Title: Supercheries littéraires
pastiches, suppositions d'auteurs dans les lettres et dans les arts
Author: Octave Delepierre
Release date: April 5, 2022 [eBook #67779]
Language: French
Original publication: United Kingdom: Trübner et Cie
Credits: Laurent Vogel, Pierre Lacaze and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))
MÊLANGES DE LITTÉRATURE MACARONIQUE DES DIFFÉRENTS PEUPLES DE L'EUROPE, 1 vol. 8º. Paris, 1852.
MACARONEANA ANDRA, OVERUM NOUVEAUX MÊLANGES MACARONIQUES. 1 vol. 8º. Londres: Trübner.
REVUE ANALYTIQUE DES OUVRAGES ÉCRITS EN CENTONS, DEPUIS LES TEMPS ANCIENS, JUSQU'AU XIXme SIÈCLE. 1 vol. 8º. Londres: Trübner.
ESSAI SUR LA PARODIE CHEZ LES ROMAINS ET CHEZ LES MODERNES. 1 vol. in 8º. Londres: Trübner.
LE LIVRE DE VISIONS, OU LE CIEL ET L'ENFER DÉCRITS PAR CEUX QUI LES ONT VUS. 1 vol. 8º. Londres: Trübner.
HISTOIRE LITTÉRAIRE DES FOUS. 1 vol. 8º. Londres: Trübner.
ESSAI HISTORIQUE ET BIBLIOGRAPHIQUE SUR LES RÉBUS. 1 vol. 8º, avec plusieurs planches. Londres: Trübner.
ANALYSE DES SIX PREMIERS VOLUMES DE MÊLANGES, DE LA SOCIÉTÉ DES PHILOBIBLION DE LONDRES. 1 vol. 8º.
Ministre de la Maison du Roi des Belges.
Permettez moi de vous offrir cet essai d'un compatriote, comme un témoignage de ses sentiments affectueux.
D'une famille où l'amour des lettres est inné, vous accueillerez, j'espère, avec indulgence, ces recherches littéraires sur un sujet qui pourra vous distraire un moment de vos graves occupations.
Si le livre vous amuse et vous présente quelques renseignements assez peu connus, c'est tout ce que désire votre dévoué serviteur.
DELEPIERRE.
Che non men che saper, dubbiar m'aggrata.
Aussi bien que savoir, douter a son mérite.
—Dante, Inferno.
[Pg 1]
Nous avons cherché à donner dans deux précédents ouvrages, une définition, aussi claire que possible, du Centon et de la Parodie. Il est peut-être plus difficile d'établir la théorie du Pastiche et ses rapports avec les genres similaires. Par leurs étroites affinités, ils semblent souvent se confondre entr'eux.
On demanderait en vain la définition du Pastiche aux auteurs du 17me et du 18me siècles. Remarquons que l'Académie Française, jusqu'en 1835, ne donnait pas le droit de cité, à ce vocable d'origine italienne. Il a trouvé[Pg 2] place dans la sixième édition, où on lit: "Pastiche en littérature se dit d'un ouvrage où l'on imite les idées et le style de quelqu'écrivain célèbre; exemple: Certaines réflexions de ce moraliste sont un pastiche où il a imité le raisonnement et le style de Pascal."
Cette définition est évidemment incomplète. MM. Barré, Langlois et Regnier, auteurs de Lexiques Complémentaires du Dictionnaire de l'Académie, se préoccupent si peu de distinguer entre les divers genres, qu'au mot Pastiche, ils renvoient le lecteur à ce qui est dit au mot Centon!
Littré se contente de répéter la définition de l'Académie, et donne deux exemples, dont le premier qualifie le pastiche de Singerie, et le second prend ce mot dans le sens figuré.
M. Patin, au tome 1er de ses "Etudes sur la poésie latine," fait mieux comprendre la différence entre[Pg 3] les deux significations, lorsqu'il dit: "La littérature grecque, à sa décadence, finit par s'imiter elle-même, se copier, et remonter, par le pastiche, vers son passé."
Et encore: "L'Epopée artificielle des Alexandrins, pastiche élégant de l'épopée primitive, dont elle affectait la naïveté."
Nodier, qui a décrit jusqu'à vingt-deux sortes de supercheries littéraires, a cherché à établir la distinction entre l'imitation, la similitude d'idées, la supposition d'auteur, de livres et de passages, l'intercalation, les suppléments et les Pastiches. Mais ces distinctions ne comportent pas toujours des différences assez marquées pour empêcher qu'on ne les confonde parfois. Ainsi les suppositions d'auteur, les intercalations, les suppléments ne sont souvent que de véritables Pastiches. Il est facile de comprendre[Pg 4] d'où vient ce défaut de précision. D'abord Pastiche et imitation ont une bien étroite affinité:—
Comme dit Horace:—
D'autre part, on ne parle du Pastiche en France que depuis quatre-vingts ans à peine. Si dans le temps où Boileau écrivait au duc de Vivonne ses deux ingénieuses lettres dans le genre de Voiture, et dans celui de Balzac, on l'eût félicité sur la perfection de ces deux excellents pastiches, il eût très probablement dit: "Vous trouvez donc ma double imitation digne des deux épistolaires modèles?"
Nous ne connaissons que quatre auteurs qui se soient spécialement[Pg 5] occupés du Pastiche: Ch. Nodier, que nous venons de citer,[1] N. Chatelain,[2] le marquis du Roure,[3] et Quérard.[4] Gabriel Peignot en a parlé, mais sans entrer dans les détails.
[1] Questions de littérature légale.
[2] Pastiches et imitations libres du style de quelques écrivains du 17me et du 18me siècles.
[3] Réflexions sur le style original (gr. 8º, tiré à soixante exemplaires).
[4] Supercheries littéraires, 5 vol., 8º. Nous avons aussi consulté avec utilité les Curiosités littéraires, de M. Lalanne.
Quérard, complétant le travail de Nodier, a consacré un chapitre de l'Introduction à ses Supercheries, aux imposteurs en littérature. Il y traite des concessions littéraires, des usurpations de réputation, des ouvriers littéraires à façon, des impostures de certains libraires-éditeurs, du pastiche, etc.; et il donne une liste curieuse, quoiqu'incomplète, des bibliographes[Pg 6] qui se sont occupés des pseudonymes et des ouvrages sur le plagiat.
Le marquis du Roure, qui nous offre des pastiches des plus célèbres écrivains français, est d'opinion que l'on contrefait sans peine quelques défauts de style, mais qu'il faut de rares qualités pour imiter des perfections: "De là vient, ajoute-t-il, la facilité avec laquelle le parodiste et le faiseur de pastiches copient la manière spéciale des écrivains dits originaux, tandis qu'ils ne peuvent qu'à grande peine atteindre les auteurs modèles."
En effet, il faut avoir les reins bien forts, dit Montaigne, pour entreprendre de marcher de front avec ces gens-là.
Dans le court avant-propos des pastiches de Nicolas Chatelain, il fait observer à juste titre, qu'il faudrait, ce qui est bien impossible, que chaque fois qu'un imitateur quelconque s'attache à copier un modèle, il revêtît[Pg 7] l'organisation de l'auteur; qu'il devînt tour à tour Bernardin de St Pierre, Voltaire, Madame de Sévigné, etc.
M. Chatelain, pour ménager à la sagacité du lecteur, dans son volume de pastiches, un plaisir assez piquant, y a glissé des pages des originaux, ce qui prouvera, dit-il, que quoi que l'on fasse, on demeure toujours à neuf cents lieues d'un cap, qu'on avait follement essayé d'atteindre, comme l'a si bien exprimé Madame de Sévigné.[5]
[5] Nous retrouverons plus loin M. Chatelain commettant bien d'autres pastiches, mais qu'il n'avoue pas cette fois-ci.
Il appartenait à un écrivain si exercé en ce genre, de disserter in extenso sur la théorie. Malheureusement la préface de son livre ne fournit aucun renseignement.
Un esprit paradoxal dirait que le pastiche et la supposition d'auteur remontent bien au delà du Christianisme; il y a même plus d'un traité sur les livres antédiluviens.
[Pg 8]
Les Gnostiques avaient fabriqué des Révélations qu'ils attribuèrent à Adam.
Les Sabéens prétendaient qu'il avait composé des livres existant encore, sur la culture de la terre.
Le Livre d'Enoch a joui pendant des siècles d'une haute autorité. Le savant Allemand H. Ewald a prouvé que c'était la compilation d'un juif qui vivait près de cent ans avant l'ère chrétienne.
On pourrait facilement prolonger la liste de ces supercheries que les Grecs continuèrent à mettre en pratique.
La vie d'Homère, attribuée à Hérodote, forme évidemment une suite d'aventures imaginées pour rendre compte de la possibilité des deux épopées placées sous son nom. Il n'existe plus guère de doute aujourd'hui, que ce nom a été pour les Grecs l'occasion d'une fable pareille à beaucoup[Pg 9] d'autres. Emile Burnouf montre qu'il signifie simplement arrangeur, et personnifie en quelque sorte la fonction ordinaire des Rapsodes.[6]
[6] Histoire de la littérature grecque, tome i. p. 92.
"J'ai quitté, dit Dugas-Montbel[7] sans regret, mon Homère fabuleux, pour retrouver d'antiques poésies nationales pleines de vie et de candeur."
[7] Histoire des Poésies d'Homère. La question du reste a été savamment discutée par Fréd. A. Wolff, dans ses "Prolegomena ad Homerum."
On peut considérer les Rhéteurs de la Grèce et de Rome comme ayant établi la théorie du pastiche. On sait qu'ils étaient dans l'usage de donner à composer à leurs élèves des lettres et des discours sous le nom d'écrivains illustres. C'était un exercice d'école. Telles sont les lettres du Scythe Anacharsis, de Thémistocle, de Pythagore,[Pg 10] de Platon, de Démosthènes; et celles de Xénophon même, habituellement insérées dans ses œuvres, ne sont que des pastiches, disent les savants.[8]
[8] Eugène Talbot, Introduction aux œuvres complètes de Xénophon.
La critique moderne, en Allemagne, est allée plus loin au sujet de Platon, jusqu'à supprimer la moitié de l'œuvre authentique de ce philosophe. Leo Allatius a même soutenu doctement le beau paradoxe que Platon n'avait jamais rien écrit. Il est certain que l'antiquité elle-même, peu soupçonneuse à cet égard, reconnaissait dans les éditions publiées sous le nom de Platon, beaucoup d'ouvrages supposés. Dix-neuf seulement sont indiqués par Aristote. Nous ne devons pas nous étonner de ces doutes. L'époque qui s'écoule entre Platon et Cicéron, voit naître, ou plutôt se développer, l'industrie des[Pg 11] faussaires, encouragés par la formation des grandes bibliothèques d'Alexandrie, de Pergame, et bientôt du Palatin à Rome, et par le prix généreux donné par les Ptolémées et les Attales à tous ceux qui venaient leur offrir des manuscrits anciens.
M. Ed. Chaignet, qui nous fournit ces renseignements dans "La vie et les écrits de Platon" (Paris, Didier, 1871), donne l'analyse de 59 des Dialogues de cet auteur, mais treize sont considérés par lui comme non authentiques, et comme suppositions d'auteur.
Montaigne craignait les surprises de ce genre: "Nous n'osons louer, dit-il, les belles inventions, ni les forts arguments des auteurs, que nous n'ayons prins instruction de quelque scavant, si ceste pièce leur est propre, ou si elle est estrangière, jusques lors je me tiens toujours sur mes gardes."
[Pg 12]
"Ces falsifications ne doivent-elles pas nous jeter dans la défiance, ajoute Bayle, sur mille choses que les anciens ont écrites, et dont nous n'avons plus les originaux?"
C'est l'historien Dion qui lui suggère cette réflexion, Dion qui a inséré dans son ouvrage le pastiche d'une harangue de Cicéron contre Marc-Antoine qu'il avait composée lui-même. On reconnaît la fraude à deux faits qu'il rapporte, et qui sont opposés à ce que l'histoire de Cicéron nous apprend. Nodier a exprimé une idée semblable à celle de Bayle, mais dans le sens inverse, lorsqu'il avoue qu'il est disposé à croire qu'à la renaissance des lettres, beaucoup d'auteurs modernes ont mis leurs productions sous des noms anciens et célèbres.
Il y a un côté philosophique de l'histoire des pastiches et des suppositions[Pg 13] d'auteur qu'a indiqué M. S. Van de Weyer, ministre de Belgique en Angleterre, dans la première série de la collection de ses opuscules,—côté philosophique qu'il a développé dans un essai fort piquant, qui paraîtra dans la troisième série. C'est que de tout temps les sectes religieuses, les écoles philosophiques, les coteries littéraires, les partis politiques, les charlatans scientifiques de toute espèce, ont audacieusement employé le pastiche ou la supposition d'auteur, dans l'intérêt de leurs dogmes, de leurs principes, de leurs passions, de leurs jalousies, de leur haine et de leurs spéculations, sur la crédulité, la bêtise, la méchanceté humaine.
Ces sortes de fabrications destinées à noircir des adversaires, ont été réduites en un art pareil à celui de la logique, dit D'Israéli, dans deux[Pg 14] articles de ses Curiosities of Literature.[9]
[9] Political Forgeries and Fictions. Political Nicknames.
L'adresse consisterait à faire considérer ces faux, comme servant d'autorité historique.... Pretium non vile laborum. Rappelons encore pour mémoire, entr'autres la lettre supposée qu'Abgar, roi d'Edesse, en Mésopotamie, aurait écrite à Jésus-Christ, d'après Eusèbe de Césarée, et la réponse du Sauveur, en langue syriaque. Elles étaient conservées en original, dans les archives d'Edesse, où Eusèbe en fit une traduction grecque. Dans la même classe est la lettre de Ponce-Pilate sur la vie du Christ, et celle envoyée au Sénat Romain, par Publius Lentulus, Proconsul de Judée.[10] De très bonne[Pg 15] heure les Chrétiens suppléèrent par des pastiches à la perte de documents connus. On savait que Saint Paul avait envoyé une épître aux Laodicéens. Comme elle se perdit par la suite, on la remplaça en imitant le style des autres écrits de l'Apôtre.
[10] Croirait-on possible en 1871, qu'un auteur nous rapporte, comme authentique, qu'en 1820 les commissaires de l'armée française en faisant des fouilles dans l'ancienne cité d'Aquila, au royaume de Naples, découvrirent dans un vase antique de marbre blanc, une plaque en cuivre contenant inscrite la condamnation de Jésus!
Voir The Truth of the Bible, par le reverd. Bourchier Wrey Saville.
Saint Jérome, Saint Augustin et Lactance, n'ont-ils pas regardé presque comme authentique la fameuse correspondance qui aurait eu lieu entre Saint Paul et Sénèque le philosophe? Le texte de cette correspondance existe encore. Devenue suspecte depuis le grand dénicheur de traditions, Didier[Pg 16] Erasme, elle est aujourd'hui apocryphe, de l'aveu de tout le monde.[11]
[11] Voir Ch. Aubertin, Etudes critiques sur les rapports supposés entre Sénèque et St Paul. Paris, 1857. 8º.
Ne passons point sous silence une composition d'une longue étendue, "L'Histoire du Combat Apostolique," publiée sous le nom d'Abdyas, évêque de Babylone. L'auteur est resté inconnu, mais il y en a une version latine, et le traducteur porte le nom imaginaire de Jules l'africain. On ne finirait pas à citer toutes ces fraudes. Non seulement on substituait des ouvrages altérés aux véritables, ou on prétendait avoir retrouvé des livres perdus, mais on en créait qui n'avaient jamais existé. Les écoles d'Alexandrie et de Pergame étaient les officines où s'élaboraient sans cesse ces produits[Pg 17] d'une érudition vouée au mensonge.[12]
[12] On trouve d'intéressants détails sur ce sujet dans l'ouvrage de A. Chassang, "Histoire du Roman dans l'antiquité grecque et latine," etc. 1 vol. 8º, page 83, et suiv. Paris, 1862.
Le canon de Muratori, qui est de la fin du second siècle, met en garde contre ces fraudes, produits d'un zêle mal-entendu.[13] Quelques savants prétendent que Philon de Byblos, auteur de cette époque, avait réuni ainsi des ouï-dire historiques et mythologiques, pour en composer l'œuvre du Phénicien Sanchonioton que Philon dit avoir traduite du grec.[14]
[13] Credner, zur Geschichte des Kanons, p. 76.
[14] Joh. H. Ursinus et Dodwell.
Voir aussi (1.) Feuillet de Conches, qui, dans ses Causeries d'un Curieux, a réuni plusieurs faits intéressants sur les Epistolaires-Pastiches anciens et les écrits supposés; (2.) Les Evangiles Apocryphes, traduits et annotés par Gustave Brunet; ainsi que (3.) Etudes sur les Evangiles Apocryphes, par Michel Nicolas; (4.) The Apocryphal Acts of the Apostles, from Syriac MSS. By Edward Norris. 2 vols. London, 1871.
[Pg 18]
L'abbé Migne[15] nous parle d'un très ancien manuscrit grec de la Bibliothèque d'Augsbourg, contenant dix-huit psaumes attribués à Salomon, et où le style de l'Ecriture Sainte et des prophètes Hébreux est imité avec habileté. L'auteur inconnu a cherché à s'inspirer de David, d'Isaïe, et d'Ezéchiel, pour en composer un pastiche remarquable.
[15] Dictionnaire des Apocryphes, t. i. p. 940.
Au second siècle l'Apocalypse de Saint Jean n'était-elle pas considérée comme l'œuvre de Cerinthus, et omise conséquemment dans la liste des livres du Nouveau Testament par le Concile de Laodicée? Il est bien connu que l'authenticité de cette Révélation est une question encore indécise parmi les savants en science biblique.
[Pg 19]
Les livres d'Hermès Trismégiste ont joui d'une grande autorité pendant les premiers siècles de l'Eglise, et ses écrits passaient pour des monuments authentiques de l'ancienne théologie des Egyptiens. Ce n'est qu'un pastiche que l'on place aujourd'hui parmi les dernières productions de la philosophie grecque. On n'a pas établi avec certitude l'origine, l'auteur, ni la date des livres qui portent le nom d'Hermès Trismégiste. Casaubon les attribuait à un Juif ou à un Chrétien; l'auteur du Pantheon Ægyptiorum, Jablonski, croit y reconnaître l'œuvre d'un Gnostique.[16]
[16] Voir Traduction complète d'Hermès Trismégiste, etc., par Louis Ménard. 1 vol. 8º. Paris: Didier. 1866.
Parmi les anciens auteurs grecs profanes, plusieurs pièces ont été regardées comme faisant partie de ces sortes de supercheries. On sait que[Pg 20] la première édition d'Anacréon fut publiée à Paris, par Henri Etienne, en 1554. Il fut d'abord soupçonné d'avoir fabriqué ces poésies; mais quoique cette supposition excessive soit tombée, il est évident à cette heure, que toutes les pièces ne remontent pas au lyrique de Téos. Les érudits s'accordent en général à ne considérer que trois ou quatre odes du recueil publié par Henri Etienne comme remontant au contemporain de Cambyse et de Polycrate. Les autres sont très postérieures, de simples pastiches, anacréontiques seulement, au même titre que tant d'autres jolies pièces légères de notre littérature moderne.[17]
[17] Sainte Beuve, "Essai critique sur la poésie Française au 16me siècle."
Des contemporains de Bion et de Moschus ont commencé à raffiner le genre.
Plus tard, et même sous les Empereurs[Pg 21] Romains, les riches voluptueux disaient, peut-être, à la fin des banquets, aux chanteurs grecs: "Faites nous de l'Anacréon!"
Deux siècles avant l'Ere Chrétienne, Alexandrie fut le centre d'une active fabrication de pastiches et d'écrits apocryphes. Les Juifs Hellénistes, pour se venger de l'injuste mépris des Grecs, voulurent prouver que les grands philosophes de la Grèce avaient puisé à pleines mains dans les écrits de l'ancienne Alliance. A défaut de preuves historiques pour soutenir leur thèse, ils produisirent de prétendues poésies d'Orphée, de la Sibylle, des sages de la Grèce, qu'ils avaient composées eux-mêmes, ou bien encore des poésies d'une antiquité réelle, dans lesquelles ils glissèrent des vers, exposant quelques unes des grandes doctrines du Mosaïsme.[18] C'est ainsi[Pg 22] que naquirent les livres apocryphes de Zostrien, de Zoroastre, et autres productions où la fraude était mise au service de l'enthousiasme[19] fanatique.
[18] Voir "Etudes critiques sur l'Ancien Testament," par Michel Nicolas, page 149, 1 vol. 8º. Paris: Michel Levy. 1866.
[19] "Philosophie et Religion," par Ad. Franck, page 3, 8º. Paris: Didier. 1867.
Nous retrouvons le Pastiche en honneur au troisième siècle. A la tête des écoles de Besançon et de Lyon se trouvait le rhéteur Titien, qui avait porté plus loin qu'aucun de ses contemporains le talent et la gloire de ce genre.
Il composa un recueil de lettres à l'imitation de celles de diverses femmes illustres de l'antiquité. On l'appelait le Singe de son temps. "On a beaucoup parlé de la littérature facile, dit M. Ampère; il y a aussi la littérature singe, qu'il ne faut pas oublier."[20]
[20] J. J. Ampère, "Histoire littéraire de la France avant le 12me siècle," tome i. p. 193, et tome ii. p. 195.
[Pg 23]
Les deux siècles suivants virent naître un système poétique curieux. Les Chrétiens furent saisis de la manie de reprendre les formes poétiques de l'antiquité, et de les appliquer aux idées nouvelles.
Synesius composait des odes sacrées à l'imitation d'Anacréon. Apollinaire faisait la même chose, prenant Pindare pour modèle. On composait de l'histoire sainte avec des lambeaux de Virgile.[21] Plusieurs poètes suivirent cet exemple; en un mot, on tenta une contrefaçon chrétienne de l'antiquité profane. Un peu plus tard les pastiches d'actes authentiques étaient d'un emploi assez fréquent à Rome. Il n'y[Pg 24] avait personne en ces temps d'ignorance et de ténèbres, dont les agents dévoués au Sacré Collège eussent à craindre un examen critique.[22] Ce système dura longtemps, car le Journal de Trévoux (Mars 1716) nous apprend qu'au douzième siècle, un moine de St Médard, nommé Guernon, se voyant à l'heure de la mort, s'accusa publiquement d'avoir parcouru plusieurs monastères et d'y avoir fabriqué des pastiches de chartres en leur faveur.
[21] Voir notre "Revue Analytique des ouvrages écrits en centons depuis les temps anciens, jusqu'au 19me siècle." London: Trübner, 1868, in 8º de 505 pages.
[22] Découvertes des ruses qui se pratiquent ès disputes de la foy, quand on n'en peut rendre raison, par un docteur Catholique. Paris: Cl. Chapelet. 1613.
Histoire Littéraire de la France, 4º, tome iv. P. 3.
Le Pape et les Conciles, par Janus.
Blondel, Pseudo-Isidorus et Turrianus Vapulantes.
Nos pieux ancêtres du douzième siècle s'avisaient d'un expédient fort simple pour sanctionner l'existence de[Pg 25] traditions profondément gravées dans la mémoire, ils fabriquaient des documents constatant leur origine. Une fraude pieuse dans ce temps-là était une invention reçue, destinée à remplir une lacune historique ou religieuse.[23]
[23] Les Manuscrits Français de la Bibliothèque du Roi, etc., par Paulin, tome i. p. 162. Paris: Techener. 1836.
Quas natura negat, præbuit arte vias, comme dit Claudien.
La chose était portée si loin, que l'an 1500 le Pape Gélase se crut obligé de publier un décret De libris recipiendis et non recipiendis, où il établit la distinction entre les ouvrages authentiques et ceux qui étaient forgés.
"Le monde est plein d'impostures et de suppositions, s'écrie Guez de Balzac, je dis même le monde savant, celui qu'on appelle la république des lettres."
Erasme au seizième siècle se plaignait[Pg 26] avec amertume de ne posséder aucun texte des Pères de l'Eglise qui n'eût été falsifié.[24] Les auteurs classiques ont subi le même sort. Un célèbre philologue allemand a démontré que des seize satires de Juvénal onze seulement sont authentiques, et que les autres sont apocryphes: "C'est, dit-il, une spéculation de quelque libraire avide, qui se sera associé quelque poète famélique au moment où l'engoûment du public pour Juvénal venait de s'accroître par la mort récente de ce dernier."[25]
[24] Curiosités littéraires, par Ludovic Lalanne.
[25] Otto Ribbeck: Der echte und der unechte Juvenal. Berlin, 1869.
Une question de supposition d'auteur ou de pastiche qui n'est pas encore résolue, est celle du Pervigilium Veneris, hymne que l'on chantait à la fête de Vénus. On l'a attribué entr'autres à Luxorius, poète carthaginois du sixième[Pg 27] siècle, sous le règne de Trasimond, roi des Vandales. Le motif de ce soupçon est qu'on y rencontre des imitations frappantes de Lucrèce, de Virgile et d'Ovide, dans les descriptions de la puissance de Vénus, et des effets du printemps, imitations que l'on rencontre déjà dans les Vers-Centons de Luxorius.[26] L'antiquité douteuse et l'origine problématique de ce morceau ont donné lieu à des hypothèses et à des conjectures de toutes les façons. Cabaret Dupaty, qui en a publié une traduction en prose, à Paris, en 1842, suppose que c'est un pastiche de Paul Manuce et de F. Pithou. Toutefois jusqu'à présent, les plus savants critiques n'ont pu s'accorder sur l'auteur de ce charmant poème, quoiqu'ils aient parcouru toute l'échelle de la littérature romaine, depuis l'aurore du siècle[Pg 28] d'Auguste jusqu'à la première nuit de barbarie des Goths et des Vandales.[27]
[26] Comme on peut le voir dans notre Centoniana.
[27] Voir "Conjectures sur l'auteur de la Veillée de Vénus," par M. de Cayrol. Abbeville, Juin 1839, in 8º.
Les Nouvelles Littéraires, tome xi. p. 366, contiennent des lettres du Président Bouhier au P. Oudin, relatives au Pervigilium Veneris.
Il serait très difficile de rappeler toutes les mystifications désignées sous les noms de pastiches, suppositions d'auteur, intercalations, etc., et restées plus ou moins célèbres dans les annales de l'érudition. Ce sont probablement ces nombreux mensonges littéraires qui ont suggéré la singulière idée, soutenue avec esprit par Jean Hardouin, que l'Enéide avait été composée par un moine du moyen âge, et que Virgile n'avait écrit que les éclogues et les géorgiques. Il affirmait en outre que deux ou trois écrivains de la même période étaient les auteurs des épîtres[Pg 29] et discours d'Horace (Epistolæ et Sermones). L'un avait composé les odes, le second les épodes, et le troisième l'art poétique. Cette thèse du reste convenait parfaitement à l'original, qui consacrait 250 pages in folio, dans ses Athei Detecti, à la preuve que Jansénius, Malebranche, Quesnel, Antoine Arnauld, Pascal, Descartes et autres philosophes, n'étaient que des athées.[28]
[28] M. Vernet, professeur de Théologie à Genève, a fait en latin l'épitaphe de Hardouin. En voici la traduction:
"Dans l'attente du jugement, ici repose le plus paradoxal des hommes; Français de nation, Romain de croyance, merveille du monde lettré. Il fut adorateur et destructeur de la vénérable antiquité; et doctement fou, il répéta, tout éveillé, des songes inouïs. A la fois pieux et sceptique, il eut la crédulité d'un enfant, l'audace d'un jeune homme, l'extravagance d'un vieillard. Enfin, pour tout dire en un mot, Ici repose Hardouin."
A notre avis le centon, la parodie et le pastiche sont unis par d'intimes[Pg 30] rapports. Après avoir traité les deux premiers sujets, nous désirons compléter cette espèce de trilogie plaisante, par un exposé des faits les plus remarquables dans les divers genres de supercheries, innocentes ou coupables, qu'offre l'histoire de la République des Lettres.
Afin d'établir un certain ordre dans ce travail, nous le diviserons en trois sections.
1er Les pastiches et suppositions d'auteur, composés avec l'intention de tromper les lecteurs.
2me Les suppléments d'auteur, intercalations, et pastiches, composés comme exercice de style, ou amusement.
3me Des pastiches-imitations, et suppositions d'auteur, dans les beaux arts.
[Pg 31]
"Corpus putat esse quod umbra est."
—Ovide.
"La vérité et le mensonge ont souvent leurs visages conformes, et leurs allures pareilles." Cette pensée de Montaigne est la base des compositions dont nous allons nous occuper.
Dans tous les pays et à toutes les époques, les supercheries littéraires sont fréquentes. Pour mieux déconcerter la critique, les auteurs de pastiches ont souvent cherché dans les temps anciens des noms célèbres, afin d'étayer[Pg 32] leurs écrits d'une autorité imposante. "Cette sorte de mensonge, dit la savante Marie de Gournay, trouve son excuse dans la bêtise d'une part du monde, qui croit beaucoup mieux la vérité sous la barbe chenue des vieux siècles, et sous un nom d'antique et pompeuse vogue."
Tous les auteurs ne montrent pas la même indulgence. L'infatigable bibliographe Quérard lança ses foudres de guerre contre les supercheries de la littérature française. Il donne avec trop de sévérité le nom de faussaires en littérature à ceux qui s'en mêlent, sans faire grande distinction entr'eux.
Quelqu'un, par contre, a dit plaisamment: "N'est-ce pas au contraire de l'humilité et du désintéressement littéraire, que de prêter son esprit aux morts, et de se cacher tout vivant sous la peau d'un illustre défunt?"
Le lecteur a vu dans l'introduction[Pg 33] que chez les anciens et dès les premiers siècles de notre ère, les falsifications de ce genre ne faisaient pas défaut.
On peut citer entr'autres, comme un morceau des plus heureux, les 217 hexamètres fabriqués à l'imitation du poète gnomique Phocylide,[29] et si bien réussis qu'on les a insérés dans les œuvres de ce dernier.[30]
[29] L'auteur de ce pastiche est resté inconnu. Duché (le tragique), le premier traducteur français du recueil de sentences et de préceptes de morale de Phocylide, a ajouté à sa traduction de véritables pastiches de Labruyère.
[30] Coupé, dans ses Soirées littéraires, tome iv. p. 49, s'obstine à nommer notre auteur grec, Procylide. Il a donné une autre traduction des maximes gnomiques ou sentencieuses de Phocylide. Voir, au sujet des poètes de cette famille, Emile Egger, Mémoires de littérature ancienne, tome i. p. 229.
Ovide jouit d'une grande célébrité au moyen âge, car nos aïeux trouvaient dans ses Métamorphoses et l'Art[Pg 34] d'aimer, de quoi satisfaire leur penchant pour les histoires merveilleuses et les contes érotiques.
Aussi règne à cette époque la fantaisie de certains poètes de publier leurs œuvres sous son nom, mais ces pastiches réussirent rarement. On compte jusqu'à treize de ces imitations.[31] Une des plus importantes, le poème de Vetulâ, déjà cité par Richard de Bury, dans son Philobiblion, fut publié à Cologne en 1470, comme œuvre d'Ovide. Voici comment Robert[Pg 35] Holcoth, dans son commentaire sur La Sagesse raconte l'histoire inventée alors pour faire croire à l'authenticité de ces trois chants, mais sous une prudente réserve: "An sit liber Ovidii, deus novit."
[31] Consolatio ad Liviam Augustam.
Carmen Panegyricum ad Calpurnium Pisonem.
Elegia de Philomelâ.
De Pulice.—Somnium.
Epigrammata Scholastica de Virgilii xii. libris Æneidos.
De Cuculo. De Aurorâ. De Limace.
De quatuor humoribus.
De ludo latrunculorum.
De Fortunâ.
De Vetulâ.
Le poète, désespérant d'être rappelé de son exil, composa ce dernier poème pour y retracer la vie qu'il avait jadis consacrée à l'amour. En mourant, il avait ordonné que cette composition intitulée Vetula fût enterrée avec lui. On la retrouva dans un cimetière public d'un faubourg de la ville de Dioscurias, capitale de la Colchide; ce manuscrit fut porté à Constantinople, par ordre du roi de ce dernier pays, et Léon, protonotaire du sacré palais, et secrétaire de l'Empereur Vatace, le publia. On ajoutait que dans le même tombeau se trouvait aussi l'inscription funéraire d'Ovide! Naudé[32] cite encore[Pg 36] plusieurs autres témoignages sur ce même poème attribué à Ovide.
[32] Dans le Dialogue de Mascurat, p. 225.
Bayle dit qu'il faudrait être bien dupe pour s'imaginer que la Vetula soit de ce poète. "Il n'est pas nécessaire, ajoute-t-il, d'être grand clerc pour pouvoir jurer, sans nulle ombre de témérité qu'Ovide n'a jamais fait un poème aussi barbare que celui-là, et que c'est la production d'un Chrétien du Bas-Empire."
Ici notre savant critique se trompe, comme l'a prouvé M. Cocheris, qui, dans une introduction de la traduction de ce poème, par Jean Lefèvre, démontre que de tous les écrivains que l'on pourrait regarder comme auteur de ce pastiche, aucun ne semble réunir en sa faveur autant de présomptions que Richard de Fournival, chancelier de l'église d'Amiens. Admirateur d'Ovide, clerc habile, auteur de productions fort estimées de son temps,[Pg 37] il a laissé plusieurs poèmes qui ne sont que des imitations de l'Art d'aimer et du Remède d'amour.[33]
[33] La Vieille, ou les dernières amours d'Ovide, poème français du 14me siècle, etc. etc., par Hippolyte Cocheris. Paris: A. Aubry. 1861. Un vol. petit en 8º.
A plusieurs reprises les romans grecs ont fourni l'occasion de pastiches qui parfois ont eu cours assez longtemps comme authentiques. Par exemple, Huet a accepté comme tel un ouvrage tout moderne: "Du vrai et parfait amour," attribué à Athénagoras d'Athènes, un des premiers défenseurs du Christianisme. On n'a jamais vu le texte grec de ce livre, dont la traduction française a été publiée pour la première fois à Paris en 1599. Il est bien prouvé aujourd'hui que l'ouvrage est une fiction du prétendu traducteur. C'est le premier modèle de toutes ces suppositions de romans[Pg 38] traduits du grec que Montesquieu n'a pas dédaigné d'emprunter dans le Temple de Gnide.[34]
[34] Etudes de littérature ancienne et étrangère, par Villemain. Paris: Didier. 1846.
Les Romanciers grecs et latins, par Victor Chauvin. Paris: Hachette. 1864.
Une supposition d'auteur qu'il ne fut pas aussi facile de reconnaître, et qui est encore aujourd'hui une énigme, est l'inscription que Pétrarque est supposé avoir tracée sur son exemplaire de Virgile, et dans laquelle il fait mention de sa première rencontre avec Laure, dans l'église de Sainte Claire, le 6 avril 1327, jour de Vendredi Saint.[35]
[35] Malheureusement pour celui qui imita si bien l'écriture de Pétrarque, il est prouvé, que le 6 avril de cette année était un lundi.
Une supercherie plus difficile, qui traversa comme authentique même le dix-huitième siècle sceptique et railleur, sans être démentie ni mise en doute, est la curieuse Ordonnance Royale,[Pg 39] relative aux mœurs à Avignon, donnée par la Reine Jeanne de Naples, en 1347.
