Title: Une grande dame de la cour de Louis XV: La duchesse d'Aiguillon (1726-1796)
Author: Paul d' Estrée
Albert Callet
Author of introduction, etc.: Frantz Funck-Brentano
Release date: December 26, 2021 [eBook #67010]
Language: French
Credits: Chuck Greif, Clarity and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS CITÉS
TABLE DES MATIÈRES
LA
DUCHESSE D’AIGUILLON
OUVRAGES DE PAUL D’ESTRÉE
Œuvres inédites de Motin (avec notice et notes). Paris, librairie des bibliophiles, 1883.
Mémoires de Voltaire, écrits par lui-même (avec notes et commentaires). Paris, Kolb, 1891.
Les Hohenzollern (en collaboration avec E. Neukomm). Paris, Perrin et Cⁱᵉ, 1892.
Un policier homme de lettres. L’Inspecteur Meusnier (1748-1757). Paris, aux bureaux de la Nouvelle Revue rétrospective, 1892.
Les Explosifs au XVIIIᵉ siècle. Paris, aux bureaux de la Nouvelle Revue rétrospective, 1894.
Journal inédit du lieutenant de police Feydeau de Marville (1744). Paris, aux bureaux de la Nouvelle Revue rétrospective, 1897.
Les théâtres libertins du XVIIIᵉ siècle (en collaboration avec Henri d’Alméras). Paris, Daragon, 1905. Épuisé.
Les organes de l’Opinion publique dans l’Ancienne France (en collaboration avec Fr. Funck-Brentano). Paris, Hachette et Cⁱᵉ.
I. Les Nouvellistes, 2ᵉ édition, 1905.
II. Figaro et ses devanciers, 1909.
EN PRÉPARATION:
III. La Presse clandestine.
Le Père Duchesne. Hébert et la Commune de Paris (1792-1794). (Couronné par l’Académie française). Paris, Ambert et Cⁱᵉ, 1909.
OUVRAGES DE ALBERT CALLET
Virien le Grand. Son château. Ses Seigneurs. Chez Montbarbon (Belley).
Ph. Berthelier, fondateur de la République de Genève. Chez Fishbacher.
Honoré Fabri. Un Savant oublié.
Le Vieux Paris Universitaire. Chez Delagrave.
L’agonie du Vieux Paris. Chez H. Daragon.
UNE GRANDE DAME DE LA COUR DE LOUIS XV
d’après des documents inédits
PAR
PAUL D’ESTRÉE et ALBERT CALLET
PRÉFACE DE F. FUNCK-BRENTANO
———
TROISIÈME ÉDITION
———
PARIS
ÉMILE-PAUL, ÉDITEURS
100, RUE DU FAUBOURG-SAINT-HONORÉ, 100
——
1912
Ce livre est dédié en témoignage de notre profonde et respectueuse gratitude.
C’est à elle, c’est aux documents d’archives familiales dont sa bienveillance nous ouvrit le trésor, que nous avons dû de mieux connaître, de mieux apprécier les vertus de son illustre aïeule, la duchesse d’Aiguillon, cette noble inspiratrice de notre travail.
Ainsi se perpétue d’âge en âge, entre de pieuses mains et pour le plus grand honneur de l’Histoire, ce culte éclairé de la tradition qui n’est pas une des moindres gloires de notre chère France.
Paul d’Estrée. Albert Callet.
Deux charmants érudits, M. Paul d’Estrée et M. A. Callet, ont uni leur savoir et leur talent pour écrire ce livre, dont le cadre est beaucoup plus vaste que le titre en sa modestie ne consent à nous l’indiquer; car voici en réalité une histoire de la fin du règne de Louis XV et du commencement de celui de Louis XVI, de cette époque inquiète, troublée, troublante, où, sans que les contemporains s’en doutassent, se jouaient, autour de futiles intrigues de Cour, les destinées d’un peuple, on peut dire d’une civilisation.
La bonne et intelligente duchesse d’Aiguillon sert de guide en ce dédale souvent confus—confus, non par le fait des auteurs, mais par celui des événements, multiples et complexes, qu’ils avaient à présenter. M. Paul d’Estrée est un historien du théâtre, un des plus brillants lauréats de la Société de l’Histoire du Théâtre, et peut-être nous pardonnera-t-il la familiarité trop grande de la comparaison que nous oserons hasarder, et sans doute nous la pardonnera-t-il d’autant plus volontiers{ii} que c’est du «petit» théâtre, du théâtre de foire et de tréteaux, qu’il s’est occupé avec le plus d’érudition et de succès. Mᵐᵉ la duchesse d’Aiguillon nous fait penser en ce livre à une commère de revue; oh! à une commère très distinguée, très réservée, très grande dame; mais en somme à une commère qui joue en réalité un rôle secondaire dans l’ouvrage, mais qui en est le guide, parmi tant de faits divers et pressés l’un sur l’autre; guide gracieux qui permet au spectateur, je veux dire au lecteur, de comprendre et de s’y retrouver.
Et comme il s’agit d’un livre, notre commère ne parle pas comme en une pièce de théâtre, elle écrit—d’une plume alerte, limpide, intelligente et gracieusement française—des lettres qui sont autant de foyers de lumière dans l’ensemble du récit. Ces lettres, pour la plupart inédites, retrouvées par MM. Paul d’Estrée et A. Callet en des sources diverses, éclairent non seulement le caractère de l’active et charmante duchesse, mais les nombreux événements auxquels, de par les fonctions et les faits et gestes de son mari, elle s’est trouvée directement mêlée.
Nouvelle et importante contribution à cette histoire, tant discutée depuis quelques années, du duc d’Aiguillon, de son administration, de sa direction au ministère des Affaires étrangères, et dont Balzac, par ce génie de divination historique{iii} qui l’a si étonnamment caractérisé, prévoyait dès 1828 les conclusions de plus en plus généralement admises aujourd’hui, quand il écrivait dans la préface de ce livre admirable, les Chouans:
«La prospérité de la Bretagne était le fond même du procès entre La Chalotais et d’Aiguillon. Le mouvement rapide des esprits vers la Révolution a empêché jusqu’ici la révision de ce célèbre procès, mais lorsqu’un ami de la vérité jettera quelque lumière sur cette lutte, les physionomies historiques de l’oppresseur et de l’opprimé prendront des aspects bien différents de ceux que leur a donnés l’opinion des contemporains. Le patriotisme national d’un homme (Aiguillon), qui ne cherchait peut-être qu’à faire le bien qu’au profit du fisc et de la royauté, rencontra ce patriotisme de localité si funeste au progrès des lumières. Le ministre avait raison, mais il opprimait; la victime avait tort, mais elle était dans les fers; et en France le sentiment de la générosité étouffe même la raison. L’oppression est aussi odieuse au nom de la vérité qu’au nom de l’erreur.
«M. d’Aiguillon avait tenté d’abattre les haies de la Bretagne, de lui donner du pain en introduisant la culture du blé, d’y tracer des chemins, des canaux, d’y faire parler le français, d’y perfectionner le commerce et l’agriculture, enfin d’y mettre le germe de l’aisance pour le plus grand nombre et la lumière pour tous: tels étaient les résultats{iv} éloignés des mesures dont la pensée donna lieu à ce grand débat. L’avenir du pays devenait une riche et féconde espérance.
«Que de gens de bonne foi seraient étonnés d’apprendre que la victime (La Chalotais) défendait les abus, l’ignorance, la féodalité, l’aristocratie et n’invoquait la tolérance que pour perpétuer le mal dans son pays! Il y avait deux hommes dans cet homme: le Français qui, dans les hautes questions d’intérêt général, proclamait, d’une voix généreuse, les plus salutaires principes; le Breton, auquel d’antiques préjugés étaient si chers que, semblable au héros de Cervantès, il déraisonnait avec éloquence et fermeté, aussitôt qu’il s’agissait de guérir les plaies de la Bretagne.»
Ces pages, admirables de clairvoyance et d’intelligence historique, méritaient d’être imprimées en tête de ce livre consacré, en grande partie, au duc d’Aiguillon et à sa lutte en Bretagne contre les partisans des traditions et des coutumes locales. Balzac s’y est montré une fois de plus l’écrivain du XIXᵉ siècle qui a été le mieux doué pour écrire l’histoire; de quoi il a d’ailleurs laissé des preuves ineffaçables dans les Mémoires de deux jeunes mariées, dans le Cabinet des Antiques, dans l’Envers de l’Histoire contemporaine et dans les Chouans que nous venons de citer.
On aura notamment remarqué le passage où il oppose l’esprit «national» du duc d’Aiguillon à{v} l’esprit tout imprégné d’idées locales et particularistes de La Chalotais; c’est déjà le «patriotisme» des hommes de la Révolution, opposé au «fédéralisme» qu’ils combattront avec une si terrifiante rigueur.
Le duc d’Aiguillon avait compris la nécessité de la réforme administrative qui s’imposait dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle à la France entière.
Les hommes qui, comme lui, comme Maupeou, comme Vergennes, et quelques autres, eurent l’intelligence des besoins d’une société nouvelle, ne purent malheureusement réaliser leur tâche: les La Chalotais se trouvèrent trop nombreux devant eux pour que les réformes pussent aboutir par des voies de douceur. La Révolution les accomplira avec l’aide efficace de la guillotine; et la Restauration, en pleine réaction, ne songera plus un instant à revenir sur l’œuvre accomplie.
Pour Maupeou, l’un des collaborateurs du duc d’Aiguillon, MM. Paul d’Estrée et A. Callet se montrent sévères, trop sévères à notre avis. Maupeou poursuivait, dans le domaine de la justice, le même but que son collègue, l’ancien gouverneur de la Bretagne, dans le domaine administratif; il le poursuivit par les mêmes moyens, et l’histoire doit aujourd’hui lui donner raison, à lui également. Maupeou tombe du ministère et les parlementaires qui voudront résister aux réformes qu’il avait préconisées ne tarderont pas à expier leur résistance{vi} sous le couperet de la guillotine. Après quoi, nous avons eu les réformes judiciaires que Maupeou avait voulu nous donner.
Aiguillon et Maupeou ont donc connu le destin des précurseurs. Problèmes aux vastes horizons, mais où le lecteur se promène en ce charmant ouvrage, dû à la plume attentive de MM. d’Estrée et Callet, comme en une campagne infiniment accidentée et pittoresque, où l’on ne circule que par mille agréables détours, non sans être captivé, de-ci, de-là, par les points de vue les plus «flatteurs»—comme on disait au temps de la bonne et séduisante duchesse d’Aiguillon.
Frantz Funck-Brentano.
{1}
Mère et fille.—Parallèle de la duchesse de Choiseul et de la duchesse d’Aiguillon: analogies de leurs destinées respectives.—Pourquoi l’Histoire les a traitées inégalement.—La Correspondance et les Correspondants de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Son style et son écriture.—Les papiers du chevalier de Balleroy.—Utilité documentaire des lettres de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Leur corrélation avec la biographie du ministre de Louis XV.
Une très grande dame de la Cour de Louis XV, la duchesse d’Aiguillon, était fille du comte de Bréhan-Plélo, ambassadeur de France à Copenhague, qui fut tué au siège de Dantzick en 1734 et de Louise-Françoise Phélypeaux de la Vrillière, morte trois ans après, en mars 1737.
A l’exemple de cette martyre de l’amour conjugal, Louise-Félicité de Bréhan-Plélo, sa fille, qui devait se marier, le 4 février 1740[1], avec le comte d’Agénois[2], depuis duc accomplie, la mère attentive, la gardienne, vigilante et irréprochable, de la fortune familiale et de l’honneur du nom, en un mot la femme forte de l’Écriture.
Si la nature, trop souvent ingrate aux belles âmes, ne départit pas à la mère et à la fille les avantages physiques, toutes deux reçurent, en compensation, les dons les plus heureux de l’esprit et du cœur. Mais, hélas! combien ces qualités, moins brillantes que solides, pèsent peu dans les balances, où, trop souvent, la seule frivolité détermine la valeur des réputations mondaines!
Aussi les noms de la comtesse de Plélo et de la duchesse d’Aiguillon n’ont-ils laissé qu’une trace à peine visible dans les Mémoires et Souvenirs contemporains. Depuis, le premier dut à une étude, parue ces dernières années, de sortir de l’oubli, où il était resté si longtemps enseveli[3].
Le second a droit à la même justice.
Un des rares écrivains qui l’aient signalé, et le premier qui ait pris l’initiative de cette tardive réparation, n’a, il est vrai, qu’une autorité très discutable.
Il importe néanmoins de citer la mention que Soulavie, ce publiciste discrédité, a consacrée à la duchesse d’Aiguillon; car, non seulement, elle en résume, avec une rigoureuse exactitude, la vie si droite et si pure, mais encore elle lui associe, par le plus ingénieux des rapprochements, celle d’une autre femme qui, ayant connu, dans les rangs adverses, la même fortune, subit la même disgrâce, sans rien perdre de la noblesse de son attitude, ni du souci de sa dignité.
«Mᵐᵉˢ d’Aiguillon et de Choiseul, écrit Soulavie, veuves respectables par leur caractère et leurs vertus, modestes et pleines de réserve pendant le ministère{3} de leurs époux, ne voulurent jamais se mêler d’aucune intrigue[4].»
A peu près oubliées par une Révolution qui devenait moins sanglante et plus humaine, ces deux femmes vivaient encore, au moment où elles recevaient un hommage si justement mérité.
L’une d’elles n’était déjà plus et l’autre allait, à son tour, disparaître, quand, dix ans plus tard, Soulavie reprenait ce double éloge, au cours d’une[5] de ses nombreuses publications[6], dans un parallèle moins concis et fort judicieux. Les portraits restaient les mêmes, avec des nuances toutefois dans l’expression de la physionomie.
«Mᵐᵉ de Choiseul, dit Soulavie, développa, comme son mari, un très grand caractère... Elle voulut le défendre contre les dernières injustices de Louis XV... Elle fut courageuse, patiente, résignée, mais fière comme son époux...
Mᵐᵉ d’Aiguillon était d’un caractère opposé, simple, timide, silencieuse, mais vertueuse et sensible...»
Le panégyriste qui, partout ailleurs, s’est heurté à de si vives contradictions, n’a reçu ici aucun démenti: il a trouvé la note juste.
Le crayon qu’il a tracé de Mᵐᵉ de Choiseul est en effet des plus ressemblants: celui de Mᵐᵉ d’Aiguillon{4} n’est pas moins exact. Mais ce que Soulavie a certainement ignoré, c’est que, tout en paraissant «timide et silencieuse» à côté de Mᵐᵉ de Choiseul, Mᵐᵉ d’Aiguillon a su, comme elle, défendre vaillamment son mari, le soutenir et l’encourager dans les circonstances les plus critiques.
D’ailleurs que d’analogies entre les destinées respectives de ces deux femmes!
Elles étaient mariées à des hommes d’Etat, qui, sous le même roi, en devinrent successivement le premier, ou «principal» ministre. Si elles leur gardèrent pieusement la foi conjugale, elles ne furent certes pas payées de retour. Les bonnes fortunes de Choiseul et de d’Aiguillon ne se comptaient plus; et chacun d’eux, s’il faut en croire la chronique scandaleuse du temps, put inscrire, sur la liste de ses conquêtes, au moins une favorite royale.
L’un et l’autre, frappés par la disgrâce, furent exilés dans leurs terres; et la vie de château, à laquelle ils étaient désormais condamnés, démontra avec quelle dignité souriante leurs femmes s’entendaient à leur en abréger les trop longues heures par la variété des plus ingénieuses distractions.
Choiseul et d’Aiguillon, ces irréconciliables ennemis, se suivirent d’assez près dans la tombe. Il fallut alors payer les dettes qu’avaient accumulées leur faste et l’honneur d’avoir servi un maître ingrat. Leur fortune en fut singulièrement amoindrie. Puis la Révolution survint qui en acheva la ruine. Les deux veuves vécurent ignorées; et la mort les trouva pauvres.
Alors, pourquoi ce caprice du sort, qui, plus d’un{5} demi-siècle après, met l’une en belle lumière et laisse l’autre en pleine obscurité?
C’est qu’en restituant dans leur intégrité les lettres de Mᵐᵉ Du Deffand et de ses amis, dont le XIXᵉ siècle n’avait connu jusqu’alors qu’une copie maladroite et une version imparfaite, l’inspiration heureuse, et presque simultanée, de deux érudits sut dégager de cette correspondance la noble et touchante figure de la duchesse de Choiseul, hier ignorée, inoubliable aujourd’hui.
La femme naît épistolière. D’illustres exemples le prouvent de reste. Ils déterminent mieux encore le degré de perfection auquel peut atteindre un don naturel sous l’influence d’une culture intellectuelle raffinée et continue.
Or, dans la vie familiale et dans la vie mondaine—les deux pôles contraires de notre organisme social—la femme trouve des éléments d’observation qui aiguisent ses relations épistolaires, si banales soient-elles, des traits les plus fins et les plus délicats. Et la plus humble, la moins lettrée saisira le détail qui sait peindre, le mot qui sait toucher, s’agirait-il de l’incident le plus vulgaire de la vie courante; car la femme écrit presque toujours sous l’impression de son imagination ou de sa sensibilité.
C’est ainsi que nous apparaît Mᵐᵉ de Choiseul dans sa correspondance. Elle se souvient quelquefois encore qu’elle fut la femme du ministre, mais elle est surtout son amie vigilante et dévouée, soucieuse de son repos bien que glorieuse de son nom, bonne, obligeante, affectueuse pour chacun, en un mot, la {6}«grand’maman» comme se plaisaient à l’appeler ses familiers.
Par sa disgrâce, son mari, cet égoïste voluptueux, l’avait, pour ainsi dire, mise en vedette. L’opposition avait pris fait et cause pour Choiseul exilé à Chanteloup[7]. Chanteloup n’était pas trop éloigné de Versailles. Ce fut du dernier bon goût—le snobisme d’alors—de faire le pèlerinage de Chanteloup. Les princes, les rois eux-mêmes y coururent. Et, pour comble de fortune, Mᵐᵉ Du Deffand, l’amie des philosophes, et ses entours devinrent les gazetiers de la magnifique retraite, dont la duchesse faisait, avec la meilleure grâce du monde, les fatigants honneurs.
Mᵐᵉ d’Aiguillon eut un exil moins riant et moins doré. Son mari était tombé du pouvoir, ne laissant de regrets qu’à ses créatures. Odieux à cette même opposition parlementaire qui lui reprochait la détention des La Chalotais et la disgrâce de Choiseul, méprisé des philosophes qui le croyaient acquis aux jésuites, exécré à la Cour et détesté surtout de Marie-Antoinette qui ne lui avait jamais pardonné son alliance avec la Du Barry, le duc d’Aiguillon avait dû se confiner à l’extrémité de la France, dans son domaine de l’Agénois, où les visites du peu d’amis restés fidèles à son infortune ne rappelaient que de très loin la cohue brillante des défilés de Chanteloup.
La duchesse n’eut pas à lutter contre ce torrent de haine où se débattait vainement son époux. Elle était ignorée de tous. D’ailleurs, sa personnalité s’était{7} déjà effacée dans l’ombre d’une autre duchesse d’Aiguillon, née Crussol, sa belle-mère la douairière, qui, elle aussi, était grande amie de Mᵐᵉ Du Deffand et de sa coterie. Et cette coterie, celle des philosophes, des encyclopédistes, des économistes, fut, il faut bien le reconnaître, la meilleure des agences de publicité pour les réputations du XVIIIᵉ siècle.
... Nul n’aura d’esprit hors nous et nos amis.
La douairière d’Aiguillon lui doit ce surnom-réclame, qui la fit passer à la postérité: la sœur du pot des philosophes.
Sa belle-fille, qui se serait bien gardée d’en briguer la survivance, ne reçut donc pas des dispensateurs de renommée contemporaine l’investiture dont bénéficièrent la douairière d’Aiguillon et la duchesse de Choiseul. Et cependant sa correspondance la désignerait pour occuper un rang presque égal, quoiqu’elle n’ait eu pour destinataires qu’un très petit nombre de privilégiés, eux-mêmes fort peu connus.
Car Mᵐᵉ d’Aiguillon est bien l’épistolière qui sommeille dans le cœur de toute femme, mais l’épistolière d’élite. Elle a son originalité propre; elle a le mot qui fait image, le trait qui porte loin. Ses lettres sont courtes d’ordinaire, mais substantielles. Le style en est simple, net et concis, plutôt négligé; il ne vise pas à l’effet: il veut surtout persuader.
Mᵐᵉ d’Aiguillon n’écrit pas, en effet, pour la galerie: elle cause en toute sincérité avec des amis à qui elle ouvre son cœur, à qui elle confie successivement ses espérances, ses joies, ses déceptions, ses rancœurs, ses tristesses, ses douleurs, sa résignation. Elle sait d’avance la solidité de leur affection et peut compter{8} sur leur discrétion, surtout sur leur indulgence, d’autant qu’elle est affligée d’un terrible défaut—même une tare pour quiconque veut avoir avec ses parents et ses amis une correspondance suivie. Mᵐᵉ d’Aiguillon est illisible dans toute l’acception du mot. Outre que l’orthographe est le moindre de ses soucis, elle a une écriture déconcertante: c’est un fouillis de pattes de mouches, trop souvent microscopiques, dépourvu de toute ponctuation, dans lequel un mot se trouve étroitement soudé à un autre ou découpé en deux et même trois tranches.
«J’avais oublié de vous dire, de la part de la Reine, lui raconte, certain jour, sa belle-mère, que votre écriture est indéchiffrable, qu’elle (la Reine) a mis 2 paires de lunettes et Mᵐᵉ de Villars autant, sans en venir à bout.»
C’est peut-être à cette infirmité graphique qu’il faut attribuer sinon le peu de lettres, du moins le peu de correspondants qu’ait jamais eus la duchesse d’Aiguillon.
La douairière et la comtesse de Maurepas se plaignent fréquemment de son silence. La femme de l’ancien ministre était une La Vrillière, par conséquent la tante propre de la duchesse: celle-ci lui rendait cependant de nombreuses visites à Pontchartrain[8]; et nous verrons plus loin qu’elle avait pour sa belle-mère le plus tendre attachement. Mais elle ne paraît jamais avoir eu de correspondance suivie qu’avec Mᵐᵉ de Chauvelin, le comte de Scheffer et le chevalier de Balleroy.{9}
C’est dans les papiers de ce dernier que nous avons découvert une liasse considérable de lettres qui lui furent adressées par la duchesse d’Aiguillon, accompagnées de quelques billets de son mari.
Le chevalier François-Auguste de Balleroy était petit-fils de cette marquise de La Cour Balleroy, née Caumartin, qui, pendant la Régence, recevait, en son château, près de Bayeux, des lettres parisiennes, si intéressantes et si piquantes, publiées en 1883 par E. de Barthélemy.
François-Auguste avait, comme son frère aîné, Charles-Auguste, marquis de Balleroy, coopéré à la campagne menée victorieusement en Bretagne par le duc d’Aiguillon contre les Anglais. Les deux frères furent guillotinés le 6 germinal an II. Le marquis séjournait à Balleroy. Le chevalier, quand il fut arrêté, demeurait alors rue Saint-Dominique[9] à Paris. Les papiers, saisis à son domicile, furent versés, après sa condamnation, aux Archives Nationales.
On n’y trouve, pas plus du reste qu’au château de Balleroy, aucune lettre, ni aucun document revêtu de sa signature.
Par contre, un carton des Archives[10] est, en partie, occupé par toute une série de lettres à l’adresse du chevalier, lettres émanées de divers correspondants.
Celles de la duchesse d’Aiguillon, les seules qui nous intéressent, ne font pas seulement valoir un beau{10} caractère; elles apportent encore une contribution, qui n’est pas à dédaigner, à l’histoire des dernières années du règne de Louis XV et des premières du règne de Louis XVI.
Cette correspondance commence à la fin de 1767 et se termine en 1785. Elle accompagne en quelque sorte le duc d’Aiguillon dans une des périodes les plus agitées et les plus brillantes de sa vie politique, depuis l’heure où il quitte la Bretagne, chargé de toutes les malédictions de la province, jusqu’au jour où sa victoire sur ses adversaires, singulièrement appuyée par Mᵐᵉ Du Barry, reçoit la plus éclatante des sanctions, dans la nomination de M. d’Aiguillon comme ministre des affaires étrangères. Chemin faisant, la duchesse note les nouvelles de Cour les plus importantes: la mort de la Reine, le mariage du comte de Provence,—sans parler des intrigues et des cabales qui amèneront, après la mort du maître, la chute du favori. L’exil dans ce domaine d’Aiguillon n’empêche pas la duchesse de donner, par intermittences, quelques lignes à la politique: cadre qui s’élargira, quand il sera permis au courtisan disgrâcié de rentrer à Paris. Et brusquement, la correspondance s’arrête, trois années avant la mort de M. d’Aiguillon.
Notre étude serait incomplète, si nous la bornions à cet intervalle de dix-huit années que remplit la correspondance. Il importe de rétablir intégralement la biographie de la duchesse, d’après les documents que nous avons pu recueillir, et qui, nous ne saurions trop le répéter, sont en fort petit nombre. Rapprochés de ceux que l’histoire a conservés sur le duc d’Aiguillon, leur intérêt s’augmente de cette comparaison et n’en{11} accuse que d’un plus saisissant relief la noble figure de la digne fille des Plélo.
Enfin, une autre série de lettres et de pièces, dont nous devons la communication à la bienveillance de M. le marquis de Chabrillan, nous a permis de continuer la biographie de la duchesse, jusqu’à la mort de la veuve du premier ministre.{12}
Les premières années de Louise de Plélo: son conseil de famille.—Son mariage avec le duc d’Agénois.—Le digne cousin du maréchal de Richelieu.—Ses amours avec la marquise de la Tournelle.—Une scapinade de Richelieu.—Hésitations d’une amante et coquetteries d’une maîtresse.—La duchesse d’Agénois et sa protectrice.—Amitié véritable entre bru et belle-mère.—Une lettre de la grosse duchesse.—D’Agénois un Caton!—Mᵐᵉ d’Agénois dame du palais.
Louise-Félicité de Bréhan Plélo était encore une enfant (elle avait onze ans à peine), quand la mort de sa mère la laissa, sinon sans fortune, du moins dans une situation fort embarrassée. L’orpheline était, surtout, moralement abandonnée. Ce n’était pas qu’elle n’eût une famille nombreuse et bien en cour: malheureusement, ses plus proches parents n’avaient guère qualité pour lui donner l’éducation qui convînt à l’héritière des Plélo. La marquise de la Vrillière devenue, contre échange de cent mille écus, duchesse de Mazarin, était la grand’mère de Louise-Félicité, et, de ce fait, sa tutrice; mais elle n’était pas d’une conduite exemplaire[11]. Saint-Florentin, le ministre, frère de la{13} comtesse de Plélo, qui avait été désigné comme tuteur de sa nièce, n’était pas non plus le modèle de toutes les vertus. C’était un courtisan aussi plat qu’il était orgueilleux, autoritaire, opiniâtre et ne reculant devant aucune mesure arbitraire pour satisfaire au moindre caprice de son maître. Il déclina la mission qui lui incombait; et, à son défaut, Maurepas, ministre lui aussi, qui avait épousé une sœur de Mᵐᵉ de Plélo, accepta la tutelle de l’orpheline. Aussi souple d’échine que Saint-Florentin, mais plus fin, plus délié et plus aimable, quoique très vain et très frivole, le comte de Maurepas ne professait, comme tant d’autres de ses contemporains, que des principes d’une morale facile et sans préjugés.
Dans ses lettres, Louise-Félicité rappelle fort peu cette période de sa vie. Nous avons été même assez surpris de n’y point trouver le souvenir de sa mère. Une seule fois elle parle de son enfance, et à propos d’un mariage: la note ne laisse pas d’être piquante.
«Ma vieillesse, écrit-elle, le 12 novembre 1769, au chevalier de Balleroy—et elle n’a encore que quarante-trois ans—ma vieillesse me retient prisonnière chez moi, ce qui, comme vous jugez bien, ne me coûte pas beaucoup, mais je sens que j’aurais de l’humeur, si elle m’empêchait d’aller à la noce du cousin Quélen qui, enfin, va passer sous le joug matrimonial. Ce n’est pas sans peine, en vérité, et il n’a pas perdu pour attendre. Il épouse Mˡˡᵉ Hocquart, nièce de l’ancien intendant de la marine, qui a 200.000 livres en mariage et à qui on en assure encore autant. J’en suis aussi aise que lui. Vous savez combien je m’y intéresse personnellement, et les obligations que j’ai eues{14} dans ma jeunesse à son père[12]. Si je parviens après à marier mon oncle Bréhan, je ne désespérerai de rien, pas même pour vous[13].»
Quand elle s’était inclinée sous «ce joug matrimonial», qu’il lui semble si plaisant de voir imposer aux autres, Mˡˡᵉ de Plélo n’était pas encore entrée dans sa quinzième année.—S’il est des tuteurs qui ne sont jamais pressés d’établir leurs pupilles, combien ont hâte d’en finir avec une responsabilité qu’ils repassent volontiers à un mari! Maurepas s’était-il lassé de sa mission ou craignait-il de ne pas rencontrer pour sa nièce un parti plus sortable? Toujours est-il qu’assisté de Saint-Florentin, il demandait au roi son agrément pour le prochain mariage de Mˡˡᵉ de Plélo avec le comte d’Agénois «à qui son père cédait son duché[14]». L’alliance d’Emmanuel-Armand Du Plessis-Richelieu, qui devait, à la mort de son père, porter le titre de duc d’Aiguillon, ne pouvait que jeter un nouvel éclat sur les familles de Mailly et de Phélypeaux. Le nouveau duc d’Agénois descendait par une ligne colla{15}térale, comme son parent le duc de Richelieu, du cardinal-ministre. Il était âgé de vingt ans; et une physionomie des plus heureuses, une noble prestance[15], une rare élégance de manières le faisaient passer pour un des plus beaux hommes de la Cour. Les avantages physiques de Mˡˡᵉ de Plélo ne répondaient certes pas à ceux de M. d’Agénois: la jeune fiancée était plutôt laide et son «teint échauffé» avait des variations de coloris sur lesquelles nous reviendrons plus tard.
Le mariage se fit néanmoins. Fut-il heureux? Il est permis d’en douter, étant donné l’humeur volage et le tempérament passionné de l’époux, qu’il fût duc d’Agénois ou duc d’Aiguillon. La duchesse ne put en ignorer; elle était intelligente et fine; et elle dut beaucoup en souffrir; car elle avait en même temps qu’un véritable culte pour la famille dans laquelle elle était entrée, un profond et sincère amour pour l’homme qui en était un des représentants. Mais, comme elle était également très digne, il ne semble pas qu’elle se soit jamais plainte des nombreuses infidélités de son mari. En tout cas, aucune de ses lettres n’en laisse percer la moindre trace; elles respirent au contraire un vif enjouement, tempéré d’une douce sérénité, si ce n’est quand elle croit ou qu’elle voit son époux en butte à la calomnie ou à des manœuvres perfides. Une telle égalité d’humeur, discrète et souriante, chez une femme trompée, est plus et mieux que de la résignation: c’est, en quelque sorte, un héroïsme élégant.{16}
Les illusions de Mᵐᵉ d’Agénois furent de courte durée. Elle était mariée du 4 février 1740; et, vers la fin de cette même année, le duc la trompait avec la marquise de La Tournelle[16].
Peut-être se demandera-t-on s’il n’en avait pas été pour les d’Agénois comme pour les Plélo. Louise-Félicité n’avait pas, nous l’avons dit, quinze ans, le jour de son mariage. Voulut-on séparer momentanément un couple qu’avaient uni des raisons d’intérêt ou des questions de convenance, et qui n’était pas encore mûr pour les réalités du mariage? C’est fort possible. En tout cas, d’Agénois se serait bien gardé d’enlever, à l’exemple de feu son beau-père[17], sa jeune femme; il était trop occupé avec la maîtresse, si captivante dans son orgueilleuse beauté, qui l’avait choisi comme le plus désirable des amants.
La liaison de la future duchesse de Châteauroux avec d’Agénois appartient à l’histoire; et les Goncourt lui ont consacré quelques pages de leur curieuse monographie sur la favorite, si longuement recherchée et si ardemment aimée du plus indifférent des rois.
Le marquis d’Argenson, avec son philosophisme sceptique, grincheux, mais presque toujours exact, définit, dans une note de ses Mémoires, la raison de l’irrésistible entraînement de la Châteauroux pour d’Agénois, devenu son parent par son mariage avec Mˡˡᵉ de Plélo: «Elle a eu jusqu’à trois affaires, M. de{17} la Trémoïlle, M. de Soubise, M. d’Agénois. Le premier la séduisit par ses charmes, M. de Soubise par intérêt et par vues: elle avait besoin de lui pour que la maison de Rohan et Mᵐᵉ de Tallard s’intéressassent à elle, en vue d’entrer chez la dauphine; elle ne lui permit que la petite oie, et elle eut M. d’Agénois, pour se procurer les conseils de M. de Richelieu, qui était en partie carrée avec elle, son cousin le petit d’Agénois et Mᵐᵉ de Flavacourt[18].»
En effet, le duc de Richelieu joua dans cette «affaire» un singulier rôle, mais qui ne saurait surprendre chez un courtisan aussi adroit et toujours si empressé à devancer les désirs du maître. Certes, il aimait bien son cousin; et la correspondance de Mᵐᵉ d’Aiguillon atteste que cette affection familiale était partagée. Mais, précisément, parce qu’il était «en partie carrée», c’est-à-dire en communauté d’intérêts politiques avec d’Agénois et Mᵐᵉ de la Tournelle, il n’entendit pas sacrifier à leur délicieux roman la satisfaction de ses vues ambitieuses. Il voulut assurer au roi l’entière et définitive possession d’une femme que le prince convoitait depuis longtemps; et peut-être aussi dans l’intérêt, bien compris, d’un parent dont l’obstination amoureuse pouvait compromettre la fortune et le crédit, il imagina, lui aussi, un roman, ou plutôt une comédie à la Marivaux pour rompre une liaison qui menaçait de s’éterniser.
Au cours d’un voyage en Languedoc, d’Agénois ren{18}contre une jeune femme fort jolie, très spirituelle et d’une grâce exquise, qui, à l’aspect de ce beau gentilhomme, semble avoir reçu le coup de foudre. Jamais coquette ne fut plus aguichante, ni ne mit autant de charmes dans un sourire. D’Agénois se laisse séduire par cette sirène. Tous deux ne sauraient d’ailleurs se résigner à ce que l’aventure n’eût pas de lendemain. On se sépare, mais en jurant de s’écrire, très secrètement bien entendu; et d’Agénois compte bien que la marquise de la Tournelle ignorera toujours son infidélité; mais, un matin, celle-ci voit entrer le Roi qui lui met sous les yeux tout un paquet de lettres, brûlantes de passion: Ah! lui dit-il, le beau billet qu’a la Châtre! tenez, voilà ce que m’envoie la poste.
La ruse de Richelieu avait réussi... C’était lui, en effet, qui, sous promesse d’une «grande situation à Paris», avait «aposté» l’enchanteresse, chargée d’ensorceler d’Agénois; c’était lui encore qui avait tendu le piège de la correspondance; et... le Cabinet Noir avait fait le reste.
Richelieu avait voulu que Mᵐᵉ de la Tournelle oubliât son amant; les railleries continuelles du roi sur la prétendue fidélité de d’Agénois hâtèrent cette solution.
Et cependant la marquise lutta longtemps encore contre l’idée d’une telle rupture. Elle écrivait à Richelieu pour lui déclarer tout net qu’elle n’était pas dupe de «sa fourberie»; mais elle sentait bien que, si elle congédiait d’Agénois, celui-ci ne lui pardonnerait jamais cette injure: aussi voulait-elle qu’il lui rendît ses lettres, car elle ne se souciait pas qu’il les communiquât à sa mère, et surtout à Maurepas. Puis{19} elle se ravisait: elle «revenait» à d’Agénois. Les lettres, interceptées par la poste, disait-elle, ne prouvent pas que le duc ait trahi ses serments; tout au plus s’est-il permis un caprice...[19], une passade.
Sans se prononcer aussi catégoriquement que le marquis d’Argenson, mais en se gardant bien d’exposer la savante et perfide stratégie de Richelieu, le duc de Luynes ne dissimule pas, dans ses Mémoires, que Mᵐᵉ de la Tournelle, après la disgrâce de sa sœur, Mᵐᵉ de Mailly, se conduisit, en coquette consommée, envers le roi. Soulavie[20], de son côté, précise le manège de l’artificieuse créature. Elle prenait un faux air de modestie. Elle cachait son joli minois sous une baigneuse que le roi relevait doucement pour l’admirer, puis pour dévorer ses joues d’ardents baisers, alors qu’elle dardait sur lui des yeux étincelants. Et, tout aussitôt, elle se ressaisissait... «elle faisait la fière.» C’était alors une autre antienne. Elle continuait à dire et à faire dire, écrit le duc de Luynes[21], «qu’elle était aimée de M. d’Agénois, et qu’elle l’aimait, qu’elle n’avait nul désir d’avoir le roi, qu’il lui ferait plaisir de la laisser comme elle est et qu’elle ne veut consentir à ses propositions qu’à des conditions sûres et avantageuses». Mise en scène évidemment réglée par Richelieu.
Elle les eut ces «conditions sûres et avantageuses» avec son brevet de duchesse de Châteauroux. Mais{20} elle avait su jouer, bien qu’on en fît une sotte, du duc d’Agénois. Elle l’aimait cependant, et d’un amour qui survécut à leur séparation..., peut-être moins réelle qu’on n’a voulu le prétendre. Lorsque d’Agénois, qui était entré au service à dix-sept ans et s’était fait remarquer par sa vaillance pendant la guerre de la succession d’Autriche, fut très grièvement blessé à la tête, au siège de Château Dauphin, «la marquise de la Tournelle se sentit blessée du même coup[22]». On ajoute qu’elle s’évanouit à cette nouvelle. Le roi en fut très vivement piqué. Il la tança d’importance. Et ce ne fut pas la seule fois qu’il la querella pour des retours de tendresse dont elle ne pouvait se défendre.
Que devenait, au milieu de ces intrigues de cour et de cœur, la petite duchesse d’Agénois, si délaissée, si oubliée, si inconnue même du grand public, qu’elle semblait n’avoir jamais existé?
Elle avait pour protectrice, pour amie, pour consolatrice peut-être, une grande dame, la première de France, qui, elle aussi, était oubliée et délaissée pour la même femme, si profondément énamourée du beau d’Agénois.
Marie Lesczinska s’était toujours souvenue que Plélo avait sacrifié sa vie à la cause du roi de Pologne Stanislas; elle tenait à payer à la fille la dette de reconnaissance qu’elle avait contractée envers le père. Si, en raison des exigences du protocole et de la tyrannie de l’étiquette, il lui fut d’abord impossible d’attacher directement à sa personne Mᵐᵉ d’Agénois, elle lui fit{21} assurer une pension honorable sur la cassette royale et favorisa de toute son influence (hélas! bien restreinte) l’accession de la jeune femme aux emplois et dignités de la cour. Le 21 septembre 1742, alors que la duchesse d’Agénois était une des «six dames du deuil de la duchesse de Mazarin», le roi «fit envoyer chez elle un de ses gentilshommes[23]». A un an de distance[24] la fatalité voulut (que de larmes coûtaient de tels honneurs!) que Mᵐᵉ d’Agénois «fût à la présentation de Mᵐᵉ de la Tournelle comme duchesse de Châteauroux»; elle était «parmi les huit dames dont cinq assises»; et sa belle-mère, la duchesse d’Aiguillon, était également du nombre.
Mais, en dehors de cette vie officielle, Mᵐᵉ d’Agénois était du cercle de la reine; admise dans l’intimité de la princesse et l’une de ses plus chères favorites, elle garda toujours, comme nous le verrons plus tard par sa correspondance, un souvenir attendri de Marie Lesczinska. Elle devait vouer la même gratitude à la mémoire de sa belle-mère Mᵐᵉ d’Aiguillon, la grosse duchesse, la bonne duchesse, comme on l’appelait encore dans le salon de Mᵐᵉ Du Deffand.
«Mon arrivée dans cette maison[25], écrit-elle de Paris, le 27 août 1772, a renouvelé l’horreur de la perte que j’ai faite (la duchesse douairière était morte le 15 juin); j’étais accoutumée que, quand je revenais, la première personne que je voyais, c’était ma malheureuse belle-mère.»{22}
Et à quelques mois de là (6 décembre 1772), elle parle encore avec émotion de la bonne duchesse, «qu’elle n’aurait ni plus aimée, ni plus respectée, quand elle aurait été sa propre mère».
C’était justice. Car l’excellente femme qu’était la douairière avait su, dans les circonstances les plus difficiles, conserver l’estime et l’affection de tous, sans rien abdiquer de ses croyances, ni se soustraire à ses devoirs. Née Crussol, elle avait épousé le duc d’Aiguillon, personnage «de la première distinction», mais le plus insignifiant, le plus nul des hommes. Tout son orgueil d’épouse s’était alors confondu avec ses espérances de mère. Et désormais elle ne vécut que par son fils, ce séduisant gentilhomme qui avait si brillamment débuté à la cour.
Elle a pour lui une admiration qui fait sourire. Mᵐᵉ de Maurepas s’étant plaint de voir trop rarement sa nièce, et le duc d’Agénois ayant opiné, sans doute par calcul, dans le même sens, la grosse duchesse avait cru devoir présenter à sa bru «des exhortations d’économie et d’honnêteté pour ses parents». Louise-Félicité lui avait répondu un peu vivement. Et sa belle-mère s’était efforcée de calmer ce semblant d’irritation s’adressant aussi bien à son intervention personnelle qu’aux observations de Mᵐᵉ de Maurepas: «C’est par amitié qu’on se plaint de vous. Ce qui doit vous occuper et conduire votre marche, est ce qui plaît à votre mari, et lui convient. C’est le devoir d’une femme en général, mais bien avec lui qui est un Caton et qui pourrait gouverner père, mère, et toute la famille, et jusqu’aux cousins![26]»{23}
D’Agénois, un Caton! C’était un peu excessif. Mais pourquoi ce mouvement d’humeur chez la jeune femme? Toute sa vie, elle fut pour sa tante une nièce respectueuse et même dévouée. Mais il semble qu’elle éprouvât vis-à-vis d’elle une certaine gêne, et même quelque froideur. L’insistance de son mari avait-elle fait ombrage à ses sentiments de délicatesse? Il y eut certainement dans les rapports de la nièce avec la tante un de ces mystères du cœur féminin dont il est souvent impossible de découvrir la clef.
La douairière d’Aiguillon s’était prise d’une tendresse sincère pour sa bru, compagne aimante et fidèle de son fils, qui méritait mieux que les regards distraits et l’affection intermittente de son mari, mais qui avait l’âme assez haute pour ne jamais se plaindre. Et cependant Mᵐᵉ d’Aiguillon avait pénétré les secrètes douleurs de Mᵐᵉ d’Agénois. Elle ne l’en aima que plus tendrement, la consolant sans en avoir reçu les confidences, la réconfortant toutefois, si elle voyait fléchir une énergie qui n’accusait personne de son découragement.
—Eh! si la vie est sans attrait pour vous, lui écrivait-elle[27], pour qui peut-elle avoir des charmes?
Ce billet date de 1760. Et nous connaîtrons bientôt la cause probable de cette tendance à la mélancolie que ne laisse certes pas supposer la correspondance adressée au chevalier de Balleroy.
D’autre part, les Mémoires de Luynes nous disent assez avec quelle ardeur la bonne duchesse, trop heureuse de servir les intentions de la reine, s’employait à la fortune de Mᵐᵉ d’Agénois:{24}
Mai 1744.—«Mᵐᵉ d’Aiguillon sollicitait le maréchal de Richelieu pour que sa belle-fille pût être attachée à la Dauphine; et M. de Richelieu lui répondit en badinant que la nièce de deux ministres n’avait pas besoin de protections.»
Enfin, le 2 mars 1748, la reine obtenait gain de cause et Mᵐᵉ d’Agénois «était présentée comme nouvelle dame du palais».{25}
Les maternités de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Débuts de la guerre de Sept Ans.—Bataille de Saint-Cast en Bretagne.—Félicitations de Mᵐᵉ de Pompadour au vainqueur.—Flirt de la Grande Marquise.—Maussaderie de d’Aiguillon.—Cavendish.—Les «fols de Bretons».—D’Aiguillon eût préféré le Languedoc.—Le commencement des «Affaires de Bretagne».
Le duc d’Agénois, ce bourreau des cœurs, trompait ouvertement et copieusement sa femme; mais, à l’exemple de la plupart des grands seigneurs du XVIIIᵉ siècle, il estimait qu’il devait à son nom et à la conservation de sa race, de ne pas oublier, quand l’occasion s’en présentait, qu’il existait encore de par le monde une duchesse d’Agénois. D’où les six maternités qu’eut à subir Louise-Félicité, pendant une période de vingt années (1746-1765); nous disons subir, parce qu’elle eut encore ce trait commun de ressemblance avec sa mère, qu’elle passa par des couches particulièrement laborieuses qui mirent ses jours en péril. La naissance de son premier enfant, une fille, Armande-Félicité, qui devait mourir en 1751, avait provoqué une certaine émotion dans le monde médical; et ce ne fut pas la dernière. L’accouchement était difficile, et Pérat, l’opérateur, avait fait venir un chirurgien célèbre, Pujos, qui, contrairement à l’avis de son confrère, avait réussi à délivrer la patiente par l’applica{26}tion du forceps. Or, les ennemis de Pérat prétendirent qu’en raison de son âge, le bonhomme n’avait plus ni la tête, ni la force voulue pour continuer son service à la Cour, d’autant qu’il était désigné pour accoucher la Dauphine. Et Pérat, un très honnête homme, à qui la dévotion donnait des scrupules, écrivit à Bouillon, Helvétius et La Peyronie, médecins et chirurgiens du roi, pour décliner la mission qui lui était confiée. Il avouait humblement qu’il «s’était trompé à la couche de la duchesse d’Agénois». Mais on ne voulut pas tenir compte à la Cour de cette résignation si touchante, et on le maintint dans ses fonctions[28].
La duchesse d’Agénois s’était rétablie, non sans peine, d’une telle alerte, lorsqu’on apprit, dans les premiers mois de 1747, sa nouvelle grossesse: «L’état où elle avait été à sa dernière couche, écrit le duc de Luynes, faisait beaucoup craindre pour celle-ci[29], d’autant plus que Mᵐᵉ de Plélo, sa mère, était toujours fort mal en accouchante.» On en fut quitte cette fois pour la peur, et, le 20 décembre, Mᵐᵉ d’Agénois donnait facilement naissance à une seconde fille[30],{27} Innocente-Aglaë, qui devait être un jour la marquise de Chabrillan.
Cependant, le jeune duc, après avoir guerroyé fort honorablement à l’étranger, était rentré en France, dans le courant de février 1749; et, devenu duc d’Aiguillon par la mort de son père, en 1750, avait été nommé successivement lieutenant général au comté Nantais, et commandant en chef de Bretagne—province dont M. de Penthièvre était le gouverneur.
De cette époque date l’ascension[31], lente, mais sûre, aux premières dignités de l’État, de cet homme que la tourbe de ses ennemis, grossissant à mesure qu’il s’élevait, nommait un «courtisan noir et profond».
La cause déterminante d’une faveur, si jalousée, fut le rôle décisif joué par d’Aiguillon, en Bretagne, au commencement de cette guerre de Sept Ans, dont l’issue devait être désastreuse pour la fortune et l’honneur de la France. Et, ici encore, le cœur de la jeune duchesse eut peut-être à souffrir d’une profonde et{28} cuisante blessure. Car, si le triomphe du nouveau commandant de Bretagne sur les armes anglaises fut mis à cette époque en pleine et belle lumière, ce fut grâce à la marquise de Pompadour qui s’était prise d’un vif et tendre enthousiasme pour le vainqueur.
Est-ce l’explication de la lettre, datée de 1760, où la jeune duchesse confiait à sa belle-mère que «la vie était pour elle sans attrait»?
La suite de ce récit dira si notre hypothèse est fondée, si Mᵐᵉ d’Aiguillon était en droit de reprocher à son mari—et jamais, que nous sachions, le grief n’est sorti de sa bouche—de nouveaux torts et de graves infidélités.
On sait quelle fut une des causes principales de la guerre de Sept Ans[32]: la haine irréductible de Mᵐᵉ de Pompadour contre Frédéric II qui avait cyniquement raillé l’influence de la maîtresse du roi dans les conseils du prince et sa participation aux affaires de l’État. La Grande Marquise voulut prouver à l’insolent monarque qu’il avait deviné juste, en alliant la France à l’Autriche contre la Prusse et l’Angleterre. Ce fut sa guerre à elle; et ce furent ses plus chers favoris, les hommes d’État ou les généraux qui s’employèrent à servir sa cause, c’est-à-dire ses rancunes, pendant cette période de sept années.
L’expédition, dirigée en 1758 par l’Angleterre contre les côtes de France, marqua la première phase des hostilités. Une flotte considérable, qui avait embarqué un corps d’armée de 15.000 hommes, cingla
vers la Normandie et la Bretagne, semant la terreur et la ruine sur son passage. Cherbourg fut détruit et Saint-Malo bombardé: la flotte ennemie menaçait le littoral, du Havre à Brest. Enfin, elle débarqua, sur les Côtes-du-Nord, 13.000 hommes, qui étaient à peine descendus à terre, qu’ils étaient aussitôt attaqués et battus à Saint-Cast[33]. En effet, d’Aiguillon, accouru à leur rencontre, à la tête des miliciens bretons, les avait enveloppés et culbutés, leur avait tué 3.000 hommes et fait 800 prisonniers, au nombre desquels se trouvait lord Cavendish, troisième fils du duc de Devonshire. Le reste avait repris précipitamment la mer, sous la protection de la flotte, qui avait dû assister, impuissante, à ce désastre.
Ce fut par toute la France un cri de triomphe, un élan de reconnaissance pour les vaillants soldats qui avaient si bien défendu le sol de la patrie, pour le chef et pour les officiers qui les avaient si valeureusement conduits à la victoire. Des estampes furent gravées qui représentaient le commandant à Saint-Cast, et des médailles commémoratives de ce haut fait d’armes furent frappées aux frais des Etats de Bretagne; enfin d’Aiguillon recevait de la marquise de Pompadour la lettre suivante:
«C’est avec bien du regret, Monsieur, que je ne vous ai pas dit tout ce que je pensais, avant-hier, sur la gloire dont vous venez de vous couvrir; mais ma tête était si douloureuse que je n’eus de force que pour vous dire un mot.
«Nous avons chanté aujourd’hui votre Te Deum,{30} et je vous assure que ç’a été avec la plus grande satisfaction; j’avais prédit vos succès et, en effet, comment était-il possible qu’avec autant de zèle, d’intelligence, une tête aussi froide et des troupes qui brûlaient, ainsi que leur chef, de venger le roi, vous ne fussiez pas vainqueur? Cela ne se pouvait pas. Un petit billet, que je vous ai écrit avant votre brillante journée, a dû vous faire connaître ma façon de penser pour vous et la justice dont je fais profession. Dites-moi, je vous prie, actuellement, si vous êtes bien fâché contre moi de n’avoir pas cédé à vos instances et aux belles raisons que vous m’avez contées. Elles ne valaient rien dans le temps; et je les trouverais encore plus détestables aujourd’hui. Un autre n’aurait pas fait aussi bien que vous; je serais dans la douleur au lieu d’être dans la joie. Vous seriez perdu et il y aurait bien de quoi. Osez dire maintenant que ma tête ne vaut pas mieux que la vôtre, je vous en défie[34].»
Cette lettre, si affectueuse, vibre en même temps comme une fanfare. Elle célèbre la gloire d’un brillant protégé; mais il s’y mêle des accents de doux reproche. Vraisemblablement, grâce à l’entremise de Richelieu qui avait tant de droits à la bienveillance de la marquise, celle-ci s’était intéressée au nouveau duc d’Aiguillon et l’avait fait nommer au commandement de Bretagne, d’autant que par sa femme, une Plélo, il pouvait y prétendre, sans que cette grâce fût taxée de{31} favoritisme. Mais les Bretons étaient gens peu maniables, têtus et violents: d’Aiguillon ne s’en était que trop aperçu et il est probable qu’avant l’affaire de Saint-Cast il s’était déjà adressé à Mᵐᵉ de Pompadour pour être relevé d’un commandement de gestion si difficile. D’où l’allusion de ton si amical qui perce dans les dernières lignes de la lettre, et le petit air de bravoure qui la termine de si gentille façon.
Cette aimable familiarité se continue dans les billets suivants. La marquise, suivant l’habitude qu’elle a prise avec ses entours, donne à son correspondant un surnom, celui de M. de Cavendish, qui rappelle la capture faite par d’Aiguillon à Saint-Cast. Le billet du 25 septembre 1758 est caractéristique. Elle lutte de délicatesse avec le commandant de Bretagne: celui-ci avait «sollicité des grâces» pour ses compagnons d’armes, le marquis de Balleroy entre autres, qui fut un des héros de la journée. Mais Mᵐᵉ de Pompadour n’entend intervenir que pour d’Aiguillon, qui d’ailleurs sera nommé lieutenant général. Bientôt la conversation tourne au flirt, ainsi qu’on appelle aujourd’hui le galant badinage si prompt, en maintes circonstances, à changer de voie.
«Vous voulez donc, absolument, écrit la marquise, que je compte sur votre cœur, mais vraiment je ne me ferai pas une grande violence pour désirer que vous soyiez capable d’une amitié digne de celle que je suis très disposée à avoir pour vous.»
C’est du Marivaux et du meilleur. Mais, au diapason atteint déjà par le dialogue, ne semble-t-il pas qu’il doive en sortir l’aveu d’un sentiment plus tendre que l’amitié; et n’est-on pas autorisé, de ce fait, à recher{32}cher quelle était et quelle fut par la suite la nature des relations qui s’établirent entre le duc d’Aiguillon et la marquise de Pompadour[35]?
Or, la plus intelligente des maîtresses de Louis XV en fut aussi la moins passionnée. Elle en convenait d’ailleurs elle-même, puisqu’elle disait qu’elle avait un tempérament de «macreuse»[36]. Et quoique en aient prétendu des pamphlétaires, aux gages de rivales plus ou moins agréées, il n’a jamais été prouvé que Mᵐᵉ de Pompadour, pendant son règne, ait honoré tel ou tel de ses faveurs, le maréchal de Richelieu, par exemple, ou même le duc de Choiseul. On a parlé moins encore de M. d’Aiguillon.
Mais si, chez la marquise, les sens étaient en léthargie, le cerveau, par contre, était toujours en ébullition. Elle avait une grande activité d’esprit; elle adorait la politique, qui était alors un jeu d’intrigues, comme les grandes coquettes du théâtre de ce temps se plaisaient aux intrigues qui sont la politique de l’amour. Mᵐᵉ de Pompadour avait de plus infiniment de charme et savait employer le trésor de ses séductions à se constituer une petite cour de fidèles, d’alliés et d’amis, dévoués à sa fortune qui était en même temps la leur. Aussi, dans ses relations avec ceux qu’elle distinguait plus particulièrement, jouait-elle à merveille de ce sentiment qu’un de nos modernes a si{33} bien dénommé amitié amoureuse et qui devait donner aux familiers de la marquise des espérances suivies, hélas! de promptes désillusions.
A notre avis, les lettres ou billets de Mᵐᵉ de Pompadour au duc d’Aiguillon sont écrits sous l’inspiration de l’amitié amoureuse, en cette langue spirituelle, un peu subtile, légèrement maniérée, d’allure indépendante et de ton plaisant, qui caractérise la correspondance de cette femme supérieure.
Mᵐᵉ d’Aiguillon ne s’y trouve pas oubliée: elle reçut même une lettre de la marquise qui la félicitait du succès retentissant de son mari. Mais eut-elle jamais connaissance des missives où l’expression un peu vive de la pensée pouvait lui suggérer de fâcheuses interprétations?
Cependant, tout en échangeant de la quintessence de sentiment avec le vainqueur de Saint-Cast, Mᵐᵉ de Pompadour ne perdait pas de vue la direction d’une guerre dont les résultats, du moins l’espérait-elle, devaient la venger de l’outrage reçu. Et pour mieux y inciter d’Aiguillon, elle le couvrait de fleurs: elle le reconnaissait «citoyen, sujet zélé et éclairé, et une petite tête très bonne dans ce moment, dont elle disait tous les biens du monde parce qu’elle les pensait».
Dans une autre lettre[37], elle le remerciait de «chercher des ressources pour nos affaires». Le premier éditeur de cette correspondance croit voir dans la phrase qui précède (et nous partageons son avis) une allusion aux préparatifs d’une descente en Angleterre,{34} pour laquelle d’Aiguillon réunissait secrètement à Vannes une armée et des moyens de transport. Mais pourquoi faut-il que de tout temps l’argent soit le nerf de la guerre? Et la vindicative marquise de s’écrier douloureusement: «Où trouver les quarante millions?» Le Trésor français n’a que trop connu de telles impossibilités. Néanmoins, à dix mois de là, alors que d’Aiguillon est encore à Vannes (il avait été désigné pour commander l’expédition)[38], Mᵐᵉ de Pompadour lui écrit une lettre des plus réconfortantes. Elle a vu le contrôleur général, Bertin, qui lui a «donné de l’espérance sur notre projet», d’autant que «celui que va exécuter la marine est grand».
Autant de rêves qu’une réalité cruelle se chargea de dissiper. Le projet de descente sur la côte anglaise fut abandonné; et la marine française subit dans cette funeste guerre des échecs dont elle ne put se relever.
Que le duc d’Aiguillon ait été ambitieux et, à ce titre, dépourvu de scrupules, comme d’ailleurs tous les hommes d’Etat soucieux de parvenir, rien n’est moins contestable; mais que, pour donner libre cours à ses aspirations politiques, il ait été précisément choisir la Bretagne comme champ d’expérience, la seule lecture de la correspondance à laquelle nous avons déjà fait divers emprunts, démontrerait, de reste, l’inanité d’une telle hypothèse.{35}
Que de fois, au contraire, d’Aiguillon, parlant du commandement de Bretagne à sa protectrice, dut lui écrire: Détournez de moi ce calice d’amertume! Car Mᵐᵉ de Pompadour ne cesse de le morigéner sur ce chapitre, tout en s’excusant de la liberté grande:
«... J’ai osé vous dire qu’avec les meilleures et les plus grandes qualités vous aviez une petite tête qui s’échauffait vite!... Vous voulez quitter la Bretagne, belle folie qui vous passe par la tête!... Souvenez-vous bien que si vous aviez suivi votre premier mouvement, vous ne seriez pas Cavendish... Ah! fi, je rougis de vous voir moins de courage que moi. Vous avez le désagrément de votre petit commandement et moi ceux de toutes les administrations, puisqu’il n’est point de ministre qui ne vienne me conter ses chagrins![39]»
Les parlements sont en révolte contre l’autorité royale et d’Aiguillon s’en irrite, d’autant que celui de Bretagne lui a déjà donné de la tablature: «Le projet d’arrangement de M. de Choiseul, adopté par le Conseil, écrit la marquise, m’a fait le plus grand plaisir, parce qu’il nous donne le moyen de nous passer de ces indignes citoyens qui abusent des besoins de l’Etat pour faire faire à leur maître des actes de faiblesse. Il ne faut pas songer à quitter pendant la guerre ces fols de Bretons; cherchez cependant qui pourra vous remplacer, je n’ai personne en vue...[40]»
D’Aiguillon devait donc rester à son poste; cette{36} contrainte l’exaspérait et la marquise recevait les éclaboussures de sa méchante humeur. Aussi ne lui épargne-t-elle pas les reproches, mais toujours avec enjouement. Pourquoi «monte-t-il sur ses grands chevaux» pour une inoffensive plaisanterie? Et voudrait-il la «pouiller», comme il l’a fait pour le contrôleur général; mais, qu’il prenne garde; elle n’est pas «si douce» que ce ministre; et «s’ensuivrait que nous nous battrions et que j’aurais peut-être la tête cassée[41]». Son protégé eût échangé volontiers le gouvernement de Bretagne contre celui où se trouvait son domaine patrimonial d’Aiguillon; et cependant, après la mort de son père, il n’avait guère eu à se louer du «corps de ville d’Agen et de Condom» qui, lors de «son entrée dans son fief, s’étaient distingués par leurs mauvaises façons, en voulant lui refuser les mêmes honneurs rendus en 1642, à la duchesse d’Aiguillon, nièce du grand cardinal[42]. Il est vrai que le nouveau duc avait exigé et obtenu ce cérémonial pour contenir les républicains du pays[43]». Mais Mᵐᵉ de Pompadour lui dit positivement de ne pas compter sur le gouvernement de son choix, en lui laissant toutefois cette fiche de consolation: «Il faudra bien vous débarrasser de votre Bretagne, si elle vous chagrine trop».
Elle le chagrinait si bien qu’en 1761 il voulait donner sa démission. Et Mᵐᵉ de Pompadour de l’admo{37}nester vivement, mais comme on gronde un enfant gâté: «L’âme de M. d’Aiguillon doit être au-dessus de pareilles misères et n’avoir pour but que l’utilité dont il peut être à son maître... Je suis fâchée, mais très fâchée contre vous. La petite tête dont je vous parlais, le jour de votre départ, a joué un trop grand rôle... Je ne sais quand je vous pardonnerai: vous mériteriez bien que je ne m’intéresse pas à vous. Bonsoir, Monsieur, rancune tenante, et très fort.[44]»
Et «la rancune» tenait si peu que, quelque temps après, la marquise, sortant d’une de ces poussées de tuberculose qui devait bientôt l’emporter, écrivait gaîment à cet ami naturellement grincheux et maussade: «Réjouissez-vous, monsieur de Cavendish, je ne suis pas morte et (malgré votre méchant petit cœur) je veux me flatter que vous n’en êtes pas fâché...»
Ce qui ressort de ce gracieux caquetage, c’est que d’Aiguillon, à peine arrivé en Bretagne, y jouait déjà le rôle du commandant malgré lui. Par conséquent, les premières années de son principat, si calmes, si belles, si heureuses, dont parlent plusieurs historiens, furent peut-être l’âge d’or pour les Bretons, mais nullement pour leur gouverneur. En effet, ils l’avaient pris en telle affection que les députés des États vinrent, de leur part, solliciter l’honneur—Mᵐᵉ d’Aiguillon se trouvant sur la fin d’une grossesse—de tenir l’enfant, s’il était mâle, sur les fonts baptismaux. Mais l’enfant mourut avant terme. Et les députés recommencèrent leur démarche en 1764, lors d’une{38} nouvelle grossesse de Mᵐᵉ d’Aiguillon: la couche, cette fois, fut heureuse; seulement ce fut une fille, Agathe-Rosalie, le sixième et dernier enfant de la duchesse, qui naquit en 1765 et qui devait mourir en 1770. En somme, la Bretagne avait eu à cœur de donner un témoignage solennel de sa reconnaissance[45] à l’homme qui lui rendait chaque jour de nouveaux services, par son administration éclairée et paternelle, s’efforçant d’importer en France les grains de la province, défrichant les landes, ouvrant des canaux et jusqu’à huit cent lieues de voies de communication, alors qu’à la veille de son avènement, il n’y avait encore qu’une seule route, celle de Rennes à Brest.
Donc la désaffection des Bretons pour leur commandant ne se produisit guère qu’en 1765. Et la tempête qu’elle souleva ne resta pas circonscrite à la province; elle gagna Paris, envahit toute la France et déborda même à l’étranger. On ne parla bientôt plus que des Affaires de Bretagne et pendant combien d’années! Les parlements, les ministres, le roi lui-même furent mêlés à une querelle qu’envenimaient les plus violents factums et les plus mordants pamphlets. Toujours très ardente, au moment où commence la correspondance que nous avons retrouvée de Mᵐᵉ d’Aiguillon, la lutte s’était cependant déplacée et, comme nous l’avons dit, généralisée. La duchesse y soutint énergiquement, d’après les rares témoignages que nous en ont conservés ses contemporains, la cause de{39} son mari. Ses lettres au chevalier de Balleroy le prouvent également, et—particularité qu’il est intéressant de relever—chaque fois qu’elles mettent en cause les Bretons, c’est pour apprécier leur conduite dans les termes mêmes dont s’est servi Mᵐᵉ de Pompadour.
Aujourd’hui encore, les Affaires de Bretagne ont eu le privilège de réveiller des polémiques qui se sont traduites, soit par des thèses ou par des livres spécialement écrits sur ce sujet, soit par des discussions dans divers ouvrages consacrés à d’autres études. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de ce travail; mais d’ores et déjà, nous devons constater qu’à l’encontre des Correspondances et Mémoires contemporains, presque unanimes à flétrir d’Aiguillon des termes les plus ignominieux, un certain nombre de nos publicistes modernes ont entrepris, et non sans succès, la réhabilitation de ce grand coupable qui, pour être désagréable et antipathique au premier chef, n’en fut pas moins un fonctionnaire intègre et pénétré de son devoir.{40}
Privilèges et résistances des Bretons.—Premières escarmouches.—Griefs réciproques de d’Aiguillon et de La Chalotais.—Attaques du Parlement.—D’Aiguillon dissout les États.—La duchesse est son auxiliaire le plus dévoué.—Un impair de la Noue.—D’Aiguillon se dit de plus en plus dégoûté de sa tâche: il part pour Veretz.—Beautés de cette résidence seigneuriale.—L’amour de la retraite chez le duc d’Aiguillon et chez la marquise de Pompadour.—Vie de château.—La science économique de la duchesse.—Une histoire de chiens: Balleroy grand veneur.
Le premier grief de d’Aiguillon contre ces Bretons, alors si contents de lui, grief que l’on perçoit entre les lignes de la correspondance de Mᵐᵉ de Pompadour, ce fut la résistance opiniâtre de ses administrés aux impôts, chaque jour plus nombreux et plus lourds qu’il en réclamait, de la part d’un gouvernement prodigue, dissipateur, partant toujours besogneux.
Depuis la réunion de la Bretagne à la Couronne de France, cette province dont une administration habile et sage s’était efforcée de gagner et de conserver le cœur, jouissait de privilèges séculaires. Pour prendre un exemple, elle n’avait à payer que le minimum de taille par tête, alors que, dans d’autres pays, la capitation s’élevait au double. Mais les besoins du Trésor augmentant, les gouverneurs de Bretagne durent demander aux États des suppléments de ressources qui{41} étaient régulièrement et catégoriquement repoussés. Il suffit de parcourir les lettres de Mᵐᵉ de Sévigné, soit aux Rochers, soit à Vitré, soit à Rennes, pour constater les luttes formidables et parfois sanglantes que soutint, à ce sujet, le duc de Chaulnes, représentant fastueux d’un roi qui n’était économe, ni du sang, ni de l’or de son peuple.
D’Aiguillon, qui devait occuper le poste et exercer les fonctions de gouverneur, avec le titre de lieutenant général de Bretagne (1ᵉʳ janvier 1762)[46] joua tout d’abord son rôle avec autant de modération que de fermeté[47]. Car si, dans le Conseil du roi, il combattait l’aggravation des charges imposées aux contribuables, il lui fallait encore combattre, pour faire accepter des États celles qu’il n’avait pu leur éviter.
Néanmoins, les Bretons ne lui en gardaient pas rigueur; et, d’autre part, son zèle avait été apprécié à la Cour, puisqu’en 1762 il avait pu obtenir, favorisé évidemment par la protection de la marquise, «ses entrées à la Chambre» et sa nomination de Gouverneur en second, le duc de Penthièvre restant toujours gouverneur titulaire de la province.
Il n’en persistait pas moins à réclamer son changement de poste; et le motif, suffisamment avouable, qu’il alléguait à l’appui de sa demande, c’était qu’il était «écrasé par les frais de représentation». Le Contrôleur général, qui s’était définitivement brouillé{42} avec lui, malgré l’obligeante intervention de la Pompadour, disait, avec sa brusquerie ordinaire, au prince de Croÿ, candidat, en 1763, à cette succession éventuelle, qu’il doutait fort de la gêne du plaignant, attendu «que celui-ci portait tout sur ses états de dépense jusqu’à une chaise»; et le contrôleur général en concluait que le duc d’Aiguillon aspirait, au contraire, à retourner dans son gouvernement de Bretagne[48].
Il y retourna; mais de nouveaux tracas l’y attendaient. La reine avait écrit à Mᵐᵉ d’Aiguillon que son mari profitât de la tenue des États pour protester contre les arrêts du Parlement et provoquer le rappel des Jésuites; de son côté, le Dauphin, qui protégeait d’Aiguillon, insistait auprès de lui pour qu’il s’opposât à la ruine des maisons de la Société en Bretagne[49]. Et déjà le bruit courait dans la province que le commandant prenait fait et cause pour les Jésuites. D’Aiguillon, énervé, en écrivit à son oncle Saint-Florentin qui lui répondit immédiatement d’observer la plus stricte neutralité[50].
Le Parlement de Rennes avait alors, comme procureur général parmi les gens du roi, un homme d’une parfaite honnêteté mais de caractère entier, autoritaire, emporté, orgueilleux, janséniste convaincu, à l’égal de presque tous les parlementaires et prévenu jusqu’à la haine contre le duc d’Aiguillon: Caradeuc{43} de la Chalotais. Voici, au dire d’un historien[51], l’origine d’une telle animosité. Dans sa morgue d’homme d’épée, le commandant de Bretagne s’était amusé aux dépens de la vanité du robin: il prétendait que celui-ci ou l’un de ses ascendants avait transformé, dans un tableau de famille, la toque et la toge d’un échevin en casque et en cuirasse de chevalier. La Chalotais rendit coup pour coup au mauvais plaisant qui l’avait ainsi drapé.
Il rappela malicieusement que le vainqueur de Saint-Cast s’était abrité, pendant une bonne partie de l’action (ce qui était inexact), dans un moulin, comme pour diriger de cet observatoire les opérations militaires; cette attitude lui avait inspiré une épigramme que les Mémoires de Bachaumont publièrent sous cette forme:
Ce fut à cette époque (1764), qu’à la suite de conférences tenues chez Mᵐᵉ de Pompadour, entre La Chalotais et Choiseul, s’organisa, s’il faut en croire Soulavie[53], une entente de ces trois personnages pour{44} perdre le duc d’Aiguillon. Ce coup de théâtre est inexplicable et invraisemblable, surtout en ce qui concerne Mᵐᵉ de Pompadour. Quelle faute, ou plutôt quel crime avait donc commis le favori de la maîtresse du roi, pour que celle-ci cherchât à l’abaisser autant qu’elle l’avait élevé? Serait-ce qu’elle eût ajouté foi aux bruits de Cour qui faisaient du gouverneur de Bretagne l’allié de ces jésuites qu’elle avait proscrits, et surtout le confident du Dauphin de qui elle avait reçu le plus outrageant des surnoms? Toutefois, malgré le peu de créance qu’on accorde aux assertions de Soulavie[54], et bien qu’on assigne à la rivalité de Choiseul et d’Aiguillon une date postérieure, nombre d’historiens admettent l’existence de ce pacte et en considèrent la mise à exécution comme le point de départ des Affaires de Bretagne.
Ce qui est indiscutable, c’est qu’en 1765 le Parlement partit en guerre contre d’Aiguillon, l’accusant d’abus de pouvoir, de tyrannie, d’exactions, méconnaissant ainsi les ordres du Roi, feignant même de les ignorer, pour s’en tenir à la seule responsabilité du sous-gouverneur, qu’avait mise en jeu, et dans les termes les plus véhéments, le procureur général La Chalotais.
Encore aux yeux du chevalier de Fontette, grand ami de M. d’Aiguillon, La Chalotais n’est-il pas le vrai coupable, mais son intime Kerguézec, dont «les intrigues ont mis toute la province en combustion»[55].{45}
Or, le duc qui n’entendait pas être sacrifié, comme l’avaient été certains de ses collègues dans leur lutte contre les parlements provinciaux, se défendit énergiquement et fit dissoudre les États[56]. Pendant la lutte, il avait trouvé, combattant à ses côtés, le plus infatigable et le plus dévoué des auxiliaires dans la personne de la duchesse «qui aimait son mari et qui poussait plus loin que lui le désir de tirer une vengeance éclatante de la vilaine conduite du Parlement envers lui»[57]. En raison de son origine bretonne, elle parcourait le pays pour y chercher des armes contre les adversaires de son mari. Ce fut ainsi qu’elle fit demander, de très bonne foi, à M. de Robien, l’ennemi des Caradeuc de La Chalotais (le père et le fils détenus étaient sous le coup d’un procès criminel) les preuves de culpabilité qu’il pouvait produire, au cours de l’instance, contre les accusés. Robien ne connaissait rien à leur charge: il le dit. La Noue, l’agent trop zélé de la duchesse, n’inscrivit pas moins Robien sur la liste des témoins appelés à déposer contre les La Chalotais. Or le témoin... malgré lui vint trouver, tout estomaqué, Mᵐᵉ d’Aiguillon qui le pria simplement de «ne pas se faire le chevalier de ces Messieurs». Mais le duc, à qui La Noue envoya sa fameuse liste à Bagnères où il était en traitement, se fâcha de ce qu’il appelait «une bêtise et une platitude» et refusa de s’en servir[58].
L’anecdote tendrait à démontrer la sincérité des{46} dénégations qu’avait opposées d’Aiguillon à la déclaration du Parlement de Bretagne qui le représentait comme l’auteur de la poursuite criminelle dirigée contre La Chalotais[59].
Le duc, rentré à Paris, dans le courant de mars 1765, après la dissolution des États, avait rencontré Croÿ et lui avait annoncé l’apaisement des Bretons. Il comptait bien achever «les Grands Chemins» de la province, mais il paraissait profondément dégoûté, comme du reste presque tous ses collaborateurs[60], de la tâche ingrate à laquelle l’avait trop longtemps rivé le despotisme d’une jolie femme.
En attendant de nouvelles luttes, il allait se refaire et goûter, dans sa magnifique résidence de Veretz, les douceurs d’un repos bien mérité—si toutefois on peut donner le nom de repos à cette vie de plaisirs et de fêtes, agitée, tumultueuse, turbulente que menaient alors les grands seigneurs en leurs maisons des champs.
*
* *
Par un de ces contrastes qui n’attestent que trop la vanité des choses humaines, il ne reste rien ou presque rien de l’œuvre lapidaire créée par le grand ministre à qui la France doit l’achèvement de son indestructible unité.
N’était le Palais-Royal—et encore combien semblerait-il méconnaissable à Richelieu si cette ombre illustre revenait jamais errer dans son ancien jardin!—tous les
bâtiments, constructions et travaux entrepris par le ministre de Louis XIII n’existent plus, à l’heure présente, qu’à l’état de vestiges. Richelieu, ce château grandiose, édifié si amoureusement en quelque sorte par le cardinal dans le bourg qui rappelle son nom, n’est plus qu’une ruine. A Ruel, on a peine à trouver les traces du superbe manoir, dont Richelieu avait fait sa maison de campagne. Brouage, qui, dans la pensée du premier ministre, devait anéantir la fortune commerciale et politique de La Rochelle, n’est plus aujourd’hui, dans l’enceinte de ses fortifications délaissées, qu’un misérable village de pêcheurs, et son port un marais fangeux.
La même fatalité s’est acharnée après les domaines des petits-neveux du cardinal, qu’ils fussent Richelieu ou d’Aiguillon.
Veretz a même complètement disparu comme château et presque entièrement comme propriété. Sans les jolies gouaches de Vanblarenberghe[61] qui datent de 1771 et se trouvent actuellement à la préfecture d’Agen, on n’aurait plus aujourd’hui le moindre aspect de l’antique demeure des De La Barre[62], édifiée au commencement de la Renaissance et transformée, dans le cours des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, par les La Porte et les d’Aiguillon.
Arrière-petit-neveu de Richelieu par son père, et de Mazarin par sa mère Marie-Charlotte de la Porte de la Meilleraye, le duc d’Aiguillon, qui mourut en 1750,{48} avait fait un «Versailles en miniature»—un mot du temps—de cette propriété campée sur un coteau dominant le Cher, aux portes de Veretz, petite ville à deux lieues de Tours. C’était, disent les biographes, «un rendez-vous de lettrés et d’artistes»; mais la chronique scandaleuse ajoute: un cabaret élégant s’ouvrant, dans un site admirable, sur de voluptueux boudoirs, où le maître composa (et ce fut son seul titre de gloire) le recueil de Veretz, qui n’est pas précisément un recueil de morale, en compagnie de l’abbé de Grécourt et de Louise Elisabeth de Condé, princesse de Conti. Au reste, tous les embellissements apportés par le duc d’Aiguillon aux constructions et au parc de Veretz, étaient autant de témoignages d’une affection aussi tendre que respectueuse à l’adresse de cette grande dame, qui était une protectrice, et mieux peut-être pour le châtelain, s’il faut en croire les mauvaises langues du temps[63].
Nous ne connaissons qu’une seule description de ce beau domaine[64]: elle remonte à 1736, et, sous forme d’une «lettre à M. D...», s’étend, avec une abondante complaisance, rehaussée d’allégories mythologiques, sur toutes les merveilles réunies dans ce ravissant séjour, pour la plus grande satisfaction de «la Déesse»; ce qui, par parenthèse, ne l’était guère pour celle de la bonne «grosse duchesse».{49}
Le château, féodal par ses deux tours massives, dans la partie qui regardait le plateau, tout à fait moderne, avec son vaste corps de logis que flanquaient deux pavillons carrés faisant face au vallon et à la rivière, accédait, en pente douce, jusqu’au Cher, par un quai large de 8 toises et long de plus de 100, dans l’encadrement vert et fleuri d’un parterre à jets d’eau.
Dans l’épaisseur du mur de la construction principale, se dressait, comme pour faire un grandiose accueil au visiteur, qui entrait par la cour d’honneur, la statue équestre de François Iᵉʳ, toute bardée de fer, dont la dorure avait résisté aux injures du temps. L’effigie du roi-chevalier, celle des salamandres qui couraient sur la façade du château, en indiquaient, de reste, la date et les origines. Mais les hautes et larges croisées qui laissaient passer à flots l’air et la lumière dans les bâtiments, les balcons ajourés qui les décoraient, et mieux encore la disposition élégante d’appartements spacieux et commodes disait assez que le grand style du XVIIᵉ siècle et la grâce du XVIIIᵉ avaient contribué à faire du château de Veretz une des plus belles résidences du «beau pays de la Touraine».
C’était surtout dans l’appartement du premier étage, réservé à la princesse de Conti, que les embellissements, réalisés par le duc d’Aiguillon, avaient multiplié des créations d’un goût raffiné. Le grand salon, éclairé par quatre fenêtres très élevées sur des balcons à courbes artistiques; les boudoirs délicieusement meublés de bergères, de guéridons, de consoles délicatement ouvrés; la bibliothèque et le cabinet de travail étaient ornés de glaces d’une pureté impeccable,{50} hautes de six pieds sur quatre de large, reflétant, à l’infini, les soirs de réception, le blanc et doux éclat des lustres de cristal.
Une partie des pièces donnait sur le parc, dont les vues, très variées, étaient un des plus grands attraits de Veretz et en constituaient, aux yeux de la princesse, le véritable charme. Dans cette enceinte immense, où des prairies, que traversait une superbe avenue, étaient également coupées de bouquets d’arbres et de ruisseaux, le terrain montait jusqu’au sommet du coteau, pour y former une terrasse, jadis chantée par les poètes et célébrée par Mᵐᵉ de Sévigné. Cette merveille de la nature, qu’avait embellie encore la main de l’homme, ne comptait pas moins de 1.600 pieds de long sur 45 de large. Elle atteignait, sur certains points, une hauteur de 80 pieds, et se fermait, dans toute sa longueur, d’une balustrade en pierre de taille à hauteur d’appui; la roche opposée disparaissait sous une odorante tapisserie de roses, de chèvrefeuille et de jasmin. Une autre terrasse, de plain-pied avec le bois et le reste du parc, venait croiser la première, pour aboutir avec elle à un belvédère dominant tout le paysage.
Comme si cette grandiose simplicité n’eût pas été une beauté suffisante, d’Aiguillon lui avait prodigué tous les ornements d’une architecture à la fois savante et gracieuse; à l’extrémité de la grande terrasse, en face du belvédère, la statue d’Esculape; au milieu de la balustrade un balcon en saillie et vis-à-vis un escalier accédant de la première à la seconde terrasse; sur les degrés des statues et des urnes, le long des pilastres de riches motifs d’architecture; contre le{51} balcon central un salon élégamment décoré. Plus loin se dressait avec son «toit en impériale» un pavillon, s’ouvrant du côté de la rivière, dans lequel pouvaient s’asseoir vingt-cinq personnes; en dessous, un salon voûté, qui prenait vue sur le vallon et qui offrait au visiteur, lassé par la fatigue et la chaleur, la fraîcheur d’un agréable repos.
C’était à l’intersection de la seconde terrasse par la première, sur le prolongement du vallon, et près d’un petit belvédère ménageant à la vue un horizon de plusieurs lieues, que la princesse de Conti s’était fait aménager le «petit ermitage», où elle se confinait volontiers. Les pièces en étaient de moyenne grandeur mais délicieusement ornées, les murs revêtus de carreaux de faïence qui formaient les plus jolis dessins du monde. Cette galante retraite, entourée de bosquets, s’étendait par une suite de parterres, qui s’encadraient d’arceaux de jasmin, jusqu’à la grande allée descendant vers la rivière. Une glacière se trouvait dans les environs; et l’inspiration d’un aimable poète, qui sait? peut-être de Grécourt? lui avait fait graver cette inscription:
On a souvent prétendu que le XVIIIᵉ siècle, partagé entre les conceptions d’une audacieuse philosophie, le goût très prononcé des voluptés terrestres et le culte d’un pastoralisme aussi mièvre qu’il était faux, n’a jamais eu le sentiment bien net des beautés réelles de{52} la nature, à ce point qu’il admira toujours moins, dans Jean-Jacques, leur prestigieux évocateur que le déclamateur maladif des plus malsains paradoxes.
Eh bien! il est facile de se convaincre par la lecture de la relation à laquelle nous empruntons ses principales lignes, que le metteur en scène des sites de Veretz, et l’écrivain, qui en trace la description, avaient la vision exacte de ces incomparables paysages. Sans doute, notre narrateur s’attendrit à l’aspect des brebis et des agneaux bondissant dans les grasses prairies, du fier taureau et des vaches «tigrées blanc et noir», couchées au milieu des herbages; il note les cascades, les digues et les moulins, il croque les honnêtes villageois qui peuplent ces riches vallées; mais il admire, avec une émotion qui n’est pas factice, cette vue du fleuve et des prairies jusqu’à Tours, embrassant une partie de la ville, l’abbaye de Marmoutier et la ligne sinueuse des coteaux de la Loire. Au Nord, c’est la plaine entre le Cher et la Loire avec la «maison» historique des La Bourdaisière, et courant aux pieds du château de Veretz les eaux vives et transparentes de la rivière, que divisent, sans les ralentir, les deux îles où le narrateur relevait tous les... accessoires de son tableau champêtre.
Et, comme s’il éprouvait quelque regret de s’être attardé à un aussi beau spectacle, il termine, après avoir visité la «ménagerie» où il compte les paons et les pintades, sur la description de la fête donnée par le duc d’Aiguillon à Mᵐᵉ de Conti (l’abbesse). Que de splendeurs! le noble châtelain avait «illuminé tout le parc avec quatre mille lampions!»[65].{53}
*
* *
Après la mort de ce père prodigue, sa femme, la bonne duchesse, ayant conservé comme habitation Ruel, ancienne propriété du cardinal, le duc d’Agénois, devenu duc d’Aiguillon, avait, comme bien on pense, préféré à sa gentilhommière du Midi, la somptueuse demeure de Veretz.
Le pays était à mi-chemin de Rennes et de Versailles; et, depuis plusieurs années déjà, le gouverneur de Bretagne y venait passer l’été au milieu de réceptions et de fêtes, qui apportaient un puissant dérivatif à ses soucis d’homme d’État. Mais comme il savait dissimuler son ambition sous un détachement affecté des vanités terrestres! Mᵐᵉ de Pompadour était seule capable de lui donner à cet égard la réplique. En 1760, alors que, dans une de ces heures de découragement, qui lui avaient déjà valu de si tendres reproches, il avait sans doute exprimé à sa correspondante son intention de finir ses jours dans la retraite, la marquise lui avait répondu, le 28 juin:
«Tout ce que vous me dites des âmes de Bretons n’est rien en comparaison des âmes de ce pays-ci; et je pense absolument pour Ménars, comme vous pour Verest... Quoique je ne me propose pas de vivre avec mon voisinage, vous serez excepté de la loi générale. Vous voyez que je ne vous cède en rien pour l’horreur du monde...»
Mᵐᵉ de Pompadour n’alla guère à son château de Ménars.{54}
Quant à cet autre amant de la solitude, il ne la comprenait que peuplée de ses familiers, de ses amis, de sa petite cour.
En 1765[66] et en 1766[67], il mena grand train et joyeuse vie à Veretz, surtout en 1766; il ne pensait qu’aux prochaines noces de sa fille avec M. de Chabrillan. C’était, chaque jour, fête nouvelle et réjouissances de toute sorte, en compagnie de ses fidèles et féaux de la Châtre, de Broc, de Balleroy, de la Noue, etc.
Et Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui avait révélé, depuis longtemps déjà, des talents d’organisation et d’administration de premier ordre, faisait les honneurs de Veretz, avec ce tact de la femme intelligente qui ne veut paraître que l’auxiliaire de son mari, avec l’attention délicate de la maîtresse de maison qui tient à prévenir le moindre désir de ses hôtes.
Elle est en quelque sorte la surintendante du château. Elle en ordonne les réparations et les aménagements. Elle surveille les plantations et reçoit les fermiers. Mais c’est elle aussi qui s’occupe des pièces qui seront jouées au château, des décors, des costumes, des partitions. Elle pense aux livres et aux gazettes. Il n’est pas jusqu’à la chasse qui ne soit de son département. En 1768, avant que la vie de château ne soit commencée, elle écrit de Paris, le 16 août, au chevalier de Balleroy, toujours empressé à la servir, d’autant qu’il y trouve son intérêt, comme elle le laisse finement entendre à ce grand chasseur devant l’Eternel:{55}
«... Je vous réponds courrier par courrier; mais c’est qu’il est question d’une grande nouvelle, d’une chienne de nouvelle, d’une nouvelle de chiens, oui de chiens, très fort de chiens, puisque c’est de ces fameux chiens que Milord Ken fait venir à Veretz. On a avis qu’ils sont arrivés à Nantes, non en quatre bateaux, mais dans un seul vaisseau et qu’ils étaient accompagnés de plusieurs autres, mais ce qui est fâcheux, c’est qu’on les avait adressés au bonhomme Laker, à qui M. d’Aiguillon avait oublié d’en faire donner avis, qui a été très étonné de voir arriver chez lui 18 chiens et 1 conducteur, lesquelles 19 créatures ne disent pas un mot de français, et ledit Laker pas un mot d’anglais. Cela fait que, très poliment, il a mis tout cela à la porte; et il faut que vous, qui êtes le grand veneur, vous vous mettiez à la poursuite de mes dits chiens et de leur gouverneur, et que vous donniez ordre pour faire embarquer tout cela sur la Loire, pour se rendre à Veretz.»{56}
Le cure-dents de La Chalotais.—Le «bailliage d’Aiguillon».—Un échafaud fantastique.—Le Gouvernement ne veut pas rappeler d’Aiguillon.—Ours et Bretons.—Le Nouveau Parlement et les Etats de 1767.—Les trois duchesses.—La politique du Gouvernement et celle de d’Aiguillon.—Le roi et la duchesse d’Aiguillon chez la reine.—«Vous vous êtes conduit comme un ange!»
