Title: J. Ogier de Gombauld, 1570-1666
Author: René Pocard du Cosquer de Kerviler
Release date: February 22, 2020 [eBook #61485]
Language: French
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LA SAINTONGE ET L'AUNIS
A L'ACADÉMIE FRANÇAISE
1570-1666
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR SA VIE ET SES OUVRAGES
PAR
RENÉ KERVILER
Ancien élève de l'École polytechnique.
Membre correspondant du Comité des Travaux historiques.
Auteur des Études sur le groupe académique du chancelier Séguier.
PARIS
AUG. AUBRY, ÉDITEUR
Libraire de la Société des Bibliophiles françois
18, rue Séguier, 18
MDCCCLXXVI
Les Académiciens bibliophiles. Série d'études publiées dans le Bibliophile français.—Paris, Bachelin-Deflorenne, 1872-1873.
La Bretagne à l'Académie française. Série d'études en publication dans la Revue de Bretagne et de Vendée depuis 1873.—Nantes, V. Forest et E. Grimaud.
Le Chancelier Pierre Séguier, second protecteur de l'Académie française, etc.—Paris, Didier, 1874, in-8o, et 1876, in-18.
Jean de Silhon, l'un des quarante fondateurs de l'Académie française.—Paris, Dumoulin, 1876, in-8o.
Un Évêque de Vannes à l'Académie française: Jean-François-Paul Lefebvre de Caumartin, etc.—Vannes, Impr. Galles, 1876, in-8o.
La Presse politique sous Richelieu et l'Académicien Jean de Girmond: Étude publiée dans le Correspondant, livraisons des 10 et 25 mars 1876.
Étude critique sur la géographie de la presqu'île Armoricaine au commencement et à la fin de l'occupation romaine.—Saint-Brieuc, Prudhomme, 1874, in-8o. Cartes.
Esquisse d'un projet d'une bibliothèque historique de la Bretagne.—Saint-Brieuc, Prudhomme, 1875, in-8o.
POUR PARAITRE PROCHAINEMENT:
Un Bourgeois lettré au XVIIe siècle: Valentin Conrart.—1 vol. avec lettres et poésies inédites (en collaboration avec M. Ed. de Barthélemy).
Chapelain vengé.—1 vol. avec lettres et poésies inédites.
La Cour académique du Palais-Cardinal.—2 vol.
Extrait de la Revue d'Aquitaine
et
tiré à cent exemplaires
Poitiers.—Imprimerie générale de l'Ouest.
A MONSIEUR LOUIS AUDIAT
Bibliothécaire de la ville de Saintes,
Membre correspondant du Comité des Travaux historiques,
Président de la Société des Archives historiques de la Saintonge
Hommage et Souvenir
de son tout dévoué,
René KERVILER.
L'unité du travail, la durée du zèle, la persévérance de la passion, l'ardeur de la convoitise et l'honnêteté du but… voilà comme on réussit quelquefois dans le monde.
Cuvillier-Fleury.
(Études historiques.)
LA SAINTONGE ET L'AUNIS
A L'ACADÉMIE FRANÇAISE
Telle est la courte oraison funèbre que Despréaux, dans le quatrième chant de son Art poétique, consacre au poëte favori de Marie de Médicis, et nous y saisissons cet aveu précieux à recueillir, que Gombauld fut très-goûté et fort loué par ses contemporains. La verve caustique du législateur du Parnasse laisse rarement échapper de ces traits à double portée, qui frappent d'un côté, qui guérissent de l'autre: on dirait qu'un remords l'a saisie au moment où elle allait s'attaquer «au plus ancien des écrivains françois vivants en 1663[1]», et l'on doit supposer que l'impression de ce remords ne -2-fut point passagère; car, une autre fois encore, Boileau crut devoir user de la même arme envers le vieux poëte, quand, parlant des sonnets sans défaut, il prononça cet arrêt:
[1] Chapelain.—Mélanges tirés de ses Lettres manuscrites.
Or, on sait qu'à ses yeux sévères
On peut donc, même en suivant les règles du maître, ne point se montrer trop dédaigneux du talent poétique de Gombauld, et le succès qu'eurent ses ouvrages pendant la plus grande partie du XVIIe siècle suffirait, au besoin, pour nous encourager à entreprendre l'étude de sa longue carrière. On réimprime aujourd'hui les poésies de beaucoup d'anciens auteurs qui ne pourraient soutenir la comparaison devant un choix judicieux de celles du rival et ami de Maynard et de Racan: et ce qui prouve que Boileau a eu tort devant la postérité, c'est qu'une édition de luxe des Épigrammes de Gombauld, imprimée à Lille en 1861, est déjà épuisée, et que des maîtres en l'art de bien dire, parmi lesquels nous citerons principalement M. St-Marc Girardin, s'étant donné la peine de relire et d'analyser plusieurs des ouvrages du poëte saintongeois, n'ont pas hésité à le ranger parmi les plus éminents des quarante fondateurs de l'Académie française[2].
[2] Voici l'énumération succincte des principaux travaux modernes sur les ouvrages ou la carrière de Jean Ogier de Gombauld: M. St-Marc Girardin a longuement analysé et apprécié la pastorale d'Amaranthe, dans son Cours de littérature dramatique (Paris, Charpentier, 4 vol. in-12).—M. Pierre Barbier a consacré près de cinquante pages à Gombauld et à la même pastorale dans ses Études sur notre ancienne poésie (Bourg, Ad. Dufour, 1873, 1 vol. in-8o).—M. Livet a parlé de lui fort avantageusement dans sa Notice sur l'hôtel de Rambouillet, au livre des Précieux et Précieuses (Paris, Didier, in-8o et in-18).—M. Paul de Musset l'a compris dans sa galerie des Originaux du XVIIe siècle (Paris, Charpentier, 1850-1863, in-12), et nous devons dire en passant que cette dernière étude ne doit être lue qu'avec précaution, car elle est beaucoup trop riche en erreurs historiques et surtout en anachronismes flagrants. Ainsi, d'après M. de Musset, les amours de Gombauld et de Marie de Médicis auraient eu lieu du vivant de Henri IV, ainsi que la publication du roman allégorique d'Endymion. Or, Tallemant affirme que Marie aperçut Gombauld pour la première fois au sacre de Louis XIII, et l'Endymion ne parut qu'en 1624, etc.
Au XVIIIe siècle, l'abbé Goujet, dans sa Bibliothèque française; les frères Parfaict, dans leur Histoire du Théâtre-Français; Sabathier de Castres, dans ses Trois Siècles littéraires; Lefort de la Morinière, dans sa Bibliothèque poétique; La Harpe, en plusieurs chapitres de son Cours de littérature, ont diversement apprécié les talents de Gombauld, que Richelet, Fontenelle, Bayle, Moréri, Baillet, Furetière, Guéret, Sorel, Conrart et Pellisson avaient déjà loué sans réserve au XVIIe siècle.
Les Historiettes de Tallemant des Réaux contiennent une foule de détails sur la vie privée du poëte, qui avait été l'ami du chroniqueur, et nous les mettrons largement à contribution.
-3-
JEUNESSE ET DÉBUTS LITTÉRAIRES DE GOMBAULD.—MARIE DE MÉDICIS.—LES BALLETS DE LA COUR ET L'HÔTEL DE RAMBOUILLET.—SONNETS (1570-1620).
«Jean Ogier de Gombauld,» dit Conrart dans l'Éloge qu'il lui a consacré en tête de ses Traités et Lettres posthumes sur la religion, «étoit gentilhomme de Xaintonge, et cadet d'un quatrième mariage, comme il avoit coutume de le dire lui-même par raillerie, pour s'excuser de ce qu'il n'étoit pas riche». On est à peu près certain qu'il naquit à St-Just-de-Lussac, en Brouage[3]; car son compatriote Tallemant et tous les biographes sont d'accord sur ce point. Mais ce que personne n'a pu encore fixer, c'est la date de sa naissance; -4-et les écarts que l'on rencontre à ce sujet dans les divers témoignages qui nous restent de cette époque sont si considérables, qu'il est fort difficile de décider la question. Le seul document complet qui soit parvenu jusqu'à nous est l'Éloge de Conrart, qui connaissait Gombauld particulièrement. Or, cet Éloge, que l'abbé d'Olivet et presque tous les biographes se sont bornés à reproduire, offre malheureusement des passages tout à fait contradictoires. Ainsi, d'après son auteur, Gombauld serait venu à Paris vers la fin du règne de Henri IV, après avoir achevé ses études à Bordeaux: cela ne permet guère d'assigner à la naissance du jeune homme une date antérieure à 1580, puisqu'en l'admettant, il aurait eu trente ans révolus à l'époque de la mort du roi. D'un autre côté, «la vie de Gombauld, dit encore Conrart, a duré près d'un siècle, si une date écrite de sa main dans un des livres de son cabinet étoit le temps véritable de sa naissance, comme il l'avoit dit en confidence à quelqu'un qui n'en a parlé qu'après sa mort…» Il est vrai qu'il y a un si: mais on a toujours dit et répété que Gombauld était mort âgé de près de cent ans, et les Dictionnaires de Bayle et de Moréri lui donnent cet âge, catégoriquement et sans hésitation. On sait cependant que Gombauld est mort en 1666, et cela reporterait sa naissance vers 1566: il avait donc, d'après cette hypothèse, au moins quarante ans lors de son arrivée à Paris; il aurait mis du temps à faire ses études.
[3] Cette paroisse est aujourd'hui une commune des canton et arrondissement de Marennes (Charente-Inférieure).—Nos recherches pour retrouver les anciens registres paroissiaux de St-Just n'ont pas été couronnées de succès: c'est pourquoi il nous est impossible de rien affirmer catégoriquement sur la naissance du poëte. Du reste, son père était protestant, et l'acte de naissance est par conséquent assez difficile à retrouver.
Une des assertions de Conrart doit par conséquent se trouver fausse, et nous pensons que ce doit être celle de la jeunesse de Gombauld, lors de son apparition à la cour de Henri IV; à moins que le poëte ne soit arrivé à Paris tout au commencement du règne du bon Roi. Les témoignages qui le déclarent centenaire en 1666 sont en effet fort nombreux, et Tallemant des Réaux dit positivement: «Il a confessé en mourant qu'il avoit quatre-vingt-seize ans;» ce qui fixerait la date de sa naissance à l'année 1570.
L'abbé Joly, dans ses Notes au Dictionnaire de Bayle, discute cette question et conclut pour le centenaire. On objecte, dit-il, que Gombauld a toujours fait un mystère de son grand âge; mais cela est fort naturel: «Gombauld -5-n'étoit point un rimailleur, ou un versificateur; c'étoit un poëte excellent, et qui s'étoit fait estimer dans le monde. Il avoit été fort assidu aux ruelles et aux cercles; et par conséquent il avoit l'habitude des conversations galantes. S'il se trouvoit avec des femmes, il se souvenoit du style de sa jeunesse, il les louoit, il les encensoit. Le rôle de bel esprit et de galant homme étoit encore son partage. Mais pour le soutenir avec plus de bienséance, il avoit besoin que l'on ignorât sa vieillesse. Il fit imprimer un gros recueil d'Épigrammes en 1657. N'avoit-il pas à craindre que si l'on venoit à savoir qu'il étoit âgé de 90 ans, l'on ne trouvât fort étrange qu'il demandât un Privilége pour un tel livre, et qu'il fît ses présens d'Auteur? N'avoit-il pas à craindre que M. Daillé et les autres ministres de Paris ne le censurassent de vaquer encore à de semblables productions dans un âge si avancé?…» Sans discuter ici les motifs allégués par le savant chanoine de Dijon, il nous paraît probable que Chapelain a eu raison d'écrire en 1663: «M. Gombauld est le plus ancien des écrivains françois vivants,» et nous admettrons avec Tallemant des Réaux la date de 1570 pour celle de sa naissance.
Qu'on nous pardonne ces longs détails; nous les considérons comme très-importants, parce que les premières productions de Gombauld ne virent le jour que sous la régence de Marie de Médicis, et l'on ne pourra plus dire que ce furent des ouvrages de jeunesse, puisque le poëte avait alors plus de quarante ans. Adrien Baillet appelle son roman d'Endymion, composé au plus tôt vers 1615 et publié seulement en 1624, «un fruit du premier âge»; à moins que notre poëte ne fût doué d'une éternelle jeunesse, le jugement de Baillet nous paraît très-légèrement avancé.
Revenons au véritable premier âge de Gombauld. Son père était «d'honneste naissance, dit Tallemant. Il vivoit de ses rentes, et il en vivoit si bien qu'il les mangeoit. Il ne faisoit que chasser et faire bonne chère; enfin il s'acheva de ruiner en procez». Cet exemple devait nécessairement influer sur l'éducation d'un enfant. Et si la famille de Gombauld, dont nous n'avons pu retrouver les armoiries, avait des liens de parenté avec celle des Gombauld de Plassac et -6-de Méré[4], le jeune Jean Ogier put faire, en portant ses regards sur la situation de ses proches, des comparaisons peu favorables à son père. Ce père, chargé de famille et peu soucieux de son avenir, consentit, bien qu'il fût protestant, à ce que «celuy-cy (Jean Ogier) fust instruit dans la religion catholique à Bordeaux, afin de le faire d'Église[5],» exemple d'indifférence religieuse, qui devait encore contribuer à jeter le trouble dans les jeunes idées du futur poëte. Mais il paraît, si l'on en croit Tallemant, que le sang huguenot avait été vigoureusement projeté dans les veines de Jean Ogier de Gombauld. «Il m'a dit, raconte le chroniqueur, car il est huguenot à brusler, que naturellement il avoit de l'aversion pour la religion catholique, et que dez seize ans il cessa de luy-mesme d'aller à la Messe, et revint à nous[6], sans pourtant faire d'abjuration ny de reconnoissance: car il ne prétendoit pas nous avoir quittez, et choisissoit plutôt une religion qu'il n'en changeoit.» Il est vrai qu'on peut accuser un coreligionnaire d'un peu de partialité: aussi ne rapportons-nous ce témoignage que sous toutes réserves. Ce qu'il y a de certain, -7-c'est que Gombauld, pendant les soixante ans environ qu'il passa à Paris, fut toujours attaché au protestantisme: il laissa même des Traités religieux et des Controverses que son ami Conrart, protestant comme lui, publia quelque temps après sa mort.
[4] Nous n'insisterons pas ici sur cette parenté. Après les nombreux et intéressants articles publiés depuis dix ans par plusieurs travailleurs intrépides pour retrouver la généalogie exacte et complète du chevalier de Méré, qui appartenait à la nombreuse famille des de Gombauld de Plassac, il serait étrange que le nom du poëte n'eût pas été rencontré par l'un d'entre eux, si Jean Ogier avait été parent rapproché des auteurs des Lettres. M. le comte de Brémond d'Ars nous assure, du reste, que le nom de Gombauld est très-commun en Saintonge, et si le père du poëte ne fait pas partie d'un rameau se rattachant de longue date au tronc commun des Gombauld de Plassac, il est fort difficile, en l'absence de tout document positif, de préciser son origine. Pellisson écrit Ogier de Gombauld comme un nom de famille. Ogier ne serait-il pas aussi bien un simple nom propre?… Autant de problèmes que, seuls, des actes authentiques pourraient résoudre.
[5] Balzac, dans ses Lettres à Chapelain, publiées en 1873 par M. Tamizey de Larroque (Paris, Impr. nat., in-4o), parle souvent, vers 1644, de deux frères Gombauld, l'un, chantre de l'église de Saintes, l'autre, jésuite, recteur de la Maison d'Angoulême. M. Tamizey les donne, dans ses Notes, comme parents de notre poëte, et, dans la Table, comme ses frères.
[6] Tallemant était aussi de la religion protestante.
Gombauld passa donc sa jeunesse à Bordeaux, où il acheva toutes ses études, «en la pluspart des sciences, dit Conrart, et sous les plus excellents maîtres de son temps». Malheureusement, son bagage scientifique et littéraire ne suffisait pas pour lui assurer le pain quotidien. Son père était mort ruiné, comme on sait; le pauvre garçon fut en outre maltraité par ses cohéritiers, rapporte Tallemant, «et, faute d'avoir de quoy poursuivre, il n'en eut jamais raison». Sa bourse était donc trop maigre pour qu'il pût vivre en gentilhomme. Il est probable qu'il végéta quelque temps à Bordeaux, ou en Saintonge, et qu'en désespoir de cause, ne trouvant pas dans sa province l'occasion de développer des talents qu'il se sentait posséder, il partit pour Paris, le refuge, alors comme aujourd'hui, de tous ceux qui ne peuvent ou ne savent pas tirer parti, chez eux, des ressources d'esprit que leur a départies la Providence.
Gombauld dut arriver dans la capitale vers 1605: il était âgé de trente-cinq ans environ, et n'avait plus par conséquent cette fleur de jeunesse que veulent bien lui attribuer ses amis Conrart et Tallemant, lorsqu'ils le représentent faisant son entrée dans la trop galante cour du roi Henri IV.
Pour se produire avantageusement, il fallait des protecteurs: «Gombauld, raconte Tallemant, fit d'abord connoissance avec le marquis d'Uxelles le Rousseau. Cet homme avoit assez d'habitudes, et, ne pouvant bien faire les lettres dont il avoit besoin dans les desseins de mariage ou de galanterie qu'il pouvoit avoir, il se servoit de Gombauld pour cela, et luy entretenoit un cheval et un laquais.»
En dépit du cheval et du laquais, ce sont là d'humbles débuts pour un futur académicien; et cependant, notre provincial était «grand, bien fait, de bonne mine et sentant son homme de qualité… il avait le cœur aussi noble que le corps… l'âme droite… l'esprit élevé…»; malgré tous -8-ces précieux avantages, il devait, sans murmurer, faire en règle son apprentissage de courtisan.
La cour était alors inondée de petits et de grands vers que les poëteraux, impuissants à saisir le souffle de Malherbe, déposaient aux pieds des déesses du jour.
La cour de Marguerite, surtout, leur offrait un asile accessible, et c'est là que le poëte Maynard, plus tard célèbre, avait commencé sa réputation par ses Désespoirs amoureux. Gombauld prit modèle sur Maynard, comme lui fraîchement débarqué; et, pour mieux imiter le jeune Toulousain, avant de chercher la célébrité dans l'épigramme et le sonnet, il essaya sa verve poétique dans les petites pièces de circonstance… «Il fit assez de vers pour Henri IV, rapporte Tallemant, et il dit que le Roy lui donnoit pension.» Conrart ne se contente pas d'avancer que son ami donna carrière à sa muse, il ajoute que Gombauld «ne tarda pas à être connu et estimé».—«Henri IV, dit-il, ayant été malheureusement assassiné, tous les François le pleurèrent comme le Père de la patrie, et tous les poëtes semèrent son tombeau de fleurs funèbres, qu'ils avoient cueillies sur le Parnasse. M. de Gombauld, quoique jeune, ne fut ni des derniers ni des moindres…»
Nous ne reviendrons plus sur cette épithète de Jeune attribuée, en 1610, à un homme qui, d'après le même auteur, était centenaire en 1666! Mais nous remarquerons, avec l'abbé Goujet, que Conrart doit faire ici une seconde erreur de mémoire. En effet, dans le Recueil de diverses poésies sur le trépas de Henri le Grand, publié in-4o à Paris en 1611, par Guillaume Peyrat, on ne rencontre aucune pièce de Gombauld. On en chercherait même en vain, sur ce sujet, dans les ouvrages poétiques de notre auteur, qu'il rassembla lui-même et qu'il publia en 1646. La plus ancienne des pièces qui soient dans ce Recueil porte la date de 1611, et fut composée sur la mort du duc d'Orléans, fils de Henri IV et frère de Louis XIII. Nous pensons, avec l'abbé Goujet, que si Gombauld avait chanté la mort du roi dans des vers dignes d'être loués par Conrart, il les eût insérés dans son livre. Cependant Tallemant, après avoir dit qu'il «fit assez de vers pour Henri IV», -9-ajoute «qu'il ne les a jamais montrez». Si ce détail est vrai, cela est regrettable, car ils ne nous sont pas parvenus dans ses papiers, et nous aurions pu y rechercher de quelle façon Gombauld essaya de gravir les premiers degrés du Parnasse.
C'est à l'époque de la minorité de Louis XIII, et dès les premiers temps de la régence de Marie de Médicis, que commence la véritable carrière littéraire de Gombauld; c'est aussi la date de sa fortune. Songeons bien qu'il devait avoir déjà près de quarante ans, et voyons-le à l'œuvre. Aussi bien, les documents biographiques à son sujet n'offrent une certitude à peu près absolue qu'à partir de ce moment.
L'occasion qui fit naître la fortune de Gombauld est assez singulière. On croirait plutôt lire une page de roman détachée des Trois Mousquetaires ou des Mille et une nuits. Mais cette aventure, s'il faut en croire Tallemant, est revêtue de tous les caractères de l'authenticité.—La scène se passe à Reims, le dimanche 17 octobre 1610, pendant le sacre de Louis XIII, et toute la Cour est réunie dans le plus pompeux appareil, autour du cardinal de Joyeuse, qui impose les mains sur la tête du Roi… Le moment, on le voit, est solennel, et la situation prête aux incidents dramatiques. La Régente Marie de Médicis, que la longueur du cérémonial a fatiguée, promène, pour se distraire, ses regards allanguis sur la nombreuse et brillante assemblée, qui, frémissante d'enthousiasme, va, de ses vivats, acclamer le successeur du bon Henri. Tout à coup, un vif tressaillement vient animer les traits de l'Italienne, et, pendant tout le reste du sacre, un souvenir lointain semble la préoccuper: au milieu de la foule, elle a cru reconnaître le portrait vivant d'un homme qu'elle avait autrefois favorisé à Florence… et ce portrait vivant n'est autre que l'élégant Gombauld, qui assiste à la fête à côté de son protecteur et maître, le marquis d'Uxelles, aux cheveux roux.
Mais laissons la parole au naïf et malicieux Tallemant:
«La Reyne-Mère estant régente, regarda fort Gombauld, à ce qu'il dit, au sacre du feu Roy, où il estoit avec son rousseau. Mademoiselle Catherine, femme de chambre -10-de la Reyne, eut ordre de sçavoir de M. d'Uxelles qui il estoit. Catherine prit un autre rousseau pour M. d'Uxelles, et alla dire à la Reyne:—Il dit qu'il ne le connoit point.—Cela ne se peut, respondit la Reyne, vous avez pris un rousseau pour l'autre.—Enfin, elle en parla elle-mesme à M. d'Uxelles, et voulut voir des ouvrages de nostre homme.
»A quelque temps de là, d'Uxelles avertit Gombauld qu'on alloit faire l'estat de la maison du Roy, et que c'estoit la Reyne elle-mesme qui le faisoit.—Si cela est, dit Gombauld, je ne m'en veux point inquietter, il en arrivera ce qu'il plaira à Dieu.—Il y fut mis pour douze cens escus. Uxelles le luy vint dire, et ajousta ces mots:—Vous aviez raison de ne vous pas tourmenter, la Reyne a assez de soin de vous: je voudrois être aussi bien avec elle.—La Reyne le cherchoit partout des yeux. La princesse de Conty luy dit qu'il estoit vray que la Reyne avoit de l'affection pour luy.»
