The Project Gutenberg eBook of Comment on Prononce le Français

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Title: Comment on Prononce le Français

Author: Philippe Martinon

Release date: August 4, 2019 [eBook #60052]
Most recently updated: October 17, 2024

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK COMMENT ON PRONONCE LE FRANÇAIS ***

Table des Matières

Index alphabétique
des finales


Index alphabétique
des principaux mots et noms propres


Notes

COMMENT ON PRONONCE
LE FRANÇAIS

18ᵉ A 27ᵉ MILLE

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

————

Comment on parle en français. La langue parlée correcte comparée avec la langue littéraire et la langue familière.

————

Dictionnaire complet, méthodique et pratique des Rimes françaises, précédé d’un traité de versification. Ouvrage composé sur un plan tout à fait nouveau. Un volume in-12 de 300 pages.

(Librairie Larousse.)

PH. MARTINON

Docteur ès lettres

COMMENT ON PRONONCE

L E   F R A N Ç A I S

Traité     complet     de
prononciation pratique
avec les noms propres
et  les  mots  étrangers



LIBRAIRIE LAROUSSE
13-17, rue Montparnasse. Paris


TOUS DROITS DE REPRODUCTION,
DE TRADUCTION, D’ADAPTATION ET D’EXÉCUTION
RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS.


COPYRIGHT 1913, BY THE LIBRAIRIE LAROUSSE, PARIS.


A MA FEMME,

Parisienne de Paris

==========

L’AUTEUR,

Parisien de province.

{i} 

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE

Deux grammairiens, Domergue et Mᵐᵉ Dupuis, ont publié en 1805 et 1836 des traités de prononciation qui ont longtemps fait loi[1]. On voit qu’ils remontent un peu loin. Et pourtant, depuis cette époque, il n’en a guère paru de satisfaisants. Je n’en connais pas du moins qui n’ait de graves défauts.

D’abord ils sont inexacts, je veux dire qu’ils renferment de nombreuses erreurs, parfois des erreurs énormes, soit qu’ils conservent, par un respect excessif de la tradition, des manières de prononcer qui sont tout à fait sur années, soit qu’au contraire, ils accueillent avec une facilité déplorable des prononciations qui ont peut-être l’avenir pour elles, mais qui en attendant sont désagréables au plus haut degré[2]. {ii}Chose fâcheuse à constater, les meilleurs travaux sur la matière sont encore ceux des étrangers. Mais comment espérer qu’un étranger puisse vraisemblablement nous enseigner notre prononciation? Ch. Nyrop lui-même, qui fait autorité en ce qui concerne la grammaire historique de notre langue, ne peut pas ne pas commettre des erreurs[3].

Un autre défaut des traités de prononciation contemporains, c’est qu’ils sont très incomplets. Seul Lesaint s’est donné la peine de faire une revue complète, trop complète même, du vocabulaire. Je dis trop complète, parce qu’il donne des listes alphabétiques interminables de mots que personne n’emploie. Mais lui-même n’a pas prévu tous les cas intéressants ou douteux, tous ceux sur lesquels on peut ou on doit se poser des questions. Aurait-on donc tout prévu dans ce nouveau livre? Je ne l’affirmerai pas, et sans doute plus d’un point a dû échapper: en aucune matière on ne peut prétendre être parfaitement complet, et il peut y avoir des difficultés à côté desquelles on passe sans les apercevoir. Il reste toujours que l’on trouvera traités ici des problèmes, ou indiquées des prononciations qu’on chercherait vainement ailleurs. Pour les noms propres notamment, on sera très largement servi. Et les faits n’y seront pas énumérés, mais classés: les longues listes alphabétiques qu’on trouve ailleurs, et qui, dans leur désordre réel, que cache mal l’ordre apparent, rendent si peu de services, y seront remplacées par des classifications méthodiques et logiques.

Mais, dira-t-on, si les traités de prononciation sont incomplets, les dictionnaires ne le sont pas. N’y en a-t-il pas qui donnent la prononciation de tous les mots? Eh bien! c’est encore une erreur. Les dictionnaires, outre qu’ils sont un peu gros pour être d’un{iii} usage pratique, sont aussi très incomplets, d’abord parce qu’ils ne donnent généralement qu’une prononciation dans beaucoup de cas où on a le droit d’hésiter: or, quand les individus ont le droit d’hésiter, les livres ont le devoir de le faire; ensuite parce qu’ils oublient les flexions, qui sont capitales: ils donneront par exemple la prononciation de l’infinitif des verbes, mais celle de la première personne, dans la pluralité des cas, est beaucoup plus intéressante que celle de l’infinitif. Et puis les dictionnaires considèrent uniquement les mots isolés: or il importe souvent de les considérer dans le corps des phrases.

D’ailleurs les dictionnaires aussi renferment beaucoup d’erreurs. Celui qui aujourd’hui fait autorité en toute matière, le Dictionnaire général, de Darmesteter, Hatzfeld et M. A. Thomas, laisse autant à désirer au point de vue de la prononciation qu’au point de vue de l’étendue du vocabulaire[4]. D’abord sa doctrine paraît avoir varié sensiblement au cours de l’impression, et on y trouve d’étranges inconséquences[5]; de plus il paraît dans beaucoup de cas subordonner ses solutions à l’orthographe ou à l’étymologie, sans tenir assez de compte de l’usage véritable, indiquant ce qui doit être ou ce qui devrait être plutôt que ce qui est[6]. Au surplus, le dernier auteur du livre, qui n’était pas le principal responsable, a si bien reconnu le fait, que la prononciation a été l’objet d’une attention toute particulière dans la revision qui a été faite.{iv}

J’ai cru, néanmoins, devoir signaler en note les points principaux sur lesquels je suis en accord ou en désaccord avec le Dictionnaire général: le lecteur aurait pu me reprocher de ne pas faire connaître, dans un ouvrage qui veut être aussi complet que possible, l’opinion d’un livre aussi important; il pourra donc se prononcer lui-même en connaissance de cause.

Un autre dictionnaire qui semblerait aussi devoir faire autorité en la matière, c’est le Dictionnaire phonétique de la langue française par Michaëlis et Passy. Mais, malgré la préface complaisante (avec des restrictions d’ailleurs) de Gaston Paris, je crains bien que le second de ces auteurs n’ait dans ce livre une part singulièrement réduite. C’est encore l’œuvre d’un étranger, et elle fourmille d’erreurs étranges[7].

Ainsi les dictionnaires ne sont ni plus complets ni plus exacts que les traités de prononciation. Quant à la méthode, l’ordre alphabétique leur interdit d’en avoir une. Mais celle des meilleurs traités de prononciation, fort scientifique peut-être, n’est aucunement pratique. Ils partent en effet du son pour aboutir à l’orthographe. Comme méthode générale d’enseignement pour les étrangers, cela est sans doute excellent. Et d’autre part il peut être très intéressant pour tout le monde de savoir qu’un son donné, voyelle ou consonne, s’écrit de telles et telles manières différentes.{v} Mais ceux qui, sachant la langue par ailleurs, désirent simplement se renseigner sur des points particuliers, et ce sont de beaucoup les plus nombreux, ceux-là ne partent pas du son, car il ne s’agit pas pour eux d’apprendre l’orthographe; ils désirent au contraire apprendre quel est le son qui correspond correctement à une graphie donnée. Un livre pratique, un livre de vulgarisation, destiné aux Français aussi bien qu’aux étrangers, doit donc partir de l’orthographe exclusivement; il doit partir de ce qui se voit, qui est absurde peut-être, mais qui est fixe et certain, pour passer à ce qui s’entend, qui est souvent douteux ou discutable. Sans doute dans les livres il y a des tables... quelquefois, mais ce n’est pas assez; c’est dans le livre même que la méthode doit être pratique.

De plus, les meilleurs livres ont encore, je ne dirai, pas un défaut, mais un inconvénient au point de vue pratique: c’est de faire usage de signes spéciaux inusités ailleurs. Je sais tout ce qu’on peut dire en faveur des signes spéciaux, et combien il est plus aisé de marquer les sons avec précision et correction, lorsque chaque son a un signe unique, et chaque signe un son unique. C’est parfait au point de vue scientifique. Le malheur, c’est qu’un profane qui veut se renseigner et qui aperçoit ces signes dont il n’a pas l’habitude ferme le livre immédiatement. Il est bien certain qu’il a tort, mais qu’y faire? On aura beau simplifier, se réduire à une demi-douzaine de signes particulièrement indispensables, rien n’y fera. Les personnes les plus intelligentes, qui se rendraient immédiatement, si l’on avait deux minutes pour leur montrer verbalement la nécessité de ces signes, et combien leur usage est facile, ne feront pas elles-mêmes ce simple effort de deux minutes, qui leur serait nécessaire pour se rendre compte des choses avec une parfaite aisance. Elles fermeront le livre, comme les autres. Encore une fois, qu’y faire? Tant pis pour elles, dira quelqu’un! C’est{vi} parfait; mais alors on prêchera dans le désert! Or, quand on fait un livre de vulgarisation, c’est pour être lu du plus grand nombre, et il n’y a qu’un moyen de se tirer d’affaire, c’est celui de Mahomet: quand la montagne ne veut pas venir, il faut aller à elle! C’est pourquoi ce livre est imprimé d’un bout à l’autre avec les caractères de tout le monde. La méthode a des inconvénients: pense-t-on que je ne les voie pas? Elle sera certainement l’occasion de plus d’une erreur passagère, due à l’inattention du lecteur. Mais l’avantage qu’il y a d’atteindre la catégorie de lecteurs qui est de beaucoup la plus nombreuse compense largement quelques inconvénients, d’ailleurs assez médiocres en définitive.

Ce n’est pas tout. Les traités de prononciation se bornent généralement à énoncer les faits, sans les expliquer: on en trouvera ici l’explication, historique ou théorique, sauf erreur, toutes les fois qu’elle est possible et présente quelque intérêt. Et c’est précisément l’avantage principal que présentent les classifications méthodiques et logiques sur les simples listes alphabétiques. Les lecteurs qui ne peuvent tirer parti que de l’ordre alphabétique—j’espère que c’est la minorité—auront toujours la ressource de recourir à la table des principaux mois cités, qui fera l’office d’un dictionnaire; mais ceux qui préfèrent l’ordre véritable et non artificiel, ceux qui veulent de la méthode, trouveront ici, j’espère, quelques satisfactions, au moins dans les chapitres importants, comme ceux de l’S et du T, sans parler des voyelles[8].

 

Après avoir justifié la publication de ce nouveau traité, peut-être faut-il faire connaître au lecteur les{vii} principes généraux qui m’ont guidé dans sa composition, plus simplement, quelle est la prononciation que je tiens en général pour la meilleure. Sur ce point je suis tout à fait de l’avis de l’abbé Rousselot: ce n’est pas en province qu’il faut chercher le modèle de la prononciation française, c’est à Paris. Toutefois je ferai à ce principe quelques restrictions. La prononciation parisienne est la bonne, mais à condition qu’elle ne soit pas exclusivement parisienne, auquel cas elle devient simplement dialectale. Pour que la prononciation de Paris soit tenue pour bonne, il faut qu’elle soit adoptée au moins par une grande partie de la France du Nord. Dans bien des cas, il est permis d’opposer à la prononciation de Paris une autre prononciation, si elle est répandue dans la plus grande partie de la France. Que les Parisiens ferment l’a de lacer et lacet, je ne vois rien à redire à ce qu’on les imite, car ils ne sont pas les seuls: encore est-il au moins aussi légitime de l’ouvrir, s’il est ouvert un peu partout; mais si les Parisiens vont jusqu’à fermer l’a de cadenasser et matelasser, je pense que cette fois c’est peut-être trop, et qu’on peut préférer une prononciation plus répandue.

Il y a autre chose encore. Paris est grand, et il y a bien des mondes à Paris. «La langue varie, en effet, dit l’abbé Rousselot, suivant les quartiers, les conditions sociales, et les intentions du sujet parlant. Un Parisien de la haute classe ne parlera pas comme un homme du peuple. Et l’homme du peuple lui-même se gardera bien de parler devant un étranger, une personne qu’il respecte, comme avec un camarade... Donc le français à conseiller à tous est celui de la bonne société parisienne.» On ne peut que souscrire à un principe si judicieux. Malheureusement l’auteur ajoute presque immédiatement, en précisant ce qu’il appelle bonne société parisienne: «...L’enfant né à Paris est Parisien, et même l’enfant qui y arrive le devient très vite, à la condition qu’il fréquente une école popu{viii}laire.» Populaire? Mais alors voilà une bonne société qui est terriblement large. Et ceci est justement le défaut du Précis de prononciation de l’abbé Rousselot, outre qu’il est fort incomplet[9]. Autant l’auteur est inattaquable quand il s’agit des constatations générales de la phonétique expérimentale, dont il est le créateur et dont il est resté le maître, autant il prête à la critique, quand il s’agit de savoir à quelle espèce de gens il s’est adressé pour déterminer pratiquement l’usage dans les cas particuliers ou douteux. Quel fond peut-on faire, sur le témoignage de gens, des enfants sans doute, qui prononcent aighille pour aiguille? Cela seul suffit à ôter parfois toute valeur à ses statistiques, d’ailleurs fort réduites, et à ses conclusions.

On ne sera donc pas surpris d’apprendre que la phonétique expérimentale ne donne pas par elle-même de résultats définitifs sur les questions qui font l’objet de ce livre. Si l’on veut savoir de quelle manière on dispose ses organes pour faire entendre un a fermé ou articuler un p ou un s, on peut s’adresser à elle en toute confiance: ses instruments sont infaillibles; mais s’il s’agit de savoir dans quels mots l’a est ouvert ou fermé, dans quels mots on prononce ou on ne prononce pas le p, les phonéticiens expérimentaux n’en savent pas plus que les autres, et leurs instruments, sur ce point, ne serviront à rien, tant qu’ils n’auront pas fait prononcer les mêmes mots par un assez grand nombre de personnes, choisies expressément dans ce but. Or justement, le premier point, celui qui est expressément de leur compétence, n’est pas traité dans ce livre: je m’adresse aux gens qui savent suffisamment le français, et aux Français eux-mêmes encore plus qu’aux étrangers, et je suppose qu’ils savent comment les sons s’émettent, comment s’articulent les consonnes. C’est{ix} pourquoi ce livre ne fait pas double emploi avec les travaux de la phonétique expérimentale: il les complète.

Le principe général est d’ailleurs le même, autant que possible, que celui de la phonétique expérimentale, et l’on ne saurait aujourd’hui en concevoir d’autre: il ne s’agit plus d’ordonner péremptoirement ce qui doit être, mais de constater simplement ce qui est. Une prononciation admise généralement par la bonne société est bonne par cela seul, fût-elle absurde en soi. Si l’on me voit chemin faisant résister à certaines prononciations que je crois mauvaises, c’est qu’elles ne me paraissent pas encore très générales, et que la lutte est encore permise et le triomphe possible; autrement je passe condamnation, car il n’y a rien à faire contre les faits. La seule difficulté est de savoir à quel moment une mauvaise prononciation est assez générale pour qu’il faille s’incliner et la déclarer bonne; car il faut bien se mettre dans l’esprit que toute prononciation qui est bonne a commencé par être mauvaise, comme toute prononciation mauvaise peut devenir bonne, si tout le monde l’adopte.

 

Ce traité se divise naturellement en deux parties, une pour les voyelles et une pour les consonnes. Il est probable quelles seront pour le lecteur d’un intérêt fort inégal, et voici pourquoi: la première peut servir surtout à corriger les défauts de prononciation, autrement dit les accents régionaux; mais ceci ne peut se faire qu’avec des efforts soutenus dont peu de gens sont capables. La seconde, au contraire, corrige les fautes de prononciation, et ceci ne demande pas d’effort: souvent il suffit que le fait soit constaté une seule fois. Ainsi beaucoup de gens ont un accent déplorable, qui tiennent à parler fort correctement par ailleurs: c’est le cas de beaucoup de professeurs qui seraient très mal placés pour enseigner que l’o de rose{x} est fermé, alors qu’ils l’ouvrent outrageusement, et ne font même aucun effort pour le fermer, mais qui, d’autre part, sachant qu’on prononce dot avec un t, et comptable sans p, pratiquent cette prononciation et l’enseignent scrupuleusement.

D’ailleurs les voyelles sont très souvent flottantes: il y a tant de degrés dans leur ouverture. Qu’on les ouvre un peu plus ou un peu moins, dans une foule de cas, dans la plupart des cas, personne n’en est choqué, et on n’y attache pas une très grande importance. Mais qu’une consonne se prononce ou ne se prononce pas, c’est là souvent un fait précis, catégorique, sur lequel il n’y a pas de discussion possible, quand l’usage est suffisamment général; et beaucoup de gens tiennent particulièrement à savoir si, dans tel mot, telle consonne se prononce ou non.

J’ai donné néanmoins à la première partie tout le développement qu’elle comportait, mais je pense tout de même que ce livre servira plus à corriger les fautes que les défauts, lesquels souvent sont chers à ceux qui les ont.

Qu’il me soit permis, chemin faisant, d’attirer spécialement l’attention du lecteur curieux sur deux chapitres assez nouveaux, celui de l’e muet et celui des liaisons. La question de l’e muet a déjà été traitée une fois; mais je l’ai reprise sur un plan différent. Pour celle des liaisons, on s’en tient d’ordinaire à des conseils généraux: j’ai pris la peine d’entrer dans le détail et de classer méthodiquement les faits.

Enfin, je ne voudrais pas que le lecteur fût effrayé par l’abondance des notes, qui pourraient sembler faire de ce livre un travail d’érudition. Il n’en est rien. Ces notes, qui peuvent d’ailleurs être négligées par ceux qu’elles n’intéressent pas, ont un double objet. Elles contiennent d’une part la prononciation des noms propres, qui auraient sans doute encombré le texte. D’autre part elles donnent des renseignements qui{xi} peuvent être curieux sur les prononciations d’autrefois; elles permettent ainsi d’apprécier certaines rimes qu’on trouve chez les poètes classiques; elles font de plus savoir (s’ils l’ignorent) à ceux qui aiment les vieilles éditions, que toutes les consonnes qui jadis encombraient les textes ne se prononçaient d’ordinaire pas plus qu’aujourd’hui où on ne les écrit plus[10]. Enfin elles donnent parfois des explications complémentaires qui n’ont pas paru être à leur place dans le texte.

Après cela, et malgré les soins consciencieux que j’ai apportés à mon travail, il y aura sans doute dans ce livre plus d’une erreur. En tout cas, il est évidemment impossible qu’un lecteur qui a des opinions sur la matière ait exactement les mêmes que l’auteur sur tous les points. Si ce lecteur est particulièrement qualifié, il me suffira de ne différer d’avec lui que sur des points secondaires. Quant au lecteur qui cherchera ici des renseignements, j’espère qu’il ne s’égarera pas trop souvent. Et puis, je compte un peu sur la collaboration de mes lecteurs eux-mêmes pour perfectionner ce livre et le rendre plus utile, si le public lui fait bon accueil: toutes les observations sérieuses, appuyées sur une expérience suffisamment étendue, seront accueillies avec reconnaissance.{xii}

NOTE DES ÉDITEURS

Cette nouvelle édition a été, comme les deux premières, soigneusement revue et a subi de nombreuses corrections et modifications.

C’est qu’un ouvrage semblable, sous peine de perdre une partie de sa valeur, doit suivre pas à pas les changements qu’apportent la mode et l’usage.

Dans leur vie brève ou longue, les mots voient leur sens évoluer; ils voient aussi leur prononciation se modifier.

Nous nous sommes efforcés, après la disparition de l’auteur de Comment on prononce le français et de Comment on parle en français, de tenir à jour avec un soin constant ces livres gui ont fait à Philippe Martinon la plus enviable réputation de technicien.

Il nous faut dire notre sincère gratitude à ceux qui, en grand nombre, nous ont transmis leurs observations. Ces observations, nous les avons examinées très attentivement et nous en avons tiré le plus grand profit.{1}

COMMENT ON PRONONCE
LE FRANÇAIS

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

LES LETTRES

Quoique ce livre soit plutôt un ouvrage de vulgarisation, il n’est pas possible de traiter de la prononciation en faisant table rase des travaux de la phonétique. L’alphabet, tel qu’on l’enseigne aux enfants, ne peut vraiment suffire ici. D’une part, les voyelles ne sauraient se réduire à cinq, a, e, i, o, u[11]. D’autre part, il y a souvent deux ou trois consonnes pour un seul son, comme c, k, q, ou bien la même consonne a deux sons différents, comme c encore, ou g, ou t[12]; il y a même une lettre qui réunit ordinairement deux sons en elle: x, tandis que pour tel son unique nous employons deux lettres, comme ch ou gn. Tout cela fait beaucoup de confusion. Or, en matière de prononciation, les sons importent plus que les lettres, et, faute d’un alphabet phonétique, au moins faut-il mettre un peu d’ordre dans les caractères que{2} nous possédons. On nous permettra donc de commencer ce livre par une classification logique des sons, voyelles ou consonnes[13].

Classification des voyelles.

Pour ce qui est des voyelles, nous n’avons pas dessein d’entrer dans le domaine de la physiologie, pour expliquer en détail leurs différences d’émission, de timbre ou d’intensité: nous supposerons que le lecteur sait émettre les sons et les distinguer. Nous lui dirons donc tout de suite qu’il y a au moins dix voyelles essentielles, et l’on verra qu’il y en a davantage. En voici le tableau, car les explications se comprendront mieux ensuite:

è (ouvert),  é (fermé),i.
a, eu (id.),  eu (id.),u.
o (id.),  o (id.),ou.
| |
Voy. ouvertes. Voy. fermées.

Il est bien évident qu’on ne saurait identifier l’é aigu avec l’è grave, ou, pour employer tout de suite des expressions qui seront plus commodes ailleurs, l’é fermé avec l’è ouvert, celui d’enflé avec celui d’austère[14]. On ne saurait confondre non plus l’eu{3} ouvert de jeune avec l’eu fermé de jne. Et il y a encore exactement la même différence entre l’o ouvert de couronne et l’o fermé de trône[15].

Ainsi, partant de l’a, qui est la voyelle type, celle qu’on prononce d’abord quand on ouvre la bouche naturellement et normalement, nous voyons les voyelles se répartir en trois séries divergentes: d’une part la série a, è, é, i, dont l’émission élargit progressivement la bouche sur les côtés en la fermant à demi; d’autre part, la série a, o ouvert, o fermé, ou, dont l’émission rapproche progressivement les coins de la bouche en l’arrondissant; enfin, entre les deux, la série a, eu ouvert, eu fermé, u, qui participe à la fois des deux autres: de la première par la position de la langue, de la seconde par les mouvements des lèvres. On se rendra compte facilement de ce rapport en passant successivement du son u au son i, par simple déplacement des lèvres, et au son ou, par déplacement de la langue seule, même sans avancer les lèvres; on passe de même de eu fermé à é, ou bien à o fermé, de eu ouvert à è, ou bien à o ouvert. Et cela fait bien dix voyelles.

Sur ces dix voyelles, six sont fermées, d’abord é, eu fermé, o fermé; ensuite et plus encore, i, u, ou. Les autres sont ouvertes.

On remarquera en passant que les trois voyelles extrêmes, les plus fermées, i, u, ou, quand elles sont suivies d’autres voyelles, s’en accommodent si bien qu’au lieu de faire hiatus, comme dans hr ou dans Ésaü, elles font presque nécessairement diphtongue avec elles: diable, huit, douane: c’est ce que les grammairiens appellent synérèse. Pour parler plus{4} exactement encore, elles se transforment alors en semi-voyelles, ce qui veut dire que, n’étant plus voyelles qu’à moitié, car elles se prononcent plus rapidement que les voyelles vraies, elles font à peu près l’office de consonnes. Le w anglais de whist représente assez bien la consonne ou; il n’y a pas de signe courant pour représenter l’u consonne; mais l’i consonne s’écrit ordinairement au moyen de l’y, et s’appelle alors yod: c’est celui de l’anglais yes.

 

Mais ces dix voyelles ne sont pas tout. Le son de l’a n’est pas plus unique que celui de l’e ou celui de l’o. Les grammaires se bornent généralement à distinguer l’a long de l’a bref, patte et pâte, face et grâce, tache et tâche, et cette distinction a certainement son importance, même pour les voyelles autres que a; mais elle est insuffisante pour notre objet, car l’a de pars est aussi long que celui de pâte, sans avoir du tout le même timbre. La vérité est qu’on doit faire ici une distinction tout à fait analogue à celle qu’on fait si facilement pour e, o et eu. En effet, nous avons d’une part un a qui n’est jamais bref, et c’est celui de pâte, grâce ou tâche, et un autre a qui est généralement bref, mais qui peut être long, et c’est celui de patte, face, tache ou pars. Or nous verrons qu’il y a de même, par exemple, un o qui n’est jamais tout à fait bref, et c’est l’o fermé: domino, rose, grosse, et un autre o, qui est généralement bref, mais qui peut être long, et c’est l’o ouvert: pommes, poste et mort. Nous admettrons, au moins par analogie, et pour unifier les termes, qu’à côté de l’a ouvert proprement dit, il y a aussi un a fermé, celui de pâte[16].{5}

A ce second a, il faut encore ajouter l’e muet, appelé aussi e féminin, qui tantôt se prononce et tantôt ne se prononce pas, suivant les circonstances, et qui par suite n’est pas toujours muet, et cela fait bien douze voyelles.

En outre, à ces voyelles, qui sont dites orales, parce que l’air expiré passe uniquement par la bouche, on doit en ajouter d’autres, dites nasales, parce que l’air expiré passe par le nez en même temps que par la bouche. Elles sont quatre, an, in, on, un, qui n’ont rien de commun avec des diphtongues, et elles correspondent, non pas, comme l’indique l’orthographe, aux voyelles a, i, o, u, mais à peu près aux quatre voyelles ouvertes a, è, o, eu: on peut s’en rendre compte aisément, en passant de chacune de ces voyelles à la nasale correspondante. Et ce sont bien des voyelles simples: l’n n’est ici qu’un signe orthographique, qui, entendu autrefois, ne s’entend plus aujourd’hui en aucune façon, sauf dans le Midi, naturellement. Et cela fait seize voyelles.

 

En fait, il y en a bien davantage encore, et voici pourquoi. Sans doute une voyelle est fermée ou ne l’est pas, et pratiquement on ne voit pas qu’elle ait deux manières d’être fermée. Or, quand elle n’est pas fermée, elle est ouverte; mais c’est ici qu’il y a bien des degrés. L’e de périr a beau avoir le même accent aigu que celui de trompé, celui de trompé seul est fermé, et celui de périr est incontestablement ouvert, mais il l’est sensiblement moins que celui de père. On pourrait même dire qu’il y mathéma{6}tiquement une infinité de degrés dans l’ouverture d’un son quelconque. Sans entrer dans des distinctions scientifiques qui n’ont point d’intérêt pratique, on peut dire que l’é de périr, démontre, prépare, etc., est moyen, étant à égale distance de l’é fermé de trompé et de l’e tout à fait ouvert de père, souvent même plus près du second que du premier. De même il y a un o moyen, un eu moyen, et si les voyelles i, u, ou, ne sauraient être moyennes, étant toujours fermées, à l’autre bout il peut encore y avoir un a moyen.

Ce mot moyen a malheureusement un inconvénient: il est nécessaire par ailleurs pour caractériser la quantité des voyelles qui ne sont ni longues ni brèves. Nous veillerons donc à ce qu’aucune confusion ne puisse se produire dans l’esprit du lecteur entre ces deux sens, concernant le timbre et la quantité. Par exemple, en parlant du timbre, comme la caractéristique d’un son tel que l’é de périr est avant tout de n’être pas fermé, malgré son accent aigu, nous le qualifierons à l’occasion d’e légèrement ouvert ou à demi ouvert, quand il faudra le comparer à l’è grave, qui l’est tout à fait.

Ainsi nous nous en tiendrons à notre tableau des voyelles, qui peut suffire. On remarquera que trois d’entre elles sont écrites avec deux lettres. Ce furent jadis des diphtongues; mais il y a longtemps que ce n’en sont plus. L’orthographe a conservé le signe double, justifié autrefois, mais l’orthographe n’y change rien, et ce sont des voyelles. Mieux vaudrait assurément que chaque voyelle eût un signe propre, ou du moins qu’il y en eût un spécial pour eu, ouvert ou fermé, et un autre pour ou: nous n’avons pas cru devoir, dans un livre de vulgarisation, choquer les habitudes du lecteur par l’usage de signes phonétiques peu usités, et nous avons conservé l’orthographe courante.{7}

Il y a encore en français d’autres groupes de signes qui furent aussi jadis des diphtongues et depuis longtemps n’en sont plus, et que nous avons conservés tels quels: ai, ei, au, et aussi le groupe oi, sans parler d’œ et æ, qui furent diphtongues aussi, mais en latin. Ces groupes ne figurent pas dans le tableau, parce qu’ils y feraient double emploi; ils seront étudiés à la suite des voyelles simples auxquelles ils sont apparentés.

Classification des consonnes.

Même en laissant de côté les semi-voyelles, nous avons dix-huit consonnes simples.

1º Six muettes: b, c, d, g, p, t, ainsi nommées parce qu’elles ne se font sentir réellement qu’avec l’aide d’une voyelle[17]. On les appelle aussi momentanées, pour la brièveté de leur émission, et aussi explosives ou occlusives, parce qu’elles produisent une explosion plus ou moins brusque, après occlusion momentanée des organes de la parole.

Les muettes sont labiales, si la fermeture est faite par les lèvres: b, p; dentales, si elle est faite par la langue appuyée contre les dents: d, t; gutturales ou palatales, si elle est faite par la langue appuyée contre le haut du palais, plus ou moins près de la gorge: c, g. Mais surtout on les divise en deux catégories:

Les muettes fortes, ou explosives sourdes, qui ne sont accompagnées d’aucune résonance, et qu’on peut appeler brusques; on les reconnaît dans pa, ta, ca, ou ap, at, ac;

Les muettes douces, ou explosives sonores, qu’on peut appeler retardées, parce que la résonance interne{8} qui précède le son et l’adoucit a pour effet d’en retarder l’explosion; on les reconnaît dans ba, da, ga, ou ab, ad, ag.

2º Six spirantes: f, ch, j, s, v, z, dont l’émission est produite par une simple émission d’air, qui ne nécessite absolument ni l’occlusion momentanée des organes (un simple rétrécissement suffit), ni l’intervention d’une voyelle.

Les spirantes aussi sont labiales, quand elles rapprochent la lèvre inférieure des dents supérieures: f, v; dentales, quand elles rapprochent les dents supérieures des inférieures: s, z (ou c devant e et i); palatales, quand elles rapprochent la langue du palais: ch, j (ou g devant e et i). D’autre part les spirantes labiales sont appelées aussi fricatives; les dentales, sifflantes; les palatales, chuintantes. Mais les spirantes, comme les muettes, se divisent surtout en deux catégorie essentielles:

Les spirantes fortes, ou sourdes, sans résonance, f, s, ch;

Les spirantes douces, ou sonores, et par suite retardées, v, z, j.

3º Deux liquides: l et r.

Il y a diverses façons de prononcer l’r; mais il est bien inutile, à moins que ce ne soit pour le chant, de s’évertuer à retrouver l’r vibrant qu’on prononçait avec la pointe de la langue: cet r a disparu à peu près de l’usage, au moins dans les villes, et surtout à Paris, où on grasseye, la pointe de la langue appuyée contre les dents inférieures.

4º Deux nasales, qui étaient aussi qualifiées de liquides par les grammairiens grecs: m et n, l’une labiale, l’autre dentale.

5º Deux consonnes mouillées: l et n.

L’l mouillé s’écrit par ll après i: fille; par il ou ill{9} après a, e, eu, ou: bail, caille, soleil, pareil, deuil, feuille, bouille. Il s’écrit aussi lh ou ilh dans les noms méridionaux, comme Meilhac ou Milhau et gli en italien. A la vérité, le son véritable de l’l mouillé, que l’on confond souvent avec ly, est aujourd’hui perdu pour la plupart des Français, malgré les efforts suprêmes de Littré, et se confond désormais avec le simple yod[18].

L’n mouillé s’écrit gn; il se rapproche très sensiblement de l’n suivi de la semi-voyelle y, et se confond souvent avec lui.

6º A ces dix-huit consonnes simples il faut ajouter une consonne double, x, qui se prononce de diverses façons, mais qui en principe représente cs; et d’autre part l’h, qui ne se prononce plus guère, même quand il est aspiré, mais qui dans ce cas sert toujours à empêcher l’élision et la liaison.

Quelques considérations générales sur l’accent tonique.

Avant de commencer l’étude particulière des voyelles, une distinction capitale est à faire, celle des voyelles accentuées ou toniques, et des voyelles atones, car l’e dit muet n’est pas seul atone, et toute voyelle qui ne porte pas l’accent tonique s’appelle atone. Or l’accent tonique, très faible en français par comparaison avec les autres langues, est cependant très important, comme on va voir. Mais il ne faut pas le confondre avec l’accent dit oratoire, ou emphatique, qui est tout autre chose.{10}

L’accent oratoire se place sur la syllabe quelconque que l’on désire mettre en relief, et souvent même sur des mots complètement atones, comme je. Il se met en général sur la première syllabe des mots. Ch. Nyrop, le grammairien danois, qui est classique chez nous en matière de grammaire française, a relevé dans un cours public la phrase suivante, dont il a noté les accents d’après le débit du professeur: «Ainsi nous avons d’une part une progression croissante, d’autre part une progression croissante.» On dirait de même: c’est un misérable; attention! impossible. Toutefois, si la première syllabe commence par une voyelle, l’accent oratoire se reporte le plus souvent sur la seconde, afin de faire vibrer la première consonne: insen. Cela est particulièrement nécessaire quand il y a liaison avec le mot précédent, dont la consonne finale prendrait sans cela trop d’importance: c’est impossible et non c’est impossible. Paul Passy a noté que certains mots sont prononcés plus souvent avec cet accent qu’avec l’accent normal: beaucoup, extrêmement, terrible, ridicule, bandit, etc., et surtout des injures, comme cochon; mais tous ces mots reprennent l’accent normal, si on les prononce avec le calme parfait. Ainsi l’accentuation de beaucoup de mots est dans une sorte d’équilibre instable, qui se prête admirablement à l’expression de la pensée ou du sentiment, avec toutes leurs nuances[19]. Seulement l’accent oratoire, qui est arbitraire, peut bien exercer une grande influence sur l’intensité des voyelles: il n’en exerce aucune sur le timbre.

 

Il n’en est pas de même de l’accent tonique, qui est fixe, et qui vient directement du latin: malgré sa{11} faiblesse, il a conservé sa place originelle dans les mots de formation populaire, et il est uniquement sur la dernière syllabe masculine des mots, les syllabes muettes ne comptant pas: présage a l’accent tonique sur a, couronne sur o, quatrième sur è. D’ailleurs beaucoup de mots d’une et même deux syllabes, articles, pronoms, prépositions, conjonctions, s’appuient sur leurs voisins et n’ont pas d’accent propre ou très peu. D’autres mots ont un accent, et peuvent le perdre au profit d’un monosyllabe qui suit, lequel peut le perdre à son tour au profit d’un autre monosyllabe; ainsi dans les expressions laissez, laissez-moi, laissez-moi là, l’accent est toujours uniquement sur la dernière syllabe, c’est-à-dire successivement sur sez, sur moi et sur [20]. Et il faut noter que l’accent oratoire ne détruit pas nécessairement l’accent tonique: dans je reste, tu t’en vas, l’accent oratoire peut être sur je et tu, mais cela n’empêche pas l’accent tonique d’être sur res et vas.

 

Cela posé, on comprend sans peine que les voyelles qui ont un accent tonique fixe ont beaucoup plus d’importance que les voyelles atones. Ce point est capital, et la question de savoir si une voyelle est ouverte ou fermée, longue ou brève, ne se pose réellement avec intérêt que si cette voyelle est tonique. En effet, les voyelles atones, n’ayant pas l’importance des autres, se prononcent presque toutes{12} plus ou moins légèrement, à moins d’une intention spéciale; aussi sont-elles rarement fermées et rarement longues; car on ne peut fermer ou allonger une voyelle que par un acte exprès de la volonté[21].

Ainsi les voyelles atones sont généralement assez brèves et assez ouvertes, sans l’être beaucoup; elles sont moyennes, dans tous les sens du mot, et diffèrent assez peu les unes des autres. On peut comparer pour la quantité les deux a de adage ou placard, où le second est beaucoup plus long que le premier, et pour l’ouverture, les deux o de folio ou siroco, où le second seul est fermé. On met le plus souvent un accent aigu sur l’e à l’intérieur des mots, quand il n’est pas muet; mais il ne s’ensuit pas que cet e soit fermé: il est, lui aussi, moyen dans tous les sens. Par exemple dégénéré a d’abord trois e à peu près identiques, et qui, malgré l’accent aigu qui les assimile au quatrième, sont en réalité aussi distincts de lui que de l’e ouvert et long qui termine le présent dégénère[22].

Ce phénomène est si général et si nécessaire, que la même syllabe changera son ouverture et sa quantité suivant la place qu’elle aura dans le mot, c’est-à-dire suivant qu’elle sera ou ne sera pas tonique. Nous venons de voir le troisième é de dégénérer s’allonger manifestement dans dégénère; inversement l’a de cave s’abrège dans caveau. Une voyelle tonique qui était fermée et longue s’ouvre à demi et s’abrège en perdant l’accent: bah, ébahir; une voyelle tonique qui était ouverte et longue se ferme à demi et s’abrège aussi: or, dorer; si bien que par exemple{13} l’e de pied, qui est fermé, et l’e de diffère, qui est ouvert, deviennent identiques, ni ouverts ni fermés (malgré l’accent aigu), dans piéton et différer.

Même si la syllabe ne se déplace pas dans le mot, il suffit qu’elle perde l’accent au profit du monosyllabe qui la suit, pour que son ouverture et sa quantité changent également: aime est moins ouvert et moins long dans aime-t-il, où l’accent est sur il, que dans il aime; peux est moins fermé et plus bref dans peux-tu que dans tu peux; êtes se prononce plus légèrement dans vous êtes fou que dans fou que vous êtes. Il n’est même pas besoin d’un monosyllabe héritant de l’accent du mot qui précède: il suffit qu’un mot accentué soit suivi immédiatement d’autres mots liés à lui intimement par le sens, pour que le seul affaiblissement de l’accent produise un léger changement d’ouverture ou de quantité, car l’accent qui n’est pas tout à fait final est toujours plus faible que l’accent final; ainsi aime, étant moins accentué, est aussi moins ouvert et plus bref dans je les aime depuis longtemps, articulé sans pause, que dans je les aime tout court.

 

On voit quelle est l’importance du phénomène: il se manifeste aussi bien dans les assemblages de mots que dans les mots considérés séparément. C’est un point qu’il ne faudra jamais perdre de vue dans l’étude des mots pris séparément. Nous le rappellerons d’ailleurs plus d’une fois au lecteur. Mais de toutes ces considérations il résulte que l’objet principal de la première partie de ce livre sera l’étude des voyelles toniques, qui sont de beaucoup les plus importantes. Quant aux voyelles atones, j’entends celles qui sont dans le corps des mots, nous ne laisserons pas d’en dire un mot à la suite dans chaque chapitre, mais seulement comme complément, et parce que le phénomène général dont on vient de parler ne se manifeste pas également dans tous les cas.{14} Il faut voir notamment dans quelles circonstances il peut se faire qu’une syllabe qui perd l’accent garde néanmoins en partie ses qualités premières.

Autres observations générales.

En dehors de la distinction capitale que nous venons de faire entre les voyelles toniques et les atones, nous pouvons encore, avant de passer à l’étude des voyelles particulières, simplifier sensiblement la besogne par avance au moyen de deux observations générales concernant les voyelles toniques qui peuvent être ouvertes, a, e, eu, o.

C’est un fait constant que les groupes de consonnes abrègent la voyelle qui précède, et cela est vrai des toniques encore plus que des autres. Donc une voyelle tonique n’est jamais longue, et encore moins fermée, quand elle est suivie de deux consonnes articulées: secte, golfe. Je dis articulées toutes les deux, car d’une part une consonne double n’a jamais en fin de mot que la valeur d’une consonne simple; d’autre part, dans un mot tel qu’amante, on ne prononce qu’une seule consonne, l’n n’étant plus que le signe extérieur de la nasalisation; de même dans Duquesne, l’s ne sert plus qu’à allonger la voyelle. Mais si les deux consonnes sont articulées, elles produisent le même effet que l’atonie, et elles le produisent avec une régularité et une constance parfaites, que nous ne trouverons pas ailleurs. Par exemple, apte, arc, arche, taxe (car x=cs), etc., ou secte, berge, ferme, reste, vexe, etc., ou docte, dogme, golfe, porche, etc., ont la voyelle plus ou moins brève, suivant les cas, mais jamais longue et toujours ouverte, et ces finales n’ont jamais d’accent circonflexe[23].{15}

Toutefois, ces groupes de deux consonnes ne comprennent pas ceux où la seconde, mais la seconde seule, est une liquide, l ou r; car ceux-là sont traités en français comme s’ils ne faisaient qu’une seule consonne[24]. Ainsi les finales en -acle ou -adre, par exemple, peuvent être, comme nous le verrons plus loin, longues ou brèves, ouvertes ou fermées, et ne doivent pas être confondues avec les finales en -acte ou -apte, ou même -arle, toujours ouvertes, et toujours brèves ou moyennes; de même etre peut être long ou bref (être, mètre), tandis que -erte, fait des mêmes lettres, n’est jamais long; l’a est long et fermé dans sabre, tandis qu’il est nécessairement ouvert et moyen dans barbe, qui a les mêmes consonnes, et même dans marbre, qui en a une de plus.

Malgré cette restriction, il reste un nombre considérable de finales toniques dont nous n’aurons pas à nous occuper: plus de trente pour chacune des voyelles a, é, o[25]. Nous n’aurons donc à étudier que trois catégories:

 

1º Les voyelles finales, avec ou sans consonne muette: panama, ama(s), clima(t), estoma(c);

 

2º Les voyelles suivies d’une seule consonne articulée, simple ou double, avec ou sans e muet: cartel, martèle, mortelle;{16}

 

3º Les voyelles suivies de deux consonnes articulées dont la seconde seule est l ou r, la première étant simple ou double: mtre, mètre, mettre.

Notre seconde observation préliminaire à propos des voyelles toniques a, e, eu, o, c’est que, lorsqu’elles ont l’accent circonflexe, elles sont longues en principe, quand elles sont suivies d’une syllabe muette, sauf dans les formes verbales[26].

De plus, les voyelles a, eu, o sont fermées quand elles sont surmontées de l’accent circonflexe: pâte, jne, rôle, tandis que l’e, également fermé jadis, au moins dans certains mots, est aujourd’hui très ouvert presque partout dans le même cas: pêche, frêle, tête.

Nous verrons qu’il en est exactement de même de nos quatre voyelles devant l’s doux: écrase, heureuse, chose se prononcent comme pâte, jeûne, rôle; de même trapèze ou française comme pêche et frêle. Aussi les finales -ase, -euse, -ose, -èse ou -aise n’ont elles jamais d’accent circonflexe[27].

Au contraire, nous verrons l’r allonger toujours, et le v ordinairement, la voyelle qui précède, mais sans jamais la fermer: char et cher, beurre et bord, brave et brève, ont la voyelle longue, mais ouverte.{17}

PREMIÈRE PARTIE LES VOYELLES

Pour étudier les voyelles, nous suivrons l’ordre du tableau. Nous examinerons donc successivement:

 

1º La voyelle a, à laquelle nous joindrons le groupe oi, diphtongue si l’on veut, puisqu’il exige deux sons vocaux, ou et a, mais qui est plus exactement un a précédé d’une semi-voyelle, ou ou w, et qui en tout cas peut avoir les mêmes nuances que l’a;

 

2º La voyelle e, ouverte ou fermée, en y joignant œ et æ, diphtongues latines, généralement fermées, ainsi que les groupes ai (ou ay) et ei (ou ey), qui sont généralement ouverts;

 

3º La voyelle eu, ouverte ou fermée;

 

4º La voyelle o, ouverte ou fermée, avec le groupe au (ou eau), généralement fermé;

 

5º Les voyelles extrêmes, i, u, ou, essentiellement fermées, et sur lesquelles il y a donc peu à dire, parce que la prononciation en diffère peu d’un mot à l’autre;

 

6º Les voyelles nasales, avec leurs graphies diverses, faites en principe des diverses voyelles, suivies d’un n ou d’un m;

 

7º L’e muet;

 

8º Les semi-voyelles, c’est-à-dire, si l’on préfère, les diphtongues.

{18}

I.—LA VOYELLE A.

1º L’A final.

L’a final n’est ni long ni fermé, sans être tout à fait bref ni tout à fait ouvert; il est, si l’on veut, moyen, quelle que soit d’ailleurs son origine, même l’ablatif latin: camelia, paria, tapioca, falbala, panama, mea culpa, opéra, delta, il va.

Il y a quelques exceptions, j’entends quelques a fermés. Ce sont:

 

1º Le nom même des lettres a et k, et les notes de musique fa et la: comparez la lettre a avec il a, et c’est un la avec il est là[28].

Toutefois, dans l’expression a b c, l’a, devenu atone, comme l’à de à Paris, est moins nécessairement fermé que quand il est seul.

 

2º Le mot bêta. On se demande pourquoi, si ce mot est vraiment une forme dialectale de bétail, où l’a s’est ouvert depuis longtemps. Nous noterons cependant que ce mot s’emploie surtout comme une espèce d’interjection, dont le son se prolonge.

 

3º Le mot chocolat, au moins à Paris. C’est peut-être à cause de son étymologie espagnole chocolate, mot qui a l’accent sur l’a; mais cet a est destiné à s’ouvrir, comme dans les autres mots en -at, et on n’est nullement obligé de le fermer.{19}

 

4º Les interjections bah et hourra, dont le son se prolonge naturellement; mais si l’on fait de hourra un substantif, il rentre dans la règle générale. Hourra est d’ailleurs d’origine anglaise, et avait d’abord un h final; or l’h final, qui, en dehors des interjections bah et pouah, appartient uniquement à des mots d’origine étrangère, avait pour effet d’allonger et de fermer l’a; mais cet effet est aussi en voie de disparition, à mesure que les mots achèvent de se franciser[29].

 

Quand l’a est suivi d’une consonne qui ne se prononce pas, elle n’y change pas d’ordinaire grand chose; et surtout, ici comme partout ailleurs, les pluriels ne diffèrent plus en rien des singuliers: un opéra, des opéras, une villa, des villas[30].

Peut-être l’a s’ouvre-t-il un peu plus devant le t (avec ou sans s): un candidat, des candidats[31]. Peut-être aussi est-il encore un peu plus fermé dans les futurs, comme tu aimeras, que dans les prétérits, comme tu aimas, mais c’est peu de chose.{20}

Toutefois, l’a est resté en général un peu long et fermé, au moins à Paris, dans la plupart des mots qui ont un s au singulier comme au pluriel: bas, cas, las, lilas, trépas, tas. Mais ici même, par analogie, l’a s’est ouvert ou tend à s’ouvrir dans un grand nombre de mots: galimatias, tracas, chas, et surtout les mots en -las, -nas, -ras et -tas: matelas, chasselas, cervelas, entrelacs et verglas, ananas et cadenas, bras et embarras, taffetas et galetas. Même des rimes comme cas et avocats, bas et grabats n’ont plus rien de choquant.

2º L’A suivi d’une consonne articulée.

Quand l’a est suivi d’une consonne articulée, en principe il s’ouvre et s’abrège plus ou moins. Le rôle que jouent ici les consonnes, ou du moins la plupart des consonnes, se marque nettement dans certains féminins: l’a, qui n’est encore que moyen dans délicat, candidat, scélérat ou ingrat, achève de s’ouvrir et de s’abréger dans délicate, candidate, scélérate ou ingrate[32]. Et ce qui prouve bien que c’est la consonne qui fait tout, et que l’e muet n’y est pour rien, c’est que mate, féminin de mat, ne se prononce pas autrement que le masculin, le t étant articulé dans les deux cas.

Cette ouverture de l’a se manifeste presque également dans la plupart des finales à consonne, qui ainsi ne diffèrent les unes des autres que par la quantité[33]. C’est donc la quantité qui nous permettra de les classer.{21}

I. A bref.—Les finales les plus brèves sont celles dont la consonne est une des trois explosives brusques, c, p, t[34].

 

-ac, -ak et -aque: cognac et lac, laque et baraque[35].

 

-ap et -ape, ou -appe: cap et cape, pape et frappe[36]. On ferme souvent l’a dans dérape, par une fausse analogie avec râpe, qui est pour raspe, mais c’est une erreur.

 

-at et -ate, ou -atte, et même -âtes: mat et tomate, rate, sonate et donnâtes[37].

Ici encore, il ne faut pas qu’une fausse analogie fasse altérer les formes des deux verbes mater, qui n’en font qu’un: ils viennent de mat, terme du jeu d’échecs, dont l’a est ouvert et bref, et sans rapport avec mâter, terme de marine dérivé de mât.

Avec ces finales doivent figurer, étant brèves aussi, celles qui ont une spirante également brusque ou sourde, f, ch, s.{22}

 

-af, -afe et -aphe: gnaf, gaffe, orthographe.

 

-ache: h, tache, moustache, arrache[38].

 

-ace et -asse, ou -ass (mais non -as): dédicace et carcasse, chasse, face et fasse, terrasse et vorace, ray-grass, etc., et les imparfaits de subjonctifs, autrefois longs. Mais, comme tout à l’heure pour les mots en as où l’s ne s’articulait pas, il y a ici beaucoup d’exceptions parmi les mots en -asse.

L’a est fermé et long en principe, d’abord dans les dérivés des mots en -as qui ont l’a long, mais non pas dans tous. Il l’est dans les adjectifs féminins basse, lasse (et le verbe) et grasse, qui conservent l’a fermé du singulier; puis dans les verbes amasse et ramasse, passe et trépasse (avec impasse, quoique moins régulièrement), sasse et ressasse (pas toujours non plus), tasse et entasse, peut-être même compasse, damasse, brasse et le substantif embrasse (mais non le verbe). Il est fermé également dans casse, terme d’imprimerie, dans prélasse, par analogie avec lasse, dans classe et déclasse, et le substantif tasse. A Paris, on y ajoute généralement calebasse, échasse, nasse, cadenasse et Parnasse ou Montparnasse, et même des mots en -ace: espace et lace, avec ses dérivés; mais ceci n’est point du tout indispensable, pas plus que pour la casse du pharmacien, ou la casse de la cuisinière[39].{23}

Quant aux mots en -as où l’s s’articule, l’a y est fermé partout; mais il n’y a là de proprement français que le mot as (terme de jeu) et les interjections las ou hélas; les autres mots sont des mots grecs, latins ou étrangers, et surtout des noms propres anciens (y compris atlas et hypocras). Cette prononciation s’est imposée même à des mots récents, où l’étymologie semblait exiger un a bref et ouvert, comme stras et vasistas[40].

II. A moyen.—Immédiatement après ces finales viennent celles dont la consonne est une des trois explosives sonores ou retardées, b, d, et g[41]. La résonance qui précède le son, et qui en retarde l’explosion, a pour effet de rendre la voyelle un peu moins brève; mais elle est tout aussi ouverte dans chacune des finales.

 

-ab et -abe: nabab, arabe, syllabe. Pourtant l’a de crabe est généralement fermé à Paris et dans le Nord, quoique rien ne justifie cette prononciation[42].{24}

 

-ad et -ade: aubade, pintade, bravade[43].

 

-ag et -ague: zigzag, bague. Beaucoup de gens ferment l’a dans vague, substantif ou adjectif, et même parfois dans divague: cela fait bien en vers, mais non ailleurs[44].

 

De même l’a est plutôt moyen que bref, mais toujours également ouvert, dans les finales à l, m ou n, qui peuvent aussi être considérées comme retardées.

 

-al et -ale, ou -alle: chacal et animal, scandale et dalle, sale et salle. Les poètes font volontiers rimer exhale avec les mots en âle[45]. D’autre part l’analogie de hâle fait quelquefois allonger outre mesure l’a bref de hale, du verbe haler (un bateau). Enfin, dans certaines provinces, sale se prononce sâle, mais cette prononciation est tout à fait mauvaise.

 

-ame ou -amme: gamme et bigame, drame et gramme. Il faut encore excepter clame et ses composés, où s’est maintenue, tant bien que mal, la quantité étymologique, comme autrefois dans fame; et aussi flamme et enflamme, avec oriflamme, sans{25} doute parce qu’autrefois on prononçait flan-me, avec une nasale[46].

 

-ane ou -anne: cane et canne, romane et panne, sultane et havane. Il n’y a plus lieu d’excepter les mots savants, comme profane, malgré l’opinion de Thurot, qui fermait l’a, à cause de l’étymologie. D’autres ferment encore l’a dans plane ou émane, sans doute pour le même motif; d’autres, sans motif cette fois, dans bibliomane et d’autres composés en -mane, ou même dans glane; autant d’erreurs, d’ailleurs assez peu répandues; tout au plus peut-on admettre plane long, par emphase, surtout en vers.

Il y a pourtant deux ou trois exceptions. Damne conserve toujours l’a fermé (sans doute pour le même motif que flamme), mais déjà beaucoup moins, et surtout beaucoup moins généralement, dans condamne, qui est d’ailleurs plus employé. Dame-Jeanne le garde aussi, à cause de la fausse étymologie qu’on prête à ce mot. Les musiciens conservent volontiers l’a fermé de l’italien dans soprane, tandis qu’il s’ouvre dans soprano. Enfin, la manne (des Hébreux) a eu longtemps l’a fermé, probablement aussi pour la même raison que flamme, et l’Académie lui a con{26}servé jusqu’à présent cette prononciation; mais la consonne double tend naturellement à abréger l’a, comme dans manne (panier), et l’a fermé paraît y devenir suranné[47].

A ces finales nous joindrons les finales mouillées, qui ont encore l’a un peu moins bref que les précédentes[48].

 

-agne: bagne, campagne, montagne. Mais on ferme encore l’a dans gagne le plus souvent[49].

 

-ail et -aille[50]: sérail, bétail, médaille.

Cependant rail prononcé à la française est presque fermé[51]. Sérail l’est aussi quelquefois, quoique un peu moins, et ce n’est pas à imiter.

{27}

Mais les mots en -aille méritent un examen particulier. A Paris, on fait encore une différence très nette entre -ail et -aille, qui autrefois était fermé et long presque partout. Toutefois cette prononciation n’est pas universelle aujourd’hui, tant s’en faut, ni applicable à tous les mots en -aille. Elle paraît assez justifiée, encore qu’elle ne soit pas toujours indispensable, dans les mots qui expriment une intention péjorative, qu’on marque précisément d’ordinaire en appuyant sur la finale, quelle que soit l’étymologie: monacaille, racaille, antiquaille, frocaille, canaille, cochonnaille, ferraille, prêtraille, valetaille, crevaille et vingt autres, qui d’ailleurs sont d’origine populaire, et ont droit de conserver la prononciation populaire[52]. De même les verbes en -ailler, de même intention, et qui ont l’a fermé, même à l’infinitif, ne peuvent l’avoir ouvert quand il est tonique: piaille, criaille, se chamaillent, rimaille, tiraille, braille, se débraille, écrivaille, et bien d’autres. On peut y ajouter certainement raille et déraille. Mais, d’autre part, l’a n’a jamais été fermé dans médaille, de l’italien medaglia; l’a fermé est également peu usité dans faille (soie) et faille (fente), moins encore dans les verbes qui correspondent à des substantifs en -ail: baille (ne pas confondre avec bâille), émaille, détaille, travaille, se prononceraient difficilement d’une autre manière que bail, émail, détail et travail; les subjonctifs aille, faille, vaille, se sont certainement abrégés, ainsi que écaille et maille, noms ou verbes, et aussi tressaille[53]. Pour les autres, on a parfaitement le droit d’hésiter, et la{28} prononciation parisienne ne s’impose pas: paille lui-même n’est pas plus dialectal avec a ouvert qu’avec a fermé, d’autant plus que ceux-mêmes qui le ferment dans la paille tout court, l’ouvriront aussi bien dans la paille humide des cachots, au moins s’ils parlent vite. Il en est de même pour taille[54].

Ajoutons, pour compléter, que l’a est ouvert et bref dans les finales en -aye où l’y ne se dédouble pas: cobaye, cipaye[55].

III. A long.—Voici enfin des finales dont l’a peut être tenu pour tout à fait long, soit en restant parfaitement ouvert, soit en se fermant plus ou moins. Ce sont celles qui ont un r, ou une spirante sonore, g, v, z.

1º L’a est long, mais ouvert, dans les finales qui ont un r, -ar (avec ou sans consonne) et -are ou -arre: art, are, arrhes ou hart, car, quart ou placard, marc, mare, amarre, camard ou cauchemar, tu pars, il part, je prépare. Il n’y a point d’exception pour les finales masculines qui toutes ont l’a parfaitement ouvert. Il semble qu’autrefois l’a était souvent fermé dans les mots en -are ou -arre; il l’est encore un peu, et même un peu trop à Paris, dans{29} barre et rembarre, carre ou contrecarre, gare et bagarre, et même rare[56].

2º Dans les finales en -age, autrefois irrégulières, l’a s’allonge aujourd’hui régulièrement, mais reste encore ouvert, exactement comme dans les finales en -ar: mariage, ménage, étalage[57]. Le mot âge lui-même a aujourd’hui l’a ouvert, malgré l’accent circonflexe, et se prononce comme les autres: à mon âge diffère bien peu de ramonage.

3º Le cas est presque le même pour les finales en -ave: cave, lave, esclave, grave; mais l’a a déjà une tendance à se fermer, au moins dans grave adjectif, et dans esclave[58].

4º L’a est tout à fait long et fermé dans les finales en -ase, -az et -aze, qui se prononcent comme si elles avaient un accent circonflexe: base, blase ou extase, gaz ou gaze[59].{30}

 

En résumé, l’a reste bref ou moyen devant quatorze consonnes, sauf les exceptions, et s’allonge devant quatre ou cinq seulement. Mais il n’est fermé régulièrement que devant une seule, la sifflante douce.

3º L’A suivi des groupes à liquide.

Il ne nous reste plus à examiner pour l’a tonique que les groupes où il est suivi de deux consonnes, dont la seconde est une liquide, groupes qui sont tous très courts.

 

Quand la seconde consonne est un l, l’a s’allonge assez ordinairement et tend à se fermer; mais trois groupes seulement de cette espèce se sont formés en français.

1º Les mots en -able ont toujours été fort discutés. L’a est encore un peu fermé et assez long dans les substantifs diable, jable, sable, fable, érable et dans affable et accable: beaucoup de gens prononcent ces mots exactement comme hâble, câble et râble. C’est parfaitement correct, pourvu que cette prononciation ne passe pas à table ou étable, ni surtout aux adjectifs à suffixe -able, dont l’a, sans être bref, n’est pas non plus fermé. Toutefois on pense bien qu’en poésie, dans la rime accable-implacable, l’a doit être absolument fermé, pour être plus long[60].

2º Les mots en -acle ont été aussi fort discutés. L’a est ouvert généralement dans macle et les mots en -nacle et -tacle: cénacle, pinacle, obstacle, et c’est une{31} erreur de le fermer dans obstacle ou tabernacle. Mais en revanche il est généralement fermé dans les mots en -racle: racle, miracle et oracle[61].

3º L’a est toujours fermé dans rafle et érafle[62].

 

Quand la seconde consonne est un r, l’a est en général ouvert ou fermé, suivant que l’r est précédé d’une sourde ou d’une sonore.

1º L’a est ouvert de préférence, et par suite bref ou moyen, quand l’r est précédé d’une sourde, c’est-à-dire, en principe, dans les finales -apre, -acre, -atre et -afre: diacre, sacre, simulacre, nacre, sacre et massacre; battre et ses composés, avec quatre et barathre; affres et balafre. Quelques personnes ferment encore l’a dans affres[63].

2º L’a est de préférence long et fermé, quand l’r est précédé d’une sonore. Pourtant il est encore ouvert dans la finale -agre: podagre, onagre[64]. En revanche il est fermé dans cadre et escadre[65]; et{32} pourtant, dans ladre, il est plutôt ouvert[66]. Mais surtout l’a est long et assez fermé dans les finales -abre et -avre: cabre, macabre, délabre, candélabre ou sabre, havre, cadavre ou navre; toutefois cette prononciation n’est pas absolument générale, notamment pour palabre et cinabre, ni sans doute pour glabre[67].

4º L’A atone

Après l’a tonique nous devons parler de l’a atone, d’autant que, parmi les voyelles atones, c’est encore l’a qui offre le plus de variété.

Nous savons qu’en principe il est moyen et assez ouvert. Il lui arrive pourtant d’être fermé, et c’est cela seul qui importe ici, car la quantité des voyelles atones est toujours subordonnée à leur ouverture. Ainsi, tandis que l’a tonique peut être long même quand il est ouvert, comme dans courage ou barbare, l’a atone ne peut être long qu’autant qu’il est fermé. C’est pourquoi l’a long des finales ouvertes en -age et -are s’abrège régulièrement en devenant atone, au moins si la prétonique n’est pas initiale: courage-courageux, barbare-barbarie[68].

Quels sont donc les a atones qui sont fermés, puisque ceux-là seuls nous intéressent?{33}

Comme on peut s’y attendre, ce sont surtout des a toniques fermés, devenus atones par suite de la flexion, de la dérivation ou de la composition, et qui ne peuvent pas perdre toujours et absolument tous les caractères de leur nature première.

Il y a d’abord les a prétoniques qui ont l’accent circonflexe, surtout si la prétonique est initiale comme dans châtaigne, gâter ou pâlir[69]. Encore l’a est-il alors un peu moins fermé et surtout moins long que quand il est tonique, par exemple dans blâmer que dans blâme, dans hâler que dans hâle. Quand il s’éloigne davantage de la tonique, il arrive parfois qu’il devient tout à fait moyen. Cela ne s’aperçoit pas dans des mots comme ân(e)rie ou pâqu(e)rette, qui n’ont que deux syllabes pour l’oreille; mais les trois degrés différents apparaissent assez bien dans pâme, pâmer et pâmoison, ou dans pâte, pâ et pâtissier ou pâtisserie[70]. On peut dire que ces deux derniers mots, et plus encore pâmoison, ne conservent leur accent circonflexe que par une pure convention, respectueuse de l’étymologie. En revanche, tatillon, qui se rattache à tâter, mais qui a l’a ouvert, n’a jamais eu d’accent. Il en est de même des mots acrimonie, diffamer et infamie, gracieux et gracier, malgré l’accent circonflexe arbitraire que les grammairiens ont mis à âcre, infâme et grâce[71].

Même quand ils n’ont pas d’accent circonflexe, les a qui étaient fermés et longs, étant toniques, s’abrègent bien un peu, mais ne s’ouvrent guère le plus{34} souvent quand ils deviennent prétoniques, c’est-à-dire avant-derniers, comme dans gagner, de gagne, ou quand ils ne sont séparés de la tonique que par un e muet, ce qui est ordinairement la même chose pour l’oreille. Ainsi grasse et grass(e)ment, grave et grav(e)ment ou même accable et accablement[72].

 

A plus grande distance de la tonique, la voyelle s’ouvre davantage: les a de barricade, de grasseyer, de damnation, de fabuliste, de cadavéreux sont même tout à fait ouverts[73].

Un phénomène pareil se produit même dans des mots composés: l’a fermé et long de passe, déjà un peu flottant dans passant, s’ouvre tout à fait, non seulement dans passementerie, mais même, si l’on veut, dans passeport ou passepoil[74].

Mais voici qui est plus important: certains a toniques fermés s’ouvrent même en devenant prétoniques, comme dans cadran ou classique; ainsi dans flammè{35}che ou enflammer, plus encore dans inflammable et les autres dérivés, ainsi que dans diablesse, diablotin ou endiablé, sauf par emphase. Dans basset, bassesse, basson ou soubassement, l’a paraît avoir aussi tendance à s’ouvrir[75].

A fortiori, s’il est déjà douteux qu’il faille fermer l’a de matelas ou de cadenas, on ne saurait évidemment conseiller de fermer celui de matelasser ou de cadenasser: ce sont des prononciations parisiennes fort peu recommandables. De même, il n’est pas indispensable de fermer l’a de garer ou rareté, ou celui de cassette, et je conseillerais encore moins de fermer celui de casserolle. La manière de prononcer espacer, lacer, lacet ou enlacement, brasser ou brasseur, dépendra de celle dont on prononce espace, lace ou brasse.

De même, pour les mots en -ailler, -ailleur, -aillon, etc., c’est la manière de prononcer aille qui décidera. Ainsi l’intention péjorative paraît se marquer par l’a fermé dans écrivailler ou écrivailleur, brailler ou brailleur, graillon ou avocaillon, etc. On ferme aussi l’a dans railler ou dérailler (et aussi dans joaillier), mais non pas dans travailler ou travailleur, émailler, corailleur, détailler ou bailler (donner). On le ferme dans haillon, et au besoin paillon, mais non dans médaillon, ni même dans bataillon, de quelque manière qu’on prononce bataille.

On prononcera tailleur suivant la manière dont on prononce taille. Surtout il n’y a aucun inconvénient à ouvrir l’a dans poulailler, dans cailler et caillot, et dans presque tous les dérivés et composés de paille,{36} comme paillard, rempailler, paillasse, paillette, et surtout paillasson[76].

Il va sans dire que s’il n’y a pas de forme tonique en -aille, il n’y a plus aucune raison pour que -ail- prétonique soit fermé; aussi est-il ouvert de préférence dans tous les mots qui commencent par cail-, comme caillette, caillasse et caillou; de même, et plus sûrement encore, dans ailleurs, maillet, maillot, saillir, jaillir et leurs dérivés, et dans crémaillère[77].

 

En revanche, il peut arriver que l’a prétonique soit fermé, même sans avoir été tonique, et cela pour les mêmes raisons que l’a tonique. Ainsi on a vu que la sifflante douce fermait l’a tonique des finales en -ase ou -aze, et par suite l’a des verbes en -aser et de leurs dérivés; elle ferme aussi l’a atone, non sans quelque flottement, dans alguazil, basalte, basane et basané, bazar, basilic et basilique, basoche, blason et gazon, jaseran, masure, mazette, nasal et naseaux, quasi, et quelques autres, si l’on veut; sensiblement moins ceux des mots en -asif et -asion; très peu aujourd’hui ceux de gazelle, gazette ou gazouiller; plus du tout ou presque plus ceux de faséole et surtout casemate[78].

L’r aussi, surtout l’r double, sert à fermer l’a prétonique dans un certain nombre de mots, sans que ce soit indispensable, notamment dans les mots de deux syllabes en -aron, parce que la prétonique y est initiale: baron, charron, larron, marron, en opposi{37}tion avec fanfaron, macaron ou mascaron, dont l’a est toujours ouvert[79]. L’a se ferme encore assez souvent dans carriole, carrosse, chariot et charrue (mais beaucoup moins dans charrette, charrier ou charroyer); aussi dans sarrau, parrain et marraine[80]; dans madré, dans scabreux, et, si l’on veut, dans madrier et marri. A Paris, on y ajoute même carotte, mais je ne conseille pas de fermer cet a, non plus celui de jarret, baroque, haro, tarot et même garrot, moins encore celui de bigarré, déjà signalé, ou même bigarreau[81].

L’a est encore long et fermé dans quelques mots comme magot, maçon et ses dérivés; et si estramaçon a gardé l’a bref et ouvert, limaçon suit parfois l’analogie de maçon. Il est encore plus ou moins fermé, mais il tend à s’ouvrir, dans cassis[82], chalet, jadis, lama, maflu, maquis, naïades, praline et praliné, ramure, smala, tasseau, valet; il est sûrement ouvert et bref aujourd’hui dans anis, pomme d’api, chassieux, madeleine, passereau[83].

D’autre part, on contrarie mal à propos la ten{38}dance générale de la langue, quand on ferme l’a devant deux consonnes distinctes, comme dans mardi, pascal, pastel, pasteur et ses dérivés, où l’a est naturellement moyen, malgré l’usage parisien[84].

Le souvenir de la quantité latine fera fermer correctement l’a dans stabat, amen, frater, alma mater, et dans ab irato, casus belli, de plano, sine qua non, ainsi et que dans postulatum, ultimatum et autres mots en -atum et -arium, qui ont gardé l’allure du latin; mais il y a doute déjà pour hiatus et stratus, pour gratis et in-plano, plus encore pour majeur ou major[85].

La prononciation de l’a dans les mots en -ation ou -assion varie énormément, mais il tend à s’ouvrir; il est même certainement ouvert dans nation, et je ne conseille pas de le fermer dans passion et compassion et leurs dérivés. Quant aux mots en -ateur, -atrice, -atif ou -ature, ils ont l’a parfaitement ouvert, malgré l’étymologie, ainsi que a priori ou a posteriori[86].{39}

L’a est encore fermé dans pali, langue de l’Hindoustan, quelquefois écrit pahli[87].

5º Quelques cas particuliers.

Dans maman et nanan, la première syllabe s’assimile à la seconde dans l’usage familier, par une sorte d’attraction, et l’on entend beaucoup plus souvent man-man et nan-nan que maman et nanan, qui même ont un air d’affectation[88]; on dit même sans sourciller moman, sans doute par l’intermédiaire de mon-man, sans parler de m’man qui rappelle exactement m’sieu.

 

Dans août, l’a a cessé de se prononcer depuis le XVIᵉ siècle, à cause de la répugnance que le français a pour l’hiatus, absolument comme dans saoul, qui s’écrit encore mieux soûl. On a malheureusement continué d’écrire août avec un a, comme on a continué d’écrire l’o de paon, faon et taon, qui ne se prononce pas davantage[89]; mais la prononciation a-ou est aussi{40} surannée et devrait paraître aussi ridicule que pa-on. La Fontaine écrivait même oût:

Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal[90].

Boileau ne prononce pas autrement:

Et qu’à peine au mois d’août l’on mange des pois verts.

On peut dire que, du XVIᵉ au XIXᵉ siècle, il n’y avait plus de discussion sur ce point. «Août se prononce oût», dit Voltaire, dans l’Avertissement de Zaïre. Jusqu’en 1835, l’Académie dit: «Prononcez oût.» Mais déjà l’antique prononciation avait reparu. D’où venait-elle? S’était-elle conservée dans quelques provinces, ou était-elle seulement la réaction de l’orthographe?

Déjà Domergue se plaignait que les orateurs démocrates, pour rappeler le 10 août 1792, prononçassent a-ou. Dans la première moitié du XIXᵉ siècle, on trouve cette prononciation jusque chez les poètes, peut-être même surtout chez les poètes, dans Sainte-Beuve toujours, dans Victor Hugo presque toujours; et il en est de même aujourd’hui, notamment dans Henri de Régnier.

Elle n’en est pas meilleure. Elle s’est tellement répandue au cours du siècle dernier, que l’Académie en est venue à dire dans son édition de 1878: «On prononce souvent oût.» Ce souvent est délicieux. Peut-être faut-il lire: «On prononce souvent a-oût.» Cela au moins serait exact. Mais on serait dans la vraie tradition française en prononçant toujours et uniquement ou[91].{41}

Le cas d’aoriste est sensiblement pareil à celui d’août. L’a avait cessé de se prononcer, sauf chez quelques puristes, pour qui oriste avait un sens opposé à celui d’aoriste; mais il a revécu de nos jours, et comme l’influence de la prononciation populaire n’est pas là pour contre-balancer celle de l’écriture, a-oriste paraît devoir l’emporter, malgré le désagrément de l’hiatus[92].

 

Enfin extra-ordinaire ne se maintient que dans le langage soutenu: on dit couramment extrordinaire[93].

6º L’A dans les mots anglais.

Ce travail ne serait pas complet, si l’on n’y parlait pas de l’a des mots étrangers adoptés par le français, et notamment des mots anglais, dont la prononciation est si différente de la nôtre[94].

Quelques mots, dus à la transmission orale, ont pu être francisés tant bien que mal avec la prononciation anglaise ou à peu près; ainsi bébé, qui vient{42} probablement de baby, quoique Littré lui donne une autre étymologie. De même bifteck, romsteck ou rosbif.

Mais le plus souvent les mots étrangers, surtout les anglais, se francisent à moitié seulement. Cela tient à ce qu’au lieu de partir du son, comme pour les mots que nous venons de citer, on part généralement de l’écriture; or la masse, qui ignore les langues étrangères, conserve pourtant une sorte de scrupule malencontreux, et fait effort pour conserver quand elle peut une allure étrangère aux mots étrangers qu’elle adopte, et cela surtout dans la désinence.