Le 11 novembre 1765[68], La Chalotais avait été arrêté avec son fils, sur la dénonciation de Saint-Florentin et de Calonne, maître des requêtes, qui lui reprochaient, tous deux, entre autres griefs, d’avoir écrit des lettres anonymes[69] peu respectueuses pour le roi. Toujours avec son fils, La Chalotais fut enfermé dans une tour de Saint-Malo, où «son cure-dent, écrit Voltaire, grave pour l’immortalité sur les murs de son cachot[70]».{57}
D’autre part, d’Aiguillon s’était rendu de Bagnères à Fontainebleau[71], où séjournait alors la Cour, pour soumettre à Louis XV un projet de reconstitution du Parlement de Bretagne, avec les débris de l’ancien. Le roi y consentit, mais réduisit le nouveau à soixante charges. Or le gouverneur ne parvint que très péniblement à les remplir[72]. Fort peu de conseillers étaient restés ses partisans; et ce que ses adversaires appelaient, non sans dédain, le Bailliage d’Aiguillon, ne fut constitué que le 16 janvier 1766.
Siégeant à Rennes, le nouveau Parlement dut juger les prisonniers, dont la Chambre royale de Saint-Malo avait déjà commencé le procès.
Au dire de Soulavie, ce fut, pendant les deux premiers mois, une entente cordiale. Les magistrats ne pouvaient évidemment oublier qu’ils étaient les créatures du commandant: et, d’autre part, leur était-il facile de se soustraire à la pression de l’opinion publique favorable aux accusés? Toujours est-il que, le 3 mars, «de concert avec le premier président, le futur chancelier Maupeou», d’Aiguillon «faisait parler le roi en souverain[73]». La duchesse dut en être charmée; car—nous le verrons plus tard—elle tient pour le principe d’autorité, en un temps où le monarque, très soucieux cependant de son pouvoir absolu, semblait le compromettre par son indolence{58} et son apathie. A l’encontre de son aïeul Louis XIV, il fuyait le tracas des affaires et laissait à ses ministres tout le poids des responsabilités.
L’année avait donc commencé, au Parlement de Bretagne, sous les plus favorables auspices. Le gouverneur venait à bout de toutes les difficultés; et, pour un peu, Soulavie proclamerait le duc d’Aiguillon «un génie». Mais, comme il arrivait si souvent à cette époque, les passions religieuses donnèrent à une affaire purement administrative une orientation toute politique. Les Bretons prenaient chaque jour plus à cœur la cause de La Chalotais qui était, nous l’avons dit, un janséniste renforcé. On vit dans les persécutions[74], réelles ou fausses, dont souffraient les captifs, une revanche des Jésuites chassés de France. Il faut reconnaître aussi que l’instruction avait commis maladresses sur maladresses. On avait éventré les bureaux du père et du fils pour y trouver des preuves de leur félonie. Et le rapporteur Le Noir[75], aussi bien que l’accusateur Calonne, avait fait du récit de ces perquisitions un pur «amphigouri[76]».
Il n’en fallut pas tant pour présenter les La Chalotais comme des martyrs: ils subissaient la plus étroite captivité[77] et les plus perfides interrogatoires. On affirma même, très sérieusement, que, pendant une{59} nuit, on avait dressé un échafaud pour les exécuter dans l’intérieur de la prison; on avait vu entrer les planches et les madriers: on avait entendu les coups de marteau qui les assemblaient. Et, naturellement, les condamnés étaient innocents. C’était d’Aiguillon qui avait fabriqué les lettres anonymes. L’indignation fut générale; et le Parlement de Paris lui-même en murmura.
«La seule affaire dont on parlât, dit le prince de Croÿ dans son Journal (1766), c’était la suite du procès criminel de MM. de La Chalotais où M. d’Aiguillon paraissait avoir le dessous.»
Or, toutes ces nouvelles n’étaient, en majeure partie, que des racontars, ou, si l’on préfère cette autre expression empruntée au même vocabulaire, un bluff politique imaginé pour impressionner les masses. Ce sinistre convoi de planches, entré nuitamment dans la tour, pour y être affecté à une destination plus sinistre encore, était le matériel d’une équipe d’ouvriers qu’appelaient des réparations urgentes. On avait imprimé que le ministre de la marine, Praslin, cousin de Choiseul, avait expédié en toute hâte un courrier pour empêcher l’exécution. Cette fable avait été imaginée, afin d’«en jeter l’odieux sur d’Aiguillon, qui n’avait pas plus influé dans l’affaire de M. de la Chalotais que le roi de Prusse[78]».
Choiseul, lui-même, à qui les pamphlétaires attribuaient également l’expédition mise au compte de Praslin, protestait contre une telle invention, dans une lettre qu’il adressait, le 27 mai 1770, au duc{60} d’Aiguillon: «Rien n’est si faux, si criminel et si bête que l’assertion de l’envoi d’un courrier de ma part, pour empêcher une exécution quelconque, en Bretagne[79]».
Entre temps, la reconstitution du Parlement de Bretagne, qui s’opérait si péniblement, quoiqu’en dise l’enthousiaste Soulavie, n’en restait pas moins une source très vive de griefs toujours renaissants contre le gouverneur, que l’opinion rendait responsable de l’ordonnance royale. Lui, d’Aiguillon, qui voyait l’orage s’amonceler sur sa tête, reprenait son éternelle antienne: il demandait, une fois de plus, les 11 et 16 février, à quitter la Bretagne[80]. Vainement, il avait déconseillé une procédure qui pouvait mettre en péril le prestige du pouvoir central et la tranquillité de la province; le ministre, indécis, irrésolu, s’arrêtait aux mesures les plus violentes, pour désavouer presque aussitôt ses agents, en prêtant l’oreille aux intrigues de Cour. Pas plus qu’il n’avait adhéré à la politique de sage et ferme modération préconisée par d’Aiguillon, il n’eut égard à sa demande de rappel.
Le roi ne voulut pas en entendre parler: il fut convenu, cependant, que d’Aiguillon ne «tiendrait pas les Etats» à la fin de l’année. Déjà, le 26 février, Saint-Florentin lui avait écrit[81]: «Il n’y a que votre{61} présence à Rennes qui puisse maintenir le zèle des bons serviteurs du roi.»
Et puis Choiseul, alors grand favori de Louis XV, «cherchait à tenir éloigné, et en Bretagne, le duc d’Aiguillon, celui de ses ennemis qu’il craignait le plus[82]». Aussi avait-il su gré au prince de Croÿ d’avoir suivi ses conseils, en cessant de prétendre à la succession d’un gouverneur qui voulait toujours s’en aller. Mais, ajoute le mémorialiste, «le duc d’Aiguillon en fit tant qu’il fallut le rappeler (1766)». La phrase est ambiguë: elle semble laisser entendre que le fonctionnaire commit de tels excès de pouvoir qu’on dût en débarrasser le pays.
Ce qui est certain, c’est que les attaques redoublaient contre le despote, le «Bacha», comme l’appellera plus tard Mᵐᵉ Du Deffand. Choiseul, qui, en 1765, opinait pour «l’extrême rigueur», affirme d’Aiguillon, mais à la condition que celui-ci la conseillât d’abord,—tactique devant inévitablement servir à le discréditer davantage—Choiseul, en bon ami des philosophes, penchait secrètement pour les prisonniers de Saint-Malo. Il le prouva, du reste, par une manœuvre, que les ennemis de d’Aiguillon purent croire dirigée contre un homme, qu’on supposait acharné à la perte des détenus.
Ceux-ci furent, en effet, transférés de Rennes, où ils étaient incarcérés depuis le Iᵉʳ août, au château de la Bastille. Puis, en novembre, Louis XV, évoquant l’affaire à son conseil, s’y faisait rendre compte de la procédure, et, pour en finir, exilait, le 20 décembre, à Saintes les La Chalotais.{62}
Au reste, leur procès ne fut jamais jugé; mais, déjà, en 1767, les violences du procureur général l’avaient singulièrement diminué auprès du grand public: car il faut reconnaître que ce «patriote» qui, du fond de son noir cachot, acceptait, de Saint-Florentin, la permission d’assister au mariage de sa fille, n’avait, ni épargné les sarcasmes, ni ménagé les injures aux «gens du roi» et au nouveau Parlement, qu’il prétendait vendus à la Cour et au duc d’Aiguillon, son ennemi personnel. C’était ainsi qu’il considérait le commandant de Bretagne, bien que celui-ci eût plutôt prêché l’indulgence et «voulu qu’on épuisât tous les moyens de justification de la Chalotais[83]». Car, aux yeux des juges, les fameux billets anonymes, dont l’origine restait mystérieuse, ne pouvaient plus avoir qu’une importance secondaire: mais, ce qui était d’ordre supérieur et de vérité indiscutable dans ce procès essentiellement politique, c’est qu’un agent du pouvoir avait résisté aux injonctions du roi et méconnu les ordres du gouvernement, prévariqué, en un mot, pour seconder les vues d’une aristocratie turbulente et rebelle, décidée à frapper d’impuissance l’autorité royale, sous le prétexte spécieux, perpétuellement invoqué, que la «religion du prince» avait été surprise par le ministre.
Mais alors que La Chalotais disparaissait en quelque sorte de la scène, cette noblesse bretonne, loin de désarmer, continuait la lutte avec plus d’acharnement que jamais.
Pendant que d’Aiguillon était en Touraine, tout{63} entier au charme d’une villégiature que goûtait avec lui sa petite cour, on racontait à Paris qu’il était exilé à Veretz. Lui n’en savait pas un traître mot et ne s’en portait que mieux. Son médecin l’avait mis au lait d’ânesse[84]. D’Aiguillon, comme la plupart des ambitieux et surtout des ambitieux qui cachent leur jeu, était bilieux de tempérament; et la moitié de sa vie (la correspondance de la duchesse le dit assez), se passa en traitements de toute sorte chez lui, ou dans les stations d’eaux thermales, sans que son teint couleur citron en fût sensiblement modifié.
Mais cette quiétude devait bientôt finir. La convocation des Etats, où d’Aiguillon allait paraître en qualité de premier commissaire, était urgente: la tradition voulait que cette réunion fût biennale, en raison du vote des impôts. Et l’aristocratie bretonne, bien que peu satisfaite de l’issue du procès Chalotiste, avait conscience que son ennemi en revenait à Rennes singulièrement amoindri. Aussi lui ménageait-elle de nouvelles et désagréables surprises. D’Aiguillon s’y attendait d’ailleurs et s’y préparait peu philosophiquement, nous dit Belleval[85] admis dans son intimité. Le 9 octobre 1766, le jeune officier avait été prié à souper par la duchesse; et comme il n’était pas de service, il s’était rendu à l’invitation, d’autant que le duc, ainsi que la duchesse, lui avaient «toujours témoigné beaucoup de bonté». Ce soir-là, d’Aiguillon avait convié quelques amis. Il leur annonça qu’il avait pris congé du roi pour aller tenir les États de Bretagne.{64} Il n’en était pas autrement charmé, et il l’avouait d’un ton si piteux que tout le monde se mit à rire.
—Et vous, le premier, dit-il, en marchant sur Belleval, vous, monsieur le rieur, «allez-y donc à ma place, si cela vous amuse ou si vous croyez que je plaisante: j’aimerais mieux brider des ours que des Bretons.
«Je lui répondis, continue Belleval, que je le croyais sur parole et qu’il s’entendait mieux que moi à faire le service du roi, attendu que je ne sais ni brider les ours, ni les Bretons.»
Avant de risquer toutes ces plaisanteries, on s’était assuré qu’il ne se trouvait aucun fils d’Armor dans l’assemblée. L’entrée de la marquise de Guesbriant mit fin à ce badinage, que la duchesse n’eût d’ailleurs pas toléré, en présence de cette dame, sa parente, qu’elle aimait beaucoup et qu’elle avait présentée au roi pour être dame d’honneur de la princesse de Lamballe.
La Noue, un fidèle, lui aussi, de M. d’Aiguillon, n’était guère plus optimiste que le principal intéressé. Il confie ses inquiétudes et même ses angoisses à Fontette[86], de passage à Rennes, où la duchesse le reverra avec plaisir, car elle le «maintient honnête et galant homme». La Noue ne tarit pas d’éloges sur Mᵐᵉ d’Aiguillon: «C’est une femme pleine de sens, de connaissance, bonne, vraie, droite, courageuse, capable d’amitié».
La situation du commandant de Bretagne était, en effet, assez difficile à Rennes, en cette année qu’on aurait pu appeler l’année des trois duchesses. Des{65} questions d’étiquette venaient encore la compliquer[87]. Nous voyons sur le registre des délibérations des Etats qu’on avait nommé trois députations des membres des trois ordres pour aller «complimenter suivant l’usage» la douairière, la duchesse d’Aiguillon et la duchesse de la Trémoïlle—le mari de cette dame devant présider l’ordre de la noblesse aux Etats.
Or, le duc d’Aiguillon, avec sa morgue native, qu’exaspérait encore sa rancune, acquise, contre l’aristocratie bretonne, avait froissé le duc de la Trémoïlle, en ne faisant pas arrêter sa voiture pour recevoir ce personnage, alors qu’il était à la tête de la noblesse[88]. Faut-il attribuer à ce manque d’égards la mollesse que le ministère reprochait au nouveau président? Le rôle de la Trémoïlle ne laissait pas d’ailleurs que d’être difficile. L’opposition avait des prétentions inadmissibles et des exigences inacceptables. La Trémoïlle résistait de son mieux. Alors le tumulte se déchaînait dans la salle. C’était, au milieu de cris d’animaux, une obstruction perpétuelle. Le duc, qui n’avait pas l’habitude des tempêtes parlementaires, restait souvent muet. Etait-ce là «composer avec les brouillons et les mutins?» Ceux-ci, en tout cas, ne lui ménageaient guère les avanies. Aussi, MMᵐᵉˢ de la Trémoïlle—la mère et la fille, également duchesse—avaient-elles suspendu leurs réceptions; et il avait{66} fallu que Mᵐᵉ d’Aiguillon reprît les siennes, quoique à peine remise d’une «forte migraine et d’une petite ébullition». Son salon n’en avait été que «plus honnêtement rempli[89]».
Entre temps, Fontette signalait à son ami un épisode de la guerre de pamphlets qui sévissait alors en Bretagne: c’était l’apparition d’un «écrit abominable et plat, en forme de dialogue des morts» où le cardinal de Richelieu et son arrière-petit-neveu d’Aiguillon étaient drapés de la belle façon: hélas! disait Fontette, on ne punit pas assez sévèrement les auteurs de libelles—comme si le camp ennemi eût été seul à se servir de telles armes.
En sa qualité de premier commissaire, d’Aiguillon avait lu aux Etats, le 10 janvier 1767, une lettre qu’il disait avoir reçue du roi et qui défendait formellement «aux Bretons de s’occuper des affaires de son Parlement». Les Etats répondirent par un éclat de rire. Mais d’Aiguillon était pressé d’agir par le contrôleur général Laverdy qui avait besoin d’argent; et il ne cessait de répéter aux ministres ses perpétuelles variations sur le proverbe: Patience et longueur de temps, etc. Il les accompagnait de récriminations amères contre l’incohérence et les inconséquences du pouvoir central, qui avait si lestement soustrait le procès des Chalotistes à la juridiction du Parlement de Rennes, et contre la correspondance scandaleuse des princes du sang avec les factieux.
Le ministère le savait de reste; il en souffrait, mais n’aimait pas qu’on lui en rabattît les oreilles. Il eût{67} voulu que d’Aiguillon montrât plus d’initiative et surtout moins de lenteur, d’autant que Louis XV, passant, suivant son habitude, par-dessus la tête de ses ministres, correspondait directement avec «les mutins»—c’était l’anarchie et le gâchis[90].
Et cependant le gouvernement ne pouvait nier que d’Aiguillon ne fût un agent consciencieux, préoccupé de faire prévaloir les droits de l’autorité royale. Laverdy n’écrivait-il pas, le 16 mars 1767, que «d’Aiguillon et Flesselles avaient tiré le meilleur parti d’une situation désespérée[91]».
Les Etats venaient seulement de voter les impôts et ne devaient se séparer que le 23 mai, au milieu d’une recrudescence d’injures, de calomnies et de libelles à l’adresse du gouverneur—campagne à laquelle se mêlait une ténébreuse histoire de poisons, imaginée par les Chalotistes et visant un partisan de d’Aiguillon, l’ex-jésuite Clémenceau.
C’est probablement à cette époque qu’il faut placer un billet écrit en 1767[92], mais sans date précise, par le duc au chevalier de Balleroy, billet où il parle, à mots couverts, de ses négociations, d’intrigues multiples, etc... D’Aiguillon est bien l’homme de son style, méfiant, timoré, indécis, mystérieux, sous l’aspect sombre et l’attitude hautaine que lui prêtent ses ennemis et qu’il croit être de la dignité.
La duchesse avait une allure bien différente. Elle{68} était franche, crâne même et marchait droit au but.—Elle était venue à Paris pendant que son mari restait en Bretagne. Fontette l’eût désirée à Rennes. Mais «elle ne peut être partout. Elle est bien aussi utile à M. d’Aiguillon à Paris qu’ici, et par cela seul je suis consolé de l’y savoir[93]».
La Noue, d’ailleurs, ne tarde pas à rassurer son ami. Il dit même que l’«absence» ou la «présence» du principal intéressé à la Cour semble «indifférente», Mᵐᵉ d’Aiguillon ne quittant pas Versailles. «Favorite de la reine, elle est appelée chez sa maîtresse dans les moments les plus particuliers» et, là, le roi «peut causer avec Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui le guide sur toutes les affaires de l’Etat et particulièrement de la Bretagne».
Nous ne croyons pas que la duchesse ait jamais eu la prétention d’être l’Egérie d’un monarque qui n’était ni sûr dans ses relations, ni constant dans ses idées. Les ambitions de Mᵐᵉ d’Aiguillon se bornaient à défendre la réputation et l’honneur de son mari, comme elle employait son crédit (La Noue l’avait bien jugée) à servir les intérêts de ses amis. Et ce sera le duc, il fallait s’y attendre, qui en aura toute la gloire. N’écrit-elle pas de Versailles, en octobre 1767, au chevalier de Balleroy[94], que le concours de M. d’Aiguillon lui était tout acquis.
A cette époque, en effet, le gouverneur de Bretagne avait repris faveur à la Cour. Et l’on a vu que la duchesse n’y avait épargné ni son temps, ni sa peine.{69}
Mais la tâche n’avait pas laissé que d’être difficile. La résistance de la noblesse aux demandes du roi, sa turbulence avaient provoqué un tel scandale que, peu de temps avant la clôture des Etats, le gouvernement avait invité son premier commissaire à lui établir un projet de règlement pour la tenue de ces mêmes Etats. D’Aiguillon obéit; mais, comme il avait toujours l’appréhension des responsabilités, il voulut renvoyer à une session ultérieure la lecture et l’application du règlement. Il fallut que le ministère insistât énergiquement, pour que le duc se décidât à lire son projet le 23 mai, c’est-à-dire le jour même de la clôture des Etats.
Et, convaincu, d’autre part, que cette nouvelle exigence du pouvoir central le rendrait, lui d’Aiguillon, encore plus odieux aux Bretons, il eut hâte de les quitter. Mais, comme toujours, Saint-Florentin s’opposait au départ de son neveu. La duchesse douairière quitta immédiatement Rennes pour Versailles, et, le 2 juin, elle obtenait haut la main le rappel de son fils[95].
D’Aiguillon, malgré qu’il eût, par intervalles, en raison de son tempérament bilieux, de terribles colères contre cette noblesse qui le vilipendait, d’Aiguillon s’appliquait encore à la ménager. Sans tenir compte des objurgations de ses amis qui lui reprochaient de s’obstiner à «vouloir être bon», il usait à peine des pouvoirs discrétionnaires qu’il tenait du gouvernement, même contre les «bastionnaires»—on appelait ainsi les chefs du bloc formé par l’opposition de l’aristocratie.{70}
D’Aiguillon avait pour lui, aux Etats, le Tiers et une notable partie du clergé: il aurait même eu la grande majorité de la noblesse, sans une poignée de cabaleurs qui menaçaient leurs collègues hésitants de vengeances terribles, le jour où les démissionnaires remonteraient sur leurs sièges du Parlement: car ils savaient bien qu’il n’y avait pas de coalition possible entre les Etats et le bailliage d’Aiguillon.
En tout cas, quoique le ministère appelât «irrésolution et timidité» ce que le commandant de Bretagne nommait «circonspection et fermeté», d’Aiguillon trouva, quand il revint à Versailles, tout un cortège d’admirateurs. D’ardentes imaginations, éprises de couleur locale, le représentèrent, sur ce littoral semé de récifs, «rocher au milieu des vagues». Et le jour où il parut devant le roi pour lui faire sa cour:
—Vous vous êtes conduit comme un ange, lui dit Louis XV.{71}
Les Etats «intermédiaires».—Chasse aux «Mandrins».—La coterie des «Bastionnaires» et la pacification de la Bretagne.—Les variations du contrôleur général, d’après d’Aiguillon.—Démission.—Cérémonial des obsèques d’une reine.—Un cocher en couches.—Le duc de Penthièvre jugé par Mᵐᵉ d’Aiguillon.—La duchesse est ravie de voir son mari «hors d’une indigne galère».—Ce qu’en pense d’Aiguillon.
C’est dans le courant de l’année 1768 que s’engage réellement la double correspondance de la duchesse d’Aiguillon et de son mari avec le chevalier de Balleroy, l’une plus rare et roulant de préférence sur les choses de la politique, celle de la duchesse autrement variée, souvent à bâtons rompus, mais vive et piquante, volontiers pittoresque, demandant et acceptant sans arrière-pensée les mêmes services que peut lui rendre le complaisant célibataire, et s’employant pour lui, à la Cour, avec autant de désintéressement empressé et sincère, qu’il en apporte lui-même à témoigner de son loyalisme envers ses nobles patrons.
«Je n’ai pas besoin de vous dire, Monsieur le Chevalier, lui écrit-elle, combien votre situation m’occupe: vous n’en devez pas douter, connaissant ma façon de penser... Mais il est bien difficile de raisonner par lettre, comme on voudrait. Il y a des choses sur lesquelles, en se voyant, en quatre paroles, on{72} s’explique très aisément, au lieu que, par lettre, il faut tant de phrases et de périphrases, encore souvent pour ne se pas entendre[96]...»
Aussi, comme elle est sur le point de partir pour Veretz, invite-t-elle Balleroy à l’y rejoindre; au moins pourront-ils y causer librement. L’appréhension du Cabinet noir—cette institution permanente—se laisse pressentir ici, comme dans toutes les correspondances du temps.
Mais le départ de Mᵐᵉ d’Aiguillon avait été précédé de notables événements qu’il importe de rappeler.
Des Etats extraordinaires—intermédiaires ainsi qu’on les nommait encore—s’étaient ouverts à Saint-Brieuc, au commencement de 1768, présidés par l’évêque du diocèse, Girac[97], un des rares prélats qui fussent hostiles à d’Aiguillon, par le duc de Duras, et par un magistrat, Ogier, qui était le premier commissaire, «en réalité le porte-parole» du gouverneur[98].
Un bon billet qu’avait là le duc d’Aiguillon!
La «réalité», c’était l’entente tacite des deux représentants de la noblesse et du clergé «pour ramener la réconciliation de l’opposition bretonne avec le ministère, réconciliation dont le gouverneur devait faire les frais[99]».
Celui-ci n’avait été, même à Versailles, que le héros d’un jour. Les amis des «bastionnaires» recommen{73}çaient la campagne: «Le duc de Rohan, écrit La Noue à Fontette, le 10 février, a refusé le salut à M. d’Aiguillon, et sa femme à notre duchesse, sans qu’ils sachent l’un et l’autre d’où provient cette bouderie[100]».
A Saint-Brieuc, les opérations se poursuivaient activement. «Les Etats prennent une délibération, pour rembarquer les généraux de Broc, Balleroy, Barrin, La Noue, qui mangent la province et que M. d’Aiguillon y avait entrés contre l’usage; et il faut espérer qu’ils en viendront à bout, et que, peu à peu, on chassera en détail ces Mandrins[101]...»
On comprend si cette exécution dut toucher «notre duchesse».
M. de Calan, qui n’est certes pas un apologiste du gouverneur, est bien obligé cependant de reconnaître et de signaler les petites vilenies mises en œuvre pour forcer la main au roi et lui faire remplacer un ministre «désagréable au parti dominateur», par un homme qui sera «l’instrument de ce même parti». Cet impôt, qui semblait écrasant quand il était réclamé par d’Aiguillon, est voté avec enthousiasme sur la proposition de M. de Duras. Les pamphlets gémissent sur la misère du peuple; et «à Saint-Brieuc c’est un bal perpétuel».
Bientôt il semble qu’un mot d’ordre soit donné, exprimé à peu près partout dans les mêmes termes, «que la tranquillité ne peut se rétablir en Bretagne que par la retraite de d’Aiguillon[102]»... Maupeou doit le démontrer, s’il veut obtenir la place de chancelier. Et Mᵐᵉ Du Deffand écrit, le 10 mai, à l’abbé Barthé{74}lemy: «Je fus lundi à souper, à Ruel, chez Mᵐᵉ d’Aiguillon (la mère, sa grande amie) avec le chevalier de Listenoy et l’évêque de Saint-Brieuc. Celui-ci me raconta toute la Bretagne... Un honnête homme, sur son récit, en doit conclure que jamais l’ordre ne sera rétabli dans cette province, tant que le duc d’Aiguillon y commandera. Si j’étais le maître, je n’hésiterais pas un moment à envoyer M. de Penthièvre tenir les prochains Etats jusqu’à ce que la paix y fût complètement rétablie[103].»
Et ce n’était pas seulement l’entente commune d’une opposition marchant avec une exacte discipline qui avait entraîné ainsi l’opinion; c’était encore la presse, par ses journaux-pamphlets et par ses libelles, échos des philosophes, des jansénistes et des parlementaires, qui mettaient habilement en scène le martyre de la Chalotais, pour expliquer le soulèvement de la Bretagne tout entière contre son tyran. Celui-ci avait assurément des amis qualifiés pour répondre, amis qui s’acquittaient avec conviction de cette tâche, mais par intermittences et non sans hésitations. Car d’Aiguillon les désavouait en quelque sorte. Il méprisait les traits, pour la plupart anonymes, de l’ennemi. Il se croyait suffisamment protégé par le respect dû au représentant de l’autorité royale; et le gouvernement n’admettait pas de polémique même à son profit, et surtout une polémique soutenue par ses agents. «Les gens en place, comme le dit fort bien M. Carré, devaient se taire par respect pour le maître[104].»{75}
Il en résulta que d’Aiguillon dut jouer ce que notre modernisme appelle «le guillotiné par persuasion». Certes, il ne demandait qu’à secouer la poussière de ses sandales sur cette Bretagne qui lui avait si souvent échauffé la bile. Que de fois il avait prié qu’on acceptât sa démission! Mais, alors, il se retirait avec les honneurs de la guerre. C’était lui qui se refusait à «brider» plus longtemps les Bretons, tandis qu’aujourd’hui l’opinion semblait imposer au gouvernement le rappel d’un fonctionnaire exécré. Et avant de se résigner à l’acte décisif qui, au dire de la coterie des bastionnaires, devait amener la pacification de la Bretagne, par quelles tergiversations passait un homme confondant trop volontiers la circonspection et le calme avec la lenteur et l’irrésolution! Il écrivait, de Paris, le 22 juin, au chevalier de Balleroy qui s’en allait rejoindre «son général» à Rennes[105]:
«... Le dernier système du contrôleur général, dont, heureusement, il change souvent, est qu’il faut que je retourne au plus tôt en Bretagne, parce que personne ne peut faire les affaires du roi, si je la quitte, et que, d’ailleurs dans tout ce qui s’est passé, il n’y a rien eu de personnel contre moi, que, par conséquent, ce n’est pas le cas où il faut mettre sur la scène un acteur nouveau; c’est en ma présence qu’il tient ce propos aux autres ministres... Il avait dit tout le contraire un mois auparavant... A cela je répétai mon refrain ordinaire: je désire ardemment sortir de Bretagne; je n’y crois plus ma présence utile aux affaires du roi; mais s’il le veut absolument, j’obéirai,{76} après qu’il aura écouté mes représentations tant sur le fond que sur la forme.»
Et il terminait par cet autre «refrain» qu’on retrouve sans cesse sur les lèvres ou sous la plume du politicien soucieux de paraître détaché de toute préoccupation ou calcul ambitieux:
«Je continue mon train de vie ordinaire; je passe quatre jours de la semaine à Versailles et trois à Paris. Je dors et digère bien et je ne m’ennuie pas.»
A six semaines de là, le ton change. D’Aiguillon a fait le cruel sacrifice et il s’en explique, non sans mélancolie, mais avec une confiance en soi, qui semble le comble de l’illusion, sinon de la duplicité[106].
«C’est sur l’avis du contrôleur général, écrit-il encore à Balleroy, que le roi s’est décidé à me permettre de me retirer et je suis bien convaincu qu’il ne s’y est déterminé, que parce qu’il a prévu que je serais encore une fois trahi et abandonné par un ministre qui veut absolument qu’on croie que c’est l’animosité qu’on a personnellement contre moi en Bretagne, et non sa mauvaise administration, qui est cause du désordre dans lequel est cette province... Je ne regrette pas le gouvernement de Bretagne, mais d’y laisser des gens sages et de bons serviteurs qui seront exposés à la méchanceté et à la violence des brouillons..... On prétend que M. de la Chalotais donnera sa démission aussitôt que j’aurai donné la mienne.»
Entre temps, la duchesse, malgré toute sa vigilance,{77} avait été absorbée par d’autres soins et par d’autres devoirs, qu’elle n’eût pu décliner sans être taxée d’indifférence et même d’ingratitude.
La reine Marie Lesczinska se mourait. La maladie n’avait pas été seule à miner ses jours. Délaissée, en raison peut-être des exigences d’une dévotion trop austère, pour des rivales souvent indignes, qui ne se comptaient plus et qu’il fallait cependant accueillir, ne fût-ce que d’un signe de tête, la reine s’était peu à peu consumée en un désespoir profond, muet, dissimulé sous un sourire de Cour, mais rongeant, comme un cancer, les sources vives de l’existence.
Une lettre de La Noue met en opposition, dans une phrase qui fait portrait, la physionomie officielle des deux époux: «Le roi est plus beau et plus frais que jamais...» mais «sa femme est dans un état affreux[107]...» Aussi Mᵐᵉ d’Aiguillon ne l’avait-elle plus quittée: il avait fallu, pour qu’elle revînt passer quelques jours à Paris, qu’elle y fût rappelée par une maladie assez sérieuse de son fils et de l’une de ses filles: encore, aussitôt leur rétablissement, avait-elle repris le chemin de Versailles.
La lente et douloureuse agonie de Marie Lesczinska dura plus de six mois: «L’état de la reine, écrit la duchesse, est toujours le même, c’est-à-dire que cette malheureuse princesse ne peut ni vivre, ni mourir; elle a, de plus, depuis quelques jours, une fièvre d’une violence extrême qui lui cause du délire tous les matins... Ne prenant presque plus de nourriture, il y a aujourd’hui cinq semaines que cet état violent dure;{78} cela fait horreur à penser, même aux gens les plus indifférents. Jugez de l’effet que cela fait sur moi qui aime la reine, non parce qu’elle est reine, mais parce qu’elle est aimable et vertueuse, et que, dès ma plus tendre enfance, elle m’a toujours comblée de bontés, j’ose même dire d’amitié[108].»
Pour qui savait les habitudes d’infidélité d’un mari, déjà tout disposé à suivre l’exemple du maître, le mot vertueuse laissait percer une allusion suffisamment claire; car la duchesse, aussi discrète et aussi intelligente qu’elle était énergique et forte, connaissait trop bien les procédés de la poste pour livrer naïvement à cette auxiliaire de l’Etat le fond de sa pensée.
Mais la reine est enfin délivrée de ses souffrances; et la douleur de la duchesse, déjà si profonde et si sincère, éclate plus intense encore, à la vue d’une sorte de profanation qu’exigeait alors le protocole des funérailles royales[109].
«Ce qui m’a fait une impression que je ne peux pas rendre, c’est le moment du transport, de voir sortir cette respectable princesse de ses appartements par pièces et par morceaux, d’abord le cœur porté par l’évêque de Chartres sur un carreau, ensuite ses entrailles, puis sa personne...»
De même, à Saint-Denis, le minutieux cérémonial qui accompagne l’arrivée de la défunte, est pénible pour une femme aussi peu éprise de l’étiquette que l’était Mᵐᵉ d’Aiguillon. L’évêque adresse un discours au prieur de l’abbaye qui s’empresse de lui rendre la{79} politesse: puis la reine est portée, toujours «par pièces et par morceaux», dans le chœur, sur une estrade et sous un dais; prières, aspersions, discours, tout recommence, et même la «promenade de ce malheureux corps» jusqu’à une chapelle où il restera déposé en attendant le jour de l’inhumation.
Enfin l’heure fatale a sonné[110]:
«... Le spectacle de Saint-Denis était très beau et bien ordonné: c’était une bien belle horreur. J’ai été en place en grand habit et grande mante, depuis 10 heures du matin jusqu’à 5 h. 1/2, sur une petite banquette, qui n’avait pas un demi-pied de large. Vous croirez sans peine que j’étais fort lasse quand la cérémonie a été finie.»
Son affliction est alors plus grave et plus expressive. Tant que le corps était resté à Versailles et à Saint-Denis, la duchesse était toujours au service de la reine: «enfin elle était encore parmi nous»; mais «quand on l’a descendue dans le caveau», cette nouvelle et définitive séparation détermina chez Mᵐᵉ d’Aiguillon «un trouble inouï qui fit rire, à ce qu’il paraît, bien des gens à portée de voir... il fallait assurément en avoir bien envie» remarque-t-elle non sans amertume.
Il semble, à vrai dire, que la Cour fût en humeur de folâtrer ce jour-là; car les commentaires de l’oraison funèbre s’accompagnent de «toutes les gentillesses et de toutes les pointes» imaginables. On prétendait, avant que le prédicateur—l’évêque du Puy—prît la parole «qu’il fallait se garantir de la fraîcheur du{80} puits[111]». Au reste, ce morceau d’éloquence était, de l’avis des meilleurs juges, d’une valeur très discutable: «Il n’y a rien de si difficile à faire, conclut la duchesse, qu’une oraison funèbre; et depuis M. Fléchier, il n’y en a pas eu une complètement bonne».
Après s’être exclusivement consacrée à l’accomplissement du pieux devoir que lui imposait sa dette de reconnaissance, Mᵐᵉ d’Aiguillon reprit peu à peu avec le chevalier de Balleroy le cours de ces entretiens familiers, où se confondaient les nouvelles de la politique et les incidents de la vie mondaine. Les préoccupations familiales tiennent une certaine place dans ces causeries intimes: «Notre cousine de Valentinois, écrit-elle le 26 juillet, est toujours très mal; les uns disent que c’est une fièvre maligne, d’autres que sa tête est partie. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est très mal et qu’elle a un délire continuel et très extraordinaire. Le dernier était de vouloir que son cocher fût dans sa chambre, sur une chaise longue, coiffé en femme, avec un couvre-pieds de dentelle, parce qu’il était en couches[112].»
C’est à quelques jours de là qu’elle chargera Balleroy, «en sa qualité de grand veneur», de courir après les chiens et «leur gouverneur», expédiés d’Angleterre à Veretz et refusés par un garde à qui d’Aiguillon avait omis d’en parler. Et, dans cette même lettre, la duchesse, le cerveau toujours hanté des «affaires de Bretagne», ne peut s’empêcher d’en{81} parler, avec une pointe d’aigreur, inséparable désormais des souvenirs que lui a laissés son séjour dans la province:
«M. de Broc[113] aura beau faire, il ne donnera jamais de courage à M. le duc de Penthièvre[114], parce que ce n’est pas à son âge ce que l’on acquiert. De plus, il est entouré de gens qui ont promis ou qui souhaitent qu’il en soit ainsi. Je serai bien surprise, si je vois sortir quelque coup un peu ferme de cette boutique. Il est l’homme du royaume qui a les vues les plus droites et les plus honnêtes, qui est le plus vertueux dans toutes les règles; mais il est faible par nature et par principes; et vous conviendrez que ce n’est pas le moment de se flatter de donner du nerf. Il y en a tant d’autres à qui il en manque.»
On ne saurait tracer un portrait plus exact et plus vrai de ce prince estimable, mais toujours hésitant et irrésolu, que le sentiment de ses responsabilités aurait dû faire partir, depuis longtemps, pour une province dont il était le gouverneur titulaire, afin d’y étouffer le désordre si savamment entretenu par ses propres cousins.
En s’exprimant avec autant de netteté et de fermeté, Mᵐᵉ d’Aiguillon était absolument désintéressée. Elle{82} avait dit un adieu définitif à la Bretagne: «le sort de M. d’Aiguillon est décidé, écrivait-elle[115]. Qui sera son successeur? Vraisemblablement M. de Duras.» En ce qui la concerne, elle est fort aise que son mari soit débarrassé d’un aussi lourd fardeau; il était «barré sur tous les points», partant impuissant «à faire le bien». «Je suis ravie, répète-t-elle, qu’il soit dehors de cette indigne galère.» Il ne s’éloigne pas cependant sans tristesse; il avait des partisans, des amis qu’il laisse derrière lui. Et nous avons dit avec quelle joie féroce les Chalotistes s’apprêtaient à les persécuter. Aussi la duchesse priait-elle Balleroy d’exprimer à ces fidèles tous ses regrets.
Le duc, moins sincère ou plus emphatique, donnait sa démission pour un acte d’héroïsme. Il écrivait à sa nièce (?), Mˡˡᵉ de Vedec à Vannes, une sorte de lettre apologétique, où il faisait sonner bien haut l’éclat de son abnégation: «La place n’était plus tenable pour lui; et il compte sur la bonté, sur l’esprit de justice de sa parente pour qu’elle approuve «le parti forcé» qu’il a pris. Il devait le sacrifice de sa place à ses amis qu’il eût autrement «précipités dans la boue». Au reste, il affirmait «n’avoir rien fait en Bretagne qui ne fût utile à la loi»; et il n’avait pour amis dans la province que «les honnêtes gens, les vrais serviteurs du roi, les bons citoyens[116].»
Assurément son sacrifice fut volontaire. Depuis tantôt dix ans, d’Aiguillon avait trop souvent réclamé{83} son rappel pour n’en avoir pas envisagé quelquefois l’éventualité comme un soulagement. Mais, par la force des choses, ceux-là mêmes qui n’en voulaient pas entendre parler, durent s’y résigner; et comme dit fort bien M. Marcel Marion, d’Aiguillon fut «sacrifié à l’espérance chimérique de rétablir le calme en Bretagne[117]».{84}
La première rencontre de d’Aiguillon avec Choiseul: présence d’esprit de la duchesse.—Le régiment du roi: lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon à Louis XV.—Mᵐᵉ Du Barry devient l’alliée de d’Aiguillon.—Maupeou et Terray négociateurs du traité.—D’Aiguillon capitaine-lieutenant des chevau-légers: le «beau cortège» de la duchesse.—Un amoureux fou mais platonique de la Du Barry.—Le déserteur.
Le rédacteur des Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon dit que le commandant de Bretagne «visait, en 1768, au ministère». Cette ambition datait assurément de plus loin; car, déjà—toujours d’après les Mémoires—le Dauphin l’avait «porté pour la marine[118]». En tout cas, Choiseul pressentait depuis longtemps dans le duc d’Aiguillon un redoutable rival, puisque, systématiquement, il l’obligeait à rester en Bretagne, ployant sous le faix de l’impopularité, jusqu’à ce que la situation n’y fût plus tenable.
La lutte entre les deux adversaires allait donc s’engager, plus ardente et plus directe, sur un terrain moins éloigné, mais autrement périlleux, celui de la Cour.
Ces hommes s’étaient rencontrés, pour la première fois, dix années auparavant, en complète opposition,{85} dans une circonstance mémorable, où la duchesse d’Aiguillon avait témoigné, pour le plus grand bien de son mari, de cette sagacité et de cet esprit de décision qui la caractérisaient.
C’était dans les premiers jours de janvier 1757. Damiens venait de frapper le roi. La duchesse était restée à Paris, pendant que son mari luttait désespérément contre les États de Bretagne, s’obstinant à refuser les subsides qu’il leur réclamait pour la guerre. Mᵐᵉ d’Aiguillon suivait ces débats irritants, dont le dénouement semblait devoir s’éterniser, quand l’attentat de Damiens fit surgir dans son esprit une inspiration soudaine. Le mercredi 5, à 10 heures du soir, elle expédie à son mari un courrier porteur d’une lettre, qui lui apprend la nouvelle, et lui indique peut-être le parti qu’il en doit tirer. L’homme, voyageant à franc étrier, arrive à Rennes dans la nuit du jeudi au vendredi. D’Aiguillon fait assembler immédiatement les États, trace un tableau à la fois si terrifiant et si émouvant des horreurs d’un tel régicide, qu’en moins d’un quart d’heure les États renoncent à leurs prétentions, accordent au roi plus qu’il ne demande et décident qu’ils «enverront des députés en Cour» attester leur «sensibilité» et leur loyalisme.[119]
D’Aiguillon renvoie aussitôt à sa femme le même courrier avec le résultat de la séance. Et quand les délégués arrivent peu de temps après à Versailles, ils y sont acclamés et fêtés avec un enthousiasme qui tient du délire.
Lorsque le procès criminel fut évoqué devant le{86} Parlement, d’Aiguillon vint y siéger, en sa qualité de pair. De son côté, le comte de Choiseul, alors en mission à Venise, partit aussitôt, pour se rendre à Versailles où il ne tarda pas à se rencontrer avec le duc. Celui-ci, suivant son habitude, très hautain et très rancunier—peut-être avait-il sur le cœur les perpétuelles avanies des États bretons—déclarait formellement que «le fanatisme des énergumènes du Parlement avait armé le bras du parricide et qu’on en avait de bonnes preuves». Il faisait ainsi indirectement sa cour au Dauphin. Le comte de Choiseul répliquait qu’il apportait, lui aussi, des «preuves», non moins «bonnes», mais de Rome, où il avait appris que les jésuites, surtout ceux de la Silésie, n’étaient pas étrangers au crime. Choiseul abondait dans le sens de la Pompadour, qui méditait déjà l’expulsion des Jésuites et qui, en attendant, avait fait déclarer la guerre à la Prusse[120].
Nous avons vu, dans les chapitres précédents, comment cette opposition de principes avait dégénéré peu à peu, chez les deux hommes d’État, en rivalité politique, dissimulée d’abord par l’attitude réciproque du fonctionnaire et du ministre, dans un conflit où l’autorité royale était en jeu. Mais l’un et l’autre, dès qu’ils eurent les mains libres, ne tardèrent pas à démasquer leurs batteries. Les adversaires devinrent des ennemis mortels.
Des conflits d’influence avaient marqué les premières escarmouches. Une coutume, qui n’est pas prêt de tomber en désuétude, voulait que tout ministre gorgeât de{87} faveurs ses créatures. Choiseul n’avait pas manqué à la règle. Et d’Aiguillon[121], qui s’était «morfondu» en Bretagne, pour reprendre l’expression des Mémoires, réclamait énergiquement, mais vainement, des compensations, en raison même du prodigieux surcroît de dépenses qu’avait entraîné pour lui chaque tenue des États. Il avait jeté ses vues sur le Régiment du Roi. Sa femme écrivit directement à Louis XV pour solliciter cette grâce. Comme elle allait toujours droit au but et que son horreur de l’intrigue lui faisait mépriser les petits moyens, elle ne parla ni des tracasseries, ni des humiliations dont le Parlement de Rennes avait abreuvé son mari; elle rappela simplement les services de d’Aiguillon, l’affaire de Saint-Cast et les promesses de Belle-Isle, alors ministre de la Guerre, qui n’avait pu lui accorder le bâton de maréchal, parce qu’il était depuis trop peu de temps lieutenant général, mais qui lui eût réservé la première place vacante. Belle-Isle était mort trop tôt pour tenir ses engagements. La lettre de la duchesse fut remise au roi par la reine.
Mais Duras insinua au contrôleur général Laverdy que l’octroi d’une telle distinction à un personnage aussi impopulaire que l’était d’Aiguillon, ferait renaître les troubles en Bretagne. D’autre part, Choiseul, qui avait son candidat, dit tout haut «à son café»: La reine demande pour M. d’Aiguillon, moi pour M. Du Chatelet, nous verrons qui l’emportera. Et naturellement ce fut le protégé de Choiseul, Du Chatelet, qui eut la préférence: faveur que ne put pardonner au{88} premier ministre le duc d’Aiguillon, chez qui «la suffisance et la prétention» n’avaient d’égale que «la nullité du mérite»—les termes mêmes de Choiseul[122].
Mais l’ancien commandant de Bretagne allait bientôt avoir dans son jeu un atout imprévu qui devait lui assurer une éclatante revanche.
A ce moment même, Mᵐᵉ Du Barry, remarquée du roi à Compiègne, puis «frénétiquement» désirée par lui, se voyait engagée, un peu malgré elle, dans la mêlée des compétitions politiques.
Au dire de Sénac de Meilhan, elle avait chargé un ami de cet intendant de déclarer à Choiseul qu’elle désirait vivre en bonne intelligence avec lui. Le ministre accueillit assez dédaigneusement de telles avances. Il promit, dans les termes les plus vagues, d’accorder les «grâces» qui lui sembleraient justes et raisonnables[123]. En réalité, il détestait et méprisait la nouvelle sultane. Il prétendit, depuis, que le choix du prince l’avait écœuré; il le trouvait indigne d’un «aussi grand monarque». Après la mort de son amie, la marquise, il avait discrètement autorisé, même dans ses entours, les espérances de nobles dames impatientes de la remplacer. Mais aucune n’avait eu l’heur de plaire absolument au roi. Louis XV avait des goûts bourgeois. Son ministre ne chercha pas à les combattre; et le prudent Hardy va jusqu’à dire—toujours{89} suivant son habitude, d’après la voix publique—que Choiseul les encouragea même, mais en opposant «au Soleil levant» (un mot du premier commis Cromot)[124] un astre, un peu moins éclatant, mais cependant de belle apparence, la femme du docteur Millin[125].
Certes la Du Barry n’avait ni la marotte des hautes conceptions politiques, ni les rêves d’ambition mondiale auxquels Mᵐᵉ de Pompadour avait sacrifié les soins d’une santé précaire et la durée d’une vie déjà compromise. Elle était dans tout l’épanouissement d’une saine et triomphante beauté: et, devenue, avec sa joyeuse humeur de bonne fille, son esprit avisé de grisette parisienne et ses appétits de courtisane à la mode, la maîtresse en titre du «plus grand roi du monde», elle trouvait la place à son goût et prétendait la garder. Aussi l’orgueil revêche de Choiseul lui donna-t-il à réfléchir. Et puisque ce ministre hautain lui faisait grise mine, elle chercha autour d’elle d’autres alliés, dût-elle les prendre dans les rangs ennemis.
«A Fontainebleau, dit M. Claude Saint-André, d’Aiguillon arriva, le premier, dans le salon de la favorite, aussi amoureux qu’intéressé[126].»
D’Aiguillon était donc tout indiqué. Mᵐᵉ Du Barry lui accorda ses faveurs, dit nettement Choiseul.{90}
Dans le portrait élégant que, d’après Brissot[127], Mirabeau a laissé de la dame, le célèbre tribun est moins affirmatif. Il avait les meilleures raisons pour ménager un client comme l’était le rival de Choiseul. Aussi écrivait-il: «Le duc d’Aiguillon avait une marche réglée, l’esprit d’ordre, de la suite dans le travail, un plan accommodé aux circonstances (un opportuniste de la veille!). Il était aimable sans être frivole. On prétendait qu’il avait imité le duc de Choiseul, qui commença par lier sa destinée à Mᵐᵉ de Pompadour de la manière accoutumée. Si cela n’est pas vrai, c’est bien vraisemblable; lorsqu’on signe en tête-à-tête un traité d’alliance, il n’est pas à présumer qu’on oublie les préliminaires.»
Le raisonnement est humain. Puis d’Aiguillon savait plaire aux femmes. Qu’il fût le fils de la grosse duchesse ou le neveu de la comtesse de Maurepas, il était, pour l’une comme pour l’autre, un homme délicieux, pourvu de toutes les qualités, orné de toutes les vertus. Dans des régions moins familiales, c’était, en dépit de son teint «jaune», le beau gentilhomme, le séducteur irrésistible.
Quoi qu’il en soit et sans affirmer, avec la coterie des Choiseul, que le duc était l’amant de la Du Barry, ni conclure, comme M. Vatel, qu’il était simplement son ami, leur intérêt commun les avait amenés à signer ce «traité d’alliance» dont parle Mirabeau, et qui, lui, était bien réel.
Deux hommes l’avaient secrètement préparé: le chancelier Maupeou et l’abbé Terray, contrôleur général.{91}
Le premier était une créature de Choiseul. C’était un ambitieux «d’une froide scélératesse», dont le visage, au teint blême, reflétait toute la bassesse d’âme[128]. Choiseul en appréciait cependant l’activité et l’intelligence: «Il n’y a personne, disait-il, plus capable que lui d’être chancelier: au reste, s’il se conduit mal, je le chasserai». Maupeou connut-il le propos? En tout cas, ce fut Choiseul qui fut «chassé» avant Maupeou.
L’abbé Terray, l’âme damnée du chancelier[129], valait moins encore; c’était un audacieux coquin, cynique, impudent, fripon, sans conscience et sans foi, fondant sa fortune et celle de ses entours sur les plus odieuses exactions et sur la dilapidation des deniers publics. Ce qui ne l’empêchait pas, dans son effronterie, d’exagérer le déficit du Trésor, pour en perdre plus sûrement l’agent responsable, le duc de Choiseul.
D’Aiguillon, déjà peu sympathique, entrait donc en rapport avec Mᵐᵉ Du Barry sous les auspices de deux fâcheux parrains. Il est vrai qu’il amenait avec lui l’élite du parti dévot qui comptait parmi ses chefs le maréchal de Richelieu et le duc de la Vauguyon. Et ce n’est certes pas un des spectacles les moins piquants pour l’observateur, que l’aspect de cette jolie et fringante Mˡˡᵉ Lange, marchant, la main dans la main, avec les amis des Jésuites, à l’assaut d’un gouvernement qui, par l’expulsion des fils de Loyola, avait{92} assuré l’avènement de ceux de Jansénius, c’est-à-dire des Parlementaires.
Au reste, la politique a des raisons que l’honnêteté ne connaît pas. Il avait fallu, pour hâter la chute du favori, que l’aimable fille (et c’en était bien une) qu’était la Du Barry, eût pris rang à la Cour, qu’elle fût présentée. Et Belleval, notant un bruit d’antichambre, dit, à la date du 20 décembre 1768, que Richelieu, d’Aiguillon et Bertin, l’un des prédécesseurs de Terray, «mènent la présentation de la comtesse[130]».
L’ambition—suggérée—de la petite modiste devenue grande dame, ne fut complètement satisfaite que le 22 avril 1769. L’opération avait été laborieuse. Quand ce pince-sans-rire de Richelieu avait envoyé, suivant les règles de l’étiquette, le duc de la Vauguyon annoncer officiellement la présentation de la comtesse à Madame Adélaïde, la princesse lui avait brusquement tourné le dos[131].
La protection de la Du Barry (car maintenant elle n’était plus une protégée) arrivait fort à propos pour d’Aiguillon.
Choiseul, sur la demande des États, avait rétabli l’ancien Parlement de Bretagne[132], le 12 juillet 1769, et celui-ci, qui avait encore sur le cœur sa disgrâce, s’entraînait à une campagne de revendications avec l’exilé de Saintes, La Chalotais, non moins vindicatif que ces Bretons, dont les pamphlets toujours viru{93}lents, échappaient aux «lacérations» et aux «brûlures judiciaires» indéfiniment réclamées par d’Aiguillon[133].
Le duc obtenait, entre temps, de Louis XV, une compensation qui devait quelque peu adoucir les cuisantes blessures d’un amour-propre si prompt à s’ulcérer.
Il avait jeté son dévolu sur le régiment des chevau-légers. Or, son rival le demandait pour le vicomte de Choiseul. Mais, affirme Belleval, qui paraît bien informé, Mᵐᵉ Du Barry «a parlé très fort au roi pour le duc d’Aiguillon»; et le prince n’a «rien à lui refuser». Au surplus, le candidat de Mᵐᵉ Du Barry «a beaucoup d’esprit et de finesse; il connaît le Roi et la Cour en homme qui l’a pratiquée toute sa vie».
En effet, Louis XV, après les tergiversations dont il était coutumier, s’était décidé à nommer d’Aiguillon au commandement des chevau-légers. La duchesse en fait part, le 24 septembre, à Balleroy: «Ce n’est que d’avant-hier que M. d’Aiguillon a reçu la lettre du roi par laquelle il lui accorde les chevau-légers. Jusque-là, il n’y avait que des apparences et des vraisemblances; et par cela seul, il était bien difficile d’en rien dire et encore moins d’en écrire avec le peu de sûreté de la poste (toujours la hantise du cabinet noir). Vous trouverez sûrement que cette charge est fortement payée: douze cent mille francs! C’est bien de l’argent, mais, par la suite, c’est un si grand avantage pour mon fils que c’est à cela que nous avons sacrifié notre aisance actuelle[134].»{94}
Cependant, la réception tardait: «cela dépend, disait plaisamment la duchesse, de son habit qui est très long à broder[135]».
Pour n’être pas encore officielle, la nomination n’en était pas moins certaine. Le bruit s’en était répandu dans le public et Belleval, qui se savait persona grata, vint complimenter le nouveau commandant[136], mais d’Aiguillon, toujours mystérieux et toujours cachottier, l’accueille d’un propos narquois:
—Il y a donc des sorciers dans votre pays; et peut-être en êtes-vous un?
Belleval insiste: il se porte garant de la respectueuse sympathie de ses camarades.
—Peut-être, fait d’Aiguillon qui, vraisemblablement en Bretagne, est devenu Normand; je ne dis ni oui, ni non. En attendant, mon cher marquis, gardez au dedans de vous-même l’impression que peut faire naître notre conversation et n’en sonnez mot à personne. Soyez persuadé que je serai particulièrement charmé, si je suis votre capitaine, de pouvoir m’occuper de vous satisfaire et de vous être agréable.
Voilà bien le grand seigneur, cérémonieux et méfiant que nous connaissons, multipliant les chut! chut! autour d’un secret qui est, en somme, celui de Polichinelle.
Mais son bel habit est enfin brodé; et la réception officielle fut un triomphe pour le mari et... pour la femme. La duchesse est aux anges, et son écriture n’en est que plus illisible.{95}
Fontainebleau, 20 octobre 1769.
«... M. d’Aiguillon est tout à fait en possession de la compagnie de chevau-légers. Il a été reçu mercredi. Voici comment cela s’est passé.
La troupe a monté à cheval à 10 heures, ayant à leur tête les officiers de service actuel. Deux de ceux qui n’en sont pas sont venus prendre M. d’Aiguillon et sont montés à cheval avec lui pour rejoindre les autres. Le roi est venu à 11 heures à cheval. M. d’Aiguillon l’a suivi et s’est rangé à côté de lui, en face de la troupe à qui le roi dit:
—Mes chevau-légers, je vous donne mon cousin le duc d’Aiguillon pour capitaine-lieutenant; et je vous ordonne de lui obéir en ce qui concerne mon service.
Ensuite, en partant, le roi lui a fait un geste de la main rempli de bonté. Les maréchaux de Soubise et de Richelieu se sont avancés et ont reçu son serment: après quoi, il s’est mis à la tête de la troupe et l’a emmenée au pas. Il leur a donné à dîner. En tout ils étaient 80.
J’ai été les voir, quand ils sont sortis de table, et leur ai dit toutes les gentillesses dont j’ai pu m’aviser: je me suis rappelé toute ma coquetterie des États... Ils m’ont ramenée chez moi et j’ai traversé toutes les rues à leur tête, ce qui faisait un beau cortège. Voilà une description exacte...»
En tout cas, elle ne manque pas d’un certain brio, qui était bien dans le caractère ferme et décidé de la duchesse; mais nous ne voyons pas que le beau régiment ait donné, avec la fougue brillante qui lui était familière, le temps de galop traditionnel en pareil cas.{96} Le duc «l’a emmenée au pas». Un court billet de la duchesse nous révèle le secret de cette paisible allure.
«M. d’Aiguillon est encore à Fontainebleau. Il en revient mardi, escortant le Roi à la tête des chevau-légers. Il prendra Sa Majesté à la Cour de France et la conduira jusqu’à Choisy: la course est un peu forte, n’étant pas habitué d’être à cheval. Aussi j’ai de l’impatience qu’elle soit finie. Il donne, en attendant le roi, une halte aux troupes qui sont d’autant plus sensibles à cette attention, qu’ils ne sont pas gâtés sur cet article, M. de Chaulnes (son prédécesseur qui venait de mourir) ne leur ayant jamais donné un verre d’eau[137].»
Belleval rend compte, lui aussi, dans ses Souvenirs, de la cérémonie d’investiture, mais en termes techniques et surtout plus concis. Par exemple, il nous en apprend ce que dut ignorer Balleroy de sa correspondante, les préliminaires; et l’information est d’autant plus vraie qu’il la tient de Mᵐᵉ d’Aiguillon elle-même[138]. Il était constant que le roi avait promis à Choiseul les chevau-légers pour le vicomte, son parent; et quand Mᵐᵉ Du Barry vint le harceler avec la candidature de d’Aiguillon, il ne sut comment se dédire vis-à-vis d’un ministre qui exerçait encore sur lui un si grand empire. Il opposa à sa maîtresse sa parole:
—Tant mieux, répliqua Mᵐᵉ Du Barry; c’est une raison pour me l’accorder. Ne faut-il pas punir Choiseul de ses méchancetés à mon égard?{97}
Le roi ne put réprimer un sourire.
—Allons, allons, dites à M. d’Aiguillon qu’il a ma parole.
C’était Mᵐᵉ Du Barry qui avait rapporté la conversation à la duchesse. Et Belleval, en la consignant pieusement dans son journal, de l’appuyer de cette conclusion doucement ironique: «Ce qui prouve que les paroles des rois ne sont pas toujours des paroles d’évangile».
Au reste, n’ayant qu’à se louer de la bonhomie bienveillante de son commandant, alors qu’il voyait en Choiseul un grand seigneur si hautain et si sec, Belleval glisse légèrement sur la nature des relations qui s’étaient établies entre d’Aiguillon et la Du Barry. Il les tient plutôt pour deux alliés devenus deux amis. Et si la comtesse se rend aussi fréquemment chez la duchesse, c’est en raison du sentiment très vif que celle-ci lui inspire, du fait même de son accord avec le duc.
Mᵐᵉ d’Aiguillon n’est pas moins discrète. A peine cite-t-elle une ou deux fois, et incidemment, le nom de Mᵐᵉ Du Barry dans ses lettres à Balleroy. Nous aurons l’occasion de reparler de son attitude à la Cour devant la favorite, attitude qu’on sent commandée par le mari, mais qui n’était pas dépourvue d’une certaine gratitude affectueuse. Si d’Aiguillon était monté jusqu’au faîte des grandeurs, c’était bien à Mᵐᵉ Du Barry qu’il le devait.
Et il a fallu que cette femme, en dépit de l’obscurité de sa naissance, de l’indignité de ses débuts et du laisser-aller de sa vie à la Cour, eût encore des qualités de charme et de bonté exceptionnelles, pour que les libellistes qui la traînèrent si volontiers dans la{98} boue, en aient éprouvé quelque remords: car leurs pamphlets ignominieux rapportent des faits qui sont tout à la louange de la favorite royale.
Bien avant M. Vatel, dont le livre restera classique, Belleval commença la réhabilitation—quoique le mot soit un peu gros—de Mᵐᵉ Du Barry à laquelle il avait voué un culte, qui fut presque de l’adoration, dans des circonstances qu’il n’est pas inutile de faire connaître.
Un de ses camarades, nommé Carpentier, pris d’un subit accès de folie, avait déserté avec armes et bagages. Il avait été bientôt arrêté, jugé et condamné; il devait, dans les vingt-quatre heures, avoir «la tête cassée», comme on disait alors. Carpentier était très aimé du régiment; ses camarades s’émurent et Belleval, qu’on savait au mieux avec d’Aiguillon, «courut» à son hôtel lui demander la grâce du déserteur.
—Ce n’est pas par moi, lui répondit le duc, que vous l’obtiendrez du roi, mais par Mᵐᵉ Du Barry. Revenez tantôt avec votre supplique et je vous mènerai chez elle.
A l’heure indiquée, Belleval, en grand uniforme, est reçu par d’Aiguillon qui l’attendait et l’introduit chez la favorite, «comme un homme devant qui les portes sont toujours ouvertes».
Quand Belleval pénétra dans le sanctuaire, ce fut pour lui un éblouissement.
«Elle était, dit-il, nonchalamment assise, plutôt même couchée dans un grand fauteuil et avait une robe fond blanc, à guirlande de roses que je vois encore. Mᵐᵉ Du Barry était une des plus jolies femmes de la Cour... et certainement la plus séduisante par la per{99}fection de toute sa personne. Ses cheveux qu’elle portait souvent sans poudre étaient du plus beau blond. Ses yeux bleus, bien ouverts, avaient un regard caressant et franc qui s’attachait sur celui à qui elle parlait et semblait suivre sur son visage l’effet de sa parole. Elle avait le nez mignon, une bouche petite et une peau d’une blancheur de la santé.
«Enfin on était bientôt sous le charme et c’est ce qui m’arriva si fort que j’en oubliai presque ma supplique dans le ravissement où j’étais de la contempler. J’avais vingt-cinq ans alors. Elle s’aperçut bien de mon trouble que d’ailleurs le duc d’Aiguillon lui fit remarquer avec beaucoup de finesse et en lui tournant un compliment comme il savait les faire.»
Belleval se ressaisit et présenta sa requête avec une éloquence si pressante, eu égard au peu de temps dont il disposait, que Mᵐᵉ Du Barry lui promit de parler immédiatement au roi, lui laissant espérer la grâce de son protégé.
—Monsieur le duc, ajouta-t-elle, sait bien que ses amis sont aussi les miens et je le remercie de ne pas l’oublier.
Puis, après quelques questions obligeantes sur la famille de Belleval et ses états de service, elle congédia les deux auditeurs en disant au jeune officier qu’il «aurait bientôt de ses nouvelles».
«Elle tendit la main au duc d’Aiguillon qui la baisa en lui disant:
—C’est pour le capitaine-lieutenant. N’y aura-t-il rien pour la compagnie?
Ce qui la fit rire et me valut la même faveur qu’au duc.»{100}
Naturellement le déserteur fut gracié[139].
Comment s’étonner si, après une telle audience, Belleval devint un adorateur passionné de cette Déesse... des petits Appartements!{101}
Le Conseil accorde à d’Aiguillon l’évocation de son procès de Rennes devant le parlement de Paris.—Appui prêté par Mᵐᵉ Du Barry, malgré la résistance de Louis XV.—Le mémoire justificatif de Linguet; un collaborateur masqué; récompense de Marmontel.—La procédure du parlement de Paris.—Trêve matrimoniale.—Incidents.—Reprise des séances: récit de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Le roi arrête le procès.—La vengeance du parlement.—D’Aiguillon entaché.
Les Mémoires secrets publiaient, à la date du 12 mars 1770[140], comme information, qu’on venait d’imprimer furtivement «la procédure de Bretagne, ou procès extraordinairement instruit et jugé, au sujet d’assemblées illicites, discours injurieux, subornation de témoins, complots de poison et incident de calomnies, précédé d’un discours préliminaire, où le duc d’Aiguillon est représenté comme l’ennemi implacable, l’instigateur et presque le bourreau de six exilés, un sujet indigne de la confiance de son prince, un chef de conjurés, un suborneur de témoins, le fauteur d’un projet d’empoisonnement, le complice et peut-être même le premier auteur de ces crimes».
Autant déclarer avec le fabuliste que la mort était seule capable d’expier de tels forfaits.{102}
Choiseul n’allait pas jusque-là; car, si, dans les Mémoires qui parurent sous son nom, en 1790[141], il dit, à propos de cette instance judiciaire: «J’ai cru que M. d’Aiguillon était déshonoré et je le regarde encore comme tel», il ajoute, par manière de correctif: «mais je n’ai jamais cru qu’on pût le faire pendre». Il plaide même, avec une sorte de pitié dédaigneuse, les circonstances atténuantes en faveur d’un adversaire qui, victime d’un atavisme vaguement défini, n’est peut-être pas entièrement responsable de son indignité: «Il avait porté dans son commandement le caractère malheureux de despotisme, de basse vengeance et même de cruauté avec lequel il était né.» Mais Choiseul ne l’était-il pas, lui aussi, responsable de ces prétendus excès de pouvoir, pour en avoir si longtemps maintenu l’auteur dans son commandement?
La situation devenait donc, sinon menaçante, du moins irritante pour d’Aiguillon. Maupeou, par politique, beaucoup plus que par sympathie pour le rival de Choiseul, estima que le procès devait être évoqué devant le parlement de Paris; et, comme Maupeou, d’Aiguillon demanda et obtint du roi, le 24 mars, cette juridiction qui était celle de ses pairs[142].
Ce n’était pas sans peine que le Conseil s’était arrêté à cette solution. D’abord le parlement de Rennes, à qui Louis XV avait énergiquement refusé le rappel des La Chalotais, n’entendait pas qu’on lui infligeât encore une nouvelle déception, en lui retirant le procès de{103} M. d’Aiguillon, cette proie sur laquelle il s’était rejeté avec délices. Jusqu’au 17 mars, il s’obstinait à ne point s’en dessaisir, sachant de reste que nombre de parlementaires parisiens étaient de cœur avec lui[143].
D’Aiguillon, lui, ne pouvait oublier qu’à deux reprises différentes, en 1767 et 1769, il avait supplié le roi de lui laisser porter devant ses pairs une plainte en règle contre ses accusateurs, et que chaque fois le Conseil lui avait répondu par une fin de non-recevoir. Mais, aujourd’hui, en présence de ces histoires de brigands auxquelles semblait croire le duc de Choiseul, il ne pouvait point ne pas rompre ce silence, que le roi, dans son horreur de tout bruit, avait si souvent exigé de la longanimité de son représentant. Le maréchal de Richelieu et la comtesse de Forcalquier—une amie bien chère[144]—appuyaient les revendications de l’ancien commandant de Bretagne:
—Il lui faut, disaient-ils, une justification triomphante.
Dans le principe, Maupeou avait longtemps hésité: il savait le secret des répugnances royales; et ce{104} «Pantalon au regard faux et perfide», comme l’appelait Sénac de Meilhan, mais déjà tacticien consommé, se demandait peut-être l’avantage qu’il pouvait tirer du salut ou de la perte d’un homme que protégeait si visiblement la sultane favorite.
Ne lui avait-elle pas déjà donné une preuve indéniable de sa bienveillance, alors qu’il négociait l’achat des chevau-légers[145]? D’Aiguillon sut l’amener à lui en ménager une nouvelle, à cette heure décisive pour sa fortune. Richelieu, adroit et complaisant, obtint de Mᵐᵉ Du Barry des entrevues, où, sous prétexte de l’intéresser à un procès, qu’au dire des contemporains elle eut toujours beaucoup de mal à comprendre, d’Aiguillon continua sur elle ce travail d’emprise qui devait le conduire au pouvoir. «Doucement tendre, peu à peu, il s’empara d’elle. Sa mère, la vieille duchesse, «au regard fol», plaida aussi la cause de son fils, avec une éloquence passionnée» qui parvint à convaincre la comtesse[146].{105}
Tant d’influences, et de si diverses natures, finirent par l’emporter. Maupeou et les autres ministres opinèrent en faveur de d’Aiguillon.
—Vous le voulez, dit Louis XV, qui fit un dernier semblant de résistance, au Conseil du 24 mars; vous verrez ce qui arrivera.
Maupeou le pressentait peut-être.
Toujours est-il que des lettres patentes ordonnèrent au parlement de Rennes de passer les procédures à celui de Paris, qui fut convoqué, à Versailles, où devait s’ouvrir, le 4 avril, ce procès célèbre, prélude d’un plus célèbre encore.
La première séance fut solennelle et magnifique: nos pères aimaient l’apparat judiciaire. Le 7 avril, le procureur général concluait—et l’assemblée adopta cette solution—à l’annulation des procédures de Bretagne. Tout était à recommencer; informations, réassignations et auditions de témoins; et du 16 avril au 7 mai, ce fut une série interminable de dépositions—entre autres, celles d’Hévin et de Cornulier de Lucinière—rebrassant, avec quelle animosité, les accusations d’assassinat, des crimes les plus vils et les plus odieux, qui mettaient infailliblement d’Aiguillon au ban de la société. L’émotion fut intense. Maupeou se rappela le mot du roi: car ce n’était pas seulement le procès d’un agent de l’autorité, mais celui de cette même autorité qui s’instruisait en public.
«Le gouvernement, écrit Linguet, à titre d’avocat-conseil, était donc forcé d’arrêter cette explosion formidable.»
D’Aiguillon avait, en effet, choisi pour rédiger les{106} mémoires justificatifs qu’il voulait présenter au parlement, cet homme, dont la personnalité stimulait déjà singulièrement la curiosité publique. Assez froidement accueilli, lors de ses débuts, par d’Alembert qui s’était défendu d’appuyer sa candidature à l’Académie, Linguet avait juré une haine éternelle aux Encyclopédistes. Il avait fait une active campagne contre leurs idées philosophiques et leurs doctrines d’économie politique, dans des livres où il avait donné libre cours à la fougue de sa polémique outrancière qu’avivait encore l’âpreté d’un esprit naturellement paradoxal et sarcastique. Puis, estimant sans doute que ses contemporains ne lui décernaient pas assez de couronnes, il se fit inscrire au barreau, où son plaidoyer en faveur du chevalier de la Barre—cher pourtant aux philosophes—avait trouvé, à juste titre, nombre d’approbateurs, quand d’Aiguillon lui confia sa défense.
S’il faut en croire un passage fort intéressant des Mémoires[147] de Marmontel, le duc ne fut que médiocrement satisfait du travail de Linguet; il en déplorait le ton déclamatoire et le verbiage ampoulé. C’étaient ses propres expressions qu’un certain Garville, «honnête homme» et grand ami de la Clairon, citait à Marmontel, chez Mᵐᵉ Geoffrin.
—J’ai appris, disait-il, à connaître M. d’Aiguillon au cours de mes voyages en Bretagne et je suis convaincu que le procès qui lui est intenté est tout simplement «une affaire de parti et d’intrigue. Malheureusement il n’a pu trouver pour avocat qu’un enfant{107} perdu», Linguet, «de qui le talent n’est pas encore formé».
C’était le duc d’Aiguillon qui parlait, en ces termes, à Garville de son défenseur et du mémoire qui l’avait si fort mécontenté.
—Mais, lui répliquait son interlocuteur, «voyez un homme de lettres...»
—Ils sont tous contre moi, interrompait le duc.
C’est alors, dit Garville, en s’adressant à Marmontel, que je «vous ai nommé comme un ennemi-né de l’injustice et du mensonge».
Aussitôt le duc d’embrasser Garville: «Vous me rendrez le plus grand des services, si vous engagez M. Marmontel à travailler à mon mémoire».
L’invite était formelle et pressante; et peut-être bien la rencontre de «l’homme de lettres» avec le confident de M. d’Aiguillon n’était-elle pas aussi fortuite que semble vouloir le dire le narrateur.
En tout cas, Marmontel déclare solennellement:
«—Ma plume ne se refuse pas à servir une bonne cause. Je veux connaître celle du duc d’Aiguillon pour savoir si je dois travailler pour lui: qu’il me confie ses papiers. Je m’emploierais de même à servir la cause de l’homme du peuple (toujours l’humanitarisme vrai ou faux du XVIIIᵉ siècle!). Je ne mets à mon acquiescement que deux conditions, que le secret me sera gardé et qu’il ne sera jamais question de lui à moi de remercîments ou de reconnaissance; je ne veux même pas le voir.»
Le petit couplet en l’honneur de la fierté et de l’indépendance du lettré serait le plus joli du monde, s’il n’avait reçu, et même dans cette occurrence, de forts{108} accrocs, hélas! trop humiliants pour le siècle de la philosophie.
Donc, dès le lendemain, Garville apporte les papiers. Marmontel y découvre la preuve que «le procès n’est qu’une persécution suscitée par des animosités personnelles». Il prend alors le mémoire de Linguet, le «refond, y met de l’ordre et de la clarté, en élague les métaphores incohérentes», complète enfin le travail d’un «nouvel exorde (celui de Linguet était trop impertinent) et d’une conclusion également nouvelle, la première n’étant pas suffisamment serrée».
D’Aiguillon, enchanté, «fait venir Linguet et le prie d’adopter les changements» qu’il a introduits dans le mémoire.
Linguet jette feu et flamme: «C’est, dit-il, un homme de l’art qui a mis la main à mon ouvrage: vous voulez me déshonorer, car je n’entends être l’écolier de personne. Cherchez un avocat qui veuille être le vôtre: ce n’est plus moi.»
D’Aiguillon, le personnage si hautain et si vaniteux, se voit obligé de subir ces rebuffades, «puisqu’il ne pouvait trouver d’autre avocat». Il finit donc par apaiser Linguet, qui reprend son mémoire pour y mettre la dernière main. Il refait l’exorde et la conclusion, mais il conserve l’ordre suivi par Marmontel et ne rétablit pas les bizarreries de style biffées par le correcteur.
Nous avons cru qu’il ne serait pas indifférent au lecteur de connaître le dénouement de cet épisode de la vie littéraire au XVIIIᵉ siècle.
Linguet, écrit Marmontel, parvint à savoir le nom{109} du confrère qui avait ainsi rhabillé sa prose: il fut dès lors «son plus cruel ennemi».
Quant à Marmontel qui, si l’histoire est exacte, serait le premier apôtre de la réhabilitation du commandant de Bretagne, il ne tarda pas, de son propre aveu, à rabattre quelque peu de son attitude républicaine vis-à-vis le duc d’Aiguillon. L’obligeant Garville redoubla si fort ses instances qu’il décida Marmontel à venir dîner chez son client de circonstance; et celui-ci, quelque temps après, lui adressait, manu propria, ce succulent poulet:
«Je viens, monsieur, de demander pour vous au roi la place d’historiographe de France, vacante par la mort de M. Duclos. Sa Majesté vous l’a accordée. Je m’empresse de vous l’annoncer. Venez remercier le roi.»
Quoi qu’il en soit, le «secret» exigé par Marmontel fut bien «gardé»; car les malicieux rédacteurs des Mémoires dits de Bachaumont, toujours à l’affût des échos scandaleux, ne soufflent mot de ce passage à la teinture de l’œuvre de Linguet. Lorsqu’ils signalent l’apparition de celle-ci dans leur article du 21 juin 1770, ils démontrent, quoique plutôt hostiles à l’ancien commandant de Bretagne, avec quelle habileté l’avocat avait fait valoir la cause de son client. D’après Linguet, le duc avait su concilier les exigences de l’Etat avec les intérêts de la province, à tel point que ses ennemis eux-mêmes n’avaient osé lui refuser leurs éloges; mais le défenseur n’avait pu «dissimuler que, dans la septième tenue des États, en 1768, le duc d’Aiguillon n’eut pas le même succès et que, le trouble parvenu à son comble, il crut devoir, par une retraite pru{110}dente, prévenir un plus grand et plus long désordre».
C’était alors la conviction qu’avait l’avocat[148] ou qu’il prétendait avoir. Car, depuis, quand il fut en contestation avec le duc pour le chiffre de ses honoraires, il s’infligea à lui-même le plus sanglant démenti dans des invectives restées classiques: palinodie écœurante, que constate, non sans une joie maligne, dans ses Souvenirs, Brissot de Warville, et qu’y vient confirmer une anecdote des plus piquantes. Le futur conventionnel avouait, en effet, que d’Aiguillon «défendu par les mémoires de Linguet ne lui semblait pas coupable» et il les appelle, ces «mémoires», un «monument éternel de honte et d’infamie». A Mᵐᵉ Lem qui les lui avait reprochés, Linguet n’avait-il pas eu le cynisme de déclarer:
«—Pourquoi les États de Bretagne ne se sont-ils pas adressés à moi? Je les aurais défendus![149]»
Le parlement de Paris avait pris en main leur cause, de façon si ostensible, et dans un esprit de malveillance si prononcé contre d’Aiguillon, que, le 8 mai, le chancelier enjoignait, de l’ordre du roi, au premier président d’apporter la grosse de l’information, close la veille. Le 9, le parlement obéissait, mais avec cette raideur dont il était coutumier: il usait de son arme familière,—les remontrances—pour déclarer solennellement que «l’honneur ne se rétablit pas par voie{111} d’autorité» et qu’«interrompre la procédure serait porter préjudice à l’accusé, au bien de la justice et au service du roi».
Une trève de courte durée interrompit ces premières hostilités.
Louis XV mariait le Dauphin, son petit-fils, avec l’archiduchesse d’Autriche, Marie-Antoinette, fille de l’impératrice-reine Marie-Thérèse. Dans les fêtes mêmes qui marquèrent cette nouvelle alliance entre deux maisons si longtemps rivales, les ennemis de d’Aiguillon trouvèrent amplement matière à exercer leur malignité contre l’ancien commandant de Bretagne. Ils se montraient dans les allées, brillamment illuminées, du parc de Versailles, alors que Choiseul donnait le bras à la princesse de Beauvau[150], d’Aiguillon offrant gracieusement le sien à l’ancienne maîtresse du Roué. Et qui sait? peut-être signalèrent-ils le couple odieux, par une allusion perfide, à l’adolescente, qui, devenue femme et plus tard reine de France, devait envelopper dans la même exécration le favori et la favorite de Louis XV. Car, si chastement que l’eût élevée sa mère, la future Dauphine ne pouvait ignorer en quel milieu les exigences de la diplomatie l’appelaient à vivre. Mais, Marie-Thérèse, qui avait un sens politique si développé, lui avait recommandé une extrême prudence, la meilleure forme de déférence que la jeune épousée dût observer envers un roi et un vieillard.
S’il faut en croire les Anecdotes de la comtesse Du{112} Barry[151] qui parfois sont bien informées, des émissaires de M. de Choiseul auraient tenté de dissuader la maîtresse du roi d’assister à l’«entrée» de la Dauphine; ces officieux l’engageaient même à prétexter une saison à Barèges, pour éviter une rencontre qui pourrait désobliger la jeune princesse.
—Ah! madame, lui dit Richelieu, ignorez-vous les dangers de l’absence?
Et d’Aiguillon d’appuyer fortement l’argumentation de son cousin.
«Ils avaient raison, conclut le rédacteur des Anecdotes; car la chose se passa fort bien.»
En apparence peut-être, mais nous ne serions pas autrement surpris si les intrigues de cour, toujours souterraines et mystérieuses, n’avaient agi dans le sens que nous indiquions plus haut.
Les fêtes officielles du mariage étaient à peine terminées que le parlement, impatient de reprendre la piste, faisait prier le roi, le 26 mai, de lui donner son jour pour prononcer sur deux requêtes qu’il avait reçues, l’une de d’Aiguillon, l’autre de la Chalotais qui se portait partie civile.
—Je répondrai, dit Louis XV, quand j’aurai la grosse de la seconde information.
Le parlement s’ajourne au 19 juin, mais avec le vague pressentiment que se préparait un coup de force, d’ailleurs proposé au Conseil par Maupeou.{113}
Le 19, les gens du roi viennent annoncer que le prince «parlerait» le 27. Louis XV ne «parla» que le 28.
Ici nous laisserons «parler» aussi Mᵐᵉ d’Aiguillon: car elle a très véridiquement retracé la physionomie de la journée. Dès le lendemain, le 29, elle écrit au chevalier; elle est encore sous l’impression de l’événement; et l’émotion qu’elle en éprouve n’altère ni la fermeté de son esprit, ni la souplesse de sa belle humeur. Elle montre combien, dans ces heures critiques, elle reste à la hauteur de son devoir, multipliant ses bons offices auprès de son mari et prêchant d’exemple, par son attitude énergique, mais enjouée, à cet homme que semble effarer la nécessité de prendre une décision.
Elle dit tout d’abord à son confident combien elle est «affairée, quoique n’ayant rien à faire» et s’excuse d’être en retard avec lui: ne s’est-elle pas «persuadée que qui n’écrit pas de mémoires, ne doit pas écrire?»
Mais, par contre, ce qu’elle en lit! «Tout autre genre de littérature est banni de chez moi: le code et le code criminel, voilà les livres que l’on trouve dans mon boudoir et sur ma toilette.» Aussi dans quelle solitude vit-elle! «Depuis votre départ, je n’ai vu qui que ce soit le soir: je reste seule jusqu’à dix heures, dix heures et demie que M. d’Aiguillon revient et cause avec moi jusqu’à près de minuit.» Comme son mari rentre très fatigué—elle n’ose dire très déprimé—elle s’efforce de le distraire: elle court toute la journée «pour attraper quelques nouvelles ou quelques histoires qui puissent l’amuser un moment[152]».{114}
Mais, sous ce badinage de surface, sa perspicacité reste toujours en éveil et son raisonnement immuable: «Ce qui peut nous arriver de mieux serait d’être jugé.»
Malheureusement «le ministère n’a pas pensé de même» ajoute-t-elle sans commentaires. Et elle résume, à l’intention de son correspondant, les divers épisodes du «lit de justice» qui s’est tenu la veille, «pour faire enregistrer les lettres patentes par lesquelles le roi arrête la procédure et défend de la continuer». Là-dessus, «le chancelier a fait un beau discours» (la pointe d’ironie est à peine sensible) pour expliquer la pensée du prince. «Le roi, dit-il, qui n’avait pas permis à M. d’Aiguillon, l’an passé, malgré ses instances, de rendre publiques les requêtes qu’il lui avait présentées, a voulu, cette année, savoir quelles étaient les accusations. Il a permis, en conséquence, que les instructions se fissent avec le plus grand appareil judiciaire. Mais, très surpris de voir que quelques témoins avaient parlé de choses étrangères au sujet et compromis ainsi l’administration, il défendait la suite de cette affaire et ordonnait le silence le plus absolu.»
Ici se place un incident assez piquant:
«Comme, au moment de l’enregistrement, le duc d’Orléans avait paru y mettre quelque obstacle, le roi lui a dit qu’il lui permettait ainsi qu’aux autres pairs d’aller au Palais, mais qu’il lui ordonnait, au cas où{115} l’on parlerait de cette affaire, de lever le siège et de sortir.»
Une consolation restait à la duchesse, c’est que «dans les lettres patentes, le roi disait qu’il n’avait jamais vu dans la conduite de M. d’Aiguillon que le plus grand zèle pour son service et pour le bien de l’État[153]».
Pas plus qu’elle, aucun des amis, ni même des ennemis de M. d’Aiguillon n’avait été dupe de cette solution inattendue. En vain, Louis XV avait-il justifié publiquement le représentant de sa politique; en vain, pour lui donner une preuve nouvelle de sa confiance, l’avait-il emmené souper avec lui à Marly. Le duc n’en était pas moins victime d’un déni de justice. Et son entourage en exprimait très haut son mécontentement; Mᵐᵉ Du Deffand le note dans ses lettres. Le chevalier d’Abrieu, secrétaire intime de d’Aiguillon, de Laigle, le vicomte de Barrin, Becdelièvre, Tinténiac et combien d’autres déplorent un tel dénouement[154]. De la Guerre en écrit à la duchesse. Tous stigmatisent la perfidie de Maupeou qui a voulu faire coup double, et contre d’Aiguillon, et contre le parlement.
Voltaire, lui-même, écrit que le duc d’Aiguillon fut victime d’une persécution publique et acharnée presque semblable à celle dont mourut Lally. Avait-il oublié par hasard la galéjade que lui avait inspirée le cure-dent de la Chalotais? Ou ne vaut-il pas mieux croire qu’il obéissait au premier élan de son cœur qui{116} le portait d’instinct vers les victimes de l’injustice et de la calomnie? Et puis l’affection, un peu aveugle, qu’il avait toujours vouée à Richelieu, ne pouvait-elle rejaillir sur un des plus proches parents de son héros?
Pour nous, autrement précise est l’opinion de Condorcet, quand il écrit à Turgot, le 29 juin, le même jour que la duchesse à Balleroy: «S’il est vrai que le parlement de Rennes l’ait (le duc d’Aiguillon) calomnié en 1764 et n’ait cessé de le faire calomnier depuis, j’avoue que la haine parlementaire est aussi cruelle que le despotisme ministériel[155].»
Cette «haine parlementaire» allait singulièrement justifier l’appréciation, presque prophétique, de Condorcet.
La duchesse, dans sa lettre à Balleroy, qui dut partir fort tard le 29 juin, disait que le jour même, le parlement avait tenu une très longue séance de onze heures du matin à neuf heures et demie du soir. Le résultat en était resté indécis et confus: «Vingt avis s’étaient ouverts plus biscornus les uns que les autres et plus impertinents envers le roi.» De guerre lasse, on s’était ajourné au lendemain. Mais la duchesse prenait facilement son parti d’orages qu’elle avait vus tant de fois au-dessus de sa tête: «C’est l’affaire du roi, écrit-elle, ce n’est plus la nôtre... Nous allons partir bientôt pour Véret.»
Pouvait-elle prévoir le coup de tonnerre qui allait si brusquement retentir par tout le royaume?
Le 2 juillet, le parlement assemblé sans les princes et les pairs qui s’étaient, sur les ordres de Louis XV,{117} abstenus de siéger, rédigeait les remontrances et l’arrêt, dont il devait être, dans un avenir prochain, le mauvais marchand.
Il s’élevait contre l’abus de pouvoir qui interrompait le cours de la justice, violait les formes les plus précises et garantissait l’impunité aux gouverneurs de province; il retenait ces dépositions qu’avait frappées de suspicion le gouvernement et, sans débats, sans même que l’accusé eût été entendu, il fulminait cet arrêt célèbre qui entachait d’Aiguillon et l’excluait des fonctions de la pairie; «ces lettres patentes à lui données par le roi, étaient des lettres d’abolition».
On eût dit que l’auteur de la Lettre d’un gentilhomme breton, le plus vigoureux des pamphlets dirigés contre le commandant de Bretagne, avait eu comme le pressentiment de cet arrêt inique et l’avait frappé, par anticipation, de flétrissure, quand il déclarait que retenir les La Chalotais en exil, après les avoir pour ainsi dire réhabilités, était un déni de justice: «Les commencements de preuves, déclarait le pamphlétaire anonyme, ne sont pas des preuves».
Cet aphorisme, bien qu’émané d’un adversaire, se retournait contre l’arrêt du parlement; car c’était également un déni de justice que d’avoir noté d’infamie le duc d’Aiguillon, en violant, avec une telle désinvolture, les lois de la raison et de l’équité[156].