Et voilà comment, en quelques heures, le pauvre gentilhomme de Xaintonge devint en grande faveur à la Cour de la Régente, où il eut pendant longtemps ses petites entrées; témoin certain passage des Historiettes que nous renonçons à transcrire ici, mais auquel nous renvoyons ceux qui voudront le lire dans le style imagé de Tallemant… «Il nie cependant, ajoute des Réaux, avoir jamais été amoureux de la Reyne, mais bien d'une autre personne de grande qualité qu'il appelle aussi Philis dans ses poésies; l'une est la grande, l'autre la petite.» Au moins convient-il «que Catherine luy avoit avoué que la Reyne ne l'avoit jamais veû sans esmotion, parce qu'il ressembloit à un homme qu'elle avoit aimé à Florence…»
Le grave Conrart, dans l'Éloge qu'il a fait de son ami, n'est pas aussi cru que Tallemant, mais il parle assez longuement de la faveur de Gombauld, près de la Régente, et ce témoignage vient en quelque sorte confirmer les malicieux récits de l'auteur des Historiettes. «Sous la minorité de Louis le Juste, dit Conrart, et sous la Régence de Marie de Médicis, sa mère, M. de Gombauld fut des plus considérés de cette grande et magnifique princesse; et il -11-n'y avoit point d'homme de sa condition qui eût l'entrée plus libre chez elle ni qui en fût vu de meilleur œil. Comme elle était d'humeur libérale, et qu'elle aimoit à l'exercer envers ceux qu'elle en jugeoit dignes, elle donnoit des pensions considérables à beaucoup d'hommes de savoir et d'esprit. Celle de M. de Gombauld étoit de douze cens escus, ce qui lui donnoit moyen de paroître en fort bon équipage à la cour, soit à Paris ou dans les voyages qui étoient fréquens en ce temps-là. Et comme il étoit autant ennemi des dépenses superflues qu'exact à faire honnêtement les nécessaires, il fit un fonds assez considérable de l'épargne de ces années d'abondance: ce qui lui vint bien à propos pour celles de stérilité qui y succédèrent, quand les guerres civiles et étrangères eurent diminué, et enfin tari les sources d'où les premières avaient coulé.»
L'abbé Goujet semble vouloir révoquer en doute l'assertion précise de Conrart, sous prétexte que dans la liste des pensions payées en 1621 par la Cour, on ne trouve ni un poëte ni un homme de lettres. On sait cependant que Marie de Médicis donna une pension de cinq cents écus à Malherbe après la mort de Henri IV, et l'on doit se rappeler que la Reine fut en disgrâce, puis en fuite, puis en guerre contre son fils depuis 1617 jusqu'en 1620: la disgrâce de la Régente entraîna naturellement tout d'abord celle de ses protégés. Tallemant, du reste, nous donne des renseignements précieux que ne connaissait pas l'abbé Goujet. Outre sa pension, Gombauld recevait souvent des sommes d'argent importantes, surtout à l'occasion des voyages dont parle Conrart, et que ce favori en miniature faisait à la suite de la Cour: car, pendant les sept années de la régence réelle de Marie de Médicis, il fut de toutes les promenades royales. Donc, raconte l'intarissable des Réaux, «en une rencontre de voyage, Gombauld dit à la Reyne qu'il ne pouvoit suivre sans argent. La Reyne luy dit:—Allez chez le trésorier, luy dire de ma part que j'entends que vous soyez payé. Le trésorier dit:—Monsieur, tout le monde dit de mesme. Je demanderay ce soir à la Reyne ce qu'elle veut que je fasse; venez demain matin.—Il y alla.—Elle en a -12-marqué deux, dit le trésorier, vous en estes l'un.—Il fut payé. Il dit que cela dura dix-huit mois, et que s'il y eust eu des amys, on ne luy eust rien refusé: mais, depuis, la religion lui nuisit.» Sa profession de huguenot déclaré fut donc une des causes de sa future disette d'argent; et ce fut elle aussi, probablement, qui fit abaisser de douze cents écus à huit cents, comme le raconte Conrart, le chiffre de sa pension.
Quoi qu'il en soit, les années de la régence, et surtout les premières, furent d'heureuses années pour Gombauld. Se voyant en faveur, il conçut plus d'audace littéraire, et se lança résolument dans la carrière poétique. Il fit connaissance avec Malherbe et Racan; il fréquenta les poëtes en renom, et prenant souvent conseil du réformateur du Parnasse, il garda si bon souvenir de ses leçons, que, vingt ans plus tard, il le défendait intrépidement avec Gomberville contre les critiques de l'Académie.
Les premiers essais poétiques de Gombauld ne sont pas à la hauteur de ses modèles. On y rencontre cependant certains traits qui annoncent l'auteur des Sonnets et des Épigrammes, et qui justifient ce passage de l'Éloge de Conrart, où il dit que son ami avait l'esprit «moins fécond que judicieux». Ces premières poésies se composent de stances, de quelques élégies et de vers destinés à des ballets ou à des divertissements, comme on en faisait tant à cette époque, et qu'on peut lire dans le volume des Œuvres poétiques publié par l'auteur en 1646. Aucune de ces petites pièces n'est restée dans la mémoire de la postérité: les contemporains ne les ont cependant pas dédaignées, et le savant Ménage en cite des fragments avec éloge dans ses Observations sur Malherbe.
Voici, par exemple, des vers commandés expressément par Marie de Médicis, pour le Ballet des Déesses, dont Scipion de Gramont avait réglé la marche, tirée de la fable de Psyché. La musique était de l'organiste de La Barre:
-13-
POUR LA REYNE REPRÉSENTANT JUNON.
THÉMIS.
CÉRÈS.
FLORE.
[7] Discours du Ballet de la Reyne. Paris, Jean Sara, 1619, in-8o.—Reproduit dans les Œuvres poétiques de Gombauld, 1646, et dans la Collection des Ballets et Mascarades, de M. Paul Lacroix. Genève, Gay, 1868, II (207-211).
Ces strophes sont très-variées: il y en a de tous les styles, depuis le plus majestueux jusqu'au plus léger (témoin -14-le couplet de Pomonne que nous n'osons point citer), en passant par l'épigrammatique et par le gracieux.
Ménage, qui loue beaucoup les vers de Junon, trouve la dernière rime vicieuse en principe; on ne doit jamais, dit-il, en employer de cette sorte, «si ce n'est, comme a fait Gombauld, pour ne pas perdre une belle pensée…» Ménage était déjà loin de la régence lorsqu'il écrivait ses Observations. Théophile, au contraire, venait de la voir disparaître quand il disait, dans sa Prière aux poëtes de ce temps:
[8] Théophile.—Œuvres, édit. 1636, 3e part., p. 42.
Voici, du reste, un sonnet qui doit dater de cette période, car il est adressé à Philis, probablement à celle dont parle Tallemant des Réaux:
[9] Poésies de Gombauld, édit. 1646.
M. Paul de Musset pense que le suivant fut composé -15-pour Marie de Médicis elle-même; l'allusion est, en effet, assez transparente:
Ce sont là des sonnets de grand style; celui-ci est beaucoup plus délicat, et la chute en devait plaire aux dames et damoiselles de la brillante cour de Marie:
On n'était pas habitué, vers 1613, à lire beaucoup de petites pièces aussi remarquables, et d'une versification aussi noble et aussi soutenue. Malherbe seul et ses deux meilleurs élèves, Maynard et Racan, étaient capables d'en -16-produire de pareils. C'est pourquoi la réputation de Gombauld, comme poëte et comme courtisan, grandissant peu à peu, il fut bientôt admis dans les cercles les plus illustres, et les ruelles s'honorèrent de l'avoir pour habitué. Nous ne connaissons pas d'une manière assez précise la date de son entrée à l'hôtel de Rambouillet, pour trancher la question de savoir s'il y fut admis avant 1617, époque de la disgrâce de sa protectrice, ou vers 1620, époque du retour de Marie de Médicis, après ses quatre années de retraite et de guerres. Que fit même Gombauld pendant ces quatre années, et quel fut son asile? Nous ne pourrions le dire exactement: ce qu'il y a de certain, c'est que notre poëte fut, avec Malherbe et Racan, l'un des premiers visiteurs lettrés de l'hôtel de Rambouillet.
Catherine de Vivonne avait quitté la cour en 1608 pour se consacrer tout entière aux soins de sa famille. Le spectacle de la licence des habitués du Louvre était peu fait pour séduire cette femme aimable, chez qui le sentiment de la dignité personnelle était aussi vif que celui des convenances morales. Mais, en même temps qu'elle se séparait de la cour, elle n'entendait point se séparer du monde, pourvu que ce fût un monde à elle, poli, distingué, élégant, lettré. Son hôtel, qu'elle habitait en 1612, devint bientôt le rendez-vous d'une société nombreuse, que le charme de sa conversation et de son caractère attirait à sa petite cour, et qui «se dédommageait de ne la plus recevoir, dit M. Livet, en courant auprès d'elle[10]». Ce fut, à proprement parler, le rendez-vous de la bonne compagnie; «l'esprit de conversation, dit encore M. Livet, y naquit, s'y développa et s'y maintint. Les grands seigneurs apprirent à respecter les écrivains et à les fréquenter sur un pied d'égalité»; et M. Cousin a parfaitement fait ressortir ce point caractéristique quand il a dit: «A l'hôtel de Rambouillet, tous les gens d'esprit étaient reçus, quelle que fût leur condition: on ne leur demandait que d'avoir de bonnes manières; mais le ton aristocratique s'y était établi sans nul effort, la plupart des hôtes de la maison -17-étant de fort grands seigneurs, et la maîtresse étant à la fois Rambouillet et Vivonne[11].»
[10] Livet.—Précieux et Précieuses.
[11] V. Cousin.—Madame de Sablé.
Gentilhomme et poëte comme Malherbe et Racan, Gombauld, qui professa toujours un culte véritable pour la société élégante et polie, ne pouvait manquer de devenir, comme eux, un hôte assidu du salon de la célèbre marquise. Malherbe visitait déjà Mme de Rambouillet dès 1613, comme nous l'apprend une de ses Lettres à Peiresc, dans laquelle il raconte au savant Provençal ce qui s'est passé dans une réunion à laquelle il venait d'assister. Il est fort possible que Gombauld ait été admis à l'hôtel vers cette époque, alors que sa faveur près de la Régente et ses vers pour les ballets le mettaient en relief parmi les courtisans. Nous pouvons, du moins, affirmer que fort peu de temps après la rentrée en grâce de Marie de Médicis, c'est-à-dire vers 1622, il était l'un des visiteurs les plus aimés de Mme de Rambouillet, qui le menait avec elle chez Mme de Clermont d'Entraigues, chez M. de Montlouet, chez tous ceux de ses amis, en un mot, dont les salons formaient comme des succursales de celui de son hôtel. Voiture, Chapelain, Conrart et Godeau n'étaient pas encore, à cette époque, les familiers du cénacle; et les trois gentilshommes poëtes, Gombauld, Malherbe et Racan, y représentaient presque seuls, à l'origine, l'élément littéraire.
-18-
L'ENDYMION.—L'AMARANTHE.—MALHERBE ET MADAME DES LOGES. (1620-1630.)
La période de dix années qui s'écoula de 1620 à 1630 jusqu'à la seconde disgrâce de Marie de Médicis, après la Journée des Dupes, fut la plus heureuse de toute la carrière de notre poëte.
Honoré des faveurs de la Reine-Mère à la Cour, et de celles de la reine de la société polie à l'hôtel de Rambouillet, que pouvait-il désirer de plus, sinon la réputation littéraire? Il l'acquit en effet, pendant cette période, par deux œuvres qui firent quelque bruit, et sur lesquelles nous insisterons un peu, parce qu'elles établirent définitivement le nom de Gombauld sur les fastes de la République des Lettres.
La première est un roman en prose, l'Endymion, tout rempli d'allusions d'actualité, ce qui causa son succès, et ce qui explique son oubli.
La seconde, au contraire, a une véritable portée littéraire, et doit prendre rang dans un certain cycle d'œuvres analogues, qui donnent la note du goût de cette époque: c'est une pastorale en vers, intitulée Amaranthe, qui peut figurer honorablement en compagnie de l'Astrée de d'Urfé, des Bergeries de Racan, et de la célèbre Sylvie de Mairet.
Mais, avant de parler de ces deux œuvres, il sera bon, pour mieux faire connaître notre poëte, de tracer en quelques mots son portrait physique et moral.
-19-En 1620, Gombauld devait avoir à peu près cinquante ans, et M. Livet nous offre de sa personne un croquis aussi finement touché qu'original et ressemblant:
«Toujours propre, lustré, poli, ajusté comme un sonnet, mystérieux comme Timante du Misanthrope, cérémonieux comme Phédon de La Bruyère, Gombauld visait toujours à rappeler les manières de la belle cour; homme à refuser une pension, si elle ne venait du Roi, il avait du cœur et de l'honneur, et n'aurait pas, dit Tallemant, fait une lâcheté pour sa vie; noble caractère, plein de dignité et de fière délicatesse, en même temps qu'il maniait la plume, il n'oubliait pas qu'il avait une épée, et si, comme tous ses confrères en Apollon, il eût volontiers pris une enseigne de poëte, il l'eût surmontée de son blason[12]…»
[12] Livet.—Précieux et Précieuses.
Ajoutons, avec Conrart, qu'«il étoit grand, bien fait, de bonne mine, et sentant son homme de qualité; que sa piété étoit sincère, sa probité à toute épreuve, ses mœurs sages et bien réglées; qu'il avoit le cœur aussi noble que le corps; l'âme droite et naturellement vertueuse; l'esprit élevé, moins fécond que judicieux; l'humeur ardente et prompte, fort porté à la colère, quoiqu'il eût l'air grave et concentré…»
Tel était, à cette époque, le favori de Marie de Médicis, Gombauld «la froide mine», comme dira Saint-Évremont dans la Comédie des Académistes.
L'Endymion parut en 1624.
Dans ce petit roman allégorique en prose, qui marque assez bien la transition dans le genre héroïque, entre le roman de bergeries d'Honoré d'Urfé, et les grands romans d'aventures ou de mœurs de Gomberville, de La Calprenède et de Mlle de Scudéry, Gombauld chante, sous le couvert des amours mythologiques d'Endymion et de la Lune, son propre amour pour la Reine-Mère, sa protectrice.
Ce qu'il y a de curieux, c'est que le Privilége, daté du -20-26 octobre 1624, mentionne ouvertement l'approbation d'Anne d'Autriche, la femme de Louis XIII, et, cependant, les allusions du poëme étaient si peu voilées que, dans les dix-sept vignettes qui ornaient l'ouvrage, les graveurs et les dessinateurs, Léonard Gautier, Crispin de Pas et J. Picard, n'avaient pas hésité à représenter les personnages sous des traits connus de tout le monde!
«Ce livre fit un furieux bruit, dit Tallemant des Réaux. On disoit que la Lune, c'estoit la Reyne-Mère; et effectivement, dans les tailles-douces, c'est la Reyne-Mère, avec un croissant sur la teste. On disoit que cette Iris qui apparoist à Endymion au bout d'un bois, c'estoit Mademoiselle Catherine. La Reyne témoigna de le vouloir entendre lire, car il avoit beaucoup de réputation, et effectivement c'est un beau songe. Pour luy, il y entend cent mystères que les autres ne comprennent pas; car il dit que c'est une image de la vie de la Cour, et que qui le lira avec cet esprit y trouvera beaucoup plus de satisfaction. Il en avoit tant fait de lectures avant que de le faire imprimer, que M. de Candale, quand ce livre fut mis en lumière, dit que la deuxième édition ne valoist pas la première; car il lit bien et fait bien valoir ce qu'il lit…»
A propos du désir que la Reine avait témoigné d'entendre Gombauld lui-même lire son petit ouvrage, Tallemant raconte une anecdote, qui montre quel soin méticuleux de plaire, quel amour-propre de poëte mêlé de naïve défiance dans ses propres forces, le gentilhomme auteur désirait apporter dans l'exposition de son œuvre:
«Dès que Gombauld, dit-il, crut que la Reyne luy vouloit faire cet honneur, il alla trouver Mme de Rambouillet, qui a toujours esté de ses amies, et la pria de luy vouloir dire son avis sur la manière dont il s'y devoit prendre.
»—Madame, luy dit-il, prenez que vous soyez la Reyne, et j'entreray avec mon livre.
»En disant cela, il va dans l'antichambre; Mme de Rambouillet se mordoit les lèvres de peur de rire. Il rentre un peu après avec des grimaces les plus plaisantes du monde, et à tout bout de champ il luy demandoit:
-21-»—Cela sera-t-il bien ainsi?
»—Ouy, Monsieur, fort bien.
»Il s'approche et commence à lire.
»—Madame, trouvez-vous ce ton-là comme il faut? N'est-il point trop haut? Est-il assez respectueux?
»Et luy demandoit comme cela sur toutes choses.
»Elle dit qu'elle n'a jamais mieux passé son temps en sa vie; mais que, pour avoir un plaisir parfait, il eust fallu que quelqu'un les eust veûs, et qu'elle l'eust sceû.
»Cependant, je ne sçay pas par quelle aventure tout ce soing fut inutile, car il dit qu'il n'a jamais lu Endymion à la Reyne-Mère…»
Le petit roman de Gombauld, qui eut une seconde édition en 1626, est devenu fort rare, et les bibliophiles s'en arrachent avec passion les quelques exemplaires, ordinairement reliés avec le plus grand luxe, qui passent dans les ventes publiques à de longs intervalles; mais les vignettes de Picard et de Crispin de Pas les attirent beaucoup plus que la prose du favori de Médicis: et franchement, c'est là le seul attrait du livre; car, si les lecteurs contemporains n'avaient point su d'avance que Phébé représentait la reine et Endymion le poëte, cette fade rapsodie mythologique, quoique les dieux fussent alors très à la mode, n'eût pas obtenu le moindre succès[13].
[13] Le roman de Gombauld a été l'objet d'un article de Baillet, qui, en trois lignes de ses Jugements des savants, commet à son sujet deux graves erreurs: «Son Endymion, dit-il en parlant de Gombauld, est le fruit du premier âge, et l'approbation qu'il en reçut du public lui augmenta le courage que le succès de ses autres poésies entretint presque jusqu'à la fin de ses jours.—Un fruit du premier âge, éclos à cinquante ans passés, nous semble fort aventuré; puis, le roman de Gombauld est écrit en prose et non pas en vers! Beaucoup de biographes ayant pillé, puis copié Baillet, nous avons cru devoir relever spécialement ces deux erreurs.
«Les Mémoires du temps s'accordent à dire que l'ouvrage fit un furieux bruit et que les vers en sont admirables, dit M. Paul de Musset. Si je n'en cite rien, ajoute-t-il, c'est parce que je sais d'avance que les gens d'aujourd'hui le trouveraient faible et le tourneraient peut-être en dérision…»—M. de Musset n'a-t-il pas une autre raison bien meilleure pour n'en rien citer? Il ne l'a sans doute jamais vu, puisqu'il croit que c'est un poëme en vers.
-22-La Dédicace à la jeune Reine est assez curieuse:
«Madame, on peut dire aujourd'huy d'Endymion, que la Lune l'avoit endormy et que le Soleil le resveille; puisque les commandemens de Vostre Majesté l'obligent de revoir le jour[14], et qu'il n'y avoit plus désormais pour luy de sommeil si profond qui ne fust mille fois interrompu du bruit de vostre gloire. Mais bien que ses yeux soient de longtemps accoustumez à la contemplation des plus beaux astres, j'aurois tout sujet de craindre qu'il ne peust que fort malaisément subsister devant vostre lumière, si je n'estois d'ailleurs tout asseuré que la vertu n'offense jamais ceux qui la servent et qui l'adorent, et que Vostre Majesté qui la représente en toutes choses, nous faict aussi bien voir, toutes les fois que nous luy rendons la sousmission et la révérence qui luy est deüe, qu'elle n'est point née pour nostre confusion, ny pour nostre perte, mais pour le bonheur et pour la félicité du monde… Puisqu'il est ainsy, Madame, que les qualitez qui reluysent en Vostre Majesté sont du tout esloignées de la comparaison des choses mortelles et des termes que nous avons accoustumé de les exprimer, j'ayme beaucoup mieux confesser ma foiblesse, que de voir accuser ma témérité, si l'extresme désir que j'ay de contribuer quelques traicts à sa louange, me faisoit parler trop humainement d'une chose véritablement divine. Je n'ay donc plus rien à dire, sinon que mon obéyssance me doit obtenir, par tout le monde, toute l'excuse que je sçaurois désirer pour Endymion et pour moy-mesme: et que Vostre Majesté, Madame (afin que je finisse comme j'ay commencé), donnant le jour à cet ouvrage, fait bien voir que la Lune, en quelque façon que ce soit, doit tousjours sa lumière au Soleil: et moy tout ce que je suis capable d'employer de soin et d'industrie, pour me rendre plus digne des commandemens dont Vostre Majesté daigne gratifier,—Madame,—son très-humble, très-obéyssant et très-fidelle suject et serviteur,—Gombauld.»
[14] C'est bien en effet la jeune Reine, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, qui engagea Gombauld à publier son livre, ou du moins à l'illustrer magnifiquement! «… Nostre bien aymé Nicolas Buon, marchand-libraire en nostre ville de Paris, dit le Privilége, nous a fait remonstrer qu'il a recouvert un livre intitulé l'Endymion, composé par le sieur de Gombauld, pour l'embellissement duquel, et pour satisfaire au désir de la Reyne, nostre très-honorée compagne et espouse, il a fait tailler plusieurs belles figures en taille-douce, pour lesquelles il luy a convenu faire de grandes dépenses, etc…»—Le magnifique frontispice gravé porte pour titre: «L'Endymion de Gombauld.» Et au bas on lit: «A Paris, M.D.C.XXIIII. Chez Nicolas Buon, rue Saint-Jacques, à l'Enseigne St-Claude et de l'Homme-Sauvage.»
Cela est fort ampoulé, et donnerait, si nous arrêtions là nos citations, une idée peu avantageuse de la prose de -23-Gombauld: mais il ne tarde pas à changer d'allure. Voici d'abord quelques confidences adressées «au Lecteur».
«… Il y a quelques années qu'un de mes amis[15] ayant sujet de se plaindre d'une des plus grandes beautez du monde[16], en qui l'on ne sçauroit trouver rien à redire que le seul changement qu'il désiroit luy reprocher par mes paroles, j'escrivis en sa faveur cette petite adventure, estant esgalement pressé de l'occasion qui se présentoit de la faire voir, et de l'impatience qu'il avoit de se plaindre. Et afin d'en faire mieux lire la plainte, et de la rendre plus agréable, je me résolus d'en desguiser quelque peu la vérité soubs la fable d'Endymion et de la Lune. Mais il y a beaucoup de différence d'un livre qu'on veut exposer au jugement de tout le monde, et d'un petit discours qui n'est faict à d'autre fin que pour estre leü seulement une fois d'une personne qu'on respecte, et pour luy représenter de meilleure grâce ce que la bouche n'oseroit dire, et ce qu'une lettre ne sçauroit comprendre.—Si bien que je fus tout estonné de voir que l'amitié des uns et l'authorité des autres me pressoient esgalement de le mettre au jour, et ne se lassoient jamais de me le faire lire: et puis, il faut si nécessairement obéyr à la volonté des Dames, qu'on n'en peut avoir dispense par aucune sorte de raison ny d'excuse. Toutes ces choses me donnoient si peu de repos, qu'une fois il me prit fantaisie de l'abandonner aux injures des siècles sans y mettre mon nom, et sans luy donner d'autre sauf-conduit que ces vers:
Je ne suis fait que pour Diane;Et, mystérieux ou profane,On me voit malgré mon autheur,Qui n'a soucy, ny qu'on le nomme,Ny d'en obliger un seul homme,Ny de s'excuser au lecteur.»Toutesfois, si tost que je l'eus considéré tant soit peu, moy, qui pour trop le lire aux autres, n'avois pas le courage de le lire pour moy-mesme, j'eus bientost changé d'opinion, quand je vis que pour l'avoir fait trop promptement, il n'y avoit presque point d'espérance de le rendre meilleur, et qu'il me seroit plus expédient de le refaire tout entier que d'en corriger une partie. Cependant l'occasion de s'en servir estoit perdue. Endymion luy-mesme ne s'en soucioit plus, et Diane encore moins que personne du monde: tellement que sans la puissance absolue qui l'a resveillé, j'estois résolu de le laisser dormir éternellement…»
[15] Cet ami nous semble fort devoir le représenter lui-même.