On indiquera, ici et ailleurs, la prononciation qui prévaut dans l’usage le plus ordinaire. Nous nous excusons particulièrement auprès des professeurs d’anglais, à qui nous ne faisons nullement concurrence: il est bien entendu que ce n’est pas de prononciation anglaise qu’il est question ici. Et en effet, on ne s’adresse pas aux gens qui savent l’anglais, mais au contraire à ceux qui ne le savent pas, pour leur indiquer dans quelle mesure ils peuvent franciser les mots anglais sans être ridicules; on enseignera donc la prononciation à demi francisée que les Français adoptent le plus généralement.

 

Dans les mots anglais adoptés par le français, c’est précisément l’a qui est le plus ordinairement altéré; le reste du mot garde à l’occasion une apparence exotique, surtout à la finale. Ainsi nous avons francisé à moitié square, puisque nous ne prononçons plus scouèr, et moins encore scar, mais scouar, entre les deux; cela tient à ce que nous avons pris à l’étranger d’autres mots où qua se prononce aussi coua. Il en est de même de bookmaker; car si quelques-uns le prononcent à peu près à l’anglaise boukmèkeur, la plupart, sachant par ailleurs que oo se prononcent ou, acceptent cette prononciation,{43} mais francisent la fin du mot d’après l’écriture, ce qui fait boukmakèr[95].

On peut franciser sans doute cottage, aussi bien que lady ou macfarlane et même challenge et skating, quoique beaucoup prononcent ce mot par é[96].

 

Dans les mots anglais qui ne sont pas francisés du tout, l’a se prononce à l’anglaise ou à peu près, c’est-à-dire entre a et é, plus près de é. Mais comme l’e n’est fermé en français que quand il est final, c’est plutôt un e ouvert que nous faisons entendre dans ces mots[97]. Rallye employé seul tend à se franciser[98].{44}

Devant un l, l’a se prononce à peu près comme o ouvert, dans all right et hall, et walk over[99].

 

Yacht aussi, après s’être longtemps prononcé yac, est devenu au siècle dernier yote chez les personnes qui ont l’usage de l’anglais, chez les marins, et aussi chez les snobs. Un jour pourtant, les gens de sport se sont aperçus que yacht, emprunté à l’anglais, il est vrai, n’était pas anglais de naissance, mais hollandais. Or, précisément, les Hollandais prononcent à peu près yact à l’allemande. Les Anglais avaient sans doute eu raison d’angliciser le mot pour leur usage personnel; mais pour quelle raison devrions-nous prononcer comme eux, en leur empruntant un mot qui n’est pas à eux? Ne valait-il pas mieux ou bien faire comme eux, c’est-à-dire franciser le mot complètement et prononcer yact, ou bien conserver la prononciation yac, admise depuis longtemps et, par suite, francisée? C’est ce qui a paru à beaucoup de gens; si bien qu’aujourd’hui le mot a trois prononciations dont la plus ancienne, et peut-être la meilleure, est yac; et tel fut, sauf erreur, l’avis des hommes de sport les plus qualifiés, le jour où la question fut posée dans le journal le Yacht[100].

 

L’a précédé de l’e ne se francise pas; nous le prononçons tantôt è comme dans break ou dead-heat[101]; tantôt eu ouvert, comme dans yearling; plus souvent î, comme dans clearing-house, dead-heat, great{45}event, gulf-stream, leader, if you please, reader, season, speak et speaker, steamer, steamboat et teagown[102].

Les deux sons è et i, réunis dans Shakespeare, sont si bien francisés dans cette prononciation, qu’on en a fait le mot français shakespearien (chexpirien).

Dans cold-cream (colcrem, par è au lieu d’i), le français a repris son bien (crème), mais en laissant au mot l’allure étrangère par la brièveté de la finale, comme dans break.

 

Oa sonne o, plus ou moins ouvert dans boarding house, mail-coach et toast, plus ou moins fermé dans over-coat et cover-coat, coaltar et steamboat[103].

Raout se prononce de préférence et s’écrit aussi rout.

Aw sonne comme o fermé dans lawn-tennis, outlaw, drawback et tomahawk[104].

7º Le groupe OI (oy).

Le son oi se prononce aujourd’hui oua ou wa[105]. Ce groupe n’est donc plus qu’un cas particulier de a, et les usages sont sensiblement les mêmes pour oi que pour a, avec cette différence que le nombre des{46} finales où figure oi est beaucoup plus restreint, et que sa prononciation est beaucoup plus uniforme. Je ne parle pas de oi atone qui est généralement sans intérêt.

I. OI tonique.—Comme l’a final, oi final n’est ni long ni fermé, sans être tout à fait bref, ni tout à fait ouvert, et cela avec ou sans consonne indifféremment, et après un r, aussi bien qu’après une consonne quelconque: un aboi, des abois, pois, poix et poids, je crois, il croit, la croix, effroi, etc.: oît même n’est pas plus long, et ceci rappelle les formes verbales en -ât: tournoi, danois, bent diffèrent bien peu, s’ils diffèrent[106]. Pourtant oi est ordinairement plus fermé dans les substantifs mois et bois.

Oie même n’est pas plus long aujourd’hui que oi, sauf en vers, pour distinguer les rimes féminines des{47} masculines: cette distinction a disparu de l’usage courant, même dans le mot oie[107].

Harnois a été définitivement remplacé par harnais; pourtant on peut encore prononcer oi à la rime, mais seulement au sens figuré:

Sire, ainsi ces cheveux blanchis sous le harnois,
Ce sang pour vous servir prodigué tant de fois...[108]

Passons à oi suivi d’une consonne articulée.

Devant une sourde, oi s’ouvre et s’abrège comme l’a: coi est à coite, comme délicat à délicate; on ne prononce même plus guère une bte autrement que il boite. De même soif ou coiffe; et la finale -oisse, de paroisse ou angoisse, autrefois longue, comme sa sœur -aisse, s’est fort abrégée dans l’usage le plus général.

Comme l’a encore, oi est moins bref, mais tout aussi ouvert, devant d, l, n, et gn mouillé: froide, poil, étoile, moine et soigne. Quant à roide et ses dérivés, il faut laisser cette prononciation d’il y a deux siècles à la Comédie-Française, à moins qu’elle ne soit nécessaire dans la lecture pour la rime froide; la seule forme usitée est raide, avec tous ses dérivés, et l’Académie française elle-même n’en connaît pas d’autre depuis un demi-siècle[109].{48}

Comme l’a toujours, oi s’allonge dans -oir ou -oire, sans se fermer sensiblement: vouloir et gloire, devoir et ivoire[110].

Devant une spirante sonore, oi est plutôt moins long que l’a, et surtout il ne se ferme pas comme l’a devant z. Si vois-je est à peu près pareil à rivage, oi est plus ouvert et plus bref dans reçoive que a dans bave ou grave. De même et surtout, si autrefois oi a pu être fermé dans -oise, comme a dans -ase, il n’en reste plus grand’chose aujourd’hui, et il est plus ouvert, quoique plus long, dans les féminins que dans les masculins: bourgeois, bourgeoise; courtois, courtoise; danois, danoise, et de même framboise, turquoise ou apprivoise.

Oi est un peu moins ouvert dans goitre, cltre, crtre et ses composés, et poivre; mais même dans -oître, il n’est plus fermé comme a l’est encore dans -âtre.

 

En somme, on peut dire que oi n’est plus fermé nulle part, et l’accent circonflexe ne joue plus aucun rôle dans la prononciation de cette voyelle[111].

II. Le groupe OIGN.—Nous devons dire un mot, pour terminer, du groupe oign. A l’origine, la graphie de l’n mouillé n’était pas gn, comme aujourd’hui, mais ign[112]. Il en résulte que dans le groupe -oign-, c’est o et non oi qu’on prononçait normalement: beso-igne,{49} ivro-igne, po-ignard. La suppression de l’i a conservé la prononciation d’un certain nombre de ces mots, d’abord besogne et besogner, grogner, ivrogne, rogne, rogner, trogne, trognon, vergogne, et un peu plus tard rognon et cogner ou cognée, avec encognure, qui s’écrit encore trop souvent enco-ignure. Les autres ont gardé leur i, malheureusement, et leur prononciation s’est altérée: encore un des méfaits de l’orthographe! L’hésitation a été longue, mais les efforts des grammairiens n’ont rien obtenu. Il y a beau temps déjà qu’on prononce définitivement oi dans joignons, soigner, éloigner, témoignage[113]. Les autres ont suivi. O(i)gnon seul a résisté victorieusement, et se prononce exclusivement par o: cela tient évidemment à ce qu’il est très populaire et enseigné presque uniquement par l’oreille; oi-gnon est donc ridicule[114]. On prononce encore assez souvent mo(i)gnon, et le peuple dit fort justement po(i)gne et empo(i)gner; mais ceci passe déjà pour familier, ainsi que la foire d’empo(i)gne, ces mots étant d’ailleurs plutôt d’usage populaire. Quant à poi-gnet, poi-gnée, poi-gnard, qui sont d’usage littéraire aussi bien que populaire, et plus encore poi-gnant, qui est plutôt littéraire, on peut dire que leur prononciation est définitivement altérée. Il est assurément fâcheux que l’i de ces mots n’ait pas été supprimé à temps; mais ce qui est fait est fait, à tort ou à raison, et pognard ou pognet sont absolument surannés, au moins dans l’usage des personnes instruites[115].{50}

De ces mots on peut en rapprocher deux ou trois autres. Poireau, dont la forme nouvelle n’est pas expliquée, s’écrivait autrefois porreau, et peut encore s’écrire ainsi et se prononcer de même, du moins au sens propre; mais on prononce toujours oi dans l’expression populaire faire le poireau, ainsi que dans poireau, désignant la décoration du Mérite agricole. D’autre part poitrine et poitrail ne peuvent plus se prononcer correctement par o tout seul[116].

L’anglais boy se prononce boï, mais en une syllabe. Il devrait en être de même dans boycotter; mais le mot est à peu près francisé avec le son oi[117].{51}

II.—LA VOYELLE E

Il ne sera pas question ici de l’e muet proprement dit, qui sera l’objet d’un chapitre spécial, et qui d’ailleurs n’est jamais tonique[118]. Nous parlerons seulement de l’e accentué. Peu importe d’ailleurs qu’il soit ou non surmonté du signe qu’on appelle accent: aimé ou aimer, succès, mortel ou rebelle appartiennent également à ce chapitre[119].

1º L’E final.

En règle générale, l’e tonique est fermé quand il est final, ou suivi d’un e muet, ou d’une consonne qui ne se prononce plus (sauf dans les finales -et et -ès); il est au contraire toujours plus ou moins ouvert quand il est suivi d’une consonne articulée[120]. L’e est donc ouvert en somme dans presque toutes les catégories; mais les catégories, en très petit nombre, où il est fermé, ont beaucoup plus de mots que toutes les autres ensemble.{52}

 

I. E final fermé.—Les mots qui ont l’e final fermé sont les suivants:

1º La lettre e elle-même et les noms des consonnes b, c, d, g, p, t, v, et les innombrables mots en , substantifs, adjectifs, participes: bonté, zélé, aimé, etc., etc.

Il faut y joindre les mots latins, francisés ou non, c’est-à-dire écrits ou non avec l’accent aigu[121]. Par suite vic(e) versa, qu’on entend parfois, est aussi inacceptable que fac-simil(e).

Nous devons parler aussi des mots italiens à e final. Quand nous ne les francisons pas du tout, nous leur conservons l’accent italien, qui est ordinairement sur la pénultième, et nous faisons très peu sentir l’e, comme dans lazarone, cicerone, farniente, sempre, con amore, furia francese, anch’ io son pittore, e pur si muove. D’autres mots sont francisés, mais nous avons pour cela deux méthodes. Ou bien c’est la francisation complète, avec e muet, comme dans dilettant(e), et aussi andant(e), si bien francisé avec e muet, qu’on le prend comme substantif: un andante; on peut y joindre canzon(e), et même vivac(e), qui s’est naturellement confondu avec le français vivace: c’était fatal. Ou bien, et c’est le cas le plus fréquent, nous ne francisons les mots qu’à demi, et c’est alors un e fermé que nous prononçons, comme dans piano forte, cantabile, a piacere, dolce, mezzo-termine. Dans fara da se, l’e est accentué, même en italien[122].{53}

2º A la catégorie de l’e final fermé appartiennent aussi: pied, qui devrait s’écrire et s’est longtemps écrit pié, même en prose, et non pas seulement pour la rime; puis sied et messied, assied et assieds. Mais la prononciation d’assied est moins sûre que celle de pied. Elle paraît flotter entre l’e fermé de pied et l’e ouvert des mots en et. Peut-être est-ce l’s d’assieds qui en est cause; en tout cas l’e d’assieds-toi est plutôt moyen.

Je ne parle pas de clef, qui s’écrit aussi clé.

3º Les innombrables mots en -er, ou -ier, dans lesquels l’r ne se prononce pas: aimer, prier, pommier, meunier, régulier, archer, messager, léger, etc.[123].

4º Les mots en -ez où le z ne se prononce pas, à savoir: les formes verbales de la seconde personne du pluriel, aimez, aimiez, aimeriez; le substantif nez; la préposition chez; l’adverbe assez; enfin l’ancienne préposition lez (près de), des noms de lieux[124].

Il y avait aussi autrefois un adverbe rez (au niveau de), qui était également fermé: il n’existe plus que dans le substantif rez-de-chaussée, où il s’est ouvert et abrégé, en devenant atone[125].{54}

La distinction entre l’e final, qui est fermé, et l’e suivi d’une consonne articulée, qui est ouvert, est si marquée et si constante, que quand les infinitifs en -er (é) se lient avec la voyelle suivante, liaison qui se maintient au moins en vers pour éviter l’hiatus, l’e s’ouvre aussitôt, au moins à moitié: tous les efforts des grammairiens, comme Domergue, pour maintenir l’e fermé, ont échoué. Ainsi dans l’hémistiche pour aller à Paris, avec liaison, l’e est intermédiaire entre l’é fermé d’aller et l’è ouvert de colère. Peut-être aussi l’affaiblissement de l’accent contribue-t-il à cette ouverture.

Les finales masculines en sont fermées en quelque sorte si nécessairement, que même des finales qui furent longtemps ouvertes—par la volonté des grammairiens beaucoup plus que par une tendance naturelle—ont fini par se fermer de nouveau définitivement: ce sont les articles et pronoms monosyllabiques les, des, ces, et mes, tes, ses[126]. A la vérité, beaucoup d’acteurs, de professeurs, d’orateurs, s’efforcent encore d’articuler lès hommes, et essayent de résister à l’usage universel, mais cette prononciation est absolument conventionnelle. Elle est bonne tout au plus dans le chant, qui a des exigences propres: quand on parle, on ne saurait prononcer mes dans mes sœurs autrement que dans mesdames, où il est certainement fermé. Même après un impératif, le pronom les, devenu tonique, est aussi fermé que l’article dans l’usage universel. Sans doute les poètes continuent à faire rimer donne-les avec poulets ou balais, mais c’est affaire à eux, et on ne voit pas{55} pourquoi les aurait deux prononciations, une en prose, une en vers[127].

II. E final ouvert.—Ainsi le français ignore l’e ouvert final. Il y a pourtant, nous l’avons dit, deux exceptions, non pas pour é tout seul, mais pour l’e suivi de consonnes non articulées.

1º Les mots en -et, assez nombreux, avec ou sans s: gibet, cadet, mets, rets, etc. Il faut excepter encore la conjonction et, qui est toujours fermée, mais qui pourtant semble avoir tendance à s’ouvrir par analogie.

L’e est tellement ouvert dans les mots en -et, qu’il ne l’est pas sensiblement plus dans les mots en -êt[128]: benêt et bonnet, foret et forêt riment parfaitement ensemble. Il est, qui a gardé son s, est de la même famille, mais son e est moyen, même quand il est tonique, à fortiori quand il est atone, c’est-à-dire le plus souvent: qu’est-ce que c’est? c’est lui, ainsi dans c’est vrai, est est moins ouvert que vrai.

Fouet s’est longtemps prononcé foi, mais l’orthographe a réagi sur la prononciation.

2º Un certain nombre de mots en -cès, -grès ou -près, dérivés de mots latins en -cessus, -gressus et -pressus, à savoir: décès, procès, abcès, excès et succès; progrès et congrès; près, après, auprès, exprès, et le substantif cyprès[129]. De plus, sans doute par analogie, grès, agrès et très; enfin dès et profès.{56} Tu es a plutôt l’e moyen, un peu plus ouvert dans folle que tu es que dans tu es folle.

La tendance à fermer l’e final est si marquée en français que, même pour ces deux catégories, -et et -ès, dans beaucoup de provinces on ferme l’e, comme dans mes ou les. Cette prononciation, qui n’est pas nouvelle, est peut-être destinée à triompher un jour de nouveau; en attendant, elle est tout à fait vicieuse, et c’est un des défauts dont il faut se garder le plus.

En parlant de l’e fermé, ou plutôt de l’e final, même ouvert, nous n’avons rien dit de la quantité. C’est qu’elle est la même partout: sans être tout à fait bref, l’e final n’est jamais long; comme l’a final, il est moyen partout, dans succès, cabinet ou même forêt, comme dans aimer, aimé ou aimez. La question est donc sans intérêt[130].

Pourtant les finales féminines en -ée et -ées furent jadis et peut-être même devraient être un peu plus longues que les masculines. Elles ont fait comme les finales en -oie, et nous retrouverons le même phénomène dans les finales en -aie, -eue, -ie, -ue, -oue. Dans toutes ces finales, sauf tout au plus les finales en -ie (et encore!), la distinction d’avec la finale masculine a complètement disparu de l’usage courant: elle ne se maintient plus que dans une prononciation très soutenue, et surtout en vers, où le prolongement du son a pour but de faire encore distinguer, s’il est possible, les rimes masculines des rimes féminines. Ce n’est plus qu’un artifice de diction[131].{57}

2º L’E suivi d’une consonne articulée.

Ainsi l’e fermé français n’est jamais long, mais toujours moyen. Au contraire l’e ouvert peut être, suivant les cas, bref, moyen ou long. C’est ce que nous allons voir en étudiant l’e suivi d’une consonne articulée. Cet e, comme nous avons dit, est toujours plus ou moins ouvert[132]. Mais il est surtout beaucoup plus ouvert quand la voyelle est longue que quand elle est brève ou moyenne: ouvert et long sont ici proportionnels[133].

L’ordre adopté pour la voyelle a s’impose également pour l’e.

 

I. E bref.—Les finales brèves sont celles qui ont une explosive brusque, c, p, t, ou une spirante sourde, f, ch, s.

-ec (avec -ech non chuintant ou -eck) et -èque: bec, échec, varech, bifteck, chèque, pastèque[134].

-ep et -eppe: julep, steppe. Cèpe, qui n’a qu’un p devant l’e final, est resté plus long et plus ouvert{58} que steppe ou cep: nous retrouverons ailleurs cette différence entre la consonne simple et la consonne double[135].

-et et -ète ou -ette: net et nette, sept, diète et miette, cachète et cachette, complète et emplette, secrète et regrette[136].

Naguère encore la finale -ète était moins brève que -ette: il est bien difficile de saisir aujourd’hui une différence entre les mots qu’on vient de lire[137]. Vous êtes s’est lui-même fort abrégé, malgré l’accent circonflexe, surtout devant un mot, parce qu’il perd l’accent: vous êtes fou. En vers pourtant, la finale -ète reste souvent plus longue et plus ouverte, au moins pour rimer avec -ête, et cette ouverture se maintient parfois dans la diction soutenue pour certains mots, comme prophète et surtout poète[138]. Mais quand on dit dans le langage courant{59} les poètes français, il est bien certain que l’e de poète n’est pas plus ouvert que celui de muette.

Couette et bouette s’écrivent aussi coite et boite, et se prononcent ainsi. Quelques-uns prononcent encore foite et foiter pour fouette et fouetter, mais cette prononciation est désormais surannée, presque autant que celle de foi pour fouet: c’est toujours la réaction fâcheuse de l’orthographe sur la prononciation, mais on n’y peut rien[139].

-ef et -effe ou -èphe: f, relief, chef, greffe[140].

-èche: bobèche, sèche. Malgré l’accent circonflexe, pimbêche a aussi l’e bref. Pourtant il s’écrivait autrefois avec un s[141]; ainsi:

Haute et puissante dame Yolande Cudasne
Comtesse de Pimbesche, Orbesche, et cætera;

mais il faut croire que l’e s’est abrégé, ou bien cet sch venait de l’allemand, et équivalait au ch français: l’accent circonflexe ne serait donc pas justifié. En revanche on allonge quelquefois l’e dans crèche et brèche, en achevant de l’ouvrir[142].

-èce et -esse ou -esce, mais non -ès: la lettre s (écrite aussi esse), nièce et vieillesse, espèce et papesse, noblesse, allégresse, vesce, etc. Les verbes cesse et presse et leurs dérivés ont conservé généra{60}lement un e un peu plus long; les autres se sont abrégés[143].

Quant aux mots en -ès à s articulé, ils ont tous l’e long, comme les mots en -as, dans le même cas; mais, de même que les mots en -as, ils ne sont pas français: ils sont latins, comme palmarès ou facies, ou étrangers, comme londrès ou cortès[144]. L’e n’est bref ici que quand il est suivi de deux s, comme dans express et mess, et ces mots sont aussi étrangers.

Est-ce devrait être long, mais il ne l’est guère, même quand il est tonique: à qui est-ce diffère peu de acquiesce; à plus forte raison quand il ne l’est pas: est-ce à lui? D’autre part l’article pluriel composé archaïque ès (en les) avait autrefois l’s muet et l’e ouvert, comme dans la préposition dès; on prononce aujourd’hui l’s, mais l’e reste bref et n’est qu’à demi-ouvert: bachelier ès lettres. Ces deux mots rentrent donc dans la règle générale.

Pour ce qui est de pataquès, une anecdote bien connue, racontée par Domergue, le tire de la phrase je ne sais pas-t-à-qu’est-ce, pour je ne sais pas à qui{61} c’est[145]. A ce compte, il devrait avoir l’e bref; mais il a suivi l’analogie de tous les mots en ès[146].

 

II. E moyen.—L’e est un peu moins bref devant une explosive retardée, b, d, et g guttural, devant l, m et n, et devant les consonnes mouillées, ainsi que devant la spirante sonore j (ou g devant e et i).

-eb et -èbe: éphèbe, glèbe. On allonge quelquefois les monosyllabes glèbe et plèbe, mais ceci n’est pas d’un bon exemple[147].

-ed et -ède: z, remède, possède[148].

-eg et -ègue: bègue, grègues[149].

-el et -èle ou -elle: l, appel, appelle ou épèle, tel, telle ou attelle, martèle ou immortelle[150]. On voit{62} que la différence entre les formes verbales en -èle et -elle est une simple question d’orthographe, assez ridicule d’ailleurs et souvent douteuse[151].

Pourtant le monosyllabe hèle est généralement long; de même zèle et aussi stèle, qui garde la quantité grecque. Ces mots se prononcent comme ceux qui ont l’accent circonflexe[152].

En revanche, le substantif grêle, autrefois gresle, comme l’adjectif, s’est différencié de lui en s’abrégeant.

D’autre part le pronom elle s’allonge aussi quand il est tonique, mais seulement à la suite d’une préposition: bref ou moyen dans dit-elle, aussi bien que dans elle dit, il paraît long dans pour elle, sur elle, avec elle, etc. De même elle, à cause de la nécessité de distinguer les voyelles identiques, et quelquefois pelle.

Il y a la même différence entre moelle et poêle qu’entre belle et bêle, mais c’est oua qu’on entend, ouvert dans moelle (mwal) et dans ses dérivés, ainsi que dans moellon, fermé dans poêle (pwâl) et ses dérivés[153].

-em et -ème ou -emme: m, harem, sème, dilemme, centième.

Toutefois, dans beaucoup de mots en -ème, sur{63}tout des mots savants, la prononciation soutenue, un peu oratoire, fait l’e aussi long que dans les mots en -ême[154]. On ne perçoit guère de différence entre blême et emblème, carême et théorème, baptême et anathème. De même, en vers, on allonge généralement poème et diadème, surtout à la rime, sans parler de crème ou stratagème[155]. L’étymologie grecque, d’une part, la poésie et la rime d’autre part, et l’enseignement, qui insiste outre mesure sur l’accent grave, ont dû contribuer à amener cette confusion. Les seuls mots, ou à peu près, qui ne soient pas atteints, sont les adjectifs numéraux en -ième, où l’e reste toujours moyen, et surtout sème et ses composés, qui suivent l’analogie des verbes en -eler et -eter. On pense bien d’ailleurs que dans système métrique, l’e ne peut être que moyen, de même que dans les poèmes français[156].{64}

Quant à femme, il se prononçait autrefois fan-me, avec son nasal, comme flan-me. La syllabe s’est dénasalisée de la même manière que celle de flamme, puisque la prononciation était la même, et voilà pourquoi on prononce femme par un a, mais cet a est plus bref que celui de flamme[157].

-en et -ène ou -enne: n, cyclamen, ébène et benne, étrenne et gangrène[158]. Mais, ici aussi, sans doute pour les mêmes raisons que -ème, -ène se prononce très souvent comme -êne[159]. Par exemple on voit peu de différence entre rênes et arène, entre gêne et indigène[160]. Les seuls mots, ou à peu près, qui ne soient pas atteints, sont les formes verbales des verbes en -ener et même -éner, qui suivent aussi l’analogie des verbes en -eler et -eter: emmène, égrène, assène, etc., avec aliène, rassérène, réfrène[161]. Mais on allonge parfois jusqu’à ébène et gangrène, ce qui est excessif.

Couenne se prononce encore coine, mais est en voie de s’altérer[162].

-ègne, avec trois mots: duègne, règne et im{65}prègne, qui s’allongent quelquefois, mais sans nécessité[163].

-eil et -eille[164]: sommeil et sommeille, pareil et pareille, orteil et merveille, sans qu’il y ait aucune distinction entre les deux comme il y en a entre -ail et -aille[165].

On ferme encore l’e dans vieille, comme autrefois, au moins dans la conversation.

-ège: piège, collège, abrège, et aussi puissé-je et dussé-je, malgré l’accent aigu, qui se conserve par tradition, mais qui ne saurait empêcher l’e de s’ouvrir dans cette finale[166].

On notera en outre que l’e, en s’ouvrant dans la finale -ège, s’est en même temps abrégé, tandis que l’a s’allongeait dans la finale -age. La spirante sonore j se sépare donc ici de ses sœurs v et z[167].

 

III. E long.—Voici enfin les consonnes qui achèvent d’ouvrir et allongent tout à fait l’e qui les précède. Il n’y en a plus que trois: r, v et z.{66}

-er (avec ou sans consonne) et -ère ou -erre: r, fier, tiers et entière, fer, offert et enferre, clerc, nerfs, vénère et tonnerre. Il n’y a qu’une prononciation pour ver, vers, vert et verre; et, de même que pour la finale -ar ou -are, il n’y a aucune exception[168].

Cette prononciation de la finale -er, avec e ouvert et r sonore, est purement française (ou latine); elle n’est la même pour les mots étrangers en -er que quand ils sont francisés ou à peu près. Ainsi l’anglais placer, spencer, tender, porter, reporter, ulster, revolver, au besoin outsider et starter[169]; l’allemand thaler ou bitter[170]; le hollandais stathouder et polder; le danois geyser; le suédois eider, sans compter vétiver, qui vient du tamoul, et messer, qui vient de l’italien. Tous ces mots s’accommodent parfaitement de notre e ouvert, ou même n’en ont plus d’autres chez nous[171].{67}

Au contraire, beaucoup de mots anglais d’usage peu populaire conservent plutôt le son eur ouvert: canter, clipper, coroner, farmer, for ever, globe-trotter, highlander, over-coat et leader, cover-coat, porter, rally-paper, remember, schooner, settler, stepper, walkover, water. Cutter s’est francisé en cotre. Quaker et même bookmaker font entendre quelquefois la finale ècre[172]. Quant à fox-terrier, il est complètement francisé et identifié au français terrier: fox-terrieur est assez ridicule, même chez les personnes qui savent l’anglais.

-ève: fève, brève, grève, sève. On notera que les e de bref et de brève sont presque aux deux extrémités[173].

Toutefois les formes verbales, achève, lève, crève et grève, et leurs composés (et par conséquent les substantifs élève et relève), ont l’e plutôt moyen, suivant l’analogie des verbes de même forme: achète, gèle, sème ou égrène, et cela surtout quand ils perdent l’accent, comme dans relève-t-il[174].{68}

-èse, -ez et -èze: dièse, obèse, fez, mélèze et trapèze[175]. Toutefois les verbes pèse et empèse ont l’e moyen, comme lève et crève.

 

En résumé l’e reste bref, ou tout au plus moyen, devant quinze consonnes, sauf les exceptions, et s’allonge devant trois; et plus il est long, plus il s’ouvre.

3º L’E suivi des groupes à liquides.

Les groupes de deux consonnes que terminent des liquides sont encore moins abondants et sont aussi plus réguliers pour e que pour a.

 

Ceux dont la seconde consonne est un l sont quatre: -èble, -ècle, -èfle, -ègle (-èple n’existe pas), avec six mots en tout: hièble, siècle (et Thècle), nèfle et trèfle, espiègle et règle. Ces mots correspondent exactement, et appartiennent même, si l’on veut, aux finales en -eb, -ec, -ef et -eg, sauf que leur e est un peu moins bref; mais nulle part il n’est long[176].

Parmi les finales dont la seconde consonne est un r, les plus brèves sont -ècre, -èfre et -èpre: exècre et lèpre[177].

 

Les mots en -èbre, -èdre, -ègre, ont l’e moins bref: moins bref que -eb, -ed, -eg, moins bref aussi que -ècre, -èfre, -èpre, mais non pas long tout à fait{69} pour cela, sauf en vers, bien entendu, où les poètes se plaisent à prolonger la rime funèbres-ténèbres; mais je ne vois pas que, dans la conversation ordinaire, on prononce célèbre, algèbre ou vertèbre autrement que zèbre[178]. Cèdre s’allonge volontiers en poésie; mais en prose l’e de cèdre est aussi moyen que celui des mots géométriques en-èdre, dièdre, trièdre, etc.[179]. Enfin l’e est également moyen dans allègre, nègre, intègre et pègre (haute et basse).

 

Il ne reste plus dans cette catégorie que les finales en -ètre ou -ettre et en -èvre, les plus abondantes de toutes, et celles où l’e est le plus bref ou le plus long.

L’e est bref dans mettre et lettre et leurs composés; mais je ne vois pas que mètre se prononce autrement que mettre[180]; et les deux e de pénètre sont, si on le veut, presque identiques. Il faut bien allonger urètre quand Victor Hugo le fait rimer avec prêtre; mais en dehors des cas pareils, -ètre doit être tenu pour pareil à -ettre, de même que complète et emplette, épèle et appelle. La seule différence est la faculté qu’ont les mots en -ètre d’allonger leur finale en cas de besoin[181].

Quant aux mots en -èvre, en principe ils ont l’e long, comme les mots en -ève, mais moins sans doute que les mots en -èse. Et il y a des distinctions{70} à faire[182]: orfèvre et lèvre paraissent avoir l’e plus constamment ouvert que les autres; chèvre l’a beaucoup moins, et aussi sèvre, qui a l’e plutôt moyen, comme lève et crève; plèvre est douteux, et aussi les mots en -ièvre: fièvre, lièvre, mièvre et genièvre, du moins en prose, car en vers on tend à les ouvrir[183].

*
* *

Remarque.—Cette observation à propos des vers, déjà faite plusieurs fois, ne veut pas dire du tout qu’il faille en principe prononcer les mots autrement en vers qu’en prose. Et je veux bien qu’il y ait tout de même une prononciation oratoire ou poétique, qui ouvre les e un peu plus que ne fait l’usage courant. Mais c’est de la rime surtout qu’il faut tenir compte, car les poètes font volontiers rimer des mots dont la quantité n’est pas la même. Or il importe beaucoup de distinguer les cas.

Race et grâce, malgré la consonne d’appui, font une rime médiocre et que rien ne peut pallier, car les voyelles diffèrent à la fois de timbre et de quantité, et on ne peut ni allonger et fermer race, ni abréger et ouvrir grâce; de même trône et couronne, rime si fréquente chez Victor Hugo. Fleurette et arrête diffèrent déjà un peu moins; mais il est encore impossible d’identifier les sons, de même que ceux de mettre et mtre, et la rime reste médiocre.

Au contraire, les finales qui ont un accent grave sur l’e ont la faculté de s’ouvrir davantage pour se rapprocher de celles qui ont l’accent circonflexe. Or il n’y a pas assez de mots en -êche, -êle, -ême, -êne ou -être, pour que les poètes ne soient pas amenés à{71} les faire rimer avec des mots à accent grave. En ce cas, il faut bien faire quelque chose pour eux. On ne doit donc pas souligner fâcheusement des licences nécessaires, en accentuant la différence de prononciation, mais au contraire rapprocher l’è de l’ê, et en général l’e qui peut s’ouvrir davantage de l’e très ouvert, qui ne peut guère s’ouvrir moins. Par exemple, si le poète fait rimer crèche et prêche, cisèle et zèle, centième et Bohême, gangrène et frêne, pénètre et fenêtre, rimes excellentes d’ailleurs et peu discutables, ce serait le trahir que de ne pas ouvrir l’e partout aussi également que possible, comme il a probablement voulu qu’on l’ouvrît. Et si même il a fait une erreur, il faut pallier cette erreur quand on le peut.

 

Il résulte aussi de toutes nos observations que le degré d’ouverture de l’e est souvent discutable, et qu’on a le droit de différer d’opinion sur ce point. Il ne faut donc pas attacher à ce détail trop d’importance: on ne sera jamais ridicule parce qu’on l’ouvrira un peu plus ou un peu moins, et il y a des fautes beaucoup plus graves. La faute grave ici consiste à fermer des e qui sont certainement ouverts. On a pu voir que la tendance générale, due peut-être à la poésie, est de les ouvrir, et beaucoup sont ouverts qui jadis étaient fermés, comme ceux des mots en -ège. Or dans beaucoup d’endroits on continue à les fermer: on prononce collége, bonnét et même bônét, achéte et emméne; c’est là une prononciation dialectale, qui est tout à fait vicieuse.

4º L’E atone.

Nous savons déjà qu’en principe l’e atone est moyen dans tous les sens; du moins il n’est jamais complètement fermé, notamment devant un r. Et il{72} n’est pas plus fermé quand il a l’accent aigu que quand il est suivi de deux consonnes: révéler ou dégeler n’ont de vraiment fermé que l’e final, dont les autres diffèrent peu ou prou; il en est de même de desseller ou effré. Beaucoup de ces e ont été fermés autrefois, notamment tous ceux qui ont l’accent aigu, et particulièrement les préfixes é- et dé- (autrefois es- et des-): élèves, défaire; ils s’ouvrent aujourd’hui de plus en plus, au moins à demi, et plus qu’à demi[184]. Nous avons vu l’e fermé de rez s’ouvrir à moitié dans rez-de-chaussée, aussi bien que celui de pied dans piéton; et quoique l’e généralement fermé de mes, les, des, reste fermé aussi dans les composés, mesdames, lesquels, desquels, etc., il s’ouvre à demi dans messieurs, parce que les composants n’y sont plus reconnus. Inversement, celui de fièvre ou nègre se ferme légèrement dans fiévreux ou négresse.

Toutefois, de même que l’a tonique fermé restait souvent fermé en devenant prétonique par suite de la flexion, de la dérivation ou de la composition, de même l’e tonique ouvert et long reste souvent tel ou à peu près dans les mêmes conditions.

 

Ainsi l’e prétonique est ouvert et long d’abord quand il a l’accent circonflexe, mais naturellement un peu moins dans pêcher ou pêcherie que dans pêche, beaucoup moins même dans prêter, revêtir ou trtresse que dans prête, revête ou trtre.

Cette conservation de l’e ouvert est d’ailleurs combattue par la tendance que l’e prétonique paraît avoir à se fermer devant une tonique fermée: phénomène d’assimilation ou d’accommodation.{73} Ainsi l’e se ferme tout en restant long dans fêlure, bêtise, têtu et même entê, malgré l’e ouvert de fêle, bête, tête. Toutefois cette prononciation appartient presque uniquement à la langue courante et familière, et ne serait point admise par exemple en vers[185].

L’e prétonique est encore fermé, sans être proprement long, devant un e muet: (e)rie, gré(e)ment.

 

Beaucoup d’e prétoniques sans accent circonflexe restent aussi ouverts et longs un peu plus qu’à demi: zèle, pierreux ou empierrer, serrer ou serrure, terreau, terrer ou enterrer, verrée, brièvement, grièvement et les adverbes en -èrement rappellent d’assez près zèle, serre, terre, brève, etc. On y joindra perron, je verrai, j’enverrai, la bobinette cherra.

On notera que l’e des verbes en -érer, comme celui des verbes en -arer, est tout à fait moyen, ce qui met une assez grande distance entre libérer et libère, tolérer et tolère; cela tient sans doute à ce que l’e des formes toniques a dû être ouvert et allongé par l’r final, tandis que l’e atone gardait sa quantité normale.

Il en est de même de ferrer, ferrure, guerrier, verrière, et des mots où deux r se prononcent, comme terreur. Par analogie peut-être, des mots comme manié ou arrié ont pris aussi l’e moyen[186]; à for{74}tiori ferrailler, guerroyer, terrasser ou atterrissage, verroterie, etc., où l’e est plus éloigné de la tonique.

5º Quelques cas particuliers.

Fainéant se prononce fégnan dans le peuple; mais les personnes cultivées ont droit d’articuler fai-né-ant[187].

 

On a vu plus haut que l’e de femme se prononçait a, et pourquoi. Il en est de même de celui de solennel ou solennité, de rouennais et rouennerie, et des adverbes en -emment, comme fréquemment et ardemment, etc.: dans tous ces mots aussi, le son primitif an s’est dénasalisé en a et en même temps s’est abrégé[188].

Le même phénomène s’est produit dans bien d’autres mots, comme ennemi, passé de en-nemi nasal à a-nemi; mais a-nemi est devenu depuis e-nemi, à cause de l’orthographe. C’est ce qui s’est fait aussi, malgré les efforts désespérés des grammairiens, dans nenni et dans hennir ou hennissement, qui, après être passés de an à a, sont aussi passés de a à e[189].{75}

Dans indem-niser ou indem-nité, il en est de même, et la prononciation indamnité, qui n’est pas rare, sera bientôt aussi surannée que hanir: toujours l’influence de l’orthographe. Cette influence commence même à se faire sentir, non pas peut-être dans solennel, mais du moins dans solennité[190].

 

Il faut éviter avec soin de traiter l’é de dé comme un e muet: il est d’jà venu[191].

 

L’e intérieur latin, qui ne prend pas d’accent, est aussi généralement un e moyen, plus ou moins ouvert[192].

Il en est de même des diphtongues œ et æ: œsophage, œdème, œcuménique, œnophile, ærarium, ad vitam æternam, etc.[193]. Toutefois on ferme œ dans fœtus ou cœcum, æ dans ex æquo ou æquo animo.{76}

6º L’E des mots étrangers.

Dans les mots étrangers, l’e intérieur, aussi bien que l’e final, n’a pas d’accent aigu dans les cas où nous en mettrions un; mais il se prononce comme s’il l’avait, surtout s’il porte l’accent tonique. Ainsi l’e est à demi ouvert dans impresario ou mezzo, dans brasero, romancero, torero, et aussi dans event, revolver, remember; il est même fermé dans peseta; mais il est muet dans record, qui est complètement francisé, si bien qu’il ne se prononce même pas dans recordman, qui est manifestement étranger[194]. D’autre part, quand l’e intérieur est atone, il est souvent presque muet, surtout en allemand[195].

L’o germanique surmonté d’un tréma se prononce eu en allemand et aussi en suédois. L’œ, par lequel nous le représentons, faute de caractère typographique spécial[196], se francise quelquefois en é dans certains noms propres[197]. D’autres fois, mais rarement,{77} il se décompose en o-ë[198]. Mais le plus souvent il garde le son germanique eu, comme dans fœhn[199].

 

Dans beaucoup de mots étrangers, surtout allemands, l’e ne sert qu’à allonger l’i qui le précède, comme dans lied, mot savant qui a pu garder sa prononciation originale lîd[200].{78}

L’e double germanique n’est qu’un e fermé long[201].

L’e double anglais, final ou non, se prononce encore i, par exemple dans meeting, sleeping, queen, spleen, keepsake, yankee, pedigree, street, speech ou steeple[202]. Cet i est long; mais nous l’abrégeons souvent, notamment dans keepsake, parce que nous déplaçons l’accent[203].{79}

7º Les groupes AI (ay) et EI (ey).

Ai ou ei, ainsi que ay ou ey, se prononcent généralement comme è ouvert[204].

I. AI final.Ai final, sans consonne, était jadis fermé comme é. Il ne l’est plus guère aujourd’hui que dans j’ai, mais non pas dans ai-je, qui suit l’analogie des mots en -ège.

A Paris, on continue à fermer la finale dans geai, gai (avec gaie, gaiement, gaieté) et quai, au pluriel comme au singulier; mais cela n’est point indispensable: cela devient même dialectal[205]. D’ailleurs,{80} cette prononciation est probablement destinée à disparaître dans ces mots comme dans les autres. Mai prononcé est tout à fait suranné, et aussi incorrect que vrai prononcé vré[206]. Dans je sais, le son fermé, qui remonte sans doute à l’époque où l’on écrivait je sai, n’est guère meilleur aujourd’hui que dans mai[207]. Enfin les futurs, qui jadis se distinguaient des conditionnels (aimerai par é, aimerais par è), ne s’en distinguent plus aujourd’hui que par un effort volontaire, qu’il est inutile de s’imposer[208].

Même les mots anglais en -ay et -ey, qui se prononcent é en anglais, se francisent parfaitement, mais ne le font qu’en s’ouvrant: tramway, jockey, trolley, poney, jersey, comme boghei, transcrit de l’anglais buggy, et parfois écrit boghet ou boguet[209].{81}

Donc, d’une façon générale, ai final est devenu sensiblement identique à ais, qui est très ouvert, quoique le peuple le ferme souvent, à Paris et ailleurs; et l’on peut dire qu’en définitive ai est ouvert à peu près partout et se prononce è, qu’il y ait ou non une consonne, et quelle que soit la consonne, -aid, -ais, -ait, -aix, et aussi -aît; car les mots en -aît, comme les mots en -êt, ne se distinguent guère des autres, et connt ou part, comme benêt ou forêt, ne se prononcent pas autrement que bonnet ou cabaret.

Ainsi entre fais, parfait, portefaix, préfet, profès, il n’y a que des différences d’orthographe; de même entre essai, je sais, décès, français, forçait, corset, entre balai, palais, galet, égalait, legs, trolley, déplt: les mots de tous ces groupes riment parfaitement ensemble pour l’oreille, et même richement[210].

Comme les finales en ou -et, toutes ces finales sont également moyennes pour la quantité. La finale -aie ou -aies s’allonge un peu en vers, mais cette différence est insensible dans l’usage courant: est-ce vrai ou est-elle vraie ne se prononcent pas de deux manières, et le subjonctif j’aie ne diffère de j’ai que par{82} le timbre, c’est-à-dire par l’ouverture[211]. Il faut seulement éviter de changer -aie en -aye (ai-ye).

II. AI suivi d’une consonne articulée.—Suivis d’une consonne articulée, ai ou ei suivent naturellement le sort de l’e dans les cas correspondants, c’est-à-dire qu’étant toujours ouverts, ils peuvent être néanmoins plus ou moins brefs ou longs; mais ils sont quelquefois un peu plus longs que l’e.

1º Devant une sourde, c, t, ch ou s, il y a peu de différence. On ne prononce pas de deux manières échec et cheik, ni estafette et parfaite[212]; de même soubrette et distraite, sèche et seiche[213]; et la différence est mince, s’il y en a une, entre abbesse et bouillabaisse[214]; entre fesse et affaisse, peut-être même entre paresse et paraisse, avec serait-ce, ou encore était-ce et politesse[215].{83}

Toutefois les finales en -aisse, autrefois longues, ont encore une tendance à s’ouvrir plus que les autres: ai est resté certainement long dans baisse, caisse et graisse, et leurs composés; les autres, laisse, naisse, connaisse, paisse, épaisse, sont devenus douteux: notamment quand on dit caisse d’épargne, ou baisse de fonds, ou graisse d’oie, on ne se soucie guère d’allonger aisse[216].

 

Devant d et j, ai ou ei sont encore sensiblement pareils à è, et raide se prononce comme remède[217]; on ne distingue pas neige et beige de manège et arpège, ni fais-je et vais-je de solfège ou collège. Pourtant aide et plaide s’allongent assez facilement; sais-je aussi.

De même paye, raye, bégaye, grasseye riment très exactement avec oreille et Marseille[218]; baigne, daigne, saigne et châtaigne, aussi bien que peigne, empeigne, enseigne et teigne, et tous les subjonctifs en -aigne et -eigne, ne se distinguent pas davantage de duègne et règne, et s’allongent même moins facilement, sauf tout au plus baigne, daigne, saigne et peut-être craigne, dans la prononciation oratoire[219].

 

2º En revanche, le mot aile s’est allongé, comme elle après une préposition[220]. Le mot aime aussi, du{84} moins à la rime, mais non pas essaime. Et ces finales n’ont pas d’autres mots.

Les finales -aine et -eine sont au contraire très fréquentes, et celles-là, souvent brèves autrefois, sont aujourd’hui plutôt longues, comme celles de beaucoup de mots en -ène: prochaine rime très exactement avec chêne, comme avec chne et Duchesne[221]; de même reine et marraine avec rênes et sirène. Pourtant graine et migraine ont plutôt ai bref ou moyen, et aussi daine (féminin de daim), et bedaine, et peut-être naine[222].

Les finales -air et -aire, -aise et -eize sont longues à fortiori, sans exception, ainsi que le mot glaive[223]. Il n’y a qu’une prononciation pour r, air, ère, hère, erre, aire et haire, et lorsque grammaire avait encore le son nasal, il se confondait avec grand’mère, au moins à partir du XVIIᵉ siècle[224]. De même c’est l’identité de prononciation qui a fait transformer les{85} pantoufles de vair de Cendrillon, qui étaient des pantoufles de fourrure, en absurdes pantoufles de verre.

Il n’y a pas d’avantage de différence possible entre treize, fraise et diérèse, seize, française et diocèse[225].

Les mots faible, aigle et seigle, aigre, vinaigre et maigre ont également la finale longue, plus longue que les mots correspondants en -èble, -ègle et -ègre; toutefois cette quantité ne s’impose ni pour faible ni pour seigle.

Les mots en -aître ont tous l’accent circonflexe[226].

III. AI atone.Ai tonique long et ouvert garde assez facilement sa quantité, à peu près du moins, en devenant atone: frcheur, maigrir, aider, aimer, abaisser, laisser, fraisier, paisible, vous vous tairez, et tous les mots en -airie, rappellent suffisamment frche, maigre, aide, etc.; l’orthographe y aide beaucoup, l’r et l’s encore plus peut-être.

Mais les exceptions sont nombreuses. Dans affai, ai est aussi moyen que dans parfaitement. Même dans g, malgré l’accent circonflexe, ai est à peu près identique à l’e bref, à peine ouvert, de guetter[227]. Ici aussi on peut voir trois degrés différents pour la quantité, par exemple daigne, daigner et dédaigner.

De plus, ai prétonique, comme ê, a une tendance assez marquée à se fermer devant une tonique fermée, mais généralement sans s’abréger; ainsi dans aimer, ai, laisser, saigner, etc., et même dans plaisir, saisir, épaissir, ou dans aigu, laitue, rainure. Il n’y a lieu ni de lutter contre cette tendance, ni de se croire obligé{86} de s’y conformer; mais elle appartient plutôt à la conversation très familière[228].

Mais voici qui est plus particulier. Aujourd’hui encore, ai se réduit à un simple e muet dans les formes de faire et les mots dérivés où ai atone est suivi d’un s: nous faisons, je faisais, nous faisions, faisant, et aussi bienfaisant et malfaisant, faisable et faiseur, qui doivent se prononcer fesais, fesons, etc., en opposition avec bienfaiteur et malfaiteur, où ai est suivi d’un t.

C’est encore une des bizarreries de notre orthographe; nous écrivons bien je ferai au futur, comme nous prononçons, et non pas fairai, malgré l’identité constante d’orthographe entre le futur et l’infinitif; pourquoi pas aussi bien je fesais? C’est ce que faisait ou fesait Voltaire. Pourquoi l’Académie n’a-t-elle pas suivi son autorité, comme elle s’est décidée à le faire pour les mots en -ais, au lieu de -ois? La conséquence, c’est qu’on se met de plus en plus à prononcer faisais, faisons, et surtout bienfaisant et bienfaisance, comme on écrit, et il y a des chances pour que cette prononciation fautive finisse un jour par prévaloir.

Cette prononciation d’e pour ai a été longtemps aussi la seule correcte pour faisan, faisane, faisandeau, faisander; mais elle tend déjà à disparaître dans ces mots, en attendant qu’elle disparaisse dans les autres.{87}

Le groupe ouai s’est prononcé oi dans certains mots, comme le groupe oue: on disait doirière, comme on disait foiter; mais cette prononciation est aussi surannée aujourd’hui dans douairière que dans souhait et souhaiter, ou dans fouet[229].

IV. Le groupe AIGN.—Il en est du groupe aign comme du groupe oign, non pas partout, mais dans beaucoup de mots; il contenait à l’origine une voyelle simple, a, suivie d’un n mouillé, qui s’écrivait ign[230].

Ceux de ces mots qui ont perdu leur i, ga-(i)gner, monta-(i)gne, a-(i)gneau, compa-(i)gnon, ont sauvé leur prononciation; ceux qui ont gardé leur i, ara-igne, châta-igne se sont altérés, l’i s’étant joint indûment à l’a: arai-gnée, châtai-gne. Tous ces mots se prononcent depuis longtemps comme ils s’écrivent[231].{88}

V. Les mots étrangers.—Nous avons vu les finales anglaises -ay et -ey se prononcer en français comme e ouvert et non fermé; nous ouvrons aussi ai dans bar-maid, cock-tail, mail-coach, daily(-News) ou rocking-chair. Quelques-uns prononcent de même rail ou railway.

Au contraire, bairam se prononce bram (quelquefois béïram), faisant une seule syllabe, comme dans l’allemand kaiser. Mais scheik est francisé en chèc et non en chc. Vayvode a été remplacé par vvode[232].

Le groupe allemand ei est une diphtongue qui se prononce à peu près , monosyllabique. On le francise à moitié dans gneiss ou edelweiss, où l’on fait sonner tout au moins une semi-voyelle (eye au lieu de aye). Mais il importe d’articuler nettement et à l’allemande, c’est-à-dire ou aye, dans reichstag ou reichsrath, dans vergiss mein nicht, dans leit-motif, zollverein, etc.; et cela vaut mieux également pour edelweiss[233].{89}

Le mot geyser, qui devrait se prononcer comme kaiser (beaucoup, néanmoins, prononcent ka-i-ser, à l’allemande), est un des exemples les plus curieux de l’habitude que nous avons de franciser à demi; le g a gardé le son guttural et la diphtongue ey est restée diphtongue, mais en se francisant par e, et la finale a pris l’e ouvert et long qui est purement français: ghzèr[234].{90}

III.—LA VOYELLE EU.

Le groupe eu est depuis longtemps une voyelle simple, ouverte et fermée, dont le son se rapproche de celui qu’a l’e muet quand il n’est pas muet[235].

1º EU final.

Eu final est fermé partout comme é final, et de plus moyen comme toutes les voyelles finales. Il y a d’ailleurs peu de mots en -eu sans consonne à la suite; une dizaine de mots en -ieu: dieu, lieu, pieu, etc., et une douzaine d’autres en -eu: feu, jeu, etc., avec quelques mots en -eue, où l’e muet ne change rien: lieue, banlieue, queue et les féminins feue et bleue[236].

 

Avec une consonne non articulée à la suite, il y en a davantage et le son eu y est toujours fermé. Ce sont d’abord et surtout les adjectifs et substantifs en -eux, qui sont fort nombreux, sans compter les pluriels comme dieux et bleus[237]. Il y faut joindre les mots suivants:

1º Le mot nœud, qui devrait naturellement s’écrire et s’est longtemps écrit neu, tout simplement, comme nu.{91}

2º Les pluriels œu(fs) et bœu(fs), et aussi le singulier bœu(f), à Paris du moins, dans l’expression carnavalesque bœu(f) gras, où l’f final est muet devant une consonne, suivant la règle d’autrefois[238].

De plus et surtout, malgré l’affaiblissement de l’accent, l’adjectif numéral neuf devant un pluriel commençant par une consonne: les neu(f) muses, neu(f) cents, neu(f) mille, ainsi que dans neuf heures et neuf ans, où il y a seulement liaison, avec changement de l’f en v; toutefois, dans ces deux expressions, eu tend déjà à s’ouvrir[239].

Monsieur, comme messieurs, souvenir de l’époque où l’r avait cessé de se prononcer dans tous les mots en -eur[240].

4º Les formes verbales pleut, meux et meut, peux et peut, veux et veut. Cependant veux et veut tendent parfois à s’ouvrir.

2º EU suivi de consonnes articulées.

I. EU fermé.—Quand eu est suivi d’une consonne articulée, il est assez généralement ouvert; mais il est encore fermé dans certains cas, et alors il n’est plus moyen, mais long, notamment dans tous les mots en -euse, comme dans les mots en -ase: baigneuse, glaneuse, vareuse, etc.[241]. Ceci est très important, car c’est un des points sur lesquels les prononciations{92} dialectales sont le plus incorrectes, et l’incorrection est bien plus sensible dans -euse que dans -ase.

Outre les mots en -euse, eu tonique avec consonne articulée est encore long et fermé dans les mots suivants:

1º Les onomatopées beugle et meugle; on peut d’ailleurs ouvrir ces mots quand ils riment avec aveugle: cela vaut mieux que de fermer eu dans aveugle.

2º Le mot veule, auquel meule s’est ajouté depuis un siècle, malgré l’étymologie.

3º Le substantif jne, que la prononciation aussi bien que l’accent distingue de l’adjectif, jne ouvert étant tout à fait incorrect. Mais déjeune, qui n’a plus d’accent, est beaucoup moins fermé, et s’ouvre même un peu trop[242].

4º Les mots en -eute et -eutre, contrairement aux principes ordinaires: meute, bleute, etc., et feutre, calfeutre, neutre, pleutre.

5º Un certain nombre de mots savants ou techniques, à finales uniques ou rares: phaleuce, leude, neume et empyreume[243].{93}

II. EU ouvert.—Partout ailleurs eu tonique est ouvert, avec quelques différences de quantité.

Il est bref, ou tout au plus moyen, quand il est suivi d’une consonne autre que r et v, notamment dans les mots en -euf (sauf les exceptions indiquées plus haut): œuf, neuf, veuf[244]; dans les mots en -eul et -eule (sauf meule et veule): seul, filleul, gueule, veulent[245]; enfin dans l’adjectif jeune. Il n’est guère plus long dans peuple, meuble, esteuble, et même aveugle[246].

Les finales mouillées, -euil et -euille, sont un peu moins brèves: deuil et seuil, feuille et veuille. A cette catégorie appartiennent les mots en -cueil et -gueil, où la présence nécessaire d’un u à côté du c ou du g empêche d’en mettre un second après l’e: accueil, écueil, cercueil, orgueil, et aussi le mot œil, qui s’est longtemps écrit ueil[247].

Les consonnes qui allongent réellement eu ouvert sont seulement r et v, car nous avons vu que les finales en -euse étaient, de plus, fermées[248]. Il ne reste donc plus que les finales suivantes:

-eur (avec ou sans s ou t) et -eure ou -eurre: labeur et beurre, cœur et chœur, écœure et liqueur,{94} leurre, leur et leurs, sieur et plusieurs, pleurs et pleure, meurt et meurent, sœur, etc.[249].

Nous avons vu plus haut que monsieu(r) et messieu(rs) faisaient exception, et pourquoi. Cet amuissement de l’r s’est maintenu dans les équipages de chasse à courre, pour le mot piqueu(r), qu’on écrit même quelquefois piqueux; et dans certains milieux de sport aristocratique, ce serait un signe de roture indélébile que de prononcer piqueur comme le vulgaire[250].

-euve et surtout -euvre: fleuve et abreuve, œuvre et pieuvre[251].

Nous avons parlé plus haut des prononciations dialectales qui ouvraient eu partout, et notamment dans les finales en -euse. D’autres, au contraire, ferment eu partout, même dans -eur et -euve, et le défaut est tout aussi grave[252].

 

Remarque.—Il ne faut pas confondre le son eu avec l’u des mots comme gag(e)ure, où un e s’est intercalé dans l’orthographe, entre le g et l’u, pour garder au g le son chuintant du radical[253].

C’est également le son u, et non eu, qu’on a dans le participe (e)u, du verbe avoir, ainsi que dans le prétérit et l’imparfait du subjonctif, j’(e)us, que j’(e)usse: l’e conservé par ces formes faisait diphtongue autrefois dans beaucoup de verbes, comme receu, peu; mais il a disparu partout, depuis que la{95} diphtongue s’est réduite à u, et son maintien dans le seul verbe avoir est assez ridicule[254].

3º EU atone.

Eu tonique fermé, devenu atone par flexion ou dérivation, se maintient fermé et long dans la plupart des cas: beugler et beuglement, meulière, jner, creuser, bleuir et bleuter, deuxième, ameuter, feutrer et calfeutrer, neutralité, lieutenant, et les adverbes en -eusement.

Nous avons vu plus haut eu ouvert suivi d’f se fermer quand f se changeait en v par liaison: neuf ans, neuf heures. Nous retrouvons le même phénomène dans neuvième et neuvaine, où il tend aussi à s’affaiblir. Nous le retrouvons encore, et même plus nettement, dans hareng œu et terre-neuvas, malgré l’eu ouvert d’œuf et neuve[255].

Au contraire, bleuet abrège eu, qui même se réduit à u dans bluet. D’autre part, peu s’ouvre sensiblement dans à peu près, encore plus dans peut-être, étant abrégé par le voisinage de la tonique qui est longue. Il devient même si bref et si rapide, qu’il disparaît souvent complètement dans la conversation très familière, comme si c’était un e muet: p(eu)t-êt(re) qu’il est venu[256].

Eu atone est encore fermé en tête des mots, dans{96} eurythmie, où il est suivi d’un r, aussi bien que dans eunuque, euphémisme ou euphonie[257].

Eu est encore fermé dans jeudi, dans meunier, et parfois dans feuillage et feuillée, malgré l’ouverture de feuille; enfin dans des mots techniques ou savants, comme feudiste et feudataire, deutéronome, ichneumon, pneumonie, pseudonyme, teuton et teutonique, et les mots en-eutique et-eumatique[258].

Malgré ces exemples, on peut dire qu’en général eu atone est ouvert, notamment devant un r, mais naturellement plus bref, et par suite moins ouvert, dans abreuver que dans abreuve, dans heureux ou malheureux, fleurdelisé ou effeuiller que dans heur, fleur ou feuille; il reste pourtant ouvert et long, comme la tonique, dans la plupart des verbes en -eurer: beurrer, écœurer, désheurer, leurrer et pleu{97}rer, tandis qu’il est bref dans demeurer, fleurer, effleurer.

Signalons, pour terminer, une faute de prononciation qui ne date pas d’aujourd’hui, que des grammairiens même ont cru devoir autoriser: c’est celle qui consiste à prononcer eil au lieu de euil, à cause de l’orthographe, dans orgueilleux ou enorgueillir, qui, évidemment, ne sauraient se prononcer autrement qu’orgueil. Il est vrai qu’orgueil lui-même est parfois assez altéré; mais ceci est plus extraordinaire, et même assez ridicule. Tout de même, on est surpris d’entendre enorghé-yir jusqu’à la Comédie-Française.{98}

IV.—LA VOYELLE O

1º L’O final.

L’o final est fermé, comme é et eu, et moyen, comme a, é et eu: adagio, numéro, domino[259].

L’s non articulé ne saurait ouvrir l’o: chaos, repos, gros, des dominos. Nos et vos eux-mêmes, quoique proclitiques, et par suite dénués d’accent, restent fermés, et leurs o sont même plus longs que les autres.

 

Il n’en est pas tout à fait de même du t non articulé, quoique les mots en -ot se soient progressivement fermés: sans être assurément ni ouverts ni brefs, ils sont cependant un peu moins fermés en moyenne que les précédents. Je dis en moyenne, car il faut distinguer.

Ceux qui ont une voyelle devant l’o ont toujours l’o fermé, ou à peu près: cahot, idiot, chariot, et, par analogie, fayot, caillot, maillot. D’autres encore font comme eux: mégot, margot, sergot, livarot, paletot, pavot; mais c’est la minorité[260].{99}

La plupart des autres sont souvent beaucoup moins fermés, au moins hors de Paris. Le moins qu’on puisse dire est que leur prononciation est un peu flottante: ainsi jabot, calicot, cachot, fagot, gigot, grelot, mot, canot, pot, pierrot, dévot, et aussi bien leurs pluriels[261]. Sans doute, l’o de ces mots n’est jamais proprement ouvert chez les personnes qui prononcent correctement, mais il arrive souvent qu’il n’est pas fermé non plus, même chez ceux qui ont l’habitude de fermer l’o final. La différence est rendue particulièrement sensible par le voisinage immédiat de mots à son fermé:

Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,
En cuisine peut-être auraient été des sots.

Beaux est ici fermé, comme partout: quoiqu’il soit moins accentué que mots, ce qui aurait pu contribuer à l’ouvrir un peu, c’est pourtant lui qui est le plus fermé des deux. La différence est moindre assurément que dans beaux hommes; elle est cependant certaine, et la demi-ouverture de mots entraîne celle de sots[262]. Il se pourrait, d’ailleurs, que le mot mot fût précisément celui qui s’ouvre le plus fréquemment ou le plus facilement, sans qu’il y ait lieu de distinguer comme autrefois entre le singulier et le pluriel. Toutefois, celui-là même n’est jamais ouvert qu’à moitié.{100}

Il n’y a qu’un seul mot en -ot dont l’o soit tout à fait ouvert et bref, mais c’est parce que le t se prononce: c’est dot, la prononciation do étant dialectale.

Il va sans dire que cet o, même fermé, s’ouvre dans les composés, où il cesse d’être tonique, et où, très souvent, le t se lie avec le mot suivant: sot-l’y-laisse, mot-à-mot, pot-à-l’eau, pot-au-lait, pot-au-feu, pot-aux-roses, et même, sans liaison, pot à tabac.

 

Aux mots en -ot se joignent quelques autres mots à consonne non articulée, dont la finale n’est pas non plus tout à fait ou toujours fermée. Ce sont: broc, croc, avec accroc et raccroc, escroc, galop, sirop, et trop[263]. On notera que trop est presque toujours proclitique, et, par suite, a tendance à s’ouvrir tout à fait: c’est trop juste, ou mieux encore avec liaison: vous êtes trop aimable; aussi est-il bien difficile de ne pas l’ouvrir un peu, même quand il est tonique: j’en ai beaucoup trop. De même l’o est ouvert dans le composé croc-en-jambe, où le c sonne.

 

Malgré ces restrictions, on peut maintenir néanmoins que le son o final est, en général, fermé ou à peu près, surtout à Paris. Et la tendance est si marquée que, dans les mots raccourcis de la fin, qui se créent précisément à Paris, l’o intérieur, qui était au moins à demi ouvert dans le mot complet, se ferme en devenant final: on peut comparer kilogramme et kilo, typographe et typo. De même mélo, chromo, métro, photo, hecto, aristo, Méphisto, et même auto, malgré le son fermé qui précède l’o[264].{101}

2º L’O suivi d’une consonne articulée.

Quand l’o est suivi d’une consonne articulée, il est, comme eu, assez généralement ouvert; mais lui aussi est fermé dans certains cas et, de plus, long.

I. O fermé.—L’o est fermé et long, avant tout, dans tous les mots en -ose, comme eu dans la finale -euse: on peut comparer chose et fâcheuse, dose et hideuse, rose et peureuse; et, de même que pour -euse, c’est un des points sur lesquels il importe le plus de corriger certaines prononciations dialectales, qui ouvrent partout o et eu[265].

A part les mots en -ose, o tonique avec consonne articulée n’est plus fermé et long qu’avec l’accent circonflexe, et dans un certain nombre de mots en -ome, -one, -os et -osse, que nous allons voir dans leurs catégories respectives.

Partout ailleurs l’o tonique est ouvert, mais, comme a, e et eu, avec certaines différences de quantité[266].{102}

II. O ouvert bref.—L’o est naturellement bref devant une explosive brusque, c, t, p, ou une spirante sourde, f, ch, s: roc, coke, baroque, loch et même l(o)och, en une syllabe; dot, radote et carotte; stop, stoppe et métope; sous-off, étoffe et philosophe; roche; rosse et féroce[267].

 

Il n’y a d’exceptions que pour l’s.

D’abord l’o est long et fermé dans adosse et endosse (de dos), dans grosse et engrosse (de gros), dans fosse (on ne sait trop pourquoi), et aussi désosse (du pluriel os).

Mais surtout les mots en -os demandent un examen particulier. En principe, l’o y est ouvert et bref, mais il y a une tendance manifeste à le fermer et à l’allonger, peut-être par analogie avec les mots en -os à s non articulé. On dit, et on doit dire de préférence: un os, avec o ouvert et en faisant sonner l’s, des o(s), avec o fermé, comme do(s) et gro(s); toutefois, on dit de plus en plus des os avec o fermé et s articulé; et cette prononciation réagit parfois sur le singulier: un os, avec o fermé[268]. D’autre part, les avis sont partagés sur rhinocéros, mérinos, albatros, et même albinos; je pense qu’il vaut mieux fermer l’o dans ces quatre mots[269].{103}

A vrai dire, les mois en -os, dont le nombre s’est fort augmenté, sont empruntés au grec le plus souvent, et la plupart sont des noms propres. Ceux qui n’en sont pas, mots savants, comme pathos, tétanos, peplos, cosmos, ou sphynx atropos, devraient tous avoir l’o bref, en vertu de l’étymologie. Mais cette prononciation, qui est de pure érudition, est en contradiction avec la tendance du français pour les mots en -os. Dès lors, une foule de gens fort instruits, et même sachant du grec (il est vrai qu’ils le prononcent fort mal), ferment l’o sans hésitation, par exemple, dans ce vers de Molière:

On voit partout chez vous l’ithos et le pathos!

Il en est de même pour tétanos, et cette prononciation est peut-être destinée à l’emporter sur la bonne. Elle ne peut, d’ailleurs, choquer que les érudits[270].

III. O ouvert moyen.—L’o est un peu moins bref devant une sonore, soit explosive, b, d, g, soit surtout spirante, j, v (et même parfois z), et devant l, m, n,{104} et gn mouillé: ainsi snob et robe, pagode ou rapsode, grog et drogue; puis col, école, décolle, et même alc(o)ol, réduit à deux syllabes[271]; homme et métronome; micron, matrone et patronne; enfin, horloge, innove et ivrogne[272].

Seules les finales -ome, -one et -oz appellent quelques observations.

1º Autrefois on distinguait les finales -omme et -ome: les mots en -omme, mots de la langue commune, qui sont bien huit ou dix, avaient seuls l’o ouvert[273]; les mots en -ome, mots savants, avaient au contraire l’o fermé, au moins à partir du XVIIᵉ siècle. Cette prononciation était justifiée dans beaucoup de cas par l’étymologie, notamment dans symptôme et diplôme, qui ont pris l’accent; dans idiome et axiome, qui ne l’ont pas pris, et aussi dans brome, chrome, amome, gnome et arome. Est-ce par analogie que tant d’autres suivirent? Toujours est-il que prodrome et hip{105}podrome, tome, atome ou épitome (remplacé depuis par épitomé), nome, économe, et même astronome, et aussi majordome, n’avaient aucune raison de fermer leur o[274]. Ils le fermèrent pourtant, sans doute en qualité de mots savants. Que dis-je? On en vit deux, à o également bref d’origine, qui allèrent jusqu’à prendre l’accent circonflexe: dôme et monôme, avec binôme et polynôme[275]. Ceux-là sont altérés pour longtemps par l’orthographe. Pour les autres, on est revenu en arrière, mais on y a mis le temps, et il en reste encore quelque chose.

Quoiqu’il n’y ait plus guère de divergence sur la prononciation de métronome, astronome, autonome, qui ont certainement l’o ouvert, on trouverait sans peine des vieillards qui ferment encore l’o dans économe; et l’on hésite souvent sur les autres[276]. La tendance à ouvrir est cependant très marquée; et même on voit se produire depuis une génération le phénomène inverse: on avait fermé des o légitimement ouverts; on a ouvert des o légitimement fermés. Amome, ou du moins cinnamome, ne se dit plus guère avec o fermé[277]; gnome et arome ouvrent leur o de plus en plus souvent, et polychrome en{106}core davantage. Je ne vois guère, sans accent circonflexe, que idiome et axiome qui résistent avec succès; et encore ils sont certainement touchés[278].

2º C’est une observation toute pareille qu’on peut faire sur les mots en -one, mots savants ou noms propres, qui autrefois avaient l’o long et fermé, par opposition aux mots en -onne, mots de la langue vulgaire, qui l’avaient bref et ouvert. Ici aussi, l’o fermé pouvait se comprendre dans des mots comme carbone, aphone, polygone, anémone, matrone, mots savants où se conservait la quantité étymologique[279]; ou encore dans automne, autrefois nasal, comme damne; il ne s’expliquait ni dans madone ou belladone, de l’italien donna, ni, et moins encore, dans atone ou autochtone, et pas davantage dans prône et trône, qui ont imité dôme et monôme[280]. Aujourd’hui, à part les mots que l’orthographe a altérés, prône et trône, cette prononciation a disparu à peu près, par assimilation de -one à -onne: sans parler d’anémone et matrone, qu’on ne discute pas, atone ne saurait garder l’o fermé à côté de monotone, ni aphone à côté de téléphone ou saxophone. Carbone et les termes mathématiques de la famille de polygone résistent encore, mais pas pour longtemps[281]. Je ne vois plus avec o long fermé d’une façon assez{107} générale que zone et amazone, cyclone et icone; encore ces mots sont-ils atteints, surtout amazone[282].

3º Pour ce qui est de l’s doux, nous avons vu plus haut que les mots en -ose avaient l’o fermé. Comme il n’y a pas de finale féminine en -oze, il ne reste que les mots en -oz, sur lesquels l’accord n’est pas parfait; mais cette finale appartient exclusivement aux noms propres[283].{108}

IV. O ouvert long.—De même que a, e et eu devant r, l’o est allongé dans -or (avec ou sans seconde consonne non articulée) et dans -ore (ou -orre), tout en restant très ouvert sans exception: or et hors, abord et abhorre, cor, corps, recors, accord, encor et encore, porc, port et pore, tord, tords, tort, retors, store et mentor, ne se prononcent pas de deux manières[284].

3º L’O suivi de groupes à liquides.

Dans les groupes à liquides, l’o est également ouvert. Il est plus ou moins bref ou moyen dans les finales en -ocle et -ocre, -ople et -opre, -otre, -ofle et -ofre, où l’o est suivi d’une sourde: socle et médiocre, sinople et propre, notre et votre, girofle et coffre[285]; il est un peu plus long dans les finales en -oble, -obre et -ogre: noble, sobre, ogre[286].

4º L’O atone.

L’o atone est exactement dans le même cas que l’a: tandis que l’o tonique peut être long en restant ouvert, l’o atone ne peut être long qu’autant qu’il est fermé, et ce n’est pas très fréquent. Ainsi l’o de dore ou dévore, n’étant pas fermé, s’abrège dans dorer ou dévorer.{109}

L’o reste long pourtant, d’abord quand il conserve sur la prétonique l’accent circonflexe de la tonique: enjôler, enrôler (ou enrôlement), frôler, chômer, prôner, trôner, aumônier, ôter, cô, hôtel, prévô, rappellent sensiblement geôle, rôle, prône, trône, etc., quoique l’accent circonflexe ne soit pas toujours justifié[287].

La prononciation de coteau, dérivé de côte, comme côté, a quelque chose d’irrégulier, car l’o de ce mot est tout à fait bref et ouvert; aussi a-t-il perdu son accent. Il est vrai que beaucoup de gens ouvrent aussi celui de cô (cf. accoter); et même il est assez rare qu’on maintienne fermé celui de côtelette, qui n’a pourtant que deux syllabes pour l’oreille.