M. Jules Courtet a montré que le savant Astruc a été la dupe d'une plaisante mystification, en insérant ces statuts apocryphes pour la première fois en 1736, dans son traité De Morbis Venereis. Ils étaient l'œuvre de M. Garcin et de ses amis. On fabriqua une copie d'un prétendu original, qu'ils firent parvenir à Astruc.[36]
[36] Voir les détails de cette affaire dans la Revue Archéologique, deuxième année, 1845, 3me livraison. Sur la foi d'Astruc, cette Ordonnance Royale fut mise par Papon dans son "Histoire de Provence," et par Merlin, dans son "Répertoire de Jurisprudence," tome i. p. 761. Non infima laus est, comme dit Horace.
Les savants et les hommes de lettres se donnèrent souvent, au seizième siècle, le plaisir de se mystifier les uns les autres, et parfois le public, par ces sortes de pastiches ou de suppositions[Pg 40] d'auteur. Le plaisant conteur Des Periers essaya, mais ne réussit guère, à faire croire que le Cymbalum mundi était un ouvrage ancien.
Dans la préface, il dit à son ami Tryocan, qu'il n'était que le traducteur de ce petit livre: "Il y a huit ans que je te promis de te rendre en langaige françois, le petit traité que je te montrai, intitulé: Cymbalum mundi, lequel j'avais trouvé dans une vieille librairie d'un monastère qui est auprès de la cité de Dabas."
Le célèbre italien Sigonius fit prendre pendant longtemps un de ses pastiches pour le traité de Cicéron, "De Consolatione," quoiqu'Antoine Riccoboni eût déjà tâché de dévoiler la supercherie, en publiant le "De Consolatione, edito sermone sub nomine Ciceronis." Tiraboschi ne découvrit qu'en 1785, à Modène, des lettres privées qui prouvaient la fabrication.
[Pg 41]
Ce pastiche Cicéronien était habilement composé par un savant que Hallam, dans son histoire de la Littérature de l'Europe, nomme le prince des antiquaires du seizième siècle.
Vers cette époque une supercherie littéraire qui fit bien plus de bruit, fut celle d'Annius ou Nannius de Viterbe, qui,
....."Veteris non inscius ævi,"
publia à Rome en 1498 un recueil de parties des ouvrages originaux de Bérose, de Fabius Pictor, de Manéthon, de Caton,[37] etc., qu'il prétendit avoir retrouvés à Mantoue. Ce recueil, monument curieux de l'ignorance et de la crédulité, fut reçu avec une grande faveur par toute l'Europe savante, car chaque peuple trouvait son origine dans les fables de ces prétendus historiens.[Pg 42] Il eut les honneurs de la réimpression à Paris, à Venise et à Bâle.
[37] Annii Viterbiensis Commentarii in auctores diversos de antiquitatibus, cum textu, in folio. Cette première édition est extrêmement rare.
La critique ne fit justice de cette supposition d'auteur, qu'à la fin du seizième siècle, longtemps après la mort de l'inventeur. Nicéron distingue quatre partis qui furent engagés dans cette querelle; ceux qui considéraient toute la collection comme un pastiche; les partisans d'une authenticité parfaite; ceux qui regardaient les fragments comme faux, mais qui prétendaient qu'Annius avait été trompé lui-même; et enfin le juste milieu maintenait, qu'une partie était fausse, et l'autre authentique. Le Bérose commençait son histoire avant le Déluge, et avançait que les Chaldéens avaient fidèlement conservé leurs archives historiques.[38]
[38] Le Dictionnaire de Bayle cite les principaux auteurs qui ont parlé de ce pastiche.
[Pg 43]
Pour mieux faire croire à l'authenticité de l'œuvre, Annius y avait joint de longs commentaires, contenant des passages d'auteurs anciens bien connus.
On rapporte qu'un auteur mourut de chagrin lorsque l'imposture fut découverte, parcequ'il avait fondé un long et savant travail sur cette publication.
C'est au seizième siècle que commença la manie des commentaires interminables. Afin de les rendre plus intéressants, leurs auteurs prêtaient à Ennius ou à quelqu'autre poète perdu, des vers de leur façon, souvent fort heureux. C'est ainsi que le hollandais Paul Merula, auteur d'une histoire universelle, soutint avoir trouvé un traité, "De veterum poetarum continentiâ," d'un certain Calpurnius Pison, grammairien du temps de Trajan. Il en citait des passages qui firent fortune parmi les savants;[Pg 44] mais personne ne vit alors, ni plus tard, le manuscrit que l'heureux Merula avait trouvé, disait-il, dans la bibliothèque de Saint Victor.
"Oh, my prophetic soul!"
aurait pu s'écrier Rabelais, comme Hamlet, en décrivant les amusantes richesses littéraires de cette abbaye. La France, l'Espagne, l'Italie, l'Europe entière semblaient s'être donné le mot pour ces sortes de supercheries.
Le cardinal Sadolet, ce prélat qui fut appelé le Fénelon du seizième siècle, composait d'ingénieuses épigrammes, qu'il disait tirées d'anciens manuscrits latins à lui envoyés par ses amis.
Il cherchait à persuader de la vérité de cette découverte les hommes de lettres en rapport avec lui.
Les suppositions de passages et de pièces de peu d'étendue, dit Nodier,[Pg 45] placées sous le nom d'un auteur ancien célèbre, ont sans doute le mérite de la difficulté bravée, car les objets de comparaison qui peuvent éclairer le lecteur, sont à la portée de tout le monde; et néanmoins que de savants du premier ordre ont été pris pour dupes!
Le monde littéraire s'amusa longtemps de l'erreur dans laquelle tomba Joseph Scaliger. Dès l'âge de 18 ans il se piquait de discerner les différents caractères de tous les siècles. Muret lui montra un jour quelques vers qu'il disait avoir reçus d'Allemagne, et tirés d'un vieux manuscrit. Scaliger, après les avoir lus attentivement, lui assura sans balancer, qu'ils étaient d'un vieux comique latin nommé Trabea, et sûr de son opinion, il les inséra dans son commentaire sur Varron, De re rusticâ, auquel il travaillait alors. Tel est le récit de Coster, dans son Apologie[Pg 46] citée par Bayle; mais Muret nous apprend que ce fut lui-même qui suggéra que ces vers étaient de Trabea; et d'autres qu'il montra en même temps, du comique Attius, et que Scaliger le crut sur parole.[39] Ayant complètement pris le savant au piège, il avoua sa supercherie pour montrer combien peu de confiance on pouvait avoir dans la sagacité critique d'un écrivain qui voulait faire considérer son jugement en littérature comme infaillible.
[39] Voir l'Anti-Baillet de Ménage, chap. lxxxiii., et le Dictionnaire de Bayle, pour les détails.
Scaliger se vengea par une épigramme des plus sanglantes:—
[40] Ces flammes de la rigoureuse Toulouse se rapportent à une accusation devant le Parlement de cette ville, pour un crime qui était alors puni par le feu, auquel il paraîtrait que Muret échappa.
Il justifiait ainsi cette spirituelle[Pg 47] boutade de Nodier, que la plus pardonnable des supercheries littéraires est celle que l'on pardonne le moins, parceque le public ne veut pas qu'on se serve de sa crédulité même pour lui procurer du plaisir, et que rien ne compense l'outrage fait à sa vanité. Le ressentiment du savant pour une méprise qui cependant ne pouvait l'humilier, ne surprend en aucune façon, lorsque l'on connaît le caractère de Scaliger; il n'était pas homme à en rire. Mais conçoit-on facilement que le joyeux Rabelais ait gardé une profonde rancune au Vénitien Pontanus (Tanponus, comme il l'appelle) de lui avoir fait prendre pour une pièce antique, un certain "Contractus venditionis antiquis Romanorum temporibus initus" que l'auteur de Pantagruel, trompé,[Pg 48] publia à Lyon, avec une belle épître dédicatoire et sous un titre solennel: Ex reliquiis venerandæ antiquitatis![41]
[41] Voir les Matanasiennes, 8º, p. 6o. Lyon, 1837. Ce charmant opuscule fut publié sans nom d'auteur, par M. Rostain, de Lyon, un des plus savants bibliophiles de France, et toujours prêt à mettre ses connaissances littéraires au service de ses amis. On trouve dans cette brochure des détails fort intéressants sur plusieurs autres pastiches latins qui ont déjoué la perspicacité des lettrés des 17me et 18me siècles.
Il est singulier que Scaliger, sachant par expérience que Muret imitait si bien les anciens poètes latins, qu'on pouvait aisément s'y tromper, s'y soit néanmoins laissé prendre une seconde fois, comme le raconte Vossius, dans son commentaire sur Catulle.[42] Menken, qui cite le fait, ajoute que Douza, le fils, fut induit en erreur de la même manière par Jérôme Groslot de Lisle,[Pg 49] à l'occasion du Pervigilium Veneris,[43] dont on ne connaît que les quatre vers suivants:
[42] "Menken, de la Charlatanerie des savants," p. 83, édit. de 1721.
[43] Français Noël, dans ses notes sur Catulle, tome i. p. 343, assure au contraire que ce fut van der Does qui voulut imiter le tour que Muret avait joué, et qui prétendit qu'un de ses amis avait vu, dans une bibliothèque de France, un Pervigilium Veneris différent de celui que nous possédons, et dont il rapporte quatre vers. "On trouva à ce fragment, ajoute Noël, un goût et un ton antique; et quand on fut détrompé, on se consola, comme Scaliger, par des injures."
Quelquefois le critique trompé ne veut pas être désabusé et persiste dans l'erreur. Henri Estienne avait inséré dans ses Satyrici Minores, une satire De Lite, qu'il croyait ancienne, et qui était du Chancelier de l'Hospital. Le[Pg 50] philologue Boxhorn ne voulut jamais croire J. F. Gronovius, qui le prévint de la supercherie, et soutint que l'Hospital devait avoir découvert cette pièce excellente, et qu'il pouvait citer des savants qui l'avaient lue dans des manuscrits anciens! C'est peut-être une semblable conviction qui engagea Alde le jeune à publier Philodoxios Fabula[44] comme pièce ancienne, quoiqu'il ne soit pas probable qu'il ignorât qu'Albert Eybe en avait déjà donné quelques scènes dans sa Margarita poetica, où elle est attribuée à Charles d'Arezzo, de la famille des Marsuppini, mort à Florence, en 1453.[45]
[44] Lepidi Comici Veteris Philodoxios Fabula, ex antiquitate eruta ab Aldo Manucio, in 8º. Lucæ, 1558. Ce livre extrêmement rare a été vendu jusqu'à dix guinées à la vente de la Bibliothèque de B. Butler.
[45] Voir Renouard.
[Pg 51]
Malgré l'étude profonde de l'antiquité que possédaient incontestablement les savants de cette époque, on serait presque tenté de douter de leur esprit critique, lorsqu'on les voit se tromper aussi fréquemment.
Guez de Balzac, un des créateurs de la langue française, et dont le grand Corneille, Gassendi, Sarrasin, etc., s'accordent à vanter le talent pour la versification latine, a été à son tour la cause d'une mystification (dont on a cherché à le justifier), quoiqu'il eut pris d'amples précautions pour cacher sa petite supercherie. Il inséra dans ses œuvres,[46] parmi ses poésies et épîtres latines, un morceau intitulé: "Indignatio in poetas Neronianorum temporum, majoris operis fragmentum."
[46] Deux volumes in fol., p. 38. Paris, 1665.
Il déclare qu'il avait trouvé dans un parchemin pourri en plusieurs endroits, et à demi rongé de vieillesse, des vers d'un auteur inconnu sur les hommages[Pg 52] prodigués à Néron, que les Chrétiens croyaient être l'Antéchrist. Il faut que l'auteur ait écrit sous le règne de Néron, ajoute-t-il, quoique son caractère soit plus ancien, et qu'il ait cherché une autre manière, et une plus belle expression que celle des écrits de ce temps-là. Mais de plus, nos amis du pays latin trouvent que son génie est hardi.
J. Ch. Wernsdorff, éditeur d'un recueil estimé, les Poetæ Latini Minores, inséra ce fragment d'une trentaine de vers, comme l'œuvre du poète Turnus. Burmann et plusieurs autres crurent également à l'authenticité de cette pièce. A. Perreau, le traducteur de Perse, a fait, dit-il, d'inutiles recherches (et on peut l'en croire), pour se procurer le manuscrit d'où Balzac avait tiré ces beaux vers; et le savant Boissonade jugea que la conjecture était probable, qui les attribuait[Pg 53] au satirique Turnus, contemporain de Martial. Seulement il exprimait de grands regrets que Balzac, qui le premier les avait publiés, n'eut pas pris le soin de nous faire connaître leur origine, et la source d'où il tenait son vieux manuscrit.
Cette prétendue satire de Turnus fut reconnue véritable par Lemaire, Naudet, Quicherat, et traduite par Théry, Ach. Perreau et Charpentier, dans les collections classiques!
Le spirituel auteur des Matanasiennes a voulu disculper Balzac, et prouver que si on avait lu avec plus d'attention les lettres de celui-ci adressées à Conrart, à Chapelain, et à d'autres, ainsi que ses "Entretiens, ou dissertations littéraires," on aurait vu que l'auteur n'avait pas l'intention de tromper les savants.
Il faut avouer pourtant que Balzac aimait ces jeux d'esprit, et s'exprimait[Pg 54] d'un air de grande bonne foi, en les présentant comme anciens; et excellent latiniste comme il l'était,[47] il n'est pas étonnant qu'il déçut quelquefois le public lettré. Dans son quatrième discours, adressé à Madame la Marquise de Rambouillet, il cite des paroles de Cassius et de Caton, une lettre de Fabricius à Pyrrhus, un billet de César à Cléopâtre, comme extraits d'un vieux manuscrit, qui lui est heureusement tombé entre les mains. Toutefois ici, comme la supposition est flagrante, il ajoute une explication, qui laisse entrevoir la vérité: "L'auteur de ce manuscrit n'est pas un inconnu, un enfant de la terre; il a un nom et un pays, et porte[Pg 55] des marques de sa naissance. Il est vrai pourtant, Madame, que je ne vous parle pas si affirmativement de la vérité de ces lettres qu'il ne vous soit permis de suspendre encore votre jugement.
[47] Le philosophe Gassendi lui a rendu ce témoignage, "Balzacius cui nemo, non gallicè modò, sed latinè etiam scribentium elegantiæ palmam non facilè cedat."
"Puisqu'en ce pays de Grèce, il y a quantité de gens de bonne volonté et de grand loisir; puisque les sophistes ont servi de secrétaires à Phalaris et à d'autres princes, je ne sais combien de siècles après leur mort, ils pourraient bien avoir rendu le même service à César. Au surplus, si ces pièces ont été contrefaites, ç'a été, je pense, à peu près au siècle d'Auguste."
Ce demi-aveu même laisse exister le doute, par les derniers mots, sur l'intention de Balzac d'induire en erreur Madame de Rambouillet.
Suffit-il pour empêcher le lecteur d'être pris au piège, que dans une édition des poésies latines de Balzac,[Pg 56] publiée par Ménage en 1650,[48] on trouve, à la page 189, huit petites pièces de vers avec l'intitulé: Ficta pro antiquis, sous lequel l'éditeur a placé le fragment attribué à Turnus?
[48] Joann. Ludov. Balzacii Carminum libri iii., in 8º. Paris, 1650.
Ces peccadilles contribuèrent peut-être à faire traiter si rudement Balzac par le P. Goulu, général des Feuillants, qui écrivit contre lui deux volumes d'injures. Bautru disait de Balzac, qu'il était attractif d'injures.
La France n'était pas le seul pays où l'on pratiquait ces sortes de supercheries; en Espagne le pastiche et les suppositions d'auteur prospéraient singulièrement.
Le biscayen Antonio de Guevara, moine franciscain, auteur de plusieurs ouvrages, pourvu de deux évêchés, et historiographe de Charle-Quint, ouvre la marche par son Horloge des Princes, espèce de roman philosophique dont[Pg 57] Marc-Aurèle est le héros, et qui ressemble à la Cyropédie de Xénophon.[49]
[49] Relox de Principes.
On sait que cet ouvrage a fourni à Lafontaine son admirable fable du paysan du Danube, d'après une traduction française par R. B. De la Grise, conduit en Espagne, après la bataille de Pavie.
Cette traduction, revue et corrigée par N. De Herberay, seigneur des Essarts, fut suivie de si près par Lafontaine, qu'il s'appropria non seulement toutes les idées, mais même les expressions du traducteur. Voyez l'édition des Fables de Lafontaine, par Robert.
L'auteur prétendit qu'il avait traduit cet ouvrage sur un manuscrit très ancien trouvé à Florence. Le public ajouta foi à cette assertion; mais enfin un professeur de littérature au collège de Soria, nommé Petro de Rua, prouva que c'était une œuvre moderne, et défia l'auteur de montrer le manuscrit.
Guevara fut alors assailli de toute[Pg 58] part, avec d'autant plus d'animosité que les pastiches d'Annius de Viterbe avaient récemment encore excité la colère des savants.
"Je m'imagine, dit Bayle, dans son dictionnaire, que le succès qu'avait eu d'abord le Marc-Aurèle de Guevara, encouragea l'anglais Thomas Elyot à une fraude du même genre."
Cet auteur publia à Londres, sous le règne de Henri VIII., un ouvrage qu'il prétendit avoir traduit sur un manuscrit grec d'Encolpius, auquel Alexandre Sévère était fort attaché, et qui est connu pour avoir publié la vie de cet empereur.
Elyot avançait qu'un gentilhomme napolitain, nommé Puderico, lui avait prêté l'original. Le public fut trompé pendant quelque temps; mais Wotton, dans son Histoire Romaine, fit voir sans réplique, que ce n'était là qu'une supposition d'auteur.
[Pg 59]
Revenons à l'Espagne, où l'époque dont nous parlons pourrait être désignée comme l'âge d'or des supercheries littéraires. Au nombre des plus remarquables, on trouve l'histoire de la conquête de l'Espagne par les Arabes, traduite d'une chronique contemporaine des événements.
Les écrivains du pays, pleins de foi en l'authenticité de ce document, s'en servirent pour la composition de leur histoire; mais voilà qu'après un examen trop tardif, Don Nicolas Antonio commença à jeter des doutes sur le livre. Bientôt d'autres critiques entrent dans la même voie, et enfin la fraude non seulement est prouvée, mais on découvre même quel en est l'auteur. Michael de Luna, interprète d'Arabe, au service de Philippe III., avait calqué son œuvre avec beaucoup d'art sur d'anciens documents peu connus.
[Pg 60]
C'est aussi en ces temps que le jésuite, Jérome Higuera, s'associa Torialba, son confrère, lequel prétendit avoir trouvé dans la bibliothèque de Fulde en Allemagne, un manuscrit que Higuera enrichit de notes, pour éclaircir différentes parties du texte; puis une copie du tout fut envoyée à J. Calderon, qui le publia à Saragosse, sous le titre de: "Fragmentum Chronici Flav. Dextri cum chronico Marci Maximi, et additionibus S. Branlionis et Helecani."
Ces ouvrages supposés étaient composés avec beaucoup plus d'ingéniosité que ceux de Bérose et de Manéthon, dont nous avons parlé ci-dessus. C'est ce qui fut la cause que l'on eut bien plus de foi en leur authenticité. Toutefois comme les savants ne purent jamais obtenir de voir le manuscrit original, et remarquèrent quelques anachronismes, des doutes commencèrent à s'élever. Puis Gabriel[Pg 61] Pennot, augustin de la Navarre, publia un examen de la chronique, dans lequel il donnait d'excellentes raisons pour prouver l'invraisemblance de ces documents, et malgré la défense qu'entreprit Th. Vargas, la supposition d'auteur fut définitivement reconnue par le monde lettré.[50]
[50] Voir Historia critica de los falsos cronicones de Señor Alcantara. L'auteur décrit avec précision l'origine, la formation, et les vicissitudes de ces chroniques.
Pour ce qui concerne les supercheries littéraires de l'Espagne, on doit consulter l'excellente histoire de la littérature de l'Espagne, par George Ticknor. 3 vols. 8º.
Higuera n'eut pas le chagrin de voir ce résultat, car il mourut en 1611, huit ans avant la publication de cette histoire critique, et soutenant toujours l'antiquité de son œuvre.
Ceci se passait sous Philippe III., gouverné, de même que l'Espagne, par le duc de Lerme. Dix ans plus tard[Pg 62] Philippe IV. montait sur le trône, encore mineur, sous la tutelle du duc d'Olivares, qui créait comte de la Roca, un des plus habiles écrivains de pastiches trompeurs qu'ait produits l'Espagne.
"Don Juan Antonio de Vera y Zunîga" annonça qu'il avait découvert un in 4º imprimé à Burgos en 1499, renfermant cent et cinq lettres de Ferdinand Gomez de Cibdareal, médecin et confident du Roi Jean III., recueil intitulé: "Centon Epistolario." Cette correspondance, qui avait eu lieu entre 1425 et 1454, rapportait des faits très intéressants, et des détails anecdotiques sur des événements d'une haute importance. Pendant près de deux cents ans, ce livre réimprimé en 1775, par le secrétaire de l'Académie Historique d'Espagne, fut cité comme autorité dans maints ouvrages. Dans l'intervalle, l'esprit[Pg 63] de recherches et d'examen avait fait des progrès. L'on analysa plus scrupuleusement, et l'on trouva d'abord que dans aucune chronique, histoire, ni correspondance, on ne rencontre le nom d'un Gomez de Cibdareal, médecin et confident du Roi Jean.
Cependant les renseignements sur la cour de ce souverain sont abondants. Ensuite aucun manuscrit de cette correspondance avec les principaux personnages du royaume, n'existe nulle part. Enfin tous les bibliographes s'accordèrent à dire que l'édition de Burgos de 1499 est fictive, et accuse une impression postérieure à 1600.
L'ouvrage présente aussi plusieurs anachronismes dans les faits et dans le style. On y rencontre des phrases et l'emploi de mots inconnus avant la première moitié du seizième siècle.[Pg 64] Somme toute, la supposition d'auteur devint évidente, et fut duement constatée.
On voit, comme nous l'avons dit, que c'était vraiment en Espagne l'âge d'or des supercheries littéraires.
L'Italie et la France ne restaient pas en arrière dans la même voie.
semblait être la devise.
Martin Fumée, sieur de Genillé, publia en 1599, comme traduit du grec d'Athénagoras, philosophe Athénien, qui florissait vers la fin du deuxième siècle, "Les amours honnêtes de Théogone et de Charide; de Férécide et de Mélangénie."
Ce fut, comme presque toujours, l'impossibilité de trouver la moindre trace du texte grec de ce livre, qui éveilla les soupçons, et l'on reconnut bientôt que c'était encore là, une supposition[Pg 65] d'auteur et un pastiche de romans connus.[51]
[51] Voir Struvius, De doctis impostoribus.
A propos de ce roman, rappelons ici la discussion qui n'est pas encore fermée, au sujet d'un autre roman grec, beaucoup plus célèbre, "Daphnis et Chloé," que quelques critiques regardent comme un pastiche élégant du neuvième siècle, œuvre ingénieuse et patiente d'un homme de goût, égaré dans la barbarie d'un âge ignorant. Consultez Les Romanciers Grecs et Latins, par Victor Chauvin, p. 134.
"Corpus putat esse, quod umbra est."
Une supercherie d'une toute autre importance fut pratiquée en Italie un peu plus tard.
Curzio Ingherami, érudit qui s'était occupé toute sa vie d'antiquités, publia des fragments d'histoire étrusque soi-disant écrits par un certain Prosper Fesulanus, en l'an 700 de Rome.
On y établissait entr'autres faits historiques, qu'il y avait eu des rapports entre les Etrusques et les[Pg 66] Hébreux; que le roi David avait imité, dans ses écrits, ceux de Noé et de ses descendants. Cette chronique rapporte même des discours et des anecdotes de Noé.[52]
[52] D'Israeli, "Curiosities of Literature," tom. iii.
Léon Allatius et Henri Ernst eurent beau donner des preuves de la fausseté de cet ouvrage. Ingherami défendit l'authenticité de sa découverte, en faisant imprimer à Florence, en 1637, un gros in 4º intitulé, "Discorso sopra l'opposizione fatte all'antichità Toscane." Attaqué de nouveau avec renfort d'arguments, il céda, et s'excusa, en disant qu'il s'en était laissé imposer par un faussaire. Ceux qui se sont occupés de la question, pensent qu'il y a des raisons pour croire en sa bonne foi.[53]
[53] Dictionnaire Critique de Bayle, et Huet: Traité de l'origine des Romans.
Le souvenir de cette invention était[Pg 67] presque effacé, lorsqu'un aventurier sicilien, Joseph Valla, annonça qu'il avait découvert les livres de Tite-Live qui nous manquent. C'était une traduction en Arabe qu'il avait achetée d'un Français, lequel avait enlevé le manuscrit des rayons de la bibliothèque de Constantinople.
Il ajoutait qu'il possédait aussi un codex, provenant de la même source, et contenant l'histoire de la Sicile durant la domination des Arabes. Comme il montrait les manuscrits arabes, il obtint la confiance, et ces trésors historiques attirèrent honneurs et pensions sur leur heureux possesseur. Le roi de Naples lui fournit de l'argent pour continuer ses recherches. Enfin, un volume fut publié, mais un orientaliste découvrit, peu après, que le texte du manuscrit arabe sur la Sicile avait été falsifié, page par page, et presque ligne par[Pg 68] ligne. L'original ne contenait autre chose qu'une histoire de Mahomet et de sa famille.
Valla, condamné à l'emprisonnement et menacé de la torture, avoua sa malheureuse supercherie.[54]
[54] Il y eut plusieurs savants de ce nom: 1er Laurent Valla, au XVme siècle, qui réfuta la prétendue donation de Constantin; 2me George Valla, qui fleurit vers la fin du même siècle, et expira comme l'hérésiarque Arius; 3me Nicolas Valla, à la même époque, traducteur de l'Iliade et d'Hésiode. Notre faussaire a été oublié par Bayle. Voir "Curiosités Littéraires," par Lalanne.
Le Portugal, à son tour, vit le pastiche s'emparer d'un petit chef-d'œuvre, les Lettres Portugaises, écrites vers 1663, par Mariana Alcaforada, et tellement admirées dans le siècle de Louis XIV., qu'elles étaient comparées à celles d'Héloïse à Abailard. La meilleure édition en a été donnée par M. de Souza,[55] qui démontra l'authenticité[Pg 69] des cinq premières, mais qui émit l'opinion que les sept autres n'étaient qu'un pauvre pastiche fabriqué par un écrivain français, dans un but de spéculation de librairie.[56] C'est un mêlange d'affectation et de recherche en contradiction avec les usages portugais.
[55] Paris: F. Didot. 1824. In 12º.
[56] Consultez, à ce sujet, "l'Histoire Littéraire du Portugal et du Brésil," par M. Ferdinand Denis, ouvrage devenu rare et qui mériterait d'être réimprimé.
Les écrivains de faux mémoires, tels que nous en verrons un si grand nombre au dix-neuvième siècle, avaient déjà un modèle à suivre dès le dix-septième.
Sandras de Courtilz, né en 1644, fut célèbre en ce genre. Il composa les Mémoires de D'Artagnan,[57] de la Marquise de Fresne, de La Fontaine, du Marquis de Montbrun, etc. Sa[Pg 70] manie était poussée si loin, qu'il publiait parfois de faux mémoires lorsque les véritables existaient: tels sont ceux du Marquis de Langallerie, sur la guerre d'Italie, écrits par lui-même dans sa prison à Vienne, et publiés par Gautier de Fagel, en 1743.[58]
[57] Lesquels Alexandre Dumas n'a fait que copier dans ses "Trois Mousquetaires."
[58] Niceron a consacré un article à Sandras de Courtilz, ainsi que Quérard, dans ses "Supercheries Littéraires," tome ii. p. 523.
Toutes les productions semi-historiques de cet auteur fécond ne méritent aucune confiance.
Arrêtons-nous ici un moment à des suppléments d'auteur, véritables pastiches, parcequ'ils ne furent jamais avoués par ceux qui les composèrent avec l'intention de tromper le public.
Aujourd'hui, l'authenticité de plusieurs fragments ajoutés au roman satirique de Pétrone, n'a plus de partisans; mais il y eut une époque où ils soulevèrent les passions de la critique,[Pg 71] et passèrent par des phases assez curieuses pour nous engager à entrer dans quelques détails.
On sait que c'est au Pogge, ce célèbre dénicheur de manuscrits anciens, que nous devons la première connaissance d'un livre de Pétrone,[59] découverte encore bien partielle, car il paraît que les nombreux écrivains qui n'ont cessé de citer cet auteur pendant les six premiers siècles de notre ère, avaient des textes beaucoup plus complets que les nôtres.
[59] 1380-1459.
Un très-ancien manuscrit, provenant des dépouilles du sac de la ville de Bude, lorsqu'elle fut prise par le fameux Mathias Corvin, passa de la bibliothèque de ce prince, dans celle de Pierre Pithou.[60]
[60] 1539-1596.
Ce savant le compara avec d'autres manuscrits du Satyricon, et trouva qu'il contenait des additions importantes.[Pg 72] Comme il n'y avait pas le moindre doute sur son authenticité, il le publia. Les commentaires qui suivirent cette publication, excitèrent la curiosité, et les savants ambitionnèrent la gloire de compléter l'œuvre de Pétrone. C'est alors que Jean Lucius, de Frau, en Dalmatie, publia à Padoue, en 1664, un nouveau manuscrit découvert dans la bibliothèque de Nicholas Cippi. Il contenait un fragment inconnu considérable,[61] qui fut reproduit par les presses des principales villes de l'Europe.
[61] Il commence par les mots: "Ipse nescit quid habent" (chap. 37), et finit par: "Ex incendio fugimus" (chap. 78), ce qui fait 41 chapitres, (moins le 55me déjà connu), sur les 141 qu'on trouve dans le Pétrone de Burmann et dans celui d'Anton.
On mit une ardeur extrême à attaquer l'authenticité du manuscrit de Frau. On s'imagina que les additions n'étaient qu'un jeu d'esprit de quelque[Pg 73] savant, qui avait su imiter le style de l'auteur latin. Enfin, le célèbre Lyonnais, Jacob Spon, se convainquit, après avoir soigneusement examiné le manuscrit, que le fragment nouveau était bien authentique, et cette opinion fut généralement adoptée.[62]
[62] Voir "Nouvelles recherches historiques et critiques sur Pétrone," par J. E. Pétrequin. 1 vol. gr. in 8º. Paris: Ballière. 1869.
L'œuvre encore incomplète de Pétrone en était là, lorsqu'en 1693, François Nodot, officier français, publia à Paris, un Satyricon soi-disant complet d'après le manuscrit original d'un renégat grec, manuscrit d'une antiquité de mille ans, et acheté durant le siège de Belgrade.
Malheureusement on ne put jamais obtenir de voir ni l'original, ni la copie que Nodot dit avoir prise. Les débats prouvèrent que nous n'avions ici qu'un véritable pastiche, et même un[Pg 74] pastiche maladroit d'après une savante critique.[63]
[63] Voir "Observations sur le Pétrone trouvé à Belgrade en 1688, et imprimé à Paris, en 1693, et à Lyon, l'année suivante," 1 vol. in 12º, de 214 pages.
Cela n'a pas empêché que tous les éditeurs de Pétrone depuis 1693, jusqu'aujourd'hui, ont cru devoir reproduire les fragments de Nodot, parcequ'ils remplissent ingénieusement les lacunes du récit. Néanmoins tous s'accordent à les déclarer supposés.
Ce fut Basnage qui poussa le cri d'alarme, dès que le Pétrone de Nodot vit le jour. Celui-ci se défendit d'être l'auteur de ces additions, avec une ténacité qui ne s'est jamais démentie. L'auteur des Matanasiennes, que nous avons déjà cité, conjecture que cette dénégation pourrait bien être fondée, et montre qu'il y a des probabilités pour croire que ces derniers fragments furent composés par Nicolas Chorier, auteur[Pg 75] de l'Aloysia, et par son ami P. Linage.
Depuis longtemps les discussions relatives au Pétrone de Nodot avaient cessé, et la question était chose jugée, lorsque l'attention des érudits fut réveillée en 1800, par la publication d'un nouveau passage de l'auteur latin, trouvé, disait-on, dans la bibliothèque de Saint-Gall. Il remplissait la lacune que l'on soupçonnait dans l'endroit du chapitre 26, où Encolpe regarde avec Quartilla, par les fentes de la porte, les jeux de Giton et de la petite Pannychis.
Ce fragment n'est qu'un pastiche, dit Charles Brunet, dans son "Manuel du Libraire;" mais l'auteur, caché sous le nom de Lallemand, a imité avec tant de perfection l'esprit et la manière de Pétrone, que plusieurs savants s'y trompèrent d'abord.[64] Le véritable[Pg 76] auteur était Joseph Marchéna, littérateur espagnol, employé dans l'administration de l'armée du Rhin.[65] Encouragé par ce premier succès, il fit ensuite imprimer chez Firmin Didot, un prétendu fragment de Catulle, qui cette fois ne trompa personne:[66]
[64] Noël, dans son édition de Catulle, a reproduit le morceau qu'il considère aussi comme une parfaite imitation de l'original. Il est omis dans la traduction de Pétrone, par Heguin de Guerle, mais texte et traduction sont donnés dans le Pétrone de Baillard, publié sous la direction de Nisard.
[65] G. Peignot a décrit l'historique des supercheries de Nodot et de Marchéna, dans son "Dictionnaire raisonné de Bibliologie," et dans son "Répertoire de Bibliographie Universelle."
[66] Frédéric Schoell, Répertoire de la Littérature ancienne, 2 vols. 8º. Paris, 1803.
"Fructu non respondente labori,"
comme dit Ovide.
Afin de résumer tout ce qui regardait les pastiches de Pétrone, nous avons interrompu l'ordre chronologique[Pg 77] de notre récit. Revenons à la fin du dix-septième siècle.
On sait que Louis Racine avait fait des notes marginales à de fausses lettres de Madame de Maintenon, si parfaitement imitées, que ces notes sur les détails qu'elles renferment, ont été reconnu fondées de tous points. Voltaire, que l'on retrouve partout, quelque sujet que l'on traite, s'est moqué de ces lettres et des pastiches en général, dans son "Commentaire Historique" qui n'a pas été reproduit dans toutes les éditions: "En France, dit-il, nous avons eu de puissants génies à deux sols la feuille, qui ont fait des lettres de Ninon, de Maintenon, du Cardinal Alberoni, de la Reine Christine, de Mandrin, etc. Le plus naturel de ces beaux esprits était celui qui disait:[67] Je m'occupe à-présent à faire des pensées de La Rochefoucauld."
[67] Capron, dentiste très connu de son temps.
[Pg 78]
Après ce ton dédaigneux pour ceux qui composent des pastiches, soupçonnerait-on que Voltaire se fût laissé aller plus d'une fois à essayer de tromper le monde en ce genre? Trois lettres de Caius Memmius Gemellus à Cicéron,[68] présentées une fois au public comme traduites du latin en russe, sur un manuscrit de la bibliothèque du Vatican, et du russe en français, furent réimprimées dans les "Questions sur l'Encyclopédie," où, pour mieux faire croire à leur authenticité, il prévient le crédule lecteur que les savants les ont reconnues pour être véritablement de Memmius. Dans une lettre à D'Alembert, du 27 Novembre 1772, Voltaire en parle dans le même sens, et soutient sa fraude, qui fut bientôt avérée. On peut dire que c'était là[Pg 79] une plaisanterie; mais la bonne foi ne peut guère admettre que tant de précautions soient prises pour l'entourer de toutes les apparences de la vérité.
[68] Ce fut pour ce Memmius que Lucretius Carus composa son grand poème, "De naturâ rerum."