[16] Sans doute la Reine-Mère, Marie de Médicis, qui se contentait de ses hommages respectueux.
Puis, après avoir discuté les reproches que plusieurs «envieux» lui avaient faits, celui-ci par exemple: «… Vous -24-faictes vostre Endymion de complexion plus amoureuse qu'un Pâris, et toutesfois plus sévère et plus retenu qu'un Hippolyte; il n'est point perfide, il n'est point surmonté de sa cholère, ny possédé de l'amour d'une captive, non pas mesme d'une beauté mortelle: il n'a pour object qu'une Déesse et pour fin principale que la vertu…», l'auteur s'adresse à son livre et à son héros luy-mesme:
«Courage, Endymion, nous ne sommes pas du tout abandonnez: plusieurs ont entrepris nostre défense; et, tout bien considéré, nous n'avons point encore ouy dire qu'une seule personne de mérite et d'estime nous ayt suscité ces murmures. Quelle louange peut-on espérer de ceux qui se mettent eux-mesmes dans l'infamie? Aristide ny Socrate ne nous accusant point, qu'avons-nous affaire de nous esmouvoir? Qu'on parle ou qu'on escrive contre nous, ne soyons point injurieux aux misérables, ny à ceux qui se défont de telle sorte, qu'ils n'ont pas besoin d'autres ennemys que d'eux-mesmes… Et si nous sommes dignes d'avoir tant d'envieux, nous tirerons mesme quelque bien du mal qu'ils nous voudront faire, et ferons voir (quelque douces que soient les faveurs de la gloire) que nous aymons tousjours beaucoup mieux un advis qu'une louange!»
Ayant ainsi pris son parti en gentilhomme, Gombauld nous transporte près de la ville d'Héraclée, sur le sommet du mont Lathmos, où Endymion, épris d'une respectueuse passion pour Diane, s'est, un soir, endormi en regardant la Lune, et vient de faire un rêve amoureux qu'il a pris pour une réalité: il raconte à son ami Pisandre toutes les péripéties de son rêve, les faveurs et les cruautés de la Déesse, ses voyages dans le bois sacré, ses combats contre les monstres qui en gardent les abords, les étranges aventures d'Amphidamas et de Diophanie et les amours de Sthénobée… «Je me doutois bien, Pysandre, dit Endymion à la fin de son récit, que mes aventures te sembleroient si estranges, que tu les prendrois plustost pour des songes, que pour des véritez…—Depuis ce temps-là, tousjours il continua de raconter à tout le monde les loüanges de Diane, bien qu'elle fust la seule cause de ses malheurs et de ses peines, et qu'il eust perdu la meilleure part de son temps et de sa vie, soit aux longues veilles qu'il avoit employées à la contemplation de ses beautez et de sa gloire, soit au long sommeil qu'elle l'avoit faict dormir.»
-25-Ainsi se termine le roman, et l'on a déjà pu saisir plusieurs allusions assez directes à l'amour sans espoir du poëte pour la Reine. Voici quelques autres passages qui furent très-remarqués.
Ismène indique à Endymion les lieux du séjour préféré de Diane; puis elle ajoute:
«D'ailleurs, elle y est ordinairement accompagnée de ses Nymphes, que leur profession et leur exercice ont rendu la pluspart si rigoureuses et si peu capables de conversation, que la présence des hommes seulement les offense, et peu s'en faut qu'elles ne leur déclarent la mesme guerre qu'elles font aux bestes les plus sauvages. Mais ce qui est de plus fascheux et de plus insupportable à ceux qui désirent l'abord de la Déesse, c'est qu'il y en a d'entre elles qui ne la perdent non plus de veüe, que si le Ciel la leur avoit donnée en garde. Une Doris, une Laomédée, nymphes ambitieuses, jalouses et curieuses, la tiennent de si près, et l'assiégent de telle sorte, qu'elle n'est pas seulement inaccessible, mais aussi véritablement captive. Encore seroit-ce peu de chose qu'elles voulussent tout sçavoir, tout contreroller et tout conduire, si elles ne vouloient point aussy tout avoir. Il n'est pas croyable comme les Dieux mesmes aussy bien que les hommes, par je ne sçay quel excès de bonté et d'indulgence, se laissent mener insensiblement à l'appétit de ceux qu'ils ayment. Si bien que pour trop gratifier une seule, ou deux, ou trois personnes, il semble qu'ils diminuent beaucoup de la libéralité qu'ils donnent à plusieurs, que je ne die, à tout le monde. Un petit nombre est comblé de leurs bienfaicts, cependant qu'une multitude en pâtit, accuse en vain le ciel, et déteste la façon de gouverner avec la vie et la lumière. Dirons-nous pourtant que les Dieux en sont moins justes? Non; mais disons plustost qu'ils gouvernent toutes choses, comme il plaist à la Destinée, selon l'innocence ou la corruption des siècles. Ce que je te dis, Endymion, pour l'affection que je te porte, afin que tu n'oublies rien à considérer…»
Est-il besoin d'écrire au-dessous de cette tirade: Tableau de la Cour? Voici la Reine-Mère sous le portrait de Diane:
«Parmy tant de perfections, dit Endymion, je ne sçavois laquelle je devois considérer la première: et le désir que j'avois de les voir toutes faisoit que je n'en examinois pas une, et que je ne voyois rien que confusément. Tantost je m'estonnois de voir qu'en une si parfaicte stature, en quoy elle surpassoit beaucoup les mieux formées d'entre les femmes, elle représentoit avoir une aage si tendre: car son teint estoit plus jeune et plus beau qu'on ne le voit en la première fleur de la jeunesse mesme; estant meslé de certaines clartez qui sembloient accorder les feux avec les fleurs, et assisté d'une vertu divine qui défendoit aux Saisons de ne luy faire point d'injure, et qui l'exemptoit pour jamais de la juridiction des années.—Tantost j'admirois en elle je ne sçay quelle douce fierté, -26-qui, comme elle a des appas pour attirer à soy les plus généreux courages, ne manque point aussy de rigueurs pour rebutter ceux que la crainte accuse au dedans d'avoir peu de mérite, et pour leur défendre de s'en approcher.—Il sembloit que l'Honneur et la Majesté se tenoient sur son front, comme sur un siége d'yvoire bien poly, faisant leur demeure éternelle sous le riche ornement de ses beaux cheveux, dont les uns estoient tressez et cordonnez, et les autres retroussez et noüez à la Laconienne, avec plus de grâce que d'artifice; n'ayans pas besoin qu'on adjoustast rien à leur lustre, non plus qu'à leur nombre. Quelques-uns négligemment espars, et comme eschappez des liens et de la captivité des autres, se mouvoient sur ses joües vermeilles et sur ses espaules; et là, pour y souspirer en vain, s'alloient prendre, en se joüant, les Amours et les Zéphirs. On voyoit autour de sa bouche vermeille le Ris et la plus mignarde de toutes les Grâces, qui tous deux ensemble, parmy leurs appas et leurs caresses, en cultivoient les œillets au milieu des lys et des roses.—De quelque costé qu'elle tournast ses beaux yeux, tout ensemble si bruns et si clairs, l'air en un instant en estoit rendu si doux et si serein, que toutes choses en estoient embellies et reprenoient de nouvelles forces. Ce sont véritablement ces deux Astres qui, quand il leur plaist, font renaistre le Printemps sur la terre, et qui calment la mer quand elle est troublée. Mais à quoy m'obliges-tu, Pysandre? et qu'est-ce que j'entreprens? de te parler de ces yeux devant lesquels il n'y en a point d'autres qui puissent tenir ferme, ny contester tant soit peu, sans en estre ébloüys. Si bien qu'à tout propos j'estois contraint de baisser la veüe, que je laissois tomber sur cette belle gorge; bien que c'estoit la détourner des feux et des esclairs, pour l'aller perdre dans les neiges de son sein, etc…»
Plus loin, on reconnaissait encore d'une manière frappante la situation du poëte à la Cour, devant la froideur apparente de la Reine:
«… C'est en ces lieux-là, Pysandre, qu'insensible au mal qui ne menaçoit pas seulement ma vie, mais qui desjà la pressoit, j'ay demeuré tout le temps que tu ne m'as point veü; que j'ay passé la plus grande part en oysiveté, sous les frais ombrages, le long des ruisseaux, parmy les fleurs et les herbes odorantes, entre les Nymphes et les Sireines, au comble de mille voluptez, si mon esprit eust esté capable de les ressentir, estant d'ailleurs comme il estoit réduit au comble de mille peines.—Ce n'estoient que festins où je n'estois traitté que des viandes les plus exquises; ce n'estoit que musique de voix et d'instruments, que danses de jeunes hommes et de belles filles. Enfin, ce n'estoient que jeux et que délices. Si j'estois accompagné, aussi estois-je seul quand je voulois: et, choisissant les exercices qui m'estoient les plus agréables, j'allois d'ordinaire m'escarter par la forest, où plusieurs fois je rencontray Diane, dont la seule présence me faisoit vivre, au mesme temps que son changement et le souvenir du passé me faisoient mourir.—Tantost je la voyois passer accompagnée des soixante filles de l'Océan, et des -27-vingt autres qui ont le soin de ses arcs, de ses flèches, de ses brodequins et de ses chiens. Tantost je la voyois retourner de la chasse toute fière et glorieuse des Lions, des Ours et des Monstres qu'elle avoit terrassés.—Parfois aussi je la trouvois qu'elle estoit presque seule, où je pouvois tout à loisir la considérer et me faire voir. Mais le croirois-tu bien? Pysandre; si est-il bien vray, encore qu'il ne soit pas croyable! Quoiqu'elle me vist en l'estat où j'estois, portant la chaisne qu'elle cognoissoit bien et que je ne cognoissois pas moy-mesme, marque non-seulement de ma captivité, mais aussy de la fin à laquelle j'estois destiné; quoy qu'elle sceut bien que je m'en allois mourir pour elle, cependant elle eust le courage de me regarder sans pitié, comme si elle eust esté changée en une autre, ou qu'elle eust perdu tout d'un coup pour moy le ressentiment, le souvenir, la cognoissance et la parole…»
Mais, c'est trop nous attarder près de ce petit roman, dont le sujet se trouve résumé dans ces six vers de l'oracle à Endymion:
[17] Tous les romans de cette époque contiennent beaucoup de pièces de vers, plaintes, élégies, chansons, sonnets, stances, odes, etc… La Carithée, de Gomberville, qui parut en 1621, peut passer pour le type de ce genre mixte, qui alliait intimement la poésie avec la prose. Il est remarquable que le roman de Gombauld, si souvent donné par les bibliographes pour un poëme en vers, ne contienne absolument, en fait de poésie, que l'oracle précédent, composé de deux strophes de six vers.
et nous terminerons nos citations par un fragment remarquable, qui peut figurer honorablement parmi les meilleurs morceaux de prose française de cette époque:
«Les grandes beautez ont je ne sçay quoy de plus divin et de plus puissant que les sceptres et les empires: et l'extresme disposition que nous avons de les aymer, fait que nostre opinion leur adjouste encore de nouvelles puissances et de nouveaux charmes. Elles sçavent si naturellement, et sans l'avoir jamais appris, l'art de persuader et de contraindre, que leur silence mesme est plus éloquent que toute sorte de langage. Nous ne les sçaurions voir sans estonnement, ny sans trouble; et leur seule présence en un instant nous fait perdre le jugement, la force et le courage. Car il sort de certains esprits de leurs yeux qui nous donnent telle inspiration et tel mouvement que bon leur semble, et par des chaisnes invisibles nous forcent et nous tirent si doucement, qu'ils nous -28-obligent de les suivre sans aucune contradiction et sans résistance. Un ris, un geste, un mouvement nous ravit en admiration, nous faict souspirer, et nous transporte. Que dirai-je davantage? Un seul regard nous charme, nous ensorcèle, nous boit le sang, nous transforme et nous rend insensez. Non, Pysandre, je croy que si le monde estoit sans femmes, nous aurions une familière conversation avec les Dieux. Car, en effect, qu'est-ce qu'elles ne prennent point sur nos âmes? et quelle persuasion, quelle contrainte ou quelle gesne est comparable à la force de leurs appas? O Jupiter! toutes les offences, les malices, les propos décevans, les artifices, les faux serments, la perte du temps et les vains travaux auxquels elles nous obligent, ne seront-ils pas pardonnables? Moy qui ne devois et ne pouvois plus rien aymer au monde, et qui ne respirois que le service d'une Déesse, si est-ce qu'en quelque part que celle belle Sthénobée me fust présente, j'avois beaucoup de peine à m'empescher d'user de je ne sçay quel langage des yeux, d'un silence persuasif, d'un geste plus éloquent que la parole mesme, d'une négligence pleine d'artifice, et d'une façon discrette et modérée en soy-mesme, mais envers autruy pleine de violence, etc., etc…»
Arrêtons-nous là.—Aussi bien préférons-nous étudier plus à loisir la seconde œuvre de Gombauld, qui, loin d'être éphémère, eut une renommée durable, et marque une étape sérieuse dans les progrès du théâtre en France. Nous y retrouverons, du reste, des allusions directes à la Reine-Mère, car l'Amaranthe parut en 1625, entre les deux éditions du roman d'Endymion: et le poëte ne pouvait résister au désir d'afficher bien haut sa faveur.
Cette pastorale est dédiée à la Reine-Mère: «Les rares qualitez d'Amaranthe représentent quelque ombre de celles de Vostre Majesté,» dit Gombauld dans la Dédicace; et il ajoute: «Si l'on peut représenter une ombre des choses qui n'en ont point, et qui ne sont que gloire et que lumière…» On n'est pas plus galant. Cette pièce eut un succès remarquable; et, de nos jours, nos plus éminents critiques lui ont consacré quelques pages élogieuses, qui ne peuvent pas avoir le caractère d'une réhabilitation, car voici un témoignage à peu près contemporain et très-concluant: «Il s'étoit passé un long temps, dit Sorel, dans sa Bibliothèque française, que les comédiens n'avoient eu d'autre poëte que le vieux Hardy, qui, à ce que l'on dit, avoit fait cinq ou six cens pièces: mais, depuis que Théophile eut fait joüer sa Thisbé (1617) et Mairet sa Sylvie (1621), -29-M. de Racan ses Bergeries (1618), et M. de Gombauld son Amaranthe (1625), le théâtre fut plus célèbre, et plusieurs s'efforcèrent d'y donner un nouvel entretien. Les poëtes ne firent plus de difficultés de laisser mettre leur nom aux affiches des comédiens; car, auparavant, on n'y en avoit jamais vu aucun: on y mettoit seulement le nom des pièces, et les comédiens annonçoient seulement que leur autheur leur donnoit une comédie nouvelle d'un tel nom[18].»
[18] Sorel, Bibl. franç., p. 183.
Voilà, certes, un point d'histoire littéraire intéressant: et ce n'est pas un petit honneur pour Gombauld d'avoir, par le succès de sa pastorale, contribué pour sa part, avec Racan, Théophile et Mairet, à vaincre le respect humain qui forçait les auteurs à ne pas reconnaître sur les affiches la paternité de leurs œuvres. L'Arthénice de Racan, en 1618, et la Sylvie de Mairet, en 1621, avaient produit coup sur coup deux révolutions dans la pastorale, genre dramatique que la vogue des fictions romanesques italiennes et espagnoles, ainsi que celle de l'Astrée, accréditèrent en France pendant plus de quarante ans. Racan, l'élève chéri de Malherbe, éclipsa dès son premier essai tous ses prédécesseurs, par l'élégance et la pureté de son style: aussi ses Bergeries font-elles partie du domaine de la grande histoire littéraire. Il est de ceux qui ont contribué à fixer la langue française; mais le plan de ses petits drames ne s'éloignait guère de la simplicité primitive de ceux de Hardy ou de ses pairs. Racan a le seul mérite d'avoir accompli au théâtre la révolution du style.
Mairet fit un pas de plus, mais dans un autre sens. Sa Sylvie, dont le succès toujours croissant dura plus de vingt années, tellement que, lors de l'apparition du Cid en 1636, on la comparaît volontiers avec le chef-d'œuvre cornélien, la Sylvie, dis-je, présenta aux oreilles des spectateurs ravis une nouveauté sans exemple: celle, dit M. Saint-Marc Girardin, «de l'éloquence dans la passion. L'amour n'avait pas encore, sur le théâtre, parlé ce langage à la fois noble et passionné. Le sujet de la Sylvie s'y prêtait. Ce sont bien -30-encore, il est vrai, des amours pastorales, et la scène se passe aux champs; Sylvie n'est qu'une simple bergère; mais Thélame, son amant, est un prince. Il est fils du roi de Sicile, et il quitte son palais tous les matins pour venir trouver Sylvie dans la prairie où elle fait paître son troupeau. C'est l'églogue mêlée à l'épopée[19]». De là une élévation particulière de sentiments, un mélange de scènes tantôt gracieuses, tantôt élevées, qui donne nettement à Sylvie ce caractère particulier d'avoir servi de transition entre la pastorale proprement dite et la tragédie.
[19] Saint-Marc Girardin, Cours de litt. dram., III, 321.
Gombauld, l'homme des transitions, parce qu'il n'avait que du talent et de l'imagination, et non pas du génie pour s'élever jusqu'aux sublimes hauteurs de l'art, marcha sur les traces de Mairet et, continuant son œuvre, prépara de cette façon les voies au grand Corneille. «Sa pastorale, dit M. Saint-Marc Girardin, a quelques-unes des qualités et quelques-uns des défauts de la Sylvie. Elle a d'abord, comme la Sylvie, le défaut de n'être presque pas une pastorale. Nous touchons au roman à grandes aventures: les événements sont extraordinaires et confus; mais les personnages, et deux surtout, Amaranthe et Oronte, ont des passions qu'ils expriment d'une manière vive et touchante. C'est par là que le drame se soutient.»
Une chose qui n'a pas été suffisamment remarquée nous frappe particulièrement dès l'abord, et l'histoire littéraire y est trop intéressée pour que nous la passions sous silence. Lorsque Gombauld publia sa pastorale après le succès de la représentation, il la fit précéder, non pas seulement d'une Dédicace à la Reine-Mère, mais encore d'une longue Préface, assez piquante et fort bien écrite, dans laquelle il exposait, suivant l'habitude consacrée à cette époque, ses idées personnelles sur les règles du poëme qu'il allait dérouler devant le lecteur. Il n'est pas d'ouvrage important, publié pendant la première moitié du XVIIe siècle, qui ne soit ainsi précédé d'une véritable poétique. Dans la Préface de l'Amaranthe, Gombauld se montre essentiellement novateur, et quelques mots d'explication préparatoire sont ici nécessaires.
-31-Tous les critiques, se répétant l'un après l'autre, et La Harpe en particulier, dans son Cours de littérature, affirment très-nettement que la Sophonisbe de Mairet fut la première pièce de théâtre française, dans laquelle fut respectée la règle des trois unités; on ajoute même que cela parut si bizarre aux comédiens, qu'ils refusèrent pendant quelque temps de la jouer, croyant une pareille innovation préjudiciable à leurs intérêts. Cette assertion, beaucoup trop souvent reproduite, est devenue en quelque sorte classique, et nous en trouvons l'origine probable dans ce passage du Segraisiana que nous citons textuellement:
«Ce fut M. Chapelain qui fut cause que l'on commença à faire observer la règle des vingt-quatre heures dans les pièces de théâtre: et parce qu'il falloit premièrement la faire agréer aux comédiens qui imposoient alors la loy aux auteurs, sçachant que M. le comte de Fiesque qui avoit infiniment de l'esprit, avoit du crédit auprès d'eux, il le pria de leur en parler, comme il fit. Il communiqua la chose à M. Mairet qui fit la Sophonisbe, qui est la première pièce où cette règle est observée. M. Desmarets fit ensuite les Visionnaires sur la même règle, quoiqu'il introduise un auteur qui s'oppose au changement qui se fit alors[20].»
[20] Segraisiana, éd. 1723, I (160-161).
Voilà comme on écrit l'histoire. Or, on sait que la Sophonisbe de Mairet date de l'année 1629: et le même auteur avait déjà donné, en 1625, une tragi-comédie intitulée Sylvanire, dans laquelle la règle des unités se trouvait appliquée, et qu'il précéda d'une longue Préface adressée au comte de Cramail, pour se justifier aux yeux du public: disant que le comte de Cramail et le cardinal de La Valette l'ayant engagé à composer une pastorale en observant les règles pratiquées par les poëtes italiens, il avait reconnu que l'art de ces derniers ne consistait «qu'à se conformer aux modèles que les poëtes dramatiques de la Grèce et de l'ancienne Rome nous ont laissés». Voici donc quatre années de gagnées sur la date fixée par Segrais, et la Sylvanire doit avoir la priorité sur la Sophonisbe. Mais il y a plus: au moment même où Mairet adressait sa Préface au comte de Cramail, Gombauld faisait -32-une profession de foi semblable dans la poétique placée en tête de l'Amaranthe, et déclarait avoir observé, dans sa pastorale, les règles d'Aristote,—nouveauté hardie dont il demandait grâce aux spectateurs, mais qui avait été fort connue des anciens:—«C'est la vérité, dit Gombauld dans sa Préface, que tous ceux qui ont mérité quelque estime en ce genre d'escrire (la poésie dramatique), n'ont représenté que ce qui pouvoit arriver du matin au soir, ou du soir au matin.» Et plus loin: «… La tromperie seroit bien grossière qui voudroit faire passer la scène non pour une île, ou pour une province, mais pour tout l'univers.» Rien de plus net, et Gombauld malmène si lestement, en plusieurs passages, «ces esprits gaillards» qui n'ont que des paroles de blâme et de mépris pour les règles anciennes, qu'on ne peut lui refuser l'honneur d'avoir, l'un des premiers, planté sur le Parnasse français le drapeau des règles classiques.
Il y avait une certaine témérité à tenter l'aventure, car le poëte Rayssiguer avouait naturellement, quelques années plus tard, dans la Préface d'Aminte, «que la plus grande part de ceux qui portent le teston à l'hostel de Bourgogne, veulent que l'on contente leurs yeux par la diversité et le changement de la scène du théâtre, et que le grand nombre des accidens et aventures extraordinaires leur ôtent la connoissance du sujet. Ainsi, ceux qui veulent faire le profit et l'avantage des Messieurs qui récitent leurs vers, sont obligés d'escrire sans observer aucune règle[21]». Gombauld ne négligea point «les accidens» dans son Amaranthe, et la fable de cette pastorale est assez compliquée; mais, du moins, il sut plier son sujet à la poétique nouvelle, et contribuer avec Mairet, par le succès de son ouvrage, à rendre acceptables au public les chefs-d'œuvre de Corneille, dont la première pièce devait paraître en 1629.
