The Project Gutenberg eBook of Des bonnes moeurs et honnestes contenances que doit garder un jeune homme, tant à table qu'ailleurs, avec autres notables enseignemens

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Title: Des bonnes moeurs et honnestes contenances que doit garder un jeune homme, tant à table qu'ailleurs, avec autres notables enseignemens

Author: active 15th century Joannes Sulpitius Verulanus

Translator: Pierre Broë

Release date: May 27, 2020 [eBook #62248]
Most recently updated: October 18, 2024

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DES BONNES MOEURS ET HONNESTES CONTENANCES QUE DOIT GARDER UN JEUNE HOMME, TANT À TABLE QU'AILLEURS, AVEC AUTRES NOTABLES ENSEIGNEMENS ***

DES BONNES
MOEURS ET HONNESTES
CONTENANCES QUE DOIT GARDER
un jeune homme, tant à table
qu'ailleurs, avec autres notables
enseignemens.

Oeuvre composé premierement en Latin par M. Jean Sulpice de sainct Alban, dit Verulan:

Et nouvellement tourné & traduit en rime Françoise par Paraphrase par M. Pierre Broë practicien de Tournon sur le Rhosne.

A Paris,
de l'Imprimerie de Leon Cavellat, au mont sainct Hilaire au Griphon d'argent:

1584.

A la Jeunesse.

Nul ne se doit à table avancer,
Ne de manger ou boyre commencer
Qu'elle ne soit benite & consacree
A Dieu du ciel qui toutes choses cree:
Qui ce divin precept mesprisera
D'y assister plus qu'indigne sera.
Entre vous qui venez à table,
Gardez ce sommaire notable.
Ayez maintien joyeux & beau,
Et prenez du sel au cousteau:
N'ayez soucy que mangerez,
Ny au dessert ne plongerez:
Fuyr querelles bien vous plaise,
Soyez droit assis à vostre ayse:
Ne faictes point la nappe sale,
Ny graterez à votre gale:
Servez aux autres sans priere,
Le morceau ne jettez arriere:
Et boyrez petit à la fois:
Graces rendez au Roy des Roys.

Premier livre des bonnes mœurs & honnestes contenances qu'on doit tenir à table & ailleurs: avecques autres notables enseignemens.

J'ay grand desir mon enfant jeune & tendre
De t'enseigner, & te donner entendre
Certains precepts & doctrine notable
Des bonnes moeurs qu'on doit garder à table:
Ayant de toy opinion certaine
Qu'en te monstrant je ne perdray ma peine:
Mais garderas à la table & ailleurs
Mes mots dorez, qui sont par trop meilleurs
En tous bons lieux que thresor ne chevance,
Ayant tousjours honneste contenance:
En quoy faisant tu auras double fruit
D'estre à vertu comme aux lettres instruit.
Au premier donc que t'en faire lecture,
Bien cognoissant ta docile nature
Je te requiers les vouloir observer,
Pour ton honneur sans tache conserver,
Et les gardant estre tant curieux
Que sans cesser il soient devant tes yeux.
Premierement avant que t'en venir
A table asseoir il te doit souvenir
De regarder des pieds jusques à la teste
Ton vestement s'il est bel & honneste,
Robbe, sayon, pourpoint, chausses bonnet,
Chemise & tout soit sans tache bien net:
Prens garde aussi par singuliere usage
Qu'il n'y ait point maculle en ton visage.
Apres avoir pensé ou vestement,
Tu laveras tes mains honnestement
Et les desseche en façon honnorable,
Puis t'asseoirras en place convenable.
Sur toutes chose admonester te veux
Que tu n'aye point le nez ord ne morveux,
Car trop serois à moquer & reprendre
S'on te voioit distiller ou descendre
Du nez en bas la roupie ou morveau,
Qui te feroit estre estimé pour veau.
Et ne te faut ton sens tant esloigner,
Que tu oublie à tes ongles roigner,
Qu'ils ne soient longs & le doigt surpassans,
Mais les tiens netz comme plein de bon sens.
Souvent pigner tes cheveux te souvienne,
De l'oublier garde qu'il ne t'advienne,
Car s'on y voit attachez paille ou plume,
On cuidera que se soit ta coustume
D'ainsi tenir mal pignez tes cheveux,
Et dira l'on que tu és paresseux.
Ne plus ne moins dit on des escoliers,
Qui portent ords & mal nets leurs souliers:
Frotte tes tiens & les netty' souvent,
Qu'il n'y soit veu crotte d'oren-avant,
Bourbe, sablon, poudre, ny autre terre,
Mais les tien nets & polis comme un verre.
Un autre point maintenant je te touche,
C'est qu'il te faut souvent laver ta bouche
A celle fin qu'à la langue n'aux dens
Ne soit trouvé par succession d'ans
Du jaune roüill', ou autre telle ordure,
Qui tient illec de nature aspre & dure:
Car sans mentir parlant à peu de plaid
On trouveroit cela infame & laid.
D'un autre point aussi je t'admoneste,
Garde toy bien de te gratter la teste
Devant les gens tant qu'à table seras:
Puces & poux aussi ne chasseras
Ny autre beste, ou meschante vermine,
Quoy qu'en ton doz ou en ton col chemine.
Et ne t'advienne à chercher les cirons,
Poignes crever, grater aux environs,
Ne faire cas de semblable inconstance:
Car ce faisant tous ceux de l'assistance,
Soient ils a table ou servans par la salle,
S'en moqueroient comme d'un ord & sale,
Si tu venois à tousser ou cracher,
Esternuer ou bien à te moucher,
Ou à jetter de quelque autre excrement,
Par bouche ou nez, à table ou autrement,
Devant les gens en aucune maniere,
Souvienne toy te tourner en derriere,
A celle fin que faisant en ce point,
Les assistans ne s'apperçoivent point
Que de ton corps vienne par grand laidure,
Dedans le plat crachat ou pourriture.
Et si la toux asprement te pressoit,
Et du crachat en ta bouche croissoit,
Tourne ton doz, & a peu bruit le crache
Sans l'avaler: car on t'en tiendroit lasche.
En te mouchant ne sois point tant nouveau
De ta main nue empoigner le morveau,
Mais le prendras plus convenablement,
D'un linge blanc pour faire honnestement.
Si de roter te venoit appetit
Ferme ta bouche, & te tourne un petit,
Faisant couler ce vent ord & nuisible,
A peu de bruit, ou nul s'il est possible.
Mais de peter garde qu'il ne t'eschappe,
Retien ce vent & en dedans l'atrappe,
Ferme le trou, joins les fesses ensemble,
Et serre fort encores qu'il te semble
Que la douleur te deust tant tourmenter
Comme une femme approchant d'enfanter:
Car pour un pet ord puant & infame
Fait à la table, il n'est homme ne femme
Qui ne te dist que tu es à outrance
L'un des plus grands archevilains de France.
J'en dy autant sur ce propos icy
Si tu avoit ocultement vessi:
» Car quelque cas que die le Stoique
» Le rot, le pet, & la vesse impudique
» Sont reprouvez en bonne compagnie:
Il n'est celuy qui sans honte le nie.
Avecques ce quiconque à toy assiste
Estant à table il te faut estre miste,
Et ton maintien honnestement renger,
Soit à trancher à servir ou manger:
Car si tu veux ne tomber en opprobre,
Certainement il te faut estre sobre,
Net & quillet en ce que mangeras,
Et que pour toy ou autre trancheras,
Servant à ceux qui aupres toy seront,
Qui d'estre miste assez t'estimeront,
Là ou pour vray si tu és desonneste
Blasmé seras de tous ceux de la feste,
Et pource donc evite saleté
A ton pouvoir gardant honnesteté.
Je ne dy pas qu'en mangeant ou servant,
Et mes precepts que j'ay dit observant,
Tu sois en rien facheux ou singulier
En controuvant de mines un milieu
Plus qu'il ne faut par curiosité,
Sentans leur gloire en singularité,
Dont on pourroit te nommer fantastique,
Ou inventeur de nouvelle pratique:
Car toy estant trop supersticieux
On te pourroit nommer sot glorieux:
Tu garderas donc mediocrité,
Laquelle tient de grand' civilité.
Voyla comment il te faut contenir
Et belle geste à la table tenir,
Si tu veux faire estimez ta personne,
Et que chacun loz & honneur te donne.