Mais, dans ces affaires de Bretagne, les illégalités ne se comptaient déjà plus.{118}
Riposte de Maupeou: cassation de l’arrêté.—Pluie de couplets et d’anecdotes satiriques.—Avanies prodiguées à Mᵐᵉ Du Barry.—Insolences et mécomptes des parlementaires bretons d’après Mᵐᵉ d’Aiguillon.—La journée du 3 septembre.—Louis XV revient aux traditions de son bisaïeul.—Le sac du roi et le char de la blanchisseuse de d’Aiguillon.—Indulgence et pitié.—Le Parlement de Paris courbe la tête.—Mᵐᵉ d’Aiguillon et ses «chers Bretons».
L’arme qui blessait d’Aiguillon atteignait du même coup la royauté. Maupeou, tout satisfait qu’il dût être de la flétrissure du fonctionnaire, ne pouvait cependant admettre qu’elle s’étendît jusqu’au prince. Aussi envoyait-il à Saint-Hubert, pavillon de chasse où séjournait volontiers Louis XV, l’arrêté du parlement avec un projet de cassation que signa le roi et que le chancelier envoya immédiatement à l’impression.
Cette riposte de Maupeou ne suffisait pas à laver d’Aiguillon de la honte qu’il avait subie et que n’avait su lui éviter Mᵐᵉ Du Barry, si bien préparée pourtant à ce rôle de sauveteur. La malignité des libellistes en prenait texte pour cribler d’épigrammes la protectrice et le protégé. Un couplet de vaudeville, écrit «sur l’air du Déserteur» fait dire au duc:
Le duc de Brissac prétendait que d’Aiguillon «avait sauvé sa tête, mais qu’on lui avait tordu le col». Et Maurepas qui ne laissait jamais échapper l’occasion de placer un mot, fût-ce aux dépens d’un parent ou d’un ami, ajoutait: «Je crains bien que de tout ceci, il ne reste à mon neveu que le jaune[158].» On sait que d’Aiguillon avait le teint safrané.
Louis XV le voyait d’une autre couleur.
«—Comme il est pâle! disait-il, à son petit lever, en l’apercevant de loin.
—Votre Majesté juge toujours les gens bien favorablement, répliqua le duc d’Ayen: tout le monde le voit bien noir[159].»
Un mauvais plaisant eut, paraît-il, l’audace d’envoyer à d’Aiguillon un dégraisseur auquel il persuada que le duc était très sourd et qui lui cria en présence d’une brillante assemblée: «On m’a dit que vous me demandiez pour laver les taches qui sont sur votre cordon bleu[160]».
Des faits autrement graves que le colportage de couplets ou d’anecdotes satiriques ne pouvaient échapper à l’observation du principal intéressé. La future reine de France, qui n’avait pas encore atteint sa quinzième année, était manifestement prévenue contre{120} Mᵐᵉ Du Barry: il ne manquait pas de bonnes volontés pour remplir cet office, ne fût-ce que celle de M. de Choiseul, d’autant mieux écouté de la Dauphine, que la fille de Marie-Thérèse devait son mariage à ce partisan résolu de l’alliance autrichienne. Aussi, dès le 9 juillet, donnait-elle à sa mère cette impression de la Du Barry, qu’«elle était la plus sotte et la plus impertinente créature qui fût imaginable». Marie-Antoinette s’était trouvée à côté d’elle au jeu du roi: «elle lui avait cependant parlé quand il le fallait[161]».
De leur côté, les ennemis de d’Aiguillon entendaient profiter de leur victoire. L’arrêt du Parlement était à peine rendu, qu’ils le répandaient dans tout Paris par des colporteurs, que pourchassait vainement d’Hémery, l’inspecteur de police, chargé de la surveillance de la librairie[162]. La rumeur publique voulait que la duchesse de Gramont[163], sœur de Choiseul, traversant la Provence et le Languedoc pour aller à Barèges, eût tenté de soulever les Parlements de ces deux provinces contre la décision du conseil suspendant le procès de d’Aiguillon. Et le maréchal de Richelieu avait eu à cet égard une explication des plus vives avec le duc de Choiseul.
L’ambassadeur d’Autriche en France, Mercy-Argenteau, relate l’anecdote à Marie-Thérèse, puis lui en raconte une autre, démontrant de reste comment d’ha{121}biles courtisans savaient développer chez Marie-Antoinette une antipathie qui trouvait là un terrain si propice et qui devait bientôt rejaillir de Mᵐᵉ Du Barry sur d’Aiguillon. La dauphine avait vu, non sans déplaisir, qu’on entraînait son mari dans les soupers du pavillon de l’Hermitage, où le roi, revenant de la chasse, se rencontrait avec sa maîtresse. Or, Mᵐᵉ de Noailles, dame d’honneur de Marie-Antoinette, avait conseillé à la jeune princesse d’y accompagner par politique le dauphin. Choiseul, qu’avait consulté la dauphine, avait estimé que la place de Marie-Antoinette n’était pas aux soupers de l’Hermitage, qu’elle «ne devait pas le demander», mais que «si le roi le lui proposait, elle devait s’y prêter avec une apparence de plaisir[164]».
Des avanies, visant plus directement la favorite, et de ce fait autrement outrageantes, ne lui étaient pas épargnées par l’entourage et surtout par la famille de Choiseul. La duchesse de Gramont, beauté arrogante et superbe, qui avait convoité la succession de Mᵐᵉ de Pompadour auprès de Louis XV, se faisait remarquer plus particulièrement par son insolence envers Mᵐᵉ Du Barry. Si, certain jour, à Choisy, les dames de la cour s’étaient refusées à laisser la maîtresse du roi prendre place au milieu d’elles, c’est que la duchesse de Gramont était une des instigatrices les plus actives de ce complot féminin. Sa parente, la comtesse, n’était pas une des ennemies les moins acharnées de Mᵐᵉ Du Barry; et les propos injurieux dont elle l’avait accablée lui avaient valu un exil à quinze lieues de Paris[165].{122}
Ce dut être surtout à cette heure critique, dans le courant de juillet 1770, que l’alliance se scella définitivement, sous les auspices du chancelier, entre la femme si cruellement offensée par les affronts «des Choiseul» et l’homme, au cœur débordant de rancune, que le Parlement croyait avoir marqué d’une flétrissure indélébile.
D’Aiguillon n’était pas parti pour Veretz, comme l’avait écrit la duchesse; mais il était toujours sur les chemins, suivant de près une affaire qui touchait si fort à son honneur, alors que sa femme, fidèle au programme qu’elle s’était précédemment tracé, restait à Paris pour surveiller les intérêts de M. d’Aiguillon et pour lui apporter, dès son retour, le réconfort d’un accueil toujours souriant.
Nous ne voyons pas, à moins que ses lettres ne se soient égarées, qu’elle ait appris ni commenté à son correspondant l’arrêt qui avait noté d’infamie le duc d’Aiguillon et provoqué, de ce fait, un tel retentissement dans le pays.
La première lettre que nous retrouvions de sa main, depuis ce coup de foudre, date du 23 août 1770 et ne parle que des affaires de Bretagne. Il n’avait pas suffi au Parlement de Rennes de voir «entaché» l’ancien commandant de la province; il avait voulu encore protester contre les lettres patentes du 27 juin qui en avaient suspendu le procès; et rêvant d’une de ces coalitions, qui étaient la négation même du pouvoir{123} royal, il avait invité les autres Parlements à se fédérer pour demander des explications au souverain sur la punition infligée aux deux procureurs généraux de Rennes.
La réplique ne s’était pas fait attendre. Dix-huit bretons avaient été mandés à la Cour où ils devaient se rendre le 20 août[166]:
«Je ne veux pas, écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon à Balleroy, sur un ton d’aimable ironie, que vous appreniez par d’autres que par moi la détention de votre cher cousin, M. de Lohéac[167]: l’intimité qui était entre vous vous y rendra sûrement très sensible. Voici le fait: Vous avez vu toutes les sottises de notre Sénat breton et surtout celle des 18 membres qui se sont distingués, à la tête desquels étaient MM. de Lohéac et La Noue: ce qui a déterminé le roi à en faire justice. On dit qu’ils ont été menés au Château de Vincennes. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’ils ont été arrêtés en sortant de chez le roi... Ces messieurs s’étaient présentés, la veille, chez tous les ministres qui avaient refusé de les voir. Ils ont voulu aller voir le Grand Couvert. L’huissier leur a dit de la part du premier gentilhomme qu’ils eussent à se retirer. Vous voyez qu’ils n’ont pas été tant fêtés. On croyait que cette nouvelle ferait plus de bruit à Paris... et tout ce que le crédit du ministre qui les protège (Choiseul) a pu faire, ce fut de suspendre leur peine...
«... Ces messieurs nous ont fait l’honneur de faire{124} brûler notre mémoire (celui de Linguet) par la main du bourreau. L’arrêt est lui-même un mémoire. Si je peux en avoir, je vous l’enverrai: il vous paraîtra aussi plat qu’il est long[168].»
Fut-ce l’effervescence nouvelle de ces incorrigibles bretons; ou la malveillance avérée des Parlements de Bordeaux et de Toulouse, en ce même mois d’août à l’égard de d’Aiguillon[169]; ou bien encore l’influence de la Du Barry à qui le duc avait enfin fait comprendre que l’arrêt du conseil du 3 juillet n’était pas une solution[170], influence qui précipita la détermination d’un «homme dont on n’obtenait jamais ni un oui, ni un non[171]?»—Toujours est-il que Louis XV prit, le 2 septembre, une décision inattendue et que Maupeou reçut l’ordre, le même jour, d’en préparer l’exécution.
Le 3, comme si le souvenir de son bisaïeul, entrant, botté et le fouet à la main, au Parlement, pour lui dicter ses volontés, eût enfin secoué la torpeur du plus indolent des monarques, Louis XV arrivait au Palais, dans sa voiture de chasse, «ventre à terre, précédé des quatre compagnies rouges et du vol[172]».
Mais laissons la parole à Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui, le lendemain, racontait la scène au chevalier:
«Voilà donc enfin le roi tout à fait roi, Dieu soit loué! Sa Majesté a été hier au Parlement et voici le détail de la bonne besogne qu’il y a faite: il a ordonné{125} qu’on lui apportât toutes les minutes et autres papiers ci-dessus nommés (les informations relatives aux affaires de Bretagne) et les a fait mettre dans un sac qu’il avait apporté tout exprès, ainsi que le registre sur lequel était l’arrêt du 2 juillet, et celui dans lequel ils demandaient réparation au roi...» Avant cette opération, Louis XV avait répondu aux remontrances du Parlement sur la détention des magistrats de Rennes, qu’ils avaient été justement punis et qu’il sévirait contre tous ceux qui imiteraient leur conduite. Quand il eut enlevé jusqu’à la dernière pièce d’une procédure aussi filandreuse qu’elle avait été irritante, le roi signifia au Parlement qu’il eût à «se retirer dans ses chambres pour y remplir sa seule fonction, qui est d’administrer la justice». La duchesse avait remarqué le discours du chancelier, au nom du roi, discours «très long et très fort[173]». Elle ajoute que Paris «n’a pas applaudi généralement» à cet acte d’autorité. Mais en vérité «la folie et l’insolence des parlements étaient poussées trop loin». Elle s’étonne cependant que le maréchal de Richelieu n’ait pas agi aussi énergiquement avec celui de Bordeaux. Pourquoi n’a-t-il pas fait biffer sur le registre du Parlement un arrêt identique à celui du 2 juillet, quoiqu’il en eût l’ordre? Il faut qu’il ait eu quelques raisons particulières qu’il est difficile d’élucider[174].
Quand Mᵐᵉ d’Aiguillon dit que «Paris n’a pas applaudi généralement», elle est, en vérité, bien indul{126}gente, car le roi avait à peine enlevé «le sac qu’il avait apporté avec lui», que les épigrammes pleuvaient de nouveau dru comme grêle, sur la Du Barry et son obligé. Cette peste de Mairobert ouvrit le premier le feu[175]. Avec quel luxe de détails il décrit l’élégant «vis-à-vis» donné, prétend-il, à la comtesse par d’Aiguillon reconnaissant! Cette voiture surpasse en magnificence les carrosses envoyés jadis à Vienne pour la dauphine (encore une cause d’animadversion, si l’anecdote est vraie, contre le duc et son amie). Sur les panneaux, les armoiries de la dame avec son fameux cri: Boute en avant! Et que de galantes peintures! Colombes se becquetant sur des nids semés de roses; cœurs transpercés de flèches, au milieu des attributs de Cupidon coquettement enguirlandés. Les housses du siège des cochers, les supports des laquais par derrière les roues, les moyeux et jusqu’aux marchepieds, tout était du dernier fini. D’Aiguillon l’avait payé, paraît-il, 52.000 livres. Il eut la douleur de constater que la comtesse ne s’en servait pas. Le roi l’avait trouvé trop somptueux pour sa maîtresse et celle-ci le bouda. Que l’anecdote fût vraie ou fausse, un bel esprit la saisit au vol et la métamorphosa en huitain:
Alors que Louis XV opérait son coup de force, Choiseul était en villégiature, au château de la Ferté, chez le banquier de la cour, Laborde. Mais son parti veillait. Estomaqués, un instant, par la séance du 3 septembre, comme l’avaient été les d’Aiguillon par l’arrêt déshonorant du Parlement du 2 juillet, les Choiseul s’étaient ressaisis, pour abominer, avec moins d’anecdotes, il est vrai, «l’infamie, les bassesses et les fourberies» de leurs adversaires. Mᵐᵉ Du Deffand avait envoyé à Walpole «l’imprimé du Parlement», le bulletin qu’elle avait reçu de «la grosse duchesse» (la douairière d’Aiguillon) n’étant «ni exact, ni fidèle[176]». Et ce qui avait le plus particulièrement irrité les amis de Choiseul, c’est que le chancelier, dans son discours, avait représenté d’Aiguillon comme «honoré de la confiance du roi et chargé de ses ordres»; c’est qu’il avait déclaré «sa conduite irréprochable».
Quelques jours auparavant, la correspondante de Balleroy avait insisté sur la signification véritable d’un acte qui exaspérait le parti Choiseul:
«Je comprends que vous ayiez été très aise en apprenant le détail de la journée du 3: en vérité, on peut, à mon avis, l’appeler journée; car c’est une vraie victoire que le roi a remportée sur les ennemis de son autorité, victoire dont je fais plus de cas, que de celles de tous les conquérants, en ce qu’elle peut et doit procurer la paix et qu’elle n’a fait répandre que de l’encre et non du sang. Enfin, de ce moment, si le roi veut soutenir ce qu’il a fait et seu{128}lement ne pas vaciller, il redevient roi, et, en vérité, il ne l’était pas.»
Après cet hommage, si ferme et si net, rendu au principe d’autorité, la duchesse revient à ses «chers bretons», qui, quoiqu’elle en ait, la préoccupent toujours. Une nièce de Lohéac, protégée de Mᵐᵉ d’Aiguillon vraisemblablement à cause de sa parenté avec Balleroy, Mˡˡᵉ de Quéhillac, vient d’écrire à la grande dame. Sollicitée par un autre de ses oncles, M. de Goyon, de tenter une démarche auprès de la duchesse, pour qu’elle intéressât La Vrillière (Saint-Florentin)[177] à la cause de Lohéac, Mˡˡᵉ de Quéhillac s’en était d’abord défendue, ne sachant si M. et Mᵐᵉ d’Aiguillon ne déclineraient pas une telle mission. Puis, cédant à un mouvement de pitié, et pour n’être pas taxée d’indifférence, elle avait déféré au désir de Goyon. La duchesse lui répondit par une «lettre ostensible»—terme employé jadis pour désigner ce que nous appelons aujourd’hui une «lettre ouverte».
Celle de la duchesse prouve une bonté d’âme, une générosité plus fortes que le juste ressentiment d’outrages et d’humiliations si longtemps endurés. Depuis que M. d’Aiguillon a quitté le commandement de Bretagne, écrit sa femme, il ne s’est plus mêlé en rien des affaires de la province, sinon pour rendre service aux hommes «dont il connaît les bonnes qualités». Il ignore donc «la punition» que le roi, «très mécontent», se réserve d’infliger au Parlement de Bretagne; mais par amitié pour Mˡˡᵉ de Quéhillac,{129} Mᵐᵉ d’Aiguillon ira recommander à la bienveillance de son oncle M. de Lohéac.
Quelle délicatesse et quel tact chez cette femme que sa correspondance, sa conduite, toute sa vie enfin présentent comme une énergique! Elle laisse à son mari, ce personnage plutôt haineux et vindicatif, l’honneur d’une décision, dont elle assurera, messagère officieuse, l’exécution.
Mais, comme chez elle, l’esprit d’observation, que nous savons très vif et très aiguisé, ne perd jamais ses droits, elle termine sur ce trait le récit de son anecdote: «M. de Goyon en a été très reconnaissant, mais il n’a pas donné un écu à sa nièce; seulement elle a ainsi acquis le droit de lui dire tout ce qu’elle veut». Droit de bien maigre rapport: car Mᵐᵉ d’Aiguillon dut pourvoir, toujours en considération de Balleroy, à l’établissement de Mˡˡᵉ de Quéhillac; et ce fut pour la duchesse un de ses plus cruels soucis. Sa protégée était d’une famille où les facultés mentales étaient fort mal équilibrées; et ses prétentions pécuniaires étaient si bizarres et si exorbitantes que Mᵐᵉ d’Aiguillon s’en lamente à maintes reprises au cours de sa correspondance avec Balleroy.
Le 4 septembre, le Parlement de Paris s’était assemblé. Encore tout étourdi du coup qu’il venait de recevoir, il se débattit dans une lutte longue et ardente sans pouvoir prendre de décision. La séance fut remise au lendemain; et ce fut le 6 seulement que se terminèrent les débats. Le parti de la modération l’avait emporté. D’un commun accord, on «ajournait l’affaire au 3 décembre». Mais la cour rendait en même temps un arrêt pour protester contre le piège{130} tendu à sa bonne foi et contre les agissements, injurieux pour elle, du chancelier et du contrôleur général[178].
Paris, loin «d’applaudir», s’était révolté... «généralement». La province avait suivi le mouvement. «Tous les parlements se donnent la main, écrit Mᵐᵉ Du Deffand; ils marquent leur mépris et leur indignation contre le chancelier; le contrôleur général rendra bientôt sa déroute complète[179].»
La circonspection du Parlement de Paris déconcerta bien des gens, dit le libraire Hardy[180]. Et comme s’ils avaient eu la prescience de l’avenir, les mécontents regrettèrent que les parlementaires n’eussent pas porté un coup plus vigoureux «pour ne pas laisser au chancelier le temps de faire de nouvelles entreprises et de couronner son plan destructif de l’autorité des magistrats».
L’effervescence, ainsi que l’écrivait Mᵐᵉ Du Deffand, n’en couvait pas moins dans tous les parlements de province, au détriment des représentants de l’autorité royale. Et la duchesse d’Aiguillon, si indulgente qu’elle fût, ne pratiquait pas assez le pardon des injures pour ne pas éprouver un malin plaisir à voir patauger dans le plus effroyable gâchis les politiciens de Bretagne et le successeur de son mari, naguère si durs, si injustes, si méprisants vis-à-vis de M. d’Aiguillon. Tenue au courant des affaires de la province, elle en devisait allègrement avec Balleroy[181].
En vain, disait-elle, a-t-on pu apaiser l’agitation qui menaçait de reprendre, en avisant la noblesse que sa{131} turbulence «donnerait gain de cause» à ses puissants ennemis. «Cet expédient a déjà réussi deux ou trois fois; mais tout s’use à la longue»: sachant qu’ils sont redoutés du commandant, ces brouillons finiront, à la tenue des Etats, par «s’échapper; et aucun frein ne pourra les arrêter... Je compte que ce sera sur la demande du roi et à la rentrée du Parlement qu’on jouera les grands jeux». Mᵐᵉ d’Aiguillon ne «le regrette pas». «Il est juste que ce gentil prélat, ainsi que vous l’appelez (Girac l’évêque de Rennes) et le premier commissaire (Duras) ressentent les biens de la paix qu’ils ont mis dans cette province... Ce qui ne laissera pas que de les y acheminer, c’est que l’on me mande que l’évêque et le premier commissaire sont brouillés à tout jamais avec l’intendant. Faux et sot, comme il est, il peut leur donner du fil à retordre... Quand il est question de nuire, il n’y a pas de sot qui ne trouve de l’assurance...»
La duchesse n’a plus d’autre pensée que la Bretagne. Toutes les lettres qui vont se succéder jusqu’à la rentrée du Parlement de Paris sont uniquement consacrées au malaise intérieur d’une province dont les hommes politiques prétendent singer l’Angleterre (l’anglomanie était alors fort à la mode). Or le Parlement britannique rentre le 20 novembre. Celui de Rennes ne tardera pas à reprendre séance. Les Etats y comptent bien. «En attendant, on pelote... On a nommé une commission pour répondre au mémoire de Linguet.» Les évêques se récusent; celui de Rennes tout le premier, «parce que M. d’Aiguillon est son plus mortel ennemi». Et la duchesse de protester. «Le fat! ce serait lui faire trop d’honneur que{132} d’avoir pour lui d’autre sentiment que celui du mépris.» Le haut clergé se refusant d’ailleurs à siéger dans cette commission, «trois abbés Chalotinistes» furent nommés qui durent «travailler à force» et nous «verrons leur bonne besogne: elle ne m’inquiète pas beaucoup[182]».
Les distractions des villégiatures suburbaines ne détournent guère Mᵐᵉ d’Aiguillon de son unique pensée: il est vrai qu’elle se trouve dans la «thébaïde» d’Aulnay[183], la propriété de Mᵐᵉ de Laigle, dont la solitude ne lui est pas désagréable: «ce n’est pas la beauté du lieu, je n’en connais pas de plus triste; ce n’est pas la beauté du temps, il en fait un à ne pas mettre le nez dehors». Elle n’en pense pas moins à «la chère Bretagne».
«Il me semble, dit-elle, que les cartes se brouillent tant qu’elles peuvent; et je vous avoue que je n’en suis pas fâchée... M. de Duras et le joli évêque sont dans le plus grand embarras: Dieu les y maintienne! On dit que l’on envoie 40 bataillons en Bretagne...»
Evidemment, la duchesse exagère: mais la fermentation d’un pays qu’elle connaissait trop bien ne lui échappait pas; et malgré qu’un autre théâtre, qu’un drame bien plus grandiose, s’imposent désormais à son attention, elle ne cessera de suivre, parallèlement à l’action dirigée par Maupeou contre le Parlement de Paris, le mouvement de la Cour de Rennes, condamnée cependant à s’effacer dans l’ombre de sa grande sœur.{133}
Maupeou «la Bigarade».—Sa double action contre Choiseul et contre le Parlement.—Le «beau pacte de famille».—Les larmes de Mᵐᵉ Du Barry.—Remontrances du Parlement et refus d’enregistrer l’édit.—Choiseul pressent sa disgrâce.—Duplicité de Louis XV.—Lettres de cachet.—Impressions de la duchesse d’Aiguillon.—Exil des parlementaires.—Le Parlement Maupeou.
Tous les fourbes ne sont pas nécessairement des hommes d’Etat; mais combien d’hommes d’Etat sont des fourbes! Et Maupeou, «la Bigarade[184]», en était un de première force, comme il était un homme d’Etat supérieur. Il ne procédait pas par la ruse, ainsi que l’avait fait Mazarin avec le Parlement de Paris, mais par la brutalité[185]: car il avait conscience qu’il ne pouvait triompher autrement d’une usurpation de pouvoir, encouragée par la mollesse du gouvernement et{134} menaçant d’amoindrir, voire d’asservir, l’autorité royale.
S’il avait tout d’abord usé de duplicité avec le duc d’Aiguillon, il comprit bientôt qu’il faisait fausse route et que le procès, gagné ou perdu, de l’inculpé découvrait la personne même du roi. D’où cette suppression, par à-coups successifs et précipités, d’une procédure dans laquelle il ne pouvait se flatter d’avoir le dernier mot; car il sentait bien que le Parlement irait jusqu’aux dernières limites d’une inlassable résistance, protégé qu’il était, et cette fois ouvertement, par le duc de Choiseul.
Le ministre ayant partie liée avec les magistrats, Maupeou estima qu’il devait combattre les coalisés simultanément. Ses auxiliaires, nous les connaissons: le souci de leurs intérêts était le plus sûr garant de leur loyauté.
Les escarmouches avaient commencé dès les premiers jours de 1770. Choiseul, fastueux pour l’Etat comme il l’était pour lui-même, dédaignait de tenir des comptes. Il avait reçu 64 millions, affectés au département de la guerre et ne se pressait pas d’en spécifier l’emploi. Terray, avisé et poussé par des ennemis du ministre, réclama cette justification. La scène fut vive au Conseil; et Choiseul alla jusqu’à offrir les diamants de sa femme[186], la petite-fille du riche financier Crozat.
Maupeou l’attaqua sur un autre terrain. Il lui reprocha de vouloir provoquer une guerre entre l’Angleterre et les puissances de la Maison de Bourbon[187]. Il{135} avait dû, sinon persuader, du moins être écouté avec un certain intérêt; car Marie-Thérèse annonçait, dès le 1ᵉʳ septembre, à Mercy-Argenteau, que la disgrâce de Choiseul était chose résolue. Et l’ambassadeur d’Autriche, qui, de son côté, avait pris ses informations, douta, pendant deux mois, du maintien de la paix.
C’était, d’ailleurs, l’opinion générale: «On parle beaucoup de guerre, écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui se montre toujours pacifiste convaincue. Dieu veuille que ce soit en vain! Mais, en vérité, nous n’en avons pas besoin. C’est un produit du beau pacte de famille qui a retardé la paix d’un an et l’a rendue plus mauvaise[188]».
Coup de griffe, en passant, au duc de Choiseul, le principal artisan de ce fameux traité signé, le 15 août 1761, entre les rois de France, d’Espagne et le duc de Parme, pour faire échec, par l’union des puissances de la maison de Bourbon, à la supériorité de la marine anglaise!
Rarement la duchesse d’Aiguillon prend à partie, même par voie d’allusion, le premier ministre. Mais son mari allait, parallèlement à Maupeou, entrer en guerre ouverte avec Choiseul, et suivant le mot de{136} Soulavie, «travailler à renverser le visir par la maîtresse».
«La coquine me donne bien de l’embarras» disait, en plaisantant, Choiseul, de Mᵐᵉ Du Barry. D’Aiguillon avait, il est vrai, manœuvré dans la coulisse, pour compliquer encore la situation, déjà difficile, du «visir». N’ayant plus à se défendre, il pouvait prendre l’offensive. Un homme qui l’a bien étudié et bien compris, Sénac de Meilhan, définit, à souhait, le rôle de ce courtisan qui «possédait l’art et le jargon de la galanterie[189]».
«Il fit insinuer par ses conseils à la Du Barry qu’elle n’aurait aucun crédit tant que Choiseul serait au pouvoir et de le remplacer par un homme qui jouerait, grâce à son rang, le même rôle et lui serait tout reconnaissant de l’y avoir poussé.»
Bien stylée par d’Aiguillon, soufflée par Maupeou, cette femme, qui n’avait été jusqu’alors qu’une bonne fille, devint une adroite comédienne. Par intervalles, elle semblait toute mélancolique.
—Qu’avez-vous donc? disait le roi, qu’amusait d’ordinaire la bruyante gaîté de sa maîtresse.
—Les Choiseul débitent des horreurs sur mon compte.
Et elle citait tel ou tel mot du ministre ou de son entourage. Elle n’avait pas besoin d’inventer.
Un autre jour, elle versait des torrents de larmes: «Les vilains Choiseul, disait-elle en sanglotant, me tourmentent.{137}
—Patience, répliquait le roi, qui ne se décidait pas encore, cela finira[190].»
A en croire Mᵐᵉ Campan, la Du Barry «sifflée par ses amis» (et c’était Maupeou qui devait lui seriner l’air) se retournait contre le Parlement, quand le roi restait irrésolu devant les manœuvres des magistrats. Elle le menait alors devant le magnifique portrait de Charles Iᵉʳ par Van Dyck, portrait acheté à Londres et devenu depuis la propriété de la favorite. Quelle leçon que cette fin d’un roi qui avait fléchi devant son Parlement!
La comtesse n’avait pas besoin de cette mise en scène—si tant est que Mᵐᵉ Campan ne l’ait pas imaginée comme un avertissement prophétique—pour inspirer à son royal amant l’horreur et la haine des parlementaires. C’était déjà chez lui de l’atavisme. Puis, ne se plaignait-il pas volontiers de ces «grandes robes qui prétendaient le mettre en tutelle» et qui inscrivaient, en tête de leur programme, la Convocation des Etats Généraux[191]?
Maupeou trouvait donc le terrain tout préparé pour mener à fond son attaque contre les parlements.
Quelques jours avant la rentrée des magistrats, le 27 novembre, il faisait signer au roi l’Edit de règlement ou de discipline—rappel de la déclaration du{138} 3 mars 1766—interdisant au Parlement de Paris toute correspondance avec les autres parlements du royaume, la cessation du service judiciaire, les démissions en corps. L’Edit leur défendait enfin de retarder la publication des édits royaux par l’ajournement de leur enregistrement; Louis XV déclarait dans le même document qu’il ne tenait sa couronne que de Dieu et qu’à lui seul appartenait le droit de faire des lois.
Le Parlement de Paris rentrait le 4 décembre. Son premier acte fut de repousser l’édit; il est vrai qu’il l’enregistrait trois jours plus tard.
Mᵐᵉ d’Aiguillon raconte le conflit. Le premier Président, écrit-elle, avait été délégué auprès du roi pour lui faire «les remontrances les plus vives». Et le prince lui avait répondu: «J’ordonne que mon Parlement enregistre mon édit demain dans la journée; et je vous charge, Monsieur, de m’en rendre compte à 7 heures du soir... Cette réponse ne les a pas contentés: ils ont fait d’itératives représentations dans lesquelles ils disaient qu’ils ne devaient, ni ne pouvaient enregistrer l’édit». Mais le vendredi 7, au lit de justice à Versailles, le chancelier «avait fait un beau discours» au nom du roi, pour démontrer «l’attention de S. M. à veiller au bonheur du peuple, etc., etc.». Le premier Président avait répliqué par «des lieux communs et très platement...» L’édit avait été enregistré immédiatement; et «à midi et demi tout était dit[192]».
Mais la duchesse ne dissimulait pas cette fois l’agitation des Parisiens, surexcitée encore par les protes{139}tations des parlementaires rentrés à Paris. De fait, la cabale philosophique et le parti des Encyclopédistes se rangeaient résolument de leur côté, après les avoir si rudement combattus. Mais, là encore, la question religieuse était en jeu. Un prédicateur n’avait-il pas eu l’étrange idée d’appeler Mᵐᵉ Du Barry, la nouvelle Esther et le duc de Choiseul le nouvel Aman? A ce compte, Maupeou devait être le nouveau Mardochée. Aussi les chefs des Philosophes, d’Alembert et Duclos, prirent-ils parti pour Choiseul qu’ils avaient jusqu’alors cordialement détesté, et décidèrent-ils de lui offrir un fauteuil à l’Académie, en le dispensant des visites traditionnelles. L’homme d’Etat, qui était encore ministre, avait, paraît-il, accepté la combinaison[193].
Cependant, le Parlement, escomptant l’appui de Choiseul, entendait avoir le dernier mot dans ce conflit d’autorité. Le 10 décembre, il se défendit formellement de rendre la justice, en dépit de cinq sommations successives que lui fit adresser Maupeou.
«Les esprits sont si échauffés, dit la duchesse d’Aiguillon, qu’ils (les parlementaires) prendront quelque parti violent; les esprits ne sont pas plus calmes en Bretagne, suivant les dernières nouvelles; et l’évêque, malgré son insolente confiance, et le duc sa sotte méchanceté, sont très embarrassés[194].»
En présence de l’acharnement que mettait le chancelier à briser la résistance du Parlement de Paris, Choiseul commençait à perdre sa belle assurance. On{140} parlait à la Cour de l’avènement prochain de d’Aiguillon. Impatient d’en finir avec des commérages qui l’agaçaient, le ministre écrivit au roi pour les lui signaler. Louis XV tint à rassurer Choiseul, tout en lui donnant l’explication de l’intérêt qu’il portait à d’Aiguillon: «Comment pouvez-vous croire, lui disait-il, qu’il puisse vous remplacer!... Je l’aime assez, il est vrai, à cause du tour que je lui ai joué, il y a bien longtemps; mais, haï comme il est, quel bien pourrait-il faire[195]?»
Duplicité insigne et pure comédie! Car Sénac de Meilhan affirme que «le roi haïssait le duc d’Aiguillon comme ayant été l’amant de Mᵐᵉ de Châteauroux» et raconte en même temps par quelle voie détournée Louis XV apprit à Mᵐᵉ Du Barry le succès, presque définitif, de sa campagne contre le premier ministre.
«Un jour, elle le vit occupé à cacheter une enveloppe:
—Voilà, lui dit-il, une lettre qui vous intéresse.
Elle supplie le prince de lui montrer au moins l’adresse; et elle lit: Au Roi d’Espagne.
—Qu’ai-je de commun avec ce monarque? demande la favorite.
—Comme c’est Choiseul qui a donné l’idée du pacte de famille et que le roi d’Espagne a la plus grande confiance en lui, je crois devoir, par déférence, le prévenir avant de renvoyer le duc, ce qui ne tardera pas[196].»{141}
Bientôt, s’il faut en croire une anecdote, rappelée en juin 1774 par l’abbé Baudeau, le ministre n’eut plus à douter de son sort[197]: «Peu de jours avant son renvoi, il trouve la porte du roi fermée; et avisant d’Aiguillon vers une croisée, il lui dit:
—Vous me chassez donc? J’espère qu’ils m’enverront à Chanteloup.
Vous prendrez ma place; quelque autre vous chassera; ils vous enverront à Veretz; nous serons voisins; nous n’aurons plus d’affaires politiques, nous voisinerons et nous en dirons de bonnes.
D’Aiguillon ne répondit rien.»
La disgrâce éclata. En se servant d’un billet de Choiseul, non daté, à l’adresse des Jésuites (déjà le coup de la fausse dépêche!) Maupeou avait su persuader au roi que son premier ministre excitait sous main le Parlement dans sa révolte[198]. Et le 24 décembre, Choiseul recevait de Louis XV cette lettre de cachet:
«J’ordonne à mon cousin, le duc de Choiseul, de remettre la démission de sa charge de secrétaire d’Etat et de surintendant des Postes entre les mains du duc de la Vrillière et de se retirer à Chanteloup jusqu’à nouvel ordre.»
Le lendemain, Mᵐᵉ d’Aiguillon écrivait à Balleroy:
«Si vous avez quelques affaires à la guerre, aux affaires étrangères, ou à la marine, différez-les, Monsieur le chevalier; car ces trois départements sont actuellement nuls, les ministres qui les possédaient ayant été exilés, l’un à Chanteloup et l’autre à Praslin,{142} cela s’appelle une nouvelle: aussi ne vous en dirai-je pas d’autre: en voilà assez pour aujourd’hui[199].»
Malgré son empressement à lancer «la nouvelle», la duchesse avait été devancée auprès de Balleroy; et peut-être le chevalier lui en avait-il fait l’observation, non sans malice, car elle lui écrit, presque dix jours après, et plus longuement, sur un sujet qui lui tient si fort au cœur. Pour la première fois, elle n’a plus peur du cabinet noir; mais elle donne l’impression exacte de l’inquiétude, de l’angoisse même qu’elle ressentait auparavant de la présence de Choiseul aux affaires: et comme elle parle tout aussitôt du contre-coup qui s’est produit en Bretagne, à la chute du ministre, il semble que, par une association d’idées bien excusable, la duchesse rende Choiseul responsable des tribulations qui avaient assailli son mari pendant et après l’exercice de son commandement.
«Je suis bien fâchée, Monsieur le chevalier, de n’avoir pas été la première à vous apprendre la grande nouvelle; mais enfin, je respire et je respire en paix, ce que je n’aurais jamais pu faire, tant que cet homme y (sic) aurait été. Je suis comme des gens qui échappent d’un violent orage, qui sur terre croient encore sentir l’agitation des vagues. J’ai encore de la peine à le croire.» Le «petit faquin d’évêque de Rennes, en apprenant la nouvelle» avait paru, mandait-on à la duchesse, ne point s’en émouvoir; mais, «malgré toute sa fausseté, on voyait la rage qui perçait... M. de Duras est arrivé à Versailles, le jour de l’an, pour{143} prendre son service: il m’a paru—et d’autres gens que moi l’ont trouvé—qu’il avait le visage bien long: il ne l’a pas autant qu’il le mérite et que je lui souhaite[200]».
La disgrâce de Choiseul était le prélude du coup d’état que Maupeou méditait contre le Parlement de Paris. Ce dénouement était inévitable: si l’imprévoyance du premier ministre, le désordre qui régnait dans toutes les administrations, le gaspillage et la gabegie dont la Cour était la première à donner l’exemple, avaient amené le déficit creusé dans les finances, il fallait, pour le combler, une nouvelle série d’impôts; et le chancelier savait que le Parlement se refuserait énergiquement à les voter. Ce fut la cause, non avouée, mais réelle, qui détermina Maupeou.
En outre, les Etats de Bretagne menaçaient de lui donner de nouveau de la tablature. Un pamphlet, répondant au Mémoire de Linguet, avait reproduit les éternels griefs des Bretons contre un homme «qui était l’auteur des troubles de la province, du procès de M. de la Chalotais et des autres magistrats», un homme «qui avait tout mis en usage à Rennes et à Saint-Malo pour faire périr les détenus et surtout M. de la Chalotais».
Les Etats n’avaient pas, il est vrai, osé couvrir de leur approbation un tel factum; mais leur propre réponse au Mémoire de Linguet n’en avait pas été moins frappée, le 2 janvier 1771, d’un arrêt du Conseil, comme «attentatoire à l’autorité du roi et contenant des propos injurieux contre une personne hono{144}rée de la confiance de S. M. et dont elle a de tout temps approuvé l’administration.»
Estimant qu’il n’avait plus de ménagements à garder avec des magistrats qui pratiquaient une politique d’irréductible obstruction, qui allaient même jusqu’à refuser l’impôt, Maupeou leur envoya, dans la nuit du 19 au 20 janvier 1771, par des mousquetaires, une dernière sommation d’avoir à reprendre leurs fonctions. Les récalcitrants, bientôt suivis d’une minorité à qui la frayeur avait arraché tout d’abord une sorte de soumission, durent partir pour l’exil; et le 24 janvier, Maupeou confiait à une Commission du Conseil d’Etat le soin de rendre provisoirement la justice. Sans tenir compte des protestations que formulèrent aussitôt les autres Chambres de la Cour et les Parlements de province, Maupeou reconstitua péniblement celui de Paris avec des membres de la Cour des Aides et des juristes de mince notoriété. On sait quelle pluie de quolibets, d’épigrammes, de satires, de libelles se déchaîna sur ce nouvel organe judiciaire, sur son initiateur Maupeou, et sur ses zélateurs. Ce fut, en quelque sorte, un recommencement des affaires de Bretagne. Presque toute la France fit partie de l’opposition anti-gouvernementale: il n’y eut pas jusqu’aux princes du sang—excepté cependant le prince de Condé—qui ne se montrèrent hostiles à l’œuvre du chancelier: mais celui-ci était enfin le maître; et, moins d’un an après, la pacification était presque complète.{145}
Six mois d’attente!—«Le tyran breton le deviendra de toute l’Europe».—Le futur roi de Suède à Ruel: enthousiasme de la «grosse duchesse».—L’«Agrippine» de Mᵐᵉ Du Deffand et le «triumvirat» du Président de Brosses.—Mariage du comte de Provence.—Comment Mᵐᵉ Du Barry fait entrer d’Aiguillon au Ministère; ce qu’en pense la duchesse; ce qu’en pense le public.—Hostilité de la comtesse d’Egmont; avanie subie par Mᵐᵉ d’Aiguillon et colère de M. de Richelieu.—Débuts du nouveau ministère.—Appréciation de Mercy-Argenteau.
La lettre, dans laquelle Louis XV évoquait, pour rassurer Choiseul, le souvenir du «bon tour qu’il avait joué» à d’Aiguillon, retarda de six mois, dit M. Marcel Marion, l’entrée de l’ancien commandant de Bretagne au ministère.—La Vrillière était devenu, par intérim, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères.
De fait, Choiseul était à peine tombé, que la voix publique lui désignait déjà pour successeur le duc d’Aiguillon.
«Le tyran breton le deviendra de toute l’Europe, écrit Mᵐᵉ Du Deffand: cela veut dire qu’il aura les affaires étrangères.» Et la duchesse de Choiseul lui répond, non sans malice, que ce serait son vœu le plus cher, si le Parlement, du même coup, reprenait le procès de M. d’Aiguillon[201].{146}
Voltaire s’en inquiétait dans sa retraite: «Nomme-t-on toujours le duc d’Aiguillon? demandait-il. On peut être très entaché par le Parlement et bien servir le roi». Opinion que ne lui pardonna pas facilement Choiseul.
Or, dans la correspondance saisie chez le chevalier de Balleroy, nous ne voyons pas la moindre allusion à des bruits qui circulaient, avec insistance, aussi bien dans les cercles mondains que dans les sphères politiques. Il semble même que la duchesse d’Aiguillon—à moins que ses lettres n’aient disparu—ait cessé d’écrire, pendant quelques mois, au chevalier. Et pourtant, des événements s’étaient produits, dans l’intervalle, qui devaient éveiller en sa mémoire des réminiscences bien flatteuses pour l’honneur du nom—légitime orgueil dont elle n’avait pu se défendre, depuis qu’elle était entrée dans la maison des Richelieu. Sa belle-mère, la «grosse duchesse», ne s’était même pas fait faute d’évoquer la grande ombre du cardinal, quand elle avait reçu, le 9 mars, dans son château de Ruel, Gustave de Suède, avec le duc et la duchesse d’Aiguillon, le comte de Maurepas et le duc de Nivernois[202]. Au cours d’un souper, «arrangé comme par hasard», n’avait-elle pas souhaité la bienvenue, «en vers vigoureux», au prince voyageur, au nom du Cardinal?
Mᵐᵉ Du Deffand note un convive de plus, d’ailleurs bien indiqué pour la circonstance: le maréchal de Richelieu. Le comte de Haga—le futur Gustave III—attendait précisément, ce jour-là, un frère de l’ancien ambassadeur de Suède, M. de Scheffer qui fut un grand ami des d’Aiguillon, au temps de leur prospérité et qui, nous le verrons plus tard, leur resta fidèle dans les mauvais jours[203].
La duchesse de Choiseul ne put s’empêcher de remarquer, dans sa réponse à Mᵐᵉ Du Deffand[204], que le prince «ménageait bien les d’Aiguillon». A son point de vue, elle était dans le vrai; et M. Vatel a dit, avec juste raison, que le comte de Haga avait agi, en cette occurrence, comme un «fourbe parfait», donnant de l’encensoir aux deux partis opposés. Il envoyait le matin ses compliments à Chanteloup, soupait le soir à Ruel, et, le lendemain, obtenait l’insigne honneur d’offrir un riche collier au petit chien de Mᵐᵉ Du Barry.
La veille de ce fameux souper, il avait reçu à sa table les d’Aiguillon; et Mᵐᵉ Du Deffand, qui était du repas, en écrit à Mᵐᵉ de Choiseul, avec une abondance de maladresse, dont elle n’allait pas tarder à se repentir: «Rien de si aimable que le roi... Mᵐᵉ d’Aiguillon (la mère) est toujours très gaie... elle est charmante, elle ne tire point tout à elle, quoique très parlante... elle m’a mis en valeur autant qu’elle a pu... Après le souper, Mᵐᵉ d’Aiguillon fit chanter la Chanson des Philosophes[205]».{148}
Et—brusque changement de langage—à un mois de là, en corneille étourdie qui abat des noix, Mᵐᵉ Du Deffand s’écrie: «Mᵐᵉ d’Aiguillon me parut fort sérieuse; je me figure qu’elle est occupée de tous les changements qui pourront arriver. Je lui trouve bien des rapports avec Agrippine, avec la différence que le trône de son Néron ne lui aura pas coûté de crimes, mais elle pourra bien être une de ses victimes[206]».
On n’est pas plus obligeant[207].
Au reste, par un singulier contraste, en ce siècle léger et futile, où la plaisanterie a souvent tant de grâce, et le scepticisme de si fine ironie, la note mélodramatique vibre à plaisir. Elle se continue sur le mode romain, dans les lettres du Président de Brosses, qui, bien entendu, en sa qualité de parlementaire, abomine les ennemis de la «grande robe[208]»:
«Voilà donc le triumvirat bien établi (Maupeou, d’Aiguillon, Terray) et cordialement uni, si ce n’est dans l’intérieur, du moins pour tout détruire au dehors.»
Ce pacte n’était pas officiel, puisque d’Aiguillon{149} n’était pas encore ministre; mais il se laissait pressentir par le crédit et la faveur dont jouissait déjà le rival de Choiseul. Ses amis commençaient à en éprouver les effets. La duchesse nous l’apprend dans la première lettre que nous trouvons d’elle en 1771. Elle vient d’«embrasser son mari de tout cœur», heureuse que le duc ait pu rendre service au chevalier. Et en même temps, comme elle a été, malgré elle, «dans les fêtes jusqu’au cou», elle lui décrit méthodiquement celles qui ont accompagné le mariage du comte de Provence avec une princesse de la maison de Savoie. Elle fait un portrait fort exact de cette fille de sang royal[209]:
«J’ai été à Choisy attendre le roi qui nous a amené Mᵐᵉ la comtesse de Provence qu’il est de mode de trouver épouvantable. Moi, qui, comme bien savez, ne suis pas la mode, je ne la trouve pas mal; elle est petite, assez bien faite, surtout une belle gorge; elle a les yeux noirs comme jais, fort grands et fort beaux, les cheveux noirs bien plantés, peut-être un peu bas, mais qui ne choquent, le teint de brune, mais uni et mat, le nez gros, la bouche un peu avancée et la forme du visage longue. Ce qui choque au premier coup d’œil, ce sont ses sourcils qui sont très arqués et qui s’éloignent de ses yeux et lui donnent, quand ses yeux sont baissés, par la distance qu’il y a, l’air chinois. Quand elle a les yeux ouverts, cela choque moins, parce que ses paupières qui sont grandes et fort noires, remplissent l’intervalle. En tout, elle a de la physionomie, et l’air de bonté et d’esprit, ce qui fait que sa{150} figure est, à mon gré, loin de déplaire.» Et, raison qui prime toutes les autres, «le comte de Provence en est fort content». La duchesse parle de la cérémonie nuptiale, avec cette sincérité et cette indépendance d’allures que ne sauraient entamer les cailletages de cour:
«Le mariage s’est fait à midi; et il y a eu, le soir, appartement et banquet... Il est encore de mode de dire qu’il n’y avait personne: ce que je puis vous dire en toute vérité, c’est qu’il y avait des barrières depuis l’appartement du roi jusqu’à la chapelle, et que, derrière, sur des gradins, il y avait du monde à s’étouffer, qu’à la chapelle tous les gradins derrière les travées étaient pleins, ainsi que le bas de la chapelle (il me semble que cela s’appelle du monde) et que, pour le banquet, je voulus aller voir la salle et qu’il me fut impossible d’entrer, tant la foule était grande.»
En bonne historiographe, Mᵐᵉ d’Aiguillon signale les illuminations du mercredi «autour des terrasses... en feux de couleur... le portrait du roi, celui de M. le Dauphin, de Mᵐᵉ la Dauphine, de M. et Mᵐᵉ le comte et la comtesse de Provence, au milieu d’une gloire de feu»; le jeudi, au théâtre, la Reine de Golconde qui, comme spectacle, c’est-à-dire pour la décoration et la beauté de la salle, était superbe; comme opéra, c’était le plus mauvais de tous: il n’y a ni musique, ni paroles, mais force cabrioles et décorations...»
Enfin le bal du lundi. La duchesse en est enthousiasmée: «Je n’avais pas d’idée de la beauté de ce spectacle-là. La salle était superbe, éclairée à merveille, remplie jusqu’en haut d’hommes et de femmes extrêmement parés, le carré de la danse, de même{151} environné de femmes très parées; c’est le plus beau spectacle que j’aie vu de ma vie.»
Après ces fêtes, comme après celles du mariage du Dauphin, la politique reprit ses droits. Le duc de la Vrillière, chargé de l’intérim des affaires étrangères, restait inactif, alors que toutes les ambassades frémissaient d’impatience devant les difficultés diplomatiques qui surgissaient à l’horizon.
—C’est bien de tailler, disait Catherine de Médicis à ses fils: il faut recoudre maintenant.
Mᵐᵉ Du Barry n’était pas une Catherine de Médicis. Et l’habileté toute féminine dont elle usa, d’abord pour renverser Choiseul, puis pour lui substituer d’Aiguillon, serait fort invraisemblable chez un esprit aussi court, si l’on ne savait qu’elle suivait ponctuellement les instructions de Maupeou et d’Aiguillon, et mieux encore, comme nous le croyons avec M. Claude Saint-André, les conseils de sa très fine et très déliée belle-sœur Mˡˡᵉ Claire-Félicité Du Barry[210]. Cette intelligente personne était absolument dévouée à l’ancien commandant de Bretagne. Elle avait compris de quel poids pouvait être pour la fortune de sa famille le crédit d’un grand seigneur tel que le duc d’Aiguillon. Et, certainement, elle ne dut pas être étrangère au second acte de la comédie que la comtesse joua, pendant six mois, avec un monarque, chez qui l’impatience de la volupté promise finissait toujours par l’emporter sur la résistance d’une méfiance instinctive.
«C’est un fait certain et connu des amis de M. d’Ai{152}guillon, raconte Chamfort, que le roi ne l’a jamais nommé ministre des affaires étrangères. Ce fut Mᵐᵉ Du Barry qui lui dit: Il faut que tout ceci finisse; et je veux que vous alliez demain remercier le roi de vous avoir nommé à la place. Elle dit au roi: M. d’Aiguillon ira demain vous remercier de sa nomination à la place de secrétaire d’Etat des affaires étrangères. Le roi ne dit mot. M. d’Aiguillon n’osait pas y aller. Mᵐᵉ Du Barry le lui ordonna. Il y alla. Le roi le lui dit, et M. d’Aiguillon entra en fonctions sur le champ[211].»
Cette nomination à la muette datait du 2 juin. Mᵐᵉ d’Aiguillon, alors à Pontchartrain chez Maurepas, écrivait, le 8, à Balleroy:
«On vous a sûrement mandé que le voilà maintenant ministre des affaires étrangères: il y a si longtemps que le public avait désigné cette nomination que l’on a eu du reste le temps de réfléchir à ce que l’on doit en penser.» La nouvelle ministresse ne paraît pas autrement ravie de ce changement de fortune; elle dit sans phrase: «Mon parti est pris et je sacrifie ma liberté aux volontés de mon maître... Je suis accablée déjà de lettres plus plates et plus basses les unes que les autres, qui m’inspirent pour le plus grand nombre des écrivains le plus profond mépris, mais auxquelles il faut pourtant répondre comme si elles étaient sincères.»
La duchesse était assez perspicace pour ne pas ignorer quel venin distillait cette adulation.{153}
Ce n’était pas que son mari ne fût pris directement à partie, au milieu de son triomphe, par des libelles, des vaudevilles, des épigrammes, presque tous anonymes, il est vrai. Le roi lui-même n’était pas épargné. Dans tous les salons courait ce huitain sous le titre: La Clique de Mᵐᵉ Du Barry:[212]
Il était cependant des outrages auxquels le nouveau ministre était plus particulièrement sensible, et sa femme par contre-coup: ceux qu’ils recevaient de leur propre famille, de ces Richelieu auxquels la duchesse était si fière d’appartenir et qui ne se cachaient pas pour leur cingler au visage leur insolent dédain.
La comtesse Septimanie d’Egmont, la propre fille du maréchal, leur meilleur ami, était précisément de ces adversaires implacables, trop hautaine et trop franche pour rien dissimuler de son aversion.{154} Mᵐᵉ d’Armaillé, biographe de la comtesse, explique cette animosité par la rancune des «tyrannies intérieures» que Septimanie avait eues à subir du fait de «ce personnage peu sympathique, son cousin d’Aiguillon[214]».
Peut-être Mˡˡᵉ de Richelieu avait-elle raison; mais oubliait-elle que «la grosse duchesse» lui avait toujours témoigné une si vive sollicitude et une si ardente tendresse, que sa bru et ses petites-filles en avaient un instant pris ombrage? Cette bonne personne qu’était la douairière avait voulu consoler Septimanie dans sa tristesse d’orpheline: car le maréchal, si délicieux homme de cour, était un père autoritaire et despote jusqu’à la dureté. Après s’être débarrassé de la surveillance de sa fille adolescente, en la confiant à l’affection bruyante de sa cousine d’Aiguillon, Richelieu avait marié Septimanie, sans même la consulter, au comte d’Egmont, alliance qui flattait sa vanité. Cet égoïste, d’une sécheresse de cœur égale à la fatuité de son esprit, n’avait jamais pratiqué qu’à ce point de vue le culte de la famille. Il semble que sa fille, quoiqu’en disent ses panégyristes, ne l’ait pas mieux connu. En tout cas, dans une circonstance où les lois de la solidarité familiale étaient en jeu, elle ne sut pas faire le sacrifice de ses ressentiments à la reconnaissance dont elle aurait dû se sentir pénétrée pour la douairière d’Aiguillon.
Il était d’usage, à la Cour, que la femme d’un ministre vînt, peu de jours après la nomination de son mari, remercier le roi, accompagnée d’une de ses plus proches parentes. La duchesse d’Aiguillon avait prié sa{155} cousine Septimanie de lui rendre ce service. Mᵐᵉ d’Egmont refusa net, sous prétexte que le roi devait ordonner aux deux dames de faire également visite, d’abord aux «princesses», puis à Mᵐᵉ Du Barry. Entraînée par son exemple, la douairière se récusa, elle aussi. Le maréchal de Richelieu s’emporta avec la dernière violence contre sa fille: certes, ce n’était pas l’amour de la famille, mais l’orgueil du nom qui excitait sa colère. Celui de la comtesse d’Egmont fut plus fort, et la duchesse subit cet affront de se présenter devant le roi avec une parente très éloignée, alors que son mari était déjà mal reçu par la Dauphine. Le maréchal, exaspéré, chassa Septimanie de sa présence et, de plus, exigea de la douairière qu’elle cessât de la voir et de lui écrire.
Aussi intransigeante que son père, la comtesse ne désarma pas. Quand elle devint la correspondante du roi de Suède, Gustave III, elle ne cessa de vilipender, par écrit, son cousin d’Aiguillon:
«Son orgueil est tel, dit une de ses lettres, qu’il ne conçoit pas qu’on puisse soupçonner l’art qu’il emploie, si grossier qu’il soit. Par exemple, il croit qu’il lui suffit de dire à propos de la grande affaire de Bretagne: «J’étais à Bannière (sic) quand M. de la Chalotais a été arrêté», pour qu’on reste persuadé qu’il n’y a eu aucune part.»
Mᵐᵉ d’Egmont reconnaît cependant que «si son amour-propre ne se trouve point en opposition avec le bien, il pourra faire de grandes choses, nul homme n’ayant plus de moyens pour réussir à ce qu’il entreprend, tant par la fermeté de son caractère que par l’application et la suite qu’il met aux affaires».{156}
A vrai dire, les avis étaient bien partagés sur le rôle qu’allait jouer d’Aiguillon, parvenu au pouvoir. Ils se ressentaient, en général, de l’opinion qu’on s’était faite, vraie ou fausse, des affaires de Bretagne. Horace Walpole, le familier du salon Du Deffand, déclarait qu’«avec des talents médiocres, le nouveau ministre s’était hissé près du trône en se faisant l’instrument de sa tyrannie».
Le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche, qui sera désormais en relations suivies avec d’Aiguillon, en parle sur un ton moins dédaigneux. Mais il le voit sous l’angle où l’envisage Mᵐᵉ d’Egmont: peut-il oublier que Choiseul fut le grand artisan de l’alliance entre la France et l’Autriche? Aussi écrit-il, le 22 juin, à Kaunitz, le ministre des affaires étrangères de Marie-Thérèse:
«Il est de notoriété publique que M. d’Aiguillon a de l’esprit, un cœur haineux et méchant, qu’il est intrigant, adroit, grand travailleur, ennemi implacable, mais aussi ami très constant du peu de gens auxquels il a voué ce sentiment. Son début vis-à-vis des ministres étrangers annonce un grand désir de plaire; et il ne serait peut-être pas impossible que, par nécessité et par système, il réformât en partie les vices qu’on attribue à son caractère. Il y a grande apparence que, dans les premiers temps, il s’occupera moins des affaires d’Etat que d’intrigues de cour; et malheureusement, il y a ici, dans ce genre, de quoi remplir la vie d’un homme[215].»{157}
En effet, la première rencontre du nouveau ministre avec les représentants des autres puissances leur avait laissé une impression plutôt favorable. Elle s’était faite sous les plus heureux auspices et sur un terrain où l’on se met presque toujours d’accord. D’Aiguillon avait donné le 5 juin son premier dîner diplomatique; et Mᵐᵉ Du Deffand, qui semble vouloir se tourner vers le soleil levant, décrit avec une certaine complaisance la solennité. Cinquante-cinq convives prenaient part au festin; et la douairière en faisait les honneurs avec sa bru. Tous les diplomates avaient trouvé «la grosse duchesse» charmante, simple et naturelle dans sa joie, «exempte de hauteur et de fausse gloire et si éloignée d’être avantageuse que tous les partis sont contents d’elle, l’estiment, l’aiment et lui veulent du bien[216]».
Pour n’être pas aussi démonstrative, la «joie» de sa belle-fille n’était pas moindre. C’était, pour elle,{158} comme la revanche des mauvais jours et l’espoir d’une vie meilleure, sinon moins agitée, ce qu’elle eût préféré, sans nul doute, à tout ce tumulte triomphal. Elle savait reconnaître ses vrais amis. Belleval nous dit comme elle fut touchée de la démarche du jeune officier «revenu de si loin» à Versailles pour lui présenter ses félicitations; elle n’ignorait pas «le fond d’affection qu’elle peut faire sur lui[217]».
Balleroy avait sa part, comme bien on pense, dans cette distribution, entre intimes, de bonnes paroles. Le billet qu’elle lui adresse de Versailles, le 8 juillet, témoigne assez de sa quiétude d’âme: elle ne lui parle plus politique; elle le plaisante sur un sujet qui devait revenir souvent dans leurs conversations. «Vous aurez encore le temps de déchiffrer ma lettre: vous êtes assez habile pour cela»; puis elle a d’autres préoccupations, mais qui n’altèrent en rien sa belle humeur: «je ne compte retourner à Paris que mercredi matin; ma fille n’est pas encore accouchée; je me flatte que, puisqu’elle a eu la complaisance d’attendre jusqu’à présent, elle n’accouchera que mercredi; ce serait faire les choses bien galamment...» Tout enfin serait pour le mieux, si son mari n’était recrû de fatigue, avec ses exercices de chevau-légers.{159}
Pronostics sur le futur ministère.—Dîners diplomatiques.—Entrevue de Mercy-Argenteau avec la favorite et Louis XV.—Echange de lettres aigres-douces entre Mᵐᵉ Du Deffand et la duchesse de Choiseul.—Le dîner de Luciennes.—Jugement sévère de la duchesse de Choiseul.—Au décintrement du pont de Neuilly.—Conspiration de Mesdames contre la Du Barry.—Le régiment des Suisses.
Le duc d’Aiguillon allait connaître un travail autrement difficile, délicat et pénible que celui d’une cavalcade sur un champ de manœuvres, un travail auquel il n’était pas suffisamment préparé, mais que son ambition, servie par une présomption sans bornes, se croyait assuré de mener à bonne fin.
Or la situation que lui avait laissée Choiseul était, à l’extérieur comme à l’intérieur, enchevêtrée de telles complications, qu’eût-il pratiqué une politique toute personnelle, ou continué celle de son prédécesseur, il ne pouvait s’attendre à d’éclatantes victoires diplomatiques. Et, de fait, dans les trois années de son ministère, il ne compta guère que des insuccès et des échecs: son manque de décision, sa crainte de déplaire et surtout sa complète ignorance de la mentalité royale, ondoyante et diverse en son indolence voulue, le condamnaient fatalement à cette politique sans résultats. Habile administrateur en Bretagne, il devait être à Versailles le plus médiocre des ministres.{160}
Son avènement avait exercé néanmoins l’imagination, toujours en éveil, des courtisans. On lui prêtait, ainsi qu’à ses collègues, les combinaisons les plus subtiles. On le voyait déjà, avec le chancelier et M. de Boynes[218] «se porter au grand pouvoir» et travailler «longtemps de front» à l’expédition des affaires. Mais, disait-on, des causes de conflit divisaient Maupeou et d’Aiguillon: celui-ci, en prévision des «troubles de l’Europe» qui pourraient «entraîner la France», demandait au conseil des impôts que refusait le chancelier; mais son esprit souple et avisé l’emporterait enfin sur l’autoritarisme de Maupeou pour être mis à son tour en échec par la pondération de M. de Boynes[219].
Mᵐᵉ Du Deffand n’édifiait pas de moindres romans. Elle voyait déjà Terray «sauter», pour s’être permis d’avoir payé, sans consulter le ministre, les sommes dues à la Chalotais[220]. Or, c’était d’Aiguillon qui, soucieux de se rendre populaire, avait pris l’initiative de faire restituer ses pensions à l’exilé de Saintes.
Il mettait à profit les dîners que donnaient en son honneur «ses amis», pour pratiquer le plus largement possible avec les cours étrangères cette politique d’apaisement qu’il avait inaugurée dès son entrée au ministère. Le 28 juillet, à Compiègne, la duchesse de Valentinois, dame d’atours de la comtesse de Provence, avait prié à souper, avec le duc et la duchesse d’Aiguillon et le duc de la Vrillière, une partie du corps{161} diplomatique, le nonce, les ambassadeurs d’Autriche et de Sardaigne. Il est vrai que, Mᵐᵉ Du Barry étant de la fête, Fuentès et Carracioli, représentants de l’Espagne et des Deux-Siciles, s’étaient fait excuser. Mercy-Argenteau a raconté la scène. C’était la première fois qu’il se rencontrait avec la sultane favorite: à celle-ci le nonce et l’ambassadeur de Sardaigne prodiguaient leurs grâces. Mercy attendit qu’elle lui adressât la parole; et, très sensible à cet accueil, le diplomate écrit: «Je reçus plus de distinction que n’en avaient éprouvé les autres». Aussi, quand le duc d’Aiguillon, toujours dans l’esprit de son rôle, le prit à part et l’avertit que le roi lui donnait un rendez-vous pour le surlendemain chez Mᵐᵉ Du Barry, Mercy n’eut-il garde d’y manquer. D’ailleurs d’Aiguillon l’y conduisit, et, sous prétexte d’aller examiner des estampes dans une pièce voisine, laissa Mercy en tête-à-tête avec la dame du logis, qui s’empressa de faire asseoir le diplomate à côté d’elle et de lui conter ses doléances. Elle était désolée «qu’on l’eût prévenue auprès de la Dauphine par les calomnies les plus atroces, en lui attribuant des propos irrespectueux pour son Altesse Royale», alors qu’elle avait «fait les plus justes éloges des charmes» de la princesse.
On sait en effet le mot prêté à la Du Barry et rapporté—naturellement—à Marie-Antoinette; elle aurait appelé la vigilance du vieux monarque sur les périlleuses inconséquences de cette «petite rousse»; paroles imprudentes autant que cyniques, si jamais elles furent prononcées;[221] car elles ne pouvaient que{162} révolter la pudeur de la femme et blesser cruellement l’orgueil de la future reine.
La Dauphine, poursuit la comtesse, «n’a cessé de me témoigner une sorte de mépris».
Mercy lui prodiguant de bonnes paroles, Mᵐᵉ Du Barry entre en confiance, et, le cœur sur la main, ne lui cache rien de son histoire. Elle lui parle de son entrée à Versailles, lui dit comme elle s’ingénie à désennuyer le roi et ce qu’elle pense des gens de la cour: si elle s’exprime ainsi en toute liberté, c’est que sa belle-sœur, «surveillante qui la garde à vue pour le duc d’Aiguillon», est absente. Et cet aimable bavardage (au fait Mercy est-il bien exact?) se continue jusqu’au moment où paraît le roi.
—Dois-je me retirer, Monsieur? dit-elle (elle ne l’appelle pas encore la France).
Louis XV est seul avec l’ambassadeur. Lui aussi se plaint amèrement. Son petit-fils est incapable de diriger la Dauphine, dont la jeunesse trop exubérante a besoin d’être mise en garde contre les pièges qui l’entourent. Aussi veut-il confier à Mercy-Argenteau la surveillance de la princesse. Il remarque chez elle «des préventions et des haines qui lui sont suggérées». Il invite donc le diplomate à «voir souvent» Marie-Antoinette: il l’autorise même à lui parler en son nom.
Mercy trouve la mission délicate: il le dit. Le roi, embarrassé à son tour, rappelle d’Aiguillon et la comtesse restés dans le cabinet de toilette. Il se lève:
—Il est tard, je vais souper avec mes enfants.
Quand il est parti, le premier ministre et la favorite{163} pressent Mercy de revenir souvent causer aussi simplement avec le roi[222].
Louis XV, volontiers timide, n’avait pas dit à son{164} interlocuteur d’où venaient ces «préventions», ces «haines». Et Mercy, qui en connaît la source et qui veut répondre à la confiance du roi, ne dissimule pas que ses tentatives de conciliation trouvent du côté de Mesdames une opposition irréductible.
En effet, ce n’étaient pas seulement de grandes dames, mais les propres filles de Louis XV et surtout Madame Adélaïde, qui menaient la campagne, poussant devant elles la Dauphine, déjà fort entraînée à subir cette pression familiale. Mercy-Argenteau, redoutant un éclat, s’était efforcé, le 31 juillet, après son entretien avec le roi, de faire appel à la prudence de la jeune princesse, si impulsive de sa nature. Reprenant le thème cher à Marie-Thérèse et à Kaunitz, Mercy redoublait d’instances et de prières auprès de Marie-Antoinette, pour qu’elle eût «l’air d’ignorer le vrai état de la favorite et la traitât sans affectation comme toute femme présentée...» et surtout pour qu’à aucun prix elle ne suivît «les directions de Mesdames». Il crut l’avoir persuadée: car elle lui promit d’adresser la parole à Mᵐᵉ Du Barry, lorsqu’elle entrerait au cercle de la cour. Et comme il la suppliait de persévérer dans sa résolution, sans, bien entendu, en instruire Mesdames, la Dauphine parut choquée d’une insistance qui semblait mettre en doute la parole donnée. Il est vrai qu’elle ne la tint guère; car, le 11 août, alors que, suivant sa convention avec Mercy, elle s’approchait de l’ambassadeur, debout à côté de la comtesse, elle rebroussa aussitôt chemin: la voix impérieuse de Mᵐᵉ Adélaïde lui avait crié qu’il était temps de partir; et la petite Dauphine avait suivi docilement sa tante.
Mᵐᵉ Du Barry ne put dissimuler au roi le dépit qu’elle{165} avait ressenti d’un tel affront, et Louis XV qui, de bonne foi, avait supposé à l’ambassadeur d’Autriche une influence réelle sur l’esprit de Marie-Antoinette, lui dit, le lendemain, d’un ton moqueur:
—M. de Mercy, vos avis ne fructifient guère; il faudra que je vienne à votre secours[223].
D’autre part, les débuts de d’Aiguillon qu’avait accueillis, avec une certaine faveur, la diplomatie étrangère, avaient rencontré plutôt de la méfiance chez les Choiseul. Et même la duchesse avait failli se brouiller avec Mᵐᵉ Du Deffand, après un échange de lettres où elle s’était départie quelque peu de son aménité coutumière, dans une note de vivacité et d’aigreur que ne méritait pas sa correspondante. Mᵐᵉ de Choiseul lui avait écrit le 9 juillet[224] que, si elle respectait la mère, elle n’était pas éblouie de la politesse qu’affectait le fils. «Je suis seulement ennuyée d’en entendre parler. Il fait le mort, mais gare à la résurrection! Car les bons ne seront pas assis à sa droite.» Du fait même de cette déclaration, Mᵐᵉ Du Deffand, qui rêvait peut-être d’accommodements futurs, s’était crue autorisée à des avances qu’elle trouvait toutes naturelles:
«Je dirai à Mᵐᵉ d’Aiguillon tout ce que vous me dites d’elle, mande-t-elle à la duchesse de Choiseul. La fortune de son fils ne lui tourne pas la tête: c’est une très aimable femme.»{166}
La dame de Chanteloup se montra excessivement froissée que sa correspondante eût répété un éloge qui serait «une bassesse indigne d’elle», car elle aurait «l’air de quémander la bienveillance» de la douairière.
Pendant un long mois, la «petite-fille» et la «grand’maman» disputèrent, à perte de vue, sur cette question de... point d’honneur, qui semblait tout de même au bon abbé Barthélemy, intermédiaire bénévole entre les deux parties, un raffinement de «délicatesse» chez la duchesse de Choiseul. Mais cette exagération de susceptibilité allait trouver en quelque sorte sa justification dans un de ces petits événements de cour, qui prenaient alors les proportions d’un gros scandale et dont parle incidemment une lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon au chevalier de Balleroy. La femme du ministre raconte à son confident ses petites misères. Elle a souffert d’un rhume qui «dégénéra en fluxion sur un œil qu’elle eut poché» pendant quelques jours:
«Comme j’étais engagée à dîner chez Mᵐᵉ Du Barry à Luciennes avec tout le corps diplomatique et que ma belle-mère devait y débuter, j’avais fort à cœur de n’y pas manquer. J’ai imaginé de mettre ma tête sur de l’eau bouillante pour finir plus tôt cette fluxion. La chaleur de l’eau et peut-être la disposition m’ont fait porter le sang à la tête.» Ce beau remède lui valut presque une attaque d’apoplexie. Elle eut un «étourdissement suivi de perte de la parole» et des «douleurs dans la tête qui la firent crier comme une femme qui accouche». Aussitôt on la saigna; elle garda le lit le samedi et le dimanche; et «le lundi, j’ai été à{167} Luciennes, de là à Versailles où j’ai donné à souper et le mardi à dîner[225]».
Le «début» de la «grosse duchesse» à Luciennes fait sensation. Le clan des philosophes en reste abasourdi, Mᵐᵉ Du Deffand, qui, jusqu’alors, n’a cessé de rompre des lances en l’honneur de la «sœur du pot», semble fort embarrassée pour annoncer une telle défection à la «grand’maman». Elle lui écrit le 1ᵉʳ octobre: «La mère du Bacha (c’est le nom dont elle se plaît à flétrir d’Aiguillon) est franche, désintéressée; tous ses sentiments sont honnêtes. Elle fit hier une action qui ne vous paraîtra pas une preuve de ce que je dis. Elle dîna chez la sultane. Il y avait huit jours qu’elle résistait au Bacha. Elle se serait brouillée avec lui, si elle avait persisté à résister[226].»
Mᵐᵉ de Choiseul triomphe: «Vous avez beau dire, Mᵐᵉ d’Aiguillon s’est souillée et je rabats de l’estime. Il n’y a point d’autorité, ni de considération qui puisse excuser une infamie[227].»
Si dure pour la belle-mère, Mᵐᵉ de Choiseul se tait sur la bru. Elle qui se sacrifia toujours, sans jamais se plaindre, pour un époux volage, autoritaire et prodigue, elle n’ignore pas que la femme du ministre actuel n’est guère plus heureuse avec son mari. Si M. d’Aiguillon a pu décider sa mère à la plus pénible des démarches, quelle pression ne dût-il pas exercer sur l’esprit de sa femme, pour exiger une absolue soumis{168}sion aux caprices de ses visées ambitieuses! Désormais la duchesse sera en quelque sorte la dame d’honneur de la favorite: le duc entend qu’elle soit l’inséparable compagne de Mᵐᵉ Du Barry. Et Mᵐᵉ d’Aiguillon subira cette contrainte avec une résignation qui semblera de l’enjouement, tant elle s’applique à ne laisser voir à personne qu’elle obéit à un ordre. Pidansat de Mairobert, observateur perspicace, quand il n’est pas préoccupé de la fabrication de ses nouvelles scandaleuses, a bien compris le caractère de Mᵐᵉ d’Aiguillon jeune[228]. C’est «pour complaire à son mari», qu’elle fait une «cour assidue» à la protectrice de cet époux peu scrupuleux. Elle y gagne l’insigne honneur d’une «familiarité» qui la met souvent dans l’embarras. Un jour, elle complimente, par bienséance, la comtesse Du Barry sur le goût exquis d’une toilette qu’on vient de lui apporter. Là-dessus, la bonne fille qu’est la maîtresse du roi, prend feu: elle court embrasser la duchesse et la supplie, au nom de leur amitié, d’accepter la robe. Mᵐᵉ d’Aiguillon se défend de recevoir un cadeau «qui ne convient pas à une aussi vieille femme»—aveu qui ne lui coûte guère, et qu’on trouve fréquemment dans sa correspondance. Sur ces entrefaites arrive le roi qui donne gain de cause à la comtesse; et les courtisans de trouver l’aventure plaisante.
Mᵐᵉ d’Aiguillon était donc devenue le chaperon de la Du Barry dans les cérémonies officielles. L’année sui{169}vante, au décintrement du pont de Neuilly (22 décembre 1772), la famille royale brillant par son absence, «la favorite, écrit Mairobert, resta seule en possession de tous les honneurs». On avait «dressé une loge» à son intention. Elle arriva dans un carrosse dont le fond était occupé par la maréchale de Mirepoix et la duchesse d’Aiguillon: elle se tenait sur le devant avec le comte de la Marche, le seul prince du sang qui fût présent et qui lui servit d’écuyer pour la circonstance[229].
Malgré son peu de goût pour la représentation, la femme du nouveau ministre s’était décidée à «faire ses visites», puis elle s’était «suivant l’usage livrée au public[230]».
De Fontainebleau où elle n’était «pas aussi bien logée qu’à Compiègne», elle continuait ses confidences à Balleroy qu’elle priait, par la même occasion, de lui rapporter un manchon d’hermine doublé de taffetas[231]. Ce n’était pas sans une certaine ironie qu’elle recevait les courbettes empressées de tous ces gens de cour qui l’avaient fuie comme la peste, pendant les heures difficiles des Etats de Bretagne et du procès de Paris: «tout ce qui est ici a passé chez moi indistinctement; même Mᵐᵉ de Chauvelin, que vous avez vue à Compiègne si hautaine, est douce comme un mouton et ne bouge de chez moi. Il n’y a que quatre femmes qui n’y ont pas mis les pieds: Mᵐᵉ d’Egmont et sa grosse belle-{170}fille[232] et Mᵐᵉ de Duras». Elle est d’ailleurs animée du plus grand esprit de conciliation; et les aphorismes qu’elle énonce pour en témoigner seront repris cinquante ans plus tard par Brillat-Savarin: «Il ne faut changer mon cuisinier: il met d’accord les gens les plus opposés: aussi je nomme Martin le pacificateur de la cour». Toutefois l’attitude hostile de Mᵐᵉ d’Egmont avait quelque peu altéré sa bonne humeur: «Ma chère cousine a été ridicule avec moi; et il n’aurait tenu qu’à moi, si je n’avais pas été plus sage qu’elle, d’avoir quelques scènes avec elle; mais je les ai évitées avec soin; je respecte en elle le nom que je porte et la fille d’un homme qui, depuis mon mariage, m’a toujours traitée en père...»
D’autres haines, plus implacables encore et partant de plus haut, sur lesquelles la duchesse se garde bien de s’expliquer, menaçaient déjà son mari, trop fidèle allié de la Du Barry. M. d’Aiguillon devait son poste de premier ministre à la maîtresse du roi: c’était de toute justice qu’il intervînt en sa faveur dans la lutte qui s’engageait contre elle, plus ardente que jamais: «il la gouverne moins par un ascendant décidé que par la souplesse, les égards et les soins», écrit Mercy-Argenteau, à Kaunitz.
Marie-Antoinette ne pardonna jamais à d’Aiguillon l’appui qu’il prêta à Mᵐᵉ Du Barry.
Mesdames applaudissaient à des sentiments d’animosité qui se retournaient contre la maîtresse de leur père; et, dans l’horreur que celle-ci leur inspirait, elles en étaient arrivées à se rapprocher de Choiseul, que{171} l’expulsion des jésuites leur avait rendu plus particulièrement odieux[233]. L’affectation qu’elles apportaient à défendre le ministre disgracié ne pouvait qu’indisposer davantage Mᵐᵉ Du Barry contre un homme qui s’était affirmé si résolument son ennemi. Au reste, Louis XV n’attendait pas après des influences étrangères pour prendre en grippe son ancien favori. L’exil triomphal de Chanteloup et toutes les manifestations en l’honneur du vaincu dont une publicité savante amplifiait l’éclat, avaient fini par énerver ce monarque, parfois si ombrageux sous son apparente indifférence. Aussi, quand on vint lui proposer d’enlever à Choiseul, un an à peine après sa chute, sa charge de colonel-général des Suisses et Grisons (et d’Aiguillon dut participer à la manœuvre), Louis XV se laissa-t-il facilement persuader.
D’ailleurs, le principal intéressé, dès qu’il reçut l’ordre de se démettre, ne put s’y tromper un seul instant. Vainement il avait cru à la parole royale l’assurant, en 1762, qu’il resterait toujours titulaire et possesseur de sa charge. Or, d’Aiguillon venait d’écrire à M. Du Chatelet, l’ami et le représentant de l’ancien ministre, qu’elle n’était pas «inamovible», déclaration confirmée en ces termes de la main même du prince: «ce que dessus ma façon de vouloir[234]!» Et Choiseul d’en tirer cette conclusion qui fait peu d’honneur à sa clairvoyance, si toutefois elle est bien l’expression sincère de sa pensée: «Je n’ai commencé que de ce moment à être vraiment l’ennemi personnel de M. d’Aiguillon et la conduite du roi à mon égard achève l’opi{172}nion que j’avais de lui et le dégoût que sa faiblesse cruelle m’inspirait[235]».
Les Mémoires, parus en 1790 sous le nom de Choiseul, sont consacrés en grande partie, le deuxième volume surtout, à l’histoire des négociations qui s’engagèrent et des correspondances qui furent échangées pour la cession de ce brevet de colonel-général. La charge rapportait cent mille livres[236] et les dettes du titulaire étaient énormes. Du Chatelet, intermédiaire très actif et très dévoué, en dépit de tous les tracas que lui valent la raideur et l’aigreur de Choiseul, a trop bien pénétré la volonté arrêtée et irréductible du roi pour ne pas inviter instamment son ami à donner sa démission. Enfin Choiseul cède. Les lettres de continuer.
Il s’agit du prix à débattre. Du Chatelet rend compte à Chanteloup de ses conférences, tantôt avec Mᵐᵉ Du Barry, tantôt avec d’Aiguillon. S’il faut en croire la favorite, le nouveau ministre ne témoigne d’aucun «acharnement» contre son prédécesseur, elle encore moins; c’est le roi qui estime intolérables les chroniques de Chanteloup. Au surplus, «d’Aiguillon ne la gouverne pas; elle écoute tout le monde et ne fait que ce qu’elle veut[237]».
Ce qui n’est pas douteux, c’est que Mᵐᵉ Du Barry se montra, dans la circonstance, plus conciliante que Choiseul ne pouvait raisonnablement l’espérer: «M. Du Chatelet, écrit Mᵐᵉ Du Deffand à Walpole, ne trouvant pas de facilité auprès de M. d’Aiguillon, se détermina{173} à parler à Mᵐᵉ Du Barry, en qui il trouva plus de douceur et de facilité».
Choiseul, dont cette intervention humiliait la fierté, conservait son ton cassant et son attitude de grande victime. Il crut devoir à son orgueil de faire passer sous les yeux du roi, dans les salons de Choisy, une lettre qui l’irritât au possible. Mais la favorite se tourna vers d’Aiguillon et lui dit tout haut:
—Il faut bien que cela soit comme cela.
Enfin, après une conversation des plus animées entre Louis XV, sa maîtresse et son premier ministre, le roi laissa tomber ces mots, en se mettant au jeu:
—Cent mille écus argent comptant, soixante mille livres de pension dont cinquante mille reversibles sur Mᵐᵉ de Choiseul[238].
D’Aiguillon fit part à Du Châtelet de la décision royale. Le dédommagement dépassait les prévisions de l’ex-colonel-général[239]; mais son amour-propre sortait singulièrement froissé de l’aventure:
—Ni moi, ni Mᵐᵉ de Choiseul, écrit l’ancien ministre, ne fîmes de remerciement. L’injustice et surtout la manière dure qu’on avait employée nous dispensaient de la reconnaissance.
Dans l’origine, c’était le comte de Provence que Louis XV avait donné pour successeur à Choiseul. Mais, devant l’opposition du Dauphin, la charge fut attribuée au comte d’Artois.
N’importe, dans l’âme vindicative de d’Aiguillon, l’affaire du régiment des Suisses dut être la contrepartie de celle du régiment du roi.{174}
Le partage de la Pologne et ses responsabilités.—Ambitions du comte de Broglie.—Le cardinal de Rohan nommé ambassadeur à Vienne.—Tactique autrichienne: condescendance de la Dauphine.—L’amitié suédoise et le lyrisme de la duchesse d’Aiguillon.—«Deux brigands et une dévote».—Les gémissements de Marie-Thérèse.—L’irréparable.—Conseils du comte de Provence.—La révolte de la Dauphine.—La vie à Fontainebleau.—La «croquante» de Versailles.—Mort de «la grosse duchesse».
Trop longtemps, le duc d’Aiguillon a supporté, à lui seul, devant l’Histoire la responsabilité du partage de la Pologne. Certes ce fut, sous son principat, que cette iniquité fut consommée; mais il la subit, comme, cent ans plus tard, des ministres français signaient, contraints et forcés, le traité qui arrachait à leur patrie l’Alsace-Lorraine. Aurait-il pu, avec plus de décision et de fermeté, conjurer la catastrophe? Rien n’est moins certain. Choiseul n’avait pas surveillé d’assez près la coalition qui se formait dans le Nord: il avait trop laissé décliner en ces pays lointains le prestige de la France. Surpris, il voulut faire face au danger; il lança Dumouriez comme un brûlot; mais il était trop tard. N’eût-il pas été atteint par la disgrâce, que tout son brio de diplomate, toute sa vigueur d’homme d’État auraient échoué devant l’irréparable.
Le duc de Broglie le reconnaît dans son Secret du{175} roi, de même qu’il y fait le procès en règle de d’Aiguillon, qu’il accuse presque d’aveuglement et d’imbécillité. Il est vrai qu’il est un peu juge et partie dans l’affaire: car il semble sous-entendre qu’un de ses ancêtres, le comte de Broglie, aurait pu sauver la situation, s’il avait été appelé alors au secrétariat des affaires étrangères.
Le comte de Broglie était le principal agent, très perspicace, il faut le reconnaître, de la politique secrète, que menait, à l’insu du cabinet de Versailles, le roi Louis XV, ce prince déconcertant, qui paraissait indifférent aux tractations de ses ministres, alors qu’il en contrecarrait la plupart du temps la stratégie diplomatique par des instructions données à des acteurs restant dans la coulisse[240]. Aussitôt Choiseul disgracié, le comte de Broglie s’était mis sur les rangs pour lui succéder[241]: il était cependant un des bons amis de{176} d’Aiguillon; mais le roi, estimant sans doute le mystérieux concours du comte trop précieux pour s’en priver, avait fait la sourde oreille. Broglie, lassé d’une besogne sans gloire et sans profit, se retourna vers d’Aiguillon, dès qu’il le sut pourvu du ministère et lui écrivit, le 8 juin 1771, pour postuler l’ambassade de Vienne. Mais le successeur de Choiseul, dit amèrement le duc de Broglie, «n’y voulait avoir un ambassadeur qui comprît une ligne politique et fût en état de la suivre, pour la raison très simple que n’ayant lui aucune politique, il ne pouvait lui plaire qu’un autre en eût à sa place[242]». Peut-être aussi avait-il appris par son alliée, Mᵐᵉ Du Barry, les compétitions d’un ami dont il ignorait encore le rôle auprès de Louis XV.
Assurément, le poste, alors vacant, de Vienne exigeait un diplomate avisé, actif et très ferme, sans cesser un instant d’être souple et conciliant. Le ministre qui remplissait alors par intérim ces fonctions, M. Durand, était un homme de réelle valeur, mais il n’était pas né. D’Aiguillon eut donc la malencontreuse idée d’envoyer à Vienne le cardinal de Rohan, un très grand seigneur, mais le personnage le moins propre à s’acquitter avec succès de la délicate mission qui lui était confiée. Ce prélat bellâtre, infatué de son nom et de son titre, était étourdi, frivole, dissipé, libertin, fastueux jusqu’à la plus folle prodigalité, incapable{177} de la moindre direction politique et dépourvu de tout scrupule. D’Aiguillon, en le nommant, s’était attiré les bonnes grâces de la puissante maison de Rohan, du prince de Soubise et de la comtesse de Marsan; mais pouvait-il ignorer combien ce choix était déplorable, étant donnés le caractère et les principes de Marie-Thérèse, cette impératrice qui avait une si haute idée de ses devoirs comme souveraine et que la dignité de sa vie avait toujours imposée au respect de l’Europe?
A vrai dire, cette rigidité de mœurs n’excluait, ni les calculs ambitieux qui ont le pressentiment des annexions futures, ni les accommodements de conscience qu’expliquent, qu’excusent au besoin les intérêts supérieurs de l’État.
Ceux-ci, néanmoins, n’exigeaient-ils pas qu’en présence d’un nouveau ministre, évidemment prévenu contre la politique de son prédécesseur, son plus mortel ennemi, on lui prodiguât toutes les promesses, on lui consentît toutes les concessions susceptibles d’endormir sa défiance?
Tactique, en vérité bien superflue, que révèlent les réponses de Mercy aux instructions précises de sa souveraine! Car notre secrétariat des affaires étrangères ne savait pas appuyer sa conception d’une Pologne intangible et libre, d’un ultimatum inflexible; et d’autre part, Louis XV ne se désintéressait que trop de ses devoirs de roi.
Mais un revirement était possible. Et c’était pour s’assurer une neutralité bienveillante, autant que pour maintenir l’alliance des deux pays, que Marie-Thérèse d’abord, puis son ambassadeur, s’efforçaient d’amener{178} la Dauphine à montrer moins d’hostilité contre Mᵐᵉ Du Barry et contre le duc d’Aiguillon. Mercy n’en prisait pas mieux celui-ci qu’il appelait «ministre médiocre à petites ruses et manœuvres sourdes». Mais il se faisait fort d’y porter remède, si Mᵐᵉ l’archiduchesse «moins légère et moins obstinée» dans sa conduite envers Mᵐᵉ Du Barry «lui donnait un peu de jeu[243]». Les instances de Mercy auprès de Marie-Antoinette finirent par obtenir gain de cause. Le 1ᵉʳ janvier 1772, quand Mᵐᵉ Du Barry, accompagnée de la maréchale de Mirepoix et de Mᵐᵉ d’Aiguillon, se présenta chez la Dauphine, celle-ci dit à la duchesse, en regardant la favorite: «Il y a bien du monde aujourd’hui[244]». Et chacun, dans l’entourage du premier ministre, de célébrer la grâce, l’aménité, la modération de la jeune princesse. En vérité, on se contentait de peu. Par contre, la coterie de Mesdames était indignée; et les filles du roi firent grise mine à leur nièce.