[21] Préface de l'Aminte, pastorale en cinq actes.—1631.
Entrons maintenant au théâtre de l'hôtel de Bourgogne, payons notre «teston» et, d'abord, écoutons le Prologue que le poëte, suivant l'usage de cette époque, a placé en tête de son ouvrage.—Nous ne le citerions point, s'il n'y était fait une allusion directe à Marie de Médicis. Gombauld -33-représente l'Aurore venant faire aux spectateurs une déclaration pompeuse en l'honneur des hôtes du Louvre. Cela s'adapte peu au sujet, mais la mode est souveraine; et l'Aurore a beau s'écrier qu'elle est
on ne s'explique guère comment cette Aurore a la prétention de représenter Marie de Médicis elle-même, ni à quel propos elle débite ses tirades:
On sait en effet que Tithon-Henri IV avoit vingt-trois ans de plus que Marie, et l'on peut se demander si ce rapprochement est des plus flatteurs: mais voici des allusions encore plus transparentes au sujet de Céphale, qui pourrait bien être le poëte lui-même:
[22] Anne d'Autriche.
Ce dernier vers, qui porte beaucoup trop l'empreinte de l'École précieuse, est un sacrifice fait au goût du temps: on trouve peu de ces taches dans l'œuvre de Gombauld, dont la versification a, en général, beaucoup de fermeté: il est vrai qu'elle n'est pas toujours également soutenue. Mais laissons le Prologue.
Amaranthe est une bergère d'une merveilleuse beauté, que tous les bergers de Phrygie adorent, et qui les dédaigne -34-tous; en sorte que sa cruauté les réduit au désespoir, et que dans les campagnes désolées, dont les échos retentissent de pleurs ou de soupirs, les autres bergères ne trouvent plus d'amants ni de maris. Cela devient une véritable calamité publique, d'autant plus que le père de la belle, le berger Daphnis, a jadis promis solennellement au riche Timandre de donner sa fille à son fils, Polydamon, disparu depuis quelques années, et que, pour ne point trahir sa promesse, il éconduit tous les soupirants. Mais les Dieux consultés déclarent qu'Amaranthe doit faire un choix entre tous les bergers; elle l'a déjà fait au fond de son cœur, car elle aime le berger Alexis, qui, malheureusement sans parents et sans biens, inconnu et jeté par un naufrage sur les côtes de Phrygie, ne peut pas aspirer à l'honneur de sa main. Cependant le jour fatal arrive où Amaranthe doit se prononcer; chacun des deux amants se désespère et prend pour confident de sa douleur un autre berger ou une autre bergère… On remarquera dans l'entretien d'Amaranthe avec la nymphe Delphise un passage fort curieux, tel qu'on en rencontra plus tard dans les innombrables poëmes épiques du commencement du règne de Louis XIV, et dans lequel Delphise, prédisant à la bergère le brillant avenir de sa race future, représente un tableau frappant de la famille de Louis XIII. Cette fois, Amaranthe elle-même n'est autre que Marie de Médicis:
[23] Louis XIII.
[24] Un second fils, mort jeune.
[25] Gaston d'Orléans.
-35-Et ce tribut d'hommages rendu publiquement à la famille royale par le poëte courtisan, en reconnaissance de la faveur dont l'honorait la Reine-Mère, était accueilli par les applaudissements unanimes d'un public qui saisissait les moindres nuances de ses allusions.
Cependant Alexis rencontre la bergère, et, sachant bien qu'il ne peut être choisi, il lui dit qu'il n'a plus qu'à mourir. La fière Amaranthe qui ne veut pas lui faire encore l'aveu de son amour, mais ne veut pas non plus qu'il croie qu'elle en aime un autre, lui répond par ce noble discours:
Elle finit par avertir Alexis de ne pas se présenter avec les autres bergers, quand elle déclarera sa résolution:
«Ce vers est charmant, remarque M. Saint-Marc Girardin; c'est un aveu fait avec une délicatesse ingénieuse, digne des romans de Mme de La Fayette, mais qui ne se sent guère de la simplicité pastorale…» Ajoutons que le contact de l'hôtel de Rambouillet ne lui est pas étranger.
Un autre personnage vient compliquer l'action et la dramatiser: c'est celui d'Oronte, fille de Timandre, dont les passions ne sont guère de l'idylle et se rapprochent -36-beaucoup, comme ce qui précède le dénouement, de la scène tragique. Bien qu'elle soit vouée au culte de Diane, Oronte aime Alexis et se désespère de le voir épris d'Amaranthe:
Pour se venger, elle fait rendre un oracle qui le condamne à mort, comme ayant tué un cerf consacré à Diane, que les bergers les plus agiles n'avaient pu voir que de loin, et dont la tête avait été proposée par Amaranthe, qui regardait pareil exploit comme impossible, pour prix de son cœur et de sa main.
Mais à peine Oronte a-t-elle exécuté sa vengeance, qu'elle s'en repent, et ses remords sont violents comme ses passions:
Le moment fatal arrive: et voyant qu'Alexis va périr, Amaranthe regrette sa réserve d'autrefois, déclare qu'elle l'aime, et puisque les Dieux lui ont ordonné de faire entre tous les bergers un choix qu'ils ont promis de consacrer, elle le choisit malgré l'oracle qui veut l'immoler:
s'écrie-t-elle en changeant sa timidité en hardiesse devant le danger qui menace son amant.—Pourquoi, dit Alexis, veux-tu défendre celui que condamne la loi des cieux?… -37-Alors s'engage entre tous les assistants ce que M. Barbier[26], dans son langage pittoresque, appelle une véritable lutte à coups de sentences philosophiques:
[26] Pierre Barbier, Études sur notre poésie ancienne.—Bourg, 1873, in-8o.
PALÉMON.
LE GRAND PRÊTRE.
Les hommes, répond Amaranthe, par un vers qu'on pourrait croire détaché d'une tragédie de Voltaire:
Tout à coup arrive Timandre, de retour d'un long voyage sur mer: il reconnaît dans Alexis, Polydomon, ce fils depuis longtemps perdu; Oronte retrouvant un frère à la place de celui qu'elle aime, sent la jalousie s'éloigner de son cœur, révoque l'arrêt de la Déesse… et l'on devine l'heureux dénouement de ces longues péripéties.
Tel est l'exposé succinct d'une pastorale présentant assez bien, par ses côtés voisins de la tragédie, le type du genre dramatique de transition qui se laissa bientôt, par une pente insensible, absorber dans le genre cornélien. Il est certain qu'en 1625 on était peu habitué à entendre au théâtre des vers aussi nobles et aussi soutenus: aussi ne saurait-on trop insister sur l'honneur qui doit revenir à Mairet, à Gombauld et, quelques années plus tard, à Rotrou, d'avoir, bien avant Corneille, accentué un progrès véritable dans la poésie dramatique. Le Cid fit une nouvelle révolution, cela est vrai; mais depuis une quinzaine d'années on comptait ses précurseurs.
Après avoir insisté sur le côté romanesque et tragique de l'œuvre de Gombauld, il serait bon de dire un mot de son côté pastoral. Après le roman, l'églogue. Nous n'hésiterons pas à dire qu'à ce point de vue Gombauld se trouve -38-bien inférieur à son ami Racan: l'affectation et la recherche font quelquefois tort à l'aimable simplicité de ses bergers. Ainsi ces deux vers:
nous paraissent, quoiqu'ils soient défendus par Ménage, plus voisins de l'hôtel de Rambouillet que des rives de la Phrygie. Gombauld, dit l'abbé Goujet, a mis beaucoup trop d'esprit dans cette pastorale: il faut convenir cependant que «l'on y trouve, dans quelques endroits, tout le naturel qui convient à un genre bucolique. La versification n'en est pas égale. C'est un défaut ordinaire à Gombauld dans tous ses ouvrages un peu longs. Il ne se soutient que dans ses petites poésies: aussi n'en a-t-on presque point d'autres…»
Or, voici précisément dans l'Amaranthe de petits poëmes complets et bien détachés qui présentent les qualités vantées par le savant bibliographe. Ce sont les morceaux récités par les chœurs; car il y avait encore des chœurs à cette époque, et les strophes de rhythmes très-divers, récitées par ceux de l'Amaranthe, méritent une sérieuse attention. Telle cette ode sur les passions humaines que nous reproduisons tout entière:
Nous voudrions citer encore les strophes sur la beauté des Nymphes, sur l'Amour, sur la Jalousie…; mais il est temps de terminer cette longue étude sur l'une des œuvres principales du poëte saintongeois.
On a dû penser, en lisant les vers que nous avons cités de la pastorale de Gombauld, que l'influence de Malherbe n'avait pas été tout à fait étrangère au caractère sobre et châtié de sa poésie. Gombauld et Malherbe étaient en effet grands amis; ils se voyaient constamment à l'hôtel de Rambouillet et, parfois, ils avaient ensemble des entretiens fort savants qui roulaient sur la grammaire ou sur la versification. Pellisson nous a conservé le souvenir d'un de ces entretiens dans son Histoire de l'Académie française; et nous citerons ce passage pour montrer jusqu'à quel point le maître et le disciple poussaient la minutie de leurs discussions littéraires. L'Académie ayant eu à faire l'examen de quelques stances de Malherbe, on remarqua que dans le vers suivant:
le grand poëte péchait contre ses propres règles; «car il tenoit pour maxime, dit Pellisson, que ces adjectifs qui ont la terminaison en é masculin ne devoient jamais être mis devant le substantif, mais après; au lieu que les autres qui ont la terminaison féminine, pouvoient être mis avant ou après, suivant qu'on le jugeroit à propos: qu'on pouvoit dire, par exemple, ce redoutable monarque, ou ce monarque redoutable; et, tout au contraire, qu'on pouvoit bien dire -40-ce monarque redouté, mais non pas ce redouté monarque».—«Je n'ai pas pris cet exemple sans raison et à l'aventure, ajoute-t-il, car j'ai souvent ouï dire à M. de Gombauld qu'avant qu'on eût encore fait cette réflexion, M. de Malherbe et lui se promenant ensemble, et parlant de certain vers de Mlle Anne de Rohan, où il y avoit:
M. de Malherbe assura plusieurs fois que cette fin lui déplaisoit, sans qu'il pût dire pourquoi; que cela l'obligea lui-même (Gombauld) d'y penser avec attention, et que sur l'heure même en ayant découvert la raison, il la dit à M. de Malherbe, qui en fut aussi aise que s'il eût trouvé un trésor, et en forma depuis cette règle générale…» Ménage, dans ses Observations sur Malherbe, donne une variante au récit de Pellisson: «M. Gombauld, dit-il, m'a aussi souvent conté cet entretien qu'il eut avec M. Malherbe; mais non pas tout à fait de la sorte que M. Pellisson l'a rapporté: car il m'a dit que ce fut toujours luy qui s'aperçut que redouté monarque ne valoit rien.» Quoi qu'il en soit, ajoute Ménage, cette règle ou de Malherbe ou de Gombauld est absolument fausse; l'oreille seule est le véritable guide à ce sujet, et la plus délicate admettra toujours qu'on puisse dire l'infortuné Tyrsis, ou l'infortuné Ménalque.
L'hôtel de Rambouillet n'était pas le seul cercle de Paris où Gombauld se rencontrât avec Malherbe. L'un des plus renommés, après celui de la marquise, était le salon de Mme des Loges, femme d'un gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, la dixième muse, comme on l'appelait souvent: rivale de Mlle de Gournay, la fille d'alliance de Montaigne.
«Mme des Loges, dit Conrart, a fait sa demeure à Paris et à la Cour, durant vingt-trois et vingt-quatre ans, pendant lesquels elle a été honorée, visitée et régalée de toutes les personnes les plus considérables, sans en excepter les plus grands princes et les princesses les plus illustres. Toutes les muses sembloient résider sous sa -41-protection ou lui rendre hommage, et sa maison étoit une académie d'ordinaire. Il n'y a aucun des meilleurs auteurs de ce temps, ni des plus polis du siècle, avec qui elle n'ait eu un particulier commerce, et de qui elle n'ait reçu mille belles lettres, de même que de plusieurs princes et princesses et autres grands. Il a été fait une infinité de vers et autres pièces à sa louange…»
Gombauld ne fut pas des moins ardents à célébrer les talents de cette femme célèbre; il composa même plusieurs Épigrammes à sa demande, et l'une de ces petites pièces de vers, connue sous le nom d'Impromptu de Madame des Loges, a fait quelque bruit dans le monde littéraire. C'était vers l'année 1621. Malherbe, raconte Balzac, dans le XXXVIIe de ses Entretiens, estoit un des plus assidus courtisans de Mme des Loges, «et la visitoit règlement de deux jours l'un». Se rendant à l'une de ces visites, et ayant trouvé sur la table du cabinet de la Dixième Muse le gros livre du ministre Du Moulin contre le cardinal du Perron, l'enthousiasme le saisit à la seule lecture du titre; il demanda une plume et du papier, puis écrivit ces dix vers:
Mme des Loges ayant lu les vers de Malherbe, piquée d'honneur, prit la même plume, et de l'autre côté du papier écrivit:
Telle est l'histoire racontée par Balzac, et l'on peut se demander comment Gombauld y joue le moindre rôle. C'est que Balzac, paraît-il, s'est complétement trompé d'attribution de personnages. «Depuis cette Note écrite et imprimée, dit Ménage, dans ses Observations sur Malherbe, j'ay su de M. de Racan que c'étoit luy qui avoit fait ces vers que M. de Balzac attribue à Malherbe, et que Gombauld avoit fait ceux que donne Balzac à Mme des Loges; et que la chose s'étoit passée de la manière que je vais la raconter. Mme des Loges, qui étoit de la religion prétendue réformée, avoit presté à M. de Racan le livre de Du Moulin, le Ministre, intitulé: Le Bouclier de la foi, et l'avoit obligé de le lire. M. de Racan, après l'avoir lu, fit sur ce livre cette Épigramme que M. de Balzac a altérée en plusieurs endroits:
»L'aïant communiquée à Malherbe qui l'étoit venu visiter dans ce temps-là, Malherbe l'écrivit de sa main dans le livre de Du Moulin, qu'il renvoya au mesme temps à Mme des Loges de la part de M. de Racan.
»Mme des Loges, voyant ces vers écrits de la main de Malherbe, crut qu'ils estoient de lui; et comme elle estoit extraordinairement zélée pour sa religion, elle ne voulut pas qu'ils demeurassent sans réponse. Elle pria Gombauld qui estoit de la mesme religion, et qui avoit le mesme zèle, d'y répondre. Gombauld (je le sais de luy-mesme) qui croyoit, comme Mme des Loges, que Malherbe estoit l'auteur de ces vers, y répondit par l'Épigramme que M. Balzac attribue à Mme des Loges, et qu'il trouve trop gaillarde pour une femme qui parle à un homme…» Cet épisode des mœurs littéraires de l'époque nous a paru assez intéressant -43-pour qu'il méritât d'être reproduit textuellement dans notre étude.
Malherbe ne devait pas jouir bien longtemps encore de la société de Mme des Loges et de celle de Racan et de Gombauld. Il mourut en 1629, et quelques mois plus tard, Mme des Loges, qui s'était trouvée mêlée à quelques intrigues politiques, craignit la colère de Richelieu, tout-puissant depuis son élévation au ministère en 1624, et quitta la capitale pour aller demeurer en province chez une de ses belles-filles. Elle ne revint à Paris qu'en 1636.
Gombauld se trouvait donc ainsi réduit aux seules réunions de l'hôtel de Rambouillet, en dehors des petits cercles plus ou moins inconnus, qui se tenaient alors sur tous les points de Paris, et dont la mansarde de Mlle de Gournay peut présenter le type. Mais, à ce moment même, une nouvelle société se forma, dont Gombauld fut l'un des premiers membres, et qui devait plus tard donner naissance à l'Académie française. Nous voulons parler des «réunions Conrart».
Conrart, l'arbitre de la critique à cette époque, était, depuis 1620 environ, l'hôte assidu de l'hôtel de Rambouillet. Protestant comme Gombauld, il devait tout naturellement se lier avec l'auteur d'Amaranthe, et leur amitié dura jusqu'à la mort. On connaît assez, par l'intéressant récit de Pellisson, ce qu'étaient ces réunions intimes, dans lesquelles dix littérateurs de renom, Chapelain, Godeau, Conrart, Malleville, Gombauld, etc., se communiquaient leurs impressions réciproques sur les événements littéraires d'alors, pour que nous n'ayons pas besoin de nous étendre longuement sur ce sujet. Nous dirons seulement qu'après trois années d'une tranquillité complète, le petit cercle se trouva tout d'un coup lancé dans un courant d'idées tout à fait imprévu. Le secret des réunions ayant été trahi par Malleville, parvint aux oreilles de Boisrobert, puis, sans tarder, à celles de son maître le cardinal de Richelieu. Celui-ci résolut d'en tirer parti pour sa gloire, et l'Académie française fut fondée.
Ceci se passait vers 1633; mais, dans l'intervalle, de graves événements s'étaient accomplis qui devaient avoir -44-une influence considérable sur les destinées de notre poëte. La Reine-Mère, après la Journée des Dupes, vit son crédit complétement ruiné devant celui de son ancienne créature; et bientôt elle dut prendre le chemin de l'exil. Ce fut un véritable désastre pour le pauvre Gombauld, dont la pension, qui avait été réduite à huit cents écus, descendit à quatre cents, après le départ de Marie de Médicis. Heureusement pour lui, des amis puissants lui restaient, ceux en particulier qu'il s'était faits dans le salon de Mme de Rambouillet; sa bonne étoile le servit encore cette fois, et celui qu'on put appeler dès lors le pauvre gentilhomme, sut cependant obtenir des entrées fort libres au palais du Cardinal, et gagner les faveurs de l'ennemi de son ancienne protectrice. Nous entrons ici dans une seconde phase de sa vie très-distincte de la première.
PORTRAIT DE GOMBAULD.—SES RELATIONS AVEC RICHELIEU, BOISROBERT ET LE CHANCELIER SÉGUIER.—TRAVAUX ACADÉMIQUES.—LES DANAIDES (1630-1642).
Au début de cette seconde période de son existence, Gombauld avait environ soixante ans, et voici le portrait minutieux et détaillé que Tallemant traçait du gentilhomme poëte, quelques années plus tard. Il correspond à une époque moyenne de cette seconde vie, et nous représente très-exactement ce que devait être notre académicien dans les dernières années du règne de Louis XIII:
«Il est grand et droit, et a assez de cheveux. Quoyque vieux, il a encore bonne mine. Il est vray qu'estant un peu ridé, il a tort de ne porter qu'un fil de barbe…
-45-»C'est le plus cérémonieux et le plus mystérieux des hommes… Mme de Rambouillet l'appelait le Beau Ténébreux…
»Il a descouvert, dit-il, le secret de faire des sonnets facilement, et s'il l'eust sceû plus tost, il en eust fait autant que Pétrarque. Il n'a garde de le dire ce secret, car je croy qu'il n'en a point: quand il luy est arrivé de faire un sonnet en commençant par la fin, il dit que c'est ainsy qu'il faut faire; quand, au contraire, il n'a fait la fin qu'après tout le reste, il soutient qu'il ne faut jamais commencer par la conclusion. Il sçait aussi un secret pour jetter son homme à bas à la lutte; il en sçait un autre pour luy faire sauter le poignard des mains; mais il ne le vous dira pas…
»Son caractère est l'obscurité, et cependant il croit estre l'homme du monde le plus clair. Il est si testu, qu'il ne voulut jamais oster du commencement de ses poésies un sonnet que l'on n'entend pas, et qui n'a pas servy au débit de son livre; il l'entendait luy.—Et puis, disait-il, je l'ay fait pour estre à la teste.—Il y avait je ne sçay quoy comme une espèce d'avant-propos, qu'il vouloist que M. d'Anguien prist pour une lettre dédicatoire, quoyqu'il ne le nommast point, et que cela ne luy fust point adressé…
»Il s'est mis dans la teste certaines choses qui ne servent qu'à le tourmenter; par exemple, il dist qu'il connoit les mœurs et la qualité des personnes à voir leurs portraits, parce que dans leurs portraits leurs traits se voient bien mieux qu'à voir leur personne, qui peut souvent changer de posture. Il cite plusieurs exemples de ses jugemens.
»J'ay dit qu'il estoit cérémonieux. Mme de Rambouillet se repentit bien de l'avoir mené en une promenade à Lisy, à Monceaux et ailleurs; car il falloit livrer bataille à chaque fois qu'on se mettoit à table ou qu'on montoit en carrosse. En effect, il est très-incommode sur ce chapitre-là, et croit avoir dit une belle chose quand il a respondu à ceux qui luy disent qu'il est trop cérémonieux: «Ce n'est pas que je le suys trop, mais c'est qu'on l'est trop peu à présent.»
-46-»A table, il seroit plus tost tout un jour à frotter sa cuiller que de touscher le premier au potage. Je sçay toutes ses façons, car je l'ay mené et le mesne encore quand je puis à Charenton. Il ne vouloit point se mettre dans le fond, parce, disoit-il, que les gueux le prendroient pour le maistre du carrosse. Il a une chose bonne dans sa cérémonie, c'est qu'il ne se fait jamais attendre; mais il est si peu comme les autres gens, et il vous embarrasse tellement par la peur de vous embarrasser, qu'il faut avoir de la charité de reste pour s'en charger.
»Il est propre jusqu'à marcher proprement; il veut choisir les pavez et aller seul. Mme de Rambouillet dit qu'il n'y a rien de plus amusant que de voir son embarras quand quelque dame le salue par la ville. Il veut la reconnoistre; il veut faire la révérence de bonne grâce, et en même temps il veut prendre garde à ses piez; tout cela luy fait faire une posture assez plaisante.
»Il croit tousjours qu'il a mille ennemys qu'il n'a point. Il m'a dit que de rage de ce que l'Endymion réussissoit, un homme l'avoit jetté dans le feu.
»Il a cru que M. Arnaut, le mareschal de camp, luy a toujours voulu un peu de mal depuis qu'aux champs il luy donna une botte en faisant des armes. Il s'est battu, dit-il, quatre fois en duel, et s'estant trouvé à la campagne, en lieu où l'on couroit la bague, il gagna le prix, sans l'avoir jamais courue…
»Il disoit mesme qu'il s'estoit battu deux fois en une heure, et parlant de cela avec plaisir, il s'en vantoit.
»Il se piquoit aussi de bien danser, et souvent il luy est arrivé de pantalonner et de se mettre en garde devant ses plus familiers. Une fois mesme il se battit dans sa rue; c'estoit contre un homme qui l'avoit querellé sur un logement qu'ils prétendoient tous deux; il luy dit:—Passez à telle heure devant ma porte, je sortiray avec une épée.—Il fit lascher pié à l'autre, et les voisins disoient: «Quoy! cet homme qui choisit les pavez, qui marche si proprement, il poussoit l'autre dans les boues et ne se soucioit pas de se crotter.» Ils furent séparez.
»Il prétend qu'il auroit inventé la musique de luy-mesme, -47-si elle n'avoit pas esté inventée. En effect, il a appris à jouer de la mandore, et en jouoit admirablement bien, à ce qu'on m'a dit; mais comme cet instrument n'est plus guère en usage, il l'a laissé là; auparavant même il falloit bien des cérémonies pour le faire jouer…
»Je ne luy trouve rien de naturel; et Mme de Rambouillet dit que, quoyqu'il chante de sa vieille cour, les gens n'estoient point faits comme luy, et qu'il a tousjours esté unique en son espèce; j'entens aux habits prés;—car, même à l'époque de sa plus grande misère, il estoit habillé à la dernière mode: c'estoit pour lui un point d'honneur, et de tous les auteurs, c'est quasy le mieux vestu…
»Pour moy, je le sers de tout mon cœur, car je sçay que toutes les grimasses qu'il fait ne viennent que d'un bon principe, qu'il a du cœur et de l'honneur, et ne feroit pas une lascheté pour sa vie.»
