve (sic) par dessus l'ordinaire; les parties
génitales à l'avenant du corps; les jambes droites et les
pieds grands, fort larges par le bout, se rétrécissant en
un talon fort pointu, les orteils presque de pareille longueur,
les serrant en dedans, du gros au petit, comme
on feroit du bout de la main. Il porta sur lui ces marques:
entre les deux sourcils, mais plus proche du droit, se
trouva une tache rougeâtre ronde, de la grandeur d'un
petit denier; une autre au-dessus de la nuque, sous la
racine des cheveux, de pareille couleur et de même
figure, mais de grandeur semblable à un rouge double,
et une autre petite de la même couleur à l'entrée de la
narine gauche; et la dernière ce furent trois poils noirs
sur le sommet du cartilage de l'oreille gauche, et le
croupion tout velu. Les poils de l'oreille et la forme du
pied se trouvent être de même au Roi son père. Je lui
fis laver tout le corps de vin vermeil mêlé avec de l'huile,
et la tête de pareil vin et de l'huile rosat. Pendant tout
cela il cria fort peu, mais par son cri fit bien paroître la
force de ses poumons, ne criant point en enfant, qui est
une des choses plus remarquables en lui.
Mme la duchesse de Bar, sœur du Roi, qui considéroit les parties si bien formées de ce beau corps, ayant jeté sa vue sur celles qui le faisoient être Dauphin, se retournant vers Mme de Panjas, sa dame d'honneur, lui dit qu'il en étoit bien parti[11]. Ces mots furent reçus avec risée qui les porta aux oreilles du Roi, qui étoit près de la Reine.
Étant emmaillotté il fut porté sur le lit de la Reine et
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couché à sa main droite, où elle lâchoit parfois quelques
œillades. Un quart d'heure après il fut emporté par
Mme de Montglat dedans sa chambre et mis dans son berceau
entre minuit et une heure.
Aussitôt que Monseigneur le Dauphin fut né, le Roi apporta lui-même la nouvelle à la noblesse qui l'attendoit en son antichambre, laquelle fut si bien reçue qu'ils se jetoient tous en foule à ses jambes, avec telle ardeur qu'il ne pouvoit passer et faillit à être renversé. Ayant reçu Sa Majesté ce témoignage d'allégresse pour la bonne nouvelle: «Allons, dit-elle, rendre grâces à Dieu, et que chacun de vous se y prépare.» La Reine ayant été pansée et Monseigneur le Dauphin couché, il se y achemina. A son retour toute la cour flamboit des feux de joie et tout tonnoit des salves des arquebusades qui furent faites par les soldats des gardes; le Sr de Mansan, capitaine au régiment des gardes, étoit en garde.
A l'heure même de sa naissance, les courriers qui avoient demeuré bottés depuis que la Reine commença de se plaindre, montèrent à cheval pour France, Florence et Mantoue, sachant que c'étoit un Dauphin, «n'étant bottés, ce disoient-ils, pour une fille;» et de fait M. de Beaulieu-Ruzé, secrétaire d'État, avoit fait préparer double dépêche. Avant de partir, on fit voir la marque de Dauphin à ceux qui furent dépêchés pour l'Italie et quelques autres pour France. Le Sr de la Varenne[12] porta cette nouvelle à Paris, alla descendre chez le Sr Zamet qui y gagna mille écus, pour gageure faite d'un mâle contre le Roi, et de deux mille écus contre la Reine qu'elle accoucheroit dans le jeudi[13].
Le 28 septembre, vendredi, à Fontainebleau.—Sa nourrice
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fut damoiselle Marguerite Hotman[14], et reconnoissant
qu'il avoit peine à teter, il lui fut regardé dans la
bouche et vu que c'étoit le filet qui en étoit cause; sur
les cinq heures du soir il lui fut coupé à trois fois par
M. Guillemeau, chirurgien du Roi.
Le 30 septembre, dimanche, à Fontainebleau.—Messire Achille de Harlay, premier président à Paris, arrive de sa maison de Beaumont pour le voir.
Le lundi 1er octobre.—Porté à la chambre de la Reine; M. le cardinal de Gondi le vient voir.
Le 5, vendredi.—Porté chez la Reine; le Roi se y trouva, et le voulant rendre à la nourrice, couché sur un oreiller de velours ras, il l'a soulevé pour le baiser; l'enfant coule, et le Roi baise l'oreiller. Le Dauphin fût tombé sur les pieds à terre s'il n'eût été reçu par sa nourrice, qui l'empoigna. Dès lors on ajouta une pièce de velours audit oreiller, où l'on le mettoit quand on le vouloit porter hors de sa chambre, et depuis le Roi ne le porta plus et ne le prit entre ses bras.
Le 6, samedi.—Messire Jean de Nicolaï, premier président des Comptes à Paris, arrive pour le voir comme particulier.
Le 8, lundi.—M. Guyet, sieur de Charmeaux, président des Comptes et prévôt des marchands, arrive comme particulier et le vit remuer.
Le 9, mardi.—Porté chez la Reine.
Le 10, mercredi.—Mme la duchesse de Bar, sœur du
Roi, lui donne sa première chemise. La remueuse lui dit
qu'il falloit faire le signe de la croix. «Faites-le donc pour
moi, dit-elle en souriant, je ne le sais pas faire[15]».
Elle ne laisse pas pourtant de la lui donner.—Depuis le
lendemain de sa nativité, il avoit le cri fort et puissant,
ne ressentant aucunement le cri et le vagissement des
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enfants, ce qu'il n'a jamais fait; et quand il tetoit c'étoit
à si grandes gorgées, élevant sa mâchoire si haut, qu'il
en tiroit plus à une fois que les autres ne font en trois;
aussi sa nourrice étoit à toute heure presque à sec.
Le 11, jeudi, à Fontainebleau.—Porté chez la Reine; rapporté. La nourrice, au retour de la chambre de la Reine, a vomi tout son dîner; elle mangeoit beaucoup et plus qu'elle ne pouvoit, reconnoissant le défaut de son lait.
Le 12, vendredi.—Remué devant Messire Pomponne de Bellièvre, chancelier de France.
Le 13, samedi.—Manifeste défaut de lait en sa nourrice, qui avoit la mamelle petite et le lait clair et chaud.
Le 14, dimanche.—Porté chez la Reine; rapporté. Allouvi[16], point assouvi. On lui donne de la bouillie, ayant mis à sec les deux mamelles; il en prend et avidement.
Le 17, mercredi.—A cause de cette grande avidité, l'importunité des femmes lui fit donner du lard frais[17], bouilli, à frotter ses gencives; il en tronçonna un morceau qu'il faillit à avaler. Porté chez la Reine; teté avidement; rapporté.
Le 18, jeudi.—Remué, le Roi présent. Allouvi; mis à sec sa nourrice; bouillie.
Le 19, vendredi.—Sur le défaut de lait reconnu par plusieurs fois en sa nourrice par MM. de la Rivière, du Laurens, Vido et moi, assemblés par le commandement de LL. MM., il fut résolu que Mlle Hélin, femme Lemaire, seconde nourrice, donneroit le lait à Mgr le Dauphin pour secourir la première[18].
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Le 20, samedi, à Fontainebleau.—Allouvi à l'accoutumée; la nourrice à sec; la seconde nourrice, Mlle Hélin, lui a donné le lait; la Reine y est venue, puis le Roi.
Le 22, lundi.—M. de Mayenne[19] le vient visiter.
Le 23, mardi.—Remué en présence de la Reine.
Le 24, mercredi.—Peu de lait en la nourrice qui, de son collet, couvroit ses mamelles pour en cacher le défaut; il rit à la sage-femme.
Le 25, jeudi.—Porté chez la Reine; M. Groulard, premier président de Rouen, y arriva pour saluer la Reine et Mgr le Dauphin; il le voit remuer. Le Dauphin part de Fontainebleau à deux heures dans la litière de la Reine, dans un panier d'osier fait exprès[20]; il a dormi sans s'éveiller jusques à Melun. Arrivé à cinq heures à Melun, le lieutenant général, accompagné de six conseillers, lui viennent au-devant et font offre de leur service, parlant à Mme de Montglat, sa gouvernante; les quatre échevins portant un poêle de taffetas blanc en firent de même, et après mirent mondit Seigneur sous le poêle, et en cette façon fut conduit dans la ville, par la porte de Gâtinois, les rues tendues de blanc, jusques à la maison de M. de la Grange, où il coucha la nuit. M. de Mansan, gentilhomme gascon et capitaine aux gardes du Roi, et qui étoit en garde à Fontainebleau à sa naissance, fit la garde devant son logis. Il y eut beaucoup de personnes qui le virent remuer, et une femme d'assez moyenne qualité, qui, entre les autres, transportée d'affection, se jette à genoux à mon côté: «Mon Dieu, dit-elle, y auroit-il danger de le baiser», et ce disant fait contenance de le vouloir faire si je ne l'eusse retenue.
Le 26, vendredi.—Parti à huit heures de Melun pour
aller à Lourcine; arrivé à onze heures à Lourcine. Parti
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de Lourcine à deux heures et demie, il arrive à six
heures à Villeneuve-Saint-Georges. M. Gobelin, trésorier
de l'Épargne, sa femme, M. et Mlle du Mesnil le vinrent
voir, ainsi que M. et Mme de Mareuil du Val. Je le portai
de la litière en sa chambre.
Le 27 octobre, samedi, voyage.—M. le grand prévôt du Val, M. de Mareuil, son frère, sont partis avec le Dauphin à neuf heures. Arrivé à onze heures à Maisons, parti à deux heures et demie. En chemin, Messire Guyet, président des Comptes et prévôt des marchands à Paris, accompagné des échevins et autres officiers de la Ville, vêtus de leurs habits de magistrats, ayant avec eux tous les archers de la dite Ville, sortent au-devant de lui sur le chemin de Charenton, mille pas hors la porte. Étant arrivés près de la litière, ils mirent pied à terre, et le prévôt des marchands parla à Mme de Montglat qui étoit dedans, tenant sur les genoux Monseigneur le Dauphin dormant. Elle lui répondit, et les discours de l'un et de l'autre durèrent environ demi-heure, lesquels finis l'on commença à marcher, M. de Montglat d'un côté de la litière et moi de l'autre, et les archers aussi, pour empêcher que la grande multitude de peuple de tous âges et sexes, à pied, à cheval et en carrosse, ne se jetât sur la litière, comme il est vraisemblable qu'il fût advenu, pour le désir ardent que chacun avoit de le voir. Étant arrivé à la porte Saint-Antoine, le Dauphin fut reçu par les hautbois, cornets à bouquin et trompettes, qui étoient sur le bastion de main droite, et conduit enfin à la maison du sieur Sébastien Zamet, où il logea en la chambre du Roi, à quatre heures et demie.
Le 28, dimanche, à Paris.—Le Roi, la Reine, M. de Mayenne et tout ce qui étoit des princes et princesses à la Cour, le sont venus voir, à part ou avec la Reine.
Le 29, lundi.—Sur les six heures, parti de chez
M. Zamet, porté au Louvre, où le Roi et la Reine l'ont
vu et tenu bien une heure; de là aux Tuileries où le
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Roi, qui y étoit venu, le fit passer pour le voir derechef
et le montrer à plusieurs qui ne l'avoient encore vu; et
de là, partant entre midi et une heure, il alla à Saint-Cloud,
logea au petit logis de M. de Gondi, chevalier
d'honneur de la Reine. Parti de Saint-Cloud à trois heures
il arrive à six heures à Saint-Germain en Laye, lieu
choisi par le Roi pour y être nourri, accompagné de
messire [Robert] de Harlay, sieur de Montglat, de Françoise
de Longuejoue, dame de Montglat, sa gouvernante;
de moi Héroard, médecin ordinaire du Roi et premier
de Monseigneur le Dauphin; de Georges Birat, premier
huissier de sa chambre, et du sieur François de Marviller,
écuyer, sieur de Meninville en Beauce, capitaine
exempt des gardes du corps du Roi, sous la charge de
M. de Praslin; du sieur Daniel Prévost, sieur de Bragelongne
en Champagne; du sieur Jehan Dugué, Parisien;
du sieur Jacques de Lancelin, sieur de la Rouillère, de
Valence en Dauphiné; du sieur Guillaume de la Palisse,
de Messe en Gâtinois; du sieur Charles du Til, de Préaux
en Normandie; du sieur Isaac de Rives, sieur de la Rivière,
d'Aspreville en Normandie; du sieur Jacques du
Glasc, Écossois, tous archers des gardes du corps du
Roi, et de quatre Suisses de la garde. A bonne heure
nous prit la pluie qui arriva aussitôt comme il fut en
sa chambre. Il fut mis en celle de la Reine en attendant
que la sienne fût accommodée; le soin que l'on avoit
eu d'un si précieux trésor fut tel que l'on ne y avoit
trouvé aucune chose de prêt pour le recevoir. Il est à
présumer que l'on en doit blâmer ceux qui tiennent
les charges pour telles affaires. Peu de lait à la nourrice.
Le 3 novembre, samedi, à Saint-Germain en Laye.—Le
comte de Lindre, prince d'Espinoy, Flamand, ambassadeur
extraordinaire de la part de l'Archiduc devers
le Roi pour se réjouir de la naissance de Mgr le Dauphin,
le vient voir ce disoit-il, par commandement du
Roi. [Louis de Lorraine], abbé de Saint-Denis, et le chevalier
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de Lorraine, son frère, le sont venus visiter[21].
Le 4 novembre, à Saint-Germain.—Dormi, réveillé, etc.; frotté le ventre d'huile d'absinthe et le nombril de civette. M. Brulard, abbé de Léon, le vient visiter.
Le 5, lundi.—La Reine arriva à midi et demi à Saint-Germain, ayant en sa compagnie Mme de Guise et Mlle sa fille[22], Mme de Guiercheville, et la signora Conchino[23]. La Reine reçoit par Petit des lettres du Roi écrites à Verneuil[24]; elle fait réponse. La Reine part pour s'en retourner à Paris.
Le 6, mardi.—Mme de Villars, femme du sieur de Villars, gouverneur du Havre, le vient voir.
Le 7, mercredi.—Sa nourrice avoit peu de lait; mis de l'or battu au bout de sa mamelle pour les tranchées.
Le 8, jeudi.—Le clarissime Contareno, ambassadeur de Venise, le vient visiter, et ce même jour aussi M. de la Force, capitaine des gardes du corps du Roi.
Le 11, dimanche.—On lui a frotté la tête la première fois avec plaisir.
Le 12, lundi.—Le Roi et la Reine sont arrivés; il les a considérés.
Le 13, mardi.—Dormi, réveillé, rendormi au tétin, faute de lait. La Reine ne veut point que Mlle Lemaire donne le lait comme Mme de Montglat me le dît. Mlle la nourrice a la fièvre du poil. Mlle Lemaire donne le lait.
Le 17, samedi.—La Reine l'est venue voir; M. d'Andelot,
Mme de Gesvres le sont venus voir. On lui a frotté
le front et le visage avec du beurre frais et huile d'amandes
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douces, pour la crasse qui paroissoit y vouloir
venir.
Le 18 novembre, dimanche, à Saint-Germain.—Le Roi le fait porter en son cabinet, où il lui fait savourer deux gouttes de vin qu'il ne refusa point.
Le 19, lundi.—Amusé, le Roi et la Reine présents.
Le 20, mardi.—M. le connétable[25] le vient saluer, M. de Rohan aussi.
Le 21, mercredi.—M. Séguier, ambassadeur pour le Roi à Venise et président en la cour de Parlement à Paris, M. de Thémines, sénéchal de Quercy, le viennent saluer. Amusé et fort caressé du Roi.
Le 22, jeudi.—Amusé par le Roi.
Le 23, vendredi.—La Reine dit que la marque rouge qu'il a sur la nuque, à la racine des cheveux, pouvoit provenir d'une envie qu'elle eut de manger des betteraves, lesquelles on lui ôta et n'en voulut point demander. Le Roi et la Reine présents au remuer.
Le 24, samedi.—Le fils du marquis de Brandebourg le vient voir, la Reine aussi.
Le 25, dimanche.—La duchesse de Bar le vient voir avec la Reine.
Le 26, lundi.—Il lui a été mis un collier de grains de corail au col. Le Roi et la Reine le sont venus voir.
Le 27, mardi.—J'ai pris congé de la Reine, qui m'a recommandé el delphino e la norrizza. Le Roi et la Reine partent à une heure et demie pour s'en retourner à Paris.
Le 5 décembre, mercredi, à Saint-Germain.—Il écoute
fort attentivement à l'âtre, comme je lui disois qu'il
falloit être bon et juste, que Dieu l'avoit donné au monde
pour cet effet et pour être un bon roi; s'il le étoit que
Dieu l'aimeroit; il sourioit à ces paroles. Mlle sa nourrice
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le tenoit en son giron; lui ayant donné à teter aussitôt
qu'il fut remué et se jouant à lui, elle lui dit ces mots:
«Eh bien, Monsieur, quand je serai bien vieille et que je
irai avec un bâton, m'aimerez-vous plus?» Il la regarde
droit en la face et puis, comme y ayant pensé, répondit:
Non. J'étois tout contre qui le considérois pendant
qu'il tetoit, et fus entièrement étonné, aussi bien que
tous ceux qui y étoient présents, qui l'entendirent de l'autre
bout de la balustre.
Le 6, jeudi, à Saint-Germain.—M. de Gondrin, chevalier de l'Ordre, le vient voir. Les quatre archers des gardes du corps et un exempt, avec quatre Suisses des Cent de la garde du Roi, arrivent.
Le 7, vendredi.—M. le duc de Vendatour le vient voir. La Reine arrive, amenant avec elle le cavalier Juigny, maître général de la garde-robe et gentilhomme de la chambre du Grand-Duc, ambassadeur ordinaire vers le Roi, pour se réjouir de la naissance de Monseigneur le Dauphin. Le cavalier prend congé de lui, l'appelle Sire. La Reine part.
Le 8, samedi.—Éveillé, etc., Mme de Gondi, abbesse de Poissy, et Mme de Vieuxpont le viennent voir.
Le 10, lundi.—La marquise de Verneuil[26] le vient voir; il la regarde attentivement, et lui rit gracieusement. Elle demeura, ce disoit-elle, fort contente de l'honneur qu'il lui faisoit; la marquise soupa. Il a toujours ri avec joie incroyable à la marquise parlant à lui.
Le 12, mercredi.—Il commence à reconnoître et à
nommer en son jargon, et lui étant demandé de moi par
la remueuse: «Qui est cet homme-là?» répond en jargonnant
et aisément: Eouad. On reconnoît manifestement
que son corps ne se nourrit point; les muscles de la
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poitrine étoient tout consumés, et le gros rempli qu'il
avoit sur le col n'étoit que peau. Il aime et se plaît à ouïr
la musique.
Le 14, vendredi, à Saint-Germain.—Ce jourd'hui je commençai à coucher au château pour les flegmes.
Le 16, dimanche.—Éveillé, etc.; M. le maréchal de Bois-Dauphin le vient voir.
Le 18, mardi.—MM. de Châteauvieux, de Roquelaure et d'Inteville le viennent voir.
Le 20, jeudi.—Mme de Lairs, du pays d'Agenois, demande de le tenir afin qu'elle puisse s'en vanter, et laisse son manchon pour le prendre. La nourrice se recule disant qu'il le falloit demander à Mme de Montglat, qui lui répondit que personne ne l'avoit encore pris; ce qu'elle ne fit point.
Le 21, vendredi.—Le Roi l'a éveillé; fort causé avec lui et fort paisiblement dans son berceau; fort raillé, rossignolé. Sa nourrice lui demande: «Êtes-vous pas le mignon de papa?» Il dit: Oui, MM. de Villeroy, d'Alincourt, du Laurens et plusieurs autres étant présents. Montré son corps à LL. MM. qui s'en sont retournés à Paris fort contents.
Le 23, dimanche.—Coiffé d'un bonnet de satin et pris des manches de même. L'illustrissime monsignor del Buffalo, évêque de Camerino, nonce ordinaire, et l'illustrissime et révérendissime monsignor Barberino, clerc de la chambre de S. S., nonce extraordinaire, le viennent saluer. Le nonce ordinaire a demandé à le baiser; ils l'ont fait, l'extraordinaire a commencé. Ils ont donné un chapelet et un Agnus Dei au bout à Mme de Montglat et un chapelet à Mlle la nourrice. Ils étoient conduits par M. de Luxembourg, ont dîné à midi aux dépens du Roi. La Parisière, maître d'hôtel servant, a dîné avec eux; M. Fleureteau, maître de la chambre aux deniers, a fait la charge.
Le 24, lundi.—M. le prince d'Orange est venu, qui l'a
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vu dans son berceau; Mme la princesse d'Orange, M. d'Andelot,
le comte de Warambon l'ont vu remuer.
Le 27 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat montre une lettre du Roi du 22 décembre 1601[27], lui commandant de faire donner le lait par Mlle Galand, femme de maître Charles Butel, barbier chirurgien à Paris, et de l'ôter à Catherine Hotman; Mlle Galand donne à teter. Remué en présence du sieur Lussan, capitaine des gardes du corps, et du sieur de Saint-Angel, gouverneur de Mâcon. Mlle Hotman fait merveille de se plaindre, se ressouvient du non de monseigneur le Dauphin en lui disant adieu. Il n'a jamais teté Hotman qu'il ne se soit mis en colère.
Le Roi et la Reine à Saint-Germain.—Premier portrait du Dauphin fait en crayon par Decourt.—Départ de la seconde nourrice.—La marquise de Verneuil.—Première sortie.—Autre portrait du Dauphin.—M. de Rosny.—Les enfants de Gabrielle d'Estrées, élevés avec le Dauphin, ont la petite vérole.—Premières caresses de la Reine.—Portrait fait par Quesnel.—Réception d'ambassadeurs.—Premier instinct de la chasse.—Première dent.—M. de Mansan.—Projet de mariage avec l'infante d'Espagne.—Lettre du maréchal de Biron à Mme de Montglat.—Émotion d'un vieil officier général.—M. de Mayenne.—Le comte d'Auvergne.—Mme Boursier.—Premier vêtement.—Concini.—Mot du Roi sur la bouillie.—Tienette Clergeon.—Second portrait fait par Decourt.—Singulières habitudes données à l'enfant.—Le Roi joue à cache-cache avec son fils, lui fait voir la curée du cerf.—Exécution de Biron et chute du Roi.—La fête de Saint-Louis.—Nouvelle grossesse de la Reine.—Le Dauphin entre dans sa deuxième année.—Mœurs singulières.—Présents des députés du Dauphiné.—Audience des ambassadeurs suisses.—Singulier hommage des courtisans.—Le prince de Condé.—Naissance de Madame à Fontainebleau; son arrivée à Saint-Germain.
Le 12 janvier, samedi, à Saint-Germain.—Porté à la chambre de Mme de Montglat pour éventer la chambre et son berceau, et le parfumer de bois de genièvre. M. de la Tuillerie, maître d'hôtel du Roi, arrive, attendant le Roi venant de Verneuil; ce pendant la Reine arrive. Elle a été longtemps dans le parquet, se chauffant, accompagnée de Mme la marquise de Guiercheville, sa dame d'honneur, et de Mme de Montglat. Le Roi arrive demi-heure après; elle lui va au-devant à la porte de la chambre, où elle le rencontre; mines [sic]. Ils vont ensemble voir le Dauphin au berceau; le Roi lui a manié et considéré les pieds[28].
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Le 13, dimanche, à Saint-Germain.—LL. MM. le viennent voir, oyent la messe en sa chambre puis s'en vont dîner; LL. MM. sont parties à une heure et demie. La Reine avoit, le jour de devant, amené Antoinette Joron pour nourrice, l'autre n'ayant point été trouvée propre.
Le 16, mercredi.—Le cavalier Juigny, ambassadeur du Grand-Duc, l'est venu voir pour lui dire adieu; et, par commandement de la Reine, Decourt, peintre du Roi[29], en tire un crayon pour l'envoyer à Florence.
Le 18, vendredi.—Achevé de peindre par M. Decourt.
Le 20, dimanche.—Le chevalier de Sancy le vient voir.
Le 21, lundi.—Je lui donne le bonjour et pars à onze heures pour aller à Paris, en compagnie de Mlle Lemaire, sa seconde nourrice, qui se retire pour n'avoir point été agréable à la Reine, par la persuasion de quelques personnes qui étoient près de Sa Majesté. C'étoit une très-honnête femme, fort douce, qui avoit beaucoup de lait et fort bon; et plût à Dieu que Monseigneur le Dauphin en eût été nourri au lieu de la première. Il en eût été mieux pour sa santé, et je crois qu'il eût été nourri seulement d'un lait. Dieu le veuille pardonner à ceux qui en sont cause.
Le 28, lundi.—Le Roi et la Reine arrivent.
Le 29, mardi.—La Reine le vient voir à trois heures; le Roi et la Reine le viennent voir à cinq heures.
Le 30, mercredi.—Le Roi et la Reine y sont venus à une heure, le Roi et la marquise de Verneuil à cinq heures; il leur a fort ri et s'est joué avec eux.
Le 1er février, vendredi.—Le Roi et la Reine ont été présents depuis quatre heures et demie jusqu'à cinq heures.
Le 2, samedi, à Saint-Germain.—Joué, amusé, le Roi et la marquise de Verneuil présents.
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Le 5 février, mardi, à Saint-Germain.—Remué, le Roi et la Reine présents.
Le 8, vendredi.—A cinq heures le Roi arrive; remué en sa présence. Il est porté à la salle où le Roi soupoit.
Le 15, vendredi.—Il prend la bouillie avec la cuiller; Mme de Montglat la lui donne dorénavant, auparavant c'étoit la remueuse.
Le 19, mardi, jour de carême prenant[30].—Il faisoit fort beau temps; il fait sa première sortie par le pont de la chapelle, ayant son chapeau de paille; porté par Mlle Lecœur, l'une de ses femmes de chambre.
Le 21, jeudi.—Un peintre flamand est venu de la part de M. de Noailles, pour le peindre en huile et l'envoyer en Guyenne, par permission du Roi. Il a fait beau jeu au peintre durant deux heures, autant qu'il eût su désirer.
Le 23, samedi.—Le Roi et la Reine arrivent de Paris, l'ont amusé et fait longtemps causer dans le berceau.
Le 27, mercredi.—M. de Rosny le voit remuer.
Le 1er mars, vendredi.—Porté au jardin; à deux heures le comte Hercole Tasson, ambassadeur pour le duc de Modène devers LL. MM., le vient voir.
Le 2, samedi.—A dix heures le comte de Sulmo, ambassadeur de l'Électeur Palatin, arrive avec une douzaine de gentilshommes; à trois heures et demie Mme la présidente Dudrach, avec sa grande troupe.
Le 3, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Ventelet l'entretient, lui dit qu'il n'avoit que Dieu pour maître; il répond en souriant: Oui. M. de Saint-Germain (de Saintonge) et M. de Lauzeré, premier valet de chambre de Roi, M. Bovier, gentilhomme des ordinaires du Roi, le viennent voir. Il danse fort gaiement au son du violon.
Le 6, mercredi.—La petite vérole paroît à Alexandre Monsieur, et à Mlle de Vendôme[31].
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Le 7, jeudi, à Saint-Germain.—A une heure Mme de Beuvron le vient voir; à huit heures et demie arrive un courrier de la part du Roi pour aller au bâtiment neuf[32].
Le 9, samedi.—Il est porté au château neuf pour y loger.
Le 12, mardi.—Il commence à tendre les mains à ce qui lui est présenté; ce fut un livre que je lui montrois. Le livre étoit les Psalmes de David, de la version de M. de Bourges, que j'avois donné à Mme de Montglat.
Le 17, dimanche.—La Reine arrive à douze heures et demie, on le lui porte couvert de son chapeau de taffetas; elle le trouve grand, blanchi et lui a fort plu. A cinq heures et demie le Roi arrive de Verneuil avec la Reine, qui étoit allée au-devant de lui jusques à Herbelay, où il avoit dîné. Il est porté devant le Roi; S. M. en est satisfaite et de sa santé.
Le 18, lundi.—A huit heures le Roi arrive et l'a fort caressé; à deux heures Mme de Nemours le vient voir.
Le 19, mardi.—LL. MM. le font porter au cabinet, l'ont fort caressé, la Reine particulièrement, ce qu'elle n'avoit encore fait.
Le 20, mercredi.—A une heure trois quarts M. Zamet; à six le Roi en la galerie avec MM. les secrétaires, la Reine y entre.
Le 21, jeudi.—M. de Souvré et Mme de Montglat parlent au Dauphin; il est porté sur la terrasse au Roi et à la Reine.
Le 22, vendredi.—Il caresse le Roi, qui part à dix
Mars
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heures pour aller à Paris, la Reine pareillement, et de là
à Fontainebleau, puis à Poitiers. Le Roi revient à quatre
heures trois quarts, ramené par la chasse et accompagné
de M. le prince de Conty, de M. le Grand[33], des
sieurs de Termes, de Frontenac et de Nançay; il retourne
à Paris dans le carrosse de M. de Frontenac.
Le 27 mars, mercredi, à Saint-Germain.—A onze heures est arrivé le comte Henri de Saint-Georges, ambassadeur extraordinaire du duc de Mantoue, accompagné du sieur de la Brosse, agent pour ledit duc, et du sieur Braccio, écuyer ordinaire de la Reine. Ils ont mené le peintre du Quesnel[34], qui l'a tiré tout de son long; il avoit deux pieds et demi. Ils ont dîné aux dépens de Mme de Montglat.
Le 29, vendredi.—A onze heures est arrivé le sieur de Schomberg, grand chambellan de l'Empereur, ambassadeur extraordinaire vers LL. MM. pour la naissance de Monseigneur le Dauphin, accompagné des sieurs de Souvré, de Bois-Dauphin et du jeune Schomberg. Cet ambassadeur est neveu de feu le sieur Diétrich Schomberg, qui fut tué pour le service du Roi à la bataille d'Ivry. Il a baisé les mains, le chapeau au poing, et fait une révérence à Monseigneur le Dauphin; à douze heures et demie il est allé dîner à la salle, accompagné desdits sieurs, aux dépens du Roi. L'ambassadeur revenu lui a demandé s'il vouloit mander quelque chose à l'Empereur son oncle; il a répondu en souriant en son jargon: Dré. L'ambassadeur, de joie, lui a baisé les mains, est allé aux fontaines, et de là à Paris.
Le 1er avril, lundi.—Mme de Vilette, M. Canaye-Branay et leur compagnie, la comtesse de Montgomery et les filles de son mari, le sont venus voir.
Le 2, mardi.—Mme de Souvré, Mme de Loménie le viennent visiter.
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Le 3, mercredi, à Saint-Germain.—M. de Soboles, gouverneur de Metz, Mme de Fervaques, veuve de M. de Laval, le viennent voir.
Le 4, jeudi.—M. le baron de la Châtre, Mme de Villegomblin le viennent voir.
Le 6, samedi.—A onze heures M. de Vitry, gendre de Mme de Montglat, arrive; M. de la Bastide, capitaine des gardes de M. de Lorraine, arrive de sa part; à deux heures M. de Chazeron.
Le dimanche 7, jour de Pâques.—Il considère à la messe toutes les actions de M. l'aumônier.
Le 8, lundi.—Il jargonne, danse au violon de Boileau, son joueur de violon. A trois heures après-midi M. Brulart, secrétaire d'État du feu Roi, arrive et M. de Cypierre aussi.
Le 9, mardi, à Saint-Germain.—A huit heures Mmes de Clermont d'Amboise, d'Abin et de Saint-Gelais; à onze heures M. d'Épernon, avec ses trois fils, qui lui baisèrent les mains. M. d'Épernon le loua fort et le considéra attentivement. A une heure et demie M. Puget, trésorier de l'Épargne, et sa compagnie. A deux heures M. d'Épernon, ses enfants et M. Puget le voient remuer, les trois enfants de M. d'Épernon étant dans la balustre. A quatre heures M. de la Nauve et M. Lecoq, conseillers en Parlement, et M. Martineau, qui est à M. de Montpensier, viennent pour le visiter.
Le 11, jeudi.—Promené; il prend plaisir à un levraut qui se vint rendre dans l'allée du palemail et fut pris à la main par M. Petit, archer des gardes du corps du Roi. Le Dauphin l'ayant vu le veut soudain, l'empoigne à deux mains, se jetant dessus avec ardeur. A six heures M. de Roissy, maître des requêtes, M. Vion, maître des Comptes, le sont venus voir.
Le 13, samedi.—Éveillé à minuit, teté, point dormi.
Mlle de Rumilly me vient appeler, me disant que Monseigneur
le Dauphin étoit malade du mal de dents. Je y arrive
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incontinent après; il s'endort à peine jusqu'à cinq
heures. J'ai toujours demeuré debout, accoudé sur le bord
de son berceau, tenant sa main droite dedans la mienne.
Le 14, dimanche, à Saint-Germain.—A quatre heures trois quarts M. de Saint-Fussien, conseiller de la Cour, le vient voir.
Le 15, lundi.—Reconnu par la remueuse, qui lui mit le doigt dans la bouche, une dent percée; M. Guérin, son apothicaire, part pour en porter la nouvelle au Roi à Fontainebleau[35].
Le 16, mardi.—A midi et demi M. d'Épernon (qui a dit des louanges), ses trois fils, et M. d'Échaux, évêque de Bayonne.
Le 17, mercredi.—A midi Mme la princesse d'Orange, Mme de Bruzoles, Mlle Beringhen et sa mère le sont venues visiter.
Le 18, jeudi.—M. de Mansan, gentilhomme gascon, nourri et élevé par M. de Vic, gouverneur de Calais et capitaine aux gardes du Roi, arrive à Saint-Germain en Laye avec sa compagnie, pour la garde de Monseigneur le Dauphin, pendant que S. M. fait son voyage en Poitou.
Le 19, vendredi, à Saint-Germain.—A dix heures et demie M. d'Arquery le vient voir. A sept heures trois quarts, lettres du Roi par M. Guérin.
Le 20, samedi.—A midi M. du Passage, Mme de Fonlebon et ses filles; il a fort caressé la petite Charlotte de Fonlebon.
Le 21, dimanche.—A deux heures, M. de Bouqueron, président au parlement de Grenoble, M. de Chevrier, conseiller en ladite Cour, le viennent voir.
Le 22, lundi.—A neuf heures et demie, M. le duc de
Bouillon, M. de Salignac, M. de Sancy et le jeune Sardini
et son frère. A douze heures et demie, Hieronimo
Taxis, ambassadeur d'Espagne, tête nue, fait une grande
révérence et prend la main de monseigneur le Dauphin
Avr
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sans la baiser; dit qu'il n'a pas voulu partir sans l'avoir
vu auparavant. Le Dauphin est remué en sa présence.
L'ambassadeur se tenoit tout debout, accompagné desdits
sieurs; sur ce qui lui fut dit par M. de Sancy[36] qu'il en
falloit faire un mariage, il répondit qu'il n'étoit rien qui
ne se pût faire, que la reine de France étoit grosse et
la leur aussi, qu'ils avoient une damoiselle et maintenant
ils auroient un fils et nous une fille, et puis que
l'on mettroit tout ensemble[37].
Le 24, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'est fort joué à sa peinture[38], que je lui ai apportée de Paris.
Le 27, samedi.—A quatre heures M. le connétable l'envoie visiter; viennent aussi Mme Deschamps, Mlle de Ligny, Mlle d'Ouailly.
Le 28, dimanche.—M. le baron de Saint-Blancart, de
la part de M. de Biron[39], son beau-frère, avec lettre à
Mme de Montglat, copie ci-attachée[40].—M....., lieutenant
Avr
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général[41] à Fontenay le Comte, âgé de quatre-vingts
ans, arrive en jupe, se met à genoux et à pleurer,
le voit remuer, et s'en retournant dit à Mme de Montglat
qu'il plût à Dieu de donner à Monseigneur le Dauphin
le bonheur de son père, la valeur de Charlemagne et la
piété de saint Louis; et s'étant retourné pour s'en aller,
étant au coin du grand pavillon, lève les mains au
ciel et dit: «Dieu m'appelle quand il lui plaira, j'ai vu
le salut du monde.» A trois heures M. de Sillery-Brulart
et sa femme, M. de Berny, son frère et sa femme.
Le 29, lundi, à Saint-Germain.—A sept heures, Messire Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, le vient voir.
Le 30, mardi.—A onze heures viennent Mme et Mlle de Guise; dîné avec Mme de Montglat. Mme de Guise l'a porté et fait danser. A quatre heures MM. Archambaud, Corbonois et leurs femmes. A onze heures après midi, lettres du Roi, de Blois, du 28, faisant mention de sa fluxion sur le pied[42] et recommandation de son fils Alexandre et de Mademoiselle.
26
Le 1er mai, mercredi, à Saint-Germain.—A neuf heures et demie, quatre députés de la ville de Metz viennent pour le visiter; à onze heures, M. et Mme de Sancy; à une heure, M. de Bois-Dauphin; à trois heures, M. le maréchal de Brissac et son fils.
Le 2, jeudi.—A onze heures, et demie M. de la Rivière-Dudrach et sa troupe; à deux heures et demie Mme de Nemours, M. de Rissay, Mme la procureuse générale La Guesle.
Le 3, vendredi.—A huit heures et un quart, un gentilhomme de la part de M. d'Antragues; à une heure, Mme la présidente Dudrach.
Le 4, samedi.—Le poil, de brun lui devient châtain clair. A une heure, M. Campagnol, gouverneur de Boulogne; à quatre heures, M. le prince de Condé et Mme sa mère, Mme la comtesse de Briqueil, sœur de feu M. de Humières; à six heures, Mme de Buisseau.
Le 5 mai, dimanche, à Saint-Germain.—Le Dauphin étant à la fenêtre du préau répondit: ghi à une bonne femme qui parloit à lui, sur le bord du fossé, l'appelant: «mon ami.» Arnoul, contrôleur chez la Reine, arrive.
Le 6, lundi.—A une heure, M. le duc de Mayenne, qui fait la révérence seulement. M. de Mayenne ne s'est jamais voulu asseoir, n'a jamais dit mot, sinon sur ce qu'on parloit de la grossesse de la Reine et des enfants qu'elle pourroit encore avoir, il a dit qu'il n'y en sauroit avoir trop. Aussitôt que M. le Dauphin a été remué il s'en est allé, et M. d'Aiguillon est venu et parti sans saluer Mme de Montglat.
Le 7, mardi.—A dix heures et demie, M. de Cachac, capitaine de la porte; M. Bioneau, secrétaire de M. le Grand; à quatre heures et demie, Mme de Montmeray, nièce de M. le maréchal de Retz, avec Mme de Montmeray, sœur de son mari, religieuse en l'abbaye de Saint-Avit près de Châteaudun.
Le 8, mercredi.—A midi et demi, Mme la comtesse de
Mai
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Chaulnes, Mme de Chemerault, Mme de Poyane, Mme de Liancourt,
sa fille, M. d'Espois, M. Sevin, maître des requêtes.
Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—A midi, M. l'archevêque de Tours et M. de La Guesle, procureur-général.
Le 10, vendredi.—A onze heures Mme de Larchant; à deux heures et demie le baron de Châteauneuf-Laubespine.
Le 11, samedi.—A onze heures, M. le duc d'Elbeuf, MM. le vidame de Chartres, Maligny, le baron des Ards en Provence; à deux heures, M. l'amiral de Montmorency et Mme sa femme.
Le 12, dimanche.—A dix heures et demie, les chevaliers de Sancy et de Saint-Mesmain; à quatre heures et un quart, le capitaine Maltais, le commissaire Lesage.
Le 13, lundi.—A huit heures, M. Fouquet, deuxième président en Bretagne; à douze heures et demie, M. l'évêque de Paris[43], Mme la marquise de Menelay, sa sœur, le lieutenant général de Mâcon, qui lui a souhaité des ans nestoriens et la lignée de Salomon.
Le 14, mardi.—A midi MM. de Gondi, le baron de la Tour; à trois heures et un quart M. de Marchaumont.
Le 15, mercredi, à Saint-Germain.—A dix heures M. de l'Isle, d'Orléans, M. de la Motte, M. de la Violete; à douze heures et demie le jeune comte de Montafié, Mme de Carnavalet, son petit-fils, aumônier de Monseigneur le Dauphin, Mlle de Bourdeilles.
Le 16, jeudi.—A douze heures et demie, M. de la Rocheposay, fils de feu M. d'Abin; à trois heures, Mme de Colignon, M. de Lorme, M. de Foucault, conseiller aux Aides, M. Damyn.
Le 17, vendredi.—A onze heures, M. de Bragelongne, conseiller, et Mlle de Luteau, sa sœur; à trois heures trois quarts M. d'Amanzay.
Le 18, samedi.—A trois heures et demie, M. le président
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d'Assy et sa femme, M. Hennequin, sieur de Manœuvre.
Le 19 mai, dimanche, à Saint-Germain.—A trois heures et demie M. de Sancy, Mme la marquise de Pisani, sa fille, le vicomte du Mans, son gendre, Mme de Malissy, M. Petau, conseiller en Parlement; à quatre heures, M. de Pisani, la More de la Reine; à six heures, Mme la présidente Fayet, ma belle-sœur, et M. Laubigeois et sa femme.
Le 20, lundi.—Mme de Guise s'en allant à Eu et Mlle de Guise le viennent voir.
Le 21, mardi.—M. le comte d'Auvergne[44] arrive sur les trois heures, accompagné de deux hommes; il y a été une petite demi-heure, appuyé contre la balustre, son visage à demi couvert de son manteau, appuyé sur un pied; il tient à Mme de Montglat des propos confus et mal cousus.
Le 27, lundi.—Il arrive une vieille femme de Paris, comme une revendeuse; elle pleure en le voyant, l'appelle: «Mon fils, la petite courte à sa mère», et puis s'est prise à danser devant lui.
Le 31, vendredi.—Mme Boursier, sage-femme de la Reine, vient voir le Dauphin avec sa compagnie, dont en s'en retournant il se noya au bac de Neuilly une femme grosse et une fille de douze ans.
Le 2 juin, dimanche, à Saint-Germain.—Champagne, cordonnier, lui prend la mesure de ses souliers, qui fut d'un grand point.
Le 8, samedi.—Le baron de Treslon porta les souliers à
Monseigneur le Dauphin; à cinq heures il a été vêtu et
habillé d'un corset et d'un bas de soie, et au-dessus d'une
robe carrée, faite de satin blanc rayé d'argent. Mlle de Vendôme
lui a donné sa chemise. L'habillement lui étoit si
Juin
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bien séant et convenable qu'il paroissoit avoir deux ans.
Le 9, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Sève, président en premier la cour des Aides à Paris, M. de Rebours, président, et M. Barentin, conseiller en ladite Cour, sont venus de la part de leur compagnie et ont prié Mme de Montglat de le faire entendre au Roi.
Le 10, lundi.—Le sieur Concino[45] prie Mme de Montglat qu'il le puisse voir vêtir; il le voit coiffer, puis habiller, prend la mesure de sa longueur, de la grosseur du bras et de la longueur du soulier, puis est parti pour s'en retourner en Cour.
Le 14, vendredi.—Ses cheveux longs, châtain clair, ont trois grands doigts de travers en longueur; les sutures du sommet presque du tout serrées.
Le 16, dimanche.—M. le vicomte de Bourdeilles vient visiter le Dauphin; Mme de Montglat lui raconte les desseins et l'emprisonnement de M. de Biron.
Le 17, lundi.—A midi, le Roi arrive, le baise et se joue à lui; la Reine arrive à une heure et demie, trouve au pied des degrés Monseigneur le Dauphin, au grand escalier; elle devient soudain fort rouge et le baise à côté du front. On le remonte à la salle du Roi; LL. MM. se jouent un peu à lui, puis se mettent à table pour dîner, et s'en retournent.
Le 20, jeudi.—A six heures après midi M. le maréchal de Fervaques et M. de Laval le viennent voir. Le premier lui a baisé le pied et l'autre touché le bout de son tablier et baisé la main qui l'avoit touché.
Le 22, samedi.—Il se divertit à tout, fort agréablement,
fait une chère extraordinaire à la fille de chambre de sa
nourrice, lui rit. Le Roi arrive à dix heures et demie par
son petit pont. Le Roi s'est joué à lui et lui a vu prendre sa
bouillie. Le Roi a voulu prendre le demeurant et dit: «Si
l'on demande maintenant: Que fait le Roi? l'on peut
Juin
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dire: Il mange sa bouillie.» Le Roi lui fait prendre sa
barbe à deux mains; il la tire bien fort et lui fait mal. Il
lui fait prendre celle de M. de Montigny; il la prend à
deux mains et se soulève tout le corps pour la tirer plus
fort; il a pris la moustache de M. le Grand. Mme la marquise
de Verneuil arrive à une heure, caresse fort M. le
Dauphin, mais, ce disoit-on, avec peine. Elle dîna, se
joua après fort à Monseigneur le Dauphin. On a fait
voir à S. M. les caresses qu'il avoit jà faites à Tienette
Clergeon, native de Lagny, fille de chambre de Mlle sa
nourrice, le Roi l'ayant lui-même fait approcher et la
lui présentant. Il l'a vue pleurer comme elle s'en alloit. Le
Roi est parti pour s'en retourner à Paris, à sept heures
et demie, et a fait prendre dans son carrosse Monseigneur
le Dauphin par Mme la marquise de Verneuil, qui l'a porté
jusques au bout de la cour. On l'a repris; le Roi est
parti.
Le 23 juin, dimanche, à Saint-Germain.—Porté à la salle du Roi; vu Tienette, fait les mêmes caresses, lui rit, lui empoigne la joue à pleine main.
Le 25, mardi.—Le sieur Decourt, par commandement de la Reine, en tire le crayon. A quatre heures trois quarts, la Reine arrive; on le lui porte au-devant. La Reine veut que l'on lui amène Tienette; il lui fait caresses. La Reine part fort contente à six heures et demie.
Le 28, vendredi.—M. de Rosny, revenant de Rosny, le voit dans son berceau.
Le 4 juillet, jeudi, à Saint-Germain.—Il a été peigné pour la première fois, y prend plaisir, et accommode sa tête selon les endroits qu'il lui démangeoit.
Le 10, mercredi.—A midi le Roi arrive, se joue à lui à diverses reprises, la Reine pareillement.
Le 11, jeudi.—A sept heures et demie après midi, le Roi et la Reine s'en retournent à Paris.
Le 17, mercredi.—Il lui a été mis des lisières à sa robe pour l'apprendre à marcher.
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Le 21, dimanche, à Saint-Germain.—La Reine arrive à dix heures, le Roi à dix heures et demie.
Le 22, lundi.—Vêtu d'une cotte neuve, du présent de la Reine, il est porté à huit heures au jardin, au Roi qui se promenoit, ayant pris de l'eau de Pougues[46]. La Reine le demande, on le lui apporte, il pleure; il le faut emporter, le Roi ne le peut apaiser. Porté chez la Reine, le Roi y étant; ils ont voulu voir sa tête, l'ont fait brosser, et en ont toute la journée eu leur agréable passe-temps.
Le 24, mercredi.—Vêtu à sept heures, il prend plaisir et se rit à plein poumon, quand la remueuse lui branle du bout du doigt sa guillery. A huit heures, porté à la chambre de la Reine, aux fiançailles du baron de Gondi et de la signora Polyxena Gonzaga, l'une des filles de la Reine. Le Roi lui continue toujours ses caresses.
Le 28, dimanche.—Le Dauphin, vêtu à sept heures, se promène, se tourne pour voir s'il a ses soldats, rencontre le Roi, le reconnoît en souriant. Le Roi se cache derrière moi et l'appelle; il le cherche, l'aperçoit enfin et se met à sourire. Mme d'Angoulême[47], Mme la princesse d'Orange[48] arrivent; la Reine lui donne une petite turquoise mise à son doigt.
Le 29, lundi.—Le Roi et la Reine arrivent de la
chasse, commandent de le leur porter. Le Roi lui fait
Juil
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voir donner la curée du cerf pris au-dessus de Ruel; il
ne s'en étonne point.
Le 31 juillet, mercredi.—Impatient pour sortir; il rencontre le Roi; mené en carrosse dans la forêt à voir passer le cerf couru par le Roi, qui avoit dîné à Forqueil, où s'étoit faite l'assemblée. Porté au Roi, dedans son lit, blessé d'une chute, courant le cerf. Il tient un bâton; je prends un brin de fagot, j'en frappe contre son bâton pour escrimer; le jeu lui plaît, il me poursuit en riant par toute la chambre. Tout le reste du jour paisible et fort gai.—Ce jourd'hui, à cinq heures, le maréchal de Biron eut la tête tranchée à la Bastille[49].
Le 1er août, jeudi, à Saint-Germain.—Le poil lui éclaircit, la tête se nettoie. Promené; il rencontre le Roi, voit la Reine, caresses accoutumées.
Le 2, vendredi.—Promené il rencontre le Roi, lui rit et tend les bras; va en la chambre de la Reine. On lui fait chercher le Roi dans le lit de la Reine; ne le trouvant point il entre en grande colère. Il va en la chambre du Roi, qui le met coucher avec lui, avec infinies caresses.
Le 4, dimanche.—Allées et venues. M. de Rosny. Porté à la chambre du Roi, qui soupoit; il lui a fait prendre de la soupe, qu'il a fort bien mangée.
Le 7, mercredi.—Il rencontre le Roi, qui fait semblant
de ne le point voir; il crie; le Roi se retourne, va à
lui et l'embrasse. Au sortir de la messe, Engoulevent[50]
se met à chanter et le Dauphin aussi; le Roi y prend
plaisir pour un peu de temps. A cinq heures arrive
Bartholomæo Pusuynki, Polonois, clerc de la chambre
et nonce extraordinaire de Sa Sainteté vers le Roi, conduit
par M. de Sillery. Mme la comtesse de Guichen[51],
Août
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lui envoye une épée par M. de Frontenac en présence du
nonce. Le Roi et la Reine en ont pris grand divertissement.
Le 9 août, vendredi, à Saint-Germain.—Au sortir du jardin il rencontre le Roi, qui entroit; caresses accoutumées, réciproques.
Le 10, samedi.—Le Roi, et la Reine partent et lui disent adieu, fort contents.
Le 21, mercredi.—A trois heures et demie mis dans le carrosse et porté au bâtiment neuf, pour l'éloigner de Messieurs, qui avoient eu la rougeole[52].
Le 22, jeudi.—A deux heures, le clarissimo Marino Cavalli, ambassadeur de Venise, entre en la balustre, ayant demandé permission à Mme de Montglat, le salue, baise sa main, et puis embouche (sic) la sienne, et peu après se couvre. On met au Dauphin son épée au côté et son chapeau en tête, qu'il enfonce en mauvais garçon; il bat fort et ferme le tambour avec les deux baguettes. L'ambassadeur prend congé de lui et baise sa main, puis embouche la sienne.
Le 25, dimanche.—Promené; mis aux fenêtres pour le faire voir à grand nombre de peuple venu pour le voir[53], dont la plus part s'est mis à genoux et plusieurs les larmes aux yeux.
Le 5, jeudi.—A douze heures trois quarts Mme de Longueville laisse à Saint-Germain M. son fils.
Le 6 septembre, vendredi, à Saint-Germain.—M. Pary, chevalier de la Jarretière, ambassadeur extraordinaire d'Angleterre devers le Roi, le vient voir, parle à Mme de Montglat, ayant fait une révérence de la tête, de loin, à M. le Dauphin, puis, s'approchant de lui, en fait une autre et se met à se promener avec la dite dame.
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Le 8 septembre, dimanche, à Saint-Germain.—On porte le pain bénit au Dauphin; il tenoit le goupillon, fait ses affaires à croupeton sur le tapis; le goupillon qu'il tenoit s'y mêle, et si l'aumônier n'y eût pris garde, en donnant de l'eau bénite il en eût donné.
Le 11, mercredi.—Il écoute les contes que lui fait Mlle de Ventelet touchant l'Infante[54], qu'il couchera avec elle; il en rit.
Le 12, jeudi.—Crié extrêmement; Mlle de Ventelet lui vient donner le bon jour de la part de l'Infante; il s'apaise soudain, et se prend à rire.
Le 15, dimanche.—A huit heures le page de M. de Longueville arrive pour savoir de ses nouvelles; ayant parlé à Mme de Montglat et s'en retournant, le Dauphin l'appelle d'un Hé! et se retrousse, lui montrant sa guillery. Il est porté au vieux château par le commandement du Roi, qui arrive à cinq heures. Porté au pied du degré au devant du Roi, l'obscurité et la foule des hommes fut cause qu'il eut peur. Le Roi le caresse; à sept heures et un quart la Reine arrive.
Le 16, jeudi.—Il montre sa guillery à M. d'Elbenne; porté chez la Reine, il voit la signora Passithea, en eut peur, à cause de la coiffure.
Le 17, mardi.—A quatre heures, porté chez la Reine; la marquise de Verneuil y arrive, au cabinet de la Reine; le Roi y arrive.
Le 18, mercredi.—Sur les dix heures et demie le Roi part pour aller dîner à Saint-Cloud et de là à Paris, pour conduire la Reine à Fontainebleau pour attendre ses couches.
Le 19, jeudi.—Il commence à cheminer avec fermeté, soutenu sous les bras.
Le 23, lundi.—Fort gai, émerillonné; il fait baiser
à chacun sa guillery. Le comte de Visé, du marquisat
Sept
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de Saluces, ambassadeur extraordinaire du duc de Savoie,
et le comte de Hems, ambassadeur extraordinaire
d'Écosse, le viennent voir.
Le 25 septembre, mercredi, à Saint-Germain.—M. de Montpensier lui baise les mains au berceau et lui a donné la chemise.
Le 27, vendredi.—Il se joue à sa guillery, repousse son ventre en dedans, qui l'empêchoit de la voir. Il vient un gentilhomme flamand, du parti espagnol, pour le voir; il se y trouve un vieil Espagnol qui entrant et sortant lui donna sa bénédiction la larme à l'œil, en souhaitant le mariage de l'Infante[55].
Le 30, lundi.—A douze heures un quart le sieur de Bonières et sa fille, jeune; il lui a fort ri, se retrousse, lui montre sa guillery, mais surtout à sa fille, car alors la tenant et riant son petit rire il s'ébranloit tout le corps. On dit qu'il y entendoit finesse. A douze heures et demie le baron de Prunay; il y avoit en sa compagnie une petite damoiselle; il a retroussé sa cotte, lui montré sa guillery avec une telle ardeur qu'il en étoit tout hors de soi. Il se couchoit à la renverse pour la lui montrer.
Le 8 octobre, mardi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive, se joue à lui; la Reine pareillement.
Le 9, mercredi.—Porté au Roi au jardin, où il faisoit bien froid; porté à la chambre de la Reine.
Le 11, vendredi.—Porté au Roi, à la galerie rouge, à une heure et demie un ambassadeur allemand; à six heures Mme la princesse d'Orange.
Le 12, samedi.—A deux heures et demie endormi;
le Roi arrive, qui l'éveille, le baise et s'en va pour retourner
à Paris. Sur les trois heures, comme il ne faisoit que
s'endormir, la Reine l'éveille, et s'en va soudain; comme
on le rendormoit, arrive M. le comte de Soissons, qui
conduit les députés généraux du pays de Dauphiné
Oct
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pour rendre l'hommage, qu'ils firent à genoux, fors l'archevêque
de Vienne[56], qui porta la parole, M. le Dauphin
étant dans un berceau. Il leur tendit la main à
tous pour la baiser.
Le 13 octobre, dimanche.—Porté à la messe; les députés de Dauphiné y étoient. Lesdits députés ont donné des présents: à Mme de Montglat, un buffet d'argent de la valeur de trois cents écus; à Mlle Piolant, un bassin et une aiguière d'argent, valant environ cent écus; une chaîne d'or pesant quatre-vingts écus à Mlle la nourrice, et une de cinquante à la remueuse; et des pièces d'or et d'argent faites en mémoire de la naissance de M. le Dauphin à plusieurs du château et aux officiers de Mme de Montglat.
Le 17, jeudi.—Promené à la chambre du Roi, à dix heures, où il a vu les ambassadeurs de Suisse venus pour jurer et confirmer l'alliance avec le Roi; il leur a baillé sa main à baiser. Ils furent conduits par M. de Souvré et M. de Vic, ambassadeur pour le Roi vers les Cantons. Ils furent fort satisfaits de M. le Dauphin, qui sembloit avoir composé sa façon pour cet acte. Ils furent traités à dîner aux dépens du Roi, en la salle du Roi, et leurs officiers en la salle du bal, où ils étoient cent à table.
Le 24, jeudi.—Le Roi arrive à neuf heures et demie, revenant de la chasse, où il avoit été deux jours, et venoit découcher à Villepreux; il le trouve fort gentil, lui donne du sucre rosat. A douze heures et trois quarts, le Roi part et s'en retourne à Paris.
Le 5 novembre, mardi, à Saint-Germain.—A onze heures et demie, le Roi arrive de Fontainebleau; il voit le Roi, résolu. Le Roi va dîner; porté au dîner du Roi, il fait baiser sa guillery à M. de Souvré, à M. de Termes, à M. de Liancourt, à M. Zamet. Le Roi part à trois heures pour aller coucher à Paris.
Le 15, vendredi.—A trois heures M. le prince de
Nov
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Condé[57], Mme sa mère, M. de Haucourt viennent voir le
Dauphin. Sa nourrice lui dit: «Monsieur, voyez votre petit
cousin qui vous vient voir.» Il se retourne, regardant tous
ceux qui étoient contre la balustre, le va choisir et lui
tend la main, que M. le Prince lui baisa alors. A l'entrée
M. d'Haucourt lui dit qu'il allât baiser la robe du Dauphin;
il se tourna, et lui dit qu'il ne le falloit pas faire.
Le 16, samedi, à Saint-Germain.—M. le prince de Condé prenant congé de lui, il le suit après, le regardant toujours, et se prend à pleurer; il faut que M. le Prince revienne pour partir sans être aperçu; Mme la princesse de Condé lui vient dire adieu.
Le 21, jeudi.—Porté au château neuf.
Le 22, vendredi.—Naissance de Madame[58], à Fontainebleau, environ les neuf heures du matin.
Le 23, samedi.—Nouvelles de la naissance de Madame, le jour précédent, sur les neuf heures du matin[59].
Le 28, jeudi.—A onze heures et un quart le colonel
Postech, de Berne, le sieur Ryech, député de Zurich, lui ont
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baisé la main, qu'il leur a tendue; ils n'étoient pas venus à
Saint-Germain avec les autres. Ils lui ont dit qu'ils étoient
ses très-humbles serviteurs et alliés, lui ont derechef baisé
la main en s'en allant; le sieur Ryech avoit la larme
à l'œil d'aise en lui disant adieu.
Le 12 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—A huit heures trois quarts joué à de petits jeux. On lui demande: «Où est le mignon de papa?» Il se montre, frappant sur son estomac. Je lui demande: «Où est le mignon de l'Infante?» Il met la main sur sa guillery.
Le 19, jeudi.—Rapporté au vieux château à une heure; à six heures le Roi et la Reine, accompagnés de M. le maréchal de la Châtre, arrivent en sa chambre; ils l'ont trouvé fort gentil.
Le 20, vendredi.—Le Roi et la Reine l'entendent jargonner, y prennent plaisir.
Le 21, samedi.—Le Roi oit la messe en sa chambre; le Dauphin est porté chez la Reine. A une heure, le Roi l'ayant baisé part pour s'en retourner à Paris, la Reine peu après.
Le 23, lundi.—Le Roi arrive à onze heures et demie
à l'assemblée[60]; le Dauphin est porté en la cour devant
lui, ne le salue point, sinon quand le Roi lui eut tiré le
chapeau; il ôte le sien, puis se recouvre quand le Roi lui
eut dit: «Couvrez-vous, Monsieur.» Porté au dîner du
Roi à onze heures et demie, mis au bout de la table, rêveur;
le Roi se joue à lui, le fait jargonner. Le Dauphin reconnoît
M. de Guise ne lui ayant été montré qu'une fois. A
cinq heures arrive M. de Rosny; le Roi revient de la
chasse, fait porter le Dauphin dans son cabinet. A six
heures, porté au bout de la table avec le Roi, qui lui fait
donner une cuillerée de vin fort trempé. Rapporté en sa
chambre, à sept heures trois quarts, le Roi y vient, il le
prend, le promène; le Dauphin danse en branle donnant
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la main à Alexandre Monsieur, le Roi lui ayant commandé
de le faire. A huit heures et demie M. le comte de Soissons
lui donne sa chemise à brassière; le Roi le baise et
s'en va coucher.
Le 24, mardi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive à neuf heures, va déjeuner à la petite salle; le Dauphin y est porté, regarde déjeuner le Roi attentivement. Le Roi s'en retourne à Paris, et part à dix heures.
Le 30, lundi.—Sur les quatre heures trois quarts, le Dauphin est porté en hâte au-devant de Madame, sa sœur, à laquelle heure Madame arrive, conduite par Mlle Piolant et MM. de Montglat et de Villeserin, écuyer servant de la Reine. M. le Dauphin, porté par sa nourrice, est descendu par la petite montée du côté de la chambre de Madame, et rencontre vis-à-vis de la porte de l'autre petite montée, à huit pas près, Madame, que l'on descendoit de la litière; prise et portée par M. de Villeserin. Il fut aise et sans dire mot de la voir, lui ayant été dit: «Monsieur, voilà votre sœur.»
Le 31, mardi.—Madame est portée en sa chambre; il la baise doucement. A douze heures et demie, le Roi arrive; le Dauphin, porté dans la chambre du Roi, y a été durant le dîner et a donné la serviette au Roi, qui la lui avoit demandée. Le Roi part pour aller à la chasse. A quatre heures et demie la Reine arrive, vient en la chambre de Madame, où j'étois, puis va en celle de M. le Dauphin. A cinq heures il est porté chez la Reine, à sept heures au souper du Roi, qui lui donne de la gelée, dont il étoit friand, et du vin.
Premiers services rendus au Roi.—Répugnance du Dauphin pour son frère naturel.—Premières armes données par la duchesse de Bar.—Singuliers exemples donnés au Dauphin.—Mauvais vouloir pour Concini et sa femme.—Le Roi menace le Dauphin du fouet.—Charles Martin fait son portrait.—M. de Longueville vient demeurer à Saint-Germain.—La marquise de Verneuil et son fils; détails singuliers.—Serment de fidélité des magistrats de Paris.—Le Dauphin joue au mail.—Mme Héroard.—Première lettre au Roi.—Le P. Coton.—Mme de Verneuil et sa mouche.—Les enfants de MM. de Liancourt et d'Épernon.—Comment on l'entretient de l'infante d'Espagne.—Habitude de Henri IV.—La duchesse de Bar.—Départ du Roi et de la Reine pour la Normandie.—Le Dauphin apprend à parler.—Mlle de La Salle.—Mme Concini.—Mme de Verneuil.—Prière que récite le Dauphin.—Il boit à l'infante d'Espagne et danse en présence de l'ambassadeur.—Son caractère opiniâtre; il est fouetté pour la première fois.—Son amitié pour Héroard.—Le Dauphin est sevré.—Armes données par la ville de Moulins.—Mathurine la Folle.—Audience du connétable de Castille.
Le 1er janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Porté en la chambre de la Reine, où le Roi est venu; le Dauphin voit que le Roi la baisoit; il la lui fait baiser plusieurs fois. A une heure porté au dîner du Roi.
Le 2, jeudi.—A dix heures et demie porté chez la Reine; porté au dîner du Roi, porté au dîner de la Reine; elle le fait mettre au bout de la table. A deux heures la Reine part. Le Roi revient de la chasse pour changer de chemise en son cabinet, où il commande que l'on apporte le Dauphin. Il ôte son chapeau au Roi, puis le remet. Le Roi part à deux heures pour s'en retourner à Paris.
Le 7, mardi.—A onze heures et demie le Roi arrive;
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il est porté au-devant de lui; porté au dîner du Roi, il
lui donne sa serviette. A six heures porté chez le Roi, qui
étoit revenu blessé à un genou, courant à la chasse, et
étoit couché dans son lit.
Le 8 janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Le Roi part sans le voir, et part en carrosse pour s'en retourner à Paris, se plaignant fort de sa douleur de reins.
Le 9, jeudi.—Il reconnoît mes cousins Pierre et Claude Héroard, qu'il avoit vus le soir auparavant.
Le 19, dimanche.—Les cheveux lui éclaircissent en blondeur.
Le 23, jeudi.—Alexandre Monsieur lui donne sa chemise, et soudain, l'ayant prise, il lui élance un coup de sa main pour le frapper; il ne le pouvoit souffrir.
Le 26, dimanche.—M. de Pardaillan-Panjas arrive, lui portant de la part de Mme la duchesse de Bar, sa tante, des armes complètes de la hauteur d'un demi-pied; il y prend plaisir.
Le 27, lundi.—A midi porté en la cour au Roi, qui
arriva à douze heures et demie. Porté au dîner du Roi,
assis au bout de la table; le Roi lui jette une orange, et
lui la renvoie au Roi; le Roi lui donne à tâter du vin. Le
Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures et
demie. Le Dauphin va après Mlle Mercier, qui glapissoit
pour ce que M. de Montglat lui bailloit de sa main sur
les fesses; il glapissoit de même aussi. Elle s'enfuit à la
ruelle, M. de Montglat la suit, et lui veut faire claquer la
fesse; elle s'écrie fort haut, le Dauphin l'entend, se prend
à glapir fort aussi, s'en réjouit et trépigne des pieds et
de tout le corps de joie, tournant sa vue vers ce côté-là,
les montre du doigt à chacun. Amusé, dansé aux branles,
étant par avant songeart et triste pour ne voir personne;
l'on fait venir ses femmes; il se prend à les faire danser,
se joue à la petite Marguerite, la baise, l'accole, la
renverse à bas, se jette sur elle avec trépignement de
tout le corps et grincement de dents. Amusé jusqu'à
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neuf heures, gai, nous tire des arquebusades[61] et surtout
à Mlle Mercier, s'étant pris à rire aussitôt qu'il l'a
vue. Il s'efforce de la fouetter sur les fesses avec un brin
de verges; Mlle Bélier lui demande: «Monsieur, comment
est-ce que M. de Montglat a fait à Mercier? Il se prend
soudain à claquer de ses mains l'une contre l'autre avec
un doux sourire, et s'échauffe de telle sorte qu'il étoit
transporté d'aise, ayant été un bon demi-quart d'heure
riant et claquant de ses mains, et se jetant à corps perdu
sur elle, comme une personne qui eût entendu la raillerie.
Le 30 janvier, jeudi.—Il s'essaye à fouetter un sabot; mange et avale du canard, première viande qu'il a mangée; mange du chapon, trouve tout bon.
Le 1er février, samedi, à Saint-Germain.—Éveillé à neuf heures trois quarts, levé, gai, riant, bon visage. Le sieur dom Garcia, le sieur Conchino arrivent à l'heure de l'habiller. Il se jouoit à un carrosse du palais où il y avoit quatre poupées; l'une étoit la Reine, les autres Mme et Mlle de Guise et Mme de Guiercheville. On les lui faisoit montrer, les nommant par leurs noms; il les montroit du doigt. Le sieur Conchino lui va demander: «Monsieur, où est la place de ma femme?» En disant: Ah! il lui montre une avance qui étoit par dehors, au cul du carrosse. Il ne veut point prendre un grain de fenouil confit du sieur Conchino, à qui Mme de Montglat l'avoit baillé pour le lui donner, s'en recule du tout, le regardant, comme importuné. A douze heures et demie le baron Pophlech, saxon; il lui donne à baiser sa main.
Le 7, vendredi.—Bon visage mais gercé du grand froid[62].
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Le 12 février, mercredi, à Saint-Germain.—A cinq heures et un quart, le Roi, la Reine arrivent de Paris comme on achevoit de l'habiller; ils le baisent. Le Roi et la Reine vont chez Madame, et lui avec; porté à sept heures et un quart en la chambre du Roi pour y souper; rapporté en sa chambre. Le Roi et la Reine y viennent, se jouent à lui.
Le 13, jeudi.—Porté au Roi en la chapelle; porté en la chambre de la Reine; il se joue dans le lit avec elle et depuis en celle du Roi. A onze heures et demie il baise la serviette, et la donne au Roi; il veut crier, le Roi le menace du fouet, il s'apaise.
Le 14, vendredi.—Mme la comtesse de Guichen; le Roi et la Reine y prennent grand divertissement et, à deux heures, partent pour s'en retourner à Paris.
Le 25, mardi.—Amusé jusqu'à onze heures dans sa petite chaise, auprès du peintre nommé Charles Martin[63] demeurant à Paris, sur le pont Notre-Dame, près Saint-Denis de la Chartre.
Le 17 mars, lundi à Saint-Germain.—A une heure et un quart Mme de Luxembourg, Mlle de Luxembourg, sa belle-fille, M. Boulenger, son maître d'hôtel; il attend froidement et résolument, avec son chapeau vert sur la tête, Mme de Luxembourg, et la reçoit à six pas de la porte, lui tend la main, qu'il lui donne à baiser et à Mlle de Luxembourg.
Le 23, dimanche.—Il joue du violon et chante ensemble.
Le 24, lundi.—A une heure trois quarts, M. de
Longueville[64], qui vient pour demeurer à Saint-Germain,
Mars
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le Sr Conchino, M. Poussin, médecin de M. de
Longueville.
Le 3 avril, jeudi, à Saint-Germain.—A cinq heures, Mme la marquise de Verneuil arrive à la porte du jardin, comme il étoit sur le point d'en sortir; elle lui demande à baiser sa main; il la refuse, se recule, la regarde de côté; enfin on lui dit de le faire, il la baille. On apporte M. de Verneuil[65], qui lui est présenté, il le regarde froidement, se retourne brusquement, fait bonne chère[66] à Mme la marquise, fait semblant de se cacher, puis la regarde en riant. Elle lui met une chaîne au col; il s'en glorifie, se regarde dans le miroir, lui met la main dans son sein, puis baise le bout de son doigt; elle le couvre de son mouchoir, il le découvre, et puis y touche comme auparavant. Il renverse la petite Marguerite, la baise, se jette sur elle, puis, étant relevé en fait le honteux et se va cacher. La marquise lui mettoit souvent la main sous sa cotte; il se fait mettre sur le lit de sa nourrice, où elle se joue à lui, mettant souvent la main sous sa cotte.
Le 4, vendredi.—Mené en la chambre d'Alexandre
Monsieur, où étoit Mme la marquise et son fils. Aussitôt qu'il
a vu la troupe, il s'est retourné, court vers la porte en
criant, sans avoir jamais pu lui faire tourner la face; il
avoit accoutumé de s'y plaire. Mené en la chambre de
Mme la marquise, il se joue et rit avec elle en se cachant.
Amené en la chambre d'Alexandre Monsieur, où étoient
tous les enfans, il prend la poule[67] d'Alexandre Monsieur,
court par la chambre comme un désespéré, la
jetant devant lui, puis courant après, sans regarder en
façon du monde ces enfants et moins l'un que les autres.
Mme la marquise lui touche à ses cheveux; il la frappe et
Avr
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s'en plaint; demande la serviette, qui lui est servie par
Mme la marquise, qui dit: «Je ne sais s'il la refusera de
moi, tant il est dédaigneux.» Il la prend sans la regarder,
s'en essuie lui-même. L'on y porte M. de Verneuil; il n'a
pas fait semblant de le voir. L'une des femmes de M. de
Verneuil demande à son maître[68]: «Monsieur, où est
M. le Dauphin?» Il se bat la poitrine en se montrant,
puis en étant repris, il montra M. le Dauphin. Mme la marquise
lui sert sa chemise à son coucher.
Le 20 avril, dimanche, à Saint-Germain.—A onze heures, M. le président de Bragelongne, prévôt des marchands, et MM. les échevins de Paris approchant de lui, il leur a tendu la main à tous pour la baiser; puis M. le prévôt a dit qu'ils étoient venus en corps, représentant la ville de Paris, pour le reconnoître pour fils naturel et légitime du Roi son père et le vrai successeur, après son décès, de ce royaume, lui faisant à cet effet serment de fidélité. Il le regardoit attentivement et portoit son doigt à un poreau rouge que ledit sieur prévôt a au côté du nez, puis leur a lui-même tendu la main pour la baiser. A sept heures la Reine arrive, le Roi un peu après.
Le 21, lundi.—Le Roi part pour s'en retourner à Paris. Le Dauphin, éveillé à sept heures, est porté au lever de la Reine; la Reine part à dix heures trois quarts.
Le 29, mardi.—A onze heures un quart j'arrive de retour de Paris; je le salue, lui disant: «Monsieur, Dieu vous donne le bon jour.» Il ne fait pas semblant de me voir, mais se prend à courir et se cacher deçà delà, me guignant des yeux pleins d'allégresse et en passant tout riant, il me tendoit la main pour la baiser. Il en faisoit ainsi à ceux qu'il aimoit.
Le 7 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Le Dauphin
jouant au palemail[69] blessa d'un faux coup M. de Longueville
Mai
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qui étoit près à lui, en l'encoignure gauche du
front. Le coup fait, il en demeure étonné et se retourne
court, comme s'enfuyant, n'osant presque regarder personne,
se laisse sans résistance ôter le palemail.
Le 11, dimanche, à Saint-Germain.—A quatre heures et demie M. de Montmorency[70], fils de M. le connétable, le voit dans son berceau; on le hausse pour baiser la main au Dauphin, qu'il lui tend et le regarde fort résolûment. A huit heures trois quarts M. de Longueville et Mlle de Vendôme débattoient à qui donneroit la chemise à M. le Dauphin; la remueuse lui demande: «Monsieur, qui vous donnera votre chemise?» Il répond: Mme de Montglat[71]. M. de Longueville la sert et l'arrache à Mlle de Vendôme; M. de Montmorency sert une bande (sic), M. de Longueville une autre.
Le 23, vendredi.—A cinq heures j'arrive[72]. Il cheminoit en la basse cour. Je me présente à lui; il me tend de lui-même sa main à baiser, puis à ma femme, et après s'en va au carrosse de M. Sabathier, sieur du Mesnil, où nous étions venus. Il le faut mettre dedans, se fait promener, résolu, assis à la portière auprès de Mme de Montglat; mené dans le château, il n'en veut point sortir et crie.
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Le 4 juin, mercredi, à Saint-Germain, il écrivit cette lettre au Roi, moi lui tenant la main, ayant eu la patience entière:
Papa, Dieu vous donne le bon jour et à maman, j'ay bien enuie de vous voir pour vous faire rire. Adieu, bon jour, je suis papa vostre tres humble et tres obeissant fils et serviteur. Daulphin, et au-dessus: A Papa.
Le 10, mardi.—A midi le Roi arrive; il le va recevoir à l'entrée de la salle, reconnoît le Roi, qui se joue à lui, fait la révérence à la Reine, lui ôte son chapeau; elle le baise.
Le 11, mercredi.—Le Roi se joue à lui; à trois heures et demie M. le prince de Conty donne la chemise au Dauphin.
Le 12, jeudi.—Il joue au palemail, s'opiniâtre contre le Roi. A douze heures et demie les ambassadeurs d'Espagne, Juan Baptiste Taxis et Hieronimo Taxis, extraordinaire, qui alloit en Angleterre, lui font une grande révérence à l'entrée de la chambre et lui baisent la main. Le Roi et la Reine vont au palemail, font porter le Dauphin; il bat le tambour de la compagnie qui étoit en garde.
Le 13, vendredi.—A quatre heures trois quarts M. le connétable le vient voir, lui baise la main, lui donne la chemise, lui mène le fils de M. le comte d'Auvergne. Le Dauphin, porté au Roi et à la Reine en la galerie, a soupé avec le Roi.
Le 14, samedi.—Mené en la chambre du Roi, il le baise, l'accole. Le Roi le mène en la chambre de la Reine; il en sort avec le Roi, joue au palemail, bien; il fait plusieurs gentillesses devant le Roi et la Reine, se retire en leur faisant la révérence.
Le 15, dimanche.—Porté à onze heures au Roi, en la
chapelle; mené en la galerie pendant le sermon du P. Coton,
jésuite. A deux heures et demie arrive M. d'Épernon;
il aime et se joue avec M. de Termes avec une inclination
naturelle. M. d'Épernon lui donne sa chemise. Le Dauphin
Juin
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se joue de son tabourin, bat la batterie des Suisses.
Le 16, lundi, à Saint-Germain.—A onze heures arrive M. le prince d'Orange, qui lui baise la main. A cinq heures, porté au château neuf, en la chambre du Roi; il fait bonne chère au Roi, se cache devant la Reine. Il voit sur le nez de Mme la marquise de Verneuil une mouche de satin; «Monsieur, dit-elle, ôtez-moi cette mouche.» Il y va du doigt, et lui égratigne le nez. Le Roi et la Reine vont au parc; il les accompagne jusqu'à la porte du milieu du parc.
Le 17, mardi.—Porté à la chambre du Roi, il lui fait bonne chère, et se rit à la Reine. Le Roi se promenoit avec le P. Coton, jésuite; il va vers sa Majesté le prendre par la main pour le mener souper. A six heures soupé avec le Roi. Le Roi lui donne des cerises; le Roi donne du massepain dans un plat à M. de Vendôme et à M. son frère et à sa sœur; chacun se partageoit devant lui sans lui en donner; il jette hardiment la main au plat et en prend un morceau, qu'il mange à moitié, puis n'en veut plus.
Le 18, mercredi.—Le Roi part pour aller à Paris; le Dauphin est porté chez la Reine, se joue avec elle. La Reine part.
Le 23, lundi.—M. de Dangeau le vient voir.
Le 24, mardi.—A dix heures, Hans Trot, maréchal de Clèves, envoyé devers le Roi de la part du duc de Clèves et de Juliers et de la part du Roi pour voir M. le Dauphin. A sept heures arrivent les trois enfants de M. de Liancourt, premier écuyer.[73]
Le 25, mercredi.—Il donne sa main à baiser fort librement
aux enfants de M. le Premier, qui furent mis
Juin
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autour de son berceau; l'aîné lui donna la chemise,
Mlle de Liancourt sa cotte, et le petit son ruban, où pendoit
un Agnus Dei. Il se joue familièrement avec eux, leur
baise les mains avec chaleur.
Le 28 juin, samedi.—A neuf heures arrivent les trois fils de M. d'Épernon[74]; il leur donne la main à baiser; le puîné, abbé de Grandselve, fait à dîner l'office d'aumônier; l'aîné comte de Candale, lui baille la chemise.
Le 29, dimanche.—En tetant il gratte sa marchandise, droite et dure comme du bois. Il se plaisoit ordinairement fort à la manier et à se y jouer du bout des doigts.
Le 13 juillet, dimanche, à Saint-Germain.—A une heure les ambassadeurs de Venise, ancien et nouveau, lui baisent la main, qu'il leur tend. Montagne, chevaucheur d'écurie, arrive de Villiers-Cotterets de la part du Roi[75].
Le 27, dimanche.—Mlle de Ventelet lui demande: «Monsieur, où est votre cœur?» Il bat sur son côté gauche. Il fait un rot, Mlle de Ventelet lui dit: «Monsieur, vous soupirez, où va ce soupir:» Il répondit: «En Espagne.»[76].
Le 29, mardi.—A onze heures le Roi arrive; il se
cache comme honteux, s'apprivoise incontinent. Le Roi
le prend en son carrosse; dîne avec le Roi, pleure voyant
partir le Roi. Le Roi, revenant de la chasse, va prendre
sa chemise chez M. de Frontenac, en la salle; on lui
Juil
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mène le Dauphin, qui y entre battant de son tabourin.
Le Roi le caresse, le baise, lui baise la poitrine. Il sert à
boire au Roi dextrement. Le Roi le promène dans son
carrosse et à pied, lui tient toujours la main.
Le 2 août, samedi, à Saint-Germain.—A trois heures et demie, le Roi arrive de la chasse et se met pour se reposer dans le lit de Mme de Montglat. A quatre heures, le Roi va éveiller M. le Dauphin, lui fait prendre du sirop d'abricots, lequel ma femme avoit fait. Le Dauphin continue à battre sur son tabourin toutes sortes de batteries; le Roi le baise fort, et s'en va à cinq heures à Paris.
Le 4, lundi.—Porté au Roi, qui venoit d'arriver à cinq heures et demie avec la Reine; le Roi le baise, la Reine le caresse. Le Roi se va coucher, le fait dépouiller et mettre dans le lit auprès de lui; il gambade en liberté.
Le 6, mercredi.—Le Roi et la Reine le mettent en carrosse et vont au devant, au port de Chatou, pour recevoir Mme la duchesse de Bar, sœur du Roi, qui arrive. Il est honteux, puis s'apprivoise et l'accole.
Le 7, jeudi.—Mené à la chambre de Mme la duchesse de Bar par le Roi et la Reine, d'où il ramène le Roi par la main pour dîner.
Le 8, vendredi.—Porté au Roi en la chambre de la Reine; il va voir Mme la duchesse de Bar.
Le 11, lundi.—Porté au lever de la Reine, il baise la chemise et la lui donne; va chez Mme de Bar, en fait autant; revient chez la Reine comme elle se coiffe; chasse Alexandre Monsieur et Mlle de Vendôme d'autour de sa table.
Le 12, mardi.—Il va au dîner de la Reine, lui donne la serviette. A six heures, le Roi revient de Paris.
Le 13, mercredi.—Porté au château neuf, il se joue au Roi et à la Reine.
Le 14, jeudi.—Porté chez le Roi par le jardin; il le rencontre en chemin. Porté chez la Reine.
Le 15 août, vendredi, à Saint-Germain.—Porté au
Août
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dîner de Mme de Bar; à deux heures et demie, en la chambre
de M. de Bar; le Roi lui fait battre sur le tabourin
qui étoit en garde.
Le 16, samedi.—Le Roi vient à sept heures, le trouve et le baise dormant, lui disant: «Adieu, mon mignon.» Le Roi part à l'heure pour aller en Normandie. La Reine va dîner, le fait porter et mettre au bout de sa table; il demanda du vin, de celui que la Reine venoit de boire; je lui en donne dans sa cuiller; puis il demande des confitures, qui étoient des prunes en pâté; je lui en donne par commandement de la Reine. La Reine s'en va pour le voyage de Normandie; il l'accompagne jusques à la porte de l'escalier, et à la portière du carrosse se met à pleurer amèrement.
Le 18, lundi.—On lui fait prononcer les syllabes à part, pour après dire les mots.
Le 21, jeudi.—A cinq heures et demie, mis en carrosse, mené par le parc à Carrière, première maison où il a été hors de Saint-Germain. Il reçoit sur le haut M. et Mlle de la Salle, qui étoit grosse de sept mois et demi et, depuis quatre mois, avoit une si grande passion de le baiser qu'elle en perdoit entièrement le dormir. A l'arrivée, comme elle le voit, elle en approche toute tremblante, lui baise la main par deux diverses fois; Mme de Montglat la lui fait accoler et baiser. Il la prenoit avec la main par dessous le menton; elle témoigna n'avoir jamais eu si grand contentement, et tel qu'il surpassoit le déplaisir qu'elle avoit souffert.
Le 25, lundi.—Arrive de la part du Grand Duc le comte de Montecucullo, qui alloit en Angleterre de la part de Son Altesse; il lui donne sa main à baiser.
Le 30, samedi.—A quatre heures, M. de Longueville revient pour demeurer à Saint-Germain.
Le 6 septembre, samedi, à Saint-Germain.—A quatre heures il va au devant de Madame, sœur du Roi, duchesse de Bar, jusque près d'Anemont.
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Le 17 septembre, mercredi, à Saint-Germain.—Il commence en ce mois à parler par discours[77].
Le 20, samedi.—A dix heures et demie la signora Conchino et la signora Gorini dînent avec Mme de Montglat; il baille sa main à baiser à Mme Conchino.
Le 22, lundi.—A onze heures M. le prince de Condé lui baille la serviette à dîner.
Le 25, jeudi.—A cinq heures le Roi arrive de Caen; il fait bonne chère au Roi, le baise, l'accole, et à la Reine aussi, qui arrive après.
Le 26, vendredi.—Amené chez le Roi et la Reine, il bat sur la table du Roi la françoise et la suisse, sur les vaisselles; trouve son tabourin, recommence ses batteries. Le Roi y prend grand plaisir.
Le 27, samedi.—Mené au souper du Roi[78].
Le 28, dimanche.—Il rencontre Mme la marquise de Verneuil, qui lui demande sa main à baiser, puis son teton; il refuse fièrement l'un et l'autre, jusques à ce que par plusieurs fois il lui ait été dit par Mme de Montglat de le faire; il s'y laisse aller comme par acquit. Mené au cabinet du Roi, il danse au son du violon toutes sortes de danses.
Le 29, lundi.—Il joue au palemail devant le Roi et frappe nettement un coup de cinquante-cinq pas. Mené au dîner du Roi et de la Reine, fort gentil; le Roi et la Reine partent à une heure et demie, fort contents.
Le 30, mardi.—Il avoit une merveilleuse inclination à aimer M. de Candale, reconnu dès le premier jour qu'il l'ait vu[79].
Le 2 octobre, jeudi, à Saint-Germain.—La prière
ordinaire que l'on lui commença à apprendre ce fut,
Oct
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après le Pater, Ave: «Dieu donne bonne vie à papa, à
maman, au dauphin, à ma sœur, à ma tante, me donne
sa bénédiction et sa grâce, et me fasse homme de bien,
et me garde de tous mes ennemis, visibles et invisibles.»
A onze heures et un quart, il mangeoit le dernier aileron
d'un poulet, quand il arrive don Sanches de la Serta,
maître d'hôtel du roi d'Espagne, fils du feu duc de Medina-Cœli,
venant de la part du roi son maître pour voir
M. le Dauphin, lui s'en allant en Flandres. M. le Dauphin
quitte son poulet, Mme de Montglat lui essuie la
main, il la présente. Don Sanches la prend ayant baisé
la sienne, qu'il rebaise après; le sieur Hieronimo de
Taxis, ambassadeur ordinaire d'Espagne, ayant baisé
sa main prend celle de M. le Dauphin et la baise; ils
demeurent découverts un peu de temps, puis se couvrent.
Le Dauphin achève de dîner, demande à boire, boit
à l'Infante. Il voit le poignard au côté d'un Espagnol,
et, le montrant du doigt, dit: Ah, la petite épée! Ils
vont dîner aux dépens du Roi. Le Dauphin, mené à la
salle du bal, où avoient dîné les ambassadeurs, leur ôte son
chapeau, et fait la révérence, le pied en arrière, puis
va son chemin, eux suivent. Il branle la pique devant
eux, il joue au palemail, sec et sans faillir, il danse toutes
sortes de danses fort gentiment; il veut monter sur le
théâtre[80] pour y danser. Les ambassadeurs montent
les degrés pour dire adieu; don Sanches, baisant sa
main, prend celle de M. le Dauphin et la baise, Taxis en
fait autant, et il tend la main à baiser à tous les autres,
à la rangette. Au dîner de M. le Dauphin, M. de Souvré
dit au sieur Hieronimo Taxis: «Voilà un serviteur un
jour pour l'Infante.» Il répond. «A juger selon le
cours du monde; ils sont nés l'un pour l'autre.» Il
m'en dit autant.