Cependant, malgré ses tâtonnements, ses incertitudes, son désir de ne déplaire à personne, d’Aiguillon avait encore un certain respect des traditions. Il ne pouvait oublier par quelle ligne de conduite son illustre ancêtre, le cardinal de Richelieu, avait assuré la prépondérance européenne de la France et rendu son propre nom immortel. Il était, par exemple, telles{179} amitiés séculaires qu’il fallait pieusement conserver, tel engagement sacré qu’il importait de tenir. La Suède attendait les subsides, promis, de la grande nation, dont elle défendait les intérêts politiques dans le Nord.
Mais, hélas! le trésor de la France était vide. Creutz, l’adroit ministre de Suède à Versailles, écrivit alors au roi Gustave d’envoyer à Louis XV «une lettre touchante, une très flatteuse à Mᵐᵉ Du Barry et une pleine de confiance et d’amitié à M. d’Aiguillon[245]». En dépit de Mᵐᵉ d’Egmont, qui ne voulait donner son portrait au roi de Suède que si le jeune souverain s’engageait à ne pas réclamer celui de la comtesse Du Barry, Gustave suivit le conseil de son ministre et reçut les subsides. D’Aiguillon continua cet accord amical; et le coup d’état du 19 août 1772, qui libéra le roi de Suède du joug de sa turbulente noblesse, et qu’avaient si bien préparé les conseils de Vergennes, le représentant de la France, fut presque un triomphe pour d’Aiguillon. Aussi la duchesse, chez qui nous avons déjà signalé la préoccupation constante de l’honneur du nom, écrivait-elle, sur le mode lyrique, elle d’ordinaire si simple de ton et si naturelle d’allure:
«... Je ne vous manderai aucunes nouvelles d’ici: celle de Suède les a toutes absorbées: je ne doute pas du plaisir qu’elle y a fait. Votre amitié vous fait partager tout ce qui est à la gloire de M. d’Aiguillon. Il est vrai que le nom de Gustave et celui de Richelieu{180} ne peuvent se séparer pour les grandes choses. Il est plaisant que la France n’ait bien secondé la Suède que sous le règne d’un Gustave et le ministère d’un Richelieu[246].»
Par contre, Mᵐᵉ d’Aiguillon ne parle jamais de la gloire de son époux en Pologne.
Celui-ci, vers la fin de 1771, soit qu’il fût hanté des souvenirs de la politique d’antan, soit qu’il voulût répondre aux «cajoleries» de Frédéric, s’était avisé de lui faire connaître «les pourparlers qui lui étaient offerts du côté de Vienne et de Saint-Pétersbourg». Et, naturellement, le roi de Prusse ne l’avait pas laissé ignorer à Marie-Thérèse. Mais, quand Mercy, quelque peu interloqué, vint demander au ministre si ce fait était réel, d’Aiguillon en convint très volontiers, et, par réciprocité, s’empressa de montrer à l’ambassadeur sa correspondance avec Frédéric, qui le priait «de ne pas s’opposer à la prise de possession de Dantzick[247]».
Louis XV expliquait ainsi cette double indiscrétion au comte de Broglie: «C’est pour marquer toute notre confiance à la Cour de Vienne que M. d’Aiguillon a communiqué la lettre de Prusse à M. de Mercy et pour juger si elle ne voudrait pas avoir sa part du gâteau, comme il y a tout lieu de le croire[248]».
En tout cas, au point de vue des usages diplomatiques, le procédé n’était pas banal. Certes, il justifie l’irritation hargneuse de Mercy, dans sa dépêche du 23 janvier à Kaunitz; il exprime le très vif désir de trouver{181} «le moyen de retirer Mᵐᵉ Du Barry de la dépendance de M. d’Aiguillon» pour être débarrassé au plus tôt de «cet homme faux, vindicatif et méchant».
Mais, en somme, cette... franchise, qui était presque une pantalonnade, n’apprenait rien aux puissances intéressées, puisque, d’après la correspondance de Frédéric, bien avant le départ de Rohan pour Vienne, le projet de partage de la Pologne était arrêté entre la Russie et la Prusse, avec le consentement tacite de l’Autriche[249]. On comprend donc le mot de Louis XV, déjà renseigné par de Broglie sur cet accord, ainsi que le sera d’Aiguillon, le 12 février, par Gaulard de Saudray, chargé d’affaires à Berlin[250]. Aussi, avons-nous peine à croire qu’à la même époque Mercy-Argenteau ait tenté, avec beaucoup de mystère toutefois, mais sans succès, une démarche auprès du successeur de Choiseul, pour donner plus de cohésion à l’alliance austro-française et empêcher ainsi le partage de la Pologne, «marché qui révoltait la conscience de Marie-Thérèse et fut le remords de sa vie[251]». A quoi bon resserrer les liens de l’alliance, puisque d’Aiguillon avait écrit, le 6 février, à Rohan: «le roi n’a contracté qu’une obligation formelle, celle de secourir la Maison d’Autriche si elle est attaquée dans ses posses{182}sions[252]»? Et de l’avis même de M. de Broglie, grand admirateur de Marie-Thérèse, l’impératrice-reine, qui occupait déjà une partie de la Pologne, espérait bien continuer et «finir» la conversation sur la base de l’uti possidetis. Ces scrupules, un peu tardifs et si atténués, de Marie-Thérèse, mettaient en joie son cynique voisin de Potsdam. Il en écrivait à d’Alembert qu’il savait un écho complaisant: «L’impératrice Catherine et moi sommes deux brigands; mais cette dévote d’impératrice-reine, comment a-t-elle arrangé cela avec son confesseur?»
Marie-Thérèse avait donc, par grâce d’Etat, la conscience absolument tranquille; et la correspondance de Mercy-Argenteau le démontre de reste, comme elle nous fait assister aux tergiversations, aux inquiétudes et surtout à la veulerie de ce malheureux d’Aiguillon, qui pressentait l’imminente catastrophe, mais ne savait l’enrayer: tout au plus risquait-il une épigramme pour prouver qu’il n’était pas dupe de la comédie.
«M. d’Aiguillon traite les affaires sans énergie, sans nerf et sans vues: son génie le porte à employer des petits moyens de fausseté...[253]»
Mercy note en même temps les intrigues de Cour qui se nouent autour des deux antagonistes, le ministre des affaires étrangères et le chancelier Maupeou. Le roi les estime peu et ne semble guère disposé à intervenir dans la lutte[254].{183}
Déjà l’ambassadeur d’Autriche avait signalé, dans sa lettre du 23 janvier à Kaunitz, la «guerre très rude» que préparait le chancelier[255] au ministre «généralement haï» et dont «le despotisme» commençait à fatiguer la favorite.
Cependant, le bruit s’est répandu en France de l’accord conclu entre les trois puissances. D’Aiguillon veut parler haut et ferme à Mercy; mais il est bien obligé de baisser de ton: l’argent manque, la France est discréditée et l’Angleterre lui refuse son concours[256]. Il n’en écrit pas moins à Rohan le 5 mai, après avoir reçu les dépêches de Kaunitz et de Marie-Thérèse, transmises par l’ambassadeur que, la Cour de Vienne gémissant sur la triste nécessité où elle se voyait réduite de donner les mains à l’arrangement prusso-russe, le roi ne pourrait sans doute que gémir avec elle[257].
«J’ai lieu de croire, dit Mercy, blessé de ce persiflage, à M. de Kaunitz, j’ai lieu de croire que vous serez surpris de la médiocrité du langage tenu par M. d’Aiguillon à cette nouvelle importante. Depuis que M. d’Aiguillon traite les affaires de l’Etat, sa{184} réputation d’homme d’esprit s’éclipse chaque jour davantage; je crois que l’on ne doit être en garde que contre sa bonne volonté qui ne peut même pas produire de grands effets dans la position où tout se trouve maintenant à la Cour[258].»
D’autre part, d’après l’abbé Georgel[259], secrétaire de Rohan, le cardinal, que l’évidence obligeait à parler, adressait à son ministre cette fameuse dépêche qui renforçait le croquis esquissé par d’Aiguillon, en accentuant d’un trait plus vif la duplicité de l’impératrice: «Elle paraît avoir les larmes à son commandement; d’une main, elle a le mouchoir pour essuyer ses pleurs, de l’autre elle manie le glaive des négociations». Toujours au dire de Georgel, le ministre des affaires étrangères avait eu la coupable indiscrétion de montrer cette dépêche à Mᵐᵉ Du Barry et la favorite en avait fait des gorges chaudes dans ses salons, laissant croire qu’elle en était la destinataire.
Le duc de Broglie accepte l’anecdote comme authen{185}tique dans son Secret du Roi. Mais Vatel la déclare controuvée. L’ambassadeur de France se serait permis une telle inconvenance, que Marie-Thérèse, déjà très mécontente de la légèreté et des incorrections du cardinal, en eût aussitôt exigé le rappel. D’ailleurs, la correspondance de Marie-Thérèse et de Mercy-Argenteau ne fait aucune allusion à cette mystérieuse dépêche, qui, par parenthèse, ne se trouve pas au dépôt des affaires étrangères. C’est à se demander si celle que nous avons citée de M. d’Aiguillon sur les «gémissements» de l’impératrice-reine, n’aurait pas quelque peu stimulé l’imagination, naturellement très vive, de l’abbé Georgel[260].
Mercy avait surtout pour instruction de bien persuader au ministre français que l’Autriche resterait en état d’infériorité devant la Prusse et la Russie qui arrondissaient leur domaine, si elle ne suivait leur exemple... la part du gâteau dont Louis XV parlait au comte de Broglie! «Le Roi Très Chrétien, écrit l’ambassadeur, envisage cet objet d’un œil de justice et de modération...» «Et, concluait-il, il ne restera plus qu’à calmer les effets de l’amour-propre du duc d’Aiguillon qui est piqué du triste rôle qu’il joue dans le début de son ministère.» Mais pour le «ramener», il faudrait que lui, Mercy-Argenteau, pût compter sur l’accueil que la Dauphine, préalablement «avertie» par sa mère, ferait à la comtesse Du Barry[261].{186}
«L’intérêt personnel, dit encore le diplomate, rend méfiant M. d’Aiguillon.» Sa «mauvaise volonté» des premiers jours venait de ses appréhensions. Il craignait que Marie-Thérèse «n’accordât une trop haute protection à M. de Choiseul». Mais il commence à parler avec un peu plus de modération sur les affaires de Pologne; et Mercy ne désespère pas d’en avoir raison, si «Madame la Dauphine veut bien appuyer ses démarches[262]».
De fait, il semble que cette princesse, considérée par Kaunitz «comme un mauvais payeur dont il faut se contenter de tirer ce que l’on peut[263]», veuille maintenant en devenir un bon; car, à quelque temps de là, rencontrant d’Aiguillon chez le roi, elle lui parle fort longuement: «Jamais, confie le ministre à l’ambassadeur, je n’avais été si bien traité[264]». Un autre jour, Mᵐᵉ Du Barry s’étant rendue à la messe avec la duchesse d’Aiguillon, la Dauphine adresse d’abord la{187} parole à la grande dame, puis se tournant vers la favorite, elle donne un tour si adroit à la conversation que les deux femmes peuvent se croire également visées par la princesse. Le roi et Mᵐᵉ Du Barry étaient aux anges[265].
Louis XV, fier de ce succès, encourage sa maîtresse à se présenter chez la Dauphine; Mercy, à qui d’Aiguillon fait la confidence, approuve la démarche pour «éviter toute fermentation dans la famille royale»; mais il estime que la comtesse «devrait se contenter d’être bien reçue deux à trois fois par an[266]».
Entre temps, l’acte diplomatique du 5 août consacre officiellement le dépeçage hypocrite de la malheureuse Pologne; et d’Aiguillon conserve l’attitude favorable déjà signalée par Mercy. Mais l’ambassadeur d’Autriche se tient toujours sur ses gardes. Le caractère du ministre français est trop faux et trop suspect aux yeux de Mercy, pour qu’on puisse «s’en reposer sur ses assertions». D’Aiguillon, ne prenant d’autre guide que «sa convenance personnelle», n’a «ni la force, ni le génie, ni la connaissance des affaires pour résoudre un système». Toutefois comme Louis XV reste inviolablement attaché à la politique actuelle, son secrétaire d’État aux affaires étrangères ne «tentera pas d’entreprises impraticables». Il s’accommodera même très volontiers de l’alliance autrichienne, dès qu’il pensera y trouver sûreté et profit, ce que d’ailleurs lui «laisse prévoir» son interlocuteur[267].{188}
L’impératrice partage l’opinion de son représentant sur d’Aiguillon qu’il surveille de près. Il constate que le Premier tient toujours «un langage très modéré», quoique «la confection des arrangements relatifs à la Pologne devienne une nouvelle mortification pour le ministre français; mais le Roi Très Chrétien envisage ces mêmes arrangements avec plus de raison et de justice[268]».
Ah! le beau bill d’indemnité pour la conscience de Marie-Thérèse! Mais aussi quel triomphe pour l’adresse de l’ambassadeur!
Il parviendra également à prévenir les tracasseries que peut susciter d’Aiguillon, si «malhabile» et si discrédité qu’il soit, par ses démarches auprès de l’Angleterre, de même qu’il compte «barrer» à Madrid, les «insinuations» du ministre[269].
Or, cet homme qui savait si bien se faire valoir et qui, somme toute, n’avait eu qu’à enfoncer des portes ouvertes, n’avait pas prévu un incident susceptible de démolir l’échafaudage de combinaisons qu’il avait si artificiellement accumulées pour soutenir «l’alliance». Un matin, la Dauphine lui montre, en lui demandant «le secret absolu», une lettre que vient de lui adresser le comte de Provence[270]. C’était tout une suite de{189} conseils, écrits de la main du prince, pour apprendre à sa belle-sœur comment elle réussirait à se concilier l’amitié du roi, la considération de sa famille, le dévouement de la Cour et de la Nation. Ils se résumaient ainsi:
1º Dépeindre, au monarque, le duc d’Aiguillon, «ce monstre», sous les couleurs les plus noires; car c’est à lui qu’il faut imputer la discorde où se débat la famille royale; il n’est pas question toutefois de la liaison du ministre avec la favorite.
2º Pour que d’Aiguillon ne puisse inspirer aucune méfiance au roi sur la correspondance de la Dauphine, cette princesse devra faire lire à Louis XV les lettres qu’elle envoie et qu’elle reçoit.
3º Parler moins souvent en particulier à Mercy.
Mais déjà Marie-Antoinette n’était que trop disposée à suivre ces conseils, sauf bien entendu le dernier, ou tout au moins à reprendre la liberté de son attitude envers le duc d’Aiguillon. L’avant-veille de cette confidence, le 12 novembre, à sa toilette, elle avait très nettement demandé à Mercy-Argenteau s’il y avait «danger de refroidissement entre les deux cours»; puis, sur la réponse négative de son interlocuteur, elle avait fait une sortie très vive contre le premier ministre qu’elle «dépeignait au naturel», soit du côté du caractère, soit du côté des moyens d’agir et des talents[271].
Il semble que l’animosité, jusqu’alors si mal contenue de la Dauphine, se soit principalement por{190}tée sur d’Aiguillon; car, quelques jours auparavant, Mᵐᵉ Du Barry, survenue au moment du dîner, avec son inséparable compagne, Mᵐᵉ d’Aiguillon, avait reçu de la princesse cet accueil de bienveillante indifférence, qui se traduisait, d’ordinaire, par une appréciation banale sur les variations climatériques de la saison.
Évidemment la boutade de Marie-Antoinette, l’intervention inattendue de son beau-frère durent faire trembler Mercy; mais il en fut quitte pour la peur; car nous ne voyons pas que cette double manifestation d’hostilité ait aggravé la situation. La correspondance de l’ambassadeur jusqu’aux premiers mois de 1773 ne s’occupe guère que du cardinal de Rohan. Les entrevues de Mercy avec d’Aiguillon et Mᵐᵉ Du Barry établissent que l’étourdi et présomptueux prélat eût été volontiers sacrifié au mécontentement, chaque jour plus intense, de Marie-Thérèse contre ce «panier percé»[272] (le nom que lui donnait le ministre), s’il n’eût été de la dernière imprudence de froisser le maréchal de Soubise et la comtesse de Marsan, grands partisans du chancelier Maupeou.
Pendant la marche ascensionnelle, quoique peu triomphale, de son époux, Mᵐᵉ d’Aiguillon, cette victime du devoir, que nous voyons toujours à la remorque de la Du Barry, attirait peu l’attention sur sa propre personne. Elle s’effaçait, de la meilleure grâce, devant un maître aussi franchement admiré que ponctuellement obéi, bien qu’elle goutât peu la fièvre et l’agitation de la vie des cours. Et cependant comme elle se trouve{191} entraînée dans ce tourbillon! Elle est occupée, lors du séjour à Fontainebleau, depuis huit heures du matin jusqu’à une heure après minuit. Et cependant «elle n’a rien fait et dit des riens». Tout, d’ailleurs, en cette résidence, se trouve «dans l’ordre accoutumé, on y chasse, on y joue, on s’y promène, car il fait le plus beau temps du monde... je le sais par ouï-dire, car je n’ai pas mis le nez dehors[273]».
Mᵐᵉ d’Aiguillon continua-t-elle, à Versailles, cette série de dîners magnifiques que son mari jugeait nécessaires à sa gloire, dîners dont elle était la savante ordonnatrice et qui mettait en si puissant relief le génie du cuisinier Martin? Présida-t-elle, par exemple, aux apprêts du somptueux festin qui fut l’objet de cet écho des Mémoires secrets du 13 février 1772[274]?
«On raconte que dernièrement à une fête que donnait le duc d’Aiguillon, il se trouvait au dessert une croquante figurée représentant les diverses parties de l’Europe et du globe auxquelles correspond son ministère. Ce seigneur en offrit à Mᵐᵉ la vicomtesse de Fleury et lui demanda ce qu’elle voulait. Après les petites simagrées des jolies femmes:
—Eh bien! Monsieur le duc, s’écria-t-elle, donnez-moi la France, je la croquerai aussi bien qu’une autre.»
Cette période de réceptions fut interrompue, dans le courant de l’année, par un deuil dont souffrit cruellement la duchesse d’Aiguillon, et que ravivait, en toutes{192} circonstances, une sensibilité fort rare à cette époque où la philosophie sceptique de la bonne compagnie prétendait cuirasser le cœur humain contre les émotions les plus légitimes.
La «grosse duchesse» était morte subitement, au sortir du bain, d’une indigestion, prétendent les Mémoires secrets, qui signalent le décès à la date du 15 juin et font l’oraison funèbre de la défunte sur le ton moqueur dont ils sont coutumiers:
«Beaucoup d’esprit, très instruite et fort entichée de la philosophie moderne, c’est-à-dire de matérialisme et d’athéisme.»
Et la maligne gazette rappelait que la douairière était la protectrice attitrée de l’Encyclopédie et des Encyclopédistes. L’abbé de Prades, auteur d’une thèse des plus hardies, avait dû à la grosse duchesse un asile et des secours qui lui avaient permis de se soustraire au fanatisme de ses ennemis.
Nous avons vu précédemment[275] quels regrets Mᵐᵉ d’Aiguillon avait donnés à la mémoire de sa belle-mère. Six mois après, le souvenir des bienfaits reçus lui arrachait encore des larmes, alors qu’elle «était allée en Sorbonne», dans cette église dont les caveaux servaient de sépulture aux Richelieu[276]. C’était là encore que reposaient les cendres de «ce qu’elle avait le plus aimé», des enfants qu’elle avait perdus. «Il a fallu tout mon courage, gémit-elle, pour y être sans qu’il y parût; j’y suis parvenue: il n’y a eu que mes enfants qui s’en soient aperçus... Plus j’ai souffert et plus j’ai{193} été aise que M. d’Aiguillon n’ait pas pu y venir. Je craignais ce moment-là pour lui...[277]»
Joli trait de tendresse conjugale! Attention délicate pour un homme à qui la seule politique donnât vraisemblablement de l’émotion!{194}
Un mauvais jour de l’an pour Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Conseils de prudence.—Les galas de d’Aiguillon et de Mᵐᵉ du Barry: «le noir serpent» et l’œuf d’autruche.—On s’écrase chez Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Bouderies entre le ministre et la favorite.—«Le mauvais sujet».—Confidences de Mˡˡᵉ Chon: Mercy-Argenteau serait-il berné?—L’intrigue Narbonne.—Réconciliation des deux alliés.—La contre-police de d’Aiguillon: Dumouriez et consorts embastillés.—L’exil du comte de Broglie, d’après Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Indiscrétions de Septimanie.—Récriminations de Rohan.—Insuccès diplomatiques du premier ministre.
L’affaire de la Pologne était moins instante. De ce fait, Marie-Antoinette crut avoir retrouvé sa liberté d’allures; et le parti d’Aiguillon ne tarda pas à s’en apercevoir.
Aux réceptions officielles de janvier 1773, Mᵐᵉ Du Barry s’était présentée chez la Dauphine, accompagnée de ses deux dames, la maréchale de Mirepoix[278] et la duchesse d’Aiguillon, et, de plus, flanquée de Mˡˡᵉ Chon, sa belle-sœur. La princesse ne leur dit pas un mot. Seulement, la fine mouche, pressentant quelque{195} orage, prit les devants, et, dans une lettre qu’elle écrivait, le 13 janvier, à sa mère: Je crois, insinue-t-elle, que M. d’Aiguillon a voulu persuader à Mesdames Du Barry qu’elles avaient été mal traitées... J’ai parlé à tout le monde en général... Mais le ministre ne s’est jamais plaint de moi pour lui[279].
En tout cas, écrit de son côté Mercy, «je n’en fus pas quitte à si bon marché vis-à-vis de M. d’Aiguillon, qui me dit, entr’autres choses piquantes, qu’il semblait que Mᵐᵉ la Dauphine eût le projet de narguer le roi par la façon dont elle traitait les personnes qu’il affectionnait le plus». A son tour, Mercy se fâche: il réplique qu’il ne faut pas rejeter «l’odiosité» du conflit sur la princesse, qui serait en droit de suivre l’exemple de son époux et de ses tantes à l’égard de la favorite. Il conclut qu’on a lieu d’être «satisfait de la Dauphine», mais que si elle était forcée de «se révolter», il répéterait au roi son entretien avec d’Aiguillon. Aussitôt celui-ci de se radoucir, de protester de «son zèle pour la Dauphine»; mais, «il désirerait qu’elle employât, pour plaire au roi, toutes les grâces dont la nature l’a douée[280]».
Marie-Thérèse morigène vertement sa fille. Déjà, en souvenir sans doute des prévenances qu’elle-même avait prodiguées à Mᵐᵉ de Pompadour, elle avait écrit, le 30 septembre 1771, à Marie-Antoinette: «Vous{196} ne devez connaître ni voir la Barry d’un autre œil que d’être une dame admise à la Cour et à la société du roi».
Aujourd’hui elle veut que, «sans affectation», Marie-Antoinette «adresse quatre à cinq fois par an la parole à la favorite», elle ne «saurait mieux confondre M. d’Aiguillon[281]».
Mais, en vérité, ce pauvre Mercy a fort à faire avec l’humeur changeante de son «archiduchesse». La semonce de Marie-Thérèse a-t-elle eu raison de l’intransigeance de la jeune femme? Celle-ci a-t-elle «réparé» comme elle l’avait promis à son conseiller intime? Toujours est-il que, quinze jours après la mercuriale de la mère, la fille «se conduit avec plus de sagesse, de prudence et de succès que ne semblent le comporter son âge», les ennuis dont l’accablent ses entours et les «vilaines intrigues» qui l’enveloppent[282].
Deux mois plus tard, le vent a tourné; et voici que notre ambassadeur, désorienté, explique, la mort dans l’âme, à sa souveraine, tous les efforts qu’il a tentés, en pure perte, pour rendre un peu de stabilité à un esprit aussi mobile. Il s’est évertué à lui faire comprendre, s’autorisant en cela de toutes les règles de la diplomatie, qu’elle ne doit laisser jamais «apercevoir aux gens qu’elle les a démasqués», attendu qu’elle «doit un jour gouverner ce royaume[283]».
Toutefois, ces piqûres d’amour-propre étaient loin{197} de décourager ceux qu’elles blessaient si sûrement. Ils n’en sentaient que mieux la nécessité d’«affirmer hautement leur ligue», pour nous servir d’un mot de Pidansat de Mairobert. D’où ces deux fêtes magnifiques que se donnèrent réciproquement à Versailles les d’Aiguillon et Mᵐᵉ Du Barry, fêtes que le chroniqueur décrit avec complaisance, et dans ses Anecdotes, et dans les Mémoires de Bachaumont[284].
C’était à son hôtel de la place d’Armes, que la femme du ministre avait reçu, le 18 février, la maîtresse du roi, au milieu d’un cercle de grandes dames richement parées. Dans les salons aménagés avec un goût exquis, on avait joué des petites pièces de circonstance, dansé un ballet, qu’avait suivi un superbe souper; et cette brillante soirée s’était terminée par un bal masqué d’un entrain extraordinaire. Parmi les divertissements, la Fête villageoise, due à la plume alerte de l’abbé de Voisenon, l’oncle de Mᵐᵉ Favart, avait été plus particulièrement applaudie. L’auteur y parlait d’un certain «serpent noir», où le roi, présent à la fête, voulut voir le chancelier Maupeou. L’application était peut-être exacte. La haine grandissait chaque jour entre les deux anciens alliés; et la galerie comptait les coups:
«On dit, prétend Mᵐᵉ Du Deffand, que le chancelier chancelle, que le duc d’Aiguillon aiguillonne... que le combat est un combat à mort. Le ciel en soit loué, qu’ils périssent tous deux...[285]»{198}
Or, Maupeou saisit, comme le roi, l’allusion, mais trouva la plaisanterie mauvaise, et la reprocha très âprement à Voisenon qui, l’année précédente, avait écrit des couplets en son honneur.
La politesse que rendit la comtesse à d’Aiguillon dans un hôtel acheté par elle à Versailles, était plus encore l’apothéose de la maîtresse du logis, apothéose à laquelle le spectacle coupé, porté sur le programme, offrait un cadre complaisant[286]. Un œuf d’autruche occupe le centre du grand salon: une voix appelle Mᵐᵉ Du Barry dans cette direction; et, dès qu’elle s’approche, Cupidon sort tout armé de l’œuf. Ce qui signifie qu’un seul regard de la comtesse fait éclore l’amour. Mais ce «proverbe»—ainsi qu’on dénommait les allégories mythologiques, alors si fort à la mode—en comportait un second de sens moins précis ou passible tout au moins de double sens, car les mauvais plaisants de la Cour pouvaient en appliquer le mot à d’Aiguillon aussi bien qu’au roi: l’Amour perdait son bandeau, démonstration évidente de la tendresse «éclairée (!!)» du prince pour la déesse de ce délicieux palais[287].
La correspondance de Mᵐᵉ d’Aiguillon avec M. de Balleroy ne dit mot de ces fabuleuses réceptions. D’ailleurs, nous avions déjà remarqué combien elle est sobre de détails, quand il s’agit de Mᵐᵉ Du Barry. L’impression qui se dégage d’abord (et nous l’avons également signalée) du compte rendu que la duchesse{199} croit devoir donner au chevalier de toutes ces fêtes officielles, c’est son profond dégoût pour la basse adulation des courtisans courant s’aplatir devant l’idole que, la veille encore, ils salissaient de leurs injures. En effet dans ce même mois de février 1773, quelle ruée d’appétits serviles aux sportules ministérielles! La lettre suivante, adressée au prince Henri de Prusse, en dit plus que de banales déclamations sur une telle frénésie:
«L’empressement de se rendre chez M. le duc d’Aiguillon continue tellement qu’on se cogne et se serre de tous côtés. Il y a tous les jours autant de monde qu’il y peut en tenir. On s’appuie l’un sur l’autre en se haussant sur la pointe du pied pour être aperçu. M. le prince de Tingry, enterré dans la foule, élève la voix tout à coup en criant:
—Je ne sais si Mᵐᵉ la duchesse m’entrevoit, mais je lui rends mes hommages bien sincèrement[288].»
Que de palinodies et même sur le degré le plus rapproché du trône! La Dauphine qui, malgré l’étourderie naturelle à son âge et à son caractère, est entretenue par son entourage dans un état perpétuel de méfiance, s’inquiète de la «façon de penser et d’agir» du comte de Provence, l’homme aux petits papiers[289]. Le voici maintenant en rapports continus, par un commis des affaires étrangères, avec le «monstre», ainsi qu’il appelait d’Aiguillon dans ses instructions à sa{200} belle-sœur. Aussi l’ombrageux Mercy-Argenteau, consulté par Marie-Antoinette, lui conseille-t-il fort sagement, lui qui a peut-être pénétré le louche et tortueux personnage qu’est déjà le comte de Provence, «de ne jamais mêler dans ses entretiens avec lui aucune confidence, ni discussion, sur des matières d’intrigue, ni sur les différentes personnes qui y sont intéressées[290]».
Dans cette correspondance secrète qu’il entretient avec l’impératrice-reine et qui, à côté de commérages insignifiants, ouvre souvent sur l’histoire du temps des horizons inattendus, l’ambassadeur d’Autriche ne définit pas autrement l’esprit, les vues, les tendances, les projets du comte de Provence; mais nous ne serions pas surpris si les conférences mystérieuses qui rapprochaient le frère du roi du premier ministre ne se rattachaient pas à une nouvelle intrigue où le duc d’Aiguillon, tremblant toujours pour la solidité de son crédit, s’était embarqué fort inconsidérément.
Depuis quelque temps, il était en froid avec la trop nombreuse et trop avide parenté de Mᵐᵉ Du Barry. Il s’était très nettement refusé, après l’abbé Terray,—honnête homme ce jour-là—à payer les dettes de jeu du Roué. Et Mˡˡᵉ Chon en avait pris de l’humeur, d’autant que sa belle-sœur avait approuvé la résistance du ministre des affaires étrangères[291]. Mais la comtesse n’en avait pas moins une absolue confiance dans cette astucieuse personne qu’était Mˡˡᵉ Chon. Aussi d’Aiguillon, redoutant une rupture définitive et voulant la{201} prévenir en se créant des titres essentiels à la gratitude de Mᵐᵉ Du Barry, proposa-t-il à la maîtresse de Louis XV de la «faire rentrer en grâce auprès de la famille royale». Le comte de Provence était tout désigné, en raison de l’amitié que lui témoignait Mᵐᵉ Adélaïde, pour favoriser la combinaison du ministre; et vraisemblablement d’Aiguillon dut le pressentir à cet égard; mais l’intermédiaire qu’il jugea plus apte encore à le seconder directement fut la comtesse de Narbonne, dame d’atours de Mᵐᵉ Adélaïde, fort en faveur auprès de la fille de Louis XV. Et Mercy admire la grandeur d’âme de Mᵐᵉ de Narbonne, gardant si peu rancune à d’Aiguillon d’avoir voulu la faire chasser jadis du service de la princesse, qu’elle se dévoue aujourd’hui aux intérêts du premier ministre. Il est vrai que le duc lui avait promis, en cas de réussite, de l’intéresser[292] dans le renouvellement des fermes générales et d’attribuer la mairie de Bordeaux à son fils—le futur et le dernier conseiller de Napoléon. M. d’Aiguillon, s’exclame Mercy, ignore donc le peu d’influence de Mᵐᵉ Adélaïde, «caractère faible, inconséquent, léger» sur l’esprit de la Dauphine? Mais l’obligeante Narbonne entretient par ses mensonges les illusions du ministre. Vain espoir en effet: un jour Marie-Antoinette, à qui son mentor recommande instamment de «ne jamais{202} parler de ce qui pourra se dire dans la famille royale sur le compte de M. d’Aiguillon» lui rapporte un mot très significatif de son mari à Mᵐᵉ Adélaïde. Cette princesse l’entretenait des pourparlers du ministre; le Dauphin lui répondit sèchement:
«—Ma tante, je vous conseille de ne point vous mêler dans les intrigues du duc d’Aiguillon; c’est un mauvais sujet[293].»
«Mᵐᵉ Adélaïde, écrit Mercy-Argenteau, en eut la parole coupée[294].»
Marie-Thérèse s’indigne, à son tour, des «démarches du ministre aussi déplacées que ses lumières sont bornées». Mais elle est «tranquille», parce qu’elle voit que son ambassadeur met sa fille en «bon chemin».
Ainsi encouragé, Mercy provoque les confidences de Mˡˡᵉ Chon, devenue l’ennemie de M. d’Aiguillon. Elle lui dit «tout ce qu’il veut». Elle se gausse de{203} la présomption de l’homme d’Etat qui prétend «amener à ses vues» la famille royale par l’intermédiaire de Mᵐᵉ de Narbonne. Et elle a prévenu sa belle-sœur, (elle le lui répète même devant l’ambassadeur), qu’elle serait «la dupe» de ce chimérique projet. Lui, Mercy-Argenteau, s’étonne. Mᵐᵉ Du Barry et M. d’Aiguillon le tourmentèrent jadis pour qu’il combattît l’influence de Mᵐᵉ Adélaïde sur la Dauphine et pour qu’il inspirât à Marie-Antoinette une salutaire défiance contre les manœuvres de Mᵐᵉ de Narbonne. Il réussit. Et voici maintenant qu’on suit «des voies que l’on avait pris tant de soin à détruire!» La favorite est toute déconcertée et prie le diplomate étranger de l’aider à sortir d’embarras.
Entre temps Mᵐᵉ Adélaïde, sur le conseil de sa confidente, écrit au roi; et celui-ci de lui répondre aussitôt, en l’invitant à user de son ascendant sur l’esprit du Dauphin pour l’engager à se montrer plus sociable, etc... Colère de la Dauphine, partagée par la famille royale, contre Mᵐᵉ Adélaïde, colère si peu dissimulée que cette princesse déclare à Mᵐᵉ de Narbonne (et Mercy tient le fait de Marie-Antoinette) que, tout en l’aimant beaucoup, elle «se brouillerait avec elle,» si cette dame continuait à l’entretenir «d’idées suggérées par M. d’Aiguillon et par la comtesse Du Barry». A quelques jours de là, le duc somme l’intermédiaire de remplir sa mission; et Mᵐᵉ de Narbonne est obligée de reconnaître qu’elle a trop présumé de son crédit. Le ministre, à la fois irrité et mortifié, la tance de la belle façon: il avait promis à Louis XV qu’elle emporterait l’affaire haut{204} la main: à elle maintenant de s’en tirer comme elle pourra[295].
Il faut dire que Mercy tenait de Mˡˡᵉ Chon toute cette histoire qui d’ailleurs était la fable de Paris[296]. Mais nous ne serions pas autrement surpris que la malicieuse créature l’eût quelque peu enjolivée, pour se divertir aux dépens du bonhomme, avec la complicité de Mᵐᵉ Du Barry et de M. d’Aiguillon, dont l’affection réciproque, un instant ébranlée, s’était mieux que jamais ressaisie; car un intérêt commun et pressant leur commandait d’être en ce moment plus unis que jamais.
Le comte de Broglie, toujours fort aigri contre le ministre, n’en continuait pas moins sa correspondance avec le roi. Il avait fini par lui conseiller de se chercher, lui aussi, un gâteau. Allait-il se montrer partisan d’une politique à la Choiseul, politique qu’il avait si durement critiquée[297]? Ce qui n’est pas[298] douteux, c’est qu’il travaillait à renverser d’Aiguillon, s’il ne pouvait le supplanter. Même, s’il faut en croire l’Espion dévalisé, atroce pamphlet du maître des requêtes, Baudoin de Guémadeuc, il avait projeté de «donner à Mᵐᵉ Du Barry le chevalier de Jaucourt[299]». Le ministre en conçut un très vif dépit, d’autant que l’officieux de Broglie avait obtenu, grâce à la favorite, d’être envoyé au-devant de la future comtesse d’Ar{205}tois, à la place de son frère le maréchal. Cependant, Dumouriez, qui prétendit plus tard avoir voulu protester contre l’abandon de la Pologne et l’inanité des promesses faites à la Suède, Dumouriez, secrètement encouragé par Louis XV, préparait, ou était censé préparer à Hambourg une expédition, qu’étouffèrent dans l’œuf son arrestation et celle de Favier, autre agent du comte de Broglie et presque son oracle.
C’était M. de Creutz, le ministre de Suède, seul admis du corps diplomatique aux fêtes de M. d’Aiguillon et de la Du Barry[300], qui avait donné l’éveil à celui-là[301]; c’était encore la maîtresse du roi qui avait révélé à son ami le secret de son amant[302]. Et d’Aiguillon, pour en saisir les preuves, d’organiser aussitôt cette contre-police que le baron de Gleichen[303] considérait, à défaut de tout autre mérite, comme le seul titre de gloire du ministre français. Seulement, si d’Aiguillon avait pu intercepter la correspondance échangée entre Dumouriez et Favier[304], ses agents avaient négligé de mettre sous les scellés les papiers de Favier; et le secrétaire du comte de Broglie, Dubois-Martin, s’empressa de les subtiliser. Le premier ministre, qui jusqu’alors avait mené grand bruit, constatant l’embarras du roi fort peu soucieux d’expliquer son rôle dans l’affaire, jugea prudent de ne pas{206} le presser davantage. Au reste Louis XV lui avait fait comprendre l’inutilité de ces recherches, en mettant sous ses yeux des notes insignifiantes qu’il tenait du comte de Broglie. Puis il avait nommé une commission chargée d’enquêter sur les faits et gestes de Dumouriez, Favier et consorts qui avaient pris le chemin de la Bastille.
Mais Broglie entendait dégager pleinement sa responsabilité de l’aventure: «Vous me rendrez la justice de croire, écrivait-il à d’Aiguillon, que je n’ai jamais trempé et ne tremperai jamais dans de pareilles saloperies[305].» Et il exigeait du ministre son entière justification, pendant qu’il affirmait au roi: «C’est beaucoup plus à moi qu’au sieur Favier qu’en veut M. d’Aiguillon.»
Le conflit s’envenima. Les amis du ministre allèrent répandre partout (c’est la version adoptée par le duc de Broglie) que le comte avait usé du secret du roi dans son intérêt personnel. Broglie, furieux, d’autant que Louis XV lui avait amoindri sa mission auprès de la comtesse d’Artois, adressa au ministre un insolent défi, dont la duchesse d’Aiguillon nous apprend ainsi le châtiment:{207}
«23 septembre.—Les nouvelles du jour sont l’exil du comte de Broglie qui est envoyé à Ruffec apprendre à écrire et à parler. On dit beaucoup qu’il a intrigué avec les gens qui sont à la Bastille. Tout ce que je sais, c’est qu’il en est très capable et qu’il a écrit à M. d’Aiguillon une lettre dont le style n’a pas plu au roi et qui lui a valu son exil[306].»
Ce dut être une décision pénible pour Louis XV, qui, tout égoïste qu’il fût, affectionnait le comte de Broglie[307].
Car il savait pertinemment qu’il sacrifiait en lui un serviteur zélé et qu’il était lui seul le vrai coupable, puisque, à force de vouloir multiplier sa correspondance secrète, sans même en prévenir son principal agent, il l’avait embrouillée au point de la rendre inextricable. D’Aiguillon en avait profité pour compromettre Broglie auprès de Mercy. Il lui reprochait d’avoir usé du secret royal pour combattre l’alliance autrichienne (les lettres de Favier exaltaient la Prusse). L’ambassadeur de Marie-Thérèse, qui avait fait jadis de Broglie le confident de ses inquiétudes[308], s’indigna de ce qu’il appelait une trahison. L’impératrice-reine et le Dauphin lui donnèrent raison.
Et cependant comme cette disgrâce dérouta toutes les prévisions! Peu de jours auparavant, le bruit avait couru dans les galeries de Versailles que le comte de{208} Broglie serait appelé à recueillir la succession de M. d’Aiguillon. Mercy en avait fait pressentir l’éventualité à l’impératrice; et Marie-Thérèse lui avait répété à peu près dans les mêmes termes que le 2 août: «M. le duc d’Aiguillon, tout mauvais sujet qu’il est (le mot du Dauphin) nous convient mieux, dans les circonstances présentes, que le comte de Broglie[309].»
Le ministre et son amie avaient compris le danger: ils oublièrent leurs querelles. Mais d’Aiguillon n’en restait pas moins soupçonneux, inquiet, agacé: car la crainte perpétuelle de se compromettre paralysait ses moyens d’action. Il se sentait épié par des ennemis puissants et se croyait trahi par ses plus fidèles auxiliaires. Le cabinet noir dont il usait largement, à l’égal d’ailleurs des autres ministres européens, lui réservait souvent, à côté d’indications utiles, d’amères déceptions. C’est ainsi que la correspondance de Septimanie d’Egmont avec le roi de Suède l’avait désagréablement surpris. Sa chère cousine ne le ménageait pas et l’accusait formellement d’avoir abandonné la Pologne pour une misérable question d’écus[310]. Elle faisait en outre un éloge immodéré de Choiseul. Passe encore, se dit d’Aiguillon; mais la comtesse d’Eg{209}mont transmettait des nouvelles politiques à Gustave de la part de Creutz! C’était intolérable. Et d’Aiguillon de s’en expliquer avec l’ambassadeur de Suède. La scène vaut la peine d’être contée.
Le duc avise Creutz dans l’appartement du roi, le serre entre deux portes, le saisit par un bouton de son habit et l’apostrophe:
—Comment voulez-vous que je réponde des secrets de votre maître, puisqu’il passe son temps à les écrire aux belles dames de Paris?
—Oh! balbutia le Suédois, des bagatelles!
—Vous les connaissez donc? Et vous en avez parlé à la comtesse d’Egmont!
Creutz, apeuré, court chez Septimanie et la supplie d’être à l’avenir plus prudente[311].
D’Aiguillon n’est guère plus heureux avec Rohan. Cet écervelé ambitionne, lui aussi, la place de premier ministre[312]. Et cependant le duc a pour lui des trésors d’indulgence. Il ferme les yeux ou accepte la misérable justification du prélat sur sa piteuse crédulité à Vienne, sur ses fredaines dans les boudoirs et{210} ses fraudes à la douane. Evidemment l’inconséquence du prélat rend sa concurrence peu dangereuse; mais son brusque rappel, impatiemment désiré par Marie-Thérèse, rejetterait les Rohan dans le camp de Maupeou. Et le cardinal se pose en victime: «On m’a cherché toutes les chicanes, jusqu’à vouloir éplucher ma comptabilité![313]» Sa famille appuie ses revendications. Si d’Aiguillon continue à rester neutre, le prince de Soubise, qui l’accuse de «mauvais vouloir», exigera le retour immédiat de son parent, et le ministre n’y saurait consentir qu’autant que le prélat rentrerait en France disgracié[314].
Somme toute, l’année 1773 avait été plutôt mauvaise pour le prestige du secrétaire d’Etat aux affaires étrangères; et Mercy soulignait malicieusement les échecs successifs d’une politique s’ajustant trop volontiers à la nonchalance du maître. La difficulté de «faire rentrer le prince de Parme dans ses devoirs envers le roi d’Espagne»; l’obstacle apporté par l’Angleterre à l’armement de Toulon[315]; la probabilité de{211} la paix entre la Turquie et la Russie laissant à cette dernière puissance les mains libres: autant d’atouts dans celles de l’Autriche qui devaient rendre son alliance précieuse et nécessaire pour la France, but impatiemment poursuivi par Marie-Thérèse et favorable à l’extension de son empire[316].
Il n’était pas jusqu’à la Curie romaine, d’ordinaire dans les meilleurs termes avec le gouvernement du Roi Très Chrétien, qui ne lui donnât de l’ennui. C’était surtout depuis l’expulsion des Jésuites. D’Aiguillon qui passait pour leur ami et qui savait la dévotion de Louis XV si souvent assiégé par la peur de l’enfer, avait préparé, avec Maupeou, une déclaration rappelant la congrégation, mais en la mettant sous l’autorité épiscopale. Or, les partisans des Jésuites étaient trop exclusifs; et le savant ouvrage de M. Frédéric Masson démontre, de reste, combien les négociations étaient épineuses[317] et le peu de chances qu’elles avaient d’aboutir.
Aussi s’explique-t-on le jugement, peut-être trop sévère, car il ne tenait pas assez compte des difficultés de l’heure, que portait Marie-Thérèse, sur le premier ministre de son «bon frère» le roi de France: «Doué de peu de génie et de talent et harcelé par les faits, il ne se trouve pas en mesure de nous susciter des embarras. Notre besogne serait bien plus difficile, si le duc de Choiseul, si bien intentionné qu’il était, se trouvait encore en place.»
Soit; mais quel bénéfice la France avait-elle tiré de l’alliance autrichienne?{212}
Comment d’Aiguillon devint ministre de la guerre.—Louis XV au Conseil.—Nouvelle attitude de la dauphine.—Projet de rappel de l’ancien Parlement.—Maladie et mort de Louis XV: départ de Mᵐᵉ Du Barry; les carrosses de Ruel.—Sérénité de d’Aiguillon.—Nouveaux brocards contre les anciens favoris.—Maurepas ministre d’Etat sans portefeuille.—Démission, acceptée, de d’Aiguillon.—Marie-Antoinette veut que le roi l’exile.—La joie du comte de Broglie et de Maupeou.—Deux portraits de d’Aiguillon.
Le 20 janvier 1774, écrit l’auteur des Mémoires du ministère d’Aiguillon, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères était «à l’apogée» de sa fortune. Le roi avait retiré le département de la guerre à Monteynard, compromis dans l’aventure de Broglie, pour le confier par interim à d’Aiguillon. La duchesse conte assez plaisamment ce coup de théâtre:
Ce lundi (sans date).
«Eh bien! Monsieur le chevalier, voilà donc encore votre ami surchargé d’affaires. Hier, après le Conseil, le roi l’appelle et lui dit: Je vous charge du département de la guerre, jusqu’à ce que j’aie trouvé quelqu’un qui me convienne. Je vous avertis que cela est difficile et que j’en trouverai difficilement. Il lui répondit:
—J’obéis aux volontés de Votre Majesté et je désire vivement qu’elle trouve quelqu’un à qui remettre ce dépôt.
—Je vous répète que je serai difficile et que de travailler avec vous me le rendra encore davantage.
Après ce beau discours, il est sorti. Vous jugez les courbettes et les sots compliments qu’il a reçus. Moi qui quittais le roi, je ne l’ai appris que chez moi, en rentrant, parce que je suis une bête, car il n’avait cessé de me rire au nez toute la journée. Simplement j’avais jugé qu’il était de bonne humeur[318].»
Moreau, dans ses Souvenirs, reproduit à peu près en ces termes le dialogue du roi et du ministre. Rien de plus naturel: il allait volontiers aux nouvelles chez le duc, dont il enregistrait ensuite les confidences. Et nous citerons, à cet égard, l’idée que lui donnait d’Aiguillon de la mentalité royale, les jours de Conseil, de même que nous avons recueilli, dans la correspondance de la duchesse, le croquis du prince en ses heures de familiarité.
«C’était un homme, disait d’Aiguillon à Moreau[319], quelque temps après la mort de Louis XV, qui, sans beaucoup d’esprit, avait un jugement droit et une{214} telle habitude des affaires qu’il voyait d’ordinaire très juste. Dans certains conseils où les ministres dissertaient à perte de vue sur l’état de l’Europe ou les intérêts de ses princes, il avait l’air distrait ou dormeur; mais, tout à coup, sortant de là, il s’écriait: vous venez tous de battre la campagne: il n’est point question de ceci ou de cela; ce n’est pas de telle manière qu’ils agiraient: voici, au contraire, ce qu’ils feraient. Et il devinait toujours bien.»
«Ce fut, le dimanche, au soir, 30, consigne Moreau dans son Journal à la date du mercredi 2 février, que le roi le nomma (le duc) au sortir du Conseil. J’ai été voir M. et Mᵐᵉ d’Aiguillon qui m’ont accueilli. Toute la terre était chez eux. Le ministre avait l’air honnête et affable, Mᵐᵉ d’Aiguillon le contentement même[320].»
Mais cette nouvelle faveur ne surprit personne. Le prince de Croÿ[321], la dauphine[322] avaient prévu la disgrâce de Monteynard, dont ils rendaient responsable celui qui devait en profiter.
Quel jugement lumineux! s’écrie Mercy-Argen{215}teau, en signalant à sa souveraine la déclaration de Marie-Antoinette, deux mois avant la chute du ministre de la Guerre. En effet, le 23 octobre, Mercy était venu présenter à la dauphine les doléances de d’Aiguillon, navré que la jeune princesse n’adressât plus un mot à sa femme au cercle de la cour. Et Marie-Antoinette avait répondu à l’ambassadeur qui la suppliait d’user de ménagements envers les d’Aiguillon, que ni l’un ni l’autre n’avaient à se plaindre d’elle. Le comte de Broglie et ses émissaires étaient seuls coupables, disait-elle, de la fermentation qui régnait dans le ministère; et le duc d’Aiguillon «n’inculpait si gravement Monteynard que parce qu’il convoitait sa place».
Au surplus, Marie-Antoinette devait y gagner. Car, d’Aiguillon, à peine pourvu de son nouveau poste, avait prié Mercy d’assurer la dauphine «qu’il se ferait une loi de lui obéir en tout». Marie-Antoinette l’avait pris au mot; et les grâces avaient suivi de près les recommandations[323]. Depuis, sa mère l’avait exhortée à reconnaître ces témoignages de déférence par de notables concessions[324]. Aussi bien la princesse n’avait pas fait preuve jusqu’alors de beaucoup de discernement, ni de modération, au cours de ses relations avec le ministre[325]. Elle n’en mit pas davantage, s’il{216} faut en croire Mercy[326], dans le nombre et dans le choix des protégés dont elle encombra les bureaux de la guerre. Peut-être était-ce de l’espièglerie?
D’Aiguillon voulut-il encore donner une dernière preuve de son aveugle résignation aux antipathies irréductibles de la dauphine, en témoignant de son irritation contre l’ineptie, les exigences et la légèreté de la favorite? C’est Mercy-Argenteau qui l’affirme[327]; il est vrai qu’il est seul à signaler le fait; et nous nous en étonnons à bon droit; car nous ne voyons pas que d’Aiguillon ait jamais eu vis-à-vis de Mᵐᵉ Du Barry, même dans la disgrâce, d’autres sentiments que ceux de la déférence et de la gratitude.
Parvenu enfin à la situation prépondérante qu’avait occupée Choiseul, d’Aiguillon tenta de réaliser un projet qui s’imposait depuis longtemps à son esprit et que la fatalité, s’attachant à la plupart de ses conceptions, devait faire échouer: la restauration intégrale, sous son principat, de l’ancien Parlement. Les magistrats qui le composaient l’ayant frappé de flétrissure, c’eût été une noble revanche, bien inattendue chez un homme à qui son intraitable orgueil conseillait les plus implacables représailles. Voulut-il plutôt faire pièce à Maupeou? Toujours est-il qu’à la fin de décembre 1772, dans le but d’une réconciliation des exilés avec le pouvoir royal, il rapprocha d’abord de Louis XV la maison d’Orléans, puis obtint de ces princes qu’ils remissent au souverain un mémoire tendant au retour de l’Ancien Parlement. La mort du roi{217} dans les premiers jours de mai et «la disgrâce de d’Aiguillon, le 2 juin, firent échouer le plan[328]» du ministre. Louis XVI, en signant l’ordre de rappel, devait seul bénéficier de la popularité qui récompense toutes les mesures d’apaisement.
Dès que Louis XV était tombé malade (il était alors à Trianon avec Mᵐᵉ Du Barry), d’Aiguillon, pénétré du sentiment de sa responsabilité, avait décidé la comtesse à faire transporter le roi à Versailles. C’était l’avis du chirurgien La Martinière. Lorry, médecin de M. d’Aiguillon, avait conseillé d’avoir recours à celui de Mᵐᵉ Du Barry, Bordeu; et la favorite était restée seule, avec le premier ministre, au chevet du malade[329]. Toute la cour était en émoi. La foule se pressait aux portes des appartements. Le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre, après avoir consulté La Borde et d’Aiguillon, vient annoncer que le roi entend rester seul. Mais les ducs de Bouillon et de Liancourt refusent de se retirer, et l’intérieur du palais reste envahi.
Le 4, le roi s’entretient longuement avec le duc d’Orléans et M. d’Aiguillon. Puis, vers minuit, il s’adresse à Mᵐᵉ Du Barry: «Je ne veux pas recommencer Metz. Dites à M. d’Aiguillon de venir me parler demain matin à dix heures.» D’après le Jour{218}nal de Hardy, il avait déjà précisé sa volonté: «Arrangez votre retraite avec M. d’Aiguillon; j’ai donné des ordres pour que vous ne manquiez de rien.»
Le lendemain, le ministre était auprès du souverain: «Elle partira, lui dit Louis XV, honnêtement, à quatre heures du soir, en évitant les duretés de Metz et Mᵐᵉ la duchesse d’Aiguillon la mènera à Ruel.»
Le prince de Croÿ, racontant par le menu ce départ historique, qui ne devait pas avoir, comme celui de la Châteauroux, un lendemain, ajoute, en guise de commentaire: «Le duc d’Aiguillon jouait un très gros jeu vis-à-vis de la famille royale et de madame la dauphine, très décidée là-dessus si le roi manquait...[330]» Des ennemis du régime insinuaient que Ruel était bien près de Versailles et que si Louis XV «en revenait», l’ami de la Du Barry la ramènerait promptement au maître.
En tout cas, le duc qui savait le roi irrémédiablement perdu, témoignait d’une belle crânerie, en prenant, pour ainsi dire, sous son égide, la favorite odieuse au futur règne. Et cette crânerie, c’était un acte de reconnaissance honorant les deux alliés, quelles que puissent être leurs erreurs ou leurs fautes devant l’Histoire. Au reste, le premier ministre ne fut pas seul à donner cette preuve publique de sa gratitude envers la femme qui avait si généreusement contribué à son salut et collaboré à sa fortune. Après que la duchesse d’Aiguillon eût emmené Mᵐᵉ Du Barry, plusieurs gens de cour allèrent présenter leurs devoirs à l’exilée; de mauvaises langues s’amusèrent{219} à dénombrer les douze ou quinze carrosses stationnant à la porte du château de Ruel. On s’enquit du nom des propriétaires; et longtemps après, dans les antichambres du nouveau roi, on les désignait comme autant de candidats à la disgrâce, en disant: c’était un des carrosses de Ruel[331].
Et cependant que de racontars odieux, que d’ignobles calomnies, ne répandirent pas les ennemis de d’Aiguillon—les cendres du feu roi à peine refroidies—pour démontrer que le ministre cherchait à se faire, de son ingratitude envers sa bienfaitrice, un titre à la bienveillance du nouveau régime!
En bon économiste, exécrant, à l’exemple de ses amis les philosophes, celui qu’on disait affilié aux jésuites, l’abbé Baudeau consignait dans sa chronique manuscrite, cette anecdote qu’il tenait de «quelqu’un assez instruit»: «D’Aiguillon avait fait investir la Du Barry de maréchaussée à Ruel, avait fait dire à Mᵐᵉ Adélaïde qu’elle n’échapperait pas et avait mandé au nouveau roi que l’intention du défunt était qu’elle fût mise dans un couvent, puisqu’elle avait le secret de l’Etat[332]».
L’historiette suivante appartient à la même catégorie d’informations: Louis XV, agonisant, avait remis secrètement à d’Aiguillon trois millions pour Mᵐᵉ Du Barry; et le dépositaire infidèle s’était empressé, aussitôt la mort du roi, d’aller porter au petit-fils les millions de l’aïeul[333].{220}
Ce qui est certain, c’est qu’au lendemain d’un trépas ruinant l’édifice, laborieusement construit, de sa fortune, d’Aiguillon affecta ou garda une inébranlable sérénité. Sa compagne, si perspicace, si courageuse, si aimante, lui avait, la première, donné le conseil de résigner immédiatement ses fonctions[334]. Il voulut attendre quelques jours.
Croÿ, qui était avec lui en relations suivies, constate, à maintes reprises, cette fermeté de l’homme d’Etat conservant le sourire à l’approche de la disgrâce. Pendant la maladie de Louis XV, Croÿ avait dîné chez le ministre, «il y avait trois tables et cinquante personnes». Après la mort du roi, «tout Paris avait couru chez d’Aiguillon qui faisait bonne mine à mauvais jeu[335]».
Et cependant, avant même que son sort fût décidé, ses anciens ennemis, les Choiseul, les philosophes et les encyclopédistes, les parlementaires et les vengeurs de la Chalotais, Maupeou et son groupe de fidèles, la reine et la famille royale, puis toute une nuée de nouveaux adversaires, le comte de Broglie et ses associés, des académisables évincés[336], des journalistes étrangers frappés d’exclusion, des auteurs dramatiques tels que Beaumarchais, atteints par la censure; enfin des courtisans aspirant aux faveurs du nouveau régime et des libellistes de l’ancien soucieux de placer avantageusement leur prose ou leurs poésies venimeuses,{221} partaient en guerre contre le favori—l’idole aux pieds d’argile.
A l’avènement de Louis XVI, avait déjà couru cette épigramme—jeu de mots par à peu près—d’ailleurs inoffensive.
Toutes les histoires de brigands qu’avaient ressassées les pamphlets parisiens et français pendant les affaires de Bretagne retrouvaient un regain d’actualité; et la chronique de Baudeau les reproduit avec une rare complaisance.
Mais, en dépit de ces sollicitations plus ou moins directes, Louis XVI ne prenait pas parti:
«Le roi, qui ne parle pas, écrivait Marie-Antoinette à sa mère, le 11 mai 1774, n’a pas dit un mot sur le choix d’un ministère. Il ne me semble pas disposé à garder M. d’Aiguillon, l’âme damnée de la comtesse Du Barry et qui a trop de penchant pour la Prusse. J’ai mis en avant le nom de M. de Choiseul qui serait bien pris du pays, mais on ne m’a point répondu; on ne me paraît pas lui être favorable[337].»
Le surlendemain, arrivait de Pontchartrain à Choisy{222} le vieux comte de Maurepas[338]: le roi l’avait nommé «ministre d’Etat sans portefeuille». D’Aiguillon avait ménagé cette brillante rentrée à son oncle par l’entremise de Mᵐᵉ Adélaïde[339]. Le ministre disgracié de Louis XV était resté plus de vingt-cinq ans éloigné de la Cour: il était septuagénaire.
—Je ne vous trouve pas changé, lui dit aimablement la tante du roi.
Les frères de Louis XVI ne virent pas sans appréhension l’apparition de ce revenant. Il leur semblait qu’il dissimulât derrière sa caducité la personnalité très vigoureuse et très agissante de M. d’Aiguillon. Peut-être celui-ci nourrissait-il cette arrière-pensée[340]. Nous saurons bientôt si elle fut jamais justifiée.
En tout cas, les 20 et 26 mai, l’ancien ministre de Louis XV travaillait encore avec Louis XVI. «Il paraissait aussi radieux que le chancelier», dit l’abbé Baudeau.
Huit jours après, éclatait dans Paris la nouvelle de son départ:
«Le 6 juin, écrit en son journal le prince de Croÿ,{223} je reçus une lettre très curieuse de ma belle-fille, du 3, qui portait que, le 2, M. de Maurepas était allé chez M. d’Aiguillon pour lui faire entendre qu’il fallait donner ses deux démissions, que celui-ci lui avait demandé s’il était porteur d’ordres, que M. de Maurepas l’avait assuré que non, mais qu’il l’avertissait en ami qu’il était temps[341].
Sur quoi, le duc d’Aiguillon était monté au Conseil, à l’ordonnance, et, avant de commencer, avait dit au roi que, ses services ne paraissant pas lui être agréables et que, le bien de la chose demandant la confiance du maître, il lui remettait sa double démission des deux ministères... que le roi avait paru désirer qu’il les gardât encore, disant qu’il lui fallait encore voir et se mettre au courant de son administration... mais que le duc ayant insisté, le roi les avait prises en lui disant qu’il pouvait garder sa charge de capitaine des chevau-légers et qu’il la lui verrait exercer volontiers[342]...»
Pour être si bien renseigné, ce fin renard de Maurepas avait dû écouter aux portes de Mᵐᵉ Adélaïde.
Mais il savait aussi à quoi s’en tenir sur les sentiments de Marie-Antoinette à l’égard de son neveu.
La reine harcelait son époux afin de lui arracher l’ordre d’exil de M. d’Aiguillon. D’autre part, Maurepas défendait, avec sa ténacité coutumière, mais infiniment courtoise, le secrétaire d’Etat, pour lui épargner un affront personnel et lui rendre sa chute{224} moins rude, à l’heure du remaniement général. Peut-être Maurepas, hypnotisé par la perspective d’un contact journalier avec un collègue autoritaire et ambitieux, ne fut-il pas suffisamment persuasif. Il devait cependant plaider assez éloquemment la cause de son neveu, pour que le roi, frappant du poing son bureau avec sa brutalité ordinaire, se soit écrié:
—Eh! parbleu, je sais qu’il fait bien, et c’est ce qui me fâche, mais la porte par laquelle il est entré et les troubles que sa haine a occasionnés[343]!
Tous les signes précurseurs de l’orage avaient dû ouvrir les yeux à d’Aiguillon.
Peu de jours[344] avant que le duc ne donnât sa démission, la duchesse, à la présentation chez la reine, avait subi la plus humiliante des mortifications. Marie-Antoinette, aimable et gracieuse pour toutes les dames, avait affecté de parler plus spécialement aux voisines de Mᵐᵉ d’Aiguillon et non seulement n’avait rien dit à la duchesse, mais encore «l’avait regardée sous le nez d’un air méprisant».
«Le duc et la duchesse d’Aiguillon, note Mercy-Argenteau, sont seuls exceptés de la règle de bonté de la nouvelle reine[345].»
Au lendemain de la mort de Louis XV, l’ambassadeur{225} de Vienne avait insisté auprès de la jeune souveraine pour qu’elle ne pressât pas le renvoi de l’homme qu’elle haïssait le plus, celui qui avait osé la traiter, dans un cercle, de «coquette![346]» La reine ne devait pas venger les injures de la dauphine. Malheureusement Mercy constatait, dès le 17 mai, qu’elle était, au contraire, très disposée à ne pas mettre en action le mot célèbre de Louis XII. Et la perspective du retour, qu’il redoutait, de Choiseul, ne souriait pas davantage à l’impératrice-reine.
Mercy, qui avait l’illusion facile, crut avoir persuadé Marie-Antoinette; mais il ne tarda pas à reconnaître son erreur. La reine «n’a pu résister à sa petite animosité». Le roi voulait garder le ministre; et c’est elle—preuve indubitable de son crédit—qui en a obtenu le renvoi. «Le reste lui importe peu; car chez elle la dissipation vient sans cesse effacer les impressions sérieuses[347].»
La nouvelle de cette démission, masquant mal une véritable disgrâce, provoqua une explosion de joie plus insultante encore que celle de la mort de Louis XV. Ce fut un feu roulant de chansons et d’épigrammes, celle-ci entre autres:
Quand le comte de Broglie apprit que son heureux concurrent «n’était plus rien», il ne put modérer ses transports d’allégresse; mais, en homme pratique, qui sait tirer parti de tout, il s’adressa, le 6 juin, à Louis XVI pour lui offrir la correspondance secrète du feu roi. Le nouveau lui répondit sèchement de la brûler[348]. L’année suivante, en mai 1775, Broglie lui écrivait pour lui demander la communication des pièces qui avaient précédé et suivi son exil à Ruffec. Louis XVI l’invita tout simplement à se tenir tranquille: la procédure de l’affaire de la Bastille, lui dit-il, a été brûlée[349].—Le feu purifie tout; mais, dans l’espèce, il enlevait au comte de Broglie une partie de ses moyens d’action contre l’ancien ministre de Louis XV.
Toutefois le procès de son beau-frère, le comte de Guines, ambassadeur de France à Londres, allait lui offrir l’occasion de satisfaire plus amplement sa rancune.
Un autre homme d’Etat qui ne dissimula pas la satisfaction qu’il éprouvait de la chute du premier ministre, son collègue, ce fut le chancelier Maupeou, que devait bientôt atteindre la même disgrâce. Il avait rendu, prétendait-il, les services les plus essentiels (ce dont il était permis de douter) au duc d’Aiguillon; et il en avait été payé par la plus noire ingratitude. Les anecdotiers ne tarissaient pas sur ce sujet.
—Un coquin que j’ai sauvé de la roue! affirmait le{227} chancelier devant un «prince aussi recommandable par sa haute naissance que par son mérite personnel».
—Parbleu, monsieur, répliqua le grand seigneur, ce n’est pas ce que vous avez fait de mieux dans votre vie[350].
A ce moment même où le duc d’Aiguillon descendait un peu tardivement, mais non sans dignité, du pouvoir, deux hommes—des prêtres—traçaient de son caractère, de son rôle politique, de ses tendances, un portrait qu’il nous a paru curieux et utile de conserver.
L’abbé de Véri, auditeur de rote à Rome, qui a laissé un journal inédit où M. de Ségur a puisé de précieux renseignements, étudie surtout le ministre:
«Les ambassadeurs étrangers, dit-il, reconnaissaient sa manière douce, juste, toujours ouverte et son humeur accueillante avec les militaires.»
Dans la Chronique de l’abbé Baudeau la note change. Si le diplomate flatte son modèle, l’économiste noircit singulièrement le sien, bien qu’avec certaines atténuations, pour paraître impartial. Baudeau constate, à la date du 6 juin, que d’Aiguillon a refusé la pension de vingt mille livres à laquelle il avait droit comme ministre: il n’avait jamais servi, disait-il, le roi pour de l’argent[351].
«Ouais, objecte l’abbé, c’était par orgueil et pour placer ses adulateurs.» Mais il ajoute:{228}
«Il était parcimonieux pour la chose publique dans un règne de gaspillage, vétilleux, absolu, travailleur, colère, rancunier, présomptueux, petit et vindicatif à l’excès—tous les vices du cardinal de Richelieu, sans en avoir l’esprit!»{229}
La comédie à Veretz.—Goûts et plaisirs champêtres.—Toujours les affaires de Bretagne.—Rentrée en scène de la Chalotais—Epidémie à Veretz et à Chanteloup.—Réintégration de l’ancien Parlement: d’Aiguillon y prend place sans que personne proteste.—Ce qu’on pense à Vienne de sa retraite.—Campagne de libelles contre la reine: le duc d’Aiguillon en est, dit-on, l’inspirateur.
«La duchesse, dit la chronique de Baudeau, à la date du 2 juin, est partie pour Veretz, à ce qu’on assure: elle y va sans doute préparer le logement de son cher époux.»
La nouvelle était peut-être prématurée, mais en somme très vraisemblable, l’air de la Cour devant paraître irrespirable à Mᵐᵉ d’Aiguillon, depuis l’avanie que lui avait infligée la reine.
Quoi qu’il en soit, la châtelaine de Veretz était en pleine villégiature dans le courant du mois d’août; car une lettre du 26, à l’adresse de Balleroy, lui décrit, dans cette langue, simple, naturelle et parfois un peu négligée, dont nous connaissons la saveur, la vie agréable que faisaient à leurs invités les possesseurs de ce beau domaine. La comédie de salon n’en était pas une des moindres distractions:
«Notre comédie a été jouée avant-hier et a très bien réussi. Je vous assure que l’on voit très bien que le rôle de Crispin est héréditaire (le duc et{230} jadis son père remplissaient-ils donc supérieurement cet emploi?); car mon fils, qui n’avait jamais vu de théâtre que de loin, a très bien joué. Quant à la duchesse (nous ignorons quelle était cette grande dame, à moins que ce ne fût Mᵐᵉ d’Aiguillon elle-même qui se nommait Louise) il lui aurait fallu une autre taille et un autre son de voix pour bien jouer son rôle; mais, malgré cela, l’ensemble a été très bien. Pour petite pièce on a joué une petite scène détachée, en son honneur, qui a amené une fête champêtre, pour lui souhaiter la bonne fête, attendu qu’elle se nomme Louise...»
Ces divertissements étaient alors très fréquents sur les théâtres de société, qui furent eux-mêmes si nombreux pendant le XVIIIᵉ siècle. Le Journal de Collé[352], les Sociétés badines de Dinaux[353] en ont abondamment parlé.
Mais ce n’était peut-être pas «la comédie» qui plaisait le plus à la duchesse dans cette vie de château. Nous avons dit ailleurs les goûts champêtres de Mᵐᵉ d’Aiguillon qui cadraient si bien avec son humeur plutôt indépendante. C’était la maîtresse femme qui s’entendait à diriger, comme nos gentleman farmer d’aujourd’hui, les plus vastes exploitations. Et nous verrons plus tard comment elle sut transformer en un séjour de rêve la triste et pauvre gentilhommière d’Aiguillon dans l’Agénois.
Elle acceptait gaîment toutes les corvées de la ferme: «En votre absence, la belle Candide[354] s’était{231} avisée d’être malade. Comme personne ne soignait les petits cochons, il a fallu que je les soignasse moi-même.»
Elle ne... soignait pas avec moins de sollicitude l’humanité souffrante: à l’exemple de toutes les châtelaines du temps, elle avait la douce manie des «recettes» infaillibles contre telle ou telle maladie: elle envoyait celles «de l’eau d’absinthe ou de coriandre» au chevalier qui en ferait profiter sa sœur.
La retraite de son mari était de date encore trop récente, pour que Mᵐᵉ d’Aiguillon se désintéressât complètement des affaires de la Cour. Celles de Bretagne lui tiennent surtout au cœur. Elle admire M. de Fitz-James[355] qui se défend de tenir les Etats, si on les fait présider par l’évêque de Rennes. Et comme celui-ci est persona grata, ce sera encore M. de Penthièvre qui aura «la plate faiblesse d’y aller».
Puis, elle jette un regard sur Versailles: «On me mande que M. de Maurepas est plus brillant que jamais: je ne l’envie pas; grand bien lui fasse!»{232}
Sa perspicacité avait pénétré l’égoïsme du vieux courtisan sous ce vernis d’affectueuse bienveillance dont il se piquait pour son neveu[356].
Trois semaines après, Mᵐᵉ d’Aiguillon donne un souvenir aigre-doux à la personnalité, alors bien oubliée, de La Chalotais, de qui elle annonçait, dans une lettre précédente, le retour imminent en Bretagne:
«Je ne doute pas que vous n’ayez été sensible au plaisir de savoir que M. de la Chalotais passait dans la ville que vous habitez[357].»
Louis XVI venait en effet de rendre au procureur général sa liberté et sa place.
C’est encore un disgracié qui rentre en scène, à propos d’une épidémie des plus graves dont la Touraine eut alors à souffrir. Veretz et ses environs comptèrent plusieurs malades qui «tous s’en sont bien tirés». Il n’en alla pas de même «à Chanteloup, où, sur quarante malades, il y en a dix de morts, dont M. de Boufflers...» Ce grand seigneur n’avait pas reçu les sacrements. M. de Choiseul, le châtelain, a «sûrement oublié» avec «quel zèle ses sectateurs» agitèrent la question, pendant «la maladie du roi[358]». C’était une allusion au conflit qui avait marqué les dernières heures de Louis XV. D’Aiguillon et La Vrillière demandaient qu’on retardât, pour ne pas épouvanter le moribond, l’administration des{233} sacrements. Le cardinal de la Roche-Aymon, qui la voulait immédiate, obtint gain de cause[359], avec l’appui de La Martinière, premier chirurgien du roi.
Cependant la saison touchait à sa fin. Les d’Aiguillon étaient rentrés à Paris. Leur fille, Mᵐᵉ de Chabrillan, longtemps malade à Veretz, s’était rétablie; et la duchesse, qui l’avait soignée, n’avait fait que passer par Paris, où elle «n’avait même pas eu le temps d’entendre un acte d’opéra», pour aller se reposer chez une amie, dans la calme solitude de Trassey[360].
De plus graves soucis préoccupaient son mari. Maupeou était tombé[361] et l’ancien Parlement rappelé. L’opinion publique attribuait à Maurepas l’honneur de cette réintégration: aussi le «Mentor» de Louis XVI, comme on se plaisait à le nommer, avait-il été acclamé à l’Opéra, le 8 novembre[362]. C’était le 12 que devait se réunir le Parlement, en présence du roi. D’Aiguillon n’hésita pas. Malgré l’exclusion dont il avait été frappé en 1770, hautain comme il l’était, et vraisemblablement assuré de l’appui de Maurepas, il entra au Parlement; et pas un conseiller ne protesta. Mais l’émotion fut grande dans Paris: «On a vu avec étonnement M. le duc d’Aiguillon prendre place, comme pair de France, dans une assemblée où toute la nation est persuadée qu’il ne devrait paraître que pour essayer de se justifier[363]».{234}
Il bravait ainsi le sentiment public. Peut-être voulut-il continuer l’expérience, mais alors avec le roi et la Cour, quand il se présenta le 28 décembre, à Versailles, pour faire signer à Louis XVI son travail sur les chevau-légers. Descendu chez Maurepas, il était passé, par l’Œil-de-Bœuf pour entrer dans le cabinet du roi. Louis XVI l’avait fort bien accueilli; il lui demanda même, après lui avoir donné sa signature, s’il n’avait pas quelque requête à lui adresser. D’Aiguillon, toujours avec sa superbe ordinaire, se contenta de reployer son portefeuille et de dire «qu’il bornait toute son ambition à présenter personnellement ses hommages au roi». Et il sortit: l’Œil-de-Bœuf était plein de courtisans qui attendaient, montre en main, pour calculer le temps qu’aurait duré l’audience. Louis XVI, à ce spectacle, fit entendre son «gros rire». D’Aiguillon était remonté chez son oncle, et, après quelques visites, était reparti pour Paris, «où il resta tout l’hiver[364]».
Sa démission n’avait laissé aucun regret à Vienne. Je suis bien aise, écrivait, le 16 juin, Marie-Thérèse à sa fille, de la retraite de MM. d’Aiguillon et La Vrillière[365], sans lettre de cachet «méthode dure». Toutefois, nous l’avons vu, Mercy n’avait pas dissimulé, dès la première heure, son appréhension du lendemain. Puis, la haine furieuse, et comme inassouvie, de Marie-Antoinette contre l’ex-ministre, l’inquiétait;{235} et l’impératrice-reine (lettre du 15 août) s’étonnait de cet «esprit de vengeance». Mercy, tout en rendant hommage à la «bonté» naturelle de la jeune femme, avait constaté combien cette aversion pour d’Aiguillon avait arrêté les élans de franchise dont l’avait jusqu’alors honoré la reine. Et Marie-Thérèse, qui voit se perdre ainsi tous les efforts de sa politique, peint d’un trait une mentalité qui n’a échappé, ni à la mère, ni à la souveraine. Le «caractère» de sa fille est à la fois «indécis et volontaire» (lettre du 13 octobre).
D’autres soucis travaillent Mercy-Argenteau, par exemple la direction que d’Aiguillon prétend donner désormais à sa vie. On le signale comme un des meneurs les plus redoutables de la cabale formée contre la reine[366]. L’aventure romanesque de Beaumarchais en Autriche semble corroborer cette imputation.
L’auteur, déjà célèbre, du Barbier de Séville, aussi ardent faiseur d’affaires que fécond remueur d’idées, était parti, sous l’anagramme de Norac, pour l’Allemagne, afin d’y négocier, avec un certain Angelucci, l’achat d’une édition tout entière d’un pamphlet dirigé contre Marie-Antoinette[367]. Or, son vendeur, un juif d’insigne mauvaise foi, après s’être fait largement payer, s’était enfui, emportant un exemplaire de cette{236} atroce publication. Beaumarchais avait raconté, depuis, sur le mode tragique, toutes les péripéties de son histoire de brigands. Mais, sur le moment, les autorités autrichiennes, qu’elle avait trouvées incrédules, avaient mis le négociateur en état d’arrestation. Mercy, à qui l’aventure avait paru également étrange, en avait causé avec Sartine; et l’ancien lieutenant de police, alors ministre de la marine, avait déchargé de toute culpabilité le «délicieux» Beaumarchais, comme aimait à l’appeler le prince de Kaunitz, pour laisser retomber par insinuation la responsabilité du pamphlet sur le duc d’Aiguillon[368].
Mercy, plus d’un mois après[369], signale de nouveau le bruit public attribuant au ministre déchu une part très active dans la campagne de libelles dirigée contre la reine. C’est ainsi que M. de Ségur[370] représente d’Aiguillon, rentré à Paris, las, découragé, aigri et devenant le centre d’une opposition féroce: d’où cette nuée d’écrits injurieux qui, suivant l’expression de Mercy «se sont répandus contre le gouvernement, et en particulier, en vue de nuire à la reine[371]».{237}
Influence et crédit de Mᵐᵉ de Maurepas.—Ses appels au calme et à la patience.—D’Aiguillon «embusqué» dans son hôtel.—Procès du comte de Guines.—Ce qu’était Tort de la Sonde.—Rôle de d’Aiguillon: griefs de Guines.—La reine prend parti pour l’ambassadeur de France à Londres.—Besenval excite M.-Antoinette contre d’Aiguillon.—Mémoires de Guines «tissus d’horreurs et de mensonges».—Guines gagne son procès.—La reine exige de Louis XVI l’exil du duc d’Aiguillon.—Incidents de la revue du Trou d’Enfer.—Entrevue de Maurepas avec la reine.—D’Aiguillon devra partir pour l’Agénois.
Les d’Aiguillon, au moment où leurs adulateurs de la veille s’éloignaient d’eux, le lendemain, pour mieux faire leur cour à la reine, trouvèrent un défenseur hardi, généreux, infatigable dans la personne de leur tante, Mᵐᵉ de Maurepas, la digne sœur de la comtesse de Plélo. Jusqu’alors elle s’était tenue discrètement à l’ombre, la disgrâce si longue de son mari l’ayant privée de tout crédit. Mais le soleil était revenu; et Mᵐᵉ de Maurepas avait reconquis une influence qu’elle allait mettre au service de son neveu; car si elle était, comme l’a fort bien dit Linguet, «toute puissante sur l’esprit de son mari, elle était elle-même aveuglément soumise à toutes les impressions de l’ancien commandant de Bretagne[372]. Enfin, elle avait la plus tendre{238} affection par sa nièce, accourait la soigner quand elle avait «ses hépatiques (coliques)» et ne cessait de lui répéter dans ses lettres: «Vous savez que je vous considère comme ma fille; croyez-le bien, nul ne vous aime plus que moi». Et nous verrons, d’après sa correspondance, avec quelle sollicitude elle embrassa la cause de Mᵐᵉ d’Aiguillon à l’heure de l’adversité. Elle s’attristait cependant, elle la sérieuse compagne de l’homme le plus léger du monde, à l’idée que sa nièce pût douter du zèle de M. de Maurepas pour la défense de ses intérêts:
«Je suis pénétrée de douleur, lui écrit-elle, que vous croyiez que M. de Maurepas ne mette pas toute la vivacité qu’il doit aux affaires qui vous intéressent. M. d’Aiguillon doit savoir mieux que personne qu’on ne fait pas parler les rois comme on veut. Nous serons toujours occupés de saisir le moment qui pourra vous être utile[373].»{239}
Son neveu perdait patience; peut-être n’avait-il, lui aussi, qu’une médiocre confiance dans la sincérité d’un homme qui n’avait jamais pensé qu’à lui[374]: «J’ai fait lire vos lettres à M. de Maurepas, disait encore la tante à sa nièce; il prend aussi vivement que moi tout ce qui peut intéresser M. d’Aiguillon... Au nom de Dieu, qu’il (le duc) se calme! Tous les honnêtes gens lui rendent justice!»
Eh quoi! cet homme qu’on représente toujours si froid et si maître de lui, se serait-il échappé en paroles violentes, dont ses ennemis, empressés à les reproduire, pourraient se faire une arme contre lui?
L’hypothèse est admissible; car Augeard[375] affirme l’avoir vu, en maintes circonstances, une fois par exemple à propos de Maupeou, entrer dans une colère effroyable, presque convulsive, rappelant quelque peu les crises de fureur dont, au dire de certaines chroniques, le cardinal de Richelieu était coutumier.
Ce qui est certain, c’est que d’Aiguillon était resté tout l’hiver, à Paris[376], «embusqué dans ce fastueux hôtel[377]» de la rue de l’Université qu’il avait hérité de son père[378]. La cour de l’ancien ministre avait bien diminué; mais les amis qui la composaient étaient si dévoués au maître que Mercy en dénonçait les noirs{240} complots. La «cabale» avait même recruté des adhérents de marque, avec le cardinal de Rohan et ses parents, entraînés par Mᵐᵉ de Maurepas, au grand déplaisir de l’impératrice, qui trouvait excessives les rigueurs de sa fille contre d’Aiguillon[379]. Et la duchesse, toujours attentive aux plaisirs de son mari, donnait chaque soir, à ses fidèles, le régal de la comédie, comme à Veretz, sur un théâtre de société[380].
Mais, Marie-Antoinette, qui «attribuait l’odieux de la désaffection populaire[381]» à d’Aiguillon et à son groupe, s’était offusquée des fréquentes réunions de ce cercle frondeur et s’était juré d’en perdre le chef. L’incident de Guines lui fournit l’occasion cherchée.
Une «note sur la vie politique de Barthélemy Tort de la Sonde, habitant de Bruxelles» fixe le début de ce conflit, où personne n’eut raison, excepté peut-être l’homme sur qui s’amassaient tant de colères, et principalement celle de la reine: M. d’Aiguillon.
«J’ai été mis à la Bastille en 1770, déclare Tort de la Sonde,—d’ailleurs un parfait aventurier—à la réquisition du fameux duc de Guines, alors ambassa{241}deur de France en Angleterre, parce que je m’étais fortement opposé à ce qu’il volât 300.000 livres à MM. Bourdier, Chollet et Thélusson, banquiers de Londres.
Après être sorti de la Bastille en 1771, j’ai attaqué l’escroc-ambassadeur au Parlement. La reine et toute la canaille illustre de la Cour ont pris parti pour lui. J’ai fait justice des uns et des autres, en publiant contre eux les plus sanglants mémoires, dans des moments où les prétendus patriotes d’aujourd’hui faisaient les plats valets et n’osaient pas trop regarder un grand seigneur en face[382]...»
Moreau, qui consacre plusieurs pages à cette affaire[383] et qui fut, il faut le dire également, un des partisans les plus dévoués de l’ancien ministre, expose, en quelques lignes, et avec impartialité, le différend divisant le comte de Guines et son secrétaire Tort de la Sonde.
Celui-ci avait joué sur les fonds anglais, il avait perdu et s’était refusé à régler les différences. Arrêté sur l’ordre de Guines, il prétendit n’avoir opéré que pour le compte de l’ambassadeur. Il resta huit mois à la Bastille; mais les créanciers anglais, qui voulaient être désintéressés, appuyaient la version de Tort, l’homme de paille, assuraient-ils, du comte de Guines. La «permission de rendre plainte» contre le diplomate français fut accordée par le Conseil. D’Aiguillon qui était alors aux affaires étrangères, mais qui ne s’y trouvait pas au moment du conflit entre Guines et{242} Tort de la Sonde, avisa l’ambassadeur de la requête obtenue contre lui. Mais déjà Sartine, lieutenant de police, avait ouvert une instruction, avant que Guines ne fût rentré en France, procédure que lui reprocha d’Aiguillon. Le ministre fit mieux encore: il offrit à l’ambassadeur d’arrêter la plainte. Guines lui-même en convient dans ses Mémoires. Son procès ne commença réellement qu’en août 1773. Il se dit victime d’une machination de son ministre qui aurait prévenu contre lui le roi, au lieu de le soutenir, lui l’envoyé de Louis XV[384].
Naturellement, d’Aiguillon avait pour adversaires le comte de Broglie, Dumouriez, Favier et «tous les gens qu’il avait fait enfermer à la Bastille». De Broglie, «rentré en grâce[385]», allait partout clabaudant que si M. de Guines, son beau-frère, se trouvait lésé dans sa défense, il devait en rendre responsable l’ancien secrétaire d’Etat aux affaires étrangères. Et précisément il venait «d’imprimer que Tort n’ayant pas d’ordres verbaux à objecter contre lui, les preuves testimoniales étaient périmées dans l’intervalle de ces quatre années (1771-1774) et qu’il ne lui était plus possible de se défendre aussi avantageusement en 1775 qu’il l’eût fait en 1771; enfin que M. d’Aiguillon avait corrompu ceux qui avaient déposé dans l’instruction secrète[386]».
Le parti des Choiseul appuyait le comte de Guines;{243} et Marie-Antoinette apportait à protéger l’ambassadeur une animation extraordinaire. Mercy-Argenteau regrettait même que, «pour faire pièce à d’Aiguillon», elle témoignât autant d’intérêt à M. de Guines «dont il voulait bien croire la cause bonne». Il eût préféré que la reine déjouât, sans bruit, les intrigues du ministre déchu, qui avait eu l’habileté, par son ascendant sur la comtesse de Maurepas, d’exciter la jalousie de son oncle contre le crédit de Marie-Antoinette. Mais la reine, plus irritée que jamais, avait exigé de son époux qu’il exilât d’Aiguillon dans ses terres ou dans son gouvernement, avec défense de paraître de longtemps. Le roi avait d’abord consenti; puis il s’était ravisé, en faisant observer à la reine qu’il ne pouvait éloigner de Paris le duc d’Aiguillon, au moment où il était aux prises avec le comte de Guines qui avait laissé planer sur l’ancien fonctionnaire «les plus fâcheux soupçons». La reine garda le silence; «mais assurément, ajoute Mercy, c’est M. de Maurepas qui a dû suggérer ces réflexions au roi[387]».
Marie-Antoinette avait obéi, elle aussi, à des suggestions, mais d’un tout autre genre et aussi perfides que{244} cyniques. Si d’Aiguillon peut être représenté par ses ennemis comme un «homme noir», méditant les complots les plus affreux, Besenval, le conseiller de la reine, ne lui est certes pas inférieur, devant l’Histoire, pour la dextérité et l’astuce avec laquelle il ourdit les plus ténébreuses intrigues[388]. Il fallait décider Marie-Antoinette à précipiter, de toute son influence sur Louis XVI, l’écrasement définitif du ministre tombé:
«... Je lui représentai avec feu le danger qu’il y avait pour elle de laisser une cabale aussi inquiétante, ayant à sa tête le duc d’Aiguillon, dont le caractère méchant, vindicatif et profond devait lui faire tout craindre... Je lui fis comprendre la nécessité d’éloigner un tel homme. Je lui conseillai de mettre en avant, vis-à-vis du roi, l’audace avec laquelle il avait poussé le comte de Guines, quoiqu’il ne pût douter de la protection qu’elle lui accordait et de lui faire comprendre qu’on ne devait jamais s’attendre à aucun repos, tant qu’on laisserait un tel homme au milieu de Paris.»