L'autheur enseigne les vertus de l'esprit dont on doit user en compagnie, & quels vices on doit eviter.

Encor' ay-je ce grand precept à dire
Que tu ne dois d'aucun absent mesdire,
Mais si quelcun d'aventure en mesdit
Tu luy feras en douceur contredit,
Luy remonstrant par langage amiable
Qu'autruy blasmer n'est chose convenable.
Et s'il trouvoit par colere odieuse
Ta remonstrance aucunement fascheuse,
En respondant quelque mot à travers
Qui fust facheux mal sonant & pervers
Dont tu serois à courroux provoqué,
Tel prompt courroux soit soudain revoqué,
Et ne sois pas legier à contester,
Dont tu pourrois les oyans infester.
Constant seras non contumelieux,
Ne tance point par mots injurieux
Mais plein de sens en prudence rassis
Te contiendras tant debout comme assis:
Serre tes dens, mors ta langue insensée
Ne declairant plus avant ta pensée:
Car il est laid & chose reprochable
Tenir propos de controverse à table:
Et se pourront quelques ung arrester
Que tel caquet vient par trop beuveter:
Et parce donc garde que de ta bouche
Ne sorte mot que l'honneur d'autruy touche,
D'aucune sale ou vilaine parolle,
Dont on te peust estimer teste folle:
Car on ne tient aucun pour gueres sage,
S'il est noysif & hautain en langage:
Un mesdisant, eslevé, colerique,
En produisant toute parolle inique,
Comme arrogant & fol presomptueux:
Mais au contraire on le tient vertueux
S'il est honteux & sçait faire silence,
Oyant quelcun qui feroit petulance.
Or tasche donc tant qu'il sera possible:
D'estre courtois, humain, doux, & paisible:
Non point folastre, esventé ne volage
Comme seroit un pitaut de village:
Tant que chacun clairement te cognoisse
Estre nourry entre gens de noblesse.
N'obeis point au ventre aucunement:
Ne sois friand, yvrogne ne gourmant:
Car si tu es noté de friandise,
De lecherie, yvresse & gourmandise,
Tu n'en auras que blasme & deshonneur,
Fusses tu fils d'un Prince ou Gouverneur:
Soit dont en ce constant & resolu,
Que tu ne sois estimé dissolu.
Prend garde aussi au peché de luxure
Qui maint jeune homme a mis à la frissure,
Au chauderon de la grosse verole,
Qui ses suppots traite mal & affole:
Fuis folle femme à elle ne t'atache,
Car il en vient trop dangereuse tache.
Aussi fuiras le peché d'avarice,
Qui est le fond, & source de tout vice.
Souvienne toy moderer ta colere
Ne par courroux ou ire ne t'altere:
Car tel fureur qui est soudain & prompt,
Esmeut le sang, qui puis tost se corrompt,
Et si surprend le sens si tres-avant
Qu'on ne cognoist Dieu ny homme vivant.
Tu ne seras envieux ne hautain,
Enflé d'orgueil: car tien pour tout certain
Qu'il n'est à Dieu chose plus desplaisante:
Et pource donc de tout orgueil t'absente,
Et te gouverne ainsi modestement
Qu'on ne te puisse hayr aucunement.
Comme non plus tu ne porteras haine
A qui que soit heure, jour ne semaine:
Et si par cas le courroux t'escarmouche,
Chasse le tost que le Soleil n'y couche.
Sois diligent non paresseux en somme,
C'est un peché mal seant au jeune homme:
Prens mon conseil pour en fuir la lice
Occupe toy en honneste exercice.
Tous autres cas meschans & reprouvez
Qui sans honneur te sembleront trouvez,
Tous jeux facheux, tout passetemps infame,
Dont tu ne peux acquerir fors que blasme,
Et qui revient au desplaisir d'autruy,
Retire t'en, ne t'en mesle meshuy.
Et s'il t'advient par cas inopiné,
De rencontrer un mal moriginé,
Un mesdisant coustumier de mal faire,
Un scandaleux ou mutin ordinaire,
Ou autrement homme de deshonneur,
Tant que tu veux parvenir à bon heur
Separe toy loing de sa compagnie,
Fuy t'en de luy: car nul est qui te nie
Qu'il vaudroit mieux t'acointer de la peste,
Que d'un tel homme, odieux & moleste.
Quand tu auras quelque chose promis,
Garde ta foy pour acquerir amys:
Car cela sent toute virilité,
Qu'un jeune enfant garde fidelité.
Tu peux bien estre hardy entrepreneur
De chose honneste ou n'a que tout honneur,
Aventureux par moyenne mesure,
Sans trop surtout: car si par adventure
Par arrogance on te voit entreprendre
Chose impossible à ta jeunesse tendre,
On te pourra nommer fol temeraire:
Et croy aussi qu'on ne se pourra taire
De te nommer des bons esprits minime,
Si l'on te voit par trop pusillanime,
Honteux, craintif, sans faire aucun devoir
De te monstrer devant gens de sçavoir,
Lors qu'il est temps de se mettre en avant,
Et de monstrer ce peu qu'on est sçavant,
Si tu es tel on te dira nigaut,
Sot, & niays, homme qui rien ne vaut,
Doncques fault il par mediocrité
Estre hardy hors de temerité
Sans estre aussi entre gens trop timide,
Mais en ces deux prens raison pour ta guide.
Et pour autant qu'en prenant maint repas,
Le plus souvent silence n'y est pas,
Il ne te faut du tout estre muet,
Mais parler peu, que ne sois dict huet:
Car lors qu'on voit quelque sot en ce point
Presque muet, ou qui ne parle point,
On le renvoye au lit prendre repos,
Ou l'on ne doit tenir aucun propos.
Si ne faut il pourtant trop babiller,
Comme jangleurs qui ne font que railler:
Car quand on a telles gens remarché
On les envoye railler au marché,
Ou au Palais à la babillerie,
Ou les plaideurs font mainte janglerie,
Faisans effors à leurs causes plaider,
Fouler le pauvre & le milourd ayder,
En soustenant le tort & le travers,
Si que souvent bon droit gist à l'envers:
De ces deux points le moyen soit tenu
Si tu veux estre à sage retenu.
En tous endroits garde mansuetude,
Monstre toy doux, non insolent ne rude.

