The Project Gutenberg eBook of Chroniques de J. Froissart, tome 03/13

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Title: Chroniques de J. Froissart, tome 03/13

1342-1346 (Depuis la trêve entre Jeanne de Montfort et Charles de Blois jusqu'au siége de Calais)

Author: Jean Froissart

Editor: Siméon Luce

Release date: December 12, 2023 [eBook #72385]

Language: French

Original publication: Paris: Vve J. Renouard

Credits: Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

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Table

CHRONIQUES
DE
J. FROISSART


PARIS.—TYPOGRAPHIE LAHURE
Rue de Fleurus, 9


CHRONIQUES
DE
J. FROISSART

PUBLIÉ POUR LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
PAR SIMÉON LUCE


TOME TROISIÈME
1342-1346

(DEPUIS LA TRÊVE ENTRE JEANNE DE MONTFORT ET CHARLES DE BLOIS JUSQU’AU SIÉGE DE CALAIS)

[Logo: SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE]

A PARIS
CHEZ MME VE JULES RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, Nº 6


M DCCC LXXII

EXTRAIT DU RÈGLEMENT.

Art. 14.—Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les personnes les plus capables d’en préparer et d’en suivre la publication.

Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable chargé d’en surveiller l’exécution.

Le nom de l’Éditeur sera placé en tête de chaque volume.

Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans l’autorisation du Conseil, et s’il n’est accompagné d’une déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter d’être publié.


Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome III de l’édition des Chroniques de J. Froissart, préparé par M. Siméon Luce, lui a paru digne d’être publié par la Société de l’Histoire de France.

Fait à Paris, le 5 février 1872.

Signé L. DELISLE.

Certifié,

Le Secrétaire de la Société de l’Histoire de France,
J. DESNOYERS.

SOMMAIRE.


CHAPITRE LI.

1342. ROBERT D’ARTOIS EN BRETAGNE[1] (§§ 181 à 192).

Édouard III donne de grandes joutes à Londres en l’honneur de la comtesse de Salisbury[2] dont il est toujours épris. Douze comtes, huit cents chevaliers, cinq cents dames et pucelles assistent à ces joutes qui durent quinze jours.—Noms des principaux chevaliers, tant d’Angleterre que d’Allemagne, de Flandre, de Hainaut et de Brabant.—Toutes les dames et les damoiselles s’y montrent parées de leurs plus beaux atours, sauf la comtesse de Salisbury qui s’y rend dans le plus simple appareil, tant elle désire ne pas attirer sur elle les regards du roi d’Angleterre. Jean, fils aîné de Henri vicomte de Beaumont d’Angleterre, périt dans une de ces joutes de la main du comte de Hainaut. P. 1 à 3, 197 à 201.

Édouard III envoie l’évêque de Lincoln proposer une trêve de deux ans au roi David d’Écosse qui, après l’avoir d’abord refusée, finit par l’accepter du consentement du roi de France son allié[3]. P. 4 à 7, 201 à 207.

II Sur les instances de Jeanne de Flandre, comtesse de Montfort, qui a profité de la trêve[4] conclue entre elle et Charles de Blois pour aller en Angleterre demander du secours[5], Édouard III donne à cette princesse son alliée une armée de mille hommes d’armes et de deux mille archers sous les ordres de Robert d’Artois, pour retourner en Bretagne. La flotte qui porte cette armée se compose de trente six vaisseaux grands et petits; en quittant III l’île de Guernesey, elle se rencontre avec une flotte au service du roi de France que commandent Louis d’Espagne, Charles Grimaldi et Ayton Doria. La flotte française ne se compose que de trente deux vaisseaux espagnols montés par mille hommes d’armes et trois mille Génois; mais parmi ces trente deux vaisseaux il y a neuf galées, dont trois plus fortes que les autres et montées par les trois amiraux en personne. Louis d’Espagne, qui veut prendre sa revanche de l’échec de Quimperlé, attaque les Anglais avec beaucoup d’impétuosité; toutefois l’action n’avait pu s’engager que dans l’après-midi, et une tempête qui survient, jointe à l’obscurité de la nuit, met fin à cette lutte et sépare les combattants. Les amiraux français, qui craignent d’être jetés à la côte avec leurs gros vaisseaux, gagnent à toutes voiles la haute mer, tandis que Robert d’Artois, chef de la flotte anglaise, réussit à jeter l’ancre dans un petit port, à quelque distance de Vannes[6]. P. 7 à 11, 206 à 211.

Pendant que Louis d’Espagne est poussé par les vents contraires jusque sur les côtes de Navarre et revient à grand peine à la Rochelle, puis à Guérande, après avoir capturé sur sa route quatre navires de Bayonne, la comtesse de Montfort et Robert d’Artois mettent le siége devant Vannes. Une forte garnison tient cette ville pour Charles de Blois sous les ordres de Hervé de IV Léon, d’Olivier de Clisson, des seigneurs de Tournemine et de Lohéac. Les Anglais pillent et brûlent tout le pays situé entre Dinan[7], la Roche-Piriou[8], Gouelet-Forest, la Roche-Bernard[9] et Suscinio[10]. Gautier de Mauny lui-même, après s’être tenu quelque temps à Hennebont, laissant cette forteresse sous la garde de Guillaume de Cadoudal, accourt sous les murs de Vannes avec Ivon de Trésiguidy, cent hommes d’armes et deux cents archers, pour renforcer les assiégeants. La ville est prise après un jour d’assaut, et Gautier de Mauny y entre le premier. Hervé[11] de V Léon, Olivier de Clisson, les seigneurs de Tournemine, de Lohéac et les autres chevaliers du parti français n’ont pas le temps de se retirer dans le château, mais ils parviennent à se sauver. P. 11 à 16, 211 à 217.

Après la prise de Vannes, la comtesse de Montfort, Gautier de Mauny et Ivon de Trésiguidy rentrent à Hennebont, tandis que les comtes de Salisbury, de Pembroke, de Suffolk vont assiéger Rennes. Quatre jours avant l’arrivée des Anglais devant Rennes Charles de Blois avait quitté cette ville, y laissant bonne garnison et s’était rendu avec sa femme à Nantes[12]. P. 11 à 17, 211 à 220.

Hervé de Léon et Olivier de Clisson font appel à Robert de Beaumanoir, maréchal de Bretagne, et à tous les partisans de Charles de Blois, pour reprendre Vannes à Robert d’Artois. Pierre Portebeuf, capitaine de Dinan, leur amène mille hommes; le capitaine d’Aurai, deux cents; Gérard de Mâlain, châtelain de la Roche-Piriou, deux cents; Renier de Mâlain, châtelain du Faouët, cent; le sire de Quintin, capitaine de Quimper-Corentin, cinq cents. Robert d’Artois est bientôt assiégé dans Vannes par des forces qui ne s’élèvent pas à moins de douze mille hommes; il est blessé à un assaut et n’a que le temps de se sauver par une poterne pour chercher un refuge à Hennebont. Édouard Spencer, fils de Hugh Spencer, est aussi blessé à cet assaut et ne survit que trois jours à sa blessure. Quant à Robert d’Artois, il repasse en Angleterre pour se guérir, mais les fatigues de la traversée empirent sa situation, et il meurt à Londres[13], où Édouard III lui fait faire de magnifiques obsèques. P. 17 à 20, 220 à 224.

VI

CHAPITRE LII.

1342 ET 1343. ÉDOUARD III EN BRETAGNE[14] (§§ 192 à 202).

Le roi d’Angleterre jure de venger la mort de Robert d’Artois. De grands préparatifs sont faits dans les ports de Plymouth, de Wesmouth, de Darmouth et de Southampton. Édouard III prend bientôt la mer[15] avec deux mille hommes d’armes et six mille archers, et, après avoir côtoyé la Normandie, les îles de Guernesey et de Brehat, débarque en Bretagne, à quelque distance d’Hennebont où se tient la comtesse de Montfort; puis il va mettre le siége devant Vannes, que garde pour Charles de Blois une garnison de deux cents chevaliers et écuyers sous les ordres[16] d’Olivier de Clisson, de Hervé de Léon, de Geffroi de Malestroit, du vicomte de Rohan et du sire de la Roche Tesson. Après un assaut infructueux, le roi d’Angleterre laisse une partie de ses gens devant Vannes, puis il va rejoindre avec le gros de ses forces les chevaliers anglais qui assiégent Rennes. Là, il apprend que Charles de Blois, sa femme et ses enfants se sont refugiés à Nantes, c’est pourquoi il se dirige aussitôt de ce côté; arrivé sous les murs de cette ville, il y offre la bataille à Charles de Blois, qui la refuse. Force lui est de se borner à investir Nantes[17], et encore d’un côté seulement, car les Français ont réussi VII à garder leurs communications du côté de la ville qui regarde le Poitou, par où ils s’approvisionnent. De ce côté aussi, les assiégés reçoivent des renforts amenés par Louis d’Espagne, Charles Grimaldi et Ayton Doria, qui, avec leurs Espagnols, Génois, Bretons et Normands, écumeurs de mer, ont passé la saison à détrousser les marchands, aussi bien ceux du parti français que ceux du parti anglais. Édouard III laisse devant Nantes la moitié de ses forces, et avec l’autre moitié il va assiéger Dinan; ainsi, en une saison et à la fois, en personne ou par ses gens, il met le siége devant trois cités (Vannes, Rennes, Nantes) et une bonne ville (Dinan). A un terrible assaut qui se livre sous les murs de Vannes, Olivier de Clisson et Hervé de Léon[18] sont faits prisonniers du côté des Français, le baron de Stafford du côté des Anglais. Le roi d’Angleterre s’empare de Dinan et revient renforcer ceux de ses gens qui assiégent Vannes. Sur ces entrefaites, Louis d’Espagne, Charles Grimaldi et Ayton Doria surprennent la flotte anglaise, qui était à l’ancre dans un petit port près de Vannes et la maltraitent. Pour éviter le retour d’une surprise du même genre, Édouard III met ses navires à couvert, partie dans le havre de Brest, partie dans celui d’Hennebont. P. 20 à 29, 224 à 239.

Par l’ordre du roi de France son père, Jean, duc de Normandie, se met à la tête d’une armée de dix mille hommes d’armes et de trente mille gens de pied qui s’est rassemblée à Angers[19] et VIII marche au secours de son cousin Charles de Blois. A l’approche des Français, les Anglais qui assiégeaient Nantes lèvent le siége de cette ville et vont rejoindre devant Vannes le roi d’Angleterre.—Pendant le séjour du duc de Normandie à Nantes, les Anglais livrent un assaut à la ville de Rennes, qui dure un jour entier; ils y perdent beaucoup de gens par suite de la vigoureuse résistance des assiégés qui ont à leur tête leur évêque, le baron d’Ancenis, le sire du Pont, Jean de Malestroit, Yvain Charruel et Bertrand du Guesclin, alors jeune écuyer.—Le duc de Normandie quitte Nantes pour marcher avec son armée au secours de Vannes assiégée par les Anglais: il établit son camp en face des assiégeants; ce que voyant, Édouard III, qui a besoin de toutes ses forces pour résister à un ennemi quatre fois supérieur en nombre, fait lever le siége de Rennes[20]. Les cardinaux de Palestrina et de Clermont[21] sont chargés par le pape Clément VI[22] de s’entremettre de la paix entre les deux partis, que la disette de vivres et la rigueur de la saison obligent à accepter cette médiation[23]. Une trêve est conclue entre les deux rois de France et d’Angleterre, qui doit durer jusqu’à la Saint Michel prochaine, et IX de là en trois ans[24]. Le duc de Normandie retourne en France, et Édouard III en Angleterre. P. 29 à 35, 239 à 247.

CHAPITRE LIII.

1343. EXÉCUTION D’OLIVIER DE CLISSON SUIVIE DE CELLE D’UN CERTAIN NOMBRE DE CHEVALIERS BRETONS.—1344. EXÉCUTION DES SEIGNEURS NORMANDS COMPLICES DE GODEFROI DE HARCOURT.ÉDOUARD III FAIT DÉFIER LE ROI DE FRANCE[25] (§§ 202 à 204).

Olivier de Clisson, accusé de haute trahison, subit à Paris le dernier supplice[26]; environ dix chevaliers ou écuyers de Bretagne X sont mis à mort quelque temps après l’exécution d’Olivier de Clisson, comme complices de ce dernier[27]. Enfin, plusieurs seigneurs XI de Normandie, accusés eux aussi de haute[28] trahison, Guillaume Bacon[29], le sire de la Roche Tesson[30], Richard de Percy[31], ont plus tard le même sort que les chevaliers bretons. P. 29 à 36, 239 à 250.

Édouard III fait reconstruire le château de Windsor[32], où l’on bâtit une chapelle de saint Georges, et fonde l’Ordre de la Jarretière[33]. Irrité de l’exécution d’Olivier de Clisson et des autres chevaliers bretons et normands, il met en liberté Hervé de Léon XII son prisonnier et le charge d’aller de sa part défier le roi de France. P. 36 à 41, 250 à 257.

CHAPITRE LIV.

1345. PREMIÈRE CAMPAGNE DU COMTE DE DERBY EN GUIENNE[34]. (§§ 205 à 223).

Édouard III rompt la trêve de Malestroit; il envoie le comte de Derby en Gascogne[35], Thomas d’Agworth[36] en Bretagne contre XIII les Français, le comte de Salisbury en Irlande contre les Irlandais. Parti de Southampton avec des forces considérables, le comte de Derby débarque à Bayonne, puis se rend à Bordeaux dont les habitants l’accueillent avec enthousiasme. Pendant ce temps, le comte de l’Isle, qui se tient à Bergerac à la tête des forces françaises, se dispose à disputer aux Anglais le passage de la [Dordogne].—Derby, en quittant Bordeaux[37] pour marcher contre Bergerac, s’arrête un jour et une nuit à une petite forteresse qu’on appelle Montcuq[38]; et le lendemain de cette halte, ses coureurs s’avancent jusqu’aux barrières de Bergerac, qui n’est qu’à une lieue de Montcuq. Le matin de ce même jour, Gautier de Mauny, dînant à la table du comte de Derby, propose de livrer immédiatement l’assaut pour boire à souper des vins des seigneurs de France. A la suite d’un premier assaut, les Anglais emportent le premier pont ainsi que les barrières et se rendent maîtres des faubourgs de Bergerac. Un second assaut dirigé contre les remparts reste infructueux. Ce que voyant, Derby fait venir de Bordeaux un certain nombre de navires avec lesquels il attaque Bergerac par eau; il réussit à rompre sur une grande étendue les palissades qui défendent la ville de ce côté. Le comte de l’Isle, voyant que la place n’est plus tenable, fait déloger la garnison et se sauve en toute hâte à la Réole. Les habitants de Bergerac s’empressent de se rendre au comte de Derby et lui font féauté et hommage au nom du roi d’Angleterre[39].—Derby, XIV après s’être rafraîchi deux jours à Bergerac, quitte cette ville pour aller attaquer Périgueux; chemin faisant, il soumet Langon[40] dont la garnison se retire sur Monsac[41], le Lac (les Lèches[42]), Maduran[43], Lamonzie[44], Pinac[45], Lalinde[46], Forsach (Laforce[47]), XV la Tour de Prudaire[48], Beaumont[49], Montagrier[50], Lisle[51], chef-lieu de la seigneurie du comte de ce nom, Bonneval[52]. Après des tentatives infructueuses contre Périgueux[53] et Pellegrue[54], Derby s’empare du château d’Auberoche[55] dont les habitants se rendent sans coup férir[56] ainsi que de la ville de Libourne[57] et rentre à Bordeaux. P. 41 à 62, 237 à 282.

Le comte de l’Isle, informé du retour de Derby à Bordeaux, met le siége devant Auberoche et fait venir de Toulouse quatre machines de guerre pour abattre les remparts du château. Les assiégés d’Auberoche chargent un de leurs valets de porter à XVI Derby une dépêche qui l’informe de la détresse où ils se trouvent. Ce valet est arrêté par les assiégeants qui, après avoir pris connaissance de la dépêche dont il est porteur, le placent dans la fronde d’une de leurs machines de guerre et le lancent avec son message pendu au cou[58]. A la nouvelle du danger que court la garnison d’Auberoche, Derby quitte en toute hâte Bordeaux[59], rallie sur sa route les gens d’armes anglais, tant ceux qui se tiennent à Libourne sous Richard de Stafford que ceux qui occupent Bergerac sous le comte de Pembroke, et vient livrer bataille[60] aux Français à quelque distance d’Auberoche. Défaite des Français: les comtes de l’Isle[61], de Valentinois[62], de Périgord[63] et de Comminges[64], les vicomtes de XVII Villemur[65] et de Caraman[66], les sénéchaux de Rouergue, du Querci[67] et de Toulouse[68], les seigneurs de la Barde et de Taride[69], les deux frères Philippe et Renaud de Dion sont faits prisonniers; Roger[70], oncle du comte de Périgord, le sire de Duras, Aymar de Poitiers[71], XVIII les vicomtes de Murendon[72], de Bruniquel, de Tallard et de Lautrec[73] sont tués.—Mécontentement du comte de Pembroke qui n’arrive à Auberoche qu’après la bataille.—Derby laisse à Auberoche une garnison sous les ordres d’un chevalier gascon nommé Alexandre de Caumont et retourne à Bordeaux. P. 62 à 73, 292 à 295.

CHAPITRE LV.

1345 ET 1346. BRUITS CALOMNIEUX CONTRE ÉDOUARD III.—SECONDE[74] CAMPAGNE DU COMTE DE DERBY EN GUIENNE[75] (§§ 223 à 235).

«Vous[76] avez entendu parler ci-dessus de l’amour d’Edouard III pour la comtesse de Salisbury. Toutefois, les Chroniques de Jean le Bel parlent de cet amour plus avant et moins convenablement XIX que je ne dois faire, car, s’il plaît à Dieu, il ne saurait entrer dans ma pensée d’inculper le roi d’Angleterre et la comtesse de Salisbury d’aucun vilain reproche. Si les honnêtes gens se demandent pourquoi je parle ici de cet amour, qu’ils sachent que messire Jean le Bel raconte dans ses Chroniques que le roi anglais viola la comtesse de Salisbury. Or, je déclare que je connais beaucoup l’Angleterre, où j’ai longtemps séjourné, à la Cour principalement, et chez les grands seigneurs de ce pays; et pourtant je n’ai jamais entendu parler de ce viol, quoique j’aie interrogé là-dessus des personnes qui l’auraient bien su, si jamais il en avait rien été. D’ailleurs, je ne pourrais croire et il n’est pas croyable qu’un si haut et vaillant homme que le roi d’Angleterre est et a été, se soit laissé aller à déshonorer une des plus nobles dames de son royaume et un de ses chevaliers qui l’a servi si loyalement et toute sa vie: aussi d’ores en avant je me tairai de cet amour et reviendrai au comte de Derby et aux seigneurs d’Angleterre qui se tenaient à Bordeaux.»

Vers la mi-mai[77] 1345, le comte de Derby quitte Bordeaux où il vient de passer ses quartiers d’hiver[78], et, après avoir fait à Bergerac sa jonction avec le comte de Pembroke, il marche contre la Réole. Derby reçoit sur sa route la soumission des habitants de Sainte-Bazeille[79]; il s’empare de la Roche XX Meilhan[80], et, après avoir mis pendant quinze jours le siége devant Monségur[81], reçoit à composition le capitaine de cette forteresse, se fait rendre Aiguillon[82], emporte d’assaut XXI Castelsagrat[83], après quoi il met le siége devant la Réole. P. 73 à 80, 293 à 300.

La garnison qui défend pour le roi de France la ville et le château de la Réole a pour capitaine un chevalier provençal nommé Agout des Baux. Après quelques assauts, les habitants de la ville font leur soumission[84] à Derby au nom du roi d’Angleterre, malgré tous les efforts d’Agout des Baux, qui se retire alors dans le XXII château avec ses compagnons. Les assiégeants font miner ce château.—Sur ces entrefaites, Gautier de Mauny est informé que son père est enterré à la Réole. Le Borgne de Mauny, père de Gautier, dans un tournoi qui s’était tenu à Cambrai, avait tué par mégarde un neveu de l’évêque[85] de cette ville, jeune chevalier de la famille de Mirepoix[86]; et un jour que le Borgne de Mauny, au retour d’un pélerinage à Saint-Jacques en Galice, était venu voir le comte de Valois qui assiégeait alors la Réole[87], il avait trouvé la mort dans une embuscade et par une vengeance des parents du jeune chevalier tué à Cambrai.—Agout des Baux rend le château de la Réole au comte de Derby, moyennant que lui et ses compagnons, originaires de Provence, de Savoie et du Dauphiné, pourront aller où bon leur semblera et conserveront leurs armes[88]. P. 80 à 91, 300 à 309.

XXIII Prise de Monpezat[89], de Castelmoron[90] et de Villefranche[91] en Agenais par Derby,—de Miramont[92], de Tonneins[93] et de Damazan[94] par les gens d’armes de Derby. P. 91 à 94, 309 à 312.

Le comte de Derby met le siége devant Angoulême[95] dont les XXIV habitants prennent l’engagement de se rendre, s’ils ne sont pas secourus dans un mois.—Tentatives infructueuses des Anglais contre Blaye[96], Mortagne[97] en Poitou, Mirabel[98] et Aulnay[99]. Reddition d’Angoulême et rentrée de Derby à Bordeaux. P. 94 à 96, 312 à 313.

XXV

CHAPITRE LVI.

1344. BANNISSEMENT DE GODEFROI DE HARCOURT.—1345. MORT DE JACQUES D’ARTEVELD ET DU COMTE DE HAINAUT.—1346. JEAN DE HAINAUT EMBRASSE LE PARTI DE PHILIPPE DE VALOIS[100] (§§ 236 à 240).

Godefroi de Harcourt, frère du comte de Harcourt et sire de Saint-Sauveur-le-Vicomte en Normandie, s’attire la haine de Philippe de Valois qui le bannit du royaume[101]. Godefroi de Harcourt se réfugie d’abord en Brabant[102] auprès du duc Jean son cousin; plus tard il passe en Angleterre[103] où il fait hommage à Édouard III qui l’accueille favorablement et lui assigne une pension. P. 96 et 97, 313 et 315.

Alliance étroite d’Édouard III et de Jacques d’Arteveld qui entreprend de déshériter, non-seulement Louis, comte de Flandre, mais encore Louis de Male, le jeune fils du dit comte, et de faire ériger le comté de Flandre en duché au profit du prince de Galles[104], fils aîné du roi d’Angleterre. Edouard III et son fils XXVI viennent à l’Écluse[105] avec une flotte nombreuse pour mettre à exécution ce projet. Les tisserands de Gand [excités sous main par Jean, duc de Brabant[106], qui veut marier sa fille à Louis de Male], font alors de l’opposition à Jacques d’Arteveld qui périt un jour dans une émeute de la main d’un tisserand nommé Thomas Denis[107]. Édouard III est transporté de fureur en apprenant la fin tragique de Jacques d’Arteveld; il quitte l’Écluse et regagne son royaume[108]. Les bonnes villes de Flandre envoient alors des députés à Londres pour se disculper et calmer le ressentiment du roi anglais. Ces députés déclarent que le désir des Flamands est de marier le jeune Louis de Male, héritier présomptif de leur comté, à l’une des filles du roi d’Angleterre; celui-ci se tient pour satisfait et rend aux bonnes villes de Flandre son amitié[109]. P. 97 à 105, 315 à 321.

XXVII Siége et prise d’Utrech par Guillaume, comte de Hainaut. Ce prince entreprend une expédition contre les Frisons; il est battu et tué à Staveren[110]. «A la suite de ce désastre, les Frisons ne furent plus inquiétés jusqu’en 1396.... En cette année, sur une marche qu’on dit le Vieux Cloître, Guillaume, comte d’Ostrevant, fils du duc Aubert, vengea grandement la mort de son grand oncle Guillaume de Hainaut; il alla plus avant en Frise que personne ne fût allé auparavant, ainsi qu’il vous sera raconté et déduit ci-après en l’histoire, si moi Froissart, auteur et compilateur de ces Chroniques, puis avoir le temps, l’espace et le loisir, et que je m’en puisse voir suffisamment informé[111].» Après la mort du comte de Hainaut, Jeanne sa veuve, fille aînée du duc Jean de Brabant, se retire dans la terre de Binche[112] qui forme son douaire; et Jean de Hainaut, qui vient de s’échapper à grand peine des mains des Frisons, gouverne le comté en attendant que Marguerite de Hainaut, sœur du comte défunt et femme de l’empereur Louis de Bavière, prenne possession[113] de l’héritage de son frère. P. 105 à 107, 321 à 324.

XXVIII En considération de son gendre le comte Louis de Blois, neveu du roi de France, et sur les instances des seigneurs de Fagneulles, de Barbenchon, de Senzeilles et de Ligny, Jean de Hainaut renvoie son hommage au roi d’Angleterre[114] et prête serment de fidélité à Philippe de Valois[115]. Le roi de France lui assigne une pension[116] pour le dédommager de la perte de celle qu’il touchait sur la cassette d’Édouard III. P. 107 et 108, 324 et 325.

CHAPITRE LVII.

1346. EXPÉDITION DE JEAN, DUC DE NORMANDIE, EN GUIENNE.—SIÉGE D’AIGUILLON[117] (§§ 241 à 253).

A la nouvelle des succès du comte de Derby en Guyenne, Philippe de Valois se prépare à la résistance; il met Jean son fils, duc de Normandie, à la tête des forces chargées d’opérer au-delà de la Loire contre les Anglais. Les plus grands seigneurs de France, notamment les ducs de Bourgogne et de Bourbon, se rendent à l’appel de Philippe de Valois. Jean, duc de Normandie, traverse l’Orléanais, le Berry, l’Auvergne et arrive vers la fête de Noël 1345 à Toulouse[118], rendez-vous général des forces françaises XXIX dont l’effectif s’élève à six mille hommes d’armes et à quarante[119] mille gens d’armes à lances et à pavais «qu’on nomme aujourd’hui gros varlets[120].» Après la Noël, départ de Toulouse[121], prise de Miramont[122], de Villefranche[123] et siége [d’Agen[124]] par le duc de XXX Normandie.—Le comte de Derby envoie à Aiguillon l’élite de ses chevaliers, Gautier de Mauny entre autres, fait mettre le château dans le meilleur état de défense et reprend Villefranche aux Français.—Pendant le siége [d’Agen] par les Français, le sénéchal de Beaucaire, le duc de Bourbon et une foule d’autres seigneurs partent un soir du camp et, après avoir chevauché toute la nuit, arrivent au lever du jour devant un lieu nommé Anthenis[125], nouvellement rendu aux Anglais, dont ils s’emparent, grâce XXXI à une feinte du sénéchal de Beaucaire, ainsi que de six ou huit cents têtes de gros bétail.—La nuit d’avant la Purification (2 février), Jean de Norwich, capitaine de la garnison anglaise [d’Agen], menacé par la disette de vivres et instruit des dispositions favorables des habitants pour les Français, demande et obtient du duc de Normandie une trêve d’un jour en l’honneur de la fête de la sainte Vierge; il profite de cette trêve pour traverser le camp des Français et se réfugier, lui et les siens, avec armes et bagages, dans la forteresse d’Aiguillon.—Le lendemain de la Purification (3 février[126] 1346), les habitants [d’Agen] ouvrent leurs portes et font leur soumission au fils du roi de France. Le duc de Normandie, poursuivant le cours de ses succès, emporte d’assaut le château de Damazan[127], Tonneins[128] sur la Garonne, Port-Sainte-Marie[129] et enfin met le siége devant la forteresse d’Aiguillon. P. 108 à 120, 325 à 339.

Les Français, au nombre de cinq[130] mille hommes d’armes, XXXII établissent leur camp le long de la Garonne et commencent le plus beau siége que l’on eût jamais vu; il dura depuis l’entrée [d’avril[131]] jusqu’à la fin du mois d’août[132]. Les Français parviennent, malgré deux sorties vigoureuses des assiégés, à faire un pont qui leur permet de passer la rivière et de serrer de plus près le château d’Aiguillon.—Le duc de Normandie, pour attaquer sans cesse l’ennemi avec des troupes fraîches, répartit son armée en quatre corps dont chacun doit tous les jours, à tour de rôle, prendre part à l’assaut: du matin à prime, c’est le tour des Espagnols, des Génois, des Provençaux, des Savoisiens et des Bourguignons; de prime à midi, entrent en lice les gens d’armes de Narbonne, de Montpellier, de Béziers, de Montréal[133], de Fougax[134], de Limoux, de Capestang et de Carcassonne; de midi à vêpres, reprennent les gens d’armes de Toulouse, du Rouergue, du Querci, de l’Agénois et du Bigorre; de vêpres à la nuit combattent les gens du Limousin, du Vélay, du Gévaudan, de l’Auvergne, du Poitou et de la Saintonge.—Les Français, dont XXXIII tous les assauts sont repoussés par les assiégés, font venir de Toulouse huit machines de guerre, les plus puissantes qu’on peut trouver.—Gautier de Mauny, qui fait souvent des sorties pour chercher des vivres et ravitailler la garnison, rencontre dans une de ces sorties Charles de Montmorency, maréchal de l’host du duc de Normandie, et le met en déroute.—Les assiégeants s’emparent, à la suite d’un combat acharné, du pont-levis qui donne accès à la porte du château[135].—Deux maîtres ingénieurs du duc de Normandie établissent sur quatre gros navires quatre puissantes machines de guerre appelées chats; mais au moment où les navires qui portent ces machines s’approchent des murs du château, les assiégés se mettent à lancer, au moyen de quatre martinets, des pierres énormes qui brisent l’une de ces machines et forcent les assiégeants à renoncer à se servir des autres.—Malgré le découragement des siens, le duc de Normandie est décidé à continuer le siége. Alors les seigneurs français chargent les comtes de Blois, de Guines et le [sire] de Tancarville de se rendre en France pour renseigner le roi sur ce qui vient de se passer. Philippe de Valois approuve la résolution de son fils et lui enjoint de maintenir le siége jusqu’à ce que, par la famine ou de vive force, Aiguillon ait capitulé. P. 120 à 128, 340 à 351.

CHAPITRE LVIII.

1346, 12 JUILLET-13 AOÛT.—ÉDOUARD III EN NORMANDIE[136] (§§ 254 à 263).

Édouard III entreprend de passer la mer avec une nombreuse armée pour arrêter les progrès des Français et les forcer à lever XXXIV le siége d’Aiguillon[137]. Après avoir nommé le comte de Kent[138], son cousin, gardien du royaume en son absence, il s’embarque vers la Saint-Jean[139] à Southampton[140] en compagnie du prince de Galles son fils aîné et de Godefroi de Harcourt. Noms des principaux chevaliers qui font partie de l’expédition. La flotte anglaise fait voile vers Bordeaux et la Gascogne, mais les vents contraires la repoussent sur les côtes d’Angleterre[141]. Godefroi de Harcourt profite adroitement de cette circonstance pour décider le roi d’Angleterre à débarquer en Cotentin.—Préparatifs de défense du roi de France[142].—Descente XXXV d’Édouard III à Saint-Vaast-de-la-Hougue[143]. P. 128 à 133, 351 à 360.

Prise, pillage et incendie de Barfleur[144], de Cherbourg[145], de Valognes[146], de Montebourg[147] et de Carentan[148]. P. 133 à 136, 360 à 364.

XXXVI De Carentan, Édouard III se dirige vers Saint-Lô, mais avant d’y arriver, il fait halte trois jours sur le bord d’une rivière[149]. Prise, pillage et incendie de Saint-Lô, ville trois fois plus peuplée que Coutances, dont les habitants, au nombre de huit ou neuf mille, se livrent surtout à la fabrication des draps. De Saint-Lô, les Anglais se dirigent vers Caen[150]. P. 136 à 140, 364 à 370.

Caen est trois fois plus considérable que Saint-Lô et presque aussi important que Rouen[151]. Deux riches abbayes, XXXVII Saint-Étienne[152] et la Trinité, sont aux deux extrémités de la ville dont le château[153] est un des plus beaux et des plus forts de toute la Normandie. Robert de Wargnies est capitaine de ce château, et il a sous ses ordres une garnison de trois cents Génois. La ville proprement dite est défendue par les bourgeois renforcés d’un certain nombre de gens d’armes, commandés par le comte d’Eu, connétable de France et le [sire[154]] de Tancarville. Au moment où Édouard III arrive devant Caen, sa flotte[155], qui n’a cessé de suivre tous les mouvements de l’armée de terre en côtoyant le rivage, vient jeter l’ancre à Ouistreham, havre situé à l’embouchure de la rivière d’Orne qui traverse Caen, à deux petites lieues de cette ville. P. 140 et 141, 370 à 372.

Le comte d’Eu et le [sire] de Tancarville sont d’avis d’évacuer une partie de la ville et de se retirer de l’autre côté de la Rivière[156], pour y attendre l’ennemi; mais l’impatience des bourgeois XXXVIII les force à marcher en avant et à offrir la bataille aux Anglais. L’action est à peine engagée que ces mêmes bourgeois, saisis de panique, se livrent à un sauve-qui-peut général[157]. Le comte d’Eu et le [sire] de Tancarville, impuissants à les retenir au combat, veulent défendre l’entrée du pont qui réunit deux parties de la ville séparées par la Rivière, mais ils sont bientôt obligés de se rendre avec vingt-cinq autres chevaliers à un seigneur anglais nommé Thomas de Holland. Édouard III, irrité de la perte de cinq cents[158] des siens qui viennent d’être tués à l’attaque de la ville, se dispose à mettre tout à feu et à sang pour les XXXIX venger, lorsque Godefroi de Harcourt, dont il a fait le maréchal de son armée, réussit à l’en empêcher. Les Anglais occupent Caen pendant trois jours. Édouard III achète le comte d’Eu et le [sire] de Tancarville vingt mille nobles à Thomas de Holland, et charge le comte de Huntingdon[159], commandant de la flotte ancrée à Ouistreham, de conduire ces deux seigneurs en Angleterre, ainsi que soixante chevaliers et trois cents riches bourgeois faits aussi prisonniers à la prise de Caen. P. 141 à 147, 372 à 379.

Une fois maître de Caen, Édouard III poursuit sa marche victorieuse[160] dans la direction[161] d’Évreux et de Rouen[162]. Prise, pillage, incendie de Louviers, de Vernon, de Verneuil, de Pont de l’Arche et de tout le pays environnant par les Anglais. P. 148 et 149, 379 à 382.

XL

CHAPITRE LIX.

1346, 14-25 AOÛT. ÉDOUARD III DANS L’ÎLE DE FRANCE, LA PICARDIE, LE VIMEU ET LE PONTHIEU; PRÉLIMINAIRES DE LA BATAILLE DE CRÉCY[163] (§§ 263 à 273).

Édouard III arrive à Poissy[164] dont le pont a été rompu par les Français. Incendie de Saint-Germain-en-Laye, de Montjoie[165], de Saint-Cloud, de Boulogne, de Bourg-la-Reine, par les Anglais.—Frayeur et murmures des Parisiens: Philippe de Valois se rend à Saint-Denis à la tête d’une puissante armée, tandis qu’Édouard III se tient à Poissy où il célèbre solennellement la fête de l’Assomption. P. 149 et 150, 382 à 384.

Rencontre entre l’avant-garde de l’armée anglaise commandée par Godefroi de Harcourt et des gens d’armes de la Commune d’Amiens[166] qui se rendent à Paris pour obéir au mandement de XLI Philippe de Valois; les Amiénois sont mis en déroute. Départ de Poissy[167] et chevauchée des Anglais à travers le Beauvaisis: incendie de l’abbaye de Saint-Lucien[168] de Beauvais, malgré la défense XLII expresse d’Édouard III; halte à Milly[169]; incendie des faubourgs de Beauvais après un assaut infructueux tenté contre cette ville défendue par son évêque[170]; halte à Grandvilliers[171]; prise et incendie de Dargies[172] et de Poix[173]; arrivée des Anglais à Airaines[174].—Sur ces entrefaites, Philippe de Valois, parti de Saint-Denis à la poursuite des Anglais, fait une halte à [Coppegueule[175]], à trois XLIII lieues d’Amiens, pour attendre ses gens d’armes qui de toutes parts accourent le rejoindre. P. 150 à 155, 384 à 388.

Pendant que le roi d’Angleterre se tient à Airaines, il envoie l’avant-garde de son armée, sous les ordres du comte de Warwick et de Godefroi de Harcourt, tenter le passage de la Somme à Longpré[176], à Pont-Remy[177], à Fontaine-sur-Somme[178], à Long-en-Ponthieu[179] et à Picquigny[180]. Repoussés sur tous ces points par les Français qu’ils trouvent partout en force pour garder les ponts et défendre le passage de la rivière, les coureurs anglais retournent à Airaines.—Ce même soir, le roi de France vient coucher à Amiens[181] à la tête d’une armée de plus de cent mille hommes. P. 155 et 156, 388 à 390.

Le lendemain, dès le matin, Édouard III part d’Airaines et chevauche à travers le Vimeu[182] en se dirigeant vers Abbeville. Incendie d’Aumale[183], de Senarpont[184], du château et de l’abbaye de Mareuil[185] par les Anglais; les flammes de ces incendies volent jusqu’à Abbeville[186]; engagement près d’Oisemont entre les Anglais XLIV et les gens d’armes de tout le pays de Vimeu ayant à leur tête le sire de Boubers, chevalier banneret. Défaite des Français. Le sire de Boubers est pris par Jean Chandos; et les seigneurs de Brimeux, de Sains, de Louville et de Sempy sont aussi faits prisonniers par les Anglais. Édouard III entre dans Oisemont et y passe la nuit dans le «grand hôpital[187].» Ce même jour, Godefroi de Harcourt est repoussé de Saint-Valery[188] par le comte de Saint-Pol et Jean de Ligny, capitaines de la garnison. Pendant ce temps, Philippe de Valois, qui désire acculer les Anglais entre son armée et la Somme, charge Godemar du Fay d’aller par la rive droite avec douze mille hommes garder les ponts et les passages de cette rivière depuis Abbeville jusqu’au Crotoy et notamment le passage de Blanquetaque[189] situé en aval d’Abbeville; XLV lui-même prend le chemin d’Airaines d’où les Anglais sont partis le matin et où il arrive à midi. Le roi d’Angleterre, voyant que son armée ne peut passer la Somme ni à Saint-Valery ni à Abbeville, promet cent nobles à qui lui fera connaître un gué entre ces deux villes; c’est alors qu’un habitant de Mons en Vimeu, fait prisonnier par les Anglais, nommé Gobin Agache, pour recouvrer sa liberté et gagner la récompense promise, indique à Édouard III le gué de Blanquetaque. P. 156 à 160, 390 à 395.

Édouard III part le jeudi[190] à une heure du matin d’Oisemont et arrive vers le lever du soleil au gué de Blanquetaque; ayant trouvé la marée haute, il est obligé d’en attendre le reflux jusqu’après prime (six heures du matin). Godemar du Fay, qui se tient de l’autre côté, sur la rive droite de la Somme, à la tête de douze mille hommes, la plupart gens d’Abbeville, de Saint-Riquier[191], de Saint-Esprit-de-Rue[192], de Montreuil[193] et du Crotoy[194], après avoir XLVI disputé de toutes ses forces[195] le passage aux Anglais, voit les siens fuir dans toutes les directions; atteint lui-même d’une blessure[196], il se replie sur Saint-Riquier.—Ce même jour, le roi de France, parti le matin d’Airaines, arrive à Oisemont à l’heure de tierce (9 heures du matin) et après y avoir fait halte une heure seulement, il se remet à la poursuite des Anglais dans la direction de Blanquetaque, situé à environ cinq lieues d’Oisemont, lorsqu’il apprend, en passant à Mons, que le corps d’armée de Godemar du Fay a été taillé en pièces et qu’Édouard III vient de passer la Somme: ne pouvant plus dès lors traverser cette rivière que sur le pont d’Abbeville, il y va coucher le soir même. P. 160 à 163, 395 à 399, 403.

Édouard III, une fois parvenu sur la rive droite de la Somme, s’étend dans la direction de Noyelles[197], qu’il épargne en considération XLVII de la comtesse d’Aumale, [fille[198]] de Robert d’Artois; mais ses maréchaux chevauchent jusqu’au port du Crotoy[199] qu’ils pillent et brûlent et où ils trouvent quantité de navires chargés de vins du Poitou et d’autres vivres et denrées dont ils s’emparent pour l’approvisionnement de l’armée[200]. Le lendemain matin (vendredi 25 août), le roi d’Angleterre s’avance avec le gros de ses gens vers Crécy-en-Ponthieu[201], tandis que ses deux maréchaux chevauchent, l’un dans la direction de Rue pour couvrir la gauche, l’autre dans la direction d’Abbeville et de Saint-Riquier, pour couvrir la droite de l’armée; le roi anglais vient camper le soir assez près de Crécy. Arrivé là en plein Ponthieu, pays qui doit lui appartenir comme ayant été donné en mariage à sa mère, il prend la résolution d’attendre les Français le lendemain pour XLVIII leur livrer bataille et fait occuper à ses troupes une position très-avantageuse choisie par ses maréchaux.—Pendant ce temps, le roi de France, arrivé à Abbeville le jeudi soir, passe la journée du vendredi à concentrer ses troupes; informé le soir par ses maréchaux du changement survenu dans l’attitude des Anglais, il réunit à souper les princes et hauts seigneurs de sa suite, heureux de leur annoncer une bataille pour le lendemain.—Le vendredi soir, le roi d’Angleterre donne aussi à souper aux comtes et barons de son armée. P. 163 à 168, 399 à 405.

CHAPITRE LX.

BATAILLE DE CRÉCY[202] (§§ 274 à 287).

Le samedi matin 26 août, Édouard III et le prince de Galles son fils entendent la messe, se confessent et reçoivent la communion. Par l’ordre du roi anglais, on établit un grand parc près d’un bois[203] derrière l’armée; tous les hommes d’armes mettent XLIX pied à terre ainsi que les archers, et l’on enferme tous les chevaux et les chariots dans le dit parc qui n’a qu’une entrée. Édouard III divise son armée en trois batailles dont deux sont commandées par lui et son fils; il les passe en revue, enjoignant à chacun sous les peines les plus sévères de rester à son rang et de ne jamais l’abandonner sans son ordre exprès, quoi qu’il arrive[204]; puis, après avoir fait bien boire et bien manger tous ses gens, il les invite à se reposer assis par terre, leurs bassinets et leurs arcs devant eux, afin d’être plus frais et plus dispos en attendant l’attaque des Français. P. 168 à 170, 405 à 410.

Ce samedi au matin, le roi de France entend la messe [au prieuré] de Saint-Pierre d’Abbeville; il ne met son armée en mouvement qu’après soleil levant, et il ralentit sa marche pour donner le temps de le rejoindre à ses gens dont les uns sont logés à Abbeville, les autres à Saint-Riquier. Parvenu à environ deux lieues d’Abbeville[205], il charge quatre chevaliers, Le Moine de L Bazeilles, les seigneurs de Noyers, de Beaujeu et d’Aubigny, de prendre les devants et d’aller en reconnaissance pour se rendre compte de la position des Anglais. Ces chevaliers rapportent que les ennemis ont pris les meilleures dispositions et montrent beaucoup d’assurance; c’est pourquoi, ils conseillent au roi de France, qui n’a pas encore été rejoint par tous ses gens et dont les troupes, épuisées par une longue marche, ont besoin de repos, d’attendre le lendemain pour livrer bataille. Le roi de France approuve fort ce conseil et donne l’ordre à ses maréchaux de le faire mettre sur-le-champ à exécution; mais les chevaliers qui marchent en première ligne se font un point d’honneur de ne pas reculer et de ne pas se laisser devancer par ceux qui les suivent: ils refusent d’obéir aux maréchaux. D’un autre côté, il est malaisé de rétrograder, toutes les routes entre Abbeville et Crécy étant encombrées de plus de vingt mille bons hommes des Communes qui, à trois lieues de distance des ennemis, brandissent déjà leurs épées en criant: «Mort, mort à ces perfides Anglais! Il n’en retournera pas un en Angleterre.» P. 171 à 174, 410 à 415.

«Aucun homme, eût-il assisté à la bataille, ne pourrait exactement concevoir ce qui s’y passa, notamment en ce qui concerne les Français, tant il y eut de confusion et de désordre de leur côté. Ce que j’en sais, je l’ai appris en grande partie par les Anglais qui se rendirent bien compte de la situation de leurs adversaires et aussi par les gens de monseigneur Jean de Hainaut, qui se tint toute cette journée aux côtés du roi de France[206]

A l’approche des Français, les Anglais se lèvent en bon ordre et se forment en trois batailles; celle du prince de Galles s’avance la première, précédée des archers disposés en forme de herce; la seconde bataille, sous les ordres des comtes de Northampton et d’Arundel, se tient sur les ailes, prête à appuyer la première, si LI besoin est; enfin la bataille du roi d’Angleterre est encore plus en arrière[207], et Édouard III lui-même prend position sur la motte d’un moulin[208] à vent d’où l’on domine tous les alentours. P. 174 et 175, 415 et 416.

Première et troisième rédactions[209]. A la vue des Anglais rangés en bataille, Philippe de Valois perd tout son sang-froid, tant est violente la haine qu’ils lui inspirent; il ne peut se retenir de les combattre, et dit à ses maréchaux: «Faites avancer nos Génois LII et commencer la bataille, au nom de Dieu et de monseigneur Saint-Denis!» Les Génois, au nombre de quinze mille[210], qui marchent depuis le matin avec leurs arbalètes sur le dos, déclarent qu’ils ont besoin d’un instant de repos avant d’engager le combat. Ce qu’apprenant le comte d’Alençon, transporté de fureur, s’écrie: «Regardez, on se doit bien charger vraiment de telle ribaudaille! Ils ne sont bons qu’à manger. Qu’on les tue tous[211]: ils nous portent plus d’obstacle que de secours.» Sur ces entrefaites, survient une pluie d’orage accompagnée d’éclairs et de tonnerre à laquelle succède un soleil éclatant dont les rayons éblouissent les yeux des Français qui les reçoivent en face, tandis qu’ils ne frappent les Anglais que de dos. P. 175 à 177, 418 à 419.

Seconde rédaction[212]. Les Génois et le maître des arbalétriers qui les commande chevauchent jusqu’à ce qu’ils soient arrivés en face des Anglais. Alors ils s’arrêtent, prennent leurs arbalètes et s’apprêtent à commencer la bataille. Vers l’heure de vêpres, éclate un orage avec éclairs, tonnerre et pluie abondante poussée par un très-grand vent: les Français reçoivent cette pluie en plein visage, tandis que les Anglais l’ont par derrière. Les Génois s’avancent au combat en poussant des cris et des hurlements; les Anglais ne s’en émeuvent pas et font détonner certains canons[213] LIII qu’ils tiennent en réserve, pour frapper les Génois de stupeur. Quand l’orage est passé, le maître des arbalétriers donne l’ordre aux Génois de tirer de leurs arbalètes pour rompre les rangs des ennemis; ces Génois sont bien vite battus par les archers[214] anglais: ils cherchent à fuir, mais ils se trouvent pris entre ceux qui les poursuivent et les batailles des grands seigneurs français qui s’avancent dans le plus grand désordre. Poussés par les fuyards ou atteints par les flèches anglaises, les chevaux des Français refusent d’aller plus avant, se cabrent ou tombent les uns sur les autres; la confusion est ainsi portée à son comble. Les fantassins anglais en profitent et, se glissant dans la mêlée, tuent ces seigneurs sans défense à coups de dagues, de haches ou avec de courtes massues. La bataille, commencée dans l’après-midi, dure dans ces conditions jusqu’à la tombée de la nuit. Le roi de France, de sa personne, ni aucun de sa bannière ne peut parvenir jusqu’à l’endroit même où l’on se bat; il en est ainsi des gens des Communes de France: seul le sire de Noyers, ancien et preux chevalier qui porte l’oriflamme, la souveraine bannière du roi, réussit à pénétrer jusqu’au milieu de la mêlée et y trouve la mort[215]. P. 416 à 418.

LIV Le vaillant et gentil Jean, roi de Bohême, comte de Luxembourg, [sire de Ammeries et de Rainmes[216], rebaptisé au dire de quelques-uns sous le prénom de Charles[217]], demande à ses gens ce qui se passe, car il est complétement aveugle. A la nouvelle de la déroute des Génois, il invite les chevaliers de sa suite à le conduire si avant dans la mêlée qu’il puisse frapper un coup d’épée. Le Moine de Bazeilles[218] et les autres chevaliers, soit de Bohême, LV soit du Luxembourg, qui composent l’escorte de ce vaillant prince, s’empressent de se rendre à son désir, et, pour être plus sûrs de n’être pas séparés les uns des autres ni du roi leur seigneur, ils attachent ensemble leurs chevaux par les freins. Le roi de Bohême s’avance ainsi jusqu’au plus fort du combat où il accomplit des prodiges de valeur et se fait tuer avec tous les siens[219], sauf deux écuyers, Lambert d’Oupeye[220] et Pierre d’Auvilliers, qui parviennent je ne sais comment à se sauver. Le fils du roi de Bohême, Charles, élu depuis peu roi d’Allemagne[221], loin de s’associer à l’héroïsme de son père, reprend le chemin d’Amiens, dès qu’il voit que la victoire penche du côté des Anglais. P. 177 à 179, 420 à 422.

Philippe de Valois est au désespoir et frémit de colère en voyant une aussi puissante armée que la sienne taillée en pièces par une poignée d’Anglais. Jean de Hainaut console le roi de France et l’engage à quitter le champ de bataille: la nuit est proche et l’obscurité sera telle bientôt qu’en s’avançant le roi courrait grand risque de se jeter au milieu des ennemis. Cependant, Philippe, qui a la rage et le désespoir au cœur, chevauche un peu en avant comme pour rejoindre les comtes d’Alençon et de Flandre qui sont descendus d’un tertre qu’ils occupaient et soutiennent sans reculer tout l’effort du prince de Galles et de sa bataille.—Le matin de cette journée, le roi de France avait donné à Jean de Hainaut un magnifique coursier noir que monte un chevalier de Hainaut nommé Thierri de Senzeilles, porte-bannière du sire de Beaumont: cheval et cavalier sont réduits au milieu des hasards du combat à se frayer de vive force un passage à travers les rangs de l’armée anglaise qu’ils parviennent à fendre sans que la hampe de la bannière se détache un seul LVI instant des buhos[222] où elle est fixée. Thierri de Senzeilles, se trouvant ainsi séparé de son maître et ne pouvant revenir sur ses pas, chevauche à toute bride dans la direction de Doullens et d’Arras; il arrive le dimanche à Cambrai où il apporte la bannière de son seigneur. Jean de Hainaut et Charles de Montmorency, qui se tiennent au frein du cheval du roi de France, entraînent celui-ci, comme malgré lui, loin du champ de bataille; mais un chevalier de Hainaut, appelé Henri de Houffalize[223], sire de Wargnies-le-Petit[224], attaché au chapeau et au frein du seigneur de Montmorency, ne veut pas, à l’exemple de son maître, quitter le champ de bataille: éperonnant son cheval, il s’élance en pleine mêlée et se bat jusqu’à ce qu’il ait trouvé la mort. P. 179 à 181, 422 à 423.

Cette bataille, livrée le samedi 26 août entre Labroye[225] et Crécy, est encore plus sanglante que chevaleresque. D’ailleurs, la plupart des grands faits d’armes de la journée sont restés inconnus, car elle s’engage fort tard dans l’après-midi. Cette circonstance porte surtout préjudice aux Français, dont beaucoup, se trouvant séparés de leurs seigneurs à la tombée de la nuit et errant à l’aventure dans l’obscurité, vont se jeter au milieu de leurs ennemis. Les Anglais les tuent sans merci, le mot d’ordre ayant été donné le matin de ne prendre personne à quartier à cause de l’immense multitude des Français. Ceux-ci, toutefois, aidés de leurs auxiliaires allemands et savoisiens, ayant LVII réussi à rompre les archers de la bataille du prince de Galles, entreprennent une lutte corps à corps avec les gens d’armes anglais et déploient un courage héroïque. Sur ces entrefaites, la seconde bataille des Anglais, sous les ordres des comtes de Northampton, d’Arundel et de l’évêque de Durham, vient renforcer la première que commande le prince de Galles en personne; Renaud de Cobham et Jean Chandos font des prodiges de valeur. Néanmoins, la lutte est assez acharnée pendant un moment pour que les comtes de Warwick, de Hereford et Renaud de Cobham, auxquels a été confiée la garde du prince, envoient un chevalier demander du secours au roi d’Angleterre, qui, de la motte d’un moulin à vent, suit toutes les péripéties de la bataille. «Mon fils est-il mort ou blessé mortellement?» demande Édouard III au messager nommé Thomas de Norwich.—«Non, monseigneur,» répond celui-ci.—«Retournez alors, reprend le roi, dire à ceux qui vous ont envoyé de ne me point requérir tant que mon fils sera en vie; qu’ils laissent donc l’enfant gagner ses éperons: cette journée est sienne, et je veux qu’il en ait l’honneur.» P. 181 à 183, 423 à 425.

Le comte de Harcourt, frère, et le comte d’Aumale[226], neveu de Godefroi de Harcourt, sont tués; averti du danger qu’ils courent, Godefroi arrive trop tard pour leur sauver la vie. Le comte Charles d’Alençon, frère de Philippe de Valois, le comte Louis de Blois, neveu du roi de France, le duc de Lorraine, les comtes de Flandre, d’Auxerre, de Saint-Pol[227] et le grand prieur de France trouvent aussi la mort en combattant les Anglais. P. 424, 183 et 184.

Première rédaction. Philippe de Valois quitte le champ de bataille à la tombée du jour; escorté de cinq chevaliers seulement, Jean de Hainaut, les seigneurs de Montmorency, de Beaujeu, d’Aubigny et de Montsaut, il arrive au milieu de la nuit devant le château de Labroye dont le châtelain[228], s’entendant LVIII appeler, demande qui frappe à sa porte à une heure aussi avancée: «Ouvrez, ouvrez, châtelain, répond Philippe, c’est l’infortuné roi de France.» Le roi reste à Labroye jusqu’à minuit, y prend quelques rafraîchissements et se fait donner des guides pour le conduire; il entre à Amiens au point du jour et s’y arrête pour savoir ce que sont devenus ses gens. P. 184 et 185.

Il y eut beaucoup de morts du côté des Français, et si les Anglais les avaient poursuivis, comme ils firent à Poitiers, il en serait resté encore davantage sur le champ de bataille y compris le roi de France lui-même; mais les vainqueurs se contentèrent de défendre leurs positions et de repousser les attaques. Le roi de France fut redevable de son salut à cette circonstance, car il resta fort tard sur le théâtre de l’action; et lorsqu’il s’en éloigna, il n’avait pas à ses côtés plus de soixante hommes. Il avait eu déjà un cheval tué sous lui lorsque Jean de Hainaut, saisissant par la bride le coursier sur lequel Philippe était remonté, entraîna le roi pour ainsi dire de force loin du champ de bataille. Les archers anglais contribuèrent surtout au succès de cette journée, car ce furent eux qui mirent les Génois en déroute, et la déroute des Génois causa celle des chevaliers français, en quelque sorte écrasés, eux et leurs chevaux, sous cette masse de fuyards[229]. Ajoutez à cela que les gens d’armes et archers anglais étaient suivis de pillards et de ribauds, du pays de Galles et de Cornouaille, armés de grands coutelas, qui, profitant du désordre des ennemis, se jetaient à l’improviste sur les seigneurs français, comtes, barons et chevaliers, et les tuaient sans faire de quartier à personne: ce dont Édouard se montra très-irrité. P. 186 et 187.

Seconde rédaction. La défaite des Français à Crécy eut quatre causes principales: 1º par un orgueil déplacé, ils marchèrent au combat sans obéir à aucun plan, sans observer aucune discipline et contre la volonté même du roi qui fit de vains efforts, ainsi que Jean de Hainaut, pour parvenir sur le lieu du combat; 2º une LIX bonne partie des combattants, du côté des Français, n’avaient ni bu ni mangé de la journée, outre que, marchant depuis le matin, ils étaient accablés de fatigue; 3º ils combattirent, ayant le soleil dans les yeux[230], ce qui les incommodait beaucoup; 4º enfin, l’action s’engagea trop tard, la nuit arriva tout de suite; les gens d’armes français qui s’avançaient, n’y voyant plus assez pour reconnaître la bannière de leurs seigneurs, ne se reconnaissant même plus les uns les autres, allaient se jeter au milieu des ennemis. Du côté des Anglais, au contraire, aucun homme d’armes ne bougea de la place qui lui avait été assignée et n’empêcha les archers de lancer leurs traits.—Le roi de France, qui se tient à une certaine distance de la bataille avec Jean de Hainaut et les chevaliers de son escorte, apprend vers soleil couchant que son armée vient d’être taillée en pièces par les Anglais. A cette nouvelle, il est transporté de colère et, frappant son cheval des éperons, il s’élance vers les ennemis. Les grands seigneurs qui composent son escorte, Jean de Hainaut, Charles de Montmorency, les seigneurs de Saint-Dizier et de Saint-Venant, le supplient de ne pas exposer inutilement au danger en sa personne la noble Couronne de France. Philippe de Valois se rend à leurs conseils et prend le chemin de Labroye où il passe la nuit ainsi que les chevaliers de sa suite. Charles de Bohême, dès lors roi d’Allemagne, fils du roi Jean de Bohême, et le comte Guillaume de Namur, qui vient d’avoir un cheval tué sous lui, quittent aussi le champ de bataille où Guillaume laisse mort un de ses chevaliers nommé Louis de Jupeleu. Cette bataille se livre un samedi, le lendemain de la Saint-Barthélemy, au mois d’août, l’an 1346. Le roi d’Angleterre donne l’ordre de ne pas poursuivre les Français, de laisser les morts à l’endroit où ils sont tombés et de ne pas les dépouiller afin qu’on les puisse mieux reconnaître le lendemain matin; il enjoint à ses gens de reposer tout armés, à ses maréchaux de faire garder son camp par des sentinelles; puis il invite à souper tous les comtes, barons et chevaliers de son armée. P. 426 à 428.

Le soir, Édouard III, qui n’a pas mis son bassinet de la journée, LX descend de la hauteur où il s’est tenu pendant la bataille, vient vers son fils, lui donne l’accolade et l’embrasse, en disant: «Beau fils, Dieu vous garde! Vous êtes mon fils, car vous vous êtes bravement conduit en ce jour: vous êtes digne de tenir terre.» A ces mots, le prince s’incline tout bas et humblement devant le roi son père qu’il comble des marques de son respect. Les Anglais passent la nuit en actions de grâces et sans se livrer à aucuns divertissements, selon l’ordre exprès du roi. P. 187 et 188, 428 et 429.

Le dimanche, au matin, le brouillard est si épais qu’on voit à peine un arpent devant soi. Cinq cents hommes d’armes et deux mille archers anglais vont en reconnaissance pour voir s’il reste encore dans les environs quelque troupe d’ennemis à disperser; ils rencontrent les milices bourgeoises des communautés de Rouen, de Beauvais, d’Amiens, parties le matin d’Abbeville et de Saint-Riquier, sans rien savoir du désastre de la veille. Les Anglais tombent à l’improviste sur ces bonnes gens et en font un grand carnage; l’archevêque de Rouen[231] et le grand prieur de France périssent dans la mêlée. P. 188 et 189, 428 à 430.

Édouard III charge deux chevaliers, Renaud de Cobham et Richard de Stafford, d’aller sur le champ de bataille faire le recensement des morts. Ces deux seigneurs se font accompagner de deux hérauts qui reconnaissent les armes et de deux clercs[232] qui écrivent les noms; une journée tout entière est employée à ce travail. On trouve gisants sur le champ de bataille, du côté des Français, onze princes dont un prélat[233], quatre-vingt chevaliers bannerets, douze cents chevaliers d’un écu ou de deux et LXI quinze ou seize mille[234], tant écuyers que bourgeois, bidauds et Génois; du côté des Anglais, trois chevaliers seulement et vingt archers. Le duc de Lorraine, les comtes d’Alençon, de Blois, de Flandre, de Salm, de Harcourt, d’Auxerre, de Sancerre, d’Aumale[235] et le grand prieur de France sont retrouvés parmi les morts. Le roi d’Angleterre passe toute cette journée du dimanche sur le champ de bataille. Le lundi au matin, des hérauts viennent demander de la part du roi de France et obtiennent du roi anglais une trêve de trois jours pour enterrer les morts. Ces hérauts se nomment Valois, Alençon, Harcourt, Dampierre et Beaujeu. Édouard III fait déposer les restes des princes, et notamment ceux du roi de Bohême[236] son cousin germain, et ceux du comte de Harcourt, frère de Godefroi, [au prieuré] de Maintenay[237] situé à LXII quelque distance de Crécy. Ce même dimanche, le comte de Savoie et son frère viennent rejoindre le roi de France à la tête de mille lances; ils auraient pu prendre part à la bataille si l’on avait suivi le sage conseil du Moine de Bazeilles; ils sont au désespoir d’être arrivés trop tard. Toutefois, pour ne pas perdre leur voyage, et se rendre utiles au roi de France qui leur a payé leurs gages, ils passent au-dessus de l’armée victorieuse et vont se jeter dans Montreuil pour y tenir garnison contre les Anglais. P. 190 et 191, 431 et 432.

Le lundi au matin, le roi d’Angleterre chevauche vers Montreuil-sur-Mer et envoie ses maréchaux courir dans la direction de Hesdin[238]. Les Anglais brûlent Waben[239], mais tous leurs efforts échouent devant le château de Beaurain[240]; ils sont aussi repoussés devant Montreuil-sur-Mer, dont ils ne peuvent qu’incendier les faubourgs. Édouard III couche le lundi soir sur le bord de la rivière de Hesdin (la Canche) du côté de Blangy[241]. Le lendemain, il se dirige vers Boulogne, met le feu sur sa route à Saint-Josse[242], à Étaples[243] le Delue, à Neufchâtel[244] et passant entre la forêt de Hardelot[245] et les bois de Boulogne, arrive au gros bourg de Wissant[246] où il fait reposer ses gens tout un jour; il reprend sa marche le jeudi et vient mettre le siége devant la forte ville de Calais. P. 191 et 432.

Le roi de France, logé à l’abbaye du Gard[247] près d’Amiens, LXIII apprend le dimanche au soir la mort du comte d’Alençon son frère, du comte de Blois son neveu, du roi de Bohême son beau-frère et de tant d’autres princes et seigneurs; dans sa colère, il veut faire pendre Godemar du Fay, qu’il rend responsable du désastre de Crécy, pour avoir laissé passer les Anglais à Blanquetaque, mais Jean de Hainaut prend la défense de Godemar et parvient à le sauver. Philippe, après avoir fait rendre à ses proches les derniers devoirs, quitte Amiens et retourne à Paris. P. 192 et 193.


CHRONIQUES
DE J. FROISSART.


LIVRE PREMIER.

[1] § 181. Vous avés bien entendu en l’ystore chà

par devant comment li rois d’Engleterre avoit grans

guerres en pluiseurs marces et pays et par tout ses

gens et ses garnisons à grans coustages, c’est à

5savoir en Pikardie, en Normendie, en Gascongne,

en Saintonge, en Poito, en Bretagne, en Escoce. Si

avés bien entendu ossi comment il avoit si ardamment

enamé par amours la belle et noble dame

ma dame Aelis, contesse de Sallebrin, qu’il ne s’en

10pooit astenir, car amours l’en amonnestoit nuit et

jour telement et li representoit le biauté et le frice

arroi de li, si qu’il ne s’en savoit consillier. Et n’i

savoit que penser, comment que li contes de Salbrin

fust li plus privés de son conseil et li uns de chiaus

15d’Engleterre qui plus loyaument l’avoit servi. Si

avint que, pour l’amour de la ditte dame et pour le

[2] 2 grant desirier que il avoit de li veoir, il avoit fait

criier unes grandes festes de joustes à le moiienné

del mois d’aoust à estre en le bonne cité de Londres.

Et l’avoit fait criier et à savoir par deça le mer

5en Flandres, en Haynau, en Braibant et en France,

et donnoit à tous chevaliers et escuiers, de quel pays

qu’il fuissent, sauf alant et sauf revenant. Et avoit

mandet par tout son royaume, si acertes comme il

pooit, que tout signeur, baron, chevalier et escuier,

10dames et damoiselles y venissent, si chier qu’il

avoient l’amour de lui sans nulle escusance. Et commanda

especialment au dit conte de Sallebrin qu’il

ne laissast nullement que ma dame sa femme y fust

et [qu’elle[248]] amenast toutes les dames et damoiselles

15que elle pooit avoir entour li. Li contes li ottria

moult volentiers, car il n’i pensa nulle villonnie; et

la bonne dame ne l’osa escondire, mès elle y vint

moult à envis, car elle pensoit bien pour quoi c’estoit,

et si ne l’osoit descouvrir à son mari, car elle

20se sentoit bien si avisée et si attemprée que pour

oster le roy de ceste oppinion. Et devés savoir que

là fu la contesse de Montfort, car jà estoit arrivée et

venue en Engleterre, et avoit fait sa complainte au

roy moult destroitement. Et li rois li avoit couvent

25de renforcier son confort, et le faisoit sejourner

dalès ma dame la royne sa femme, pour attendre le

feste et le parlement qui seroit à Londres.

§ 182. Ceste feste fu grande et noble, ossi noble

que on n’avoit mies en devant veu plus noble en

[3] 3 Engleterre. Et y furent li contes Guillaumes de Haynau

et messires Jehans de Haynau ses oncles et grant

fuison de baronnie et chevalerie de Haynau. Et eut

à le ditte feste douze contes, huit cens chevaliers,

5cinq cens dames et pucelles, toutes de hault linage;

et fu bien dansée et bien joustée par l’espasse de

quinze jours, sauf tant que uns moult gentilz nobles

et jones bacelers y fu tués à jouster, qui eut grant

plainte: che fu messires Jehans, ainnés filz à monsigneur

10Henri, visconte de Byaumont d’Engleterre,

biau chevalier, jone et hardi, et portoit d’asur [semet

de fleurs de lis d’or[249],] à un lyon d’or rampant à un

baston de geules parmi l’escut. Toutes les dames et

les damoiselles furent de si rice atour que estre

15pooient, cescune selonch son estat, excepté ma dame

Aelis, la contesse de Salebrin. Celle y vint et fu le

plus simplement atournée que elle peut, par tant

que elle ne voloit que li rois s’abandonnast trop de

li regarder, car elle n’avoit pensée ne volenté de

20obeir au roy en nul villain cas qui peuist tourner à

le deshonneur de lui ne de son mari. Or vous nommerai

les contes d’Engleterre qui furent à ceste feste:

premierement messires Henris au Tors Col, conte

de Lancastre, messires Henris ses filz contes Derbi,

25messires Robers d’Artois contes de Richemont, li

contes de Norenton et de Clocestre, li contes de

Warvich, li contes de Sallebrin, li contes de Pennebruch,

li contes de Herfort, li contes d’Arondiel,

li contes de Cornuaille, li contes de Kenfort, li contes

30de Sufforch, le baron de Stanfort et moult d’autres

[4] 4 barons et chevaliers que je ne puis mies tous

nommer.

Ançois que ceste grande et noble feste fust departie,

li rois Edowars eut et rechut pluiseurs lettres

5qui venoient de pluiseurs seigneurs et de divers pays

de Gascongne, de Bayone, de Bretagne, de Flandres

de par d’Artevelle son grant ami; et des marces

d’Escoce, dou signeur de Ros et dou signeur de

Persi et de monsigneur Edowart de Bailluel, capitaine

10de Bervich, qui li segnefioient que li Escoçois tenoient

assés foiblement les triewes qui acordées avoient esté

l’anée passée entre yaulz et les Englès et faisoient

une grande assamblée et semonse, mais il ne savoient

pour ù c’estoit à traire de certain. Ossi li saudoiier

15qu’il tenoit en Poito, en Saintonge, en le Rocelle

et en Bourdelois si escrisoient que li François

s’apparilloient durement de guerriier, car les triewes

devoient fallir entre France et Engleterre, qui avoient

esté données à Arras apriès le departement dou

20siège de Tournay. Ensi eut li rois mestier d’avoir

bon avis et conseil, car moult de guerres li apparoient

de tous lès. Si en respondi as dis messages

bien et à point, et voloit briefment, toutes aultres

coses mises jus, secourir et conforter la contesse de

25Montfort.

Si pria à son chier cousin monsigneur Robert

d’Artois qu’il presist à se volenté des gens d’armes

et des arciers, et se partesist d’Engleterre et se mesist

en mer pour retourner en Bretagne avoech la ditte

30contesse de Montfort. Messires Robers li acorda

liement, et se apparilla au plus tost qu’il peut, et fist

se carge de gens d’armes et d’arciers; et s’en vinrent

[5] 5 assambler en le ville de Hantonne sus mer. Et furent

là un grant temps, ançois qu’il euissent vent à leur

volenté. Si se partirent environ Paskes, et entrèrent

en leurs vaissiaus et montèrent en mer. Avoech

5monsigneur Robert d’Artois estoient des barons

d’Engleterre li contes de Sallebrin, li contes de Sufforch,

li contes de Pennebruc, li contes de Kenfort,

le baron de Stanfort, le signeur Despensier, le signeur

de Boursier et pluiseur aultre. Or lairons un

10petit à parler d’yaus, et parlerons dou roy englès qui

fist un grant mandement parmi son royaume pour

estre à Paskes en le cité de Evruich ou pays de

Northombreland, sus l’intention que pour aler en

Escoce et tout destruire le pays, je vous dirai pour

15quel raison.

§ 183. En ce temps que li parlement estoient à

Londres des barons et signeurs d’Engleterre dessus

dis sus l’estat que vous avés oy, consillièrent li

prince au roy en bonne foy, consideret les grosses

20besongnes qu’il avoit à faire, qu’il envoiast l’evesque

de Lincolle à son serourge le roy d’Escoce pour

acorder une triewe ferme et estable, se il pooit, à

durer deux ans ou trois. Li rois à ce conseil s’acorda

moult à envis. Et li sambla grans blasmes de requerre

25son adversaire de triewes, selonch ce que on

li avoit fait de nouviel. Li signeur d’Engleterre li

disent, sauve sa grasce, que non estoit, selonch che

qu’il avoit tout gasté le royaume d’Escoce, et selonch

che qu’il avoit à faire en tant de fors [et divers[250]] pays.

[6] 6 Et disent que on tenoit à grant sens d’un signeur,

quant il a pluiseurs guerres en un temps, et il en poet

l’une atriewer, l’autre apaisier et le tierce guerroiier.

Tant li moustrèrent de raisons qu’il s’i acorda et pria

5au prelat dessus dit qu’il y volsist aler. Li evesques

ne li volt mies escondire, ains se mist au chemin et

en ala celle part, mais il perdi sa voie et revint en arrière

sans riens faire. Si raporta au roy d’Engleterre

que li rois David d’Escoce n’avoit point de conseil

10de donner triewes ne souffrance, ne de faire pais ne

acord, sans le gret et le consent dou roy Phelippe de

France. De ce raport eut li rois englès plus grant

despit que devant; si dist tout hault que ce seroit

amendet temprement, et qu’i[l] atourroit telement le

15royaume d’Escoce que jamais ne seroit recouvret. Si

manda par tout son royaume que cescuns fust à

Evruich à le feste de Paskes, apparilliés d’aler là où

il les vorroit mener, excepté chiaus qui s’en devoient

aler en Bretagne avoecques monsigneur Robert d’Artois

20et la contesse de Montfort.

§ 184. Li jours de le Paske et li termes vint. Li

rois Edowars tint une grant court à Evruic. Tout li

prince et li signeur et li chevalier d’Engleterre, qui

pour le temps y estoient, y furent et ossi grant fuison

25de le communauté dou pays. Et furent là par l’espasse

de trois sepmainnes sans chevaucier plus

avant, car bonnes gens s’ensonniièrent entre le roy

englès et le roy d’Escoce, par quoi il n’i ot adonc

point de guerre. Et fu une triewe prise, jurée et

30acordée à tenir deux ans, et le fisent li Escot contremer

deu roy de France. Par ensi se deffist ceste

[7] 7 grosse chevaucie, et departi li rois englès ses gens et

leur donna congiet de raler en leurs hostelz. Et il

meismes s’en revint à Windesore et envoia adonc

monsigneur Thumas de Hollandes et monsigneur

5Jehan de Hartecelle à Bayone à tout deux cens armeures

de fer et quatre cens arciers, pour garder les

frontières contre les François.

Or vous parlerons de l’armée monsigneur Robert

d’Artois [et de sa compaignie[251]], et comment il arrivèrent

10en Bretagne. En ce temps escheirent les Paskes

si hault que, environ closes Paskes, on eut l’entrée

dou mois de may. De quoi, en le moiiené de ce mois,

la triewe de monsigneur Charles de Blois et de la contesse

de Montfort devoit fallir. Si estoit bien messires

15Charles de Blois enfourmés dou pourcach que la contesse

de Montfort avoit fait en Engleterre et de l’ayde

et confort que li rois li devoit faire. Dont messires

Loeis d’Espagne, messires Charles Grimaus, messires

Othon Doriie estoient establi sus le mer à l’encontre

20de Grenesie, à trois mille Geneuois et mille hommes

d’armes en trente deus gros vaissiaulz espagnolz tous

armés et tous fretés, et waucroient sus le mer attendans

leur revenue. D’autre part, messires Gautiers

de Mauni et li signeur de Bretagne et d’Engleterre,

25qui dedens Hembon se tenoient, estoient durement

esmervilliet de leur contesse de ce que elle demoroit

tant, et si n’en ooient nulles certainnes nouvelles.

Nompourquant moult bien supposoient que elle ne

sejournoit mies trop bien à se grant aise, et ne se

30doubtoient de aultre cose que elle n’euist aucun dur

[8] 8 encontre sus mer de ses ennemis; se n’en savoient

que penser.

§ 185. Ensi que messires Robers d’Artois, li

contes de Pennebruc, li contes de Salebrin et li

5aultre signeur et chevalier d’Engleterre et leurs gens,

avoech la contesse de Montfort, nagoient par mer au

lès devers Bretagne et avoient vent à souhet, au departement

de l’isle de Grenesie, à l’eure de relevée,

il perchurent le grosse navie des Geneuois dont

10messires Loeis d’Espagne estoit chiés. Dont disent

leur maronnier: «Signeur, armés vous et ordenés,

car veci Geneuois et Espagnolz qui viennent et qui

vous approcent.» Lors sonnèrent li Englès leurs

trompètes et misent leurs pennons et leurs estramières

15armoiies de leurs armes et de Saint Jorge.

Et s’ordonnèrent bien et sagement et s’encloirent de

leurs arciers; et puis nagièrent à plain voile, ensi

que li tamps l’aportoit. Et pooient estre environ quarante

six vaissiaus, que grans que petis. Mais [nuls[252]]

20si grans ne si fors de trop n’en y avoit que messires

Loeis d’Espagne en avoit neuf; et entre ces neuf

avoit trois galées qui se remoustroient dessus tous les

aultres. Et en cescune de ces trois galées qui se remoustroient

dessus tous les aultres estoient li troi

25corps des signeurs, messires Loeis, messires Charles

et messires Othes.

Si s’approcièrent li vaissiel, et commencièrent Geneuois

à traire de leurs arbalestres à grant randon,

et li arcier d’Engleterre ossi sus eulz. Là eut grant

[9] 9 tret des uns as aultres, et qui longement dura, et

maint homme navret et bleciet. Et quant li signeur,

li baron, li chevalier et li escuier s’approcièrent, et

qu’il peurent des lances et des espées venir ensamble,

5adonc y eut dure bataille et crueuse, et trop bien s’i

portèrent et esprouvèrent li un et li aultre. Là estoit

messires Robers d’Artois qui y fu très bons chevaliers,

et la contesse de Montfort meismement armée, qui

bien valoit un homme, car elle avoit coer de lyon, et

10tenoit un glave moult roide et bien trençant, et trop

bien s’en combatoit et de grant corage.

Là estoit messires Loeis d’Espagne en une galée,

comme bons chevaliers, qui moult vaillamment et

de grant volenté requeroit ses ennemis et se combatoit

15as Englès, car moult les desiroit à desconfire,

pour li contrevengier dou damage qu’il avoit eu et

receu ceste propre anée, assés priès de là, ou camp de

Camperli. Et y fist li dis messires Loeis grant fuison

de belles apertises d’armes. Et jettoient li Espagnol

20et li Geneuois, qui estoient en ces gros vaissiaus, d’amont

gros barriaus [de fer[253]], et archigaies dont il

travilloient moult les Englès. Là eurent li baron et

li chevalier d’Engleterre moult à faire et un dur rencontre,

et trouvèrent l’armée des Espagnols et des

25Geneuois moult forte et gens de grant volenté.

Si commença ceste bataille moult tart et environ

vespres, et les departi li nuis, car il fist moult obscur

sus le vesprée; et se couvri li airs moult espès, si

ques à painnes pooient il recognoistre l’un l’autre.

30Si se retraisent cescuns et se misent à l’ancre, et

[10]10 entendirent [à] appareillier les bleciés et les navrés et

remettre à point; mais point ne se desarmèrent, car

il cuidièrent de rechief avoir le bataille.

§ 186. Un petit devant mienuit s’esleva uns vens,

5uns orages et uns tempestes si très grans et si très

horribles que il sambloit proprement que li mondes

deuist finer. Et n’i avoit si hardi ne si oultrageus, de

l’une part ne de l’autre, qui ne volsist estre bien à

terre, car ces barges et ces naves hurtoient les unes

10as aultres telement que ce sambloit proprement que

elles deuissent ouvrir et fendre. Si demandèrent

conseil li signeur d’Engleterre à leurs maronniers,

quel cose leur estoit bon à faire. Il respondirent que

d’yaus traire [à terre[254]] au plus tost qu’il poroient,§

15car la fortune estoit si grande sus mer que, se li vens

les y boutoit, il seroient tout en peril d’estre noiiet.

Dont entendirent il generalment à traire les aultres

amont, et misent les singles ensi qu’à demi-quartier;

et tantost eslongièrent il le place où il avoient jeu à

20l’ancre.

D’autre part, li Espagnol et li Geneuois n’estoient

mies bien assegur de leurs vies; ançois se desancrèrent

ensi que li Englès, mais il prisent le parfont,

car il avoient plus grans vaissiaus et plus fors que li

25Englès n’euissent; si pooient mieulz souffrir et attendre

[le hustin et[255]] le fortune de le mer que li Englès

ne fesissent. Et ossi, se leur gros vaissiel euissent froté

à terre, il euissent esté en peril d’estre brisiet et

[11]11 romput. Pour tant, par grant sens et avis, il se boutèrent

avant ou parfont. Mès, à leur departement,

il trouvèrent quatre nefs englesces cargies de pourveances

et de chevaus, qui s’estoient tenu en sus de

5le bataille. Si eurent bien conscience, [quel tamps

ne[256]] quel tempès qu’il fesist, de prendre ces quatre

vaissiaus et d’atachier as leurs et emmener après

yaus. Et saciés que li vens et li fortune qui estoit si

grande les bouta, avant qu’il fust jours, plus de cent

10liewes en sus dou lieu où il s’estoient combatu. Et

les nefs monsigneur Robert d’Artois prisent terre à

un petit port assés priès de le cité de Vennes, dont

il furent tout resjoy, quant il se trouvèrent à terre.

§ 187. Ensi et par ceste grant fortune se desrompi

15la bataille sus mer de monsigneur Robert d’Artois et

de se route à l’encontre de monsigneur Loeis d’Espagne

et de ses gens. Si n’en scet on à qui bonnement

donner l’onneur, car il se partirent tout maugret

yaus et par le diverseté dou temps. Toutes voies,

20li Englès prisent terre assés priès de Vennes, et issirent

hors des vaissiaus et misent leurs chevaus sus

le sabelon et toutes leurs armeures et leurs pourveances;

et puis eurent conseil et avis dou sourplus,

comment il se maintenroient. Si ordonnèrent à

25traire leur navie devers Hembon, et yaus aler devant

Vennes, car assés estoient gens pour le assegier; si

s’esmurent et chevaucièrent tout ordeneement celle

part, et n’avoient mies grant fuison à aler, quant il

s’i trouvèrent.

[12] 12 Adonc estoient dedens le cité de Vennes, [pour

monsigneur Charlon de Blois[257]] messires Hervis de

Lyon et messires Oliviers de Cliçon, doi vaillant

chevalier durement, comme chapitainne; et ossi y

5estoient li sires de Tournemine et li sires de Lohiac.

Quant cil chevalier de Bretagne veirent venus les

Englès, et qu’il s’ordonnoient pour yaus assegier,

si n’en furent mies trop effraet, mès entendirent au

chastiel premierement et puis as garites et as portes.

10Et misent à çascune porte un chevalier et dix hommes

d’armes et vingt [archiers parmi les[258]] arbalestriers,

et s’aprestèrent bien pour tenir et garder le

cité contre tous venans.