Mais l’arrivisme du personnage, pour parler la langue à la mode, se trahit bientôt:
«L’intérêt de la reine aurait suffi pour me faire attaquer M. d’Aiguillon; mais d’autres considérations m’y portaient encore, c’était lui qui était l’auteur de la chute de M. de Choiseul. Il convenait, à mon sentiment, de l’en punir. Je ne pouvais me flatter d’aucun espoir de retour pour M. de Choiseul, tant que M. d’Ai{245}guillon serait à portée de pouvoir quelque chose; et en l’éloignant, je croyais rendre un grand service à mes amis[389].»
Guines, «soufflé par le parti Choiseul[390]», venait d’envoyer «un violent billet» à Louis XVI, pour lui demander justice contre les procédés de M. d’Aiguillon. Celui-ci, «mis en cause», riposte par deux lettres que Vergennes, son ami, soumet au Conseil, en présence de Louis XVI. Maurepas fait savoir à l’intéressé, par sa femme, le résultat négatif de la séance[391]. «On (le roi) m’a répondu qu’on ne pouvait empêcher l’affaire de suivre son cours, qu’on lui (à Guines) avait fait dire très fortement qu’on était mécontent du billet, mais qu’on ne voulait pas faire de bruit de cette affaire. On a même ajouté d’un ton à me fermer la bouche que vous ne devriez pas chercher de nouvelles affaires. Je ne puis trop vous recommander le silence en ce moment.»
Dès lors, la reine d’un côté, Vergennes et Maurepas de l’autre, se combattent, «à coups fourrés» dit Besenval, sous les yeux de Louis XVI, assez faible déjà pour subir alternativement toutes les influences.
D’Aiguillon avait obtenu l’autorisation de faire imprimer sa correspondance ministérielle pour répondre aux imputations de Guines[392]: elle prouverait plutôt qu’il avait pris parti contre Tort de la Sonde. Son adversaire, «pour le noircir», fait mettre sous les{246} yeux du procureur général du Châtelet des extraits de sa correspondance diplomatique avec d’Aiguillon et prétend donner ce second mémoire à l’impression[393]. Vergennes s’y oppose: il démontre fort judicieusement au roi que si l’on accorde cette permission à Guines, d’Aiguillon pourra la réclamer pour d’autres dépêches: alors où s’arrêtera un tel abus? Louis XVI approuve son ministre. Mais Guines passe outre; et le Conseil d’ordonner la suppression et la destruction du mémoire imprimé:
«Si vous avez été surpris, écrit, le 24 mai, Mᵐᵉ d’Aiguillon au chevalier de Balleroy, du ton du premier mémoire du comte de Guines, vous le serez un peu plus du deuxième: c’est un tissu de noirceurs et de mensonges. Je joins à ma lettre l’arrêt du Conseil qui a été rendu à cette vacation, qui a porté lui et ses protecteurs au dernier degré de la rage. Ils remuent ciel et terre pour trouver quelques nouvelles misères à faire et à dire. Je suis, sur cet article, comme le sage pour la mort: je les attends sans les craindre[394]...»
La vaillante femme sait bien qu’elle et ses amis sont impuissants contre les «protecteurs» qu’elle ne veut pas nommer et qu’elle ne nommera jamais. Mᵐᵉ de Maurepas lui dira qu’«on ne put tenir» contre une reine qui use de son ascendant sur son mari pour satisfaire sa haine. Marie-Antoinette fit croire au roi que sa religion avait été surprise[395], lui rappelant, dans un retour vers le passé, «la conduite atroce» de d’Aiguillon contre La Chalotais, contre la Bretagne, contre{247} le duc de Choiseul «protecteur» de Guines. Et Louis XVI manda au Chatelet qu’il n’improuvait pas la publication des mémoires de Guines pour sa justification[396]. Louis XVI défendait seulement au comte d’attaquer le duc d’Aiguillon; et le 2 juin, par 7 voix contre 6, le Chatelet déclarait calomnieuses les accusations de Tort de la Sonde.
«La justice de Louis XVI, conclut Mᵐᵉ Campan, fit triompher l’innocence du duc de Guines[397].»
Qu’en savait-elle? Jamais affaire ne fut plus embrouillée; et si Tort de la Sonde, qui d’ailleurs en rappela, eut souvent des allures assez louches, la conduite de son adversaire ne fut pas toujours bien correcte. La protection presque tendre que lui accorda la reine était encore une de ces imprudences qui furent si cruellement reprochées à la femme; et ce fut grâce à ses instances qu’il reçut ce titre de duc dont Mᵐᵉ Campan le décore un peu trop tôt.
La joie des vainqueurs fut insolente: «La sentence du Chatelet en faveur du comte de Guines est imprimée en caractères gigantesques et se trouve affichée à tous les coins de rue[398]».
Il semblait, en vérité, que la fatalité s’acharnât après d’Aiguillon. C’était comme une reprise de l’éternelle affaire de Bretagne, qu’elle s’affirmât par la réhabilitation des soi-disant victimes de l’ancien commandant ou par l’apparition de nouveaux ennemis dans les{248} rangs de ses propres défenseurs. Tel Linguet qui se plaignait de n’avoir pas été suffisamment rémunéré par un client ingrat et superbe au point de ne plus le reconnaître, une fois son procès gagné[399]. En outre, Linguet avait été singulièrement persiflé, quand il était allé demander à Maurepas la permission d’écrire contre d’Aiguillon: le vieil homme d’Etat lui avait conseillé de se méfier de ses emportements. «—Ah! Monseigneur, s’écria le publiciste, je vois qu’on vous a égaré sur mon compte. Eh bien! je prends acte de vos préventions.»
Et Maurepas, ouvrant toute grande la porte de son cabinet:
—Vous êtes témoins, Messieurs, que je donne à M. Linguet la permission de prendre acte de mon penchant à croire qu’il est quelquefois au delà du vrai et que ses talents l’égarent[400].
Le gazetier, qui avait conté l’anecdote, annonçait un autre jour[401] que La Chalotais venait de recevoir, à titre de compensation, 100.000 francs, 8.000 livres de pension, le titre de marquis et pour son fils celui de Président. Mais il avait dû renoncer à «ses prétentions et griefs contre d’Aiguillon...».... «Cela semblerait prouver que ce duc avait agi en Bretagne par ordre du feu roi, ou que le monarque avait approuvé les procédures de ses représentants en Bretagne. Cependant l’odieux qui a rejailli de cette affaire sur MM. d’Aiguillon et de Calonne subsiste toujours dans l’opinion publique.»{249}
Mais des outrages plus sanglants, des humiliations plus pénibles, une chute plus profonde, et celle-ci définitive, attendaient le duc d’Aiguillon. Or, cet homme de cour, rompu cependant à toutes les intrigues, n’avait jamais eu, pour sa propre destinée, la clairvoyance dont sa femme était supérieurement douée. Les événements qui se précipitaient auraient dû lui ouvrir les yeux; et ses oreilles restaient obstinément fermées aux avertissements que ne lui ménageaient pas de prudentes amitiés. Il se flattait qu’il reviendrait au pouvoir. Sa fierté, réveillée par des voix autorisées, l’en avait fait, il est vrai, spontanément descendre. Et la rapidité avec laquelle il fut remplacé ne démontra que trop que sa révocation était imminente. Son optimisme personnel en fut à peine effleuré: «J’avoue, disait-il à Belleval, que la haine dont la reine me poursuit, après m’avoir honoré jadis de quelque bienveillance, m’a trouvé moins résolu». Il était persuadé que, s’il n’avait dépendu que du roi, il serait resté: «il n’est pas besoin de s’adorer pourvu que les affaires de l’Etat marchent[402]». Faut-il rappeler, d’après les Mémoires du ministère d’Aiguillon, ce rêve d’un projet qui le ramenait au pouvoir pour en faire le coadjuteur de son oncle? Sa belle confiance escomptait toujours l’avenir.
Le 24 septembre 1774, il avait annoncé à ses chevau-légers que la compagnie serait passée en revue par le roi et qu’elle «irait au sacre de Sa Majesté le printemps prochain».
Et Belleval, qui reçoit, en 1775 (avril), les confi{250}dences de son commandant, déplore «l’état d’aveuglement où l’esprit le plus subtil reste couvert de nuages». D’Aiguillon, sans prendre autrement garde au sentiment du roi qui le tolère, ni à «la haine de la reine», qui ne le tolère pas, organise, avec son faste ordinaire, pour les fêtes du sacre, de luxueux préparatifs dont s’indigne Marie-Antoinette. Il annonce à ses officiers qu’ils seront reçus à Reims, dans son hôtel et à sa propre table. Mais tout à coup il reçoit un ordre qui le relève de son service à cette fête grandiose. C’est le «coup de tonnerre» précurseur de la tempête. Et quel désarroi parmi les chevau-légers! Belleval en esquisse un leste croquis[403]. Le comte de la Coste lui apprend, dans la Grande Galerie de Versailles, qu’il doit commander la compagnie à la cérémonie du sacre: communication toute confidentielle. Mais les officiers pressentent l’événement. Le duc de Villequier vient à Belleval qu’il sait ami de d’Aiguillon et tente vainement de le faire parler. Mais le lendemain:
—Eh! eh! la guêpe est écrasée. Il n’y a plus de coups d’aiguillon à craindre.
Belleval s’échauffe:
—Parlons sérieusement, dit en riant Villequier. Aussi bien il serait puéril de vouloir «cacher aujourd’hui ce que chacun sait».
Et Villequier lui confirme les nouvelles de la veille. Il lui annonce que la reine, en raison de son estime pour Choiseul, l’a fait inviter au sacre.
—Sans doute, ajoute-t-il, «si le roi avait été{251} abandonné à lui-même, il aurait gardé M. d’Aiguillon, malgré la violence du parti que son imprudence avait laissé se former et grandir contre lui». Ce n’est pas qu’il soit «un homme d’Etat», mais il a «l’esprit fin et adroit»; courtisan délié, il avait une intelligence capable de le faire louvoyer au milieu des écueils de l’entourage hostile de la reine.
Il fallut, pour enlever à d’Aiguillon ses dernières illusions, l’insulte suprême de la revue du Trou-d’Enfer (le 30 mai), où les devoirs de sa charge l’obligeaient à défiler, à la tête de sa compagnie. Quelques jours auparavant, il était allé prendre les ordres de la reine pour cette revue:
—Que n’allez-vous à Saint-Vrain, solliciter ceux de Mᵐᵉ Du Barry? lui répondit durement Marie-Antoinette.
L’ancienne maîtresse de Louis XV avait obtenu depuis peu la permission de quitter l’abbaye de Pont-aux-Dames où elle était exilée, pour la résidence de Saint-Vrain située près d’Arpajon; et d’Aiguillon, à qui ses ennemis faisaient un crime de cet acte de reconnaissance, était allé présenter ses hommages, ainsi qu’il l’avait appris à Belleval, à la châtelaine de Saint-Vrain[404].
Le «capitaine-lieutenant» des chevau-légers était donc venu de Paris au camp de Marly pour la revue du Trou-d’Enfer. Le bruit de son exil avait atteint le rinforzando que Beaumarchais donne à la rumeur de la calomnie; et la reine avait annoncé qu’elle s’abstiendrait de paraître, si d’Aiguillon était présent. La{252} compagnie était enchantée que le roi n’eût pas interdit à son commandant de remplir son emploi[405].
Mais, au moment de monter à cheval, le duc reçoit ce billet de Maurepas[406]: «Quand le roi passera, ne lui remettez pas le papier», c’est-à-dire «les grâces à demander», une liste que connaissait bien Belleval, car son protecteur lui promettait souvent d’y faire figurer son nom.
D’Aiguillon ne comprend rien au message de Maurepas, et perd la tête lorsque, en arrivant sur le terrain de la revue, il aperçoit, contre toute attente, le carrosse de la reine et partout une foule énorme de curieux.
Le défilé commence. Au passage des chevau-légers devant le roi, d’Aiguillon remet au prince «le papier». Louis XVI ne le regarde pas: le parti de Guines affirma même plus tard qu’il l’avait refusé[407]. Mais voici le capitaine-lieutenant, à la tête de sa compagnie, devant le carrosse de la reine; Marie-Antoinette abaisse vivement le store de la portière. Les Mémoires de d’Aiguillon disent même qu’«elle tira la langue» à l’ex-ministre... «Les cheveux me dressent sur la tête quand j’aperçois cet homme-là», déclare-t-elle le soir de la revue[408].
Le lendemain, le duc, qui voulait décidément faire contre mauvaise fortune beau jeu, déclarait à Belleval qu’il «supportait légèrement cette dureté».
Il n’était qu’au commencement de son calvaire.
Le 5 juin, trois jours avant le sacre, Marie-Antoinette mande Maurepas et lui tient ce langage[409]: «Monsieur, je ne vous vois point avec peine avoir la confiance du roi. Je connais votre probité, la droiture de vos intentions et votre désintéressement. Mais je ne puis vous déguiser que vous me trouverez contraire à tout projet de voir votre neveu dans ce pays-ci. J’ai lieu d’être mécontente de lui depuis longtemps. Vous l’avez soutenu et nous avons combattu l’un contre l’autre. Vous avez tenu des propos sur tout cela; j’en ai tenu de mon côté qui ne vous auront pas contenté. Laissons votre neveu loin d’ici et oublions de part et d’autre nos propos mutuels.»
Maurepas, pris au dépourvu, se confond en vagues protestations. La reine redouble de véhémence. Elle déclare qu’elle a obtenu du roi l’interdiction pour d’Aiguillon de se rendre à Reims et son ordre d’exil dans ses terres.—Mais, demande Maurepas, quels sont les nouveaux torts de mon neveu?
—Qu’importe? La mesure est comble. Il faut que le vase renverse.{254}
—Mais, Madame, il semble que si le roi doit faire du mal à quelqu’un, ce ne saurait être par vous.
—Vous pouvez avoir raison; et je compte dorénavant n’en plus faire, mais je veux faire celui-là.
—Puis-je dire, Madame, que c’est votre volonté et non celle du roi?
—Soit, je prends tout sur moi.
Maurepas se rendit auprès de Louis XVI, qui, dès les premiers mots, déclara qu’il ne voulait se mêler de rien et qu’il laissait à sa femme le soin de régler le lieu et la durée de l’exil[410].
Est-il vrai que Guines et les Choiseul représentèrent à la reine que Maurepas n’allant pas au sacre, les intrigues continueraient et que «des courriers se croiseraient de Veretz à Pontchartrain[411]?» Ou bien que d’Aiguillon, se sachant relégué à Veretz, ne tint aucun compte de cet ordre et ne bougea de Paris[412]. Toujours est-il que, dans une troisième et dernière conférence avec Maurepas, Marie-Antoinette lui signifia que l’ex-ministre eût à prendre le chemin d’Aiguillon en Agénois[413]. Ce fut La Vrillière qui remplit officiellement cette mission auprès de son neveu, comme il s’était acquitté d’une semblable, l’année précédente, auprès de Mᵐᵉ Du Barry.{255}
Quand ce faible et irrésolu monarque qu’était Louis XVI fit, au moment de son départ pour Reims, ses adieux à Maurepas, il eut comme conscience de sa mollesse, il regretta l’ordre d’exil et parlait déjà de revenir sur sa décision. Maurepas refusa net.
—Oubliez tout, dit-il au roi, ne songez plus qu’à la cérémonie de Reims, moi, j’irai me tranquilliser à Pontchartrain avec mes carpes. Votre Majesté me fait espérer qu’elle me donnera des nouvelles qui me tiendront lieu de tout. Mon neveu est sujet trop respectueux pour rien faire qui puisse déplaire à la reine: il partira dans quelques jours[414].
Il est vrai que le roi n’avait pas consenti à signer de lettre de cachet[415]. Et la reine s’attribuait tout l’honneur de cet «ordre verbal»[416], qu’elle estimait moins dur et moins «barbare, quoique lui-même s’en fût servi[417]».{256}
Impatience et joie exubérante de la reine.—Réaction de l’opinion publique en faveur de l’exilé.—Fausse philosophie de d’Aiguillon: billet à Balleroy, entretien avec Maurepas.—«Il n’y a rien perdu», le mot de Marie-Antoinette justifié.—Les lettres de Mᵐᵉ de Maurepas.—La tâche de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Voyage de Mᵐᵉ Du Barry: l’anecdote des «Entretiens de l’autre monde».
«Il partira dans quelques jours», avait dit Maurepas à la reine. Or, Marie-Antoinette n’avait eu de cesse que M. d’Aiguillon fût déjà sur le chemin de l’exil. Un courrier de La Vrillière était venu réveiller Maurepas: «Rien ne m’a plus étonné que l’empressement de la reine à savoir M. d’Aiguillon parti: il faut qu’on lui ait fait encore quelque noire méchanceté», écrivait à sa nièce la femme du ministre. Un autre émissaire avait couru chez la duchesse: «Que les ennemis du duc se rassurent, dit Mᵐᵉ d’Aiguillon, il est parti ce matin[418]». Noble et fière réponse qui laisse pressentir avec quelle dignité la vaillante fille des Plélo s’efforcera d’adoucir pour son époux les rigueurs de la disgrâce.
Jusqu’au dernier moment, elle avait douté de la catastrophe: elle ne voulait pas que leur ami Balleroy pût y croire: «Cependant, à tout hasard, lui{257} disait-elle, je vous donne part qu’il n’en est rien, le roi ayant dispensé M. d’Aiguillon d’aller à son sacre, et lui avancé son voyage pour Veretz de huit jours.» Elle notait en passant que «le procès de M. de Guines n’était rien moins que fini, puisque Tort en appelait».
Marie-Antoinette exultait de joie: «Ce départ, écrit-elle le 13 juillet au comte de Rosemberg, est tout à fait mon ouvrage. La mesure était tout à fait à son comble (l’avait-elle assez répété?). Ce vilain homme entretenait toutes sortes d’espionnage et de fort mauvais propos. Il avait cherché à me braver plus d’une fois dans l’affaire de Guines; aussitôt après le jugement (le 2 juin) j’ai demandé au roi son éloignement. Il est vrai que je n’ai pas voulu de lettre de cachet; mais il n’y a rien perdu; car, au lieu de rester en Touraine, comme il le voulait, on l’a prié de continuer sa route jusqu’à Aiguillon qui est en Gascogne[419].»
Cette prétendue clémence n’était donc qu’un raffinement de vengeance féminine. On en saura tout à l’heure le motif.
La persécution, si justifiable que le prétende le persécuteur, finit par donner l’auréole des martyrs à ses victimes, fussent-elles les moins sympathiques du monde. Ce fut le cas de l’exilé. L’opinion publique réprouva un tel acharnement. Et Besenval le remarque d’un ton pincé: «Le sentiment de vengeance et de justice fut étouffé par une compassion philosophique que les femmes, qui s’étaient érigées en législateurs, outrèrent, ainsi qu’elles outrent toujours à{258} tort. On n’entendit que les mots de tyrannie, justice exacte, liberté du citoyen et loi[420]».
Le public, note Belleval[421], blâma la sévérité du roi:
«M. d’Aiguillon n’était pas plus coupable alors qu’en quittant le ministère. Aussi lui écrivait-on que «la partie n’était pas perdue et qu’il y avait lieu de profiter de ce mouvement de l’opinion qui se déclarait pour lui». Il répondit qu’il était au-dessous de lui d’implorer sa grâce et qu’il laissait ses amis libres de faire pour lui ce que bon leur semblerait. La question de retour fut proposée et agitée; et la reine faiblit devant le bruit de la Cour et de la ville...»
A notre avis, Belleval, que sa chaude amitié incita peut-être à cette démarche, s’abuse sur la prétendue «faiblesse» de la reine. La fille des Césars était trop férue de son autorité, trop absolue et trop pénétrée de la sûreté de son jugement, pour ne pas persister dans sa résolution, même en présence des protestations de l’opinion publique.
Puis elle se voyait enfin émancipée du joug de sa mère, et de plus, elle avait conscience de l’infériorité intellectuelle de son époux. Comme une autre Marie-Thérèse, elle gouvernait déjà. Dans les deux lettres qu’elle écrivait à Rosemberg, cet ami d’enfance, elle affectait une indépendance d’allures et un ton d’autorité vraiment étranges: elle s’était constitué une petite cour «d’hommes aimables», et, de son boudoir, faisait marcher la machine gouvernementale: «Nous allons être débarrassés de M. de la Vrillière».{259} Elle avait vu Choiseul à Reims et lui avait parlé, sans que le roi l’ignorât, mais assez adroitement pour n’avoir pas l’air d’en demander la permission au «pauvre homme» (elle appelait ainsi Louis XVI).
Marie-Thérèse, qui se plaignait déjà amèrement de la «vivacité, légèreté, inapplication, entêtement» de sa fille, sent qu’elle lui échappe et ne peut retenir son indignation, surtout après la lecture de la missive adressée à Rosemberg, qu’elle n’avait «connue, disait-elle, que par tradition»:
«... Je l’ai fait copier, écrit-elle à Mercy, pour vous l’envoyer... J’avoue que j’en suis pénétrée au fond du cœur. Quel style! Quelle façon de penser! Cela ne confirme que trop mes inquiétudes. Elle court à grands pas à sa ruine, trop heureuse encore, si, en se perdant, elle conserve les vertus dues à son rang! Si Choiseul vient au ministère, elle est perdue, il en fera moins de cas que de la Pompadour à qui il devait tout et qu’il a perdue le premier...»
A ces sinistres prédictions qui se terminent sur une révélation inattendue, l’archiduc Joseph avait voulu joindre une sévère admonestation à sa sœur. Ce ne fut qu’un projet de lettre; mais le ton en était vraiment dur: «De quoi vous mêlez-vous, ma chère sœur, de déplacer des ministres, d’en faire envoyer un autre sur ses terres, de faire donner tel département à celui-ci ou à celui-là, de faire gagner un procès à l’un, etc..... Vous êtes-vous demandé une fois par quel droit vous vous mêlez des affaires du gouvernement et de la monarchie française... Quelles études avez-vous faites[422]?»{260}
Marie-Thérèse brûla le brouillon de cette épître quelque peu cavalière, quoique fort sensée. Mais elle invitait Mercy à redoubler «d’assiduités» auprès de Marie-Antoinette: elle pressentait toutefois «l’éloignement» de son autre agent, l’abbé de Vermond: alors, gémissait-elle, «ce serait la perte totale de ma fille».
Au reste, la principale victime que l’impératrice-reine trouvait elle-même trop rudement frappée, semblait accepter sa disgrâce avec un sang-froid et un détachement philosophiques trop beaux pour être sincères. Il adressait, le 7 juin[423], ce billet au chevalier de Balleroy:
«Ce n’est plus à Veretz que je vous donne rendez-vous, mais à Aiguillon où l’on m’envoie, sans que je puisse deviner la cause d’un traitement aussi rigoureux, auquel je ne devais pas m’attendre après les services que j’ai été assez heureux de rendre dans tous les genres depuis plus de quarante ans. Vous serez mal logé; mais je compte sur votre amitié. Vous tirerez mes lièvres et mes perdreaux; et je les mangerai[424].»
S’il faut ajouter foi à certains passages des Mémoires[425], dont l’éditeur de 1792 affirme avoir «adouci» les termes, pour «ne pas offenser la reine dans une circonstance malheureuse», d’Aiguillon, avant de partir pour Veretz où il se croyait tout d’abord exilé, aurait eu, à Pontchartrain, devant Maurepas, l’atti{261}tude d’un homme découragé, aigri et devenu particulièrement amer. Il lui aurait dit toute sa lassitude de la vie combative qu’il menait depuis un an, son dégoût du parti de la reine capable de la compromettre et d’en faire une aventurière, sa pitié pour sa faiblesse à lui Maurepas. Et son bonhomme d’oncle de s’excuser: «Je ne suis qu’un lourdier et je traîne le timon; j’ai besoin d’aide... Aujourd’hui c’est Turgot dont le roi s’engoue, mais vous savez si l’engouement d’un Bourbon peut durer; mais tout cela ne durera pas, il faudra changer d’adjudant». Un rêve dont Maurepas donnait le mirage à son neveu pour le faire patienter et à sa femme pour avoir la paix! D’Aiguillon gagna l’Agenois avec la persuasion qu’il n’y resterait que quinze mois... «et voilà cinq ans!» dit le rédacteur des Mémoires[426].
Si le duc ne se plaignait pas, prétend Belleval, Mᵐᵉ de Maurepas jetait feu et flammes; elle gourmandait son mari, elle écrivait à Mᵐᵉ d’Aiguillon lettres sur lettres et combien tendres, combien désolées[427]:
De Pontchartrain, ce lundi (12 juin 1775).
«Jugez de ma douleur, ma chère nièce; j’ai cru jusqu’à présent que votre exil n’était que des propos. Je n’ai su qu’hier, après les démarches que M. de Maurepas avait faites, que ce n’était que trop vrai. J’espère{262} que vous viendrez me voir ici. Que je suis fâchée de n’être pas plus jeune! J’irais vous trouver dans quelque lieu que vous soyiez; ne doutez jamais de ma tendre amitié; elle ne finira qu’avec ma vie.
Dites mille choses tendres pour moi à M. d’Aiguillon; il doit savoir l’intérêt sincère que je prends à lui.»
Les «démarches» de M. de Maurepas! Nous avons vu plus haut ses «conférences» avec la reine, d’après l’abbé de Véri. Or, la correspondance de Mercy les présente sous un tout autre jour. L’ambassadeur d’Autriche parle d’une «audience» que le ministre a demandée. Marie-Antoinette a bien traité Maurepas. Elle lui adresse les compliments que nous savons. Elle estime sa droiture en regard de la méchanceté et des intrigues de son neveu. Et le rusé courtisan se tut, ajoute Mercy, mais assura la reine de son «respectueux attachement[428]».
Et quel était cet exil d’Aiguillon pour lequel Marie-Antoinette insinuait que le duc «n’y avait rien perdu»?
Une lettre de la comtesse de Boisgelin à Balleroy[429] va nous le dire:
6 juin 1775.
«... On ne sait pour quel crime on traite le duc d’Aiguillon si cruellement. Le public prétend que la reine s’en prend à lui de ce que le peuple n’a pas crié aux deux dernières revues. Vous ne croirez pas plus que moi que c’est la raison d’un traitement aussi dur...»
Et Mᵐᵉ de Boisgelin s’apitoyant sur la duchesse: «La pauvre femme se désespère de ne pouvoir suivre son mari, puisqu’il venait de jeter en bas le château d’Aiguillon où l’on est à le rebâtir; et il ne reste pas même de quoi le loger seul avec quelques domestiques...»
On a vu avec quelle hauteur méprisante la reine affectait de traiter la duchesse d’Aiguillon. La femme devait donc prendre sa part du châtiment infligé au mari. N’était-elle pas déjà prête, d’accord avec son époux, disaient les mauvaises langues, à «faire sa cour», elle aussi, à la châtelaine de Saint-Vrain, qui lui offrirait, pendant une bonne partie de l’été[430], une hospitalité princière—digne remercîment de celle qu’elle avait reçue, à Ruel, de Mᵐᵉ d’Aiguillon, dans des circonstances que la reine ne pouvait oublier?
Pour de grands seigneurs habitués aux splendeurs de Veretz, la nouvelle résidence imposée au duc était donc inhabitable. «Aiguillon n’était ni bâti, ni meublé!» déplore l’historien Moreau. Et la duchesse se lamente autant qu’elle s’indigne. La disgrâce qui vient de s’abattre sur son époux est d’une rigueur inouïe. M. de Maurepas, M. de Choiseul lui-même «dont le feu roi avait plus d’une raison de se plaindre» avaient été envoyés dans leurs terres, et lui M. d’Aiguillon est exilé à deux cents lieues de Versailles «dans un endroit non bâti et où je ne puis pas aller[431]».
Elle y courut.
«J’ai su des nouvelles de votre arrivée par votre{264} fille et par Mᵐᵉ de Laigle, lui écrit, le 3 août, Mᵐᵉ de Maurepas. Vous devez avoir reçu deux lettres de moi. Vous êtes, à ce que l’on m’a dit, très mal logée avec toutes les incommodités possibles. Jugez de ma peine de ne pouvoir vous en tirer. J’espère toujours avant l’hiver pouvoir faire parler aux gens qui vous tiennent éloignés sans aucun sujet[432]...»
Une correspondance très active, surtout de la part de la comtesse de Maurepas, dut s’engager entre elle et sa nièce.
Les lettres de celles-ci, relatives à cette néfaste période, ne se trouvent pas dans les archives Chabrillan qui en contiennent déjà si peu de la duchesse à d’autres époques. Ont-elles été détruites par Mᵐᵉ de Maurepas? Ont-elles disparu pour des motifs que nous ignorons? En tout cas elles ont existé: car celles qui subsistent de la comtesse répondent à des missives reçues, témoin celle où l’oncle fait savoir au neveu qu’il peut aller prendre, sans permission, les eaux de Bagnères, puisqu’il n’a pas de lettre de cachet. Et ce billet encore, si intéressant dans ses premières lignes, pour l’histoire de la disgrâce qui frappa le ministre de Louis XV.
Versailles, 22 août 1775.
«M. de Maurepas n’écrit pas à M. d’Aiguillon (toujours l’homme prudent que hante la terreur du Cabinet noir) tant qu’il n’aura pas quelque chose d’agréable à lui mander, à l’égard des motifs qui l’ont éloigné; car il n’y en a point; il est difficile de les dire. Lorsque nous avons été à Bourges, je suis encore à savoir{265} pourquoi; on dit que c’était pour des chansons dont nous n’avons jamais entendu parler. Il en est de même des discours que l’on vous prête qui seront bien prouvés qu’ils ne sont pas de vous.
... Si nous pouvons obtenir votre liberté, je crois que M. d’Aiguillon fera bien de n’en point profiter cet hiver pour Paris: il sera encore question de la maudite affaire de Guines; et il serait à craindre qu’on ne le fît encore parler...
Il (évidemment Maurepas) a trouvé la reine avec la même résistance.»
En vérité, la comtesse fait un peu trop l’innocente. Elle ne pouvait ignorer que son mari avait été bel et bien disgrâcié pour ces «chansons dont elle n’a jamais entendu parler», sinon pour le couplet qui fleurissait à l’excès Mᵐᵉ de Pompadour, du moins pour une infinité d’autres que le ministre récoltait par les soins de la police, quand il ne les composait pas lui-même[433]. Et même, en dépit de l’âge et de la plus élémentaire prudence, il s’amusait encore à ces menues bagatelles. Il s’adressait plus particulièrement à l’entourage de la reine sur lequel il décochait ses traits les plus acérés. Il en déclinait hautement la paternité: sinon, dit Belleval, on l’eût «déchiré». Seul, d’Aiguillon était épargné; il est vrai que Mᵐᵉ de Maurepas n’eût pas toléré que son neveu fût chansonné par son mari[434].
Parfois elle assaisonnait ses lettres d’un grain de philosophie; il fallait bien revigorer un homme qui sortait de Bagnères et lui prouver, par un exemple{266} familial, que l’exil, à l’occasion, peut devenir un brevet de santé:
«Vous savez, par mon expérience, qu’on peut vivre sans cela (la rentrée en grâce). M. de Maurepas a été cinq ans sans pouvoir aller à Paris, et s’en est fort bien porté.»
La saine raison, l’énergie et le sens pratique de Mᵐᵉ d’Aiguillon devaient exercer une influence salutaire, non tant sur la santé, qui resta toujours précaire, que sur le moral affaibli de l’homme politique, encore meurtri de sa chute. Tout manquait à ce château d’Aiguillon qui commençait à sortir des ruines de l’ancien. Et il fallait des prodiges d’économie domestique, pour assurer rapidement à la nouvelle demeure le grand air, la confortable opulence, l’attrait irrésistible et jusqu’aux aspects pittoresques de l’inoubliable Veretz.
La châtelaine entreprit cette tâche avec l’esprit de suite, le goût, la persévérance qui la caractérisaient, s’inspirant toujours de cet orgueil du nom, mitigé d’une tendresse presque maternelle, dont le trait le plus saillant était de laisser croire que le maître et seigneur du logis était l’ordonnateur suprême de toutes ces magnificences. Elle, se réléguant de la meilleure grâce au second plan, n’était plus qu’une simple intendante, voire la fermière du château. C’est ainsi que nous assisterons, dans sa correspondance, aux efforts continus, aux développements successifs, aux améliorations progressives qui devaient transformer une propriété, négligée jusqu’à l’abandon, en un domaine prospère qu’allait ruiner de nouveau et bouleverser de fond en comble la tempête révolutionnaire.{267}
Nous n’avons aucune lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon, nous retraçant les premières heures de ce que nous appellerions volontiers la période d’incubation, c’est-à-dire les travaux d’installation et d’aménagement qui suivirent l’arrivée des exilés dans les décombres du vieux manoir. Mais il fallait que l’ensemble en fût assez satisfaisant pour que les propriétaires en aient fait les honneurs, à deux reprises, pendant l’été et l’automne de 1775, à la comtesse Du Barry[435].
Naturellement, la malignité publique s’empara de la nouvelle et la grossit (sans jeu de mots) à plaisir. Nous en retrouvons l’écho dans un pamphlet du temps. L’ignoble auteur des Entretiens de l’autre monde fait dire à Turgot dans son Dialogue avec Louis XV: «Elle (la Du Barry) a déjà eu la liberté d’aller à son château de Luciennes. Il paraît que le duc d’Aiguillon en est toujours amoureux. Non seulement, pendant son dernier séjour à Paris, il n’a pu contenir sa passion, au point d’en devenir plus odieux à la reine et de se faire donner un ordre de se retirer dans ses terres de Gascogne; mais, souffrant trop d’être éloigné de cette beauté, il l’a engagée à venir le voir. La bretonne duchesse, accoutumée à ses infidélités, s’est prêtée à ce concubinage; et le bruit général est que Mᵐᵉ Du Barry est grosse des œuvres du duc[436].»
Nous avons cru devoir transcrire intégralement cette infâme calomnie dirigée contre Mᵐᵉ d’Aiguillon, parce qu’elle est la seule que nous ayons jamais trouvée à son adresse. Les pires ennemis du ministre, Marie-{268}Antoinette elle-même, n’ont jamais écrit une ligne, ni dit un mot qui pût faire soupçonner la duchesse de la plus vile complaisance.
Quelques amis, plus fidèles au culte du souvenir qu’au souci de leur bien-être et même de leur intérêt personnel, vinrent, à la fin de 1775, consoler les solitaires dans leur retraite d’Aiguillon; entre autres M. de Flesselles, qui devait finir si misérablement, le 14 juillet 1789, à l’Hôtel de Ville de Paris, comme prévôt des marchands. Les services qu’il avait rendus, en dépit de quelques désaccords passagers[437], au duc d’Aiguillon, pendant les affaires de Bretagne, lui avaient valu l’intendance de Lyon, après celle de Rennes.{269}
Rappel imprévu du comte de Guines.—Pronostic qu’en déduit d’Aiguillon.—Conférence significative d’un ami de d’Aiguillon avec Maurepas.—Les fidèles courtisans du malheur.—Informations parisiennes: le procès Saint-Vincent et le mariage de Fronsac.—Opéra et ménagerie.—«Le grand Pan est à bas».—Mercy voit avec peine l’engouement de la reine pour le comte de Guines.—La nouvelle école de courtisans.—Mort de Mᵐᵉ de Chabrillan: lettre désespérée de la mère.—Emotion de M.-Antoinette.—Rappel de d’Aiguillon à Paris.
L’année 1776 devait marquer pour Mᵐᵉ d’Aiguillon l’époque la plus douloureuse de sa vie; car la mort, et dans quelles cruelles circonstances! allait lui arracher sa fille bien-aimée, en ce château même, où pour elle, pour son mari—ses deux grandes affections!—elle savait évoquer, ainsi qu’une fée de sa baguette magique, les spectacles les plus variés et les plus attrayants.
Le duc souffrit, lui aussi, de cette perte irréparable; mais comme tous les ambitieux et les ambitieux qui affectent de ne plus l’être, il fut moins profondément touché au cœur que sa femme. L’année avait mal commencé pour ses espérances: il avait constaté une fois de plus l’égoïsme de son oncle, bien que dissimulé sous les plus belles promesses et sous les plus chaudes protestations: le bonhomme, nous le verrons, trouvait le duc fort heureux dans son exil d’Aiguillon{270} et l’invitait à s’y tenir en repos, regrettant de ne pouvoir l’imiter, mais non sans l’amuser de ses entretiens avec le roi et la reine, qui n’étaient nullement disposés à faire rentrer en grâce le courtisan banni.
Et depuis, faut-il le dire, d’Aiguillon avait pu sentir, au milieu de ses larmes, sourdre en son cœur l’espoir des revanches futures: car la mort de sa fille avait levé son ordre d’exil.
Le comte de Guines avait été subitement rappelé de son ambassade. C’était, prétendait la princesse de Guéméné, qui était alors la favorite de Marie-Antoinette, pour «avoir compromis la Cour de France au sujet du Pacte de famille». Choiseul, auteur du traité, déclarait que la conduite du comte était sans excuse; si Guines avait été son fils, il eût demandé, à titre de grâce, qu’on ne lui fît pas son procès, mais qu’on l’enfermât pour longtemps à la Bastille[438].
Le duc d’Aiguillon, tout en se défendant de sortir de sa tour d’ivoire, épiait, avec un intérêt passionné, les faits et gestes du comte de Guines. C’était par lui qu’il avait connu l’amertume des heures d’exil; et on lui laissait entendre qu’il lui devrait peut-être de goûter les joies du retour! Aussi le contenu de sa lettre du 25 février 1776 au chevalier de Balleroy[439] ne roule-t-il, pour ainsi dire, que sur la corrélation de ses intérêts avec ceux du comte de Guines.
Sa version du rappel de l’ambassadeur est aussi vague que celle de la princesse de Guéméné: une cor{271}respondance, interceptée, entre Choiseul et Guines, qui aurait piqué le roi, était cause de tout le mal; et c’est probablement Turgot qui, en sa qualité de surintendant des postes, avait découvert le pot aux roses. Le secret des lettres n’en était jamais un pour le gouvernement. D’Aiguillon le savait mieux que personne. Mais il était persuadé que Guines, quelque coupable qu’il pût être, se justifierait et qu’il serait renvoyé à son poste avec une gratification et la promesse du premier cordon bleu disponible. Quant à son procès, il ne sera pas jugé, ce qui le laisse, lui d’Aiguillon, fort indifférent, bien qu’on lui dise qu’il recouvrera sa liberté, à l’ouverture des débats. Alors, aurait déclaré la reine à M. de Maurepas, il lui serait loisible d’aller où bon lui semblerait, sauf à Paris. Il n’en profitera certes pas; mais il n’en gardera ni humeur, ni mépris. Au reste, sa réinstallation à Veretz lui coûterait trop cher, et il y serait espionné; puis il a fort à faire à Aiguillon. Il termine sur un coup de patte à l’adresse de Maurepas. Bien qu’il n’ait pas eu à se louer de son oncle, il serait fâché qu’il lui arrivât malheur, crainte de pire.
Quelques jours après, la lettre, non signée, d’un ami, dut le confirmer dans l’opinion peu flatteuse qu’il avait de son oncle. Sans nul doute, d’Aiguillon avait envoyé cet ami pour tâter le terrain; mais la réponse de son confident lui fit comprendre combien était chimérique l’espoir qu’on entendait lui donner de lier ses destinées à celles de Guines, puisque la reine le croyait, lui ou ses partisans, les auteurs du rappel de son protégé. D’ailleurs, nous publions intégralement cette conversation de l’ami anonyme avec Maurepas,{272} qui dessine à souhait la silhouette de l’homme d’Etat, ne laissant dans l’ombre aucune de ses finesses, de ses subtilités, de ses roueries, pour ne pas dire de ses mensonges[440].
Paris, 11 mars 1776.
Je prends mes mesures pour que cette lettre vous arrive sans obstacle. Je n’ai pas cru devoir attendre une occasion pour vous faire passer les détails que vous y lirez de la part d’un grand nombre d’amis qui soupirent après votre retour.
Je fus samedi à Versailles avec le plan de votre château dans ma poche. Je passai près d’une heure avec M. de Maurepas. Je lui montrai sur le papier les incommodités que vous avez éprouvées pendant l’hiver; il s’y est montré sensible et m’a dit:
«—Vous les avez laissés en bonne santé?
—Ils se portaient à merveille.
—Mᵐᵉ d’Aiguillon a été fort incommodée de la grippe. Est-ce vrai?
—Elle a gardé le lit trois à quatre jours. Ils paraissent décidés à ne pas quitter Aiguillon.
—Je penserais volontiers comme eux; ils y sont de grands seigneurs. A Veretz, ils ne seraient que des bourgeois. Je sais ce que c’est que l’exil; ils ont au moins l’agrément d’être chez eux. Moi, on m’envoya dans un pays où je ne connaissais personne.
—Cela est vrai; mais vous étiez chez votre ami; et votre famille vint bientôt vous y joindre, de sorte que vous étiez comme à Paris.{273}
—Ils sont toujours éloignés, mais je suis charmé qu’ils soient contents.
—Il est bien étonnant, Monsieur le comte, que sous votre gouvernement, qui n’est que liberté, on retienne un citoyen, un homme d’Etat, sans lui en dire les raisons.
—Il ne les saura jamais, car il n’y a pas de pourquoi. La reine est irritée contre lui; et elle ne cesse en toute occasion de lui lancer des brocards, sur lui et sur son parti qui a fait rappeler M. de Guines; et tant que la reine et M. de Guines vivront, cette princesse pensera toujours de même. Le roi me l’a dit souvent: ils ne voient dans ce qui arrive à M. de Guines que les menées de M. d’Aiguillon et de ses partisans; et ils ont toujours M. d’Aiguillon à califourchon sur le nez. Le roi est tout le premier à dire qu’il n’y a aucun rapport entre un homme à 200 lieues de Paris et un homme rappelé de son ambassade. Mais la reine est aigrie par ses entours et surtout par Mᵐᵉ de Guéméné qui est la favorite. Le duc de Choiseul se remue aussi tant qu’il peut. Il a des conférences avec la reine. Ils ont été au bal de l’Opéra, masqués tous les deux, en dominos noirs; et cette princesse est toujours entretenue dans les dispositions les plus défavorables. On travaille aussi, autant que pour vous (??) à l’éloigner de moi. En public elle me traite honnêtement, parce qu’elle ne peut, à cause du roi, se comporter autrement; mais, dans le particulier, son maintien est bien différent.
Je crois qu’on ne me rend pas justice à Aiguillon.
Cependant j’ai fait pour lui tout ce qu’il m’a été possible de faire et des choses mêmes qu’ils ignoreront{274} toujours. A Fontainebleau, connaissant les dispositions peu favorables de la reine pour moi, j’ai mis en avant M. de Muy[441] et l’abbé de Vermond[442] pour rompre la glace sur ce qui regardait M. d’Aiguillon. Ils lui en parlèrent tous deux avec douceur et vivacité. Ils me rapportèrent qu’elle paraissait étonnée que je ne lui en eusse pas parlé le premier. Je me rendis chez elle. Je lui dis que j’avais voulu lui donner une marque de mon respect, en ne prononçant pas devant elle un nom qui pourrait lui déplaire, mais que, puisqu’elle le trouvait bon, je prendrais la liberté de lui représenter que M. d’Aiguillon, ayant bien servi l’Etat, était traité comme un homme qui l’aurait trahi, que, passant dans l’Europe pour la douceur et la bienfaisance mêmes, il y aurait de la gloire de rendre la liberté à un prisonnier qui était uniquement le sien, voulant lui faire entendre que le roi n’y avait aucune part, que tout le monde avait les yeux sur elle et que je la suppliais de rendre ses bontés à un homme qui n’avait aucun reproche à se faire. Elle me parla de l’affaire de M. de Guines. Je l’assurai et lui donnai ma parole que M. d’Aiguillon ne reparaîtrait pas à Paris, tant que cette affaire ne serait pas finie; et j’insistai fortement sur ce que sa gloire était intéressée à finir cette captivité.
—Il n’est pas encore temps, me répondit-elle sèchement. Nous verrons par la suite.{275}
Quelques personnes m’ont parlé depuis et m’ont engagé d’aller directement au roi; mais comment faire une pareille démarche, malgré la reine et en dépit d’elle? Elle n’est pas praticable. Si cette princesse me donnait mainlevée, le sort de M. d’Aiguillon serait bientôt décidé. Le roi n’a rien contre lui et m’en a parlé cent fois: il connaît et estime ses talents. Mais M. d’Aiguillon a un péché originel vis-à-vis du roi, quoique j’aie travaillé inutilement à le faire oublier à ce prince: c’est Mᵐᵉ Du Barry. J’ai eu beau lui représenter que le besoin d’une protectrice puissante et ensuite la reconnaissance l’avaient forcé à s’attacher à elle. Il m’a répondu que c’était toujours un vilain moyen de parvenir. Croiriez-vous qu’on a poussé la méchanceté à l’égard de Mᵐᵉ Du Barry et de M. d’Aiguillon, jusqu’à dire qu’elle était grosse de lui? Mais cela est tombé et n’a pas été jusqu’au roi; car il ne m’en a pas parlé. Cette femme avait demandé permission de venir à Paris dans un couvent; on le lui avait accordé, mais je ne sais pourquoi elle n’a pas profité de cette grâce. Le Roué est à Paris; le roi le sait et trouve bon qu’il y reste.
Mais, pour revenir à M. d’Aiguillon, il fait fort bien de rester où il est: il y est grand seigneur; il a chez lui de la compagnie; et, suivant ce que vous me dites, il est heureux. Mais à quoi s’occupe-t-il? Car les soirées sont longues. Il ne monte point à cheval, il ne chasse point; et un esprit aussi actif que le sien ne peut demeurer à rien faire.
—Il s’occupe dans son cabinet; il vit de souvenirs et vaque à ses affaires.
—Le séjour qu’il fera dans ce pays ne peut que les{276} améliorer; car elles ne sont pas entièrement en bon ordre. La retraite n’est pas un mal dans les circonstances où nous sommes. Je me trouverais mieux à Fontainebleau qu’ici: quand on est tourmenté de la goutte comme je le suis, la prison (?) est maussade. Nous sommes dans une crise vis-à-vis le Parlement. J’espère que nous nous en tirerons, en ne nous mettant point en colère[443].»
Voilà, M. le duc, la solution (?) de la conversation que j’eus samedi avec M. de Maurepas. A l’en croire, il se donne de grands mouvements pour vous; mais la reine arrête d’un côté les efforts de ses démarches; et il cherche, dit-il, délicatement, à faire oublier au roi les liaisons avec Mᵐᵉ Du Barry qui sont la seule prévention que ce prince ait contre vous.
Quel peut bien être le narrateur de cette scène si vive, si animée, si piquante, qui appartient à l’Histoire et qui relève par intervalles de la Comédie, ces deux interprétations de la vie et de la pensée humaines ayant tant de fois entre elles de nombreux points de contact?
Est-ce Flesselles, La Noue, Fontette, Balleroy, Belleval??... un petit groupe, mais tous des cœurs sincères, amis dévoués et courtisans du malheur[444].{277}
Notre anonyme terminait ainsi sa lettre:
«Dès le mois de septembre ou d’octobre, si je suis libre, monsieur le duc, la disgrâce d’un ami est une raison de plus pour moi de lui donner toutes les preuves qui sont en mon pouvoir de mon fidèle attachement et de ma reconnaissance.»
Mais, à toute époque de l’année, à toute heure du jour, la porte de la maison était ouverte et la table servie, comme aux temps heureux de Veretz et de l’hôtel d’Aiguillon, pour ces hôtes que n’effrayait pas le ruban de 200 lieues qui les séparait de Versailles.
Nous en retrouverons les noms, les portraits, les habitudes et même les aventures dans les lettres de la duchesse dont la gaîté, le naturel, la vivacité d’impression contrastent avec le ton gourmé, mystérieux, morne et presque mélancolique des épîtres maritales.
Si, comme l’affirme l’auteur des Mémoires, Mᵐᵉ d’Aiguillon ne s’est jamais mêlée d’aucune intrigue politique, elle n’en a pas moins conservé sa liberté d’appréciation sur les hommes du jour et sur leurs actes; elle dit son mot, comme jadis à propos des affaires de Bretagne; elle enregistre nouvelles et informations, elle rédige, en outre, la chronique du château, le tout pour ce brave chevalier de Balleroy, où qu’il soit, en garnison, chez son frère en Basse-Normandie, ou encore dans son petit appartement du faubourg Saint-Germain.
M. de Maurepas se préoccupait, nous l’avons vu, d’une crise au Parlement. «On me mande, écrit la duchesse au chevalier, qu’il y a eu un lit de justice, j’en suis très aise, dans l’espérance que Messieurs, n’ayant plus de discussions, ni de remontrances à{278} faire, s’occuperont de l’affaire de M. de Richelieu dont j’ai la plus grande impatience de voir la fin[445].»
Elle attendait alors sa fille et son gendre. Mais il paraît qu’on voulait faire un crime à Chabrillan de cette visite.
Aussi prend-elle la mouche: «Il vient ici en droiture; je trouverais bien plat qu’il crût avoir besoin de feindre un autre voyage; il peut sans embarras afficher sa liaison avec nous: il ne peut être blâmé de qui que ce soit[446].»
A huit jours de là, elle revient sur «l’affaire de M. de Richelieu». C’était une assez vilaine histoire. Une intrigante, nommée Saint-Vincent, que le maréchal avait quelque peu chiffonnée en son jeune temps, avait mis en circulation pour trois cent mille écus de billets souscrits à son profit par Richelieu. Celui-ci prétendit qu’ils étaient faux et fit enfermer la Saint-Vincent. Le procès fut évoqué devant le Parlement; et le maréchal put constater une fois de plus ce que valait la haine des «robins». La faussaire fut acquittée. Et Mᵐᵉ d’Aiguillon de commenter l’arrêt, ainsi qu’un autre événement, non moins scandaleux, survenu depuis peu dans la famille:
«Le pauvre maréchal finit d’une façon bien triste une carrière très longue, très glorieuse et très brillante. Ce jugement est aussi injuste qu’absurde. On me mande que Mᵐᵉˢ de Gramont, de Lyonne et de Chaulnes ont sollicité indécemment pour cette scélérate de Saint-Vincent. Je le croirais très facilement{279} de ces trois femmes; mais quand des magistrats se prêtent aux intrigues d’une cabale, c’est ce qui est incroyable et ce qui révoltera tous ceux qui pensent honnêtement.»
Mᵐᵉ d’Aiguillon passe ensuite à l’autre scandale, la mésalliance de Fronsac, le fils du maréchal: «Il fait un bien plat mariage, après avoir refusé de très bons partis de filles de qualité. C’est le cas de dire:
Il a 60.000 livres de rente, avant peu 200.000, duc et pair à deux pairies, une belle charge, fils d’un homme qui a joué les plus grands rôles, que les persécutions qu’il éprouve rendent plus grand encore aux yeux des honnêtes gens... qui épouse Mˡˡᵉ Galliffet!! la transition est un peu forte et ce n’est plus le cas de dire:
D’ailleurs peu intéressant, ce Fronsac! C’était lui que Gilbert avait flétri dans sa fameuse Apologie, joueur et libertin, se faisant incendiaire pour enlever une fille, qu’il abandonnait après l’avoir violée.
A ce moment, Mᵐᵉ de Maurepas qui tenait sa nièce au courant des nouvelles familiales et lui avait annoncé, quelques mois auparavant, la retraite définitive de son frère Saint-Florentin, duc de la Vrillière, «s’arrangeant pour aller une fois encore la semaine à la Cour[448]», Mᵐᵉ de Maurepas lui apprenait l’état très{280} grave de cet oncle subitement frappé de paralysie, et l’invitait à se rendre à Pontchartrain pour le règlement futur de leurs intérêts respectifs. Mᵐᵉ d’Aiguillon fait part de la nouvelle à Balleroy, prévoyant pour Saint-Florentin la même fin qu’avait eue son beau-père, à la suite d’une attaque d’apoplexie. Elle avait écrit à sa tante qu’elle s’en rapportait entièrement à elle et à son mari de la question de partage. Cet oncle ne lui ayant jamais témoigné—comme l’autre d’ailleurs—qu’une affection sans péril pour son égoïsme, la duchesse revient bien vite à des sujets qui lui touchent autrement au cœur. C’est encore de Chabrillan qu’il s’agit. Le pays lui plaît, mais pas autant qu’elle l’eût espéré. Aussi est-il parti «en très bonne santé: je prétends, ajoute-t-elle, qu’il ne tiendra pas huit jours sans s’y ennuyer. C’est une si belle chose que la Cour!» dit-elle malicieusement.
Enfin, elle renseigne Balleroy sur les distractions présentes d’Aiguillon et sur les plaisirs qui l’attendent dans un avenir prochain:
«... Cette belle Candide nous a joué la Servante maîtresse très bien... Vous trouverez ma ménagerie fort augmentée. J’ai acquis un perroquet qui fait les délices du château, surtout du maître. Je forme une volière de toutes sortes d’oiseaux chantants, que je compte mettre dans les bosquets. En attendant, ils sont tous dans la salle à manger en cage; il y en a plus de 200, cela fait un beau bruit[449]...»{281}
Balleroy est bien partagé: sa correspondante ne lui mesure pas les informations:
«Pour le coup, monsieur le chevalier, on ne peut pas se plaindre de la disette de nouvelles; il y en a de toutes les couleurs. 1º Le Grand Pan est à bas, puisque M. Turgot est renvoyé: que vont devenir les philosophes, les encyclopédistes, les économistes? Que va dire M. d’Anville? Je ne vois que ceux-là qui puissent s’en fâcher. Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas moi; et quand on aurait changé le conseil tout entier, je n’en serais pas plus triste.»
Le compliment n’est guère flatteur pour l’oncle Maurepas; mais nous savons que la duchesse ne s’était jamais fait la moindre illusion sur l’homme, ni sur le parent. Elle aborde ensuite un sujet qui répond aux préoccupations immédiates de son mari.
A propos de Guines «qu’on accuse d’assez vilaines choses et qui n’est pas encore jugé, on ne lui rend pas encore son ambassade; c’est donc que l’on continue à être mécontent de lui».
Mais, la duchesse, partageant la sagacité de M. d’Aiguillon, prévoit que l’intéressant accusé sortira de l’épreuve avec les honneurs de la guerre: «On lui fait une grâce que des gens qui ont bien servi demandent en vain; le roi lui écrit une lettre de sa main, comme en recevrait un général qui aurait sauvé l’Etat!» Allusion rétrospective à la victoire de Saint-Cast[450].
Le diplomate chagrin, qui représentait l’Autriche à la Cour de France, gémissait de cette nouvelle saute{282} dans l’esprit léger et fantasque de Marie-Antoinette; encore voulait-il y trouver des circonstances atténuantes: «la reine est obsédée par ses entours pour M. de Guines». Cet heureux mortel est sur le point d’être nommé duc. Et Mercy estime quelque peu excessive une telle faveur, s’affichant au milieu de courses et de paris, à travers un débordement de plaisirs et un déchaînement de dissipation auxquels préside la princesse de Guéméné. Au reste la question Guines est devenue comme un champ clos où se combattent les Choiseul et les d’Aiguillon: ceux-ci continuent à lancer des épigrammes, des chansons, des libelles où le roi et la reine ne sont guère ménagés: l’irritation n’en est que plus vive contre le duc d’Aiguillon[451].
Et maintenant que faut-il croire de la prétendue intervention de Lauzun en faveur de Guines, alors qu’à la suite d’un conciliabule entre Coigny, la reine et lui, Marie-Antoinette voulut abandonner l’ambassadeur? Lauzun se serait énergiquement opposé à cette défection. Et la reine, se rangeant à cet avis, aurait obtenu de Louis XVI que Guines fût admis à se justifier. Or celui-ci avait su se disculper. Aussi avait-il été décidé entre Marie-Antoinette et son mari, que le roi écrirait à Guines pour lui dire qu’il était{283} content de ses services et lui accorderait ensuite le brevet de duc. Bien mieux, la reine aurait envoyé chercher Guines, à neuf heures du matin, pour lui annoncer cette bonne nouvelle et lui remettre en mains propres le titre royal[452].
Ce qui résulte de tous ces racontars d’antichambre, de ces luttes d’influences dans les salons de Versailles, de ces intrigues mesquines ourdies au fond des boudoirs, de cette petite guerre à coups de bons mots, de couplets et de libelles, c’est qu’une nouvelle école naissait à la vie politique: école de vice, de corruption et de décadence. Sur les débris de cette société en décomposition qu’était la Cour de Louis XV, s’élevait toute une génération de jeunes et fringants gentilshommes, vaniteux, suffisants, arrogants, déterminés viveurs, jouisseurs effrénés, sans morale, sans religion, sans scrupules, escrocs à l’occasion, aussi besogneux qu’assoiffés de plaisirs, braves et même magnifiques par destination, mais poussant jusqu’aux dernières limites l’effronterie, l’impudence et le cynisme. Ils estimaient aujourd’hui que, pour arriver à la Cour, il n’était plus nécessaire d’assiéger et d’enlever le cœur des reines de la main gauche, puisqu’il s’en trouvait une véritable, et combien séduisante, sinon d’une beauté accomplie, du moins d’une élégance exquise, d’un charme capiteux, d’une grâce incompa{284}rable, accueillant, avec ivresse, dans un délicieux sourire, les flots d’encens montant jusqu’à elle. Et comme la conquête pour ces jeunes seigneurs devrait en être facile! Quel être dépourvu de prestige et de poésie, que ce mari lourd, épais et brutal, honnête homme par instinct, ayant pris, dans une atmosphère imprégnée de philosophisme, comme une vague intention de faire le bien, mais trop faible et trop mou pour la suivre, qui n’avait ni la majesté du Roi-Soleil, ni la suprême beauté de Louis XV et qui ne tenait des Bourbons que la gloutonnerie, la frénésie de la chasse et la passion du vin.
Ainsi pensait, ainsi même s’exprimait, sans la moindre contrainte, cette jeunesse qui faisait litière de tous les grands sentiments et de toutes les nobles idées, qui avait abjuré tous les cultes et principalement celui de la famille, objet de son mépris et de ses risées.
Mais cette sainte piété, qui prépare les cœurs aux plus héroïques sacrifices, parce qu’elle est la source vive de l’amour de la patrie, n’était pas morte dans tous les cœurs. Avec quelle force et de quel éclat elle brillait dans l’âme généreuse de la duchesse d’Aiguillon!
Les sanglots que lui arracha la mort prématurée de la marquise de Chabrillan, victime elle-même de sa tendresse filiale, démontrent, de reste, la puissance et l’étendue de cet amour maternel.
Sa lettre du 21 juin au chevalier de Balleroy est le cri exaspéré de la douleur qui sera éternelle:{285}
Aiguillon, ce 21 juin 1776.
«Je n’ai point de termes pour vous peindre ma douleur: l’affreux spectacle que je viens d’avoir m’a rouvert ma plaie qui n’était rien moins que fermée. Toutes les circonstances de la maladie de ma fille sont si semblables à celles qui m’ont enlevé ma fille aînée et qui sont toujours présentes à mon cœur, qu’à chaque instant je voyais mes deux filles mortes et mourantes.
C’est un déchirement dont on n’a pas d’idée: l’une a passé au moment de se former, cette humeur s’est jetée sur sa poitrine; et sa malheureuse sœur a péri d’une fièvre de lait qui s’est de même jetée sur sa poitrine.
Aussi le fait est que je les ai perdues toutes les deux, et que c’est l’acharnement de nos ennemis et de la reine en particulier qui l’ont tuée. Si on ne nous eût pas forcés à passer ici l’année passée, nous aurions été à Veretz, où elle serait venue avec nous; elle aurait été paisiblement faire ses couches à Paris, où elle aurait eu tout le temps nécessaire pour faire passer son lait; elle existerait encore; au lieu de cela, comme il y avait un an qu’elle n’avait vu ni son père, ni moi, elle en avait la plus grande impatience; elle s’est pressée et fait illusion à elle-même et est arrivée pour périr sous nos yeux, victime de son attachement pour nous et de la haine de M. de Guines; il est certain que nous sommes assez malheureux, nos ennemis doivent être contents. Vous savez mieux que personne combien nous étions heureux et contents ici; cet événement empoisonne un lieu qui est et doit être notre retraite.{286}
Je ne m’occupe qu’à diminuer ma douleur vis-à-vis de M. d’Aiguillon et de lui faire croire que je me distrais. Je tâche de ne pas augmenter sa douleur par la mienne. Je vois qu’il fait les mêmes efforts; nous nous contraignons l’un pour l’autre; il en résultera que nous en prendrons l’habitude peut-être, et véritablement nous nous désespérons.
Il est impossible de recevoir plus de marques d’amitié que je n’en ai reçu dans cette malheureuse occasion[453].»
C’est la première fois et ce sera la dernière, que, dans le cours de sa correspondance avec Balleroy, la mère parlera avec cette véhémence de la femme à qui elle attribue la mort de son enfant. Elle, d’ordinaire si prudente, ne peut retenir l’explosion de sa colère.
Sa lettre du 8 juillet cristallise en quelque sorte la souffrance qui fut toujours son lot et qu’elle a soigneusement cachée sous sa gaîté coutumière, par égard et par amour pour son mari: «Cette perte affreuse m’a rappelé la mort de ma fille aînée... j’ai pleuré en même temps tous mes enfants... Il est dur, avant cinquante ans, d’avoir éprouvé tout ce qui m’est arrivé». Moins que jamais, elle veut quitter Aiguillon: «Le parti que nous prenons de rester ici est celui que je crois être le plus sage, vu l’acharnement très actif de nos ennemis et la tranquillité plus que passive de ceux qui sont à portée de prendre notre parti et qui même le devraient.»
La fin, si touchante, de cette pauvre jeune femme, accourue, avant que sa santé ne fût rétablie, auprès{287} de ses parents en exil, avait ému les âmes sensibles à la Cour et à la Ville[454]. Le roi, dit Moreau, écrivit au père qu’il pouvait quitter la tombe de sa fille[455]. Nous ne croyons pas qu’un autre mémorialiste ait signalé le fait. Mais ce qui est certain, c’est que l’Histoire réserve à Marie-Antoinette, seule, l’honneur d’avoir spontanément réclamé le rappel de l’homme qu’elle détestait, dès qu’elle apprit la situation, très grave, de Mᵐᵉ de Chabrillan.
Le 20 juin, Mᵐᵉ de Maurepas adressait, toute affaire cessante, ce billet à sa nièce:
«M. de Maurepas écrit à M. d’Aiguillon et lui mande que la reine, étant touchée d’apprendre la maladie de votre malheureuse fille, est venue chez le roi, où était M. de Maurepas et lui a dit qu’elle lui rendait toute liberté et qu’il pouvait venir à Paris et dans tous les lieux qu’il voudra, excepté la Cour. Si votre fille avait sa guérison, quel plaisir j’aurais[456]!»
La lettre de Maurepas, expédiée de Marly et datée du même jour, est conçue à peu près dans les mêmes termes: «quel que fût l’événement», la reine «touchée enfin de votre situation» consentait etc...[457]
La dépêche envoyée, le 14 juillet, par Marie-Antoinette à Marie-Thérèse[458] est très explicite: «Dès que j’ai su qu’elle (la marquise) était en danger, j’ai trouvé que si M. d’Aiguillon venait à perdre sa fille, il serait inhumain de l’obliger à rester dans l’endroit où sa fille était morte. J’ai demandé au roi de lui laisser la{288} liberté d’aller partout où il voudra, excepté la Cour. Le roi me l’a accordé.»
Il est donc bien certain que Marie-Antoinette n’a pas attendu, comme l’ont prétendu quelques historiens, la mort de la malheureuse jeune femme survenue dans cette même journée du 20 juin, pour demander le rappel de d’Aiguillon. Mais ce qui est non moins exact, à en croire Mercy, c’est que la reine n’eut pas, la première, l’idée de cette démarche. La comtesse de Polignac—une nouvelle amie—et le duc de Guines l’avaient incitée à la faire «par politique». Ne valait-il pas mieux, disaient-ils, prévenir un acte de clémence qui eût peut-être accordé à d’Aiguillon sa grâce tout entière, en n’en demandant pour lui que la moitié[459]?
Et le confident de l’impératrice démontre combien Marie-Antoinette—aussi faible en cela de caractère que Louis XVI—se laissait diriger par cette tourbe d’intrigants des deux sexes qui aspiraient à devenir les maîtres de la Cour: «Je trouvai la reine fort persuadée de l’adresse et de la sagacité de ses conseillers; mais sa surprise fut grande, quand je lui fis voir la loucherie et la mauvaise foi qui avaient dicté ces conseils.» Mᵐᵉ de Polignac et M. de Guines n’étaient que des ambitieux, uniquement soucieux d’accaparer les bonnes grâces de Maurepas. Et moi, disait avec amertume Mercy-Argenteau, en s’adressant à Marie-Antoinette, quand je voulus m’employer égale{289}ment pour M. d’Aiguillon, Votre Majesté «n’a mis aucunes bornes à ses déclarations trop publiques et trop sévères!» Etait-ce une amende honorable? En tout cas, l’ambassadeur termine sur ce mot: Il me semble que la reine m’a «écouté avec attention[460]». Naïf diplomate, sous la maussade apparence de sa défiance perpétuelle! Mais combien imprudente cette jeune souveraine, qui devait expier plus tard si tragiquement dans des angoisses familiales aussi douloureuses que celles de Mᵐᵉ d’Aiguillon, les erreurs et les caprices d’une volonté, impatiente de toute contrainte, qu’asservissait cependant à d’indignes courtisans la soif immodérée des plaisirs.{290}
Arrêt dans la correspondance.—D’Aiguillon refuse de rentrer à Paris.—L’opinion publique n’en dénonce pas moins ses intrigues avec son oncle pour revenir à la Cour.—Action persistante de Mᵐᵉ de Maurepas dans l’intérêt de son neveu.—Le buste de Louis XVI.—La succession de La Vrillière et «la vilaine petite race».—Irritation de la duchesse contre Guines.—Une saison à Bagnères dans la plus stricte intimité.—Mᵐᵉ d’Aiguillon «écorchée comme saint Barthélemy».—«Mauvaise compagnie» des gens de Cour.—Retour au château: nouvelles récriminations du châtelain; «absorbement continuel» de la châtelaine.
La commotion avait été trop violente, le deuil était trop récent et trop profond chez les d’Aiguillon, pour que, même dans un milieu où les obligations mondaines créaient de tyranniques exigences, la vie du château n’y restât de longtemps suspendue. Encore n’y reprit-elle, en 1777, que pour un petit nombre d’intimes, mais à porte entre-baîllée, dans la tristesse des voiles funèbres, devant le souvenir sans cesse rappelé de l’enfant à jamais disparue.
Plus de correspondance pendant près de neuf mois. La duchesse a brisé sa plume; et il semble que le duc se soit désintéressé de la politique. Par un sentiment de fierté très légitime, il avait refusé, «comme un déshonneur[461]», cette demi-grâce qui lui interdisait de{291} remplir une des fonctions les plus précieuses de sa charge, celle de travailler personnellement avec le roi. Il préférait, disait-il, vivre dans la solitude et ne reviendrait à Paris que «si jamais le soin de ses affaires l’y appelait». Ce fut son oncle qu’il chargea de «voir le roi et de lui porter ses mémoires (pour les chevau-légers)». Maurepas les lui retournait «approuvés et signés sans difficulté[462]».
Paris n’en préjugeait pas moins, en ce moment, les secrètes pensées du neveu. Les Noëls pour l’année 1777, qui couraient déjà par la ville, le confondaient avec l’oncle dans le même couplet:
De son côté, Hardy consignait, dans son Journal, les échos des réflexions bourgeoises sur ce croisement de menées souterraines, auxquelles se trouvait encore mêlé un homme que ses amis espéraient enfin rendre sympathique par l’étendue même de ses malheurs:
«Quelques personnes mêmes regardaient le rappel de M. d’Aiguillon comme une preuve de crédit qu’avait encore le sieur comte de Maurepas, en même temps qu’ils imaginaient que son séjour dans la capi{292}tale pourrait bien influencer sur les intrigues qui avaient pour but d’écarter le duc de Choiseul que la reine paraissait désirer voir remonter au ministère[463]...»
Hardy ajoutait que «s’il fallait s’en rapporter à des personnes qui se disaient bien instruites, quoique le parti du duc d’Aiguillon se fortifiât de jour en jour, au point que le roi, Monsieur et Mesdames de France étaient notamment décidés en sa faveur, ledit comte de Maurepas mettrait encore obstacle à ce qu’il rentrât dans le ministère, par la seule crainte qu’il avait que son rétablissement ne vînt à diminuer le crédit dont il jouissait fort tranquillement».
La détermination, réelle, de M. d’Aiguillon avait dû quelque peu déconcerter Mᵐᵉ de Maurepas, non pas que la résolution des exilés lui parût inexplicable; elle avait très vivement partagé leur désespoir et même voulu arracher sa nièce au séjour qui lui en ravivait à toute heure les transports; mais ce qu’elle ne pouvait comprendre, c’est que son neveu coupât ainsi les ponts derrière soi. Elle qui s’était attachée si étroitement à la fortune de M. d’Aiguillon, jusqu’à défendre sa cause en pleine adversité et à lui assurer le concours d’un homme aussi ondoyant que M. de Maurepas, elle verrait donc s’écrouler l’édifice si laborieusement construit de ses propres mains!
Quelle curieuse figure que celle de la sœur de Mᵐᵉ de Plélo! Restant volontiers dans l’ombre, comme l’ambassadrice de Danemarck, à ce point que la plu{293}part des historiens ne l’ont pas connue, elle n’en avait pas moins cette préoccupation intéressée de la politique que ne connut jamais sa sœur et qui s’appelle vulgairement de l’ambition. Mais de l’ambition dans le noble sens du mot. Elle voulut travailler à la grandeur des La Vrillière et à la gloire des Plélo; non pas pour elle, mais pour les héritiers de ces deux noms et de ces deux familles.
Le rôle de cette femme active et intelligente n’a pas échappé à ses contemporains, bien que, depuis la disgrâce, si longue, de son mari, elle vécût peu à la Cour et qu’elle dirigeât plus volontiers de sa chambre les opérations dont elle attendait le triomphe des siens.
C’est ainsi qu’avec les conseils et l’aide de l’abbé de Véri[464], au dire de certains mémorialistes, elle sou{294}tenait le crédit de Maurepas, pour le plus grand profit de son neveu d’Aiguillon, sur qui s’étaient reportées toute son affection et toutes ses espérances.
L’exil de l’un avait en quelque sorte coïncidé avec le rappel de l’autre. Et nous avons vu par quelles savantes manœuvres, en présence de l’hostilité irréductible de Marie-Antoinette, Mᵐᵉ de Maurepas s’était efforcée de stimuler le zèle intermittent de son mari, de calmer l’irritation de son neveu, d’encourager les amis de d’Aiguillon, de contre-carrer ses ennemis et cependant de ne pas mécontenter la reine.
Toutes occasions lui étaient bonnes pour mettre en jeu l’intervention de Maurepas. Et nous trouvons une nouvelle preuve de cette habile tactique dans deux anecdotes que nous empruntons encore au journal de Hardy.
Quand La Vrillière tomba en paralysie, Maurepas se rendit un jour chez la reine, pour lui dire combien, dans une affaire toute privée, la présence de son neveu devenait nécessaire à Paris. «Je ne consentirai jamais au retour du duc d’Aiguillon, répondit la reine. Il s’est montré mon ennemi personnel; et je répudierai comme mes ennemis tous ceux qui oseront me parler en sa faveur[465].»
La démarche du ministre était cependant très rationnelle; mais la judiciaire de Marie-Antoinette, entretenue dans son entêtement par la coterie qui la domi{295}nait, était brouillée depuis longtemps avec la logique. Mᵐᵉ de Maurepas se le tint pour dit. La mort, si cruelle, de Mᵐᵉ de Chabrillan avait bien amené une sorte de trève. Mais l’habile manœuvrière, avant de reprendre la campagne, voulut savoir si son mari avait encore le crédit nécessaire pour la recommencer. Elle s’avisa en conséquence d’une démonstration lui permettant en quelque sorte de tâter le terrain. Elle fit persuader au roi de donner son buste à Maurepas, qui en serait grandement honoré. C’était de tradition, depuis tantôt deux siècles, chez les maîtres de la France, d’octroyer libéralement un exemplaire de leur effigie à ceux de leurs sujets qu’ils en jugeaient les plus dignes. Maurepas reçut donc de son souverain ce royal cadeau et en témoigna une telle joie devant le prince, que celui-ci s’en montra tout ému. La preuve était faite pour Mᵐᵉ de Maurepas, «le point central et le nœud gordien de toutes les intrigues de la Cour», suivant l’image quelque peu compliquée de l’honnête libraire[466].
On voulait donc servir ce neveu, malgré son obstination à s’enfermer dans son castel de l’Agenois. Aussi fallait-il le garer de toutes les chausse-trappes qui pourraient guetter son passage, si le désir lui revenait de reprendre le chemin de Paris. Maurepas avait craint un instant que d’Aiguillon ne fût impliqué dans l’affaire de la Cahouet de Villers, une des femmes de la reine, qui avait jadis contribué à la fortune de la Du Barry. Il s’agissait d’une de ces escroqueries qui prirent si souvent la reine pour point de mire et dont l’affaire du collier devait être la synthèse la{296} mieux réussie. Maurepas en fut quitte pour la peur[467].
La mort, prévue, de son beau-frère La Vrillière, lui avait inspiré, comme à sa femme, de nouvelles inquiétudes, mais celles-ci d’ordre privé. La perte était médiocre: le secrétaire d’État avait été servile et plutôt malfaisant pour ses administrés: ayant dans son département les lettres de cachet, il en avait abusé, et même au profit de belles dames, prétendait la légende. L’homme ne valait guère mieux: vain, présomptueux, ignorant et sot, il faisait peu d’honneur à l’intelligente famille des La Vrillière. Le parent était taillé sur le même modèle: après la mort de sa femme, la comtesse de Platen, dont il n’avait pas eu d’enfants, il s’était acoquiné avec une intrigante qui avait épousé Sabatin, commis des finances; et cette maîtresse, méchante et perfide créature, qui lui avait donné plusieurs bâtards, avait éloigné peu à peu de sa famille cet imbécile vieillard. Il avait soutenu d’Aiguillon, pendant ses procès avec les Parlements, mais sans grande conviction, et parce qu’il n’eût pas osé faire acte d’indépendance devant Louis XV. Qu’il eût éprouvé moins d’embarras, s’il n’avait craint, d’autre part, de rompre en visière avec Choiseul! La disgrâce de son neveu l’avait trouvé aussi perplexe: mais il lui avait fallu, comme sa fonction le voulait, porter l’ordre d’exil au «mauvais sujet» qu’avait désigné la reine.
Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui, depuis la mort de sa fille, avait «donné beaucoup d’inquiétudes[468]» aux Maure{297}pas, avait dû sortir de son marasme pour s’occuper de cette succession, sur laquelle, par parenthèse, elle comptait fort peu. Comme elle l’annonce à Balleroy, après neuf mois de silence, «la mort de M. de la Vrillière (27 février 1777) a donné beaucoup à écrire».
«... Cet événement, tout prévu qu’il était, m’a fait de la peine; c’était le frère de ma mère, dont je n’ai eu à me plaindre que de ses faiblesses: tout le tort qu’il a jamais pu me faire ne vient que de cette cause, d’autant qu’il était mené par des gens très mal intentionnés.
Son testament était fort avantageux pour les Langeac (ses bâtards); mais «très honnêtement, il l’avait révoqué huit jours avant sa mort». Tout ce qui me fâche, c’est que cette révocation était au bas du testament et subsiste; et c’est une preuve qui a été faite dans des termes bien étranges. J’en suis fâchée pour sa mémoire et voudrais que l’héritage fût moindre et qu’il fût imprimé(?).
On m’a mandé que ce qui l’a engagé au changement, était le mécontentement où il était de cette vilaine petite race qui avait jeté beaucoup d’amertume sur les derniers jours de sa vie.
Mes parents me mandent que je dois venir pour nos partages. Ma réponse a été que, comme eux-mêmes ont pensé avec raison que je ne devrais pas revenir, tant que l’affaire de M. de Guines ne serait pas jugée, qu’il y aurait à craindre qu’on nous supposât des intrigues aussi faussement qu’on l’a déjà fait, que nous croyons plus sage de rester ici, que nous nous rapportons en entier à tout ce qu’ils jugeront approprié{298} pour nos affaires, que sur cela, je priais M. de Maurepas de me servir encore une fois de tuteur[469]...»
Comme on voit, Mᵐᵉ d’Aiguillon était toujours préoccupée de l’affaire de Guines. Elle y revient le mois suivant[470]:
«Vous me parlez de la requête de M. de Guines; mais vous ne savez pas: 1º que cette requête et la lettre qui l’accompagne et qu’il a envoyée à tous ces messieurs du Parlement, est remplie d’atrocités personnelles contre M. d’Aiguillon et qu’il a eu l’insolence d’envoyer à sa porte (rue de l’Université) un paquet à son adresse, dont il a fait demander un reçu du suisse, qui contient les deux derniers mémoires et la copie de ladite lettre. J’en ai écrit à mes parents, pensant qu’il est plus que temps de faire taire ce vilain chien enragé et que, actuellement que son procès est fini, il serait possible de lui imposer silence. Il est ennuyeux, quand on ne demande qu’à rester tranquille, de ne pouvoir pas l’obtenir et d’être toujours en butte à une cabale infernale.
Si ma lettre arrive à temps et que vous puissiez voir M. de Maurepas, vous me feriez plaisir de lui en parler sur le même ton...»
N’est-ce pas le langage d’une femme sincère, qui «ne demanda» toute sa vie «qu’à rester tranquille» et que le sort jeta toute sa vie également au milieu d’un enchevêtrement d’intrigues, auxquelles sa droiture lui défendit de participer et dont elle prétend son{299} mari—bel exemple d’héroïsme conjugal!—l’éternelle victime?
Elle revient à la succession de son oncle: elle ignore si Châteauneuf—actuellement La Vrillière—sera compris «dans son partage»; elle préférerait qu’il fût attribué à son cousin Du Châtelet[471]. L’hôtel de La Vrillière était, dit M. d’Aiguillon, le lot de Mᵐᵉ de Maurepas; et le duc de Fitz-James, qui venait de perdre sa femme, voulait l’acheter. Mais M. de Maurepas lui en demandait un prix trop élevé[472]. Chemin faisant, cet oncle, qui connut toujours si bien ses intérêts, reçoit de sa nièce ce coup de griffe que nous ne nous expliquons pas: «il dérange sa santé par de nouvelles imprudences qu’on ne pardonnerait pas à un jeune homme[473]». M. de Maurepas était un goutteux endurci. Il n’avait jamais eu, et pour cause, paraît-il, la réputation d’un coureur de guilledou, mais il aimait les fins dîners et les vins généreux; les chroniques du temps en font foi.
D’autres soins, plus pressants, s’imposaient à la vigilance de Mᵐᵉ d’Aiguillon: de graves inquiétudes{300} sur la santé de son mari venaient raviver des plaies, qui, pour être déjà anciennes, n’en restaient pas moins saignantes.
Vraisemblablement l’affection bilieuse qui tracassait le duc et qui s’était jadis accusée par ces irruptions de jaunisse, sur lesquelles la malignité des libellistes s’était si souvent égayée, avait reparu plus pénible et plus menaçante, depuis le passage de la mort dans le château d’Aiguillon. Des infiltrations et des tumeurs s’étaient manifestées, qui avaient résisté à l’emploi de topiques et de l’eau de Vals. Les médecins de Montpellier (ils étaient quatre) que, sur les instances de sa femme[474], le malade avait consultés, lui ordonnèrent de se rendre à Bagnères, puis à Barèges[475]. Mᵐᵉ d’Aiguillon accompagna son mari. Quelle fut la durée de la cure? Nous l’ignorons; mais les deux baigneurs, car la duchesse, sans doute par amour conjugal, voulut suivre aussi un traitement, séjournèrent presque trois mois dans les Pyrénées. Nous devons à leur correspondance avec Balleroy de piquants détails sur la vie balnéaire à cette époque et sur le monde qui la pratiquait.
Le duc se plaint du temps qui est «affreux»; mais il est satisfait de sa santé; il est à peu près guéri. Son fils, qui est fort bien portant, boit tous les jours deux verres d’eau; et «il mange, dort et danse plus que jamais[476]».
La duchesse note l’effet des eaux—boissons, douches et bains—sur son mari. Si celui-ci est enchanté{301} de son traitement, elle ne l’est guère du sien: convenait-il seulement à son affection du foie? «Je suis prise de la tête aux pieds et écorchée comme saint Barthélemy. On dit: c’est une preuve que les eaux chassent toutes les mauvaises humeurs qui sont en moi. Ce sera là une belle opération surtout si elles chassent tous les sujets d’humeur que j’ai et que je dois avoir[477].»
Les excursions lui font prendre ses maux en patience: «Ce pays est singulier et très pittoresque; il y a entre autres une promenade qui offre des points de vue frappants, tels que de voir des montagnes qui se perdent dans les nues, qui sont toutes couvertes de neige et ne produisent que des rochers, et de l’autre côté, des autres montagnes qui sont aussi très hautes, mais cultivées jusqu’au sommet et couvertes de maisons et qui toutes ont un petit jardin et un petit bois. L’intervalle de ces montagnes est un grand chemin bordé des deux côtés par la rivière qui forme deux canaux très rapides lesquels coulent sur des roches formant des cascades naturelles[478].»
Il était de mode, à cette époque, pour un grand seigneur, d’amener avec soi quelques-uns de ses familiers aux stations balnéaires où l’on fréquentait: c’était une petite cour qu’on se formait pour se garantir de l’ennui. Les d’Aiguillon n’avaient voulu, en raison de leur deuil, qu’une «société très bornée». Ils avaient, parmi leur commensaux, deux dames que nous retrouverons bientôt au château d’Aiguillon,{302} MMᵐᵉˢ Dubois de la Motte et de la Muzanchère, qui ne pouvaient vivre côte à côte sans se disputer. L’une d’elles, Mᵐᵉ Dubois de la Motte, semble une caricature: elle est «parée, ajustée, coiffée comme pour une fête, et très affligée d’avoir un aussi petit nombre d’admirateurs; il est vrai que les gens se moquent d’elle[479]». Mᵐᵉ d’Aiguillon est toujours sur le qui-vive avec ces deux femmes, «ne s’étant pas jetée dans le grand monde qui est très nombreux ici», d’autant qu’il s’y trouve des personnages peu faits pour donner bonne opinion des gens de Cour, «le prince de Salm et le duc de Mazarin qui vivent dans la plus mauvaise compagnie en tout genre[480]».
Comme le fait se présente fréquemment dans les villes d’eaux, d’Aiguillon avait subi une rechute pour avoir abusé des douches. Le médecin de Bagnères lui prescrivit de les cesser et lui défendit d’aller à Barèges. Le mieux s’accentua: «Je ne vous parle pas de ma santé, écrit la duchesse; elle ne peut être mauvaise quand M. d’Aiguillon se rétablit[481]».
Le duc était guéri et revint au commencement de septembre dans son château, ramenant Mᵐᵉ Dubois de la Motte, pour ne pas la laisser en présence de Mᵐᵉ de la Muzanchère restée à Bagnères[482].
Pendant leur cure, les d’Aiguillon s’étaient tenus{303} assez éloignés du monde extérieur (comme souvent la Faculté le recommande à sa clientèle), pour n’être pas ressaisi par ces liens de toute nature dont il est si difficile de se détacher.
Un mois avant de partir, la duchesse avait encore commenté avec indignation le dénouement définitif de «l’incroyable et atroce affaire de M. de Richelieu, finie par un jugement tout aussi incroyable et aussi atroce. Rien ne prouve mieux la justice de sa cause que la peine que ces juges ont eue pour trouver une tournure pour le condamner aux dommages et aux frais. Enfin il en est quitte pour de l’argent; et c’est beaucoup qu’avec de telles gens l’honneur soit sauf[483]».
Aussitôt son retour, ce furent de nouvelles obligations mondaines qui vinrent la reprendre, le mariage d’une parente avec M. de Galibert «amoureux comme un roman... C’est encore un secret, mais qui ressemble à celui de la Comédie[484]». Elle s’occupait avec Mᵐᵉ de Flesselles et Mᵐᵉ de Caen de tous les achats de ce Galibert «qui se ruinerait, si elle n’y mettait bon ordre». Il fallait bien amuser «le grand châtelain», qui allait beaucoup mieux et qui daignait en convenir[485].
Lui, déclarait au chevalier de Balleroy qu’il ne voulait pas remettre les pieds à Paris. Son obstination irritait Maurepas qui obéissait évidemment aux directions de sa femme et ne voyait pas d’autre moyen pour d’Aiguillon de recouvrir sa pleine et entière liberté[486].{304} Avait-il seulement fait part à son neveu de la démarche qu’il avait tentée, et vraisemblablement à l’instigation de la comtesse, auprès du futur empereur Joseph, de passage à Versailles, pour qu’il obtînt de sa sœur le retour du duc d’Aiguillon à la Cour? L’auguste visiteur ne s’y était pas engagé. D’autre part, Marie-Antoinette, très vivement sollicitée par les amis de Choiseul, se défendait de faire entrer le châtelain de Chanteloup dans le ministère: elle savait la répulsion de son mari pour Choiseul; mais le parti de cet homme d’Etat, qui entourait la reine, lui représentait qu’après la mort de Maurepas il n’y avait, pour le remplacer, que «deux sujets, le duc de Choiseul ou le duc d’Aiguillon». Et Mercy, qui raconte ces incidents au jour le jour dans une sorte de gazette adressée à Marie-Thérèse, de s’écrier: Idée neuve qui lui aura été suggérée par Coigny et par Esterhazy! En attendant il priait l’archiduc de signaler à sa sœur le piège qui s’ouvrait sous ses pas[487].
Dans une nouvelle lettre à Balleroy, d’Aiguillon se montrait cependant plus explicite. Il le priait de l’aider à détruire cette calomnie qu’il prétendait dicter au roi les conditions de son retour, en exigeant une réparation authentique des injures qu’il avait subies. Non: il rentrera simplement à Paris quand on lui permettra d’exercer les devoirs de sa charge; mais, ignorant les motifs de son exil, il attend que la vérité fasse connaître son innocence[488].{305}
Or, au milieu des rêves d’ambition qu’il poursuivait, sous les apparences d’un renoncement inspiré par son orgueil, cet égoïste avait fini par constater que sa malheureuse femme se consumait de tristesse et de douleur. «L’état moral» de la duchesse, écrivait-il, reste toujours le même; et il redoutait que «cet absorbement continuel dans ses tristes ressouvenirs ne détruisît à la fin sa santé; et malheureusement rien ne peut la distraire quoi que je fasse». Il ne voyait donc pas que c’était au contraire sa femme qui s’était toujours sacrifiée et qui se sacrifiait encore pour le soigner et pour «le distraire[489]».{306}
Programme de fêtes pour 1778.—Quelques invités et habitués.—Balleroy, toujours l’empressé commissionnaire.—Ferme et château.—Nouvelles du jour: mort de Jean-Jacques; procès du comte de Broglie, «le vilain petit homme»; les châtelains et la guerre des Insurgents.—Une lettre de d’Aiguillon à Mᵐᵉ Du Barry.—Autre année théâtrale; fêtes et bals.—D’Aiguillon donne également ses commissions à Balleroy.—Il fait le juge de paix au château.—Projets de mariage pour le comte d’Agénois.—Marie-Antoinette signifie de nouveau à Maurepas sa résolution de ne plus voir d’Aiguillon à la cour.