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Le 9 octobre, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à huit heures; il fait l'opiniâtre, est fouetté pour la première fois. A six heures, j'arrive de Paris, lui étant sur les terrasses, je le trouve assis. Il trémousse d'aise de me voir, mord sa serviette, me regarde, puis détourne sa vue, en fait autant à ma femme. Il nomme fort bien le nom de M. de Beringhen.
Le 30, jeudi.—Il clarissimo Dandolo, ambassadeur extraordinaire de Venise, arrive pour le voir en passant, lui baise la main, le chapeau au poing. Le Dauphin compose sa contenance et lui ôte le sien, le prie de se couvrir en mettant la main sur son bonnet. Il danse devant l'ambassadeur, joue du tabourin, branle la pique.
Le 3 novembre, lundi, à Saint-Germain.—En s'habillant on lui dit: «Monsieur, dépêchons nous, nous irons jouer au jardin.—Nenni, nous irons voir M. Hérouard en sa chambre[81].» J'arrive là-dessus; il se prend à crier et pleurer à chaudes larmes, disant qu'il étoit bien fâché de ce que j'étois descendu, et qu'il vouloit aller à ma chambre. Je m'en retourne pour écrire une lettre, il s'apaise. On lui demande «Monsieur, où aimez-vous mieux aller, ou au jardin ou à la chambre de M. Hérouard?» Il répond: à Hérouard. Il me fait l'honneur d'y venir, me trouve écrivant en mon étude, entre gaiement me tendant la main. Il est tiré par un peintre, de sa hauteur, qui étoit de deux pieds neuf pouces.
Le 7, vendredi.—Le Dauphin est sevré.
Le 22, samedi.—M. de Saint-Géran, sous-lieutenant
de sa compagnie[82], présente le président de Moulins
et un échevin, lui offrant une épée, une lance et une
paire d'armes complètes. Le président lui fait sa harangue
Nov
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à genoux, lui offrant, de la part de MM. de Moulins,
les armes avec leur très-humble affection à son service.
Il les écoute, leur tend la main à baiser, prend
l'épée, qu'il manie fort adroitement.
Le 29 novembre, samedi.—M. le président de Paulo, deuxième président à Toulouse, MM. Chauvet, de Trelon et Saint-Jory, conseillers, députés de la cour de parlement de Toulouse, [viennent pendant le dîner du Dauphin]. Il s'arrête, ne mange plus, leur tend sa main à baiser, puis ils lui font leur harangue. Il leur donne derechef la main à baiser.
Le 4 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive, la Reine aussi. Dîné avec le Roi; il lui donne la serviette.
Le 5, vendredi.—Porté au Roi et à la Reine dans leur lit; à onze heures, porté au dîner du Roi. Le Roi se lève pour aller à la chasse, le Dauphin va achever de dîner avec la Reine. Mathurine[83] arrive, il la considère froidement; elle se joue avec lui, il en rit; elle se retrousse, il lui voit un haut-de-chausses, il se prend à rire et s'en moque.
Le 6, samedi.—Porté au cabinet du Roi; à midi au dîner du Roi. Le Roi et la Reine s'en vont.
Le 11, jeudi.—A six heures, le Roi arrive; il y est porté. Le Roi l'embrasse; il soupe avec le Roi. Le Roi fait semblant de dormir, il vient tout bellement en souriant, et le va baiser. Le Roi se joue à lui.
Le 12, vendredi.—Mené au dîner du Roi; le Roi part pour aller à la chasse.
Le 14, dimanche.—Opiniâtre, fouetté.
Le 19, vendredi.—A deux heures, le Dauphin reçoit
le connétable de Castille, auquel il tend la main pour la
Déc
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lui faire baiser. Le connétable la baise, puis dit en espagnol
qu'il avoit commandement exprès du Roi, son
seigneur, de le venir voir de sa part et de lui en faire
savoir des nouvelles fort particulièrement. M. le Dauphin
lui demande (lui étant dit à l'oreille): Comment
se porte l'Infante? Puis le Dauphin lui tendant la main
et l'ayant baisée, il va voir Madame dans son berceau.
Le duc d'Ossone ne voulut point voir M. le Dauphin. Un
Espagnol en s'en retournant et passant devant lui, fit le
signe de la croix. Le connétable coucha à Saint-Germain,
à cause du mauvais temps.
Le 22, lundi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive à midi pour la chasse; il baise et accole le Roi; est porté à son dîner. Le Roi s'en va, il crie; colère, fouetté. Mené en la chambre et au souper du Roi.
Le 23, mardi.—Mené au Roi, qui s'en retourne.
Étrennes du Dauphin.—Visite du Roi; journée orageuse.—Bégayement du Dauphin.—Chanson sur La Clavelle et Engoulevent.—Chasse du Roi à Versailles.—Les musiciens du Dauphin.—Il reçoit la croix du Saint-Esprit, premier présent du Roi.—Curiosité et dissimulation du Dauphin.—Le Roi le fait fouetter.—Le Dauphin fait l'essai des mets destinés au Roi.—Opiniâtretés et corrections.—Il voit danser un ballet.—Portrait fait au crayon par le fils de Dumonstier.—Caractère et éducation du Dauphin.—Il va à la Muette, à Croissy, à Poissy.—Singulier langage.—Accueil fait à M. de Rosny, à son présent et à sa lettre.—Lettre du Dauphin au Roi.—Jalousie envers les enfants naturels du Roi.—Dialogue avec le page Labarge.—Scènes avec le Roi et la Reine.—Comment on lui parle de son père; les fous de Cour.—Nouveau portrait peint par Charles Martin.—Le journal d'Héroard.—Scène avec le Roi.—Arrivée des enfants de Mme de Verneuil; dispositions du Dauphin pour eux.—Scène avec le Roi et la Reine; page fouetté à la place du Dauphin.—Les chats du feu de la Saint-Jean.—Le cantique de Siméon.—Mme de Verneuil.—Visite du duc de Lorraine et de ses fils.—Goût du Dauphin pour les armes et les instruments militaires.—M. de Rosny.—Singulier langage qu'on tient devant l'enfant, et ses résultats.—Nouveau portrait fait au crayon par Decourt.—Le livre de Gesner sur l'histoire naturelle; le siége d'Ostende.—Portraits en cire de la Reine et du Dauphin faits par Paolo.—Le Dauphin part de Saint-Germain; son passage à Paris, à Savigny, à Villeroy, à Fleury; son arrivée à Fontainebleau.—Scènes avec le Roi et la Reine.—La poterie de Fontainebleau.—Caractère impressionnable de Henri IV; il blémit d'aise en embrassant son fils et le fouette lui-même.—Lit donné par M. de Rosny.—Concini.—Le P. Coton.—Costume d'été.—Goût de plus en plus développé pour la musique.—Le fou du Roi.—Tragédie anglaise représentée à Fontainebleau.—Statue du Dauphin faite par Guillaume Dupré.—Le danseur de corde.—Portrait au crayon fait par Mallery.—Accès facile des pauvres dans les cours du château.—M. de Favas et sa jambe de bois.—Scène avec le Roi.—L'épinette de M. de Saint-Géran.—Envoi à l'infante d'Espagne.—M. de Rosny et le service d'argent doré.—Journée de colère et ses suites.—Mlle de Guise.—M. de Vendôme indispose le Roi contre le Dauphin.—Singulières conversations.—Continuation de la colère du Roi.—Le lit de la Reine.—Le masque de Mme de Montglat.—Départ de Fontainebleau; passage à Melun, retour à 60 Saint-Germain.—Arrestation du comte d'Auvergne.—La marquise de Verneuil et la comtesse de Moret viennent l'une après l'autre à Saint-Germain.—Arrivée du Roi; souvenir de la scène de Fontainebleau.—Le branle des navets.—Le Dauphin recommence à bégayer.—Moyens dont on se sert pour le faire obéir.—Lutte entre le Roi et son fils.—Le Dauphin valet du Roi.—Historiette du fils de M. de la Fon.—Le Dauphin quitte les lisières.—Remarques sur les antiquités de Rome.—Joujoux de Noël.—Le mari de la nourrice.—Audience des états généraux de Normandie.—Un joujou d'Italie.
Le 2 janvier, vendredi, à Saint-Germain.—Il reçoit la bourse des jetons du Roi apportée par M. Plassin.
Le 7, mercredi.—Le Roi, le vient voir et se joue à lui gaiement. On met le Dauphin en si mauvaise humeur qu'il fault de crever à force de crier, et tout fut en si grande confusion jusques à six heures que je n'eus point le courage de remarquer ce qu'il fit, sinon qu'il vouloit battre tout le monde, criant à outrance; fouetté longtemps après.
Le 8, jeudi.—Il va voir le Roi à dix heures et demie et va à la chambre de la Reine; à douze heures et demie dîné avec la Reine.
Le 9, vendredi.—A onze heures mené au Roi; dîné à deux heures[84] debout sur un placet[85]. Le Roi l'envoye querir en la chambre de la Reine pour voir Mme de Montpensier.
Le 10, samedi.—Mené au Roi en son cabinet; soupé à six heures avec le Roi.
Le 11, dimanche.—A douze heures et demie mené en la chambre du Roi; dîné avec le Roi et la Reine. A deux heures le Roi et la Reine s'en vont. Le Dauphin n'est plus couché les après-dînées.
Le 12, lundi.—Le Dauphin bégaye en parlant[86]; on
remarque que ce a été depuis deux jours auparavant,
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quand le Roi, couché dans le lit, prenoit plaisir à le
faire railler avec le petit Frontenac, qui bégayoit. Il se
fâche quand il ne peut prononcer promptement.
Le 14, mercredi, à Saint-Germain.—A une heure et demie arrive Juan Hieronimo de Taxis, ambassadeur du roi d'Espagne qui vient prendre congé de M. le Dauphin. A cinq heures le Roi arrive, revenant de la chasse; il jette ses bras au col du Roi. A six heures et un quart, soupé avec le Roi; à sept et demie, en sa chambre, il chante la chanson qu'on lui avoit apprise:
Le 15, jeudi.—Le Roi le vient voir; il l'accole; le Roi part pour aller à la chasse à Versailles[89].
Le 27, mardi.—Le Roi arrive à une heure, il accole le Roi, est porté au cabinet de la Reine, où le Roi dîne. A six heures et demie soupé avec le Roi.
Le 28, mercredi.—A trois heures et demie mené à la chambre du Roi; à six heures et demie soupé avec le Roi.
Le 29, jeudi.—A onze heures et demie mené au Roi revenant de la chasse; dîné avec le Roi; il donne la serviette au Roi, qui s'en va à la chasse à une heure et demie.
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Le 30 janvier, vendredi.—Le Roi s'en retourne à Paris. Le Dauphin ne veut point dire adieu à Alexandre Monsieur, qui part pour aller à Paris recevoir la croix[90] le dimanche ensuivant.
Le 3 février, mardi, à Saint-Germain.—Le Dauphin avoit pour violon et joueur de mandore Boileau, et pour joueur de luth Florent Hindret, d'Orléans, pour l'endormir.
Le 4, mercredi.—M. de Beauclerc, premier secrétaire du Dauphin, lui porte de la part du Roi, avec lettre, une croix du Saint-Esprit, premier présent que le Roi lui a fait; la croix tenue par un dauphin émaillé de bleu.
Le 9, lundi.—A six heures la Reine arrive; le Dauphin, porté au cabinet de la Reine, refuse de l'accoler; il le fait par crainte.
Le 10, mardi.—A onze heures le Roi arrive, qui avoit couché à Meudon; le Dauphin est porté en sa chambre, et dîne avec le Roi.
Le 11, mercredi.—Il va à la chambre du Roi, tabourin battant; le Roi étoit encore au lit. Le Roi et la Reine partent à deux heures pour aller à Paris.
Le 16, lundi.—Il fait tirer le capitaine Richard, qui, de son arquebuse, tue un pigeon; il dit: «A diré à papa» (Je le dirai à papa). M. de Mansan[91], oyant cela, dit que dorénavant il ne falloit rien faire devant lui et qu'il diroit tout, et qu'il écoutoit tout sans faire semblant de rien.
Le 18, mercredi.—A six heures et demie il va voir le Roi et la Reine venant de Paris au château neuf; s'endort dans le carrosse.
Le 19, jeudi.—A deux heures mené au château neuf, chez le Roi; il se joue sur le lit du Roi; qui avoit la goutte.
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Le 20 février, vendredi, à Saint-Germain.—Mené au Roi, il revient à onze heures et un quart; mené au dîner du Roi.
Le 22, dimanche.—Mené en la chambre du Roi; le Roi le menace du fouet, il s'opiniâtre, veut aller en sa chambre; mené en celle de la Reine, il continue. Le Roi commande qu'il soit fouetté; il est fouetté par Mme de Montglat, au cabinet. Il est apaisé par de la conserve que la Reine lui donne, mais non autrement, ayant voulu battre et égratigner la Reine. Mené à une heure au bâtiment neuf, il est malmené du Roi.
Le 23, lundi.—Mené à midi au Roi, au bâtiment neuf; il sert le Roi à table.
Le 24, mardi.—Mené au Roi, il le sert à son dîner, fort gentil; il fait les essais sur toutes les viandes; leur dit adieu lorsque le Roi et la Reine s'en sont retournés à Paris, fort contents de lui.
Le 4 mars, jeudi, à Saint-Germain.—A onze heures il veut dîner; le dîner porté il le fait ôter, puis rapporter. Fâcheux, fouetté fort bien; apaisé, il crie après le dîner, et dîne.
Le 5, vendredi.—A onze heures il est fouetté pour ne vouloir point dîner.
Le 7, dimanche.—Il va à la salle du Roi, voir danser le ballet.
Le 18, jeudi.—La Reine arrive de Paris, on le lui dit; il va à la chambre de la Reine, l'embrasse, la salue.
Le 19, vendredi.—Parti avec la Reine, à onze heures, pour aller trouver le Roi, qui dînoit à Laumosne, près de Maubuisson. Étant près de la Muette, il veut aller en sa chambre; la Reine lui montre la Muette, disant que c'étoit Saint-Germain; il répond: Non pas, faut tourner carrosse pour aller à Saint-Germain. La Reine le renvoie; il arrive à Saint-Germain à douze heures, est porté fort criant en sa chambre et fouetté longtemps. Le Roi arrive, venant de Merlou, à trois heures.
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Le 20 mars, samedi, à Saint-Germain.—Il voit le jeune Du Monstier, peintre[92], et lui dit: Équivé (écrivez). Je lui dis: «Monsieur, il veut écrire votre visage, votre nez, vos yeux.» Il lui dit: Équivé-moi; lui soutient doucement le portefeuille, et a peur de l'empêcher. Il va à la chambre du Roi, qui étoit couché; ramené à dix heures et demie, dîné; il se laisse peindre. Mené au dîner du Roi et de la Reine, il sert le Roi, fait l'essai des viandes et du breuvage dans le couvercle de verre. A cinq heures soupé; il sert le Roi à souper, à l'accoutumée.
Le 21, dimanche.—Mené au dîner du Roi, il le sert à l'accoutumée. A une heure le Roi part pour retourner à Paris; à deux heures la Reine part. Il s'amuse à ses échecs d'argent, pendant que le jeune Du Monstier tire son crayon.
Le 28, dimanche.—Il jure sa foi, je l'en reprends, lui disant: «Monsieur, vous jurez votre foi.» Il s'en prend à pleurer, s'en met en colère, s'en va à Mme de Montglat, et ne lui veut jamais dire pourquoi il étoit fâché.
Le 8 avril, jeudi, à Saint-Germain.—A onze heures dîné; fantasque, crie, pleure; un coup de verge sur la main, colère, s'apaise.
Le 21, mercredi.—En se promenant par la chambre, il
s'arrête court, voyant M. de la Valette sans manteau, se
chauffant dans la balustre, les mains derrière le dos, et
lui dit: Ho! la Valette, vous chauffez comme moi, êtes-vous
le Roi? ôtez de là, allez-vous-en. Peu après Mlle Bélier, sa
remueuse, en l'entretenant lui dit: «Monsieur, quand
vous serez grand on vous fera un haut de chausses où il
y aura une belle petite brayette.» Il répond soudain: Fi!
braguette, c'est pour les Suisses. A deux heures trois quarts
goûté debout, car il faut noter que depuis le matin, qu'il
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étoit levé jusques à ce qu'il s'endormoit pour être couché,
il ne s'asseyoit qu'à dîner et à souper.
Le 23, vendredi, à Saint-Germain.—Promené à Vésinet.
Le 24, samedi.—Il se réjouit d'une robe neuve, la montre à chacun.
Le 27, mardi.—A sept heures déjeuné, fort gai, contrefait souvent l'ivrogne. A onze heures dîné; il lui prend humeur à contredire et de crier; fouetté.
Le 29, jeudi.—Éveillé à sept heures et demie, levé, déjeuné, colère mal à propos, fouetté très-bien.
Le 4 mai, mardi, à Saint-Germain.—Éveillé à sept heures et demie, levé, il se met en mauvaise humeur, crie, fouetté, crie plus fort, apaisé.
Le 7, vendredi.—A quatre heures et demie mis dans la litière de la Reine pour essayer; mené jusques auprès de la Muette[93], en revenant il veut entrer en carrosse.
Le 8, samedi.—Éveillé à six heures, il demande son déjeuner, en mauvaise humeur, chasse tous ceux qu'il voit. Levé, hoignard; à huit heures et demie déjeûné; opiniâtre, fouetté, se dépite, apaisé. A onze heures dîné. A trois heures il passe le bac au Pecq; mené à Croissy, goûté à Croissy, gai, il demande où est la cuisine. Remis en litière, il s'endort, arrive au château à cinq heures et demie.
Le 11, mardi.—A dix heures le Roi arrive, il lui fait bonne chère; dîné à onze heures trois quarts avec le Roi. A quatre heures le Roi s'en retourne; il l'accole, il lui baise la main.
Le 12, mercredi.—Mené à Poissy; le curé vient au-devant de lui avec la croix et la bannière. Il est reçu par Mme de Retz, abbesse, à l'entrée de la maison de l'abbaye.
Le 13, jeudi.—Levé à huit heures, il entre en mauvaise
humeur, crie, est fouetté, porte la main au fessement,
disant: Chatouillez-moi, chatouillez-moi, crie par
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dépit, apaisé. A trois heures il entre en carrosse, est mené
à Forqueux.
Le 15, samedi, à Saint-Germain.—A sept heures levé, déjeuné. J'avois nommé potage son bouillon, il me dit: Je pense vous rêvez, c'est pas du potage. A deux heures goûté; il se cache en mon étude, m'appelle: Moucheu Heoua, je suis en vote petite chambe. Il ne brouilloit jamais rien là où il alloit; s'il y a quelque désordre, il le fait remettre.
Le 17, lundi.—Dîné, mené à la salle du bal, il s'opiniâtre, est fouetté.
Le 20, jeudi.—Mené au palemail, ramené à onze heures pour dîner, il n'en veut point; fort crié, fouetté très-bien coup sur coup, par deux fois, ne se rend point, enfin dîné.
Le 23, dimanche.—A huit heures levé, bon visage, gai, vêtu; il avale[94] ses bas de chausses disant: Voyez la belle jambe. Mlle de Ventelet lui hausse le bas et l'attachoit d'un ruban bleu à son cotillon; il voit que le ruban tournoit un peu sur le derrière, il se prend à dire en souriant: Ho! ho! je pense vous voulez fai mon cu chevalier, puis le voyant encore plus en arrière: Ho! ho! mon cu est chevalier. A neuf heures et demie déjeuné sur la fenêtre du préau; il voit des hommes qui passent, leur crie: Bonjou, Messieurs, je m'en vais boire à vous. A six heures il voit en passant le petit Canada[95] à la fenêtre, malade, il lui fait porter de son potage.
Le 24, lundi.—M. de Rosny le vient voir, il lui baille
froidement la main à baiser, joue au palemail à la salle
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du bal. M. de Rosny lui veut baiser la main et s'en aller,
il la refuse et ne le veut accoler; M. de Rosny s'en va,
il est marri de l'avoir refusé, le dit à Mme de Montglat, lui
donne la main.
Le 26 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Il ne veut point saluer M. de la Chevalerie qui lui apporte un petit carrosse plein de poupées; il y avoit une lettre de M. de Rosny; il tend la main, et pour la lettre, dit: Je la jetterai par la fenêtre.
Le 27, jeudi.—A une heure, dans la tourelle de la chambre du Roi, il écrit, pour du sucre rosat, une lettre au Roi. Je lui tiens la main; il se fâchoit sur la fin, disant: Ma pume est to pesante. Il nommoit tous les mots après moi, qui lui conduisois la main:
Papa ie say ben equiué non pa enco lisé. Moucheu de Oni m'a anuoié un home amé et un beau caoche ou é ma maitesse l'infante, é une belle poupée à theu theu. I m'a pomi un beau gan li pou couché, ie ne sui pu peti anfan, iay ben chau dan mon bechau, iay beu a vote santé papa é a maman. Ma pume est fo pesante, ie ne pui pu équiué, ie vous baise te humbeman lé main papa é a ma bone maman é sui papa vote te humbe é te obéissan fi é cheuiteu. Daufin[96].
Le 31, lundi.—Levé contre son gré par Mme de Montglat; il tenoit des verges, lui en donne un bon coup sur le visage, ne veut point de Mme de Montglat, s'y opiniâtre, en est fouetté. Il envoie à dîner à Canada.
Le 1er juin, mardi, à Saint-Germain.—Il se fait promener dans son petit carrosse du comte de Permission[97].
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Le 3, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à sept heures, levé; il prend sa chemise par jalousie de Labarge, page de Mme de Montglat. Il frappe à coups de pied M. le Chevalier et Mlle de Vendôme. Amusé, promené, il est toujours avec les soldats, fait mettre le feu à un pétard. Il fait fouetter Labarge, fait mettre le petit Frontenac à genoux, le fouette, lui fait baiser les verges, lui pardonne.
Le 4, vendredi.—Levé à neuf heures; le Roi arrive; fort gentil, l'embrasse, entre en colère de ce que le Roi avoit baisé un peu serré M. le Chevalier, en fait le dépité; diverti, fait bonne chère au Roi. M. le Prince lui donne sa chemise. Déjeuné, il va à la messe avec le Roi en la chapelle, veut faire ôter le Roi de sa place, s'y efforce, et dit: Il est en ma place, ôtez-vous de là. Le Roi s'ôte et laisse son chapeau: Otez le chapeau; il fut ôté. Mené partout avec le Roi. A onze heures dîné avec le Roi. La Reine arrive à midi; il la sert, se joue à elle. Mlle de Vendôme baise la main de la Reine; il s'en fâche, y court pour la frapper, frappe la Reine. A trois heures goûté en sa chambre, mené promener, il dit adieu au Roi et à la Reine; à six heures soupé, il fait exercice de guerre; à huit heures s'endort.
Le 5, samedi.—A huit heures et demie déjeuné; mené au Roi, il va jouer au palemail, puis au lever de la Reine. A dix heures et demie dîné en la salle avec le Roi; il ne veut point que M. le Chevalier et Mlle de Vendôme prennent dans le plat du Roi. A six heures trois quarts soupé; mené au Roi, il voit M. le Chevalier auprès du Roi, s'en va à la charge, le fait mettre derrière.
Le 6, dimanche.—A huit heures et demie déjeuné; le Roi y vient, le voit déjeuner; il fait le fâcheux, fait taire Hindret, joueur de luth. Promené au jardin, aux allées, il voit et regarde le Roi touchant les malades.
Le 8, mardi.—Levé, il ne veut point prendre sa chemise,
et dit: Point ma chemise, je veux donner premièrement
du lait de ma guilley; l'on tend la main, il fait comme s'il
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en tiroit, et de sa bouche fait: fsss, fsss, nous en donne à
tous, puis se laisse donner sa chemise. Vêtu, il se joue en
paroles avec Labarge; Labarge lui dit qu'il est Monsieur
le Dauphin; il lui répond: Vous êtes Dauphin de
mede. Mené au palemail, M. de Lorraine avec lui, ramené
chez la Reine; dîné avec la Reine à midi. «Mon fils,
dit la Reine, où irons nous?» Il répond: A la chasse. A
trois heures la Reine le met en son carrosse, le mène à
la chasse aux toiles, au bois de Ponchi, près le parc de
Sainte-Gemme. A quatre heures et demie goûté d'une
rôtie à l'accoutumée; le Roi arrive de courir le cerf, prend
de sa rôtie; il s'en met en colère. Le Roi le pressa trop et
lui jette au visage l'eau dont la rôtie étoit trempée; il
se met à pleurer, et eût été plus malmené sans M. de Lorraine.
Porté sur un chariot, dans les toiles, il voit passer
devant lui et s'en retourner le sanglier; le voyant, il remarque
ses dents et dit: Il a de grandes dents.
Le 9, mercredi.—Mathurine[98] lui demande: «Viens çà; seras-tu aussi ribaud que ton père?» Il répond froidement, y ayant songé: Non. Il va chez la Reine à une heure et demie; à deux heures goûté; il entre en mauvaise humeur contre la Reine, il la frappe, elle en rit. On veut fouetter Labarge s'il ne demande pardon, il le demande. Madame le veut baiser, il lui fait baiser son pied.
Le 10, jeudi.—M. de Vendôme arrive, se met auprès
de lui, à la main gauche; il le repousse par deux diverses
fois de la main, disant: Allez plus loin. M. de Vendôme,
de son mouvement, lui baise le dessus de la main
et à l'impourvû. Ha! dit-il en faisant le fâché, vous baisez
ma main, et la frotte contre sa robe. Promené au
jardin, dîné, amené à la Reine, mis en carrosse. A deux
heures goûté, amusé, ramené en la salle du Roi, il fait
sortir un cul-de-jatte qui jouoit du flageolet, disant: Mettez
dehors; qu'il joue, mais je ne le veux pas voir. Il ne veut
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point voir Olyvette, folle de feu Mme de Bar, ne veut
point voir maître Guillaume[99], n'aime point les fols
de cette sorte. Soupé; il fait porter de la gelée au petit
Canada, malade; s'amuse à voir les passants.
Le 11, vendredi, à Saint-Germain.—Il se fâche, frappe Mme de Montglat, fait ôter le bâton à M. de Courville, gouverneur des pages de la chambre. Mené au jardin, on ne le peut contenter; on est contraint de l'emporter; il crie, craignant le fouet; outré, un peu fouetté, il égratigne bien fort Mme de Montglat à la joue de deux grandes raflades. Apaisé, mené à la salle du Roi; à onze heures trois quarts dîné; fâcheux, il fait ôter Madame de table. Mesuré, il a trois pieds de long, moins demi-pouce[100].
Le 12, samedi.—A neuf heures déjeuné; il va à la chapelle, voit M. le Chevalier et Mlle de Vendôme à genoux sur leurs carreaux; il se prend à eux, disant: Otez, ôtez de là; priez Dieu à terre; ils sont contraints de les ôter. Mené chez la Reine, il entre en fâcheuse humeur, veut que la Reine ôte sa robe, qu'elle ôte sa chaîne. La Reine le frappe, il lui rend, demande pardon. Il fait le fâcheux, ne veut point dîner; enfin, sur la jalousie de Labarge, qui feignit vouloir manger le dîner, il dîne à onze heures et demie. Il prend plaisir aux discours de maître Guillaume, les redit. A deux heures et demie goûté; il va en la chambre de Madame; Mme de Montglat veut donner la chemise à Madame; il la prend, la jette à terre en colère. On la met à Madame, il crie plus fort; fouetté, outré de colère. Porté au Roi à sept heures et demie, ramené à huit.
Le 13, dimanche.—A neuf heures déjeuné; mené
chez le Roi; le Roi lui veut faire prendre en la bouche,
par force, une fraise; il entre en mauvaise humeur, jette
la serviette du Roi par terre; porté en la chambre de la
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Reine, fouetté. Mené au dîner du Roi, il mange tout ce
que le Roi lui donne.
Le 14, lundi.—Mené au palemail, il court de loin au Roi, l'embrasse; le Roi le prend par la main. A onze heures mené en la salle du Roi; dîné; mené au Roi à deux heures, il se joue en la galerie.
Le 15, mardi.—A neuf heures déjeuné; peint par le sieur Martin[101]. Mené à la chapelle, M. le Chevalier et Mlle de Vendôme étoient sur leurs carreaux, il les en fait ôter. Mené à la Reine à trois heures; le Roi revient de la chasse; à trois heures trois quarts le Roi et la Reine partent pour aller à Paris.
Le 16, mercredi.—Il se jouoit d'une petite clef attachée
à un cordon; je lui demande. «Monsieur, est-ce la clef
de vos écus?» Il répond: Oui.—«Et qui les garde?»—Il
répond: Moucheu de Rosny. A deux heures et demie
goûté; il vient en ma chambre. Je tenois sur ma table
la liasse de mon journalier pour le montrer à Mme de
Panjas, qui étoit avec Mme de Montglat. «Ce livre, Monsieur,
lui dis-je, c'est votre histoire pisseuse.» Il répond:
Non.—«C'est votre histoire breneuse[102].» Il répond:
Non.—«C'est l'histoire de vos armes.» Il répond: Oui.
A huit heures le Roi et la Reine reviennent; mené vers
LL. MM., il les embrasse, danse, court, va servir le Roi à
table. Il demande une guine, le Roi la lui refuse, il s'en
fâche; le Roi la lui veut donner, il n'en veut point, est en
mauvaise humeur, continue voyant que le Roi baisoit
M. le Chevalier. Le Roi se lève de table, le veut baiser, il
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ne veut pas; le Roi lui prend la tête et le baise, et se sentant
pressé, pour se défendre il rencontre la barbe du
Roi (sic).
Le 17, jeudi.—Mené à la messe du Roi, qui le mène à la procession, ramené à la chapelle pour l'écu à l'offrande, qu'il ne vouloit point lâcher[103]. A onze heures trois quarts, mené en la salle du Roi; dîné en rêvant et battant le tambour de la voix, tirant des arquebusades. Il ne songe point à boire; on lui en présente sans en demander; il n'en fait compte, boit par coutume. Amusé jusques à trois heures, goûté; mené au palemail au Roi et à la Reine, il court, joue au palemail, frappe un coup en lieu plein, vers la chapelle, de quatre vingts pas, mesurés par le Roi. A six heures et demie soupé; en mangeant on lui dit: «Monsieur, voici un autre féfé qui vous vient voir.» Il répond: Enco un aute féfé! où est-i? M. et Mlle de Verneuil arrivent à sept heures et un quart; il les regarde fixement à l'entrée. On le met bas[104], il va au devant froidement pour recevoir M. de Verneuil, lequel se retire contre celui qui le tenoit et se retourne, hoignant, ne voulant point voir et approcher M. le Dauphin, qui suivoit froidement, sans s'émouvoir, pour le caresser. M. de Verneuil résiste à l'accoutumée; cependant M. le Dauphin se retourne, baise et accole par deux fois Mlle de Verneuil. Voyant que M. de Verneuil ne se vouloit point laisser accoler ni approcher, il retourne, court vers sa table et achève de manger. Il regardoit M. de Verneuil, tenant la tête baissée sur le côté droit et appuyé sur le bras de la chaise, du coude du même côté. Mené au Roi en la cour, le Roi le mène au jardin; tous ses enfants y étoient[105].
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Le 18, vendredi, à Saint-Germain.—Mené à la Reine, M. de Verneuil avec lui; la Reine leur fait bonne chère. A trois heures et un quart goûté; il donne des confitures à M. de Verneuil.
Le 19, samedi.—Il se joue à un petit canon qu'il dit lui avoir été donné par le sieur Constance, écuyer du Roi. A onze heures et demie dîné; il pousse son écuelle de cerises, et dit: Velà pou le petit Canada, qui étoit décédé le jour précédent. A cinq heures et demie mené au jardin, il se fait mettre dans le petit chariot vert avec Mme de Montglat, et à son côté M. de Verneuil, disant: Mettez, mettez-le là, après que M. de Verneuil lui eut demandé: «Mon maître, vous plaît-il que je sois là?» Mené au Roi et à la Reine revenant de la chasse.
Le 20, dimanche.—M. de Vendôme entre en sa chambre fort accompagné; il y avoit entre les autres un gentilhomme de Normandie, nommé le sieur de la Valée, qui se mêloit de prédire par horoscopes et nativités. Il s'adresse à lui parmi la troupe: Allez vous-en, et le presse si fort qu'il fallut sortir. A dix heures et demie porté au Roi en la chapelle; on lui demande: «Monsieur, qui est le papa de féfé Verneuil?» Il répond un mot controuvé, de son invention, comme quand il ne vouloit pas dire quelque chose. «Monsieur, lui dit-on, il est le fils du Roi.» Il répond court et soudain: C'est moi, se montrant et ayant la main sur sa poitrine.
Le 21, lundi.—Mené à la chapelle; le Roi lui jette
de l'eau bénite au visage; il s'en met en colère, ne veut
que personne sorte, fait fermer les portes. A deux heures
et demie goûté; il s'amuse aux exercices de guerre. La
Reine arrive, il se met en mauvaise humeur, ne veut
point baiser la Reine, la veut frapper. L'on feint de
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fouetter Labarge comme faisant la faute; il s'apaise et
fouette lui-même Labarge. A six heures soupé; sa nourrice
lui demande s'il veut teter, et lui présente le teton;
il lui tourne le dos, lui disant froidement: Faites teter
mon cu.
Le 22, mardi.—Il entre en mauvaise humeur contre Mme de Montglat, en fait autant à M. Concino, puis fait la paix moyennant un petit carrosse et une charrette pour Labarge. Il va au jeu de paume, donne le bonjour au Roi, se joue, et rit avec M. de Montigny, enseigne colonelle aux gardes, qui avoit un grand nez, l'appelant Janica, pour Nasica.[106]
Le 23, mercredi.—Promené par la galerie; il donne le bonjour au Roi, qui étoit en carrosse à cause de la pluie. Il donne un soufflet à la petite Louise, parce qu'il ne vouloit pas qu'elle tînt par la main Mlle de Verneuil; elle s'en va, il la suit pour la faire revenir, ne veut point que Labarge y aille, et l'ayant attrapée: Venez, venez, petite Louise, je ne vous battai pus.
Le 24, jeudi.—Mené au Roi, qui le mène à la Reine; il obtient grâce pour des chats que l'on vouloit mettre au bûcher de la Saint-Jean. Mené au Roi et à la Reine, il est gentil et le Roi lui est fort doux. Il s'amuse avec ses petits seigneurs à des actions de guerre; la Reine arrive, il se met en colère contre elle, craignant que ce fût pour lui empêcher son plaisir. La Reine le menace du fouet, la colère augmente; le Roi l'apaise. Le Roi et la Reine partent à trois heures.
Le 27, dimanche.—Il fait ôter de derrière lui M. de la Valette, qui lui tenoit sa lisière; arrive un habitant de Rouen, âgé de cinquante-cinq ans, qui se met à genoux, la larme à l'œil, disant le cantique de Siméon.
Le 28, lundi.—Mlle de Vendôme pour se jouer avec
le Dauphin, comme elle faisoit bien souvent, lui porte son
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doigt au visage; il s'élance en colère sur elle comme
un lion et lui arrache le masque du visage. Il met le feu
au bûcher de Saint-Pierre.
Le 29 juin, mardi, à Saint-Germain.—Il fait de petites actions militaires avec ses soldats; M. de Mansan lui met le hausse-col, le premier qu'il ait mis; il en est ravi, se fait voir à tous ses soldats. Il goûte avec son hausse-col, s'entretient avec tous ses soldats comme s'il étoit en pleine guerre.
Le 30, mercredi.—Il demande son hausse-col et toutes ses armes, les prend, les considère, s'en joue, en est ravi, met ses gantelets en mains, en gourme Labarge. Il ne peut laisser les armes. Mme de Vitry appeloit M. de Verneuil son maître; il l'entend, et dit: Non, c'est moi.
Le 2 juillet, vendredi, à Saint-Germain.—Mme sa nourrice demande à M. de Verneuil ce qu'il avoit mangé à souper, il répond: «Du poulet, de la panade, etc.» Elle demande après à M. le Dauphin: «Et vous, petit bout de nez, petit galant, qu'avez-vous mangé à souper?» Il répond en souriant, comme gaussant: De la mede.
Le 3, samedi.—Il se fait mettre dans le chariot du comte de Permission, fait asseoir M. de Verneuil sur le devant, se fait traîner.
Le 4, dimanche.—Mené à dix heures à la chapelle, il entre en colère contre M. l'aumônier, est fouetté; la colère lui augmente, il en est diverti par Labarge, qui sonne les cloches. Le baron d'Ornh, gentilhomme anglois, fils du grand fauconnier d'Angleterre, vient avec le sieur de l'Isle, gentilhomme anglois, lequel, par transport, souleva et baisa à l'oreille M. le Dauphin par permission; mais il avoit à demi fait quand il la demanda.
Le 5, lundi.—Promené en la basse-cour où il donne l'aumône à des pauvres.
Le 6, mardi.—Mme la marquise arrive en la salle du
Roi, trouve M. le Dauphin, qui lui donne la main à baiser;
Mme de Verneuil se veut jouer à lui, et lui prend ses
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tetons; il la repousse et lui dit: Otez, ôtez, laissez cela; allez-vous-en.
Le 7, mercredi.—Botté pour la première fois par M. de Ventelet, il en est ravi, montre ses bottes à chacun, dit qu'il va à Paris, demande son cheval. Le capitaine Polet, gentilhomme gascon, revenant de Hongrie, lui baise les mains. Le Dauphin ne veut point baiser Mme la marquise de Verneuil, ne veut point approcher Mme la marquise, la frappe de son palemail. Il se fait mettre son hausse-col, prend sa pique, la branle contre M. de Belmont, se fait mettre son épée, s'efforce de la tirer (elle étoit bridée). Mme la marquise lui dit: «Monsieur, je vous la tirerai, et permettez que mon fils prenne votre pique, le voulez-vous bien?» Elle la met hors du fourreau; il la tient haut, élevée, pour un peu de temps. M. de Belmont la prend de ses mains, la remet dans son fourreau et la bride, feignant de la lui vouloir racoustrer. Il ne veut jamais permettre que la marquise lui touche les tetons; sa nourrice l'avoit instruit, disant: «Monsieur, ne laissez point toucher vos tetons à personne, ne votre guillery, on la vous couperoit.» Il s'en ressouvenoit.
Le 8, jeudi.—M. de Lorraine[107], qui le venoit voir
avec MM. de Bar[108] et de Vaudemont[109], arrive; il va à
lui le chapeau au poing, lui tend la main à baiser et à
MM. ses enfants, se fait mettre l'épée que le duc de Lorraine
lui donne. Mme la marquise de Verneuil, qui étoit
revenue de Poissy à une heure, vient à deux heures; il
ne tend point la main. Elle essaye tous les moyens,
point; Mme de Montglat lui fait donner, mais avec peu de
volonté, et lui fit dire: Adieu, madame, j'aimerai bien
vote fils, mon féfé. Elle répondit: «Et il sera votre
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serviteur.» A quatre heures, le duc de Lorraine prend
congé de lui.
Le 10, samedi, à Saint-Germain.—Il ordonne en paroles comme s'il avoit déjà commandement, et dispose de l'ordre et devoir des soldats, sait les noms et propriétés de toutes les armes. Il tire des armes, fait ôter le plastron à M. de la Valette.
Le 12, lundi.—Il fait venir une épousée de village, considère les danseurs.
Le 14, mercredi.—Éveillé à sept heures trois quarts,
il s'entretient tout seul, bat tout bas en soi-même la batterie
des lansquenets, bat du tambour contre sa poitrine
avec le poing. Çà, dit-il, venez souda, en fait autant faire par
Mlle Beraud, lui dit: Marchez, en garde, demande son corselet,
disant: J'ai astheure une grande chambre, et un grand
corcelet; il est là-haut à ma garde-robe. Il en fut impatient
tant qu'il l'eût; il se laisse vêtir et coiffer patiemment,
sous l'espérance d'un casque qu'il voyoit devant lui; il
le fait essayer, il étoit trop étroit. M. de Belmont lui
met son hausse-col; M. de Ventelet tenoit le derrière du
corcelet; M. de Belmont lui met le derrière, qu'il empoigne
lui-même et le serre comme sauroit faire le
plus accoutumé à porter cuirasse, a la patience, et soudain
qu'il est armé demande: Ma pique, et se prend à
marcher parmi la chambre, si gaiement et si à son aise
qu'il sembloit n'avoir rien sur les épaules. Jamais ne
fut vu pareille chose en cet âge: la patience, l'adresse
et la facilité à porter et manier les armes. Il se prend
à tirer et branler des coups de pique contre Labarge
et sur la balustre, comme à la barrière; il va, il vient, il
ne dit mot, transporté d'aise. L'on lui porte un grand
miroir, il se voit dedans, et tout soudain se fait désarmer.
Il joue, raille sur Marguerite Valon, descend chez
MM. d'Épernon, s'amuse à un livre de figures, en voit une
où il y avoit un hallebardier qui en détachoit un autre,
lui avaloit les chausses, et lui mettoit le doigt dans le
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fondement. Hé, dit-il, Velà Fanchemont (Franchemont,
un hallebardier du corps, qui étoit en quartier) qui met
le doigt au cu du capitaine Richard. A trois heures,
comme il a entendu battre la garde, il a demandé soudain:
Je veux mes armes, mon corcelet, mon casque, mon
hausse-cou, se fait armer, et là-dessus les soldats viennent
pour entrer en garde. Il se fait désarmer et commande
au baron de Montglat de porter ses armes au
corps de garde, au sieur de Saint-Martin, pour les mettre
au râtelier et les bien attacher. Elles y furent mises,
les armes entières, depuis le casque jusques aux pieds;
il les alloit montrant à ceux qui entroient en la salle;
il me les montra par la fenêtre, me dit: Voyez, mes armes
qui sont au corps de garde, et me commanda de l'écrire.
Le 16, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat, par mégarde, lui tournoit le dos; il lui a dit: Il faut pas tourner le cu à moucheu le Dauphin.
Le 19, lundi.—Il voit dresser son lit avec une extrême allégresse, est mis dans son lit pour la première fois[110].
Le 24, samedi.—Étant à la messe, Mlle Bélier lui donne une image d'un crucifix, lui disant que c'étoit le bon Dieu. M. l'aumônier élevant l'hostie, elle lui dit: «Monsieur, regardez le bon Dieu.» Il répond: C'est encore le bon Dieu? L'aumônier élevant le calice, elle lui en dit autant; il répond: C'est le bon Dieu, en montrant sa figure, et là? ajoute-t-il en montrant le calice. «Cela, dit-elle, est le sang du bon Dieu»; il répond: Buvons-nous du sang?
Le 27, mardi.—Il s'arme pour aller au devant de M. de Rosny avec sa pique.
Le 28, mercredi.—Éveillé à sept heures, il se met en
mauvaise humeur, égratigne Mme de Montglat, est fouetté.
Juil
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Labarge lui demande: «Monsieur, vous plaît-il que je
mette Marguerite en prison?» Il répond: Non.—«Pourquoi,
Monsieur?»—Vous êtes pas de mes archers de mes
gardes!—«Que suis-je donc?»—Archer de ma garde-robe.
Le 31 juillet, samedi.—Il va chez M. de Frontenac, qui lui baille une petite arquebuse et un petit fourniment, qu'il fait mettre sur soi, et s'en transporte d'aise.
Le 4 août, mercredi.—M. de Montglat lui demande: «Monsieur, me donnez-vous rien à souper?» Il répond: Mon reste.—«Monsieur, voilà maman dondon[111], qui a un cul de ménage où il y à boire et à manger.» Il répond: Et moi aussi.
Le 5, jeudi, à Saint-Germain.—A huit heures et demie dévêtu; Mlle de Vendôme lui demande: «Monsieur, coucherai-je avec vous?». Il répond brusquement: Ho! ho! vous n'êtes pas l'Infante. Mis au lit, Mlle de...[112].... lui en demande autant: «Monsieur, vous plaît-il que je couche là avec vous?» Il répond résolûment: Êtes-vous l'Infante?—«Oui, monsieur,» dit-elle. Il répond: Non, vous n'êtes pas l'Infante.
Le 6, vendredi.—Il se joue dans son lit à ses petites armes, chante une chanson qu'il avoit ouï chanter: A Paris, su petit pont, le poil du...[113] s'étant failli pour dire le coil du pont. Levé à neuf heures et demie, déjeuné, il mange assis, ayant devant lui ses petites besognes d'armes, pendant que le sieur Decourt, peintre du Roi, en tire le crayon. A neuf heures et un quart dévêtu, il chante: Le coil du pont, le pont du coil, et se faut, disant: le poil du...; l'on en rit.
Le 10, mardi.—On parloit de deux Espagnols qui
avoient tué une femme à Paris; il écoutoit, et soudain
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va dire: Il faut que le capitaine Richard les prenne, il
les fera fouetter et puis pendre[114].
Le 12, jeudi.—Éveillé à huit heures, il appelle Mlle Bethouzay, et lui dit: Zezai, ma guillery fait le pont levis; le velà levé, le velà baissé; c'est qu'il la levoit et la baissoit. Il vient en ma chambre à quatre heures, s'amuse au livre des oiseaux de Gesner[115], en mangeant un gros morceau de pain de Gonesse, que sa nourrice lui avoit donné. Il s'amuse au plan du siége d'Ostende, s'informe de toutes les particularités du siége, tant du dedans que du dehors[116]. Il s'en va par le pont du Roi au palemail à cinq heures et demie, va jusques au bout, jouant la plupart du temps au palemail; il frappe un coup de septante-six pas. Quand il avoit mal frappé il disoit: J'ai pas bien joué; si on lui vouloit dire le contraire, il s'en fâchoit, et disoit: Non, je n'ai pas bien joué. «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery.»—Eh! la velà-ti pas? dit-il en me montrant l'endroit; il mettoit contre le manche du palemail, et je voulois lui en faire peur.
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Le 20, vendredi.—Il baise un portrait en cire de la Reine, assez mal fait, qu'il reconnut; il est tiré en cire, avec sa nourrice, par le sieur Paolo[117], pour être porté en Italie.
Le 27, vendredi, à Saint-Germain.—Mme la marquise de Verneuil arrive; il lui tend la main à baiser. «Monsieur, dit Mme de Montglat, baisez-la.» Il répond: Non, brusquement, et la regarde de même. A huit heures et demie, dévêtu, fort gai. «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery»; il répond: Hé! la velà-ti pas, gaiement, la soulevant du doigt. Mis au lit, il s'assied sur son chevet et se joue à sa guillery.
Le 28, samedi.—A trois heures trois quarts il est entré en litière pour le voyage de Fontainebleau[118]; il en faisoit difficulté, mais lui ayant montré les cordons et lui ayant dit qu'il feroit le pont-levis, il y est entré gaiement; il va par la levée, passe par Buzenval, et arrive à Saint-Cloud chez M. de Gondi.
Le 29, dimanche, voyage.—A neuf heures et demie, mis
en litière pour aller à Paris. M. de Rosny, accompagné de
soixante chevaux, lui vient au devant, à Chaillot. Entrant
au faubourg Saint-Honoré, il sent la puanteur du ruisseau
et dit à Mme de Montglat: Mamanga, que je sens pas
bon; on lui fait sentir un mouchoir trempé au vinaigre. Il
arrive à la porte Saint-Honoré à onze heures et demie,
trouve entre les deux portes le prévôt des marchands et
échevins, et autres officiers de la Ville, qui firent une harangue
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prononcée par le prévôt des marchands, M. Miron,
et un chant de joie en musique; ils l'étoient venus
voir à Saint-Cloud. A l'entrée de la ville se trouvèrent
MM. de Nevers, d'Aiguillon, de Sommerive, de Joinville,
accompagnés de sept chevaux; ils mettent pied à terre
avec M. de Longueville, qui l'avoit accompagné depuis
Saint-Cloud, où il étoit venu le jour précédent, et
Mme d'Angoulême aussi. La litière fut découverte
avant que d'entrer sur le pont-levis. Il passe la ville,
tenant en sa main des tablettes, regardant de çà, de
là, en haut, tourne et prête son visage aucunes fois à
ceux qui prenoient plaisir de le voir; bref, il sembloit
une personne qui avoit composé sa façon avec jugement
pour cette action; résolu, ferme, grave, doux. Il ne
s'étonne de rien. Il passe de la rue Saint-Honoré en celle
de Saint-Denis, devant la porte de Paris, au pont Notre-Dame;
et, devant les petites boutiques qui sont devant
Saint-Denis de la Chartre, le mulet de devant tombe
tout à fait, et, se voulant par trois diverses fois relever ne
peut; se relève aidé à la quatrième. Il faisoit grand chaud;
sa nourrice étoit dans la litière avec Mme de Montglat. Il
ne s'étonna jamais et ne changea jamais de contenance;
ferme, assuré, sans s'ébranler en marchant, dit: Maman,
fait bien chaud, allons à ma chambre. En entrant dans la
ville, comme le peuple commença de crier Vive le Roi et
Monsieur le Dauphin, il crioit aussi: Ah! ah! Mme de Montglat
lui dit qu'il ne falloit pas crier et que ces gens
prioient Dieu pour papa, pour maman et pour lui; il se
tut. Il sort par la porte Saint-Victor et arrive à une
heure et demie à Villejuif (il est logé chez un apothicaire
de Paris, et y dîne); il bouffonne avec M. Arnauld, trésorier
de France à Paris[119]. Parti à cinq heures et demie,
il arrive à sept heures et trois quarts à Savigny; mis sur
le lit à huit heures et demie.
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Le 30 août, lundi, à Savigny.—Mené à la chapelle, puis au jardin et aux allées; parti à quatre heures, il arrive à six heures et demie à Villeroy.
Le 31, mardi.—Parti à neuf heures (de Villeroy) il arrive à midi à Fleury. Le Roi y vient dîner; il le va recevoir par le parc. La Reine arrive à douze heures et demie. Fort gentil, doux, baisé, embrassé, dîné avec la Reine, mené à la chambre du Roi, qui se met sur son lit; il le va éveiller, le tire, y envoie MM. de Vendôme et de Verneuil. A deux heures il demande sa collation; le Roi lui dit: «Mon fils, donnez-m'en?» Il répond: Non, donnez-moi de la vôte. La Reine lui demande: «Mon fils, donnez-moi de votre soucre»[120]. Il la reprend, en souriant et disant: Du soucre! du sucre. Le Roi et la Reine partent à quatre heures et demie pour s'en retourner à Fontainebleau.
Le 1er septembre, mercredi.—A huit heures trois quarts,
parti de Fleury et arrivé à Fontainebleau, en la basse-cour
du Cheval[121], à onze heures. En chemin ayant vu
Fontainebleau, un valet de pied de la Reine qui étoit à
côté de la litière lui dit: «Monsieur, voilà Fontainebleau.»
Il répond: Où est-i?—«Le voilà.»—Est-i à moi?-«Oui,
Monsieur.»—Et ce rouge aussi? en voyant les
briques. Le Roi le reçut, l'attendant au pied du pavillon
du côté de la galerie, l'embrasse, le baise, le mène au
jardin de la Reine, en la galerie des Cerfs. Ramené en la
chambre de la Reine et de là en la grande galerie où il
a, avec le Roi et la Reine, dîné à douze heures et demie. Le
Roi lui fait tâter un peu de melon, il le mâche et le rejette
incontinent, disant: Pas bon; bu deux fois des restes
du Roi fort trempé de vin blanc, et avant boire il tourne
sa tête vers moi, me demandant: Est-i bon? Mené en sa
chambre au haut du pavillon qui joint la grande galerie;
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à une heure et demie ramené en la galerie; à trois
heures goûté. Il prend la bourse de M. le comte de Sault
qui jouoit, pleine d'écus; il les épand par terre, court
après la Reine se jouant à elle. A cinq heures et demie
descendu par le bout de la galerie avec le Roi qui le
mène au jardin des canaux, lui montre les truites, les
canes blanches et les cygnes. A sept heures ramené en
sa chambre.
Le 2, jeudi, à Fontainebleau.—Le Roi le mène éveiller la Reine, puis de là en la cour de la Fontaine, lui fait voir les jardins et canaux, carpes, leur donne du pain, canes, cygnes, faisans et l'autruche. A dix heures à la messe, puis à la volière, aux galeries; dîné à onze heures et demie. A cinq heures et demie le Roi le mène au jardin des canaux, puis au jardin des faisans, où il mange un bon morceau de pain bis, voyant en manger au Roi et à la Reine; il voit jeter la mangeaille aux oiseaux. Je parlois assez bas du serein à Mme de Montglat pour l'en faire retirer; il l'entend, et soudain va vers Leurs Majestés: Adieu, Mecheu, adieu, Mecheu, velà le serein, mama Doundoun[122], penez-moi. A six heures trois quarts soupé.
Le 3, vendredi.—Éveillé à sept heures, le Roi se joue à
lui; il ne veut pas que Madame danse ni que le Roi la baise;
en est fâché contre le Roi, qui, pour l'apaiser, lui dit:
«Baisez-moi, mon fils, je ne la baiserai plus.» Il sort
avec le Roi, qui le mène à la chambre de la Reine, au
jardin, à la volière; il ouvre et ferme le robinet des fontaines,
mouille le Roi. A douze heures et demie mené
chez M. Zamet au Roi et à la Reine, fort gentil jusques à
ce que le Roi se voulut coucher sur le lit vert. Otez-vous
de là, ôtez-vous de là, dit-il, et se met en fâcheuse humeur;
menacé de verges, il n'en perd pas la fantaisie; enfin un
quart d'heure après le Roi se met en son séant: Ha! le
velà ôté, dit-il. La Reine s'en prend à rire.—Mamanga[123],
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fouettez maman, elle a ri. Elle feint de la battre.—Non,
fouettez-la tout à fait.
Le 4, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse en déjeûnant à de petits marmousets de poterie[124]. A cinq heures le Roi arrive de la chasse en la grande galerie; il s'en va courant à bras ouverts au-devant du Roi qui blémit de joie et d'aise, le baise et l'embrasse longuement, le mène en son cabinet, le promène le tenant par la main, changeant de main selon qu'il tournoit, sans dire mot, écoute M. de Villeroy rapportant des affaires au Roi, ne peut laisser le Roi, ne le Roi lui. Ramené en sa chambre; à six heures soupé. Il va en la galerie; LL. MM. étoient à l'issue du fruit. Le Roi lui donne un peu de carottes sauvages en compote, puis un peu de reste du vin clairet fort trempé. A huit heures et demie mis au lit; le Roi arrive et le baise, le Roi étant extrêmement content.
Le 5, dimanche.—A huit heures un quart le Roi arrive, qui le veut forcer à le baiser; le voilà entré en si fâcheuse humeur qu'il en fut fouetté par S. M. Il se défend, l'égratigne aux mains, le prend à la barbe. Mme de Montglat le fouette aussi; il le fut cinq ou six fois. Le Roi lui demande (en lui montrant des verges): «Mon fils, pour qui est cela?» Il répond en colère: Pou vous. Le Roi fut contraint d'en rire; cela dura plus de trois quarts d'heure, le Roi l'ayant prins et laissé diverses fois. Le Roi s'en va.—Je veux, dit-il, papa; le Roi revient, le baise. A dix heures le Roi et la Reine le mènent à la messe. A quatre heures et demie goûté; le Roi le mande; il va trouver le Roi au jardin des canaux, va voir courir le blaireau dans la cour de la maison.
Le 6, lundi.—Levé, vêtu en présence du Roi, il s'amuse
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à manger des raisins de Damas que le Roi lui
donne; déjeûné en présence du Roi. Mené à la Reine, puis
par la galerie au jardin des pins et des canaux; il va au-devant
de M. de Rosny, qui, dit-il, m'a donné mon beau
lit. A onze heures et demie dîné, il se fait mettre son
épée bleue qu'il appelle françoise.
Le 7, mardi, à Fontainebleau.—Madame arrive qui avoit une robe de même que la sienne, il la renvoie de jalousie; mené en la chambre de la Reine, au jardin des cerfs, au Roi, il court au-devant, ôtant son chapeau, et le va embrasser; à dix heures et demie le Roi le mène à la messe. A midi dîné, ayant lui-même mis son couvert. A une heure et un quart il va chez la Reine; en entrant il rencontre le sieur Conchino, lui demande: Où est maman? Entré au cabinet de la Reine. A trois heures et demie goûté; il fait retrousser la barbe à M. de Rosny. A cinq heures et demie mené par le Roi au jardin des pins et canaux.
Le 8, mercredi.—A dix heures et demie mené au Roi et à la Reine, et à la messe. A dîner il voit M. de Montigny, enseigne-colonelle, que l'on appeloit au régiment Nasica; il le reconnoît, se prend à sourire le regardant et montrant du doigt: Velà Nasica; il y avoit plus de trois mois qu'il ne l'avoit vu[125]. A sept heures et demie la Reine vient en sa chambre, puis le Roi; il danse au branle, puis voit danser; à huit heures trois quarts LL. MM. s'en vont[126].
Le 9, jeudi.—Éveillé à huit heures, il ne se veut
point laisser nettoyer les pieds avec un linge mouillé; à
neuf heures levé, il raille avec cinq ou six capitaines
aux gardes, les appelle par leurs sobriquets. A huit
heures il va chez la Reine, lui donne le bonsoir, puis
chez le Roi, auquel le voulant mener par la terrasse, il
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dit: Ne sotez pas, papa, le serein vous fairoit mal; le Roi le
ramène par la chambre de la Reine en haut, en la sienne,
le voit coucher, lui fait dire son Pater. Le Roi le baise et
s'en va.
Le 10, vendredi, à Fontainebleau.—Il donne le bonjour à LL. MM., descend aux étuves. A dîner il se raille à Labarge, va voir le Roi et la Reine en la grande galerie, revient à trois heures en sa chambre. A huit heures il va donner le bonsoir à LL. MM., revient incontinent, dévêtu, mis au lit; le P. Coton lui fait prier Dieu.
Le 11, samedi.—A neuf heures et demie déjeûné; mené au jardin de la Reine, à la volière, il fait mouiller le Roi; le Roi le fait mouiller aussi. On lui demande: «Monsieur, qu'aimez-vous mieux, Saint-Germain ou Fontainebleau? Il répond: Fontainebleau, et l'avoit toujours dit ainsi. A cinq heures il demande du pain bis de M. Zamet et en mange un gros morceau, puis va chez le Roi, qui étoit sur la paillasse, au cabinet. On lui dit: «Monsieur, papa dort.» Il réplique gravement: Dort-i? la Reine remarqua sa façon de parler: «Voyez, dit-elle, comme il parle!»
Le 12, dimanche.—Il ne veut point baiser Madame pource qu'elle étoit morveuse et s'en reculoit en se gaussant. A neuf heures et demie mené chez la Reine et au Roi, comme il prenoit sa chemise; il l'ôte pour la bailler au Dauphin qui la prend et la lui donne fort gentiment. A onze heures et demie dîné; MM. et Mlle de Vendôme dînent tous trois au bout de sa table des restes qu'il leur donne. Avant souper il mit Mme de Montglat en prison, c'est-à-dire dans un coin de fenêtre, pour ce qu'elle avoit baisé M. de Vendôme, et fut long-temps à se remettre en bonne humeur.
Le 13, lundi.—A cinq heures mené par LL. MM. au jardin des canaux; il mange beaucoup et de grand appétit du pain bis; fort gai, il saute devant le Roi par-dessus un petit bâton mis à terre.
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Le 14, mardi, à Fontainebleau.—Il demande son luth; je lui dis: «Monsieur, jouez et chantez Philis.» Il fait jouer et chanter une chanson de guerre. Il a une chemise avec du passement devant la gorge, comme on les souloit porter, et ouverte pour la chaleur; mené au Roi et à la Reine, il sert la Reine.
Le 15, mercredi.—Le Roi arrive qui lui demande: «Mon fils, voulez-vous aller vous promener?» Il répond: Non, car i pleut; le temps étoit fort couvert. Le Roi feint de s'en aller; il ne veut pas, l'appelle, le suit. A dix heures mené à la messe; au sortir de là il fait marcher devant lui deux petits pages de la Reine qui chantoient. Il est ravi, ne disoit mot; en marchant il étoit si transporté de la musique qu'il passa sans prendre garde à la fontaine où il souloit prendre son plus grand plaisir.
Le 16, jeudi.—Mené au Roi, qui le mène à la Reine, puis va avec le Roi au jardin des canaux. A onze heures et demie dîné; maître Guillaume[127] arrive, il le regarde, l'écoute, puis se prend à sourire de ce qu'il disoit, comme ayant reconnu qu'il étoit fol. Il en ricanoit, redisoit ses mots, s'en riant. A cinq heures mené au Roi et à la Reine venant de la chasse.
Le 17, vendredi.—A la fin de la messe on disoit l'évangile sur lui et le Roi s'en alloit, il lui dit: Attendez, papa, qu'on ait dit mon évangile.
Le 18, samedi.—A trois heures et demie goûté; mené
en la grande salle neuve ouïr une tragédie représentée
par des Anglois[128]; il les écoute avec froideur, gravité
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et patience jusques à ce qu'il fallut couper la tête à un
des personnages. Mené au jardin et de là au chenil voir
faire la curée du cerf que le Roi venoit de prendre; il
oit les cors sans s'étonner, voit venir la meute jusques
à ses pieds où se faisoit la curée, les voit sur le carnage
avec une assurance étrange.
Le 19, dimanche.—A six heures, le Roi passe par la galerie lambrissée et le mène en la grande salle du bal; à six heures trois quarts soupé avec le Roi, il mange de tout ce que le Roi lui donne, sinon la salade, pour la force du vinaigre. Le Roi l'emmène par la main à la chambre de M. le connétable, puis en celle de la Reine; LL. MM. le baisent, il leur donne le bonsoir.
Le 21, mardi.—Éveillé à huit heures, il s'entretient en
la mémoire de l'Infante, dit qu'il en a reçu lettres, lui
veut écrire. A midi dîné, M. le Chevalier avec lui pour la
première fois à sa table; en mangeant il considère l'enrichissement
du plancher de la salle, s'enquiert des histoires
qui y sont dépeintes. Mené au Roi et à la Reine qui
alloient à la chasse; ramené en la salle pour être retiré tout
de son long, en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains
jointes, l'épée au côté, par Guillaume Dupré, natif de
Sissonne près de Laon[129]. A trois heures et demie goûté;
il donne la patience au statuaire tout ce qui se peut.
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A six heures mené à LL. MM. revenant de la chasse.
Le 22, mercredi.—Il donne la main à baiser à M. de Favas le jeune et à d'autres gentilshommes qu'il n'avoit point encore vus, la tend volontairement à tous l'un après l'autre; il s'amuse à ranger ses échecs. A quatre heures le Roi revient de la chasse, il le va voir au cabinet, lui soutient la jambe quand le valet de chambre les frotte, lui donne fort dextrement et de bonne grâce la chemise, l'ayant baisée, lui sert et lui met l'Ordre[130].
Le 23, jeudi, à Fontainebleau.—Maître Gilles, son sommelier, parlant de quelqu'un, dit: «J'ai vu qu'il étoit proculeur;» M. le Dauphin s'en prend à rire: Il a dit proculeu! «Monsieur, dis je, comment faut-il dire? «Il répond: Procureu. Il regarde par la fenêtre de la salle un Espagnol qui voloit[131] sur la corde; on lui dit que c'étoit un Espagnol[132], il répond: C'est donc un ennemi. Mené au Roi et à la Reine sur la terrasse pour voir ce voleur de corde. A trois heures et demie goûté, mené au grand Ferrare[133], de là il veut venir en ma chambre aux Mathurins, me fait l'honneur d'y venir à quatre heures et demie, entre en mon étude, se fait mettre sur la chaise, s'amuse à écrire, ne s'en peut aller; enfin ramené à cinq heures et un quart au jeu de paume, au grand jardin, à la fontaine du Tibre.
Le 24, vendredi.—Il voit les sieurs de Montigny et de
Belmont, les entretient de la fenêtre, eux étant en la cour,
commande au sieur de Belmont qui alloit sortir de garde,
de faire passer la compagnie à travers la cour, les voit
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passer, leur dit: Adieu, capitaine Robert, adieu sagean
(sergent) Beauchêne, adieu, mes souda, adieu, sagean Lafontaine,
qui étoit à la queue; il veut aller sur la terrasse
pour les voir par la basse-cour, les conduit de la vue. A
quatre heures et demie mené au jardin de Ferrare et
monté sur un chariot pour voir courir des chiens terriers
contre une laie à demi-morte; ramené en l'allée des
ormes, il rencontre le Roi et la Reine revenant de la
chasse.
Le 26, dimanche, à Fontainebleau.—Mené à la Reine, laquelle le mène à la messe le tenant par la main, puis au grand jardin trouver le Roi; il voit entrer les gardes, demande qui est le capitaine de cette compagnie; elle étoit à M. de Campagnols.
Le 27, lundi.—Il s'amuse à ses échecs d'argent pendant que Mallery en tire le crayon[134].
Le 28, mardi.—Le Roi le vient voir et s'en va à Paris. Je l'ai mesuré avec un pied et une ficelle de la hauteur de trois pieds et environ demi-pouce. Il se fait habiller en masque, son tablier sur sa tête et une écharpe de gaze blanche, imite les comédiens anglois qui étoient à la Cour et qu'il avoit vu jouer.
Le 29, mercredi.—Il dit qu'il veut jouer la comédie; «Monsieur, dis-je, comment direz-vous?» Il répond: Tiph, toph, en grossissant sa voix[135]. A six heures et demie, soupé; il va en sa chambre, se fait habiller pour masquer et dit: Allons voir maman, nous sommes des comédiens.
Le 30, jeudi.—Mené chez la Reine il est peint en
crayon pour le deuxième jour par Mallery, a patience,
s'amuse à crayonner sur du papier, voit son portrait.
«Monsieur, lui dit-on, voilà votre frère.» Il répond:
Non che n'est pas mon frère.—«Monsieur, lui dis-je, voudriez
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pas avoir un frère?» Il répond Ho! non, avec une
action résolue.
Le 2 octobre, samedi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, à la Reine, il voit pêcher des truites, ramené à la messe; au sortir il s'arrête pour faire donner de l'argent aux pauvres.
Le 3, dimanche.—Il dit: Habillons-nous en comédiens, on lui met son tablier coiffé sur la tête; il se prend à parler, disant: Tiph, toph, milord, et marchant à grands pas.
Le 4, lundi.—Éveillé à six heures, il s'amuse en son séant à ses échecs; il a le cœur à la chasse et aux armes, tous autres passe-temps ne lui sont rien. Il veut un tablier tout blanc, sans ouvrage, comme celui de M. de Verneuil et non comme le sien où il y avoit du passement. A douze heures et un quart dîné; il dit Bénédicité pour la première fois. Il se rit de ce qu'il ne pouvoit prononcer la lettre r.
Le 8, vendredi.—En sortant de la messe il voit des pauvres, ne veut point passer qu'il n'ait, selon sa coutume, donné l'aumône. A quatre heures il va au pied de la montée au-devant du Roi, qui arrive de Paris, l'embrasse, a peur de M. de Favas à cause de sa jambe de bois.
Le 9, samedi.—Le Roi lui mène M. de Favas, qui lui donne des cerises afin qu'il n'aye plus peur de lui à cause de sa jambe de bois. Mené au lever de la Reine il saute, fait des cabrioles; mené par la galerie au jardin des canaux, où étoit le Roi, portant un bâton en mousquet et une fourchette, il se campe, couche en joue, tire: Pou! tou! avec une voix forte. Le Roi le fait tirer contre M. le Grand et M. de Montpensier, mais il n'a jamais voulu tirer contre M. de Souvré[136]. Mené chez la Reine, il y trouve un maçon qui raccoustroit; il le suit partout où il va, le regarde faire.
Le 10, dimanche.—Mené au Roi en la chambre de la
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Reine; le Roi dit. «Je m'en vais botter.»—Et moi itou,
dit-il, je me veux botter. On va quérir ses bottes, M. de
Courtenvaux lui présente une paire d'éperons; il se laisse
botter, appelle M. de Vendôme, lui dit: Bottez-moi.
Étant botté il marchoit par la chambre avec une extrême
allégresse disant à chacun: Je suis botté et éperonné. Le
Roi lui demande: «Mon fils, que ferez-vous maintenant
que vous êtes botté et éperonné?» Il répond: Je monterai
à cheval.—«Où est votre cheval?»—A l'écuirie.—«Et
quel cheval est-ce?»—C'est mon cheval bleu, puis
je irai à la chasse. Mené à la galerie pour ce qu'il ne pouvoit
laisser le Roi.
Le 12, mardi.—A trois heures et demie il est mené par le bout de la grande galerie au jardin des pins, où le Roi s'amusoit à ceux qui dressoient les palissades et leur commandoit ce qui étoit de son intention; il écoutoit attentivement et suivoit le Roi, les mains sur le dos. Le Roi veut prendre sa main, il ne veut pas; le Roi prend son chapeau sur sa tête et le lui jette en terre; le voilà en colère. Le Roi lui fait peur de la bête, s'en va, le quitte; il s'apaise, va trouver le Roi au jardin des canaux, et, sans dire mot, lui va prendre la main.
Le 13, mercredi.—Il se promène après le Roi et la Reine, fait autant de tours comme eux, Mme de Montglat lui tenant la main. Le Roi lui veut prendre la main, il ne le veut pas; le Roi s'en fâche, il entre en mauvaise humeur et se y opiniâtre. Il demande pardon au Roi, il l'embrasse, mais ne lui veut jamais donner la main.
Le 15, vendredi.—A dîner il s'amuse, en mangeant, à faire jouer du luth le sieur de Hauteribe; M. de Saint-Géran lui parle d'une épinette, il n'a point patience tant que l'on l'aie apportée. M. de Saint-Géran en fait jouer son page, Hauteribe joue du luth et Boileau du violon; il les écoute avec ravissement. A sept heures trois quarts je lui dis: «Monsieur, voilà le petit homme qui jette le sable.» Il répond: Eh! couchez-moi.
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Le 18, lundi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à un petit mercier, fait acheter des anneaux de paille. Le Roi le mène à son souper, où il lui sert la serviette, deux fois à boire, et refuse à boire le reste, fait l'essai, puis lui demande congé pour s'aller coucher.
Le 19, mardi.—Il se fait botter et éperonner; on lui retrousse la cotte en grègues et sa robe tout autour; en marchant il se fait mettre en écharpe son épée de M. de Lorraine et puis sa trompe. En cet équipage il marche en cavalier et, résolu, descend en la chambre de la Reine où étoient les Princesses, MM. le grand écuyer et de Roquelaure, qui se prirent tretous à s'écrier et rire. Il s'arrête court sans s'étonner, les considère, puis dit froidement: Je suis botté, moi, et prend sa trompe et se met à tromper, fait plusieurs tours dedans la chambre. Il ne se vit jamais rien de plus gentil; il marchoit droit et couroit sans s'entre-heurter des éperons.—A sept heures trois quarts mis au lit; «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery.» En se découvrant il fait apporter et approcher la bougie et dit: La velà t'i pas. M. le Grand dit à sa nourrice, de qui le mari étoit venu le jour précédent: «Vous fîtes hier noce, madame la nourrice»; par rencontre il va répondre: C'est d'un flageolet.
Le 20, mercredi.—Mené au roi sous le portique de l'étang où étoit M. le comte de Sore, grand écuyer de l'archiduc, qui s'en alloit en Espagne. Le Roi lui demande: «Mon fils, que voulez-vous envoyer (à l'Infante) en Espagne par M. le comte?» Il répond: Je lui baise la main.—«Est-elle votre maîtresse?»—Oui.—«L'aimez-vous bien?»—Oui.—«Comme l'aimez-vous?»—Comme mon cœur.—Le Roi commande qu'il soit botté et éperonné comme le jour précédent.
Le 22, vendredi.—Mené chez la Reine puis chez M. de Rosny pour recevoir la vaisselle d'argent doré que l'on lui avoit fait faire.
Le 23, samedi.—Éveillé à sept heures et demie; levé
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à huit heures et demie, il entre en mauvaise humeur,
ne veut point prendre sa robe; sa nourrice l'appelle:
«Monsieur Tabouret, ça monsieur Tabouret, prenez
votre robe»; il s'en éclate de rire; il la prend. A neuf
heures et un quart déjeûné; il demande s'il pleut: il craignoit
la pluie. Mené chez le Roi et la Reine, à la chapelle,
ramené en la salle à onze heures. A midi dîné, mené
chez le Roi qui alloit à la chasse, fort gentil; il se veut
botter comme le Roi et veut aller en bas à sa garde-robe
et non ailleurs, y voit son petit tambour de la femme qui
alloit par ressorts, le veut (c'étoit un de ses plus grands
plaisirs). Il va ainsi trouver le Roi contre son gré, y est
comme forcé; le Roi lui dit: «Otez votre chapeau»; il
se trouve embarrassé pour l'ôter, le Roi le lui ôte, il s'en
fâche; puis le Roi lui ôte son tambour et ses baguettes,
ce fut encore pis: Mon chapeau, mon tambour, mes baguettes.
Le Roi, pour lui faire dépit, met le chapeau sur
sa tête: Je veux mon chapeau; le Roi l'en frappe sur la
tête, le voilà en colère et le Roi contre lui. Le Roi le prend
par les poignets et le soulève en l'air comme étendant
ses petits bras en croix: Hé! vous me faites mal! hé! mon
tambour! hé! mon chapeau! La Reine lui rend son chapeau
puis ses baguettes; ce fut une petite tragédie. Il
est emporté par Mme de Montglat, il crève de colère; porté
à la chambre de Mlle la nourrice où il crie encore longtemps
sans se pouvoir apaiser, il ne veut ne baiser ne
accoler Mme de Montglat, ne lui crier merci, sinon quand
il se sentoit retrousser; enfin fouetté non châtié[137],
criant: Hé! fouettez-moi là haut. Il égratigne au visage,
frappe des pieds et des mains Mme de Montglat; il est
enfin apaisé, lui étant parlé de faire collation. Goûté, rôtie
à l'accoutumée, bu; il semble qu'il n'y paroît plus. Sa
nourrice le met à part et, seule, lui dit: «Monsieur, vous
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avez bien été opiniâtre, il ne faut pas, il faut obéir à
papa;» il répond en soupirant gros: Tuez Mamanga[138],
elle est méchante; je tuerai tout le monde, je tuerai Dieu.—«Ah!
non, dit sa nourrice, Monsieur, vous buvez tous les
jours son sang quand vous buvez du vin». Il s'arrête: Bois-je
son sang du bon Dieu?—«Oui, Monsieur».—I ne faut
donc pas le tuer, et il s'apaise ainsi, soupirant parfois jusques
aux sanglots. Mené à la poterie, il s'y joue longtemps
et voulut avoir un cheval blanc; puis, sentant l'heure de sa
retraite, qui étoit sur les cinq heures, il dit de lui-même:
Mamanga, allons-nous-en, veci le serein. Ramené en sa
salle à six heures, soupé, panade, il en mangea peu, n'en
veut plus, se plaint, pleure contre sa coutume, se
penche contre la chaise, frotte ses yeux, porte les mains
au front. On l'endort, il est porté en sa chambre, dévêtu.
A six heures trois quarts il s'éveille un peu disant: Ai-je
dîné? Il demande à être au lit, se plaint, prend de la
conserve de roses. Le pouls étoit égal, et en son naturel
par intervalles, puis se rendoit plus vite et revenoit comme
devant. Il s'éveille et se rendort à diverses fois, se plaignant
du haut du bras puis du joint de l'épaule, montrant
l'endroit avec l'autre main; il n'a pas la force,
de ce bras malade, de prendre comme il souloit[139],
ce que l'on lui bailloit. Enfin il dit: Mama Doundoun,
endomez-moi; elle chante et l'endort à dix heures et
demie[140].
Le 24, dimanche.—Éveillé à six heures et demie,
doucement; à sept heures il s'amuse à sa poterie et à ses
petits gendarmes[141], fort gaiement. Je lui demande:
«Monsieur, qui n'a pas soupé?» il répond: C'est moi.—«Pourquoi,
Monsieur?»—J'étois malade.—«Qui vous
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faisoit mal?»—Le bras et la tête. Il avoit des égratignures.
Levé, un peu blême, gai; mené chez la Reine, puis à
la chapelle et en sa salle à onze heures. A midi dîné, le
visage blafard outre son ordinaire; le Roi l'envoie querir,
on le lui dit; il en demeure étonné, en fait difficulté: Je
ne veux point aller voi papa. On lui dit que papa lui donnera
du bonbon, il se laisse aller; encore y est-il comme
tiré par force, et faisoit difficulté d'entrer dans la chambre
de la Reine, où étoit le Roi. Il y entre, va droit au Roi,
qui lui donne du sucre rosat, l'embrasse et le baise, en
fait autant à la Reine.
Le 25, lundi, à Fontainebleau.—M. de Roquelaure lui apporte un pourpoint de satin blanc et un haut de chausses plissé, de satin incarnat, avec le bas attaché; il s'en réjouit. Il étoit enrhumé, le visage plus blême qu'à l'ordinaire, néanmoins gai. Il va chez Madame, où il s'amuse à un petit lit de velours que, le jour précédent, on avoit donné à Madame, où il y avoit un Holopherne sans tête et la tête à part, et une Judith; il demande: Où est la femme? On lui dit: «La voilà.» Il répond: «Eh! ne faut-i pas que la femme soit sous l'homme.» Mis au lit fort enrhumé, les yeux gros, pleurants, la fièvre.
Le 26, mardi.—Il est fort enrhumé, le nez fort empêché,
les yeux bouffis de rhume. Le Roi arrive, accompagné
de M. de Roquelaure, le caresse, lui demande s'il
veut pas aller à la chasse; il répond: Oui, papa; Mes
bottes? et veut tirer les jambes hors du lit. Le Roi lui dit
qu'après dîner il l'envoyeroit querir par Roquelaure, et
qu'il n'avoit pas dîné; il répond: Bien, se paye de raisons.
A cinq heures le Roi et la Reine arrivent en sa
chambre; Mlle de Guise[142], se jouant à lui, va dire: «Monsieur,
voulez-vous cela?» lui montrant une portion du
dessus de son tetin prinse avec deux doigts; il y porte sa
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main, disant: Non, non, donnez-moi ce gros mouceau-là,
montrant le tetin en se souriant.
Le 27, mercredi, à Fontainebleau.—Peu enrhumé, les lèvres sèches, la face blême, les yeux un peu pleurants. M. Arnaud, secrétaire de M. de Rosny, arrive, il le veut chasser; on lui dit que c'est lui qui a fait faire la bride pour son cheval bleu, il s'apaise, se joue avec lui, et l'agace, lui frappe dans la main. A six heures, soupé; le Roi et la Reine y viennent, il demeure comme étonné quand le Roi parle à lui, lui donne le bonsoir avec crainte, l'embrasse, baise la Reine plus gaiement.
Le 29, vendredi.—Levé à une heure, le visage blême. Mené à la galerie après avoir bien marchandé, et, se y voyant pressé, il demande: Papa y est-il? Il se ressouvient toujours d'en avoir été malmené, en a peur, et quand il le voit demeure étonné, n'a plus cette contenance gaie, hardie qu'il souloit avoir.
Le 30, samedi.—Il ne veut point aller chez le Roi,
contre sa coutume, oyant dire qu'il alloit à la chasse, le
craint et en a peur, et n'en parle qu'avec étonnement;
auparavant c'étoit avec gaieté. A trois heures le viennent
saluer, lui assis au pied de son lit, dans sa chaire, MM. les
ambassadeurs de l'Allemagne, des villes Anséatiques; ils
lui baisent la main, qu'il leur présente avec une douce
gravité, la leur tendant les uns après les autres. Amusé
jusques à cinq heures et demie, il frotte ses yeux, ne
veut point souper. Comme il eut quitté son ouvrage de
crayonner sur du papier[143], M. de Vendôme arrive de
la part du Roi pour savoir ce qu'il faisoit, le trouve en
volonté de souper. On le veut disposer d'aller premièrement
voir le Roi; à demi dormant, il dit: Je ne veux pas
aller là bas, et encore légèrement. M. de Vendôme alla
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rapporter au Roi fort crûment qu'il ne le vouloit pas
voir, dont l'après soupée le Roi se fâcha contre Mme de
Montglat.
Le 31 octobre, dimanche.—Levé à neuf heures, il veut aller à la chambre de sa nourrice, va au Roi, au cabinet; doux; le Roi le mène à la Reine, il veut retourner en la chambre de sa nourrice, s'amuse assez longtemps à la fenêtre, à regarder la messe qui se disoit devant le Roi, puis veut aller à sa chambre; chagrin, tout lui déplaît. M. d'Oinville, maréchal des logis de sa compagnie de gendarmes, lui fait présent d'une belle et petite arquebuse d'un pied et demi de long; en la voyant il en est ravi, s'écrie de joie et, tout transporté, la fait dîner avec lui.
Le 1er novembre, à Fontainebleau.—M. de Souvré lui donne une bandolière de velours violet, avec les charges couvertes de broderie d'or et d'argent; il en fait des exclamations. Levé à huit heures, vêtu d'une robe de velours violet et passement d'or, il montre à chacun sa bandolière. Mené au Roi et à la Reine, puis à la chapelle, où il sonne la clochette à l'élévation; ramené en sa chambre à onze heures, dîné, porté à la fenêtre pour voir le Roi touchant les malades dans la cour; il se promène avec l'arquebuse, va à la charge contre les Espagnols.
Le 2, mardi.—Il va à la chambre de Madame, qui étoit malade des dents. «Monsieur, lui dit-on, êtes-vous marri que Madame est malade?» Il répond: Non. Il présente à la Reine l'Avis des amendes du sieur du Luat[144]. A six heures soupé, fort gai; le Roi arrive; il demeure un peu étonné, baise et embrasse le Roi.
Le 3, mercredi.—Le Roi l'envoie querir à son souper;
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il lui sert à boire; le Roi lui donne de son souper, puis
de sa poudre digestive. A sept heures et demie dévêtu;
il met ses jambes en croix et demande: L'Infante fait-elle
ainsi?—«Oui, lui dit-on, Monsieur; voulez-vous qu'elle
vienne coucher avec vous?» Il répond: Non.—«Monsieur,
dit Mlle de Ventelet, quand vous serez couché ensemble
elle mettra ses jambes comme cela» (c'est-à-dire en
croix). Il répond soudain et gaiement: Et moi je les ferai
comme cela, élargissant ses jambes avec ses mains.
Le 4, jeudi, à Fontainebleau.—Il demande son luth, le porte à dix heures chez la Reine pour lui faire voir comme il en joue; mené au jardin, fort gai, ramené en la chapelle, puis en la chambre. Il demande au mari de sa nourrice: Qu'est cela?—«C'est, dit-il, mon bas de soie.»—Et cela?—«Ce sont mes chausses.»—De quoi sont-elles?—«De velours.»—Et cela?—«C'est une brayette.»—Qué qu'il y a dedans?—«Je ne sais, Monsieur.»—Eh! c'est une guillery! Pou qui est-elle?—«Je ne sais, Monsieur.»—Eh! c'est pou maman Doundoun. Mené promener au palemail, il fait en passant donner l'aumône aux pauvres qu'il rencontre. Il va en la chambre de la Reine, au cabinet; il demande de la dragée à Mme de la Chastre, qui lui en donne deux grains; il en demande encore. Le Roi survient là-dessus, qui défend que personne ne parle et lui contredit: «Vous n'en aurez point.»—J'en veux. Le Roi se fâche, disant à Mme de Montglat un peu soudainement: «Vous serez cause qu'un jour je l'écorcherai.» Le Roi lui dit: «Venez-moi baiser»; il y va soudain, et l'embrasse.
Le 5, vendredi.—Mené chez la Reine; Mme de Guise lui montre le lit de la Reine, et lui dit: «Monsieur, voilà où vous avez été fait.» Il répond: Avec maman.
Le 6, samedi.—Il bat le tambour, bat la françoise,
la suisse, l'alarme, la diane, le bandoul et fort bien, et
en maître. Il entend le bruit des chevaux comme le Roi
alloit à la chasse aux toiles, demande froidement: Papa
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va-t-i pas à la chasse? on lui dit que oui. Quelque bruit
qui se fît à la cour et quoique chacun courût aux fenêtres
pour voir passer le Roi, fors M. de la Court, exempt
des gardes, et moi, il ne fit jamais contenance de vouloir
y aller, mais demeura ferme et résolu en sa place. A
six heures soupé; il va en la chambre de Madame, danse
au branle, n'ayant point voulu aller chez le Roi.
Le 7, dimanche.—A neuf heures et demie mené chez le Roi et la Reine, qui étoient au lit; leur ayant donné le bonjour, M. de Verneuil entretenoit le Roi, qui s'amusoit à lui; sans dire mot, le Dauphin sort de la ruelle et va de l'autre côté se ranger près de la Reine. M. de Verneuil approche de la Reine, et la veut entretenir; il lui donne un grand soufflet sans dire mot, et l'autre se retire de même. Ramené en sa chambre, il s'amuse à ranger en soldats ses petits marmousets de poterie.
Le 8, lundi, à Fontainebleau.—Il se fâche contre Mme de Montglat et lui voulant donner un soufflet; demeure en chemin, la trouvant masquée. Otez, dit-il, votre masque; la fait démasquer.
Le 9, mardi.—A douze heures et demie mené au
dîner du Roi; le Roi fault à le fâcher; il obéit, ramenant
sa colère comme un lionceau, et ne sait si bien se retenir
que, le Roi lui ôtant une cuiller dont il battoit le
tambour sur une assiette, il ne jette la cuiller haut sur la
troupe. Ramené en la chambre de la Reine, il baise et
embrasse LL. MM., part et entre en litière à une heure et
demie pour retourner à Saint-Germain en Laye. Goûté
à l'endroit de la chapelle Saint-Louis, dans la forêt,
dans sa litière, son buffet sur une pierre. Arrivé à Melun
à quatre heures et demie, les président, lieutenant général
et officiers de la justice sortent à pied, hors de la
ville, au-devant de lui. Logé en l'île chez M. de la
Grange. A six heures soupé; les officiers de la ville lui
apportent un présent de tartes. A sept heures trois quarts
M. de la Salle, capitaine aux gardes, lui demande le mot;
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il le dit tout haut: Dauphin. «Monsieur, dit M. de la
Salle, il le faut dire bas;» il le lui dit à l'oreille.
Le 10, mercredi, voyage.—Mené à la messe à Notre-Dame. Parti de Melun à dix heures trois quarts, il arrive à Crosne, maison de M. Bruslard, autrefois secrétaire d'État; à quatre heures après midi, mené au jardin; il se joue, discourt et raille avec Madame sa sœur; ce n'est que soudars et armes.
Le 13, samedi, à Saint-Germain[145].—A deux heures M. de Souvré part pour s'en retourner à Fontainebleau, d'où il l'avoit accompagné. Mis au lit, il entend que nous parlions de la prinse faite de M. le comte d'Auvergne[146] et que le Roi savoit bien attraper ses ennemis; il demande: Mes ennemis sont-is pris?—«Oui, Monsieur.»—Où sont-is?—«A la Bastille.»