Si Voltaire est, d'après Quérard, l'écrivain français qui a poussé le plus loin la manie de la supposition d'auteur et du pseudonyme, il s'est néanmoins laissé prendre au même piège. On lit dans sa "Philosophie de l'Histoire:" "Un hasard fort heureux a procuré à la bibliothèque de Paris, un ancien livre des Brames, c'est l'Ezour-Védam, ou commentaire des Védas, écrit avant l'expédition d'Alexandre dans l'Inde. C'est un des plus précieux manuscrits de l'Orient." Il en reparle encore dans La Défense de mon oncle.
Or cet "Ezour-Védam" que le Baron de Sainte-Croix publia en français, en 1778, n'est qu'un pastiche religieux.
Le manuscrit sanscrit, bien loin de[Pg 80] renfermer la véritable doctrine des anciens Brahmes, tend à saper cette doctrine pour la remplacer par celle du Christianisme.
Les savants ont établi que ce prétendu commentaire des Védas a été fabriqué par quelque missionnaire catholique, mettant en pratique le veris falsa remiscet d'Horace. On a trouvé dans la bibliothèque des missionnaires à Pondicherry d'autres parties des Védas, travesties de la même manière.[69]
[69] Voir Asiatic Researches, vol. xiv., Calcutta, 1822, in 4º, où l'on trouve à ce sujet une notice de Francis Ellis.
La traduction française de ce faux Ezour-Védam, avec observations préliminaires de 172 pages, et des éclaircissements historiques de 259 pages, 2 vols. in 12º, Yverdon, imprimerie de M. De Felice, 1778, est devenu un livre fort rare. Il existe aussi une traduction allemande.
Une supercherie à peu près du même genre a trompé le savant[Pg 81] sanscritiste, Sir William Jones. Un Hindou, désireux de s'attirer la faveur des pieux Européens, composa un pastiche d'un nombre de versets du Purana, dans lesquels il introduisit l'histoire de Noé et de ses enfants, sous la désignation de Satyavatra. Il communiqua ce travail au capitaine Wilford, lequel en fit part à Sir William Jones, qui en donna une traduction comme un fragment des plus curieux. Ce ne fut qu'après la collation de plusieurs manuscrits des Puranas, qu'on s'aperçut de la fraude.[70]
[70] "Curiosities of Literature," par Isaac d'Israeli.
Malheureusement toutes ces fraudes n'ont pas été découvertes si vite.
Une publication qui attira l'attention publique au dix-huitième siècle, trompa les historiens pendant vingt ans. Ce fut la Rym-Kronyck, etc. door Broeder Klaas Kolyn, publiée dans les "Analecta Belgica," de Gérard Dumbar,[Pg 82] et attribuée à un Bénédictin de l'Abbaye d'Egmont, près de Haarlem, qui vivait vers la fin du douzième siècle. Cet ouvrage obtint la confiance générale, et on le cita dans nombre de travaux historiques. A la longue cependant le doute s'éveilla, et enfin les recherches de Wagenaar, de Van Wyn, et d'autres critiques, prouvèrent que le moine était bien innocent dans cette cause, et que c'était l'œuvre d'un avocat de Bois-le-Duc, nommé Henri Graham, aidé d'un graveur, Regnier de Graaf. Ce fut ce dernier qui révéla la vérité, lors de la vente à Corneille van Alkemade, du manuscrit original.[71]
[71] Voir Foppens, "Bibliotheca Belgica;" Van Wyn, "Loisirs Domestiques;" et Ypey, "Histoire de la Langue Hollandaise."
La France, au siècle dernier (et durant celui-ci, comme nous le verrons bientôt) a été peut-être de tous les[Pg 83] pays, le plus fécond en pastiches et en supercheries littéraires, comme le prouvent suffisamment les travaux bibliographiques de l'infatigable Quérard.
De 1757 à 59 l'habile ministre de Louis XV., Choiseul, composa, dans un intérêt politique, un curieux pastiche dans une collection de lettres supposées écrites d'Amérique par le général français, Marquis de Montcalm, à son cousin M. De Berryer, résidant en France. On y trouve une très-juste appréciation de la situation des colonies d'Amérique, et une prédiction bien nette de la Révolution qui se préparait. Ces lettres eurent le plus grand retentissement dans les deux continents. Bancroft, dans son Histoire des Etats Unis, les qualifie nettement de contrefaçon.[72]
[72] Vol. iv. chap. ix. page 128, en note. Voir aussi Notes and Queries, 4me Série, viii., Novembre 11, 1871, page 397.
[Pg 84]
Les Mémoires de Bachaumont rapportent qu'en 1773, un pamphlétaire inconnu, hostile aux derniers ministres de Louis XV., fit paraître une soi-disant lettre du père Caussin au Cardinal de Richelieu, qui contrefaisait merveilleusement le style figuré de ce temps-là, ainsi que la manière du vieux Jésuite. Elle peut être considérée comme un pastiche remarquable, ajoute notre auteur.
Nous avons déjà signalé un des plus fameux pasticheurs de cette époque, Courtilz de Sandras.[73]
[73] A notre époque il a trouvé un continuateur du genre, qui, par sa prodigieuse fécondité, a surpassé son modèle, nous voulons parler de Lamothe-Langon, au sujet duquel on peut consulter Quérard.
Lors de la nouveauté du poème de Voltaire, "La Guerre de Genève," la société de Paris courut après les chants épars de cet ouvrage, dont[Pg 85] on avait le premier sans le second, le troisième sans le quatrième. C'est alors que Cazotte imagina de donner le septième chant de la Guerre de Genève, pour satisfaire l'impatience du public, et pour jouer un tour au poète. Il l'intitula septième chant, pour flatter l'espérance des amateurs auxquels il eut la satisfaction d'entendre dire, trompés qu'il étaient, que puisqu'il y avait sept chants, on pouvait se flatter d'en avoir au moins douze.
Pendant huit jours l'ouvrage passa pour être de la même main que le commencement.
On y suppose les événements des 5me et 6me chants qui n'ont jamais été faits par Voltaire. Vachine, la sorcière dont la baguette a causé les désordres précédents, métamorphose l'Ennui en brouillard épais qui s'appesantit sur la ville. Les dames de Genève pour se dérober à son[Pg 86] influence, se sauvent à Ferney, chez Voltaire:—
"La Guerre de Genève, une des taches de la vieillesse de Voltaire, dit La Harpe,[74] misérable production, aussi mal conçue que mal écrite, eut pourtant un moment de succès, et donna lieu à un plaisant pastiche."
[74] "Cours de Littérature," tome iii., page 224, édition in 8º d'Agasse, an vii.
Pendant quelque temps, Horace parut être en France l'auteur ancien dont on affectionna de donner des[Pg 87] pastiches au public. Sans parler d'une huitaine d'hexamètres placés à la tête de la dixième satire du 1er livre,[75] ni des vingt vers imaginés par je ne sais quel confrère de Nodot, pour remplir un vide que plusieurs avaient soupçonné dans l'ode à Manucius Plancus,[76] racontons la découverte de M. Edm. Ch. Genet,[77] frère de Madame Campan, de deux petites odes d'Horace, jusqu'alors inconnues. Elles avaient été trouvées par un prince Gaspar[Pg 88] Pallavicini, dans un vieux manuscrit de Rome. On n'explique pas comment une copie passa du noble personnage à M. Genet.
[75] Voir l'édition de Dacier, et le Dictionnaire de Bayle, à l'article Lucilius.
[76] M. F. Parison dit les avoir trouvés écrits sur un vieil exemplaire d'Horace qui paraissait avoir appartenu à G. Bachet de Méziriac:—Auraient-ils été fabriqués par le savant académicien?" suggère l'auteur du pamphlet d'où nous tirons ces renseignements.
[77] Alors jeune secrétaire d'ambassade, et qui devait être plus tard ministre de France aux Etats Unis, où il présenta au Président Jackson, une fausse médaille de Jules César qu'il prétendit avoir déterrée.
Quoiqu'il en soit, celui-ci s'empressa de communiquer cette précieuse trouvaille au savant d'Ansse de Villoison, qui les inséra dans les notes d'une édition de Daphnis et Chloé dont il s'occupait alors. Ces deux odes nouvelles étant venu à la connaissance du prince Egon de Furstemberg, qui faisait imprimer à Prague une édition de luxe d'Horace,[78] il les intercala dans son texte.
[78] Deux volumes in 8º. Cette édition publiée sans date, et sans nom d'imprimeur, était entièrement destinée à des présents. C'est un livre d'une excessive rareté.
Lemaire, Van der Bourg et d'autres ont montré que ces vers ne peuvent être attribués au grand poète romain, et que même le prince Pallavicini ne[Pg 89] fut pas le plus adroit des faiseurs de pastiches, car nul autre ne doit être réputé coupable de la composition de ces vers que cet homme de loisir trouva tout simple de mettre sur le compte d'Horace.[79]
[79] Voir sur toute cette affaire une curieuse brochure anonyme, intitulée: "Une imposture littéraire, appendice aux Mêlanges Philologiques de Chardon de la Rochette, d'après son manuscrit complété par P. F. T. Servan de Sugny; in 8º de 39 pages." Ces deux odes pastiches ont trouvé place dans l'édition polyglotte d'Horace, par Monfalcon.
"Habet sua quisque pericula lusus."
On a du reste de lui, d'autres essais en ce genre.
Il est possible qu'il ait été encouragé par le succès des Lettres de Ganganelli (Clément XIV.), fabriquées par le Marquis de Caraccioli, et publiées en 1779. Tout le monde en a été longtemps la dupe. Il en fut de même des vigoureux pamphlets qui rendirent[Pg 90] Boulanger odieux aux catholiques, et dont Damilaville était l'auteur, comme maintenant on le sait à n'en pas douter.[80]
[80] Nodier, "Questions de Littérature Légale," page 74.
Une des plus heureuses supercheries de la dernière moitié de ce siècle, fut la chanson attribuée à Marie Stuart:—
Elle parut pour la première fois en 1765, dans l'Anthologie Française (4 vol. 8º.), comme tirée du manuscrit de Buckingham, et la supposition fut répétée jusque dans la première édition de la Biographie Universelle de Michaud. Cependant dans le volume de Septembre 1781, de[Pg 91] l'Esprit des Journaux,[81] on prouve déjà que la Reine d'Ecosse, qui n'a jamais fait que de très pauvres vers, ne peut être l'auteur de ceux-ci.
[81] "Mêlanges d'Histoire et de Littérature," par M. De Villenfagne.
Philareste Chasle,[82] Viollet-le-Duc,[83] et Sainte Beuve,[84] eurent beau répéter la même chose, M. Dargand, dans une vie de Marie Stuart, publiée il y a peu de temps, persiste à dire: "Ces vers sont désormais inséparables du nom de cette reine, qui les acheva quelques semaines plus tard à Holyrood."
[82] Revue des deux mondes, du 1er Juin 1844.
[83] Bibliothèque Poétique, 2ième Partie, page 20.
[84] "Derniers Portraits Littéraires," page 63.
M. Feuillet de Conches a également donné quelques détails sur ces vers, dans ses Causeries d'un Curieux, tome iv., page 424.
Il faut restituer ces vers à un journaliste, Meunier de Querlon, fabricant[Pg 92] d'autres pastiches ingénieux,[85] et qui finit par avouer son innocente fraude, dans une lettre à Mercier de St Léger.
[85] Voir "Les Innocentes Impostures, ou Opuscules par M——." Magdebourg, 1761.
"L'Esprit dans l'histoire," par Ed. Fournier, page 111.
La fille de Querlon, dont la mémoire anecdotique était encore fraîche, dans un âge avancé, s'égayait volontiers sur la crédulité publique, à propos des suppositions d'auteur et des pastiches de son père. Celui-ci avait puisé l'idée dans Brantôme qui fait exprimer en prose, à Marie Stuart, les mêmes regrets, presque dans les mêmes termes que l'Anthologie lui prête en vers.
N'oublions pas, à propos de cette chanson supposée, de rappeler des pastiches vraiment tragiques, des vers et des lettres de cette reine d'Ecosse, qui ont principalement contribué à sa condamnation. L'innocence ou la culpabilité de Marie Stuart est une[Pg 93] question historique qui dépend de l'authenticité ou de la fausseté d'une correspondance avec le Comte de Bothwell, son troisième mari.
Cette correspondance était renfermée dans un coffret d'argent ayant appartenu à François II., et que Bothwell oublia dans le château d'Edimbourg, lorsqu'il prit la fuite.
Deux publications récentes ont renversé l'accusation qu'avait soutenue M. Mignet, dans sa "Vie de Marie Stuart," et elles ont prouvé jusqu'à l'évidence, que les lettres et papiers qui ont formé la base de la condamnation, n'étaient que de mauvais pastiches et une coupable supposition d'auteur.[86] Ils furent forgés par les[Pg 94] ennemis de la reine, surtout par le traître Buchanan, et l'on y énonce des sentiments et des faits, en contradiction directe avec la vérité.
[86] Voir: L. Wiesener, "Marie Stuart et le Comte de Bothwell." Paris, 1863. 8º. "Mary Stuart and the Casket Letters." By T. F. N., with an Introduction by H. Glassford Bell. London: Hamilton, Adams & Co. 1870. 8º. Voir aussi le Gentleman's Magazine de 1760.
L. Wiesener qualifie de la manière suivante les documents accusateurs: "Le mensonge y est flagrant partout; le mensonge par insinuation, le mensonge qui se ménage, en détournant le sens des faits, le mensonge qui les suppose hardiment, le mensonge qui, à propos, sait approprier à ses fins un lambeau de vérité, ou se cacher derrière elle, le mensonge qui s'attendrit, celui qui s'indigne, en un mot, un chef-d'œuvre de mensonge. Et c'est par de pareils documents que Mignet s'est laissé guider![87]
[87] L. Wiesener fournit les preuves de cet enchaînement de mensonges.
Les Lords se réunissent en armes contre la reine, au commencement de Juin, sous prétexte des faits mentionnés[Pg 95] dans ces lettres; elle est faite prisonnière le 15 de ce mois, enfermée le 16 à Lochleven, et ce n'est que le 20 que se trouve le coffret! Le 26 Juin, une proclamation dénonce Bothwell, comme meurtrier de Darnley, et publie l'emprisonnement de la reine; mais nulle mention n'est faite de ces lettres si terriblement accusatrices.
Le 17 Juillet suivant, un acte du Conseil de Régence ôte à Marie Stuart sa liste civile, mais dans les motifs, rien encore quant aux lettres. Bien plus, dans tous les Conseils tenus par les révoltés, du 20 Juin au 4 Décembre, il n'y a pas la moindre allusion à ces pièces fatales. Un ambassadeur français arrive en Ecosse, le 23 Juin, pour prendre connaissance des causes de la captivité de la souveraine, mais on ne lui parle aucunement de cette correspondance. Throgmorton, l'envoyé de la reine Elisabeth, n'en[Pg 96] sait rien non plus. Ce n'est que lorsqu'une assemblée générale a prié le Régent et les Lords du Parlement de faire connaître les causes de la détention de Marie, qu'il est enfin fait mention de ces coupables lettres, dans un acte du Conseil secret du 4 Décembre 1567, et c'est le 20 Juin que le coffret avait été trouvé!
La reine d'Angleterre demande qu'on lui communique ces documents, et on en transmet une traduction en Anglais, sous prétexte que plusieurs sont écrites en écossais, dialecte ignoré de Marie. Enfin l'accusée elle-même, malgré ses demandes réitérées, ne put jamais obtenir de voir ces pièces, même en copie, quoiqu'elle déclarât pouvoir prouver leur fausseté. En effet, le contenu montre à l'évidence que Buchanan les traduisit en latin, sur un texte écossais, et nous venons de le dire, la reine ne parlait pas ce dialecte.[Pg 97] Ce qui démontre encore mieux la fraude, c'est que le régent Murray soutint plus tard, à Londres, que les originaux étaient en français, assertion contradictoire. Jamais ces originaux ne furent communiqués, jamais ils ne furent imprimés, et ils disparurent dès le seizième siècle, ne laissant subsister que les menteuses accusations de Buchanan.
Mignet, dans son ouvrage cité plus haut, a consacré l'appendice G. de son premier volume, à l'examen de l'authenticité de ces lettres de Marie Stuart, et il se pose ces deux questions:—1. Les copies qui nous restent de ces documents, sont-elles conformes, quant au contenu, aux originaux perdus ou détruits? 2. Ces originaux étaient-ils de la main de Marie?
Mignet répond affirmativement; mais le professeur Wiesener démontre[Pg 98] sans réplique que c'est sans preuves valables.[88]
[88] Ces cassettes supposées, de lettres d'amour, ont, à plusieurs reprises, servi à calomnier d'illustres personnages. La prétendue cassette de Monsieur le Grand, renfermant les poulets écrits à Saint-Mars, a répandu, de son temps, de cruelles médisances. N'en fut-il pas de même, plus tard, des mille mensonges sortis de la merveilleuse cassette de ce fat de Lauzun? Une des plus cruelles de ces inventions, moins atroce pourtant que les lettres à Bothwell, fut la cassette du surintendant Fouquet. Louis XIV, seul avec sa mère et Le Tellier, virent les véritables lettres de cette cassette, et celles qui auraient causé trop de scandale, furent brûlées. Néanmoins les passions du moment et l'envie en répandirent bientôt de supposées, en profusion. Voir: Causeries d'un Curieux, tome ii. page 503.
Après cette digression rétrospective que le pastiche de Meunier de Querlon nous a mis en mémoire, revenons à la fin du 18me siècle, et parlons d'une supposition d'auteur et de pastiches[Pg 99] qui ont fait grand bruit, et sur le compte desquels on ne sait la vérité que depuis très-peu de temps.
La question avait été examinée par les plus célèbres critiques; mais récemment M. Antoine Macé l'a résolue par la publication de documents inédits.[89]
[89] "Les Poésies de Clotilde de Surville, études nouvelles, suivies de documents inédits," par Antoine Macé. Grenoble, 1870. Un vol. in 8º.
L'abbé Brizard ne produisit pas un aussi long doute par son Fragment de Xénophon, trouvé dans les ruines de Palmyre, et qu'il publia en 1783.
Comme c'est une des curiosités de l'histoire des pastiches, donnons un résumé de la discussion. M. Raynouard, dans le Journal des Savants, n'hésite pas à mettre les poésies de Clotilde sur la même ligne que les inventions du poète anglais Chatterton et que les Poésies Occitaniques, habile pastiche[Pg 100] du style des troubadours, publié par Fabre d'Olivet, précisément à la même époque, et chez le même éditeur chez lequel Vanderbourg avait fait paraître son recueil.
Villemain déclare que ces œuvres de Clotilde sont une petite construction gothique élevée à plaisir par un moderne architecte. Daunou et Ségur suivent la même opinion.
Sainte Beuve consacre à cette question une étude spéciale: "M. De Surville, dit-il, profita de l'espèce d'engouement qui, pendant plus de trente ans,[90] et jusqu'en 89, s'attachait à la renaissance de la vieille poésie française, sous sa forme naïve et chevaleresque. Rien ne manquait en[Pg 101] l'air, en quelque sorte, pour susciter ici ou là un Surville."
[90] Qu'on lise comme un exemple du roman pastiche de cette époque, et qui eut un instant de grande vogue: "L'Histoire amoureuse de Pierre le Long et de Blanche Bazu," par Sauvigny.
Enfin aux yeux de la critique, la question paraissait décidée, résolue, tranchée définitivement. Quoique les écrivains que nous venons de nommer ne s'entendent pas sur l'auteur de ces poésies, les uns les donnant au Marquis de Surville, les autres à Vanderbourg, tous s'accordent du moins à proclamer qu'elles sont de fabrication moderne, et n'ont rien d'authentique.
Dans le Journal de l'Instruction Publique,[91] M. Macé commence par analyser vingt-huit documents inédits, d'une authenticité qui défie tout soupçon, et toute espèce de doute. Il en déduit que tous les critiques précédents se sont trompés. Il examine les jugements, les opinions et les systèmes accrédités jusqu'alors, par[Pg 102] des écrivains qui sont justement célèbres, mais auxquels manquaient les pièces du procès. Il prouve la faiblesse des arguments les plus convainquants: d'abord que ces poésies sont trop parfaites pour le 15me siècle; que l'orthographe est fautive; que l'auteur observe des règles de versification que ce siècle ne connaissait pas, etc. etc. etc.
[91] Tome xxxii. des 31 Janvier, 4 Février, et 23 Mars, 1863.
Quant aux faits vraiment irréfutables comme, par exemple, que dans cette œuvre on combat le système astronomique de Ptolémée, en faveur de celui de Copernic, qui n'était qu'un tout jeune enfant, même à la fin de la longue vie de Clotilde; 2º, qu'on y réfute les doctrines matérialistes de Lucrèce, dont le poème ne fut retrouvé que l'année même de la naissance de Copernic (1473); 3º, qu'on y fait mention des sept satellites de la planète de Saturne, qui n'ont été découverts [Pg 103]et observés qu'aux 17me et 18me siècles, par Huyghens, D. Cassini et W. Herschell, ces trois arguments, en apparence formidables, sont réduits à néant par la simple raison que les pièces où se trouvent tous ces faits, n'existent pas dans la première édition des poésies de Clotilde, donnée par Vanderbourg, en 1803.[92] On ne les rencontre pour la première fois que dans une publication faite en 1826, sous le titre de: "Poésies inédites de Clotilde de Surville, par M. M. De Roujoux et Nodier."
[92] Paris, Nepveu éditeur, in 8º, in 12º, et in 18º, avec gravures d'après Colin, élève de Girodet. Ce même libraire Nepveu publia, en 1824, une nouvelle édition du recueil livré au public par Van der Bourg, mais les pastiches de Nodier-Roujoux ne s'y trouvent pas davantage.
"Il est très curieux, fait observer Sainte Beuve, de voir Nodier se faire le champion de Clotilde, au point de publier en son honneur ses poésies inédites, tandis que dans ses 'Questions[Pg 104] de Littérature Légale,' il attaque leur authenticité, et il les attribue au Marquis de Surville."[93]
[93] "Tableau de la Poésie Française au XVIme siècle."
Du reste la plupart de ces poésies soi-disant inédites, sont simplement transcrites du Journal Littéraire de Lausanne, publié de 1794 à 1798, et rédigé par Madame la Chanoinesse de Polier.[94] C'est dans ce journal qu'avec maints autres contributeurs, le Marquis de Surville inséra les premiers extraits des œuvres de Clotilde. Jamais toutefois il ne donna comme composées par sa parente, les pièces publiées par Nodier.
[94] Dix volumes in 8º, avec l'épigraphe: Il emprunte d'ailleurs ce qui fait son éclat.
Madame Polier avait, sur sa demande, communiqué à ce dernier divers manuscrits qu'elle n'avait pas jugé à propos d'insérer dans son journal.[Pg 105] M. Macé produit des pièces de poésie du Marquis de Surville, et démontre par leur comparaison avec celles de Clotilde, qu'il était incapable d'inventer celles-ci.
Le style, ainsi que le fond des compositions du marquis, sont pauvres d'idées, sans harmonie et sans rhythme. Or, les pièces évoquées furent écrites de 1782 à 1787, lorsque de Surville est supposé avoir fabriqué les manuscrits de son aïeule.
Pour ceux qui regardent Vanderbourg comme auteur et arrangeur, c'est pis encore. Il ne se trouvait pas en Europe en 1787, et il ne put jamais, dit-il lui-même, dans une lettre confidentielle, se procurer les numéros du Journal Littéraire de Lausanne où se trouvaient les pièces qu'il aurait inventées.
Raynouard et Daunou ont eu vraiment la main malheureuse.
[Pg 106]
Il est prouvé que le frère du Marquis de Surville avait vu entre les mains de celui-ci, de vieux manuscrits récemment découverts dans des papiers de famille, et qu'il les avait péniblement transcrits avec l'aide d'un feudiste.
M. M. Villeneuve, Dupetit-Thouart, et d'autres personnes, dont la sincérité ne peut être mise en doute, donnent témoignage qu'ils ont vu le Marquis de Surville, avant et pendant l'émigration, absorbé par le déchiffrement de manuscrits, qui disparurent très vraisemblablement dans l'auto-da-fé qui consuma les titres et papiers de famille des Surville, à Veviers, pendant la terreur.
Une foule d'autres raisons qu'il serait trop long de développer ici, et qu'on peut lire dans l'ouvrage de M. Macé, prouve l'existence d'une femme poète au 15me siècle, ayant composé de très beaux vers, inspirés par l'amour[Pg 107] maternel, l'affection conjugale et de nobles sentiments patriotiques. Ces vers cependant ne nous sont pas parvenus dans leur originalité, ou, si l'on veut, dans leur rudesse primitive. Néanmoins tous ceux que Vanderbourg, en homme de sens et de goût, a insérés dans son recueil, en faisant un choix et un triage rigoureux, ne sont vraisemblablement que très peu altérés, falsifiés, gâtés et embellis, dans le sens moderne. Telle a été jusqu'à la fin de sa vie, l'opinion de Vanderbourg, comme cela résulte de deux lettres tout récemment publiées, qu'il écrivait à M. de Surville, jeune, en 1822 et 1824, au moment où il préparait une nouvelle édition des poésies de Clotilde. Les originaux ont incontestablement existé, mais ils furent remaniés par Jeanne de Vallon, au 17me siècle, et par le Marquis de Surville, au dix-huitième. Un éminent critique a comparé[Pg 108] ces vers à un excellent tableau original, retouché par des mains plus ou moins habiles.
On sait que le Marquis de Surville fut traduit devant un conseil de guerre, condamné à mort et fusillé le 2 Octobre 1798, au Puy-en-Velay, comme criminel d'État.
Ici se présente un nouvel exemple de l'incurie et de la négligence des biographes au sujet de cette victime de la Révolution. Barbier, Charles Brunet, et Quérard répètent, on ne sait pourquoi, que le marquis fut condamné comme voleur de diligences! Nodier, qui prétend l'avoir rencontré deux fois, le fait mourir à La Flèche.[95]
[95] M. Leber, tome i. p. 271, du catalogue raisonné de sa bibliothèque, léguée à la ville de Rouen, fait mention d'un portrait de Clotilde de Surville, peint à l'aquarelle, d'après un émail de Mme Jaquotot, et ajoute: "Ce portrait, plein de charmes, n'est, comme la publication de Vanderbourg, que le rêve d'un talent admirable." C'est dommage que Leber n'ait pu lire l'ouvrage de Macé.
[Pg 109]
Si, dans ce que nous venons de rapporter, l'on a regardé comme des pastiches des pièces de poésie qui n'en étaient pas, un poète, aussi du 15me siècle, a passé jusqu'en ces derniers temps pour authentique, lorsque ses compositions étaient l'œuvre d'un autre. En effet, avant l'édition des Vaux-de-Vire, publiée en 1811, par les soins de M. Asselin, sous-préfet de Vire, le nom d'Olivier Basselin était peu connu hors de la Normandie. Quant aux chansons de ce poète Virois, elles étaient à peu près ignorées.[96] Quoiqu'il existât deux exemplaires d'une édition de 1670, qui[Pg 110] contenait des chansons sous le nom de Vaux-de-Vire, le nom d'Olivier Basselin ne s'y trouvait pas même mentionné. Aussi notre poète normand n'avait qu'une vague existence avant la publication de 1811, et aurait pu être rejeté dans le mystérieux domaine des auteurs imaginaires. Jusqu'aujourd'hui aucun document nouveau, depuis la notice de M. Asselin, ne s'est produit, qui puisse établir avec certitude à quelle époque vivait Olivier Basselin.
[96] Voir l'Introduction de la nouvelle édition des Vaux-de-Vire d'Olivier de Basselin et de Jean le Houx, par le Bibliophile Jacob. 1 vol. 12º. Paris: A. Delahays. 1858.
Jean Le Houx, un des meilleurs poètes du milieu du 16me siècle, fit imprimer d'anciennes chansons qui passèrent pour avoir été composées par Basselin, et y mêla les siennes propres. Il n'eut pas grand'chose à faire pour s'approprier ces anciens Vaux-de-Vire, il n'eut qu'à les recueillir de la bouche des anciens du pays, ou plutôt qu'à les écrire, comme[Pg 111] il les avait appris quand il commençait lui-même à faire des chansons. En les recueillant le premier, Le Houx les rajeunit, si toutefois il ne les a pas composés lui-même sous le nom d'Olivier Basselin, connu en Normandie à cause d'une ancienne chanson qui se chantait du temps de Guillaume Cretin, et dans laquelle il était fait mention de ce nom. Du reste Jean Le Houx ne voulant pas sans doute qu'on l'accusât plus tard de plagiat, a rassemblé tout ce qu'on savait par tradition de la vie d'Olivier Basselin, dans un de ses Vaux-de-Vire qu'il adresse à Farin du Gast.
"Qu'Olivier Basselin et Jean Le Houx ne fassent qu'un seul et même poète, conclut le Bibliophile Jacob, peu importe; ce n'est pas Horace, ce n'est pas Anacréon, c'est un bon biberon qui chante le cidre et le vin avec une gaieté toute gauloise."
[Pg 112]
Cette opinion n'a pour but que de laisser indécise la question de savoir si c'est Jean Le Houx ou Basselin qui a composé les chansons. Si plusieurs des célèbres Vaux-de-Vire, soi-disant de ce dernier, sont l'œuvre d'un poète beaucoup plus moderne, Jean Le Houx, un grand nombre aussi sont le produit d'un jeu d'esprit de M. Julien Travers, membre de la société des antiquaires de la Normandie, qui en a fait l'aveu à la réunion des délégués des sociétés savantes à la Sorbonne, au mois d'avril 1866.[97]
[97] Voir la Revue des sociétés savantes, quatrième série, tome iii. pages 445 et 574.
Moncrif, lecteur de la Reine Marie Leczinska, a fait une substitution semblable, d'une chanson de sa composition, en 1742, à une des pièces de Robert de Champagne.[98] Ce même[Pg 113] écrivain, dans un choix d'anciennes chansons, donné au public, rima encore, dans le ton du bon vieux temps, ses deux célèbres romances: "Les constantes amours d'Alix et d'Alexis," et "Les infortunes inouïes de la tant belle Comtesse de Saulx." Elles trompèrent longtemps bien des lecteurs. Dans l'Almanach des Muses, publié par Santreau de Marsy, en 1765, les rondeaux, triolets et fabliaux, soi-disant anciens, foisonnent, les vers pastiches ne manquent pas, les suppositions d'auteur non plus, et l'on prêtait surtout des chansons aux anciens rois de France.[99]
[98] Voir la curieuse anecdote du Duc de Luynes, dans les Mémoires, année 1742, tome ix. p. 188.
[99] Sainte Beuve "Histoire Critique de la Poésie Française au XVIme siècle."
Avant d'entamer le sujet, en ce qui concerne le siècle présent, voyons ce qu'a produit l'Angleterre en pastiches et suppositions d'auteur, au dix-huitième.
[Pg 114]
Nous croyons que bien peu de pastiches dans ce pays présentent l'originalité de celui du célèbre docteur Johnson, que le docteur Matty, biographe de William Pitt, inséra dans son livre, même du vivant de Johnson, comme un exemple "de l'éloquence du noble lord, dans le style vigoureux de Démosthènes, uni à la manière spirituelle et ironique de Cicéron."
Voici comme la chose arriva. Dans le Gentleman's Magazine, édité alors par Edward Cave, on trouve, à partir du mois de Juin 1738, jusqu'en Février 1743, une analyse des débats du parlement anglais, sous le titre de "Debates in the Senate of Lilliput." Il était à cette époque strictement défendu d'imprimer quoique ce fût, des discussions et discours du parlement; de là, la nécessité de déguiser plus ou moins les discours. Or, le docteur[Pg 115] Johnson n'avait jamais assisté à aucune des séances; mais Edward Cave avait gagné un des huissiers, et fut mis à même de prendre note du sujet de la discussion et des noms des orateurs, ainsi que des principaux points de leurs arguments. Ces matériaux étaient communiqués à Johnson, qui s'en servait pour composer son compte-rendu des débats.
On peut voir dans le Gentleman's Magazine, de l'époque, le discours de ce dernier, que la biographie de Pitt par le docteur Matty cite comme un exemple remarquable de l'éloquence de son héros, et qui est véritablement un excellent pastiche de la manière du ministre anglais.[100]
[100] Voir The Proof Sheet, Journal Littéraire Américain, de Mars, 1869, 2me vol. No. 5, p. 67.
Nous ne citerons que pour mémoire l'Alphabet Formosan, et la Traduction Formosane de la Bible par Psalmanazar,[Pg 116] que l'évêque de Londres Compton avait placés parmi les curiosités les plus précieuses de sa bibliothèque.
Il y a lieu de s'arrêter plus longtemps sur les poèmes d'Ossian, que son premier éditeur, Macpherson, est supposé avoir fabriqués. Ils eurent d'abord un tel succès, qu'admirés par Goethe et par Schiller, ils furent bientôt traduits en allemand, en français, en italien, en danois, en polonais, et en latin.
Enfin pourtant on réfléchit qu'il était presque incroyable que des poèmes aussi longs que Fingal et Temora, nous eussent été transmis par la tradition orale seule, depuis un laps de plusieurs siècles. Finalement le docteur Samuel Johnson, alors au zénith de sa renommée, déclara que le tout n'était qu'une impudente supercherie. Sans employer un langage aussi violent, Malcolm Laing et David[Pg 117] Hume développèrent des opinions analogues.
Philareste Chasles, dans ses "Etudes sur le dix-huitième siècle," est du même avis: "La sentimentalité de Richardson, la tristesse de Young, la chevalerie de Tressan, le parallèlisme de la Bible, composent ce pastiche. L'auteur fit disparaître les Ecossais du quatrième siècle, hommes nus, à demi sauvages, avec un petit bouclier de cuir ou d'écorce, un dard, et des canots creusés dans un tronc d'arbre. Il les remplace par des héros généreux, des filles mélancoliques; il invente des armures d'acier, de grandes fêtes dans des tourelles, dont les murs sont couverts de mousse et de lierre, de jolis vaisseaux traversant la mer, etc."
M. Laing, auteur d'une histoire d'Ecosse, examine non seulement presque chaque ligne de la traduction de Macpherson, mais une foule d'autres[Pg 118] ouvrages, anciens et modernes, relatifs à ce sujet, et il arrive à la conclusion que l'ensemble est pris à cent sources diverses, et que ce n'est qu'une espèce de centon.
C'était là, à peu près, le sentiment général lorsqu'un nouveau champion est entré dans la lice, et a cherché à prouver l'authenticité des poèmes d'Ossian, dans une magnifique édition publiée aux frais du Marquis de Bute.[101]
[101] "The Poems of Ossian, in the original Gaëlic, with a literal translation into English," &c., by the Rev. Archibald Clerk, &c. William Blackwood, 1870, 2 vol. gr. in 8º. Le texte gaëlic ou Erse avait déjà été publié en partie, avec la version en prose, 1º, en 1762: "Fingal, an epic poem in six books;" 2º, en 1763, "Temora, an epic in eight books." Il fut publié en entier en 1806.
Dans une dissertation préliminaire de 66 pages, le nouvel éditeur établit d'abord que cette publication renferme[Pg 119] des poèmes en partie autres que ceux donnés par Macpherson. "Plusieurs, dit-il, remontent à une haute antiquité, et mon texte ressemble peu à celui de mon prédécesseur, composé de vagues généralités, tandis qu'ici on trouva partout une fraîcheur primitive, un riche coloris, et des détails entièrement gaëliques. Il serait aussi impossible de reconstruire Homère avec la traduction de Pope, qu'Ossian avec celle de Macpherson."