L'acteur fait une petite disgression sur la civilité qu'on doit garder au lit.

Et quand viendra que tu seras au lit
Apres soupper pour prendre le delit
D'humain repos, avecques plaisant somme,
Si au pres de toy est couché quelque homme,
Tien doucement tous tes membres à droit,
Alonge toy, & garde à son endroit
De le facher alors aucunement,
Pour te mouvoir ou tourner rudement:
Par toy ne soient ces membres descouvers
Te remuant ou faisant tours divers:
Et si tu sens qu'il soit ja sommeillé
Fay que par toy il ne soit esveillé.
S'on te rapporte ou dit aucune chose,
Ouvre l'oreille, & tien la bouche close,
Et ne croy pas pourtant trop de legier
Chose dont puisse advenir du dangier:
Car le dessein de legiere creance
Te monstreroit despourveu de prudence:
» Parquoy on dit & il est evident,
» Que croire tard est signe de prudent.
Mais quand ainsi tels propos ouyras
Prudentement les examineras,
A sçavoir mon s'ils pourroient estre fables,
Ou s'ils seront pour le moins vray-semblables:
Ou bien s'ils sont du tout dignes à croyre:
Car tien pour seur comme chose notoyre,
» Que de prudence est un grand argument,
» Quand on ne croit par trop legerement.
Je ne dis pas qu'il faille estre retif
De croyre aussi, s'on a quelque motif
» De verité: car non moindre macule
» Seroit en toy d'estre trop incredule.
Or de par Dieu, quoy qu'on te face ou die,
N'en fay, ne croy rien à teste estourdie,
Mais te souvienne & sur tout tu dois craindre
De faire cas, je dis de tous le moindre
Dont ton honneur pourroit estre blasmé,
Et le bon bruit de ta race entamé:
Ainsi vaincras le meschant blasonneur,
Vray ennemy de vertu & d'honneur.
Et si te prie avoyr en preference,
Les gens de bien de vertu & science,
D'aucuns propos ne doys estre inventeur,
Legier parleur, encores moins menteur:
Aussi ne sois à part toy tant severe,
Que aucunes fois aux autres tu n'adhere,
En reboutant par opinion forte
Tout ce qu'aucun te faict dit & raporte,
Sinon les cas que tout notoirement
Tu ne pourrois nier honnestement,
Car ce faisant tu aurois merité
D'estre noté de singularité.
Sois en tous temps courtois, doux & affable,
Hardy donneur, liberal & traitable.
Ayme ton Dieu le priant à mains jointes,
Sans oublier sa mere, saints, ne sainctes,
A ce qu'en fin tes mesfaits & mesdits
Soient pardonnez & livré Paradis.
Tu donneras honneur & reverence
A pere & mere, avec obeyssance,
Sans l'un ne l'autre à courroux inciter,
S'en terre veux longuement habiter.
A nul vivant feras tort ou dommage,
Soit par effet, ou par meschant langage:
Et ne fay rien à l'autruy en effect,
Sinon ce que tu voudrois t'estre faict.
Ne prens non plus par furt aucunement
Chose que soit au prochain detriment,
Dieu en seroit grandement irrité,
Et tu serois au gibet invité.
Car un enfant des qu'il prent appetit
De consentir à un larcin petit,
Facilement vient en accoustumance:
Ceste coustume est de si grand meschance
Que peu à peu il devient obstiné:
Ainsi faisant te voyla destiné
Estre pasture aux gros oyseaux de proye,
Haut au gibet là ou chacun te voye:
Garde toy bien de devenir yvroigne,
Combien qu'aucun contre Caton tesmoigne,
Que luy estant en prudence divin
Fut quelquefois trouvé surprins du vin:
» Ce qui est bon de luy faut retenir:
» Mais de trop boyre il s'en faut abstenir.
Mets donc au vin moytié, tiers, ou quart d'eau,
Qu'on ne t'estime un friant coquardeau.
Ne sois moqueur, par amour je t'en prie,
C'est un peché trop grand que moquerie:
» Car sage & fol sont tous subjects à vice,
» Et n'est cheval si ferré qui ne glisse:
» Si tu ne veux doncques estre moqué,
Autre n'en soit de par toy provoqué:
» Car au moqueur sera son droit salaire,
» D'estre mocqué pour tant qu'il sache faire.
Tu ne seras dormart ne paresseux,
Mais vigilant, diligent & soigneux,
Tousjours debout comme un coq esveillé,
Qui n'est jamais ne las ne sommeillé:
Car les dormeurs & lasches de courage
Seront chetifs tout le temps de leur aage:
Et au contraire un bien diligent homme,
Pourra serrer d'escus une grand somme.
S'il advenoit qu'on eust à toy refuge
Pour exercer un office de Juge,
Rends à chacun ce que par droit est sien,
Et tu seras trouvé homme de bien.

