Guillaume, fils naturel d’Arlette,
Fit jurer une fois à Bayeux
A Harold, le blond comte anglais,
Sur les plus précieuses réliques
Et aussi devant tous ses preux
Toute loyauté et feauté.
Harold jura qu’il l’aiderait
A prendre à lui la succession
(Enfin, donc, quand le temps viendrait)
Du roi saxon le fainéant,
Qu’il se mettrait de son côté
Et de ses forces il l’aiderait.
Édouard le Confesseur mourut
En grande odeur de saincteté,
Le Comte Harold vite accourut
(Mil soixante-six, et cinq janvier).
Lui roi d’Angleterre fut élu
Et par Ealdred couronné.
Contre lui bientôt guerre à mort
Northumberland a déclaré;
Ne voulant point tenter cette guerre,
Qui lui allait à contre-cœur,
Du Comte Edwin et Comte Morkère
Harold épousa la jeune sœur.{40}
Guillaume, tout furieux, à Rouen
Prépare vite une expédition,
Appelle à lui le grand Lanfranc,
Evesque lombard, et Hildebrand,
Assemble une armée de Français,
Flamands, Italiens et Bretons,
Et des gens de tous les païs
De Pouille, et de Sicile, Normands.
Je dis moults barons, moulte canaille,
Des hommes sans nom et sans carrière,
Les longues lances, la vieille féraille,
Sous le grand drapeau de Saint-Pierre.
Faut savoir que cette compagnie,
Ou plutôt bande d’aventuriers,
Dont oncques ne virent France de leur vie,
Furent bels et bons nommés Français,
Tandis que Danois et Saxons
Qu’Harold noblement commandait,
Ceux de Sussesse et Saint-Edmond,
Reçurent pour eux le nom d’Anglais.
Les Français traversèrent La Manche
Et descendirent en Angleterre
Près d’Hastings, pendant qu’à l’arme blanche
Harold tua Tostique, son frère.
Parlons donc de l’armée anglaise.
Victorieuse à Stamford-le-Pont,
Elle poussa fortement vers le camp
Ou plutôt position française.{41}
S’arrêtant à deux lieues de là,
Harold envoya des espions,
Qui lui rapportèrent la nouvelle
“Plus prêtres que soldats entre Normands.”
Rit bien et long le roi anglais:
“Ceux que vous vîtes si bien rasés
Ne sont ni prêtres ni gens mal-nés,
Ce sont de vaillans Chevaliers.”
De Conches, de Toarz, Montgomméri
A l’extrême gauche étaient rangés;
A droite, de Fergert, Améri
Poitevins et Bretons commandaient;
Au centre, l’Evesque de Bayeux,
Grand et majestueux Odon;
Puis Guillaume, avec tous ses preux;
Ainsi se rangèrent les Normands.
Brave Taillefer, le Menestrel,
Le premier coup de sabre donnant,
Le premier tomba de sa selle,
Chantant la chanson de Roland.
Fils-Osbert et Montgomméri
Attaquèrent sur la droite anglaise,
Avec Boulogne et Berri,
En partant de la gauche française.
De l’autre flanc, Alain Fergert,
Barons de Maine et d’Améri
Se ruèrent sur la haute terre
Retranchée de gros pilotis,{42}
Où l’étendard au dragon d’or
Flottait dessus les écussons
Plantés en ligne, et juste derrière
Brillaient les hâches-d’armes des Saxons.
Les hommes de Boulogne et de Poix
Suivaient le Baron d’Améri
Et donnèrent rudement maintes fois
Sur la ligne des gros pilotis.
Mais sous les coups terribles des hâches
Et testes et bras tombaient par terre;
A vrai dire n’y avait point de lâches,
Car corps-à-corps se fit la guerre.
Tout de même dans le vaste fossé
Bien des chevaliers sans chevaux
De coups de hâche furent assommés,
En tâchant de sortir de l’eau!
Troublés, et même un peu confus,
Les écuyers aux destriers,
Voyant ainsi tuer les preux,
S’écriaient: “Fuyez donc, fuyez!”
Mais le dur évesque de Bayeux
Arriva bientôt au galop,
“Holà!” dit-il; “splendeur de Dieu!
Faites face à l’ennemi, salops!”
Donc piquant fort des éperons
Et frappant fortement de sa masse,
Poussant toujours son cheval blanc,
Le brave évesque se faisait place.{43}
Le terrible combat rageait
Du matin jusques après-midi;
Les Normands tous criaient, “Dex aie!”
Les Saxons criaient fort aussi.
Vu que les flêches de nos archers
N’atteignirent point à l’ennemi,
Tous derrière leurs remparts courbés,
Guillaume à ses gens commanda
De tirer haut dans l’air les flêches.
Arriva donc comme il pensa,
Même sans pratiquer de brêche!
Le roi Harold et Gyrt, son frère,
Ensemble bravement se battaient
En haut du grand rempart de terre
De gros pilotis couronné.
Une flêche, qui semble tomber du ciel
Et dans sa chute descendante vire,
Atteignit Harold près de l’œil.
Le roi tout hardiment retire
De la blessure le bois cassé.
Il tombe, se tenant à demi
Evanoui sur son bouclier.
L’ange gardien des Saxons frémit!
Sur toute la ligne des Français
Se fit un mouvement en arrière;
C’était le moment des Anglais,
Qui sautèrent par-dessus barrière.{44}
Ils criaient hautement en revanche,
“A quoi bon, imbéciles, de fuir?
A moins de sauter par La Manche
Vous ne reverrez point Saint-Cyr.”
Arrive Sieur de Montgomméri,
“Frappez, François! à nous le jour;
Frappez! frappez! frappez!” il crie:
Les coups Normands redoublent d’ardeur!
Les Saxons, eux aussi frappent fort,
Poussés sur Senlac-la-Colline,
Se battaient toujours corps-à-corps,
Quoique prévoyant leur ruine.
L’on vit d’Auviler et d’Onbac,
Saint-Clair, Fils-Ernest, Mortemer,
Poussant les premiers vers Senlac,
Fils-Ernest tombant mort à terre.
Harold trois fois blessé est mort
Et Gyrt est tué par Guillaume,
Chancelle le fameux dragon d’or,
Et tombe, le symbole du royaume.
Fut ainsi que tomba le sort!
Guillaume rendit grâces à Dieu,
Pleura la perte de ses deux frères,
Remercia encore ses preux.
Il donna au Grand Dieu la gloire
Et fit planter les léopards
Qui flottèrent avec la victoire
Où gisait sale le dragon d’or.{45}
D’Harold parmi tous les blessés
Fut impossible de connaître corps,
Mais Edith la Belle a trouvé
Son amant vivant, hélas! mort.
J’ai tâché, chers et bons amis,
En réduisant ce rondelai
En termes tout simples, où il s’agit
De coups de lance, et coups d’épée,
De faire à tout le monde comprendre,
Marins, soldats, hommes, femmes, enfance,
Qu’il faut garder et pas rendre
Notre souveraine independence!
Une île n’est jamais à l’abri
D’un coup de main bien préparé:
Donc, sans négliger votre marine,
Veillez toujours sur votre armée.
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