A plus forte raison, quand l’accent circonflexe est plus éloigné, l’o reste difficilement fermé: il peut l’être dans fantômatique, qui est savant, et d’ailleurs fort peu usité, et aussi dans Hôtel-Dieu, car hôtel ne peut y changer de nature; mais l’accent d’hôpital, qui est le même mot qu’hôtel, ne sert plus absolument à rien[288].

On ouvre aussi assez généralement l’o de rôtir et de ses dérivés.

 

Même sans accent circonflexe, l’o reste ordinairement fermé et long dans ossements ou désosser[289];{110} dans dossier, adosser, endosser; dans grosseur, grossir ou grossier; dans fossé[290].

L’o est surtout fermé devant s doux ou z: oseille, groseille, osier, gosier, égosille, rosier, rosée, arrosoir, explosif, corrosif, et tous les verbes en -oser, avec les substantifs en -osion et même -osité, comme arroser, érosion ou générosité[291]. Il est moins fermé dans les mots en -osition, notamment dans préposition. Il est naturellement plus ouvert dans hosanna, mosaïque et prosaïque, et tous les mots qui commencent par pros-, ou même plus généralement par pro-.

L’o prétonique est encore fermé dans momier, momerie et momie, et dans les mots en -otion: lotion, émotion, notion, potion, dévotion[292]. Il est encore à peu près fermé, mais avec tendance à s’ouvrir, dans obus et odeur, et il s’ouvre naturellement dans leurs dérivés, qui sont polysyllabiques. Il est douteux et plutôt ouvert dans toper, dans vomir et ses dérivés, dans à l’orée, dans motus.

 

Malgré l’étymologie, l’o est tout à fait ouvert et bref dans disponible et poney[293]; de même dans{111} moteur et motrice; il l’est surtout dans les verbes en -orer, et dans les dérivés des mots en -ot, suivant l’analogie des mots en -ote: cahoter, saboter, tricoter, flotter, voter ou votif, et même numéroter; de même abricotier ou idiotisme, tout comme escroquer ou galoper; et encore, peut-être par analogie, malotru ou otage.

Beaucoup de Parisiens ferment l’o dans ovale, mais ceci est purement dialectal, car o est ouvert partout devant v, comme devant r (à part alcôve, bien entendu).

 

Le souvenir de la quantité latine fera fermer correctement l’o dans variorum ou quorum (en opposition avec décorum ou forum, dont l’o est ouvert et bref); de même dans olim, dans ex voto ou ab ovo, dans le premier o de pro domo, qui est un o final; mais il est ouvert dans factotum et toton, dans soliste, et souvent même dans solo, dans quiproquo, oratorio et sanatorium, et naturellement les polysyllabes qui commencent par dodéca[294].

 

Remarque.—Par un phénomène d’assimilation que nous avons déjà constaté pour e ou ai, qui se fermaient devant une tonique fermée, la répétition de la même syllabe fait que l’o prétonique est presque aussi fermé que l’o tonique dans bobo, coco, ro{112}coco, dodo, gogo et lolo. Même le premier o de rococo, qui est le même que l’o ouvert de rocaille, tend à se fermer comme les deux autres. Ces mots étant uniquement du style familier, il n’y a pas lieu de réagir ici[295].

Devant une voyelle aussi, l’o tend à se fermer à demi: co-alition, co-habiter, co-efficient, bo-a, clo-aque, oa-sis, poème, assourdiraient leur syllabe initiale, si l’on ne veillait à la distinguer de la suivante; et cette tendance, livrée à elle-même, irait jusqu’à changer o en ou consonne, ainsi que cela s’est fait plus d’une fois, notamment dans moelle[296]. On fera bien d’y résister et d’ouvrir l’o. De plus, on doit prononcer les deux o séparément et ouverts dans quelques mots savants où on les trouve: co-opération, épizo-otie, zo-ologie, etc.[297].

5º L’O de quelques mots étrangers.

L’o est fermé dans l’anglais home, at home, et l’allemand kronprinz (sans nasale), mais l’r l’a ouvert dans folk lore; il est assourdi en ou dans time is money, ou to be or not to be[298].

L’o double anglais se prononce ou dans coolie, qu’on écrivait jadis couli, fort justement; dans book,{113} arrow-root, foot-ball, groom, sloop, schooner, snowboot, waterproof[299].

L’o double flamand n’est qu’un o long, comme dans vooruit[300].

6º Le groupe AU.

Le groupe au (ou eau) se prononce généralement comme o fermé[301].

I. AU tonique.Au final est pareil à o final: radeau, landau ou eldorado, panneau et piano, marteau et in-quarto ne se prononcent pas de deux manières.

Il en est de même quand il y a une consonne non articulée: faux, défaut, échafaud, avec cette différence que -aut (ou -aud) est un peu plus long et surtout plus fermé que -ot[302].

Devant une consonne articulée, tandis que les groupes oi ou ai sont toujours ou presque toujours ouverts, et souvent brefs, comme a ou e,{114} au contraire le groupe au est régulièrement et très également fermé et long comme ô: aube, débauche, émeraude, chauffe, gaufre, sauge, saule, baume, faune, taupe, rauque, cause, fausse et sauce, faute et pauvre.

On ouvre quelquefois sauf, qui devient bref, surtout employé comme préposition, et aussi holocauste, en vertu du principe général des deux consonnes[303].

Mais l’exception capitale, c’est la finale -aur ou -aure: au y est toujours long, plus long que jamais, mais il y est ouvert autant et plus que fermé, car c’est le propre de l’r d’ouvrir les voyelles.

Ainsi au est ouvert d’abord dans saur, qui est pour sor (comme Paul pour Pol), et dans taure, qui est aussi pour tore (comme taureau est pour toreau), car au n’est dans ces mots que par réaction étymologique[304].

Et partout le groupe latin aur serait devenu or si on l’avait laissé faire, ce qui veut dire aussi que partout aur se prononcerait or ouvert, si l’érudition ne maintenait parfois le son o fermé. Ainsi l’usage le plus ordinaire ouvre la finale de centaure et Mi{115}notaure, proches parents de taure, et que les érudits seuls continuent à fermer, et plus encore celle de restaure, sur qui l’érudition n’a pas de prise. La finale -aure s’ouvre même dans des termes techniques, comme ichtyosaure ou plésiosaure[305].

II. AU atone.Au atone est généralement fermé aussi, surtout quand il est prétonique, sauf devant un r: aubépine, auberge, audace, autel, etc., cauchois, caution, clabauder, chauffer, chausser, faussaire, mauviette, peaussier, etc., et les finales en -auté: cruau, loyau. Il est fermé même dans saurien, tauromachie et centaurée, malgré l’r, parce que ce sont des mots savants, et aussi dans vaurien, où le verbe primitif se reconnaît toujours.

 

Mais les exceptions sont fort nombreuses.

Au atone est ouvert d’abord devant un r, dans taureau, comme on vient de voir, et sauret; généralement aussi dans les futurs et conditionnels d’avoir et savoir[306]; dans aurore, auréole, aurifère ou aurifier[307]; et tout au plus est-il douteux dans laurier (pour lorier), lauréat, lauréole.{116}

En second lieu il tend naturellement à s’ouvrir devant deux consonnes, non seulement dans augment et augmenter, où le phénomène est général, mais souvent aussi dans des mots comme ausculter ou auxiliaire, où il s’impose beaucoup moins, et même dans des mots où il est prétonique: auspice, austère, austral, cauch(e)mar ou encaustique.

Il s’est même ouvert sensiblement aussi devant une seule consonne, dans autoriser et autorité (mais non dans auteur), et surtout dans mauvais, sans parler de rigaudon, qui s’écrit aussi rigodon. D’une façon générale, il tend à s’ouvrir dans quelques mots très usités, d’abord dans les polysyllabes, authentique, automate, autonome, autopsie, cautériser, et aussi dans aumône, où il se distingue ainsi de l’ô qui suit, dans auguste, automne, épaulette (malgré épaule), paupière, ou même naufrage. Toutefois on prononce encore la plupart de ces mots plus correctement en fermant au, aussi bien que dans aujourd’hui, où il est tout à fait incorrect de l’ouvrir[308].

La diphtongue allemande au se prononce comme o fermé quand elle se francise: blockaus[309].{117}

V.—LES VOYELLES I (y), U, OU.

Les voyelles i, u, ou, étant fermées par définition, ne se prononcent pas de deux manières. Les instruments délicats de la phonétique expérimentale constatent bien une petite différence de timbre, mais encore n’est-ce guère qu’entre les voyelles atones et les toniques, celles-ci étant un peu plus fermées[310].

Au point de vue de la quantité, nous ferons les mêmes distinctions que pour les autres voyelles.

1º La voyelle I.

L’i final est moyen, seul ou avec consonne non articulée, avec ou sans accent: hardi, crédit, rendit ou rendît, radis, outil, crucifix, riz, jury, Jésus-Christ ont la finale identique. Pis, adverbe, est un peu plus long. D’autre part, dans ui final, la brièveté du premier élément paraît allonger le second: appui, minuit, muid[311].

Parmi les voyelles finales qui peuvent être suivies de l’e muet, l’i se distingue particulièrement, au moins en vers, parce que là ie devient facilement i-ye, et se trouve, par suite, singulièrement allongé:

Adieu: je vais traîner une mourante vi-ye,
Tant que par ta poursuite elle me soit ravi-ye[312].
{118}

Mais il y a quelque affectation à prononcer ainsi: il faut laisser cela aux chanteurs. En tout cas, on ne le fait jamais dans l’usage courant, où il est difficile de distinguer par exemple: elle est partie ce matin, de il est parti ce matin, ou mon amie est venue de mon ami est venu. On maintient sans doute une légère différence quand on rapproche un masculin d’un féminin: un ami, une amie, et ce n’est pas grand’chose[313].

Devant la plupart des consonnes articulées, l’i est bref ou moyen: trafic et trafique, pipe, huit, profite et fîtes; riche, captif et calife; vice, visse et vis[314]; diatribe, aride et fatigue; habile, anime, fîmes et cabine. Il est plus long devant g et n mouillé: vertige et indigne; plus encore devant r, s doux et v: rire, mourir, finirent, merise et arrive. Mais surtout, contrairement aux cas des autres voyelles, la finale mouillée -ille, autrefois brève, quand on connaissait l’l mouillé, est devenue longue, depuis qu’on la prononce i-ye.

Même gradation de quantité dans cycle, disciple, gifle, litre et chiffre; libre, hydre, tigre et vivre.

Huile a encore l’i un peu plus long qu’habile, peut-être à cause du groupe ui; mais l’accent circonflexe ne sert plus à rien, non seulement dans les prétérits, fîmes ou fîtes, pareils à tous les prétérits, mais aussi bien dans île, huître, épître et bélître, et souvent même dans dîne. La prononciation oratoire ou poétique appuie également sur abîme et sublime: on voit que l’accent circonflexe n’y est pour rien. On appuie de même sur fils en poésie, et sur bis, mais seulement quand on applaudit.

 

L’i atone est rarement long; tout au plus est-il moins bref quand il est suivi d’un s doux, comme{119} dans les verbes en -iser. Pourtant l’i long de pire se conserve exceptionnellement dans empirer, contrairement à l’usage des verbes en -rer, qui ont presque tous la prétonique brève, comme admirer.

L’i est également long dans les verbes en -i-er, à l’imparfait et au subjonctif présents, devant les finales -ions et -iez: pri-ions, pri-iez; c’est la seule manière de distinguer ces formes de celles de l’indicatif présent. En fait, on prononce presque priy-yons; mais le nombre des syllabes n’est pas augmenté pour cela[315].

 

L’i final avec tréma fait une syllabe à part en français: ha-ï, oue; mais, dans certains mots étrangers, comme le japonais banzaï ou samouraï, il vaut mieux considérer ou comme des diphtongues, où le tréma sert uniquement à empêcher de prononcer ai (è) ou oi (wa) à la française, sans pour cela séparer l’i[316].{120}

2º L’I dans les mots étrangers.

L’i anglais se prononce i dans gin, miss et mistress (missess), dans clipper, pickles (ess) et cricket, dans gipsy, whisky et whig, dans bridge, dans les mots en -ing, etc. D’autre part, on francise encore assez généralement esquire (ki) et rifle, et surtout outsider. Enfin, beaucoup de personnes prononcent encore flirt par i, aussi bien que par eu ouvert, d’autant plus que de flirt nous avons fait flirter: toutefois, la diffusion progressive de l’anglais tend à faire prévaloir fleurte et même fleurter, ce qui est presque aussi absurde qu’interviouver[317].

Mais il y a beaucoup d’autres mots qui ne sauraient être francisés, et on doit se résoudre à donner à l’i de ces mots un son intermédiaire entre (ou aye) et , notamment dans all ri(gh)t (olraït en deux syllabes), ri(gh)t man at the ri(gh)t place (atzéraïtplèce), hi(gh)life ou hi(gh)lander, times (taïms) et time is money, ou five o’clock[318]. Pourtant rien n’empêche un fantaisiste de s’amuser à faire rimer high life (iglife) avec hiéroglyphe. On peut même se demander si, avec toutes les Chapelleries, Draperies ou Épiceries du high life qu’on trouve partout maintenant, l’obligation d’employer ce mot, imposée à tant de gens qui ne savent pas l’anglais, n’arrivera pas à le franciser tel quel à bref délai.

 

L’y final, ou intérieur, devant une consonne, n’existe plus en français que dans des noms propres,{121} et naturellement se prononce i. L’y final anglais se prononce i ou e; mais beaucoup de mots en y sont suffisamment francisés pour que ceux qui ne savent pas l’anglais puissent prononcer un i indifféremment et sans scrupule dans brandy, lady, penny, nursery, tilbury, dandy, whisky, tory, gipsy, derby, gentry, garden-party, et clergyman; on prononcera de préférence dans dry farming, et cross-country se prononce keuntré[319].

3º U et OU.

Il est inutile de répéter littéralement pour u et ou ce que nous avons dit pour i.

Ils sont également moyens dans fus, fut, reflux et touffu, dans j’eus, il eut, dans mou, moud, mout, remous, joug, loup et caoutchouc[320].

Brefs ou moyens devant la plupart des consonnes finales articulées, ils sont longs, comme toutes les voyelles, devant r: jour, bravoure, obscur, blessure[321]; devant s doux: épouse, douze, ruse; devant v: louve, étuve, découvre, sauf pourtant les verbes prouve et trouve, qui paraissent plus brefs.{122}

Devant s dur, u et ou ne s’allongent pas, sauf dans le mot tous, quand il est tonique, en opposition avec tou(s) atone, qui est très bref: tous les hommes, il tousse, pour tous, font trois degrés très distincts[322].

Un certain nombre de mots en -ouille ont aussi généralement la finale longue: fouille, rouille, brouille, souille; on y joint quelquefois houille et dépouille[323].

On allonge aussi ordinairement roule et crte; quelquefois rouge et bouge, du moins en poésie.

L’accent circonflexe se fait encore un peu sentir dans brûle et affûte, beaucoup moins dans flûte, quelquefois dans cte, gte, crte, vte et sle, au moins quand ils ne sont pas liés au mot qui suit, car cela cte cher n’a pas toujours le même son que cela me cte[324].

La voyelle prétonique reste à peu près longue dans les verbes qui ont l’accent circonflexe, comme brûler, mûrir ou cter; exceptionnellement aussi dans deux ou trois verbes en -rer: murer, bourrer, fourrer, lourer. Elle est flottante, mais plutôt longue que brève, dans fouiller, rouiller, brouiller, souiller, avec brouillard et quelquefois brouillon, mais non souillon; dans rouiller, rouler, roulure et crouler, et dans la plupart des verbes en -user et -ouser; voire même dans pourrir et les mots en -urie[325].{123}

L’u ne s’entend pas dans l’interjection ch(u)t, où le ch est ordinairement prolongé; chut est donc une orthographe conventionnelle, qui a paru nécessaire pour désigner l’interjection, quand on en fait mention dans une phrase: on entendit plusieurs chut, et aussi pour la rime. On en a fait d’ailleurs le verbe chuter, dont l’u se prononce toujours[326].

 

L’u se prononce o, ouvert et bref, dans la finale latine -um, suivant la manière française de prononcer le latin, et cela, même dans les mots complètement francisés, comme album, forum, post-scriptum, géranium, etc.; et aussi barnum[327].

On prononce l’u de la même manière à l’intérieur de certains mots composés, d’origine latine, comme triumvirat ou circumnavigation[328].{124}

L’u se prononce encore en o dans rhum et rhummerie.

Dans parfum seul, la finale est restée nasale[329].

4º L’U dans les mots étrangers.

L’u se prononce ou dans les groupes -gua- et -qua-, surtout dans les mots d’origine étrangère: nous en parlerons aux lettres G et Q.

D’ailleurs l’u se prononce ou presque partout ailleurs qu’en français[330]. Mais, à part la finale -um, nous le francisons infailliblement en u dans tous les mots étrangers que nous adoptons. Ainsi dans uhlan, où l’u non seulement se prononce u, mais est devenu bref; de même dans trabuco. On peut hésiter pour certains mots, comme négus, qu’on prononce par u et ou, ou bulbul, qu’on prononce plutôt par u; comme puff, dont nous avons fait puffisme et puffiste, alors que nous avions déjà pouff.

Il vaut mieux prononcer ou dans les mots qui ne sont pas certainement francisés, comme l’italien jettatura, furia francese, e pur si m(u)ove, et les termes de musique opera buffa, risoluto, ritenuto, sostenuto, un poco piu, tutti[331]. De même l’espagnol cuadrilla, chulo, fueros, muleta, ayuntamiento et pronunciamiento; l’allemand burg, kulturkampf et landsturm;{125} l’anglais home rule, bull full (au poker), homespun, plumcake. Mais on prononcera: bleu dans blu (e) book et pleum-poudding (plum-pudding)[332].

 

Quoique l’u anglais se prononce quelquefois ou, il se prononce plus souvent comme eu ouvert: c’est le cas, par exemple, dans club, tub, stud{126}book, rush et struggle for life[333]. Toutefois club était déjà francisé sous la Révolution, et, en histoire, on prononce plutôt club, cleub étant réservé aux cercles plus ou moins aristocratiques qui trouvent ce mot plus élégant que cercle. D’autre part, on le prononce sensiblement comme un o au poker, dans flush et bluff, d’où le verbe bluffer. L’u de gulf-stream se francise aussi en o, sous l’influence de golfe, dont il vient. Enfin budget et tunnel sont francisés complètement depuis longtemps; turf l’est sans difficulté, ainsi que ulster, tilbury, humour, gutta-percha, nurse et nursery; trust lui-même est en voie de l’être.

Ou anglais se prononce aou dans boarding-hous(e) ou clearing-hous(e); mais on se contente généralement de ou, sinon dans stout, au moins dans outlaw et outsider. Il se prononce o dans four in hand.{127}

VI.—LES VOYELLES NASALES

1º Comment se prononcent et s’écrivent les voyelles nasales.

Quand la consonne n (ou m) est entre deux voyelles, elle se groupe naturellement avec la voyelle qui suit, et celle qui précède reste pure. Mais quand elle s’est trouvée placée dans les mots français à la suite d’une voyelle, devant une consonne autre que m ou n, ou à la fin d’un mot, la voyelle s’est d’abord nasalisée, puis l’n (ou l’m) a peu à peu cessé de se faire entendre (sauf dans le Midi). Il s’est maintenu toutefois dans l’orthographe, comme signe de la nasalisation de la voyelle qui précède: ange, chambre, pin. Ainsi il n’y a plus que trois sons dans enfant, qui en avait six autrefois.

Cette conservation de l’n comme signe orthographique n’est pas sans inconvénient, car on ne sait pas toujours dans quels cas l’n est une consonne, ou un simple signe de nasalisation.

Pas plus que les voyelles fermées, les voyelles nasales ne peuvent se prononcer de deux manières. Une seule différence est à faire, pour la quantité. Quand elles sont finales, elles sont moyennes, comme toutes les autres voyelles: roman, chemin, mouton, aucun; quand elles sont suivies d’une consonne articulée, elles s’allongent très sensiblement, surtout si elles sont toniques: romance, bon-sens, mince, tondre, emprunte; quand elles sont atones, elles sont moins longues: on peut comparer rang, range, et ranger, qui est entre les deux; de même long, longue et longer.{128}

Il y a en français quatre nasales, c’est-à-dire quatre sons distincts qui ne sauraient se confondre; mais un même son nasal peut s’écrire de plusieurs façons. Outre que en se prononce tantôt an, tantôt in, que ain et ein ont le même son que in, il faut ajouter à cela la différence de l’m et de l’n; et si l’on tient compte, en outre, des consonnes non articulées, on obtient pour chacun des quatre sons un très grand nombre de graphies, que l’orthographe a conservées, à propos ou hors de propos.

Pour la voyelle an, voici d’abord roman, amant, flamand, camp, franc, rang, et naturellement leurs pluriels; puis Rouen, différent, différend, hareng, et leurs pluriels; de plus ambition, emmener, temps, exempt ou exempte, sans compter Jean, Caen, Laon, hanter et Henri, ce qui fait bien trente manières d’écrire le seul et unique son an.

Il n’y en a pas moins pour la voyelle in: voici d’abord vin, vins, prévint, vingt, et quatre-vingts, instinct, et même cinq, dans cinq sous; puis sain, saint, sein, seing, essaim, et leurs pluriels, feint, thym, avec vainc et vaincs; de plus, examen, viens et vient; sans compter limpide, syntaxe et Reims; et j’en passe peut-être. Et encore faut-il considérer à part soin ou marsouin, point, poing, et leurs pluriels.

La voyelle on se trouve à son tour dans chiffon, profond, affront, jonc, long, nom, plomb, prompt, et leurs pluriels, et dans romps, sans compter punch; la voyelle un, dans tribun, défunt, parfum, et leurs pluriels, et dans à jeun ou Jean de Meung.

 

Mais l’n et l’m ne s’emploient pas indifféremment: l’m ne fait généralement que remplacer l’n dans certains cas. En principe, l’m ne peut terminer une nasale qu’à l’intérieur des mots, devant une labiale, b ou p, ou dans le préfixe -em (pour en-) suivi d’un m.{129} Le phénomène se produit même dans des syllabes masculines finales: camp, champ, exempt et temps, plomb, prompt et rompt, ou romps[334].

Il faut y ajouter comte et ses dérivés auxquels on a conservé l’m tout à fait exceptionnellement, devant un t, sans doute pour éviter une confusion avec conte[335].

La prononciation est d’ailleurs exactement la même aujourd’hui, que la consonne qui termine la nasale soit m ou n: camp, champ et temps, camper et ambition, membre, tempe et emmener, nimbe et simple, plomb et nombre, rompre et rompt ou romps, et humble, prononcent leurs nasales exactement comme ange, cintre, ronde ou défunt.

A la fin des mots s’il n’y a pas de consonne à la suite, la voyelle nasale est toujours écrite avec un n, les finales en m ayant perdu le son nasal. Il faut excepter:

Dam et au besoin quidam[336];{130}

Daim, faim, essaim, étaim[337]; de plus, thym;

Nom et ses composés avec dom, qui est le même mot que l’espagnol don[338];

Parfum[339].{131}

Dans tous les autres mots, l’m final se prononce à part, mais d’ailleurs tous ces mots sont des mots étrangers, prononcés comme ils sont écrits, ou des mots latins: harem, intérim, album, etc.[340].

2º De quelques nasales intérieures, disparues ou conservées

Outre les finales en m, il y a encore d’autres syllabes qui ont perdu en français le son nasal. On parlera plus loin des finales en -en. Je veux parler ici de certaines syllabes intérieures, où la nasale n ou m était suivie d’un autre n ou m.

Nous avons déjà vu précédemment la nasale primitive se réduire à une voyelle dans fla(m)-me et fe(m)-me[341]. Il en fut de même de beaucoup d’autres mots, notamment gra(m)-maire[342].

Beaucoup de personnes conservent encore, très malencontreusement, le son nasal dans an-née, dans solen-nel et solen-nité, ou dans les adverbes en -amment ou -emment[343]. Dans tous ces mots la décomposition est définitive depuis longtemps; et comme la nasale avait partout le son an, c’est l’a qui a prévalu partout après décomposition; c’est pourquoi impudemment et abondamment{132} se prononcent de la même manière, impudent et abondant ayant la même finale pour l’oreille[344].

Il est resté toutefois quelques spécimens de cette catégorie de nasales. Par exemple, il faut bien se garder de remplacer an-moins par a-moins, qui est devenu une prononciation purement dialectale; néant, qui a gardé ici son n à défaut du t, a gardé aussi sa prononciation. Le son nasal s’est maintenu également dans tîn-mes et vîn-mes, formes exceptionnelles et bizarres, dont l’orthographe et la prononciation sont dues à l’uniformité de la conjugaison.

Mais surtout le son nasal s’est maintenu dans les mots de la famille d’en-nui et dans les composés de la préposition en: en-noblir, em-mener, em-ménager, etc., y compris le vieux mot em-mi[345].

Il y a mieux, et voici une observation capitale: la préposition en a gardé parfois le son nasal, non seulement devant n ou m, mais même devant une voyelle, dans des composés d’origine purement française, sans que l’n se soit doublé: en-ivrer. Ce n’est pas sans peine, car le voisinage de mots tels que énigme, énergie, énoncer, tend continuellement à décomposer la préposition. La présence d’un h contribue peut-être à la maintenir dans enherber ou enharmonie qui d’ailleurs ne sont pas d’usage courant[346]. Mais il y a trois mots capitaux, trois mots{133} très usités, trois mots nécessaires, où il est indispensable de maintenir la préposition en avec le son nasal, malgré le voisinage immédiat de la voyelle, sous peine de faire de véritables barbarismes. Ce sont en-ivrer, en-amourer et en-orgueillir, qui doivent se prononcer comme s’en aller, avec nasale et liaison.

Les fautes sur ce point sont si fréquentes que je ne sais trop quel avenir est réservé à ces mots[347]. En-orgueillir se tient encore assez bien[348]; mais que de gens même fort instruits, et même des typographes, vont jusqu’à mettre un accent sur énamourer, voir sur énivrer! Écriture et prononciation également barbares, auxquelles il faut résister de toutes ses forces, aussi longtemps qu’on le pourra.

 

Passons aux observations particulières à chaque nasale.

3º Les cas particuliers de la nasale AN

I. C’est à la nasale an que se rattachent trois monosyllabes d’orthographe irrégulière: fa(o)n, pa(o)n, ta(o)n. Pour taon, c’est ton et non tan qui s’est prononcé longtemps et se prononce encore dans certaines provinces, mais cette prononciation, admise par Domergue et Mᵐᵉ Dupuis, est aujourd’hui dialectale[349].{134}

Il va sans dire que dans les cas où la dérivation dénasalise la syllabe, c’est l’a seul qui s’entend: pa(o)n et fa(o)n ne peuvent donner que pa(on)ne, pa(on)neau, fa(on)ner, prononcés également sans o[350].

Autre observation sur an: nous nasalisons presque toujours le groupe an, et aussi am intérieur, dans les mots étrangers, même quand ces mots ne sont pas francisés par ailleurs. Il y a là un phénomène général très curieux.

Pour la finale, d’abord, il n’y a guère que les mots anglais en -man qui fassent exception; après avoir nasalisé autrefois drogman, dolman, landamman, avec parmesan et d’autres, nous respectons aujourd’hui, par suite de la diffusion de l’enseignement, et aussi par un certain snobisme, la finale sonore de policeman, clubman, sportsman, etc.[351].

Pour an intérieur, il y a d’abord quelques mots qui sont entièrement francisés: dandy, performance,{135} et même handicap, puisque nous en avons fait le verbe handicaper; de même andante ou andantino, fantasia, franco ou dilettante. Il y a ensuite les mots dans lesquels an seul est francisé: ainsi cant, où nous prononçons le t, contrairement à l’usage français, et cantabile, où nous prononçons l’e final; c’est toujours la demi-francisation. De même landwehr ou landsturm, stand, sandwich ou shak(e)hand, canzone ou banderillero, et aussi warrant, où le t final ne se prononce plus, quoique le w se prononce encore quelquefois ou.

En revanche, on ne nasalise guère an dans canter, highlander ou four in hand, dans fantoccini, bel canto, accelerando, ritardando, tutti quanti, furia francese, lasciate ogni speranza, qui sont trop manifestement étrangers. Ou plutôt on nasalise bien un peu la syllabe, mais en faisant néanmoins sonner l’n, ce qui n’est pas la nasale proprement française[352].

Tramway a pu se franciser sans se nasaliser. Cela tient à ce que le w ayant le son ou, l’m a l’air de sé{136}-parer deux voyelles; mais on entend souvent dans le peuple tran-vè.

4º Quand le groupe EN se prononce-t-il an ou in?

Nous passons à en. Ici se pose la question la plus importante peut-être de celles qui concernent les nasales en français: quand en se prononce-t-il an? quand se prononce-t-il in? Car c’est le seul groupe à n final qui se prononce de deux manières, autrement dit qui appartienne à deux nasales. A l’origine, l’e n’avait pu se nasaliser qu’avec le son in, qui correspond phonétiquement à e ouvert et non à i. Mais il semble bien qu’à une certaine époque le groupe en était passé de in à an à peu près partout, et aujourd’hui encore en se prononce normalement an, ainsi qu’on va voir.

Mais les exceptions sont devenues assez nombreuses.

 

I. EN final.—C’est ici que le son in s’est le plus généralisé. Le changement ou le retour de an à in a dû se produire en premier lieu dans la diphtongue finale accentuée -ien. On la trouve d’abord dans bien, chien et rien, avec tous leurs composés[353]; puis dans mien, tien et sien; enfin dans les formes de venir et tenir, viens, viendra, tiendrait, etc., avec leurs composés, et aussi leurs dérivés: soutien, maintien, entretien. L’altération du son primitif est passée de là à tous les mots où la finale -en, dérivée{137} du suffixe latin -anus, était précédée des voyelles i (et y) ou e: paï-en, moy-en, chréti-en (autrefois de trois syllabes), patrici-en, etc., europé-en, chaldé-en, etc.

Ce ne fut pas sans résistance. Beaucoup de mots, au moins les noms propres, ont hésité longtemps entre an et in. Voltaire, qui faisait parfois des efforts pour rapprocher l’orthographe de la prononciation, et qui écrivait fort judicieusement fesons et bienfesant, écrivait aussi européan. Aujourd’hui il n’y a plus d’hésitation: tous les mots en -éen et -ien ou -yen se prononcent é-in et i-in ou plutôt yin, quoique les poètes s’obstinent à séparer l’i la plupart du temps: tragédien, bohémien, aérien, parisien, etc., etc.[354].

 

Si nous passons aux autres mots terminés en -en, nous constatons que le son an ne se retrouve plus que dans la préposition en[355]. Il est vrai que dans la plupart des autres (ils ne sont d’ailleurs pas nombreux), la finale n’est plus nasale: ainsi abdomen ou gluten. Ces mots ont subi l’analogie des mots latins ou étrangers, et surtout des noms propres qui sont fort nombreux; nous les retrouverons quand nous parlerons de l’n final. Seul, examen s’est complètement détaché du groupe: sa finale, qui n’avait d’ailleurs jamais perdu complè{138}tement le son in, l’a repris définitivement depuis un siècle[356].

De plus, les poètes ont fait longtemps et font souvent encore rimer hymen avec main; mais comme le mot n’est plus d’usage courant et prend une apparence un peu scientifique, il est fort rare qu’on nasalise sa finale en prose[357].

 

II. EN tonique suivi d’une consonne.—La finale -ent ou -end, à consonne muette, a partout le son an: prudent, agent, ment, suspend, attend, etc., etc., et même les mots en -ient, même ingrédient, qu’on écorche parfois[358].

Il faut excepter toutefois tient et vient et leurs composés, qui ne peuvent pas se prononcer autrement que les formes voisines de tenir et venir[359].{139}

Il en est de même de -ens, qui en principe se prononce également an dans les mots proprement français, où l’s ne se prononce pas[360]. Mais ces mots sont en fort petit nombre: gens, guet-apens, dépens, suspens, avec le substantif sens, dont l’s se prononce aujourd’hui presque partout, et les formes verbales sens, mens, repens.

Les autres mots sont des mots latins, et sont naturellement prononcés comme en latin, c’est-à-dire que en se nasalise en in et que l’s se prononce (ince): gens, delirium tremens, alma parens, semper virens, horresco referens, d’où, par analogie, labadens, inventé par Labiche. Pourtant le mot technique cens a gardé le son an, sans doute par analogie avec sens et bon sens, qui n’ont jamais varié sur la nasale[361].{140}

C’est aussi an tout court qui sonne dans temps ou hareng[362].

Enfin c’est encore an qu’on prononce toutes les fois que en est suivi d’une syllabe muette: ainsi les finales -ente, -ence ou -ense, -ende et -endre, -emble, -embre, -empe et -emple, etc.[363].

 

III. EN atone.—Si nous passons à en atone, nous constatons encore que c’est le son an qui est le son propre du groupe dans les mots proprement français.

En tête des mots, il n’y a pas d’exception[364].{141}

A l’intérieur, le son an s’est maintenu non seulement dans les finales -ention, -entiel, etc., mais même dans des mots plus ou moins techniques ou savants qui étaient déjà anciens: d’abord les dérivés de cent, comme centurie ou centurion[365]; par analogie, centaure; puis adventice et adventif, appentis et perpendiculaire, calender et calendrier, commensal, compendieux, dysenterie et lienterie, entité, mendicité, menstrues, septentrion, stipendier, etc. C’est la vraie tradition française[366].

Au contraire, dans les mots plus ou moins savants, plus ou moins techniques, qui sont entrés dans la langue assez récemment, c’est-à-dire depuis la Renaissance, la prononciation moderne du latin a amené l’emploi du son in. Ce sont d’abord des mots purement latins, agenda, pensum, memento, compendium, sensorium, in extenso, modus vivendi[367]; puis les mots tirés du grec, qui commencent par hendéca- ou par pent-, comme pentagone[368]; en outre bembex, rhododendron et placenta, avec mentor et menthol, etc.{142}

En outre appendice et sempiternel, quoique anciens, ont à peu près passé de an à in, sous l’influence du latin appendix et sempiternus, et appendicite, mot savant, qui se prononce fatalement par in, achève l’altération d’appendice. Chrétien a fini aussi par entraîner chrétien, qui a été longtemps discuté.

D’autres mots flottent déjà, comme adventice ou menstrues. Sapientiaux est exposé à passer de an à in, étant mal protégé par sapience, qui est peu usité, tandis que obédientiel, pestilentiel, et surtout scientifique, le sont beaucoup mieux par obédience, pestilence et science, dont la finale est inaltérable actuellement.

En revanche, quelques mots plus ou moins récents ont pris ou gardé le son an par analogie, ou pour des raisons qui échappent, car une logique parfaite ne préside pas toujours à la répartition des sons.

Pendentif a suivi l’analogie de pendre et pendant; tentacule, celle de tenter et tentative. Tarentelle et tarentule ont suivi Tarente, qui était ancien. Quand Fabre d’Églantine inventa vendémiaire, il le tira du latin vindemia, mais s’il l’écrivit ven et non vin, c’est qu’il voulait en faire un mot populaire comme ventôse, et pour cela le rapprocher de vendange; c’est donc à tort que quelques-uns le prononcent par in[369].

Tous ces mots s’expliquent assez bien. Mais pourquoi stentor avec an à côté de mentor avec in? Je ne sais si stentor est ancien dans l’usage; en tout cas, les grammairiens n’en parlent pas[370]. Pourquoi prononce-t-on épenthèse par an? Pourquoi, à côté de rhododendron prononcé par in, prononce-t-on den{143}drite par an? Que dis-je? A côté de térébinthe, non seulement prononcé, mais écrit par in, on a térébenthine, prononcé par an; et au contraire, de menthe, qui a naturellement gardé le son de son orthographe primitive mente, on a tiré menthol, à qui on a imposé le son in, à titre de mot savant![371].

 

IV. Les mots étrangers.—On sait que les voyelles nasales appartiennent presque exclusivement au français. Quand on ne francise pas du tout un mot étranger, et il y a des cas où cela n’est guère possible, on doit se garder de nasaliser le groupe en, aussi bien que les autres. Ainsi l’anglais pence, english, great event ou self government, gentry ou même gentleman et remember; de même l’italien lento, a tempo ou senza tempo, rallentando, risorgimento, et aussi l’espagnol ayuntamiento ou pronunciamiento.

Mais si on francise, ne fût-ce qu’à moitié, c’est toujours par la nasale qu’on commence; or en ne peut se nasaliser directement qu’en in, seule nasale correspondant à e. Ainsi dans bengali, dans benjoin,{144} d’où benzine avec ses dérivés; dans effendi; dans farniente (que l’e final soit muet ou non), polenta, vendetta et crescendo[372]. Ainsi encore dans blende et pechblende, qu’on prononce quelquefois par an, à cause de la finale ende; et encore dans spencer. A spencer on devrait joindre tender et challenge, mais l’usage des employés de chemins de fer a définitivement francisé tender par an, évidemment par l’analogie des mots tendre, tendeur et autres, et de son côté challenge a pris le son des finales en -ange, comme venge.

D’autre part, beaucoup de gens prononcent aussi vendetta par an, et cette prononciation s’imposera fatalement un jour[373].{145}

5º Les cas particuliers de la nasale IN.

Sur la nasale in, il y a moins à dire[374].

La préposition latine in, qui n’est pas nasale en latin, parce que l’n est final, s’est nasalisée en français devant une consonne, dans les termes qui désignent les formats de livres, in-folio, in-quarto, comme in-douze, in-seize, etc., et le plus souvent aussi in-plano; mais on ne nasalise pas in-octavo à cause de la voyelle, pas plus que in extremis ou in extenso, qui sont en deux mots; pas davantage in partibus, non plus que l’italien in petto.

 

D’autre part, dans les mots étrangers, c’est le groupe in qui se conserve le mieux en français sans se nasaliser. Ainsi on ne doit pas nasaliser la finale anglaise -ing, sauf dans schampoin(g), qui est tout à fait francisé. Il est vrai que shelling et sterling peuvent encore se prononcer chelin et sterlin sans g, et d’autre part on nasalise encore quelquefois shirting, lasting et pouding (sans parler de meeting) en prononçant le g guttural, mais il semble qu’on cesse peu à peu de{146} nasaliser ces mots. On ne doit pas non plus nasaliser flint-glass, income-tax, mackintosh, kronprinz, hinterland, tchin, khamsin.

On nasalise quelquefois gin, et ordinairement mue(z)-zin, toujours incognito, impresario, peppermint, aquatinte (à côté de aqua-tinta); généralement aussi interview, suffisamment francisé, puisqu’on en a fait interviewer. [375]{147}

Le groupe oin doit se prononcer ouin et non ouan, comme on fait dans certaines provinces, et moindre peut rimer avec cylindre, mais non avec entendre.

J’ajoute que oin est toujours monosyllabe. V. Hugo a cru, et il n’était pas le premier, que les nécessités ou les commodités de la versification l’autorisaient à scinder en deux le mot groin:

... eux, déchiffrer Homère, ces gens-là!
Ces diacres, ces bedeaux dont le gro-in renifle[376].

Mais alors on est obligé de prononcer gro-in, ce qui altère le mot sensiblement[377]. Ailleurs, il écrit grou-in pour la rime[378]: cela vaut encore mieux; d’autres l’avaient fait avant lui, et quelques personnes prononcent ainsi. Mais c’est une erreur, et, malgré les trois consonnes initiales (grw), groin n’est pas plus difficile à prononcer en une syllabe que bruit, instruit ou croix, qui en ont autant[379]. Voyez Saint-Amant, dans le Melon:

Et des truffes... qu’un porc.....
Fouille pour notre bouche et renverse du groin.
{148}

Le groupe ouin, dissyllabe autrefois, est aujourd’hui monosyllabe, comme oin[380].

6º Les cas particuliers de la nasale ON.

La nasale on n’a d’intéressant que monsieur, où on, réduit d’abord à o—on dit encore parfois mosieu par plaisanterie—s’est réduit en définitive à un e muet (mesieu) qui, comme la plupart des e muets, disparaît ordinairement dans la prononciation rapide[381].

Nous avons parlé plus haut des mots en -aon, à finale monosyllabique, prononcée an[382].

On final ne se nasalise pas dans quelques mots empruntés au grec: epsilon, omicron, kyrie eleison, gnôthi seauton, etc., ni dans sine qua non ou baralipton, ou les expressions italiennes con brio, con moto, etc.; mais en physique on nasalise micron[383].{149}

7º Les cas particuliers de la nasale UN.

La nasale un (ou um) se prononce on dans les mots latins: secundo, conjungo, de profundis; dans rhumb, lumbago et plumbago, dans jungle et junte, et dans punch[384]. Mais pourquoi ponch, qui n’est ni anglais, ni français? et pourquoi ponch à côté de lunch, qui se francise avec la nasale un, si bien que nous en avons fait luncher? Ce sont des mystères que nul ne peut expliquer.

Mais le point capital à propos de la nasale un, c’est de ne pas la prononcer in! On entend trop souvent in jour, in homme. Heureusement ce n’est pas encore chose très fréquente chez les gens qui ont quelque instruction; mais il est peu de fautes plus choquantes.{150}

VII.—L’E MUET[385]

1º Considérations préliminaires sur l’E non muet et l’élision.

L’e muet est ainsi nommé parce qu’on le prononce le moins possible, et le plus souvent pas du tout; mais il s’en faut bien qu’il soit toujours muet: s’il l’était toujours, il n’y aurait rien à en dire, et il s’agit précisément de savoir quand il est réellement muet, et quand il ne l’est pas.

Éliminons d’abord ce qui n’est pas dans le sujet proprement dit.

Il y a, d’une part, un cas où l’e dit muet est tellement loin d’être muet, qu’il est même tonique; c’est dans le pronom le précédé d’un impératif: dis-le[386]. L’e dit muet est alors ouvert et bref, moins ouvert, mais aussi bref que eu dans œuf. Et de même toutes les fois qu’il se prononce: il y a, par exemple, une différence très sensible entre le rôt et leur eau, où{151} leur est long et le très bref. C’est encore ainsi qu’il se prononce constamment devant une h aspirée: le haut, ou en épelant: l, e, d, e, tandis qu’on prononce é dans e muet.

On sait, d’autre part, que l’e n’est jamais muet ni devant z final, ni devant deux consonnes, quoique, dans ces cas-là, il ne porte pas d’accent. Nous n’avons donc point à parler non plus de celui-là[387].

Ce n’est pas tout: il y a encore et surtout l’élision, où l’e ne compte plus pour rien du tout. On sait que l’e final s’élide devant un mot commençant par une voyelle, même précédée de l’h muet: l’état, l’herbe, il aim(e) à rire, plein d’honneur, la vi(e) est courte. On voit qu’il n’importe pas que cette élision soit notée par l’écriture[388].

On doit noter ici toutefois, avant de passer outre, un certain nombre d’élisions qui ne se font pas dans l’usage courant, ce qui oblige à prononcer l’e muet: ce sont, la plupart du temps, des hiatus seulement apparents, que la versification elle-même admet ou devrait admettre.

 

1º On parlera tout à l’heure des semi-voyelles, et notamment du yod. L’y grec appuyé sur une voyelle devient yod, c’est-à-dire consonne, aussi bien en{152} tête que dans le corps des mots, et l’on dit, sans élision, le yatagan, comme la yole. C’est une idée que les poètes acceptent difficilement. V. Hugo, notamment, par crainte de faire un hiatus, ne manque pas de dire l’y-ole ou l’y-atagan; et l’erreur est double, car il fait une élision qui n’est point à faire, et cette élision l’amène à donner aux mots victimes une syllabe de trop. Les poètes devraient bien parler comme tout le monde, et dire le ya-tagan (et les yatagans, sans liaison), comme le yacht, le yak, le yucca, le yod, le youyou, le youtre, car il n’y a là aucun hiatus[389].

2º Le groupe ou initial est également consonne devant une voyelle. Cela n’empêche certainement pas de dire à l’ouest, un(e) ouaille, un(e) ouïe. Mais devant oui pris substantivement, on n’élide ni le, ni de, pas plus qu’on ne lie un, les, ces, etc., ou qu’on ne remplace ce par cet, même en vers, malgré l’hiatus apparent:

Oui, ma sœur.—Ah! ce oui se peut-il supporter?[390].

Il est vrai qu’on dit fort bien, familièrement, je crois qu’oui; mais cette élision ne s’impose pas toujours, et les poètes eux-mêmes s’en abstiennent sou{153}vent. Ainsi, La Fontaine, dans un vers de Clymène, souvent cité:

Qu’on me vienne aujourd’hui
Demander: «Aimez-vous?» Je répondrai que oui[391].

On dit aussi plus volontiers le ouistiti que l’ouistiti, quoiqu’on fasse fort bien la liaison dans un ouistiti ou des ouistitis.

Pour ouate, l’usage est flottant. Il est vrai qu’on dit plus ordinairement aujourd’hui de la ouate que de l’ouate, malgré une tendance fâcheuse à revenir à l’ancienne prononciation: scrupule de purisme fort déplacé, qui se manifeste, paraît-il, chez certains médecins et chez les premières des grandes maisons de couture. Mais dire la ouate n’empêche pas du tout de faire l’élision de l’e muet: un(e) ouate, plein d’ouate, sont généralement usités[392].

3º L’habitude d’isoler les noms de nombre, qui commencent généralement par des consonnes, fait qu’on traite souvent comme les autres ceux qui commencent par des voyelles, un et onze, et aussi huit, dont l’h, naturellement muet, ne s’est aspiré (et encore pas toujours) que par suite de cette convention spéciale[393]. On dit donc le onze et le onzième, et non pas l’onze et l’onzième, témoin la complainte du Vengeur:

Le onze, un gabier de vigie
S’écria: Voile sous le vent.
{154}

On n’a probablement jamais dit une lettre de l’onze, et pas souvent sans doute à l’onzième siècle, quoiqu’on trouve cette façon de parler dans Th. Corneille[394]. Pourtant on dit à peu près indifféremment le train de onze heures ou le train d’onze heures; et Littré écrira dans son dictionnaire: bouillon d’onze heures.

Les astres aujourd’hui, sous le soleil d’onze heures,
Brillent comme des prés[395].

Ceci est un cas spécial, qui permet même la liaison du t du verbe être: on dit presque uniquement il est onze heures avec liaison, et c’est la seule liaison qu’on fasse avec onze; l’élision d’onze heures en est la conséquence naturelle. Mais on ne dirait pas avec Corneille, l’œuvre d’onze jours[396].

L’élision est beaucoup plus libre avec un qu’avec onze. Cependant, on dira uniquement le un, soit pour numéroter, soit pour dater, en opposition avec l’un, où un n’est plus le nom du nombre[397]. On dit aussi fort bien livre un, chapitre un, comme chapitre onze, quoiqu’on élide parfois dans ces deux expressions, et qu’on dise plutôt pag(e) un et pag(e) onze. On{155} dit de même, le huit, livre huit, chapitre huit, quoiqu’on dise quarant(e)-huit, et que mill(e) huit cents soit identique à mil huit cents.

4º Enfin, on dit aussi le uhlan et non l’uhlan. C’est peut-être pour des raisons d’euphonie; mais on dira tout aussi bien du uhlan, qui n’est pas plus harmonieux que l’uhlan, et V. Hugo lui-même a osé risquer cet hiatus nécessaire:

Quand Mathias livre Ancône au sabre du uhlan[398].

Ce mot est donc traité comme s’il avait un h aspiré sans qu’on sache pourquoi (en allemand: ulan).

Nous venons d’examiner les cas où l’e muet ne s’élide pas devant une voyelle. Il y en a un où il s’élide encore en réalité devant une voyelle, mais en apparence devant une consonne: c’est quand on désigne par leurs noms les sept consonnes dont l’articulation est précédée d’un e: l’f, l’h, l’l, l’m, l’r, l’s, l’x, plein d’m, beaucoup d’r, etc.; mais on dira au contraire suivi ou précédé de r ou s, comme de a ou i, parce que les lettres sont ici comme des mots qu’on cite; de même je crois que r ou s..., comme je crois que a..., ou je dis que x....

2º La prétendue loi des trois consonnes.

Ces questions étant éliminées, arrivons au vrai sujet, l’e muet.

Sur ce point, un certain nombre de philologues font grand état, depuis une vingtaine d’années, d’une prétendue loi des trois consonnes, qui dominerait toute la question de l’e muet; cette loi peut se formuler ainsi:

Lorsqu’il n’y a que deux consonnes entre deux{156} voyelles non caduques, elles ne sont jamais séparées par un e muet; mais lorsqu’il y en a trois ou plus, il reste (ou il s’intercale) un e muet après la seconde, et de deux en deux, s’il y a lieu[399]. Ainsi la f’nêtre, mais un’ fenêtre, et qu’est-c’ que j’ te disais.

A vrai dire, l’auteur commence par déclarer que sa «loi» ne vaut, à Paris, que «pour le français de la bonne conversation», et non pour «le parler populaire», et il oppose ça ne m’ fait rien, qui est, dit-il, populaire, à ça n’ me fait rien. Mais alors on se demande ce que c’est qu’une loi phonétique régissant un parler qui doit avoir, qui ne peut pas ne pas avoir quelque chose d’artificiel, au moins sur certains points, et à laquelle se dérobe précisément le parler le plus naturel, le plus spontané, celui qui, en principe, obéit le plus rigoureusement aux lois phonétiques. D’autre part, on se demande en quoi veux-tu te l’ver est plus populaire et de moins «bonne conversation» que veux-tu t’lever? Et moi-même, ai-je dit on se d’mande ou on s’ demande? L’auteur traite ici les monosyllabes absolument comme les autres e muets, ce qui est une grave erreur. Il reconnaît d’ailleurs plus loin que les monosyllabes mettent à chaque instant sa «loi» en défaut.

Mais, même à l’intérieur des mots, «sa loi» n’est pas plus sûre, et il doit reconnaître que les liquides, l et r, y font de perpétuels accrocs.

D’abord les groupes de trois consonnes ne sont pas rares, quand la seconde est une muette ou explosive (b, c, d, g, t, p), ou une fricative (f, v), suivie d’une liquide, l ou r, ces groupes étant presque aussi faciles à prononcer qu’une consonne seule: arbre, ordre, pourpre, tertre, astre, terrestre, etc. Ils ne sont guère plus rares quand la seconde consonne est un s:{157} lorsque, obscur, texte (tecste) ou expédier. On peut même avoir quatre consonnes consécutives, si les deux conditions sont réalisées simultanément, comme dans abstrait, extrême ou exprimer. Et jamais on n’a éprouvé le besoin d’intercaler un e muet après la seconde ou la troisième consonne de ast(e)ral ou abst(e)rait, pas plus que dans un’ planche.

Les innombrables mots du type chapelier, aimerions, aimeriez, contredisent aussi la «loi», en maintenant l’e muet entre les deux consonnes, si l’on n’en voit que deux dans ces mots, ou plutôt après la première, et non la seconde, si, comme il convient, on prend l’i pour une troisième consonne.

D’autre part, il y a des phénomènes que l’auteur n’a point aperçus. Je ne parle pas des mots du type achèt’rai, qui maintiennent l’e après la première consonne: on pourrait me dire que cette prononciation est artificielle. Mais pourquoi dit-on uniquement échev’lé, quand la «loi» exigerait éch’ve[400]? Pourquoi, à côté de pell’terie, ou plutôt pel’t’rie, avec trois consonnes, a-t-on papet’rie, avec maintien du premier e muet, qui même devient le plus souvent un e à demi ouvert?

Ainsi nous ne nous embarrasserons pas de cette fausse loi. Nous constaterons, si l’on veut, qu’il y a là une tendance très générale, nécessaire même, en français, du moins, et qui se manifeste certainement dans la pluralité des cas[401]. Mais une tendance n’est{158} pas une loi. Nous nous bornerons donc à examiner sans prévention les faits, dont la variété est presque infinie, et nous nous efforcerons d’y mettre le plus d’ordre et de clarté que nous pourrons, sans méconnaître qu’on peut différer d’avis sur beaucoup de points de détails.

3º L’E muet final dans les polysyllabes.

I. Dans les mots isolés.—A la fin des mots pris isolément, ou s’il n’y a rien à la suite, l’e non accentué est réellement muet, c’est-à-dire qu’on ne l’entend plus[402]. Les instruments délicats de la phonétique expérimentale peuvent bien en constater encore l’existence après certaines consonnes ou certains groupes de consonnes (je ne parle pas de la consonne double, qui compte comme simple); mais alors il est involontaire, car ces instruments le constatent, après les consonnes dont je parle, aussi bien quand il n’est pas écrit que quand il est écrit; autrement dit, est, point cardinal, et la finale -este se prononcent de la même manière, tout aussi bien que beurre et labeur, mortel et mortelle, sommeil et sommeille[403].{159}

Nous avons vu au cours des chapitres précédents que la présence même de l’e muet après une voyelle finale ne change plus rien ni au timbre ni à la quantité de la voyelle qui précède, au moins dans la conversation courante. Il y a exception pour la rime, mais ceci est voulu, et par suite artificiel[404]: on ne parle ici que de la prononciation spontanée[405].

Ce n’est pas tout. Quand la consonne qui précède l’e muet final est une liquide, l ou r, précédée elle-même d’une explosive ou d’une fricative, la prononciation populaire supprime souvent la liquide avec l’e: du suc(re), du vinaig(re), datent de fort loin, mais cette prononciation n’est plus admise dans la bonne conversation. Pourtant mart(r)e a fini par avoir droit de cité.

 

II. Devant un autre mot.—Considérons maintenant l’e muet final dans un mot suivi d’un autre mot.

Si le second mot commence par une voyelle ou un h muet, nous savons que l’e s’élide. Mais si le second mot commence par une consonne (autre que l’h aspiré), l’e muet n’en tombe pas moins: el(l)’ m’a dit[406].

Le phénomène est le même si les consonnes qui se rencontrent sont pareilles: el(l)’ lit[407].{160}

L’e tombe encore s’il y a deux consonnes en tête du second mot: el(l)’ croit, el(l)’ scandalise, un’ statue.

Toutefois l’e se prononce, si le mot suivant commence par r ou l, suivi d’une diphtongue: il ne mange rien[408]. On dit même, sans élision, qu’il devienne roi, les trois consonnes nrw s’accommodant mal ensemble, tandis qu’on dit avec élision, si j’ crois, qui, pourtant, réunit quatre consonnes, jcrw: nous verrons plus d’une fois que la liquide ne peut figurer dans un groupe de trois consonnes réelles que si elle est première (lorsque) ou troisième (si j’ crois) et non seconde[409].

Ici encore ce n’est pas tout. Si l’e muet final est lui-même précédé de deux consonnes différentes devant la consonne initiale du mot suivant, en principe l’e se prononce: reste là, pauvre femme, Barbe-bleue. Mais il s’en faut bien que le phénomène soit général.

D’une part, on dit fort bien, en parlant vite: rest’ là.

D’autre part, devant un autre mot encore mieux qu’isolément, la prononciation populaire, ou simplement familière, supprime à la fois, et depuis des siècles, l’e et la liquide qui précède, l ou r, à la{161} suite d’une muette ou explosive ou d’une fricative: pauv’ femme, bouc’ d’oreille.

Ce phénomène affecte surtout l’r; et on peut dire que l’r tombe régulièrement dans maît’ d’hôtel, maît’ d’étude, maît’ de conférences, où il est rare qu’on le fasse sonner; cela est même tout à fait impossible dans telle expression uniquement familière, comme à la six quat(re) deux. Dès longtemps, les grammairiens ont constaté et apprécié diversement cet usage avec les mots notre, votre et autre. Aujourd’hui cette prononciation n’est jamais considérée comme tout à fait correcte. Elle est, il est vrai, seule usitée dans la conversation courante, mais non dans la lecture, ni simplement quand ou parle à quelqu’un à qui l’on doit des égards, et devant qui on ne veut pas se négliger: je citerai, comme exemples plus particulièrement probants, Notre Père, qui êtes aux cieux, ou Notre-Dame. On dit aussi uniquement quatre-vingts.

Ajoutons que la présence d’un s après l’e muet ne change rien à l’élision, et pas davantage celle de nt dans les troisièmes personnes du pluriel: j’aim(e) bien, tu aim(es) bien ou ils aime(nt) bien, la ru(e) de Paris ou les ru(es) de Paris, tombait dru ou tombai(en)t dru, ont des prononciations identiques[410].{162}

4º L’E muet à l’intérieur des mots.

I. Entré voyelle et consonne.—Entre une voyelle et une consonne, l’e muet ne se prononce plus depuis bien longtemps, et, pour ce motif, il est tombé dans un grand nombre de mots, sans qu’on puisse savoir pourquoi il s’est maintenu dans les autres. Aussi n’y a-t-il pas de raison pour prononcer gai(e)ment, qui a gardé son e, autrement que vraiment, qui a perdu le sien. D’ailleurs, quand l’e s’est maintenu, on peut le remplacer à volonté dans la finale -ement (substantifs et adverbes) par un accent circonflexe sur la voyelle qui précède: gai(e)ment ou gaîment, remerci(e)ment ou remercîment, dénou(e)ment ou dénoûment, dénu(e)ment ou dénûment.

Mais ceci pourrait faire croire que la voyelle qui précède l’e est réellement allongée par lui; en réalité, elle ne l’est pas plus ici qu’à la fin des mots, et la prononciation est la même partout, avec ou sans accent, avec ou sans e, dans remerci(e)ment et poliment, dans assidûment et ingénu(e)ment[411].

Le même phénomène se produit avec la finale -erie précédée d’une voyelle: soi(e)rie, qui a gardé son e, se prononce comme voirie ou plaidoirie, qui ont perdu le leur; sci(e)rie est identique à Syrie, et l’u est à peu près le même dans furie, qui n’a jamais eu d’e, tu(e)rie, qui a gardé le sien, ou écurie, qui l’a perdu[412].{163}

Enfin, le cas est encore le même dans les futurs et conditionnels des verbes en -ier et -yer, ceux-ci changeant régulièrement leur y en i devant l’e muet: j’étudi(e)rai, je balai(e)rai, j’aboi(e)rai, j’appui(e)rai. Tout au plus y a-t-il ici cette différence, que l’e, qui ne peut pas disparaître, allonge assez facilement la voyelle précédente, surtout dans les mots de deux syllabes: je pai(e)rai, je ne ni(e)rai pas; dans les autres, l’allongement tend aussi à disparaître.

Les verbes en -ayer ou -eyer, quelques-uns du moins, ont gardé la faculté de conserver leur y dans les mêmes temps, et aussi au présent, je pay(e), je pay(e)rai. En ce cas, on entend une consonne de plus, le yod, comme dans sommeil et sommeil(le)rai; mais on n’entend pas davantage l’e muet[413]. Cette faculté est complètement perdue pour les verbes en -oyer: flamboyent, qu’on trouve dans Leconte de Lisle, en trois syllabes:

Au fond de l’antre creux flamboyent quatre souches,

est presque un barbarisme[414]. De telles formes ne valent pas mieux que soyent ou ayent, qu’on entend parfois dans le peuple[415].

 

II. Entre consonne et voyelle.—Entre une consonne et une voyelle, comme devant une voyelle en tête du mot, l’e muet n’est plus qu’un résidu inutile d’anciennes diphtongues, conservé malencon{164}treusement dans quelques formes du verbe avoir: (e)u, j’(e)us, j’(e)usse, dans ass(e)oir, dans à j(e)un[416].

Il en est de même dans le groupe eau: (e)au, tomb(e)au, ép(e)autre, etc.[417].

Ou bien l’e muet n’est qu’un simple signe orthographique destiné à donner à la gutturale douce g, devant les voyelles a, o, u, le son qu’elle a normalement devant e et i, c’est-à-dire celui de la spirante palatale douce, j: mang(e)a, g(e)ai, afflig(e)ant, g(e)ôlier, pig(e)on, gag(e)ure[418].

 

III. Entre deux consonnes.—Entre deux consonnes, dont la première peut être indifféremment simple ou double, l’e muet tombe régulièrement, à condition que les consonnes ainsi rapprochées puissent s’appuyer sur deux voyelles non caduques, une devant, une derrière; ainsi dans ruiss’ler ou chanc’ler, aussi bien que dans app’ler ou ép’ler (où pl font un groupe naturel); de même dans gab’gie, épanch’ment[419], command’rie, échauff’ment, jug’ment,{165} longu’ment, mul’tier, raill’rie, parfum’rie, ân’rie, group’ment, craqu’ment, dur’té, honnêt’ment, naïv’té, et même lay’tier, aussi bien que dans prud’rie, moqu’rie ou pot’rie[420].

On voit qu’il n’est pas du tout nécessaire qu’il y ait affinité entre les consonnes[421]. Mieux encore: l’e muet tombe aussi, comme entre deux mots, même si les consonnes sont identiques: honnêt’té, là-d’dans, extrêm’ment, verr’rie, trésor’rie, serrur’rie[422]. Quelques personnes répugnent à laisser tomber l’e après{166} gn mouillé; mais c’est une erreur: renseign’ra ou renseign’ment se prononcent comme pill’ra ou habill’ment, car la difficulté n’est pas plus grande.

 

Toutefois, quand l’e muet est suivi d’une liquide qui s’appuie sur les finales -ier, -iez et -ions, il se prononce ordinairement: bachelier, chandelier, chapelier, muselière, hôtelier, etc.; de même, appelions, appeliez (avec e muet et non e fermé), aimerions, aimeriez[423].

Ce qui empêche l’e muet de tomber devant ces finales à liquide, c’est que, s’il tombait, il arriverait ici ce qui est arrivé aux mots tels que meurtr-ier, ouvr-ier, tabl-ier, voudr-ions, voudr-iez, où les groupes de consonnes que terminent l ou r ont diérésé les finales -ier, -ions, -iez, en -i-er, -i-ons, -i-ez[424]. Or, le français aime encore mieux conserver{167} une diphtongue que de laisser tomber un e muet; et alors plutôt que d’avoir chandli-er ou chapli-er, on préfère articuler l’e muet[425].

Exceptionnellement, l’e muet tombe dans bourr’lier, parce que rien ne s’y oppose: c’est ainsi qu’on a, sans diérèse, ourl-iez ou parl-iez[426].

En revanche, on prononce assez généralement l’e muet dans centenier ou souteniez, et même dans un denier[427].

D’autre part, si l’e muet est précédé de deux consonnes différentes, en principe il ne tombe pas non plus, puisque le français tolère mal trois consonnes de suite: ainsi fourberie, supercherie, débordement, bergerie, aveuglement, ferme, ornement, escarpement, propre, appartement.

A vrai dire, là même, quand on parle vite, il y en a bien quelques-uns qui tombent encore, toutes les fois qu’il n’y a pas incompatibilité entre les consonnes; et si cela est impossible après une liquide, comme dans propre, cela peut se faire par exemple dans appart’ment ou pard’sus, et surtout quand l’e{168} muet sépare les groupes br, cr, etc., comme dans fourb’rie, étourd’rie ou lampist’rie; mais cette prononciation n’est plus considérée comme correcte, et quand on parle posément on ne l’emploie pas.

 

IV. Dans la syllabe initiale.—En tête des mots, l’e muet se prononce en principe, faute d’appui en arrière pour la consonne initiale: belette, refaire, tenir; mais aussi, que devant le mot il y ait un son vocal, l’e tombe aussitôt, dans les mêmes conditions qu’à l’intérieur du mot: la b’lette, à r’faire, vous t’nez, à côté de pour refaire, ou il tenait. Naturellement, s’il y a une finale muette devant la muette initiale, c’est la finale qui cède la place, car l’e muet final tombe, toutes les fois qu’il peut: ell’ tenait ou ell’ tenaient, et jamais elle t’nait[428].

D’ailleurs, même sans un son vocal placé devant le mot, l’e muet de la syllabe initiale tombe encore assez facilement dans la conversation courante, pourvu qu’il y ait affinité suffisante entre les consonnes qui l’enferment: b’lette ou rat, rat ou b’lette se disent presque aussi facilement l’un que l’autre, à cause du groupe naturel bl. On dit aussi très bien, v’nez ici ou c’la fait, avec spirante initiale; avec l ou r, m ou n, c’est beaucoup moins commode: m’nez moi, r’mettez-vous, sont durs et moins généralement employés. On dira moins encore c’lui-là, parce qu’il{169} y aurait en tête du mot trois consonnes qui ne s’accommodent pas[429].

Pendant que je parle de l’e muet de la syllabe initiale, je dois mettre le lecteur en garde contre la tendance qu’on a parfois à le fermer mal à propos. Cette tendance n’est pas nouvelle, car un très grand nombre de mots ont vu un e fermé se substituer à leur e muet initial au cours des siècles; par exemple, crécelle, prévôt, pépie, séjour, béni, désert, péter ou pétiller, etc. Quelques lecteurs peuvent encore se rappeler que l’archaïsme desir (d’sir, d’sirer) faisait jadis les délices de Got, et qu’il était de tradition à la Comédie-Française; pourtant l’Académie avait donné un accent à ce mot depuis 1762[430]. Rébellion a aussi pris l’accent, malgré l’e muet de rebelle et se rebeller. Plus récemment, réviser et révision ont fait de même, ainsi que tétin, tétine ou téton[431]. Retable tend manifestement à céder la place à rétable, formé sans doute par l’analogie malencontreuse de rétablir, et que les dictionnaires admettent aujourd’hui, concurremment avec retable[432].

En revanche, les dictionnaires écrivent encore{170} uniquement avec e muet refréner, seneçon, chevecier et brechet, qu’on prononce presque toujours avec un e fermé. Breveté paraît les suivre de près[433]. Quoique la prononciation de vedette et besicles avec e muet soit encore loin d’avoir disparu, il est probable que védette et bésicles l’emporteront prochainement. Enfin céler est en voie de remplacer celer, sous l’influence de recéler, qui a pris l’accent, probablement par l’analogie de recel.

D’autres mots sont aussi touchés, mais beaucoup moins jusqu’à présent: les personnes qui parlent correctement ne disent pas encore ou ne disent plus déhors pour dehors (comparez dedans), ni dégré, sénestre, gélinotte (de geline) ou frélon, ni enfin réfléter, malgré réflecteur[434].

Il est vrai qu’on entend bien souvent régistre, et, par suite, enrégistrer et enrégistrement, même dans la bouche de personnes fort instruites; et l’on pourrait croire que cette prononciation est aussi en voie de remplacer l’autre, si nous n’avions précisément une administration qui porte ce nom, et qui ignore l’é fermé: c’est un obstacle sérieux à sa diffusion et à sa prépondérance.

J’ajoute que secret a donné, à tort ou à raison, secrétaire et non sécretaire, qu’on entend parfois, concurremment avec secretaire ou sécrétaire, toutes formes encore fort peu admises[435].{171}

Il nous reste à examiner un cas particulier.

On sait que l’e suivi d’une consonne double n’est pas un e muet. Il y a à cela quelques exceptions. Il a paru nécessaire de doubler l’s dans dessus et dans dessous, et après le préfixe re-, pour éviter que l’s ne prît le son du z entre deux voyelles; mais cela n’a rien changé à la nature du préfixe, qui est toujours re-, avec e muet: ressaisir, ressasser, ressaut, ressembler, ressemblance, ressemeler, ressemelage, ressentir, ressentiment, resserrer, resserrement, ressort, ressortir, ressource, ressouvenir et quelques autres, et aussi ressac, par analogie ou confusion d’étymologie. Si l’on dit ressusciter par é fermé, c’est parce que le mot vient directement du latin resuscitare, et non du français susciter. On prononce de même ressuyer, qui est composé d’essuyer. Mais prononcer un é fermé dans ressembler ou ressource est une faute très grave.

Ces e muets peuvent même et doivent tomber comme les autres: il est sans r’source, tu r’sembles et tu me r’essembles, concurremment avec tu m’ressembles.

La prononciation de l’e muet se maintient aussi dans cresson et cressonnière, au moins à Paris et dans une partie de la France du Nord, quelquefois même dans besson[436].{172}

5º L’E muet intérieur dans deux syllabes consécutives.

Ceci est un phénomène qui se produit d’abord dans certains mots composés, et alors le traitement de l’e muet dépend des circonstances. Il est clair que, dans arrière-neveu, c’est le premier e qui ne compte pas. Mais les mots de cette espèce sont presque tous des composés d’entre et contre, dont l’e est soutenu par le groupe tr; c’est donc le premier e qui se maintiendra: s’entre-r’garder, contre-v’nir, contre-m’sure. Cependant, dans entrepreneur ou entreprenant, il faut bien les prononcer tous les deux, et je crois bien que dans entretenir, et surtout contrepeser, c’est encore le second qui se prononce le plus complètement.

Il peut arriver d’autre part, et ceci est plus intéressant, qu’à la suite d’une première syllabe muette, la dérivation transforme une syllabe accentuée en atone contenant un e: papetier, papeterie.

1º Si l’un de ces e muets se prononce nécessairement, la question est tranchée: ainsi, pal’frenier, où le second e est soutenu par le groupe fr, car frn serait impossible[437]. De même, mais inversement, bufflet’rie, marquet’rie, parquet’rie, mousquet’rie, où c’est le premier e qui est maintenu; mais on notera que l’e devient généralement mi-ouvert dans tous ces mots, soit par analogie avec tablett’rie et coquett’rie, qui ont deux t, soit sous l’influence de marquète, parquet, mousquet[438].{173}

2º Si aucun des deux e muets ne se prononce nécessairement, l’appui manque à la fois en avant pour l’un et en arrière pour l’autre. En ce cas, la tendance populaire étant de faire tomber le plus d’e possible, et de préférence le premier qu’on rencontre, c’est souvent le premier qui tombera, et au besoin les deux. On dit, quelquefois, pell’terie, pan’terie, grèn’terie, louv’terie, suivant l’analogie de pell’tier, pan’tier, grèn’tier, louv’teau; mais on dit mieux encore, ou du moins plus souvent, et même presque toujours, pell’t’rie, pan’t’rie, gren’t’rie, louv’t’rie, grâce au groupe naturel tr[439].

D’autres fois, c’est le second e qui tombe, pour des raisons diverses: échev’lé, par exemple, a gardé l’e qui se prononce dans chev’lu, où il est initial[440]; on dit de même ensev’lir. Mais dans ce cas l’e conservé prend parfois le son de l’e mi-ouvert: ainsi on prononce généralement caquèt’erie, sous l’influence de caquet ou caquète; bonnèt’rie et briquèt’rie, sous l’influence de bonnet et briquette, en concurrence avec celle de bonn’tier, et briqu’tier; et surtout papèt’rie, plutôt que papet’rie[441]. Même l’e de brevet, qui se prononçait déjà nécessairement dans brevet, à cause du groupe br, prend très souvent le son de l’e mi-ouvert dans brev’té[442].{174}

On remarquera que, dans breve, les deux e muets étaient en tête du mot, comme dans seneçon et chevecier: c’est ce qui explique l’e mi-ouvert qu’on donne à ces mots, comme on l’a donné à chénevis. En dehors de ces exemples, ce cas ne se présente que dans un très petit nombre de mots, chevelu et chevelure, devenir, et une dizaine de verbes de formation populaire, avec préfixe re- et non ré-, comme dans tous les mots qui ne viennent pas directement du latin: recevoir, redemander, redevoir, regeler, rejeter, relever, remener, retenir, revenir, avec leurs dérivés[443]; de plus, quelques formes verbales de refaire et reprendre. Voyons ce qui arrive à ces mots.

Il est clair que si le mot est en tête d’un membre de phrase ou à la suite d’une consonne, c’est re qu’on prononce, sans d’ailleurs en modifier le timbre: rev’nez, il rev’nait. Si le mot est précédé d’un son{175} vocal, on a le choix: si vous rev’nez ou si vous r’venez; le second est plus populaire et plus conforme à la tendance générale que nous avons signalée tout à l’heure. D’ailleurs, nous verrons un peu partout que re- initial est une des syllabes où l’e est le plus caduc, apparemment par suite du grand usage qu’on en fait: c’est probablement une question de sens plutôt qu’une question de phonétique. Néanmoins, il est peut-être plus correct de prononcer le premier e, comme s’il n’y avait rien devant le mot. En tout cas, c’est toujours le premier qui se prononce dans chev’lu et chev’lure, et c’est peut-être en partie pour cela qu’on prononce échev’lé et non éch’ve. Dans les formes comme reprenez, reprenais, c’est le second e qui se prononce nécessairement, et par conséquent les deux, quand le mot ne s’appuie sur rien: vous r’prenez, mais reprenez vos papiers.