A ce piquant portrait, nous aurions mauvaise grâce de faire la moindre retouche; nous y ajouterons seulement un détail qui n'est point sans valeur: c'est que Gombauld, malgré son caractère ténébreux, susceptible, brusque, souvent affecté, sut se faire des amis de presque tous les gens de lettres de son temps, et parmi eux il trouva des amitiés solides: témoins celles de Conrart et de Chapelain. C'est là un éloge véritable pour l'auteur de trois livres d'Épigrammes; et malgré ses duels, nous pensons qu'il n'avait pas en somme trop mauvais caractère, mais il fallait le connaître.
Tel est l'homme que nous trouvons, en 1634, associé dans l'intimité du cardinal de Richelieu, aux «quelques personnes intelligentes» que le tout-puissant Ministre avait prié le cardinal de la Valette de réunir chez Bautru pour revoir ses harangues avant de les faire imprimer. Godeau, Chapelain, Desmarests, Bautru, Boisrobert et Gombauld étaient alors les correcteurs attitrés de la prose du Cardinal.
Ce n'était pas seulement à l'amitié qu'il avait contractée pour Boisrobert que Gombauld devait cette faveur précieuse. Lorsqu'il vit sa protectrice prendre le chemin de l'exil, notre poëte comprit qu'il devait tourner ses louanges -48-d'un autre côté, pour conserver ses entrées à la cour. Nous ne l'accuserons pas de noire ingratitude, car, dans aucune de ses poésies postérieures à l'année 1630, on ne trouve un seul vers qui puisse paraître dirigé contre Marie de Médicis. Bien plus, il a reproduit courageusement sa Dédicace de l'Amaranthe dans une édition datée de 1631, et la Reine-Mère était déjà en exil; mais nous avons dû constater un fait qui prouve au moins combien le pauvre gentilhomme devait être à cette époque dénué de toute ressource, pour être réduit, malgré son caractère altier, à brûler de l'encens devant l'ennemi de son ancienne protectrice. En effet, à peine Marie de Médicis avait-elle quitté la France, que Gombauld reprit sa lyre, et composa une ode enthousiaste, intitulée le Panégyrique du cardinal de Richelieu, dans laquelle «il y a de beaux vers, dit Tallemant, mais le corps n'en est pas bon». Nous aurons mieux à citer de notre poëte, et nous nous contenterons du jugement du chroniqueur, plus froid et plus désintéressé que celui du Cardinal. On sait que la louange qui allait le plus au cœur de Richelieu était celle des gens de lettres. L'ode de Gombauld lui plut, et le poëte fut admis dans la familiarité du ministre, en compagnie de Boisrobert et de Desmarests, en même temps qu'il recevait une pension de quatre cents écus, moitié de celle que lui allouait la Reine-Mère depuis 1620; Boisrobert et Chapelain ne furent pas étrangers à cette faveur[27]; mais il en coûta beaucoup au caractère de Gombauld de se laisser faire cette douce violence: car, pour lui-même, jamais il n'aurait demandé d'argent, tant son honneur lui était cher à sauvegarder. «Il voulut absolument, dit des Réaux, que cette pension de quatre cens escus fust sur l'estat du Roy, quoiqu'il eust esté bien mieux payé du Cardinal.» Recevoir une pension du Roi, passe encore, mais d'un ministre, -49-jamais. Gombauld fut néanmoins très-reconnaissant envers Boisrobert des démarches qu'il avait faites auprès de Richelieu, ainsi que le prouve ce fragment d'une lettre qu'il lui écrivit quelque temps après:
[27] Après le départ de Marie de Médicis, Gombauld, rapporte Tallemant, se trouva dans une nécessité extrême, mais il n'en témoignait rien. «Par courage mesme il estoit habillé à son ordinaire…; quand M. Chapelain luy fist avoüer qu'il ne sçavoit plus de quel bois faire flesches, et par le moyen de Boisrobert luy fist restablir la moitié de la pension, c'est-à-dire quatre cens escus…» (II, 458.)
«Monsieur, je viens d'apprendre ce que je ne veux jamais oublier. C'est que vous me continuez toujours la faveur de vos bons offices, encore que je n'aye pas commencé de vous servir! Il paroît bien que Monseigneur le Cardinal ne croit pas estre né pour lui seul, mais pour tout le monde, et qu'il ne se contente pas de vaincre les ennemis du public, s'il ne combat encore la nécessité des particuliers… Quant à vous, Monsieur, c'est un art qui vous est naturellement acquis que de vous savoir rendre digne d'un tel maître, en lui acquérant autant de serviteurs que vous en entretenez de personnes. Je pourrois ajouter à cela que cette généreuse profession que vous faites d'honorer tant d'honnestes gens est mise au rang des choses qu'on admire…»
Il ne faudrait cependant pas, après avoir lu cette lettre, prendre le change sur le caractère de Gombauld: il n'en conservait pas moins sa liberté d'allure, sa franchise et sa brusquerie apparente vis-à-vis de ses bienfaiteurs. «Comme Boisrobert travailloit à cette affaire, raconte Tallemant, il monstra des vers de sa façon à Gombauld qui, toujours tout d'une pièce, luy choqua tout ce qui ne luy sembloit pas bon, sans avoir esgard au tems. Boisrobert, instruit de l'humeur du personnage, prit cela comme il falloit, et en un endroit où Gombauld disoit:—Je n'y suis pas accoustumé… (C'est une de ses façons de parler.)—Hé, mon cher Monsieur, luy dit Boisrobert en se mettant quasy à genoux, je vous en prie, pour l'amour de moy…» Il paraît qu'il «s'y accoustuma», car, lorsqu'en 1647 parurent les Epistres de Boisrobert, on pouvait lire en tête du livre ces vers de Gombauld:
-50-et dans l'Avis au lecteur, Boisrobert prend à témoin «son amy Gombauld» du tour galant, de l'air enjoué de ses vers et de sa conversation. On savait que notre poëte avait le cœur excellent, et l'on excusait facilement ses vives réparties.
Richelieu lui-même ne s'en fâchait pas; le Ménagiana nous en rapporte un exemple presque incroyable. «M. Gombauld, dit Ménage par la plume de Baudelot, présenta un jour à M. le cardinal de Richelieu des vers qu'il avoit faits. (L'abbé Goujet pense que ce fut précisément le Panégyrique dont nous avons parlé plus haut.) Le Cardinal, en les lisant, dit à l'auteur:—«Voilà des choses que je n'entends point.»—A quoi l'auteur, qui soutenoit bien par ses discours pleins de brusque franchise la qualité d'un cadet de famille né près des bords de la Garonne, répondit aussitôt:—«Ce n'est pas ma faute.»—Quoyque cela fut fort hardy, M. le Cardinal voulut bien n'y pas prendre garde. Depuis, cette manière de parler passa longtemps en proverbe dans l'Académie. Il y a bien souvent des choses obscures dans des ouvrages, qui viennent du côté du lecteur[28].»
[28] Une autre fois, Richelieu, qui, «pour l'ordinaire, traitoit les gens de lettres fort civilement, ne voulut jamais se couvrir parce que Gombauld voulut demeurer nu-teste; et mettant son chapeau sur la table, il dit:—Nous nous incommoderons l'un et l'autre.—Cependant, regardez si cela s'accorde: il s'assit, et le laissa lire une comédie tout debout, sans considérer que la bougie qui estoit sur la table, car c'estoit la nuit, estoit plus basse que luy. Cela s'appelle obliger et désobliger en mesme temps…»—Tallemant, I, 438.
Ce trait de brusque franchise prouve que, malgré une situation un peu dépendante vis-à-vis du Cardinal, le vieil honneur chevaleresque se réveillait souvent chez le poëte gentilhomme.
Aussi, pour faire excuser l'encens qu'il avait brûlé devant le premier ministre, il voulut en brûler devant le souverain; et voici quelques Stances «pour le roy Louis XIII après une grande maladie».
Le poëte a saisi sa lyre épique, et cherche à s'élever aux dernières hauteurs de l'enthousiasme.
C'est le Roi qui parle:
Résigné, le Roi s'adresse alors au Très-Haut:
Ces stances un peu mystiques et dans le goût des paraphrases tirées de l'ancienne Écriture, que Godeau, le nain de Julie, et futur évêque de Grasse et de Vence, mettait alors en vogue, ont un caractère de vigueur et de sobriété assez rare chez les poëtes de ce temps, et présentent quelque ressemblance avec le sonnet sur la mort du roi de Suède, Gustave-Adolphe, tué au mois de novembre 1633; sonnet que Ménage, dans ses Observations sur Malherbe, comble d'éloges, en appelant Gombauld l'un des plus grands poëtes de son temps. Ce sonnet se termine ainsi:
-52-Ces vers dénotent une élévation de style et d'idées, qui permettait à Gombauld de présager quelques succès dans le genre lyrique; mais la période pendant laquelle il maintint sa muse à cette hauteur fut de courte durée: l'ode à Séguier, qu'il composa vers cette époque, fut la dernière, et causa un incident assez curieux. La pension de quatre cents écus que le Cardinal avait accordée à Gombauld n'étant point suffisante pour lui permettre de continuer son train de vie d'autrefois, ses amis se mirent en campagne pour lui en faire obtenir une seconde, et lui persuadèrent de composer une ode à la louange du garde des sceaux, Pierre Séguier, qui n'était pas encore chancelier, mais qui venait de se faire inscrire sur le tableau des Académiciens. C'était, on le sait, un des Mécènes de cette époque; sa maison et sa bourse étaient toujours ouvertes aux gens de lettres et aux savants[29]. Gombauld composa donc son ode, et Séguier lui alloua, sur les sceaux, une pension de deux cents écus que le poëte reçut sans difficulté, dit Tallemant, car «il la tenoit pour deniers royaux». Muni désormais de six cents écus par an, il passa dix nouvelles années, jusqu'à la mort de Richelieu, sans avoir trop à se plaindre de la fortune. Or, l'ode à Séguier est fort obscure, dit Tallemant, et on la censura un peu à l'Académie quand Gombauld la lut à ses confrères. «On dit qu'il prit cela de travers, et quand on luy dit, sur ce vers aux Muses,
qu'il n'avoit rien à commander aux neuf doctes Sœurs, ce ne fut que pour rire et pour le faire donner dans le panneau. Luy qui met tousjours les choses au pis, dit tout franc que c'estoit envie, et M. le Cardinal leur fit dire que cela n'estoit pas bien de tesmoigner ainsy de l'aigreur, et qu'il falloit reprendre avec un esprit de douceur et de charité…»
[29] Voir notre histoire du Chancelier Pierre Séguier et de son groupe académique.—Paris, Didier, 1873. 1 fort vol. in-8o, avec blasons et autographe.
-53-Ces quelques lignes de Tallemant paraîtront peut-être exagérées: elles sont cependant confirmées par le passage suivant de Pellisson, cité dans son Histoire de l'Académie française, et tiré des registres du lundi 12 novembre 1634: «Sur ce que M. de Boisrobert a encore dit à la Compagnie que M. le Cardinal la priait de n'affecter pas une sévérité trop exacte, afin que ceux dont les ouvrages seront examinez ne soient pas rebutez, par un travail trop long et trop pénible, d'en entreprendre d'autres, et que l'Académie puisse produire le fruit que Son Éminence s'en est promis pour l'embellissement et le perfectionnement de notre langue: après que les voix ont été recueillies, il a été arrêté que M. le Cardinal seroit très-humblement supplié de trouver bon que la Compagnie ne se relâchât en rien de la sévérité qui est nécessaire pour mettre les choses qui doivent porter son nom ou recevoir son approbation, le plus près qu'il se pourra de la perfection. Et en expliquant la nature de cette sévérité, il a été dit qu'elle n'auroit rien d'affecté, ni d'aigre, ni de pointilleux; qu'elle seroit seulement sincère, solide, judicieuse; que l'examen des ouvrages se feroit exactement par ceux qui seroient nommés commissaires, et par toute la Compagnie, lorsqu'elle jugeroit leurs observations. Que les auteurs des pièces examinées seroient obligés de corriger les lieux qui leur seroient cotez, suivant les résolutions de la Compagnie. M. de Gombauld ayant supplié l'Assemblée de délibérer si un académicien faisant examiner un ouvrage, seroit tenu de suivre toujours les sentiments de la Compagnie, dans toutes les corrections qu'elle feroit, bien qu'elles ne fussent pas entièrement conformes aux siens, il a été résolu que l'on n'obligeroit personne à travailler au-dessus de ses forces, et que ceux qui auroient mis leurs ouvrages au point qu'ils seroient capables de les mettre, en pourroient recevoir l'approbation, pourvu que l'Académie fût satisfaite de l'ordre de la pièce en général, de la justesse des parties et de la pureté du langage.»
Ce document, fort précieux pour l'histoire des mœurs littéraires, est une nouvelle preuve du caractère inquiet et chatouilleux de Gombauld, et l'Historiette de Des Réaux montre qu'on s'amusait un peu du susceptible gentilhomme -54-à l'Académie. On lui jouait même de mauvais tours, témoin certaine histoire d'un «bas de soye vert de mer», qu'on pourra lire dans la chronique même. On avait cependant confiance en ses talents et dans ses lumières: et plus d'une fois ses confrères le choisirent pour faire partie de commissions importantes. Nous en dirons quelques mots en résumant les travaux académiques de notre poëte.
L'Académie commença à tenir des séances régulières vers le mois de mars 1634, et, dès les premières réunions, l'on s'occupa de déterminer quels seraient les travaux futurs de l'Assemblée. Chapelain ayant observé qu'on devait surtout «travailler à la pureté de notre langue, et que, pour cet effet, il falloit premièrement en régler les termes et les phrases, par un ample Dictionnaire et une Grammaire fort exacte[30]», on nomma trois commissaires pour examiner son projet et en faire un rapport détaillé. Ces commissaires furent de Bourzeys, Gomberville et Gombauld (27 mars 1634).
[30] Pellisson.—Histoire de l'Académie.
Quelque temps après, la Compagnie ayant chargé le conseiller d'État du Chastelet, l'un de ses membres, de rédiger un projet sur les statuts de l'Académie, les trois mêmes commissaires durent en revoir la rédaction. Mais, «depuis, il fut arrêté que tous les Académiciens seroient exhortés à donner leurs mémoires par écrit sur cette matière.» Celui de Gombauld fut un des premiers que reçut la nouvelle Commission, composée de MM. du Chastelet, Chapelain, Faret et Gombauld, chargés de prendre en chacun de ces mémoires «ce qu'ils trouveroient de meilleur» (4 déc. 1634). «Je crois pouvoir remarquer en passant, dit Pellisson, un détail particulier que j'ai lu dans le Mémoire de Gombauld, et qui n'a pas été suivi dans les statuts. Je le rapporte ici comme un témoignage de sa piété et de sa vertu: c'est qu'il proposoit que chacun des Académiciens fût tenu de composer tous les ans une pièce, ou petite ou grande, à la louange de Dieu…» Après plusieurs conférences, le secrétaire perpétuel, Conrart, qui avait été adjoint à la Commission, «digéra et coucha par écrit les articles -55-des statuts qui furent lus, examinés et approuvés par la Compagnie».
Cette sérieuse opération terminée, on s'occupa de harangues, et, vers le commencement de l'année 1635, on décida qu'à chaque séance un Académicien prononçerait, à tour de rôle, un discours sur un sujet de son choix. Colomby, l'élève de Malherbe, ayant été désigné par le sort le sixième et se trouvant absent, Gombauld demanda sa place, et prononça, le 12 mars 1635, un discours sur le Je ne sais quoi! Il est fâcheux que ce morceau ne nous ait pas été conservé; si l'on en juge par le titre, il devait être original.
Deux ans plus tard, en 1637, Gombauld fit partie de presque toutes les commissions, dans la fameuse affaire des Sentiments sur le Cid[31]; et l'un des plus jeunes Académiciens, Philippe Habert, poëte de talent et d'avenir, ayant été tué au siége du château d'Émery, la Compagnie désigna Chapelain pour composer son épitaphe en vers, et Gombauld pour prononcer son éloge en prose[32]: mais nous regrettons qu'on n'ait pas inséré cet Éloge dans le Recueil des Harangues, non plus que le Discours sur le Je ne sais quoi.
[31] Voir à ce sujet dans l'Histoire de l'Académie, par Pellisson, une foule de détails, qu'il serait trop long de rappeler ici: car cette affaire est bien connue.
[32] Nous avons publié l'Épigraphe, jusqu'alors inédite, composée par Chapelain, dans notre histoire du Chancelier Séguier, au livre III.
Nous connaissons déjà Gombauld poëte et prosateur, nous connaîtrons bientôt un Gombauld épistolier; nous aurions pu connaître encore un Gombauld orateur.
Notre Académicien n'était pas toujours d'accord avec ses collègues: pendant l'année 1638, la Compagnie passa trois mois à faire l'examen des stances de Malherbe pour le Roi allant en Limousin, et Pellisson fait un long récit de cette discussion: «S'il y a rien, remarque-t-il, qui fasse voir ce qu'on a dit plusieurs fois, que les vers n'étoient jamais achevez, c'est sans doute cette lecture. A peine y a-t-il une stance où, sans user d'une critique trop sévère, on ne rencontre quelque chose ou plusieurs qu'on -56-souhaiteroit de changer, si cela se pouvoit, en conservant ce beau sens, cette élégance merveilleuse et cet inimitable tour de vers qu'on trouve partout dans ces excellens ouvrages…» Malheureusement, Gombauld n'était point de cet avis; plein de respect pour la mémoire de son vieux maître et ami, et malgré la modération qu'on apportait dans cet examen, il protestait contre une censure qui lui semblait presque un sacrilége. «Quelques-uns des Académiciens, avoue Pellisson, et deux entre autres, M. de Gombauld et M. de Gomberville, souffroient avec impatience que la Compagnie censurât ainsi les ouvrages d'un grand personnage après sa mort, en quoi ils trouvoient quelque chose de cruel.» Gombauld était alors directeur; ce fut probablement sur ses instances qu'on abandonna l'examen, pour se livrer à «d'autres occupations plus pressantes». Ménage raconte même, dans ses Observations sur Malherbe, un trait piquant qui donnera la note juste des sentiments du poëte-gentilhomme à l'égard du réformateur du Parnasse. «J'apprens de l'agréable Relation de M. Pellisson, dit Ménage, que ces Messieurs de l'Académie, au commencement de leur établissement, employèrent près de trois mois à examiner une partie de ce poëme, et que de toutes les stances qu'ils examinèrent, il ne s'en trouva qu'une seule à l'épreuve de leur critique. Et, à ce propos, je me souviens d'avoir ouï dire à M. Gombauld que, sous son Directorat, ces Messieurs ayant opiné plusieurs jours avec apparat pour condamner une de ces stances, quand il opina (et il opinoit le dernier en qualité de Directeur), il ne dit autre chose, sinon: «Messieurs, je voudrois l'avoir faite!» Ce trait final est bien de la même famille que la réponse à Richelieu: «Ce n'est pas ma faute.»
Du reste, Gombauld n'aimait pas les dignités académiques: la charge de directeur, aussi bien que celle de chancelier, lui pesait; et lorsque le sort l'avait désigné, il avait peine quelquefois à dissimuler son mécontentement. «Nous avons fait aujourd'hui de nouveaux officiers, écrivait Chapelain à Conrart le 27 juin 1640, et M. Gombauld, qui s'étoit opiniâtrément déposé du vicariat de la chancellerie, par une justice de la fortune, s'est lui-même, en distribuant -57-les billets, donné celui qui portoit le nom de chancelier, dont vous auriez ri si vous aviez vu sa surprise[33]…»
[33] Lettre de Chapelain, publiée par M. Livet en appendice à son édition de l'Histoire de l'Académie par Pellisson, I, 387.
Gombauld commençait à se faire vieux à cette époque, et l'on voit que ses confrères aimaient assez à s'amuser du bonhomme. La satire ne l'épargna pas. On retrouve quelques traits assez exacts du caractère de «Gombauld la Froide Mine» dans les Académistes, de Saint-Évremont. Ainsi, au deuxième acte de la première édition de cette comédie, Chapelain, L'Estoile, l'un des trois Habert et Gombauld, s'indignent vivement des pièces satiriques composées par Sorel et du Bosc, contre la Compagnie. Qui pourra, dit Chapelain.
Et Gombauld reprend avec sa brusquerie ordinaire:
Il finit cependant par se calmer, et, dans la même scène, il consent à se rétracter, mais seulement en faveur de ses amis:
Au cinquième acte s'ouvre une séance présidée par le chancelier Séguier, que chacun de ses obligés encense à sa façon. Saint-Évremont, se rappelant l'ode de Gombauld, lui fait dire:
-58-On remarquera que cette dernière rime est précisément celle dont nous avons plus haut rencontré la critique par Ménage. Cependant, la discussion s'engage vivement sur les expressions qu'il faut réformer ou bannir, et Gombauld n'est pas un des moins ardents à la dispute:
Mais bientôt la querelle s'envenime au sujet de la suppression du mot car, demandée par Gomberville. Desmarests, se rappelant la formule habituelle des lettres patentes: «car tel est notre plaisir,» s'écrie aussitôt:
GOMBAULD.
DESMARESTS.
GOMBAULD.
DESMARESTS.
GOMBAULD.
-59-Après avoir jeté feu et flamme, Gombauld finit toujours par se radoucir: et c'est là l'un des traits qui caractérisent le mieux sa manière d'être et sa conduite dans les discussions.
Les travaux académiques, pendant la période qui s'écoula depuis la fondation de la Compagnie jusqu'à la mort de Richelieu, n'absorbèrent pas tellement Gombauld, qu'il ne trouvât le moyen de se livrer à d'autres occupations littéraires. Il ne fit rien imprimer durant ces dix années, mais il travailla beaucoup; malheureusement, le succès ne répondit pas complétement à son attente. Encouragé par les louanges qu'on avait données de toutes parts à sa pastorale d'Amaranthe, Gombauld s'imagina que le théâtre devait lui apporter gloire et fortune; il se mit donc à l'œuvre, et le résultat d'un labeur impitoyable fut d'abord une tragédie en cinq actes et en vers, intitulée les Danaïdes, imprimée longtemps plus tard, puis une tragi-comédie de Cidippe, qui n'a jamais vu le jour.
Parlons d'abord des Danaïdes.