Or, vous parlerons de monsigneur Loeis d’Espagne

15et de se route.

§ 188. Saciés que, quant cilz grans tourmens et

ceste fortune eurent pris et eslevet et boutet en mer

le dessus dit monsigneur Loeis, il furent toute ceste

nuit et l’endemain tant c’à nonne moult tourmenté

20et en grant aventure de leurs vies. Et perdirent par

le tourment deux de leurs vaissiaus et les gens qui

ens estoient. Quant ce vint au tierc jour environ

prime, li temps cessa, li mers s’aquoisa. Si demandèrent

li chevalier as maronniers de quel par il

25estoient plus priès de terre, et il respondirent: «dou

royaume de Navare.» Lors furent li patron moult

esmervilliet, et disent que li vens les avoit eslongiés

ensus de Bretagne plus de six vingt liewes. Si se misent

[13] 13 là à l’ancre et attendirent le marée: si ques,

quant li flos de le mer revint, il eurent assés bon

vent pour retourner vers le Rocelle, et costiièrent

Bay[o]ne, mais point ne l’approcièrent. Et trouvèrent

5quatre nefs de Bayonois qui venoient de Flandres;

si les assallirent et prisent tantos, et misent à

bort tous chiaus qui dedens estoient. Et puis nagièrent

vers le Rocelle, et fisent tant en briefs jours

qu’il arrivèrent à Garlande, et là se misent il à terre.

10Si entendirent des nouvelles que messires Robers

d’Artois et ses gens estoient à siège devant le cité de

Vennes. Si envoiièrent devers monsigneur Charlon

de Blois qui se tenoit à Rennes, à savoir quel cose il

voloit qu’il fesissent. Or lairons nous un petit à parler

15François, et parlerons de chiaus qui estoient au siège

devant Vennes.

§ 189. Messires Robers d’Artois, si com vous poés

oïr, avoit assegiet le citet de Vennes à mille hommes

d’armes, et trois mille arciers, et couroit tout le pays

20environ et l’ardoit, exilloit et destruisoit tout jusques

à Dinant [en Bretaigne[259]] et jusques à le Roce Periot

et jusques à Ghoy le Forest. Et n’osoit nulz demorer

sus le plat pays, s’il ne voloit le sien mettre en aventure,

tout jusques au Souseniot et le Roce Bernart.

25Le siège durant devant Vennes, il y eut as bailles

de le ville tamainte escarmuce et maint assaut et

tamaint grant fait d’armes fait. Li chevalier qui dedens

estoient, li sires de Cliçon et messires Hervis de

Lyon et leur compagnon s’i portoient vaillamment,

[14] 14 et moult y acqueroient grant grasce, car bien estoient

songneus de deffendre et garder le cité de leurs ennemis.

Et toutdis se tenoit la contesse de Montfort

au siège de Vennes avoech monsigneur Robert d’Artois.

5Ossi messires Gautiers de Mauni, qui s’estoit

tenus en Hembon un grant temps, recarga le ditte

ville et le chastiel à monsigneur [Guillaume] de Quadudal

et as deux frères de Pennefort, puis prist

avoech lui monsigneur Yvon de Tigri et cent hommes

10d’armes et deux cens arciers. Et vinrent en l’ost devant

Vennes, et leur fisent messires Robers d’Artois

et li chevalier d’Engleterre grant feste.

Assés tost apriès que messires Gautiers de Mauni

fu là venus, se fist uns assaus devant Vennes moult

15grans et moult fors. Et assallirent la cité, cil qui assegiet

l’avoient, en trois lieus et tout à une fois. Et trop

donnèrent à faire à chiaus de dedens, car li archier

d’Engleterre traioient si ouniement et si espessement

c’à painnes s’osoient cil qui deffendoient amoustrer

20as garittes. Et dura cilz assaulz un jour tout entier.

Si y eut pluiseurs bleciés d’un lès et de l’autre. Quant

ce vint sus le soir, li Englès se retraisent à leurs

logeis, et cil de Vennes as hostelz, tous lassés et moult

travilliet; si se desarmèrent. Mais chil de l’host ne

25fisent mies ensi; ançois se tinrent en leurs armeures

et ostèrent tant seulement leurs bacinès, et burent

un cop cescuns et se rafreschirent.

Or avint que là presentement et tantost, par l’avis

de monsigneur Robert d’Artois, qui fu uns grans et

30sages guerriières, ilz s’ordonnèrent de rechief en

trois batailles, et envoiièrent les deux as portes là où

il faisoit le plus fort assallir, et la tierce fisent tenir

[15] 15 toute quoie couvertement. Et ordonnèrent que, si

tretost comme li aultre aroient assalli une longe espasse,

et que cil de Vennes entenderoient à yaus

deffendre, il se trairoient avant sus ce plus foible lès,

5et seroient tout pourveu d’eschelles cordées à grawès

de fier, pour jetter sus les dis murs et atachier as garittes,

et assaieroient se par ceste voie il le poroient

jamais conquerre. Tout ensi comme li dis messires

Robers l’ordonna et avisa, il le fisent. Et s’en vint li

10dis messires Robers en le première bataille assallir et

escarmucier à le baille de le porte, et li contes de

Salebrin ensi à l’autre. Et pour ce qu’il faisoit tart, et

afin ossi que cil de dedens en fuissent plus esbahi, il

alumèrent grans feus, si ques li claretés en respondoit

15dedens le cité de Vennes. Dont il avint que li

homme de le ville et cil dou chastiel cuidièrent

soubdainnement que leurs maisons ardissent; si criièrent:

«Trahi! Trahi! Armés vous, armés vous!» Jà estoient

li pluiseur retret et couchiet pour yaus reposer, car

20moult avoient eu grant traveil le jour devant. Si se

levèrent soudainnement et s’en vinrent cescuns qui

mieulz mieulz, sans arroi et sans ordenance, et sans

parler à leurs chapitainnes, celle part où li feus estoit.

Et ossi li signeur, qui en leurs hostelz estoient,

25s’armoient.

Endementrues que ensi il estoient entouelliet et

empeeciet, li contes de Kenfort, messires Gautiers

de Mauni et leurs routes, qui estoient ordonné pour

l’eschellement, entendirent à faire leur emprise. Et

30vinrent de ce costé où nulz n’entendoit ne gardoit,

et drecièrent leurs eschelles, et montèrent amont,

les targes sus lors testes, et entrèrent par les dis murs

[16] 16 tout paisievlement en le cité. Ne onques ne s’en

donnèrent garde li François et li Breton qui ens estoient;

si veirent leurs ennemis sus le rue et yaus

assallir devant et derrière. Dont n’i eut si hardit ne

5si aviset qui ne fust tous esbahis, et tournèrent en

fuites cescuns pour lui sauver. Et cuidièrent encores

de premiers que li meschiés fust plus grans qu’il

n’estoit. Car se il se fuissent retourné et deffendu

de bonne volenté, il euissent bien mis hors les Englès

10qui entret estoient dedens. Et pour ce que riens

n’en fu fait, perdirent il meschamment leur ville. Et

n’eurent mies li chevalier chapitainne loisir de retraire

ou chastiel, mès montèrent tantost à cheval et

partirent par une posterne et prisent les camps pour

15yaus sauver, et furent tout cil ewireus qui issir

porent. Toutes fois, li sires de Cliçon, messires Hervis

de Lyon, li sires de Tournemine et li sires de

Lohiac se sauvèrent et une partie de leurs gens. Et

tout cil qui furent trouvet et attaint des Englès furent

20mort ou pris. Et fu la cité de Vennes toute courue

et robée. Et y entrèrent ens toutes manières de gens,

et meismement la contesse de Montfort dalès monsigneur

Robert d’Artois qui en eut grant joie.

§ 190. Ensi que je vous compte, fu la cité de

25Vennes à ce temps prise par l’emprise de monsigneur

Robert d’Artois, dont tous li pays d’environ

fu durement esmervilliés. Et en murmurèrent grandement

sus le partie des chevaliers qui dedens estoient

au jour que elle fu prise, comment que je

30cuide bien que ce fust à grant tort, car il y perdirent

plus que tout li aultre. Et de l’anoi qu’il en eurent,

[17] 17 il le demonstrèrent assés tost apriès, si com vous

orés avant en l’ystore.

Au cinquième jour que la cité de Vennes eut esté

prise, s’en retourna la contesse de Montfort dedens

5Hembon, et messires Gautiers de Mauni avoech li, et

messires Yves de Tigri et pluiseur aultre chevalier

d’Engleterre et de Bretagne, pour le doubtance des

rencontres.

Et se partirent encores de monsigneur Robert

10d’Artois li contes de Sallebrin, li contes de Pennebruch,

li contes de Sufforch et li contes de Cornuaille,

à bien mille hommes d’armes et trois mille arciers,

et s’en vinrent assegier le cité de Rennes. Si s’en

estoient parti, quatre jours devant, messires Charles

15de Blois et ma dame sa femme et venu à Nante;

mais il avoient laissiet en le cité de Rennes grant

garnison, chevaliers et escuiers a plenté.

Et tout dis se tenoit messires Loeis d’Espagne sus

le mer à tout ses Espagnols et ses Geneuois. Et gardoit

20si près et si songneusement les frontières d’Engleterre

que nulz ne pooit aler ne venir d’Engleterre

en Bretagne qu’il ne fust en grant peril. Et fist celle

saison as Englès moult de contraires et de damages.

§ 191. Pour le prise et le perte de le cité de Vennes

25fu li pays durement esmeus et courouciés, car bien

cuidoient que li dessus dit signeur et chapitainne,

qui dedens estoient quant elle fu prise, le deuissent

deffendre et garder un [grant[260]] temps contre tout

le monde, car elle estoit forte assés et bien pourveue

[18] 18 de toute artillerie et d’autres pourveances et bien

garnie de gens d’armes. Si en estoient pour le mesavenue

tout honteus li sires de Cliçon et messires

Hervis de Lyon, car ossi li envieus[261] en parloit

5villainnement sus leur partie. De quoi li doi seigneur

ne vorrent mies plenté sejourner, ne yaus endormir

en le renommée des mesdisans; ains cueillièrent

grant fuison de bons compagnons, chevaliers et escuiers

de Bretagne, et priièrent à ces chapitainnes

10des forterèces qu’il vosissent estre à ce jour, que ordonné

et nommé entre yaus avoient, sus les camps, à

tel quantité de gens qu’il poroient. Tout y obeirent

de grant volenté, et s’esmurent telement toutes manières

de gens de Bretagne qu’il furent sus un jour

15par devant le cité de Vennes plus de douze mille

hommes, que frans, que villains, et tous armés. Et là

vint bien estoffeement messires Robers de Biaumanoir,

mareschaus de Bretagne. Et assegièrent le cité

de Vennes de tous costés, et puis le commencièrent

20fortement à assallir.

§ 192. Quant messires Robers d’Artois se vei assegiés

dedens Vennes, si ne fu mies trop esbahis de

lui tenir vassaument et de deffendre le cité. Li Breton,

qui devant estoient comme tout foursenet de

25chou, che leur sambloit, que perdu l’avoient si simplement,

s’aventuroient à l’assallir durement et corageusement,

et se hastoient d’yaus aventurer, par quoi

cil qui se tenoient devant Rennes et cil qui estoient

ossi dedens Hembon ne leur venissent pour yaus

[19] 19 brisier leur emprise. Dont il avint que li Breton qui

là seoient fisent et livrèrent à le ditte cité un assaut

si dur et si bien ordonné, et si corageusement s’i

esprouvèrent li assallant, chevalier et escuier, et

5meismement li bon homme dou pays, et tant donnèrent

à faire à chiaus de dedens, qu’il conquisent les bailles

dou bourch et puis les portes de le cité. Et entrèrent

ens par force et par proèce, vosissent ou non li

Englès, et furent mis en cace; et moult en y eut adonc

10grant fuison de mors et de navrés. Et par especial

messires Robers d’Artois y fu durement navrés; et à

grant mescief fu il sauvés et gardés d’estre pris. Et se

parti par une posterne derrière, et messires Richars

de Stanfort avoecques lui, et cil qui escaper peurent;

15et chevaucièrent devers Hembon. Et là fu pris et

fianciés prisons de monsigneur Hervi de Lyon li sires

Despensiers d’Engleterre, filz à monsigneur Huon le

Despensier de jadis, dont cilz livres fait mention ens

ou commencement; mais il fu si dur blechiés à cel

20assaut qu’il ne vesqui depuis que trois jours.

Ensi eurent li François et reconquisent le ville et

le cité de Vennes, et misent hors tous leurs ennemis

par sens et par proèce. De quoi li signeur d’Engleterre,

qui seoient devant Rennes, furent durement

25courouciet. Et ossi fu la contesse de Montfort, qui se

tenoit en Hembon; mais amender ne le peut, tant

c’à celle fois. Si demora messires Robers d’Artois un

temps bleciés et navrés, si com vous avés oy. En le

fin, il li fu consilliet et dit, pour le mieulz mediciner

30et garir, qu’il s’en repairast en Engleterre, car là

trouveroit il surgiiens et medecins à volenté. Si crut

ce conseil, dont il fist folie; car au retourner en

[20] 20 Engleterre il fu durement grevés et appressés de le

marée. Et s’en esmurent telement ses plaies que,

quant il fu venus et aportés à Londres, il ne vesqui

point longuement depuis; ançois moru de ceste maladie:

5dont ce fu damages, car il estoit courtois chevaliers,

preus et hardis, et dou plus noble sanch dou

monde. Si fu ensepelis à Saint Pol à Londres. Et li

fist li rois englès faire son obsèque ossi solennelment

comme c’euist esté pour son cousin germain le conte

10Derbi. Et fu li dis messires Robers moult durement

plains dou roy, de ma dame la royne, des signeurs

et des dames d’Engleterre.

Si tretost que messires Robers d’Artois fu trespassés

de ce siècle, et que li rois englès en seut les nouvelles,

15il en fu si courouciés qu’il jura et dist, oiant

tous chiaus qui oïr le porent, que jamais n’entenderoit

à aultre cose si aroit vengiet le mort de lui, et

iroit meismement en Bretagne, et atourroit tel le pays

que dedens quarante ans apriès il ne seroit point

20recouvret. Si fist li rois englès tantost escrire lettres

et mander par tout son royaume, que cescuns, nobles

et non nobles, fust appareilliés pour mouvoir

avoecques lui au chief dou mois. Et fist faire tantos

grant amas de naves et de vaissiaus, et bien pourveir

25et estofer de ce qu’il apertenoit. Au chief dou mois,

il se mist en mer à grant pourveance de navie et de

gens d’armes, et vint prendre port assés priès de

Vennes, là où messires Robers d’Artois et se compagnie

arrivèrent, quant il vinrent en Bretagne. Si descendirent

30à terre, et misent par trois jours hors leurs

chevaus et leurs pourveances. Et puis au quatrime

jour, il chevaucièrent par devers Vennes. Et toutdis

[21] 21 se tenoit li sièges dou conte de Salebrin et dou conte

de Pennebruch et des Englès dessus dis, devant

Rennes.

§ 193. Tant esploita li rois englès, depuis qu’il

5eut pris terre en Bretagne, qu’il vint à toute son

host par devant le cité de Vennes, et le assega de tous

poins. A ce donc estoient dedens messires Oliviers

de Cliçon, messires Hervis de Lyon, li sires de Tournemine,

messires Joffrois de Malatrait et messires

10Guis de Lohiac. Si pensoient bien cil chevalier et

avoient supposé de lonch temps que li rois englès

venroit moult efforciement en Bretagne, si comme il

fist. Pour quoi il avoient le cité et le chastiel de

Vennes pourveu très grossement de toutes pourveances

15necessaires, et ossi de bonnes gens d’armes

pour le deffendre. Et bien leur besongnoit, car si

tost que li rois englès fu venus et logiés par devant,

il les fist assallir moult asprement, et venir les arciers

par devant et traire de grant randon à chiaus de le

20cité très fortement. Et dura cilz assaus bien demi

jour, mais riens n’i fisent fors yaus lasser et travillier,

tant fu la cité bien deffendue. Adonc se retraisent li

Englès en leurs logeis. Si tost que la contesse de

Montfort sceut la venue dou roy englès, elle fu

25moult resjoye et se parti de Hembon, acompagnie

de monsigneur Gautier de Mauni et de pluiseurs

aultres chevaliers et escuiers; [et s’en vint devant

Vennes[262]] conjoïr et festiier le roy d’Engleterre et les

[22] 22 barons de l’host. Li rois recueilla la dame moult

liement, et adonc eut entre yaus là pluiseurs parolles

qui toutes ne poeent mies estre escrites. Et quant la

contesse ot là esté devant Vennes avoech le roy ne

5sçai trois jours ou quatre, elle s’en parti et retourna

en Hembon avoecques ses gens.

Or vous parlerons de monsigneur Charlon de Blois

qui se tenoit dedens le cité de Nantes. Si tost qu’il

sceut que li rois englès estoit arrivés en Bretagne, il

10le segnefia au roy de France son oncle, et y envoia

devers lui grans messages de Bretagne, pour mieulz

esploitier et pour priier qu’il fust aidiés et confortés

à l’encontre des Englès, car il estoient venu en son

pays à grant poissance. Li rois oy et reçut les messages

15moult liement, et en respondi courtoisement, et

dist qu’il envoieroit à son neveut si grant confort

que pour bien resister contre ses ennemis, et yaus

bouter hors de Bretagne. Voirement y envoia il depuis

le duch de Normendie son fil à grant poissance,

20mais ce ne fu mies si tretost. Ançois eurent li Englès

moult adamagiet et destruit le bon pays de Bretagne,

si com vous orés avant en l’ystore.

§ 194. Quant li rois englès, qui seoit devant

Vennes, vit la cité si forte et si bien furnie de gens

25d’armes, et entendi par ses gens que li pays de là

environ estoit si povres et si gastés qu’il ne savoient

où fourer ne avoir vivres pour yaus ne pour leurs

chevaus, tant estoient il grant nombre, si s’avisa qu’il

en lairoit là une partie pour tenir le siège, et à tout

30le remanant de son host il se trairoit devant Rennes,

et veroit ses gens qui là seoient, qu’il n’avoit veus

[23] 23 de grant temps. Si ordonna le conte de Warvich, le

conte d’Arondel, le baron de Stanfort, monsigneur

Gautier de Mauni, monsigneur Yvon de Tigri et les

deux frères de Pennefort, à cinq cens hommes d’armes

5et mille arciers, à tenir le siège devant Vennes.

Puis s’en parti li rois à tout le remanant de son

host, où bien avoit quinze cens hommes d’armes et

six mille arciers. Et chevauça tout ardant et essillant

le pays d’un lès et d’autre, et fist tant qu’il vint

10devant Rennes, où il fu moult liement veus et receus

de ses gens qui là seoient et avoient sis un grant

temps. Et quant il ot là esté environ cinq jours, il

entendi que messires Charles de Blois estoit dedens

la cité de Nantes et faisoit là son amas de gens d’armes;

15si dist qu’il se trairoit celle part.

Et se parti dou siège de Rennes, et y laissa chiaus

que trouvés y avoit; et chevauça tant qu’il parvint à

toute son host devant Nantes: si l’assega si avant

qu’il peut, car toute environner ne le peuist mies,

20tant est grande et estendue. Si coururent li mareschal

et ses gens environ, et gastèrent et essillièrent durement

le plat pays; et prendoient vivres et pourveances

par tout où il les pooient avoir. Et furent li

rois d’Engleterre et toutes ses gens ordonné sus une

25montagne au dehors de le cité de Nantes un jour,

dou matin jusques à nonne, par manière de bataille.

Et cuidoient bien li Englès que messires Charles de

Blois et ses gens deuissent issir, mès non fisent.

Quant li Englès veirent ce, si se retraisent à leur

30logeis; mès li coureur le roy d’Engleterre coururent

adonc jusques as barrières de le cité, et à leur retour

il ardirent les fourbours.

[24] 24 § 195. Ensi se tint li rois d’Engleterre par devant

Nantes. Et messires Charles de Blois estoit dedens,

qui souvent escrisoit et envoioit lettres et messages

et l’estat des Englès, devers le roy de France, son

5oncle, et le duch de Normendie, son cousin, qui le

devoit conforter, car il en estoit cargiés. Et estoit jà

trais et venus li dus de Normendie en le cité d’Angiers,

et là faisoit son amas de toutes manières de

gens d’armes qui li venoient de tous costés. Entrues

10que ces assemblées se faisoient, se tenoit li rois d’Engleterre

devant Nantes, et le avoit assegie à l’un des

costés, et y faisoit souvent assallir et escarmucier et

esprouver ses gens. Mès en tous assaus petit y conquist;

ançois y perdi par pluiseurs fois de ses hommes,

15dont moult li anoia.

Quant il vei et considera que par assaut il n’i pooit

riens faire, et que messires Charles de Blois n’isteroit

point as camps pour lui combatre, si s’avisa qu’il

lairoit là le plus grant partie de ses gens à siège, et se

20trairoit aultre part tout dis, en gastant et essillant le

pays. Si ordonna le conte de Kenfort, monsigneur

Henri visconte de Byaumont, le signeur de Persi, le

signeur de Ros, le signeur de Montbrai, le signeur de

le Ware, monsigneur Renault de Gobehen et monsigneur

25Jehan de Lille à là demorer et tenir le siège

à six cens armeures de fier et deux mille arciers; et

puis si chevauça o le demorant de ses gens. Si

pooient estre environ quatre cens lances et deux

mille arciers, tout ardant et essillant le bon pays de

30Bretagne par devant lui, de l’un lès et d’autre, tant

qu’il vinrent devant le bonne ville de Dignant dont

messires Pières Portebuef estoit chapitainne. Quant

[25] 25 il parfu venus devant Dignant, il mist le siège tout

environ, et le fist fortement assallir. Et cil qui dedens

estoient entendirent ossi à yaus deffendre. Ensi assega

li rois d’Engleterre tout en une saison, et en un

5jour, [luy et[263]] ses gens, trois cités en Bretagne et une

bonne ville.

§ 196. Entrues que li rois d’Engleterre aloit et

venoit et chevauçoit le pays de Bretagne, ses gens

qui seoient devant le cité de Vennes y faisoient et

10livroient tous les jours tamaint assaut, car durement

le convoitoient à gaegnier par fait d’armes, pour

tant que li chevalier qui dedens estoient l’avoient

reconquis sus yaus en celle meisme saison. Dont il

avint un jour, le siège pendant, que, à l’une des

15portes, uns très grans assaus se fist. Et se traisent de

celle part toutes les bonnes gens d’armes, de l’un

costé et de l’autre. Et là eut tamainte belle apertise

d’armes fait. Car cil dedens Vennes avoient, comme

bon chevalier et hardi, ouvert leur porte et se tenoient

20à le barrière, pour le cause de ce qu’il

veoient le banière le conte de Warvich et ceste dou

conte d’Arondiel et dou baron de Stanfort et de

monsigneur Gautier de Mauni qui s’abandonnoient,

ce leur sambloit, assés folement. De quoi li sires de

25Cliçon et messires Hervis de Lyon et li aultre chevalier

plus corageusement s’en aventuroient. Là y eut

fait tant de belles apertises d’armes que merveilles

seroit à recorder. Car li Englès, qui veoient le porte

ouverte, le tenoient en grant despit, et li aucun le

[26] 26 reputoient à vaillance. Là eut lanciet et estechiet d’un

lès et de l’autre moult longement. Finablement, cilz

assaus se porta telement que [de premiers[264]] li Englès

furent reboutet et reculet moult arrière des barrières.

5Et à ce qu’il reculèrent, li chevalier de Bretagne s’avancièrent

et ouvrirent leur baille, cescuns son glave en

son poing, et laissièrent six chevaliers des leurs pour

garder le baille, avoec grant fuison d’autres gens. Et

puis tout à piet, en lançant et escarmuchant, il

10poursievirent les chevaliers englès qui tout en reculant

se combatoient. Là eut très bon puigneis et fort

bouteis de glaves, et mainte belle apertise d’armes

faite. Toutefois, li Englès montepliièrent et fortefiièrent

telement qu’il couvint les Bretons reculer, et

15non pas si rieuleement qu’il estoient avalet. Là eut

grant luite et dur encauch. Et remontoient li chevalier

de Bretagne, li sires de Cliçon et messires Hervis

de Lyon, à grant malaise. Si y eut maint homme mort

et blecié. Quant cil qui gardoient le barrière veirent

20leurs gens cacier et reculer, il retraisent leurs bailles

avant, et si mal à point qu’il couvint le signeur de

Cliçon demorer dehors, [et fu pris devant le barrière;

et ossi fu messires Hervis de Lion[265]]. D’autre part, li

Englès qui estoient monté vistement, et tous premiers

25li barons de Stanfort, furent enclos et se

banière entre les bailles et le porte. Là eut grant

touellement et dur hustin. Et fu pris et retenus li

sires de Stanfort, onques nulz ne l’en peut aidier; et

ossi furent pluiseur des siens qui estoient dalès lui:

[27] 27 [Oncques[266]] nulz n’en escapa qu’il ne fuissent ou mort

ou pris. Si se departi ceste estourmie atant, et se

retraisent li Englès à leurs logeis, et li [Breton[267]] à

leurs hostelz par dedens le cité de Vennes.

5§ 197. Par tel manière que vous avés oy compter

furent pris li chevalier dessus nommé. Et euissent fait

li Englès grant feste de leurs prisonniers, se li sires

de Stanfort n’euist esté pris. Depuis cest assaut, n’en

y eut [fait[268]] nul si grant ne si renommé d’armes que

10cilz fu, car cescuns se tenoit sus se garde. Or parlerons

dou roy d’Engleterre qui avoit assegiet le ville

de Dinant. Quant il eut là sis jusques à trois jours là

en dedens, il avisa et ymagina comment il le poroit

avoir. Si regarda que elle estoit bien prendable,

15car elle n’estoit fremée fors que de palis. Si fist

querre et pourveir grant fuison de nacelles, et entrer

dedens arciers, et puis nagier jusques à ces palis, et

yaus venu jusques à là, assallir fortement à ceulz qui

les deffendoient, et traire si ouniement que à painnes

20osoit nuls apparoir as deffenses pour le deffendre.

Entre ces arciers y avoit autres assallans qui portoient

cuignies grandes et bien trençans, dont, entrues

que li arcier ensonnioient chiaus de dedens, il copoient

les palis; et les eurent en brief temps grandement

25adamagiés, et tant qu’il en gettèrent un grant

pan par terre, et entrèrent ens efforciement. Quant

cil de le ville veirent leurs palis rompus et Englès

entrer ens à grant randon, si furent tout effraet. Et

[28] 28 commencièrent à fuir vers le marchiet: mais petite

ralloiance se fist entre yaus, car cil qui estoient entré

ens par les nacelles vinrent à le porte et l’ouvrirent.

Si entrèrent ens toutes manières d’autres gens qui

5entrer y vorrent. Ensi fu prise li ville de Dinant en

Bretagne, toute courue et robée, et messires Pières

Portebuef qui capitainne en estoit. Si prisent li Englès

des quelz qu’il veirent[269], et gaegnièrent grant

avoir dedens, car elle estoit adonc durement riche

10et plainne et bien marchande.

§ 198. Quant li rois d’Engleterre eut fait sen emprise

et sa volenté de le ville de Dinant en Bretagne,

il s’en parti, et le laissa toute vaghe, et n’eut mies

conseil dou tenir; si s’en achemina vers Vennes. En

15chevauçant celle part, les nouvelles li vinrent de le

prise le signeur de Cliçon et de monsigneur Hervi de

Lyon. Si en fu grandement joians, et tant chevauça

qu’il vint devant Vennes, et là se loga.

Or vous parlerons un petit de monsigneur Loeis

20d’Espagne, de messire Charle Grimau, de monsigneur

Othon Doriie, qui estoient pour le temps amiral de

le mer, à huit galées, treize barges et trente nefs cargies

de Geneuois et d’Espagnols. Si se tenoient sus

mer entre Bretagne et Engleterre; et portèrent par

25pluiseurs fois grans damages as Englès qui venoient

rafreschir leurs gens de pourveances devant Vennes.

Et une fois entre les aultres, il vinrent courir sus le

navie dou roy d’Engleterre qui gisoit à l’ancre sus

un petit port dalès Vennes, et n’estoit mies adonc

[29] 29 trop bien gardée. Si occirent le plus grant partie de

chiaus qui le gardoient; et y euissent porté trop

grant damage, se li Englès, qui seoient devant Vennes,

n’i fuissent acouru. Mais quant les nouvelles vinrent

5en l’ost, cescuns y ala qui mieulz mieus. Toutes fois,

on ne se peut onques si haster que li dis messires

Loeis et se route n’en menassent quatre nefs cargies

de pourveances; et en effondrèrent trois, et perirent

chiaus qui dedens estoient. Adonc fu consilliet au roy

10que il fesist traire se navie ou havene de Hembon;

si le fist, si comme il li fu consilliet. Et toutdis se

tenoit li sièges devant Vennes et ossi devant Nantes

et devant Rennes.

§ 199. Nous retourrons à le chevaucie que li dus

15de Normendie fist en celle saison en Bretagne pour

conforter son cousin monsigneur Charle de Blois. Li

dus, qui avoit fait sen assamblée [et son amas[270]] de

gens d’armes en le cité d’Angiers, se hasta ce qu’il

peut, car il entendi que li rois d’Engleterre travilloit

20durement le pays de Bretagne, et avoit assegiet trois

cités et pris le bonne ville de Dinant. Si se parti de

Angiers moult estoffeement, à plus de quatre mille

hommes d’armes et trente mille d’aultres gens. Si

s’arrouta tous li charois le grant chemin de Nantes.

25Et le conduisoient li doi mareschal de France, li sires

de Montmorensi et li sires de Saint Venant. Apriès

chevauçoit li dus et li contes d’Alençon ses oncles, et

li contes de Blois ses cousins. Là estoient li dus de

Bourbon, messires Jakemes de Bourbon, contes de

[30] 30 Pontieu, li contes de Boulongne, li contes de Vendome,

li contes de Dammartin, li sires de Crain, li

sires de Couci, li sires de Sulli, li sires de Fiennes,

li sires de Roie, et tant de barons et de chevaliers

5de Normendie, d’Auvergne, de Berri, de Limozin,

d’Anjou, du Mainne, de Poito et de Saintonge, que

jamais je ne les aroie tous nommés. Et encores croissoient

il tous les jours, car li rois de France reconfortoit

son mandement, pour ce qu’il avoit entendu

10que li rois d’Engleterre estoit si efforciement venus

en Bretagne.

Ces nouvelles vinrent en l’ost des signeurs d’Engleterre

qui seoient devant Nantes, que li rois y avoit

laissiés, que li dus de Normendie venoit là pour lever

15le siège, ensi que on l’esperoit, et avoit bien en se

compagnie quarante mille hommes. Cil signeur englès

le segnefiièrent hasteement au roy d’Engleterre,

à savoir quel cose il voloit qu’il fesissent, ou se il

attenderoient, ou se il se retrairoient. Quant li rois

20d’Engleterre entendi ces nouvelles, il fu moult pensieus,

et eut une espasse imagination et pourpos de

brisier son siège et ossi celui de Rennes, et de lui traire

devant Nantes. Depuis fu il consilliés aultrement. Et

li fu ensi dit que il estoit en bonne place et forte et

25priès de se navie, et qu’il se tenist là et attendesist

ses ennemis, et mandast chiaus de Nantes, et laissast

encores le siège devant Rennes. Il ne li estoient mies

si lointain qu’il ne les confortast ou reuist bien tost,

se il besongnoit. A ce conseil se tint et acorda li rois

30d’Engleterre. Et furent remandé cil qui seoient devant

Nantes, et s’en revinrent au siège à Vennes. Et li dus

de Normendie et son host et li baron de France

[31] 31 esploitièrent tant qu’il vinrent en le cité de Nantes où

messires Charles de Blois et fuison de le chevalerie

de Bretagne estoient, qui les rechurent à grant joie.

Si se logièrent li signeur en le cité et leurs gens environ

5sus le pays, car tout ne se peuissent mies logier

dedens le ville ne ens es fourbours.

§ 200. Entrues que li dus de Normendie sejournoit

à Nantes, fisent li chevalier d’Engleterre, qui

seoient devant le cité de Rennes, un assaut très grant

10et très bien ordonné. Et avoient un grant temps en

avant apparilliés aournemens et instrumens pour assallir.

Et dura li dis assaus un jour tout entier, mais

ilz n’i conquisent noient; ançois y perdirent des

leurs. Dont il y eut des mors et des blechiés grant

15fuison, car il y avoit dedens des bons chevaliers et

escuiers de Bretagne, le baron d’Ansenis, le signeur

dou Pont, messire Jehan de Malatrait, Yewain Charuiel

et Bertran de Claikin, escuiers. Chil ensongnièrent

si vaillamment, avoecques l’evesque de le ditte

20cité, qu’il n’i prisent point de damage. Non obstant

ce, si se tinrent là toutdis li Englès, et gastèrent tout

le pays d’environ.

Adonc se departi de Nantes li dus de Normendie à

tout son grant host, et eut conseil qu’il se trairoit

25devant Vennes pour plus tost trouver ses ennemis;

car bien [avoit[271]] entendu que cil de Vennes estoient

plus astraint que cil de Rennes, et en plus grant peril

d’estre perdu. Si s’arroutèrent ces gens d’armes et

chevaucièrent en bon arroy et en grant couvenant,

[32] 32 quant il furent partit de Nantes. Si les conduisoient

li doi mareschal et messires Joffrois de Chargni; et li

contes de Ghines, connestables de France, faisoit

[l’arrieregarde[272]]. Tant s’esploitièrent ces gens d’armes,

5dont li dus de Normendie et messires Charles de Blois

estoient chiés, qu’il vinrent assés priès de Vennes,

d’autre part où li rois d’Engleterre estoit logiés. Si se

logièrent erramment li François tout contreval uns

biaus prés grans et amples, et tendirent tentes, trés

10et pavillons et toutes manières de logeis. Et fisent

faire li François biaus fossés et grans entour lor host,

par quoi on ne leur peuist porter damage. Si chevauçoient

à le fois li mareschal, et messires Robers de

Biaumanoir, mareschaus pour le temps de Bretagne;

15et aloient souvent [escarmouchier[273]] en l’ost des Englès,

et li Englès ossi sus yaus; s’en y avoit souvent

des rués jus, d’une part et d’autre. Quant li rois

d’Engleterre vei venu contre lui le duch de Normendie

à si grant poissance, si remanda le conte de Sallebrin

20et le conte de Pennebruch et les aultres chevaliers

et leurs gens qui se tenoient à siège devant

Rennes, par quoi il fuissent plus fort et mieus ensamble,

se combatre les couvenoit. Si pooient estre

li Englès et li Breton de Montfort environ vingt cinq

25cens hommes d’armes et six mille arciers et quatre

mille hommes de piet. Li François estoient [en plus

grant nombre, quatre foiz plus[274]], et toutes gens de

bonne estoffe.

[33] 33 § 201. Moult furent ces deux hos devant Vennes

belles et grans. Et avoit li rois d’Engleterre basti son

siège par tel manière que li François ne pooient

venir à lui par nul avantage. Depuis que li dus de

5Normendie fu là venus, ne fist li rois d’Engleterre

point assallir à le cité de Vennes, car il voloit espargnier

ses gens et sen artillerie. Ensi furent il l’un

devant l’autre un grant temps, et bien avant en

l’ivier. Si y envoia li papes Clemens VIe, qui regnoit

10pour le temps, deux cardinaus en legation, le cardinal

de Penestre et le cardinal de Clermont qui souvent

chevaucièrent de l’un [host[275]] à l’autre, pour accorder

ces parties. Mais il les trouvoient si durs et si

mal descendans à acord qu’il ne les pooient approcier

15de nulle pais.

Ces trettiés durant, il y avoit souvent des escarmuces

et des puigneis l’un sus l’autre, ensi que li

foureur se trouvoient; si en y avoit des pris et des

rués jus. Et n’osoient li Englès par especial aler en

20fuerre fors en grant compagnie; car, toutes les fois

qu’il chevauçoient, il estoient en grant peril pour

les embusches c’on mettoit sus yaus. Avoech tout ce,

messires Loeis d’Espagne et se route gardoient si

songneusement les pas de le mer que à trop grant dur

25venoit riens en l’ost des Englès; si y eurent moult

de disètes. Et estoit li intentions dou duch de Normendie

et de ses gens qu’il tenoient là pour tous assegiés

le roy d’Engleterre et son host, car bien savoient

qu’il avoient grant neccessité de vivres. Et les

30ewissent tenus voirement en grant dangier, mais il

[34] 34 estoient ossi si constraint dou frès temps, car nuit et

jour il plouvoit que ce leur fist moult de painne. Et

perdirent le plus grant partie de leurs chevaus, et

les couvint deslogier et traire sus les camps, pour le

5grant fuison d’yawe qui estoit en leurs logeis.

Si regardèrent li signeur qu’il ne pooient longement

souffrir celle painne. Si commencièrent li cardinal

à trettier sus avoir triewes à durer trois ans.

Cilz trettiés passa. Et furent les triewes là données

10et accordées entre ces parties, à durer trois ans tous

acomplis. Et les jurèrent li rois d’Engleterre et li dus

de Normendie à non enfraindre.

§ 202. Ensi se deffist ceste grande assamblée, et

se leva li sièges de Vennes. Et se retrest li dus de

15Normendie devers Nantes et emmena les deux cardinaulz

avoech lui, et li rois d’Engleterre devers Hembon,

où la contesse de Montfort se tenoit. Encores fu

là fais uns escanges dou baron de Stanfort et dou signeur

de Cliçon. Et demora messires Hervis de Lyon

20en prison devers le roy d’Engleterre, dont si ami ne

furent mies plus liet. Et euist eu adonc trop plus

chier le delivrance de monsigneur Hervi, messires

Charles de Blois, que dou signeur de Cliçon; mais li

rois d’Engleterre ne le volt adonc faire altrement.

25Quant li rois d’Engleterre eut esté une espasse en

Hembon avoech la contesse de Montfort, et entendu

à ses besongnes, il prist congiet, et le recarga as chevaliers

de Bretagne qui faisoient partie pour lui à

l’encontre de monsigneur Charlon de Blois, as deux

30frères de Pennefort, à monsigneur Guillaume de Quadudal

et as aultres, et puis se retrest en mer. Et enmena

[35] 35 toute se chevalerie, dont il avoit grant fuison;

et revint en Engleterre environ le Noel. Et ossi li

dus de Normendie se retraist en France, et donna

congiet à toutes manières de gens d’armes. Si s’en

5rala cescuns en son lieu.

Assés tost apriès se revenue en France, et le departie

des hos dessus dittes, fu pris li sires de Cliçon et

soupeçonnés de traison. A tout le mains grant fame

en courut, je ne sçai se il en estoit coupables ou non.

10Mais je creroie moult à envis que uns si nobles et si

gentilz chevaliers comme il estoit, et si rices homs,

deuist penser ne pourcacier fausseté ne trahison.

Toutes fois, fu il, pour ce villain fame, pris et tantost

mis en prison en Chastelet à Paris. De quoi tout cil

15qui parler en ooient en estoient moult esmervilliet, et

n’en savoient que supposer. Et en parloient li un à

l’autre li baron et li chevalier de France, en disant:

«Que poet on ores demander au signeur de Cliçon?»

Mais nuls n’en [savoit[276]] à rendre vraie ne certainne

20response, fors tant que on imaginoit que li hayne

venoit de se prise et de se delivrance. Car vrai estoit

que li rois d’Engleterre l’eut plus chier à delivrer,

pour le baron de Stanfort, que monsigneur Hervi de

Lyon. Et li avoit fait li dis rois plus d’amour et de

25courtoisie en prison, qu’il n’euist fait au dit monsigneur

Hervi, espoir pour ce que li dis messires Hervis

avoit esté plus contraires à lui et à ses gens et à

le contesse de Montfort, que nulz aultres, et non pour

aultre cose: si ques, pour cel avantage que li rois

[36] 36 d’Engleterre fist adonc au signeur de Cliçon, et non

à monsigneur Hervi de Lyon, pensoit li envieus

aultre cose qu’il n’i euist par aventure. Et si en

sourdi tèle li suspicions dont li dessus dis messires

5Oliviers de Cliçon fu encouppés et amis de trahison,

et decolés à Paris où il eut grant plainte, ne onques

ne s’en peut excuser.

Assés tost apriès, furent encoupet de [samblable[277]]

cas pluiseur signeur et gentil chevalier de Bretagne et

10de Normendie, et decolé en le cité de Paris, dont il fu

grant nouvelle en pluiseurs pays, à savoir sont: li

sires de Malatrait et ses filz, li sires d’Avaugor et

messires Thiebaus de Morillon et pluiseur signeur de

Bretagne, jusques à dix chevaliers et escuiers. Encores

15assés tost après furent mis à mort par fame, je ne

sçai mies se elle fu vraie ou aultre, quatre chevalier

moult gentil homme de Normendie, loist à savoir:

messires Henris de Malatrait, messires Guillaumes

Bacon, li sires de Roce Tison et messires Richars de

20Persi. Des quèles mors il despleut grandement as

linages de ceulz. Et en sourdirent depuis tamaint

grant meschief en Bretagne et en Normendie, si com

vous orés recorder avant en l’ystore. Li sires de

Cliçon avoit un jone damoisiel à fil, qui s’appelloit

25Oliviers ensi que ses pères. Chilz se trest tantost ens

ou chastiel de Hembon avoecques le contesse de

Montfort et Jehan de Montfort son fil, qui estoit

auques de son eage, et sans père, car voirement estoit

mors ou Louvre à Paris en prison li contes de

30Montfort.

[37] 37 § 203. En ce temps vint en pourpos et en volenté

au roy Edouwart d’Engleterre que il feroit refaire

et reedefiier le grant chastiel de Windesore, que

li rois Artus fist jadis faire et fonder, là où premierement

5fu commencie et estorée la noble Table Reonde,

dont tant de bons et vaillans chevaliers issirent et

travillièrent en armes et en proèce par le monde; et

feroit li dis rois une ordenance de chevaliers, de lui

et de ses enfans et des plus preus de sa terre; et seroient

10en somme jusques à quarante, et les nommeroit

on les chevaliers dou Bleu Gartier, et la feste à

tenir et à durer d’an en an et à solennisier ou chastiel

de Windesore, le jour Saint George. Et pour

ceste feste commencier, li rois d’Engleterre assambla

15de tout son pays contes, barons et chevaliers; et leur

dist sen intention et le grant desir qu’il avoit de la

feste entreprendre. Se li accordèrent liement, pour

tant que ce leur sambloit une cose honnourable, et

où toute amour se nouriroit. Adonc furent esleu quarante

20chevalier, par avis et par renommée les plus

preus de tous les aultres. Et seelèrent et se oblegièrent,

sus foy et par sierement, avoech le roy à tenir et à

poursievir la feste et les ordenances, tèles que elles

estoient acordées et devisées. Et fist li rois fonder et

25edefiier une capelle de Saint Jorge ou dit chastiel de

Windesore. Et y establi et mist canonnes pour Dieu

servir, et les arrenta et aprouvenda bien et largement.

Et pour ce que la feste fust sceue et cogneue en

toutes marces, li rois d’Engleterre l’envoia publiier

30et denoncier par ses hiraus en France, en Escoce, en

Bourgongne, en Haynau, en Flandres et en Braibant,

et ossi en l’empire d’Alemagne. Et donnoit à tous

[38] 38 chevaliers et escuiers qui venir y voloient, quinze

jours de saufconduit après le feste. Et devoient estre

à ceste feste unes joustes de quarante chevaliers de

par dedens, attendans tous aultres, et de quarante

5[ossi[278]] escuiers. Et devoit seoir ceste feste le jour Saint

Gorge proçain venant, que on compteroit l’an de

grasce mil trois cens quarante quatre, ens ou chastiel

de Windesore. Et devoit estre la royne d’Engleterre

acompagnie de trois cens dames et damoiselles, toutes

10nobles et gentilz dames, et parées d’uns paremens

[semblables[279]].

§ 204. Entrues que li rois d’Engleterre faisoit son

grant appareil pour rechevoir les signeurs, dames et

damoiselles qui à sa feste venroient, li vinrent les

15certainnes nouvelles de la mort le signeur de Cliçon

et des aultres chevaliers dessus nommés, encoupés

de fausseté et de trahison. De ces nouvelles fu li rois

d’Engleterre durement courouciés, et li sambla que

li rois de France l’euist fait en son despit. Et tint

20que parmi ce fait les triewes acordées en Bretagne

estoient enfraintes et brisies. Si eut empensé de faire

le samblant[280] fait dou corps monsigneur Hervi de

Lyon que il tenoit pour son prisonnier. Et fait l’euist

en son irour et tantost, se n’euist esté ses cousins li

25contes Derbi qui l’en reprist durement et li remoustra

devant son conseil tant de belles raisons, pour

son honneur garder et son corage affrener; et li

[39] 39 disoit: «Monsigneur, se li rois Phelippes a fait se

hastieveté et se felonnie de mettre à mort si vaillans

chevaliers que cil estoient, n’en voelliés mies pour

ce blecier vostre corage, car, au voir considerer,

5vostre prisonnier n’a que faire de comparer cel oultrage.

Mais voelliés le mettre à raençon raisonnable,

ensi que vous vorriés que on fesist l’un des vostres.»

Li rois d’Engleterre senti et conçut que ses cousins

li disoit verité; si se apaisa et rafrena son mautalent,

10et fist le chevalier de Bretagne venir par devant lui.

Quant li rois le vei devant lui, se li dist: «Ha!

messire Hervi, messire Hervi, mon adversaire Phelippe

de Valois a moustré sa felonnie trop crueusement,

quant il a fait morir villainnement telz chevaliers

15que [le] signeur de Cliçon, le signeur d’Ava[u]gor

le signeur de Malatrait et son fil messire Henri de

Malatrait, messire Thiebaut de Montmorillon, le signeur

de Roce Tison et pluiseurs aultres, dont il me

desplaist grandement. Et samble à aucuns de nostre

20partie que il l’ait fait en mon despit. Et se je voloie

regarder à se felonnie, je feroie orendroit de vous le

samblable cas. Car vous m’avés fais plus de contraires

en Bretagne et à mes gens que nulz aultres.

Mès je me soufferrai, et li lairai faire ses volentés, et

25garderai men honneur à mon pooir. Et vous lairai

venir à raençon legière et gracieuse, selonch vostre

estat, pour l’amour de mon cousin le conte Derbi,

qui chi est, qui en a priiet; mais que vous voelliés

faire ce que je dirai.»

30Li chevaliers eut grant joie, quant il entendi qu’il

n’aroit garde de mort; si respondi, en lui moult humeliant:

«Chiers sires, je ferai à mon pooir loyaument

[40] 40 tout ce que vous me commanderés.» Lors dist

li rois à messire Hervi: «Je sçai bien que vous estes

uns des riches chevaliers de Bretagne, et que, se je

vous voloie presser, vous paieriés bien trente mille

5ou quarante mille escus. Je vous dirai que vous

ferés. Vous irés devers mon adversaire Phelippe de

Valois, et li dirés de par moy que, pour tant qu’il a

mis à mort villainne si vaillans chevaliers et si gentilz

que cil estoient de Bretagne et de Normendie,

10en mon despit, je di et voel porter oultre qu’il a enfraint

et brisiet les triewes que nous avions ensamble.

Si y renonce de mon costé, et le deffie de ce jour en

avant. Et parmi tant que vous ferés ce message, je vous

laisserai passer sur dix mil escus que vous paierés [ou

15envoyerés[281]] à Bruges dedens cinq mois apriès ce que

vous arés [re]passé le mer. Et encores dirés vous à

tous chevaliers et escuiers de par delà que pour ce il

ne laissent mies à venir à nostre feste, car nous les y

verons moult volentiers; et aront sauf alant et sauf

20venant et quinze jours après le feste.»—«Monsigneur,

ce dist lors messires Hervis, je furnirai vostre

message à mon pooir. Et Di[e]x vous voelle merir le

courtoisie que vous me faites, et à monsigneur le

conte Derbi ossi!»

25Depuis ceste ordenance, ne demora gaires en

Engleterre li dis messires Hervis de Lyon, mès eut

congiet, et se parti dou roy et des barons, et vint à

Hantonne. Là entra il en un vaissiel en mer, et avoit

intention d’ariver à Harflues; mais uns tourmens le

30prist et cueilla sus mer, qui leur dura dix jours et

[41] 41 plus. Et furent perdu tout leur cheval et jetté en le

mer, et li dis messires Hervis si tourmentés que

onques depuis il n’eut santé. Toutes fois à grant

meschief, au quinzime jour, li maronnier prisent terre

5au Crotoi. Si vinrent tout à piet li dis messires Hervis

et ses gens jusques à Abbeville. Là se montèrent

il, mès li dis messires Hervis estoit si travilliés qu’il

ne pooit souffrir le chevaucier; et se mist en littière,

et vint à Paris devers le roy Phelippe, et fist son

10message bien et à point. Depuis, si com jou ay oy

recorder, ne vesqui il point longuement, mès morut,

en ralant en son pays, en le cité d’Angiers.

§ 205. Et approça li jours Saint Jorge que ceste

grant feste se devoit tenir ou chastiel de Windesore,

15et y fist li rois grant appareil. Et y furent dou royaume

d’Engleterre conte, baron et chevalier, dames et

damoiselles. Et fu la feste moult grande et moult

noble, bien festée et bien joustée, et dura par le

terme de quinze jours. Et y vinrent pluiseur chevalier

20de deça le mer, de Flandres, de Haynau et de

Braibant, mès de France n’en y eut nulz.

La feste durant et seant, pluiseur nouvelles vinrent

au roy de pluiseurs pays. Et par especial il y vinrent

chevalier de Gascongne, li sires de Lespare, li sires

25de Chaumont et li sires de Muchident, envoiiés de

par les aultres barons et chevaliers qui pour le temps

de lors se tenoient englès, telz que le signeur de Labreth,

le signeur de Pumiers [le seigneur de Monferant[282]],

le signeur de Landuras, le signeur de Courton,

[42] 42 le signeur de Longerem, le signeur de Graili et pluiseur

aultres, tout en l’obeissance le roy d’Engleterre,

et ossi de par le cité de Bourdiaus et ceste de Bayone.

Si furent li dessus dit messagier moult bien venu, bien

5recuelliet et conjoy dou roy d’Engleterre et de son

conseil. Si remoustrèrent li dessus dit au roy comment

petitement et foiblement ses bons pays de Gascongne

et si bon ami et sa bonne cité de Bourdiaus estoient

conforté et secouru. Se li prioient li dessus dit

10qu’il y volsist envoiier un tel chapitainne et tant de

bonnes gens d’armes avoech lui, qu’il fuissent fort

assés et poissant de resister à l’encontre des François

qui y tenoient les camps, avoecques ceulz qu’il trouveroient

ens ou pays. Li rois respondi moult liement

15et leur dist que ossi feroit il.

Assés tost apriès, ordonna li dis rois son cousin

le conte Derbi, et le fist chapitainne et souverain de

tous ceulz qui iroient avoecques li en ce voiage, et

nomma les chevaliers qui il voloit qu’il fuissent desous

20lui et de se carge. Premierement il y mist le

conte de Pennebruch, le conte de Kenfort, le baron

de Stanfort, monsigneur Gautier de Mauni, monsigneur

Franke de Halle, monsigneur Jehan de Lille,

monsigneur Jehan de Grea, monsigneur Jehan de la

25Souce, monsigneur Thumas Kok, le signeur de Ferrières,

les deux frères de Lindehalle, le Lièvre de

Braibant, monsigneur Aymon dou Fort, messire

Hues de Hastinges, messire Estievenes de Tonrby, le

signeur de Manne, monsigneur Richart de Hebedon,

30monsigneur Normant de Finefroide, monsigneur Robert

d’Eltem, monsigneur Jehan de Norvich, monsigneur

Richart de Rocleve, monsigneur Robert de

[43] 43 Quantonne et pluiseurs aultres. Et furent bien trois

cens chevaliers et escuiers et six cens hommes d’armes

et deux mille arciers. Et dist li rois d’Engleterre

à son cousin le conte Derbi qu’il presist assés or et

5argent, et le donnast et departesist largement as chevaliers

et escuiers, par quoi il euist le grasce et l’amour

d’yaus, car on l’en deliveroit assés.

Encores ordonna li rois, celle feste durant, monsigneur

Thumas d’Augourne, pour aler en Bretagne

10devers le contesse de Montfort, pour lui aidier à

garder son pays, comment que les triewes y fuissent,

car il se doubtoit que li rois Phelippes ne fesist

guerre, sus les parolles qu’il li avoit remandées par

monsigneur Hervi de Lyon. Pour tant y envoia il le

15dit monsigneur Thumas, à cent hommes d’armes et

deux cens arciers.

Encores ordonna il monsigneur Guillaume de

Montagut, conte de Sallebrin, à aler en le conté de

Dulnestre, car li Irois estoient durement revelé

20contre lui, et avoient ars en Cornuaille bien avant et

courut jusques à Bristo, et avoient assegiet le ville de

Dulnestre. Pour tant y envoia li rois le conte de

Salebrin, à trois cens hommes d’armes et six cens

arciers.

25 § 206. Ensi que vous poés oïr, departi li rois

d’Engleterre ses gens, [ceulx[283]] qui iroient en Gascongne,

[ceulx[284]] qui iroient en Bretagne, et chiaus

qui iroient en Irlande. Et fist delivrer par ses tresoriers

[44] 44 as chapitainnes assés or et argent, pour tenir

leur estat et paiier les compagnons de leurs gages.

Cil se partirent, ensi que ordonné fu.

Or parlerons premierement dou conte Derbi, car

5il eut le plus grant carge, et ossi les plus belles aventures

d’armes. Quant toutes ses besongnes furent

pourveues et ordonnées, et ses gens [venus[285]] et si

vaissiel freté et appareilliet, il prist congiet dou roy

et s’en vint à Hantonne o[ù] toute se navie estoit, et

10là monta en mer avoecques le carge dessus ditte. Et

singlèrent tant au vent et as estoilles qu’il arrivèrent

ou havene de Bayone, une bonne cité et forte, seant

[sus] le mer, qui toutdis s’est tenue englesce. Là prisent

il terre et descargièrent toutes leurs pourveances, le

15cinquime jour de jun, l’an mil trois cens quarante

quatre. Et furent liement receu et recueilliet des bourgois

de Bayone. Si y sejournèrent et rafreschirent yaus

et leurs chevaux sept jours. Au huitime jour, li contes

Derbi et toutes ses gens s’en partirent, et chevaucièrent

20viers Bourdiaus; si fisent tant qu’il y parvinrent.

Et alèrent cil de Bourdiaus contre le dit conte à

grant pourcession, tant amoient il sa venue. Et fu

adonc li contes herbegiés en l’abbeye de Saint Andrieu.

Et toutes ses gens se logièrent en le cité, car

25il y a bien ville pour herbergier et recueillier otant

de gens ou plus.

Les nouvelles vinrent au conte de [Lille[286]], qui se

tenoit en Bregerach à quatre liewes d’illuech, que li

contes Derbi estoit venus à Bourdiaus, et avoit moult

[45] 45 grant fuison de gens d’armes et d’arciers, et estoit

fors assés pour tenir les camps et de assegier chastiaus

et bonnes villes. Si tretost que li contes de [Lille] oy

ces nouvelles, il manda le conte de Commignes,

5le conte de Piregorch, le [visconte[287]] de Carmaing,

les visconte de Villemur, le conte de Valentinois, le

conte de Murendon, le signeur de Duras, le signeur

de Taride, le signeur de la Barde, le signeur de Pincornet,

le visconte de Chastielbon, le signeur de Chastielnuef,

10le signeur de [Lescun[288]] et l’abbet de Saint

Silvier, et tous les signeurs qui se tenoient en l’obeissance

dou roy de France. Quant il furent tout venu,

il leur remoustra la venue dou conte Derbi et sa poissance,

par oïr dire. Si en demanda à avoir conseil. Et

15cil [seigneur[289]] respondirent franchement qu’il estoient

fort assés pour garder le passage de le rivière de Garone

à Bregerach contre les Englès. Ceste response

plaisi grandement au conte de [Lille], qui pour le

temps d’adonc estoit en Gascongne comme rois. Si

20se renforcièrent li dessus dit [seigneur[290]] de Gascongne,

et mandèrent hasteement gens de tous lés,

et se boutèrent ens ès fourbours de Bregerach, qui

sont grant et fors assés et enclos de le rivière de Garone;

et attraisent ens ès dis fourbours le plus grant

25partie de leurs pourveances.

§ 207. Quant li contes Derbi eut séjourné en le

[46] 46 cité de Bourdiaus environ quinze jours, il entendi

que cil baron et chevalier de Gascongne se tenoient

en Bregerach; si dist qu’il se trairoit de celle part.

Si ordonna ses besongnes au partir le matin, et fist

5mareschaus de son host monsigneur Gautier de

Mauni et messire Franke de Halle. Si chevaucièrent

li Englès celle matinée tant seulement trois liewes à

un chastiel qui se tenoit pour yaus, que on claime

Montkuk, seans à une petite liewe de Bregerach. Là

10se tinrent li Englès tout le jour et la nuit ossi. A l’endemain,

leur coureur alèrent courir jusques ès bailles

de Bregerach. Et raportèrent chil coureur à leur retour

à monsigneur Gautier de Mauni, qu’il avoient

veu et considéré une partie dou couvenant des François;

15mais il leur sambloit assés simples.

Ce propre jour, disnèrent li Englès assés matin.

Dont il avint que, à table seant, messires Gautiers

de Mauni regarda dessus le conte Derbi, et jà avoit

oyes les parolles que li coureur de leur costé avoient

20raportées; si dist: «Monsigneur, se nous estions

droites gens d’armes et bien apert, nous buverions

à ce souper des vins ces signeurs de France qui se

tiènent en garnison en Bregerach.» Si respondi li

contes Derbi tant seulement: «Jà pour moy ne demorra.»

25Li compagnon, qui oïrent le conte et le signeur

de Mauni ensi parler, misent leurs testes ensamble,

et disent li un à l’autre: «Alons nous armer:

nous chevaucerons tantost devant Bregerach.» Il n’i

eut plus fait ne plus dit. Tout furent armet et li cheval

30ensellet et tout montet. Et quant li contes Derbi

vei ses gens de si bonne volenté, si en fu tous joians

et dist: «Or chevauçons, ou nom de Dieu et de

[47] 47 saint Gorge, devers nos ennemis!» Donc s’arroutèrent

toutes manières de gens, et chevaucièrent, banières

desploiies, en le plus grant caleur dou jour. Et

fisent tant qu’il vinrent devant les bailles de Bregerach,

5qui n’estoient mies legières à prendre, car une

partie de le rivière de Garonne les environne.

§ 208. Ces gens d’armes et cil dit signeur de

France, qui estoient dedens le ville de Bregerach,

entendirent que li Englès les venoient assallir. Si en

10eurent grant joie, et disent entre yaus qu’il seroient

recueilliet, et se misent au dehors de leur ville assés

en bonne ordenance. Là avoit grant fuison de bidaus

et de gens dou pays moult mal armés. Li Englès,

qui venoient tout serré et tout rengiet, approcièrent

15tant que cil de le ville les veirent, et que leur

arcier commencièrent à traire fortement et despertement.

Lors que ces gens de piet sentirent ces

saiettes, et veirent ces banières et ces pennons, qu’il

n’avoient point acoustumé à veoir, si furent tout

20effraé, et commencièrent à reculer parmi les gens

d’armes; et arcier à traire sus yaus à grant randon,

et à mettre en grant meschief. Lors approcièrent li

signeur d’Engleterre, les glaves abaissies, et montés

sus bons coursiers fors et appers, et se ferirent en ces

25bidaus par grant manière: si les abatoient d’un costé

et d’autre, et occioient à volenté. Les gens d’armes,

de leur costé, ne pooient aler avant pour yaus, car

les gens de piet reculoient sans nul arroi, et leur brisoient

le chemin. Là eut grant touel et dur hustin

30et tamaint homme à terre, car li arcier d’Engleterre

estoient sus costé à deux lés dou chemin, et traioient

[48] 48 si ouniement que nulz n’osoit issir. Ensi furent rebouté

dedens leurs fourbours chil de Bregerach, mès

ce fu à tel meschief pour yaus que li premiers pons

et les bailles furent gaegnies de force, et entrèrent

5li Englès dedens avoech yaus. Et là sus le pavement

y eut maint chevalier et escuier mort et bleciet et

fianciet prison, de ceulz qui se mettoient au devant

pour deffendre le passage, et qui s’en voloient acquitter

loyaument à leur pooir. Et là fu occis li sires de

10Mirepois, desous le banière monsigneur Gautier de

Mauni, qui toute première entra ens ès fourbours.

Quant li contes de [Lille], li contes de Commignes,

li contes de Quarmaing et li baron de Gascongne

qui là estoient veirent le meschief, et comment li

15Englès de force estoient entré ens ès fourbours, et

occioient et abatoient gens sans merchi, si se traisent

bellement devers le ville, et passèrent le pont, à quel

meschief que ce fust. Là y eut devant le pont faite

une très bonne escarmuce et qui longement dura.

20Et y furent, de le partie des Gascons, li contes de

[Lille], li contes de Commigne, li [viscontes[291]] de Quarmaing,

li contes de Pieregorth, li sires de Duras, li

viscontes de Villemur, li sires de Taride, très bon

chevalier; et dou lés des Englès, li contes Derbi, li

25contes de Pennebruch, messires Gautiers de Mauni,

messires Franke de Halle, messires Hue de Hastinges,

li sires de Ferrières, messires Richars de Stanfort.

Et se combatoient cil chevalier main à main, par

grant vaillance. Et là eut fait mainte belle apertise

30d’armes, mainte prise et mainte rescousse. Là ne se

[49] 49 pooit chevalerie et bacelerie celer. Et par especial li

sires de Mauni s’avançoit moult souvent si avant

entre ses ennemis que à grant painne l’en pooit on

5ravoir. Là furent pris, dou lés des François, li viscontes

de Boskentin, li sires de Chastielnuef, li viscontes

de Chastielbon et li sires de [Lescun]. Et se retraisent

tout li aultre dedens le fort et fremèrent

leur porte, et avalèrent le restel, et puis montèrent

as garites d’amont, et commencièrent à jetter et à

10lancier et à reculer leurs ennemis. Cilz assaus, cilz

enchaus et ceste escarmuce dura jusques au vespre,

que li Englès se retraisent tout lasset et tout travilliet;

et se boutèrent ens ès fourbours qu’il avoient

gaegniés, où il trouvèrent vins et viandes à grant

15fuison, pour yaus et pour toute leur host vivre largement

deux mois, se il besongnast. Si passèrent

celle nuit en grant reviel et en grant aise, et burent

de ces bons vins assés, qui peu leur coustoient, ce

leur sambloit.

20§ 209. Quant ce vint à l’endemain, li contes

Derbi fist sonner ses trompètes et armer toutes

ses gens et mettre en ordenance, et approcier le ville

pour assallir, et dist qu’il n’estoit mies là venus pour

sejourner. Donc s’arroutèrent banières et pennons

25par devant les fossés, et vinrent jusques au pont. Si

commencièrent à assallir fortement de traire, car

d’aultre assault ne les pooit on approcier. Et dura

cilz assaulz jusques à nonne. Petit y fisent li Englès,

car il avoit adonc dedens Bregerach bonnes gens

30d’armes qui se deffendoient de grant volenté. Adonc

sus l’eure de nonne se retraisent il arrière et

[50] 50 laissièrent l’assaut, car il veirent bien qu’il perdoient

leur painne. Si alèrent li signeur à conseil ensamble,

et consillièrent qu’il envoieroient querre sus le rivière

de Geronde des nefs et des batiaus, et assaurroient

5Bregerach par l’aigue, car elle n’estoit fremée

que de palis; si y envoiièrent tantost. Li maires de

Bourdiaus obei au commandement dou conte Derbi,

ce fu raisons; et envoia tantost par le rivière plus de

quarante, que barges que nefs, qui là gisoient à l’ancre

10ou havene devant Bourdiaus. Et vint l’endemain

au soir ceste navie devant Bregerach. De quoi li Englès

furent tout resjoy; si ordonnèrent leur besongne

celle nuitie pour assallir à l’endemain.

§ 210. Droit à heure de soleil levant, furent li

15Englès, qui ordonné estoient pour assallir par aigue

en leur navie, tout apparillé. Et en estoient chapitainne

li contes de Pennebruch et li contes de Kenfort.

Là avoit avoecques eulz pluiseurs jones chevaliers

et escuiers qui s’i estoient trait de grant volenté,

20pour leurs corps avancier. En celle navie avoit grant

fuison d’arciers. Si approcièrent vistement, et vinrent

jusques à un grant roulleis qui estoit devant les palis,

li quelz fu tantost rompus et jettés par terre.

Li homme de Bregerach et li communaultés de le

25ville regardèrent que nullement il ne pooient durer

contre cel assaut; si se commencièrent à esbahir, et

vinrent au conte de [Lille] et as chevaliers qui là

estoient, et leur disent: «Signeur, regardés que vous

volés faire: nous sommes en aventure de estre tout

30perdu. Se ceste ville est prise, nous perderons le

nostre et nos vies ossi. Si vaurroit mieus que nous

[51] 51 le rendissions au conte Derbi que donc que nous

euissions plus grant damage.» Adonc respondi li

contes de [Lille] et dist: «Alons, alons celle part

où vous dittes que li perilz est, car nous ne le renderons

5pas ensi.» Lors s’en vinrent li chevalier et

li escuier de Gascongne qui là estoient, contre ces

pallis, et se misent tout au deffendre de grant corage.

Li arcier, qui estoient en leurs barges, traioient si

ouniement et si roit que à painnes se pooit nulz apparoir,

10se il ne se voloit mettre en aventure d’estre

mors ou trop malement bleciés. Par dedens le ville,

avoech les Gascons, avoit bien deux cens arbalestriers

geneuois, qui trop grant pourfit leur fisent; car il

estoient bien paveschiet contre le tret des Englès,

15et ensonnièrent tout ce jour grandement les arciers

d’Engleterre. Si en y eut pluiseurs bleciés, d’une part

et d’aultre. Finablement li Englès, qui estoient en

leur navie, s’esploitièrent telement qu’il rompirent

un grant pan dou palis. Quant cil de Bregerach veirent

20le meschief, il se traisent avant et requisent à

avoir respit, tant qu’il fuissent consilliet pour yaus

rendre. Il leur fu acordé le parfait dou jour et le nuit

ensievant jusques à soleil levant, sauf tant qu’il ne

se devoient de riens fortefiier. Ensi se retrest cescuns

25à son logeis.

Celle nuit furent en grant conseil li baron de Gascongne

qui là estoient, à savoir comment il se maintenroient.

Iaus bien consilliet, il fisent ensieller lors

chevaus et cargier de leur avoir, et montèrent et se

30partirent environ mienuit. Et chevaucièrent vers le

ville de le Riolle, qui n’est mies lonch de là. On leur

ouvri les portes; si entrèrent ens et se logièrent et

[52] 52 herbergièrent parmi le ville. Or, vous dirons de

chiaus de Bregerac comment il finèrent.

§ 211. Quant ce vint au matin, li Englès qui estoient

tout conforté d’entrer en le ville de Bregerach,

5fust bellement ou aultrement, entrèrent de recief en

leur navie, et vinrent tout nagant à cel endroit où il

avoient rompu les palis. Si trouvèrent illuech grant

fuison de chiaus de le ville qui estoient tout avisé

d’yaus rendre, et priièrent as chevaliers qui là estoient

10qu’il volsissent priier au conte Derbi qu’il les

volsist prendre à merci, salve leurs corps et leurs

biens, et en avant il se metteroient en l’obeissance

dou roy d’Engleterre. Li contes de Pennebruch et li

contes de Kenfort respondirent qu’il en parleroient

15volentiers; et puis demandèrent il où li contes de

[Lille] et li aultre baron estoient. Il respondirent:

«Certainnement nous ne savons, car il cargièrent et

toursèrent très le mienuit tout le leur et se partirent,

mès point ne nous disent quel part il se trairoient.»

20Sus ces parolles, se partirent li doi conte dessus

nommet, et vinrent au conte Derbi, qui n’estoit mies

loing de là, et li moustrèrent tout ce que les gens de

Bregerach voloient faire. Li dis contes Derbi, qui fu

moult nobles et très gentilz de coer, respondi: «Qui

25merci prie, merci doit avoir. Dittes leur qu’il oevrent

leur ville et nous laissent ens: nous les assegurons

de nous et des nostres.» Adonc retournèrent li doi

signeur dessus dit, et recordèrent à chiaus de Bregerach

tout ce que vous avés oy: dont il furent moult

30joiant, quant il veirent qu’il pooient venir à pais. Si

vinrent ou le place et sonnèrent les sains, et se

[53] 53 assamblèrent tout, hommes et femmes, et fisent ouvrir

leurs portes, et vinrent à grant pourcession et moult

humlement contre le conte Derbi et ses gens, et le

menèrent à le grant eglise. Et là li jurèrent il feaulté

5et hommage et le recogneurent à signeur, ou nom

dou roy d’Engleterre, par le vertu de le procuration

qu’il en portoit. Ensi eut en ce temps li contes Derbi

le bonne ville de Bregerach, qui se tint toutdis depuis

englesce. Or, parlerons nous des signeurs de Gascongne

10qui estoient retrait en le ville et ou chastiel

de le Riolle, et vous conterons comment il se

maintinrent.

§ 212. Celle propre nuitie et le journée ensievant

que li contes de [Lille] et li baron et chevalier, qui

15avoecques lui estoient, furent venu en le Riolle, il

regardèrent et avisèrent li un par l’autre qu’il se departiroient

et se trairoient ens ès garnisons, et guerrieroient

par forterèces, et metteroient sus les camps

entre quatre cens ou cinq cens combatans dont il

20feroient frontière: si en seroient chief et meneur li

contes de Comignes et li viscontes de Quarmaing.

Adonc se departirent il. Si se traist li contes de

Pieregorth en [Perigueux[292]], li seneschaus de Thoulouse

à Montalben, li viscontes de Villemur à Auberoce,

25messires Bertrans des Prés à Pellagrue, messires Phelippes

de Dyon à Montagrée, li sires de Montbrandon

à Maudurant, Ernaus de Dyon à [Lamongis[293]],

Bobers de Malemort à Byaumont en [Lillois], messires

[54] 54 Charles de Poitiers à Pennes en Aginois, et ensi

les chevaliers de garnison en garnison. Si se departirent

tout li un de l’autre, et li contes de [Lille] demora

en la Riolle. Et fist remparer et rabillier le

5ville et le forterèce, telement que elle n’avoit garde

d’assaut que on y fesist sus un mois ne deux. Or,

retourrons nous au conte Derbi qui estoit en

Bregerach.

§ 213. Quant li contes Derbi eut pris le possession

10et le saisine de le ville de Bregerach, et il s’i fu

rafrescis par deux jours, il demanda au senescal de

Bourdiaus quel part il se [trairoit[294]], car mies ne voloit

sejourner. Li seneschaus respondi que ce seroit

bon d’aler devers Pieregort et en le haute Gascongne.

15Dont fist li dis contes Derbi ordonner toutes

ses besongnes et traire au chemin par devers [Perigueux[295]],

et laissa en Bregerach un chevalier à chapitainne,

qui s’appelloit messires Jehans de la Souce.

Ensi que li Englès chevauçoient, il trouvèrent en

20leur chemin un chastiel qui s’appelle Lango, dont li

vigiers de Thoulouse estoit chapitaine, une moult

aperte armeure de fier. Il s’arrestèrent là, et disent

qu’il ne lairoient pas che chastiel derrière. Si le commença

li bataille des mareschaus à assallir, et y furent

25un jour tout entier. Et là eut mervilleusement dur

et fort assaut, car li Englès assalloient de grant volenté,

et cil dou fort se deffendoient moult vassaument.

Nequedent, ce premier jour il n’i fisent riens.

[55] 55 A l’endemain, priès que toute li hos fu devant. Et

recommencièrent à assallir telement et par si forte

manière, avoech ce que on avoit jetté ens ès fossés

grant fuison de bois et de velourdes par quoi on

5pooit bien aler jusques as murs sans dangier, que cil

de dedens se commencièrent à esbahir. Adonc leur

fu demandé de messire Franke de Halle, se il se renderoient,

et que il y poroient bien tant mettre qu’il

n’i venroient point à temps. Il requisent à avoir conseil

10de respondre. Ce leur fu acordé. Il se consillièrent;

et me samble qu’il se partirent de le forterèce

et riens n’enportèrent, et s’en alèrent devers Montsach

qui se tenoit françoise. Ensi eurent li Englès le

chastiel de Lango. Si y establi li contes Derbi un escuier

15à chapitainne, qui s’appelloit Aymon Lyon, et

laissa laiens avoecques lui jusques à trente arciers.

Si se partirent de Lango, et cheminèrent devers une

ville qui s’appelle le Lach.

§ 214. Quant cil de le ville dou Lach sentirent

20les Englès venir si efforciement, et qu’il avoient pris

Bregerach et le chastiel de Lango, si en furent si

effraet qu’il n’eurent mies conseil d’yaus tenir. Et

s’en vinrent au devant dou conte Derbi, et li aportèrent

les clefs de le ville, et le recogneurent à

25signeur, ou nom dou roy d’Engleterre. Li contes

Derbi prist le feaulté d’yaus, et puis passa oultre, et

s’en vint à Maudurant, et le gaegna d’assaut sus

chiaus dou pays. Et y fu pris uns chevaliers dou pays,

qui [s’appelloit[296]] li sires de Montbrandon. Si laissa li

[56] 56 dis contes Derbi gens d’armes dedens le forterèce; et

puis passèrent oultre, et vinrent devant le chastiel de

[Lamongis[297]]. Si l’assallirent, et le prisent d’assaut tantost,

et le chevalier qui estoit dedens, et l’envoiièrent

5tenir prison à Bourdiaus. Puis chevaucièrent devers

Pinac et le conquisent, et en apriès le ville et le

chastiel de Laliene, et s’i rafreschirent par trois jours.

Au quatrime, il s’en partirent et vinrent à Forsach,

et le gaegnièrent assés legierement, et en apriès le

10tour de Prudaire. Et puis chevaucièrent devers une

bonne ville et grosse, que on appelle Byaumont en

[Lillois], qui se tenoit liegement dou conte de [Lille].

Si furent li Englès trois jours par devant, et y fisent

tamaint grant assaut, car elle estoit bien pourveue

15de gens d’armes et d’artillerie, qui le deffendirent

tant qu’il peurent durer. Finablement elle fu prise,

et y eut grant occision de chiaus qui dedens furent

trouvet. Et le rafreschi li contes Derbi de nouvelles

gens d’armes, et puis chevauça oultre, et vint devant

20Montagrée. Si le prist ossi d’assaut et le chevalier

qui estoit dedens, et l’envoia tenir prison à

Bourdiaus.

Et ne cessèrent li Englès de chevaucier; si vinrent

devant [Lille], la souverainne ville dou conte, dont

25messires Phelippes de Dyon et messires Ernaulz de

Dyon estoient chapitainne. Quant li contes Derbi et

ses gens furent venu par devant, si l’avironnèrent et

regardèrent que elle estoit bien prendable. Si fisent

traire leurs archiers avant, et approcier jusques as

30barrières. Cil commencièrent à traire si fortement

[57] 57 que nulz de chiaus de le ville n’osoient apparoir

pour deffendre. Et conquisent li Englès ce premier

jour les bailles et tout jusques à le porte, et sus le

soir il se retraisent. Quant ce vint au matin, de rechief

5il commencièrent à assallir fortement et despertement

en pluiseurs lieus, et ensonniièrent si

chiaus de le ville qu’il ne savoient au quel entendre.

Li bourgois de le ville, qui doubtèrent le leur à

perdre, leurs biens, leurs femmes et leurs enfans,

10regardèrent que à le longe il ne se poroient tenir. Si

priièrent as deux chevaliers qui là estoient, qu’il

trettiassent à ces signeurs d’Engleterre, par quoi il

demorassent à pais et que li leurs fust sauvés. Li

chevalier, qui assés bien veoient le peril où il estoient,

15s’i acordèrent assés legierement. Et envoiièrent un

hiraut de par yaus au conte Derbi, pour avoir respit

un jour tant seulement et parlement de composition.

Li hiraus vint devers le dit conte qu’il trouva sus les

camps assés priès de le ville, et li remoustra ce pour

20quoi il estoit là envoiiés. Li contes s’i acorda et fist

retraire ses gens, et s’en vint jusques as barrières

parlementer à chiaus de le ville, dalés lui le baron de

Stanfort et le signeur de Mauni. Là furent il en grant

parlement ensamble, car li contes Derbi voloit qu’il

25se rendesissent simplement, et il ne l’euissent jamais

fait. Toutes fois, accors se porta que cil de [Lille] se

metteroient en l’obeissance dou roy d’Engleterre. Et

de ce envoieroient il douze de leurs plus honnourables

hommes en le bonne cité de Bourdiaus, en nom

30de crant. Et sur ce li chevalier et li escuier françois,

qui là estoient, se pooient partir et traire quel part

qu’il voloient. Ensi eut li contes Derbi en ce temps

[58] 58 le ville de [Lille] en Gascongne; et se partirent sus

son saufconduit les gens d’armes qui dedens estoient,

et s’en alèrent devers le Riolle.

§ 215. Apriès le conquès de [Lille], et que li contes

5Derbi y eut laissiés gens d’armes et arciers de par

lui, et envoiiés douze bourgois de la ville en ostagerie,

pour plus grant seurté, en le cité de Bourdiaus, il

chevauca oultre et vint devant Bonival. Là eut grant

assaut et dur, et pluiseurs hommes bleciés dedens et

10dehors. Finablement, li Englès le prisent et le misent

à merci, et le rafreschirent de gens d’armes et de

chapitainne. Et puis chevaucièrent oultre, et entrèrent

en le conté de Pieregorth, et passèrent devant

Bourdille, mais point n’i assallirent, car il veirent

15bien qu’il euissent perdu leur painne. Si esploitièrent

tant qu’il vinrent jusques à [Perigueux[298]]. Par dedens

estoient li contes de Pieregorth et messires Rogiers

de Pieregorth ses oncles, et li sires de Duras et bien

six vingt chevaliers et escuiers dou pays, qui tout

20s’estoient là recueilliet sus le fiance dou fort liu, et

ossi li uns pour l’autre. Quant li contes Derbi et se

route parfurent venu devant, il avisèrent et imaginèrent

moult bien comment, ne par quel voie à leur

avantage il le poroient assallir. Si le veirent forte

25durement: si ques, tout, consideret, il n’eurent mies

conseil d’emploiier y leurs gens, mais se retraisent

arrière sans riens faire. Et s’en vinrent logier à deux

liewes de là, sus une petite rivière, pour venir devant

le chastiel de Pellagrue.

[59] 59 Ces gens d’armes, qui estoient dedens le chastiel

de Perigueux, parlèrent ce soir ensamble, et disent

ensi: «Cil Englès nous sont venu veoir et aviser de

priès, et puis se sont parti sans riens faire. Ce seroit

5bon que à nuit nous les alissions resvillier, car il ne

sont pas logiet trop loing de ci.» Tout s’acordèrent

à ceste oppinion, et issirent de Perigueux environ

mienuit bien deux cens lances, montés sus fleur de

chevaus; et chevaucièrent radement, et furent devant

10le jour ou logeis des Englès. Si se ferirent dedens

baudement; si en occirent et mehagnièrent grant

fuison. Et entrèrent ou logeis le conte de Kenforth,

et le trouvèrent qu’il s’armoit. Si fu assallis vistement

et pris par force; aultrement il euist estet mors, et

15ne sçai trois ou quatre chevaliers de son hostel. Puis

se retraisent li Gascon sagement, ançois que li hos

fust trop estourmis, et prisent le chemin de [Perigueux].

Si leur fu bien besoins qu’il trouvassent les

portes ouvertes et apparillies, car il furent sievoit

20caudement et rebouté durement dedens leurs barrières.

Mais si tretost que li Gascon furent en leur

garde, il descendirent de leurs chevaus et prisent

leurs glaves, et s’en vinrent franchement combatre

main à main as Englès; et tinrent leur pas souffisamment,

25et fisent tant qu’il n’i eurent point de damage.

Adonc se retraisent li Englès tout merancolieus de

ce que li contes de Kenfort estoit pris, et vinrent à

leur logeis; si se deslogièrent bien matin, et cheminèrent

devers Pellagrue.