Mais voici qui est plus extraordinaire: il y a deux verbes qui commencent par trois syllabes muettes, à savoir redevenir et ressemeler. Dans ces deux mots, le second e ne tombe jamais, peut-être parce qu’il rappelle et représente le premier e de devenir et de semelle; par suite, le troisième e tombe toujours; quant au premier, il peut tomber après un son vocal; mais on trouve plus élégant de le conserver. Ainsi, vous redev’nez est plus distingué; vous r’dev’nez, plus populaire, avec ses deux e qui tombent sur trois. Et peut-être les puristes seraient-ils tentés de dire vous red’venez, pour ne laisser tomber que l’e du milieu; mais c’est là une prononciation affectée, qu’on doit absolument s’interdire; quant à ress’meler, il ne s’est peut-être jamais dit.

6º L’E muet dans les monosyllabes.

J’ai réservé jusqu’ici les monosyllabes, le, ce, je, me, te, se, de, ne et que, pour les considérer à part,{176} parce qu’ils ont un peu plus d’importance que les syllabes muettes ordinaires.

 

I. Un monosyllabe seul.—Le monosyllabe seul est traité en thèse générale comme les syllabes muettes initiales, et non comme les syllabes muettes finales. Ainsi l’e se maintient en principe dans je dis et tombe dans si j’ dis, et même si j’ crois, malgré les quatre consonnes, et même si j’ joue, malgré la répétition du même son, tandis qu’il reparaît dans car je dis[444]. On dit de même, la rob’ me va, à ce rien, à ce roi, à ce ruisseau, pas de scrupules[445].

Mieux encore: si le monosyllabe est précédé d’une finale muette qui se prononce nécessairement, lui aussi se prononce en même temps le plus souvent: je veux entendre le discours[446].

Toutefois, ici encore, dans la conversation courante, les trois monosyllabes je, ce et se, dont la consonne est une spirante, s’élident assez facilement, même sans appui antérieur: s’ laver les mains, j’ sais{177} bien, c’ qu’on a fait[447]. Mais cette prononciation n’est point indispensable; elle est surtout très peu admissible avec les autres monosyllabes: l’ métier, n’ fais rien, qu’ tu es sot, réclament un appui antérieur; on ne dit guère même qu’ réclames-tu, malgré le groupe cr. Il en résulte seulement qu’on pourra dire: je veux entendre c’ qu’on dit, à côté de entendre ce qu’on dit, avec dre à peine sensible. En fait, on dit presque toujours je veux entend’ ce qu’on dit, et même, entend’ c’ qu’on dit, à cause de la spirante médiane, comme on dit fort correctement tu demand’ c’ qu’on dit, avec double élision, l’s médian permettant la consonne triple.

Mais il y a un cas particulier à considérer: le monosyllabe suivi d’une syllabe initiale à e muet. Dans ce cas, il y a hésitation. La tendance à laisser tomber le premier e se manifeste souvent: on l’ devine, pas d’ retraite, si tu t’ relèves, sont aussi usités, quoique moins élégants, que on le d’vine, pas de r’traite, où si tu te r’lèves; mais du moins on a le choix, tandis que plus haut on disait uniquement ell’ tenait, et jamais elle t’nait, elle n’étant pas un monosyllabe. D’autre part, en tête de phrase, il faut bien dire le r’pas et non l’ repas.

Avec l’s médian, on peut avoir ici encore une double élision: tu n’ s’ras pas reçu[448].{178}

 

II. Deux monosyllabes consécutifs.—S’il y a deux monosyllabes de suite, il faut presque toujours que l’un des deux tombe, et c’est généralement le premier, sauf empêchement: si j’ te prends est infiniment plus usité que si je t’ prends. Mais, naturellement, on est obligé de dire, en tête de phrase, ne m’ bats pas, à côté de si tu n’ me bats pas; et je t’ prends est peut-être mieux reçu que j’ te prends, quoique moins usité.

Surtout on dit à peu près toujours fais attention à c’ que tu dis, et non à ce qu’ tu dis, qui est affecté; on va même, nous venons de le voir, grâce à l’s médian, jusqu’à pour c’ que tu dis, avec c’ que tu dis, écrir’ c’ que tu dis, car dans l’assemblage si fréquent ce que, c’est toujours ce qui s’efface devant que; et si les sons paraissent trop durs, on prononcera à la fois ce et que, comme plus haut dans parce que, plutôt que de sacrifier que. Il semble que ce soit une loi générale que que ne tombe jamais devant une consonne, quand il est précédé d’une autre syllabe muette[449].

Au contraire, le est généralement sacrifié au monosyllabe qui précède, quel qu’il soit: on me l’ donne, on te l’ donne, si je l’ savais, sont certainement plus usités et considérés comme plus corrects que on m’ le donne, on t’ le donne, si j’ le savais. C’est probablement parce que me, te, je, pourraient être remplacés par des mots inélidables, nous, vous, tu: on vous l’ donne, si tu l’ savais, tandis que le est toujours le, et toujours élidable, outre qu’on a une très grande habitude de l’élider par ailleurs.

D’autre part, je et de l’emportent aussi généralement sur ne, quand rien ne s’y oppose: si je n’veux pas, comme si tu n’veux pas, et non si j’ne veux{179} pas[450]; de même je promets de n’pas sortir et non d’ne pas sortir, sans doute à cause de la fréquence du groupe n’pas. Toutefois on sera bien obligé de dire je promets d’ne rien manger, pour le même motif que l’e se maintient dans chapelier ou mangeriez, ou dans à ce rien.

 

Et maintenant, s’il y a concurrence entre que et je, ou entre que et de, c’est encore que qui l’emporte de préférence: on dit il est certain que j’viens et non qu’je viens, et plutôt que d’fuir est préféré à plutôt qu’de fuir, qui est plus familier.

 

On voit donc qu’il y a une véritable hiérarchie entre les monosyllabes: au sommet, que, puis je; au plus bas degré le, suivi de la muette initiale des mots, et en dernier lieu de la muette finale, celle-ci ne se prononçant que quand il est impossible de faire autrement.

Dernière observation: deux monosyllabes peuvent aussi être suivis d’un mot commençant par une syllabe muette. En ce cas, c’est elle qui s’élide de préférence quand elle peut; on dira donc il fut content d’ne r’trouver personne, et même, familièrement, j’ne r’grette rien, aussi bien que j’le r’grette ou j’me d’mande: c’est ici l’e du milieu qui se maintient, comme nous allons le voir avec trois monosyllabes, et qui se maintient d’autant mieux que le troisième e est plus faible[451]. Et si le premier monosyllabe est obligé de se prononcer, on les prononce donc tous les deux: on dit au sortir de ce ch’min, plutôt que de c’chemin; ell’ ne me r’vient pas, plutôt que ell’ ne m’revient pas, qui se dit aussi.{180}

 

III. Trois monosyllabes consécutifs.—S’il y a trois monosyllabes de suite, quelques puristes prononcent le premier et le troisième: si je t’le dis; mais tout le monde prononce en général le second seul: si j’te l’dis, et même au besoin j’te l’dis, sans si, comme tout à l’heure j’le r’grette. Tout ce qu’ je dis est particulièrement affecté, et tout c’ que j’dis est la seule prononciation usitée; et si pour écrir’ c’ que j’dis paraît trop dur, nous savons déjà qu’on prononce ce avec que, c’est-à-dire les deux e médians, plutôt que d’élider que: pour écrir’ ce que j’dis, pour prendr(e) ce que j’remets (ou c’que j’remets, ou c’ que je r’mets).

Toutefois, ne étant subordonné à je et de, on dira si je n’le dis pas plus correctement que si j’ne l’dis pas; et en tête de phrase on disait bien j’ne r’grette rien, à cause de la faiblesse de re initial, mais on ne dirait pas j’ ne l’sais pas, et pas davantage j’ne l’regrette pas, avec ou sans si, mais uniquement je n’le r’grette pas. En revanche, la prédominance de que sur je fait qu’on peut dire c’que j’demande aussi bien que c’que je d’mande, et même c’est c’que j’regrette.

D’autre part, si, sur trois monosyllabes, que est en concurrence avec je, c’est celui des deux qui est médian qui l’emporte; on a donc c’est qu’je n’sais pas, et non c’est que j’ne sais pas, à côté de c’est c’que j’sais bien. On voit même je médian se maintenir à côté de que obligé: il est sûr que je n’sais pas, et non que j’ne sais pas, malgré il est sûr que j’te crains peu. Mais que reprend sa primauté, s’il y a une muette initiale supplémentaire, et qu’il faille choisir: c’est que j’ne r’viens pas est plus usité que c’est qu’je n’reviens pas.

IV. Plus de trois monosyllabes consécutifs.—S’il y a plus de trois monosyllabes de suite, avec ou sans syllabe muette antérieure ou postérieure, il{181} y aura certainement dans le nombre que, et même ce que, ou bien je, sinon les deux; dès lors la prédominance de que, ou, le cas échéant, celle de je, et d’autre part l’effacement ordinaire de le et ne, détermineront aisément le choix, ou même couperont la série en deux ou trois membres, où que fera l’effet d’une tonique, et aussi je, le cas échéant: si je n’te l’dis pas, si je n’me l’demande pas, c’est c’que j’me d’mande, c’est c’que j’me r’demande.

On voit qu’en général les e élidés alternent avec les autres. Mais ici encore, bien entendu, que et je pourront être prononcés à côté l’un de l’autre. Ainsi l’on dira aussi bien, et même mieux, c’est c’que je r’demande, que c’est c’que j’red’mande, et nécessairement c’est c’que je n’te d’mande pas et c’est c’que je n’te r’demande pas, tu veux t’instruir’ de c’que je n’sais pas, parc’que (ou puisque) je n’te l’fais pas dire, tu réclam’ c’que je n’te r’mets pas, parce que je n’te le r’mets pas[452].

On notera que, dans ce dernier exemple, on peut prononcer jusqu’à cinq e muets sur sept, dont trois de suite; le plus fort écrasement en laissera encore trois debout, dont que et je de suite: parc’ que je n’t’ le r’mets pas, car ni que ne peut s’élider après parce, ni je devant ne.

On avait ici sept e muets de suite; en voici huit et même neuf: tiens-moi quitt’ de c’que je n’te r’mets pas, et tu t’lament’ de c’que je n’te le r’mets pas (ou je n’te l’remets pas, ou plus souvent je n’t’le r’mets pas).

7º Conclusions.

De toutes ces considérations il résulte qu’il y a souvent plusieurs façons de prononcer les mêmes{182} phrases, même sans parler des cas où l’on tient à mettre en relief une syllabe particulière. D’une façon générale les e muets, quels qu’ils soient, peuvent tomber en plus ou moins grand nombre, suivant les personnes, suivant les lieux, et surtout suivant l’allure du débit. On parle plus rapidement qu’on ne lit: la lecture conservera donc des e muets que la langue parlée laisse tomber. On parle ou on peut parler dans la conversation plus rapidement que dans un discours: la conversation rapide ou simplement négligée écrase donc une foule d’e muets qui se conservent partout ailleurs. Mais alors on arrive facilement à des incorrections que rien ne peut justifier.

C’est le défaut des phonéticiens, et surtout des phonéticiens étrangers, de recueillir précieusement les façons de parler les plus négligées, pour les offrir comme modèles; et alors on voit des étrangers s’évertuer consciencieusement à reproduire dans un discours étudié et lent des formes de langage que la rapidité du débit pourrait seule excuser: cela est ridicule. Ces phénomènes se produiront toujours assez tôt et spontanément, quand la connaissance de la langue sera parfaite et qu’on en fera un usage habituel et constant.

Ainsi tout à l’heure nous citions parce que réduit à pasque: ces choses-là se constatent, mais ne doivent pas s’imiter volontairement.

On a vu aussi que, dans la prononciation populaire ou simplement négligée, la chute de l’e muet entraîne souvent celle de l’r: vot’ père, quat’ jours, un maît’ d’anglais, pour entend’ le discours. C’est également pour permettre à l’e muet final de tomber qu’on supprime l’l dans quelque; mais ce n’est que dans une conversation très familière qu’on dit que’qu’chose, ou que’qu’fois. On va plus loin: on dit couramment c’t homme, qui au temps de Restaut était considéré comme correct, et même {183}c’t un fou, où l’on fait tomber non pas un e muet, mais un e ouvert; comme dans s’pas, pour n’est-pas, et même pas? tout court; et l’on dit encore p’têt’ bien (ou ben), où ce n’est plus un e qui tombe, mais eu, assimilé à l’e muet, sans compter la finale re: tout cela est-il à recommander? Le peuple, et même les gens les plus cultivés en disent bien d’autres: qu’ est qu’ c’est qu’ça, ou même simplement c’est qu’ça, ou encore qu’ça fait, sans parler de ou ’st-c’ que c’est, ou plus brièvement où qu’c’est. Car on parle uniquement pour se faire comprendre, et avec le moins de frais possible: c’est le principe de moindre action, qui s’applique là comme ailleurs. Mais d’abord ce n’est peut-être pas ce qu’on fait de mieux; ensuite on ne dit pas cela partout, ni à tout le monde; enfin, quand on parle ainsi, on n’a nullement la prétention de fournir un modèle à suivre.

 

On voit que l’écueil de la prononciation, relativement à l’e muet, c’est l’abus des élisions. Mais le contraire se produit aussi parfois. Comme deux consonnes tendent à maintenir l’e muet devant une troisième, il arrive aussi qu’elles en appellent un qui n’existe pas! Il n’est pas rare d’entendre prononcer lorseque, exeprès, Oueste-Ceinture, ourse blanc, qui rappellent bec ed gaz[453]. Évidemment l’est de Paris est difficile à prononcer, à cause des deux dentales qui se heurtent: on est obligé de les fondre à peu près en une seule. D’autre part le français répugne à commencer les mots par deux consonnes, si la seconde n’est pas une liquide; de là la formation de mots tels que esprit, é(s)chelle, é(s)tat, qui ont gardé ou perdu leur s après addition de l’e;{184} mais il faut éviter d’augmenter le nombre de ces mots en disant une estatue, ou d’intercaler un e dans s(e)velte[454].

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Nous ne pouvons pas terminer ce chapitre sans dire un mot de la question des vers, dont l’e muet est un des charmes les plus sensibles, comme aussi les plus mystérieux. L’e muet est une des caractéristiques les plus remarquables de la poésie française. Aussi les principes que nous venons de développer ne sauraient-ils en aucune façon s’appliquer à la lecture des vers, qui exige un respect particulier de l’e muet.

Voici un vers de l’Expiation, de V. Hugo:

Sombres jours! l’empereur revenait lentement.

On laissera les acteurs articuler neuf syllabes, comme si c’était une phrase de Thiers: ici il en faut douze, si l’on peut. L’e muet d’empereur est le seul qui évidemment ne puisse pas se prononcer, car il est de ceux qu’on ne devrait pas écrire; s’ensuit-il qu’il faille le laisser tomber complètement? En aucune façon: l’oreille doit en percevoir la trace, ne fût-ce qu’un demi-quart d’e muet; il suffira même d’appuyer un peu plus sur la syllabe précédente pour faire sentir à l’oreille qu’il y a là quelque chose comme une demi-syllabe. Et sans doute cela est difficile; mais les autres n’offrent aucune difficulté. Les e de revenait doivent se prononcer pleinement tous les deux, et quand à celui de lentement, on peut aisément le faire sentir plus que celui d’empereur: le sens même ne l’exige-t-il pas?{185}

Voici un vers d’une toute autre espèce, qui ne peut, pas être dit non plus de n’importe quelle manière:

Je veux ce que je veux, parce que je le veux[455].

Le premier élément je veux doit être suivi d’une pause; le second a quatre syllabes dont il sera bon de prononcer la première et la troisième, contrairement à l’usage courant[456]; le second hémistiche doit se diviser en deux parties égales avec un accent fort sur que; ou si l’on accentue sur par, il faudra faire sentir tous les e muets.

Dans cet autre vers de V. Hugo:

Mais ne me dis jamais que je ne t’aime pas[457],

qui aurait huit syllabes en prose rapide, tous les e muets doivent être prononcés, sauf le dernier, qu’on doit encore sentir à moitié; et je dis sentir plutôt qu’entendre, le prolongement du son ai et aussi de l’m suffisant à marquer l’existence de la muette qui suit.

Il est bien vrai que les poètes ne manient pas toujours l’e muet avec l’art et la prudence qu’il faudrait, et qu’ils mettent souvent le lecteur à de rudes épreuves. Il ne faut pourtant pas les trahir, même s’ils le méritent parfois[458].{186}

VIII.—LES SEMI-VOYELLES

1º Divorce entre la poésie et l’usage.

On se rappelle que les trois voyelles extrêmes, i, u, ou, quand elles sont suivies d’autres voyelles, font presque nécessairement diphtongue avec elles, et, se prononçant très rapidement, doivent être tenues pour des consonnes autant que pour des voyelles.

Quand le groupe est précédé d’une autre voyelle, il n’y a pas de discussion possible, et la synérèse entre les deux dernières est nécessaire et manifeste: na-ïade, plé-ïade, pa-ïen, fa-ïence, a-ïeux, ba-ïonnette[459].

Si au contraire le groupe est précédé d’une consonne, il y a alors une très grande différence à faire entre la prose et la poésie, car les poètes s’en tiennent encore aujourd’hui, dans la plupart des cas, à des traditions de plusieurs siècles, qui remontent aux origines latines, et par suite ils ne comptent guère comme diphtongues que les diphtongues étymologiques. Or il n’y en a plus que deux en français: et ui. Encore ie et ui ne sont-ils pas diphtongues partout étymologiquement: aussi ie est-il diphtongue pour les poètes dans pied, mais non dans épi-é; dans dieu, mais non dans odi-eux; dans rien, mais non aéri-en; ui est diphtongue pour eux dans{187} puits, mais non ru-ine, dans bruit, mais non ingénu-ité[460].

Les poètes admettent encore les diphtongue ions et iez dans les imparfaits et les conditionnels, mais point ailleurs: ils distinguent ainsi les imparfaits alliez, mandiez, des présents alli-ez, mendi-ez, etc., les imparfaits portions, inventions, etc., des substantifs porti-ons, inventi-ons[461].

En dehors de ces cas, les diphtongues sont rares chez eux: les groupes ia, io, iu, fournissent à peine quelques exceptions courantes, comme diable ou pioche; de même les autre groupes, commençant par u et ou: ainsi dgne et oui.

Nous n’insisterons pas sur la question, ceci n’étant pas un traité de versification, mais il importait que le lecteur fût averti que dans ces rencontres les vers doivent très souvent se prononcer autrement que la prose.

2º La semi-voyelle Y.

La plus importante et la plus fréquente des semi-voyelles, et celle qui se forme le plus facilement, c’est celle qui provient de l’i: dans cette fonction elle s’appelle yod, et sa prononciation se marque commodément par y.{188}

 

I. Après une consonne.—Le groupe ia est assez fréquent, et se trouve par exemple dans un grand nombre de finales: -ia, -iable, -iaque, -iacre, -iade, -iaffe, -iage, etc. Le groupe ie n’est pas moins fréquent. Mais quel que soit le groupe, ia, iai ou ian, , , ien ou ieu, io, ion ou iu, partout c’est ya, yai, , etc., qui se prononcent, même si l’i appartient étymologiquement à la syllabe précédente, ce qui d’ailleurs est le cas ordinaire: mar-yage, byais, or-yent, ép-yer, nce, coméd-yen, pluv-yeux, ag-yoter, pass-yon, bin-you, op-yum.

Toutefois, si l’i appartient à un préfixe qui garde son sens plein, la séparation est maintenue: anti-alcoolisme, archi-épiscopal.

D’autre part, il ne faut pas non plus qu’il y ait dans la prononciation même un obstacle à la formation de la diphtongue. Ainsi il est clair que lier ou nier en tête d’une phrase se prononceront difficilement en une syllabe.

Mais surtout la synérèse est impossible, quand l’i est précédé soit de l’u consonne, soit, et plus encore, de l’un des groupes à liquide finale, bl, br, cl, cr, etc. L’i (ou y) reste donc nécessairement voyelle dans des mots comme qui-étisme, et surtout maestri-a, dry-ade, tri-ait, fabli-au, oublier, pri-ère, Adri-en, oubli-eux, bri-oche, tri-omphe, Bri-oude, stri-ure ou atri-um. Mieux encore: on sait qu’à la suite des mêmes groupes, les diphtongues originelles ont dû se décomposer avec une nécessité qui s’est imposée aux poètes eux-mêmes, dans les mots tels que meurtri-er, sabli-er, devri-ons, devri-ez[462].{189}

Mais on notera ici un phénomène remarquable: dans tous les mots où l’i reste ainsi rattaché à la syllabe précédente, il se développe spontanément entre l’i et la syllabe qui en reste séparée, un yod, qui s’ajoute à l’i: qui-étisme, bri-oche et meurtri-er se prononcent en réalité qui-yétisme, bri-yoche, et meurtri-yer, de même que plus haut nous avons vu la finale i-e prolongée aboutir à i-ye: la vi-ye[463]. Que dis-je? pour distinguer l’imparfait du présent dans les verbes en i-er, tandis que vous étudi-ez se prononce ordinairement étud-yez, étudi-iez se prononce en réalité étudiy-yez[464]. Daign-iez, dont le cas est pareil, est même fort difficile à prononcer.

 

II. Décomposition de l’y grec entre deux voyelles.—Nous avons dit que l’i est assez rare entre deux voyelles dans le corps d’un mot. L’y grec y est au contraire assez fréquent. Il se produit alors une décomposition de l’y grec en deux i, qui appartiennent à des syllabes différentes; et alors le premier altère ou diphtongue la voyelle précédente, tandis que le second devient semi-voyelle: payer ou grasseyer se prononcent pai-yer et grassei-yer; royal se prononce roi-yal; fuyard se prononce fui-yard.

Il est évident que roi ne peut pas s’accommoder de ro-yal, ni fuir de fu-yard. Mo-yen, qu’on entend encore parfois, est tout à fait suranné et détestable,{190} malgré les efforts de Littré[465]; vo-yons ou a-yant, qu’on entend aussi, sont peut-être encore pires; savo-yard et bru-yant, qui ne sont pas rares, ne sont guère meilleurs; écu-yer serait plus justifié, mais il y a beau temps qu’il est passé à écui-yer.

Mais voici un phénomène plus curieux: l’y grec se décompose même à la fin du mot, le second i faisant syllabe à lui seul, dans pays (pè-i), et par suite payse, paysan, paysage, dépayser, malgré la consonne articulée qui suit. Il en est de même devant l’e muet, dans abbaye (abè-i), qui a ainsi quatre syllabes, si on compte la muette. On prononce d’ailleurs abè-yi aussi souvent que abè-i; mais on dit plus généralement pè-i, pèi-se, pè-isage[466].

J’ajoute qu’ici aussi, bien entendu, la décomposition de l’y grec n’empêche pas la formation de deux yods dans les imparfaits et subjonctifs en -ions et -iez: fuyions, fuyiez se prononcent en réalité fuiy-yons, fuiy-yez.

Cette décomposition de l’y grec entre deux voyelles est en français une règle très générale. On y trouve cependant un certain nombre d’exceptions qu’il faut indiquer: je veux dire des mots qui ne décomposent pas l’y grec, mais gardent intacte la voyelle qui le précède[467].{191}

1º L’a reste intact dans le populaire fa-yot, dans ta-yon et ta-yaut, qui s’écrit aussi taïaut, dans bra-yette, qui est plutôt braguette (mais non dans brayer ou brayon), et dans ba-yer aux corneilles, qui devrait être bai-yer (comparez bouche bée, béant): une confusion s’est faite avec bailler depuis fort longtemps, contre laquelle il est impossible de réagir[468].

L’a se maintient aussi dans coba-ye, cipa-ye, ba-yadère et papa-yer, qui sont des mots d’origine étrangère, ainsi que dans l’expression exotique en paga-ye[469].

2º L’o reste intact dans bo-yard et go-yave, mots étrangers, et dans cacao-yère, pour conserver le simple cacao, mais non dans voy-ou, qui vient de voie, ni dans savoy-ard, qui vient de Savoie, ni dans les mots en -oyau, où la prononciation par o est devenue exclusivement populaire[470].{192}

3º L’u reste intact dans gru-yer, mot étranger, ordinairement aussi dans thu-ya, qui est dans le même cas; de plus dans bru-yère, qui a peut-être été maintenu par le nom propre La Bru-yère, et dans gru-yère, qui est aussi originellement un nom propre.

La tendance à décomposer l’y dans les mots français est si forte qu’on prononce quelquefois thui-ya et que gru-yère lui-même, nom propre francisé en nom commun, est parfois articulé grui-yère, malgré la difficulté; mais c’est assez rare. Avec l’u, c’est plutôt le phénomène contraire qui se produit, c’est-à-dire qu’on paraît tendre parfois à revenir de ui à u.

Ainsi le mot tuyau, peut-être sous l’influence de gru-yère, est en voie de perdre sa prononciation correcte; sans doute, même en dehors des puristes, il y a encore beaucoup de gens, des femmes surtout, qui prononcent tui-yau; mais la prononciation populaire tu-yau est aujourd’hui répandue partout et paraît devoir prévaloir[471].

De même tu-yère. On altère parfois jusqu’à bruyant, qui vient de bruit, sans doute par l’analogie de bru-yère; mais je ne pense pas que bru-yant, qui est fort incorrect, puisse se généraliser[472].{193}

On peut ajouter ici que le mot alleluia, quoiqu’il n’ait point d’y grec, se prononce le plus généralement allelui-ya, comme le latin quia.

 

III. Changement de l’Y grec en I.—Une autre modification s’est faite à la prononciation de l’y grec dans les verbes en -ayer, -oyer, -uyer; ou plutôt il s’est changé en i simple devant un e muet, au présent, au futur et au conditionnel, d’où disparition du yod: noi(e), noi(e)ra, noi(e)rait[473].

Seuls les verbes en -eyer ont gardé partout l’y grec; mais grasseyer est le seul qui soit répandu.

Les verbes en -ayer, qui sont fort rapprochés des précédents, hésitent souvent entre deux formes et deux prononciations: pai(e) et pai(e)ra, ou paye (pai-ye) et payera (pai-yera). Au futur et au conditionnel, l’i l’emporte sans conteste, et si l’on dit encore rai-yera ou pai-yera, on ne dit plus effrai-yera, plus guère essai-yera ou balai-yera. Au présent, l’y grec se maintient un peu mieux: j’essai-ye et surtout je rai-ye sont fort usités; je balai-ye ou je pai-ye le sont moins, mais sont encore très corrects[474].{194}

Ce phénomène a complètement disparu des verbes en oyer, et des formes comme noye ou flamboye sont tout à fait inusitées, malgré le voisinage de noyons et flamboyons. Il est vrai qu’on entend encore assez souvent dans le peuple soye (soi-ye) et soyent, sans doute par analogie avec soyons, soyez; mais cette prononciation est extrêmement vicieuse, d’autant plus qu’on écrit sois et soit au singulier; et quoiqu’on écrive assez sottement aie et aies, comme voie, avec des e muets, la prononciation ai-ye ou voi-ye, qu’on entend parfois, n’est pas moins condamnable aujourd’hui[475].

 

IV. L’I ou Y grec initial devant une voyelle.—L’y grec initial devant une voyelle est toujours consonne: yacht, yatagan, et les poètes eux-mêmes ont bien de la peine à le séparer[476].

On peut considérer le groupe il y a comme un cas particulier de ce fait général: ce n’est qu’en vers que il y a peut compter pour trois syllabes; mais quand on parle, on n’en fait que deux, quoiqu’il y ait trois mots[477].

Le phénomène est le même pour il y eut, il y aura et toute la conjugaison, et aussi pour la conjugaison de il y est. Le phénomène est même bien plus mar{195}qué encore pour ça y est, où y se trouve entre deux voyelles, cas identique à celui de na-ïade ou go-yave[478].

Quant à l’i, on ne le trouve en tête des mots que dans quelques mots savants d’origine latine, où l’usage ordinaire, à défaut des poètes, en fait aussi une consonne: ïambe, iode, ionique, iota, iule et leurs dérivés. En revanche, l’adverbe hi-er a deux syllabes depuis le XVIᵉ siècle, et ne doit pas se prononcer yer, sauf en vers, quand la mesure l’exige; tout au plus peut-on dire avantyer, et ce n’est nullement nécessaire[479]. Il n’en est pas de même du groupe initial hiér- (hroglyphe, hrarchie), qui ne fait deux syllabes qu’en vers et encore pas toujours[480].{196}

Pour terminer sur ce point, nous ajouterons que la prononciation actuelle des ll mouillés les assimile complètement au yod, par exemple dans taille, abeille, fille, etc., qui se prononcent ta-ye, abe-ye, fi-ye; d’où il résulte que les finales de prier et briller se prononcent exactement de la même manière: pri-yer, bri-yer[481].

Le gli italien est dans le même cas que les ll mouillés. Enfin gn mouillé diffère peu de ny: les finales de daigner et dernier sont à peu près identiques. Nous reviendrons sur tous ces points dans les chapitres consacrés aux consonnes[482].

3º La semi-voyelle U.

Les autres semi-voyelles nous arrêteront moins.

Les groupes de voyelles qui commencent par u, à savoir ua, uai, , , uei, ui, uin, et même uon, sont aussi des diphtongues en général dans l’usage courant, sinon en vers; et l’on sait que le groupe ui est généralement diphtongue, même en vers. Ainsi u fait fonction de consonne dans per-sua-der, s-uaire, insi-nuant, sué-dois, impé-tueux, fuir, juin et même nous nous ruons[483].

Pourtant le phénomène est moins constant que dans les groupes qui commencent par i.{197}

D’abord l’u est parfois suivi lui-même d’un groupe où i est semi-voyelle, auquel cas l’u doit rester distinct, comme dans tu-ions, tu-iez[484].

Mais surtout deux consonnes différentes quelconques suffisent généralement ici pour empêcher la synérèse, par exemple dans argu-er, sanctu-aire ou respectu-eux, et presque tous les mots en -ueux, aussi bien que dans obstru-er, conclu-ant, conclu-ons, flu-ide, bru-ine et dru-ide, où figurent les groupes connus cl, br, etc.

Toutefois la diphtongue étymologique s’est maintenue, même en vers, malgré les mêmes consonnes, dans autrui, dans pluie et truie, dans bruit, fruit et truite, dans détruire, instruire et construire[485]; elle s’est diérésée seulement dans bru-ire, bru-issant, bru-issement, qui sont plutôt des mots poétiques, et même dans ébru-iter. Euphu-isme, mot savant, n’a pas subi la synérèse, non plus que du-o.

L’u est semi-voyelle à fortiori, même en vers, quand il se prononce dans les groupes qua, que et qui, gua, gue et gui; mais il ne garde le son u que devant e et i: questeur, aiguille; il prend le son de la semi-voyelle ou devant a: équation, guano[486].

Il va sans dire que, dans juin, l’u ne doit pas prendre le son ou, comme il arrive souvent (cela arrive parfois même dans puis). Quelques-uns prononcent jun, ce qui est encore pis; d’autres même prononcent juun sans s’en apercevoir! Juin doit se prononcer comme il est écrit, mais en une seule syllabe.{198}

Enfin il faut éviter avec soin de réduire ui à u dans menuisier ou fruitier, comme de le réduire à i dans puis ou puisque.

4º La semi-voyelle OU.

Les groupes de voyelles qui commencent par ou, à savoir oua, ouai, ouan, oué, ouè, ouen, oueu, oui, ouin, et même ouon, sont également diphtongues dans l’usage courant, sinon en vers, et même plus facilement que ceux qui commencent par u. Ainsi ou fait fonction de consonne dans des mots comme ouail-les, couen-ne, douai-re, jouer, mouette, joueuse, fouine ou baragouin et, nous jouons[487]; et la synérèse n’est guère empêchée que par les groupes de consonnes bl, br, etc., dans des mots tels que flou-er, trou-er, trou-ait, trou-ons, prou-esse, éblou-ir, qui ne sont pas très nombreux[488].

Pourtant des mots comme bou-eux et nou-eux subissent mal la synérèse, et le discours soutenu, qui se rapproche du vers, l’évite souvent dans des mots tels que jou-er, lou-er, comme aussi tu-er. Il faut y ajouter naturellement les formes comme jou-ions, jou-iez, qui sont dans le même cas que tu-ions, tu-iez.

 

On sait que le w anglais est précisément la consonne que nous représentons par ou: ainsi dans whist ou tramway, mais ces deux mots sont les seuls mots de la langue, noms propres à part, où le w conserve régulièrement le son ou[489].{199}

Nous venons de voir ou semi-voyelle quand l’u se prononce dans les groupes qua et gua. Nous avons vu aussi que la diphtongue oi représentait en réalité oua ou wa; et il en est de même de oin qui est identique à ouin.

La prononciation de oi et oin en une seule syllabe est même si facile que les groupes de consonnes bl, br, etc., ne produisent jamais ici la diérèse, pas plus dans groin, malgré Victor Hugo, que dans croix ou emploi[490].

Il arrive aussi parfois que l’o s’assourdit en ou même devant une voyelle autre que in. Cela est nécessaire dans joaillier, qui, malgré son orthographe, est apparenté à joyau, et il n’y a que les poètes pour obliger le lecteur à scander jo-aillier. Mais le phénomène se produit parfois même dans oasis ou casoar, qu’on prononce facilement ouasis et casouar, quand on parle un peu vite[491].

Autrefois, notamment au XVIᵉ siècle, cet assourdissement de l’o en ou était un phénomène général; jusqu’à la Révolution, poète et poème, où Boileau avait rétabli définitivement la diérèse en vers, se prononcèrent en prose et dans l’usage courant pouème et pouète. Mais cette prononciation ne saurait aujourd’hui être admise[492].{200}

Je rappelle que moelle, moelleux, moellon, poêle, poêlon, devraient s’écrire par oi[493]. De même on a respecté l’orthographe adoptée, à tort ou à raison, pour go-éland (en breton gwélan) et pour go-élette (autrefois goualette); mais ici l’orthographe a réagi sur la prononciation, surtout en vers, et l’on est bien obligé de séparer l’o.{201}

DEUXIÈME PARTIE

LES CONSONNES.

Quoique nous ayons établi au début de ce livre un classement des consonnes, qui nous a été fort utile pour l’étude des voyelles, nous suivrons ici l’ordre alphabétique, qui paraît plus pratique, en mettant ch après c, et l’n mouillé (gn) à la suite de l’n.

Mais avant de passer à l’étude particulière des consonnes, quelques observations générales ne seront pas déplacées.

1º Le changement spontané des consonnes.

Avant tout, nous devons constater une fois pour toutes, pour n’y pas revenir à chaque instant, un phénomène d’ordre général, qui est le changement spontané de certaines consonnes[494].

Pour prendre l’exemple le plus simple et le plus aisé à constater, on croit prononcer obtenir, mais on prononce en réalité optenir; pour prononcer exactement obtenir, il faudrait un effort qu’on ne fait jamais, pas plus en vers qu’en prose, pas plus en discourant lentement qu’en parlant vite. Ce phénomène s’appelle accommodation, ou même assimilation[495].{202}

Ceux qui ont fait un peu de grec connaissent bien ce phénomène: quand une muette, leur dit la grammaire, est suivie d’une autre muette, elle se met au même degré qu’elle. Dans obtenir, la labiale douce b, suivie de la dentale forte t, se change en la labiale forte p; elle s’accommode à la consonne qui suit, et cela spontanément et nécessairement, par le jeu naturel des organes[496].

En français, ce phénomène est extrêmement général.

D’abord, une muette ne s’accommode pas seulement à une autre muette, comme dans obtenir, où la douce devient forte, et anecdote (anegdote) où la forte devient douce, mais aussi bien à une spirante, comme dans tous les mots commençant par abs- (aps) ou obs- (ops) et même subs- (sups, sauf devant i).

D’autre part, une spirante aussi peut s’accommoder soit à une autre spirante, comme dans transvaser (tranzvaser) ou disjoindre (dizjoindre), soit à une muette, comme dans rosbif (rozbif), Asdrubal (azdrubal) ou disgrâce (dizgrâce).

Il est vrai que ces heurts de consonnes sont assez rares dans les mots français; mais cette accommodation passe aussi bien par-dessus l’e muet, toutes les fois que l’e muet peut tomber, comme dans paquebot (pagbot) ou decine (métsine), dans clavecin (clafcin) ou nous faisons (vzons), dans crévecœur (crefkeur), rejeton (rechton), naïve (naïfté), ou le second (lezgon)[497].

{203}

Mais tout ceci se fait normalement, dans le langage le plus soutenu et le plus lent. Dans le langage très rapide, on en voit bien d’autres, car l’accommodation s’y fait même entre des mots différents. Le b devient p dans qu’exhibes-tu là? et inversement le p devient b dans Philippe de Valois; le d se change en t dans et ainsi de suite, et le t se change en d dans vous êtes insensé (cette fois, c’est l’s final, prononcé uniquement pour la liaison, et prononcé doux, qui détermine le changement); de même encore g devient k, et k devient g, dans on navigue chez nous (ikch) et chaque jour (agj)[498].

Même phénomène pour les spirantes: on peut comparer grave cela (afs) avec griffes aiguës (ivz), voyages-tu? (acht), avec tache de vin (ajd), rose pourpre (osp), avec est-ce bien? (ezb). Le langage tres rapide rapproche même des muettes ou des spirantes identiques, changeant par exemple une dentale forte t en dentale douce d devant un autre d, et ceci est l’assimilation proprement dite: vous êtes dur (edd), il galope bien (obb), je ne navigue qu’ici (ikk), tu brises ce pot (iss), je mange chez vous (chch), etc. On va plus loin encore: dans la prononciation populaire, ou simplement familière, qui supprime non seulement l’e muet, mais aussi l’r qui précède, à la suite d’une muette ou d’une spirante, on arrive à un maître d’hôtel (aidd) ou une pauvre femme (auff).

Les appareils de là phonétique expérimentale ont même constaté une assimilation plus extraordinaire encore, par-dessus une voyelle sonore. Dans les mots couché sous un pin, il arrive que le premier s se rapproche sensiblement du second[499].{204}

Tous ces phénomènes sont spontanés et involontaires. Aussi doivent-ils rester tels, et par conséquent ne se produire que dans un débit très rapide. Ils sont extrêmement curieux pour le savant, mais ne doivent être étudiés qu’à un point de vue purement scientifique. Je ne puis que répéter ici ce que j’ai dit à propos de l’e muet: les phonéticiens étrangers recueillent précieusement ces phénomènes pour les offrir à l’étude de leurs compatriotes, ayant pour principe unique: cela est, donc cela doit être[500]. Ils ne se doutent pas que beaucoup de façons de parler ne sont acceptables que lorsque et parce que personne ne s’en aperçoit, mais qu’elles sont ridicules, quand elles sont voulues et manifestes. Il faut parler naturellement. On n’a pas besoin d’effort pour prononcer un p dans obtenir: on le prononce nécessairement, et, par suite, il est toujours légitime. Mais on ne met pas nécessairement un s doux dans est-ce bien; on doit donc prononcer le c naturellement, et ne jamais faire effort pour prononcer autre chose que c, même quand on parle vite: il se change toujours assez tôt en z, sans qu’on s’en aperçoive, ni celui qui parle, ni celui qui écoute, et c’est alors seulement que le phénomène devient légitime.

De ce phénomène spontané on peut rapprocher un autre phénomène qui se produit aussi spontané{205}ment: c’est le redoublement de la première consonne, dans certains mots sur lesquels on veut appuyer, surtout dans l’interjection: mmisérable! inssensé! Si la première consonne est suivie d’un r, c’est l’r qui se redouble; il est ttoujours là à grratter. On voit que ce redoublement est un phénomène analogue à l’accent oratoire, et qui coïncide généralement avec lui[501].

2º Quelques observations générales.

Première observation: les consonnes finales, qui autrefois se prononçaient toutes, comme en latin, ont peu à peu cessé en grande majorité de se prononcer[502]; toutefois, depuis un siècle, grâce à l’orthographe, beaucoup ont reparu de celles qui ne se prononçaient plus. Il y a notamment quatre consonnes finales qui se prononcent aujourd’hui régulièrement; ce sont les deux liquides: l et r, avec f et c.

En second lieu, les consonnes intérieures se prononcent aussi presque toutes aujourd’hui. Ce n’est pas qu’il n’y ait encore beaucoup d’exceptions; mais leur nombre tend toujours à diminuer, et toujours par l’effet de la fâcheuse réaction orthographique, due surtout à la diffusion de l’enseignement primaire[503].{206} Depuis qu’une foule de mots sont appris par l’œil avant d’être appris par l’oreille, on les prononce naturellement comme ils sont écrits. Et puis il y a là aussi l’effet naturel d’un pédantisme naïf et inconscient; car enfin, quand on prononce sculpeter, lègue ou aspecte, cela ne prouve-t-il pas qu’on a fait des études, et qu’on sait l’orthographe? Aussi les plus coupables dans cette affaire sont encore ceux, journalistes ou hommes de lettres, qui s’opposent par tous les moyens à la réforme de l’orthographe. Quant à ceux qu’on appelle dédaigneusement les «primaires», ils sont plus excusables: sachant bien qu’il ne dépend pas d’eux d’écrire comme on parle, ils parlent comme on écrit! Nous verrons, chemin faisant, les altérations que la langue a déjà subies ou subira encore, par le fait de notre orthographe.

Enfin, il y a la question des consonnes doubles: Quand se prononcent-elles doubles ou simples[504]? Cette question doit être étudiée à propos de chaque consonne, dans un intérêt pratique; mais il y a encore là un phénomène d’ordre général, dont il faut dire un mot d’avance.

Il va sans dire que la question ne se pose qu’entre deux voyelles non caduques, appuis nécessaires des deux consonnes en avant et en arrière: col-laborer. Et en effet, à la fin d’un mot, ou devant un e muet, qui tombe régulièrement, la question ne se pose plus: djin(n), bal(le), ter(re), dilem(me), al(le)mand se prononcent nécessairement comme si la consonne était simple[505].{207}

Or, entre voyelles non caduques, la règle générale est que, dans les mots purement français, et d’usage très courant, la consonne double se prononce simple: a(l)ler, do(n)ner; et il y en a souvent deux ou même trois dans le même mot, comme a(s)suje(t)ti(s)sant ou a(t)te(r)ri(s)sage. On ne devrait donc prononcer les deux consonnes que dans les mots tout à fait savants, où l’on peut, à la rigueur, conserver légitimement la prononciation attribuée à l’original sur lequel ils sont calqués: col-lapsus, com-mutateur, septen-nat, ir-récusable, proces-sus, dilet-tante[506].

Malheureusement l’emphase naturelle de l’accent oratoire a étendu cette prononciation à beaucoup d’autres mots, comme hor-reur ou hor-rible. Et surtout le pédantisme encore s’en est mêlé. Beaucoup de gens ont cru voir un signe certain d’éducation supérieure, d’instruction complète, dans cette prononciation réputée savante, qui est celle du latin et du grec. Aussi s’est-elle étendue progressivement. Aujourd’hui encore on voit très bien qu’elle gagne de plus en plus, et atteint beaucoup de mots fort usités qu’elle devrait respecter, parce qu’ils n’ont rien de nouveau ni de savant[507]. Elle respecte encore{208} assez généralement les muettes ou explosives, à cause de la difficulté que produit l’occlusion complète que la bouche doit subir en les prononçant, comme dans ap-parat; elle atteint beaucoup plus les spirantes (f et s sont d’ailleurs les seules qui se répètent), car elles ne présentent pas cet inconvénient, mais surtout l, m, n, r, les quatres liquides des grammairiens grecs. Ainsi, de tous les mots commençant par ill, imm, inn-, irr-, et qui, presque tous, sont privatifs, il n’y a plus qu’i(n)nocent et ses dérivés immédiats qui soient à peu près respectés, et dans la plupart des mots on prononce toujours les deux consonnes, à moins qu’on ne parle très vite[508].

Il faut dire en effet que cette prononciation dépend beaucoup du plus ou moins de rapidité de l’élocution: entre les mots où on ne prononce jamais qu’une consonne et ceux où on en prononce toujours deux, il y en a beaucoup où on en prononce tantôt une, tantôt deux, suivant qu’on parle plus ou moins vite. D’ailleurs, en cas d’hésitation, il sera bon de se pénétrer de ce principe qu’on ne fera jamais une faute grave en prononçant une consonne simple quand l’usage est de la prononcer double, tandis qu’on peut être parfaitement ridicule en la prononçant double quand elle doit rester simple, comme de dire don-ner ou nous al-lons.{209}

NOTE SUR LA PRONONCIATION DU LATIN

Puisque la prononciation latine est en cause dans ce cas plus qu’ailleurs, on nous saura peut-être gré de réunir ici, en tête des consonnes, les règles spéciales qui la concernent, et qui sont disséminées un peu partout dans le livre, avec les exemples nécessaires.

En principe, nous prononçons le latin, à tort ou à raison, plutôt à tort, à peu près comme le français. Nous ne l’en distinguons que dans un petit nombre de cas, dont l’énumération n’est pas longue.

On a vu déjà précédemment comment nous prononçons les voyelles: que l’e ouvert ou fermé n’a pas d’accent, que l’u ne sonne jamais ou, que um se prononce toujours ome (même après un o), et que un se prononce toujours on, sauf dans hunc, nunc et tunc, et les mots commençant par cunct-.

Les nasales sont identiques à celles du français, sauf qu’il ne peut y en avoir que devant une consonne, et non en fin de mot, et que en a toujours le son in, notamment dans la finale -ens.

On a vu aussi que les seules diphtongues latines, æ, œ et au, sont prononcées comme les voyelles é et o. Il en résulte que devant æ et œ, le c et le g gardent le même son qu’en français devant e.

Nous faisons aussi de fausses diphtongues avec l’u, après g ou q, mais seulement devant a, e (ou æ) et i: l’u se prononce u devant e et i, et ou devant a, tandis que devant o et u il ne compte pas.

Ch a toujours le son guttural.

Il n’y a jamais de son mouillé, ni pour gn, ni pour ll.

Ti devant une voyelle est sifflant, comme en français, sauf en tête des mots, ou après s ou x.

Les consonnes finales s’articulent toujours: c’est ce qui fait qu’il n’y a point de nasales à la fin des mots.

Cette prononciation est d’ailleurs détestable, et peut-être le jour n’est-il plus éloigné où on en adoptera une autre, un peu moins française, mais plus latine.

{210}

B

A la fin des mots, le b, très rare dans les mots proprement français, ne s’y prononce pas: plom(b), aplom(b), surplom(b), et autrefois coulom(b)[509].

Il se prononce dans les mots étrangers, qui sont naturellement beaucoup plus nombreux, comme: nabab, baobab, cab, naïb, snob, rob, club, tub, rhumb, etc.[510].

Dans radoub, le b ne devrait pas davantage se prononcer, et les gens de métier ne le prononcent pas; mais la vérité est qu’ils emploient fort peu ce mot, se contentant du mot bassin; ils laissent ainsi le champ libre à ceux qui n’apprennent ce mot que par l’œil, et qui naturellement articulent le b: ce sont de beaucoup, aujourd’hui, les plus nombreux.

 

Dans le corps des mots, le b se prononce aujourd’hui partout devant une consonne. On fera bien de veiller à ne pas le changer en m dans tomb(e) neuve, et plus encore à ne pas le supprimer dans obstiné et obstination[511].{211}

Le b double, assez rare, compte pour un seul à peu près partout: a(b), sa(b)bat, ra(b)bin, et aussi bien ra(b)bi, qui est le même mot au vocatif. On n’en prononce deux que dans deux ou trois mots savants: gib-beux et gib-bosité, peut-être ab-batial ou sab-batique; encore n’est-ce pas indispensable[512].{212}

C

1º Le C final.

Le c est une des quatre consonnes qui se prononcent aujourd’hui normalement à la fin des mots:

I. Après une voyelle orale, d’abord, le c final sonne généralement: cognac, bac, lac, sac, bec, sec, avec, trafic, public, choc, bloc, roc, bouc, duc, caduc, suc, etc.[513].

La plupart de ces mots sont d’ailleurs des mots plus ou moins techniques ou étrangers, des substantifs verbaux, des adverbes, ou des mots où le c a reparu après éclipse, par analogie avec le plus grand nombre[514].

Contrairement à la majorité des mots, mais conformément à la règle des consonnes finales, le c est devenu ou resté muet dans un certain nombre de mots suffisamment populaires: dans estoma(c) et taba(c), et dans cotigna(c), moins usité, où il tend à se rétablir[515]; dans cri(c), machine; dans bro(c), cro(c), accro(c), raccro(c) et escro(c); dans caoutchou(c)[516].{213}

Pendant longtemps la prononciation familière a volontiers omis le c d’avec devant une consonne: ave(c) moi, ave(c) lui: cette prononciation est aujourd’hui dialectale, et on la tourne même en ridicule.

Le c d’arsenic, qui s’était amui, s’est aussi généralement rétabli[517].

Au pluriel, le c sonne aussi bien qu’au singulier, les deux nombres ayant pris peu à peu avec les siècles une prononciation identique[518]. Même dans le pluriel échecs, qui s’est longtemps écrit échets, au sens de jeu, la suppression du c est tout à fait surannée, le pluriel s’étant à la fin, là aussi, assimilé au singulier.

Toutefois le c ne sonne pas devant l’s dans la(cs) et entrela(cs).

Le k ou le q joints au c final n’y ajoutent rien: colbac(k), biftec(k), stic(k), boc(k), etc.[519].

II. Après une voyelle nasale, le c final est resté muet: ban(c), blan(c), flan(c) et fran(c), vain(c) et convain(c), jon(c), ajon(c) et tron(c)[520].

Le cas de donc est particulier. En principe, le c n’y sonne pas non plus. Toutefois, si le mot est en tête d’un membre de phrase, pour annoncer une conclusion (je pense, donc je suis), et, d’une façon générale, si l’on veut souligner le mot pour une raison quelconque, on prononce le c (ainsi que dans adonc et onc). En dehors de ces cas, on l’articule rarement, même quand il termine la phrase: laissez don(c).{214} Surtout on ne l’articule pas devant une consonne: vous êtes don(c) bien riche? Devant une voyelle, il est encore correct ou élégant de le lier: où êtes-vous donc allé? Mais cela même n’est pas indispensable.

Le c de zinc, se prononce toujours, mais il sonne comme un g. On n’a jamais su pourquoi; car autrefois, c’était le g final qui s’assourdissait en c, comme toutes les sonores finales; or, c’est justement le contraire qui se fait ici. Mais c’est un fait contre lequel les efforts des grammairiens n’ont pu prévaloir[521].

III. Après une consonne articulée, le c final sonne généralement: talc, arc, turc, fisc, musc[522]. Il sonne même aujourd’hui dans les composés arc-bouter et arc-boutant ou arc-doubleau, quoi qu’en disent les Dictionnaires, qui retardent sur ce point: telle est du moins la prononciation des architectes. Il faut seulement éviter arque-boutant.

Toutefois, il ne se prononce pas encore dans mar(c), résidu: eau-de-vie de mar(c); ni dans mar(c), poids: au mar(c) le franc[523].

Le c ne sonne pas davantage dans cler(c)[524].{215}

De plus, le c de porc, qui ne sonnait plus nulle part depuis longtemps, ne sonne toujours pas à la cuisine ou chez le charcutier: on n’y achète pas du porc frais, mais du por(c) frais, du por(c) salé, etc. Si au contraire on veut désigner l’animal lui-même, on rétablit volontiers le c, même au pluriel: un troupeau de por(cs) ou de porc(s), mais surtout au singulier: un porc, et plus encore si l’on prend le mot au figuré dans un sens injurieux. Le c sonne également dans le composé porc-épic.

2º Les mots en-CT.

Les mots en -ct demandent un examen particulier, car leur histoire est complexe et n’est pas terminée.

1º Dans tact, intact, contact, et dans compact, il semble que ct s’est toujours prononcé. Exact, plus populaire, a tendu à perdre le c ou le t, ou les deux; et si l’on ne prononce plus exac(t) ni exa(c)t, on entend encore exa(ct); pourtant exact a fini par l’emporter, et sans doute on ne reviendra pas en arrière[525].

Parmi les mots en -ect, les mots direct et indirect, correct et incorrect ne paraissent pas avoir jamais perdu leurs consonnes finales, non plus que le mot savant intellect, sans parler de l’anglais select. Il n’en est pas de même des autres.

Abject et infect ont flotté longtemps, avec préférence pour le son è, avant de reprendre définitivement ct[526].{216}

Restent les mots en -spect: aspect, respect, suspect, circonspect. Ils ont longtemps flotté aussi entre trois ou quatre prononciations, et La Fontaine, pour rimer avec bec, n’hésite pas à écrire respec et circonspec[527]. La prononciation par t seul a complètement disparu, mais les prononciations par c ou ct ont encore l’espoir de vaincre. La seconde, par ct, admissible peut-être pour suspect, est certainement la plus mauvaise pour aspe(ct) et respe(ct); l’autre, par c seul, est admissible en liaison, et même tout à fait générale dans respec(t) humain; mais, en dehors de la liaison, je crois qu’on peut encore provisoirement la condamner, et s’en tenir à respe(ct), aussi bien qu’à aspe(ct), circonspe(ct), et même suspe(ct)[528].

En revanche, le c et le t se prononcent également dans suspecte et circonspecte: sur ce point, il n’y a pas de discussion.

Il ne faut pas assimiler aux autres mots en -spect le mot technique anspec(t), terme de marine, qui n’a pris un t dans l’orthographe que par une fausse analogie avec les autres: c’est le seul mot où le c doive toujours se prononcer, et toujours seul.{217}

3º Parmi les mots en -ict, le c et le t se prononcent encore dans strict et district, et naturellement dans l’anglais verdict et convict, mais non dans ami(ct), terme de liturgie, qui n’est guère employé que par des gens du métier, ce qui est une garantie contre l’altération.

4º Les mots en -inct ont flotté longtemps, comme les mots en -ect, avant de perdre leurs consonnes finales. Mais distinct et succinct les ont reprises au cours du dernier siècle, et sans doute ne les perdront plus: succin(ct), et par suite succinte, sont surannés. Au contraire, instin(ct) résiste fort bien sans c ni t, et l’on doit encore condamner instinc(t)[529].

3º Le C intérieur.

Dans le corps des mots, le c n’a le son guttural que devant a, o, u, et devant une consonne: calibre, coller, reculer, action, instinctif, et même arctique, où le c amui s’est rétabli; il a le son sifflant devant e et i: ceci, cence, cygne, larcin[530].

On donne au c le son sifflant devant a, o, u, au moyen d’une cédille; mais aucun artifice ne lui donne le son guttural devant e et i, sauf le changement de eu en œu, dans cœur (c’est-à-dire l’addition ou le maintien d’un o), et d’autre part l’addition ou le maintien d’un u dans le groupe cueil (keuil): cueillir, accueillir, etc.[531]. Partout ailleurs le c est remplacé dans ce rôle par qu dans les mots français, par k ou ck dans les mots étrangers, comme jockey[532].{218}

Devant une consonne, le c intérieur sonne aujourd’hui partout, même après une nasale, comme dans sanctuaire, sanction ou sanctifier[533].

Le c ne prend pas le son du g seulement dans zinc; il le prend aussi dans second et tous ses dérivés (même dans le latin secundo), qui devraient s’écrire avec un g, comme on le fait en d’autres langues[534].

Le c a eu longtemps aussi le son du g dans reine-Claude[535]; mais il a peu à peu repris le son de la forte sous l’influence de l’écriture, et le son du g y devient aujourd’hui populaire ou dialectal.

Ajoutons pour terminer qu’un grave défaut à éviter dans la prononciation du c consiste à mouiller le c initial, par exemple dans cœur, qu’on entend quelquefois sonner presque comme kyeur.

 

Le c double se prononce comme un c simple devant a, o, u, et devant l ou r, dans les mots d’usage courant:{219} a(c)cabler, a(c)caparer, ba(c)calauréat, a(c)climater, a(c)créditer, a(c)croc, e(c)clésiastique, o(c)casion, su(c)comber, etc.; les deux c peuvent se prononcer dans ec-chymose, oc-clusion et oc-culte, et, si l’on veut, bac-chante, humeurs pec-cantes, impec-cable, peccadille et pec-cavi; encore n’est-ce pas indispensable, sauf dans le latin pec-cavi[536].

Devant e et i, ils se prononcent toujours tous les deux, le premier guttural, le second sifflant: ac-cident, vac-cin, ac-cès[537]; au contraire sc se réduit ordinairement à un s ou un c seul: ob(s)cène, s(c)ie[538].

Devant les mêmes voyelles e et i, quand le c est suivi de qu, on ne prononce qu’une gutturale: a(c)quitter, a(c)quérir, à fortiori be(c)queter ou gre(c)que[539].

 

Devant e et i toujours, le c italien reste sifflant, si le mot est suffisamment francisé, comme dans gracioso, concetti, ac-celerando (trop voisin d’ac-célérer pour se prononcer autrement) et quattrocentiste[540].{220} Autrement, et surtout quand il est double, il se prononce tch: dolce, sotto voce, a piacere, furia francese, fantoccini[541]. Pour sc, le son de ch suffit, sans t: crescendo (chèn), lasciate ogni speranza.

Czar se prononce gsar plutôt que csar; mais c’est là une mauvaise graphie, due sans doute à la fausse étymologie cæsar; ce mot, qui en polonais s’écrie car, doit se transcrire et se prononcer tsar[542].{221}

CH

Le son normal de ch en français n’a guère de rapport avec le son du c, qui est le son de ch en latin; mais, étant donné l’ordre suivi dans ce chapitre, sa place normale est pratiquement ici. D’ailleurs ch prend souvent le son du c, même en français.

1º Le CH final.

A la fin des mots, ch appartient presque uniquement à des mots étrangers, et garde presque partout le son du c guttural: krac(h), varec(h) et loc(h), et aussi yac(ht)[543].

Il garde pourtant le son chuintant du français dans match et tzaréwitch, dans chaouch, tarbouch et farouch, dans lunch et punch francisés[544].

Ch est muet dans almana(ch), où la réaction orthographique n’a pas encore réussi à le rétablir, le mot étant trop populaire, et connu par l’oreille encore plus que par l’œil, comme estoma(c) et taba(c)[545].

2º Le CH intérieur.

Dans le corps ou en tête des mots proprement français, ch a naturellement le son chuintant devant une{222} voyelle; chuintante forte, bien entendu, et non chuintante douce: il faut se garder de prononcer ajète pour achète, comme il arrive trop souvent à Paris[546].

Toutefois, dans un très grand nombre de mots plus ou moins savants, et notamment des mots tirés du grec, ch a gardé, parfois même il a repris, après l’avoir perdu, le son que nous lui donnons en latin, c’est-à-dire celui du c guttural.

 

I. Devant a, o, u.—Devant les voyelles a, o, u, le phénomène ne souffrait pas de difficultés, parce que l’oreille était accoutumée au son guttural du c devant ces voyelles. Par suite:

1º On prononce ca (ou can) dans gutta-perc(h)a et les mots en -archat, dans c(h)aos, c(h)alcédoine, c(h)alcographie, bacc(h)anale et bacc(h)ante, dans arc(h)ange, arc(h)aïque, troc(h)anter, euc(h)aristie, sacc(h)arifère; mais non dans fil d’archal, qui est français et très ancien[547].

2º On prononce co dans éc(h)o; dans tous les mots commençant par chol- et chor-, comme c(h)oléra, c(h)orus, c(h)oral, etc., avec c(h)œur, et leurs dérivés ou composés, comme anac(h)orète; dans psyc(h)ologie[548], calc(h)ographie, inc(h)oatif, batrac(h)omyomachie, dic(h)otomie, bronc(h)opneumonie ou bronc(h)otomie (malgré bronche et bronchite), dans arc(h)onte et péri{223}c(h)ondre et quelques autres mots moins répandus; mais non dans maillechort (tiré des noms propres français Maillot et Chorier), ni dans vitchoura, où tch représente le polonais cz[549].

3º On prononce cu dans catéc(h)umène ou isc(h)urie[550].

 

II. Devant e et i.—Devant e et surtout devant i, le phénomène est moins régulier, parce que l’oreille n’était pas habituée jadis chez nous au son guttural devant ces voyelles, et que même le ch grec, ou le ch latin venu du grec, s’y prononçait, au XVIᵉ siècle, comme le ch français. Aussi la francisation du ch en son chuintant était-elle générale autrefois devant e et i.

Toutefois beaucoup de mots, même francisés complètement, ont pris depuis le son guttural, comme les mots grecs ou latins correspondants, non sans beaucoup de fluctuations et d’incertitude.

1º Devant un e muet, le son chuintant s’est maintenu partout, dans archevêque, bronches ou aristoloche, comme dans marchepied, broncher ou brioche. Il en est de même dans la finale -chée: trachée, archée, trochée, aussi bien que bouchée ou nichée[551].

Mais on prononce aujourd’hui dans achéen, manichéen ou eutychéen[552]; dans archéologie et arché{224}type; dans cheiroptères (keye), chélidoine, chélonien, chénisque et chénopode; dans lichen, épichérème, orchestre et chétodon; dans trescheur ou trécheur et dans trachéotomie (malgré trachée). En revanche, on chuinte dans cachexie et cachectique, aussi bien que dans chérif et chérubin[553].

2º C’est surtout pour le groupe chi que la question est délicate, car cette syllabe est beaucoup plus fréquente que la syllabe che, et il n’est pas toujours facile d’indiquer l’usage le plus répandu.

En général, les mots savants d’usage ancien ont gardé le son chuintant: non seulement chimie, chimère ou chirurgie (et très souvent chiromancie), mais tous les mots en -archie ou -machie, avec entéléchie et branchie[554]; de même tous les mots en -chin et{225} -chine, en -chique, -chisme et -chiste: c’est ainsi que Bacc(h)us ou psyc(h)ologie, qui ont le son guttural, n’empêchent nullement bachique ou psychique de chuinter[555].

En tête des mots, le préfixe archi- fait de même partout. Seul le mot archiépiscopal, étant plus récent, s’est prononcé arki, au moins depuis Ménage, et les dictionnaires continuent à l’excepter; mais il a fini par suivre l’analogie des autres, au moins dans l’usage le plus ordinaire, et c’est bien à tort que beaucoup de personnes se croient encore obligées de suivre les dictionnaires[556].

On chuinte encore dans rachis (d’où rachitique) et arachide, dans kamichi, letchi et mamamouchi, dans chibouque et bachi-bouzouck, dans chimpanzé, enfin devant y grec, dans chyle, chyme et ses composés et diachylon[557].

En revanche, on prononce aujourd’hui ki dans beaucoup d’autres mots savants, généralement les plus récents et les moins usités; d’abord dans les mots en -chite (sauf bronchite, à cause de bronche et bronchial), dans le chi grec, dans trichinose (malgré trichine, qui par suite tend à devenir trikine), dans achillée le plus souvent (malgré Achille), dans chiragre, chirographaire et souvent chiromancie (malgré chirurgie), dans orchis et orchidée, brachial et bra{226}chiopode, ischion, et aussi dans brachycéphale, conchyliologie, ecchymose, trachyte, et, le plus souvent, pachyderme et tachygraphie, sur lesquels on hésite encore[558].

Ajoutons ici, pour en finir avec les mots français, que, devant les consonnes, le ch est toujours d’origine savante et garde partout le son guttural. Ces consonnes sont les liquides, l, m, n, r, et parfois s et t: c(h)lore, drac(h)me, tec(h)nique, c(h)rétien, fuc(h)sine, ic(h)tyologie[559].

*
* *

Le ch anglais se prononce tch en principe: speech, sandwich, mail-coach, rocking-chair et steeple-chase; de même l’espagnol chulo, cachetera ou cachucha. On francise pourtant le ch dans chester, comme dans chinchilla et chipolata, souvent aussi quand il est final comme dans speech ou sandwich[560].{227}

Le groupe étranger sch a partout le son du ch français: ha(s)chi(s)ch, scotti(s)ch, kir(s)ch ou (s)chabraque, (s)chlague et (s)chnick, et (s)chibboleth, et même p(s)chent qu’on prononce aussi pskent[561].

Le son chuintant de ce groupe est si connu qu’il est passé même à des mots d’origine grecque (devant e et i), où il n’est pas justifié du tout: (s)chéma ou (s)chème, (s)chisme et (s)chiste auraient dû se prononcer par sk, comme nous prononçons schola cantorum, eschare, ou l’italien scherzo[562].{228}

D

A la fin des mots, le d est muet dans les mots français ou tout à fait francisés. Ces mots se terminent presque tous en -and, -end (prononcé an) et -ond, comme gourman(d), défen(d) ou fécon(d); en -aud et -oud, comme chau(d) et cou(d); en -ard, -erd, -ord et -ourd, comme regar(d), per(d), accor(d) et sour(d), tous avec ou sans s[563].

C’est par un abus tout à fait injustifié qu’on prononce parfois le d de quan(d) devant une consonne, comme s’il y avait une liaison, c’est-à-dire avec le son d’un t[564].

Parmi ces finales, seule la finale -and comprend quelques mots étrangers où le d se prononce: hinterland, stand[565].

Pour les autres finales, le d est également muet dans les mots proprement français; mais ils sont peu nombreux: pie(d), longtemps écrit pié, et sie(d),{229} avec leurs composés; nœu(d), lai(d) et plai(d), poi(ds) et froi(d), ni(d) et mui(d), avec palino(d), et, par analogie, l’anglais plai(d), qui n’a pas de rapport avec l’autre.

 

A part plai(d), le d final se fait entendre dans tous les mots étrangers: lad, oued, caïd, celluloïd, lloyd, li(e)d, zend, éphod, yod, kobold, talmud et sud, avec le latin ad[566].

 

Dans le corps des mots, le d autrefois tombait devant une consonne[567]. Il a revécu progressivement dans un certain nombre de mots où l’orthographe l’a conservé, comme adjuger, adjudant, adjoindre, adversaire, adverbe, admirer, etc., si bien que le d intérieur n’est plus muet nulle part, pas plus dans les mots français que dans les mots étrangers, comme bridge, landgrave, landsturm, etc., sauf peut-être fel(d)spath[568].{230}

Dans mad(e)moiselle, le d tombe facilement quand on parle vite, mais ce n’est pas correct; quant à mamzelle, c’est un peu familier ou même impertinent.

 

Le d double, assez rare, se prononce double dans ad-denda et quid-dité, dans ad-ducteur et même, si l’on veut, dans red-dition[569]; mais non dans des mots d’usage aussi courant que a(d)dition et a(d)ditionner, quoiqu’on l’y ait prononcé double autrefois.{231}

F

L’f est une des quatre consonnes qui se prononcent aujourd’hui normalement à la fin des mots, notamment dans les mots en -ef, -euf, et surtout -if, ceux-ci très nombreux[570].

Les exceptions sont rares.

1º Il y a d’abord cle(f), qui peut aussi s’écrire clé. C’est le seul mot dont l’f final ne se prononce jamais: pourquoi l’écrit-on encore[571]?

2º On prononce sans f che(f)-d’œuvre, mais l’e reste ouvert: c’est un reste de la prononciation ancienne qui supprimait l’f devant une consonne. L’f s’est rétabli dans chef-lieu.

3º De plus on prononce encore au pluriel œu(fs) et bœu(fs), reste de la prononciation des pluriels, car autrefois on disait également des habits neu(fs). Même au singulier, si l’on ne dit plus, sans f, du bœu(f) salé, un œu(f) frais, un œu(f) dur, comme on faisait encore assez généralement il n’y a pas cent ans, on dit toujours le bœu(f) gras, nouveau reste de la prononciation qui supprimait l’f devant une consonne. Mais je crois bien que cette prononciation est en voie{232} de disparaître. Je ne sais ce que durera bœu(f) gras, mais il me semble bien que l’f est destiné à se rétablir partout, un jour ou l’autre, dans les pluriels œu(fs) et bœu(fs), car on voit très bien le mouvement de réviviscence de l’f se continuer. Beaucoup de personnes déjà ne prononcent œu(fs) qu’à la suite d’un s doux: trois œu(fs), douze œu(fs), quinze œu(fs), par analogie sans doute avec les œu(fs), des œu(fs), dont la prononciation ne peut pas s’altérer facilement; mais elles disent avec l’f quatre œufs, huit œufs, combien d’œufs, un cent d’œufs. Cette distinction, d’autant plus curieuse qu’elle est naturellement involontaire, est sans doute l’étape qui nous mènera un jour à prononcer l’f partout, car œu(fs) et bœu(fs) sont presque aujourd’hui les seuls mots qui se prononcent encore au pluriel autrement qu’au singulier; et sans doute il est temps que cela finisse[572].

4º Dans cerf, où l’amuissement de l’f a été général jusqu’à une époque toute récente, l’f a revécu quelque peu aujourd’hui, même au pluriel. Cer(f) et même cer(fs) seront peut-être un jour surannés; dès maintenant il semble qu’ils ne sont admis qu’en vénerie, dans le style très oratoire, et en poésie, surtout pour la rime. Cer(f)-volant continue à se passer d’f; il lui serait, du reste, difficile de faire autrement.

5º L’évolution de nerf est beaucoup moins avancée. Au pluriel on prononce encore uniquement ner(fs), et je ne crois pas qu’on ait jamais dit encore une attaque de nerf(s). Au singulier, cela dépend des cas, et il faut distinguer le sens propre du figuré; car il y a fort longtemps qu’on dit par exemple: ce style a{233} du nerf; on dira même: cet homme a du nerf ou manque de nerf, voire même le nerf de la guerre ou le nerf de l’intrigue; mais ceci est déjà moins général. Quant au sens propre, quoi qu’en disent les dictionnaires et les livres, c’est encore ner(f) qui l’emporte, et de beaucoup, non seulement chez le boucher, où l’on ne se plaint pas d’avoir du nerf dans sa viande, mais aussi bien à l’amphithéâtre, où le mot ner(f) a un sens fort différent. Nerf viendra certainement, mais n’est pas encore venu. A fortiori prononce-t-on encore ner(f) de bœuf, sans parler de ner(f) foulé ou ner(f)-férure, qu’on pourrait difficilement prononcer d’une autre manière.

6º Enfin il y a encore l’adjectif numéral neuf. Nous avons vu[573] qu’on prononce encore neu(f) fermé dans certains cas. Mais, de même que pour bœuf ou cerf, ces cas se sont fort réduits. Le phénomène a lieu, non pas devant une consonne, comme on le dit souvent, mais devant un pluriel commençant par une consonne[574]. Ainsi les personnes qui savent le français disent encore le plus généralement neu(f) sous, les neu(f) premiers, neu(f) fois neuf, dix-neu(f) cents, neu(f) mille; mais, avec f sonore et eu ouvert, le neuf mai, comme le neuf de cœur, neuf par neuf, en voilà neuf de faits, de même que page neuf, ou j’en ai neuf. On peut même distinguer au besoin trois Japonais et neu(f) Chinois, de trois panneaux japonais et neuf chinois, parce qu’il y a ellipse ici entre neuf et chinois. Ce n’est donc pas la consonne seulement qui détermine la prononciation neu, ni même proprement le pluriel,{234} mais le lien étroit qui existe entre neuf et le mot suivant, lien qui ne se réalise qu’avec un pluriel, c’est-à-dire par la multiplication de l’objet par neuf.

C’est un des points sur lesquels on se trompe le plus dans la prononciation courante. Beaucoup de personnes disent encore le neu(f) mai; mais cette prononciation est surannée; elle se maintient encore çà et là, parce que le lien semble étroit entre le chiffre et le nom du mois, mais ce lien est fort loin d’être aussi étroit qu’avec un pluriel: on sait bien ou on doit savoir que neuf mai est en réalité une abréviation de neuvième (jour du mois) de mai, ou neuf de mai; c’est pourquoi l’f s’y prononce depuis longtemps déjà.

En revanche d’autres prononcent neuf sous, avec eu ouvert et f sonore: erreur encore plus grave, mais qui, hélas! tend fort à se répandre, et qui les conduit naturellement à prononcer avec f dix-neuf-cents, au lieu de dix-neu(f)-cents, qui est encore seul correct, dix-neuf multipliant cent.

Il est d’ailleurs fort possible que pour neuf, comme pour œuf et œufs, le mouvement commencé soit destiné à s’achever, et que le son de l’f soit destiné à s’imposer partout un jour ou l’autre; mais nous n’en sommes pas là, et il y a encore une prononciation spéciale, seule correcte provisoirement, pour les adjectifs numéraux suivis d’un pluriel: on doit s’y tenir. Ce qui est le plus surprenant, c’est que ceux qui disent neuf cents avec f sont généralement ceux-là même qui disent neu(f) mai sans f!