Munera evertunt justitiam & excecant oculos sapientum & mutant verba justorum: Deute. 16 & Exod. 23. Acceptatio munerum prevaricatio veritatis est. text. in c. qui rectè xi. q. iii.

Donne toy garde aussi par le contraire
Qu'on ne te puisse à corruption attraire
Pour prononcer quelque faux jugement
Par dons d'argent, promesse ou autrement.
Ne prens jamais quelque don qu'on te face,
Ny aux presens ne divertis ta face:
Car le plus juste aveugle en deviendroit,
Et le faux tort contre droit soustiendroit,
Prevaricant justice & verité,
Et preferant larcin à charité:
Dont tu serois puny de mort cruelle,
Pour offenser justice temporelle.
J'en dy autant & n'en cuyde pas moins
S'on t'appelloit au nombre des tesmoins,
Et que par toy & ton faux tesmoignage,
Ton prochain eust receu perte ou dommage:
Car pour certain je t'en cuiderois quite
Pour souffrir mort trop honteuse & despite.
Nul ne soit donc juge, ne tesmoin faux
Qu'il ne descende aux tourmens infernaux,
Pour recevoir aux eternelles umbres
Le merité loyer de tels encombres.
Encor' te prie & de coeur t'admoneste
Que tousjours sois en modestie honneste,
En souhaitant de bon coeur sans qu'il change
D'avoir bon bruit & notable loüange.
Car sans mentir c'est loüable avarice
D'embler vertu & delaisser le vice.
Toute equité par les bons demandee
Te soit tousjours pour bien recommandee.
Ayant desir en toute place & lieu
De faire bien, & vivre selon Dieu:
Ainsi faisant & gardant mes preceptes,
Que cy dessus t'ay baillé par receptes,
Il n'est celuy du grand jusqu'à l'infime,
Qui en vertu des plus grands ne t'estime,
Et qui ne soit bien prest en diligence
Te faire honneur par grand benevolence,
Comme à celuy qui est homme notable,
Digne de biens entre tous honnorable.

Fin du premier livre.

Second livre des Contenances, Moeurs et Civilitez qu'on doit garder à table & ailleurs.

Or maintenant ton esprit esveille,
Entend à moy, & me preste l'oreille,
Pour concevoir d'autres civilitez
Dont te viendront grandes utilitez,
Que te seront à garder necessaires,
Pour estre en tout aux vices adversaires:
Escoute donc, ma doctrine est utile,
Claire à entendre & en rien difficile.
Je ne trouvay jamais beau ne honneste
Que d'aussi tost qu'on a levé la teste
Hors du chevet, & qu'on est descouché,
Avant qu'on soit à grand peine mouché,
On doyve aller tantost à la viande,
Pour obeyr à la gueule friande:
» Boyre & manger en tout temps trop matin,
» N'est beau ne sain, mais semble son mastin.
Si tu veux donc estre sain & durable,
Ne mange point que à heure convenable,
Ne tost ne tard, mais moyenne & propice,
Quand fait auras suffisant exercice:
Lors tu prendras ton repas sobrement,
Sans t'arrester à table longuement:
Car demeurer au manger long espace,
Ne fut jamais trouvé de bonne grace,
Mais sent à plat son pilier de taverne,
Son gourmandeau que la gueule gouverne.
Ce que doit estre à bon droit evité
Par toy & autre aymant civilité.

Maintenant L'acteur descrit l'office de celuy qui sert, l'admonestant de ce qu'il a premierement à faire.

Les anciens quand ils vouloient prendre leur repas s'asseoient sur des licts & non pas sur des escabelles ne sur des bancs parquoy il dit qu'il faut dresser les licts.