Le 16, mardi.—Il va en la chambre de Madame, où arrive Mme la marquise de Verneuil, la connoît, lui donne sa main à baiser; elle lui demande: «Monsieur, me connoissez-vous?» Il répond: Oui.—«Qui suis-je?»—Vaneuil, sans dire Madame. Il se joue avec ses poteries; ses jeux et discours ne sont que soldats et guerre. La marquise part par derrière M. le Dauphin sans dire mot, avec MM. ses enfants.
Le 17, mercredi.—A midi dîné en la présence de Mme de
Verneuil; il va aux fenêtres du préau, où il se joue privément
à la marquise, chante comme voulant l'entretenir
et se donner plaisir. La marquise part à quatre heures
et un quart. Il vient en ma chambre, heurte. Je demande:
«Qui est-là?»—Ouvez.—«Qui êtes-vous?»—Dauphin.
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Il entre, demande à voir le livre des animaux[147].
Le 18, jeudi.—A onze heures et demie dîné; Madame demande une cuiller que tenoit M. le Dauphin, il la lui jette, et si ferme que, de la queue, il la blessa sous la paupière de l'œil droit avec un peu d'entamure; l'on l'en tança, il en demeure étonné; fait toutefois ce qu'il peut pour faire l'assuré et ne s'en soucier point. Mme la comtesse de Moret[148] le vient voir; il lui donne sa main à baiser. A deux heures il vient en ma chambre, demande la figure du siége d'Ostende, où il y avoit des petits soldats. Mme la comtesse de Moret s'en va, il lui donne encore volontairement sa main à baiser.
Le 23, mardi, à Saint-Germain.—Je lui dis que papa et maman le devoient venir voir, il répond: Je ne veux pas qu'i viennent, avec contenance d'étonnement, se ressouvenant toujours de Fontainebleau. Pour l'assurer, je lui dis qu'ils lui apportoient de beaux présents; il répond: Oui, et ne respire que tambours, soldats et armes.
Le 24, mercredi.—Je lui demande: «Monsieur, voulez-vous
vous lever pour aller au devant de papa?»—Non,
dit-il.—«Vous n'aurez donc pas le beau tambour
et les belles baguettes qu'il vous apporte, il les donnera à
M. de Verneuil.» Il se met soudain en colère, grince les
dents, me veut égratigner, puis me regarde froidement.
«Bien, Monsieur, vous me battez, dis-je; que voulez-vous
que papa fasse de ce tambour?» Il répond:
Qu'i le donne à moucheu de Veneuil, brusquement, remuant
la tête comme de chose qu'il méprise; il ne peut
oublier le rude traitement de Fontainebleau. Il va sur
les terrasses, mangeant du gros pain, au-devant du Roi,
qu'il rencontre à cheval, à la fontaine basse des maçons,
à onze heures et demie. Le Roi met pied à terre; il va gaiement
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au Roi, qui le prend au bras, le baise; il embrasse
le Roi. A midi, dîné; il ne veut point que M. de Courtenvaux
s'appuie et soit derrière la chaise de Mlle de Vendôme.
Le Roi y vient après son dîner; Mme de Montglat parle au
Roi; il ne le veut pas. Allez-vous-en en vote chambe, Mamanga;
s'en met en colère. Le Roi s'en fâche, il mène Mme de
Montglat en sa petite chambre; on l'apaise à peine,
enfin on le fait danser, fort gai. Le Roi entr'ouvre la
tapisserie; il l'aperçoit, quitte soudain la danse, se va
cacher. Le Roi le presse, il s'aigrit; la nourrice le prend,
l'assied sur la table; le Roi va par la douceur, le baise,
le prie de danser pour l'amour de lui; enfin il s'apaise,
et à ce coup dit: Je vas danser pou l'amou de papa,
se coule à bas, et se prend à danser gaiement le branle
des navets. Le Roi fait collation; il le servoit, et reconnoissant
son essai[149]: Otez, ôtez, dit-il, empotez-le. Il le
fallut remporter; le Roi céda à son humeur. Le Roi part
pour s'en retourner à Paris à deux heures et un quart;
il l'accompagne jusques au pied du degré, se prend à
pleurer, demande d'aller avec papa.
Le 29, lundi, à Saint-Germain.—A dîner je demande à Madame si elle étoit belle, elle dit: Oui. Il l'entend, hochant la tête. Je lui demande. «Madame, êtes-vous bonne?» Elle dit: Oui.—Il dit, hochant la tête: Elle est bonne comme frère Jean. Il vouloit dire maître Jean; c'étoit le singe. Il demande de la gelée à Madame, laquelle lui pousse aussitôt l'écuelle en disant: «Tenez, papa petit;» elle étoit si aise quand elle lui pouvoit complaire[150]. Il bégaye fort ce jourd'hui en parlant.
Le 1er décembre, mercredi, à Saint-Germain.—A onze
heures et demie, dîné; il ne veut point que l'on donne
aucune chose à Madame. «Monsieur, lui dis-je, quand
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vous serez grand, vous donnerez tout à Madame.» Il répond:
Non, je li donnerai que du pain.—«Et à boire?»
Il répond: Que de l'eau. Il mange une poire confite, ne
veut pas que l'on en donne à Madame.
Le 2, jeudi.—Levé à huit heures et demie, il ne veut point prendre sa robe; Bruneau, le lavandier, le menace de le mettre dans son sac, puis au cuvier; il craint, s'habille, se joue avec sa nourrice; étant habillé, il se retourne vers le lavandier, et lui dit: Je suis habillé.
Le 4, samedi, à Saint-Germain.—A sept heures déjeuné, levé, vêtu, fâcheux, il ne veut point prendre sa robe, s'assied. M. Birat lui dit: «Monsieur, voilà le bossu du jeu de paume qui vient;» il se lève soudain, et met sa robe. Il vient en mon étude, s'amuse au siége d'Ostende.
Le 5, dimanche.—Il vient en ma chambre, voit le livre des animaux de Gesner, s'informe de chacun; à souper l'on demande à Madame ce qu'elle donnera aux siens quand elle sera en Angleterre[151], elle répond: «Des perles,» en son langage. Et moi, dit le Dauphin, des harquebuses.
Le 6, lundi.—Le Roi arrive à douze heures et demie, le Dauphin le reçoit au pied de l'escalier, l'embrasse, lui fait bonne chère[152]. Le Roi le mène en sa chambre, et à une heure le fait dîner avec lui; il boit du vin clairet du Roi. Il se va jouer à la salle des gardes; le Roi arrive, il s'arrête, et demande d'aller à sa chambre; le Roi ne le veut pas; il y résiste, le Roi à lui, et lui donne un petit soufflet; le Dauphin persiste; enfin il demeure en son opinion, et Mme de Montglat l'emmène en sa chambre. La Reine arrive à cinq heures.
Le 7, mardi.—Il va chez le Roi, où il est fort gentil;
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le Roi et la Reine vont à la chasse. Mlle de Ventelet lui
dit: «Monsieur, qui est le maître de papa?» Il répond:
C'est Dieu.—«Et qui est le vôtre?»—Je ne veux pas
dire. Il ne fut jamais possible de lui faire avouer un maître;
comme le jour précédent, quand le Roi le fâcha le plus,
ce fut quand il lui dit: «Je suis le maître, et vous êtes mon
valet;» il s'aigrit extrêmement de ce mot-là. A trois heures
goûté; il lui sort une goutte de sang du nez, il la voit et
dit: Mamanga, c'est pouce que j'ai été opiniâtre. Il va au
Roi au retour de la chasse, gentil au possible.
Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au jardin, au Roi, il va à lui, les bras ouverts, tire son épée et montre au Roi qu'il s'en sait aider[153] contre les palissades; mené sur les terrasses de Neptune. Mené chez la Reine, qui part à deux heures et demie pour aller à la chasse.
Le 10, vendredi.—Il ne veut point aller voir le Roi, y consent ensuite, lui ayant promis son tambour bleu; il se le fait attacher, va battant trouver le Roi, qui étoit à la chapelle, le baise, mais il ne veut point y demeurer. Le Roi sort à dix heures, le baise, et s'en va dîner à Bezons, pour coucher à Paris; la Reine part peu après.
Le 12, dimanche.—A six heures il fait recoucher sa nourrice, puis l'appelle: Maman Doundoun, levez-vous; mettez-vous tout en chemise, je le veux. Il avoit ouï faire le conte du fils de M. de la Fon, avocat au Conseil, qui en faisoit faire autant à sa nourrice.
Le 13, lundi.—Il se lève, et descend tout seul de son lit: ce fut la première fois; vêtu, fâcheux; Bruneau, lavandier, arrive, il se tait.
Le 14, mardi.—Je lui demande congé d'aller voir papa et maman lui dire de ses nouvelles. «Monsieur, lui dis-je, vous plaît-il me commander quelque chose vers papa et maman?» Prenant le roi violet de ses échecs: Oui, dit-il, velà que je li envoie, et prenant la reine, et cela à maman.
107
Le 18, samedi, à Saint-Germain.—Il danse dans sa chaise en mangeant, oyant jouer le sieur Jean-Jacques, violon de la Reine, qui jouoit la sarabande, les branles gais et autres semblables qu'il aimoit; il prend son manteau de satin blanc doublé de pluche, le retrousse sous le bras, et ainsi se met à danser.
Le 19, dimanche.—Il est vêtu d'une robe neuve de velours cramoisi brun. Mais, dit-il, je courrai donc tout seul. Il voit entrer M. de Mansan: Taine (capitaine), je n'ai point de lisière, j'irai tout seul; il en étoit tout réjoui. M. de Verneuil arrive, et lui donne le bonjour; il ne veut jamais l'appeler féfé (frère), mais petit Vaneuil.
Le 23, jeudi.—Il s'amuse à un livre recueilli des Antiquités de Rome. Venez voir, me dit-il (c'étoit la figure du Capitole moderne), velà Fontainebleau, velà ma chambe, velà la pote pou y monter, velà le cheval blanc, velà Mecure, velà le jadin, velà des bassins; il voit toutes les églises de Rome, et dit de toutes les églises qui sont en dôme: Velà des tambours. Il voit les figures du Monte-Cavallo: Hé! velà qui montre le cul (l'un des chevaux). Il voit un Hercule; on lui demande: «Monsieur, qu'est cela?» lui montrant la guillery; il répond honteusement en souriant: Faut pas le dire. Une épingle piquoit M. le Chevalier au collet, il ne veut point que Mme de Montglat la lui ôte, mais bien La Haye, qui étoit à M. le Chevalier; il ne vouloit point que ceux qui étoient à lui servissent ailleurs.
Le 24, vendredi.—On lui demande: «Qui êtes-vous?» Il répond: Le petit valet à papa. Il se joue avec M. le Chevalier, qui lui en contoit, disant qu'ils trouveroient de grands loups qui avoient de grandes hures; il répond: Non, ce ne sont pas les loups, ce sont les sangliers qui ont les hures.
Le 25, samedi.—Mme de Montglat lui dit avoir reçu
nouvelles de papa, et qu'il est fort aise de ce qu'elle lui
avoit mandé que M. le Dauphin est sage, plus opiniâtre,
Déc
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qu'il ne dit plus: «Allez-vous-en», ne «Je veux». Le
Borgne[154] arrive, le Dauphin lui voit mettre des bûches
au feu, dit que c'est la venue de Noël, d'autant que le
jour auparavant, avant souper, il vit mettre la souche de
Noël, où il dansa et chanta à la venue de Noël.
Le 27, lundi, à Saint-Germain.—Chacun lui demande ce qu'il lui donnera pour étrennes; il se raille, et promet joyeusement et convenablement à chacun les siennes. Il a peur de Bongars, maçon du Roi: Dites-lui que je ne suis plus opiniâte. A cinq heures le Roi et la Reine arrivent de Paris; la Reine lui donne un petit tambour et la bandolière pour l'accrocher; il le met, et en joue. A cinq heures soupé, LL. MM. présentes; le Roi demande de son breuvage et dans son verre, M. de Ventelet lui en sert. Il lui en fâchoit fort, mais il se vainquit, et le passa doucement.
Le 28, mardi.—A neuf heures il prend son tambour, et s'en va au lever du Roi, qui étoit au lit; lui ayant, et à la Reine, donné le bonjour, le Roi lui demande s'il veut aller à la chasse avec lui, il lui répond: Oui, et à d'autres choses que le Roi lui demande. Le Roi se lève, et le mène en son cabinet, où il lui baille un petit ballon et un brassard; il le met au bras et en pousse le ballon. Le Roi le heurta du ballon poussé sur son front; il fault à en pleurer, se retient pour le respect du Roi.
Le 29, mercredi.—Il s'amuse à couper du papier avec
des ciseaux. Il entend que M. Boquet[155] disoit à sa femme:
«Madame Dondon, je vous battrai.» Il se retourne court,
lui montrant les ciseaux qu'il tenoit et disant: Et je vous
châtrerai; velà de quoi je couperai votre guillery. Sa nourrice
lui demande: «Monsieur, le lui voudriez-vous bien
couper?» Il répond, hochant la tête: C'est que je me joue.
A quatre heures il va chez le Roi, qui le fait mettre à son
côté, voulant donner audience aux députés des états-généraux
Déc
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de Normandie; il les écoute attentivement, et le
Roi, sur la fin de sa réponse, leur disant qu'après lui il les
laisseroit pour les gouverner à son fils qui les conserveroit
et achèveroit la décharge qu'il auroit commencée
pour leur soulagement, M. le Dauphin lui dit froidement
et de lui-même: Ga meci (grand merci), papa. Il va en la
chambre de la Reine, qui s'amuse avec lui à des petites
besognes d'Italie, entre autres un pigeon; il le faisoit battre
des ailes qui étoient de toile d'argent; le Roi arrive
de souper à sept heures et un quart; le Dauphin danse
toutes danses, parfois va baiser le Roi, qui l'appelle, puis
reprend la danse.
Le 31, vendredi, à Saint-Germain.—A midi mené au dîner du Roi; le Roi et la Reine s'en vont à deux heures pour retourner à Paris; il y veut aller.
Devise du Dauphin.—On l'habitue au bruit des armes à feu.—Lettre à la Reine.—Les figures de la Bible.—Les portraits du Roi et de la Reine.—Le livre de M. de La Capelle.—Antipathie naissante pour les femmes.—Le valet du serrurier.—La comtesse de Moret.—Présent de la Reine.—Henri IV et ses enfants.—Le serment de fidélité.—L'ambassadeur d'Angleterre.—M. d'Harambure.—Le pied du cerf et le pied de la perdrix.—Les emblèmes d'Alciat.—La duchesse des Deux-Ponts.—Le valet du bourreau.—Jouets de poterie.—Les danses du Dauphin.—Entretien sur l'Infante.—Le peintre Martin.—Jouets d'argent.—Premier page.—Le jeu du corbillon.—Le baron de Donaw.—Modèle en cire d'une statue du Dauphin, le sculpteur Després ou Dupré.—La chanson de Robin.—Jouets de carton peint.—Le Dauphin logé au château neuf de Saint-Germain.—La comtesse de Moret.—Lettre au Roi.—Goût naissant pour le dessin.—Les fontaines et les orgues de Saint-Germain.—Instincts du commandement.—Chanson du Dauphin.—Les Espagnols et l'Infante.—Les outils du menuisier.—L'esprit de la galerie rouge.—Danger que court Héroard.—Conversation sur la chasse, le Louvre, etc.—La paye des soldats du Roi.—Le brave Crillon.—Le chien Favori.—Caractère du Dauphin.—Discours des députés suisses.—La statue d'Orphée.—Les forçats.—La belle Corisande et son petit-fils.—Les Gascons.—M. de Favas.—Jouets de plomb.—Mme de la Trimouille.—Amour du Dauphin pour sa nourrice.—Retour au vieux château de Saint-Germain.—Mlle Prévost des Yveteaux.—Le comte de Saure.—Lettre au Roi.—Les prières du Dauphin.—Chanson gasconne.—Henri IV couché avec ses enfants; mœurs et conversations singulières.—Fiançailles du prince de Conty.—Enseigne de diamants donnée par la Reine.—La musique de la Reine.—Le fossé et le pont-levis.—Le Dauphin fouetté par le Roi.—Un coffret flamand.—Le comte de Soissons, M. de Rosny et M. de Montbazon.—Batteries des tambours.—Le Jaquemard de Fontainebleau.—La famille de Montmorency.—Le grand maréchal de Lorraine.—Goût pour la musique.—Don Juan de Médicis.—Anniversaire de la mort de Henri III, usage pour les Dauphins.—Familiarité d'un cul-de-jatte.—Le sculpteur Francisco, le peintre Martin.—Entrevue avec la reine Marguerite; présents qu'elle fait au Dauphin et à sa sœur.—Le galimatias de Nervèze.—Le Saint-Thomas de Poissy.—Ouvrages de la Chine et joujoux d'Allemagne.—Lettre à la reine Marguerite.—Proverbe de Salomon.—Le 112 président du Vair.—Le ballet du Combat.—Députés de l'assemblée de Châtellerault.—Joujoux de Nevers.—Présent du duc de Lorraine.—Le chevalier d'Épernon.—Le Dauphin entre dans sa cinquième année.—La reine Marguerite; les livres à gravures.—Conversation sur le prince de Galles.—Le frère bâtard de Henri IV.—Chapelets d'Italie.—Mot de l'ambassadeur de Venise sur l'Italie.—L'éclipse de soleil.—Le nain de la Reine.—La chambre de Charles IX.—Lettres au Roi et à la Reine.—Mendiants irlandais.—Le livre d'Heures de Henri III.—L'histoire de Matthieu.—Portrait en cire du Roi.—Le sculpteur Jean Paulo.—Jouets de poterie.—Le Dauphin va demeurer au château neuf.—La marquise de Verneuil.—Animal et bateau rapportés du Canada.—Le sang royal et la fleur de lys.—Captivité de Henri IV à Saint-Germain.—La duchesse de Beaufort.—Scène avec le Roi.—Humanité du Dauphin.—La carte gallicane de Thevet.—Sympathie entre le Dauphin et le Roi.—Henri IV et ses enfants.
Le 1er janvier, samedi, à Saint-Germain.—Il se promène avec sa harquebuse et sa fourchette, est mené ainsi à la messe, M. le Chevalier portant l'enseigne bleue où étoit l'aigle avec cette devise: Genus insuperabile bello, qui lui fut donnée par M. Arnaud, trésorier de France à Paris et secrétaire de M. de Rosny, M. le Dauphin étant à Villejuif, à dîner, s'en allant à Fontainebleau[156]. M. de Verneuil avoit son chapeau sur la tête: Otez, dit-il, votre chapeau, il faut pas que vous ayez votre chapeau sur la tête devant moi. On lui dit que papa vouloit qu'il (M. de Verneuil) eût son chapeau sur la tête: Mettez, mettez-le, dit-il soudain. Il tire son épée rabattue, qu'il appeloit son épée rouge; M. de Cressy, enseigne de M. de Mansan, lui dit: «Monsieur, voilà une belle épée! Elle ne coupe point!»—Ho! je la ferai bien couper pour le service de papa.
Le 2, dimanche.—Il fait un peu le fâcheux. M. de La
Court lui dit que le tonnerre viendra qui l'emportera; il
s'arrête, et demande: Que c'est? M. de La Court lui répond:
«Monsieur, ne vous souvient-il pas que vous l'appeliez
le tambour de Dieu?» Il écoute avec admiration, puis demande
à Mme de Montglat: Mamanga, qu'est que Dieu, de
quoi est-il fait? Elle lui dit qu'il n'étoit point fait, qu'il
Janv
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étoit un esprit invisible. Peu de temps après elle lui demande
que c'étoit que Dieu; il lui répond: C'est un esprit
invisible. On le rassure aux arquebusades; le capitaine du
Bouchage, archer des gardes du corps, et en garde
près de lui, tire sept coups; il disoit: Je n'ai point peur,
et les voyoit tirer assurément. Il en avoit été intimidé par
ses femmes et surtout par sa nourrice, quand la compagnie
faisoit la monstre[157], criant tout haut que l'on
ne tirât point. Sept ou huit arquebusiers et mousquetaires
tirent sous le grand portail, il se retourne et crie
tout haut: Je n'ai pas peur.
Le 3, lundi.—Il veut écrire à papa et à maman, et écrit[158]: Ma bonne maman, je ne suis pus opiniâte, je n'ai pus peur du borgne; papa, je n'ai pus peur des harquebusades, j'ai fait tuer une perdrix.—Il a des jetons du palais dans une petite bourse d'Espagne, il en donne à chacun.—Je lui montrois, en un livre de figures de taille-douce, l'histoire de Goliath et de David; je lui montre la tête au bout d'une lance, il voit David à cheval et dit: Velà le petit Dauphin monté sur son grand cheval.—On l'accoutume à aller seul dans la chambre. Mme de Montglat lui donne un petit panier d'argent pour ses étrennes.
Le 4, mardi.—Sa nourrice lui demande: «Monsieur, voulez-vous pas aller à la messe, puis vous irez vous promener?» Il répond: Ho! non, j'irai premièrement à Ferme[159] me promener, puis j'irai à la messe.—«Mais, Monsieur, vous trouverez la porte fermée».—Je l'ouvrirai avec mon harquebuse à rouet.
Le 6, jeudi.—Madame entroit en sa chambre, il la
veut frapper de sa pique. Madame de Montglat le tance,
lui demande: «Monsieur, pourquoi avez-vous voulu
Janv
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frapper Madame?»—Je suis fâché contre elle pour ce
qu'elle a voulu manger ma poire. C'étoient des excuses inventées.
M. l'aumônier lui en demandant autant à part,
il répond: Pource que j'ai peur d'elle.—«Monsieur,
pourquoi?»—Pource qu'elle est fille.—L'on tire des
arquebusades dans la cour; il en a grand'peur.
Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Il dit à sa nourrice: Hé! ma Doundoun, hé! ma belle Doundoun, baisez-moi! Puis regardant et faisant la révérence aux portraits du Roi et de la Reine[160] il dit: Papa n'a point de chapeau. Je lui demande pourquoi?—Pource que c'est une peinture. Il s'amuse au livre de portraits en taille douce de M. de la Capelle, assis dans sa petite chaise, attentivement, demande l'interprétation des figures et s'en ressouvient.
Le 10, lundi.—Devienne, son cuisinier, fut marié ce jourd'hui; il dit: Mon gros roti e-est marié; i-il a une femme, i-il couchera avec elle[161]. Il s'amuse avec le chevalier de Verneuil et MM. d'Épernon, et dit, les faisant mettre autour de lui: Nous tenons le conseil; Madame approche: Ho! ho! voilà Madame qui écoute, allez-vous-en, il faut pas que les filles soient au conseil.
Le 13, vendredi.—Il s'amuse à tourner le rouet de la chambrière de Mlle Piolant. M. de Frontenac lui dit qu'il deviendroit fille, il quitte le rouet.—Il s'amuse au livre des figures du sieur de la Capelle, reconnoît en un endroit les armoiries du roi d'Espagne, et dit: Velà celles de papa, mettant le doigt sur les fleurs de lis. Je lui demande: «Monsieur, qu'y a-il aux armoiries de papa?»—Des fleurs de lis.—«Et aux vôtres?»—Des Dauphins.
Le 18, mardi.—Il entre, le matin, en fâcheuse humeur,
dit à chacun: Allez-vous-en, je vous battrai. On fait
entrer le valet du serrurier, qui par rencontre revenoit de
Janv
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la chambre de sa nourrice, portant des tenailles et une
tringle: «Voilà, dit le serrurier, de quoi j'embroche les
opiniâtres.»—Je ne suis point opiniâte, mousseu le serrurier.
Le 19 janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Il brûle de la poudre pour la première fois.
Le 20, jeudi.—A une heure arrive Mme la comtesse de Moret, elle assiste à son goûter; comme elle partoit, il lui dit de son mouvement: Recommandez-moi bien à papa, et que je suis son serviteur.
Le 25, mardi.—A cinq heures le Roi et la Reine arrivent de Paris; la Reine lui apporte un petit pistolet que lui-même a voulu débander devant le Roi. Le Roi commande à Mme de Montglat de faire manger quelquefois M. de Verneuil avec lui; il l'entend et dit: Ho! non, y ne faut pas que les valets mangent avec leurs maîtres!
Le 26, mercredi.—M. et Mlle de Verneuil ont dîné avec lui et ce fut la première fois; il ne le vouloit point; le Roi lui demanda pourquoi: Ho! il n'est pas fils de maman.
Le 27, jeudi.—Mené au Roi, au château neuf, dîné avec le Roi et tous les autres petits. A deux heures il va voir le Roi revenu de la chasse, le trouve avec sa robe de nuit, lui dit par deux fois: Papa, venez-vous mettre au lit.
Le 28, vendredi.—Mené chez la Reine, ramené à deux heures.
Le 5 février, samedi, à Saint-Germain.—Il se fait
mettre son hausse-col, prend sa pique et s'en va à la basse-cour
voir faire la monstre à la compagnie de M. de Mansan
qui lors étoit à Paris; il se met à la tête, accompagné de
M. le Chevalier et de M. de Verneuil, fait marcher la compagnie
après lui, marche comme le capitaine, porte sa
pique baissée; le tout fini il s'arrête, hausse sa pique,
tourne la face vers les soldats, les fait arrêter, fait cesser la
batterie du tambour, puis se retourne vers le sieur de Castillon,
commissaire et secrétaire de M. le connétable, et
Fév
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lève la main pour prêter le serment. Le commissaire
demeure en doute, Mme de Montglat lui dit qu'il n'y avoit
point danger de lui faire prêter le serment, et lui ayant demandé
s'il ne promettoit pas de bien servir papa, il répond:
Oui, et tout soudain appelle: Féfé Chevalier, venez
prêter serment de bien servir papa. Il en dit autant à M. de
Verneuil, et cela fait, crie aux soldats: Tirez, tirez, je
n'ai pas peur. Ils tirent tous en salve, il n'a point de peur
ni aucun semblant d'en avoir et dit encore à M. le Chevalier:
Féfé, promettez-vous de bien servir papa?—«Oui,
Monsieur».—Et moi aussi.
Le 7, lundi, à Saint-Germain.—A douze heures et demie arrive le duc de Lenos[162], ambassadeur du roi d'Angleterre, né en France, fils d'une sœur de M. d'Antragues, cousin germain de Mme la marquise de Verneuil; le Dauphin le reçoit fort bien.
Le 10, jeudi.—M. de Frontenac le vient voir avec M. d'Harambure[163], portant un oiseau de poing.
Le 11, vendredi.—A onze heures il se met à la fenêtre
attendant impatiemment la venue du Roi; le voyant venir
il crie à haute voix: Papa; le Roi arrive, il le reçoit dans
sa chambre puis le mène en la sienne; dîné avec le Roi,
il mange du beurre que le Roi lui-même lui étend sur du
pain. Le Roi parle d'aller à la chasse, disant qu'il se faut
dépêcher de dîner; il dit: Et moi itou j'irai à la chasse
avec papa; j'ai envoyé quéri Cavalon; c'étoit son chien.
Madame lui dit de prendre aussi le sien qui se nommoit
Amadis de Gaule: Ho! non, dit-il, le cerf le blesseroit d'un
coup de corne. Le Roi lui dit qu'il falloit dire de la tête,
il reprit: De la tête, et n'y faillit plus. A souper, le Roi
lui envoie le pied du cerf par M. Praslin; il fait couper
Fév
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le pied de sa perdrix et lui dit: Tenez, portez cela à papa.—Le
Roi vient en sa chambre, y joue aux échecs.
Le 12, samedi, à Saint-Germain.—A neuf heures mené au Roi qui étoit encore au lit; il lui donne la chemise. Dîné avec le Roi; il danse devant le Roi la bourrée où il compose des grimaces, la sarabande, la gavotte, les remariés, et plusieurs autres danses; le Roi le baise, l'embrasse, et à une heure part après midi pour retourner à Paris.—En goûtant, il entend parler de M. Martin et dit: C'est celui qui a fait la peinture de Moucheu le Dauphin, mémoire incroyable de s'en ressouvenir[164].
Le 14, lundi.—L'on parloit d'une mariée qui devoit venir danser au château. Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, comment fera la mariée?»—Si Moucheu Heroua n'étoit là, je le dirois.—«Monsieur, lui dis-je, il n'y a point de danger.» Il met sa pique entre ses jambes et élevant un bout branloit les fesses.
Le 15, mardi.—Il se joue avec un lévrier nain noir, que M. de Longueville lui avoit envoyé, nommé Charbon. Il cause étrangement, se ressouvient d'un ballet fait il y avoit un an et demande: Pourquoi est-ce que le petit Bélier étoit tout nu? Il faisoit le Cupidon tout nu.
Le 16, mercredi.—Il s'amuse dans son lit aux emblèmes d'Alciat, il en reconnoissoit beaucoup. A une heure et demie vient Mme la duchesse de Deux-Ponts, qui, le soir auparavant, étoit arrivée à dix heures; il danse la gaillarde, la sarabande, la vieille bourrée.
Le 19, samedi.—Pendant son lever, le charbonnier vient, qui lui dit: «Bonjour, mon maître.» Il demande à M. l'aumônier: Qui est son maître?—«C'est le Roi et vous.»—Qui est le plus grand?—«C'est papa et vous après,» répond l'aumônier.—Non, c'est Dieu qui est le plus grand?
Le 20, dimanche.—L'on parloit d'un homme condamné
Fév
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à être pendu, il demande: Qui le pendra? l'on
répond que ce seroit le valet du bourreau, il dit: Je ne
veux donc point avoir un valet. Peu après il appelle
M. Birat, lequel il souloit appeler son valet, pour lui commander
quelque chose, et l'ayant appelé par son nom:
«Quoi! dit-il, Monsieur, vous ne m'appelez pas votre
valet?»—Hé! c'est le bourreau qui a un valet.
Le 22 février, mardi.—Il reconnoît beaucoup de lettres de l'alphabet; il se fait habiller en mascarade.
Le 1er mars, mardi, à Saint-Germain.—Il demande un marmouset qui joue de deux épées et le nomme Salomon, du nom du tireur d'armes de MM. d'Épernon. Je lui donne un cheval et un marmouset de Flandres, fait de poterie. Où est, dit-il, son corps? pource qu'il n'étoit fait que jusques à la poitrine.
Le 2, mercredi.—Le Roi arrive, il va à la porte, courant au devant de lui l'embrasser; le Roi le mène dîner avec lui, puis va à la chasse. A cinq heures, la Reine arrive de Paris, il est mené au devant d'elle presque hors la porte de l'escalier, remonte avec elle en sa petite chambre, danse sarabande, bourrée, le branle simple, la saugrenée, Comment, ce moine trotte, puis dit: Maman, ai-je pas bien dansé? Il s'amuse à un chien d'Ostreland; il aimoit fort les chiens.—Mené à sept heures en la chambre de la Reine, il s'amuse à voir des personnages à la tapisserie où il y avoit des petits enfants. Le Roi lui dit: «Mon fils, je veux que vous fassiez un petit enfant à l'Infante.»—Ho! ho! non, papa.—«Je veux que vous lui fassiez un petit dauphin comme vous.»—Non pas, s'il vous plaît, papa, dit-il, en mettant sa main au chapeau et en faisant la révérence. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, dites à papa qu'il fasse donner des hoquetons neufs aux archers qui vous gardent, comme aux autres.»—Ho! ho! non, dites-l'y vous-même, et il lui fait par plusieurs fois la pareille réponse, sans le pouvoir persuader de le faire.
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Le 3, jeudi.—Il s'amuse seul, sans dire mot, avec un petit puits d'argent que lui avoit donné M. de Candale, donnant une extrême patience à se laisser peindre par maître Jehan Martin[165]. Mené au Roi, au cabinet de la Reine, laquelle lui donne un petit ménage d'argent.
Le 4, vendredi.—Mené au Roi, qui étoit à table; cela le mit un peu en mauvaise humeur de n'avoir point dîné avec le Roi; il baise LL. MM. qui s'en retournent à Paris à deux heures. Charles de Bompar lui a été donné pour page par le Roi; ç'a été son premier page.
Le 6, dimanche, à Saint-Germain.—Il ne se veut lever, l'on fait venir Pierre Cabaret, maréchal de forge du village, et Bongars, maître maçon qu'il craignoit.
Le 7, lundi.—Il joue au jeu: Que met-on au corbillon? Il invente des mots pour rimer: Dauphillon, damoisillon.
Le 8, mardi.—Le baron d'Aune, Allemand, neveu de celui qui, du temps du feu Roi, fut défait à Auneau[166], lui baise la main en arrivant et en s'en allant.
Le 10, jeudi.—A une heure arrive un sculpteur envoyé
de la Reine; le Dauphin lui demande: Peintre,
comment vous appelez-vous? il répond: Després[167]. Il est
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tiré en bosse de cire pour jeter en fonte par Després.
Amusé à chanter le pot pourri des chansons; quand il
étoit à la meunière de Vernon, il disoit: de Candale, changeant
le nom de d'Épernon.
Le 13, dimanche.—Mme la princesse de Condé et Mlle de Bourbon le viennent voir. Il se joue avec sa nourrice, dit qu'il est l'Infante et parle des mots de jargon; puis il cause avec sa nourrice, dit qu'il est moucheu Dauphin et que l'Infante a un petit conin comme Madame; il le dit tout bas à Mlle de Ventelet, de honte de le dire tout haut, et me le dit tout bas à l'oreille. Il se joue avec Madame, mais il ne veut point que l'on dise qu'il est le prince de Galles: Ho! non, je suis Dauphin, dit-il.
Le 14, lundi.—Il s'amuse à un livre des figures de la Bible, sa nourrice lui nomme les figures et les lettres, puis après il nomme les lettres et les connoît toutes. Il se meurtrit en jouant, se fait prendre par sa nourrice qui le met en son giron et s'amuse à chanter et à jouer sur la mandore de Boileau, qui en jouoit; il chante la chanson de Robin:
Le 15, mardi.—Le sieur...., Flamand, statuaire, retiré
à Florence, le retiroit en cire de la hauteur d'un pied et
demi par le commandement de la Reine. Le Dauphin
dit: C'est mon frère de cire (c'étoit pour le jeter en or,
pour l'envoyer à l'Annonciade de Florence). Il s'amuse
à son petit ménage d'argent, dit à M. de Vendôme: Allez
Mars
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vous-en. Mme de Montglat l'en reprend, il répond: Ce n'est
pas moi, c'est mon petit frère de cire qui l'a dit.
Le 16, mercredi.—Il se joue avec un petit marmouset de Cupidon, fait de carte et de plâtre peint, et avec un petit bœuf de carte plâtrée et peinte sur lequel il monte son Cupidon. Il vient en ma chambre, demande à voir les oiseaux; c'étoit le livre de Gesner.
Le 17, jeudi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à son petit ménage plus de deux heures continuelles, donnant la patience à..... du Pré de tirer sa figure de cire.
Le 18, vendredi.—M. de Belmont arrive, portant un beau pistolet de Metz; il quitte tout soudain son petit ménage: Eh! donnez-moi ce beau pistolet! M. de Belmont lui dit: «Monsieur, donnez-moi donc ce ménage;» il l'avance soudain pour le bailler, et le retire de même disant: Ho! non, c'est maman qui me l'a donné. Il s'amuse à tirer du pistolet de M. de Belmont fort dextrement.
Le 21, lundi.—Il s'amuse à un petit homme de carte plâtrée, à cheval, que ma femme arrivant de Paris lui donne; il voit M. Donon, contrôleur des bâtiments, et lui dit: Faites accommoder le palemail pour l'amour que j'y joue.
Le 22, mardi.—Mené au bâtiment neuf où, à onze heures trois quarts, le Roi arrive et le reçoit au haut de la montée de Mercure, le mène en la galerie, en la chapelle et à la salle où il a dîné avec le Roi, M. d'Angoulême et M. de Montpensier. Le Roi le fait danser la sarabande, la bourrée, les branles, le mène à la galerie, se fait botter, et à deux heures et demie l'ayant embrassé et baisé, part pour s'en retourner à Paris.
Le 23, mercredi.—Il vient, par le village et le préau, loger au bâtiment neuf à cause que ce jour-là, au matin, la petite vérole apparut à M. de Verneuil.
Le 26, samedi.—Mme la comtesse de Moret le vient
voir; il danse la sarabande, la bourrée, puis dit à Boileau,
son joueur de violon: Ne jouez plus, je ne veux plus
Mars
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danser; il court au cabinet pour y prendre ses armes, y
appelle M. le Chevalier, revient, son épée au côté, portant
son arquebuse à mèche et fait marcher devant lui
M. de Belmont. A goûter, on lui demande de Mme de
Moret: «Monsieur, qui est cette dame-là?» il répond en
souriant: Madame de foire.
Le 27, dimanche.—Après déjeûner il fait trois sauts, un pour papa, un pour maman et un petit pour Madame. Mené aux grottes, il fait grande difficulté d'y entrer; on lui promet de lui faire tourner le robinet, il y entre et prend plaisir de faire mouiller ceux qui y étoient.
Le 29, mardi, à Saint-Germain.—Il écrit une lettre portée par M. de Mansan, moi lui tenant la main[168]. Il s'amuse après à crayonner[169].
Le 31, jeudi.—Mené aux fontaines, il entre aux orgues[170],
ouvre et ferme le robinet, puis va à celle de
Neptune. M. de Cressy avoit blessé, d'un coup d'épée en
la tête, un soldat nommé Delor; le sang lui couloit par
tout le côté et il ne s'en vouloit point aller pour se faire
panser; je dis à M. le Dauphin qu'il lui commandât d'y
aller, et il lui dit avec gravité: Delor, allez vous
faire panser, allez, je le veux. M. de Cressy contestant
avec Delor, lui parle rudement et le menace de
la prison; M. le Dauphin tenoit des petits ciseaux, il se
retourne en colère, grossissant les yeux et représentant
Mars
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la face d'un homme ardent de colère, et lui dit: Je vous
tuerai, voyez-vous bien avec mes ciseaux! puis se repentant
du mot tuer dont on le reprenoit: Je vous donnerai
dans les yeux, voyez-vous bien! Il étoit bouffi de colère;
je ne lui avois jamais vu faire une pareille action pour
témoigner sa colère.
Le 2 avril, samedi, à Saint-Germain.—Il se prend à chanter de son invention:
Il en avoit autant dit après dîner, l'inventant et chantant sur le son d'une autre chanson, chantée par sa nourrice et Mlle de Ventelet.
Le 4, lundi.—M. de Ventelet lui demande: «Monsieur, n'aimez-vous pas les Espagnols?» il répond: Non.—«Pourquoi, Monsieur?»—Pource qu'ils sont ennemis de papa.—«Monsieur, aimez-vous bien l'Infante?»—Non.—«Monsieur, pourquoi?»—Pour l'amour qu'elle est Espagnole, je n'en veux point. Je lui dis: «Monsieur, elle vous fera roi d'Espagne et vous la ferez reine de France;» il répond en se souriant, comme de chose où il eût pris plaisir: Elle couchera donc avec moi et je lui ferai un petit enfant.—«Monsieur, comment le ferez-vous?»—Avec ma guillery, dit-il bas et avec honte.—«Monsieur, la baiserez-vous bien?»—Oui, comme cela, dit-il, en se jetant à corps perdu la face contre le traversin. Il va à la galerie, s'amuse aux outils du menuisier qui posoit les châssis de verre; on lui en nomme quelques-uns, je lui demandai: «Monsieur, comment s'appelle cela?»—Une varloppe.—«Et cela?»—C'est un Guillaume[171]. Il retenoit extrêmement bien les noms propres des choses.
Le 5, mardi.—Mme de Montglat lui apprend: Je crois
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en Dieu le père tout-puissant, etc., qu'il retient fort bien,
puis lui apprend ces mots qu'il prononce après elle:
Dieu est un esprit, et il ajoute du sien: Et gage que ce n'est
pas celui de la galerie rouge, se ressouvenant avoir autrefois
ouï dire qu'il y en revenoit un; il avoit l'œil et l'oreille
à tout, sans en faire semblant, retenoit tout, s'en
ressouvenoit et accommodoit les choses passées à celles
qu'il voyoit ou dont il avoit ouï parler.
Le 6, mercredi.—Je lui dis: «Monsieur, nous donnez-vous votre congé pour aller à Paris?»—Oui. Ma femme lui demande: «Monsieur, si nous revenions, en seriez-vous bien aise?»—Non.—«Monsieur, dis-je, pour combien de temps nous donnez-vous congé?»—Pour trois mois.—«Monsieur, si nous nous noyons, nous ferez-vous pêcher?»—Oui.—«Monsieur, avec quoi?»—Avec un filet. Notre coche faillit à tomber dans la rivière au port de Neuilly; nous y courûmes grande fortune[172].
Le 7, jeudi, à Saint-Germain.—M. et Mme de Rosny assistent à son souper.
Le 13, mercredi.—J'arrive à cinq heures avec mon beau-frère Montfaulcon, il me fait bonne chère[173].
Le 16, samedi.—Éveillé à sept heures il se tourne et
retourne dans son lit en toutes façons, dit qu'il va aux fontaines
tourner le robinet, fait, fss fss, puis me dit: Dites
grand merci moucheu Francino[174]. Je lui réponds: «Grand
merci, M. Francino; voulez-vous de l'argent?»—Oui.
Je lui mets en la main un quart d'écu.—Ho! ho! c'est
tout à bon[175].—«Je le donne au sieur Francino, non à
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M. le Dauphin, car il ne faut pas que les princes prennent
de l'argent.» Il m'écoute et le met dans son lit:
«Monsieur, lui dis-je, où est l'écu que je vous ai baillé?»—Il
est dans mon lit; il le prend et me le rend, puis change
de propos. J'irai à la chasse, je tuerai un sanglier avec mon
épée. Je lui dis: «Monsieur, vous irez à la chasse et porterez
votre épée, puis le sanglier qui viendra droit à
vous s'enferrera dedans, après vous lui donnerez un
coup d'épée, il mourra.»—Puis je lui couperai le cou.—«Monsieur,
non pas, vous lui ferez couper par les veneurs.»—Serai-je
pas veneur?—«Monsieur, vous commanderez
aux veneurs, qui couperont la hure, et vous la porterez à
papa, qui vous embrassera, il vous aimera tant; puis vous
irez prendre le cerf, lui donnerez un coup d'épée sur le
jarret, il tombera, vous lui ferez couper le pied, vous le
porterez à papa, qui vous caressera, vous appellera son
mignon, vous mènera dans sa belle galerie du Louvre.»—Du
Louvre! où est-il?—«A Paris, c'est la maison de papa;
dans sa galerie il y a des corselets d'or, d'argent (je lui
nomme toutes sortes d'armes); il vous dira: mon fils,
prenez ce que vous voudrez, voilà une clef de ma galerie
que je vous donne puisque vous êtes bon fils et
point opiniâtre, et que vous avez pris le sanglier et le
cerf.» Ce discours dura fort longtemps, tant il y prenoit
de plaisir; il dit encore: Quand j'irai à Paris, je
donnerai un coup d'épée à un Irlandois!—«Mais, Monsieur,
il ne faut pas qu'un prince fasse mal à personne
ni qu'il frappe jamais; si vous rencontrez des Irlandois
qui fassent du mal[176] vous commanderez que l'on les
mette entre les mains de la justice de papa.»—Oui, de
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la justice qui les mettra en prison au vieux château.—«Oui,
Monsieur, et si vous en trouvez qui dérobent, qui
volent les pauvres gens aussi.»—Ce voleur qui voloit sur la
corde étoit Irlandois? Il étoit vrai; il accommoda le mot de
voleur à l'autre signification, il l'avoit vu voler à Fontainebleau[177].—Et
puis s'ils sont voleurs il les faut mettre
entre les mains du grand prévôt. Il m'étonna d'avoir
nommé de son mouvement cette qualité et en avoir su
reconnoître la fonction.
Le 17, dimanche.—Il me fait redire les mêmes contes que je lui avois faits le matin du jour précédent; il y prenoit un grand plaisir, les écoutoit attentivement et il lui prenoit des tressaillements de courage quand j'étois sur les combats. Il dit: J'aurai mon grand tambour bleu et puis le tambour de taine[178].—«Oui, Monsieur, c'est un tambour de guerre.»—Oui, de guerre, il y va pour gagner sa vie.—«Oui, Monsieur, papa lui donne six francs par mois.»—Et à les soldats?—«Papa leur donne douze francs.» Il répète en soi-même douze francs et dit: Je leur veux donner six écus, moi.
Le 18, lundi, à Saint-Germain.—Il appelle M. le Chevalier: Cadet pisseux, Mlle de Vendôme, Cadette pisseuse, et se nomme lui-même Cadet de haut appétit, parce qu'autrefois il l'avoit ouï dire aux soldats.
Le 19, mardi.—Arrive M. de Crillon[179], mestre de
camp du régiment des gardes, qui ne l'avoit pas encore
vu; le Dauphin lui ôte son chapeau, lui donne sa main à
baiser, disant: Bonjou, moucheu de Crillon. M. de Crillon
lui dit: «Monsieur, voulez-vous que je tue cettui-ci, cettui-là?»—Non.—«Qui
donc?»—Les ennemis de papa. Le
Roi et la Reine arrivent à une heure et demie venant de
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Paris en carrosse, il va au devant en la cour, revient
avec LL. MM. en la galerie, s'asseoit à table avec eux, sert
la serviette au Roi, puis à la Reine. L'on met Favori, chien
de la Reine, sur la table, il demande: Ho! ho! qui est
stilà? lui tire l'oreille; le chien fault à le mordre. Mis à
bas il fait la révérence au Roi, qui le mène à la galerie
où il va à la guerre, tire des arquebusades[180]. Je crois
qu'il avoit la tête et le corps pleins de tambours, d'arquebuses,
de pistolets, de toutes sortes d'armes et de soldats.
A quatre heures trois quarts, le Roi et la Reine s'en
retournent à Paris.
Le 20, mercredi, à Saint-Germain.—Parti en carrosse pour aller à Carrière; il mène Madame pour tenir à baptême la fille de M. de la Salle avec M. le Chevalier; il voit paisiblement faire le baptême où Madame tenoit les pieds de la petite fille.
Le 21, jeudi.—Il se joue à coigner des clous à un vieux placet[181]. Mlle Piolant lui dit qu'il se donnât de garde de se blesser, il s'en fâche et lui jette son marteau; Mme de Montglat l'en tance et lui dit: «Monsieur, faites-lui baiser votre main.» Il la tend et l'approchant de sa bouche lui donne un petit soufflet et s'en va; peu après s'en repentant, mais non à l'heure, il va où étoit Mlle Piolant, l'embrasse et lui demande pardon. Sur l'heure il ne pardonnoit point; il falloit lui en parler, il songeoit, puis il y venoit de lui-même avec contenance de déplaisir d'avoir offensé.
Le 25, lundi.—Il fait danser, à la salle, des Limousins,
maçons qui travailloient à la muraille du parc.
Mené chez M. de Frontenac, qui fiançoit Mlle sa fille à M. de
Carbonnière, Mme de Montglat lui dit qu'il prît la damoiselle
par la main pour la mener fiancer; il la prend, la
mène au devant du curé, se fait prendre aux bras par
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M. Birat et écouta attentivement toutes les paroles du
curé, ayant toujours la vue arrêtée sur lui.
Le 26, mardi.—Mené au vieux château, où il prend par la main Mlle de Frontenac, la conduit dans la chapelle, la mène à l'offrande après avoir attentivement regardé et écouté tout ce qui s'étoit passé aux cérémonies d'épousailles, et la ramène en son logis. A une heure arrivent les députés de Zurich, Bâle et Schaffouse; celui de Zurich, chancelier, porta la parole, disant: «Monseigneur, Messieurs des Quatre Cantons, vos serviteurs et bons amis, alliés et confédérés, nous ont envoyés devers le Roi pour quelques affaires, desquelles nous lui avons parlé ces jours passés, et nous sommes venus ici, Monseigneur, pour vous voir et vous supplier de les tenir pour vos serviteurs, bons amis, alliés et confédérés. Aimez et assistez notre nation quand elle en aura besoin, espérant qu'avec le temps, vous serez roi de France; et pour notre particulier, Monseigneur, nous vous supplions de nous tenir pour vos très-humbles et affectionnés serviteurs, et prions Dieu qu'il vous accroisse en vertu comme en âge.» Le Dauphin répond: Messieurs, je vous remercie.—Il soupe à la noce de Mlle de Frontenac, ayant en sa table toute la compagnie.
Le 27, mercredi.—Il demande d'aller à la garenne; en approchant du bac il voit sept ou huit hommes delà l'eau et dit: Hé! je gage que velà la drôlerie du Pecq; c'étoient les gens du Pecq qu'à la mi-carême il avoit ouï nommer ainsi. Passé, mené le long de l'eau, il voit courir quelques lapins. Ramené au bac il s'amuse à jeter du papier dans l'eau en guise de bateaux.
Le 28, jeudi.—Il va en la galerie, s'amuse à voir planter des châssis aux fenêtres, considère les fruits des vases peints au lambris, les nomme.
Le 29, vendredi.—Mené à la grotte d'Orphée, où l'on
le fait enfin entrer, suivant Mme de Montglat, qui lui tendoit
des pois sucrés dans sa main; mais avant il fallut
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faire couvrir l'effigie[182] avec un linge; il voulut avoir
les clefs de peur que l'on ne le fît jouer.
Le 30 avril, samedi.—Il s'amuse à peindre sur du papier, imitoit les peintres, soutenant sa main droite, dont il tenoit la plume comme un pinceau par-dessus le bras gauche, comme font les peintres sur la verge[183], et conduisoit sa main et la plume aussi artistement qu'eût fait le peintre son pinceau.
Le 1er mai, dimanche, à Saint-Germain.—Le tambour de M. de Mansan lui apporte des bouquets; il va à Mme de Montglat: Hé! Mamanga, donnez un écu au tambour.—«Monsieur, votre trésorier n'est pas ici».—Hé! Mamanga, donnez-lui, je vous rendrai tout, mais que je sois grand.
Le 2, lundi.—Je pars pour aller à Paris[184].
Le 7, samedi.—M. de Guise le vient voir; il lui demande: «Monsieur, aimez-vous bien les Espagnols?»—Non, répond le Dauphin.
Le 9, lundi.—Mené promener aux grottes, il voit des forçats qu'on menoit à la galère, et se prend à pleurer, disant: Mamanga, je veux qu'on les laisse aller.
Le 13, vendredi.—Mme la comtesse de Guichen le vient voir; il tire d'une petite arbalète que la comtesse lui avoit donnée, monte sur le cheval du petit Lauzun, petit-fils de la comtesse[185].
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Le 14, samedi.—Il va jouer en la cour, dit aux soldats qu'il aimoit les Gascons; on lui demande: «Pourquoi?»—Pour ce que je suis de leur pays.
Le 18, mercredi, à Saint-Germain.—Il voit plusieurs sortes de satin de couleur, à doubler l'armoire de ses armes, choisit le bleu. J'arrive de Paris; il vient au devant en la cour: Que m'apportez-vous? Je lui baille un marmouset à cheval tenant une laisse de lévriers. Le soir, un peu avant de se coucher, il donne le mot au sieur de la Perrière, exempt; M. l'aumônier le lui demande, il lui répond: Il ne faut pas donner le mot au prêtre.
Le 24, mardi.—Mené au logis du sieur Francino, qui lui faisoit une petite fontaine.
Le 25, mercredi.—Il se joue en la galerie; M. de Favas[186] y vient, il lui baille son épieu de fer, son épieu de bois à M. de Belmont, et, à M. de Mansan, sa fourchette[187]; lui porte sa arquebuse, fait marcher M. de Favas à la tête, et va ainsi à la guerre. Il va chez Francino, en son cabinet, où il s'informe du nom de tout ce qu'il y voit.
Le 26, jeudi.—Sa remueuse lui donne un petit ménage de plomb, un calice, un encensoir, un coq et une femme, le tout dans une boîte; il range ces petites besognes. Mme de la Trimouille, fille de feu M. le prince d'Orange et de Mme de Jouarre, Mme la marquise de Royan, fille de feu M. le chancelier, vont à la chambre de M. de Verneuil; le Dauphin fut fâché que quelqu'un de ceux de Mme de la Trimouille lui avoit relevé de terre une petite balle; elle s'approche de lui, disant qu'elle le tanceroit bien: il lui donne un soufflet.
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Le 30 mai, lundi.—Il écoutoit sa nourrice se plaignant de ce que l'on avoit renvoyé de ses amis qui étoient venus pour voir le Dauphin; il se prend à pleurer, disant: Je veux qu'on les aille querir. Il s'étoit déchaussé étant à table, sa nourrice le veut chausser: Non, maman doundoun, je veux pas que vous me chaussiez.—«Pourquoi, Monsieur?»—Pource que vous m'avez donné à teter quand j'étois petit. Il va chez Francino, fait mettre un robinet à sa fontaine de bois, a la patience de voir tout faire.
Le 31, mardi.—Parti pour retourner au vieux château, à cause de la venue du Roi.[188]
Le 1er juin, mercredi, à Saint-Germain.—Mlle Prévost des Yveteaux[189] et Mlle Morin, de Chartres, assistent à son souper; il regarde attentivement Mlle Prévost, je lui dis que je vois bien qu'il est amoureux; il en sourit, puis feint de regarder ailleurs et la guigne du coin de l'œil. Mené au jardin, il entend deux soldats qui étoient à la prison de l'horloge, et dit: Je veux qu'ils sortent, Mamanga. Elle lui dit qu'il le falloit demander à M. de Mansan; il se retourne soudain pour aller à lui, qui étoit demeuré derrière, et lui dit: Taine[190], je veux, s'il vous plaît, que vous fassiez sortir ces soldats.
Le 2, jeudi.—Le comte de Saure, grand écuyer de l'Archiduc, revenant d'Espagne, lui baise la main, lui fait les recommandations de l'Infante, et dit qu'elle parle souvent de lui et que l'on désire en ce pays là bien fort de le y voir. A dîner on lui dit: «Monsieur, buvez à la santé de l'Infante,» il répond: Je m'en vas boire à ma maîtresse.
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Le 3, vendredi, à Saint-Germain.—Il vient en ma chambre, demande: Où est le lion? C'étoit le livre des animaux de Gesner; il les reconnoît, puis les oiseaux.
Le 4, samedi.—Il s'amuse dans son lit à une boîte de petites quilles à pirouette; je lui baille un petit singe de poterie qui avait le col cassé jusqu'aux épaules.—Il va sur les terrasses, se raille de Montméjan, soldat et gentilhomme gascon, en disant: Ce Montméjan qui dit: lou castel de mon païre, c'est-à-dire le château de mon père, s'en rendant lui-même l'interprète. Il monte en ma chambre, demande à voir les livres des oiseaux et des quadrupèdes de Gesner, puis: Où est celui des bâtiments? C'étoit celui de Vitruve, qu'il n'avoit vu il y avoit plus d'un an.
Le 6, lundi.—Il va en la chambre de Mme de Montglat. Je lui tiens la main pour écrire au Roi en cette sorte:
Papa, j'ay su que vous avez esté malade, j'en ay esté bien marry, mais j'ay tant prié Dieu qu'il vous a rendu vostre santé. J'en ai fait trois petits sauts. J'ay bien envie de vous voir, car je suis bien sage, plus opiniastre, et feray tout ce que vous me commanderez, et seray toute ma vie, Papa, votre très humble et très obéissant fils et petit valet.—Daulphin.
Deux soldats de la compagnie, pour s'être battus au corps de garde, étoient prisonniers; M. de Verneuil lui dit: «Mon maître, dites, s'il vous plaît, à M. de Belmont qu'il fasse sortir les prisonniers.»—Qu'ont-ils fait? dit-il brusquement et de lui-même; on lui dit qu'ils s'étoient battus; il va froidement à M. de Belmont: Belmont, faites sortir les prisonniers, faites, faites. Les deux soldats arrivent, il leur dit de son mouvement: Soyez sages, ne vous battez plus, et, peu après, les voyant encore là: Allez vous-en au corps de garde.
Le 7, mardi.—Il va au bâtiment neuf, chez le menuisier,
pour voir faire son jardin de bois, puis chez le sieur
Francino pour y voir la fontaine qu'il lui faisoit. Le soir il
dit à Mme de Montglat: Mamanga, faites pas dire Pater, faites
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dire notre Père. Étant à ces mots: Ton règne advienne:
Mamanga, qu'est-ce à dire ton règne advienne? Mme de Montglat
lui en donne raison, et il continue: Mamanga, qu'est-ce
à dire: et nous pardonnez nos offenses?—«Monsieur, c'est
que nous offensons le bon Dieu tous les jours, nous le
prions qu'il nous pardonne;» à ces mots: Et nous garde
du malin: Mamanga, qu'est-ce à dire malin?—«Monsieur,
c'est le mauvais ange qui vous fait dire: Allez-vous-en!
Parlez plus haut!» et autres traits de son opiniâtreté. Il
dit encore à Mme de Montglat: Le bon Dieu a été sur la croix,
Mamanga. Je lui demande: «Monsieur, pourquoi?»—Pour
ce que nous avions tous été opiniâtres, vous, Mamanga,
moi aussi, maman doundoun et mademoiselle Héouard.
Le 8, mercredi.—Éveillé il chante dans son lit:
Le Roi arrive au bâtiment neuf; il part avec une extrême impatience de le voir, court au Roi, qui l'attendoit sur la porte de la salle du bâtiment neuf, le baise, l'accole; à une heure dîné avec le Roi. La Reine arrive à une heure et demie; il la va recevoir à la descente de son carrosse, à la porte de la salle; elle le baise par-dessous le masque. Il va en la galerie avec LL. MM., puis suit la Reine, qui s'en alloit dîner, lui donne la serviette. Il s'en va avec la Reine en la chambre, voit un homme qu'il n'avoit point vu il y avoit un an, qui faisoit des fusées, s'en va au Roi: Papa, velà celui qui fait des fusées, ce qui étonna tout le monde pour sa mémoire.
Le 9, jeudi.—MM. de Crillon et de Favas assistent à son
lever. Le Roi le promène, puis le mène en la chapelle,
après le ramène à pied à la procession, portant aussi
son cierge, puis le ramène à la chapelle. Le Roi se voulant
jouer à lui l'appelle vilain, et lui dit qu'il n'est pas
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gentilhomme; le voilà en colère extrême; le Roi en fut
fâché, et lui dit qu'il étoit gentilhomme: il ne s'apaise
aucunement, et fut mené dehors et porté en sa chambre.
Le Roi sortant de la messe, il entend le tambour et dit:
Je veux aller dîner avec papa; il y va et dîne à douze
heures et demie. Mené en la chambre du Roi, il est ensuite
ramené en la carrosse[192] avec LL. MM. au château
vieux. M. d'Alincourt prend congé de lui, allant partir
à l'heure pour aller à Rome. Il se joue avec M. de Courtenvaux,
pour lequel il avoit une merveilleuse inclination.
Le 10, vendredi, à Saint-Germain.—Mené chez le Roi au bâtiment neuf; le Roi, qui étoit dans le lit pour un peu de goutte, le fait mettre, lui et Madame, dans le lit auprès de lui, tout nus. Madame cause, M. le Dauphin en est l'interprète[193] et le rapporte en souriant au Roi.
Le 11, samedi.—A neuf heures mené chez le Roi, qui étoit au lit; il va chez la Reine, prend sa petite boîte ronde d'argent et une aiguille d'argent, en fait un tambourin, retourne chez le Roi, puis en la galerie. Dîné avec la Reine. Dépouillé et Madame aussi, ils sont mis nus dans le lit avec le Roi, où ils se baisent, gazouillent et donnent beaucoup de plaisir au Roi. Le Roi lui demande: «Mon fils, où est le paquet de l'Infante?» Il le montre, disant: Il n'y a point d'os, papa; puis comme il fut un peu tendu: Il y en a astheure, il y en a quelquefois. Il assiste aux fiançailles de M. le prince de Conty avec Mlle de Guise[194], à huit heures.
Le 12, dimanche.—Mené par le pont du Roi au bâtiment
neuf, au Roi, encore au lit pour sa goutte; la Reine
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lui donne une enseigne de diamants avec un bouquet de
plumes d'argent. Ramené à cinq heures au vieux château,
il va en sa chambre, où il fait jouer et chanter la musique
de la Reine (quatre luths et deux voix de petits enfants),
l'écoute avec ravissement.
Le 13, lundi, à Saint-Germain.—Il va chez Mlle de Guise, qui le matin, à six heures, avoit été épousée; mené au Roi en carrosse au bâtiment neuf. Le Roi le fait mettre nu avec lui dans le lit; revêtu, il descend à la grotte sèche avec LL. MM., qui y font collation.
Le 14, mardi.—Mené à la chambre de la mariée (c'étoit Mlle de Guise, qui avoit été le soir précédent mariée), puis à la chapelle, où en allant il trouve une pauvre femme qui prioit pour son mari, à qui l'on avoit confisqué le bien: Mamanga, donnez de l'argent à cette femme. M. de la Noue[195] le vient voir. Mené au Roi au bâtiment neuf; le Roi et la Reine sont partis pour retourner à Paris, à trois heures.
Le 15, mercredi.—Il monte en la chambre de sa nourrice, lui demande ses ciseaux; elle les lui baille, il les jette dans le fossé, puis veut aller dans le fossé pour les querir, va tout plein de feu jusqu'au dessous du pont-levis; on le lui fait regarder: Qu'est cela? demande-t-il.—«Monsieur, c'est le pont-levis qui vous tombera dessus la tête»; il tourne court, et remonte.
Le 17, vendredi.—Mené au Roi et à la Reine revenant de Paris. Mis au lit, on lui demande la différence qu'il y avoit d'un fils à une fille, il songe, puis dit: Je le dirai demain, je sais pas, je veux songer en mon lit.
Le 18, samedi.—Il se fait mettre au lit avec sa nourrice;
le Roi y vient à huit heures, et l'y trouve; il
chante: Miquele se veut marida, papa. A neuf heures, il
s'en va avec le Roi en carrosse, va voir la Reine, encore
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au lit, se joue, va prendre un placet[196] pour en faire
des fontaines. Mme de Montglat en veut apporter un
autre, il entre soudain en colère: Je vous battrai,
Mamanga, et va sur elle, la frappe: Je vous tuerai, maman.
Le Roi le fouette sur les fesses avec la main; ne se taisant
point, le refouette encore, puis s'en va; il se jette à
terre, puis feint de ne pouvoir cheminer, va clopinant,
pleurant, criant: Hé! Mamanga, papa m'a rompu la cuisse,
mettez-moi de l'onguent. A trois heures mené en litière,
avec Madame, chez le Roi, qui le mène voir la chasse aux
toiles, aux Loges.
Le 20, lundi, à Saint-Germain.—Il se joue dans le cabinet du Roi avec des petites tenailles dont il pinçoit le couvercle, peint de personnages, d'une boîte de Flandres.
Le 21, mardi.—Il vient en ma chambre, s'amuse aux oiseaux[197], au siége d'Ostende et à la carte de Flandres.
Le 23, jeudi.—Mené chez M. de Frontenac, d'où il voit mettre le feu au bûcher de la Saint-Jean.
Le 24, vendredi.—M. le comte de Soissons le vient
voir, il entre en mauvaise humeur, ne le veut point accoler
ni saluer; on lui apporte une pièce du biscuit du
Roi, on lui dit que c'est M. le comte de Soissons qui l'a
envoyée querir; il le va accoler et l'en remercie. A deux
heures et demie goûté sur le haut de l'escalier, assis sur
le premier degré; M. de Montbazon et M. de Rosny y
étoient. M. de Rosny lui demande: «Monsieur, qui est le
plus enfant de nous deux?»—C'est moucheu de Montbazon.
Il va en bas, à la chambre de M. de Souvré; M. de
Rosny y va, lui porte une bourse.—Je n'en veux point,
elle est pas belle.—«Mais, Monsieur, vous voyez qu'elle
est si belle! il y a de si beaux dauphins!»—Non, alle est
vilaine; si vous me la baillez, je la jetterai dans le fossé.—«Mais,
Monsieur, voyez! il y a de si beaux demi-écus
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dedans,» et on les vide dans un tablier. Il les prend, les
remet dans la bourse, la jette en disant: Allez, vilaine.—«Monsieur,
dit M. de Rosny, que vous plaît-il donc que
je vous donne?»—Un petit carrosse. Mené au bâtiment
neuf, il court après le Roi et la Reine, ores à l'un puis à
l'autre, se jouant à eux; le Roi le fait décoiffer et aller
tête nue; la Reine mettant la main à sa guillery dit:
«Mon fils, j'ai pris votre bec.»
Le 25, samedi.—En dînant Mme de Montglat parloit d'aller voir M. de Rosny pour lui parler d'affaires; M. le Dauphin, se retournant soudain vers elle, dit: Et du lit de maman doundoun. Il s'amuse à la fenêtre du passage entrant au petit cabinet, à faire battre le tambour du sieur de Mainville, capitaine aux gardes, lui fait battre les batteries espagnole, angloise, wallone, italienne, piémontoise, moresque, écossoise, lombarde, allemande, turque, puis la françoise, une chamade, un assaut, puis lui dit: C'est assez! battez au champ vous en allant. A cinq heures il va au bâtiment neuf voir la Reine, qui étoit prête à se lever du lit; le Roi le fait mettre tête nue.
Le 26, dimanche.—Le Roi l'envoie querir à dix heures et demie; il se y en va, tabourin battant, trouve le Roi écrivant, cesse son tambour, et jamais ne voulut battre. Ayant salué le Roi, il va chez la Reine, puis en la galerie pour battre son tambour; le Roi y vient: «Mon fils, ne battez plus»; il cesse aussitôt, et baille à garder son tambour à M. le Chevalier. Il va chez la Reine, où il se met en mauvaise humeur pour ce qu'il vouloit et jetoit la poudre de la Reine avec la houppe; la Reine envoye querir des verges par le nain Camille; aussitôt qu'il les voit entrer, sans dire mot il s'encourt à la Reine l'embrasser.
Le 27, lundi.—Le Roi part à quatre heures du
matin pour aller à Paris. Mené chez la Reine, le Dauphin
la rencontre dans la galerie revenant de la messe, va
dîner avec elle. Il s'en va avec la Reine; elle lui coupe
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les cheveux sur le front et les tempes; il est tout changé,
semble un de ces gros visages de moines. La Reine s'en
va en litière[198] par Saint-Cloud à Paris.
Le 30 juin, jeudi, à Saint-Germain.—On lui demande: «Monsieur, quand vous serez baptisé, comment aurez-vous nom?»—Henry. Il battoit de sa cuiller sur le bord du plat qu'il tenoit d'une main, disant: Mamanga, je sonne les heures comme le Jacquemard qui frappe sur l'enclume. Je lui demande: «Monsieur, où est ce Jacquemard?»—A Fontainebleau[199].—Il s'amuse à monter la montre triangulaire de Mme de Montglat, la monte fort bien.
Le 1er juillet, vendredi, à Saint-Germain.—Il développe les portraits du Roi et de la Reine, les baise disant en se jouant: Velà moucheu papa et velà madame maman. Je pars pour aller à Paris[200].
Le 7, jeudi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous courez trop! papa ne fait pas comme cela.»—Non, Mamanga, mais quand il étoit petit comme moi il couroit comme ça.
Le 9, samedi.—M. de Montmorency, fils de M. le
connétable[201], M. le comte d'Alès, fils de M. le comte
d'Auvergne[202], M. le comte de la Voulte, fils de M. de
Ventadour[203], M. de Précy, fils de M. de Bouteville-Montmorency[204],
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et Mlle de Montmorency[205] arrivent; le
Dauphin va à la chapelle, où il a fort crié; il faut envoyer
querir Thomas, le maçon, il s'apaise. A dîner M. de Montmorency
lui sert à boire; il écrit au Roi par un nommé
Nervèze[206], qui lui avoit donné un petit livre. A souper
M. de Montmorency lui sert la serviette à laver[207]; le
Dauphin, la prenant, dit: Or ça, je m'en vas laver à la
françoise, et prenant la serviette, la toupillant: Voyez,
velà comme on se lave à la françoise.
Le 10, dimanche, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris avec M. de Souvré; il me voit du dessus de la terrasse de la salle du bal, m'appelle et me demande: Que m'apportez-vous? Je lui montre un papier sous le bras où il y avoit un cheval et un gendarme enveloppés; il se prend à tressaillir de joie et à courir pour venir à bas, vient à moi à sauts. Après dîner il va à la guerre, fait tirer son petit carrosse par MM. de Montmorency, de Ventadour, comte d'Alès et de Bouteville.
Le 11, lundi.—Il rencontre deux demoiselles, pas trop mal vêtues, qui ne demandoient encore rien; il reconnoît qu'elles avoient besoin, et leur donne un quart d'écu. A souper il se fait donner à boire par Mlle de Montmorency, ayant vu qu'elle en donnoit à Madame.
Le 12, mardi.—En passant par la salle il voit M. du Servon-Mailler assis dans une chaise, à cause de sa goutte; il va à lui, lui tend la main à baiser, et voyant qu'il avoit peine à se tenir: Seyez-vous, seyez-vous, lui dit-il, avec compassion et respect pour son âge.
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Le 13, mercredi.—Il reprend M. de Ventelet, qui disoit: Celui-ci. Je lui demande: «Monsieur, comment faut-il donc dire?»—Cettui-ci. L'on parloit de la reine Marguerite et on demandoit comment il l'appelleroit[208]; quelqu'un dit qu'il l'appelleroit sa tante.—Non, je l'appellerai ma sœur, ce sera Madame qui l'appellera sa tante.—«Monsieur, lui dit quelqu'un, ç'a été la femme à papa.»—Non, c'est maman, dit-il brusquement.
Le 14, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au jardin, il rencontre en allant Mme la comtesse de Moret.
Le 15, vendredi.—Se jouant avec M. de Montmorency et M. le comte de la Voulte, qui lui demandoient congé de s'en retourner le lendemain: Non, dit-il, je veux que vous demeuriez avec moi.—«Monsieur, dit Birat, quelle charge lui donnerez-vous quand vous serez grand?»—Je le fairai mon connétable.—«Et à M. de la Voulte?»—Amiral. Mis au lit, il embrasse M. de Montmorency, qui lui disoit adieu pour s'en retourner à Chantilly, en fait autant aux sieurs comte de la Voulte, comte d'Alès et de Pressy; puis à Mlle de Montmorency il fait le honteux, ne la veut point embrasser, prend courage et l'embrasse avec honte, sans la baiser, donne la main à baiser à leur suite.
Le 19, mardi.—M. le baron de Toun, grand maréchal
de Lorraine, le vient visiter de la part de Son Altesse
et assiste à son souper; ce baron voulant prendre congé
de lui, le Dauphin ne voulut jamais dire qu'il fut le serviteur
de M. de Lorraine, comme Mme de Montglat le lui
vouloit faire dire; il dit seulement entre ses dents: Je
lui baise les mains. Quand il fut parti, Mme de Montglat lui
dit: «Monsieur, pourquoi n'avez-vous voulu dire à ce
gentilhomme que vous étiez serviteur de M. de Lorraine,
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votre oncle?» Il songe, et puis répond: Pource que je suis
trop petit.
Le 21, jeudi, à Saint-Germain.—On lui dit qu'il falloit qu'il appelât la reine Marguerite: Maman.—Pourquoi?—Mme de Montglat lui dit: «Pource que maman le veut.» La Reine l'avoit ainsi commandé par lettre expresse, que Mme de Montglat venoit de recevoir.
Le 23, samedi.—Le sieur de la Lane, maître d'hôtel de la reine Marguerite, arrivée à Madrid depuis trois jours, vient pour visiter le Dauphin de sa part et lui dire qu'elle lui baisoit les mains et pour s'excuser si elle n'étoit venue pour le voir, ce qu'elle feroit se trouvant délassée du travail du chemin et lorsqu'elle auroit eu l'honneur de voir le Roi. Le Dauphin lui répond: Je la remercie bien humblement, je suis son serviteur. Comment se porte maman?—M. de Longueville, Mme de la Trimouille arrivent; Mme de Montglat lui ayant dit que Mme de la Trimouille le venoit voir et qu'il eût à lui dire qu'il étoit petit quand il lui donna le soufflet au bâtiment[209]: Mais, mamanga, elle est aveugle qu'elle porte cela si longtemps sur le nez? se ressouvenant que le bout de sa coiffure y étoit avancé fort bas. Il observoit tout, jusques aux plus petites choses.
Le 24, dimanche.—Tout le long du dîner il est transporté et comme ravi de la musique des violons du Roi, qui étoient quinze, auxquels, pour la fin, il commanda de jouer la guerre, n'ayant dit que ce mot durant tout le dîner; ils ne la surent jouer.
Le 25, lundi.—Étant au droit de la chapelle, Madame
se trouva dans l'allée qui est vis-à-vis; on les fait
avancer, ils s'entre saluent, et comme il fut à six pas près,
sa nourrice lui dit: «Monsieur, il ne faut pas approcher
de Madame davantage que cela[210]»; il s'arrête, faisant sa
Juil
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petite lippe assez longue, et à la fin il lui en tombe des
larmes des yeux et à Madame aussi, qui en firent faire
autant à toute la troupe.
Le 26 juillet, mardi.—Cejourd'hui le Roi a vu, au château de Madrid, la reine Marguerite.
Le 27, mercredi.—Il vient en mon étude, veut voir le livre de Mathiole[211], où il avoit autrefois vu des poissons.
Le 28, jeudi.—J'eus l'honneur de lui donner sa chemise, Mme de Montglat n'y étoit pas.
Le 29, vendredi.—Le Roi arrive au bâtiment neuf, accompagné de Don Juan de Médicis[212], oncle bâtard de la Reine; mené par le pont du Roi à S. M., il lui court, lui saute au col, le mène à la galerie, où il joue au palemail. Dîné avec le Roi.
Le 30, dimanche.—Mené au bâtiment neuf au Roi et à la Reine; il se joue au Roi, ayant respect et crainte de le blesser sur le lit, où il étoit, ayant mal aux dents et le visage enflé.
Le 1er août, lundi, à Saint-Germain.—Mené à quatre heures au bâtiment neuf, le Roi se reposoit sur son lit; il dresse en la ruelle tout son petit ménage de poterie verte; M. de Verneuil étoit un des cuisiniers. A six heures il donne le bonjour au Roi et à la Reine, prend le mot du Roi et le baille à M. de Créquy, mestre de camp du régiment des gardes.
Le 2, mardi.—Mené à la chapelle, où il voit tout le préparatif pour faire le service pour le feu Roi[213]; il s'informe de toutes les pièces: Pourquoi ceci? pourquoi cela? puis s'en va ne y étant point demeuré, les Dauphins n'assistant jamais aux services des funérailles.
Le 3, mercredi.—A dîner il mange sans dire mot et
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comme transporté de joie d'ouïr jouer un flageolet d'un
estropié que l'on nommoit cul-de-jatte, lequel après
avoir joué longtemps et deux violons avec lui, lui va dire
d'une voix rude: «Monsieur, buvez à nous.» Il devient
rouge, disant soudain: Je veux qu'il s'en aille, je veux
qu'il s'en aille, maman. Je lui dis: «Monsieur, il est un
pauvre, il ne les faut pas chasser».—Il ne faut pas que
les pauvres viennent ici.—«Monsieur, non pas tous, ou
bien ceux qui vous font jouer comme lui».—Qu'il aille
donc jouer là-bas.—Mme de Montglat l'en veut aussi
distraire, il lui répond: Mamanga, il m'étourdit, et puis
après dit: Je ne bois qu'à papa et à maman.—Il s'amuse
sur une petite planche à imiter le sieur Francisco, que le
jour précédent il avoit vu travailler en cire, à faire des
modèles de figures, et dit: Je fais le modèle d'une fontaine,
je fais le modèle d'un singe; il l'avoit vu le jour précédent
à la galerie où travailloit Francisco.
Le 4, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures mené par le petit pont au bâtiment neuf, au Roi, en la galerie; M. de Béthune y arrive, revenant ambassadeur de Rome; sur ce sujet le Roi lui demande: «Mon fils, voulez-vous aller à Rome?»—Non, papa.—«Où voulez-vous donc aller?»—Je veux demeurer auprès de vous, papa.
Le 5, vendredi.—Il va en la chambre de Madame, où étoit son peintre, maître Martin, qui la peignoit; il se fait donner un pinceau, demande de la peinture. «Monsieur, dis-je, de laquelle voulez-vous?»—De la bleue. C'étoit une couleur qu'il aimoit naturellement et qu'il avoit toujours aimée.
Le 6, samedi.—Je lui dis: «Monsieur, habillez-vous
vîtement; vous irez au parc voir papa, qui vous donnera
un beau canon qu'il fait promener avec des chevaux, ou
bien M. de Verneuil ira le premier, et il l'aura.—Féfé
Vaneuil dort encore.—«Monsieur, vous me pardonnerez,
il est levé et est allé trouver papa».—Ho! non; papa veut
pas qu'il aille qu'avec moi! Mené à LL. MM. Ramené, appelant:
Août
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Allons, féfé Vendôme, féfé Chevalier, allons féfé
Vaneuil! Il ne y vouloit laisser personne de ces Messieurs
après lui.—L'après-dînée il demanda à Mlle de Ventelet:
Tetai, où a-t-on porté cette messe noire qui étoit à la chapelle?
(c'étoient les meubles pour le service du feu Roi).—«Monsieur
on l'a rapportée à Paris».—Pourquoi est-elle
noire?—«Monsieur, c'est pour prier Dieu pour le feu
Roi, vous devez bien prier Dieu pour lui.»—Pourquoi?—«Monsieur,
pource que vous ne seriez pas ce que vous êtes.»—A
quatre heures et demie mis dans le carrosse de la
Reine pour aller au-devant de la reine Marguerite; il est
accompagné de Madame, de MM. de Vendôme, de Verneuil,
de Souvré. Il va par la levée près de Ruel et, la
Reine ne venant point encore, il revient en l'hôtellerie
qui est sur la levée, où il a soupé. Remis en carrosse,
il va au-devant de la reine Marguerite, et étant environ
le milieu de la muraille du clos de M. le président Chevalier,
qui est sur le chemin de la levée, il met pied à
terre. Elle, le voyant aussi, descend de la litière que la
Reine lui avoit envoyée, et ils se rencontrent au droit du
bout de la muraille du clos, à gauche en allant. M. le
Dauphin de dix pas ôte son chapeau, va à elle; on le lève,
il la baise et l'embrasse: Vous, soyez la bien-venue, maman
ma fille.—«Monsieur, lui dit la Reine, je vous remercie,
il y a fort longtemps que j'avois desir de vous voir.»
Elle le baise de rechef; l'on le reprend au bras (c'étoit
Birat) et, faisant le honteux et le vieux, il se cachoit de
son chapeau. «Mon Dieu, reprend la Reine, que vous êtes
beau! vous avez bien la mine royale pour commander
comme vous ferez un jour.» Elle baise Madame et puis les
autres Messieurs; il rentre en carrosse et elle en litière.
M. le Dauphin s'endort à demi-chemin, et arrive en sa
chambre tout endormi, à huit heures trois quarts. La
reine Marguerite arrive aussi à cette heure.
Le 7, dimanche.—A dix heures mené au bâtiment neuf,
il salue la Reine, et puis va en la galerie trouver le Roi et la
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reine Marguerite, qui se promenoient il y avoit plus d'une
heure; il court, se promène tête nue; la reine Marguerite
lui fait de grandes caresses, et quitte le Roi pour l'aller
trouver. Le Roi la mène et lui aussi à la messe. A deux
heures la reine Marguerite lui envoie un présent par
Mme de Lansac, sa dame d'honneur; ce fut un Cupidon parsemé
de diamants, assis sur un dauphin, et tenant un arc
d'une main et un brandon de l'autre, parsemé de diamants;
au ventre du dauphin il y avoit une émeraude
gravée d'un dauphin couronné et entouré de petits diamants,
et un petit cimeterre parsemé de diamants; elle
envoya à Madame un serre-tête de diamants.—Les députés
du Clergé, de l'assemblée générale séant à Paris,
viennent saluer le Dauphin. La reine Marguerite le vient
voir, il s'en va au devant jusques à l'entrée du pied de
l'escalier; remonté en sa chambre, où il a goûté devant
elle, il va avec elle, dans le carrosse, au bâtiment neuf. Le
soir la reine Marguerite envoie à sa nourrice un bassin
doré et un vase de même; il en fait le remerciement:
Je remercie maman ma fille pour maman doundoun.
Le 8, lundi, à Saint-Germain.—Il entend lire des vers faits en l'honneur du Roi et du sien par M. Nervèze, passe sa main devant le visage, sur le front comme ceux qui y ont de la pesanteur, et bâille[214].
Le 9, mardi.—Il donne la chemise au Roi revenant de la chasse; dîné avec le Roi.
Le 11, jeudi.—Mené à neuf heures trois quarts au
bâtiment neuf, trouver le Roi et la Reine; la Reine étoit
au lit, le Roi assis dessus et la reine Marguerite à genoux,
appuyée contre le lit[215]. M. le Dauphin mis sur le lit se
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joue à un petit chien que le Roi lui avoit prêté; il dit
adieu à la reine Marguerite, qui s'en retournoit à Madrid,
l'embrasse et la conduit jusques en sa chambre.
Le 12, vendredi, à Saint-Germain.—Comme il étoit en la cour, il voit le Roi revenant de la chasse, se prend de lui-même à courir au-devant de lui si dispostement qu'il sembloit voler. On le hausse, le Roi, qui étoit à cheval, le baise; il retourne avec le Roi à la chambre de la Reine, puis le suit au cabinet; en voyant donner les souliers au Roi, il court de lui-même pour soutenir la jambe du Roi.—En soupant, ayant été quelque temps sans dire mot, comme il étoit aucunes fois réservé et tout ainsi que s'il eût songé à de grandes affaires, il dit: Mais c'est Thomas; voyant qu'il ne disoit plus mot: «Monsieur, dis-je, qui est ce Thomas?»—C'est un homme de pierre; je l'ai vu à Poissy dans une chapelle, rangé là, à un petit coin. Il y avoit environ quatorze mois qu'il fut à Poissy[216], où il vit et entendit nommer cette image du nom de Saint-Thomas et au lieu où il la représentoit.
Le 13, samedi.—Mené chez la Reine, sa nourrice lui dit qu'il aille demander à la Reine l'aumône pour une femme qui étoit en prison; il part, puis revient: Maman doundoun, venez, demandez-lui? Il en faisoit difficulté. Enfin, après plusieurs remises il y va, et, s'amusant à se jouer à des soies sans regarder la Reine: Maman, donnez-moi quelque chose pour une pauvre femme qui est en prison? La Reine lui en promet, n'en ayant point sur elle; Mme la princesse de Conty lui présente un sol, il n'en veut point; elle lui présente un écu, il le prend; Mme de Longueville lui en donne deux, il porte tout gaiement à sa remueuse, qui en faisoit la quête.
Le 14, dimanche.—Éveillé à deux heures et demie
après minuit en sursaut, il se lève hors du lit, debout,
disant: Où me faut-il aller! Sa nourrice le prend, le
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recouche[217], et il se rendort jusqu'à six heures et demie. Il
se fait mettre au lit de sa nourrice, et, se jouant à elle:
Bonjour, ma garce, baise-moi, ma garce, hé! ma folle, baise-moi!—«Monsieur,
lui demande sa nourrice, pourquoi
m'appelez-vous ainsi?»—Pource que vous êtes couchée
avec moi. Mlle Lecœur, femme de chambre, lui demanda:
«Monsieur, vous savez donc bien ce que c'est
que des garces?»—Oui.—«Et qui, Monsieur?»—Celles
qui couchent avec les hommes.—Mené à la chapelle
avec le Roi, comme le Roi battoit sa poitrine sur le
Domine non sum dignus, il demande à M. Birat, qui le tenoit:
Mon valet, pourquoi papa fait cela!—«Monsieur,
pource qu'il s'étoit courroucé et avoit battu quelqu'un;
il avoit offensé Dieu, il lui en demande pardon.» Il joint
soudain les mains, et puis bat sa poitrine, disant: J'ai
offensé bon Dieu, pardonnez-moi. Après la messe il dit au
Roi: Papa, vous plaît il que votre musique vienne chanter à
ma chambre?—«Oui, mon fils».—Venez chanter grâces
à mon dîner, papa le veut. Il va en sa salle; à midi, dîné;
la musique du Roi chanta Laudate; il l'écouta avec transport,
tant il aimoit la musique. A deux heures le Roi l'envoie
querir pour le faire voir au nonce. A souper l'on
disoit que M. de Saint-Germain, prédicateur[218], étoit fort
malade; il demande: Pourquoi n'est-il pas mort? L'on
le loua d'avoir demandé cela: il se retourne à moi, et
me dit: Écrivez cela[219].
Le 15, lundi.—Mme la princesse d'Orange, fille de
feu M. l'amiral de Châtillon[220], revenant de Flandre,
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lui apporte des ouvrages de la Chine, à savoir: Un parquet
de bois peint et doré par dedans, peint des feuillages,
arbres, fruits et oiseaux du pays, sur de la toile
qui lioit les ais de demi-pied; l'on s'en servoit comme de
cabinet; elle donne à Madame de la vaisselle tissue de
jonc et crépie par le dedans de laque, comme cire d'Espagne.
Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, aimez-vous
bien Mme la princesse d'Orange?»—Oui.—Je lui
demande: «Comment l'aimez-vous?»—De tout mon
cœur. Mme la princesse d'Orange en rougit et en pleura de
joie. Je lui dis: «Monsieur, vous plaît-il que je l'écrive.»—Oui.—Mme
de Brezolles lui avoit donné le matin
de petites besognes de bois qui se font en Allemagne.
A deux heures mené à la chapelle, au sermon du P.
Coton, il écouta jusqu'à deux heures trois quarts; il
s'ennuyoit sans dire mot, le Roi le fait emporter.
Le 16, mardi, à Saint-Germain.—Il fait porter son petit cabinet de la Chine, se met dedans; il se joue avec ses petits jouets d'Allemagne et d'argent. Mme de Montglat lui dit s'il vouloit pas écrire à Maman sa fille[221] pour M. de Mansan; il répond soudain, gaiement: Oui, Mamanga, allons équire; Taine[222], venez; moucheu Heoua, allons équire. Il s'assied en la tourelle, et a la patience entière d'écrire; je lui conduisois la main:
Maman ma fille, je vou pie de tou mon cœu de vouloi doné à Teine, que papa m'a preté pou me gadé, le droi seigneuriau de la terre de Morcourt; je vous en pie encore tes humblemen, et je vous feré seuice tes humble et toi peti sault de joie que j'en aurai, comme pou la pemiere chose don je vous ai piée. Je suis la dessu, Maman ma fille, vote tes humble seuiteu.—Daulphin.
Le 17, mercredi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur,
dites au P. Coton, je vous prie, de faire quelque chose
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pour le fils du grand Tetai[223]»—Non. Il refusoit de
dire je vous prie, et après plusieurs refus il dit: Faites
quelque chose pour le fils de grand Tetai, père Coton, s'il
vous plaît; il avoit naturellement ces discrétions de parler
et de commander à chacun des choses selon sa qualité.