30§ 216. Tant chevaucièrent li Englès qu’il vinrent

devant le chastiel de Pellagrue. Si l’environnèrent

[60] 60 de tous lés et le commencièrent à assallir fortement,

et cil de dedens à yaus deffendre comme gens de

grant volenté, car il avoient un bon chevalier à chapitainne

que on appelloit monsigneur Bertran des

5Prés. Et furent li Englès six jours devant Pellagrue,

et y fisent tamaint assaut. Là en dedens furent tretties

les delivrances dou conte de Renfort et de ses

compagnons, en escange dou visconte de Boskentin,

dou visconte de Chastielbon, dou signeur de [Lescun[299]]

10et dou signeur de Chastielnuef, parmi tant encores

que la terre dou conte de Pieregorth demorroit trois

ans en pais. Mais bien se pooient armer li chevalier

et li escuier de celle terre, sans fourfait; mès on ne

pooit prendre, ardoir ne exillier, piller ne rober

15nulle cose, le terme durant, en la ditte conté. Ensi

revinrent li contes de Kenfort et tout li prisonnier

englès qui avoient estet pris de chiaus de Pieregorth.

Et ossi li chevalier de Gascongne furent delivret

parmi le composition dessus ditte.

20Et se partirent li Englès de devant Pellagrue, car

la terre est tenue dou conte de Pieregort, et chevaucièrent

devers Auberoce, qui est uns biaus chastiaus

et fors de l’archevesquié de Thoulouse. Si trestost

que li Englès furent venu devant Auberoce, il s’i logièrent

25ossi faiticement que donc qu’il y vosissent

demorer et sejourner une saison. Et envoiièrent segnefiier

et dire à ceulz qui dedens estoient, qu’il se

rendesissent et mesissent en l’obeissance dou roy

d’Engleterre; ou aultrement, s’il estoient pris par

[61] 61 force, il seroient tout mort sans merci. Cil de le ville

et dou chastiel d’Auberoce doubtèrent leurs biens et

leurs corps à perdre, et veirent qu’il ne leur apparoit

nul confort de nul costé. Si se rendirent, salve leurs

5corps et leurs biens, et se misent en l’obeissance

dou conte Derbi, et le recogneurent à signeur, ou nom

dou roy d’Engleterre, par le vertu d’une procuration

qu’il en avoit. Adonc s’avisa li contes Derbi qu’il se

retrairoit tout bellement devers le cité de Bourdiaus.

10Si laissa dedens Auberoce en garnison monsigneur

Franke de Halle, monsigneur Alain de Finefroide et

monsigneur Jehan de Lindehalle.

Puis s’en vint li contes à Liebrone, une bonne

ville et grosse, en son chemin de Bourdiaus, à douze

15liewes d’illuech; et l’assega, et dist bien à tous chiaus

qui oïr le vorrent, qu’il ne s’en partiroit si l’aroit.

Quant cil de Liebrone veirent assegie leur ville, et le

grant effort que li contes Derbi menoit, et comment

tous li pays se rendoit à lui, si alèrent li homme de

20le ville ensamble en conseil à savoir comment il se

maintenroient. Tout consideret [et yaulx consilliet[300]],

et peset le bien contre le mal, il se rendirent et ouvrirent

leurs portes, ne point ne se fisent assallir ne

heriier. Et jurèrent feaulté et hommage au conte

25Derbi, ou nom dou roy d’Engleterre, et à demorer

bons Englès de ce jour en avant. Ensi entra li contes

Derbi dedens Liebrone, et y fu quatre jours, et là

ordonna il de ses gens quel cose il feroient. Si ordonna

tout premierement le conte de Pennebruch

30et se route à aler à Bregerach, et messire Richart de

[62] 62 Stanfort et messire Estievene de Tonrbi et messire

Alixandre Ansiel et leurs gens à demorer en le ville

de Liebrone. Chil li acordèrent volentiers. Dont se

partirent li contes Derbi, li contes de Kenfort, messires

5Gautiers de Mauni et li aultre, et chevaucièrent

devers Bourdiaus, et tant fisent qu’il y parvinrent.

§ 217. Au retour que li contes Derbi fist en le

cité de Bourdiaus, fu il liement recueillés et recheus

de toutes gens. Et vuidièrent li clergiés et li bourgois

10de le ville à grant pourcession contre lui, et li

fisent tout honneur et reverense à leur pooir. Et li

abandonnèrent vivres et pourveances et toutes aultres

coses, à prendre ent à sen aise et volenté. Li

contes les remercia grandement de leur courtoisie

15et de ce qu’il li offroient. Ensi se tint li contes Derbi

en le cité de Bourdiaus avoecques ses gens; si s’esbatoit

et jewoit entre les bourgois et les dames de

le ville.

Or lairons nous un petit à parler de lui, et parlerons

20dou conte de [Lille], qui se tenoit en le Riolle,

et savoit bien tout le couvenant des Englès et le conquès

que li contes Derbi avoit fait, et point n’i avoit

peut pourveir de remède. Si entendi li dis contes de

[Lille] que li contes Derbi estoit retrais au sejour en

25Bourdiaus et avoit espars ses gens et romput se chevaucie,

et n’estoit mies apparant que de le saison il

en fesist plus. Si s’avisa li dis contes qu’il feroit une

semonse et un mandement especial de gens d’armes,

et iroit mettre le siège devant Auberoce. Ensi qu’il

30l’avisa, il le fist. Si escrisi devers le conte de Pieregort,

celi de Quarmaing, celi de Commignes, celi de

[63] 63 Brunikiel, celi de Villemur et devers tous les barons

de Gascongne, qui François se tenoient, qu’il fuissent

sus un jour qu’il leur assigna, devant Auberoce, car

il y voloit aler et mettre le siège. Li dessus dit conte,

5visconte et baron de Gascongne obeirent à lui, car

il estoit comme rois ens ès marces de Gascongne.

Et assamblèrent leurs gens et leurs hommes, et furent

tout appareilliet au jour qui assignés y fu. Et vinrent

devant Auberoce telement que li chevalier dessus

10nommé, qui le gardoient, ne s’en donnèrent de garde;

si se veirent assegiet de tous costés. Ensi que gens

de bon couvenant et de grant arroy, il ne furent de

riens esbahi, mès entendirent à leurs gardes et à

leurs deffenses. Li contes de [Lille] et li aultre baron,

15qui là estoient venu moult poissamment, se logièrent

tout à l’environ, telement que nulz ne pooit entre[r],

ne issir en le garnison, qu’il ne fust aperceus. Et envoiièrent

querre quatre grans engiens à Thoulouse,

et les fisent là achariier et puis drecier devant le forterèce.

20Et n’assalloient li François d’autre cose, fors

de ces engiens, qui nuit et jour jettoient pières de fais

ou chastiel. Che les esbahissoit plus c’autre cose, car

dedens six jours il desrompirent le plus grant partie

des combles des tours. Et ne s’osoient li chevalier

25ne cil dou chastiel tenir, fors ens ès cambres votées,

par terre. Et estoit li intentions de chiaus de l’host

qu’il les occiroient là dedens, ou il se renderoient

simplement. Bien estoient venues les nouvelles à

Bourdiaus au conte Derbi et à monsigneur Gautier

30de Mauni, que leur compagnon estoient assegiet dedens

Auberoce; mais point ne savoient qu’il fuissent

si apressé, ne si constraint qu’il estoient.

[64] 64 § 218. Quant messires Franke de Halle et messires

Alain de Finefroide et messires Jehans de Lindehalle

veirent le oppression que li François leur faisoient,

et si ne leur apparoit confors ne ayde de nul

5costé, si se commencièrent à esbahir, et se consillièrent

entre yaus comment il se poroient maintenir.

«Il ne poet estre, disent il, que se li contes Derbi

savoit le dangier où cil François nous tiènent, qu’il

ne nous secourust, à quel meschief que ce fust. Si

10seroit bon que nous li feissiens savoir, mès que nous

peuissions trouver messag[e].» Adonc demandèrent il

entre leurs varlès se il en y avoit nul qui volsist

gaegnier et porter ceste lettre qu’il avoient escript, à

Bourdiaus, et baillier au conte Derbi. Lors s’avança

15uns varlès, et dist qu’il li porteroit bien et volentiers;

et ne le feroit mies tant, pour le convoitise de gaegnier,

que pour yaus delivrer de ce peril. Li chevalier

furent moult liet dou varlet qui s’offroit de faire le

message.

20Quant ce vint au soir par nuit, li varlés prist la

lettre que li chevalier li baillièrent, qui estoit seellée

de leurs trois seaulz; et li encousirent en ses draps,

et puis le fisent avaler ens ès fossés. Quant il fu au

fons, il monta amont et se mist à voie parmi l’ost,

25car aultrement ne pooit il passer. Et fu encontrés

dou premier get, et ala oultre, car il sçavoit bien

parler gascon, et nomma un signeur de l’host, et dist

qu’il estoit à lui. On le laissa passer par tant; et cuida

bien estre escapés, mès non fu, car il fu repris au

30dehors des tentes, d’aultres varlès, qui l’amenèrent

devant le chevalier dou ghet. Là ne peut il trouver

nulle excusance qui riens li vaulsist. Si fu tastés et

[65] 65 exquis, et la lettre trouvée sur lui. Si fu menés en

prison et gardés jusques au matin, que li signeur de

l’host furent tout levet; si furent tantost enfourmé

de le prise dou varlet. Adonc se traisent il tout ensamble

5en le tente dou conte de [Lille]. Là fu la lettre

leute que li chevalier d’Auberoce envoioient au conte

Derbi. Si eurent tout grant joie, quant il sceurent de

vérité que li chevalier d’Auberoce et li compagnon

englès qui dedens se tenoient estoient si astraint et

10qu’il ne se pooient plus tenir: si ques, pour yaus

plus agrever, il prisent le varlet, et li pendirent les

lettres au col, et le misent tout en un mont et en le

fonde d’un engien, et puis le renvoiièrent dedens

Auberoce. Li varlès chei tous mors devant les chevaliers

15qui là estoient, et qui furent esbahi et desconforté

quant il le veirent: «Ha! disent il, nostre

messagier n’a pas fait son message. Or ne savons

nous mès que viser, ne quel conseil avoir qui nous

vaille.»

20A ces cops estoient montés à cheval li contes de

Pieregorth et messires Rogiers de Pieregorth ses oncles,

messires Charles de Poitiers, li viscontes de

Quarmaing et li sires de Duras, et passèrent devant

les murs de le forterèce au plus priès qu’il peurent.

25Si escriièrent à chiaus dedens, et leur disent en gabois:

«Signeur, signeur englès, demandés à vostre

messagier où il trouva le conte Derbi si apparilliet,

quant à nuit se parti de vostre forterèce, et jà est

retournés de son voiage.» Adonc respondi messires

30Frankes de Halle, qui ne s’en peut astenir, et dist:

«Par foy, signeur, se ceens nous sommes enclos,

nous en isterons bien, quant Diex vorra et li contes

[66] 66 Derbi. Et pleuist à Dieu qu’il seuist en quel parti

nous sommes! Se il le savoit, il n’i aroit si avisé des

vostres qui ne ressongnast à tenir les camps. Et

se vous li volés segnefiier, li uns des nostres se mettera

5en vostre prison pour rançonner, ensi que on

rançonne un gentil homme.» Dont respondirent li

François: «Nennil, nennil! Les pareçons ne se porteront

mies ensi. Li contes Derbi le sara tout à

temps, quant par nos engiens nous arons abatu rés

10à rés terre che chastiel, et que vous, pour vos vies

sauver, vous vos serés rendu simplement.»

—«Certainnement, ce respondi messires Franke de Halle, ce

ne sera jà que ensi nous nos doions rendre, pour

estre tout mort ceens.» Adonc passèrent li chevalier

15françois oultre, et revinrent à leur logeis. Et li troi

chevalier englès demorèrent dedens Auberoce tout

esbahi, au voir dire; car ces pières d’engien leur

buskoient si grans horions, que ce sambloit effoudres

qui descendist dou ciel, quant elles frapoient contre

20les murs dou chastiel.

§ 219. Toutes le[s] parolles et les devises et le

couvenant dou messagier, comment il avoit esté pris

devant Auberoce, et l’estat de la lettre, et le neccessité

de chiaus dou chastiel furent sceues et raportées à

25Bourdiaus au conte Derbi et à monsigneur Gautier

de Mauni, par une leur espie qu’il avoient envoiiet

en l’ost, et qui leur dist: «Mi signeur, à ce que j’ai

pout entendre, se vo chevalier ne sont conforté dedens

trois jours, il seront ou mort ou pris. Et volentiers

30se renderoient, se on les voloit prendre à merci,

mès il me samble que nennil.» De ces nouvelles ne

[67] 67 furent mies li contes Derbi et messires Gautiers de

Mauni bien joiant, et disent entre yaus: «Ce seroit

lasqueté et villonnie, se nous [laissons[301]] perdre trois

si bons chevaliers que cil sont, qui si franchement

5se sont tenu dedens Auberoce. Nous irons ceste part

et nous esmouverons tout premièrement, et manderons

au conte de Pennebruch, qui se tient à Bregerach,

qu’il soit dalés nous à cèle heure, et ossi à monsigneur

Richart de Stanfort et à monsigneur Estievene

10de Tombi qui se tient à Liebrone.»

[Adoncques ly contes Derby se hasta durement, et

envoia ses messages et ses lettres devers le conte de

Pennebruk. Et se parti de Bourdiaux à ce qu’il avoit

de gens, et chevaucha tout couvertement devers Auberoche;

15bien avoit qui le menoit et qui congnissoit

le pais. Si vint ly contes Derby à Liebrone[302]] et là

sejourna un jour, attendans le conte de Pennebruch,

et point ne vint. Quant il vei qu’il ne venroit point,

si fu tous courouciés et se mist au chemin, pour le

20grant desir qu’il avoit de conforter ses chevaliers qui

en Auberoce se tenoient, car bien [sçavoit[303]] qu’il en

avoient grant mestier.

Si issirent de Liebrone li contes [Derbi[304]] li contes

de Renfort, messires Gautiers de Mauni, messires

25Richars de Stanfort, messires Hues de Hastinghes,

messires Estievenes de Tombi, li sires de Ferrières

et li aultre compagnon. Et chevaucièrent toute

[68] 68 nuit, et vinrent à l’endemain à deux petites liewes

d’Auberoce. Si se boutèrent en un bois, et descendirent

de leurs chevaus; et les alloiièrent as arbres

et as foellies, et les laissièrent pasturer en l’erbe,

5toutdis attendans le conte de Pennebruch. Et furent

là toute la matinée, et jusques à nonne. Si s’esmervilloient

trop durement de ce qu’il n’ooient nulle

nouvelle dou dit conte. Quant ce vint sus l’eure de

remontière, et il veirent que point ne venoit li

10contes, si disent entre yaus: «Que ferons nous?

Irons nous assallir nos ennemis, ou nous retourons?»

Là furent en grant imagination quel cose il

en feroient, car ilz ne se veoient mies gens pour

combatre une tèle hoost qu’il y avoit devant Auberoce,

15car il n’estoient non plus de trois cens lances

et de six cens arciers. Et li François pooient estre

entre dix mille et onze mille hommes. A envis ossi

le la[i]ssoient, car bien savoient, se il se partoient sans

le siège lever, il perd[r]oient le chastiel d’Auberoce et

20les chevaliers leurs compagnons qui dedens estoient.

Finablement, tout consideret, et peset le bien contre

le mal, il s’acordèrent à ce que, ou nom de Dieu et

de saint Jorge, il iroient combatre leurs ennemis.

Or avisèrent il comment; et l’avis là où le plus il

25s’arrestèrent, il leur vint de monsigneur Gautier de

Mauni, qui dist ensi: «Signeur, nous monterons

tout à cheval, et costierons à le couverte ce bois où

nous sommes à present, tant que nous serons sus

l’autre cornée, au lés delà qui joint moult priès de

30leur host. Et quant nous serons priès, nous feri[r]ons

chevaus des esporons et escrierons nos cris hautement;

nous y enterons droit sus l’eure dou souper:

[69] 69 vous les verés si souspris et si esbahis de nous, qu’il

se desconfiront d’eulz meismes.» Adonc respondirent

li chevalier qui furent appellet à ce conseil: «Nous

le ferons ensi que vous l’ordonnés.» Si reprist cescuns

5son cheval, et les recenglèrent estroitement; et

fisent restraindre leurs armeures, et ordonnèrent

tous leurs pages, leurs varlès et leurs malètes à là

demorer. Et puis chevaucièrent tout souef au loing

dou bois, tant qu’il vinrent sus l’autre cornée où li

10hos françoise estoit logie assés priès, en un grant val,

sus une petite rivière. Lors qu’il furent là venu, il

desvolepèrent leurs banières et leurs pennons, et ferirent

chevaus des esperons, et s’en vinrent tout de

front sus le large planter et ferir en l’ost de ces signeurs

15de Gascongne, qui furent bien souspris, et

leurs gens ossi; car de celle embusche ne se donnoient

il nulle garde, et se devoient tantos seoir au

souper. Et li pluiseur y estoient jà assis comme gent

asseguret, car il ne cuidaissent jamais que li contes

20Derbi deuist là venir ensi à tèle heure.

§ 220. Evous les Englès venant frapant en celle

host, pourveus et avisés de ce qu’il devoient faire, en

escriant: «[D]erbi[305], [D]erbi au conte!» et «Mauni,

Mauni au signeur!» Puis commencièrent à coper et à

25decoper tentes, trés et pavillons, et reverser l’un sus

l’autre, et abatre et occire et mehagnier gens, et mettre

en grant meschief; ne [les François[306]] ne savoient auquel

entendre, tant estoient il quoitiet et fort hastet. Et

[70] 70 quant il se traioient sus les camps pour yaus recueillier

et assambler, il trouvoient arciers tous appareilliés

qui les traioient et bersoient et occioient sans

merci et sans pité. Là avint soudainnement sus ces

5chevaliers de Gascongne uns grans meschiés, car il

n’eurent nul loisir d’yaus armer ne traire sus les

camps. Mais fu li contes de [Lille] pris en son pavillon

et moult durement navrés, et li contes de Pieregorch

ossi dedens le sien, et messires Rogiers, ses oncles,

10et occis li sires de Duras et messires Aymars

de Poitiers, et pris li contes de Valentinois ses frères.

Briefment, on ne vit onques tant de bonnes gens,

chevaliers et escuiers qui là estoient, perdu à si peu

de fait, car cescuns fuioit que mieulz mieulz. Bien

15est verité que li contes de Commignes et li viscontes

de Quarmaing et cil de Villemur et cils de Brunikiel

et li sires de la Barde et li sires de Taride, qui estoient

logiet d’autre part le chastiel, se recueillièrent

et misent leurs banières hors, et se traisent vassaument

20sus les camps. Mais li Englès, qui avoient jà

desconfis le plus grant partie de l’ost, s’en vinrent

en escriant leurs cris celle part, et se boutèrent e[n]s

de plains eslais, ensi que gens tous reconfortés et

qui veoient bien, se fortune ne leur estoit trop contraire,

25que li journée estoit pour yaus. Là eut fait

mainte belle apertise d’armes, mainte prise et mainte

rescousse. Quant messires Franke de Halle et messires

Alains de Finefroide [et messires Jehans de Lindehalle[307]],

qui estoient ens ou chastiel [de Auberoche[308]],

[71] 71 entendirent le noise et le hue, et recogneurent les

banières et les pennons de leurs gens, si s’armèrent

et fisent armer tous chiaus qui avoecques euls

estoient. Et puis montèrent à cheval, et issirent de le

5forterèce d’Auberoce, et s’en vinrent sus les camps

et se boutèrent ou plus fort de le bataille: ce rafresci

et resvigura grandement les Englès.

§ 221. Que vous feroi je lonch parlement? Chil

de le partie le conte de [Lille] furent là tout desconfi,

10et priès que tout mort et tout pris. Jà ne s’en fust

nulz escapés, se la nuis ne fust si tost venue. Là y

ot pris, que contes que viscontes, jusques à neuf, et

des barons et des chevaliers tel fuison qu’il n’i avoit

homme d’armes des Englès qui n’en euist deux ou

15trois dou mains, des quelz il eurent depuis grant

pourfit. Ceste bataille fu desous Auberoce, le nuit

Saint Laurens en aoust, l’an de grasce Nostre Signeur

mil trois cens quarante quatre.

§ 222. Apriès le desconfiture qui fu là si grande

20et si grosse pour les Gascons et si adamagable, car

il estoient là venu en grant arroi et en bonne ordenance,

mais petite songne les fist perdre ensi qu’il

apparu, li Englès, qui estoient mestre et signeur

dou camp, entendirent à leurs prisonniers, et, comme

25gens qui leur ont toutdis estet courtois, leur fisent

très bonne compagnie, et en recrurent assés sus leurs

fois à revenir dedens un certain jour à Bourdiaus ou

à Bregerach; [et] il se retraisent dedens Auberoce. Et

là donna à souper li contes Derbi le plus grant partie

30des contes, des viscontes, qui prisonnier estoient, et

[72] 72 ossi les chevaliers de se compagnie. Si devés croire

et savoir qu’il furent celle nuit en grant reviel, et rendirent

grans grasces à Nostre Signeur de le belle journée

qu’il avoient eu, quant une puignie de gens qu’il

5estoient, environ mil combatans parmi les arciers,

uns c’autres, en avoient desconfi dix mil et plus, et

rescous le ville et le chastiel d’Auberoce, et les chevaliers

leurs compagnons qui dedens estoient moult

astraint, et qui dedens deux jours euissent esté pris

10et en le volenté de leurs ennemis.

Quant ce vint au matin, un peu apriès soleil levant,

li contes de Pennebruch vint à bien trois cens lances

et quatre cens archiers, qui jà avoit esté enfourmés

sus son chemin de l’avenue de le bataille. Si estoit

15durement courouciés de ce qu’il n’i avoit esté; et en

parla par mautalent au conte Derbi, et dist: «Certes,

cousins, il me samble que vous ne m’avés fait maintenant

point d’onneur ne de courtoisie, quant vous

avés combatus vos ennemis sans moy, qui m’aviés

20mandé si acertes. Et bien poiés savoir que je ne me

fuisse jamais souffers que je ne fuisse venus.» Donc

respondi li contes Derbi, et dist tout en riant: «Par

ma foy, cousins, nous desirions bien vostre venue.

Et nous souffresi[o]ns toutdis, en vous sourattendant

25dou matin jusques as vespres. Et quant nous veimes

que vous ne veniés point, nous en estions tout

esmervilliet. Si n’osames plus attendre que nostre

anemi ne seuissent nostre venue. Car, se il le seuissent,

il euissent eu l’avantage sur nous. Et, Dieu

30merci, nous l’avons eu sur yaus; si les nous aiderés

à garder et à conduire jusques à Bourdiaus.» Adonc

se prisent par les mains, et entrèrent en une cambre,

[73] 73 et issirent de ce pourpos. Tantost fu heure de disner;

si se misent à table; si mengièrent et burent,

tout aise et à grant loisir, des pourveances des François

qu’il avoient amené devant le chastiel de Auberoce,

5dont il estoient bien raempli. Tout ce jour et le

nuit ensievant, se tinrent il en Auberoce, et se reposèrent

et rafreschirent grandement. Et l’endemain

au matin, il furent tout armé et tout monté. Si se

partirent de Auberoce, et y laissièrent à chapitainne

10et à gardiien un chevalier gascon, qui toutdis avoit

estet de leur partie, qui s’appelloit messires Alixandres

de Chaumont. Et chevaucièrent devers Bourdiaus,

et emmenèrent le plus grant partie de leurs

prisonniers.

15§ 223. Tant chevaucièrent li dessus dit Englès et

leurs routes qu’il vinrent en le cité de Bourdiaus où

il furent recheu à grant joie. Et ne savoient li Bourdelois

comment bien festiier le conte Derbi et monsigneur

Gautier de Mauni, car li renommée aloit que

20par leur emprise avoient esté devant Auberoce li

Gascon desconfi, et pris li contes de [Lille] et plus

de deux cens chevaliers. Si leur faisoient grant joie

et haute honneur. Ensi se passèrent il cel yvier qu’il

n’i eut nulles besongnes ens ès marces par de delà

25qui à recorder face. Si ooit souvent li rois d’Engleterre

bonnes nouvelles dou conte Derbi, son cousin,

qui se tenoit à Bourdiaus sus Gironde et là environ.

Si en estoit tous liés et à bonne cause, car li contes

Derbi faisoit tant qu’il estoit amés de tous ses amis

30et ressongniés de tous ses ennemis.

Quant ce vint apriès Paskes, que on compta l’an

[74] 74 mil trois cens quarante cinq, environ le moiiené de

may, li contes Derbi, qui s’estoit tenus et yvrenés

tout le temps à Bourdiaus ou là priès, fist une coeilloite

et un amas de gens d’armes et d’arciers, et dist

5qu’il voloit faire une chevaucie devers le Riolle que

li François tenoient, et le assegeroit, car elle estoit

bien prendable. Quant toutes ses besongnes furent

ordenées et ses gens venus, il se partirent de Bourdiaus

en bon arroy et en grant couvenant, et vinrent

10ce premier jour en le ville de Bregerach. Là trouvèrent

il le conte de Pennebruch, qui avoit fait ossi

sen assamblée d’autre part.

Si furent cil signeur et leurs gens dedens Bregerach

trois jours; au quatrime, il s’en partirent.

15Quant il furent sus les camps, il esmèrent leurs gens

et considerèrent leur pooir, et se trouvèrent mil

combatans et deux mil archiers. Si chevaucièrent

tout ensi, et fisent tant qu’il vinrent devant un chastiel

que on claime Sainte Basille. Quant il furent

20là venu, il le assegièrent de tous lés, et fisent grant

apparant de l’assallir. Chil de Sainte Basille veirent

les Englès et leur force, comment il tenoient les

camps, et que nulz ne lor aloit au devant. Mès encores

estoient prisonnier de le bataille de Auberoce

25tout li plus grant de Gascongne, dont il deuissent

estre aidié et conforté: si ques, tout consideret, il

se misent en l’obeissance dou conte Derbi qui representoit

adonc là le personne dou roy d’Engleterre,

et li jurèrent feaulté et hommage, et le recogneurent

30à signeur.

Par ensi il passa oultre bellement, et prist le chemin

de Aiguillon; mais, ançois qu’il y parvenist, il

[75] 75 trouva en son chemin un chastiel que on appelle le

Roce Millon, qui estoit bien pourveus de bons saudoiiers

et d’arteillerie. Non obstant ce, li contes commanda

que li chastiaus fust assallis. Donc s’avancièrent

5Englès et arcier, et le commencièrent à assallir

fortement et durement, et chil de dedens à yaus

deffendre vassaument. Et jettoient pières et baus et

grans barriaus de fier, et pos plains de cauch: de

quoi il blechièrent pluiseurs assallans qui montoient

10contremont et s’abandonnoient folement, pour leurs

corps avancier.

§ 224. Quant li contes Derbi vei que ses gens se

travilloient et tuoient sans riens faire, si les fist retraire

et revenir as logeis. A l’endemain, il fist par les

15villains dou pays achariier et aporter grant fuison de

busce et de velourdes et d’estrain, et tout jetter et

tourner ens ès fossés, et mettre ossi grant plenté de

terre. Quant une partie des fossés furent tout empli,

que on pooit bien aler seurement jusques au piet

20dou mur, il fist arouter bien trois cens arciers, et par

devant yaus passer bien deux cens brigans, tous

paveschiés, qui tenoient grans pik et haviaus de fier. Et

s’en vinrent chil hurter et piketer as murs. Entrues

qu’il piketoient et havoient, li archier qui estoient

25derrière yaus, traioient si ouniement à chiaus qui

estoient as murs, que à painnes osoit nuls apparoir à

le deffense. En cel estat furent il le plus grant partie

dou jour, et si fort assalli que li piketeur qui as murs

[estoient[309]] y fisent un grant trau et si plentiveus que

[76] 76 bien y pooient entrer dix hommes de fronth. Dont

se commencièrent cil de le ville à esbahir et à retraire

devers l’eglise, et li aucun vuidièrent par derrière.

Ensi fu [la forteresce de Roche Millon[310]] prise,

5et toute courue et robée, et occis li plus grant partie

de ceulz qui y furent trouvet, excepté chiaus et

celles qui s’estoient retrait en l’eglise. Mais tous ceuls

fist sauver li contes Derbi, car il se rendirent simplement

à se volenté. Si rafresci li contes Derbi le

10garnison de nouvelle gent, et y establi deux escuiers

à capitainnes, qui estoient d’Engleterre, Richart Wille

et Robert l’Escot.

Et puis s’en parti li dis contes, et chevauça devers

le ville de Montsegur, sievant le rivière de Loth. Tant

15fisent li Englès qu’il vinrent devant Montsegur. Quant

il furent là venu, li contes commanda à logier toutes

manières de gens. Dont se logièrent il et establirent

mansions et logeis pour yaus et pour leurs chevaus.

Dedens le ville de Montsegur avoit un chevalier de

20Gascongne à chapitainne, que li contes de [Lille] y

avoit de jadis envoiiet, et l’appelloit on messire

Hughe de Batefol. Chilz entendi grandement et bellement

à le ville deffendre et garder, et moult avoient

li homme de le ville en li grant fiance.

25§ 225. Par devant le ville de Montsegur sist li

contes Derbi quinze jours. Et sachiés que là en dedens

il n’i eut onques jour qu’il n’i euist assaut. Et

y fist on drecier grans engiens, que on avoit amenés

[77] 77 et achariiés de Bourdiaus et de Bregerach. Che greva

et foula durement le ville, car il jettoient pières de

fais qui rompoient tours et murs et thois de salles et

de manandries. Avoech tous ces meschiés, li contes

5Derbi leur mandoit tous les jours, se il estoient pris

ne conquis par force, il ne venroient à nulle merci

qu’il ne fuissent tout mort et exilliet sans remède et

sans merci; mès se il se voloient rendre bellement, et

yaus mettre en l’obeissance dou roy d’Engleterre, et

10lui recognoistre à signeur, il leur pardonroit son

mautalent et les tenroit pour ses bons amis. Cil de

Montsegur ooient bien les promesses, que li contes

Derbi lor offroit. Si en parlèrent pluiseurs fois ensamble,

et se doubtoient grandement que de force il

15ne fuissent pris et perdesissent corps et biens; et ne

veoient apparant de confort de nul costé. Si s’en

descouvrirent à leur capitainne, par manière de conseil,

à savoir qu’il leur en consilleroit. Messires Huges

les blasma durement, et dist qu’il s’effreoient pour

20noient, car il estoient encores fort et bien pourveu

pour yaus tenir demi an, se mestier faisoit. Quant il

oïrent ce, il ne le veurent mies desdire, et se partirent

de lui, ensi que par bon gré. Mès au vespre il

le prisent et l’emprisonnèrent bien et estroitement,

25et puis li disent que jamais ne partiroit de là, se il ne

descendoit à leur volenté. «Quèle est elle, ce dist

messires Huges de Batefol?»—«Elle est telle que

vous nous aidiés à acorder au conte Derbi et as Englès,

afin que nous demorons en pais.»

30Li chevaliers perçut bien l’affection qu’il avoient

as Englès, et comment il le tenoient en dangier; si

leur dist: «Metés moi hors, et j’en ferai mon pooir.»

[78] 78 Adonc li fisent il jurer qu’il le feroit ensi. Il le jura;

si fu desprisonnés parmi ce couvent, et s’en vint as

barrières de le ville, et fist signe qu’il voloit parler au

conte Derbi. Messires Gautiers de Mauni estoit là

5presens qui se traist avant et vint parlementer au dit

chevalier. Li chevaliers commença à trettier et dist:

«Sire de Mauni, vous ne vos devés pas esmervillier

se nous nos cloons contre vous, car nous avons juré

feaulté et hommage au roy de France. Or veons nous

10maintenant que personne de par lui ne vous deffent

point les camps, et creons assés que vous chevaucerés

encores oultre. Pour quoi je, pour mi, et li homme

de ceste ville pour eulz, vous vorroient priier que

nous puissions demorer en composition que vous ne

15nous feissiés point de guerre, ne nous vous, le terme

d’un mois. Et, se là en dedens li rois de France ou

li dus de Normendie ses filz venoient en ce pays si

fors que pour vous combatre, nous serions quittes

et absolz de nos couvens. Et se il n’i viennent, u li uns

20d’yaus, nous nos metterons en l’obeissance dou roy

d’Engleterre.» Messires Gautiers respondi et dist:

«J’en irai volentiers parler à monsigneur le conte

Derbi.»

Lors se departi de là li sires de Mauni et vint devers

25le dit conte, qui n’estoit pas loing; se li remoustra

toutes les paroles que vous avés oyes. Li contes

Derbi busia sus un petit, et puis en respondi: «Messire

Gautier, il me plaist bien que ceste ordenance

voist ensi. Mès prendés bons plèges qu’il ne se puissent

30de riens enforcier, ce terme durant; et se il nous

besongne vivres pour nous rafrescir et nos gens,

nous en aions sans dangier pour nos denierz.»

[79] 79 —«Sire, dist il, c’est bien li intention de mi.» Adonc

se parti li sires de Mauni dou conte Derbi, et chevauça

jusques as bailles de la ville où li chevaliers

estoit qui l’attendoit; se li remoustra toutes les raisons

5dessus dittes. Il les recorda arrière à chiaus de

le ville, qui n’estoient mies present. Chil de Montsegur

y descendirent volentiers. Et se misent tantos

douze bourgois des plus souffissans en ostagerie, pour

acomplir les couvens dessus dis et demorer la ville

10en pais: chil furent envoiiet à Bourdiaus. Ensi demora

Montsegur en composition, et fu li hos rafreschie

des pourveances de le ville. Mès point n’entrèrent

li Englès dedens, et passèrent oultre en courant

et essillant le pays; si le trouvoient plain et drut et

15grosses villes batiches où il recouvroient de tous

vivres à grant fuison.

§ 226. Tant esploita li hos au conte Derbi que il

vinrent assés priès d’Aguillon. A ce donc y avoit un

chastellain qui n’estoit mies trop vaillans homs d’armes,

20si com il le moustra. Car si tretost qu’il seut le

conte Derbi approchant, il fu si effraés et eut si grant

doubte de perdre corps et biens, que il ne se fist

point assallir; mès vint au devant dou conte Derbi

et se rendi, salve ses biens et chiaus de le ville et

25dou chastiel, qui estoit adonc uns des fors dou monde

et le mains prendable. De quoi cil dou pays environ

furent bien esmervilliet, quant il oïrent les nouvelles

que li dis chastiaus estoit sitost rendus as Englès,

especialment chil de le chité de Thoulouse, car c’est

30à sept liewes priès. Et depuis, quant li escuiers qui

Aguillon avoit rendu vint à Thoulouse, li homme de

[80] 80 le ville le prisent, et le amisent de trahison, et le pendirent

sans merci. Quant li contes Derbi eut le saisine

de le ville et dou chastiel d’Aguillon, il en fu

si resjoïs qu’il n’euist mies esté ossi liés se li rois

5d’Engleterre euist d’autre part conquis cent mil florins,

pour le cause de ce qu’il le veoit bien seant et

en bonne marce, en le pointe de deux grosses rivières

portans navie. Et le rafreschi et rempara de tout ce

qu’il besongnoit, ensi que pour avoir y son retour

10et faire ent son garde corps. Et quant il s’en parti,

il le laissa en le garde d’un bon chevalier sage et

vaillant, qui s’appelloit messires Jehans de Gombri.

Puis chevauça oultre li dis contes à toute son host, et

vint à un chastiel que on appelle Sograt; si le conquist

15par assaut. Et furent mort tout li saudoiier estragne

qui dedens estoient. Et de là endroit il s’en

vint devant le ville de le Riolle.

§ 227. Or vint li contes Henris Derbi à tout ses

gens devant le Riolle, et le assega fortement et

20destroitement de tous costés. Et mist bastides sus les

chemins en tel manière que nulles pourveances ne

pooient venir ne entrer dedens le ville. De le ville

et dou chastiel de le Riolle estoit chapitainne pour

le temps uns chevaliers de Prouvence, qui se nommoit

25messires Agos des Baus. Et avoit desous lui et

en se carge pluiseurs bons compagnons, qui le ville

tinrent souffisamment. Si vous di que il y eut fais

pluiseurs grans assaus, car priès que tous les jours y

assalloit on. Et traioient et escarmuçoient li archier

30à chiaus de dedens. Si en y avoit souvent des blechiés

des uns et des aultres. Tant y fu li sièges que

[81] 81 en le saison moult avant, car cil de le Riolle cuidoient

estre conforté dou roy de France et dou duch

de Normendie, mès non furent. Dont il couvint

que cil de Montsegur se mesissent en l’obeissance

5dou roy d’Engleterre, par le composition dessus ditte.

Et y envoia li contes Derbi, seant devant le Riolle, le

signeur de Mauni, pour tant qu’il avoit fait le premier

trettié de le composition, et leur remoustra sur

quoi et comment il s’estoient composé, et que de ce

10il avoient livrés ostages. Cil de Montsegur veirent

bien qu’il ne pooient plus variier; si se rendirent et

devinrent homme par feaulté et hommage au conte

Derbi, qui representoit en ces coses le roy d’Engleterre.

Et meismement messires Huges de Batefol devint

15homs ossi au dit conte avoecques chiaus de

Montsegur, et jura feaulté et hommage. Et parmi tant

il demora gardiiens et chapitainne de le ville de

Montsegur, à certains gages qu’il avoit dou conte

Derbi pour lui et pour ses compagnons.

20§ 228. Li Englès, qui seoient devant le Riolle et

qui y furent plus de neuf sepmainnes, avoient fait

ouvrer et carpenter deux berefrois de gros mairiens

à trois estages, et seant cescun berefroit sur quatre

rues. Et estoient cil berefroit, au lés devers le ville,

25tout couvert de cuir boulit, pour deffendre dou tret

et dou feu, et avoit en çascun estage cent archiers.

Si amenèrent li Englès à force de hommes ces deux

berefrois jusques as murs; car entrues que on les

avoit ouvrés et carpentés, il avoient fait remplir les

30fossés si avant que pour tout aise conduire leurs

berefrois. Si commencièrent cil qui estoient en ces

[82] 82 estages à traire durement et fortement à chiaus qui

se tenoient as deffenses. Et traioient si roit et si

ouniement que à painnes ne s’osoit nulz apparoir ne

amoustrer, se il n’estoit trop fort armés et trop bien

5paveschiés contre le tret. Entre ces deux berefrois,

qui estoient arrestés devant les murs, avoit deux cens

compagnons à tout hauiaus et grans pilz de fer et

aultres instrumens pour effondrer le mur. Et jà en

avoient des pières assés ostées et rompues, car li

10arcier qui estoient hault ens ès estages reparoient

dessus tous les murs, et traioient si fort que nulz

n’osoit approcier pour deffendre. Par cel estat et assaut

et de force euist esté la ville de le Riolle prise

et conquise sans nul remède, quant li bourgois de

15le ville, qui tout effraet estoient, s’en vinrent à l’une

des portes, et demandèrent le signeur de Mauni ou

aucun grant signeur de l’host à qui il peussent parler.

Ces nouvelles vinrent au conte Derbi: si y envoia

le signeur de Mauni et le baron de Stanfort, pour

20savoir qu’il voloient dire ne mettre avant. Si trouvèrent

que li homme de le ville se voloient rendre,

salve leurs corps et leurs biens. Li chevalier, qui là

avoient esté envoiiet, respondirent que riens il n’en

accepteroient, sans le sceu dou conte Derbi: «Si

25irons parler à lui, et tantost nous retourrons devers

vous; si vous responderons de se intention.»

§ 229. Quant messires Agos des Baus senti que

cil de le ville se voloient rendre, il ne veult onques

estre à leur trettiet, mès se parti d’yaus et se bouta

30dedens le chastiel de le Riolle, avoech che qu’il avoit

de compagnons. Et y fist mettre et mener, entrues

[83] 83 que cil trettiet se faisoient, grant quantité de vins et

de pourveances de le ville; et puis s’encloirent laiens,

et disent qu’il ne se renderoient mies ensi. Or vinrent

li dessus dit chevalier au conte Derbi, et li contèrent

5comment li bourgois de le Riolle se voloient

rendre, salve leurs corps et leurs biens. Li contes

demanda se li chapitainnes de laiens avoit estet à

ces trettiés. Il respondirent que nennil, fors tant

seulement li homme de le ville. «Or alés, dist li

10contes as chevaliers, veoir et savoir pour quoi il n’i

est, et comment il se voelt maintenir.» Il disent:

«Sire, volentiers.» Lors retournèrent arriere jusques

as barrières, et demandèrent à chiaus de le

ville: «Vostre chapitainne, où est il? Ne voelt il

15point estre de vostre trettié?» Il respondirent: «Nous

ne parlons que de nous meismes: il face sa volenté.

Jà s’est il boutés ou chastiel et moustre qu’il le vodra

tenir, quoi que nos devenons Englès.»

Adonc retournèrent li chevalier devers le conte

20Derbi, et li relatèrent la besongne ensi que elle aloit.

Quant li contes oy ce, si n’en fu mies mains pensieus.

Et quant il eut pensé une espasse, si dist:

«Alés, alés, prendés les à merci! Par le ville prenderons

nous le chastiel.» Lors se departirent li dessus

25dit dou dit conte, et vinrent de rechief à chiaus

de le Riolle et les rechurent à merci, parmi tant

qu’il vinrent sus les camps aporter les clés de le ville

au conte Derbi, et li presentèrent en disant: «Chiers

sires et honnerés, de che jour en avant nous recognissons

30à estre vostre feal et soubget, et nous

metons dou tout en l’obeissance dou roy d’Engleterre.»

Ensi devinrent homme cil de le Riolle en

[84] 84 ce temps par conquès au roy d’Engleterre. Avoech

tout ce, li contes Derbi leur fist jurer sus le teste

qu’il ne conforteroient en riens chiaus dou chastiel

de le Riolle, mès leur seroient ennemit et les greveroient

5de tout leur pooir. Il le jurèrent solennelment;

par ensi vinrent il à pais. Et fist deffendre li

contes Derbi sus le hart que nulz ne fesist mal à

chiaus de le Riolle.

§ 230. Ensi eut li contes Derbi le ville de le

10Riolle, mès li chastiaus se tenoit encores, qui bien

estoit pourveus et garnis de bonnes gens, de bon

chapitainne et segur, et de grant artillerie. Si se traist

li dis contes dedens le ville de le Riolle, et y fist

traire toutes ses gens et environner le chastiel et

15drechier par devant tous ses engiens, qui nuit et jour

jettoient contre les murs dou dit chastiel; mès trop

petit l’empiroient, car il estoient hault malement, et

de pière dure et ouvrée de jadis par mains de Sarrasins,

qui faisoient les saudures si fortes et les ouvrages si

20estragnes que ce n’est point comparison à chiaus de

maintenant. Quant li contes Derbi et messires Gautiers

de Mauni veirent que il perdoient leur temps

par ces engiens, si les fisent cesser et s’avisèrent qu’il

ouveroient d’un aultre mestier. Il avoient des mineurs,

25car onques il n’en furent sevret tant qu’il

guerriassent, et leur demandèrent se on poroit miner

le chastiel de le Riolle. Il respondirent que il s’i

assaieroient vollentiers. Lors avisèrent il mine, et

commencièrent à ouvrer et à miner fort et roit, et à

30aler par desous les fossés. Se ne fu mies si tost fait.

Entrues que on seoit là et que cil mineur minoient,

[85] 85 messires Gautiers de Mauni s’avisa de son père, qui

jadis avoit esté occis ens ou voiage de Saint Jakeme;

et avoit oy recorder en son enfance qu’il devoit estre

ensepelis en le Riolle ou là environ. Si fist à savoir

5parmi le ville de le Riolle, se il estoit nulz qui seuist

de verité à dire où il fu mis, on li menast, et il donroit

à celui cent escus. Ces nouvelles s’espardirent

par tout. Dont se traist avant uns anciiens homs durement,

qui en cuidoit savoir aucune cose; et vint à

10monsigneur Gautier de Mauni et li dist: «Certes,

sire, je vous cuide bien mener au liu, ou assés priès,

où vostre signeur de père fu jadis ensepelis.» De ces

nouvelles fu messires Gautiers de Mauni tous joians

et dist, se ses parolles estoient trouvées en vrai, qu’il

15li tenroit son couvent et encores oultre. Or vous recorderai

le matère dou père le signeur de Mauni, et

puis retourrai au fait.

§ 231. Il y eut jadis un evesque en Cambresis

qui fu gascons, de chiaus de Beu et de Mirepois, qui

20furent grant linage et fort pour le temps de lors en

Gascongne. Or avint que, dou temps cesti evesque,

uns très grans tournois se fist dehors Cambray. Et y

eut bien à ce tournoy cinq cens chevaliers tournians.

Et là eut li dis evesques de Cambray un sien neveut,

25jone chevalier richement armet et montet. Chilz

s’adreça à monsigneur le Borgne de Mauni, père au

dit monsigneur Gautier et à ses frères, qui estoit

durs chevaliers, rades et fors et bien tournians. Si

fu telement li jones chevaliers gascons maniiés et

30batus que onques depuis ce tournoy il n’eut santé

et morut. De le mort de lui fu encoupés li sires de

[86] 86 Mauni, et demora en le hayne et mautalent dou dit

evesque de Cambray et de son linage. Environ deux

ans ou trois apriès, bonnes gens s’en ensonniièrent,

et en fu pais faite. Et, en nom d’amende et de pais,

5cilz sires de Mauni en deubt aler, ensi qu’il fist, à

Saint Jakeme de Galisse.

En ce temps qu’il fu en ce voiage, seoit devant le

ville de le Riolle messires Charles, contes de Vallois,

frères dou biau roy Phelippe, et avoit sis un grant

10temps; car elle se tenoit englesce avoech pluiseurs

aultres villes et chités qui estoient au roy d’Engleterre,

père à celui qui assega Tournay: si ques li dis

sires de Mauni, à son retour, s’en vint veoir le conte

de Vallois, car li contes Guillaumes de Haynau avoit

15à femme sa fille, et li moustra ses lettres, car il estoit

là comme rois de France. Avint que ce soir li sires

de Mauni s’en revenoit à son hostel. Si fu espiiés et

attendus dou linage de celui pour qui il avoit fait le

voiage; et droit au dehors des logeis dou conte de

20Vallois, il fu pris, occis et mourdris. Et ne peut on

onques savoir de verité qui occis l’avoit, fors tant

que li dessus dit en furent retet. Mais il estoient

adonc là si fort qu’il s’en passèrent et escusèrent;

ne nulz n’en fist partie pour le signeur de Mauni.

25Si le fist li contes de Vallois ensepelir en ce temps

en une petite capelle, qui estoit pour le temps de lors

dehors le Riolle. Et quant li contes de Vallois l’eut

conquis, ceste capelle fu mise ou clos de le ville. Et

bien souvenoit le viel homme dessus dit de toutes

30ces coses, car il avoit estet presens au dit signeur

de Mauni mettre en terre: pour ce, en parloit il si

avant.

[87] 87 Ensi li sires [de] Mauni, avoech le preudomme, s’en

vint au propre lieu où ses pères avoit estet jadis ensepelis;

et avoit un petit tombiel de marbre desus lui

que si varlet y avoient fait mettre. Quant il furent

5venu sus le tombiel, li vielles homs dist au signeur

de Mauni: «Certes, sires, chi desous gist et fu ensepelis

messires vos pères. Encores y a escript lettres

sur le tombiel, qui tesmongneront que je di verité.»

Adonc s’abaissa messires Gautiers et regarda sus le

10tombiel, et y perchut voirement lettres escriptes en

latin, les quèles il fist [lire[311]] par un sien clerch. Si

trouvèrent que li preudons avoit voir dit. De ces

nouvelles fu li sires de Mauni moult liés, et fist oster

et lever le tombiel dedens trois jours apriès, et prendre

15les os de son père et mettre en un sarcu. Depuis

les envoia il à Valenciennes en Haynau, et de rechief

il les fist ensepelir dedens l’eglise des Frères Meneurs

moult honnourablement, assés priès dou coer dou

moustier, et li fist faire depuis son obsèque moult

20reveramment. Et encores li fait on tous les ans, car

li frère de laiens en sont bien renté.

§ 232. Or revenrons au siège de le Riolle, dou

dit chastiel où li contes Derbi sist plus de onze

sepmainnes. Tant ouvrèrent cil mineur que li contes

25Derbi avoit mis en leur mine, qu’il vinrent desous le

chastiel, et si avant qu’il abatirent une basse tour des

chaingles dou dongnon. Mès à le mestre tour dou

dongnon ne pooient il nul mal faire, car elle estoit

mâchonnée sus vive roce, dont on ne pooit trouver

[88] 88 le fons. Bien se perchut messires Agos des Baus que

on les minoit. Si en fu en doubte, car au voir dire

c’est grans effrois pour gens qui sont en une forterèce,

quant il sentent que on les mine. Si en parla

5à ses compagnons, par manière de conseil, à savoir

comment il s’en poroient chevir. Et bien leur dist

que il estoient en grant peril, puis que on leur aloit

par ce tour. Li compagnon ne furent mies bien asseguret

de ces parolles, car nulz ne muert volentiers,

10puis qu’il poet finer par aultres gages; se li disent:

«Chiers sires, vous estes nos chapitainne et nos gardiiens;

si devons tout obeir et user par vous. Voirs

est que moult honnourablement nous nos sommes

ychi tenu, et n’arons nul blasme en avant de nous

15composer au conte Derbi. Si parlons à lui à savoir se

il nous lairoit jamais partir, salve nos corps et nos

biens, et nous li renderons le forterèce, puis c’autrement

ne poons finer.»

A ces paroles s’acorda messires Agos des Baus, et

20vint jus de le grosse tour; si bouta sa tieste hors

d’une basse fenestre qui là estoit, et fist signe qu’il

voloit parler à qui que fust de l’ost: tantost fu appareilliés

qui vint avant. On li demanda qu’il voloit

dire; il dist qu’il voloit parler au conte Derbi ou à

25monsigneur Gautier de Mauni. On li respondi que

on leur lairoit volentiers savoir. Si vinrent cil qui là

avoient esté devers le conte Derbi, et li recordèrent

ces nouvelles. Li contes, qui eut grant desir de savoir

quel cose messires Agos voloit dire, monta tantost à

30cheval et en mena avoecques lui monsigneur Gautier

de Mauni et monsigneur Richart de Stanfort, et leur

dist: «Alons veoir et savoir que li chapitainne nous

[89] 89 voelt.» Si chevaucièrent celle part. Quant il furent là

venu, messires Agos osta chaperon tout jus, et les

salua bellement l’un apriès l’autre, et puis dist: «Signeur,

il est bien voirs que li rois de France m’a envoiiet

5en ceste ville et en che chastiel pour le garder

et deffendre à mon loyal pooir. Vous savés comment

je m’en sui acquittés, et vorroie encores faire. Mais

tous jours ne poet on pas demorer en un lieu. Je

m’en partiroie volentiers et ossi tout mi compagnon,

10se il vous plaisoit; et vodrions aler demorer aultre

part, mès que nous euissions vostre congiet. Si nous

laissiés partir, salve nos corps et nos biens, et nous

vous renderons le forterèce.»

Adonc respondi li contes Derbi et dist: «Messire

15Agos, messire Agos, vous n’en irés pas ensi. Nous

savons bien que nous vous avons si astrains et si

menés que nous vous arons quant nous vorrons,

car vostre forterèce ne gist fors que sus estançons:

si vous rendés simplement, et ensi serés vous receu.»

20Lors respondi messires Agos et dist: «Certes, sire, se

il nous couvenoit entrer en ce parti, je tieng de vous

tant d’onneur et de gentillèce que vous ne nous

feriés fors toute courtoisie, ensi que vous vorriés que

li rois de France ou li dus de Normendie fesist à vos

25chevaliers, ou à vous meismes, se vous estiés ou parti

d’armes où à present nous sommes. Si ne bleceriés

mies, s’il plaist à Dieu, le gentillèce ne le noblèce

de vous, pour un peu de saudoiiers qui ci sont, qui

ont gagniet à grant painne leurs deniers, et que j’ay

30amenet avoecques moy de Prouvence, de Savoie et

de le daufinet de Viane. Car sachiés, se je cuidoie

que li mendres des nostres ne deuist venir à merci

[90] 90 ossi bien que li plus grans, nous nos venderions

ançois telement que onques gens [assegiés[312]] en forterèce

ne se vendirent en celle manière. Si vous pri

que vous y voelliés regarder et entendre, et nous

5faites compagnie d’armes: si vous en sarons gré.»

Adonc se traisent cil troi chevalier ensamble, et

parlèrent moult longement de pluiseurs coses. Finablement

il considerèrent le loyauté de monsigneur

Agot des Baus, et qu’il estoit uns chevaliers estragnes

10hors dou royaume de France, et ossi que moult raisonnablement

il leur avoit remoustré le droit parti

d’armes, et que encores les pooit il tenir là moult

grant temps à siège, car on ne pooit miner le mestre

tour dou chastiel. Si s’enclinèrent à se priière et li

15respondirent courtoisement: «Messire Agoth, nous

vorrions faire à tous chevaliers estragnes bonne compagnie.

Si volons, biau sire, que vous partés et tout

li vostre, mès vous n’en porterés que vos armeures

tant seulement.» Il cloy ce mot et dist: «Et ensi

20soit!» Adonc se retrest li dessus dis à ses compagnons,

et leur conta comment il avoit esploitié. De

ces nouvelles furent il tout joiant. Si ordonnèrent

leurs besongnes au plus tost qu’il peurent, et s’armèrent,

et ensiellèrent leurs chevaus che qu’il en

25avoient; mès tout par tout n’en y avoit que six. Li

aucun en acatèrent as Englès qui leur vendirent bien

et chier. Ensi se parti messires Agos des Baus dou

chastiel de le Riolle, et le rendi as Englès qui s’en

misent en saisine tantost, et s’en vint en le cité de

30Thoulouse.

[91] 91 § 233. Apriès che que li contes Derbi eut se volenté

et fu venus à sen entente de le ville de le

Riolle et dou chastiel, où il avoit esté et sis un grant

temps, il chevauça oultre; mais il laissa en le dessus

5ditte ville un chevalier englès, sage homme et vaillant

durement, pour entendre à le refection de le

ville et dou chastiel et remettre à point et remparer

ce qui brisiet et romput estoit. Si chevauça li dis

contes à toute son host devers Montpesas. Quant il

10fu là venus, il le fist assallir durement et fortement.

Et n’avoit dedens le chastiel que bonhommes dou

pays qui s’i estoient boutet et atrait leurs biens, sus

le fiance dou fort lieu, et qui trop bien le deffendirent

tant qu’il peurent durer. Toutes fois il fu pris

15par assaut et par eschellement, mès il cousta grandement

au conte de ses arciers. Et y eut mort un

gentil homme d’Engleterre qui s’appelloit Richart de

Pennevort, et portoit le banière le signeur de Stanfort:

dont tout li signeur furent durement courouciet,

20mès amender ne le peurent. Si donna li contes

Derbi le chastiel et le chastelerie à un sien escuier,

apert homme d’armes durement, qui s’appelloit Thomas

de Baucestre, et laissa avoecques lui en le garnison

soixante arciers, et puis chevauça vers le ville

25de Mauron. Et quant il fu là venus, il fist traire ses

gens avant et ses arciers et puis assallir fortement et

durement, mais il ne l’eurent mies par leur assaut.

Si se logièrent là celle nuit, et le gaegnièrent à l’endemain

par l’engien et le sens d’un chevalier de Gascongne,

30qui là estoit, que on clamoit messire Alexandre

de Chaumont. Je vous dirai comment. Il dist au

conte Derbi: «Sire, faites samblant de deslogier et

[92] 92 de vous traire d’autre part, et laissiés un petit de vos

gens devant le ville. Chil de laiens isteront tantost

sus. De tant les cognoi je bien. Et vos gens qui seront

demoret se feront cachier. Et nous serons en l’embusche

5desous ces oliviers, sitost qu’il nous aront

passet. Li une partie retourra sus yaus, et li aultre

chevaucera vers le ville. Ensi les arons nous et le

ville ossi: de tant me fai je fors.»

A l’ordenance dou chevalier s’acorda li contes

10Derbi, et fist demorer le conte de Kenfort derrière

à cent hommes tant seulement, et l’avisa de ce qu’il

devoit faire, et puis se parti. Et fist tout tourser et

cargier, chars et charètes et sommiers, et fist signe

que il voloit aler d’autre part, et eslonga le ville environ

15une demi liewe. Si mist une grosse embusce

en un val entre oliviers et vignes, et puis chevauça

oultre. Cil de Mauron qui veirent le conte Derbi

parti et une puignie de gens demoret derrière, disent

entre yaus: «Or tos issons hors de nostre ville et

20alons combatre ce tant d’Englès qui sont demoret

derrière: tantost les arons desconfis et mis à merci.

Si sera honneurs et pourfis pour nous très grandement.»

Tout s’acordèrent à ceste opinion et s’armèrent

vistement et issirent que mieus mieus, et

25pooient bien estre quatre cens. Quant li contes de

Kenfort et cil qui dalés lui estoient les veirent issir,

il fisent samblant de fuir, et commencièrent à reculer;

et li François apriès, qui se hastèrent durement

d’yaus encaucier; et tant les poursievirent qu’il passèrent

30oultre l’embusce qui salli vistement hors, dont

messires Gautiers de Mauni estoit chiés. Si escriièrent

clerement li Englès: «Mauni! Mauni!» Et s’en feri

[93] 93 une partie en ces François, et li aultre partie brochièrent

devers le ville. Si y vinrent si à point qu’il

trouvèrent les bailles et les portes toutes ouvertes et

en petite garde, car il n’i avoit non plus de dix

5hommes, qui encores cuidièrent que ce fust de leurs

gens. Ensi se saisirent li premier venant de le porte

et dou pont, et furent tantost mestre et signeur de

le ville. Car cil qui estoient devant et derrière enclos

furent telement envay et assalli que onques piés n’en

10escapa qu’il ne fuissent tout mort ou pris.

Ensi eut li contes Derbi le bonne ville de Mauron

à se volenté. Et se rendirent li demorans, hommes

et femmes, à lui, et tous les rechut à merci, et respita

par gentillèce le ville d’ardoir et de pillier. Et le

15donna et toute le signourie à monsigneur Alixandre

de Chaumont, par quel avis elle avoit estet gaegnie.

Si y establi li dis chevaliers un sien frère escuier à

chapitainne, que on appelloit Anthone de Chaumont.

Et pour mieulz garder le ville, li contes Derbi li laissa

20cent arciers et soixante bidaus à tout pavais. Et puis

passa oultre et vint à Villefrance en Aginois, qui fu

prise par assaut, et li chastiaus ossi. Et y laissa à gouvreneur

et chapitainne un chevalier englès, que on

clamoit monsigneur Thumas Kok. Ensi chevauçoit

25li contes Derbi le pays d’un lés et d’aultre, ne nuls

ne li aloit au devant, et conqueroit villes, cités et

chastiaus. Et gaegnoient ses gens et conquestoient si

grant avoir par tout que merveilles seroit à penser.

§ 234. Quant li contes Derbi eut fait sa volenté

30de Villefrance, il chevauça vers Miremont, en raproçant

Bourdiaus, car onques si coureur pour celle

[94] 94 fois ne passèrent point le port Sainte Marie. Si fu

trois jours devant Miremont; au quatrime il se rendi.

Se le donna li contes Derbi à un sien escuier qui

s’appelloit Jehan de Bristo. En apriès, ses gens prisent

5une petite ville fremée sus le Garone, que on appelle

Thoni[n]s, et en apriès le fort chastiel de Damasen.

Si le garni et rafreschi bien de bonnes gens

d’armes et d’arciers, et puis chevauça oultre devers

le cité d’Angouloime. Quant il fu venus devant, il

10l’assega de tous [poins[313]], et dist qu’il ne s’en partiroit,

se l’aroit à se volenté. Chil de le cité de Angouloime

ne furent mies bien asseguret quant il se veirent assegiet

dou conte Derbi; et n’eurent mies conseil

d’yaus tenir trop longement, car il ne veoient apparant

15nul secours de nul costé. Si se composèrent

parmi tant qu’il envoiièrent à Bourdiaus vingt quatre

des plus riches de leur cité en ostagerie, sus certain

trettiet que il demoroient en souffrance de pais un

mois. Et se dedens ce mois li rois de France envoioit

20ou pays homme si fort qu’il peuist tenir les camps

contre le conte Derbi, il ravoient leurs ostages et

estoient quitte et absolz de leur trettiet. Et se ce

n’avenoit, il se mettoient en l’obeissance dou roy

d’Engleterre. Ensi demora li cités d’Angouloime en

25pais.

Et passa li contes Derbi oultre, et vint devant

Blaives et l’assega de tous poins. Par dedens estoient

gardiien et chapitainne doi chevalier de Poito, dont

on clamoit l’un monsigneur Guichart d’Angle, jone

30chevalier pour le temps d’adonc et appert durement,

[95] 95 et l’autre monsigneur Guillaume de Rochewart. Chil

se tinrent francement et richement, et disent qu’il

ne se renderoient à homme dou monde. Entrues que

on seoit devant Blaves, chevaucièrent li Englès devant

5Mortagne en Poito, dont messires Bouchicaus

estoit chapitainne pour le temps de lors. Et y eut là

un très grant assaut, mès riens n’i fisent; anchois y

laissièrent il fuison de leurs [gens[314]] mors et bleciés.

Si s’en retournèrent et furent ossi devant Mirabiel

10et devant Ausnay, et puis revinrent au siège de Blaves,

où priès que tous les jours il y avoit fait aucune apertise

d’armes.

§ 235. Ce siège pendant devant Blaves, li termes

dou mois vint que cil d’Angouloime se devoient rendre,

15se il n’estoient secouru. Si y envoia li contes

Derbi ses deux mareschaus, le signeur de Mauni et

le baron de Stanfort, pour remoustrer les ordenances

où il estoient obligiet. Chil d’Angouloime ne sceurent

ne ne veurent riens opposer à l’encontre. Il vinrent

20et descendirent en l’obeissance dou roy d’Engleterre,

et jurèrent feaulté et hommage as dessus dis

mareschaus dou conte, qui representoient le corps

dou roy, par le vertu de le procuration qu’il avoient.

Et ensi eurent il pais, et revinrent leur hostage. Si

25envoia li dis contes, à le requeste d’yaus, un chapitainne,

sage homme et vaillant escuier durement,

qui s’appelloit Jehan de Norvich.

Et toutdis se tenoit li sièges devant Blaves; et tant

s’i tint que li Englès en estoient tout hodé et tout

[96] 96 lassé, car li yviers approçoit durement, et si ne conqueroient

riens sus ceulz de Blaves. Si eurent conseil,

tout consideré l’un par l’autre, qu’il se retrairoient

en le cité de Bourdiaus et se tenroient là

5jusques au printamps, que il regarderoient où il poroient

chevaucier et emploiier leur saison. Si se

deslogièrent toutes manières de gens et passèrent le

rivière de Geronde, et fisent passer tout leur harnas;

et vinrent à Bourdiaus où il furent recheu à grant

10joie et moult honnouré des bourgois et des bourgoises

de le ville. Assés tost apriès le revenue dou

conte Derbi à Bourdiaus, il departi toutes ses gens

d’armes et envoia cescun en se garnison, pour mieus

entendre as besongnes desus le frontière et estre ossi

15plus au large.

Or parlerons nous un petit d’aucunes avenues qui

avilirent ens ès mètes de Pikardie en ce temps, et

puis retourrons sus une grosse chevaucie que li dus

Jehans de Normendie, ainnés filz dou roy Phelippe,

20fist en celle saison en le langue d’och; et recouvra

sus les Englès pluiseurs villes, chités et chastiaus

qu’il avoient pris en celle meisme anée et le saison

devant.

§ 236. En ce tamps et en celle meisme saison

25eschei en le indignation et hayne trop grandement

dou roy de France uns des grans banerès de Normendie,

messires Godefrois de Harcourt, [frères au

comte de Harcourt[315]] pour le temps de lors, et sires

de Saint Salveur le Visconte et de pluiseurs villes en

[97] 97 Normendie, et tout par amise et par envie, car un

petit en devant il estoit si bien dou roy et dou duch

qu’il voloit. Si fu banis publikement de tout le

royaume de France. Et vous di que, se li roys de

5France l’euist tenu en son aïr, il n’en euist nient

mains fait qu’il fist de monsigneur Olivier de Cliçon

et des aultres qui avoient esté l’anée devant decolé à

Paris. Si ot li dis messires Godefrois amis en voie qui

li noncièrent secretement comment li rois estoit dur

10infourmés sur lui et [mal meus[316]]. Si se parti li dis

chevaliers et vuida le royaume de France au plus

tost qu’il peut, et s’en vint en Braibant dalés le duch

Jehan de Braibant son cousin, qui le rechut liement.

Si demora là un grant temps, et despendoit sa revenue

15qu’il avoit en Braibant, car en France n’avoit il

riens; mès avoit li rois saisi toute sa terre de Constentin

et en faisoit lever les pourfis. Ensi eschei li dis

chevaliers en dangier, et ne pooit revenir en l’amour

dou roy de France, pour cose que li dus de Braibant

20en seuist ne peuist priier. Ceste hayne cousta depuis

si grossement au royaume de France et par especial

au pays de Normendie, que les traces en parurent

cent ans apriès, si com vous orés recorder avant en

l’ystore.

25§ 237. En ce temps regnoit[317] encores ou pays de

Flandres, en grant prosperité et poissance, cilz bourgois

de Gand, Jakemes d’Artevelle. Et estoit si bien

dou roy d’Engleterre qu’il voloit, car il prommetoit

[98] 98 au dit roy qu’il le feroit signeur et hiretier de Flandres,

et en ravestiroit son fil le prince de Galles, et

feroit on de la conté de Flandres une ducé. De quoi,

sus ceste entente, li rois d’Engleterre estoit en celle

5saison, environ le Saint Jehan Baptiste l’an quarante

cinq, venus à l’Escluse à grant fuison de baronnie et

de chevalerie d’Engleterre; et avoit là amenet le jone

prince de Galles son fil, sus les promesses de ce d’Artevelle.

Si se tenoit li dis rois et toute se navie ou

10havene de l’Escluse et ossi son tinel. Et là le venoient

veoir et viseter si amit de Flandres. Et eut là pluiseurs

parlemens entre le roy d’Engleterre et d’Artevelle,

d’une part, et les consaulz des bonnes villes,

d’autre, sus l’estat dessus dit. Dont cil dou pays n’estoient

15mies bien d’acort au roy, ne à d’Artevelle qui

preeçoit de deshireter le conte Loeis leur naturel signeur

et son jone fil Loeis, et à hireter le fil dou roy

d’Engleterre: ceste cose ne feroient il jamais. Dont

au darrainier parlement qui avoit esté à l’Escluse,

20dedens le navie dou roy d’Engleterre, que on appelloit

Katherine, qui estoit si grosse et si grande que

merveilles estoit à regarder, il avoient respondu d’un

commun acord et dit ensi: «Chiers sires, vous nous

requerés d’une cose moult pesans, et qui trop ou

25temps avenir poroit touchier au pays de Flandres et

à nos hoirs. Voirs est que nous ne savons signeur au

jour d’ui ou monde de qui nous amenons tant le

pourfit et l’avancement que nous ferions de vous.

Mais ceste cose nous ne poons faire de nous tant

30seulement, se toute la communaulté de Flandres entirement

ne s’i acorde. Si se retraira cescuns devers

sa ville, et remousterons ceste besongne generalment

[99] 99 as hommes de nostre ville. Et là où la plus sainne

partie se vorra acorder, nous l’acorderons ossi. Et

serons chi arrière dedens un mois, et vous en responderons

si à point que vous en serés bien contens.»

5Li rois d’Engleterre et d’Artevelle n’en peurent

adonc avoir aultre response; si le vosissent il

bien avoir plus brief, se il peuist estre, mès nennil.

Si respondi li rois: «A le bonne heure!» Ensi se

departi cilz parlemens, et retournèrent li consaulz

10des bonnes villes en leurs lieus.

Or demora Jakemes d’Artevelle encores un petit

dalés le roy d’Engleterre, pour le cause de ce que li

rois se descouvroit à lui fiablement de ses besongnes.

Et il li prommetoit toutdis et asseguroit qu’il le feroit

15venir à sen entente, mès non fist, si com vous orés

en avant recorder. Car il se dechut quant il demora

derrière, et qu’il ne revint à Gand ossi tost que li

bourgois qui avoient esté à l’Escluse au parlement

envoiiet, de par tout le corps de le ville.

20Quant li consaulz de Gand fu retournés en l’absence

d’Artevelle, il fisent assambler grans et petis

ens ou Marchiet. Et là remoustra li plus sages d’yaus

tous par avis sur quel estat li parlemens avoit esté à

l’Escluse, et quel cose li rois d’Engleterre requeroit,

25par l’ayde et information d’Artevelle. Dont commencièrent

toutes manières de gens à murmurer sus lui,

et ne lor vint mies bien à plaisance ceste requeste.

Et disent, se il plaisoit à Dieu, il ne seroient jà sceu

ne trouvé en tel desloyauté que de voloir deshireter

30leur naturel signeur, pour ahireter un estragne. Et

se partirent tout dou Marchiet, ensi que mal content,

et en grant hayne sus d’Artevelle.

[100] 100 Or regardés comment les coses aviennent: car s’il

fust là ossi bien premierement venus qu’il ala à Bruges

et à Ippre remoustrer et preecier le querelle dou

roy d’Engleterre, il leur euist tant dit d’unes et d’autres,

5qu’il fuissent tout acordet à sen oppinion, ensi

que cil des dessus dittes villes estoient. Mais il s’affioit

tant en se prospérité et grandeur, que il y pensoit

bien à retourner assés à temps. Quant il eut fait

son tour, il revint à Gand et entra en le ville et toute

10se route, ensi que à heure de miedi. Chil de le ville,

qui bien savoient se revenue, estoient assamblé sus

le rue par où il devoit chevaucier à son hostel. Si

tost qu’il le veirent, il commencièrent à murmurer

et à bouter trois tiestes en un caperon, et à dire:

15«Vechi cesti qui est trop grans mestres et qui voet

ordonner de le conté de Flandres à se volenté: ce

ne fait mies à souffrir.» Encores avoech tout ce, ou

avoit semet parolles parmi le ville que le grant tresor

de Flandres, que Jakemes d’Artevelle avoit assamblé

20par l’espasse de neuf ans et plus qu’il avoit eu le regimen

et le gouvrenement de Flandres (car des rentes

dou conte il n’aleuoit nulles, mès les mettoit et avoit

mises toutdis arrière et en depos; et tenoit son estat

et avoit tenu le terme dessus dit sus l’amende des

25fourfaitures de Flandres tant seulement); ce grant

tresor où il avoit denierz sans nombre, il l’avoit envoiiet

secretement en Engleterre. Ce fu une cose qui

moult engrigni et enflama chiaus de Gand.

Ensi que Jakes d’Artevelle chevauçoit parmi le

30rue, il se perçut tantos qu’il y avoit aucune cose de

nouvel et contre lui. Car cil qui se soloient encliner

et oster leurs chaperons contre lui, li tournoient l’espaule

[101] 101 et rentroient en leurs maisons; si se commença

à doubter. Car si tretost qu’il fu descendus

à son hostel, il fist fremer et hameder[318] portes et huis

et fenestres. A painnes eurent si varlet ce fait, quant

5toute li rue où il demoroit fu toute couverte, devant

et derrière, de gens, et especiaument de menues gens

de mestier. Là fu ses hostelz environnés et assallis

devant et derrière, et rompus par force. Bien est

voirs que cil de laiens se deffendirent moult longement,

10et en atierèrent et blecièrent pluiseurs; mès

finablement il ne peurent durer, car il estoient assalli

si roit que priès les trois pars de le ville estoient

à cel assaut. Quant Jakemars d’Artevelle vei l’effort,

et comment il estoit apressés, il vint à une fenestre

15sus les rues, et se commença moult à humeliier et à

dire par trop biau langage, et à nu chief: «Bonne

gent, que vous fault? Qui vous muet? Pour quoi estes

vous si troublé sur moy? En quel manière vous puis

je avoir couroucié? Dittes le moy: je l’amenderai

20plainnement à vostre volenté.» Donc respondirent

il tout à une vois, voire cil qui oy l’avoient: «Nous

volons avoir compte dou grant tresor de Flandres

que vous avés desvoiié sans nul title de raison.»

Donc respondi d’Artevelle moult doucement: «Certes,

25signeur, ou tresor de Flandres ne pris je onques denier.

Or vous retraiiés bellement en vos maisons,

je vous en pri, et revenés chi demain au matin. Et

je serai si pourveus de vous faire et rendre bon

compte, que par raison il vous devera souffire.»

30Donc respondirent il d’une vois: «Nennil, nennil!

[102] 102 Nous le volons tantost avoir; vous ne nous escaperés

mies ensi. Nous savons de verité que vous l’avés

vuidiet de pieçà, et envoiiet en Engleterre, sans nostre

sceu: pour la quèle cause il vous fault morir.»

5Quant d’Artevelle oy ce mot, il joindi ses mains

et commença à plorer moult tenrement, et dist:

«Signeur, tel que je sui vous m’avés fait, et me jurastes

jadis que contre tous hommes vous me deffenderiés

et garderiés, et maintenant vous me volés occire,

10et sans raison! Faire le poés, se vous volés,

car je ne sui que uns seulz homs contre vous tous, à

point de deffense. Avisés vous pour Dieu, et retournés

au temps passé. Si considerés les grasces et les

grans courtoisies que de jadis vous ay faites. Vous

15me volés rendre petit guerredon des grans biens que

dou temps passé je vous ay fais! Ne savés vous comment

toute marchandise estoit perie en ce pays: je

le vous recouvrai. En apriès, je vous ay gouvrené

en si grant pais que vous avés eu, le temps de mon

20gouvrenement, toutes coses à volenté, blés, lainnes,

avoir et toutes marcheandises, dont vous estes recouvré

et en bon point.» Donc commencièrent il à criier

tout d’une vois: «Descendés, et ne nous sermonnés

plus de si hault, car nous volons avoir compte et

25raison tantost dou grant tresor de Flandres que vous

avés gouvrené trop longement, sans rendre compte;

ce qu’il n’apertient mies à nul officiier qu’il reçoive

les biens d’un signeur et d’un pays, sans compter.»

Quant d’Artevelle vei que point ne se refroideroient

30ne affreneroient, il recloy la fenestre, et s’avisa

qu’il wideroit par derrière, et s’en iroit en une eglise

qui joindoit priès de son hostel; mès ses hostelz estoit

[103] 103 rompus et effondrés par derrière, et y avoit plus

de quatre cens personnes qui tout tiroient à lui

avoir. Finablement, il fu pris entre yaus, et là occis

sans merci; et li donna le cop de le mort uns teliers

5qui s’appelloit Thumas Denis. Ensi fina d’Artevelle,

qui en son temps fu si grans mestres en Flandres.

Povres gens l’amontèrent premierement, et meschans

gens le tuèrent en le parfin. Ces nouvelles

s’espardirent tantost en pluiseurs lieus: si fu plains

10des aucuns, et pluiseur en furent bien liet. A ce donc

se tenoit li contes Loeis de Flandres à Tenremonde.

Si fu moult joyans quant il oy dire que Jakemes

d’Artevelle estoit occis, car il li avoit estet moult

contraires en toutes ses besongnes. Non obstant ce,

15ne s’osa il encores affiier sus chiaus de Flandres,

pour revenir en le ville de Gand.

§ 238. Quant li rois d’Engleterre, qui se tenoit à

l’Escluse et estoit tenus tout le temps, attendans le

relation des Flamens, entendi que cil de Gand

20avoient occis Jakemon d’Artevelle, son grant ami et

son chier compère, si en fu si sancmeuçonnés[319] et

esmeus que merveilles seroit à dire. Et se parti de

l’Escluse et rentra en mer, en maneçant grandement

les Flamens et le pays de Flandres, et dist bien que

25ceste mors seroit trop chierement comparée. Li consaulz

des bonnes villes de Flandres, qui sentirent et

entendirent bien et le imaginèrent tantost que li rois

d’Engleterre estoit trop durement courouciés sus

[104] 104 yaus, s’avisèrent que de le mort d’Artevelle il se

iroient excuser, especialment cil de Bruges, de Ippre,

de Courtray, d’Audenarde et dou Franch de Bruges.

Si envoiièrent devant en Engleterre devers le roy et

5son conseil, pour impetrer un sauf conduit, afin que

segurement il se peuissent venir excuser. Li rois, qui

un petit estoit refroidiés de son aïr, leur acorda. Et

vinrent gens d’estat de toutes les bonnes villes de

Flandres, excepté de Gand, en Engleterre devers le

10roy, environ le Saint Michiel, et se tenoit à Wesmoustier

dehors Londres. Là se excusèrent il bellement

de le mort d’Artevelle, et jurèrent solennelment que

nulle cose n’en savoient. Et se il l’euissent sceu,

c’estoient cil qui deffendu et gardé l’en euissent;

15mès estoient de le mort de lui durement couroucié

et desolé. Et le plaindoient et regretoient grandement,

car il recognissoient bien que il leur avoit esté

moult propisces et necessaires à tous leurs besoings,

et avoit regné et gouvrené le pays de Flandres bellement

20et sagement. Et se cil de Gand, par leur oultrage,

l’avoient tuet, on leur feroit amender si grossement

qu’il deveroit bien souffire. Et remoustrèrent encores

au roy et à son conseil que, se d’Artevelle estoit

mors, pour ce n’estoit il mies eslongiés de le

25grasce et de l’amour de chiaus de Flandres, sauf et

excepté qu’il n’avoit que faire de tendre à le conté

de Flandres, que il le deuissent tollir au conte leur

naturel signeur, com François qu’il fust, ne à son fil

le droit hoir, pour lui ahireter ne son fil le prince

30de Galles, car cil de Flandres ne s’i assentiroient nullement.

«Mais, chiers sires, vous avés des biaus enfans,

fils et filles. Li princes, vos ainsnés filz, ne poet

[105] 105 fallir qu’il ne soit encores grans sires durement, sans

hiretage de Flandres. Et vous avés une damoiselle à

fille puisnée, et nous un jone damoisiel, que nous

nourissons et gardons, et qui est hiretiers de Flandres.

5Si se poroit bien encores faire uns mariages

d’yaus deux. Ensi demorroit toutdis la conté de

Flandres à l’un de vos enfans.» Ces parolles et aultres

raboinirent et adoucirent grandement le corage

dou roy d’Engleterre. Et se tint finablement assés

10bien contens des Flamens, et li Flamenc, de lui. Ensi

fu entroubliie petit à petit li mors Jakemon d’Artevelle.

Si lairons à parler de lui, des Flamens et dou

roy d’Engleterre; et parlerons un petit dou conte

Guillaume de Haynau et de monsigneur Jehan de

15Haynau son oncle.

§ 239. En ce temps et en ceste meisme saison chi

dessus ditte, seoit li contes Guillaumes de Haynau,

filz au conte qui morut en Valenchiènes, devant le

ville d’Uttré, et sist un grant temps, pour aucuns drois

20que il y demandoit à avoir. Si contraindi telement

par siège et par assaut chiaus d’Uttrec, qu’il les eut à

se volentet et les mist à raison. Assés tost après et

en celle propre saison, environ le Saint Remi, au

departement dou siège d’Utrec, il fist une grande

25cueilloite et assemblée de gens d’armes, chevaliers et

escuiers, de Haynau, de Flandres, de Braibant, de

Hollandes, de Guerles et de Jullers. Et se partirent li

contes et ces gens d’armes de le ville de Dourdresch

en Hollandes, à grant fuison de naves et de vaissiaus,

30et singlèrent devers Frise, car li contes de Haynau

s’en disoit estre sires. Toutes fois, de droit, se ce

[106] 106 fuissent gens Frison que on peuist mettre à raison, li

conte de Haynau y ont grant signourie. Et encores

li dessus dis contes, qui fu moult entreprendans et

hardis chevaliers durement, en fist adonc une partie

5de son pooir dou calengier et requerre; mès il ne

l’en chei mies bien ne à chiaus qui furent en che

voiage avoecques lui. Dont ce fu damages, car il y

demora, et grant fuison de bons chevaliers, Diex en

ait les ames!

10Et y fu priès demorés messires Jehans de Haynau,

oncles au dit conte; et se parti trop envis dou lieu

où il estoit arivés, car il n’arriva mies ou pays

avoecques son neveu, mès d’autre part. Et ensi que

tous foursenés, il se voloit aler combatre et [vengier[320]]

15as Frisons, quant ses gens le prisent, qui veirent le

desconfiture. Et le jettèrent, vosist ou non, en une

nef, et especialment messires Robers de Glennes qui

estoit adonc escuiers pour son corps, fors et legiers.

Et fu li dis Robers priès mors et noiiés pour lui sauver.