On a droit d'exiger, semble-t-il, du nouvel éditeur qu'il ait connaissance des recherches antérieures pour établir l'authenticité des œuvres d'Ossian. Or, en 1806 une enquête avait été établie pour s'assurer de ce point.[102] Les conclusions du comité, composé des[Pg 120] hommes les plus versés dans l'histoire du pays et de la langue, furent que Macpherson avait adapté et amalgamé d'anciennes poésies erses, dans lesquelles il était question d'Ossian et de Fingal. Lorsque la Société Ecossaise travailla à cette enquête, elle ne put découvrir aucun manuscrit original, remontant à l'époque supposée des poèmes publiés par Macpherson, et nul n'a été découvert depuis. Cependant la littérature keltique est l'objet de plus de recherches que jamais, et les travaux de Reeves, de Henthorn Todd, et d'autres antiquaires, ont étonné la présente génération par les lumières qu'ils ont jetées sur les institutions civiles et sociales de l'époque du Fingal de Macpherson. Ces renseignements sont irréconciliables avec les institutions et les mœurs des poèmes de ce dernier. Pourtant, chose étrange! M. Archibald Clerk[Pg 121] ne fait aucune mention des recherches des savants que nous venons de nommer. Ne les a-t-il pas connus? ou n'a-t-il pu les contredire?
[102] Report of the Committee of the Highland Society of Scotland, appointed to inquire into the authenticity of the Poems of Ossian.
En attendant, n'est-on pas justifié en rejettant l'Ossian dans la région fabuleuse de la louve de Romulus, et des héros Merlin, Hengist et Horsa?
Quant au texte nouveau de l'édition de M. Clerk, qui n'est appuyée que sur des manuscrits relativement modernes, nous adoptons l'opinion de l'éditeur du Saturday Review, du 28 Janvier 1871, qui se récuse dans cette querelle, parcequ'il ne sait pas le Gaëlique; mais qui avoue néanmoins qu'il n'a pas la moindre foi dans l'existence du poète Ossian.[103]
[103] Fin Magnussen a prouvé, dans son Essai, en danois, sur Ossian, que ce nom se rapporte à une source scandinave et non pas keltique. On peut aussi consulter sur l'édition de M. Clerk un intéressant article dans le journal The Scotsman, du 7 Mars 1871, où l'on rappelle que les héros de Fingal appartiennent à des traditions irlandaises plutôt qu'écossaises.
[Pg 122]
Si Macpherson fit fortune avec ses supercheries, il en fut bien autrement de l'infortuné Thomas Chatterton, dont les poèmes supposés du moine Rowley sont pourtant bien supérieurs au pseudo-Ossian, et dont l'auteur périt de misère en 1770.
Ces compositions pastiches sont tellement remarquables que nous nous y arrêterons un moment. Warton, l'historien critique de la poésie anglaise, regarde ce jeune homme, ou plutôt cet adolescent, comme un prodige de génie, qui eût été un des plus grands poètes de l'Angleterre, s'il fût arrivé à l'âge d'homme.
Dans la chambre aux archives de l'église de Sainte Marie, de Redcliffe Hill, à Bristol, étaient enfermés depuis de bien longues années, six ou sept[Pg 123] vieux coffres de chêne, contenant une quantité considérable d'anciens parchemins, chartes, contrats de vente et d'achats, etc., que l'opinion publique faisait remonter jusqu'à l'époque de la guerre des deux Roses.
Au nombre de ces coffres en était un, cerclé de fer, et à six serrures, mentionné dans des documents du XVme siècle, sous le nom de Coffre de William Canynge. Vers 1730, tous ces coffres avaient été forcés, les pièces considérées comme les plus importantes, dans l'intérêt de l'église, déposées dans un autre local, et le reste abandonné comme inutile. Cette chambre aux archives était attenante à la maison paternelle de Chatterton, descendant d'une longue suite de bedaux de l'église de Sainte Marie, depuis cent cinquante ans.
La famille se servait des parchemins abandonnés, à toute sorte d'usages.[Pg 124] Le père en recouvrait les livres des élèves de son école, et la mère en découpait des patrons d'habillements.
Le jeune Chatterton, d'abord d'une intelligence assez obtuse en apparence, devint amoureux, ainsi que s'exprime sa mère "fell in love," d'un vieux manuscrit à lettres capitales enluminées, et celle-ci, mettant cette passion à profit, se servit de ce manuscrit pour apprendre à lire à son fils.
L'enfant ayant été admis à l'école publique de Bristol, commença à donner dès-lors, comme le prouvent des témoignages contemporains, des preuves d'une intelligence et d'une pénétration exceptionnelles. A douze ans, affirment des personnes chez lesquelles il se rendait souvent au sortir de l'école, il avait déjà conçu l'idée d'une série d'anciens poèmes de Thomas Rowley, moine du XVme siècle, poèmes dont quelques-uns devaient[Pg 125] plus tard embarrasser de savants critiques, des littérateurs habiles, et nombre d'éditeurs instruits. En avait-il découvert des traces parmi les vieux parchemins, au milieu desquels il passait des heures entières à peindre des lettres anciennes, et à copier de vieilles écritures? C'est ce que nous verrons tout à l'heure.
Chatterton avait à peine quinze ans, lorsqu'il donna à un de ses amis, George Catcott, une ballade en vieux style: "The Bristow Tragedie," si parfaitement imitée, qu'elle eut plus tard l'honneur d'être considérée par Horace Walpole, comme un des pastiches du Dr Percy, l'éditeur des "Relics of Ancient English Poetry."
A l'antiquaire Barrett il fit présent d'un autre poème, "The Battle of Hastings," supposé écrit par le moine Saxon Turgot, et traduit par Thomas Rowley, en 1469. Barrett,[Pg 126] qui avait reçu la copie écrite de la main de Chatterton, insista à plusieurs reprises pour voir l'original, et enfin celui-ci finit par avouer que c'était son propre ouvrage.[104] Comme imitation d'une pièce ancienne, le critique avoue que c'est là une production étonnante pour un adolescent. D'autres morceaux succédèrent, donnés à d'autres amis, et toujours supposés écrits par le moine du XVme siècle.
[104] Sur toutes les suppositions d'auteur, imitations, et pastiches de notre jeune homme, voir l'excellente Etude biographique en anglais, par Daniel Wilson. Un vol. in 8º. Macmillan, 1869.
On ne voulut pas admettre alors, et même bien longtemps après, que le jeune poète fut capable d'écrire rien de pareil. On fut persuadé qu'il avait découvert tout cela dans les coffres de la chambre aux archives.
Aujourd'hui un examen plus attentif[Pg 127] et plus minutieux, ainsi qu'une critique plus exercée, ne laissent plus aucun doute sur la supercherie.
Ce n'était pas seulement le style et la manière du quinzième siècle, que Chatterton savait imiter avec beaucoup de talent, mais encore on trouve insérés dans ses œuvres, bien d'autres imitations, par exemple, deux pastiches parfaits d'Ossian, que, par une ignorance facile à expliquer dans un enfant de seize ans, il dit être traduit du Saxon.[105]
[105] Lorsqu'on lit une ode composée par Pope à douze ans, et une autre par Cowley à treize, on peut avec vraisemblance supposer, vu les circonstances, qu'un parent, un ami, ou un professeur leur est venu en aide. Quant à Chatterton, il n'avait ni parent, ni ami, ni professeur pour l'aider.
En 1766, beaucoup de personnes avaient encore une foi entière dans l'existence d'un William Canynge, maire de Bristol, du temps de Chaucer,[Pg 128] de ses descendants à l'époque de la guerre des deux Roses, et du bon moine Rowley. Il a fallu plus de vingt cinq ans pour détromper le public.
M. Daniel Wilson a fait voir dans sa biographie que la prose et les vers de Chatterton présentent l'ensemble d'un roman historique où sont groupés des caractères très fidèlement dessinés, pleins de vie, et doués parfois d'une tendresse toute lyrique. Peu d'anglais même savent quelle riche veine de poésie et de fiction romantique se trouve cachée dans les poésies de Rowley, lorsqu'on leur ôte leur antique phraséologie.
Nous citerons deux exemples; le premier est une ode à la Liberté, supposé chantée par un chœur de Saxons, à la fin d'une scène où le roi Edouard le Confesseur avoue sa partialité pour les Normands.
[Pg 129]
[106] To freeze.
[107] Undismayed.
[108] Pointed.
[109] Raised.
Cette ode finit abruptement, et le professeur Daniel Wilson, en citant ce morceau, dit que rien de plus poétique n'a été écrit sur ce sujet, depuis la magnifique apostrophe à la Liberté, par l'ancien poète Barbour, dans le poème de Bruce.
Voici la seconde pièce, extraite du poème dramatique d'Ælla.
[Pg 130]
C'est une complainte chantée par un Ménestrel de la cour:—
[Pg 131]
Le drame d'Ælla, dans le goût antique, est le chef-d'œuvre de Chatterton, et fut transcrit sur le manuscrit écrit de sa propre main, en date de 1769, lorsqu'il n'avait que seize ans.
En quittant l'école de Bristol, Chatterton était entré, en qualité de clerc, chez un notaire de cette ville. Bientôt fatigué de cette vie d'asservissement, il partit pour Londres, le 29 Avril 1770, flattant sa mère et sa sœur de la perspective de brillants succès littéraires dans la capitale. Il emportait avec lui plusieurs poèmes écrits en style du 15me siècle, qui aurait formé un volume suffisant, dit Daniel Wilson, pour établir la fortune et la gloire d'un poète, quelqu'il fût.
Horace Walpole avait publié en 1764, son pastiche du "Castle of Otranto," d'après un manuscrit italien, affirmait-il, d'Omphrio Muralto, trouvé dans une ancienne bibliothèque,[Pg 132] et imprimé à Naples en 1529. Il jouissait du reste d'une brillante réputation littéraire et d'une grande fortune.
Il était donc tout naturel que Chatterton songeât à s'adresser à ce personnage important, romancier, dramatiste, et poète, pour faire accepter au public les écrits du moine Rowley. D'ailleurs, il avait écrit au grand seigneur qu'il invoquait son appui comme fils d'une pauvre veuve qui avait grand'peine à soutenir sa famille, et que ce qu'il avait composé jusqu'alors ne lui avait rapporté ni renommée ni argent. Puis dans une autre lettre, accompagnée d'une histoire supposée de la peinture en Angleterre, écrite par le moine Rowley en 1469, pour Maître Canynge, il annonçait à Walpole qu'il avait en sa possession encore plusieurs autres manuscrits anciens qu'il lui offrait. On a prétendu[Pg 133] que cette dernière lettre n'était point parvenue à son adresse; mais il est bien établi aujourd'hui que Walpole les reçut toutes les deux.
Quant à la première, il ne peut exister de doute, l'adresse était exacte, la lettre était fermée avec un pain à cacheter; et adresse, timbre de la poste, et pain à cacheter peuvent encore se voir à présent au Musée Britannique, parmi nombre d'autres autographes du jeune homme.
Une réponse de Walpole lui-même prouve qu'il avait reçu l'autre lettre. Ainsi, dit le révérend Walter W. Skeat,[110] "When afterwards Walpole had the hardihood to deny that he ever received[Pg 134] the piece in question, in this falsehood he stands self-convicted."
[110] "The Poetical Works of Thomas Chatterton, with an Essay on the Rowley Poems, &c." 2 vol. 8º. Bell and Dalby: London, 1871.
Dans cette excellente édition on a suivi un système conseillé dans la Biographie du professeur Wilson, citée plus haut, celui de changer les mots archaïques en anglais moderne.
Walpole fit valoir encore une autre excuse, après la catastrophe; c'est que Chatterton avait voulu le tromper, le mystifier. Il semble qu'il n'avait guère le droit de se montrer si susceptible, lui qui avait fabriqué une lettre supposée écrite par le Roi de Prusse, Frédéric, où il tournait Jean Jacques Rousseau en ridicule, avec une amère ironie, et où toutes les convenances étaient blessées.[111] Celui-ci en fut cruellement affecté.
[111] Cette lettre fut écrite au moment où David Hume flattait et caressait le plus J. J. Rousseau, et il avoue avoir pris part à ce persiflage; plus particulièrement odieux envers un homme alors proscrit, qui se mettait entièrement à la disposition de ceux qu'il croyait ses amis.
Voir sur l'affaire de cette supposition d'auteur, "l'Histoire de la Vie et des Ouvrages de J. J. Rousseau, par Musset-Pathay."
Chatterton, repoussé avec hauteur[Pg 135] par Walpole, et profondément blessé, vécut pendant quelque temps du produit de ses articles dans les journaux littéraires; mais bientôt en proie à la misère et à la faim, mécontent du monde, sauvage, ulcéré, trop fier pour accepter des secours, le jeune homme mit fin à sa vie par le poison, à l'âge de dix-sept ans, laissant à la postérité des preuves de la plus haute intelligence poétique. On trouva sa chambrette jonchée d'une masse de papiers déchirés sans doute dans son désespoir; et ainsi fut détruite peut-être plus d'une œuvre remarquable.
Walpole, qui aurait pu le sauver, écrivait, longtemps après la mort du poète, dans une lettre à la Comtesse d'Ossory, "Chatterton was a gigantic genius."
En effet, s'adaptant à tous les genres de styles, il sut prendre tour-à-tour, avoue la critique anglaise, l'esprit[Pg 136] satirique de Churchill, le ton noble, mais amer, de Junius, la rude vigueur de Smollett, singer parfois la douceur rhythmique et les antithèses de Pope, la grâce travaillée de Gray et de Collins, ou bien, encore sous le manteau du moine Saxon Rowley, rivaliser avec l'héroïque affectation d'Ossian. Il est probable, dit le professeur Daniel Wilson, que la puissance intellectuelle de Chatterton a rarement été surpassée, et peut-être n'a-t-elle jamais été égalée au même âge.
Aussi après sa mort, ce fut un concert de magnifiques éloges en prose et en vers. Sir Herbert Croft fut un des premiers à faire connaître au public le génie et le sort fatal de Chatterton.[112] Malone, dans ses observations sur les poèmes de Rowley, le regarde[Pg 137] comme le plus grand poète qu'ait produit l'Angleterre depuis Shakespeare. Le docteur Johnson avoue que "This is the most extraordinary young man that has encountered my knowledge." Coleridge, Wordsworth, et une foule d'autres auteurs exaltent la vigueur de son génie.
[112] "Love and Madness. A story too true," &c. 1 vol. 8º. London, 1780.
Dans le Monthly Magazine de Novembre 1799, Southey a fait connaître par quelle supercherie peu honorable Sir Herbert Croft s'empara des manuscrits de Chatterton et les publia.
A côté du phénomène douloureux qu'offre cette existence tourmentée, à peine ose-t-on nommer le pseudo-Shakespeare, Ireland, héros de la petite pièce après la tragédie, comme le dit Philareste Chasles.
Samuel Ireland, le père, avait passé sa vie à voyager sur les bords de l'Avon, pélerinage dont il consigna les résultats dans un curieux volume tout rempli de crédulité.
[Pg 138]
William Ireland, le fils, voyant son père disposé à bien payer une signature de Shakespeare, lui apporta successivement un reçu, un acte par-devant notaire, et des lettres d'amour de la jeunesse de cet illustre écrivain. Cet appât eut du succès, et notre jeune homme s'enhardit à fabriquer d'autres documents, griffonnés sur de vieux parchemins souillés, salis et enfumés. Il couronna son œuvre par une tragédie du Roi Lear corrigée, et par une autre tragédie soi-disant inédite du même auteur, intitulée, Vortigern et Rowena.
L'excellent père publia, sur beau papier, la fraude de son fils, de la meilleure foi du monde. L'imitation était assez adroite pour qu'elle trompât d'abord quelques érudits. On discuta sur les dates, on analysa la couleur de l'encre, la forme des lettres, etc.[113]
[113] "Le Dix-huitième Siècle en Angleterre: Etudes Humoristiques par Philareste Chasles." Un vol. 12º. Paris, 1846.
Le même auteur a donné aussi, comme on l'a vu ci-dessus, quelques renseignements sur Ossian et sur Chatterton; mais ils sont de tous points insuffisants pour l'appréciation de ces supercheries littéraires.
[Pg 139]
Malone, le savant commentateur et critique de Shakespeare, signala le premier ce pastiche. Néanmoins la tragédie de Vortigern fut représentée comme originale, sur le théâtre de Drury Lane, dont Sheridan était alors directeur. Trois cents livres sterlings furent payées au père du pasticheur, avec droit de partage aux bénéfices pour les 60 premières représentations. Il y a lieu de s'étonner qu'un écrivain dramatique tel que Sheridan s'en soit laissé imposer, car la pièce était assez mauvaise pour qu'elle tombât dès la première représentation. Huit jours auparavant, Malone avait proclamé partout que ce drame n'était[Pg 140] incontestablement qu'une supercherie.
Lorsque tous ses pastiches eurent été complétement éventés, Ireland fils publia ses Confessions, livre très curieux, où il explique l'origine et le mode de fabrication de ces fraudes, ainsi que le profit qu'il en a retiré. On y rencontre aussi nombre d'anecdotes sur l'époque, des extraits des deux tragédies, et diverses autres compositions d'Ireland, qui ne manquent pas de talent.[114] On pourrait même dire qu'en Angleterre, aux 18me et 19me siècles, ceux qui ont cherché à tromper les lecteurs, en se couvrant d'un masque plus ou moins ancien, ont montré un talent supérieur à celui[Pg 141] de leurs confrères dans les autres pays.
[114] "The Confessions of William Henry Ireland, containing the particulars of his fabrications of the Shakespeare manuscripts, together with anecdotes and opinions of many distinguished persons." 1 vol. 8º, avec fac-similes. London, 1805.
Quoiqu'Allan Cunningham, vrai poète en son genre, ne tienne pas à beaucoup près dans la république des lettres, le même rang que l'adolescent de Bristol, il offre un cas analogue, sauf le fatal dénoûment, et qui montre combien est grande cette tentation de déguisement littéraire.
En 1809, M. R. H. Cromek faisait un pélerinage en Ecosse pour y découvrir de vieilles chansons du pays. Il rencontra à Dumfries le jeune Allan Cunningham, qui gagnait dix-huit shellings par semaine comme maçon, mais qui possédait une connaissance extraordinaire de la poésie populaire de l'Ecosse, en même temps qu'une lecture étendue en ce genre. Il s'essayait même à faire des vers, et produisit quelques morceaux à M. Cromek, que ce critique reçut d'un air[Pg 142] de grande condescendance, car il n'avait nul goût pour la poésie moderne. Son ambition était de rivaliser avec l'évêque Percy et Walter Scott, en publiant les œuvres de quelque vieux barde oublié. Le jeune maçon avec la perspicacité de sa race, s'aperçut bien vite de ce faible, et chercha à le satisfaire en apportant à Cromek d'anciennes pièces de vers que celui-ci déclara divins!—"Dites-moi, je vous prie, écrivait-il à un de ses correspondants à Londres, quels sont les noms des anciens poètes de Nithsdale et de Galloway?"
Le correspondant, qui n'était pas disposé à inventer un nouveau Rowley, répondit d'une manière évasive, et les pastiches du jeune homme ignoré furent publiés dans un beau volume, portant sur le titre le nom de Cromek, comme éditeur. Les critiques de la capitale félicitèrent leur confrère de la[Pg 143] riche trouvaille qu'il avait faite dans une région stérile jusqu'alors en ce genre. Ce ne fut que plus tard que la ruse se découvrit.
On s'est très rarement occupé en Angleterre de ces supercheries en littérature. Il appartenait à Isaac d'Israeli de donner un résumé de ce sujet, mais il n'en a guère tiré partie dans ses mélanges fort curieux d'ailleurs, et annonçant une vaste lecture. Les quelques pages qu'il y a consacrées, ne contiennent pas même l'indication des sources qu'on pourrait consulter.[115]
[115] Ses trois courts chapitres sur la matière, sont:—1º. Celui sur les imposteurs littéraires; 2º. Celui consacré aux imitateurs remarquables; et 3º. Le chapitre sur les faux littéraires (literary forgeries). Ce dernier est le plus intéressant.
Si chaque genre, à son tour, a son âge d'or en littérature, celui du pastiche et des suppositions d'auteur est incontestablement[Pg 144] le dix-neuvième siècle. Le nombre en est si considérable, que nous ne ferons mention que des plus curieux.
En 1803, Barbié de Bercenay et Sulpice Imbert, comte de la Platière, s'amusèrent à publier une correspondance très bien imitée, de Louis XVI. avec ses frères, et plusieurs personnages célèbres, pendant les dernières années de son règne.
M. Beuchot, dans la "Bibliographie de la France," convainquit les plus incrédules que ces lettres, acceptées comme authentiques, étaient supposées.
Les plus habiles critiques sont quelquefois pris au piège du pastiche, mais il arrive aussi que le contraire a lieu, et que c'est le mystificateur qui est mystifié.
Paul Lacroix, le prince des pasticheurs et de la pastichomanie, qui nous a conservé la mention d'une[Pg 145] partie des siens,[116] comme documents pour l'histoire du genre, est un exemple du fait. Il publia dans un catalogue, avant que le manuscrit authentique et autographe eut passé dans la bibliothèque de S. A. R. le Duc d'Aumale, que "les historiettes de Tallemant des Réaux étaient évidemment un ouvrage supposé, que M. De Monmerqué, de concert avec Taschereau, qui possède si bien son XVIIme siècle, auraient déterré à la bibliothèque du roi, dans les recueils d'anecdotes de Falconet, ou bien extrait des manuscrits de Conrart, à l'arsenal."
[116] Voir l'Introduction aux Mémoires de Messire Jean de Laval, Comte de Chateaubriand. Genève, 1868. Un vol. in 18º, tirage à cent exemplaires numérotés.
L'écrivain qui inventait un sixième livre de Pantagruel,[117] des Mémoires[Pg 146] du Cardinal Dubois, de Gabrielle d'Estrées, etc., etc., n'aurait pas dû se fourvoyer ainsi. Rappelons en passant que la publication de ces Mémoires de Tallemant des Réaux a contribué à laver la tache qu'un autre pasticheur avait imprimée au parlement de Grenoble, pour un arrêt qui fut regardé comme authentique pendant plus de deux cents ans.[118]
[117] Il ne fut toutefois jamais publié que le prologue et le premier chapitre.
Lors de la publication de ce pastiche, un journal de Paris, en annonçant ce sixième livre, disait: La lecture de ce livre inédit convaincra les plus incrédules, qu'il ne peut être attribué qu'au véritable auteur de Pantagruel.
[118] Article Sauvage, tom. iii. p. 93, de l'édit., in 12º, de 1840. Cet arrêt supposé, rendu en 1637, fut inséré par plusieurs jurisconsultes dans les recueils d'ordonnances et dans les commentaires. C'est sur la donnée de cet arrêt qu'a été composé le livre, intitulé, Lucina sine concubitu, par John Hill, qui prit le pseudonyme d'Abraham Johnson. Mercier de Compiègne publia cette plaisanterie en français.
Dans "Les Mémoires de Fléchier" (Paris, Hachette, in 12º, 1862), sur les Grands jours d'Auvergne, en 1669, l'auteur fait mention, à la page 127, d'un cas à peu près semblable à l'arrêt supposé de Grenoble.
[Pg 147]
L'incorrigible Paul Lacroix publia en 1828 un autre pastiche qui réussit encore mieux que les précédents. Ce fut une lettre de Clément Marot à la sœur de François I, sur le recueil de ses contes, et qui fournissait la preuve des liaisons intimes qui avaient existé entre ces deux personnages célèbres.
Citons encore du même écrivain la traduction de l'ode d'Horace, "Pastor, cum traheret," etc., attribuée au prince qui fut depuis Louis XVIII. Quand elle fut publiée en 1829, on ne doutait pas que ce souverain en fut véritablement l'auteur.[119]
[119] Dans "Les Supercheries Littéraires dévoilées" par Quérard, tome iii. page 9, on trouve de longs détails sur ces pastiches.
M. Fauriel, désireux de contribuer[Pg 148] à la réputation de son jeune ami Prosper Mérimée, l'engagea à recueillir et à publier une collection de poésies Illyriennes, qui, disait-il, ne pouvaient manquer de réussir en France, d'après ce qu'il en avait entendu réciter dans le pays. Un an après ce conseil, en 1827, Mérimée fit paraître La Guzla, chants Illyriens d'Hyacinthe Maglanowich.
Rien ne faisait soupçonner le pastiche au public, mais Fauriel ne tarda pas à le reconnaître, et fut très mécontent qu'un ami eut essayé de le prendre pour dupe.
Néanmoins ces originaux supposés eurent un grand succès, et un naïf Allemand non seulement les traduisit en vers, mais il prétendit même avoir su retrouver, sous la version française, le mouvement et le rhythme de l'original.
A cette époque, le mensonge littéraire[Pg 149] se rencontrait partout en France, même dans les sermons. Serieys publia à Paris, en 1810, sous le titre de "Sermons inédits de Bourdaloue," deux pastiches assez bien faits de ce célèbre prédicateur.
Presque tous les Mémoires, soi-disant inédits des 16me, 17me et 18me siècles rentrent dans cette catégorie. On commença même à attaquer les anciens auteurs latins, comme l'avait fait Hardouin.
Eugène Du Mesnil voulut établir que le poème de Lucretius Carus, avait été composé par Jean Pontanus, de Naples. Il en donnait quinze différentes raisons.
Nous aimons à croire que ce n'était là, pour M. Du Mesnil, qu'un paradoxe, car pour l'existence de ce poème nous avons le témoignage de Cicéron, de Stace, de Quintilien. Puis on se demande comment Pontanus,[Pg 150] voulant faire un pastiche qu'il attribuait à un auteur plus jeune que Cicéron, et de douze ans seulement plus âgé que Virgile, aurait affecté les tournures archaïques familières à Lucrèce, quoiqu'elles ne soient pas étonnantes chez celui-ci, comme le remarque fort bien Bayle.
Plusieurs bibliophiles se donnèrent la peine de défendre l'authenticité du poème de Lucrèce, dans un journal littéraire.[120] On pourrait donner à cette défense le titre de Love's labour lost.
[120] L'Intermédiaire du 29 Juin 1870.
Une supposition d'auteur plus adroite que la précédente, fut celle de M. E. Begin, qui, dans une histoire des rues de Metz, fit intervenir dans son récit Claudius Numatianus Rutilius, et donna la traduction française de deux lettres, supposées écrites par [Pg 151]ce poète latin du Vme siècle.
Entraîné par l'exemple de la France, le célèbre poète italien Leopardi s'amusait à publier en 1826 une traduction faite au XIVme siècle, d'après une version latine d'une chronique grecque, relatant l'histoire des Saints Pères du Mont Sinaï. Il imita si bien le vieux style italien, que de fins connaisseurs y furent pris. Du reste cet écrivain aimait assez à mystifier ses amis et le public, car il publia, peu de temps après, deux odes grecques dans le genre d'Anacréon, et la traduction d'une ode à Neptune, protestant qu'il avait trouvé, dans un vieux manuscrit, ces débris jusqu'alors inconnus de la littérature hellénique.[121]
[121] Gustave Brunet, "Essai sur les Bibliothèques Imaginaires," 1 vol. 8º, p. 383. Paris: Techener. 1862.
La manie des supercheries littéraires était dans l'air. Un peu plus tard, un étudiant allemand nommé[Pg 152] Wagenfeld composa une traduction grecque de l'historien phénicien Sanchoniaton, supposée faite par Philon de Biblos. Ce travail décélait une profonde connaissance des antiquités sémitiques.
L'auteur prétendit que le manuscrit original avait été trouvé dans un couvent de Portugal. Le directeur du Lycée de Hanovre, le savant Grotefend, fut trompé par l'écolier au point d'écrire un avant-propos pour le travail de Wagenfeld, intitulé, "Analyse de l'histoire primitive des Phéniciens, par Sanchoniaton, faite sur le manuscrit nouvellement retrouvé de la traduction complète de Philon, avec des observations de M. F. Wagenfeld."
On y avait inséré un fac-similé de l'original; seulement comme le texte grec ne paraissait pas, et que les savants ne pouvaient en obtenir l'inspection,[Pg 153] des doutes s'élevèrent, et toutes les circonstances de la trouvaille ayant été mûrement pesées, il fut prouvé, même au Directeur du Lycée de Hanovre, qu'il n'y avait jamais eu dans cette affaire qu'une très adresse et très habile supposition d'auteur.
Mais c'est plus particulièrement en France que réussissent ces jeux d'esprit.
Comment en serait-il autrement lorsque même les esprits les plus graves cherchent à tromper le public, ne fut-ce que pour quelque temps, et prennent plaisir à la déception et à la crédulité des lecteurs?
Le premier quart du dix-huitième siècle s'ouvrit par un petit ouvrage rempli d'un parfum attique et que l'auteur, qui ne s'avouait que le traducteur, disait avoir trouvé parmi les manuscrits d'un évêque grec. Il ajoutait,[Pg 154] "On ne sait ni le nom de l'auteur ni le temps auquel il a vécu; tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il n'est pas antérieur à Sapho, parcequ'il en parle dans son ouvrage."
Le succès fut si grand que les sept chants de ce poème en prose, soi-disant grec, furent bientôt traduits dans presque toutes les langues. L'auteur garda assez longtemps le secret, car l'ouvrage ayant paru en 1729, l'auteur écrit à son ami l'abbé de Guasco, en 1742, "Je voudrais que vous fussiez de retour à Paris, avant que je parte, et je me réserve de vous dire alors le secret du Temple de Gnide."
Il était naturel que Charles de Secondat, Baron de Montesquieu, et Président du Parlement de Bordeaux, cherchât à cacher son nom; mais il n'était pas besoin de tacher à induire en erreur ses amis aussi bien que le public.
Ce ne fut que plus tard qu'il avoua[Pg 155] ce pastiche, dans une lettre où il disait qu'il n'avait eu d'autre but que de faire une peinture poétique de la volupté. Depuis lors, bien des écrivains, s'appuyant d'un si grand nom, crurent pouvoir regarder le public comme leur jouet, et rire de sa crédulité.
Aux exemples que nous en avons déjà donnés, en voici quelques autres.
M. Louis Lazare mit en circulation avec succès des lettres du roi Henri IV., jusqu'au jour où M. Berger de Xivrey eut démontré d'une façon peremptoire que ce n'étaient que des pastiches. Nullement découragé par cet échec, le même écrivain, un peu plus tard, présenta aux lecteurs, dans Le Peuple Français, un article intitulé, "Edilité Parisienne, de longues citations d'histoire anecdotique soi-disant inédites, dans lesquelles le style ancien est très bien imité; mais l'auteur se[Pg 156] garde bien de laisser soupçonner que ce n'est là qu'une supercherie."[122]
[122] Voir le No. du 27 Août 1869.
L'audace des contrefacteurs était telle qu'ils n'hésitaient pas à tromper le gouvernement même. Sous le ministère de M. de Villemain, le grec Minoïde Minas eut mission d'explorer les vieilles collections de livres et de manuscrits de son pays, et rapporta du couvent de Sainte Laura, au mont Athos, un manuscrit inédit des fables et apologues de Babrius.[123] Le savant Helléniste Boissonnade fut chargé de l'éditer. Or dans l'intervalle, M. Minas vendit au Musée Britannique, à Londres, un manuscrit renfermant 95 fables du même Babrius, dont M.[Pg 157] G. Cornewall Lewis publia une édition à Londres en 1859.[124]
[123] La critique a décidé qu'on ne peut placer cet auteur au-dessous du troisième siècle. Ainsi ce poète est postérieur à Phèdre, qu'il surpasse, dans l'opinion de quelques-uns, par la précision élégante de son style.
[124] Babrii Fabulæ Æsopeæ e codice manuscripto: partem secundam nunc primum edidit G. Cornewall Lewis. Un vol. in 8º.
On espérait que c'était le complément, ou la seconde partie, comme le dit le titre latin, du recueil incomplet rapporté d'Orient par Minas et que le ministère français faisait éditer. Malheureusement pour les savants, M. Dübner démontra, dans le journal de l'instruction publique du 15 Févr. 1860, que ces nouvelles fables étaient des pastiches, auxquels l'helléniste anglais s'était laisser prendre trop facilement.[125]
[125] Voir Egger, "Mémoires de Littérature Ancienne," tome i. page 490, et suiv.
Nous avons cité dans l'introduction, le volume de pastiches composés par M. Chatelain. Cet écrivain ne montra pas toujours la même franchise.[Pg 158] En 1837, il publia quatre lettres de Voltaire à Madame Du Deffand, au sujet du jeune Benjamin Constant de Rebecque. Dans une note explicative, il prétend que ces lettres furent laissées par Mme du Deffand à Horace Walpole. "Il paraît, ajoute-t-il, que M. B. Constant a fait l'acquisition des originaux qui le concernaient, de Walpole lui-même, qui ne voulut point céder les réponses de Mme du Deffand. Au reste, cette négociation explique pourquoi les lettres que nous livrons au public, ne se trouvent dans aucune des collections des œuvres de Voltaire."
Ne croyant point encore cette explication suffisante, et pour établir sans réplique l'authenticité des documents, Chatelain va jusqu'à avancer que des membres de la famille de Benjamin Constant l'avaient assuré que la Biographie Universelle se trompait en donnant 1767 comme date de[Pg 159] sa naissance,[126] tandis qu'il est né en 1759, ce qu'on pouvait vérifier chez M. Chevillard, père, notaire, rue du Bac., No. 15.
[126] Ce qui ne lui aurait donné que l'âge de 6 ou 7 ans, quand il demanda des lettres de recommandation en 1774, pour se présenter chez Madame du Deffand.
Nom de notaire, rue, numéro, toutes ces indications étaient fausses. L'extrait de baptême du grand publiciste, prouve qu'il est bien réellement né le 29 Octobre 1767.[127] La même année que Chatelain poussait ainsi la supercherie littéraire jusqu'au mensonge, Toulouse voyait paraître un magnifique in 8º, tiré à cinquante exemplaires seulement, et imprimé en or, argent et couleurs, à l'imitation des anciens manuscrits. Le Carya Magalonensis, chronique de Montpellier, durant les [Pg 160]premières années du XIVme siècle, acceptée comme authentique, eut une seconde édition en 1844, avec la traduction en regard, par M. A. Moquin-Tandon. L'ouvrage trompa la clairvoyance des critiques les plus éprouvés.
[127] Quérard, "Supercheries Littéraires."
M. Raynouard lui-même, dont les décisions semblaient infaillibles, écrivit au traducteur pour le féliciter d'avoir mis en lumière un livre qu'il considérait comme devant ajouter des renseignements curieux à l'histoire de la langue d'Oc. Quelques journaux de Toulouse et de Montpellier furent induits en erreur, comme le savant philologue. Mais M. Fortoul, alors professeur à Toulouse, depuis ministre de l'instruction publique, déclara, "qu'il regardait le Carya Magalonenenis comme une contrefaçon habile et exacte de cette langue romane qui a eu autrefois tant de gloire, et qui est aujourd'hui le sujet de tant d'études."
[Pg 161]
Le secret avait été bien gardé, car l'auteur de ce pastiche l'avait confié à quelques amis, en distribuant la première édition. Enfin il souleva tout-à-fait le voile.[128]
[128] "Les Ecrivains pseudonymes," etc., par Quérard. 1 vol. pp. 335. Paris, 1854.
Deux véritables héros pour la fabrication de pastiches et de fausses pièces, ont étonné le dix-neuvième siècle. Le premier est le grec Simonidès, qui commença sa carrière en ce genre, en arrivant à Athènes avec un grand nombre des manuscrits les plus rares, tant sacrés que classiques, provenant, assurait-il, du couvent du Mont Athos. Parmi eux se trouvait un ancien Homère, avec un commentaire complet d'Eustathius. Un examen minutieux prouva que ce n'était guère que la copie de l'édition du poète grec, par Wolf, les erreurs y comprises.