Gombauld, dans une de ses Épigrammes, dit d'un auteur obscur, qui ne s'exprimait que d'une manière incompréhensible:
On peut retourner très-exactement cette épigramme contre son auteur, au sujet de sa tragédie, entassement de grands mots, de grands oracles, de grandes périodes, de tirades ronflantes et d'emphatiques épithètes. «Je veux demander la moitié de mon argent, disait madame Cornuel en sortant de la représentation; je n'ay entendu tout au plus que la moitié de la pièce[34].» C'est cependant cette tragédie que l'abbé de Marolles appelait «les immortelles -60-Danaïdes, où se lisent de si beaux vers[35];» et le poëte de L'Estoile, qui «faisoit profession d'avoir appris les règles du théâtre de M. de Gombauld et de M. Chapelain,» disait un jour sérieusement à Pellisson, en sortant de l'hôtel de Bourgogne, «qu'il eût mieux aimé avoir fait cette scène des Danaïdes, où l'action de ces cruelles sœurs est décrite, que toutes les meilleures pièces de théâtre qui avoient paru depuis vingt ans[36]…» Pour être impartial, nous devons dire que l'abbé de Marolles et Claude de L'Estoile étaient deux amis particuliers de Gombauld; les autres contemporains n'eurent pas un pareil enthousiasme pour l'œuvre de notre poëte. «Ce qui l'a le plus rebuté, dit Tallemant des Réaux, ç'a esté de voir que ses Danaïdes eussent si mal réussy; elles eussent esté plus propres à Athènes qu'à Paris…» Aussi résista-t-il fort longtemps aux instances de ses quelques admirateurs, qui le pressaient de faire imprimer sa tragédie. «Il n'a jamais voulu les imprimer,» écrivait Tallemant en 1653. L'œuvre fit cependant du bruit à son apparition, et Richelieu voulut entendre Gombauld la lire devant lui; mais le malheureux auteur était poursuivi par la mauvaise fortune:
[34] Tallemant des Réaux.—Historiettes, II, 461.
[35] Mémoires de l'abbé de Marolles.
[36] Pellisson.—Histoire de l'Académie, I, 312-313.
«Boisrobert, rapporte des Réaux, avoit estourdiment donné rendez-vous à Sérisay, qui avoit fait la moitié d'une tragi-comédie qu'il n'acheva point, et à Gombauld tout ensemble; et quand ce vint à luy, le Cardinal estoit las d'entendre lire[37]…» Ainsi la fatalité s'attachait à ses lectures devant les grands de la terre.
[37] Tallemant des Réaux.—Historiettes, II, 461.
On connaît la tragique histoire de Danaüs, qui avait fiancé ses cinquante filles aux cinquante fils de son frère; mais ayant appris par un oracle qu'un de ses gendres devait le mettre à mort, il fit promettre à ses filles de massacrer leurs époux pendant la première nuit des noces. Quarante-neuf d'entre elles obéirent aux ordres paternels; seule, Hypermnestre épargna Lyncée, son mari, qui, accomplissant les paroles de l'oracle, tua son criminel beau-père, et lui succéda -61-sur le trône d'Argos. La célèbre tragédie d'Hypermnestre, par Lemierre, a rendu ce sujet presque classique, en faisant oublier complétement les Danaïdes de Gombauld, dont on pourra juger le style par ce début:
SCÈNE PREMIÈRE.
DANAUS, roi d'Argos.—AMARIE, une des femmes de Danaüs.
DANAÜS.
Les trois premiers actes ne contiennent qu'une longue exposition, sans incident ni péripétie qui rompe ces interminables tirades, toujours pleines d'horreur, de terreur, de Dieux inexorables, d'atteintes mortelles, de funeste langage et d'oracles décevants… On rencontre cependant quelques vers énergiques, au milieu de cet amas confus de tragiques desseins et de funèbres discours. Quand Danaüs s'est -62-décidé à tout oser pour écarter de sa tête le danger qui le menace, il s'écrie:
et dans cette scène odieuse où, cédant à l'idée qui l'obsède, il demande à ses filles le meurtre de leurs cinquante époux, il leur dit, sans plus de détours:
Il est vrai qu'à côté de ces vers vigoureusement martelés, les fadeurs précieuses se font quelquefois jour, d'autant plus remarquées qu'elles sont plus rares au milieu de tant d'horreur. Ainsi, quand Alphite vient décrire au Grand Augure la merveilleuse fête des noces, il expose son récit dans ce style pompeux et affecté:
Mais les Zéphyrs ne peuvent rester longtemps dans le repaire des furieux Autans qui vont de nouveau se déchaîner. Obsédé par les remords qui lui reprochent le meurtre du roi Sténelée, son prédécesseur, Danaüs sort tout agité de la salle du festin, et l'ombre de sa victime lui apparaît tout à coup. C'est le seul incident qui donne quelque faible intérêt à ces trois premiers actes: tout le reste est monotone, languissant et sans véritable action. Les deux derniers actes, au contraire, se réveillent vigoureusement de cette torpeur qui glace, et ce sont eux, probablement, qui ont excité l'enthousiasme de L'Estoile et de -63-l'abbé de Marolles. Il est certain qu'ils ont quelque mérite, mais l'épithète d'«immortels» nous semble très-risquée.
Après une scène beaucoup trop longue et sans grand mouvement, dans laquelle Hypermnestre conseille la fuite à Lyncée, et lui dévoile le secret terrible de cette fatale nuit, les diverses situations commencent à prendre une véritable vie.
Voici d'abord Alphite accourant tout éperdu, pour faire aux deux époux le fameux récit du massacre, que L'Estoile met au-dessus de tout ce qui avait paru jusqu'alors et, par conséquent, du Cid lui-même, dont la date est de 1637:
ALPHITE.
Nous épargnerons au lecteur la fin de ce récit, dans lequel les détails horribles sont prodigués, jusqu'à nous représenter -64-l'une des victimes, le beau Polyctor, qui, blessé seulement et ne pouvant plus se soulever,
L'acte se termine par une scène fort dramatique, entre Hypermnestre et Danaüs, qui reproche violemment à sa fille de n'avoir pas obéi à ses ordres sanguinaires. Nous en détacherons seulement ce morceau, en faisant remarquer combien une pareille situation nous semble contraire aux règles de bienséance morale qui devraient régir le théâtre: un père maudissant sa fille parce qu'elle n'a pas voulu commettre un assassinat:
DANAÜS.
HYPERMNESTRE.
DANAÜS.
HYPERMNESTRE.
-65-Toute la scène est bien dialoguée, et les caractères y sont franchement soutenus. Furieux de ne pouvoir vaincre la résistance d'Hypermnestre, Danaüs ordonne aux gardes de la jeter en prison. Mais, dans l'intervalle du quatrième au cinquième acte, Lyncée, qui ne respire que la vengeance, a mis à mort Danaüs et, sans retard, il envoie des soldats pour délivrer Hypermnestre. Son entrevue avec la jeune héroïne qui, de sa propre bouche, apprend le meurtre de son père, termine le cinquième acte, et cette scène est certainement aussi dramatique et aussi bien rendue que la précédente. En apprenant la mort de son père, l'amour d'Hypermnestre pour Lyncée s'est éteint, et la haine vient remplacer l'amour.
Et comme Lyncée se hasarde à lui parler, pour calmer son exaltation, de l'Aurore qui va se lever…
HYPERMNESTRE.
Et le drame se termine par ces vers:
Malgré beaucoup de défauts et surtout d'obscurités, on avouera que les deux derniers actes de cette tragédie présentent des situations fort dramatiques; et le caractère d'Hypermnestre, qui, au second acte, avait eu un moment -66-de faiblesse, plus apparente que sincère, en promettant ou feignant de promettre d'obéir aux ordres paternels, se relève et se soutient d'une manière très-sympathique. Mais l'intérêt et le dialogue de ces deux derniers actes ne purent racheter, près des spectateurs, la froide et obscure monotonie de l'exposition interminable des tableaux d'oracles et d'horreurs des trois premiers actes. Que de vers, que de phrases entières incompréhensibles! et plusieurs scènes sont tellement révoltantes, que les sympathies de l'auditoire ne devaient pas accompagner fort loin l'œuvre du poëte.
Aussi Gombauld, devant la réception faite par le public à la représentation de sa tragédie, hésita-t-il fort longtemps à la livrer à l'impression. Mais une quinzaine d'années plus tard, sur les instances de ses amis qui ne voulaient pas laisser perdre les quelques scènes à caractère des Danaïdes, et pressé aussi par sa triste situation pécuniaire, il la livra aux éditeurs (1658). Elle a, depuis, trouvé place dans le VIe volume du Théâtre français ou Recueil des meilleures pièces de théâtre, publié en 1737.
Cet insuccès relatif ne découragea pas complétement le poëte-gentilhomme. La vogue qu'avait eue jadis son Amaranthe lui mettait martel en tête, et la carrière dramatique ne lui semblait pas devoir être complétement fermée pour lui, après un si brillant début. Il travailla donc encore à une nouvelle pièce de théâtre, et cette fois dans le genre des tragi-comédies qui se trouvèrent de mode après l'éclatant succès du Cid. Mais sa pièce intitulée: Cydippe ou Acante, sujet qui avait déjà été traité en pastorale, en 1633, par de Baussais, ne lui parut pas, après réflexion, avoir des chances de tenter avantageusement la fortune de la rampe, ni même celle de l'impression. Conrart signale cette tragi-comédie parmi les manuscrits qui devinrent la propriété des héritiers de Gombauld, après la mort du poëte: mais elle n'a jamais été, que nous sachions, ni représentée, ni imprimée.
La dernière œuvre que nous ayons à signaler de lui avant la mort de son second protecteur, le cardinal de Richelieu, est sa collaboration à cette fameuse Guirlande de Julie, que tous les poëtes de l'hôtel de Rambouillet tressèrent avec amour, pour permettre au futur duc de Montauzier de déposer aux -67-pieds de la belle Julie d'Angennes, fille de la marquise, un tribut poétique digne de la précieuse réputation de l'hôtel. Si bien reçu dans les salons d'Arthénice, Gombauld ne pouvait refuser de contribuer à la réalisation du galant projet du soupirant, si célèbre par sa constance; il choisit l'Amaranthe, et composa ce madrigal:
Ce madrigal n'est pas un chef-d'œuvre; mais il y en a de plus mauvais dans la Guirlande.
DÉTRESSE DE GOMBAULD A LA MORT DE RICHELIEU (1642).—RECUEIL DE POÉSIES (1646).—SES SONNETS ET SES LETTRES.—MADAME DE LONGUEVILLE ET BENSERADE.
Le 4 décembre 1642, Richelieu mourut au Palais-Cardinal; Gombauld se trouva tout à coup privé de son plus puissant protecteur, et sa situation devint d'autant plus précaire, que les pensions accordées par le Cardinal à beaucoup de gens de lettres furent supprimées presque immédiatement après sa mort. Réduit aux expédients pour vivre, mais ne voulant pas, avec son vieil honneur, être à charge à ses amis, il cachait sa misère avec le plus grand soin; et, réunissant ses œuvres éparses de tous côtés, il se mit à éditer des livres. C'est en effet pendant la période d'une vingtaine d'années qui s'écoula depuis la fin du règne de Richelieu jusqu'à la mort de notre poëte, que Gombauld publia presque toutes ses poésies, la plupart fort anciennes, puisqu'il avait déjà bien près de soixante-dix ans, à la mort du Cardinal.
-68-«Une de ses plus grandes faiblesses, écrivait Tallemant vers cette époque, c'est de craindre qu'on ne le traitte de gueux. Il n'a jamais voulu que ses amys l'assistassent: et une fois depuis la Régence,—car le feu Roi, après la mort du cardinal de Richelieu, raya de sa main toutes les pensions,—on fut contraint de le quester, et après on luy fit accroire qu'on avoit trouvé moyen de toucher cela de l'argent du Roy. Ce n'est pas que je trouve estrange qu'il ne veuille pas recevoir indifféremment de ses amys; je voudrois seulement qu'il choisît entre tous et qu'il regardast s'il y en a quelqu'un à qui il veuille avoir une si grande obligation; mais il n'en veut pas prendre le soin, et s'attend un peu trop à la Providence… C'est un homme à sécher auprès d'un sac d'argent qu'on luy auroit mis sous son chevet: il diroit qu'on le prend pour un gueux[38]…»
[38] Tallemant.—Historiettes, II, 468.
Ce n'est pas le legs que fit au poëte la célèbre demoiselle de Gournay, lorsqu'elle mourut le 13 juin 1645, qui aurait pu assurer le pain quotidien au pauvre Gombauld. «En mourant, raconte des Réaux, elle laissa, par testament, son Ronsard à L'Estoile, comme si elle l'eust jugé seul digne de le lire, et à Gombauld, une Carte de la vieille Grèce, de Sophion, qui vaut bien cinq solts.»
Ce fut probablement vers ce temps qu'il composa cette épigramme désespérée:
Le même sentiment de sa misère lui avait déjà dicté, plusieurs années auparavant, cette épitaphe de Malherbe:
Gombauld, à bout de ressources, dut bientôt se décider à publier ses œuvres; un volume de Poésies parut chez Auguste -69-Courbé en 1646 (in-4o), suivi d'un volume de Lettres, chez le même libraire, en 1647 (petit in-8o).
Le volume de Poésies de 1646 offre cette particularité remarquable, que, dans le privilége de publication, Gombauld est qualifié de «gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi»: nous n'avons pu trouver nulle part la justification de ce titre. Sauf trois élégies et quelques stances, débuts poétiques de l'auteur, l'ode au chancelier Séguier, le panégyrique du cardinal de Richelieu, et quelques vers pour des ballets ou autres divertissements du temps de la reine Marie de Médicis, ce volume ne contient que des sonnets et des épigrammes.
Les sonnets de Gombauld ne sont pas datés; il est donc difficile de préciser à quelle époque ils ont été composés: mais nous sommes portés à croire qu'ils l'ont été à des époques fort différentes, pendant toute la carrière poétique de l'auteur. Ce sont presque tous des sonnets amoureux, adressés à des Philis, des Amaranthes, ou des Carites, soit imaginaires, soit réelles; mais l'ordre dans lequel nous venons de placer ces pseudonymes, qui recouvrent les véritables noms des beautés chères au poëte, n'est pas indifférent: nous pensons même que c'est un ordre chronologique réel. Les sonnets à Philis doivent être les premiers en date, et remonter à l'époque de la régence de Marie de Médicis. Un passage des Historiettes de Tallemant des Réaux nous le fait penser, car il dit en parlant de cette époque: «Je ne sçay si madame de La Moussaye, sœur du feu comte de La Suze, et mère de La Moussaye, le petit maistre, estoit cette petite Philis (des Poésies), mais on croit qu'il a eu de grandes privautez avec elle, car il a tousjours affecté d'en vouloir à des dames de qualité, et me faisoit excuse, une fois, de ce que dans ses Poésies il y avoit des vers pour une paysanne.—C'estoit, disoit-il, la fille d'un riche fermier de Xaintonge, et elle avoit plus de dix mille escus en mariage[39]…» Qui sait si Philis ne représente point Marie de Médicis elle-même?
[39] Tallemant.—Historiettes, II. 458.
Les sonnets à la belle Amaranthe seraient de la seconde -70-époque, du temps de la pastorale, et nous ne serions pas étonné que ce pseudonyme cachât le nom de Madame ou de Mademoiselle de Rambouillet, car Gombauld choisit la fleur d'Amaranthe pour son tribut à la Guirlande de Julie. Enfin les sonnets à Carite seraient les derniers. Ce ne sont là que des conjectures, et c'est pour cette raison que nous avons réservé les sonnets pour l'époque de leur publication, au lieu d'en parler à leur date présumée, alors qu'ils couraient les ruelles en feuilles volantes, et faisaient les délices de la société précieuse; nous pensons, néanmoins, que ces conjectures ont quelque apparence de réalité.
Chapelain, Pellisson, Maynard, Guéret, Conrart, Ménage, et quantité d'autres critiques contemporains, ont loué les sonnets de Gombauld, et reconnaissent dans l'auteur un esprit vif et délicat. Aussi, remarque l'abbé Goujet, «si M. Despréaux a dit, en parlant de ce genre de poésie:
ce célèbre critique a seulement voulu dire que nous n'avions peut-être point de sonnet sans défaut, et que les poëtes qu'il nommoit estoient ceux qui avoient le mieux réussi[40]».
[40] Goujet.—Bibliothèque française, XVII, 132.
«Suivons toujours notre naturel, dit Guéret dans la Guerre des auteurs; ne sortons jamais du genre qui nous est propre, et n'envions point aux autres la gloire que nous ne sçaurions acquérir comme eux. Laissons L'Élégie à Desportes, les Stances à Théophile, le Sonnet à Gombauld, l'Épigramme à Maynard…» et Furetière, dans sa Nouvelle allégorique des troubles du royaume d'Éloquence, n'hésite pas à proclamer que «de l'Isle sonnante, ou Terre des Sonnets, Gombauld, le grand casuiste et législateur du païs, en fit venir de bien propres et de bien lestes…»
Chapelain déclare «fort beaux» les sonnets de son ami[41], -71-et Costar proclame que «c'est le poëte de France qui fait le mieux les sonnets et les épigrammes…» Ménage va plus loin encore: en plusieurs passages de ses Observations sur Malherbe, il n'épargne point son enthousiasme lorsqu'il parle des sonnets de Gombauld; il dira, par exemple: «M. Gombauld a fait une faute toute semblable en ces beaux vers de cet admirable sonnet qui commence par Cette race de Mars.»
[41] Mélanges de littérature tirés des lettres manuscrites de M. Chapelain.
Tallemant est le seul qui jette une note discordante dans ce concert de louanges: «Les vers de Gombauld, pour l'ordinaire, ne vous vont point au cœur, dit-il; ils ne sont point naturels; plus: il y a grand nombre de sonnets où, pour bien rimer, il tire souvent les choses par les cheveux[42]…»
[42] Tallemant.—Historiettes, II, 461.
Nous regrettons de n'avoir pas le loisir de citer ici un grand nombre des petits poëmes de Gombauld; nous en choisirons un de chacune de ses trois périodes amoureuses, et l'on avouera que le dernier, surtout, donne tort à Tallemant, car le sentiment qui y règne nous semble fort délicat.
I
-72-
II
III
-73-Le Recueil des Sonnets est suivi, dans le volume de 1646, d'un Recueil d'Épigrammes, et tous les critiques sont d'accord pour reconnaître en Gombauld le rival de Maynard. Tallemant lui-même, qui dit froidement des œuvres du poëte son ami: «C'est tout ce qu'il pourra faire que de vivre…» avoue que ses Épigrammes ont une valeur réelle. «Gombauld, dit Furetière dans sa Nouvelle allégorique des troubles du royaume d'Éloquence, tira aussi des montagnes épigrammatiques trois compagnies de chevau-légers de petite taille, mais qui combattoient avec une merveilleuse vivacité, et qui avoient des traits fort dangereux, qu'ils lançoient avec une adresse non pareille. Il s'en étoit servi à démembrer la principauté qu'y avoit auparavant usurpée le président Maynard…» L'abbé de Marolles, qui traite d'excellentes les petites pièces de notre académicien, n'hésite pas à mettre «M. Maynard, M. Bautru et M. de Gombauld, entre les poëtes françois à qui nos voisins ne sçauroient contester les avantages de la primauté à l'égard de l'épigramme, et qui n'en doivent guères aux anciens…» De Marolles était ami de Gombauld, et nous citerons plus volontiers comme impartial le jugement de l'auteur d'un Traité de l'Épigramme, Richelet, qui, après avoir apprécié le talent de Maynard et de Brébeuf, s'exprime ainsi: «Les Épigrammes de Gombauld valent mieux que tout ce qu'il a fait. Les vers en sont naturels, et les pointes de la plupart fines et ingénieuses. D'Aceilly est facile et éveillé. Il n'a pas tant d'Épigrammes à la grecque que Gombauld, mais il n'est pas si juste, ni si françois…»; enfin, dans la notice spéciale consacrée à Gombauld, en tête de l'extrait de ses œuvres, on assure que ses Épigrammes ont fait beaucoup de tort à celles de Fr. Maynard: «elles roulent ordinairement sur les mœurs corrompues de son siècle; elles ont beaucoup de naturel, et ne manquent pas de finesse et de délicatesse de pensée…»
Tel est l'avis des critiques contemporains. Parmi ceux du siècle dernier, l'abbé Goujet se range volontiers à l'avis de ses devanciers; il ajoute même que le fameux vers de Boileau ne s'applique pas aux Épigrammes. «On les lit encore avec plaisir, dit-il, et on les lira apparemment toujours.» -74-L'abbé Sabathier, fort sévère pour le pauvre Gombauld, accorde à plusieurs de ces petites pièces du naturel et de la vivacité; mais La Harpe fait une charge à fond, dans son Lycée, contre le Recueil de notre académicien. «Gombauld et Malleville, dit le célèbre critique, furent plutôt des écrivains ingénieux que des poëtes, surtout le premier, qui nous a laissé un Recueil d'Épigrammes ou plutôt de bons mots. Il est bien vrai que Boileau a dit:
Mais, sans blesser le respect dû au législateur du Parnasse, osons dire que cette définition ne caractérise guère que l'Épigramme médiocre. Celle dont Marot a donné modèle, surpassé depuis par Racine et Rousseau, doit être piquante par l'expression comme par l'idée. L'épigramme a son vers qui lui appartient en propre, et ceux qui en ont fait de bonnes (ce qui n'est pas extrêmement rare) le savent bien. Gombauld ne le savait pas, et c'est ce qui fait que ses Épigrammes sont oubliées.
disait Boileau, et, depuis ce temps, elles n'en sont pas sorties. Celle-ci m'a paru une des meilleures:
[43] La Harpe.—Cours de Littérature, édit. stéréotype, IV, 248-249.
Nous sommes loin de souscrire au jugement de La Harpe, qui nous semble beaucoup trop exclusif en prenant pour type unique de l'épigramme celle de Marot ou celle de J.-B. Rousseau. Il exclut absolument de ce genre de poésie l'épigramme à la grecque, qui souvent ne manque -75-ni de grâce ni de finesse; et la prétention de vouloir exiger absolument pour ces petites pièces la langue marotique nous paraît quelque peu draconienne. Pour notre part, nous avons lu avec grand plaisir le Recueil des Épigrammes de Gombauld, et nous ne croyons pas abuser de la patience du lecteur en citant quelques-uns de ces petits morceaux.
Après la boutade suivante, qui ouvre le Recueil, et rappelle un peu le style romantique de nos modernes:
voici plusieurs pièces un peu plus calmes, mais dont le style est toujours énergique:
I
II
III
-76-Le P. Bouhours, dans sa Manière de bien penser des ouvrages d'esprit, cite comme un chef-d'œuvre de naïveté l'épigramme suivante:
«Après tout, reprit Philante, ces pensées, toutes naïves qu'elles sont, ne laissent pas d'avoir un peu d'antithèse. Vivre, mourir, fait un petit jeu qui égaye la chose.—La naïveté, dit Eudoxe, n'est pas ennemie d'une certaine espèce d'antithèses qui ont de la simplicité selon Hermogène, et qui plaisent mesme d'autant plus qu'elles sont plus simples: elle ne hait que les antithèses brillantes et qui jouent trop…»
Gombauld a mêlé à son Recueil quelques épigrammes à la grecque, qui ne sont, à proprement parler, que des madrigaux: tels le quatrain destiné à la Guirlande de Julie, et le suivant, qui date de la cour de Marie de Médicis.
A Philis, parée pour aller au ballet des Déesses:
Gombauld avait fait peu d'épigrammes dans sa jeunesse: il les composa surtout dans son âge mûr, et pendant sa vieillesse. Dix ans après cette publication, il en donna un volume entier en 1656: nous en parlerons bientôt, et nous aurons lieu de remarquer combien toutes celles qui datent de cette époque sont violentes et misanthropiques. Les malheurs de sa propre existence furent les sources de son inspiration.