20Toutes fois, il retourna à petite mesnie tous

desbaretés, et revint au Mont Sainte Gertrud en Hollande,

où madame sa [nièche[321]] l’attendoit, femme

qui fu au dessus dit conte, madame Jehane, ainsnée

fille au duc Jehan de Braibant. La quèle dame fu

25moult desolée et destourbée de le mort le conte son

mari, ce fu bien raisons. Si se traist la ditte dame à

la terre de Binch dont elle estoit doée. Ensi vaca la

conté de Haynau un temps. Et le gouvrena messires

[107] 107 Jehans de Haynau, jusques à tant que madame Margherite

de Haynau, mère à monsigneur le duch Aubert,

se traist celle part et en prist le possession et

l’iretage, comme droiturière hiretière. Et l’en fisent

5li signeur, baron, prelat, chevalier et bonnes villes,

feaulté et hommage. Ceste dame Margherite, contesse

de Haynau, avoit à marit monsigneur Loeis de Baivière,

empereur de Romme et roy d’Alemagne, si

com il est devisé ou commencement de che livre.

10§ 240. Assés tost apriès traitta li rois Phelippes

de France et fist trettier par le conte de Blois envers

monsigneur Jehan de Haynau, que il vosist estre

François, et il li transporteroit sa revenue qu’il avoit

en Engleterre, en France, et li assigneroit si souffissamment

15comme il plairoit à son conseil. Li dis

messires Jehans de Haynau à ce trettiet ne s’acorda

mies legierement, car il avoit le fleur de se jonèce

usé ou service le roy d’Engleterre, et se l’avoit toutdis

li rois moult amet. Quant li contes Loeis de Blois,

20qui avoit sa fille pour moullier et avoit trois filz,

Loeis, Jehan et Gui, vei et considera qu’il n’i poroit

entrer par celle voie, si trouva moiien le signeur de

Fagnuelles, qui estoit compains au dit monsigneur

Jehan de Haynau et li plus grans de son conseil. Si

25fu avisé, pour retraire le dessus dit de l’oppinion des

Englès, que on li fist entendant un grant temps que

on ne li voloit paiier sa revenue en Engleterre. De

ce se merancolia li dis messires Jehans de Haynau

telement qu’il renonça as fiés, as couvenences et as

30seelés qu’il avoit au roy d’Engleterre. Et tantost que

li rois de France le sceut, il envoia devers lui souffissans

[108] 108 hommes et le retint à lui et à son conseil à certains

gages, et le recompensa en son royalme de tant

de revenue et plus qu’il ne tenist en Engleterre. Ensi

demora li dis messires Jehans de Haynau, sires de

5Byaumont, François tout son vivant; et le trouverons

en avant en ceste hystore ens ès armées et chevaucies

que li rois de France fist, loist à savoir li rois

Phelippes et li rois Jehans ses filz. Or retourrons

nous à le matère des guerres de Gascongne et de le

10langue d’och.

§ 241. Bien estoit infourmés li rois Phelippes des

chevaucies et des conquès que li contes Derbi avoit

fait ou dessus nommet pays de Gascongne, et comment

il avoit pris villes, chités et chastiaus, et le pays

15durement foulé et apovri: si en estoit moult courouciés.

Et avoit fait un très grant et très especial mandement,

que tout noble et non noble, dont on se

pooit aidier au fait de bataille, fuissent en le cité

d’Orliens et de Bourges, ou là environ, dedens certains

20jours qui y furent mis, car il voloit le duch de

Normendie son ainsné fil envoiier ens ès marces de

Gascongne, pour resister contre le puissance des Englès.

Si s’esmurent au mandement dou roy grant

fuison de dus, de contes, de barons et de chevaliers

25dou royalme, et par especial de Bourgongne et de

Normendie. Et vint à Paris li dus Oedes de Bourgongne,

oncles germains dou duc de Normendie, et

messires Phelippes de Bourgongne ses filz, contes

d’Artois et de Boulongne. Si se representèrent au dit

30roy et en son service à mil lances. Li rois les rechut

et leur sceut grant gré de ce service. Si fisent cil doy

[109] 109 signeur passer leurs gens oultre. Apriès vinrent li dus

de Bourbon, messires Jakemes de Bourbon, contes

de Pontieu, ses frères, ossi à grant fuison de gens d’armes.

Si revint li contes d’Eu et de Ghines, connestables

5de France, en très grant arroi, ossi li contes

de Tankarville, li daufins d’Auvergne, li contes de

Forès, li contes de Dammartin, li contes de Vendome,

li sires de Couci, li sires de Cran, li sires de

Sulli, li evesques de Beauvais, li sires de Fiennes, li

10sires de Biaugeu, messires Jehans de Chalon, li sires

de Roie, et tant de barons et de chevaliers que je ne

les aroie jamais tous nommés. Si se assamblèrent cil

signeur et leurs gens en le cité d’Orliens et là environ,

voires cil de par de deça le Loire; et cil de delà,

15de Poito, de Saintonge, de le Rocelle, de Quersin,

de Limozin, d’Auvergne et des marces environ, ens

ès marces de Thoulouse. Si passèrent toutes ces gens

oultre à grant esploit par devers Roerge, et en trouvèrent

grant fuison encores venus et assamblés en le

20cité de Rodais, des marces d’Auvergne et de Prouvence.

Tant fisent cil signeur et ces gens d’armes

qu’il vinrent en le cité de Thoulouse ou environ.

Si se logièrent, cescuns au mieulz qu’il peut, à

Thoulouse et ens ès villages d’environ; car tout

25ne se peuissent mies logier en le cité, tant estoient

grant nombre, cent mille tiestes armées et plus.

Che fu environ le Noel, l’an mil trois cens quarante

cinq.

§ 242. Tantost apriès le feste dou Noel, li dus de

30Normendie se parti de Thoulouse o toutes ses hos, et

fist devant chevaucier ses mareschaus, le signeur de

[110] 110 Montmorensi et [le seigneur[322]] de Saint Venant. Si se

traisent tantost et premierement devant le chastiel de

Miremont, que li Englès avoient conquis en celle saison.

Si le assallirent cil de le bataille des mareschaus

5fortement et durement. A ce jour avoit il dedens

environ cent Englès qui le gardoient, avoecques le

chapitainne, un très bon escuier, qui s’appelloit Jehan

de Bristo. Chilz [et] avoecques ses compagnons le deffendirent

tant qu’il peurent; mais il y eut si dur assaut

10et si fort, car messires Loeis d’Espagne estoit là avoecques

grant fuison d’arbalestriers geneuois qui point ne

s’espargnoient, si que cil dou chastiel ne se seurent

ne peurent onques si bien deffendre que de force il

ne fuissent pris, et li chastiaus conquis, et mors li

15plus grant partie de chiaus qui dedens estoient, et

meismement li chapitainne. Si le rafreschirent li doi

mareschal de nouvelle gent, et puis passèrent oultre,

et vinrent devant Villefrance en Aginois. Là s’arresta

li hos, et l’environnèrent, et puis l’assallirent fortement.

20A ce donc n’i estoit point li chapitainne messires

Thumas Kok, mès estoit à Bourdiaus devers le

conte Derbi qui l’avoit mandé. Mès toutes fois chil

qui estoient dedens Villefrance à ce jour se deffendirent

vaillamment, mès finablement il furent pris

25de force, et toute li ville courute et arse sans deport,

et occis li plus grant partie des saudoiiers qui le gardoient.

Et quant il eurent ensi esploitié, il passèrent

oultre et laissièrent le chastiel tout entier, sans garde

et sans abatre: dont depuis il se repentirent. Puis

30se traisent par devant le chité de Angouloime, et le

[111] 111 assegièrent tout au tour, car il estoient tant de gens

que bien le pooient faire. Dedens avoit grant fuison

de bons compagnons, de par les Englès, et un escuier

à chapitainne, qui s’appelloit Jehan de Norvich.

5§ 243. Quant li contes Derbi, qui se tenoit en le

cité de Bourdiaus, entendi que li dus de Normendie

et chil signeur de France estoient venu à host si

grant pour reconquerre villes, cités et chastiaus que

conquis avoit, et jà avoient reconquis Miremont, Villefrance,

10et toute robée et arse, hors mis le chastiel,

il s’avisa d’une cose qui bonne li sambla. Il envoia

tantos quatre chevaliers des siens [ès quels moult

s’affioit[323],] et leur dist que il presissent jusques à

soixante ou quatre vingt armeures de fier et trois

15cens arciers, et s’en alaissent par devers Villefrance,

et presissent le chastiel qui estoit demorés vuis et

entiers, et le mesissent à point et les portes de le

ville ossi; et se li Francois le venoient encores assallir,

que il se deffendesissent bien, car il les secourroit,

20à quel meschief que ce fust. Li chevalier li acordèrent

volentiers, et se partirent de le cité de Bourdiaus,

si com cargiet leur fu. Or vous nommerai les

dis chevaliers: messires Estievenes de Tombi, messires

Richars de Hebedon, messires Raoulz de Hastinges

25et messires Normans de Finefrode.

Apriès ce, li contes Derbi pria au conte de Pennebruch,

à monsigneur Gautier de Mauni, à messire

Franke de Halle, à monsigneur Thomas Kok, à monsigneur

Jehan de Lille, à monsigneur Robert de

[112] 112 Nuefville, à monsigneur Thumas Biset, à monsigneur

Jehan de la Souce, à monsigneur Phelippe de Biauvers,

à monsigneur Richart de Roclève et à pluiseurs

aultres, chevaliers et escuiers, que il volsissent aler à

5Aguillon et garder le forterèce, car trop fort seroit

courouciés, se il le reperdoient. Chil se partirent, qui

estoient bien quarante chevaliers et escuiers et trois

cens armeures de fier, parmi les archiers; et s’en vinrent

bouter ou fort chastiel d’Aguillon. Si y trouvèrent

10encores bien six vingt compagnons que li contes

Derbi y avoit laissiés par de devant. Si pourveirent

le dit chastiel de vins, de farines, de chars et de

toutes aultres pourveances bien et largement.

Ossi li quatre chevalier dessus nommet, ordonnet

15pour aler à Villefrance, chevaucièrent parmi le pays,

en alant celle part. Et cueillièrent grant fuison de

bues, de vaches, de pors, de brebis et de moutons,

de blés, d’avainnes et de farines et de toutes aultres

pourveances pour vivre; et fisent tout amener devant

20yaus et achariier dedens Villefrance. Et reprisent

le chastiel et le remparèrent bien et à point,

et relevèrent les murs et les portes de le ville. Et

fisent tant qu’il furent plus de quinze cens hommes

tous aidables, et pourveus de vivres pour vivre six

25mois tous entiers.

§ 244. Ces nouvelles vinrent en l’ost devant le

cité d’Angouloime, comment li Englès avoient repris

Villefrance, pour le cause dou chastiel qu’il avoient

laissiet sans abatre. Si se repentoit trop grandement

30li dus de che que si simplement s’en estoient parti,

quant il n’avoient ars ne abatu le chastiel; mès

[113] 113 amender ne le pooit. Si se tint à siège devant le cité

d’Angouloime un grant temps, et y fist par pluiseurs

fois assallir; mès peu y conquist, car elle estoit bien

deffendue. Quant li dus de Normendie et ses consaulz

5veirent que par assaut il ne le poroient gaegnier,

et qu’il perdoient cescun jour de leurs gens à l’assallir,

il fisent commander et crier que nulz n’alast

plus assallir; ançois se deslogassent et alaissent logier

plus priés de le cité. Tout obeirent au commandement

10de leur signeur, ce fu raisons.

Che siège durant devant le cité de Angouloime,

vint un jour au duch de Normendie li seneschaus de

Biaukaire, uns vaillans chevaliers, et li dist: «Sire, je

sai bien toutes les marces de ce pays. Se il vous plaisoit,

15et vous me volsissiés prester six cens ou sept cens

armeures de fier, jou iroie enventurer aval ce pays

pour querre bestes et vitailles, car assés tost en arons

nous deffaute.» Tout ce pleut bien au duch et à son

conseil. Si prist l’endemain li dis seneschaus pluiseurs

20chevaliers et escuiers qui se desiroient à avancier

et se boutèrent desous lui: li dus de Bourbon,

li contes de Pontieu ses frères, li contes de Tankarville,

li contes de Ghines, li contes de Forès, li

dauffins d’Auvergne, li sires de Couci, li sires d’Aubegni,

25li sires d’Aufemont, li sires de Biaugeu, li sires

de Pons, li sires de Partenai, messires Guiçars d’Angles,

messires Saintré, et pluiseurs aultres chevaliers

et escuiers, tant qu’il furent bien entre mil et neuf

cens lances. Si montèrent à cheval sus une vesprée,

30et chevaucièrent toute le nuit jusques au point dou

jour que li aube crevoit. Et tant s’esploitièrent que

il vinrent assés priès d’une grosse ville, qui estoit

[114] 114 nouvellement rendue as Englès, et l’appelloit on Anchenis.

Là endroit vint une espie au dit seneschal, et

li dist que dedens Anchenis avoit bien six vingt armeures

de fier, Gascons que Englès, et trois cens

5arciers qui bien deffenderoient le ville, se on les assalloit.

«Mais jou ay veu, dist li espie, issir le proie

hors de le ville, et y a bien sept cens ou huit cens

grosses biestes, et sont par desous le ville dedens les

prés.»

10Quant li senescaus de Biaukaire oy ce, il dist as

signeurs qui là estoient: «Mi signeur, je conseille

que vous demorés en ceste valée couvertement, et

je m’en irai à tout soixante compagnons acueillier

ceste grande proie, et le vous amenrai chi endroit.

15Et se cil Englès issent hors pour rescourre leur proie,

ensi que je pense bien qu’il le feront, je les amenrai

jusques à vous tout fuiant. Car, je sçai bien qu’il me

caceront folement, et vous lor irés au devant hardiement:

ce seront tout vostre par raison.» Cescuns

20s’asenti à ce conseil. Adonc se parti li dessus dis seneschaus

à tout soixante compagnons bien montés,

et chevaucièrent par voies couvertes autour de le

ville, ensi que li espie les menoit, et tant que il vinrent

en ces biaus prés et larges où ces bestes paissoient.

25Il se vont tantost espardre et remettent ces

bestes ensamble, et puis cachent tout devant yaus

au desous de le ville, par une aultre voie qu’il n’estoient

venu. Les gardes de le porte et li gette dou

chastiel, qui tout ce veoient, commencièrent à faire

30friente, et à corner, et à esmouvoir chiaus de le ville,

et les compagnons qui espoir dormoient encores,

car il estoit moult matin. Sitost qu’il furent en

[115] 115 friente, il sallirent sus vistement et ensellèrent

leurs chevaus, et s’assamblèrent, tout en le place.

Sitost qu’il se furent recueilliet et leur chapitainne

venus, uns moult appers chevaliers englès, qui s’appelloit

5messires Estievenes de Lussi, il vuidièrent

cescuns que mieus mieus; et ne demorèrent en le

ville, fors que li villain, dont il fisent folie. Li Englès,

qui s’estoient mis as camps pour rescourre leur

proie, se hastèrent durement, en escriant as François:

10«Vous n’en irés mies ensi.»

Li senescaus et se route [commenchèrent[324]] à haster

leur proie, pour venir à leur embusche; et tant fisent

qu’il en furent assés priès. Quant cil signeur de

France, où moult avoit de grans signeurs et de vaillans

15hommes, qui tout estoient là venu pour querre

les armes, veirent le proie approcier et leur bon seneschal

cachier, cescuns sires escria son cri et fist se

banière haster et passer avant. Et s’en viennent ferir

de plains eslais en ces Englès qui caçoient et qui furent

20tout esmervilliet, quant il les veirent. Et moult

volentiers fuissent retourné, se il peuissent; mès il

n’en eurent mies loisir, car il furent telement espars

que en brief heure tout [furent[325]] ruet jus, pris et

mors. Là fu pris li chapitainne et tout cil d’onneur

25qui dalés lui estoient, et li demorans tous mors. Et

puis chevaucièrent li François vistement devers le

ville et entrèrent ens de saut, car elle estoit sans

garde. Et la première banière qui y entra, ce fu celle

dou duch de Bourbon. Si se saisirent li signeur de

[116] 116 le ville, et le rafreschirent de nouvelles gens et de

chapitainne. Et puis chevaucièrent à tout leur proie

et leurs prisonniers, et s’en revinrent à l’endemain

devant le cité d’Angouloime où li sièges se tenoit, où

5il furent receu à grant joie. En ceste chevaucie acquist

grant grasce li seneschaus de Biaukaire, pour

tant que il l’avoit mis sus, comment que il y euist

eu plus grans signeurs assés qu’il ne fust.

§ 245. Ensi se tint des signeurs de France un

10grant temps li sièges devant Angouloime. Et couroient

li François sus le pays que li Englès avoient

conquis, et y faisoient tamaint destourbier, et ramenoient

souvent en leur host des prisonniers et grans

proies, quant il les trouvoient à point. Et moult y

15acquisent li doi frère de Bourbon grant grasce, car

il estoient toutdis des premiers chevauçans. Quant

Jehans de Norvich, chapitainne et souverains d’Angouloime,

vei et [considera[326]] que li dus de Normendie

n’avoit talent de deslogier, se il n’avoit le cité à

20se volenté, et sentoit que les pourveances de laiens

amenrissoient, et que li contes Derbi ne faisoit nul

apparant de lever le siège, et ossi que cil de le ville

s’enclinoient trop plus as François que d’autre part,

et volentiers se fuissent il pieçà tourné, se il osassent;

25si se doubta de trahison et que mauls ne l’en

presist et ses compagnons. Si s’avisa que à toutes ces

coses il pourveroit de remède, et se pourpensa d’une

grant soutilleté.

Droitement le nuit de le Purification Nostre Dame,

[117] 117 à l’entrée de fevrier, il vint as crestiaus de le cité

tous seulz, sans soi descouvrir de cose qu’il volsist

faire ne dire, à nul homme, et fist signe de son caperon

que il voloit parler à qui que fust de l’host.

5Chil qui perchurent ce signe vinrent celle part, et li

demandèrent qu’il voloit. Il respondi qu’il parleroit

volentiers à monsigneur le duch de Normendie, ou à

l’un de ses mareschaus. Chil qui là estoient respondirent:

«Demorés là un petit, et nous irons devers

10lui, et le vous ferons venir sans faute.» Adonc se

partirent il de Jehan de Norvich, et vinrent au logeis

dou dit duch. Et li recordèrent que li chapitainne

de Angouloime parleroit volentiers à lui ou à l’un de

ses mareschaus. «Savés vous de quoi?» dist li dus.

15Chil respondirent: «Monsigneur, nennil.» Lors

s’avisa li dus et dist que il meismes il iroit. Si monta

à cheval, et aucun chevalier de son hostel. Et chevaucièrent

jusques as murs de le cité; si trouvèrent

Jehan de Norvich qui s’apoioit as creniaus. Si tost

20qu’il vei le duch, il osta son chaperon et le salua. Li

dus adonc li demanda: «Jehan, comment va? Vous

volés vous rendre?» Il respondi: «Sire, je ne sui

mies de ce consilliés à faire. Mais je vous vorroie

priier que, pour le reverense dou jour Nostre Dame

25que il sera demain, vous nous acordissiés un respit

à durer le jour de demain tant seulement: par quoi

li nostre ne li vostre ne peuissent grever l’un l’autre,

mès demorassent en pais.» Li dus, qui ne pensa que

tout bien, li acorda liement et dist: «Je le voeil.»

30Ensi demora li cité d’Angouloime en pais.

Quant ce vint le jour de le Candeler au matin, Jehans

de Norvich s’arma et fist armer tous ses compagnons,

[118] 118 uns et aultres, et enseller leurs chevaus, et

tourser tous leurs harnois, et puis fist ouvrir le porte,

et se mist dehors le cité. Quant cil de l’host veirent

ces gens d’armes issir, si furent tout esmervilliet et

5effraet. Et se commença li hos à estourmir, car il

cuidièrent que li Englès les venissent courir seure.

Adonc s’avança Jehans de Norvich, qui chevauçoit

tout devant, et dist: «Signeur, signeur, souffrés vous.

Ne faites nul mal as nostres, car nous avons triewes

10ce jour d’ui tout entier, ensi que vous savés, acordées

de par monsigneur le duch de Normendie et de

nous ossi. Se vous ne le savés, si l’alés savoir, car

nous poons bien aler et chevaucier sus celle triewe,

quel part que nous volons.» Ces nouvelles vinrent

15au duch, pour savoir qu’il en voloit dire et faire. Il

en respondi: «Laissiés les aler de par Nostre Signeur,

de quel part qu’il voelent. Nous ne les poons

par raison constraindre à demorer, par bataille ne

aultrement. Je leur tenrai ce que je lor ay prommis.»

20Ensi s’en ala Jehans de Norvich et se route. Et passèrent

tout parmi l’ost dou duc de Normendie, sans

nul damage, et vinrent dedens Aguillon où il furent

recheu à [grant[327]] joie. Si leur recorda Jehans comment

il estoit partis de le cité de Angouloime et

25avoit sauvé tout le sien et ce ossi de ses compagnons.

Si disent li chevalier, qui là estoient, qu’il

avoit trop bien ouvré, et qu’il s’estoit avisés d’une

grant soutilleté.

§ 246. Quant ce vint à l’endemain dou jour de

[119] 119 le Purification, li bourgois d’Angouloime se traisent

ensamble, pour savoir comment il se maintenroient.

Tout considéré, il eurent avis qu’il se renderoient

et metteroient en l’obeissance dou duch de Normendie,

5ensi qu’en devant. Si envoiièrent en l’ost, devers

le dit duch, certains messages, qui esploitièrent si

bien que li dus les prist à merci et leur pardonna

son mautalent. Et entra dedens le cité et ou chastiel,

et rechut le foy et l’ommage de chiaus d’Angouloime.

10Si y establi li dus un chevalier des siens à chapitainne,

qui se nommoit Anthones de Villers et cent saudoiiers

avoecques lui, pour mieus garder le chité et

le chastiel que dou temps passet elle n’euist esté.

Apriès ces ordenances, se desloga li dus, et se trest

15devers le chastiel de Damassen; et y sist li dus quinze

jours par devant, anchois qu’il le peuist avoir. Et

ne fu onques jour qu’il n’i euist assaut. Finablement,

il fu conquis par force, et tout cil qui dedens estoient,

Englès et Gascons, mors. Si le donna li dus et toute

20le chastelerie à un escuier de Biausse, appert homme

d’armes malement, qui s’appelloit le Borgne de Milli.

En apriès, vint li dus de Normendie devant

Thoni[n]s, qui siet sus le rivière de Garone. Si le

trouvèrent bien pourveue d’Englès et de Gascons, qui

25le gardèrent et deffendirent vassaument un grant

temps. Et y avoit priès que tous les jours assaut ou

escarmuce. Tant y fu li dus et si contraindi chiaus

de dedens qu’il se rendirent par composition, salve

leurs corps et leurs biens. Et les devoit li dus faire

30conduire jusques à Bourdiaus, sus son peril. Ensi se

partirent li compagnon estragne, mès cil de le ville

demorèrent en l’obeissance dou duch de Normendie.

[120] 120 Et se tint là li dus et toute son host sus le rivière

de Garonne jusques apriès Paskes, que il se deslogièrent

et se traisent devers le Port Sainte Marie, sus

ceste meisme rivière. Et là avoit environ deux cens

5Englès et Gascons qui gardoient le ville et le passage;

et l’avoient fortefiie grandement, mès il furent

telement assalli que [ilz furent[328]] pris de force, et tout

cil qui dedens estoient occis. Si le remparèrent de

nouviel, et rafreschirent de gens d’armes. Et puis

10s’en partirent li François, et chevaucièrent devers

Aguillon.

§ 247. Tant esploitièrent cil signeur de France,

dont li dus de Normendie estoit chiés, qu’il vinrent

par devant le chastiel d’Aguillon. Si se logièrent et

15espardirent contreval ces biaus prés et larges, selonch

le rivière qui porte grant navie, cescuns sires entre

ses gens et çascune connestablie par lui, ensi que ordonné

estoient par les mareschaus de l’host. Et

devés savoir que par devant le fort chastiel d’Aguillon

20eut le plus biel host et le plus biau siège que on

ewist, grant temps avoit, veu ou dit royalme de France

ne ailleurs, et dura parmi cel estet tout jusques à le

Saint Remi. Et y avoit à siège bien cent mil hommes

armés à cheval et à piet. Et si ne poroit on raconter,

25par nulle hystore, à siège fait, tant de biaus

fais d’armes et de grandes apertises, qu’il avinrent là

d’une part et d’autre. Car onques gens assegiés ne

souffrirent tant, ne ne se deffendirent si vassaument,

comme cil qui furent enclos devant Aguillon, si com

[121] 121 vous orés ci après recorder. Car tous les jours les

couvenoit combatre deux fois ou trois à chiaus de

l’host, et le plus souvent dou matin jusques à le nuit,

sans cesser. Car toutdis leur sourvenoient nouvelles

5gens, Geneuois et aultres, qui ne les laissoient reposer.

Les ordenances et manières des assaus, comment

et de quoi, je les vous voel declarer et plainnement

deviser.

§ 248. Quant li signeur et li baron de France

10furent venu devant Aguillon, il regardèrent premierement

et considerèrent qu’il ne pooient parvenir

jusques à le forterèce, se il ne passoient le rivière

qui est large, longe et parfonde. Or leur couvenoit

faire un pont pour le passer. Si commanda li dus

15que li pons fust fais, quoi qu’il coustast. Si y vinrent,

pour ce pont ouvrer, plus de trois cens carpentiers,

qui y ouvroient jour et nuit. Quant li chevalier

qui dedens Aguillon estoient veirent que cilz pons

estoit fais oultre le moiienné de le rivière, il fisent

20apparillier trois naves et entrèrent ens, et puis cacièrent

tous ces ouvriers envoiés et les gardes ossi,

et puis deffisent, tantos et sans delay, tout ce qu’il

avoient fait et carpenté à grant painne un temps[329].

Quant li signeur de France veirent ce, il furent durement

25courouciet, et fisent apparillier aultres naves

à l’encontre d’eulz, et misent ens grant fuison de gens

d’armes, Geneuois, bidaus et arbalestriers; et commandèrent

les ouvriers à ouvrer, sus le fiance de

leurs gardes. Quant li ouvrier eurent ouvré un jour

[122] 122 jusques à miedi, messires Gautiers de Mauni et aucun

de ses compagnons entrèrent en leurs nefs, et coururent

sus ces ouvriers et leurs gardes. Et en y eut

fuison de mors et de bleciés, et couvint les ouvriers

5laissier oevre et retourner arrière. Et fu adonc tout

deffait quanques fait avoient; et y laissièrent des

mors et des noiiés grant plenté. Cilz debas et ceste

rihote recommençoient cescun jour. Au pardaarrain,

li signeur de France y furent si estoffeement, et si

10bien gardèrent leurs ouvriers, que li pons fu fais bons

et fors. Si passèrent adonc li signeur et toute li hos

oultre, armé et ordonné par manière de bataille. Et

assallirent à ce donc le chastiel d’Aguillon fortement

et durement, sans yaus espargnier. Et y eut en ce

15jour très fort assaut et maint homme bleciet, car cil

de dedens se deffendoient si vassaument que merveilles

seroit à recorder. Et dura cilz assaus un jour

tout entier, mès riens n’i fisent. Si retournèrent au

soir en leurs logeis, pour yaus reposer et aisier. Il

20avoient bien de quoi, car leur host estoit bien pourveue

de tous biens. Chil dou chastiel se retraisent

ossi, et remisent à point ce qui brisiet et romput

estoit, car il avoient grant fuison d’ouvriers.

§ 249. Quant ce vint à l’endemain, cil signeur de

25France s’assamblèrent et regardèrent et avisèrent entre

yaus comment il poroient le mieus et le plus apertement

grever chiaus dou chastiel. Si ordonnèrent,

pour plus travillier leurs ennemis, que il partiroient

leur host en quatre parties: des quèles li première

30partie assaurroit dou matin jusques à prime, la seconde

de prime jusques à miedi, la tierce de miedi

[123] 123 jusques à vespres, et la quarte de vespres jusques à

le nuit; car, il pensoient que li deffendant ne poroient

tant durer: si le fisent ensi par grant avis. Et

assallirent par tèle ordenance cinq jours ou six, mais

5ce ne leur valli riens; ains y pardirent grossement

de leurs gens. Car cil dou chastiel ne furent onques

si recreant, comment qu’il fuissent travaillet oultre

mesure, qu’il ne s’abandonnassent au deffendre si

vassaument, par quoi cil de l’host peuissent riens

10gaegnier sus yaus, nes tant seulement le pont que estoit

devant le chastiel. Et quant il veirent ce que assaut

que il feissent ne leur pourfitoit riens, si en furent

tout confus, et eurent aultre conseil. Car il envoiièrent

querre à Thoulouse huit les plus grans engiens qui y

15fuissent, et encores en fisent il faire et carpenter

quatre plus grans assés. Et fisent sans cesser ces douze

engiens getter jour et nuit par dedens le chastiel;

mais cil de le forterèce estoient si bien garitet que

onques pière d’engien ne les greva, fors as thois des

20manandies. Et avoient chil dou chastiel bons engiens

qui debrisoient tous les engiens de dehors; et en peu

d’eure en debrisièrent jusques à six, dont cil de l’host

furent moult courouciet. Et toutdis avisoient et soutilloient

comment il les poroient le mieuls grever.

25§ 250. Ensi estoit li chastiaus d’Aguillon et cil qui

le deffendoient assalli par plusieurs manières, car

priès que toutes les sepmainnes on y trouvoit et avisoit

aucune cose de nouviel. Et ossi cil dou chastiel

revisoient à l’encontre, pour eulz deffendre. Le siège

30durant devant Aguillon, il avint par pluiseurs fois que

messires Gautiers de Mauni s’en issi hors à tout cent

[124] 124 ou six vingt compagnons, et en aloient par oultre le

rivière de leur costé fourer, et ramenoient, voiant

ceulz de l’host, souvent grant proie, dont li François

avoient grant anoi.

5Et avint un jour que messires Charles de Montmorensi,

mareschaus de l’host, chevauçoit et avoit bien

cinq cens compagnons tout à cheval, et ramenoit grant

proie en leur host, qu’il avoit fait recueillier sus le

pays, pour avitaillier l’ost. Si s’encontrèrent desous

10Aguillon ces deux chevaucies. Messires Gautiers de

Mauni ne volt mies refuser, comment qu’il euist le

mains de gens, mès se feri tantost en ces François, et

cil entre eulz. Là eut dur hustin et fort, et maint

homme reversé par terre, mort et bleciet. Et y fisent

15les deux chapitainnes grans apertises d’armes, et vaillamment

se combatirent. Toutes fois, li Englès en

euissent eu le pieur, car li François estoient bien

cinq contre un. Mès les nouvelles vinrent dedens

Aguillon que leur compagnon se combatoient, et qu’il

20n’estoient mies bien parti as François. Adonc issirent

il, cescuns qui mieulz mieulz, et le conte de Pennebruch

tout devant. Si vinrent tout à point à le meslée,

et trouvèrent monsigneur Gautier de Mauni qui estoit

à terre, enclos de ses ennemis, et là y faisoit merveilles

25d’armes. Si fu tantost rescous et remontés,

que li contes de Pennebruch fu venus.

Or vous dirai que li François avoient fait. Entroes

que leurs gens se combatoient et ensonnioient les Englès,

il cacièrent leur proie oultre, et le misent à sauveté;

30autrement il l’euissent perdu. Car li Englès qui

issirent hors d’Aguillon, pour secourir leurs compagnons,

li contes de Pennebruch, messires Franke de

[125] 125 Halle, messires Hues de Hastinges, messires Robers de

Nuefville et li aultre s’i portèrent si vassaument, que

tantost il espardirent ces François, et rescousent tous

leurs compagnons, et prisent plusieurs prisonniers. Et

5à grant meschief se sauva messires Charles de Montmorensi,

qui s’en revint arrière, ensi que tous desconfis.

Et li Englès retournèrent dedens Aguillon.

§ 251. De telz rencontres et de tels hustins y avoit

souvent, sans les assaus et les escarmuces, qui estoient

10priès que tous les jours à chiaus dou chastiel. Et che

arguoit durement le duch de Normendie, pour tant

que cil d’Aguillon se tenoient si vaillamment. Et estoit

tèle li intention dou duch qu’il ne s’en partiroit

par nulle condition, si li rois de France ses pères ne

15le remandoit, se l’aroit conquis, et les Englès, qui dedens

estoient, mis à volenté. Or avisèrent li François

une aultre manière d’assaut, et fist on un jour armer

tous chiaus de l’host. Et commandèrent li signeur

que cil de Thoulouse, de Carcassonne et cil de Biaukaire

20et leurs seneschaudies assausissent dou matin

jusques à miedi; et chil de Roerge, de Chaours et

d’Aginois, à leur retrette, jusques à vespres. Et cilz

qui poroit gaegnier premiers le pont de le porte dou

chastiel, on li donroit tantost cent escus. Li dus de

25Normendie, pour mieulz furnir cest assaut, fist venir

et assambler sus le rivière grant planté de nefs et de

chalans. Li pluiseur entrèrent ens pour passer le ditte

rivière, et li aucun passèrent au pont. Chil dou chastiel,

qui veirent l’ordenance de l’assaut, furent tout

30apparilliet pour deffendre. Lors commença uns trop

plus fors assaus qu’il n’i euist encores eu. Qui là veist

[126] 126 gens abandonner vies et corps, et approcier le pont,

pour le convoitise de gaegnier les cent escus, et

presser l’un sus l’autre, si com par envie; et qui regardast

ossi chiaus dou chastiel yaus deffendre vassaument,

5il se peuist bien esmervillier.

Finablement, au fort de le besongne, aucun se

misent par une nacielle en l’aigue par desous le

pont. Et jettèrent grans gros kros et havés au dit

pont leveis; et puis tirèrent si fort qu’il rompirent

10les chainnes qui le pont tenoient, et l’avalèrent jus

par force. Qui donc veist gens lancier sus ce pont,

et tresbucier li uns sus l’autre, dix ou douze ens

un mont, et veist chiaus d’amont en le porte jetter

grans pières, pos plains de cauch et grans mairiens,

15bien peuist veoir grant merveille, et gens mehagnier

et morir et tresbuchier en l’aigue. Toutes fois, fu li

pons conquis par force, mès il cousta grandement

de leurs gens plus qu’il ne vaulsist. Quant li pons fu

gaegniés, chil de l’host eurent otant ou plus à faire

20que devant, car il ne peurent aviser voie comment

il peuissent gaegnier le porte. Si se retraisent à leur

logeis, car jà estoit tart, et avoient mestier de reposer.

Quant il furent retrait, chil dou chastiel issirent

hors et refisent le pont plus fort que devant.

25§ 252. A l’endemain, vinrent doi mestre engigneour

au duch de Normendie et as signeurs de son conseil,

et dirent, se on les voloit croire et livrer bois et ouvriers

à fuison, il feroient quatre grans kas fors et

haus sus quatre grandes fortes nefs, que on menroit

30jusques as murs dou chastiel. Et seroient si hault

qu’il sourmonteroient les murs: par quoi cil qui dedens

[127] 127 les dis chas se tenroient, se combateroient main

à main à chiaus qui seroient sus les murs dou chastiel.

A ces paroles entendi li dus volentiers, et commanda

que cil quatre chat fuissent fait, quoi qu’il

5deuissent couster, et que on mesist en oevre tous les

carpentiers dou pays, et que on lor paiast largement

leur journée, par quoi il ouvrassent plus volentiers

et mieulz apertement. Chil quatre kat furent fait, à

le devise et ordenance des deux maistres, en quatre

10fortes nefs. On y mist longement, et coustèrent grans

deniers. Quant il furent parfait, et les gens d’armes

dedens entré, qui à chiaus dou chastiel devoient combattre,

et il eurent passet le moitié de le rivière, chil

dou chastiel fisent desclichier quatre martinés que il

15avoient nouvellement fais faire, pour remediier contre

les quatre kas dessus dis. Chil quatre martinet jettèrent

si grosses pières, et si souvent sur ces chas qu’il

furent bien tos debrisiés, et si confroissiés que les gens

d’armes et cil qui les conduisoient ne se peurent dedens

20garandir. Si les couvint retraire arrière, ançois

qu’il fuissent oultre le rivière. Et en fu li uns effondrés

au fons de l’aigue, et la plus grant partie de

chiaus qui dedens estoient noiiet, dont ce fu pités et

damages; car il y avoit des bons chevaliers et escuiers,

25qui grant desir avoient de leurs corps, pour leur honneur,

avancier.

§ 253. Quant li dus de Normendie et li signeur

de France veirent le grant meschief, et que par ce il

ne pooient parvenir à leur entention, il furent moult

30courouciet. Et fisent les aultres trois nefs et les kas

cesser et retraire, et issir hors tous ceulz qui dedens

[128] 128 estoient. Si ne pooient li signeur plus aviser voie,

manière ne engien comment il peuissent le fort chastiel

d’Aghillon prendre ne avoir. Et se n’i avoit prince

ne baron, tant fust grans sires ne proçains de linage

5au duch de Normendie, qui osast parler dou deslogier

ne traire aultre part, car li dis dus en avoit parlé

moult avant qu’il ne s’en partiroit, si aroit le chastiel à

se volenté et chiaus qui dedens estoient, non se li

rois ses pères ne le remandoit.

10Si avisèrent li signeur que li contes de Ghines,

connestables de France, et li contes de Tankarville se

departiroient dou siège et s’en retourneroient en

France, pour remoustrer et conter au dit roy l’ordenance

et l’estat dou siège d’Aguillon. Si se partirent

15de l’host chil doi conte dessus dit, assés par le congiet

dou duch, et chevaucièrent tant par leurs journées

qu’il vinrent à Paris, où il trouvèrent le roy Phelippe.

Se li recordèrent le manière et l’estat dou siège d’Aguillon,

et comment li dus ses filz l’avoit fait assallir

20par pluiseurs assaus, et riens n’i conqueroit. Li rois

en fu tous esmervilliés, et ne remanda point adonc le

duch son fil, mès voloit bien qu’il se tenist encores

devant Aguillon, jusques à tant qu’il les euist constrains

et conquis par famine, puis que par assaut ne

25les pooit avoir. Or nous soufferons à parler dou duch

de Normendie et dou siège d’Aguillon, et parlerons

dou roy Edouwart d’Engleterre et d’une grosse chevaucie

qu’il fist en celle saison par deça le mer.

§ 254. Bien avoit oy recorder li dessus dis rois

30d’Engleterre que ses gens estoient durement astrains

et fort assegiet dedens le chastiel d’Aguillon, et que

[129] 129 li contes Derbi ses cousins, qui se tenoit à Bourdiaus,

n’estoit mies fors pour le temps de tenir les camps et

lever le siège dou duch de Normendie devant Aguillon.

Si s’apensa qu’il metteroit sus une grosse armée de

5gens d’armes, et les amenroit en Gascongne. Si commença

à faire ses pourveances tout bellement, et à

mander gens parmi son royaume, et ailleurs ossi où

il les esperoit à avoir, parmi ses denierz paians.

En ce temps arriva en Engleterre messires Godefrois

10de Harcourt, qui estoit banis de France, ensi que

vous avés oy. Si se traist tantost devers le roy et le

royne, qui se tenoient adonc à Cartesée, à quatorze

liewes de le cité de Londres, sus le rivière de le Tamise,

qui rechurent ledit monsigneur Godefroi moult

15liement. Et le retint tantost li rois de son hostel et

de son conseil, et li assigna belle terre et grande en

Engleterre, pour lui et pour son estat tenir et parmaintenir

bien et estoffeement.

Assés tost apriès, eut li rois d’Engleterre ordonné

20et appareilliet une partie de ses besongnes, et avoit

fait venir et assambler ou havene de Hantonne grant

quantité de naves et de vaissiaus, et faisoit celle part

traire toutes manières de gens d’armes et d’arciers.

Environ le jour Saint Jehan Baptiste, l’an mil trois

25cens quarante six, se parti li rois de madame la

royne sa femme, et prist congiet à lui, et le recommenda

en le garde dou conte de Kent son cousin. Et

establi le signeur de Persi et le signeur de Nuefville

à estre gardiien de tout son royalme, avoecques quatre

30prelas, loist à savoir, l’arcevesque de Cantorbie,

l’archevesque d’Iorch, l’evesque de Lincolle et l’evesque

de Durem. Et ne vuida mies son royalme telement

[130] 130 qu’il ne demorast assés de bonne gent pour le garder,

se mestier faisoit, et bien deffendre. Puis vint et chevauça

li rois sus les marces de Hantonne; et là se tint

tant qu’il eut vent pour lui et pour toutes ses gens.

5Si entra en son vaissiel et li princes de Galles ses filz,

et messires Godefrois de Harcourt, et cescuns aultres

sires, contes et barons entre ses gens, ensi que ordonnés

estoit. Si pooient estre en nombre sept mil

hommes d’armes et dix mil arciers, sans les Irois

10et aucuns Galois qui sievoient son host tout à piet.

Or vous nommerai aucuns grans signeurs qui estoient

avoecques le dit roy: et premiers Edowart

son ainsnet fil, prince de Galles, qui lors estoit en

l’eage de treize ans ou environ, li contes de Herfort,

15li contes de Norenton, li contes d’Arondiel, li contes

de Cornuaille, li contes de Warvich, li contes de

Hostidonne, li contes de Sufforch et li contes d’Askesuffore;

et de barons, messires Jehans de Mortemer,

qui puis fu contes de le Marce, messires Jehans, messires

20Loeis et messires Rogiers de Biaucamp, messires

Renaulz de Gobehen, li sires de Montbray, li

sires de Ros, li sires de Lussi, li sires de Felleton, li

sires de Brasseton, li sires de Multon, li sires de le

Ware, li sires de Manne, li sires de Basset, li sires

25de Sulli, li sires de Bercler, li sires de Willebi et

pluiseurs aultres; et de bachelers, messires Jehans

Chandos, messires Guillaumes Filz Warine, messires

Pières et messires James d’Audelée, messires Rogiers

de Wettevale, messires Bietremieus de Brues, messires

30Richars de Pennebruge, et moult d’autres que je

ne puis mies tous nommer. Peu d’estragniers y avoit.

Si y estoient le conte de Haynau, messires Oulphars

[131] 131 de Ghistelles et cinq ou six chevaliers d’Alemagne

que je ne sçai mies nommer. Si singlèrent ce premier

jour à l’ordenance de Dieu et dou vent et des

maronniers, et eurent assés bon esploit pour aller

5devers Gascongne, où li rois tendoit à aller. Au tierch

jour qu’il se furent mis sus mer, li vens leur fu tous

contraires et les rebouta sus les marces de Cornuaille;

si jeurent là à l’ancre six jours.

En ce terme, eut li rois aultre conseil par l’enort

10et information de monsigneur Godefroy de Harcourt,

qui li consilla, pour le mieulz et faire plus

grant esploit, qu’il presist terre en Normendie. Et

dist bien adonc au roy li dis messires Godefrois:

«Sire, li pays de Normendie est li uns des plus gras

15dou monde. Et vous prommech, sus l’abandon de

ma teste, que, se vous arrivés là, vous y prenderés

terre à vostre volenté; ne jà nulz ne vous venra au

devant qui rien vous dure, car ce sont gens en Normendie

qui onques ne furent armé. Et toute la fleur

20de le chevalerie, qui y poet estre, gist maintenant devant

Aguillon avoech le duch. Et trouverés en Normendie

grosses villes batices, qui point ne sont fremées,

où vos gens aront si grant pourfit qu’il en

vauront mieulz vingt ans ensievant. Et vous pora

25vostre navie sievir jusques bien priés de Ken en

Normendie. Si vous pri que je soie oys et creus de

ce voiage.»

§ 255. Li rois d’Engleterre, qui pour le temps de

lors estoit en le fleur de se jonèce, et qui ne desiroit

30fors à trouver les armes et ses ennemis, s’enclina de

grant volenté as parolles de monsigneur Godefroy

[132] 132 de Harcourt qu’il appelloit son cousin. Si commanda

à ses maronniers qu’il tournaissent viers Normendie.

Et il meismes prist l’ensengne de l’amiral le conte de

Warvich, et volt estre amiraus pour ce voiage, et se

5mist tout devant, comme patrons et gouvrenères de

toute le navie. Et singlèrent avoech le vent qu’il

avoient à volenté. Si arriva la navie dou roy d’Engleterre

en l’ille de Constentin, et sus un certain port

que on appelle le Hoghe Saint Vast. Ces nouvelles

10s’espardirent tantost sus le pays, que li Englès avoient

là pris terre. Et vinrent messagier acourant jusques

à Paris devers le roy de France, envoiiés de par les

villes de Constentin.

Bien avoit oy recorder li rois de France en celle

15saison, que li rois d’Engleterre metoit sus une grant

armée de gens d’armes. Et plus avant on les avoit

veus sus mer des bendes de Normendie et de Bretagne,

mais on ne savoit encores quel part il voloient

traire. Dont si tretost que li dis rois entendi que li

20Englès avoient pris terre en Normendie, il fist haster

son connestable le conte de Ghines, et le conte de

Tankarville, qui nouvellement estoient revenu d’Aguillon;

et leur dist qu’il se traissent devers Ken et se

tenissent là, et gardassent le ville et le marce contre

25les Englès. Chil respondirent: «Volentiers», et qu’il

en feroient leur pooir. Si se partirent, dou roy et de

Paris à tout grant fuison de gens d’armes, et tous les

jours leur en venoit. Et chevaucièrent tant qu’il vinrent

en le bonne ville de Kem, où il furent receu à

30grant joie des bourgois et des bonnes gens d’environ

qui là s’estoient retrait. Si entendirent li dessus dit

signeur as ordenances de le ville, qui pour le temps

[133] 133 n’estoit point fremée, et aussi à faire armer et appareillier

et pourveir d’armeures, cescun selonch son

estat. Or revenrons au roy d’Engleterre, qui estoit arrivés

en le Hoge Saint Vast, assés priés de Saint Salveur

5le Visconte, l’iretage à monsigneur Godefroi de

Harcourt.

§ 256. Quant la navie dou roy d’Engleterre eut

pris terre en la Hoge, et elle fu toute arestée et ancrée

sus le sablon, li dis rois issi de son vaissiel; et,

10dou premier piet qu’il mist sus terre, il chei si roidement

que li sans li vola hors dou nés. Adonc le

prisent si chevalier, qui dalés lui estoient, et li disent:

«Chiers sires, retraiiés vous en vostre nef et ne venés

meshui à terre, car veci un petit signe pour

15vous.» Donc respondi li rois tout pourveuement et

sans delay: «Pour quoi? mès uns très bons signes

pour mi, car la terre me desire.» De ceste response

furent ses gens tout resjoy.

Ensi se loga li rois ce jour et le nuit, et encores

20l’endemain tout le jour et toute le nuit, sus le sabelon.

Entrues descarga on le navie des chevaus et

de tout leur harnois. Et eurent conseil là en dedens

comment il se poroient maintenir. Si fist li rois deux

mareschaus en son host, l’un monsigneur Godefroi

25de Harcourt et l’autre le conte de Warvich, et connestable

le conte d’Arondiel; et ordonna le conte de

Hostidonne à demorer sus leur navie, à cent hommes

d’armes et quatre cens archiers. Et puis eurent

aultre conseil comment il chevauceroient. Il ordonnèrent

30leur gens en trois batailles: li une iroit d’un

lés tout serrant le marine à destre, et li aultre à

[134] 134 senestre; et li rois et li princes ses filz iroient par

terre. Et devoit toutes les nuis la bataille des mareschaus

retraire ou logeis dou roy.

Si commencièrent à chevaucier et aler ces gens

5d’armes, ensi que ordonné estoit. Chil qui s’en

aloient par mer, selonch le marine, prendoient toutes

les navies, petites et grandes, qu’il trouvoient, et les

emmenoient avoecques yaus. Arcier et gens de piet

aloient de costet selonch le marine, et reuboient,

10pilloient et prendoient tout che qu’il trouvoient. Et

tant alèrent et cil de mer et cil de terre qu’il vinrent

à un port de mer et une forte ville que on claime

Barflues; et le conquisent tantost, car li bourgois se

rendirent pour le doubtance de mort. Mès pour ce,

15ne demora mies que toute la ville ne fust reubée, et

pris or et argent et chiers jeuiaulz, car il en trouvèrent

si grant fuison, que garçon n’avoient cure de

draps fourés de vair. Et fisent tous les hommes de le

ville issir hors de leur ville, et entrer ens ès vaissiaus

20avoecques yaus, et aler ent ossi avoech yaus, pour ce

qu’il ne voloient mies que ces gens se peuissent

rassambler, pour yaus grever, quant il seroient oultre

passet.

§ 257. Apriès ce que la ville de Barflues fu prise

25et reubée sans ardoir, il s’espardirent parmi le pays,

selonch le marine. Si y fisent une grant part de leurs

volentés, car il ne trouvèrent homme qui leur deveast.

Et alèrent tant qu’il vinrent jusques à une

bonne ville grosse et riche et port de mer, qui s’appelle

30Chierebourch. Si en ardirent et reubèrent une

partie, mès dedens le chastiel ne peurent il entrer,

[135] 135 car il le trouvèrent trop fort et bien garni de gens

d’armes. Et puis passèrent oultre, et vinrent viers

Montebourch et Valoigne[330]. Si le prisent et reubèrent

toute, et puis l’ardirent, et en tel manière grant fuison

5de villes en celle contrée. Et conquisent si fier

et si grant avoir que merveilles seroit à penser et à

nombrer.

En apriès, il vinrent à une moult grosse ville

et bien fremée, que on appelle Quarentin, et ossi il

10y a moult bon chastiel. Et adonc y avoit grant

fuison de saudoiiers qui le gardoient. Adonc descendirent

li signeur et les gens d’armes de leurs naves,

et vinrent devant le ville de Quarentin, et l’assallirent

vistement et fortement. Quant li bourgois veirent

15chou, il eurent grant paour de perdre corps et

avoir; si se rendirent, salves leurs corps, leurs femmes

et leurs enfans, maugret les gens d’armes qui

avoecques yaus estoient, et misent leur avoir à volenté,

car il savoient bien qu’il estoit perdus davantage.

20Quant li saudoiier veirent ce, il se traisent par

devers le chastiel qui estoit moult fors, et cil signeur

d’Engleterre ne veurent mies laissier le chastiel ensi.

Si se traisent en le ville, puis fisent assallir au dit

chastiel par deux jours, si fortement qui cil qui dedens

25estoient et qui nul secours ne veoient, le rendirent,

salve leur corps et leur avoir; si s’en partirent

et alèrent aultre part. Et li Englès fisent leur volenté

de celle bonne ville et dou fort chastiel. Et regardèrent

qu’il ne le poroient tenir; si l’ardirent tout et

[136] 136 abatirent, et fisent les bourgois de Quarentin entrer

en leur navie. Et alèrent avoecques yaus, tout ensi

que il avoient fait chiaux de Barflues, de Chierebourch

et des villes voisines, qu’il avoient pris et pilliés

5sus le marine. Or parlerons nous un petit otant

bien de le chevaucie le roy d’Engleterre, que nous

avons parlé de ceste.

§ 258. Quant li rois d’Engleterre eut envoiiet ses

gens selonch le marine, l’un de ses mareschaus le

10conte de Warvich et monsigneur Renault de Gobehen,

ensi que vous avés oy, assés tost apriès il se

parti de le Hoghe Saint Vast, là où il estoit arrivés.

Et fist monsigneur Godefroy de Harcourt conduiseur

de toute son host, pour tant qu’il savoit les entrées

15et les issues en Normendie. Li quels messires Godefrois

se parti de le route dou roy, à cinq cens armeures

et deux mil arciers, et chevauça bien six ou sept

liewes loing en sus de l’host le roi, ardant et essillant

le pays. Si trouvèrent le pays gras et plentiveus

20de toutes coses, les gragnes plainnes de blés, les maisons

plainnes de toutes rikèces, riches bourgois, chars,

charètes, et chevaus, pourciaus, brebis et moutons et

les plus biaus bues dou monde que on nourist ens

ou pays. Si en prisent à leur volenté, des quelz qu’il

25veurent, et amenerent en l’ost le roy. Mais li varlet.

ne donnoient point, ne rendoient as gens le roy l’or

et l’argent qu’il trouvoient; ançois le retenoient pour

yaus. Ensi chevauçoit messires Godefrois de Harcourt

cescun jour d’encoste le grant host le roy, au

30destre costet, et revenoit le soir o toute sa compagnie

là où il savoit que li rois devoit logier; et telz

[137] 137 fois estoit qu’il demoroit deux jours, quant il trouvoit

gras pays et assés à fourer.

Si prist li dis rois son chemin et son charoi devers

Saint Leu en Constentin. Mès, ançois qu’il y parvenist,

5il se loga sus une rivière trois jours, attendans

ses gens qui avoient fait le chevaucie sus le marine,

ensi que vous avés oy. Quant il furent revenu et il

eurent tout leur avoir mis à voiture, li contes de

Warvich et li contes de Sufforch et messires Thumas

10de Hollandes et messires Renaulz de Gobehen et leur

route reprisent le chemin à senestre, ardant et exiliant

le pays ensi que messires Godefrois de Harcourt

faisoit. Et li rois chevauçoit entre ces batailles; et

tous les jours se trouvoient il ensamble.

15§ 259. Ensi par les Englès estoit ars et exilliés,

robés, gastés et pilliés li bons pays et li gras de Normendie.

Dont les plaintes et les nouvelles vinrent au

roy de France, qui se tenoit en le cité de Paris, comment

li rois d’Engleterre estoit arrivés en Constentin

20et gastoit tout devant lui, à destre et à senestre. Dont

dist li rois Phelippes et jura que jamais ne retourroient

li Englès si aroient esté combatu, et les destourbiers

et anois qu’il faisoient à [ses[331]] gens leur

seroient chier vendu. Si fist tantost et sans delay li

25dis roys lettres escrire à grant fuison. Et envoia

premierement devers ses bons amis de l’Empire, pour

tant qu’il li estoient plus lontain: premierement au

gentil roy de Behagne que moult amoit, et ossi à

[138] 138 monsigneur Charle de Behagne son fil, qui dès lors

s’appeloit rois d’Alemagne, et en estoit rois notorement,

par l’ayde et pourcach de monsigneur Charle

son père et dou roy de France, et avoit jà encargiet

5les armes de l’Empire. Si les pria li rois de France,

si acertes comme il peut, que il venissent o tout leur

effort, car il voloit chevaucier contre les Englès qui

li ardoient et gastoient son pays. Li dessus nommet

signeur ne se veurent mies escuser, mès fisent leur

10amas de gens d’armes, d’Alemans et de Behagnons

et de Lussemboursins, et s’en vinrent en France devers

le roy efforciement. Ossi escrisi li dis rois au

duch de Loeraingne, qui le vint servir à plus de quatre

cens lances. Si y vint li contes de Saumes en

15Saumois, li contes de Salebruges, li contes de Flandres,

li contes Guillaumes de Namur, cescuns à moult

belle route. Encores escrisi li rois et manda especialement

monsigneur Jehan de Haynau, qui nouvellement

s’estoit alliés à lui, par le pourcach dou conte

20Loeis de Blois son fil, et dou signeur de Fagnuelles.

Si vint li gentilz sires de Byaumont, messires Jehans

de Haynau, servir le roy de France moult estoffeement

et à grant fuison de bonne bacelerie de le

conté de Haynau et d’ailleurs: dont li rois eut grant

25joie de sa venue, et le retint pour son corps et de

son plus privet et especial conseil. Ensi manda li

rois de France par tout gens d’armes, là où il les pensoit

à avoir. Et fist une des grosses assamblées de

grans signeurs, dus, contes, barons et chevaliers,

30que on ewist veu en France cent ans en devant. Et

pour tant que il mandoit ensi gens par tout en lontains

pays, il ne furent mies sitost venu ne assamblé.

[139] 139 Ançois eut li rois d’Engleterre moult malement

courut et arret le pays de Constentin et de Normendie,

ensi que vous orés recorder en sievant.

§ 260. Vous avez chi dessus bien oy compter

5l’ordenance des Englès, et comment il chevauçoient

en trois batailles, li mareschal à destre et à senestre,

et li rois et li princes de Galles ses filz en le moiiène.

Et vous di que li rois chevauçoit à petites journées.

Tout dis estoient il logiet entre tierce et miedi. Et trouvoient

10le pays si plentiveus et si garni de tous vivres

qu’il ne leur couvenoit faire nulles pourveances fors

que de vins: si en trouvoient il assés par raison. Si

n’estoit point de merveilles se cil dou pays estoient effraet

ne esbahi, car avant ce il n’avoient onques veu

15homme d’armes, et ne savoient que c’estoit de guerre

ne de bataille. Si fuioient devant les Englès de si

lonch qu’il en ooient parler, et laissoient leurs maisons,

leurs gragnes toutes plainnes; ne il n’avoient

mies art ne manière dou sauver ne dou garder. Li

20rois d’Engleterre et li princes de Galles ses filz avoient

en leur route environ trois mil hommes d’armes,

six mil arciers et dix mil sergans de piet, sans chiaus

qui chevauçoient avoech les mareschaus.

Si chevauça li dis rois en tel manière que je vous

25di, ardans et essillans le pays, et sans point brisier

sen ordenance. Et ne tourna point vers le cité de

Coustances, ains s’en alla par devers le grosse ville de

Saint Leu en Constentin, qui pour le temps estoit durement

riche et marchande, et valloit trois [fois[332]] tant

[140] 140 que la cité de Coustances. En celle ville de Saint Leu

[en] Constentin avoit très grande draperie et grosse,

et grant fuison de riches bourgois. Et trouvast on

bien en le ditte ville de Saint Leu manans huit mil

5ou neuf mil, bourgois que gens de mestier. Quant li

rois d’Engleterre fu venus assés priès, il se loga dehors,

car il ne voet mies logier en le ville, pour le

doubtance dou feu. Si envoia ses gens par devant, et

fu la ville tantost conquise à peu de fait, courue et

10robée par tout; ne il n’est homs vivans qui poroit

croire ne penser le grant avoir qui là fu gaagniés

et robés, et le grant fuison de bons draps qu’il y

trouvèrent. Il en euissent donnet grant marciet, s’il

les seuissent à qui vendre. Et moult y eut d’avoir

15conquis qui point ne vint à cognissance.

§ 261. Quant li rois d’Engleterre et ses gens eurent

fait leurs volentés de le bonne ville de Saint Leu

[en] Constentin, il s’en partirent et prisent lor chemin

pour venir encores par devers plus grosse ville trois

20fois, qui s’appelle Kem, qui est priés ossi grande que

la cité de Roem. La ville de Kem est plainne de très

grant rikèce, de draperie, et de toutes marcheandises,

de riches bourgois, de nobles dames et de moult

belles eglises. Et par especial il y a deux, grosses abbeyes

25durement riches, seans l’une à l’un des cor[on]s

de le ville, et l’autre à l’autre; et appell’on l’une de

Saint Estievene, et l’autre de le Trinité. En celi des

dames doit avoir six vingt dames à plainne prouvende.

D’autre part, à l’un des lés de le ville, siet li chastiaus,

30qui est un des biaus et des fors de toute Normendie.

Si en estoit chapitainne adonc uns bons chevaliers

[141] 141 preus [et hardis[333]] de Normendie, qui s’appelloit

messires Robers de Wargni. Et avoit dedens le

chastiel en garnison avoecques lui bien trois cens

Geneuois. Ou corps de le ville estoient li contes d’Eu

5et de Ghines, connestables pour le temps de France,

et li contes de Tankarville, et grant fuison de bonnes

gens d’armes que li rois de France y avoit envoiiés,

pour garder le ville et le passage contre les Englès.

Li rois d’Engleterre avoit bien entendu que la ville

10de Kem estoit durement grosse et riche, et bien

pourvue de bonnes gens d’armes. Si chevauça celle

part tout sagement, et remist ses batailles ensamble,

et se loga celle nuit sus les camps à [deux liewes

priès. Et tousjours le suivoit et costioit sa navire, et

15vint jusques[334]] à deux petites liewes priès de Kem, à

une ville et sus un havene que on appelle Austrehem;

jusques à là, et sus le rivière de Ourne, qui court

parmi Kem, [il fist venir le conte[335]] de Hostidonne,

qui en estoit conduisières et paterons.

20Li connestables de France et li aultre signeur, qui

là estoient assamblé, gettièrent moult souffisamment

le ville de Kem celle nuit, et ne fisent mies trop grant

compte des Englès. L’endemain au matin, li dit signeur,

baron et chevalier qui là estoient, s’armèrent

25et fisent armer leurs gens et tous les bourgois de le

ville, et puis se traisent en conseil ensamble pour savoir

comment il se mainte[n]roient. Si fu adonc li intention

et ordenance dou connestable de France et

[142] 142 dou conte de Tankarville, que nulz ne vuidast le ville,

mais gardaissent les portes et le pont et le rivière, et

laissassent les premiers fausbours as Englès, pour tant

qu’il n’estoient point fremés; car encores seroient il

5bien ensonniiet de garder le corps de le ville, qui n’estoit

fremée fors de le rivière. Chil de le ville respondirent

qu’il ne feroient mies ensi, et qu’il se trairoient

sus les camps et attenderoient la poissance dou roy

d’Engleterre, car il estoient gens et fors assés pour le

10combatre. Quant li connestables oy leur bonne volenté,

si respondi: «Ce soit ou nom de Dieu, et vous

ne vous combaterés point sans mi et sans mes gens.»

Dont se traisent au dehors de le ville, et se misent à

ce commencement assés en bonne ordenance, et

15fisent grant semblant d’yaus bien deffendre et de

mettre leurs vies en aventure.

§ 262. En ce jour se levèrent li Englès moult

matin, et se apparillièrent d’aler celle part. Si oy li

dis rois messe devant soleil levant, et puis monta à

20cheval et li princes ses filz et messires Godefrois de

Harcourt, qui estoit mareschaus et gouvrenères de

l’host, et par quel conseil li rois ouvroit en partie. Si

se traisent tout bellement celle part leurs batailles

rengies, et chevauçoient les banières des mareschaus

25tout devant. Si approcièrent durement le grosse ville

de Kem et ces gens d’armes qui tout s’estoient trait

sus les camps, et par samblant assés en bon couvenant.

Si tretost que chil bourgois de le ville de Kem

veirent approcier ces Englès qui venoient en trois

30batailles drut et sieret, et perchurent ces banières et

ces pennons à grant fuison bauloiier et venteler, et

[143] 143 oïrent ces arciers ruire qu’il n’avoient point acoustumé

de veir ne de sentir, si furent si effraet et si

desconfi d’yaus meismes, que tout cil dou monde ne

les euissent mies retenus qu’il ne se fuissent mis à la

5fuite. Si se retraisent cescuns viers leur ville, sans

arroi, vosist li connestables ou non. Adonc peuist on

veir gens fremir et esbahir, et celle bataille ensi rengie

desconfire à peu de fait, car cescuns se pena de rentrer

en le ville à sauveté. Là eut grant encauch et

10maint homme reversé et jetté par terre. Et cheoient

à mons l’un sus l’autre, tant estoient il fort enhidé. Li

connestables de France et li contes de Tankarville et

aucun chevalier se misent en une porte sus l’entrée

dou pont à sauveté; car bien veirent, puisque leurs

15gens fuioient, que de recouvrier n’i avoit point; car

cil Englès estoient jà entré et avalé entre yaus, et les

occioient sans merci à volenté. Aucun chevalier et

escuier et aultres gens, qui savoient le chemin viers

le chastiel, se traioient celle part. Et tous les recueilloit

20messires Robers de Wargni, car li chastiaus est

durement grans et plentiveus. Chil furent à sauveté

qui là peurent venir. Englès, gens d’armes et arciers,

qui encauçoient les fuians, faisoient grant occision,

car il ne prendoient nullui à merci.

25Dont il avint que li connestables de France et li

contes de Tankarville, qui estoient monté en celle

porte au piet dou pont à sauveté, regardoient au

lonch et amont le rue, et veoient si grant pestilence

et tribulation que grans hideurs estoit à considerer

30et imaginer. Si se doubtèrent d’eulz meismes que il

n’escheissent en ce parti et entre mains d’arciers, qui

point ne les cognuissent. Ensi que il regardoient aval

[144] 144 en grant doubte ces gens tuer, il perçurent un gentil

chevalier englès, qui n’avoit c’un oel, que on clamoit

monsigneur Thumas de Hollandes, et cinq ou six bons

chevaliers avoecques lui: lequel monsigneur Thumas

5ravisèrent bien, car il s’estoient aultre fois veu et

compagniet l’un l’autre à Grenade et en Prusse et en

aultres voiages, ensi que chevalier se truevent. Si

furent tout reconforté quant il le veirent; si l’appellèrent

en passant, et li disent: «Monsigneur Thumas,

10monsigneur Thumas, parlés à nous!» Quant li chevaliers

se oy nommer, il s’arresta tous quois et demanda:

«Qui estes vous, signeur, qui me cognissiés?»

Li dessus dit signeur se nommèrent et disent: «Nous

sommes telz et telz. Venés parler à nous en ceste

15porte, et nous prendés à prisonniers.» Quant li dis

messires Thumas oy ceste parolle, si fu tous joians,

tant pour ce que il les pooit sauver que pour ce qu’il

avoit, en yaus prendre, une belle aventure de bons

prisonniers, pour avoir cent mil moutons. Si se traist

20au plus tost qu’il peut à toute se route celle part, et

descendirent li et seize des siens, et montèrent amont

en le porte; et trouvèrent les dessus dis signeurs et

bien vingt cinq chevaliers avoecques eulz, qui n’estoient

mies bien asseur de l’occision que il veoient

25que on faisoit sus les rues. Et se rendirent [tous[336]]

sans delay, pour yaus sauver, au dit monsigneur

Thumas, qui les prist et fiança prisonniers. Et puis

mist et laissa de ses gens assés pour yaus garder, et

monta à cheval et s’en vint sus les rues. Et destourna

30ce jour à faire mainte cruaulté et pluiseurs horribles

[145] 145 fais qui euissent estet fait, se il ne [fust[337]] alés au devant:

dont il fist aumosne et gentillèce. Avoecques le

dit monsigneur Thumas de Hollandes avoit pluiseurs

gentilz chevaliers d’Engleterre qui gardèrent et esconsèrent

5tamaint meschief à faire, et mainte belle bourgoise

et tamainte dame d’enclostre à violer. Et chei

adonc si bien au roy d’Engleterre et à ses gens que la

rivière qui keurt parmi le ville de Kem, qui porte

grosse navie, estoit si basse et si morte qu’il le passoient

10et rapassoient à leur aise, sans le dangier dou

pont.

Ensi eut et conquist li dis rois le bonne ville de

Kem et en fu sires; mès trop li cousta aussi, au voir

dire, de ses gens. Car chil qui estoient monté en loges

15et en soliers sus ces estroites rues, jettoient pières

et baus et mortiers, et en occirent le premier jour

que mehagnièrent plus de cinq cens: dont li rois

d’Engleterre fu trop durement courouciés au soir,

quant on l’en dist le verité. Et ordonna et commanda

20que, à l’endemain, on parmesist tout à l’espée,

et le ditte ville en feu et en flame. Mès messires

Godefrois de Harcourt ala au devant de ceste ordenance

et dist: «Chiers sires, voelliés affrener un

petit vostre corage, et vous souffise ce que vous en

25avés fait. Vous avez encores à faire un moult grant

voiage, ançois que vous soiiés devant Calais, où vous

tirés à venir. Et si a encores dedens ceste ville grant

fuison de peuple qui se deffenderont en leurs hostelz

et leurs maisons, s’on leur keurt seure. Et vous poroit

[146] 146 trop grandement couster de vos gens, ançois que la

ville fust essillie, par quoi vostres voiages se poroit

desrompre. Et se vous retournés sus l’emprise que

vous avés à faire, il vous tourroit à grant blasme. Si

5espargniés vos gens, et saciés qu’il vous venront très

bien à point dedens un mois. Car il ne poet estre

que vos adversaires li rois Phelippes ne doie chevaucier

contre vous à tout son effort, et combatre à quel

fin que soit. Et trouverés encores des destrois, des

10passages, des assaus et des rencontres pluiseurs, par

quoi les gens que vous avés et plus encores vous feront

bien mestier. Et, sans occire, nous serons bien

signeur et mestre de ceste ville. Et nous metteront

très volentiers hommes et femmes tout le leur en

15abandon.» Li rois d’Engleterre, qui oy et entendi

monsigneur Godefroy parler, cogneut assés qu’il disoit

vérité, et que tout ce li pooit avenir qu’il li moustroit;

si s’en passa atant et dist: «Messire Godefroi,

vous estes nos mareschaus. Ordonnés ent en avant

20ensi que bon vous samble, car dessus vous, tant c’à

ceste fois, ne voel je mettre point de regart.»

Adonc fist li dis messires Godefrois de Harcourt

chevaucier se banière de rue en rue, et commanda de

par le roy que nulz ne fust si hardis, dessus le hart,

25qui boutast feu ne occesist homme ne violast femme.

Quant cil de Kem entendirent ce ban, si furent plus

asseur, et recueillièrent aucuns des Englès dedens

leurs hostelz, sans riens fourfaire. Et li aucun ouvraient

leurs coffres et leurs escrins; et abandonnoient

30tout ce qu’il avoient, mais qu’il fuissent aseur

de leur vie. Nonobstant ce et le ban dou roy et dou

mareschal, si y eut dedens le ville de Kem moult de

[147] 147 villains fais, de mourdres, de pillemens, de roberies,

d’arsins et de larecins, car il ne poet estre que, en

une tèle host que li rois d’Engleterre menoit, qu’il

n’i ait des villains, des garçons et des maufaiteurs

5assés et gens de petite conscience. Ensi furent li

Englès, de le bonne ville de Kem signeur, trois jours.

Et y conquisent et gaegnièrent si fier avoir que merveilles

seroit à penser. En ce sejour il entendirent à

ordonner leurs besongnes, et envoiièrent par barges

10et par batiaus tout leur avoir et leur gaaing, draps,

jeuiaus, vaisselemence d’or et d’argent, et toutes aultres

rikèces dont il avoient grant fuison, sus le rivière,

jusques à Austrehem, à deux liewes ensus de

là, où leur grosse navie estoit. Et eurent avis et conseil,

15par grant deliberation, que leur navie à tout leur

conquès et leurs prisonniers il envoieroient arrière

en Engleterre. Si fu ordonnés li contes de Hostidonne

à estre conduisières et souverains de ceste

navie, à tout deux cens hommes d’armes et quatre

20cens arciers. Et achata li dis rois d’Engleterre le conte

de Ghines, connestable de France, et le conte de

Tankarville, à monsigneur Thumas de Hollandes et

à ses compagnons, et en paia vingt mil nobles tous

appareilliés.

25§ 263. Ensi ordonna li rois d’Engleterre ses besongnes,

estans en le ville de Kem, et renvoia se navie

cargie d’or et d’avoir conquis et de bons prisonniers,

dont il y avoit jà plus de soissante chevaliers, et trois

cens riches bourgois, et avoech ce grant fuison de

30salus et d’amistés à sa femme, la gentilz royne d’Engleterre,

madame Phelippe.

[148] 148 Or lairons nous à parler dou conte de Hostidonne

et de le navie qui s’en reva vers Engleterre, et parlerons

dou dit roy comment il persevera en ce voiage.

Quant il eut sejourné en le ville de Kem, ensi que

5vous avés oy, et que ses gens en eurent fait leurs

volentés, il s’en parti et fist chevaucier ses mareschaus

ensi comme en devant, l’un à l’un des lés et

l’autre à l’autre lés, ardant et essillant le plat pays.

Et prisent le chemin de Evrues, mès point n’i tournèrent,

10car elle est trop forte et trop bien fremée.

Mais il chevaucièrent devers une aultre grosse ville

que on claime Louviers. Louviers adonc estoit une

ville en Normendie où on faisoit le plus grant plenté

de draperie, et estoit grosse et riche et moult marcheande.

15Si entrèrent li Englès dedens et le conquisent

à peu de fait, car elle n’estoit point fremée. Si

fu toute courue, robée, pillie et gastée sans deport.

Et y conquisent li dit Englès très grant avoir. Quant

il en eurent fait leurs volentés, ils passèrent oultre,

20et entrèrent en le conté d’Evrues, et l’ardirent toute,

excepté les forterèces: mais onques n’i assallirent

ville fremée ne chastiel, car li rois voloit espargnier

ses gens et sen artillerie; car il pensoit bien qu’il en

aroit à faire, ensi que messires Godefrois de Harcourt

25li avoit dit et remoustré.

Si se mist li dis rois d’Engleterre et toute son host

sus le rivière de Sainne, en approchant Roem, où il

avoit grant fuison de gens d’armes de Normendie.

Et en estoient chapitainne li contes de Harcourt,

30frères à monsigneur Godefroi, et li contes de Dreus.

Point ne tournèrent li Englès vers Roem, mais il alèrent

à Vrenon, où il y a bon chastiel et fort: si ardirent

[149] 149 le ville; mès au chastiel, ne portèrent il point

de damage. En apriès, il ardirent Vrenuel et tout

le pays d’environ Roem, et le Pont de l’Arce. Et vinrent

ensi à Mantes et à Meulent, et gastèrent le pays

5d’environ. Et passèrent dalés le fort chastiel de Roleboise,

mais point n’i assallirent. Et par tout trouvoient

il sus le rivière de Sainne les pons deffais. Et

tant alèrent qu’il vinrent jusques à Poissi: si trouvèrent

le pont romput et deffait, mais encores estoient

10les estaches et les gistes en le rivière. Si s’arresta là

li rois et y sejourna par cinq jours. Entrues fu li

pons refais bons et fors, pour passer son host aisiement

et sans peril. Si coururent si mareschal jusques

bien priès de Paris, et ardirent Saint Germain en Laie

15et le Monjoie, et Saint Clo et Boulongne dalés Paris,

et le Bourch le Royne. Dont cil de Paris n’estoient

mies bien assegur, car elle n’estoit adonc point fremée.

Si se doubtoient que li Englès ne venissent par

oultrage jusques à là.

20Adonc s’esmeut li rois Phelippes, et fist abatre tous

les apentis de Paris pour chevaucier plus aisiement

parmi Paris, et s’en vint à Saint Denis là où li rois

de Behagne, messires Jehans de Haynau, li dus de

Loeraingne, li contes de Flandres, li contes de Blois

25et très grant baronnie et chevalerie estoient. Quant

les gens de Paris veirent le roy leur signeur partir,

si furent plus effreet que devant, et vinrent à lui en

yaus gettant en genoulz et disant: «Ha! chiers sires

et nobles rois, que volés vous faire? Volés vous

30ensi laissier et guerpir vostre bonne cité de Paris?

lit se sont li ennemi à deux liewes priès: tantost

seront en ceste ville, quant il saront que vous en serés

[150] 150 partis. Et nous n’avons ne n’arons qui nous deffendera

contre eulz. Sire, voelliés demorer et aidier

à garder vostre bonne cité.» Donc respondi li rois

et dist: «Ma bonne gent, ne vous doubtés de riens.

5Jà li Englès ne vous approceront de plus priès. Je

m’en vois jusques à Saint Denis devers mes gens

d’armes, car je voel chevaucier contre les Englès et

les combaterai, comment qu’il soit.» Ensi rapaisa li

rois de France le communalté de Paris, qui estoient

10en grant doubtance que li Englès les venissent assallir

et destruire, ensi qu’il [avoient[338]] fait chiaus de

Kem. Et li rois d’Engleterre se tenoit en l’abbeye de

Poissi les Dames. Et fu là le jour de le Nostre Dame

en mi aoust, et y tint sa solennité, et sist à table, en

15draps fourés d’ermine, de vermeille escarlatte, sans

mances.

§ 264. Ensi que li rois Edouwars d’Engleterre

chevauçoit et qu’il aloit sen host trainant, messires

Godefrois de Harcourt, li uns de ses mareschaus,

20chevauçoit d’autre part d’un costet, et faisoit

l’avant-garde à tout cinq cens hommes d’armes et douze

cens arciers. Si encontra li dis messires Godefrois

d’aventure grant fuison des bourgois d’Amiens, à

cheval et à piet, et en grant arroi et riche, qui s’en

25aloient, au mandement dou roy Phelippe, viers Paris.

Si furent assalli et combatu vistement de lui et de se

route. Et cil se deffendirent assés vassaument, car il

estoient grant plenté et de bonne gent, bien armé et

bien ordonné; et avoient quatre chevaliers dou pays

[151] 151 d’Amienois à chapitainnes. Si dura ceste bataille assés

longement. Et en y eut de premières venues

pluiseurs rués jus, d’un lés et d’autre. Mès finablement

li Englès obtinrent le place, et furent li dit

5bourgois desconfit et priès que tout mort et pris. Et

conquisent li Englès tout leur charoi et leur harnas,

où il avoit grant fuison de bonnes coses, car il

aloient à ce mandement devers le roy moult estoffeement,

pour tant qu’il n’avoient esté, en grant

10temps avoit, hors de leur cité. Si en y eut bien mors

sus le place douze cens. Et retourna li dis messires

Godefrois sus le viespre devers le grosse host dou

roy, et li recorda sen aventure, dont il fu moult liés

quant il entendi que la besongne avoit esté pour ses

15gens.

Si chevauça li rois avant et entra ou pays de Biauvoisis,

ardans et exillans le plat pays, ensi qu’il avoit

fait en Normendie. Et chevauça tant en tèle manière

que il s’en vint logier en une moult belle et riche

20abbeye, que on claime Saint [Lusiien[339]]. Et siet assés

priés de le cité de Biauvais; si y jut li dis rois une

nuit. A l’endemain, sitos qu’il s’en fu partis, il regarda

derrière lui; si vei que li abbeye estoit toute

enflamée. De ce fu il moult courouciés, et s’arresta

25sus les camps, et dist que cil qui avoient fait cel oultrage

[oultre sa deffence, le comparroient[340]] chierement.

Car li rois avoit deffendu sus le hart que nulz

ne violast eglise, ne boutast feu en abbeye, ne en

moustier. Si en fist prendre juques à vingt de chiaus

[152] 152 qui le feu y avoient boutet, et les fist tantost pendre

et sans delay, afin que li aultre y presissent exemple.

§ 265. Apriès chou que li rois d’Engleterre se fu

partis de Saint [Lusiien], il chevauça avant ou pays

5de Biauvoisis, et passa oultre par dalés le cité de

Biauvais, et n’i veult point arester pour assallir ne

assegier, car il ne voloit mies travillier ses gens ne

alewer sen artillerie sans raison; et s’en vint logier

ce jour de haute heure à une ville que on claime

10Milli en Biauvoisis. Li doi mareschal de l’host passèrent

si priès de le cité de Biauvais et des fourbours,

que il ne se peurent tenir que il n’alaissent assallir et

escarmucier à chiaus des barrières; et partirent leurs

gens en trois batailles, et assallirent à trois portes.

15Et dura cilz assaulz jusques à remontière, mès petit

y gaegnièrent, car la cité de Biauvais est forte et bien

fremée, et estoit adonc gardée de bonnes gens et de

bons arbalestriers. Et si y estoit li evesques, dont

la besongne valoit mieus. Quant li Englès perçurent

20qu’il ne pooient riens conquester, il s’en partirent,

mès il ardirent tous les fourbours rés à rés des portes,

et puis vinrent au soir là où li rois estoit logiés.

L’endemain, li rois et toute son host se deslogièrent:

si chevaucièrent parmi le pays, ardant et essillant

25tout derrière yaus; et s’en vinrent logier en un gros

village que on appelle Grantviller.

L’endemain, li rois se desloga et passa par devant

Argies. Si ne trouvèrent li coureur nullui qui [gardast[341]]

le chastiel; si l’assallirent, et le prisent à pau

[153] 153 de fait, et l’ardirent. Et puis passèrent oultre, ardant

et essillant tout le pays d’environ; et vinrent ensi

jusques au chastiel de Pois, là où il trouvèrent bonne

ville et deux chastiaus. Mès nuls des seigneurs n’i

5estoient, ne nulles gardes n’i avoit, fors deux belles

damoiselles, filles au signeur de Pois, qui tantost

euissent esté violées, se n’euissent esté doi gentil

chevalier d’Engleterre qui les en deffendirent et les

menèrent au roy pour elles garder: ce furent messires

10Jehans Chandos et li sires de Basset. Li quelz

rois, pour honneur et gentillèce, leur fist bonne cière

et lie, et les recueilla doucement, et leur demanda où

elles vorroient estre. Elles respondirent: «A Corbie.»

Là les fist li rois mener et conduire sans peril. Si se

15loga [li rois[342]] celle nuit en le ditte ville de Pois, et

ses gens là environ, ensi qu’il peurent.