Mené à LL. MM., dîné avec eux; la Reine part pour s'en
retourner à Paris; à six heures le Roi est parti. Il s'amuse
à travailler avec un pinceau sur de la cire de Francisque,
dit qu'il fait un modèle imitant ledit sieur Francisque[224],
qu'il avoit vu travailler aux figures de cire
qu'il faisoit pour jeter en fonte.
Le 18, jeudi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat me dit: «Je gage que Monsieur est plus savant que vous, qui ne savez pas des proverbes de Salomon.» Je dis qu'il n'en savoit point; soudain il va dire ce que Mme de Montglat lui avoit appris depuis son réveil: L'aumône préserve de la mort (premier proverbe de Salomon qu'il sut). M. Danorville, mon beau-frère, lui fait la révérence, lui demande s'il y a des tambours à sa compagnie, ayant su qu'il étoit gendarme.
Le 19, vendredi.—Il apprend un autre proverbe de Salomon: L'enfant sage réjouit le père; il s'amuse à crayonner de rouge, fait des figures d'oiseaux[225].
Le 22, lundi.—M. du Vair, premier président en Provence, le vient voir; il fait deux oiseaux fort reconnoissables, qui avoient le bec l'un contre l'autre; M. le président du Vair prit le papier pour le faire voir au Roi.
Le 23, mardi.—A souper il commande à Boileau
et à Indret, qui jouoient entre la porte de la chambre et
de la salle: Jouez le combat; c'étoit un ballet où il y avoit
à darder les uns contre les autres, qu'il avoit autrefois
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vu danser à sa nourrice; il étoit comme transporté pour
aller à cette danse.
Le 24 août, mercredi, à Saint-Germain.—MM. du Pons, premier consul de Montpellier, de Gasques et de Ferrier, députés vers le Roi par l'assemblée tenue à Châtellerault, le baron de Courtomer (de Normandie) portant la parole, viennent, avec lettre de M. de Rosny à Mme de Montglat, offrir leur service au Dauphin et donner assurance de leur fidélité.
Le 13 septembre, mardi, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris[226]; ma femme lui donne des petits chiens de verre et autres animaux faits à Nevers; je lui donne un suisse fait de poterie. A souper ma femme lui dit: «Monsieur, vous êtes friand, il pleuvra le jour de vos noces!» Il lui répond: Ho! je serai à couvert.
Le 15, jeudi.—Les milords North et Noris, anglois, jeunes, le viennent voir; il leur donne sa main à baiser; le milord North lui dit: «Monsieur, tous vos gendarmes sont allés en Périgord avec le Roi votre père à la guerre; quand vous y voudrez aller, nous serons vos gendarmes, nous irons devant vous;» ils lui baisent la main, et s'en vont.—Il se met à écrire avec son crayon, puis plie la lettre, me fait entortiller la soie; Mme de Montglat met la cire, lui le cachet, et il dit à M. Boquet: Boquet, allez-vous-en porter cette lettre à papa, à Orléans.—«Monsieur, dis-je, qu'y a-t-il dans la lettre?»—J'écris à papa qui me vienne voir bientôt.
Le 16, vendredi.—Il chante tout bas:
et montrant ma femme, qui étoit habillée d'un manteau de chambre, dit: La velà.
Le 17, samedi.—Il dit qu'il n'est pas puceau, pource
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qu'il a couché avec doundoun quand Boquet[227] n'y étoit
pas.—Il donne de soi-même le mot à M. de Mansan:
Saint Paul, après avoir été enhardi de ce faire par Mme de
Montglat.
Le 18, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Champvallon lui apporte, de la part de M. de Lorraine, un mousquet dans un fourreau de velours vert et une bandoulière brodée d'or et d'argent, les charges d'or émaillé et la fourchette, qui étoit un dauphin; il en est tout transporté de joie. Là-dessus MM. d'Épernon viennent de Paris pour le voir; il leur montre son mousquet, les mène au cabinet de ses armes, les arme tous, les met en garde. Il étoit tout né aux fonctions de la guerre, tout viril, et je n'ai jamais reconnu en lui, pour si petit qu'il ait été, aucune foible et féminine action. M. le Chevalier lui dit, en lui montrant le chevalier d'Épernon[228], fils bâtard de M. d'Épernon: «Monsieur, voici le fils bâtard de M. d'Épernon, qui vient pour être votre page.»—Un bâtard, un bâtard être mon page! répète-t-il plusieurs fois avec véhémence et abomination. L'après-dînée je racontois ce qu'il avoit dit du chevalier bâtard de M. d'Épernon; il m'écoutoit froidement et sans en faire semblant, et tout à coup il me demande: Avez-vous écrit cela?
Le 19, lundi.—Il va en carrosse se promener sur la
côte du Pecq, aux vignes d'un nommé La Fontaine,
archer du corps, qui étoit en garde près de lui; il y apporte
une petite serpe et un petit panier, se coupe deux
grappes, les met en son panier. Il mange un gros morceau
de pain bis; envoyé querir par Mlle de Vendôme chez le gros
Maurice, au Pecq. Mme de Montglat me racontoit comme
il avoit mangé du pain de M. Maurice; lui, qui écoutoit
tout et faisoit profit de tout, l'accommodant aux occasions,
dit: Il a de bon pain bis, Maurice; ce n'est pas le
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comte Maurice, qui garde les Espagnols; c'est pas Flandres,
c'est le Pecq.
Le 20 septembre, mardi.—Il se joue du bout des doigts sur les lèvres disant: Velà la basse; puis, élevant la voix, je dis: «Voilà la chanterelle.»—Non, c'est la moyenne. Il étoit vrai; chose merveilleuse d'avoir su reconnoître le ton et le nom de la corde; il pouvoit l'avoir appris, l'ayant ouï dire à Boileau ou Indret, ses joueurs de luth.
Le 27, mardi, à Saint-Germain.—Il se joue à jouer du bonnet de toile d'argent de Madame, le poussant comme un ballon. Il entend parler de faire chanter le Te Deum pour le jour de sa nativité[229], il le presse avec extrême impatience; il va à la chapelle, où il fut chanté par le curé et prêtres du village. Ramené, il voit tirer dans la cour des arquebusades et mousquetades, et dit, sans ciller la paupière, à M. de Mansan: «Taine, commandez-leur de tirer encore. A souper, il dit tout bas à Mme de Montglat: Mamanga, faites ôter la brayette qui est à mes chausses, maman me prendroit pour un suisse, maman penseroit que je n'aurois pas quatre ans.
Le 28, mercredi.—Mené à la chapelle où l'on porte le pain bénit pour le jour de sa nativité, il va à l'offrande, donne un demi-écu à son aumônier. M. l'abbé de Saint-Denis, Mme de Soisy assistent à son goûter; il danse la sarabande et la danse qu'il appelle le combat. La fille de Mme de Soisy dansoit la sarabande à la mode d'Espagne, il dit: Elle danse pas bien.
Le 29, jeudi.—Il caresse sa nourrice, la baise, se
pend à son col; elle lui dit: «Monsieur, gardez de faire
mal au petit enfant;» elle étoit enceinte. Le Dauphin demande:
Est-il au col?—«Non, Monsieur, lui répond sa
nourrice.» Je lui demande: «Monsieur, où est-il?»—Il
est dans votre ventre, dit-il tout bas à l'oreille de sa nourrice.—«Monsieur,
lui dis-je, par où est-il entré?»—Par
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l'oreille.—«Par où sortira-t-il?»—Par l'oreille[230].
Le 2 octobre, dimanche, à Saint-Germain.—Il descend à sept heures pour aller au-devant de la reine Marguerite, y va en la cour, puis elle le reconduit en haut jusques en sa chambre, où elle lui fait présent de deux livres de tailles-douces; il en étoit extrêmement amoureux[231]. A sept heures et demie elle s'en va pour aller coucher à Argenteuil; il la reconduit jusques à la porte de la salle, et, voyant qu'on portoit ses flambeaux plus outre pour lui éclairer, il se prend à crier: Je veux pas qu'on emporte mes flambeaux.
Le 4, mardi.—Il s'amuse à son livre des chasses; je lui montre[232] un cerf qui se grattoit l'oreille et un chasseur qui le tiroit de l'arc. M. de Gondi vient pour le voir; il lui montre son livre des chasses où étoient des chevaux tirés en taille-douce.
Le 6, jeudi.—Il vient à mon étude, et faisant apporter son livre des chasses, dit: Moucheu Heoua, montrez-moi ceux qui ont des lunettes, qui étoient dans son livre de tailles-douces, puis les faiseurs d'horloges, puis les distillateurs, s'informe de tout, des noms et de l'usage des choses, demande jusqu'à ce qu'il soit satisfait et ait appris. Je lui montre la planche où sont les vers à soie, celle où il y a l'empereur Justinien assis dans une chaise.—Mme de Montglat voyoit plusieurs pièces de drap de soie pour lui faire des habits, et lui demande: «Monsieur, laquelle est-ce que vous aimez le mieux?» Voyant la pièce de velours violet à fond d'or, il s'écrie: Ha! je veux celle-là, ce sont mes couleurs, il y a du bleu!
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Le 8, samedi, à Saint-Germain.—La remueuse du Dauphin racontoit du prince de Galles[233] qu'il aimoit Madame et qu'il avoit répondu au Roi son père que si on ne la lui vouloit pas donner qu'il feroit la guerre en France, en prendroit une partie et que pour avoir la paix on la lui donneroit; que le Roi répliquant qu'il vaudroit bien mieux l'avoir paisiblement, qu'il repartit qu'il vouloit premièrement faire parler de lui. Ceci avoit été raconté le soir précédent par Mlle de Villiers-Hotman, qui avoit soupé avec Mme de Montglat, comme l'ayant ouï dire elle-même en Angleterre, au roi d'Angleterre et au prince, et d'où elle étoit revenue depuis peu de jours. M. le Dauphin écoutoit tout ce que nous en disions sans en faire le semblant, comme il faisoit le plus souvent, et entendant parler que le prince de Galles vouloit faire la guerre, il dit: Hé! j'irai devant pour l'empêcher; puis il me demande froidement: Est-il seigneur, le prince de Galles?—«Oui, Monsieur, c'est le dauphin d'Angleterre qui aime Madame, et son papa envoyera vers le Roi votre papa pour le supplier de la lui donner en mariage; le voulez-vous pas bien?»—Non.—«Mais si papa le veut?»—Si papa le veut, je le veux bien; mais c'est le prince de Galles, il est donc galeux?—«Non, Monsieur, c'est le nom de sa qualité; Galles c'est un pays.»
Le 9, dimanche.—M. de Rouen[234], frère bâtard du Roi, porté en chaise à cause de sa goutte, le vient voir; il se joue aux bras de sa chaise à les faire branler.
Le 10, lundi.—Mme de Guise et Mme de Prouilly, sa fille,
le viennent voir; il se joue à deux chapelets de corail de
Mme de Guise: Velà, dit-il, des chapelets faits à la nouvelle
Oct
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façon; elle portoit un chapelet d'Italie à grains carrés;
il y avoit des peintures dedans.
Le 11, mardi, à Saint-Germain.—Indret, son joueur de luth, revenoit de la foire de Saint-Denis et racontoit qu'il y avoit vu Mme Briant, marchande de draps de soie; il demande: Est-elle mercière?—«Non, Monsieur, elle est marchande de draps de soie, qui vous baille ces belles étoffes qu'il vous faut pour vous habiller.»—Pourquoi l'appelle-t-on Madame?—«Monsieur, on les appelle ainsi à Paris[235].» Il s'amuse à des petites pièces de ménage de plomb portées de Saint-Denis.
Le 12, mercredi.—Il se joue à des petits jouets et à un petit cabinet d'Allemagne, fait d'ébène, baisse et rebaisse le couvercle, l'ouvre et le ferme à la clef.—A une heure arrive l'ambassadeur de Venise, qui s'en retournoit; il lui souhaite que l'on puisse le voir un jour en Italie, la lance sur la cuisse, avec une armée de cinquante mille hommes. Le Dauphin va sur la terrasse de la salle, pour voir l'éclipse de soleil dans une chaudière pleine d'eau; l'ambassadeur y étoit présent.
Le 13, jeudi.—Marin, nain de la Reine, arrive; le Dauphin danse, joue du violon et chante tout à la fois, se jouant à Marin et courant après lui.
Le 14, vendredi.—Le P. Gontier, jésuite, revenant du Caire, assiste à son dîner; il écoute en s'amusant l'exhortation du P. Gontier sur le Domine, da judicium Regi et filio Regis justitiam.
Le 17, lundi.—Il voit M. Guérin qui avoit pris du tour
d'une boîte de sapin et en avoit fait deux cercles mis en
croix: Velà, dit-il, le monde. Je lui demande: «Monsieur,
qui vous a dit cela?»—Personne.—«Monsieur, le
monde est-il pas quarré?»—Non, il est rond.—«Qui le
Oct
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vous a dit?»—Personne. Il vient en ma chambre, puis
en mon étude, où il écrit au Roi pour le supplier de faire
donner à sa compagnie une autre garnison que Provins:
Papa, tous les apothécaires de Provins sont venus à moi pour me prier de vous supplier très-humblement, comme je fais, de donner à ma compagnie une autre garnison, car mes gendarmes aiment bien la conserve de roses, et j'ai peur qu'ils ne la mangent toute, et je n'en aurois plus. J'en mange tous les soirs quand je me couche, et je prie bien Dieu pour vous et qu'il vous fasse venir bientôt, et à moi la grâce de vous pouvoir faire très-humble service. Je suis, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.—Daulphin.
Quand il eut écrit la lettre du Roi, moi lui tenant la main[236], il me commanda de la lire, et l'ayant lue: «Monsieur, dis-je, est-elle bien?»—Oui.—Il va en la chambre où est né le feu roi Charles[237], où Mme de Montglat faisoit de la confiture de coings.
Le 19, mercredi.—Il vient en ma chambre et à mon étude; je lui conduis la main pour écrire à la Reine cette lettre, portée le lendemain par M. de Mansan:
Maman, j'ai bien envie de vous voir et de baiser mon petit frère d'Orléans[238], et si vous ne venez bientôt, je prendrai mon pourpoint blanc et mes chausses et mes bottes, puis je monterai sur mon petit chevau, et je m'en irai, patata, patata. Maman, je partirai demain bon matin, de peur des mouches; maman, l'on m'a dit que vous m'avez apporté queuque chose de beau, je le voudrois bien voir. Venez donc, ma bonne maman, il fait si beau, et vous me trouverez bien gentil, et ce pendant je suis, maman, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.—Daulphin.
Mené au Pecq, passé le bac, mené à la garenne. Il y
avoit trois ou quatre pauvres Irlandois et Irlandoises
mendiants; on le lui dit, il les voit; le voilà le visage tout
de feu de colère: Qu'on les fasse sortir. Ils sortent; on
lui dit: «Monsieur, ce sont de pauvres petits Irlandois
Oct
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qui demandent l'aumône»; il revient à soi, et la leur fait
donner.
Le 20, jeudi, à Saint-Germain.—Il me dit: Allez querir votre livre jaune. Je lui demande: Est-ce celui où il y a un Roi qui prie Dieu».—Oui.—«C'est un livre qui a été au feu Roi[239], où il prioit Dieu.»—Au feu Roi?—«Oui, Monsieur.»—Où l'avez-vous eu?—«Monsieur, je l'ai eu à Tours.»
Le 21, vendredi.—Il vient en ma chambre, et dit: Je veux écrire à papa; c'étoit par M. le baron du Tour[240]; Madame aussi écrit sa première lettre à la Reine.
Le 23, dimanche.—Mené au bâtiment neuf y attendre la Reine, il court en la galerie, aide à faire le lit de la Reine; la Reine ne venant point, il est ramené en sa chambre, où M. de Châteauvieux[241] lui baise les mains; et comme il s'en retournoit, Mme de Montglat le fait conduire et éclairer avec un flambeau; il court après, et crie: Mon flambeau, qu'on le rapporte? La Reine arrive à six heures et demie.
Le 24, lundi.—M. de Vic, l'ambassadeur, lui donne l'histoire de Matthieu[242], de la part de l'auteur. A dix heures, mené au bâtiment neuf, à la Reine, qui étoit encore au lit; il s'amuse près de la Reine à son habiller, puis à onze heures et demie va à la messe avec elle; dîné avec la Reine.
Le 25, mardi.—Mené à la Reine au bâtiment neuf, il
court en la galerie, va le long des lambris, feignant de
cueillir des raisins qui y sont en peinture. Le sieur Alphonso
Taxis, revenant d'Angleterre ambassadeur, baise
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la robe de la Reine et se couvre, puis baise la main de
M. le Dauphin, qui lui demande des nouvelles de l'Infante
et dit: Apportez-moi son portrait.—L'on parloit
que son baptême se feroit au mois de mai; Mme de Montglat
lui demande: «Monsieur, comment voulez-vous que
l'on vous nomme?»—Henry. Je lui demande pourquoi.—Papa
s'appelle ainsi; je ne veux pas avoir nom
Louis.
Le 26 octobre, mercredi.—La Reine lui donne son petit coffret d'argent, où elle mettoit ses pendants d'oreille; M. de Courtenvaux, revenant de Flandres, lui donne un pistolet. Il se joue, tenant un portrait du Roi fait en cire, dans une boîte d'ivoire, et dit: C'est papa. Mlle de Vendôme lui dit: «C'est aussi mon papa.»—Non, c'est pas votre papa. Il va en la chambre de Madame, où il écoute fort attentivement M. de Cressy lisant l'histoire de Matthieu, fait taire ceux qui faisoient du bruit.
Le 27, jeudi.—La Reine part à deux heures et demie; il va sur la terrasse de Neptune, d'où il lui voit passer le bac.
Le 28, vendredi.—Il s'amuse à travailler sur de la cire comme il avoit vu faire au sieur Jehan Paulo[243].
Le 3 novembre, jeudi, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris[244], il court au-devant de moi, me saute au collet, m'embrasse par deux fois; je lui donne un petit lion de poterie et ma femme un homme de poterie.
Le 5, samedi.—Montaigne, chevaucheur d'écurie, arrive de la part du Roi, avec lettre portant commandement exprès de faire, la lettre vue, loger M. le Dauphin au bâtiment neuf pour causes contenues dans la lettre[245]; il en est si aise qu'il fait lui-même déménager, trousser son lit; il commande et a le soin de tout.
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Le 9, mercredi, à Saint-Germain.—Mme la marquise de Verneuil arrive au vieux château[246].
Le 10, jeudi.—Il se fait entretenir par Mlle Piolant de petits contes.
Le 12, samedi.—M. de Verneuil revenoit de voir Mme la marquise sa mère au vieux château[247]; il lui demande: D'où venez-vous?—«Mon maître, je viens de voir maman mignonne.»—C'est la vôtre, pas la mienne.
Le 13, dimanche.—Il faisoit le fâcheux; l'on fait abaisser une poignée de verges attachée à une ficelle, sous la cheminée; l'on lui faisoit croire que c'étoit un ange qui les portoit du ciel.
Le 14, lundi.—Il va en la chambre de sa nourrice, où il épluche de l'oseille et du persil pour le potage de M. Girard.
Le 15, mardi.—Sa première nourrice le vient voir;
il lui donne sa main, ne la veut point baiser ne accoler.—Mené
au Pecq et passé l'eau pour voir dans un grand
bateau un animal porté du Canada par M. de Monts[248],
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de la grandeur d'un élan. Il y avoit une petite barque
faite à la mode du pays, avec du jonc, et couverte d'écorce
d'arbre, teinte de rouge, faite en façon de gondole et
ayant les avirons du bois du pays; trois mariniers la
firent voguer devant lui d'une incroyable vitesse.
Le 17, jeudi.—Il écrit au Roi en ma chambre:
Papa, je suis bien aise de ce que M. de Saint-Aubin m'a dit que vous vous portez bien et que vous êtes à Paris, pour ce que je pense d'avoir bientôt l'honneur de vous voir et de vous baiser la main. Si j'étois bien grand je vous irois voir à Paris, car j'en ai bien envie. Hé! papa, je vous supplie très-humblement, venez me voir, et vous verrez que je suis bien sage. Il n'y a que Madame d'opiniâtre, je le suis plus. Ma plume est bien pesante. Je vous baise très-humblement les mains. Je suis, papa, votre très-humble et très-obeissant fils et serviteur.—Daulphin.
Le 18, vendredi.—Il retourne au château vieux.
Le 19, samedi.—Il se prend à chanter la chanson dont il se faisoit endormir:
A la chanson il y a le sang royal, mais il ne vouloit
pas que l'on dît ainsi, oui bien la fleur de lis. On lui demande:
«Pourquoi voulez-vous que l'on dise la fleur
de lis et non pas le sang royal?» Il répond soudain: Pour
ce que ce sont les armoiries à papa, mon frère d'Orléans en
aura des fleurs de lis.—«Oui, dis-je, Monsieur, mais il y
aura des lambeaux[250].» Il fait dire à Mme de Montglat des
proverbes de Salomon, elle en dit plusieurs; entre tous
Nov
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il trouva celui-ci le plus beau: «L'homme est heureux
qui a trouvé une femme vertueuse;» il le lui fait redire
souvent.
Le 20, dimanche, à Saint-Germain.—Le Roi arrive au vieil château à cinq heures et demie, revenant du Limousin; il fait tout ce qu'il peut pour donner plaisir au Roi. Le Roi va voir Mlle de Vendôme, puis Mlle de Verneuil.
Le 21, lundi.—A dix heures mené au bâtiment neuf, au lever de la Reine. Mené au jardin où étoit le Roi, le Roi lui dit qu'il avoit été prisonnier dans le château il y avoit plus de vingt-cinq ans[251], et ajoute: «Je vous veux faire mettre en prison là dedans.»—Ho! dit le Dauphin, je romprai la porte. Le Roi lui demande: «Que ferez-vous après?»—Je passerai, dit-il, par la cheminée, je me sauverai sans me blesser, et il se met entre les jambes de Mme de Montglat. Le Roi lui dit: «Voilà le fils de Mme de Montglat, la voilà qui en accouche»; il part soudain, et se va mettre entre les jambes de la Reine et s'enveloppe de son manteau si fort qu'il ne montroit que la plume de son chapeau.—Après souper il se joue avec M. de Vendôme et M. le Chevalier; M. le Dauphin dit qu'il étoit fils du Roi. «Et moi aussi, dit M. de Vendôme.»—Vous!—«Oui, Monsieur, ne m'appelez-vous pas votre féfé?»—Ho! ho! mais vous n'avez pas été dans le ventre à maman comme moi! Qui est votre maman?—«Monsieur, c'étoit madame la duchesse de Beaufort.»—Duchesse de Beaufort, est-elle morte?—«Elle est bien loin si elle court toujours,» dit M. le Chevalier[252].
Le 22, mardi.—A onze heures il se fait lever, les
yeux pleurant de rhume, entoussé; il est vêtu de sa robe
de chambre fourrée, incarnat. Le Roi l'envoie querir, il
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y est conduit avec sa robe. M. de Rosny le vient voir, il
l'embrasse, instruit[253].
Le 23, mercredi.—Il chante avec sa nourrice:
Le 24, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures le Roi le vient voir, le trouve bandant son pistolet; le Roi déjeûne auprès de lui, s'en va chez Madame, et de là à la chasse. A deux heures mené chez la Reine.
Le 25, vendredi.—Mené au château neuf, il s'amuse
dans la chambre de la Reine, puis va à la galerie, tire et
puis se fait tirer dans le petit carrosse; le bras du carrosse
se rompt; il envoie querir le menuisier, lui-même y travaille,
puis il se fait remettre dedans et se fait rouler. Il
bâille plusieurs fois, le visage lui blêmit; il dit à Mme de
Montglat qu'il se trouve mal, se prend à pleurer[254].
L'on le met à bas pour l'emmener; le Roi entre en la galerie
pour le voir, et dès qu'il le voit: «Vous avez pleuré, dit-il,
je vois bien.» M. le Dauphin s'arrête, s'étonne; toutefois,
voyant M. de Verneuil être allé au devant du
Roi, il y court et l'embrasse. Le Roi le reprend sur ces
larmes, lui demande pourquoi il pleure et ce qu'il veut:
Je veux aller en ma chambre, papa. Le Roi se fâche de
cette réponse, lui demande pourquoi: Pource que j'ai
froid.—«Ha! voilà une menterie! vous êtes un menteur!
Que l'on le mène en sa chambre, vous verrez qu'il se
jouera.» Il s'en fâche, lui permet de s'en aller; le Dauphin,
ramené, ne veut point aller en carrosse; il étoit saisi
de l'appréhension de la colère du Roi. Mené en sa chambre,
il ne fait que se plaindre et pleurer; M. de Verneuil
Nov
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le vient voir et, raillant, lui dit qu'il avoit dîné avec le
Roi.—C'est pource que papa vous l'a dit, lui répond-il
brusquement.
Le 27 novembre, dimanche.—Mené en carrosse chez le Roi, fort gentil. Mme la princesse de Conty se jouoit à lui, l'appelant: «Mon père grand, mon bisaïeul, mon cousin;» il disoit Non à tout. «Comment voulez-vous que je vous appelle?»—Moucheu Dauphin.
Le 28, lundi.—Mené en carrosse au Roi, qu'il rencontre sur le pavé allant à la chasse; le Roi descend de cheval, le baise dans le carrosse, et lui dit qu'il allât trouver maman pour la réjouir; il va chez la Reine.
Le 29, mardi.—A huit heures et demie le Roi arrive en sa chambre, y déjeûne; le Dauphin se fait asseoir à table avec le Roi, qui lui donne une petite beurrée puis une rôtie sèche, de celles qui avoient été faites pour le Roi à prendre de l'hypocras. M. de Crillon arrive; le Roi demande au Dauphin: «Qui est celui-là?»—Le fou.—M. de Crillon lui dit brusquement s'il vouloit qu'il battît M. de Souvré.—Non.—«Si je ne le bats point, m'aimerez-vous?»—Oui. Le Dauphin ne peut laisser aller le Roi, il le conduit de chambre en chambre; le Roi s'en va à neuf heures et demie de la chambre de Mlle de Vendôme.
Le 30, mercredi.—Le Roi part à six heures pour aller à Paris; dîné avec la Reine; à deux heures elle part pour s'en retourner à Paris.
Le 3 décembre, samedi, à Saint-Germain.—La reine Marguerite le vient voir; il se joue à elle, puis entre en mauvaise humeur, se va cacher à la ruelle du lit, regardant Mme de Montglat, et disant tout bas: C'est pas une Reine.
Le 13, mardi.—En soupant, Mme de Montglat tançoit
Saunier, cuisinier de son commun[255], et, le menaçant de
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la prison, commandoit au sieur Dupré, exempt, de le y
mettre; ce pendant le Dauphin ne mangeoit point, écoutoit;
les grosses larmes lui sortent des yeux, tombant
sur lui, sans dire mot, ému de compassion. Mme de Montglat,
l'apercevant, lui dit: «Non, Monsieur, il ne y ira
point en prison; qu'il vous demande pardon.»—Non,
Mamanga, c'est à vous; dites à Dupré qu'il ne le mène pas
en prison, bien haut; elle l'ayant dit: Dupré, Mamanga
l'a dit bien haut.
Le 14, mercredi.—J'arrive[256], il court à moi, me saute au col, me serre; il en fait autant à ma femme. Je lui apporte un cheval et une carte gallicane de Thevet, il s'amuse à la carte avec transport. «Voilà M. le Dauphin,» lui dit-on en lui montrant le côté des Flandres.—C'est moi qui bat les Espagnols, répondit-il.
Le 15, jeudi.—Il se fait faire des contes du Compère Renard, du mauvais riche et du Lazare par sa nourrice. Je lui attache la carte gallicane de Thevet, que je lui avois apportée, contre la tapisserie; on lui montre Provins; il y porte la main en disant: Mangeons de la conserve[257].
Le 16, vendredi.—Il s'amuse à ouvrir et refermer un cadenas à lettres[258].
Le 19, lundi.—Il fait chanter des Noëls à son huissier de salle, qui les avoit faits, surtout celui où il y avoit: «Couronne de lauriers.» L'huissier le lui donne par écrit; il ne veut plus manger, d'impatience de le lire et de l'apprendre.
Le 20, mardi.—Il se fait lever puis recoucher plein
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de mélancolie et sans sujet, contre son naturel. Il sembloit
avoir du ressentiment du danger de la vie où, le
jour précédent, le Roi se trouva, environ les quatre
heures, sur le Pont-Neuf, revenant de la chasse, par...........[259]
qui se jeta sur lui, l'assaillant d'un poignard.
Sur les dix à onze heures l'on en fut averti; on lui dit
qu'une bête avoit voulu faire du mal à papa étant à la
chasse; les larmes lui en vinrent aux yeux avec une
grande tristesse. A huit heures et demie, dévêtu, mis
au lit; l'on parloit de celui qui le jour précédent avoit
voulu tuer le Roi; on disoit que c'étoit un fol; il dit: On
le fera tourner sur une roue, puis par des chevaux qui tireront
une charrette.
Le 25, dimanche, à Saint-Germain.—Il s'amuse à mettre un de ses carreaux blancs dans une taie d'oreiller, le met sur son col, comme son lavandier faisoit le linge sale, dit qu'il porte un opiniâtre pour le mettre à la lessive, puis prend un carreau[260] et le porte sur le bras, l'autre sur le col, disant: J'en porte encore un autre, c'est un opiniâtre qui est vert.—«Oui, Monsieur, lui dis-je, l'autre est blême.»—C'est pource qu'il est mort. Il se fait, en goûtant, entretenir par M. de Verneuil, qui avoit de jolies inventions pour le faire rire; il en rioit, encore qu'il ne fût point rieur de son naturel.
Le 28, mercredi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur,
papa vous viendra voir aujourd'hui, l'embrasserez-vous
pas bien en lui disant que vous avez remercié Dieu de
ce qu'il l'a gardé de ce méchant homme qui l'a voulu
tuer?»—Oui, Mamanga, il est en prison; c'est qu'il est
fou, et papa lui a pardonné. Il va sur la terrasse de sa
chambre pour voir décharger les mulets de la chambre
du Roi; à quatre heures un quart, le Roi, revenant de
Déc
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Paris, il lui saute au col, le serre, le conduit au grand
cabinet. Madame disoit ses quatrains au Roi et tout ce
qu'elle savoit; M. le Dauphin lui dit ses proverbes;
MM. de Verneuil y étoient; ils donnent le plaisir au Roi
de ramasser des sols qu'il leur jetoit à terre; M. le Dauphin
rapportoit au Roi ceux qu'il avoit ramassés; il
n'aimoit point l'argent. Le Roi vient en sa chambre; il
l'entretient de tout ce qu'il peut; le Roi sommeilloit, et
lui demande: «Mon fils, voulez-vous bien que je me
couche sur votre lit?»—Oui, papa, dit-il gaiement; il
conduit le Roi jusques au lit, et de soi-même tira le rideau
comme il fut couché.
Le 29, jeudi.—Dîné avec le Roi; le Roi se joue avec lui, et, en la chambre, le Roi demande à M. de Verneuil s'il vouloit pas aller en poste à Paris avec lui.—Non, je veux pas, dit M. le Dauphin. «—Comment, dit le Roi, savez-vous pas que suis le maître?»—Oui, papa, passez, allez, dit-il à M. de Verneuil, le prenant par la manche, et moi aussi papa. Il reconnoît et fait tout ce qu'il peut pour complaire au Roi, et le va conduire jusques à la cour, d'où il part à une heure après midi.
Le 30 décembre, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat le fait jouer au hère; ce fut la première fois qu'il joua aux cartes.
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Le 1er janvier, dimanche, à Saint-Germain.—Vêtu de son manteau, coiffé, peigné paisiblement pour ce qu'on lui dit qu'il ne falloit pas faire l'opiniâtre le premier jour de l'année, de peur de l'être toute l'année. Il tient le manchon de Mme de Montglat, et s'en va à chacun, l'en frappant gaiement et souriant en disant: Tenez, velà vos étrennes, et comme honteux de n'avoir aucune chose à donner à ceux qui lui demandoient. On lui apporte du ruban bleu; il en donne à plusieurs pour étrennes.
Le 2, lundi.—Il promet à M. de Cressy de le faire un jour chevalier de l'Ordre, lui ayant donné le jour précédent le cordon bleu.—Il reçoit par M. Bragelogne, commis de M. Phélypeaux, trésorier de l'Épargne, une bourse de jetons d'argent à la devise d'un temple de Janus avec cette lettre: Clusi cavete, recludam.
Le 3, mardi.—Il chante: Quand le bon homme vécut de son labourage, etc. Il dit à M. de Ventelet: Tetai, contez-moi du grand homme qui a du feu autour de lui, qui est à Fontainebleau.—«Monsieur, je ne sais qui est cet homme-là.»—C'est ce grand homme qui est à la salle.—«En quelle salle?»—A la salle qui est auprès du Jacquemart. C'étoit l'élément du feu, qui étoit à la salle du bal.
Le 5, jeudi.—Son huissier de salle se prit à crier: le
Janv
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Roi boit, il lâche soudain la coupe, disant: Non, je veux
pas, et l'en reprit par deux fois. Je lui dis: «Monsieur,
voulez-vous pas que l'on crie le Roi boit quand vous
buvez?»—Non; quand je serai le Roi.
Le 7, samedi, à Saint-Germain.—La Reine lui envoie pour étrennes une montre d'horloge et une paire de petits couteaux; il s'en va à la chambre de Mme de Montglat, écrit à la Reine, la remerciant de ses belles étrennes, et disant qu'il regarderoit bien souvent à sa montre d'horloge pour savoir les heures qu'il faudroit poser les sentinelles et qu'il les éveilleroit, les piquant dans les cheveux avec ses petits couteaux, s'il les trouvoit endormis.—Il se joue avec Bompar, son page, qui prenoit Madame prisonnière; il dit que c'est le grand dragon qui prend Andromède, et lui Perséus, qui tue le dragon.
Le 8, dimanche.—Il aide à faire son lit comme s'il eût été le garçon de la chambre[261], veut seul porter et rapporter toutes les pièces, sur sa tête ou sur son épaule.—Mme de Montglat le fait écrire à son fils:
Petit Montglat, voyez de ma part monsieur le grand-duc, mon oncle, et madame la grande-duchesse, ma tante, et leur dites que je leur baise très-humblement les mains et que je suis leur très-humble serviteur. Venez-moi servir à mon baptême et amenez-moi un beau cheval pour courir la bague, et soyez bien sage, et je serai votre bon petit maître. Adieu, petit Montglat. Votre bon petit maître,
Daulphin.
Le 9, lundi.—Il va à la salle du bal, danse toutes sortes de danses; on en rit de le voir si joliment faire, il cesse la danse incontinent, fâché, et dit: Je veux pas qu'on rie, je veux pas donner du plaisir, et ne voulut plus danser.
Le 10, mardi.—Il vient des violons de la noce d'un
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de ses cuisiniers; il leur commande de jouer, et les écoute
si attentivement qu'il demeuroit immobile. M. Birat, pour
le faire jouer, lui dit: «Monsieur, ce matin il est venu en
ma chambre une bête si grande, si grande.» Il lui demanda
en souriant: Étoit-elle plus grande que vous? A
dîner on fait le conte ci-dessus mis de M. Birat; il se retourne
en souriant, et me demande: L'avez-vous mis en
votre registre?
Le 12, jeudi.—Le sieur Thomas Parry, ancien ambassadeur d'Angleterre, lequel conduisoit le sieur Georges Kerry, ambassadeur demeurant en sa place, présente à M. le Dauphin une lettre de la part de M. le prince de Galles, disant, lui ayant tous deux baisé la main, que, venant prendre congé de lui et lui amenant celui qui entroit en sa place pour lui baiser bien humblement les mains, il avoit aussi charge de lui présenter une lettre de M. le prince de Galles. Il la prend, et ne voulut jamais entendre à autre chose qu'ayant lui-même rompu le cachet, il n'eût vu ce qui étoit dedans. On lui demande qui il vouloit qui lui lût la lettre, il répond: Je veux que ce soit moucheu Hérouard. Il me la baille, et en présence des ambassadeurs, de M. de Souvré, qui les étoit venu conduire, je la lus. En voici la teneur, écrite et signée de sa main, et, ce dit-on, de sa façon, le roi d'Angleterre n'ayant pas voulu qu'un autre que lui y mît la main, disant qu'il avoit demeuré assez longtemps à l'école pour la savoir faire, et toutefois que le Roi son frère et non autre repassât dessus [sic]:
Monsieur et frère, ayant entendu que vous commenciez monter à
cheval, j'ai creu que vous auriez pour aggréable une meute de petits
chiens que je vous envoie pour tesmoigner le desir que j'ay que nous
puissions suyvre les traces des Rois noz pères comme en entière et
ferme amitié; aussi en ceste sorte d'honneste et louable recreation
j'ay supplié le comte de Beaumont, qui retourne par delà, remercier
en mon nom le Roy vostre père, et vous aussi, de tant de courtoisies
et obligations dont je me sens surchargé, et vous déclarer combien
de pouuoir vous avés sur moy, et combien je suis desireux rencontrer
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quelque bonne occasion pour monstrer la promptitude de mon
affection à vous seruir, et pour ce me remettant à luy, je prie Dieu,
Monsieur et frère, vous donner en santé longue et heureuse vie.
Vostre très-affectionné frère et seruiteur,
Henry.
A Richmond, le 25 d'octobre 1605.
A Monsieur et frère Monsieur le Dauphin.
Le 13, vendredi, à Saint-Germain.—A deux heures la marquise de Verneuil s'en retourne[262].
Le 16, lundi.—Il s'amuse à voir travailler les maçons qui raccoustroient son âtre, est toujours parmi eux; il arrive un joueur de musette poitevin; il l'écoute assez longtemps, attentivement et comme immobile, puis dit tout à coup: Qu'il s'en aille, allez jouer à la grande salle.
Le 17, mardi.—Il vient en ma chambre, où il demande le livre des oiseaux, puis me demande son livre rouge; c'étoit l'histoire de la paix de Matthieu, donné par M. de Vic, ambassadeur, de la part de l'auteur; il le remporte lui-même en sa chambre.
Le 18, mercredi.—Je lui dis qu'il iroit au-devant de
papa, au bâtiment neuf; il répond: Ho! ho! je veux pas
aller au bâtiment neuf, il tombe tout; quand la gelée viendra
tout tombera; il en avoit ouï parler entre nous; il
écoutoit tout, et tout ce qu'il entendoit lui demeuroit en
l'entendement. A onze heures mené au-devant du Roi
sur les terrasses, il le rencontre à la descente qui va au
Neptune; le Roi descend de cheval, le baise, l'embrasse.
Ramené au vieux château et dîné avec le Roi, à midi.—M.
de Lorme, premier médecin de la Reine, baise les
mains au Dauphin de la part de M. de Lorraine, avec
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commandement de lui dire qu'il lui faisoit faire deux
canons; il demande: Sont-ils grands?
Le 19, jeudi, à Saint-Germain.—Il va chez le Roi, qui le mène au jardin; dîné avec le Roi.—M. de Loménie lui donne un petit gentilhomme fort bien habillé d'un collet parfumé, enrichi de broderie d'or, les chausses à bande de même; il le peigne, et dit: Je le veux marier à la poupée de Madame.—Mené chez Mme la comtesse de Moret, où il se piqua un peu au bout du doigt, en coupant des cartes avec les ciseaux de Mme de Montglat.
Le 20, vendredi.—Mené au Roi, et, à neuf heures, déjeûné avec lui; il se fait porter aux fenêtres où le Roi étoit allé pour voir courir un lièvre devant la meute des chiens courants que le prince de Galles avoit envoyée à M. le Dauphin. Le Roi part pour aller à la chasse.—Un honnête homme donna quatre piques de Biscaye, non ferrées, au Roi; le Roi en donne trois à M. le Dauphin, lui disant: «Il y en a une pour vous, donnez-en une à féfé Chevalier et l'autre à féfé Verneuil.» Étant en sa chambre, M. de Souvré lui dit: «Monsieur, je m'en vais à Paris; me voulez-vous commander quelque chose?»—Faites-moi accommoder ma pique.—«Monsieur, comment? Voulez-vous qu'elle pique, qu'elle tue, qu'elle égratigne? Comment la voulez-vous?»—Je veux pas que la mienne tue, mais je veux qu'elle pique, et je veux pas que celles de féfé Chevalier et de féfé Vaneuil tuent, et qu'elles ne piquent, et qu'elles n'égratignent; mettez y un clou au bout.—Le Roi revient de la chasse, le Dauphin se trouve à son dîner, fort gentil, obéissant, craignant et respectueux du Roi. Le Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures trois quarts.
Le 22, dimanche.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, voyez que Madame a les cheveux beaux et blonds pour ce qu'elle se laisse bien peigner;» il répond: Les noirs sont les plus beaux, puis me dit: Allez, allez écrire en votre registre ce que j'ai dit de mes cheveux.
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Le 23, lundi.—Il me demande: D'où venez-vous?—«Monsieur, je viens de mon étude.»—Quoi faire?—«Monsieur, je viens d'écrire en mon registre.»—Quoi?—«Monsieur, j'étois prêt à écrire que vous avez été opiniâtre.» Il me dit, à demi pleurant: Ne l'écrivez pas.—On le divertit avec son petit ménage d'argent; il y avoit deux petits chandeliers et de la petite bougie blanche dont on se sert aux offrandes; ma femme l'alluma. Il la prend soudain, la souffle, l'éteint, disant: Ho! non, elle s'useroit, faisant en cela ce qu'il voyoit faire et oyoit dire[263].
Le 24, mardi, à Saint-Germain.—Il dit des proverbes de Salomon abrégés, entre autres celui, dit-il, que j'aime tant: L'homme est heureux qui rencontre une femme vertueuse; il dit trois quatrains de Pibrac.
Le 25, mercredi.—Le savoyard[264] de M. de Verneuil traversoit sa chambre d'une porte à l'autre; il lui demande: Où allez-vous?—«Monsieur, à la chambre de M. de Verneuil.»—Retournez-vous-en par là, ma chambre est pas un passage.
Le 26, jeudi.—Madame voulant dîner debout et ne s'asseoir pas, il dit: La velà qui veut dîner en laquais.
Le 27, vendredi.—Il se fait armer de ses armes dorées, vient à ma chambre, demande à voir le lion; c'étoit au livre de Gesner.
Le 28, samedi.—Il va en la chambre de Mlle de Vendôme,
s'avise qu'il n'y avoit point de poutres au plancher
et demande: Hé! pourquoi n'y-a-t'il point de poutres
comme à ma chambre? A dîner il mange une côtelette rissolée.
Il épluchoit le rissolé; je lui dis: «Monsieur, vous
ne mangez que ce qui vous fera devenir colère[265].»—Papa
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le mange bien. Il disoit vrai, et étoit grand imitateur
des actions du Roi. Il nettoyoit ses gencives avec le doigt,
je lui dis: «Monsieur, il les faut nettoyer avec la langue.»—Mais
ma langue n'est pas assez longue, j'y tâche, mais
je ne saurois.
Le 29 janvier, dimanche.—Il chante:
puis ce qu'il avoit appris il y avoit plus d'un an du petit Turc de M. de Vendôme; Houja Criaqué, Chinchin Criaqué, Pista, christa Criaqué.
Le 30, lundi.—Sa nourrice regardant à sa bouche la dent vingt et unième qui lui étoit percée, il lui fut avis que sa nourrice lui vouloit faire mal, et, voulant frapper sur elle, frappa sur Madame, dont il fut si fâché que soudain il s'en prit à pleurer et à frapper fort sur sa nourrice, puis va baiser et accoler Madame, puis va accoler sa nourrice, qui en faisoit la courroucée.—L'on parloit qu'il le falloit apprendre à être libéral, et que l'on n'en faisoit rien; il écoutoit tout ce qui s'en disoit, sans faire paroître qu'il y prêtât l'oreille, et tout à coup et par boutade il se prend à faire ses libéralités, disant: Je vous donne ceci, etc.
Le 10 février, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat part à onze heures et demie pour aller au travail de la Reine, laquelle accoucha entre midi et une heure de Madame[266].
Le 11, samedi.—Mlle de Ventelet lui dit que maman étoit accouchée; il demande: A-t-on ouï le canon?—«Non, Monsieur.»—C'est donc une fille?
Le 12, dimanche.—Il vient deux minimes pour le
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voir; M. de Franchemont, archer du corps, les conduisoit
portant sa hallebarde; il lui demande: Pourquoi portez-vous
votre hallebarde?—«Monsieur, pource que je n'ai
pas voulu venir avec eux sans la porter.»—Pourquoi?—«Monsieur,
pource qu'il y eut un moine qui tua le feu
Roi.»—Que lui fit-on?—«Monsieur le Grand le tua[267].»
Il demeure froid, et n'en dit plus mot.—J'arrive[268] en
la cour à cinq heures; il descendoit en sa chambre; je
le rencontre entre deux portes; il me saute au col, me
demande: Que m'apportez-vous?—«Monsieur, je vous
apporte un petit arc et des flèches.» Il en tressault de joie;
ma femme lui apporta un petit réchaud et une petite
écuelle de fayence[269].
Le 13, lundi, à Saint-Germain.—Il vient en ma chambre, demande à voir le livre des oiseaux, puis je lui montre les figures de la géographie de Merula[270].
Le 14, mardi.—Mené chez M. de Frontenac, il y joue du clavecin.
Le 15, mercredi.—A cinq heures le Roi arrive, lequel
il attend avec extrême impatience, s'amuse à l'entretenir
à la chambre, dit qu'il veut souper avec papa, qu'il attendra
que son souper soit prêt. Le Roi, qui mangeoit
maigre, se plaignoit d'un peu de douleur à une amygdale.—Papa,
mangez de la viande, vous êtes malade. Le
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Roi lui demande s'il veut aller à la guerre.—Non, papa.—«Pourquoi?»—Je
suis trop petit.—«Quand est-ce
que vous y irez?»—Mais que je sois grand.—«Quand
serez-vous grand?»—A Pâques. Le Roi va en sa
chambre.
Le 16, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à cinq heures après minuit, il se fait coucher auprès de Mme de Montglat, lui frappe sur la tête chantant:
puis, se souriant et battant doucement de sa main sur la tête de Mme de Montglat, il dit: Velà la mère aux cornes.—Mené au jardin; le Roi revenant de la chasse, met pied à terre, va à lui. Ramené au château, il se fait habiller en masque, va chez le Roi danser un ballet, ne veut point se démasquer, ne voulant être reconnu.
Le 17, vendredi.—Il se joue avec ses animaux de poterie (un cheval et un bœuf).—L'on parloit de la guerre de Sedan, du canon que l'on y menoit, il demande: Comment le mène-t-on?—Mené au jardin, il tire de l'arc; le Roi le prend pour tirer. Papa, voulez-vous que je vous montre? le Roi lui dit: «Je sais mieux tirer que vous.»—Excusez-moi, papa, répond-il doucement et froidement. Après dîner il va chez le Roi, le voit partir pour aller à la chasse; à cinq heures mené au Roi revenant de la chasse, il aide à le détacher; le Roi se couche.
Le 18, samedi.—Dîné avec le Roi; à quatre heures et
demie il va chez le Roi, qui revenoit de la chasse, lui détache
ses aiguillettes, lui sert à boire, puis s'en retourne
en sa chambre; à sept heures et un quart dévêtu, le Roi
y arrive; M. le duc de Montbazon[271] déchausse le Dauphin,
Fév
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le Roi le baise dormant, lui disant adieu. Le Roi s'en retourna
à Paris à cinq heures après minuit.
Le 19 février, dimanche.—Mme de Montglat parloit de M. de Bouillon[272], disant qu'il étoit bien mauvais.—Qui, Mamanga?—«Monsieur, c'est un bouillon qui est fâcheux à prendre.»—Oui, Mamanga, il faut du canon.—Mené à la chapelle, il tient à baptême la fille de sa nourrice; c'est le premier enfant qu'il a porté à baptême; il lui donne nom Henriette.
Le 28, mardi.—M. de Montpensier vient à son lever; il lui fait bonne chère.
Le 4 mars, samedi, à Saint-Germain.—Les ambassadeurs d'Angleterre le viennent voir, il leur fait bonne chère.
Le 11, samedi.—J'arrive à trois heures et demie[273]; je lui apporte un bracelet d'ivoire pour mettre au bras, à tirer de l'arc; il le met au bras gauche de la façon qu'il le falloit; il n'en avoit jamais vu, ni su comme il le falloit mettre que par ouï-dire.—A cinq heures, Madame la petite arrive; il la reçoit en la cour, au pied de la petite montée.—En soupant, je lui dis: «Monsieur, papa vous mande à Paris pour remercier la reine Marguerite du présent qu'elle vous a fait.»—Quel? Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, elle vous a donné tout son bien.»—Comment dit-on quand on donne tout son bien? Je lui dis: «Monsieur, elle vous a donné le duché de Valois, le comté de Lauraguais et le comté d'Auvergne.»—Faudra-t-il que je sois prisonnier comme le comte d'Auvergne?
Le 12, dimanche.—A sept heures levé, vêtu, il aide
lui-même à démonter son lit. A une heure il part pour aller
à Paris dans la litière de la Reine, va par les bacs, trouve
M. de Souvré au Pecq. Goûté à Chatou. Passant le bac de
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Neuilly il voyoit Madrid: Hé! dit-il, velà une grande maison
qui chemine? M. le prince de Condé, M. de Vendôme, M. le
connétable, M. le Grand et grand nombre de noblesse
lui viennent au-devant jusque près du port de Neuilly.
A quatre heures trois quarts il arrive aux Tuileries, où le
Roi l'attendoit qui, l'ayant promené jusques à cinq heures
et demie, le mène, par la porte du jardin et la grande
galerie, au Louvre. Il va voir la Reine, court à elle qui
s'essaye de l'élever pour le baiser[274]; ne pouvant, le Roi
l'élève; mené au grand cabinet, où il se joue avec des
volants que la Reine lui avoit donnés. Soupé avec le Roi
au petit cabinet de la Reine, il s'endormoit, demande
congé d'aller en sa chambre, où il est mené à sept heures
et demie, sous le cabinet de la Reine.
Le 13, lundi, au Louvre.—A une heure et demie mené par la galerie aux Tuileries, au Roi, qui lui fait voir piquer des chevaux; ramené par le même chemin en sa chambre. Mené chez la Reine à douze heures et un quart, et à deux heures et demie le Roi le fait mettre avec lui en carrosse, à la portière, assis sur un carreau, pour aller vers la reine Marguerite, logée à l'hôtel de Sens, pour la remercier du don qu'elle lui avoit fait. En chemin le Roi lui demande: «Mon fils, aurez-vous pas froid?»—Ho! non, papa, je ne crains point le soleil ni la pluie. Il dit à la reine Marguerite: Maman ma fille, je vous remercie très-humblement du présent que vous m'avez fait, je suis votre très-humble serviteur. Ramené au Louvre à six heures et demie.
Le 14, mardi, au Louvre.—Mené par la galerie au jardin, aux Tuileries, il va à la messe aux Capucins[275]; ramené par le même chemin en la chambre de la Reine, puis en la sienne. A huit heures mené chez le Roi et la Reine, il leur donne le bonsoir.
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Le 15, mercredi, au Louvre.—A sept heures et demie, le Roi vient lui dire adieu, s'en allant assiéger Sedan, y est fort peu, le baise, l'embrasse, lui disant ces mots: «Adieu, mon fils, priez Dieu pour moi, adieu, mon fils, je vous donne ma bénédiction.»—Adieu, papa, répond le Dauphin; il étoit tout étonné et comme interdit de paroles. Soudain Mme de Montglat lui dit s'il veut pas prier Dieu: Oui, Mamanga, et il prie Dieu soudain.—Mené par la galerie aux Tuileries, il joue du palemail sur la terrasse, ne veut point aller à la messe aux Capucins. Mme de Montglat lui dit à l'oreille que le Roi lui a commandé de le mener ouïr la messe aux Capucins; il y va soudain.—Mené chez la Reine, il est logé à la chambre du Roi, aide à porter son bois de lit à la vue de la Reine; Mme de Montglat y fait mettre son lit pour y coucher. Il va seul en la ruelle de la Reine, y voit Mlle de Renouillère qui y dormoit, s'en vient doucement à la Reine, et lui demande: Maman, qui est cette bête-là?
Le 16, jeudi, au Louvre.—Mené jusques à la chapelle de
Bourbon[276] pour ouïr la messe, il n'y veut point entrer:
Il y fait noir, on n'y voit goutte! Hé! Mamanga, que j'entre
pas là dedans! Mené au jardin du Louvre, ramené en sa
chambre. A une heure trois quarts mené en la litière de
la Reine à l'Arsenal; il ne veut descendre de la litière
que M. de Rosny ne y fût arrivé; mené par les galeries
des armes sur le rempart, et de là à la Bastille, en la
cour, d'où il est salué du haut des tours par M. le comte
d'Auvergne, qui lui dit: «Bonsoir, Monsieur, je suis votre
très-humble serviteur»; il lui répond: Dieu vous garde,
moucheu le comte. Il étoit accompagné de Mme de Montglat,
de MM. de Souvré, de Châteauvieux; je y étois. Ramené
par le jardin en la salle et au cabinet où, à trois
heures et un quart, il fait collation; M. de Rosny lui donne
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un canon d'argent. Il demande le nom et l'usage des
outils et des parties, s'en veut aller et par le même chemin
qu'il étoit entré, ne voulut jamais passer par autre
chemin. Ramené à quatre heures et demie, mené à la
Reine, puis en sa chambre.
Le 17, vendredi, au Louvre.—Il part en litière à dix heures, accompagné de MM. de Souvré, de Châteauvieux, de Liancourt, va au jardin du Palais par le Pont-Neuf, où il est reçu par M. le premier président, messire Achille de Harlay; il le prie pour une affaire de sa maman Doundoun; M. de Harlay lui promet de n'oublier à le servir, au premier commandement qu'il lui a fait. Monté par le logis dudit sieur président, il est allé à la Sainte-Chapelle, où il entend la messe, baise la vraie croix, demande les noms et les usages de tout ce qu'il voit, passe et repasse porté par le sieur Birat, regarde deçà delà avec gravité et allégresse de tout le monde. Il se trouva des femmes qui se portoient à sa robe pour la baiser. Ramené par le même chemin au Louvre, et à onze heures et demie dîné. Il va chez la Reine, va en la galerie, où il court un renard avec les chiens du Roi.
Le 20, lundi, au Louvre.—Il va chez la Reine, qui partoit pour conduire Mlle Straler, damoiselle flamande, et Gratienne, l'une de ses femmes de chambre, aux Carmélines, où elles s'alloient rendre.—Il écrit au Roi par M. de Vendôme:
Papa, depuis que vous êtes parti, j'ai bien donné du plaisir à maman.
J'ai été à la guerre dans sa chambre: Je suis allé reconnoître
les ennemis: ils étoient tous en un tas dans la ruelle du lit à maman,
où ils dormoient[277]. Je les ai bien éveillés avec mon tambour: J'ai
été à votre arsenal, papa: M. de Rosny m'a montré tout plein de
belles armes, et tant, tant de gros canons, et puis il m'a donné de
bonnes confitures et un petit canon d'argent; il ne me faut qu'un
petit cheval pour le tirer. Maman me renvoie demain à Saint-Germain,
où je prierai bien Dieu pour vous, papa, afin qu'il vous garde
Mars
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de tout danger et qu'il me fasse bien sage et la grâce de vous pouvoir
bientôt faire très humble service. J'ai fort envie de dormir, papa:
Féfé Vendôme vous dira le demeurant, et moi que je suis votre très-humble
et très-obéissant fils et serviteur,
Dauphin[278].
Le 21 mars, mardi, au Louvre.—Il va chez la Reine; la reine Marguerite y vient, le prévenant en ce que la Reine le vouloit mener chez elle pour lui dire adieu.
Le 22, mercredi.—Il va chez la Reine, qui lui demande s'il est pas plus aise de s'en retourner à Saint-Germain que de demeurer auprès d'elle; il répond: Oui, froidement, lui dit adieu et, à une heure mis en litière, est parti pour se y en retourner. Arrivé au Pecq, il y trouve Madame, qui lui étoit venue au-devant, accompagnée de M. de Verneuil, la fait mettre avec lui dans la litière, la baise, l'embrasse, la fait asseoir près de lui.
Le 27, lundi, à Saint-Germain.—M. de Souvré; sur l'alarme de ceux qui avoient couru M. de Mansan, l'on fait murer les portes des deux petits ponts[279].
Le 1er avril, samedi, à Saint-Germain.—J'arrive de
Paris, il me saute au col; je lui apporte un trompette
turc à cheval, qu'il fait manier à courbettes. Il va chez
la petite Madame, qu'il aimoit fort, vient en ma chambre,
où je lui montre les figures de la Castramétation des Romains
par du Choul[280]; il y prend plaisir. L'on parloit
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du Roi, qui étoit allé assiéger Sedan; il demande: Mamanga,
qui est dedans?—«Monsieur, c'est monsieur de
Bouillon.»—Je lui couperai la tête.
Le 2, dimanche, à Saint-Germain.—Il se plaint à Mme de Montglat que l'on ne donne de la bougie à sa maman Doundoun, lesquelles, par ménage, M. de Montglat avoit retranchées aux officiers, encore que il en eût de l'argent du Roi pour les fournir.
Le 5, mercredi.—Sa nourrice parloit d'acheter une maison, mais disoit n'avoir point d'argent; elle lui en demande.—Je n'en ai point, maman, si j'en avois, je vous donnerois tout. Je lui demande qui le lui gardoit; il répond en souriant: C'est moucheu de Rosny.—Mené en carrosse au Pecq pour voir prendre, en la rivière, une oie par le gros barbet de M. de Frontenac, il s'amuse à voir pêcher du poisson, s'en fait donner des petits qu'il met dans la pelle creuse du batelier, où il y avoit de l'eau, fait jeter dans l'eau les plus petits disant: Hé! les pauvres petits! hé! sauvez-les; jettez-les dans la rivière.
Le 6, jeudi.—Il se fait mettre aux fenêtres du préau;
il passa un nommé Dumesnil sans le saluer, suivi de
son laquais, qui fit de même. Il demande: Qui est cettui-là
qui passe sans ôter son chapeau? Bompar, allez arrêter ce
laquais! Il y va, l'arrête. L'on disoit derrière M. le Dauphin:
«Voilà un homme mal avisé et son laquais aussi»;
il crie: Laissez, laissez-le aller, Bompar; il est aussi sot que
son maître. M. de Crillon le vient voir pendant son goûter;
il ne veut point dire adieu à M. de Crillon; Mme de Montglat
l'en tance dans sa petite chambre: Mais, Mamanga,
c'est un méchant homme. Je suis brave, moi, je suis furieux,
dit-il en faisant les contenances de M. de Crillon[281].—Il
fait allumer un feu au coin de la cheminée; l'on dit
que c'est le feu de joie pour la prise de Sedan: Non, dit-il;
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c'est le feu de joie de la paix, et avec toutes ses femmes
de chambre il chante: Vive le Roi, à grosse voix.
Le 10, lundi, à Saint-Germain.—Il va en la chambre de Mme de Montglat, qui avoit pris médecine, s'amuse à un cabinet d'Allemagne, y trouve la chambre du Roi, les cabinets, la salle du bal, la galerie rouge.
Le 11, mardi.—Mme de Vitry lui donne des poules et un renard d'ivoire[282].
Le 12, mercredi.—En se couchant il dit: Mamanga, je veux prier Dieu; Mamanga, c'étoit la nourrice du feu roi Charles qui se levoit toujours matin, et c'étoit qu'elle alloit prier Dieu?
Le 16, dimanche.—Il prend son tambour, et à la tête de la compagnie de M. de Mansan, qui faisoit la monstre, il prête le serment, le fait prêter à M. de Verneuil et à M. le Chevalier, et leur fait donner un sol à chacun.—Il vient en ma chambre, me demande à voir le livre des bâtiments (c'étoit Vitruve), demande les noms des machines principalement et leurs usages, les considère; il avoit une grande inclination aux mécaniques.
Le 17, lundi.—Il va en la salle du Roi, où il se trouve dix ou douze soldats de la compagnie de M. de Mansan qui apprenoient à danser sous Boileau; il leur fait prendre les armes, les mène à la guerre; le tambour c'étoit Boileau, qui jouoit du violon. Après avoir fait quelques tours de salle: Ça, dit-il, dansons; l'on fait poser les armes, il se met à danser aux branles, et afin qu'aucun ne le tînt par la main, il donne à tenir à son page Bompar l'une de ses petites manches et l'autre au sieur de Birat, son valet.
Le 18, mardi.—Mené par le petit jardin du bâtiment
neuf sur la terrasse de Neptune, il va voir un modèle de
pierre que l'on faisoit du bâtiment neuf, s'enquiert de
tout froidement, considère mûrement.—Pendant son
Avr
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souper il fait apporter la guenon et le sapajou de la
Reine, et s'entretient avec celui qui en a la garde, parle
avec telle ardeur qu'il en bégaye.
Le 20 avril, jeudi, à Saint-Germain.—Sa nourrice le tenoit en son giron; il la caresse, la baise: Hé! ma folle! mon cu! ma mère Doundoun! c'est Doundoun qui m'a donné à téter; elle lui demande s'il veut téter; il s'efforce à découvrir son sein; elle lui tend la mamelle, il la prend, suçoit et eût tété s'il y eût eu du lait.
Le 22, samedi.—Il voit en la cour un marchand de toile, le fait monter en sa chambre, veut lui-même avec une aune mesurer la toile.—A souper il fait du gâchis avec du pain esmié, disant: Je fais comme papa, et feint de manger, imitant le Roi lorsqu'il jetoit le jus de mouton sur du hachis sec.
Le 25, mardi.—L'ambassadeuse d'Angleterre, M. de Nemours, Mme la comtesse de Guichen[283] le viennent voir.
Le 30, dimanche.—M. le prince de Condé le vient voir; il lui en conte, lui dit qu'il a un beau canon tout d'argent, l'envoie querir, le lui montre.
Le 1er mai, lundi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à
faire mordre les survenants à un œuf de marbre et à faire
sauter une petite grenouille artificielle. A dix heures
mené à la chapelle, puis, par le jardin et le préau, au bâtiment
neuf; il se joue en la galerie et sur les terrasses,
attendant le Roi, qui arriva à onze heures et demie, et le
reçut au bout de la terrasse de Neptune, du côté de Carrière,
au milieu, tout vis-à-vis de la petite porte des
pompes de la colonne. Le Roi lui commanda de donner
sa main à baiser à M. de Bouillon et d'embrasser M. le
Grand. A douze heures et demie dîné avec le Roi; voyant
manger au Roi du beurre frais sur du pain avec des aulx,
il dit qu'il en mangera bien, en avale deux petites tranches,
de celles que le Roi lui-même avoit mises sur son
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pain, et s'y forçoit pour complaire au Roi. Mené à la galerie
par le Roi, où il arme sa compagnie; il étoit mousquetaire,
il entre en garde, se fait mettre en sentinelle
par M. de Vendôme, et à deux heures et demie revient au
château avec le Roi. Mené au devant de la Reine, qui arrive
à six heures, il monte avec le Roi et la Reine en la
chambre de la petite Madame; le Roi s'étant joué longtemps
à M. et à Mlle de Verneuil, il en conçoit de la jalousie, part
soudain de la main, et va dans la garde-robe de sa chambre,
se met derrière la porte, s'assied sur un coffre, et commande
impérieusement à l'exempt: Fermez la porte, que
personne n'entre. Je lui demande pourquoi il s'en étoit
ainsi venu: De peur, dit-il, que papa ne me vit pleurer. Il
s'en va en la chambre de Mme de Montglat, on ne l'en
peut tirer pour aller en sa chambre souper que par deux
de ces pièces d'or de dix écus de la Reine que Mlle de
Ventelet lui apporta.
Le 2, mardi.—Mené chez la Reine, la Picarde, seconde nourrice de Madame, tenant au bras son enfant, se jeta à genoux devant la Reine, les larmes aux yeux; le Dauphin en eut tant de compassion qu'il part soudain d'auprès de la Reine et se met derrière Mme de Montglat, le visage tout en feu de rougeur, de la force dont il se gardoit de pleurer; il saute au col de Mme de Montglat, où il se tient tant que la Reine (même qui se leva de son siége pour cet effet) l'eût assuré qu'elle donneroit de l'argent à la nourrice; là-dessus sa couleur ordinaire lui revient. Mené par la Reine en carrosse au bâtiment neuf, il va à la messe avec le Roi et, à midi, a dîné avec Leurs Majestés. Le Roi et la Reine s'en retournent à Paris.
Le 4, jeudi.—Il ne veut point déjeuner qu'il n'ait tiré
une harquebusade, se fait mettre de la poudre dans sa
harquebuse à mèche et de l'amorce par M. de Ventelet,
puis, sur la terrasse de sa chambre, avec un petit bâton
au bout duquel il y avoit de la mèche, il y met le feu; la
fumée lui passa sur la main et près du visage; puis il dit
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par grande allégresse à tout chacun qu'il a tiré une
harquebusade et qu'il n'a pas eu peur; c'étoit de la harquebuse
que lui avoit donnée M. d'Oinville, maréchal
de logis de sa compagnie, et la première qu'il eût[284].
Le 5, vendredi.—Il entend jouer les joueurs de cornemuse du Roi avec attention, et jusqu'au transport; les joueurs de musette jouent pendant son dîner.
Le 7, dimanche.—Mlle Mercier, l'une de ses femmes de
chambre, qui l'avoit veillé, étoit encore au lit contre le
sien; il se joue à elle, lui fait mettre les jambes en haut,
en cornemuse, et des pailles entre les orteils des pieds,
puis les y fait remuer comme si elle eût dû jouer de l'épinette;
après il dit à sa nourrice qu'elle aille querir des
verges pour la fesser, le fait exécuter; puis sa nourrice
lui demande: «Monsieur, qu'avez-vous vu à Mercier?»
Il répond: J'ai vu son cu, froidement.—«Est-il
bien maigre?»—Oui, puis soudain il se reprend: Non,
non, il est bien gras.—«Qu'avez-vous vu encore?» Il
répond froidement et sans rire qu'il a vu son conin.—Il
voit le colonel Berman, du canton de Fribourg, qui
avoit emmené un régiment de Suisses pour le siége
de Sedan, lui donne sa main à baiser et à ceux de sa
compagnie, puis soudain demande son corselet et ses
armes complètes, va en la salle du Roi, où il se fait armer
de la cuirasse, puis prend sa pique, fait mettre près de
lui M. de Verneuil, fait battre le tambour, et marche en
garde. A l'arrivée, les Suisses lui firent un petit mot de
harangue par la bouche du colonel Berman, qui étoit, en
somme, pour lui faire entendre qu'ils étoient venus pour
le service du Roi et pour le sien et qu'ils étoient serviteurs
du Roi et les siens; le Dauphin, sur cette parole,
répondit: Bien. A la salle, avant partir, Mme de Montglat
fit porter du vin pour la collation, et dit à l'oreille à M. le
Dauphin qu'il falloit qu'il bût à eux; il dit soudain:
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Qu'on apporte mon verre; on l'envoie querir, l'on y met
un bien peu de vin avec beaucoup d'eau, et il boit à eux;
il ne y fait que tâter. Ils en furent fort aises, disant que
cette action iroit bien loin.
Le 9, mardi, à Saint-Germain.—Mené au bâtiment neuf, où étoit la mariée du jardinier, qui dansoit au petit jardin du Roi; l'on y vouloit jeter le coq; il le jeta par trois fois en la cour, puis il s'en va en la galerie, où il a dansé en branle où étoit la mariée, dansa la courante et la bourrée avec Mlle de Vendôme.
Le 10, mercredi.—Maître Martin, son peintre, vient pour le peindre, le peint armé de son corselet, sous sa robe de velours cramoisi garnie d'or, l'épée au côté et la pique de la main droite, la tenant droite, la tête couverte de son bonnet de satin blanc, d'enfant, avec une plume blanche; c'est la première fois qu'il ait été ainsi peint. Il se fait donner des couleurs et un pinceau, imite le peintre mêlant ses couleurs, regarde parfois la besogne de son peintre. Il tenoit sa chienne Isabelle, la caressoit, la baisoit, l'appeloit sa mignonne, car il aimoit extrêmement les chiens; il disoit à son peintre qu'il peignit sa chienne auprès de lui. Mlle Mercier lui dit: «Monsieur, il ne faut pas que ceux qui sont armés aient des chiens avec eux;» il répond soudain: Mais ce sera pour prendre les ennemis par les jambes.
Le 11, jeudi.—Il prend en coutume, quand on lui dit quelque chose, de répondre: Je m'en soucie bien.
Le 12, vendredi.—La reine Marguerite le vient voir; il permet à Mme de Montglat d'aller au-devant d'elle, puis il y va, et la salue au milieu de l'allée du jardin qui est sur le fossé, l'emmène voir faire son jardin.
Le 14, dimanche.—Il devient amoureux de la nourrice de la petite Madame; il alloit et revenoit à la chambre de la petite Madame, tout exprès pour la voir en passant, la guignant de l'œil et se souriant.
Le 15, lundi.—Je lui maniois le pouls, lui ayant dit
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que je reconnoîtrois s'il étoit amoureux; il me demande:
Que fait-il?—«Monsieur, il frétille.» Il se laisse coiffer
pour l'amour de la nourrice de Madame sa petite sœur,
prend plaisir que l'on lui en parle et que l'on lui demande
de qui il est amoureux. A dîner il fait les doux
yeux à la nourrice de Madame la petite, fait le honteux
et retourne sa face; Mme de Montglat lui dit qu'il ne faut
point qu'un amoureux soit honteux.—Il se joue en sa
chambre; arrive une femme, revendeuse à Paris, nommée,
à ce qu'elle me dit, Opportune Julienne; elle se prend à
danser devant, à découvrir ses cuisses bien haut, tantôt
l'une et puis l'autre; il regardoit tout cela avec un extrême
plaisir, auquel il se laisse transporter, et court
après cette femme pour lui soulever la cotte.
Le 18, jeudi.—Il fait porter son écritoire[285] à la salle à manger pour écrire sous Dumont[286], dit: Je pose mon exemple; je m'en vas à l'école; il fait des O, fort bien.
Le 21, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Longueville le vient voir, a dîné avec lui.
Le 23, mardi.—On lui dit que M. le connétable venoit
pour le voir; le voilà soudain en mauvaise humeur,
et il demande d'aller en la salle du bal. M. le connétable
y monte; le voilà à crier; enfin apaisé. On lui porte son
mousquet, sa bandoulière, et il descend en la basse-cour,
puis au jardin, ayant avec lui M. le Chevalier, M. de
Verneuil, M. de Montmorency et M. le comte de Lauraguais,
armés aussi; il se met à la tête de la compagnie,
va chez M. de Frontenac pour être à la collation qui se y
faisoit, à cause que M. le connétable tenoit à baptême
un sien fils[287] avec Mlle de Vendôme. M. le connétable
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prend congé de lui, s'en allant en Languedoc; M. de
Montmorency prend aussi congé de lui.
Le 24 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Mlle Value, Mlle Prévost-Biron, Mlle Gillette[288], maîtresse du feu maréchal de Biron, assistent à son goûter.
Le 26, vendredi.—Arrive M. de Vaudemont, qui baise la main du Dauphin en la chambre du Roi.
Le 27, samedi.—M. et Mme de Montpensier viennent voir le Dauphin; il leur fait bonne chère.—On lui demande si l'Infante est pas sa maîtresse, il dit: Non, c'est la nourrice à ma petite sœur, et de fait l'ayant rencontrée, il lui sauta au col et la baisa.
Le 30, mardi.—M. le cardinal de Joyeuse arrive, auquel il donne sa main à baiser.—A huit heures trois quarts, il avoit envie de dormir, et toutefois il lui prend une humeur de s'armer, se fait mettre son corselet, prend sa pique pour se faire mettre en sentinelle par Hindret, son joueur de luth, qui étoit le caporal. Je lui demandai s'il seroit longtemps, il répond: Deux heures. C'étoit l'heure des sentinelles de la garnison qu'il avoit apprise, car il savoit toutes les fonctions d'un soldat. L'on ne sut jamais le dissuader de cette action; il y est quelque temps, et n'en voulut jamais partir qu'il ne fût relevé, se promenant la pique haute.
Le 1er juin, jeudi, à Saint-Germain.—Il récite les quatre premiers quatrains de M. de Pibrac, qu'il savoit, comme s'il eût récité une comédie; M. le Chevalier en faisoit autant, puis M. de Verneuil.
Le 3, samedi.—Mme de Montglat le tance et lui arrache
son tablier, qu'il tenoit à la bouche; le voilà en colère.
Il la bat sur la main; elle ne disoit mot; il se retourne
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et lui rue des coups de pied, tant que voyant deux
maçons qui travailloient à faire l'enceinte de la chapelle,
l'un avec un balai l'autre avec une hotte, il se jette à
genoux: Hé! Mamanga, pardonnez-moi! Cependant les
maçons prennent le petit laquais de M. de Mansan et
l'emportent dans la hotte, le mettent dans la chapelle.
Hé! Mamanga, parlez pour lui!
Le 4, dimanche.—Il se joue à une petite fontaine faite dans un verre, qui lui venoit d'être donnée par les verriers de la verrerie de Saint-Germain-des-Prés, s'amuse à une vaisselle de poterie où il y avoit des serpents et des lézards représentés[289], y faisoit mettre de l'eau pour les représenter mouvants.—Il appelle Hindret, son joueur de luth, Boileau, son violon, et un soldat qui jouoit de la mandore, et lui, prenant un luth, dit: Faisons la musique; il les fait ranger tous autour de lui, au chevet de son lit; il pinçoit son luth comme s'il eût joué avec intelligence. Il aimoit extrêmement la musique.
Le 5, lundi.—M. le marquis de Rainel, revenant de Hongrie, le vient voir; il lui disoit: «Monsieur, me ferez-vous pas un jour grand maître de votre artillerie?» Le Dauphin ne répondant point, M. de Ventelet lui dit: «Monsieur, c'est M. le marquis de Rainel qui vous prie de le faire un jour grand maître de votre artillerie, le ferez-vous pas?» Il répond: Je le veux bien. J'entendois tout cela, et lui demandai: «Monsieur, vous plaît-il que j'enregistre cette promesse que vous avez faite à M. de Rainel, dans mon registre?»—Oui! oui!—Mené au palemail, il fait démasquer la nourrice de la petite Madame, lui disant: Démasquez-vous, je vous veux baiser.
Le 6, mardi.—Il frotte le derrière de son oreille, en
rapporte une ordure qu'il met en sa bouche, comme il
faisoit souvent, et celles du nez, qu'il avaloit; Mme de Montglat
l'en reprend, il répond: Quoi! est-ce du poison?
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Il va en la chambre de la petite Madame, en baise la
nourrice à la bouche, aux yeux, au front, au nez, aux tétons,
avec transport, disant: Je vous baiserai toujours. Il
en étoit amoureux par inclination.
Le 8, jeudi, à Saint-Germain.—A cinq heures et demie le Roi et la Reine arrivent de Paris; il les va recueillir hors du pied de l'escalier, en la cour. Le Roi lui dit: «Eh bien, mon fils, vous avez été fouetté!»—Non pas tous les jours, papa.—«Qu'aviez-vous fait?»—Rien. Il remonte avec eux en la chambre de la petite Madame, où il s'assied sur la fenêtre, et fut fort longtemps à entretenir le Roi; à sept heures et un quart soupé avec le Roi. Mené en sa chambre, le Roi peu de temps après y arrive, et la Reine après; il danse aux branles, la courante, puis se met au giron de sa nourrice, s'endort, est mis au lit à neuf heures et demie. Leurs Majestés se retirent; sa nourrice approchant près de lui trouve qu'il ne dormoit pas, et lui dit: «Monsieur, vous ne dormez pas?»—Non, dit-il tout bas, papa s'en est allé?—«Oui, Monsieur, pourquoi avez-vous fait semblant de dormir?»—Pource que papa s'en fût pas allé, et il y avoit tant de monde, j'avois si chaud!
Le 9, vendredi.—Il attend avec impatience un carrosse
pour aller trouver le Roi au bâtiment neuf, y va, le
trouve à la chapelle, revient avec lui à la galerie. Armé
de son mousquet, il va à la guerre, assault la ville (c'étoit
la balustre qui étoit autour de l'une des cheminées où il y
avoit des soldats); MM. de Vendôme et de Verneuil, les
deux fils de M. de Frontenac, étoient avec lui. Il fait planter
dans la salle de grands tuyaux de chaume pris des paillasses
vidées, dit que ce sont des piquiers, et au-devant,
d'un bout à l'autre, fait faire une traînée de poudre. Le
Roi y fait mettre le feu en sa présence et en celle la Reine.
Le Dauphin disoit qu'il vouloit être mousquetaire, et néanmoins
il avoit accoutumé de reprendre ceux qui ne faisoient
pas bien; le Roi lui dit: «Mon fils, vous êtes mousquetaire,
et vous commandez!» A quatre heures le Roi et
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la Reine partent pour s'en retourner à Paris; étant au port
de Chatou, au delà de l'île, il faisoit glissant à la descente;
les chevaux reculent, poussent le bac, les roues de derrière
du carrosse demeurent dans l'eau, et, à la descente
de celui de Neuilly[290], tout le carrosse tomba dans l'eau,
à la main gauche de la Reine, étant à la portière, et le
Roi couché du long en dedans, où il s'étoit mis un peu
auparavant pour dormir. Ce fut ainsi que les chevaux
étoient près d'entrer dans le bac; l'un de ceux de derrière
glisse, le cocher le fouette; se voulant relever, il retombe,
tire et fait tomber son compagnon, et le carrosse
renverse en l'eau, sur la nacelle attachée au bac,
qui s'enfonça mais empêcha que le carrosse n'allât tout
au fond. M. de Montpensier se jeta le premier dehors,
par la portière qui étoit en l'air environ demi-pied. M. de
l'Isle-Rouet y va, appelle le Roi, qui n'avoit que la tête
et un bras hors de l'eau, lui prend les mains, le met hors
de l'eau, [le Roi] disant: «Que l'on aille à ma femme»,
et en sortant rencontre M. de Vendôme, qu'il met hors de
l'eau. Ce pendant la Reine étoit toute dans l'eau, à la
portière; un valet de pied[291] se y jette, la prend par
sa coiffure qui échappe; il la prend sous la gorge, et
à l'aide de M. de la Chastaigneraie ils lui mettent la tête
hors de l'eau, et aussitôt [elle] demanda: «Où est le
Roi?» qui, l'entendant, se jeta dans l'eau pour l'aider
à mettre dehors. Mme la princesse de Conty fut toute la
dernière, qui avoit du commencement prins le sieur de
l'Isle par la barbe, comme il tiroit le Roi; elle quitta
pour ce qu'elle l'empêchoit[292].
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Le 10, samedi, à Saint-Germain.—A onze heures mené à la chapelle; étant sur son carreau, il se lève, va dire à M. de Verneuil: Féfé Vaneuil, priez Dieu pour papa, qui a failli se nayer, et se va remettre en sa place.—Mme de Montglat me disoit qu'écrivant au Roi elle avoit dit une petite menterie; elle vouloit dire que M. le Dauphin avoit pleuré, ayant su la nouvelle de son danger, bien qu'il fût vrai qu'il en demeura fort étonné. Lui, qui écoutoit toujours ce que l'on disoit, la regarde soudain premièrement sans dire mot, puis tout à coup lui dit: Ha! vous avez donc menti! Mené à la chapelle pour y faire chanter un Te Deum pour l'heureuse délivrance de Leurs Majestés.
Le 12, lundi.—Il dit la prière qui lui plaisoit fort et qu'il aimoit à dire: «Notre Seigneur Dieu et Père, veuille moi assister par ton saint Esprit et par icelui me gouverner et conduire à celle fin que ce que je ferai, dirai ou penserai, soit à ton honneur et gloire, au salut de mon âme et à l'édification des miens.»
Le 17, samedi.—Le Roi arrive de Paris; il va au devant du Roi, l'embrasse fort, l'accompagne au bâtiment neuf; il soupe avec le Roi, va en la cour avec lui[293].
Le 19, lundi.—Éveillé à huit heures, il est fouetté pour avoir fait le fâcheux à la chapelle, le jour précédent.
Le 21, mercredi.—Le Roi arrive de Paris; il va au devant du Roi, l'embrasse, le conduit en sa chambre.
Le 22, jeudi.—Il va trouver en sa chambre le Roi, qui
étoit parti pour aller au bâtiment neuf[294], court sur le
pavé au devant de lui; mené à la chapelle, dîné avec
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le Roi, qui part à deux heures et demie pour aller à
Paris.
Le 23 juin, vendredi, à Saint-Germain.—Il va mettre le feu au bûcher de la Saint-Jean, en la basse cour, puis va chez M. de Frontenac.
Le 25, dimanche.—J'arrive[295]; il court à moi gaiement; je lui donne un cheval noir et un gendarme dessus.
Le 26, lundi.—A cinq heures mené par le petit pont au devant du Roi revenant de la chasse; il est ramené dans la petite chambre de Mme de Montglat, où le Roi se met dans le lit, y fait mettre en chemise M. le Dauphin, qui se y joue fort privément [sic]. A six heures levé, à sept soupé avec le Roi; M. Groulard, premier président de Rouen, y vient; il lui donne sa main à baiser, par commandement du Roi. Le Roi s'en retourne à Paris à sept heures trois quarts, il le conduit et, en la cour, le Roi lui montrant M. le premier président et autres députés de Normandie, lui dit: «Voyez-vous ces gens-là, vous les commanderez après moi;» il répond froidement: Bien, papa; est fort privé avec le Roi, qu'il craint. Il conduit le Roi jusques au bâtiment neuf et, en la basse cour, le Roi lui disant: «Adieu, mon fils,» il (le Dauphin) devient rouge et la larme lui vient aux yeux. Le Roi le baise, l'embrasse, lui disant qu'il s'alloit promener et qu'il reviendroit incontinent; il s'apaise. Ramené il s'amuse sur le tapis, entretenu par Mmes de Vitry et de Saint-Georges, où il dit mots nouveaux et paroles honteuses et indignes de telle nourriture, disant que celle de papa est bien plus longue que la sienne, qu'elle est aussi longue que cela, montrant la moitié de son bras.
Le 27, mardi.—Mené en carrosse dans la forêt, à la
chasse aux toiles, il voit prendre deux sangliers et un
marcassin, et sauver une biche par-dessus les toiles; il ne
s'ennuie point, y prend plaisir froidement.—Il prend
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un petit violon, joue en concert avec Hindret, son joueur
de luth, nous fait chanter en concert: Hau! Guillaume,
Guillaume, puis: Maître Ambroise, ho! ho! d'où venez
vous, etc. Il baise sa nourrice, et lui dit: J'entrerai par
votre bouche, Doundoun, puis j'irai en votre ventre, vous
direz que vous êtes grosse et puis vous me fairez.
Le 28 juin, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à son corselet neuf, dit qu'il veut être piquier. Vêtu, coiffé à bâtons rompus; pour le faire hâter, M. Birat lui dit que le Roi venoit. Le Dauphin, se retournant et souriant, dit tout bas à l'oreille de Mme de Montglat: Mamanga, voyez vous ce vieux penard qui me veut faire craire que papa vient. Descluseaux, soldat aux gardes, entre après le dîner du Dauphin, qui dit en le voyant: Hé! velà mon mignon, venez mon mignon Décuseaux; ce soldat avoit accoutumé de le faire jouer. Après souper il se joue en sa chambre, joue du violon en concert avec le luth, et chante: En m'en retournant, etc., puis danse le ballet des grenouilles, la morisque, fort joliment et en cadence, sans avoir été instruit.
Le 29, jeudi.—Il se fait armer, prend sa pique et sort en la cour, où l'on fait entrer la compagnie. Il se met à la tête, ayant à côté gauche M. de Verneuil, et M. de Liancourt au milieu, fait deux tours de la cour, puis il veut prêter le serment, lève la main, et lui étant demandé par le commissaire Faure s'il promettoit pas de bien servir le Roi, il répond: Oui, ayant premièrement ôté son chapeau et son gant de la main.
Le 30, vendredi.—Mené au jardin, il fait attacher son canon d'argent avec un jarretier, et le jarretier au derrière de la ceinture de son tablier, et se promène le faisant rouler après soi; il va ainsi jusques au palemail, se fâche de ce que les roues se crottent et la bouche aussi, s'en met en peine pour les faire nettoyer.
Le 1er juillet, samedi, à Saint-Germain.—Il s'amuse
à jouer de son petit sifflet d'ivoire et à entendre des
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contes de maître Guillaume[296]. Il sème des feuilles de
rose sur le banc où étoit assis Descluseaux, soldat aux
gardes qui le souloit faire jouer, et dit: C'est afin que
votre place sente bon; il aimoit ce soldat. M. de la Court,
exempt aux gardes, arrive; il le reconnoît et par son nom,
après avoir été un an et demi sans le voir.
Le 5, mercredi.—Mené à la chapelle, il ressort du chœur pour recevoir, dans la chapelle, l'ambassadeur de la Grande-Bretagne, accompagné du sieur Gandaloufin, gentilhomme de la chambre du roi de la Grande-Bretagne et de son jeune fils, échanson du prince de Galles, ayant charge de le voir de la part du prince de Galles; il lui répondit qu'il le remercioit de la souvenance qu'il avoit de lui et le prioit de l'assurer qu'il étoit à son service. Après souper il monte tout en haut de sa garde-robe, où il fait prendre ses armes toutes complètes, faites à Moulins, les fait porter en sa chambre avec la croix[297], les fait accommoder dessus, y travaille lui-même, va querir en son armoire son épée rouge et la y fait ceindre, puis fait apporter sa pique, la met lui même sous le brassal, toute droite comme s'il eût été en sentinelle.
Le 6, jeudi.—Il tenoit un chapelet de corail que le fils de M. de Montglat lui avoit envoyé de Florence; sa nourrice lui dit: «Monsieur, donnez-moi ce chapelet.» Il le lui refuse par plusieurs fois, elle lui dit: «Allez, vous êtes un gros chiche.»
Le 9, dimanche.—A dix heures il part pour loger au
bâtiment neuf[298]. Mlle de Ventelet lui dit: «Monsieur, il
faut être bien sage pour votre baptême, ou autrement maman
auroit un autre Dauphin, qu'elle feroit baptiser;» il
répond froidement: Et puis il m'en soucie bien, j'en serois
bien aise, j'irois où je voudrois, on me suivroit point. Il
Juil
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s'en va en la cour, le tambour se prend à battre pour
assembler, pensant qu'il dût sortir; il l'entend, et crie tout
haut: Je veux pas sortir, qu'on batte point, c'est que je
me joue.
Le 10, lundi, à Saint-Germain.—A cinq heures arriva au vieux château Mme la marquise de Verneuil.