En 1851, Simonidès proposa à[Pg 162] Constantinople, la publication d'un Sanchoniaton complet, et promit en outre des inscriptions cunéïformes avec traduction en phénicien, et des manuscrits arabes en caractères syriaques, renfermés dans une boîte de métal qu'il avait aidé à déterrer, mais qu'on découvrit malheureusement qu'il avait enfouie lui-même en ce lieu.
Arrivé en Angleterre en 1853, il présenta à la Société Royale de Littérature de Londres, quatre livres de l'Iliade qu'il tenait de son oncle Bénedictus, moine du Mont Athos. Dans une des séances de la société, il prononça un discours sur un Dictionnaire Hiéroglyfique Egyptien dont il avait connaissance, et sur des chroniques Babyloniennes en caractères cunéïformes.
Les lettrés trop crédules admirèrent le zèle infatigable qui avait pu rassembler de pareils trésors.
[Pg 163]
Simonidès entremêlait adroitement les vrais manuscrits avec les faux. Le Musée Britannique lui en acheta onze exempts de tout soupçon. Ce n'était là, comme nous allons le voir, que préparer habilement ses plans.
Il fit alors une excursion en Allemagne, et il y mystifia un instant des savants tels que Bunsen, Lepsius, et W. Dindorf. Le manuscrit d'Uranios, contenant un fragment de l'ancienne histoire d'Egypte, fut accepté par ce dernier comme authentique, et d'après ses conseils, l'université d'Oxford fit imprimer un spécimen de ce document. Peu de temps après, Lepsius, qui s'était aussi intéressé à cette trouvaille, annonça qu'après un examen plus attentif, il avait reconnu, que le texte de ce manuscrit était pris en partie dans ses propres ouvrages à lui, et en partie dans ceux de Bunsen. Tischendorf confirma cette opinion et démontra[Pg 164] de son côté que l'Uranios n'était qu'une fraude littéraire.
Simonidès, qui était parvenu à vendre ce manuscrit à l'Académie de Berlin, pour cinq mille dollars, fut arrêté à Leipsig, au moment où il prenait le chemin de l'Angleterre. On le conduisit à Berlin, où il fut mis en prison et traduit devant une cour de justice. Il échappa toutefois à une condamnation, en conséquence de l'omission de certaines formalités légales, mais néanmoins, le 30 Mars 1856, la police lui donna l'ordre de quitter le pays.
Simonidès revint en Angleterre, et y fit valoir bien haut son acquittement, preuve, disait-il, de son innocence et des calomnies auxquelles il avait été en butte.
Renouant le fil de ses anciens rapports avec les savants du pays, il leur fit entendre qu'il avait connaissance d'une foule de manuscrits précieux,[Pg 165] inconnus, dont un était de la main de l'Empereur Théodose!
M. Mayer, zélé Egyptiologue de Liverpool, non seulement lui acheta des pièces fort anciennes, mais encore lui donna accès à son Musée, le priant d'expliquer plusieurs papyri qu'il lui confia.
Par ses conseils, M. Mayer fit publier, à grands frais, avec les explications de Simonidès, un beau volume, contenant entr'autres certaines portions de l'évangile de Saint Mathieu, supposées écrites par Nicolas d'Antioche, sous la dictée de l'apôtre lui-même![129]
[129] "Fac-Similes of certain portions of the Gospel of St. Matthew, and of the Epistles of St. James and St. Jude, written on papyrus, in the first century, etc. etc. Edited and illustrated, by Constantin Simonidès." In fol. London: Trübner, 1862.
Le journal littéraire (Athenæum) examina soigneusement ces pièces, et[Pg 166] les déclara fausses. Mais l'audace ou l'ingéniosité de notre grec ne s'effrayait pas si vite.
Il pouvait montrer aux incrédules, disait-il, des documents plus curieux encore. Entr'autres un traité théologique égyptien, écrit sur une peau de femme, au premier siècle! Aussi, un poème grec d'Œnopidès, tracé sur une peau semblable, à la même date!
On peut aisément s'imaginer que tout ceci ne servait guère à augmenter la confiance du public.
Simonidès, ayant eu à subir de très vives attaques du savant Tischendorf, songea à s'en venger d'une manière assez curieuse. Les érudits se rappellent le bruit que fit la découverte, au Mont Athos, du fameux Codex Sinaïticus, ou texte de l'Evangile, par Tischendorf, qui en fit présent à l'Empereur de Russie, et qui exposa l'historique complet de cette découverte[Pg 167] dans un petit volume, supérieurement imprimé à Leipsig, sous le titre de "Sinaïbibel, ihre Entdeckung, Herausgabe, und Erwerbung."
Simonidès publia que ce manuscrit n'avait aucune authenticité, puisque c'était lui-même qui l'avait composé. Il expliquait tout au long les circonstances de cette fabrication.[130]
[130] Supplément au journal The Guardian, du 3 Septembre et du 21 Novembre 1863.
Dans une lettre du 17 Janvier, du journal cité ci-dessus, on répondit que Simonidès cherchait à se parer des plumes du paon, et qu'en 1862, il n'avait pas même connaissance du célèbre codex, lorsqu'il en fut question, en sa présence, à l'Université de Cambridge. Alexandre von Humboldt, qui avait suivi toute cette controverse avec grand intérêt, nommait Simonidès une énigme vivante et un nœud gordien insoluble.
[Pg 168]
En 1867, on annonça, dans les journaux, la mort de notre fameux grec, arrivée à Constantinople; mais deux ans après, le révérend Donald Owen le retrouva à Saint-Pétersbourg, préparant pour la presse "des documents historiques de grande importance, par rapport aux droits du Gouvernement russe."
Comme il lui était arrivé quelquefois de se rendre à lui-même, sous un autre nom, témoignage de l'authenticité de ses pastiches, il n'y aurait pas lieu de s'étonner si Simonidès se présentait de nouveau un jour incognito, comme témoin de l'authenticité de tout ce qu'on lui a contesté.[131]
[131] Gentleman's Magazine, Octobre et Novembre 1865.
Ces fabrications de faux documents mirent la puce à l'oreille des archivistes, à ce qu'il paraît, car M. R. F. Le Men qui remplissait ce poste dans le département[Pg 169] de Quimper, accusa M. De la Villemarqué, de faire passer pour vraies des supercheries pareilles.[132] Cet écrivain disait avoir découvert dans une église près de Morlaix, en Bretagne, les poésies d'un ancien poète du pays, Quin-Clan, dont de très courts fragments seulement avaient échappés à la destruction. Ces poésies appartiennent aux 5me et 6me siècles. Ce Quin-Clan était le Merlin des Bretons, sinon le véritable Merlin des romans de chevalerie.[133] Malheureusement ce précieux manuscrit disparut très peu de temps après sa découverte, et ne fut plus jamais retrouvé. Quelque temps après M. de la Villemarqué fit paraître son volume intitulé Barzas-Breiz, ou chants populaires de la Bretagne,[Pg 170] dont partie du texte était de pure imagination, dit M. Le Men.
[132] Voir Athenæum, du 11 Avril 1868.
[133] Voir Le Courrier Français, du 28 Octobre 1835; et un article de M. Francisque Michel dans le Foreign Quarterly Review, d'Avril 1836.
Ce qui frappa d'abord le plus notre critique, ce fut l'ensemble et l'admirable suite des Barzas-Breiz. Si quelqu'un avait eu l'idée de présenter, par épisodes, l'histoire complète de la Bretagne, il n'aurait pas pu mieux réussir. Il ne manque pas un chaînon depuis les Druides jusqu'aux Chouans. Cette suite parfaite suscita des soupçons, et un examen critique ne fit que les confirmer. On peut diviser ces chants ou petits poèmes, en deux classes. D'abord les soi-disant contes anciens, tels que La prédiction de Gwenc'hlan, La marche d'Arthur, La submersion de la ville d'Is, Le tribut de Nomenoë, Le vin des Gaulois, lesquels M. Le Men regarde comme de simples fabrications.
Puis viennent les chants dont les prototypes sont bien connus, mais qui[Pg 171] ont été modifiés pour leur donner un caractère historique et une apparence d'ancienneté, tels que Les vêpres des Genouilles, et plusieurs autres, où les anachronismes abondent.
Terminons en citant textuellement notre critique, "Depuis vingt ans, j'ai parcouru toutes les parties de la Bretagne, et principalement le Finistère, et j'ai passé bien de jours dans les lieux mêmes où M. de la Villemarqué dit avoir recueilli ses anciennes chansons et poèmes. J'ai pris des renseignements auprès de ceux qui connaissent le mieux les mœurs et les coutumes de la Bretagne, nommément Messieurs P. Proux et Lugel, nos deux meilleurs poètes bretons contemporains, dont la compétence pour juger de chants nationaux, est incontestable. Ils m'affirment qu'ils n'ont jamais rencontré dans la Basse Bretagne les noms de Gwenc'hlan, d'Arthur, de[Pg 172] Merlin, de Nominoë, soit dans des poèmes connus, soit dans des traditions populaires.
"J'ai aussi consulté les inspecteurs des écoles primaires qui reçurent l'ordre du ministre de l'instruction publique, de 1851 à 1853, de rassembler les chansons populaires des districts ruraux, et j'ai reçu les mêmes réponses négatives.
"M. d'Arbois de Tubainville, correspondant de l'Institut de France, a demandé des explications, dans la Revue Critique du 23 Novembre 1867; mais l'éditeur des Barzas-Breiz avait jusqu'en Avril 1868, gardé le plus profond silence."
Nous ignorons si des explications ont été données depuis, mais l'accusation nous a paru assez singulière pour n'être pas passée sous silence. Enfin, quand même une grande partie des Barzas-Breiz ne feraient que reproduire[Pg 173] l'histoire embellie des poèmes d'Ossian, M. De la Villemarqué, par ses nombreuses publications sur la littérature de la Bretagne, en a ravivé le souvenir, dans une sphère très étendue.
A cette époque l'Angleterre, aussi bien que la France, présentait de ces supercheries sur une assez grande échelle. Citons entr'autres une fabrication systématique des lettres de Lord Byron, de Shelley, et de Keats, qui étonna la ville de Londres, de 1850 à 1852. Ces faux autographes étaient si bien contrefaits qu'ils déçurent tous les collecteurs anglais.
L'éditeur Moxon acheta très cher dans une vente publique, une série de ces lettres, et en publia vingt-cinq, avec une introduction pompeuse du poète Robert Browning.
Après un long et soigneux examen, elles furent reconnues n'être que des[Pg 174] pastiches. Le premier soupçon s'éleva par un singulier hasard. M. Moxon avait présenté un exemplaire de sa publication au poète Tennyson, chez lequel M. Palgrave, jetant par accident les yeux sur ces lettres, en rencontra une qui faisait partie d'un article du Quarterly Review de 1840, écrit par son père, Sir Francis Palgrave. La chose étant prouvée, Palgrave informa aussitôt Moxon, qu'il y avait là un plagiat, et l'éveil ainsi donné, toutes les autres lettres furent discutées, l'une après l'autre, et l'on acquit l'évidence d'une complète supercherie. M. John Murray, un des plus grands éditeurs de l'Angleterre, avait aussi été pris au piège. Il avait acheté au libraire White, quarante-sept lettres supposées autographes de Lord Byron, pour cent-vingt-trois livres sterling et six shellings, à raison de deux guinées et demi la pièce.
[Pg 175]
L'affaire de Moxon avait rendu soupçonneux M. Murray, qui, possédant un nombre considérable de documents, poèmes et lettres de la main du noble poète, examina scrupuleusement ses nouvelles acquisitions, les soumit à des connaisseurs, les confronta avec d'autres originaux, et enfin il lui fut démontré que lettres et notes de Byron, de Shelley, et de Keats, n'étaient que d'habiles pastiches.
Le libraire White, qui en avait vendu une grande partie, expliqua, dans une lettre à M. Murray, le système original dont une femme s'était servi pour lui en imposer, en excitant sa compassion pour la détresse où se trouvait un fils naturel de Byron.[134]
[134] Ce récit est trop long pour trouver place ici, mais on peut en lire les détails dans le Athenæum du 6 et du 20 Mars 1853; dans la Literary Gazette, de la même date, et dans les Principia Typographica de S. Leigh Sotherby, Londres, 1858, 3 vol. in fol.
Un des plus savants collectionneurs de France fut dans le cas de devoir se[Pg 176] défendre contre une accusation du même genre que la précédente. Il possédait nombre de lettres de l'époque de la Révolution de 93, et dans un triage, il en vendit plusieurs, entre autres vingt-cinq lettres autographes de la Reine Marie-Antoinette, acquises par M. d'Hunolstein, qui allait publier une nouvelle édition de son ouvrage sur cette infortunée princesse.
Ces autographes excitèrent l'attention du public, à la suite d'une discussion sur leur authenticité, et M. D'Arndt, conservateur de la Bibliothèque Impériale à Vienne, fit voir, par la forme et par le fond, qu'ils n'étaient que des pastiches qui avaient trompé la perspicacité de M. Feuillet de Conches.
Nous avons parlé ci-dessus de deux[Pg 177] véritables héros pour la fabrication de documents supposés, le premier, Simonidès, dont les hauts faits ont été décrits. Le second fut Vrain Lucas, dont il nous reste à rappeler l'étonnante audace en ce genre.
Le 8 Juillet 1867, l'Académie des Sciences de Paris entendit, pour la première fois, M. Michel Chasles, mathématicien très distingué, parler des autographes rares et précieux qu'il avait acquis à grands frais.
Dans le courant du même mois, M. Prospère Faugère, auteur de nombreux travaux sur Pascal, et M. Bénard d'Evreux, écrivirent à l'Académie pour lui signaler quelques-uns de ces faux autographes,[135] que M. Chasles avait fait insérer dans les bulletins de cette société savante. Cet avertissement[Pg 178] n'empêcha pas celui-ci de continuer sans retard la publication de documents semblables, qu'il continuait à soutenir parfaitement authentiques.
[135] Il s'agissait de deux lettres de Blaise Pascal écrites au chimiste anglais Boyle, et de quatre notes.
Le bruit de cette discussion attira l'attention des savants de l'Angleterre, et Sir David Brewster écrivit d'Edimbourg, à l'Académie de Paris, pour démontrer l'impossibilité d'avoir foi en ces pièces, qui impliquaient une correspondance entre Pascal, dans le déclin de l'âge, avec Newton, un enfant de douze ans!
Nonobstant, M. Chasles défendait pied-à-pied, les pièces qu'il avait produites.
Il y avait déjà cent cinquante lettres et notes publiées dans les "Comptes-rendus," concernant Pascal, et M. Michel Chasles annonçait que dans sa collection il y avait deux mille lettres de Galilée.
"Quos Deus perdere vult, prius dementat."
[Pg 179]
Deux ou trois mois plus tard, l'étonnement redouble. Le crédule académicien présente un premier fascicule de ces lettres de Galilée, où l'on trouve qu'il s'était occupé des lois de la pesanteur avec Pascal, alors seulement âgé de dix-sept ans.
Ici l'Italie se soulève à son tour, et prouve que Galilée n'a jamais écrit en français, qu'il ne savait probablement pas.
Malgré tout, l'Académie déclare, le 5 Août 1869, que toutes ces pièces portaient le cachet de l'authenticité. On s'appuyait surtout sur une lettre de Galilée à Louis XIII., paraphée par Louis XIV., manu propriâ.
Pendant ce temps, les accusations de faux pleuvaient de toute part. M. Breton (De Champ) démontre que seize notes de Pascal, et deux fragments d'une lettre de Galilée, ne se composaient que de passages littéralement[Pg 180] copiés dans "L'Histoire des Philosophes Modernes," par Alexandre Savérien.
M. Sylvain Van de Weyer, Ministre de Belgique à Londres, aussi fin connaisseur en bibliographie qu'habile diplomate, écrivit au Daily News, le 10 Mai 1869, une lettre dans laquelle, surprenant le faussaire la main dans le sac, il montre qu'une lettre supposée de Milton à Louis XIV., sur son voyage en Italie, était prise, phrase par phrase, dans la notice sur Milton, que M. Villemain avait insérée dans ses Mêlanges.
M. W. G. Clarke publie une lettre dans la Pall-Mall Gazette, du 27 Septembre de la même année, au sujet de plusieurs autographes supposés de Shakespeare, écrits en français, et y donne la preuve que ces pièces sont tellement remplies d'anachronismes et d'invraisemblances, qu'on ne peut[Pg 181] assez s'émerveiller de l'extrême ignorance de M. Chasles.
Finalement, M. Le Verrier lit un mémoire à l'Académie, démontrant que les lettres de Newton, de Pascal, de Malherbe, de Rotrou, de Montesquieu, de Maupertuis, de Louis XIV., de Leibnitz, etc., etc., n'étaient composées que de fragments copiés dans les ouvrages de Voltaire, de Thomas, du Duc de La Vallière, de Chauffepié, et autres.
Les procédés de fabrication étaient maintenant mis à découvert.
Cette colossale manufacture de pastiches allait chercher ses sujets jusqu'au delà de l'ère chrétienne. Il y avait des lettres de Jules César et des empereurs romains, plusieurs des rois mérovingiens, de Charlemagne, d'Alcuin, des Apôtres, de Boèce, de Cassiodore, de Grégoire de Tours, de Saint Augustin.
[Pg 182]
M. Michel Chasles déclara, en pleine académie, qu'il avait acheté plus de vingt mille de ces pastiches, et qu'il avait payé au fabricateur plus de cent cinquante mille francs!
Ce qui doit vraiment faire douter que le collectionneur, tout grand mathématicien qu'il fut, était compos mentis, c'est que parmi ces autographes il y en avait du sage Thalès, de Pythagore, de Sapho, de Lazare le ressuscité, de la Madeleine. Bien plus, ceux de Jules César et des empereurs romains étaient écrits en français!
Nous ne pouvons nous empêcher de donner un spécimen ou deux:—
Lettre de Sapho a Phaon.
Sapho à son très-amé Phaon, salut.
"Très chier amé, près de ces bords charmans où la veue admire en s'égarant, une immense estendue, où la plaine des mers et la vouste des cieux semblent dans le lointaing se confondre,[Pg 183] ...ce fut là que embrasé par l'amour, tu me donna (sic) le premier baisé, et me pressa de le rendre," etc., etc.
Défi de Jules César a Vercingetorix.
Julii (sic) César au Chief des Gaulois.
"J'envoy devers toy un mien amé qui te dira le but de mien voyage; je veus covrir de mes soldats la terre qui t'a veu naistre. C'est en vain que tu la vouldras défendre. Tu es brave, je le say, mais aussi le serai, s'il plaist aux Dieux. Ains rend moy tes armes, ou prépare toy à combatre. Ce vi. des Kal. de Jullius."[136]
[136] L'écriture des originaux imite celle du dixième ou du onzième siècle, et Lucas disait qu'il ne les avait donnés que comme traduction d'antiques documents détruits.
On comprend aisément que ce ne fut que tout à la fin que ces dernières merveilles se produisirent. Les lettres des savants de France et d'Italie étaient composées avec adresse.[Pg 184] Le fabricateur, Vrain Lucas, qui n'avait reçu qu'une demie éducation, et qui ne savait ni le grec ni le latin, se gardait bien de les tirer de son imagination. Il copiait ses phrases dans les ouvrages de ceux qui faisaient l'objet de ses pastiches, ou sophistiquait légèrement les originaux existants.
La confiance inspirée par le mérite éminent du collectionneur, et le respect imposé par son caractère, peuvent, jusqu'à un certain point, contribuer à excuser l'erreur dans laquelle l'Académie des Sciences est tombée.
L'affaire ayant été portée devant les tribunaux, les experts trouvèrent plus de vingt-sept mille de ces pièces, émanant de six cent soixante personnages célèbres.[137] L'ensemble des[Pg 185] circonstances exposées dans le procès, sert à expliquer comment la discussion sur ces pastiches a pu durer deux années, comment les bulletins des Comptes-rendus leur ont accordé plus de 400 pages, et comment cette société savante a pu déclarer authentiques 381 pièces fausses.
[137] De Pascal, 1745; de Newton, 622; plus de trois mille de Galilée; six cents de Montaigne, etc. Jamais le stupide aveuglement d'un amateur d'autographes a-t-il été poussé jusque-là?
Vrain Lucas ne fut condamné qu'à deux ans de prison et 500 francs d'amende.
Cette affaire, où il reste encore de nombreuses obscurités à éclaircir, sera pour l'avenir l'une des plus extraordinaires des supercheries littéraires et de la manie des autographes poussée jusqu'à la folie.[138]
[138] Deux ouvrages donnent tous les détails désirables: 1º, Une Fabrique de Faux Autographes, ou Récit de l'Affaire Vrain Lucas, par Henri Bordier et Emile Mabile, 1 vol. 4º. Paris: Techener, 1870. 2º, "Défense de B. Pascal," etc., etc., par Faugère, 1 vol. 4º. Paris: Hachette, 1868.
Il y a lieu de s'étonner que Vrain Lucas ait si mal réussi dans ses pastiches de lettres de Jules César et autres personnages de ces époques reculées, lorsqu'il aurait pu prendre pour modèles nombre de ces sortes de fausses lettres parmi les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, à Paris, telles que la lettre d'Ypocras à César, d'Aristote à Alexandre, du Prestre Jehan à l'Empereur de Constantinople, etc. Paulin Paris, tomes 5 et 6, de son analyse de ces manuscrits, et Ferdinand Denis, dans Le Monde enchanté, les avaient déjà fait connaître.
[Pg 186]
A la suite de cet exposé d'une supercherie qui ruina le renom de haute intelligence d'un homme de mérite, racontons celle qui servit au contraire à rehausser la réputation d'un rédacteur de journal.
La surprise ne dura à la vérité qu'un jour, mais elle produisit des pastiches qui méritent d'être conservés.
Signé par M. De Villemessant, le Figaro du 8 Juin 1870, annonçait au public que son journal (bien connu par[Pg 187] ses principes impérialistes) avait été vendu au parti républicain, à des conditions telles, que sans blesser gravement les intérêts de sa famille, il ne lui était pas permis de refuser. Les noms les plus retentissants s'étaient associés à la nouvelle rédaction: Victor Hugo, George Sand, Emmanuel Arago, Louis Blanc, Edgar Quinet, Félix Pyat. Ils avaient envoyé leurs lettres d'adhésion en prose et en vers, et y développaient leurs principes les plus républicains. Ces pastiches étaient composés avec adresse, et on rapporte que quelques lecteurs trompés, ont déchiré le journal sans le lire jusqu'au bout. Ces imitations représentaient non seulement les théories sociales et politiques des républicains avancés, mais encore leur style et leur manière.
"O justice! O représailles! disait F. Pyat, en terminant sa lettre, quand viendrez-vous? Certes, quoiqu'on dise,[Pg 188] je hais le meurtre, le sang, la poudre et les balles; mais je hais encore plus les tyrans de la terre, et je veux anéantir les uns par les autres."
"J'oublierai l'insulte et l'outrage, s'écrie Edgar Quinet; l'oubli d'un mal personnel, voilà qui est humain; mais le crime qui atteint les autres, le mal fait à mes frères, l'exil de nos amis, les morts de nos parents,—oh! les oublier, ce ne serait pas d'un homme, mais d'un tigre!"...
Le pastiche le plus remarquable dans ces lettres d'adhésion, est un poème de cent vingt-huit vers, par Victor Hugo, intitulé "La Presse des Mouchards."
Voici le commencement et quelques vers de la fin de ce morceau, dans lequel on a très bien saisi le style des Châtiments:—
[Pg 190]
Plusieurs autres articles ultra-révolutionnaires remplissaient ce numéro du journal, dont il se vendit un nombre très considérable, et que le public s'attendait à voir saisi le lendemain par la police.
La surprise cessa lorsque le numéro suivant fit connaître que ce n'était qu'une supercherie littéraire.
[Pg 191]
"Idem duo quum faciunt, non tamen est idem."
—Publius Syrus.
Nous ne pouvons mieux commencer cette section, qu'en citant les paroles d'un habile pasticheur, pour expliquer ce qui engage un écrivain à ce labeur d'imitation:—"La première impulsion à laquelle il faut attribuer le goût d'imiter différents auteurs, c'est le charme secret et involontaire que l'on éprouve à leur lecture, c'est la convenance de leurs pensées, la beauté de leurs sentiments,[Pg 192] la magie de leur style qui nous séduit. On ne peut manquer de perfectionner son propre goût, par l'imitation des plus beaux modèles."[139]
[139] Avant-propos du recueil des Pastiches de N. Chatelain.
Cependant il faut bien y prendre garde, il y a un écueil en naviguant dans ces eaux, et notre auteur y a échoué, comme nous l'avons vu ci-dessus.
Après avoir présenté au lecteur un précis historique de la plupart des pastiches anciens et modernes, suppositions d'auteur et supercheries, composés avec l'intention plus ou moins prolongée de mettre en défaut la sagacité du public,[140] donnons une[Pg 193] esquisse de ceux qui ne furent qu'un amusement et un exercice de style.
[140] Nous disons la plupart, parceque les anciens seuls occuperaient un fort volume en ce genre, et les modernes, au moins trois ou quatre. Chez les premiers, par exemple, à commencer par Homère, qu'on lise le 3me livre de la Science Nouvelle, de Vico "De la découverte du véritable Homère," et l'on verra que de pages il faudrait consacrer aux Rapsodes dont les chants divers ont formé l'Iliade et l'Odyssée.
Tous les savants sont persuadés aujourd'hui que les différentes productions publiées sous le nom de l'antique Orphée, ne sont pas de lui. Platon, dans sa République, s'exprime avec mépris sur ces poèmes que des charlatans décoraient des noms d'Orphée et de Musée. Onomacrite, au rapport d'Hérodote, était un faussaire de profession. Saint Clément d'Alexandrie lui attribue les poèmes d'Orphée. Boxhorn et Barthius n'ont-ils pas attribué à un poète ancien, la satire de Lite, du chancelier L'Hôpital?
Qui n'a pas entendu parler de Phalaris, tyran d'Agrigente, dont les célèbres épîtres, écrites six cents ans avant Jésus-Christ, dans le dialecte attique usité sous les Antonins, ont donné lieu à la controverse remarquable entre le savant Bentley et Charles Boyle? Déjà Photius les regardait comme apocryphes, et les raisons qu'en donna Bentley, ont été analysées avec élégance par Hippolyte Rigault dans son histoire de la querelle des anciens et des modernes.
Les curieux pourront encore trouver dans cette dissertation de Bentley, l'examen des fausses lettres de Thémistocle, d'Euripide, de Socrate, et des fables Esopiques.
Du même genre est la lettre d'Alexandre à Olympias et à Aristote, sur les merveilles de l'Inde, qui a joui si longtemps d'une étrange autorité, et que Berger de Xivrey a insérée dans ses Traditions Tératologiques.
"Un homme d'esprit, dit l'abbé d'Artigny, qui se serait fait une parfaite étude d'un auteur, pourrait sans[Pg 194] doute si bien l'imiter, qu'il serait difficile de distinguer le style de l'un, de celui de l'autre."[141]
[141] Nouveaux Mêlanges d'Histoire et de Littérature, tome i., p. 358.
Nodier raconte une anecdote assez curieuse qui prouve la vérité de cette opinion. A la fin du siècle dernier, il y avait un pauvre auteur dont la fureur était de correspondre avec les hommes de génie du temps. Comme ses lettres restaient presque toujours[Pg 195] sans réponse, il prenait le parti de s'en faire lui-même, et il y mettait tant d'art, que J. J. Rousseau, lisant dans une feuille publique, un de ces singuliers pastiches qui lui était attribué, n'osa pas affirmer que la réponse n'était pas réellement de lui, tant l'auteur avait imité heureusement le style de Rousseau.[142]
[142] L'embarras et le doute de Rousseau ressemblent à ce que dut éprouver Voiture par l'espièglerie de Madame de Rambouillet. Il avait lu un sonnet de sa façon à un indiscret ami, qui le retint et en donna copie à la Marquise.
Celle-ci le fit imprimer et introduire dans un de ces recueils de vers, alors si nombreux. Quand Voiture vint réciter ce sonnet à l'hôtel, on lui montra le livre. Le sonnet imprimé et le sien étant tout un, le poète finit par croire que ces vers qu'il s'imaginait avoir composés, il s'en était ressouvenu seulement. On rit longtemps avant de le désabuser. ("Précieux et Précieuses," par Ch. L. Livet. 1 vol. 8º, p. 30. Paris, 1859.)
[Pg 196]
Dans les temps anciens on pourrait, peut-être sous un double rapport, ajouter comme pastiches, à ceux que nous avons cités dans l'introduction, le roman grec de Nicetas Eugenianus, "Les amours de Drosille et de Charicles." L'auteur avoue franchement qu'il ne vise pas à l'originalité, et qu'il ne fait qu'imiter Prodrome (auteur du 12me siècle), qui composa en vers ïambes irréguliers, le poème de "Rhodante et Dosiclès." En effet, Eugenianus copie scrupuleusement toutes les situations du roman de Prodrome, et de plus, dit Boissonnade, elles ne sont décrites qu'avec des centons malassortis d'Anacréon, de Théocrite, de Bion, de Moschus, et de Musée.
Les deux romans de "Théagène et Chariclée," par Héliodore, et de "Leucippe et Clitophon," d'Achille Tatius, doivent se placer dans la même catégorie. Tous deux ont[Pg 197] une ressemblance tellement frappante, qu'il est impossible d'y voir deux œuvres originales, et dont l'une ne soit pas le pastiche de l'autre. Mais lequel des deux est le plus ancien ouvrage, est une question non encore résolue d'une manière absolue.[143]
[143] Voir "Les Romans Grecs et Latins," par Victor Chauvin, in 12º. Paris: Hachette, 1864, et Boissonnade, "Critiques Littéraires."
Les pastiches latins sont assez fréquents aux 16me et 17me siècles, et c'est surtout à ces époques que l'on peut voir les intimes rapports qu'il y a, entre ce genre et les centons. Nous avons donné, dans un précédent ouvrage,[144] quelques renseignements sur des auteurs dont les écrits se rapprochent d'avantage du pastiche, que du genre dans lequel nous les avons classés. Ainsi, L'Anacreon Chistianus[Pg 198] que le jésuite Gilbert Jouin publia en 1634, et dont Titon du Tillet vante l'élégance, est un vrai pastiche, avec lequel voulut rivaliser, plus d'un demi siècle plus tard, le célèbre professeur de grec à l'université de Cambridge, Joshua Barnes, en publiant sous le même titre, deux odes anacréontiques, pour prouver, disait-il, que G. Jouin n'avait pas assez approfondi le rythme poétique et la langue du poète grec.
[144] "Revue Analytique des ouvrages écrits en centons, depuis les temps anciens, jusqu'au 19me siècle." Londres: Trübner, 1868.
Ce genre d'amusement était assez commun alors. Le jésuite Famino Strada inséra dans ses "Prolusiones Academicæ," des essais et des harangues, pastiches latins qu'il n'aurait eu qu'à supposer tirés de quelque vieille bibliothèque, en y ajoutant un commentaire, pour prouver l'identité de style avec celui des auteurs qu'il avait imités.[145]
[145] Il ne faut pas pousser trop loin les rapports, souvent intimes, qui existent entre l'imitation et le pastiche, sinon on arriverait à dire avec Macrobe, que Virgile dans sa description de la ruine de Troie, et de son cheval de bois, ne donne qu'un pastiche de Pisandre qu'il a copié assez littéralement. Il en serait de même du 4me livre de l'Enéïde, qui n'est guère qu'une décalque de l'amour de Médée pour Jason, dans le 4me livre des Argonautiques d'Apollonius. La couleur et presque tous les traits du tableau de la peste du 3me livre des Géorgiques sont pris dans la description qu'en a faite Lucrèce, dans son 6me livre.
Au commencement de l'Enéïde la tempête et les plaintes de Vénus à Jupiter sont une véritable imitation-pastiche du 1er livre de la guerre Punique de Nevius.
Ainsi parle Macrobe, qui continue cet examen pendant près de 250 pages in 8º, dans le 5me et 6me livres de ses Saturnales.
[Pg 199]
On est étonné du grand nombre et parfois du tour agréable de ces sortes d'imitation de l'antiquité profane, que la ferveur ascétique et la mysticité ont fait composer, dans la langue des auteurs grecs et latins, pendant plus de[Pg 200] deux siècles en France, en Italie, en Belgique et en Allemagne.
Le père Benardin Stephonio, dont les vers posthumes furent publiés à Rome, in 1655, et qui avait commencé par écrire, comme exercice, des imitations chrétiennes, en mètre et en rythme, anacréontiques, composa un excellent pastiche de Pervigilium Veneris, qui se lit encore aujourd'hui avec plaisir.[146]
[146] In Natalibus Christi noctem, Carmen trochaïcum, en voici le début:
Pour montrer combien il eût été facile à ces écrivains de tromper les lecteurs, nous pouvons citer l'anecdote que l'abbé Regnier Desmarais raconte lui-même dans ses Mémoires.[147]
[147] "Mémoires de Littérature" (par Sallengre), tome i., page 64.
[Pg 201]
"A mon retour en France, dit-il, je me mis à entretenir commerce de lettres avec diverses personnes en Italie, et particulièrement avec l'abbé de Strozzi, résident pour le roi, à Florence. J'écrivais toujours en italien. Or, ayant composé alors une ode, et l'ayant envoyée à l'abbé Strozzi, il s'en servit pour faire une tromperie à deux ou trois académiciens de la Crusca, de ses amis. Pour cet effet, il supposa que Leo Allatius, bibliothécaire du Vatican, lui avait écrit qu'en revoyant le manuscrit de Pétrarque, qui y est conservé, il en avait trouvé deux feuillets collés, et que les ayant séparés, il y avait trouvé l'ode qu'il lui envoyait. La chose parut d'abord difficile à croire, ensuite la conformité du style et des manières la rendit vraisemblable, et quand elle fut éclaircie, M. le Prince Léopold, protecteur de l'Académie de la Crusca,[Pg 202] auquel l'abbé Strozzi faisait voir toutes mes lettres, proposa à l'Académie de m'élire, ce qu'elle fit."
Dans un volume que nous croyons très rare et que ne possède pas le Musée Britannique, on rencontre des pièces de vers en latin, en français, en italien, en hollandais, parmi lesquelles se trouvent quelques pastiches de l'époque dont nous nous occupons.[148]
[148] "Lusus imaginis Jocosœ, sive Echus à variis poetis, variis linguis et numeris exculti." Ex bibliothecâ Theod. Dousæ, accessit M. Schoockii dissertatio de naturâ soni et echus.
Ultrajecti. Acad. Typog. 1638, in 8vo.
Ce ne fut pas la poésie seulement qui cultiva ce genre. Les vies d'Annibal et de Scipion qu'on trouve dans l'édition du Plutarque, publiée par Campanus, furent composées par Donat d'Acciaioli, son contemporain. Plusieurs écrivains ont de bonne foi cité ces vies comme étant de Plutarque.[Pg 203] Jean Rualdus, qui ajouta beaucoup de notes à l'édition de cet auteur, en 1624, imputa la supposition de ces biographies, à la malice d'Acciaioli. "Afin de donner plus de crédit à son ouvrage, dit-il, l'auteur débita qu'il avait traduit ces vies du grec de Plutarque."
Rualdus avait tort d'accuser le Florentin de vouloir tromper ses lecteurs, car dans une de ses lettres à Pierre de Médicis, il avoue qu'il n'a eu d'autre intention que de composer des pastiches, recueillis, dit-il, de divers auteurs grecs et latins.[149]
[149] Voir "Histoire de l'Académie Royale, des Inscriptions et Belles Lettres," tome iii. page 286, in 8vo. Amsterdam, 1731.