Celle nuit parlementèrent li bonhomme de Pois et

cil des chastiaus as mareschaus de l’host, à yaus sauver

et non ardoir. Si se rançonnèrent parmi une

20somme de florins qu’il deurent paiier à l’endemain,

mès que li rois fust partis. Quant ce vint à l’endemain

au matin, li rois se desloga et se mist au chemin

à tout son host. Et demorèrent aucun, de par les

mareschaus, pour attendre cel argent que on leur devoit

25delivrer. Quant cil de le ville de Pois furent

assamblet, et il veirent que li rois et toute l’ost s’en

estoient parti, et que li demoret derrière n’estoient

c’un petit de gent, il refusèrent à paiier, et disent

qu’il ne paieroient riens, et leur coururent sus pour

30occire. Chil Englès se misent à deffense, et envoiièrent

[154] 154 apriès l’ost querre secours. Chil qui chevaucièrent

devers l’ost, s’esploitièrent et fisent tant qu’il trouvèrent

l’arrieregarde, dont messires Renaulz de Gobehen

et messires Thumas de Hollandes estoient conduiseur;

5si les retournèrent, et estourmirent durement

l’ost, en escriant: «Trahi! Trahi!» Si retournèrent

vers Pois cil qui les nouvelles entendirent, et trouvèrent

leurs compagnons qui encores se combatoient à

chiaus de le ville. Si furent cil de le ville de Pois

10fierement envay et priès que tout mort, et la ville

arse, et li doi chastiel abatu; et puis retournèrent arrière

devers l’ost le roy qui estoit venus à Arainnes.

Et avoit commandé toutes manières de gens à logier,

et de point passer avant, et deffendu sus le hart que

15nuls ne fourfesist riens à le ville, d’arsin ne d’autre

cose, car il se voloit là tenir un jour ou deux, et

avoir avis et conseil par quel pas il poroit le rivière

de Somme passer mieulz à sen aise. Et bien li besongnoit

qu’il y pensast, si com vous orés recorder

20ensievant.

§ 266. Or voel je retourner au roy Phelippe de

France, qui estoit à Saint Denis, et ses gens là environ.

Et tous les jours li venoient gens de tous lés, et

tant en [avoit[343]] que sans nombre. Si estoit jà li dis

25rois partis de Saint Denis o grant baronnie, en istance

de ce que de trouver le roy d’Engleterre et de combatre

à lui, car moult en avoit grant desir, pour contrevengier

l’arsin de son royaume et le grant destruction

[155] 155 que li Englès y avoient fait. Si chevauça

tant li dis rois de France par ses journées qu’il vint

à Copegni l’Esquissiet, à trois liewes priès de le cité

d’Amiens; et là s’arresta pour attendre ses gens qui

5venoient de toutes pars, et pour aprendre le couvenant

des Englès.

Or parlerons dou roy d’Engleterre qui estoit arestés

à Arainnes, si com vous avés oy, et avoit moult

bien entendu que li rois de France le sievoit o tout

10son effort; et si ne savoit encores là où il poroit passer

le rivière de Somme, qui est grande, large et parfonde.

Et si estoient tout li pont deffait, ou si bien

gardet de bonnes gens d’armes, que li rivière estoit

impossible à passer. Si appella li rois ses deux mareschaus,

15le conte de Warvich et monsigneur Godefroi

de Harcourt, et leur dist que il presissent mil

hommes d’armes et deux mil arciers tous bien montés,

et s’en alaissent tastant et regardant, selonch le

rivière de Somme, se il poroient trouver passage là où

20il peuissent passer sauvement. Si se partirent li doi

mareschal dessus nommet, bien acompagniet de gens

d’armes et d’arciers, et passèrent parmi Loncpret et

vinrent au Pont à Remi; et le trouvèrent bien garni

de grant fuison de chevaliers et d’escuiers et de gens

25dou pays, qui là estoient assamblet, pour le pont garder

et le passage deffendre. Si vinrent là li Englès, et

se misent à piet et en bon couvenant, pour le pont et

le passage calengier, et les François assallir. Et y eut

très grant assaut et très fort, et qui dura dou matin

30jusques à prime. Mès li dis pons et la deffense estoient

si bien batilliet, et furent si bien deffendu, que onques

li Englès n’i peurent riens conquerre; ançois se partirent,

[156] 156 çascuns sans riens faire. Et chevaucièrent d’autre

part, et vinrent jusques à une grosse ville que on

claime Fontainnes sus Somme; si l’ardirent toute et

reubèrent, car elle n’estoit point fremée. Et puis vinrent

5à une aultre ville, que on claime Lonch en Pontieu;

si ne peurent gaegnier le pont, car il estoit

bien garnis et fu bien deffendus. Si s’en partirent et

chevaucièrent devers Pikegni, et trouvèrent le ville,

le pont et le chastiel bien garni; par quoi jamais ne

10l’euissent gaegniet ne pris. Ensi avoit fait li rois de

France pourveir et garder les destrois et les passages

sus le rivière de Somme, afin que li rois d’Engleterre

ne sen host ne peuissent passer, car il les voloit

combatre à sa volenté, ou afamer par delà le rivière

15de Somme.

§ 267. Quant li doi mareschal dou roy d’Engleterre

eurent ensi, un jour entier, tastet et chevauciet

et costiiet le rivière de Somme, et il veirent que de

nul lés il ne trouveroient point de passage, si retournèrent

20arrière à Arainnes, devers le roy leur signeur,

et li recordèrent leur chevaucie et tout ce que trouvet

avoient. Che meismes soir, vint li rois de France

jesir à Amiens à plus de cent mil hommes, et estoit

li pays d’environ tous couvers de gens d’armes.

25Quant li rois Edouwars eut oy le relation de ses deux

mareschaus, si n’en fu mies plus liés ne mains

anoieus. Et commença fort à muser et à merancoliier,

et commanda que l’endemain au plus matin il

fuissent tout, parmi son host, appareilliet, et que on

30sievist les banières des mareschaus, quel part qu’il voloient

aler. Li commandemens dou roy fu fais. Quant

[157] 157 ce vint au matin, [et] li rois eut oy messe devant

soleil levant, si sonnèrent les trompètes de deslogement.

Et se partirent toutes manières de gens, en

siewant les banières des mareschaus, qui chevauçoient

5tout devant, si com ordonné estoit. Et chevaucièrent

tant en cel estat parmi le pays de Vismeu, en approçant

le bonne ville de Abbeville, qu’il vinrent à Oizemont,

où grant plenté des gens dou pays estoient recueilliet

sus le fiance d’un peu de deffense qu’il y

10avoit; et le cuidoient bien tenir et deffendre contre

les Englès, mais il fallirent à leur cuidier, car, en venant,

il furent assalli et envaï si durement qu’il perdirent

le place. Et conquisent li Englès le ville et tout

ce que dedens avoit. Et y eut mors et pris grant fuison

15d’hommes de le ville et dou pays d’environ. Si

se loga li dis rois d’Engleterre ou grant hospital.

Adonc estoit li rois de France à Amiens, et avoit

ses espies et ses coureurs qui couroient sus le pays

et li raportoient le couvenant des Englès. Si entendi

20li dis rois de France, ce soir, par ses coureurs, que li

rois d’Engleterre se deslogeroit le matin, si com il

fist, d’Arainnes, et chevauceroit viers Abbeville; car

si mareschal avoient tastet et chevauciet tout contremont

le rivière de Somme, et n’avoient nulle part

25point [trouvé[344]] de passage. De ces nouvelles fu li rois

de France moult liés, et pensa bien que il encloroit le

roy d’Engleterre entre Abbeville et le rivière de

Somme, et le prenderoit, ou combateroit à se volenté.

Si ordonna tantost li dis rois un grant baron

30de Normendie, qui s’appelloit messire Godemar de

[158] 158 Fay, à aler garder le passage de le Blanke Take, qui

siet desous Abbeville, par où il couvenoit que li Englès

passassent, et non par ailleurs.

Si se parti li dis messires Godemars dou roy, à

5tout mil hommes d’armes et cinq mil de piet, parmi

les Geneuois. Si s’esploita tant qu’il vint à Saint Rikier,

en Pontieu, et de là au Crotoi, où li dis passages

siet. Et encores emmena il, ensi qu’il chevauçoit

celle part, grant fuison des gens dou pays; et

10manda les bourgois de Abbeville qu’il venissent là

avoecques lui, pour aidier à garder le passage. Si y

vinrent moult estoffeement, et en grant arroy. Et

furent audit passage au devant des Englès bien douze

mil hommes, uns c’autres, dont il y avoit bien deux

15mil combatans à tournikiaus.

§ 268. Apriès ceste ordonance, li rois Phelippes,

qui durement desiroit à trouver les Englès et yaus

combatre, se departi d’Amiens o tout son effort, et

chevauça vers Arainnes, et vint là à heure de miedi

20ou environ; et li rois d’Engleterre s’en estoit partis

à petite prime. Et encores trouvèrent li François

grant fuison de pourveances, chars en hastiers, pains

et pastes en fours, vins en tonniaus et en barilz, et

moult de tables mises, que li Englès avoient laissiet,

25car il s’estoient de là parti en grant haste. Si tretos

que li rois de France fu à Arainnes, il eut conseil de

lui logier. Et li dist on: «Sire, logiés vous, et attendés

chi vostre baronnie. Il est vrai que li Englès ne

vous poeent escaper.» Donc se loga li rois en le ville

30meismement; et tout ensi que li signeur venoient,

il se logoient.

[159] 159 Or parlerons dou roy d’Engleterre, qui estoit en

le ville de Oisemont, et savoit bien que li rois de

France le sievoit o tout son effort, et en grant desir

de lui combatre. Si euist volentiers veu li rois d’Engleterre

5que il et ses gens euissent passet le rivière

de Somme. Quant ce vint au soir, et si doi mareschal

furent revenu, qui avoient couru tout le pays

jusques ès portes d’Abbeville, et esté devant Saint

Waleri, et là fait une grande escarmuce, il mist son

10conseil ensamble, et fist venir devant li pluiseurs

prisonniers dou pays de Pontieu et de Vismeu, que ses

gens avoient pris. Et leur demanda li rois moult

courtoisement se il y avoit entre yaus homme nul

qui sewist un passage, qui seoit desous Abbeville, où

15nous porions et nostre host passer sans peril. «Se il

en y a nul qui le nous voelle ensengnier, nous le

quitterons de sa prison, et vingt de ses compagnons,

pour l’amour de lui.»

Là eut un varlet, que on clamoit Gobin Agace,

20qui s’avança de parler, car il cognissoit le passage de

le Blanke Take mieulz que nulz aultres, car il estoit

nés et nouris de là priés, et l’avoit passet et rapasset

en ceste anée par pluiseurs fois. Si dist au roy: «Oil,

en nom Dieu. Je vous prommeth, sus l’abandon de

25ma tieste, que je vous menrai bien à tel pas, où vous

passerés le rivière de Somme, et vostre host, sans

peril. Et y a certainnes mètes de passage, où douze

hommes le passeroient bien de front, deux fois entre

nuit et jour, et n’aroient de l’aigue plus avant que

30jusques as genoulz. Car quant li fluns de le mer est

en venant, il regorge le rivière si contremont que

nuls ne le poroit passer. Mais quant cilz fluns, qui

[160] 160 vient deux fois entre nuit et jour, s’en est tous ralés,

la rivière demeure là endroit si petite que on y passe

bien aise, à piet et à cheval. Ce ne poet on faire

aultre part que là, fors au pont à Abbeville, qui est

5forte ville et grande, et bien garnie de gens d’armes.

Et au dit passage, monsigneur, que je vous nomme,

a gravier de blanke marle, forte et dure, sur quoi on

poet seurement chariier, et pour ce appelle on ce

pas le Blanke Take.»

10Quant li rois d’Engleterre oy les parolles dou varlet,

il n’euist mies estet si liés qui li euist donné vingt

mil escus, et li dist: «Compains, si je trueve en

vrai ce que tu nous dis, je te quitterai ta prison

et tous tes compagnons, pour l’amour de ti, et te ferai

15delivrer cent nobles.» Et Gobins Agace respondi:

«Sire, oil, en peril de ma tieste. Mais ordenés

vous sur ce, pour estre là sur la rive devant

soleil levant.» Dist li rois: «Volentiers.» Puis fist

savoir par tout son host que cescuns fust armés et

20appareilliés au son de le trompète, pour mouvoir et

partir de là pour aler ailleurs.

§ 269. Li rois d’Engleterre ne dormi mies gramment

celle nuit; ains se leva à mienuit, et fist sonner

le trompette, en signe de deslogier. Cescuns fu

25tantost appareilliés, sommier toursés, chars chargiés.

Si se partirent, sour le point dou jour, de le ville de

Oisemont; et chevaucièrent sur le conduit de ce varlet

qui les menoit. Et fisent tant et si bien s’esploitièrent

qu’il vinrent, environ soleil levant, assés

30priès de ce gué que on claime le Blanche Take;

mès li fluns de le mer estoit adonc si plains qu’il ne

[161] 161 peurent passer. Ossi bien couvenoit il au roy attendre

ses gens, qui venoient apriès lui. Si demora là

endroit jusques apriès prime, que li fluns s’en fu tous

ralés.

5Et ançois que li fluns s’en fust tous ralés, vint d’autre

part messires Godemars dou Fay sus le pas de le

Blanke Take, à grant fuison de gens d’armes envoiiés

de par le roy de France, si com vous avés oy

recorder chi dessus. Si avoit li dis messires Godemars,

10en venant à le Blanke Take, rassamblé grant

fuison des gens dou pays, tant qu’il estoient bien

douze mil, uns c’autres, qui tantos se rengièrent sus

le pas de le rivière, pour garder et deffendre le passage.

Mais li rois Edowars d’Engleterre ne laissa mies

15à passer pour ce; ains commanda à ses mareschaus

tantost ferir en l’aigue, et ses arciers traire fortement

as François, qui estoient en l’aigue et sus le rivage.

Lors fisent li doi mareschal d’Engleterre chevaucier

leurs banières, ou nom de Dieu et de saint Gorge,

20et yaus apriès; si se ferirent [en[345]] l’aigue de plains eslais,

li plus bacelereus et li mieulz monté devant. Là

eut en le meisme rivière fait mainte jouste, et maint

homme reversé d’une part et d’aultre. Là commença

uns fors hustins, car messires Godemars et li sien

25deffendoient vassaument le passage. Là y eut aucuns

chevaliers et escuiers françois, d’Artois et de Pikardie

et de le carge monsigneur Godemar, qui pour

leur honneur avancier se feroient ou dit gués, et ne

voloient mies estre trouvé sus les camps, mès avoient

30plus chier à jouster en l’aigue que sus terre. Si y eut,

[162] 162 je vous di, là fait mainte jouste et mainte belle apertise

d’armes.

Et eurent là li Englès, de premiers, un moult dur

rencontre. Car tout cil, qui estoient avoecques monsigneur

5Godemar là envoiiet pour deffendre et garder

le passage, estoient gens d’eslitte; et se tenoient

tout bien rengiet sus le destroit dou passage de le

rivière: dont li Englès estoient dur rencontré, quant

il venoient à l’issue de l’aigue, pour prendre terre.

10Et y avoit Geneuois qui dou tret leur faisoient moult

de maulz. Mais li arcier d’Engleterre traioient si fort

et si ouniement c’à merveilles; et toutdis, entrues

qu’il ensonnioient les François, gens d’armes passoient.

Et sachiés que li Englès se prendoient bien

15priés d’yaus combatre, car il leur estoit dit notorement

que li rois de France les sievoit à plus de cent

mil hommes. Et jà estoient aucun compagnon coureur,

de le partie des François, venu jusques as Englès,

li quel en reportèrent vraies ensengnes au roy

20de France, si com vous orés dire.

§ 270. Sus le pas de le Blanke Take fu la bataille

dure et forte, et assés bien gardée et deffendue des

François. Et mainte belle apertise d’armes y eut ce

jour fait, d’un lés et d’aultre; mès finablement li Englès

25passèrent oultre, à quel meschief que ce fust, et

se traisent, ensi qu’il passoient, tout sus les camps.

Si passa li rois et li princes de Galles ses filz, et tout

li signeur. Depuis ne tinrent li François gaires de

conroy et se partirent, qui partir s’en peut, dou dit

30passage, comme desconfit. Quant messires Godemars

vey le meschief, il se sauva au plus tost qu’il peut,

[163] 163 et ossi fisent tamaint de se route. Et prisent li aucun

le chemin de Abbeville, et li aultre celui de Saint

Rikier. Là eut grant occision et maint homme mort,

car cil qui estoient à piet ne pooient fuir. Si en y

5eut grant plenté de chiaus de Abbeville, de Moustruel,

de Rue et de Saint Rikier, mort et pris; et dura

la cace plus d’une grosse liewe. Encores n’estoient

mies li Englès tout oultre sus le rivage, quant aucun

escuier as signeurs de France, qui enventurer se voloient,

10especialement des chiaus de l’Empire, dou

roy de Behagne et de monsigneur Jehan de Haynau,

vinrent sus yaus, et conquisent sus les darrainniers

aucuns chevaus et harnas, et en tuèrent et blecièrent

pluiseurs sus le rivage, qui mettoient painne à passer,

15afin qu’il fuissent tout oultre.

Les nouvelles vinrent au roy Phelippe de France,

qui chevauçoit fortement celle matinée, et estoit partis

d’Arainnes. Et li fu dit que li Englès avoient passet

le Blanke Take, et desconfit monsigneur Godemar

20dou Fay et se route. De ces nouvelles fu li rois de

France moult courouciés, car il cuidoit bien trouver

les Englès sus le rivage de Somme, et là combatre.

Si s’arresta sus les camps, et demanda à ses mareschaus

qu’il en estoit bon à faire, et qu’il le desissent.

25Il respondirent: «Sire, vous ne poés passer, fors

au pont à Abbeville, car li fluns de le mer est jà tous

revenus.» Donc retourna li rois de France tous courouciés,

et s’en vint ce joedi jesir à Abbeville. Et

toutes ses gens sievirent son train, et vinrent li

30prince et li corps des grans signeurs logier en le ditte

ville, et leurs gens ens ès villiaus d’environ; car tout

n’i peuissent mies estre logiet, tant en y avoit grant

[164] 164 fuison. Or parlerons dou roy d’Engleterre, comment

il persevera, depuis qu’il eut conquis sus monsigneur

Godemar dou Fay le passage de Blanke

Take.

5§ 271. Quant li rois d’Engleterre et ses gens furent

oultre, et qu’il eurent mis en cace leurs ennemis

et delivré le place, il se traisent bellement et ordonneement

ensamble. Et aroutèrent leur charoi et chevaucièrent,

ensi qu’il avoient fait ou pays de Vexin

10et de Vismeu, et en devant jusques à là; et ne s’effreèrent

de riens, puis qu’il sentoient le rivière de

Somme à leur dos. Et regratia et loa Dieu li rois

d’Engleterre ce jour pluiseurs fois, quant si grant

grace li avoit fait que trouvet passage bon et seur,

15et conquis sus ses ennemis, et desconfis par bataille.

Adonc fist là venir li rois d’Engleterre le varlet

avant, qui le passage li avoit ensegniet; se le quitta

de se prison et tous ses compagnons, pour l’amour

de lui, et li fist baillier cent nobles d’or et un bon

20roncin. De cesti ne sçai je plus avant.

Depuis chevaucièrent li rois et ses gens tout souef

et tout joiant; et eurent ce jour empensé de logier

en une bonne et grosse ville que on claime Noielle,

qui priés de là estoit. Mès quant il seurent que elle

25estoit à la contesse d’Aumarle, sereur à monsigneur

Robert d’Artois qui trespassés estoit, il assegurèrent

le ville et le pays appertenans à la dame, pour l’amour

de lui: de quoi elle remercia moult le roy et les mareschaus.

Si alèrent logier plus avant ens ou pays, en

30approçant La Broie; mès si mareschal chevaucièrent

jusques au Crotoi, qui siet sus mer, et prisent le ville

[165] 165 et ardirent toute. Et trouvèrent sus le port grant garnison

de barges, de nefs et de vaissiaus, cargiés de

vins de Poito, qui estoient à marcheans de Saintonge

et de le Rocelle, mais il eurent tantost tout vendu.

5Et en fisent li dit marescal amener et achariier des

milleurs en l’ost dou roy d’Engleterre, qui estoit logiés

à deux petites liewes de là.

L’endemain, bien matin, se deslogea li dis rois

d’Engleterre, et chevauça devers Creci en Pontieu.

10Et si doi mareschal chevaucièrent en deux routes, li

uns à destre, et li aultres à senestre. Et vinrent, li uns

courir jusques as portes d’Abbeville, et puis s’en retourna

vers Saint Rikier, ardant et exillant le pays;

et li aultres, au desous sus le marine; et vint courir

15jusques à le ville de Saint Esperit de Rue. Si chevaucièrent

ensi, ce venredi, jusques à heure de miedi,

que leurs trois batailles se remisent ensamble. Si se

loga li dis rois Edowars, et toute son host, assés près

de Creci en Pontieu.

20§ 272. Bien estoit infourmés li rois d’Engleterre

que ses adversaires, li rois de France, le sievoit à

tout son grant effort, et avoit grant desir de combatre

à lui, si comme il apparoit, car il l’avoit vistement

poursievi jusques bien priès dou passage de le Blanke

25Take, et estoit retournés arrière à Abbeville. Si dist

adonc li rois d’Engleterre à ses gens: «Prendons chi

place de terre, car je n’irai plus avant si arons veus

nos anemis. Et bien y a cause que je les attende, car

je sui sus le droit hiretage de madame ma mère, qui

30li fu donnés en mariage. Si le vorrai deffendre et calengier

contre mon adversaire Phelippe de Vallois.»

[166] 166 Ses gens obeirent tout à se intention, et n’alèrent

adonc plus avant.

Si se loga li rois à plains camps, et toutes ses gens

ossi. Et pour ce que il savoit bien que il n’avoit pas

5tant de gens de le huitime partie que li rois de France

avoit, et si voloit attendre l’aventure et le fortune et

combatre, il avoit mestier que il entendesist à ses besongnes.

Si fist aviser et regarder par ses deux mareschaus,

le conte de Warvic et monsigneur Godefroi

10de Harcourt, et monsigneur Renault de Gobehen

avoech eulz, vaillant chevalier durement, le lieu et

le place de terre où il ordonneroient leurs batailles.

Li dessus dit chevaucièrent autour des camps, et imaginèrent

et considerèrent bien le pays et leur avantage.

15Si fisent le roy traire de celle part et toutes

manières de gens. Et avoient envoiiés leurs coureurs

par devers Abbeville, pour ce que il [savoient[346]] bien

que li rois de France y estoit et passeroit là le Somme,

à savoir se ce venredi il se trairoit point sus les camps,

20et [ystroit[347]] de Abbeville. Il raportèrent qu’il n’en estoit

nul apparant.

Adonc donna li rois congiet à toutes ses gens d’yaus

traire à leurs logeis pour ce jour, et l’endemain, bien

matin, au son des trompètes, estre tout apparilliet,

25ensi que pour tantost combatre, en la ditte place.

Si se retraist cescuns sus ceste ordenance à son logeis;

et entendirent à remettre à point et à refourbir

leurs armeures. Or, parlerons nous un petit dou roy

[167] 167 Phelippe, qui estoit le joedi au soir venus en

Abbeville.

§ 273. Le venredi tout le jour, se tint li rois de

France dedens la bonne ville d’Abbeville, attendans

5ses gens qui toutdis li venoient de tous costés. Et

faisoit ossi passer les aucuns oultre le ditte ville, et

traire as camps, pour estre plus apparilliés à lendemain,

car c’estoit sen entention que de issir hors et

combatre ses ennemis, comment qu’il fust. Et envoia

10li dis rois che venredi ses mareschaus, le signeur de

Saint Venant et monsigneur Charle de Montmorensi,

hors de Abbeville descouvrir sus le pays, pour aprendre

et savoir le vérité des Englès. Si raportèrent li

dessus dit au roy, à heure de viespres, que li Englès

15estoient logiet sus les camps, assés priès de Creci en

Pontieu, et moustroient, selonch leur ordenance et

leur couvenant, qu’il attenderoient là leurs ennemis.

De ce raport fu li rois de France moult liés et dist,

se il plaisoit à Dieu, que l’endemain il seroient combatu.

20Si pria li dis rois au souper, ce venredi, dalés

lui tous les haus princes, qui adonc estoient dalés lui

dedens Abbeville, le roy de Behagne premierement,

le conte d’Alençon son frère, le conte de Blois son

neveu, le conte de Flandres, le duch de Loeraingne,

25le conte d’Auçoirre, le conte de Sanssoire, le conte

de Harcourt, monsigneur Jehan de Haynau, et fuison

d’autres. Et fu ce soir en grant recreation et en grant

parlement d’armes. Et pria apriès souper à tous les

signeurs que il fuissent li uns à l’autre amit et courtois,

30sans envie, sans hayne et sans orgueil; et cescuns

li eut en couvent. Encores attendoit li dis rois

[168] 168 le conte de Savoie et monsigneur Loeis de Savoie

son frère, qui devoient venir à bien mil lances de

Savoiiens et de le Dauffinet, car ensi estoient il mandet

et retenu et paiiet de leurs gages, à Troies en

5Campagne, pour trois mois. Or retourrons nous au

roy d’Engleterre, et vous compterons une partie de

son convenant.

§ 274. Ce venredi, si com je vous ay dit, se loga

li dis rois d’Engleterre à plains camps o toute son

10host. Et se aisièrent de ce qu’il eurent: il avoient

bien de quoi, car il trouvèrent le pays gras et plentiveus

de tous vivres, de vins et de viandes. Et ossi

pour les fautes qui pooient venir, grans pourveances

à charoi les sievoient. Si donna li dis rois à souper

15les contes et les barons de son host, et leur fist moult

grant cière; et puis leur donna congiet d’aler reposer,

si com il fisent.

Ceste meisme nuit, si com je l’ay depuis oy recorder,

quant toutes ses gens se furent partis de lui,

20et qu’il fu demorés dalés les chevaliers de son corps

et de sa cambre, il entra en son oratore. Et fu là en

geroulz et en orisons devant son autel, en priant

devotement à Dieu que il le laiast à l’endemain, se

il se combatoit, issir de le besongne à son honneur.

25Apriès ces orisons, environ mienuit, il ala coucier;

et se leva l’endemain assés matin par raison, et oy

messe, et li princes de Galles ses filz; et se acumeniièrent,

et en tel manière la plus grant partie de ses

sens: si se confessèrent et misent en bon estat.

30Apriès les messes, li rois commanda à toutes ses

gens armer, et issir hors de leurs logeis, et à traire

[169] 169 sus les camps en le propre place que il avoient le

jour devant aviset. Et fist faire li dis rois un grant

parch [près[348]] d’un bois, derrière son host, et là mettre

et retraire tous chars et charettes; et fist entrer

5dedens ce parch tous les chevaus, et demora cescuns

homs d’armes et arciers à piet; et n’i avoit en ce dit

parch que une seule entrée. En apriès, il fist faire et

ordonner par son connestable et ses mareschaus jusques

à trois batailles. Si fu mis et ordonnés en le première

10ses jones filz li princes de Galles. Et dalés le

dit prince furent esleu pour demorer, [li contes de

Warvich,[349]] li contes de Kenfort, messires Godefrois

de Harcourt, messires Renaulz de Gobehen, messires

Thumas de Hollandes, messires Richars de Stanfort,

15li sires de Manne, li sires de le Ware, messires

Jehans Chandos, messires Bietremieus de Broues,

messires Robers de Nuefville, messires Thumas Cliffors,

li sires de Boursier, li sires Latimiers, et pluiseur

aultre bon chevalier et escuier, les quelz je ne

20puis mies tous nommer. Si pooient estre en le bataille

dou prince environ huit cens hommes d’armes

et deux mil arciers et mil brigans, parmi les Galois.

Si se traist moult ordonneement ceste bataille sus les

camps, cescuns sires desous se banière ou son pennon

25et entre ses gens. En le seconde bataille furent li

contes de Norhantonne, li contes d’Arondiel, li sires

de Ros, li sires de Luzi, li sires de Willebi, li sires

de Basset, li sires [de[350]] Saint Aubin, messires Loeis

Tueton, li sires de Multonne, li sires Alassellé[e] et

[170] 170 pluiseur aultre. Et estoient en ceste bataille environ

cinq cens hommes d’armes et douze cens arciers. La

tierce bataille eut li rois pour son corps et grant

fuison, selonch l’aisement où il estoit, de bons chevaliers

5et escuiers. Si pooient estre en se route et arroy

environ sept cens hommes d’armes et deux mil arciers.

Quant ces trois batailles furent ordonnées et que

cescuns sires, barons, contes et chevaliers, sceurent

10quel cose il devoient faire et retraire, li dis rois

d’Engleterre monta sus un petit palefroi blanch, un blanc

baston en sa main, adestrés de ses deux mareschaus;

et puis ala tout le pas, de rench en rench, en amonnestant

et priant les contes, les barons et les chevaliers,

15que il volsissent entendre et penser pour se

honneur garder, et à deffendre son droit. Et leur disoit

ces langages en riant, si doucement et de si lie

cière, que, qui fust tous desconfortés, se se peuist il

reconforter, en lui oant et regardant. Et quant il ot

20ensi viseté toutes ses batailles et ses gens, et amonnestés

et priiés de bien faire le besongne, il fu heure

de haute tierce. Si se retraist en sa bataille, et ordonna

que toutes ses gens mengassent à leur aise et

buissent un cop. Ensi fu fait comme il l’ordonna. Et

25mengièrent et burent tout à loisir, et puis retoursèrent

pos, barilz et pourveances sus leurs chars, et

revinrent en leurs batailles, ensi que ordonné estoient

par les mareschaus. Et se assisent tout à terre,

leurs bacinés et leurs ars devant yaus, en yaus reposant,

30pour estre plus fresch et plus nouvel, quant leur

ennemi venroient. Car tèle estoit li intension dou

roy d’Engleterre que là il attenderoit son aversaire le

[171] 171 roy de France, et se combateroit à lui et à sa

poissance.

§ 275. Ce samedi au matin se leva li rois de

France assés matin et oy messe en son hostel, dedens

5Abbeville, en l’abbeye Saint Pière où il estoit logiés.

Et ossi fisent tout li signeur: li rois de Behagne, li

contes d’Alençon, li contes de Blois, li contes de

Flandres, li dus de Loeraingne et tout li chief des

grans signeurs qui dedens Abbeville estoient arresté.

10Et saciés que le dit venredi il ne logièrent mies tout

dedens Abbeville, car il ne peuissent, mès ens ès

villiaus d’environ. Et grant fuison en y eut à Saint

Rikier, qui est une bonne ville fremée. Apriès soleil

levant, ce samedi, se departi li rois de France d’Abbeville

15et issi des portes; et y avoit si grant fuison

de gens que merveilles seroit à penser. Si chevauça

li dis rois tout souef pour sourattendre ses gens, le

roy de Behagne et monsigneur Jehan de Haynau en

se compagnie.

20Quant li rois de France et se grosse route furent

eslongiet le ville de Abbeville, environ deux liewes,

en approçant les ennemis, se li fu dit: «Sire, ce seroit

bon que vous feissiés entendre à ordonner vos

batailles, et feissiés toutes manières de gens de piet

25passer devant, par quoi il ne soient point foulé de

chiaus à cheval, et que vous envoiiés trois ou quatre

de vos chevaliers devant chevaucier, pour aviser vos

ennemis, ne en quel estat il sont.» Ces parolles plaisirent

bien au dit roy, et y envoia quatre moult vaillans

30chevaliers, le Monne de Basèle, le signeur de

Noiiers, le signeur de Biaugeu et le signeur d’Aubegni.

[172] 172 Cil quatre chevalier chevaucièrent si avant que

il approcièrent de moult priés les Englès, et que il

peurent bien aviser et imaginer une grant partie de

leur afaire. Et bien les veirent li Englès que il estoient

5là venu pour yaus veoir; mais il n’en fisent

nul samblant, et les laissièrent tout en pais bellement

retraire.

Or retournèrent cil quatre chevalier arrière devers

le roy de France et les signeurs de son conseil, qui

10chevauçoient le petit pas, en yaus sourattendant. Si

se arrestèrent sus les camps, si tost que il les veirent

venir. Li dessus dit rompirent le presse, et vinrent

jusques au roy. Adonc leur demanda li rois tout en

hault: «Signeur, quèles de vos nouvelles?» Il regardèrent

15tout l’un l’autre, sans mot sonner, car nulz

ne voloit parler devant son compagnon. Et disoient

li un à l’autre: «Sire, dittes, parlés au roy, je n’en

parlerai point devant vous.» Là furent il en estri

une espasse que nulz ne s’en voloit, par honneur,

20point avancier de parler. Finablement de le bouce

dou roy issi li ordenance que il commanda au

Monne de Basèle, que on tenoit à ce jour pour l’un

des plus chevalereus et vaillans chevaliers dou monde,

et qui plus avoit travilliet de son corps, que il

25en desist sen entente. Et estoit cilz chevaliers au

roy de Behagne monsigneur Charle, et s’en tenoit

pour bien parés, quant il l’avoit dalés lui.

§ 276. «Sire, ce dist li Monnes de Basèle, je

parlerai, puis que il vous plaist, par le correction de

30mes compagnons. Nous avons chevaucié si avant que

nous avons veu et considéré le couvenant des ennemis.

[173] 173 Saciés que il se sont mis et arresté en trois batailles

bien et faiticement; et ne font nul samblant

que il doient fuir, mès vous attenderont, à ce qu’il

moustrent. Si conseille de ma partie, salve tout dis

5le milleur conseil, que vous faites toutes vos gens ci

arrester sus les camps et logier pour celle journée.

Car ançois que li darrainnier puissent venir jusques

à yaus, et que vos batailles soient ordonnées, il sera

tart. Si seront vos gens lassé et travillié et sans arroy.

10Et vous trouverés vos ennemis frès et nouviaus,

et tous pourveus de savoir quel cose il doient faire.

Si porés de matin vos batailles ordonner plus meurement

et mieulz, et par plus grant loisir aviser vos

ennemis par quel lieu on les pora combatre, car

15soiiés tous seurs que il vous attenderont.»

Chilz consaulz et avis plaisi grandement bien au

roy de France, et commanda que ensi fust fait que

li dis Monnes avoit parlé. Si chevaucièrent si doy

mareschal, li uns devant et li aultres derrière, en disant

20et commandant as banerès: «Arrestés, banières,

de par le roy, ou nom de Dieu et de monsigneur

saint Denis!» Cil qui estoient premier, à ceste ordenance

s’arrestèrent, et li darrainier point, mès chevauçoient

tout dis avant. Et disoient que il ne s’arresteroient

25point jusques adonc que il seroient ossi

avant que li premier estoient. Et quant li premier

veoient que il les approçoient, il chevauçoient avant.

Ensi et par grant orgueil fu demenée ceste cose, car

cescuns voloit fourpasser son compagnon. Et ne peut

30estre creue ne oye li parole dou vaillant chevalier,

dont il leur en meschei si grandement, com vous orés

recorder assés briefment. Ne ossi li rois ne si mareschal

[174] 174 ne peurent adonc estre mestre de leurs gens;

car il y avoit si grant nombre de grans signeurs, que

cescuns par envie voloit là moustrer sa poissance. Si

chevaucièrent en cel estat, sans arroy et sans ordenance,

5si avant que il approcièrent les ennemis, et

que il les veirent en leur presence.

Or fu moult grans blasmes pour les premiers, et

mieulz leur vaulsist estre arresté à l’ordenance dou

vaillant chevalier, que ce qu’il fisent. Car sitretos

10qu’il veirent leurs ennemis, il reculèrent tout à un

fais si desordeneement que cil qui derrière estoient

s’en esbahirent, et cuidièrent que li premier se combatissent

et qu’il fuissent jà desconfi. Et eurent adonc

bien espace d’aler avant, se il veurent: de quoi aucun

15y alèrent, et li pluiseur se tinrent tout quoy.

Là y avoit sus les camps si grant peuple de communauté

que sans nombre. Et estoient li chemin tout

couvert de gens, entre Abbeville et Creci. Et quant

il deurent approcier les ennemis, à trois liewes près,

20il sachièrent leurs espées et escriièrent: «A le mort!

A le mort!» et si ne veoient nullui.

§ 277. Il n’est nulz homs, tant fust presens à

celle journée ne euist bon loisir d’aviser et ymaginer

toute la besongne ensi que elle ala, qui en seuist ne

25peuist imaginer le verité, especialment de le partie

des François, tant y eut povre arroy et ordenance en

leurs conrois. Et ce que j’en sçai, je le seuch le plus

par les Englès qui imaginèrent bien leur couvenant,

et ossi par les gens monsigneur Jehan de Haynau qui

30fu toutdis dalés le roy de France. Li Englès, qui ordonné

estoient en trois batailles, et qui seoient jus à

[175] 175 terre tout bellement, si tos que il veirent les François

approcier, il se levèrent moult ordonneement, sans

nul effroy, et se rengièrent en leurs batailles, ceste

dou prince tout devant, mis leurs arciers à manière

5d’une herce, et les gens d’armes ou fons de leur bataille.

Li contes de Norhantonne et li contes d’Arondiel

et leur bataille, qui faisoient le seconde, se

tenoient sus èle bien ordonneement, et avisé et pourveu

pour conforter le prince, se il besongnoit. Vous

10devés savoir que cil seigneur, roy, duc, conte et baron

françois ne vinrent [mie jusques à là tous ensamble,

mais l’un devant et l’autre derrière, sans

arroy et ordonnance[351].

§ 278. Quant li rois Phelippes vint jusques sus

15la place où li Englès estoient priès de là arresté et

ordonné, et il les vei, se li mua li sans, car trop les

haioit. Et ne se fust à ce donc nullement refrenés ne

astrains d’yaus combatre, et dist à ses mareschaus:

«Faites passer nos Geneuois devant et commencier

20le bataille, ou nom de Dieu et de monsigneur

saint Denis!» Là avoit de ces dis Geneuois arbalestriers

environ quinze mil, qui euissent ossi chier

nient que commencier adonc le bataille, car il estoient

durement lassé et travillié d’aler à piet plus de six

25liewes tout armé, et de porter leurs arbalestres. Et

disent adonc à leurs connestables que il n’estoient mies

adonc ordonné pour nul grant esploit de bataille.

Ces parolles volèrent jusques au conte d’Alençon, qui

en fu durement courouciés, et dist: «On se doit

[176] 176 bien cargier de tel ribaudaille qui fallent au plus

grant besoing!»

Entrues que ces parolles couroient, et que cil

Geneuois se recueilloient et se detrioient, descendi

5une plueve dou ciel, si grosse et si espesse que merveilles,

et uns tonnoires et uns esclistres moult grans

et moult horribles. En devant cette plueve, par dessus

les batailles, otant d’un lés comme de l’autre, avoient

volé si grant fuison de corbaus que sans nombre, et

10demené le plus grant tempès dou monde. Là disoient

li aucun sage chevalier que c’estoit uns signes de

grant bataille et de grant effusion de sanch. Apriès

toutes ces coses, li airs se commença à esclarcir, et

li solaus à luire biaus et clers: si l’avoient li François

15droit en l’oel, et li Englès par derrière.

Quant li Geneuois furent tout recueilliet et mis

ensamble, et il deurent approcier leurs ennemis, il

commencièrent à juper si très hault que ce fu merveilles;

et le fisent pour esbahir les Englès, mès li

20Englès se tinrent tout quoi et ne fisent nul samblant.

Secondement encores jupèrent ensi et puis alèrent un

petit avant, et li Englès [restoient] tout quoi sans yaus

mouvoir de leur pas. Tiercement encores juppèrent il

moult hault et moult cler, et passèrent avant, et tendirent

25leurs arbalestres, et commencièrent à traire. Et cil

arcier d’Engleterre, quant il veirent ceste ordenance,

passèrent un pas avant, et puis fisent voler ces saiettes

de grant façon, qui entrèrent et descendirent si ouniement

sus ces Geneuois que ce sambloit nège. Li

30Geneuois, qui n’avoient point apris à trouver telz

arciers que cil d’Engleterre, quant il sentirent ces

saiettes qui leur perçoient bras, tiestes et baulèvres,

[177] 177 furent tantos desconfi. Et copèrent li pluiseur d’yaus

les cordes de leurs ars, et li aucun les jettoient jus;

si se misent ensi au retour.

Entre yaus et les Englès avoit une grande haie de

5gens d’armes, montés et parés moult richement, qui

regardoient le couvenant des Geneuois et comment

il assambloient: si ques, quant il cuidièrent retourner,

il ne peurent. Car, li rois de France, par grant

mautalent, quant il vei leur povre arroy, et que il

10se desconfisoient, ensi commanda et dist: «Or tos,

or tos tués toute ceste ribaudaille: il nous ensonnient

et tiennent le voie sans raison.» Là veissiés

gens d’armes entoueilliés entre yaus ferir et fraper

sus yaus, et les pluiseurs trebuchier et cheir parmi

15yaus, qui onques puis ne relevèrent. Et toutdis traioient

li Englès efforciement en le plus grant presse, qui

riens ne perdoient de leur tret, car il empalloient et

feroient parmi le corps ou parmi membres chevaus

et gens d’armes qui là cheoient et trebuchoient en

20grant meschief; et ne pooient estre relevé, se ce n’estoit

à force et par grant ayde de gens. Ensi se commença

li bataille entre la Broie et Creci en Pontieu,

ce samedi, à heure de vespres.

§ 279. Li vaillans et gentilz rois de Behagne,

25qui s’appelloit messires Charles de Lussembourch, car

il fu filz à l’empereour Henri de Lussembourch, entendi

par ses gens que la bataille estoit commencie; car

quoique il fust là armés et en grant arroy, il ne veoit,

goutes et estoit aveules: si demanda as chevaliers,

30qui dalés lui estoient, comment li ordenance de leurs

gens se portoit. Chil l’en recordèrent le verité, et

[178] 178 li disent: «Ensi et ensi est. Tout premiers li Geneuois

sont desconfi, et a commandé li rois de France à

yaus tous tuer. Et toutes fois entre nos gens et eulz

a si grant tueil que merveilles, car il cheent et

5trebuchent l’un sus l’autre, et nos empeecent trop

grandement.»—«Ha! respondi li rois de Behagne,

c’est uns povres commencemens pour nous.» Lors

demanda il apriès le roy d’Alemagne son fil, et dist:

«Où est messires Charles mes filz?» Chil respondirent

10qui l’entendirent: «Monsigneur, nous ne

savons. Nous creons bien qu’il soit d’autre part et

qu’il se combate.»

Adonc dist li vaillans rois à ses gens une grant

vaillandise: «Signeur, vous estes mi homme et mi

15ami et mi compagnon. A le journée d’ui, je vous pri

et requier très especialment que vous me menés si

avant que je puisse ferir un cop d’espée.» Et cil qui

dalés lui estoient, et qui se honneur et leur avancement

amoient, li acordèrent. Là estoit li Monnes de Basèle

20à son frain, qui envis l’euist laissiet; et ossi eussent

pluiseur bon chevalier de le conté de Lussembourc, qui

estoient tout dalés lui: si ques, pour yaus acquitter,

et que il ne le perdesissent en le presse, il s’alloièrent

par les frains de leurs chevaus tous ensamble; et

25misent le roy leur signeur tout devant, pour mieulz

acomplir son desirier. Et ensi s’en alèrent il sus leurs

ennemis. Bien est verités que de si grant gent

d’armes et de si noble chevalerie et tel fuison que li

rois de France avoit là, il issirent trop peu de grans

30fais d’armes, car li bataille commença tart, et si

estoient li François fort lassé et travillié, ensi qu’il

venoient. Toutes fois, li vaillant homme et li bon

[179] 179 chevalier, pour leur honneur, chevauçoient toutdis

avant, et avoient plus chier à morir, que fuite villainne

leur fust reprocie. Là estoient li contes d’Alençon, li

contes de Blois, li contes de Flandres, li dus de Lorraigne,

5li contes de Harcourt, li contes de Saint Pol,

li contes de Namur, li contes d’Auçoirre, li contes

d’Aubmale, li contes de Sanssoire, li contes de Salebruce,

et tant de contes, de barons et de chevaliers

que sans nombre. Là estoit messires Charles de

10Behagne, qui s’appeloit et escrisoit jà rois d’Alemagne

et en portoit les armes, qui vint moult ordonneement

jusques à le bataille. Mais quant il vei que la

cause aloit mal pour yaus, il s’en parti: je ne sçai

pas quel chemin il prist.

15Ce ne fist mies li bons rois ses pères, car il ala si

avant sus ses ennemis que il feri un cop d’espée,

voire trois, voire quatre, et se combati moult vaillamment.

Et ossi fisent tout cil qui avoecques lui

acompagniet estoient; et si bien le servirent, et si

20avant se boutèrent sus les Englès, que tout y demorèrent.

Ne onques nulz ne s’en parti, et furent trouvé

à l’endemain, sus le place, autour dou roy leur

signeur, et leurs chevaus tous alloiiés ensamble.

§ 280. Vous devez [sçavoir[352]] que li rois de France

25avoit grant angousse au coer, quant il veoit ses gens

ensi desconfire et fondre l’un sus l’autre, d’une puignie

de gens que li Englès estoient. Si en demanda

conseil à monsigneur Jehan de Haynau qui dalés lui

estoit. Li dis messires Jehan li respondi et dist:

[180] 180 «Certes, sire, je ne vous saroie consillier. Le milleur

pour vous, ce seroit que vous vos retraissiés et

mesissiés à sauveté, car je n’i voi point de recouvrier.

Il sera tantost tart: si poriés ossi bien chevaucier

5sus vos [ennemis[353]] et estre perdus, que entre

vos [amis[354]].»

Li rois, qui tous fremissoit d’aïr et de mautalent,

ne respondi point adonc, mès chevauça un petit

plus avant; et li sambla que il se voloit radrecier

10devers le conte d’Alençon son frère, dont il veoit les

banières sus une petite montagne. Li quelz contes

d’Alençon descendi moult ordonneement sus les

Englès, et les vint combatre; et li contes de Flandres,

d’autre part. Si vous di que cil doi signeur et leurs

15routes, en costiant les arciers, s’en vinrent jusques à

le bataille dou prince, et là se combatirent moult

longement et moult vaillamment. Et volentiers y

fust venus li rois Phelippes, se il peuist; mais il y

avoit une si grande haie d’arciers et de gens d’armes

20au devant que jamès ne fust passés, car com plus

venoit, plus esclarcissoit ses conrois.

Che jour, au matin, avoit li rois Phelippes donné

à monsigneur Jehan de Haynau un noir coursier,

durement [grant[355]] et biel. Li dis messires Jehans

25l’avoit bailliet à un sien chevalier, monsigneur Thieri

de Senselles, qui portoit sus se banière. Dont il avint

que li chevaliers, sus ce coursier, le banière monsigneur

Jehan de Haynau dalés lui, tresperça tous les

[181] 181 conrois des Englès. Et quant il fu hors et oultre au

prendre son retour, il trebucha parmi un fosset, car

il estoit bleciés dou tret des arciers, et là chey. Et y

euist esté mors et sans remède, mès ses pages, sus

5son coursier, autour des batailles, l’avoit poursievi,

et le trouva si à point qu’il gisoit là et ne se pooit

ravoir. Il n’avoit aultre empeecement que dou cheval,

car li Englès n’issoient point hors de leurs batailles,

pour nullui prendre ne grever. Lors descendi li

10pages, et fist tant que ses mestres fu relevés et

remontés: ce biel service li fist il. Et saciés que

li sires de Senselles ne revint mies arrière par le

chemin qu’il avoit fait; ossi, au voir dire, il ne

peuist.

15§ 281. Ceste bataille, ce samedi, entre la Broie et

Creci, fu moult felenesse et très horrible. Et y avinrent

pluiseur grant fait d’armes qui ne vinrent mies

tout à cognissance; car, quant la bataille commença,

il estoit jà moult tart: ce greva plus les François

20c’autre cose. Car pluiseurs gens d’armes, chevaliers et

escuiers, sus le nuit, perdoient leurs signeurs et leurs

mestres. Si waucroient par les camps, et s’embatoient

souvent à petite ordenance entre les Englès où tantost

il estoient envay et occis. Ne nulz n’estoit pris

25à raençon ne à merci, car entre yaux il l’avoient ensi

au matin ordonné, pour le grant nombre de peuple

dont il estoient enfourmé qui les sievoit.

Li contes Loeis de Blois, neveus dou roy Phelippe

et dou conte d’Alençon, s’en vint avoech ses gens et

30desous se banière combatre as Englès, et là se porta

moult vaillamment, et ossi fist li dus de Loeraingne.

[182] 182 Et dient li pluiseur que, se la bataille fust ossi bien

commencie dou matin que elle fist sus le vespre, il y

euist eu entre les François pluiseurs grans recouvrances

et grans apertises d’armes qui point n’i furent.

5Si y eut aucuns signeurs, chevaliers et escuiers

françois et de leur costé, tant alemans que savoiiens,

qui par force d’armes rompirent les arciers de le bataille

dou Prince et vinrent jusques as gens d’armes

combatre as espées, main à main, moult vaillamment.

10Et là eut fait pluiseurs apertises d’armes.

Et y furent, dou costet des Englès, très bon chevalier

messires Renaulz de Gobehem et messires Jehans

Chandos. Et ossi furent pluiseur aultre, les quelz je

ne puis mies tous nommer, car là dalés le Prince estoit

15toute la fleur de chevalerie d’Engleterre. Et adonc

li contes de Norhantonne et li contes d’Arondiel, qui

gouvrenoient le seconde bataille, et qui se tenoient

sus èle, vinrent rafreschir la bataille dou dit Prince;

et bien besongnoit, car aultrement elle euist eu à

20faire. Et pour le peril ou cil qui gouvrenoient et servoient

le Prince, se veoient, il envoiièrent un chevalier

de leurs conrois devers le roy, qui se tenoit plus

amont, sus le mote d’un moulin à vent, en cause

que d’avoir aye. Si dist li chevaliers, quant il fu venus

25au roy: «Monsigneur, li contes de Warvich, li

contes de Kenfort et messires Renaulz de Gobehem,

qui sont dalés le Prince vostre fil, ont grandement à

faire, et les combatent li François aigrement. Pour

quoi il vous prient que vous et vostre bataille les

30venés conforter et aidier à oster de ce peril; car, se

cilz effors monteplie longement et s’efforce ensi, il

se doubtent que vostres filz n’ait à faire.»

[183] 183 Lors respondi li rois et demanda au chevalier, qui

s’appelloit messires Thumas de Nordvich: «Messires

Thumas, mes filz est il ne mors ne atierés, ou si bleciés

qu’il ne se puist aidier?» Cilz respondi: «Nennil,

5monsigneur, se Dieu plaist, mais il est en dur

parti d’armes: si aroit bien mestier de vostre ayde.»

—«Messire Thumas, dist li rois, or retournés devers

lui et devers chiaus qui ci vous envoient; et

leur dittes de par moy qu’il ne m’envoient meshui

10requerre pour aventure qui leur aviegne, tant que

mes filz soit en vie. Et dittes leur que je leur mande

que il laissent à l’enfant gaegnier ses esporons; car

je voel, se Diex l’a ordonné, que la journée soit

sienne, et que li honneur l’en demeure et à chiaus

15en qui carge je l’ai bailliet.»

Sus ces parolles, retourna li chevaliers arrière, et

recorda à ses mestres tout ce que vous avés oy: laquèle

response les encoraga grandement, et se reprisent

en yaus meismes de ce que là avoient envoiiet.

20Si furent milleur chevalier que devant, et y fisent

pluiseurs apertises d’armes, ensi que il apparu, car

la place leur demora à leur honneur.

§ 282. On doit bien croire et supposer que là

où il avoit tant de vaillans hommes, et si grant multitude

25de peuple, et où tant et tel fuison de le partie

des François en demorèrent sus le place, que il y ot

fait ce soir pluiseurs grans apertises d’armes, qui ne

vinrent mies tout à cognissance. Il est bien voirs que

messires Godefrois de Harcourt, qui estoit dalés le

30Prince et en se bataille, euist volentiers mis painne

et entendu à ce que li contes de Harcourt fust sauvés,

[184] 184 car jà avoit il oy recorder aucuns Englès que on

avoit veu sa banière, et qu’il estoit avoech ses gens

venus combatre as Englès; mès li dis messires Godefrois

n’i peut venir à temps. Et fu là mors li contes sus

5le place, et ossi fu li contes d’Aubmale ses neveus.

D’autre part, li contes d’Alençon et li contes de

Flandres, qui se combatoient moult vaillamment as

Englès, cescuns desous sa banière et entre ses gens,

ne peurent resister à le poissance des Englès; et furent

10là occis sus le place, et grant fuison de bons

chevaliers et escuiers dalés yaus, dont il estoient

servi et acompagniet.

Li contes Loeis de Blois et li dus de Loeraingne

ses serourges, avoecques leurs gens et leurs banières,

15se combatoient d’autre part moult vaillamment; et

estoient enclos d’une route d’Englès et de Gallois

qui nullui ne prendoient à merci. Là fisent il de

leurs corps pluiseurs grans apertises d’armes, car il

estoient moult vaillant chevalier et bien combatant.

20Mès toutes fois leur proèce ne valli riens, car li dessus

dit demorèrent sus le place, et tout cil qui dalés

yaus estoient. Ossi fist li contes d’Auçoirre, qui estoit

moult vaillans chevaliers, et li contes de Saint

Pol, et tant d’autres que merveilles seroit à recorder.

25§ 283. Sus le vespre tout tart, ensi c’à jour fallant,

se parti li rois Phelippes tous desconfortés, il y

avoit bien raison, lui cinquime de barons tant seulement:

c’estoit messires Jehans de Haynau li premiers

et li plus proçains de lui, li sires de Montmorensi,

30li sires de Biaugeu, li sires d’Aubegni et li sires

de Montsaut. Si chevauça li dis rois, tout lamentant

[185] 185 et complaindant ses gens, jusques au chastiel de la

Broie. Quant il vint à le porte, il le trouva fremée

et le pont levet, car il estoit toute nuis, et faisoit

moult brun et moult espès. Adonc fist li rois appeller

5apriès le chastellain, car il voloit entrer dedens: si

fu appellés, et vint avant sus les garites, et demanda

tout en hault qui c’estoit qui buschoit à ceste heure.

Li rois Phelippes, qui entendi le vois, respondi et

dist: «Ouvrés, ouvrés, chastellain, c’est li infortunés

10rois de France.» Li chastelains salli tantost

avant, qui recogneut la parolle dou roy, et qui bien

savoit jà que li leur estoient desconfit, par aucuns

fuians qui estoient passet desous le chastiel; si

abaissa le pont et ouvri le porte. Lors entra li rois

15dedens et toute se route, qui n’estoit mies trop grande.

Si furent là jusques à mienuit. Et n’eut mies

li rois conseil que il y demorast ne s’ensierast là dedens:

si but un cop, et ossi fisent cil qui avoech lui

estoient. Et puis s’en partirent et issirent dou chastiel,

20et montèrent as chevaus, et prisent gides pour

yaus mener, qui cognissoient le pays. Si entrèrent

ou chemin environ mienuit, et chevaucièrent tant

que au point dou jour il entrèrent en le [bonne[356]] cité

d’Amiens. Là s’arresta li rois et se loga dedens une

25abbeye, et dist qu’il n’iroit plus avant si saroit le verité

de ses gens, liquel y estoient demoret et liquel

estoient escapet. Or revenons à le desconfiture de

Creci et à l’ordenance des Englès, et comment, ce

samedi que la bataille fu et le dimence au matin, il

30perseverèrent.

[186] 186 § 284. Vous devés savoir que la desconfiture et la

perte pour les François fu moult grande et moult

horrible, et que trop y demorèrent sus les camps de

nobles et vaillans hommes, dus, contes, barons et

5chevaliers, par lesquelz li royaumes de France fu

moult depuis afoiblis d’onneur, de poissance et de

conseil. Et saciés que, se li Englès euissent caciet

ensi qu’il fisent à Poitiers, encores en fuissent trop

plus demoret, et li rois de France meismes, mès

10nennil; car le samedi onques ne se partirent de leurs

conrois pour cacier apriès homme. Et se tenoient

sus leurs pas, gardans leur place, et se deffendoient

à chiaus qui les assalloient. Et tout ce sauva le roy

de France de estre pris, car li dis rois demora tant

15sus le place assés priès de ses ennemis, si com chi

dessus est dit, qu’il fu moult tart, et qu’il n’avoit dalés

lui à son departement non plus de soixante hommes,

uns c’autres. Et adonc le prist messires Jehans

de Haynau par le frain, qui l’avoit à garder et à consillier,

20et qui jà l’avoit remonté une fois, car dou

tret on avoit occis le coursier dou roy, et li dist:

«Sire, venés vous ent, il est temps, ne vous perdés

mies ci si simplement. Se vous avés perdu à ceste

fois, vous recouverés une autre.» Et l’enmena li

25dessus dis messires Jehans, ensi que par force.

Si vous di que ce jour li arcier d’Engleterre portèrent

grant confort à leur partie, car par leur tret

li pluiseur dient que la besongne se fist, comment

que il y eut bien aucuns vaillans chevaliers de leur

30lés qui vaillamment se combatirent de le main, et

qui moult y fisent de belles apertises de le main et

de grandes recouvrances. Mais on doit bien sentir et

[187] 187 cognoistre que li arcier y fisent un grant fait, car par

leur tret de commencement furent desconfi li Geneuois

qui estoient bien quinze mil, qui leur fu

uns grans avantages. Car trop grant fuison de gens

5d’armes richement armé et paré et bien monté, ensi

que on se montoit adonc, furent desconfi et perdu

par les Geneuois qui trebuchoient parmi yaux et

s’entoueilloient si que il ne se pooient lever ne ravoir.

Et là entre ces Englès avoit pillars et ribaus, Gallois

10et Cornillois, qui poursievoient gens d’armes et arciers,

qui portoient grandes coutilles, et venoient entre

leurs gens d’armes et leurs arciers qui leur faisoient

voie, et trouvoient ces gens d’armes en ce

dangier, contes, barons, chevaliers et escuiers; si les

15occioient sans merci, com grans sires qu’il fust. Par

cel estat en y eut ce soir pluiseurs perdus et murdris,

dont ce fu pités et damages, et dont li rois

d’Engleterre fu depuis courouciés que on ne les avoit

pris à raençon.

20§ 285. Quant la nuis ce samedi fu [toute[357]] venue,

et que on n’ooit mais criier ne jupper ne renommer

nulle ensengne ne nul signeur, si tinrent li Englès à

avoir la place pour yaus, et leurs ennemis desconfis.

Adonc alumèrent il en leur host grant fuison de fallos

25et de tortis, pour tant qu’il faisoit moult brun. Et lors

s’avala li rois Edowars, qui encores tout ce jour n’avoit

mis son bacinet; et s’en vint o toute sa bataille

moult ordonneement devers son fil le Prince: si

l’acola et baisa. Et li dist: «Biaus filz, Diex vous

[188] 188 doinst bonne perseverance! Vous estes mes filz, car

loyaument vous vos estes hui acquittés: si estes

dignes de tenir terre.» Li Princes à ceste parolle

s’enclina tout bas et s’umelia, en honnourant le roi

5son père, ce fu raisons.

Vous devés savoir que grant lièce de coer et grant

joie fu là entre les Englès, quant il veirent et sentirent

que la place leur estoit demorée, et que la nuitie

avoit estet pour yaus; se tinrent ceste aventure à

10moult belle et à grant glore. Et en loèrent et regratiièrent

li signeur et li sage homme, moult grandement

et par pluiseurs fois celle nuit, Nostre Signeur qui

tel grasce leur avoit envoiie. Ensi passèrent il celle

nuit sans nul beubant, car li rois d’Engleterre ne voloit

15mies que nulz s’en fesist. Quant ce vint le dimence

au matin, il fist grant bruine et tèle que à

painnes pooit on veoir lonch un arpent de terre.

Dont se departirent de l’ost, par l’ordenance dou roy

et des mareschaus, environ cinq cens hommes d’armes

20et deux mil arciers, pour chevaucier à savoir

se il trouveroient nullui ne aucuns François qui se

fuissent recueilliet.

Ce dimence au matin, s’estoient parti de Abbeville

et de Saint Rikier en Pontieu les communautés de

25Roem et de Biauvais, qui riens ne savoient de le

desconfiture qui avoit esté faite le samedi. Si trouvèrent

à male estrine pour yaus en leur encontre ces Englès

qui chevauçoient, et se boutèrent entre yaus, et cuidièrent

de premiers que ce fuissent de leurs gens. Si

30tost que li Englès les ravisèrent, il leur coururent

sus, et là de recief eut grande bataille et dure. Et

furent cil François tantost desconfi et mis en cace, et

[189] 189 ne tinrent nul conroy. Si en y eut mors sus les

camps, que par haies que par buissons, ensi qu’il

fuioient, plus de sept mil; et se il fesist cler, il n’en

fust jà piès escapés.

5Assés tost apriès, en une aultre route, furent rencontré

de ces Englès li arcevesques de Roem et li

grans prieus de France, qui riens ne savoient ossi de

le desconfiture. Et avoient entendu que li rois ne se

combateroit jusques à ce dimence, et cuidièrent des

10Englès que ce fuissent leurs gens: si s’adrecièrent

devers yaus; et tantost li Englès les envairent et assallirent

de grant volenté. Et là eut de rechief grant

bataille et dure. Car cil doy signeur estoient pourveu

de bonnes gens d’armes, mais il ne peurent durer

15longement as Englès; ançois furent tantost desconfi

et priès que tout mort, petit s’en sauvèrent. Et y

furent mort li doy chief qui les menoient; ne oncques

il n’i eut homme pris à raençon.

Ensi chevaucièrent ceste matinée cil Englès querant

20aventures, qui trouvèrent et rencontrèrent pluiseurs

François qui estoient mari et fourvoiiet le samedi,

et qui avoient celle nuit jeu sus les camps, et

qui ne savoient nulles nouvelles de leur roy ne de

leurs conduiseurs. Si entroient en povre estrine pour

25yaus, quant il se trouvoient entre les Englès, car il

n’en avoient nulle merci, et mettoient tout à l’espée

sans merci. Et me fu dit que, de communautés et de

gens de piet des cités et des bonnes villes, il en y

eut mors, ce dimence au matin, plus quatre tans que

30le samedi, que li grosse bataille fu.

§ 286. Ce dimence, ensi que li rois d’Engleterre

[190] 190 issoit de messe, revinrent li chevauceur et li arcier,

qui envoiiet avoient esté pour descouvrir le pays, et

savoir se nulle rassamblée et recueilloite se faisoit

des François. Si recordèrent au roy tout ce que il

5avoient veu et trouvé, et li disent bien qu’il n’en estoit

nulz apparans.

Adonc eut conseil li rois qu’il envoieroit cercier

les mors, à savoir quel signeur estoient là demoret.

Si furent ordonné doi moult vaillant chevalier pour

10là aler, et en lor compagnie troi hiraut pour recognoistre

les armes, et doi clerch pour registrer et escrire

les noms de chiaus qu’il trouveroient. Li doi

chevalier, ce furent messires Renaulz de Gobehem

et messires Richars de Stanfort. Si se partirent dou

15roy et de son logeis, et se misent en painne de veoir

et viseter tous les occis. Si en trouvèrent si grant

fuison que il en furent tout esmervilliet, et cerchièrent

au plus justement qu’il peurent ce jour tous les

camps, et y misent jusques as vespres bien bas. Au

20soir, ensi que li rois d’Engleterre devoit aller au souper,

retournèrent li doi chevalier devers le roy, et

fisent juste raport de tout ce que il avoient veu et

trouvé. Si disent que onze chiés de princes estoient

demoret sus le place, quatre vingt banerés et douze

25cens chevaliers d’un escut, et environ trente mil

hommes d’autres gens. Si loèrent li rois d’Engleterre,

li Princes ses filz et tout li signeur grandement Dieu,

et de bon corage, de le belle journée que il leur avoit

envoiie, que une puignie de gens que il estoient, ens

30ou regart des François, avoient ensi desconfis leurs

ennemis. Et par especial li rois d’Engleterre et ses

filz complaindirent longement le mort dou vaillan

[191] 191 roy de Behagne, et le recommendèrent grandement

et chiaus qui dalés lui estoient demoret. Si arrestèrent

encores là celle nuit, et le lundi au matin il ordonnèrent

dou partir.

5Et fist li dis rois d’Engleterre, en cause de pité

et de grasce, tous les corps des grans signeurs,

qui là estoient demoret, prendre et oster desus le

terre et porter en un monastère priés de là, qui

s’appelle Montenai, et ensepelir en sainte terre. Et

10fist à savoir sus chiaus dou pays que il donnoit

triewes trois jours pour cerchier le camp de Creci et

ensevelir les mors; et puis chevauça oultre par devers

Moustruel sus Mer. Et si mareschal coururent

devers Hedin, et ardirent Waubain et Serain; mès

15au chastiel ne peurent il riens fourfaire, car il est

trop fors, et si estoit bien gardés. Si se logièrent ce

lundi sus le rivière de Hedin, au lés devers Blangis.

Et l’endemain il passèrent oultre, et chevaucièrent

devers Boulongne; si ardirent en leur chemin le ville

20de Saint Josse et le Nuef Chastiel, et puis Estaples, le

Delue et tout le pays de Boulenois. Et passèrent entre

les bos de Boulongne et le forest de Hardelo, et vinrent

jusques à le grosse ville de Wissan. Là se loga

li dis rois et li princes et toute li hos, et s’i rafreschirent

25un jour; et le joedi s’en partirent, et s’en

vinrent devant le forte ville de Calais. Or, parlerons

un petit dou roy de France, et compterons comment

il persevera.

§ 287. Quant li rois Phelippes fu partis de la

30Broie, ensi que ci dessus est dit, à moult seule gent,

il chevauça celle nuit tant que le dimence il vint en

[192] 192 le bonne cité d’Amiens, et se loga dehors en l’abbeye

dou Gart. Quant li rois fu là arrestés, li baron et li

signeur de France et de son conseil, qui demandoient

pour lui, y arrestèrent ossi, ensi que il venoient. Encores

5ne savoit li dis [rois[358]] le grant perte des nobles

et des proçains de son sanc que il avoit perdus. Ce dimence

au soir, on l’en dist le vérité. Si regreta grandement

monsigneur Charle son frère, conte d’Alençon,

son neveu le conte de Blois, son serourge le

10bon roi de Behagne, le conte de Flandres, le duch

de Loeraingne, et tous les barons et les signeurs, l’un

apriès l’autre.

Et vous di que messires Jehans de Haynau estoit

adonc dalés lui, et cils en qui il avoit le plus grant

15fiance. Et liquelz fist un moult biel service à monsigneur

Godemar dou Fay, car li rois estoit si fort courouciés

sus lui que il le voloit faire pendre; et l’euist

fait sans faute, se n’euist esté li dis messires Jehans

de Haynau, qui li brisa son aïr et escusa le dit monsigneur

20Godemar. Et estoit la cause que li rois disoit

que cilz s’estoit mauvaisement acquittés de garder le

Blanke Take, et que par sa mauvaise garde li Englès

estoient passet oultre en Pontieu: pour quoi il avoit

receu celle perte et ce grant damage. Au pourpos

25dou roy s’enclinoient bien li aucun de son conseil,

qui volsissent bien que li dis messires Godemars

l’euist comparet, et l’appelloient traitteur; mès li

genlilz chevaliers dessus nommés l’escusa, et de

raison par tout. Car comment peuist il avoir deffendu

30ne resisté à le poissance des Englès, quant toute

[193] 193 li fleur de France mise ensamble n’i peurent riens

faire?

Si passa li rois son mautalent adonc, au plus biel

qu’il peut, et fist faire les obsèques, l’un après l’autre,

5de ses proçains. Et puis se parti d’Amiens, et donna

toutes manières de gens d’armes congiet, et retourna

devers Paris.

Et jà avoit li rois d’Engleterre assegiet le forte ville

de Calais.

FIN DU TEXTE DU TOME TROISIÈME.

VARIANTES.


§ 181. P. 1, ligne 1: Vous avés.—Ms. d’Amiens: Vous avés bien chy dessus oy parler d’un respit et d’unes trieuwes qui furent données et acordéez entre le roy englès et le roy David d’Escoce et leur pays, sauf tant que li castiaux de Struvelin et li castiaux de Rosebourcq, que messires Guillaumme de Montagut aida jadis à parfaire et fortefiier contre les Escos, estoient mis hors de le trieuwe, de quoy, revenut le roy englès en Engleterre, li Escot bastirent tantost un siège devant Struvelin, et tant l’assaillirent et constraindirent que il couvint le dit castiel rendre as Escos. Et s’en partirent chil qui dedens estoient et qui loinguement l’avoient tenut contre les dis Escos, simplement, car riens dou leur n’enportèrent. Assés tost apriès la prisse de Struvelin, li biaux castiaux de Rosebourcq fu emblés de nuit et escielléz, et pris li castellains qui le gardoit, et jusques à six Englès avoecq lui, et li demorans tous ochis, de quoy li rois englès fu de ces avenues moult courouchiéz et dist bien que il l’amenderoit temprement et le feroit chier comparer as Escos.

Ossi vous avés chi dessus oy parler coumment li roys englès amoit si ardamment la belle contesse de Sallebrin, qu’il ne s’en pooit ne savoit consillier, coumment que li comtes de Sallebrin, ses maris, fu li ungs des plus privés de son consseil et li ungs de chiaux qui le plus loyaument l’avoit tous jours servi. Si advint que pour l’amour de la ditte damme et pour le grant desirier qu’il avoit de lui veoir, et sus le couleur ossi pour remoustrer à ses gens le despit que li Escot li avoient fait et encorres se mettoient il en painne dou faire tous les jours qu’il avoient reconcquis le fort castiel de Rosebourcq et tout le pays jusques à le chité de Bervich, et pour avoir sour ce le consseil de ses gens quel cose on l’en volroit conssillier, il avoit fait criier une grant feste de jouste à le Candeler, l’an mil trois cens quarante deux, qui devoit durer quinze jours, en le cité de Londrez, et avoit mandet par 198 tout son royaumme et autre part, si acertes que il pooit, que tout seigneur, baron, chevalier, escuier, dammes et dammoiselles y venissent, si chier qu’il avoient l’amour de lui, sans nulle escuzanche. Et coummanda especiaument au comte de Salebrin que il ne laissast nullement que la comtesse sa femme n’y fust et que elle n’amenast touttez lez dammes et dammoiselles que elle pooit avoir entours lui. Li dis coens li ottria vollentiers, car il n’y penssoit mies che qu’il y avoit. Et la bonne dame ne l’osa escondire, mès elle y vint mout à envis, car elle penssoit bien pour quoy c’estoit; et si ne l’osoit descouvrir à son marit, car elle se sentoit bien si avisée et si atemprée que pour oster le roy de ceste oppinion. Et devés savoir que là fu la comtesse de Montfort, et estoit jà arivée en Engleterre un grant tamps devant la feste, et avoit fait sa complainte au roy moult destroitement. Et li rois li avoit en couvent de renforcier son comfort, et le faisoit sejourner dallés madamme le royne, sa femme, pour atendre le feste et le parlement qui seroit à Londrez. Fº 73 vº.

Ms. de Rome: En ce temps estoit publiie une très grosse feste qui devoit estre en la chité de Londres de quarante chevaliers et de quarante esquiers dedens, parmi le roiaulme d’Engleterre et aussi en Alemagne, en Flandres, en Hainnau et en Braibant. Et avoient tout chevalier et esquier qui venir i voloient, de quelconques pais que il fuissent, sauf conduit alant et retournant. Et estoit la feste ordonnée à la relevée de la roine Phelippe d’Engleterre d’un fil que elle avoit eu: si ques auquns de ces chevaliers qui estoient venu de France en Escoce, s’en retournèrent par Londres arrière en lor pais sans peril et sans damage. Fº 88.

§ 182. P. 2, l. 28: Ceste feste.—Ms. d’Amiens: Ceste feste fu grande et noble que on n’avoit mies en devant veue plus noble en Engleterre. Et y furent li comtez Guillaumme de Haynnau et messires Jehans de Haynnau, ses onclez, et des Haynuiers, avoecq les dessus dis, li sirez d’Enghien, messires Robers de Bailloeil, li sirez de Lens, li castellains de Havrech, li sirez de Gonmigniez, li sirez de Sars, li sirez de Faignuellez, li sirez de Mastaing, li sirez de Chin, li sirez de Wargni, messires Sansses de Biaurieu, li sirez de Montegni et messires Oufflars de Ghistellez. Et eult à le dite feste bien douze comtes, huit cens chevaliers, cinq cens damez et pucellez, touttez de hault linage. Et fu bien dansée et bien joustée par l’espasse de quinze jours, sauf 199 tant que uns moult gentilz et jouenes bachelers y fu tués au jouster par grant mesavenue: che fu messires Jehans, aisnés fils à monseigneur Henri, visconte de Biaumont en Engleterre, biau chevalier jone, hardi; et portoit d’asur semet de fleur de lis d’or à ung lion d’or rampant et ung baston de gheullez parmy l’escut. Touttes les dammes et damoisellez furent de si riche atour que estre pooient, chacune seloncq son estat, excepté madamme Aelis, la comtesse de Sallebrin. Celle y vint le plus simplement atournée quelle peult, par tant qu’elle ne volloit mies que li roys s’abandonnast trop de lui regarder, car elle n’avoit penssée ne vollenté d’obeir au roy en nul villain cas qui pewist tourner à le deshonneur de li, ne de son marit.

Or vous noummeray lez contez d’Engleterre qui furent à ceste feste, ossi bien que je me sui hastés de noummer les Haynuyers; premiers, messires Henris au Tor Col, coens de Lancastre, messires Henris, ses filz, comtez Derbi, messires Robers d’Artois, comtes de Richemont, li coens de Norrenton et de Clocestre, li comtez de Warvich, li comtes de Sallebrin, li comtez de Pennebrucq, li comtez de Herfort, li comtez d’Arondiel, li comtez de Cornuaille, li comtez de Okefort, li comtez de Sufforch et le baron de Stanfort, et tant de barons et de chevaliers que li noummiers seroit uns detris.

Ainschois que ceste noble et grant feste fust departie, li roys Edouwars eut et rechupt pluisseurs lettrez qui venoient de pluisseurs seigneurs et de divers pays, de Gascoingne, de Bayone, de Bretaingne, de Flandrez de par d’Artevelle à qui il avoit grant amour, et des marces d’Escoce, dou signeur de Parsi et dou seigneur de Ros, et ossi des bourgois et de le cité de Bourdiaux sus Geronde, qui moult estoient constraint dez Franchois par terre et par aige, si ques li roys respondi, par le consseil de tous ses hommez, voirez de son consseil, as dis messaigez, si à point que chacuns s’en contenta. Encorrez de rechief auques sus le partement de le feste, ungs messages vint en grant haste deviers le roy et li apporta nouvellez et lettrez de par monseigneur Edouwart de Bailloel, cappitainne et souverain de le cité de Bervich. Et disoient ces lettrez que li Escot faisoient ung très grant appareil et grant mandement pour entrer environ Pasquez en Engleterre, et que sour ce il ewissent consseil. Ensi eult li rois grant mestier d’avoir bon avis; car sus l’estet qui venoit, trop de guerrez li apparoient de tous lés, car ossi devoit li trieuwe fallir de li et dou roy de 200 Franche, qui fu prise et accordée à Arras en Pikardie, si comme il est chy desus contenus en ceste histoire. Or eut li roys englès pluisseurs ymaginations, car briefment il volloit secourir et comforter la comtesse de Montfort, ensi que juret et proummis li avoit; et se ne fust che que il tendoit à aller sus Escoche, il fust en propre personne adonc venus en Bretaigne. Si ordonna et pria à monseigneur Robert d’Artois, son cher cousin, que il y volsist aler et prendre tant de gens d’armes et d’archiers que pour resister contre monseigneur Carle de Blois et reconcquerir le pays concquis. Messires Robers li acorda vollentiers et fist sour ce ses pourveances. Fos 73 vº et 74.

Ms. de Rome: A celle feste vinrent de Hainnau li contes Guillaumes, frères à la roine Phelippe, et messires Jehans de Hainnau son oncle, li sires d’Enghien, li sires de Ligne, li sires de Haverech, li sires de Gommegnies et pluisseurs chevaliers de Hainnau et de Hollandes. Et durèrent les festes quinse jours. Et vint dedens les festes la contesse de Montfort, qui amena Jehan son fil et sa fille. Dont li rois ot grant joie et dist à la contesse: «Ma cousine, vous me laisserés ces deux enfans, et je lor serai pères.»—«Monseigneur, respondi la contesse, pour ce les ai je amenés, et je les vous donne.» Li rois les mist tantos avoecques la roine sa fenme. Li fils avoit neuf ans, et la fille quatre ans.

Celle feste fu bien joustée et bien festée. Et en ot le pris des chevaliers de dehors li contes de Hainnau, et de ceuls de dedens messires Renauls de Gobehen; et des esquiers d’Engleterre Jehan de Qopelant; de ceuls de dedens et de ceuls de dehors, uns esquiers de Flandres qui se nonmoit Franqe de Halle, et adonc le retint li rois d’Engleterre, et devint son honme li dis esquiers.

La feste se fust bien portée, mais il avint de cas de fortune que mesires Jehans de Biaumont d’Engleterre, ainnés fils à messire Henri de Biaumont, fu mors à ces joustes, dont on fu durement courouchié.

A celle feste furent ordonné de par le roi et son consel liquel iroient en Gascongne, à Bourdiaus et à Baione, et liquel en Bretagne avoecques la contesse de Montfort, et liquel iroient tenir la frontière d’Escoce, car li rois d’Escoce estoit retournés de France en son pais; si ques on supposoit en Engleterre que il vodroit guerriier: pour tant i voloient les Englois pourveir. Si i furent ordonné d’aler tenir la frontière à l’encontre des Escoçois et demorer en la bastide de Rosebourch messires Guillaumes de 201 Montagut qui depuis fu contes de Sasleberi; et aussi d’aler tenir la frontière contre les Irlandois furent ordonné li contes d’Ormont et li contes de la Marce. Ces festes passées, tout li signeur estrangier prissent congiet au roi et à la roine et se departirent d’Engleterre, et retourna casquns en son pais. Li contes de Hainau et mesires Jehans de Hainnau son oncle montèrent à port à Ourvelle et arivèrent à Dourdresc en Hollandes. Si demora li contes ens ou pais de Hollandes, et aussi fist son oncle, qui sires estoit de Sconenehove et de la Hode, et li Hainnuier retournèrent en Hainnau. Ensi furent faites ces departies. Fº 88 vº.

P. 3, l. 8: tués à jouster.—Ms. B 6: Et l’ochist le conte de Haynau, mais amender ne le povoit. P. 219.

P. 5, l. 8 et 9: le signeur de Boursier.—Le nom de ce chevalier est omis dans les mss. A 1 à 6, fº 101.

§ 183. P. 5, l. 16: En ce temps.—Ms. d’Amiens: Encorres fu il consilliet au roy que il envoiast l’evesque de Lincolle deviers le roy David d’Escoce, son serourge, pour tretier une trieuwe à durer deux ans ou troix, car tant de grosses besoingnes li appairoient à l’estet prochain que il ne poroit mies bonnement à touttes respondre. Li roys ne s’acordoit mies à ce consseil et disoit que ce seroit à trop son grant blamme se il requeroit les Escos de trieuwe; mès ses conssaulx li disoit: «Salve se grace,» car il avoit par tant de foix ars et courut sus les Escos que de ce ne pooit avoir nul reprouvier, et que c’estoit grans sens pour un seigneur, quant il a troix ou quattre guerrez, et il en poet l’une atrieuver, l’autre amoiener, le tierce apaisier, et le quarte guerriier: si ques li roys, par le consseil de sez hommez, pria à l’evesque de Lincolle que il y volsist aller. Et chils l’acorda vollentiers. Enssi se departi ceste feste. Li comtes Guillaumez de Haynnau et messires Jehans de Haynnau prissent congiet au roy et à le roynne, et s’en retournèrent arrière en leur pays avoecquez leurs gens. Si envoya li roys le seigneur de Fil Wautier, le seigneur de Pont Cardon, messire Jehans Camdos, qui estoit adonc jones bacelers, le seigneur de Multonne, le seigneur de Brassetonne, le seigneur de Lantonne et pluiseurs autrez, à tout deux cens armurez de fier et cinq cens archiers, à Bourdiaux et à Baione, pour aidier à deffendre le frontierre contre le comte de Lille, le comte de Pierregoth, le comte de Quarmain, le comte de Commignez, le comte de Villemur, le seigneur de la Barde, le 202 comte de Bruniqiel et pluiseur aultre qui là tenoient les camps et y faissoient très forte guerre et herioient si chiaux de Bourdiaux, que il n’osoient wuidier hors de leur ville. Or lairons ung petit à parler de ce et retourons à l’evesque de Lincolle, et quel cose il trouva en Escoce, et coumment il fu respondus dou dessus dit mesage qu’il portait de par le roy d’Engleterre, son seigneur.