Cette prononciation de neuf sans f est naturellement réservée aux pluriels commençant par une consonne, par la raison bien simple que devant une voyelle il se produit un phénomène de liaison. Mais ici encore il y a une remarque à faire. En principe, cette liaison devrait maintenir le son eu fermé, avec changement de f en v, phénomène qui était général{235} autrefois[575]. A vrai dire, le phénomène n’a pas complètement disparu, mais il ne s’est maintenu que dans neu(f) vans et neu(f) vheures; ailleurs on prononce généralement neuf ouvert, comme partout[576].

 

Dans le corps des mots, l’f ne se met plus devant une consonne[577].

 

L’f double final se prononce comme un f simple, le double f intérieur aussi: a(f)faire, a(f)faissé, a(f)fiche, a(f)franchi, en e(f)fet, o(f)fice, su(f)fire, di(f)férence. Toutefois, comme nous avons affaire ici à une spirante, la prononciation des deux f, devenue plus facile, est une tentation à laquelle on ne résiste pas toujours, et on les prononce volontiers dans quelques mots savants: af-fixe et suf-fixe, af-fusion, ef-fusion, dif-fusion (mais non dif-fus), suf-fusion, ef-florescence, dif-fringent et dif-fraction, suf-fète; on hésite même pour des mots comme affabulation, diffluent, effluve, diffamer, effervescence, cause efficiente, effraction; enfin l’accent oratoire sépare volontiers les f dans af-famé, af-fecté, af-féterie, af-firmer, af-folant, ef-faré, ef-féminé, ef-flanqué, ef-fréné, et même ef-froyable, et quelques autres[578].{236}

G

1º Le G final.

A la fin des mots, le g ne se prononce pas dans les mots français. D’ailleurs il ne s’est guère maintenu dans l’écriture que dans deux cas: d’une part dans bour(g) et ses composés, avec faubour(g)[579]; d’autre part après une nasale: ran(g), san(g) ou san(g)sue, étan(g) et haren(g); sein(g), vin(gt) et ses dérivés, coin(g), poin(g), vieux oin(g), lon(g) et lon(g)temps[580].

En dehors de ces deux cas, il y a encore trois mots français qui ont un g final, et ce g ne devrait pas davantage s’y prononcer: ce sont doi(gt), jou(g) et le(gs).

Pour doi(gt), il n’y a pas de discussion, le mot étant appris par l’oreille et non par l’œil.{237}

Mais beaucoup de gens prononcent jougue, et depuis fort longtemps l’Académie a autorisé cette prononciation. Je crois cependant que la majeure partie des gens instruits continue à préférer jou(g), au moins devant une consonne, ou en fin de phrase[581].

Je crois aussi, malheureusement, que la prononciation du g est encore plus fréquente dans le(gs), orthographe déplorable d’un mot qui devrait s’écrire lais, du verbe laisser, dont il vient: il est fort à craindre que la prononciation lègue ne finisse par s’imposer un jour ou l’autre, malgré l’usage ordinaire des hommes de loi et des professeurs de droit, de même que s’est établie l’orthographe legs, par une fausse analogie avec léguer[582].

Le g final ne se prononce pas non plus dans quelques finales nasales étrangères, où il sert seulement à marquer la nasalité, ou bien qui se sont francisées: mustan(g), oran(g)-outan(g), parpain(g), shampoin(g), et, si l’on veut, shellin(g) et sterlin(g)[583].{238}

Le g final se prononce dans les autres mots étrangers: dans drag, thalweg, wigh, bog, grog, toug, etc., ainsi que dans l’onomatopée zigzag et le populaire bon zig; dans erg et iceberg; dans rotang, ginseng et gong, peut-être à tort; dans l’onomatopée dig din don et la plupart des mots anglais en -ing: browning, pouding, skating, meeting, etc. La prononciation exacte de cette finale anglaise est peut-être difficile aux Français; mais il ne s’agit pas ici de prononcer de l’anglais: il s’agit d’accommoder au français une finale qui reste connue comme étrangère, et garde une allure exotique[584].

2º Le G devant une voyelle.

Dans le corps ou en tête des mots, devant une voyelle, le g n’a le son guttural que devant a, o, u: galon, brigand, gorille, gonfler, figure; il a le son{239} chuintant devant e et i: génie, gentil, gingembre, agir, gymnase[585]. Les deux sons sont réunis dans gigot ou gigantesque[586].

On doit cependant pouvoir donner au g le son chuintant devant a, o, u, et le son guttural devant e et i.

 

I.—On donne au g le son chuintant devant a, o, u, par l’intercalation d’un e qui ne se prononce pas: mang(e)a, mang(e)aille, mang(e)ons, mang(e)ure (de vers), g(e)ai, roug(e)ole, pig(e)on, nag(e)oire, etc.[587].

Ce procédé bizarre a amené plus d’une confusion. Ainsi l’e de g(e)ôle, qui d’ailleurs n’est pas artificiel, mais qui aurait pu disparaître, puisqu’il ne se prononçait plus[588], conduit encore beaucoup de gens à prononcer gé-ôle, comme s’il y avait un accent aigu sur l’é, cela parce que g(e)ôle a été remplacé dans{240} l’usage courant par prison, et que le mot est de ceux qu’on apprend par l’œil et non par l’oreille; et naturellement gé-ôle amène souvent gé-ôlier.

Autre exemple, pire peut-être, et dû à la même cause: depuis que le mot gag(e)ure a cédé la place dans l’usage courant au mot pari, beaucoup de personnes ont cru reconnaître dans le mot écrit la finale -eure, et la prononciation par eure est extrêmement répandue. Elle n’en est pas plus acceptable, car le suffixe -eure n’existe en français que dans quelques féminins de comparatifs de formation ancienne: meill-eure, pri-eure, min-eure, maj-eure, et ceux des adjectifs en -érieur; mais les substantifs ne connaissent que le suffixe -ure: blesser-blessure, brocher-brochure, coiffer-coiffure, peler-pelure, couper-coupure, etc.; d’où, étant donné le procédé orthographique, gager-gag(e)ure, verger-verg(e)ure (du papier), manger-mang(e)ure (de vers), et charger-charg(e)ure (terme de blason)[589].

 

II.—D’autre part on donne au g le son guttural devant e et i, y compris l’e muet, par l’addition d’un u, qui ne se prononce pas plus que l’e de pigeon: guerre, guérir, fatiguer, narguer, guirlande, guider, guimpe, ligue, dogue.

Ce procédé n’est guère moins contestable, car il amène d’autres confusions. Il y a, en effet, des mots où l’u ainsi placé appartient au radical, comme dans aiguille, et doit se prononcer, tout en faisant diphtongue d’ordinaire avec la voyelle; et alors comment savoir si l’u de -gué- ou -gui- se prononce? Celle des deux prononciations qui était la plus fréquente, c’est-à-dire ghé et ghi, ne pouvait manquer d’attirer{241} l’autre. Aussi est-ce ghé et ghi, et non gué et gui, qu’on aurait dû écrire, pour éviter les confusions.

Il faut donc que nous recherchions les cas où l’u se fait entendre dans les groupes gué et gui.

Mais auparavant je dois faire une observation: c’est qu’il faut éviter désormais de mouiller le g guttural, aussi bien que le c, par exemple de dire à peu près ghyamin ou ghyerre pour gamin ou guerre: la distinction que Nodier établissait à ce point de vue au profit des voyelles é et i a cessé d’être admise dans la prononciation correcte.

3º Le groupe GU devant une voyelle.

I.—Devant un e, l’u ne se prononce à part en français que dans le verbe argu-er, et devant l’e muet final des quatre adjectifs féminins aiguë, ambiguë, contiguë, exiguë, et des deux substantifs besaiguë et ciguë. On voit que cet e, quoique muet, porte un tréma pour marquer la prononciation de l’u.

Dans le verbe argu-er, le suffixe étant naturellement -er, l’u appartient au radical, qui est le même que dans argu-ment. Les gens de loi savent très bien qu’on prononce argu-er, j’argu-e, nous argu-ons, j’argu-ais, comme tu-er, je tue, etc.; mais que de gens, voire des professeurs, articulent argher, comme narguer, j’arghe, il arghait!

On a mis parfois un tréma dans j’arguë, il arguë, comme dans ciguë, ambiguë, et cette orthographe, qui épargnerait beaucoup d’erreurs, devrait être la seule correcte.

Partout ailleurs les groupes gue et gué se prononcent ghe et ghé: guenille, guérir, draguer, etc.[590].{242}

 

II.—Devant un I le cas est bien plus grave, parce que -gui- est plus fréquent que -gué-. Aussi la plupart des u qui devraient se prononcer ont cessé de le faire, depuis un temps plus ou moins long.

Aiguille et aiguillon, avec leurs dérivés, sont les derniers mots d’usage courant qui aient conservé la prononciation de l’u. Encore faut-il faire une distinction. Aiguille paraît trop commun pour être altéré facilement: c’est un de ces mots qu’on apprend par l’oreille et non par l’œil. Et pourtant aighille n’est déjà pas sans exemple. Quand à aiguillon, il est déjà, hélas! très fréquemment altéré en aighillon, étant moins populaire ou moins général qu’aiguille; pourtant on peut lutter encore pour la prononciation correcte, soutenue qu’elle est par le voisinage d’aiguille.

Outre ces deux mots, on prononce ui naturellement dans ambiguïté, contiguïté, exiguïté, comme dans tous les mots en -uité (u-ité chez les poètes); et enfin dans quelques mots savants, consanguinité ou sanguification, linguiste et linguistique, inextinguible, inguinal, onguiculé et unguis, ou des mots purement latins, comme anguis in herba[591].

Partout ailleurs on prononce ghi aujourd’hui, notamment en tête des mots: guichet, guimauve, guitare, etc.[592]; de même, malgré le latin, dans anguille{243} et dans les mots de la racine de sang (sauf consanguinité et sanguification): sanguin et consanguin, sanguine, sanguinaire, sanguinolent; aussi dans guine et guin, et dans aiguière[593]; enfin dans aiguiser, le dernier des mots de cette catégorie dont l’orthographe a altéré la prononciation.

Il est vrai que quelques puristes soutiennent encore aiguiser par u, mais presque tout le monde aujourd’hui prononce aighiser, et nul n’a raison contre tout le monde. Ce mot a peut-être résisté plus longtemps au sens figuré, plus littéraire et plus restreint que le sens propre; mais là même il a dû céder au courant, et il faut renoncer à réagir[594].

 

III.—Ce n’est pas tout. Les groupes gua et guo ne sont pas français, sauf dans les verbes en -guer, où l’u se conserve partout, pour l’unité de la conjugaison: navigua, naviguons, naviguait. Il suit de là que, hors ce cas, gua ne se prononce pas ga: il se prononce goua (gwa), comme en latin, tout en faisant diphtongue, bien entendu. Ainsi dans jaguar et couguar, dans guano, iguane et alguazil, et même dans lingual. Pourtant l’u a cessé de se prononcer{244} dans aiguade, aiguail ou aiguayer, et aussi dans paraguante, qui est d’ailleurs passé de mode.

Quant à -guo-, même en latin, il se prononce go: disting(u)o[595].

4º Le G devant une consonne.

Les consonnes devant lesquelles on rencontre quelquefois g en français sont les liquides, l, m, n, r, et d ou g[596].

Les groupes gl et gr n’offrent pas de difficultés.

Devant un m ou un d, le g se prononce toujours; il ne s’y trouve d’ailleurs que dans des mots d’origine savante, comme amygdale ou augmenter[597].

Devant n, la question est moins simple, car le français gn n’est normalement qu’un n mouillé[598]. Aussi le groupe gn est-il mouillé presque partout, notamment devant un e muet, sans exception, et même dans les mots d’origine savante, pourvu qu’ils soient suffisamment répandus, comme magnétisme, depuis Mesmer. On a même longtemps mouillé un{245} mot latin comme agnus, parce qu’il était fort usité. Il en résulte qu’on ne sépare le g de l’n que dans quelques mots savants moins usités, ou des mots étrangers, notamment en tête des mots: gneiss; gnome et gnomique, gnomon et gnomonique, avec physiognomie; gnose et gnostique, avec diagnostic, géognosie, recognition et incognito, celui-ci par confusion, car il est italien, et on le mouille encore quelquefois, comme en italien; de plus, dans mag-nificat et ag-nus, mots latins; dans ag-nat et mag-nat, dans cog-nat, et cog-nation, dans stag-nant et stag-nation, dans reg-nicole et inexpug-nable, dans ig- et tous les mots commençant par igne- et igni-; souvent aussi dans lig-nite (mais non ligneux) et dans pig-noratif[599]. Dans magnolia, on mouille encore, mais la cacophonie de nyolya est en voie de séparer l’n du g[600].

Il ne faut pas séparer le g de l’n dans d’autres mots, même d’apparence plus ou moins savante, comme cognassier, désignatif, imprégnation, magnésie ou même magnifier.

Enfin le g double, devant une consonne, se prononce comme un seul g: a(g)glomérer, a(g)glutiner, a(g)graver; mais on peut aussi prononcer les deux. Devant e ou i, on a naturellement un g guttural, puis un g chuintant: sug-gérer[601].{246}

*
* *

Dans les mots italiens non francisés, le g simple ou double se prononce dj devant i, par exemple dans a giorno, dramma giocoso ou risorgimento; mais appogiature est francisé, puisqu’il n’a même pas l’orthographe italienne[602].

On prononce de même dj dans giaour et gentry; mais on peut prononcer indifféremment gentleman par jan ou djen, quoique man ne soit jamais nasal, et gin par jin nasal ou djin non nasal; on francise encore à volonté gipsy et bostangi.

Gh est proprement le g guttural étranger devant e et i, et quelquefois ailleurs: ghetto, sloughi, yoghi[603]. On ne l’entend pas dans high, right, dreadnought[604].

Le gli italien n’est pas autre chose qu’un l mouillé, c’est-à-dire chez nous un y, et ne fait pas syllabe à part; mais nous avons complètement francisé, en y ajoutant une syllabe, imbrogli-o et vegli-one[605].{247}

H

1º L’H final ou intérieur.

Après une voyelle finale, l’h allongeait la voyelle dans quelques mots étrangers; mais nous avons vu que le phénomène n’est plus guère sensible chez nous[606]. Il l’est davantage dans le corps des mots, où l’h peut encore parfois fermer et allonger la voyelle qui précède; mais ce sont aussi des mots étrangers: ohm, hn[607].

Après une consonne, sauf le groupe français ch, étudié plus haut, l’h ne change rien généralement au son de cette consonne: ainsi kh égale k partout; quant au g, l’h ne fait que lui rendre le son guttural devant e et i; th égale t pour nous, rh égale r.

Dans le Midi, lh et nh représentent l et n mouillés.

D’autre part, sch allemand et sh anglais ou russe ont le son du ch français[608].

Tous ces groupes se prononcent à la fin des mots, sauf ch final dans almana(ch), et gh final ou devant t en anglais[609].

2º L’H initial, muet ou aspiré.

Mais ce n’est pas après une autre lettre, voyelle ou consonne, c’est en tête des mots que l’h joue un rôle{248} intéressant en français. Il est vrai que ce rôle a été contesté. Et assurément l’h dit muet ne sert absolument à rien et aurait dû disparaître depuis longtemps de l’orthographe, ou plutôt n’aurait jamais dû y être introduit sous prétexte d’étymologie.

Mais quoi qu’on en dise, il n’en est pas de même, de l’h aspiré. J’avoue que, d’aspiration proprement dite, il n’y en a plus guère depuis plus d’un siècle. Pourtant il y en a certainement une dans quelques onomatopées ou exclamations comme ha, hé, hola, hom, hue; il y a aussi aspiration entre oh! oh! et ah! ah! quoique ici l’h soit final et non initial, et aussi, par emphase, quand on exprime un sentiment violent: je le hais, c’est une honte. Mais ce n’est pas tout: même sans accent oratoire, il y a toujours l’interdiction absolue de l’élision et de la liaison, et par suite l’obligation de l’hiatus, qui est une caractéristique assez remarquable.

Il est parfaitement vrai qu’on prononce il est hardi ou des homards sans plus d’aspiration que dans il est allé à Paris ou alvéole; mais tout de même, tant qu’on dira il est hardi ou des homards sans liaison, et par suite avec hiatus, tant qu’on dira le hameau ou la hotte sans élision, et par suite encore avec hiatus, et cela en vers comme en prose, par nécessité, tant qu’on distinguera, par la liaison, en eau de en haut, les auteurs de les hauteurs, etc., aussi longtemps l’h jouera son rôle, à moins qu’on ne le remplace par un autre signe diacritique, ce qui est parfaitement inutile[610].{249}

Je sais bien que ces finesses n’appartiennent pas à la langue populaire, et que même les erreurs nombreuses que fait le peuple en cette matière montrent bien la répugnance instinctive qu’il a pour l’h aspiré: si la langue était livrée à elle-même, l’h aspiré deviendrait promptement identique à l’h muet. Mais ces erreurs, les gens instruits ne les font pas, et c’est la langue des gens instruits qu’on enseigne ici.

Il y a donc en français un h aspiré. Toutefois nous sortirions de notre sujet pour entrer dans le domaine de la grammaire ou de la lexicographie, si nous énumérions ici les mots dont l’h est aspiré. D’ailleurs, les dictionnaires sont là pour renseigner sur ce point, s’il en est besoin. Il convient toutefois d’énoncer la loi générale qui domine ici les faits, en indiquant les exceptions essentielles.

3º La loi de l’H initial.

La loi est celle-ci: l’h est muet quand il est d’origine latine ou grecque, aspiré ailleurs, et surtout quand il est d’origine germanique.{250}

I.—L’h est muet quand il vient du latin: (h)abile, (h)abit, (h)erbe, (h)omme et (h)umain, (h)ospice, (h)ôtel, (h)umeur, etc.; à fortiori dans quelques mots qui ne devraient point avoir d’h, n’en ayant point en latin: (h)eur, (h)ermine, (h)ièble, (h)uile, (h)uis, (h)uître[611].

Il n’y a donc pas lieu d’aspirer (h)ameçon, (h)allucination ou (h)altères, ni (h)iatus, malgré le sens, ni (h)irsute, ni (h)oir et (h)oirie, ni enfin les dérivés d’(h)uile[612].

L’h est tout aussi muet quand il remplace, très inutilement, l’esprit rude du grec, notamment dans tous les mots qui commencent par hecto-, hélio-, hémi-, hémo-, hepta-, hétéro-, hexa-, hiéro-, hippo-, homo-, etc., et tous ceux qui commencent par hy-[613].

Il y a aujourd’hui une tendance très marquée à aspirer l’h dans (h)y-ène; mais il n’y a à cela aucune raison; et si l’(h)yène paraît dur avec diphtongue, il est assez simple de dire l’(h)y-ène, comme Victor Hugo, conformément à l’étymologie grecque, tout comme on dit l’(h)y-acinthe et non le hyacinthe; cela vaut certainement mieux que la hyène, ou des hyènes sans liaison[614].{251}

 

II. L’h qui n’est pas latin ou grec est presque toujours aspiré.

Il l’est d’abord dans nombre d’exclamations ou d’onomatopées sûres ou probables, ou même simplement prises pour telles, haleter, han, hennir, hisser, hola, hoquet (qui a peut-être altéré hoqueton), houp, hourra, huer, etc. L’h n’est pas aspiré dans hallali.

Il l’est surtout dans un grand nombre de mots (une centaine de racines) d’origine germanique. On y voit figurer en majorité le haut et le bas allemand[615].

On y trouve aussi l’anglais, avec handicap ou héler; les dialectes scandinaves, avec hauban, hisser et hune; le néerlandais avec happer, hêtre, hie, hobereau, houblon et houille, et vingt ou trente racines d’origine inconnue, qui ont toutes les chances d’être germaniques, ne pouvant être latines ou grecques[616].

4º Les exceptions.

Il y a, avons-nous dit, des exceptions. Cette distinction entre ces deux catégories de mots, mots latins et mots germaniques, est si certaine et si caractéristique que c’est précisément et uniquement{252} l’influence des mots germaniques qui a fait aspirer l’h de certains mots d’origine latine, par l’effet d’une fausse analogie: ainsi harpon a été altéré probablement par harpe, huguenot par Hugues, huppe par l’allemand aussi, et surtout tous les mots de la famille de haut, qui ne devraient point avoir d’h, par l’allemand hoch, quoique l’origine latine de haut ne soit pas douteuse[617].

Il y a encore d’autres aspirations irrégulières qui s’expliquent plus ou moins bien. Ainsi, parmi les mots qui viennent du grec, on trouve halo, peut-être par euphonie pour éviter l’(h)alo, comme on dit le hulan; et encore halurgie et harpye, quoique (H)arpagon ait l’h muet.

On dit aussi, sans doute par euphonie, la hiérarchie; mais l’h de ce mot est muet par ailleurs, et généralement aussi dans (h)iérarchique, toujours dans (h)iérophante, (h)iéroglyphe ou (h)iératique.

On s’explique assez bien l’aspiration dans hors qui vient du latin, parce que l’h remplace un f[618]; et aussi dans voilà le hic[619].

Dans harceler et hargneux, il y a peut-être une espèce d’onomatopée. Hérisser ou hérisson ont pu s’aspirer aussi à cause du sens. D’autres aspirations s’expliquent difficilement[620].{253}

Enfin il y a des racines qui ont pris un caractère hybride, tantôt aspirées, tantôt non.

Huit n’a même pas d’h en latin[621]. Il s’est aspiré pourtant, mais seulement en qualité de nom de nombre, comme un et onze, afin de s’isoler nettement des mots voisins, comme tous les noms de nombre: le un, le deux, le sept, le huit, le onze, le huitième, la huitaine; de même chapitre huit et livre huit, quoiqu’on dise page (h)uit; de même encore trois huit sans liaison. Toutefois huit n’est plus aspiré quand il n’est pas initial; ainsi on fait la liaison dans dix-(h)uit par s doux comme dans dix hommes et l’on prononce vingt-(h)uit comme quarant(e)-(h)uit où l’e s’élide; de même mill(e)-(h)uit cents[622].

2º L’h de héros s’est aspiré aussi par une sorte d’euphonie, et sans doute pour éviter la confusion ou plutôt le calembour que la liaison aurait faite au pluriel avec les zéros. Mais tous les autres mots de la même racine, (h)éroïque, (h)éroïsme, (h)éroïne, (h)éroïde, ont gardé l’h muet qu’ils tenaient du latin.{254}

3º Le mot (h)uis, qui a l’h muet, comme son dérivé (h)uissier, s’aspire dans l’expression huis clos.

4º Inversement, hanse, de l’ancien haut allemand, a gardé son h aspiré, car on ne saurait dire l’(h)anse; mais on dit, avec élision ou liaison, la ligue (h)anséatique, les villes (h)anséatiques.

5º De même héraut, probablement de même origine que hanse, a gardé aussi son h aspiré; mais (h)éraldique et (h)éraldiste ont l’h muet, parce qu’ils nous sont venus par l’intermédiaire de formes latines[623].{255}

J

Le j, qui n’est autre que i consonne, transformé en chuintante douce ou sonore, ne se trouve jamais à la fin des mots[624].

Dans le corps des mots et surtout en tête, il est toujours devant une voyelle et se prononce devant toutes comme g devant e et i[625].

Le j étranger n’est non plus que l’i consonne, mais il se prononce le plus généralement comme un yod; ainsi dans l’italien jettatura ou dans le hongrois el jen[626].{256}

En anglais et dans quelques autres langues, il se prononce comme dj: ainsi dans banjo[627].{257}

K

Le k n’est pas autre chose qu’un c guttural, dont le son ne change pas. Mais ce n’est pas une lettre proprement française, pas plus que latine d’ailleurs, le français ayant adopté, après le latin, c et qu pour noter le même son.

Le k intérieur ou final est toujours étranger: moka.

A la fin des mots, le k se prononce toujours, comme ailleurs: ainsi mark[628]; mais il s’ajoute presque toujours au c, au moins après une voyelle, sans d’ailleurs modifier le son; ainsi de beefsteak nous avons fait bifteck, avec addition d’un c.

On trouve exceptionnellement un k devant un e muet dans coke[629].

Les mots qui commencent par k sont d’origine étrangère ou tirés du grec, comme képi, knout ou kilogramme[630].{258}

L

1º L’L final et les mots en il.

La lettre l est une de celles qui se prononcent en français à la fin des mots.

Les finales en -al et en -el notamment sont très nombreuses et n’offrent point d’exceptions[631].

Les finales en -eul, -ol et -oil n’en ont pas davantage[632].

Parmi les finales en -oul et -ul, il faut excepter pou(ls) et soû(l), qu’on écrit aussi saoul très mal à propos, et cu(l), avec ses composés gratte-cu(l), torche-cu(l), cu(l)-blanc, cu(l)-de-jatte, cu(l)-de-bouteille,{259} cu(l)-de-sac, cu(l)-de-lampe, cu(l)-de-poule, etc.[633].

Les finales en -ail, -eil, -euil, et -ouil (y compris œil et les mots en -cueil et -gueil) ont un l mouillé par l’i: émail, corail, soleil, pareil, deuil, fauteuil, accueil, orgueil, fenouil, etc.[634]. Rail seul se prononce quelquefois rèl à l’anglaise[635].

Restent les finales en -il après une consonne, qui appellent quelques observations.

D’abord le pronom il. Ce mot avait amui son l depuis le XVIᵉ siècle, sauf en liaison, bien entendu. C’est un phénomène assez curieux qu’à cette époque on écrivait a-il et on prononçait ati.

Ni le XVIIᵉ siècle, ni le XVIIIᵉ n’ont rétabli cet l dans la prononciation courante, et le XVIIIᵉ siècle n’a cherché à le rétablir que dans le discours soutenu. Restaut reconnaît qu’il ne se prononce pas ailleurs. Depuis Domergue, les grammairiens veulent qu’on le prononce partout; mais dans l’usage courant et familier: où va-t-i(l), i(l) vient s’entendent presque uniquement à côté de il a. L’enseignement seul maintient cet l dans la lecture et dans le langage soigné.

Les autres mots en -il se divisaient autrefois en deux catégories: les mots à l simple et les mots à l mouillé.

I.—Les mots à l simple ont gardé leur l dans la prononciation ou l’ont repris s’ils l’avaient perdu. Ce sont: l’adjectif numéral mil; des adjectifs venus d’adjectifs latins en -ilis, puéril, viril, volatil, subtil, bissextil, vil, civil; le vieux pronom cil; des substantifs{260} également venus du latin: fil (avec profil et morfil), sil, exil, pistil; et quelques mots étrangers, anil, toril, alguazil, avec béryl[636].

II.—Les mots à l mouillé, d’origines variées ou inconnues, se sont au contraire tous altérés. Car autrefois l’l final unique se mouillait fort bien[637]; mais cette prononciation a disparu progressivement, soit par l’affaiblissement du son mouillé, qui a amené la chute de la consonne, soit par changement de l’l mouillé en l simple[638]. Cette seconde catégorie se divise donc elle-même en deux groupes:

1º Dans la plupart des mots, on ne prononce plus l’l depuis longtemps: ce sont bari(l), charti(l), cheni(l), courbari(l), courti(l), couti(l), douzi(l) ou doisi(l), feni(l), fourni(l), fraisi(l), fusi(l), genti(l), nombri(l), outi(l), sourci(l), et plus récemment persi(l), malgré le voisinage de formes mouillées toujours usitées, comme barillet, outiller, fusiller, sourciller, etc.[639].

Genti(l), qui appartenait d’abord à la première catégorie, à l sonore (latin gentilis), est passé ensuite à la seconde, avec l mouillé, après quoi il a également amui son l[640]; toutefois, au singulier de gentilhomme, un yod est demeuré nécessairement entre l’i et l’o (gentiyom).{261}

2º Au contraire, cil, pénil, brésil, tortil (pour tortis, sous l’influence de tortiller), ont passé au groupe des mots à l non mouillé; péril aussi, quoiqu’il y ait encore quelques exceptions; avril de même, après s’être prononcé avri au XVIIᵉ siècle, et avriy au commencement du XIXᵉ.

Il n’y a plus d’hésitation que pour quatre substantifs: babil, grésil, gril et mil (avec grémil). Non qu’on puisse y conserver le son mouillé, ou plutôt le yod, car il s’y entend de moins en moins, et ne saurait tarder à disparaître, malgré le voisinage de formes mouillées, comme babiller, grésiller, griller: la seule question est de savoir s’ils se prononceront définitivement avec ou sans l, car les deux coexistent. Il est probable que le son il l’emportera dans mil et babil, comme dans péril et avril. Mais grési(l), et surtout gri(l), sans l, paraissent avoir des chances sérieuses[641].

2º L’L intérieur.

Dans le corps des mots, l’l se prononce aujourd’hui partout, notamment dans poulpe, soulte et indult, où il a revécu, grâce à l’orthographe, après une éclipse plus ou moins longue[642]. Il faut excepter fi(l)s et au(l)x, pluriel de ail[643]. Je ne parle pas de{262} au(l)ne, qui a cédé la place à aune, ni de fau(l)x, graphie assez ridicule pour faux, adoptée néanmoins par V. Hugo et quelques poètes, de ceux qui prétendent aussi écrire lys pour lis[644].

Dans le parler populaire ou simplement rapide, l’l intérieur tombe souvent, mais il sera bon de faire un petit effort pour le conserver. Ainsi, dans les mots en -lier, le peuple fait souvent tomber l’l, et prononce par exemple escayer, et surtout souyer, et cela depuis des siècles; de même bi-yeux et mi-yeu, pour bi-lieux et mi-lieu, un yard pour un liard. Il faut éviter avec soin cette prononciation, et ne pas confondre sou-lier avec souiller (souyé), quoique ces mots puissent parfaitement rimer ensemble[645].

Il n’en est pas tout à fait de même de que(l)qu’un, et surtout que(l)qu(e)s-uns, que(l)qu’ chose, et que(l)qu’ fois, qu’on entend le plus ordinairement dans la conversation courante, et cela depuis des siècles. Cette{263} prononciation, parfaitement conforme au génie de la langue, qui admet mal le groupe lq, ne saurait être condamnée rigoureusement; mais ce n’est tout de même pas une raison pour la conseiller à l’exclusion de toute autre, comme le font les phonéticiens purs?

Où ira-t-on, si l’on entre dans cette voie? On dit aussi, dans la conversation, capab(le), impossib(le), discip(le), muf(le), au moins quand on parle vite, et surtout devant une consonne, nous l’avons vu à propos de l’e muet, et même quelquefois sans cela. Mais que ne dit-on pas? On dit non seulement c(el)a, qui est admis, mais c(el)ui qui et c(el)ui-ci[646]; et aussi j(e l)ui ai dit, et même j(e lu)i ai dit; et non seulement i(l) vient, ou ainsi soit-i(l), mais aussi e(lle) vient ou e(lle) n’ vient pas (voire a vient!); et aussi que(l) sale métier, et (il) y a du bon, et (il n’)y en a plus (ou pus); et non seulement s’i(l) vous plaît, mais s’i(l v)ous plaît[647], et s’(il v)ous plaît, et même s’(il) te plaît et s’(il vous) plaît. Tout cela est admissible, ou du moins tolérable, à la grande rigueur. Mais va-t-on le conseiller aussi[648]?

Assurément, si l’on disait toujours que(l)qu’ fois, il faudrait bien en passer par là, et nos phonéticiens auraient raison; mais il s’en faut bien qu’on le dise toujours, pas plus qu’on ne dit toujours çà pour cela: ces choses-là dépendent des lieux et des personnes à qui l’on parle. De telles formes sont donc simplement tolérables dans la conversation familière, mais nullement à proposer comme modèles[649].{264}

3º L’L double après un i.

L’l double se prononce, suivant les cas, de trois manières, comme un l simple, comme deux l, et comme l’l mouillé: c’est-à-dire bien entendu le yod.

Quand l’l double est final, il se prononce simple, comme les autres consonnes, même après i: bil(l) et mandril(l), comme footbal(l) ou atol(l). C’est donc une erreur de mouiller mandril(l).

Quand l’l double n’est pas final, sa prononciation dépend d’abord de la voyelle qui précède, suivant que cette voyelle est ou n’est pas un i, car si c’est un i, l’l double est généralement mouillé.

 

L’l double est d’abord mouillé, sans exception, dans les groupes -aill-, -eill-, -euill-, -ouill-, à commencer par les finales muettes en -aille, -eille, -euille et -ouille, qui correspondent aux finales masculines en -ail, -eil, -euil, -ouil: écaille et bataille, abeille et oseille, feuille et cueille, grenouille, etc. Il en est de même dans le corps des mots, aussi bien qu’à la fin, d’autant plus que le groupe -ill- intérieur dérive presque toujours d’une finale mouillée[650].

Ainsi l’addition de l’i entre l’une des voyelles a, e, ou et l’l double supprime toute hésitation. C’est pourquoi la prononciation de nouille, autrefois écrit noule, a pu se fixer au son mouillé, tandis que {265}semoule, longtemps mouillé, est retourné au son oule non mouillé, par réaction orthographique et faute d’i.

 

Le cas est moins simple quand le groupe -ill- n’est pas précédé d’une voyelle, car alors l’i se prononce, et la question de savoir si l’l double est mouillé reste entière.

 

I. Les finales muettes en ILLE.—Ces finales sont presque toutes mouillées, comme les finales en -aille, -eille, -euille et -ouille, étant donné que les finales non mouillées sont presque toutes en -ile avec un seul l. Pourtant il y a des exceptions, quoiqu’elles tendent progressivement à disparaître, par l’effet de l’analogie[651].

 

1º Commençons par les verbes. On peut dire que scinti(l)le non mouillé ne se défend plus guère; mais il n’y a pas si longtemps qu’il a mouillé ses l, et l’on conserve toujours à côté de lui scintil-lation, où les deux l sont distincts.

Nous assistons actuellement à la transformation de osci(l)le et vaci(l)le en osciye et vaciye, qui est bien près d’être achevée, surtout pour vaci(l)le, quoique oscil-lation et vacil-lation soient aussi à peu près intacts. On doit encore conseiller osci(l)le; on peut même conseiller vaci(l)le, mais il ne faut pas se dissimuler que ce seront bientôt des archaïsmes. Et naturellement la conjugaison entière de ces verbes se trouve altérée de la même manière par réaction analogique.{266}

Il y a encore un autre verbe qui est déjà touché légèrement, c’est titi(l)le.

Le seul verbe qui résiste absolument, parce qu’il est d’usage très courant, et même populaire, et appris par l’oreille autant que par l’œil, c’est disti(l)le; on ne prononce même généralement qu’un l dans disti(l)ler, et, par suite, disti(l)lerie et disti(l)lation.

2º En dehors des verbes, la prononciation non mouillée n’est guère plus répandue dans les finales en -ille. Cette prononciation ne se maintient que dans trois ou quatre mots extrêmement usités, ou, au contraire, dans un certain nombre de noms plus ou moins savants.

Les mots savants sont protégés précisément par un emploi assez restreint, ou du moins peu populaire: papi(l)le, pupi(l)le, si(l)le, sci(l)le, baci(l)le, vertici(l)le, codici(l)le et myrti(l)le[652]. Les dictionnaires y ajoutent encore fibri(l)le, mais ils feront bien de se corriger sur ce point. Pupi(l)le lui-même est déjà très atteint, et myrti(l)le n’est pas assez rare pour se défendre encore bien longtemps.

Mais, d’autre part, les mots d’usage tout à fait général et très courant se conservent plus sûrement encore que les mots savants, étant appris par l’oreille et non par l’œil; seulement ici ils sont tout juste trois, à savoir: deux adjectifs, mi(l)le et tranqui(l)le[653], et un substantif, vi(l)le, avec vaudevi(l)le, dont l’étymologie est toujours contestée[654].{267}

 

II. Le groupe ILL intérieur.—La finale en -ille étant mouillée presque partout, toutes celles qui se rattachent plus ou moins à celle-là le sont également: fusillade et outillage, sémillant ou brillanter (avec castillan et sévillan), corbillard ou babillarde, gaspiller, habillement et artillerie, billet ou fillette, torpilleur et périlleux, pavillon, etc., et tous leurs dérivés.

Ont encore l’l double mouillé quelques mots à finales plus rares: tillac, cabillaud, gentillesse, tilleul et filleul, grillot, tous les mots qui commencent par quill-, ou encore des dérivés comme billebaude, et aussi billevesée, sur qui les avis se partagent, bien à tort[655].{268}

On peut y joindre l’l double espagnol, notamment la finale -illa; malheureusement, à côté de manzanilla, guérilla, cuadrilla ou banderillero, qu’on prononce d’ordinaire correctement, on a trouvé plus savant et plus distingué de séparer les consonnes dans chinchil-la (qui devient souvent chinchi-la) et camaril-la: c’est une grave erreur, dont on pourrait bien aussi se corriger, puisque l’espagnol est toujours là[656].

On remarquera que la finale -ier, qu’on trouve dans un assez grand nombre de mots à la suite de l’l double mouillé, ne change plus rien à la prononciation, qui est la même que si la finale était -er, de même qu’après gn: ainsi quincaillier, écaillière, vanillier, mancenillier, cornouillier, à côté de oreiller, et poulailler, qui avaient aussi un i, et l’ont perdu, tandis que les autres gardaient le leur. Au contraire, les finales verbales -ions et -iez ajoutent un yod aux ll mouillés, sans quoi il pourrait y avoir confusion de temps: nous travaillions se prononce donc nous travay-yons, à côté du présent trava-yons[657].

D’autre part, on a pu voir qu’il n’y avait point de finales mouillées après la voyelle u. Mais en -uille, cas particulier de -ille, nous connaissons déjà aiguille. On retrouve le même groupe ui suivi de l’l double{269} mouillé dans cuiller, et il est surprenant que l’i ne se soit pas détaché de l’u dans ce mot[658].

Au contraire, c’est u qui se change en ui, très malencontreusement, et depuis bien longtemps, dans ju-illet, où l’i ne devrait servir qu’à mouiller les ll, comme dans les finales en -euille et -ouille. Ce qui le prouve bien, c’est que beaucoup de personnes prononcent encore juliet, qui est le faux mouillage: ce sont les mêmes qui prononcent alieurs. Mais la vraie prononciation est ju-yet[659].

 

En somme, le groupe -ill- est mouillé à peu près partout à l’intérieur des mots; les exceptions sont les suivantes:

1º Les dérivés de vi(l)le, tranqui(l)le et mi(l)le, à savoir: vi(l)lage, vi(l)lette, avec vil-la et vil-légiature, où sonnent deux l, comme dans les mots latins; tranqui(l)lité, tranqui(l)liser, tranqui(l)lement; mi(l)lier, mi(l)liard, mi(l)lième, mi(l)lion, et aussi, par analogie, bi(l)lion, tri(l)lion, etc., avec mil-lénaire, mil-lésime, mil-limètre, etc., où sonnent aussi deux l[660].{270}

2º D’autre part, deux l sonnent aussi, par conséquent sans mouillure, dans pénicil-lé, verticil-lé, sigil-lé, et les mots en -illation et -illaire: scintil-lation, capil-laire (et capil-larité), ancil-laire, etc.; dans pusil-lanime, dans achil-lée et achil-léide[661].

3º De plus, en tête des mots, le préfixe il- reste distinct devant un l: il-luminé, il-légitime, etc.; tout au plus peut-on réduire les deux l à un, si l’on veut, dans illustration, mais, en tout cas, on ne mouille jamais.

4º On ne prononce qu’un l simple dans li(l)liputien, qui a peu de chances de se mouiller, et dans vi(l)lanelle, qui est évidemment protégé par l’analogie de vi(l)le et vi(l)lage[662].

4º L’L double ailleurs qu’après un i.

Après une voyelle autre que i, l’l double fait comme les autres consonnes, et se prononce comme un seul ou comme deux, suivant que le mot est plus{271} ou moins usité. C’est le principe général, déjà vu ailleurs. Mais ici, la prononciation double l’emporte de beaucoup, et de nos jours plus qu’autrefois, soit que les mots soient plus savants, soit que l’habitude plus répandue du latin fasse conserver les ll, comme nous les conservons en latin[663]. Il n’y a rien d’ailleurs d’absolu, nous l’avons dit, et l’on prononce un l ou deux dans beaucoup de mots, suivant qu’on parle plus ou moins vite.

C’est après un a que l’l double se réduit encore le plus souvent à un. Cela est indispensable dans a(l)ler, a(l)leu, a(l)liance, a(l)lo, a(l)longer, a(l)lotir, a(l)lumer, ba(l)let, ba(l)lot, ba(l)lant, ba(l)lon, ca(l)leux (à côté de cal-losité); da(l)ler, fa(l)loir, ga(l)lon, ha(l)lali, insta(l)ler, va(l)lée, va(l)lon, et leurs familles. Il n’y a aucun inconvénient à en faire autant dans des mots aussi usités que a(l)laiter, a(l)lécher, a(l)louer, et même a(l)legro ou a(l)legretto, voire a(l)légresse, a(l)léguer, a(l)léger, ha(l)lucination, et quelques autres, encore que les deux l s’y prononcent le plus souvent[664].

Après e, o, u, y, les deux l se maintiennent mieux qu’après a.

Après e, ils ne se réduisent guère que dans ce(l)lier, ce(l)lule, exce(l)lent, et, si l’on veut, dans pe(l)licule, rebe(l)lion et libe(l)lé[665].{272}

Dans les mots commençant par col-, les deux l ne se réduisent régulièrement que dans co(l)ler, co(l)lège, co(l)let, co(l)lier, co(l)line, co(l)lation, et leurs parents, mais non pas dans les expressions savantes col-lation des grades ou col-lationner des registres. Il n’y a d’ailleurs aucun inconvénient à y joindre co(l)lègue, co(l)lodion ou co(l)lyre, et quelques autres. On prononce aussi uniquement do(l)lar, fo(l)let, mo(l)let, mo(l)lir et mo(l)lusque, et même, si l’on veut, so(l)licitude[666].

Après u, ils ne se réduisent pas, sauf tout au plus dans pu(l)luler, si l’on veut, ou ébu(l)lition[667].

Après y, notamment, pour le préfixe syl-, la réduction est aussi rare que pour le préfixe il-.

*
* *

Si la tendance populaire, fort naturelle, était ici de réduire les deux l à un seul, en revanche, il y a une autre tendance, également populaire, mais très fâcheuse, qui consiste au contraire à doubler l’l après un pronom: je ll’ai vu, tu ll’as dit, j’ te ll’ai dit. C’est sans doute par analogie avec il l’a vu, il l’a dit[668]. C’est un des plus anciens et des plus graves défauts de la prononciation parisienne, d’autant plus grave qu’il est extrêmement difficile à corriger.{273}

En tête des mots, on trouve aussi l’l double dans certaines langues, et c’est l’l mouillé; mais lloyd se francise avec l simple, non mouillé[669].

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* *

On a vu, plus haut, que lh représentait dans le Midi l’l mouillé. Ce groupe n’est pas passé dans le français; c’est donc le hasard seul qui a rapproché ces deux lettres dans phil-(h)ellène ou phil-(h)armonique, où ils appartiennent à des éléments différents et ne sauraient se mouiller. On ne mouille pas non plus sil(h)ouette, qui vient d’un nom propre[670].

Note complémentaire.—On a vu que il se prononçait partout i autrefois, sauf devant une voyelle. C’est ce qui explique une faute d’orthographe qui était très fréquente alors (on la trouve dans Bossuet), et qui consistait à écrire qui pour qu’il. On ne répétera jamais assez que c’est précisément à cette faute qu’est due la fortune d’une phrase fameuse de La Bruyère, qui nous paraît toujours surprenante et qu’on imite perpétuellement: depuis plus de six mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. La Bruyère voulait dire et qu’ils pensent, pas autre chose: sa syntaxe, comme celle de tous ses contemporains, démontre sans contradiction possible que, pour justifier et qui, il eût fallu au moins une épithète à hommes.{274}

M

1º L’M simple.

On a vu, au chapitre des nasales, qu’à la fin des mots l’m ne faisait jadis que nasaliser la voyelle précédente. Cette prononciation, purement française, a disparu progressivement. A part un petit nombre de mots[671], la prononciation étrangère ou latine a prévalu, les mots terminés en m étant en effet presque tous étrangers ou latins: l’m final y est donc séparé de la voyelle, et, par suite, s’y prononce: madapolam, harem, intérim, album[672].

 

Dans le corps des mots, l’m ne nasalise la voyelle qui précède que quand il est suivi lui-même d’une labiale b ou p, ou dans le préfixe em- (pour en-), suivi d’un m: ambition, em-mener, simple, nymphe, compte, etc., et aussi comte et ses dérivés[673].

Devant toute autre consonne, l’m se prononce à part: hamster, décemvir, triumvirat[674].{275}

D’autre part, dans le groupe mn intérieur, l’m avait cessé autrefois de se faire sentir, par assimilation de l’m avec l’n[675]. Cette prononciation, qui a disparu dans la plupart des cas, s’est maintenue dans da(m)ner et ses dérivés, ainsi que dans auto(m)ne, parce que le groupe am ou om s’est d’abord nasalisé: on entend parfois encore dan-ner. Mais on prononce aujourd’hui l’m et l’n dans indem-ne, indem-niser ou indem-nité[676], ainsi que dans autom-nal, mot savant, aussi bien que dans calom-nie, am-nistie, om-nibus et tous les mots récents[677].

Le peuple laisse volontiers tomber l’m dans les mots en -asme et -isme: cataplasme, catéchisme, rhumatisme; c’est une paresse dont il faut se garder avec soin[678].

2º L’M double.

L’m double, entre voyelles non caduques, subit toujours la distinction des mots très usités et des mots plus ou moins savants. Mais ici, plus qu’ailleurs, il y a lieu de faire attention à la voyelle qui précède.

On sait déjà qu’après e initial (même devant un e muet), le premier m ne fait que nasaliser la voyelle: c’est le préfixe en qui se maintient en assimilant son n à l’m qui suit: em-mancher, em-ménager, em{276}mener, etc., et par suite rem-mener, etc.[679]. Mais on prononce deux m dans em-ménagogue, mot savant et récent. On n’en prononce qu’un dans les adverbes en -emment (aman), mais deux dans gem-mation et pem-mican[680].

Après a, i et u, à part les adverbes en -amment, il est très rare qu’on ne prononce pas les deux m, sans doute parce que la plupart des mots sont des mots savants. Épigra(m)me même n’empêche pas épigram-matique. Ga(m)ma est devenu gam-ma. Il n’y a plus guère que enfla(m)mer, qui résiste absolument, et gra(m)maire, qui résiste encore à moitié, mais on dit plutôt gram-mairien, et à fortiori gram-matical, sans parler d’inflam-mation. C’est à peine si on réduit encore parfois, quand on parle vite, les deux m d’im-mense, im-mobile, im-moler, im-mortel; mais pour tous les autres mots en im-, à peu près jamais[681].

 

Cas particulier: beaucoup de personnes nasalisent le préfixe im- dans im-mangeable et im-manquable. Assurément cela est soutenable, mais je ne crois pas que cette prononciation puisse prévaloir, par la raison qu’on ne nasalise pas le préfixe im- dans im-mobile ou im-modéré, ni aucun autre de même formation. Sans doute il y a une différence, en ce que les autres mots sont tirés la plupart de formes latines et gardent la prononciation latine, tandis que ces deux-là sont formés directement sur des mots fran{277}çais, devant lesquels on met le préfixe. Mais inébranlable, ineffaçable, et beaucoup d’autres, sont dans le même cas, sans qu’on ait jamais songé à maintenir la nasale, comme on la maintient par exemple avec liaison dans enorgueillir. Il n’y a pas plus de raison pour prononcer in-mangeable que pour prononcer in-neffaçable, et il est très naturel que ces deux mots suivent l’analogie, comme tous les autres[682].

Reste la voyelle o, dont le cas est tout différent. Il y a en effet un certain nombre de mots en -omme très usités, dont les dérivés et composés, très usités aussi, ont dû conserver le son de l’m unique: co(m)ment, ho(m)mage, po(m)mier, po(m)made, so(m)met, so(m)mier, so(m)mmeil, etc., et les verbes no(m)mer, so(m)mer, asso(m)mer, conso(m)mer, avec asso(m)moir. Mais déjà som-mité ne se réduit plus guère; on dit souvent aussi som-maire et plus encore som-mation[683].

Il reste encore, outre do(m)mage, les mots composés avec com-. Ici, il y a un peu plus de mots d’usage général que de mots plus ou moins savants: on prononce un m dans co(m)mander, co(m)mencer, co(m)mère, co(m)merce, co(m)mettre, co(m)mis, co(m)mode, co(m)mun et même co(m)mende et tous{278} leurs dérivés[684]; on en prononce deux dans com-mémorer et ses dérivés, incom-mensurable, com-minatoire, com-modat, com-modore, com-motion, com-mittimus, com-muer, com-mutateur; de plus en plus aussi, malgré l’usage antérieur, dans com-mensal, com-menter, com-mentaire, com-misération, souvent même dans com-mandite, malgré co(m)mander.

Toutefois les musiciens prononcent co(m)ma et non com-ma. Pour commissure et commissoire, comme on ne peut pas doubler à la fois l’m et l’s, il y a hésitation, mais on double plutôt l’s: co(m)mis-sure.{279}

N

1º L’N simple.

L’n est la consonne nasale par excellence.

 

A la fin des mots, elle continue à n’être en français que le signe orthographique de la voyelle nasale: -an, -en, -in (-ain, -ein-, -oin) -on, -un.

Il n’y a d’exceptions à peu près françaises que les finales en -en après consonne, finales autrefois nasales comme les autres, et même en an, puis en in, mais où l’n s’est séparé de la voyelle sous l’influence de l’enseignement du latin, ces mots ayant un aspect latin: lichen, éden, pollen, cyclamen, hymen (sauf parfois à la rime), spécimen, abdomen, dolmen, etc. De tous les mots de cette finale, français ou étrangers, examen est le seul qui ait conservé ou plutôt repris chez nous uniquement le son nasal[685].

En dehors des mots français en -en après consonne, l’n final précédé d’une voyelle ne se prononce que dans des mots et dans des noms propres étrangers: en -en aussi d’abord[686]; puis en -man[687]; en{280} -in, avec des noms allemands en -ain et -ein[688]; enfin quelques mots savants et beaucoup de noms étrangers en -on[689]. La finale -oun ne peut pas être nasale[690].

Les finales en n suivi de c ou g, de t ou d ou d’s, prononcés ou non, sont également nasales, sauf les troisièmes personnes du pluriel, dont la finale est muette, sauf aussi la plupart des mots anglais en -ing et quelques noms étrangers en -ens ou -ent[691].

 

Dans le corps des mots, l’n n’est distinct en français que devant une voyelle[692].

Dans doña, señor, señora, malagueña, même sans le tilde qui le surmonte, il faut mouiller l’n: dogna, segnor. De même dans cañon[693].{281}

2º L’N double.

On a vu que l’n double conserve le son nasal suivi d’n simple dans les composés du préfixe en-, comme en-noblir, et dans les mots de la famille d’en-nui. Ailleurs, entre voyelles non caduques, l’n double a le son de l’n simple sans nasale, notamment après o dans les finales en -onner[694] ou -onnaire, et toutes celles qui se rattachent aux mots en -on et -onne, aussi bien que celles qui se rattachent aux mots en -en, comme doye(n), moye(n)nant, chie(n)ner.

 

L’n double ne se prononce double que dans des mots plus ou moins savants, à savoir:

1º Dans les mots commençant par ann-, sauf a(n)neau, a(n)née, a(n)niversaire, a(n)noncer et ses dérivés, et, si l’on veut, a(n)nuel, a(n)nuaire, a(n)noter et a(n)nuler; dans can-nibale, tyran-nique et tyran-niser, hosan-na, tan-nique et britan-nique;

2º Dans en-néagone, bien-nal, décen-nal ou septen-nat et autres de même famille; dans pen-non, pen-nage et empen-né, fescen-nin ou anten-nule, mais non dans he(n) ni dans te(n)nis;

3º Dans les mots commençant par inn-, sauf i(n)nocent et sa famille, et, si l’on veut, i(n)nombrable; dans cin-name et cin-namome, min-nesænger et pin-nule;

4º Dans con-nexe et ses dérivés, con-nivence et prima don-na; dans sun-nite[695].{282}

L’N mouillé.

On sait que l’n mouillé est représenté en français par gn (ny à peu de chose près). On a vu au chapitre du G dans quels cas le g faisait une consonne distincte[696]. On a vu aussi aux chapitres de OI et AI comment l’i s’était détaché du groupe ign, signe primitif de l’n mouillé, pour se joindre à l’a ou à l’o qui précédait, remplaçant Monta-ign-e par Montai-gn-e et po-ign-ard par poi-gn-ard[697].

La prononciation de gni mouillé est assez difficile, étant à peu près nyi: il faut éviter cependant de faire entendre compa(g)nie[698], si(g)nifier, et surtout ma(g)nifique.

Les livres maintiennent encore si(g)net non mouillé; mais ce résidu d’une prononciation désuète ne peut manquer de disparaître par l’effet de l’analogie, le mot étant de ceux qu’on apprend plutôt par l’œil[699].{283}

Si le groupe gn est suivi du suffixe ier, le son est le même que si le suffixe était seulement er: guign-ier, gn-ier.

Nous ajouterons que gn mouillé n’est jamais initial en français, sauf dans quelques mots de la langue populaire: gnaf (que quelques-uns écrivent gniaf), gnon ou gniole, gnangnan, gnognote et gnouf.{284}

P

A la fin des mots, dans les mots français ou entièrement francisés, le p, qui d’ailleurs y est assez rare, est ordinairement muet: dra(p), et aussi sparadra(p)[700], cam(p) et cham(p), galo(p), siro(p) et tro(p), cou(p) et beaucou(p), lou(p) et cantalou(p)[701].

Il n’y a d’exceptions que dans cap et cep[702]; naturellement aussi les interjections hop, hip, houp.

Le p se prononce naturellement dans les mots d’origine étrangère, handicap, jalap, hanap, salep, julep, midship, bishop, stop, croup et group[703].

Le p est encore muet dans tem(ps) et printem(ps), dans exem(pt), dans rom(ps) ou rom(pt) et leurs composés, dans prom(pt) et dans cor(ps).

 

Dans le corps des mots, devant une consonne, le p se prononce aujourd’hui. Il était muet autrefois dans les mots les plus usités, surtout devant un t[704]. Il est encore muet devant t dans un grand nombre de mots:{285}

Ba(p)tême et tous les mots de la famille[705]. Peut-être dit-on quelquefois baptismal, non sans une nuance de pédantisme, mais on dit toujours les fonts ba(p)tismaux;

Se(p)t, se(p)tième et se(p)tièmement, mais non les autres dérivés, qui sont tirés directement du latin, et gardent le p comme en latin, y compris septembre, septante et septentrion, par réaction étymologique[706];

Exem(p)ter, mais non exemption;

Com(p)te et tous ses dérivés, avec ceux de prom(pt), y compris com(p)tabilité et prom(p)titude;

Scul(p)ter et sa famille, malgré Domergue;

Dans che(p)tel (che et non ché), on commence à prononcer le p même dans les facultés de droit, et cela fait ché et non plus che.

Pour dompter et indomptable, la pratique et les opinions sont fort partagées. Depuis longtemps la tradition est pour imdom(p)table et surtout dom(p)ter, mais je crains fort que le p, admis mal à propos par l’Académie, ne finisse par prévaloir.

On ne supprime plus le p dans présomption, présomptif, présomptueux, consomption, symptôme, ni devant aucun autre t.

 

C’est le p qui conserve le mieux, quand il est double, la prononciation de la consonne simple. Il fut un temps où il n’y avait pas d’exceptions, mais nous n’en sommes plus là[707].{286}

Il y a d’abord ap-pendice et ap-pendicite, ap-pétence et ap-pétition, ap-pogiature et lip-pitude, et les composés commençant par hipp-[708].

De plus, les mots très nombreux qui commencent par ap-, op- et sup-, si peu savants qu’ils soient, sont déjà très touchés. Des mots comme a(p)pliqué ou a(p)porter sont actuellement intangibles; mais on double fréquemment le p dans ap-pâter, sinon dans a(p)pât, dans ap-préhender, dans ap-préciable et ap-proprier (moins dans a(p)proprié), et surtout dans op-probre, par emphase, et dans sup-puter, qui a l’air savant. On le double parfois même, et ceci est plutôt à éviter, dans ap-parier, ap-pauvrir, ap-pointer, ap-pontement, ap-préhension, op-portunité, voire, par emphase toujours, dans op-primer ou op-presser, parfois même dans sup-planter, sup-pléer ou sup-plique[709].

 

On sait que ph a partout le son de l’f: ce n’est qu’une graphie prétentieuse, à laquelle d’autres langues ont renoncé fort judicieusement[710].{287}

Q

1º Le Q final.

Le q n’est final que dans coq et cinq.

Dans coq, il ne s’est pas toujours prononcé[711]; il n’y a plus d’exceptions aujourd’hui.

Dans cinq, au contraire, on l’a toujours prononcé (c’est la règle générale des noms de nombre), sauf, bien entendu, devant un pluriel commençant par une consonne: j’en ai cinq, le cinq mai, page cinq, cinq pour cent, cinq sur cinq, et aussi, par liaison, cinq amis, mais cin(q) francs, cin(q) cents, cin(q) mille, les cin(q) derniers[712].

2º Le groupe QU.

Dans le corps des mots, le q est toujours séparé de la voyelle qui sonne par un u, qui, en principe, ne s’entend pas[713]. Devant e et i, notamment, le c étant devenu sifflant devant ces voyelles, le rôle de la gutturale est régulièrement dévolu au groupe qu,{288} la lettre k étant peu française: éq(u)erre, q(u)estion, q(u)itter, et toutes les finales en -que.

Autrefois on adoucissait cette gutturale, comme le g, devant e et i, au point qu’on arrivait à le mouiller, et Domergue distingue nettement entre qu’il et tranquille. Cet usage n’est plus apprécié aujourd’hui, et on fera bien de l’éviter, comme pour le g[714].

De toute façon, l’u qui suit le q ne se prononce pas plus en français devant e et i que devant a et o. Toutefois, il y a encore un certain nombre de mots plus ou moins savants tirés du latin, et le plus souvent d’origine récente, où il se prononce (jamais pourtant devant un e muet); il fait alors fonction de semi-voyelle.

 

I. Devant E.—L’u se conserve devant e dans déliquescence, liquéfier et liquéfaction—à côté de liq(u)ide et liq(u)eur—, questeur et questure, et équestre[715].

Mais ce dernier mot est bien près de passer à ékestre, comme ont fait avant lui éq(u)erre et q(u)estre, et tant d’autres, y compris q(u)érimonie et q(u)ercitron. D’autre part, likéfier est employé plus ou moins depuis deux siècles, et même, à l’origine, l’Académie ne connaissait pas d’autre prononciation. Enfin kesteur est loin d’être rare.

Opposons-nous à ces prononciations fautives, mais soyons bien convaincus que qué est destiné à devenir partout, un jour ou l’autre[716].{289}

 

II. Devant I.—L’u se conserve mieux dans -qui- et -quin- que dans -que-, sans doute parce que les exemples en sont restés plus nombreux.

Il est vrai qu’il ne se prononce pas non plus dans quelques mots plus ou moins savants, comme q(u)iproquo, jusq(u)iame ou aq(u)ilon, ni même dans aq(u)ilin ou sq(u)irre, ni dans une partie des mots commençant par équi-, ni dans les finales -quin et -quine, qui sont francisées jusque dans basq(u)ine ou race éq(u)ine.

En revanche, on prononce l’u:

1º Dans le latin quid, a quia, requiem, etc., avec quibus, quitus et même quidam (autrefois kidan);

2º Dans équiangle, équidistant, équimultiple, mots savants, et même équilatéral, à côté d’éq(u)ilibre, éq(u)inoxe, éq(u)ité, éq(u)ivaloir, éq(u)ivalent—autrefois éq(u)ipollent—et éq(u)ivoque;

3º Dans équisétique et équitant: quant à équitation, ce mot est dans le même cas qu’équestre, étant déjà à peu près passé à éq(u)itation;

4º Dans quiet, quiescent, quiétisme et quelquefois encore quiétude, à côté de inq(u)iétude; mais il est difficile que inkiétude n’entraîne pas définitivement kiétude;

5º Dans une partie des dérivés du latin quinque, car ne prononce pas l’u dans q(u)ine, q(u)inaire et q(u)inola, dans q(u)inconce et q(u)inquenove, dans q(u)int, q(u)inte et q(u)inze et leurs dérivés naturels, y compris q(u)intessence—et autrefois le populaire henriq(u)inq(u)iste—; mais on le prononce dans{290} quinquagénaire et tous les mots commençant par quinque—sauf q(u)inq(u)enove—, dans quintette, quintidi, quintil, quinto et même quintuple, qui est souvent écorché;

6º Dans obséquiosité et obséquieux[717]; dans obliquité et ubiquité; dans sesquialtère et quiddité;

7º Dans l’espagnol conquistador, qui a gardé l’u, à côté de q(u)ipos, liq(u)idambar et basq(u)ine, qui l’ont perdu, sans compter q(u)ina, q(u)inine ou q(u)inquina[718]. Ajoutons esquire, quand on le prononce à l’anglaise (eskouay’r).

 

III. Devant O et A.—Quoique le groupe qu ne soit proprement utile dans les mots français que devant e et i, on le trouve aussi devant o et a, où il s’est conservé du latin, dans des mots plus ou moins savants, comme q(u)alité, q(u)otient, à côté de carré, casser, carême, qui sont d’origine populaire. Mais du moins -quo- se prononce toujours co[719]. Au contraire, -qua- se prononce coua (kwa) dans un certain nombre de ces mots, incomplètement francisés:{291}

1º Dans le latin quater ou quatuor, sine qua non, exequatur, à côté de q(u)asi, q(u)asiment, q(u)asimodo, francisés depuis le moyen âge le plus reculé; à côté de partie aliq(u)ante, francisé lui-même aussi comme q(u)ant et ses dérivés;

2º Dans aquafortiste (et aqua-tinte, de l’italien), aquarelle, aquarium et aquatile, qui ont réagi sur aquatique, francisé autrefois;

3º Dans adéquat, équateur, équation, équatorial, mais non dans reliq(u)at;

4º Dans une partie des dérivés du latin quatuor, car nous ne prononçons pas l’u dans des mots aussi complètement francisés que q(u)adrille, q(u)art, q(u)artaut, q(u)atre, q(u)atorze, q(u)arante, et leurs dérivés naturels, y compris éq(u)arrir; mais nous le prononçons ou dans quadragénaire, et tous les mots commençant par quadr-[720], y compris quadrige, mais non q(u)adrille, dans quartette (de l’italien), quartidi, quartil et in-quarto, dans quaterne et quaternaire[721];

5º Dans loquace et loquacité, qu’on écorche parfois; dans quassier et quassia amara, colliquatif et colliquation; dans squameux et desquamation;

6º Enfin, dans quelques mots étrangers, squale, square, quaker et quakeresse, quartz et quartzeux, quattrocento, quattrocentiste et tutti quanti[722].{292}

R

1º L’R simple.

L’r, comme l’l, se prononce aujourd’hui régulièrement à la fin des mots. On l’articule partout, sauf dans monsieu(r) et messieu(rs), et dans la plupart des mots en -er. Ainsi char, cauchemar, boudoir, asseoir, clair, offrir, désir, zéphir, chaleur, amour, trésor, obscur, etc.[723].

Pour les mots en -er, il faut distinguer les cas avec précision.

L’r final est muet:{293}

1º Dans les innombrables infinitifs en -er[724];

2º Dans les innombrables substantifs et adjectifs terminés par le suffixe -ier: premie(r), menuisie(r), régulie(r), foye(r), etc., etc., et l’adverbe volontie(rs)[725];

3º Dans les substantifs et adjectifs en -cher et -ger, parce qu’en réalité ils appartiennent à la même catégorie que les précédents, ayant été autrefois en -chier et -gier: ils sont une trentaine environ, comme arche(r), dange(r), lége(r)[726].{294}

L’r final est au contraire sonore en principe dans les mots en -er (infinitifs à part) qui n’ont pas le suffixe -ier, et ne l’ont jamais eu, ce qui veut dire qu’ils ne sont non plus ni en -cher ni en -ger. Mais ici, les mots proprement français sont en petit nombre. Ce sont des mots où -er appartient au radical même du mot:

1º L’adverbe hier, et les adjectifs fier, tiers et cher, malgré l’i et le ch[727];

Fer et enfer, mer et amer, ver et hiver;

3º Les formes de quérir et de ses composés: j’acquiers, tu acquiers, requiers, conquiers, etc.[728];{295}

4º Le mot cuiller, autrefois cuillie(r), qui s’est joint à ce groupe après beaucoup d’hésitation;

5º Les mots qui sont proprement latins, quoique francisés: liber, cancer, pater, éther, magister, auster, etc., et tous les mots étrangers, francisés ou non: bitter, chester, eider, kreutzer, messer, placer, etc.[729].

*
* *

Quand le groupe er est suivi d’une consonne, même muette, et notamment d’un t, l’r n’est plus final, mais intérieur, et s’y prononce comme partout: dans haubert, offert, clerc, nerf, perd ou perds, comme dans bavard, part, je pars, corps, bourg, etc. Il n’y a d’exception que pour ga(rs)[730].

*
* *

On a vu au chapitre de l’e muet, que l’r final suivi d’un e muet tombe facilement avec l’e devant une consonne dans la prononciation rapide, quand{296} il est précédé d’une muette ou d’une des spirantes f et v: maît(re) d’hôtel. C’est une prononciation dont il ne faut pas abuser. Elle est certainement admissible dans la conversation familière, entre deux mots comme ceux-là; elle est surtout fréquente avec notre, votre et quatre: vot(re) cheval, quat(re) sous; encore faut-il excepter, comme on l’a vu, Notre-Dame, le Notre Père, où le respect a maintenu l’r, et quatre-vingts, où le besoin de clarté a joué le même rôle. Mais, dans la lecture, il vaut mieux conserver l’r partout.

La chute de l’r est particulièrement incorrecte quand la finale muette n’est pas suivie d’une consonne: du suc(re), du vinaig(re), encore qu’ils datent de fort loin, sont certainement à éviter[731].

Me(r)credi a été autrefois très correct, et Vaugelas l’approuvait[732]. Les grammairiens se sont longtemps battus là-dessus, mais la diffusion de l’instruction primaire a rétabli définitivement l’r, sans pourtant faire disparaître entièrement me(r)credi. Je ne saurais trop vivement déconseiller aujourd’hui cette prononciation, car on a une tendance à la tourner en ridicule, ainsi que celle qui double l’r dans mairerie, pour mairie[733].

2º L’R double.

Les deux r se prononcent toujours dans les futurs et conditionnels de trois verbes en -rir: quérir, courir et mourir, et leurs composés[734]. Ce qui a dû contri{297}buer tout au moins à les maintenir, c’est qu’ils empêchent la confusion du futur avec l’imparfait: je cou-rais, je cour-rai. En revanche, c’est une faute très grave que de ne pas laisser l’r simple dans les futurs ve(r)rai, enve(r)rai, pou(r)rai, et leurs conditionnels, et aussi, la bobinette che(r)ra, toutes formes pour lesquelles il n’y a pas de confusion possible: on se contente d’allonger la voyelle qui précède.

 

Ce cas spécial étant mis à part, l’r double se prononce assez généralement comme un seul, beaucoup mieux que ne font l ou m.

1º Cela est particulièrement sensible après un a. Les composés qui commencent par ar-, notamment, ne font entendre qu’un r, sauf quelquefois, par exemple, dans ar-racher, ar-rogance, ou ar-roger[735]. On n’y peut guère ajouter que des mots comme far-rago ou mar-rube, qui sont à peine français, et, trop souvent, nar-ration, nar-rateur, inénar-rable, et même nar-rer, qui auraient pu être respectés.

2º Après e, l’r double est un peu plus atteint qu’après a. Ainsi, quoique fe(r)rer, fe(r)raille et tous les autres ne laissent entendre qu’un r, on en prononce quelquefois deux dans fer-rugineux, qui a un air plus savant. Dans tous les dérivés de terre, et ils sont nombreux, on n’entend qu’un r, et pourtant on en prononce parfois deux dans ter-restre, et même dans le vieux mot ter-raqué. Malgré ve(r)rue, ve(r)ruqueux reste douteux. Inte(r)roger et inte(r)rompre sont à peu près intacts; mais on entend souvent inter-rogation, inter-ruption, inter-rupteur, à côté d’inter-règne. Des mots d’usage très courant, et qui{298} n’ont aucune apparence savante, sont parfois atteints. Ainsi les deux r d’aber-ration, er-rata ou er-ratique, ont réagi sur er-roné, er-rer et même er-reur[736]. De même ter-roriser, ter-roriste, ter-rifier, ont réagi sur ter-rible et même ter-reur, où l’emphase d’ailleurs explique ou excuse le double r[737].

3º Nous savons que les mots commençant par ir- font entendre les deux r, même ir-riguer et ir-riter, qui n’ont pas le sens privatif. Toutefois, i(r)riter ou i(r)ritation sont encore parfaitement corrects. On dit naturellement cir-rus, cir-ripède et pyr-rhique.

4º Parmi les mots commençant par cor-, on ne prononce qu’un r dans co(r)ridor, co(r)riger ou inco(r)rigible, co(r)royer et co(r)roi, ordinairement aussi dans co(r)respondre et ses dérivés et dans co(r)rompre. Mais ces derniers mots sont déjà atteints depuis longtemps, surtout dans le participe cor-rompu, et l’on entend généralement deux r dans tous les mots où figure le radical corrupt-; de même dans ceux où figure le radical correct- (avec cor-régidor), en outre dans cor-rélatif, cor-roborer, cor-roder ou cor-rosif. D’autre part, on dit fréquemment hor-reur, hor-rible et abhor-rer, par emphase, comme ter-reur et ter-rible, et toujours hor-ripiler. On dit aussi tor-réfier et tor-ride; et tor-rentiel réagit parfois même sur tor-rent. Je ne parle pas de mots tels que bor-raginées ou por-rection. On notera que l’r reste pourtant{299} simple, même dans des mots savants comme hémo(r)ragie ou hémo(r)roïdes.

5º Après ou, l’r simple se maintient: cou(r)roie, cou(r)rier, cou(r)roux, pou(r)rir. Encore cou(r)roucé n’est-il pas intact[738].

6º L’r simple se maintient aussi tant bien que mal, plus mal que bien, dans résu(r)rection; plus mal encore dans insu(r)rection, presque plus dans concur-rent et ses dérivés. On dit naturellement scur-rile, sur-rénal et vase mur-rhin[739].{300}

S

1º L’S final.

A la fin des mots, en principe, l’s ne se prononce plus en français depuis fort longtemps. Pour l’s du pluriel, notamment, il n’y a pas d’exceptions[740].

Les exceptions sont, au contraire, assez nombreuses pour l’s qui n’est pas la marque du pluriel, et alors il a toujours le son dur ou sourd.

 

1º Après un a, il y a très peu d’exceptions dans les mots proprement français. Je n’en vois même que deux: l’une pour le monosyllabe as, terme de jeu, et par suite ambesas: la prononciation a(s) est purement dialectale; l’autre pour les interjections las, hélas, qui n’en font qu’une. Quant à atlas, stras, hypocras, ce sont en réalité des noms propres.

Les autres exceptions sont des mots grecs, latins ou étrangers: Deo gratias, per fas et nefas, habeas corpus, pancréas, lias et trias, flint glas, christmas, papas, lépas, upas, lampas (s’humecter le), madras, abraxas, alcarazas, vasistas, ou le provençal mas[741].

On hésite aujourd’hui pour vindas, autrefois guin{301}das, d’ailleurs peu usité; mais on ne prononce plus l’s, ni dans les noms d’étoffes, jacona(s), lampa(s), ginga(s) ou dama(s), celui-ci malgré l’étymologie; ni dans balandra(s), sassafra(s), matra(s) ou tétra(s), ni enfin dans pampa(s), où l’s n’est que la marque du pluriel, dans un mot d’ailleurs francisé[742].

 

Après oi, l’s ne se prononce jamais: boi(s), parfoi(s), courtoi(s), etc. L’s même de troi(s), longtemps sonore, comme la consonne finale de tous les noms de nombre, a fini par s’amuir.

2º Après un e, l’s ne se prononce que dans pataquès, altération de pat-à-qu’est-ce[743]; dans des mots{302} latins ou grecs: facies, aspergès, hermès, palmarès, herpès, faire florès, népenthès; dans les mots étrangers: aloès et cacatoès[744], kermès, xérès, londrès, cortès[745].

On ne doit donc pas plus prononcer l’s dans profè(s) que dans progrè(s), succè(s) ou prè(s). Il se prononce aujourd’hui, à grand tort d’ailleurs, dans ès lettres, ès sciences et autres expressions analogues, où figure un pluriel[746].