Nous dirons peu de choses du volume de Lettres, publié par Gombauld en 1647: sa prose est bien loin de valoir -77-ses vers; et si ces quelques pages, aujourd'hui complétement tombées dans l'oubli, ne nous fournissaient un certain nombre de détails biographiques intéressants, sur lui-même et sur plusieurs de ses contemporains, nous n'en parlerions même pas. «Il n'y a ni sel ni sauge à ses Lettres imprimées, qu'il croit autant de chefs-d'œuvre,» dit Tallemant des Réaux; et le bibliographe contemporain Sorel se borne à les citer avec celles de Plassac, de Porchères, de Théophile…, en disant qu'elles traitent de sujets très-divers, et que chacun de ces auteurs «a très-bien réussi selon sa capacité[44]». Nous avons patiemment parcouru ce petit volume, dédié à Monseigneur (sans aucune autre dénomination), et qui contient cent quarante-huit Lettres «de sujets très-divers,» selon l'expression de Sorel: les unes philosophiques, les autres littéraires, celles-ci amoureuses, celles-là sans caractère déterminé; ici une simple correspondance ordinaire, là des remerciements au sujet de l'Endymion… Nous remercions Gombauld de les avoir publiés, parce que c'est une mine de renseignements pour le chercheur curieux; mais on ne pourrait en supporter longtemps la lecture suivie: on y fera quelques recherches utiles; il ne faut leur demander rien davantage. Elles sont cependant adressées à des personnages de renom: à Mme des Loges, à M. d'Andilly, aux maréchaux de Bassompierre et d'Ornano, aux marquis d'Uxelles, de Rambouillet, de Théobon ou de La Moussaye, à Mme de Beringhen, à la maréchale de Thémines, à Conrart, à Boisrobert, à l'abbé de Cérisy, à M. de Charleval, à l'abbé de Châtillon, etc. Mais «le sieur de Gombauld,» malgré ses hautes relations, n'a pu réussir à nous charmer en prose; et le fragment que nous avons cité plus haut d'une de ses Lettres à Boisrobert suffit pour donner un spécimen de son style épistolaire.
[44] Sorel.—Bibliothèque française, p. 102.
Les deux livres de Gombauld se vendirent assez bien, en particulier le Recueil des poésies: mais, malgré le produit de cette vente, le pauvre gentilhomme ne pouvait parvenir à soutenir son rang; et cela était dur pour un amant -78-des belles manières de l'ancienne Cour. Un peu avant le blocus de Paris, vers la fin de l'année 1648, «Chapelain et Esprit, raconte Tallemant, voyant que Mme de Longueville goustoit fort ses ouvrages, firent en sorte que, du consentement de M. de Longueville, elle offrît de luy donner six cens livres, je pense, de pension. Le bonhomme, qui en avoit besoing, n'en vouloit pas pourtant, luy qui n'avoit que les deux cens escus du Sceau; ce n'estoient point bienfaits du Roy: on eut une peine enragée. Il appeloit cela une servitude; que jusques-là il avoit pu se vanter qu'il avoit esté libre, qu'il estoit l'homme libre du Roy, et que c'estoit, s'il l'osoit dire, en cette qualité qu'il en recevoit pension[45]…»
[45] Tallemant.—Historiettes, III, 468.
Ce trait est caractéristique, et M. Pierre Barbier n'hésite pas, devant un pareil témoignage, à appliquer à Gombauld ce que Sainte-Beuve dit quelque part de l'un de ses plus illustres compatriotes, d'Aubigné, calviniste et Saintongeois comme lui, «type accompli de la noblesse ou plutôt de la gentilhommerie protestante française, brave, opiniâtre, raisonneuse et lettrée, guerroyante de l'épée et de la parole, avec un surcroît de point d'honneur et un certain air de bravade chevaleresque ou même gasconne qui est à lui[46].» C'était en effet un gentilhomme de race que notre Sonneur de sonnets, mettant au-dessus de tout son Dieu, son Roi et sa Dame, et ne transigeant ni avec l'ambition ni avec l'intérêt, pour chercher des accommodements avec sa foi. Aussi devons-nous croire complétement le chroniqueur, quand il ajoute ce correctif au trait précédent: «… On descouvrit que ce qui le fascha le plus, c'estoit de n'avoir que six cens livres où M. Chapelain avoit deux mille francs[47], et qu'il eust esté plus satisfait qu'on eust mis quatre cens escus et qu'on ne luy en eust donné que deux cens…—Il fit des vers à la femme et au mari, dit encore Tallemant, et il a bien du mal au cœur d'avoir fait, ce luy semble, des laschetez ou des bassesses pour rien.»
[46] Sainte-Beuve.—Causeries du Lundi, t. X.
[47] Pour composer à loisir le poëme de la Pucelle en l'honneur de la maison de Longueville et de Dunois.
-79-En effet, il ne toucha jamais un sou de cette pension, s'il faut en croire le chroniqueur, «et durant le blocus, Madame de Longueville ne s'informa pas seulement si ce pauvre homme avoit du pain; le chancelier (Séguier), cette fois-là, fist l'honneste homme, car, de Saint-Germain, il eut soing de luy faire payer sa pension. Gombauld l'en remercia en vers, et c'est une des meilleures choses qu'il ait faites[48]»…
[48] Tallemant, II, 469.
La situation du vieux poëte s'empira encore bien davantage quelque temps après, par suite des troubles politiques:
[49] Gombauld.—Recueil des Épigrammes de 1656, p. 164.
Les sceaux ayant été retirés au chancelier Séguier le 2 mars 1650, la pension que Gombauld tenait de lui depuis 1634 se trouva supprimée par là même, et il fallut employer près du nouveau garde des sceaux, Châteauneuf, tout le crédit d'amis puissants pour arriver à la faire rétablir. Tallemant raconte à ce sujet un trait fort à l'honneur du poëte Benserade. «La plus raisonnable action que Benserade ait faitte en sa vie, dit-il, ce fut que, M. de Chasteauneuf ayant esté fait garde des Sceaux pour la seconde fois en 1650, il fist en sorte que la pension que Gombauld avoit sur le Sceau fût continuée. Il estoit des amys de Madame de Leuville, femme du nepveu du garde des sceaux, et il le fit agir comme il fallut; après, il écrivit un billet à Gombauld, sans signer, par lequel on l'avertissoit que l'affaire estoit faitte, et qu'il en avoit l'obligation à Madame de Leuville, à Madame de Villarseaux, sa belle-sœur, à Madame de Vaucelas et au président de Bellièvre, et ne parloit -80-point de luy[50].» Le chroniqueur cite encore ailleurs Mesdames de Chaulnes-Villeroy, de Rodes, de Boisdauphin, comme ayant été, avec Madame de Leuville, les intermédiaires qui obtinrent le rétablissement de la pension du poëte; et il ajoute: «Gombauld fut fort empesché comment les louer toutes quatre.—On dira, disoit-il, que c'est un quatorze de dames[51].»—Et plus loin: «Ce fut Conrart qui l'avertit que le trésorier du Sceau avoit de l'argent à luy donner de la part de M. de Chasteauneuf. Il y fut. Conrart luy demanda.—Hé bien!—Ce trésorier brutal, répondit-il, m'a voulu faire accroire que je ne sçavois pas escrire. Il m'a dit…—Mais avez-vous touché?—Il n'y a que moy qu'on traitte ainsy.—Mais avez-vous touché?—… On eut bien de la peine à lui faire dire ouy…—J'ay honte, disoit-il, d'avoir receu seul; d'autres qui le méritent mieux n'ont rien eu: il me semble que je leur escroque.»
[50] Tallemant, V, 13.
[51] Tallemant, II, 470.
Voilà un scrupule fort honorable, et Gombauld est très-heureux d'avoir eu un ami tel que Tallemant, qui se soit chargé de rapporter tous les traits nécessaires pour donner à son caractère une vigoureuse et haute physionomie.
Peu de temps après, vers 1653, on réussit à obtenir un nouveau subside pour Gombauld, et, cette fois, ce fut le surintendant Servien, membre de l'Académie, comme Séguier, qui devint le bienfaiteur du poëte. Qu'on nous pardonne de citer encore Tallemant à ce sujet; son récit se termine par un de ces traits dont nous venons de parler et qui sont fort précieux pour un biographe: «Pour subsister, Ménage vendit une terre qu'il avoit eue à partage, à M. Servien, qui luy fit la rente de l'argent au denier 18. En ce temps-là, on le pria de faire quelque chose pour le bonhomme Gombauld. Servien promit de luy faire toucher 1,500 livres: mais il ne se hastoit pas autrement. Ménage luy déclara qu'il ne signeroit point le contrat de vente de cette terre, qui estoit à la bienséance de Sablé[52], qu'il ne luy -81-tinst parole touchant M. de Gombauld. Et cela fut fait: mais il l'a tant chanté, que Gombauld ne put s'empescher de faire cette épigramme; car, quoiqu'il ne l'ayt point monstrée, et qu'il le nie comme beau meurtre, je suis certain que c'est ce qui luy en a fait venir la pensée. La voicy:
[52] Dont Servien était marquis.
[53] Tallemant, IV, 211.
Il est vrai que Ménage s'appelait Gilles et non pas Charles; mais cela déguise peut-être mieux le personnage. Du reste, les auteurs du Recueil des plus belles Épigrammes des poëtes français, qui reproduisent cette petite pièce, remarquent avec raison «qu'il semble que la pensée en soit fausse: car, enfin, l'indiscrétion d'un homme qui nous aura fait un plaisir n'empêche pas que nous n'ayons receu de luy ce plaisir, et que nous ne luy en ayons l'obligation…» Quoi qu'il en soit, si Gombauld ne montra pendant quelque temps cette épigramme qu'à de rares amis, comme on peut le conclure du récit de Tallemant, il la trouva si piquante, qu'il ne pût s'empêcher de l'insérer dans son Recueil complet des Épigrammes qu'il publia en 1656. Elle y figure, en effet, au no 85 du premier livre, et ceci nous amène à parler du nouvel ouvrage du poëte saintongeois.
RECUEIL DES ÉPIGRAMMES.—POÉSIES INÉDITES (1657).
Le Recueil des Épigrammes, dans le Privilége duquel Pellisson, alors secrétaire du Roy en exercice, a fait insérer que Sa Majesté veut «favoriser l'Exposant, et la publication -82-de tout ce qui sort d'une plume si célèbre,» est précédé d'une Préface que nous croyons devoir reproduire; elle n'est pas longue, et contient pour une biographie des renseignements précieux sur le caractère du poëte:
«Ce n'est que pour passer par tous les genres d'escrire, dit Gombauld, qu'après avoir fait d'autres diverses œuvres, j'ay voulu faire aussi des Épigrammes. On m'a persuadé de les mettre au jour; mais je n'ay pas le courage de les dédier à personne, non pas mesme de les accompagner de quelque Advertissement. Il semble que ceux qui dédient si facilement leurs ouvrages ne cherchent pas tant des protecteurs que des complices de leurs fautes. Ce n'est pas faire des offrandes, c'est mendier des gratifications, c'est vendre ce qu'on ne doit jamais acheter: je parle des louanges que plusieurs reçoivent avec plaisir, et qu'ils ne payent guères qu'à regret. On veut que je donne des advis à ceux qui ne se soucient pas d'en recevoir, et à qui mes excuses donneroient, peut-estre, le moyen de m'accuser davantage. On veut que je rende à la coustume ce que je ne croy point devoir à la nécessité. Mais je n'ay rien à dire, sinon, ce que l'on eust bien jugé sans que je l'eusse dit: Que ces Épigrammes ne sont pas toutes d'un âge, et que les plus vieilles sont celles qui tiennent le plus de la jeunesse; que les unes excusent les autres, et qu'elles ne sont faites, la pluspart, que pour les bonnes mœurs, ou plustost contre les mauvaises; de telle sorte pourtant que pas un n'en puisse murmurer, à moins que de se déclarer coupable.»
Cette déclaration de principes au sujet des dédicaces nous a paru d'autant plus curieuse à noter, que deux ans après, en 1658, Gombauld, pressé sans doute par la plus grande nécessité, se décida à faire imprimer ses Danaïdes, avec une Dédicace au surintendant Fouquet.
Il y a peu d'exemples, dit Rosteau, dans ses Sentiments sur quelques livres qu'il a lus, «de poëtes qui ayent fini leurs travaux par des épigrammes, qui, pour l'ordinaire, sont formées de pointes d'esprit et d'un feu qui convient mieux à un jeune homme qu'à des poëtes usés et avancés en âge». Mais il ajoute «qu'on peut excuser M. de Gombauld de s'être appliqué à ce genre d'écrire, dans la dernière partie de sa vie, sur ce que la plupart de ses épigrammes sont plutôt des censures des vices et des mœurs corrompues de son temps, que de ces galanteries qui se font ordinairement pour les dames». Gombauld avait en effet plus de quatre-vingts -83-ans, lorsque, en 1657, il publia son Recueil; nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit de ces petites œuvres, lors de la publication des premières en 1646.
Nous citerons seulement quelques-unes des nouvelles, celles surtout qui peuvent donner une idée des principales préoccupations de l'esprit de Gombauld pendant sa vieillesse:
I
Gombauld se persuadait volontiers que ses vers devaient faire les délices de la postérité la plus reculée. Il dira, par exemple, à une Dame qui lui avait donné des roses:
II
-84-C'est peut-être pour cela que son ami des Réaux prétend qu'il était «un peu infatué du Parnasse,» et raconte que, répondant, en 1651, en qualité de Directeur de l'Académie, à la harangue de l'abbé Tallemant, qu'on recevait, il lui dit «qu'il pouvoit désormais regarder les autres hommes comme les yeux du ciel regardent la terre!»
L'ingratitude des hommes et la fragilité des biens temporels reviennent souvent sous la plume de Gombauld, pendant ses dernières années:
III
IV
Puis, le souvenir de ses premières années lui revient à l'esprit:
V
VI
«Il chante toujours de sa vieille Cour,» disait Tallemant des Réaux.
Pour terminer, citons ce petit morceau, dans lequel le poëte «représente son humeur»:
VII
C'est une sorte de répétition en vers de la Préface que nous avons citée plus haut.
Le Recueil des Épigrammes de Gombauld, publié en février 1657, à Paris, chez Courbé, eut, dans la même année, une autre édition de Hollande, «jouxte la copie de Paris», et il a été réimprimé en 1861, aux frais et par les soins de M. J. V. F. Liber, en dépit des prédictions de Boileau et de La Harpe[54].
[54] Lille, Typog. de A. Behague, et Paris, J. Tardieu.—Cette édition contient en appendice une épigramme de Gombauld sur Antoine de Bourbon Moret, fils naturel de Henri IV, tirée de Tallemant des Réaux, historiette de la comtesse de Moret.
La réimpression, dans l'année même de son apparition, -86-prouve au moins que le Recueil eut un certain succès parmi ses contemporains: et, d'après les quelques citations que nous en avons faites, on doit reconnaître qu'il était mérité.
Le dix-septième siècle n'a cependant pas connu toute l'œuvre épigrammatique de notre poëte. M. Prosper Blanchemain a découvert un certain nombre d'épigrammes inédites de Gombauld dans un vieux cahier relié à la suite de son Recueil de 1657, et qui présente toutes probabilités d'avoir appartenu à Gombauld lui-même. Après avoir balancé à les attribuer à notre académicien, parce qu'il en est trois, dans le nombre, qu'on a coutume de donner à Regnier, le savant éditeur de Ronsard n'a pas hésité à les restituer au poëte saintongeois, en remarquant que ces trois pièces n'avaient été mises sur le compte de Regnier que longtemps après sa mort, et que Conrard, dans la notice conservée par d'Olivet, parle d'un Recueil de vers manuscrits laissé par Gombauld, «particulièrement de Sonnets et d'Épigrammes, qui, pour estre entre les mains de personnes peu intelligentes en ces sortes de choses-là, n'ont pu encore estre mises en lumière». Une quarantaine de ces petites pièces, y compris des vers de ballet, ont été publiées en 1874, à San Remo, dans la seconde livraison du Fantaisiste, et tirées à part à cinquante exemplaires seulement sur grand papier vélin; mais elles sont presque toutes du genre de celles qu'on avait jadis attribuées à Regnier et, par conséquent, assez licencieuses pour être fort déplacées dans ce Recueil: nous respecterons donc le motif qui avait engagé Gombauld à ne pas les publier dans son volume, et nous nous contenterons d'en citer une assez piquante, qui ne présente pas le même caractère que ses voisines:
-87-M. Prosper Blanchemain n'avait pas envoyé tout son cahier manuscrit au Fantaisiste en 1874: il a bien voulu nous en communiquer quelques autres feuillets et nous autoriser à reproduire les pièces suivantes, qui auront pour nos lecteurs tout l'attrait de l'inédit:
I
POUR LES ENDEBTÉS.
II
Épigramme.
III
POUR METTRE DEVANT DES HEURES.
Madrigal.
-88-
IV
A UNE, EN JOUANT A COLIN-MAILLARD.
[55] On attribue ordinairement cette pièce à Montreuil, qui l'aurait adressée à Mme de Sévigné.
V
AUTRE.
VI
AUTRE.
-89-
DERNIÈRES ANNÉES DE GOMBAULD.—PELLISSON ET FOUQUET.—MALADIES ET MISÈRE.—TRAITÉS POSTHUMES SUR LA RELIGION.—MADAME MARIE.—CONCLUSION.
Les livres de Gombauld trouvèrent un prompt débit, et ce succès augmenta encore son humeur altière. Il avait à cette époque quatre-vingts ans bien passés: et, à cet âge, que de défauts sont permis ou doivent être tolérés! Il devint à tel point épris de sa valeur personnelle, que la reine Christine de Suède elle-même ne put trouver grâce devant lui. L'avocat Patru, dans une lettre fort intéressante qu'il écrivait à son ami d'Ablancourt, raconte avec de grands détails la célèbre visite que cette reine à l'humeur bizarre voulut faire en personne à l'Académie pour rendre un hommage éclatant aux beaux esprits de France. M. de Gombauld, dit-il, vint à la réunion sans être averti; «mais aussi tost qu'il sçut le dessein de la princesse, il s'en alla: car tu sçauras qu'il est en colère contre elle, de ce qu'ayant fait quelques vers où il a loué le grand Gustave[56], elle ne lui a point écrit, elle qui, comme tu sçais, a écrit à cent impertinens. Le bonhomme, que tu connois, se fasche de cela tout de bon, quoiqu'il soit bien vrai qu'elle ait demandé de ses nouvelles plusieurs fois à ses deux voyages de Paris. J'aurois bien plus sujet de m'en plaindre: mais quand rois, reines, princes et princesses ne me feront que de ces maux-là, je ne m'en plaindrai jamais[57]…»
[56] Père de la reine Christine.
[57] Œuvres de Patru, édit. 1714, in-4o, p. 572.
Le crime de la reine de la Suède était en effet irrémissible, -90-de n'avoir pas répondu plus efficacement à ces vers pompeux, loués si hautement par Ménage:
Malheureusement le bonhomme Gombauld n'avait pas les moyens de pouvoir se draper pendant longtemps encore dans le manteau de sa dignité chevaleresque: la misère était de garde à sa porte, et l'année 1658 ne put s'écouler sans avoir vu notre poëte parjurer tous les serments qu'il avait proférés dans la Préface de son Recueil d'épigrammes. Malgré les bons offices de quelques amis puissants et généreux, parmi lesquels il faut citer le duc et la duchesse de Montauzier, la pension du malheureux gentilhomme se payait très-difficilement depuis la guerre de Paris. «Pour le chancelier, écrivait Tallemant vers 1657, il y a cinq ans qu'il lui fait dire qu'il aura soing de luy, mais qu'on a diverty les fonds du Sceau[58]…» Gombauld dut se résoudre à porter un manuscrit chez le libraire, et son choix tomba sur celui des Danaïdes.
[58] Tallemant, Historiettes, II, 471.
Or, depuis quelque temps, le vieux poëte s'était fort attaché à Pellisson qui, jeune académicien, venait d'entrer chez le surintendant des finances Nicolas Fouquet en qualité de secrétaire. Pellisson, par son influence, obtint du libéral surintendant une pension de «quatre cens escus» pour le bonhomme. Mais il fallait que l'amitié de Gombauld pour lui fût bien vive, ou que le besoin le pressât au-delà des plus extrêmes limites, pour accepter ce don qui ne venait pas du Roi; car, chose extraordinaire, Pellisson parvint à persuader Gombauld que son devoir était de dédier en retour les Danaïdes au surintendant. Cette dédicace valut cent louis d'or au poëte[59].
[59] Ibid., 472.
La reconnaissance de Gombauld ne dépassa cependant pas les bornes de son humeur vaniteuse. En récompense -91-de ce service, rapporte Tallemant, «Pellisson qui a fait peindre quasy tous ses amys, voulut avoir son portrait: jamais on n'en put venir à bout. Mme de Rambouillet l'en pressa en vain. Il dit que du Moustier en avoit eu un autrefois, qui estoit l'ombre infernale de Gombauld. Cependant du Moustier disoit en le montrant:—Voylà le divin Gombauld.—Et on disoit que du Moustier estoit Pisandre dans Endymion… Il disoit que ce seroit la «descrépitude de Gombauld», et dit à Mme de Rambouillet «qu'il n'avoit pas dormy depuis qu'elle l'en avoit pressé,» et que, si elle continuoit, il se priveroit plustost du plaisir de la voir, qui estoit la seule consolation qu'il eust au monde[60]…»
[60] Tallemant, Historiettes, II, 472.
Cette boutade n'empêcha point Pellisson de rendre encore bien des services au bonhomme; et Tallemant, le chroniqueur ordinaire de tous ces détails intimes de la vie de ses contemporains, nous présente en cette occasion le jeune historien de l'Académie sous un caractère fort généreux. C'est ainsi que Gombauld ayant composé, après la maladie du Roi, en 1658, «un Sonnet qu'il ne voulut jamais donner, quoy qu'il fust beau à quelque chose près, disant qu'il ne vouloit pas que la première chose que le Roy verroit de luy ne fust pas achevée (comme si le Roy s'y connoissoit ou ceux qui l'approchent), Pellisson, qui le fait subsister par le moyen du surintendant Fouquet à qui il est, ne put obtenir ce sonnet; on eut beau l'en presser. Cependant il en a fait imprimer cent qui valent moins. Je ne l'ay jamais veu si poëte, pour ne rien dire de plus, qu'en cette rencontre[61]: il pesta contre tout le monde et contre Pellisson même, ou peu s'en fallut. J'y descouvris de l'envie:—On paye si mal, disoit-il, des vers immortels! Un sonnet immortel que je fis pour M. Servien, que m'a-t-il valu?—Et pour toute raison, quand je le pressois de donner de temps en temps quelque chose qui ne fust pas imprimé à Pellisson pour entretenir le surintendant en belle humeur -92-pour luy, il me respondoit que ce mesme esprit qui luy faisoit faire des sonnets immortels, l'empeschoit de faire ce que je luy conseillois[62]…»
[61] On sait qu'il ne faut pas ajouter grande créance aux jugements littéraires de Tallemant. C'est lui qui trouvait que Corneille avait gâté le théâtre en y introduisant la déclamation.
[62] Tallemant, Historiettes, II, 472.