Il est bien voirs que li evesques de Lincolle esploita tant par ses journées qu’il vint à Bervich, où il fu liement recheus de monseigneur Edouwart de Bailloeil, qui en estoit cappittainne. Là sejourna li evesques tant que ungs hiraux d’Engleterre eut estet en Escoce querre ung sauf conduit au roy qui se tenait en Haindebourcq, pour le dit evesque et toutte se mesnie: si ques sus le sauf conduit li evesquez se parti et s’en vint devers le roy David et les barons et seigneurs d’Escoce. Il fu volentiers oys de tout ce qu’il leur remoustra, et li respondirent qu’il en aroient avis. Si fu la responsce telle et faite d’un baron d’Escoche, messire Archebaux Douglas, et dist: «Sire, li rois mon seigneur et tous ses conssaux ont bien oy ce que vous requerés. C’est li entension dou roy nostre seigneur et de ses hommez, que nul respit vous n’enporterez ne arrés; car nous sommes tout pourveu de gueriier sus le roy d’Engleterre et sus son pays, et de contrevengier les despis et dammaiges qu’il nous a fais.» Et quant li evesques de Lincolle entendi che, si fu tous courouchiéz et se repenti moult, quant onequez y avoit entré pour faire messaige. Si se parti adonc des Escos sans congiet et sans amour, et s’en revint au plus tost qu’il peult en Engleterre et trouva le roy à Londrez et une partie de son consseil à qui il fist relation de son messaige. Et quant li roys l’eut oy, si fu durement courouchiés et dist bien que, tout maugré lui et son consseil, on li avoit envoiiet, et que jammais cilx blasmes ne lui seroit absolz. Tant estoit li roys yreux que à painnes le pooit on appaisier, et dist que jammès n’aresteroit, si aroit si menet les Escos et si destruit leur pays, que jammais ne seroit recouvret, en quel aventure qu’il dewist mettre che qui dechà le mer estoit. Si envoiia tantost as pors et as havenes de mer coummander que on ne laiaist nullui passer jusques à tant que on oroit autres nouvellez. Et fu par ensi detriiés li voiaiges de monseigneur Robert d’Artois et de la comtesse de Montfort qui en grant destrèce de coer estoit de ces avenues. Ossi chil qui devoient aller en Gascoingne furent contremandet. Et fist li roys ung especial mandement et coumandement 203 à estre touttez mannierres de gens portant armes, à Ewruich, le jour de le Pasque ou trois jours apriès; et qui en deffauroit, il perderoit sa terre, le royaume d’Engleterre et l’amour dou roy. Fº 74.

P. 6, l. 17: Ewruich.—Mss. A 1 à 6: Bervich. Fº 101 vº.

§ 184. P. 6, l. 21: Li jours.—Ms. d’Amiens: A che especial mandement que li roys fist, ne s’osa nulz escuser ne delaiier qu’il ne fust, et vinrent de tous lés d’Engleterre à Ewruic, et furent là en Paskèrez; meysmes la comtesse de Montfort, qui poursuivoit sa besoingne, y vint avoecq monseigneur Robert d’Artois. Tant avoit li roys englès là de gens, qu’il estoient bien cent mil, c’à piet, c’à cheval; et tantost le jour de le Pasque passet, il se parti de Ewruich et prist le chemin dou Noef Castiel sur Tin. Or entendirent li Escot que li roys englès venoit sur yaus si efforchiement que toutte se puissance y estoit avoecq lui, et en vollenté que de toutte destruire et ardoir Escoce sans merchy. Si en furent, je vous di, li plus dou pays d’Escoce tout effraé, car il sentoient leur pays et leur besoingnes auques en bon estat, et point ne se veoient fort contre le puissanche dou roy englès. Si se missent ensemble chil dou pais, prelas, comtez, barons, chevalier et riche homme dez bonnez villez, et vous dit qu’il y eut là mainte parolle retournée. Li aucun volloient le guerre, li autre le respit; et li pluisseur amaissent mieux le pais, se elle pewist estre. Si tenoient ossi li sage homme dou pays le roy à outrageusement consilliet, quant telle responsce on avoit fait à l’evesque de Lincolle, et que fort estoit se à ceste venue et assamblée dou roy englèz trop cher ne le comparaient. Cez parolles dessus dittez en plain parlement, present le roy et le grant consseil, messires Guillaumme de Douglas, messires Jacquemes de Douglas, ses onclez, messires Archebaux de Douglas, ses cousins, et tout chil de ce sanch les reputoient à grant ynoranche et à grant faintisse. Et disoient bien que c’estoient cil d’Escoche qui le plus à perdre avoient aprièz le roy; mes pour aperdre villez et castiaux et tout leur hiretaige, jà ne seroient en lieu ne en consseil où li oppinion de le première responsce dessus faitte fuist brisie ne amoliie, car trop leur retouroit à grant blamme et à vilain prejudisse à tous jours mès.

A che parlement y eut pluisseurs grosses parolles des uns as autres, car chil de Douglas y estoient si grant et si cremut, et tant 204 avoient fait de biaux servicez au royaumme d’Escoche, que touttes mannierrez de gens les en amoient, et meysmement li roys y ajoustoit grant foy et grant sceurté. Nonpourquant il congnut assés que li aucun s’astenoient assés de voir à dire pour le doubtanche des dessus diz. Si emprist le parole de fait et dist: «Je sui, par le grasce de Dieu, roi d’Escoche, et le tieng en hiretaige par le sucession monseigneur Robert de Brus, de bonne memore, mon chier père, qui vaillanment et poissanment le tint et deffendi, tant qu’il vesqui, contre les Englèz. Depuis nous ont il fais moult de dammaiges, lesquelx j’amenderoie vollentiers, se je pooie. Or sommes nous emfourmet qu’il viennent très puissamment sour nous. Si vous pri et carge en especial que vous me conssilliéz tellement que ce soit à l’onneur de my et au commun prouffit de mon royaumme, et que nuls n’y regarde grandeur, orgoeil, ne linage. Et se vous sentés que nous soyons puissant pour combattre les Englèz, se le dittes, et nous metons tout au devant à l’entrée de nos pays.» Dont en y eut aucuns qui baissièrent les testez, et li aucun qui se veurent acquitter, respondirent: «Sire, nenil, et ewissiens encorrez otant de gens que nous avons.»—«Or coumande jou, dist li roys, puisque combattre ne nous poons et que nous n’en sommes point d’acort, que ceste besoingne soit dou tout cargie sur moy, sur le comte de Moret, sus l’evesque de Saint Andrieu et sur l’evesque d’Abredane.» Adonc tous li coummuns conssaux respondi: «Sire, vous dittes bien.»

Ensi se departi chils parlemens, non que li roys d’Escoche donnast congiet à ses gens, mès remforça son mandement de tous lés; car il ne savoit mies coumment li tretiéz se porteroit entre lui et le roy englèz. Conssaus entre ces quatre dessus noummés se porta que li doy evesque, c’est assavoir chilz de Saint Andrieu et chilz d’Abredane, se partirent d’Aindebourch, fondé et enfourmé quel cose il devoient dire et faire, et vinrent sus sauf conduit deviers le roy d’Engleterre à Durem, là où il se tenoit et attendoit ses os, et jà en y avoit grant fuison au Noef Castiel sur Tin. Quant li doy evesque d’Escoce dessus noummet furent devant le roy englès et aucun de son consseil, telz que le comte de Lancastre, le comte Derbi, monseigneur Robert d’Artois, le comte de Warvich, le comte de Sallebrin, le comte de Norrenthon et de Clocestre, monseigneur Richart de Stanfort, le seigneur de Biaucamp et messire Renaut de Gobehen, ils enclinèrent le roy et tous les seigneurs par mannierre de reverensce et dissent: «Sire, roys d’Engleterre, 205 nous sommes deviers vous envoiiet de par le roy d’Escoce, nostre seigneur, et tout son consseil. On leur a dounnet à entendre que vous estez moult esmeut de gueriier Escoce, enssi que vous avés fait autrefoix; et bien est appairant ossi que la responsce que li evesquez de Lincole vous fist, ne vous est mies bien agreable. Sachiés, sire, que à ce jour que li evesques fu deviers nostre roy ou nom de vous, li rois, nos sirez, avoit envoiiet en Franche deviers le roy Phelippe, pour ce que certainnes convenences et alianches sont entre lui et le roy de Franche. Et ne puet li roys nostre sirez, dounner, prendre, requerre, demander ne accepter trieuwe ne respit enviers vous, sans le sceu dou roy de France. En che s’est il obligiez et acouvenenchiéz par sierment de roy solempnement juret et saielet. Or sont depuis li messaiges qui en Franche avoient estet envoiiet, retournet, et puet nos sirez, par le congiet dou roy de Franche, donner, accorder et accepter trieuwez et respit jusques à un certain terme durant, dont il n’est nus besoings de chy dire; mès nous sommes fort de par nostre roy et tout son consseil de prendre et de dounner une trieuwe ung an ou deux, s’acors le porte, et de che il vous en plaise à nous respondre.»

Quant li roys englès eut oys les deux evesquez d’Escoce ensi parler, si leur dist qu’il en responderoit vollentiers à l’endemain. Ceste responsce leur souffi assés bien. Dont se conssilla li roys tout ce jour quel cose en estoit bon affaire. Il voloit briefment, c’estoit tous ses desirs, chevauchier avant sus Escoce, ou cas qu’il avoit ses gens semons et assembléz en ceste instance. Touttez foix finablement ses conssaux regarda et conssidera les besoingnes qu’il avoit affaire en Franche, en Bretaingne et en Gascoingne, et que ceste guerre as Escos leur estoit trop coustable et perilleuse à nul prouffit; car s’il avoient tout ce que li royaummes d’Escoce puet finer, il n’aroient mies le chevanche d’un droit si grant. Bien y pooient mettre et peu prendre. Si consillièrent au roy que il presist une bonne et ferme trieuwe à durer trois ans, puisqu’il l’en requeroient, et que c’estoit grandement à sen honneur. Tant fu li roys conssilliéz d’uns et d’autres que finablement une trieuwe fu acordée entre lez Englès et les Escos, et devoit durer de ce jour jusques à le Saint Jehan Baptiste, c’on compteroit l’an mil trois cens et quarante trois, et de là en troix ans, et devoit chacuns tenir che qu’il tenoit. Et pooient chevalier et escuier d’Escoce prendre les gages au roy englèz, s’il leur 206 plaisoit. Moult fu la comtesse de Monfort resjoïe de ceste trieuwe, car par lez Escos avoient jà estet ses besoingnes arrierées.

Ensi se departi ceste grande chevauchie. Et coumanda li roys au seigneur de Fil Wautier, à monseigneur Jehan Camdos, au seigneur de Multonne, au seigneur de Pont Cardon et à chiaux qui en Gascoingne devoient aller, qu’il presissent leur carge de gens d’armes et d’archiers et fesissent leur voiage. Dont s’appareillièrent li dessus noummet signeur et vinrent au port de Hantonne, et ordonnèrent là leur besoingne, et se missent en mer et singlèrent deviers Gascoingne.

Or dirons de le comtesse de Montfort qui si bien exploita au roy englès que li roys pria à monsigneur Robert d’Artois, au comte de Sallebrin, au comte de Sufforch, au comte de Pennebrucq, au comte de Kenfort et au baron de Stanfort et as pluisseurs autres, que il volsissent prendre en cure lez besoingnes de le ditte comtesse, et yaux partir hasteement d’Engleterre et venir en Bretaingne, et gueriier tellement qu’il y ewissent honneur et la dame prouffit; et chil signeur li eurent tout en couvent. Si se partirent dou roy et vinrent en Cornuaille, et pourveyrent là leur navie pour venir en Bretagne. Si estoient bien mil hommes d’armes et deux mil archiers et otant de chevaux. De touttez ces gens estoit messires Robiers d’Artois chiés.

En che tamps escheirent les Pasquez si haut que environ Closes Pasques eut on l’entrée dou mois de may, de quoy en le moyenné de ce mois la trieuwe de monseigneur Carle de Blois et la comtesse de Montfort devoit fallir. Or avoit la chevauchie d’Escoce si detriié la besoingne de la dessus dite comtesse que la trieuwe estoit jà close, quant elle se parti d’Engleterre. Si estoit bien messires Carlez de Blois enfourmés dou pourcach que elle faisoit en Engleterre et de l’ayde que ly roys englès ly devoit faire. Dont messires Loeys d’Espaingne, messire Carlez Grimaus et messires Othon Doriie estoient estaubli sus le mer à l’encontre de Grenesie, à trois mil Geneuois et à mil hommez d’armes et seize gros vaissiaux espagnolz, tous armés et tous fretéz, et waucroient sus le mer, attendans leur revenue. D’autre part, messires Ghautiers de Mauni et li signeur de Bretaigne et d’Engleterre qui dedens Hainbon se tenoient, estoient durement esmervilliet de leur comtesse de ce que elle demoroit tant, et si n’en ooient nullez certainnez nouvellez. Nonpourquant, mout bien supposoient que elle ne demoroit mies trop à se grant aise, et ne se 207 doubtoient d’autre cose que elle n’ewist eu aucun villain encontre sus mer de ses ennemis: se ne savoient que pensser. Fos 74 vº et 75.

Ms. de Rome: Mesires Carles de Blois fu enfourmés de verité que son adversaire, la contesse de Montfort, estoit alée en Engleterre au seqours, et i avoit mené ses enfans pour là demorer dalés le roi. Si pensa sus li dis messires Carles moult longement, et puis apella son cousin mesire Lois d’Espagne, ouquel ils avoit moult grant fiance, et li dist: «Biaus cousins, ce seroit bon, se vous l’acordiés, que une armée de gens d’armes de Geneuois et d’Espagnols fust mise sus en la mer, et là waucrast, en attendant le retour et la revenue de celle contesse de Montfort qui est alée en Engleterre. Se nous le poions atraper, nostre gerre en seroit plus belle.» A ce pourpos respondi li dis messires Lois et dist: «Vous dites verité, et il en sera ce que vous vodrés, car je sui tous près à faire vostre plaisir.»—«Grant merchis,» respondi messires Carles. Depuis ne demora gaires de temps que mesires Lois d’Espagne, qui bien savoit les usages et coustumes de la mer, se pourvei de barges et de balengiers, et mist sus la mer son armée, où bien avoit deus mille honmes parmi les Geneuois et les Espagnols, et disoit que ceuls de sa partie n’avoient donné nulles trieuves sus mer, fors que sus terre. Qant la contesse de Montfort ot ordonné toutes ses besoingnes en Engleterre, et elle sceut quels gens elle aueroit, cinq cens honmes d’armes et cinq cens archiers, et les devoient conduire messire Robers d’Artois et li contes de Pennebruq, en lor compagnie devoient estre li jones sires Espensiers, messires Edouwars, mesires Guis de Briane, mesires Thomas de Walquefare, li sires de Tallebot, li sires de Boursier, mesires Robers de Noefville, messires Jehans Paule, mesires Lois Clifort, mesires Guillaume Chifeton, mesire Richart de Pont Cardon et pluisseur aultre, et se ordonnèrent et atendirent tout l’un l’autre à Pleumude.

Qant tout furent venu, gens d’armes et archiers, qui compagnier devoient mesire Robert d’Artois et la contesse de Montfort, il entrèrent en lors vassiaus et puis se desancrèrent et se missent en mer, et orent si bonne aventure que onques ne veirent, ne trouvèrent, ne encontrèrent la navie des Geneuois et des Espagnols, des quels mesires Lois d’Espagne estoit chiés et conduisières, dont depuis il furent moult esmervelliet: et la cause pourquoi ce fu, je le vous dirai. Un petit avant ce que mesires Robers d’Artois et la contesse de Montfort se departesissent dou havene de Plumude, uns grans 208 tourmens se mist sus mer, qui espardi tous ou en partie les vassiaus à mesire Lois d’Espagne et à Othon Doriie et à Toudou, et furent plus de quinse jours waucrant sus la mer et prendans terre de isle en isle, avant que il se peuissent tous remetre ensamble. Et en celle espasce la contesse de Montfort et mesire Robers d’Artois entrèrent en Bretagne, et prissent terre ou havene de Brest et de Hainbon, pour estre mieuls logiet à lor aise, dont messires Gautiers de Mauni et tout li compagnon orent grant joie de lor revenue. Fº 89.

P. 6, l. 22: Evruic.—Mss. A 1 à 6, 8 et 9, 11 à 14, 18 et 19: Bervich. Fº 101 vº.—Mss. A 20 à 23: Warwich, Fº 151.—Mss. A 23 à 29: Everuich. Fº 117 vº.

P. 7, l. 5: Hartecelle.—Mss. A 1 à 6: Harteselle. Fº 101 vº.—Mss. A 20 à 22: Hartesellée. Fº 151.—Mss. A 23 à 29: Hartevelle. Fº 117.

P. 7, l. 6: quatre cens.—Mss. A 8, 9, 11 à 17, 20 à 29: trois cens. Fº 93.—Mss. A 18, 19: à tout trois cens armeures de fier. Fº 102.

P. 7, l. 19 et 20: à l’encontre de Grenesie.—Mss. A 1 à 6: à l’encontre, en l’isle de Grenasie. Fº 101 vº.—Mss. A 18, 19: à l’entrée de Grenesie. Fº 102.—Mss. A 20 à 22: à l’endroit de Gravelinges. Fº 151 vº.

P. 7, l. 21 à 23: en trente.... revenue.—Mss. A 1 à 6: et trente deux gros vaisseaux espaignolz tous armez et tous fretez s’ancrèrent sur la mer, attendans leur venue. Fº 101 vº.

P. 7, l. 22: waucroient.—Mss. A 8, 9, 11 à 17, 20 à 22: s’ancroient. Fº 93.—Mss. A 18, 19: s’en entrèrent. Fº 102.

§ 185. P. 8, l. 3: Ensi.—Ms. d’Amiens: Ensi que messires Robiers d’Artois, li comtez de Pennebrucq, li comtez de Sallebrin et li signeur d’Engleterre et leurs gens, avoecq la comtesse de Montfort, nagoient par mer au léz deviers Bretaingne, et avoient vent à souhet, au departement de l’ille de Grenesie, à heure de relevée, il perchurent le grosse navie des Geneuois, dont messires Loeys d’Espaingne estoit chiéz. Dont dissent leur maronnier: «Seigneur, armés vous et ordonnés vous, car vechy Geneuois et Espagnols qui viennent et qui vous aprochent.» Lors sonnèrent li Englès leur trompettez et missent les bannierrez et les pignons de Saint Jorge hors dessus leurs mas, et chacuns barons par lui sa bannierre sus son vaissiel. Si s’ordonnèrent bien sagement et 209 s’encloirent de leurs archiers, et puis nagièrent à plain voille enssi que li tamps là portoit; et pooient y estre environ trente six vaissiaux, que grans, que petis, mès nuls si grans, ne si fors de trop n’en y avoit que messires Loeys d’Espaingne en avoit neuf. Et entre ces neuf avoit trois gallées qui se remoustroient dessus tous lez autres; et en chacune de ces trois gallées estoient li trois corps des seigneurs, messires Loeys, messires Carlez, messires Othes. Si s’aprochièrent li vaissiel, et coummenchièrent Geneuois à traire de leurs arsbalestrez à grant randon, et li archier d’Engleterre ossi sour eux. Là eut grant tret des uns vaissiaux as autres, et qui longement dura, et maint homme navret et blechiet. Et quant li seigneur, li baron, li chevalier et li escuier s’aprochièrent, et qu’il peurent des lanches et des espées venir enssamble, adonc y eut dure bataille et crueuse, et trop bien s’i portoient et esprouvoient li ung et li autre. Là estoit messires Robers d’Artois, qui y fu très bon chevalier, et la comtesse de Montfort armée, qui bien valloit ung homme, car elle avoit coer de lion, et tenoit ung glaive moult roide et bien trenchant, et trop bien s’en combatoit et de grant couraige. Là estoit messires Loeis d’Espaigne en une gallée, comme bons chevaliers, qui vassaument et de grant vollenté requeroit et se combatoit as Englèz, car moult les desiroit à desconfire, pour lui contrevengier dou dammaige qu’il avoit euv et recheuv ceste propre année asés priès de là, ou camp de Camperli. Et y fist, ce sachiés, messires Loeys merveillez d’armes, et bien en avoit l’avantaige, car il estoit en ung vaissiel qui se remontroit deseure tous les autres, et si estoit si bons chevaliers par mer et par terre. Là eurent li baron et li chevallier d’Engleterre ung très dur encontre et perilleus, car il avoient affaire à forte gens, mais il avoient bons cappittainnes et seurs chevaliers, bien deffendans et bien assallans. Là eut fait mainte belle appertise d’armes, maint homme mort, navré et maint reversé en l’aige, qui oncques puis ne s’aidèrent. Si dura ceste bataille de relevée tout jusques au soir, toudis combatant, trayant, lanchant et grans appertises d’armes faisans. Si les convint sus le soir, par pure necessité, partir l’un de l’autre et ancrer, car la vesprée se couvri, et une noire nuée monta, qui l’air obscurchi durement. Lors se missent tout à l’ancre, et entendirent as blechiés et as navrés remuer, bendeler et remettre à point; et estoit leur entension que jammais de là ne partiroient, se seroit li une des parties desconfite. Fº 75 vº.

210 P. 8, l. 4: Salebrin.—Les mss. A 23 à 33 ajoutent: le conte de Sufforc, le conte de Kenfort, le baron de Stanfort, le seigneur Despensier, le seigneur de Boursier. Fº 118.

P. 8, l. 8: Grenesie.—Mss. A 1 à 6: Gresile. Fº 102.—Mss. A 8, 9: Grèce. Fº 93 vº.—Mss. A 15 à 17: Guenerre. Fº 103.—Mss. A 18, 19: Crète. Fº 102.

P. 9, l. 17 et 18: ou camp de Camperli.—Ces mots manquent dans les mss. A 1 à 6, fº 102.

§ 186. P. 10, l. 4: Un petit.—Ms. d’Amiens: Ung petit devant mienuit s’esleva ungs vens, ungs orages si très grans et une pleuve si très grosse et ung tonnoirez et ungs esclistrez si mervilleux, que il sambloit proprement que li mondez dewist finner. Et n’y avoit si hardi ne si preu bacheler, ne qui tant ainmast les armez, qui ne volsist bien estre à terre, car cez bargez et ces naves hurtoient lez unes as autrez, et sambloit que elles se dewissent ouvrir et partir. Si demandèrent consseil li seigneur d’Engleterre à leurs maronniers quel cose leur estoit bon affaire; et il respondirent que d’iaux traire à terre au plus tost qu’il poroient, car la fortune estoit si grande sus mer, que, se li vens les y boutoit, il seroient tout en peril d’estre noiiet. Dont entendirent il generaument à sachier lez ancrez amont et les voilles, enssi qu’à demy quartier, et tantost eskipèrent et eslongièrent il les ennemis qui gisoient devant yaux à l’ancre, qui ossi n’estoient mies trop asceur. Et se boutèrent ou parfont et n’osèrent sieuwir les Englès qui aprochoient terre, pour ce que leur vaissiel estoient si grant que se il ewissent froté à terre en telle fortune, il fuissent romput. Pour tant se missent il ou plus parfont; mès à leur departement, il trouvèrent quatre nefs englesses cargies de chevaux et de pourveanches, qui s’estoient tenut en sus de le bataille. Si eurent bien consienche, quel tamps ne quel tempès qu’il fesist, de prendre ces quatre vaissiauls et d’atachier as leurs, et de prendre le haulte mer pour eskieuwer ce peril. Chilz vens et chil fortune les bouta, ains qu’il fuist jours, plus de cent lieuwes enssus dou lieu où il s’estoient combatu, et les nefs englesses arivèrent et prissent terre à ung petit port assés priès de Vennes, dont il furent tout resjoy quant il se trouvèrent à terre. Fº 75 vº.

§ 187. P. 11, l. 14: Ensi.—Ms. d’Amiens: Enssi et par ceste grant fortunne se desrompi la bataille sus mer de monseigneur Robert 211 d’Artois et se routte à l’encontre de monseigneur Loeys d’Espaigne et de ses gens. Si n’en scet on à qui donner l’onneur, car il se partirent tout magret yaux et par le diverseté dou tamps. Touttez voies, li Englès prissent terre assés priès de Vennes et ysirent hors des vaissiaux, et missent leurs cevaux sus le sablon, touttez leurs armeures et leurs pourveanches, et puis eurent consseil et advis dou sourplus, coumment il se maintenroient. Si ordonnèrent à traire leur navie deviers Hainbon et yaux aller devant Vennes, car assés estoient gens pour assegier la dessus dite cité. Si se mirent et chevauchièrent tout ordonneement celle part. Il n’eurent miez gramment à aller, quant il y vinrent.

Adonc estoit dedens la cité de Vennes, de par monsigneur Charlon de Blois, messires Hervis de Lion et messire Oliviers de Clichon, li sirez de Tournemine et li sires de Lohiach, gardiiens et cappittainnez de Vennes et dou pays environ. Quant chil seigneur virent venus li Englès, et que il s’ordonnoient pour y mettre le siège, si ne furent mies trop effraet, mès entendirent au castiel premierement, puis as gharittes et as portes, et missent en chacune porte ung chevalier et dix hommes d’armes, dix archiers et dix arbalestriers, et s’ordounnèrent assés bien pour tenir et garder le chité contre tous venans. Or vous parlerons de monseigneur Loeis d’Espaingne et de se routte. Fos 75 vº et 76.

P. 11, l. 20: prisent terre.—Ms. B 6: Che fu environ le Saint Jehan Baptiste l’an mil trois cens quarante deux que la guerre estoit jà ouverte entre la contesse et Charle de Blois. Fº 220.

§ 188. P. 12, l. 16: Saciés.—Ms. d’Amiens: Sachiés que, quant cils grans tourmens et ceste fortune eurent pris et eslevet et boutet en mer le dessus dit monseigneur Loeys, il furent toutte ceste nuit et l’endemain tant c’à nonne, moult tourmenté et en grant aventure de leurs vies, et pardirent par le tourment deux de leurs petis vaissiaux chargiés de pourveanchez; mais il en avoient concquis quatre sus les Englès, plus grans assés. Quant che vint environ nonne, li tempès cessa, li mers s’aquoisa. Si demandèrent li siegneur as maronniers auquel lés il estoient plus priès de terre, et il respondirent: «Dou royaumme de Navarre.» Lors furent li patron moult esmervilliet, et dissent que li vens les avoit eslongniés enssus de Bretaingne de six vingt lieuwez. Si se missent là à l’ancre et atendirent le marée, si ques, quant li 212 flos de le mer revint, il eurent assés bon vent de quartier pour retourner vers le Rocelle. Et costiièrent Baione, mès il ne l’osèrent aprochier, et puis toutte le Gascoingne. Et fissent tant qu’il rapassèrent les reus Saint Mahieu, et là se missent il à terre, et puis vinrent à Camper Correntin, et là se reposèrent et rafrescirent pour entendre dez nouvelles. Si envoiièrent deviers monseigneur Charlon de Bloix, qui se tenoit à Rennes, à savoir quel cose il volloit que il fesissent. Or lairons nous d’iaux à parler ung petit. Si vous recorderons dou siège de Vennez et de monseigneur Robert d’Artois et de ses gens, coumment il se maintinrent. Fº 76.

Ms. de Rome: En celle prope sepmainne que li armée d’Engleterre ariva en Bretagne, fallirent les trieuwes entre mesire Carle de Blois et la contesse de Montfort.

Quant li dis mesire Carles, qui se tenoit en Nantes, sceut la verité de la venue des Englois que ils estoient arivet en Bretagne, il pensa bien que il aueroit la gerre. Si envoia tantos à tous lés, sus la mer, pour oïr nouvelles de son cousin mesire Lois d’Espagne. Et fu trouvés à le Bai en Bretagne, et jà savoit il que la contesse estoit passée et retournée en Bretagne. Si fist tant li dis mesires Lois que il vint à Rennes et trouva là mesire Carle de Blois, qui i estoit venus à grant gent d’armes. Si ordonna tantos et pourvei li dis mesires Carles gens d’armes par toutes ses forterèces, et senti bien que pour celle saison les Englois tenroient les camps, se poissance de France ne li venoit trop grande. Et pour ce que la besongne se tailloit que tout premierement li sièges se metteroit devant Vennes, messires Carles de Blois i envoia en garnison deux cens lances, et en fist chapitainne mesire Olivier de Cliçon et mesire Hervi de Lion. Et ensi de garnison en garnison il envoia ses chevaliers, et puis s’en retourna à Nantes. Et manda et escripsi tout l’estat de Bretagne à son oncle le roi Phelippe et à son cousin le duch de Normendie, et à son frère le comte de Blois et à ses cousins, ceuls de Chastellon. Fº 89.

P. 13, l. 9: Garlande.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18, 19 à 33: Guerrande. Fº 103.—Mss. A 15 à 17: Garrande. Fº 104 vº.—Mss. A 8 et 9: Garlande. Fº 94 vº.

§ 189. P. 13, l. 17: Messires.—Ms. d’Amiens: Messire Robers d’Artois, si comme vous poéz oïr, avoit assegiet la chité de 213 Vennes à mil hommes d’armes et à troix mil archiers, et couroit le pays tout environ, ardoit, essilloit, et destruisoit tout jusquez à Dinant et jusquez à le Roche Periot, jusquez à Ghoy le Forrest et jusques à le Roce Bernart et jusquez au Suseniot, et n’osoit nulx demorer sus le plat pays, mais avoient le leur retret ens ès fortrèces. Le siège durant, il y eult as bailles de le ville mainte escarmuche, mainte envaye et tamaintez bellez appertisses d’armes faittez. Chil dedens, loist assavoir li sirez de Clichon, messires Hervis de Lion et li autre chevalier, s’i portoient si vassaument que mieus ne pooient, et ung tampz y acquissent il grant grace. Et sachiés que toudis se tenoit la comtesse de Montfort au siège devant Vennes avoecq monseigneur Robert d’Artois. Ossi messires Gautiers de Mauni, qui s’estoit tenus en Hainbon ung grant temps, recarga le dite ville et castiel à monseigneur Guillaumme de Quadudal, à monseigneur Henry et à monseigneur Olivier de Pennefort et à messire Gerart de Rochefort, et le laissa bien pourveue pour touttes aventurez, puis prist avoecq lui monseigneur Yvon de Tiguery et cent hommes d’armez et deux cens archers, et vinrent en l’ost devant Vennez, où il furent recheu à grant joie de monseigneur Robert d’Artois et des barons d’Engleterre.

Assés tost apriès, se fist uns assaux devant Vennes moult grans et moult fiers, et assaillirent le chité chil qui assegiet l’avoient en troix lieux et toutte à une fois, et trop donnèrent affaire à chiaux de dedens; car li archier d’Engleterre traioient si ouniement et si espessement, c’a painnes s’osoient chil qui deffendoient, amoustrer as gharitez. Et dura chilz assaux ung jour tout entier. Si y eut moult de bleciéz et de navréz d’un lés et de l’autre. Quant che vint sus le soir, li Englès se retrayrent à leurs logeis, et chil de dedens à leurs hostelz, tous lassés et moult travilliés. Si se desarmèrent, mès chil de l’ost ne fissent mies enssi, ainchois se tinrent en leurs armeurez et ostèrent tant seullement leurs bachinés, et burent ung cop chacuns et se rafresquirent. Depuis, par l’avis et consseil monseigneur Robert d’Artois, qui fu ungs grans et sages gueriièrez, il s’ordonnèrent en trois batailles, et en envoiièrent les deux à deux portez là où il faisoit le plus fort assaillir, et le tierche fissent tenir toutte quoye couvertement. Et ordonnèrent que si trestost que li autre aroient assailli une bonne espasse, et que chil de dedens entenderoient à yaux deffendre, il se trairoient avant sus ce plus foible lés et 214 seroient tout pourveu d’escielles cordées à grawès de fier, pour jetter sus les dis murs et atachier as gharitez, et asaieroient se ceste voie le poroient concquerre.

Tout ensi comme il eurent ordonnet et estaubli, il fissent. Et s’en vint messires Robers d’Artois en le première bataille assaillir et escarmuchier à le baille de le porte, et li comtez de Sallebrin enssi à l’autre. Et pour ce qu’il faisoit tart, et affin ossi que chil de dedens en fuissent plus esbahis, il alumèrent grans feux, si ques li clartés en resplendissoit dedens le chité. Adonc tout à une vois li homme de le ville qui virent le feu et le lumierre, et especialment cil dou castiel, quidèrent que leurs maisons ardissent. Si criièrent: «Trahy! trahy! armés vous! armés vous!» Jà estoient li pluiseur couchiet et retret pour yaux reposer. Si se levèrent soudainement et s’en vinrent, sans arroy et sans ordonnanche et sans parler à leur cappitainnes, celle part où li feux estoit; et ossi li seigneur qui en les hostelx estoient, s’armoient. Entroes que ensi il estoient entoueilliet et empeschiet, li comtez de Kenfort et messires Gautiers de Mauni et leur routte, qui estoient ordené pour l’esciellement, entendirent à faire leur emprise et vinrent de ce costet où nus n’entendoit, et drechièrent leurs eschiellez et montèrent amont, les targes sus lor testez, et entrèrent en le cité par celle mannierre assés paisivlement. Et ne s’en donnèrent garde li Franchois et li Breton qui dedens estoient. Si virent leurs ennemis sus le rue et yaux assaillir devant et derière: dont n’y eut si hardi, qui ne fuist tous esbahis, et tournèrent en fuitez chacuns pour lui sauver, et quidièrent que li meschiés fuist plus grans que il n’estoit; car, se il se fuissent retourné et deffendu de bonne vollenté, il ewissent bien mis hors les Englès qui entrés dedens estoient. Et furent li seigneur qui cappittainne en estoient, si souspris, que à painnes peurent il monter à ceval, et quidièrent y estre tout trahi. Et s’en parti tout premiers pour son corps sauver messires Oliviers de Clichon, et fist ouvrir une porte et prist les camps. Ossi tout li seigneur qui dedens estoient, se sauvèrent, chacuns qui mieux peut.

Là eut, je vous di, grant encauch, grant noise, grant occision d’ommes, de femmez et d’enfans, car cil qui escellé l’avoient, vinrent as portes et coppèrent les flayaux, et ouvrirent lez portes et puis lez baillez. Si entrèrent ens touttes mannierrez de gens, premiers messires Robers d’Artois et se bannierre et 215 toutte se routte, messires Richart de Stamfort et se bannierre, li comtez de Pennebrucq et se bannierre, et ensi tout li autre chevalier et escuier, qui mieux mieux. Et chil de Vennes widoient et fuioient leurs maisons, et laissoient femmes et enffans, draps et jeuiaux. Et vous di que, se che ewist estet de jour ossi bien que ce fu de nuit, tout chevalier et escuier et autres bonnez gens de Vennes ewissent estet tout mort et pris. Mès li Englès ne chachièrent point, car pas ne congnissoient lez usaiges ne les voies d’environ le chité, et si leur sambla qu’il ewissent trop bien exploitiet, quant il avoient pris le ville et le chité de Vennes par assault et boutté hors leurs ennemis. Fº 76.

Ms. de Rome: Droit as octaves de la Saint Jehan Baptiste s’en vinrent la contesse de Montfort, messires Robers d’Artois, messires Gautiers de Mauni et li chevalier de Bretagne et d’Engleterre mettre le siège devant la chité de Vennes, et l’environnèrent si avant que assegier le porent, car bien estoient gens pour ce faire. Cil de la chité se confioient grandement en la bonne chevalerie qui dedens estoient, et à bonne cause; car c’estoient tous vaillans honmes et de grant prudense. Euls venu devant Vennes, il i fissent pluisseurs assaus as portes et as barrières. Et moult vaillanment asalloient li Englois; et aussi li chevalier et li esquier qui dedens estoient, par grande apertise d’armes se deffendoient.

Mesires Carles de Blois mettoit grande entente à ce conment il peuist avoir tant de gens d’armes et de Geneuois que il peuist lever le siège, et resister contre la poissance de la contesse, et avoit ses messages alans et cevauçans en France nuit et jour deviers le roi Phelippe et les signeurs. Mais pour lors la cours dou roi de France estoit si raemplie d’uiseuses et si lontainne en esplois, que à painnes pooit on avoir nulle delivrance, ne on ne pooit avenir jusques au roi, car tous jours estoit il en ses deduis. Et jà se tenoient li tresorier de France tout hodé et moult acargiet dou fait de la guerre de Bretagne, car trop d’or et d’argent, à ce que il faisoient entendant au roi et à son consel, reversoient là.

Dou conmencement de ces gerres de Bretagne, li rois Phelippes de grant volonté aida son cousin à continuer la gerre et à lui envoiier gens d’armes et saudoiiers. Et puis que les gerres furent escaufées, et que les Englois s’en ensonniièrent, il s’en refroida, à ce que on vei les apparans, dont les besongnes en furent plus laides pour messire Carle de Blois.

216 Or retournons au siège de Vennes. Messires Robers d’Artois et messires Gautiers de Mauni rendoient grant painne à ce que il peuissent conquerir la chité de Vennes, pour faire garnison et frontière contre le demorant dou pais. Bien savoient que par trettié jamès ne le raueroient, car elle estoit garnie et pourveue de vaillans honmes et grans signeurs de Bretagne et bien amis à mesire Carle de Blois, qui jamais n’entenderoient à nul trettiet. Et lor estoit avis que, se il poient avoir Vennes et conquerir, il seroient grant signeur sus la frontière, car il aueroient Vennes, Hainbon et Brest, et tout seant sus la mer. Et poroient ces trois garnisons sans dangier conforter l’un l’autre et retraire au besoing, se poissance de gens d’armes lor croissoit dou roiaume de France. Pour ce soutilloient il nuit et jour conment il le poroient avoir, et tant i visèrent et soutillièrent que il vinrent à lor entente.

Entre les asaus que les Englois et les Bretons fissent à la chité de Vennes, il en i ot un grant et bien continué, car il dura un jour tout entier, et se ensonniièrent priès toutes les gens d’armes de l’oost et chil de dedens. Qant ce vint sus le soir, tout se retraiièrent dedens et dehors à lors logeis. Messires Robers d’Artois et les Englois et Bretons d’un lés soupèrent bien briefment, et point ne se desarmèrent, et reposèrent un petit. Et tantos apriès mie nuit, il sallirent sus, sans faire grant noise, et s’ordonnèrent en pluisseurs routes, et s’en vinrent pour assallir Vennes. Et fissent alumer grant fuisson de feus de busce au plus hault de la ville au dehors et au desus dou vent, et dou plus priès de la ville que il porent.

Chil qui faisoient le gait pour la nuit dedens Vennes, veirent les feus eslever contre mont à celle heure là. Si furent tout esmervilliet, et quidièrent de premiers que li feus fust en la ville. Si vinrent celle part; si conmenchièrent à faire grant noise et à resvillier ceuls qui dormoient. Chevalier et esquier sallirent sus apertement, et quidoient que la ville fust prise. Et ensi que il issoient hors de lors hostels, et il veoient les feus et les fumières au dehors, il quidoient que ce fuissent les maisons de Vennes qui ardissent, et estoient tout esfraé. A celle heure i avoit très grant assaut à deus portes de Vennes; et pour ce que li hus et li cris estoient là, toutes gens d’armes s’i traioient.

D’autre part, mesires Robers d’Artois, mesires Gautiers de Mauni et une bataille d’Englois et de Bretons estoient aviset de lor 217 fait et pourveu d’escelles de cordes, et alèrent tout à l’oposite de l’asaut et dou hustin, là où nuls n’estoit ne n’entendoit. Et jettèrent lors escelles à cros de fier, et les atachièrent as murs, et puis montèrent amont, sans estre oï, sceu ne veu, car li aultre menoient si très grant hustin, qui asalloient et qui se deffendoient, que on n’ooit de nulle part goute pour euls. Par celle manière entrèrent en la chité de Vennes plus de deus cens honmes d’armes, mesires Robers d’Artois et sa banière et li sirez Espensiers et sa banière, li sires de Fil Watier et son pennon, mesires Gautiers de Mauni et son pennon, et fu chils qui tous premiers i entra. Et qant il furent tout dedens, il se missent en bonne ordenance et arroi, et descendirent tout parmi une rue, en escriant lors cris, et en abatant tous ceuls que il encontroient. Li François estoient et furent soudainnement si effraé et en tel desroi que il conmencièrent à fuir, li uns chà et li aultres là, sans mettre nulle deffense en euls. Toutes fois, li sires de Cliçon, mesires Hervis de Lion, mesires Guis de Lohiac et li chevalier qui en garnison là dedens estoient, se sauvèrent et montèrent sus lors chevaus et laissièrent tout lor arroi. Onques riens n’enportèrent, et quidièrent bien estre trahi. Les portes, au lés où les Englois et Bretons asalloient, furent ouvertes, et entrèrent dedens tout abandonneement. Ensi fu Vennes prise de par mesire Robert d’Artois et mesire Gautier de Mauni; mais trop furent les Englois courouchié que li quatre baron qui dedens estoient, lor estoient ensi escapet, et li aultre chevalier de Bretagne et de France, car bien i avoit de prisonniers pour cent mille florins. Fos 89 vº et 90.

P. 13, l. 19: trois mille.—Mss. A 1 à 6, 18, 19: trois cens. Fº 103.

P. 13, l. 21: Dinant.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 33: Dignant. Fº 103.

P. 13, l. 21: et jusques à le Roce Periot.—Ces mots ont été ajoutés dans les mss. B.

P. 13, l. 24: Souseniot.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: Sustinot. Fº 103.—Ms. A 7: Suseniou. Fº 98.—Mss. A 8 et 9: Suseniot. Fº 94 vº.—Mss. A 15 à 17: Sussenioth. Fº 104 vº.

P. 13, l. 29: Lyon.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19 à 23 ajoutent: le sire de Tournemine. Fº 103.

P. 14, l. 8: as deux frères de Pennefort.—Les mss. A 1 à 9, 11 à 19, 23 à 33 substituent: et à messire Gerard de Rochefort. Fº 103 vº.

218 P. 14, l. 9: Tigri.--Mss. A 1 à 7, 18 à 33: Triviguidi, Treviguidi. Fº 103 vº.—Mss. A 8, 9, 15 à 17: Tigri. Fº 94 vº.—Mss. A 11 à 14: Tringuidi. Fº 99.

P. 15, l. 5: grawès.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: crapes, crappes. Fº 103 vº.—Mss. A 20 à 22: grapins. Fº 154.

§ 190. P. 16, l. 24: Ensi.—Ms. d’Amiens: Ensi que je vous recorde et par l’emprise et soutieuté monseigneur Robert d’Artois, fu la chité de Vennes prise, et fissent de ceux et de celles qu’il trouvèrent laiens, leur vollenté. Quant ce vint au matin, que tout li baron et li chevalier eurent entendu à leur besoingnez et veirent que point de recouvrier n’y avoit ens ès Franchois, ne nul samblant de retourner pour combattre, si se tinrent pour tout asseuret et vinrent querre la comtesse de Montfort et l’amenèrent dedenz le chité en grant joie. Et disnèrent ou castiel tout li seigneur avoecq monseigneur Robert d’Artois et la dessus ditte comtesse. Or vous parlerons dou pays qui fu durement effraés et esmervilliés de ceste avenue; meysmes messires Charlez de Blois par especial en fu trop durement courouchiés. Si manda à son marescal monseigneur Robert de Biaumanoir et au viscomte de Rohem qu’il chevauçaissent celle part, car li prise de Vennez estoit trop perilleuse pour le pays. Et manda encorrez messires Carlez de Blois à monseigneur Loeis d’Espaigne que il pourveist la ville de Camper Corentin bien et suffisamment et y lasast bons cappitainnes et seurs, et rentrast en mer et gardast les frontières de Saint Malo et de Saint Mahieu de Finne Postierne, dou port de Bay et de Gredo, de Garlande et de Camperli, et que il ne pooit faire milleur esploit que de gueriier sur mer allans et venans d’Engleterre en Bretaingne, ou kas que li Englès li estoient ennemy. A l’ordonnance de monseigneur Carle de Blois vot obeir li dessus dis messires Loeys, et laissa dedens Camper Correntin le seigneur de Quitin et messire Guillaumme dou Broeil et messire Henri de le Saucerrelle, puis s’en parti et se mist avoecq Espagnos et Geneuois sus mer en le compaignie de monseigneur Carle Grimaus et de monseigneur Othon Doriie. Or renvenrons à monseigneur Robiert d’Artois et as seigneurs d’Engleterre qui estoient dedens la cité de Vennes.

Au cinquime jour que la cité de Vennes eult estet prise, ordonnèrent li seigneur que messires Gautiers de Mauny et messires Yves de Tigueri ramenaissent la comtesse de Montfort dedens 219 le ville de Hainbon, et de là ne partesissent jusques à tant que il orroient autrez nouvelles, mais fuissent songneux de garder le forterèce, car c’est une grant clés ou pays pour yaulx. Messires Ghautiers s’i acorda, et ramenèrent la dite comtesse à grant routte, qui y fu liement rechupte. Encorrez ordonna messires Robers d’Artois, comme chiéz et souverains de ceste chevauchie et armée de par le roy englès, que li comtez de Sallebrin, li comtez de Pennebrucq, li comtez de Sufforch, li comtes de Cornuaille et aucun autre baron alaissent assegier la cité de Rennes et il demorroit en Vennes, et messires Richart de Stamfort o lui, et garderoit là le chité et l’entrée. Enssi comme il l’ordounna, il fu fait. Chil seigneur d’Engleterre et leurs gens s’appareillièrent pour venir devant Rennes. Cez nouvellez sceut messires Carlez de Bloix que li Englès venroient assegier Rennes. Si eut consseil qu’il s’en partiroit et madamme sa femme ossi, car mieux entenderoient à leurs besoingnes, se il avoient lez clés des camps, que ce que il fuissent là dedens enclos. Si fist sa femme amenner à Nantes, et il s’en vint au Suseniot, et laissa dedens Rennes à cappitainne le seigneur d’Ansenis, messire Ievain Charuiel, qui estoit adonc jones bacelers, et monseigneur Bertran de Claieqin, qui ossi estoit moult jones et de grant emprise, et avoecq yaux pluisseurs escuiers de Bretaingne, de Bourgoingne et de Normendie. Et li dessus dit seigneur d’Engleterre s’en vinrent devant Rennes, et l’assegièrent de tous les poins, et i fissent tamaint assault. Et li saudoiier et compaignon de la chité, parmi l’ayde des bourgois, ossi le gardèrent très bien. Fos 76 vº et 77.

P. 17, l. 12: trois mille.—Mss. A 1 à 29: quatre mille. Fº 104.

P. 17, l. 20 et 21: d’Engleterre.--Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: de Bretaigne. Fº 104.

§ 191. P. 17, l. 24: Pour le prise.—Ms. d’Amiens: Pour la prise de la cité de Vennes fu li pays durement esmeus et courouchiés; car bien quidoient que li dessus dit seigneur et cappittainne, qui dedens estoient quant elle fu prise, le dewissent deffendre et garder ung tamps contre tout le monde, car elle estoit forte assés et bien pourveue de toute artillerie et d’autres pourveanches, et bien garnie de gens d’armes. Si en estoient par le mesavenue tout honteux li sirez de Clichon et messires Hervis de Lion, car aussi li envieux en parloient villainnement sus leur partie. 220 De quoy li doy seigneur ne veurent mies plenté sejourner, ne yaux endormir en le renoumée des mesdisans; ains quellièrent grant fuisson de bons compaignons, chevaliers et escuiers de Bretaingne, et priièrent as cappittainnez des fors que il volsissent y estre à cel jour [que ordonné et nommé avoient entre yaus, sur les champs], à tout tel quantité de gens; et se il plaisoit à Dieu, il feroient ung tel fet d’armes qu’il y aroient honneur, et tous li pays prouffit. Si le segnefiièrent il ossi à monseigneur Robert de Biaumanoir, marescal del pays de Bretaingne de par monseigneur Carle de Blois, liquelx ne s’escuza nullement, mès dist qu’il y seroit vollentiers. A che jour que li dessus dit ordonnèrent, vinrent les cappittainnez de là environ: messires Pière Porteboef, cappittainne de Dinant, et amena bien mil hommez; li cappittainne d’Auroi en amena deux cens; Gerars de Malain, castelain de Roce Piriot, deux cens; Reniers de Malain, castelain de Fauet, cent; li sirez de Quitin, cappittainne de Camper Correntin, cinq cens. Briefment, chevalier et escuier et touttes manierres de gens se queillirent et assamblèrent par le pourkas et à le priière des dessus dis, et furent tout venu ung certain jour devant Vennez. Et estoient bien dix mil hommes parmy le communauté dou pays, et assegièrent le cité de Vennes de tous costéz et puis coummenchièrent fortement à assaillir. Fº 77.

Ms. de Rome: Pour la prise et la perte de la chité de Vennes fu li pais de là environ tous esmeus et courechiés. La contesse de Montfort i entra à grant joie. Et furent pris auquns bourgois de la ville et mis en prison, et corrigiet les auquns de lors vies et de lors cavances, pour tant que l’autre fois si legierement il s’estoient rendu et tourné à mesire Carle de Blois. Si se tint la contesse là, je ne sçai qans jours, et puis s’en retourna à Hainbon et laissa mesire Robert d’Artois et mesire Gautier de Mauni couvenir de sa gerre. Mesires Oliviers de Cliçon, mesires Hervis de Lion, mesires Guis de Lohiac et li sires de Tournemine et chil qui sauver se porent, au departement de Vennes, s’en vinrent à Rennes, et trouvèrent là mesire Carle de Blois et sa fenme et les signeurs. Si recordèrent les aventures qui avenues lor estoient, et conment Vennes estoit perdue. En parlèrent li seigneur en pluisseurs manières. Li auqun disoient que il i avoit eu trahison, et li aultre, non. Meismement chil qui en retournoient, n’en savoient point parler bien proprement. Et disoient li auqun en requoi que Vennes avoit esté perdue par simplèce et povre garde et negligense de 221 mesire Olivier de Cliçon et de mesire Hervi de Lion. Et tant montèrent les murmurations que li doi chevalier en furent enfourmé; et leur fu dit de ceuls qui les amoient, que la vois dou pais parloit vilainnement sus lor partie. Et qant il oïrent ce, si furent moult courouchié et à bonne cause, et jurèrent que jamais n’entenderoient à aultre cose, si aueroient repris la chité de Vennes ou il i metteroient les vies. Et se ordonnèrent à ce faire, et priièrent tous lors amis, dont il avoient grant fuisson, et tous les chapitainnes des forterèces de Bretagne; et s’estendoient les priières et mandemens ensi que, sus un jour que il i ordonnoient, il fuissent tout là où il les voloit avoir. Tout i furent, et i ot à lor priière grant asamblée de gens d’armes; et s’en vinrent de fait et sus un un jour mettre le siège devant Vennes. La contesse de Montfort s’en estoit partie un petit devant et retraite en Hainbon, mais messires Robers d’Artois et grant fuisson de bonnes gens d’armes d’Engleterre et d’archiers i estoient demoret. Si se trouvèrent les François et les Bretons, qant il furent là tout assamblé, plus de douse mille, et ne sejournèrent point longement devant, qant il le conmenchièrent à asallir. Fº 90.

P. 18, l. 4: li envieus en parloit.—Mss. A 1 à 33: les ennemis en parloient. Fº 104 vº.

P. 18, l. 15: plus de douze mille.—Ms. B 6: bien cinq mille. Fº 122.

P. 18, l. 17 et 18: Biaumanoir.—Mss. A 8, 9, 15 à 17: Beaumont. Fº 95 vº.—Mss. A 20 à 22: Beauvaiz. Fº 155.

§ 192. P. 18, l. 21: Quant.—Ms. d’Amiens: Quant messires Robiers d’Artois se vit assegiéz dedens Vennes, si ne fu mies esbahis de lui tenir vassaument et de deffendre le chité. Li Breton qui devant estoient, comme tout fourssenet de ce, che leur sambloit, que perdu l’avoient, s’aventuroient à l’assaillir durement et corageusement, et se hastoient d’iaux aventurer, par quoy chil qui seoient devant Rennes et chil qui estoient dedens Hainbon, ne leur venissent pour yaux brisier leur emprise. Dont il avint que li Breton estaublirent et liv[rè]rent ung tel assault, si dur et si bien ordonné, et si corageusement s’i esprouvèrent li assallant, chevalier et escuier et meysmement li bon homme dou pays, et tant donnèrent affaire à chiaux de dedens, qu’il concquissent les baillez et puis le porte, et entrèrent ens par force et par proèce, volsissent ou non li Englès, et furent mis en cace. Et mout y eut 222 adonc d’Englès mors et navrés, et par especial messires Robers d’Artois fu durement navrés, et à grant meschief mis hors de le presse et sauvés de ses gens, et l’enportèrent vers Hainbon. Ossi à grant meschief se sauva messires Richars de Stamfort. Et là fu ossi navrez li sirez Despenssiers, un grans barons d’Engleterre, et pris de monseigneur Hervi de Lion et siermentés à prison, mès il ne vesqui despuis que troix jours.

Enssi que je vous compte, par assaut et par biau fet d’armes fu la cité de Vennes reconcquise, et mis et cachiet hors ou pris tous li Englès qui s’i tenoient. Et fu messires Robiers d’Artois aportés durement blechiés et navréz à Hainbon, de quoy la comtesse de Montfort fu durement courouchie, et ossi furent tout li baron et li chevalier d’Engleterre qui là estoient. Ceste nouvelle s’espandi parmy le pays que la cité de Vennes estoit reprise, et messires Robert d’Artois navrés à mort et pluisseur aultre. Si furent grandement resjoy cil qui devant en avoient estet courouciet, et meysmement messire Charle de Blois: che fu bien raisons.

Li Englès qui assegiet avoient la chité de Rennes, entendirent ces nouvelles. Si en furent moult dolent, et plus de le navreure monseigneur Robiert d’Artois, que de la prisse de Vennes. Nonpourquant il ne veurent mies brisier leur siège, ains le renforcièrent de jour en jour, car chil qui escappet estoient de Vennes, se traioient celle part, et ossi la comtesse de Montfort y envoya grans gens. Si devés savoir que messires Robiers d’Artois depuis ne vesqui nient plentet, ains trespassa de che siècle et ordonna qu’il fuist rapportez à Londres. Là fu il ensevelis. Enssi morut li dessus dis messires Robers, qui fu moult gentilz et haus homs et de noble lignie, qui premierement mist le guerre entre le roy de Franche et le roi d’Engleterre.

Quant li roys englès seut que ses oncles messires Robiers d’Artois estoit mors et par le bleçure qu’il avoit euv à Vennes, si fu trop durement courouchiéz, et dist qu’il n’entenderoit jammais à autre cose, si l’aroit vengiet. Auques nouvellement estoit la trieuwe fallie entre lui et le roy de France, celle qui avoit estet premeute et pourparlée devant Tournay et confremée en la chité d’Arras. Si fist li roys englès tantost escripre lettrez et mander par tout son royaume que chacuns, noblez et non noblez, fust appareilliés pour mouvoir avoecq lui au chief dou mois, puis fist grans pourveanches de naves et de vaissiaux et de touttez autres 223 coses. Au chief del mois, il se mist en mer à grant navie et vint prendre port assés priès de Vennes, là où messire Robiers d’Artois et se compaignie avoient l’autre fois arivet, puis descendi à terre; et missent hors des vaissiaux premierement leurs chevaux et touttes leurs pourveanches, et puis s’aroutèrent et chevaucièrent deviers Vennes. Bien estoient quinze cens hommes d’armes et cinq mil archiers. Fº 77.

Ms. de Rome: Qant mesires Robers d’Artois se vei assegiés dedens Vennes, si ne fu pas trop hesbahis de soi tenir vassaument et de deffendre la chité. Li Breton qui devant estoient, conme tout foursenet de ce que lor sambloit que perdu l’avoient si simplement, s’aventuroient durement à l’asallir corageusement, et se doubtoient que par force de gens d’armes et d’archiers, fust de nuit ou de jour, on ne venist lever le siège. Pour ce se delivroient il de faire lor [emprise] dou plus tos que il pooient, et estoient priès nuit et jour tout dis en armes. Et par especial il i ot un assaut si dur et si fort et si bien continuet que, de force et par biau fait d’armes, les bailles de l’une des portes furent conquises et copées. Adonc vinrent toutes gens d’armes si efforciement à la porte où li Englois estoient, qui ouverte l’avoient, pour livrer deffenses as bailles, que de fait et de force il efforcièrent les Englois; et entrèrent li asallant en Vennes, vosissent ou non li deffendant. Si estoient là present messires Robers d’Artois et sa banière, li sires Espensiers et sa banière; mais on voelt dire que chil de la ville rendirent grant painne à ce reconquès, et se tournèrent avoecques les François. Là furent navré durement li sires Espensiers, et aussi fu mesires Robers d’Artois et biau cop d’aultres. Et là furent pris mesires Richars de Stanfort et mesires Jehans de Lille, et aussi fu messires Edouwars li Espensiers. A grant meschief se sauvèrent mesires Robers d’Artois et li aultre, et issirent par une posterne et vinrent à Hainbon.

De ces nouvelles et dou reconquès de la chité de Vennes furent la contesse et tout chil de sa partie courouchié et à bonne cause, mais amender ne le porent. Li sires Espensiers, tous prisonniers à mesire Hervi de Lion, des plaies que il ot morut. Mesires Robers d’Artois onques ne pot estre bien sanés de une plaie que il ot ou chief, et li prist volenté de retourner en Engleterre, et ot un sauf conduit de mesire Carle de Blois, lui dousime de chevaliers. Si monta en mer li dis mesires Robers, bien accompagniés de chevaliers et d’esquiers, dont il fist folie, car 224 encores n’estoit il pas bien sanés. Et sus la mer, pour la marine, ses plaies s’esmurent tellement et si le ragrevèrent que, li retourné en Engleterre, il ne vesqui point depuis longement, mais morut. De laquelle mort li rois d’Engleterre fu moult courouchiés, et s’en vesti de noir, et ses ainnés fils li princes de Galles et li contes Derbi; et fu ensepvelis moult solempnement as Augustins en la chité de Londres, et là li fist on son obsèque moult reveranment. Et y furent li rois et la roine d’Engleterre et leurs fils li princes, et tout li prelat et li baron d’Engleterre, qui pour ces jours estoient en Engleterre. Assés tos apriès fu fais aussi li obsèques dou signeur Espensier, mesires Edouwars; et demorèrent de li quatre fils, Edouwars, Hues, Thomas et Henris. Et furent depuis li troi, chevaliers, et Henris, evesques de Nordvich; et fu lor mère fille au signeur de Ferrières d’Engleterre.

Moult fu li rois d’Engleterre courouchiés de la mort mesire Robert d’Artois, et dist et jura que jamès n’entenderoit à aultre cose si aueroit esté en Bretagne, car li contes de Monfort avoit relevé la ducée de Bretagne de li, lequel, à tort et à pechié, ensi que on l’avoit enfourmé, li rois Phelippes et li François avoient enprisonné à Paris ou chastiel dou Louvre et là tant tenu que il i estoit mort; et aussi il avoit eu en couvenant à la contesse de Montfort, que il la reconforteroit, puis que il li besongnoit. Et fist faire tantos grant amas de naves et de vassiaus et de nefs passagières, et traire viers les pors de Pleumude, de Wesmude et de Dardemude, et fist un moult grant mandement de gens d’armes et d’archiers. Entrues que li rois d’Engleterre ordonnoit ses besongnes et asambloit ses gens, li Englois qui estoient demoret en Bretagne dalés la contesse de Montfort, s’en vinrent mettre le siège devant la chité de Rennes, et encloirent dedens des bons chevaliers et esquiers qui vaillanment s’i portèrent.

Li rois d’Engleterre entra en mer à deus mille honmes d’armes et siis mille archiers. Et se departirent tout d’une marée et des havenes desus nonmés ses gens, et singlèrent viers Bretagne et costiièrent Normendie et les isles de Grenesée et de Breha, et vinrent tout de une flotte moult priès de Hainbon et de Vennes, dont tout chil qui tenoient la partie la contesse de Montfort, furent tout resjoï, et chil de par mesire Carle de Blois tout courechié, car il estoit venus à si grant poissance que pour tout cachier devant lui. Et ariva li dis rois d’Engleterre à Hainbon. La contesse de Montfort vint à l’encontre de li et le rechut ensi que on doit 225 recevoir son signeur, et le mena logier ou chastiel. Li dis rois d’Engleterre demanda à la contesse de ses chevaliers où il estoient, pour ce que nuls n’en veoit ne trouvoit. Elle respondi et dist que tout estoient alé, bien avoit un mois, au siège devant Rennes. De ce se contenta li rois et respondi que il faisoient bien, car gens d’armes en pais de gerre ne doient point estre wiseus. Fos 90 vº et 91.

Ms. B 6: Adonc fist li rois ung grant mandement et asambla quatre mille hommes d’armes et huit mille archiés, et fist faire toutes ses pourveanches à Hantonne, et là trouva sa navire toute preste. Alors le roy monta en mer et avecque lui le conte Henry Derby, le conte d’Arondel, le conte de Wervich, le conte de Herfort, le conte de Northantonne, le conte d’Aresselles, le sire de Persy, le sire de Ros, le sire de Felleton, le sire de Luzy, le sire de Noefville et pluiseurs grans barons d’Engleterre. Sy nagèrent tant qu’il arivèrent en Bretaigne à Saint Mahieu de Fine Posterne en Bretaigne bretonnant, et issirent de leurs batieaulx. Et furent les seigneurs cinq jours en la dite ville en eulx rafresquissant, et tant que leur nefz furent toutes deschergies; et puis montèrent et se mirent à chemin pour venir devers la cité de Vennes. Fº 223 et 224.

P. 19, l. 13 et 14: Richars de Stanfort.—Mss. A 1 à 22: le baron de Stanfort. Fº 104 vº.

P. 20, l. 7: à Saint Pol.—Ms. B 6: à l’eglise des Augustins. Fº 223.

P. 20, l. 23: au chief dou mois.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: avant un mois. Fº 105.—Mss. A 20 à 22: dedens ung moys. Fº 156.—Mss. A 23 à 29: à la fin du mois. Fº 122.

P. 20, l. 25: Au chief dou mois.—Mss. A 23 à 29: au bout du moys. Fº 123.

§ 193. P. 21, l. 4: Tant esploita.—Ms. d’Amiens: Si vint li roys devant Vennes et l’asega, monseigneur Olivier de Clichon dedens et monseigneur Hervy de Lion et pluisseur autre gentilhomme dou pays ossi, qui estoient de le partie monseigneur Carle de Blois. Quant la comtesse de Montfort sceut la venue dou roy englès, elle se parti de Hainbon en le compaignie monseigneur Gautier de Mauny et de monseigneur Yvon de Tigeri, et s’en vint devant Vennes veoir le roy, et li fist grant chière. Li roys le rechupt liement et doucement, enssi que bien le savoit faire.

226 Quant messires Charles de Blois, qui se tenoit au Suseniot, entendi ces nouvellez que li rois englès estoit arivés en Bretaingne si efforciement que pour reconcquerre ce qu’il tenoit et avoit concquis sour le comtesse de Monfort, si escripsi erranment lettrez et prist especials messages, et les envoya deviers le roy de Franche son oncle, en lui suppliant que il le volsist aidier et envoiier gens d’armes pour deffendre son pays et resister contre le puissance le roy englès. Quant li roys Phelippes eut veut les lettrez que ses nepveux li envoioit, et oy les messages qui l’emfourmoient de la force au roy englèz, si dist qu’il y entenderoit vollentiers, car ce estoit raison, pour secourir son neveult, qui tenoit en fief et en hoummaige la duchié de Bretaingne de lui. Si manda tantost le duc de Normendie, son ainnet fil, qui lors estoit à Roem, qu’il venist vers lui, et li escripsi le coppie des lettrez de monseigneur Carle de Blois, son cousin, affin qu’il se hastast et se pourveist de gens d’armes de Normendie et des basses marches.

Entroes que chil mesage allèrent et vinrent, li roys englès qui seoit devant Vennes, ardoit et essilloit le pays d’environ; et devant che ossi qu’il y venist, il estoit durement ars et gastéz et foulléz de tous costéz, tant qu’il euissent eu deffaulte de vivres, se il n’en ewissent amenet avoecq yaux grant fuisson d’Engleterre. Si y fist li roys englès, le siège durant, maint assault et mainte escarmuche, et moult dounna chiaux de Vennes affaire; mès la cité estoit forte et bien pourveue de gens d’armes et de toutte artillerie: si en estoit plus aisieule à deffendre. Fº 77 vº.

Ms. de Rome: Si issirent les Englois petit à petit des vassiaus et se rafresqirent ou pais de la contesse. Et puis se ordonnèrent par le commandement dou roi, et se departirent un jour, et vinrent tout ensamble mettre le siège devant la chité de Vennes; et encloirent dedens bien deus cens cevaliers et esquiers, des quels mesires Oliviers de Cliçon, mesires Hervis de Lion, mesires Joffrois de Mailatrait, li viscontes de Rohen et li sires de Roce Tisson estoient chapitains et gardiiens. Si constraindirent li Englès et li Breton moult fort la chité de Vennes, et moult songneusement l’asallirent le terme que il furent par devant; mais elle estoit si bien pourveue et garnie de bonnes gens d’armes et de vaillans honmes les chapitains, que petit i conquissent. Fº 91 vº.

§ 194. P. 22, l. 23: Quant li rois.—Ms. d’Amiens: Quant li roys englès vit la cité si forte et bien furnie de gens d’armes 227 et vit le povreté dou pays, il penssa bien qu’il ne poroit le chité avoir si tost concquise que de premiers il cuidoit. Et si avoit bien entendu que li comtez de Sallebrin, li comtes de Sufforch, li comtes de Pennebruch, li comtes de Cornuaille et li autre seigneur seoient devant Rennes, et avoient jà sis bien deux mois, et y avoient souvent assailli et peu fait, car la cité estoit bien garnie de gens d’armes et de touttez aultrez pourveanchez: si s’avisa li roys englèz qu’il yroit veoir ses gens que, grant temps a, n’avoit veut, et laisseroit partie de ses gens devant Vennes. Si ordounna le comte de Warvich, le comte d’Arondiel, le baron de Stamfort et monseigneur Gautier de Mauni à tenir le siège devant la dessus dite chité à cinq cens hommes d’armes et mil archiers. Puis se parti li roys et prist en se compaignie monseigneur Yvon de Tigeri et aucuns chevaliers de Bretaigne, pour lui enseignier les chemins, et le remanant de son host: bien estoient mil hommez d’armes et quatre mil archiers; et chevaucha tous ardans et essillanz le pays d’un lés et d’autre, et fist tant qu’il vint devant Rennes où il fu moult liement veus et recheus.

Quant messires Carlez de Bois sceut que li roys englès chevauchoit, si se parti dou Suseniot et s’en vint à Nantez, où il trouva monseigneur Loeys de Poitiers, comte de Vallenche, qui là estoit à grant gens d’armez, car il l’i avoit establi. Si entendirent chil seigneur es murs et as deffensses de le cité, et le remparèrent de tous poins et pourveirent d’artillerie et de tous vivrez, car bien penssoient que li roys englès les venroit veoir et espoir assegier.

Quant li roys Edouwars eut estet une espasse, environ cinq jours, avoecq ses gens devant le chité de Rennez, il entendi que messires Carlez de Blois estoit dedens Nantez et faisoit là son amas de gens d’armes. Si se avisa qu’il yroit celle part pour combattre à yaux, ou il lez assiegeroit dedens la cité meymez. Si s’esmut à l’onzime jour pour aller celle part, et leissa tous quois ses gens seans par devant Rennez; et chevauça tant, tout ardant et gastant le pays, que il vint devant la cité de Nantes. Et lui venu par devant, à une matinée, il fist ses gens bellement rengier et ordonner sus une montaigne assés priès de la cité, et là furent jusquez à haulte nonne, atendans que messires Carlez de Blois isist contre yaux; mès il ne le trova mies en son consseil. Si envoia li roys ses coureurs courir devant, qui ardirent les fourbours de le chité; et quant il vit qu’il ne les atrairoit point hors, il se loga assés priès de Nantez à siège fet bien ordonneement. Et 228 messires Carles de Blois envoioit souvent messagiers deviers le roy son oncle, en lui segnefiant l’estat de ses ennemis: de quoy li roys de Franche, pour conforter son neveult, avoit fait ung très grant et especial mandement à tous noblez et non nobles de son royaumme, que il sieuwissent le duc de Normendie, son fil, chacuns o tout son effort, qui s’en alloit en Bretaingne. Si s’adrecièrent deviers ce cemin, duc, comte, baron, chevalier et touttez mannierrez d’autrez gens de qui on se pooit aidier en gherre. Li dus de Normendie s’en vint en le cité d’Angiers, et là s’aresta, atendans ses gens qui venoient. Et li comtes Loeys de Blois passa oultre à bien trois cens lanches, et s’en vint à Nantes deviers monseigneur Carlon, son frère, pour lui aidier à deffendre et garder le chité contre les Englès. Fos 77 vº et 78.

Ms. de Rome: Quant li rois d’Engleterre vei che que point ne conquerroit la chité de Vennes legierement, et entendi que li pais de environ Vennes estoit si gastés et si mengiés que on ne trouvoit riens sus les camps, ne li coureur et varlet ne savoient où aler fouragier, et se tenoit là une moult grande hoost, il eut consel que il laisseroit là devant Vennes une partie de ses gens pour tenir le siège, et ils et li demorans de son hoost chemineroient oultre, et iroient mettre le siège devant la chité de Nantes, et là enclore mesire Carle de Blois: si se departi un jour de devant Vennes et i laissa à siège le baron de Stanfort, mesire Gautier de Mauni et pluisseurs aultres. Et estoient chil qui demorèrent environ cinq cens lances et douse cens archiers. Et puis se departi li rois o le demorant de son hoost, et estoient environ douse cens lances et vingt cinq cens archiers. Et ceminèrent tant avant et arrière que il vinrent devant Nantes, là où mesires Carles de Blois et sa fenme et si enfant estoient, et grant fuisson de bonne chevalerie de Bretagne, qui tenoient sa partie, de France et de Normendie, qui l’estoient venu servir.

Si mist là li rois d’Engleterre le siège et le asega d’un lés, car toute la chité de Nantes ne pooit il pas enclore, pour la cause de la rivière de Loire. Trop i faudrait de peuple, qui tout ce vodroit faire. Et avoient li Nantois et li François, qui là dedens se tenoient, lor issue et entrée, toutes fois que il voloient, au lés deviers Poito; et par là estoient il rafresqi de pourveances et de gens d’armes et de tout ce que il lor besongnoit.

Ensi se tint en celle saison li rois d’Engleterre devant la bonne chité de Nantes, et mesires Carles de Blois estoit dedens, et estoient 229 bien cinq cens armeures de fier. Et encores i retournèrent mesires Lois d’Espagne, mesires Carles Grimaus, mesire Othon Doriie et Toudou, qui toute la saison s’estoient tenu sus la mer et riens n’i avoient fait, fors desrobé les marceans, otant bien ceuls de lor costé conme les aultres, qant il les avoient trouvé sus la mer, car Espagnols, Geneuois, Bretons et Normans, esqumeurs de mers, n’ont nulle consience à mal faire.

Mesires Lois d’Espagne et chil de sa route estoient arivé et venu en Garlande, et par les terres deviers Poito entré en la chité de Nantes. Et trop bien vinrent à point pour aidier à deffendre et garder Nantes des grans assaus et envaies que les Englois et les Bretons, qui tenoient la partie de la contesse de Montfort, i faisoient, car tous les jours continuelment i avoit assaut ou escarmuce.

Mesires Carles de Blois escripsoit et segnefioit souvent son estat à son chier oncle, le roi de France, et à son cousin germain, le duch de Normendie, qui moult l’amoit, et à son oncle, le conte Carle d’Alençon. Chil troi entendoient bien as lettres et priières que mesires Carles leur faisoit, mais pour ce temps la cours du roi de France estoit si lontainne en tous explois que on n’en pooit avoir nulle delivrance, jà seuissent ils li rois et ses consauls que ses adversaires li rois d’Engleterre estoit, à poissanche de gens d’armes et d’archiers, en Bretagne, et que sa venue et son afaire pooit trop grandement adamagier le roiaulme de France: si ques ordonné fu et commandé de la bouce dou roi que son fils, li dus de Normendie, fesist son amas et assamblée de gens d’armes et se mesist à poisance sus les camps, et alast au devant des Englois qui estoient venu en Bretagne.

Li dus Jehans de Normendie, de bonne volenté, obei à l’ordenance dou roi son père, et fist son mandement par tout le roiaulme de France à estre à tel jour qui nonmés estoit, à Angiers et au Mans; et s’estendoient li mandement que li rois de France mandoit, pour estre plus diligent de venir. Fos 91 vº et 92.

P. 23, l. 3 et 4: et les deux frères de Pennefort.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 23 à 33: messire Richart de Rochefort. Fº 105 vº.—Mss. A 7 à 10, 15 à 22: monseigneur Gerart de Rochefort. Fº 100 vº.

P. 23, l. 12: cinq.—Mss. A 8, 9: quinze. Fº 97.—Mss. A 15 à 17: cinq ou six. Fº 107.

230 P. 23, l. 32: fourbours.—Mss. A 1 à 6, 8 à 29: faubours. Fº 106.

§ 195. P. 24, l. 1: Ensi se tint.—Ms. d’Amiens: Entroes que ces assamblées se faisoient, se tenoit li roys englès devant la cité de Nantez et l’avoit assegiet de l’un des costéz, et y faisoit souvent assaillir et escarmuchier et esprouver ses gens; mès en tous ses assaulx peu y concquist, ainschois y perdi pluisseurs fois moult de ses hommez, chevaliers et escuiers, dont il estoit moult courouchiéz. Quant il vit que par assault il ne le conqueroit point et que messires Carles de Blois n’isteroit point as camps pour lui combattre, si s’avisa qu’il lairoit là le plus grant partie de ses gens à siège, tant qu’il oroit autres nouvellez, et se trairoit deviers le bonne ville de Dinant. Si ordonna le comte de Kenfort, messire Henry, viscomte de Biaumont, le seigneur de Perssi, le seigneur de Ros, le seigneur de Montbray, le seigneur de le Warre, monseigneur Renault de Ghobehen, monseigneur Jehan de Lille à yaux là demourer et tenir le siège à cinq cens armures de fer et deux mil archiers; et puis cevauça o le demorant. Si pooit avoir environ quatre cens lanchez et deux mil archiers, tout ardant et exillant le pays de Bretaingne de l’un léz et d’autre, tant qu’il vint devant le bonne ville de Dinant, dont messires Pière Porteboef estoit cappittainne. Quant il parfu venus devant Dinant, il mist le siège tout environ et le fist fortement assaillir; et cil qui dedens estoient, ossi entendirent à yaux deffendre. Enssi assiega li roys englès, tout en une saison et à ung jour, en Bretaingne, troix chitéz et une bonne ville. Fº 78.

Ms. de Rome: Si se apparilloient toutes gens d’armes des lontainnes marces de Flandres, de Hainnau, de Tournesis, d’Artois, de Vermendois, d’Amiennois, de Biauvesis, de Pontieu, de Corbiois, de Normendie et de toutes les marces et limitations de France, de Bar, de Lorrainne, de Bourgongne, de Campagne, de Berri, de Poito et de Tourainne; et tout s’avaloient sus les basses marces viers le Mans et viers Angiers. Si ne furent pas sitos venu ne assamblé, et entrues avinrent pluisseurs avenues et fais d’armes en Bretagne. Car, qant li rois d’Engleterre vei que point il ne venroit à son entente de la chité de Nantes, et que trop fort elle estoit pourveue de gens d’armes, et se ne lor pooit on oster l’entrée et l’issue de Poito, de Saintonge et de la Rocelle, par lequel lés il estoient dedens Nantes tous les jours rafresqi, il eut consel que il 231 lairoit là le conte Derbi, le conte de Honstidonne, le signeur de Bercler, mesire Thomas de Hollandes et cinq cens armeures de fier et quinse cens archiers, qui tenroient le siège avoecques les Bretons de lor partie, et il s’en iroit à tout cinq cens armeures de fier et douse cens archiers esbatant parmi Bretagne et veoir ses gens devant la chité de Rennes, et sentir d’aultre part se riens il poroit conquerre, car trop li anoioit à estre longement sus une place et riens faire. Et se secours ou gens d’armes venoient en France et s’avaloient en Bretagne pour li conbatre, de ce seroit il tous resjois, et aueroit tantos toutes ses gens remis ensamble. Et tout ce li consilloient ausi à faire chil qui li estoient le plus proçain.

Si se departi li rois d’Engleterre de devant Nantes en l’estat et ordenance que je vous di, et se mist au cemin pour venir devant Rennes veoir ses gens. Et tant esploita que il vint, et le veirent volentiers tout chil qui là estoient, ce fu raisons; et se tint cinq jours devant la chité de Rennes, et au sisime il s’en departi et s’en vint mettre le siège devant Dignant en Bretagne.

Ensi tint li rois d’Engleterre en celle saison quatre sièges en Bretagne, à Nantes, à Vennes, à Rennes et à Dignant; et à casquns de ces sièges i avenoient tous les jours escarmuces, envaies ou assaus. Fº 92.

P. 24, l. 21: Si ordonna.—Ms. B 6: Sy ordonna à demorer devant Nantes le conte d’Arondel, le conte de Wervich, le conte de Hantitone, le sire de Persy, le sire de Montbray, le sire de Felleton, le sire de Luze et mille hommes d’armes et deux mille archiers. Fº 227.

P. 24, l. 24: Renault de Gobehen.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 23: Jehan de Gobehen. Fº 106.

P. 24, l. 26: six cens.—Mss. A 1 à 6: cinq cens. Fº 106.

P. 25, l. 5: luy et ses gens.—Mss. A 1 à 6: que lui, que ses gens. Fº 106.

§ 196. P. 25, l. 7: Entrues que.—Ms. d’Amiens: Entroes que li roys englès alloit et venoit et chevauchoit le pays de Bretaingne, ses gens qui seoient devant la cité de Vennes, y faisoient et livroient tous les jours tamaint assault, car durement le convoitoient à gagnier par fet d’armes, pour ce que li seigneur qui dedens estoient, l’avoient en celle meysme saison reconcquis sus yaux. Dont il avint ung jour entre les autres que à l’une des portez ungs très grans assaux se fist, et se trayrent de celle part 232 touttes lez bonnes gens d’armes de l’un léz et de l’autre. Et là eult mainte belle appertise d’armes fet; car chil de dedens avoient, comme bon chevalier et hardi, ouvert leur porte, et se tenoient à le barrière pour le cause de che qu’il veoient le bannierre le comte de Warvich, le comte d’Arondiel, le baron de Stanfort, monseigneur Gautier de Mauni, monseigneur Guillaume Fil Warinne, monseigneur Thummas de Hollandes et pluisseurs autrez qui là se tenoient et abandonnoient: de quoy messires Oliviers de Clichon et messires Hervis de Lion et li autre chevalier plus corageusement s’i aventuroient, car gentil homme contre gentil homme c’est droite parchons. Là y eut fet tant de biaux fèz d’armes que merveillez seroit à recorder, car li Englès, qui veoient le porte toutte ouverte, le tenoient en grant despit et à grant orgueil et à grant vaillandise, et si veoient le seigneur de Clichon, monseigneur Hervy de Lion et lez autrez chevaliers qui merveillez d’armes y faisoient. Finablement chilx assaux se porta tellement que de premiers li Englès furent recullet et moult arrière des bannièrez reboutet: ne say se il le fissent par malisce ou pour atraire chiaux de dedens. Mès à ce que li seigneur d’Engleterre reculèrent, li seigneur de Bretaigne s’avanchièrent et ouvrirent leur baille, chacun son glaive en son poing, et laissièrent six chevaliers pour garder le baille avoecq grant fuisson d’autrez gens; et puis, tout à piet en boutant et en lançant, il poursuivirent les seigneurs d’Engleterre qui, tout en recullant, se combatoient. Là eut très bon pugneis, fors bouteis des glaives et tamaintez belles appertisses d’armes faittez. Touttesfois, li Englès moutepliièrent et fortefiièrent; et convint les Bretons reculler, et non pas si rieuleement comme il estoient avallet. Là eut grant lutte et dur estekis des glaives, et maint homme blechiet et reverset. Quant chil qui gardoient le barière, virent lors gens cachier et reculler, il retraissent lez baillez avant et si mal à point que il convint monseigneur de Clichon demourer; et fu pris devant le barrière, et ossi fu messires Hervis de Lion. D’autre part, les Englès qui estoient monté vistement, et tout premiers li sirez de Stanfort et se bannierre, furent enclos entre le porte et lez baillez, et ne les peult on onques aidier que il ne fuissent pris ou mort; et fu li sirez de Stanfort pris pour prisonniers, et pluisseur de son hostel qui estoient dalléz lui. Adonc rentrèrent il dedens la chité de Vennes et refremèrent le porte, et cessa li assaux qui longement et en grant avanchement d’armes avoit duret. Fº 78.