Après ai, comme après oi, l’s ne se prononce jamais: jamai(s), j’aimai(s), etc.[747].

 

3º Après un i, les exceptions sont plus nombreuses qu’après a ou e.

L’s s’est maintenu ou définitivement rétabli depuis plus ou moins longtemps dans maïs, jadis, fi(l)s et lis (y compris fleur de lis le plus souvent, malgré l’Académie); dans métis, cassis, vis (substantif) et tournevis[748]. La prononciation de ces mots sans s est tout à fait surannée; on ne peut plus la conserver que pour les nécessités de la rime, et encore![749].{303}

Les autres mots où l’s se prononce sont des mots grecs ou latins: bis (ne pas confondre avec l’adjectif), ibis, de profundis, volubilis, in extremis, tamaris, iris, ex libris, corylopsis, oasis, mitis, gratis, myosotis; ou des mots étrangers: maravédis (et encore pas toujours), tennis, et les vieux jurons gascons cadédis ou sandis[750].

On peut y joindre spahis. Les dictionnaires ont conservé spahi, qui est assurément plus correct, étant un doublet de cipaye, et Loti s’en est contenté; mais l’armée d’Afrique a souvent dit spahis; c’est un fait, et comme il convient d’appeler les gens comme ils s’appellent eux-mêmes, je crois qu’on peut dire spahis plutôt que spahi, malgré l’autorité de Pierre Loti[751].{304}

 

4º Après eu, l’s final ne se rencontre que dans des mots grecs et il s’y prononce; mais il n’y a de nom commun employé parfois que basileus[752].

 

5º Après o, le seul mot de la langue vulgaire où l’s se prononce est os; encore n’est-ce tout à fait correct qu’au singulier[753].

Les autres mots où l’s se prononce sont parfois d’origine latine, comme salva nos ou nescio vos, ou étrangère: albatros, puis albinos et mérinos, pluriels devenus singuliers, ainsi que le gascon escampativos[754].

Presque tous sont d’origine grecque: atropos, paros, cosmos, tétanos, rhinocéros, ithos et pathos, lotos et autres mots savants[755].

 

6º Après ou, l’s se prononce dans le monosyllabe tous, non suivi de l’article ou d’un substantif devant{305} lequel l’article est sous-entendu, autrement dit quand tous est accentué: ils viendront tous, tous viendront, un pour tous et tous pour un, tous debout et même tous soldats, soldats étant ici une apposition; on dira au contraire tou(s) les hommes, ou tou(s) soldats qui...

Cette distinction très nette empêche toute confusion entre ils ont tous dit et ils ont tou(t) dit, ils sont tous fiers et ils sont tou(t) fiers, ils savent tous ce qu’on a dit et ils savent tou(t) ce qu’on a dit; mieux encore, entre nous connaissons tous les livres de... et nous connaissons tou(s) les livres de...

L’s se prononce aussi dans les mots arabes burnous et couscous, et dans négous, écrit aussi négus[756].

 

7º Après un u, l’s final se prononce surtout dans un très grand nombre de mots latins ou qui peuvent passer pour tels: angelus, cactus, calus, carolus, chorus, convolvulus, crocus, détritus[757], eucalyptus, fœtus, hiatus, humus, in manus, in partibus, lapsus, mordicus, omnibus, papyrus, orémus, prospectus, rébus, rictus, sénatus-consulte, sinus et cosinus, typhus, virus, etc., dans blocus et négus, mots étrangers, sans parler des mots familiers qui se sont formés sur l’analogie des mots latins, comme laïus, motus, olibrius, quitus ou rasibus, avec gibus.

Dans les mots proprement français, l’s ne se prononce pas[758]. Obus lui-même, où l’s se prononce{306} régulièrement avec le son doux (obuse), peut-être par l’analogie d’obusier, s’est si bien francisé que dans l’armée on prononce régulièrement obu, qui est donc devenu la meilleure prononciation. La seule prononciation qui ne vaille rien du tout, c’est obusse.

 

Pourtant l’s se retrouve dans deux ou trois mots.

Quoique l’s d’abu(s) ne se prononce pas, le monosyllabe us paraît avoir repris assez généralement le sien, sans doute en qualité de monosyllabe réduit à une voyelle, et pour s’élargir un peu; mais ce mot ne s’emploie guère que dans l’expression us et coutumes, où la liaison se fait tout aussi bien avec un s doux: u(s) zet coutumes.

D’autre part, la prononciation de plus est assez délicate et assez variable.

On ne prononce jamais l’s dans la négation ne... plu(s): je n’en veux plu(s) et de même sans plu(s)[759]; ni dans les comparatifs ou superlatifs: plu(s) grand, le plu(s) grand, plu(s) justement, j’ai plu(s) fait que vous ne pensez, une plu(s)-value; ni devant de, dans tous les sens: plu(s) de monde, plu(s) d’amour; ni quand il est répété: plu(s) j’en ai, plu(s) j’en veux, ou opposé à moins: plu(s) j’en ai, moins j’en veux, ou ni plu(s) ni moins[760].

Mais quand plus est suivi immédiatement de que, on prononce volontiers l’s, sauf après pas ou d’autant: pas plu(s) que vous, d’autant plu(s) que je ne sais si..., mais j’ai fait plu(s) ou plus que vous ne pensez, j’ai cinq ans de plu(s) ou de plus que lui.

On le prononce aussi quand plus est séparé par que d’un adjectif ou d’un adverbe: plus que content, à côté de plu(s) content; plus qu’à moitié, à côté de plu(s) d’à moitié; mais surtout on prononce régulière{307}ment et nécessairement l’s de plus-que-parfait, malgré la résistance de beaucoup d’instituteurs et d’institutrices: plu(s)-que-parfait est tout à fait suranné.

On prononce également l’s dans les opérations de l’arithmétique ou de l’algèbre: le signe plus, deux plus deux égalent quatre, plus par plus donne plus.

Enfin, d’une façon générale, sauf dans ne... plu(s) et de plus en plu(s), il y a une tendance à prononcer l’s quand plus est final. A vrai dire, rien de plu(s) vaut mieux que rien de plus, sans doute à cause de la négation; et dans le style tragique, je te dirai bien plu(s), il y va de bien plu(s), semblent encore s’imposer; mais on dira très bien, surtout dans le langage familier, il y a plus ou trois jours au plus; on dira même nécessairement: plus... un lit, et même, quoique moins bien, de plus... un lit, ou de plus, je n’en crois rien, ou encore après mille ans et plus, sauf en vers, s’il y a une suite:

Après mille ans et plu(s) de guerre déclarée

L’analogie de plus s’est exercée sur sus, dont on prononce souvent l’s dans en sus, comme dans en plus. Mais à part l’expression en sus, le mot est généralement suivi de a, ce qui amène une liaison; il en résulte que beaucoup de personnes prononcent courir sus avec l’s, mais c’est une prononciation discutable[761].{308}

 

8º Après les voyelles nasales, l’s final n’est pas moins muet qu’après les voyelles orales: dan(s), céan(s), san(s), gen(s), repen(s), consen(s), plain(s), étein(s), tien(s), vien(s), moin(s), aimon(s), etc. Il faut donc éviter moinsse avec le plus grand soin, et aussi gensse[762].

Pourtant le mot sens a repris peu à peu son s dans presque tous les cas: bon sen(s) ou contresen(s), qui ont résisté longtemps, ont à peu près disparu[763]; sen(s) commun lui-même, qui s’est conservé plus longtemps et tient encore, sans doute parce que la prononciation de l’s y est entravée par la consonne qui suit, est déjà néanmoins fort atteint, et sans doute destiné à disparaître. Il ne restera bientôt plus que sen(s) dessus dessous et sen(s) devant derrière, qui justement sont sans rapport avec sens[764].

On prononce également l’s dans mons pour monsieur, dans le mot savant cens, dans le vieux mot ains, et dans les mots latins où en sonne in: gens, delirium tremens, sempervirens, etc., sur l’analogie desquels Labiche a formé labadens[765].{309}

 

9º Après les consonnes, il faut distinguer, suivant la consonne qui précède.

Quand l’s est séparé de la voyelle par une consonne non articulée, il ne se prononce pas non plus: ga(rs), la(cs) et entrela(cs), poi(ds), le(gs) et me(ts), pui(ts), pou(ls), tem(ps) et défen(ds), rom(ps) et fon(ds), cor(ps) et remor(ds)[766].

Ceux même qui prononcent à tort le g de le(gs) ne vont pas jusqu’à prononcer l’s. La seule exception est fi(l)s, que nous avons vu à l’i.

En revanche, à part cor(ps), le groupe final ps se prononce toujours entier, parce qu’il n’appartient pas à des mots proprement français: laps et relaps, schnaps, reps, seps, biceps, princeps, forceps, éthiops et anchilops.

On articule aussi intégralement rams et aurochs (aurox). On notera seulement la tendance qui se manifeste, notamment chez Victor Hugo, à remplacer aurochs par auroch: en ce cas, le pluriel se prononce{310} comme le singulier; mais c’est aurochs qui est le vrai mot[767].

D’autre part, quand l’s est séparé de la voyelle par un r, l’r se prononce toujours[768]; mais l’s ne se prononce pas: univer(s), alor(s), toujour(s), ailleur(s), etc. Il faut éviter avec grand soin de prononcer alorsse, quoiqu’on prononce l’s dans le composé lorsque. Le substantif cour(s) se prononce de même sans s.

Il y a pourtant trois exceptions: le mot mars a repris son s depuis longtemps[769]; les mots mœurs et ours ont repris le leur au dernier siècle, et il n’est plus possible de le supprimer qu’en vers, pour l’harmonie, et surtout quand la rime l’exige[770].{311}

2º L’S intérieur.

Dans le corps des mots, l’s se prononce presque toujours, mais quand il se prononce, il est tantôt dur ou sourd, ce qui est le son normal, tantôt doux ou sonore.

 

I.—Devant une consonne, l’s se prononce partout en principe, et toujours ou presque toujours avec le son dur: les s qui ne se prononçaient pas ont en effet disparu de l’orthographe. Il se prononce ainsi même à la fin des mots: fisc, busc, musc et les mots en -st[771].

Mais tous ces mots où l’s se prononce devant une consonne sont en réalité des mots d’emprunt, ou bien des mots que l’orthographe a altérés en y restaurant un s autrefois muet[772].{312}

Par analogie, l’s se prononce depuis longtemps même dans lorsque, presque, puisque, malgré l’étymologie lor(s), prè(s), pui(s), parce que les éléments se sont fondus en un mot unique, comme dans jusque; mais tandi(s) que n’est pas dans le même cas, les composants étant encore distincts: il vaut donc mieux éviter d’y prononcer l’s.

L’s se prononce aussi dans susdit, qui s’écrit en un seul mot, mais non dans sus-tonique et sus-dominante, qui s’écrivent en deux. Il me paraît choquant dans susnommé et susmentionné, qui pourraient bien se prononcer comme les précédents.

 

Dans les mots composés commençant par les articles les et des ou l’adjectif possessif mes, ces monosyllabes sont demeurés distincts, et l’s ne s’y prononce pas: le(s)quels, de(s)quels, me(s)dames[773].

Il y a aussi un mot simple où l’s intérieur, muet devant une consonne, a été conservé dans l’écriture, probablement par oubli, tous ceux qui étaient dans le même cas ayant été éliminés: c’est cheve(s)ne, résidu singulier d’une orthographe disparue[774].{313}

Aux mots commençant par un s suivi d’une sourde, c, p, t, le peuple, surtout dans le Midi, ajoute volon{314}tiers l’e prosthétique des grammairiens: estatue. Cela n’est sans doute point à imiter[775].

 

Dans le groupe sc, qu’on ne trouve que dans les mots relativement récents ou qui ont repris des lettres abolies, les deux consonnes se prononcent sans difficulté devant a, o, u: es-cargot, es-compte, scolaire, sculpture.

Devant e et i, on entend généralement deux s: as-cète, trans-cendant, las-cif, res-cinder[776].

Toutefois on ne peut entendre qu’un s en tête des mots: un s(c)eau, une s(c)ie[777]. On n’entend qu’un s aussi (ou un c) à l’intérieur d’un certain nombre de mots: d’abord ob(s)cène et ob(s)cénité, où il est difficile de faire autrement; puis fa(s), de fa(s)ce, terme de blason[778]; de(s)cendre et ses dérivés; con(s)cience et ses dérivés, quoiqu’on entende généralement deux s dans es-cient, pres-cience et cons-cient; enfin di(s)ciple et di(s)cipline avec ses dérivés; et l’on peut encore y joindre, si l’on veut, a(s)censeur et a(s)cension{315} (surtout la fête), di(s)cerner et di(s)cernement, su(s)ceptible et su(s)citer.

 

Nous avons vu déjà que l’s prenait naturellement le son doux du z, par accommodation, devant une douce, b, d, g, v et j: sbire et presbyte, pélasgique et disjoindre, transgresser, svelte ou transversal. C’est là un phénomène spontané pour lequel il ne faut aucun effort, aucune étude[779]. L’s prend souvent aussi le même son dans les mots en -isme comme rhumatisme (izme) ou même en -asme; mais ceci s’impose beaucoup moins[780].

 

II. Entre consonne et voyelle, l’s est encore dur en principe.

Il est dur notamment après un r: sur-seoir et sur-sis (et non surzis), traver-sin, subver-sif, etc.; mais il est doux dans jersey[781].

Il est doux entre l et a, dans balsamique et les mots de cette famille[782].

On a vu que l’accommodation changeait le b en p dans les mots qui commencent par abs- et obs-, et aussi subs-, mais sauf devant i. En effet, dans subsister, l’accommodation paraît être plus souvent{316} régressive, c’est-à-dire que c’est la seconde consonne qui s’accommode à la première: subzister plutôt que supsister, et de même subzistance, sans doute par l’analogie de sister, exister et sister, dont nous allons parler dans un instant[783].

Il en est de même le plus souvent dans subside et subsidiaire[784].

Au contraire, c’est le b qui se change normalement en p dans abside et dans subséquent[785].

 

III. Entre deux voyelles dont la première n’est pas nasale, l’s prend régulièrement le son doux, quelle que soit l’étymologie: rose, vase, cytise, basilique, vasistas, philosophe, misanthrope, etc.[786]. Il prend le son doux même dans les préfixes à s final dés- et més-, et cela peut passer pour une liaison naturelle: s-unir, s-armer, s-user, s-intelligence, etc.[787]. Pourtant l’s est resté dur dans dys-enterie et dys-entérique[788].

L’s prend encore le son doux, et ceci pourrait surprendre, dans -signer et se dé-sister (sans parler de soler), et généralement après les préfixes ré- et pré-: -server et pré-server, -sider et pré-sider, -solution, -sonance, -sumer et pré-sumer, pré{317}sage, pré-somption, etc. Cela tient à ce que, dans ces mots, le simple a disparu, ou bien il est resté avec un sens très différent: dans les deux cas, le composé est traité comme un mot simple.

Il en est de même du mot abasourdir, où l’élément sourd a pu être méconnu, et par l’absence d’un préfixe usité, et à cause du sens abstrait qu’a pris le mot.

 

Néanmoins, l’s reste dur dans certains cas, avec ou sans préfixe, et beaucoup plus souvent qu’on ne croit:

1º Après les préfixes pré-, ré- et dé- eux-mêmes, dans pré-séance et pré-supposer, sans doute parce qu’ici le simple est trop connu pour s’altérer; dans pré-su (le mot est dans Pascal); dans -section et -séquer, -suet et -suétude, qui gardent la prononciation du latin.

2º Et cette fois sans exception, à la suite de toute une série de préfixes qui restent toujours distincts du mot principal: a-, dans a-septique, a-symétrie ou a-symptote; para-, dans para-sélène et para-sol (malgré l’s doux de para-site, vieux mot dont le simple n’existe pas); contre- et entre-, dans contre-sens, contre-seing, contre-signer et contre-sol, s’entre-secourir ou s’entre-suivre, et entre-sol; anti-, dans anti-social ou anti-septique; co- et pro-, dans co-seigneur, co-signataire, co-sinus ou co-sécante, et pro-secteur; uni-, bi- et tri-, proto- et deuto-, etc., dans uni-sexuel et une foule de composés chimiques, botaniques ou même mathématiques[789]; plusieurs autres encore, qui marquent également le nombre, surtout dans le vocabulaire grammatical: mono-syllabe et mono-syllabique, tétra-syllabe, déca-syllabe, etc., poly-syllabe et poly-synodie, pari-syllabique et impari-syllabique[790].{318}

3º Dans quelques mots composés à éléments mal soudés, quoique liés dans l’écriture: tournesol et girasol, soubresaut, havresac, vraisemblable et vraisemblance, présalé, vivisection, gymnosophiste, idiosyncrasie, petrosilex, sanguisorbe, etc.[791].

4º Dans quelques mots simples, exclusivement savants et techniques, où l’on conserve la prononciation d’origine, comme thésis ou basileus.

5º Dans une onomatopée comme susurrer, susurrement, que les dictionnaires altèrent fort mal à propos[792].

6º Enfin dans quelques mots étrangers plus ou moins employés, l’adoucissement de l’s entre deux voyelles étant propre au français: ainsi le grec kyrie eleison, ou l’italien impresario, à demi francisé d’ailleurs, puisqu’on nasalise im[793]. Pourtant l’s s’est adouci dans l’espagnol brasero et l’italien risoluto ou fantasia, apparemment par l’analogie de brasier, solution, fantaisie[794].{319}

IV. Entre une voyelle nasale et une autre voyelle, l’s reste dur, parce qu’autrefois l’n se prononçait: anse, penser, pension, encenser, insigne, considérer, etc., et même insister, malgré l’s doux de sister et des autres.

Toutefois, avec le préfixe trans-, on a encore un phénomène de liaison, comme avec dés- et més-, et c’est un z qu’on entend, sans exception, dans transalpin, transaction, transatlantique, transiger, transit, transitaire, transitif, transition, transitoire, transhumer et transhumance.

Mais l’s du substantif transe est nécessairement dur, comme dans toutes les finales en -anse, et il se maintient encore dur tant bien que mal dans transi et transir, très fréquemment altérés par le voisinage de transit. Transept a aussi l’s dur, étant pour transsept[795].

On entend quelquefois, mais à tort, l’s doux dans in-surrection, par analogie avec surrection.

Enfin l’s est doux dans nansouk[796].{320}

3º L’S double.

L’s double final se prononce comme l’s dur, mais il abrège la voyelle qui précède: ray-grass, mess, express, miss, etc.

L’s double intérieur, qui n’a jamais le son doux, représente d’abord assez souvent un s simple, qu’on a doublé après un e dans certains composés, uniquement pour empêcher que le son doux ne remplace mal à propos le son dur, entre deux voyelles.

Nous avons vu tout à l’heure qu’après é fermé on se contentait souvent d’un seul s en pareil cas, malgré le danger d’adoucissement: pré-séance, dé-suet; mais on écrit avec deux s, et peu de logique, pre(s)sentir et pre(s)sentiment[797].

Après un e muet, un seul s a suffi encore, dans quelques composés cités plus haut, comme entresol, havresac ou soubresaut; mais on met deux s à re(s)saut et à re(s)sauter, et partout après le préfixe re-, dans les mots de la langue écrite: re(s)sembler, re(s)sentir, re(s)sort, re(s)source, etc.[798], ainsi que dans de(s)sus et de(s)sous, sans compter re(s)susciter, dont l’e est fermé. Je ne sais si cet emploi de l’s double après le préfixe re- est très heureux, car s’il fait respecter le son de l’s, en revanche il fait altérer malencontreusement à beaucoup de personnes la pronon{321}ciation de l’e muet lui-même, et le mal n’est guère moindre[799].

Il va sans dire que dans tous ces mots, que l’e soit fermé ou muet, on ne peut prononcer qu’un seul s, puisque l’s ajouté n’y est en quelque sorte qu’un signe orthographique conventionnel, destiné à maintenir le son dur ou sourd.

Mais on peut aller plus loin, et dire qu’en français, d’une façon générale, entre deux voyelles, l’s simple est un s doux et l’s double un s dur.

Cette distinction très nette a peut-être contribué à maintenir généralement la prononciation d’un s simple quand il y en a deux. Toujours est-il que l’s double se prononce simple beaucoup plus souvent que les liquides l, m, n, r, malgré la tendance générale que nous avons signalée si souvent. Il est rare qu’on prononce deux s dans les mots d’usage courant, qui sont très nombreux, et peut-être même ne l’a-t-on jamais fait dans les mots tels que a(s)seoir, pa(s)sage, va(s)sal, ma(s)sacre, e(s)sai, e(s)suyer, me(s)sie, me(s)sage, i(s)su, bo(s)su, fau(s)saire, bou(s)sole, hu(s)sard, etc. L’s reste simple notamment dans tous les composés de des-, comme de(s)saler, de(s)serrer, de(s)souder, et dans tous les mots en -seur, -sion, -soir ou -soire, quelle que soit la voyelle précédente: embra(s)seur, oppre(s)seur, régi(s)seur ou endo(s)seur, pa(s)sion, pre(s)sion, commi(s)sion ou percu(s)sion, pre(s)soir ou acce(s)soire.

Il y a pourtant des exceptions, cela va sans dire aussi notamment pour les préfices as- et dis-[800].{322}

1º Le préfixe as- étant plus populaire que savant, dans tous les composés, sauf as-similer et ses dérivés, on devrait ne prononcer qu’un s[801]. Toutefois, je ne vois guère que a(s)saut, a(s)sembler et a(s)semblage, a(s)seoir, a(s)siéger, a(s)siette et a(s)sise, a(s)sez, a(s)surer et ses dérivés, qui soient à peu près intacts. Les plus atteints sont as-sagir, as-sainir, as-sécher, as-séner (pour a(s)sener), as-sentiment, as-sermenté, assertion, as-servir, as-sidu et as-siduité, as-signer et as-signation, as-sombrir, as-somption, as-sonance, as-sourdir, as-souvir et as-sumer. Mais pas plus dans ceux-là que dans les autres, il n’est indispensable de prononcer deux s.

2º Au contraire, le préfixe dis- étant expressément un préfixe savant, les composés font entendre généralement deux s. Il n’y a d’exception incontestable que pour di(s)siper et ses dérivés et di(s)soudre[802]; mais on fera bien de prononcer aussi avec un seul s di(s)solu[803], di(s)serter et di(s)sertation, di(s)simuler et di(s)simulation[804], voire même di(s)séminer, di(s)sension ou di(s)sentiment, ces mots étant d’un usage fort général[805].

3º Aux préfixes as- et dis- on peut ajouter intus- et trans-, dans intus-susception, trans-sudation ou trans-substantiation.

4º Il n’y a plus qu’un certain nombre de mots plus{323} ou moins savants où l’on prononce deux s: as-sa fœtida, pas-sible et impas-sible, pas-sif et ses dérivés (sauf en grammaire) et pas-siflore, clas-sification et quelquefois clas-sique, et aussi juras-sique[806];—tes-sère et pes-saire, es-sence (au sens figuré) et ses dérivés, inces-sible et immarces-sible, et les composés en pres-sible; congres-siste et progres-siste, qui, avec proces-sus, réagissent sur progres-sif, proces-sif et quelques mots en-essif; mes-sidor, ses-sile, pes-simiste et pes-simisme, et au besoin es-souflé ou es-saimer;—les mots en is-sible et leurs dérivés, et, si l’on veut, les mots en is-sime et is-simo, avec commis-soire, fis-sipare et fis-sipède, et bys-sus, auxquels on joint quelquefois fis-sure et bis-sextile;—enfin glos-saire, os-sature, os-sification, os-suaire et quelquefois os-seux, avec fos-sile et opos-sum[807].

*
* *

Nous savons que le groupe anglais sh équivaut au ch français à toute place: shelling, shocking ou shampoing, english, mackintosh ou stockfish[808]. A la vérité fashion se prononçait aussi bien fazion à la française, que facheune, à l’anglaise, et de même{324} fashionable; mais ces deux mots sont tout à fait tombés en désuétude.

C’est aussi au ch français que correspondent le groupe germanique sch[809], le danois sj, le polonais sz et l’s hongrois[810].{325}

T

1º Le T final.

A la fin des mots, le t, comme l’s, en principe ne se prononce pas: acha(t), avoca(t), étroi(t), bonne(t), livre(t), tombai(t), crédi(t), peti(t), calico(t), tripo(t), prévô(t), défau(t), ragou(t), institu(t), cha(t)-huan(t), vacan(t), accen(t), événemen(t), sain(t), poin(t), fron(t), défun(t), dépar(t), concer(t), transpor(t), meur(t), accour(t), etc., etc.[811]. Les exceptions sont même beaucoup plus rares que pour l’s parmi les mots proprement français. Naturellement elles affectent surtout des monosyllabes, qui sont en quelque sorte renforcés ou élargis par cette prononciation.

 

1º Après a, il n’y a que les adjectifs fat et mat, avec les termes d’échecs mat et pat; adéqua(t) et immédia(t) n’en sont plus, ni opia(t), quoique l’Académie ait encore maintenu le t en 1878.

Il faut ajouter cependant les mots latins, exeat, fiat, stabat, magnificat, vivat, qui ne sont pas en voie de se franciser dans la prononciation; on entend bien parfois des viva(ts), mais c’est une fâcheuse analogie, amenée sans doute par le pluriel[812].

Après oi, il n’y a rien, pas plus doi(gt) que adroi(t) ou pourvoi(t). Toutefois, quand soit est employé seul,{326} on fait volontiers sonner le t, pour renforcer le mot, comme on l’a déjà vu ailleurs.

 

2º Après e, il n’y a que net, fret et se(p)t.

Pour net, il ne saurait y avoir de discussion[813].

Pour fret, tous les dictionnaires maintiennent fre(t). Ils pourraient peut-être se corriger, parce que la marine marchande ignore absolument cette prononciation: or quel est l’usage qui doit prévaloir ici, sinon précisément celui de la marine marchande?

Enfin, pour se(p)t, il faut naturellement dire devant un pluriel commençant par une consonne: se(pt) sous, se(pt) cents, se(pt) mille[814]. Malheureusement nos cuisinières, marchands et comptables ne connaissent guère d’autre prononciation que se(p)t, en toute circonstance, sous le fallacieux prétexte que l’on pourrait confondre se(pt) sous et se(pt) cents avec seize sous et seize cents! Et leur prononciation a passé peu à peu de la cuisine à la salle à manger, du comptoir au salon. Essayons encore de réagir si nous pouvons, mais je crains fort qu’il ne faille bientôt céder sur ce point[815].

A net, fret et se(p)t on fera bien de ne pas ajouter juillet, pas plus qu’alphabet, la prononciation du t dans ces mots étant surannée ou dialectale. Quant à{327} cet, il ne s’écrit que devant une voyelle, et nécessairement il se lie.

On prononce naturellement le t dans quelques mots latins ou étrangers: et cetera[816], hic et nunc, hic jacet, licet, tacet, claret, et water-closet; mais débe(t) et place(t) sont francisés depuis fort longtemps; croque(t), cricke(t), ticke(t) le sont aussi, et même pick-pocke(t), et souvent water-close(t)[817].

Après ai, il n’y a pas d’exceptions, sauf une tendance très marquée à faire sentir le t du substantif fait, au singulier, surtout quand il est final ou accentué: en fait, au fait, par le fait, voie de fait, voici le fait, il est de fait, je mets en fait, je l’ai pris sur le fait, c’est un fait, et même c’est un fait constant, c’est le fait d’un honnête homme, le fait de mentir, le fait du prince; mais on ne doit jamais faire sentir le t au pluriel, ni dans fait divers, singulier identique au pluriel, ni dans en fait de ou tout à fait.

 

3º Après i, le t sonne encore presque toujours dans les mots qui viennent de mots latins en -itus et -itum: coït, introït, obit, bardit, aconit, rit (même mot que rite), prétérit, prurit et transit; mais on a cessé généralement de le prononcer dans subi(t) aussi bien que dans gratui(t). Il en est de même dans ci-gî(t). On le{328} prononce encore le plus souvent dans granit, mais grani(t) se répand.

On le prononce aussi, naturellement, dans huit, avec la seule restriction, toujours la même, des pluriels commençant par des consonnes: page huit, in-dix-huit, le huit mai, et aussi, par liaison, huit hommes, mais hui(t) sous, hui(t) cents, hui(t) mille[818].

Enfin il doit toujours sonner dans les mots latins, francisés ou non, dans accessit, satisfecit et même déficit, malgré l’usage de quelques personnes, aussi bien que dans incipit, sufficit, explicit, exit et affidavit, ainsi que dans vooruit et dead-heat[819].

 

4º Après o, le t ne sonne plus aujourd’hui que dans dot, où il ouvre l’o, bien entendu. Cette exception paraît venir de ce que le mot avait autrefois deux formes, un masculin do(t) et un féminin dote (cf. aubépin et aubépine); le féminin se serait ici conservé avec l’orthographe du masculin. C’est d’ailleurs le seul mot en -ot qui soit féminin. Quoi qu’il en soit, la prononciation do(t) est aujourd’hui particulière au sud-ouest[820].

 

5º Dans les finales -aut et -ault, le t ne sonne jamais[821]; pas davantage dans -eut, ni dans -out et -oult,{329} les mots étrangers, lock-out, vermout, knout, raout et stout, mais non racahou(t).

Surtout il ne doit pas plus sonner dans (a)(t) que dans debou(t), malgré l’usage de quelques provinces[822].

 

6º Après u, le t final sonne toujours dans un certain nombre de mots savants: azimut, cajeput, occiput, sinciput et comput, avec ut et caput; quelquefois aussi, mais à tort, dans scorbu(t) et précipu(t); de plus, dans les interjections chut et zut, et dans les monosyllabes lut, rut et brut[823]. La province y ajoute généralement un autre monosyllabe, but, malgré débu(t), mais à Paris on prononce toujours bu(t)[824].

 

7º Après les voyelles nasales (les mots en -ant et -ent sont particulièrement innombrables), le t ne sonne pas plus en français qu’après les voyelles orales, même si une autre consonne s’intercale, comme dans exem(pt), vin(gt), prom(pt), rom(pt), corrom(pt), interrom(pt).

Il a longtemps sonné dans ving(t), comme sonnaient l’s et l’x de trois et deux, conformément à l’usage de tous les noms de nombre; c’est aussi incorrect aujourd’hui que le serait cente pour cen(t), qui ne semble pas avoir jamais été dit. Toutefois le t de vingt sonne encore dans vin(g)t et un, par liaison, et aussi dans vin(g)t-deux, vin(g)t-trois, etc., malgré la con{330}sonne qui suit, soit par un souvenir de vin(g)t et deux, vin(g)t et trois, où se faisait la liaison, soit plutôt par analogie avec trente-deux, quarante-quatre, cinquante-sept, etc. Mais il ne sonne pas dans quatre-vin(gt)-un, -deux, -trois, etc., et cela se comprend: s’il sonnait par exemple dans quatre-vingt-trois, ce serait quatre fois vingt-trois, et non quatre fois vingt plus trois; il y a des siècles que cette distinction a été faite inconsciemment. Il est vrai que tous ces t, devant deux, deviennent nécessairement des d: vind deux; ce n’est pas une raison cependant pour prononcer vin(g)te-deux[825].

Le t sonne encore dans quelques mots étrangers, comme cant ou pippermint[826].

 

8º Restent les consonnes. Le t ne sonne pas après un r: écar(t), exper(t), ressor(t), cour(t), et aussi heur(t), où il a longtemps sonné; spor(t) lui même est francisé, et dog-car(t) à peu près; mais flirt garde son t, même quand on le francise[827]. En revanche, le t sonne après et avec les consonnes c, l, p, s.

Pour les mots en -ct, nous avons vu plus haut qu’il ne fallait plus excepter que les mots en -spect, ami(ct) et instin(ct), mais non exact, abject, verdict, district, succinct et distinct, ni aucun autre[828].{331}

Les mots en lt ne sont pas des mots français: cobalt, malt, smalt, spalt, veldt, volt, sauf le vieux mot moult, et indult, où l’orthographe a rétabli la prononciation disparue de lt[829].

Si des mots en pt nous éliminons se(p)t, examiné tout à l’heure, où le p ne sonne pas, et les mots en -empt et -ompt, où ne sonnent ni p ni t, il reste trois ou quatre mots savants où les deux consonnes se prononcent: rapt, qui a longtemps flotté, concept, transept et abrupt[830].

Le groupe final st se prononce dans quelques mots, la plupart étrangers: hast (armes d’), ballast, to(a)st, est et ouest, lest, zist et zest, whist, ost et souvent compost. Il est muet dans le verbe e(st)[831].

Ajoutons pour terminer que l’h après le t final, qui d’ailleurs est toujours d’origine étrangère, ne change{332} rien en français au son du t; mais naturellement le t suivi d’un h se prononce toujours: feldspath, aneth, zénith, mammouth, luth et bismuth[832].

2º Le T intérieur et le groupe TI.

Dans le corps des mots, le t se maintient difficilement entre deux consonnes, si la dernière n’est pas un r, comme dans astral. Aussi est-il devenu muet dans as(th)me et as(th)matique, is(th)me et is(th)mique, et même pos(t-s)criptum et parfois pos(t)dater: c’est toujours la répugnance du français à prononcer trois consonnes consécutives qui ne s’accommodent pas ensemble, et c’est ordinairement celle du milieu qui est alors écrasée entre les autres, à moins qu’elle ne soit un s[833].{333}

Dans les mots en -iste, comme dans les mots en isme, le peuple laisse volontiers tomber la syllabe finale: artis(te), anarchis(te). Il dit de même prétex(te) ou insec(te): paresse de langage, qu’il faut éviter.

L’h ne change rien au t, bien entendu: t(h)éâtre, t(h)on, t(h)ym, at(h)ée, got(h)ique, etc.

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* *

Mais la question la plus intéressante concernant le t intérieur est celle de son traitement devant l’i suivi d’une voyelle.

La règle générale n’est pas douteuse: Devant un i suivi d’une autre voyelle, le t prend le son de l’s dur[834].

Cette règle s’applique notamment à la plupart des mots en -tie et -tien, à presque tous les mots en -tiaire, -tiel, -tieux, -tion, avec tous leurs dérivés, et à une foule d’autres mots: suprématie, inertie, béotien, tertiaire, torrentiel, ambitieux, nation, national, etc., et aussi bien nuptial, gentiane, spartiate, patient, patience, satiété, tiole, etc., etc.[835]

En réalité cette prononciation nous vient tout simplement de la prononciation adoptée depuis des siècles, à tort ou à raison, pour le latin[836]. Aussi appartient-elle essentiellement à des mots d’origine{334} savante, tandis que les mots d’origine populaire conservent en principe le son normal du t, notamment quand l’i fait diphtongue étymologiquement avec un e, comme dans pit.

On peut dire pourtant que la prononciation sifflante est la règle générale, d’abord parce que les mots de formation savante sont les plus nombreux, ensuite parce que les mots nouveaux ont ordinairement suivi l’analogie des précédents, et que les mots isolés qui sont restés en dehors de la règle tendent souvent à s’y soumettre. On constate même ce phénomène curieux d’une prononciation d’origine savante devenant populaire, et altérant par cela même d’autres mots savants, faute de pouvoir altérer les mots les plus usités.

J’ajoute qu’il est plus facile d’énumérer les exceptions que les cas où la règle s’applique, ainsi qu’on le fait parfois, non sans beaucoup d’omissions.

Les exceptions sont d’ailleurs nombreuses, et il y en a de toutes les sortes. On se rappelle la réponse de Nodier à Dupaty, qui prétendait qu’entre deux i le t avait toujours le son de l’s: «La règle est sans exceptions,» répondait-il à Nodier. Et Nodier de répliquer, du tac au tac: «Mon cher confrère, prenez picié de mon ignorance, et faites-moi l’amicié de me répéter seulement la moicié de ce que vous venez de dire.» Ceci se passait à l’Académie, où l’on peut croire que les rieurs ne furent pas pour Dupaty. Mais ce n’était là qu’un exemple, et il y a d’autres exceptions même entre deux i, sans compter les autres combinaisons, qui sont multiples[837].{335}

 

I.—Il y a d’abord deux catégories de mots qu’il faut éliminer, parce que la prononciation sifflante est impossible ou à peu près. Ce sont:

 

Tous les mots dans lesquels le t est déjà précédé d’une sifflante, s ou x, ce qui empêche absolument le t de s’altérer, aussi bien en latin qu’en français: bastion, question, immixtion (une douzaine de mots en -tion); dynastie, modestie, amnistie (une douzaine de mots en -tie); bestial, bestiole, vestiaire, etc., etc.[838].

A cette catégorie appartiennent aussi étiage, châtier et chrétien avec sa famille, autrefois estiage, chastier et chrestien.

 

Tous les imparfaits et subjonctifs présents, où le t ne peut pas changer le son qu’il a dans les autres formes: étais, étions, étiez, portais, portions, portiez, que nous mentions, que vous mentiez, etc.[839].

De plus, pour le même motif, les participes féminins des verbes en tir: sorti, sortie, anéanti, anéantie, etc., avec les substantifs de formation française dérivés des mêmes verbes: tie, garantie, partie, sortie, et le féminin d’apprenti[840].{336}

II.—Voici maintenant toute la collection des mots d’origine populaire où -ti- est suivi d’un e, et où le groupe ie est une diphtongue étymologique, le latin ayant à la place une voyelle unique, devant laquelle le t n’a pas pu s’altérer. Ce sont:

 

1º Les trois substantifs en -tié: pit, moit, amit, avec inimit[841];

 

2º Les adjectifs et substantifs en -tier ou -tière, à suffixe -ier, féminin -ière, comme entier ou héritier, jarretière ou tabatière: ils sont près de deux cents[842];

 

3º Les mots qui ont le suffixe -ième, à savoir septième, huitième, vingtième, etc., avec quantième ou pénultième[843];{337}

 

4º Les formes verbales de tenir et ses composés, tient ou contient, tiendra on maintiendrait, avec les dérivés entretien, maintien, soutien[844];

 

5º Enfin les mots tiède, tiers et tien, où le t est initial, et antienne, où il ne l’est pas[845].

 

III.—Il y a encore un certain nombre de mots d’origines diverses.

1º Voici d’abord trois mots en -tie: ortie, d’origine populaire[846]; sotie, dérivé populaire de sot, qui avait deux t autrefois comme sottise, et qui a gardé sa prononciation en devenant savant; enfin tutie, qui ne vient pas du latin[847].{338}

Épizootie est encore flottant[848].

2º Voici quelques mots plus ou moins savants, où ti- a résisté à l’analogie et a gardé la prononciation du grec: d’abord éléphantiasis ou étiologie, sans compter tiare; d’autre part tous les mots où le t est séparé de l’i par un h, ce th étant grec: sympat(h)ie, pyt(h)ie, corint(h)ien; de sorte qu’ici non seulement l’h ne change rien au t, mais aide à le conserver intact[849].

Pourtant la tendance générale est telle que le mot chrestomat(h)ie a été fortement altéré et l’est encore assez généralement; mais la prononciation correcte de ce mot savant, qui n’est pas latin, est tie et non cie, et les jeunes professeurs commencent à la restaurer.

3º Il y a encore les mots qui ont un préfixe en -ti, à savoir: d’une part le mot centiare, qui a gardé devant le mot are la prononciation uniforme du préfixe centi-, quoiqu’une diphtongue s’y soit formée dès le principe; d’autre part les mots commençant par le préfixe anti-, comme antialcoolisme, où il n’y a point de diphtongue.

4º Restent quelques mots populaires d’origine inconnue: galimatias, qu’une étymologie fantaisiste a rattaché à Mathias; étioler, étiolement, qui se rattachent peut-être à éteule; et aussi l’espagnol patio[850].{339}

Cette énumération, qu’on trouvera ici pour la première fois, fut longue sans doute, mais celle des mots où le t est sifflant l’eût été davantage, et peut-être même impossible, en tout cas beaucoup plus difficile à classer méthodiquement[851].

3º Le T double.

Le t double se prononce encore simple assez généralement, et autrefois il n’y avait point d’exception.

Parmi les mots commençant par att-, qui sont fort nombreux, il n’y a guère qu’at-tique et at-ticisme où l’on soit à peu près obligé de prononcer deux t[852]; mais il faut avouer que cette prononciation commence à atteindre fortement beaucoup d’autres mots où elle ne s’impose nullement, comme at-tenter, at-tentif, at-ténuer, at-terrer, at-tester, at-tiédir, at-titré, at-titude, at-touchement, at-traction, at-tributif, at-trister, at-trition.

Cette prononciation est plus correcte dans bat-tologie, intermit-tent et intermit-tence, commit-timus et commit-titur, gut-tural et gut-ta-percha; mais elle atteint aussi depuis plus d’un siècle d’autres mots,{340} comme sagit-taire, lit-téraire, lit-téral, lit-térature, lit-toral et pit-toresque.

Elle est d’ailleurs légitime dans les mots qui viennent de l’italien, où les deux consonnes se prononcent régulièrement: concet-ti, vendet-ta, jet-tatura, dilet-tante, libret-to et libret-tiste, grupet-to, tut-ti et sot-to voce, et aussi dans gut-ta-percha. Mais on ne prononce plus qu’un t généralement dans ghe(t)to et confe(t)ti, qui se sont popularisés, souvent aussi dans larghe(t)to[853].

On ne prononce jamais qu’un t dans sco(t)tish[854].{341}

V et W.

Le v s’appelait autrefois u consonne, et ne se distinguait pas typographiquement de l’u[855].

Du v simple il n’y a rien à dire, sinon qu’il faut éviter de le supprimer devant oi, et de dire (v)oiture, (v)oilà, la(v)oir, au r(ev)oir[856].

Le v allemand se prononce f; mais cela ne nous intéresse guère que pour les noms propres non francisés[857].

Le v a aussi le son de l’f à la fin des noms slaves, surtout après un o, où il est souvent double[858].

Le w n’est pas français. Mais le w germanique se prononce comme le v français, ainsi que celui du polonais redowa[859].{342}

Le w anglais demande plus d’attention.

En principe, devant une voyelle, il a le son de la semi-voyelle ou: water-closet ou waterproo373 , wattman, warf, whist, whig, wisky, wigwam, workhouse, swell, tramway, railway, sandwich[860]. Mais quand il se francise, c’est presque toujours en v; ainsi il est complètement francisé en v dans wagon et ses dérivés, à peu près dans warrant et ses dérivés, souvent aussi dans waterproof, quoiqu’on ne francise pas oo, et dans water-closet ou wattman. S’il s’est francisé définitivement en ou dans whist, c’est parce que le mot ne s’est pas répandu dans le peuple; mais tramway a beaucoup de peine à se franciser tout à fait avec le son ou, qui pourtant semble l’emporter[861].

Nous avons réduit aw à au dans outlaw, lawn-tennis, tomahawk, drawback[862].

Nous avons accepté pour l’anglais ew la prononcia{343}tion iou; ainsi pour mildew, qui eut la chance d’être appris par l’oreille et non par l’œil; mais nous l’écrivons beaucoup mieux mildiou, comme il convient. Interview se prononce indifféremment viev ou viou, et le premier finira sans doute par s’imposer, ne fût-ce qu’à cause du dérivé interviewer, pour lequel la prononciation viou-ver est assez ridicule[863].

L’anglais ow se prononce comme o fermé dans bo(w)-windo(w), ro(w)ing, arro(w)-root, sno(w)-boot, et quelquefois co(w)-boy (pour caouboï); d’autre part nous réduisons facilement ow à ou dans clown, teagown, cowpox ou browning[864].{344}

X et Z

1º L’X final.

A la fin des mots français, l’x n’est plus généralement qu’un signe orthographique qui tient simplement la place d’un s[865]. Aussi ne se prononce-t-il pas plus que l’s du pluriel, notamment après u, dans tous les mots en -aux, -eux, -oux, au singulier comme au pluriel: fau(x), veau(x), aïeu(x), heureu(x), dou(x), genou(x), etc., etc.[866]. Il n’y a même pour ceux-là aucune exception, pas même pour deu(x), dont l’x s’est amui, comme l’s de troi(s), quoiqu’il se soit conservé dans six et dix, dont nous allons parler[867].

L’x final ne se prononce pas davantage dans pai(x), fai(x) et ses composés, ni dans les mots en -oix[868].

Il ne se prononce pas non plus dans pri(x), perdri(x) et crucifi(x), ni dans flu(x), reflu(x), influ(x)[869].{345}

On vient de voir que l’x final se prononce par exception dans les noms de nombre six et dix, comme se prononcent les consonnes finales de cinq, sept, huit, neuf; mais ceci demande des explications.

D’abord cet x devrait s’écrire s, comme autrefois, car il a conservé ici le son de la langue vulgaire, où il a toujours sonné comme un s: j’en ai six, page dix, Charles dix, le six mai, le dix août.

En second lieu, il faut excepter, bien entendu, suivant la règle des adjectifs numéraux, les cas où six et dix sont suivis d’un pluriel commençant par une consonne: di(x) francs, si(x) sous, si(x) cents, di(x) mille[870].

Mais d’autre part, si le pluriel commence par une voyelle, ce n’est encore pas le son normal de l’s qu’on entend; car il se produit alors simplement un phénomène de liaison, d’où il résulte que l’s est doux[871]. De là la différence qu’il y a entre six hommes (si-zom) et six avril (si-savril): le nom du mois n’étant pas multiplié, dix et six se prononcent dis et sis devant avril, août, octobre, comme devant mai, juin ou septembre. A vrai dire, on prononce souvent si zavril comme si zhommes, comme on dit aussi entre si zet huit, mais ce sont des abus de liaison; au pis aller, pour six et huit, on peut choisir entre le son dur et le son doux, tandis que pour six hommes on n’a pas le choix: l’s est nécessairement doux.{346}

On fait aussi la liaison par analogie, et quoiqu’il n’y ait pas multiplication, dans dix-huit (dizuite) et ses dérivés.

Par analogie avec dix-huit, on prononce également un s doux dans dix-neuf, comme on prononce le t dans vingt-quatre ou vingt-neuf.

Dans dix-sept, l’x garde le son de l’s dur à cause de l’autre s qui suit: dis-sète; d’ailleurs, quand on parle vite, on dit facilement di-sète, l’s double se réduisant à un, comme dans tous les mots populaires[872].

On prononce de même avec un s dur les termes de musique six-quatre ou six-huit, quoiqu’il y ait multiplication, parce qu’en réalité ce n’est pas quatre et huit qui sont multipliés, mais seulement les notes représentées par ces chiffres, de sorte que les deux chiffres qui indiquent la mesure restent toujours distincts; sizuit est donc encore un abus de liaison, d’ailleurs très tolérable.

 

Comme six et dix, coccyx se prononce avec un s simple, au moins par euphonie[873].

 

En dehors de six, dix et coccyx, quand l’x final se prononce, il se prononce cs. Mais cela n’a lieu que dans des mots grecs, latins ou étrangers, comme index, silex ou sphinx[874].{347}

2º L’X intérieur.

Dans le corps des mots, l’x se prononce en principe cs devant une voyelle comme devant une consonne: d’abord dans les finales muettes, axe, rixe, sexe[875]; et aussi bien dans laxatif, axiome ou maxime, lexique ou sexuel, fixer ou luxure, comme dans textuel, bissextil ou mixture[876].

Mais en réalité tous ces mots sont des mots d’emprunt, et il en reste beaucoup d’autres où l’x ne se prononce pas ou pas toujours cs[877].

D’abord nous retrouvons l’s dur simple de la prononciation populaire dans soixante et ses dérivés, où l’x étymologique a été rétabli après coup, comme dans six et dix[878].{348}

Nous retrouvons aussi l’s doux de la simple liaison dans les dérivés de deux, six et dix: deuxième, dixième, sixième, sixain se prononcent comme deu(x) hommes ou si(x) hommes[879].

 

Mais surtout les mots qui commencent par ex ou x demandent un examen spécial.

On notera en premier lieu que devant une consonne sifflante, c’est-à-dire devant ce ou ci ou devant un s, la seconde partie de l’x se confondant nécessairement avec le son qui suit, le son ecs se trouve réduit à ec: ec-cellent, ec-centrique ou ec-sangue[880].

Au contraire, devant une consonne non sifflante, on a une tendance naturelle, quand on parle vite, et même sans cela chez le peuple, à réduire ecs, non à ec, mais à es: estrême, escuse, espress[881].

Cette tendance doit être combattue en général, notamment quand il n’y a qu’une consonne, comme dans escuse, autrefois correct. Elle est plus admissible dans les mots commençant par excl- ou excr-, comme exclamation ou excrément, mais là même elle est familière et médiocrement correcte[882].

 

D’autre part et surtout, devant une voyelle, ex- initial (ou hex-) s’adoucit régulièrement en egz. Par exemple: exalter, exhaler, exécuter, exiger, exotique,{349} exubérant, hexamètre, etc., et, par suite, inexigible ou inexact; il faut y ajouter sexagénaire et sexagésime, et peut-être aussi sexennal[883]. Seuls exécration et exécrable sont très souvent prononcés avec cs, par emphase.

Cette tendance à adoucir l’x après l’e initial est si forte qu’elle atteint chez nous jusqu’à la prononciation du latin. On croit même qu’elle a commencé par le latin. En tout cas, il ne nous suffit même pas de dire exeat ou exercitus avec gz: même une expression latine composée comme ex æquo, qui ne peut guère s’altérer en latin, s’altère en français, où nous la traitons comme un substantif: un ex æquo, des ex æquo, et par suite comme un mot simple. Ex abrupto s’altère beaucoup moins souvent[884].

En tête des mots, l’x ne garde le son de cs que parce que les mots, d’ailleurs en très petit nombre, sont savants et d’un usage restreint: xérasie, xérophagie, xiphoïde, xylographie; encore devient-il gz très souvent dans xylophone, qui est un peu plus connu[885].{350}

3º Le Z

Le z final, dans les mots proprement français, est dans le même cas que l’x: il remplace simplement un s, même quand il représente étymologiquement ts[886]. Aussi ne se prononce-t-il pas plus que l’s ou l’x, notamment dans toutes les secondes personnes du pluriel: aime(z), aimie(z), aimerie(z), etc.

Il ne se prononce pas davantage dans le mot sonne(z), qui est en réalité un impératif, ni dans les substantifs ne(z) et bie(z), disparu devant bief, ni dans l’adverbe asse(z) et les prépositions che(z) et re(z), de re(z)-de-chaussée[887].

On voit que le z final muet suit généralement un e; mais le z ne se prononce pas davantage dans ra(z) de marée, ni dans ri(z); et si, en France, on le pro{351}nonce ordinairement dans ranz des vaches, en Suisse on prononce ran, et on doit y savoir comment ce mot se prononce[888].

Le z final se prononce dans gaz et dans fez; mais ce sont des mots étrangers[889].

Le z final allemand, avec ou sans t devant, se prononce ts: quartz, kronprinz[890].

Et même tz après l se réduisent le plus souvent à un s: eau de sel(t)z[891].

On n’entend également qu’un s dans ruolz.

Dans le corps ou en tête des mots, le z français a{352} toujours le son d’un s doux devant une voyelle: zèle, zone, bronzé, topaze, rizière, etc.

Il en est de même du z, simple ou double, des mots étrangers, quand nous les francisons: lazarone, scherzo, pou(z)zolane, mue(z)zin, souvent aussi ra(z)zia ou la(z)zi[892].

Quand nous ne francisons pas les mots étrangers, le z allemand se prononce ts[893].

Le z italien, simple ou double, se prononce quelquefois aussi ts, comme dans grazioso, plus souvent dz: piazza, piazzetta, lazzi, mezzo, mezzanine, pizzicati[894].

L’espagnol plaza se prononce plaça.{353}

RÉCAPITULATION DES CONSONNES

On vient de voir de quelles manières différentes peuvent se prononcer à l’occasion les mêmes lettres, sans compter les cas où elles ne se prononcent pas du tout. Nous allons, pour récapituler ce chapitre, faire rapidement l’inverse, et montrer de combien de manières s’écrit chez nous chacun des sons que nous employons.

On a déjà vu les innombrables graphies des voyelles nasales; ceci achèvera de faire admirer comme il convient la logique de notre orthographe. Cette fois nous suivrons l’ordre rationnel qui est sans inconvénients.

Parmi les explosives, les labiales b et p et les dentales d et t se bornent à pouvoir s’écrire simples ou doubles, tout en se prononçant simples: habit et abbé, per et appel, adieu et addition, tir et battre. Elles peuvent aussi s’interchanger: absent devient apsent et decine devient metsine. Tout cela est peu de chose et, si le reste y ressemblait, notre orthographe serait une pure merveille[895].

Mais pour les gutturales, c’est une autre affaire: la gutturale forte ou sourde s’écrit c dans raconter, cc dans accord, ch dans chrétien, k dans képi, ck dans bock, kh dans khédive, q dans coq, qu dans quatre, cq dans Jacques, cqu dans becqueter, x dans excès ou Xérès, et même g dans Bourg, sans compter qu’elle fait ordinairement la moitié de l’x; la gutturale douce ou sonore s’écrit g dans grave, gg dans aggraver, gu dans gueule, gh dans ghetto, c dans second, parfois même ch dans drachme, ou qu dans aqueduc, et fait la moitié de l’x dans exemple.

De même, parmi les spirantes, nous retrouvons un{354} peu plus de simplicité dans les fricatives et les chuintantes: les fortes s’écrivent seulement de quatre manières: f, ff, ph ou v, et ch, sh, sch ou j: fait, effet, phare, crè(v)e-cœur, et chat, shako, schisme, rej(e)ter; les douces n’en ont que trois: v, w ou f, et j, g ou ge: vague, wagon, neuf ans, et enjôler, rougir, geôle, sans compter tach(e) de vin.

Mais les sifflantes se rattrapent: la forte s’écrit s dans sel, ss dans assez, c dans ceci, ç dans reçu, sc dans scie, t dans patience, x dans soixante, z dans quartz, sans compter qu’elle fait presque toujours la seconde moitié de l’x, quand l’x se prononce, et aussi la seconde moitié du z, quand on le prononce ts; la douce s’écrit z dans zèle, zz dans pouzzolane, s dans raison, x dans deuxième, et fait la seconde moitié de l’x dans exemple.

Les sons de l, m, n, r se bornent à s’écrire par une lettre ou par deux; r devient aussi rh dans rhum.

Enfin l mouillé s’écrit ll dans bille, ill dans paille, l simple dans gentilhomme, lh dans Milhau, gli dans Broglie. L’n mouillé se contente de gn dans agneau ou ign dans oignon, et au besoin ni dans panier, sans parler de ñ dans doña.

Assurément, dans cette multiplicité de signes employés un peu partout pour les mêmes sons (et j’en ai peut-être oublié), il y en a beaucoup qui ne peuvent pas être évités. D’autres ne sont pas gênants. Mais on conviendra qu’une certaine simplification ne ferait de mal à personne et que la langue surtout s’en porterait beaucoup mieux, étant soustraite ainsi à de graves dangers d’altération.

Les langues doivent s’altérer, ou, si l’on aime mieux, évoluer avec les siècles, c’est fatal; mais en vérité est-ce le rôle des meilleurs écrivains de les y aider en s’obstinant à défendre une prétendue orthographe, qui serait la plus ridicule du monde, si la primauté sur ce point n’appartenait à l’anglaise?{355}

LES LIAISONS

Quelques considérations préliminaires.

Au début du XVIᵉ siècle, toutes les consonnes finales se prononçaient partout, sauf devant un mot commençant par une consonne, quand les deux mots étaient liés par le sens[896].

Au contraire, à partir du XVIIᵉ siècle, les consonnes ont généralement cessé peu à peu de se prononcer dans l’usage ordinaire, sauf devant une voyelle (ou un h muet), quand les mots étaient intimement liés par le sens. Je dis dans l’usage ordinaire, parce que les consonnes sont tombées beaucoup moins vite dans la prononciation oratoire et dans celle des vers, surtout à la rime. D’ailleurs, même dans l’usage courant, les consonnes ne sont pas tombées dans tous les mots. D’autre part, beaucoup de consonnes tombées ont reparu et reparaissent encore grâce à l’orthographe: ne faut-il pas parler comme on écrit? Mais alors c’est tout ou rien: ou bien la consonne se prononce toujours, ou bien elle ne se prononce jamais.

Il y a pourtant des consonnes qui ont continué a se prononcer seulement devant une voyelle, dans certains cas: ce qui reste de cette prononciation, c’est ce qu’on appelle communément liaison. La consonne{356} finale ainsi prononcée sert phonétiquement d’initiale au mot suivant[897].

Les liaisons sont encore très usitées en vers, d’abord parce que la poésie est essentiellement traditionnaliste, ensuite parce qu’en vers elles ont pour but et pour effet d’empêcher l’hiatus, que la plupart des poètes évitent encore avec soin. Aussi n’est-il pas impossible que la poésie devienne un jour comme le Conservatoire ou le Musée des liaisons; elle les conserverait comme elle conserve tant d’autres choses surannées, en prosodie, en vocabulaire, en syntaxe.

Dans la prose, et surtout dans la conversation ordinaire, on en fait infiniment moins. Un certain nombre pourtant sont encore obligatoires. D’autres seraient ridicules ailleurs qu’en vers.

D’ailleurs un grand nombre de liaisons sont facultatives et dépendent souvent du goût de chacun. Mais elles dépendent encore davantage des circonstances: il est évident qu’on en fait plus en lisant qu’en parlant, parce qu’en lisant on recherche la correction du langage, tandis qu’en parlant on ne cherche qu’à se faire comprendre avec le moins d’effort possible; on en fait plus aussi dans un discours suivi, pour le même motif, que dans une conversation familière.

D’une façon générale, les professeurs en font plus que les gens du monde, à cause de l’habitude qu’ils en ont; les instituteurs en font trop, non pas tant peut-être en parlant qu’en enseignant à lire, car ils{357} ne savent pas toujours que, même en lisant, il y en a qu’on ne fait pas.

Mais les acteurs surtout en abusent étrangement, soit sous prétexte de correction, soit parce qu’ils s’imaginent qu’ils se font mieux comprendre, et cela à la Comédie-Française comme ailleurs, plus qu’ailleurs, hélas! et dans la comédie en prose aussi bien que dans la tragédie. Pourtant ils devraient comprendre que, dans la comédie, un personnage qui ne parle pas comme tout le monde est ridicule; et la tragédie même, comme tout théâtre en vers, est assez artificielle par elle-même pour qu’on n’y ajoute pas encore des artifices surannés, quand il n’y a pas nécessité[898].

*
* *

Avant d’entrer dans le détail des liaisons, nous indiquerons quelques règles générales.

On sait déjà que la liaison est interdite (aussi bien que l’élision, car les deux vont presque toujours ensemble) devant un h aspiré. Elle l’est également dans d’autres cas dont voici l’énumération[899]:{358}

1º Devant les noms de nombre un et onze: les numéro(s) un et deux, sur le(s) une heure[900]; no(s) onze enfants, aprè(s) onze heures, Loui(s) onze; et, quoiqu’on dise régulièrement il es(t) tonze heures, avec liaison, cas spécial, on dira pourtant ils étai(ent) onze ou ils son(t) onze[901];

2º Devant l’adverbe oui: je di(s) oui; pour un oui, pour un non[902];

3º Devant les interjections: ce(s) ah! ce(s) oh! et en général quand on cite un mot isolé, qu’on isole précisément en ne liant pas[903];

4º Devant uhlan, et devant les mots commençant par un y grec suivi d’une voyelle, parce que cet y fait alors fonction de semi-voyelle: de(s) uhlans, de(s) yachts, de(s) youyous.

De plus il ne peut y avoir de liaison qu’entre des mots liés par le sens, parfois même très étroitement. Il ne saurait donc y avoir de liaison, en principe,{359} même dans la lecture, par-dessus un signe de ponctuation.

Il va sans dire aussi que les liaisons, étant conservées, en principe, dans une intention d’harmonie, et notamment pour éviter les hiatus, ne sauraient être maintenues dans les cas où elles produisent à l’oreille un son plus désagréable que ne serait l’absence de liaison.

En outre, il n’y a plus aujourd’hui de liaison proprement dite pour les quatre liquides grecques, l, m, n, r, sauf d’une part le cas des nasales, qui sera étudié spécialement, et d’autre part trois ou quatre adjectifs en -ier, surtout premier et dernier, quand ils sont devant un substantif, suivant une loi que nous étudierons plus loin: premie(r) racte, dernie(r) racte. Il y a bien encore les infinitifs en -er, mais ils se lient de moins en moins en prose, sauf la prose oratoire, et cette liaison sera bientôt réservée exclusivement à la poésie[904]. Même laisse(r)-aller ne se lie pas.

On se rappelle qu’ici, en cas de liaison, l’e s’ouvre à demi, comme dans premier et dernier: mangè(r) ravec plaisir, donnè(r) raux pauvres, etc.[905].

Ces cas étant éliminés, il ne reste plus que les muettes et les spirantes.

Enfin, tandis que les consonnes finales qui se prononcent toujours gardent aujourd’hui devant une voyelle le même son que devant une consonne (le lis est blanc), au contraire celles qui ne se prononcent{360} qu’en liaison, ou dans des cas limités, peuvent s’altérer, les muettes ne se liant qu’avec le son de la forte, p, k, t, tandis que les spirantes ne se lient en principe qu’avec le son de la douce, v et z[906].

LIAISONS DES MUETTES

1º Les labiales et les gutturales.

Les labiales ne se lient pas, sauf le p des adverbes beaucoup et trop devant un participe ou un adjectif, ou devant la préposition à. Il y conserve son articulation normale, étant une forte: il a beaucou(p) pappris, il y a beaucou(p) pà faire, tandis qu’on ne fait pas de liaison dans il y a un cou(p) à faire; de même j’ai tro(p) pà dire, je suis tro(p) pému. Encore ces liaisons ne sont-elles pas tout à fait obligatoires dans la conversation, sauf peut-être la dernière, à cause du lien étroit qui est entre les mots.

On dit aussi: qui tro(p) pembrasse mal étreint, à cause de l’inversion qui appuie trop sur embrasse; mais on ne peut plus dire tro(p) pest trop, et ce n’est guère qu’en vers qu’on peut prononcer c’est dire beaucou(p) pen peu de mots, ou encore beaucou(p) pont cru.

En vers, on peut même encore lier coup: par un{361} cou(p) pimprévu, mais seulement avec un adjectif, et cela prend un air assez archaïque. On ne saurait aller plus loin, et l’on dira toujours, même en vers, un plom(b) assassin, un cham(p) immense, le cam(p) ennemi, un dra(p) usé, voire même un lou(p) affamé, et à fortiori du plom(b) et du fer.

 

Les gutturales ne se lient pas beaucoup plus: le cri(c) est lourd, fran(c) et net, blan(c) et noir, et aussi bien du blan(c) au noir, de flan(c) en flanc, l’étan(g) est vide, et aussi bien un étan(g) immense, n’admettent plus la liaison, même en vers.

Les jugements de cour vous rendront blan(c) ou noir[907].

Toutefois on peut encore lier, même en prose, le c de l’adjectif franc devant un substantif: un fran(c) kétourdi, et on lie toujours les expressions composées fran(c) karcher, fran(c) kalleu] et à fran(c) kétrier. Ceci permettra peut-être de lier en vers:

Être fran(c) ket sincère est mon plus grand talent[908];

mais c’est tout juste, et taba(c) kà priser ne saurait plus guère passer aujourd’hui, et moins encore il me convain(c) kassez.

Quoique le c de croc isolé ne se lie jamais, on le lie nécessairement dans cro(c)-ken-jambe (avec ouverture de l’o), les mots composés étant généralement traités comme des mots simples, où toutes les consonnes se prononceraient normalement[909].

 

Dans les mots en -spect, c’est le c qui se lie, mais on ne le lie en prose que dans l’expression insépa{362}rable respe(ct) khumain, tandis qu’en vers la liaison est encore acceptable partout:

Et cent brimborions dont l’aspe(ct) kimportune[910].

Le g ne se lie plus dans l’usage courant que dans l’expression composée san(g) ket eau. Dans la lecture, on y ajoute san(g) khumain, san(g) kartériel, en vers seulement san(g) kimpur.

On peut aussi lier en vers ou dans le style oratoire le g de ran(g): ran(g) kélevé, mais non pas cependant ran(g) kauquel! De même celui de lon(g):

Quittez le lon(g) kespoir et les vaines pensées[911].

Mais en prose on prononce sans liaison même une expression composée comme de lon(g) en large.

On voit qu’en liaison, comme nous l’avons dit, la gutturale douce devient forte[912].

On fait aussi entendre le g de jou(g) et celui de le(gs) devant une voyelle, cette fois sans le changer en c, mais ceci est plutôt un fait de prononciation qu’un phénomène de liaison.

A l’intérieur d’oran(g)-outan(g), malgré la règle générale, il n’y a pas de liaison.{363}

D’autre part, avec cler(c) et por(c), et les mots en er(g) et our(g), la liaison est inutile, puisqu’il n’y a pas d’hiatus à éviter[913].

2º Les dentales, D et T.

Les dentales, d et t, se lient infiniment plus que les autres muettes, et ceci va nous permettre d’énoncer quelques principes généraux[914]. Naturellement, vu le nombre des liaisons, c’est ici surtout qu’intervient le goût personnel, et beaucoup de liaisons qui sont nécessaires en vers sont facultatives dans le langage courant, où l’hiatus est fréquent; mais il y a aussi des liaisons qui sont interdites partout ou obligatoires partout.

 

I. Les verbes.—Il y a d’abord l’innombrable catégorie des formes verbales, troisièmes personnes et participes.

Pour les troisièmes personnes autres que celles en -ent, et même pour aient ou soient, traités comme ait et soit, la liaison est encore très souvent obligatoire. Plus les formes sont usitées, plus la liaison est nécessaire: par exemple l’emploi de formes comme est ou sont, avait ou ont, sans liaison, est certainement incorrect, surtout si ce sont des auxiliaires, comme dans ils on(t) taimé[915]. De même devant l’infi{364}nitif: il veu(t) taller, il vi(t) tentrer, ou encore il veu(t) ty aller, il veu(t) ten avoir. On lie également, et plus nécessairement encore, quand il y a inversion du verbe et du sujet: di(t)-til, que per(d)-ton?

Hors ces cas, la liaison est moins nécessaire: il pein(t) tavec feu, ou il pren(d) tun livre, ou ils mangeaien(t) tet buvaient, ne sont pas aussi indispensables que il e(st) tà Paris; pourtant ce sont encore les seules formes qui soient admissibles, quand on veut parler correctement.

Il en est de même pour les finales muettes en -ent: on dit assez facilement et de plus en plus, ils mange(nt) un morceau et recommence(nt) à travailler; mais ils mange(nt) tun morceau, ils aime(nt) tà rire, deux noires vale(nt) tune blanche sont encore des façons de parler beaucoup plus correctes, sans qu’on y puisse relever le moindre pédantisme.

Il n’y en a aucun non plus à lier les participes, surtout les plus employés: ceci est fai(t) tavec soin, est encore fort usité, et d’une diction plus soignée que fai(t) avec soin; de même ils étaient là mangean(t) tet buvant, encore que ce ne soit pas indispensable.

 

II. Adjectifs et adverbes.—Il y a ensuite la catégorie également innombrable des adjectifs et des adverbes. Mais ici encore il faut distinguer.{365}

Dans le langage parlé, l’adjectif se lie à peu près uniquement, mais obligatoirement, avec le substantif qui le suit; seulement on ne peut mettre devant le substantif, dans la langue courante, qu’un très petit nombre d’adjectifs généralement courts. C’est d’abord cet et tout, qui se lient toujours, étant toujours devant le substantif: ce(t) thomme ou tou(t) thomme; puis quelques autres, dont la place peut varier: gran(d) thomme, sain(t) thomme, parfai(t) thonnête homme, secon(d) tacte; de même encore ving(t) thommes ou cen(t) thommes. Cette liaison est donc en somme assez restreinte, car une expression comme froi(d) thiver appartient déjà au langage écrit; en parlant, on dit plutôt hiver froid. En tout cas, la liaison est nécessaire dans cette construction, parce que le lien y est plus étroit entre les mots ainsi placés, l’adjectif étant en quelque sorte proclitique et s’appuyant sur le substantif[916].

 

Si l’adjectif n’est pas devant son substantif, il ne se lie plus guère qu’en vers, pour éviter l’hiatus, ou tout au plus dans la lecture. Dans le langage parlé, on dira bien encore, si l’on veut, j’ai froi(d) taux pieds, parce qu’il y a là comme une expression toute faite où froid devient substantif, puisqu’on dit de même le froi(d) taux pieds. Mais on ne dit pas le chau(d) taux pieds; on dira donc j’ai chau(d) aux pieds, malgré l’hiatus de deux voyelles identiques; on dit même sans liaison chau(d) et froid, qui est pourtant une expression composée, mais composée de deux substantifs; on dira donc à fortiori alternativement{366} chau(d) et froid; et de même presque uniquement il est gran(d) et fort, un sain(t) a pu seul..., le secon(d) est venu[917].

En revanche la préposition à requiert ordinairement la liaison de l’adjectif devant son complément, à cause du lien étroit qui les joint: tou(t) tà vous, prê(t) tà sortir[918].

 

De même que l’adjectif se lie au substantif, l’adverbe de manière se lie nécessairement à l’adjectif. C’est d’abord tout, bien entendu; par exemple il est tou(t) tautre; de même vraimen(t) taimable, tendremen(t) taimé, tout à fai(t) textraordinaire.

On dit de même encore commen(t) tallez-vous? à cause du lien intime qui unit les mots; et la liaison n’est pas moins indispensable dans quan(t) tà, comme elle se faisait autrefois dans quan(d) tet quand.

Quand le lien est moins intime, l’adverbe se lie encore, mais moins nécessairement: partou(t) toù vous serez, tan(t) til est beau, tellemen(t) ton est serré; de même pour autant ou tantôt répétés, pour aussitôt, bientôt, souvent, cependant; mais on lie nécessairement dans aussitô(t) taprès ou bientô(t) taprès.

La négation point se lie toujours, étant inséparable de ce qui la suit: je ne t’ai poin(t) taimé!

De même le pronom relatif dont et la conjonction quand: quan(d) til viendra, don(t) til est. De même ou à peu près les prépositions avant, pendant, devant et autres, avec leurs régimes: avan(t) tun jour, pendan(t) tun jour, devan(t) tune femme[919].{367}

 

III. Les substantifs.—Les liaisons que nous venons d’examiner sont à peu près les seules. Par conséquent les substantifs en principe ne se lient plus, sauf en vers, bien entendu. Et encore, même en vers, le d ne se lie guère: un nœu(d) assorti, le ni(d) est vide, blon(d) ardent s’imposent partout et toujours. Que dis-je? Le petit cha(t) test mort, si cher aux ingénues de la Comédie-Française, a bien de la peine à passer. Sans doute c’est ainsi que Molière prononçait; mais aujourd’hui on se demande s’il ne vaudrait pas mieux éviter l’hiatus avec une pause, ou simplement laisser l’hiatus.

Quant au langage courant, il ne lie plus guère ni d ni t, même quand le substantif est suivi de son adjectif. Ceci permet de distinguer par exemple un savan(t) tAllemand, où savant est adjectif, et un savan(t) allemand, où savant est substantif, distinction qu’on ne fait pas en vers, quand on dit:

Un sot savan(t) test sot plus qu’un so(t) tignorant[920].

En prose on évitera tout au plus l’hiatus de deux voyelles identiques: en quel endroi(t) tavez-vous vu; encore cette liaison convient-elle mieux à la lecture qu’à la conversation[921].

 

Tout lui-même, qui se lie si facilement, et même si nécessairement, ne se lie plus dans le langage courant, quand il est substantif: le tou(t) et la partie, le tou(t) est de savoir, tandis que le pronom indéfini sujet se lie toujours: tou(t) test fini.{368}

Toutefois, ici encore, la préposition à, je ne dis plus requiert, mais admet régulièrement la liaison, nous avons droi(t) tà cette faveur.

De plus la liaison reste nécessaire, comme partout, dans les mots ou expressions composés: d’abord, naturellement, celles où entre le mot tout; puis d’autres, comme gue(t)-tapens, pon(t) taux ânes, mo(t) tà mot, po(t) tà eau, po(t) tau lait, po(t) tau feu, po(t) tau noir, po(t) taux roses[922]; et aussi peti(t) tà petit, de hau(t) ten bas, d’un bou(t) tà l’autre, bou(t) tà bout, bu(t) tà but, de bou(t) ten bout, de bu(t) ten blanc, de fon(d) ten comble, de momen(t) ten moment, de poin(t) ten point[923]; et même accen(t) taigu, et c’est un droi(t) tacquis. Et ainsi pied, qui avait perdu son d, et pour lequel Malherbe et Ménage n’acceptaient aucune liaison, a repris celles de pie(d) tà terre, de pie(d) ten cap, et même pie(d) tà pied; et l’on distingue avoir un pie(d) tà terre (logement) et avoir un pie(d) à terre (sens littéral).