Advenant donc l'heure qu'il faut manger,
Soigneux seras de dresser & renger
Lits, sieges, bancs, chaires, & escabelles
Pour faire asseoir, qui soient nettes & belles:
Baille à chacun une blanche serviette,
Son net tranchoir, ou bien la belle assiette:
Puis asseoirras sur table bien & beau
Du sel, du pain, de bon vin, & de l'eau,
Et du surplus que Dieu t'aura donné,
Qui te sera pour manger ordonné.
Estant assis, or mange honnestement,
Sans te monstrer dissolu ne gourmant,
Ny te haster, comme fait un pourceau:
Et ne prendras un si tres-gros morceau,
Qu'en l'avallant alonger on te voye
Le col, contraint ainsi que fait une oye,
Faisant un son qui au gozier gazoüille,
Ne plus ne moins comme un chant de grenoille.
Tes membres tien d'autre dexterité
Que ne faisoient ceux de l'antiquité,
Dont les autheurs ont par escrit laissé,
Qu'ils (en mangeant) tenoient le corps baissé,
Estant courbez, pendans sur l'estomac,
Comme celuy qui est malade & flac:
Mais ce temps là n'est plus en souvenance,
Le jourd'huy veut plus belle contenance:
Il faut avoir la chere relevee,
Les membres droits, & la teste levee,
Les mains sans plus sur la table appuyées,
De toute graisse alentour essuyees:
Et ne te chaut si quelques gros milors,
Prenans licence à leurs riches tresors
Font quelquefois en mangeant insolence,
Estans quasi couchez dessus leur pance
Eux appuyans sur leurs coudes & bras:
Quant à cela à ceux ne t'en prendras,
N'y vise point, car ils en ont credit:
Fais quant à toy ainsi que je t'ay dit.
Et ne prens point ceste temerité
S'il y a gens de quelque authorité,
Plus vieux que toy, en bon sens plus rassis,
De t'aller seoir qu'ils ne soient tous assis:
Lors quand verras que chacun aura place,
Si tu veux seoir de par Dieu qu'il se face,
Mais ce faisant ne prendras comme cuide
Sinon le lieu que tu cognoistras vuide.

L'acteur donne ses preceptes tant à celuy qui sied à table comme à celuy qui sert indifferemment ainsi qu'appert clairement par la lettre. Pource toy lecteur en seras adverty une fois pour toutes & n'en attens point d'autre advertissement.