233Ms. de Rome: Entrues que li rois d’Engleterre aloit, venoit et cevauçoit le pais de Bretagne, ses gens qui se tenoient devant la chité de Vennes, i livroient et faisoient là tous les jours tamains assaus, car moult le convoitoient à gaegnier par fait d’armes, pour tant que li chevalier qui dedens estoient, l’avoient en celle meisme saison reconquis sus euls.

Donc il avint un jour, le siège pendant, que à l’une des portes uns très grans assaus se fist, et se traissent de celle part toutes les bonnes gens d’armes, de l’un costé et de l’autre. Et là ot tamainte belle apertisse d’armes fait, car chil de Vennes avoient, conme vaillans gens et qui desiroient les armes, ouvert la porte; et estoient issu et venu as barrières, et là se tenoient, pour la cause de ce que il veoient les banières dou conte de Warvich et dou conte d’Arondiel et dou baron de Stanfort et de mesire Gautier de Mauni, qui se abandonnoient, ce lor estoit avis, assés follement. De quoi li sires de Cliçon et mesires Hervis de Lion et li aultre chevalier de lor costé plus corageusement s’en aventuroient. Là i furent faites tantes de belles apertises d’armes que mervelles seroit à recorder. Les Englois, qui veoient la porte ouverte, le tenoient en grant orguel et presomption, et li aultre le tournoient à grant vaillance. Là ot lanciet, pousset, ferut, batut et escarmuchiet, d’un lés et de l’aultre, moult longement. Et se portèrent ces envaies de premiers tellement que li Englois furent reboutet et reculet. Et li auqun voellent dire que il le fissent par malisce, pour mettre les François hors de lors pas et laisier les bailles et avaler aval. Et en avint que, en boutant et en requlant les Englois, il eslongièrent si lors bailles que, qant il vodrent retourner et monter amont, on les carga d’un trop grant faix, car mesires Gautiers de Mauni et li aultre qui là estoient, s’efforchièrent tout de grant volenté. Et vinrent une route d’Englois sus le costé, et se boutèrent entre les bailles et les François qui estoient trop avant passé. Là eut très dur hustin et grande escarmuce. Li visconte de Rohem et mesires Guis de Lohiac, mesires Joffrois de Malatrait et li sires de Tournemine estoient as barrières et les deffendoient et gardoient moult vaillanment. Et qant il veirent venir sus euls l’effort [de ceuls] qui rendoient grant painne à conquerir les barrières, il se doubtèrent que il ne fuissent efforchiet; si cloirent lors barrières, et se tinrent entre la porte et la barrière. Encores avoecques le signeur de Cliçon et mesire Hervi de Lion, qui faisoient ces apertises d’armes, en i avoit de 234 lors gens enclos plus de soissante qui moult vaillanment se conbatoient.

Qant li Englois veirent que les barrières estoient fremées, et li sires de Cliçon et mesires Hervis de Lion enclos entre euls et les barrières, si rendirent grant painne au bien conbatre, et dissent entre euls: «Nous serons lasques gens et mal conbatant, se chil doi baron de Bretagne ne nous demeurent, qant nous avons si grant avantage sus euls.» Adonc les envairent ils de grant corage, et furent par force d’armes lors banières conquises et abatues, et li doi chevalier [pris] et fianchiet de mesire Gautier de Mauni. Il ot en sa pareçon le signeur de Cliçon; et li contes de Warvich, mesire Hervi de Lion; et li François devant les barrières prissent le baron de Stanfort et mesire Jehan de Lille. Ensi se portèrent les pareçons. Et soustinrent là li François un grant faix contre les Englois et se departirent de l’assaut, et se retraist casquns deviers ses gens à tout lors prisonniers; et entendirent à mettre à point les bleciés, dont il en i ot grant fuisson, tant des François conme des Englois.

Depuis n’i ot fait nul si grant asaut à la chité de Vennes que chils fu tant que ce siège durant, car li Englois estoient courouchiet pour le baron de Stanfort et mesire Jehan de Lille et aultres honmes des lours que il avoient perdus. Et li François aussi estoient grandement merancolieus pour le signeur de Cliçon et mesire Hervi de Lion que li Englois tenoient à prisonniers.

Les nouvelles vinrent au roi d’Engleterre, qui se tenoit devant Dignant, que li sires de Cliçon et mesire Hervis de Lion, qui tant avoient porté de contraire à la contesse de Montfort et plus que tout li chevalier de Bretagne, estoient pris. De ces nouvelles fu li rois d’Engleterre tous resjois, et rescripsi à ses gens devant Vennes de son estat, et leur manda que point li sires de Cliçon et mesires Hervis de Lion ne fuissent mis à finance, car il les voloit avoir. On obei au roi, ce fu raison. Et se tint li sièges devant Vennes, et aussi fist il devant Nantes et Rennes et Dignant. Fos 92 vº et 93.

P. 26, l. 1: lanciet et estechiet.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 23 à 29: lancié, escarmouchiés et estoquez. Fº 106 vº.—Mss. A 8, 9, 15 à 19: lancié et escarmouchié et estiquié. Fº 97 vº.

P. 26, l. 16: remontoient.—Mss. A 1 à 6: remontèrent. Fº 106 vº.

P. 26, l. 27: touellement.—Mss. A 1 à 6: touillement. 235 Fº 106 vº.—Ms. A 7: touilleement. Fº 101 vº.—Mss. A 8, 9: toullement. Fº 97 vº.—Mss. A 11 à 29: touillement. Fº 102.

P. 27, l. 2: estourmie.—Mss. A 1 à 6, 8, 9, 11 à 19: escarmouche. Fº 106 vº.

§ 197. P. 27, l. 5: Par tel manière.—Ms. d’Amiens: En celle mannière que vous m’avés oy conter furent pris li chevalier. Et ewissent fet li Englèz grant feste, se il ne sentesissent le baron de Stamfort d’autre part. Depuis cest assault n’en y eult nul fait si grant ne si renommet d’armes.

Or dirons dou roy englèz qui avoit assegiet le ville de Dinant. Quant il y eult sis troix jours, il regarda et imagina le force, et vit que elle n’estoit fremmée fors que de palis et de murs de terre, et que elle estoit trop bien prendable. Si le fist au quart jour par bonne ordonnanche assaillir fortement, et dura li assaux assés longement, et fist entrer archers en nacellez et en batiaux et venir jusquez as murs, et puis traire si roit et si ouniement que chil de dedens n’osoient aparoir as garittez. Et y avoit en ces batiaux et nacellez hommez qui portoient grant pik et trenchans puignis, dont il desrompirent les dis murs et abatirent les palis, et entrèrent en le ville, et le prissent de forche. Quant li bourgois de le ville, hommez et femmes, virent leur ville prise et les Englèz dedens, il furent tout esbahis et renunchièrent à le deffensce et à leur hostelx, et se missent à le fuite; meysmement messires Pièrez Porteboef, qui cappittainne en estoit, se sauva au mieux qu’il peult. Que vous ferroie loing compte? La ville de Dinant fu prise, courute, robée et pillée, et puis si nettement arse que il n’y demoura oncques maison, petitte ne grande, ne moustier, ne eglise; et mout y eut grant occision d’ommes, de femmez et d’enfans. Et y fu gaegniés ungs si fiers avoirs que on ne le poroit nombrer; car il y avoit bonne ville, grande, riche et marchande, et moult remplie de tous biens. Fº 78.

Ms. de Rome: Qant li rois d’Engleterre, qui se tenoit devant Dignant, et ses gens orent avisé la manière dou lieu, si lor sambla que elle estoit bien prendable, car elle n’estoit pour lors fremée que de palis et de fossés grans et larges, et ens ès quels on pooit bien naviier. Si fissent querre et pourveir grant fuisson de nacelles, et entrer dedens archiers, et naviier jusques à ces palis.

Li Breton qui dedens Dignant estoient, veoient bien le couvenant 236 des Englois conment il aproçoient et venoient pour asallir. Si se ordonnoient ausi de grant volenté à euls deffendre, par l’avis et ordenanche de mesire Pière Portebuef, lor chapitainne. Li assaus conmencha grans et fors par les archiers qui estoient entré en ces nacelles, qui traioient si ouniement, qant il furent venu jusques à ces palis, que chil de dedens ne s’osoient amoustrer; et se il s’amoustroient, il estoient enpallé tout oultre de ces saiètes barbées d’Engleterre; et pluisseurs de bleciés et de navrés i ot par le tret. Mesires Pières Portebuef estoit montés sus un petit cheval moult tos alant, et cevauçoit tout autour de la ville et amonestoit les honmes qui estoient as deffenses, de euls bien deffendre, et il en faisoient leur devoir. Mais li archier et aultres gros varlès, qui portoient hapes et quignies, aprocièrent de si priès que il vinrent jusques as palis, et rompirent les aix et copèrent le mairien, et les reversèrent en l’aige. Donc vinrent gens d’armes à effort de celle part, qui estoient pourveu de batiaus et de nacelles, et vinrent là où li palis estoient fauset. Tous les premiers qui dedens entrèrent, ce furent mesires Bietremieus de Brues et le signeur de Bercler et lors pennons. Si tretos que les honmes de Dignant veirent ce mescief que la ville estoit gaegnie par les palis, si ne tinrent nul arroi, mais s’enfuirent, li uns çà et li aultres là. Mesires Pières la chapitainne, conme vaillans chevaliers, se retraii viers le marqiet et mist là son pennon, et requella ses gens de deffense. Et se missent tout ensamble et ne daignièrent fuir, car bien veoient que fuirs ne lor pooit riens valoir: si avoient plus chier atendre l’aventure honnourablement que faire cose dont il euissent reproce.

Les Englois, qui estoient entré par les palis en la ville, entendirent à ouvrir la porte; et donc entrèrent dedens toutes gens d’armes et d’archiers qui entrer i vodrent. Et s’espardirent li pluisseur parmi la ville qui estoit grande durement et raemplie de biens. Et li aultre s’en alèrent deviers mesire Pière Portebuef et les compagnons, liquel s’estoient requelliet tout ensamble et mis en bon couvenant. Ces Englois vinrent sus euls et les asallirent, et i ot là un petit de belle meslée, mais elle ne dura point longement, car li François furent tantos ouvert et espars, mors et pris. Mesires Pières Portebuef fu pris d’un jone chevalier qui se nonmoit mesires Jehans de Boursier. La ville de Dignant fu courue et robée toute, et moult d’onmes de la ville il i ot mors; car qui ceoit ens ès mains de ces Englois routiers il estoit mors. Et aussi 237 moult de honmes et de fenmes se sauvèrent par deus portes qui furent ouvertes, et s’en alèrent li fuiant viers Ghingant. Fº 93.

P. 28, l. 1 à 3: mais petite... et l’ouvrirent.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: car petite ralience se fist entr’eulx, et se deffendirent une pièce. Si vindrent les Anglois par les nacelles dedens et vindrent à la porte; si l’ouvrirent. Fº 107.—Mss. A 23 à 33: maiz petite raliance se fist entr’eulx, car ceulx qui avoient passé les fossez dedens les nasselles, et qui estoient entrez en la ville, vindrent dedens la porte et l’ouvrirent. Fº 124.

P. 28, l. 5 à 7: Ensi fu... en estoit.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: ainsi fut faite la destruction de la ville de Dignant en Bretaigne, et fut toute courue, pillée et robée, et messire Pierre Portebeuf pris, qui capitaine en estoit. Fº 107.

P. 28, l. 8: desquelz qu’il veirent.—Mss. A 1 à 6, 8 à 22: desquelz qu’i[l] vouldrent. Fº 107.—Ms. A 7: des quelx qu’il veurent. Fº 102.—Mss. A 23 à 29: des quelz qu’ilz voulurent. Fº 124.—Mss. A 30 à 33: lesquieulx qui voulurent. Fº 164 vº.

P. 28, l. 10: plainne et bien marchande.—Mss. A 1 à 6: plaine de grant merchandise et d’autres richesses. Fº 107.—Mss. A 11 à 14: plaine de grant marchandise et d’autres choses. Fº 102 vº.—Mss. A 18, 19: et pleine de grant marchandise. Fº 108.—Mss. A 20 à 22: et plainne de marchandise. Fº 158 vº.

§ 198. P. 28, l. 11: Quant li rois.—Ms. d’Amiens: Quant li roys englès eut fait se emprise et se vollenté de le ville de Dinant, il se parti de là et s’en vint deviers Vennes dont premierement il estoit partis. En chevauchant celle part, lez nouvellez li vinrent de le prise monseigneur Olivier de Clichon et de monseigneur Hervy de Lion. Si en eut li roys grant joie, et fist tant qu’il vint devant Vennes et là se loga.

Or vous parlerons ung petit de monseigneur Loeys d’Espaingne, de monseigneur Carle Grimaux et de monseigneur Othon Doriie et de leur routtez. Il se tenoient sus mer entre Bretaingne et Engleterre, et portèrent par pluisseurs fois grant dammaige as Englès. Et une fois entre les autrez, il vinrent assaillir le navie dou roy englèz qui estoit assés priès de Vennez, à ung petit port qui là est: si le trouvèrent adonc despourveute et desgarnie de gens d’armes, pour le garder et deffendre. Touttesfoix cil qui dedens estoient environ cent hommes d’armes et trois cens archiers, en fissent trop bien leur devoir; et se tinrent tant que secours leur fu venus 238 de l’ost, et que priès toute li os contourna celle part. Et y venoient et acourroient Englès, qui mieux mieux, à piet et à cheval. Se ne se seurent ne peurent oncques tant haster que messires Loeys d’Espaingne n’euist porté trop grant dammaige à le navie, et avoit effondréz quatre gros vaissiaux et peris tous chiaux qui dedens estoient. Et quant il vit le forche venir et il perchupt bannierrez et pignons, et gens d’armes et archiers entrer en barges et en nés, et aprochier les gros vaissiaux, il se parti bellement et sagement et se bouta ou parfont; et enmena, volsissent ou non li Englèz, trois barges, cargies de pourveanches, qui nouvellement estoient venues d’Engleterre. Et quant li Englès virent qu’il s’en alloit et toutte se navie, et que jà leur estoient trop eslongiet, si n’eurent mies consseil dou poursuiwir plus avant, ains retournèrent. Et fu conssilliet au roy que il mesist se navie, une partie ou havene de Brait et l’autre partie ou havene de Hainbon, et que là seroient il mieus asseur que sus le port où il gisoient. Li rois crut ce consseil: si fist ensi comme on ordonna. Et toudis se tenoit li sièges devant Vennes et de ses gens devant Rennez et devant Nantez. Or parlerons dou duc de Normendie et dou grant amas de gens d’armes qu’il avoit fait à Angiers et là environ et coumment il les employa. Fº 78 vº.

Ms. de Rome: Et qant les Englois orent fait lors volentés de Dignant en Bretagne et toute courue et pillie, et mis le conquès et le pillage à voiture, il s’en departirent et le laissièrent tout vage. Et chevauça li rois d’Engleterre et s’en vint au siège devant Vennes et là se tint. Et envoia dire à ceuls qui tenoient le siège devant Nantes, que il fuissent sus lor garde, et à ceuls de Rennes aussi; car il avoit entendu que li dus de Normendie devoit, à poissance de gens d’armes, venir en Bretagne, pour lever ces sièges et combatre le roi d’Engleterre. Et tout ce estoit verités, car li mandemens, qui fais avoit esté dou roi de France à estre en la chité dou Mans et en la chité d’Angiers, s’estoit tenu; et venoient gens d’armes de tous costés ens ou service dou roi et dou duch de Normendie. Et estoit li intension des François que jamais ne retourneroient en France, si aueroient combatu les Englois. Fº 93 vº.

P. 29, l. 10: se navie ou havene de Hembon.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: une partie de son navire ou havre de Brest, et l’autre partie ou havre de Haimbont. Fº 107 vº.—Mss. A 7, 23 à 33: ou havene de Brest l’une partie, et l’autre ou havene de Hainbont. Fº 102.—Mss. A 8, 9, 15 à 17: une partie de sa navire ou 239 havre de Brest, et l’autre ou havre de Hainnebon. Fº 98 vº.—Mss. A 18 à 22: une partie de son navire (Mss. A 20 à 22: ses navires) ou havre de Brest, et l’autre partie ou havre de Hambourch. Fº 108.

P. 29, l. 12: devant Vennes.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: devant la cité de Nantes et devant la cité de Rennes, sans ce que aucunes gens se apparussent de par messire Charles de Blois, pour lever le siège. Fº 107 vº.

§ 199. P. 29, l. 14: Nous retourrons.—Ms. d’Amiens: Quant li dus Jehans de Normendie, aisnés filz au roy de Franche, eut estet environ douze jours dedens le cité d’Angiers, et que tout chil, ou en partie, que li roys ses pères avoit semons et mandés, estoient là venu, telx que li dus de Bourgoingne et messires Phelippes de Bourgoingne, ses filz, li comtes d’Allenchon, frères au dit roy, li dus de Bourbon, li comtes d’Auçoire, li comtez de Sansoire, li comtez de Forés, li comtes de Saint Pol, li comtes de Wademont et de Genville, li comtes de Porssien, li comtes de Roussi, le seigneur de Biaugeu, le seigneur de Couchi, le seigneur de Crain, le seigneur de Monmorensi, le seigneur de Pons, le seigneur de Partenay, le comte de Vendome, le seigneur de Saint Venant, messires Loeys de Chalon, le viscomte d’Aunay, le seigneur d’Aufemont, le seigneur de Fiennes, le seigneur de Raineval, le seigneur de Biausaut, le castelain de Biauvès, le seigneur de Castellon, le comte de Ghines, connestable de Franche, le signeur de Clermont et pluisseur autre baron et chevalier, qui bien estoient dix mil hommes d’armes et trente mil à piet, si chevauchièrent deviers Nantez, et s’aroutèrent li charoy et les pourveanches. Ces nouvelles vinrent as seigneurs d’Engleterre qui seoient devant le chité de Nantez, que li roys englès y avoit laissiet, que li dus de Normendie venoit là pour lever le siège, si comme il l’esperoient, et avoit en se compaignie bien quarante mil hommez. Si le segnefiièrent hasteement au roy leur seigneur, à savoir quel cose il volloit qu’il fesissent, ou se il les atenderoient, ou se il se retrairoient. Et quant li roys englèz oy cez nouvellez, il fu mout penssieux et eult une espasse ymagination et pourpos que de brisier son siège et ossi celui de Rennes, et de lui traire devant Nantes; puis fu il consilliéz autrement. Et li fu dit que il estoit en bonne plache et forte et priès de se navie, et qu’il se tenist là et atendesist ses ennemis et remandast chiaux de 240 Nantez, et laissast le siège tenir devant Rennes. Il ne li estoient mies si lontaing que il ne les comfortast ou rewist bien tost, se il besongnoit. A che consseil s’acorda li roys. Et furent remandé chil qui seoient devant Nantes, et s’en revinrent au siège de Vennes. Et li dus de Normendie et sen host et li seigneur de Franche esploitièrent tant qu’il vinrent en le chité de Nantes, où messires Carles de Blois et li comtes de Blois, ses frères, les rechurent à grant joie. Li corps des seigneurs se logièrent dedens Nantes, et leurs gens dehors et ou plat pays; car tout ne se pewissent mies estendre dedens la dessus ditte chité, ne avoir leur aises. Fº 78 vº.

Ms. de Rome: Li dus de Normendie et li contes d’Alençon, son oncle, estoient venu en la chité de Angiers et là tenoient lor estat. Toutes gens d’armes venoient à tous lés et se logoient, ou il passoient oultre, par l’ordenance des marescaus et dou mestre des arbalestriers. Qant il furent tout venu, il se missent au cemin moult ordonneement, ensi que gens d’armes doient aler. Là estoient li contes d’Eu et de Ghines, connestables de France, li contes de Blois, frères à mesire Carle de Blois, li dus Pières de Bourbon et li contes de Pontieu, son frère, le conte de Savoie et mesire Lois de Savoie, son frère, le conte de Genève, le conte de Forois, le conte de Clermont et daufin d’Auvergne, le conte de Harcourt, le conte de Vendome, le conte de la Marce, le conte de Roussi, le conte de Porsiien, le conte de Vedimont et de Genville, le conte d’Auçoire, le conte de Sansoirre, le conte d’Aumale, le signeur de Couchi, le signeur de Biaugeu, le signeur de Craan, le signeur d’Anboise, le signeur de Saint Venant et tant de hauls barons et de chevaliers que jamais je ne les aueroie tous nonmés. Et estoient bien siis mille chevaliers et en compte toutes gens d’armes, quarante mille honmes; et avoient charoi et pourveances, à grant fuisson, qui les sievoient. Fº 93 vº.

P. 29, l. 22: à plus de quatre mille.—Ms. B 6: Et quant il furent tous ensamble en la cité d’Angiers et du Mans et là environ, il furent bien dix mille hommes d’armes et dix mille arbalestriers, tous Geneuois, et vingt mille bediaux. Fº 231.

P. 29, l. 28: li contes de Blois.—Ms. A 8: le conte de Valoys. Fº 98 vº.

P. 30, l. 1: Pontieu.—Mss. A 20 à 29: Poitou. Fº 159.

P. 30, l. 2: Crain.—Mss. A 1 à 6: Cron. Fº 107 vº.

241 P. 30, l. 3: Fiennes.—Mss. A 23 à 33: Fresnes. Fº 164 vº.

P. 31, l. 6: fourbours.—Les mss. A 20 à 22 ajoutent: Sy grant nombre estoient ilz là venus. Fº 159 vº.

§ 200. P. 31, l. 7: Entrues que.—Ms. d’Amiens: Entroes que li dus de Normendie estoit sejournanz en Nantes, fissent li seigneur d’Engleterre, qui seoient devant Rennes, ung assaut très grant et très bien ordonné; et avoient ung grant tamps devant abilliet aournemens et instrumens pour assaillir. Et dura li assaux ung jour tout entier; mais nient n’y fissent, ainschois y perdirent des leurs, dont il y eut des mors et des blechiés; car il y avoit dedens bonnes gens d’armes, et par especial ung grant baron de Bretaingne, seigneur d’Ansenis, et Ievain Charuiel et Betran de Claiekin, qui pour le temps estoit moult jones. Chil ensongnièrent si vaillamment avoecq l’evesque de le ditte cité, que il n’y eurent point de dammaige. Si se tinrent là toudis li Englèz en bon couvenant, et gastoient et essilloient et ranchonnoient tout le pays d’environ.

Adonc se parti li dus de Normendie, et eut consseil que il s’en venroit à Vennes et en leveroit le siège ou par bataille ou autrement. Si s’aroutèrent gens d’armes et chevaucièrent en bon aroy et en grant couvenant, quant il furent parti de Nantes; et se moustroient premierement li marescal tout devant, c’estoient messires Joffroy de Charni et li sires de Castiel Villain, et avoient en leur routte bien cinq cens lanches. Et s’esploita tant li os au dit duc de Normendie qu’il vinrent assez priès de Vennes, là où li roys englès estoit logiés. Si se logièrent erranment li François, tout contreval ung biau prés, grans et amples, et tendirent tentes, trés et pavillons et touttes manières de logeis. Et fissent faire li Franchois biaux fossés et grans autour de leur ost, affin que on ne leur pewist porter contraire. Si chevauçoient à le fois leur marescal et messires Robiers de Biaumanoir, marescal à ce tamps de Bretaingne, et alloient souvent escarmuchier l’ost des Englès, et li Englès ossi sur yaus. Quant li roys Edouwars vit venut contre lui le duc de Normendie et se puissance, si remanda le comte de Sallebrin, le comte de Pennebrucq et les autres seigneurs [bretons] et englès qui se tenoient à siège devant le chité de Rennes, par quoy il fuissent plus fort et mieux ensamble, se combattre les couvenoit. Si pooient estre li Englès et li Breton de Montfort environ deux mil et cinq cens hommez d’armes et six mil archiers 242 et quatre mil hommes de piet. Li Franchois estoient quattre tamps de gens et tout de bonne estoffe. Fº 79.

Ms. de Rome: Les nouvelles vinrent devant Nantes as chevaliers d’Engleterre qui là tenoient le siège, que trop grant poissance de France venoit sus euls et ou pais. Si orent consel de deslogier et retraire viers Vennes, et se deslogièrent et laissièrent Nantes en cel estat. Et ensi fissent chil qui seoient devant la chité de Rennes, et se retraissent tout devant Vennes, et se missent ensamble en fortefiiant lor hoost. Et pooient estre Englois et Bretons de une aliance quatre mille honmes d’armes et noef mille archiers, et estoient tout conforté d’atendre la bataille et de combatre as François. Et aussi li François, à ce que renonmée couroit, et que on en veoit les apparans, ne demandoient aultre cose. Tant esploitièrent les hoos au duc de Normendie que il vinrent en la marce de Nantes. Mesires Carles de Blois, qui s’escripsoit et nonmoit dus de Bretagne, et en portoit en ses armoieries les plainnes armes, issi hors de Nantes à bien quatre cens lances, messires Lois d’Espagne son cousin en sa compagnie, et s’en vint à l’encontre de son oncle le conte d’Alençon et dou duc de Normendie et de son frère le conte Lois de Blois et contre tous les signeurs. Et les conjoi et requella l’un apriès l’aultre moult liement, et les remercia dou service que il li faisoient. Et en mena une grant partie des chiés des signeurs logier en la chité de Nantes et euls rafresqir; et furent là quatre jours. Au cinquime il s’en departirent et se missent tout au cemin, pour venir viers la chité de Vennes. De Nantes jusques à là puet avoir vingt lieues. Il i missent siis jours au venir, et s’en vinrent li François, à toute la poissance de laquelle vous oés parler, logier sus uns biaus plains à l’encontre de l’host le roi d’Engleterre. Fº 93 vº.

P. 31, l. 17: dou Pont.—Mss. A 16 à 17: de Vieilzpont. Fº 109 vº.

P. 31, l. 17 et 18: Charuiel.—Mss. A 15 à 17: Carenlouet. Fº 109 vº.—Mss. A 20 à 22: Chamel. Fº 159 vº.

P. 31, l. 18: de Claikin.—Mss. A 1 à 6, 8, 15 à 17: du Guesclin. Fº 108.—Mss. A 18 à 22: de Guesclin. Fº 109.—Mss. A 11 à 14: du Gueschin. Fº 103.—Ms. A 7: de Cleriekin. Fº 103.—Mss. A 23 à 29: de Glayaquin. Fº 125 vº.—Mss. A 30 à 33: Claquin. Fº 165.

P. 32, l. 13: li mareschal.—Mss. A 1 à 6: leurs mareschaulx. Fº 108.

243 P. 32, l. 13 et 44: Robers de Biaumanoir.—Mss. A 1 à 6, 20 à 22: Robert de Beaumont. Fº 108.

P. 32, l. 24: de Montfort.—Mss. A 20 à 22: de par la contesse de Monfort. Fº 160.

P. 32, l. 25: six mille.—Mss. A 15 à 17: sept mille. Fº 109 vº.—Mss. A 20 à 22: huit mille Fº 160.

P. 32, l. 25 et 26: quatre mille.—Mss. A 1 à 6: trois mille. Fº 108.—Mss. A 20 à 22: six mille. Fº 160.

P. 32, l. 27: quatre fois plus.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 30 à 33: quatre tans. Fº 108.—Mss. A 8, 15 à 17: quatre telz tans. Fº 99.—Mss. A 18, 19: plus quatre fois. Fº 109.—Mss. A 20 à 22: trois fois autant. Fº 160.—Mss. A 23 à 29: quarante mille. Fº 125 vº.

§ 201. P. 33, l. 1: Moult furent.—Ms. d’Amiens: Moult furent ces doi os devant Vennes, belles et grans. Et avoit li roys englès assis le cité par tel mannierre que li Franchois ne pooient venir à lui, fors par grant dammaige. Et y faisoit li roys englès souvent assaillir et par bonne ordonnance; et chil qui estoient dedens, se deffendoient vaillanment et de grant couraige. Si avoient li dit seigneur qui dedens Vennes se tenoient, leur chité très bien remparée et fortefiiée; et bien leur besongnoit, car autrement il ewissent esté en grant aventure. Si devés savoir que entre cez deus os y avoit souvent dez encontrez, dez hustins et des escarmuches, car li François gardoient partout les pas si estroitement que li foureur d’Engleterre ne pooient aller fourer sus le pays, fors en route et en grant peril. Si en y avoit souvent des rués jus de l’un costet et d’autre, des belles prises et des belles rescoussez d’armes faittez. Et sachiés que li Englès n’avoient mies ce qu’il volloient, car li tamps estoit jà moult avant en l’ivier après le Toussains: si gisoient là en grant mesaise.

Et ossi faisoient li Franchois, car encorres d’aventure le tamps estoit lès et plouvieux, pour quoy li ung et li autre passoient le saison en grant angouisse, et pis li Englès que li Franchois; car li pays de là environ estoit si gastés et si essilliéz de tous costés que li Englès ne savoient où fourer. Et d’autre part messires Loeis d’Espaigne, messires Carles Grimaux, messires Othons Doriie, à grant fuisson d’Espagnols et de Geneuois, se tenoient sour mer, et faisoient trop de contrairez as Englès qui amenoient pourveanches par mer en leur ost. Et gaegnièrent li dessus dit en ceste 244 saison sus lez Englèz tamaint vaissiel et tamainte barge, dont li roys d’Engleterre estoit moult courouchiés. Si mandoit il souvent bataille au duc de Normendie et à monseigneur Carlon de Blois qui chief estoient de ceste guerre; mès li dessus dit seigneur n’avoient mies consseil dou combattre, car li roys de Franche leur deffendoit, ensi comme il disoit.

Che siège durant devant Vennes, ungs tretiés se fist entre les seigneurs, le roy d’Engleterre premierement et le duc de Normendie et monseigneur Charlon de Bois, que li baron de Stamfort fu quittez et delivréz de sa prison parmy ung escange qui fu fèz de lui à monseigneur de Clichon. Si ewist eu messires Carles de Blois trop plus chier le delivranche monseigneur Hervy de Lion que dou dessus dit; et en estoit trop fort priiés d’aucuns barons de Bretaingne et de madamme sa femme, à qui il estoit cousins. Mais li roys englès ne le veut mies laissier passer; ainchois eut plus chier à delivrer le dessus dit monsigneur Olivier de Clichon que l’autre: de quoy puissedi grans maux en avint au dit chevalier et au pays de Bretaingne, si comme vous porez enssuiwant oïr.

Encorres devés vous savoir que li pappes Clemens, qui resgnoit pour le temps et qui sentoit ces seigneurs enssi esmeus et à ost assés priès l’un de l’autre devant Vennez, envoiia deus cardinaus en legation celle part, loist assavoir le cardinal de Penestres et le cardinal de Clermont, pour tretier une bonne pais entre monseigneur Carlon de Blois et le comtesse de Montfort. Liquel cardinal, quant il furent venut, s’en acquittèrent bien d’aler et de venir de l’une ost en l’autre, de proposer, moustrer et parler touttes voies d’accord; mèz il trouvèrent les partiez si froides et si rebellez à leurs intentions, que oncques nulle pès n’y peut avenir. Et quant li doy cardinal, qui là estoient envoiiet en ystance de tout bien, virent que nulle pès ne se pooit aprochier, si commencièrent à parlementer d’un respit à durer deus ans ou troix: de quoy, ainschois que il pewissent les parties à chou atraire, il en travillièrent durement. Et la cause qui plus y fist descendre les seigneurz, si fu pour chou que il faisoit si crut temps et si plouvieux que il hostoioient à trop grant malaise. Finablement, li cardinal allèrent tant de l’un à l’autre, que unes trieuwes furent prises entre le roy d’Engleterre, le comtesse de Montfort et leurs aidans, le roy de Franche, monseigneur Carle de Blois et leur aidans, à durer troix ans. Et devoit chacuns 245 tenir chou qu’il tenoit; et furent excepté aucun seigneur de Bretaingne et de Limozin qui ne peurent oncques estre mis dedens les trieuwez. Fº 79.

Ms. de Rome: Ensi furent ces deux hoos l’une devant l’autre. Et n’i esperoit on aultres coses que la bataille, et i euist esté sans nulle defaute. Mais papes Clemens V, qui resgnoit pour ce temps, i avoit envoiiet deus cardinauls en legation, le cardinal de Pennestres et le cardinal de Clermont. Liquel cardinal trettoient et parlementoient entre ces parties paix ou concordance, se il peuissent; mais il les trouvoient si durs et si hausters et si mal entendans à lors remoustrances et volentés que il ni veoient moiien ne conclusion. Et tenoient li dus de Normendie et li François, le roi d’Engleterre et les Englois pour tous asegiés, car pourveances de nul costet ne lor pooit venir, se ce n’estoit par mer; et la mer estoit moult bien gardée de par les François. Et n’avoient les Englois nuls vivres, fors escarsement et à grant dangier; et estoit li intension des François que là il les afameroient et feroient tous morir, sans cop ferir. D’autre part, la saison estoit si fresce et si plouvieuse que nuit et jour il plouvoit si ouniement que on ne pooit logier as camps, fors en grant painne et povreté, car les nuis estoient longes et froides, ensi que elle[s] sont en novembre et en decembre. Et couvint le duch de Normendie et toute son hoost deslogier de la pièce de terre où logiet estoient, et traire d’autre part plus en sus pour le plueve et le frès temps. Avoecques tout ce, lor ceval moroient tout de froit et de famine, car li varlet des François ne savoient où aler pour fouragier, se ce n’estoit vingt lieues ou environ lonch et en sus de l’oost. Et furent en ce dangier plus de siis sepmainnes, et tous les jours on disoit ens ès deus hoos: «Nous nos combaterons demain.» Et moustroient li François par lors paroles et apparans que il faisoient, que il estoient en bonne volenté de combatre. Et les Englois n’avoient point trop grande affection à la bataille, car il ne se veoient point tant de gens d’armes de trop que li François estoient; si consentaient assés les trettiés que li doi cardinal faisoient.

Tant fu alé, parlementé et trettié entre ces parties que unes trieuves furent prisses à durer trois ans, c’est à entendre, entre mesire Carle de Blois, ses aidans et confortans, et la contesse de Montfort, qui chief se faisoit de la gerre pour son fil, car son mari estoit mors en la prison de la tour dou Louvre à Paris; et tant 246 que, en aidant l’une partie et l’autre, li rois d’Engleterre et li dus de Normendie, representans la personne dou roi son père, juroient les trieuves à tenir les trois ans. Mais les marces et frontières de Giane et de Gascongne estoient reservées; et se pooient là traire toutes manières de gens d’armes, de l’un costé et de l’autre. Ensi se departi ceste grande assamblée par le moiien des deus cardinauls dessus nonmés. Et demoroit casquns et casqune en sa tenure, ce que mesires Carles de Blois tenoit pour lui, et ce que la contesse de Montfort aussi avoit pour li en Bretagne. Et se levèrent chil doi siège, dont pluisseurs gens furent resjoi, car il avoient passé le temps en grant povreté. Si donna li dus de Normendie congiet à toutes gens d’armes et s’en vint à Nantes; et là se rafresqirent li signeur, et puis prisent congiet à mesire Carle de Blois et s’en retournèrent, casquns en son lieu. Et li rois d’Engleterre s’en retourna et vint à Hainbon où la contesse se tenoit. Adonc furent fait li escange de prisonniers, et fu delivrés li sires de Cliçon pour le baron de Stanfort, et mesires Jehans de Lille pour mesire Guillaume d’Ansenis. Et demora mesires Hervi de Lion en la prison dou roi Edouwart, et dist li rois que il l’enmenroit en Engleterre. Fº 94.

P. 33, l. 9: Si y envoia.—Ms. B 6: Et par especial deux cardinaulx i estoient qui portoient les parolles, le cardinal de Pierregoth et le cardinal d’Ostun, et là furent envoiés de par le pape Clement Ve. Fº 234.

P. 33, l. 17 et 18: li foureur.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: les seigneurs. Fº 108 vº.—Mss. A 23 à 29: fourraigeurs. Fº 126.—Mss. A 30 à 33: courreurs. Fº 165.

P. 33, l. 26 à 28: Et estoit... d’Engleterre.—Mss. A 20 à 22: Et estoit l’intencion du duc de Normandie et de ceulx qui estoient là d’assegier le roy d’Angleterre. Fº 160 vº.—Ms. A 8: et estoit lieutenant du duc de Normandie qu’ilz tenoient là pour tout assegié le roy d’Angleterre. Fº 99 vº.

§ 202. P. 34, l. 13: Ensi se deffist.—Ms. d’Amiens: Ceste ordonnanche faite, escripte, sailée et recordée, li sièges fu levés de devant Vennes. Et prist li rois englès congiet à la comtesse de Montfort, à monseigneur Yvon de Tigri, à monseigneur Guillaume de Quadudal, à monseigneur Joffroy de Malatrait, à monseigneur Henri de Pennefort et à monseigneur Olivier, son frère, as deus frèrez et chevaliers de Quirich, à monseigneur 247 Amauri de Clichon, à monseigneur Gerart de Rochefort et as chevaliers et escuiers de Bretaingne qui soustenoient le partie de Montfort. Et leur pria au partir que il volsissent estre bon et loyal enviers leur damme, et il li eurent tout en couvent. Lors se parti li roys et fist se navie toutte appareillier au port desous Vennes, et monta en mer et en remena touttes ses gens en Engleterre, et monseigneur Hervy de Lion avoecq lui, qui estoit ses prisonniers.

Ensi que vous m’avés oy compter, se deffist celle grande chevauchie et assemblée qui avoit estet devant Vennes; et s’en revinrent li seigneur franchois arière deviers Nantes. Et donna li dus de Normendie congiet à tous seigneurs et leur gens, et s’en ralla cescuns en son pays. Li dus de Normendie s’en revint en Franche et laissa son cousin monseigneur Carle de Blois en Nantez avoecq sa femme. Et pria et enjoindi as barons de Bretaingne qui de son léz se tenoient, que il fuissent bon et loyal enviers monseigneur Carlon, son cousin, et sa femme, leur damme; autrement il couroucheroient trop fort le roy son père, et il li eurent tout en couvent. Si s’en revint li dus, si comme dessus est dit, en France, où il fu li bien venus.

Assés tost apriès se revenue et le departie des hos dessus dites, fu pris messires Oliviers de Clichon par le famme que on li ametoit. Je ne say se il en estoit coupablez ou non, mès je creroie à envis que ungs si noblez et si gentilz chevaliers comme il estoit, et si riches homs, dewist pensser ne pourcacier fauseté ne trayson. Touttez voies fu il pour ce villain famme pris et mis en Castelet à Paris, de quoy tout chil qui parler en ooient, estoient moult esmervilliet et n’en savoient que supposer. Et en parloient, li ung à l’autre, li baron et li chevalier de Franche, en disant: «Que demande on à monseigneur Olivier de Clichon?» Mais nulx n’en savoit à rendre vraie ne certainne responsce, fors tant que on ymagina que li haynne et li mautalens venoient de se prise et de se delivrance, car voirs est que li roys englès l’eut plus chier à delivrer pour le baron de Stamffort que monseigneur Hervi de Lion. Et li avoit fait li dis roys plus d’amour et de courtoisie en prison que il n’ewist fet au dit monseigneur Hervi, par aventure pour ce que li dis messires Hervis avoit estet plus contraires à lui, à ses gens et à le comtesse de Montfort que nulx autrez, et nient pour autre cose: si ques, pour celle aventage que li roys fist adonc à monseigneur Olivier de Clichon et non à monseigneur 248 Hervy de Lion, penssa li envieux autre cose qu’il n’y avoit par aventure, et si en sourdi li suspitions. Dont li dessus dis messires Oliviers fu encouppés et amis de trayson et decoléz à Paris, et puis pendus villainnement par les assielles à Montfaucon. Et voet on dire que la roynne de France, mère au duc Jehan, en eut grant couppes, car elle fu moult mervilleuse damme et de grant ayr; et tout ce que elle encargoit, fuist à droit, fuist à tort, il couvenoit que elle en venist à sen entente. Dont il vausist mieulx pour le chevalier que il fuist demourés prissonniers en Engleterre que si tost delivrés.

Assés tost apriès ce que li dis messires Oliviers de Clichon eut estet decolléz à Paris, furent encouppés de sannable cas pluisseur seigneur et gentil chevalier de Bretaingne et aucun de Normendie, et mis à mort en le ville de Paris en telle mannierre que li dessus dis chevaliers eut esté, assavoir sont: li sirez de Malatrait et ses filz, li sirez d’Avaugor, messires Thieubaus de Morillon, et pluisseur seigneur de Bretaingne, jusquez à dix chevaliers et escuiers. Et assés tost apriès furent mis à mort quatre chevalierz, ossi moult gentilz hommez, pour famme, je ne sçay se elle fu vraie ou non, et d’otel mort comme li dessus noummet, lesquelx on noummoit messires Henris de Malatrait, messire Guillaumme Bacons, li sirez de Roche Tisson et messires Richars de Perssi, tout rice homme et gentil homme durement et de Normendie: dont vous devés savoir que il despleut grandement à leurs prochains, car encore avoecq tout che li roys de Franche saisi leurs terrez et maintint que il lez avoient fourfaittez. De quoy li sirez de Clichon avoit ung jonne escuier à fil, que on appelloit Olivier. Chilz se traist tantost en Hainbon avoecq monseigneur Amauri de Clichon, son oncle, et le jone dammoisiel de Montfort, liquel, quant il vinrent en eage, fissent depuis très forte guerre en Bretaingne et en Franche, en contrevengant les mors de leurs pèrez, car voirz fu que li comtez de Montfort estoit mors ou castiel dou Louvre à Paris. Fº 79 vº.

Ms. de Rome: Ensi se portèrent, en che temps dont je parole, les querelles en Bretagne, et se desrompirent ces grans assamblées sans bataille et sans riens faire. Et prist li rois d’Engleterre congiet à la contesse de Montfort, et puis entra en sa navie et retourna en Engleterre, et en remena toutes ses gens. Et esploita tant, par le plaisir de Dieu et dou vent, que sa navie, sans peril et sans damage, prissent terre à Pleumude en Engleterre. Et estoit 249 conme prisonniers en la compagnie dou roi messires Hervis de Lion, et fu amenés en Engleterre; et qant il fu là venus, recreus courtoisement sus sa foi et mis en la chité de Londres, et pooit partout aler et venir à sa plaisance. Aultre constrainte de prison ne li fu faite.

Qant ces coses furent apaisies, et tout chil signeur retrais en lors lieus, et se tenoient bien ces trieuves en Bretagne entre mesire Carle de Blois et la contesse et lors gens, ne nuls ne les enfrandoit ne brisoit, grandes nouvelletés et pités et grans rachines de tous mauls avinrent ou roiaulme de France. Pluisseur hault baron et chevalier de Bretagne et de Normendie, et qui loiaument s’estoient acquité et porté ens ès gerres de Bretagne de la partie des François, à l’avis et renonmée de tous ceuls qui ensonniiet s’en estoient, ne qui parler en savoient, furent acuset de trahison, de laquelle accusation on ot grant mervelle. Et ne s’en porent onques chil escuser ne purger, qui accuset furent, et les en couvint morir honteusement: dont tous li linages de ceuls furent grandement courouchiet, et premiers, li sires de Cliçon, liquels fu en son temps uns vaillans et loiaus chevaliers, et ne l’avoit on veu en nulle defaute. Mais, pour le temps dont je parole, li cours de France estoit si perilleuse à poursievir que li signeur ne s’i savoient conment avoir; et se laisoient li rois Phelippes et son fil, li dus de Normendie, trop legierement enfourmer. Et pour ce temps, il i avoit une roine en France, mère dou roi Jehan, et qui fille avoit esté dou duch de Bourgongne, trop crueuse fenme, car qui que elle encargoit en haine, il estoit mors sans merchi. Et son fil, li dus Jehans de Normendie, qui puis fu rois de France, tint assés de ses oppinions et resgna hausterement, et fist faire moult de crueuses justices en son temps. Par quoi li roiaulmes de France, par toutes ses parties, en fu si grevés et si batus et si persequtés que, deus cens ans à venir, les traces i parurent, ensi que vous orés recorder avant en l’istore. Avoecques le signeur de Cliçon qui fu decolés à Paris, et voellent bien li auqun maintenir que ce fu par envie, pour tant que li rois d’Engleterre l’avoit delivré de prison, et il avoit retenu messire Hervi de Lion, furent accuset de traison et mort et exequté à Paris li sires de Malatrait et ses fils, li sires d’Avaugor et ses fils, mesires Tiebaus de Montmorillon et jusques à diis chevaliers que barons de Bretagne, et avoecques ceuls, quatre moult hauls gentils honmes de Normendie, et liquel estoient aussi de grant linage en Bretagne, loist à savoir mesire 250 Henri de Malatrait, messires Guillaumes Bacons, li sires de Roce Tison et li sires de Montboucier. Et n’i eut baron ne chevalier en France, de leur linage, qui osast aler au devant ne dire: «C’est mal fait,» tant estoient adonc les coses crueuses et felenesces. Fº 94 vº.

P. 35, l. 20: li hayne.—Mss. A 1 à 33: l’envie. Fº 109.

P. 36, l. 12: d’Avaugor.—Mss. A 1 à 6, 23 à 33: de Vangour, de Wangour. Fº 109.—Mss. A 7, 11 à 19: de Vaugour. Fº 104.—Mss. A 8, 20 à 22: d’Avaugor, d’Avaugoure. Fº 100.

P. 36, l. 13: Morillon.—Mss. A 1 à 6, 8 à 14: Montmorillon. Fº 108.—Mss. A 20 à 22: Montarillon. Fº 161.

P. 36, l. 14: jusques à dix.—Ms. B 6: jusques à quatorse. Fº 235.

P. 36, l. 19: Roce Tison.—Mss. A 1 à 6, 8 à 19, 23 à 33: Roche Tesson, la Roche Tesson. Fº 109.—Mss. A 7, 20 à 22: Roche Tisson, Roche Tison. Fº 104.

§ 203. P. 37, l. 1: En ce temps.—Ms. d’Amiens: En ce tamps vint en pourpos et en vollenté au roy Edouwart d’Engleterre que il feroit refaire et redefiier le grant castiel de Windesore, que li roys Artus fist jadis faire et fonder là où premierement fu coumenchie et estorée la noble Table Reonde, dont tant de bons chevaliers yssirent par le monde, et feroit li roys une ordonnance de chevaliers de lui et de ses enffans et des plus preus de sa terre, et seroient en somme jusques à quarante, et lez nommeroit on les chevaliers du Bleu Gertier, et le feste d’an en an le jour Saint Gorge. Et pour ceste feste coummenchier, li roys englès asambla de tout son pays comtes, barons, chevaliers, et leur dist sen entention et le grant desir que il avoit de le feste emprendre; se li acordèrent liement. Et là furent esleu quarante chevalier, par avis et par renommée lez plus preux de tous lez autres; et saielèrent par foy et par sierment avoecq le roy à tenir et à pourssuiwir le feste et lez ordonnanches telles que elles en estoient accordées. Et fist li rois fonder et edefiier une cappelle de saint Jorge ou castiel de Windesore, et estaubli et mist chanonnes pour Dieu servir, et les arenta et aprouvenda bien. Et pour ce que la feste fuist sceue et conneuwe par touttez marches, li roys englès l’envoya publiier et denunchier par ses hiraux en Franche, en Escoce, en Bourgoingne, en Flandres, en Braibant, en Allemaingne et par 251 tout jusqu’en Lombardie; et donnoit à tous chevaliers et escuiers qui venir y volroient, quinze jours de sauf conduit apriès le feste. Et devoit estre ceste feste une joustez de quarante chevaliers dedens atendans [tous autres] et de quarante escuiers, et seoir, le jour Saint Jorge prochain venant que on compteroit l’an mil trois cens quarante quatre, ens ou castiel de Windesore. Et devoit estre la roynne d’Engleterre acompaignie de trois cens dammes et dammoiselles, tout pour son corps, touttes noblez et gentilz dammez, et parées d’uns paremens sannables. Fos 79 vº et 80.

Ms. de Rome: En ce temps vint en pourpos et en volenté au roi d’Engleterre de faire redefiier le grant chastiel de Windesore, lequel li rois Artus fist jadis faire et fonder, et là où premierement la Table Reonde fu conmenchie, dont tant de bons et vaillans chevaliers issirent et travillièrent en armes et en proèces par le monde; et feroit li dis rois une ordenance de chevaliers de li et de ses enfans et des plus preus et renonmés d’Engleterre et d’autres pais aussi, qui estoient en son service, et seroient en sonme jusques à quarante, et seroient nonmé li chevalier dou Bleu Gertier, et porteroient tous jours continuelment en lor senestre jambe une ordenance dou Bleu Gertier, et feroit faire et edefiier en l’onnour de Dieu et de saint Gorge une capelle ou chastiel de Windesore, et le jour Saint Gorge seroient tout li chevalier à la feste qui bonnement i poroient estre, et là aueroit douse chanonnes bien aprouvendés qui feroient le service de Dieu et priieroient pour les chevaliers de l’ordenance dou Bleu Gertier. Qant la promotion de ceste feste faire vint en avis au roi d’Engleterre, il manda une partie des nobles de son roiaulme, et qant il furent venu, il leur dist son intension: «Il me vient en plaisance et en devotion, de faire une ordenance en l’onnour de Dieu et de saint Gorge par tèle et tèle manière;» et se leur compta tout au lonc la matère et ordenance de l’emprise, ensi que ichi desus vous l’avés oï. Li baron et li chevalier, qui là estoient à ce recort, s’i acordèrent et dissent que che seroit bien fait. Ensi fu la feste de saint Gorge ens ou chastiel de Windesore edefiie et conmenchie, et la capelle des douse chanonnes tantos pourjettée. Et ausi fu li grans ouvrages dou chastiel de Windesore conmenchiés et pourjettés à manière de un grant palais de salles, de cambres et de toutes ordenances, si plentiveusement que pour logier le roi et son estat, et la roine et son estat, et les prelas, barons et chevaliers d’Engleterre, et tout à lor aise. Et encores demoroient tout li viel ouvrage 252 entier, qui comprendoient grant fuisson, le dongnon de Windesore et les cambres et le grande sale où li rois Artus faisoit au temps de son resgne son tinel et tenoit son estat de chevaliers aventureus, de dames et de damoiselles. Et pour avanchier les ouvrages de Windesore, qui furent empris pour faire et conmenchiet l’an de grace mille trois cens et quarante trois, ouvrier furent envoiiet querre parmi tout le roiaulme d’Engleterre, et mis en oeuvre et paiiet et delivret au samedi. Et eurent chil ouvrier un clerc qui entendoit sus euls et qui les faisoit paiier, lequel on appella Willaume Wiqam. Et chils fu depuis si grans mestres en Engleterre que evesques et canceliers, et se passoient toutes coses par lui, et fu tellement en la grace dou roi que par lui, son temps durant, fu tout fait en Engleterre, et sans li n’estoit riens fait.

En celle edification de feste qui fu emprise sus la fourme que je vous di, ot ou chastiel de Windesore joustes solempnèles de chienqante chevaliers et de chienqante esquiers dedens. Et fu la feste prononchie et criie et segnefiie par hiraus ens ou roiaulme d’Escoce, en Alemagne, en Flandres, en Hainnau, en Braibant et ens ès marces d’Aquitainnes. Et fu la roine Phelippe d’Engleterre, acompagnie de deus cens dames nobles, parées et bien vesties, si ricement conme elles pooient estre. Et avoit pour lors li fils dou roi Edouwart d’Engleterre, Edouwars, li ainnés de tous ses enfans, trèse ans d’eage ou environ, et fu là à celle feste creés et nonmés prinches de Galles; et l’en fu baillie la signourie et aministration, et en tint et entra lors en l’estat, et sera en avant nonmés prinches de Galles. Li contes de Hainnau et son oncle, li sires de Biaumont, furent mandé et priiet pour estre à celle feste et de l’ordenance dou Bleu Gertier, mais point n’i furent, car il estoient ensonniiet aillours; mais li sires d’Enghien, li sires de Haverec et li sires de Gonmegnies, messires Oulfars de Ghistelles et pluisseur aultre i furent. Et furent ces festes continuées en joies et en esbatemens, en dons et en larguèches, car li rois Edouwars d’Engleterre et la roine Phelippe sa fenme, en lors temps, furent moult large en dons et courtois et plentiveus dou lour, et sceurent moult bien acquerir l’amour et la grace de toutes gens. Fº 95.

§ 204. P. 38, l. 12: Entrues que.—Ms. d’Amiens: Entroes que li roys englès faissoit son grant appareil pour recepvoir seigneurs, 253 dammes et dammoiselles qui à se feste venroient, li vinrent les certainnes nouvellez de le mort monsigneur Olivier de Clichon et des autres chevaliers desus nommés, encouppés de fauseté et de traisson. De ces nouvellez fu li roys englès durement courouciés, et li sambla que li roys de Franche l’ewist fait en son despit, et tint que, parmy ce fait, les trieuwes acordées en Bretaingne estoient fallies et brisies de par le dit roy Phelippe. Si eut en penssée de faire le samblant fait del corps monseigneur Hervy de Lyon, que il tenoit pour son prisonnier; et fait l’ewist en son irour et tantost, es ne fust ses cousins li comtes Derbi qui li blamma durement et li moustra devant son consseil tant de bellez raissons pour sen onneur garder et son corage afrenner, et li pria souverainnement que il volsist mettre le chevalier à raenchon soufissant et raisonnable, ensi que il volroit que on fesist des siens en cas sannable. Il fu avis au roy que ses cousins li comtez Derbi le conssilloit loyaument, et que tout ce que il en disoit et prioit, il li venoit de grant gentilèce et noblèce de coer; si refrenna son corrage et s’i acorda, et manda le dit monseigneur Hervi par devant lui, liquel, sachiéz, y vint en grant paour; car il cremmoit et supposoit que on le deuist mettre à mort villainnement, ensi que on l’en avoit enfourmet. Quant li roys le vit devant lui, il li dist: «Ha! messire Hervy, messire Hervy, li roys Phelippes de Vallois a moustret se felonnie trop crueusement, quant il a fait mettre à si villainne mort en mon despit et à grant tort si nobles chevaliers, par famme et par fausses souppechons, comme estoient li sirez de Clichon, li sires d’Avaugor, li sirez de Malatrait, li sires de Roche Tisson et li autre de Bretaingne et de Normendie, dont chacuns homs doit avoir pité. Et se je volloie regarder à se fellonnie, je feroie de vous le sannable cas; car vous m’avés fait plus de contraires en Bretaingne que nulx autres, mès je m’en soufferay et li lairay faire ses vollentés, et garderay men honneur à mon pooir. Et vous laisseray venir à raenchon legière et gracieuse seloncq vostre estat, pour l’amour de mon cousin le comte Derbi qui chi est, qui en a priiet, mès que vous voeilliés faire chou que je diray.»

Li chevaliers eut grant joie, quant il entendi qu’il n’aroit garde de mort; si dist que il feroit vollentiers à son pooir tout ce que li coummanderoit. Lors li dist li roys ensi: «Messire Hervy, je say bien que vous estes ungs dez rices chevaliers de Bretaingne, et que je aroie bien de vous une mout grant ranchon, se je vous 254 volloie presser, de trente mil escus et plus. Si diray que vous ferés: vous yrés deviers le roy Phelippe de Vallois et li dirés de par moy que, pour tant qu’il a mis à mort villainne si gentilz chevaliers comme chil estoient et en men despit, je di et voeil porter oultre qu’il a enfraint et brisiet les trieuwes, ce me samble, que nous avions enssamble; si y renunche de mon costet et le deffie de ce jour en avant. Et coumment que je sace veritablement que vous me paieriez bien trente mil escus, je vous laisseray quitte pour dix mil escus, et les vous creray sus vo foy à renvoiier à Londrez dedens quatre mois, ou de revenir tenir prison.»—«Monseigneur, dist li chevaliers, Dieux vous voeille merir le courtoisie que vous me faittez, et à monseigneur le comte Derbi ossi. Et sachiés, monseigneur, que vostre messaige feray je vollentiers, et le raenchon paieray dedens le jour, et le vous meteray en sauf lieu à Bruges, et il vous souffisse.» Dist li roys: «Il me plaist bien.»

Depuis ne demora mies plenté que li chevaliers tous joians ordonna ses besoingnes pour partir. Et quant il fu prês, il vint prendre congiet au roy, liquelx roys li dounna vollentiers, et li dist encorrez enssi: «Monseigneur Hervi, nonobstant che que vos rois m’ait courchiet et à son tort, et que par vous je li mande deffianchez, vous dirés à tous chevalierz et escuiers de par delà que pour ce il ne laissent mies à venir à nostre feste; car il y seront volentiers veus et liement recheu, et n’y aront point de dammaige.»—«Sire, che respondi messires Hervi, je feray tout ce que vous me coummandés.» Lors se parti messires Hervi dou roy et s’en vint à Douvrez, et là monta en mer pour venir à Bouloingne. Mès adonc uns tempestes et fortunne le prist sour mer, si grande qu’il le couvint sejourner sus l’aige et en grant peril tous les jours l’espasse de cinq jours. Et fu si tourmentés et si demenés de la mer, que noient il n’avoit apris, que une maladie le prist, de laquelle il morut à Paris assés tost apriès ce qu’il eut fait son messaige, et parmy tant il fu quittes de sa raenchon. Fº 80.

Ms. de Rome: En ceste feste durant, vinrent au roi d’Engleterre les certainnes nouvelles de la mort le signeur de Cliçon, et des aultres chevaliers desus nonmés, accusés en France de fauseté et de trahison. De ces nouvelles fu li rois d’Engleterre durement courouchiés, et li sambla que li rois de France l’euist fait en son despit, et tint que parmi ce fait les trieuwes acordées et 255 données devant Vennes en Bretagne estoient enfraintes et brisies. Si eut en pensée et imagination de faire le parel fait dou corps mesire Hervi de Lion, que il tenoit pour son prisonnier; et fait l’euist en sen irour et tantos, se n’euist esté son cousin li contes Derbi, qui l’en reprist durement et li remoustra devant son consel tant de belles raisons pour son honnour garder et son corage affrener, que riens n’en fu fait. Mais avint que tantos apriès la feste passée, et les signeurs et les dames retrais et retournés en lors lieus, li rois d’Engleterre vint à Wesmoustier, car là ot un grant parlement des nobles de son pais, pour avoir consel sus l’estat de ses besongnes.

Ce parlement seant, li rois d’Engleterre, en la presence des signeurs, fist venir mesire Hervi de Lion devant lui, et li dist ensi: «Ha! messire Hervi! messire Hervi! mon adversaire Phelippe de Valois a moustré sa felonnie trop crueusement, qant il a fait morir vilainnement tels chevaliers que le signeur de Cliçon et tels et tels» (et li nonma par noms, ensi conme il en estoit enfourmés), «laquelle cose me desplaist grandement, et samble à auquns de ma partie, et à moi aussi, que il l’a fait en mon despit. Et se je voloie regarder à sa felonnie, je feroie de vous le samblable cas, et trueve bien qui le me conselle; car vous m’avés fait plus de contraires en Bretagne, et à mes gens, que nuls aultres chevaliers. Mais je m’en soufferai et li laisserai faire ses volentés, et li osterai ce point inraisonnable et garderai mon honnour, et vous laisserai passer parmi courtoise raençon et legière, selonch vostre estat, pour l’amour de mon cousin le conte Derbi, qui chi est, qui en a priiet bien acertes, mais que vous voelliés faire ce que je vous dirai.» Li chevaliers fu tous resjois et se reconforta en soi meismes, qant il entendi que il n’aueroit garde de mort. Si respondi en li humeliant: «Très chiers sires, je ferai à mon pooir loiaument tout ce que vous me conmanderés.» Lors dist li rois: «Mesire Hervi, je sçai bien que vous estes uns des rices chevaliers de Bretagne et que, se je vous voloie presser, vous paiieriés bien trente mille ou quarante mille esqus. Je vous dirai que vous ferés. Vous irés deviers mon adversaire Phelippe de Valois et li dirés de par moi que, pour tant que il a mis à mort vilainne si vaillans chevaliers et si gentils que chil estoient, de Bretagne et de Normendie, en mon despit, je di et voel porter oultre que il a enfraint et brisiet les trieuves que nous avions ensamble: si i renonche de mon costé et le deffie de ce jour en 256 avant. Et parmi tant que vous ferés ce message, je vous laisserai passer sus diis mille esqus que paierés ou envoierés en la ville de Bruges, cinq mois apriès ce que vous auerés rapasset la mer.»

Li chevaliers remercia le roi de ceste parole et le tint à grant courtoisie, et ordonna ses besongnes dou plus tos qu’il peut, et se departi de Londres et vint à Douvres. Et là monta en mer et prist le cemin pour venir à Boulongne; mais sus la mer li vens li fu si contraires, et ot ils et sa compagnie tant de fortunes et de tempestes, que il furent cinq jours sus la mer. Au sisime, il prissent terre au Crotoi, et de là il vinrent à Abeville. Mesires Hervis de Lion fu si grevés de la mer que il ne pot souffrir le cevauchier, et fu mis en une litière et ensi amenés à Paris. Li là venu, il ala deviers le roi Phelippe, et fist le message dont il estoit cargiés. Point n’i ot de defaute, et s’aquita deviers le roi d’Engleterre de tous poins, et au retour il s’alita à Angiers et là morut. Ensi avint de mesire Hervi de Lion.

Li sires de Cliçon, qui fu decolés à Paris, avoit fil et fille. Le fil, on l’envoia en Engleterre, et le retint li rois et le mist avoecques le jone conte de Montfort. Et tout doi furent de la delivrance et ordenance dou conte Derbi, car li rois de France, avoecques ce que il osta la vie au signeur de Cliçon, il saisi tous ses hiretages de Bretagne et de Poito, et les donna et departi aillours à sa plaisance. Fos 95 vº et 96.

P. 39, l. 17: Malatrait.—Le ms. B 6 ajoute: le signeur de Quintin. Fº 238.

P. 40, l. 5: escus.—Mss. A 15 à 17: frans. Fº 111 vº.

P. 40, l. 14: escus.—Mss. A 1 à 6, 15 à 17: frans. Fº 110.

P. 40, l. 30 et P. 41, l. 1: dix jours et plus.—Mss. A 1 à 6, 11 à 33: plus de quinze jours. Fº 110 vº.—Mss. A 7 à 10: plus de cinq jours. Fº 105.

P. 41, l. 6: Abbeville.—Mss. A 1 à 6: Aubeville. Fº 110 vº.

P. 41, l. 11: mès morut.—Le ms. B 6 ajoute: Dieu en ait l’ame! Ensi fina messire Henry de Lion dont la contesse de Montfort fut moult lie, car che lui estoit ung grant ennemy en Bretaigne. Fº 240.

P. 41, l. 12: d’Angiers.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19 ajoutent: Dieu en ait l’ame par sa sainte pitié et misericorde! Fº 110 vº.—Ms. A 7: Diex en ait l’ame! Fº 105 vº.—Mss. 257 A 20 à 22: Dieux en ait l’ame par sa douce grace! Fº 163.—Mss. A 23 à 33: Dieu en ait l’ame par sa grace. Amen. Fº 128 vº.

§ 205. P. 41, l. 13: Et approça.—Ms. d’Amiens: Or approcha li jours Saint Jorges que ceste grande feste se devoit tenir à Windesore, et y fist li roys grant appareil; et y furent de son pays comte, baron, chevalier, dammes, dammoiselles. Et là fu la feste moult grans et mout noble, bien festiée et bien joustée, et dura par le tierme de quinze jours. Et y vinrent pluisseurs chevaliers de dechà le mer, de Flandrez, de Haynnau et de l’Empire; mès de Franche n’en y eult nulx. La feste durant et seant, pluisseurs nouvellez vinrent au roy de pluisseurs pays. Et par especial il y vinrent chevaliers de Gascoingne, li sire de Lespare, li sirez de Chaumont et li sirez de Mouchident, envoiiés de par le seigneur de Labreth, et le seigneur de Pumiers et les seigneurs gascons qui pour englès se tenoient, et en leur compaignie six bourgois especiaux de le cité de Bourdiaux, liquel furent moult bien venu et conjoi dou roy et de son consseil. Et remoustrèrent li dessus dit au roy coumment petitement et foiblement ses bons pays de Gascoingne et si bon amit, ossi la bonne cité de Bourdiaux, estoient conforté et secourut de lui; et se briefment n’i envoioit si puissamment gens qu’il fuissent fort de resister as Franchois, il metoit tout ce que il y tenoit en grant aventure: si ques li roys en respondi moult liement, et leur dist que il leur bailleroit un très bon cappittainne, fort et puissant, pour resister contre ses ennemis de par delà, parmi les bonnes gens d’armes et archiers, ossi que il li chargeroit des parolles le roy. Et de se proummesse se contentèrent bien li baron de Gascoingne.

Et avint que, celle feste durant, li roys ordonna et noumma chiaux qu’il volloit qui alaissent en Gascoingne et desquelz li comtez Derbi seroit chiés, et y devisa le comte de Pennebrucq, le comte de Kenfort, le baron de Stanfort, monseigneur Gautier de Mauni, monseigneur Francke de Halle, monseigneur Jehan de Lille, messire Jehan de Grea, messire Jehan de la Souche, messire Thomas Kok, le seigneur de Ferrièrez, lez deux frères de Lindehalle, le Lieuvre de Braibant, messire Ainmon dou Fort, messire Huon de Hastinges, menseigneur Estievenon de Tomby, monseigneur Richart de Hebedon, monseigneur Normant de Sinefroide, messire Robert d’Eltem, monseigneur Jehan de Norvich, 258 monseigneur Richart de Roclève, monseigneur Robert de Qantonne et pluisseurs aultres. Et furent bien trois cens chevaliers et escuiers, six cens hommez d’armes et deux mil archiers. Et dist li roys à son cousin le comte Derbi que il presist assés or et argent pour tenir son estat grant et estoffet et pour bien paiier tous saudoiiers.

Encorres ordounna li roys, celle feste durant, monseigneur Thummas d’Anghourne pour aller en Bretaingne deviers le comtesse de Montfort, à lui aidier à garder et à deffendre son pays, quoyque les trieuwes y fuissent, car il se doubtoit que li roys Phelippes n’y fesist guerre sus lez parollez qu’il li avoit remandées par monseigneur Hervy de Lyon. Pour tant y envoya il monseigneur Thumas à cent hommes d’armes et cinq cens archiers.

Encorres ordonna li roys monseigneur Guillaumme de Montagut, comte de Sallebrin, à aller sus lez marches d’Irlande et lui tenir en le conté de Luuestre, car li Irois estoient durement revelé contre lui et avoient ars en le dessus dite comté grant fuison de villes, pour che que il se tenoient englèz. Si y envoya li rois le dessus dit comte à deux cens hommes d’armes et cinq cens archiers. Fº 80 vº.

Ms. de Rome: En celle grande feste, qui fu à Windesore le jour Saint Gorge en l’an dessus dit, furent de Gascongne auquns barons, tels que li sires de Labreth, li sires de Ponmiers, li sires de Mouchident et li sires de Copane. Et les avoit conjois et honnourés li rois d’Engleterre de tout son pooir, et aussi avoit fait la roine d’Engleterre sa fenme, et li baron et dames d’Engleterre. Et avoient requis chil signeur au roi que il vosist de là en Giane envoiier auqunes gens d’armes et archiers de par li, pour tenir et faire frontière à l’encontre d’auquns rebelles barons et chevaliers dou pais, qui constraindoient ses honmes et ses obeissans ou pais de Bourdelois, d’Auberoce, de Bregerac et de la Riole, par quoi on euist vraie connissance en Giane que li rois d’Engleterre estoit lors sires. Li rois d’Engleterre avoit respondu à ces barons de Gascongne et dit ensi que volentiers il i envoieroit, car il i estoit tenus et voloit conforter ses bonnes gens des lontainnes marces aussi bien que les prochainnes. Or estoient chil signeur parti dou roi d’Engleterre tout content et retourné en lor pais, et recordé as chevaliers et esquiers des frontières de Bourdiaus ces nouvelles. Et assés tos apriès lor departement, il ordonna, 259 par la deliberation de son consel, gens d’armes et archiers pour aller en Gascongne et viseter les forterèces, et nonma son cousin, le conte Derbi, à chapitainne et souverain de toutes ces gens d’armes, et avoecques li le conte de Pennebruq, le conte de Kenfort, le baron de Stanfort, mesire Gautier de Mauni, messire Franqe de Halle, messire Jehan de Lille, mesire Jehan de Grea, mesire Jehan de la Souce, mesire Guillaume Penniel, mesire Huge de Hastinges, mesire Thomas Kok, le signeur de Ferrières, les deus frères de Lindehalle, mesire Richart de Hebedon, mesire Normant de Senefroide, mesire Estievene de Tombi, mesire Robert d’Eltem, mesire Jehan de Nordvich, mesire Richart de Roclève, mesire Robert de Qantonne, mesire Ainmon dou Fort et pluisseurs aultres. Et furent bien trois cens chevaliers et esquiers, siis cens honmes d’armes et deus mille archiers. Fº 96.

P. 41, l. 15: Et y furent.—Ms. B 6: Et y eult plus de trois cens chevaliers joustant et bien quatre cens dames et demoiselles, et fu la feste bien ordonnée. Et fourjousta de cheulx de dedens messire Franque de Halle, et de cheulx de dehors le conte de Mons en Allemaigne et ung escuiier d’Escoche qui se nomoit Alixandre de Ramesay, et de ceulx dedens le prinche de Galles. Fº 240.

P. 41, l. 28: Pumiers.—Mss. A 8, 9, 15 à 17, 23 à 29: Pommier, Pommiers. Fº 101.

P. 41, l. 28 et 29: Monferant.—Mss. A 8, 9: Montferrat. Fº 101.

P. 41, l. 29: Landuras.—Ms. A 24: Duras.

P. 41, l. 29: Courton.—Mss. A 23 à 29: Curton. Fº 129.—Mss. A 15 à 17: Courron. Fº 112.

P. 42, l. 1: Longerem.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 22: Longueren, Longuerem. Fº 110 vº.—Ms. A 8: Longueran. Fº 101.—Mss. A 15 à 17: Langoran. Fº 112.—Mss. A 23 à 29: Langurant. Fº 128 vº.

P. 42, l. 16: ordonna.—Ms. B 6: Adonc ordonna le dit conte Derby de aller en Gascongne à quatre cens hommes d’armes et mil archiés pour garder les frontières. D’aultre part, le conte de Pennebruck eut cherghe de deux cens hommes d’armes et quatre cens archiés, le conte de Kenfort deux cens hommes d’armes et deux cens archiés, et furent prins tous en Engleterre. Fº 241.

P. 42, l. 24: Grea.—Mss. A 20 à 22: Gea. Fº 163 vº.

260 P. 42, l. 24 et 25: Jehan de la Souce.—Ce nom manque dans les mss. A.

P. 42, l. 25: Thumas Kok.—Mss. A 20 à 22: Thomas Rally. Fº 163 vº.

P. 42, l. 26: Lindehalle.—Mss. A 20 à 22: Landehalle. Fº 163 vº.

P. 42, l. 27: Aymon dou Fort.—Ce nom manque dans les mss. A.

P. 42, l. 28: Tonrby.—Mss. A 15 à 19: Comby. Fº 112 vº.—Mss. A 20 à 22: Tomboy. Fº 163 vº.

P. 42, l. 29: Manne.—Mss. A 20 à 22: Name. Fº 163 vº.

P. 42, l. 29: Hebedon.—Ms. A 8: Hedebon. Fº 101 vº.

P. 42, l. 30: Finefroide.—Mss. A 8, 15 à 17: Sinefroide. Fº 101 vº.—Mss. A 20 à 22: Sineroide. Fº 163 vº.

P. 42, l. 31: d’Eltem.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: d’Altem. Fº 111.—Mss. A 20 à 22: d’Atam. Fº 163 vº.

P. 42, l. 31: Norvich.—Mss. A 20 à 22: Lorwich. Fº 163 vº.

P. 42, l. 32: Rocleve.—Ms. A 8: Noclene. Fº 101 vº.—Mss. A 15 à 17: Nocleve. Fº 112 vº.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: Rochene. Fº 111.—Mss. A 20 à 22: Roclerie. Fº 163 vº.—Mss. A 23 à 29: Rociens. Fº 129.

P. 43, l. 1: Quantonne.—Mss. A 1 à 6: Quatonne. Fº 111.

P. 43, l. 3: deux mille.—Mss. A 20 à 22: trois mille. Fº 163 vº.

P. 43, l. 3: arciers.—Ms. B 6: Adonc pria le conte Derby à messire Gautier de Mauny que en che voyage il vaulsist estre son compaignon, car le dit conte le tenoit pour tout le milleur chevalier d’Engleterre... Car très donc en devant avoit messire Gautier à son commandement grant foison de bons compaignons et d’archiés, quant il volloit aller en une armée, car tout le servoient vollentiers pour les hardies emprises de luy, sa proèche et son eur. Car oncques ne fut le dit Gautier en plache qui ne fust pour luy et pour ses gens. Celle fortune ot il tout son vivant: dont ly chevaliers et escuiers et les compaignons de guerre l’en amoient de mieulz. Fos 241 et 242.

P. 43, l. 9: d’Augourne.—Mss. A 1 à 6, 8, 18 à 22, 30 à 33: Angorne, Angourne. Fº 111.—Mss. A 15 à 17, 23 à 29: d’Agorne. Fº 112 vº.

P. 43, l. 12: li rois Phelippes.—Mss. A 20 à 22: messire Charles de Bloiz. Fº 163 vº.

261 P. 43, l. 19: de Dulnestre.—Mss. A 1 à 6, 8, 15 à 19, 23 à 33: de Duluestre. Fº 111.—Ms. A 7: d’Uluestre. Fº 106.—Mss. A 11 à 14: de Luestre. Fº 106.—Mss. A 20 à 22: Deulnestre. Fº 164.

P. 43, l. 19: li Irois.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18, 19, 30 à 33: les Escos. Fº 111.—Mss. A 20 à 29: les Escoçois. Fº 164.

P. 43, l. 21 et 22: de Dulnestre.—Mss. A 1 à 19, 23 à 33: de Duluestre. Fº 111.—Mss. A 20 à 22: d’Ulnestre. Fº 164.

§ 206. P. 43, l. 25: Ensi que.—Ms. d’Amiens: Ensi que vous me povés oyr, departi li roys englès ses gens, chiaux qui yroient en Gascoingne, chiaux qui yroient en Bretaingne, et chiaux qui yroient en Yrlande. Et fist delivrer par sez tresoriers as chappittainnes assés or et argent pour tenir leur estat et paiier les compaignons de leurs gages: chil se partirent enssi que ordonné estoient.

Or parlerons premierement dou comte Derbi, car il eut le plus grant carge et ossi lez plus bellez aventures d’armez. Quant touttes sez besoingnes furent pourveues et ordonnées, et sez gens venus, et si vaissiel freté, cargiet et abilliet, il prist congiet au roy et s’en vint à Hantonne, et là monta en mer avoecq le kerke dessus ditte; et singlèrent tant au vent et as estoilles qu’il arivèrent à Baione, une bonne ville, forte et grosse, qui toudis s’est tenue au roy englès. Si y prissent terre et descargièrent touttez leurs pourveanches le cinquime jour de juing l’an mil trois cens quarante quatre. Et furent liement recheu et requeilliés des bourgois de Baionne et des bonnes gens de le ville, et trouvèrent là aucuns chevaliers et escuiers.

Quant li comtes Derbi eut sejourné en le bonne ville de Baionne par six jours et touttes ses gens ossi, et il s’i furent bien rafreski, si s’en parti et remerchia tous les bourgois de le bonne feste que fait li avoient; et fist tant qu’il vint en le bonne chité de Bourdiaux, là où on l’atendoit, et eurent grant joie de sa venue, car moult l’avoient desiret. Si vinrent contre lui à grant pourcession, et l’amenèrent dedens le cité à grant quantité de trompes et de pluisseurs menestrandies. Si fu li corps dou comte logiés en l’abbeie de Saint Andrieu, et li autre parmy le chité: il trouvèrent bien ù et coumment, car elle est grande assés pour bien aisier 262 une grant ost. Or vinrent lez nouvellez au comte de Laille, qui se tenoit en Bregerach à quatre lieuwez de là, que li comtez Derbi estoit venus à Bourdiaux et avoit moult grant fuisson de gens d’armes et d’archiers, et estoit fors assés pour tenir lez camps, et de assaillir, assegier et prendre castiaux et bonnes villes. Ces nouvelles oyes dou dessus dit comte, il manda tantost le comte de Commingnes, le comte de Pieregorth, le visconte de Quarmaing, le viscomte de Villemur, monseigneur Carle de Poitiers, comte de Valentinois, et tous lez barons et chevaliers qui ens ou pays se tenoient de par le roy de France. Quant il furent tout venu, il leur remoustra le venue dou comte Derbi et se puissanche par oïr dire: si en demanda à avoir consseil. Et chil seigneur respondirent que, pour yaux bien acquitter, il se tenroient en le ville de Bregerach, car elle est clés et entrée de ce pays sus le rivière de Geronde, et que il supposoient assés que li Englès se trairoient celle part. Chilz consseil fu tenus. Il fissent leur amas et leur assamblée de leurs aidans en Bregerach. Et se logièrent li seigneur ens ès fourbours, qui sont grant et loncq et fort et enclos de le rivière, et y atraissent le plus grant plenté de leurs pourveanches. Fos 80 vº et 81.

Ms. de Rome: Tout chil signeur fissent lors pourveances de ce que il lor besongnoit, à Pleumude et à Dardemude, et là se traissent petit à petit et trouvèrent navie toute preste que li rois lor delivroit. Si entrèrent dedens, qant toutes lors pourveances furent prestes, et se desancrèrent et tournèrent lors singles deviers Gascongne. Et costiièrent Bretagne, Rocelle et Poito, et entrèrent ens ou havene de la Geronde, et vinrent à Bourdiaus et là ancrèrent, et puis issirent des vassiaus. Li seneschaus dou lieu pour le temps, mesires Thomas Fouque, et li maires de la ville et tout li honme bourgois de la chité de Bourdiaus les requellièrent doucement et liement, et lor amenistrèrent ce que il lor besongnoit. Si missent hors des vassiaus lors pourveances et tout ce que passet avoient. Et tout furent logiet en la chité de Bourdiaus et s’i rafresqirent. Et se pourveirent de chevaus ceuls qui nuls n’en avoient, et fissent remettre à point lors selles et lors harnois et lors armeures. Fº 96.

P. 43, l. 28: Irlande.—Mss. A 1 à 6: Hillande. Fº 111.

P. 44, l. 12: ou havene de Bayonne.—Ms. B 6: au havre de Bourdiauls. Fº 242.

P. 44, l. 23 et 24: Saint Andrieu.—Mss. A 1 à 6: Saint Andrey. Fº 111 vº.

263 P. 44, l. 26: ou plus.—Les mss. A 11 à 14 ajoutent: mais par toute l’isle. Fº 106.

P. 44, l. 28: en Bregerach.—Ces mots manquent dans les mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 33.

P. 45, l. 3: Lille.—Mss. A 20 à 22: Laigle. Fº 164.

P. 45, l. 4: Commignes.—Mss. A 7, 23 à 33: Commines. Fº 106.

P. 45, l. 5: Carmaing.—Mss. A 20 à 22: Carmaigne. Fº 164.

P. 45, l. 6: le visconte de Villemur.—Mss. A 1 à 6, 18, 19: le conte de Villemur. Fº 111 vº.

P. 45, l. 7: Murendon.—Mss. A 1 à 6: Miradam. Fº 111 vº.—Mss. A 7, 11 à 14, 18 à 33: Muredam, Murdam, Muredain. Fº 106.—Mss. A 15 à 17: Murendon. Fº 113.—Ms. A 8: Ajurendon. Fº 102.

P. 45, l. 8: Taride.—Mss. A 1 à 6: Lestarde. Fº 111 vº.—Mss. A 11 à 14, 18, 19: Tarde. Fº 106 vº.

P. 45, l. 9: Chastielbon.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 33: Chastillon. Fº 111 vº.

P. 45, l. 10: Lescun.—Mss. A 1 à 33: Lescut. Fº 111 vº.—Les mss. A 15 à 17 ajoutent: le seigneur de Tannay Boutonne. Fº 113.