En revanche, cha(t) échaudé ou cha(t) en poche ne sauraient passer pour des mots composés, et la liaison ne s’y fait plus guère, malgré Littré. Elle n’est même plus indispensable dans au doi(gt) et à l’œil, pas plus que dans mon(t) Etna, mon(t) Hécla ou mon(t) Œta, où elle est seulement possible[924].

 

IV. Après un R.—Mais il y a surtout une catégorie de liaisons qu’il importe absolument d’éviter,{369} en vers aussi bien qu’en prose: c’est celle des finales où le t est précédé d’un r; ou plutôt la liaison s’y fait si naturellement par l’r, qu’on n’a nul besoin d’en chercher une autre, qui est depuis longtemps condamnée.

C’est une chose dont on ne convaincra pas facilement la plupart des comédiens! Et je ne parle pas seulement des chanteurs, qui ne croiraient pas vibrer suffisamment s’ils ne criaient pas Mor(t) tà l’impie! La tradition est pareille à la Comédie-Française, mais elle n’en est pas meilleure, et prendre par(t) tà, qu’on y entend, ne saurait pas plus passer que par(t) tà deux, qui serait grotesque.

De même, avec un d, bavar(d) impudent, regar(d) effaré, abor(d) aimable, sour(d) et muet, et aussi bien avec un t, art exquis ou même ar(t) oratoire, un quar(t) au moins, un rempar(t) infranchissable, déser(t) immense, por(t) ouvert, ver(t) et bleu, et à fortiori le sor(t) en est jeté, ne sauraient admettre de liaison en aucune circonstance et sous aucun prétexte.

Même si l’adjectif est devant le substantif, mieux vaut ne pas lier: un for(t) avantage, un cour(t) espace de temps. Il en est de même des verbes: il par(t) au matin, il conquier(t) un empire, il est mor(t) avant l’âge.

Ainsi la règle est presque absolue aujourd’hui et on n’y fait plus que fort peu d’exceptions.

L’usage s’est généralisé peu à peu de lier le t de l’adverbe fort, par analogie avec trop, tant et les autres; on dit donc aujourd’hui généralement for(t) thabile ou for(t) taimable, mais jamais le for(t) tet le faible, ni le plus for(t) ten est fait, ni même for(t) ten gueule[925].{370}

On lie aussi le t, bien entendu, dans les formes interrogatives, qui d’ailleurs sont de moins en moins usitées: par(t)-til? d’où sor(t)-til? On peut même dire cela ne ser(t) tà rien, pour éviter la cacophonie de rarien, mais jamais qui ser(t) tà table.

Enfin on dit généralement de la mor(t) taux rats, pour le même motif[926].

C’est à peu près tout. Je ne conseille même pas plus par rappor(t) tà et de par(t) tet d’autre, qui se disent très souvent, que de par(t) ten par(t), qui est devenu fort rare, ou bor(d) tà bord, mor(t) tou vif, souffrir mor(t) tet passion, à tor(t) tet à travers, qui ne se disent jamais.

On ne dit pas non plus du nor(d) tau midi; mais beaucoup de personnes disent nor(d)-dest et nor(d)-douest, sans doute par analogie avec sud-est et sud-ouest. Cette assimilation, d’ailleurs fort ancienne, est extrêmement contestable, car le d de sud se prononce toujours, et celui de nor(d) jamais; aussi le d de sud reste-t-il d dans sud-ouest, fort légitimement; mais à quel titre le d de nord peut-il se prononcer d dans nor(d)-ouest ou nor(d)-est? Sans doute il est possible de traiter le mot composé comme un mot simple, et il est vrai que les marins disent aussi nordet, par analogie avec sudet; mais en revanche ils disent noroit, et même suroit, ce qui est remarquable. Je conclus qu’il vaut mieux prononcer nor(d)-ouest, ce qui entraîne à peu près nécessairement nor(d)-est.

LIAISONS DES SPIRANTES

1º Les chuintantes et les fricatives.

Les chuintantes, n’étant jamais muettes à la fin d’un mot, n’ont pas de liaisons.{371}

Les fricatives n’en ont pas davantage. Pourtant il y a une exception, reste de l’ancienne liaison de l’f avec changement en v[927]. Voici dans quel cas. Nous avons vu que neuf se prononçait neu fermé sans f devant un pluriel, ce qui doit amener régulièrement une liaison si ce pluriel commence par une voyelle. Or, dans cette liaison, l’f devrait se changer en v, comme dans neuvaine et neuvième. Mais ce phénomène ne se retrouve guère en réalité que dans deux expressions, d’ailleurs extrêmement usitées, et qui pour ce motif se conservent intactes: d’une part, neu(f) vans, dix-neu(f) vans, etc., d’autre part, neu(f) vheures. C’est à peu près tout: à peine peut-on dire neu(f) vhommes; en tout cas il est bien difficile aujourd’hui de dire neu(f) vœufs ou neu(f) venfants; c’est pourquoi, devant la plupart des pluriels commençant par une voyelle, la liaison, si c’est une liaison, se fait généralement par f; plus exactement, on prononce neuf, comme si le mot qui suit n’était pas un pluriel: neuf amis, et même neuf années, à côté de neu(f) vans[928].

2º Les sifflantes, S, X, Z.

Restent les sifflantes, s et z, et aussi x, partout où il remplace l’s, c’est-à-dire partout où il ne se prononce pas.

Le cas des sifflantes est au moins aussi important que celui des dentales, et demande à être aussi étudié de près.{372}

Là encore il y a beaucoup de liaisons qui, nécessaires en vers, sont facultatives en prose, d’autres qui sont encore obligatoires partout ou interdites partout.

De plus, les principes généraux sont sur beaucoup de points les mêmes que pour les dentales, ce qui nous permettra de passer plus rapidement sur ces points.

J’ajoute que la liaison se fait toujours en s doux ou z: c’est un cas particulier de la prononciation de l’s entre deux voyelles. Le phénomène est si général et si nécessaire, que l’s dur qui sonne à la fin des mots s’adoucit couramment devant une voyelle, quand les mots sont liés par le sens: on dit beaucoup moins fi(ls) sunique que fi(ls) zunique[929].

 

I. Les différentes espèces de mots.—Comme pour le t, les substantifs en principe ne se lient guère qu’en vers ou dans la lecture; je parle bien entendu des substantifs singuliers, le pluriel étant l’objet d’un examen spécial.

Même des expressions aussi courantes que la voix humaine, le temps est beau, ou même un avis important, qu’on peut encore lier si l’on veut, s’emploieront plutôt sans liaison dans la conversation courante[930].

La liaison n’est plus guère nécessaire que dans les{373} expressions toutes faites, comme pa(s) zà pas, au pi(s) zaller, de temp(s) zen temp(s), de temp(s) zà autre, en temp(s) zet lieu, do(s) zà dos, do(s) zau feu et ventre à table, ou encore la pai(x) zet la guerre, pour éviter un hiatus désagréable. En revanche, il y a des substantifs qui n’admettent jamais aucune liaison, comme noix, nez ou riz: ne(z) aquilin, ne(z) au vent, nez à ne(z), ri(z) au lait.

On peut même dire que tous les noms propres sont dans ce cas: c’est à peine si l’on pourrait dire, dans la conversation, Pari(s) zest grand.

 

Les adjectifs se lient aussi dans les mêmes conditions que pour le t, mais il y en a beaucoup moins. On dira donc bas zétage toujours, ou encore gras zà lard; mais ba(s) zet profond dans la lecture seulement, ba(s) et profond dans la langue parlée.

 

Il en est de même encore pour les verbes. Dans les formes les plus courantes, la liaison est indispensable, et l’on ne conçoit guère les formes des verbes être et avoir sans liaison. Et pourtant elle est déjà moins indispensable dans l’usage à la suite de nous avons et vous avez qu’avec les monosyllabes du singulier, je suis, tu es, tu as, et aussi nous sommes, vous êtes; elle est même moins indispensable après tu as qu’après tu es[931].

Elle est encore évidemment nécessaire devant y et en toniques: va(s)-zy, alle(z)-zy, et même avec e muet: songe(s)-zy bien, donne(s)-zen[932].

La liaison est un peu moins nécessaire, mais c’est{374} encore la prononciation correcte, comme pour le t, devant y et en atones, et devant un infinitif: je veu(x) zaller, je veu(x) zy aller ou vous aime(z) zà rire; moins encore dans tu va(s) zen Suisse, ou en est préposition. Pourtant beaucoup de personnes diront très naturellement si tu va(s) zà Paris, pour éviter l’hiatus désagréable de deux voyelles identiques, mais ce n’est point indispensable; pas davantage dans je rend(s) à César ou rende(z) à César. On parlera plus loin des formes à e muet suivi d’un s.

 

La liaison est encore nécessaire avec les prépositions monosyllabiques, dans, dès, sans, chez, sous, devant leurs régimes[933]: dan(s) zun jour, san(s) zamour, che(z) zelle, sou(s) zun arbre; elle est un peu moins indispensable avec après ou depuis. Elle est réservée à la lecture avec ci-inclus, non compris ou même hormis, tout à fait inusitée avec hors, vers, envers, à travers, dont nous parlerons tout à l’heure.

La liaison doit se faire aussi correctement avec les mots négatifs pas, plus, jamais, si peu qu’ils soient liés au mot suivant: je n’aime pa(s) zà boire, nous n’irons plu(s) zau bois, jamai(s) zon a vu; de même avec les adverbes de quantité plus, moins, très, assez, portant sur le mot qui suit: plu(s) zaimable, moin(s) zil en fait, et même, en vers, asse(z) zet trop longtemps.

Elle se fait naturellement dans des expressions composées, comme de mieu(x) zen mieux, de plu(s) zen plus, de moin(s) zen moins, voire même, si l’on veut, d’ore(s) zet déjà, sans parler de vi(s)-zà-vis.

D’autres adverbes, comme autrefois, parfois, quelquefois, désormais, longtemps, puis, se lient encore très correctement, mais plutôt dans la lecture.

La conjonction mais se lie fort bien aussi, même{375} par-dessus une virgule, car les conjonctions monosyllabiques, à moins qu’on ne veuille produire un effet spécial, ne se séparent guère des mots qui les suivent:

Mai(s), zen disant cela, songez-vous, je vous prie...[934].

 

II. Les pluriels.—Mais le rôle principal de la liaison ici, celui qu’elle paraît devoir jouer pendant longtemps encore, c’est de marquer le pluriel. Sur ce point, elle ne fléchit guère.

C’est pour cela que les articles pluriels, les, des, aux, ainsi que ces, les adjectifs possessifs ou indéfinis, mes, les, ses, nos, vos, leurs, certains, plusieurs, etc., les adjectifs numéraux, deux, trois, six, dix, quatre-vingt, se lient encore sans exception, devant un substantif, bien entendu, même précédé de son adjectif: le(s) zamis, ce(s) zhommes, certain(s) zauteurs, plusieur(s) zautres personnes, deu(x) zaimables personnes, et même deu(x) zix(x) ou troi(s) zem (m), et aussi, avec double liaison, ce(s) zaimable(s) zenfants.

Ces liaisons sont si nécessaires que le peuple ajoute volontiers quatre à deux, trois, six et dix: le bal des Quat(re) zArts et même par quatre zofficiers.

Que dis-je? L’expression entre quat(re) zyeux a été l’objet de nombreuses discussions, beaucoup de grammairiens, et notamment Littré, l’ayant admise. Et il est certain que entre quatre yeux est difficile à prononcer, mais entre quat’yeux serait encore plus facile que entre quat’zyeux; ce n’est donc pas pour son euphonie que cette expression s’est répandue. En réalité, ce n’est même pas une question de liaison: l’expression vient tout simplement de ce que{376} pour le peuple le mot œil n’a pas d’autre pluriel que zyeux, et non yeux, qu’il ignore[935].

Si ces mots ne sont pas suivis d’un substantif, la liaison ne se fait plus dans la conversation: ainsi plusieur(s) ont prétendu, où plusieurs devient pronom; de même deu(x) et deux quatre, troi(s) et trois six, ceu(x) et celles, toutes liaisons qui se font fort bien dans la lecture. On peut bien lier aussi troi(s) zavril, quoique ce soit tout autre chose que troi(s) zans; mais ce sera uniquement pour éviter un hiatus désagréable; et l’on dira plus naturellement deu(x) avril, sans liaison.

 

Les pronoms personnels nous, vous, ils, elles, et même les, devant les verbes ou devant en et y, sont à peu près dans la même situation que les adjectifs devant les substantifs. Aussi lie-t-on nécessairement: nou(s) zavons dit, je vou(s) zai vu, elle(s) zont fait, elle(s) zen ont, elle(s) zy vont, je le(s) zattends.

Mais quand ces mots ne sont pas dans cette position, ils ne se lient plus dans la conversation: pour vou(s) et pour nous, donne-le(s) à mon père; donne-le(s) zà mon père semble tout à fait prétentieux. Eux lui-même ne se lie pas devant le verbe, parce qu’il n’est pas proclitique comme ils: eu(x) ont été à Paris. Toutes ces liaisons se font naturellement dans la lecture.

 

Il va sans dire que l’adjectif se lie avec le substantif qui le suit, puisque cette liaison se fait déjà au singulier; mais même les mots qui ne se lient pas au singulier, adjectifs ou substantifs, peuvent se lier au pluriel: grand(s) zet forts, les saint(s) zont dit, les second(s) zont fait, et aussi des gen(s) zâgés.

Et ceci pourra servir à l’occasion à marquer une différence de sens, car on distinguera correctement{377} un marchand de drap(s) zanglais, où anglais est l’épithète de draps, et un marchand de drap(s) anglais, où anglais est l’épithète de marchand.

Cette liaison est particulièrement nécessaire dans les mots ou expressions composées qui n’ont pas de singulier comme Cham(ps)-zÉlysées ou Éta(ts)-zUnis[936].

Il y a toutefois des mots qui ne pourraient pas supporter la liaison: on a vu des match(s) admirables[937]. Mais la tendance générale est si forte qu’on ajoute parfois l’s doux même à l’s dur: les mœurs zantiques, ce qui mène à mœurse zantiques.

En pareil cas, c’est l’s dur qui doit prévaloir, bien entendu: puisque l’s final sonne partout, il doit sonner devant une voyelle comme devant une consonne. On dira donc de préférence des our(s) saffamés, puisqu’on ne dit plus des our(s), et de même des fil(s) saimables.

On préfère cependant tou(s) zensemble, pour éviter la cacophonie de sansan. L’s de tous a d’ailleurs une tendance à s’adoucir devant une voyelle, ne fût-ce que par analogie avec celui de tou(s) atone et proclitique, qui est forcément doux: à tou(s) zégards, ceci étant un cas ordinaire de liaison.

Et voici encore une remarque curieuse. De ce que les substantifs et adjectifs qui ne se lient pas au singulier peuvent se lier au pluriel, il résulte cette conséquence inattendue, que les mots qui ont déjà un s final au singulier, et qui, au singulier, ne se lient pas dans la conversation, peuvent le faire au pluriel: un ca(s) intéressant, des ca(s) zintéressants, un repa(s) excellent, des repa(s) zexcellents[938].{378}

On voit même l’s s’intercaler et se lier nécessairement dans genti(ls)zhommes, soit parce qu’il ne fait qu’un mot, soit par analogie avec grand(s) zhommes[939].

 

La liaison est également nécessaire quand une des conjonctions et, ou, unit deux substantifs sans article entre eux; et cela non seulement dans les expressions toutes faites qui ont un article en tête, comme les pont(s) zet chaussées, les voie(s) zet moyens, les voie(s) zet communications, mais même entre deux substantifs quelconques sans aucun article, comme vertu(s) zet vices, leçon(s) zou devoirs, vin(s) zet liqueurs: outre que le lien est ainsi plus étroit, la liaison est nécessaire pour marquer le pluriel en l’absence d’article.

Quand il y a deux articles, la liaison avec la conjonction reste correcte, mais n’est plus nécessaire. On peut donc dire les messieur(s) zet les dames, ou plus simplement les messieur(s) et les dames, tout comme messieur(s) un tel et un tel[940].

 

Au contraire, les mots composés ordinaires, j’entends ceux qui ont un singulier[941], sont traités comme les mots simples, et ne peuvent marquer leur pluriel qu’à la fin. Ainsi l’s intérieur du pluriel, quand il y en a un, et même s’il n’y en a pas d’autre, ne s’y prononce jamais, le pluriel se prononçant alors comme le singulier. On dira donc, sans exception, des orang(s)-outangs, des char(s)-à-bancs, et tout aussi bien des ar(cs)-ken-ciel, des cro(cs)-ken{379}jambe, des por(cs)-képics, des gue(ts)-tapens, des po(ts)-tau-feu, la consonne c ou t de ces mots, qui en fait sert d’initiale à la seconde syllabe, ne permettant pas l’introduction de l’s[942].

On dira même de préférence les du(cs) ket pairs, parce que duc(s) zet pairs ferait supposer qu’il s’agit de deux catégories distinctes. On dira de même sans liaison des moulin(s) à vent, des ciseau(x) à froid, des salle(s) à manger[943]. Dans l’exemple de salle(s) à manger, nous retrouvons encore la question de l’e muet, qu’il faut traiter à part.

 

III. L’S après l’E muet.—En principe, l’e muet a une tendance naturelle à s’élider sans liaison, quand il est suivi d’un s. Il est même assez rare que le peuple fasse la liaison de l’s après un e muet; il va jusqu’à dire elle(s) ont fait ou vous ête(s) un brave homme.

Pourtant l’s du pronom elles ne peut pas correctement ne pas se lier. Il en est de même, nous l’avons dit, des impératifs devant en et y: donne(s)-zen, songe(s)-zy bien; et aussi des formes verbales monosyllabiques si usitées, sommes et êtes: nous somm(es) zamis, vous ête(s) zun brave homme.

Il y a encore deux formes verbales pareilles, dites et faites, qui sont dans le même cas: dite(s) zun mot, vous faite(s) zun beau travail; on est peut{380}être un peu moins exigeant pour dites que pour faites, mais ce n’est qu’une nuance[944].

On ne peut pas non plus ne pas lier l’adjectif pluriel placé devant le substantif: jeune(s) zannées. On liera même très bien le substantif pluriel avec l’adjectif qui suit: les Inde(s) zoccidentales, les Pyrénée(s)-zOrientales, qui sont d’ailleurs un mot composé, les femme(s) zanglaises[945]; et l’on pourra distinguer aussi une fabrique d’arme(s) zanglaises, où l’épithète qualifie armes, et une fabrique d’arme(s) anglaise, où l’épithète qualifie fabrique.

On dira aussi, sans article, homme(s) zet femmes, femme(s) zou enfants, sage(s) zet fous, et la liaison restera possible avec l’article, sans être nécessaire.

De même, on peut dire à la rigueur deux livre(s) zet demie. Pourtant il n’est guère admis de dire deux heure(s) zet demie: cette prononciation a un air prétentieux, ou témoigne du moins d’une certaine recherche, qui n’est pas exempte d’un pédantisme inconscient, et l’on fera mieux de dire deux heures et demie, comme une heure et demie; quant à dire deux heure(s) zet quart ou deux heure(s) zun quart, je ne crois pas qu’on s’y risque beaucoup, non plus qu’à dire entre onze heure(s) zet midi ou trois heure(s) zaprès: ce serait presque ridicule, alors qu’on dit correctement trois an(s) zaprès. On ne dit pas davantage des pompe(s) zà vapeur, sans parler des maître(s) zès arts, qui est imprononçable.

On dira même moins souvent ou moins facilement dans la conversation: ces homme(s) zont fait leur devoir que: ces gen(s) zont fait leur devoir.{381}

On voit que la liaison de la syllabe muette avec s, au pluriel, est plus restreinte dans la langue parlée que celle de la syllabe tonique. Même dans la lecture ou le discours, elle est souvent évitée comme désagréable à l’oreille, et il y a une foule de cas où elle ne peut se faire qu’en vers. Mais là elle est naturellement indispensable, sans quoi les vers seraient faux:

Et fit tourner le sort des Perse(s) zaux Romains[946].
Nos prince(s) zont-ils eu des soldats plus fidèles?[947].

A vrai dire, les poètes mettent quelquefois le lecteur à de rudes épreuves, jusqu’à Racine lui-même:

Mes promesse(s) zau(x) zun(s) zéblouirent les yeux[948].

Encore peut-on se tirer d’affaire ici par une pause après promesses; mais alors le vers paraît clocher, parce que l’e muet a l’air de s’élider. Ce sont des pauses qu’il faut éviter autant que possible, et l’on n’hésitera pas à dire, par exemple:

Quels reproche(s), zhélas! auriez-vous à vous faire?[949].

car le mot hélas! se lie assez bien à ce qui précède. Il y a d’ailleurs des pauses qui ne sont guère possibles, comme dans

Et le soir on lançait des flèche(s) zau(x) zétoiles,

où la liaison de flèches demande de la délicatesse[950].

Si l’s même du pluriel ne se prononce pas toujours volontiers dans l’usage courant après un e muet, il en{382} est de même à fortiori pour celui de la seconde personne du singulier, à part l’impératif suivi de en ou y. Car on est bien obligé de dire songe(s)-zy ou donne(z)-en, puisque l’s a été mis là exprès pour cela. Ou plutôt l’s a été prononcé là avant qu’on ne l’écrivît; mais on dit de préférence sans liaison: tu aime(s) à rire, tu chante(s) à ravir.

Sans doute, tu chante(s) zà ravir irait encore assez bien en vers; mais que dire de Tu lâche(s) zOscar, que Victor Hugo a mis dans la Forêt mouillée?

D’autre part, quand Lamartine écrit dans la Mort de Socrate:

Toi qui, m’accompagnant comme un oiseau fidèle,
Caresse encor mon front au doux vent de ton aile,

il fait une faute d’orthographe, c’est certain, et il en a fait beaucoup de pareilles; mais peut-être a-t-il mieux aimé la faire que d’écrire Me caresse(s) zencore, qui était facile. On se demande lequel des deux valait le mieux. Tout bien considéré, je crois que les poètes auraient mieux fait d’élider franchement et par principe, malgré l’s, toutes ces secondes personnes de première conjugaison.

 

Quant à l’s des noms propres, il est vraiment impossible de le prononcer, même dans la lecture ou le discours; si on ne le prononce pas après une consonne ou une voyelle simple, ce n’est pas pour le prononcer après un e muet: imagine-t-on Versaille(s) zest superbe, George(s) zOhnet ou Charle(s)-zAlbert?

Ces liaisons étaient sans doute possibles autrefois, mais il y a longtemps, et aujourd’hui les poètes eux-mêmes préfèrent supprimer l’s. Voici par exemple deux vers d’Aymerillot, où Victor Hugo avait le choix:

Le bon roi Charle est plein de douleur et d’ennui.
Charle, en voyant ces tours, tressaille sur les monts.
{383}

Ni bon, ni en n’étaient indispensables; mais dans le premier vers, le poète n’a pas voulu d’une liaison qui contredisait si catégoriquement l’usage universel, et peut-être a-t-il ajouté bon uniquement pour l’éviter; dans le second, il a mieux aimé, ayant le choix, supprimer l’s que de supprimer en[951].

Victor Hugo, Edmond Rostand font généralement de même pour l’adverbe certes. Suivant les besoins du vers, Molière écrit certe ou certes, et grâce ou grâces.

 

IV. L’S après un R.—Enfin, de même que pour le t, il importe particulièrement d’éviter la liaison de l’s précédé d’un r, sauf deux cas: d’une part, dans un mot composé, comme tier(s)-zétat, traité comme un mot simple[952]; d’autre part, au pluriel.

Et encore, au pluriel, il faut distinguer.

On dira uniquement plusieur(s) zenfants et diver(s) zauteurs, parce que l’adjectif est devant le substantif, et aussi des jour(s) zheureux, pour éviter une ca{384}cophonie. Mais déjà on pourra dire au choix des part(s) zégales, à cause du lien qui existe entre les mots, ou des part(s) égales, comme au singulier; de même des ver(s) zadmirables ou des ver(s) admirables.

Et l’on dira plutôt des cor(s) anglais, parce que cor anglais est presque un mot composé, qui se prononce au pluriel comme au singulier; de même, à fortiori, des cuiller(s) à café, des fer(s) à repasser, des ver(s) à soie[953].

Si l’usage a fait prévaloir, du moins parmi les spécialistes, art(s) zet métiers, art(s) zet manufactures, c’est que ce sont là comme des mots composés dont le singulier n’existe pas, ce qui rappelle le cas de Cham(ps)-zÉlysées.

On dira encore fort bien: aveugles, sourd(s) zet muets, tous guérissaient, parce qu’il s’agit de catégories différentes, mais on dira les sour(ds) et muets, comme au singulier, et aussi les sour(ds) et les muets, les bavar(ds) aiment à..., ses discour(s) ont quelque chose de...

 

Telles sont les distinctions qu’on peut faire au pluriel. Au singulier, c’est plus simple: il n’y a pas de distinctions à faire. On dira uniquement un ver(s) admirable, comme une par(t) égale, et de même à fortiori l’univer(s) est immense, et cela où que ce soit, en vers comme en prose, puisqu’il n’y a pas d’hiatus à éviter, ni de vers qui fussent faux sans cela. La liaison ici est non seulement inutile, puisque l’r se lie naturellement avec la voyelle qui suit, mais de plus prétentieuse, n’étant plus employée nulle part. Il y a beau temps déjà que Legouvé, dans son Art{385} de la lecture, raillait le corp(s) zensanglanté d’un certain avocat.

On ne fait même pas de liaisons dans des expressions qui pourraient passer pour composées, comme corp(s) et âme ou corp(s) à corps ou prendre le mor(s) aux dents[954].

On n’en fait pas davantage dans les verbes: je par(s) aujourd’hui, tu sor(s) avec moi.

Avec l’adverbe toujours, la liaison, de moins en moins fréquente, est encore admise ou tolérée, même en parlant, sans doute en souvenir du pluriel qui est dans le mot. Mais les prépositions hors, vers, envers, à travers ne doivent pas plus se lier que les autres mots, même dans une expression toute faite, comme enver(s) et contre tous. Il y a peu de liaisons plus désagréables, je dirais presque plus désobligeantes, que celle de ver(s) zelle[955].

Je rappelle, pour terminer, que les liaisons les plus correctes, si elles ne sont pas absolument indispensables, doivent être évitées, même dans la lec{386}ture, si elles produisent une cacophonie. Or, c’est avec l’s que le cas se produit le plus facilement. Ainsi tu a(s) zôté est parfaitement correct: tu le(s) zas est indispensable; mais tu le(s) za(s) zôtés est inadmissible; on dira donc tu le(s) a(s) ôtés, la seconde liaison n’étant pas indispensable comme la première.

LIAISONS DES NASALES

En résumé, nous n’avons trouvé jusqu’ici de liaisons importantes et vivantes qu’avec le son du t ou de l’s doux. Il y en a encore une, moins importante, mais très curieuse, c’est celle de l’n dans les finales nasales, l’m ne se liant jamais.

Les finales nasales se liaient autrefois, comme toutes les consonnes, et par suite ne faisaient pas en vers les hiatus qu’elles font aujourd’hui pour nous[956].

Aujourd’hui la liaison des nasales est réduite{387} presque uniquement aux adjectifs placés devant le substantif, cas essentiel, comme on l’a vu, en matière de liaison. Or les adjectifs qui peuvent être à cette place sont en somme assez peu nombreux, surtout en prose.

La plupart des adjectifs qui peuvent se lier sont en -ain: certain, hautain, lointain, humain, prochain, soudain, souverain, vain et vilain, avec plein, ancien et moyen. Mais la liaison offre ici un phénomène très remarquable, car la nasale se décompose, et c’est le son du féminin qu’on entend: certai-nauteur, un vai-nespoir, un vilai-nenfant, en plei-nair, le moye-nâge, un ancie-nami, et même au prochai-navertissement; et en vers, ou dans le style oratoire, un certai-nespoir, un soudai-nespoir, ou encore:

Agrippine, Seigneur, se l’était bien promis:
Elle a repris sur vous son souverai-nempire[957].

On dit de même un mie-nami, un sie-nami, expressions d’ailleurs assez rares[958].

On conçoit que l’existence du féminin a singulièrement facilité, ou peut-être, pour mieux dire, a seule permis cette décomposition. On se rappelle d’ailleurs que la voyelle orale qui correspond phonétiquement au son in n’est pas i, mais bien è, ce qui facilite encore la décomposition: in devient è très naturellement[959].{388}

Il est vrai que quelques personnes lient sans décomposer: plein nair; mais c’est encore une erreur, qui provient uniquement du fétichisme de l’orthographe, et du besoin de prononcer les mots comme ils sont écrits. Ou peut-être est-ce un respect scrupuleux d’anciennes traditions: l’abbé Rousselot a remarqué que cette prononciation se rencontre de préférence dans certains milieux traditionalistes et réactionnaires.

En tout cas, elle est presque aussi surannée que an-née, solen-nel ou ardem-ment prononcés avec des nasales[960].

Naturellement on dira sans liaison: vain et faux, ancien et démodé, etc., l’adjectif n’étant pas devant un substantif.

 

Il y a encore quelques autres adjectifs qui sont dans le même cas que les adjectifs en -ain.

Il n’y en a point en -an, et cette finale ne doit jamais se lier.

En -on, il y a bon, et le phénomène est exactement le même: un bo-nélève, et non un bon nélève[961]; alors qu’on dit bon à rien, bon à tirer, sans liaison.

L’exemple de bon est suivi par mon, ton, son, qui sont aussi des adjectifs, et sont traités comme si leurs féminins étaient monne, tonne, sonne: mo-nhabit, to-namour, so-nesprit[962].{389}

Le cas des adjectifs en -in est plus délicat, car -in fait au féminin -ine, qui ne correspond pas phonétiquement au masculin. Pourtant la grande diffusion des cantiques de Noël a répandu et imposé l’expression divi-nenfant. Par analogie, on dira très correctement divi-nAchille, divi-nUlysse, divi-nHomère; mais ici la décomposition de la nasale s’impose moins absolument, quoique la liaison soit également indispensable. C’est d’ailleurs le seul adjectif en -in qui puisse se décomposer: malin esprit ou fin esprit se lieront donc au besoin sans décomposition; mais je pense qu’esprit malin et surtout esprit fin vaudraient beaucoup mieux[963].

 

On peut dire de -un la même chose que de -in: le féminin ne correspond pas phonétiquement au masculin[964]. Néanmoins l’adjectif un s’est longtemps décomposé comme les autres, et Littré disait encore u-nhomme. Cette prononciation a disparu à peu près complètement, à Paris du moins, chez les personnes instruites. Cela tient sans doute à ce que des confusions de genre se sont produites. Par exemple le peuple faisait u-nomnibus du féminin. Dès lors les personnes instruites ont craint peut-être qu’on ne les accusât de faire féminins des noms masculins, et{390} l’usage s’est établi de faire la liaison sans décomposer: un nhomme, un nami, un nun[965].

On dit aussi un nà un, et même, si l’on veut, l’un net l’autre[966]; mais on dit sans liaison un ou deux, et même un et un font deux, l’un est venu, l’autre est resté; et à ving et un nans, où ans est multiplié par ving et un, on opposera vingt et un avril, où avril n’est pas multiplié[967].

Aucun a fait exactement comme un, dont il est composé, et conserve aujourd’hui le son nasal en se liant devant un substantif: un nhomme, aucun nhomme. On dit aussi d’un commun naccord, ou encore chacun nun, qui évite un hiatus désagréable, et même, en géométrie, chacun nà chacun; mais, à part ces expressions, on lie très rarement chacun et quelqu’un, et seulement dans la lecture.

Outre les adjectifs, il y a encore cinq ou six mots invariables qui se lient: les pronoms indéfinis en (pronom ou adverbe), on et rien, l’adverbe bien et la préposition en, parfois même l’adverbe combien. Ces mots-là aussi se lient sans se dénasaliser, tout simplement sans doute parce qu’ils n’ont pas et ne peuvent pas avoir de féminin: ainsi je n’en nai pas, s’en naller, on na dit, je n’ai rien naccepté, rien nà dire, rien nautre, vous êtes bien naimable, ou bien nà plaindre, bien nentendu, c’est bien nà vous de..., en nAsie, en nargent, en nétourdi, en naimant; et aussi, mais moins nécessairement, combien navez-vous de...?[968].{391}

Naturellement, pour que la liaison puisse se faire, il faut que le lien entre les mots soit suffisant, car on dira sans liaison donnez-m’en un peu, parlez-en à votre père, a-t-on été, je n’ai rien aujourd’hui, rien ou peu de chose, nous sommes bien ici, bien et vite, combien y a-t-il d’habitants à Paris? et cela même en vers, au moins dans les premiers exemples.

Mieux encore: il arrive que on est traité comme une sorte de nom propre, et en ce cas il ne se lie pas. Ainsi, à une phrase telle que on na prétendu que..., il sera répondu, sans liaison: On est un sot, comme on dirait Caton est un grand homme.

*
* *

CONCLUSION

En somme, et tout bien considéré, on a pu voir que même en prose, même dans la conversation la plus courante, il se fait encore un assez grand nombre de liaisons, dont certaines sont absolument indispensables. Il est même à noter que, pour quelques liaisons qu’on faisait autrefois et que nous ne faisons plus, en revanche la diffusion de l’enseignement a rétabli dans l’usage courant de la conversation beaucoup de liaisons que le XVIIᵉ siècle et le XVIIIᵉ n’y faisaient déjà plus. Au XVIIᵉ siècle, les personnes les plus instruites disaient couramment sans liaison, d’après le témoignage des meilleurs grammairiens, cités par Thurot: vene(z) ici, je sui(s) assez bien, voyon(s) un peu, avez-vou(s) appris, des cruauté(s){392} inouïes, des tromperie(s) inutiles, et même d’inutile(s) adresses; et encore commen(t) avez-vous dit, i(ls) doive(nt) arriver, nous somme(s) allés; toutes façons de parler qui subsistent plus ou moins dans le langage de la bonne compagnie, celle qui, par tradition, garde, dans la conversation comme dans les manières, cette simplicité qui est une de ses élégances.

Il nous faut répéter, pour conclure, ce que nous avons dit maintes fois dans cet ouvrage: le parler des gens du monde n’est pas celui des professeurs, des acteurs, et, en général, des gens qui font profession de la parole, avocats, hommes politiques, etc.

Molière avait bien remarqué ces nuances, comme il se voit par les recommandations qu’il adresse à l’un des comédiens de l’Impromptu de Versailles: «Vous faites le poète, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe.»

Depuis le temps de Molière, et pour diverses raisons, les façons de parler prétentieuses qu’il raillait si bien ont gagné du terrain, et elles ont atteint des classes sociales qui, jusqu’à présent, en étaient exemptes. Mais, aujourd’hui comme autrefois, le dire de l’abbé d’Olivet reste vrai: «La conversation des honnêtes gens est pleine d’hiatus volontaires qui sont tellement autorisés par l’usage que, si l’on parlait autrement, cela serait d’un pédant ou d’un provincial.»

{393}

INDEX ALPHABÉTIQUE

DES FINALES

a, b, c, e, f, g, i, l, m, o, p, q, s, t, u, v, y.

-a, 18.
-ab, -abe, 23.
-able, -âble, 30.
-abre, 32.
-ac, 21, 212.
-ace, -âce, 22.
-ache,-âche, 22.
-acle, -âcle, 30.
-acre, -âcre, 31.
-act, 215.
-ad, -ade, 24.
-adre, 31-32.
-af, -afe, 22.
-afle, 30.
-afre, -âfre, 31.
-ag, 24.
-age, 29.
-agne, 26.
-agre, 31.
-ague, 24.
-ah, 19.
-ai, 79.
-aï, 119.
-aid, 81, 229.
-aide, 83.
-aie, 56, 81.
-aigne, 83.
-ail, 26, 259.
-aile, 83.
-aille, 26, 28, 264.
-ailler, -ailleur, etc., 35-36.
-aime, 83-84.
-ain, 344.
-ainc, 213.
-aine, 84.
-aing, 236-37.
-ains, 308.
-air, -aire, 84, 292.
-airie, 85.
-ais, 81, 302.
-aise, 84.
-aisse, 83.
-ait, 81, 327.
-aite, 82.
-aître, 85.
-aix, 344.
-ak, 45.
-al, 24, 258.
-ale, -âle, -alle, 24.
-am, 24, 129-131, 274.
-ame, -âme, -amme, 24.
-amment, 276.
-an, 25, 134.
-anc, 213.
-and, 135, 228.
-ane, -âne, -anne, 25-26.
-ang, 236-238.
-ans, 303-309.
-ant, 135, 228, 329.
-ap, 21, 284.
-ape, -âpe, -appe, 21.
-aphe, 22.
-aple, 31.
-apre, -âpre, 31.
-aque, -âque, 21.
-ar, 28, 292.
-ard, 28, 228.
-are, -arre, 28, 29.
-archat, 222.
-archie, 224.
-aron, -arron, 36.
-art, 28, 330.
-as, 19-20, 23, 300-301.
-ase, 29.
-aser, -asif, etc., 34, 36.
-asme, 275, 315.
-ass, -asse, -âsse, 22.
-asser, 34.
-assion, 38.
-at, 19, 45, 325.
-ate, -âte, -atte, 19, 45.
-ateur, -ation, -atif, 38.
-atre, -âtre, 31.
-atrice, -ature, 38.
-au, 113, 116.
-aube, -auce, etc., 114.
-aud, 113, 229.
-aude, -auffe, etc., 114.
-auld, 229, 261.
-ault, 268, 328.
-aur, -aure, 114-15.
-aut, -aute, 113-14, 328.
-auté, 115.
-aux, 344.
-ave, 29.
-avre, 32.
-ay, 80.
-aye, 28, 83, 191.
-ayer, 163, 191, 193.
-az, -aze, 29, 350-51.

-berg, 67, 236, 238.
-bourg, -burg, 236, 238.
-burn, -burns, -bury, 126.

-chée, -chéen, 223.
-cher, 293-94.
-chi, 226.
-chin, 224.
-chine, -chique, -chisme, -chiste, 225.
-chite, 225.
-cueil, 93, 259.

-é, 52.
-e latin ou étranger, 52, 75-76.
-è, 54.
-eb, -èbe, 61.
-èble, -èbre, 68.
-ec, -ecq, -ecque, 57, 212.
-èce, 59-60.
-èche, -êche, 59.
-ècle, -ècre, 68.
-ect, 215-16.
-ed, -ède, 61.
-èdre, 68.
-ée, -ées, 56.
-éen, 137.
-ef, -effe, 59, 231.
-èfle, -effre, 68.
-eg, 61.
-ège, 65.
-ègle, 68.
-ègne, 64.
-ègre, 68.
-ègue, 61.
-eiche, -eige, etc., 82-85.
-eil, 65, 259.
-eille, 65, 83, 264.
-é-je, 65.
-el, 61, 258.
-èle, -ête, -elle, 61.
-elier, -elions, -eliez, 166.
-em, 62, 129, 131, 274.
-emble, -embre, 140.
-ème, -ême, -emme, 62-63.
-emment, 74, 131, 276.
-empe, -emple, 140.
-en, 64, 136-38, 279.
-enc, 140.
-ence, 140.
-end, 138.
-ende, -endre, 140.
-ène, -êne, -enne, 61.
-eng, 140, 237-38.
-ennal, -ennat, etc., 281.
-enné, -ennant, etc., 281.
-ens, 139-140, 308-309.
-ense, 140.
-ent, 138, 161, 329.
-ente, 140.
-entiel, -ention, 141.
-ep, -èpe, -êpe, -eppe, 57-58.
-eph, -èphe, 59.
-èpre, -êpre, 68.
-eps, 309-10.
-èque, -êque, 57.
-er, 53-54, 66-67, 292 sqq.
-erd, 228.
-ère, -erre, 66.
-èrement, 73.
-ers, 295, 310.
-ès, 55, 60, 301-302.
-esce, 59.
-èse, 68.
-esle, -esme, -esne, etc., 313.
-esse, 59-60.
-essible, -essif, etc., 323.
-et, 55, 58, 326-27.
-êt, 55.
-ète, -ête, -ette, 58.
-ètre, -être, -ettre, 69.
-etti, -etto, etc., 340.
-eu, -eue, 90.
-euble, 93.
-eude, 92.
-euf, 91, 93, 231.
-euil, 93, 259.
-euille, 93, 264.
-eul, 93, 258.
-eule, 92, 93.
-eumatique, 96.
-eume, 92.
-eune, -eûne, 92, 93.
-euple, 93.
-eur, 93-94, 292.
-eure, -eurre, 93-94.
-eurer, 96.
-eus, 92, 304.
-euse, 91.
-eusement, 95.
-eut, 91.
-eute, -eutre, 92.
-eutique, 96.
-euve, -euvre, 94.
-eux, 90, 91, 344.
-ève, êve, 67.
-èvre, 69-70.
-ey, 345.
-ey, 80.
-eyer, 163, 193.
-ez, 53, 68, 350-51.
-èze, 68.

-field, 78, 229.
-ford, 228.

-ger, 293-94.
-gua, 241.
-guë, 244.
-gueil, 93, 259.
-guier, -guière, 243.

-i, -ie, 117, 118.
-ibe, 118.
-ic, 118, 212.
-ict, 217.
-iez, 220, 352.
-ide, 118.
-ien, 136-37.
-iens, 308.
-ient, 138.
-ier, -iers, 53, 268, 293, 295.
-if, 118, 231.
-ig, igue, 118, 238, 241.
-iions, -iiez, 119, 189, 190.
-il, 259-60.
-ille, 265-67.
-illa, 268.
-illade, -illage, etc.,
267, 270.
-im, -ime, 118, 274.
-in, 145, 279.
-inck, 146.
-inct, 217.
-ing, 120, 145-46, 237-38.
-ins, 309.
-ions, -iez, 268.
-ip, -ique, 118.
-ir, -ire, 118, 292.
-is, 117, 302-303
-ise, isse, 118.
-iser, 119.
-isme, 275, 315.
-issible, -issime, etc., 323.
-iste, 333.
-it, -ite, 117-18, 327-28.
-itz, 351.
-ix, 117, 344-46.
-iz, 350-51.

-land, 135, 228.
-lier, 262.

-machie, 224.
-man, -mann, 131, 279.
-mesnil, 313.

-o, 98.
-ob, -obe, 104.
-oble, obre, 108.
-oc, 100, 102, 212.
-oce, -oche, 102.
-ocle, -ocre, 108.
-od, 100, 229.
-ode, 104.
-oë anglais, 53.
-of, -ofe, 102.
-ofle, -ofre, 108.
-oge, -ogue, 104.
-ogre, 108.
-ogue, 104.
-oi, oie, 46.
-oï, 119.
-oide, -oif, -oile, etc., 47-48.
-oing, 236-37.
-oir, oire, 47, 292.
-ois, 46, 301.
-oit, oite, 40-47, 325-26.
-oix, 47, 344.
-ol, -ole, -olle, 104.
-ome, -omme, 104-6.
-ompt, 329.
-on, 148, 388.
-onc , 213.
-ond, 288.
-one, -onne, 106.
-ong, 236-38.
-onner, -onnaire, etc., 281.
-ons, 302.
-ont, 325.
-op, -ope, 100, 102.
-ophe, 102.
-ople, -opre, 108.
-ops, 309-10.
-ogue, 102.
-or, 108, 292.
-ord, 108, 228.
-ore, -orre, 108.
-orer, 111.
-ors, 108.
-ort, 108, 330.
-os, 98, 102, 304.
-ose, 101.
-oser, -oisif, -osion, 110.
-osité, -osition, 110.
-osse, 102.
-ost, 331.
-ot, 98-99, 327-28.
-ote, -otte, 102.
-oter, -otif, 111.
-otion, 110.
-otre, 108.
-ou, 121.
-oud, 121, 228.
-ouil, 259.
-ouille, 122, 264.
-ouiller, 122.
-oul, 258-59.
-ould, 229, 261.
-oult, 261, 328.
-oup, 284.
-our, -oure, 121, 292.
-ourd, 228.
-ourer, 122.
-ous, 121, 304-5.
-ouser, 122.
-out, 121, 328-29.
-oux, 344.
-ove, 104.
-ow, 341, 343.
-own, -owski, 343.
-oyau, 191.
-oyer, 163, 193-94.
-oz, 107, 351.

-put, 329.

-quin, -quine, 289.

-schi, 226.
-seur, -sion, -soir(e), 321.
-son anglais, 148.
-spect, 216, 330, 361-62.
-stadt, 325.

-tiaire, -tial, 333.
-tie, 333, 335, 337.
-tié, 334, 336.
-tiel et dér., 333.
-tième, 336.
-tien, -tienne, 333, 337.
-tier, tière, 336.
-tieux et dér., 333.
-tion et dér., 187, 333, 335.
-ton anglais, 148.

-u, ude, etc., 121-22
-ueil, 93.
-uite, 242.
-um, 123, 125.
-un, 149, 389.
-ur, -ure, 121, 292.
-urer, -urie, 122.
-us, 305-307.
-user, 122.
-ut, 329.
-ux, 344.
-uyer, 193.
-uz, 351.

-ville, 266-67.
-viller, villier, 270, 291.

-yen, 137.

{395}

INDEX ALPHABÉTIQUE

DES PRINCIPAUX MOTS ET NOMS PROPRES

N. B. Cet index eût été plus que doublé, si on y avait introduit tous les mots du texte et tous les noms propres. Mais c’eût été parfaitement inutile. D’abord une foule de mots sont cités comme exemples de prononciation normale pour les finales principales, et pour ceux-là l’index qui précède doit évidemment suffire. On peut même dire que cet index, qui est très étendu, en y joignant la Table des matières qui est fort développée, suffirait aisément pour trouver n’importe quel mot. On n’a pas voulu cependant refuser au lecteur un index alphabétique, qui dans certains cas peut être commode; mais on n’y a mis que l’utile, c’est-à-dire les mots sur la prononciation desquels on peut hésiter, ceux qui sont cités plus d’une fois, ceux qui sont l’objet de remarques spéciales, enfin tous ceux qui ont quelques chances d’y être cherchés. Par exemple certains mots techniques et rares ne sont employés que par les spécialistes, qui connaissent leur prononciation: à quoi bon en encombrer un index où personne ne les cherchera? D’autre part beaucoup de noms propres sont insérés dans des listes plus ou moins longues, où on les trouvera aussi facilement ou aussi rapidement avec la Table des matières qu’à l’aide d’un index alphabétique. A quoi bon répéter par exemple au W les listes qui sont déjà au chapitre du W? De même pour beaucoup de mots étrangers. Il suffit que le lecteur soit bien averti qu’un mot qui est absent de la liste n’est pas pour ce motif absent du livre. J’ajoute que les abréviations imprimées en italique représentent plusieurs mots qui sont dans la même page, ou même des séries nombreuses, comme les finales.

 

A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z

A
Abatucci, 125, 220.
abbaye, 190.
abject, 215, 330.
ab ovo, 111.
Abraham, 25, 129, 130.
abricotier, 111.
abrupt, 331.
Abruzzes, 351.
abs-, 202, 315.
accessit, 328.
accroc, 100, 212.
accueil, 93.
Achéron, 224.
achète, 222.
Achille, 225, 267.
achillée, -éide, 225-26, 270.
Achmet, 226.
aconit, 327.
acrimonie, 33.
Adam, 37, 129-30.
adéquat, 291, 325.
adosser, 110.
ad patres, 38.
adventice, 141, 142.
adventif, 141.
affairé, 85.
affres, 31, 32.
Agen, 138.
Agenais, 165.
agneau, 87.
Agnès, agnus, 245.
aigu, 85.
aigu-, 242-44.
aimer, 85.
Aïnos, 304.
ains, 308.
aisé, 85.
Aix, 344.
Ajaccio, 219, 255.
Alais, 302.
albatros, 102, 304.
albinos, 102, 304.
alcarazas, 300.
alcool, 104.
Alexis, 303.
Alger, 294.
Algésiras, 319.
alguazil, 36, 243, 260.
aliquante, 291.
Allah, 19.
alleluia, 193.
all right, 120.
almanach, 221.
Almeida, 88.
alors, 310.
aloyau, 190.
alphabet, 326.
Alsace, 315.
altier, 293.
amarrer, 34.
ambesas, 300.
amer, 294.
amict, 217, 330.
Amiens, 139, 309.
amitié, 334, 336.
Anchise, 226.
ancillaire, 270.
Angers, 295.
Angra-Pequeña, 280, 289.
anguille, 242, 265.
anis, 37.
ann-, 281.
Anne, 26.
année, 131, 281.
Annunzio, 149, 282.
anspect, 216.
antechrist, 331.
anti- devant voy., 383.
anti- devant s et voy., 317.
antienne, 337.
anus, 38.
Anvers, 310.
aoriste, Aoste, 41.
août, 39-40, 329.
aoûter, aoûteron, 40-41.
api, 37.
aplomb, 210.
app-, 286.
appendice, -icite, 142, 286.
appétit, 165.
appogiature, 246.
a priori, 38.
aqua-, 291.
aqueduc, 165.
aquilin, aquilon, 289.
arachide, 225.
araignée, 87.
arc-boutant, etc., 214.
archal, 222.
arché-, 223.
archi-, 225.
arctique, 217.
Arcueil, 93.
Argens, 139, 309.
Argueil, 93.
arguer, 241.
Arguin, 146, 243.
argutie, 337.
aristo, 100.
Arkansas, 319.
arr-, 297.
Arras, 301.
arriéré, 73.
arroser, 110.
arrow-root, 113, 343.
Ars-, 315.
arsenic, 213.
arts et métiers, 384.
Aruns, 149, 309.
as, 300.
aseptique, 317.
Asnières, 33.
aspect, 216.
ass-, 322.
Assas (d’), 301.
assez, 53, 350.
assied, assieds, 52, 228.
asthme, -atique, 315, 332.
asym-, 317.
atlas, 23, 300.
att-, 339.
atterrir, 73.
au- initial, 115-116.
Aubenas, 301.
Auch, 114, 221.
Auerstædt, 57, 61, 78.
Augsbourg, 244.
aujourd’hui, 116.
aulne, Auln-, 261-62.
Aunis, 303.
Aureng-Zeyb, 88, 238.
aurochs, 309.
Austerlitz, 351.
auto, 100.
automne, -al, 275.
autrui, 197.
Auxerre, -ois, 347.
Auxonne, 347.
avant-hier, 366.
avec, 213.
aveline, 37.
aveugle, 92, 93.
avril, 261.
Ay, 191.
ayant, 189.
aye, ayent, 163, 194.
Ayen, 191.
azimut, 329.

B
Baal, 24.
babil, 261.
baby, 43, 121.
Bacciochi, 220, 226.
Bacchus, 37.
bacille, 266.
Bædeker, 68, 78.
Bagration, 339.
Baïes, 28.
bairam, 88.
Balaam, 25.
balaye, 193.
balbutier, 336.
balsamique, 315.
Banyuls, 125, 310.
banzaï, 119.
bapt-, 285.
bardit, 327.
bar-maid, 88.
baroque, 37.
barricade, 34.
basa-, 36.
bascule, 38.
Basile, 36.
basileus, 72, 304, 318.
basilique, basoche, 36.
basquine, 289.
basset, bassesse, basson, 35.
bastonnade, 38.
Bataves, 37.
bay-, Bay-, 191.
Baylen, 88.
Bayreuth, 88, 92.
baz-, Baz-, 36.
Béarn, 280.
beaucoup, 284, 360.
Beauvaisis, 303.
Bebel, 76.
bec-, 212.
beefsteack, 43, 313.
Beethoven, 78.
béguin, béguine, 243.
Belfort, 262.
Belsunce, 149, 315.
Belzébuth, 332.
Ben-, 144.
bengali, 143.
Benjamin, 143.
benjoin, 143.
Benserade, 143.
Bentivoglio, 144, 246, 280.
benzine, 144.
Berlioz, 107.
Bernoulli, 269.
Besenval, 141.
besicles, 170.
besson, 171.
bêta, 18.
bêtise, 72.
Beu-, 96.
beugle, 92.
Beyrouth, 88.
bief, biez, 231, 350.
bien, 136, 390.
bigarré, -reau, 34, 37.
bill, 264.
billebaude, -vesée, 267.
Billom, 130.
bis, 303.
Biscaye, 28, 191.
blason, 36.
Blaye, 28, 191.
bleuet, bluet, 94.
blockhaus, 116, 304.
Blücher, 224, 295.
bluff, bluffer, 126.
boa, 112.
bobo, 111.
Bœcklin, 77, 146.
Boerhaave, 39, 78.
Boers, 66, 78.
bœuf, 91, 93, 231-32.
Bohême, 199.
Boilly, 269.
Bois-, 312.
bonneterie, 173.
book, 112.
bookmaker, 42-43.
Boson, 110.
Boullongne, 282.
bourg, Bourg, 236, 363.
bourgmestre, 236.
Bourgueil, 93.
bow-window, 343.
boy, 50.
boyard, 191.
boycotter, 50.
brahme, 25.
Bramante, 52.
brame, 25.
brasero, 76, 318.
brayette, 191.
bréchet, 170.
Bretagne, 87.
breuvage, 93.
breveté, 170, 173.
bric (de) et de broc, 212.
briqueterie, 173.
broc, 100, 212.
Broglie, 246.
bronch-, 222.
Brongniart, 232.
Brooklyn, 113, 146.
browning, 145, 238, 343.
Brown-Sequard, 291, 343.
bruire, bruit, etc., 197.
Brunswick, 149.
brut, 329.
Bruxelles, 347.
bruyant, 190, 192.
bruyère, 192.
Buch, 221.
budget, 126.
Buona-, 125.
Bueil, 53.
Buenos-Ayres, 60, 84, 88.
buffleterie, 172.
bulbul, 124.
bull, John Bull, 125.
burg, 124.
but, 329.
Buzenval, 143.
Byron, 121, 148.

C
cabre, cabrer, 32, 34.
cacaoyère, 191.
cachexie, 224.
cachucha, 226.
cadavéreux, 34.
cadédis, 303.
cadenasser, 35.
Cadix, 37.
cadran, cadrer, 34.
cadre, 31.
cæcum, 75.
Caen, 134, 137.
Caennais, 134.
Cagliostro, 246.
cail-, 36.
Calais, 37.
Calas, 301.
Calderon, 76.
Calicut, 329.
Calvados, 103, 304.
camarilla, 268.
Cambrésis, 303.
Cameroun, 76.
Camille, 265.
camomille, 265.
cant, 330.
canut, Canut, 329.
caoutchouc, 41, 212, 249.
capillaire, 270.
caqueterie, 173.
Carabas, 301.
Carducci, 125, 220.
carotte, 37.
Carpentras, 141, 301.
carr-, 34.
carriole, carrosse, 37.
casemate, 36.
Caserte, 52.
casoar, 199.
casse, casser, 22, 34.
casserole, 35.
cassette, 35.
cassis, 37, 302.
Castiglione, 246.
Câtelet, 33.
catéchumène, 223.
cauchemar, 116.
cautériser, 116.
Cavaignac, 87.
Caventou, 141.
celer, 190.
Cellini, 219.
celui, 263.
cens, 139, 308.
cent-, 141.
centaure, 114.
centaurée, 115.
centiare, 338.
cep, 284.
cercueil, 93.
cerf, 232.
ces, 54.
Ceuta, 96.
Ceylan, 88.
Chablis, 37.
chalet, 37.
challenge, 43, 144.
chamarrer, 34.
Chamfort, 129.
Chamlay, 129.
Chamonix, 344.
Champagne, 87.
Champaigne, 87.
Champmeslé, 73, 284.
Champs-Elysées, 377, 378, 384.
Chan-, 227.
chaouch, 221.
chargeure, 240.
chariot, 37.
charr-, 36-37, 297.
chassieux, 37.
châtaigne, 87.
châtier, 335.
Chaulne, 261.
ché-, Ché-, 224.
chef-, 231.
Chemulpo, 125, 227.
chéneau, 169.
cheptel, 285.
cher, Cher, 294.
Cherbuliez, 350.
chérif, 224.
cherra, 73, 297.
chérubin, 224.
Cherubini, 125, 224.
chester, 226, 295.
chévecier, 170.
chevesne, 310.
Cheviot, 328.
chez, 53, 350.
chi-, 224-25.
Chi-, 226-27.
Childe-Harold, 120, 226
chinchilla, 226, 268.
chocolat, 18.
Choiseul, 93, 258.
chol-, chor-, 222.
chrétien, 142, 335, 337.
chrétienté, 142.
Christ, 331.
chrestomathie, 338.
chromo, 100.
chulo, 124, 226.
chut, 123.
chyle, chyme, 225.
ci-gît, 327.
cinabre, 32.
cinq, 287.
Cinq-Mars, 287, 310.
cipaye, 28, 191, 303.
circonspect, 216.
clamer, clameur, 34.
Clarens, 140, 308.
claret, 327.
Claretie, 337.
classe, classer, 22, 33.
classique, 33, 323.
Claude, Claudine, 218.
clef, 231.
clerc, 214, 363.
Clésinger, 239, 295.
cloaque, 112.
clown, 343.
club, 126.
Clytie, 337.
co-, 112.
coaltar, 45.
cobaye, 28, 191.
Coblentz, 139.
Cobourg, 110.
Coccaie, 191.
coccyx, 346.
cock-tail, 88.
coco, 111.
codicille, 266.
Coëfféteau, 200.
Coëtlogon, 75.
cognassier, 245.
Coigny, 49.
col, 258.
cold-cream, 45.
coll-, 272.
colliqu-, 291.
Colomb, 210.
comm-, 277.
compagnie, 282.
compagnon, 87.
compendieux, 141.
compte et dér., 285.
con brio, etc., 148.
concept, 331.
Condom, 130.
Confolens, 140, 308.
conifère, conique, 109.
conjungo, 149.
Connaught, 116, 282, 328.
conquistador, 290.
conscience, -ient, 314.
consomption, 285.
construire, 197.
contre- devant s et voy., 317.
coolie, 112.
coq, 287.
corps, 284, 309.
corr-, 298, 299.
Corte, 52.
cos- devant voy., 317.
côté, coteau, -lette, 109.
cotignac, 212.
cottage, 43.
couenne, 64.
couguar, 243.
coup, 284.
courr-, 297, 299.
cours, 310.
Coutras, 301.
cow-boy, 50, 343.
cowpox, 343.
crabe, 23.
Craon, 133.
Craonnais, 134.
Craonne, 134.
crémaillère, 36.
crescendo, 144, 220.
cresson, 171.
cric, 212.
cricket, 327.
Critias, 339.
croc, 100, 212.
croc-en-jambe, 100, 361.
Cromwell, 274, 342.
croquet, 327.
crucifix, 344.
cuiller, 269, 293, 295.
cuillerée, 165, 269.
Cujas, 301.
cul et comp., 258-259.
Curaçao, 41.
curetter, 166.
Cyrille, 267.
czar, 220.
Czar-, Czerny, etc., 220, 352.

D
Daily News, 87, 343.
daim, 130.
dam, 129.
damas, Damas, 301.
dame-jeanne, 26.
damnation, 34.
damne, damner, 25, 34, 275.
Damrémont, 129.
Damville, 129.
Dantzig, 238.
Darwin, 146, 342.
Daubenton, 141.
David, 229.
débet, 327.
debout, 329.
Decaen, 137.
déclarer, 37.
décollète, 174.
décorum, 111.
dédaigner, 85.
déficit, 328.
degré, 170.
dehors, 170.
déjà, 75.
déjeune, 92.
délabre, -er, 32, 34.
déliquescence, 288.
dendrite, 142.
Denis, Denys, 303.
de profundis, 149.
dérailler, 35, 259.
dernier, 359.
des, 54.
Des- devant cons., 312.
dés- devant voy., 316, 317.
Desaix, 319, 344.
Desèze, etc., 319.
désosser, 109.
desquamation, 291.
desquels, 72, 312.
dess-, 321.
dessus, dessous, 320.
détritus, 305.
détruire, 197.
Deucalion, 96.
deutéronome, 96.
deux, 344.
deuxième, 348.
diable, 30.
diablesse, diablotin, 35.
diachylon, 225.
diagnostic, 110.
diffamer, 33.
Dillon, 267.
diplomate, 109.
disponible, 110.
diss-, 322.
distille et dér., 266.
distinct, 217, 330.
district, 217, 330.
divin, 389.
dix, 345-346, 356.
dixième, 348.
dodéca-, 111.
dodo, 111.
dog-cart, 330.
doge, 104.
doigt, 236, 325.
dom, 130.
Dombasle, 24.
Domfront, 129.
Dommartin, 129.
dompter, 285.
Domremy, 171.
doña, 280.
donc, 213.
dossier, 110.
dot, 100, 328.
douairière, 87.
Douarnenez, 350.
Doubs, 210.
Doullons, 140, 308.
drachme, 226.
Draguignan, 243.
drawback, 45, 342.
dreadnought, 246.
drolatique, 109.
Drouyn, 147, 148.
Droysen, 50.
druide, 197.
Du Bellay, 271.
Duchesnois, 73.
Dugazon, 36.
Du Guesclin, 73, 313.
Dulaurens, 139, 309.
Dumesnil, 73.
Dumouriez, 53, 350.
Duncan, etc., 149.
Dundee, 78, 149.
duo, 197.
Dupleix, 344.
Dupuytren, 138.
Duras, 301.
Dusaulx, 319.
dysenterie, 141, 316.

E
ébruiter, 197.
échecs, 213.
échevelé, 157, 173.
Ecouen, 137.
écueil, 93.
écuyer, 190.
edelweis, 88.
éden, 138.
effendi, 144.
éléphantiasis, 338.
elle, 62.
Elsa, Elsevier, 315.
emm-, 132, 275-76.
empierrer, 73.
empoigne, -gner, 49.
en, 137, 380.
en- initial, 140.
enamourer, 133.
encadre, -er, 31, 34.
encaustique, 116.
encoignure, 49.
endiablé, 35.
endosser, 110.
enfer, 294.
enflammer, 35.
Engadine, 144.
Enghien, 137.
enhardir, 248.
enharmonie, 132.
enivrer, 132, 133.
ennemi, 74.
ennoblir, etc., 132.
ennui, 132.
enorgueillir, 97, 133.
enregistrer, -ement, 170.
ensevelir, 173.
entasse, -er, 22, 34.
entêté, 72.
entier, 293.
entrelacs, 213, 309.
entresol, etc., 317.
envergure, 240.
enverrai, 73, 297.
épaissir, 85.
épaulette, 116.
épenthèse, 142.
épizootie, 338.
époussette, 174.
équarrir, 291.
équat-, 291.
éque-, 288.
équi-, 289.
érafle, -er, 31, 34.
err-, 297-298.
es (tu), 56.
ès, 60, 302.
escadre, 31.
Eschine, 313.
Eschyle, 225, 313.
escient, 314.
escroc, 100, 212.
escroquer, 111.
esquire, 120, 290.
essaim, 130.
essayer, 193.
est (il), 55.
est-ce, 60.
estomac, 212.
estramaçon, 37.
Estramadure, 125.
étaim, 130.
Etats-Unis, 377, 383.
éteuf, 231.
étiage, 335.
Etienne, 337.
étioler, Etioles, 338.
étiologie, 338.
eu, eus, eusse, 94, 164.
eu-, Eu- initial, 75-96.
Eudes, 92.
euphuisme, 197.
ex- devant voy., 348-49.
exact, 215, 330.
ex æquo, 349.
examen, 137-138, 279.
exc-, 348.
exeat, 325, 349.
Exelmans, 135, 309, 349.
exempt et dér., 284-285, 329, 349.
exequatur, 291, 349.
exs-, ext-, 348.
extraordinaire, 41.
extrémité, 73.
ex voto, 111.
Ezéchias, Ezéchiel, 226.

F
fa, 18.
fabrique, 34.
fabuliste, 34.
factotum, 111.
faim, 130.
fainéant, 74.
Fairfax, 88.
fait, 327.
fantasia, 318.
faon, 183.
farniente, 144.
faséole, 36.
fashion, 323.
fat, 325.
Faucilles, 267.
faulx, 262.
Faust, 114.
fayot, 191.
féerie, 73.
feldspath, 229.
fêlure, 72.
femme, 64, 131.
Fénelon, 165.
fer, 294.
Féroë, 77.
ferr-, 297.
ferrailler, 74.
ferrer, ferrure, 73.
fêter, 73.
feu-, Feu-, 96.
fez, Fez, 350, 351.
fibrille, 266.
fier, Fier, 293-295.
Fieschi, 78, 226.
Fiesole, 52, 78.
fils, 261, 302-303, 309.
five o’clock, 120.
Flameng, 140, 238.
Fleurus, Fleury, 96.
flirt, flirter, 120, 330.
fluide, 197.
flush, 126.
flux, 344.
Foch, 221.
fœhn, 77, 247.
fœtus, 75.
fol, 258.
folklore, 112.
football, 113.
Forez, 53, 350
forum, 111.
fossé, fossette, etc., 110.
fouet, 55.
fouette, fouetter, 59.
franc, 361.
Francfort, 218.
frangipane, 239.
Freischütz, 88, 227.
Fréjus, 307.
frelon, 170.
fret, 326.
Friedland, 78, 228.
Frœschwiller, 76, 227, 294.
froid, 229.
fruit, 197.
fruitier, 198.
fuchsine, 226.
fueros, 124, 304.
Furens, 140.
furia francese, 124, 135, 220.

G
gageure, 94, 240.
gagner, 34, 87.
galimatias, 338.
galop, 100, 284.
galoper, 111.
gangrène, 239.
garden-party, 76.
garer, 35.
garrot, 37.
gars, 295, 309.
gaz, 350.
gaz-, 36.
Ge-, Gé-, 239.
Gédoyn, 147.
geline, gelinotte, 170.
Gellée, 171.
Genevois, 173.
Geneviève, 173-174.
Gengis-Khan, 144.
gens, 139, 308.
Genséric, 144.
gentil, -homme, 260, 378.
gentille, -esse, 265.
gentleman, 76, 143, 246.
geôle, geôlier, 239, 240.
Gérardmer, 229, 295.
Gerolstein, 146, 239.
Gers, 294-295, 310.
Gervinus, 125.
Gessler, Gessner, 239.
Gevaert, 82, 239, 330.
Gex, 345.
geyser, 89.
giaour, 246.
Gi-, 239.
Gier, Rive-de-, 295.
gin, 120, 146, 246.
ginseng, 238.
giorno (a), 246.
gipsy, 246.
girasol, 318.
glabre, 32.
globe, 104.
Gluck, 125.
gn-, Gn-, 245, 283.
gneiss, 88, 245.
goéland, goélette, 200.
Gœthe, 77.
Gœttingue, 77, 146, 230.
gogo, 112.
gong, 238.
gosier, 110.
Goth, 332.
Gounod, 100, 229.
Goya, 192.
goyave, 191.
gracier, gracieux, 33.
grammaire, 131, 276.
granit, 328.
grasseyer, 34.
gratis, 38.
gratuit, 327.
grazioso, 352.
gréement, 73.
Greenwich, 78, 226.
gréneterie, 173.
grésil, 261.
Grieg, 78, 238.
gril, 261.
Groenland, 77, 144, 228.
groin, 147, 199.
groom, 113.
groseille, 110.
gross-, 110.
gruyer, gruyère, 192.
Gua-, 244.
Guadeloupe, 244.
guano, 243.
gué-, gué-, 241.
Gue-, Gué-, 241-242.
guérilla, 268.
guerrier, 73.
gueule, -lard, 93.
gui-, Gui-, 242.
Guipuzcoa, 243, 252.
guise, Guise, 242, 243.
Guizot, 243.
gulf-stream, 45, 126.
Gunther, 145.
gutta-percha, 126, 222, 339.
Guy-, 192, 212.
gymnase, 316.
gymnosophiste, 318.

H
Hæckel, Hændel, 78.
haler, 24.
halluciner, 250.
haltères, 250.
hameau, 37.
hameçon, 250.
Hamlet, 254.
Hanovre, 104, 254.
hanse et dér-, 254.
hareng, 140, 236.
haro, 37.
harpye, Harp-, 252, 254.
haut-, Haute-, 252.
havresac, 318.
Haydée, Haydn, 88.
hecto, 100, 250.
Hegel, 239.
Heidelberg, 88, 89.
hélas, 300.
hélio-, hémi-, etc., 250.
hémorr-, 298.
Hendaye, 28, 141, 191.
hendéca-, 141.
hennir, 74.
Henri, -iette, 254.
Hephaistos, 88.
héraut, hérald-, 254.
hérisser, -son, 252.
héros et dér., 253.
hésiter, 252.
heurt, 330.
heurte, 93.
hexa-, 349.
hiatus, 38.
hidalgo, 251.
hier, 195, 253, 294.
hiér-, 195, 250, 252.
high-life, 120.
hinterland, 251.
hiver, 294.
hipp-, 286.
hirsute, 250.
hoir, hoirie, 250.
Hollande, 254, 272.
holocauste, 114.
Holstein, 146.
home, 112.
home rule, 125.
Hong-Kong, 238.
Hongrie, 254.
hôpital, 109.
horr-, 298.
hors, 252.
Hortensius, 143.
hosanna, 110, 252, 281.
hôtel, 109.
hourra, 19.
Houssaye, 191.
hoyau, 190.
Hugo, 254.
huile et dér., 118, 250, 253.
huis, huissier, 254.
huit, 153, 155, 253, 328.
Humbert, 149.
Humboldt, 149, 331.
Hume (David), 126.
humour, 126.
Hyacinthe, 195, 250.
hyène, 250.
hymen, 138, 279.
Hypatie, 337.
hypocras, 23, 300.

I
ichneumon, 96.
ichtyosaure, 318.
idiotisme, 111.
Iéna, 152.
igname, 245.
Ignatief, 245, 339.
igné, igne-, igni-, 245.
iguane, 243.
il, 259.
ill-, 270.
imbroglio, 246.
imm-, 276.
immédiat, 325.
imprégnation, 245.
impresario, 76, 318.
incognito, 146, 245.
indemnité, -iser, 75, 275.
indomptable, 285.
in-douze, 145.
indult, 261.
ineptie, inertie, 335, 336, 337.
inexpugnable, 245.
in extenso, 141, 145.
inextinguible, 242.
in extremis, 75, 145, 305.
infamie, 33.
infect, 215.
in-folio, 36, 145.
ingrédient, 138.
initier, 336.
inn-, 281.
in partibus, 145, 305.
in petto, 145, 340.
in-plano, 38, 145.
in-quarto, 145, 291.
inquiétude, 289.
insister, 319.
instinct, 217, 330.
instruire, 197.
interr-, 297.
interview, -ewer, 146, 343.
intus- suivi d’s, 322.
irr-, 298.
Isaac, 25.
Isl-, Ism-, Isr-, etc., 313, 315.
isthme, -ique, 332.

J
Jacob, -bin, -bite, 35.
jaconas, 301.
Jacqu-, 35.
Jacques, -erie, 21.
jadis, 37, 302.
jaguar, 243.
James, 43, 256.
Jamyn, 145.
Janina, 255.
Janus, 38.
Japet, 255.
jarret, 37.
jaseran, Jason, 36.
Jassy, 255.
Jean et dér., 164.
Jeanne, 26, 164.
Jeannette, -eton, -ot, 35.
Jéhovah, 19.
Jenner, 256, 282.
Jenny, 74, 282.
Jersey, 256, 315.
Jésus, 307-308.
jettatura, 124, 255, 340.
jeudi, 96.
jeun (à), 92, 164.
jeune, 93.
jeûne, 92.
Joachim, 130, 225.
joaillier, 199.
Jocelyn, 145.
Joconde, 255.
Johannisberg, 238, 255.
John Bull, 125, 256.
Jordaens, 79, 134, 139, 256.
Joseph, -ine, 110.
joug, 235-236.
Juan, 125, 256.
juillet 269, 326.
Juilly, 269.
juin, 197.
Jungfrau, 116, 125, 255.
jungle, 149.
junte, 149.
jusquiame, 289.
Jutland, 228, 256.

K
kaiser et dérivés, 88.
Kamtschatka, 227, 274, 332.
Kant, 135, 330.
Kehl, 57.
Kent, 139.
Kerguélen, 138, 242.
Kiel, 78.
Kiev, 341.
kilo, 100.
Kluck, 1285.
knout, 329.
Kœnigsberg, 77, 238.
krach, 221.
Kruger, 239, 295.
kulturkampf, 124.
Kurdistan, 125.
Kyrie eleison, 148, 318.