Si ne t'assis prens toy garde au service
Versant à boyre, en ce n'a point de vice,
Porte les mets, assois les plats sur table,
Prens le dessert en te monstrant affable,
Comme celuy qui en ce prent plaisir
Sans te haster, mais tout à beau loisir.
Et en servant, bien adroit ta main hauce
Sans espancher du plat verjus ne sauce:
Car ce faisant tu te ferois blasmer,
Pour laydement gaster & diffamer
Aux assistans leurs vestemens honnestes
De tels liqueurs grasses & trop mal nettes,
Dont la marque si fort au drap s'atache
Que a peine on peut jamais lever la tache.
Et si le maistre aucun cas te commande,
Soit à porter ou à oster la viande,
Ou autre cas qui sera necessaire,
Monstre toy prompt, facil & volontaire
A le servir d'une chere seraine,
Sans refuser aucunement ta peine.
Et s'il usoit à toy d'urbanité
Te faisant seoir comme un autre invité,
Tu t'assoirras selon sa courtoysie
Au lieu qu'il veut ou ta place a choisie.
Si aupres toy est quelque homme apparent,
Digne d'honneur, soit, ou non ton parent,
Qui te vousist eslargir quelques choses
Sur ton tranchoir, que par honte tu n'oses
Prendre de luy pour ta disparité,
Prens hardiment avec hilarité
En luy rendant graces comme honnorable,
D'un doux parler & langage amiable.
Et s'il n'y a aupres de toy personne
Plus pres du plat que toy qui rien te donne,
Il t'est permis d'en prendre honnestement,
Touchant la chair à trois doigts seulement,
Soit quand au plat la prendras de la main,
Ou au tranchoir. Car il est tout certain
D'honnesteté seroit chose esloignee,
Si de plein poing, tu l'avois empoignee.
D'un autre point je te veux adviser,
Aucunes fois on vient à deviser
De maints propos en mangeant & beuvant,
Et cela vient quasi le plus souvent,
Pense si lors seroit chose vilaine
Qu'on s'apperceust ta bouche estre pleine,
Qu'en toy ne fust science ne pouvoir,
De dire mot ne ta langue mouvoir,
Il te faut donc manger tout bellement,
Sans faire ainsi gros morceaux lourdement,
Et les coupper par honneste mesure,
Si que au parler ne t'en soit faite injure.
Aussi ne faut mascher des deux costez
Pour y avoir doubles morceaux boutez.
Autant est laid, & vaut encores moins,
Mettre la viande en la bouche à deux mains.
Et si le plat est plus pres de ta main
Qu'à ton second, tu luy seras humain
En luy touchant dessus son assiette,
Comme pour toy, ou tu sçais qu'il souhaite.
Et s'il advient que tu sois homme riche,
Tu ne dois estre en rien eschars ne chiche,
Mais liberal, donnant à tes amys
Des biens que Dieu en ta puissance à mis.
En leur faisant quelquefois bonne chere,
Sans t'arrester à quelque chose chere.
Et des biens donne aux pauvres de Dieu
A ton pouvoir en toute place & lieu:
Car Jesus Christ par precept immobile
L'a commandé en son sainct Evangile.
Revenant dont à noz propos premiers,
Jeunes enfans qui seront coustumiers
En leur repas faire mainte insolence,
Et delaissans honneste contenance
Seront blasmez de toutes gens de bien,
Comme gourmans qui (brief) ne valent rien.
A telles gens qui font Dieu de leur ventre
N'appartient point que sustance y entre:
Car chacun doit garder honnesteté,
Et en tous lieux vivre en sobrieté,
Mangeant, beuvant, & prenant nourriture
Tant seulement pour contenter nature.
L'homme n'est fait simplement pour manger
(Qui ne voudroit l'escriture estranger)
» Mais au contraire est escrit en maint livre,
» Boyre & manger sont ordonnez pour vivre.
Qu'en advient il par trop manger & boyre?
Male santé, on pert sens & memoire,
La teste en deut, l'estomac est debile,
Jambes & bras & tout le corps fragile;
L'entendement en devient hebeté.
Conclusion par telle ebrieté
On pert du corps toute convalescence
Et de l'esprit la force & la puissance.
Evite donc tels malheureux dommages,
Et te maintiens comme ceux qui sont sages.
Souvienne toy & prens soigneuse garde
De ne verser vin, verjus, ne moustarde,
Ny autre cas dessus la nappe blanche
Tant peu soit-il qu'il en tombe ou espanche:
Autant seroit infame & ridicule
Si ta serviette en recevoit macule,
Prens garde aussi à ne maculer point,
Sur l'estomac robbe, saye ou pourpoint.
Quand ce viendra à humer ton potage,
Quelque broüet ou liquide bruvage,
Prendre de sauce, ou ton verre pour boyre,
N'oublie point, & je te pri' m'en croyre,
De te torcher barbe, menton & bouche,
Le nez aussi duquel souvent on touche
Dans le vaisseau d'ou l'on vient de humer:
Car il te faut entendre & presumer
Qu'il y en tient quelque apparence ou goutte,
Qui par le nez ou la barbe degoutte:
Ce que seroit assez ord & infame
A qui que soit autant homme que femme.
Et quand tes mains seront grasses & ointes
Ou bien tes dois, du bas jusques aux pointes,
De ta serviette adroit les torcheras,
Et doigt à doigt bien & beau seicheras
Aussi souvent qu'il te semblent mal nettes
Sans espargner en ce cas les serviettes.
Ta main ne face au plat grand' demeure,
Ny au tranchoir mais la retire à l'heure,
Prenant tantost ce que tu voudras prendre,
Qu'en ce faisant tu ne sois a reprendre.
En cecy donc tu seras advisé
Si tu ne veux en estre desprisé,
Prens sobrement ce qu'est de ton cousté,
Sans espier le morceau mieux gousté,
Ne tournoyer le plat en mainte guise,
Car tu serois noté de friandise.
Et si quelcun de celle compagnie,
Avant que toy prend la viande ou manie
Au mesme plat pour tranchez ou choisir
De quelque cas qui luy vient à plaisir,
Garde toy bien d'y avancer ta main,
Mais attendras comme doux & humain,
Jusques à ce qu'il aura du tout faict,
En luy donnant bon loysir, s'il te plait,
D'avoir couppé ce que luy semble à point
Souvienne t'en: & ne t'advienne point
Toucher lopin tant soit il desiré
Qu'il n'ait sa main de trancher retiré:
Mais apres luy prens à ton appetit
Ce que tu veux & en tranche petit.
Et si quelcun se monstroit honnorable,
Bon escuyer honneste & serviable
Qui despeçast & tranchast par lopins
Quelques chappons, perdrix, connils, lapins,
Ou autre chose estant à table assise,
Je te deffens que ta main n'y soit mise
Pour atraper quelque lopin d'emblee
Sur qui ta langue approche d'estre enflee
Jusques à ce qu'il aura tout tranché,
Servy chacun, & le tout bien renché:
Car c'est à faire à un glouton friant
Sot effronté, qui sans honte en riant
Vient à voler au plat les bons morceaux
Au deshonneur des autres jouvenceaux.
Ne mets jamais les mains dedans ton sein
Pour te gratter, ou en faire dessein:
Mais t'en abstiens tout au long du repas,
Ou les presens ne t'estimeront pas:
Car s'on te voit grater & frotiller,
Et puis la viande aux doigts esparpiller,
On te dira que tu n'es qu'un bejaune,
Sot & lourdaut, vilain comme lard jaune.
Tiens toy constant, sans mouvoir ne bransler
Jambes ne pieds, ne les hausser en l'air,
Dont tu pourrois aux assistans mesfaire:
Si tu le fais ils ne se devront taire
De te nommer folardeau, inconstant,
D'ainsi venir les autres infestant.
Quand tu auras coupé de ton couteau
De chair au plat, ou du pain au chanteau,
Sur ton tranchoir le te convient hacher,
Plustost qu'au dens le casser ou mascher.
Et si tu as dedans ta bouche mis
Quelque morceau d'ainsi hacher omis
Que tu as mors, entamé & cassé,
Et que les dens y ont desja passé,
Il ne seroit à toy beau ne honneste,
Mais reprouvé de tous ceux de la feste,
Le retremper dedans le sauceron,
Comme feroit quelque sot biberon.
Et quand ta main cognoistras maculee
De saupiquet, de sauce ou d'esculee:
Netie la souvent & proprement
De ta serviette & non pas autrement:
Car tu serois un grand clerc en lourdois
S'il t'eschappoit de lescher à tes doigts
Quand ils sont gras ou que la sauce y tient.
Encores pis si jamais il t'advient
De ronger les os avecques les dens,
Comme les chiens affamez & mordans,
Ou en tirer de tes ongles la chair:
Car ce faisant j'aymerois aussi cher
Voir tenir l'os à un oyseau de proye,