Dans une pièce anonyme qu'on peut lire au troisième volume des Mémoires de Littérature de l'abbé d'Artigny, qui a pour titre "Description du Château de Delphes," et[Pg 204] censée avoir été envoyée de St Pétersburg à un journaliste de Paris, Avril 1750, on énumère assez longuement les principales raretés que renferme la bibliothèque de ce château.
Or ces livres cités ne sont que des suppositions d'auteur; ainsi il mentionne les œuvres de L. Varius, ce célèbre poète tragique, dit-il, ami d'Horace et de Virgile, qui y sont en six volumes;[150] ce manuscrit est unique. On trouve encore dans cette bibliothèque, un "Pétrone complet en vingt-huit livres, et écrit en lettres rouges."
[150] Cette supposition d'un manuscrit de L. Varius, donna peut-être l'idée au médecin de Groeningue, Heerkins, de mettre sur le compte de ce poète latin, une tragédie de Progné, composée par un Vénitien du seizième siècle.
Il y a un mémoire intéressant de Aug. Weichert, intitulé "Dissertatio de Lucio Vario." Lipsiæ, 1829.
On pourrait parfois confondre le[Pg 205] pastiche et la parodie, comme dans l'exemple donné par Boileau, en imitation des vers de Chapelain, dont il imite admirablement la rauque et barbare harmonie. C'est là le pastiche critique ou satyrique que Rabelais a aussi employé avec succès dans son discours de l'écolier Limousin, pastiche des "Angoisses de Dame Hélisenne de Crenne,"[151] disent quelques commentateurs; mais plutôt du Champfleury de Geoffrey Tory, où l'on rencontre des phrases toutes semblables. Ne semble-t-il pas que Rabelais a voulu aussi faire un pastiche-parodie du "Triumphus Cæsareus," que Kirker a mis à la tête de son "Œdipus Ægyptiacus," et qui est composé de vingt-cinq langues, lorsque Panurge[Pg 206] dans son discours d'introduction à Pantagruel, emploie successivement quantité de dialectes dont plusieurs ne sont que du baragouin?
[151] Rigoley regarde ce nom comme un pseudonyme. Les ouvrages qui portent ce nom d'auteur, ne furent pas publiés avant 1538; or le second livre de Pantagruel, où se trouve ce discours, parut en 1532.
Le pastiche, la parodie et le centon se rapprochent souvent de telle manière, que la théorie du Recteur David Hopp, peut presque faire appliquer aux trois genres, ce qu'il dit de la parodie seulement: "Auctorum sententias ad dissimilia argumenta transferre, servatis quantum fieri potest, ipsorum verbis."
Giles Menage, auquel ses contemporains reprochaient d'être centoniste, parodiste et plagiaire, paraît s'accuser involontairement d'être tout cela, dans cinquante ou soixante pages de "l'Anti-Baillet."[152]
[152] Edition en 4to de 1728.
C'est surtout dans les temps modernes qu'on a employé cette imitation satirique du style, comme une œuvre[Pg 207] de critique littéraire; et comme étude, elle a son utilité et son mérite. L'on a souvent écrit qu'en fait de style, l'écrivain ne doit chercher à imiter personne, que chacun a son style à lui, d'après son tempérament et la tournure de ses idées. Il n'en est pas moins vrai qu'on ne perd jamais rien à chercher, en commençant à écrire, à prendre pour modèles les grands écrivains. Dans ce sens, s'essayer aux pastiches des auteurs célèbres, peut avoir son bon côté. Ce n'est jamais en vain que l'on s'approche de ces foyers de l'intelligence; il en reste sur la pensée et sur la forme qu'on lui donne, un mystérieux rayonnement. Aussi même les grands écrivains Balzac, Boileau, La Bruyère, et d'autres, n'ont pas dédaigné de s'amuser parfois à cet exercice. Outre la parodie de Racine auquel Boileau contribua, ce satiriste s'entendait[Pg 208] très bien aussi au pastiche véritable. Dans ses œuvres on en rencontre deux extrêmement bien faits. L'un d'après Balzac écrivant des Champs Elysées à M. le duc de Vivonne, au sujet de ses victoires, qui, dit-il, réveillent des gens endormis depuis trente ans, etc., l'autre, d'après Voiture, au même seigneur, aussi pour le complimenter sur ses hauts faits.
La Bruyère a composé un agréable pastiche d'après Montaigne, au chapitre cinq, "De la société et de la conversation."
"Je veux avoir mes coudées franches, et estre courtois et affable à mon point, sans remords ne conséquence. Je ne puis du tout estriver (lutter) contre mon penchant, et aller au rebours de mon naturel qui m'emmeine vers celui que je treuve à ma rencontre. Quand il m'est égal, et qu'il ne m'est point ennemy, j'anticipe sur son accueil, je[Pg 209] le questionne sur sa disposition et santé; je luy fait offre de mes services, sans tant marchander sur le plus ou sur le moins, ne estre, comme disent aucuns, sur le qui-vive.
"Celuy-là me deplaist qui, par la cognoissance que j'ay de ses coustumes et façons d'agir, me tire de ceste liberté et franchise. Comment me ressouvenir tout à propos, et d'aussy loing que je vois cet homme, d'emprunter une contenance grave et importante, et qui l'avertisse que je crois le valoir bien, et au de là; pour cela de me rementevoir de mes bonnes qualités et conditions, et des siennes mauvaises, pour en faire la comparaison? C'est trop de travail pour moy, et ne suis du tout capable de si roide et si subite attention," etc.
Au chapitre cinq "de la cour," La Bruyère a un autre passage en vieux style que M. Augier croit être aussi[Pg 210] un pastiche, mais l'auteur ne le donne pas pour une imitation de Montaigne, ainsi qu'il le fait dans celle que nous venons de citer. Walckenaer pense que La Bruyère donne ici une citation vraie.
Ne pourrait-on pas regarder comme un pastiche mal réussi, les "Essais dans le goût de ceux de Montaigne," composés en 1736 par le Marquis d'Argenson, réimprimés à Amsterdam en 1785?
Nous citerons plus loin d'autres pastiches d'après Montaigne, qui, avec Balzac, le grand épistolier, a été l'objet de fréquentes imitations de cette espèce. Une des plus élaborées d'après ce dernier écrivain, est "La Comédie des Comédies," composée des passages les plus ampoulés de Balzac, dont on cherche à faire ressortir le ridicule.[153]
[153] Cet opuscule publié sous le nom de Péchier, est très probablement de René Bary.
[Pg 211]
On se rappelle le bruit que fit, dans le temps, la querelle entre Madame Dacier et Lamotte sur la prééminence des anciens. Elle avait défendu Homère en style fort lourd et plein de pédanterie, et son antagoniste lui répondit dans ses "Réflexions sur la critique," avec une grâce et une politesse que d'Alembert qualifie de chef-d'œuvre d'élégance.[154] L'année qui suivit l'essai de Mme Dacier, "sur les causes de la corruption du goût," un anonyme publia à Paris, sous le même titre, un pastiche de cet essai, dans lequel il prétend que le véritable moyen de ramener le bon goût chez les modernes, est de revenir à l'étude de la cuisine chez les anciens. "Les peuples, dit-il, changent[Pg 212] leur goût moral, en changeant leur cuisine. Si les grecs modernes, malgré l'influence du soleil levant,[155] restent dans l'avilissement, c'est qu'ils ne se nourrissent plus à la manière de leurs ancêtres"[156]. Il conclut que, si l'on proscrivait la cuisine moderne en la remplaçant par celle d'Apicius, tous les Chapelains seraient des Homères, les Desmarets, des Virgiles, les poètes lyriques, des Pindares, les avocats, des Démosthènes.[157]
[154] "Eloge de Lamotte." Au sujet de cette querelle, voir le tome iv. de La Bibliothèque Française, de l'abbé Goujet, et Le Cours de Littérature de La Harpe.
[155] Mme Dacier avait parlé, de la renaissance du bon goût "chez les nations favorisées des regards du soleil levant," phrase dont les mauvais plaisants s'étaient égayés.
[156] Il est curieux de comparer cette idée émise en plaisantant, avec le système sérieux de M. Taine, dans son "Histoire de la Littérature Anglaise," sur l'influence exercée par la nourriture sur les idées littéraires d'Angleterre.
[157] On trouve l'analyse de ce pastiche-critique dans "Le Chef-d'œuvre d'un inconnu," tome ii. page 464.
[Pg 213]
La même année que parut l'attaque de Mme Dacier, fut publié pour la première fois, par de Saint Hyacinthe, "Le Chef-d'œuvre d'un inconnu." Cette satire peut être considérée comme une réunion de divers pastiches des commentaires niais et sans fin du 17me siècle, qui égaraient l'esprit et corrompaient le goût. Souvent en effet, les Burmann, les Scaliger, les Schoppius, et autres s'emparaient de l'ouvrage d'un ancien, moins pour en éclaircir le sens, que pour faire un vain étalage d'érudition et de pédanterie. Un des plus curieux exemples de ces sortes de commentaires, lequel Palissot a présenté comme la véritable source du "Chef-d'œuvre d'un inconnu," est un traité latin sur le "Cantique des Cantiques," où le moine flamand Titelman emploie trois cents pages de petit texte très serré, pour nous donner des explications saugrenues et indécentes, sur le poème[Pg 214] hébreux. Toutes les fictions étaient pour ces savants des emblèmes ingénieux qui, sous des dehors bizarres, cachent les secrets les plus mystérieux de la nature, les préceptes les mieux raisonnés de la morale et les plus utiles maximes de la politique.[158]
[158] "Chef-d'œuvre d'un inconnu," tome i. page 324, de l'édition, donnée par Leschevin, et qui a effacé toutes les autres.
Il existe plusieurs imitation-pastiches de cet ouvrage, comme on peut en voir les détails dans les notes du second volume.
Cervantes, dans sa préface de Don Quichotte, a aussi tourné en ridicule, comme Saint-Hyacinthe, les commentateurs et leurs notes marginales, leurs citations et leurs folles imaginations.
L'abbé Galiani, l'ami intime de Madame d'Epigny, réussit aussi très bien à se jouer des savants par des pastiches. Il publia à Naples un recueil, contenant un certain nombre de pièces attribuées aux académiciens[Pg 215] de cette capitale, et où il avait singé, avec un rare bonheur, leur manière d'écrire. Comme c'était un éloge funèbre du bourreau, le public fut d'abord étonné, mais la mystification fut aussitôt avouée aux applaudissements universels.
Un pastiche de la plaisanterie de Sénèque sur la mort de l'Empereur Claude, a été inséré, par un anonyme, dans l'histoire de Pierre de Montmaur, par de Sallengre. Il est intitulé "Monmor Parasitosycophantosophistœ Ἀποχραποθἐωσις" c'est à dire: la Marmitodéïfication de Montmaur. Cette pièce latine n'a rien de commun avec la Métamorphose de Gomor en marmite, que l'on trouve dans le même recueil, et qui est l'œuvre de Dalibray.
L'abbé Desfontaines que la colère de Voltaire a trop fait déprécier, a composé un pastiche-critique amusant des harangues officielles de l'Académie[Pg 216] Française,[159] dont il fit ressortir l'enflure et le ridicule.
[159] Discours de remerciement prononcé par Messire Christophe Mathanasius, lorsqu'il fut reçu à l'Académie Française.
L'imitation d'une ancienne tragédie latine composée au 16me siècle, comme amusement littéraire, par Gregorio Corrario, vénitien, protonotaire apostolique, trompa si bien un pauvre savant hollandais, Nicolas Heerkens, qu'il crut cette pièce composée par Lucius Varius, poète tragique du temps d'Auguste. Il avait reçu le manuscrit d'un religieux d'un couvent d'Allemagne où il avait fait un voyage. On douta de cette origine sans raisons suffisantes, nous semble-t-il; et, parceque Heerkens fit plusieurs tentatives pour faire imprimer cette tragédie comme une pièce ancienne inédite, tandis que l'abbé Morelli découvrit qu'elle avait déjà été imprimée en 1558, on accusa[Pg 217] le savant hollandais de vouloir mystifier le public. A notre avis, c'était lui qui était le mystifié, et en lisant les détails de cette affaire dans le 3me vol. des Mêlanges de Chardon de la Rochette, nous ne pouvons que plaindre Heerkens de n'avoir pas su qu'un Vénitien s'était amusé à composer une tragédie latine à l'imitation des anciens.
A propos de pastiche de tragédie, rappelons celle d'Iphigénie de M. M. Leclerc et Coras, où les auteurs ont suivi pas à pas la tragédie du même nom, que Rotrou avait donnée trente-cinq ans auparavant.
En comparant les deux pièces, on voit qu'ils ont employé les mêmes situations, la même marche, souvent les mêmes pensées.
Patin, dans "Etudes sur les tragiques grecs," dit que cette triste Iphigénie, pour laquelle ils se disputèrent tous deux, ressemblait trop à celle de[Pg 218] Rotrou, pour qu'ils y eussent droit l'un ou l'autre.
On connaît l'épigramme de Racine:—
Parmi les hommes de talent qui, par une pure fantaisie, ont employé leur plume à imiter le style des grands écrivains, il faut placer Nicolas Chatelain. Ce littérateur, né à Rotterdam en 1769, se fit naturaliser en Suisse, et fixa sa résidence à Rolle, dans le canton de Vaud, où il mourut vers le milieu de notre siècle. Il nous a laissé deux collections de pastiches,[160][Pg 219] où une vingtaine d'auteurs sont très spirituellement imités et critiqués.
[160] 1º, "Pastiches, ou imitations libres de style de quelques écrivains des 17me et 18me siècles." 1 vol. in 8º. Paris: Cherbuliez, 1855.
2º, "Lettres de Livry, ou Madame de Sévigné, juge d'outre-ridicule." 8º. Genève, 1835.
Dans les lettres de Livry, il renferme dans un cadre fictif, ses propres idées, et il les exprime dans un style très rapproché de celui de modèle.
Ce jeu d'esprit a reçu son titre de la délicieuse campagne de Livry, où Mme. de Sévigné est supposée se retirer pour rendre compte tout à son aise, à Mme. De Grignan, avec l'aide de son fils et de Corbinelli, des ouvrages nouveaux.
Chateaubriand a une grande part dans cette satire spirituelle du style moderne.
Quérard, à l'article Sévigné, dit que cette publication est un pastiche, sans être une mystification, puisqu'on y[Pg 220] fait l'analyse d'ouvrages de l'époque actuelle, et il l'attribue à N. Chatelain. Toutefois M. Rostain, le savant bibliophile de Lyon, n'est pas éloigné de croire qu'il est l'ouvrage de feu M. Gaultier, professeur distingué de Genève, où cette brochure a, selon toute apparence, été composée.[161]
[161] Elle se compose de 103 pages. Imprimée à Paris en 1835, elle est devenue fort rare, et mériterait d'être réimprimée.
La première des quinze lettres que renferme ce recueil commence ainsi:—
"Voilà qui est dit, ma fille, j'y consens: pour satisfaire à votre curiosité, et amuser votre paresse, je vous enverrai, à fur et à mesure qu'ils paraîtront, des extraits de tous ces ouvrages nouveaux et si bizarres qui nous poursuivent. Vous jugerez des pensées et du style, et par cela même des auteurs.
"M. De Pomponne en prit l'autre[Pg 221] jour un hoquet à force de rire; nous crûmes le perdre pour ce chien de livre."
Dans la troisième lettre, elle raconte une visite qu'elle a faite à M. De Sainte Beuve, célèbre casuiste, qui occupa en 1643, une des chaires royales de théologie, et qui était lié avec ce que l'école de Port-royal renfermait d'hommes les plus méritans.
"Je le trouvai les mains jointes, dit Mme De Sévigné; quand il me vit, il s'empoigna la tête, et me dit, Madame, vous connaissez tous mes chagrins; j'ai un neveu qui fait des romans, et quels romans!"
Là-dessus il examine le style de Volupté, du Sainte Beuve du 19me siècle, et après avoir lu le portrait de religieuse que l'auteur y décrit, il ajoute, "Il n'est pas permis d'écrire ainsi. Un visage macéré avec un éclair d'aurore inaltérable; une créature dont la chair est[Pg 222] contrite, et puis un suaire qui illumine, un amoureux sourire intérieur qui ne dissipe jamais le perpétuel nuage!"
La lettre continue ainsi et finit par la critique des poésies de Joseph Delorme et des Consolations.
La quatrième lettre expose les plaintes que fait Guez de Balzac, de son fils naturel qui, dit-il, fait des Scènes de la vie privée, par douzaines, et détruit la langue par ses tours et ses expressions étranges.[162]
[162] Il est curieux de comparer à plus de trente ans de distance, cette opinion sur le style de Balzac, avec celle de H. Taine, dans ses "Nouveaux Essais de Critique." Elle est singulièrement sévère: "Son style choque ou étourdit, dit-il, c'est un artiste violent, malade, hors de qui les idées font péniblement explosion en style chargé, tourmenté, excessif," etc.
Dans deux autres lettres bien imitées, Victor Hugo est moins maltraité que Sainte Beuve et Balzac, et les dernières plaisantent d'une manière[Pg 223] très agréable, sur les expressions et les tendres sentiments de M. de Chateaubriand pour Mme. de Récamier.
Il est à regretter que N. Chatelain n'ait pas inséré dans son recueil de Pastiches et imitations libres, une autre lettre de Mme. de Sévigné, publiée en 1829, sous le titre de "Visite de Mme. de Sévigné, à l'occasion de la Révocation de l'Edit de Nantes." C'est un tour de force vraiment remarquable, car il est impossible de mieux imiter le style.
Deux nouvelles lettres pastiches du même auteur, sur cet axiome politique, "Il faut mater le peuple par la prospérité," ont été publiées en 1839, dans un opuscule intitulé La Muselière.
Chatelain rappelle, dans un appendice, que Mlle. Lespinasse, cette charmante lectrice de Mme. du Deffand, a ajouté deux chapitres pastiches au voyage sentimental de Sterne. Elle y célèbre avec grâce et bonheur deux[Pg 224] bonnes actions de cette dame. Ces chapitres ont été insérés dans les œuvres posthumes de d'Alembert.
On se rappelle la vogue qu'eurent durant la première moitié de ce siècle, les Mémoires du fameux Prince Eugène de Savoie. Les faits y sont si bien exposés (comme aurait pu le faire le héros qui humilia si fort Louis XIV.) que le public s'y laissa prendre d'abord, mais la supercherie fut découverte par Fontanes, et aussitôt avouée par le Prince de Ligne.
En donnant à son tour un recueil de pastiches de quelques grands écrivains, le Marquis du Roure exprime, après chacun des sept morceaux qu'il compose, son jugement sur l'original, afin de montrer le mécanisme, si nous pouvons employer ce mot, de ces sortes de compositions.[163]
[163] "Réflexions sur le Style Original."
Ce livre est extrêmement rare, n'ayant été tiré qu'à soixante exemplaires pour être distribués aux personnes dont le nom est imprimé en tête de chaque exemplaire.
[Pg 225]
"L'originalité, dans l'acception littéraire, ne saurait être un mérite en soi, dit l'auteur, car elle tient souvent à certains défauts de l'écrivain, à ce qu'on nomme dans les arts, soit de l'esprit, soit de la main, la manière. Il perd ou néglige la trace des vrais modèles, pour faire autrement qu'eux.
"De là vient que les pastiches les plus habilement dessinés, déguisent les beautés de l'original, au lieu de les reproduire, parceque ces pastiches, étant faits d'après des parties saillantes, c'est à dire, défectueuses, réunissent en faisceau des défauts qui, dans le type, sont du moins entremêlés de beautés véritables."
Voici son opinion sur La Bruyère: "Des ridicules extérieurs, et souvent[Pg 226] des circonstances puériles, choisis de préférence, pour représenter un caractère; l'affectation de terminer ses tableaux par un trait inattendu, des réticences, des détours, des oppositions de mots; enfin, ce style prophétique qu'il faut souvent deviner, comme le disait Boileau, du style de La Bruyère, voilà ce que j'ai imité. Il y a de tout cela chez le peintre des Caractères, mais ce n'est pas là ce qu'on admire dans le portrait d'Irène, au chapitre de l'homme; dans celui d'Antisthène, au chapitre jugements; dans celui d'Emire, au chapitre des femmes; en un mot, ce n'est pas là ce qui met La Bruyère au premier rang des moralistes et des écrivains."
Après le pastiche d'après J. J. Rousseau, il ajoute:
"On peut reconnaître dans l'auteur de l'Héloïse à la multiplicité des antithèses,[Pg 227] à des sentiments paraphrasés, enfin à un certain arrangement artificiel de mots, que son feu part de la tête, plutôt que de l'âme; qu'il ne se perd pas de vue dans ses plus fortes émotions; enfin qu'il est encore sophiste dans ses épanchements, et c'est par là que nous l'avons trouvé soumis aux contrefacteurs."
Ces remarques sont très propres à bien faire comprendre la théorie du pastiche, comme amusement littéraire.[164]
[164] Si dans les exemples qui suivent, le pastiche a souvent la forme, soit de la parodie, soit du centon, c'est qu'il est souvent difficile d'éviter la confusion des trois genres. C'est ainsi que Théodore Zuinger, dans son vaste travail encyclopédique intitulé "Theatrum humanæ vitæ" (5 vol. in fol.), les fait descendre tous, des rapsodes grecs: "Epici olim, dit-il, sua carmina recitabant et interpretabantur, donec rapsodi hoc munus invasêre, et Homeri primum, mox cæterorum poetarum illustrium simias se professi sunt, et ex iisdem centones consuerent. Digressis enim rapsodis et recitationem intermittentibus, lusus gratiâ, prodibant parodi qui omnia à rapsodis pronunciata, cum risu, inverterent, et præter rem seriam propositam, alia ridicula subinferrens. Ergo ut satyra ex tragœdia, mimus è comedia, sic parodia et centones, de rapsodia nati sunt."
[Pg 228]
Une brochure de 52 pages, publiée à Lyon, en 1810,[165] y occasionna quelque scandale, comme pastiche d'un véritable compte-rendu, mais où l'on avait imité le style, et entremêlé des remarques et des réflexions d'une critique très plaisante, sur les compositions littéraires de plusieurs auteurs Lyonnais de l'époque, prosateurs et poètes.
[165] L'Académie de Lyon en 1809, ou analyse raisonnée du compte-rendu des travaux de cette Académie.
Une critique-pastiche du même genre, mais d'une plus haute portée, et très sévère pour plusieurs des noms célèbres du commencement de notre[Pg 229] siècle, parut en 1821, sous le titre de "L'Elysée, ou quelques scènes de l'autre monde." On l'attribue à Cadet de Gassicourt.
Le sujet est Napoléon I. paraissant devant le tribunal qui juge les rois, et la description de la séance extraordinaire de l'Académie Elyséenne, à l'occasion de l'admission de Napoléon au nombre des immortels.
Une idée assez originale, c'est que les ombres de tous ces grands personnages sont sous la condition imposée par le destin, de ne plus rien dire de nouveau. Ce qui fait que pour ne pas repenser sans cesse (comme s'exprime Mercier, à la page 44), elles puisent leurs discours dans les productions contemporaines, dont elles reproduisent les formes et les idées.
Ainsi Mercier, dans une conversation avec Mme De Staël, veut lui faire un compliment et lui dit, "Vous vous[Pg 230] avancez comme l'aurore, votre bouche est comme une grenade entr'ouverte, et vos yeux sont purs comme les piscines de l'Hésébon. Vous êtes brillante comme une des roses mystiques sur un trône de candeur, semblable à la galère athénienne chargée de porter les présents sacrés de Cérès. O! je vous en conjure par les chevreuils des montagnes, soutenez-moi avec des fleurs et des fruits, car mon âme s'est fondue à votre voix."[166]
[166] Les Martyrs, et le Génie du Christianisme, passim.
Dans le discours prononcé par Mme De Staël devant l'Académie, elle fait un brillant panégyrique de Napoléon, en imitant les formes de ses "Considérations sur les Révolutions."
Après plusieurs autres discours satiriques, cette séance de l'immortelle Académie est terminée par des couplets, des cantates et des chants d'apothéose[Pg 231] des écrivains les plus plats et les plus flagorneurs, de la littérature du premier empire.
L'emphase, souvent exagérée, de Chateaubriand, a naturellement donné lieu à de faciles pastiches. Un des plus amusants est, "L'Itinéraire de Pantin au Mont Calvaire,"[167] qui fut lu par toute la France, à cette époque, et dont la lecture, même aujourd'hui, est encore très plaisante.
[167] "Itinéraire de Pantin au Mont Calvaire, en passant par la rue Mouffetard, le Faubourg St Marceau, ceux de St Jacques et de St Germain, les Quais, les Champs Elysées, etc., etc.; ou, Lettres inédites de Chactas à Atala, ouvrage écrit en style brillant, et traduit pour la première fois du Bas-Breton," par M. De Chateauterne. In 8vo de 220 pages. Paris, 1811.
"Souvent aux rayons de la lune qui alimente les rêveries, au bord du ruisseau où les blanchisseuses de mon pays rendent à leur linge sa blancheur première, je croyais voir le Génie des[Pg 232] souvenirs assis pensivement à mes côtés. Triste, mollement étendu sur une botte de paille, ressemblant à un jeune homme assis sur les bords d'un volcan, je voulais entretenir ceux qui m'environnaient; toutes mes promenades étaient muettes. Vastes déserts des hommes, bien plus tristes que ceux des bois, vous ne disiez rien à mon cœur. La parole distraite se perdait sur ma langue immobile. Une grande âme doit contenir plus de chagrin qu'une petite, et je n'étais occupé qu'à rapetisser ma vie."
Un jour Chactas veut mourir, mais une lettre d'Atala le sauve.
"Je disais au monde un éternel adieu, quand j'aperçus venir de loin le facteur du village, semblable au Génie des airs, secouant sa chevelure bleue, embaumée de la senteur des pins; il s'avançait, heureux messager.
"Que me remit-il? une lettre d'Atala![Pg 233] à moi, qui depuis des siècles ne lisais plus pour m'amuser, qu'Homère et la Bible; qui cherchais à fondre dans les teintes du désert, et dans les sentiments particuliers de mon cœur, les couleurs de ces deux grands et éternels modèles."[168]
[168] Ce pastiche a de la ressemblance avec la critique qu'on trouve dans "Saint Géran, ou la nouvelle langue française," et dans "La suite de Saint Géran, Itinéraire de Lutèce au Mont Valérien," ouvrage dont nous avons parlé dans l'Essai sur la Parodie. Toutefois ceux-ci rentrent plutôt dans la classe des centons, que l'Itinéraire de Pantin, où l'on imite le style et les formes de langage, sans copier toujours les phrases mêmes.
Parmi les innombrables académies que vit briller l'Italie, se distingue celle des Arcades. Les membres cultivaient beaucoup le pastiche. Un d'eux, savant recommandable à bien des titres, Valperga de Caluso, fit imprimer à Turin, en 1813, deux épîtres d'Horace, adressées à l'Empereur[Pg 234] Auguste. Dans la première, l'auteur déplore la mort de Mécène; l'autre est une espèce de protestation contre certaines théories littéraires. La prudente loyauté de Valperga s'épargna la supposition, si commode et si commune, d'un vieux manuscrit récemment découvert, et ne se cacha point d'avoir composé un pastiche que l'on était disposé à croire authentique, tant il était bien fait.[169]
[169] Voir "Une imposture littéraire," page 24. Nous avons déjà cité cette rare plaquette.
Dans les premières années de ce siècle, M. Ménégault publia sous le nom d'Angélique Rose Gaetan, un pastiche, tour de force original. Les 522 vers dont se compose le Mérite des femmes, par Legouvé, sont appliqués, avec identiquement les mêmes rimes, au Mérite des hommes.[170]
[170] Ce poème de Legouvé a souvent été soumis à la critique des pastiches et des parodies, tels que Le Démérite des femmes, par Pelletier; le Mérite des femmes travesti, etc. etc.
[Pg 235]
"La raison de ceci, dit malicieusement l'avant-propos, c'est que n'ayant pu trouver un dictionnaire de Richelet, dans tout mon département, et n'étant guère maîtresse de la rime, j'ai tout uniment suivi celles du Mérite des femmes."
Le lecteur a vu, dans la première section, des pastiches pris pour des compositions anciennes, mais qu'un écrit auquel l'auteur a mis son nom, soit regardé comme l'œuvre d'un antique grammairien, c'est ce qui est plus rare. Boissonnade, en rendant compte, dans ses Mêlanges, de la traduction en prose de l'Iliade, par le Prince Lebrun, raconte que le traducteur mit à son livre un discours préliminaire en grec, qui aurait fait beaucoup d'honneur à un helléniste de profession, et que, trompé par l'archaïsme[Pg 236] de ce morceau, un anglais écrivit une dissertation pour prouver que c'était là évidemment une composition antique.
La même chose aurait pu facilement arriver à M. Victor Leclerc lorsqu'il publia en grec de bon aloi (en 1814), son poème grec de Lysis, trouvé sous les ruines du Parthénon, et traduit en vers français décasyllabes; mais il avoua qu'il en était l'auteur, à ses amis, et joignit au poème, une traduction en vers du Pervigilium Veneris.
En France, Rabelais et Montaigne ont très souvent été le sujet de pastiches, comme on a pu le voir ci-dessus; donnons-en encore deux exemples de notre époque.
Ch. Nodier, dans l'Histoire du Roi de Bohème, à l'article Navigation, décrit ainsi la position de Tombouctou:—
[Pg 237]
"... Des Tombuctiens rien ne vous sera présentement narré en ceste magnificque et seignieuriale histoire, que ne treuviez jà grabelé aux livres de Navigaige. Toutesfois n'en croyez mie ce fol ravasseur de Claude Ptolémée géographe, car il ne dégoise de Tombouctou que gaffes, bourdes, trupheries, gaberies Lucianicques, et phantasies abhorrentes à nature, telles que hommes cacamorphes et Siléniens à la queue de six empans. Mercy de dieu, que n'en avez vous de tant suppellative amplitude, vous aultres paillards de plat païs. Tombuctiens sont gens à priser entre tous humains, frisques, guallants, coquarts, bien advenants en leur maintien, bien advantagéz en nez, idoines à tous jeux plaisants, bons rencontres et honnestes devis, et voulentiers aymants mieulx cent messes dictes, qu'un voyrre de vin bu.
[Pg 238]
"Au demourant, féaulx subjects, beaux payeurs d'imposts, et furent aussy bons chrétiens que le fustes oncques."
Quant à Montaigne, le comte de Peyronnet, un des ministres de Charles X. en fit un pastiche des mieux réussis, durant son imprisonnement.[171]
[171] Pensées d'un prisonnier. 2 vol. in 12º. Bruxelles: Dumont, 1834.
Ce livre plein d'une noble philosophie pratique, et d'un style pur et correct, sera toujours lu avec plaisir.
"Au temps que je fis un précédent chapitre sur la solitude, poinct ne m'advisai-je que c'estoit une thèse double, et un subject à deux faces. De la volontaire, bien argumentai-je assez pertinemment et abondamment. De l'involontaire, je n'en dis mot, et ne scais pourquoy. Si est ce que la dernière a bien aultrement besoing d'admonition et de rencofort.
[Pg 239]
"Aujourd'huy le veulx amender. Ces forcenées discordes m'y ont faict songier, qui mettent tout en branle et en combustion. Vray est qu'on ne peult meshuy assurer de rien, et que tel sommeille bonnement chez soy, n'ayant faict à aulcuns ni tort, ni dommage, qui à l'adventure en sera osté à son réveil et mis en la geole, avec force maltraictement et pilleries en sus. Sera-ce rayson qu'il s'aille pour cela, désoler et pendre? Je me suis tasté et exprouvé l'esprit en ce subject n'y a guère, et tiens-je pour seure que de ceste incommodité là, il en soit comme de plusieurs ses pareilles, lesquelles tant plus on les envisaige de loing, tant plus vous semblent-elles oultrageuses. Mais que ne soyez assez fol pour laisser prendre et enserrer vostre esprit, de mesmes temps que vostre personne; bien vous veulz-je estre pleige et caultion que le[Pg 240] reste vous sera tellement quellement légier à souffrir. L'essentiel est que l'âme soit libre. Gaignier ce poinct là, c'est ville gaignée; et est comme il fault faire nargue à vostre geolier, ne luy laissant de son prisonnier que la moindre part, en luy robbant l'aultre."
Nous avons vu plus haut comment Chatelain, dans ses Lettres de Livry, avait critiqué le style de Sainte Beuve, qui, dans son roman Volupté, n'avait pas encore atteint la vigueur montrée depuis dans ses Lundis. Balzac, dans une de ses nouvelles, "Un prince de la Bohème," fait aussi la satire de ce langage précieux. Nathan esquisse le portrait d'un raffiné, en se tenant toujours dans les eaux de Monsieur de Sainte Beuve, dit Balzac: "On voit dans cette existence une vie dégagée, mais sans point d'arrêt. Ce n'est plus le velouté de la fleur, mais il y a du[Pg 241] grain desséché plein, fécond, qui assure la moisson d'hiver.... Ne trouvez-vous pas que ces choses annoncent quelque chose d'inassouvi, d'inquiet, ne s'analysant pas, ne se décrivant pas, mais se comprenant, et qui s'enflammerait en flammes épaisses et hautes, si l'occasion de se déployer arrivait? C'est l'acedia du cloître, quelque chose d'aigri, de fermenté dans l'inoccupation croupissante des forces juvéniles, une tristesse vague et obscure... "Assez! assez! s'écria la Marquise impatientée; vous me donnez des douches à la cervelle!"
Après une autre tirade dans le même genre, la Marquise demande: "Ah! çà, mon cher Nathan, quel galimatias me faites-vous là?" "Madame, répondit Nathan, vous ignorez la valeur de ces phrases précieuses; je parle en ce moment le Sainte Beuve, une nouvelle langue française."
[Pg 242]
Balzac ne s'attendait guère à être traité de la même façon, et à plus juste titre peut-être, si l'on en croit la critique de M. Taine.[172]
[172] Nouveaux Essais de critique et d'histoire, page 63, où une très sévère analyse est faite du style de Balzac.
En 1833, M. De Latouche publia une édition des poésies d'André Chénier, augmentée de pièces inédites et posthumes. A cette occasion, le célèbre chansonnier Béranger prétendit, d'abord de bonne foi sans doute, ensuite par entêtement, que la plupart des poésies d'André Chénier étaient de De Latouche, et il répétait sans cesse cette opinion extraordinaire. Il est vrai que De Latouche nia; mais la fatuité n'était pas son moindre défaut, et il laissa entrevoir qu'il avait beaucoup paré son poète, pour le montrer au public.
Ce peu de franchise dans la dénégation[Pg 243] confirma l'idée de Béranger, qui n'avait jamais été initié par ses études à la belle antiquité, et il ne vit plus désormais dans Chénier, que des pastiches par De Latouche. Confondre ainsi ces deux écrivains, c'était faire preuve d'un goût douteux en poésie.[173]
[173] Voir la préface de l'édition critique des œuvres d'André Chénier, par M. Bec de Fouquières, 1 vol. gr. in 8º. Paris: Charpentier, 1862; et une note de Sainte Beuve, dans le Chateaubriand, tome ii. p. 303.
Si Béranger voulait voir un pastiche dans les vers d'André Chénier, Napoléon III a été accusé de n'avoir rien inventé et d'avoir tout pastiché, comme écrivain, comme politique, et comme socialiste, par M. Jules Clartie, dans son ouvrage "L'Empire, les Bonapartes et la Cour," où, en parlant de la fameuse théorie des hommes providentiels, mise en avant dans la "Vie de César," il montre qu'elle est empruntée[Pg 244] tout au long à Hegel, dans son écrit sur Jules César, et sur sa mission dans le monde.