L
la, 18.
labadens, 308.
La Boëtie, 333, 337.
Laboulaye, 191.
La Bruyère, 192.
La Châtre, 31.
lacs, 213, 309.
ladre, 32.
lady, 43.
Lænsberg, 78, 238.
laisser, laitue, 85.
Lally-Tollendal, 141.
lama, 37.
Lamennais, 171.
Lamoignon, 49.
lampas, 300, 301.
landsturm, 124.
Lang-son, 148-149, 233.
Laon, 133.
Laonnais, 134.
lapis-lazuli, 38, 303.
laps, 309.
Largillière, 270.
lasse, lasser, 22, 34.
La Trémoille, 269.
latrine, 37.
Lauraguais, 244.
Laurens (J.-P.), 139, 309.
lauréat, laurier, 115.
La Vrillière, 270.
Law, 45, 342.
lawn-tennis, 45, 342.
Lawrence, 140, 342.
Laybach, 88.
Lazare, 36.
lazarone, 52, 351.
lazzi, 351-52.
Leclerc, Leclerq, 214.
léger, 293.
legs, 55, 237, 309.
Leibniz, 88, 147, 351.
Leicester, 88.
Leipzig, 88, 238.
Leitha, 88.
leit-motif, 88.
Lenau, 76.
Lens, 139, 309.
Lérins, 309.
les, 54.
Les- devant cons., 312.
Les- devant voy., 318, 319.
Lesbos, 103, 312.
lesquels, 72, 312.
Leuctres, 93.
leude, 92.
lez, 53, 350.
lichen, 224, 279.
Liebig, 78.
lied, 77, 229.
ligneux, lignite, 245.
Lilliput, 329.
lilliputien, 270, 337.
limaçon, 37.
linceul, 258.
lingual, -iste, 242, 243.
liqu-, 288.
liquidambar, 290.
lis, fleur de-, 302.
Liszt, 351.
litt-, 340.
lloyd, 273.
lobe, 101.
loch, 221.
Lohengrin, 145, 146.
lolo, 111.
lombric, 213.
long, 236, 362.
Longueil, 93.
Longwy, 236, 244, 342.
Lons-le-Saunier, 309.
loquace, -acité, 291.
lord, 228.
lorsque, 183, 310.
Lot, 328.
louveterie, 173.
Loyola, 192.
Lucayes, 28, 191.
lumbago, 149.
lunch, luncher, 149, 220.
lut, 329.
lysimachie, 224.

M
macadam, 130.
macfarlane, 43.
Machiavel et dér., 226.
maçon, 37.
madeleine, 37.
Madeleine, 37.
madras, 300.
Madras, 301.
madré, madrier, 37.
Madrid, 229.
Mælzel, 78.
Maeterlinck, 79, 146.
Maëstricht, 79, 221, 330.
mafflu, 37.
Magendie, 143.
magn-, 244-245, 287.
magot, 37.
mail-coach, 45, 88.
maillechort, 222.
Maimonide, 88.
mairie, 165, 296.
maïs, 302-303.
maison, 85.
majeur, major, etc., 38.
Majorque, 38, 255-256, 269.
Majunga, 149.
Malachie, 224.
malagueña, 280.
Malesherbes, 165, 312, 315.
malotru, 111.
maman, 39.
mandrill, 264.
mangeure, 240.
maniéré, 73.
Mantegna, 282.
manzanilla, 268.
maquis, 37.
maravédis, 303.
marc, Marc, 214.
mardi, 38.
Marennes, 37.
Marilhat, 273.
Maroilles, 269.
marqueterie, 172.
marraine, marri, 37.
marron, 37.
mars, 310.
martyr, 38.
mas, Mas-, 300, 301.
masure, 36.
mat, 45, 325.
matelasser, 35.
mater, mâter, 21.
Mathusalem, 319.
Maubeuge, 92.
Mauclerc, 214.
Maupeou, 164.
mauvais, 116.
mayonnaise, 249.
mazette, 36.
Médicis, 303.
Meilhiac, Meilhan, 273.
Mein, 146.
Meinam, 88.
Mékong, 238.
mélange, mêler, 73.
Melchi-, 226.
Melchisédec, 226, 319.
Mélilla, 268.
mélo, 100.
Memphis, 143.
menstrues, 141-142.
menthol, 141, 143.
mentor, 141, 142.
menuisier, 198.
Méphisto, 100.
mercredi, 296.
mérinos, 102, 304.
mes, 54.
més-, 316.
mesdames, 72, 312.
messied, 52.
messieurs, 72, 91, 292.
métis, 302.
métro, 100.
Metz, 60, 332, 351.
meugle, 92.
meule, 92.
Meung, 92, 164, 236.
meunier, 96.
Meurice, 96.
Meurthe, meurtre, 93.
meut, meux, 91.
mezzo, 352.
Michel, 224.
Michel-Ange, 224.
mien, 136, 387.
mil, 259, 261.
mildew, 343.
Milhau, 273.
milieu, 262, 263.
mille et dér., 266, 269.
Mill-, 269-70.
Milton, 148.
miss, mistress, 120.
moelle, -llon, 62, 200.
mœurs, 310.
moignon, 49.
moins, 308.
Moïse, 199.
moitié, 334, 336.
momerie, momie, momier, Momus, 110.
monachisme, 225.
mons, Mons, 308, 309.
monsieur, 91, 148, 292.
Mont-, 332.
montagne, 87.
Montaigne, 87.
Montargis, 304.
Monte-, 76.
Montorgueil, 93.
Montpellier, 171, 271.
Montr-, 332-333.
Morellet, 171, 272.
mosaïque, 110.
mot, 99.
mot à mot, 100, 328.
moteur, motrice, 111.
motus, 110.
mouette, 63.
mourrai, 296.
mousqueterie, 172.
moyen, 189, 190.
muezzin, 146, 351.
muid, 229.
Munster, 149.
Murger, 239, 294.
Murillo, 268.
myrtille, 266.

N
nacre, 31, 32.
naïade, 37.
nanan, 39.
nansouk, 319.
Naples, 31.
narrer, 34.
nasal, naseaux, 36.
Natchez, 350.
naufrage, 116.
navre, navrer, 32, 34.
néanmoins, 132.
négus, 124.
Nelson, 148.
nenni, 74.
Népaul, 114.
nerf, 232.
Néris-les-Bains, 304.
net, 326.
Neu-, 96.
neuf, 91, 93, 233-235.
Neuf-, 91.
neume, 92.
neuvaine, -vième, 95.
New-, 343.
Newton, 148, 343.
nez, 53, 350.
nid, 229.
Nie-, 78.
Niebelung, 78, 125, 239.
Niger, 239, 295.
noël, 199.
Nolhac, 273.
nom, 130.
nœud, 90, 229.
notre, 296.
nummulite, 123.
nunc (hic et), 149.
nurse, nursery, 126.

O
oasis, 112.
obliquité, 290.
obs-, 202, 315.
obséquieux, 290.
obstiné, 210.
obus, 110, 305-6.
occiput, 329.
odeur, 110.
œc-, œd-, Œd-, etc., 75.
œil, 93.
œuf, 91, 93, 231-32.
œuvé, 95.
oignon, 49.
olim, 111.
olla podrida, 269.
on, 390-91.
onze, 153-54, 358.
opiat, 325.
opp-, 286.
orang-outang, 237, 362, 378.
oratorio, 111.
orchidée, 225.
orchis, 225, 303.
orée (à l’), 110.
orgueil, 93, 97.
orgueilleux, 97.
Orpheus, 92, 304.
ortie, 337.
os, 102, 304.
oscille, -ation, -er, 265.
osier, 110.
Osmanlis, 304.
osselet, ossement, etc., 109.
ost, 331.
Ostrogoth, 332.
otage, 111.
ouate, 153, 358.
oui, 152, 358.
ouïr, 358.
ouistiti, 153, 358.
Ourcq, 214.
ours, 310.
outlaw, 45, 126, 342.
outsider, 66, 120, 126.
ovale, 111.
ozone, 106.

P
pachyderme, 226.
pagaye (en), 191.
paie, paiera, 193.
palabre, 32.
Paladilhe, 273.
pali, 39.
palinod, 100, 229.
palis, 302.
pâme, -er, -oison, 33.
pampas, 301.
panem et circenses, 38.
paneterie, 173.
paon, 133.
papayer, 191.
papeterie, 172-73.
papille, 266.
Paraguay, 244.
paras-, 317.
parasol, 317, 318.
parfum, 124, 130.
parisis, 302.
Paros, 103, 304.
parqueterie, 172.
parrain, 37.
pascal, 38.
pass-, 323.
passe, passer, 22, 34.
passant, 37.
passeport, -poil, -menterie, 34.
passereau, 37.
pastel, pasteur, 38.
pastille, 265.
pat, 325.
pataquès, 60, 301.
pâte, pâté, pâtissier, pâtisserie, 33.
pater, 38, 295.
Pathmos, 103.
pathos, 103, 304.
Paul, Paule, 114.
Paulm-, 261.
paupière, 116.
paye, payera, 193-94.
pays, payse, etc., 190.
pechblende, 144.
pêcher, 73.
Peer Gynt, 78, 239.
pehlvi, 73.
Pélasges, -ique, 313.
pelleterie, 173.
Penmarch, 143, 221.
pent-, 141.
Pentateuque, 92, 141.
Pentecôte, 102, 141.
Penthièvre, 143.
perdrix, 344.
péril, 261.
Pernod, 100, 229.
perr-, Perr-, 298.
perron, 73.
peseta, 76, 318.
pétiole, 338.
Pétion, 339.
peu près (à), 95.
peut, peux, 91.
peut-être, 95.
Pézenas, 165, 301.
phaleuce, 92.
philh-, 273.
Phocyon, 110.
photo, 100.
piazza, -etta, 352.
pickles, 120.
pick-pocket, 327.
pied, 52, 228, 368.
pierreux, 73.
pippermint, 330.
piqueur, 94.
pitié, 334, 336.
pizzicati, 352.
placenta, 141.
placer, 295.
placet, 327.
plaisir, 85.
plaza, 352.
pleurer, 93.
pleut, 91.
plomb, 210.
pluie, 197.
plurier, 293.
plumbago, 149.
plumcake, 43, 125.
plum-pudding, 125.
plus, 306-307, 356, 374.
pneumonie, 96.
poêle, poêlon, 62, 200.
poème, poète, 112, 199.
poids, 229, 309.
poigne, poign-, 49.
Poitiers, 293, 295.
poireau, 50.
poitrail, poitrine, 50.
polaire, 109.
polenta, 144.
Polyeucte, 93.
Pompéi, 81, 119.
poney, 80, 110.
Pons, Saint-, 309.
Pont-, 332-33.
porc, 214-15.
porc-épic, 215, 363, 379.
posada, 318.
Poseidôn, 88, 148, 319.
post-, 322.
pot-, 100, 368.
Potsdam, 322.
pouls, 258, 309.
pourrai, 73, 297.
pourrir, 122, 299.
Pouzzoles-, -ane, 351.
praline, 37.
préciput, 329.
prélasse, -asser, 22, 34.
premier, 359.
présalé, 318.
prescience, 314.
préséance, 317.
présompt-, 285.
présu, présupposer, 317.
prêter, 73.
prétérit, 327.
Prévost, 331.
prévôtal, 109.
Privas, 301.
prix, 344.
pro- et pros-, 110.
Procyon, 110.
pro domo, 111.
profès, 301.
Progné, 245.
Prométheus, 92.
prompt et dér., 284-85, 329.
pronunciamiento, 124, 143.
prosecteur, 317.
prurit, 327.
psaume, 284.
pseudonyme, 96.
pschent, 139, 227.
puff, puffisme, 124.
puisque, 198, 312.
Pulcher, 224, 295.
Pulchérie, 224.
punch, 149, 221.
pupille, 266.
pusillanime, 270.
Puységur, 319.
Pyrr-, 299.

Q
quadr-, 291.
quaker, 43, 68, 291.
qualité, 290.
quand, 228.
quant et dér., 291.
quar-, 291.
quartz, 291, 351.
quasi et dér., 36, 291.
quassia, -ier, 291.
quat-, 291.
quatre, 296, 375.
queen-, 289.
quelque et dér., 262.
quér-, 288.
Quercy, -inois, 288-89.
questeur, -ure, 288.
quêter, 73.
quetsche, 289.
qui-, 289-90.
quidam, 129-30, 289.
quin-, 289-90.
quiproquo, 111, 289.
quorum, 111.

R
racahout, 329.
Rachel, 224.
rachis, 225, 303.
racle, racler, 31, 34.
raccroc, 100, 212.
radoub, 210.
rafle, rafler, 31, 34.
rail, 26, 88, 259.
railway, 88.
rainure, 85.
raison, 85.
Raleigh, 88.
rallye-paper, 43.
ramasser, -assis, 34.
Rambervillers, 295.
ramure, 37.
rang, 236, 362.
ranz, 350.
Raon-l’Etape, 133.
Raoul, 41.
raout, 45, 329.
rapt, 331.
rareté, 35.
raye, 193.
raz-de-marée, 350.
razzia, 351.
Reber, 76.
record, recordman, 76.
refléter, 170.
réfréner, 170.
registre, 170, 312.
Regnard, 170, 283.
Reichstag, 88.
Reims, 309.
reine-Claude, 218.
reliquat, 291.
Rembrandt, 135, 144, 228, 330.
Remi, 171.
René, 170.
renseignement, 166.
résection, -séquer, 317.
respect, 216, 362.
ress-, 171, 320.
ressemeler, 171, 175.
retable, 169.
Rethel, 170.
Retz, 60, 332, 351.
Reuss, 92.
revolver, 76.
Reynolds, 88.
rez-de-chaussée, 53, 350.
rhinocéros, 102, 304.
rhododendron, 141, 148.
rhum, -merie, 124.
rien, 136, 390.
rifle, 120.
rigaudon, 116.
Rigi, Righi, 239.
right, 120, 246.
Riom, 130.
risoluto, 318.
rit, 327.
riz, 350.
Roanne, 200.
Rob-Roy, 50.
rocking-chair, 88.
Rochechouart, 165.
rococo, 111.
Rodez, 351.
Rœderer, 76-77.
Rol-, Roll-, 110, 272.
romancero, 76.
rosace, rosat, rosier, etc., 110.
rotang, 238.
rôtir et dér., 109.
Rothschild, 110.
Rouen, 74, 137.
rouennais, -erie, 74, 75.
roule, -er, -ure, 122.
Rubinstein, 146.
Rueil, 65, 93, 260.
ruolz, 351.
Ruskin, 126.
rut, 329.
Ruysdaël, 24, 79.

S
Saa-, 39.
sable, sabler, 30, 34.
sabre, sabrer, 32, 34.
saigner, 85.
Saïgon, 88.
Saint-Aignan, 87.
Saint-Brieuc, 90, 212.
Saint-Genest, 331.
Saint-Germain-en-Laye, 191.
Saint-Graal, 24.
Saint-Just, 331.
Saint-Maixent, 347.
Saint-Mesmin, 73, 313.
Saint-Ouen, 137.
Saint-Priest, 331.
Saint-Saëns, 134, 139, 140, 308-309.
Saint-Valéry, 165.
Saint-Wast, 331.
Sainte-Menehould, 164, 262.
Sainte-Wehme, 57, 341.
saisir, 85.
Salammbô, 135.
Salisbury, 121, 126.
Salomon, 110.
Salzb-, 352.
samouraï, 119.
Samoyèdes, 192.
Samson, 129.
sanatorium, 111.
sanct-, 218.
sandwich, 226.
sang, 236, 362.
sangui-, 243.
Santeul, 93, 258.
Santillane, 268.
Saône, 41.
saoul, 39.
sapientiaux, 142.
Sarajevo, 255.
Sardaigne, 87.
Sarmatie, 337.
sarrau, 37.
Satan, 37.
satisfecit, 328.
Satyricon, 148.
sauf, 114.
Saulxures, 347.
saur, 114.
saur-, 115.
savoyard, 190, 191.
scabreux, 37.
Scager-Rack, 239.
Scaliger, 239, 295.
sce-, sci-, Sce-, Sci-, 314.
Scha-, Sché-, etc., 227.
schako, 227.
schampoing, 145.
scheik, 88.
schéma, schème, 227.
scherzo, 227, 351.
Schiedam, 227.
schisme, schiste, 227.
schola cantorum, 227.
Schubert, Schumann, 125, 227.
Schlitz, 351.
scille, 266.
scintille , -iller, 265.
scintillation, 265, 270.
scorbut, 329.
scotie, 338.
scottish, 323, 340.
sculpter, 285.
second, Second, et dér., 218.
secrétaire, 170.
secundo, 149.
Sedan, Sedaine, 170.
Sées, Séez, 56, 350.
Segrais, Segré, 170.
seigneurie, 165.
seing, 236.
Seltz (eau de), 351.
semoule, 264-265.
sempiternel, 142.
séneçon, senestre, 170.
Senef, 170.
Senlis, 303.
señor, señora, 280.
sens, Sens, 139, 308, 309.
sept, 285, 326.
sept-, 285.
septentrion, 141.
Séquanes, 291.
séquestre, 288.
serrer, serrure, 73, 298.
ses, 54.
Séverin, 165.
Séville, 267.
Seymour, 88.
sexa-, 349.
sh-, Sh-, 323.
Shanghaï, 28, 238, 323.
Shakespeare, 45, 323.
shelling, 145, 323.
Shylock, 89, 121.
Sichem, 224.
sien, 136, 387.
Siegmund, 78, 125.
signe, signer, 282-283.
signet, signifier, 282.
silhouette, 273.
sille, 266.
singleton, 148.
sirop, 100, 284.
six, 345, 346.
sixain, sixième, 348.
skating, 43, 145, 238.
sloop, 113.
smala, 37.
snow-boot, 113, 343.
soit, 325-326.
soixante, 347.
sol, 258.
solennel, solennité, 74, 131.
Solesme, 63.
soliste, solo, 111.
sot-l’y-laisse, 99-100, 328.
sotie, 337.
soubassement, 35.
soubresaut, 318.
Souchong, 227, 238.
souhait, souhaiter, 87, 198.
souiller, souillon, 122.
soûl, 258.
Soult, 331.
sourcilière, 262.
soye, soyent, 163, 194.
Soyecourt, 192.
spahis, 303.
sparadrap, 284.
spécimen, 138.
speech, 78, 226.
spencer, 66, 144.
Spinosa, 110.
sport, 330.
squale, 291.
squameux, 291.
square, 42, 291.
squirre, 289.
Staël (Mᵐᵉ de), 79.
stagnant, -ation, 245.
Stanley, 80, 135, 280.
steam-boat, 45.
steeple-chase, 43, 76, 226.
Stendhal, 144.
stentor, 142.
sterling, 145.
stipendier, 141.
stout, 329.
strass, 23, 300.
stratus, 38.
Stuart Mill, 330.
subit, 387.
subs-, 202, 315.
succinct, 217, 330.
sud, 229.
Suez, 351.
Suffren, 138.
Sully, 269.
Sund, 149.
supp-, 286.
suprématie, 73.
surseoir, sursis, 315.
sus, en sus, 307.
susdit, sus-, 312.
suspect, suspecte, 216.
susurrer, 318.
Swinburne, 126, 146.
syll-, 272.
symptôme, 285.
symptomatique, 109.

T
tabac, 212.
tachygraphie, 226.
Tagliamento, 246.
Taitbout, 332.
Talleyrand, 86.
talmud, 229.
tandis que, 312.
Tanger, 294.
Tanit, 328.
taon, 133.
tarbouch, 221.
tarentelle, -tule, 142.
Tarn, 280.
tarot, 37.
tasse, tasser, 22, 34.
Tasse (le), 23.
tasseau, 37.
tatillon, 33.
taureau,-omachie, 115.
tayaut, tayon, 191.
Taylor, 88.
tea-gown, 45, 343.
Tempé, 143.
temps, 284, 309.
ténacité, 169.
tender, 144.
tennis, 281, 303.
tentacule, 142.
térébenthine, 142.
terr-, 73-74, 297-98.
terre-neuvas, 95.
tes, 54.
tétanos, 103, 104.
têtu, 72.
Teutatès, teuton, 96.
Thaon, 133.
thésis, 303, 318.
Thiers, 293, 295.
thuya, 192.
thym, 130.
ticket, 327.
Tiepolo, 78.
tiers, 294, 383.
tilbury, 126.
time, times, 120.
titille, 266.
Titye, 337.
toast, 45, 110.
Tolstoï, 81, 119.
tomahawk, 43, 342.
Tonneins, 309.
toper, 110.
torero, 76.
Torquatus, 291.
Torquemada, 289.
torr-, 298.
toton, 111.
tournesol, 318.
tous, 121, 304-5, 377.
trabucos, 304.
trachyte, 226.
trahison, 249.
tranquille et dér., 266, 269.
trans- devant voy., 319.
transe, transi, 319.
transept, 319, 331.
transit, 319, 327.
transs-, 322.
Transvaal, 24.
trépasse, -er, 22, 34.
trescheur, 224.
Tréville, 75.
trichine, -ose, 225.
triumvirat, 123, 274.
trois, 301.
trop, 100, 284, 360.
truie, truite, 197.
trust, 126.
tub, 125.
tunnel, 126.
turf, 126.
tutie, 338.
tutti, 124, 340.
tuyau, tuyère, 192.
typo, 100.

U
Ubaye, 191.
ubiquité, 290.
uhlan, 124, 155, 358.
Uhland, 125, 135.
ulster, 126.
un, 153-154, 280, 358, 389.
unis-, 317.
Ur, 125.
Uruguay, 244.
us, 306.
Utrecht, 221, 330.

V
vacille, -ation, -er, 265.
Valachie, 224.
valet, 37.
Valladolid, 269.
Valparaiso, 88.
Valréas, 301.
Van Dyck, 121.
Vanloo, 113.
Van Swieten, 78.
varech, 221.
vasistas, 23, 300.
vindas, 300.
Vaugelas, 301.
vaudrai, vaurien, 115.
vayvode, 88.
vedette, 170.
veglione, 246.
Véies, 81, 119.
Velay, 170.
vendémiaire, 142.
vendetta, 144, 330.
ventôse, 142.
Ventoux, 141.
ver, 294.
verdict, 217, 330.
vergeure, 240.
vergiss mein nicht, 88, 239, 341.
vermout, 329.
verr-, 298.
verrai, 73, 297.
verrée, verrière, 73.
verroterie, 74.
vers, prép., 385.
verticille, 266.
veule, 92.
veut, veux, 91.
veuve, 94.
veux-je, 93.
Vevey, 170.
Vill-, Villa-, 269-70.
villanelle, 270.
ville et dérivés, 266-7, 269.
Villon, 267-8.
Vinci, 146, 219.
vingt, 236, 329-30.
Vintimille, 246.
violoncelle, 220.
vis, tournevis, 302.
vitchoura, 223.
vivat, 325.
vivisection, 318.
Vogüé, 242.
volontiers, 293, 295.
vomir, 110.
vooruit, 113, 328.
Vosges, 104, 313.
votre, 296.
voyons, 189.
voyou, 191.
vraisemblable, 318.

W
Wallace, 342.
Walter Scott, 342.
Warens (Mᵐᵉ de), 140, 308.
Washington, 146, 148, 342.
water-closet, 327.
Waterloo, 113, 342.
Waverley, 342.
Weber, 76.
Westphalie, 332.
Wieland, 78.
Wiesbaden, 78, 279.
Wisconsin, 146, 149, 342.
Wiseman, 134, 319, 342.
Wisigoths, 332.
Witikind, 228.
Wright, 120, 246, 342.
wigh, 238.
Wight, 120, 246, 342.

X
x ou X initial, 349-350.
Xaintrailles, 349.
Xanthe, etc., 349.
Xavier, 349.
Xéno-, 349.
Xérès, 350.
Xerxès, 347, 349.
Ximénès, 350.
xylo-, 349.

Y
yacht, 44, 152, 358.
yatagan, yole, etc., 152, 358.
Ysaye, 191.
Yseult, 90, 261, 331.
yucca, 125.

Z
z ou Z initial, 351-52.
zélé, 73.
zend, 139, 229.
Zeus, 92, 304, 352.
zinc, 214.
Zollverein, 88, 352.
Zug, 125, 351.

{409}

TABLE DES MATIÈRES

  Pages.
Préface1
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

LES LETTRES
Classification des voyelles2
Classification des consonnes7
Quelques considérations générales sur l’accent tonique9
Autres observations générales14
PREMIÈRE PARTIE

LES VOYELLES
I.—La voyelle A18
1º L’a final18
2º L’a suivi d’une consonne articulée20
I. a bref21
II. a moyen23
III. a long28
3º L’a suivi des groupes à liquides30
4º L’a atone32
5º Quelques cas particuliers39
6º L’a des mots anglais41
7º Le groupe OI (oy)45
I. OI tonique46
II. Le groupe oign48
II.—La voyelle E51
1º L’e final51
I. e final fermé52
II. e final ouvert55
2º L’e suivi d’une consonne articulée57
I. e bref57
II. e moyen61
III. e long65
3º L’e suivi des groupes à liquides68
4º L’e atone71
5º Quelques cas particuliers74
6º L’e des mots étrangers76
7º Les groupes AI (ay) et EI (ey)79
I. AI final79
II. AI suivi d’une consonne articulée82
III. AI atone85
IV. Le groupe aign87
V. Les mots étrangers88
III.—La voyelle EU90
1º EU final90
2º EU suivi de consonnes articulées91
I. EU fermé91
II. EU ouvert93
3º EU atone95
IV.— La voyelle O98
1º L’o final98
2º L’o suivi d’une consonne articulée101
I. o fermé101
II. o ouvert bref102
III. o ouvert moyen103
IV. o ouvert long108
3º L’o suivi des groupes à liquides108
4º L’o atone108
5º L’o de quelques mots étrangers112
6º Le groupe AU113
I. AU tonique113
II. AU atone115
V.—Les voyelles I (y), U, OU117
1º La voyelle I117
2º L’i dans les mots étrangers120
3º U et OU121
4º L’u dans les mots étrangers124
VI.—Les voyelles nasales127
1º Comment se prononcent et s’écrivent les voyelles nasales127
2º De quelques nasales intérieures, disparues ou conservées131
3º Les cas particuliers de la nasale an133
4º Quand le groupe en se prononce-t-il an ou in?136
I. En final136
II. En suivi d’une consonne finale138
III. En atone140
IV. Les mots étrangers143
5º Les cas particuliers de la nasale in145
6º Les cas particuliers de la nasale on148
7º Les cas particuliers de la nasale un149
VII.—L’E muet150
1º Considérations préliminaires sur l’e non muet et l’élision150
2º La prétendue loi des trois consonnes155
3º L’e muet final dans les polysyllabes158
I. Dans les mots isolés158
II. Devant un autre mot159
4º L’e muet à l’intérieur des mots160
I. Entre voyelle et consonne160
II. Entre consonne et voyelle161
III. Entre deux consonnes162
IV. Dans la syllabe initiale168
5º L’e muet intérieur dans deux syllabes consécutives172
6º L’e muet dans les monosyllabes175
I. Un monosyllabe seul176
II. Deux monosyllabes consécutifs178
III. Trois monosyllabes consécutifs180
IV. Plus de trois monosyllabes consécutifs.180
7º Conclusions181
VIII.—Les semi-voyelles186
1º Divorce entre la poésie et l’usage186
2º La semi-voyelle y187
I. Après une consonne189
II. Décomposition de l’y entre deux voyelles190
III. Changement de l’y en i193
IV. L’i ou y grec initial devant une voyelle194
3º La semi-voyelle u196
4º La semi-voyelle ou198
DEUXIÈME PARTIE

LES CONSONNES
1º Le changement spontané des consonnes201
2º Quelques observations générales205
Note sur la prononciation du latin209
B210
C212
1º Le c final212
2º Les mots en -ct215
3º Le c intérieur217
CH221
1º Le ch final221
2º Le ch intérieur221
I. Devant a, o, u222
II. Devant e et i223
D228
F231
G236
1º Le g final236
2º Le g devant une voyelle238
3º Le groupe gu devant une voyelle241
4º Le g devant une consonne244
H247
1º L’h final ou intérieur247
2º L’h initial, muet ou aspiré247
3º La loi de l’h initial249
4º Les exceptions251
J255
K257
L258
1º L’l final et les mots en il258
2º L’l intérieur261
3º L’l double après un i264
I. Les finales muettes en ille265
II. Le groupe ill intérieur267
4º L’l double ailleurs qu’après un i270
M274
1º L’m simple274
2º L’m double275
N279
1º L’n simple279
2º L’n double281
L’n mouillé282
P284
Q287
1º Le q final287
2º Le groupe qu287
I. Devant e288
II. Devant i289
III. Devant o et a290
R292
1º L’r simple292
2º L’r double296
S300
1º L’s final300
2º L’s intérieur311
I. Devant une consonne311
II. Entre consonne et voyelle315
III. Entre deux voyelles316
IV. Entre une voyelle nasale et une autre319
3º L’s double320
T325
1º Le t final325
2º Le t intérieur et le groupe ti332
3º Le t double339
V et W341
X et Z344
1º L’x final344
2º L’x intérieur347
3º Le z350
Récapitulation des consonnes353
LES LIAISONS
Quelques considérations préliminaires355
Liaisons des muettes360
1º Les labiales et les gutturales360
2º Les dentales, d et t363
I. Les verbes363
II. Adjectifs et adverbes364
III. Les substantifs367
IV. Après un r368
Liaisons des spirantes370
1º Les chuintantes et les fricatives370
2º Les sifflantes, s, x, z371
I. Les différentes espèces de mots372
II. Les pluriels375
III. L’s après l’e muet379
IV. L’s après un r383
Liaisons des nasales386
Index alphabétique des finales393
Index alphabétique des principaux mots et noms395
Table des matières409

Imp. Larousse, 1 à 9, rue d’Arcueil, Montrouge (Seine).

NOTES:

[1] Domergue, Manuel des étrangers amateurs de la langue française, 1805 (les exemplaires de 1806 portent pour premier titre la Prononciation française); Mᵐᵉ Dupuis, Traité de prononciation ou Nouvelle Prosodie française, 1836.

[2] Le Traité complet de la prononciation française de Lesaint, même revu et complété en 1890 par le Professeur Dʳ Chr. Vogel, est fait sans méthode, et ne peut avoir aucune autorité: il prononce encore scouère, et ton, pour ta(o)n, et mosieu, etc., sans parler de Haydn prononcé èdn, avec Ghy-ane et Ghy-enne. Puis, voici M. Sudre, docteur ès lettres, professeur à la Guilde internationale, qui trouve très légitime qu’on prononce cinque francs ou neufe sous, qui admet aspè, aspec ou aspect et préfère aspect! Le reste à l’avenant. Voilà ce qu’on enseigne aux étrangers. Un autre, professeur au Conservatoire, enseignait aux Français qu’«on commence à pouvoir dire: une main habile.» (Dupont-Vernon, l’Art de bien dire.)

[3] Ou bien il a des formules singulières comme celle-ci: Beaucoup de personnes (!) ne prononcent pas f dans les bœufs.

[4] Je ne parle pas de Littré, qui en cette matière est déjà suranné sur beaucoup de points, notamment par son obstination à maintenir le son de l’l mouillé, et à séparer des syllabes que tout le monde réunit. Littré n’est déjà plus qu’un témoin historique, d’ailleurs infiniment précieux.

[5] Jusqu’à la lettre O, la finale-aille est ouverte presque partout; ensuite elle est généralement fermée.

[6] Par exemple, il identifie pour la prononciation grêle adjectif et grêle substantif; il fait l’a final bref dans vasistas, et ferme au dans aurore ou augmenter, etc.

[7] Il croit que l’a est fermé dans crasse et dans latrines; il prononce coïncidence comme coin; quadrilatère par coua ou ca, et plutôt ca, joigne avec oua ou ouè, frêlon avec e ouvert, asymétrie et imprésario avec des s doux, enharmonique avec un h aspiré; il croit qu’on peut dire indifféremment échev’lé ou éch’vélé, déjà ou d’jà, quérir ou qu’rir, des gentilzhommes ou des gentil(s)hommes, hai(e) ou haye, gen(s) ou gensse; il admet la suppression du c dans sanctuaire, sanction et sanctifier; celle du p dans cep et septembre; il s’imagine que des bouches françaises peuvent encore garder une diphtongue dans des mots comme meurtrier, encrier, bouclier, sablier, etc.: il excepte seulement ouvri-er!

[8] Je recommande particulièrement à ce point de vue le chapitre de en prononcé an ou in, ou celui du groupe ti devant une voyelle.

[9] Nous le citerons cependant, vu son importance, au même titre et dans les mêmes cas que le Dictionnaire général.

[10] Les éléments de ces notes historiques sont naturellement empruntés au livre de Thurot: de la Prononciation française depuis le commencement du XVIᵉ siècle, 1881-1883. A défaut de ce livre capital, ceux qui s’intéressent à ces questions trouveront encore la plupart des renseignements nécessaires dans Rosset, les Origines de la prononciation moderne, 1911.

[11] Ceci ne peut suffire que pour les poètes:

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.

Mais quel E ou quel O? celui d’écho ou celui d’orge? Et les autres sons?

[12] Par exemple cacique, gigot, salutation.

[13] Ces questions sont certainement un peu arides. Mais le lecteur qui ne s’intéresse qu’aux faits, et ne tient pas à s’en rendre compte méthodiquement et par principes, peut très bien passer directement au chapitre de la voyelle A. Il reviendra ensuite sur les principes, si le cœur lui en dit. Je dirai même que pour le lecteur qui n’est pas initié, mieux vaut sans doute commencer par les faits: il comprendra mieux les principes après cette étude préliminaire, et c’est toujours une bonne méthode que d’aller du concret à l’abstrait.

[14] On voit que la voyelle fermée est aiguë, et que la voyelle ouverte est grave. On pourrait donc employer ces mots les uns pour les autres. Mais comme il convient de choisir, pour simplifier le vocabulaire, nous emploierons les deux termes ouvert et fermé, qui sont ceux dont les autres voyelles s’accommodent le mieux.

[15] Cette distinction est si nette que ces mots ne sauraient d’aucune façon rimer ensemble correctement, malgré l’exemple de V. Hugo, qui rapproche constamment trône de couronne, ou rôle de parole.

[16] Cette distinction n’apparaît pas d’abord manifestement; mais une expérience facile, indiquée par l’abbé Rousselot (voir son Précis de prononciation, page 39), montre que le mot est en somme parfaitement exact: si l’on prononce normalement la voyelle a, et si, sans rien changer à la position de la bouche, on en rapproche et retire alternativement la main, on sentira nettement ce que c’est qu’un a fermé; or la main fait ici l’office du gosier. Ajoutons, pour mieux caractériser encore l’a fermé, qu’il se rapproche de l’o, au moins à Paris.

[17] Il s’agit ici bien entendu du c et du g tels qu’on les entend devant a, o, u, et non transformés en d’autres consonnes, comme ils le sont devant e et i.

[18] On ne le retrouve guère que dans certaines parties du Midi et en Suisse. Peut-être y a-t-il encore des instituteurs qui s’efforcent de le rétablir sous la forme ly: alyeurs pour ailleurs, mais c’est autre chose, et c’est peine perdue. Il est encore plus vain de vouloir restaurer ce son disparu du français que de s’obstiner à faire vibrer l’r.

[19] Voir sur ce point Léonce Roudet, la Désaccentuation et le déplacement d’accent dans le français moderne, dans la Revue de philologie française, 1907.

[20] Voir Roudet, article cité. Toutefois l’auteur me semble réduire à l’excès le nombre des syllabes accentuées en fait. Il y a en moyenne un accent, plus ou moins fort, par groupe de trois syllabes, et c’est pourquoi il y a en moyenne quatre accents dans un alexandrin, l’accent étant sur la dernière syllabe non muette de chaque groupe. Ainsi dans ce vers:

Laissez-moi , vous dis-je, et courez vous cacher,

il n’y a que quatre accents, mais il y en a quatre: sur , dis, rez et cher.

[21] Acte de volonté qui devient d’ailleurs facile et même inconscient, grâce à l’habitude, mais qui n’en subsiste pas moins, comme ceux qui dirigent les doigts du pianiste, même dans les «traits» les plus faciles, où le jeu semble le plus machinal.

[22] On voit que l’accent dit aigu, quand il n’est pas final, surmonte presque toujours un e à demi ouvert; pourtant l’é initial est souvent moins ouvert que l’é intérieur.

[23] Je ne parle pas, bien entendu, des noms étrangers, comme Brahms, où l’h allonge l’a, à côté de rams, qui a l’a bref.

[24] Exactement et en fait, les groupes sont: bl, cl, fl, gl, pl, et br, cr, dr, fr, gr, pr, tr, vr. C’est ce que les grammairiens appellent muta cum liquida. Mais nous savons que les muettes sont b et p, c et g, d et t; f et v sont des spirantes (labiales ou fricatives). On voit qu’en principe, parmi les muettes, d, t, v, ne se groupent qu’avec l’r, en français; quant aux autres spirantes, s et z, ch et j, elles ne se groupent même pas avec l’r: quand par hasard elles en rencontrent un, comme dans Is-raël, ce qui est rare, elles n’appartiennent pas à la même syllabe.

[25] Les plus nombreuses sont précisément celles dont la première consonne est l ou r, comme -arbe, -arc, -arde, etc.

[26] On sait que cet accent tient presque toujours la place d’une lettre disparue, généralement un s, qui ne se prononçait plus, mais dont la présence allongeait la voyelle. Seulement, quand la syllabe qui a l’accent circonflexe est finale, l’allongement ne se fait plus sentir: aimât, forêt et bientôt (de même que reçût ou fît) ne se prononcent plus autrement qu’aima, foret et paletot. Il en est de même, disons-nous, de aimâmes et aimâtes, comme de fîmes ou reçûmes. Et ceci n’est pas nouveau: Mᵐᵉ Dupuis l’avait déjà constaté. Nous signalerons, en temps et lieu, les autres exceptions. D’ailleurs, comme les mots à accent circonflexe sur la finale ne sont pas très nombreux, on les trouvera tous dans les notes.

[27] Sauf, très mal à propos, les trois noms de mois en -ose: nivôse, ventôse et pluviôse.

[28] Le Dictionnaire général donne la fermé et fa ouvert: c’est certainement une erreur, si ce n’est pas une faute d’impression. On notera en passant que les noms des voyelles intermédiaires, é, eu, o, et ceux des consonnes qui s’énoncent avec un e à la suite, b, c, d, etc., sont également fermés, ainsi que les notes do ou , car tous appartiennent à des finales fermées.

[29] La preuve, c’est que beaucoup d’h sont tombés, notamment dans casba, véranda, smala, massora, et même poussa, et les noms de lieux arabes, comme Blida; mais ceux qui restent ne se sentent guère plus, par exemple dans sura(h), ou même sha(h), surtout dans sha(h) de Perse, ou Jéhova(h): je ne vois guère qu’Allah, où l’on maintienne parfois, par un effort volontaire, l’a long et fermé.

[30] Cette identité de prononciation entre les singuliers et les pluriels est déjà constatée par Mᵐᵉ Dupuis; mais les voyelles sont restées longues et fermées pendant longtemps au pluriel, en souvenir du temps où l’s se prononçait; elles ne le sont plus aujourd’hui que dans certaines provinces.

[31] Sauf bien entendu bât, dégât, mât, appât, où l’a est encore un peu fermé par l’accent circonflexe, qui a remplacé l’s antérieur; mais cette différence même est en voie de disparaître. C’est déjà chose faite, nous l’avons dit, pour les subjonctifs: aimât (pour aimast) ou aima ne diffèrent plus en rien, et malheureusement la confusion des prononciation amène parfois la confusion des formes elles-mêmes.

[32] Sans aucun souci de l’étymologie, comme on peut voir. Ainsi l’a de pénates ou sonate, qui était long en latin ou en italien, est bref en français; de même pour s’évade ou arcane.

[33] Je ne parle pas bien entendu des finales dont il est question page 38: algue, calme, Alpes, salve, apte, rhubarbe, charge, écharde, écharpe, etc.: on sait que l’a n’y est jamais long ni fermé.

[34] Il s’agit bien entendu du c guttural et non du c spirant ou sifflant de ce et ci.

[35] De même Balzac ou Aurillac, Karnak, Bach ou Andromaque. On excepte Isaac et Jacques, dont l’a est fermé, et naturellement Pâque et Pâques, pour Pa(s)que. D’ailleurs Isaac s’est longtemps prononcé isac, où la contraction naturellement allongeait la voyelle. La réaction orthographique a fait rétablir le premier a, mais l’effort fait pour distinguer les voyelles maintient l’allongement de la seconde. En revanche, on ouvre ordinairement l’a dans les Jacques (d’où Jacquerie, et peut-être jaquette), et dans faire le Jacques.

[36] De même Gap, Priape, Chappe, Esculape, Jemmapes, la Trappe.

[37] On exclut, bien entendu, hâte, bâte, gâte, mâte et démâte, pâte, empâte et appâte, et hâte, qui tous ont perdu un s. L’a est douteux dans Pilate, seul parmi les noms propres: cf. Josaphat, Croates, Hécate, Agathe, Dalmates, Carpathes, Socrate, etc.

[38] De même Malgache, Gamache, Carrache, Eustache, etc. On excepte naturellement bâche, rabâche, fâche, gâche, lâche, relâche, mâche (substantif ou verbe) et tâche (ne pas confondre avec tache): tous avaient un s, sauf bâche et mâche (salade), qui ont pris l’accent circonflexe par analogie.

[39] Sauf pour rimer avec châsse et grâce, dont l’accent circonflexe est d’ailleurs assez mal justifié. Quant à crasse, il est toujours ouvert, et a toujours été bref, et je ne sais pourquoi Michaëlis et Passy distinguent ici l’adjectif du substantif: c’est le même mot. Savantasse a eu l’a fermé; il s’est ouvert, par analogie avec tous les mots où le suffixe asse prend un sens péjoratif. Masse, terme de jeu, a aussi été long. D’autres encore ont été longtemps discutés. Ajoutons que l’a est long dans Annemasse et Grasse, et bref dans le Tasse, comme dans tous les autres noms propres: Paillasse, Madécasses, Sargasses, aussi bien que Curiace, Ignace, Boccace, Daces, Laplace, Horace, Thrace, Alsace, etc.

[40] Le Dictionnaire général, qui s’en rapporte trop facilement à l’étymologie, conserve l’a ouvert et bref dans stras (du nom propre Strass) et vasistas (de l’allemand was ist das), et même dans hypocras; il ne distingue pas entre ce qui devrait être et ce qui est.

[41] Entendez le g guttural, et non le g chuintant qu’on entend dans ge et gi.

[42] Le Dictionnaire général le fait ouvert, et il a certainement raison en principe, sinon en fait. On se demande ce qui a pu amener cette prononciation singulière, qui remonte fort loin. Cet a finira probablement par s’ouvrir là comme ailleurs, un jour où l’autre, à cause du b, comme a fait l’o de globe et lobe, qui jadis était fermé aussi. L’a de Souabe est aussi bref que celui de Mab ou Achab.

[43] De même Joad, Tchad, Timgad, Alcibiade, Henriade, Pléiades, etc.

[44] L’a est moins ouvert dans Reichstag et Landtag, mots étrangers, que dans zigzag. Il est ouvert dans Agag, Copenhague, Birague, Prague, etc.

[45] Ce sont hâle, mâle et râle (verbe), qui ont perdu un s, avec râle, oiseau (pour raalle), châle et pâle, dont l’accent est peu justifié. On y joindra Bâle, qui a aussi perdu un s, et Domba(s)le, qui a gardé le sien: cf. Duche(s)ne, Ne(s)le, etc. Saint-Graal et Ruisdaël, où on ne prononce qu’un a, ont aussi la finale longue et fermée, et l’obligation de distinguer deux a paraît fermer à demi l’a final de Baal ou Transvaal. L’a est ouvert dans les autres noms propres, Montréal, Martial, Annibal, Portugal, Cantal, Lamballe, Cancale, Bengale, saint François de Sales, Ambarvales, etc.

[46] A ces mots il faut ajouter brahme, à cause de l’h, sans compter âme (pour an-me nasal), blâme et pâme, qui ont perdu leur s, et infâme (par réaction étymologique, et aussi par emphase, car il avait autrefois l’a bref, comme diffame). Pour ne pas trahir le poète, mais pour ce motif seulement, il faudra prononcer brame avec a fermé dans ces vers:

Elle brame
Comme une âme
Qu’une flamme
Toujours suit.
V. Hugo, les Djinns.

La double voyelle paraît fermer à demi l’a final dans Balaam et Abraham, comme ci-dessus dans Isaac ou Baal; il est ouvert dans les autres noms propres, Roboam, Priam, Annam, Bergame, Pyrame, etc.

[47] Le Dictionnaire général donne à ce mot l’a ouvert et moyen. L’accent circonflexe est seulement dans âne, pour a(s)ne, dans flâne (étym. inconnue), mânes, qui garde l’a long du latin, et crâne (dont l’allongement ne s’explique pas). On ferme aussi assez généralement l’a de Jeanne, quand il n’y a pas de nom à la suite (moins, par exemple, dans Jeanne d’Albret). Beaucoup de gens disent encore Anne avec a fermé et long, et surtout Marie-Anne, sans doute afin de distinguer ce prénom de Marianne. D’ailleurs Marianne aussi eut autrefois l’a long, puisqu’on l’écrivait Mariamne, comme condamne, et Diane également, à cause de l’étymologie. Cet a est bref et ouvert aujourd’hui, comme dans les autres noms propres, Ariane, Guyane, Toscane, Modane, Aristophane, Tusculanes, Tigrane, Fontanes, etc., aussi bien que Cannes, Lannes, Suzanne, Lausanne, ou Ahriman et les noms étrangers en -mann; on doit le fermer dans Hahn, à cause de l’h qui le suit.

[48] Le Dictionnaire général les fait longues par principe.

[49] Ceci reste du temps où ce mot se prononçait gan-gne. L’a est ouvert également dans Ascagne, Cerdagne, Allemagne, Espagne, etc.

[50] C’est-à-dire a, suivi d’un l mouillé, mais qui se prononce en réalité comme a-ye, l’ancien son mouillé étant complètement perdu.

[51] Prononcé à l’anglaise, nous le retrouverons à ai, avec mail-coach.

[52] Il est remarquable qu’au contraire la même intention péjorative tend plutôt à ouvrir et abréger l’a de la finale -asse.

[53] Je sais bien que d’aucuns ferment et allongent autant qu’ils peuvent où voulez-vous que j’aille; mais cela ne sent-il pas un peu le faubourg extérieur?

[54] Ce mot est le seul pour lequel le Dictionnaire général hésite. Mais d’ailleurs sa doctrine a singulièrement changé au cours de l’impression: jusqu’à la lettre O, tous les a sont ouverts, sauf dans godaille et quelques verbes en -ailler; à partir d’O, l’a fermé l’emporte de beaucoup; mais pourquoi relevailles et trouvaille ont-ils l’a ouvert, à côté de semailles et volaille, qui l’ont fermé?—Il va sans dire qu’à Paris on fait l’a long et fermé dans Versailles, et aussi dans Cornouailles ou Xaintrailles, et même dans Noailles.

[55] De même Biscaye, Lucayes, Hendaye, Blaye. On prononce Baïes de la même façon, et aussi quelques mots étrangers en -aï, comme Shanghaï: voir page 119, note 2.

[56] Il me semble qu’il ne l’est plus dans les noms propres, Baléares, Icare, Pindare, Bulgare, Ténare, Saint-Lazare, etc. Faute d’avoir distingué entre bref et ouvert (qu’il appelle aigu), comme entre long et fermé (qu’il appelle grave), Thurot a manqué de précision et d’exactitude, autant que les grammairiens qu’il cite, en ce qui concerne les finales en -re. J’ajoute, en passant, que, dans le même chapitre de la quantité, il a oublié les finales en -se doux (-ase, -èse, etc.).

[57] De même Astyage, Pélage et même Péla(s)ges, Ménage, Abencérages, Carthage, Caravage, etc.

[58] Peut-être l’a est-il un peu plus bref dans les formes verbales: il bave, pave ou grave, par analogie avec baver, paver, graver; cette distinction a déjà été faite par un grammairien du XVIIᵉ siècle, Chifflet, qui cependant exceptait encave, évidemment à cause de cave. Tous ces mots ont été autrefois très discutés. L’a a également une tendance à se fermer dans les noms propres, Moldaves, Barnave, Moraves, Tamatave, Octave, Gustave, etc.

[59] De même Anabase, Caucase, Las Cases, Métastase, Diaz, Hedjaz, Decazes, etc.

[60] Le Dictionnaire général fait l’a long partout, mais l’ouvre aussi partout, sauf dans fable: pourquoi celui-là seul? Quant à l’accent circonflexe, il n’y avait guère de raison pour que ceux qui l’ont le prissent plutôt que d’autres; pourquoi pas fâble comme hâble?

[61] Sans parler de bâcle, débâcle et renâcle, dont l’accent circonflexe est peu justifié.

[62] Il n’y a pas de mots en -agle. L’a est ouvert dans Naples ou Étaples.

[63] L’a est naturellement long et fermé dans âpre et câpre, qui avaient un s, dans âcre (mot savant qui a conservé la quantité latine, qu’il aurait perdue sans l’accent), dans bâfre (onomatopée probable), et dans une trentaine de mots en -âtre, pour a(s)tre, y compris ceux qui désignent des couleurs approchantes, blanchâtre, bleuâtre, etc. Il est ouvert dans Odoacre ou Saint-Jean-d’Acre, Affre et Cafre et aussi dans La Châtre, malgré l’accent circonflexe; il est fermé dans Malfilâtre et Cléopâtre.

[64] De même Œagre, Méléagre, Tanagre.

[65] Le Dictionnaire général l’ouvre dans escadre; mais c’est évidemment l’étymologie qui le détermine et non l’usage, car, dans la marine, on ferme l’a, et je pense que l’usage des marins doit être considéré ici comme le bon.

[66] Michaëlis et Passy, qui ferment beaucoup d’a, ferment encore celui de ladre et aussi celui de macle, et celui d’affres, et acceptent même qu’on ferme celui de nacre!

[67] Le Dictionnaire général ouvre l’a dans cinabre et glabre: il ignore palabre. L’a est aussi fermé le plus souvent dans Fabre, Labre, Calabre, Vélabre, Cantabre, comme dans Le Havre ou Jules Favre.

[68] C’est là encore un phénomène général qui se retrouve dans toutes les voyelles, car toutes sont longues devant la finale -re et s’abrègent en devenant atones sans être initiales: vénère-vénérer, honore-honorer, demeure-demeurer, admire-admirer, murmure-murmurer.

[69] Il faut excepter bâbord, qui doit son accent à des grammairiens trompés par une fausse étymologie: bas n’y est pour rien, et l’a de bâbord a toujours été aussi ouvert et bref que celui de d’abord.

[70] On peut même en voir un quatrième dans pâtisserie parisienne.

[71] L’a de Le Câtelet s’est également ouvert malgré l’accent circonflexe, ainsi que celui d’Asnières malgré l’s.

[72] L’a reste donc plus ou moins fermé, en devenant prétonique, dans casser, lasser et prélasser, classer (mais non classique, où l’on entend les deux s), amasser et ramasser (moins dans ramassis), passer et trépasser, tasser et entasser; de même dans clamer et ses composés, avec clameur; dans damner; dans barrer, barreau et barrière, carrer et contrecarrer, carreau et carrière (mais non carrefour et carrelage, sans doute à cause des consonnes consécutives pour l’oreille rf ou rl); dans vaseux, gazeux et tous les verbes en -aser, avec leurs dérivés, y compris brasier et brasero, embrasure, casuel et casuiste; de même encore dans sabler, racler, rafler ou érafler, dans cadrer ou encadrer, cabrer, délabré, sabrer, navrer (mais non cadran ni fabrique). L’a s’est ouvert dans bigarré, amarrer, chamarré, narrer.

[73] Si l’on peut fermer celui de lassitude, c’est uniquement à cause du sens, et parce qu’on appuie volontairement.

[74] Pourtant ces mots n’ont aussi que deux syllabes pour l’oreille, comme passant; mais le sens des composants est entièrement perdu de vue; dès lors, dans paspor ou paspoil, l’a est naturellement porté à s’ouvrir, à cause des deux consonnes, à moins d’une volonté expresse.

[75] L’a est ouvert aussi dans Jeannot, Jeannette, et Jeanneton. Il est fermé dans Jacob (mais non dans Jacobins ou Jacobites); dans Jacqu(e)line, qui n’a que deux syllabes pour l’oreille, il est douteux, la seconde des consonnes qui suivent l’a (cl) étant une liquide; mais il est ouvert dans Jac(que)mont ou Jac(que)mart, et même dans Jacquart, comme dans Jacquerie.

[76] Voir plus haut, pp. 27-28. Tous ces a sont naturellement fermés dans Rousselot, ainsi que dans Michaëlis et Passy, mais non dans le Dictionnaire général.

[77] Dont l’a est fermé dans Michaëlis et Passy.

[78] Malgré Michaëlis et Passy. L’a prétonique est aussi fermé généralement dans Basile, Bazeilles et Jason, moins régulièrement dans Bazaine, Dugazon et Lazare, et plutôt ouvert dans Saint-Lazare, où il n’est plus initial.

[79] De même Baron, Caron, Charon, Charron, Scarron, Varron (si on ne prononce qu’un r), en opposition avec Mascaron.

Toutefois, sur charron, l’accord n’est pas parfait, à cause des autres dérivés de même racine. Quant à marron, le Dictionnaire général fait l’a long dans le substantif et bref dans l’adjectif (esclave marron): c’est encore uniquement l’étymologie qui le guide sur ce point.

[80] Mais non dans Marennes, malgré Michaëlis et Passy.

[81] Tous ces a sont fermés dans Mᵐᵉ Dupuis, et même celui de déclarer! Michaëlis et Passy ferment aussi celui de latrines!

[82] Ceux qui ne prononcent pas l’s final de ce mot ferment l’a le plus souvent; mais il faut prononcer l’s.

[83] Mᵐᵉ Dupuis fermait l’a dans ces mots et même dans aveline, hameau et rogaton. L’a est encore fermé assez généralement dans Adam, Bataves, Calais, Chablis; il est flottant dans Satan et Madeleine, mais ouvert dans Bacchus et Cadix.

[84] Mᵐᵉ Dupuis fermait l’a même dans bascule, bastonnade et martyr, malgré les deux consonnes qui le suivent.

[85] Ou Majorque. Pour majorité, majorat ou majuscule, la question ne se pose même pas.

[86] L’a est fermé dans Janus, mais non dans anus, ni dans lapis (lazuli), et c’est très incorrectement qu’on le ferme dans pater ou même ad patres. Il serait aussi correct de faire certains a longs et fermés, comme en latin, dans quelques expressions latines souvent citées: audaces fortuna juvat, auri sacra fames, bella matribus detestata, delenda Carthago, dignus intrare, ense et aratro, errare humanum est, facit indignatio versum, genus irritabile vatum, in cauda venenum, irreparabile tempus, manu militari, mens sana in corpore sano, mirabile visu, nil admirari, profanum vulgus, o fortunatos, peccavi, persona grata, pro aris et focis, qualis pater, quantum mutatus, rara avis, si vis pacem, ultima ratio, vade retro, vanitas vanitatum; mais non dans panem et circenses, dont on allonge souvent l’a mal à propos.

[87] Et aussi dans Mahdi, Fahrenheit ou Hahnemann, comme dans Hahn, à cause de l’h. Il l’est aussi dans les noms propres étrangers où les deux a n’en font qu’un: Aarhus, Aalborg, Boerhaave, Saadi, Saale, Saalfed, Saardam, Saavedra, etc.; mais Saadi est devenu chez nous le prénom Sadi, avec a bref. On sépare les a dans A-ar, Ra-ab ou Nausica-a. Dans les noms hébreux, Ba-al, Isa-ac, Bala-am, Abra-ham, on sépare aussi aujourd’hui les a, mais au XVIᵉ siècle on les contractait volontiers, et on a continué à le faire pour Aaron, surtout les poètes, notamment Racine, quoiqu’il scande Ba-al, et aussi V. Hugo, qui écrit de préférence Aron. Pour a suivi de en, voir aux nasales.

[88] Je ne crois pas que la nasalisation du premier a soit due, comme le veut l’abbé Rousselot, à l’influence des deux m qui enferment l’a, sans quoi on devrait dire aussi man-mour ou man-melle. C’est plutôt ce phénomène de répétition de syllabes identiques qui a produit tant de mots enfantins, comme bobo, lolo, etc., et même pépée pour poupée.

[89] Nous retrouverons ces mots au chapitre des nasales, avec quelques autres où figure l’a.

[90] Livre Iᵉʳ, fable 1. Voir aussi fable 13 du livre Iᵉʳ, fables 9 et 10 du livre V, et ailleurs.

[91] L’Académie ne voit d’ailleurs rien de choquant à prononcer d’une part outeron, et d’autre part a-outer. L’abbé Rousselot et le Dictionnaire général sont d’accord pour ou, et il n’y a pas lieu de distinguer entre (a)oût, (a)oûter et (a)oûteron. A-ou ne paraît s’être maintenu constamment que dans le prénom Ra-oul, d’allure aristocratique et peu populaire, et dans un mot relativement récent, ca-outchouc; mais cette association est si peu naturelle en français qu’on entend parfois a-ou se réduire à ou même dans ce mot, ou bien au contraire se séparer par un yod: cayoutchouc.

[92] Le Dictionnaire général donne a-oriste.

[93] A-o n’a pu se maintenir ailleurs dans le français pur qu’au moyen d’un h: cahot, Cahors; mais l’a est tombé dans S(a)ône et Curaç(a)o: il serait si simple de ne pas l’y écrire. Les autres mots qui conservent a-o sont savants ou étrangers; a-orte, caca-o, cha-os, ka-olin, Bilba-o, La-os, etc. L’a était tombé et a revécu dans A-oste, comme dans a-oriste.

[94] On sait que l’orthographe anglaise est encore bien plus extravagante que la française, ce qui n’est pas peu dire.

[95] Rémy de Gourmont voudrait même qu’on écrivît boucmacaire, mais cela encore est un compromis: pour que le mot eût une forme véritablement française, il faudrait aller jusqu’à bouquemacaire: on avouera que cela ne s’impose pas.

[96] Mais c’est un a nettement ouvert qu’on prononce, à tort ou à raison, dans bar, black rot, cab, crack, dog cart, drag, fashionable, flint glass, goddam, krach, lad, lasting, malt, match, paddock, scratch, tatter-sall, tramway, waterproof, et dans that is the question (approximativement zatis-zecouèchtieune). De même dans Macbeth, Sydenham et les noms en -gham, sans parler de Bacon, qui est francisé depuis des siècles.

[97] Ainsi dans steeple-chase, plum-cake, keepsake, pale-ale, pall-mall-gazette, racing-club, shakehand, trades-unions (trèdiounieune), rallye-paper, God save, quaker, et aussi James (djèms), Bedlam ou Shakespeare.

[98] On en vient même à prononcer à la fois rallye à la française et paper à l’anglaise (rali-pepeur): il faudrait choisir pourtant! Je ne parle pas de baby, qui n’est plus guère qu’une orthographe prétentieuse, puisque nous avons bébé, qui est probablement le même mot, avec la même prononciation, approximativement. Sans doute il est trop français au goût de quelques-uns, qui trouvent baby beaucoup plus distingué. Pur snobisme, pour la plupart, comme d’écrire beefsteak. Mais au moins prononce-t-on bifteck, même quand on écrit beefsteack; le comble, c’est de prononcer babi, en s’imaginant que c’est de l’anglais! Il n’y a rien de plus ridicule que cette affectation dans l’ignorance. Je sais bien qu’on peut dire que baby a pris un sens différent de bébé, et désigne des bébés d’allure et de costume particuliers; c’est possible, mais mon observation demeure.

[99] En fait, cet a anglais est plutôt intermédiaire entre l’a et l’o, à peu près comme nous prononçons parfois un ah prolongé pour marquer de l’étonnement ou du mécontentement.

[100] Le Dictionnaire général les accueille toutes les trois.

[101] On ne voit pas très bien à quoi sert l’orthographe beefsteak et rumpsteak, puisque nous en avons fait bifteck et romsteck (avec un c complémentaire à l’allemande): qui donc prononce reumpstec?

[102] Ajouter: Beaconsfield, Castlerea(gh), Chelsea, Chesapeake, Kean, Keats, le roi Lear, Shakespeare, etc.

[103] Et aussi dans le basque Coarraze.

[104] Law aussi, je parle du banquier, devrait se prononcer lo; mais ce mot ayant été à l’origine employé surtout au génitif (Law’s bank), le génitif fut pris pour le nom et la prononciation lasse prévalut, acceptée pas Law lui-même; elle prévaut encore. Nous avons un phénomène tout pareil aujourd’hui dans telles expressions assez absurdes, comme chez Maxim’s.

[105] Le groupe oi est dérivé d’un e latin qui s’est d’abord renforcé, ou simplement mouillé, en éï, puis ouvert en èï, et ensuite , la voyelle initiale étant toujours le son principal. Pendant ce temps l’orthographe suivait la prononciation. A partir de cette étape, elle n’a plus changé, mais la prononciation a continué à évoluer. D’abord i est devenu le son principal du groupe; puis s’est ouvert à son tour en , , oa, et, par l’assourdissement de l’o, ouè et oua. C’est là que nous en sommes, si bien qu’il n’y a plus aucun rapport entre l’écriture et la prononciation, qui est exactement wa, avec w consonne, sans i ni o. La lutte fut d’ailleurs très longue entre ouè et oua, sans compter è tout court, qu’on entendait notamment dans adroit, froid, trois et croire. Témoin la réponse de Fontenelle à qui on demandait comment il fallait prononcer je crois: Je crès, dit-il, qu’il faut prononcer je croa. Finalement on a adopté, pour le son è, l’orthographe ai, et oi a fini par passer à wa. Il n’y pas fort longtemps que le fait a été reconnu et accepté par les grammairiens. C’est seulement en 1805 que Domergue l’a proclamé, à l’encontre de tous les livres, qui continuaient à enseigner le son ouè. Aujourd’hui cette prononciation est tout à fait surannée et dialectale, et je ne sais où Michaëlis et Passy ont pu entendre indifféremment jwagne et jwègne.

[106] La finale oy a disparu de l’orthographe, mais se retrouve dans les noms propres français, où sa prononciation est la même: Darboy, Fontenoy, Jouffroy, de Troy, et même au besoin Rob-Roy, se prononcent comme s’ils avaient un i.

[107] Et aussi dans Troie, Troyes ou Millevoye, qui se prononcent exactement comme trois ou vois.

[108] Corneille, le Cid, acte II, scène 8.

[109] Il n’est guère possible de justifier roide, en dehors de la rime: la langue françoise ne s’en accommode plus. Domergue lui-même conseillait déjà rède, à côté de roidir et roideur. Faible aussi s’est longtemps écrit foible, même au XIXᵉ siècle; mais il se prononçait tout de même fèble, et je ne sais pourquoi il avait conservé son ancienne orthographe.

C’est seulement en 1835 que l’Académie se décida à écrire ai le groupe oi, quand il se prononçait è: encore fit-elle exception pour roide et harnois.

[110] Oi est aussi assez long dans les mots en -oirie: armoirie, plaidoierie, etc., mais moins que dans -oir. Autrefois il se fermait dans -oire, et y semblait plus long que dans -oir.

[111] Il représente aussi un s tombé (sauf dans benoît, benoîte, où il est peu justifié). C’est pourquoi on en tenait compte autrefois, et l’on trouve encore des exemples de la prononciation ancienne, mais elle est tout à fait surannée.

[112] Quand ce n’était pas ngn ou ingn: ainsi gagner s’écrivait aussi bien ga-igner, ga-ngner, ga-ingner, d’autant plus que le son de l’a a longtemps été nasal dans ce mot, comme l’o l’est resté ou plutôt redevenu dans Brongniart, qui, régulièrement, devrait se prononcer bro-gnar.

[113] Ces mots étaient pourtant à joindre, soin, loin, témoin, comme besogner, cogner et grogner sont à besoin, coin et groin.

[114] Mais pourquoi ne pas écrire ognon comme rognon? Le cas est exactement le même.

[115] Pourtant le Dictionnaire général les prononce par o et non par oi. Il retarde. Pourquoi pas élo(i)gner et so(i)gner? Lamoignon aussi, et Coigny, sont altérés désormais dans l’usage le plus ordinaire.

[116] Quoique ce soit admis par Michaëlis et Passy. Ajoutons que, très familièrement, voilà devient vla, sans doute par l’intermédiaire ancien de véla: cela est un peu trop négligé.

[117] On prononce dans Droysen, et, si l’on veut, Rob-Roy, par opposition aux noms français, Coypel, Coysevox, Loyson, Roybet, etc., où oy se prononce comme oi.

[118] Sauf un cas, qui sera examiné.

[119] On sait que l’e non muet se prononce é ou è, sans avoir d’accent, devant deux consonnes intérieures (sauf le groupe dit muta cum liquida), et aussi devant une consonne finale, sauf l’s, parce que, devant un s, sans accent, il serait muet. Autrefois il n’avait pas d’accent dans ce cas, mais il y avait un z à la place de l’s.

[120] Il n’en était pas ainsi autrefois; les finales en -ète, -ède, -ège, etc., et la plupart des finales à consonne unique ont été longtemps fermées: -éte, -éde, -ége, etc.; elles se distinguaient ainsi des finales à consonne double, -elle, -emme, -ette, etc. Ce n’est même qu’en 1878 que l’Académie a consenti l’accent grave aux finales en -ège.

[121] A latere, de profundis, ecce homo, epitome, in pace, miserere, noli me tangere, nota bene, pange lingua, salve, sine qua non, te deum, tolle, vade mecum, vice versa, aussi bien que avé, bénédicité ou fac-similé. La diphtongue latine æ se prononce aussi comme un e fermé: Dies iræ, lapsus linguæ, væ victis, Philæ.

[122] L’e final se prononce également dans Corte, mais non dans Casert(e), Bramant(e) ou Fiesol(e). L’allemand est traité comme l’italien: l’e ne se prononce pas dans Gœth(e), ni dans Moltk(e), Hohenloh(e), Carlsruh(e); mais il se prononce dans Encke, Heyne, Heyse, Rancke, Nietzche, etc. L’e final anglais se prononce i dans to be or not to be, où il est accentué; en général il ne se prononce pas: steepl(e) chas(e); il est muet même après une voyelle dans blu(e) book, Edgar Po(ë), Lugné-Po(ë), Monro(ë), de Fo(ë), Jellico(ë), et même Ivanho(ë); pourtant celui-ci, étant suffisamment populaire, se francise souvent en Ivanho-é, et il est à peu près impossible de ne pas franciser Cruso-é.

[123] Voir plus loin, au chapitre de l’R.

[124] Plessis-lez-Tours; on l’écrit souvent les, et même lès, très malencontreusement, car l’e est toujours fermé, même en liaison: Caudebec-lez-Elbeuf.

[125] Les noms propres Dumouriez, Duprez, etc., suivent la règle, sauf Forez, qui a l’e ouvert, quoique le z n’y sonne pas non plus.

[126] Au XVIIᵉ siècle, l’e de ces mots était déjà généralement fermé, au moins à Paris; ce n’est qu’au XVIIIᵉ siècle et au XIXᵉ que les grammairiens finirent par le faire ouvrir, dans la prononciation soutenue; mais la tendance était trop forte pour qu’on pût la détruire dans la langue courante.

[127] L’e final s’est également fermé dans certains noms propres grecs, Arachné, Phryné, malgré l’étymologie. Il est vrai que les érudits se croient souvent obligés de prononcer Athènè, Corè, Anankè; mais ces formes sont grecques et non françaises. Et puis, cette prononciation est-elle bien nécessaire? Si l’on ne veut pas dire Athéné, on ferait peut-être mieux de dire Athéna.

[128] Benêt (pour beneet), et ceux qui ont perdu l’s, genêt, acquêt, arrêt, intérêt, forêt, prêt, apprêt, protêt, revêt.

[129] On y peut joindre legs, dont il vaut mieux ne pas prononcer le g.

[130] Il n’y a véritablement d’e final fermé un peu long que dans des mots étrangers comme heimweh, à cause de l’h, et parce que le mot n’est pas français, sans quoi l’h tomberait, comme il est tombé par exemple dans narguilé.

[131] L’identité de et -ée est déjà constatée par Mᵐᵉ Dupuis. Aux finales en -ées appartient Séez, qu’on écrit plutôt Sées, ainsi qu’il convient, orthographe qui d’ailleurs n’est pas nouvelle. On s’étonne de voir Mᵐᵉ Dupuis prononcer le mot en deux syllabes.

[132] Sauf toujours des mots étrangers, comme Sainte-Wehme, Auerstædt ou Kehl, qui d’ailleurs se francisent parfois, et ne peuvent le faire qu’en s’ouvrant.

[133] Nous éliminons, comme pour l’a, les finales dont il est question page 38: direct, inepte, cercle, auberge, épiderme, alerte, observe, modeste, orchestre, index, etc., qui ont toujours l’e ouvert, au plus moyen.

[134] De même Québec, Gossec, Lamech, Utrech(t), Lubeck, Waldeck, Sénèque, La Mecque, etc. L’e est naturellement long et beaucoup plus ouvert dans évêque et archevêque, qui ont perdu leur s. Il redevient bref dans break, plum-cake, keepsake, qui, pour la prononciation, appartiennent à cette finale.

[135] Voir notamment les finales en -ome et -omme, en -one et -onne. L’e est naturellement long dans guêpe et crêpe, qui ont perdu leur s.

[136] On voit que le passage de complet à complète, ou pauvret à pauvrette, est encore le même que de délicat à délicate: voir page 44. Autrefois ète était fermé (éte) et ne rimait correctement ni avec ette ni avec aite L’Académie n’a adopté ète qu’en 1740; encore a-t-elle excepté athléte, jusqu’en 1835. L’e est également bref dans les noms propres: Huet, Japhet, Élisabeth, Macbeth, Gètes, Spolète, Polyclète, Épictète, Henriette, La Fayette, Colette, Charette, etc. Cependant Crète a l’e plus long, probablement par confusion avec crête.

[137] Au contraire l’e est toujours long dans bête, fête, honnête, tempête, quête, arête, arrête, crête, prête (adjectif et verbe), tête et vête, qui, comme êtes, ont perdu leur s. On notera aussi une sensible différence de quantité entre acquêt et conquête, arrêt et arrête, etc.

[138]

Que ne suis-je, prince ou poète,
De ces mortels à haute tête,
D’un monde à la fois base et faîte,
Que leur temps ne peut contenir!
(V. Hugo, Feuilles d’automne, VIII).

[139] Nous verrons le même phénomène dans douairière et souhaiter. Il est probable que couette suivra. Cf. plus loin moelle et poêle.

[140] De même Skobelef, Senef, Joseph, Télèphe. Où l’abbé Rousselot a-t-il constaté un e long dans greffe? (Voir son Précis, page 143.)

[141] Comme bêche, pêche, rêche et revêche; dans dépêche, empêche et prêche, il y a eu contraction de deux e.

[142] Le Dictionnaire général maintient la voyelle brève. L’e est long aussi dans Campêche, mais non dans La Flèche ou Ardèche, ni dans Fesch ou Marakesch.

[143] Les termes qui désignent des personnes, duchesse, comtesse, princesse, esse, altesse, hôtesse, etc., ont eu longtemps aussi l’e plus long que les mots abstraits, mais c’était en province plutôt qu’à Paris. Aujourd’hui encore, les noms propres en -èce, Boèce, Végèce, Lucrèce, Grèce, Lutèce, allongent volontiers l’e dans la prononciation oratoire; mais Bresse, Permesse, Gonesse, avaient déjà l’e bref au temps de Ménage. Il y faut joindre Hesse, Tcherkesses, Edesse, etc., avec Metz et Retz, quoique quelques-uns prononcent encore (cf. rez, page 53).

[144] La plupart sont des noms propres: Périclès, Bénarès, Ramsès, Agnès, etc. Les mots latins non francisés ou incomplètement francisés n’ont pas l’accent grave: facies, ad patres, do ut des, etc., mais se prononcent de la même manière. Il en est de même des noms espagnols ou portugais en -es: Rosales, Morales, Traz os Montes, Torres-Vedras, aussi bien que Cervantes, à qui nous donnons ordinairement un accent, faute de quoi beaucoup de personnes sont tentées de prononcer Cervante. Toutefois nous faisons es muet dans Buenos-Ayres.

[145] «Un beau diseur était au spectacle dans une loge, à côté de deux femmes, dont l’une était l’épouse d’un agioteur, ci-devant laquais; l’autre