Qui d'ongle & bec à le tirer s'effroye.
Je ne dis pas que tu jettes les os,
Qui sont vestuz de chair derrier' le dos:
Mais il les faut gentement netier
De ton cousteau ainsi qu'il est metier:
Iceux netis comme je t'ay instruit,
Jette les bas sous la table sans bruit,
Aupres tes pieds sans personne offenser,
Qu'il n'ait moyen par courroux te tancer.
Ou s'il y a quelque panier expres,
Ou autre cas qui te soit assez pres
Pour y serrer tout ce menu bagage,
Croustes de pain, pelures de fourmage,
Escorce de fruit, comme pommes & poires,
Ou tels fatras sur la table notoyres,
Assemble tout & mets diligemment
Dans ce panier ou quelque autre instrument
S'il y en a pour ce cas preparé,
Qui ne te soit trop loin ny esgaré.
Mais sçais tu bien qu'on trouveroit estrange
(Pour tout certain quand tu serois un Ange,
On ne lairroit pourtant t'en blasonner)
S'on te voyoit tourner & tastonner
La viande aux plats pour choisir & eslire
Le glout morceau que ta gueule desire
Tastant le tout sans aucune en faillir,
Comme qui veut de figues acueillir,
Considerant à deux doigts la plus mole:
Ou que tu tiens les yeux pour contrerole
Sur le lopin du plat qui mieux te plait,
Pour en avoir tantost le poin replet:
Ne taste donc jamais rien à la main,
Et moins assis tes yeux ainsi en vain
Sur quelque mets par singularité,
De peur qu'aucun soit sur toy irrité:
Mais de la piece ou tu mettras ta veuë
Sera ta main (& non d'autre) pourveuë.
Ce mot aussi y sera adjousté
Ne veuille point regarder de costé
Baissant tes yeux de cligner à travers,
Pour espier, comme gourmand pervers,
Ceux qui seront aupres de toy assis
Contrerolant d'oeil vague & mal rassis
Ce qu'au trancheoir l'un ou l'autre d'eux couppe,
Ou ce que mange aucun de telle trouppe:
Si tu le fais tien toy pour intimé,
Que tu seras de tous mal estimé.
Mais sçais tu quoy evite tels rumeurs,
Regard à toy & pense de tes moeurs.
Quand te prendra de boyre l'appetit,
Prens ta serviette & torche un bien petit
Tout doucement ta bouche avant que boyre,
Ce ne sera presumption ne gloire:
Et avoir beu (pour avoir bouche nette)
Fais en autant de la mesme serviette,
Non pas des mains: car ceux qui le verroient
Un grand lourdaut bien sot t'estimeroyent.
Pour boyre donc bien & honnestement,
Prens le hanap d'une main seulement,
Sinon qu'il fust de pesanteur pareille,
Comme celuy qui donna sur l'oreille
A Euritus le Centaure inhumain,
Que Theseus feit mourir de sa main
D'un grand hanap dont tantost rendist l'ame,
Pour avoyr prinse & ravie Hippodame:
Ou bien qu'il fust de pareille grandeur
Que le hanap d'excellente splendeur,
Que Dido eut du Roy Belus son pere:
En ce cas donc sans aucun vitupere
Tu le pourras prendre de tes deux mains
Sans point d'offence, avec ce neantmoins
Que tu le face en tel civilité
Qu'il n'y soit veu aucune nulité.
Mais si c'estoit un verre ou autre tasse,
Non trop pesant mais de peu d'efficace,
Tu le prendras à trois doigts simplement
Car à plein poin seroit fait lourdement.
Et en beuvant sois constant de tes yeux,
Sans les vaguer çà ne là en maints lieux:
Mais les tiendras baissez dedans le verre,
Comme celuy qui viseroit à terre.
Sur ce point cy je te veux adviser,
Qu'il ne te faut longuement deviser,
Tenir propos, caqueter ne prescher,
Le vin en main: mais t'en faut depécher,
Sans detenir la tasse longuement,
Voyrre ou hanap, quoy que soit: autrement
On te diroit, attendant la vuidange
Qu'il ne faut pas prescher sur la vendange.
Et garde bien d'avoir la bouche pleine
Quand tu boyras: car c'est chose vilaine
Boyre au morceau, & faire en bouche souppe,
Soit que tu boyve en hanap, verre ou couppe.
Et pour ce donc avant que d'approcher
La bouche au vin ne du vin la toucher,
Je te conseille avaler ton morceau
Si tu ne veux qu'on t'estime pourceau.
Autant seroit trouvé laid & sauvage,
Si tu beuvois en mangeant ton potage.
Et si celuy qui t'aura vin versé
Est un lourdaut, sot, & mal exercé
A bien servir & qu'indiscretement
Il t'en ait mis trop excessivement
Qui excedast de ta soif la mesure,
Tu ne feras à luy ny autre injure
D'en faire oster, comme il te semblera
Que ton desir de boyre portera,
Pour l'achever sans rien laisser de reste,
De peur qu'il soit à ton suyvant moleste,
Qui, possible est, seroit tant dedaigneux,
Qu'il cuideroit que tu fusses tigneux,
Ou monstreroit aucun signe apparent,
Qu'il ne veut pas boyre ton demeurant:
Joint qu'il en est qui par certain mespris
Jettent le vin (liqueur de si grand pris)
Ayans le coeur & la gloire si haute,
Qu'ils n'ont pas peur d'en avoir jamais faute.
Comment qu'il soit garde toy de trop boyre,
Que tu n'en sois hors de sens & memoyre,
Mais d'y mettre eau seras assavanté
Pour conserver longuement ta santé,
Sage est celuy qui ne se veut point feindre,
Le corriger pour sa fureur esteindre.
Ayant gardé mon precept' & edict
De point en point ainsi que je t'ay dict,
Boys maintenant de par Dieu à ton ayse
Car il n'y a celuy à qui ne plaise,
Et boys d'un trait, ainsi te faut entendre,
Non pas deux fois en beuvant te reprendre,
Et que ce trait ne soit de si grand peine,
Ne si treslong qu'il te mist hors d'aleine:
Car boyre au coup tant qu'on en peut riffler,
Communement fait les levres siffler,
Qui ne fut onc ne bon, ne beau trouvé,
Mais en tous lieux entre gens reprouvé.
Ce que tu boys boyras tout doucement
Sans le verser au bec galifrement,
Comme qui veut humer d'un oeuf le jaune:
Car si c'estoit vin meilleur que de Beaune,
Tu ne sçaurois sa bonté savourer
De l'engloutir ainsi & devorer.
Aussi ne faut boyre trop lentement
A petit trait, ne tenir longuement
Le bec au vin, comme la cane en l'eau,
Mais le moyen sera trouvé plus beau.
Encor' te faut icy considerer
A sobrement ta boisson moderer:
Assez seroit de boyre une ou deux fois,
Mais je consens que tu en boyve trois,
Je dy sans plus, car certes c'est asses,
Et de passer ce seroit faire exces:
Mais si tu viens à ce nombre exceder,
Quelcun ou moy seront prests à cuider,
Que tu t'en vas approcher d'estre yvre,
A tout le moins tu n'es gueres delivre.
Tu ne feras sinon civilement
De regarder que c'est, quoy ne comment,
Quand tu boyras, & taster un petit,
Avant qu'au vin lascher ton appetit:
Et si tel vin te semble estre gasté,
Contente toy de l'avoir ja tasté:
Car pour certain sa mauvaise liqueur
Facilement te dourroit sur le coeur,
Et te faudroit jetter hors de ta bouche
Ce qu'il y a, de peur que au coeur te touche.
En cecy donc sagement useras,
Quand un tel vin boyre refuseras,
Fais que le verre ou hanap ne soit grand,
Qu'il n'y en ait gueres de demourant,
Bien est il vray soit Hyver ou Esté,
Qu'il est prochain de toute honnesteté
Que le vaisseau ou tu bois au repas
Ne soit trop grand, mais moyen par compas.
Et avoir beu ta bouche torcheras,
Comme je croy que ne l'oublieras.
Quant ton repas auras reigléement prins
En belles moeurs, comme je t'ay apprins,
Il sera beau honneste & profitable,
Lors qu'on aura tout recueilly de table,
Laver tes mains de belle eau claire & nette,
La bouche aussi pour la tenir honneste.
Tout cecy fait & le past achevé
Quand on aura toutes choses levé,
Mets toy sus bout en bonne contenance,
Le genoüil bas faisant la reverence,
Disant à tous par moeurs & bonne grace,
Ces mots communs, messieurs bon prou vous face.
Et si tu es du bas ranc de fortune,
Pauvre ou moyen de biens & de pecune,
Ou tel qu'il faut que tu faces l'office,
De serviteur pour te monstrer propice
Soit au defaut des autres serviteurs,
Qui du dessert seront entremeteurs,
Ou pour complaire a aucuns tes parents,
Ou à quelcun qui soit des apparens
Je t'advertis par verité certaine,
Qu'il te duyra si tu mets en peine
A ton pouvoir ayder a desservir,
A ceux qui ont prins peine à te servir,
Et avec eux mettre tout en son lieu,
Puis à la fin rendre graces à Dieu.