On a composé en France plusieurs ouvrages d'assez longue haleine, qui sont de véritables pastiches, tels que les Contes drolatiques de Balzac, dont le style, les formes et les idées de Rabelais sont imités avec une certaine affectation, "car, dit-il, dans une de ses historiettes, on treuve éternellement dans ses escripts resplandissants, ceste bonne philosophie à laquelle besoing sera de toujours recourir."
Deux fois la plume facile de Jules Janin s'est exercée, avec succès, à cette sorte de plaisanterie, dont la difficulté augmente en raison de la longueur des œuvres que l'on imite.
"L'âne mort et la femme guillotinée," est un pastiche-critique sanglant des romans à sensation, et il en développe le motif dans sa préface: "Je[Pg 245] dois à la critique, pour m'excuser de l'affreux cauchemar que je me suis donné à moi-même, d'expliquer que, pour n'être pas dupe de ces émotions fatigantes d'une douceur factice, dont on abuse à la journée, j'ai voulu m'en rassasier une fois pour toutes, et démontrer invinciblement aux âmes compatissantes, que rien n'est d'une fabrication facile, comme la grosse terreur. Dans ce système, il faut voir avec les yeux du corps, bien plus qu'avec ceux de l'esprit, pour être dans le vrai. Ainsi je choisis par exemple un vaste emplacement ténébreux, sur le bord d'un précipice, ou sur le haut de quelque montagne; je creuserai autour un large fossé que le temps a rempli d'une boue noire et verte; sous ce fossé je placerai une prison féodale aux murs suintants, où je logerai à mon gré des forçats, des sorcières, des bourreaux, des cadavres, et autres[Pg 246] agréables habitants bien digne de cet Eden."
L'autre pastiche de J. Janin était plus audacieux, car il faut avoir les reins forts pour imiter Denis Diderot, le père de Jacques le Fataliste et de l'Encyclopédie. Et cependant le volume, où il raconte les dernières années de la vie du Neveu de Rameau, est, pour l'imagination et pour le style, d'une vérité qui fait illusion d'abord. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de le citer ici, au lieu de le placer au rang des suppléments d'auteur.
Dans aucun de ceux-ci les écrivains ne se sont astreints à une aussi rigoureuse imitation du style de leurs modèles; ce qui en fait un véritable pastiche,[174] et en même temps un livre qu'on[Pg 247] lit avec plaisir, jusqu'à la dernière page.
[174] La fin d'un monde et du Neveu de Rameau. 1 vol. in 12º. Paris: Collection Hetzel, 1861. Cet ouvrage est épuisé depuis longtemps.
Tout le monde sait le bruit que fit en 1807, la découverte de P. L. Courier, dans la Bibliothèque Laurentienne, à Florence, d'un manuscrit de la pastorale de Longus. Il contenait un passage assez long, resté jusqu'alors inconnu.
P. L. Courier fit tirer en 1810, soixante exemplaires seulement de la version d'Amyot, de cette pastorale, dans laquelle il introduisit une traduction du fragment nouvellement découvert, pastiche si parfait du premier traducteur, que très peu de lecteurs pourraient reconnaître l'interpolation sans avoir été prévenus.
Rappelons aussi un pastiche à peu près du même genre, composé par un autre érudit du premier ordre.
M. Littré, voulant montrer que le [Pg 248]français du 12me siècle était plus capable de reproduire Homère, dans une langue plus conforme au génie de l'antiquité, que le français moderne, traduisit le premier livre de l'Iliade, dans le français de cette époque. C'est un ingénieux tour de force.[175]
[175] Voir "La Poésie Homérique et l'ancienne Poésie Française," dans la Revue des deux Mondes, du 1er Juillet 1847.
L'amusement littéraire du pastiche a été cultivé en Angleterre, surtout comme satire, tantôt en adoptant un nom ancien, tantôt en imitant, d'une manière outrée, le plan et le style d'ouvrages modernes, ce qui donne à ces compositions un air de parodie.
On en trouve, entr'autres, deux exemples amusants dans le recueil célèbre de Poetry of the Anti-Jacobin, extraits d'une publication hebdomadaire de la fin du siècle dernier, remplie de satires politiques et jeux d'esprit,[Pg 249] des hommes les plus célèbres de l'époque.
M. R. Payne Knight ayant publié un poème didactique en six livres, intitulé "The Progress of Civil Society," le fameux Canning et ses amis, en firent un pastiche-parodie, accompagné de notes critiques et philosophiques, sous le titre de "The Progress of Man."
Vers le même temps un Docteur Darwin publia "The Loves of Plants and Economy of Vegetation," dont on fit les plus magnifiques éloges, et que le même Canning et son collègue Frère parodièrent dans un poème ridicule, "The Loves of the Triangles."
Dans le même genre est une brochure, aujourd'hui très rare, et imprimée à Oxford en 1865, sous le titre de "The Dynamic of a Particle, with an Excursus on the New Method of Evaluation as applied to π."
[Pg 250]
L'introduction est très originale; nous en donnerons un extrait dans nos REMARQUES de la fin du volume.
En Angleterre, le pastiche prenait généralement les allures de la parodie, comme on peut le voir dans notre essai sur ce dernier genre, où les pièces du Bon Gaultier, par le poète Théodore Martin, et celles publiées par le pamphlétaire Hone, sont de véritables pastiches.
De notre temps, c'est encore, en prenant la satire pour guide, que Thackeray a fait le pastiche de la manière et du style de plusieurs romanciers renommés.[176]
[176] "Novels by Eminent Hands."
Le pastiche-parodie de Harry Lorrequer, par Charles Lever, est surtout une pièce inimitable. A propos de pastiches des romanciers en Angleterre, rappelons pour mémoire ceux de la célèbre Aphra Behn, qui donna comme authentiques les lettres de ses amants de Flandre, qu'elle employa dans la composition de ses romans. La fraude était évidente de la part de celle qui s'était inventé un mari imaginaire; aussi personne ne s'y laissa prendre.
Voir la nouvelle édition qu'on vient de publier des œuvres d'Aphra Behn, 6 vol. in 8º. Londres: Pearson, 1871.
[Pg 251]
La manière de Sir Bulwer Lytton, de Lever, de James et de D'Israéli est si fidèlement imitée, qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître immédiatement la forme de la pensée et le style des originaux, sauf l'exagération requise pour en faire la critique.
Un auteur américain a adopté le même moyen pour faire la satire des romans d'écrivains français, et tour à tour M. Bret Harte a appliqué la férule sur Alexandre Dumas, Victor Hugo, Michelet, aussi bien que sur Ch. Dickens, Charlotte Bronté, Wilkie Collins, et autres. Seulement, comme il est d'habitude en Amérique d'outrer toute chose, Bret Harte s'est abandonné à la parodie.
[Pg 252]
En 1862, Sir G. C. Lewis publia, sous le nom de Joannes Brownius, un pastiche très bien fait et trop peu connu, des explications que donnent souvent les antiquaires, d'antiques inscriptions trouvées en Italie et ailleurs.[177]
[177] Inscriptio Antiqua in Agro Bruttio nuper Reperta; edidit et interpretatus est Johannes Brownius, A. M. Ædis Christi quondam alumnus. Oxonii, in 8º de huit pages.
L'auteur présente d'abord tous les détails de la manière qu'eut lieu la découverte de cette inscription composée de six lignes, ne contenant chacune qu'un seul mot. En voici deux des plus longs:
THECOWIUMPEDOVERTHEMOON
TOSEESUCHFINESPORT.
Vient ensuite l'explication savante, tirée du latin combiné avec le grec, et[Pg 253] prouvant que la pierre indiquait le lieu où se faisaient des sacrifices expiatoires.
Cette explication est pleine du humour anglais.
La Belgique présente aussi quelques exemples du pastiche satirique. A l'époque où Victor Hugo était à l'apogée de sa gloire, et avant qu'on eut reconnu les pieds d'argile du Colosse, après la publication de son galimatias sur Shakespeare, de ses chansons des bois et de sa fameuse lettre aux Allemands, lors du siège de Paris, M. Alvin, un des écrivains les mieux connus de la Belgique, fit paraître les Recontemplations, où il fait ressortir les énormités du style de Victor Hugo.
Dans un "Supplément au Dictionnaire de l'Académie Française," une trentaine de pages très amusantes sont consacrées à des extraits des Contemplations,[Pg 254] dont les hardiesses absurdes de langage sont à peine croyables.
Les vers suivants sont adressés au poète exilé.
Une des pièces la mieux réussie dans ce recueil, est celle intitulée "Pêcheur[Pg 255] d'hommes;" mais elle est trop longue pour la donner ici.
Un autre écrivain belge, M. Chalon, homme d'esprit et de science, dit Quérard, mais effréné mystificateur,[178] exerça ce talent à l'occasion d'une société de savants qui se forma à Paris, en 1851, sous le titre de Société Sphragistique.
[178] On se souvient encore de son catalogue de Fortsas.
Elle publia des travaux très utiles sur l'archéologie.[179]
[179] Recueil des travaux de la Société de Sphragistique. Paris, 1851-1855. Quatre volumes in 8º, remplis de gravures des différents sceaux du moyen-âge.
M. Chalons s'empara du prospectus de cette société, et en publia un pastiche aliéna par aliéna, annonçant la formation d'une société nationale de Boutonistique, composée de savants antiquaires.
Elle se proposait de publier un recueil de documents et de mémoires[Pg 256] relatifs à l'étude spéciale des fibules de l'antiquité, du moyen-âge, des temps modernes et des autres époques,—le tout accompagné de planches gravées d'après les originaux.
Suivent les noms des membres fondateurs, du président, du secrétaire, de l'archiviste-trésorier et du gérant. On promet un bulletin mensuel, et le prospectus se distribue chez M. Auguste Deck, libraire à Bruxelles, où l'on peut souscrire.
Entr'autres raisons de la formation de la société, l'auteur nous dit que "jusqu'à ce jour les antiquaires de tous les pays avaient porté les investigations les plus profondes sur les monnaies, sur les armes, sur les vases, sur les cruches, etc., mais ils avaient dédaigné les fibules et les boutons. Le nombre considérable de ces objets qui existe dans la remarquable collection de M. le Major *** à Gand, a suggéré d'en faire l'historique,[Pg 257] à commencer par les fibules babyloniennes, trouvées par le Dr. Lingard, jusqu'aux boutons fossiles des habitations des lacs."
Cette plaisanterie eut un grand succès, et les journaux français, entr'autres le Charivari, dans son No. du 26 Juillet, accorda un long article à ce pastiche.
On a pu voir ci-dessus que les rédacteurs du Figaro sont assez habiles en ce genre; mais l'un d'eux, M. Albert Milland, a surpassé ses collègues dans un pastiche extrêmement bien réussi de la scène du sonnet de Trissotin, insérée dans le No. du Mardi 20 Février 1872. Il vient lire à Philaminte et à Armande, le recueil de ses satires qu'il avait justement publié alors, sous le titre de Petite Némésis.
Chacun des traits comiques de cette scène est imité d'une manière charmante.
[Pg 258]
Les suppléments d'auteur rentrent naturellement dans la classe des pastiches avoués, car nul ne songerait à remplir une lacune dans un auteur, soit ancien, soit moderne, sans chercher à imiter le modèle.
La plupart des auteurs de l'antiquité ne sont point parvenus dans leur intégrité, jusqu'à nous. Il est bien difficile de suppléer de longues lacunes, et même des livres entiers, en imitant le style et la manière des grands écrivains d'une époque reculée. Les mœurs, les coutumes, les usages ont changé.
Cependant nous allons voir que pour les auteurs latins, quelques savants ont assez bien réussi en ce genre.
Les plus anciens suppléments et continuations d'ouvrage remontent à Homère. L'histoire de la littérature nous fait connaître plusieurs continuations de ses deux grands poèmes. D'abord il y a Arctinos de Milet, auteur[Pg 259] d'une Ethiopide en neuf mille vers, faisant suite à l'Iliade et qui s'étend jusqu'à la prise d'Ilion. Puis vient Leschère de Mytilène, dont le récit était la destruction même de Troie, et qu'on appelait la Petite Iliade.
Le Trézénien Agias, dans une épopée en cinq livres, racontait le retour des vainqueurs de Troie, formant ainsi une continuation de l'Odyssée; on rencontre ensuite la Télégonie, autre suite du même poème, qui commence par les funérailles des Prétendants, finit par la mort d'Ulysse, tué sans être reconnu, par Télégone, le fils qu'il avait eu de Circé, et formant ainsi la fin du cycle troyen.
Otfried Müller, dans son histoire de la littérature grecque, pense que les Rapsodes Homériques, à force de réciter continuellement les poèmes d'Homère, en étaient venus tout naturellement à concevoir l'idée d'y ajouter[Pg 260] des morceaux d'un caractère analogue, de leur propre composition. Ils rattachaient ces poèmes au commencement ou à la fin de ceux d'Homère.
Pour les poètes anciens de l'Empire romain, la même chose à peu près eut lieu dès le 16me siècle. Leurs œuvres furent ou achevées ou continuées.
Un des premiers parmi les savants qui entreprirent cette tâche, fut Jean Baptiste de Boulogne, qui publia en 1519 la fin du 8me livre des Argonautiques de Valerius Flaccus, et y ajouta un 9me et un 10me livre, très bien imités, d'après la critique.[180]
[180] Voir l'édition Aldine de 1528, in 8º, et celle de Lyon, 1548, in 12º.
Quoiqu'Ovide ait annoncé lui-même[181] qu'il n'avait composé que six livres de ses Fastes, les savants persistaient à se[Pg 261] disputer si le plan de l'ouvrage ne faisait pas croire qu'il devait se composer de douze livres.
[181] Trist. lib. ii. Eleg. 1re, v. 549—
Là dessus, Celtes Prolucius, un des premiers qui, à la renaissance des lettres, ressuscita la poésie latine en Allemagne, écrivit pour s'amuser, le commencement d'un 7me livre, de sa propre main, sur une ancienne édition d'Ovide, en ajoutant que le manuscrit des six derniers livres, se trouvait dans le presbytère d'un village près d'Ulm.
Ce ballon d'essai n'eut pour résultat que de faire rire aux dépens des savants.
Une autre suite est donnée, vaille qui vaille, par Barth. Morisot, polygraphe dijonnais de quelque réputation.
Il existe sur les Fastes un autre supplément beaucoup moins connu, et qui n'a été tiré qu'à très petit nombre. C'est une brochure d'une douzaine de pages, composée par un jeune littérateur[Pg 262] marseillais, il y a près de vingt ans, et qui ne fait preuve, ni d'une profonde érudition, ni d'une imagination brillante.
Lorsque le style l'emporte sur le fond, dans une œuvre littéraire, il est dangereux de vouloir suppléer à ce qui peut manquer à un grand poète.
Ainsi Maffeo Vegio, dont Virgile fut l'un de ses grands dieux, dit Bayle, a voulu donner une conclusion au poème de l'Enéide, qui est imprimée à la suite de plusieurs éditions de Virgile du 16me siècle. Ce supplément a été critiqué par Baillet;[182] c'est toutefois le plus connu des ouvrages de Maffeo, et il a été traduit en français.[183]
[182] Jugement sur les poètes, No. 1222, tome iv. page 13, édit. de 1725, in 4º.
[183] Par Mornhault. Cologne, 1816, in 16º.
Michel de Villeneuve, poète obscur, a voulu, lui aussi, "facere experimentum in profugo Æneâ."
[Pg 263]
Enfin, Joseph Michaud, auteur du "Printemps d'un Proscrit," a, dit-on, ajouté un 13me livre à l'Ænéide, mais nous n'avons pu nous procurer ce travail, pour en juger.
On sait qu'il se rencontre dans ce poème, un certain nombre de vers inachevés. Il n'était guère possible que des latinistes modernes n'éprouvassent le besoin d'alonger ces tronçons poétiques, et de leur donner les justes dimensions de l'hexamètre. Nous avons en ce genre deux ou trois essais assez malheureux, qui ne valent guère la peine d'être cités.
On agita souvent, au 17me siècle, la question de savoir si l'histoire d'Alexandre le Grand, par Quinte-Curce, était vraiment de cet auteur. Gui Patin, dans sa 212me lettre (édit. de Reveille-Parise) rapporte qu'un de ses régents lui avait dit que l'auteur de ce livre était un savant italien, qui l'avait[Pg 264] composé il y a environ trois cent ans.
Le Père le Tellier pense que le silence, que les anciens ont gardé au sujet de Quinte-Curce, est un motif pour croire que c'est un ouvrage moderne. Bayle, dans son Dictionnaire, n'est pas de cette opinion, mais il l'appuie d'une bien faible raison: "Comme cette histoire est belle et bien écrite, dit-il, on a tort de croire qu'un auteur du moyen-âge l'ait composée."
Ce point d'histoire n'est encore nullement éclairci, car on ne compte pas moins de treize opinions sur le temps où vécut Quinte-Curce. La plus probable est celle qui fixe cette époque au premier siècle de l'ère chrétienne.
Vigneuil Marville pense (Mêlanges, tome ii. p. 302) qu'il est peu probable qu'un écrivain, qui aurait fait un livre capable de l'immortaliser, s'il s'était fait connaître, ait bien voulu sacrifier[Pg 265] sa gloire, à celle d'un Quinte-Curce imaginaire.
Nous croyons qu'un des plus anciens suppléments de cet auteur fut composé par Christophe Bruno, moine de Bavière. D'autres suppléments ont été copiés sur un manuscrit de l'abbaye de Saint-Victor, par les frères Masson, assez connus des savants, mais ils n'en ont point découvert l'auteur.
Scaliger les attribuait à François Pétrarque.[184]
[184] Voir à ce sujet "Bibliothèque Choisie" de M. Colomiès. Paris, 1731, un vol. 8º, page 256.
Ceux de Jean Freinsheim sont les plus célèbres. Le savant allemand se proposait de combler les lacunes de nombre d'auteurs anciens. Il commença par Quinte-Curce, et de tous ses compétiteurs, il est celui qui rappelle le mieux la manière de l'original.
Plusieurs fois on avait cru avoir retrouvé[Pg 266] les décades qui manquent à l'histoire de Tite-Live, malgré l'ordre du Pape Grégoire I, de faire brûler tous les manuscrits qu'on trouverait de cet auteur, sous prétexte des superstitions que contenaient ces décades.[185] Freinsheim résolut de reproduire les décades perdues, et il en acheva soixante livres, qui lui valurent une grande renommée.
[185] Colomiès, page 40 de sa Bibliothèque Choisie, ajoute à ces renseignements que ce fut ce même Pape qui fit brûler les manuscrits d'Afranius, de Nævius, d'Ennius, et d'autres poètes latins, dont il ne nous reste que quelques fragments.
Rollin pensait que la réussite était si étonnante, que de pareils suppléments auraient consolé le public de la perte des ouvrages de l'antiquité, que le temps avait dévorés. Toutefois ce travail d'imitation n'est pas égal partout, [Pg 267]dit la critique. Après le 44me chapitre du livre lxii., le pastiche est moins heureux. Freinsheim nous apprend lui-même qu'il trouva la tâche trop laborieuse. "Renonçons, dit-il, à jouer plus longtemps un rôle que nous ne pouvons plus soutenir; avouons le temps où nous vivons et le nom de Jean Freinsheim que nous portons."
Les suppléments de Tite-Live ne sont pas aussi estimés que ceux de Quinte-Curce.[186]
[186] Doujet réunit les 95 livres de Tite-Live dans une édition à l'usage du Dauphin.
Depuis Freinsheim, Ch. Cellarius, en 1688, a donné des suppléments de ce dernier auteur latin, que Fabricius trouve concis et élégants. Christian Juncker en a fait paraître encore de nouveau, à Dresde, en 1700.
Le zèle et le savoir, pour compléter ce qui nous manque des anciens auteurs latins, ont excité, avec un égal[Pg 268] succès, les savants de la France et de l'Allemagne.
Charles de Brosses a eu pour Salluste la même passion que Freinsheim pour Quinte-Curce. Rassemblant des centaines de fragments de cet auteur, et comblant les lacunes, il en a formé un tout homogène complet. "C'est, sans doute, un assez singulier projet, dit La Harpe, et qui demande toute la constance d'un érudit, que de réunir en un tout régulier, des fragments informes qui nous restent de Salluste.[187] Ce qui est surtout digne d'éloges, c'est la profonde connaissance que De Brosses montre partout, de l'histoire, des écrivains et des mœurs de Rome. Il semble y avoir vécu, et être entré[Pg 269] dans le secret des acteurs qu'il met en scène."
[187] Salluste, Histoire de la République romaine dans le cours du 7me siècle, en partie traduite du latin sur l'original, en partie rétablie et composée sur les fragments qui nous restent de ses livres perdus. Dijon, 1777. 3 vol. 4º.
Villemain déclare qu'au dessous de Bossuet et de Montesquieu, il n'y a pas en français, un plus beau fragment d'histoire ancienne, que cette restauration d'après l'antique, et proclame le Président De Brosses un de ces hommes rares qui doivent être placés les premiers, après les hommes de génie.
Le 4me volume devait contenir le texte de l'histoire rétablie, avec les suppléments en latin. Le manuscrit en était achevé, quand De Brosses mourut. Ce manuscrit fut communiqué au jésuite Gabriel Brotier, qui n'en approuva pas la publication. Tout fait croire qu'il est perdu.
Tacite eut son tour, et ce fut le savant que nous venons de nommer, qui eut la hardiesse de vouloir remplir les lacunes de l'historien romain, hardiesse qui fut heureuse, au jugement[Pg 270] de la plupart des savants de l'Europe.[188]
[188] Néanmoins M. Edme Ferlet, dans ses "Observations sur les Histoires de Tacite," 2 vol. 8º, Paris, 1801, a fait une critique violente du travail de Brotier. Il est fâcheux que, lorsqu'il peut avoir parfois raison au fond, il ait toujours tort par la forme.
On sait que le Dialogue des orateurs (qui a été contesté à Tacite, mais qui est probablement de lui) a d'assez longues lacunes. Nous n'avons ni le commencement ni la fin du discours de Maternus, et celui de Messala laisse aussi beaucoup à désirer. G. Brotier a cherché, par d'ingénieux efforts, à suppléer ce qui nous manque, et il a conjecturé habilement les arguments de Messala.[189]
[189] Ce Dialogue des orateurs est l'examen de la question de préséance des anciens orateurs ou des modernes, question agitée de nouveau violemment, et généralisée sous Louis XIV.
Voir "Histoire de la Querelle des Anciens et des Modernes" par Hippolyte Rigault. Paris, 1856, un vol. in 8º.
Parmi ceux qui ont le mieux réussi dans ces suppléments aux poètes latins[Pg 271] anciens, on doit ranger Thomas May, tour à tour au service de Charles I d'Angleterre et du parlement de Cromwell.
Il fit paraître en anglais (1630), puis en latin, la Pharsale de Lucain qu'il conduisit jusqu'à la mort de César.
Ce travail se recommande par le mérite du style et par l'invention; Johnson en faisait beaucoup de cas, et il fut annoté et réimprimé plusieurs fois. On l'a traduit en français en 1816 et en 1819.
N'oublions pas une autre continuation moins connue et très curieuse, par un maître d'école écossais du nom de Robert Forbes, qui publia à Edimbourg, à l'imprimerie de R. Fleming,[Pg 272] en 1750, une "Suite de la Satire de Boileau sur la Ville de Paris."
Dans un avant-propos au lecteur, Forbes dit qu'il n'a pas la présomption de lutter avec Boileau, mais qu'il veut seulement l'imiter.
"D'ailleurs, ajoute-t-il, comme j'ai vu Paris avec d'autres yeux que n'a fait cet auteur, et que ne fait tout Papiste, j'ai cru que cette ébauche pouvait entrer à la suite de la satire."
Cette brochure de dix pages est devenue très rare.[190]
[190] Voir les Notes and Queries, du 23 Mars, 1872, No. 221, page 234.
Nous ne pouvons nous occuper des manuscrits inédits, quoique bien des suppléments puissent y être enfouis: Ainsi Paulin Paris, dans son "Analyse des Manuscrits de la Bibliothèque du Roi," tome i. p. 39, fait mention de Commentaires de César, traduits et augmentés par un anonyme.
[Pg 273]
Il arrive parfois que les auteurs anciens ont annoncé une continuation que nous ne possédons pas. Ainsi Lucien à la fin du second livre de son Histoire Véritable, dit qu'il allait décrire les merveilles qu'il avait vues aux Antipodes. Il eut été très intéressant de voir ce qu'il eût imaginé sur ce thème, plusieurs siècles avant l'ère chrétienne. On ignore si ces livres annoncés sont perdus, ou si jamais Lucien ne les a écrits; mais le neveu de d'Ablancourt a continué cette histoire, et d'Ablancourt a fait imprimer cette continuation à la fin de sa traduction. Elle est intitulée, "Description de la République des Animaux; Hommage qu'ils viennent rendre au Phoenix; Passage de Lucien aux Antipodes; Bataille des Animaux contre les Sauvages; Pacification par l'entremise de Lucien."
L'auteur du supplément, par une[Pg 274] idée bizarre, avoue qu'il n'a pas cru devoir imiter le philosophe de Samosate, en écrivant des choses qui n'ont aucun fondement dans la raison, et qu'il n'a rien écrit qui n'ait quelque sens allégorique, ou quelqu'instruction mêlée avec le plaisir. Quel dommage qu'il n'ait pas déraisonné comme Lucien!
Le grand succès, obtenu par des romans, a souvent fait naître la pensée d'en donner une continuation, mais presque toujours cette tentative a peu réussi.
Citons-en quelques-uns seulement.
Le Tom Jones in his Marriage State, est loin d'avoir la valeur artistique du roman de Fielding, dont Coleridge, dans son Table-Talk, a certes exagéré le mérite lorsqu'il dit, "Upon my word, I think the Œdipus, the Alchemist, and Tom Jones are the three most perfect plots ever planned."
[Pg 275]
La suite de la Marianne de Marivaux, est très spirituelle. La manière et le style de l'auteur sont bien imités.[191]
[191] Par Mme Ricoboni, morte en 1792, femme du comédien, et auteur dramatique de ce nom.
La Harpe en fait un grand éloge, "Elle partage avec Mme De Tencin la gloire de disputer la palme à nos meilleurs romanciers. Peu de femmes, peu d'hommes même, ont pensé avec autant de finesse et écrit avec autant d'esprit."
Le continuateur du Candide de Voltaire, dont nous ignorons le nom, n'a pas aussi bien réussi.
De même, certains éditeurs de La Nouvelle Héloïse ne se sont guère tirés heureusement d'une nouvelle lettre de Saint Preux, qu'ils ont intercalée.
On sait que Scarron ne publia que les deux premières parties du Roman Comique.
[Pg 276]
Après sa mort on parla d'une conclusion de ce roman, qu'un homme de mérite allait donner au public, d'après les mémoires laissés par Scarron. Cet ouvrage ne paraissant pas, une première suite fut publiée par A. Offray qui présente, en 17 chapitres, la fin du roman.
Une seconde suite par Preschac, continue en 20 chapitres, les aventures de Ragotin, et de la troupe des comédiens; mais sans amener une conclusion de l'ouvrage.
Une continuation, peut-être moins difficile à composer, fut donnée au public par le Duc De Levis, mort en 1830; ce fut celle des contes de Zénéïde et des Quatre Facardins d'Antoine Hamilton. On rapporte que celui-ci avait écrit une seconde partie de ce dernier conte, qui avait été montrée en manuscrit à Crébillon fils, par Mademoiselle Hamilton.
[Pg 277]
Malheureusement il n'emporta pas ces papiers en se retirant, comme il aurait pu le faire. Lorsqu'il revint enfin les demander, il apprit qu'ils avaient été mis au feu.
[Pg 278]
Les curiosités artistiques pastichées ont leur prix, à aussi juste titre que les Bibelots historiques.
Quoique l'on trouve disséminés dans une foule d'ouvrages, quelques renseignements sur les contrefaçons et les faussetés dans les beaux arts, il n'existe guère d'exposé général sur ces sortes de pastiches.
C'est pourtant la première signification de ce dernier vocable, selon le grand dictionnaire de Littré, qui le[Pg 279] définit, "L'imitation servile de la main, de la manière de composer et du coloris du peintre, du graveur ou du sculpteur, sous le nom duquel le pasticheur veut produire son ouvrage."
De ces imitations, faites dans l'intention de tromper, naissent beaucoup de confusion et de défiance, un dommage irréparable pour les acheteurs de bonne foi ou inexperts, et quelquefois même un dommage certain pour des vendeurs honnêtes et loyaux, comme nous en verrons des exemples.
Cette falsification dans les arts remonte presqu'aussi haut que celle dans les lettres.
Pline l'Ancien (Histoire Natur. XXXV. 2) signale déjà comme purement imaginaire, le portrait d'Homère, venu de la Grèce, dont plusieurs copies sont arrivées jusqu'à nous, et sont demeurées classiques.
Au témoignage de Phèdre le fabuliste,[Pg 280] né sous le règne d'Auguste, et mort du temps de Néron, les Romains aussi étaient déjà dans l'habitude de pratiquer ces sortes de fraudes:
"Comme ces artistes de notre siècle, qui, pour trouver de leurs ouvrages modernes un prix plus élevé, inscrivent au bas d'une statue de marbre, le nom de Praxitèle, ou celui de Myron, sur une statue d'argent."[192]
[192] Pour avoir une idée de la perfection que les artistes anciens savaient donner à leur travail, voir l'anecdote rapportée par Pline, livre xxxvi., chap. 5, au sujet d'une Vénus, et Ausone, épigram 57, au sujet d'une vache en airain de Myron.
Chez nous ce n'est guère qu'à la Renaissance que ce système a recommencé à se développer.
[Pg 281]
Tous ceux qui ont visité l'Italie, la contrée par excellence pour cette espèce de duperie, n'ignorent pas les nombreux pastiches d'antiques, en marbre, en fonte, en terre cuite, etc., qu'on y rencontre.
Andreini imitait les plats de faïence à reflet métallique, le fabricant Minghetti de Bologne, les vases à arabesques, sur fond bleu, du 16me siècle, au point d'induire en erreur les commissaires des expositions publiques.
Jean Bastianini était d'une telle habileté, que plusieurs bustes et bas-reliefs, taillés par son ciseau, ornent aujourd'hui des Musées d'Europe, comme œuvre du moyen-âge. Un buste du poète florentin Jérôme Benivieni, acheté à l'hôtel Drouot à Paris, pour treize mille six cent francs, par le Comte de Nieuwekerke, Directeur Général des Musées du Louvre, et un buste en terre cuite, représentant le[Pg 282] fameux moine Jérôme Savonarola, vendu à dix mille francs, comme une œuvre d'art du 15me siècle, et jugée telle par d'éminents artistes de l'Europe, sont dus au travail de ce sculpteur.
Tous ces faits et bien d'autres, sont rappelés dans un livre assez peu connu[193] d'Alexandre Foresi, où l'on trouve nombre d'anecdotes sur des amateurs de curiosités qui, quoique très instruits, sont trompés chaque jour dans tous les genres d'antiquités.[194]
[193] Tour de Babel, ou objets d'art faux pris pour vrais. 1 vol 8º. Florence: A. Bettini, 1868.
[194] Les émaux forment une exception, lorsqu'ils contiennent du rouge, parce que l'émail rouge ancien n'a jamais pu être imité par les modernes.
Ces supercheries artistiques remontent assez haut en Italie. Vasari raconte que l'Amorino, sculpté à Florence par Michel-Ange, fut acheté à[Pg 283] Rome, comme une œuvre grecque, par le Cardinal Saint George, qui était pourtant un fin connaisseur.
Cette anecdote a été souvent racontée, et de plusieurs manières différentes. Voici en quels termes elle est rapportée par l'auteur d'une dissertation latine sur la nécessité et les moyens d'imiter l'antiquité dans la littérature et les arts: "Michel-Ange fit une statue de Cupidon endormi, qu'il enterra dans un endroit où il savait qu'on devait creuser. Lorsqu'on la découvrit, on la trouva si belle qu'on la considéra comme le produit d'un ancien sculpteur grec, et en présence de Michel-Ange on la mit bien au dessus des sculptures modernes. L'artiste sourit, et montra à ces connaisseurs son nom inscrit dans un coin du marbre." (Les Matanasiennes.)
Le peintre Mignard fit acheter, par Monsieur, frère de Louis XIV., un[Pg 284] prétendu tableau de Guido, qui avait été peint par Boullogne, et que celui-ci affirma être authentique. Mignard ne se vengea de cette surprise qu'en engageant le trompeur à faire toujours des Guido, et à ne plus peindre de Boullogne.
Luca Giordano a inondé les galeries de l'Europe de ses pastiches. Enfin on ne sait pas encore bien assurément lequel est l'original du Léon X. degli Uffizi, ou de celui du Musée de Naples.
Que de bustes, que de portraits des grands hommes, ne sont rien moins que les personnages qu'ils sont censés représenter.
A l'époque du conclave, d'où sortit l'élection de Léon XII. un iconographe bien connu, voulant spéculer sur le portrait du Pape futur et devancer tous les autres artistes, copia la face du maître de l'hôtel où il se trouvait, et la grava. Aussitôt que l'élection fut[Pg 285] connue, il mit le nom, on tira, et la postérité croit encore à ce beau portrait de Léon XII.!
Le peintre flamand David Teniers avait un talent rare pour le pastiche. Il fit des Rubens et des Bassano, que l'on prit longtemps pour des originaux.
Parfois cette manie devient une violente passion. L'artiste Terenzio, connu dans les annales des arts pour la supériorité avec laquelle il contrefaisait les peintures anciennes, ne put survivre au chagrin d'avoir été découvert.
Nodier fait observer avec raison qu'il ne faut pas appeler pastiche, la copie exacte d'un tableau ou d'une sculpture, espèce de travail très utile aux élèves. Cette imitation ne mérite ce nom, généralement pris en mauvaise part, que lorsqu'elle est accompagnée de la prétention de tromper l'opinion publique.
[Pg 286]
Pour se sauvegarder contre ces supercheries, un anglais proposa en 1858 de former une société d'assurance pour la découverte et la prévention de ces faux dans les arts; mais la proposition n'eut pas de suite,[195] et c'est fâcheux, car ils sont souvent chose sérieuse, tant pour les artistes, que pour les antiquaires et les archéologues.
[195] Notes and Queries du 13 Novembre 1870, et 2me série, vol. vi., page 395. Aussi vol. xi., pages 191 et 230.
Un portrait de Montaigne, et ses portraits sont rares, figure avec honneur dans une galerie célèbre de Londres. Le docteur Payen, si connu par ses travaux relatifs au philosophe Périgourdin, eut connaissance de ce portrait, et à sa demande, le ministre de Belgique en Angleterre, Monsieur Van de Weyer, lui en fit parvenir une copie exacte. Après examen, Payen désappointé, se convainquit que ce[Pg 287] portrait était celui de François de Médicis, père de la célèbre Marie.[196]
[196] Voir les Causeries d'un Curieux, par Feuillet de Conches, tome iii., pages 36 et suiv., où l'on trouve des détails intéressants à ce sujet.
Un statuaire fut chargé par la municipalité de Paris, de faire pour l'Hôtel-de-ville une statue de Guillaume Budée. Elle était encore en place, avant le sac de Paris par les Communistes. Les portraits qu'on présenta à l'artiste, ne lui plurent pas, et il moula la tête de son portier. Pauvre Budée!
On pourrait citer cent exemples pareils; néanmoins le public croit, et est satisfait.[197]
[197] Pour voir jusqu'où peut aller la passion dans les querelles d'objets d'art faux, pris pour vrais, on n'a qu'à lire les pièces à l'appui produites par M. Alexandre Foresi, au sujet des bustes de Jean Bastianini, achetés comme étant du 16me siècle par le Comte de Nieuwekerke.