Le «Grand Châtelain», sincère ou non, se tient parole: il a dit un solennel adieu à la Cour et à la Ville, aux affaires et à la politique: il va s’enfermer un certain nombre d’années dans son domaine d’Aiguillon.
Sa femme, qui a compris le désarroi de cet homme, réduit à une «société bornée» après avoir vu ses salons regorger d’adulateurs, a su, par un sursaut d’énergie, sortir de son «absorbement» pour préparer, avec son entrain des jours heureux, des occupations et des plaisirs au maître, oisif et ennuyé, sevré aujourd’hui de ce qu’il appellera demain «les mouvements de la Cour».
Des invitations sont lancées, pour l’hiver de 1778, aux fidèles que n’effraie pas une villégiature en un si lointain pays. Et Balleroy, cet obligeant commissionnaire
qu’on n’avait pas mis depuis longtemps à contribution, expédiera à la châtelaine, soucieuse de s’approvisionner aux meilleures marques, des poudres parfumées, des vinaigres de rose, de sauge et de millepertuis, achetés chez «notre ami Maille», fournisseur des têtes couronnées[490].
Des réponses arrivent. On attend Mᵐᵉ d’Esparbès «qui aime le jeu autant que la dévotion». Les Flesselles ne peuvent venir. Et Desnos, l’évêque de Verdun[491], vieil ami de trente ans, retarde son voyage de quelques jours pour assister aux débuts de Mᵐᵉ de la Muzanchère comme premier rôle dans La Bohémienne[492].
Il n’est pas inutile de faire connaître cette dame, qui était veuve, comme d’ailleurs son ennemie personnelle et rivale, Mᵐᵉ Dubois de la Motte, née de Boisgelin de Cucé.
Le mari de celle-ci, d’une très bonne famille de Bretagne, ainsi que M. de la Muzanchère, s’était montré, avec lui, un des plus chauds partisans de l’ancien commandant. Quant à sa femme, elle avait, comme nous l’avons vu, beaucoup de prétentions, mais son tempérament combatif la rendait insupportable.{308}
Mᵐᵉ de la Muzanchère n’était guère plus traitable. Mais c’était une amazone des temps héroïques, une manière de Lucrèce... à rebours, dont certaine aventure avait défrayé, pour la plus grande joie des curieux, les échos de la chronique scandaleuse.
On annonce un jour—en 1766 ou 1767—à Mᵐᵉ de la Muzanchère, parente de l’évêque de Nantes, la visite de l’évêque de Saint-Brieuc, Monseigneur de Girac, fils d’un second président au bailliage d’Angoulême. Le prélat, qui avait trente-six ans à peine, était un mondain fort empressé auprès des dames et grand amateur de théâtre: c’était lui qui plaçait les billets pour les représentations de la Clairon. Fut-ce sous ce prétexte qu’il s’introduisit chez Mᵐᵉ de la Muzanchère, fort jolie femme et très séduisante? Toujours est-il qu’il la serrait de très près, quand soudain survint le mari. La jeune femme s’élance sur l’épée du gentilhomme, la tire hors du fourreau et va la planter dans la cuisse de son trop bouillant adorateur. On ne parla bientôt plus à la Cour que de cet exploit, d’autant que M. de Girac, après avoir été le grand ami de M. d’Aiguillon, en était devenu un des plus acharnés adversaires[493].
La duchesse ne dit pas à son correspondant si Mᵐᵉ de la Muzanchère, à qui le rôle de bohémienne devait certainement convenir, était aussi tragique au théâtre qu’à la ville. Elle ne lui donne plus de nouvelles qu’en juin. A cette époque, la santé de son mari ne lui laisse plus d’inquiétudes[494]. Mais celle du chevalier s’est trouvée fortement atteinte. La duchesse l’in{309}vite à venir «se refaire» au château d’Aiguillon qu’il devait avoir déjà visité; car elle lui annonce qu’il «y trouvera bien des changements dans les constructions». Les travaux actuels sont exécutés par un «maçon» (entrepreneur) qui «a travaillé à l’Orangerie de Versailles et qui a fait tous les bassins de Veretz». A la fin du mois d’août on commencera la salle de comédie[495]. La basse-cour ne lui donne pas moins de soucis que le temple consacré à Thalie et à Melpomène: «la mode est aux canards»; la duchesse en aura bientôt une centaine[496].
Il est probable que le chevalier alla tuer, à cette époque de l’année, «les perdreaux et les lièvres» du propriétaire d’Aiguillon, car la correspondance ne reprend qu’en décembre avec Balleroy, qui passa l’hiver à Paris.
Ses hôtes ne paraissent pas avoir pris un bien vif intérêt aux nouvelles du jour: tout au plus quelques mots jetés de-ci de-là laissent voir qu’ils ne les ignorent pas. Ainsi la duchesse qui connaît ses auteurs et les cite à l’occasion, sans avoir la moindre prétention au bas-bleuisme, a su la mort de Rousseau:
«Jean-Jacques a fait à votre ami M. Girardin une grande galanterie en allant mourir chez lui. Il manquait vraiment à son jardin anglais un tombeau; il en aura un véritable, puisqu’on dit qu’il le fait enterrer dans une île de son jardin, que sûrement il décorera de tous les ornements convenables[497].»{310}
Un procès du comte de Broglie, pendant au Châtelet, éveille dans l’esprit de la duchesse un mouvement d’humeur: «Tant que ce vilain petit homme existera, il tracassera et tourmentera son prochain[498]».
Un mot dans la même lettre sur un fait de guerre: «Je suis humiliée du Te Deum chanté à Versailles: c’est un ridicule pour la nation[499]».
L’expédition d’Amérique trouvait, au surplus, la duchesse assez froide:
«—Je prends peu d’intérêt, comme bien savez, aux insurgents et pas beaucoup plus aux Anglais[500].»
Le duc se prononçait plus catégoriquement, s’il faut en croire les Mémoires publiés sur son ministère: «M. d’Aiguillon a toujours dit que c’était une faute que la guerre entreprise contre l’Angleterre en 1778, à la sollicitation de Sartine (qui était alors ministre de la marine)[501]».
En ce moment où la France jouait une si grosse partie, l’ancien secrétaire d’État aux affaires étrangères dut ronger son frein d’être confiné dans sa{311} retraite d’Aiguillon. Se fût-il prononcé, s’il était resté au pouvoir, pour la politique de neutralité? Laissa-t-il voir aux siens son dépit de n’être plus employé? Nous ne pouvons que le supposer. Car le langage de la duchesse a pris un ton inaccoutumé d’amertume et d’aigreur, qui s’exhale à tout propos. Son pessimisme devient plus sombre encore, à la suite d’une escroquerie au jeu commise par le général Smitt à la table du roi et «du premier prince du sang». Le fait ne se présentait que trop souvent. «Il faut se flatter, dit Mᵐᵉ d’Aiguillon, que cette démence ne durera pas, et s’il y a quelqu’un à être tout à fait perdu, je souhaite que ce soit plus tôt que plus tard, afin qu’il ne soit plus question de jeu quand mon fils entrera dans le monde[502].»
Précisément, à la même époque, venait de succomber en duel Adolphe Du Barry, un neveu de la comtesse, que d’Aiguillon avait jadis nommé cornette surnuméraire[503] de sa compagnie de chevau-légers, à la place de Pecquigny, devenu, par la mort de son père, duc de Chaulnes. Il écrivit à Mᵐᵉ Du Barry cette lettre de condoléances, d’une correction parfaite, qui fait honneur à des sentiments de reconnaissance, dont se gaussait alors si volontiers la nouvelle école des politiciens du temps[504]:
«J’ai bien imaginé, Madame la comtesse, que vous étiez aussi touchée qu’affectée de la perte cruelle que vous avez faite; et je n’ai point voulu ajouter, à la douleur que vous en ressentez, l’importunité d’un compliment.
J’ai prié Mˡˡᵉ Du Barry (Mˡˡᵉ Chon) de vouloir bien y suppléer et de vous renouveler dans cette triste occasion les assurances bien sincères de la part que je ne cesserai de prendre à tous les événements qui vous intéressent.
Je me flatte que vous n’en doutez point et que je n’ai pas besoin de vous répéter ma profession de foi à cet égard, dont vous devez être depuis longtemps convaincue de la vérité.
Mᵐᵉ la vicomtesse Du Barry est certainement fort à plaindre dans ce moment, mais je connais trop bien votre tendresse pour elle, pour ne pas être persuadé que vous vous empresserez à adoucir son malheur et qu’elle trouvera auprès de vous les secours et les consolations qui lui sont nécessaires. Une amie telle que vous dédommage de tout; je désire que le triste spectacle qu’elle vous donnera et les soins que vous lui donnerez n’altèrent pas votre santé et qu’elle soit toujours aussi bonne et aussi brillante qu’on m’assure qu’elle l’est actuellement.
Conservez-moi toujours vos bontés, Madame la comtesse, et ne doutez jamais de ma reconnaissance, de mon attachement et de mon respect.
Le duc d’Aiguillon.
Mᵐᵉ d’Aiguillon me charge de vous témoigner toute sa sensibilité.
Aiguillon, ce 16 décembre 1778.»
L’année se termina sur une série de représentations dont Mᵐᵉ d’Aiguillon salue les interprètes d’une critique assez dure et d’un mot quelque peu osé qui, depuis, a conquis son droit de cité dans les coulisses de nos salles de spectacle.
«Notre théâtre s’est ouvert hier par l’Épreuve (villageoise) et la Famille extravagante; nos actrices qui sont Mᵐᵉ de Galibert et MMˡˡᵉˢ de Signac, de Fontette, Turpin et Notest (?) ont joué assez mal, surtout la première qui a joué comme un cochon. Vous le croirez aisément...»
Puis la duchesse donnait au chevalier sa liste de commissions:
«... Faites-moi le plaisir de m’acheter l’Élite des Almanachs, un Recueil général des costumes et des modes chez Desnos, rue Saint-Jacques (4 livres 10 sous) broché, le Bijou des Dames avec les nouvelles coiffures de 1778 et le Souvenir à la Hollandaise qui a pour frontispice les coiffures à la Belle Poule et à l’Insurgent[505].»
Ce fut encore par des représentations théâtrales que les châtelains inaugurèrent la nouvelle année, devant un public d’anciens amis venus de loin et de connaissances, toutes récentes, accourues des environs. Dès le 1ᵉʳ janvier, Mᵐᵉ d’Aiguillon donne à Balleroy, après les compliments les plus tendres, le programme des fêtes...: «les nouvelles d’ici sont l’ouverture de nos théâtres... Dimanche, nos bals recommencent; vous êtes encore à temps pour y venir danser une allemande[506]».{314}
Et trois semaines après: «Nos comédies vont leur train; heureusement nos acteurs n’ont pas été enrhumés... M. de Clairfontaine, en dansant un menuet avec Alexandrine, s’est cassé le tendon d’Achille; et lundi il s’est fait emballer dans sa voiture et a voulu retourner à Agen pour se guérir[507]».
Elle-même a été souffrante; elle a sans doute maigri beaucoup; car on la bourre de soupe, de chocolat et de salep: «Je prétends, réclame-t-elle, qu’on m’empâte comme un dindon[508]». Mais, en vérité, elle n’a point le temps de s’occuper de ces misères: elle est fermière maintenant: «Je vous ferai manger des œufs, comme il n’y en a point, pondus par mes poules... et des canards élevés à la brochette par moi». Les travaux continuent: «le maître du château s’en occupe et s’en amuse». Mᵐᵉ Dubois de la Motte s’extasie sur «la beauté du teint et sur la gaîté» de M. d’Aiguillon. Mᵐᵉ de la Muzanchère qui vient d’arriver—c’était fatal—est, elle aussi, en bonne santé et paraît plus raisonnable. Elle lui apprend que le chevalier «a tout lieu d’espérer le cordon». On en parlait déjà depuis longtemps, «je souhaite vivement qu’elle ait raison[509]».
Le duc se préoccupe également pour son ami de «ce beau ruban rouge» et il désire que le chevalier le tienne au courant de ses démarches. Lui-même, à son travail de décembre, demandera la commission de capitaine pour M. de Montaigle (sans doute un intime{315} du chevalier), mais il n’a pas le temps voulu; il faut qu’il attende l’an prochain. Balleroy est un correspondant précieux pour le duc comme il l’est pour la duchesse. D’Aiguillon le prie de s’arrêter à Veretz pour y jeter un coup d’œil sur les travaux en cours et lui en parler quand il reviendra au château[510]; de même, il le chargera un mois après d’un règlement de comptes[511] avec le duc de Fitz-James.
C’est un homme vraiment accablé de besogne que M. d’Aiguillon. A peine a-t-il le temps de se remettre d’embarras gastriques, à force d’eau de Vals en bain et en boisson, qu’il est obligé de s’interposer de nouveau entre Mᵐᵉˢ Dubois de la Motte et de la Muzanchère. C’est maintenant celle-ci qui devient intraitable, «malgré toutes les promesses qu’elles m’a faites à son débarqué de n’avoir aucune tracasserie avec personne, ni même de l’humeur. Elle m’a fait deux ou trois querelles d’allemand, sans rime ni raison et sur des sujets aussi importants que celui de la comédie qu’elle veut jouer sans acteurs... Je l’ai rembarrée fortement, afin qu’elle prenne son parti, ou de s’en aller, ou d’être plus douce et moins exigeante; et je lui ai déclaré que je ne lui passerais rien et lui ferais des corrections publiques sans ménagement, si elle m’y obligeait par ses incartades... Je ne m’en flatte pas, à moins que mon fils à qui elle fait les coquetteries les plus fortes et qui ne paraît pas éloigné d’y répondre, ne vienne à mon secours; mais il est aussi froid au moral qu’au physique et bien nigaud encore...»{316}
Voudrait-il, par hasard, ce père aux mœurs faciles, ce galant seigneur qui ne connut jamais de cruelles, que son fils se fît déniaiser pour calmer l’humeur belliqueuse d’une invitée encombrante?
Et puisqu’il parle de ce jeune comte d’Agénois, le seul survivant de ses six enfants et si peu ressemblant à cet autre d’Agénois qui, lui, n’avait pas attendu le nombre des années, il remercie Balleroy de la réponse qu’il a faite à des propositions de mariage pour son fils et le prie instamment «d’y persister», si on remet la question en train avant son retour à Paris. «Continuez d’affirmer que j’ai moins de désir que jamais de reparaître à la Cour, bien loin d’en chercher le moyen ou le prétexte.» Oui, ses «résolutions sont invariables»; et son bonheur et son honneur exigent qu’il ne s’en écarte jamais. Aussi concluait-il sur cette péroraison qu’Horace eût pu lui envier, mais qui nous rappelle plus encore la morale de l’immortelle fable Le Renard et les Raisins. «... Mes bosquets sont effectivement charmants, mes terrasses charmantes, ma cour commence à se démasquer et à s’ouvrir, ma salle de comédie s’élève à vue d’œil... Il faudrait que je fusse bien fol pour troquer une aussi belle habitation où je jouis de la plus heureuse et de la plus complète tranquillité contre ma triste maison de Paris ou quelque coin de grenier à Versailles, où je serais continuellement tracassé, persécuté et vilipendé[512].»
Ce mariage pour M. d’Agénois, était-ce celui auquel faisait allusion, six mois auparavant, Mᵐᵉ d’Aiguillon,{317} en ces termes: «Il n’est nullement question du mariage de mon fils, et moins encore avec Mˡˡᵉ de Polignac[513] qu’avec personne. Je n’y ai jamais pensé. Chabrillan m’en a parlé quand il est venu ici, et, pour toute réponse, nous lui avons dit que nous n’y songions pas».
Il s’agissait cependant de Mˡˡᵉ de Polignac. On en avait discrètement causé.
Mais le bruit avait fait du chemin; et la Correspondance secrète le recueillait prestement pour le servir à ses abonnés en mars 1779.
Le projet de mariage entre le comte d’Agénois et la fille de la comtesse Jules de Polignac avait été amorcé, prétendait la petite gazette, par la comtesse de Maurepas dans l’intérêt de son neveu et de son mari.
—Mon fils est bien jeune, avait objecté le duc d’Aiguillon, mais la volonté de la reine sera la mienne.
En tout cas, remarquait le rédacteur de la feuille satirique, dont nous avons signalé déjà l’âpre hostilité contre le duc, le futur beau-père de Mˡˡᵉ de Polignac ne mettait pas beaucoup d’empressement à la prendre comme bru. C’était évidemment la tactique de ce soi-disant désabusé des ivresses du pouvoir, et c’était aussi un acte de soumission aux ordres de la reine, marque de déférence dont le bon apôtre pouvait espérer tirer quelque profit.
Les négociations se prolongèrent quelque temps encore, mais les ennemis de d’Aiguillon y coupèrent bientôt court en faisant agréer au roi le mariage de{318} Mˡˡᵉ de Polignac avec le comte de Gramont, fils du duc[514].
La comtesse de Maurepas, qui s’était vraisemblablement entremise pour son petit-neveu, ne se découragea pas: travailler pour le jeune d’Agénois, c’était travailler pour le duc d’Aiguillon. Elle fit tenter, par des tiers, une démarche à Marly auprès de Marie-Antoinette: le comte était en âge de se marier; mais il faudrait, pour favoriser cet établissement, que son père eût la liberté de reparaître à la Cour.
La reine manda immédiatement au château M. de Maurepas et lui déclara, en toute franchise, qu’elle ne saurait se rendre aux désirs de la comtesse. Elle ne voulait revoir de sa vie M. d’Aiguillon. Mais, en somme, le duc avait-il besoin «d’aller à la Cour» pour marier son fils? Ce n’était pas qu’elle eût la moindre prévention contre ce jeune homme: au contraire, elle l’accueillerait avec bienveillance, quand il lui serait présenté, ne voulant pas l’envelopper dans la disgrâce paternelle. En même temps Marie-Antoinette couvrait de fleurs Maurepas. Le ministre, dûment chapitré par sa femme, insistait dans l’intérêt de son neveu; mais il fut bien vite éconduit[515].
Le jeune coquebin était donc réservé à d’autres hyménées; mais il se souvint plus tard de la conférence et de bien d’autres humiliations qui devaient passer par-dessus la tête de son père pour l’atteindre.{319}
Illusions d’un ministre tombé: plan fantastique.—Le troisième mariage du maréchal de Richelieu: vengeance filiale.—L’année des évêques.—Oraison funèbre de Mᵐᵉ de Gisors et de M. de la Vallière.—Débuts dans le monde d’Armand, comte d’Agénois.—Félicitations réciproques de d’Aiguillon et de Balleroy.—La chasse aux pintades et la «Dédicace» de la comédie.—Nouvelle saison du duc à Bagnères: ses pertes énormes au reversi.—Nouveaux projets de mariage pour le comte d’Agénois.—Commérages mondains.
Il est certain qu’en 1779 un grand effort fut tenté pour enlever haut la main le rappel du duc d’Aiguillon à la Cour. La Correspondance de Mercy-Argenteau le dit assez; et nous en trouvons encore la preuve dans les Mémoires du ministère d’Aiguillon, qu’il faut évidemment consulter avec prudence, mais dont les assertions sont souvent corroborées par des documents officiels.
Un moment, le duc crut si fermement au succès qu’il envoya un courrier à son intendant pour lui réclamer dans le plus bref délai les fourrures de la duchesse et pour lui faire commander une provision de vin[516]. C’était toujours Maurepas qui dirigeait la manœuvre; mais les Mémoires ne parlent pas de sa femme; ils prétendent que l’unique Eminence grise du ministre est un conseiller de Grand’chambre, M. d’Amécourt, ami de{320} Mᵐᵉ de Forcalquier, «la seule des nombreuses maîtresses de d’Aiguillon à qui il ait accordé quelque confiance[517]».
Or, le retour de l’exilé était machiné comme un scénario de comédie: dialogue entre le roi, la reine et Maurepas; monologue de Louis XVI; puis scène finale consacrant l’abandon par Marie-Antoinette de ses préventions.
C’est bien imaginé comme fantaisie; mais, le plan d’un nouveau ministère pour 1780, consécutif à cette intrigue de théâtre et tel que l’exposent les Mémoires, se rapproche beaucoup plus de la vraisemblance. On dirait une réplique de la prétendue conversation qui s’était engagée entre Maurepas et son neveu, quand celui-ci avait dû quitter Paris après la revue du Trou-d’Enfer.
Aux termes de cette combinaison[518], d’Aiguillon était{321} rappelé au Conseil. Le neveu devenait alors le coadjuteur de l’oncle et «ferait tout», pendant que M. de Maurepas irait donner à manger à ses carpes. M. d’Aiguillon démontrerait au roi la nécessité d’étayer «la machine qui croule»; et le prince lui répondrait: Vous n’en aurez que plus de gloire; M. de Maurepas a fait ce qu’il a pu.
L’auteur du plan, après avoir jonglé avec toutes ces chimères, serre de plus près son argumentation. Il est hors de doute, dit-il, qu’avec les emprunts et le gaspillage dont souffre l’État, «le royaume va à sa ruine». Pourquoi la reine veut-elle écarter l’homme qui ferait succéder l’ordre à cette anarchie? Nul ne connaît mieux l’administration. Et quel autre ministre pourrait-on lui préférer? Le cardinal de Bernis? Il préfère rester à Rome. Choiseul? Il inspire au roi une antipathie dont ce prince ne reviendra jamais. Marie-Antoinette, au lieu de s’occuper d’affaires, serait chargée du «département des beaux-arts et des bonnes œuvres»... Que la reine fasse terminer le Louvre; qu’on y trouve un Muséum préférable à ceux d’Italie. Les tableaux sont «cubiquement empilés» dans le dépôt de Versailles; et les marines de Vernet deviennent la proie des rats dans les combles du Luxembourg[519].
Or, Marie-Antoinette, que sa mère tenait toujours en haleine par l’intermédiaire de Mercy-Argenteau, n’était pas femme à se désintéresser de la marche des affaires. Et ses entours ne l’eussent pas permis. Elle avait signifié catégoriquement à Maurepas qu’elle ne{322} voudrait voir de sa vie M. d’Aiguillon. Il était donc impossible de lui imposer la présence du «coadjuteur», ce personnage providentiel qui allait «tout remettre en état».
Celui-ci dut être avisé confidentiellement de l’échec d’une manœuvre qu’il était censé ignorer. En tout cas, pour ne pas démentir l’apparente fermeté de son attitude, et surtout pour obéir à un sentiment de bouderie difficilement avouable, d’Aiguillon s’obstina à passer encore près de trois années loin de Paris, dans un séjour que d’ailleurs l’ingéniosité de sa femme rendait chaque jour plus vivant, plus animé, plus délectable.
«... Nos santés, écrit la duchesse, vont assez joliment dans ce moment; et nous ne sommes occupés que de bals, de comédies. Hier, il y a eu bal; aujourd’hui on joue la Métromanie, suivie de la Servante justifiée[520] et d’un ballet-bouffon de la composition de mon fils, demain bal et après souper[521].»
Un événement mondain, s’il en fut, vint apporter un nouvel aliment, mais... des plus légers, à la conversation des hôtes du château: le mariage du maréchal de Richelieu (c’était le troisième) avec une jeune veuve, Mᵐᵉ de Roothe: le vieux galantin avait quatre-vingt-deux ans; mais il avait toujours de la vaillance. La légende veut qu’étant rentré à son hôtel après la bénédiction nuptiale, pour changer de vêtements, il ait jeté son cordon bleu sur le lit de grand apparat et dit à son valet de chambre:{323}
—Va, le Saint-Esprit fera le reste.
Mᵐᵉ d’Aiguillon ne semble pas très édifiée de cet appétit sénile: «Le mariage de M. de Richelieu m’a surpris, comme vous pouvez bien le croire; je suis fort aise qu’il ait bien pris dans le monde; je vous avoue que je craignais le contraire; je fais des vœux pour que le parti violent qu’il prend serve à faire le bonheur de ses dernières années[522]».
Le duc, lui, plaint Fronsac «qui paiera chèrement le plaisir de son père de jouir pendant quelques années d’une compagne aimable et de vivre en meilleure compagnie[523]».
Le malin vieillard avait cru faire pièce à son misérable fils; mais celui-ci se vengea odieusement, le Saint-Esprit ayant opéré contre toute attente; il soudoya une femme de chambre de la maréchale qui lui fit absorber, sans qu’elle s’en doutât, une boisson abortive[524].
Richelieu ne connaissait plus d’obstacles: à l’exemple des jeunes maris, très fiers de montrer partout leur femme, il voulut promener la sienne dans son gouvernement; et la duchesse blâme cette nouvelle crânerie: «Je pense sur le voyage de M. de Richelieu tout comme Madame la maréchale; et je crois qu’un aussi grand voyage entrepris à son âge et pour un sujet tel que celui d’une nouvelle salle[525] peut paraître étrange. Je crois aussi que, vu les circonstances, il{324} éprouvera à Bordeaux des désagréments de la part du Parlement et nommément du premier président avec lequel il est brouillé... Si quelqu’un peut le faire changer d’avis, ce ne peut être que Madame la maréchale qui a du crédit sur son esprit et qui le voit journellement».
La duchesse est trop loin pour lui adresser des observations qui aient quelques chances de succès. D’ailleurs il est fermement résolu à entreprendre son voyage puisqu’il vient d’informer M. d’Aiguillon de son itinéraire: il passera par Lyon où «il a demandé un logement à Flesselles», prendra le chemin du Languedoc pour s’arrêter à Aiguillon et, de là, se rendre à Bordeaux[526].
Cependant la duchesse s’est fait un cas de conscience d’écrire à son cousin: «... Je n’espère pas qu’il se rende à mes représentations, puisqu’il a résisté à celles de sa femme, qui a plus d’empire que moi sur son esprit». Mais, s’il y persiste, «il ne prendra pas sa route par le Languedoc... parce que nous irons le joindre à Fronsac, pour lui éviter la peine de venir ici...[527]»
Autrement, le maréchal eût trouvé au château d’Aiguillon nombreuse et brillante compagnie: les invités que nous connaissons déjà, puis le comte de Chabrillan «gras comme un moine et frais comme une rose», et l’évêque de Bayeux «bon et honnête homme» depuis longtemps attendu[528].
Car cette année aurait pu s’appeler l’année des{325} évêques: les châtelains en reçurent plusieurs. Le duc avait su conserver la dilection du clergé qui l’avait toujours considéré, et pour ses attaches avec le Dauphin, père de Louis XVI, et pour les outrages dont l’abreuvaient toujours parlementaires et philosophes, comme un des plus solides défenseurs de l’Église.
C’étaient encore, parmi les prélats si bien accueillis à la petite Cour de l’ancien ministre: l’évêque de Vendôme qui aura, l’an prochain, la visite des amphytrions quand ils iront en Touraine[529]; l’évêque de Condom, «tout triomphant d’avoir gagné son procès», qui les attend à sa maison de campagne[530]; Monsieur de Verdun «qui mange et boit comme de coutume[531]» et qui doit être, avec Mᵐᵉ d’Aiguillon marraine, le «parrain» pour le mariage de la fille d’un métayer: «Vous voyez Monsieur le chevalier, que ni les changements de ministres, ni les nouvelles publiques ne nous dérangent de nos occupations champêtres[532]».
Ce qui n’empêche pas la bonne duchesse de gloser tout à son aise sur les nouvelles qui lui parviennent et dont Balleroy est assurément avisé: telles la mort de Mᵐᵉ de Gisors et de M. de la Vallière: «la première mérite les regrets de ceux qui l’ont connue; car, quoique dévote et sévère, elle était on ne peut pas plus vraie: je n’ai jamais, dans aucun temps, ni circonstance, eu qu’à me louer d’elle. Quant au deuxième, il sera oublié aisément, à moins que l’on ne regrette un tripot de jeu de plus dans Paris[533]».{326}
En ce moment, une grave question préoccupait chez Mᵐᵉ d’Aiguillon, et la mère, et la grande dame: les débuts de son fils. Armand, comte d’Agénois, était entré dans sa vingtième année: si le père ne le trouvait pas suffisamment dégourdi, la mère signalait en lui une âme d’artiste. Mais, jadis, l’éducation d’un jeune gentilhomme exigeait des connaissances un peu plus étendues; et l’avenir d’un futur d’Aiguillon ne pouvait se borner à l’horizon trop restreint des collines de l’Agénois. Quatre années auparavant, au plus fort de la disgrâce, l’intermédiaire inconnu, de qui nous avons cité la longue et curieuse lettre, y mettait ce post-scriptum: «J’avais oublié de vous dire que M. de Maurepas m’avait beaucoup parlé de M. d’Agénois: il me dit que votre intention était de rester à Aiguillon; mais sans doute vous ne garderiez pas toujours cet enfant auprès de vous». L’invite était évidente. Nous ne voyons pas que les parents l’aient relevée.[534]
Mais, dès le commencement de l’année 1780, le duc avait obtenu pour son fils la survivance des chevau-légers[535]. Et, probablement, Maurepas, qui avait gardé dans sa mémoire les promesses de la reine à l’adresse du jeune d’Agénois, dut insister auprès de son neveu et de sa nièce pour que leur fils fût présenté à la Cour[536].{327} C’eût été folie que de bouder encore pour le compte et au détriment de M. d’Agénois. La grand’tante dut évidemment le recevoir à Pontchartrain, l’interroger et commencer son éducation de courtisan. Peut-être revivrait-elle un jour dans la personne de ce dernier descendant mâle des La Vrillière et des Plélo. Et sans doute le débutant répondit aux espérances de Mᵐᵉ de Maurepas, car sa mère le laisse entendre à Balleroy, mais sur un ton aigre-doux, qui reflète l’arrière-pensée, amère et revêche, du politicien évincé: «On lui (à son fils) a su gré de n’être pas de la plus grande maussaderie... On s’imaginait qu’un homme de son âge qui, depuis cinq ans, était dans le fond d’une province, devait être une espèce de petit sauvage... Et ma tante m’a mandé sérieusement que ce qui l’avait le plus surpris, c’est qu’il était très bien élevé. Elle avait oublié sûrement qu’il l’avait été par son père, qui a bien autant qu’un autre ce qu’il faut pour cela[537]».
De son côté le duc avait répondu aux félicitations de Balleroy pour la survivance, par des compliments qui visaient le nouveau grade acquis par le chevalier: cette distinction autorisait le bénéficiaire à postuler un gouvernement ou tout au moins une «grâce pécuniaire». Mais d’Aiguillon eût regretté de le voir partir pour «les guerres d’outre-mer». Décidément, il n’était pas «Américain», ainsi qu’on appelait alors les amis des «insurgents»[538]. Vers la fin de l’année, il reparlait à Balleroy de son différend, qui n’était pas encore terminé, avec le duc de Fitz-James, et témoignait son{328} mécontentement de «la plate et indécente contestation» qui lui était opposée. Ce n’était pas pour réclamer l’intervention du chevalier (il ne demandait peut-être pas autre chose) mais pour que son porte-parole fût édifié sur la conduite de Fitz-James[539].
Afin de n’en pas perdre l’habitude, la duchesse continue à entretenir son correspondant de ces menus détails, petites anecdotes et grands embellissements, qui furent de tout temps l’accompagnement obligé de la vie de château.
A quelques «chiffonnages près», M. d’Aiguillon va bien; quant à elle, «on dira bientôt, comme la princesse de Talmont, qu’elle a une santé ignoble[540]». Plus tard, le duc se trouvera pris d’une «forte fonte de cerveau». Aussi a-t-il «une grande et grosse perruque à trois marteaux qui lui fait la tête la plus ridicule. Comme elle est pareille à celle de M. de la Vrillière, je prétends que c’est un effet de sa succession qu’il s’est approprié. Comme il en est presque quitte, il nous flatte de reprendre bientôt ses cheveux à l’ordinaire».
Innocente plaisanterie digne d’inspirer un livret d’opéra-bouffe dans le genre de ceux qu’élaborait le jeune M. d’Agénois!
Entre temps, Mᵐᵉ d’Aiguillon pensait au plaisir favori du chevalier: «Quand vous viendrez, je vous ménage une chasse fort agréable, c’est la chasse aux pintades; j’en ai 80 lâchées et nées dans les îles, qui, l’année{329} prochaine, peupleront même beaucoup et se reproduiront partout. On les chasse comme des perdrix; et elles deviennent sauvages très aisément. Ces 80 là sont les produits de 8 paires... C’est fort joli à voir; elles vont par petites troupes de 8 à 10...»
Les travaux d’agrandissement et d’amélioration se poursuivaient, à peine interrompus par la pluie: des constructions nouvelles s’élevaient: «on commence les communs, on achève la Comédie[541]».
La Comédie! c’était la grande affaire. La duchesse avait trouvé pour son mari la distraction par excellence:
«Je suis, en ce moment, écrit le duc, très occupé de ma salle de spectacle, dont nous devons faire l’ouverture le 31. Elle est réellement très belle: et je suis persuadé qu’elle aura le succès le plus complet et que vous en serez content, lorsque vous la verrez: ce qui ne sera jamais aussi tôt que je le désire[542].»
On devait l’inaugurer par le Joueur et le Babillard[543]. Mais cette «dédicace[544]», comme l’appelle Mᵐᵉ d’Aiguillon, fut reculée jusqu’au milieu de janvier. Le même mois, le second spectacle se composa de la Métromanie et des Chasseurs et la Laitière[545]. La duchesse répète le mot de son mari: «Vous serez content de la salle: elle est belle et dans le genre{330} noble». Le duc y revient pour la troisième fois: «Notre nouvelle salle de spectacle a eu le plus grand succès. Elle fait l’admiration de toute la province. Elle est effectivement belle, agréable et commode. Il est vrai qu’elle m’a coûté un peu cher, mais elle est payée et je n’y pense plus[546]». Et, à propos de tous ces divertissements, comédies, concerts, bals, qui se succèdent au château, le maître du logis a un de ces mots topiques où perce la mélancolie de l’ambitieux rêvant d’autres plaisirs et d’autres jouissances: «Mon fils se croit au comble du bonheur et n’imagine pas qu’on puisse être plus heureux qu’il l’est». Mais si, doit penser intérieurement le père, quand on détient seul le pouvoir.
Le théâtre vient de fermer sur une «superbe» représentation: celle de Mazet et des Vacances du procureur, suivie d’un non moins «superbe» ballet. Et la duchesse annonce une grande nouvelle à Balleroy: elle se décide à faire le voyage de Paris avec son fils en avril ou en mai. Or, comme elle tient à voir le chevalier pendant le mois qu’elle doit rester dans la capitale, elle le prie d’ajourner à l’automne sa villégiature d’Aiguillon: «il verra ainsi les vendanges, chassera les petits oiseaux et les pintades; elle mandera tous les lièvres du pays; et c’est à Aiguillon la plus belle saison du monde[547]».
Puis elle passe à d’autres sujets, continuant la conversation avec sa verve ordinaire, à bâtons rompus et{331} sur ce ton de franchise dont elle ne saurait se départir.
«... Je trouve que le Parlement s’est éveillé un peu tard sur le danger des jeux de hasard: il serait à souhaiter pour le bien des familles qu’ils y eussent pensé plus tôt; mais c’est le cas de dire qu’il vaut mieux tard que jamais. Il y a longtemps que M. de Genlis tenait tripot. Quant aux ambassadeurs, je doute qu’il soit du droit des gens de leur en laisser tenir: ce droit me semble bien dangereux[548].
... Peu m’importe qui commande l’escadre, pourvu qu’il fasse bien; et je doute qu’il y en ait un de meilleur que M. d’Estaing[549].»
Mᵐᵉ d’Aiguillon avait, avant tout, les sentiments d’un «citoyen», comme on disait alors: «... Je désire que les changements qu’il y a eu et que l’on dit qu’il y aura encore dans le ministère soient pour le mieux. Je ne prends intérêt, comme bien vous savez, ni aux partants, ni aux arrivants, ni même aux demeurants: je ne souhaite que la prospérité et le bien de l’État[550].»
L’imprévu et le pittoresque sont le charme de cette correspondance écrite à la diable: «Vous vous trompez, monsieur le chevalier, en disant que le maréchal de Tonnerre n’a pas de maladie: il en a une incurable{332} qui est quatre-vingt-quatorze ans. Je ne me soucie pas d’aller à cet âge; mais je souhaite que certain Lorrain, de vos amis, y parvienne. Il en prend le chemin. Adieu, monsieur le chevalier; c’est au milieu de douze ou quinze vases, ou pots de fleurs, que je vous assure de la sincérité, etc...[551]»
Le duc est plus posé, plus compassé, plus solennel. Il n’a pas encore dépouillé complètement le vieil homme, nous voulons dire le ministre. Reparlant de son différend avec M. de Fitz-James, il informe Balleroy que le duc a reconnu «l’absurdité des prétentions de son fils et l’indécence des procédés de son homme d’affaires»; et le conflit s’est terminé par un échange de «mots d’honnêtetés[552]».
Mais l’heure du départ a sonné pour les deux voyageurs; et la duchesse l’annonce, le 20 avril, au chevalier qui est de passage à Paris. Elle le prie, en conséquence, d’aller faire un tour à l’hôtel de la rue de l’Université et de l’informer si la maison est en état de la recevoir.
Quand la mère et le fils furent partis, le duc, qui était malade, se rendit, de son côté, sur les conseils de son médecin, à Bagnères. Le temps était si mauvais qu’il ne pouvait se promener; il s’en consolait au reversi, où il «perdait régulièrement 17 ou 18 sols, ce qui est énorme[553]». Le déplacement de sa femme avait pour but l’établissement d’Armand, comte d’Agénois. Un billet du père au chevalier énumérait les alliances qui lui semblaient sortables pour son fils:{333}
«Nous serions fort aises d’avoir Mˡˡᵉ d’Havré; et c’est de tous les partis auxquels nous avons songé celui qui nous conviendrait le mieux à tous égards. On a déjà fait quelques ouvertures à ce sujet, mais on a demandé du temps pour une réponse positive. Je ne suis pas également tenté de Mˡˡᵉ d’Harcourt à cause des ridicules de caractère et de figure de la grand’mère et de son fanatisme pour M. de Choiseul et de la passion effrénée du père pour le jeu. Vous raisonnerez de tout cela avec Mᵐᵉ d’Aiguillon; et nous en parlerons quand vous serez ici[554].»
Déjà, le 25 février, le duc, à l’exemple de sa femme, avait prié Balleroy qui voulait, très affectueusement, l’accompagner à Bagnères, de remettre sa visite au mois de juillet; c’était le moment où «la brillante et bruyante compagnie» affluait au château. Et Mᵐᵉ d’Aiguillon serait de retour.
Elle revint, en effet, avec son fils, sans avoir atteint le but que s’était proposé son mari. Mais cet échec ne l’avait pas autrement attristée: car elle écrivait au chevalier qui n’avait pu assister aux vendanges d’Aiguillon: «Nous faisons la cérémonie du baptême de la cloche de l’hôpital; et Mˡˡᵉ Massac, que vous connaissez bien, a invité tout ce qu’elle a pu trouver; nous y allons en grand in fiocchi; et la curiosité est grande et l’église petite[555]».
L’entrain de la femme finit par gagner le mari; et ce sera aux dépens de ses hôtes, que le châtelain se mettra en gaîté: «Le comte de Chabrillan paraît{334} enchanté de la réception que les carabiniers[556] lui ont faite. Il n’a jamais vu un corps aussi bien composé en officiers, hommes et chevaux; mais, comme il n’est jamais parfaitement content, il se désespère de ne pouvoir le mener à la guerre et gagner à sa tête le bâton (de maréchal).»
Autre portrait... «Mᵐᵉ de Sérignac est arrivée ici pendant que nous étions chez l’évêque de Condom; et nous l’y avons trouvée établie. Elle m’a paru très enlaidie, ce que je ne croyais pas possible, mais du reste la même qu’elle était et nullement embarrassée avec nous. Son mari qui l’était venue chercher à Nérac et n’a pu parvenir jusqu’ici faute de chemise, l’a obligée de nous quitter plus tôt qu’elle ne l’avait projeté, mais elle nous a annoncé qu’elle reviendrait, dès qu’elle aurait rempli le devoir conjugal et satisfait les désirs violents de son cher époux[557].» Or, la dame ne revint pas: peut-être avait-elle été piquée des épigrammes de la galerie; mais le duc se consola de «ses rigueurs», le château étant abondamment pourvu de «filles et de femmes[558]».
La duchesse était déjà repartie, depuis un mois, avec son fils, pour Paris. Le duc, qui en informait Balleroy, ajoutait que leur séjour ne s’y prolongerait pas, «Mᵐᵉ de Maurepas ayant sa société qui lui per{335}met de ne pas avoir besoin de ses proches[559]». Au reste, disait le duc dans une autre lettre «ce voyage avait déplu à Mᵐᵉ d’Aiguillon autant qu’à moi, mais elle ne pouvait s’en dispenser[560]».
Toujours cachottier et mystérieux, suivant son habitude, le correspondant de Balleroy ne donnait pas la moindre explication sur ce nouveau voyage, entrepris presque au commencement de l’hiver. S’agissait-il d’autres partis pour le comte d’Agénois? Ou les négociations précédentes avaient-elles repris faveur? Mᵐᵉ de Maurepas, toujours si dévouée aux intérêts de d’Aiguillon, avait-elle mal secondé ces projets d’union? En un mot, quels sujets de mécontentement le neveu pouvait-il avoir contre sa tante pour manifester à son égard autant d’aigreur? Et n’était-ce pas, de la part de l’exilé volontaire, la dernière des maladresses, à ce moment même où le vieux Maurepas disparaissait pour toujours?
En effet le premier ministre de Louis XVI mourait à Versailles, le 21 novembre 1781[561]. Quand le duc d’Estissac, ami du défunt, vint annoncer au roi, avec des larmes dans les yeux, le décès de Maurepas: «Si vous faites une grande perte, lui dit Louis XVI, j’en fais, moi, une bien plus grande». Mais l’influence de la comtesse, toujours si considérable auprès du roi, ne pouvait-elle survivre à l’homme d’Etat?{336}
Déjà, une année auparavant[562], et quelques jours après la mort de Marie-Thérèse[563], Mercy avait envisagé l’éventualité de celle de Maurepas et s’était préoccupé des candidats à une succession qui n’était pas encore ouverte. De sa propre autorité, il avait pressenti Marie-Antoinette à cet égard; et la princesse avait prié l’ambassadeur de lui chercher «un sujet qui lui convînt ainsi qu’à la chose... Je ne pourrais mieux m’en rapporter qu’à vous, lui disait-elle...». Proposition illusoire! gémit Mercy-Argenteau qui se défend d’accepter une telle responsabilité. «Sans cesse excité par la reine à lui dire ce qu’il pense, il est perpétuellement déjoué par des alentours que le goût immodéré de la dissipation rend nécessaires et qui par leurs importunités obtiennent les choses les plus absurdes... Timide et incertaine dans ses démarches», quand elle est livrée à elle-même, Marie-Antoinette devient entreprenante et active..., dès qu’elle est obsédée par sa société perfide et intrigante...»
Ce diplomate, qu’une pénible expérience a rendu enfin clairvoyant et sage, est las d’une telle mobilité d’esprit qui tourne à l’incohérence: peut-être même a-t-il constaté que cette prétendue franchise, après tant de crises d’étourderie, masque une certaine dissimulation; et, dans son découragement, il laisse entendre à son ministre qu’il serait bien aise d’être remplacé.{337}
Quant à d’Aiguillon, toujours terré dans son domaine, il ne semble pas avoir regretté outre mesure son cher oncle, puisqu’il nous apparaît de si belle humeur, au milieu de cette foule de «filles et de femmes» qui le charment de leur présence.{338}
Une «crillonnade».—La requête de «monsieur Lustucru».—Voyages à Paris de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Mission infructueuse de Balleroy auprès de Mᵐᵉ de Maurepas.—Entrée sensationnelle à Paris.—Les Espagnols devant Gibraltar.—Les travaux de Cherbourg.—Mᵐᵉ d’Aiguillon, la politique et les voleurs.—Une créance sur Mᵐᵉ Du Barry.—Mariage du duc d’Agénois avec Mˡˡᵉ de Navailles.—La petite vérole de Mᵐᵉ d’Agénois et les perdreaux de Ruel.—«Laïus est mort».—Le procès Linguet.—Morts successives du duc de Richelieu et d’Aiguillon.—Mercier devant les caveaux de la Sorbonne.
A partir de 1782, la correspondance entre Balleroy et ses illustres amis devient plus rare. Le chevalier n’en reste pas moins l’«attentif» aux petits soins pour la duchesse, et l’homme de confiance de son ancien chef. Il en est toujours récompensé par les compliments les plus flatteurs, les billets les plus aimables, les invitations les plus pressantes aux tirés du domaine d’Aiguillon.
Mais la duchesse est le plus souvent maintenant à Paris: il faut bien produire M. d’Agénois et ne pas négliger Mᵐᵉ de Maurepas. Et le duc, toujours mécontent et boudeur, sans vouloir le paraître, n’écrit que de loin en loin, soit pour se plaindre de sa tante, soit pour jouer au propriétaire surmené de besogne.
Mᵐᵉ d’Aiguillon était rentrée au mois de janvier. Elle dit à Balleroy tout son bonheur de revoir son{339} époux et de partager avec lui les devoirs de l’hospitalité. Ils ont en ce moment les évêques d’Agen, de Condom et de Couseran—la province mitrée—; et pour les divertir, ils leur donneront les Caquets et le Devin de village[564]. Il était alors très bien reçu qu’on offrît à des prélats, sur un théâtre de société, la représentation de telle ou telle pièce en vogue. Beaumarchais, quand il protesta, vers la même époque, contre l’interdiction de son Figaro, disait qu’il l’avait fait jouer devant une «assemblée de prélats» qui en avait félicité l’auteur.
Avant son départ pour Paris, Mᵐᵉ d’Aiguillon commente, suivant son habitude, une nouvelle qui lui arrive de la capitale et qui a trait à la guerre maritime engagée entre la France et l’Angleterre: «Il est certain, monsieur le chevalier, que le général Crillon nous a donné là une très bonne crillonnade et que, dans le temps qu’il n’était connu que pour cet amphigouri, on ne se serait pas douté qu’il dût si bien faire parler de lui. Je souhaite qu’il réussisse aussi bien à Gibraltar, si on l’y envoie...» Elle croyait d’ailleurs à une paix prochaine; et, après avoir rappelé tous les services rendus à l’Etat par son mari, annoncé l’affluence des habitués au château, elle terminait sur cette petite phrase: «Monsieur Lustucru, de grognante et de gourmande mémoire, vous présente requête pour lui apporter une provision de gimblettes et de croquignoles[565]».{340}
M. le chevalier disait connaître son Molière et pratiquer le fameux vers
Quinze jours après, le duc lui écrivait pour l’instruire de la gravité de ses occupations: les solliciteurs étaient si nombreux qu’il se voyait obligé de sérier, comme on dit aujourd’hui, ses invitations: nous relevons, entre autres noms, sur sa liste, ceux de Coniac, Saint-Aignan, d’Esterno, Tinténiac, beaucoup de noblesse de Bretagne[566], l’ancien «bailliage d’Aiguillon».
Depuis le retour de sa femme au château—sans doute au printemps—le duc, visiblement tourmenté par les nouvelles qu’elle avait rapportées de Paris, avait chargé son confident d’une mission délicate auprès de Mᵐᵉ de Maurepas. La «négociation» avait été «malheureuse»; il n’en remerciait pas moins le négociateur: «Il est bien difficile, concluait d’Aiguillon, de persuader à des gens de leur âge, prévenus, opiniâtres et accoutumés au despotisme le plus absolu dans leurs famille et société, qu’ils ont tort». L’autoritarisme de Mᵐᵉ de Maurepas s’expliquait, étant donnée l’influence qu’elle avait toujours exercée sur l’esprit de son époux.
Il s’agissait, ainsi que le laisse comprendre la lettre de d’Aiguillon, d’affaires d’intérêt; et les vieillards, même ceux qui ont, comme Mᵐᵉ de Maurepas, des trésors de tendresse pour leurs neveux, sont bien souvent intraitables sur les questions pécuniaires. Mais{341} Mᵐᵉ d’Aiguillon, quand elle serait auprès de sa tante, reprendrait la conversation et saurait quelles étaient les exigences et les appréhensions de la vieille dame, «pourvu que celle-ci en parlât préalablement à M. Amelot[567]».
Ce fut à cette époque que «Mᵐᵉˢ Du Barry» furent reçues au château. Mᵐᵉ d’Aiguillon y signale simplement leur présence, à propos d’un dîner donné pour l’évêque d’Agen[568]. Et quelques jours après, elle annonce au chevalier son départ, le 17 ou le 18, «si elle n’a la maladie à la mode (la grippe)», pour arriver à Paris le 22 ou le 23. Elle demande en même temps: «Que dites-vous de la prise de Gibraltar? Il faut convenir que M. de Crillon a eu une heureuse étoile[569]!» Une étoile bientôt éteinte! La nouvelle était fausse.
Mais voici la duchesse aux portes de la «bonne ville». Son entrée ne laisse pas que d’y faire sensation:
«Il n’y a que moi, je crois, qui arrive de 200 lieues, à pied, à Paris. C’est exactement ainsi que j’ai fait mon entrée. Une des petites roues a cassé net à Bourg-la-Reine, à cinq heures du matin, par un très vilain temps. Je n’en suis pas moins partie...»
Vainement elle cherche un fiacre... déjà à cette{342} époque!... Mais elle continue son chemin: «A huit heures, nous sommes arrivés avec mon fils, M. d’Abrieu, Mˡˡᵉ Delong (sans doute une femme de charge), mes chiens et moi, à la barrière où je harangue le commis de l’octroi pour qu’il n’arrêtât pas ma voiture. Il m’a d’abord pris pour fort mauvaise compagnie»; et l’éloquence de la voyageuse eût été sans doute en pure perte sans la croix du chevalier d’Abrieu et l’uniforme du comte d’Agénois.
Mᵐᵉ d’Aiguillon écrit du jardin de Madrid où demeure sa tante: «Nous avons tous les soirs, et même à dîner, les courtisans désœuvrés de la Muette[570]». Elle annonce le bruit du jour, la banqueroute du prince de Guéméné: «On dit qu’il emporte 28[571] millions. La maison de Rohan a toujours voulu trancher du souverain; dans cette occasion, ce n’est pas du bon côté; elle et les siens y sont pour la forte somme[572].»
Elle est retournée à Paris, dans son hôtel, d’où elle{343} écrit à Balleroy que le démon de la chasse entraîne un peu partout: «J’ai voulu, monsieur le chevalier, vous laisser le temps de détruire tout le gibier de la terre où vous êtes, pour ne prendre pour vous écrire que le moment où je vous crois fatigué de carnage. Ne les tuez pas tous; laissez-en pour renouveler vos plaisirs pour l’année qui vient». Et, sans plus de préambule, la narratrice défile son chapelet de nouvelles: «On vous a mandé que les Espagnols avaient pris ce généreux parti vis-à-vis les Anglais; ils les ont laissé passer tranquilles, à leur barbe, jeter neuf vaisseaux dans le port de Gibraltar, faire une promenade dans la Méditerranée[573]». Elle note les impressions de la population parisienne en présence d’une campagne menée avec autant d’incapacité et d’inertie, et passe, sans autre transition, à des affaires d’ordre privé. Malgré les «mots d’honnêteté» échangés entre M. d’Aiguillon et M. de Fitz-James, celui-ci est encore à payer les dettes de son fils. Puis la duchesse parle théâtre: «Les nouvelles des spectacles, dont vous jugez bien que je suis plus instruite par mon fils que par moi, sont qu’il y a eu hier aux Italiens deux pièces nouvelles, que toutes deux sont tombées à plat, avec justice, ce dit-on[574]».
La correspondance de 1783 est en déficit. Celle de 1784 se réduit à trois lettres. Mais nous y découvrons cet intéressant détail que le duc d’Aiguillon a renoncé enfin à son splendide isolement. Il est revenu à Paris;{344} et il en écrit au chevalier qui, lui, n’y est plus: «Le duc d’Harcourt (gouverneur de la Normandie) mettra sûrement du zèle, de l’activité et de l’économie dans la direction des travaux de Cherbourg; mais, à en croire la marine, la réussite est physiquement impossible; et tout l’argent qu’on y emploiera est inutilement perdu; je souhaite qu’ils se trompent et ce ne sera pas la première fois[575]». D’Aiguillon voyait encore Mᵐᵉ de Maurepas; car il dit l’avoir ramenée de la Comédie à sa maison de Madrid.
Le chevalier était sans doute à Balleroy, dans le château ancestral; car Mᵐᵉ d’Aiguillon lui écrit sur le ton moqueur qui lui est propre: «Votre province est dans ce moment favorisée du ciel, puisqu’elle possède Mᵐᵉ de Flamarens et tous ses charmes, Mᵐᵉ Seguin (?) et toutes ses grâces, Mᵍʳ l’archevêque de Bourges et toute sa sueur[576]».
Vers la fin de l’année, elle se décide à faire le voyage de Ruel, une terre qu’elle n’aime pourtant pas, disait jadis la grosse duchesse. Elle y va «prendre des alignements pour des plantations». Les promenades sont belles et le parc regorge de lapins (ceci à l’intention du chevalier), et brusquement: «Je ne vous parlerai pas politique, 1º parce que je n’y entends rien, 2º parce que cela m’ennuie. Je ne vous parlerai pas plus de voleurs, quoiqu’on en raconte de superbes histoires[577]».{345}
Par une coïncidence assez curieuse, Mᵐᵉ Du Barry, qui avait précisément passé à Ruel les premières heures de sa déchéance, réglait, dans cette même année 1784, ses comptes avec M. d’Aiguillon. Le roi venait de rembourser les millions qui étaient dus à l’ancienne maîtresse de Louis XV. Mᵐᵉ Du Barry paya donc au duc 227.000 livres qu’il lui avait prêtés sous le nom de Binet de Beaupré. Il avait même fait opposition pour le montant de cette somme sur toutes les valeurs appartenant à l’ex-favorite. Et M. Vatel en déduit cette assertion, un peu aventurée, que si M. d’Aiguillon avait été réellement l’amant de la Du Barry, il n’aurait pas exercé une aussi rigoureuse répétition[578].
Le dossier Balleroy ne contient également, pour l’année 1785, que trois lettres des d’Aiguillon; et ce sont les dernières. Elles nous apprennent un nouvel événement survenu dans la famille, événement qui lui permet d’espérer qu’elle ne s’éteindra pas du côté mâle: le duc d’Agénois[579] s’est marié avec Mˡˡᵉ de Navailles. Mais le jeune ménage a cependant éprouvé une déception: «Mᵐᵉ d’Agénois n’est plus grosse: elle en a pris tout de suite son parti». Son médecin l’a trouvée en bon état. «En conséquence, elle a été inoculée[580] hier matin. Elle est établie au Gros-Cail{346}lou. M. d’Aiguillon y passe toutes les journées; et son mari est établi avec elle: elle est très contente et jamais il n’y a eu un tel zèle... Je l’ai vu partir (sans doute de l’hôtel d’Aiguillon) avec attendrissement, mais je me suis bien gardée de le faire paraître[581]».
A son tour, le duc tient son ami au courant de la santé de sa bru, dont il estime que «le caractère s’est un peu plus développé». Veut-il dire (car c’est toujours le même homme de qui l’allure, le geste et la parole sont volontiers énigmatiques), veut-il dire que la nouvelle duchesse d’Agénois est moins sotte?... En tout cas l’inoculation a réussi: la jeune femme ne sera pas marquée. Mais il a eu encore d’autres tracasseries: le procès des Langeac (les bâtards de La Vrillière) sera prochainement jugé; la santé de Mᵐᵉ de Maurepas est dérangée et il part pour Madrid. Puis il tympanise le beau-père de son fils. Comme il attend Balleroy pour chasser les perdreaux de Ruel, il tâchera de les lui conserver «contre la rage de M. de Navailles qui, entre mille prétentions, a celle d’être un grand chasseur: il n’a pas celle d’être un bon père, à peine a-t-il vu sa fille dans sa maladie quoiqu’il dise l’aimer à la folie[582].»
Mᵐᵉ d’Aiguillon était restée depuis quelque temps à Madrid auprès de sa tante. Elle n’en est pas moins à l’affût des nouvelles et fait part au chevalier de son butin:
«Je ne vous parle pas seulement de la mort de notre voisin de Touraine[583]:
Vous savez que c’est M. Du Châtelet qui est exécuteur testamentaire. S’il trouve moyen de payer ses dettes[584], je le tiens bien habile.
On dit qu’elles iront à huit millions...
La reine vient mardi à Paris et doit aller à l’Opéra et le soir voir les illuminations[585]. Vous ne serez pas fâché d’apprendre que l’ambassadeur d’Espagne tira hier un feu d’artifice sur le toit de sa maison, ce qui effraya un peu ses voisins, surtout M. de la Reynière[586].»
Ainsi l’adversaire acharné, l’ennemi implacable du duc d’Aiguillon, Choiseul, qui, renversé par lui, avait réussi à l’abattre à son tour, était mort, sans avoir pu remonter au pouvoir, malgré l’appui, non dissimulé, de Marie-Antoinette. C’est qu’il était aussi odieux au roi que d’Aiguillon l’était à la reine. Non pas que Louis XVI ait jamais partagé contre Choiseul la prévention de certain parti qui le représentait, suivant une note de Soulavie[587], comme l’e.d.s.p., (l’Empoi{348}sonneur de son père), c’est-à-dire du Dauphin, fils de Louis XV. Le roi, très dévot, éduqué par M. de la Vauguyon[588] et Mesdames, ne pardonnait pas à Choiseul d’avoir été l’amant de la Pompadour, de même que son vrai grief contre d’Aiguillon était la liaison du ministre avec la Du Barry.
Le duc retourna-t-il jamais dans ce domaine qu’il avait habité pendant près de huit années consécutives, qu’il avait amélioré, embelli et qui, grâce à l’habile gestion d’une femme d’un dévouement infatigable, lui avait permis de tenir une petite cour, moins brillante, il est vrai, que celle de Choiseul, mais digne de son nom et de sa maison?
Nous ne voyons nulle part qu’il ait repris le chemin d’Aiguillon. Et il n’en eut certes pas la pensée. Il était maintenant à Paris et l’espoir lui était revenu en y fixant désormais ses pénates. Pourquoi ne serait-il pas plus heureux que Choiseul, maintenant surtout que ce formidable adversaire avait disparu?
Tombé du pouvoir, l’ambitieux, fût-il doué d’une perspicacité géniale, s’illusionne toujours plus que personne. Il ne tient compte ni des leçons du passé, ni des contingences futures. Il se croit victime des injustices humaines, mais trop indispensable à la marche des affaires pour ne pas obtenir un jour ou l’autre une éclatante réparation. D’Aiguillon n’avait-il pas, dans sa propre famille, un exemple de ces retours inespérés de la fortune? Maurepas, son oncle, après une disgrâce qui avait duré plus d’un quart de siècle, n’était-il pas mort, les mains au gouvernail?{349}
La vie que traîna désormais d’Aiguillon, toujours malade, soit à Paris, soit à Ruel, n’a pas assez occupé l’Histoire, pour qu’elle ait gardé les moindres traces des faits et gestes du politicien déchu, pendant les trois ou quatre années qui précédèrent sa mort. Les Mémoires du temps citent à peine son nom: encore cet éphémère souvenir n’est-il qu’un vague écho de l’interminable procès que soutenait le duc contre Linguet. L’attitude du grand seigneur vis-à-vis du publiciste ne s’était pas modifiée. Cet orgueil, renforcé de mépris, voulait ignorer le faquin qui, se croyant insuffisamment payé pour ses peines et services, osait attaquer un descendant du grand cardinal devant le Parlement. Le journaliste, si âpre dans ses revendications, après s’être montré si peu scrupuleux comme avocat, n’était guère intéressant; mais le duc et pair qui apportait à défendre ses louis un tel esprit de chicane, l’était-il davantage? En tout cas, Linguet n’était pour lui qu’une espèce et sa réclamation une fadaise. Dans leur correspondance avec Balleroy, ni le duc, ni la duchesse ne soufflent mot d’un procès qui défraya si longtemps les conversations de la Cour et de la Ville.
Persuadé que d’Aiguillon l’avait fait rayer du barreau, le 11 février 1774, par un arrêt du parlement Maupeou, Linguet entendit lui imputer la responsabilité de toutes ses disgrâces. L’occasion lui parut favorable, en 1786, une fois que le duc fut rentré à Paris, de lui intenter un procès. Marie-Antoinette en tressaillit de joie. Et alors que, forçant l’entrée de la grand’chambre, à la tête de 300 avocats nouvellement inscrits, Linguet prononçait, au milieu d’une foule{350} immense, une plaidoirie triomphale, des amies de la reine notaient fidèlement tous ces incidents d’audience que la malignité publique allait appuyer de si perfides commentaires.
Linguet était-il si convaincu de la bonté de sa cause? On dit qu’à son heure dernière, presque sur les marches de l’échafaud, il reconnut ses torts envers d’Aiguillon.
Il en est de certaines existences officielles, qui furent longtemps agitées et tumultueuses, se répandant au loin, soumises aux fluctuations les plus diverses de l’opinion et ballottées par les souffles les plus contraires, comme de ces grands fleuves qui, après un cours souvent contrarié par les résistances du sol et par les lois de la nature, se perdent et disparaissent pour ainsi dire avant de s’abîmer dans la mer. Quand d’Aiguillon mourut le 1ᵉʳ septembre 1788[589], il était déjà bien oublié dans la mémoire des hommes. Le Journal de Paris n’enregistra son décès que le 4, et la Gazette de France n’en parla seulement que le 9. Son cousin, le maréchal duc de Richelieu, l’avait «précédé de trois semaines, dit Mercier, dans les caveaux de la Sorbonne». Tous deux «rejoignaient ainsi le fameux ministre qu’ils avaient voulu singer». Résumant le rôle de chacun au XVIIIᵉ siècle, le chroniqueur philosophe ajoutait: «Nous devons nos mœurs modernes au duc (de Richelieu) et la nouvelle fermentation politique à l’ancien commandant de Bretagne: sans le duc de Richelieu mon Tableau aurait{351} eu certainement d’autres couleurs». Et comme ce précurseur du romantisme, disciple convaincu de Rousseau, ne manque jamais une occasion de chevaucher le trépied sybillin, il conclut sur cette prosopopée que n’eût pas désavouée son illustre maître:
«Sainte et véridique histoire, quand je voudrai t’écrire, je me transporterai à la porte du caveau de la Sorbonne: et là, j’interrogerai de mon mieux les singuliers personnages qu’elle renferme; et que sait-on? si en faveur de mon amour pour la vérité, leurs voix ne me répondraient pas[590].»
La duchesse d’Aiguillon, dans cette lugubre solitude, avait trouvé des accents d’émotion plus sincères et d’expression moins ampoulée: il est vrai qu’elle parlait, en mère et en fille désolée, devant les tombes encore récentes de «ce qu’elle avait aimé le plus au monde».{352}
Effacement de la duchesse d’Aiguillon pendant plusieurs années.—Rôle de son fils au commencement de la Révolution.—Prétendues représailles contre la reine.—Le fils et la mère émigrent.—Rentrée en France de la duchesse.—Son incarcération.—Le 9 thermidor sauve Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Vente et liquidation des propriétés du duc pour désintéresser les créanciers.—La duchesse se retire à Ruel pour exploiter la propriété.—Heures difficiles.—Deux lettres du baron de Scheffer.
La figure de la duchesse, qu’on avait jusqu’alors perçue dans l’ombre de d’Aiguillon, s’efface, après la mort de celui-ci, pendant plusieurs années. Elle ne reparaît, pour fuir définitivement quinze mois après, que dans une correspondance de l’étranger et encore à l’état de reflet: car les lettres où nous la retrouvons ne sont plus de la duchesse, mais d’un ami aussi fidèle et aussi empressé que l’avait été Balleroy, de son vivant.
Quelle détermination prit Mᵐᵉ d’Aiguillon après la mort de son mari? Quelle fut sa part dans la liquidation d’une succession aussi embarrassée que devait l’être celle d’un homme fastueux comme l’était l’ancien ministre, qui pouvait bien avoir cinq cent mille livres de revenu, ainsi que l’affirmait Linguet, mais qui était surchargé de dettes? Nous n’avons eu à notre disposition aucun document qui nous permît{353} d’établir au vrai la situation financière de la duchesse. Elle était désormais toute seule[591]: demeura-t-elle à Ruel ou se résigna-t-elle à vivre auprès de sa tante, Mᵐᵉ de Maurepas, qui ne devait mourir que cinq ans après le décès de son neveu, au plus fort de la tourmente révolutionnaire et sans jamais en avoir éprouvé la moindre secousse[592].{354}
Peut-être aussi cette succession, qui s’ouvrait dix mois à peine avant la période d’anarchie si funeste à la fortune française, en fut-elle, comme tant d’autres, singulièrement retardée et finalement amoindrie: nous verrons bientôt un exemple de ces désastreuses liquidations. Mais l’heure eût été mal choisie pour s’en plaindre.
D’ailleurs la duchesse, qui s’était toujours défendue, sinon de parler, du moins de faire de la politique, n’eût pas voulu se mêler à aucune intrigue sous le nouveau régime, alors que, sous l’ancien, elle s’était abstenue de participer à tant de misérables manœuvres. Son fils, Armand, au dire des contemporains, n’eut pas les mêmes scrupules.
Député à la Constituante, il se rangea du côté des libéraux et même accentua si énergiquement son opposition, qu’il ameuta contre lui, non seulement ses collègues de la droite[593], mais encore toutes les petites feuilles royalistes, où l’invective s’enveloppait souvent d’amusantes pasquinades[594]. On alla jusqu’à écrire qu’aux 5 et 6 octobre 1789, le duc d’Aiguillon avait revêtu le casaquin et la jupe d’une poissarde pour injurier, en toute sécurité, Marie-Antoinette. Il est vrai que, dans la famille, on n’avait guère eu à se louer de la reine. Et lui-même pouvait-il oublier qu’ayant obtenu la survivance de son père pour les chevau-légers, ce régiment avait été licencié[595] et que{355} Marie-Antoinette en avait manifesté une joie insultante? Il serait intéressant de savoir si Mᵐᵉ d’Aiguillon approuva l’attitude politique de son fils, et dans quelle mesure? A vrai dire, cinq ans après, Armand, inquiet de la tournure donnée aux événements par ses meilleurs amis, s’empressait de fausser compagnie à ces démocrates convaincus, en gagnant au plus vite la frontière[596]. Il devait mourir en 1800, à Hambourg[597], sans postérité; et, de ce fait, toute la fortune de la maison d’Aiguillon revenait à son unique héritier, le jeune Hippolyte de Chabrillan.
D’après M. Claude Saint-André, la duchesse d’Aiguillon avait fui, elle aussi, par la diligence de Calais où Mᵐᵉ Du Barry avait pris place, l’emmenant avec elle en qualité de camériste.[598] Ainsi, Mᵐᵉ d’Aiguillon,{356} cette femme jusqu’alors si forte et si intrépide, avait cédé au mouvement de panique qui emportait dans le torrent de l’émigration tant de familles de l’aristocratie.
L’Assemblée législative avait voulu arrêter un exode qui menaçait de dépeupler et d’appauvrir la France: d’où cette loi sur l’émigration, dont les dispositions et le caractère provoquèrent, alors et depuis, des débats si passionnés[599].
Un homme de loi, M. Bernet, à qui les d’Aiguillon avaient confié le soin de leurs affaires, s’entendit sans doute avec un de leurs fidèles, nommé Rousseau, pour les démarches que nécessitait l’observation de cette loi, car il en recevait la lettre suivante:
«J’ai été au comité de législation; on m’a dit que les personnes hors de France doivent, d’après la loi, y rentrer. Il n’y a pas un moment à perdre pour faire revenir Mᵐᵉ d’Aiguillon. Le moyen le plus expéditif est celui qu’il faut employer de préférence[600].»
Bien ou mal conseillée (car le point est encore discutable, tant d’émigrés de la première heure ayant payé de leur tête leur rentrée en France!) Mᵐᵉ d’Aiguillon revint donc à Paris.{357}
La même obscurité règne toujours sur sa vie. Il était sage, d’ailleurs, en ces heures difficiles, de se faire oublier. Mais le passif de la succession d’Aiguillon était tellement énorme, qu’on avait dû vendre et liquider les biens pour éteindre les dettes. La duchesse avait des droits sur le domaine de l’Agenois[601]; car il fallut son consentement pour la vente des «effets restés à Aiguillon». Elle donne sa procuration, en conséquence, au «citoyen Gauthier», un ancien prêtre, qui demeurait 12 rue des Marmousets et qui s’était établi «homme de loi». Dans son pouvoir, la duchesse abandonnait tout, sauf «les tableaux, c’est-à-dire les portraits de famille».
Or, l’administration n’avait pas attendu pour mettre la main, et sur le château, et sur le mobilier qu’il contenait. Le tout avait été confisqué en 1792 comme bien d’émigré[602].
Comment vécut Mᵐᵉ d’Aiguillon? Où se trouvait-elle, quand mourut Mᵐᵉ de Maurepas, en 1793? Put-elle lui fermer les yeux? Autant de problèmes dont nous avons vainement cherché la solution.
Ce qui est certain, c’est qu’en dépit de tous les sacrifices qu’elle avait consentis, depuis son retour d’émigration et dans le cours d’une vie restée silencieuse, elle ne sut désarmer la méfiance des sociétés{358} révolutionnaires qui encombraient de leurs dénonciations les comités de Sûreté Générale et de Salut Public.
Victime de l’esprit de délation qui était à l’ordre du jour, Mᵐᵉ d’Aiguillon fut arrêtée et enfermée aux Filles anglaises[603]. Le 9 thermidor la sauva[604]. Elle se résolut alors à quitter définitivement Paris pour aller s’enfermer à Ruel avec les misérables débris que lui avaient laissés tant de ventes après tant de confiscations. Elle se remit à cette vie de fermière qu’elle menait si allègrement au temps des splendeurs d’Aiguillon. L’ancienne propriété du cardinal, déjà très morcelée et dépouillée de tous ses ornements, abrita les derniers jours de cette grande dame qui avait vu les premières maisons de France s’écraser dans ses salons trop étroits pour recevoir tant de servile ingratitude et de basse méchanceté.
La duchesse d’Aiguillon fit valoir elle-même l’exploitation qu’elle créa dans ce domaine abandonné. Elle le mit en culture maraîchère. Les pelouses d’antan furent divisées en carrés de légumes; et là où s’étaient promenés, en devisant de galanterie ou de politique et même des deux, tant d’élégants cavaliers et de belles dames, poussèrent des navets, des carottes, des choux que Mᵐᵉ d’Aiguillon allait vendre{359} elle-même sur les marchés de Paris. Elle installa, en outre, une laiterie qui, assurément, n’avait rien de commun avec les étables pomponnées et enrubannées de Marie-Antoinette à Trianon-Idylle.
La lettre suivante qu’elle dut écrire à son homme d’affaires, dès qu’elle entreprit de gérer elle-même sa propriété, atteste une fois de plus cet esprit de décision, ce sentiment de la vie pratique et cette intelligence alerte dont elle ne cessa de faire preuve en tout temps:
«Je vous renvoye le mémoire que vous m’avez envoyé à signer, parce que je le trouve trop verbiageux et que je suis persuadée que les mémoires longs ne sont pas bons et par conséquent (quatre mots illisibles) ne servent à rien.
Le commencement est très bien, mais l’article qui veut prouver que je me serais opposée à l’émigration de mon fils se répète trop et ne signifie rien. Il y faut dire simplement que depuis un an je n’avais pas vu mon fils et qu’étant à cent lieues j’ignorais le parti qu’il prenait. J’ai barré l’endroit que je trouve trop long; renvoyez-le moi tout de suite pour le signer. Je crois, quoi que vous en disiez, que 5.000 francs ou même 4.500 valent mieux que rien, qu’une maison qui n’est pas habitée se dégrade et perd beaucoup de sa valeur. Ainsi donc, j’opine pour la laisser à ce prix, mais seulement pour trois ans: il ne faut pas faire comme la fille de la fable qui, à force de refus, n’a pu trouver à se marier. Quant au cheval, j’ai peine à me résoudre à en acheter un autre, que celui-là ne soit vendu. Au reste, vous verrez si cela est nécessaire.
J’ai vu hier M. de Quélen qui m’a dit l’arrangement que vous aviez fait ensemble.{360}
On dit que, sous trois jours, le décret sur les réquisitions (?)[605]... Je le souhaite plus que je ne l’espère.
Rien encore de fini pour la basse-cour; mandez-moi tout de suite si vous apprenez quelque chose de M. Joly. Je vous assure de toute la considération que j’ai pour vous.»
Plélo d’Aiguillon.
De quelle maison voulait-elle parler? De l’hôtel d’Aiguillon, du château de Veretz, d’un immeuble ayant appartenu à Mᵐᵉ de Maurepas? Autant de problèmes.
Mais, là encore, nous retrouvons l’influence bienfaisante d’un Quélen. La fille, comme la mère, rencontrait appui, soutien, dévouement chez un parent, héritier des mêmes traditions familiales.
Depuis un an, Mᵐᵉ d’Aiguillon demandait donc à son labeur rustique le pain quotidien, quand elle reçut d’Ek, en Suède, les deux lettres suivantes[606]:
14 juillet 1795.
«... La brebis égarée, Madame la duchesse, est retrouvée, c’est-à-dire que j’ai eu, cette semaine, deux lettres de vous...
15 juillet 1795.
... J’ai tressailli de joie, Madame la duchesse, en recevant une lettre où j’ai reconnu vos caractères, où cette main si précieuse était peinte. La vivacité avec laquelle je l’ai ouverte est (illisible); mais ma surprise
a été grande en trouvant qu’elle a été écrite le 24 août de l’année passée. Vous vous y plaigniez d’un concierge barbare qui vous a privée de toute communication avec le reste du genre humain. Un nouveau surveillant vous était donné plus humain; mais, malgré cela, votre lettre du mois d’août 1794 ne m’est parvenue que dans un moment, un mois (? sans doute un an) après qu’elle a été écrite.
Cette lettre vous apprendra toute la douleur dont mon âme est pénétrée par les malheurs qui m’ont privé de vos nouvelles.
Etes-vous libre? Etes-vous enfermée entre quatre murs? Enfin, madame, si ces lignes ont le bonheur de tomber entre vos mains, au nom de Dieu, apprenez-moi quel est celui (sans doute le sort) de vos enfants. Je suis (illisible) et je touche peut-être aux derniers moments de ma vie[607]. Ne me refusez pas cette consolation: elle adoucira les peines que j’ai souffertes, elle rendra les derniers jours de ma vie heureux.»
Le signataire de ces deux lettres était le baron de Scheffer, ancien secrétaire d’Etat aux affaires étrangères en Suède et frère du comte du même nom, ancien ambassadeur de Stockholm à Versailles. On sait la particulière affection que les d’Aiguillon et les Richelieu avaient vouée à la patrie de Gustave-Adolphe, constante alliée du cardinal. Nous avons vu l’accueil fait, précisément à Ruel, par la grosse duchesse au futur roi de Suède et la liaison très intime de son{362} fils, le ministre, avec le comte de Creutz, successeur du baron de Scheffer. Or celui-ci avait gardé des relations d’amitié avec les d’Aiguillon, et son frère, le comte était en correspondance réglée avec eux depuis 1754[608].
La duchesse lui avait écrit, après que la chute de Robespierre et de ses partisans eût rendu aux prisonniers une liberté relative, en attendant que la porte de leurs cachots s’ouvrît toute grande devant leur impatience et celle de leurs amis. Mᵐᵉ d’Aiguillon avait cherché un peu partout, comme ses compagnons de captivité, réconfort, consolation, espérance, le souffle de la Terreur ayant balayé dans toutes les directions, quand il ne les avait pas anéantis, les membres de cette société polie et raffinée dont le premier crime était son blason.{363}
Le baron de Scheffer, ancien ministre des affaires étrangères de Suède.—Sa joie quand il apprend que Mᵐᵉ d’Aiguillon a pu échapper «aux mains des tigres sanguinaires».—Il s’inquiète de la situation financière de Mᵐᵉ d’Aiguillon et se désole de la voir se rendre à Paris en charrette.—Que sont devenues les amies de la duchesse et surtout Mᵐᵉ de Laigle?—Travaux rustiques: basse-cour et arbres fruitiers.—Apparition des Mémoires de Richelieu, d’Aiguillon, de Maurepas: opinion de Scheffer sur des compilations que Mᵐᵉ d’Aiguillon déclare apocryphes.—La bru et le petit-fils de la duchesse sont avec elle.—La dernière lettre de Scheffer.
Les lettres du baron de Scheffer méritent de fixer l’attention, non qu’elles soient des modèles de style, mais elles constituent une documentation précieuse, qui, tout en permettant d’achever le crayon de Mᵐᵉ d’Aiguillon, apporte des renseignements curieux sur la vie économique et littéraire du temps.
La seconde lettre de Scheffer, datée du 22 juillet 1795, nous montre un homme pleinement rassuré:
«Elle est libre, m’écriai-je! elle est sortie de prison, elle est retournée à sa chère habitation de Ruel... Vous a-t-on rendu vos biens en sortant des mains (!!!) de ces tigres sanguinaires?... Vous avez dû renvoyer une partie de vos domestiques; et votre homme d’affaires a bien mal géré les vôtres... Il faut qu’on vous ait dépouillée.{364}
Mᵐᵉ de Laigle est-elle sortie du naufrage général?
J’ai adressé une lettre aux Filles anglaises (Mᵐᵉ d’Aiguillon avait écrit au baron de sa prison).
Nous avons un ministre accrédité du 2 juillet: c’est le citoyen Rival (?)»
La Révolution avait si brusquement séparé, surtout depuis trois ans, la France du reste de l’Europe, que les amis qui se revoyaient ou reprenaient leur correspondance après un temps d’arrêt aussi long et aussi imprévu, pressaient et précipitaient leurs questions, comme s’ils eussent craint une nouvelle et brutale interruption: ce qui explique le décousu de la lettre du baron de Scheffer, décousu qu’on retrouve dans beaucoup d’autres correspondances du temps. Le gentilhomme suédois reparlera souvent de Mᵐᵉ de Laigle, qui était une grande amie de la duchesse et pour laquelle il manifestait en toute occasion la plus vive sympathie. Cette dame avait une santé des plus précaires, et se soignait peu ou mal: «Elle se croit encore à dix ans, écrit Mᵐᵉ d’Aiguillon à Balleroy; son mari devrait l’avertir[609].»
En général, les lettres de Scheffer sont plutôt des billets, où les phrases, courtes et heurtées, continuent à n’avoir aucune liaison entre elles. Elles ne sont pas toujours datées. En voici cependant quelques-unes qui paraissent se rapporter aux premiers mois de 1796.
Encore des questions sur la société de la duchesse,{365} des dames que nous avons vu se succéder au château d’Aiguillon: «Que sont devenues Mᵐᵉˢ d’Esparbès, de Flamarens, si elles vivent encore? Et Mᵐᵉ de Laigle?»
La situation de fortune de sa correspondante préoccupe beaucoup Scheffer. Il compte bien que les hommes du gouvernement lui rendront ses biens séquestrés: «Je l’attends de leur équité pour chanter de loin leurs louanges». «... Je vois que vous avez trouvé quelque ressource pécuniaire, et j’en suis très aise; mais que cela ne soit que par l’ouvrage de vos mains, cela fait toujours mon étonnement et ma peine. Je reçois des détails fort intéressants sur votre genre de vie, sur la société que vous recevez...» Les prisonniers s’étaient créé, sous les verrous, des relations qu’ils conservèrent après leur mise en liberté: «Si vous n’avez pas tiré quelque autre parti de votre captivité, écrit Scheffer, c’est de vous avoir attaché quelques personnes qui peuvent vous tenir compagnie».
Tous les siens n’étaient pas partis pour l’émigration ou quelques-uns en étaient revenus: «Je vous félicite de recevoir chez vous Madame votre belle-fille et votre Armand[610]. Il doit être bien grandi, depuis qu’il était à demeure chez vous».
Mais voici l’avril. Mᵐᵉ d’Aiguillon doit tenir son ami au courant de ses travaux, et lui de répondre: «Vous êtes en pleine occupation pour faire labourer et semer vos champs et planter dans votre garenne». (7 avril 1796.){366}
Puis, c’est une publication qui fait grand bruit et dont la lecture a certainement intéressé la duchesse: «Je viens de lire les Mémoires du maréchal de Richelieu. Louis XV est assez malmené. Je lui sais (à l’auteur) pourtant gré d’avoir parlé fort avantageusement de M. le duc d’Aiguillon. M. le duc de Choiseul n’y est rien moins que ménagé[611].»
L’horizon est moins sombre; et l’apparence de sécurité que le gouvernement du Directoire, cependant si faible et si divisé, offre au pays, a rendu à Mᵐᵉ d’Aiguillon un semblant de belle humeur: elle a retrouvé la rondeur et la bonhomie de la fermière d’autrefois; et le baron lui réplique sur le même ton:
«Votre lettre m’a fait grand plaisir par le détail qu’elle contient de la société dont vous jouissez à présent, qui, quoique diminuée à raison de ce qu’elle était auparavant, doit être fort bonne puisqu’elle vous convient ainsi. Je vous en fais mon compliment, de même qu’aux petits cochons de lait qui viennent de vous naître. C’est un bon produit de votre basse-cour. Vous avez des boutons à vos arbres fruitiers (lettre du 21 avril)... Je vous fais mille remercîments de votre lettre qui m’apprend les malheurs arrivés dans votre basse-cour. Je vous ai fait part de la mort d’une belle vache; mais ce n’est qu’entre nous que nous pouvons nous confier de pareils chagrins; les gens de la ville se moqueraient de nous.» (Lettre du 28 avril.)
Une lettre, datée du 5 mai 1796, nous apprend une{367} particularité, tout à fait inattendue, sur le domaine de Veretz. La duchesse avait annoncé à Scheffer la mort de son homme d’affaires en Touraine, mort qui ne lui avait pas laissé de profonds regrets; et le baron l’avait «félicitée» de l’avoir «perdu». Puis il ajoutait: «C’est quelque chose d’avoir pu disposer des meubles qui étaient à Veretz[612]; mais cette terre vous appartient en propre». Elle venait cependant du père de M. d’Aiguillon. Le fils l’avait-il reconnue, comme douaire, à sa mère?[613] En tout cas, Scheffer argumentait sur ces prémisses: «Pourquoi ne la voulez-vous pas? Vous n’êtes ni émigrée, ni vous n’avez jamais rien fait contre la République et la Constitution. Avec la permission de votre gouvernement, je trouve que cela n’est pas juste. Si l’administration, jadis violente et tyrannique, l’a mise en séquestre, c’est à un gouvernement juste et sage d’y remédier».
Notre octogénaire a, par moments, des velléités d’optimisme; il est vrai qu’il rend ainsi, et par voie détournée, un délicat hommage à la bonté, bien connue, de son amie: «Votre domestique est aujourd’hui peu nombreux; quelquefois on n’en est que mieux servi. Et comme vos gens vous ont été toujours fort attachés, je compte que vous ne regretterez rien».
Mais le dévouement de la domesticité ne pouvant prévaloir contre la maladie, Mᵐᵉ d’Aiguillon s’était{368} plainte de ce que «ses chevaux étant sur la paille, elle était obligée d’aller à Paris dans sa charrette». Et ce brave Scheffer de déplorer l’aventure: «Je voudrais du moins vous savoir hors de cette charrette, lorsque vous allez de Ruel à Paris et dans une bonne berline où l’on est moins secoué».
Les intérêts de la duchesse nécessitaient alors sa présence à la ville: elle devait assister à la levée des scellés apposés dans l’hôtel d’Aiguillon (lettre du 3 juin).
Elle avait en conséquence élu domicile chez sa vieille amie Mᵐᵉ de Laigle, qui était frappée de paralysie; elle craignait des rechutes. Et le bon Scheffer, quoique comprenant ces appréhensions, se défendait de croire à l’imminence d’une fin prochaine pour une personne dont il ne cessait de réclamer des nouvelles dans chacune de ses lettres, car il avait vu des paralytiques «vivre encore longtemps même avec la bouche de travers».
Le frère de l’ancien ambassadeur de Suède aborde des sujets d’ordre moins intime. Il annonce l’arrivée prochaine, comme envoyé de la République, «du fameux Pichegru[614], qui a conquis la Flandre et la Hollande: on le loue pour ses qualités morales». Et, tout en félicitant «Madame la duchesse de sa correspondance bien rentrée dans son train ordinaire»—elle devait être en effet fort irrégulière—il traite une question intéressant au plus haut point la veuve de l’ancien ministre et dont elle avait déjà entretenu son correspondant:
«Je n’ai point vu les Mémoires du duc d’Aiguillon{369} et du comte de Maurepas[615], bien que je lirais avec le plus vif intérêt tout ce qui regarde des personnes si illustres et avec qui j’ai été lié à Paris; mais je voudrais alors voir la vérité et non un fatras d’anecdotes, vraies ou fausses, mais à qui on donne une tournure odieuse et (illisible) vers le but de l’objet que les auteurs se proposent.
Les Mémoires de Richelieu sont venus dans ce pays. C’est un ouvrage de deux gros volumes mais qui ne sont pas proprement la vie du maréchal. L’objet principal a été de dire tout le mal possible de Louis XV, de la reine et de la Cour. J’ai vu avec plaisir que vous n’étiez pas nommée; apparemment qu’il n’a pas pu dire de mal de vous. Et votre mari, quoique nommé, n’y est pas aussi barbouillé que d’autres; il n’est pas sans avoir eu quelque coup de patte.» (Lettre du 9 juin 1796.)
Quand il pense à ses amies de Paris, avec lesquelles il a tant de confidences à échanger «sur le bon vieux temps passé», l’honnête diplomate se rassure et s’inquiète tour à tour, suivant les nouvelles qu’il reçoit de la duchesse, ou qu’il lit dans la «Gazette». Mᵐᵉ d’Aiguillon l’«instruit des carrés(?)» qu’elle se propose d’établir dans sa propriété, et de la «situation de son économie de Ruel qui assurément va mieux que la sienne à Ek, où il est entouré d’un grand lac». (Lettre du 23 juin). Il est tout à fait tranquille, maintenant que ce travail est «achevé sans accident ni{370} événement fâcheux». Mais le voici dans des transes nouvelles, depuis qu’il sait par la gazette «qu’une femme près de Paris a été attaquée dans sa maison». (Lettre du 30.)
Evidemment les environs de la grande ville sont infestés de rôdeurs; c’est une maladie endémique dont a souffert de tout temps la banlieue suburbaine. Mais la duchesse n’est pas femme à s’effrayer: qu’a-t-elle à craindre? écrit-elle; il n’y a rien à prendre chez une fermière; on ne peut pas tondre un œuf. «Ce mépris du danger» fait de la peine à Scheffer. Il est toutefois d’autres rapines dont se préoccuperait davantage «la fermière». Nous l’apprenons par son correspondant: «J’avais espéré qu’on vous rendrait justice sur vos justes prétentions; mais je vois que vous êtes à la veille d’être inquiétée sur la garenne de Ruel que vous possédez à si juste titre.» L’ami de la France s’affirme dans ces petites phrases: «Je vous félicite du succès de vos armées en Italie[616]. Si cela continue, on va vous gorger d’argent... Votre ambassadeur Lehoc a été fort regretté[617]».