Fin.

Addition, somet et couronne aux precedens enseignements, faict premierement en Latin par maistre Bade Ascence, & apres traduit en rime Françoise par le mesme traducteur en vers Alexandrins.

Si n'est-ce pas assez d'estre coint & joly
Estre à la table assis, mignon, net & poly
Ce ne seroit pas tout d'avoir ces moeurs en somme,
Si tu n'estois trouvé en tous actes prud'homme,
Parquoy mon fils je veux presentement t'instruire,
A vivre selon Dieu, sans à ton prochain nuire,
Reçoy ces miens precept' & les mets en memoyre.
Car ils te conduiront en l'eternelle gloire.
Au lever de ton lict ton dieu adoreras
De coeur humble & entier, & luy presenteras
La devote oraison que son fils Jesus Christ
En son sainct Evangile à laissé par escrit,
En faisant dessus toy le signe de la croix:
C'est l'oraison de Dieu le pere en qui tu crois.
Apres salueras la douce Vierge mere
De Jesus, qui pour nous endura mort amere:
En disant tout d'un train à jeun propice
Humblement à genoux tout ton divin service.
Quand de tous points auras ton service achevé
Et que tu te seras de l'oraison levé,
Si tu as pere & mere à eux t'adresseras,
Et par humble salut bon jour leur donneras:
Autant en feras tu, tout d'un train droitement,
A ceux qui ont de toy charge & gouvernement.
Et si tu vois passer quelque homme venerable,
Prestre ou Religieux, un tien parent notable
Quelque bonhomme vieux, quelcun bien renommé
Digne d'honneur, & bien en vertu consommé,
Un Juge ou Magistrat ayant Royal office,
Un Consul, gouverneur de ville & de police,
Ou comment qu'il en soit homme d'authorité,
Comme il en est plusieurs en bourg, ville & cité
Si tu es lors assis quand passer le verras,
Lieve toy promptement du siege ou tu seras,
Ou si tu es debout venant au rencontrer,
Tu n'oublieras point à humble te monstrer,
Luy donnant ton salut le bonnet à la main,
L'un des genoulx baissé comme doux & humain:
Ton precepteur aussi en tous endroits revere,
A qui tu dois honneur comme à ton propre pere:
A luy sois attentif, ton esprit eslevé
Pour ouyr sa leçon tant qu'il ait achevé,
Tenant les yeux sur luy & ouverte l'oreille
Pour apprendre vertu qui n'a point de pareille.
Et si le cas estoit qu'en faisant sa lecture,
Il ne t'avoit donné la parfaicte ouverture
De quelque enseignement que tu n'as entendu,
Viens à tes compagnons, les priant en temps deu
Te donner & monstrer la vraye intelligence
De ce que tu n'as sçeu comprendre en sa presence:
Et lors que tu l'auras parfaitement comprins
A fin de n'oublier ce que tu as apprins,
Prend ta plume à la main & d'encre à l'escritoyre,
Et l'escris tout d'un train pour en avoir memoire,
En un certain livret de papier blanc expres,
Que tu liras souvent & le tiendras de pres.
Et lors que tu seras docte suffisamment,
Bien instruit à vertu pour vivre honnestement,
Il te faut avoir soing solicitude & cure
De vivre selon Dieu, sans faire à nul injure,
Rendre à chacun le sien, & ne faire à l'autruy
Ce que tu ne voudrois que te fust fait par luy,
Faisant participant de tes moeurs & science
Ceux que tu cognoistras en avoir indigence:
Ausquels tu monstreras de bon coeur en tout lieu
Tout le bien que tu sçais, & que tu tiens de Dieu.

Fin.

Note du transcripteur

On a conservé l'orthographe (incluant les cédilles, accents et apostrophes) et la ponctuation de l'original. On a néanmoins résolu les abréviations par signes conventionnels (par exemple «Cõme» transcrit «Comme»), et distingué i/j et u/v selon l'usage.