[Pg 288]
Toutes les branches des beaux arts ont été l'objet de ces sortes de supercheries.
Les numismates recherchent les monnaies ou médailles romaines en or, connues en Angleterre, sous le nom de Bekker forgeries. Plusieurs sont des compositions entièrement fictives, d'autres sont frappées d'après des types anciens connus. Pendant un certain temps ces fausses pièces trompèrent les connaisseurs et trouvèrent place dans des cabinets renommés, sans exciter le moindre soupçon. Sestini fut le premier qui, en 1823, les déclara fausses.
Les matrices en existent encore; Bekker lui-même publia une liste de ces pastiches, lorsque la fraude eut été découverte, liste qui comprend plus de trois cent pièces.
Il existait en Angleterre, et peut-être existe-t-il encore, pour l'exportation[Pg 289] en Turquie, en Grèce et à Rome une sorte de fabrique de copies de médailles et d'anciennes monnaies étrangères, lesquelles ont souvent trompé les collectionneurs.
Les contrefaçons sont parfois si parfaites, que le doute existe encore aujourd'hui. Par exemple la monnaie connue sous le nom de Didrachmes d'or, ou Staters d'Athènes, est regardée par les uns comme un pastiche, et par les autres comme authentique.
Quant aux articles d'antiquité, Etrusques, Egyptiens, Grecs ou Romains, le curieux doit être bien plus encore sur ses gardes, car on en trouve en Europe, des manufactures bien connues.
En 1843, on vendit publiquement à Londres, une collection d'ornements Etrusques en or, venue, disait-on, de Gênes, mais probablement fabriquée dans la première de ces villes.
Le Grec Giovanni d'Athanasi était[Pg 290] l'agent chargé de les faire vendre. Au bout d'un certain temps, ces divers articles furent reconnus comme étant tout-à-fait modernes.
Vers la même époque, un Italien, du nom de Castellari, voyant combien il était facile de faire passer pour antiques, des ouvrages qui ne l'étaient pas, se mit à fabriquer une autre collection d'objets en or, en imitation des ornements trouvés dans les tombeaux de l'ancienne Etrurie. Il serait facile d'étendre beaucoup la liste de ces sortes de supercheries; mais mentionnons d'autres branches des Beaux-Arts.
Nous avons déjà cité plus haut quelques faits relatifs à la gravure. On sait que de temps à autre, on est parvenu à imiter merveilleusement les estampes de maîtres anciens.
Les faux Marc Antoine Raimondi, Lucas van Leyden, Albert Durer, Hollar[Pg 291] et autres, sont très nombreux. La plupart sont gravés avec l'intention de tromper les collectionneurs. Il y a pourtant de ces gravures-pastiches qui ne furent composées que comme études; entr'autres la collection de vingt-deux estampes par Vivant-Denon, qui voulut, par ces pastiches de quelques célèbres graveurs, acquérir la facilité d'exécution et l'habitude de rendre exactement le style des diverses écoles, et l'originalité des différents maîtres.[198]
[198] Monuments des arts du dessin chez les peuples tant anciens que modernes, recueillis par le Baron Denon, pour servir à l'histoire des arts, etc. etc. 4 vol. in fol., avec 315 pl. Paris: Firmin Didot. 1829.
On en trouve les détails dans plusieurs ouvrages bien connus, qui traitent de la gravure. Le lecteur peut y recourir.
Les pastiches en peinture sont peut-être encore plus abondants.
[Pg 292]
Les voyageurs savent qu'à Rome il y en a des fabriques régulières.
Les amateurs anglais se rappellent qu'il a existé à Lambeth, pendant assez longtemps, une manufacture de tableaux, lancés dans le commerce, comme sortis du pinceau de Morland.
Si Van Dyck n'était pas mort à quarante et un ans, mais avait vécu aussi longtemps que Titien, encore n'aurait-il pas eu le temps de peindre la moitié des portraits qu'on lui attribue. Les faux Raphaël et Titien se rencontrent fréquemment à Londres.
Terminons notre Essai sur les Pastiches par ces mots de Pline le jeune:—
"Verum de his plura fortasse quam debui, sed pauciora quam volui." viii. 16.
FIN.
[Pg 293]
Page 9.
F. A. Wolff. De l'Origine des Epopées Homériques.
L'académicien Ste. Croix a publié en 1798, une "Réfutation du Paradoxe littéraire de Fred. Aug. Wolff, sur les poésies d'Homère." Il affirme, dans cette brochure de 60 pages, que l'usage de l'écriture précéda chez les Grecs, la guerre de Troie, de plus de trois siècles; que l'Iliade et l'Odyssée furent écrits dès l'origine; que l'unité d'action et la gradation d'intérêt, sont sensibles, et prouvent l'intégrité de l'un et de l'autre poème; enfin, que les plus célèbres critiques de l'antiquité n'ont pas hésité à attribuer ces œuvres à Homère.
Page 12.
Pastiche de Cicéron par Dion.
Dans le No. du mois d'avril 1818, de l'Hermes Romanus, page 1320, on trouve une notice sommaire[Pg 294] des étranges discussions dont les œuvres oratoires de Cicéron ont été l'objet, chez les Anglais et les Allemands, durant les vingt premières années de ce siècle.
M. Guillaume Duvair a composé une assez curieuse Anti-Milonienne en français.
Page 13.
Les réflexions de M. Van de Weyer ont une grande conformité avec celles du vieux A. Baillet, dans son "Traité des auteurs déguisés," et avec celles de J. Christ. Mylius, dans la préface de sa "Bibliotheca Anonymorum," etc., Hambourg, 1740.
Page 16.
Correspondance de St Paul et de Sénèque.
L'antiquité nous a légué des doutes, en assez grand nombre, sur ce qui regarde ces sortes de pastiches. Elle possédait les lettres de Cornélie, la mère des Gracchi, dont Cicéron faisait grand cas, comme on le voit dans le Brutus.
Il s'est trouvé naturellement des savants Allemands pour contester l'authenticité de celles[Pg 295] de ces lettres que nous avons encore, et d'autres savants pour les défendre.
Victor Cucheval dans son "Histoire de l'Éloquence Latine," cite deux de ces lettres, œuvre de Cornélie, dit-il, ou de quelque déclamateur ancien.
Le même écrivain démontre aussi qu'on ne saurait trop répéter qu'il faut résolument regarder comme pastiches, toutes les harangues que Tite-Live et les autres historiens placent dans la bouche des rois, des consuls, des sénateurs, et des tribuns, avant l'époque de Caton l'ancien. Ce ne sont que de véritables exercices de rhéteurs, qui ne reposent sur aucun document authentique.
Ce n'est qu'à partir de Caton que l'art oratoire a ses monuments vrais, soit par fragments, soit complets.
Page 19.
Hermès Trismégiste.
L'Histoire de la Philosophie Hermétique (3 vol. 12º) nous dit qu'il y eut au moins deux Hermès, Mercure, ou Thot, tous deux rois d'Egypte, le premier fils d'Osiris et d'Isis, nommé Athotis, le second, Siphoas, qui vivait environ 800 après Athotis, et 1900 avant l'ère chrétienne. A[Pg 296] cause de sa science extraordinaire, il fut surnommé le second Thot. Les Grecs le connurent sous le nom de Hermès ou Mercure Trismégiste, c'est à dire Très Grand.
C'est celui-ci auquel on attribuait, dans les premiers siècles du christianisme, tous les ouvrages que l'on écrivait sur les sciences.
Page 26.
Pervigilium Veneris.
Il y a peu de pièce ancienne de vers, qui nous soit parvenue d'une manière plus incorrecte que celle-ci, et les nombreuses variantes et explications des commentateurs sont sans fin. Aussi ce poème qui n'a pas cent vers, a-t-il donné lieu à une édition Variorum de 208 pages, et un index des auteurs cités, comprenant deux cent quatre-vingt-dix noms!
Page 28.
Le P. Hardouin.
Le savant pyrrhonisme de cet écrivain a suscité au dogme classique qu'il attaquait, de nombreux et ardents défenseurs. Ce fut une véritable[Pg 297] réaction, et Burmann se vit bientôt le chef d'un parti qui pouvait prendre pour mot d'ordre, "Réhabilitation de l'Antiquité."
En parlant des folles visions de Hardouin, on ne peut manquer de signaler un Belge contemporain, Peerlkamp, qui déclare interpolé et apocryphe, le tiers environ des vers que dix-huit siècles avaient admis comme d'Horace. Ce même écrivain que Sainte Beuve appelle l'ingénieux, l'osé, le téméraire en conjectures, enlève aussi à Virgile non seulement des vers çà et là, mais des épisodes tout entières. Voir tome onze des Nouveaux Lundis.
Page 34.
La Philomèle d'Ovide.
Ch. Nodier publia ce poème en 1828, avec la grotesque version de Marolles, et il adopta sur son auteur, l'opinion de Wernsdorff, lequel veut que ce soit l'ouvrage d'un Albius Ovidius Juventinus.
Page 39.
Au sujet d'Astruc, disons que son livre, ayant pour titre "Conjectures sur les Mémoires originaux[Pg 298] dont Moïse s'est servi pour la Composition de la Genèse," peut donner lieu à une quasi-mystification, vu que ce titre alléchant se réduit à soutenir la thèse, que des écrivains antérieurs à Moïse lui ont fourni des documents historiques sur les temps voisins de la création. Quant à ces chroniqueurs primitifs, il n'en désigne aucun, et pour cause. Il ne traite pas non plus, la question de l'invention de l'écriture. On s'attendrait à une plus piquante révélation.
Page 41.
Annius de Viterbe.
Quoiqu'on ait accusé ce fameux Jacobin d'imposture littéraire, on a quelquefois outré les choses, comme Pineda, le Père André Schot et Goropius, qui l'ont traité de la manière du monde la plus indigne et la plus passionnée. Notre siècle paraît être un peu mieux disposé à son égard, comme le montrent quelques passages de l'ouvrage de Salverte, sur les noms d'hommes, de peuples et de lieux.
Dans la note A. du 1er volume se trouve une dissertation de 63 pages sur le degré probable[Pg 299] d'authenticité du recueil publié par Annius de Viterbe.
On dit qu'Annius fut empoisonné en 1502 par le Duc de Valentinois. Il avait été fort attaché au Pape Alexandre VI, mais il eut le malheur, la dernière année de sa vie, de s'attirer l'inimitié de Borgia, en disant quelquefois à ce prince, des vérités qui ne lui faisaient pas plaisir.
On trouve sur Annius des détails, que ne donne pas Bayle, dans "Fragments d'histoire et de littérature," un volume in 12º, la Haye, A. Moetiens, 1706.
M. F. Lenormant vient de publier à Paris un "Essai de Commentaire des Fragments de Bérose," où entr'autres recherches très curieuses, on trouve des renseignements sur les Bibliothèques de Ninive, dont les livres étaient une collection de briques, et les parchemins, des surfaces de terre cuite.
Page 50.
Boxhorn.
Dans l'édition complète des Carmina Michaelis Hospitalii, d'Amsterdam 1732, l'éditeur s'égaie un peu dans la préface sur la méprise du savant belge Boxhornius, et il en transcrit le[Pg 300] commentaire qui a pour titre, "Ad satyram anonymi de Lite, animadversiones." Ce sont trois pages assez plaisantes.
Page 53.
Quicherat.
Ce savant académicien a fait plus tard, amende honorable au sujet des deux ou trois imprudentes citations qui accusaient un excès de déférence pour les témérités de Wernsdorff.
Quicherat fit insérer en Septembre 1869, dans le Journal de l'Instruction Publique, un article très développé sur le prétendu fragment du poète Turnus, qui avait mis, disait-il, sa critique en défaut.
Page 52.
Burmann.
Il y a deux savants de ce nom, que de graves auteurs ont confondus. Il est vrai que l'oncle et le neveu, homonymes en tous sens, paraissent avoir résolu d'embarrasser la postérité, par la conformité de leurs travaux.
[Pg 301]
Page 70.
Pétrone.
L'on publia en 1687 une traduction de ce poète-romancier, dans laquelle le traducteur trouva le secret d'en faire un écrivain grave et un philosophe austère, qui peut même être lu par les dévotes dans leurs moments de délassement. Cela rappelle qu'il y a peu de temps, on publia en Angleterre une traduction de l'âne d'or, pour les dames.
Page 86.
La Guerre de Genève.
Voltaire publia un cinquième chant; mais il ne fit jamais le sixième.
Voici un autre extrait du pastiche de Cazotte, qui aurait dû ouvrir de suite, les yeux du public:
[Pg 303]
C'est ce passage qui fit qu'un homme de lettres s'écria: "Voyez, comme le grand homme ne craint pas de plaisanter de lui-même!" Cazotte était présent et entendit ce propos.
Page 97.
Marie Stuart et M. Mignet.
On peut consulter avec fruit sur cette malheureuse reine:
1º Histoire de Marie Stuart, avec pièces justificatives et remarques, (par Fréron et de Marsy). 2 vol. in 12º, Londres, 1742.
2º Histoire de Marie Stuart, décapitée à Londres le 18 Février 1587, rédigée sur des pièces originales, par Mercier de Compiègne. 1795, 2 parties en un volume in 8º, figures.
3º De Maria Stuarta conscripsit P. Ad. Chéruel. Rotomagi, 1849, in 8º.
4º Mémoires de Melvil.
Il était le ministre et l'ami de la reine d'Ecosse, et ses mémoires sont un des plus précieux monuments historiques de ce règne.
5º The Castles, Palaces, and Prisons of Mary of Scotland, by Charles Mackie. London, 1849, un fort volume, gr. in 8º, avec de nombreuses gravures.
[Pg 304]
Il est curieux d'observer qu'Edouard-Marie-Oettinger, dans son grand ouvrage de 2137 pages: "Bibliographie Biographique Universelle, etc.," ait oublié de faire mention des ouvrages relatifs à Marie Stuart.
Page 103.
Charles Brunet, par erreur, à l'article Clotilde, date ainsi la première édition de ses poésies: "Paris, an IX (1803);" mais il y a là sans doute une faute d'impression. Au lieu de an IX, il fallait an XI, année qui correspond à 1803.
Il y a un article assez curieux sur le Journal Littéraire de Lausanne, dans le 3me volume, page 91, des Soirées Littéraires de Coupé.
Page 146.
Arrêt du Parlement de Grenoble.
Arrêt, rendu le 13 Février 1637, en faveur de la Dame d'Aiguemère, sur la naissance d'un sien fils, arrivée quatre ans après l'absence de son mari, et sans avoir eu connaissance d'aucun homme;
[Pg 305]
Soutenant la dite Dame qu'encore que véritablement le sieur d'Aiguemère n'ait été de retour d'Allemagne, et ne l'ait vue ni connue depuis quatre ans, néanmoins la vérité est telle que, s'étant imaginé en songe, la personne et l'attouchement du sieur d'Aiguemère, elle reçut les mêmes sentiments de conception et de grossesse qu'elle eut pu recevoir en sa présence.
Vu en la dite Cour les attestations, avis et raisons de plusieurs médecins de Montpellier, sages-femmes, matrones, et autres personnes de qualité, sur la possibilité et la réalité des faits que dessus;
Informations faites à la requête du Procureur-Général;
Tout considéré;
La Cour ordonne que l'enfant dont est question, sera déclaré fils légitime et vrai héritier du sieur d'Aiguemère;
Condamne les sieurs de la Forge et de Bourg-le-Mont, appelans et demandeurs, à tenir la dite Dame d'Aiguemère, pour femme de bien et d'honneur, dont ils lui donneront acte, après la signification du présent, etc.
(Guy Pape, annoté par Chorier.)
A l'époque de ce jugement, plusieurs savants argumentèrent sur la puissance de l'imagination, croyant à l'arrêt et au fait qu'il avait établi.
[Pg 306]
Page 148.
La Guzla, Chants Illyriques.
Le pasticheur a pris toutes les précautions pour cacher sa supercherie. En tête de la notice sur la vie imaginaire d'Hyacinthe Maglanovich, est placée une gravure du barde slave qui joue de la Guzla, espèce de guitare n'ayant qu'une seule corde. Puis il nous apprend qu'il est Italien et sa mère une Morlaque; qu'il a traduit ces chants de la Dalmatie, de la Bosnie, et de la Croatie, en français, parce qu'il est habitué à considérer la France comme sa patrie; enfin il entremêle ses compositions, de ballades dont les sujets sont pris dans les ouvrages où il est question de véritables poésies illyriques. Ce livre, malgré son succès, est tombé dans l'oubli, quoique très bien fait, et on le trouve difficilement.
Nous avons dit que c'était, vers cette époque, un véritable cacothymie, de composer des pastiches. Des professeurs d'histoire, même à l'Académie de Paris, s'en mêlaient.
M. Auguste Trognon publia "l'Histoire admirable du Franc Harderad et de la vierge Aurélia, Légende du 7me siècle, retrouvée en 1800 à Aurillac et traduite par un amateur d'antiquités françaises."
[Pg 307]
Ce livre ayant été très bien accueilli du public, l'auteur donna peu de temps après: "Le Livre des Gestes du Roi Childebert III., Chronique du 8me siècle; découvert à l'abbaye de Saint Julien, à Brioude."
Ce pastiche-ci, qui est bien fait, était difficile, car une douzaine de lignes nous restent à peine dans toute la collection des savants Bénédictins, sur les Rois Fainéants et leur présence aux assemblées du Champ-de-Mai.
Les deux ouvrages sont devenus assez rares.
Page 152.
Sanchoniaton.
Court de Gebelin, dans ses Allégories Orientales ou Fragments de Sanchoniaton, Paris, 1773, in 4º, donne un abrégé de ce que l'on sait sur cet auteur phénicien, et cite les ouvrages des savants qui sont d'opinion qu'il n'exista jamais, ainsi que de ceux qui croient authentique son histoire.
Page 162.
Simonidès.
On trouve dans les Principia Typographica de M. Sotherby, 3 vol., in folº, Londres, 1858, un[Pg 308] récit détaillé des supercheries de ce Grec, dans le 2me vol. page 118.
A la page 133, est l'historique des lettres supposées de Byron, de Shelley et de Keats.
Page 190.
Fin de la Première Section.
Au nombre des auteurs qui ont fait mention de suppositions d'auteur, aucun, à notre connaissance, n'a parlé de l'ouvrage du savant Père Ménestrier, intitulé "Bibliothèque Curieuse et Instructive de divers ouvrages anciens et modernes, de Littérature et des Arts." (2 vol. in 12º, à Trévoux, 1706.)
Il renferme pourtant un chapitre sur notre sujet, et comme c'est un ouvrage peu connu, en voici un extrait:
"Il y a des livres supposés qui n'ont jamais été, ou attribués à d'autres qu'à leurs véritables auteurs. Ainsi au bout des ouvrages de Saint Augustin, on ajoute divers ouvrages qui lui ont été faussement attribués. On a fait la même chose à la fin des ouvrages de Saint Ambroise et d'autres Pères, ce qui est arrivé par l'inadvertance des copistes, avant l'invention de l'imprimerie.
[Pg 309]
"Les anciens moines assemblaient pour leur usage, en un corps, divers traités et ouvrages, sans distinguer les auteurs, ce que les savants s'efforcent de faire aujourd'hui, par la différence des styles, et d'après divers anachronismes et citations," etc.
Page 195.
Voiture (Note 1).
Cette anecdote sur Voiture, est loin d'être un fait singulier dans l'histoire littéraire. Il n'est pas extraordinaire qu'une chose nous demeure dans l'esprit, et que l'auteur de cette chose s'efface de notre mémoire. Ménage dans son "Anti-Baillet" rapporte que Racan lui avait souvent raconté qu'étant en garnison à Calais en 1608, à l'âge de 19 ans, il composa quelques vers sur la crainte de la mort. Quelque temps après, se trouvant à Paris, il récita ces vers à un de ses amis qui lui dit qu'il ne donnait point dans ce panneau, et que ces vers étaient pris dans "Les tablettes de la vie et de la mort," par le poète Mathieu. Or Racan jure qu'il n'avait jamais vu ce livre.
Ménage ajoute qu'il avait aussi ouï dire à[Pg 310] Corneille qu'il avait écrit ces deux vers célèbres de son Polyeucte:—
sans soupçonner le moins du monde qu'ils fussent de Godeau, Evêque de Vence, dans une ode au Cardinal de Richelieu, composée quinze ans avant le Polyeucte.
Leonardo Salviati, au premier livre de ses "Avertissements de la langue Italienne," affirme qu'un poète de son temps, qui n'avait jamais vu les sonnets du Cardinal Bembo, en avait fait de tous semblables.
Page 205.
Le Champfleury de Geoffrey Tory.
Rabelais n'a pas seulement imité, mais copié ce passage dans Geoffrey Tory. On lit textuellement dans son livre, imprimé au plus tard en 1529, "Despumons la verbocination latiale, et transfrétons la Sequane au crépuscule, puis déambulons par les quadrivies et platées de Lutèce, et comme vérisimiles amorabondes, captivons la bénévolence de l'omnigène et uniforme sexe féminin."
[Pg 311]
Peut-être était-ce une plaisanterie traditionnelle parmi les écoliers de l'Université de Paris.
L'âge d'or, pour le langage prétentieux, tiré du grec et du latin, fut en France, le règne de Henri II. et de Charles IX., et Ronsard le premier en introduisit l'usage à la Cour, où c'était la mode d'Hélisenner, de Pindariser et d'Homériser. Ceux qui ne savaient pas le grec, se rabattaient sur le latin. On avait mal au cérèbre; on avait les femores rompues, ou les crures enflées; on appelait sa maîtresse sa chère Entéléchie.
Page 206.
Giles Ménage.
Ce savant avait une mémoire qui tenait du prodige. Au sujet des plagiats, il disait, "Je me souviens fort bien de ce que j'ai prêté, mais je ne me souviens pas de ce que j'ai emprunté."
Page 236.
Poème de Lysis.
La brochure de 26 pages, qui contient ce poème, est devenue très rare. Il est divisé en[Pg 312] trois chants, le 1er. est intitulé Sapho, le 2me. Corinne, et le 3me. Ismène.
A la suite, est la traduction de l'Hymne à Vénus, dont voici un extrait:—
On peut comparer ces vers, aux idées exprimées par Lucrèce, dans son invocation à Vénus.
Page 238.
Comte de Peyronnet en Prison.
Vigneul de Marville dans ses "Mêlanges de Littérature," tome i., p. 215, rapporte plusieurs[Pg 313] exemples de prisonniers qui se sont consolés avec les Muses, de la perte de leur liberté. Coupé, dans ses "Soirées Littéraires" tome x., p. 103, a ajouté plusieurs autres exemples à cette liste, qu'il ne prolonge pas, dit-il, parce-qu'il finirait peut-être par faire aimer l'état de prisonnier.
Page 249.
The Dynamic of a Particle.
Cette brochure imprimée à Oxford en 1869, commence par une préface, raillerie très plaisante sur la géométrie. En voici un extrait:—
"It was a lovely autumn evening, and the glorious effects of chromatic aberration were beginning to show themselves in the atmosphere, as the earth revolved away from the great western luminary, when two lines might have been observed wending their weary way across a plane superficies. The elder of the two had, by long practice, acquired the art of lying evenly between his extreme points; but the younger, in her girlish impetuosity, was ever longing to diverge and become an hyperbola, or some such romantic and boundless curve. They had lived and loved; fate and the intervening superficies had[Pg 314] hitherto kept them asunder; but this was no longer to be: a line had intersected them, making the two interior angles, on the same side of it, together less than two right angles. It was a moment never to be forgotten, and, as they journeyed on, a whisper thrilled along the superficies in isochronous waves of sound: Yes! we shall at length meet, if continually produced! (Jacobi's Course of Mathematics, chap. i.)
"We have commenced with the above quotation as a striking illustration of the advantage of introducing the human element into the hitherto barren region of mathematics.
"Who shall say what germ of romance yet unobserved, may not underlie the subject?
"Who can tell whether the Parallelogram, which, in our ignorance, we have defined and drawn, and the whole of whose properties we profess to know, may not be all the while panting for exterior angles, sympathetic with the interior, or sullenly repining at the fact that it cannot be inscribed in a circle?" &c.
Page 255.
Pastiches-Parodies de Chalons.
Ce n'est pas à tort que Quérard a qualifié ce savant Belge, d'effréné mystificateur.
[Pg 315]
Il serait difficile d'énumérer toutes ses plaisanteries en ce genre; nous ne ferons mention ici que d'une collection très peu connue en dehors de la Belgique, composée de cinq ou six petits traités Rabelaisiens, publiée en 1857, à Bruxelles chez Decq, sous le titre de Œuvres philosophiques, médicales, posthumes, humanitaires, et complettes du Docteur Cloetboom.
Le traité de Boutonistique fut probablement suggéré à M. Chalons par une dissertation publiée en 1842 par la Société de Bibliophiles de Reims, sous le titre de "Histoire Chronologique, Pathologique, Économique, Artistique, Soporifique, et Melliflue, du très noble, très excellent et très vertueux pain d'épice de Reims."
Le célèbre Grosley, mort en 1785, avait donné l'élan, par ses Mémoires de l'Académie de Troyes en Champagne, à ces dissertations, réflexions et mémoires sur des sujets ridicules ou puériles, satire ingénieuse, spirituelle et ironique, de la gravité souvent burlesque, avec laquelle des académies plus célèbres discutent sur des questions souvent aussi peu importantes que celles qui occupa l'Académie de Troyes.
[Pg 316]
Page 257.
Sonnet de Trissotin.
M. A. Millaud à Bélise.
Page 258.
Suppléments d'Homère.
Nous n'avons pas cité les poèmes du Crétois Dictys, et du Phrygien Darès (qu'on suppose avoir été retrouvés, l'un à l'époque d'Auguste, l'autre au temps de Néron), parceque ces ouvrages, fabriqués au 3me ou 4me siècle, ne sont point des continuations d'Homère. Le faux Darès s'éloigne encore plus que le faux Dictys, des légendes grecques, sur la guerre de Troie. Chacun de ces poèmes est la contre-partie de l'autre. D'un côté c'est le Grec qui parle, de l'autre, c'est le Troyen.
[Pg 318]
On a publié anciennement, comme étant de Cornélius Népos, et traduction de Darès le Phrygien, un poème latin en 6 chants, intitulé "De Bello Trojano," et un autre ouvrage en prose, aussi sur la prise de Troie; mais c'est une erreur que Schœll a relevée dans son Histoire de la Littérature Romaine.
Ce sont les œuvres du moine anglais Joseph Iscanus, ou Devonius, c'est à dire du Devonshire, qui les composa vers la fin du 12me siècle.
Dictys, Darès et Iscanus ont été publiés réunis, en 1762, à Amsterdam.
Page 274.
Continuations de Romans.
Miguel Cervantes avait publié son histoire de Don Quichotte en 1604, et en donna la seconde partie en 1615, ce qui n'empêcha pas Avellaneda (pseudonyme qu'on n'a point encore démasquée) de publier une suite aux deux premières sorties du Chevalier de la Manche, sous le titre de "Second Volume de l'ingénieux Hidalgo Don Quichotte."
Emile Chasles, dans son ouvrage sur Cervantes et ses œuvres, a rudement traité cette continuation d'Avellaneda, que Germond de[Pg 319] Lavigne, dans sa traduction, a soutenu être au moins égale en mérite à l'original.
G. de Lavigne a publié aussi une traduction de la célèbre Célestine, roman resté longtemps inachevé, et qui eut plusieurs continuateurs oubliés aujourd'hui, à l'exception de Fernando de Rojas, qui sut si bien imiter le style de la première partie, que quelques-uns pensèrent qu'il était l'auteur de tout l'ouvrage, quoique son travail ne parut que plusieurs années plus tard.
Presque tous les romans espagnols de renom ont eu des suppléments. Un inconnu donna une continuation de Lazarille de Tormes, de Don Diego de Mendoza; un pseudonyme, Lujan de Sayavedra, composa une seconde partie de Guzman d'Alfarache, du vivant même de l'auteur, Mateo Aleman.
Page 286.
Faux Portrait de Montaigne.
Le nombre des soi-disants portraits historiques originaux est assez considérable. Un doute artistique intéressant, encore à éclaircir, est celui du portrait d'Albert Durer, peint par lui-même, en 1498.
Kugler veut que l'original soit dans la collection[Pg 320] florentine Degli Uffizi, portrait présenté à Charles I. d'Angleterre, par la ville de Nuremberg, et vendu dans la collection de ce souverain, après sa décapitation.
Mais comme Philippe IV. d'Espagne fut un des principaux acheteurs à cette vente, on soutient que le portrait de Florence n'est qu'un replica de celui de la Galerie Royale de Madrid, véritable original.
Dans les Notes and Queries du 13 Avril 1872, No 224, 4me série, on trouve une curieuse anecdote sur le portrait de Chatterton, dont une copie, insérée par John Dix, alias John Ross, dans une édition de la vie de ce poète, publiée à Bristol, en 1837, fut réputée authentique jusqu'en 1857. Chatterton, comme Shakespeare, n'a pas laissé, l'image de ses traits, à la postérité.
Page 290.
Fausses Médailles.
Le lecteur a pu lire dans la première section, ce qui concerne Annius de Viterbe et ses antiquités de Bérose, de Manethon, etc. Ce savant s'occupait beaucoup aussi de numismatique. Ses ennemis ont prétendu qu'il falsifiait les médailles, ainsi que les textes anciens; qu'il[Pg 321] faisait graver des inscriptions, les cachait dans les vignes, près de Viterbe, les déterrait ensuite et les portait en triomphe aux magistrats, leur faisant accroire que leur ville était beaucoup plus ancienne que Rome, puisque, d'après ces inscriptions, elle avait été bâtie par Isis et Osiris, deux mille ans avant Romulus.
(Soirées Littéraires de Coupé, tome vi., page 55.)
Page 296.
Comment discerner les Fausses Médailles.
Un excellent petit traité sur ce sujet, et sur les auteurs qui l'ont traité, est celui de M. de Montigny: "De la falsification des Médailles antiques et des Faussaires." Paris: J. Techener, 1845.
Les premières pièces fausses qui parurent, furent des médailles imaginaires.
Les plus habiles faussaires de monnaies romaines furent Jean Cavino et Alexandre Bassiano, connus sous le nom de Padouans, et associés vers 1540.
On indique dans ce traité, quels furent ceux qui s'acquirent le plus de renommée dans la falsification des médailles.
[Pg 322]
Le fameux Becker, mort à Hambourg, en 1830, non content d'imiter, inventa à plaisir. On a le catalogue de ces produits.
Page 292.
L'abbé Michel Fourmont.
Une note perdue du manuscrit, durant le tirage, sur les nombreuses supercheries littéraires de Fourmont, membre de l'Académie des Inscriptions, sous Louis XV., et professeur de Syriaque au Collège Royal, nous oblige à nous borner ici, à renvoyer les curieux à un long et intéressant article, sur ce célèbre faussaire (dans les Notes and Queries du 4 Mai 1872, page 368), dont Quérard a oublié de raconter l'histoire dans ses "Supercheries Littéraires."
[Pg 323]
PAGE
Abgar, roi d'Edesse, 14
Abdias, 16
Alexandrie, Manufacture de Pastiches, 21
Alcaforada (Mariana), 68
Anacréon, 20
Annius de Viterbe, 41
Apocalypse, 18
Astruc, 39
Anti-Jacobin (Poetry of the), 248
Alvin, 253
Ablancourt (d'), 273
Balzac (Guez de), 51
Balzac (Romancier), 240 et 244
Babrius, 156
Basselin (Olivier), 109
Barzas Breiz (chants bretons), 169
Bentley, 193
Berose, 42
Byron (Lord), 173
Bret Harte, 251
Béranger, 242[Pg 324]
Cadet de Gassicourt, 229
Carya Magalonensis, 159
Cérinthus (réputé auteur de l'Apocalypse), 18
Chatelain, 7 et 157
Chatterton (Thomas), 124
Chasles (Michel), 177
Chef-d'œuvre d'un Inconnu, 213
Cibdareal (Ferdinand Gomez de), 62
Clotilde de Surville, 99
Choiseul (Pasticheur), 83
Courtilz (Sandras de), 69
Cunningham (Allan), 141
Chénier (André), 242
Courier (Paul Louis), 247
Chalons, 255
Dacier (Madame), 211
De Ligne (Prince), 224
Du Mesnil (Eugène), 149
Du Roure (Marquis), 6 et 224
L'Elysée, ou scènes de l'autre monde, 229
Elyot (Thomas), 98
Enoch (Livre de), 8
Ezour-Vedam, 79
Feuillet de Conches, 176
Figaro (Le), 186 et 257
Fumée (Martin), 64
Gelase (Pape), 25
Guerre de Genève, 85[Pg 325]
Guevara (Antonio de), 56
Guzla, Chants Illyriens, 148
Hardouin, 28
Hermès Trismégiste, 19
Higuera (Jérôme), 60
Homère, 8 et 193 et 258
Hôpital (Chancelier de l'), 49
Horace, 88
Ingherami (Curzio), 65
Iphigénie de Rotrou, 217
Itinéraire de Pantin, 231
Ireland (William), 137
Jeanne de Naples, 39
Johnson (Le docteur), 114
Jules l'Africain, 16
Juvénal, 26
Janin (Jules), 244
Klaas Kolyn, 81
Keats, 173
Lacroix (Paul), 144
La Bruyère, 207
Lazare (Louis), 155
Lamotte, 211
Lebrun (Prince), 235
Leclerc (Victor), 236
Leopardi, 151
Lettres Portugaises, 68
Lettres de Livry, 219[Pg 326]
Lucas (Vrain), 171
Lucrèce, 149
Luna, (Michael de), 59
Littré, 247
Lewis (Sir G. C.), 252
Latouche (De), 242
Lucien, 273
Macrobe, 199
Macpherson, 116
Marie Stuart, 90
Marie Antoinette, 176
Marchena (Joseph), 76
Matanasiennes, 48
Mérite des Femmes, 234
Mérimée (Prosper), 148
Merula (Paul), 43
Minoïde Minas, 156
Moncrif, 112
Montesquieu, 154
Montmaur (Pierre de), 215
Muret, 46
Nodier (Charles), 5 et 236
Nodot (François), 73
Napoléon III, 243
Ordonnace de Jeanne de Naples, 39
Ossian, 116
Ovide, 33
Pastiches artistiques, 279
Paul (Saint), 15[Pg 327]
Pétrarque, 38
Pétrone, 70
Platon, 10
Philon de Byblos, 17
Pervigilium Veneris, 26 et 200
Phocylide, 33
Phalaris, 193
Peyronnet (Comte de), 238
Ponce Pilate, 14
Prince de Ligne, 224
Psalmanazar, 115
Purana, 81
Quichotte (Don), 214
Rabelais, 47
Robert de Champagne, 112
Romans Grecs, 37 et 196
Rocca (Comte de la), 62
Rostain (Bibliographe), 48
Rousseau (J. J.), 195
Sadolet (Cardinal), 44
Scaliger, 45
Sandras de Courtilz, 69
Sanchoniaton, 17 et 152
Sallengre, 215
Sigonius, 40
Sénèque, 15
Shelley, 173
Strada (Famineo), 198
Surville (Marquis de), 99[Pg 328]
Sainte Beuve, 241
Suppléments d'auteur, 258
Temple de Gnide, 154
Tallemant des Réaux, 146
Turnus, 52
Thackeray, 250
Tom Jones, 274
Valla (Joseph), 67
Villemarqué (de la), 169
Viterbe (Annius), 41
Voiture, 195
Voltaire, 77
Wagenfeld, 152
Xénophon, 10
Zunîga, (Don Juan Antonio de Veray), 62