Le 11, mardi.—Il se fait mettre au lit de sa nourrice, la baise partout où il peut, avec âpreté.—Il va faire un tour dans la galerie, où il faisoit faire un fort de briques dans lequel il faisoit loger toutes les armes qui étoient dans son armoire et mettre l'enseigne dans le donjon. Mis au lit, il demande à se jouer, se joue avec Mlle Mercier, m'appelle me disant que c'est Mercier qui a un conin qui est gros comme cela (montrant ses deux poings), et qu'il y a bien de l'eau dedans. Je lui demande: «Monsieur, comment le savez-vous?» Il répond qu'il a pissé sur maman Doundoun, et me dit: Écrivez cela dans votre registre; il rioit à outrance.
Le 13, jeudi.—Après dîner il range les noyaux de ses cerises sur l'assiette et me dit que c'est un moulin à vent. Je lui apprends là dessus le nom des vents, qu'il rumine, et les retient: Est, ouest, north, sud, les répète en lui-même pour les retenir. Après souper il range encore les noyaux sur le bord de son assiette, et nomme tout bas: Est, ouest, north, sud, puis m'appelle: Moucheu Héoua, velà les quatre vents, comment les appelez-vous en françois? Je les lui nomme: «Levant, ponant, tramontane, midi»; il les redit après moi.—Il va avec impatience en la cour pour voir deux chevaux que le jeune Montglat avoit emmenés d'Italie.
Le 16, dimanche.—A souper il demandoit sa gelée, Mme de Montglat lui dit: «Dites s'il vous plaît;» il répond: Papa dit pas s'il vous plaît, pource qu'elle lui disoit souvent qu'il falloit tout faire comme papa.
Le 17, lundi.—Il est fouetté pour avoir, le jour précédent,
fait le fâcheux à son habiller. A dix heures arrivent,
Juil
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conduits par M. le comte de Choisy, chevalier d'honneur
de la reine Marguerite, et de sa part, le président Savaron,
président à Clermont en Auvergne, et autres députés
avec lui, pour venir faire l'hommage d'obéissance et de
fidélité comme à leur seigneur, par la donation qui lui
en a été faite dudit comté par ladite Reine. Il les écoute
fort attentivement, froidement et la plupart du temps les
mains sur les côtés, par l'espace d'une demi-heure.—Il
s'amuse à faire une tour avec de la brique, trouve un ais,
dit qu'il en faut faire un pont-levis, commande d'aller
chez le menuisier qui travailloit aux offices pour avoir
un virebrequin, afin de faire des trous, dit-il, pour y
passer les cordons. On apporte le virebrequin, il en veut
travailler lui-même, et s'apercevant qu'il ne avançoit
pas beaucoup avant, pour ne tenir assez ferme, il donne
à tenir la main dessus et, lui, s'amuse à tourner.
Le 19, mercredi.—Mme de Montglat le fait prier Dieu puis dire des sentences; à celle-ci: «L'homme fol se fait connoître à ses propos,» le Dauphin dit: Velà pour maître Guillaume; et à celle-ci: «La folle femme fait toujours beaucoup de bruit»: Velà pour Mathurine.
Le 20, jeudi.—A midi, M. de Sully[299], revenant de
Rosny, le vient voir. Mme de Montglat fait ouvrir la
grande porte de la salle; M. le Dauphin y est mené en
attendant M. de Sully; comme il est au milieu de la
cour, elle le fait courir au devant de lui, pour l'embrasser
comme il faisoit au Roi. Il s'arme à l'accoutumée,
est piquier, fait armer la compagnie, entre en garde, va
à la charge, fait les exercices. M. de Sully lui donne cinquante
écus en quadruples, ses soldats les lui arrachent
des mains. Il n'eut presque pas le temps de les manier;
il ne lui en demeura qu'une pièce, qu'il tient ferme
contre Montailler, tailleur de Mme de Montglat, dont il s'écrie!
Juil
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Hé! maman, Montailler me l'arrache; elle y vient, la
prend et fait rendre les autres, qu'elle retient[300]. Il n'en
dit mot, ne s'en plaint point, mais peu après il dit: Mais
moi je suis soldat, et je n'ai point eu d'argent! M. de Sully
lui donne un doublon, puis s'en va.—Mme de Montglat
le tançant de ce qu'il étoit tout hâlé et noir dit que la
Reine en seroit bien courroucée, que pour le Roi il ne
s'en soucioit pas. «Ho! Monsieur, lui dit-elle, si vous continuez
à sortir comme vous faites, il vous faudra retenir,
vous seriez tout hâlé!» Il répond: C'est tout un, papa
veut bien que je sois noir.—Il avoit fort plu, comme il
fait fort mauvais temps depuis six semaines; M. de la
Court, exempt aux gardes, qui étoit en quartier, lui dit:
«N'allez pas à la cour, il n'y fait pas beau;» il lui répond
en souriant: Si fait, allons, allons, je m'en vas marcher
sur vous, puisque vous êtes la Cour. Il donne le mot à M. de
Belmont: Sainte-Barbe, puis dit à M. de la Court en souriant:
Sainte-Barbe la Cour, lui montrant sa barbe (la
barbe de M. de la Court).
Le 21, vendredi.—M. de Verneuil est revenu, qui avoit
été séparé pour la petite vérole et rougeole de sa sœur.—Il
y avoit environ six semaines qu'il ne se passa jamais
jour sans pleuvoir et faisoit une saison d'hiver, s'étant
fallu chauffer comme en hiver.—Mis au lit, il s'amuse
à railler, m'appelle et me dit d'écrire dans mon registre
que le conin de Doundoun est gros comme cela, dit-il, en
grossissant sa voix et élargissant ses poings; qu'il l'a
fouetté, qu'il est gras. Puis il me dit encore d'écrire que
le conin de sa mie Saint-Georges est grand comme cette
boîte (c'étoit celle où étoient ses jouets d'argent) et que
le conin de Dubois (damoiselle de Mme de Vitry) est grand
comme son ventre, que c'est un conin de bois. Je lui
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demande: «Monsieur, n'en avez-vous point?» Il répond
que non, qu'il a une cheville, qui est au milieu de son
ventre, mais que c'est Doundoun qui a un gros conin au
milieu des jambes. Enfin il prie Dieu, et s'endort à neuf
heures trois quarts.
Le 23, dimanche, à Saint-Germain.—L'on avoit séparé quelques-uns des petits enfants qui avoient accoutumé d'aller à la guerre avec lui, à cause des maladies de petite vérole, et de la peste de Paris; se jouant en la galerie et voyant ses armes dans son armoire, il dit à Descluseaux: Je veux vendre mes armes, astheure que toute ma compagnie s'en est allée.
Cette nuit, entre minuit et une heure, Canier[301] étoit en garde sur le perron des terrasses quand il vit, par le petit escalier à main droite, monter à lui un homme vêtu d'un pourpoint blanc, sans vouloir s'arrêter, quelque chose qu'il lui sût dire par la contrainte de descendre en bas pour l'arrêter et lui donner des coups d'épée qu'il rompit sur sa tête, sans dire mot que tout bas: «Hé! Monsieur!» Le voulant saisir au collet, il lui vient au nez une si puante odeur qu'il fut contraint de le lâcher, en étant avis être venue d'une boîte qu'il vit en sa main gauche et un linge autour du bras; quitte cet homme pour courir à sa pique, et, retournant à lui, le voit s'en retournant du côté du Pecq. L'on eut opinion que ce fut un graisseur; la peste étoit lors à Paris[302].
Le 24, lundi.—Il se ressouvient d'avoir ouï parler sur
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le jour[303] du sentinelle [sic] et de ce qui lui étoit arrivé
la nuit précédente, et ayant entendu de quelques-uns
que c'étoit un esprit, il dit: Si j'eusse été sentinelle, je
l'eusse tué cet esprit.
Le 25, mardi, à Saint-Germain.—On lui demande s'il est pas bien fâché de ce que M. le Chevalier s'en étoit allé (on l'avoit transporté au vieux château, à cause de la petite vérole qu'il avoit, sans fièvre); il répond: Non. Il s'amuse à faire des dessins avec du charbon, (représentant) des forges et des grottes.
Le 26, mercredi.—Il voit ses femmes s'en aller à la messe, y veut aller, y va; c'étoit le prêtre qui nourrissoit les petits oiseaux du Roi [qui la disoit]. Il fait quelque dessin; il avoit l'imagination du dessin de fontaine qu'il avoit fait en papier le soir précédent. Il s'amuse à voir faire un modèle de fontaine de terre de potier par M. Hindret, son joueur de luth. Il faisoit une journée froide comme en plein hiver et grand vent du nord; il y avoit plus de six semaines que la constitution de l'air étoit comme d'hiver.
Le 27, jeudi.—A souper il mange gaiement, et dit: Je sens la senteur des lapins qui sont dans ce fossé. Je lui dis: «Mais, Monsieur, ce ne sont pas des lapins, la fenêtre est fermée».—Je sais pas, mais je sens quéque chose qui pue; je pense c'est c'homme qui vouloit passer et qui potoit cette boîte; je pense qu'il est dans ce fossé.—«Monsieur, que sentoit cette boîte?»—Elle sentoit le safran.
Le 28, vendredi.—Il se fait mettre son corselet, son épée à sa ceinture, en écharpe, prend sa pique et se fait mettre en sentinelle par Descluseaux, soldat aux gardes, qui avoit accoutumé de le faire jouer et qu'il appeloit son mignon; mais il ne vouloit pas qu'il fût assis à table avec lui, pource que, disoit-il, il est pas gentilhomme.
202
Le 29, samedi, à Saint-Germain.—Il est fouetté le matin, et prie Mme de Montglat de n'en rien dire. Il va au cabinet, où il regarde donner le fouet à Bigneux, page de Mme de Montglat, crie trois fois: Fouettez fort; soudain le cœur lui grossit, et il eut envie d'en pleurer, mais pour assurer sa contenance il se print à rire; il avoit beaucoup de peine à s'en garder. Mené au parterre et à la coudraie, il court, va aux vignes pour cueillir du verjus; montant la demi-lune, il m'aperçoit entrer au parterre pour monter par le degré par où, les jours précédents, voulut passer l'homme à la boîte. M. Birat le portoit; il s'avance et, avec soin et crainte que j'eusse du mal, rougit disant: Moucheu Hérouard, moucheu Hérouard, passez pas par là, c'est par où cet homme a passé; il me le dit plusieurs fois.
Le 30 juillet, dimanche.—Il donnoit de son pain à son petit chien; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il ne faut pas donner du pain aux chiens, il le faut donner aux pauvres.»—Les chiens sont-ils riches?—A neuf heures et demie dévêtu, pissé, il dit: Velà comme pisse papa; il montroit tout le ventre. Mis au lit, il parle de l'Orphée de la fontaine, qui joue de la lyre. Je lui demande de quoi étoient faites les cordes. Il répond: D'airain, ce qui étoit vrai. Je commençai à lui raconter qui étoit Orphée, comme il jouoit bien de la lyre, ce qu'il enseignoit aux hommes. Je lui représente la figure de la lyre antique; je lui dis que, après sa mort, sa lyre fut mise au ciel parmi les autres, il demande: Y a t'i point de violon?
Le 31, lundi.—Il va en la chambre de Mlle de Vendôme,
qui étoit au lit, fait déboutonner les boutons à
queue qui le tenoient ferme, disant: Déboutonnez tout;
sœu-sœu n'a point de plaisir. Il va en la chambre de sa
nourrice qui étoit au lit, lui saute au col, lui donne des
coups de poing sur les joues par caresses, disant: Je
t'aime tant que je te veux tuer, en mâchant sa grosse langue
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comme il avoit accoutumé de faire quand il faisoit quelque
chose avec grande ardeur.
Le 3 août, jeudi, à Saint-Germain.—En se couchant il dit à Mme de Montglat: Mamanga, me donnez pas le fouet demain matin[304]; elle lui répond: «Monsieur, je vous ai promis que vous ne l'aurez point.»—Ho! je sais bien que si; vous me fairez dire mes quadrains et puis vous direz: Ça troussons ce cu.
Le 4, vendredi, à Saint-Germain.—Ramené au vieux château, tambour battant à l'esquadre[305] de la compagnie, lui à la tête, ayant son haussecol.
Le 7, lundi.—Il se fait donner une enseigne de pierreries et de diamants que la Reine avoit baillée à mettre à son chapeau, s'en joue disant: Velà qui pèse neuf livres. Je lui dis qu'elle ne pesoit pas tant, et qu'il falloit envoyer querir les balances de M. Guérin, son apothicaire. Il répond: Oui, oui, Pierre (c'étoit le valet de chambre de M. de Ventelet). Venez ici, allez dire à Guérin qu'il m'appote ses petites balances pour peser mon enseigne, puis il me dit: Il pensera que c'est mon enseigne quand j'entre en garde. On lui met une petite coiffe de toile pour lui ôter le bonnet d'enfant et lui donner le chapeau. Je lui dis: «Monsieur, maintenant que l'on vous ôte le bonnet, vous ne serez plus enfant, vous commencerez à devenir homme; il ne faudra plus faire l'enfant.» Il m'écoute, et dit: Ho! je n'ai garde.—Il va au bâtiment neuf, entre dedans pour y voir les chambres tendues pour y recevoir Mme la duchesse de Mantoue.
Le 8, mardi.—Sur les deux heures, il vient au pied de
la vis, où il se tenoit pour le frais[306], et pour y entendre
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une défense que Mme de Montglat fit faire à son de trompe
par Thomas le suisse et proclamée par Hugues Rabouyn,
huissier de salle, par laquelle, de par le Roi et Monseigneur
le Dauphin, il étoit enjoint à toutes personnes,
de quelque qualité, condition ou nation que ce fût, de
n'avoir à faire leurs ordures dans l'enclos du château,
sinon aux lieux destinés pour ce faire, à peine d'un quart
d'écu d'amende applicable: une moitié aux pauvres et
l'autre au dénonciateur des infracteurs, ou, à faute de ne
la pouvoir payer, de tenir prison au pain et à l'eau par
l'espace de vingt et quatre heures. Il y avoit en ce temps
ici de la peste à Paris et autres lieux circonvoisins.
Après le souper Mlle d'Agre surprend le Dauphin pissant
contre la muraille de la chambre basse où il étoit: «Ha!
Monsieur, dit-elle, je vous y prends! Vous payerez un
quart d'écu;» il se trouve surpris, rougit, ne sait que dire,
se reconnoissant avoir contrevenu.
Le 9, mercredi.—L'on vient dire que le Roi arrivoit, il
va en la cour, où le Roi arrive de Paris, pour le voir, court
au-devant, lui saute au col. Il va au palemail, par le petit
pont avec le Roi et un peu auparavant, en la salle du conseil,
arriva Don Ferdinand de Gonzague, fils puîné du duc
de Mantoue et chevalier de Malte, son cousin germain. Le
Roi le lui fait accoler, puis ils vont au palemail, où il joue
de grands coups jusques à la chapelle[307], où il entend la
messe avec le Roi. Dîné avec le Roi; peu après il a dansé
les branles et autres danses, puis il s'arme de son corselet
et de sa pique, fait armer sa compagnie; M. le Chevalier
étoit le capitaine; M. de Verneuil marchoit avec lui. Il
va en la cour, fait les exercices en la présence du Roi;
à la fin M. le Chevalier porta au Roi un papier où étoient
les noms des soldats de la compagnie pour le supplier de
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faire ordonner le payement; le sieur de Saint-Aubin-Montglat[308]
se trouva là: le Roi lui bailla le papier, disant:
«Tenez, monsieur le commissaire, faites-leur faire
la monstre» (il étoit homme réputé pour être fort avaricieux).
Le Roi dit à M. le Chevalier qu'ils seroient payés
comme ils serviroient, puis, les voyant en bataille, il leur
dit qu'il ne falloit qu'un balai de verges pour faire fuir
toute cette compagnie[309]; à ces mots M. le Dauphin regarde
de côté, se souriant et rougissant. Le Roi s'en va au bâtiment
neuf, M. le Dauphin retourne en sa chambre;
il presse son goûter pour aller trouver le Roi, qui montroit
le bâtiment neuf au sieur don Ferdinand de Gonzague.
Le Roi part pour s'en retourner à Paris à quatre heures
et trois quarts.
Le 10, jeudi, à Saint-Germain.—Je lui demande: «Monsieur, qui a été le premier, la poule ou l'œuf?» il répond: La poule, après avoir tant soit peu songé. Je lui dis que je l'allois écrire en mon registre.
Le 12, samedi.—Il dit ses quatrains de Pibrac, en dit
quinze, et ses sentences; et en l'une, où il y avoit: «Celui
qui contient sa langue est sage,» il ajoute, du sien et
de son mouvement: Celui donc qui la lâche est fou.—A
quatre heures mené en carrosse, au bâtiment neuf, pour
y attendre la Reine, qui y arriva à quatre heures trois
quarts, menant Mme la duchesse de Mantoue, à laquelle il
fit grandes caresses; elle lui donna une écharpe de gaze
d'or et d'argent, où pendoit un poignard garni à l'antique,
et le lui mit au col. Il va en la galerie, où il court, joue
au palemail et envoie querir ses armes aux vieux château,
s'arme et toute sa compagnie, fait à l'accoutumée. A six
heures et demie, la Reine part pour s'en retourner à
Paris; les dames italiennes le baisèrent. Un quart d'heure
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après, le Roi arrive, revenant de la chasse, le baise,
l'embrasse; à sept heures soupé avec le Roi. Pendant
qu'il mangeoit le Roi lui demandoit s'il lui vouloit donner
à coucher, et lui dit: «Si vous ne me couchez avec vous,
je coucherai avec maman Doundoun.»
Le 13, dimanche, à Saint-Germain.—On lui remet son bonnet par le commandement de la Reine, qui lui fit ôter sa coiffe à son arrivée. Mené au bâtiment neuf, au Roi, qui le mène à la chapelle, puis aux grottes de Neptune et d'Orphée. Ramené, il ne se veut point asseoir pour dîner que M. de Vendôme ne fût venu de chez le Roi, qui dînoit ayant en sa compagnie le sieur don Ferdinand de Gonzague, le prince d'Anhalt, M. de Bouillon et M. de Montbazon; enfin il se met à table sans vouloir manger tant que M. de Vendôme arrive: c'étoit par jalousie de ce qu'il ne y dînoit pas. A onze heures le Roi s'en retourne à Paris.
Le 16, mercredi.—Il fait assembler, entre les deux portes de la chambre et de la salle, tous ceux qu'il connoissoit savoir chanter et jouer des instruments, et leur commande de faire la musique; il étoit dans sa chambre, qui les écoutoit à travers la tapisserie avec transport.
Le 17, jeudi.—Il accommode son écritoire, la porte en sa chambre, disant qu'il veut étudier; Dumont, clerc de sa chapelle, lui apprenoit à lire et à écrire[310].
Le 20, dimanche.—Le sieur Francesco.....[311], peintre du sieur don Ferdinand, puîné de M. le duc de Mantoue, le pourtrait de son long; il s'amuse aussi à peindre et fait, dit-il, Mistaudin, petit garçon qui servoit le fils de M. de Liancourt, premier écuyer[312].
Le 21, lundi.—M. de Verneuil lui demande: «Mon
maître, vous plaît-il bien que je dîne avec vous?» Il répond:
Non, brusquement. Mme de Montglat lui demanda
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pourquoi.—Pource qu'il en feroit coutume, et je veux pas.—«Monsieur,
mais papa le veut.»—Bien donc, je veux bien.
On le peignoit en dînant, et comme il voulut boire, je lui
dis: «Monsieur, on vous peindra le verre au poing;» il
s'arrête court, me regarde, se souriant et rougit; il ne vouloit
point boire tant que je l'eusse assuré que je l'avois dit à
petit semblant. Il perdoit patience à se laisser peindre;
le peintre l'amuse, disant qu'il avoit un petit oiseau dans
sa main.
Le 23, mercredi, à Saint-Germain.—Il va au sermon de M. de Saint Germain[313], a patience pour un quart d'heure, ne veut point entendre la messe. Mmes de Martigues et de Mercœur et Mlle de Mercœur le viennent voir; il s'arme de son corselet, prend sa pique et fait ses exercices devant ces dames. Mme de Rannes lui vouloit faire croire qu'elle étoit un vieil capitaine, mais qu'elle avoit fait couper sa barbe. Le Dauphin lui demande: Où est-elle?—«Je l'ai brûlée.»—Ho! ho! c'est que vous moquez de moi; vous êtes une femme. Mme de Saint-Georges lui dit: «Monsieur, où faut-il regarder si c'est un homme ou une femme?»—Entre les jambes.
Le 24, jeudi.—Il fait mettre un mouchoir sous les cordes du luth à Hindret, et lui commande de jouer le ballet des grenouilles. Il le danse sur le tapis en faisant les sauts en cadence.
Le 26, samedi.—Mme de Montglat lui fait dire son catéchisme
et, à la demande: «Pourquoi Dieu avoit condamné
Adam et Ève à la mort?» il répondit selon le sens
et non selon la lettre, et de soi-même: C'est pource que
ils avoient mangé de la pomme et Dieu l'avoit défendu. M. le
Chevalier et Mlle de Vendôme s'en alloient à Paris; il
faisoit paroître en avoir du déplaisir, et peu s'en falloit
qu'il n'en pleurât, disant: Ho! féfé Chevalier va bien voir
papa, et je n'y vas pas.—M. Birat lui disoit: «Monsieur, il
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faudra, quand vous serez grand, que vous alliez prendre
Milan, que l'on a ôté à vos prédécesseurs[314].» Il répondit:
Oui, en s'animant.
Le 30 août, mercredi, à Saint-Germain.—Il va au devant de M. le cardinal de Joyeuse, légat pour le tenir à baptême, le trouve accompagné de M. le duc de Montbazon et de M. de Ragny; il ne faisoit que passer pour s'acheminer à Fontainebleau.
Le 4 septembre, lundi, à Saint-Germain.—Il y avoit deux soldats, Dufour et Harivet, qui étoient prisonniers pour s'être battus dans le quartier et contre les défenses; M. de Mansan les vouloit faire juger par les capitaines. Nous le voulons persuader (le Dauphin) de demander leur grâce, lui représentant qu'ils seroient arquebusés; cela le toucha, il rougit, et demande: Quand? demain?—«Non, Monsieur, lui dis-je, ce sera aujourd'hui;» il lui prend de l'inquiétude, et toutefois ne veut pas demander la grâce. Je lui dis: «Monsieur, vous demandez bien la grâce et faites donner la vie à des mouches et des petits oiseaux, et vous ne la voulez faire donner pour des braves soldats qui vous gardent?» Il répond: C'est qu'on me le fait dire; je le presse: Non, dit-il, je veux pas, et il eût voulu que ce fût fait; il en avoit de la peine. Je veux, dit-il, que ce sait Mamanga. Mme de Montglat arrive; il lui parle bas à l'oreille: Mamanga, un mot; dites à Taine qu'il[315] pardonne à ces soldats; il les veut faire passer par les armes. Il se retourne, rougit et cache sa face quand Mme de Montglat le demanda à M. de Mansan. On lui dit alors: «Monsieur, remerciez-en M. de Mansan;» il répond: Non, en étant fort aise et le témoignant par un honteux souris[316].
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Le 6, mercredi.—Un valet de pied de la Reine racontoit, comme à Fontainebleau, entre le logis de M. de Rosny, il y avoit soixante hommes artificiels et autant de diables qui se combattoient[317]: Hé! hé! dit-il en bégayant d'ardeur, il faut jeter dessus de l'eau bénite, en jeter à chacun sur la tête, puis il s'enfuiront en leur maison.
Le 8, vendredi, à Saint-Germain.—Je lui donne six muscardins[318], où il y entroit du bézoar, de la licorne, etc., sur la nouvelle de ce laquais qui étoit mort de peste en l'écurie de la reine Marguerite, et son compagnon qui l'avoit laissé malade étoit venu avec lui à Saint-Germain, avec la litière de la dite Reine qui devoit porter M. le Dauphin[319].
Le 9, samedi, voyage.—A douze heures et demie il est mis en litière et part de Saint-Germain en Laye pour son baptême; il arrive à Meudon à quatre heures et demie, est logé chez M. Garrault, trésorier de l'Extraordinaire. Il étoit conduit par M. de Souvré, accompagné de M. d'Oinville, maréchal des logis de sa compagnie, de M. de Courtenvaux, guidon, de M. d'Annerville, gendarme de sa compagnie, de M. de Champagne, lieutenant aux gardes du corps, de M. de la Court, exempt aux gardes du corps. Je lui disois qu'à Meudon il y avoit un beau château; il demande: Où est-il?—«Monsieur, il est tout là haut.»—Pourquoi m'y a-t-on pas logé?
210
Le 10, dimanche, voyage.—A midi parti de Meudon en carrosse, ne voulant aller en litière; il arrive à trois heures à Chailly[320], près de Longjumeau.
Le 11, lundi, voyage.—On lui apporte un placet de la part d'un prisonnier qui étoit en la tour de Chailly; il en est si aise qu'il ne sait en quelle place mettre ce placet, délivre ce prisonnier qui s'étoit battu avec le curé. Mené à l'église, ramené en sa chambre, M. de la Court, exempt aux gardes, hausse la tapisserie pour lui faire voir le portrait de M. de Beaulieu-Ruzé, secrétaire d'État et seigneur de Chailly, étant armé à cheval comme il étoit à la bataille d'Ivry; peu après entrant en la salle, il en voit un autre tableau de son long, demande: Qui est cettui là? M. d'Angès répondit: «Monsieur, c'est M. de Beaulieu que vous avez vu là dedans à cheval.»—Il a donc mis pied à terre[321]? A midi parti en carrosse pour aller coucher à Villeroy, il arrive à trois heures et un quart, va aux jardins, aux fontaines, partout.
Le 12, mardi, voyage.—A douze heures et un quart, il part de Villeroy en carrosse, arrive à Fleury à quatre heures.
Le 13, mercredi, voyage.—Mené à la messe au prieuré,
il va aux jardins, fait pêcher au canal[322] qui est au-dessous
du parterre. A dîner Mlle d'Antragues se présente pour lui
baiser la main; il fait le honteux, rougit, se sourit et lui
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tourne le dos. Parti en carrosse à une heure pour aller
à Fontainebleau; à une lieue de Fontainebleau arrive
au devant de lui grande quantité de noblesse. Il arrive
à trois heures et demie à Fontainebleau, baise et embrasse
le Roi, la Reine, Mme la duchesse de Mantoue, va au jardin
de la Reine, joue à la paume sous la galerie. Soupé
avec le Roi. Mis au lit, il s'amuse à deviser avec MM. d'Épernon,
leur parle du canal que le Roi fait faire, qui va
jusques à la rivière.
Le 14, jeudi, à Fontainebleau.—A huit heures levé,
vêtu de son habit de satin blanc pour le baptême; à neuf
heures trois quarts déjeûné, mené chez le Roi et la Reine,
puis à la chapelle du Braquemard[323]; ramené à onze
heures trois quarts; dîné. Il veut voir sa chambre de parade,
y va, se y ennuie incontinent, craint de partir pour
le baptême craignant qu'on lui jetât de l'eau; le Roi lui
en avoit donné l'appréhension, on l'assure[324]. A quatre
heures parti de sa chambre avec les cérémonies et ordre
ici inséré[325], donné par M. de Rhodes, grand maître des
cérémonies. Il arrive sous le poële, où étoient les fonts;
à cinq heures et demie il est baptisé, nommé Louis; M. le
cardinal de Joyeuse parrain, Mme la duchesse de Mantoue
marraine. M. le cardinal de Gondi baptisa, c'est-à-dire fit
les restes des cérémonies. Il l'interrogea et répondit à propos,
ouvre sa poitrine pour y recevoir l'huile; M. de Montpensier
lui baissa le collet pour y recevoir le chrême sur
les épaules; il se prend à sourire, disant: Velà qu'est fraid.
Au sel il dit: Il est avalé, je le treuve bon. Cette cérémonie
dura près d'une heure[326], puis on le retire par la chambre
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de la Reine et celle du Roi en la sienne. Passant sur la
terrasse, il aperçoit dans la cour Descluseaux qui étoit
en la compagnie, et tout le régiment en la cour; il l'appelle:
Hé! mon mignon! Venez mon mignon! Il va en sa
chambre; il lui prend une humeur de vouloir entrer en
garde, se fait bailler sa pique, se fait mettre son hausse-col.
A sept heures et un quart soupé, à neuf heures trois
quarts dévêtu, mis au lit.
Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, puis en carrosse à la maison des artifices à feu, il va chez le Roi et la Reine, est mené en la galerie du Roi d'où il regarde courir la bague en la basse-cour[327]. M. de Lorraine le vient voir à son souper; il se fait mettre à bas pour le saluer, le va embrasser; M. de Lorraine lui donne un fort beau canon. A huit heures et trois quarts le Roi envoya commander qu'on le menât au pavillon qui est au bout de la grande salle pour voir les artifices à feu, faits en forme de fort carré, défendu par des hommes et assailli par des diables. Il y est mené mais ne y pouvoit durer, s'en vouloit aller; on l'en divertit jusques à ce que le feu fût donné aux artifices; voyant les diables qui couroient autour du fort: Hé! mon Dieu, qu'il est joli! dit-il, cela dura longtemps. Ramené à dix heures en sa chambre.
Le 16, samedi.—Il va à la chapelle au bout de
la salle du bal, puis chez le Roi et la Reine, prend
congé de Mme la duchesse de Mantoue, puis s'en va au
grand jardin, où il voit faire des verres au fourneau
fait sous une des arcades de la terrasse[328]. Après dîner il
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va chez le Roi et la Reine leur dire adieu et, à deux
heures, il est parti de Fontainebleau en carrosse pour
aller coucher à Cély, maison appartenant à M. de Bonneuil
de Thou[329]. Il arrive à cinq heures, se joue au
jardin, va voir pêcher au canal. A six heures et demie
soupé en se jouant d'une sarbacane de verre qu'il avoit
fait faire à la verrerie.
Le 17, dimanche, à Cély.—Il va au jardin, où il se joue diversement, et à trois heures y fait porter sa collation et fait mettre sa serviette sur une bordure de buis qui étoit grande et épaisse.
Le 19, mercredi, à Cély.—Il est mené à Courance[330] dans mon carrosse, n'ayant point voulu entrer dans celui de M. de Fleury, le trouvant trop obscur. Il s'amuse à ramasser des cailloux au-dessous de la source du bois, monte à la grande source, goûte dans la salle des palissades, sur la table ronde d'ardoise, puis va voir conduire la nacelle sur le grand réservoir. Il est ramené et arrive à six heures à Cély.
Le 20, mercredi, à Cély.—Mené au parc, il y avoit une petite planche à passer, où M. de Souvré glissa et donna d'un pied dans l'eau. Mamanga, dit le Dauphin, gardez de tomber dedans. Il craignoit pour lui; on lui dit: «Monsieur, Birat vous portera, ne craignez point.»—Mais, dit-il, si Birat tombe dedans!
Le 21, jeudi, à Cély.—Je lui parlois des machines de
guerre et entre autres des échelles, lui disant qu'en haut
il y avoit des poulies revêtues de drap de peur du bruit,
coulant contre les murailles pour prendre les ennemis
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qui étoient dans les villes, et au bas des pointes de fer
de peur qu'elles ne glissent; il me demande: Papa
en avoit-il pour prendre Sedan. Il veut écrire au Roi qui
s'étoit un peu trouvé mal, écrit, moi ayant l'honneur de
lui conduire la main comme à toutes les autres qu'il
avoit écrites[331]; il m'envoya quérir à mon logis pour
cet office.
Papa, je suis bien marri de votre maladie; je voudrois bien être auprès de vous pour vous faire service et vous faire passer le temps, si vous le treuvez bon; mais j'aurai besoin de votre carrosse et de celle de maman, si vous plaît. Je sais faire de beaux jardins, j'en ai fait un en cette belle maison, vous le verrez un jour si vous y venez. J'ai fait aussi une belle petite fontaine; j'ai commencé une petite maison, mais c'est que je ne l'ai pu achever pource que mon valet Birat a oublié mon marteau et mon ciseau à Saint-Germain. J'ai peur de vous ennuyer, papa, je vous donne le bonsoir et à maman aussi; ma plume est bien pesante. Je suis et serai toujours, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur,
Louis Daulphin.
Il me commanda de lui faire signer Louis; c'est la première fois qu'il a signé Louis[332]. Il s'amuse à griffonner sur un papier, fait un corbeau[333].
Le 22, vendredi, à Cély.—Il lui prend une humeur de vouloir écrire au Roi; il m'envoie quérir à mon logis par deux fois coup sur coup. Il écrit; je lui conduis la main:
Papa, je loue Dieu de ce que le petit Montglat m'a dit que vous
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étiez guéri; j'en ai fait trois petits sauts, j'en ferai six quand j'aurai
l'honneur d'être auprès de vous, et encore cent; j'en ai bien envie pour
vous faire très-humble service, parce que je suis votre petit valet; j'ai
retenu ici le petit souda avec son haussecou; il viendra avec moi s'il
vous plaît, papa; je m'en vas à la messe prier Dieu pour vous, papa,
et pour maman. Bonjour, papa, bonjour; bonjour, maman, je suis et
serai toujours, papa, votre très-humble très-obéissant fils et serviteur,
Louis Daulphin.
A quatre heures et demie il va à sa nourrice qui étoit au jardin et fait caca; elle, par faute de linge, l'essuie avec des feuilles. Le voilà à crier, à pleurer: Ha! la vilaine! Mme de Montglat arrive qui demande que c'est?—C'est Doundoun qui m'a torché le cul avec des feuilles, et se retournant vers elle: Ha! la vilaine, et il la frappe d'un petit bout de houssine. Achevé de nettoyer avec un linge par Mlle de Ventelet, n'ayant voulu permettre que ce fût la nourrice tant il étoit fâché[334].
Le 23, samedi, à Cély.—A neuf heures trois quarts
parti en carrosse pour aller à Chailly, sur le bord de la
forêt, dîner avec le Roi qui l'avoit mandé, y étant venu
à l'assemblée[335]. Il y arrive à onze heures. Dîné avec le
Roi, de la viande du Roi. Le Roi lui fait tâter le goût d'une
huître cuite: Bon, dit-il, j'en mangerai bien encore papa;
le Roi l'en refusa. A une heure et demie il part, va à Fleury,
voit toutes les avenues, va au grand canal où on lui avoit
fait mettre une roue de moulin pour lui donner du plaisir;
il faisoit hausser et baisser la bonde alternativement.
Ramené à Cély à quatre heures et un quart; il avoit porté
de Fleury une galère de jonchée, le voilà soudain au
canal pour la faire voguer.—M. de la Court lui dit:
«Monsieur, avez-vous pas bien entendu que papa vous a
dit qu'il vouloit que vous apprinssiez à vous laver les
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mains tout seul et à vous torcher le cul.—Oui.—«Que
ne lui disiez-vous qu'il ne le torchoit pas lui-même!»—Je
n'eusse osé, il m'eût donné le fouet[336].
Le 24, dimanche, à Cély.—A dix heures et demie il dit qu'il a faim; je lui demande s'il vouloit pas dîner: Non, dit-il, je veux attendre papa. Le Roi arriva à onze heures et demie; dîné avec le Roi. Il va en sa chambre, où le Roi se joue à lui. A deux heures et demie parti de Cély en carrosse, avec le Roi qui le mène à Fleury; amené au moulinet du canal. A quatre heures le Roi part pour aller à la chasse, et le Dauphin à Fontainebleau; il arrive à six heures et un quart, va chez la Reine, est ramené en sa chambre qui regarde l'étang, vers la grande galerie.
Le 25, lundi, à Fontainebleau.—A neuf heures mené
à la chapelle, puis au jardin de la Reine; monté en la
chambre du Roi et de la Reine, puis à onze heures il va
dîner avec le Roi en sa chambre. Il ne veut point de betterave,
y ayant tâté; le Roi lui donne du fenouil vert,
il dit qu'il le plantera dans son jardin. Il va chez la Reine,
puis en sa chambre, à une heure se met à la fenêtre du
cabinet, commande aux laquais: Ne faites point de mal
à cette femme, qui puisoit de l'eau, se ressouvenant y
avoir vu jeter une femme dans la fontaine par les laquais,
au dernier voyage[337]. A quatre heures et demie
mené au grand canal, puis au jardin des canaux, il va
voir l'autruche puis les gazelles; il s'amuse autour de
l'eau, voit les ombres dans l'eau de ceux qui étoient à
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l'opposite avoir la tête dedans et les pieds en haut, et
dit: Hé! velà les antipodes! Ramené à six heures, il rencontre
le Roi qui le ramène en la chambre de la Reine et
souper avec lui.
Le 26, mardi, à Fontainebleau.—Il va par le long du canal de l'étang au grand jardin, s'amuse à la fontaine du Tibre à faire donner et arrêter l'eau. Mené chez la Reine lui donner le bonjour, puis retourné en sa chambre. Amusé jusqu'à trois heures et demie à peindre, ayant fait apporter des couleurs.—M. de Sillery, garde des sceaux, le vient voir.
Le 27, mercredi.—Mené à neuf heures trois quarts au jardin des canaux où il trouve le Roi, il lui donne le bonjour et se y joue jusqu'à dix heures et un quart. Ramené par le grand jardin à la messe, puis chez la Reine. Il lui donne le bonjour et, à onze heures et trois quarts, en sa chambre, dîné.
Le 28, jeudi.—Se jouant avec un fouet de postillon, il le va passer sur de la fumée de genièvre et dit: C'est parce qu'il vient de Paris, je le passe pardessus le feu. La peste étoit à Paris.—M. de Souvré le vient voir et lui dit: «Monsieur, vous aurez aujourd'hui cinq ans, il ne faut plus être opiniâtre;» il répond gaiement et souriant: J'ai tout laissé à Saint-Germain, dans mon cabinet des armes.—A midi dîné en la salle du bal avec le Roi.
Le 29, vendredi.—Mené au jardin des canaux, où le Roi faisoit pêcher des truites. Il va chez la Reine, s'amuse à écrire disant: Je ferai bien d'un o un a, et il le faisoit.
Le 30, samedi.—Il prie Dieu, dit ses quatrains de Pibrac
et, à celui où il y a que Dieu, d'un souffle de sa bouche,
nous peut emporter, Mme de Montglat lui remontre
que, s'il n'étoit sage, que Dieu l'emporteroit bien loin,
d'un coup de son souffle. Eh! dit-il, je m'en retournerois
dans le ventre à maman.—Le Roi lui donne un
barbet, il demande: Papa, que sait-il faire? Comment
s'appelle-t-il? le Roi lui répond: «Il s'appelle Lion.» Il
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l'embrasse et le baise. Mme de Montglat l'en reprend et lui
dit qu'il ne faut point de chiens, qu'il est si laid.—J'aime,
dit-il, tout ce qui vient de papa.—Soupé avec le
Roi. Il va avec le Roi en la chambre de la Reine, laquelle
lui donne deux pièces de monnoie d'or; ramené en sa
chambre, querelle pour ces pièces d'or entre Mme de
Montglat et sa nourrice, lui bien empêché pour les contenter
toutes deux; et ses larmes et cris voyant pleurer
sa nourrice[sic]; enfin apaisé[338].
Le 1er octobre, dimanche, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, au Roi, où M. de Vitry emmena la meute de chiens que le prince de Galles avoit, depuis quelques mois, envoyée à M. le Dauphin[339]; le Roi lui demande: «Mon fils, que lui envoyerez-vous en récompense de ces chiens?»—De petits chevaux, mais que ma petite jument les ait faits.—Il vouloit aller au rut avec le Roi et la Reine; il en est diverti, est mené au chenil.—Mené au cabinet de la Reine, où il s'amuse à jouer aux cartes, au hoc; le petit More[340] l'appelle coquin, il lui jette ses cartes au visage.
Le 2, lundi.—A neuf heures déjeuné; M. de Lesdiguières
y étoit présent qui lui promet des armes de Milan.
Mené au jardin des canaux, Ange Cappel, sieur du
Luat, lui fait la révérence, lui dit qu'il est son très-humble
serviteur; le Dauphin l'ayant vu un peu retiré
dit: Mamanga, il ressemble à maître Guillaume[341], le voyant
chauve et la barbe rase[342]. La Reine le mène en carrosse
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dans la forêt au devant du Roi qui étoit allé à la chasse
du chevreuil.
Le 3, mardi, à Fontainebleau.—Éveillé à une heure après minuit, en sursaut, avec un cri haut extrêmement, et effroyable. Sa nourrice et Mlle de Ventelet vont à lui, demandant ce qu'il avoit: Hé! c'est que papa s'en va sans moi, pleurant et fondant en larmes; hé! je veux aller avec papa, attendez-moi, papa! Il le songeoit et s'en éveille; il aimoit fort et craignoit le Roi; il se rendort à peine ayant le cœur saisi. Éveillé à sept heures, sa nourrice lui a demandé: «Monsieur, qu'aviez à songer et à crier cette nuit?»—Doundoun, c'est que je songeois que j'étois à la chasse avec papa, j'ai vu un grand, grand loup qui vouloit manger papa et un autre qui me vouloit manger, et j'ai tiré mon épée, puis je les ai tués tous deux[343].—A huit heures trois quarts dévêtu. On lui a lavé les jambes dans de l'eau tiède, au bassin de la Reine; c'est la première fois.
Le 4, mercredi.—Il va courant jusqu'en la chambre de M. de Guise pour donner le bonjour au Roi, qui s'en alloit à la chasse. Mené chez le Roi au retour de la chasse.
Le 5, jeudi.—Il va au jardin des canaux, est ramené avec le Roi, qu'il ne veut point quitter pour dîner avec lui.
Le 6, vendredi.—Mené au grand canal où étoit le Roi
qui se promenoit sur la chaussée, parlant à un capitaine
espagnol tout seul; Mme de Montglat le lui dit, il répond:
S'il vouloit faire mal à papa, je le battrois bien.—Dîné
avec le Roi; il prend plaisir à ouïr maître Guillaume.—Mené
chez le Roi et la Reine au cabinet, il s'amuse à
faire des châteaux de cartes; M. de Verneuil lui demande:
«Mon maître, cette maison est-elle à vous?»—Non,
je n'en ai point, elle est à papa.—«J'en ai une,
moi.»—Qui est-elle?—«Verneuil.»—Vous êtes un menteur,
elle est pas à vous, elle est à votre maman.—Soupé
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avec le Roi qui lui fit servir de la viande; il voulut demander
au Roi du poisson[344], le Roi lui dit un peu brusquement
qu'il l'envoyeroit souper en sa chambre s'il ne
mangeoit sa viande; il se tut tout court et ne demanda
plus rien, et mangea du mouton bouilli (deux nœuds
de la queue).
Le 7, samedi, à Fontainebleau.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous pleurerez bien quand vous ne serez plus avec moi et que vous irez avec M. de Souvré.» Il lui répond: Mamanga, ne parlons point de cela.—Il va avec la Reine au devant du Roi revenant de la chasse.
Le 8, dimanche.—Il va au jardin des canaux, puis en celui où étoient les gazels (sic), les fait courir et son chien après eux. Dîné avec le Roi.
Le 9, lundi.—La Reine le mène en son carrosse jusques à la route de Moret, pensant rencontrer le Roi revenant de la chasse.
Le 10, mardi.—Mis en carrosse avec LL. MM. pour aller aux toiles, hors de la forêt, au commencement du chemin de Melun. Il voit prendre quinze ou seize sangliers.
Le 13, vendredi.—Le Roi venoit de jouer et avoit perdu, et le baisant lui dit: «Mon fils je viens de jouer tout votre bien.»—Excusez-moi, papa, il n'est pas à moi, il est à vous, papa. Il va donner le bonsoir à LL. MM. puis revient en sa chambre où il se joue encore, fait prendre à Boileau, son violon, un petit fagot de paille entre les jambes, chantant: «Vous ne me sauriez bouteur, bouter, etc.;» lui, avec le flambeau, le suit partout et y mit le feu par deux fois.
Le 14, samedi.—Mené au lever de la Reine et de là
en carrosse pour aller trouver le Roi au grand canal, il
le rencontre en chemin; le Roi le ramène et le mène au
parterre du Tibre, où, par les sentiers des compartiments,
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le Roi court après lui, faisant semblant de lui vouloir
prendre son chapeau sur la tête, puis il court après le
Roi qui se laisse surprendre.—A six heures et demie
soupé; il y avoit un page de la chambre auquel il demanda:
Comment vous appelez-vous?—«Monsieur, je
m'appelle Des Ars.»—Vous êtes donc un arc? il vous faut
attacher une corde au nez et au bout des jambes, et puis y
mettre une flèche et tirer. Il dit d'un autre page de la
chambre qui se nommoit Racan[345]: Mamanga, velà l'arc
en ciel, pour ce qu'il tournoit le nom en son entendement
imaginant Arcan, et ajoutoit ciel en sa petite
fantaisie; il avoit et se plaisoit à des pareilles rencontres.
Le 15, dimanche, à Fontainebleau.—A neuf heures et demie déjeûné. Il flatte Mme de Montglat, lui baise les mains, la robe, lui saute au col; c'étoit instruction, non de son naturel. Dîné avec le Roi. A six heures et demie soupé; il demande à un page de la Reine qui étoit Italien: Comment vous appelez-vous?—«Monsieur, je m'appelle Pettrousse[346].»—Vous appelez donc Troussepet, dit-il soudain.
Le 16, lundi.—Il va chez le Roi en son cabinet, prend congé de lui; le Roi s'en alloit à Nemours[347] et de là voir le canal de Briare. Mené chez la Reine, il prend congé d'elle; la Reine part.
Le 18, mercredi.—Il va à la volière et de là chez M. de Roquelaure, où il voit manier[348] sa petite mule, qui même passoit par-dessus un cerceau, à quoi il prenoit un extrême plaisir.
Le 20, vendredi.—Mené voir Mme la comtesse de Moret.
Le 24, mardi.—Mené à la messe; M. Birat le portoit
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ayant la tête nue et M. de Belmont marchoit auprès, la
tête couverte; il dit à M. Birat: Mettez votre chapeau.—«Monsieur,
je suis bien.»—Non, non, mettez votre chapeau,
vous êtes vieil; ôtez votre chapeau>, Belmont.
Le 25, mercredi.—Il est mené à la messe, puis a voulu monter à l'horloge y voir le Vulcain Jacquemard[349]. Mené chez Mme la comtesse de Moret, puis au jardin des Mathurins et de là en la chambre de M. Héroard[350].
Le 27 octobre, vendredi, à Fontainebleau.—Je parlois du Blond[351], peintre, disant qu'il faisoit bien les visages, il demande: Et pour le reste?
Le 28, samedi.—Mené par le jardin de la Reine en la conciergerie, voir Mme la comtesse de Moret.
Le 29, dimanche.—Mené à la messe, à la chapelle de la salle du bal, il se dépêche de y aller afin que Madame ne les autres petits ne y soient pas comme lui. Mené au jardin du Tibre, il y court le cerf; c'étoit M. Birat puis son page Bompar, puis il se fait le cerf. Il donne à manger aux cygnes, va par-dessous la terrasse au logis neuf de M. Zamet, et de là, par la conciergerie et le jardin de la Reine, en sa chambre. Mené au jardin des canaux; il va voir les autruches et après va voir manier la petite mule de M. de Roquelaure qui passoit dans un cercle, sautoit sur le bâton, se mettoit à genoux, marchoit dessus avec un singe dessus; le Dauphin y faisoit monter des laquais et prenoit plaisir à les voir tomber. A six heures et un quart soupé; les pages de la chambre du Roi y viennent, le font jouer aux cloches d'ivoire et le moine dessous, puis aux piliers où l'on demande: La compagnie vous plaît-elle? (jeu d'enfants de douze à quinze ans). Il y jouoit, entendoit le jeu.
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Le 30 octobre, lundi, à Fontainebleau.—M. de Gramont, écuyer de M. de Roquelaure, lui demande: «Monsieur, connoissez-vous M. de Roquelaure?»—Oui.—«A quoi le connoissez-vous?»—C'est qu'il est borgne[352]; et il se prend à rire, mais d'un rire d'hôtelier, car il n'étoit pas grand rieur. A onze heures trois quarts il dit sa leçon; il y a bien de la peine à le y faire résoudre; auparavant il s'amusoit à chasser des mouches. A six heures et un quart soupé; les pages de la chambre du Roi arrivent, se mettent à jouer à La compagnie vous plaît-elle? puis à Bis cum bis etc.; il fait le maître aucunes fois, et quand il ne sait pas dire quelque chose qu'il faut, il le demande; il joue à ces jeux ici comme s'il avoit quinze ans, joue à faire allumer la chandelle les yeux bouchés.
Le 31, mardi.—Un homme qu'il avoit fait mettre hors de prison[353], le vient remercier; il lui dit: Soyez homme de bien à l'avenir. Sa partie y étoit: Soyez gens de bien tous deux et ne vous demandez plus rien, et priez Dieu pour papa et pour maman.
Le 1er novembre, mercredi, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il se confesse à son aumônier pour la première fois.
Le 4, samedi.—Vêtu, peigné paisiblement; M. Zamet y étoit, ce qui le retenoit, craignant qu'il ne dît à la Reine s'il faisoit le fâcheux.—Il se joue à divers jeux, les pages de la chambre avec lui; ils dansent le branle: Ils sont à Saint-Jean des choux, et se donnent du pied au cul; il le dansoit et faisoit comme eux.
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Le 5, dimanche, à Fontainebleau.—Il joue aux barres et entend le jeu et les termes du jeu. A cinq heures le Roi arrive, revenant de Montargis; il lui va au devant courageusement[354] et toujours courant jusques au pied de l'escalier de la basse-cour, va en la chambre du Roi, où il se joue jusques à six heures que la Reine arrive; l'ayant saluée, peu après il s'en va en sa chambre.
Le 6, lundi.—Il sort avec le Roi, qui s'en alloit promener; il pleuvoit, le Roi lui dit: «Mon fils, il pleut; allez-vous-en.»—Non, s'il vous plaît, papa; je crains pas la pluie.—«Mais je crains que vous ne deveniez malade.»—Je le serai pas, papa, et il le suit. C'étoit d'amour qu'il avoit au Roi, car il craignoit d'aller à la pluie. Ramené en la chambre de la Reine, il s'en va en la chambre du Roi, le y attendant pour dîner; M. le prince de Condé prend la serviette, la lui présente pour la servir au Roi, le Dauphin lui dit: Attendez que papa soit venu; gardez-la, puis je la prendrai; dîné avec le Roi.—Le Roi lui fait la guerre, lui disant qu'il est amoureux de la Tornaboni, l'une des filles de la Reine; il en est honteux et en eût volontiers pleuré; cela lui fait prendre envie de revenir en sa chambre.—Mené chez le Roi pour lui donner le bonsoir, le Roi le voulant asseoir sur le lit vert du cabinet lui dit: «Mon fils, mettez-vous ici entre maman et moi.»—Excusez-moi, papa, je me mettrai bien là derrière, dit-il par respect.
Le 7, mardi.—Il s'amuse à mettre en bataille, file à file, toute sa compagnie de pièces de poterie, et le Dauphin[355] étoit à la tête.—Mené chez le Roi au cabinet, où il s'amuse, avec de l'encre et une plume, à faire des oiseaux; il joue à trois dés, M. de Bassompierre contre lui, en lui apprenant le jeu.
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Le 8, mercredi.—Il dit vingt-cinq quatrains de Pibrac. Mené chez le Roi, le Roi lui dit qu'il veut que le petit More[356] couche avec lui.—Il noirciroit les draps, papa, n'ayant point voulu dire qu'il ne le vouloit pas.
Le 9, jeudi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, qui étoit encore au lit, le Roi le met dessus, lui disant: «Vous êtes un petit veau.»—Excusez-moi, papa, si vous aviez vu comme je saute, vous diriez pas que je sois veau.—Il va chez M. de Rosny, au bout du parterre, est ramené chez la Reine, puis du balcon de l'escalier il regarde M. de Créquy et autres qui jouoient au ballon en la cour.—Le Roi l'envoie querir pour souper, puis il retourne en sa chambre pour faire habiller tous ces petits qui étoient avec lui, avec Madame et Mlle de Vendôme, pour un ballet. Il n'en veut point être, dit: J'en fairai demain un tout de garçons, retourne chez le Roi, où il voit danser ce ballet.
Le 10, vendredi.—Mené chez le Roi et la Reine; la Reine lui demande s'il veut dîner avec elle, il s'en réjouit, n'en peut être dissuadé. Il va à la messe avec la Reine, et revient avec elle; dîné avec elle à douze heures et demie.
Le 11, samedi.—Mené chez le Roi, où il trouve la
Reine. Le Roi lui dit: «Mon fils, je m'en vais à Saint-Germain,
voulez-vous venir avec moi?»—Oui, papa. La
Reine lui dit: «Mais papa va en poste.»—C'est tout un,
j'irai à pied, je courrai tant que je pourrai, et s'il va trop
fort je m'arrêterai, et puis je m'en retournerai. Le Roi
lui dit: «Mon fils, me servirez-vous bien?»—Oui, papa.—«Me
donnerez-vous bien ma chemise, mon collet, mon
mouchoir?»—Oui, papa.—«Mais vous ne me sauriez
donner mes bottes?»—Excusez-moi, papa, je ferai tout,
dit-il gaiement. La Reine lui dit: «Mais je veux aussi
que vous me serviez.»—Je le veux bien, maman.—«Mais
vous ne me sauriez coiffer.»—Excusez-moi, maman;
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puis, reconnoissant qu'il s'étoit mépris, et y ayant songé,
il s'en va droit à la Reine: Maman, ce sera ma sœur.
Le 12, dimanche.—Les députés du Dauphiné lui viennent faire la révérence en corps, lui témoignant leur fidélité et affection, et le suppliant de les conduire devers le Roi pour le supplier d'accorder leur demande, à laquelle il avoit intérêt (c'étoit pour réunir au Dauphiné la Bresse, donnée en récompense du marquisat de Saluces). Il les remercia de leur bonne volonté, leur promit la sienne selon les occasions, mais [leur dit] pour ce sujet que tout étoit à papa. M. de Lesdiguières les conduisit.—Il va chez la Reine, puis à la volière, de là chez M. Zamet, d'où il voit, en la cour, courir deux renards; il étoit à la fenêtre d'où il commande: Maître Martin, lâchez ce chien blanc, puis celui-ci ou celui-là, les nommant par leur nom; il commandoit magistralement et à propos.
Le 13, lundi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi et chez la Reine, puis à la chapelle de la salle du bal; il va de là au grand jardin, où il joue au ballon, du poing: M. de Bassompierre le lui avoit donné; dîné avec le Roi.—Il causoit avec Mathurine[357], lui dit que si elle étoit morte il la feroit mettre en terre; M. l'aumônier lui dit: «Monsieur, vous en ferez donc des reliques?»—Ho! dit-il en souriant, une belle relique de folle.
Le 14, mardi.—Il voit Boileau, son violon, qui caressoit Joron, l'une de ses femmes de chambre, de laquelle Boileau étoit amoureux; elle étoit couchée au lit de sa nourrice: Boileau, venez ici, venez çà, venez à moi, dit-il, impérieusement; et comme il se fut approché: Qui vous fait si hardi de vous jouer à mes femmes de chambre? et devant moi! Il s'amuse à ses animaux de poterie, qu'il met en bataille, l'appelle sa compagnie.
Le 15, mercredi.—Mené chez la Reine; soupé avec le Roi.
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Le 16, jeudi, à Fontainebleau.—A onze heures et un quart dîné; il entretient Engoulevent, prince des sots[358]; il lui demande: Que vous est papa? pource qu'il disoit que le Roi le suivoit et qu'il étoit prince des sots.—Il prend sa bandoulière et son mousquet, fait armer sa compagnie; M. de Verneuil, arquebusier, marche auprès de lui, M. le Chevalier est le capitaine, et il s'en va ainsi, par la terrasse des deux cours, trouver dans son cabinet la Reine, qui alloit au devant du Roi revenant de la chasse. Il fait tous les exercices devant elle, prête serment de bien servir le Roi, puis sort en bataille en l'antichambre, où il fait haie et battre le tambour pendant que la Reine passe, puis se désarme et est mené chez M. de Rosny, au pavillon qui est au bout du parterre; il le rencontre, puis est mené en la chambre pour y voir Mme de Rosny. Il va chez le Roi, veut souper avec lui; le Roi se met à jouer, le renvoie souper en sa chambre.
Le 18, samedi.—Il fait chanter deux jeunes enfants de la musique de la Reine, lui assis, les écoutant attentivement comme immobile, tant il aimoit la musique.—M. de Vendôme arrive revenant de la chasse avec le Roi; il racontoit comme le Roi étoit encore dans la forêt et que comme, lui (M. de Vendôme), est arrivé dans la basse-cour, les gardes ont commencé à prendre les armes et à battre le tambour; il entend cela, et, se retournant vers lui, demande: Ont-ils pris leurs armes pour vous?
Le 19, dimanche.—Mené au Roi en la salle du bal,
pour y voir combattre les dogues contre les ours et
le taureau; un ours ayant mis sous lui un des dogues,
il se prend à crier: Tuez l'ours, tuez l'ours.—Mené
chez la Reine, où, à neuf heures, il assista aux fiançailles
de M. le prince d'Orange avec Mlle de Bourbon[359]. Ramené
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à neuf heures trois quarts, il ne se veut point coucher,
se fait mettre sa cotte, se fait tenir par la lisière
pour imiter les dogues qu'il avoit vus tirant la laisse
pour se jeter contre les ours.
Le 20, lundi, à Fontainebleau.—Mené sur les terrasses de la chambre de la Reine pour voir combattre des dogues, puis mené en la chambre du Roi, où se trouva M. de Rosny, autrement M. de Sully[360]. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, l'on dit que vous êtes avaricieux[361], demandez à M. de Sully de l'argent pour donner.» Il ne dit mot, et ne veut point; il ne demandoit pas aisément, de peur d'être refusé; il s'en offensoit. Mme de Montglat l'en presse, et sur cela il entend que M. de Sully disoit: «Il n'est pas encore temps;» il se retourne soudain, comme dépité, disant: C'est pas du sien, c'est de celui à papa, et s'en va. Mme de Montglat le retire vers M. de Sully: «Monsieur, dit-elle, dites à M. de Sully qu'il fasse pour moi ce que je lui demanderai.»—Qu'est-ce?—«Monsieur, dites-lui seulement cela.» Il demanda toujours ce que c'étoit, et enfin, fort pressé, dit par acquit et se retournant: Faites cela pour Mamanga, et s'en va tout dépité.
Le 22, mercredi.—Il commence à apprendre à danser,
apprenant la sarabande, le branle gai. Il chasse Engoulevent,
bouffon; il haïssoit naturellement les plaisants et
bouffons. M. le prince d'Orange prend congé de lui, s'en
allant à Valery se marier à Mlle de Bourbon; Engoulevent
étoit rentré en sa chambre, il le chasse, lui donne des
coups de pied.—Mené chez le Roi, il le suit au jardin
de la Reine; le Roi lui commandant de l'attendre là
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pendant qu'il entre en la galerie des cerfs pour parler
d'affaires, il va dans la volière, fait jouer les robinets,
rentre au jardin. Mme de Montglat le veut mener au lever
de la Reine, il s'en défend; elle le presse: Mais papa
m'a commandé de ne bouger d'ici; elle le veut forcer,
le tire, il résiste disant: Je le veux aller demander à
papa; elle le y mène par force, y va; le Roi le mène
à la messe, puis à midi il a dîné avec le Roi.
Le 23, jeudi.—Il s'amuse à voir faire un habillement à la matelote, chausses et jupe pour conduire le ballet que faisoient M. le Chevalier et Mlle de Vendôme; vêtu de chausses à la matelote et d'une jupe de gaze, il est extrêmement content, se fait mettre son épée au côté en bandoulière, à huit heures est mené chez le Roi.
Le 24, vendredi.—L'ambassadeur du duc de Saxe le vient visiter de la part de son maître, lui disant en avoir commandement et qu'il prioit Dieu qu'il fût un jour un grand prince; M. le Dauphin lui donne sa main à baiser et l'embrasse, le remercie, dit qu'il est à son service et qu'il le servira toujours envers le Roi pour le tenir toujours en son amitié et bonne intelligence.
Le 26, dimanche, à Fontainebleau.—M. de Roquelaure se jouant à lui l'appelle: Maître Louis; il repart soudain: Maître borgne; il l'étoit. M. de Bassompierre se jouant à lui l'appeloit: Maître badin; il repart sérieusement et sans rire: Maître sot. Le Roi dit au Dauphin et à M. de Roquelaure: «Qui voudra être le mignon de papa il faut qu'il mouche ce flambeau»; il y saute soudain tout le premier, le mouche net et se brûle au bout du doigt indice, sans s'en plaindre qu'en souriant.
Le 27, lundi.—Mené chez le Roi, M. de Roquelaure
l'appelle: Sergent Louis; il lui répond: Sergent borgne.—Il
entretient M. de Mansan, lui demande les noms
des capitaines qui doivent entrer en garde, de ceux qui
les relèvent et du lieu où ils entrent en garde; sur le
nom du sieur de Drouët, il dit: Son tambour est gaucher;
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il étoit vrai, et si il y avoit longtemps qu'il ne l'avoit vu.
Il joue au jeu: Je vous éveille, et ne s'éveille que pour
le Roi et pour la Reine, pour Mme de Montglat et son fils.
Le 28 novembre, mardi.—Mme la princesse d'Orange de Coligny[362] le vient voir; il entend que l'on lui ramentevoit comme le soir précédent le Roi et la Reine lui faisoient la guerre, et que le Roi la frappant, elle dit comme elle fut contrainte de se revenger et le frapper. Comment, lui dit le Dauphin, vous avez battu papa! Si j'y eusse été je vous eusse porté par terre, et il se jette sur elle pour le faire, et dit animeusement: Je suis bien fort. Elle lui répond qu'il ne l'étoit pas assez tout seul; J'envoyerai querir féfé Vaneuil. Il le fait, et l'attendant il se jette sur elle, tâche de lui donner la jambe[363]. M. de Verneuil arrive, il le tire à part, lui raconte tout bas ce qu'elle avoit fait, ce qu'ils ont à faire, puis soudain partant du bout de la chambre: Suivez-moi, et il se prend à courir droit à elle, se jette sur elle, qui feint de plier.
Le 30, jeudi.—Il ne se veut point coucher que la plus petite Panjas, qu'il avoit envoyé querir, ne soit arrivée; on lui demande s'il veut pas que la petite Panjas couche avec lui; il répond: Elle est pas princesse. Je lui demande: «Monsieur, ne coucherez-vous jamais qu'avec des princesses?»—Non. Elle arrive, il la baise, elle lui tendant sa joue, la considère froidement, puis peu à peu entre en discours avec elle: le jeu commence à lui plaire; elle, s'en retournant, lui donne le bonsoir; il s'avance et la baise en la bouche, ce qu'il ne faisoit à personne. On demande à la petite Panjas si elle vouloit bien coucher avec M. le Dauphin, elle répond oui; lui, souriant, dit: Vous êtes donc une garçonnière.
Le 1er décembre, vendredi, à Fontainebleau.—Mené à
la galerie lambrissée, ayant une épée; le Roi y vient, et
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lui dit: «Quoi, mon fils, vous avez une épée; est-ce contre
moi?»—Ho! ho! Jésus! non, papa. A quatre heures mené
chez le Roi et la Reine revenant de la chasse.—Arrivent
deux lieutenants du régiment des gardes; l'un il l'appelle
Croquant et l'autre Harlequin, par raillerie; il se familiarisoit
de son mouvement avec les soldats plutôt qu'avec
toute autre sorte de personnes, faisant du pair et compagnon
avec eux.
Le 2, samedi, à Fontainebleau.—A sept heures et demie levé, vêtu[364], peigné, coiffé paisiblement pour le desir qu'il avoit d'aller dire adieu au Roi, qui devoit partir pour aller à Paris et partit sur les neuf heures. Mené chez le Roi, qui lui demanda quand il vouloit qu'il l'envoyât querir?—Quand il vous plaira, papa. Il étoit triste de ce départ; le Roi le rassura, lui disoit que dans peu de jours, il le renvoyeroit querir, et lui commanda d'avoir soin de son ménage. Il prend congé du Roi, bien aise d'avoir été seul et d'avoir surpris les autres petits. La Reine part à une heure après midi.
Le 4, lundi.—M. d'Arquien le vient voir, revenant de Metz. Il joue aux poules pour enfermer le renard, avec patience et froideur, demande: Doundoun, que faut-il jouer? et chante en jouant comme une grande personne qui ne laisse pas de regarder et de considérer son jeu: Maintenant que nos cœurs sont pleins d'amour et que chacun, etc., avec l'air. Il lui prend une humeur d'étudier, demande son livre pour étudier, appelle Madame pour lui faire dire sa leçon; elle y vient à regret et pleurant, et parloit en pleurant. Sans pouvoir entendre ce qu'elle disoit le Dauphin dit: Je pense qu'elle parle suisse.
Le 5, mardi.—Mme de Montglat demandoit si le comte
de la Roche étoit encore à la Bastille; il demande: Qui
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est-il?—«Monsieur, c'est le comte de la Roche.»—Qu'a-t-il
fait? Je lui réponds qu'il avoit été opiniâtre.—Mais je
l'ai vu à la Bastille, croyant que ce fût le comte d'Auvergne.—«Monsieur,
vous parlez de M. le comte d'Auvergne,
mais Mamanga parle de M. le comte de la Roche.»—Est-il
encore à la Bastille le comte d'Auvergne?—«Oui.»—Pourquoi?—«Pource
qu'il avoit été fort opiniâtre.»—C'est
pas cela, dit-il court et résolûment.—«Monsieur,
pardonnez-moi.»—C'est pas cela.—«Monsieur, pourquoi
donc?»—Je veux pas dire.—«Il n'y a pas de danger
de le dire.» Il y songe, puis dit froidement: C'est
parce qu'il avoit voulu faire la guerre à papa.—«Mais,
Monsieur, il n'est qu'un homme seul, comment lui eût-il
pu faire la guerre?»—Avec cinquante mille hommes.—«Qui
le vous a dit?»—Je sais bien; il n'en voulut
jamais dire davantage. L'on parloit d'aller à Saint-Germain,
il dit: J'en suis bien aise, puisque papa est pas
ici. Je lui demandai là-dessus: «Monsieur, où aimez-vous
mieux être, à Saint-Germain, à Paris ou à Fontainebleau?»
Il répond soudain: A Paris, papa y est; il aimoit
fort le Roi, et sans contrainte.
Le 6, mercredi, à Fontainebleau.—Il va par le grand jardin à la Mi-Voie, à pied, par le long du ruisseau; ramené en carrosse à six heures et un quart, il s'endormoit, demande à se coucher, dit qu'il est las[365].
Le 10, dimanche.—Mené à la galerie lambrissée, où il
envoie quêter le cerf, donne le département aux veneurs,
leur fait faire leur rapport, puis va au bois, conduit son
limier et fait donner les chiens; il prend plaisir à apprendre
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les termes de tout, les écoute attentivement de
M. de Ventelet.
Le 11, lundi.—M. de Souvré arrive, avec commandement du Roi de le conduire à Saint-Germain.
Le 12, mardi, à Fontainebleau.—Il est fort aise de voir tout remuer pour s'en aller à Paris voir papa; sur ces entrefaites arrive un courrier portant commandement de ne partir point; il ne le veut point croire, il en pleuroit. A la fin, lui étant dit que papa le vouloit, il se tut, et ne dit plus mot. Le contremandement fut une lettre que Mme la marquise de Guiercheville, par commandement de la Reine, avoit écrite à M. de Souvré, lui mandant qu'il n'eût point à faire partir messieurs les enfants, à cause de l'avis que le Roi lui avoit donné que la peste étoit en deux maisons, à Saint-Germain en Laye, où le Roi étoit alors.—Il s'amuse à un chandelier de poterie, dont il fait une fontaine, siffle d'un rossignol de poterie où il fait mettre de l'eau, s'amuse au buffet du Roi, fait du temps du roi François Ier, qui s'ouvroit par un marmouset.
Le 13, mercredi.—Mme de Montglat entre en la chambre, portant entre ses bras Madame Christienne; le voilà à crier: Otez-la, ôtez-la, ne voulant point qu'elle la portât. Mme de Montglat l'ayant laissée, le Dauphin lui dit: Lavez vos mains; elle les lave; lui-même verse de l'eau: Lavez vos bras. Là dessus elle le menace du fouet, il s'apaise.
Le 14, jeudi.—Il fut longtemps dans son lit, sans
dire mot, étant éveillé; il avoit peur du fouet pour l'opiniâtrise
du jour précédent. Il demande à Mme de Montglat
de ne l'avoir point, et que tout le jour je serai bien gentil,
je prierai Dieu, je dirai mes quadrains, je étudierai, je
peindrai, je vous fairai un beau petit chérubin.—«Ho!
lui dit Mme de Montglat, vous êtes un beau peintre! Vous ne
sauriez peindre le beau temps.»—Si fairai.—«Comment
ferez-vous?»—Je prendrai du blanc, puis des couleurs
de chair et du bleu.—«Mais vous ne sauriez faire le
soleil ne la lune.»—Si ferai.—«Comment ferez-vous
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le soleil?»—Je prendrai du jaune et du rouge, et je les
mêlerai.—«Et la lune?»—Je prendrai du blanc et du
jaune, je le mêlerai, puis j'y fairai un visage, puis ce sera
la lune. Pour flatter davantage Mme de Montglat, le Dauphin
lui demande: Je voudrois bien coucher auprès de
vous. Elle le fait coucher entre elle et son mari le sieur
de Montglat. Mené à la chapelle puis en sa chambre, où
il s'amuse à peindre; y ayant fait venir un peintre qui
lui apprend, il l'écoute et suit ce qu'il lui dit, maniant
aussi dextrement le pinceau que l'ouvrier, et tenant ses
couleurs au pouce[366], comme le peintre qui lui fait
tirer un visage.
Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Il envoie querir deux jeunes peintres, dit qu'il veut apprendre à peindre; étant arrivés, il prend les couleurs au pouce, peint des cerises après le crayon du peintre, demande: Que faut-il que je fasse? Faut-il du blanc, du rouge? et besogne dextrement et avec attention. Amusé jusques à onze heures et demie; M. de Montglat le prend en ses bras, le hausse, se fait accoler et le baise serré en la bouche[367], puis part pour s'en aller à Paris.
Le 16, samedi.—Mené à la galerie lambrissée et aux
chambres qui regardent la basse-cour, où il y avoit des
charpentiers qui mettoient des cloisons, il prend plaisir
à les regarder faire, tenant ses deux mains sur les côtés.
Il aimoit fort les œuvres mécaniques. Il demande à écrire;
Dumont, clerc de sa chapelle, lui montre à faire des a,
il suit l'impression que Dumont en fait sur le papier.—Il
chante des noëls, en fait chanter; Mlle de Ventelet
lui représentant le pauvre état auquel Jésus-Christ étoit
né, sans draps, dans une crèche, il se prend soudain à
dire avec élan et ardeur: Si j'y eusse été je lui eusse
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donné mon lit et mes draps? C'étoit une faveur singulière,
qu'il ne faisoit à personne, et il ne permettait qu'au Roi
de se mettre dessus son lit.
Le 17, dimanche, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux; ramené par la cour du dragon en sa chambre, où il montre à M. Fréminet, peintre du Roi, excellent personnage, les peintures qu'il avoit faites les jours précédents: J'ai fait ces cerises, j'ai fait cette rose. M. Fréminet lui dit: «Monsieur, vous plaît-il que je vous fasse faire un oiseau, avec la plume?» Il lui répond gaiement: Oui; Mamanga, envoyez querir mon écritoire; il met son papier sur sa petite table, prend la plume, et lui-même commence à faire l'oiseau marqué A[368], commençant de droite à gauche; les taches noires du milieu, ce sont, dit-il, les plumes; puis l'autre oiseau marqué B il le fait, la main toujours conduite par le sieur Fréminet, qui sentoit comme M. le Dauphin poussoit à conduire la main. M. Fréminet lui fait le visage marqué C, disant: «Faites un visage comme celui-là.»—Ho, ho! dit-il en souriant, je ne sarois, et ne le voulut point entreprendre; il fait le visage marqué D, conduit toujours par le sieur Fréminet, et le visage aussi qui est dessous marqué E; puis, en l'autre face du papier, le visage marqué F est fait par le sieur Fréminet, auquel il donna une grosse poire.
Le 18, lundi.—M. Fréminet commença de le peindre, et pour s'amuser il demanda: Mamanga, je voudrois bien avoir des couleurs, mais je voudrois des siennes, elles sont plus belles. On lui en envoie querir au logis du sieur Fréminet, au jardin des canaux; il s'en amuse avec le pinceau. A six heures et un quart soupé; tout à coup il dit: Je suis las, demande à se coucher. Diverti il se joue à divers jeux comme: Votre place me plaît, à burlurette, avec des soldats, à frappe main.
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Le 20, mercredi, à Fontainebleau.—Sa nourrice le déshabillant lui tire tant soit peu un cheveu, il s'en prend à crier et plaindre fort dolentement; ma femme lui dit: «Mais, Monsieur, vous criez tant pour un cheveu, vous ne sauriez plus crier pour un coup d'épée.»—Je m'en soucie bien d'un coup d'épée! Ma femme réplique: «Monsieur, et pourquoi ne vous soucieriez-vous pas d'un coup d'épée?»—Pource que je serois mort, dit-il avec façon, comme ne se souciant et se déplaisant de la vie[369].
Le 21, jeudi.—M. de Saint-Antoine, gentilhomme françois, écuyer du prince de Galles, salue Madame de la part de son maître; elle en rougit et en fit la honteuse.—En allant à la chambre de Madame, M. de Verneuil éteint une chandelle que l'on laissoit dans le petit cabinet de la Reine, pour éclairer aux passants. M. le Dauphin n'en dit mot, mais étant dans la chambre suivante, où il y avoit de la clarté, il lui bailla un soufflet, ajoutant la raison: Pourquoi avez-vous éteint la chandelle?
Le 23, samedi.—M. Fréminet achevoit de le peindre, lui s'amusant à peindre, et il fit un oiseau sur de la toile avec de la craie.
Le 24, dimanche.—M. le prince d'Orange et Mme sa femme, fille de feu M. le prince de Condé, viennent prendre congé de lui, s'en allant à Orange.
Le 25, lundi.—Vêtu de sa robe de lames d'or et d'argent, et de soie brune, il dit: Ma robe me pèse plus derrière que devant; il ne y eut pas moyen de la raccoustrer à son gré: Otez-la moi, donnez-m'en une autre. Il fut dévêtu et revêtu de celle qu'il avoit le jour précédent, puis mené à la chapelle de la salle du bal. Après la messe il va à confesse, se confesse de tout ce qu'il avoit d'opiniâtrise ce matin.
Le 28, jeudi.—Il change de logis, fait déménager et
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porter son lit en la chambre du pavillon de la grande
galerie[370].
Le 30, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à faire le messager de Fontainebleau qui portoit de la marchandise à Paris, attache un jarretier à un placet[371], y met dessus ou un chapeau, ou un panier, ou quelque autre chose, le va traînant d'un bout de la chambre à l'autre où étoit son lit, décharge en la ruelle, puis s'en retourne faire nouvelle charge. M. le Chevalier en fait autant que lui, et le suivoit; Descluseaux les conduisoit. Puis le Dauphin le fait asseoir, et s'amuse à faire attacher deux flambeaux d'argent avec un petit chapelet.
Le 31, dimanche.—L'on faisoit la monstre de la compagnie sous la galerie basse de la terrasse; sa viande étoit servie; il sort de lui-même pour y aller, je cours après. Il alloit descendre la montée sans reconnoître[372], j'arrive à point nommé pour le prendre par la lisière. Il y descend, voit prêter le serment.
Caractère moqueur du Dauphin.—Le gâteau des Rois.—Mme de Montglat et Mlle d'Agre.—Première signature du Dauphin.—Comment se tient le Roi.—Lettre au Roi.—La Saint-Jean des choux.—Lettre du Roi.—Dessins et peintures du Dauphin.—Présent de l'archiduchesse d'Autriche à Madame.—Oraison du Dauphin.—Présents que lui fait M. de Brèves.—Le Roi joue à la paume avec le Dauphin.—Le peintre Dehoey.—Première leçon de latin.—Lettre de l'Électeur palatin.—Le Dauphin à la cérémonie de la Cène.—M. de Guise.—Naissance du duc d'Orléans; son thème de nativité.—M. de Sully.—Apparition d'un aigle; geste du duc d'Orléans et augures que l'on en tire.—Les quatrains de Pibrac.—Goût croissant du Dauphin pour la musique et le dessin.—Decourt fait de nouveau son portrait.—Vêtement d'été.—Accouchement de la comtesse de Moret.—La reine Marguerite.—Relevailles de la Reine.—Antipathie pour les Espagnols.—Paillardise du Roi.—Produits de la poterie de Fontainebleau.—Portrait en cire et médaille du Dauphin par Paolo et Dupré.—Danse d'Égyptiens ou bohémiens.—Rancune du Dauphin contre son page.—Réception d'un ambassadeur turc.—Ordres du Roi pour donner le fouet au Dauphin.—Mort de M. de Montglat.—Le comte de Moret sauvé du tonnerre.—Départ pour Saint-Germain, passage à Melun, à Crosne, à Paris, à Saint-Cloud, arrivée à Saint-Germain.—Mme des Essars.—Familiarités du Dauphin.—La peste à Saint-Germain; départ pour Noisy.—Caractère dissimulé du Dauphin.—Le Roi à Villepreux.—Lettre et présent du prince de Galles.—Histoires tirées de la Bible.—Portrait du père du Roi.—Peu de goût du Dauphin pour la danse.—Il entre dans sa septième année.—Portrait de Louis XII.—Lettres de la famille ducale de Toscane.—Incendie à Noisy.—Services d'Héroard sous Henri III.—Premier seing valable du Dauphin.—Portrait de Du Guesclin.—Le duché de Milan.—Peu de goût du Dauphin pour l'étude.—Lettre au Roi.—Le ballet des lanterniers.—Retour à Saint-Germain.—Baptême de M. et de Mlle de Verneuil.—M. de Cési.—Le livre de Vitruve.
Le lundi, 1er janvier, à Fontainebleau.—Mené à la
chapelle de la salle du bal, il se moque d'une femme
de village qui étoit fort bossue, en ricane; sur la fin de
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la messe il va et revient, et retourne près de son aumônier
qui la disoit, le contrefait en riant.
Le 2, mardi.—A deux heures mené au delà du grand jardin, du côté de main gauche, environ cent pas allant à la Mi-Voie, pour y planter le premier arbre de ceux que le Roi y vouloit faire planter; c'étoit un tilleau.
Le 3, mercredi, à Fontainebleau.—En dînant il entretient, comme une grande personne, maître Martin, preneur des renards du Roi, sait le nom de ses chiens.
Le 4, jeudi.—M. le baron de la Châtre le vient voir, allant à la Cour. Après souper il joue aux poules et au renard contre M. de Belmont. En jouant M. le Chevalier appelle M. de Belmont son lieutenant. Il le regarde en colère, songe, puis le veut frapper, lui veut jeter les poules qu'il ramasse, puis l'échiquier. M. de Belmont, qui étoit lieutenant de M. de Mansan, lui dit: «Monsieur, pourquoi voulez-vous le frapper?»—C'est parce qu'il vous a appelé son lieutenant, et vous êtes à moi.—«Mais, Monsieur, il ne le faut pas battre pour cela.»—Ho! mais c'est qu'il veut tout!
Le 5, vendredi.—A six heures il se assied à table; on lui coupe un gâteau de massepain pour lui et pour Madame et Mme Christienne; il fut le roi pour la première fois. Il avoit envie de manger sa portion de gâteau et celle de Dieu; Mme de Montglat lui dit: «Si vous voulez manger celle de Dieu, il faut donner de l'argent.»—Bien, qu'on en donne, répond-il promptement; Tétai (M. de Ventelet), donnez de l'argent.—«Monsieur, combien?»—Il songe: Cinq écus. Il fut baillé cinq quarts d'écu à M. l'aumônier, qui furent après rendus. Bu à reposées, il prenoit plaisir à faire crier: Le Roi boit par Madame.
Le 6, samedi.—Il va aux petites fontaines, où il fait
rompre la glace, se y joue à la casser à coups de poing.
A six heures et un quart on lui coupe un gâteau, il est
fait le Roi; soupé de sa part de gâteau, il ne veut point
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que l'on crie: Le Roi boit, le fait défendre à M. de Verneuil.
Le 7, dimanche, à Fontainebleau.—Il prend un grand luth, fait que Indret met ses doigts sur les touches et lui il pince les cordes; il va aux cadences, joue et chante: Ils sont à Saint-Jean d'Anjou, les gen, les gen, les gendarmes, etc. Il touche la bergamasque, la sarabande, les cloches, puis se va jouer sur le tapis de pied, étendu parmi la chambre, feignant que le tapis fut la mer; M. le Chevalier faisoit comme lui.
Le 8, lundi.—Il va à la salle du bal, où il avoit fait venir deux épousées du village, les regarde danser, se moquoit de leur danse. A dix heures et un quart, dévêtu; mis au lit, prié Dieu; il demande quand c'est qu'il aura un haut-de-chausses? Mme de Montglat lui dit que ce seroit quand il auroit huit ans.—Comme féfé Chevalier?—«Oui, Monsieur.»—Je suis vieux!—«Oui, Monsieur, vous avez six ans.»—Quand aurai-je huit ans?—«Dans deux ans et demi.»—Je suis plus vieux que ma sœur, je suis venu le premier, puis ma sœur, et ma petite sœur est venue à la queue.—«Et l'enfant qui viendra après, que vous sera-il?»—Ce sera mon frère.
Le 9, mardi.—Il se fâche contre sa nourrice, la frappe,
va prendre sa pique, la poursuit pour l'en frapper de la
pointe, en est après marri, est bien empêché à faire la
paix; il la fait enfin, et promet de ne la battre plus. A
huit heures trois quarts déjeûné; il ne veut point que l'on
fouette en sa présence deux garçons, Pierrot et Champagne:
Mamanga, jetez les verges au feu, elles sécheront.
Mené à la chapelle de la salle du bal, puis au jardin du
Tibre, le long des palissades hautes, il dit: Je n'ai jamais
passé ici. Il se fait entretenir des chiens que j'avois à
Vaugrigneuse, demande s'ils prennent bien le loup. A
deux heures monté en la chambre de sa nourrice, il va
voir M. de Verneuil, qui étoit enrhumé, puis descend en
la petite chambre du demi-pavillon qui étoit sur la terrasse,
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où étoit Mme de Montglat, où il a goûté. Puis il va
en ma chambre, regarde jouer à la paume, où il se prenoit
outrement à rire d'un qui jouoit, qui étoit fort laid
et ne portoit que des caleçons qui étoient justes aux
cuisses.
Le 10, mercredi, à Fontainebleau.—Il va à la poterie, fait prendre des pièces, est soigneux de les faire payer à mesure qu'il les prend.
Le 11, jeudi.—Peigné, coiffé dans le lit, à bâtons rompus par sa nourrice; Mme de Montglat, pour le faire hâter, y vient, et lui dit: «Je m'en vais chausser; si vous n'êtes peigné quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Elle revient, ce n'étoit pas fait; elle lui dit encore: «Je m'en vais pisser; si vous n'êtes peigné et coiffé quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Il dit tout bas: Ha! qu'elle est vilaine! elle dit devant tout le monde qu'elle va pisser; velà qui est bien honnête, fi! Ce monde c'étoit Montailler, tailleur de Mme de Montglat, et Champagne, l'un de ses laquais. Mlle d'Agre[373] parloit tout bas à l'oreille de Mme de Montglat, le Dauphin lui dit: D'Agre, que ne parlez-vous tout haut? Vous parlez bas comme si vous étiez malade, et vous parlez si gaiement! Comme il étoit vrai, elle parloit fort gaiement. Il étoit curieux de vouloir tout savoir, écoutoit tout, et bien souvent n'en faisant pas le semblant. Mis au lit, il se fait entretenir des chiens comme feroit un grand chasseur, parle en termes de chasse: Moucheu Héoua, parlez-moi de Miraude et de Lion qui prend tout seul les loups; c'étoit d'une chienne que j'avois, bonne aboyeuse, et d'un dogue extrêmement furieux, qui prenoit les loups seul à seul, dans les bois; il étoit à mon cousin, et je lui en avois parlé sur le jour.
Le 12, vendredi.—Il se joue à remuer ménage et à
transporter les meubles; il se plaisoit toujours à quelque
exercice pénible; M. de Verneuil lui aide. A six heures
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soupé; je lui dis: «Monsieur, faites souper Descluseaux
avec vous.»—Je ne veux pas.—«Vous ne l'aimez donc
pas comme vous dites?»—Si fait, non pas pour dîner.
Le 13, samedi, à Fontainebleau.—A onze heures trois quarts dîné; il danse dans sa chaise en mangeant au son du luth et du violon, boit de même, faisant branler son verre en buvant, s'amuse à tout ce qu'il voit faire, s'enquiert des choses et de leur usage. Il entretient M. du Tost, mari de la nourrice de Madame, des oiseaux et sur un tiercelet qu'il avoit sur le poing; il fouille en sa gibecière, y trouve deux sonnettes, et les fait tinter.
Le 14, dimanche.—Mené au jardin du Tibre, où il voit danser des épousées du village. Après souper il voit danser aux chansons d'un nommé Laforest[374], où il prenoit un extrême plaisir et surtout en celle qui disoit:
Le 15, lundi.—A douze heures et demie Madame s'en va dîner; soudain il lui prend une humeur: Je m'en vas servir ma sœur. Il y va en sa chambre, fait toute la cérémonie: M. le Chevalier étoit gentilhomme servant, qui mettoit la viande et recevoit les plats que l'on desservoit; il (le Dauphin) étoit page, et se faisoit nommer Faveroles, nom d'un page de la chambre du Roi, et il nomme M. de Verneuil, Pettruce, aussi page de la chambre.—Il vient des violons du bourg, il se met à danser à toutes danses.
Le 16, mardi.—Mené en la chapelle, puis en la salle
du bal, où il saute de la première marche du théâtre, de
plein saut, jusques au second carré, franchit le premier,
puis danse la sarabande fort gaiement, allant justement
à toutes les cadences du violon; puis il danse aux branles,
où dansoit Laforest, soldat qui lui donnoit beaucoup
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de plaisir par ses actions et contenances. Il vient en ma
chambre, et de l'escalier regarde jouer à la paume. A
six heures et demie soupé, dansé; il tance Madame, elle
en pleure. Mlle de Vendôme lui dit: «Monsieur, je m'en
vas le dire à Mme de Montglat que vous faites pleurer Madame;»
elle y vient, il s'excuse; Mme de Montglat s'en retourne,
et lui, tout soudain et froidement, prend la main
droite à Mlle de Vendôme et la lui mord bien serré.
Le 17, mercredi, à Fontainebleau.—Il joue à la balle à la raquette, fait de bons coups au bond, l'attend avec jugement, entend les termes du jeu: Trentain, le jeu, quarante-cinq, passons, velà une chasse, haussez la corde, en passant comme il avoit vu faire au jeu de paume.