Puis le digne gentilhomme fait un retour sur lui-même et termine sa lettre par un mot charmant:
«Dans quinze jours, j’entre dans ma quatre-vingtième année; ma main est bien tremblante, mais mon cœur est toujours le même pour vous.» (Lettre du 21 juillet.){371}
Cette noble affection s’affirme plus encore, à la réception d’une lettre où Mᵐᵉ d’Aiguillon se désole de la situation de Mᵐᵉ de Laigle qui empire chaque jour: «Que ne puis-je être auprès de vous pour vous sauver de vous-même, pour vous prouver qu’il existe un ami tendre et fidèle; mais cette consolation m’est refusée et j’en suis au désespoir». (Lettre du 28 juillet.)
Mᵐᵉ de Laigle s’était rétablie de sa crise; mais les intérêts de la duchesse se trouvaient de jour en jour plus compromis. Et Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui avait reporté toute sa tendresse maternelle sur l’enfant de son fils, dont elle n’était pas séparée, pressentait dans un avenir prochain une spoliation qui l’eût ruinée infailliblement. Scheffer s’indigne:
«Mais, s’écrie-t-il, votre petit-fils n’est pas sorti de France et on le dépouille de ses biens! Vous n’avez jamais eu de part aux (illisible) de ceux dont on est mécontent. Vous ne l’avez pas fait; et cependant on vous punit! C’est inouï!» (Lettre du 2 août.)
Dans celle du 11 août, l’ancien diplomate revient sur un sujet dont s’occupe volontiers la grande dame:
«Vous me parlez des mémoires d’Aiguillon, de Richelieu, de Maurepas et vous les regardez tous comme apocryphes[618].
«Je suis assez de votre avis, surtout n’ayant point vu les deux premiers et ne sachant s’ils existent. Quant à ceux du maréchal, comme il est uniquement en vue de favoriser le gouvernement révolutionnaire chez vous, il est assez naturel qu’on veuille se servir de noms aussi connus pour remplir ce but. L’auteur des{372} Mémoires ne dit pas qu’ils soient écrits sous sa dictée ou par lui-même; mais il peut avoir du maréchal un amas immense de lettres, des annotations, des notes, sur lesquels il a composé son livre. Ce livre se fait lire avidement; et bien des gens y croient comme à l’Evangile.»
Ce fut la dernière lettre de son vieil ami que put lire, si elle la lut, la duchesse d’Aiguillon. Elle lui était adressée le 11 août 1796; et la grande dame, devenue fermière, mourait, dans son exploitation de Ruel, le 15 septembre suivant[619], d’une maladie de langueur causée par ses douleurs et ses deuils.
Par une cruelle ironie du sort, Scheffer lui écrivait dans cette même lettre:
«Votre lettre, madame la duchesse, du 13 du passé (juillet) m’est bien arrivée. Vous m’apprenez que votre amie est hors d’affaire, mais que les craintes pour l’avenir vous restent. Dans la joie de mon âme, je me réjouis de savoir qu’elle vous reste encore. Vous êtes trop nécessaires l’une à l’autre pour jamais vous séparer et si mes vœux pour vous sont exaucés, vous irez au moins aussi loin que Mᵐᵉ votre tante, Mᵐᵉ de Maurepas. Dieu veuille seulement que les temps puissent changer pour vous et que je vous sache plus heureuse que vous n’êtes actuellement!»
Mᵐᵉ de Laigle avait-elle survécu à son amie?
Ainsi disparaissait dans l’obscurité, dans la solitude, dans l’abandon et presque dans la misère, une femme qui avait été jadis si entourée, si fêtée, si courtisée, une des premières à la première cour du monde.{373} Elle avait habité de superbes palais, s’était assise à la table des rois et avait présidé aux fêtes les plus somptueuses. Mais, au milieu du luxe et des grandeurs, elle était restée simple, vraie et bienveillante. Dans l’incessant conflit entre les passions les plus viles et les intrigues les plus basses, elle avait conservé sa franchise, sa droiture, sa loyauté. Car elle n’était ni vaine, ni ambitieuse. Elle n’avait dans le cœur d’autre sentiment que celui de la famille, d’autre amour que celui de son mari, d’autre idéal que l’honneur du nom. Aussi, frappée dans toutes ses tendresses et dans toutes ses affections, passa-t-elle sa vie à souffrir. Mais la douleur n’eut jamais raison de son énergie. L’adversité fortifia son âme au lieu de l’abattre. Elle ne fut jamais si grande, ni d’humeur si égale que lorsqu’elle fut le jouet de la tempête. Elle fut tour à tour victime des manœuvres perfides de ses pairs et de l’aveugle violence du populaire. Septuagénaire, elle se résigna, sans récriminations, mais au contraire le sourire sur ses lèvres, à n’être plus qu’une simple fermière; mais, dans un temps où des seigneurs de l’ancienne cour se cachaient sous une défroque jacobine, elle signait fièrement Plélo d’Aiguillon: les noms du héros que fut son père et de l’admirable femme qu’était sa mère, associés à celui du prêtre génial qui, le siècle précédent, avait assuré l’unité de la France.
La grande famille[620] à qui sont revenues d’aussi glo{374}rieuses traditions, perpétuées par le trésor de magnifiques archives, ne pouvait recueillir de plus noble héritage[621].{375}
Les diverses publications historiques ou prétendues telles, entreprises de 1788 à 1801 par Soulavie, tiennent trop au cœur même de notre sujet, pour que nous n’accordions pas quelques lignes à l’homme et à l’œuvre, d’après M. Mazon (Histoire de Soulavie, Paris, 2 vol. in-8º 1893) et d’après Soulavie lui-même.
Une société s’était formée, en 1790-91, pour imprimer et éditer à Paris, rue de Condé, nº 7, une collection de Mémoires relatifs à l’histoire du règne de Louis XV.
L’idée n’était pas neuve. Des spéculations de librairie, remontant à une époque antérieure, avaient déjà attaché des aventuriers de lettres, à la plume et à l’imagination faciles, à la confection de prétendus mémoires historiques des règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Quelques miettes de vérité délayées dans un lourd fatras de faits douteux et d’anecdotes controuvées, telle était la recette de ces indigestes compositions, dont le secret n’est pas encore perdu.
Il semblait que la société de 1790 dût présenter plus de garanties. M. de Laborde était, en grande partie, «propriétaire de la collection» projetée; et Soulavie, ancien ecclésiastique, savant doublé d’un érudit, devait diriger la publication.
Ce n’était pas, toutefois, qu’il ne fût, lui aussi, sujet à caution. Du vivant du maréchal de Richelieu, et pendant trois années, il avait pu, grâce à la confiance de ce grand seigneur, que ses attaches et ses intrigues avaient mis en possession de si précieux documents, explorer les portefeuilles mis à sa disposition par Losques, le bibliothécaire{376} du vieux courtisan. Il venait précisément d’en tirer les premiers volumes des Mémoires du duc de Richelieu, récit, quelquefois fidèle et amusant, mais trop souvent romanesque, invraisemblable et satirique, d’événements auxquels le maréchal avait été si particulièrement mêlé. Aussi le duc de Fronsac, qui avait pourtant fourni des notes à Soulavie, crut-il devoir protester, au nom de la mémoire de son père, contre les inexactitudes et l’esprit tendancieux d’une publication qu’il condamnait. Soulavie affirma que le maréchal avait au contraire encouragé un travail dont il avait fourni les matériaux.
Presque en même temps, paraissait dans la collection de Laborde, où Soulavie était seul en nom, la première édition de ces Mémoires, célèbres entre tous, monument littéraire et historique qui a rendu impérissable le nom de Saint-Simon.
Nombreuses furent les publications, annoncées ou parues, connues ou ignorées, qui, en se succédant, ne démontrèrent que trop avec quelle déplorable désinvolture Soulavie traitait les documents historiques, mutilant, défigurant, supprimant ou interpolant, suivant les besoins de la cause.
Nous ne retiendrons de cette liste que trois ouvrages, plus ou moins attribués à Soulavie, deux surtout que nous ne pouvions négliger pour la mise au point de notre travail.
1º Les Mémoires du comte de Maurepas qui s’arrêtent à la disgrâce de ce ministre, sacrifié à la rancune de Mᵐᵉ de Pompadour.
2º Les Mémoires du duc de Choiseul, compilation, en diverses parties, des pièces officielles émanées de cet homme d’Etat, en même temps qu’une longue diatribe, sous son nom, contre le duc d’Aiguillon et Mᵐᵉ Du Barry. Soulavie dut y ajouter certainement du sien. Nous verrons la thèse contraire dans les Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon. Rien que cette façon de plaider le pour et le contre en dit assez sur la probité littéraire et sur la moralité du rédacteur.
3º Les Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon. C’est{377} Soulavie qui en déterminera lui-même l’attribution dans un passage de ses Mémoires sur le règne de Louis XVI (tome I, p. 241). Il reconnaît qu’il a publié ceux du ministère du duc d’Aiguillon d’après les notes fournies à Mirabeau par le maréchal de Richelieu. Mais celles-ci, à en croire les indications inédites de Soulavie recueillies par M. de Monmerqué, subirent, avant et pendant l’impression, des modifications importantes dont certaines méritent d’être signalées. D’abord, M. de Laborde, qui n’aimait pas Choiseul, avait révisé soigneusement les chapitres concernant l’ancien ministre. Il est de fait que soixante pages du livre (110-172) sont une exécution en règle de Choiseul.
Une autre note inédite de Soulavie, transcrite par M. de Monmerqué à la page 327, nous donne le mot du chapitre dont elle est l’en-tête et qui est intitulé Remarques sur les Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon—autant de rectifications de certaines assertions contenues dans le volume, rectifications ainsi affirmées: «Ces notes ont été données à M. Soulavie par M. d’Aiguillon et sa mère, veuve, à condition que tant qu’ils vivraient, M. Soulavie ne dirait jamais les tenir de leurs mains».
Enfin, suivant son habitude, Soulavie apporte sa part de collaboration à l’œuvre de Mirabeau; son biographe, M. Mazon, la signale à la fin du volume, à propos d’un plan gouvernemental, que nous retrouverons en son temps, et d’embellissements de Paris où Soulavie s’annonce comme un précurseur du baron Haussmann.
Et cependant, en tenant compte de toutes ces réserves, il importe de reconnaître que les Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon constituent pour l’étude qui nous occupe un document de premier ordre. Il s’accorde mieux assurément avec les pièces officielles du temps que toutes les autres compilations de Soulavie.
Cet homme avait le génie de l’inexactitude... voulue, qui ressemble singulièrement à de la mauvaise foi, alors que les circonstances l’avaient si bien servi. En bonne posture auprès des Jacobins, il avait été chargé, après le 10 août, de dresser l’inventaire des papiers de Louis XVI. Mieux{378} encore, la protection de Robespierre—faveur si rare—l’avait fait nommer ministre de la République à Genève. Et le diplomate improvisé (à quoi mène le publicisme!) dut assurément profiter de la bienveillance du maître pour consulter ces archives des affaires étrangères que l’Incorruptible avait eu le bon sens de laisser, comme le ministère lui-même, entre les mains expertes des premiers commis de l’ancien régime.
Sans doute, la carrière diplomatique de Soulavie ne fut pas exempte de déboires; mais cet infatigable compilateur sut s’en consoler par une série de nouvelles publications qu’il faut contrôler aussi minutieusement que les précédentes.—Ce fut ainsi qu’il fit paraître, en 1801, ses Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, dans lesquels il reconnaît (tome I, p. 192) avoir composé cet ouvrage diffus et prolixe, mais bourré de faits curieux, sur des notes que lui avaient remises Richelieu, le duc de Fronsac, Mᵐᵉ d’Aiguillon, M. de Laborde et le cardinal de Luynes.
Quelques mois auparavant, Louis XV avait employé Beaumarchais pour le rachat d’un libelle de Théveneau de Morande contre Mᵐᵉ Du Barry. M. Robiquet a donné dans son Théveneau de Morande (Paris, 1882, p. 43) le récit de cette négociation:
«C’est La Borde... qui désigna Beaumarchais au vieux roi, alors à la recherche d’un homme supérieur dans la négociation...» pour avoir raison du terrible biographe de Mᵐᵉ Du Barry.
Beaumarchais accepta la mission délicate qui lui était proposée et se rendit à Londres, en mars 1774, sous le nom de Ronac, anagramme de Caron.{379}
Morande ne demandait qu’à se laisser corrompre. Dans les lettres qu’il avait adressées au duc d’Aiguillon et à M. de Sartine, l’auteur des Mémoires secrets d’une fille publique avait lui-même fait son prix. D’après ce que raconte Dutens dans les Mémoires d’un voyageur qui se repose, il fut convenu, entre l’envoyé de Louis XV et le libelliste, que ce dernier supprimerait toute l’édition, moyennant une somme de 32.000 livres et une pension de 4.000, dont la moitié serait reversible sur la tête de sa femme.
M. de Loménie dit, nous ne savons sur la foi de quels témoignages, que Morande ne toucha qu’un capital de 20.000 francs comptant; mais la Police dévoilée (de Manuel) et le Diable dans un bénitier (de Lafite de Pellepore) donnent le même chiffre que Dutens qui tenait ces renseignements de Beaumarchais en personne.
Quant à la pension de 4.000 livres, d’autres disent 4.800, c’était un contrat de rente bien authentique.
Tous les exemplaires de la biographie de Mᵐᵉ Du Barry furent brûlés dans un foyer à briques aux environs de Londres. On n’épargna qu’un seul exemplaire. Les feuillets furent coupés en deux moitiés: Beaumarchais garda l’une et Morande l’autre. Si l’ouvrage reparaissait, le contrat serait frappé de nullité...
... Le duc d’Aiguillon aurait bien voulu savoir quelles personnes de la cour renseignaient Morande avec une perfidie et une exactitude si dangereuses pour le repos du roi. Mais le pamphlétaire ne livra pas des secrets qui faisaient sa force, et Beaumarchais affirme, dans un mémoire adressé à Louis XVI, qu’il refusa, de son côté, de «jouer le rôle infâme de délateur».
Le duc d’Aiguillon fut-il réellement, sinon l’inspirateur, du moins le commanditaire de cette fabrique d’ignobles{380} opuscules qui couvrirent de fiel et de boue Marie-Antoinette? Cette œuvre de scandale et de calomnie n’entra en activité, dans ce qui concerne, et la reine de France, et la femme du roi, qu’à l’avènement de Louis XVI. Or, nos recherches personnelles[622] nous ont fait découvrir un acte d’association, dans cette même année, pour la composition et l’exploitation des Nouvelles à la main, entre un gazetier famélique et le chevalier d’Abrieu, secrétaire intime de M. d’Aiguillon. Le traité suivit-il son cours entre les deux parties contractantes? Nous n’avons trouvé aucune pièce qui autorise à l’affirmer.
Mais, dans un autre carton des archives de la Bastille[623], nous avons rencontré, parmi les papiers d’un gazetier de la même époque, des pièces intéressantes qui établissent une sorte de connexion entre l’abandon de son industrie par le nouvelliste et la démission du ministre de Louis XV. Signalons tout d’abord le registre d’abonnement de ce journaliste à la main[624], registre où nous relevons, entre autres noms, ceux de «M. le duc de Choiseul en son château à Chanteloup, par Amboise» et de «Monseigneur le comte d’Artois» par l’intermédiaire de son premier valet de chambre, avec cette mention: «Il faut mettre un point à l’A». Nous retrouvons sur l’un des feuillets l’adresse du cardinal de Bernis à Rome et celle du «chevalier de Balleroy, brigadier des armées du roi à Bayeux», mais tous deux ont cessé leur abonnement depuis le 14 janvier 1774.
Le document le plus curieux du dossier Surgeon est encore cette note qu’adresse, le 25 juillet 1774, au lieutenant général de police, l’inspecteur Goupil.[625]{381}
«... J’ai l’honneur de vous rendre compte que, dans les recherches et démarches que j’ai faites à l’occasion des Nouvelles à la main dont vous avez bien voulu me charger, je suis parvenu à savoir du sieur Renaud et son épouse que plusieurs personnes se mêlaient d’abonner pour les provinces. J’ai même été sans succès dans les endroits qu’ils m’ont indiqués, puisque j’ai appris des sieurs Fréret et Landriau, avec la plus grande ingénuité, qu’ils ne s’en étaient pas occupés depuis la retraite de M. le duc d’Aiguillon.»
Personne n’ignore que la plupart de ces gazettes étaient souvent très mordicantes, comme on disait alors, et valaient à leurs auteurs ou leurs colporteurs les honneurs de la Bastille.
Goupil, poursuivant ses perquisitions, retourne chez les Renaud. Ceux-ci lui disent de s’adresser au domestique de Pidansat de Mairobert, le continuateur des Mémoires de Bachaumont, mais lui recommandent de «prendre bien garde à trouver le maître». Mairobert n’était pas d’humeur accommodante. Aussi le policier ne peut-il dissimuler sa répugnance à tenter une telle démarche. D’où cette petite scène de ménage que note scrupuleusement Goupil:
«L’épouse, en regardant avec bonté son époux, lui a dit:
—Evitez à monsieur ce nouvel embarras et lui dites au plus juste où il s’adressera.
L’époux, d’un air courroucé, a juré contre son épouse en lui disant:
—Taisez-vous, madame, et ne me compromettez. Vous savez que j’ai des défenses de la police et que, depuis un mois, je ne me mêle plus de ces nouvelles.
Ce qui m’a déterminé à me retirer», conclut l’inspecteur. Peut-être aussi avait-il constaté que sa véritable personnalité était découverte.
Mais il n’avait pas abandonné la partie.{382}
Le motif avoué de toutes ces recherches était bien l’interdiction des Nouvelles à la main, mais le but véritable, soigneusement dissimulé, des enquêtes policières était la capture d’un pamphlétaire qui avait lancé contre la reine un libelle infâme, Le lever de l’Aurore. Or, Goupil le croyait, non sans raison, affilié à l’une de ces agences de gazettes manuscrites, qui pullulaient alors à Paris et qui, fort souvent, empruntaient leur misérable prose à un office central de nouvelles dont elles étaient les abonnées. Goupil apprenait, en effet, le 27 juillet 1774, les relations... littéraires de l’homme qu’il filait—l’abbé Mercier, secrétaire de Marin, rédacteur à la Gazette de France—avec les publicistes nommés Pignatel et Dubec. Et, pour en finir au plus vite, l’inspecteur, armé de lettres de cachet, expédiait à la Bastille, le 28, tout ce lot de journalistes de contrebande, y compris Arnoux, directeur-caissier de la feuille officielle. Or, ce Dubec était précisément l’associé éventuel du chevalier d’Abrieu; et l’une de ses lettres, conservée dans son dossier, certifie qu’il était le prête-nom du titulaire de la Gazette de France, le trop fameux Marin-Quesaco de Beaumarchais; car, celui-ci, à côté de son organe reconnu et commandité par le gouvernement, avait un service de nouvelles, plus ou moins licites, qu’il faisait distribuer en province. Dubec reconnaissait, sans difficulté, qu’il avait fait commerce de nouvelles, mais qu’il avait cessé, sur l’ordre de la police et repassé à son ancien associé Arnoux ses listes d’abonnés. Il avouait également, comme d’ailleurs l’abbé Mercier, que le secrétaire de Marin, dénoncé par son patron, avait collaboré à ses gazettes manuscrites.
Evidemment, les diverses coïncidences que nous venons de relater entre la suppression des Nouvelles, l’arrestation du pamphlétaire Mercier et la démission du duc d’Aiguillon, ne doivent pas être passées sous silence; mais elles ne peuvent fournir les éléments d’un acte d’accusation contre l’ancien ministre[626].{383}
LE DERNIER D’AIGUILLON.—SON ROLE A LA CONSTITUANTE ET A L’ARMÉE.—SON SÉJOUR A LONDRES.
Harcelé et vilipendé par les épigrammes et les pamphlets qui le représentaient, travesti en poissarde, au milieu des furies des 5 et 6 octobre, d’Aiguillon avait fini par s’émouvoir de tant d’outrages. Il en écrivit au Moniteur qui publia sa lettre dans le numéro du 21 janvier 1790 (quelle coïncidence!). Après avoir «résisté longtemps», disait-il, à sa mère, à ses parents, à ses amis qui le pressaient de démentir «les lâches accusations» portées contre lui, d’Aiguillon s’était décidé à se défendre, énumérait ses démarches auprès du comité des recherches de l’Assemblée nationale, de la ville de Paris, etc., etc. Il leur avait demandé de faire procéder à une enquête sur sa conduite. Il mettait au défi ses accusateurs d’établir le bien-fondé de leurs griefs. Et il poursuivrait, comme calomniateur, celui de ses ennemis qui renoncerait à l’anonymat, pour déclarer que d’Aiguillon était réellement coupable des «horreurs» qu’on lui prêtait.
Il ne paraît pas que cette invitation ait été relevée sur le terrain où se plaçait d’Aiguillon... Mais, le Journal général de la Cour et de la Ville, du 5 mai, ayant inséré un quatrain des plus injurieux, signé De Meude-Monpas où se lisait le mot d’Aiguill..., le député de la Constituante somma le journal et l’auteur de l’épigramme de s’expliquer catégoriquement. Meude-Monpas répondit qu’il n’avait pas entendu désigner sous le nom d’Aiguill... le duc d’Aiguillon. Celui-ci fit publier cette déclaration signée dans le nº 145 du Moniteur (25 mai 1790) en l’accompagnant d’un rappel de sa lettre parue le 21 janvier.
Mais la haine politique n’avait pas encore lâché sa proie. Et ce fut à la Constituante qu’elle vint la ressaisir, non plus dans sa personnalité, mais dans celle de son père.{384}
Le nº 343 du Moniteur nous en fournit la preuve.
Au cours de la séance du mardi soir 7 décembre 1790, le député royaliste Cazalès s’exprimait ainsi:
«... La suppression d’un acte de procédure est une tyrannie. Qu’il me soit permis de rappeler à ces Bretons, qui siègent dans cette assemblée, quelle fut leur juste indignation, quand le feu roi fit enlever du greffe du Parlement de Paris la procédure dirigée contre M. d’Aiguillon. Cette indignation fut juste: la France la partagea. Il n’y eut pas un bon citoyen qui ne fût profondément affligé de voir le vertueux La Chalotais rester sous le coup d’une accusation calomnieuse, quand le coupable d’Aiguillon jouissait en paix des crimes qu’il avait commis dans cette province.»
Des murmures éclatèrent sur un grand nombre de bancs, car c’était surtout le fils qui était visé plus que le père. Et l’attaque était d’autant plus illogique que celui-ci avait défendu les prérogatives royales contre les Etats de Bretagne et que lui, Cazalès, combattait pour elles au sein de l’Assemblée nationale.
D’Aiguillon fils avait demandé la parole; il répondit en ces termes à l’attaque de son collègue:
«J’aurais plus tôt demandé la parole pour solliciter de l’Assemblée une justice éclatante des injures et des calomnies que M. Cazalès s’est permises contre la mémoire de mon père, si je n’avais considéré combien les principes de M. Cazalès ont peu d’influence sur l’Assemblée nationale et sur la nation (nombreux applaudissements), si je n’avais pensé que je devais les outrageantes personnalités de M. Cazalès à la différence d’opinion qui existe entre nous.
D’ailleurs les applaudissements que l’Assemblée a bien voulu me donner vengent assez, et moi, et la mémoire de mon père. Je demande donc que, pour ce qui me regarde personnellement, M. Cazalès ne soit pas rappelé à l’ordre (applaudissements prolongés).»
Cazalès regretta publiquement son intempérance de langage; mais elle n’en démontrait pas moins combien était encore vivace l’animosité qui avait survécu au brusque dénouement des affaires de Bretagne.{385}
La Biographie universelle et portative des contemporains (1826) et les Papiers de Barthélemy (Paris, 1886, t. I) nous donnent la suite de la biographie de «Richelieu d’Aiguillon» jusqu’au moment de son départ pour l’émigration.
Après la clôture de l’Assemblée constituante, il reprend du service en qualité de maréchal de camp. Remplaçant Custines dans son commandement de Porentruy, il dut échanger des dépêches avec Dumouriez. (Autre coïncidence! Le père avait fait mettre le futur vainqueur de Valmy à la Bastille!)
Une lettre interceptée lui valut d’être dénoncé à la Convention et décrété d’accusation, bien qu’il eût traité publiquement les émigrés et leurs compagnons de «hordes de traîtres et d’embaucheurs». Ce qui ne l’empêcha pas d’émigrer à son tour, mais, avant, il crut devoir expliquer à ses soldats pourquoi il les abandonnait. Il quitta donc la France pour se retirer à Londres où il fut fort mal reçu des émigrés. Il en partit pour se fixer définitivement à Hambourg. Il y mourut le 4 mai 1800; mais, au dire de la Biographie portative, il venait d’obtenir sa radiation de la liste des émigrés, ce que semble contredire la procédure suivie pour la vente du domaine et du château d’Aiguillon.
Les Mémoires de Brissot (1832, 4 vol.) insèrent, à la page 179 du tome III, cette note:
«Extrait des Mémoires du chanteur anglais Michel Kelly qui était en relations avec le duc d’Aiguillon pendant le séjour de celui-ci à Londres:
«Un matin, le duc me fit appeler: «Je vous ai beaucoup d’obligation, me dit-il, pour la bienveillance et l’hospitalité avec lesquelles vous m’avez traité, ainsi que mes amis. Mais bien que je sois toujours harcelé par le malheur, il m’est impossible d’oublier que je suis le duc d’Aiguillon; et je ne saurais me résoudre à vivre d’emprunts et d’aumônes. J’avoue que je suis réduit à mon dernier schelling, cependant, je conserve ma santé et toutes mes facultés.
«Quand j’étais autrefois grand amateur, j’aimais beaucoup{386} à copier de la musique[627], c’était alors un amusement pour moi; ce serait, à présent, mon bon ami, une précieuse ressource. La grâce que je vous demande c’est de vouloir bien me faire copier de la musique pour vos théâtres au prix que vous donneriez à un copiste ordinaire qui vous serait totalement étranger. Je suis maintenant fait aux privations, j’ai peu de besoins. Jadis logé dans des palais, je me contente aujourd’hui d’une seule chambre à coucher au second étage, et si vous m’accordez ce que j’attends de votre amitié, vous me procurerez la satisfaction après laquelle je soupire de ne devoir ma subsistance qu’au travail de mes mains.»
«Je fus ému jusqu’aux larmes en voyant l’extrémité où se trouvait réduit un homme né dans la plus haute classe de la société et qui avait joui d’une aussi grande fortune. Je lui promis de lui procurer toute la musique qu’il pourrait copier; il parut au comble de ses vœux. Le lendemain, je lui donnai de l’ouvrage.
«Depuis ce moment, il se levait avec le jour et travaillait jusqu’au soir pour remplir sa tâche; ensuite il s’habillait proprement et se rendait au parterre de l’Opéra. Là, il pouvait encore se croire le duc d’Aiguillon, et personne n’eût deviné qu’il avait passé la journée à copier de la musique pour un schelling la feuille.
«Dans cet état de gêne, il doit paraître étrange que son humeur ne se soit jamais altérée et qu’il ait toujours conservé sa gaîté. Il n’est pas douteux que sur dix Anglais placés dans les mêmes circonstances, neuf au moins ne se fussent ôté la vie. Cependant la tranquillité passagère que ce malheureux duc goûtait alors ne fut pas de longue durée. Un ordre émané de l’alien office, aussi cruel qu’il était inattendu, ne lui donna qu’un délai de deux jours pour quitter l’Angleterre. Il partit pour Hambourg où il mourut bientôt après.»{387}
Documents sur le mobilier du château d’Aiguillon confisqué en 1792, Agen 1882 (Biblioth. nat. Impr. LK7 24985.)
Résumé de ce précieux opuscule:
L’histoire du château d’Aiguillon et de ses hôtes tient une telle place dans notre livre, la destruction de l’immeuble fut si rapide et la dispersion de son mobilier si radicale, que nous avons cru devoir résumer en quelques pages la brochure de M. Tholin, qui les fait revivre par sa documentation précise et sincère, à l’exemple de ces pièces d’archives, inventaires et procès-verbaux, dont les descriptions exactes et détaillées permettent de reconstituer... sur le papier, les appartements, et l’aspect général des intérieurs d’autrefois.
Ce fut le 18 septembre 1792 que la Commission du département de Lot-et-Garonne apposa les scellés sur toutes les portes du château d’Aiguillon, propriété de «Vignerot émigré».[628] Huit mois après, le Conseil de Lot-et-Garonne{388} s’inspirait du décret de l’Assemblée nationale (14 novembre 1789) concernant la conservation des livres et objets
précieux provenant des établissements supprimés, pour «empêcher le pillage, régulariser la vente et faire exécuter le triage des livres, archives et objets d’art».
Le 28 mai 1793, de concert avec l’administration de Tonneins, le Conseil de Lot-et-Garonne nommait Lespinasse père, négociant, à fin d’expertiser, le lendemain 29, les meubles et effets dudit château, à lui présentés par Nugues aîné, administrateur du district de Tonneins, et de se conformer aux prescriptions de Nugues, commissaire du district et de Saint-Amans, commissaire particulier du département.
Le 5 juin 1793, le Conseil du département déléguait Durand, en qualité de commissaire, à Aiguillon, pour y vendre, le 6, les effets inventoriés, «conformément au mode usité pour la vente des meubles et effets nationaux», l’administration se réservant tous les tableaux et autres objets désignés dans l’état Saint-Amans et Noubel du 30 mai[629], «ensemble deux lustres, celui dans le salon de compagnie et autre à choisir dans les autres salles, poëles et cartons et papiers qui devront être gardés au prix de l’estimation».
La vente sur place comporta 52 vacations du 6 juin au 4 septembre 1793 et s’éleva à 98.686 livres 17 sous. Le catalogue, qui ne compte pas moins de 300 pages[630], ne donne cependant que des indications sommaires sur les objets mis en vente: porcelaines, faïences, chandeliers, candélabres{390} en bronze et en argent, meubles en marqueterie, tentures, canapés et fauteuils en tapisserie ne trouvèrent acquéreur qu’à vil prix.
Vingt-deux glaces furent vendues de 165 à 570 livres; quatre cabriolets (petits meubles) garnis en damas, 105 livres; une pendule portative montée sur rhinocéros, 340 livres; une pendule à l’antique, 210 livres... Dix-sept tableaux (portraits) de la famille Vignerot, compris une gravure ovale et deux autres ovales, 400 livres... Un tableau représentant Rennes; un autre, l’enlèvement d’Europe... Des portraits, des vues et des monuments sans désignation.
A ce propos, M. Tholin cite le passage suivant du chroniqueur Proché: «Dans une fête célébrée à Agen, le 22 septembre 1793, on livra aux flammes tous les tableaux qu’on avait retirés des églises, ceux qui représentaient des rois ou des princes, ou qui retraçaient quelques vestiges de féodalité, en un mot tous ceux qu’on avait trouvés dans les maisons des particuliers et au château d’Aiguillon. Tous ces tableaux, dont quelques-uns étaient des chefs-d’œuvre, avaient été portés sur un tombereau qui suivait le cortège. On y remarquait le portrait de Louis XV, représenté en grand, le sceptre à la main, placé sur le devant du tombereau.» La Revue de l’Agenais (1878, tome V, p. 190) suppose que ce fut sans doute ce jour-là qu’on brûla en même temps les tableaux religieux et les portraits des souverains (Louis XIII et Henri IV, inventaire de 1613) qui étaient à l’Hôtel de Ville d’Agen.
M. Tholin estime qu’il faut «en rabattre» de l’appréciation du chroniqueur, et que l’autodafé se borna à la destruction des portraits de roi ou de prince. C’était déjà trop: les vandales qui croyaient faire œuvre de bon patriote en brûlant ces effigies royales, pouvaient-ils savoir si, par exemple, ce portrait de Louis XV, en pied, avec les attributs de la royauté, n’était pas l’œuvre d’un maître, sortant surtout du château d’Aiguillon?
En 1795, le Directoire de Lot-et-Garonne, tenant ses séances dans l’ancien couvent des Carmélites, sur l’emplacement du lycée actuel, se préoccupa d’approprier un local{391} pour le musée départemental. Le directeur des travaux publics communiqua son rapport constatant l’existence d’objets d’art dispersés dans tout le département et l’arrivée de gravures et de moulages envoyés de Paris pour l’école de dessin. Il fit préparer un local pour recevoir ces divers objets; et Tonellé, conducteur des travaux publics, fut chargé de l’aménagement.
Dix jours auparavant, le 6 nivôse an III, le Directoire avait nommé une commission pour inventorier les tableaux du château d’Aiguillon déposés au musée. Ce travail, confié à Saint-Amans, qui l’exécuta avec deux adjoints, fut terminé le 25 nivôse[631], «dans la forme imposée par la Convention, le 8 pluviôse an II, pour les bibliothèques publiques». La notation en usage vaut la peine d’être rappelée. + désignait les objets d’une certaine valeur; ++ ceux qui étaient très remarquables; +++ les plus rares et les plus précieux.
Bon nombre de ces tableaux se trouvent encore à la préfecture d’Agen; et M. Tholin les signale, d’après l’étude critique qui en fut faite (1879) par MM. Boudet, de Monbrison, A. Magen et Payen, architecte départemental:
Pastel de Caffieri (portrait de J. Le Causeur, âgé de cent trente-deux ans[632]); en déficit.
Pastels de Volaine;
Deux vues du château de Veretz par Van Blarenbergue. Travail fort beau et dont la dimension contraste avec le genre du peintre qui était un miniaturiste. Ces vues sont à la préfecture;
Saint-Jean-Baptiste dans le désert, d’après Raphaël (?);
Portrait d’Hortense Mancini (école de Mignard);
Portrait de Mᵐᵉ Du Barry, de Drouais «retouché pour M. d’Aiguillon».
Ne serait-ce pas cette «copie du portrait de Mᵐᵉ Du Barry en Flore retouché d’après nature pour M. le duc d’Aiguillon, au prix de 600 livres» tel que l’indiquent les Gon{392}court dans leur livre La Du Barry, p. 368? Ce portrait est à la préfecture.
De même ceux de la comtesse de Provence, par Drouais; de Mᵐᵉ de Pompadour, par Nattier; de Mᵐᵉ de Mazarin-Mailly, attribué à Nattier; de Louise de Crussol (école de Mignard); de Cinq-Mars, qu’on suppose provenir des d’Effiat, propriétaires de Veretz avant les d’Aiguillon.
Douze tableaux, consignés par l’inventaire du 25 nivôse an III, ont disparu, et parmi eux le Passage de la mer Rouge, attribué par les experts au Poussin, qui avait travaillé pour Mᵐᵉ de Combalet, duchesse d’Aiguillon et nièce du cardinal de Richelieu.
Nous avons simplement analysé le catalogue, annoté, de M. Tholin, sans nous prononcer pour ou contre des attributions, qui ont d’ailleurs varié, suivant les dates d’expertise.
Le Museum d’Agen, qui devait être constitué avec le fonds d’Aiguillon, dans l’Ecole centrale de Lot-et-Garonne, fondée le 21 novembre 1799, ne semble pas avoir jamais existé. En tout cas, un inventaire du mobilier de la préfecture en 1812, aussi incomplet qu’il est sommaire, porte que les tableaux ont été «trouvés à l’administration centrale. Ils viennent du château d’Aiguillon» et l’inventaire note «portraits de famille pour mémoire». Ils ne sont catalogués que très imparfaitement.
En réalité, tableaux et meubles ont... émigré dans les salons de la préfecture.
L’opuscule de M. Tholin offre le plus grand intérêt, non seulement au point de vue qui nous occupe, mais encore à un point de vue général. Il ouvre de curieux horizons sur la vie économique dans les châteaux de l’ancien régime, quelques années avant la Révolution. Déjà les lettres de M. et Mᵐᵉ d’Aiguillon nous l’ont fait entrevoir. Ici, nous avons des documents précis, des comptes et des chiffres. Voici, par exemple, l’état du sommelier en 1782:
Dans cette année, 577 bouteilles de 60 crus différents parurent «à la grande table». L’office, y compris le personnel du théâtre, qui fut servi à part, consomma 888 bou{393}teilles pour les hommes, 360 pour les femmes, 101 pour les musiciens, 135 pour les garçons, soit un total de 1484 bouteilles.
La vente de la cave, en 1793, qui présentait à peu près la même composition de vins qu’en 1782, ne comporte pas des renseignements moins instructifs. Ce sont les vins de liqueur qui ont toutes les préférences: Malvoisie, Chypre, Xérès, Malaga, Rancio, les muscats du pays (crus Galibert et Reignac situés à la Croix-Blanche, près d’Agen). Certains furent vendus jusqu’à 6 livres la bouteille. Pas de Bourgogne, ni de Champagne. Les Margaux, Saint-Emilion et Barsac sont achetés 1 livre 16 sous, à peine quelques sous de plus que les vins de Cahors et d’Aiguillon.
Le château n’était pas terminé au moment de la Révolution; mais M. Tholin estime, à juste raison, que le corps de logis principal devait être très vaste et complètement meublé, en raison des réceptions qu’y donnaient les châtelains et des hôtes qui venaient y villégiaturer. M. Tholin ajoute que les invitations furent très nombreuses dans le principe et qu’elles furent «acceptées avec reconnaissance», mais bientôt les visites se firent plus rares: la noblesse agenaise était pauvre et le duc d’Aiguillon trop hautain. C’était, en effet, un de ses péchés mignons; mais nous avons vu, d’après la correspondance, qu’il y avait toujours foule au château et même dans la salle de spectacle.
De celle-ci, qui existe encore, mais qui a reçu une autre appropriation, M. Tholin nous donne une description assez précise. C’était une aile du château consacrée à cette destination (nous savons qu’elle avait été construite à cet effet par les d’Aiguillon). Cette salle contenait, outre la scène et un amphithéâtre pour les spectateurs, un chauffoir pour les dames et deux foyers isolés par des portes matelassées. Deux portes, qui subsistent, devaient ouvrir, l’une sur l’escalier du château, l’autre sur la rue. La salle était éclairée par des lustres de cristal, et entourée de loges garnies d’accoudoirs, de banquettes rembourrées et d’autres plus simples. C’est aujourd’hui l’Hôtel du Tapis Vert.{394}
Les décors, les costumes et la bibliothèque du théâtre ne furent pas vendus. Isabeau, le conventionnel en mission, le même qui distribuait aux acteurs de la région les ornements d’église pour s’en faire des costumes, mit, le 16 octobre 1794, à la disposition du Comité dramatique d’Agen le mobilier théâtral du château. Le 19, le Directoire de Tonneins en fit dresser l’inventaire par la municipalité d’Aiguillon.
Les décors servirent quelque temps aux représentations données par le Comité dramatique; mais, en 1797, certains de ses membres se refusant à prendre la responsabilité de la conservation de ces décors, la municipalité agenoise en référa au ministre de l’intérieur.
Celui-ci, d’autre part, avait reçu des citoyens Garnier et Cressant, artistes du théâtre de Montauban, une requête pour l’obtention de ces mêmes décors. Le ministre des finances, avisé, le 26 pluviôse an VI, par son collègue de l’intérieur, lui répondit, le 29, qu’il en avait écrit au département de Lot-et-Garonne. D’Aiguillon sollicitait alors sa radiation de la liste des émigrés: si le Directoire exécutif rejetait la demande, disait le ministre des finances, on pourrait mettre toiles et décors à la disposition des comédiens montalbanais.
Les démarches de d’Aiguillon ne durent pas être accueillies favorablement, car la ville d’Agen fut autorisée à prendre possession du mobilier théâtral du château, sur l’évaluation qui en avait été faite à 478 livres 10 sous, le 10 avril 1798, par le commissaire délégué J. Raymond.
La description des costumes et accessoires comprend trois grandes pages de l’inventaire, pêle-mêle pittoresque de robes de soie de toutes couleurs, corsets «variés», manteaux brodés, culottes à la musulmane, toges romaines, habits espagnols, chapeaux de Scapin, cuirasses, brassières, peau d’ours... Le répertoire, dont la correspondance de Mᵐᵉ d’Aiguillon indique différentes pièces, appelait évidemment cette variété de costumes.
Parmi les accessoires, nous voyons une «machine pour le tonnerre» et «un tableau avec son chevalet» pour le Tableau parlant de la Comédie-Italienne.{395}
Certes tous ces chiffons et ces fanfreluches, ces oripeaux et ce clinquant, qu’avait déjà dû disperser et ternir l’âpre bise de la tourmente révolutionnaire,—ludibria ventis—ne sont plus aujourd’hui que de vains souvenirs. Mais il reste, de ce même théâtre d’Aiguillon, d’impérissables monuments, actuellement à l’Hôtel de Ville d’Agen, 400 volumes in-folio d’œuvres musicales que le duc avait collectionnées. Ils sont aux armes d’Aiguillon, et plusieurs portent l’ex-libris des grands bibliophiles du XVIIIᵉ siècle, Bonnier de la Mosson, chevalier de Polignac, Rouillé, Du Tillet, marquis de la Chétardie, etc. Il en est qui contiennent des curiosités comme la mise en scène du ballet des Turcs dans le Bourgeois gentilhomme, ou des pièces inédites, telles les Cantatilles de Barthélemy sur le Siège de Saint-Malo et la Bataille de Saint-Cast.
M. Tholin constate, avec juste raison, d’après le catalogue de l’importante bibliothèque musicale de Fétis, achetée par la ville de Bruxelles, que cette collection est moins riche que celle de d’Aiguillon pour certaines séries, «celle des auteurs français de musique dramatique, tragédies mises en musique, comédies, pastorales et ballets».{396}
Monsieur,
Je m’étais déjà présenté à votre porte pour tâcher de vous rendre mes hommages respectueux, lorsque vous avez bien voulu me mander afin de me prévenir des intentions du roi et de son ministre relativement à la conduite que je dois tenir sur quelques points essentiels de mon affaire contre M. de Guines. Il a toujours été dans mon cœur, Monsieur, le désir le plus vif de ne pas déplaire à mes maîtres, et il n’y a pas de sacrifices que je ne sois prêt à faire pour éviter un pareil inconvénient.
J’ai été malheureusement forcé d’intenter une action criminelle contre M. de Guines (non parce que ce même M. de Guines m’a cruellement persécuté en me faisant traîner dans différentes prisons après m’avoir enlevé toute ma fortune) mais parce qu’il a osé ajouter à ces injustices celle de m’avoir accusé auprès du roi, et publiquement, d’être un voleur domestique et d’avoir trahi les intérêts de la France en vendant à prix d’argent les secrets de l’Etat à différents négociants anglais, etc...
Des accusations de cette espèce ne me laissaient que le choix de mourir dans l’opprobre, ou de me justifier en employant les voies de droit. Ce dernier parti était sans doute dangereux parce que mes démarches, quoique très légales, pouvaient choquer à tout instant les vues d’une administration à laquelle mon adversaire tenait par sa place.
Voilà, Monsieur, quelle était ma position. Il fallut cher{397}cher des expédients pour tâcher d’en diminuer l’horreur; et je n’en trouvai pas de meilleur que celui de supplier M. de Sartine de vouloir bien être le juge de la conduite que je me proposais de tenir. Ce magistrat daigna m’écouter; il me promit même avec bonté de m’arrêter sur les objets qui pourraient m’attirer le blâme de la Cour, mais à cette condition que je le préviendrais d’avance de tous les partis que je serais dans le cas de prendre relativement à l’instance que j’allais commencer. Mes intentions étaient trop pures pour ne pas souscrire aux conditions que m’imposait M. de Sartine. Je lui ai tenu scrupuleusement parole. J’ose l’en prendre à témoin. Sa haute sagesse m’a préservé de mille écarts. Mon innocence et ma fermeté ont fait le reste.
Vous devez être bien assuré, Monsieur, d’après ce détail, qu’étant heureusement parvenu au moment d’être jugé, je ne chercherai point à me compromettre en faisant insérer des faits qui puissent intéresser le Gouvernement dans les mémoires que je serai bientôt forcé de donner à mes juges et au public.
M. de Sartine avait encore bien voulu me promettre d’entendre la lecture de ces mémoires avant qu’ils ne fussent mis sous la presse.
Puis-je me flatter de trouver le même intérêt et les mêmes bontés dans son successeur? J’oserais l’espérer, Monsieur, si le désir de les mériter pouvait être compté pour quelque chose. Mais, puisque ce n’est pas un titre, je me bornerai à vous supplier de devenir l’interprète de mes sentiments, en daignant assurer le roi et ses ministres que S. M. n’aura jamais de sujet plus fidèle, plus soumis et plus respectueux que moi.
Je suis, etc.
Tort.
Paris, le 22 septembre 1774.
Lettre de Tort de la Sonde au lieutenant de police. Son dossier est accompagné de ses interrogatoires et de lettres du comte de Guines au duc de La Vrillière.{398}
Paris, 16 juin 1775.
... Je n’ai pas besoin de vous dire ce que j’ai éprouvé, en voyant partir lundi M. d’Aiguillon seul et sans savoir quand et comment je pourrai l’aller trouver. Ce qui est certain, c’est que, si j’ai la possibilité de voir ma tête à couvert, je partirai. Il faut convenir que notre position est plus cruelle que celle de tous les autres exilés que j’aie vus.
M. de M(aurepas) a été envoyé à Bourges dans la maison de son cousin et de son ami; et sa femme a pu ne pas le quitter. De plus, cet éloignement ne marquait pas un acharnement comme le nôtre le prouve. Il n’avait qu’une terre bâtie (Pontchartrain) qui était à quatre lieues de Versailles où le roi allait souvent chasser... Nous en avons une bien bâtie à 60 lieues où nous serions bien à notre aise; c’est pour cela qu’on nous envoie à 200 lieues dans un endroit non bâti et où je ne puis aller... M. de Choiseul, dont assurément le feu roi avait plus d’une raison de se plaindre, a été envoyé chez lui, où non seulement sa femme et sa sœur, mais tous ses amis l’ont suivi. Jamais on n’a imaginé de trouver 60 lieues trop près: cela était réservé pour nous.
Extrait des Délibérations de la commune de Marly.
Nous, soussignés, maire, officiers municipaux, membres du conseil général de Marly, sur la demande faite par la citoyenne ci-après nommée, sur l’attestation des citoyens{399} Gervais, Mottet, J.-Louis Chicaneau, Claude Blein, Jean-Pierre Leroy, L. Durand, Louis Rousseau, J.-J. Hauvy, L. Talveau.
Que la citoyenne de Plélo, veuve d’Aiguillon, douairrière (sic), âgée de soixante-six ans, taille de 4 pieds 10 pouces, visage plein, yeux bleus, cheveux grisonnants, bouche grande, est demeurant actuellement à Rueil[633], maison appartenant à elle-même et qu’il (sic) y réside sans interruption depuis juin dernier jusqu’à ce jour, qu’elle a payé ses impôts depuis 1789 et qu’il nous a justifié de la prestation du serment sur la Constitution.
Fait en la maison commune le 5 février 1793.
Signé: Langevin (maire), Gagne, Fournier, Couturier.
Enregistré à Versailles, le 28 février 1793 (reçu 20 sols).
Certificat d’affiches pendant quinze jours
à Marly, Langevin, maire,
à Rueil, Lavoipierre, maire.
Visa du Directoire du district de Versailles, Chaillou.
Visa du département, Lavoltere.
Le 13 pluviôse, an II.—Vu la déclaration, le Comité de sûreté générale arrête que la ci-devant duchesse d’Aiguillon, en son domaine à Ruel, d. de Versailles, sera transférée en la maison d’arrêt, dite des Anglaises, à Paris, que préalablement, les scellés seront apposés sur ses papiers, distraction faite de ceux qui se trouveront suspects et apportés au Comité de sûreté générale avec le procès-verbal; charge{400} de l’exécution du présent arrêté les citoyens Caplain et Quitelette, membres du comité de sûreté de Saint-Cloud, qui s’adjoindront deux autres membres du comité de sûreté ou deux officiers de Ruel, lesquels pourront requérir la force armée nécessaire dudit lieu.
Dubarran, Jagot, Louis du Bas-Rhin, Guffroy.
Le 30 vendémiaire, an III.—Vu les différentes attestations des autorités constituées de la commune de Ruel, près Paris, en faveur de la dame veuve d’Aiguillon, détenue aux Anglaises, rue Saint-Victor, le Comité arrête qu’elle sera sur-le-champ mise en liberté et les scellés levés au vu du présent.
Les membres du Comité de sûreté générale.
Legendre, Lesage-Senault, Laporte, Dumont, Clauzel,
Reverchon.
Archives de la commune de Rueil. Communiqué par G. Tausend. Acte de décès et d’inhumation de Mᵐᵉ d’Aiguillon.
Commune de Rueil.
Aujourd’hui trente fructidor an quatre de la République française, onze heures du matin, devant nous, agents municipaux de la commune de Rueil, département de Seine et Oise, est comparu le citoyen Jean Charles Antoine Chauvet[634],{401} âgé de 44 ans, lequel nous a dit que, le jour d’hier, vers les sept heures du matin, est décédée, en sa demeure ordinaire, rue ci-devant dite du Château, la citoyenne Louise Félicité de Bréan de Plélo, veuve d’Emmanuel Armand Duplessis-Richelieu d’Aiguillon, âgée de 70 ans, d’une maladie de langueur; nous, agents municipaux de la dite commune, nous nous sommes transportés en la demeure de la dite citoyenne d’Aiguillon pour nous assurer de son décès, lequel avons reconnu vrai et l’avons conduite au lieu destiné au repos des corps[635], en présence des citoyens A. N. J. Bonvalet, âgé de 30 ans, demeurant à Paris, rue de la Chaise, Section de la Croix Rouge et de Jean Jacques Hauvy, officier invalide, âgé de 55 ans, demeurant en cette commune, témoins qui ont signé avec nous;
Signé: Quelen[636]. Chauvet. Hauvi. Bonau. Hugues.
Chambel. Debourges.
Inventaire après décès de Mᵐᵉ d’Aiguillon, morte le 15 septembre 1796, fait par le citoyen Ardent, juge de paix (extrait).
Le 16 prairial an V.
1º..... Dans la chambre de Mᵐᵉ d’Aiguillon, ayant vue sur la pièce d’eau, au 1ᵉʳ étage:
1º Devant de cheminée et garniture cuivre;
2º Une bergère couverte en toile coton blanc, brodé vert;
3º Grand lit à couverture brodée et rideaux;
4º Un lit de repos, 6 chaises, 4 fauteuils;
5º Chiffonnier avec métier à tapisserie;{402}
6º Bercelonnette d’enfant, glaces, canapé, tableaux de paysage, vue de Veretz, portraits de famille.
Serre: 26 orangers et autres plantes diverses.
Dans un grand salon: Glaces, fauteuils, portraits de famille. Buste en bronze représentant le cardinal de Richelieu.[637] Bustes en biscuit représentant M. d’Aiguillon, Mˡˡᵉ de Navailles.
Dans les caves: Vins de Hongrie, de Veretz, de Cahors, de Chypre, de Bordeaux, de Saumur.
Dans la ferme: tombereaux, charrues, herses, 20 têtes de mouton, bélier, 5 vaches, 61 têtes de volaille.{403}
N.—Les numéros indiquent les pages. Ceux suivis d’un astérisque indiquent les notes. Les noms en italique désignent les noms de lieu et d’ouvrages.
A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W.
A
Abrieu (Chevalier d’), secrétaire du duc d’Aiguillon, 116, 326*, 342, 380, 382.
Actes des Apôtres, 354354*.
Adélaïde (Mᵐᵉ), fille de Louis XV, 92, 164, 201, 2201*, 202, 202*, 203, 216, 222, 223.
Agen, 36, 49, 314, 339, 341, 387*, 390, 392, 394, 395.
Ayen (Duc d’), 119.
Agénois, ancien pays de France, 1, 254, 261, 295, 326.
Agénois (Domaine d’), 357.
Agénois (Comte puis duc d’), 1, 1*, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 25, 26, 53, 316.
Agénois (Armand, comte d’), fils du duc d’Aiguillon, 316, 317, 318, 326, 327, 328, 332, 335, 338, 342, 345, 345*.
Agénois (Duchesse), 16, 20, 21, 23, 24.
Agénois (Duchesse d’), née Navailles, 346.
Agénois (Hôtel d’, puis d’Aiguillon), 239*, 277, 346, 360, 368, 388*.
Aiguillon (Château d’), 6, 10, 254*, 256, 257, 260, 263, 266, 268, 269, 271, 272, 280, 285, 286, 300, 301, 305, 309*, 311, 312, 314, 326, 330, 333, 338, 355*, 357, 357*, 358, 365, 385, 386*, 387, 388*, 389, 390, 391, 392, 394, 395.
Aiguillon (Duchesse d’), nièce du cardinal de Richelieu, 36, 36*, 392.
Aiguillon (Duc d’), père du duc d’Agénois, 22, 47, 48, 48*, 49, 50, 52.
Aiguillon (Duchesse douairière d’), née Crussol, 7, 21, 23, 24, 74, 127, 147, 154, 167.
{404}Aiguillon (Comte et duc d’Agénois, puis duc d’), 1, 4, 6, 9, 10, 27, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 38*, 39, 40, 41, 41*, 42, 42*, 43*, 44, 45*, 46*, 47, 54, 57, 58, 59, 60, 60*, 61, 62, 63, 64, 65, 65*,
66, 67, 68, 69, 70, 72, 72*, 73, 74, 75, 76, 79, 81*, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 102, 103, 104, 104*, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 110*, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 124, 126, 127, 128, 130, 131, 133, 134, 135*, 136, 140, 141, 145, 146, 147, 148, 151, 152, 152*, 153, 154, 155, 156, 157, 159, 160, 161, 162, 163*, 165, 167, 168*, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 175*, 176, 177, 178, 179, 179*, 180, 181, 182, 183, 183*, 183*, 183*, 184*, 185, 186, 186*, 187, 188, 188*, 189, 189*, 190, 191, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 205*, 206, 206*, 206*, 207, 208, 208*, 208*, 209, 209*, 210, 210*, 210*, 210*, 211, 212, 213*, 214, 214*, 215, 215*, 216, 217, 218, 219, 220, 220*, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 227*, 231*, 231*, 232, 233, 234, 234*, 235, 235*, 236, 237, 238, 239, 240, 240*, 241, 242, 242*, 243, 243*, 244, 244*, 245, 246, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 253*, 254, 256*, 256, 257, 258, 260, 260*, 261, 261*, 262, 268, 270, 271, 273, 274, 274*, 275, 281, 286, 287, 288, 289, 290, 291, 292, 292*, 294, 296, 296*, 298, 299, 301, 302, 302*, 302*, 303, 303*, 304, 307, 309, 310, 311, 312, 314, 315, 315*, 315*, 316*, 317, 318*, 319, 320, 320*, 321, 322, 324, 326, 327, 328, 329*, 330*, 335, 337, 340, 341, 341*, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 350*, 352, 356, 362, 362*, 366, 367, 376, 377, 379, 380, 381, 382, 384, 388*, 391, 392, 393, 395.
Aiguillon (Louise-Félicité de Bréhan Plélo, duchesse d’), 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 17, 33, 37, 38*, 42, 43*, 45, 54, 64, 65, 66, 68, 71, 72, 77, 78, 79, 80, 81, 85, 96, 97, 104, 113, 124, 125*, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 135, 138, 139, 141, 146, 147, 148, 150, 152, 160, 165, 165*, 166, 167*, 178, 180, 186, 190, 191, 192, 194, 194*, 197, 198, 206, 214, 218, 224, 224*, 229, 230, 231, 231*, 232, 233, 237, 238, 246, 256, 261*, 261*, 263, 264, 265, 266, 267, 269, 272, 276*, 277, 278, 279, 280, 282, 284, 288*, 289, 290, 296, 298, 298*, 299, 299*, 300, 301, 302, 302*, 302*, 308, 311, 313, 317*, 322*, 323, 323*, 325, 326, 328, 329, 329*, 331, 333, 335, 338, 339, 339*, 340, 341, 342, 342*, 342*, 344, 346, 347*, 351, 353, 355, 356, 356*, 357, 358, 358*, 360, 362, 362*, 363, 364, 365, 366, 367, 369, 371, 372, 373, 378, 386*, 388*, 389*, 391, 392, 394.
Aiguillon (Agathe-Rosalie d’), 38.
Aiguillon (Armande-Félicité d’), 25.
{405}Aiguillon (Duchesse d’), née Navailles, 356*.
Aiguillon (Armand, duc d’), 354, 354*, 355, 355*, 383, 384, 385, 386, 387*, 388*, 389*, 394.
Aiguillon (Maison d’), 355, 361, 365*, 392.
Alembert (D’), 106, 139, 182, 2220*.
Alexandrine, 314.
Allemagne, 235.
Almeras (Henri d’). Les amoureux de Marie-Antoinette, 219*, 235*.
Alsace, 42.
Alsace-Lorraine, 174.
Amboise, 380.
Amécourt (D’), conseiller à la Grand’Chambre, 319.
Amelot, intendant, 341, 341*.
Amérique, 310, 331*.
Angelucci, libelliste, 235.
Anglais, 310, 343.
Angleterre, 80, 111, 135, 183, 188, 209*, 210, 241, 310, 339, 386.
Angoulème (Bailliage d’), 308.
Anseaume, auteur comique, 329*.
Anville (M. d’), 281.
Apologie de Gilbert, 279.
Archives de la Bastille, 117, 296*, 303*, 380*, 382*.
Archives d’Ille-et-Vilaine, 67*, 81.
Archives nationales, 67*, 68*, 72*, 75*, 76*, 78*, 78*, 79*, 80*, 82*, 93*, 94*, 96*, 115*, 124*, 130*, 132*, 138*, 139*, 143*, 149*, 167*, 169*, 169*, 180*, 191*, 207*, 213*, 230*, 232*, 246*, 246*, 263*, 278*, 280*, 281*, 298*, 298*, 299*, 299*, 299*, 300*, 300*, 300*, 301*, 301*, 302*, 302*, 302*, 302*, 303*, 303*, 303*, 303*, 307*, 307*, 308*, 309*, 309*, 309*, 310*, 310*, 311*, 313*, 313*, 314*, 314*, 314*, 315*, 315*, 320*, 324*, 324*, 324*, 325*, 325*, 325*, 325*, 325*, 327*, 328*, 331*, 332*, 332*, 332*, 333*, 333*, 334*, 334*, 335*, 335*, 339*, 339*, 340*, 341*, 341*, 341*, 343*, 344*, 344*, 344*, 346*, 346*, 347*, 358*, 364*, 387*, 388.
Argenson (Mémoires du marquis d’), 16, 17*.
Armaillé (Mᵐᵉ d’), La comtesse d’Egmont, 154, 154*, 208*, 209*.
Armes (Place d’), Versailles, 197.
Arneth (Comte d’), 223*.
Arneth-Flammermont (D’). Correspondance secrète entre Mercy-Argenteau et le prince de Kaunitz, 156*, 163*, 178*, 185*, 186*, 187*, 196*, 210*, 336*.
Arneth-Geffroy (D’). Correspondance de Marie-Thérèse et de Marie-Antoinette, 120*, 121*, 210*, 211*, 215*, 222*.
Arneth-Geffroy (D’), Correspondance secrète entre Marie-Thérèse et Mercy-Argenteau, 163*, 187*, 187*, 188*, 188*, 190*, 196*, 196*, 221*, 224*, 225*, 227*, 236*, 236*.
Arnoux, 382.
Arpajon, 251.
Artois (Comte d’), 173, 206, 380.
{406}Asie, 331*.
Augeard. Mémoires secrets, 239, 239*.
Aulnay, 132.
Aumont (Duc d’), premier gentilhomme de la Chambre, 217.
Autriche, 20, 135, 156, 161, 163, 165, 181, 183, 185, 187, 188*, 200, 211, 235, 262, 281, 283*.
B
Babillard (Le) de Boissy, 329, 329*.
Bacha, surnom d’Aiguillon, 167.
Bachaumont (Mémoires secrets dits de), 43*, 43*, 82*, 93*, 101, 101*, 109, 110*, 112", 119*, 120*, 137*, 191, 191*, 197, 247*, 263*, 296*, 320*.
Bagnères, 45, 57, 155, 264, 265, 300, 302, 332, 333.
Bâle, 387*.
Balleroy (F.-A. Chevalier de), 8, 9, 13, 23, 31, 39, 54, 67, 68, 71, 72, 74, 76, 82, 93, 96, 97, 116, 127, 128, 129, 130, 141, 152, 158, 166, 169, 191*, 193*, 198*, 207*, 213*, 229, 231*, 246, 260, 262, 263*, 270, 276, 277, 280, 281, 284, 286, 297, 298*, 299*, 300, 303, 304, 305, 309, 309*, 313, 315, 316, 320, 322*, 323*, 325, 326*, 326*, 327, 328*, 330, 332, 333, 334, 335, 338, 343*, 344, 345, 346, 349, 352, 364, 380.
Balleroy (Charles-Auguste, marquis de), 9, 73.
Balleroy (Marquise de la Cour de), 9.
Barbier (Journal de), 12*, 34*, 85*.
Barbier de Séville (Le), 235.
Barèges, 112, 120, 300, 300*.
Bardin (Abbé). Châteauneuf, 299*.
Barrin (Général, vicomte de), 73, 115.
Barthélemy (Abbé), 166, 197, 385.
Barthélemy, 395.
Barthélemy (E. de), 9, 76.
Basse-Normandie, 277.
Bastille (Château de la), 61, 206, 206*, 207, 225, 240, 241, 242, 270, 283*, 380, 382, 385.
Baudeau (Chronique de l’abbé) Revue rétrospective, 141, 141*, 219, 219*, 220, 222, 224, 227, 239.
Baudry, 65.
Bayeux, 9, 324, 380.
Baulieu, général autrichien, 370*.
Beaumarchais (Caron de), 220*, 235, 236, 236*, 251, 339, 378, 379.
Beauvau (Princesse de), 151, 253*.
Bec-de-Lièvre, 115.
Belle-Isle (Maréchal de), 32, 87.
Belle-Poule (Coiffure à la), 313.
{407}Belleval (De). Souvenirs d’un Chevau-Léger, 63, 63*, 64, 89, 92, 92*, 94, 94*, 96, 96*, 97, 99, 100, 100*, 104*, 158, 158*, 249, 250, 250*, 251, 251*, 252, 252*, 252*, 254*,
258, 258*, 260, 261, 265, 265*, 276, 287, 290*, 311*, 355*.
Berlin, 181, 209*.
Bernet, homme d’affaires de la famille d’Aiguillon, 355, 356.
Bernis (Cardinal de), ambassadeur à Rome, 321, 380.
Bertin, contrôleur général, 34, 34*, 92.
Besenval (Mémoires de), 173*, 244, 244*, 245, 245*, 256*, 257, 258.
Bouillon, médecin du Roi, 26.
Bijou des Dames, 313.
Binet de Beaupré, 345.
Biographie universelle des Contemporains, 385.
Blache, 356*.
Blome (Baron de), ministre de France en Danemark, 186.
Bohémienne (La), 307, 307*.
Boigne (Mémoires de Mᵐᵉ de), 222*.
Boisgelin (Comtesse de), 262, 263.
Boissy, auteur comique, 329*.
Bonaparte (Général), 370*.
Bonnier de la Mosson, 395.
Bordeaux, 124, 125, 125*, 201, 323*, 324.
Bordeu, médecin de Mᵐᵉ Du Barry, 241.
Bossebeuf (Abbé), Histoire du château de Veretz, 52*, 367*.
Bouchot (Henri). La miniature française, 240*.
Boudet de Monbrison, 391.
Boufflers (De), 232.
Bouillon (Duc de), 217.
Bourbon (Maison de), 134, 135, 188*, 235*, 261, 284.
Bourdier, banquier de Londres, 241.
Bourges, 264, 344.
Bourg-la-Reine, 341.
Boutaric. Correspondance de Louis XV, 140*, 180*, 206*, 226*.
Boutry. Autour de Marie-Antoinette, 181, 182, 183*.
Boynes (M. de), ministre de la Marine, 160, 160*, 209*, 210*, 210*, 225.
Boysse, 198*.
Brehan Plelo (Le comte de), ambassadeur à Copenhague, 1, 14*, 16*, 20.
Brehan Plelo (Louise-Françoise de la Vrillière, comtesse de), 1, 11, 12, 13.
Brehan Plelo (Louise-Françoise-Félicité), 1, 2, 3, 4, 12, 13, 14, 15, 16.
Brehan (Marquis de), frère consanguin du comte de Plelo, 14.
Brehan (Marquis de), Généalogie de la Maison de Brehan, 373*.
Brest, 29, 38.
Bretagne, 9, 10, 34, 35, 36, 37, 38, 40, 41, 42, 44, 46, 60, 60*, 63, 66, 68, 73, 74, 75, 76, 82, 83, 88, 94, 101, 106, 110, 117, 125, 128, 130, 132, 139, 143, 144, 145, 151, 155, 156, 159, 169, 220, 231, 231*, 232, 247, 248, 268, 277, 307, 350, 384.
Bretagne féodale et militaire (La), 256*.
Brillat-Savarin, 170.
{408}Brionne (Comtesse de), 240*.
Brissac (Duc de), 119, 133, 353*.
Brissac (Duchesse de), 342*.
Brissot (Mémoires de), 54, 90, 90*, 110*, 110, 385.
British Museum, 20.
Broc (Général de), 54, 73.
Broglie (Comte de), 143, 175, 175*, 176, 180, 181, 185, 204, 205, 206, 206*, 207, 208, 212, 215, 220, 225, 242, 310, 310*.
Broglie (Duc de). Le Secret du Roi, 67*, 146*, 174*, 175*, 176, 176*, 180, 182, 184, 184*, 185*, 188*, 204*, 205*, 205*, 206*, 206*, 207*, 209*, 225*, 225*, 310*.
Brosses (Lettres du Président de), 148.
Brouage, 47.
Bruxelles, 240, 395.
Buffenoir. Feuilles d’histoire, 362*.
Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 48.
Bulletin du Bibliophile, 76, 260*, 262*, 270*, 286*, 304*, 323*.
C
Caen (Mᵐᵉ de), 303.
Caffieri, 391.
Cahouet de Villers (Affaire de la), 295.
Calais, 355.
Calan, Revue de Bretagne et Vendée, 65*, 72*, 73*, 308*.
Calonne, contrôleur général, 56, 56*, 58, 249.
Campan (Mᵐᵉ). Mémoires sur Marie-Antoinette, 185*, 219*, 247, 247*, 355*.
Canada, 28.
Candide, 230, 231*, 280.
Caquets (Les), Comédie de Riccoboni, 339, 339*.
Carné. Etats de Bretagne, 41*.
Carnet historique (Le), 26*.
Carpentier, 98.
Carracioli, ambassadeur des Deux-Siciles, 161.
Carré. La Chalotais et d’Aiguillon, 44*, 60*, 62*, 63*, 64*, 65*, 66*, 67*, 68*, 69*, 72*, 73*, 74, 74*, 77*, 231*, 239*, 268*.
Catherine, impératrice de Russie, 182.
Catherine de Médicis, 151.
Cavendish (Lord), 29, 31, 35.
Cazalès, 354*, 384.
Cedoz (Abbé). Un couvent de Religieuses anglaises à Paris, 358*.
Chabrillan (Comte de), 239*.
Chabrillan (Marquis de), mari de Mˡˡᵉ d’Aiguillon, 54, 278, 280, 317.
Chabrillan (Comte de), 324, 333, 334*.
Chabrillan (Innocente-Aglaë d’Aiguillon, marquise de), 27, 233, 284, 287, 295, 373*.
Chabrillan (Emmanuel, vicomte de), 355, 365.
Chabrillan (Hippolyte-César de Moreton de), 373*, 374*.
Chabrillan (Pierre-Charles-Fort-de-Moreton de), 374*.
Chabrillan (Marquis de), 11, 41*, 245*, 261*.
{409}Chabrillan (Archives), 23*, 29*, 264, 272, 279*, 287*, 356*, 360*, 360*.
Chaise (Rue de la), 353*.
Chamfort, 152*.
Chamfort. Œuvres, 152*.
Chanson des Philosophes, 147.
Chanteloup. Château du duc de Choiseul, 6, 141, 147, 166, 171, 172, 232*, 340, 380.
Charles Iᵉʳ, 137.
Chartres (Evêque de), 78.
Chartres (Duc de), 310*.
Chasseurs et la Laitière (Les), d’Anseaume, musique de Duni, 329, 329*.
Châteauneuf-sur-Loire (Château patrimonial des La Vrillière), 299, 299*.
Château-Dauphin, château-fort près de Saluces, 20.
Chatelet (Du), 87, 171, 172, 173, 299, 299*, 347, 347*.
Chateauroux (Marquise de la Tournelle, duchesse de), 16, 17, 18, 19, 20, 21, 140, 218.
Chaulnes (Duc de), 45, 96.
Chaulnes (Mᵐᵉ de), 278.
Chauvelin (Mᵐᵉ de), 8, 169.
Chesnaye-Desbois (Dictionnaire de la), 1.
Cher, 48, 48*, 49.
Cherbourg, 29, 344, 344*, 344*.
Chétardie (Marquis de la), 395.
Choiseul (Duc de), 4, 6, 32, 35, 43, 44*, 59, 61, 78*, 84, 86, 87, 88, 89, 89*, 90, 91, 92, 96, 97, 102, 103, 104*, 111, 112, 120, 121, 127, 133*, 134, 135, 135*, 136, 137*, 139, 140, 141, 142, 142*, 143, 145, 146, 149, 151, 156, 159, 165, 170, 171, 172, 173, 173*, 174, 175, 176, 179*, 181, 186, 204, 208, 211, 214*, 216, 220, 221, 225, 232, 242, 244, 245, 247, 250, 254, 259, 263, 270, 271, 273, 282, 292, 296, 304, 321, 333, 346*, 347, 347*, 348, 366, 377, 380.
Choiseul (Duchesse de), 2, 3, 4, 5, 7, 127, 145, 145*, 147, 153*, 165, 166, 167, 173, 220, 356*.
Choiseul (Vicomte de), 93.
Choisy, 27, 96, 121, 149, 173, 221, 222*.
Chollet, banquier de Londres, 241.
Chronique scandaleuse, 354*.
Cinq Mars, 392.
Clairfontaine (M. de), 314.
Clairon (Mˡˡᵉ), 101, 308.
Claude Saint-André (Mᵐᵉ du Barry), 89*, 104*, 151, 151*, 311*, 355, 355*, 356*.
Clémenceau, jésuite, 67.
Coigny (Duc de), 282, 304.
Collé (Journal et Mémoires de), 230, 230*.
Compiègne, 88, 160, 169.
Condé (Prince de), 89*, 144, 214*, 214*.
Condom (Evêque de), 36, 325, 339.
Condorcet, 116.
Coniac (M. de), 45, 340.
Contant, 387.
Conti (Prince de), 342*.
Conti (Louise-Elisabeth de Condé, princesse de), 48, 48*, 49, 51.
Conti (Abbesse de), 52.
Copenhague, 14.
Cornulier de Lucinière, 105.
{410}Correspondance de Condorcet et de Turgot, 116.
Correspondance Fontette-de la Noue, 268*.
Correspondance littéraire, 30*.
Correspondance secrète, 292*, 293*, 296*, 302*, 310*, 311*, 317, 318*, 342*, 342*, 343*, 344*, 345*, 347*, 354*.
Côtes-du-Nord, 29.
Couseran (Evêque de), 339.
Coutausse, 387.
Cressant., 394.
Creutz (Baron de), ministre de Suède à Versailles, 179, 205, 209*, 283, 362.
Crillon (Général duc de), 339, 339*, 341.
Cromot, premier commis des Finances, 89, 89*, 214*.
Crozat, financier, 134.
Croy (Prince de), 42, 46, 61, 214, 218, 220.
Croy (Journal de), 27*, 34*, 41*, 42*, 46*, 160*, 214*, 218*, 220*, 222*, 223*.
Crussol (Louise de), 392.
Custines, 385.
D
Damiens, 85.
Danemark, 292.
Dancourt, 330*.
Danton, 353*.
Dantzick, 180.
Dauphin (Le), père de Louis XVI, 325, 348.
Dauphin (Le), 42, 44, 84, 86, 111, 150, 151, 173, 185, 185*, 202, 203, 207, 208, 274*.
Dauphin (Le), fils de Louis XVI, 347.
Dauphine (La), Marie-Antoinette, 111, 112, 122, 150, 155, 161, 162, 163*, 164, 169*, 178, 178*, 186, 187, 188, 189, 194, 195, 199*, 199, 201, 201*, 203, 214, 274*.
Delille (Abbé), 220.
Delong (Mˡˡᵉ), 342.
Desnos, évêque de Rennes puis évêque de Verdun, 132, 276*, 307, 307*.
Desnos, imprimeur, 313.
Déserteur (Le), 100, 118.
Devin de village, de J.-J. Rousseau, 339, 339*.
Dinaux. Sociétés Badines, 230, 230*.
Dino (Duchesse de), Chronique, 323*.
Doillot, notaire, 342*.
Drouais, 391, 392.
Du Barry (Marie-Jeanne Vaubernier, comtesse), 6, 10, 88, 88*, 91, 92, 93, 96, 97, 98, 99, 104*, 118, 120, 121, 124, 126, 135*, 136, 137, 137*, 139*, 140, 147, 151, 152, 153, 155, 161, 164, 165, 166, 168, 168*, 170, 171, 172, 175*, 178, 179, 181, 183*, 184, 185, 186, 187, 190, 194, 195, 197, 198, 200, 201, 202*, 203, 204, 205, 214, 214*, 216, 217, 218, 221, 251, 254, 267, 275, 276, 295, 311, 311*, 312, 341, 345, 353*, 353*, 355, 356*, 376, 378, 379, 391.
Du Barry (Adolphe), neveu de la comtesse, 311.
{411}Du Barry (Claire-Félicité, surnommée Chon), belle-sœur
de la Favorite, 151, 151*, 194, 195, 200, 202, 204, 312.
Dubec, 382.
Dubois-Martin, secrétaire du comte de Broglie, 205.
Dubois de la Motte, (Mᵐᵉ), née Boisgelin de Cucé, 302, 307, 314, 315*.
Duclos. Mémoires, 109, 139.
Du Deffand (Mᵐᵉ), 5, 6, 7, 21*, 61, 73, 74*, 91*, 103*, 104, 104*, 115, 127, 130, 145, 145*, 147, 148, 156, 157, 160, 165, 167, 172, 173, 176, 197, 197*, 205*.
Du Deffand (Lettres de Mᵐᵉ), 127*, 130*, 145*, 147, 148, 153, 157, 160*, 165*, 205*.
Du Gas du Bois Saint-Just. Paris, Versailles et les Provinces, 119, 120.
Dumouriez, 174, 176*, 205, 206, 206*, 206*, 214*, 241, 242, 385.
Duni, compositeur de musique, 329*.
Duras (Duc de), 72, 73, 82, 87, 110*, 131, 132, 142, 170, 231.
Dufort de Cheverny, Mémoires, 353*.
Durand, 389.
Durand, chargé d’affaires, 176, 176*.
Dutens. Mémoires d’un voyageur qui se repose, 379.
Du Tillet, 395.
E
Effiat, 392.
Egmont (Comtesse Septimanie d’), fille du maréchal de Richelieu, 153, 154, 155*, 156, 169, 170, 179, 208, 209*.
Egmont (Comte d’), 154, 170*.
Egmont (Alphonsine-Louise-Félicité d’), 170*.
Ek. Domaine du baron de Scheffer, 360, 369.
Elite des Almanachs, 313.
Entretiens de l’autre monde (Les), 267, 267*.
Epreuve villageoise (L’), de Gretry, 313, 313*.
Escourre (Chevalier d’), écuyer du duc de Brissac, 353*.
Espagne, 135, 140, 216, 339*, 347.
Espagnols, 343.
Esparbès (Mᵐᵉ), 307, 365.
Espion anglais (L’), 204*, 238*.
Espion dévalisé (L’), Baudoin de Guemadec, 204*.
Espion français (L’), 308*.
Esterhazy, 304.
Esterno (D’), 340.
Etats-Unis, 310*, 331*.
Europe, 160, 186*, 188*, 191, 194, 274, 364.
F
Fagon, auteur comique, 346*.
Famille extravagante, de Legrand, musique de Guillion, 313, 313*.
Fauchet (Abbé), 353*.
Favart, auteur comique, 322*.
Favart (Mᵐᵉ), 197.
Favier, 175, 205, 206, 207, 242.
Fête villageoise (La), de Voisenon, 197.
{412}Fetis, 395.
Figaro (Le mariage de), de Beaumarchais, 339.
Filles anglaises (Les). Couvent transformé en prison, 358, 364*.
Fitz James (Duc de), gouverneur de Bretagne, 230, 231*, 299, 299*, 315, 327, 328*, 332, 343.
Flamarens (Mᵐᵉ de), nièce de Mᵐᵉ de Maurepas, 342*, 344, 353*, 365.
Flammermont. Correspondance des agents diplomatiques étrangers, 208*.
Flammermont. Le chancelier Maupeou et les Parlements, 125*, 134*, 163*.
Flandre, 368.
Flavacourt (Mᵐᵉ de), 17.
Fléchier, 80.
Flesselles (De), intendant de Rennes et puis de Lyon, 67, 268, 276, 307, 324.
Flesselles (Mᵐᵉ de), 303, 307.
Fleury (Vicomtesse de), 191.
Fleury (Comte). Louis XV, intime, 217*.
Foisset. Le Président de Brosses, 148*.
Fontaine de Resbecq. Les Tombeaux des Richelieu à la Sorbonne, 192*.
Fontainebleau, 57, 87, 95, 167*, 169, 274, 276.
Fontette (Le chevalier de), 44, 58, 63, 66, 68, 73, 276.
Fontette (Mˡˡᵉ de), 313.
Forcalquier (Comtesse de), 103, 103*, 231*, 320, 320*.
Fouquet, 326.
Fouquier-Tinville, 236*.
France, 111, 119, 135, 144, 146, 156, 163*, 174, 178*, 179, 180, 183*, 185, 186*, 191, 210, 211, 226, 233, 235, 241, 242, 270, 281, 291, 295*, 310, 310*, 339, 345*, 356, 356*, 358, 364, 364*, 370, 371, 373, 385.
France (M. et Mᵐᵉˢ de), 292.
François Iᵉʳ, 49.
Frédéric II, roi de Prusse, 28, 176*, 180, 181.
Frédéric II (Mémoires de), 185.
Fronsac, près Libourne, 324.
Fronsac (Duc de), fils du maréchal de Richelieu, 279, 323.
Fuentès, ambassadeur d’Espagne, 161.
Funck Brentano (Fr.). Nouvelle revue rétrospective de Paul Cottin, 206*.
Funck Brentano (Fr.). Les Nouvellistes, 175.
Funck Brentano (Fr.). Figaro et ses devanciers, 380*.
G
Gaigneux, 47.
Galibert (M. de), 303, 313.
Galliffet (Mˡˡᵉ de), 279.
Garnier, 394.
Garville, 106, 107, 108, 109.
Gascogne, 257, 267.
Gaston (Abbé), Une prison parisienne sous la Terreur, 358*.
Gaulard de Saudray, chargé d’affaires à Berlin, 181.
{413}Gauthier, homme de loi, 357.
Gazette de France, 213*, 350, 369.
Geffroy. Gustave III et la Cour de France, 179*, 207*.
Geoffrin (Mᵐᵉ), 106.
Genève, 378.
Genlis (Mᵐᵉ de). Souvenirs de Félicité, 293*.
Genlis (M. de), 331.
Georgel (Abbé), secrétaire du cardinal de Rohan, Mémoires, 84, 184*, 185, 310*.
Gibraltar, 339, 339*, 341, 343.
Gilbert, 279.
Girac, évêque de Saint-Brieuc, 72, 131, 132, 307*, 308.
Girardin (M. de), 309.
Gisors (Mᵐᵉ de) née Fouquet, 325, 325*.
Gleichen (Souvenirs du baron de), 205, 205*.
Goncourt (E. et J. de). La Du Barry, 111*, 135*, 151*, 153*, 214*, 392.
Goncourt (E. et J. de). Mᵐᵉ de Pompadour, 32*.
Goncourt (E. et J. de). La Duchesse de Châteauroux et ses sœurs, 16, 16*, 19*.
Goupil, inspecteur de police, 380, 381, 382.
Goyon (Comte de), 124*, 128, 129.
Gramont (Mᵐᵉ de), 278.
Gramont (Duchesse de), 120, 121, 347*.
Gramont (Comte de), 218.
Grasset. Mᵐᵉ de Choiseul et son temps, 92.
Grécourt (Abbé de), 48, 51.
Grenelle (Rue de), 353*.
Gretry, 313.
Grimm (Correspondance de), 80*, 146*.
Grimblot, 205*.
Gros-Caillou (Hôpital du), 345.
Grün. Feuillets d’histoire, 103*.
Gueméné (Princesse de), 270, 273, 282.
Gueméné-Montbazon (Prince de), 199*, 342.
Guerre (De la), 115.
Guerre de Sept Ans, 27, 28.
Guesbriant (Marquise de), 64.
Guibert (Comte de), auteur de la Tactique, 206*.
Guilloneau, notaire. Inventaire du château de Veretz, 367*.
Guilliers, compositeur de musique, 313*.
Guimbaud. P. Auget de Montyon, 353*.
Guines (Comte, puis duc de), ambassadeur de France à Londres, 226, 240, 241, 242, 243, 243*, 244, 245, 246, 247, 247*, 252, 254, 257, 265, 270, 271, 273, 274, 281, 282, 282*, 283, 283*, 285, 288, 297, 298.
Grandsaigne et H.-C. Duchesne, Histoire du Château de Madrid, 342*.
Gustave-Adolphe, 361.
Gustave, prince de Suède, 146, 146*.
Gustave, roi de Suède, 155, 179, 180, 208*, 209, 209*.
H
Haga (Comte de), 147.
{414}Hambourg, 205*, 206*, 214*, 385, 386.
Harcourt (Duc d’), 344.
Harcourt (Mᵐᵉ d’), 333.
Hardy (Journal de), 58, 88, 89*, 130, 218, 291, 294, 294*.
Hausset (Mᵐᵉ du), Souvenirs, 32*.
Havré (Mᵐᵉ d’), 333.
Hébert, procureur de la Commune, 236*.
Helvétius, médecin du roi, 217.
Hemery (D’), inspecteur de Police, 120.
Henri IV, 390.
Hermitage (L’), 121, 335.
Hévin, 105.
Hocquart (Mˡˡᵉ), 13.
Hollande, 368.
Horst (D’), 208*.
Hunolstein (D’). Correspondance inédite de Marie-Antoinette, 221*.
I
Insurgent (Coiffure à l’), 313.
Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 391*.
Isabeau, 394.
Italie, 321.
J
Jacquin et Duesberg. Histoire de Ruel, 219*.
Jean-Jacques (Rousseau), 52.
Jaucourt (Le chevalier de), 204.
Jaucourt (Marquise de), 302*.
Jobez. Histoire de Louis XV, 42*, 43*, 205*.
Joly, 360.
Joly de Fleury, 103*.
Joseph, archiduc, 257*, 259, 304.
Joseph II, empereur d’Allemagne, 184*, 196*, 304*, 336*.
Joueur (Le), de Regnard, 229, 329*.
Journal de la Cour et de la Ville, 354*, 383.
Journal historique de la Révolution opérée dans la Constitution de la monarchie française par M. de Maupeou, 307*.
Journal de Paris, 350.
K
Kaunitz (Prince de), ministre des Affaires étrangères à la Cour de Vienne, 96, 157*, 163*, 164, 170*, 180, 183, 186, 188, 196*, 210*, 236, 236*, 336*.
Kelly (Michel). Mémoires, 385.
Ken (Milord), 5.
Kerguezec, 44.
L
La Borde, banquier de la cour, 127, 217, 375, 377, 378.
La Barre (Le chevalier de), 47, 106.
La Bourdaisière, 52.
La Chalotais (Caradeuc de), 6, 42, 43, 44, 45, 46, 56, 56*, 58, 58*, 59, 61, 67, 74, 76, 92, 102, 112, 115, 117, 143, 155, 160, 220, 232, 247, 248.
{415}La Chalotais (Caradeuc de), fils du précédent, 45.
La Chatre, 54.
La Coste (Comte de), 250.
Lacour, 270.
La Ferté (Château de), 127.
La Ferté (Journal de Papillon de), 198.
Lafite de Pellepore. Diable dans un bénitier (Le), 379.
Laker, 55.
La Harpe, 347*.
Laigle (De), 115.
Laigle (Mᵐᵉ de), 132, 264, 364, 364*, 365, 368, 371, 372.
Laffray (Abbé), 347*.
Lalanne (Correspondance de), 30*, 33*.
Lally Tollendal (De), 115.
La Marche (Comte de), 169.
Lamballe (Princesse de), 64.
La Martinière, premier chirurgien du roi, 217, 233.
Lamoignon, premier président du Parlement de Paris, 217*.
La Motte (Mᵐᵉ de), 380*.
Lange (Mˡˡᵉ), 91.
Langeac (Les), bâtards du comte de Saint-Florentin, 297, 346.
Languedoc, 120, 324.
La Noue, 41, 45, 54, 63, 64*, 68, 73, 77, 276.
La Peyronie, médecin du roi, 26.
La Porte de la Meilleraye (De), 47.
La Reynière (M. de la), 347.
La Rochelle, 47.
La Rocheterie (De). Marie-Antoinette, 86*, 181*, 184.
La Trémoille (Duc de), 17, 65.
La Trémoille (Duchesse de), 65.
La Trémoille (Duchesse de), fille des précédents, 65.
Lauzun (Philippe). Documents relatifs à l’entrée du duc d’Aiguillon à Agen, 36*.
Lauzun (Duc de). Mémoires, 270*, 282*, 283*.
La Vallière (M. de), 325, 326*.
Laverdy (De), contrôleur général, 60, 66, 67, 87, 89*.
La Vrillière (Maison de), 293, 296, 327.
La Vrillière (Hôtel), rue Saint-Dominique, 299.
Lebrun. Opinions, 184*.
Le Causeur, 391.
Leclerc, 48*.
Lesczinsky (Stanislas), 20.
Lesczinska (Marie), reine de France, 20, 21, 77.
Legrand, auteur comique, 313*.
Le Havre, 29.
Lehoc, ambassadeur de France en Suède, 370, 370*.
Lem (Mᵐᵉ), 56, 110*.
Lemoy. Le Parlement de Bretagne et le Pouvoir royal, 57*, 65*, 124, 231*.
Lenoir, conseiller d’Etat, 58, 58*.
Lescure (De), 130*, 136*, 140, 157*, 205*, 238*, 292*, 293*, 296*, 302*, 310*, 311*, 318*, 320*, 342*, 343*, 344*, 345*, 354*.
Lespinasse, 389.
Le Tellier, peintre, 240*.
Lever de l’aurore. Pamphlet, 382.
Levis (Duc de). Souvenirs, 244*.
Liancourt (Duc de), 217.
{416}Libri, 235*.
Linguet, 32*, 103*, 105, 106, 108, 109, 110, 124, 127, 131, 133*, 248, 349, 350, 352.
Linguet. Aiguillonana, 133*, 237*, 248*.
Listenay (Chevalier de), 74.
Lodi, 370*.
Lohéac (M. de), 128, 129.
Loire, 52, 55.
Loménie (L. de). Beaumarchais et son temps, 235*, 379.
Londres, 226, 241, 378, 379, 385.