C'est sans doute à cette époque qu'il faut attribuer les vers suivants, dans lesquels le poëte a voulu peindre sa verte vieillesse:
Cependant les dernières années de la vie du bonhomme Gombauld furent tout à fait misérables, et surtout après la chute du surintendant Fouquet, le besoin se fit plus que jamais sentir dans son pauvre intérieur. Ce fut probablement pendant cette période de son existence que, sentant ses idées religieuses s'exalter, il composa un certain nombre d'écrits de polémique. Nous n'avons pas pu assigner de date précise à ces divers Traités, dont les premiers doivent remonter vers 1640, et que Valentin Conrart publia plusieurs années après la mort de son ami et coreligionnaire; mais il nous semble naturel d'en attribuer le plus grand nombre à cette époque: «J'ay déjà dit, rapporte Tallemant au sujet de ces opuscules de Gombauld, que c'estoit un huguenost à brusler. Il a écrit plusieurs petites pièces de controverse et croit, s'il osoit les imprimer, que cela persuaderoit tout le monde. Un jour il dit, à propos d'ouvrages chrestiens, à un de mes beaux-frères, qu'il avoit fait une fois des prières assez belles pour croire qu'elles lui avoient esté inspirées, et qu'en effet il n'avoit jamais rien fait qui en approchast.—Une nuict, disoit-il, que je n'avois point dormy, j'entendis sur le poinct du jour un grand bruict dans ma cheminée: c'estoit l'esté, il n'y avait point de feu; -93-je me lève, j'y trouve une fort grosse et belle plume de pigeon: je la taillay et j'en escrivis ces prières.—Il vouloit qu'on crust que le Saint-Esprit y avoit pris part. Après, il s'avisa que c'estoit une extravagance et pria ce garçon de n'en rien dire. Il adjousta que ce qu'il avoit escrit un jour sur Nostre Père avec cette mesme plume tomba dans le feu comme si ses mains eussent esté de beurre et que ces papiers se consummèrent tous en un instant. A propos de religion, il est si emporté sur cela, qu'il trouve que Mme de Rambouillet a tort d'estre si bonne catholique[63].»
[63] Tallemant, Historiettes, II, 472-473.
A part ces extravagances, dont nous laissons la responsabilité à l'auteur des Historiettes, et qui prouvent que le vieux poëte commençait, suivant l'expression populaire, à tomber en enfance, ces traités sur la religion ne manquent pas d'un certain intérêt. Publiés en 1669 à Amsterdam par Conrart, ils furent réimprimés en 1676, et le premier, le plus considérable de tout le volume, contient des considérations fort judicieuses sur la religion chrétienne en général. Les autres concernent plus spécialement le protestantisme, la Religion prétendue Réformée, comme on disait alors. C'est d'abord un Traité de l'Eucharistie, puis un Discours contenant les raisons pour lesquelles l'auteur préfère la religion réformée à la religion romaine; et l'ouvrage se termine par cinq Lettres sur ce même sujet.
C'était de tous ses ouvrages, dit Conrart, ceux que Gombauld estimait le plus. Il les avait composés par un motif de charité, dans le dessein de faire connaître la vérité à ceux qu'il croyait dans l'erreur, et d'affermir dans la bonne créance ceux qui y étaient nés ou qui l'avaient embrassée. Il se plaignait ordinairement de deux choses: l'une, que la plupart de ceux qui écrivaient sur ces matières faisaient de trop gros livres, entassant preuves sur preuves, autorités sur autorités, sans se soucier ni de la clarté ni de l'ordre; et l'autre, qu'ils s'imaginaient sans doute que la doctrine et l'élégance étaient incompatibles[64].—«Pour faire voir -94-qu'ils se trompoient en cela, il composa ses Considérations sur la Religion chrétienne, lorsqu'il était encore dans la vigueur de l'âge, et il fit voir véritablement qu'on peut estre tout ensemble vigoureux et clair, concis et plein, solide et élégant. Ayant communiqué cette pièce à plusieurs de ses amis et mesme à quelques-uns de la religion romaine, elle fut estimée de tous, et cela lui donna courage de faire le Traité de l'Eucharistie et un autre qu'il adresse à un de ses amis sous le nom d'Aristandre. Pour les Lettres, il les a faites à un âge beaucoup plus avancé, excepté celle à un Proposant, qui est presque de même date que les Considérations.»
[64] Voici un curieux passage des Mémoires de l'abbé de Marolles, qui montre Gombauld en veine de controverse et d'études sur le Nouveau Testament. L'abbé écrit ceci vers 1650: «M. le marquis de Pompignan vint chez moi. Il se trouva cette journée-là dans mon cabinet fort bonne compagnie: M. de Montmor, conseiller d'État et maistre des Requestes, de qui les gens de lettres reçoivent si souvent des marques de sa générosité; M. de Charleval, qui a le goût si délicat pour toutes les belles choses; M. de Berville, de Normandie, qui débite un grand sçavoir avec tant de facilité; M. de Gombauld, si connu de toute la France pour sa rare modestie et par ses nobles poésies, et quelques autres, qui se sont entretenus au sujet de l'Escrit de la Magdeleine, du progrès de l'Évangile et de la naissance et de l'accroissement du christianisme, sur quoy on dit de fort bonnes choses; enfin, venant à parler des femmes illustres du Nouveau Testament, M. de Gombauld ayant demandé d'où l'on avoit appris que la mère de la Vierge avoit nom Anne, et son père Joachim, parce que les saintes Écritures ne les nomment point, voicy à peu près ce que j'en dis, etc.»—Mém. de Marolles, éd. in-fol., 234-235.
Sa plus grande passion, dit encore Conrart, était de publier ces écrits, parce qu'il était persuadé qu'ils seraient utiles; «et peut-estre n'a-t-on guères veu un homme séculier avoir autant de zèle pour la gloire de Dieu et autant d'amour pour son prochain qu'il en avoit. Mais quand on aura remarqué dans ses ouvrages la ferveur de ce zèle, et quand on saura d'ailleurs que sa subsistance dépendoit presque indispensablement de la Cour, on ne trouvera plus estrange qu'il ne les ayt pas fait paroistre durant sa vie. Pour empescher que le public n'en fust privé après sa mort, s'ils fussent tombés entre les mains de quelques autres personnes d'autre religion que la sienne, il les mit, sur ses dernières années, en celles d'un de ses amis dont il -95-avoit éprouvé la fidélité et l'affection, et luy fit promettre de ne point s'en dessaisir, et de les mettre au jour dès que la commodité s'en présenteroit[65]».
[65] Préface des Traités posthumes sur la religion.
Il fallait que le pauvre Gombauld fût bien pressé par le besoin pour qu'il craignît de se voir privé, par un zèle religieux intempestif, des subsides qu'il obtenait à grand'peine de la Cour. On connaît l'Épigramme du poëte Gomès:
C'étaient les vivres aussi qui dictaient la loi à l'infortuné gentilhomme, à l'ancien poëte favori de Marie de Médicis, et voilà comment ce que Tallemant des Réaux n'hésite pas à déclarer «le meilleur ouvrage de Gombauld en vers et en prose» dut rester si longtemps, à son grand regret, dans les cartons du poëte.
Jusqu'en 1664, date de sa mort, Gombauld ne fit plus que végéter, et Tallemant des Réaux nous fait un tableau navrant de la triste fin de son ami. Sans le secours de cinquante pistoles que lui envoya de sa bourse le comte de Saint-Aignan, après quelques vers pour le fameux carrousel du Roi, et surtout sans l'ordonnance de quatre cents écus que signa Colbert en sa faveur, à la suite des célèbres Rapports de Costar et de Chapelain sur les gens de lettres, le pauvre Gombauld serait littéralement mort de faim.
Le Rapport de Costar est de 1661, et celui de Chapelain[66] de 1662: ce sont les deux monuments les plus précieux de la critique contemporaine, et voici ce qu'elle pensait alors du talent et de la situation de notre poëte:
[66] Voir notre Étude sur Chapelain, publiée dans la Revue de Bretagne et de Vendée de mars à décembre 1875.
«De Gombauld, écrivait Costar, n'a pas autant de rentes que Racan: il n'a pas plus de deux cens écus de revenu. Il est huguenot, homme de grande vertu, et qui mériteroit -96-bien quelques bienfaits de Son Excellence. Il est déjà fort vieux: c'est le poëte de France qui fait mieux des sonnets et des épigrammes; il entend merveilleusement l'art poétique[67]».
[67] Publié par M. Taschereau, dans ses Notes à la vie de Corneille, édit. 1829, p. 347.
«Gombauld, disait Chapelain, est le plus ancien des écrivains françois vivans. Il parle avec pureté, esprit, ornement en vers et en prose, et n'est pas ignorant en la langue latine. Depuis plus de cinquante ans il a roulé dans la Cour, avec une pension, tantôt bien, tantôt mal payée: son fort est dans les vers, où il paroît soutenu et élevé. A force de vouloir dire noblement les choses, il est quelquefois obscur: s'il étoit guéri d'une grande maladie qui l'a abattu, il pourroit faire quelque ode, quelque panégyrique, quelque sonnet fort beau, mais avec lenteur, en y mettant un grand prix[68]».
[68] Mélanges de littérature tirés des Lettres mss. de Chapelain. Paris, 1736, in-12, p. 230-231.—Voir au sujet du rapport de Chapelain notre Étude sur ce poëte, publiée dans la Revue de Bretagne et de Vendée de mars à décembre 1875.
Il n'y a rien à ajouter au jugement des deux critiques.
Cette grande maladie, qui avait abattu Gombauld, provenait d'une chute qu'il avait faite quelques années auparavant. «Il s'estoit laissé tomber dans sa chambre de sa hauteur, rapporte Tallemant, et s'estoit tout froissé.»—«Il avoit toujours vécu fort sain, dit à son tour Conrart; à quoi sa frugalité et son économie avaient extrêmement contribué: mais un jour qu'il se promenoit dans sa chambre, ce qui lui étoit fort ordinaire, le pied lui ayant tourné, il tomba et se blessa de telle sorte à une hanche qu'il fut obligé de garder presque toujours le lit depuis cet accident jusqu'à la fin de sa vie, qui a duré près d'un siècle[69].»
[69] Conrart, Notice sur Gombauld, en tête de ses Traités posthumes sur la religion.
«On ne croit pas qu'il relève de sa chute, ajoutait des Réaux vers cette époque. On taschoit à luy faire avoir une subsistance en questant ses amys; mais personne ne se pouvoit résoudre à remettre l'argent entre les mains de -97-Mme Marie, sa servante, que, depuis quelque temps, il appelle luy-mesme Madame Marie. Elle le vole, luy a fait faire une déclaration que ses meubles ont esté achestez de l'argent de cette fille, ce qui est faux, et a tiré de luy quelques promesses. Elle est maistresse absolue; on dit qu'elle preste sur gages… C'est une fille fière comme une princesse, et qui a quelque chose de desmonté, ou je suis le plus trompé du monde. Elle n'est pas trop mal faite. Je ne sçay pas ce qu'il y a, mais le bonhomme a dit à Mme de Rambouillet qu'il connaissoit une pauvre fille pour qui trois hommes estoient morts d'amour: il y a apparence que c'est celle-là. Elle cause fort, et c'est quelque divertissement pour luy.
»… Or cette fille a la teste près du bonnet. Il deslogea de chez un chirurgien, auprès des Beaubruns, peintres qui ont deux femmes raisonnables et chez qui il est logé à présent, à cause d'elle… Elle dit quelque chose de travers au chirurgien; le bonhomme, entendant du bruit, descendit (c'étoit un peu avant son accident); il trouva que son hoste avoit donné quelque horion à cette fille; cela le mit en colère, il le frappa. Le chirurgien fut assez sage pour ne pas riposter. C'est pour cela qu'il deslogea.
»Bien des gens taschèrent de le désabuser de cette fille qui le pilloit; mais on n'en put venir à bout: elle estoit maistresse absolue et excluoit qui luy plaisoit. Une fois elle chassa La Mothe Le Vayer, le prenant pour un ministre. Elle surprit une lettre de Conrart, où il la deschiroit: elle la garda et dit qu'il estoit bien obligé à sa goutte, car sans cela elle luy feroit donner le fouet par la main du bourreau.
»On ne sçavoit mesme si le bonhomme ne l'avoit point espousée[70]. Enfin il mourut après avoir esté longtemps incommodé -98-de sa chute… Il a confessé en mourant qu'il avoit quatre-vingt-seize ans.
[70] «Ménage, dit encore Tallemant, demanda un jour à cette fille si, effectivement, elle estoit mariée à M. de Gombauld.—Moy, respondit-elle, monsieur, hé! que voudriez-vous que je fisse de cet homme-là? J'ay plus de biens que luy.—Elle avoit raison, car elle luy avoit pris tout ce qu'il avoit.»
De tout ceci et de bien d'autres passages des documents contemporains, il résulte que Gombauld n'a jamais été marié, et qu'il est mort célibataire sans héritiers directs. Nous avons donc été fort surpris de rencontrer cette note dans le Dictionnaire des familles de l'ancien Poitou, de M. Beauchet-Filleau.
«La famille Augier, originaire de Marennes, prétendait que ses auteurs étaient seigneurs d'une portion de cette terre conjointement avec les comtes de Poitou. Augier ou Ogier (Jean) de Gombauld, un des premiers académiciens de Paris, se rendit célèbre dans les lettres et obtint de la reine mère de Louis XIII une pension de 1,200 écus; comme il était de la religion protestante, ses enfants ayant suivi son exemple, furent obligés de s'expatrier à l'époque de la révocation de l'Édit de Nantes. Six d'entre eux passèrent alors en pays étranger, emportant avec eux tous les titres de leur famille. Le septième ayant abjuré demeura en France: mais ses descendants ne connurent leur famille que par tradition. Augier (Lucas), c'était son nom, eut un fils, Jean, lequel fut père de trois garçons qui embrassèrent tous les trois la profession des armes. Un d'eux fut tué à l'armée. L'aîné fut aide de camp du Misdetesfeld en Espagne. L'autre servit dans la cavalerie et fut réformé ainsi que son régiment vers le commencement du XVIIIe siècle. Il épousa Jeanne Faure, alliée aux premières maisons de l'Armagnac. De ce mariage sont issus deux garçons…»
Tout cela est fort précis, mais nous n'avions jamais entendu parler des sept enfants du poëte Gombauld, qui n'auraient pas manqué d'empêcher dame Marie d'être sa légataire universelle. Il y a ici quelque confusion. Nous ne contestons pas qu'il y ait eu six Augier, frères de Lucas, émigrés, mais ils n'étaient certainement pas les fils de l'académicien.
»Mme Marie se garda bien de faire venir des prestres, car il luy eust cousté à le faire enterrer, et elle estoit légataire universelle[71]…»
[71] Tallemant, Historiettes, II, 473-476.
Ainsi se termina misérablement, en 1666[72], l'existence de ce poëte, que Ménage déclare, dans ses Observations sur Malherbe, «l'un de nos meilleurs écrivains». Il laissa, en mourant, quelques manuscrits: une tragi-comédie de Cydippe et «de quoi faire, dit Conrart, un nouveau recueil de vers» qui n'ont pas vu le jour.
[72] Un état des gratifications faites en 1664 et en 1665 aux savants et gens de lettres porte cependant: «Au sieur de Gombauld bien versé dans la poésie, et pour l'obliger de continuer son application aux belles-lettres.—1,200 livres.» (Publié dans les Mélanges de la Société des bibliophiles français.) Mais dame Marie était un véritable gouffre.
A propos des pensions et des gratifications sans nombre -99-reçues par Gombauld pendant tout le cours de sa carrière, l'abbé Jolly, dans ses Remarques sur Bayle, observe avec raison que notre poëte fut bien moins à plaindre que beaucoup d'autres dont les pensions furent supprimées complétement, soit après la mort de Richelieu, soit pendant la guerre de Paris. «Gombauld, dit le savant chanoine de Dijon, mourut pensionnaire jubilé, et plus que jubilé; car les gratifications qu'on lui fit annuellement durèrent près d'un siècle. Circonstance bien insigne, puisqu'autant la Cour de France accorde facilement des pensions, et est ponctuelle à les payer pendant les premières années, autant est-elle prompte à s'en décharger, et à convertir en d'autres usages plus pressans les fonds sur quoi on les avoit assignées. Il se présente incessamment de nouveaux venus, et l'on est bien aise de les contenter sans une nouvelle dépense, c'est-à-dire, en leur appliquant ce qui a déjà servi pour d'autres que l'on suppose avoir joui du bénéfice assez longtemps. Les vieux pensionnaires sont les plus odieux, et ceux qui sont obligés de postuler avec la plus grande et la plus humble patience, et qui sont rebutez avec le moins de scrupule.» C'est en effet l'une des particularités les plus curieuses de la vie de Gombauld et de l'histoire littéraire de cette époque, de voir ce gentilhomme au caractère altier, plein d'honneur et de délicatesse, qui ne veut rien recevoir de ses amis, qui ne fait aucune démarche personnelle, et qui, par les bons offices de ses protecteurs, reçoit durant sa longue carrière tant de pensions et de gratifications successives, qu'on a pu l'appeler pensionnaire jubilé. De fait, c'est peut-être le poëte qui a le plus reçu de bienfaits de la munificence royale. Ses œuvres et son talent méritaient-ils du moins cette distinction particulière?
Tous les contemporains de Gombauld ont chanté à l'envi ses louanges. Nous venons de citer l'opinion de Costar et celle de Chapelain. Conrart n'est pas moins explicite. «M. de Gombauld, dit-il, fut aimé et admiré de tous ceux qui, comme lui, avoient sacrifié aux Muses et aux Grâces, et je ne doute point que la postérité ne lui soit encore plus équitable que le siècle où il a vécu, et que le mérite de ses ouvrages ne fasse obtenir à son nom l'immortalité, -100-qui est la récompense de tous les hommes de lettres, quand ils ont pu parvenir au rang où celui-ci s'étoit élevé.» Ménage est un de ceux qui exaltèrent le plus le talent poétique de Gombauld. Dans une épître à Pellisson, ne dit-il pas avec un tour galant à l'adresse de la maréchale de Clairembault?
[73] Ægidii Menagii poemata.—Amst., Elzev. 1663, p. 267.
Enfin l'abbé Tallemant disait, en 1666, dans son Discours de réception à l'Académie: «Messieurs, si je ne sçavois me connoistre, la grâce que vous me faites aujourd'huy pourroit me donner beaucoup de présomption. Vous m'avez accordé la place de M. de Gombauld, dont le mérite est connu de toute l'Europe, qui, durant plus d'un demi-siècle, a esté l'admiration de toute la Cour, qui a mesme gardé dans une extresme vieillesse cette première vigueur qui sied si bien et qui est si nécessaire dans la Poésie[74]…»
[74] Recueil des Harangues de l'Académie, I, 129.
Malheureusement la postérité n'a pas répondu avec enthousiasme à l'appel de Ménage, de Conrart et de leurs amis. Nous avons cité un passage de La Harpe qui décerne à Gombauld l'épithète de versificateur; l'abbé Goujet, dans sa Bibliothèque françoise, demande grâce au moins pour les épigrammes. Mais écoutons l'arrêt de Sabathier de Castres aux Trois siècles littéraires: «C'est un membre très-oublié de l'Académie françoise, moins parce qu'il fut un peu des premiers reçus dans cette Compagnie, que parce qu'il étoit peu fait pour conserver la moindre réputation. Boileau a trouvé cependant quelques-uns de ses sonnets passables; qu'on y -101-joigne trois ou quatre épigrammes pleines de naturel et de vivacité, et l'on aura en moins de trois pages tout l'esprit de Gombauld[75].» Palissot parle de Robert Garnier, de l'abbé Genest, même de l'auteur-comédien Legrand, mais il oublie complétement le poëte saintongeois; enfin Voltaire se contente, dans sa nomenclature des écrivains du Siècle de Louis XIV, d'indiquer la date de la mort de Gombauld et d'ajouter: «Il y a de lui quelques bonnes épigrammes.»
[75] Trois siècles littéraires, II, 420.
Le XVIIe siècle avait exalté Gombauld; le XVIIIe l'oublia. De nos jours, un revirement d'opinion s'est produit en faveur de nos vieux poëtes: on les étudie non plus à leur valeur absolue, mais à leur valeur relative par rapport au milieu et aux époques où ils ont écrit; et l'on a, de préférence, cherché à remettre en honneur ceux que les arrêts de Boileau avaient trop durement et quelquefois trop injustement frappés. Les épigrammes de Gombauld ont été réimprimées en 1861: c'était justice, et nous en félicitons M. Liber qui s'en est fait l'éditeur; mais nous regrettons qu'on n'ait tiré ce petit ouvrage qu'à cent exemplaires, à titre de rareté bibliographique. Ce livre ne doit pas craindre de se présenter devant un public plus nombreux: entre toutes les œuvres de Gombauld, ce Recueil survivra, et les quelques extraits que nous en avons donnés montrent que le poëte saintongeois savait réunir en ce genre le naturel à la vivacité, et l'énergie ou la naïveté à une certaine finesse.
Dans les ouvrages de longue haleine, la versification de Gombauld est inégale et ne se soutient pas: on rencontre, il est vrai, dans l'Amaranthe des passages nombreux où le naturel qui convient au genre bucolique s'allie à la grâce et à l'esprit: mais souvent l'esprit domine trop. Dans les Danaïdes, plusieurs scènes rappellent l'énergique allure des tragédies de Crébillon: mais comme le remarque Chapelain, à force de vouloir être noble, Gombauld devient obscur. Les vers de Gombauld sont augustes, dit quelque part Loret, en sa Galette rimée.
Aussi, en dehors de ses épigrammes, ses meilleurs ouvrages -102-sont les sonnets; et l'on en pourrait composer, en les choisissant bien, un petit recueil de lecture encore agréable à notre époque, où le sonnet semble revenir en honneur.—Pour nous résumer en un mot, Gombauld ferait bonne figure dans une galerie hiérarchique du Parnasse, à côté de François Maynard, mais assis à quelques degrés à ses pieds.
Gombauld prosateur ne mérite pas autant d'attention que Gombauld poëte: on doit cependant reconnaître en lui un soin extrême de la noblesse et de la pureté du langage. Ayant un jour proposé à l'Académie que tous les membres de la compagnie s'obligeassent par serment à n'employer que les mots approuvés à la pluralité des voix dans l'assemblée, il s'était imposé le devoir de rejeter toute locution vicieuse: mais ses ouvrages en prose, presque tous d'actualité, n'offrent aujourd'hui qu'un assez faible intérêt.
Quant au portrait de l'homme, nous en avons esquissé assez de traits dans le cours de cette Étude, pour qu'il ne soit pas nécessaire de les rassembler encore une fois. Un dernier trait achèvera de mettre en relief sa physionomie morale: c'est que, pendant sa longue carrière de poëte, Gombauld se souvint toujours de sa noble origine; et qu'il réalisa le type du personnage de Cour que son confrère Faret a longuement décrit sous le titre de l'Honneste homme.
Introduction | 1 | |
I. | Jeunesse et débuts littéraires de Gombauld (1570-1620) | 3 |
II. | L'Endymion et l'Amaranthe (1620-1630) | 18 |
III. | Portrait de Gombauld.—Relations avec Richelieu et le chancelier Séguier.—Les Danaïdes (1630-1642) | 44 |
IV. | Détresse de Gombauld (1642).—Recueil de poésies (1646).—Sonnets et lettres | 67 |
V. | Recueil des épigrammes.—Poésies inédites (1657) | 81 |
VI. | Dernières années de Gombauld.—Traités posthumes.—Conclusion (1657-1666) | 89 |
Nous avons reconnu, en parcourant le Recueil de Sercy, que plusieurs des épigrammes signalées comme inédites par M. Blanchemain sont imprimées dans ce Recueil, les unes anonymes, comme celle à de l'Isle sur son procureur; les autres signées d'initiales, comme le no II, S. F. R. C.; le no V, D. M. (De Montereul?); le no VI, Sc. (Scudéry?).
Poitiers.—Imprimerie générale de l'Ouest.