Le 19, vendredi.—Indret, son joueur de luth, étoit en la ruelle du lit de sa nourrice où il fut longtemps à accorder son luth; l'impatience le prend: Indret, il y a trois jours que vous accordez votre luth! jouez! dit-il impérieusement, car il attendoit la musique, qu'il aimoit fort.—Madame étoit allée chez les tailleuses, qui étoient venues de Paris; on ne l'en pouvoit retirer jusques à ce que Mme de Montglat lui envoya dire qu'elle avoit à lui bailler une lettre de la part de M. le prince de Galles; elle part là-dessus tout aussitôt, descend en la chambre de M. le Dauphin, auquel Mme de Montglat avoit dit la fourbe. Elle tire de sa pochette une petite lettre; M. le Dauphin la demande, disant: Donnez-la-moi, Mamanga, je la lirai. Il la prend, l'ouvre et, feignant de lire, prononça haut ces paroles: Madame, je m'en vas en Espagne pour voir ma maîtresse, mais que je revienne je vous apporterai quelque chose de beau que je n'ai pas vu encore, et je le vous apporterai, car j'ai bien envie de vous voir.—Il apprend à faire ses lettres, écrit son nom: Loys; ce fut la première fois; il fut conduit par Dumont[375].
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Le 21, dimanche, à Fontainebleau.—Il est mené au préau, derrière le chenil, pour y voir lutter des Bretons, de ceux qui travailloient aux ouvrages du Roi.
Le 22, lundi.—Il étoit assis et tenoit un genou sur l'autre; Mme de Montglat l'en reprend, disant que cela le feroit devenir bossu. Il répond: Papa le fait bien. Je lui demande s'il vouloit faire tout ce que papa faisoit; il répond: Oui. Il écrit son exemple suivant l'impression faite sur le papier, la suit fort bien, y prend plaisir.
Le 24, mercredi.—Il écrit au Roi gaiement, se veut dépêcher, de peur, dit-il, que Guérin ne s'en aille; Dumont, clerc de sa chapelle, lui traça les lettres; il les suivit fort dextrement, et racoustroit là où il y défailloit quelque chose:
Papa, j'ay grande envie de vou voir, cependan je vou dirai qu'il y a beaucoup d'arbres plantés. Je sui, Papa, vote tes humbe et tes obeissan filz et seuiteu.—Daulphin.
Le 26, vendredi.—Il va à la poterie, prend quelques pièces, commande à Mme de Montglat que l'on les paye; il crioit après ceux qui s'approchoient près des pièces: Touchez pas là! ne prenez rien!—Il s'amuse froidement à voir jouer une farce où Laforest faisoit le badin mari, le baron de Montglat faisoit la femme garce, et Indret l'amoureux qui la débaucha.
Le 27, samedi.—Il commande au baron de Montglat
de masquer et faire une comédie, et lui dit: J'en veux
être.—«Mais, Monsieur, nous ne savons que jouer!»—Vous
direz que nous sommes vos petits enfants. Il se fait habiller
d'une robe de fille et coiffer du chaperon de Mme de
Montglat, et couvrir le visage d'un masque en velours. A
huit heures commence le jeu; il fait son entrée ayant
M. le Chevalier avec lui et deux autres; il danse fort gentiment,
hardiment et de bonne grâce, puis se retire, et
revient seulement quand il fallut comparoître. La farce
achevée, il se fait ôter la robe, et danse: Ils sont à Saint-Jean
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des choux, frappant du pied sur le cul de ses voisins.
Cette danse lui plaisoit.
Le 28 janvier, dimanche, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle de la salle du bal, puis en la salle, où il court par acquit et ne voulut jamais danser devant des femmes du bourg; il ne se plaisoit point à donner plaisir à autrui. Après soupé il se fait habiller en fille comme le jour précédent, et coiffer d'un chaperon de sa nourrice; ils font une comédie qui fut l'entrée d'une sarabande, puis un petit festin de confitures. Mis au lit, il est entretenu par le baron de Montglat, qui devoit partir le lendemain pour aller en Espagne.
Le 29, lundi.—M. l'aumônier lui faisoit dire les commandements de Dieu, et quand il fut à dire: «Tu ne tueras point,» il dit: Ne les Espagnols? Ho, ho! je tuerai les Espagnols, qui sont ennemis de papa; je les épuceterai[376] bien. L'aumônier lui dit: «Monsieur, il ne faut pas tuer les Espagnols, ils sont chrétiens.»—Mais ils sont ennemis de papa.—«Mais ils sont chrétiens.»—J'irai donc tuer les Turcs. Il va en la salle du bal pour y voir une mariée du bourg, qu'il avoit envoyée querir pour complaire à Madame, car il ne l'avoit jamais voulu faire: Mais, Mamanga, je prens point plaisir à ces filles de village; velà un beau plaisir! Il y danse.
Le 31, mercredi.—Dîné en chantant, se jouant et
mouvant; il nomme les valets de nous tous. Je lui dis
qu'il ne savoit pas le nom du mien.—C'est Nicolas;
il étoit vrai.—«Comment s'appeloit celui que j'avois
auparavant?»—Grand nez; il le souloit ainsi nommer
à cause de son grand nez.—«Mais, Monsieur, il s'appeloit
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autrement?»—Légier; il étoit vrai, et y avoit trois
ans qu'il ne me servoit plus.—«Monsieur, comment
s'appelle le valet de Bompar?» (C'étoit le page du Dauphin).—Je
sais pas; puis tout à coup: C'est madame sa
personne, pource qu'il n'en avoit point. Je ne sais qui il
ne connoissoit point. A souper il se fait entretenir des
chiens de mon cousin, dont je lui avois parlé, qui étoient
trois dogues: Lion, Come et Grainbon, et Miraude qui
étoit à moi; il demande ce qu'ils savent faire et ce
qu'ils ont fait, et quand Miraude aura ses petits.
Le 2 février, vendredi, à Fontainebleau.—M. Guérin, apothicaire du Dauphin, arrive de Paris qui lui apporte une lettre du Roi, écrite et contrefaite de la main du Roi par M. de Loménie, secrétaire d'État et du cabinet, qui lui fut lue par Mme de Montglat en ces termes, faisant réponse à celle qu'il lui avoit écrite aussi par M. Guérin:
Mon fyls, Guerin me rendant une lettre ma dyt de vos nouuelles et que atandant ma venue uous aués byen du soyn de mes jardins et de mes plans, de quoy iay esté fort ayse. Je luy ay commandé en vous randant cete-cy de vous dyre des myennes et de maman la Roine; que iespere vous voyr yncontynant après la foyre Saynt-Germayn, en laquelle je feray achepter des petytes besongnes[377] pour vous iouer, lesquelles ie vous porteray quant et moy pourueu que vous maymyés byen et soyés byen sage. Bonsoyr, mon fyls. Ce dernyer de janyuer a Parys. Vre byen bon pere.—Henry.
Et au-dessus de la lettre: A mon fyls le Daufyn[378].
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Le 3, samedi, à Fontainebleau.—Il fait coucher avec lui la lettre que le Roi lui avoit écrite.
Le 4, dimanche.—Il se fait marquer une lettre pour écrire à la Reine. M. de Saint-Géran, prenant congé de lui, lui demande s'il lui plaît qu'il dise à papa qu'il lui envoie quelque chose, il répond: Ho! non, il faut rien demander à papa.
Le 5, lundi.—Mme de Montglat lui remontroit qu'il falloit bien recevoir les étrangers quand ils le viendroient voir, et commandoit que lorsque l'on en verroit à la basse-cour on les fît venir.—Qui? ces moines? qu'on fasse venir ces moines?—dit-il; c'étoient des moines de poterie dont il jouoit, et il disoit ceci en raillant[379]. Il chantoit; quelqu'un dit que le Savoyard de M. de Verneuil étoit bon basse-contre, le Dauphin répond: C'est un basse-contre de village. Je lui dis: «Monsieur, vous l'êtes donc aussi, car vous êtes né à Fontainebleau.» Il dit soudain et sec: Je suis né au château! Mené au jardin du Tibre, il se promène en la dernière allée, le long de la muraille. On l'amuse à voir nettoyer un pourceau; quand le boucher le voulut éventrer il s'en alla, et ne le y sut-on arrêter.
Le 6, mardi.—Il va au jeu de paume couvert pour y voir
courir un blaireau. Il fait faire la cornemuse au chien Pataut
par Indret[380], dont il rioit à outrance, lui qui n'étoit
pas grand rieur[381]. A neuf heures et demie mis au
lit, il se prend à en conter sur les peintures qu'il a faites,
d'un bois, d'une montagne, du ciel; qu'il n'avoit pas les
couleurs pour faire les ombrages du soleil et de la lune;
que demain il achèvera, peindra la chasse au blaireau
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pour la présenter à papa; il n'en pouvoit sortir tant il y
prenoit de plaisir.
Le 7, mercredi, à Fontainebleau.—Il s'assied et accommode une petite toile carrée et la cloue sur un petit ais pour peindre dessus, ayant auprès de lui le petit-fils de l'un de ses jardiniers, qui savoit peindre et qui lui montre. Il le suit avec son pinceau froidement, attentivement, dextrement et avec vouloir et affection d'apprendre. Ce désir l'avoit fait lever plus matin que de coutume; il y avoit de l'inclination comme aux autres sortes de mécaniques. Ayant achevé son bocage, il dit au petit peintre: Faites l'acoustrer.—«Monsieur, lui dit le peintre, y ferai-je faire un châssis?»—Oui, oui.—«Monsieur, je n'ai point d'argent.»—Mamanga, donnez-moi de l'argent pour faire un châssis à mon petit tableau. Elle lui baille deux quarts d'écu; il va au peintre, et lui dit: Tenez, velà deux qua d'écu, gardez-en un pour en faire un autre. A quatre heures et demie arriva le sieur Pierre Pechius, ambassadeur de l'Archiduc et de l'Archiduchesse, infante d'Autriche, lui disant avoir charge et commandement de leur part de venir savoir des nouvelles de sa santé, de lui baiser les mains et lui dire qu'ils prioient Dieu pour sa conservation. Il en dit autant à Madame, et lui présenta de la part de la sérénissime Infante, sa marraine, un présent de reliques qui étoient des os de sainte Élisabeth[382], à laquelle elle avoit une particulière dévotion, et qu'en cette considération, et pour ce qu'elle avoit le même nom comme elle, la prioit d'y avoir une pareille dévotion. C'étoit une chaîne de diamants, où tenoit au bout une enseigne de diamants, en laquelle étoit la relique; le tout pouvoit valoir deux mille écus.
250
Le 9, vendredi, à Fontainebleau.—Il dessine un jardin carré, fossoyé, dans une allée, l'ordonne, y fait planter des choux, arrache lui-même des troncs et les y porte. Ramené en sa chambre, il tire de son pupitre le paysage qu'il avoit fait avec le petit peintre; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il vous faut écrire.»—Non, Mamanga, qu'on aille queri le petit peintre; il aimoit la peinture.
Le 10, samedi.—Pendant la messe, le Dauphin montre à lire dans son livre à Madame, lui apprend et fait dire sa petite oraison, qu'il aimoit fort: «Seigneur Dieu et Père, je te supplie de m'assister par ton Saint-Esprit, et par icelui me conduire et gouverner tellement que tout ce que je ferai, dirai ou penserai, soit à ton honneur et gloire, au salut de mon âme et à l'édification des tiens.» Mené au jardin des pins, il s'amuse à remuer terre et bois pour faire un jardin et un pont. Après souper le sieur Outrebon, chantre du Roi, arrive portant nouvelle que le Roi arriveroit demain. Le Dauphin rougit et tressault de joie et de crainte de ce jardin qu'il avoit fait. Il faut l'aller ôter, dit-il, de peur que papa ne se fâche. Il fut volontiers parti tout à l'heure pour l'aller ôter.
Le 11, dimanche.—A deux heures trois quarts le Roi est arrivé; il court au-devant de lui, lui embrasse la cuisse, puis lui saute au cou; le Roi le mène à la conciergerie, où il alloit loger. Il s'est longtemps joué au Roi dans le cabinet. M. de Brèves, ambassadeur pour le Roi en Levant, donne au Dauphin un cimeterre avec la ceinture, valant huit cents ou mille écus, un vase de terre sigillée, un lapis-bézoard, un arc turquois et un trousseau de flèches.
Le 12, lundi.—Éveillé à six heures, mis dans le lit
de Mme de Montglat entre son mari et elle[383]. En priant
Dieu il dit de lui-même gaiement: Dieu doint bonne vie à
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papa, mon bon ami. A dix heures et demie mené par la
grande galerie au jardin des gazelles, au Roi; il court devant
lui après M. de Verneuil, à qui courra le mieux, saute
au saut de l'allemand. Le Roi lui dit: «Mon fils, dites à
M. de Souvré qu'il coure après vous.»—S'il vous plaît de
lui commander, papa, répond le Dauphin, doucement,
froidement, promptement. Le Roi le lui commande par
trois fois; il fit toujours la même réponse. A onze heures
il entend la messe avec le Roi, qui le mène en la conciergerie,
par le jardin, et, à midi, dîné avec lui. Ramené
en sa chambre à une heure et demie, il écrit le rôle
de sa compagnie: La Rose (M. le Chevalier), capitaine;
La Verdure (le Dauphin), mousquetaire; La Violette
(M. de Verneuil), harquebusier. A trois heures goûté;
on lui demande s'il veut pas voir danser la mariée?—Je
m'en soucie bien! belle mariée de village! Il va toutefois
à la salle du bal, où il la voit danser un quart d'heure,
puis va en la conciergerie, en la chambre du Roi, qui étoit
allé se promener au grand canal. A cinq heures le Roi revient
en sa chambre, il lui donne le bonsoir, le Roi le
renvoyant en sa chambre. A huit heures trois quarts dévêtu,
mis au lit, prié Dieu: Dieu doint bonne vie à mon
père, mon bon ami, à ma mère, ma bonne amie. Mme de
Montglat lui demande: «Aimez-vous bien papa?»—Oui.—«Comment
l'aimez-vous?»—Je l'aime plus que
Pataut (le chien de sa nourrice).—«Monsieur, il ne
faut pas dire ainsi; il faut dire plus que vous-même.»—Plus
que moi-même! eh! il ne faut pas aimer soi-même, il
faut aimer des hommes, mais pas soi-même.
Le 13, mardi.—Il va voir le Roi à la conciergerie;
dîné avec le Roi. Il joue à la paume avec le Roi, et
chaque fois qu'il servoit[384], il baisoit la balle. A six heures
trois quarts soupé avec le Roi; à sept heures trois quarts
ramené en sa chambre. A huit heures et demie le Roi
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y vient pour y voir jouer la comédie de quatre du bourg
(sic).
Le 14, mercredi, à Fontainebleau.—Mené par les étuves au Roi, en la conciergerie, il lui dit adieu; le Roi part pour s'en retourner à Paris à huit heures trois quarts.
Le 15, lundi.—Il est chaussé de chausses de serge jaune qui montoient jusques à la cuisse; c'est la première fois. A dix heures et demie mené à la chapelle puis joué en la salle, dansé par contrainte, pour ce qu'il y avoit deux hommes étrangers, et il disoit qu'il ne vouloit pas danser pour donner du plaisir, en est en mauvaise humeur, veut faire danser Mme de Montglat, la frappe, lui donne un grand coup de poing sur la poitrine. A onze heures trois quarts ramené en sa chambre, dîné; il dit à son page: Bompar, allez faire parler le perroquet tout le long du dîner. A trois heures et demie goûté. Ma femme arrive de Vaugrigneuse; il lui fait l'honneur de se lever de sa chaise, et lui porte au-devant sa main à baiser, lui demandant: Où est la petite Oriane? C'étoit une petite chienne; on l'envoie querir; il lui fait mille caresses. Il advient à M. le Chevalier de s'asseoir dans sa chaise; il le voit, et lui dit: Otez-vous de ma chaise, féfé. Il le dit deux ou trois fois; il n'en faisoit rien; il s'en va promptement à Mme de Montglat, et lui dit: Mamanga, j'aime mieux ma petite sœur que féfé Chevalier, parce qu'il n'a pas été dans le ventre à maman avec moi, comme elle, et il est assis dedans ma chaise.
Le 16, vendredi.—M. de Cressy disoit à la nourrice du Dauphin que M. Boquet, son mari, reviendroit de Sens, où il étoit allé, sur la mi-nuit; elle disoit que non.—C'est qu'il songe à la coignée, dit le Dauphin; le sieur Boquet lui avoit promis de lui rapporter une petite cognée à son retour de Sens.
Le 17, samedi.—Il danse avec Madame la volte, la
courante. A trois heures goûté; bu un bon coup dans
la coupe d'argent doré que Mme de Loménie lui avoit
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donnée. A cinq heures viennent les ambassadeurs des
villes Anséatiques et Teutonique, venant de la Cour et
s'en allant en Espagne.
Le 18, dimanche, à Fontainebleau.—Il se va promener en la galerie; Mme de Montglat lui montre la peinture d'un léopard, lui demande que c'est; il répond: Je sais pas.—«Monsieur, c'est un léopard.»—Il ressemble à de Hoey[385]. C'étoit un peintre; il étoit vrai. Il avoit l'imagination fort bonne. M. de Maleville lui montre une voile de navire, et lui demande: «Monsieur, à quoi sert une voile?»—C'est pour faire aller le navire, car le vent le pousse. Il y avoit des H peintes, Mme de Montglat lui demande: «Quelle lettre est cela?»—C'est un H; quand je serai grand je ferai mettre des L auprès.
Le 20, mercredi.—Il se fait habiller en chambrière picarde, masquée, se fait nommer Louise, suit Mlle de Vendôme coiffée en bourgeoise, qui dit que c'est sa chambrière, et se garde de parler de peur d'être reconnu. M. le Chevalier les conduit, disant que c'est de la marchandise qu'il emmène du Levant.
Le 21, mercredi.—Il écrit au Roi par moi[386], lui envoyant la petite Oriane, chienne de ma femme; en écrivant au Roi, il a demandé Si maman lui écriroit pas? On lui a répondu qu'elle n'écrivoit qu'au Roi.—Papa m'a dit que maman fait force pâtés, mais si elle m'écrit, encore qu'il y ait des pâtés, je garderai bien la lettre.
Le 22, jeudi.—Il commence à apprendre des mots latins, qui lui sont appris par M. Hubert, médecin du Roi, venu pendant mon absence.
Le 23, vendredi.—Il écrit au Roi. A six heures et demie soupé; il voit jouer une farce à Laforest.
Le 27, mardi.—A onze heures dîné; il se fait habiller
en bergère. A deux heures et demie goûté, dansé, joué;
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il entend le tonnerre, va à Mme de Montglat, et lui dit:
Mamanga, faites-moi prier Dieu.
Le 28 février, mercredi.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il a pris des cendres.
Le 1er mars, jeudi, à Fontainebleau.—Il dit que quand il verra qu'il voudra être opiniâtre, il s'en ira mettre en un coin pour dire son Pater, afin de chasser incontinent le mauvais ange qui le fait être opiniâtre.
Le 2, vendredi.—Éveillé à six heures, amusé dans son lit jusqu'à sept heures et demie; fouetté comme je suis entré en la chambre. J'ai trouvé Mme de Montglat en colère contre lui et marrie de ce que j'ai rencontré la chambre ouverte. A onze heures dîné; il est venu un ambassadeur de la part de l'Électeur Palatin[387] qui lui a présenté une lettre de la part du comte Frédéric, comte Palatin, dont voici la copie:
Monsieur, je me persuade que vous ne l'aurés point desagréable si je prens la hardiesse de me servir d'une si bonne occasion pour vous representer la joye extrême que j'ay de vostre prospérité et vous donner les asseurances de ma très-humble devotion à voir fleurir vostre grandeur. C'est, Monsieur, tout mon desir que d'ensuivre les traces de mes prédécesseurs au bien et service de la corone de France, et d'esprouver un jour ceste protestation de mon zèle pour meriter l'honneur de vostre bienveillance et bonne grâce et demeurer à jamais, Monsieur, vostre plus humble et très-affectionné à vous faire service.
Friderich comte Palatin.
De Heydelberg, ce 19 de janvier 1607.
Le 7, mercredi.—Les députés de Bretagne le viennent voir.
Le 8, jeudi.—Il écrit au Roi une lettre en latin, faite par M. Hubert, une autre en françois à la Reine.
Le 30, vendredi.—Il s'est botté pour aller environ
une lieue au devant du Roi, qui le fait mettre dans son
Mars
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carrosse, où il le ramène au château. Après souper il va
voir le Roi et la Reine[388].
Le 31 mars, samedi.—Il va chez le Roi, lui donne sa chemise, puis va avec lui se promener au grand canal, puis à la chapelle. Mené chez M. Zamet, où dînoit le Roi.
Le 5 avril, jeudi, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle, puis allé chez la Reine; le Roi revient de la chasse; dîné avec le Roi[389]. J'arrive à cinq heures[390]; il vient au devant de moi, me demande l'arbalète à jalet que je lui avois promise. Je la lui donne, il frétilloit après. A huit heures et demie mené chez LL. MM., il leur donne le bonsoir.
Le 6, vendredi.—Déjeuné d'un bouillon aux herbes avec un jaune d'œuf, Mme de Montglat m'ayant dit que le Roi avoit commandé que l'on lui fît manger maigre les vendredis, et qu'il le vouloit.
Le 11, mercredi.—Il fait des demandes à un fauconnier du Roi, qui portoit un faucon volant pour rivière, s'entretient avec lui. Mené chez le Roi, qui étoit malade de fièvre de rhume; à six heures il sert le Roi à souper. Il ne veut point ouïr parler de laver le lendemain les pieds aux pauvres, et dit: Je ne veux point, ils sont puants. Enfin il se surmonte peu à peu, le Roi lui ayant dit qu'il vouloit qu'il le fît en sa place, ne pouvant y aller.
Le 12, jeudi.—On lui demande s'il lavera bien les
pieds aux pauvres, il répond: Ho! que non! je les laverai
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bien aux filles, non pas aux garçons. Il ne y avoit point de
moyen pour le persuader à laver les pieds aux pauvres,
le jour de la Cène: Non, je ne veux point; ils ont les pieds
puants. A neuf heures déjeuné; mené chez le Roi, qui lui
demanda s'il feroit bien la cérémonie en sa place, il
répond: Oui, papa. A dix heures mené à la salle du bal,
où il entend le sermon de M. l'archevêque d'Embrun,
pendant lequel il s'amuse à piquer du papier avec une
épingle, figurant des oiseaux et autres animaux. Après
la cérémonie de l'absolution, il est conduit sur le
théâtre[391] pour laver les pieds aux pauvres, par force,
accompagné de MM. le prince de Condé, prince de Conty
et comte de Soissons, lesquels servirent à la cérémonie,
comme si le Roi y eût été présent. Quand il approcha
du premier pauvre, il reconnut son bassin, où
l'on vouloit verser l'eau pour le lavement; cela le confirma
en son humeur, et ne put jamais être forcé seulement
pour se baisser, reculant et pleurant. Les aumôniers
en firent l'office devant lui. Au servir de la viande,
il ne voulut jamais prendre ne toucher à aucun service
que l'on lui présentoit, mais bien aux bourses, et les
donnoit fort gaiement. Tout fini, il en fut fort réjoui[392].
Avr
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Mené chez le Roi, puis en sa chambre, et, à midi, dîné.
Il va jouer à la galerie, y fait courir un levrault par Pataut,
l'un de ses chiens, va chez le Roi. M. de Guise lui
montroit son épée, lui disant: «Monsieur, voilà une belle
épée.»—D'où l'avez-vous eue!—«Monsieur je l'ai achetée
en Turquie.»—Vous êtes un moqueur.—La Reine voulant
aller faire la Cène lui dit: «Mon fils, voulez-vous pas venir
laver les pieds aux pauvres?» Il va avec la Reine. Mme de
Montglat lui demandoit pourquoi il n'avoit pas voulu
le matin laver et baiser les pieds aux malades, et que le
Roi le faisoit bien, lui qui étoit le Roi; il répond: Mais je
suis pas le Roi!
258
Le 13, vendredi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des pins, il visite son jardin, où il avoit semé des pois et des fèves, puis travaille avec une bêche pour faire une coulée à jouer aux œufs de Pâques. Il va chez le Roi, qui étoit malade de fièvre de rhume.
Le 14, samedi.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il va à confesse.
Le 15, dimanche, jour de Pâques.—Mené en la chambre du Roi, d'où il regarde le Roi touchant les malades et arrivant au droit des fenêtres[393], lui ôte le chapeau et dit: Bonjour, papa, en contraignant sa voix par respect, ne le voulant pas détourner de la cérémonie.
Le 16, lundi.—La Reine va en la grande galerie ayant quelques petites douleurs pour accoucher; y étant arrivée, les douleurs la pressent, elle retourne en sa chambre, où, ne faisant que d'entrer, les douleurs lui redoublent et les eaux se percent. En se couchant le Dauphin disoit que si la Reine faisoit un petit frère il feroit tirer son canon; mais si c'étoit une fille: Je m'en soucie bien! La Reine accoucha de Monsieur, duc d'Orléans[394], à dix heures et demie du soir, fort heureusement, le vingtième jour de la lune de mars. En le voulant remuer on lui vit la quille droite, ferme; je l'ai maniée.
Le 17, mardi.—Il va voir M. d'Orléans, lui fait de
grandes caresses. M. de Rosny vient voir le Dauphin, et
lui demande: «Monsieur, avez-vous besoin de quelque
chose? demandez-le-moi.» Ayant songé et branlant la
tête, il répond: Rien. Peu après sa nourrice lui dit:
«Que n'avez-vous dit à M. de Rosny qu'il me fît bailler
un lit?»—Hé! Dondon, je l'y ai demandé tant de
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fois, et il n'en fait rien, dit-il, comme s'en plaignant.
Le 18, mercredi, à Fontainebleau.—A dix heures il monte en la chambre de Monsieur pour le voir ondoyer; il le fut par M. le cardinal de Sourdis. Mlle Bélier dit au Dauphin: «Monsieur, il faut bien maintenant prier Dieu pour Monsieur votre frère, qu'il lui fasse la grâce de le bien garder;» le Dauphin s'en prit à pleurer, mais doucement. Le sieur Pietro Alsense, commandeur de Malte, Sicilien, le vient voir; il avoit fait sa nativité[395]; puis je le menai pour voir Monsieur, pour faire la sienne.
Le 19, jeudi.—A neuf heures déjeuné; M. de Sully y vient; on le veut persuader à lui demander quelque chose, il n'y est porté que par force et par acquit. Il prie pour un lit à sa nourrice; puis, Mme de Montglat le priant pour Indret, joueur de luth, et pour M. Birat, M. de Sully dit: «Monsieur, ne s'en soucie pas.»—Si fait, dit-il soudain; puis M. de Sully lui demande: «Qui sont ceux de céans que vous aimez le mieux?»—Il répond soudain: Indret et Birat, pour les recommander sur cette occasion, ne lui ayant point voulu parler auparavant.—Cette nuit, sur les deux heures après minuit, deux sentinelles, l'un suisse et l'autre françois, ont aperçu en l'air un grand aigle blanc qui a fait le tour du château et, arrivé à l'horloge du braquemart, est disparu rendant comme un coup d'arquebuse. Ils l'ont ainsi rapporté au Roi[396].
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Le 20, vendredi, à Fontainebleau.—Le Dauphin aperçoit le Roi au jardin; on ne le peut plus retenir, il y court. Il voit remuer M. d'Orléans, et considérant sa main dit en souriant: Hé! voyez sa petite main! Je lui dis: «Monsieur, c'est de cette main dont un jour il vous fera service.» Il advint qu'à l'instant il haussa le bras droit, tenant le poing fermé, ce que chacun interpréta à bon augure, et lui (le Dauphin) l'alloit contant à chacun.
Le 21, samedi.—Il dit ses quatrains et quelques sentences[397]; entre autres Mme de Montglat lui faisoit dire: «L'humilité est le chemin de l'honneur;» il dit de lui-même: L'humilité est le chemin de la gloire qui conduit à l'honneur.
Le 22, dimanche.—Dîné avec le Roi; le Roi mangeoit
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du revenu du cerf, le Dauphin dit à Mme de Montglat:
Mamanga, je voudrois bien manger de cela.—«Monsieur,
lui dit-elle, il n'en faut pas demander.» Comme le Roi
eut achevé, le Dauphin lui dit: Papa, donnez-moi de cela,
s'il vous plaît.—«Il n'y en a plus, lui dit le Roi: que ne
m'en avez-vous demandé?» Le Dauphin lui répond en
hoignant un peu: Papa, j'en voulois bien demander, mais
Mamanga n'a pas voulu.
Le 23, lundi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, qu'il trouve dînant et MM. de Vendôme et le Chevalier avec lui; il s'en pique en lui-même, n'en fait point semblant, se met auprès du Roi, qui le choque sans y penser ni s'en apercevoir; il se retire et se prend à pleurer, et pour prétexte de son déplaisir dit qu'il croit que Papa est fâché contre moi puisqu'il m'a battu. L'on le dit au Roi, qui l'apaise et le fait dîner avec lui.
Le 24, mardi.—Mené chez le Roi, qui venoit d'être saigné, puis à la chapelle et ramené en sa chambre. Mmes les princesses de Conty, de Martigues[398] et de Mercœur[399] le viennent voir. Mme la princesse de Conty lui dit, se voulant jouer à lui: «Monsieur, je veux que vous m'appeliez Madame.»—Je veux pas.—«Je vous appellerai donc griffon.»—Je vous appellerai chienne.—«Je vous appellerai petit renard.»—Je vous appellerai grosse bête, et, montant sur un placet[400], il lui porte sa main vers le front en faisant les cornes et lui disant: Je vous ferai porter ces armoiries.—«Ce ne sera pas vous qui me les ferez porter,» répliqua-t-elle, se trouvant un peu hors de train.
Le 26, jeudi.—Il va en la galerie, où il fait appeler la
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musique de la chambre du Roi pour l'entendre; il
aimoit la musique et l'avoit toujours aimée avec transport.
Le 28 avril, samedi.—Mené voir M. de Montglat, qui avoit la goutte, il le trouve levé, assis, et son pied sur un de ses carreaux de velours vert; il s'en aperçoit, s'en retourne tout court, en colère, disant entre ses dents: Ho! il a son pied sur mon carreau, et puis on le mettra sur mon visage! Mme de Montglat ne l'en peut apaiser par aucune promesse, il s'en va. M. Guérin lui dit: «Monsieur, il vous lui en faut donner un, puisque vous en avez deux.»—Ho! c'est un bel homme pour l'y en donner. Indret lui dit: «Monsieur, il faut que vous les lui donniez tous deux.»—Je m'en soucie bien; si c'étoit vous, qui êtes pauvre, je vous le donnerois; mais il est riche, qu'il en achète!
Le 29, dimanche.—On parloit du Pape, il demande: Le Pape est-il pus riche que papa? Quelqu'un répond: «Oui».—Je l'aime donc point.—Il étoit dans la balustre, voyant remuer M. d'Orléans; son aumônier lui demande s'il vouloit pas bien être cardinal?—Non, ce sera pour cet homme, dit-il en mettant la main sur la tête de M. de Verneuil[401].
Le 1er mai, mardi, à Fontainebleau.—Il avoit une robe neuve, verte, avec du passement d'or et de soie; il demande: Pourquoi y a-t-y pas du passement tout d'or? Le nonce du Pape le vient voir, l'embrasse. Mme de Montglat lui dit qu'il demande comment se porte le Pape, son parrain; le Dauphin, branlant doucement la tête, dit à demi-voix: Je ne saurois faire cela, il est trop mal aisé. Amusé à peindre en crayon à mesure que M. Decourt, peintre du Roi, le pourtrayoit en crayon; il demande: Faut-il mettre du bleu aux yeux? Il aimoit la peinture et y avoit de l'inclination.
263
Le 3, jeudi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, puis chez la Reine, il donne le bonsoir à Leurs Majestés[402].
Le 5, samedi.—Il joue assis pour être peint en crayon par M. Decourt, peintre du Roi; pour l'arrêter[403] Mathurine fait chanter trois petits garçons; rien ne l'arrêtoit tant que la musique, il l'écoutoit avec transport.
Le 6, dimanche.—On lui avoit fait faire un pourpoint de toile blanche doublé de taffetas, un haut-de-chausses de même. J'en veux point, dit-il, il est pas beau; ho! j'en veux point! Mme de Montglat lui dit qu'il est de même que celui du Roi; que ce n'est pas pour le porter toujours, mais quelques heures du jour, quand il fait chaud. Je ne le porterai ni aujourd'hui ni tantôt; j'en veux un de taffetas, comme celui de féfé Chevalier.—Je lui demande de quelle couleur il le vouloit?—Je le veux rouge.—«Monsieur, c'est la couleur des Espagnols; voici le mois de mai, le voulez-vous vert?»—Ho! on diroit que je serois fou!
Le 7, lundi.—Il joue avec une petite peinture de
Diane, en papier, que le jour précédent il avoit faite,
remplissant avec la plume ce qu'on lui avoit tracé. Je
lui dis que les femmes portoient la lune en la tête, il répond
soudain: Et les hommes le croissant!—Il reçoit
une lettre de M. de la Trimouille[404], âgé de huit ans, qui
s'éjouissoit de la naissance de Monsieur d'Orléans, mais
qui lui offroit son service à lui tout le premier. Il serre
la lettre en son petit cabinet, puis dit: Je voudrois bien
lui écrire. Mme de Montglat lui demande quoi?—Je sais
pas.—«Mais dites quoi.» Il songe en se promenant les
mains sur le derrière: Si veut venir avec moi à la guerre
Mai
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264
qu'il y vienne, sinon qu'il n'y vienne pas; s'il ne veut, quand
je serai grand comme féfé Chevalier j'irai à la guerre avec
papa, je serai toujours avec papa.
Le 8, mardi, à Fontainebleau.—Le Roi le mène au jardin de la Reine, où il se joue jusques à six heures; le Roi le ramène, et il a soupé avec lui; il va en la chambre de la Reine, puis ramené en la sienne il se joue sur le tapis et chante en compagnie: Quand cette malheureuse bande et Jean de Nivelle.
Le 9, mercredi.—Mme la comtesse de Moret accouche d'un fils à dix heures[405]; sur le bruit qui en couroit, on dit au Dauphin: «Monsieur, vous avez encore un autre féfé.»—Qui? qui est-il? demande-t-il, comme ébahi.—«Monsieur, c'est Mme la comtesse de Moret qui est accouchée d'un fils.»—Ho, ho! il n'est pas à papa!—«Monsieur, à qui est-il donc?»—Il est à sa mère, et n'en voulut jamais dire autre chose, tout fâché et comme s'il eût voulu pleurer. A midi dîné; il rêve en mangeant, et demande tout à coup à Mlle de Vendôme: Sœu-sœu Vendôme, qui aimez-vous mieux, Mousseu de Longueville ou Mousseu de Momorency?—«Monsieur, je ferai ce qu'il plaira à papa.»—Ho, ho! vous êtes amoureuse de Mousseu de Longueville[406].—Mme de Montglat l'instruisoit sur ce qu'il auroit à faire et à dire à la reine Marguerite: Je serai bien sage, je serai bien sage, dit-il brusquement. Mené visiter la reine Marguerite, qui étoit arrivée à une heure après minuit, il fait ses compliments par force; ramené avec elle chez M. d'Orléans, d'où il s'échappe, il va en sa chambre, où il envoie querir deux renardeaux pour les faire courir en la galerie par son chien Pataut; il les fait courir en présence de la reine Marguerite.
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Le 10, jeudi, à Fontainebleau.—A peine avoit-il les yeux ouverts qu'il est fouetté pour n'avoir pas fait, le jour précédent, les compliments à la reine Marguerite. Il s'en va avec le Roi chez la reine Marguerite.
Le 11, vendredi.—Il se joue de son petit canon, que la Reine lui avoit donné; je lui demande qui lui avoit donné ce canon?—Papa l'a acheté, et maman me l'a donné. Mené par la galerie au jardin des pins y trouver le Roi, qui promenoit la reine Marguerite.—Dîné avec le Roi.—A neuf heures du soir il est mené chez Leurs Majestés, et va prendre congé de la reine Marguerite, qui devoit partir le lendemain.
Le 12, samedi.—Il va conduire, jusques au carrosse, la reine Marguerite s'en retournant à Paris.
Le 13, dimanche.—A souper il a de l'impatience pour aller à la fenêtre voir en la cour un cul-de-jatte jouer du flageolet, et lui crie: Ne vous en allez pas, cul-de-jatte, je lave mes mains. Il va voir le Roi, qui devoit partir bon matin, lui dit adieu.
Le 14, lundi.—L'on vient demander à Mme de Montglat si on porteroit M. d'Orléans à la chambre de Madame; il en est jaloux, s'en fâche, et le fait porter en la sienne, et permet qu'on le couche sur son lit; c'étoit une extrême faveur.
Le 15, mardi.—Il va attendre la Reine en son petit anticabinet, pour être le premier rencontré à sa première sortie, relevant de sa couche, l'accompagne jusques à la chapelle de la salle du bal. A onze heures trois quarts, dîné; Mme la princesse d'Orange lui disoit: «Monsieur, qui aimez-vous mieux qui soit votre beau-frère, ou le prince d'Espagne, ou le prince de Galles?»—Le prince de Galles.—«Et vous, épouserez-vous l'Infante?—J'en veux point.—Je lui dis: «Monsieur, elle vous fera roi d'Espagne.»—Non, je veux point être Espagnol. Il va chez la Reine pour prendre le mot, et le donne aux capitaines.
266
Le 16 mai, mercredi, à Fontainebleau.—Mené chez la Reine et au jardin des pins, où il s'amuse; l'on porta une cane pour y mettre des barbets après, dans la grande fontaine; il s'en va, et jamais ne le sut-on persuader de l'aller voir; c'est qu'il ne la vouloit point voir faire mourir. Il va sur la terrasse, où il voit la chaise percée de Mme de Montglat, l'appelle, et tenant son nez bouché: Mamanga, velà un lièvre en forme.
Le 18, vendredi.—Fouetté pour avoir fait le fâcheux le jour précédent à la messe. A huit heures trois quarts il va donner le bonsoir à la Reine et prendre le mot.
Le 19, samedi.—Il va chez le Roi, qui arrivoit de Paris; le Roi et la Reine viennent voir remuer M. d'Orléans; il y va, chasse M. le Chevalier d'auprès d'eux.
Le 21, lundi.—Il vient chez M. d'Orléans pour lui donner ses premières brassières. A huit heures et demie mené chez le Roi, il lui donne le bonsoir; ramené il trouve un suisse en la salle, assis dans sa chaise, entre en extrême colère, veut qu'on l'envoie en prison.
Le 22, mardi.—A six heures soupé; on lui vient dire que le Roi alloit voir faire la curée du cerf qu'il avoit pris; il achève de souper avec impatience, va par la galerie en mangeant son massepain, et va rencontrer le Roi et la Reine, qui lui font voir la curée. Ramené en sa chambre, il s'amuse sur le tapis de pied à faire de la musique, chante lui-même: Ambroise, d'où venez-vous?
Le 24, jeudi.—Il s'amuse à peindre, se fait tracer par un jeune peintre et remplit après avec un charbon, fort sûrement; ayant bien commencé, il dit au peintre: Achevez le demeurant[407].
Le 25, vendredi.—Mené au Roi et à la Reine, qui soupoient; le Roi jette sur la table à Cadet, son chien, de la menue dragée; le chien la lèche, M. le Dauphin la ramasse et la mange.
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Le 28 mai, lundi, à Fontainebleau.—Le Roi revient de la chasse; il le va voir[408].
Le 29, mardi.—Il reçoit une escopette et deux grands et beaux barbets que lui envoie le prince de Galles. Il va à la poterie, où il prend plusieurs pièces, chiens, lions, taureaux, puis revient en sa chambre, où, sur le tapis de pied, il les fait combattre. A huit heures trois quarts mené chez Leurs Majestés, il y écoute la musique de voix et de luths; on ne l'en peut tirer tant il y étoit attentif; il joue après aux cartes, au reversis, M. le grand écuyer joue avec lui; il y jouoit d'affection et comme entendu.
Le 30, mercredi.—A neuf heures du soir mené chez le Roi, il prend le mot, le donne à M. d'Épernon, colonel de l'infanterie, puis à M. de Créquy, mestre de camp du régiment des gardes; il le refuse à M. de Bouillon, maréchal de France.
Le 5 juin, mardi, à Fontainebleau.—Le fils de M. de Saint-Luc, âgé de quatre ans, vient dire adieu au Dauphin; je lui demande bas à l'oreille: «Monsieur, vous plaît-il pas de lui donner quelque chose?»—Oui.—«Monsieur, quoi?»—Un cheval marin, qui étoit de poterie.—«Monsieur, vous plaît-il que je l'aille querir?»—Oui, mais ne prenez pas celui qui est cassé; il y en avoit. Je lui porte l'entier, il le lui donne gracieusement.
Le 6, mercredi, à Fontainebleau.—Il va à l'entrée de la galerie, où il s'amuse à tirer en cire Descluseaux pendant que le sieur Paulo le tire en cire; amusé jusques à trois heures et un quart; goûté; il s'amuse, avec de la cire, à faire un visage, pendant que M. Dupré, statuaire du Roi, le tire pour en faire une médaille; il sait tout ce qu'il faut faire et travaille fort dextrement, polit, fait les cheveux, perce les yeux, les oreilles, tout sur la trace grossière que M. Dupré lui en avoit faite.
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Le 7, jeudi, à Fontainebleau.—Il conteste contre Mme de Montglat, dit qu'il ne fera rien de ce qu'elle voudra, et là-dessus il est fouetté.—Il dit qu'il me veut peindre[409] en cire pendant que M. Dupré l'achèvera, et qu'il me fera la barbe pointue comme une épingle[410].
Le 9, samedi.—A huit heures mené chez Leurs Majestés, il leur donne le bonsoir; ramené à neuf heures et un quart, il voit danser les Égyptiens[411] en sa salle, ne veut point que M. Birat ne pas un des siens danse avec leurs femmes. A neuf heures trois quarts mené en sa chambre, dévêtu, mis au lit; l'on parloit de ce qu'il n'avoit permis la danse aux siens avec ces femmes; je lui demande: «Monsieur, voudriez-vous bien que j'eusse dansé avec elles?»—Non, dit-il, je ne voudrois pas que vous eussiez touché la main à ces vilaines femmes; elles sont si sales! Je ferai allumer dans la salle un grand fagot de genièvre.
Le 10, dimanche.—Mené à la messe en la chambre de M. d'Orléans, puis chez le Roi, qui avoit la goutte. A onze heures et demie dîné; il ne veut plus manger que l'on ne fasse sortir trois Égyptiens, disant qu'ils sentoient mauvais.
Le 14, jeudi.—A dix heures mené à la chapelle puis chez la Reine et avec elle à la procession[412]; le Roi avoit la goutte. A six heures et demie soupé; il va sur la terrasse, revient en sa chambre pour y recevoir don Diego d'Ivarra, Espagnol, qui étoit ambassadeur pour le roi d'Espagne dans Paris, quand le Roi le prit sur la Ligue; il s'en alloit en Flandres.
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Le 15, vendredi.—Pour n'avoir voulu ôter son chapeau à des gentilshommes qui l'étoient venus voir, après qu'ils sont sortis de sa chambre, il est pris par des femmes de chambre, mis et couché sur le lit et fouetté.
Le 16, samedi, à Fontainebleau.—Mis au lit de Mme de Montglat avec elle et son mari. A quatre heures et demie il va chez le Roi, qui le met dans son carrosse et le mène au grand canal.
Le 17, dimanche.—Mené chez le Roi, qu'il trouve en
son antichambre, prêt à sortir, qui le mène au promenoir;
il fait le tour entier du jardin du Tibre, entre en
l'allée du chenil, où le Roi le renvoie. Ramené, il veut
battre Bompar, son page, disant que c'étoit pour ne
l'avoir point suivi, taisant la cause qui étoit pour avoir
suivi le Roi, portant sur lui le parasol de M. le Dauphin;
il retient longtemps cette vengeance. Bompar arrive, il
va à lui à coups de verge, qu'il tenoit en sa main, et à
coups de pied, ne lui veut point pardonner, quelque chose
qu'on lui puisse remontrer, demeure froid et ferme sur
cette opinion. A dîner, Bompar revient; Mme de Montglat
dit au Dauphin qu'il lui commande de sa part d'aller
savoir comme se portoit M. le grand écuyer, qui étoit malade;
il répond: Je veux pas que ce soit Bompar, je veux
que ce soit Charpentier, valet de garde-robe de Madame.
Sur la menace du fouet par Mme de Montglat, il dit: Oui,
oui, allez-y, Bompar; et quand il fut parti il reprit: Mais
qu'il soit revenu, je le battrai bien, je lui donnerai cent
coups de bâton, puis je l'envoyerai à la cuisine. Il dit tout
cela froidement; il ne pouvoit oublier son maltalent.
Bompar revient: Allez-vous en, dit-il, et il le chasse.
«Monsieur, lui dit-on, il ira trouver papa, auquel il
dira la cause pour laquelle vous l'avez chassé.» Il songe
quelque peu de temps sans dire mot, puis tout à coup:
Qu'on l'appelle. Il revient, et, pour rompre cette opiniâtre
humeur de vengeance, je lui dis comme Bompar
rentroit: «Monsieur, faites-lui boire le reste de votre
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breuvage.» Il le fait, se prend à rire, l'ayant vu boire,
et son humeur se passa.
Le 19, mardi, à Fontainebleau.—Il va par le jardin des canaux au Navarre[413], pour voir piquer les chevaux du Roi, y voit la Donzelle, cheval barbe, le Montgommery, cheval normand du haras de M. de Brueil, qui étoit le cheval de guerre du Roi.
Le 21, jeudi.—Il se réjouit de ce que Mme de Montglat dit que la Reine lui venoit de dire qu'il iroit à Saint-Germain: Ha! que j'en suis bien aise, moucheu Héoua, vos grands livres sont-ils encore à Saint-Germain?—«Oui, Monsieur.»—Les avez-vous fait serrer?—«Oui, Monsieur.»—Maître Gille (c'étoit son sommelier), je m'en vas à Saint-Germain, il faut que vous fassiez serrer ma coupe, mon verre et mon cadenas; mon bassin, faites le mettre dans un étui. Et vous, Devienne (son cuisinier), faudra faire serrer ma vaisselle.—Il va en la galerie, où l'on lui porte un tapis à l'entrée pour se jouer dessus; il faisoit grand chaud. Le cardinal Barberini, nonce, et le sieur Denis Caraffa, évêque, passant de Flandres pour aller nonce en Espagne, lui baisent la main.
Le 26, mardi.—Il bégaye fort en parlant. Il entend la messe en la chambre du Roi, puis va donner le bonjour à la Reine. A cinq heures, mené au jardin et chez M. de Sully.
Le 27, mercredi.—Il voit sur les quatre heures entrer
l'ambassadeur turc Mustapha-Aga, qui a la garde des habits
des enfants du Grand-Seigneur, et autres grands de sa
Cour; il étoit monté sur un cheval bai de la grande écurie
du Roi, et descendit au pied de l'escalier de la cour
des fontaines, conduit par M. de Brèves et accompagné
d'un janissaire, de deux autres Turcs et de deux esclaves.
Il venoit pour demander au Roi les esclaves turcs qui
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avoient été délivrés des galères à la prise de l'Écluse et
mis aux galères à Marseille, ce que le Roi leur accorda[414].
Cependant il prend une humeur à M. le Dauphin de vouloir
aller chez le Roi pour le y voir; on ne le peut
retenir. Il va en la galerie; on suppose un valet de chambre
qui lui vient dire de la part du Roi qu'il eût à s'en
retourner en sa chambre; il y va soudain sans marchander.
M. de Souvré arrive pour lui dire que l'ambassadeur
Turc le vient voir; le voilà aussitôt à même
pour accommoder le tapis de pied, y travaille lui-même
pour qu'il soit bien tendu, jusqu'à ôter un fétu que
M. de Souvré commandoit à un autre d'ôter. L'on demande
sa chaise: Qu'on m'apporte la grande, dit-il. On lui
donnoit de fausses alarmes de la venue de l'ambassadeur:
Asseyez-moi, asseyez-moi, disoit-il, se jouant avec
M. le comte de Saulx, M. de Courtenvaux et autres jeunes
gentilshommes. Assis, il goguenarde encore avec
eux sur les postures des chapeaux sur la tête; l'ambassadeur
arrivé, il prend sa contenance ferme, froid,
grave, doux, élève et dresse son corps, le regarde assurément
comme il s'arrêta au bout du tapis et le considérant,
et se regardoient l'un l'autre. Peu après l'ambassadeur
prend du damas vert figuré et mêlé d'autres
couleurs, s'avance et le lui présente, puis développe une
petite chemise à la turque, ouvrée de bouquets, qu'il lui
présente aussi: il reçoit tout froidement. L'ambassadeur
dit en son langage, rapporté par M. de Brèves, que ceux
qui étoient pauvres ne pouvoient pas donner beaucoup,
mais qu'ils donnoient l'affection, et qu'il donnoit la
sienne; puis demanda à lui baiser la main; il lui baise
la main gauche qu'il tend, puis dit qu'il prioit le grand
Dieu qu'il lui donnât la volonté de continuer en l'amitié
envers eux, comme avoient fait le Roi et ses prédécesseurs,
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et qu'il lui donnât longue vie; puis il s'en va par la galerie
aux jardins, et de là recoucher à Moret. Le soir, étant
sur le lit de Mme de Montglat, se jouant, je commence à
lui parler de ce Turc, et lui dis: «Monsieur, il faudra que
vous alliez un jour à Constantinople avec cinq cent mille
hommes.»—Oui, je tuerai tous les Turcs et cettui-ci, et
tout.—«Monsieur, il ne faudra pas tuer cettui-ci, qui
a pris la peine de venir de si loin pour vous voir et
vous faire des présents.»—Mais les Turcs ne croient pas en
Dieu.—«Monsieur, pardonnez-moi, ils croient en Dieu,
mais non pas en Jésus-Christ, qui est fils de Dieu.»—En
qui donc?—«En Mahomet.»—Qui est-ce Mahomet?—«Monsieur,
ce a été un méchant homme qui les a tous
trompés et fait croire qu'il étoit envoyé de Dieu pour
leur faire croire autrement que ce que Jésus-Christ avoit
fait.» Il songe un peu, puis soudain: Ho! ho! je les tuerai
tous, mais je ferai dire une messe devant cettui-ci, puis
je le ferai baptiser.—«Ce sera bien fait, mais il le faudroit
premièrement faire baptiser, puis vous feriez dire
la messe devant lui.»—Pourquoi?—«Pource qu'il
ne peut être chrétien qu'il ne soit baptisé, ni ouïr la
messe qu'il ne soit chrétien.»—Bien donc. L'on nous
interrompit.
Le 28 juin, jeudi.—Éveillé à huit heures, il se jette hors du lit à bas, fait fermer les portes, de peur que Mme de Montglat ne lui donnât le fouet, qu'il craignoit pour des fautes faites le jour précédent; elle vient, il y court pour l'empêcher, j'obtiens grâce, il ouvre.
Le 1er juillet, dimanche, à Fontainebleau.—Le Roi commande à M. Birat, à M. Guérin, nomme son mignon ce soldat Descluseaux (sic), puis à M. de Cressy, à M. de Mansan de le tenir quand Mme de Montglat le voudra fouetter; me fait l'honneur de me commander devant lui de le reprendre quand il fera quelque faute. Le Roi et la Reine partent pour s'en aller souper et coucher à Melun et le lendemain à Saint-Maur-des-Fossés.
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Le 3, mardi, à Fontainebleau.—A trois heures étudié; il écrit à contre-cœur, hausse ses deux jambes, les met du long sur son papier; les cuisses étoient en l'air, nues. Mme de Montglat lui donne un grand coup de verges dessus, ne voulant pas les ôter.
Le 4, mercredi.—A deux heures il vient au pavillon de M. le Grand, où j'étois logé, y joue à la paume; à trois heures il y a goûté, puis il va en la galerie du jeu de paume, y joue à la paume avec jugement, frappe de grands coups. Mené au jardin des pins, en celui des canaux et des fruitiers, où il s'amuse à voir des cages où des poules avoient couvé des faisandeaux; il n'en pouvoit partir.
Le 6, vendredi.—A une heure il va chez sa nourrice, d'où il m'envoie querir pour étudier; mais ce ne fut pas pour longtemps. Il fallut marchander pour en dire deux lignes et demie du Psaultier latin. A deux heures et demie il consent de descendre en sa chambre pour y apprendre à écrire puis à danser. A neuf heures trois quarts dévêtu, mis au lit, fort gai; l'on parloit des chevau-légers du Roi et de Caulet, qui en étoit le chirurgien et qu'il vouloit qu'on envoyât querir pour lui panser une écorchure qu'il avoit; il demande: Papa n'a-t'y que des chevau-légers?—Je lui dis que non.—J'ai des gendarmes et des chevau-légers; je veux donner à papa ma compagnie de gendarmes.—«Monsieur, papa les vous a baillés pour y commander pour son service, et quand vous serez grand, un jour de bataille, vous serez à la tête de l'armée, au devant de papa, avec votre compagnie de gendarmes.»—Qu'est-ce que tête?—«Monsieur, c'est le devant de l'armée qui regarde les ennemis.» Il répond en s'animant: J'y serai devant papa avec ma compagnie de gendarmes, et mes chevau-légers seront devant moi, puis nous irons tuer tous les ennemis.
Le 7, samedi.—Comme Mme de Montglat lui donne sa
chemise, elle lui demande: «Monsieur, quand vous serez
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hors d'avec moi et entre les mains des hommes, et que
j'aille quelquefois à votre lever, me permettrez-vous de
vous donner votre chemise?» Il lui répond: Ne parlons
pas de cela, Mamanga, je vous en prie; il me semble que j'y
suis déjà!—A cinq heures, mené aux jardins, il voit une
femme qui mangeoit du pain bis de la concierge du portail
de la chaussée, en veut, en mange un gros morceau.
Ramené, M. l'aumônier demande à Mme de Montglat pour
le faire voir à quelques chanoines de Saint-Quentin: Mais,
Mamanga, mon aumônier ne parle jamais que de chanoines
et que de moines! dit-il, hoignant et hochant la tête.
Le 8, dimanche, à Fontainebleau.—Il écoute, en mangeant lentement, la musique des luths et des voix avec transport; aucune chose n'arrêtoit tant son esprit que la musique. Il va en sa chambre, se fait donner sa trompe, que M. de Montbazon lui avoit donnée, va en la galerie, s'amuse à sonner ce qui est de la chasse, parlant dans sa trompe sans souffler.
Le 10, mardi.—On lui dit que M. Birat étoit revenu de Montargis, il s'en réjouit, l'envoie querir, l'attend avec impatience; il étoit de ceux qui le faisoient jouer.—Étudié à contrecœur, après avoir bien marchandé.
Le 11, mercredi.—M. Caulet, chirurgien aux chevau-légers du Roi, lui a coupé les cheveux en homme.
Le 14, samedi.—Il pleure fort sur ce qu'il voit pleurer Mme de Montglat pour les mauvaises nouvelles de son mari, qui étoit mort[415]. M. de Souvré le fait étudier; ce fut la première fois.
Le 15, dimanche.—Mené sur la chaussée, où il voit M. du Brocq voltiger sur un cheval. Il demande d'aller voir Mamanga, mais je veux pas qu'elle pleure. Il y va: Bonsoir Mamanga, je veux pas que vous pleuriez, riez; il la veut emmener pour coucher en sa chambre.
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Le 17, mardi, à Fontainebleau.—Il ne veut point que M. Guérin le serve (à souper), pour ce qu'il avoit touché à Mlle de Vendôme pour l'asseoir à table; il se y opiniâtre. L'on vient à parler du tonnerre, qui le jour précédent, sur les trois heures, étoit tombé à Moret dans la chambre où M. le comte de Moret, âgé de deux mois et demi, étoit entre les bras de sa nourrice, près de la fenêtre, où il entra sans offenser personne. Je dis que la chambre étoit pleine d'opiniâtres; il ne dit mot, mais incontinent après dit: Guérin, prenez la serviette, servez-moi.
Le 18, mercredi.—J'allai à Moret voir M. le comte de Moret, qui se portoit bien et avoit été miraculeusement sauvé du tonnerre, qui entra par les fenêtres de sa chambre, du côté du midi, à deux pas près de lui, étant dans les bras de sa nourrice.
Le 21, samedi.—A onze heures dîné; il demande de
la tisane de Mlle de Vendôme à boire, M. Guérin lui dit
que c'étoit du vin: Bien, c'est tout un, donnez-m'en, et il
me regarde, et me commande de lui en faire donner. Je
lui dis: «Monsieur, il vous feroit mal».—Papa le veut.—«Monsieur,
c'est quand vous mangez avec lui». Il
commence à s'échauffer de colère: Vous êtes un homme
de neige, vous êtes laid!—«Oui Monsieur, mais vous ne
boirez pas de vin, car il vous feroit mal». Sur ce refus
il prend un couteau et, tout ardent de colère, m'en menace.
Je lui dis: «Adieu, Monsieur, je m'en vais tout à
fait.» Je pars, et m'en allai en ma chambre; il envoie
plusieurs fois vers moi, et après plusieurs refus je retourne.
Il dit qu'il est bien marri de ce qu'il a fait et que
jamais il n'y retournera, demande à boire. On lui sert de
son breuvage, dont il ne vouloit pas, en boit fort peu et
par menace. Il est toujours sur ce vin; il en vouloit, je
lui résiste encore: Je vous aime point, vous êtes un bel
homme de neige.—«Monsieur, je l'écrirai au Roi, ou je
m'en irai le lui dire».—Je m'en soucie bien.—«Bien
donc, Monsieur, puisque je ne vous sers plus de rien,
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adieu, je m'en vais tout à bon trouver le Roi.» Je pars,
il envoie plusieurs fois après moi; je ne y retourne plus,
cependant il continue à dîner. A deux heures il vient en
ma chambre, après s'être informé de lui-même si je m'en
allois; on lui dit que oui, et que c'étoit en carrosse: Ho!
son carrosse est à Vaugrigneuse et celui de Mamanga est à
Paris! Mme de Montglat le conduisoit, il marchandoit à
entrer; il entre, je le salue sans dire mot; il s'en vient
enfin à moi: Je vous prie, ne vous en allez pas!—«Monsieur,
que voulez-vous que je fasse ici, auprès de vous,
puisque vous ne voulez pas faire ce qui est pour votre
santé; je ne y sers plus de rien».—Je ferai plus; et la
paix fut faite. Sur les trois heures Boileau, son violon, se
présente pour le faire danser, il lui dit des injures, et le
veut frapper; Mme de Montglat l'aperçoit, elle le fait
prendre et tenir par Boileau, et il fut fouetté.—Mme la
comtesse de Moret le vient voir.
Le 23, lundi, à Fontainebleau.—Il se réjouit d'aller à Saint-Germain, sur la nouvelle qui en étoit venue de la part de la Reine.
Le 24, mardi.—Il va en la galerie, s'y joue, s'y amuse, va chez sa nourrice, et à trois heures y a goûté, puis écrit; en écrivant M. Boquet (mari de sa nourrice) crioit après Pataut, son chien, pour ce qu'il faisoit du bruit pendant que Monseigneur écrivoit: Hé! Boquet, savez-vous pas que c'est une bête, quelle n'a point de raison?
Le 25, mercredi.—M. le cardinal de Joyeuse, revenant d'Italie pour l'accord du Pape et des Vénitiens, vient voir le Dauphin.—Mme de Moret lui avoit envoyé un navire; il disoit qu'étant à Saint-Germain il le mettroit sur la rivière, et le feroit tout charger de lapins.
Le 27, vendredi.—Ayant appris par le capitaine des mulets du Roi qu'il avoit amené les mulets pour aller à Saint-Germain; il presse que l'on serre ses habits, que l'on fasse les coffres.
Le 28, samedi, à Fontainebleau.—MM. de Souvré et
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de Béthune arrivent pour le conduire à Saint-Germain;
aussitôt il va en sa chambre, et disoit par celles où il passoit:
Je m'en vas détendre ma chambre, Mousseu de Souvré
est venu. A six heures et un quart soupé, il se ressouvient,
en parlant de Crosne, d'un grand cabinet rond, découvert,
où il avoit passé il y avoit deux ans dix mois[416]
disant: C'est là où nous fîmes le corps de garde; il étoit
vrai.
Le 29, dimanche, voyage.—A une heure et demie il est entré en carrosse à la cour du Cheval-Blanc, et est parti, accompagné de M. d'Orléans en litière, Madame et Mme Christienne en litière, Mlle de Vendôme en litière; et dans son carrosse de M. et de Mlle de Verneuil et Mme de Montglat, sa gouvernante; MM. de Souvré et de Béthune à cheval. A trois heures et un quart goûté dans la forêt, à la table du Roi. Arrivé à Melun à quatre heures et demie, il se joue en sa chambre chez M. de la Grange. MM. de la ville et le lieutenant général le viennent saluer, lui font présent de pièces de pâtisserie et de leur vin. Il va voir chez un plombier, près du pont, des moulins où il y avoit une pompe qui donnoit de l'eau à une petite grotte; M. de Souvré le y mena; il fut ramené à pied par la ville.
Le 30, lundi, voyage.—Parti de Melun à midi, il arrive à deux heures et demie à Lourcine, où il a goûté, passe par le pont de Villeneuve-Saint-Georges, et arrive à Crosne à cinq heures et un quart. Mené au jardin, il se promène partout, passe sur le pont, qui tourne sur un pivot, fait abattre des prunes.
Le 31, mardi, voyage.—On le mène au logis de
M. Gobelin; on lui fait voir la fontaine, le jardin; il part
à huit heures trois quarts, il est mené à Charenton, chez
M. Cenami, gentilhomme lucquois; parti à une heure et
demie, il entre à Paris par la porte Saint-Antoine. MM. de
Guise, de Nemours, d'Aiguillon et de Sommerive le
Juil
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viennent saluer et le conduisent jusques à la porte Saint-Honoré,
où ils rencontrent M. le prévôt des marchands
(Sanguin, sieur de Livry) et les échevins, qui lui font la
réception; hors la porte ces messieurs prennent congé
de lui. Il est mené jusques au Roule, où, sous un ombrage,
sans descendre de carrosse, il a goûté à trois heures et
un quart. Il passe le pont de Saint-Cloud, porté sur les
bras par M. de Courtenvaux (on racoustroit le pont); il
arrive à Saint-Cloud en son logis, chez M. de Gondi, à
cinq heures et demie.
Le 1er août, mercredi, voyage.—A deux heures et demie parti de Saint-Cloud, il passe par la levée; il se rencontre un grand bateau qui montoit et qui traînoit, attaché, un petit bateau que les bateliers dirent avoir fait faire pour lui; il commande de le descendre au Pecq, et arrive à Saint-Germain-en-Laye à quatre heures et un quart.
Le 2, jeudi, à Saint-Germain.—Il va en la chambre de sa nourrice, puis descend en son ancienne chambre, où il s'amuse. M. Nicolaï, premier président des Comptes à Paris et Mme des Essars[417] le viennent voir. Quelqu'un lui demande: «Monsieur, qui est cette belle dame?» Il répond en souriant: C'est la femme de Mousseu de la Varenne; il l'avoit vue quelquefois à Fontainebleau et conduite par M. de la Varenne.
Le 5, dimanche.—Il bégaye en parlant, se fait coiffer en paysanne pour jouer une comédie, ayant une épée à son côté.
Le 7, mardi.—Mené au palemail, il va jusques à la chapelle,
fait mener ses petits tombereaux, remuer et transporter
de la terre, ordonne, commande, se fait appeler
maître Louis. Il vient en ma chambre, où il s'amuse à la
fenêtre, et y prenoit plaisir à voir travailler les charpentiers
et les autres ouvriers, puis entre en mon étude,
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demande à écrire, écrit son nom Lois, puis me demande:
Comment faut-il écrire roi? Je le lui montre, il y ajoute
un s, disant: Velà Rois[418].
Le 10, vendredi, à Saint-Germain.—Mené au palemail, il se fait mettre dans son petit carrosse découvert jusques à la chapelle, où il entend la messe faisant des gambades sur son carreau. Il va à son carrosse, y fait mettre dedans Madame, la petite Vitry et le petit Gramont de la Franche-Comté. Il dit à l'oreille à Indret, son joueur de luth, qui le menoit: Je veux être le valet de pied, mais le dites pas. Deux pages tirent le carrosse, il va à côté branlant les bras et marchant de l'air d'un laquais, se fait appeler le petit Louis. Mené en sa chambre, il se met sur les outils de menuiserie; il a deux pages et deux garçons de la chambre, auxquels il commande, leur fournit la besogne et se fait appeler maître Louis. Il vient en ma chambre, me demande papier et encre, se met à peindre, fait un oiseau, puis se met à faire Dondon, sa nourrice; comme il faisoit le nombril, il tire ce qui est plus bas, et l'ayant fait, dit: Et velà ce que je veux pas dire[419].
Le 11, samedi.—M. de la Luzerne, le jeune, le vient
saluer; il lui montre ses armes. Mené à la chapelle du
parc, il y entend la messe ayant son papier et sa plume
à écrire; il falloit quelque chose pour contenir son esprit.
Au sortir de là il s'amuse à faire paver l'allée d'une
maison qu'il avoit faite les jours auparavant, y travaille
et apporte lui-même [ce qu'il faut]; on ne l'en peut tirer
jusques à ce que je lui dis qu'il falloit que les ouvriers
allassent dîner. Le page de Mme de Montglat, Maisonrouge,
demandoit de l'argent, menaçoit de ne revenir plus; le
Dauphin lui dit: Venez ce soir; savez-vous pas qu'on paye
les ouvriers le samedi au soir? Il s'amuse à ses outils de menuiserie,
va en la chambre de Mme de Montglat, la prie
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de lui donner un grand cabinet d'Allemagne qu'elle
avoit; elle le lui donne, il ne veut point ouïr parler de
donner le sien, qui étoit petit, à Mme de Vitry, qui le lui
demandoit. A neuf heures dévêtu, mis au lit, il s'amuse
à crayonner avec du rouge fort proprement et dextrement.
Le 12, dimanche, à Saint-Germain.—Il monte en la chambre de sa nourrice, qui étoit accouchée le matin, puis entre en la mienne, s'amuse à la fenêtre qui regarde le préau à parler aux passants, et leur demande: Qui êtes-vous? où allez-vous? Il fait sauter, courir, danser sur le pont de la chapelle des pauvres garçons, puis à la fin leur jette quatre grands blancs attachés à une pierre.
Le 13, lundi.—Il va à la chambre de la Reine, où il fait faire du feu et y mettre sa petite marmite, dans laquelle il met du mouton, du lard, du bœuf et des choux, appelle et prie chacun pour être à la collation, y fait monter Mlle de Vendôme. Il s'amuse à peindre en crayon, n'en peut sortir.
Le 14, mardi.—On lui dit que M. de Verneuil arrive[420]; le voilà de courir jusques au pied de l'escalier avec grandes exclamations et glapissements de joie; il en étoit tout transporté, l'embrasse, lui demande: Avez-vous soupé?—«Non, mon maître.»—Allez-vous-en souper, lui dit-il, faisant le maître et l'honneur de la maison.
Le 16, jeudi.—En prenant son bouillon dans son
écuelle de porcelaine, on lui louoit la porcelaine; je lui
dis que le Grand-Turc buvoit dans des vases de porcelaine:
Ho! dit-il, je veux plus prendre du bouillon là dedans,
et il repousse son écuelle.—«Monsieur, lui dis-je,
c'est pour ce que le Grand-Turc est un grand prince et
qu'il n'y a que les rois et les grands princes qui en usent.»
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Il revient à soi, la reprend et me demande: Papa s'en
sert-il?—«Oui, Monsieur.»
Le 17, vendredi.—Éveillé à six heures et demie; levé avec impatience de faire déménager pour aller à Noisy[421], à cause de la peste qui depuis avoit été découverte sur une femme, au-dessus du cimetière, ce dont on avoit averti le Roi, qui étoit à Monceaux; il dépêcha M. de Frontenac, qui arriva le jour précédent à quatre heures et demie après midi, portant commandement d'aller à Noisy. Il presse de charger, va lui-même en sa chambre, où il aide à emballer un matelas; jusques à trois heures c'est une perpétuelle inquiétude et soin, pour faire partir le reste des bagages qu'il voyoit en la cour, du dessus de la terrasse; il descend, remonte, est mené en la chapelle à cause du chaud. Enfin, parti de Saint-Germain à cinq heures, M. de Frontenac étant revenu de Poissy, et à son arrivée ayant reçu nouvelles du matin à dix heures, de Monceaux, de la maladie du Roi. Le Dauphin arrive, fort gai et ne faisant que chanter, à Noisy, à six heures et demie. Aussitôt qu'il est descendu il demande d'aller au jardin, y est mené, va partout. Amusé jusques à neuf heures, dévêtu, mis au lit, Mme de Montglat lui dit que l'on alloit à la chapelle prier Dieu pour papa: Et pour moi aussi, Mamanga, dit-il promptement et d'affection[422].
282
Le 18, samedi, à Noisy.—A huit heures et demie déjeûné; il me dit: Allons promener, mousseu Héroua; voulez-vous bien que je vous montre la grotte. Il me va montrant tout ce qu'il avoit vu le jour précédent, ayant remarqué jusques aux moindres choses. Ramené, et à neuf heures mené à la chapelle. A cinq heures mené au parc puis au jardin; à six heures trois quarts ramené, il veut hausser le pont levis. Mme la marquise de Ménelay[423] le vient voir. Dévêtu, mis au lit, il donne le mot à MM. de Mansan et de la Court: Saint Jacques.
Le 19, dimanche, à Noisy.—M. du Tost, mari de la
nourrice de Madame, lui apporte une pie-grièche qu'il
avoit dressée à voler le moineau; il se fait donner son
gant de fauconnier, la prend sur le poing, et, dans la salle
haute, la lâche fort à propos après un moineau, lui en
fait voler deux. Il veut aller aux Cordeliers ouïr vêpres;
sur la fin la patience lui échappe, et il s'en va aux orgues,
puis remonte au château, prend la pie-grièche, lui fait
voler un moineau en la salle. L'on présentoit la collation
à Mme la marquise de Ménelay; Mlle de Ventelet dit au Dauphin:
«Monsieur, que n'allez-vous? on y fait collation.»—Ho!
Mamanga, mousseu Héroua y sont; ils ne feroient
que me gronder, j'aime mieux y aller pas; c'est qu'il craignoit
d'être contrôlé devant Mme la marquise. Mené au
parc, où il se fait porter du papier et de l'encre pour y
écrire une lettre au Roi par M. de l'Isle-Rouët. A six heures
et demi soupé; il va sur la première terrasse hors la
cour, danse avec les filles, leur dit des chansons grasses,
puis tout riant les quitte et danse avec M. de Verneuil,
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M. de Mansan, M. de la Court et moi; il chante:
En revenant de cette ville, etc., on ne l'en peut tirer.
Le 24, vendredi, à Noisy.—Il lui prend humeur de vouloir aller à la chasse, commande à M. de Ventelet: Tetay, faites atteler le carrosse, je veux aller à la chasse. Taine, faites tenir prêts les oiseaux; il commande sérieusement et avec action et passion. A quatre heures et demie il entre en carrosse pour aller à la chasse (c'est la première fois), est mené aux environs du moulin de pierre allant vers Versailles[424], voit prendre près de lui un levraut avec deux lévriers, cinq ou six cailles à la remise chassées par le haubereau, et deux perdreaux, dont un pris par son épervier; l'on vit un grand renard qui se sauvoit vers le moulin. Ramené à six heures trois quarts, il raconte en soupant ce qu'il a vu de la chasse. Mme de Vitry lui vient porter un bouquet, disant que demain est Saint-Louis, sa fête, et qu'il faudra qu'il paye sa tarte pour tous; il s'en met en colère, et la chasse de sa chambre.
Le 25, samedi.—On lui apporte morte sa pie-grièche, où il prenoit fort grand plaisir; il ne s'en émeut pas beaucoup, mais lui fait ôter la longe et les sonnettes, disant froidement: Ce sera pour une autre, encore qu'en son âme il en fût marri, mais ne vouloit pas faire paroître son déplaisir.
Le 26, dimanche.—Il presse M. de Ventelet pour lui faire porter la tarte qu'il avoit commandé de faire pour sa fête Saint-Louis, que Mme de Montglat avoit remise à ce jour d'hui, parce que le jour précédent, qui étoit la Saint-Louis, elle faisoit faire un service aux Cordeliers pour la quarantaine après le décès de M. de Montglat.
Le 28, mardi.—Il s'amuse à crayonner, fait cette
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copie[425] de Mme la marquise de Menelay, fille de feu
M. le maréchal de Retz, sans aide aucune.—Il va à la
ferme, trouve des petits enfants du fermier, s'amuse à
les entretenir, puis leur donne de l'argent.
Le 29 août, mercredi.—Mené aux jardins du côté de Bailly[426], il visite tout, monte à la grotte. A neuf heures mis au lit, il entre en mauvaise humeur; Mme de Montglat lui montre des verges: Hé! Mamanga pardonnez-moi, et se prend à pleurer. Mme de Montglat lui dit: «Ne pleurez point.»—Vous me voulez fouetter, et vous voulez pas que je pleure! Il continue, et est fouetté.
Le 5 septembre, mercredi, à Noisy.—A dix heures le
Roi arrive; il lui va au devant, le rencontre hors du
pont-levis; à onze heures trois quarts dîné avec le Roi;
il mène le Roi se reposer sur son lit. A quatre heures et
demie le Roi part pour s'en aller coucher à Villepreux[427],
le Dauphin pleure; on le met dans le carrosse
de Mme de Montglat, et il suit ainsi le Roi jusques près
de Villepreux, où il vouloit aller avec le Roi, vers lequel
il envoya M. de la Court, exempt au corps et servant près
de lui, pour savoir s'il lui plaisoit pas de lui permettre
d'aller à Villepreux. Il rapporte que le Roi ne le veut
pas: Hé! je le veux moi, dit-il impérieusement; touche,
carrossier, touche! L'on fait insensiblement tourner le
carrosse vers Noisy, lui faisant croire qu'il alloit à Villepreux,
de façon que se voyant près de Noisy il entre en
colère, accuse M. de Verneuil, qui étoit dans le carrosse,
au cul des chevaux: Ha! c'est féfé Véneuil qui l'a dit
au carrossier; fouettez-le, Mamanga, et je vous promets que
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jamais je ne serai opiniâtre. Enfin il arrive à Noisy; l'humeur
lui passe.
Le 6, jeudi, à Noisy.—Le Roi arrive de Villepreux, l'envoie querir et mener au Cordeliers; dîné avec le Roi; il va en la chambre de Madame, s'y joue devant le Roi, qui à onze heures trois quarts part pour aller courir le cerf et coucher à Villepreux; il pleure fort pour le départ du Roi.
Le 8, samedi.—Il dit ses quatrains de Pibrac. Mené dehors, il s'amuse à la petite grotte sèche, à l'entrée du parc. Mis au lit, il me commande de lui montrer ma montre, de monter la sonnerie, demande la raison des mouvements, veut savoir tout.
Le 10, lundi.—MM. de Souvré, de Béthune, baron de Lux, de Gondi, le viennent visiter, et, peu après, le cardinal Barbarini, nonce du Pape, qui s'en retournoit à Rome. Mené aux parterres du côté de la grotte, il se joue dans la salle qui est dessus, sort, entre, court, n'en peut partir.—L'on parloit d'un mulet sur lequel un des officiers étoit allé aux champs: Il a des cors aux pieds, dit le Dauphin; c'est qu'il avoit le boulet enflé: il savoit et remarquoit tout.
Le 11, mardi.—Le sieur du Glast, gentilhomme anglois, écuyer du prince de Galles, le vient visiter de la part de son maître, avec une couple de petits pistolets qu'il lui envoie, accompagnés d'une lettre dont la teneur ensuit:
Monsieur et frère, le Roy mon père envoyant un des miens vers Sa Majesté, je luy ay commandé vous saluer de ma part, vous présentant deux petits bidets lesquels j'ay pensé qu'auriez agréables pour l'amour de moy, qui vous supplie croire qu'il n'est aucun plus desireux d'estre favorisé de vos bonnes grâces et de rencontrer quelque digne sujet pour les pouvoir mériter que celuy qui s'est voué vostre très-affectionné frère à vous servir.
Henry.
Nonsuch, 22 juillet 1607.
Le voilà amoureux de ces pistolets, il les met dans son cabinet d'Allemagne.
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Le 12, mercredi, à Noisy.—Le Roi arrive à dix heures; à dix heures trois quarts dîné avec le Roi. Le Roi part pour aller à la chasse.
Le 13, jeudi.—Mené au devant du Roi revenant de la chasse[428], puis à midi dîné avec lui. Il va en sa chambre, et, cependant que le Roi se repose, il va chez Madame, où il se joue jusques à deux heures qu'il lui prend une secousse de mal aux dents; il se fait coucher sur le lit de Madame. A trois heures le Roi y vient, le baise, et s'en retourne à Paris. Amusé doucement jusques à six heures, ayant été au galetas des meubles et des peintures où il s'étoit le plus amusé.
Le 14, vendredi.—Il s'amuse à peindre et faire peindre par Boileau.
Le 15, samedi.—Mme de Montglat disoit qu'elle alloit envoyer vers la Reine, qui s'étoit trouvée mal, et qu'il falloit qu'il lui écrivît pour apprendre de ses nouvelles. Qui y envoyez-vous? demande le Dauphin.—«Monsieur, je y envoyerai un homme de pied.»—Un homme de pied; que n'y envoyez-vous le Bernet? C'étoit un honnête homme, qui avoit été à feu M. de Montglat.—Mme de Vitry avoit un petit mortier de marbre; il desire de l'avoir, le lui demande à donner; elle le fait un peu marchander: Si vous ne me le donnez, je dirai que vous êtes ciche.
Le 16, dimanche.—Il me dit: J'ai envoyé querir mon gros canon.—«Monsieur, lequel?»—C'est Dondon, sa nourrice[429]. Il monte en la chambre de sa nourrice, où il se joue doucement, le petit Grandmont, parent de M. de Saint-Georges, avec lui et Louise, sa sœur de lait.
Le 17, lundi.—Il s'amuse à regarder Boileau, qui fait des crayons[430], et il dit ses quatrains de Pibrac en musique.
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Le 18, mardi, à Noisy.—Il s'amuse à voir peindre par Boileau, sait les noms de la matière des couleurs. A trois heures trois quarts dévêtu, mis au lit. On lui faisoit des contes de Mélusine; je lui dis que c'étoient des fables, et qu'elles n'étoient pas véritables. Mme de Montglat lui fait le conte de Daniel jeté aux lions; il y prend grand plaisir. Je lui fais celui de la tour de Babel et de la confusion des langues, il demande: Y avoit-il des François?—«Oui, Monsieur.»—Les François faisoient le mortier, et ils bailloient de la pierre. Puis je lui fis celui de David quand il tua Goliath; il me le fait redire plusieurs fois, me demande si David étoit bien aussi grand que M. le Chevalier, si sa fronde étoit de corde, si la pierre étoit pierre de liais; c'est qu'il avoit retenu ce mot ayant vu à son promenoir une grande table de pierre de liais, au jardin, et entendu dire quelle étoit bien dure. Il demande si Goliath étoit bien grand, s'il étoit plus haut que sa chambre, si son cheval étoit bien grand, de quel poil il étoit, s'il eût bien porté six hommes, si Goliath étoit bien pesant, s'il montoit tout seul dessus sans aide, et, de tous ces contes, demande: Cela est-il vrai?—«Oui, Monsieur, lui dis-je, ils sont dans la Bible[431].»—Je les veux apprendre, puis je les conterai à papa, car ils sont vrais, ils sont dans la Bible de Mamanga. Ma sœur fera des contes de la mouche guêpe qui a piqué la chèvre au cul, qui ne sont pas vrais, mais je ferai ceux-ci qui sont vrais. Mamanga, avez-vous ici votre Bible?—«Non, Monsieur.»—Il faut l'avoir, et quand nous serons en carrosse vous me la lirez.
Le 19, mercredi.—Il s'amuse à regarder Boileau, qui
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peignoit le père du Roi[432]. Je lui demande: «Monsieur,
lequel aimez-vous mieux, ou étudier ou danser?»—J'aime
mieux étudier; il n'aimoit point la danse de
son naturel.
Le 23, dimanche, à Noisy.—Amusé avec de la craie, il écrit contre la porte Loys, assez bien, m'appelle pour me le montrer. Mené à la chapelle, puis à onze heures trois-quarts dîné. Il entre en mauvaise humeur, et ne veut point que M. de Verneuil dîne avec lui; Mme de Montglat le y fait dîner. Madame, assise au bout de table, fait des remontrances au Dauphin: Ha! Jésus! Monsieur, il faut pas faire cela; on vous reconnoîtroit pas pour le fils du Roi seulement. Il faut pas avoir des fantasies; on les balie par le cu, Monsieur, mais on les balie pas comme la terre; on fait ainsi: Chac, chac. Il faut pas avoir des humeurs, Monsieur, Mamanga vous fouetteroit[433]. Il n'osoit dire mot, l'écoutoit sans faire semblant de l'entendre; elle lui dit encore: Ha! Monsieur, il faut pas dire cela, il faut pas parler ainsi aux gouvernantes, cela n'est pas beau, Monsieur; c'est qu'il disoit à Mme de Montglat qu'il ne feroit pas ce qu'elle vouloit.—Mené par la cour au jardin des orangers, ramené à six heures.
Le 25, mardi.—Il s'amuse à écrire et peindre, m'appelle pour me montrer son ouvrage, et me le donne en intention de le mettre dans le registre[434].
Le 26, mercredi.—Il écrit au Roi, lui ayant imprimé[435]
les lettres. Comme j'écrivois ceci, Monseigneur le
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Dauphin est monté ici en ma chambre, m'a fait quitter
l'écriture pour l'aller promener[436].
Le 27 septembre, jeudi.—A goûter on lui sert une tarte aux pommes, à cause du jour de sa nativité[437]. Mené à vêpres, aux Cordeliers, pour ouïr chanter le Te Deum à cause du jour de sa naissance, et ayant vu un cordelier tenant un grand fouet à chasser les chiens, il en a peur, s'en va dehors sous l'ormoie; on ne le peut ramener.
Le 1er octobre, lundi, à Noisy.—Mené à la noce de la fille du concierge, il y a dansé.
Le 3, mercredi.—Il est vêtu de sa robe à haut collet, robe de satin gris; c'est la première qu'il a portée de cette sorte, et on lui a ôté sa bavette.
Le 9, mardi.—A neuf heures et demie parti pour aller à Saint-Cloud trouver LL. MM., il y a dîné; ramené à Noisy à huit heures[438].
Le 14, dimanche.—A neuf heures et demie il part pour aller aux Cordeliers pour ouïr une première messe; il en sort, dit que la messe est trop longue. M. de Béthune arrive, cela ne l'émeut point; il est fouetté devant le logis du jardinier, Descluseaux le tenant; il y va forcé.
Le 15, lundi.—Il s'amuse à voir peindre Boileau, auquel
il faisoit copier en crayon le roi Louis douzième.
Mené en carrosse à Villepreux, en la maison de M. le cardinal
de Gondi, il s'amuse à des régales[439] qu'il y avoit
en la chambre. Mme de Montglat lui demande en revenant
quel, de Noisy ou de Villepreux, il aimeroit le mieux;
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il répond: Villepreux.—«Monsieur, pourquoi?»—Pour
ce qu'il y a des orgues.—«Monsieur, il y en a aussi
aux Cordeliers de Noisy.»—Ho! j'aime point ceux-là;
il y avoit été fouetté.
Le 19, vendredi, à Noisy.—Le comte de Gatinara, dépêché vers le Roi de la part de M. de Savoie pour la naissance de M. d'Orléans, le vient saluer, lui disant en avoir commandement de son maître. Il va en sa chambre, et de son mouvement fait ôter de la tapisserie tous ces crayons en papier qu'il y avoit fait attacher, faits par Boileau; il commence lui-même à les ôter, reconnoissant qu'ils n'étoient pas bien faits, et par ainsi ne vouloir être vus par l'ambassadeur: Je les veux, dit-il, montrer seulement à papa. A deux heures et demie l'ambassadeur prend congé de lui.—Mené au parc, il va jusques à la ferme des Essars, maison autrefois appartenante au sieur des Essars[440], traducteur de l'Amadis de Gaule, et qu'il a traduit en ce lieu.
Le 20, samedi.—Il s'amusoit avec la clef de ses tablettes
à ouvrir celles de Mme de Montglat; il les ouvre, et
soudain s'écrie: Hé! Mamanga, je m'en vas vous montrer
un miracle. La clef de mes tablettes ouvre les vôtres.—A
onze heures arriva, conduit par M. de Béthune, le
marquis de Bevilaqua, venu de la part du Grand-Duc
vers le Roi, pour la naissance de M. d'Orléans, et vers le
Dauphin pour lui remettre des lettres du grand-duc,
de la grande-duchesse et du prince de Toscane[441] que
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l'ambassadeur appelle grand prince en parlant au Dauphin,
lui disant que tous trois se recommandoient à ses
bonnes grâces.
Le 21, dimanche, à Noisy.—Il voit danser en la salle l'épousée du fauconnier de M. de Paris[442].
Le 23, mardi.—Mené par le haut du parc à Bailly, il voit la maison de M. Veillard et de M. de Laistre.
Le 25, jeudi.—Éveillé à une heure après minuit
par le bruit qui fut fait pour le feu qui s'étoit mis au lit
des femmes de chambre qui couchoient dans la garde-robe,
où lors couchoit Mme de Montglat pour avoir pris médecine
le jour précédent. Il ne y avoit que la muraille
entre deux de la garde-robe et de la chambre du Dauphin.
Sa nourrice, tout en chemise, le prend et le porte
en la chambre de M. d'Orléans, située sous la sienne; il
fut couché avec sa nourrice, au lit de Mlle de Ventelet, tout
tremblant. Mlle de Vendôme y fut portée et couchée. Il
renvoyoit au feu tous ceux qui le venoient voir, disant:
Allez vous-en aider à éteindre le feu.—A deux heures
mis en carrosse, mené à l'abbaye de Saint-Sixte; goûté à
trois heures, confitures, pain et biscuit de l'abbesse. Il
va en l'église comme par force, s'en veut retourner, est
ramené à quatre heures à Noisy. M. le marquis de Renel
et moi parlions, dans le carrosse, des voyages où nous
nous étions vus aux armées du temps du feu Roi[443], conduites
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par feu M. de Joyeuse; il écoute à l'accoutumée,
attentivement, sans dire mot; Mme de Montglat lui demande:
«Monsieur, vous ne dites mot; oyez-vous bien
tout ce qu'ils disent?» Il répond froidement: J'y songe.