Lorry, médecin du duc d’Aiguillon, 217.
Lot-et-Garonne, 387, 389, 390, 392, 394.
Louis, architecte, 323*.
Louis XII, 225.
Louis XIII, 47, 375, 388, 390.
Louis XIV, 58, 375.
Louis XV, 1, 1*, 3, 57, 61, 67*, 70, 87, 88, 93, 102, 105, 111, 112, 113, 115, 118, 119, 121, 122, 125, 127, 135*, 137*, 138, 140, 141, 145, 157*, 162, 163, 163*, 164, 165, 170, 173, 175, 175*, 175*, 176, 177, 179, 180, 181, 185, 187, 189, 201, 203, 205, 206, 207, 207*, 211, 214*, 214*, 216, 217, 217*, 218, 219, 220, 220*, 220*, 222, 224, 225, 232, 242, 251, 264, 267, 283, 284, 296, 345, 348, 366, 378, 379, 380, 390.
Louis XVI, 163*, 175*, 217, 221, 222, 225, 230, 233, 234, 235*, 244, 245, 246, 247, 252, 254, 255, 259, 276*, 282, 288, 320, 325, 331*, 335, 344*, 347, 377, 379, 380.
Louvre, 321.
Luciennes (Louveciennes), 166, 167, 267.
Luxembourg (Palais du), 321.
Luynes (Cardinal de), 378.
Lyon, 268, 324.
Lyonne (Mᵐᵉ de), 278.
M
Machines du gouvernement français. Pamphlet, 276*.
Madrid, 188.
Madrid (Château de), au bois de Boulogne, 342, 342*, 344, 346.
Magen, 391.
Maille, parfumeur, 307.
Mailly (Maison de), 299*.
Mailly (Comtesse de), 19.
Malesherbes, 276*.
Malouines (Iles), 135*.
Mancini (H.), 391.
Mannequins (Les), 276*.
Manuel. Police dévoilée, 379.
Marcel Marion. La Bretagne et le duc d’Aiguillon, 36*, 42*, 43*, 45, 45*, 54, 65, 83, 83*, 103, 115, 117*, 145.
Marie-Antoinette, 6, 24, 111, 120, 121, 163*, 165, 170, 189, 190, 194, 195, 195*, 196, 200, 201, 203, 210*, 215, 215*, 221, 222*, 223, 224, 225, 234, 234*, 235, 240, 240*, 243, 244, 246, 250, 251, 252, 253, 253*, 254, 256, 257, 260, 262, 268, 270, 282, 282*, 283*, 287, 288, 294, 304, 318, 320, 321, 336, 347, 348*, 349, 354, 354*, 359, 380.
{417}Marie-Thérèse (L’impératrice), 111, 120, 135, 156, 163*, 164,
169*, 177, 178*, 180, 181, 181*, 182, 183, 184*, 184*, 185, 185*, 186, 188, 188*, 190, 195, 195*, 196, 199*, 200*, 202, 202*, 207, 208, 208*, 210, 211, 215*, 215*, 221*, 222*, 225*, 234, 235, 236*, 240, 243*, 258, 259, 259*, 260, 262*, 274*, 282*, 283*, 287, 289*, 296*, 304, 336, 336*.
Marin, 382.
Marivaux, 17.
Marly, 115, 287, 311*, 318.
Marmontel, 106, 106*.
Marmontel (Mémoires de), 106, 107, 108, 109.
Marmousets (Rue des), 357.
Marmoutier (Abbaye de), 52.
Marsan (Comtesse de), 177, 190.
Martin, cuisinier, 191, 240*.
Massac (Mˡˡᵉ), 338.
Masson (Frédéric). Le cardinal de Bernis, 211, 211*.
Masson (Frédéric). Napoléon intime, 237*.
Maugras. M. et Mᵐᵉ de Choiseul, 91*, 121*, 135*, 137*, 139*, 141, 171*, 172*.
Maugras. Disgrâce de Choiseul, 199*, 346*.
Maupeou (Le chancelier), 57, 73, 90, 91, 91*, 91*, 102, 103, 105, 112, 115, 118, 124, 125*, 132, 133, 133*, 134, 135, 135*, 136, 137, 139, 141, 143, 144, 148, 151, 160, 182, 183, 183*, 189*, 190, 197, 200, 211, 216, 217*, 220, 225, 226, 233, 239, 349.
Maurepas (Comte de), 12, 14, 18, 19*, 146, 152, 222, 222*, 222*, 223, 224, 231, 232*, 234, 234*, 238, 238*, 239, 245, 248, 252, 253, 253*, 254, 255, 256, 260, 260*, 261, 262, 263, 265, 266, 271, 272, 274*, 276, 277, 279*, 281, 287, 288, 291, 292, 293*, 294, 295, 296, 296*, 298, 299, 299*, 310*, 317, 319, 320, 320*, 321, 326, 334, 335, 335*, 335*, 340, 342*, 348, 353, 353*, 360.
Maurepas (Phélypeaux de la Vrillière, comtesse de), 8, 22, 90, 119, 146, 233, 233*, 237, 238*, 240, 240*, 243, 245*, 246, 253*, 253*, 264, 265, 279, 287, 292, 293*, 294, 294*, 295, 303, 318, 327, 335*, 338, 342*, 344, 346, 357, 372.
Maurepas (Hôtel), rue de Grenelle, 299*.
Maximilien (Archiduc), 240*, 257*.
Maynon d’Invau, contrôleur général, 91*.
Mazarin (Le cardinal de), 133.
Mazarin (Marquise de la Vrillière, duchesse de), 12, 21, 392.
Mazarin (Duc de), 302.
Mazet. Comédie d’Anseaume et Duni, 330*, 330.
Mazon. Histoire de Soulavie, 375, 377.
Méditerranée, 343.
Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, Soulavie, 3*, 102*, 111*, 179*, 194*, 350*, 377, 378.
{418}Mémoires historiques et anecdotes
de la Cour de France, 347*.
Mémoires de Maurepas, 20, 369, 369*, 371, 376.
Mémoires du duc de Luynes, 14, 19, 21, 23, 26*, 38*, 192.
Mémoires relatifs à l’histoire du règne de Louis XV, 101, 191, 191*, 247*, 263*, 296*, 320*.
Mémoires secrets (Nouveaux). Musset-Pathay, 191*, 293*.
Mémoires du duc de Richelieu, 17*, 136*, 366, 369, 371, 372, 376.
Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon, 3*, 73*, 84, 84*, 87, 87*, 88, 92, 104*, 111*, 113*, 119*, 124, 124*, 134, 204*, 212, 217*, 232*, 233*, 234*, 239*, 242*, 242*, 246*, 249, 252*, 252*, 254*, 255, 256*, 260, 260*, 261, 271*, 277, 310, 310*, 319*, 320, 321*, 347*, 368, 371, 376, 377.
Mémoires du duc de Choiseul, 88, 102, 102*, 124, 172, 172*, 376.
Ménars (Château de), 53.
Mercier. Tableau de Paris, 347*, 350, 351*.
Mercier (Abbé), 382.
Mercy-Argenteau (Correspondance secrète de), 92*, 120, 120*, 135, 156*, 157*, 161, 162, 163, 163*, 165, 165*, 169*, 170, 177, 178, 178*, 178*, 178*, 178*, 180, 181, 181*, 182, 182*, 182*, 183, 183*, 184, 184*, 185, 186, 186*, 187, 188*, 189, 189*, 190, 195, 195*, 196*, 199, 199*, 200, 200*, 201, 202, 203, 204, 204*, 204*, 207, 208, 208*, 209*, 210*, 210*, 214*, 215, 215*, 216, 216*, 216*, 224, 225, 225*, 234, 235, 235*, 236, 240*, 243, 255*, 257*, 259, 259*, 260, 262, 262*, 274*, 282, 282*, 283*, 287*, 288, 289*, 304, 304*, 318*, 319, 321, 336, 336*, 348*.
Metra (Correspondance secrète dite de), 133*, 220*, 222*, 223*, 227*, 233*, 247*, 248, 248*.
Métromanie (La), de Piron, 322, 322*, 329, 329*.
Metz, 217, 218.
Millin, docteur, 89.
Millesimo, 370*.
Ministère de M. de Maurepas. Pamphlet, 213*, 341*.
Mirabeau, 90, 347*, 377.
Mirepoix (Maréchale de), 169, 178, 194, 194*.
Molière, 340.
Mondovi, 370*.
Moniteur (Le), 383, 384.
Montenotte, 370*.
Montmerqué (De), 3*, 377.
Monston, auteur comique, 307*.
Montaigle (M. de), 314.
Montbarrey (Princesse de), 238*.
Montauban, 394.
Montcornet-les-Ardennes, 388.
Monteynard (M. de), ministre de la guerre, 206*, 212, 214, 214*, 214*, 215.
{419}Montigny (Mˡˡᵉ de), gouvernante de Mˡˡᵉ de Plelo d’Aiguillon, 14*.
Montyon (A. de), 353*.
Montpellier, 300.
Moreau. Mes souvenirs, 56, 92*, 100, 213, 213*, 214, 214*, 217*, 222*, 223*, 225*, 241*, 253*, 255*, 263, 276*, 287, 287*.
Morlaix, 56*.
Muette (Château de la), 342.
Moufle d’Angerville. Histoire du règne de Louis XV, 161*, 168*, 213*.
Muzenchère (M. de la), 307.
Muzenchère (Mᵐᵉ de la), 302, 307, 308, 314, 315.
Muy (M. de), ministre de la guerre, 274, 274*.
N
Nantes, 54, 308.
Naples, 331*.
Napoléon, 201, 238*.
Narbonne (Comtesse de), 201, 201*, 202*, 203.
Nattier, 392.
Navailles (M. de), 346.
Navailles (Mˡˡᵉ de), femme du duc d’Agenois, 345.
Neny, secrétaire intime de Marie-Thérèse, 92*, 163*, 165*, 182*, 208*.
Nesle (Mᵐᵉ de), 328*.
Neuilly (Pont de), 169.
Nivernois (Duc de), 146, 326, 342*.
Nolhac (De). La reine Marie-Antoinette, 253*.
Noailles (Mᵐᵉ de), 121.
Normandie, 344.
Norac. Anagramme de Caron de Beaumarchais, 235.
Notest (Mˡˡᵉ), 313.
Noubel, 389.
Nouvelles à la main, 26, 27, 380, 381, 382.
Nouvellistes (Les), 175, 379.
Nugnes, 309.
O
Observateur anglais (L’), 202*.
Observateur hollandais (L’), 133.
Ogier, 72.
Orléans, 353*.
Orléans (Duc d’), 114, 217.
Orléans (Maison d’), 216.
P
Pacte de famille, 270.
Paris, 10, 38, 63, 68, 75, 76, 77, 85, 102, 105, 120, 125, 129, 130, 131, 132, 133, 133*, 139, 143, 144, 158, 169, 204, 209, 220, 222, 233, 234, 236, 239, 243, 244, 251, 254, 265, 266, 267, 268, 271, 272, 273, 274, 275, 285, 287, 291, 294, 295, 303, 304, 309, 316, 320, 322, 325, 330, 332, 334, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 347, 348, 349, 353*, 356, 358, 359, 361*, 368, 369, 370, 391.
Parme (Duc de), 135, 210.
Payen, 391.
Penthémont (Abbaye de), 14*.
Penthièvre (Duc de), 27, 41, 74, 81, 81*, 81*, 231, 299*.
Pérat, chirurgien, 25, 26.
{420}Pichegru (Général), 368, 368*, 370*.
Pidansat de Mairobert. Anecdotes de la comtesse du Barry, 112, 112*, 119, 126, 137*, 168, 168*, 169*, 197, 198*, 217*, 224*, 381.
Picquigny (Duc de), puis duc de Chaulnes, 311.
Pimodan (Comte de), 157*, 184*.
Pinard (Dame), 389*.
Piron, 322*.
Platen (Comtesse de), 296.
Plelo (Maison de), 256, 293, 327, 388*.
Plélo (Comtesse de), 2.
Pocquet. Le duc d’Aiguillon et le Chalotais, 43*, 65*.
Polignac (Chevalier de), 395.
Polignac (Comtesse de), 288, 317.
Polignac (Mˡˡᵉ de), 317, 318.
Politique de tous les gouvernements (La), 175*.
Pologne, 174, 176*, 177, 180, 181, 182, 184*, 186, 186*, 187, 188, 194, 205, 208, 209*.
Pompadour (Antoinette Poisson, marquise de), 28, 29, 30*, 31, 32, 32*, 33, 34, 35, 36, 39, 40, 42, 43, 44, 53, 86, 89, 90, 121, 195, 259, 265, 348, 392.
Pont aux Dames, 251.
Pontchartrain. Château du comte de Maurepas, 8*, 152, 221, 254, 255, 260, 261*, 280, 327, 342*.
Pordic. Bourg de Bretagne, 374*.
Portugal, 331*.
Potsdam, 182, 238*.
Poussin, 392.
Poyanne (Marquis de), 238*.
Prades (Abbé de), 192.
Praslin (Duc de), 59, 137*, 142*.
Praslin (Château de), 141.
Proché, 390.
Provence (Comte de), 149, 150, 178, 188, 188*, 199, 200, 201, 276*.
Provence (Réflexions historiques du comte de), 225*.
Provence (Comtesse de), 149, 150, 160, 199, 199*, 200, 201, 202, 392.
Provence, 120.
Prusse (Prince Henri de), 199, 206*.
Prusse, 86, 146, 151*, 180, 181, 185*, 207, 221.
Pujos, chirurgien, 25.
Puy (Evêque du), 79.
Pyrénées, 300.
Q
Quehillac (Mˡˡᵉ de), 128, 129.
Quelen (M. de), parent des d’Aiguillon, 14, 359*, 360, 401.
R
Ravaisson, 147.
Raymond, 394.
Recueil général des Costumes et des Modes, 313.
Reims, 250, 253, 255, 259.
Reine de Golconde (La), 150.
Renard et les Raisins (Le), 316.
{421}Rennes, 38, 41, 42, 53, 57, 61, 63, 64, 66, 68, 69, 75, 85, 102, 105, 110*, 116, 124, 125, 131, 132, 142, 143, 231, 268, 307*, 390.
Revue de l’Agenais, 267*, 390.
Revue de Paris, 140.
Revue d’histoire littéraire de la France, 265.
Revue hebdomadaire. Une Idylle d’amour conjugal sous la Régence, 2*, 16*.
Richelieu (Famille de), 192, 192*, 361.
Richelieu (Cardinal de), 15, 46, 47, 66, 178, 179, 180, 228, 239, 388.
Richelieu (Maréchal, duc de), 17, 91, 92, 95, 103, 104, 112, 116, 120, 125, 146, 147, 153, 209*, 220*, 278, 303, 322, 323, 347, 350, 366*, 375, 377, 378.
Riccoboni, auteur comique, 339*.
Rival, 364.
Robespierre, 236*, 378.
Robien (Le président de), 45, 45*, 73, 103*.
Robiquet. v. Théveneau de Morande.
Roche-Aymon (Cardinal de la), 233.
Rochers (Les), 41.
Rohan (Maison de), 117, 209, 342.
Rohan (Cardinal de), 176, 181, 181*, 183, 190, 202*, 209, 210*, 210*, 240.
Roland, 387*.
Rome, 86, 227, 321, 380.
Ronac, anagramme de Caron de Beaumarchais, 378.
Roothe (Mᵐᵉ de), 373.
Rosemberg (Comte de), 257, 257*, 258, 259.
Roué (Du Barry dit Le), 111, 200, 275.
Rouillé, 395.
Rousseau, intendant de la famille d’Aiguillon, 355*, 356, 356*.
Rousseau (J.-J.), 309, 339*, 351.
Ruel (Château des d’Aiguillon), 45, 53, 74, 146, 218, 219, 243, 344, 345, 346, 349, 353*, 357*, 358, 361, 363, 368, 369, 370, 372, 388*.
Ruffec, 207, 225.
Russie, 146, 176*, 181, 185, 206*, 211.
S
saint-Aignan (M. de), 340.
Saint-Amans, 389, 391.
Sainte-Aulaire, 145*, 147*, 153*, 160*, 165*, 167*, 197*.
Saint-Barthélemy, 301.
Saint-Bihi (Château de), 388, 388*.
Saint-Brieuc, 72, 73, 74, 132, 308.
Saint-Cast, 29, 31*, 38, 43, 81*, 87, 281, 395.
Saint-Denis, 78, 79.
Saint-Dominique (Rue), 9.
Saintes, 61*, 92, 160.
Saint-Germain (Boulevard), 239*.
Saint-Germain (Faubourg), 277.
{422}Saint-Florentin (Duc de la Vrillière, comte de), 12, 14, 42, 56, 56*, 60, 62, 69, 128, 141, 151, 160, 176*, 213*, 232, 232*, 234, 234*, 254, 256, 258, 279, 279*, 280, 294, 296, 297, 298*, 328, 346.
Saint-Florentin (Hôtel), 299*.
Saint-Hubert. Rendez-vous de chasse. 118.
Saint-Jacques (Rue), 313.
Saint-Malo, 29, 56, 56*, 57, 58*, 61, 143, 310*, 395.
Saint-Séverin d’Aragon (Alphonsine de), 170*.
Saint-Pétersbourg, 180, 209*.
Saint-Simon, 376.
Saint-Vincent (Mᵐᵉ de), 278, 303*.
Saint-Vrain, 251, 263.
Salé, secrétaire de Maurepas, 369*.
Salm Kitzbourg (Prince de), 302, 302*, 347*.
Salmon, 388*.
Sandoz, envoyé de Prusse, 157*.
Sardaigne, 161.
Sartines, ministre de la Marine, 236, 242, 379.
Savoie (Maison de), 149.
Scheffer (Comte de), 8, 147.
Scheffer (Baron de), 231*, 358*, 361, 361*, 362, 363, 364, 364*, 365, 367, 368, 370, 371.
Sedaine, 100.
Seguin (Mˡˡᵉ), 344.
Ségur (Marquis de). Au couchant de la Monarchie, 217, 224*, 225*, 236, 236*, 238*, 239*, 240*, 242*, 245*, 245*, 246*, 253*, 254*, 254*, 255*, 261*, 280, 293*.
Sénac de Meilhan. Le Gouvernement, Les Mœurs, 88*, 91*, 104, 140, 152, 258*.
Sénac de Meilhan. Portraits et Caractères du XVIIIᵉ siècle, 136, 136*, 140*.
Servante justifiée (La), 322, 322*.
Servante maîtresse (La), 280.
Sévigné (Mᵐᵉ de), 41, 50.
Silhouette, contrôleur général, 34*.
Silésie, 86.
Signac (Mˡˡᵉ de), 313.
Smitt (Général), 311.
Songe de M. de Maurepas. Pamphlet, 276*.
Sorbonne, 192, 192*, 350, 351.
Soubise (Prince de), 95, 177, 190, 210.
Soulavie, 2, 3, 19, 20, 43, 43*, 44, 44*, 45, 57, 58, 60, 78, 88*, 102, 104, 111, 136, 175*, 179*, 347, 347*, 356*, 366*, 369*, 375, 376, 377, 378.
Souvenir à la Hollandaise, 313.
Stahremberg, 157*, 159*.
Stockolm, 179*, 361, 370*.
Suard, 220*.
Suède, 146, 147, 179, 180, 205, 208, 361, 366, 368.
Surgeon, 380.
T
Tallard (Mᵐᵉ de), 17.
Talmont (Princesse de), 318.
Taureau (Château du), 54*.
Terray (Abbé), contrôleur général, 89*, 90, 91, 91*, 92, 134, 148, 160, 160*, 200, 225.
Thélusson, banquier de Londres, 241.
Théveneau de Morande, 378, 379.
Thiébault (Mémoires de), 242*.
{423}Tholin (Documents sur le mobillier
du château d’Aiguillon), 355*, 357*, 386*, 387, 389*, 390, 391, 392, 393, 395.
Tingry (Prince de), 199.
Tinteniac (De), 45, 340.
Tonellé, 391.
Tonneins, 389, 394.
Tonnerre (Maréchal de), 331.
Tort de la Sonde (Barthelemy), 240, 241, 242, 245, 247, 257.
Toulon, 209*, 210.
Toulouse (Comte de), 100*.
Toulouse, 124.
Touraine, 49, 62, 232, 325, 346, 367.
Tourneux, 80*, 146*.
Tourny, 36*.
Tours, 42, 52, 388.
Traité de Paris, 28*.
Trassé (Trappes?), 233, 233*.
Trevedy. Quelques mots à propos de Pordic, 374*.
Trianon, 217, 359.
Trou d’Enfer, 251, 320.
Tuetey, 388.
Turgot, 116, 238*, 261, 267, 271, 281, 283*.
Turpin (Mˡˡᵉ), 313.
Turquie, 176*, 211.
U
Université (Rue de l’). Hôtel d’Aiguillon, 9*, 239, 298, 332.
V
Vacances du Procureur, comédie de Dancourte, 330, 330*.
Valentinois (Mᵐᵉ de), 80, 160.
Valmy, 385.
Vals, 300, 315.
Van Blarenbergue, 47, 391.
Van Dyck, 137.
Vannes, 34, 82.
Vatel. Mᵐᵉ Du Barry, 96, 98, 124*, 147, 172*, 181*, 181*, 183*, 185*, 185*, 197*, 345, 345*.
Vauguyon (Duc de la), 91, 92, 347*, 348, 348*.
Vedec (Mˡˡᵉ de), 82, 82*.
Vendôme, 325.
Venise, 86.
Verdun, 307, 307*, 325.
Veretz (Château de), 46, 47, 47*, 48, 48*, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 63, 72, 80, 116, 141, 229, 232, 233, 240, 254, 254*, 257, 260, 263, 266, 271, 272, 277, 285, 309, 315, 360, 367, 367*, 388*, 391, 392.
Vergennes (M. de), ministre des Affaires étrangères, 179, 179*, 245, 246, 283*.
Véri (Abbé de), auditeur de Rote, 227, 238*, 276*, 292, 304*, 342*.
Véri (Journal de), 253*, 293*.
Vermond (Abbé de), confesseur de Marie-Antoinette, 163*, 260, 274, 274*.
Vernet, 321.
{424}Versailles, 4, 8, 53, 68, 69, 70, 72, 74, 77, 85, 86, 105, 111, 125*, 142, 158, 159, 162, 163*, 167, 175, 191, 197, 198, 207, 217, 218, 231*, 234, 250, 251, 253*, 263, 264, 272, 277, 283, 293*, 304, 309, 310, 316, 321, 335, 335*, 353*, 361, 388*.
Vienne, 136, 157*, 163*, 176, 180, 181, 181*, 183, 186*, 188*, 209, 225, 234.
Villars (Duchesse de), 8.
Villequier (Comte de), 250.
Vincennes, 381*.
Vitré, 41.
Voisenon (Abbé de), 197, 198.
Volaine, 391.
Voltaire, 28*, 56, 56*, 115, 146, 309*, 310*.
W
Walpole (Horace), 127, 127*, 130*, 156, 172, 205*.
Welwert. Feuilles d’histoire. Autour d’une dame d’honneur, 171*, 201*.
CHAPITRE PREMIER | |
---|---|
Mère et fille.—Parallèle de la duchesse de Choiseul et de la duchesse d’Aiguillon; analogie de leurs destinées respectives.—Pourquoi l’Histoire les a traitées inégalement.—La Correspondance et les Correspondants de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Son style et son écriture.—Les papiers du Chevalier de Balleroy.—Utilité documentaire des lettres de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Leur corrélation avec la biographie du ministre de Louis XV | 1 |
CHAPITRE II | |
Les premières années de Louise de Plélo: son conseil de famille.—Son mariage avec le duc d’Agénois.—Le digne cousin du maréchal de Richelieu.—Ses amours avec la marquise de la Tournelle.—Une scapinade de Richelieu.—Hésitations d’une amante et coquetteries d’une maîtresse.—La duchesse d’Agénois et sa protectrice.—Amitié véritable entre bru et belle-mère.—Une lettre de la «Grosse Duchesse».—D’Agénois un «Caton!»—Mᵐᵉ d’Agénois dame du Palais | 12 |
CHAPITRE III | |
Les maternités de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Début de la guerre de Sept ans.—Bataille de Saint-Cast en Bretagne.—Félicitations de Mᵐᵉ de Pompadour au vainqueur.—Flirt de la Grande Marquise.—Maussaderie de d’Aiguillon-Cavendish.—Les «fols de Bretons».—D’Aiguillon eût préféré le Languedoc.—Le commencement {426}des «Affaires de Bretagne» | 25 |
CHAPITRE IV | |
Privilèges et résistances des Bretons.—Premières escarmouches.—Griefs réciproques de d’Aiguillon et de la Chalotais.—Attaques du Parlement.—D’Aiguillon dissout les Etats.—La duchesse est son auxiliaire le plus dévoué.—Un impair de La Noue.—D’Aiguillon se dit de plus en plus dégoûté de sa tâche: il part pour Veretz.—Beautés de cette résidence seigneuriale.—L’amour de la retraite chez le duc d’Aiguillon et chez la marquise de Pompadour.—Vie de château.—La science économique de la duchesse.—Une histoire de chasse: Balleroy grand-veneur | 40 |
CHAPITRE V | |
Le cure-dents de la Chalotais.—Le «bailliage d’Aiguillon».—Un échafaud fantastique.—Le Gouvernement ne veut pas rappeler d’Aiguillon.—Ours et Bretons.—Le nouveau Parlement et les Etats de 1767.—Les trois duchesses.—La politique du Gouvernement et celle de d’Aiguillon.—Le roi et la duchesse d’Aiguillon chez la Reine.—«Vous vous êtes conduit comme un ange!» | 56 |
CHAPITRE VI | |
Les Etats «intermédiaires».—Chasse aux «Mandrins».—La coterie des «Bastionnaires» et la pacification de la Bretagne.—Les variations du Contrôleur général d’après d’Aiguillon.—Démission.—Cérémonial aux obsèques d’une Reine.—Un cocher en couches.—Le duc de Penthièvre jugé par Mᵐᵉ d’Aiguillon.—La duchesse est ravie de voir son mari «hors d’une indigne galère».—Ce qu’en pense d’Aiguillon | 71 |
CHAPITRE VII | |
La première rencontre de d’Aiguillon avec Choiseul: présence d’esprit de la Duchesse.—Le Régiment du roi: lettre de Mᵐᵉ d’Aiguillon à Louis XV.—Mᵐᵉ Du Barry devient l’alliée de d’Aiguillon.—Maupeou et Terray, {427}négociateurs du traité.—D’Aiguillon capitaine-lieutenant des chevau-légers: le «beau cortège» de la duchesse.—Un amoureux fou, mais platonique, de la Du Barry.—Le déserteur | 84 |
CHAPITRE VIII | |
Le Conseil accorde à d’Aiguillon l’évocation de son procès de Rennes devant le Parlement de Paris.—Appui prêté par Mᵐᵉ Du Barry malgré la résistance de Louis XV.—Le «Mémoire justificatif» de Linguet; un collaborateur masqué; récompense de Marmontel.—Procédure du Parlement de Paris.—Trêve matrimoniale: incidents.—Reprise des séances: récit de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Le roi arrête le procès.—Vengeance du Parlement.—D’Aiguillon entaché | 101 |
CHAPITRE IX | |
Riposte de Maupeou: cassation de l’arrêté.—Pluie de couplets et d’anecdotes satiriques.—Avanies prodiguées à Mᵐᵉ Du Barry.—Insolences et mécomptes des parlementaires bretons d’après Mᵐᵉ d’Aiguillon.—La journée du 3 septembre.—Louis XV revient aux traditions de son bisaïeul.—Le sac du roi et le char de la blanchisseuse de d’Aiguillon.—Indulgence et pitié.—Le Parlement de Paris courbe la tête.—Mᵐᵉ d’Aiguillon et ses «chers Bretons» | 118 |
CHAPITRE X | |
Maupeou «la bigarade».—Sa double action contre Choiseul et le Parlement.—Le «beau pacte de famille».—Les larmes de Mᵐᵉ Du Barry.—Remontrances du Parlement et refus d’enregistrer l’édit.—Choiseul pressent sa disgrâce.—Duplicité de Louis XV.—Lettre de cachet.—Impressions de la duchesse d’Aiguillon.—Exil des parlementaires.—Le Parlement Maupeou | 133 |
CHAPITRE XI | |
Six mois d’attente!—«Le tyran breton le deviendra de toute l’Europe».—Le futur roi de Suède à Ruel: enthousiasme {428}de la «Grosse Duchesse».—L’«Agrippine» de Mᵐᵉ Du Deffand et «le Triumvirat» du président de Brosses.—Mariage du comte de Provence.—Comment Mᵐᵉ Du Barry fait entrer d’Aiguillon au ministère: ce qu’en pense la duchesse; ce qu’en pense le public.—Hostilité de la comtesse d’Egmont: avanie subie par Mᵐᵉ d’Aiguillon et colère du maréchal de Richelieu.—Débuts du nouveau ministre.—Appréciation de l’ambassadeur d’Autriche, le comte de Mercy-Argenteau | 145 |
CHAPITRE XII | |
Pronostics sur le futur ministère.—Dîners diplomatiques.—Entrevue de Mercy-Argenteau avec «la favorite» et Louis XV.—Echange de lettres aigres-douces entre Mᵐᵉ Du Deffand et la duchesse de Choiseul.—Le dîner de Luciennes.—Jugement sévère de Mᵐᵉ de Choiseul.—Au décintrement du pont de Neuilly.—Conspiration de Mesdames contre la Du Barry.—Le Régiment des Suisses | 159 |
CHAPITRE XIII | |
Le partage de la Pologne et ses responsabilités.—Ambitions du comte de Broglie.—Le cardinal de Rohan nommé ambassadeur à Vienne.—Tactique autrichienne: condescendance de la Dauphine.—L’amitié suédoise et le lyrisme de la duchesse d’Aiguillon.—«Deux brigands et une dévote».—Les gémissements de Marie-Thérèse.—L’irréparable.—Conseils du comte de Provence.—La révolte de la Dauphine.—La vie à Fontainebleau.—La «croquante» de Versailles.—Mort de la «Grosse Duchesse» | 174 |
CHAPITRE XIV | |
Un mauvais jour de l’an pour Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Conseils de prudence.—Les galas de d’Aiguillon et de Mᵐᵉ Du Barry: le «noir serpent» et l’œuf d’autruche.—On s’écrase chez Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Bouderies entre le ministre et la favorite.—Le «mauvais sujet».—Confidences de Mˡˡᵉ Chon: Mercy-Argenteau serait-il berné?—Réconciliation des deux alliés.—La contre-police de {429}d’Aiguillon: Dumouriez et consorts embastillés.—L’exil du comte de Broglie d’après Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Indiscrétions de Septimanie.—Récriminations de Rohan.—Insuccès diplomatiques du premier ministre | 194 |
CHAPITRE XV | |
Comment d’Aiguillon devint ministre de la Guerre.—Louis XV au Conseil.—Nouvelle attitude de la Dauphine.—Projet de rappel de l’ancien Parlement.—Maladie et mort de Louis XV; départ de Mᵐᵉ Du Barry; les carrosses de Ruel.—Sérénité de d’Aiguillon.—Nouveaux brocards contre les anciens favoris.—Maurepas ministre d’Etat sans portefeuille.—Démission, acceptée, de d’Aiguillon.—Marie-Antoinette veut que le roi l’exile.—La joie du comte de Broglie et de Maupeou.—Deux portraits du duc d’Aiguillon | 212 |
CHAPITRE XVI | |
La comédie à Veretz.—Goûts et plaisirs champêtres.—Toujours les affaires de Bretagne.—Rentrée en scène de La Chalotais.—Epidémie à Veretz et à Chanteloup.—Réintégration de l’ancien Parlement; d’Aiguillon y prend place sans que personne proteste.—Ce qu’on pense à Vienne de sa retraite.—Campagne de libelles contre la reine: d’Aiguillon en est, dit-on, l’inspirateur | 229 |
CHAPITRE XVII | |
Influence et crédit de Mᵐᵉ de Maurepas.—Ses appels au calme et à la patience.—D’Aiguillon «embusqué» dans son hôtel.—Procès du comte de Guines.—Ce qu’était Tort de la Sonde.—Rôle de d’Aiguillon: griefs de Guines.—La reine prend parti pour l’ambassadeur de France à Londres.—Besenval excite Marie-Antoinette contre d’Aiguillon.—Mémoires de Guines «tissu d’horreurs et de mensonges».—Guines gagne son procès.—La reine exige de Louis XVI l’exil du duc d’Aiguillon.—Incidents de la revue du Trou d’Enfer.—Entrevue de Maurepas avec la reine.—D’Aiguillon devra partir pour {430}l’Agénois | 237 |
CHAPITRE XVIII | |
Impatience et joie exubérante de la reine.—Réaction de l’opinion publique en faveur de l’exilé.—Fausse philosophie de d’Aiguillon: billet à Balleroy; entretien avec Maurepas.—«Il n’y a rien perdu»; le mot de Marie-Antoinette justifié.—Les lettres de Mᵐᵉ de Maurepas.—La tâche de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Voyage de Mᵐᵉ Du Barry.—L’anecdote des «Entretiens de l’autre monde» | 256 |
CHAPITRE XIX | |
Rappel imprévu du comte de Guines.—Pronostics qu’en déduit d’Aiguillon.—Conférence significative d’un ami de d’Aiguillon avec Maurepas.—Les fidèles courtisans du malheur.—Informations parisiennes: le procès Saint-Vincent et le mariage de Fronsac.—Opéra et ménagerie.—«Le grand Pan est à bas».—Mercy voit avec peine l’engouement de la reine pour le comte de Guines.—La nouvelle école de courtisans.—Mort de Mᵐᵉ de Chabrillan; lettre désespérée de la mère.—Emotion de Marie-Antoinette.—Rappel de d’Aiguillon à Paris | 269 |
CHAPITRE XX | |
Arrêt dans la correspondance.—D’Aiguillon refuse de rentrer à Paris.—L’opinion n’en dénonce pas moins ses intrigues avec son oncle pour revenir à la Cour.—Action persistante de Mᵐᵉ de Maurepas dans l’intérêt de son neveu.—Le buste de Louis XVI.—La succession de La Vrillière et la «vilaine petite race».—Irritation de la duchesse contre de Guines.—Une saison à Bagnères dans la plus stricte intimité.—Mᵐᵉ d’Aiguillon «écorchée comme saint Barthélemy».—«Mauvaise compagnie» des gens de cour.—Retour au château: nouvelles récriminations du châtelain; «absorbement continuel» de la châtelaine | 290 |
CHAPITRE XXI | |
Programme de fêtes pour 1778.—Quelques invités et {431}habitués.—Balleroy toujours l’empressé commissionnaire.—Ferme et château.—Nouvelles du jour: mort de Jean-Jacques; procès du comte de Broglie «le vilain petit homme»; les châtelains et la guerre des Insurgents.—Une lettre de d’Aiguillon à Mᵐᵉ Du Barry.—Autre année théâtrale: fêtes et bals.—D’Aiguillon donne également ses commissions à Balleroy.—Il fait le juge de paix au château.—Projets de mariage pour le comte d’Agénois.—Marie-Antoinette signifie de nouveau à Maurepas sa résolution de ne plus voir d’Aiguillon à la Cour | 306 |
CHAPITRE XXII | |
Illusions d’un ministre tombé: plan fantastique.—Le troisième mariage du maréchal de Richelieu: vengeance filiale.—L’année des évêques.—Oraison funèbre de Mᵐᵉ de Gisors et de M. de la Vallière.—Débuts, dans le monde, d’Armand, comte d’Agénois.—Félicitations réciproques de d’Aiguillon et de Balleroy.—La chasse aux pintades et la «Dédicace» de la Comédie.—Nouvelle saison du duc à Bagnères: ses pertes énormes au reversi.—Nouveaux projets de mariage pour le comte d’Agénois.—Commérages mondains | 319 |
CHAPITRE XXIII | |
Une «crillonnade».—La «requête de Monsieur Lustucru».—Voyages à Paris de Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Mission infructueuse de Balleroy auprès de Mᵐᵉ de Maurepas.—Entrée sensationnelle à Paris.—Les Espagnols devant Gibraltar.—Les travaux de Cherbourg.—Mᵐᵉ d’Aiguillon, la politique et les voleurs.—Une créance sur Mᵐᵉ Du Barry.—Mariage du duc d’Agénois avec Mˡˡᵉ de Navailles.—La petite vérole de Mᵐᵉ d’Agénois et les perdreaux de Ruel.—«Laïus est mort».—Le procès Linguet.—Morts successives des ducs de Richelieu et d’Aiguillon.—Mercier devant les caveaux de la Sorbonne | 338 |
CHAPITRE XXIV | |
Effacement de la duchesse d’Aiguillon pendant plusieurs {432}années.—Rôle de son fils au commencement de la Révolution.—Prétendues représailles contre la reine.—Le fils et la mère émigrent.—Rentrée en France de la duchesse.—Son incarcération.—Le 9 thermidor sauve Mᵐᵉ d’Aiguillon.—Vente et liquidation des propriétés du duc pour désintéresser les créanciers.—La duchesse se retire à Ruel pour exploiter la propriété.—Heures difficiles.—Deux lettres du baron de Scheffer | 352 |
CHAPITRE XXV | |
Le baron de Scheffer, ancien ministre des affaires étrangères de Suède.—Sa joie, quand il apprend que Mᵐᵉ d’Aiguillon a pu échapper «aux mains des tigres sanguinaires».—Il s’inquiète de la situation financière de Mᵐᵉ d’Aiguillon et se désole de la voir se rendre à Paris en charrette.—Que sont devenus les amis de la duchesse et surtout Mᵐᵉ de Laigle?—Travaux rustiques: basse-cour et arbres fruitiers.—Apparition des Mémoires de Richelieu, de d’Aiguillon, de Maurepas: opinion de Scheffer sur des compilations que Mᵐᵉ d’Aiguillon déclare apocryphes.—La bru et le petit-fils de la duchesse sont avec elle.—La dernière lettre de Scheffer | 363 |
Appendices et pièces justificatives | 375 |
Table des matières | 403 |
ÉVREUX, IMPRIMERIE CH. HÉRISSEY, PAUL HÉRISSEY, SUCCʳ
NOTES:
[1] Date donnée par le Dictionnaire de La Chesnaye-Desbois.
[2] Son père avait obtenu très difficilement, de Louis XV, de lui céder, en le mariant, le duché d’Agénois.
[3] Revue hebdomadaire du 27 avril 1901. Une idylle sous la Régence.
[4] Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon (3ᵉ édition, 1792), p. 173.
L’exemplaire que nous avons consulté est catalogué à la Bibliothèque de la ville de Paris sous le nº 10469. Il est accompagné de notes autographes de M. de Monmerqué reproduisant des annotations inédites de Soulavie.
[5] Soulavie. Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI (Paris, 1801, 6 vol.), t. I, pp. 69-70.
[6] Voir Appendice nº I.
[7] Chanteloup, hameau de l’arrondissement d’Amboise (Indre-et-Loire).
[8] Pontchartrain, canton de Chevreuse (Seine-et-Oise).
[9] Le chevalier avait encore demeuré rue de l’Université. Mais il restait rarement à Paris, soit que le devoir militaire le retînt en province, soit qu’il partît en villégiature: «Je ne connais pas, M. le Chevalier, lui écrit la duchesse, un être plus errant que vous.»
[10] Archives nationales, T 243.
[11] Saint-Simon donne de curieux détails, dans ses Mémoires, sur la vie peu édifiante de cette grande dame; et le Journal de Barbier (t. III, p. 384) en signale simplement la mort en ces termes: «Mᵐᵉ la duchesse de Mazarin, dame d’atours de la reine, est morte, en huit jours de temps, le 11 du mois de septembre 1742, âgée de cinquante-cinq ans.»
[12] AN.T. 243.
[13] Il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, la lettre (inédite) qu’écrivait à ce même Quélen le comte de Plélo, le 30 janvier 1729, un mois avant son départ pour Copenhague:
«Nous laissons nos enfants ici, mon fils encore quelques mois et ma fille quelques années; le premier viendra me joindre cet été. A l’égard de ma fille, elle restera au couvent jusqu’à six ou sept ans; et alors je la ferai venir auprès de moi, si Dieu me la conserve jusque-là.»
Cette fille, c’était Louise-Félicité, qui avait alors trois ans. Conformément aux intentions du père, elle fut mise au couvent de la rue Bellechasse, la célèbre abbaye de Panthémont où sa mère avait fait son éducation. Louise-Félicité avait pour gouvernante Mᵐᵉ de Montigny, à qui Mᵐᵉ de Plélo avait légué 200 livres de rente viagère et qui resta près d’un an à l’abbaye de Panthémont avec son élève.
[14] Mémoires du duc de Luynes, t. III, pp. 105-106.
[15] Quoique très bien fait, il était de petite taille: aussi, plus tard, à propos des affaires de Bretagne, ses adversaires le désignaient-ils ironiquement sous le nom de Petit duc.
[16] Edmond et Jules de Goncourt. La duchesse de Châteauroux et ses sœurs (Paris, 1879).
[17] Revue hebdomadaire du 27 avril 1901. Le comte de Plélo était fort épris de sa femme; et sa correspondance dit assez quelles furent sa tendresse et sa fidélité.
[18] Mémoires du Mⁱˢ d’Argenson (t. IV, p. 44).—Mémoires de Richelieu par Soulavie, t. VI. A tort, les Goncourt appellent d’Agénois le neveu de Richelieu. C’était Mᵐᵉ de Châteauroux qui lui donnait ce nom et traitait de «cher oncle» le duc de Richelieu.
[19] Les Goncourt. Mᵐᵉ de Châteauroux (Collection Leber, 5815, Lettres Mss. à la Bibl. de Rouen). Mᵐᵉ de Châteauroux avait une haine féroce contre Maurepas: elle écrivait, le 3 juin 1744, à Richelieu que Maurepas «avait fait le tourment de sa vie».
[20] Soulavie. Anecdotes de la Cour de France, 1802, p. 24.
[21] Mémoires du duc de Luynes, t. IV. p. 269.
[22] Maurepas. Mémoires, t. IV, p. 114-115. Ils sont de Soulavie (voir appendice nº 1).
[23] Duc de Luynes. Mémoires, t. IV, septembre 1742, p. 240. Mᵐᵉ de Mazarin était morte le 10.
[24] Duc de Luynes. Mémoires, t. V, octobre 1743, p. 22.
[25] AN.T. 243.
[26] Archives du marquis de Chabrillan. Lettre de 1747.
[27] Archives du marquis de Chabrillan.
[28] Mémoires du duc de Luynes, t. VII, mars 1746.
[29] Déjà les Mémoires de Luynes, annonçant, en avril 1736, la mort du dernier des fils de Plélo, parlaient d’une «fille de huit à dix ans qui n’avait pas une bonne santé»: c’était Louise-Félicité.
[30] Les Nouvelles à la main publiées, d’après les manuscrits Anisson Duperron, par M. le vicomte de Grouchy dans le Carnet historique de 1898 (t. II, p. 683) donnent, à la date du 4 février 1764, une anecdote sur les couches de Mᵐᵉ d’Aiguillon, la représentant comme un véritable phénomène: «Elle est très bien de figure, elle a la peau assez blanche; dans sa première grossesse, elle devint, par degrés, noire comme une négresse du Sénégal de la tête aux pieds. Après être accouchée, elle reprit aussi par degrés son teint ordinaire. Elle est grosse pour la deuxième fois et la même révolution se fait chez elle. Elle n’est encore que mulâtresse parce qu’elle n’est pas avancée; dans ses derniers mois, elle sera noire comme du jais. Au reste, l’enfant qu’elle a mis au monde la première fois n’avait aucune teinte de noir; il était comme l’enfant d’un blanc...» Mᵐᵉ d’Aiguillon accoucha, en effet, en 1764, d’un enfant qui vint avant terme. Mais nous n’avons vu nulle part, excepté dans un autre recueil de Nouvelles à la main, que Mᵐᵉ d’Aiguillon ait présenté, pendant ses couches, les variations de couleur dont parle le gazetier. Elle était sujette aux coliques néphrétiques: peut-être eut-elle, comme son mari, des jaunisses. Elle en parle, mais jamais du phénomène physiologique cité par les Nouvelles à la main. D’ailleurs, sa deuxième grossesse datait de 1747 et non de 1764.
[31] D’Aiguillon n’était encore qu’en très mince faveur à la Cour: le Roi se souvenait-il toujours des hésitations de la marquise de la Tournelle? En tout cas d’après le Journal de Croÿ (t. I, p. 150) d’Aiguillon n’était admis à Choisy qu’à titre «d’externe» ou de «polisson».
[32] Cette guerre, si désastreuse pour la France, commença en 1756 et finit en 1763 par le traité de Paris qui nous enleva le Canada, «ces quelques arpents de neige», disait Voltaire.
[33] Village et baie dans le département des Côtes-du-Nord.
[34] Première lettre d’une correspondance autographe adressée par Mᵐᵉ de Pompadour au duc d’Aiguillon et conservée au British Museum (fonds Egerton). Cette correspondance fut publiée pour la première fois en 1856-1857 (t. I, pp. 244 et suiv.), dans la Correspondance littéraire de Ludovic Lalanne et comprend une période de cinq années (1758-1762).
[35] «M. d’Aiguillon, dit Linguet (Aiguillonana, 1777, p. 9) avait toujours eu un ascendant marqué sur les maîtresses du feu roi. La marquise de Pompadour l’avait protégé hautement: la trop prompte mort du maréchal de Belle-Isle l’avait seule empêché de le lui donner pour successeur (au ministère de la Guerre).»
[36] Edmond et Jules de Goncourt. Mᵐᵉ de Pompadour (1878, Paris), p. 147, d’après les Souvenirs de Mᵐᵉ du Hausset.
[37] Lettre du 6 février 1759, Correspondance de Lalanne, t. I, p. 246.
[38] Journal de Croÿ (du duc) édité par le vicomte de Grouchy et Paul Cottin (1906, 4 vol.), juillet 1759, pp. 476 et suiv.—Le Journal de Barbier (t. VII, p. 210) parle d’un imprimé, répandu dans Paris en décembre 1759, qui énumère les préparatifs du débarquement.—Bertin avait remplacé Silhouette le 24 novembre 1759 (Barbier, VIII, 119).
[39] Lettre de 1760.—Quel livre à écrire sur les politiciennes!
[40] Lettre du 10 septembre 1760: il est vrai que, le 14, elle le complimentait d’avoir obtenu du «zèle des Bretons» un don gratuit de 700.000 livres pour le Roi.
[41] Lettre du 26 décembre.
[42] Lettre de Tourny à la duchesse d’Aiguillon, du 24 avril 1751 (d’après Marcel Marion. La Bretagne et le duc d’Aiguillon, Paris, 1898).
[43] Lauzun. Documents inédits relatifs à l’entrée du duc d’Aiguillon à Agen, 1885.
[44] Lettre du 26 août 1761.
[45] Déjà, le 7 décembre 1754, le duc de Luynes écrit dans ses Mémoires: «On continue à donner à M. le duc d’Aiguillon toutes les louanges que méritent son esprit, sa politesse, son application aux affaires... Mᵐᵉ la duchesse d’Aiguillon a aussi très bien réussi en ce pays: il paraît que l’on est fort content de l’un et de l’autre.»
[46] Journal de Croÿ, t. II, p. 12.
[47] Carné. Etats de Bretagne, t. II.—Cet historien a dû à l’obligeance de M. le marquis de Chabrillan, possesseur des papiers du duc d’Aiguillon, de pouvoir consulter le «Journal du Commandement de Bretagne».
[48] Journal de Croÿ, t. II, p. 48.—Ce même journal signale, également en 1763, le bruit qui s’était répandu que d’Aiguillon aurait le commandement de l’Alsace; et il l’eut nominalement.
[49] Marcel Marion. La Bretagne et le duc d’Aiguillon (Paris, 1898), p. 189.
[50] Jobez. Histoire de Louis XV, t. VI (Paris, 1864-1870, 6 vol.).
[51] Jobez. Histoire de Louis XV, t. VI. Les hostilités s’ouvrirent le 1ᵉʳ octobre 1764, entre La Chalotais et d’Aiguillon, sur le refus de celui-ci d’accepter le fils comme successeur du père.
[52] Mémoires secrets dits de Bachaumont, 15 octobre 1764.—M. Pocquet (Le Pouvoir absolu et l’esprit provincial. Le duc d’Aiguillon et La Chalotais, 3 vol., 1900-1902) affirme que La Chalotais ne fut pas l’auteur de l’épigramme.
[53] Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon, p. 5.—M. Marcel Marion adopte la version de Soulavie.
[54] Soulavie affirme encore que la marquise devint la maîtresse de Choiseul.
[55] Bibl. Nat. Impr. Ln²⁷ 41577. H. Carré. La Chalotais et d’Aiguillon (Paris, 1893), d’après la Correspondance du chevalier de Fontette avec de la Noue: «un forcené républicain» dit Fontette de Kerguézec.
[56] Soulavie. Mém. du min. du duc d’Aiguillon, pp. 176 et suiv.
[57] Marcel Marion. La Bretagne et le duc d’Aiguillon, p. 348.
[58] Marcel Marion. Id., p. 361. Lettre de M. de Robien à M. de Coniac (partisan d’Aiguillon), 3 décembre 1765.
[59] Mémoires du minist. du duc d’Aiguillon, p. 178.
[60] Journal de Croÿ, t. II, p. 192.
[61] Arrivé de Lille en 1771, cet artiste avait été accueilli avec distinction par les châtelains de Veretz.
[62] Un dessin de Gaignières nous a cependant conservé le croquis du château de Veretz en 1699.
[63] Bibl. Arsenal Mss. 10016 (Arch. Bastille). Rapport du policier Le Clerc au lieutenant général de police, 20 août (?) «Etant à Tours, je fus à Veretz, château situé sur le Cher. S. A. S. Mᵐᵉ la P(rincesse) de C(onti), deuxième douairière, y était. Par respect, je n’oserai dire ce que les habitants du pays disent de cette P(rincesse)» et du d(uc) d’Aiguillon.»
[64] Bulletin de la Société archéologique de Touraine, t. X, pp. 247 et suiv. (1895-1896). Bibliothèque de Tours, Mss. 963.
[65] Nous signalons une très complète Histoire du château de Veretz et de ses environs, par l’abbé Bossebœuf (Tours, 1903, in-4º), histoire dont certains documents, inédits, appartiennent à l’époque révolutionnaire. Nous en donnons plus loin les intitulés.
[66] Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon, p. 32.
[67] Marcel Marion. La Bretagne et le duc d’Aiguillon, p. 417.
[68] Moreau. Mes Souvenirs, t. II, pp. 54 et suiv.
[69] «Mais voilà de l’écriture de M. de La Chalotais!» s’était écrié Calonne, quand Saint-Florentin lui avait présenté les lettres anonymes (Mém. du ministère d’Aiguillon, pp. 5 et suiv.). Honnête prétexte! Le véritable motif des poursuites, c’était l’assistance que La Chalotais, agent du roi, prêtait aux revendications du Parlement de Bretagne.
[70] Sa première prison fut le château du Taureau près de Morlaix. Ce fut à Saint-Malo qu’il écrivit, les 15 janvier et 17 février 1766, ses deux premiers Mémoires. Ceux de Brissot (Paris, 1830, t. I, p. 158) nous édifient sur la métaphore quelque peu prudhommesque de Voltaire: «L’histoire de ces pages écrites avec de la suie, au fond d’un cachot, sur des enveloppes de pain de sucre, m’avait toujours paru bien romanesque. Mᵐᵉ Lem (attachée au Parlement et qui avait beaucoup vécu chez M. de La Chalotais) m’a révélé que c’était elle qui avait fait passer à La Chalotais, dans le château du Taureau, ce fameux Mémoire, qu’il a prétendu avoir composé et écrit avec un cure-dents.»
[71] Mém. du minist. d’Aiguillon, p. 347.
[72] Lemoy. Le Parlement de Bretagne et le pouvoir royal au XVIIIᵉ siècle. Angers, 1909, p. 382.
[73] Mém. du minist. d’Aiguillon, p. 14.
[74] Le Journal de Hardy (Bibl. Nat. Mss. franç. 6680) en donne le 18 novembre une description terrifiante.
[75] Lenoir, conseiller d’Etat, rapporteur de la Chambre de Saint-Malo.
[76] Mémoires du ministère d’Aiguillon, p. 16.
[77] M. Carré établit, dans les premières pages de son livre, que La Chalotais, toujours irascible et toujours violent, était plutôt le persécuteur de Fontette, commandant du château de Saint-Malo.
[78] Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon, p. 20.
[79] Vatel. Madame Du Barry (Paris, 1883, 3 vol.), t. I, p. 385.
[80] AN. H. 439. M. Carré dit, avec raison (pp. 57 et suiv.) et sans arrière-pensée de réhabilitation, qu’on s’est trop habitué à juger les affaires de Bretagne et la conduite de d’Aiguillon d’après les pamphlets contemporains, et que la vérité, comme la justification du prétendu coupable, apparaît mieux dans les papiers du Contrôle général et dans les Bulletins de Bretagne adressés à cet égard à Laverdy par le Commandant de Bretagne.
[81] AN. O¹ 462.
[82] Journal du Prince de Croÿ, t. II, p. 454.
[83] H. Carré. La Chalotais et d’Aiguillon, p. 65.
[84] H. Carré. La Chalotais et d’Aiguillon. Lettre de La Noue (à Veretz), à Fontette, 25 septembre 1766.
[85] Belleval. Souvenirs d’un chevau-léger (Paris, 1866), p. 103.
[86] Carré. La Chalotais et d’Aiguillon. Lettre de La Noue à Fontette (Paris, 23 décembre et 23 février 1767).
[87] Dans sa thèse de doctorat, Le Parlement de Bretagne et le pouvoir royal au XVIIIᵉ siècle. M. Le Moy donne (pp. 64 et suiv.) un croquis intéressant de la Société parlementaire, pendant le principat de d’Aiguillon, d’après les livres autorisés de MM. Carré, Pocquet, Marcel Marion, Baudry et les papiers d’archives du temps.
[88] Revue de Bretagne et de Vendée, 1894. Article de Calan: Chute du duc d’Aiguillon.
[89] H. Carré. La Chalotais, etc. Lettres des 7 et 12 mars 1767, de Fontette à La Noue.
[90] H. Carré. La Chalotais, etc., pp. 79 et suiv. Louis XV pratiquait le même système avec son ministre des Affaires étrangères. (Voir: Le duc de Broglie. Le secret du roi.)
[91] Archives d’Ille-et-Vilaine, C. 1780.
[92] Archives nationales. Dossier Balleroy, T. 243.
[93] H. Carré. La Chalotais, etc... Lettre du 2 juin, de Fontette à La Noue.
[94] Archiv. Nation. Dossier Balleroy, T 243.
[95] H. Carré. La Chalotais, etc., pp. 79-84.
[96] AN.T 243. Papiers Balleroy.
[97] «Ce n’est qu’un petit brigand qui veut jouer au personnage» dit Fontette; jusqu’alors il avait été un des plus chauds partisans du gouverneur.
[98] H. Carré. La Chalotais, etc., p. 84.
[99] Revue de Bretagne et de Vendée, 1894. Article Calan sur la chute du duc d’Aiguillon.
[100] H. Carré. La Chalotais, etc., p. 524.
[101] Revue de Bretagne, etc. Article Calan.
[102] Mém. d’Aiguillon (du ministère).
[103] Correspondance Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire), t. I, p. 162. Lettre de Mᵐᵉ Du Deffand à l’abbé Barthélemy.
[104] H. Carré. La Chalotais, etc., pp. 93 et suiv.
[105] AN.T 243.
[106] Bulletin du bibliophile. Année 1882, p. 119. Publication (p. 104, p. 125) par M. Edouard de Barthélemy d’un choix de lettres acquises dans la vente d’une correspondance adressée au chevalier de Balleroy: celle-ci avait dû échapper aux perquisitions révolutionnaires ou disparaître des Archives nationales.
[107] H. Carré. La Chalotais, etc. Lettre du 3 février 1768.
[108] AN.T 243. Lettre du 24 juin.
[109] AN.T 243. Lettre du 10 juillet.—«La Reine, victime de M. le duc de Choiseul» (note Soulavie).
[110] AN.T 243. Lettre du 16 août 1768.
[111] Le mot est rapporté par la Correspondance de Grimm (Edit. M. Tourneux), t. VIII, p. 184.
[112] AN.T 243.
[113] M. de Broc, lieutenant général, était un des vainqueurs de Saint-Cast.
[114] Un mémoire pour la tenue des Etats de 1766-1767 (Archives d’Ille-et-Vilaine, C. 1780) réglait ainsi la situation respective des ducs de Penthièvre et d’Aiguillon: Celui-ci était désigné «pair de France, chevalier des ordres du roi, Gouverneur d’Alsace, lieutenant général, commandant en chef de Bretagne. Il réside dans la province, en l’absence du duc de Penthièvre, le gouverneur. Placé à la tête de l’ordre militaire, il est le premier et principal commissaire du Roi aux Etats».
[115] AN.T 243. Lettre du 27 août 1768.
[116] Mémoires secrets de Bachaumont, 26 septembre 1768. Lettre du 29 août. Nous n’avons trouvé nulle part de trace de cette demoiselle de Vedec.
[117] Marcel Marion. La Bretagne et le duc d’Aiguillon, p. 574.
[118] Les Remarques (renvoi à la page 27 des Mém. du minist. d’Aiguillon) disent que le duc n’avait pas plus pensé au ministère que le Dauphin n’y avait pensé pour lui.
[119] Journal de Barbier, t. VI, p. 446.
[120] De la Rocheterie. Marie-Antoinette (1905), t. I, p. 302.
[121] Mémoires du ministère du duc d’Aiguillon, p. 35.
[122] Mémoires du ministère d’Aiguillon, p. 41.—Mémoires du duc de Choiseul (attribués à Soulavie), 1790, t. I, pp. 244 et suiv.
[123] Sénac de Meilhan. Le gouvernement, les mœurs, etc. Portraits des personnages les plus distingués du XVIIIᵉ siècle (édition Lescure), p. 338. «S’il voulait se rapprocher d’elle, elle ferait la moitié du chemin...»
[124] Ce premier commis des finances, chassé en 1768 par Choiseul pour avoir poussé le contrôleur général Laverdy à entraver la marche du tout-puissant ministre, avait été remis en place par Terray en 1769. Cromot, par esprit de vengeance, laissait entrevoir au prince de Condé, qui, seul des princes du sang, soutenait le gouvernement contre les parlementaires, la possibilité de supplanter Choiseul.
[125] Biblioth. Nat. Mss. Journal de Hardy, 6680, t. I, p. 143, 15 janvier 1769.—Belleval. Souvenirs, p. 118.
[126] Claude Saint-André. Madame Du Barry (Paris, 1909), p. 82.
[127] Brissot. Mémoires, t. I, p. 268.
[128] Maugras. M. et Mᵐᵉ de Choiseul, Paris, 1904, p. 449, «figure de juif, au teint olivâtre» dit Sénac de Meilhan de Maupeou (le Gouvernement, les Mœurs, etc., p. 407, édition Lescure). Il était chancelier depuis le 15 septembre 1768.
[129] Maupeou avait remplacé par Terray, l’honnête, mais incapable Maynon d’Invau, le 20 décembre 1769 (Correspondance Du Deffand, édit. Lescure, t. II, p. 19).
[130] Belleval. Souvenirs d’un chevau-léger (Paris, 1866), p. 116.
[131] Grasset. Mᵐᵉ de Choiseul et son temps (Paris, 1874), p. 109. L’auteur donne tous les détails de cette présentation. Voir également la lettre de Mercy-Argenteau à Nény du 3 mai 1769.
[132] Moreau. Mes Souvenirs, t. II, p. 56.—Mémoires du ministère d’Aiguillon, p. 43.
[133] Mémoires secrets, dits de Bachaumont, janvier 1769.
[134] AN.T 243.
[135] AN.T 243. Lettre du 5 octobre.
[136] Belleval. Souvenirs d’un chevau-léger, octobre 1769, p. 126.
[137] AN.T 243. Lettre de 1769, s. d.
[138] Belleval. Souvenirs d’un chevau-léger, 20 octobre 1769, p. 126.
[139] A la date où Belleval place l’anecdote, le Déserteur, la pièce de Sedaine, avait déjà six mois d’existence: elle n’était d’ailleurs que la dramatisation d’une historiette du même genre dont la comtesse de Toulouse avait été l’héroïne en 1736.
[140] Mémoires secrets, dits de Bachaumont, t. V, p. 92.
[141] Mémoires, 1790, t. I, pp. 243-244. La même phrase se retrouve dans les Mémoires historiques et politiques de Soulavie (1801), t. I, p. 141.
[142] Moreau. Mes souvenirs, etc., t. II, p. 56.
[143] Marcel Marion. La Bretagne et le duc d’Aiguillon, pp. 555-562. Lettre du président de Robien.
[144] «On ne peut pas être plus jolie, dit Linguet, que Mᵐᵉ de Forcalquier était; elle est petite, mais fort bien faite; un beau teint, un visage rond, de grands yeux, un très beau regard, et tous les mouvements de son visage l’embellissent.»
Citation de M. Grün dans son article sur la correspondance de Mᵐᵉ de Forcalquier avec Joly de Fleury (Feuillets d’histoire du 1ᵉʳ mai 1910).
C’était le Bellissima de Mᵐᵉ Du Deffand.
Ayant reçu un soufflet de son mari, elle alla consulter, en vue d’une séparation possible. Son avocat n’ayant pas sans doute trouvé la raison suffisante, la comtesse rentra chez elle et administra un maître soufflet à son mari:
«—Je vous le rends, Monsieur, lui dit-elle, je n’en puis rien faire.»
[145] Mémoires du ministère d’Aiguillon, p. 332. «Ce n’est pas pendant son procès que M. d’Aiguillon a fait connaissance avec Mᵐᵉ Du Barry, qu’il n’avait jamais vue. Comme elle n’aimait pas M. de Choiseul parce qu’elle avait à se plaindre de lui, et comme elle voyait qu’il cherchait à opprimer M. d’Aiguillon, elle fit offrir son crédit à celui-ci qui n’avait fait aucune démarche pour se le procurer; et il a eu ensuite avec elle des liaisons de reconnaissance et d’amitié.»
Cette note fait partie d’un des derniers chapitres du livre écrit pour rectifier certaines erreurs qui se sont glissées dans les précédents. Et comme on sent bien la pensée de la duchesse d’Aiguillon, avouée par les remarques manuscrites de Soulavie! C’est évidemment une pieuse inexactitude, commise par respect pour la mémoire du défunt; mais les Souvenirs de Belleval nous apprennent précisément le contraire.
[146] Claude Saint-André. Madame Du Barry (Paris, Emile Paul, 1909), p. 101. C’est très discutable. Les Choiseul n’eussent pas manqué de relever le fait. Et rien, dans la correspondance Du Deffand, à cette époque, ne démontre que la douairière ait été en relation avec Mᵐᵉ Du Barry.
[147] Mémoires de Marmontel. (Edition M. Tourneux, Paris, 1891), t. II, p. 342-346.
[148] M. Cruppi, qui a consacré une étude, très documentée, à Linguet (Un avocat journaliste au XVIIIᵉ siècle, 1895, pp. 222 et suiv.), reconnaît, lui aussi, qu’il «n’y avait pas de preuves dans la procédure de 1770 à l’appui des crimes dont on accusait d’Aiguillon. Après avoir été remplacé par Duras, il présenta pour sa défense des pièces brûlées à Rennes par le bourreau».
[149] Brissot. Mémoires, t. I, p. 152.
[150] Mémoires du ministère d’Aiguillon, p. 48.—Soulavie. Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, an X, t. I, d’après les Goncourt (La Du Barry).
[151] Assurément les Anecdotes de la comtesse Du Barry ne sont pas une autorité, mais tout n’est pas mensonge ni calomnie dans ce fatras, dont le rédacteur Pidansat de Mairobert insérait la quintessence dans les Mémoires de Bachaumont. Ce reporter de grande allure puisait directement aux sources.
[152] A rapprocher de cette phrase des Mémoires du ministère d’Aiguillon (chapitre des rectifications, p. 332) où l’on croit lire les pattes de mouche de la duchesse: «Pendant tout le temps de ses affaires, il n’a pas manqué de rentrer chez lui de très bonne heure pour lire ou faire les écrits relatifs à son procès et n’en ressortait point.» Pour un grand seigneur et un mondain, dix heures du soir, c’était de «très bonne heure».
[153] AN.T 243. Lettre du 29 juin.
[154] Marcel Marion. La Bretagne et le duc d’Aiguillon, pp. 563 et suiv.
[155] Correspondance de Condorcet et de Turgot, éditée par Ch. Henry (Paris, 1882), 16-29 juin 1770.
[156] Marcel Marion. Op. cit., pp. 579-581. Le titre est: Lettre d’un gentilhomme breton à un noble espagnol. Les auteurs de ce pamphlet furent traqués et embastillés. Voir Archives de la Bastille (Ravaisson), t. XIX. pp. 20 et suiv., et BN. Mss. nouv. acquis. françaises. 1214, pp. 527 et suiv.
[157] Mémoires secrets, 3 juillet 1770, et Anecdotes Du Barry.
[158] Mémoires d’Aiguillon (du ministère), p. 48.
[159] Du Gas de Bois-Saint-Just. Paris, Versailles et les provinces, t. III, p. 113 et suiv.
[160] Du Gas de Bois-Saint-Just. Paris, Versailles et les provinces, t. III, p. 113 et suiv.
[161] D’Arneth. Correspondance de Maria-Theresia und Marie-Antoinette, 1865, p. 1.
[162] Mémoires secrets, 21 juillet 1770.
[163] Anecdotes de la comtesse Du Barry, p. 145.—Correspondance de M. Argenteau, I, 37. Les historiens ont attribué ce rôle à la comtesse de Choiseul, parente, elle aussi, du ministre, et qui ne dissimulait pas son insolent mépris pour la maîtresse du roi.
[164] D’Arneth et Geffroy. Corresp. secrète entre Mercy-Argenteau et M.-Thérèse, t. I, pp. 37-39.
[165] Maugras. Le duc et la duchesse de Choiseul, pp. 453 et suiv. Bien que favorable à Choiseul, en considération de la duchesse, M. Maugras ne méconnaît pas les imprudences et les maladresses d’un parti qui fut le premier à précipiter la chute de son chef.—Les Goncourt. La Du Barry (1878), p. 91.
[166] Jules Flammermont. Le chancelier Maupeou et les Parlements (1883), pp. 98 et suiv.—Lemoy. Le Parlement de Bretagne et le Pouvoir royal au XVIIIᵉ siècle (1909), pp. 399 et suiv.
[167] Jean-Amaury Gouyon Angier de Lohéac.
[168] AN.T 243. L’arrêt du Parlement de Rennes était des 11 et 14 août. Le comte de Goyon le fit casser à la Cour le 23 (Lemoy loco citato, p. 413.)
[169] Vatel. La Comtesse du Barry, t. 1, p. 425.
[170] Mémoires du ministère d’Aiguillon, p. 49.
[171] Mémoires du duc de Choiseul, t. II, p. 80.
[172] Mémoires du ministère d’Aiguillon, p. 50.
[173] Flammermont dit que la séance dura trente minutes à peine et qu’elle fut à peu près remplie par le discours de Maupeou.
[174] Dans une lettre du 25 septembre, Mᵐᵉ d’Aiguillon écrit que le Roi a fait biffer devant lui cet arrêt par les députés du Parlement de Bordeaux, mandés à Versailles pour le 22 et reçus en audience le 23.
[175] Anecdotes de la comtesse Du Barry, p. 148.
[176] Lettres de Mᵐᵉ Du Deffand (édit. Lescure). Lettre à Walpole du 5 septembre 1770, p. 94.
[177] Le Roi avait nommé le comte de Saint-Florentin duc de la Vrillière en 1770.
[178] Flammermont. Loco cit., p. 105.
[179] Lettre du 17 août à Walpole. (Correspondance de Mᵐᵉ Du Deffand, édit. Lescure), p. 86.
[180] Journal, t. I, p. 183.
[181] AN.T 243. Lettre du 25 octobre.
[182] AN.T 243. Lettre du 4 novembre. Girac, l’évêque de Saint-Brieuc, avait remplacé Desnos, un ami des d’Aiguillon, au siège épiscopal de Rennes.
[183] AN.T 243. Lettre du 10 novembre.
[184] Le duc de Brissac avait donné ce surnom à Maupeou en raison de son teint jaune et vert; et au dire de l’Observateur Hollandais (Correspondance secrète de Metra, t. V, p. 149), le chancelier, «pour prévenir par la figure», se peignait le visage en blanc et mettait ensuite une légère couche de rouge.
[185] «Aussi éloigné de l’impétuosité loyale et expéditive du duc de Choiseul que de la circonspection oblique et laborieuse du duc d’Aiguillon, écrit Linguet dans son Aiguillonana, Maupeou avait un autre génie et n’était pas moins propre à jouer un grand rôle dans ce tourbillon de cabales, de jalousies, de bassesses, de vengeances, de perfidies qui s’appelle la Cour... Vindicatif avec petitesse, éprouvant la haine en homme de cour et l’exerçant en bourgeois, il se distinguait surtout par l’intrépidité d’un grenadier.»
[186] Mémoires du ministère d’Aiguillon, p. 76.
[187] Flammermont (Le chancelier Maupeou et les Parlements, p. 111), affirme très nettement que Choiseul voulait la guerre.—M. Maugras (Le duc et la duchesse de Choiseul), soutient la version contraire. Mᵐᵉ Du Barry fut chargée d’insinuer au roi que Choiseul désirait recommencer la guerre avec l’Angleterre, alors qu’il l’avait évitée en faisant des concessions à cette puissance à propos des îles Malouines.
De leur côté les Goncourt déclarent (La Du Barry, p. 96), que le plan Maupeou-d’Aiguillon était de ruiner dans l’esprit de Louis XV cette conviction, que la présence de Choiseul aux affaires (et ce fut une des principales forces du ministre) était le maintien d’une paix dont s’accommodait si bien l’égoïsme royal.
[188] Lettre du 25 octobre.
[189] Sénac de Meilhan. Portraits et caractères du XVIIIᵉ siècle (édit. Lescure), p. 337.—Soulavie (Mém. de Richelieu, 1792, t. II, p. 217) dit que Sénac était la créature de Choiseul.
[190] Notons à ce propos les gestes et les mots de... Gavroche que les Mémoires de Bachaumont, les Anecdotes de Mairobert, la Vie privée de Louis XV,—tous livres sortant, il est vrai, de la même officine—prêtent à la Du Barry... Tantôt elle jongle avec deux oranges en disant: «Saute Choiseul! Saute Praslin!» Tantôt elle raconte à Louis XV qu’elle a «renvoyé son Choiseul»; c’était un cuisinier qui ressemblait à l’homme d’Etat. Et bien d’autres gamineries dont l’imprévu amusait l’ennui de Louis XV.
[191] Maugras. M. et Mᵐᵉ de Choiseul, p. 453, t. I.
[192] AN.T 243. Lettre du 9 décembre.
[193] Maugras. M. et Mᵐᵉ Choiseul, p. 453.
[194] AN.T 243. Lettre du 12 décembre.
[195] Revue de Paris, 1829, t. IV, p. 59.—Boutaric. Correspondance de Louis XV, t. I, p. 409.
[196] Sénac de Meilhan. Portraits et caractères du XVIIIᵉ siècle (éd. Lescure), p. 337.
[197] Revue rétrospective, t. III, 1ᵉʳ juin 1834.—Chronique de l’abbé Baudeau, p. 69.
[198] Maugras. Le duc et la duchesse de Choiseul, pp. 453 et suiv.
[199] AN.T 243. Lettre du 21 décembre. Choiseul avait les départements des affaires étrangères et de la guerre; son cousin Praslin, celui de la marine.
[200] AN.T 243. Lettre du 3 janvier 1771.
[201] Correspondance de Mᵐᵉ Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire), t. I, pp. 308 et 312. Lettre de Mᵐᵉ Du Deffand à la duchesse de Choiseul, 8 janvier 1771; lettre de la duchesse à Mᵐᵉ Du Deffand, 12 janvier.
[202] Grimm. Correspondance (édit. M. Tourneux), t. IX, p. 279.
Le but réel du voyage de Gustave, dit le duc de Broglie dans le Secret du roi, était d’obtenir des secours de la France pour la Suède, dont les dissensions intestines pouvaient exciter, comme la Pologne, les convoitises de la Prusse et de la Russie. Quand la mort de son père rappela Gustave en Suède (mai 1771), il n’avait pas encore les subsides espérés.
[203] Corresp. Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire), t. I, p. 368. Lettre du 8 mars.
[204] Corresp. Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire). Lettre du 11 mars.
[205] Corresp. Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire). Lettre du 8 mars.
[206] Corresp. Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire). 15 avril, t. I, p. 402.
[207] Elle a, du reste, laissé de celle qu’elle appelait son amie ce peu gracieux portrait:
«Sa bouche est enfoncée, son nez de travers, son regard fol et hardi. Malgré cela elle est belle. L’éclat de son teint l’emporte sur l’irrégularité de ses traits. Sa taille est grossière; sa gorge, ses bras sont énormes... Son esprit a beaucoup de rapports à sa figure: il est pour ainsi dire aussi mal dessiné que son visage et aussi éclatant: l’abondance, l’activité, l’impétuosité sont ses qualités dominantes. Sans goût, sans grâce et sans justesse, elle étonne, elle surprend, mais elle ne plaît ni n’intéresse; sa physionomie n’a nulle expression. Tout ce qu’elle dit sort d’une imagination déréglée. C’est quelquefois un prophète, un démon agité, qui ne prévoit, ni n’a le choix de ce qu’il va dire.»
[208] Foisset. Le Président de Brosses (Paris 1842), p. 287.
[209] AN.T 243. 24 mai 1771.
[210] Claude Saint André. Mᵐᵉ Du Barry, pp. 99 et suiv. On avait surnommé Chon, la sœur de Du Barry le Roué, cette laide et intelligente personne «légèrement boiteuse, légèrement bossue» disent les Goncourt.
[211] Chamfort. Œuvres (1851), p. 68.—Sénac de Meilhan (loco citato, p. 337) raconte l’anecdote à peu près dans les mêmes termes avec cette variante que d’Aiguillon avait fait la leçon à la comtesse et qu’elle devait interpréter le silence, toujours obstiné du prince, par le proverbe: «Qui ne dit mot, consent.»
[212] Nous trouvons le mot dans une lettre de Marie-Antoinette à sa mère (D’Arneth. Correspondance de M.-Thérèse et de M.-Antoinette, 1865, p. 37, 13 septembre 1771).
[213] Goncourt. La Du Barry, p. 116. «Ce furent quelques mois de terreur», disent les Goncourt, en parlant des exécutions ordonnées par le nouveau ministre dans les rangs ennemis. N’est-ce pas, hélas! l’histoire de tous les changements de ministère. «Il ressemble au méchant génie des Mille et une Nuits» écrit Mᵐᵉ de Choiseul du concurrent heureux de son mari (Lettre à Mᵐᵉ Du Deffand, 11 septembre 1771, édit. Sainte-Aulaire).
[214] Comtesse d’Armaillé. La comtesse d’Egmont, Paris, 1898, pp. 29 et suiv.
[215] Correspondance secrète entre Mercy-Argenteau et le prince de Kaunitz, par d’Arneth (édit. Flammermont), 1889, 2 vol., t. II, p. 396. Si Mercy-Argenteau avait des préventions contre le nouveau ministre, celui-ci n’était guère mieux disposé pour la diplomatie autrichienne: il se plaignit un jour à Sandoz, envoyé de Prusse, de la morgue de Vienne (même correspondance, Lettre de Kaunitz à Mercy, 1ᵉʳ novembre 1771, t. II, p. 399.)
Mercy-Argenteau avait succédé, en 1766, au comte de Stahremberg, grâce à la protection de Kaunitz, qui l’avait eu comme attaché, pendant son ambassade à la Cour de Louis XV. Ce brillant et magnifique diplomate rendait justice à la douceur, à la prudence et à la sagesse de son subordonné, bien qu’il le trouvât «timide, taciturne et gauche jusqu’à la maussaderie». Le comte de Pimodan, biographe de Mercy, en loue le bon sens, la mesure, l’adresse et la discrétion. Mais cette discrétion «habile» alla, nous le verrons bientôt, jusqu’à la dissimulation, et cette correction diplomatique n’était que l’attitude froide et gourmée d’un homme qui se croyait très fort parce qu’il n’avait devant lui qu’un prince indifférent et des ministres décriés. Il prétendit jouer au Mentor avec une adolescente que se disputaient de multiples influences et qui avait déjà la volonté de ses caprices; et ce fut lui qui fut joué par une reine, lasse de ce conseiller, marionnette docile d’une mère impérieuse.
[216] Correspondance de Mᵐᵉ Du Deffand (édit. Lescure, 1865), t. II, p. 175.
[217] Belleval. Souvenirs d’un chevau-léger (1868, Paris), juillet 1771, p. 150.
[218] De Boynes avait été nommé en avril 1771 au ministère de la marine, après un intérim de trois mois rempli par Terray.
[219] Journal de Croÿ (loco citato), t. II, p. 505.
[220] Correspondance Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire). Lettre de Mᵐᵉ Du Deffand, du 27 juillet, t. II, p. 24.
[221] Moufle d’Angerville. Histoire du règne de Louis XV (Londres, 6 volumes, 1783) t. VI, p. 365.
[222] D’Arneth (édit. Geffroy). Correspondance secrète entre Marie-Thérèse et Mercy-Argenteau (1876, 3 v.), t. I, pp. 198-199.
Il n’est pas inutile d’indiquer ici l’origine de cette correspondance, qui, réserve faite de la mentalité respective de ses deux principaux protagonistes, apporte une contribution si précieuse à l’histoire des dernières années du règne de Louis XV et des premières de celui de Louis XVI.
Au moment où Marie-Antoinette allait échanger la discipline familiale, mais austère, du gynécée de Vienne contre les mondanités frivoles, mais séduisantes, du palais de Versailles, Marie-Thérèse avait voulu placer sa fille sous une sorte de tutelle qu’elle avait confiée à son lecteur l’abbé de Vermond et à l’ambassadeur comte de Mercy-Argenteau. Dès lors, elle avait institué, avec celui-ci, une correspondance secrète, pour être renseignée, et sur la politique de la Cour de Versailles, et sur l’attitude de Marie-Antoinette comme Dauphine, puis comme reine de France. Dans son esprit, Mercy-Argenteau était une sorte de gouverneur qui devait régenter la jeune princesse, au nom de sa mère et dans l’intérêt de l’Autriche. C’était bien l’homme qui convenait à la mission: méthodique, méticuleux, méfiant, rigide observateur de l’étiquette, il dut maintes fois fatiguer de ses observations la Dauphine, et même l’irriter, surtout quand il lui disait qu’il avertirait Marie-Thérèse du peu d’égards qu’elle marquait aux avertissements réitérés de sa mère. Car celle-ci traitait encore comme une petite fille Marie-Antoinette et ne lui ménageait pas les semonces.
Le prince de Kaunitz, ministre des affaires étrangères, aurait pu se formaliser, comme le fit plus tard d’Aiguillon de la Correspondance secrète de Louis XV avec le comte de Broglie. Il feignit, au contraire, d’ignorer le plaisir innocent que prenait sa souveraine à ces rapports secrets, mais à la condition que Mercy lui en rédigerait un extrait... que l’on retrouve d’ailleurs, presque avec les mêmes phrases, dans les lettres de l’ambassadeur d’Autriche au ministre de Vienne (D’Arneth-Flammermont. Correspondance secrète, 1889, 2 v., t. II, p. 243, 11 novembre 1768). Mercy, dans sa réponse du 9 décembre, prétendait n’avoir cédé qu’aux instances de Nény, secrétaire intime de l’impératrice, et promettait à Kaunitz de lui donner la satisfaction qu’il désirait.
Au reste, Mercy-Argenteau apportait, dans ses relations diplomatiques, des sentiments de défiance tâtillonne, et presque grincheuse, qu’alimentait encore un appétit démesuré de commérages. Il n’aimait ni la France, ni son gouvernement: «Ce royaume, écrivait-il à Kaunitz, est sans justice, sans ministère, sans argent.» Ah! la bonne alliance que nous avions là.
[223] Corresp. secrète de M. Argenteau. Lettre de Mercy du 2 septembre 1771, t. I, pp. 200-214. Mercy n’était pas d’ailleurs sans indulgence pour Mᵐᵉ Du Barry: «Elle n’est ni méchante, ni intrigante» écrit-il le 15 septembre 1779 à Nény.
[224] Corresp. Du Deffand (édition Sainte-Aulaire, 1866), t. II, pp. 13, 14 et suiv.
[225] AN. T. 243 Lettre du 9 octobre 1771 (de Fontainebleau).
[226] Corresp. Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire), 1ᵉʳ octobre 1771, t. II, p. 59.
[227] Corresp. Du Deffand (édit. Sainte-Aulaire), 3 octobre 1771, t. II, p. 59.
[228] Anecdotes de la comtesse Du Barry, Londres, 1776, p. 249.—Moufle d’Angerville dit également dans sa Vie privée de Louis XV (t. IV, p. 285), à propos des complaisances de d’Aiguillon pour Mᵐᵉ Du Barry, qu’il «forçait sa femme à s’associer à sa bassesse servile».
[229] Anecdotes de la comtesse Du Barry. La Dauphine y serait allée sans l’opposition de Mesdames, affirme Mercy dans sa lettre du 16 octobre 1772 à M.-Thérèse. Corresp., t. I, pp. 357-358.
[230] AN.T. 243. Lettre du 9 octobre 1771.
[231] AN.T. 243. Lettre du 12 novembre 1771.
[232] Alphonsine-Louise-Félicité, née en 1754, du premier mariage du comte d’Egmont avec Alphonsine de Saint-Severin d’Aragon.
[233] Welvert. Feuilles d’histoire, 1ᵉʳ juin 1910.
[234] Maugras. La disgrâce du duc et de la duchesse de Choiseul, p. 149.
[235] Vatel. La comtesse Du Barry, t. II, pp. 100 et suiv.
[236] Maugras. Loco citato, p. 149.
[237] Mémoires de Choiseul, t. II, p. 70.
[238] Mémoires de Besenval, t. II, pp. 148-50.
[239] Des historiens ont dit que Choiseul demandait 3 millions.
[240] Il est vraiment curieux de constater quelle activité ce prince, toujours indolent et toujours ennuyé, apportait à sa correspondance secrète, menant plusieurs intrigues à la fois, au point de les confondre toutes dans un même imbroglio. Il avait un tempérament d’auteur dramatique, voire de chroniqueur. Un livre, récemment paru, les Nouvellistes, a démontré, d’après d’indiscutables documents, combien Louis XV recherchait les échos du jour, les anecdotes scandaleuses, les rapports de police, et pour dire le mot boulevardier, les potins qui défrayaient ses appétits de curiosité et mettaient à sa merci la vie intime de ses courtisans.—Mais après lui, le Secret du roi devint, qu’on nous passe le mot, le Secret de Polichinelle. Et un livre de Soulavie parut en 1793 (Paris, 2 vol.), qui divulguait la Politique de tous les Cabinets de l’Europe pendant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, contenant des pièces authentiques sur la correspondance secrète du comte de Broglie, un ouvrage dirigé par lui et exécuté par M. Favier.
[241] Il écrivait au roi, le 17 mars, qu’il venait de recevoir la visite de M. d’Aiguillon, et que celui-ci, en présence de la résistance opiniâtre opposée par le prince aux suggestions de Mᵐᵉ Du Barry, déclinait toute prétention au ministère; et lui, de Broglie, ajoutait: «J’attendrai avec respect ce qu’il plairait à Votre Majesté de faire de moi».
[242] Duc de Broglie. Le Secret du Roi, t. II, p. 375. Evidemment le comte de Broglie était plutôt désigné pour la place que l’incapable Rohan, même assisté de Durand. Dès le 20 janvier 1771, il avait prévenu le roi des accords suggérés par Frédéric pour éviter une guerre entre la Russie et l’Autriche à propos de la Turquie, accords dont la Pologne devait payer les frais. L’inertie de La Vrillière et l’échauffourée de Dumouriez firent le reste.
[243] Corr. secrète d’Arneth-Flammermont. Lettre de Mercy à Kaunitz, du 19 décembre, t. II, p. 400.
[244] Corresp. secrète d’Arneth-Geffroy. Lettre de Mercy à M.-Thérèse, du 23 janvier 1772, t. I, p. 263.
Il est vrai que, par manière de correctif, la Dauphine déclarait à Mercy: «Je suis bien décidée à en rester là; et cette femme n’entendra plus le son de ma voix».
[245] Geffroy. Gustave III et la Cour de France (Paris, 1867, 2 vol.), t. I, p. 249.—Vergennes, disgracié par Choiseul (Soulavie. Mémoires historiques, I, 120), avait été envoyé à Stockolm en mai 1771 par d’Aiguillon.
[246] AN.T 243. Lettre du 15 septembre 1772.
[247] Duc de Broglie. Le secret du roi, t. II, p. 385.
[248] Lettre du 12 janvier 1772, dans Boutaric. Correspondance secrète de Louis XV, 1866, 2 vol., t. I, p. 430.
[249] Vatel. Mᵐᵉ Du Barry, t. II, p. 175.—Rohan fit son entrée à Vienne le 6 janvier 1772.
[250] Boutry. Autour de M.-Antoinette (Paris, 1906), p. 211.
[251] De la Rocheterie. Marie-Antoinette (Paris, 1905), t. I, pp. 108 et suiv.
Vatel cite dans son Histoire de Mᵐᵉ Du Barry (t. II, p. 163) une dépêche de Marie-Thérèse à Mercy, datée du 31 janvier 1773, où elle reconnaît que «contraire à cet inique partage si inégal et à se lier avec ces deux monstres» le malheur des temps «l’a tellement accablée qu’elle a cédé, mais bien contre sa conviction.»
[252] Boutry. Autour de M.-Antoinette, p. 208 (d’après les archives des affaires étrangères).
[253] Corresp. M. Argenteau, I, 298. Lettre de Mercy du 15 avril 1772.
[254] Corresp. M. Argenteau, I, 298. Lettre de Mercy du 15 juin 1772 au baron Nény.
[255] Sans rappeler l’ancienne malveillance du Chancelier contre d’Aiguillon, Lebrun, celui qui devait être plus tard le prince architrésorier de l’Empire, donne dans ses Opinions (1831, p. 40) l’origine de l’antagonisme signalé par Mercy. Quand la Du Barry sollicitait pour son allié le poste des affaires étrangères, d’Aiguillon envoya auprès de Lebrun, inspecteur général des domaines de la Couronne, un de ses collègues, M. de C***, avec prière de «déterminer Maupeou à parler pour le duc». Et l’émissaire ajoutait que si d’Aiguillon «n’avait pas l’obligation de sa place» au chancelier, il «serait son ennemi». Lebrun résume ainsi l’anecdote: «Le roi céda de lassitude: M. d’Aiguillon fut nommé. Il se souvint bien qu’il ne le devait pas à M. de Maupeou; et sans doute il me fit l’honneur de croire que j’avais été pour quelque chose dans son silence.»
[256] Vatel. Mᵐᵉ Du Barry, t. II, pp. 175 et suiv.
[257] Boutry. Autour de M.-Antoinette, pp. 216 et suiv.