Le 26 octobre, vendredi, à Noisy.—A neuf heures déjeuné; il fait parfumer par où avoit passé Le Borgne, son portefaix, l'ayant fait mettre hors de la chambre, et disant qu'il puoit, en bouchant son nez. C'étoit d'autant que Le Borgne l'appeloit boutefeu, disant qu'il avoit mis le feu en la maison de M. de Paris. A neuf heures trois-quarts mené à la chapelle où le sieur de La Vigne, archer harquebusier aux gardes du Roi, répondit à la messe, tenant sa harquebuse, ayant sur le poing le haubereau chaperonné de velours vert qui étoit à Monseigneur le Dauphin. Mené promener au bout de l'ormoie, sur la haie du grand chemin, il regarde passer les poulaillers qui vont à Paris, venant de Normandie, leur demande d'où ils sont, ce qu'ils portent.
Le 28, dimanche.—Il fait parfumer de fumée de genièvre par où Le Borgne, portefaix, avoit passé portant le bois dans sa chambre, pource qu'il disoit qu'il puoit; mais c'étoit de haine pource que Le Borgne lui faisoit la guerre, l'appelant brûleur de maisons et qu'il avoit mis le feu en la maison de M. de Paris.—Louise Joron, l'une de ses femmes de chambre, a été accordée dans sa chambre; il a signé les articles après la trace qui lui en a été faite; ç'a été son premier seing valable. Il va en la chapelle, aux fiançailles.
Le 29, lundi.—Il s'amuse à regarder attentivement
Boileau, auquel il faisoit tirer en crayon une copie de
Bertrand du Guesclin. A dix heures viennent M. de
Lussan, gouverneur de Blaye, conduisant MM. du Bernay
et de Guilleraigues, conseillers en la cour de parlement
de Bordeaux, députés vers le Roi, qui l'assurèrent
de leur très-humble service. Les ayant écoutés attentivement,
et les ayant remerciés, il dit: Allons voir
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ma sœur, se met devant et les y mène. S'en étant partis,
Mme de Montglat lui dit: «Allons voir la mariée, si elle
est habillée.»—Non, j'y veux pas aller parce qu'on se
moqueroit de moi. Il n'aimait point à être raillé ni moqué.
Il regarde danser, ne veut point danser; rien ne
le y peut persuader jusques à ce que Mme de Montglat lui
dit: «Bien donc, Monsieur, allons étudier.» Il part tout
soudain de la main, et se jette à corps perdu au branle,
entre Madame et Mlle de Vendôme, et en fit plus que
l'on ne vouloit. Il goûte à la collation de la mariée. Après
souper il danse encore, surtout la Saint-Jean des choux.
Le 30, mardi.—Il s'amuse à peindre gaiement en la présence de M. de Souvré[444]. A cinq heures il descend chez Mlle de Vendôme, dit qu'il veut coucher avec elle, envoie querir ses flambeaux, sa cassette, son cabinet, sa chaise percée.
Le 2 novembre, vendredi, à Noisy.—M. de Saint-Remi, conseiller au Parlement, étoit à son coucher et disoit à Mme de Montglat qu'il avoit démarié Mme la comtesse de Moret[445]. Monseigneur le Dauphin l'entend, et demande pourquoi? Guérin[446] lui répond: «Pource qu'on lui avoit noué l'aiguillette.»—Non, c'est pas cela; c'est parce qu'il est châtré.
Le 6, mardi.—Il va en la chambre de Joron[447], sœur de sa nourrice, pour la fouetter ainsi que son mari, puis M. Boquet, mari de sa nourrice.
Le 7, samedi.—Il me commande[448] de lui tracer des
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mots en latin pour les remplir avec la plume. Dansé, recordé
un ballet.—Madame parloit de l'enfant dont la
Reine étoit grosse; Mlle Piolant lui demanda si ce seroit un
fils ou une fille, le Dauphin répond promptement:
Non, ma sœur; il y a assez de garçons.
Le 18, dimanche, à Noisy.—A onze heures et demie M. de Fresnes-Canaye, revenant de Venise, ambassadeur pour le Roi, arrive; il l'écoute attentivement; il lui faisoit entendre les bonnes volontés des Vénitiens et autres grands d'Italie, l'intérêt qu'il avoit au duché de Milan, qui appartenoit au Roi, qu'il le lui falloit demander quand il seroit grand pour en aller chasser les Espagnols.—M. du Tost lui avoit apporté un leurre[449]; il leurre son haubereau, puis se met à courir, dit qu'il vient de Paris, qu'en chemin il avoit pris un coq d'Inde; c'étoit le leurre de maroquin incarnat, avec des rubans bleus.—A neuf heures dévêtu, mis au lit, M. Dupré, exempt aux gardes, lui demande le mot; il le lui refuse: Je veux attendre que tous les lits soient faits, car vous fermeriez la porte. Il avoit soin des garçons de la chambre qui dressoient les lits des veilleuses, afin qu'ils ne fussent point enfermés dans le château, eux qui couchoient dehors. Les lits étant dressés, il le donne.
Le 19, lundi.—Il monte aux chambres de la mariée, de sa nourrice et de celle de Madame pour les fouetter étant couchées avec leurs maris.
Le 20, mardi.—Mme de Montglat lui dit qu'il faut
étudier, il cache son livre dans son chapeau; elle l'aperçoit,
et lui demande: «Monsieur, où est votre livre?»—La
petite du Lux l'a emporté.—«Voyons votre chapeau;»
il est fouetté sur le sujet du mensonge[450], et dit à Descluseaux:
Nov
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295
Ne dites pas au corps de garde que j'ai eu le
fouet.
Le 22, jeudi, à Noisy.—Il dit ses quatrains et sentences, demande à étudier, en dit plus qu'on ne veut; il appelle les mots entiers sans faillir. M. l'évêque de Paris et M. de Dampierre, son frère[451], le viennent voir.—Il écrit sans trace ni aide: «Papa et maman je vous aime bien, j'ai grande envie de vous voir.—Loys.»
Le 23, vendredi.—L'on parloit du dégât que les soldats avoient fait sur les noisettes au jardin de son logis à Meudon, lorsqu'il alloit à Fontainebleau pour son baptême[452]; le Dauphin dit: C'étoit là où ces méchants cadets me dérobarent des noisettes que j'avois fait serrer; il étoit vrai. Il s'amuse à cueillir des herbes pour faire un potage, et se met à faire son potage, de peur d'étudier.
Le 24, samedi.—Madame contoit qu'elle iroit demeurer en Angleterre; il lui dit: Ma sœur, je vous irai voir; papa me y envoyera. Mlle Piolant lui va dire: «Vous y viendrez quelquefois, puis après à la dérobée, Monsieur.»—Ho! non, quand je serois revenu, papa me donneroit le fouet; je ne veux aller en aucune part que papa ne me le commande.
Le 25, dimanche.—Il danse un ballet, fort bien habillé
en homme, d'un pourpoint et d'une chausse grègue de
toile de Hollande par-dessus sa cotte; il mène danser une
courante à Madame Christienne. Mlle Piolant arrive comme
il eut tout fait. Ma mie Piolant, lui dit-il, m'avez-vous vu
danser mon ballet?—«Non, Monsieur.»—Qu'on me rapporte
Nov
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296
mon masque, je veux danser mon ballet devant ma mie
Piolant; il se fait masquer et danse.
Le 26 novembre, lundi.—Il écrit une lettre au Roi sans que l'on lui ait marqué, on ne lui a fait que nommer[453]:
Papa, ce mot est pour vous montrer que j'écris sans marquer et que je ne suis plus opiniâtre. Je suis, papa, votre très-humble et tres-obéissant fils.
Loys.
Le 29, jeudi, à Noisy.—Il va en la grande salle, où il voit danser le ballet des Lanterniers, fait par des soldats de la compagnie, puis danse aux branles.
Le 3 décembre, lundi.—A une heure et un quart il part de Noisy pour Saint-Germain[454], dans le carrosse de M. Gobelin, président des Comptes, que l'on avoit envoyé querir de Paris avec d'autres et trois litières. Dès qu'il aperçoit Saint-Germain: Hé! velà Saint-Germain! hé! Saint-Germain mon mignon! hé! je t'appellerai tant que tu viendras! A trois heures il arrive à Saint-Germain.
Le 4, mardi, à Saint-Germain.—Il a envie d'avoir un
petit pot de chambre d'argent de Mlle de Vendôme; lui dit:
Sœu-sœu Dôme, si vous me voulez donner votre petit pot de
chambre d'agent, je vous donnerai ma salière. Elle lui
répond: «Bien, Monsieur, je vous baillerai ce qu'il vous
plaira.»—Je vous donnerai encore cela; c'étoient des
balances.—«Monsieur, vous les aimez bien, vous vous
en jouez quelquefois.»—Oui, je les aime bien.—«Monsieur,
je n'en veux donc point, s'il vous plaît.»—Prenez
donc la salière.—«Bien donc, puisqu'il vous plaît, je
la prendrai.» Le Dauphin se retournant vers Mlle d'Agre,
qui étoit gouvernante de Mlle de Vendôme, lui demande:
D'Agre, est-ce assez?—«Oui, Monsieur, c'est assez».—Ho!
non, non; sœu-sœu, prenez ce que vous voudrez.
Déc
1607
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L'on lui dit que M. de Verneuil se nommeroit Henri[455];
il répond: Je veux pas, moi; je le nommerai pas Henri,
c'est le nom de papa, il seroit pus que moi, et je m'appelle
Loys. Il est longtemps sur cette opinion, on l'en divertit,
et surtout lui ayant dit que le Roi le vouloit ainsi. Mis
au lit, Mme de Montglat me dit que Monseigneur le Dauphin
vouloit bien nommer Henri M. de Verneuil; je
prends occasion de lui dire que son nom étoit bien plus
beau et lui parler du roi saint Louis, de sa piété, de son
équité, et comme il avoit fait la guerre aux Turcs,
comme il faisoit percer la langue aux blasphémateurs
avec un fer chaud, et mort en Égypte, faisant la guerre
aux Turcs, et puis monté au ciel, où il étoit saint; il écoutoit
avec attention.
Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Mené à la chapelle, puis par le pont au bâtiment neuf, pour y attendre le Roi, qui arriva à onze heures et demie; au bout de l'escalier, en haut de la dernière marche, il lui saute au col. A midi dîné avec le Roi; le Roi va à la chasse. A trois heures il entre au carrosse du Roi, et va jusques auprès de la Muette au devant du Roi; le Roi, entre en carrosse, et le ramène. A neuf heures il va chez le Roi, où il danse son ballet à la chambre de la Reine, fort bien; le Roi en demeure fort content. La remueuse portoit M. d'Orléans, et Madame Christienne étoit portée par sa nourrice; elles s'étoient mises au branle. Après avoir fait deux tours le Dauphin dit à Mme de Montglat: Mamanga, velà un grand plaisir! faire danser des enfants avec nous! qu'on les ôte! Le Roi les fit ôter.
Le 8, samedi.—Mené au bâtiment neuf, il y entend la messe avec le Roi; dîné avec le Roi; il accompagne le Roi, qui s'en va à Paris à une heure; ramené en sa chambre au vieux château.
Le 9, dimanche.—A trois heures et demie mené à la
Déc
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chapelle pour tenir à baptême, avec Madame, M. et Mlle de
Verneuil; le Dauphin est accompagné de M. de Vendôme,
de M. le Chevalier, son frère, de M. le duc de
Montbazon, de M. de Frontenac, premier maître d'hôtel
du Roi, de MM. de Lansac et de Courtenvaux, portant
les honneurs. Ils furent baptisés par messire Henri de
Gondi, évêque de Paris; M. de Verneuil fut nommé
Henri, et Mlle sa sœur fut nommée Gabrielle. Il va souper
en la salle du Roi, au festin que le Roi avoit commandé
qui se fît; il voit le bal, où il n'y avoit qu'un violon; c'étoit
Boileau.
Le 10, lundi, à Saint-Germain.—M. le cardinal Duperron, revenant de Rome, lui sert de grand aumônier; ce fut la première fois.—Amusé en sa chambre à divers jeux, à sainte Catherine où l'on traîne; c'étoient MM. de Lansac, de Courtenvaux, de Cressy, de Montglat. A neuf heures et un quart dévêtu, mis au lit, il s'amuse à railler, à faire des rencontres sur les noms des uns et des autres, fait celle-ci: Lansac, c'est un sac; Courtenvaux, c'est un veau, qu'on mettra dans ce sac.
Le 11, mardi.—Il va en l'antichambre de la Reine y recorder son ballet des Lanterniers, le danse fort bien; il ne y avoit que trois jours qu'il l'apprenoit.
Le 13, jeudi.—A quatre heures et demie l'on lui dit que le Roi arrivoit; le voilà tout transporté de joie; le Roi arrive, il le va saluer en son cabinet; à sept heures et demie soupé avec le Roi.
Le 14, vendredi.—Le Roi arrive en sa chambre, le
mène chez M. d'Orléans, puis en sa chambre, où il a dîné
de la viande du Roi. A trois heures le Roi le mène à la
chasse en Vésinet. A sept heures et demie soupé avec le
Roi. Ramené en sa chambre, M. de Cési, qui avoit épousé
Mme la comtesse de Moret, puis été démarié, lui donnoit
le bonsoir; il ne le connoissoit pas. Mme de Montglat lui
dit que c'étoit M. de Cési, et qu'il lui donnât le bonsoir;
il le fait: Bonsoir, Cési. Mamanga, qui est stilà?—«Monsieur,
Déc
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c'est M. de Cési.»—A qui est-il?—«Monsieur, il
est au Roi.»—De quoi lui sert-il!—«Monsieur, il le
suit quand il va quelque part.»—Chemine-t-il, va-t-il à
pied?—«Monsieur, il va à cheval et à pied.» Et adressant
la parole à moi, elle me dit qu'il en avoit eu de bon argent
et touché trente mille écus. Le Dauphin reprend:
Pourquoi?—«Monsieur, c'est qu'il étoit prisonnier.»—Où?—«A
Paris.»—Avec des cordes?—«Non, Monsieur,
mais il y avoit été mis pour avoir été opiniâtre, et
le Roi l'a fait délivrer.» Le Dauphin ayant un peu songé
dit: Voudroit-il bien être encore prisonnier pour avoir de
l'argent?
Le 15, samedi, à Saint-Germain.—A neuf heures déjeûné; le Roi arrive en sa chambre, le mène à la messe, puis, à dix heures et un quart, dîné avec le Roi. Ramené en sa chambre, il va recorder son ballet. J'envoie querir de l'oignon pilé; c'étoit pour M. d'Orléans, qu'un éclat de feu avoit brûlé un peu au dedans de la cuisse. Il demande ce que c'est; je lui dis que c'étoit Mercier qui s'étoit brûlé le doigt, il répond: Il ne faut que y mettre un emplâtre de diapalma. Voyez, dit-il à M. de la Massoire, lui montrant le doigt, je m'étois l'autre jour brûlé le doigt, je fis qu'y mette du diapalma, je fus guéri tout incontinent. Demandez à mousseu Héroua. Je me coupis l'autre jour dans le jardin; j'y mis de la terre, je fus incontinent guéri. A quatre heures trois-quarts il va chez le Roi, qui se mettoit au lit, revenant de la chasse.
Le 16, dimanche.—A huit heures il va chez le Roi, lui donne sa chemise; mené par le Roi au bâtiment neuf; il va à pied, encore qu'il plût un peu, entend la messe avec le Roi, puis à dix heures et un quart dîné. A onze heures le Roi s'en retourne à Paris, et lui au vieux château, à pied; il ne voulut jamais être porté, nonobstant les crottes, la pluie et le vent. Il monte en ma chambre, demande à voir les livres des oiseaux et des quadrupèdes de Gesner, puis Vitruve, qu'il n'avoit point vu, il y avoit deux ans.
300
Le 17, lundi, à Saint-Germain.—M. le cardinal de Joyeuse, revenant de Gaillon à Paris, le vient voir. Il recorde son ballet des Lanterniers, y va fort bien, guidé seulement par l'oreille, car il ne savoit point faire des pas.
Le 24, lundi.—Il se fait mettre un bonnet de nuit à façon d'homme, pour en aller voir Madame; c'est le premier qu'il a porté de cette façon. A onze heures et demie dîné; il va en sa chambre. Il songeoit en regardant le feu; sa nourrice lui demande: «Monsieur, à quoi songez-vous?»—Je songe à quoi je me jouerai. Amusé à divers jeux.
Le 26, mercredi.—Il demande à écrire: Je veux, dit-il, écrire un petit livre que je veux faire imprimer, pour envoyer à papa pour ses étrennes; il se met à écrire, et se fait entretenir de l'Infante.
Le 30, dimanche.—A deux heures et demie il monte en ma chambre, me demande ce que j'écrivois; je lui dis que c'étoit à M. de Béthune: Équivez, équivez, dit-il, et ne me vouloit point détourner. Il s'amuse auprès du feu, puis, à trois heures, me dit: Adieu mousseu Hérouard, je m'en vas faire collation.—«Monsieur, vous plaît-il me faire l'honneur de me permettre que j'achève d'écrire à M. de Béthune?»—Oui.—«Monsieur, me voulez-vous commander de lui écrire quelque chose de votre part?» Il s'en vient à moi, et me dit tout bas à l'oreille: Mandez-li que je me recommande à li, et qu'il vous mande ce qu'il m'apportera pour mes étrennes; mais ne dites mot. Il va en la chambre de M. de Verneuil pour y recorder son ballet. A six heures et un quart soupé; comme il eut achevé de manger ses ris de veau, il dit à M. de Ventelet, lui baillant la vaisselle: Tenez, donnez le reste à ma sœur; laquelle répond gaiement: Aussi vrai, j'en avois bien envie; j'en eusse bien mangé, mais je n'ai osé en demander à Mousseu.
Le 31, lundi.—Le matin il se fâchoit de ce qu'on
lui avoit à son gré fait les cheveux trop courts: Hé!
Déc
1607
301
Mamanga, je semble un moine. Il écrit une lettre au
Roi:
Papa, j'ai apprins que l'enfant sage réjouit le père, c'est pourquoi je ferai tout ce que je pourrai pour vous donner ce contentement, d'autant que je suis, papa, Votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.
Loys.
Il monte en ma chambre, me demande le livre des bâtiments, c'étoit Vitruve; il se y plaisoit fort. Il le feuillette tout, demandant la raison de chacune des figures. Il a de l'impatience que le jour soit venu pour avoir des étrennes, veut que Mme de Vitry couche avec Mme de Montglat, afin qu'elle lui donne ses étrennes à minuit.
Conversation sur le Roi et sur les charges de la maison du Dauphin.—Mariage projeté du duc d'Orléans.—Accouchement de Mme des Essars; mot du Dauphin.—Portraits des grands-pères du Dauphin.—Froid excessif.—La volière du Dauphin.—Catéchisme du P. Coton.—Conversation sur l'Infante; jeux avec les petites filles.—M. d'Albigny.—Jeux et langage singuliers.—Pain fait avec du blé avarié.—Présent de la reine Marguerite.—Le ballet des Falots.—Envoi du Dauphin à l'infante d'Espagne.—Le porte-panier.—Départ de Saint-Germain.—Séjour au Louvre.—Visites à la reine Marguerite, au Palais de Justice, à l'Arsenal.—Départ pour Fontainebleau.—Le tableau de la belle Agnès.—Aversion pour M. de Moret.—Figure de Henri IV en poterie.—Amitié du Dauphin pour Héroard.—Le chien et le singe du Roi.—Cérémonies des Rameaux et de la Cène.—Le P. Ange de Joyeuse.—Le fou-poëte de M. de Roquelaure.—MM. de Mortemart et de la Trémoille.—Naissance du duc d'Anjou.—Mot du Roi au Dauphin.—Lettre du Dauphin au Roi.—Collation de poterie.—Un joujou de Nuremberg.—Mmes de Montpezat et du Peschier.—M. de Vic et sa jambe de bois.—Les différentes races des enfants du Roi.—Goût pour la chasse et les chiens.—Le Dauphin quitte l'habillement d'enfant.—Contes sur l'Infante.—Le premier laquais du Dauphin.—Ses exercices militaires; il aime l'odeur de la poudre.—Le sauteur Colas.—Un chien cocu.—Mariage de M. de Vendôme et de Mlle de Mercœur.—Mot du Roi sur M. de Guise.—Premier bain.—Jalousie du Dauphin.—Le docteur de la Palestine.—Éclipse de soleil.—Le prince de Mantoue.—Première leçon d'équitation.—Devise latine signée Louis.—Les peintures de Fréminet et de Franco.—Lettre à la grande-duchesse de Toscane.—Superstition d'Héroard.—Le tireur d'épines.—Départ de Fontainebleau.—Passage à Melun et à Chaillot.—La comtesse de Guiche et la reine Marguerite.—Le partisan Montauban.—Collation à Ruel.—Arrivée à Saint-Germain.—Le Dauphin entre dans sa huitième année.—Le duc de Mantoue.—Visite à l'abbaye de Poissy.—Lettre au Roi.—La comtesse de Mansfeld.—Le Dauphin a la rougeole.—Portrait de Jeanne de Naples.—L'Hippostéologie d'Héroard.—Chasse avec le Roi.—Sensibilité de Henri IV.—La vaisselle d'argent du Dauphin.—Mot sur le maréchal de Biron.
Le 1er janvier, mardi, à Saint-Germain.—Éveillé à
sept heures, il se fait lever pour recevoir ses étrennes. Il
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écrit à la Reine une lettre où il ne voulut jamais écrire
ce mot: bien; il vouloit écrire: bian, disant que c'étoit
mieux dit, et se y opiniâtre de telle sorte qu'il lui fallut
dresser une autre lettre où ce mot ne fût point.
Le 5, samedi.—Il tenoit une peinture du Roi sur du
papier, où étoient les nom, surnom et qualités; il les lisoit.
M. de Ventelet lui demande: «Monsieur, quand vous
serez un jour le Roi, comment mettrez-vous?» Il répond
brusquement: Ne parlons point de cela!—«Mais, Monsieur,
vous le serez, s'il plaît à Dieu, un jour après papa».—Ne
parlons point de cela!—«Monsieur, c'est que vous
voulez dire qu'il faut prier Dieu qu'il donne longue vie
à papa?»—Oui, c'est cela. En dînant il demanda si pour
son souper il ne y auroit pas un gâteau pour faire les
rois; M. de Ventelet lui dit que oui, et qu'il seroit le roi;
Ho! non, dit-il, c'est papa.—«Monsieur, j'entends le
roi de la fève, ce n'est que pour jouer; et là-dessus je
lui dis: «Monsieur, il faudra s'il vous plaît des charges à
tous vos serviteurs; que donnerez-vous à M. Birat?»—Ce
sera le fou.—«Et à M. de Ventelet?»—Ce sera le
bon vieux homme.—«Et à moi, Monsieur?»—Vous serez
l'imprimeur. M. Boquet, mari de sa nourrice, lui demande
une charge.—Vous serez maître Guillaume, c'étoit
le fou du Roi[456]. Je poursuis à lui demander: «Et
Janv
1608
305
à M. de Malleville que lui donnerez-vous?» (il étoit
exempt aux gardes écossoises servant près de lui).—Ce
sera Pantalon; il avoit la barbe assez grande.—«Et
M. de la Pointe? (archer du corps, qui étoit gros)».—Ce
sera le gros ventre.—«Et M. d'Origny? (son compagnon)».—Ce
sera le cuisinier: il étoit un peu malpropre.—«Et
maître Jean? (son sommelier)».—Ce sera
l'ivre.—«Et maître Gilles? (son pannetier)».—Il sera
confiturier.—«Et votre huissier de salle? (il faisoit des
vers)».—Féfé Vaneuil a un petit chien, qui s'appelle Joly;
quand ils seront ensemble ils feront des vers, et Joly les fera
par le cul.—«Et de Vienne? (c'étoit son cuisinier)».—Ce
sera Sibilot: c'étoit le fol du feu Roi.—«Et Champagne?
Janv
1608
306
(garçon de garde-robe)».—Ce sera mon verseur
de mede.—«Et M. Guérin? (son apothicaire).»—Ce
sera Frely: c'étoit le nom que ledit Guérin avoit donné
à l'un des chiens.—«Et M. de Cressy? (enseigne de la
compagnie, qui étoit fort grand)».—Ce sera le petit Marin:
c'étoit le nain de la Reine.—«Et M. Aude? (huissier
de chambre de Madame, qu'il voyoit souvent enveloppé
au visage)».—Ce sera l'enrhumé. M. Boquet, qui
n'étoit pas content d'être maître Guillaume, le pressoit
pour lui en donner un autre; M. Birat entre en la chambre,
M. Boquet lui dit: «Monsieur, voilà M. Birat, quelle
charge lui donnerez-vous?»—Ce sera maître Guillaume.—«Et
moi, Monsieur, lui dit Boquet, que serai-je
maintenant que je ne suis plus maître Guillaume?»—Vous
serez maître Guillaume Dubois, le poëte de mousseu
de Roquelaure (c'étoit un fol qui avoit été maçon et se
faisoit croire qu'il faisoit bien des vers); mousseu Héroua,
il me venoit voir souvent à Fontainebleau, sur la terrasse
de ma chambre; il me montroit des vers, qui étoient si mal
faits, si mal faits, me dit-il avec action comme s'il se y
fût connu et en souriant.—«Et à M. de Bernet? (porteur
de M. d'Orléans)».—Ce sera le nouveau tondu: il
avoit ses cheveux et sa barbe faits de nouveau.—«Et
Bourgeois? (l'un des huissiers de sa chambre, qui étoit
vêtu de noir, portant le deuil)».—Ce sera la corneille.—«Et
Montalier? (valet de garde-robe, portant le
deuil)».—Ce sera le corbeau.—A six heures et un
quart, soupé, il fait les Rois; il est le roi. Jamais il ne
voulut permettre que l'on criât: le Roi boit!
Le 7, lundi.—Il se fait asseoir et donner un échiquier, pour jouer aux échecs contre Louise, fille de sa nourrice, prie M. de Ventelet de lui apprendre comme il faut jouer, le désire, y prend plaisir, y a de la patience.
Le 8, mardi.—Il s'amuse à peindre et à écrire[457]. Un
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peu devant son coucher Mme de Vitry lui dit que l'on marioit
M. d'Orléans; il demande: Mais est-il vrai?—«Oui,
Monsieur, à Mlle de Montpensier[458]».—Quel âge a-t-elle?—«Dix-huit
mois.»—Qui vous l'a dit?—«C'est La
Concie, qui est à M. de Béthune.»—Mais le sait-il bien?—Il
dit que oui.—Papa le veut-il bien?—Il dit que
oui. «Monsieur, seriez-vous bien aise qu'il fût marié devant
vous?»—Comment, avant moi?—«C'est-à-dire premier
que vous.»—Non, je veux point être marié.—«Que
ferez-vous donc?»—Quand je serai grand, je
veux aller toujours à la guerre.
Le 11, vendredi.—M. de Frontenac l'entretenoit de
Mme des Essars: «Monsieur, la connoissez-vous?»—Oui,
je la connois bien, dit-il en souriant.—«Où l'avez-vous
vue?»—Je l'ai vue à Fontainebleau, à la chambre de
Mamanga.—«Monsieur, qui la menoit?»—Je sais pas,
dit-il en souriant, car il le savoit bien et jamais ne voulut
nommer. M. de Frontenac lui demande à l'oreille si ce
n'étoit pas M. de la Varenne?—Oui (il étoit vrai).—«Monsieur,
elle est accouchée d'une fille[459], vous avez là une
autre sœu-sœu.»—Non.—«Pourquoi?»—Elle n'a
pas été dans le ventre à maman.—«Papa la fera porter
ici pour la faire baptiser, et veut que vous soyez le compère.»—Qui?
papa?—«Oui, Monsieur.»—Comment
la portera-t-on?—«L'on empruntera une litière pour la
porter.»—Ah! oui, car si c'étoit la litière à maman, dit-il
en hochant la tête et souriant, je monterois sur les mulets,
je les ferois tant courir, tant courir, que tout iroit par
Janv
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terre. M. Birat lui dit tout bas: «Monsieur, c'est une
femme que le Roi aime bien.»—C'est une putaine, si je
l'aime point. Il s'amuse à ses canons, puis à une cassolette
d'argent, dont il se joue. Madame lui dit: «Monsieur, il
y faut mettre de l'eau rose et de la pastille.»—Non, ma
sœur, je veux pas, Mamanga le veut pas. Elle le lui avoit
dit, le matin, et qu'il n'y avoit point de meilleure cassolette
que la senteur du genièvre.
Le 12, samedi.—M. de Frontenac prend congé de lui; il le prie de dire au Roi qu'il lui envoie un de ses portraits et à la Reine aussi. Il se va s'amuser aux portraits qu'il avoit à côté du chevet de son lit, attachés contre la tapisserie; celui du Roi son grand-père[460] y étoit: Comment s'appelle-t'y?—«Monsieur, il s'appeloit Antoine.»—Je suis donc bien marri que je n'aie nom Antoine.
Le 16, mercredi, à Saint-Germain.—Il fait copier le portrait du père de la Reine[461] par Boileau, ne peut partir d'auprès de lui, tant il est âpre à la peinture, n'en veut point aller à la messe. A midi dîné; amusé doucement jusques à trois heures, spécialement à crayonner avec du charbon, imite fort bien, me dit: Voyez, mousseu Héroua, je l'ai fait sans voir (sans regarder l'original), je l'avois en mon esprit; c'étoit un oiseau de la Chine; je lui dis qu'il étoit fort bien, mais qu'il y falloit encore la crête.—La crête? et, regardant l'original: Oui, mais je ne l'avois pas encore en mon esprit; je l'y veux mettre, puis je la peindrai. Arrive un gentilhomme de la part de M. et de Mme de Montpensier pour le saluer et voir M. d'Orléans de leur part, comme leur gendre, le contrat ayant été passé de son mariage avec Mlle leur fille le lundi précédent.
Le 17, jeudi.—Il envoie querir la grande horloge, où
étoit le cours de la lune, la fait monter, y prend plaisir.
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Il joue son ballet des Lanternes, et le fait danser à Gramont
et à Louise, fille de sa nourrice, fait venir son violon
et son joueur de luth, chante et fait la musique avec
eux. Mme de Saint-Georges prie Bompar, page du Dauphin,
d'aller chez M. d'Orléans querir sa besogne; il l'entend,
le rappelle. Bompar ne revient point: Vous aurez le fouet,
Bompar; Bompar aura le fouet. Il chante cela entre ses
dents. Mme de Montglat l'en tance, et lui demande pourquoi
il ne veut pas que Mme de Saint-Georges, qui est sa fille,
prie son page de faire quelque chose pour elle; il répond:
Parce qu'elle ne veut pas que son petit laquais fasse
rien pour moi. (C'étoit une bourde.) Mme de Montglat tenoit
assis sur son giron le Dauphin, marmonnant: Bompar
aura le fouet; un page qui s'appelle Par, qui a des jarretières
rouges et des chausses bleues, aura le fouet; sur
ces entrefaites le page entre. Le Dauphin part sans dire
mot, et lui va lancer un grand coup de pied sans le toucher;
Mme de Montglat lui dit: «Eh bien, Monsieur, vous
n'avez pas fait ce que je vous ai dit; souvenez-vous-en,
je ne vous aime point.»—Mais, Mamanga, je vous aime
bien.—«Vous ne m'aimez pas, puisque vous n'aimez
pas mes enfants; quand ils prient ceux qui sont à vous
de faire quelque chose pour eux, vous ne le voulez pas.»—Bon
pour la mère, non pas pour les enfants.
Le 18, vendredi.—Il va en la chambre de M. d'Orléans,
où il reconnoît une pièce tendue de sa tapisserie,
l'empoigne en criant: Hé! ôtez! hé! velà de ma tapisserie,
qu'on l'ôte! hé! on serre celle de mon frère pour lui faire
servir la mienne. Je lui dis pour le divertir qu'il n'en falloit
plus, puisqu'elle y avoit servi.—Fi! la vilaine tapisserie,
je n'en veux plus. Mme de Montglat le menace
du fouet, et tourne le dos pour aller querir des verges:
Fi! la vilaine! qu'elle est laide! dit-il, en lui faisant les
cornes. Il rentre en humeur de vouloir sa tapisserie, et il
fallut obéir. Il étoit vrai aussi ce qu'il disoit de la tapisserie.
A onze heures trois quarts, dîné; il s'amuse à son
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horloge, à faire sonner le réveille-matin, fait la musique
avec Hindret. A six heures et un quart, soupé; il s'amuse
à porter Gramont et Louise dans la chaise de Madame
Christienne, joue aux métiers, en invente de nouveaux:
Soyons, dit-il, coupeurs de bourses.
Le 19, samedi, à Saint-Germain.—A une heure et un quart sorti gaiement par la porte de la chapelle; il y avoit cinq semaines qu'il n'étoit sorti, à cause du froid et des neiges qui depuis ce temps-là étoient tombées et étoient encore sur la terre, près de quatre ou cinq pieds, sans avoir diminué. La rivière fut toute glacée, une charrette y passa. Mené par les offices sur la terrasse, il faisoit comme le cheval échappé; il ne fait que courir sur le pavé où le chemin étoit frayé, prend plaisir à passer dans la neige. Ramené il va voir Boileau, qui crayonnoit son grand-père maternel.
Le 22, mardi.—Il s'amuse assis, à crayonner, pendant que Boileau le tire en crayon, s'y prête avec une facilité et une patience admirables. En soupant il entend que l'on disoit qu'il faisoit un extrême froid, comme il étoit vrai (je n'en ai jamais senti de pareil ni de si long, nous gelions près d'un grand feu); il dit en raillant de M. Birat, qui quelques jours auparavant avoit dit qu'il dégeloit: Je suis de l'avis de Birat, il dégèle; je suis astrologue, moi. Je lui demande: «Monsieur, qu'est-ce que astrologue?» Il répond en levant les yeux en haut à diverses fois et feignant d'écrire de son doigt dextre sur la main gauche: Je fais des almanachs, je regarde le globe.
Le 23, mercredi.—Il y avoit plus d'un mois qu'il faisoit
une excessive froidure; il n'avoit jamais dit qu'il eût
froid (encore le dit-il froidement) que ce jour-ci; aussi
étoit-elle extrême. On ne le pouvoit faire tenir auprès
du feu; toujours près des fenêtres du côté du préau, où il
se jouoit. En écrivant ceci l'encre geloit, tant le froid
étoit grand. A six heures et un quart soupé; le couvercle
tenoit au verre et le pied du verre dans l'essai, tant le
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froid étoit grand, et il fut soudainement gelé.—L'on
parloit que M. de Vendôme feroit dimanche prochain un
ballet devant le Roi à Paris.—Ho! Mamanga, j'y veux
aller, j'irai bien! Je lui dis: «Mais, Monsieur, il fait un
extrême froid!»—C'est tout un; je prendrai mon masque
de mascarade (qui étoit noir), je n'aurai point de
roupie.
Le 24, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures trois quarts il entend la messe en sa chambre, pour le grand froid. A midi dîné; son verre et le couvercle, et le pied du verre et l'essai tenoient ensemble, glacés.
Le 25, vendredi.—Il s'amuse à faire recoller par Hindret, son joueur de luth, une jambe de l'un de ses chevaux; ne faisant pas comme il lui étoit commandé, le Dauphin lui dit: Ha! vous êtes fâcheux; je dirai à papa qu'il vous ôte d'auprès de moi.—«Monsieur, le Roi ne vous croira pas.»—J'ai bien empêché qu'on vous a pas ôté.—«Monsieur, le Roi ne m'a pas voulu ôter.»—Qui donc? est-ce mousseu de Souvré?—«Non, Monsieur.»—Qui donc? Il le presse pour le savoir en ceci, se ressouvenant qu'il avoit prié M. de Rosny de mettre Hindret sur son état, à Fontainebleau, il y a eu un an devant Noël dernier, sur ce que quelques-uns l'en vouloient faire ôter.
Le 26, samedi.—Il me conte de ses petits oiseaux pris pendant la neige, qu'il avoit fait mettre dans la terrasse de sa chambre, où étoit sa fontaine, close en volière: J'ai une compagnie de petits oiseaux dans ma volière, que je y ai mis durant la gelée. Il y a un pinçon d'Ardenne, qui est le capitaine; un autre pinçon, le lieutenant, et un autre, l'enseigne. Il y a une alouette, qui est le tambour, et un chardonneret, qui est le fifre. J'ai fait mettre tous les jours, tous les jours, une terrine toute pleine de braise, et ils venoient tout autour, deux à deux, qui se chauffoient, et ils chantoient; puis je fis mettre du vin à l'eau qu'ils buvoient, et le tambour s'enivra.
312
Le 27 janvier, dimanche.—Il se prend, contre sa coutume et son naturel, à baiser les petites filles, sur toutes la jeune Vitry: J'en veux, disoit-il, à la petite Vitry, la tiroit à part. Le jour précédent M. de Verneuil lui avoit dit: «Mon maître, baisons toutes les filles, il les faut baiser;» et par ce moyen rompit sa honte accoutumée.
Le 28, lundi, à Saint-Germain.—Il entend la messe en sa chambre, prend le goupillon, donne de l'eau bénite à chacun, suit la petite Vitry, et dit en lui en donnant: C'est à la petite Vitry que j'en veux donner, puisque c'est à elle que j'en veux.
Le 29, mardi.—Il dit ses quatrains, en sait cinquante. Il
apprend un petit catéchisme fait par le P. Coton à la prière
de Mme de Montglat[462]. En la demande: «Qui sont nos
ennemis?» il y a, en la réponse: «Le monde, Satan, et la
chair.»—La chair! dit le Dauphin en reprenant ce mot.
«Oui, Monsieur, la chair,» répond Mme de Montglat.—Est-ce
ma chair, Mamanga? dit-il en se tâtant.—«Oui,
Monsieur, votre chair.»—Ho! ho! je la tuerai donc,
dit-il en se frappant, Ha! ha! je vous tuerai! Mlle d'Agre
lui demande, sur ce que l'on parloit de l'Infante et de
M. d'Orléans, qui étoit marié: «Monsieur, voilà M. d'Orléans
qui est marié»; il répond: Non, il est accordé.—«Et
vous, Monsieur, ne le voulez-vous pas être?»—Non,
je le veux pas être.—«Monsieur, ne le serez-vous pas
à l'Infante?»—Non.—«Elle vous aime bien et a un
portrait de vous.»—Qui le lui a envoyé?—«M. de Barreau,
ambassadeur pour le Roi, le lui a donné; mais dites-moi
Janv
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sans rire, l'aimez-vous pas?» Il répond en faisant
le petit bec: Non; puis, s'approchant, lui dit bas à l'oreille:
Un petit[463]. Il prend plaisir d'en ouïr parler, demande:
Quel âge a-t-elle? est-elle grande? Il se joue avec les petites
filles[464], passe par-dessus le lit de Mme de Montglat,
se coule en la ruelle pour y baiser la petite Vitry.
Le 30 janvier, mercredi.—En s'habillant il me demande: Mousseu Héroua, quand irai-je à Paris?—«Monsieur, lui dis-je, quand il plaira à papa; il viendra ici dans peu de jours, vous lui demanderez quand il l'aura agréable et que vous alliez à la foire, et de vous donner de l'argent. Combien lui en demanderez-vous, Monsieur?»—Deux cents écus.—«Qu'en ferez-vous, Monsieur?»—Je les mettrai dans mon coffre.—«Ha! Monsieur, il ne faut point qu'un prince demande de l'argent pour le serrer dans son coffre.»—Je l'emploierai, dit-il, et là-dessus il désigne tous les présents qu'il fera pour la foire Saint-Germain.
Le 1er février, vendredi, à Saint-Germain.—Il arrive un gentilhomme breton qui revenoit d'Espagne et racontoit les beautés de l'Infante et l'amour qu'elle avoit pour Monseigneur le Dauphin. Il écoutoit avec plaisir sans en faire semblant; et comme le roi d'Espagne avoit défendu à l'Infante de dire qu'elle aimât Monseigneur le Dauphin: Je battrai bien ce roi d'Espagne.—«Mais Monsieur, lui dis-je, on dit qu'elle se veut déguiser pour vous voir.»
Le 3, dimanche.—Mené sur la terrasse du bâtiment
neuf, ramené, par le petit jardin et le préau, au grand
jardin et en la basse cour, où il a vu un fort grand loup,
que l'on avoit pris le matin au piége. Mlle de Vendôme
s'étoit coiffée en bourgeoise, et Madame s'en étoit aussi
coiffée et avoit fait de même à la petite Frontenac, à la
Fév
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petite Vitry, à la fille de sa nourrice, et à la petite Marguerite,
qui étoit à Mlle de Vendôme; la petite Louise,
fille de la nourrice de M. le Dauphin étoit la mariée.
Le Dauphin prend une poche[465] et l'archet, se met entre
Boileau et Hindret, ses joueurs de violon et de luth,
joue avec eux, et ils font danser toutes ces bourgeoises;
il joue froidement, va aux cadences et comme ceux qui
jouoient aux noces.
Le 5, mardi, à Saint-Germain.—Il joue aux métiers, aux comédies avec Madame; il danse aux chansons, n'en veut point dire quelques-unes qu'il sait: Elles sont vilaines. Je lui demande qui les lui a apprises?—Parsonne, mais je les ai ouï chanter.
Le 6, mercredi.—Il vient à ma chambre à trois heures, me demande Vitruve, entre en mon étude: Je veux, dit-il, moi-même deviner le livre; il le tire, l'apporte lui-même en ma chambre. M. de Mansan, arrivé de Paris, lui apporte un crocheteur[466]; il s'y transporte, se y amusant jusques à près de cinq heures. A huit heures trois quarts, dévêtu, mis au lit, il me demande: Mousseu Héroua, dites-moi encore de l'aigle; c'étoit l'histoire de cette dame romaine qui avoit nourri l'aigle qui se brûla avec elle sur le bûcher, le jour de ses funérailles; je la lui avois faite le matin. Je voudrois bien, dit-il, avoir un aigle, mais est-il vrai? Il prenoit plaisir à quelque chose de sérieux, n'aimoit point à être trompé ni que l'on lui mentît.
Le 7, jeudi.—Il va au bâtiment neuf, sur la terrasse
de Neptune, d'où il voit passer des hommes, d'un bord
à l'autre, sur la rivière, qui étoit encore toute glacée,
encore qu'il fît un temps doux.—M. Birat demandoit à
Mlle Piolant: «Madamoiselle, avez-vous pas connu Albigny[467],
fils de M. de Gordes? Il est mort.»—«Non,
Fév
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315
j'ai connu le père, qui étoit bon serviteur du Roi. Où est-il
mort?»—«En Savoie.»—Étoit-il Espagnol? demande
le Dauphin.—«Non, Monsieur, répond Birat, mais il
étoit avec M. de Savoie.»—«Il étoit donc Espagnol, reprend
Mlle Piolant, puisqu'il étoit en Savoie, car M. de
Savoie est Espagnol.»—Ha! que j'en suis donc bien aise,
puisqu'il étoit Espagnol! dit le Dauphin avec exaltation,
ha! que j'en suis bien aise qu'il est mort! L'on disoit que
M. de Savoie l'avoit fait mourir.
Le 8, vendredi, à Saint-Germain.—Il descend en la chambre de M. de Verneuil pour lui voir danser la bohémienne, puis va en celle de Mlle de Vendôme, où Madame lui donne son petit bénitier d'argent; il y fait mettre de l'eau bénite et va en donnant à chacun. Je lui demande: «Monsieur, est-ce de l'eau bénite de Cour?»—Non, mousseu Héroua, c'est de la bonne.
Le 9, samedi.—Mené au bâtiment neuf et, par les offices, sur la terrasse, d'où il regarde passer des hommes sur la rivière, encore glacée d'un bord à autre, et si il y avoit quinze jours que le dégel avoit commencé. Ce fut un grand et rude hiver; le froid commença le jour Saint-Thomas[468]; plusieurs personnes en moururent.
Le 11, lundi.—Il est peigné pendant qu'il écrit le
mémoire de son linge sale, pour bailler au lavandier.
Il va chez Mlle de Vendôme; M. de Verneuil se y trouve,
qui le conseille de baiser les filles, la petite Vitry et la
petite Frontenac; ils se mettent après. Ma femme lui dit:
«Monsieur, ne vous souvenez-vous pas de ce que M. Hérouard
Fév
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316
vous en dit l'autre jour[469]?» Sans dire mot, le
Dauphin se bouche les oreilles; M. de Verneuil lui dit:
«Mon maître ne les écoutez pas!» Mlle d'Agre lui dit:
«Mais vous, qui êtes cardinal, il vous faudra aller à Rome
demander pardon au Pape.»—«Ho! oui, répond M. de
Verneuil, ho! mon maître épousera la petite Frontenac et
moi la petite Vitry.» Ramené en sa chambre, M. de Frontenac
dit au Dauphin: «Monsieur, l'on m'a dit des nouvelles;»
il se doute que c'étoit de sa fille, en est honteux et
se prend à pleurer. Le soir il demande à danser aux chansons,
et comme il fallut chanter la chanson où il y a:
Mettons sous le pied ces garçons à marier, il se tire hors
du branle et appelle Hindret, qui étoit seul (de danseur)
avec lui. Il se retire près des fenêtres du préau, et lui
dit: Ha! je vous réponds que je ferai demain bien fouetter
ce cul brûlé; c'étoit la femme de chambre de Mme de
Montglat, qu'il appeloit ainsi depuis qu'elle faillit à se
brûler à Noisy. Il étoit en colère, et soudain approche de
la danse: Fi! les pisseuses! fi! les pisseuses!
Le 12, mardi, à Saint-Germain.—A onze heures et demie dîné; il dit que son pain n'étoit pas bon, il étoit vrai; arrivent peu après les députés du chapitre de Metz pour le saluer, venant devers M. de Verneuil[470] de la part du chapitre; il les embrasse.
Le 13, mercredi.—M. de Montbazon et M. le Grand
le devoient venir voir; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur,
je veux que vous vous jetiez sur eux à corps perdu.»—Hé!
maman, voulez-vous que je perde mon corps? Ils
arrivent et lui apportent le pied du cerf; il les embrasse,
les mène chez M. d'Orléans, où il va battant les joues
des femmes de chambre et de Mme de Montglat avec le
nerf pendant du pied du cerf. Ils s'en vont et lui en sa
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chambre. A six heures et demie soupé; il mange du pain
bis, du nôtre[471], n'ayant jamais voulu manger du sien,
disant qu'il étoit amer; aussi n'étoit-il pas bon, étant
fait de blé empiré[472], comme celui du matin et des
jours précédents.
Le 14, jeudi.—Son pain fut envoyé à acheter au village, à l'heure de son dîner; le sien n'étoit pas encore bon. Il voit danser le ballet des sorciers et diables, dansé par des soldats de M. de Mansan, de l'invention de Jean-Baptiste[473], piémontois. A dix heures dévêtu, mis au lit, prié Dieu, il me dit: Mousseu Héroua, devinez où je mets mes mains?—«Monsieur, c'est entre vos jambes.»—Je les mets toujours sur ma guillery.
Le 15, vendredi.—Il fallut envoyer acheter du pain au village, le sien sentoit le blé pourri, à l'accoutumée.
Le 16, samedi.—Le sieur de Ferrals arrive de la part de la reine Marguerite, et lui apporte un navire d'argent doré sur roues, allant au vent à la hollandoise; il l'en remercie par écrit.
Le 19, mardi, à Saint-Germain.—Habillé par-dessus sa robe d'un pourpoint de toile blanche et d'un haut-de-chausses de même, et masqué, il recorde son ballet des Lanterniers.
Le 20, mercredi.—Mené à la messe en la petite salle, il y prend des cendres, puis il est ramené en sa chambre, où entrant il dit gaiement: Ha! c'est à ce coup que j'en ai, en portant sa main aux cheveux. A quatre heures il va au bâtiment neuf, au devant du Roi; à six heures soupé avec le Roi.
Le 21, jeudi.—Il va chez le Roi, où le nonce du Pape
Ubaldini, évêque de Montepulciano, le vient saluer et
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lui baiser les mains. Mené dans le carrosse du Roi à La
Muette, au devant du Roi, qui étoit allé courir le cerf, il
est entré dans la maison, voit passer le cerf à la Croix-Dauphin.
Ramené à quatre heures et demie, il va à cinq
heures chez le Roi. A six heures soupé; il va en la
chambre de Mme de Montglat pour s'habiller pour danser
son ballet, ne veut que personne le sache ni le voie,
de peur d'être reconnu, et d'autant qu'il étoit habillé
en fille, comme étoient aussi tous ceux qui le dansoient
avec lui et masqués. C'étoient Mgr le Dauphin et Mlle de
Vendôme, Mme et Mlle de Vitry; M. le Chevalier et M. de
Verneuil; Marguerite, nièce de Mme Valon, et Mlle de Verneuil;
Nicole, fille de la nourrice de Madame, et Louise,
fille de celle de Mgr le Dauphin. Le ballet, c'étoit celui
des Falots, pource qu'ils avoient chacun un demi-cercle
revêtu de laurier, et au-dessus un petit falot où il y
avoit de la bougie allumée; ils faisoient trois figures:
un H, un O, un L, puis passoient sous les cercles et
dansoient à la fin une courante. Ils partent à huit heures
en la grande chambre du Roi, où, en sa présence, ils
l'ont dansé fort bien, ne l'ayant point auparavant recordé
masqués ni habillés. Le Roi en pleura de joie parlant
à deux jésuites, l'un espagnol, l'autre italien. Toute
la cour l'admira; ils l'avoient appris en quatre jours.
A neuf heures un quart dévêtu, mis au lit, il voit le Piémontois,
soldat en la compagnie de M. de Mansan, qui
avoit inventé le ballet et dit, le montrant du doigt: Velà
celui qui a inventé le ballet; comme voulant rendre l'honneur
à celui auquel il étoit dû. Il envoie de son écriture
à l'Infante avec ses recommandations, après s'en être
fait un peu presser, et par permission du Roi, qui commanda
au sieur Birat de l'apporter à un jésuite espagnol
qui s'en alloit en Espagne. Le Dauphin avoit écrit ces
mots: Le sage écoute le conseil que l'on lui donne.
Le 22, vendredi.—Il écrit cinq lignes d'exemple, en
présence du P. Labastide, jésuite espagnol, qui s'en alloit
Fév
1608
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en Espagne, auquel il le bailla avec son baise-main à
l'Infante. Il entend la messe, puis est mené sur la terrasse
du Mercure, pensant y trouver le Roi, qui ne faisoit que
de partir pour aller à la chasse, delà l'eau. A deux heures
mené sur la terrasse de Mercure, il s'y joue jusqu'à deux
heures trois quarts, est ramené pour se trouver à l'arrivée
du Roi, en la cour du vieux château, revenant de la
chasse. Il monte en sa chambre, et lui détache les aiguillettes
de ses chausses à botter, avec affection et désir de
complaire, puis il va en la salle du bal voir courir un blaireau.
A cinq heures et demie mené chez le Roi, et à six
heures soupé avec le Roi. A huit heures et demie il
donne le bonsoir au Roi, est ramené en sa chambre,
est en colère de ce que M. de Vendôme vouloit faire
fouetter M. le Chevalier; il dit: Je dirai demain à papa,
je vous en assure, que féfé Chevalier a été tout le jour avec
moi, et que féfé Vendôme y a point été, qu'il est allé jouer
aux cartes chez sœu-sœu Vendôme tout le jour. Il montre
sa guillery à la petite Ventelet; Mme de Montglat l'en
reprend, et lui demande qui lui a appris cela: C'est
féfé Vendôme. Il l'accusoit par colère qu'il gardoit contre
lui.
Le 23, samedi.—A huit heures il va chez le Roi, écrit
en sa présence, puis à neuf heures déjeûne avec le Roi,
mange du pain bis, de celui de mes valets qu'il envoya
querir, et le Roi en mangea de même. Il va avec le Roi
jusques au bout du palemail, est ramené par le jardin
au château, à la messe. A une heure il entre en carrosse
pour aller rencontrer le Roi, qui étoit à courir le cerf,
s'arrête auprès de La Muette, où, à deux heures, dans
le carrosse, il a goûté. Mené sur le lieu où le cerf avoit
été pris, il lui est montré; c'étoit un cerf de dix cors.
Ramené et arrivé au château à quatre heures, il toucha
les chevaux avec le fouet du cocher, s'étant mis sur
le devant. A cinq heures mené chez le Roi et à six
heures soupé; il mange du beurre salé de Bretagne,
Fév
1608
320
envoyé au Roi de la part de M. de Montmartin. A sept
heures il va en sa chambre, en la chambre de Madame,
joue du tabourin de basque fort bien, en concert avec
Hindret, son joueur de luth, et Boileau son violon; il
avoit appris de lui-même. A huit heures mené pour
donner le bonsoir au Roi et jouer leur concert, il s'arrête
à la porte du cabinet et ne voulut jamais entrer
pour jouer, comme ayant reconnu que c'étoit chose messéante
à sa qualité; le Roi le sut, et le trouve bon, et
aussitôt qu'il eut su que le Roi avoit trouvé bon le refus
qu'il en avoit fait, il entre incontinent et va donner le
bonsoir au Roi.
Le 24, dimanche, à Saint-Germain.—Mené chez le Roi, il va avec lui à la messe, en la chapelle du bâtiment neuf; le Roi part à neuf heures et un quart pour s'en retourner à Paris. Joué aux jonchets avec sa nourrice; il se fâche quand elle gagne.
Le 25, lundi.—Il s'amuse à son canon d'argent, est mené sur la terrasse du bâtiment neuf, d'où il va en la cour voir courir un renard. A douze heures et un quart dîné; il est aux fenêtres du préau, voit dehors un petit porte-panier, l'appelle et lui demande d'où il étoit; lui ayant répondu qu'il étoit de Savoie, il lui commande de monter en sa chambre; il voit une écritoire dorée, il l'achète, une paire de couteaux, un ganif (sic), des plumes et de la cire d'Espagne; et à chaque pièce il demandoit: Combien cela? et à chacun il disoit: Ce n'est pas assez, il en faut tant. Il va au devant d'un valet de pied du Roi qui apportoit des lettres à Mme de Montglat, pour faire préparer le voyage de Fontainebleau, et lui demande: Papa m'envoye-t-il queri?—«Monsieur, je ne sais pas,» répond le valet.—Ho! nous velà bien camus! dit-il en souriant, puis quand il eut su le voyage: Ha! que le nez m'est revenu!
Le 28, jeudi.—Éveillé à six heures, il demande plusieurs
fois s'il est jour, pour avoir à partir et aller à Paris
Fév
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puis à Fontainebleau. A sept heures levé, à huit
heures et demie déjeûné; il s'amuse à voir déménager
pour partir. A dix heures il entend la messe en la petite
salle, puis à onze heures dîné. Peu après il commence
à presser le partement, va deçà delà, jette de l'argent
aux pauvres, en envoie à un aveugle. A une heure et
demie il entre dans le carrosse de la Reine, duquel la
flèche, toute neuve, n'ayant fait que venir de Paris, se
rompit au-dessous de la Verrerie, et il fallut le mettre
avec Madame, M. et Mlle de Verneuil et Mlle de Vendôme
dans le carrosse de M. de Béthune. Arrivé à Saint-Cloud,
au logis de M. de Gondi, à quatre heures, il va aux jardins
et surtout au petit ruisseau qui est sous le berceau,
puis à la fontaine du rocher.
Le 29 février, vendredi.—Il aide à plier son lit, part de Saint-Cloud à neuf heures et demie, est porté à bras sur le pont de bois, puis remis en carrosse. Tous les princes et les seigneurs de la Cour viennent au-devant de lui; il y avoit plus de cinq cents chevaux. Arrivé au Louvre à onze heures et demie, le Roi le reçoit en son premier cabinet, puis le mène à la Reine, au grand cabinet; il lui saute au col (c'étoit au grand cabinet). Il va en sa chambre, au-dessus de celle du Roi, qui étoit celle où logeoit M. de Vendôme, que le Roi fit déloger et loger en sa chambre, et coucher en son lit. M. de Souvré mène le Dauphin, par la galerie, aux Tuileries; ramené à quatre heures et demie il va chez le Roi, puis au grand cabinet de la Reine, où le Roi le fait lutter contre M. le Chevalier.
Le 1er mars, samedi, au Louvre.—Il va chez le Roi, qui, par la galerie, le mène aux Tuileries, et entend la messe aux Capucins, et puis le ramène en son carrosse. Dîné avec le Roi.
Le 2, dimanche.—Il va à la fenêtre du côté des offices,
voit passer deux carmes, demande à M. de Cressy,
qui me l'a dit: Qui sont ces sortes de bêtes-là? Il va en
carrosse visiter la reine Marguerite, au faubourg Saint-Germain,
Mars
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au bout de la rue de Seine du côté de l'eau.
Le 3, lundi, au Louvre.—Mené à la galerie et à la messe, à la petite chapelle d'en haut.
Le 4, mardi.—Mené au Roi, en la galerie, où il sert le Roi, qui déjeunoit et s'en alloit à Chantilly.—L'ambassadeur de Venise, ancien, le vient voir et lui amenant le nouveau, il signor clarissimo Foscarini, prend congé de lui. Comme ils parloient à lui, il entend le tambour des gardes qui entroient, il s'ébranle pour les aller voir entrer en garde, y va suivi des ambassadeurs, qui trouvèrent fort bon ce mouvement. Mené chez la Reine, il lui demande permission d'aller au Palais; elle le lui permet; puis il la supplie de lui donner de l'argent; elle lui demande combien il veut: Dix écus; elle les lui donne. Je lui demande à son dîner pourquoi il n'avoit demandé davantage: Je voulois que cela. Sa nourrice lui dit pourquoi il n'en avoit demandé à M. Sully: Il ne m'en eût pas donné. La Reine lui donne un chameau et deux coffres; donne un bœuf[474] à M. de Verneuil; il lui dit: «Vous n'en faites pas cas, parce que maman le vous a donné; vous ne faites cas que de ce que vous donne votre maman.»
Le 5, mercredi.—A deux heures il est mené, par la rue Saint-Honoré, au Palais, en la galerie des Merciers, où il marchande; si on lui demande un écu d'une chose, il dit: Vous en aurez trois; il marchande un carrosse qui marchoit à ressort; on le fait quinze écus: Il en faut cinquante, et ne voulut jamais le prendre qu'il ne le vît payer. Il va en la galerie des Prisonniers, ne les voulut point voir (c'étoit par compassion et pitié), mais il leur fit jeter un doublon. Mené en la grande salle, il ne voulut entrer en la chambre dorée, où l'on lui dit que l'on rendoit la justice: J'y veux pas entrer, la justice y est, et je veux pas l'empêcher.
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Le 6, jeudi, au Louvre.—La Reine le mène à la messe à Saint-Jean en Grève. A trois heures mené à l'Arsenal; il voit tout et goûte dans le cabinet. M. de Sully lui baille cent écus, cinquante à Madame et ving-cinq à Mlle de Vendôme, rien à MM. de Verneuil.
Le 7, vendredi.—A dix heures arrive le cavalier Guidi, secrétaire du Grand-Duc, pour résider près de Leurs Majestés; il apporte au Dauphin des lettres du grand-duc, de la grande-duchesse et du prince de Toscane, Côme.
Le 8, samedi, voyage.—Mené chez la Reine, il prend congé, et à douze heures trois quarts part pour aller à Fontainebleau; goûté à demi-chemin de Longboyau; il arrive à Ris à cinq heures et demie, s'en va au jardin.
Le 9, dimanche, voyage.—A une heure il part de Ris; goûté au Plessis dans son carrosse; il arrive à Melun à cinq heures et trois quarts.
Le 10, lundi, voyage.—Mené à Saint-Père, à la messe; on lui montre le tableau de la belle Agnès et celui d'Étienne Chevalier, qui le donna en ce temps-là[475]; il semble tout frais, pour avoir été bien conservé. A douze heures et demie il entre en carrosse, et part de Melun pour aller à Fontainebleau, où il arrive à trois heures et un quart. Goûté; il prend du coffre de son petit carrosse une petite truelle et une auge d'argent, qu'il y avoit enfermés à son partement, va sur la petite terrasse de sa chambre, se met sur la maçonnerie.
Le 11, mardi, à Fontainebleau.—Il donne gaiement
un écu à chacun des valets de pied et à ceux de la
Reine qui l'avoient servi (ils étoient quatre); un écu
Mars
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à chacun des cochers (ils étoient deux), et demi-écu à
un garçon du cocher qui avoit été blessé à une main dans
la forêt. MM. de Souvré, de Béthune et de Saint-Géran,
qui l'avoient accompagné, s'en retournent. Amusé sur la
terrasse à sa maçonnerie.
Le 12, mercredi, à Fontainebleau.—Éveillé à sept heures et demie, il s'amuse (dans son lit) à polir et travailler un visage en cire. Quatre grands garçons et portefaix, qui avoient aidé à transporter les meubles[476] et bagages, viennent le supplier de leur donner quelque chose; il les regarde, puis demande: Où est Mamanga? Je lui dis qu'elle étoit en son cabinet; il y va, et, s'arrêtant sur le pas du degré de la terrasse, il se retourne demandant: Combien êtes-vous? ils lui répondent: «Quatre.»—Bon, bon, et il s'en va au cabinet: Mamanga, je vous prie, dounez-moi quatre écus pour douner à ces portefaix qui ont porté mes meubles; ils sont quatre.—«Monsieur, dit-elle, combien leur voulez-vous donner?»—Quatre écus, Mamanga.—«Monsieur, n'est ce pas assez de deux?»—Hé! non, Mamanga, ils sont pauvres! Elle lui donne les quatre écus; il leur en donne deux, puis se retournant à Mme de Montglat: Maman, je vous prie, ne soyez point fâchée si je leur doune encore ces deux écus; en serez-vous point fâchée?—«Non, Monsieur.»—J'en suis bien aise, tenez; et il leur donne les deux écus fort gaiement.
Le 13, jeudi.—Bigneux, page de Mme de Montglat, revient
de Moret, où elle l'avoit envoyé pour visiter Mme la
comtesse de Moret, et lui dit que M. de Moret, son frère,
lui baisoit très-humblement les mains: Mon frère! il
Mars
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est pas mon frère; vous êtes un sot, je vous fairai donner
le fouet, et pour chaque mot vous aurez vingt coups de
fouet.
Le 14, vendredi.—Il s'amuse à faire faire des couleurs par un jeune peintre, écrit son exemple. Mme la comtesse de Moret le vient voir; il est mené à la Coudre[477] par le grand jardin et le village, d'où il demande d'aller à la mi-voie; il ne veut point entrer dans le carrosse de Mme de Moret, veut aller à pied. Ramené, il danse aux chansons, chante en concert: Frère Ambroise, etc.
Le 15, samedi, à Fontainebleau.—Je lui dis que le Roi m'avoit commandé d'aller voir M. de Moret et s'il lui plaisoit me donner congé? Il me demande: Où est-il?—«Monsieur, il est à Moret.»—Je veux pas.—«Monsieur, le Roi me l'a commandé.»—Je veux pas; allez-vous-en, vous êtes un méchant homme, ne revenez plus. Je m'en allai en ma chambre; quand je lui dis que c'étoit pour aller à Moret, il devint rouge comme feu. A six heures et un quart soupé; il me reproche que je suis son médecin et que je suis allé voir le petit Moret.
Le 19, mercredi.—Mené promener au jardin des canaux et des fruitiers, où il mène Mme de Saint-Georges pour lui montrer les autruches, et va lui montrant tout, comme fait le Roi aux nouveaux venus.
Le 20, jeudi.—Il va en la galerie des Cerfs, reconnoît
le Louvre[478]: Ha! velà le Louvre qui est à Paris,
c'est Paris qui est mon mignon; puis il reconnoît Saint-Germain-en-Laye
avec allégresse. Il s'en va à la poterie;
on lui demande ce qu'il veut: Attendez, j'y songe: Combien
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vendez-vous cela? dit-il en montrant la figure du
Roi; on lui en demande trois écus; il commande de les
bailler, prend l'effigie du Roi, l'embrasse, la donne à porter
à sa nourrice, et revient à sa chambre[479]. M. Hubert,
médecin du Roi, arriva pour M. de Verneuil, qui avoit la
rougeole[480], le Dauphin me demanda ce qu'il venoit
faire ici.—«Monsieur, lui dis-je, c'est pour me relever,
il vient en ma place.» Rougissant et souriant,
il se lève, me saute au col: Ha! vous vous moquez, je
veux pas.
Le 22, samedi, à Fontainebleau.—Mme de Saint-Georges lui dit adieu, puis la petite Vitry, qui alloit avec elle; il la regardoit de bon œil en se souriant et étoit rouge. Il se fait presser de la baiser, le fait lui tendant la joue à son accoutumée, puis s'étant retiré il s'avance en sursaut et lui porte la main au sein. A six heures et un quart soupé; à sept heures il va au devant de la Reine, qui arrivoit, la rencontre au haut de l'escalier du donjon, la conduit en sa chambre, y est en attendant le Roi, qui étoit encore à la chasse du cerf, et le Roi ne venant point, il donne le bonsoir à la Reine.
Le 23, dimanche.—Il va donner le bonjour au Roi et
Mars
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à la Reine, puis se va promener avec le Roi; dîné
avec le Roi.
Le 24, lundi, à Fontainebleau.—Il va au jardin du Tibre y attendre le Roi, qui étoit allé se promener et voir ses ouvriers, va donner le bonjour à la Reine. Voulant donner un coup de chapeau à Soldat, l'un des chiens du Roi[481], le chien se jette sur lui, le surprenant; il en pleure. Le Roi le tance d'avoir eu peur, et lui dit qu'il ne faut avoir peur d'aucune chose; il lui répondit: C'est que je n'y pensois pas.
Le 25, mardi.—A six heures soupé avec le Roi; à dix heures dévêtu, mis au lit, il appelle la jeune Ventelet pour lui apprendre une chanson qu'elle savoit; il en apprend quelque chose. Soudain, elle lui dit: «Mon Dieu, Monsieur, quel esprit vous avez! Vous apprenez incontinent tout!» Il lui répond en se souriant: J'ai mon esprit fait comme les joues de Robert, le singe de papa; il fourre, il fourre tout dedans.
Le 26, mercredi.—Il va trouver le Roi en la chapelle basse du donjon[482], où il entend la messe, puis le suit en la chambre de la Reine, où, sous espérance de dîner avec elle, il demeura jusques à une heure, n'en voulant en aucune façon partir. Soupé avec le Roi.
Le 28, vendredi.—Éveillé à sept heures avec quelque
inquiétude; il disoit avoir fait des songes qu'il ne
vouloit pas dire, de peur de s'en souvenir et que cela
ne l'empêchât de dormir la nuit suivante. En déjeunant
Mars
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je lui demande ce qu'il avoit vu en songeant.—Un
homme habillé de blanc.—«Monsieur, que vous a-t-il dit?»—Rien.—«Monsieur,
que lui avez-vous dit?»—Qu'il
étoit un sot, et n'en voulut dire autre chose.
Le 29 mars, samedi.—Il va trouver le Roi au jardin du Tibre, fait courir M. Birat après lui, tout à travers les parterres. Dîné avec le Roi; il va chez la Reine avec le Roi, puis en sa chambre. Mené par le bout de la galerie au jardin des canaux, il va après au grand Navarre, où il voit piquer des petits chevaux de M. de Vendôme; ramené, il va au jardin de l'étang, s'amuse à jardiner et à planter des pois; on ne l'en peut tirer. A cinq heures je dis à Mme de Montglat qu'il commençoit à faire froid: Ho! dit-il, je vois bien, mousseu Héroua n'est pas de mon côté? Ramené en sa chambre, il va peu après chez le Roi, y a soupé; bu du vin clairet du Roi, fort trempé; il avoit soif, il le trouve bon, mange du massepain, de celui du Roi, boit encore du vin clairet du Roi, un bon coup: Ha! qu'il est bon! il seroit bien meilleur s'il n'avoit point d'eau, qu'il fût bien rouge, bien rouge, dit-il avec action. Il y faudra prendre garde pour ce regard[483].
Le 30, dimanche, à Fontainebleau.—A dix heures et demie, M. le prince de Condé, MM. de Guise, de Joinville, d'Aiguillon le viennent prendre en sa chambre pour l'accompagner à la cérémonie des Rameaux, que le Roi voulut qu'il fît en sa place. Le tambour le prit au sortir de la chambre, à l'entrée de la terrasse; il marche en cérémonie et tenoit bien son rang, nullement étonné. Mis au lit, il veut que Bompar, son page, soit botté tous les matins pour aller apprendre à monter à cheval, au manége de M. Pluvinel; cela vient de son mouvement; il le menace du fouet s'il y fault.
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Le 31 mars, lundi.—Mené par le jardin des canaux au grand Navarre, voir piquer des chevaux, il fait monter son page à cheval; il rioit à plein poumon, et sur la fin Bompar étant sur le barbe de M. de Vendôme, il tomba à terre, dont le Dauphin se prit fort à rire. Ramené, il entend la messe en sa chambre, où M. de Giais[484] lui montre et lui donne un petit morceau de la mine d'argent trouvée, depuis six semaines ou deux mois, auprès de l'Islebourg en Écosse. M. le cardinal de la Rochefoucauld[485], qui le jour précédent avoit reçu le bonnet, assiste à sa messe.
Le 3 avril, jeudi saint, à Fontainebleau.—Il va chez le Roi, et l'accompagne au sermon et à la cérémonie du lavement des pieds, y sert le Roi et porte le pain; ce fut en la salle du bal[486]; puis le Roi le mène à la chapelle basse, à la messe.
Le 4, vendredi.—Il va au jardin des canaux, et revient à la grande source aux truites, où il s'amuse à regarder des poissons que le Comte Palatin avoit envoyés au Roi. Il va à la messe avec le Roi, porte à l'offrande l'écu du Roi, que M. le prince de Condé lui avoit apporté, puis le sien.
Le 5, samedi.—Mené à la salle du Cheval blanc, où il se confesse et entend la messe. Le Roi le mène au jardin de la Reine, où il court saute et tombe une fois, par la faute de sa robe, sans se blesser. A deux heures et demie il entre en carrosse, va à la chasse après le Roi, qui alloit au chevreuil, à la Vente au Diable. A souper il se prend à chanter: Qui veut ouïr une imparfaite, etc.
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Le 6, dimanche, jour de Pâques, à Fontainebleau.—Le Roi le mène à la messe; il le sert à la communion, qui lui fut administrée par M. le cardinal Du Perron; la messe achevée, le Roi allant toucher les malades[487] en la cour des Fontaines, le renvoie en sa chambre, d'où il regarde la cérémonie.
Le 7, lundi.—Il entre en carrosse pour suivre le Roi à la chasse au chevreuil, le voit prendre, est marri de le voir tuer aux chiens.
Le 11, vendredi.—Il va trouver le Roi, qui le mène au jardin des pins et des canaux, où il lui prend envie d'aller au grand Navarre voir piquer des chevaux, y voit courir la bague. Ramené aux jardins, il va ratteindre le Roi derrière le chenil; il montroit les jardins à M. de Joyeuse, dit Père Ange, capucin[488]; il ne veut retourner, suit le Roi au jardin du Tibre et à la salle du Cheval, ouïr la messe avec le Roi, puis va donner le bonjour à la Reine. M. de Joyeuse vient voir remuer M. le duc d'Orléans, lui donne sa chemise et prend congé du Dauphin pour s'en retourner à Rome. Il étoit père de Mme de Montpensier, mère de Mlle de Montpensier accordée à M. d'Orléans.
Le 12, samedi.—Il va à la chasse après le Roi, voit le cerf par deux fois. Mme la comtesse de Moret, étant dans son carrosse, sembloit venir à lui[489]; il dit soudain: Tournez, tournez, cocher! dret (droit) à Fontainebleau.
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Le 13, dimanche.—Dîné avec le Roi; ramené en sa chambre; à six heures et demie soupé. M. le cardinal Du Perron vient à son souper; il le fait asseoir; aussitôt que le Dauphin eut soupé il s'en va à la galerie; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous n'avez pas dit adieu à M. le cardinal Du Perron.»—Vient-y pas?—«Non, Monsieur.»—C'est qu'il est comme une fille, il craint le serein. Un écuyer du Roi étoit demeuré avec ledit sieur cardinal, le Dauphin demande: Où est l'écuyer? il est une fille comme lui.—«Monsieur, lui répond Mme de Montglat, c'est son écuyer.»—Ho! ho! non, il est à papa, mais c'est que ses aumôniers sont ses écuyers.
Le 14, lundi, à Fontainebleau.—Il trouve sur la terrasse près de sa chambre un petit mercier, achète demi-douzaine d'agrafes de verre blanc lui ayant plu; il eût volontiers acheté toute la boîte. Il va chez le Roi, où il joue au hoc[490] contre Mme la princesse de Conty, qui se laisse perdre trois ou quatre écus.
Le 16, mercredi.—Il va en la galerie, se joue, vient où nous dînions, y prend un cornet d'oublie qu'il mange, puis s'en retourne en sa chambre pour y entretenir maître Guillaume Dubois, poëte de M. de Roquelaure (il n'étoit pas bien sage), et avant que partir prie Mme de Montglat de lui faire donner à dîner; il en avoit compassion, l'on ne y pensoit point.
Le 17, jeudi.—Mené chez le Roi; M. de Verneuil étoit près du Roi; il approche, et, le tirant par le bras, il lui dit: Otez-vous de là; c'étoit pour y faire approcher Madame. Le Roi l'en tança, y fait demeurer M. de Verneuil, et le chassa. Il se retire à l'écart, et se met à pleurer; M. le Grand fit la paix.
Le 20, dimanche.—Mené au jardin des pins, il y fait
mener son petit carrosse rouge, et y fait mettre dedans
Mistaudin, petit nain du jeune Liancourt, le fait tirer
Avr
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par tout le jardin, par M. le Chevalier, et lui et M. de
Verneuil sont les valets de pied. Mistaudin commande:
Je veux aller à Paris ou autre part, et les nomme par
leurs noms: valets de pied.
Le 22, mardi, à Fontainebleau.—On lui amena pour lui faire la révérence MM. de Mortemart[491], l'un âgé de sept ans et demi et l'autre de six ans et demi, et comme on lui dit que demain matin ils viendront à son lever, il dit: Non, il nous faut faire devant deux tours de galerie; c'étoit pour y courir et s'éprouver à la course. Il se mesure avec eux, se trouve plus grand, puis les mène à la galerie, où il les fait courir avec lui, et les gagna de beaucoup. Il va par la galerie au jardin des pins, revient par l'allée du chenil, regarde les compagnies entrer en garde, voit un goujat monté sur un bidet, lui demande: A qui est ce cheval? et lui ayant répondu que c'étoit à un soldat: Il ne faut pas que les soldats ayent de chevaux; c'est pour les capitaines. Dîné avec le Roi; il va chez la Reine, et se jouant à Soldat[492], un turquet du Roi, il en fut un peu mordu. Mené aux toiles, où il voit prendre un sanglier.
Le 24, jeudi.—M. de la Trimouille, âgé de quatre ans, lui
fait la révérence, présenté par Madame sa mère[493]. Mme de
Montpensier visite M. d'Orléans et lui mène sa fille, âgée
d'environ trois ans. Il lui fait bonne chère[494], lui rit,
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la baise, l'embrasse, et lui donne une petite nourrice
de poterie[495] qu'il tenoit, le lui ayant dit.
Le 25, vendredi.—A sept heures trois quarts, la Reine
commença à sentir les douleurs pour accoucher; j'en
revenois, et lui demandai (au Dauphin): «Monsieur, voilà
maman qui est en travail pour accoucher, qu'aimeriez-vous
mieux, ou un frère, ou une sœur?»—Un frère.—«Monsieur,
pourquoi?»—Parce que ce sera un autre serviteur
pour papa, et puis on fera tant tirer le canon. A
neuf heures et demie la Reine accouche de Mgr le duc
d'Anjou[496], et fort heureusement, n'ayant eu qu'une
seule tranchée de forte, et l'enfant grand, fort et bien
nourri et ayant la voix fort grosse. Le Dauphin entend
sur la fin de son déjeuner tirer des arquebusades, il se
prend à sauter avec transport d'allégresse, disant: Ho!
maman est accouchée! On lui demande: «Monsieur, que
pensez-vous que c'est?»—Attendez! il y faut songer;
ce est un frère, j'en suis bien aise, nous sommes à c'theure
trois. Il va chez le Roi et au grand cabinet de la Reine,
voit mondit Seigneur que l'on pansoit, met ses deux
mains sur les flancs et le considère froidement; il ne
le voulut baiser. Il va voir la Reine, puis va avec le Roi
au Te Deum. Il regarde, des fenêtres de la galerie, courir
la bague en la cour du Cheval. Mis au lit, il s'amuse
à faire des empreintes de gravures[497], me demande la
mienne, qui étoit d'un Hippocrate en cornaline antique;
je lui en retire une en cire blanche, il me commande
de lui en rogner les bords jusques au visage. Je
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lui dis: «Monsieur, je gâterai tout.»—Ho! vous ne
sauriez rien gâter, vous êtes bon sculpteur.
Le 26 avril, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à faire des empreintes de mon lion et de mon Hippocrate[498]; MM. de Mortemart entrevenant à son lever, il en est fâché, entre en mauvaise humeur et en querelle avec Mme de Montglat. Elle lui dit que sa mauvaise tête lui feroit donner le fouet: Je voudrois que vous eussiez ma mauvaise tête, et je vous donnerois le fouet. Levé, vêtu, il va à l'entrée de la galerie où étoient ses petits chiens d'Artois, et, les caressant, dit: Ha! je voudrois que vous peussiez manger Mamanga; mais ne lui dites pas, dit-il à M. de Ventelet et à son aumônier, qui l'avoient entendu. Il fait apporter ses armes, va en la galerie, fait sa compagnie comme il avoit fait d'autres fois, et fait armer MM. de Mortemart; M. le Chevalier étoit le capitaine. Il y étoit si attentif que Mme de Montglat ne l'en sut jamais divertir pour aller assister au baptême, sans les cérémonies, de Mgr le duc d'Anjou. Ce fut en sa chambre, proche de la terrasse de la galerie lambrissée qu'il fut baptisé par M. le révérendissime [cardinal de Bonzi] évêque de Béziers, grand aumônier de la Reine, à deux heures après midi, y étant Madame, Mme de Montpensier, Mme de Guiercheville, dame d'honneur de la Reine.
Le 27, dimanche.—Vêtu d'une saye[499] que la Reine lui fit faire, il ne veut point que l'on mette des plumes à son chapeau, y fait mettre une laisse. Le Roi le mène aux toiles, où il voit prendre une laie et une douzaine de marcassins presque tous en vie.
Le 30, mercredi.—Comme il alloit trouver le Roi,
il rencontre M. le Grand, retourne arrière, et le mène
Avr
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chez lui pour lui montrer ses chiens; c'étoient deux petits
chiens d'Artois. Il leur fait courir le marcassin dans
la galerie, va après courant, et toute cette noblesse qui
étoit avec lui. Dîné avec le Roi.
Le 1er mai, jeudi, à Fontainebleau.—M. le Chevalier se moquoit de quelqu'un, et lui montroit le personnage; il lui dit: Taisez-vous, féfé Chevalier, il faut point regarder les personnes quand on se moque. A neuf heures et demie dévêtu, mis au lit, il s'amuse fort gentiment à entretenir des gentilshommes qui étoient à son coucher, raille avec eux sérieusement, gracieusement; comme s'il n'avoit jamais fait autre chose et toujours vécu privément avec eux.
Le 2, vendredi.—Le Roi le mène promener au jardin, où, lui montrant Mme la comtesse de Moret: «Mon fils, j'ai fait un enfant à cette belle dame, il sera votre frère;» il se retourne honteux, disant: C'est pas mon frère. Dévêtu, mis au lit, il s'amuse à entretenir la noblesse; entre autres il faisoit bonne chère au fils aîné de M. de Sourdéac[500], il l'appeloit: Petit jeune.
Le 3, samedi.—A huit heures et demie levé, il essaye
un pourpoint et des grègues de satin, saute, gambade;
il y a de la peine à lui faire quitter, tant qu'on lui dit
qu'il y avoit quelque chose à raccoustrer. A onze heures
et demie dîné; bu de la tisane de réglisse de M. de Vendôme,
qu'il avoit fait tenir en sa chambre tout le long
de son dîner, sans lui vouloir permettre d'aller avec
Mlle de Vendôme[501]; aussitôt qu'il eut achevé, lui ôtant
son chapeau: Allez, allez-vous-en dîner. Le Dauphin prend
Mai
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son petit carrosse rouge, s'assied à la place du cocher,
y attelle Bajordan, Villereau, Saint-Privat, pages du Roi
en la grande écurie, et Décluseaux, et se fait traîner par
la chambre.—Il y avoit quatre ou cinq jours qu'il lui
fut donné deux petits chiens que l'on avoit trouvés; il
les fit mettre, pour les nourrir, à sa fourrière et les
aimoit fort. Celui qui les avoit perdus, l'ayant su, vint
trouver le Dauphin, lui dit qu'il étoit fort aise que ces
deux chiens lui avoient été donnés; qu'ils étoient à lui,
qu'il les avoit perdus, qu'il les aimoit fort, mais que s'ils
lui étoient agréables, il lui feroit beaucoup d'honneur
de les recevoir en don. Le Dauphin l'écoute froidement,
et ayant achevé, lui demande: Sont-ils à vous? Il répond
que oui.—Qu'on les y rende, dit le Dauphin gravement,
doucement, et n'en voulut plus. A six heures et demie
il va chez la Reine[502].
Le 4, dimanche, à Fontainebleau.—Il va donner le bonsoir à la Reine, et prendre le mot pour le donner aux gardes. Avant que s'endormir il demanda à M. de Drouet, capitaine aux gardes, qui étoit venu prendre le mot: Où êtes-vous en garde?—«Monsieur, à la porte du donjon.»—Et l'autre compagnie?—«Monsieur, à la porte des cuisines.»—Qui est le capitaine?—«Monsieur, c'est Campagnols.»—Où est-il?—«Monsieur, il est à Boulogne, dont il est gouverneur.»—Et son lieutenant, est-il ici?—«Non, Monsieur, il est malade à la garnison.»—Et son enseigne?—«Monsieur, il est allé à sa maison.»—Et son sergent?—«Monsieur, il est ici.»—Pourquoi n'est-il venu prendre le mot? Il fit toutes ces demandes pour venir à cette dernière.—«Monsieur, les sergents ne le prennent point quand il y a des capitaines; je le leur donnerai à tous.» Il se contenta de cela.
Le 5, lundi.—Il fait son exemple; Beaugrand, écrivain du Roi, lui montre à écrire.
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Le 6, mardi, à Fontainebleau.—Il écrit une lettre au Roi, par commandement de la Reine, comme il s'ensuit, sans trace, mais entre deux lignes de règle et fort bien:
Papa, maman m'a commandé de vous escrire pour vous remercier en son nom de la peine que vous prenés de luy faire scauoir de vos nouuelles, maintenant qu'elle ne vous peut mander des siennes; elle se porte bien et se resiouit de ce qu'elle vous verra jeudy, et vous baise tres-humblement les mains et moy aussi, qui suis bien sage et tousiours, mon papa, vostre tres-humble et tres-obeissant fils et seruiteur.
Loys.
Et pour suscription: «à Papa».
Mené au jardin des pins, puis en celui des canaux, et voir le manége qui se faisoit au logis de Jamin, et après au jardin des fruitiers. Il va en son petit jardin, s'amuse à bêcher, baille des outils à d'autres, leur disant: Travaillez, ou je vous battrai. Ramené, il va chez la Reine; il fait lui demander de l'argent, car jamais il n'en vouloit demander; il craignoit le refus. La Reine l'appelle: «Mon fils, voulez-vous de l'argent?»—Oui, s'il vous plaît, maman. La Reine lui fait donner trois doublons, et lui demande: «Mon fils, qu'en ferez-vous?»—Je les dounerai à mon petit jardinier.—«Mais, mon fils, lui donnerez-vous tout?»—Oui, maman, car il faut une serrure à mon jardin, puis il y a un an qu'il travaille à mon jardin. Ramené à sept heures et un quart en sa chambre, soupé. Mme la princesse de Conty faisoit un ballet pour danser devant la Reine; il disoit en soupant: La femme du singe à papa est morte; je prendrai la peau, puis je m'en irai. Je monterai sur une fenêtre et puis je me jetterai dans le ballet, et puis ils seront bien étonnés. Il racontoit cela à Madame, sa sœur.
Le 7, mercredi.—Mme la princesse de Conty devoit
danser un ballet en la chambre de la Reine, puis venir
en la sienne; on lui propose de faire préparer une collation
de petites pièces qu'il avoit prises en la poterie.
Mai
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Attendant le ballet il se jouoit avec les filles de la Reine,
surtout avec Mlle de Fonlebon, se jetoit sur elle à corps
perdu, la couchoit à terre. Le ballet arrive; c'étoient:
Mme la princesse de Conty, Mlle de Vendôme, Mme la comtesse
de Moret, Mme de Vitry, fille de Mme de Montglat,
Mlle de Liancourt, M. de Vendôme, M. le Chevalier et le
fils de M. de Liancourt. Le ballet fini, on danse les
branles, il ne veut point danser, et regarde; M. de Vendôme
conduisoit le branle. Il lui prend une humeur de
danser, se jette dans la danse au-dessous de M. de Vendôme,
et prend Mme la comtesse de Moret à la main
gauche; M. de Vendôme la menoit à sa droite; M. de
Vendôme lui dit: «Monsieur, prenez votre rang.»—Mon
rang est partout! Il mène Mme de Guise, qui
fut suivie des autres du ballet, à sa collation, et de rire
et de faire des exclamations: c'étoient des petits chiens,
des renards, des blaireaux, des bœufs, des vaches, des
écurieux, des anges jouant de la musette, de la flûte,
des vielleurs[503], des chiens couchés, des moutons, un
assez grand chien au milieu de la table, un dauphin
au haut bout, un capucin au bas.
Le 9, vendredi, à Fontainebleau.—Il fait courir ses chiens après le Robert du Roi[504].
Le 10, samedi.—A onze heures mené au Roi, qui revient de Paris.
Le 14, mercredi.—Levé à huit heures et un quart, il
s'assied à terre, disant: Je ne sais que j'ai, mais je suis
pas malade, tâche de se jouer à son petit chien, qu'il se
fait bailler. A huit heures et demie remis au lit, il se
prend à vomir à deux diverses fois, et dit: Je suis guéri.
La bonne couleur lui revient, la gaieté; il demande ses
petits jouets d'argent, les fait nommer par M. du Buisson,
Mai
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exempt des gardes, qui les nomme en bourguignon
qu'il étoit; le Dauphin en rit à bon escient[505]. A sept
heures (du soir) le Roi arrive, et l'éveille; il lui saute
au col, en est tout réjoui. Le Roi lui dit: «Mettez-vous
sur le cul que je le voie;» il se plante sur les deux bras,
et montre tout le derrière du corps.
Le 15, jeudi.—Éveillé à sept heures, il s'entretient du loup que, sur les cinq heures, le Roi avoit pris dans le parc. A neuf heures et un quart il demande à faire son lit; levé, gai, peu après qu'il étoit assis auprès du feu, vomi. Remis au lit, M. le baron de Portes[506] le vient voir; le Dauphin dit gaiement: Ha! veci la porte de ma chambre; mais cela est bien étrange de voir parler une porte. A quatre heures et demie on lui parle de prendre un clystère; cela ne lui plaît point. On l'en presse, il tempête: J'aime mieux mourir. On le menace du Roi, qui venoit; il s'arrête. Enfin, un quart d'heure après toute contestation, M. d'Épernon arrive, qui lui dit: «Monsieur, voilà le Roi.» Soudain il se retourne: Hé! donnez-le moi, et le prend tout: et là-dessus le Roi entra, et y fut jusques à cinq heures et demie[507].
Le 16, vendredi.—Il demande: Mamanga, je vous
prie, envoyez-moi querir quelque petit mercier pour me
jouer. M. Birat va au bourg, fait venir un Marseillois
qui avoit un instrument fait à Nuremberg, en forme de
cabinet, où il y avoit grand nombre de personnages
faisant diverses actions, par le mouvement du sable au
lieu de l'eau. L'instrument arrivé, il se y amuse, et incontinent
comprend les moyens pour faire jouer le sable
et le faire arrêter, en parle en mêmes termes qu'il avoit
Mai
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ouï nommer au Marseillois, comme contrepès, pour
contrepoids. M. de Ventadour et M. de Montespan[508] font
tout ce qu'ils peuvent pour le persuader de l'envoyer
montrer au Roi et le supplier de le lui donner. Il ne
leur répond rien, d'autant qu'il avoit entendu que ce
pauvre homme en gagnoit sa vie. Le désir de l'avoir, la
crainte qu'il avoit d'en importuner le Roi et la charité
envers ce pauvre homme combattoient en lui; enfin
M. de Montespan, capitaine des gardes, le presse tant, et
s'offre d'en aller supplier le Roi, qu'il dit oui, mais assez
froidement et comme par contrainte. M. de Montespan
en revient, et dit: «Monsieur, le Roi le vous donne.»—Est-il
payé? Amusé fort gaiement à cet instrument,
où étoient la prinse de Jérusalem et la Passion. Le Roi
fait marchander et offrir six écus pour vingt-cinq; il envoie
M. le Chevalier pour l'en dégoûter. La Reine l'envoie
donner, et promet de les payer[509]. Le Dauphin eut
pitié de ce pauvre homme: Mamanga, je vous prie, faites
donner à ce pauvre homme la moitié d'une sole, la moitié
d'une carpe, et un pain; il n'a point mangé d'aujourd'hui.
Le 17, lundi.—Il s'amuse à l'instrument du jour
précédent, que la Reine lui avoit donné et payé vingt
écus, dont le Roi fut fâché, disant qu'elle le gâtoit; il
le montre à ceux qui le viennent voir et le conduit lui-même.—Mmes
de Montpezat[510] et du Peschier[511] viennent
à son souper. Mme du Peschier voyoit qu'il la regardoit
fixement, et dit: «Je vois bien que Monsieur me
fait l'honneur de m'aimer, puisqu'il me regarde ainsi.»
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Le Dauphin dit tout bas à l'oreille de sa nourrice: C'est
qu'elle ressemble à Robert, le singe à papa: elle avoit les
épaules voûtées; puis quand elles furent parties, il le
dit tout haut en la nommant. On lui demande: «Monsieur,
à qui ressemble Mme de Montpezat?»—Au sapajou
de maman, elle a une petite tête et un petit nez: il
étoit vrai[512].
Le 18, dimanche, à Fontainebleau.—M. de Vic, gouverneur
de Calais, le vient voir; il étoit botté et éperonné
d'un côté, d'autant qu'il avoit une jambe de bois: Il vous
faut mettre, lui dit-il, un petit éperon à cette petite jambe,
tout au bout. Il va donner le bonjour à Leurs Majestés; ramené,
il s'amuse à peindre, fait bien, judicieusement, se
y arrête; il avoit fait venir un Allemand qui étoit au petit
M. de Liancourt, pour lui montrer. A six heures et un
quart il va en son cabinet; cependant qu'il est empêché,
on heurte à la porte; il commande à Descluseaux de
demander qui c'est: Vous l'entendrez bien à la voix, je veux
que personne entre.—«Monsieur, ne voulez-vous pas que
personne entre?»—Hé! oui, féfé Chevalier.—«Et M. de
Vendôme?»—Non.—«Et pourquoi?»—Il n'est pas
si cognu; il vouloit entendre si ordinaire auprès de lui.
Descluseaux lui dit: «Mais, Monsieur, ils sont vos frères.»—Ho!
c'est une autre race de chiens.—«Et M. de Verneuil?»—Ho!
c'est encore une autre race de chiens.—«Monsieur,
de quelle race?»—De madame la marquise
de Verneuil; je suis d'une autre race, mon frère d'Orléans,
mon frère d'Anjou et mes sœurs.—«Laquelle est la meilleure?»—C'est
la mienne, puis celle de féfé Vendôme et
féfé Chevalier, puis féfé Vaneuil et puis le petit Moret,
qu'il ne voulut jamais appeler comte. C'est le dernier,
il est après ma mede que je viens de faire. Dévêtu, mis au
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lit, il raille avec des gentilshommes qui étoient à son
coucher, leur donne des noms, demande à M. le baron de
Portes: D'où êtes-vous? Il répond: «De Languedoc.»—De
langue de chien.
Le 24 mai, samedi, à Fontainebleau.—L'ambassadeur d'Angleterre, M. Georges Cheruth, le vient voir pour lui dire adieu, ayant avec lui sa femme et un petit-fils nommé François, âgé de sept ans et demi, fort joli esprit, qui supplie Mgr le Dauphin qu'il pût être son soldat. Il le mène en la galerie où il le fait mettre debout sur le cul du petit carrosse, et lui fait le cocher assis et fait tirer le carrosse; il lui demande s'il étoit huguenot, sur ce que lui en venoit de dire M. de Verneuil. Il répond que M. le prince de Galles, son maître, étoit de la religion de ceux que l'on nommoit ainsi, et qu'il en étoit aussi.—En soupant il entretient M. de Vic, gouverneur de Calais, qui avoit une jambe de bois, lui demande: Pouquoi n'avez-vous fait faire un éperon à vote jambe?—«Monsieur, pource qu'il ne me serviroit de rien.»—Pouquoi?—«Monsieur, pource que ma jambe qui est de bois ne plie point.»—Il y faut mettre une cheville sous le genoil, et puis elle fera chac, faisant plier son doigt sur la table.
Le 25, dimanche.—Il va chez le Roi, qui le mène à la messe, puis, à onze heures et un quart, en la salle du bal; dîné avec lui; le Dauphin se jouant de la manche de sa robe avec Soldat, chien du Roi[513], le chien aboyant sur lui feint de le mordre; le Roi l'en tance pensant qu'il battoit le chien. Il pleure pour avoir déplu au Roi. Le Roi s'en fâche, et le mène par la main en sa chambre; il la quitte pour aller à Mme de Montglat; le Roi s'en fâche, le menace du fouet; tout soudain il se jette à genoux, demande pardon. Le Roi s'apaise.
Le 26, lundi.—Il dit à M. de Vic: Avez-vous fait faire
une cheville à vote jambe pou la faire plier?—«Non,
Mai
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Monsieur.»—Il y faut faire mettre une petite roue pour
la faire plier, puis une cheville pour l'arrêter. Voulez-vous
courir contre moi dans la galerie? Je vous donnerai cinquante
pas. Il va dire adieu au Roi, qui alloit à la chasse,
et puis en la chambre de la Reine.
Le 27 mai, mardi, à Fontainebleau.—En dînant il demanda à M. de Ventelet quand il mangeroit du poisson?—«Monsieur, ce sera après-demain.»—Et demain?—«Non, Monsieur, encore que ce soit les quatre-temps.»—Ho! ho! les quatre temps! est-ce pluie, est-ce l'éclair, est-ce tonnerre, est-ce la grêle? A six heures et demie soupé; il entend le tambour des gardes: Velà papa qui revient; il y va soudain, et le rencontre au bas de l'escalier de la cour des Fontaines, revenant de la chasse, et le mène en sa chambre.
Le 28, mercredi.—M. le maréchal de la Châtre le vient voir, lui donne sa chemise. A onze heures dîné; un fauconnier y vient portant un autour d'Inde, qui avoit une huppe noire sur la tête, envoyé d'Espagne par le sieur de Barrault, ambassadeur pour le Roi; il étoit gros et fort comme un aiglon. Le Dauphin dit: Il a la tête faite comme la jeune de Lisle, qui l'avoit grosse et carrée, et le nez long; il étoit ingénieux à ces rencontres. Il entretient en soupant maître Martin[514] de tous ses chiens, sait ou demande leurs noms, ce qu'ils savent faire, comme il dresse les jeunes; ce fut presque tout le long de son souper comme une grande personne bien entendue, parlant en termes propres et avec grâce. Mené à sept heures trois quarts chez le Roi, revenant de dîner à Villeroy.
Le 6 juin, vendredi, à Fontainebleau.—Il est vêtu
d'un pourpoint et de chausses, quitte l'habillement
d'enfance, prend le manteau et l'épée, c'étoit celle que
feu M. de Lorraine lui avoit donnée. Son habillement
étoit de satin incarnat avec du passement d'argent.
Juin
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M. de Verneuil fut habillé de même. Il va ainsi habillé
voir le Roi et la Reine.
Le 11 juin, mercredi.—Il va voir la Reine (le Roi étoit parti pour aller à Paris), prend congé d'elle (elle alloit rejoindre le Roi). Il écrit une lettre à M. de Sully pour avoir un cheval pour Descluseaux; on le faisoit écrire selon leur passion. A six heures le Roi est revenu, ramené par la chasse; soupé avec le Roi chez M. Zamet.
Le 16, lundi.—J'arrive de Vaugrigneuse[515]; il me mène pour me montrer son manteau et sa croix dessus. J'avois feint de ne le connoître avec son habillement.
Le 23, lundi, à Fontainebleau.—A quatre heures il entre en carrosse pour aller au-devant du Roi, qu'il rencontre au haut du pavé, à l'entrée de la forêt, et revient avec lui à cinq heures, lui donne sa chemise. Après souper il va en la basse-cour, y fait tirer des fusées, puis à huit heures et demie il a mis le feu au bûcher de la Saint-Jean; après il va au-devant de la Reine, la salue au pied de l'escalier du donjon, salue Mmes de Martigues, de Mercœur et Mlle de Mercœur; il va en la chambre de la Reine, où il se joue devant Leurs Majestés. Mis au lit il se fait entretenir, dit: Quand j'aurai quatorze ans, on parlera de me marier, pource qu'il avoit entendu dire que l'on parloit de marier M. de Vendôme avec Mlle de Mercœur[516], pource qu'il avoit quatorze ans. Là dessus nous lui parlons de l'Infante, lui en faisons des contes; il y prend plaisir, et entr'autres il dit: Faites-moi le conte des ambassadeurs. C'étoit un conte que l'on lui faisoit de l'Infante, qui jouant aux ambassadeurs qui venoient de toutes parts à elle faisoit la Reine; elle fit asseoir et couvrir celui du Dauphin.
Le 24, mardi.—Il va à la messe en la salle du Cheval,
après va donner le bonjour à la Reine, qui lui donna un
Juin
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laquais qu'elle avoit fait habiller; c'étoit un petit garçon
gueux, que les laquais faisoient danser et en faisoient
leur bouffon, plein de poux, natif d'Orléans; ce fut son
premier laquais. Il essaye à ses chiens, Pataut et Lion,
des harnois que M. Conchino lui avoit donnés pour leur
faire tirer son petit carrosse. A six heures, en la salle du
bal, soupé avec le Roi; il va chez la Reine avec le Roi.
Le 26 juin, jeudi.—Il demande ses armes, mousquet, bandoulière et tout l'équipage, fait armer toute sa compagnie, y joignant plusieurs pages de la petite écurie, marche ainsi sur la terrasse, le tambour battant, et va à la salle du bal; c'étoit le tambour de la compagnie qui étoit en garde. Ils se rangent en haie, puis marchent, vont à la charge; le Roi et la Reine y viennent pour les voir, M. de Sully et M. de Villeroy[517] avec eux. Après plusieurs revues et salves d'arquebusades[518], il s'adresse à M. de Sully, surintendant des finances, et lui demande de l'argent pour faire la paye de ses soldats; il lui donne un sol; le Dauphin le prend, et voyant qu'au lieu d'un doublon ce n'étoit qu'un sol, il le regarde en colère et jette le sol au loin, disant: Je veux paye royale. Il fait encore en présence de LL. MM. une revue et une salve, par commandement du Roi, puis se retire en bataille en sa chambre.
Le 27, vendredi.—La Reine lui demanda s'il seroit marri quand il ne seroit plus avec Mamanga, il répond: Non.
Le 2 juillet, mercredi, à Fontainebleau.—Bagot, artillier
du Roi, étoit sur la petite terrasse jetant des fusées;
il les regardoit à travers la vitre de sa chambre,
monté sur un placet[519] sur lequel je le tenois, et se retournant
Juil
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vers moi dit gaiement: Ha! Mousseu Héroua,
que j'aime cette senteur: il aime l'odeur de la poudre.
Le 3, jeudi.—Mené à la salle du bal, aux comédiens entre lesquels étoit Colas, cet admirable sauteur, qui montoit sur une échelle droite, à niveau, sans l'appuyer, et tomboit tout du long à culbutes sans se blesser.
Le 5, samedi.—Il joue une comédie, au passage de l'entrée de la galerie, hardiment, avec M. le Chevalier et MM. de Mortemart. A trois heures goûté; il va jouer encore au même lieu une comédie; il fait le soldat françois.
Le 8, mardi, à Fontainebleau.—A onze heures dîné avec le Roi; il tonnoit et éclairoit; il en avoit peur, baissoit son chapeau du côté des fenêtres, faisoit des signes de croix, et, assurant tant qu'il pouvoit sa contenance, disoit que ce n'étoient que des flambeaux. A trois heures goûté, il va à la comédie.
Le 9, mercredi.—Il s'entretient de ses chiens, dit qu'il a six chiennes pleines et qu'il les a mariées. Je lui dis qu'il auroit bien des accouchées. Il appelle M. de Candale, et lui dit à l'oreille: J'ai un chien qui a fait un autre chien cocu; il a couché avec sa femme la chienne, mais ne le dites à personne; dites-le à mousseu Héroua, il n'y a point de danger.
Le 10, jeudi.—Il va en la galerie, où il se joue en diverses façons, fait brûler de la poudre, se jette dans la fumée pour la humer, dit que cette odeur lui plaît. A trois heures goûté, mené à la comédie.
Le 11, vendredi.—Il ne veut point aller à la comédie, ne s'y plaît point, ne aux bouffons.
Le 14, lundi.—Déjeuné à la fenêtre de la galerie, regardant courir la bague. M. de Vic, gouverneur de Calais, étoit à son souper; il raille avec lui, lui demande pourquoi il est botté, lui dit qu'il courroit avec lui s'il vouloit courir à cloche-pied[520].
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Le 15, mardi, à Fontainebleau.—Il va donner le bonjour à la Reine, où je la remerciai de ce que, le jour précédent, elle m'avoit fait l'honneur de faire résoudre au Roi que je demeurerois premier médecin de Monseigneur le Dauphin. Il va en sa chambre; l'on parloit de le retirer des mains des femmes et de lui ôter tous ses serviteurs; M. de Verneuil lui dit: «Mon maître, l'on dit que on veut faire prendre de la casse à tous vos serviteurs»; il répond: Paix! paix! sans le regarder ne faire semblant de l'entendre, avec un visage fâché.
Le 16, mercredi.—Soupé en la galerie; il va chez le Roi, où le contrat de mariage entre M. de Vendôme et Mlle de Mercœur fut signé et eux fiancés.
Le 17, jeudi.—Mené chez la Reine, là où le Roi lui baille son chapeau de castor, lui commandant de l'apporter à Armaignac, premier valet de chambre du Roi, et lui rapporter un chapeau de taffetas; le Dauphin y va courant avec ardeur, et ne veut point retourner[521] sans le chapeau de taffetas, qu'il apporta au Roi. Mené en la grande salle, à la comédie.
Le 18, samedi.—M. de Souvré lui dit que le fils du duc de Wittemberg le doit venir voir; il demande: Est-il plus que moi!—«Oui, Monsieur, car il est plus âgé que vous, c'est un prince d'Allemagne.» Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il est prince comme vous». Le Dauphin mangeant une cerise, et ayant songé dit: Je suis plus que lui en France, et il est plus que moi en Allemagne. A trois heures trois quarts le prince de Wittemberg le vient saluer, revenant de Poitiers et en dessein d'aller après en Angleterre, pour s'en retourner après séjourner à Alençon, dont le duché étoit engagé à son frère.
Le 19, samedi.—Les violons viennent en sa chambre;
Madame, Mlle de Vendôme et MM. de Mortemart dansent,
il ne veut point danser, n'aime point la danse. Don Pedro
Juil
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de Toledo[522] arrive sur les sept heures par la chaussée,
traverse la cour du Donjon, et, par le jardin de la
Reine, va loger à la Conciergerie.
Le 20 juillet, dimanche, à Fontainebleau.—Don Pedro de Toledo le vient saluer, lui baise la main, et lui dit qu'il est bien aise de voir qu'il est si beau et gentil prince, et prie Dieu qu'il le fasse prospérer. M. de Souvré, gouverneur du Dauphin, fit la réponse pour lui.
Le 21, lundi.—Soupé avec impatience pour aller aux toiles; à six heures et demie mené aux toiles: il étoit âpre à la chasse, où il vit tuer un sanglier.
Le 22, mardi.—Le sieur Jacob, ambassadeur du duc de Savoie, le vient saluer de la part de son maître, lui baise les mains et lui offrant, pour témoignage de l'affection que son maître avoit à le servir, sa personne et celle de ses enfants. Mené chez le Roi aux fiançailles de M. de Vendôme et de Mlle de Mercœur[523].
Le 25, vendredi.—A neuf heures et un quart, sur le parepied [sic] de la terrasse de la basse cour du Cheval blanc, déjeûné. Il va en sa chambre, fait dresser les toiles, dit à M. de Nangis, qui étoit capitaine des toiles: Vous serez aussi capitaine des toiles de ma chambre. Il y met des chiens de poterie, des blaireaux, des loups.
Le 30, mercredi.—Il se joue des marmousets de Mlle de Vendôme, et entre autres d'un marmouset fait en singe; le Roi le vient voir, lui dit que ce singe ressemble à M. de Guise; peu après M. de Guise arrive, et lui demande: «Monsieur, qu'est cela?»—C'est votre ressemblance.—«Comment le savez-vous?»—Papa le dit. A six heures le Roi et la Reine sont partis pour aller souper à Loursine et coucher à Paris.
Le 31, jeudi.—Il va en la chambre du grand pavillon,
Juil
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où souloit loger M. le Grand; l'on y porte son lit, à
cause de l'extrême chaleur. Il s'amuse à considérer les
peintures en la galerie des chasses, les différences et les
personnes qui y étoient peintes au naturel, des chefs principalement[524].
Le 2 août, samedi, à Fontainebleau.—Baigné pour la première fois, mis dans le bain et Madame avec lui; il se frottoit avec des feuilles de vigne.
Le 3, dimanche.—Il vient au jardin avec son petit carrosse, le mène en la chambre des statues, où j'étois logé. Mené au jardin des canaux: Allons, dit-il, au jardin des gazelles, cueillir des groseilles. Est-ce pas bien rimé?—Étant sur la terrasse, il voit beaucoup de femmes qui suivoient Madame, qui se retiroit en sa chambre; n'ayant auprès de lui que M. de la Court, M. de Ventelet et moi, il dit: Hé! velà tout plein de monde qui suit ma sœur, et n'y a personne avec moi.
Le 4, lundi.—Il vient en ma chambre, où il s'amuse, ne se peut mettre à l'écriture; enfin il se y met. Beaugrand, son écrivain, dit: «Silence.»—Hé! oui, silence; allez-vous en à Paris querir six lances.
Le 6, mercredi.—Pendant son dîner, M. d'Orléans s'engoua du bout d'un os; Mme de Montglat lui met le doigt en la bouche, et le fait un peu vomir. Il le voit: Allez laver vos mains. Elle y va, et revient.—Ne me touchez pas; elle touche à la manche de sa chemise: Fi! changez-moi de chemise, vilaine laide, n'approchez pas de moi, reculez ma chaise.—«Mais, lui dit Mme de Montglat, ne savez-vous pas bien que je suis sa gouvernante et qu'il faut que j'en aie le soin comme de vous?»—Je voudrois que vous fussiez morte; il ne s'en pouvoit apaiser.
350
Le 8, vendredi, à Fontainebleau.—Il ne se veut point laisser peigner, s'en coigne de colère le front à coups de poing, en est fouetté.
Le 10, dimanche.—Il lit son catéchisme, où le docteur demande et le disciple répond; Mme de Montglat l'interrogeoit par cœur: elle fut trop longue à demander, le Dauphin lui dit: Parlez, docteur, parlez, docteur de la Palestine. C'étoit un bouffon italien qui étoit en crédit à la Cour. A trois heures goûté; c'étoit l'heure de l'éclipse du soleil; il avoit fait porter, sur la terrasse, où il goûta, une pleine chaudière d'eau pour la voir.
Le 11, lundi.—Il avoit envie d'avoir un petit chariot à se jouer, qui étoit à Madame Christienne, Mme de Montglat lui dit qu'il le prenne: Mais, Mamanga, ma sœur y est pas; je veux qu'elle me le donne.—Mis au lit, il s'amuse à voir danser Madame, qui s'étoit vêtue de l'un de ses habits; il étoit incarnat, chamarré de passements d'argent, chausses et pourpoint. Elle danse les branles, la gaillarde, la sarabande; elle ressembloit fort à Mgr le Dauphin.
Le 12, mardi.—Il s'amuse à ranger en bataille sa
compagnie de poterie. L'un des princes de Mantoue devoit
ce jour-ci le venir voir; je lui demandai: «Monsieur,
que lui montrerez-vous? sera-ce votre compagnie?»—Ho!
non, dit-il, jugeant que c'étoit un jeu
d'enfant. Il se va promener le long de la terrasse, par où
l'on alloit à la salle du bal, trouve la salle des gardes
fermée; c'étoient les soldats de la compagnie qui l'avoient
fermée et jouoient. Il heurte, ils ouvrent; les trouvant
jouant, il se tourne à M. de la Court, exempt des gardes
servant près de lui: La Court, ils jouent ici! puis, s'adressant
à eux, il leur dit doucement: Allez, allez jouer
en votre corps de garde. Ils se voulurent excuser par trois
ou quatre fois, et autant de fois il leur commanda doucement
et souriant: Allez jouer au corps de garde. Il ne
les vouloit pas mécontenter, et si leur vouloit faire connoître
que ce n'étoit pas là où ils devoient être. A
Août
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sept heures le sieur don Vincentio di Gonzaga, troisième
fils du duc de Mantoue, son cousin germain, arrive
venant pour le voir; il l'embrasse, le mène par la galerie
au jardin des pins, à celui des canaux, lui montre la source,
puis en celui des fruitiers, lui fait voir les autruches, et
puis par l'allée de l'étang, le mène souper avec lui. Don
Vincentio, à neuf heures et demie, prend congé de lui pour
aller trouver le duc son père à Spa. Le Dauphin mis au
lit demande, parlant de la duchesse de Mantoue, sœur
de la Reine: A-t-elle été en un même ventre avec maman?
Je lui dis que oui, mais en divers temps.—Maman est-elle
pas l'aînée?—«Non, Monsieur.»—Elle n'est pas
l'aînée! dit-il, comme le trouvant étrange, comme appelle-t-elle
maman? l'appelle-t-elle pas ma sœur?—«Non,
Monsieur, lui dis-je, elle l'appelle Madame.»—Pourquoi?—«Monsieur,
pource qu'elle est Reine.»
Le 13, mercredi.—Il écrit au Roi sur la réception qu'il a faite au sieur Don Vincenzio, son cousin.
Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Il envoie querir ses bottes et ses éperons dorés, se fait botter, monte à cheval sur des placets[525], sur tout ce qu'il peut. A cinq heures mené par l'allée de l'étang et au bout monté à cheval sur la petite guilledine que M. de Vitry lui avoit donnée. Je n'ai jamais vu homme mieux planté à cheval, le corps droit, les jambes comme s'il eût été entièrement instruit. C'étoit la première fois. Ramené en sa chambre à huit heures trois quarts, il s'amuse et en conte: C'est, dit-il, un étrange homme que la Court, il m'accorde tout ce que je veux. Quand je demande est-il neuf heures, oui il est neuf heures. Quand je me mouille les pieds, oui Monsieur, velà qui est bon, cela vous rafraîchira: c'est un étrange homme. Il donne pour mot du guet: Colo, c'étoit le nom de l'un des comédiens[526].
352
Le 16, samedi, à Fontainebleau.—Il dit qu'il veut écrire, envoye querir Beaugrand; comme il est dans le cabinet et MM. de Mortemart avec lui, pendant qu'ils écrivent il ne fait rien, ne se peut mettre à l'écriture; y ayant demeuré un quart d'heure, il sort, et dit à M. de la Court, exempt des gardes: La Court, je ne sarai rien faire qui vaille, allons voir Fréminet, le peintre; c'étoit une excuse. Il vient en ma chambre, y joue à la paume, va à la galerie qui mène à la volière, puis s'en retourne à la chapelle y trouver Fréminet[527]; ce n'étoit que pour fuir l'école. Il monte à cheval en l'allée de l'étang, hardi et bien planté comme le jour précédent. Mis à terre il va en l'allée des ormes, où il s'amuse à dresser un fort de quatre bastions, élevé du sable de l'allée.
Le 17, dimanche.—Mené par l'allée de l'étang en celle des ormes, il fait un nouveau dessein de fortification. Mis au lit, il donne pour mot du guet: Doctor, personnage de la comédie.
Le 18, lundi.—Il voit entrer Beaugrand, son écrivain,
et lui dit: Allez, allez vous-en, j'écris point ce matin.—«Monsieur,
lui dis-je, voici un petit livre qui est à un
gentilhomme allemand, qui vous prie de vouloir écrire
quelque chose dedans. Cela se verra par toute l'Allemagne».—Je
le veux bien; y a-t-il un empereur en Allemagne?—«Oui,
Monsieur.» Le désir de gloire le fit écrire
gaiement ces mots que je lui donnai, tirés du poëte Manile:
Lancibus ut gentes tollatque prematque. Signé,
Louis.—L'allemand s'appeloit Guillaume Friderich. Le
prince de Galles y avoit écrit: Fax mentis honeste gloria.
Signé, Henricus P. Le comte Maurice de Nassau y avoit
écrit: Je maintiendrai. Le comte d'Essex, qui eut la tête
Août
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tranchée en Angleterre: Virtutis comes invidiæ. Signé,
Robertus comes Essexiæ; et, à la page d'après, son ennemi
Cecil: Vana sine viribus ira. Signé, Guilielmus Cecilius.—Mis
au lit il donne le mot Piombino, qui étoit un comédien.
Le 19, mardi, à Fontainebleau.—Il monte tout au haut de son pavillon, à la chambre de sa nourrice et à celle des peintures de M. de Franco, peintre du Roi[528]; y a goûté. Il voit la nourrice de M. d'Orléans, qui étoit une grosse et lourde paysanne, s'en moque et va dire à Mme de Montglat: Mamanga, c'est une méchante femme que la nourrice de mon frère d'Orléans; elle a un grand pied en France qui a deux toises de large et une de long. Il donne pour mot Stefanello, après s'être fait nommer tous ceux qu'il avoit donnés les jours précédents.
Le 20, mercredi.—Pour ne point écrire, il demande à jouer à la paume en ma chambre, y vient et joue en la petite galerie qui mène à la volière, revient à ma chambre pour y écrire, y trouve M. Fréminet, peintre du Roi, celui qui a fait les dessins et les peintures de la chapelle. Il est bien aise de trouver cette occasion, et demande à voir ce qu'il en avoit fait, y va, monte par un escalier de bois tenant à la garde-robe de M. d'Anjou, au bout de la galerie lambrissée, sur un échafaud près de la voûte de la chapelle, sans peur ne étonnement, se plaît à voir les peintures, y est assez longtemps; s'en retournant, il dit: Aussi vrai velà qui est bien fait; descendu, il s'en va voir les peintures qui étoient là où se mettent les musiciens, y monte par une petite échelle, y voit une Annonciation, et dit encore: Aussi vrai velà qui est bien fait. Il se fait descendre par un trou entre deux planches.
Le 22, vendredi.—Il est fouetté pour les fautes du jour
Août
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précédent[529], étudie, dit son catéchisme, fait son
exemple. Mené au jeu de paume, il me fait l'honneur,
comme le jour précédent, de me donner l'une de
ses raquettes pour jouer avec lui, joue avec jugement,
avance, recule, coupe de l'arrière-main. A trois heures il
vient en ma chambre, lit dans mon livre des Exercitations
de Scaliger.
Le 23 août, samedi, à Fontainebleau.—Voyant passer un grand garçon bossu et mal habillé, il demande à M. de Ventelet: Est-ce pas lui qui garde les moutons de mon pourvoyeur? Il se trouva ainsi; il reconnoissoit tout par noms ou par fonctions; il s'informoit aussi de tout et retenoit jusques aux moindres choses.
Le 24, dimanche.—Mené au jardin du Tibre, où il s'amuse à voir danser une mariée de village.
Le 25, lundi.—Il avoit le cœur pour faire dresser la collation pour la fête de Saint-Louis et sur ce sujet ne veut point étudier; il s'en va en la galerie où la collation fut dressée, envoie prier Mesdames, Mlle de Vendôme et M. de Verneuil; à trois heures et trois quarts goûté, tarte, etc.[530]. Il va au jardin du Tibre; M. de Vendôme y arrive pour prendre congé de lui avant d'aller en Bretagne[531]. Le Dauphin veut aller au grand canal, il est arrêté pour avoir rencontré en la rue un chien enragé, que l'on avoit tué.
Le 28, jeudi.—Il écrit une lettre à Mlle de Mercœur. Mené par l'allée de l'étang à l'entour de celle des ormes, où il fait un nouveau dessin de bâtiment, envoie querir ses outils; il est le premier à la besogne.
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Le 29 août, vendredi, à Fontainebleau.—Il achève d'écrire sa lettre à Mlle de Mercœur.
Le 31, dimanche.—Il va jouer à la paume au jeu découvert, se moque de M. de Verneuil et de Bompar, son page. En quittant le jeu il n'oublie point, comme il ne faisoit jamais, à dire à M. de Ventelet: Tetay, payez les balles. Il avoit toujours un soin merveilleux à faire payer ce qu'il devoit.
Le 1er septembre, lundi, à Fontainebleau.—La petite Louise, sa sœur de lait, lui faisoit de petites images de la cire des flambeaux; sa nourrice lui dit: «Monsieur, voyez comme la petite Louise fait bien de petites filles de cire»; il répond: Quand elle sera grande elle en fera bien de chair.
Le 2, mardi.—Il va à la poterie pour y acheter deux chevaux. Il arrive un valet de pied de la Reine portant commandement à Mme Montglat d'avertir Leurs Majestés du charroi et autres choses qui seroient nécessaires pour emmener Messeigneurs à Saint-Germain. Il ne se vit jamais une pareille allégresse à la sienne; il alla par toutes les chambres pour le dire avec transport de joie.
Le 5, vendredi.—Il va écrire une lettre à Mme la Grande-Duchesse, par M. Nicolini, gentilhomme servant de la Reine:
Madame ma bonne tante, je vous supplie de me bien aimer, car je vous aime et honore de tout mon cœur, étant comme je suis votre très-affectionné neveu à vous faire service.
Louis.
On lui dit que deux charrois étoient arrivés, le voilà
à tressaillir de joie, et le dit à tout chacun.—Il saigne
du nez, peu; l'on sut le lendemain au soir que le Roi
se trouva mal d'un grand flux de ventre; nous avons
remarqué plusieurs fois qu'il n'est jamais arrivé au Roi
absent quelque accident signalé, qu'il ne lui soit advenu
Sept
1608
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(au Dauphin) quelque accident sans cause manifeste[532].
Le 7, dimanche, à Fontainebleau.—Mené pour voir le réservoir des eaux qui viennent de la Couldre[533], il s'amuse ensuite sur la terrasse de la cour des Fontaines, se fait mettre dans les niches, fait dire que ce sont statues que le Roi a envoyées, y fait mettre aussi MM. de Mortemart et M. de Verneuil, fait comme celui qui se tire l'épine du pied[534].
Le 8, lundi, voyage.—Il s'amuse lui-même à démonter son lit, impatient pour partir, va voir charger les mulets. Parti de Fontainebleau à douze heures un quart pour retourner à Saint-Germain en Laye, goûté au-dessous de la chapelle Saint-Louis, dans la forêt, Mesdames avec lui. Il arrive à Melun sur les trois heures, est logé en l'hôtel de Sens, maison de M. Renaud, procureur du Roi, près de la porte du Jars. Il demande d'aller se promener au jardin, puis sort hors de la ville, passe le pont et va en la prairie le long du ruisseau. MM. de la Ville lui viennent faire la révérence et lui font présent de tartes.
Le 9, mardi, voyage.—Mené à la messe à Saint-Aspés, il part de Melun à onze heures et un quart et arrive à Loursine à une heure et demie; goûté à deux heures. Il arrive pour coucher à Crosne sur les cinq heures, se promène aux jardins, passe dans le bateau et va en la prairie, fait donner un quart d'écu à un faucheur.
Le 10, mercredi, voyage.—A midi il part de Crosne; à deux heures il arrive à Charenton, chez M. Cenami; à quatre heures il entre par la porte Saint-Antoine à Paris; sortant par la porte Saint-Honoré, il arrive à Chaillot, maison de Mme la comtesse de Guichen[535], où la reine Marguerite le vient voir.
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Le 11, jeudi, à Chaillot.—Il se va promener au parc, puis par le dehors descend en bas et entre, par la grande porte, aux Bonshommes, voit le cloître et la librairie, puis à dix heures entend la messe. Au sortir, les Pères lui offrent deux plats de prunes et un de leurs pains. Ramené par le long de la rivière et par le jardin en sa chambre. Il vient grand nombre de dames et de damoiselles de la Cour et de Paris, M. le président de Thou, M. le président Nicolaï pour le voir. Les violons du Roi arrivent, jouent; il ne veut point danser. On lui dit que Montauban[536], autrefois tailleur et maintenant payeur des rentes de la Ville, lui donneroit une belle collation de confitures en sa maison de Ruel: Une collation, dit-il, ai-je pas la mienne! Amusé d'un petit sifflet d'ivoire que ma femme lui avoit apporté de Dieppe avec des coquilles.
Le 12, vendredi.—Parti de Chaillot à onze heures et demie, il passe par Saint-Cloud et, à une heure trois quarts, arrive à Ruel, où M. Montauban avoit fait apprêter une magnifique collation de fruits et de confitures; il y goûte, puis se va promener au jardin et partout. Parti à deux heures trois quarts, il est arrivé à quatre heures à Saint-Germain-en-Laye, logé en la chambre du Roi; il demande à s'aller promener au bâtiment neuf[537].
Le 13, samedi, à Saint-Germain.—M. de Souvré, qui
l'avoit conduit, prend congé de lui. A huit heures déjeuné
sur la terrasse de sa chambre d'hiver. Il se fâche
contre le marquis de Mortemart de ce qu'il avoit baillé
quelque chose à Bompar contre sa défense, va au précepteur
Sept
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du marquis, et lui dit: La Martinière, c'est le marquis
qui veut faire le compagnon. Mené par le pont de la chapelle
au bâtiment neuf et aux grottes, il va en celle d'Andromède,
non encore achevée, considère froidement tout,
en demande la raison, se plaît à voir plusieurs sortes de
moulins; celui qui scie le marbre lui plaît le plus. Mis
au lit, il demande du papier et de l'encre, disant: Je
veux faire quelque chose que j'ai en mon esprit.—«Monsieur,
lui dis-je, où est votre esprit?»—Dans la tête.
Le 14, dimanche, à Saint-Germain.—Il me montre sa peinture du soir précédent, me dit ce qu'il lui reste à faire pour parachever son dessin. Mené sur la terrasse de Mercure, il s'amuse à maçonner une maison, porte lui-même les pierres, avec le marquis de Mortemart, sur une civière qu'il inventa tout à l'heure; c'étoit deux bâtons et de la grosse ficelle qui les joignoit lâchement au milieu.
Le 15, lundi.—Éveillé à sept heures et demie; à huit
heures il a pris de la dragée de rhubarbe; il avoit voulu
que Betouzay, l'une de ses femmes de chambre, la lui vît
prendre. Il l'envoie querir plusieurs fois avec impatience,
et ne vouloit point la manger tant qu'elle y fût; enfin
on lui dit qu'elle étoit allée p....., et qu'avant qu'elle fût
venue il auroit bien mangé sa dragée. Il le fait, elle vient,
et il lui dit à l'arrivée: Zezai, allez vous-en astheure ch...
puisque vous avez été si longtemps à p.....—Amusé jusques
à neuf heures après des couleurs et peintures, il
demande à boire, reprend ses crayons, et entend la messe
en sa chambre à dix heures trois quarts. Levé, vêtu, à
onze heures et un quart dîné, il se fait porter ce qu'il
avoit crayonné; Mlle de Vendôme lui demande: «Monsieur,
tireriez-vous bien une personne»? (pour dire
peindriez).—Oui-dà.—«Monsieur, me tireriez-vous
bien»?—Oui-dà, avec une corde, dit-il froidement, et il
reprend sa besogne. Goûté d'une grappe de maroquin;
c'est du raisin noir, apporté de Montpellier par le sieur
Anchès, contrôleur chez la Reine, qui le lui avoit donné
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à Chaillot. Il s'amuse à des petits jouets de poterie, va
en la salle des gardes, où il voit des épousées qui y vinrent
l'une après l'autre danser devant lui.
Le 18, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au cabinet[538], aux fiançailles de Betouzay, l'une de ses femmes de chambre, il signe au contrat.
Le 20, samedi.—A trois heures, goûté, joué, écrit; Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, voulez-vous mander quelque chose au Pape?»—Et quoi?—«Que vous lui baisez les pieds.»—Fi! fi! non ferai.—«Eh bien! la pantoufle.»—Non, non, il ne faut pas.
Le 23, mardi.—Mis au lit, il m'entretient de la fontaine que le sieur Francino lui avoit faite, où étoit toute la représentation du bâtiment neuf, m'en disoit tous les secrets et les mouvements, ne les ayant ouï dire qu'une fois, puis s'endort; il s'éveille en sursaut par frayeur, son tailleur, qui avoit servi feu M. de Montpensier, lui ayant fait des contes de son maître, comme il mourut, comme il fut habillé après sa mort[539]; il ne put être assuré tant qu'il fût couché avec sa nourrice.
Le 24, mercredi.—A cinq heures et demie le Roi arrive, il lui va au-devant, au pied de l'escalier; va chez le Roi à son souper.
Le 25, jeudi.—Le Roi est parti à cinq heures après minuit. Le Dauphin rencontre un porte-panier qu'il fait venir en sa chambre, achète un horloge de sable, une paire de couteaux et la gaine, et deux étuis à barbier, en disant: Ce sera pour mettre mes couleurs.
Le 27, samedi.—Mené en l'église entendre le Te Deum,
pour le jour de sa nativité[540]. En soupant l'on parloit
des abbesses, sur le sujet de l'une des filles de Mme de
Sept
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360
Frontenac, abbesse d'Argensol; le Dauphin demande:
Est-elle jeune? je lui dis que oui.—Et madame de Poissy
est-elle jeune?—«Non, Monsieur. Monsieur, quel vaut le
mieux que les abbesses soient jeunes ou vieilles?»—Il
vaut mieux qu'elles soient jeunes, elles dureront plus longtemps,
répond-il promptement.
Le 28 septembre, dimanche, à Saint-Germain.—Il va en la chambre du Roi, où il danse et fait danser, à cause de la mariée Betouzay. Ses femmes dansoient la danse des femmes, sa nourrice dit qu'il ne faut pas que les garçons y dansent: Non, çà tous les garçons; il les ramasse tous, danse et fait beau bruit. Comme Mme de Montglat dînoit et Mme de Frontenac avec elle, il y vient; Mme de Frontenac lui dit: «Monsieur, faites la guerre à la mariée, elle a couché avec les hommes;» il lui répond promptement: Vous y couchez bien. A son goûter il écoute la musique de deux voix et un luth, y est si attentif qu'il en demeure immobile. On lui demande lequel des deux chantoit le mieux?—C'est celui qui n'a point de luth. Il disoit vrai; il chantoit la basse.
Le 29, lundi.—Il s'amuse à peindre. Pendant son
dîner il entend la musique du soir précédent avec ravissement,
fait chanter plusieurs fois une chanson espagnole
qui lui plaisoit fort, où il y avoit ces vers: Esta escondido
onde voste meste esta. A douze heures et un quart,
M. de Nevers[541] arrive qui venoit prendre congé de lui,
s'en allant à Rome; il lui demande s'il lui plaisoit qu'il
dît au Pape de sa part qu'il lui baisoit les pieds; il répond:
Ho! non, ils sont pas bien lavés.—«Et la pantoufle?»—Ho!
non.—«Monsieur, le Roi m'a commandé de lui
dire de sa part qu'il lui baisoit les pieds, vous plaît-il pas
que je lui en die autant de la vôtre?»—Bien donc! je le
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veux bien. Le duc de Nevers part à une heure et demie,
et emporte de son écriture et la peinture qu'il avoit faite
le matin, pour la montrer au Pape.
Le 30 septembre, mardi.—L'on racontoit à M. de Frontenac ce qu'il avoit dit à M. de Nevers quand il le pressa de dire de sa part au Pape qu'il lui baisoit les pieds: C'étoit, dit le Dauphin, afin qu'il s'en allât. M. de Nevers y avoit été à son gré trop longtemps et empêchoit sa liberté. M. de Souvré arrive pour recevoir l'ambassadeur de Venise, qui devoit venir voir Mgr le Dauphin; l'on disoit que l'ambassadeur demeuroit longtemps à venir: Je voudrois qu'il fût déjà venu et qu'il s'en fût allé, c'est qu'il désiroit sa liberté. Mené à la salle du bal, où il voit danser une mariée du bourg, il y danse lui-même ainsi que Mesdames. A six heures et demie soupé; il va en la chambre du Roi, où il avoit fait venir les violons de la mariée, voit danser, danse lui-même plusieurs danses, entre autres: Ils sont à Saint-Jean des choux.
Le 1er octobre, mercredi, à Saint-Germain.—La Reine arrive à cinq heures trois quarts et le Roi à sept heures. M. le duc de Mantoue[542], qui accompagnoit le Roi, broncha un peu voulant saluer Mgr le Dauphin, et faillit tomber sur lui. A huit heures soupé avec le Roi et la Reine; après souper il va chez la Reine; M. le duc de Mantoue étoit en la ruelle, assis près de la Reine et couvert: Ho! ho! dit le Dauphin, ce monsieur est couvert auprès de maman, et je suis ici toujours découvert!
Le 2, jeudi.—Mené au bâtiment neuf, il descend
sur les terrasses et va aux grottes avec le Roi, qui y
menoit M. de Mantoue. Remonté à dix heures et demie à
la messe, en la chapelle de la terrasse; le Dauphin se
promenoit sur la terrasse; le magot du Roi couroit après
lui; qui, se retirant, va rencontrer le pommeau de l'épée
de M. de Mantoue, où il se blesse et meurtrit le dessus
Oct
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de l'œil gauche. Il va chez la Reine puis, à douze
heures et demie, dîné avec LL. MM.; ramené en sa
chambre, il se met aux fenêtres du préau; il y avoit
des châssis de verre; comme l'un vint à tomber, il retira
promptement la main et eut le doigt indice de la
main droite écorché; s'il n'eût retiré sa main il y a de
l'apparence que, de la pesanteur, il en eût eu la main
écrasée. A deux heures trois quarts goûté; il reçoit l'ambassadeur
pour les Vénitiens s'en allant en Angleterre.
A trois heures et demie il entre en carrosse, et s'en va à
la forêt après la Reine, qui étoit allée pour voir passer la
chasse, le Roi y ayant mené M. le duc de Mantoue; il voit
la chasse par cinq fois, et arrive à la mort du cerf. Ramené,
à six heures trois quarts soupé; il s'amuse à
peindre en crayon.
Le 3, vendredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à ses peintures, ne veut point déjeuner, tant il y est attentif. Le Roi vient au château[543] pour le faire voir à M. le duc de Mantoue, qu'il promène par les chambres de Messieurs et de Mesdames jusques au-dessus de la voûte. Sorti avec le Roi par le petit pont, goûté en cheminant, ramené au vieux château, il commande à son page Bompar d'aller dire à M. de Ventelet qu'il fît porter son souper au bâtiment neuf, et qu'il souperoit avec papa. L'huissier de la salle vient où il étoit pour le savoir, auquel il en dit autant; l'huissier répond: «Monsieur, c'est M. de Ventelet qui m'a envoyé ici pour le savoir, pource qu'il ne le croit pas.» Le Dauphin, reprenant hautement ce mot: Il ne le croit pas? Allez lui dire qu'il vienne parler à moi, allez, dit-il, avec une action fort impérieuse. Papa s'en ira demain, et je le verrai plus. A huit heures soupé avec le Roi et la Reine.
Le 4, samedi.—Mené au lever du Roi, il lui donne sa
chemise, et à neuf heures et trois quarts le Roi part pour
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aller dîner à Ruel, y mène M. le duc de Mantoue, qui dit
adieu à Mgr le Dauphin, lequel l'embrasse, puis est revenu
au vieux château. Mené chez la Reine à l'issue de son
dîner; la Reine s'en retourne et part à deux heures.
Le 6, lundi.—Il va en la chambre de M. d'Orléans puis en celle de Mlle de Vendôme, la trouve au lit, lui donne le fouet de la main avec un peu de honte.—Mis au lit, il se met en colère de ce que l'on avoit apporté en sa chambre une chaudronnée d'eau avec des herbes, pour laver les jambes de Mme de Montglat; il la fait emporter.
Le 7, mardi.—A une heure et demie il entre en carrosse et va à Poissy, où il arrive à deux heures et demie, est reçu par Mme de Gondi, abbesse. Mené en la galerie, de là au jardin, puis par le même chemin, ramené en la salle, où il a goûté à trois heures, puis va en l'église, au salut des religieuses, par le petit passage qui est près de l'entrée du logis de l'abbesse, il écouta et regarda tout fort patiemment. Parti à quatre heures, et arrivé au château à quatre heures trois quarts. Henri du Plessis[544], âgé de six ans, fils de M. de Liancourt, premier écuyer du Roi, arrive ce soir pour être nourri auprès de Mgr le Dauphin. Mis au lit il donne le mot genitrix, et se rit de ce que Dupré, exempt des gardes, ne l'entendoit pas.
Le 8, mercredi.—Il s'amuse avec ses chevaux et ses
charrettes de cartes; M. de la Croix, gouverneur de MM. de
Mortemart, se met à l'entretenir et lui dit: «Monsieur,
il ne vous faut plus amuser à ces petits jouets, ne à plus
faire le charretier; vous êtes grand, vous n'êtes plus
enfant.»—Mais je ne sais à quoi.—«Monsieur, il
vous en faut apprendre d'autres dignes de vous.»—Mais
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je n'ai personne pour m'apprendre. Mis au lit il
est entretenu par Montalier, son tailleur, et Champagne.
Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—Déjeuné aux fenêtres du côté du préau; en mangeant il considère le pays des environs, remarque le chemin à aller à Noisy, et dit: Ho! que velà bien une plus belle vue qu'à Fontainebleau; on ne y voit rien que des rochers. Son tailleur, nommé Archambault, étoit fort camus; il dit: Quand Archambault rit, il rit comme Robert; c'étoit le magot du Roi.—Mis au lit, il s'amuse à un livre de chasses, en taille-douce.
Le 10, vendredi.—Il écrit au Roi par M. de Frontenac:
Papa, je n'ai point voulu laisser partir M. de Frontenac sans vous donner le bonjour et vous prier me faire l'honneur de m'envoyer querir pour la foire Saint-Germain, et cependant j'emploierai si bien le temps que vous en recevrez du contentement et maman aussi. Je suis, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.
Louis.
Et pour suscription: A Papa.
Il vient un mercier qui portoit des besognes d'ambre jaune; il y avoit un cordon incarnat avec des grains d'ambre entre deux. Il l'essaye à son chapeau, et dit gaiement: Il est bon à mon chapeau, combien en voulez-vous?—«Monsieur, dix écus; je l'ai fait exprès pour vous.» Mme de Montglat survient: Mamanga, velà un cordon qu'il a fait exprès pour moi; il n'en demande que dix écus.—«Monsieur, c'est beaucoup.»—Hé! Mamanga, je demanderai à mousseu de Sully cent écus, et je vous les baillerai.—«Bien, Monsieur, prenez-le.»—Ho! non, Mamanga, je veux qu'on le paye devant, je le prendrai pas qui ne soit payé. Le marquis de Mortemart lui demande: «Monseigneur, qui aimez-vous mieux, de M. de Liancourt ou moi?» il répond promptement: Je vous aime bien tous deux; mettez-vous là, et vous là Liancourt.
Le 11, samedi.—Il fait son exemple, écrit sur du papier
rouge avec de l'encre argentée. M. le comte de la
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Voute arrive cette après-dînée pour demeurer auprès de
lui.
Le 12, dimanche.—Jouant avec les petits marquis et comte de Mortemart, les comtes de Torigny et de la Voute, et le petit Liancourt, il dit à Mme de Montglat: Mamanga, je vous prie que j'aille en votre chambre, et j'équirai. Ils ne font que m'importuner: l'un me tire, l'autre me pousse, l'autre me parle à l'oreille; je ne sais où me mettre.
Le 13, lundi.—Il va jouer en la salle du bal; Mme de Fontaine-Martel y amène son fils, âgé d'environ dix ans. Mené au jardin, il s'amuse à paver lui-même un chemin, porte le pavé, le met en œuvre; Mlle de Vaux, veuve de M. de Montholon et belle damoiselle, lui demanda: «Monsieur, vous plaît-il que j'en porte?»—Ho! non, vous n'y êtes pas propre; comment le porteriez-vous?—«Monsieur, là dessus,» dit-elle en montrant son vertugadin.—Non, vous vous gâteriez toute.
Le 14, mardi, à Saint-Germain.—A huit heures et demie dragée de rhubarbe, deux onces; levé, vêtu, il entend la messe, puis s'amuse à tirer de l'arc que M. de Brèves lui avoit apporté de Turquie. Mme de Montglat envoyoit savoir des nouvelles de M. de Frontenac, qui avoit pris médecine, le Dauphin dit: Et moi aussi dites-lui que j'ai prins médecine; le page étant revenu, le Dauphin lui dit de son mouvement: Allez-vous-en savoir comme il s'en porte par le cu.
Le 15, mercredi.—Il s'amuse à faire faire des chevaux de carte par son tailleur; lui, avec la plume et l'encre, leur fait les yeux, le crin, la queue. Mené au jardin, il y fait porter son arc turquois, va le long des palissades tirer aux petits oiseaux.
Le 17, vendredi.—Mis en carrosse pour aller à la garenne,
goûté dans le bac en passant, il va à main gauche
de la garenne, où il voit prendre quatre lapins en deux
divers endroits. Mme la comtesse de Chaligny, qui le venoit
voir, le salue en la garenne. Ramené au Pecq, il
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voit pêcher; il ne se prend que deux bien petits poissons,
dont il fait donner un quart d'écu au pêcheur. Étant dans
le bac, en revenant, le Dauphin entend dire que l'on
avoit défendu l'entrée à un nommé Godin, de Blois,
égaré de son entendement, étant devenu amoureux de
Mlle de Vendôme et maintenant de Madame; il défend
qu'on ne lui fasse point de mal, et dit: Hé! mon Dieu!
les loups le mangeront! qu'on le laisse entrer, qu'on le
laisse entrer.
Le 18, samedi.—Il écrit son exemple, puis va à la
messe en la petite salle, après au jardin, où il se met
dans son petit chariot que M. de Verneuil lui avoit
donné, fait le conducteur, une grande houssine à la main
et le fait tirer par quatre pages et suivre par les sieurs
comtes de la Voute, de Torigny, les sieurs de Liancourt
et de Fontaine-Martel, fait plusieurs fois les allées du
jardin. Ramené à onze heures et demie; Mme la comtesse
de Mansfeld le vient saluer. Dîné; Mme la comtesse de
Mansfeld lui donne douze chiens, et lui dit qu'ils sont
beaux: Je m'en soucie pas qu'ils soient laids, mais qu'ils
soient bons. Amusé jusques à trois heures, il va par le
pont de la chapelle aux grottes, y mène cette comtesse,
descend au parterre, puis va bien avant aux vignes, par
le sentier qui va à Carrières. M. le comte de Torigny en
se jouant heurta à la tête M. de Fontaine-Martel; le Dauphin
le voit, et commande à son précepteur: Donnez le
fouet au comte de Torigny; vous aurez le fouet, comte de
Torigny, dit-il avec action sérieuse, et, quelque prière
qu'on lui sût faire, il ne voulut jamais révoquer ce commandement.
Ramené à cinq heures, pendant qu'il étoit
sur la chaise percée, je lui dis: «Monsieur, ne pardonnez-vous
pas à M. le comte de Torigny? Ç'a été sans y penser
ce qu'il a fait.»—Ho! non, mousseu Héroua; excusez-moi,
il lui a jeté sur la tête.—«Mais, Monsieur, vous
commanderez à son précepteur de ne le fouetter pas, à
la charge qu'il ne le fera plus?»—Astheure, astheure,
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mousseu Héroua, mais je le fais afin qu'il n'y retourne
plus.—«Monsieur, s'il avoit été fouetté, il n'aimeroit jamais
monsieur de Fontaine-Martel, l'ayant été à son occasion,
et puis quand ils seroient grands ils se battroient et
tueroient. Vous êtes leur maître: quand ils feront faute, il
faut que vous les repreniez, et, pour les bien châtier,
dites-leur que vous ne les aimerez plus s'ils ne sont sages.
Le Roi les a mis ici auprès de vous afin qu'ils apprennent
à vous aimer et à vous servir; ils sont tous de grande
et riche maison.»—Qui est le plus riche? On les mit à
l'égalité.
Le 19, dimanche, à Saint-Germain.—Il est allé par le parc à Maisons, où M. de Longueil, seigneur de Maisons[545], lui donna la collation.
Le 20, lundi.—Levé, vêtu, il se met à sa peinture, n'en peut partir. Il se fâche de ce que M. le comte de Torigny avoit suivi au jardin M. de Longueville, qui tenoit compagnie à Mlle de Vendôme, croyant que ce fût elle qu'il eût suivie, et dit à M. le comte de la Voute: Dites à Torigny que c'est une fille, et qu'il ne vienne plus avec moi. Peu après on lui en parla pour l'induire à lui pardonner, et à la fin il consent: Bien donc, je lui pardonne, à la charge qu'il s'habillera en fille. Il étoit jaloux des siens et l'avoit toujours été, pour si petit qu'il fût.
Le 21, mardi.—Sa nourrice lui demande s'il étoit pas amoureux, il répond: Non, je fuis l'amour; je lui demande: «Mais, Monsieur, fuyez-vous l'Infante?»—Non, et se reprenant soudain: Ha! si fait, si fait! Mis au lit, il se met à peindre et crayonner.
Le 27, lundi.—Il est vêtu de sa robe pour recevoir les députés de la Religion venant de Jargeau; il les a reçus fort à leur contentement.
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Le 29 octobre, mercredi.—La rougeole lui paroît[546].
Le 31, vendredi.—J'arrive de Vaugrigneuse; l'on ne me donna jamais avis qu'il eût aucune fièvre, mais un simple rhume; je le trouve avec la fièvre, le pouls plein, égal, hâté, chaud, tout couvert de rougeurs, avec inquiétude tant pour la fièvre que pour le grand feu qui se faisoit dans sa chambre, dont il se plaignoit et l'on ne le plaignoit pas, étouffant à demi dans son lit pour être entouré encore d'un tour de serge et lui fort couvert. Il s'en plaint à moi. Il fut levé, et son lit fut refait.
Le 1er novembre, samedi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à ses crayons, entend la messe à neuf heures et demie, ne peut souffrir la clarté, se remet à la peinture, à broyer et travailler en peintre. Il se joue avec Madame, qui parloit à lui par le trou qui alloit d'une chambre à l'autre.
Le 5, mercredi.—M. de Liancourt, premier écuyer, le vient voir de la part du Roi, et s'en retourne incontinent; après dîner le précepteur du fils de M. de Liancourt[547], nommé le sieur du Vernay, vient voir le Dauphin, qui lui demande: Mousseu de Liancourt est-il parti?—«Oui, Monsieur, et s'en va fort content, ayant vu que vous devenez si sage tous les jours».—Ho! je crois bien, je vieillis aussi[548].
Le 6, jeudi.—Il est vêtu de ses chausses et de son
pourpoint, ce dont il est extrêmement content et joyeux,
ne veut point mettre sa robe[549], et dit: Elle ressemble à
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la robe de maître Guillaume, le fol du Roi; il quitte son
bonnet de nuit et prend son chapeau lui-même. Il se
met à sa peinture, raille en besognant (c'étoit un
visage de Jeanne, reine de Sicile, dont il faisoit la copie);
il fait une grande bouche: Ho! dit-il, que velà une
grande coquine de bouche! M. de Ris, premier président
de Rouen, le vient voir. A trois heures et demie goûté;
il se remet à la peinture. A six heures soupé, amusé et
joué jusques à huit heures, il se met à la peinture, y porte
tout son esprit, y est jusques à dix heures.
Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Il prend une lime, s'amuse à limer une clef attachée à un petit étau, puis se remet à la peinture[550].
Le 9, dimanche.—Il va à la messe à la petite salle, puis va se jouer à la salle du bal. Il me somme de la promesse que le matin je lui avois faite de le faire sortir; sorti au jardin.
Le 16, dimanche.—Il s'amuse avec plume et encre à faire des maisons sur le papier[551]. En dînant il parle de faire la monstre de sa compagnie, dit: Féfé Chevalier c'est le capitaine; le lieutenant c'est mousseu de Momorency (qui étoit là présent); je suis caporal, il y trois ans que j'étois cadet. A deux heures, il prend sa bandoulière, son épée, arme sa compagnie (c'étoient MM. de Mortemart, de la Voute, de Liancourt, de Pressy, de la Roche-d'Anjou, de Fontaine-Martel, de Torigny et lui qui marchoit au premier rang, ayant M. de Verneuil à son côté); il va prendre le tambour de M. de Mansan et marche en bataille.
Le 18, mardi.—Il s'amuse à la peinture. Mis au lit,
il s'amuse à entretenir M. du Tost, qui avoit les oiseaux
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de la chambre du Roi, sur ce qui étoit de la nourriture
et traitement des oiseaux, en parle en termes propres et
avec action de personne entendue et qui y prend plaisir.
Le 20 novembre, jeudi.—Il est vêtu d'un habit d'écarlate; M. de Frontenac arrive, et lui dit: «Monsieur, vous voilà maintenant habillé en chasseur»; il lui répond: C'est pour chasser le froid; il faisoit froid aussi.
Le 21, vendredi.—Il va au bâtiment neuf pour y attendre le Roi; à quatre heures le Roi arrive, et le reçoit au bout du parterre. A cinq heures, en la chambre, dansé en branle devant le Roi. Soupé avec le Roi, il mange du potage à l'oignon, de celui du Roi, huîtres crues, sole en pâté, et prend une cuillerée de la poudre digestive du Roi. Il va avec le Roi chez M. d'Anjou.
Le 22, samedi, à Saint-Germain.—Il va entendre la messe au bâtiment neuf, et fait mener un petit nouveau chariot par un petit mulet que M. de Courtenvaux lui avoit donnés. A onze heures et demie dîné; il se remet à la peinture. A deux heures mené en carrosse jusques auprès de Herbelay, au devant du Roi revenant de la chasse. Soupé avec le Roi; peu après le Roi vient en la chambre de M. d'Anjou, fait railler Messieurs ses enfants. Mlle de Verneuil dit qu'elle est fée et fille d'une fée, et ils se mettent à deviner. Mgr le Dauphin lui dit: Je gage que vous aurez demain le nez de même que vous l'avez astheure. Elle lui dit: «Je gage que vous l'aurez aussi de même que vous l'avez.»—Ho! j'en ai un autre plus long, je le change quand je veux. A huit heures et un quart il donne le bonsoir au Roi, est ramené en sa chambre, s'amuse à la peinture.
Le 23, dimanche.—Il entend la messe à la chapelle avec le Roi[552]; s'amuse auprès du Roi en la galerie jusques à une heure et demie que le Roi s'en retourne.
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Le 26 novembre, mercredi.—Il va à Poissy, à la profession de l'une des filles de M. de Frontenac, mène à la messe la petite fille qui devoit être religieuse, la mène à l'offrande, voit froidement la cérémonie. Ramené à Saint-Germain il s'amuse à peindre avec la plume, fait des chevaux tirant des charrettes. Mis au lit, comme je tenois mon Hippostologie[553], il en avise le titre, le lit; il lui en faut rendre raison et de toutes les figures.
Le 28, vendredi.—Il écrit son exemple et fait, ce dit-il, un livre pour le faire imprimer et le donner à papa, à ses étrennes.
Le 29, samedi.—Il envoie querir ma petite nièce du Val, la fait habiller en épousée, la marie avec M. le comte de la Voute, va à Mme de Montglat, lui demande à souper pour l'épousée, lui apporte le couvert et puis ce qu'on lui donnoit, et à la fin à boire, et tout lui-même.
Le 1er décembre, lundi, à Saint-Germain.—Il dit à Mme de Montglat: Mamanga, j'ai composé une sentence: «Celui qui sert bien Dieu, Dieu lui aidera.» Je la veux équire de peur de l'oublier.
Le 2, mardi.—Il va à la messe en la chapelle, se fait monter sur la chaise, dit qu'il veut prêcher et commence: In nomine patris et filii et spiritus sancti, Amen. Les hommes qui couchent avec les femmes....[554]. Il écrit une lettre à la Reine par M. Du Vernet, précepteur de M. de Liancourt.
Le 3, mercredi.—A neuf heures et demie le Roi arrive
de Paris; dîné avec le Roi; le Roi va à la chasse. A deux
heures le Dauphin va en la chapelle, où lui et Madame
Christienne tinrent à baptême la fille de M. Talon, mari
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de la nourrice de Madame Christienne; il la nomma
Louise, et jamais ne la voulut nommer Christienne, disant:
Elle aura plus d'honneur d'être appelée de mon nom que
de celui de ma sœur. Il s'amuse à sa peinture, va en la
chambre du Roi qui revenoit de la chasse.
Le 5, vendredi, à Saint-Germain.—Il entre en carrosse avec le Roi qui le mène aux toiles près de Poissy, où il voit prendre quatre sangliers. Ramené il monte en sa chambre où il s'amuse à ses peintures.
Le 6, samedi.—Il entretient M. de Liancourt, premier écuyer, des juments du carrosse du Roi, où il avoit été le jour précédent, lui dit qu'il y avoit une des juments qui étoit borgne, que le cocher disoit que c'étoit la meilleure. M. de Liancourt n'en savoit rien.
Le 7, dimanche.—Il s'amuse à peindre sur du papier
avec la plume et l'encre, fait la chasse du sanglier dans
la cour, fort bien. Il va chez le Roi, puis à la messe et
au jardin, et à dix heures dîne avec le Roi. A onze
heures trois quarts il conduit le Roi hors de l'escalier,
il étoit triste; le Roi lui dit: «Mon fils, quoi! vous
ne me dites mot! Vous ne m'embrassez pas quand je
m'en vais?» Le Dauphin se prend à pleurer sans éclater,
tâchant de cacher ses larmes tant qu'il pouvoit, devant
si grande compagnie. Lors le Roi, changeant de couleur
et à peu près pleurant, le prend, le baise, l'embrasse,
lui disant: «Je dirai comme Dieu dit dans
l'Écriture sainte: Mon fils, je suis bien aise de voir ces
larmes, je y aurai égard;» puis entre en carrosse pour
s'en retourner à Paris, et Monseigneur le Dauphin gagne
vîtement l'escalier pour s'en retourner aussi, de peur que
l'on le vît pleurer. Comme il fut en sa chambre, peu
de temps après, je lui demandai ce que le Roi lui avoit
dit en partant; les larmes lui viennent aux yeux et, changeant
de propos, il me dit: Il m'a dit que je tirasse de la
harquebuse. Je le presse une fois ou deux, il tient ferme;
je le quitte, il pleure abondamment et de cœur. Il va
Déc
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373
en son cabinet où il s'amuse à peindre; on le vient
appeler pour souper, il s'en fâche; M. le baron de Montglat[555]
s'en veut aller, il ne le veut pas, et d'un petit
bâton lui frappe sur les doigts; Mme de Montglat en est
fâchée, il la frappe aussi; le voilà en colère, il lui
dit des injures: Vilaine! la chienne! Mlle Piolant lui
dit: «Monsieur, il faut que vous ne soyez pas fâché contre
elle, n'ayant pas à être longtemps céans avec elle.» Il
lui répond: J'en voudrois être déjà dehors; et appelant
Mlle de Vendôme, il lui dit, parlant bas à son oreille:
Sœu-sœu Dôme, j'aurai un bâton qui sera creux, je le remplirai
tout de poudre, et puis avec du charbon j'allumerai
la poudre qui lui brûlera tout le cul. M. Guérin lui dit:
«Monsieur, ne savez-vous pas que papa vous a dit que
vous ne seriez pas longtemps avec elle; il ne la faut
pas fâcher.»—Ho! dit-il, c'est qu'elle veut retenir
toute ma vaisselle d'argent[556]. Il étoit vrai; il en entendoit
parler et le couvoit sans le dire. La paix se fait; à six
heures et demie soupé. En soupant il fait tout ce qu'il
peut pour s'entretenir et déployer son déplaisir [sic]; il
advint que le sieur de Dorelle, gouverneur du jeune
Fontaine-Martel, vient en la chambre et dit que, passant
par la salle des gardes, deux hommes lui avoient
voulu ôter son manteau. L'on s'en émut; je dis: «Monsieur,
ce sont quelques-uns qui se jouent.»—Ce n'est pas
beau, c'est un jeu de voleur. Il commande qu'on aille au
corps de garde dire qu'on ne laisse sortir personne, qu'on
aye des lanternes pour regarder ceux qui voudront sortir.
Le 15, lundi, à Saint-Germain.—Il écrit au Roi et à la Reine, se va promener en carrosse vers la Muette, envoie à Carrière, chez M. de la Salle, pour avoir des confitures, et en revenant en a goûté.
374
Le 21 décembre, dimanche, à Saint-Germain.—Mis au lit, il se fâche contre ses gentilshommes, veut qu'ils aient le fouet. Mme de Montglat lui dit qu'il leur falloit pardonner et que le Roi pardonnoit à tout le monde: A tout le monde! dit-il, il n'a pas pardonné au maréchal de Biron.
Le 30, mardi.—Il fait fendre de la glace avec une pelle à feu, en sa chambre, la vend par morceaux, pour avoir, dit-il, de l'argent à donner aux pauvres.—J'arrive de Paris[557]; il étoit sur le point de se mettre à table, court au-devant de moi: Ha! velà mousseu Héroua! et me fait l'honneur de me sauter au collet, me serrant bien fort.
Le 31, vendredi.—Il se plaint et pleure de ce qu'on lui avoit pris, dans la pochette de ses chausses, sept sols provenus de la vente de la glace, et de ce qu'il ne les y avoit point trouvés, ayant voulu donner l'aumône à des pauvres qu'il avoit rencontrés. Il veut voir ce que ma femme lui veut donner pour ses étrennes; ce fut une boîte de très-beaux abricots. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, ce sera pour vous, je m'en vais les serrer.»—Ho! velà! je ne les verrai jamais, elle sarre tout ce qu'on me donne, puis elle en entame un, y tâte pour lui donner le demeurant. Ho! voyez, elle l'a rompu pour en manger un et elle sarre tout; elle dit: C'est tout pour moi; et je vois jamais rien.
Le livre De l'Institution du Prince.—Le gâteau des Rois.—Farces et comédies.—Le Dauphin copie le portrait du Roi.—La gravure de Jupiter.—La Vénerie de Du Fouilloux.—Départ de Saint-Germain pour Paris.—Le Dauphin remis entre les mains des hommes.—Usage des mouches pour les femmes.—Première justice du Dauphin; ses petits gentilshommes.—Ballet de la Reine.—Présent de M. de Sully.—La foire Saint-Germain.—Visite de Mme de Montglat.—Présent de la reine Marguerite.—Travaux de la galerie du Louvre.—Le maître d'armes du Dauphin.—Chasses et visites dans Paris.—Mort du Grand-Duc.—Mariage du prince de Condé.—La première leçon de Des Yveteaux.—Armes de Milan.—Collation chez M. de Mayenne.—Visite à Saint-Germain.—Dîner à Ruel.—Départ pour Fontainebleau.—Les moulins d'Essonne.—Cérémonie de la Cène.—Le grand canal de Fontainebleau.—Le Dauphin fouetté de verges.—La Bradamante.—Le musicien Pradel.—Les maquereaux.—Passage à Moret.—Le vin et la tisane.—Le fou du Roi.—Mlle de Fonlebon.—Le maréchal d'Ornano.—Le Dauphin entre au conseil pour la première fois.—Fêtes du mariage de M. de Vendôme.—Bijou donné par Mme de Mercœur.—Le fou Des Viètes.—Départ de Fontainebleau.—Passage à Brie-Comte-Robert.—Vers faits par Héroard sur l'ordre du Dauphin.—Passage à Creteil.—Arrivée au Louvre.—Le jeu de paume du Verdelet.—Bain de rivière.—Service de Catherine de Médicis à Saint-Denis; le trésor, les tombeaux.—L'hôpital des pestiférés.—Sully et la reine Marguerite.—Séjour à Saint-Maur.—Ballet des Sauvages.—Nouvel habillement.—Absences de Des Yveteaux.—Présent du marquis de Brandebourg.—Visite à Chaillot.—Mot sur Mucius Scévola.—Départ pour Fontainebleau.—Leçon de grammaire.—Le Dauphin entre dans sa neuvième année; souhait du Roi.—Chasse avec le Roi.—Lettres à la reine d'Angleterre et au prince de Galles.—M. de Souvré et M. Dupont.—Retour à Paris.—Habitude du Dauphin.—Antipathie pour Sully.—Nouveau logis au Louvre; les chapons de la Reine.—Naissance de Madame Henriette.—Goût du Dauphin pour le vin.—Les contes de La Clavelle.—Bégayement du Dauphin.—Le comte de Chalais.—Lettres à la famille royale d'Angleterre.—Compliment à l'ambassadeur de Venise.
Le 1er janvier, jeudi, à Saint-Germain.—Levé à huit
heures et un quart, il se plaint de ce que l'on ne l'avoit
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pas voulu lever plus tôt, pource que l'on lui avoit dit que
s'il se levoit tard il seroit paresseux toute l'année. Je lui
donne mon livre De l'Institution du prince[558] fait pour lui.
Le 3, samedi, à Saint-Germain.—L'on parloit du jour des Rois, il dit: Je veux pas être le Roi; sa nourrice lui demande pourquoi.—Je veux pas l'être.—«Si vous l'êtes vous payerez quelque chose, si Madame l'est aussi, ou Mlle de Vendôme?» Il appelle M. de Ventelet, et lui dit tout bas à l'oreille: N'y faites point mettre de fève, afin qu'il n'y aye point de Roi.—«Monsieur, lui dit sa nourrice, si Dieu est Roi, il faudra que vous teniez sa place.»—Je veux pas moi.—«Comment, Monsieur, dit un chacun, refusez-vous à tenir la place de Dieu?»—Il s'arrête avec crainte: Hé! c'est à papa!—«Monsieur, il faut que ce soit vous qui la tienne ici.»—Hé! je veux bien.
Le 4, dimanche.—Il va en la chambre de M. de Liancourt, où il s'amuse à peindre; ramené en sa chambre, et à six heures soupé, il se prépare pour faire jouer une comédie, la voit jouer, consent que M. de la Voute en seroit, pourvu qu'il s'habille en fille, et ne veut permettre que M. de Liancourt s'habille qu'en garçon. Il la voit jouer, elle dure jusques à neuf heures et demie. Mis au lit, il se débarbouille le menton qu'il avoit tout noirci avec de la fumée du flambeau et fait barbouiller les autres.
Le 5, lundi.—Mme de Libertat, veuve de feu M. de
Libertat, celui qui délivra Marseille sur la Ligue[559], le
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vient voir.—A souper il fait couper le gâteau des Rois,
Madame est faite la Reine. Elle donnoit les charges;
elle le fait son grand écuyer: Non, dit-il, je veux être
valet de pied, je cours bien. Mlle Piolant lui dit: «Monsieur,
vous serez donc le premier valet de pied.»—Ho!
non, dit-il, honteux. Amusé à jouer et à voir jouer une
comédie par des valets de M. de Verneuil et Verdelet,
valet de pied du Roi.
Le 6, mardi à Saint-Germain.—Mené jouer au jeu de paume, il se moque de M. de Verneuil qui jouoit foiblement: Velà féfé Veneuil, c'est miracle quand il frappe un coup, il faut faire sonner la trompette. A huit heures mené en la chambre de M. de Verneuil, où il voit jouer une comédie par les gens de M. de Verneuil et autres.
Le 7, mercredi.—On lui apporte une lettre de la part de Mlle de Mercœur, il l'ouvre, et sur ce que Mlle de Vendôme lui dit, voyant qu'il jetoit la poudre de Chypre qui étoit dedans: «Hé! Monsieur, ne la jetez pas, il la faut serrer.»—Ho! je la veux jeter moi; je l'aime point, j'aime mieux la poudre des canons.—Il va chez M. de Verneuil pour y voir jouer une comédie par ses gens.
Le 8, jeudi.—Mené promener, il fait tirer par son petit mulet sa petite charrette portant les ornements de sa chapelle à celle du bâtiment neuf, où il entend la messe.
Le 9, vendredi.—Il monte en ma chambre, et me dit:
Mousseu Héroua, montrez-moi ce que vous avez écrit de
moi; c'étoit mon journal. Il vouloit voir ses premières
années, je l'avois à Paris. Il se met à écrire, et me dit:
J'écris bien de la minute françoise, et peu après: Mousseu
Héroua, il faut que je m'en aille achever un pourtrait
que j'ai commencé. Il descend soudain, et va à sa peinture
Janv
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dans son cabinet; il copie en huile le portrait du
Roi qui étoit devant lui; il étoit fort reconnoissable: il
s'amuse à peindre fort attentivement.
Le 10, samedi, à Saint-Germain.—Il me dit: Mousseu Héroua, j'ai inventé une sentence.—«Monsieur, vous plaît-il de me la dire?»—Les enfants qui ne sont pas sages, Dieu les punit. J'en ai inventé une autre: Les enfants qui craignent bien Dieu, Dieu les aide. En soupant, Mme de Montglat lui dit qu'il étoit beau: Je suis pas beau, cela est bon pour les femmes. Soudain qu'il eut soupé il s'en va à sa peinture en son cabinet, là où M. Du Vernet, précepteur de M. de Liancourt, lui donna un Jupiter[560] entouré des Muses, en taille-douce, et lui en expliqua le sens: comme c'étoit un roi, roi de tout le monde, et qu'il faisoit chanter devant soi et jouer des instruments, et qu'il ne faisoit rien et qu'un jour il feroit ainsi: Comment, dit-il, ce roi ne fait rien! je ne veux pas faire ainsi; tenez, j'en veux point, et le lui rend. Il va en la salle des gardes, où il voit danser la Bohémienne par de ses gens. Mis au lit, il s'amuse et prend plaisir bien grand au livre des chasses du sieur Du Fouilloux[561], que M. de Frontenac venoit de lui donner; il s'apprend à dire en musique l'appel des chiens.
Le 11, dimanche.—Il entend que l'on disoit qu'il seroit en pension avec M. de Souvré comme chez Mme de Montglat, et s'en fâche; il demande à M. de la Valette: Féfé Vendôme y est-il?—«Non, Monsieur.»—Ho! il a tout plus que moi! il a six laquais, et j'en ai que deux! Il l'avoit ainsi entendu dire, et avoit toujours ses comparaisons sur M. de Vendôme.
Le 12, lundi.—A quatre heures il va chez M. de
Frontenac, où le Roi arriva de Paris venant de l'assemblée[562]
de Vaucresson; le Roi se mit sur le lit pour
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reposer; il faisoit la garde autour du lit afin que l'on ne
l'éveillât point.
Le 13, mardi.—A sept heures et demie il va au lever du Roi chez M. de Frontenac, y est jusques à huit heures que le Roi s'en retourna à Paris par Versailles[563], où il alloit dîner. Il va jouer à la paume; M. Sauvat, excellent joueur, lui montre.
Le 14, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à peindre fort bien[564], s'amuse à lire le livre du sieur Du Fouilloux.
Le 24, samedi[565].—A sept heures trois quarts il entre en carrosse, l'œil sec, et part de Saint-Germain en Laye pour aller à la Cour, entrer aux mains de M. de Souvré; il va par Saint-Cloud, arrive à onze heures au Louvre, où étoient le Roi et la Reine. A onze heures trois quarts dîné avec le Roi; à une heure le Roi le mène en carrosse chez la reine Marguerite. A six heures et demie soupé, de la viande de la Reine; ç'a été la première fois qu'il a commencé à boire du vin pour continuer.
Le 25, dimanche, au Louvre.—On lui met une fraise; M. de Souvré le fait regarder dans un miroir: Je semble, dit-il, au petit ambassadeur d'Angleterre; c'en étoit le fils. Il va chez le Roi à son lever, lui sert sa chemise. Le Roi lui commande de l'appeler son père, le mène par la galerie aux Tuileries. Il entend la messe avec le Roi, puis, à onze heures et demie, dîné avec le Roi; il est servi, par derrière, par commandement du Roi. Le petit M. de Humières le servoit; il ne l'avoit jamais servi, ce qui fut cause que le Dauphin, de son mouvement, commanda à M. de Ventelet: Allez, allez avec lui, pou lui montrer comme il faut faire. Il va ensuite chez la Reine.
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Le 26 janvier, lundi.—Il avoit une petite enlevure au coin de la lèvre droite; je lui fis mettre un petit emplâtre, lui disant s'il lui plaisoit pas que je lui fisse mettre une petite mouche: Une mouche, dit-il, en raillant, ho! je veux pas être beau; c'est madame la princesse de Conty qui met à son visage des petites mouches pour se faire belle. Il va chez le Roi, qui le mène aux Tuileries et le ramène à onze heures à la messe, en Bourbon[566].
Le 27, mardi, au Louvre.—Les députés de Bretagne lui viennent offrir leur service au nom de la province.—Il s'amuse à regarder des étoffes, choisit le bleu pour un habit; il en aimoit naturellement la couleur. A deux heures mené à voir la verrerie, au faubourg Saint-Germain, il y fait faire des verres, des paniers, des cornets. Le jeune M. de la Boissière donna un démenti à M. le comte de Torigny; il l'entend, et l'accuse envers M. de Souvré et lui commande de le fouetter. Ramené à quatre heures, il fait fouetter M. de la Boissière par M. de Souvré; ce fut la première justice en sa chambre[567].
Le 29, jeudi.—Il a vu tirer des armes, a tiré lui-même avec grâce et disposition.
Le 30 janvier, vendredi, au Louvre.—M. de Longueville vient en son cabinet, et lui dit: «Monsieur, voulez-vous pas que je fouette vos enfants d'honneur et vos pages?»—Vous n'êtes pas mon écuyer, lui dit-il assez brusquement, et se retournant vers M. du Repaire il lui dit tout bas: Voyez qu'il est hardi! il n'est pas mon écuyer; c'étoit qu'il ne vouloit pas ouïr parler de faire mal aux siens.
Le 31, samedi.—Il veut lui-même écrire le rôle de
ses petits gentilshommes[568] selon l'ordre qu'ils étoient
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venus à lui. On lui met un habillement neuf pour aller
après souper à l'Arsenal, y voir danser le ballet de la
Reine[569].
Le 1er février, dimanche, au Louvre.—Il écrit par réponse à Madame, sa sœur, sur la minute de M. de Souvré. Sur l'après-dînée il se ressouvient que Mlle de Vendôme lui avoit écrit; il demande du papier et de l'encre pour lui faire réponse. M. de Souvré lui fait la minute, et la lui envoie; elle commençoit: «Ma sœur, etc.»; quand il voit ces mots: Ma sœur! elle est pas ma sœur; faut mettre ma sœur de Vendôme. On alla le demander à M. de Souvré, qui trouva qu'il avoit raison.
Le 2, lundi.—Mené à la messe et à la procession avec le Roi. Il reçoit des nouvelles de Mesdames[570].
Le 3, mardi.—Il joue en la galerie, là où M. le comte de Torigny dit à un de ses compagnons: «L'ase vous etc.» Cette sale parole est rapportée à M. de Souvré, qui le menace du fouet. Tout du long de son dîner, le Dauphin persécuta M. le comte de Torigny pour la mauvaise parole: Torigny, dites à votre cul qu'il s'arme. Torigny, dites à votre laquais qu'il vous interroge. Torigny, puisque vous voulez être laquais, je vous envoyerai demain porter des lettres à Saint-Germain; il avoit ouï M. de Souvré disant que c'étoit une parole de laquais et de palefrenier. Mené à l'Arsenal, il y voit tout, et puis va à la Bastille. M. de Sully lui baille deux cents écus au soleil, pour sa foire, lui demande s'il veut qu'il lui fasse faire des balles de sucre comme celles de canon; il lui répond: Oui, mais que vous me les tiriez dans la bouche.
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Le 4, mercredi.—Il a de l'impatience pour aller à la foire, où il demande d'aller, au lieu d'écrire son exemple. M. de Souvré lui porte cinquante écus pour employer à la foire; il dit: J'en ai encore pou trois fois. A une heure et demie mené en carrosse, à la foire, il y gagne un cachet d'or à la rafle, jouant avec lui Mlle de Rohan.
Le 5, jeudi, au Louvre.—Mené chez le Roi puis aux Tuileries, où il entend la messe. Il va tirer des armes, puis va chez la Reine, où il se joue à M. de Verneuil, qui avoit ce jourd'hui pris la soutane; le Dauphin se met à genoux, et va ainsi pour lui baiser le pied (à M. de Verneuil), ses petits gentilshommes en font autant. A quatre heures le sieur Don Pedro de Toledo le vient voir pour prendre congé de lui, s'en retournant en Espagne.
Le 6, vendredi.—Mené à la foire, ramené à onze heures, il va chez le Roi et après, à onze heures et demie, dîné.—M. de Souvré avoit fait emprisonner son laquais pour avoir donné un coup de bâton à la foire; l'on en parloit pour l'excuser. Je dis à M. de Souvré, assez bas, que Mgr le Dauphin ne seroit pas longtemps sans demander sa grâce. M. de Souvré répond: «Si y sera-t-il vingt-quatre heures.» Le Dauphin écoutoit en sournois, et répond tout bas: Je fairai bientôt sonner les vingt-quatre heures. Aussitôt qu'il eut achevé de dîner, il fait apporter sa montre sonnante, et les fait sonner, et dit aussitôt: Mousseu de Souvré, vingt-quatre heures ont sonné, faites s'il vous plaît sortir de prison votre laquais. Il va chez le Roi en la galerie, où il mène sa compagnie armée: il étoit mousquetaire; le Roi y prend un singulier plaisir; ils étoient plus de trente. Ramené en sa chambre, il joue au trou-madame.
Le 7, samedi.—Il écrit, lit, tire des armes. A cinq heures mené à l'Hôtel de Bourgogne, à la comédie; ce fut la première fois. Ramené à six heures et demie, il en récite beaucoup devant Leurs Majestés.
Le 8, dimanche.—Il écrit à Mme et à Mlle de Vendôme.
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A trois heures trois quarts[571], mené à l'Hôtel de
Bourgogne, il se met à rire avec éclat et dit: Mousseu de
Souvré, je ris ainsi, afin qu'on pense que j'entens l'italien.
Ramené à six heures et demie.
Le 9, lundi, au Louvre.—Mené chez le Roi puis à la messe aux Feuillants, par la galerie, il se promène aux Tuileries, revient par le même chemin, va chez la Reine. A souper il donne le demeurant d'un hachis de perdrix à MM. de Vendôme et le Chevalier, les appelle ses frères par commandement du Roi.
Le 10, mardi.—Mme de Montglat, qui l'étoit venue voir, pleuroit: Mamanga, vous pleurez; ne pleurez pas, vous n'avez qu'une dent; comme elle lui veut dire adieu, il lui saute au col; elle pleure, il ricane pour s'assurer; l'on lui ouvre la porte du cabinet: Mamanga, velà la porte ouverte, allez-vous-en. Ce ne fut point par mauvaise volonté, mais pource qu'il se sentoit touché de ses larmes. A deux heures mené aux Chartreux, c'est la première fois. Il va à la foire, y joue à la rafle, perd deux cachets. La reine Marguerite lui donne sa foire: une enseigne et un cordon de diamants le tout estimé à deux mille écus[572]; elle commanda à l'orfèvre de lui bailler tout ce qu'il demanderoit, promettant de le payer.
Le 11, mercredi.—Il est mené à la messe en Bourbon, puis se va promener au jardin du Louvre, va donner le bonjour à la Reine. Il s'entretient à dîner avec un fol nommé Des Vietes[573]. Il va chez le Roi, revenant de Saint-Germain, où il avoit couché.
Le 12, jeudi.—Il va en la grande galerie, où il s'amuse
à voir les carreleurs, les fait travailler, y aide, puis
va donner le bonjour à la Reine et après au Roi, que la
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goutte avoit pris la nuit précédente. La Reine lui donne
une petite montre couverte de diamants.
Le 13 février, vendredi, au Louvre.—Mené en carrosse au faubourg Saint-Jacques faire courir un lièvre, dans le clos du sieur de La Tour, où il court deux lièvres, emporte les queues et les met à son chapeau. Il reçoit Madame, arrivée à Paris; à souper elle buvoit du vin; il lui dit: Ma sœur, vous êtes trop jeune pou boire du vin; j'en bois astheure, mais j'ai un an plus que vous; maître Gilles[574], ne donnez point de vin à ma sœur, elle est trop jeune. Après le souper il lui dit: Ma sœur, me voulez-vous voir tirer des armes? Et il fait envoyer querir le sieur Jeronimo pour lui montrer, tire devant Madame, puis ils vont chez Leurs Majestés.
Le 14, samedi.—A quatre heures mené à l'Hôtel de Bourgogne, ramené à huit heures tout morfondu de froid.
Le 15, dimanche.—Mené hors du faubourg Saint-Honoré, à