P. 45, l. 16 et 17: Garone.—Mss. A 1 à 6: Gironde. Fº 111 vº.

§ 207. P. 45, l. 26: Quant li contes.—Ms. d’Amiens: Et quant li comtes Derbi eut sejourné en le cité de Bourdiaux environ sept jours, il s’en parti et entendi que li comtez de Laille se tenoit en Bregerach; si fist tuit son charoy et son host arouter et traire de celle part. Et vinrent celle première nuit gesir à ung castiel qui se tenoit pour yaux, que on claimme Monkuk, à une lieuwe de Bregerach; et s’y tinrent che soir tuit aise, car il avoient bien de quoy. L’endemain bien matin, allèrent leur foureur sus le castelerie de Bregerach, et trouvèrent assés à fourer et revinrent à leur host qui encorres se tenoit à Monkuk, car li seigneur y volloient disner pour savoir coumment il se maintenroient, et y disnèrent assés matin. Endementroes que on seoit à table, messires Gautiers de Mauni regarda deviers le comte Derbi et dist: «Monseigneur, se nous estions bien appert et droite gens d’armes, nous buverions à ce soupper des vins de ces 264 seigneurs de Franche qui se tiennent en garnison en Bregerach.» Et quant li comtez Derbi eut oy enssi parler le dit monseigneur Gautier, il leva le chief et respondi: «Jà pour moy ne demoura que nous n’en buvions.» Li compaignon qui oïrent le comte ensi parler, missent leurs testez ensamble et dissent lis uns as autrez: «Allons nous armer, nous chevaucherons tantost deviers Bregerach.»

Il n’y eut plus dit ne plus fait: tout furent armet, et li chevaux enssiellet en bien briefve espasse. Et quant li comtes Derbi les vit de celle vollenté, si en fu tous joyans et dist: «Or chevauchons, ou nom de Dieu et de saint Jorge, deviers Bregerach.» Dont s’aroutèrent touttez mannières de gens, et chevauchièrent, bannierres desploiiées, deviers le cité, en le plus grant calleur dou jour, et fissent tant que il vinrent devant les bailles des faubours qui n’estoient mies legier à prendre, car une partie de la rivierre de Geronde les environne. Et si y avoit d’autre part bonnes gens d’armes, qui estoient bien tailliéz dou garder et dou deffendre. Fº 81.

Ms. de Rome: Quant li contes Derbi ot sejourné en la chité de Bourdiaus environ quinze jours, il li prist volenté de cevauchier. Si le fist segnefiier par ses hiraus à tout honme, et que casquns fust prês: il le furent et se departirent un jour de Bourdiaus en grant arroi, et fist marescal de son hoost mesire Gautier de Mauni. Et prissent le cemin de Bregerach, et n’i a que quatre lieues de Bourdiaus, et vinrent à un chastiel seans à une lieue priès, lequel on nonme Montquq. Et se tenoit pour euls et en estoit chapitainne et gardiiens, uns chevaliers de Gascongne qui se nonmoit mesires Rainmons de Copane, qui rechut les Englois liement et lor amenistra tout ce que il lor besongnoit. Si se reposèrent là les Englois une nuit. Et à lendemain li contes Derbi envoia courir par mesire Gautier de Mauni et mesire Franqe de Halle, à tout deus cens lances et trois cens archiers, devant Bregerach et lever la proie. Et reboutèrent toutes gens dedens; ne nuls de ceuls qui dedens estoient, ne s’osèrent bougier ne issir, pour resqourre la proie. Qant mesires Gautiers de Mauni et li Englois orent fait lor emprise, il retournèrent à Montquq, et se traissent les chapitainnes deviers le conte Derbi. Là dist mesires Gautiers de Mauni une chevalereuse parole: «Se nous estions bien preu, et se nous faisions nostre devoir, ensi que gens d’armes doient faire, qant il sont venu en un pais pour guerriier, 265 nous souperions encore à nuit en Bregerach dou vin de ces François.» Li contes Derbi rechut ceste parole en grant joie et dist: «En moi ne demorra pas que nous n’en faisoions, Gautier, Gautier, nostre acquit.» Adonc fist li contes sonner les tronpettes et aparillier tout honme, armer et monter à cheval. Et issirent de Montquq gens d’armes et archiers, et ceminèrent viers Bregerach, et tantos i furent. Si s’arestèrent devant la ville, qui est forte assés et doit estre par raison, car la rivière de la Dourdonne, qui vient là d’amont de Roergue, de Qersi et des frontières d’Agen et de Limosin, rentre là en la Geronde. Fº 96 vº.

P. 46, l. 4: ordonna ses besongnes.—Ms. B 6: Et y vint le sire de Monferant, le sire de Chaumont, messire Alixsandre son frère, le sire de Courton, le sire de Chastre, le sire de Condon... Quant il furent tous assamblet et qu’il se trouva le dit conte Derby acompaigniés de douze cens hommes d’armes, quatre mille archiés et trois mille brigans à lanches et à pavais, sy se party de Bourdieaulx. Fº 243.

P. 46, l. 7: trois liewes.—Mss. A 20 à 22: quatre lieues. Fº 164 vº.

P. 46, l. 9: Montkuk.—Mss. A 8, 15 à 17, 20 à 22: Moncuq, Moncucq. Fº 102.—Mss. A 11 à 14: Monbruq. Fº 106 vº.—Ms. A 24: Monkoulier.

P. 46, l. 9: à une petite liewe.—Mss. A 23 à 29: à huit petites lieues. Fº 130.

§ 208. P. 47, l. 7: Ces gens d’armes.—Ms. d’Amiens: Si tost que li Englès furent venus devant Bregerach, il coummenchièrent à assaillir, et li archier à traire si espessement et si ouniement que nulx ne s’osoit amoustrer pour deffendre, et gens d’armes apriès yaux à aprochier. Là eut grant assaut et merveilleusement fort, car li Englès, qui estoient fresch et nouvellement venus ou pays, se prendoient priès de bien faire le besoingne, affin que il en ewissent le grace de leur cappittainne. D’autre part, li Gascon franchois qui là estoient, se deffendirent vassaumment et bien. Et dura chilz assaux, toudis lanchant, traiant et assailant, jusquez à basses vesprez. Finablement il fu si continués et si bien poursuivis des Englès, que par force il gaegnièrent ces faubours où toutte ceste bonne gent d’armes se tenoient, et les couvint de force retraire et rentrer ou corps de le ville. Et sachiés que ou rentrer il y eut une moult villainne et dure escarmuche, 266 et moult de gentilz hommes en grant peril. Et par especial il y fu mors ungs grans barons de Gascoingne et de Pieregort, que on appelloit monseigneur Huge de Mirepois, et ne peut oncquez venir à ranchon, car messires Gautiers de Mauni l’avoit ainssi ordonné: le cause pourquoy, je le vous recorderai quant nous venrons au conquèz de le Riolle.

Au rentrer dedens le ville de Bregerach, eult mout grant encauch et moult dur, et pluisseurs hommes mors et blechiés. Touttesfois, quant il furent ensi que tout retret et li gentil homme remis en le ville, il cloirent leur portez et refremèrent les baillez. Et li Englèz se tinrent ens ès faubours, qui bien se saisirent de ce qu’il trouvèrent, et passèrent celle nuit en grant reviel. Fº 81.

Ms. de Rome: Li gentilhonme, qui pour lors estoient en Bregerach, orent consel de widier lor ville et de euls rengier et ordonner devant les barrières et escarmuchier et asaiier la poissance des Englois. Et avoient fait carpenter une bastide où il pooient bien cinq cens honmes, et jà i estoient il entré pour deffendre le cemin, et quidoient faire mervelles. Mais sitos que les Englois furent venus, chil de Bregerach ne tinrent nuls conrois; car les Englois vinrent, lances abaisies, et conmencièrent à asallir ces François et ces Bidaus qui là estoient, et archier à traire d’autre part. Tantos la bastide fu delivrée, et maint honme mort et blechiet et reversé par terre. Fº 96 vº.

P. 48, l. 12: Lille.—Mss. A 7, 18, 19, 23 à 33: Laille. Fº 107.—Mss. A 20 à 22: Laigle. Fº 165 vº.

P. 48, l. 13: contes.—Mss. A 1 à 6, 8, 15 à 19: viconte. Fº 112.

P. 48, l. 23: Taride.—Mss. A 1 à 6, 20 à 22: Tarde. Fº 112.—Mss. A 15 à 17: de la Taride. Fº 114.—Mss. A 11 à 14: de la Barde. Fº 107.

P. 48, l. 27: Richars.—Mss. A 20 à 22: Guichart. Fº 165 vº.

P. 49, l. 5: Boskentin.—Mss. A 1 à 6: Bosquetin. Fº 112.

P. 49, l. 5: Chastielneuf.—Mss. A 1 à 6: Neufchastel. Fº 112.

P. 49, l. 6: Chastielbon.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 33: Chastillon. Fº 112.

P. 49, l. 6: Lescun.—Mss. A 1 à 6, 18, 19: Lescoit. Fº 112.

P. 49, l. 8: restel.—Mss. A 1 à 7, 18, 19, 30 à 33: rastel, 267 rastiel. Fº 112.—Mss. A 8 à 17, 23 à 29: ratel. Fº 103.—Mss. A 20 à 22: grosse trappe. Fº 165 vº.

§ 209. P. 49, l. 20: Quant ce vint.—Ms. d’Amiens: Quant che vint à l’endemain, il s’armèrent et ordonnèrent pour assaillir Bregerach, et y eut ce jour dur assault et bien continuet. Et remplirent li Englès au plus foible léz une partie des fossés, tant que il pooient aller jusc’à murz et piqueter as murs et oster les pierrez, et les laissièrent en cel estat pour le soir, et l’endemain y devoient revenir. Fº 81.

§ 210. P. 50, l. 14: Droit à heure.—Ms. d’Amiens: Quant li bourgois de Bregerach se virent en che parti, leurs fourbours pris et leur ville en grant peril, si s’asamblèrent tout enssamble. Et s’en vinrent deviers le comte de Laille, et li dissent que il ne veoient mies que de forche il se pewissent longement tenir as Englès, et que il avoient pourpos et intention que d’iaux rendre, saulve leurs corps, leurs biens et leurs femmez et leurs enfans. Et quant li comtez lez oy, si ne les respondi mies si très tost, ainchois traist d’une part lez gentilz hommez et demanda quel cose en estoit bon affaire.

Là eut pluisseurs parollez retournées et devisées, car li aucun volloient, volsissent li bourgois ou non, tenir le ville jusquez au pardairain. Et disoient que il estoient fort assés pour le tenir et deffendre contre tous venans; et li autre, qui resongnoient le peril, disoient que non. Finablement, tout consideret et peset, le bien contre le mal, li chevalier eurent avis que il se partiroient et lairoient chiaux de Bregerach convenir dou sourplus, car il se doubtoient que il n’y euist trayson. Si fissent ensseller leurs cevaux et cargier et tourser tout leur harnois, et se partirent environ mienuit et cheminèrent tant que il vinrent l’endemain assés matin à le forte ville de le Riole: on leur ouvri les portes, et entrèrent ens, et se logièrent et hebregièrent parmy le ville, et li comtez ou castiel, qui ne se veut mies tenir atant, mès assambla tous les barons et chevaliers, et regarda et fist regarder et dire à çascun son milleur avis et consseil de ceste chevauchie. Là fu dit, regardé et ordonné pour le milleur que chacuns presist une quantité de gens d’armes, chil qui comte et baron estoient, et s’espardesissent par les fors et gueriaissent des garnisons, et que par ensi il greveroient plus les Englès et deffenderoient 268 mieux leur pays que de tenir lez camps, ou cas que il ne sont mies fort pour combattre les Englès. Fº 81.

P. 50, l. 16 à 18: Et en estoient... de Kenfort.—Mss. A 1 à 22: Et en estoit capitaine le conte de Kenfort. Fº 113.—Mss. A 23 à 33: Et en estoit capitaine le conte de Stanfort. Fº 131.

P. 50, l. 20: avancier.—Ms. A 8: aventurer. Fº 103.

P. 50, l. 22: roulleis.—Mss. A 11 à 14: rueillis. Fº 107 vº.—Mss. A 18, 19: rouillis. Fº 114.—Mss. A 23 à 29: rouliz. Fº 131.

§ 211. P. 52, l. 3: Quant ce vint.—Ms. d’Amiens: Quant ce vint au matin, li comtez Derbi et li seigneur d’Engleterre fissent un grant apareil que pour assaillir le ville de Bregerach. Mès li bourgois, qui ne veurent mies atendre l’aventure, coummenchièrent à tretier un accord au dit comte. Et se porta tretiéz que la ville fu rendue, sauve leurs corps et leurs biens, et se devoient en avant tenir pour bon Englès, et par enssi les portes furent ouvertez. Et entra li dis comtez dedens et toutte se routte, et s’i reposèrent par troix jours; au quatrime, il s’en partirent. Fº 81 vº.

Ms. de Rome: Li gentilhomme se retraissent deviers les barrières, qui estoient toutes ouvertes, pour euls requellier, mais au rentrer dedens, li mesciés i fu trop grans pour les rentrans; car les Englois qui s’avanchièrent, s’esforchièrent tellement que il conquissent les bailles et la porte dou pont, et montèrent sus avoecques euls et passèrent tout oultre. Et là sus le pont de Bregerach furent pris li viscontes de Qarmaing et mesires Rainmons, son oncle, et plus de treise chevaliers; et li autre qui sauver se porent, widièrent hors par une porte qui lor fu ouverte; si prissent les camps et le cemin de la Riole. Et pluisseurs honmes et fenmes de Bregerach entroient en batiaus et en nacelles sus la Dourdonne et sauvoient lors vies. Ensi fu Bregerach prise, et i conquissent les Englois grant butin, car pour ces jours elle estoit moult riche. Et là au souper ramentut li contes Derbi à mesire Gautier de Mauni les paroles, les quelles il avoit dit à Montquq, que, se il estoient bien vaillant, il aueroient à lor souper dou vin des François. Voirement en orent il, dont il se tinrent tout aise. Fº 97.

P. 52, l. 14: Kenfort.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 23 à 33: Stanfort. Fº 113 vº.

269 P. 52, l. 31: sains.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 33: cloches. Fº 113 vº.

§ 212. P. 53, l. 13: Celle propre.—Ms. d’Amiens: Là fu ordonnet li comtez de Laille à demourer en le Riolle à une quantité de gens d’armes, li comtez de Commingnes de raller en son pays et de pourveir sez fors et de faire frontière as Englès, et messire Bertrans des Prés de aler ou castiel de Pellagrue; li comtes de Pieregorch de raler en Pieregorch et de garder le frontière; li senescaux de Toulouse d’aller à Montalben; li viscomtez de Quarmaing de aller à Auberoce; messires Phelippes de Dion, à Montagrée; li vighiers de Thoulouse, au castel de Langho; li sirez de Montbrandon, au castel de Maudurant; messires Henris de Clichon, à Lamougis; monseigneur Gerars des Prés, à Laliene; monseigneur Henry, visconte de Beskentin, à aller à Sebilach; monsigneur Robert de Malemore, au castiel de Biaumont; monsigneur Jehan de le Porte, à le tour dou Lach; monseigneur Renaut de Dion, ou castiel de Prudaire; monseigneur Carlez de Poitierz, à Penne en Aginois; et ensi de fortrèce en fortrèce envoie il lez gentilz hommes, et lez fait bien pourveyr et avitaillier et rafreschir de touttes coses. Or revenrons au comte Derbi, qui se tenoit devant Bregerach. Fº 81 vº.

P. 53, l. 13: Celle propre nuitie et le journée.—Mss. A 1 à 33: Celle propre journée. Fº 113 vº.

P. 53, l. 20 à 24: si en seroient... à Montalben.—Mss. A 1 à 33: si en seroient chiefs et meneurs le seneschal de Thoulouse à Montalben... Ms. A 7. Fº 108.

P. 53, l. 24: Montalben.—Ms. A 8: Montabban. Fº 104.—Mss. A 18, 19: Montalban. Fº 115.—Mss. A 20 à 22: Montauban. Fº 167 vº.

P. 53, l. 27: Ernaus.—Mss. A 15 à 17, 20 à 22: Arnould. Fº 167 vº.—Mss. A 23 à 29: Ernaulton. Fº 132.

P. 53, l. 27: Lamongis.—Mss. A 7, 8, 18, 19, 23 à 29: la Montgis, la Mongis. Fº 108 vº.

P. 53, l. 28: Malemort.—Mss. A 1 à 7, 11 à 17, 20 à 22: Malemore. Fº 113 vº.—Mss. A 23 à 29: Malmore. Fº 132.—Ms. A 8: Maleuvre. Fº 104.—Mss. A 18, 19: Malemère. Fº 115.

P. 54, l. 1: Pennes en Aginois.—Mss. A 1 à 6: Ponnot et Aginois. Fº 113 vº.—Ms. A 7: à Pennes et à Guiois. Fº 108 270 vº.—Mss. A 11 à 14: Ponnoit en Aginois. Fº 108 vº.—Mss. A 18, 19: à Pennes et à Guions. Fº 115.—Mss. A 30 à 33: à Pennes et à Ginoiz. Fº 169.

§ 213. P. 54, l. 9: Quant li contes.—Ms. d’Amiens: Quant li comtez Derbi eut pris le feaulté des bourgois et des bonnes gens, il leur laissa une bonne cappittainne monseigneur Jehan de la Souche. Et demanda consseil au partir li comtez Derbi quel chemin il tenroient, ou le chemin thoulousain, sievant le rivière de Geronde, ou le chemin de Pieregorch, de Laille et de le Gascoingne. Lors fu il ordonné pour le mieux que il tenroient le chemin darrain nommet, et que, quant il aroient fait ce voiaige, il revenroient l’autre chemin seloncq le rivierre. Si se aroutèrent à aller deviers Langho, un castiel assés fort, de qui li vighiers de Toulouse, une mout apperte armure de fer, estoit cappittainne. Quant li Englès furent venut devant Lango, il l’assaillirent fortement; et dura li assaux assés longement, car chil de dedens se tinrent et deffendirent ce qu’il peurent. Finablement il fu par force pris, et li castellains si navrés au prendre, que dedens trois jours après il morut; et furent li plus des saudoiiers de le ville tous ocis, pour ce que il s’estoient mis à deffence. Et quant li comtez Derbi eut pris le castiel, il le donna à ung sien escuier que on appelloit Ainmon Lion. Chilz y demora à tout vingt archiers, et li os alla avant, et s’en vinrent deviers le Lach. Fº 81 vº.

Ms. de Rome: Qant li contes Derbi ot pris la sasine et posession de Bregerach et l’onmage et feauté des honmes de la ville, et il i ot renouvellé officiiers et mis capitainne de par le roi d’Engleterre, car il avoit poissance et conmission de ce faire, il se departi de là en grant arroi et bonne ordenance. Tous li pais conmença à trambler pour la venue de gerre, ne de trop lonch temps point n’en avoient eu. Si en estoient les villes et les chastiaus plus legier à conquerir. Qant il furent issi de Bregerach, il vinrent devant un chastiel et une ville que on apelle Lango. La bataille des marescaus qui faisoient l’avantgarde, laquelle mesires Gautiers de Mauni et mesires Franqe de Halle gouvrenoient, cevauchièrent tout devant et s’arestèrent là, et se missent en ordenance pour asallir. Qant chil de Langho veirent que il aueroient l’asaut, si se doubtèrent de tout perdre, et se rendirent salve le lor et lors vies. Ensi fu Langho englesce, et s’i rafresqirent 271 li contes Derbi et ses gens, et puis cevauchièrent oultre. Et ensi que il cevauçoient et venoient devant une ville que on appelle le Lac, il encontrèrent les honmes de la ditte ville qui se venoient rendre; si furent recheu. Fº 96 vº.

P. 54, l. 13: Li seneschaus.—Mss. A 8, 9, 15 à 17: Le mareschal. Fº 104.

P. 54, l. 16 et 17: Perigueux.—Mss. A 1 à 6, 8, 9, 11 à 22, 30 à 33: Pierregort, Pierregorth. Fº 114.—Mss. A 7, 23 à 29: Piereguis, Pierreguis. Fº 108 vº.

P. 54, l. 18: la Souce.—Mss. A 1 à 6: la Santé. Fº 114.—Mss. A 15 à 19, 23 à 29: la Soute. Fº 115 vº.

P. 54, l. 20: Lango.—Mss. A 15 à 17: Langon. Fº 115 vº.

P. 55, l. 4: velourdes.—Mss. A 1 à 6, 18, 19, 23 à 29: belourdes. Fº 114.

P. 55, l. 14: Si y establi.—Ms. B 6: Et le donna le dit conte Derby à ung escuier d’Engleterre qui s’apelloit Jehan Malevrier. Fº 246.

P. 55, l. 18: le Lach.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 29: le Lac. Fº 114.—Mss. A 8, 15 à 17: Lach. Fº 104 vº.

§ 214. P. 55, l. 19: Quant cil de le ville.—Ms. d’Amiens: Quant cil dou Lach virent lez Englès devant leur ville, il furent si effraet que briefment il dissent à leur cappittainne que il ne se volloient point tenir contre les Englès, car il estoient mains fort que cil de Langho, et que, pour tous perilz eschieuwer, il se renderoient. A ces parollez ne se veut mies acorder le cappitainne dou Lach, mès se parti et laissa lez hommes de le ville couvenir, et s’en revint à le Riolle deviers le comte de Laille, à qui il recorda ces nouvellez. Et li comtes Derbi et toutte sen host s’en vinrent devant le castiel dou Lach, mès cil de le ville s’en vinrent au devant de lui et se rendirent, et li jurèrent et proummissent que, de ce jour en avant, il seroient bon Englès. Li comtes en prist le feaulté et leur ordonna une bonne cappittainne, monseigneur Robert de Multonne, et puis passa oultre et s’en vint à Maudurant, et le gaegnièrent d’assault, et en apriès le castiel de Lamougis; et prisent le chevalier qui dedens estoit, et l’envoiièrent comme prisonnier à Bourdiaux. Puis chevauchièrent devierz Pinaq et le concquissent ossi, et en apriès le ville et le castiel de le Liève, et y reposèrent trois jours; et s’i rafrescirent et s’i 272 renouvellèrent de pourveances. Au quatrimme jour, il s’en partirent, et puis vinrent à Forsach et le gaegnièrent assés legierement, et en apriès le tour de Prudaire, et ocirent environ trente Gascons qui le gardoient. Et puis cevaucièrent avant deviers une bonne ville et grosse, que on claimme Biaumont en Laillois, qui se tenoit au comte de Laille; et furent trois jours par devant, et y fissent pluisseurs assaux, car elle estoit bien pourvue de bonnes gens d’armes et de artillerie. Finablement elle fu si bien assaillie et si fort continuée en assallant, que chil de dedens doubtèrent à tout perdre. Si se rendirent, sauve leurs corps et leurs biens; et s’en pooient li saudoiier aller quel part il volloient. Si se partirent parmy leur traitiet, et s’en revinrent en le Riolle deviers le comte de Laille, qui moult fu courouchiéz quant il seult que li Englèz avoient concquis le bonne ville de Biaumont, mès amender ne le peult, tant que à celle foix.

Quant li comtes Derbi eut pris la ville de Biaumont en Laillois et fait jurer les hommez de le ville que de ce jour en avant il seroient bon Englès, il y estaubli un chevalier de par lui pour yaux garder et tenir en plus grant sceurté: che fu monseigneur Ainmon dou Fort. Puis passèrent oultre et vinrent à Montagrée et le prissent d’assault; si robèrent et pillièrent le ville toute, et missent à destruction et tout le pays d’environ, et puis s’en vinrent devant Laille, la mestre ville dou dessus dit comte. Là y avoit deus chevaliers en garnison de par le dit comte, monseigneur Phelipe [et monseigneur Renaut] de Dion, et estoient cousin germain, liquel chevalier s’aquitèrent trop bien de deffendre et garder le ville et le tinrent sept jours, de quoy tous les jours il avoient assault jusquez aux vespres. Et se volloient chil de la ditte [ville] rendre trop plus tost que il ne fissent, se ce n’ewissent esté li chevalier. Finablement messires Phelippes et messires Renaus de Dion virent que li Englès estoient là aresté et que nullement ne s’en partiroient, si l’aroient concquize; et, se ne le pooient en fin tenir, et se par force il estoient pris, li ville seroit arse et robée: si valloit trop mieux que elle fust sauvée que destruite, et en le main dez Englèz ung tamps, que arse ne perdue. Si tretiièrent bellement et sagement au comte Derbi que il li renderoient le ville, sauve leur corps et leurs biens, et s’en partiroient li doy chevalier et leur mesnies, et s’en yroient quel part que il voroient. Li comtez, qui desiroit toudis à chevauchier avant et à concquerre villez et castiaux, s’i acorda parmy tant que 273 cil de la ville de Laille devoient, de ce jour en avant, estre bon Englès et loyal. Et pour plus grant sceurté, il en baillièrent six bourgois de leur ville en crant et en hostages, qui furent envoiiés à Bourdiaux; et li chevalier dessus nommet se partirent et s’en vinrent deviers le Riolle. Et li comtez Derbi entra en Laille comme sire, et tout li Englèz ossi. Et s’i reposèrent et rafrescirent par six jours. Fos 81 vº et 82.

Ms. de Rome: Et puis vinrent les Englois devant le chastiel de Maudurant, et fu pris d’asaut et tous desemparés; et le laissièrent derrière en cel estat, et puis vinrent devant Lamontgis. Il se rendirent et ne se vodrent point faire asallir. Et puis chevaucièrent oultre et vinrent devant une petite ville fremée de palis qui se nonmoit la Lienne. Il le conquissent et i trouvèrent grant fuison de vins, car elle sciet en biaus vignobles; si en orent à lor volenté. Et puis passèrent oultre et vinrent à Fronsac et le gaegnièrent, et puis la tour de Prudaire et le conquissent aussi. Et puis s’en vinrent devant une bonne ville que on apelle Biaumont en Laillois, et se tenoit dou conte de Laille, un moult vaillant honme. Et avoit chils contes esté mestres dou douch Jehan de Normendie, et l’avoit instruit et doctriné en sa jonèce. Pour ces jours, li contes de Laille n’estoit pas là, mais dedens Auberoce avoecques auquns barons et chevaliers de Gascongne et dou pais, et laissoient lés Englois couvenir, car il tenoient les camps.

Qant li contes Derbi et ses gens furent venu devant Biaumont en Laillois, il s’arestèrent. Dedens avoit un chevalier à chapitainne, qui se nonmoit mesires Jourdains, assés vaillant honme, et ne volt pas rendre la ville de Biaumont legierement, pour tant que contes estoit son cousin et li avoit bailliet en fiance. Si fu la ville assallie de grant manière. Et li chevaliers et chil qui dedens estoient en garnison, se deffendirent vaillanment; et n’i conquissent riens les assallans, mais i ot grant fuisson des Englois bleciés. Adonc se logièrent il, et dissent que jamais de là ne partiroient, si l’aueroient à lor volenté. Il n’en defallirent point, mais il i furent quatre jours, avant que il le peuissent avoir. Toutefois par force d’asaut, il le conquisent et i entrèrent. Et fu li chevaliers mesires Jourdains pris et moult bleciés, et se rendi à mesire Gautier de Mauni, qui tantos le receut sus sa foi, pour tant que il estoit trop fort bleciés, pour tant que il voloit que il se fesist aidier de sa navreure, ensi que il fist, car li chevaliers ala à 274 Thoulouse et là se fist medeciner. La ville de Biaumont en Laillois fu prise et courue; et i trouvèrent les Englois grans conquès, car tous li plas pais s’i estoit retrais sus la fiance dou lieu. Et i ot grande occision des honmes de la ville, et le laissièrent les Englois toute vage, et en fu bien la moitié arse; et puis passèrent outre et vinrent devant Montagru; si fu prise la ville d’asaut et toute destruite.

Et puis vinrent devant Laille, la souverainne ville dou conte. Si le trouvèrent les Englois pourveue de gens d’armes et de cheuls dou pais qui retrait i estoient. Si l’environnèrent et bien le avisèrent, et lor fu avis que elle estoit prendable. Si se missent en ordenance pour le assallir, et fissent traire lors archiers avant et aprochier jusques as barrières, et conmenchièrent l’escarmuce. Et tout ce fissent les Englois pour veoir le couvenant de ceuls de la ville, et fu avis à gens d’armes que il se deffendoient simplement. Qant ce vint au second asaut, toutes gens d’armes se traisent et conmenchièrent en quatre lieus à asallir la ville; et là ot assaut moult dur et moult fort et bien continué. Et voellent bien li auqun dire que les Englois euissent conquis la ville, se il euissent perseveret; mais qant li bourgois de Laille se veirent en si dur parti, et que point à la longe il ne poroient resister à la poisance des Englois, si parlèrent ensamble et disent que mieuls lor valoit à euls rendre que estre pris à force et tout mort ou en partie et destruit, et lor ville arse. Si envoiièrent tretier deviers le conte Derbi et les seigneurs; mais lor chapitainne, uns chevaliers cousins au conte de Laille, ne volt onques estre à nuls de lors trettiés. Avant se parti à toutes ses gens par une posterne que il fist ouvrir, et se mist sus les camps et s’en ala viers Auberoce, où li contes de Laille se tenoit; et li compta conment sa ville estoit en peril de estre perdue, et que li honme de Laille se voloient rendre.

De ces nouvelles fu li contes tous courouchiés, mais amender ne le pot et porta ses anois assés bellement. Si honme de Laille pour celle saison se tournèrent Englois, et se missent en l’obeissance dou roi d’Engleterre. Et pour estre mieuls aseguré de euls, li contes Derbi prist douse bourgois de la ville tous les plus notables, et les envoia conme ostages en la chité de Bourdiaus, afin que point ils ne se retournaissent. Ensi furent les Englois signeur de la ville de Laille en Laillois, et la rafresqirent et repourveirent de gens d’armes et d’archiers, et i establirent un 275 chevalier d’Engleterre à chapitainne, qui se nonmoit mesires Estievènes de Tombi, vaillant honme et sage durement. Fº 97.

P. 55, l. 27 à 29: sus chiaus dou pays... li sires de Montbrandon.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: sur le seigneur du pais qui s’apelloit le sire de Montbrandon. Fº 114.—Mss. A 15 à 17: sus les giveliers de la Mongis. Fº 116.

P. 56, l. 3: Lamongis.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 33: Mongis, Montgis. Fº 114 vº.

P. 56, l. 6: Pinac.—Mss. A 1 à 14, 18, 19: Pinach. Fº 114 vº.—Mss. A 15 à 17: Pinath. Fº 116.—Mss. A 20 à 22: Pignach. Fº 168.—Mss. A 23 à 33: Piniach. Fº 132 vº.

P. 56, l. 7: Laliene.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18, 19, 30 à 33: la Lieve. Fº 114 vº.—Mss. A 23 à 29: la Liene. Fº 132 vº.—Ms. A 8: la Keue. Fº 104 vº.—Mss. A 15 à 17: la Kene. Fº 116.—Mss. A 20 à 22: la Lune. Fº 168.

P. 56, l. 10: Prudaire.—Le ms. B 6 ajoute: que quarante Gascon gardoient. Fº 246.

P. 56, l. 14: pourveue.—Ms. B 6: Et cuidoient les bourgois de la ville y estre conforté du conte de Laille leur seigneur, mais non furent, car il estoit retrais en la cité de Toulouze et laissoit les Englès tenir les camps. Quant il virent che, il se rançonnèrent à dix mille escus, et en eulrent bon ostaige qui furent envoiés à Bourdieaulx, et ne devoient dedens deux ans point grever ne empeschier ne faire guerre as Englès. Et parmy tant il demorèrent en l’obeisance de leur seigneur et en pais. Fº 247.

P. 56, l. 20: Montagrée.—Mss. A 23 à 29: Montaglée. Fº 133. Voir aussi le Supplément aux variantes (note de transcription)

P. 56, l. 24: Lille.—Mss. A 7, 18, 19: Laille. Fº 109.—Mss. A 20 à 22: Laigle. Fº 168 vº.

P. 56, l. 25: Ernaulz.—Mss. A 8, 15 à 17: Arnoul. Fº 104 vº.

P. 56, l. 26: chapitainne.—Le ms. B 6 ajoute: à cent combatans. Fº 247.

P. 58, l. 1: le ville de Lille.—Le ms. B 6 ajoute: Et y laissa le conte Derby en garnison le seigneur de Montferant en Gascongne à deux cens compaignons de guerre. Fº 248.

§ 215. P. 58, l. 4: Apriès le conquès.—Ms. d’Amiens: Apriès ce que la ville de Laille en Gascoingne se fu rendue, chevaucha li comtes Derbi et toutte sen host, et s’en vinrent deviers Sebilach. Quant il furent là venu, et chil de Sebilach, qui estoient 276 monté sus leurs murs et sus leurs gharittes pour deffendre leur ville, virent ces bannierrez et ces pignons des seigneurs d’Engleterre aprochier, il furent si effraet que il ne se quidièrent jà assés à temps estre rendut; et rechurent le comte Derbi comme à seigneur, et li jurèrent feaulté et hoummaige. Et y laissa li dis comtez, quant il s’en parti, le seigneur de Ferrierrez pour gouvreneur et cappittainne. Depuis cevauchièrent jusques à Bonival, où li viscomtez de Bruniqiel se tenoit à bien cent Gascons. Si environnèrent le ville et le coummenchièrent à assaillir fortement, et chil de dedens à yaux deffendre, et furent là par troix jours ainschois que il le pewissent avoir. Au quatrimme jour, elle se rendi par tretiet que li viscomtez s’en parti, et touttez les gens d’armes qui là estoient, et emportèrent tout le leur sans nul dammaige. Et fissent li homme de le ville feaulté au comte Derbi et li jurèrent que, de ce jour en avant, il seroient bon Englès et loyal. Li comtez y ordonna ung cappittaine: ce fu monseigneur Jehan de Mortela, hardi homme durement. Enssi chevauchoit li comtez Derbi, conquerant et gaegnant villez et castiaux, et ne trouvoit homme ne signeur qui li veast lez chans.

Apriès ce que li castiaux de Bonival se fu rendus, li comtez Derbi chevaucha deviers le bone chité de Pieregorth, tout ardant et exillant le plat pays. Or estoit dedens ceste chité li comtez de Pieregorth meysmez et messires Rogiers, sez oncles, et li sirez de Dura, ses serourgez; et estoient bien là dedens six vingt hommez d’armes, chevaliers et escuierz, en grant fuisson d’autres gens. Quant li comtes Derbi et se routte parfurent venu devant Pieregorth, si l’avisèrent et imaginèrent coumment ne par quelle voie il le poroient assaillir. Si le virent forte durement et bien fremmée, et entendirent ossi que elle estoit bien pourveue de bonne gent d’armez. Si n’eurent point consseil de l’assaillir, et s’en partirent asséz briefment, et s’en vinrent ce soir logier à deux lieuwes priès sus une petitte rivierre; et tenoient le chemin pour venir au castiel de Pelleagrue, dont messires Bertrans des Prés estoit cappittainne. Or avint que li comtez de Pieregorth, messires Rogiers, ses frères, et messires Rogiers, leurs oncles, et li sirez de Duras, qui là estoient, entendirent où li Englès estoient logiet. Si s’armèrent et montèrent as chevaux environ deux cens, et se partirent dou soir; et vinrent environ mienuit au logeis des Englèz, et se ferirent dedens. Si en ochirent et mehaignièrent grant fuisson et missent à grant meschief aucuns, ainschois que li hos fuist 277 estourmis. Et chevaucièrent adonc chil seigneur de Gascoingne si avant que il vinrent au logeis le comte de Kenfort, et le trouvèrent qu’il s’armoit: si fu assaillis vistement et pris par force, et ne say trois ou quatre chevaliers de son hostel. Puis se retraissent li Gascon sagement [deviers] le chemin de Pieregorth, et li Englès les enchauchièrent vistement; et y eut devant les barrières de le chité une très grande escarmuche et dure et maint homme reverssé. Touttezfois, il rentrèrent ens sans grant dammaige, et demorèrent leur prisonniers deviers yaux. Et retournèrent li Englès, li comtez de Pennebrucq, messires Gautiers de Mauni et li sirez de Stanfort, qui lez Gascons avoient poursuiwis et reboutéz. Si estoient durement courouchiet dou comte de Kenfort qu’il avoient perdu, mais amender ne le peurent tant c’à celle foix. Fº 82.

Ms. de Rome: Apriès toutes ces ordenances faites, li contes Derbi et ses routes se departirent de Laille, et prissent le cemin de la Riolle, mais avant i[l] vodrent aler devant Pieregorth, ensi que il fissent; et entrèrent en la terre le conte de Pieregorth, et là conmenchièrent à essillier et à prendre gens et à rançonner. Tant ceminèrent que il vinrent devant Pieregort. Par dedens estoient li contes de Pieregorth et mesires Rogiers de Pieregort son oncle, et grant fuison de chevaliers et de esquiers de lor linage, qui là estoient retrait sus la fiance dou fort lieu et pour avoir consel l’un à l’autre conment il se maintenroient. Qant li contes Derbi et sa route parfurent venu jusques à là, il l’avisèrent et imaginèrent conment ne par quelle manière il le poroient asallir, pour plus tos avoir et mieuls à lor avantage. Tout consideret, il ne peurent veoir que par nul asaut legierement il le peuissent conquester, et trop lor cousteroit de lors gens. Si passèrent oultre sans riens faire, et vinrent devant Bonival; et là ot grant asaut et dur, et pluisseurs honmes bleciés. Finalement li Englès le prisent et en fissent lors volentés. Et puis passèrent oultre, et vinrent logier sus une petite rivière, et se tinrent là une nuit.

Et à l’endemain, il vinrent devant le chastiel de Pellagrue; mais la nuit devant, il lor estoit avenu ce que je vous dirai. Li contes de Pieregorth et ses oncles et li chevalier, qui en Pieregorth estoient, sceurent bien où les Englois estoient alé logier. Si se avisèrent de euls resvillier, car Gascons sont moult convoitous et se prendent priés de euls aventurer pour gaegnier. Sus le point de mie nuit, il se departirent de Pieregort, environ deus 278 cens lances, tous bien montés, et s’en vinrent ferir ou logeis des Englois à cel endroit où li gais n’estoit point. Et esceirent sus le logeis le conte de Qenfort, et conmenchièrent à abatre et à mehagnier gens, et vinrent sus le conte et le prissent et quatre chevaliers, aultrement il euissent esté mors, et auquns honmes d’armes; et les montèrent, et puis se missent au retour. Avant que toute l’oost fust resvillie, ne montet as chevaus, il furent moult lonch et rentrèrent en Pieregorth à tout ce conquès, dont les Englois furent tout merancolieus, et ne le sceurent conment amender pour l’heure. Et vinrent devant la ville et le chastiel de Pellagrue, et le conmencièrent de fait à asallir moult fortement, et ceuls de dedens à euls deffendre. Fº 97 vº.

P. 58, l. 8: Bonival.—Mss. A 11 à 14, 20 à 22: Bonival. Fº 109 vº.

P. 58, l. 14: Bourdille.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 20 à 22: Bordille. Fº 115.—Mss. A 23 à 33: Bordalle. Fº 133.

P. 58, l. 17 et 18: Rogiers de Pieregorth.—Mss. A 1 à 19, 23 à 33: Rogier de Kenfort. Fº 117 vº.—Mss. A 20 à 22: Robert de Renfort. Fº 169.

P. 58, l. 29: Pellagrue.—Mss. A 8, 23 à 29: Pelegrue, Pellegrue. Fº 105 vº.

§ 216. P. 59, l. 30: Tant chevaucièrent.—Ms. d’Amiens: L’endemain moult matin se deslogièrent li Englès et s’en vinrent devant le castiel de Pellagrue, et l’environnèrent de tout léz et le coummenchièrent à assaillir fortement, et chil de dedens à yaux deffendre comme bonne gent; car il avoient un bon chevalier à chappittainne, que on appielloit monseigneur Bertran des Prés. Et furent li Englès devant Pellagrue trois jours et y fissent tamaint assault, mès oncques ne le peurent avoir. Quant li seigneur virent que leurs gens se travilloient en vain, et que le fortrèce il ne poroient conquerir par assault, si eurent consseil que il le lairoient et se retrairoient devant le bonne ville d’Auberoce, qui estoit plus grande et plus grosse et plus aisieule à prendre. Si se partirent de Pellagrue, et s’en vinrent devant Auberoche, et l’environnèrent de tous costés, et l’assaillirent fierement et durement; et chil de dedens se deffendirent vassaument. Touttesfois, tant y fissent li Englèz et si le constraindirent par assaux, que la ville d’Auberoche se rendy par tretiet que li saudoiier qui dedens estoient, s’en partirent sans dammaige; et en portèrent et menèrent 279 tout le leur. Et chil de le ville devinrent homme et feaul au comte Derbi et li jurèrent que, de ce jour en avant, il seroient bon Englèz. Enssi lez rechupt li dis comtez, et quant il s’en parti, il y laissa troix bons chevaliers en garnison: monseigneur Francque de Halle, monseigneur Alain de Sinefroide et monseigneur Jehan de Lindehalle; puis s’en vinrent à Liebrone, une bonne ville et grosse, et l’asegièrent de tous costéz.

Quant chil de Liebrone se virent assegiet et le grant effort dez Englès, et que tous li pays d’environ s’estoit rendus à yaux, et se rendoient encorrez tous les jours, si eurent consseil que il se renderoient ossi ainchois que il recheuissent plus grant dammaige. Si se rendirent en le fourme et mannierre comme li autre, et jurèrent feaulté et hoummaige à tenir au comte Derbi, et que de y estre bon Englès, de ce jour en avant. Lors entra li comtes Derbi dedens Liebronne, et s’i reposa et rafresci par troix jours. Et se conssillièrent là li seigneur que il departiroient leur chevauchie et que, tant c’à orez, il n’en feroient plus et regarderoient as villez et as castiaux qu’il avoient concquis; et les fortefieroient et remparroient pour ellez mieux tenir et deffendre, se puissanche des Franchois leur croissoit. Si ordonna li comtez Derbi que li comtez de Pennebrucq et se routte s’en alaissent à Bregerac et là se tenissent jusquez à tant qu’il aroient autrez nouvellez. Et messire Richars de Stanfort et messires Estievène de Tombi et messires Alixandres Ansel et leur routte demoreroient en Liebronne; et li comtez Derbi et messires Ghautiers de Mauni et li demourant de leur host s’en yroient à Bourdiaux. Tout enssi se departirent ces routtez, et s’en alla chacuns où il fu ordonnés de aller. Fº 82.

Ms. de Rome: La ville et li chastiaus de Pellagrue estoient fort assés. Si i furent les Englois siis jours avant que il en peuissent estre signeur, et conquisent la ville par asaut, et fu toute courue. Apriès se rendi li chastiaus, et le veirent les Englois fort assés. Se le retinrent pour euls et le rafresqirent de nouvelles gens et de pourveances, et puis passèrent oultre et vinrent devant Auberoce. Qant il furent venu devant, il s’i logièrent et establirent aussi faiticement de tous poins que pour demorer une saison, car c’est une ville seans sus la rivière de la Dourdonne qui porte la navie et va ferir en la Geronde qui court devant Bourdiaus. Pour tant que la ville d’Auberoce estoit adonc à l’arcevesque de Toulouse, li chevalier de Gascongne n’en faisoient pas trop grant compte, et n’y avoit dedens que les honmes de la ville. A l’un 280 des lés a un biel chastiel et fort assés, et chils estoit gardés des gens de l’arcevesque. Qant les honmes de Auberoce veirent les Englois venus devant euls, si les doubtèrent grandement, pour tant que, en venant jusques à là, il avoient conquis par force ausi forte ville que la lour estoit. Et sentoient bien que de lor signour il n’aueroient nul confort, car il se tenoit en Avignon dalés le pape Clement V[I] qui resgnoit pour ce temps. Et ne se veoient pas gens de deffense contre gens d’armes et archiers d’Engleterre, et ne voloient pas le lour perdre, là où il le peuissent amender, car il estoient gens qui vivoient de labour et de marceandise. Si trettièrent deviers le conte Derbi, et fissent tant que il demorèrent en paix, et jurèrent foi et loiauté à tenir au roi d’Engleterre. Et entrèrent les Englois dedens Auberoce sans faire ne porter damage ne contraire, ne violense à honme ne à fenme qui i fuissent. Qant il furent dedens, il s’en tinrent à tout resjoi, et envoiièrent tretier à ceuls qui ou chastiel estoient, et fissent grant apparant de euls asallir. Chil qui se veoient là dedens enclos, n’estoient point à lor aise et n’atendoient seqours ne confort de nul costé. Si entendirent as tretiés dou conte Derbi et se rendirent, salve lors vies et lors biens, et se departirent. Ensi orent les Englois Auberoce, ville et chastiel, et entendirent tantos au fortefiier et au remparer, et le fissent trop plus forte que devant. Et qant il orent ensi fait, li contes Derbi ot conseil que il se retrairoient viers Bourdiaus. Si ordonna à demorer en garnison dedens Auberoce mesire Franqe de Halle, mesire Alain de Sinefrède et mesire Jehan de Lindehalle, et avoecques ceuls soissante lances et deus cens archiers. Et puis s’en departirent li contes Derbi et ses gens, et retournèrent en la bonne chité de Bourdiaus, pour euls aisier et rafresqir. Nous parlerons dou conte de Laille et des Gascons qui se tenoient en la Riole, et s’i estoient tenu tout le temps, entrues que li contes Derbi avoit fait ses cevauchies. Fº 98.

P. 60, l. 9: Chastielbon.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18, 19, 23 à 33: Chastillon. Fº 115 vº.

P. 60, l. 22: Auberoce.—Mss. A 1 à 6: Auberoute. Fº 115 vº.—Mss. A 11 à 14: Auberouce. Fº 110 vº.—Mss. A 23 à 29: Auberouche. Fº 134.

P. 60, l. 23: l’archevesquié.—Mss. A 1 à 6, 8, 15 à 19: l’arcevesque. Fº 116.

P. 60, l. 24: devant Auberoce.—Ms. B 6: uns des biau[x] chastieau[x] de toute la marche. Cheulx d’Auberoche n’estoient 281 point trop bien prouveus d’artillerie ne de gens de guerre. Et en estoit chastelain ung escuier, simple homme et qui mal congnisoit les armes. Sy fut sy effraés de la venue du conte Derby, pour tant qu’il entendy que tout le pais se rendoit à luy, que il n’osa nul assault atendre. Et envoia ung hirault devers le conte Derby pour traitier. Et dist le hirau que le capitaine renderoit vollentiers le chastel, mais que on le laissa[st] partir en pais et toutes ses gens, qui partir voldroit.

Le conte ot grant joie de ces nouvelles, et dist qu’il s’en consilleroit, et que il en renderoit response quant il seroit devant la plache. Et tout che disoit par couvreture, car bien savoit que elle estoit moult forte: sy chevaucha devant la plache à tout son ost. Et quant il vint devant Auberoche, encores fut ly chastelain moult esbahis et plus que devant, quant il vit tant de gens d’armes. Adonc vint à la barière, car le conte le fist apeler; et là offry le dit chastelain de rendre le chastiel, sauve sa vie et ses biens. Le conte lui dist, pour che que il parloit sy biel, que il luy feroit grache et que vollentiers il le lairoit partir et cheulx qui partir volroient, mais riens du leur n’enporteroient.

Elas! le chastelain n’avoit cuer comment il partesist, mais qu’il fust hors des mains des Englès; sy s’acorda à che que le conte volloit, et se party d’Auberoche, et delivra les clefs et la fortresche au conte Derby. Et puis s’en ala le capitaine à Toulouse, devers le conte de Laille, à qui il conta ces nouvelles. Alors le conte fu sy courouchiés, quant il sceut que les Englès avoient Auberoche, que il fist prendre l’escuier et jetter en la rivière et le noiier. Che fu son paiement qu’il en eult, et à bonne cause; car à pau de fait il rendy une trop bonne fortresse, et qui depuis cousta trop grandement as Franchois et à ceulx du pays. Fos 249 et 250.

P. 61, l. 10: en garnison.—Ms. B 6: soixante hommes d’armes et cent archiés. Fº 251.

P. 61, l. 13: Liebrone.—Mss. A 11 à 14, 23 à 33: Liebronne. Fº 110 vº.—Mss. A 15 à 19: Libourne. Fº 117 vº.—Mss. A 20 à 22: Libroie. Fº 170.—Ms. A 8: Kebrone. Fº 105 vº.

P. 61, l. 21: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 61, l. 27: Liebrone.—Ms. B 6: et conquist che voiage plus de soixante bonnes villes frumées et bon[s] chastieau[x]. Fº 252.

P. 61, l. 30: Richart.—Mss. A 11 à 14: Robert. Fº 111.

282 P. 62, l. 1: Estievene de Tonrbi.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 33: Estienne de Courby ou Courbi. Fº 116.—Mss. A 8, 9, 15 à 17: Estienne de Comby. Fº 105 vº.

P. 62, l. 2: Ansiel.—Mss. A 30 à 33: Hansiel. Fº 170.

P. 62, l. 2: et leurs gens.—Ms. B 6: et soixante lanches et otant d’archiers. Fº 252.

§ 217. P. 62, l. 7: Au retour.—Ms. d’Amiens: Quant li comtez Derbi fu revenus à Bourdiaus, il fu liement recheus, car il sambloit à ciaux de le chité, et voirs estoit, qu’il avoit fait un biau voiaige, car il avoit raquis sus lez Franchois plus de quarante, que villez que castiaux. Et li fissent li bourgois de Bourdiaux grant reverence et toutte honneur, et li abandonnèrent vivrez et pourveancez à se vollenté. Pour yaux tenir plus à amour, li comtes Derbi emprendoit tout à point et s’esbatoit avoecq yaux.

Or vous parlerons des seigneurs de Gascoingne qui faisoient leur assamblée dedens le Riolle, et estoient durement courouchiet dez villez et des castiaux qu’il avoient perdus, et par especial li comtez de Laille, car on lui avoit courut et destruit en partie tout son pays; si s’avisa que il se revengeroit quant il poroit. Et entendi que cil seigneur d’Engleterre estoient retret et espars et ne se tenoient point enssamble; si dist que il volloit emploiier se chevauchie et aller devant Auberoche et reconcquerre par siège et par assault. Si se parti li comtes de Laille, quant il eut fet sen asamblée des barons et des chevaliers de Gascoingne qui pour Franchois se tenoient. Et estoient bien deux mil hommes d’armes et sept mil de piet à lances et as pavais, et laissièrent en garnison en le Riolle monseigneur Agoth des Baus, un chevalier de Prouvence; et puis s’aroutèrent en grant aroy et chevauchièrent tant que il vinrent devant Auberoche. Si se logièrent tout environ. Et vous di qu’il y avoit une très belle host et grande; si y estoient tout chil seigneur qui chy s’enssuiwent: premierement, li comtes de Laille, li comtez de Pieregorth, messires Rogiers de Pieregorth, li comtez de Commignez, messires Carlez de Poitiers, comtez de Valentinois, le viscomte de Quarmaing, li viscontez de Villemur, li viscontes de Thalar, li viscomtez de Brunikiel, li viscomtez de Murendon, li viscomte de Lautré, li senescaux de Thoulouse, li senescaux de Quersin, li senescaux de Rohe[r]ge, li sirez de la Barde et li sirez de Duras, et pluisseur autre baron et chevalier. Si se tenoient tout cil seigneur devant Auberoce en leur logeis 283 fricement et grossement, et faisoient souvent assaillir le ville d’Auberoche. Et li chevalier qui dedens estoient, messires Francque de Halle, messires Allain de Sinefroide et messires Jehans de Lindehalle et leur compaignon le deffendoient vassaument et sagement, tant que un grant temps riens n’y perdirent.

Chil seigneur de Gascoingne dessus noummet avoient fait drechier devant Auberoche quatre grans enghiens, qui continuelment ruoient et jettoient pièrez et mangonniaux dedens le fortrèche. Et avoecq tout ce, il faisoient de leur gent de piet assaillir trop durement le ville, tant que cil de dedens en estoient durement esbahi; et se ne fuissent li chevalier et li Englès qui en garnison se tenoient, il se fuissent rendut sans nulle faulte. Fº 82 vº.

Ms. de Rome: Sitos que li contes de Laille et chil signeur de Gascongne sceurent que li contes Derbi et les Englois estoient retrait à Bourdiaus, et que il s’espardoient par garnisons, ce n’estoit pas signes que pour celle saison il en vosissent plus faire. Si escripsirent li uns à l’autre que il se meteroient ensamble o toute lor poisance, et venroient reconquerir les villes et les chastiaus que les Englois avoient conquis. En la fourme et manière que ils le proposèrent, il le fissent et se missent tout ensamble; et se trouvèrent trois mille honmes d’armes et cinq mille honmes de piet, as lances et as pavais, et s’en vinrent mettre le siège devant Auberoce. Qant chil de la ville veirent que il avoient le siège, si furent tout esbahi et se voloient rendre et tourner; et l’euissent fait, se li gentilhonme ne fuissent alé au devant et lor dissent: «De quoi estes vous esbahi? Vous n’avés garde de siège que vous aiiés devant vostre ville. Nous sonmes fort assés et pourveu contre euls, et si manderons le conte Derbi qui se tient à Liebourne. Tantos que il en auera nouvelles, il metera ses gens ensamble et venra conbatre ces François et lever le siège.» Ces paroles retardèrent les honmes d’Auberoce à faire lor emprise.

Chil signeur, chevalier et esquier, qui là tenoient le siège, conmenchièrent à asallir ceuls d’Auberoce et euls à deffendre, car li gentilhonme qui dedens se tenoient, estoient droites gens d’armes. Fº 98 vº.

P. 63, l. 8: appareilliet.—Ms. B 6: Et vinrent tous ses gens à Toulouze, et furent bien trois mille hommes à cheval et six mille à piet. Fº 253.

§ 218. P. 64, l. 1: Quant messires.—Ms. de Rome: Qant chil 284 signeur gascon veirent que par asaus il ne faisoient riens, mais se travilloient et estoient lors honmes bleciés, si envoiièrent querir des enghiens en la Riole. Qant il furent amené et drechiet, il conmenchièrent à jetter pières de fais en la ville et contre le castiel, dont honmes et fenmes furent moult esbahi. Et toutdis li gentilhonme les reconfortoient, et fissent couvrir les maisons de cloies et d’estrain et de terre, pour brisier le ject de pières qui ceoient sus les tois, et s’esmervilloient moult de ce que il n’ooient nulles nouvelles de lors gens. Et escripsirent lettres pour envoiier au conte Derbi, et prisent un varlet et li baillièrent les lettres, et le missent hors sus le tart. Li varlés quida passer parmi l’oost sans estre aperceus, mais non fist, car il fu pris dou gait et gardés jusques à l’endemain que li signeur furent levet et mis ensamble. Li varlés fu amenés devant euls en la manière que il l’avoient pris, et la lettre leue. Qant il l’orent entendu, il conmenchièrent à rire, et puis à avoir consel quel cose il en feroient. Consilliet fu que on le loia en un moncelet, et li fu la lettre toute ouverte loiie au col, et en cel estat par un enghien il fu jectés en la ville. Il cei sus un toit couvert d’estrain et de terre. On i ala veoir; on le trouva mort et la lettre loiie au col. Si fu nonchie li affaires as chevaliers, liquel furent moult courouchiet de cette avenue; et ne trouvèrent onques depuis honme ne varlet qui se vosist ne osast mettre en mesage. Si lor couvint atendre l’aventure. Fos 98 vº et 99.

P. 64, l. 2: Alain.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: Jehan. Fº 116 vº.

P. 64, l. 2: Finefroide.—Ms. A 8: Sinefroit. Fº 106 vº.—Mss. A 15 à 17: Sinefroide. Fº 118.

P. 66, l. 17: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 66, l. 20: dou chastiel.—Les mss. A 18, 19 ajoutent: d’Auberoche. Fº 119.

§ 219. P. 66, l. 21: Toutes les parolles.—Ms. d’Amiens: Or vinrent les nouvellez au comte Derbi, qui se tenoit à Bourdiaux, coumment chil d’Auberoche estoient par ce siège apresset, et que grant mestier il avoient d’estre comforté; ou autrement il poroit perdre le bone ville d’Auberoche et lez chevaliers que dedens avoit estaubli. Li comtes Derbi ne veut mies mettre ceste cose en nuncaloir; ains queilla genz et cevaucha viers Lieborne. Et fist tant qu’il y vint, et trouva là le baron de Stamfort et monseigneur Richart de Hebedon et pluisseurs autres. Si parlèrent enssamble 285 de pluisseurs besoingnes et par especial de celles presentez, qui moult leur touquoient. Et regardèrent coumment ne par quel affaire il poroient conforter leurs amis de Auberoche, qui en grant peril estoient. Si eurent consseil que il chevauceroient celle part et combatteroient lez Franchois: autrement ne lez pooient il aidier. Si escripsi li comtez Derbi au comte de Pennebrucq, qui en Bregerach se tenoit, et li manda que à tel jour et à telle heure avoecq tous ses compaignons il fust devant Auberoce; car il combateroit lez Franchois que la ditte ville avoient assegiet. Li messagiers parti et s’en vint deviers Bregerach. Et li comtez Derbi, messires Gautiers de Mauny, messires Richart de Stamfort et li autre compaignon, qant il se furent tout assamblet, se partirent de Liebrone; et pooient y estre environ trois cens hommes d’armez et sept cens archiers. Si chevaucièrent couvertement ce jour et l’autre apriès, souratendant le comte de Pennebrucq et se routte. Et furent li dit Englèz, li comtes Derbi et se routte quatre jours sus lez camps, toudis variant et costiant le pays, et attendant le comte de Pennebrucq, qui point ne venoit. Au cinquimme jour, il vinrent en un bois à une lieuwe priès de l’ost françoise, et se tinrent là jusques à nonne sans yaux amoustrer, atendans encorres le comte dessus noummet, qui point ne venoit, dont trop estoient esmervilliet.

Quant li comtez Derbi vit que li comtez de Pennebrucq ne venroit point, ensi que mandé et segnefiiet li avoit, et si estoient si approchiet que à une lieuwe priès de leurs ennemis, si demanda consseil coumment il se maintenroit. Là eut mainte parolle retournée, car li aucun disoient que il n’estoient mies gens assés pour combattre neuf mil ou dix mil hommes que li Franchois estoient. Et li autre disoient que, se il retournoient sans combattre, il leur tourroit à grant blame, et perderoient le ville d’Auberoche et chiaux qui dedens estoient: si ques, tout consideret il leur valloit mieux, pour leur honneur, à aventurer et courir sus lez Franchois de bonne vollenté que yaux retraire. Lors regardèrent coumment et par quel avantaige. Si eurent consseil que il chevauceroient autour de ce bois dont la keuwe joindoit assés priès de cel ost, et puis, tout à un fais et soudainnement, il se bouteroient en l’ost; et tenoient bien que par celle empointe, la vesprée seroit pour yaux. Adonc rechainglèrent il leur chevaux et restraindirent leurs armures, et chevaucièrent tout souef autour dou bois. A ceste heure estoient li seigneur de 286 Gascoingne en leur logeis, et ne se donnoient garde de ceste aventure. Fos 82 vº et 83.

Ms. de Rome: En ce prope jour que ceste avenue vint dou varlet et de la lettre, passèrent parmi l’oost pelerins de Flandres, liquel retournoient de Saint Jaque en Galise. On ne lor fist nul mal, mais toute courtoisie pour l’amour dou pelerinage; et orent à boire et à mengier en la tente dou conte de Laille, car ce fu uns moult vaillans preudoms, et qui moult amoit saint Jaque. Chil pelerin oïrent parler dou varlet et de la lettre, et conment par un enghien il l’avoient renvoiiet en la ville: on ne se donnoit garde de euls. Qant il orent beu et mengié, il passèrent oultre et vinrent ce soir jesir à Pellagrue qui estoit englesce. On ne lor demandoit partout riens, pour tant que il estoient pelerin de Saint Jaqueme. La chapitainne de Pellagrue lor demanda des nouvelles, pour tant que il avoient passet parmi l’oost devant Auberoce. Chil pelerin, qui nul mal n’i pensoient, li recordèrent tout ce que il avoient veu et oï; et qant il li orent dit, il prist congiet à euls. Et tantos au matin il monta à ceval et cevauça tant celle journée que il vint à Lieborne, où li contes Derbi se tenoit, qui fu moult esmervilliés de sa venue, et pensoit bien que il i avoit nouvelles. La capitainne de Pellagrue li recorda de point en point toutes les avenues, et conment elles avoient alé, et des trois chevaliers que on avoit laissiet en Auberoce, qui n’estoient pas bien à lor aise. Qant li contes entendi ce, si appella mesire Gautier de Mauni, liquels estoit li plus proçains de son consel, et li recorda ces nouvelles et li demanda quel cose en estoit bonne à faire: «Quel cose, sire? respondi mesires Gautiers, il fault, à quelle fin que ce soit, que il soient conforté. Aultrement vous feriés vostre blame trop grandement, et ne trouveriés chevalier nul qui vosist demorer en garnison sus frontière des ennemis; et aussi vous lor euistes en couvenant, qant vous partesistes de là et de euls. Se leur tenés vostres couvenances, je le vous conselle pour vostre honnour.»—«En non Dieu, respondi li contes Derbi, mesire Gautier, vous parlés bien, et ensi sera fait.»

Adonc et tantos, li contes Derbi mist clers et varlès en oeuvre et envoia partout à ses gens qui estoient espars sus le pais, et leur manda que tantos et sans delai, ces lettres veues, il venissent à Lieborne, et que là les atenderoit. Tout vinrent; et encores sejourna il un jour oultre son ordenance et volenté, atendans le 287 conte de Pennebruq, qui point ne venoit. Et qant il vei ce que point ne venroit si tretos, il ne le volt plus atendre, mais se departi avoecques ce de gens d’armes et d’archiers que ils avoit, et se missent au cemin pour venir devant Auberoce. Et volt li contes Derbi faire celle cevauchie si secretement que li Gascon qui là estoient au siège, n’en seuissent riens, et cevauchoient à la couverte. Avoecques le conte Derbi estoient des chevaliers d’Engleterre mesires Gautiers de Mauni, mesires Richars de Stanfort, mesires Huges de Hastinghes, mesires Estievenes de Tombi, li sires de Ferrières et tout li cevalier qui passet avoient la mer avoecques li, reservé le conte de Quentfort, et ceuls qui avoient esté pris du conte de Pieregort et de son oncle, et li conte de Pennebruq; mais il le souratendoient et atendirent encores sus les camps, et fuissent plus tos venu devant Auberoce que il ne vinrent, se ce ne fust pour celle cause. Et cevauchièrent tant que ils aprochièrent Auberoce à deus petites lieues, et se boutèrent dedens un bois. Et descendirent de lors cevaux et les aloiièrent as arbres et as chènes, et les loiièrent là pestre jusques à haute nonne. Et se disnèrent entre euls de ce que il avoient aporté, et non d’aultre cose; car nulle part il n’envoiièrent fourer, que il ne fuissent sceu ne aperceu.

Qant il veirent que li contes de Pennebruq ne venroit point, et se tournoit li solaus sus l’eure des vespres, et n’avoient de quoi passer la nuit, si se consillièrent li signeur ensamble, et dissent: «Ou il nous fault aler combatre nos ennemis ou retourner, car nous ne poons chi passer la nuit, nous et nostres cevaus.» Là dist messires Gautiers de Mauni une parole qui fu bien oïe et entendue: «Qant nous sonmes venu jusques à chi, blames et reproces nous seroit trop grans au retourner. Cevauçons avant, ou nom de Dieu et de saint Gorge. Se la journée doit estre nostre, nous ne le perderons jà pour le conte de Pennebruq, ou espoir pora il aussi à temps venir que donc que ils fust presentement en nostre compagnie, car chil qui viennent à une bataille sur le tart, reconfortent les lassés.» Donc dist mesires li contes Derbi: «Messires Gautiers de Mauni parole bien, et nous ferons apriès son consel.» Adonc reprist casquns son cheval et le recengla à l’estroit; et se missent tout à point, tant d’armeures que d’aultres coses. Et montèrent et estoient tous à cheval, archiers et aultres; et puis cevauchièrent et tourniièrent le bois, dont li une des qoues dou bois est et estoit à demi lieue priés d’Auberoce. Qant il furent 288 là venu, il veirent devant euls les logeis des François et les fumières des feus que il faisoient en moult de lieus, car il apparilloient le souper. Fº 99.

P. 67, l. 9: Estievene.—Mss. A 15 à 17: Thomas. Fº 119.

P. 67, l. 10: Tombi.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 20 à 22: Tourby, Tourbi. Fº 117 vº.—Mss. A 8, 9, 18, 19, 22 à 33: Tombi, Tomby. Fº 107.—Mss. A 15 à 17: Combi. Fº 119.

P. 67, l. 25: Hues.—Mss. A 30 à 33: Richart. Fº 171.

P. 67, l. 25 et 26: Hastinghes.—Mss. A 8, 9: Chastingnes. Fº 107.

P. 67, l. 26: Tombi.—Ms. A 7: Tombi. Fº 112.

P. 68, l. 17: dix mille et onze mille.—Mss. A 1 à 6, 18, 19: dix et douze mille. Fº 117 vº.—Mss. A 11 à 14, 20 à 22: dix ou douze mille. Fº 112 vº.

P. 69, l. 18: souper.—Ms. B 6: mais soupoient les aucuns, et les autres jouoient à tables et as dés; et les autres dormoient et esbatoient, ensy que gens tous asseurés qui n’avoient doubte de nulluy. Fº 258.

P. 69, l. 20: heure.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22 ajoutent: qu’il y vint, Fº 118.

§ 220. P. 69, l. 21: Evous.—Ms. d’Amiens: Evous lez Englèz venus soudainnement, et estoient tous comptéz environ douze cens hommez, quatre cens hommez d’armes et huit cens archiers, et tous à cheval, pourveus et advisés de ce qu’il devoient faire. Si vinrent espouronnant tout à un fais et soudainnement en escriant: «Saint Gorge! Giane!» en l’ost dez Franchois, et coummenchièrent à ocire, à abattre et à mehagnier gens à force et à grans mons. Et quant li Gascon se virent enssi souspris et les Englès sour leurs espalles et ne savoient dont il venoient, si furent durement effraet et esbahis; et s’en fuioient cil qui pooient escapper et qui n’avoient loisir d’iaux armer. A grant painne et à grant dur s’armèrent aucuns dez seigneurs, et fissent leurs bannierres traire sour lez camps pour leurs gens raloiier; et coummenchièrent cil qui armet estoient, à combattre lez Englès et yaux ensonniier tant que il se fuissent tout armet. Là y eut grant toueil et bataille moult dure et moult forte, et grant fuison de bonnes gens de Gascoingne mort et ocis et mis par terre. Touttez foix, li comtes de Laille, li contes de Pieregorth, li 289 comtez de Commignes et li autre montèrent à cheval, et s’en vinrent vassaument combattre as Englès. Là y eut mainte belle appertisse d’armes faitte, mainte prise et mainte belle rescousse; et furent là li Englès trop bonne gens. Et bien le couvenoit, car il n’estoient que un petit; si se prendoient de tant plus priès à bien faire le besoingne. Finablement, il se portèrent si bien et si vassaument que li place leur demoura, car messires Francque de Hale et messires Alains de Sinefroide et messires Jehans de Lindehalle issirent hors d’Auberoche à bien cent armurez de fier; et se ferirent en le bataille, et reconfortèrent grandement lez Englèz. Là furent pris li comtez de Laille, li comtez de Commignes, li comtez de Pieregorth; et mors, messires Rogiers, sez frères, et li sirez de Duras et li viscomtez de Murendon, li viscomtez de Brunikiel, li viscomtez de Thalar; et pris li viscomtez de Villemur, li viscomtes de Quarmaing, li senescaux de Roeghe, li senescaux de Quersin, li comtes de Vallenthinois; et mors, messires Ainmars de Poitiers, ses frèrez, et li viscomtez de Lautré; et pris, li senescaux de Toulouse et li sires de la Barde et li doy frère de Dion, messire Phelippe et messires Renaux. Fº 83.

Ms. de Rome: Evous ces Englois venans, et tout premiers les gens d’armes, et missent derrière euls tous lors archiers. Et lor dissent li signeur: «Vous n’avés que faire de traire avant si tretos. Tenés vous sus èle, et traiiés à pooir sus ceuls qui saudront hors de lors logeis, car nous les alons envair et conmenchier la bataille.» Li archier adonc se traissent d’un lés et laissièrent passer les gens d’armes, liquel, lances abaisies, s’en vinrent frapant en ces logeis, boutans tentes et trefs par terre, mehagnans et ocians honmes et metans en grans meschiés; car li François gascon ne se donnoient de garde de celle embusque. Li signeur de l’oost, c’est à entendre li contes de Laille, qui chiés en estoit, li contes de Pieregort, mesires Rogiers de Pieregorth, son oncle, li viscontes de Bruniqiel, li viscontes de Villemur, li viscontes de Talar, li viscontes de Murendon et bien soissante signeurs estoient logiet entre lors gens. Si se conmenchièrent à estourmir et euls armer et mettre en arroi, qant la noise et li effrois conmenchièrent; mais il furent soudainnement si souspris que li pluiseur n’avoient loisir de euls armer, mais montoient as chevaus et se departoient des logeis, et rendoient grant painne à euls sauver. Or, i avoit un grant mescief pour euls, car il trouvoient sus les camps les archiers qui les atendoient, et qui 290 traioient sus euls et sus lors chevaus, et les enferoient si ques il ne pooient aler avant. Là furent chil Gascon tourné en grant mescief, mort ou pris; petit s’en sauvèrent. Et y furent pris neuf viscontes et bien deus cens chevaliers, ne il ni avoit Englois qui n’euist un prisonnier ou deus ou trois; et se la vesprée ne fust venue, tout i fuissent demoret. Messires Franqes de Halle et chil de la garnison d’Auberoce issirent hors, et vinrent aidier à parfurnir la bataille. Qant ce vint sus le nuit, et que tout estoit retrait et apaisiet, et seoient au souper, et donnoient les Englois à souper ces signeurs et chevaliers dou lour meisme ens ès logeis, li contes de Pennebruq vint à bien deus cens lances et trois cens archiers; et avoit encontré biau cop de fuians qui compté li avoient l’afaire de la besongne, et conment elle s’estoit portée, et pour ce s’estoit il moult hastés. Qant il vint devant le conte Derbi qui seoit à table, et biaucop de ces signeurs prisonniers gascons avoecques li, li contes Derbi li dist tout en riant: «Cousins de Pennebrucq, bien venant! Vous venés tout à point pour espardre de la benite iaue sus les mors.» Li contes de Pennebrucq entendi bien que li contes Derbi le galoit; si se hontoia un petit, et puis s’escusa. Ensi se passa ceste journée et la nuitie. Et qant ce vint à l’endemain, chil signeur d’Engleterre se delivrèrent de lors prisonniers, je vous dirai conment. Les auquns, il missent à finance courtoise, et les aultres il receurent simplement sus lors fois, et lor donnèrent jours de retourner à Bourdiaus ou à Bregerach. Ensi se porta ceste besongne, qui fu en l’an de grace Nostre Signeur mil trois cens quarante quatre, l’endemain dou jour Saint Leurens en awoust. Fos 99 et 100.

P. 69, l. 21: Evous les Englès venant frapant.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Tous les Englois vinrent frapant. Fº 118.—Ms. A 7: Tous les Engloys venant frapant. Fº 112 vº.—Mss. A 23 à 33: Tous ces Anglois venoient frapans. Fº 136.—Mss. A 8, 15 à 17: Ainsi vinrent les Anglois frapant. Fº 107 vº.—Mss. A 20 à 22: Là vindrent les Anglois frappans. Fº 173.

P. 69, l. 23: Derbi.—Mss. A 1 à 33: Herby, Herbi. Fº 118.

P. 69, l. 28: quoitiet.—Mss. A 1 à 6, 18, 19: convoitiez. Fº 118.

P. 70, l. 3: bersoient.—Mss. A 1 à 6: brisoient. Fº 118.—Mss. A 8, 20 à 22: versoient. Fº 108.—Mss. A 18, 19: perçoient. Fº 120.

291 P. 70, l. 5: meschiés.—Les mss. A 15 à 17 ajoutent: et diffamable sur eulz. Fº 119 vº.

P. 70, l. 15: viscontes.—Mss. A 15 à 17, 23 à 29: conte. Fº 119 vº.

P. 70, l. 16: cil.—Mss. A 18, 19, Fº 120: ceulz. Mauvaise leçon.—Les mss. A 15 à 17 ajoutent: et cellui de Tannay Boutonne. Fº 119 vº.

P. 70, l. 17: Taride.—Mss. A 1 à 6: Tarde. Fº 118.—Mss. A 8, 15 à 17, 23 à 29: la Taride. Fº 108.—Mss. A 20 à 22: la Tarde. Fº 173 vº.

P. 71, l. 6: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 71, l. 7: resvigura.—Mss. A 8, 15 à 17: ravigora. Fº 108.

§ 221. P. 71, l. 8: Que vous feroi je.—Ms. d’Amiens: Peu en escappèrent qui ne fuissent tout mort et tout pris. Et eurent là li Englès une belle aventure, car il eurent pour prisonniers plus de cinq cens chevaliers et escuiers, sans les comtez et lez viscomtez et lez grans barons, car toutte li fleur de Gascoingne estoit là assamblée. Et estoient li Englèz si ensonniiet de leurs prisonniers que il n’en savoient que faire, car il n’y avoit homme d’armes qui n’en ewist deux ou trois, et meysmement li archier un ou deux. Ceste bataille fu devant Auberoche, en l’an de grasce Nostre Seigneur mil trois cens quarante quatre, le nuit Saint Laurent, ou mois d’aoust. Fº 83.

P. 71, l. 11 et 12: Là y ot pris.—Ms. B 6: Là fu prins le conte de Laille, le conte de Pierregothe, le conte de Quarmaing, le conte de Vallentinois, messires Charles de Poitiers, messires Aughos des Baus et plus de vingt deux, que contes, que viscontes, que barons de Gascongne, et bien cent et cinquante chevaliers. Et y eut mors desus la plache, que uns que aultres, plus de trois mille. Ceste bataille fut l’an mil trois cens quarante quatre, le vingt sixiesme jour du mois d’auoust. Fº 259.

P. 71, l. 16: desous.—Mss. A 23 à 29: devant. Fº 136.

§ 222. P. 71, l. 19: Apriès le desconfiture.—Ms. d’Amiens: Apriès ceste desconfiture, qui fu si grande et si grosse et si adammagable pour les Gascons, car il estoient là venut en grant estoffe et en bon arroy, si perdirent tout, tentez, tréz, pourveanches, armurez et touttez autres besoingnez, dont li Englèz furent tout riche. Che soir, entrèrent il en Auberoche en grant joie pour le belle journée 292 qui leur estoit avenue; et donnèrent à soupper lez prisonniers, et les fissent tout aise dou leur meisme. L’endemain, au plus matin lever, vint li comtez de Pennebrucq à tout deux cens lanches et cinq cens archiers, qui riens ne savoit de ceste avenue. Et fu trop durement courouchiéz de ce qu’il n’y avoit estet, et dist au comte Derbi que il le dewist bien avoir attendu. Et li comtez s’escuza et dist qu’il ne peut. Touttezfois, il se rappaisièrent et furent amiablement enssamble, et eurent consseil que de menner leurs prisonniers en Bourdiaux. Si se ordonnèrent pour partir et laissièrent seullement en Auberoce, pour le ville parmaintenir, monseigneur Alain de Sinefroide. Et puis s’aroutèrent et chevauchièrent, et s’en revinrent arrière à Bourdiaux, où il furent recheu à grant joie; et bien le durent y estre, car il amenoient là toutte le fleur de Gascoingne: de quoy li ville de Bourdiaux amenda grandement en despens en celle année. Fº 83.

P. 71, l. 22: songne.—Mss. A 8, 15 à 17: ordenance, ordonnance. Fº 108.

P. 72, l. 4 à 6: quant une... c’autres.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: tant pou de gens qu’il estoient que mille combatans ou environ, que uns que autres, parmy les archiers... Fº 118 vº.—Mss. A 8, 15 à 17: qu’ilz n’estoient que une poingniée... Fº 108.

P. 72, l. 11: apriès.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 20 à 22: devant. Fº 118 vº.

P. 72, l. 13: quatre cens.—Mss. A 1 à 19: trois cens. Fº 118 vº.—Mss. A 20 à 22: six cens. Fº 174.

P. 72, l. 14: sus son chemin.—Mss. A 11 à 14, 18 à 22: car on lui avoit tout raconté sur le chemin. Fº 113 vº.

§ 223. P. 73, l. 15: Tant chevaucièrent.—Ms. d’Amiens: Cez nouvelles furent sceues en Engleterre et ossi en Franche: si en fu li roys englèz grandement liéz, che fu raisons, car ses cousins, li comtes Derbi s’estoit bien, à che coummenchement, portéz en Gascoingne. Li roys Phelippez de Franche fu durement courouchiéz quant il oy recorder le desconfiture de ses gens, et lez prisses des villez et des biaux castiaux, que li comtez Derbi avoit faittez ens ou pays de Gascoingne; si dist que il y envoieroit temprement si puissamment que pour tout le pays perdu raquerre, et encorrez de l’autre assés.

Ceste saison se passa. Li comtez Derbi et li seigneur d’Engleterre 293 se tinrent en Bourdiaux, et tout aise; et entendirent à leurs prisonniers, et lez ranchonnèrent chacun seloncq son estat et se misse. Et fu delivréz li comtez de Kenfort pour le comte de Pieregorth, par mannierre d’escambge, et li autre finèrent dou mieux qu’il peulrent. Li aucun paiièrent, li aucun se couvenencièrent et s’aterminèrent à paiier; et ossi li aucun demorèrent prisonnier, qui ne furent mies à leur aise, enssi que telz besoingnes se demainnent. Or lairons à parler un petit dou comte Derbi et de ses routtez, et parlerons dou roy englès, et puis retourons au dessus dit comte et as guerres de Gascoingne qui ne sont mies à oubliier.

Vous avés bien chy dessus oy parler coumment li roys englès fu enamourés de le comtesse de Sallebrin. Touttesfoix, lez cronikez monseigneur Jehan le Bel parollent de ceste amour plus avant et mains convignablement que je ne doie faire; car, se il plaist à Dieu, je ne pensse jà à encoupper le roy d’Engleterre, ne le comtesse de Sallebrin, de nul villain reproche. Et pour continuer l’istore et aouvrir le verité de le matère, par quoy touttez bonnez gens en soient apaisiet et sachent pourquoy j’en parolle et ramentoy maintenant ceste amour, voirs est que messires Jehans li Biaux maintient par ses cronickes que li roys englès assés villainnement usa de ceste damme et en eult, ce dist, ses vollentéz si comme par forche: dont je vous di, se Dieux m’ait, que j’ai moult repairiet et converssé en Engleterre en l’ostel dou roy principaument, et des grans seigneurs de celui pays, mès oncques je n’en oy parler en nul villain cas; si en ai je demandé as pluisseurs qui bien le sceuissent, se riens en euist esté. Ossi je ne poroie croire, et il ne fait mies à croire, que ungs si haux et vaillans homs que li roys d’Engleterre est et a esté, se dagnaist ensonniier de deshonnerer une sienne noble damme ne un sien chevalier qui si loyaument l’a servi, et servi toutte se vie: si ques d’ores en avant de ceste amour je me tairay, et revenray au comte Derbi et as seigneurs d’Engleterre qui se tenoient en Bourdiaux, et s’i tinrent toutte le saison et l’ivier enssuiwant, chevauchant à le foix de l’un à l’autre et regardans à leurs fortrèches, et possessèrent assés paisivllement dou pays concquis et raquis à yaux.

Quant ce vint à l’entrée dou mois de may l’année enssuiwant mil trois cens quarante cinq, que il faisoit bel et bon hostoiier et guerriier, li comtez Derbi manda lez barons de Gascoingne qui de sen costet se tenoient, le comte de Pennebrucq ossi, le comte 294 de Kenfort, le baron de Stanfort, monseigneur Richart de Hebedon, monseigneur Francke de Hale et tous les autrez qui avoecq lui estoient venus d’Engleterre. Et leur dist, quant il furent tout enssamble, que il se pourveissent et ordonnaissent et mandassent leurs compaignons, car il volloit faire une chevaucie deviers le Riolle et Aguillon et le chemin thoulouzain; car pour ce estoient il là envoiiet pour gueriier, non pour sejourner. Che fu bien li acors de tous; si retournèrent chacuns en leurs garnissons. Et se pourveirent et ordonnèrent si bien dedens le jour qui mis y estoit, que il n’y eult nulle deffaulte; et s’asamblèrent en deus lieus, à Bourdiaux et en Bregerach. Environ le Pentecouste, se parti li comtez Derbi de Bourdiaux à belle compaignie de gens d’armez et d’archiers, et cevauça le chemin de Bregerach. Quant il fu là venus, il trouva le comte de Pennebrucq, qui avoit fet sen assamblée belle et bonne. Si se souratendirent tout en le ville de Bregerach, et y furent par quatre jours. Quant il s’en partirent, il se trouvèrent sus lez camps mil hommez d’armes et deux mil archiers, et chevauchièrent en bon aroy et en grant couvenant deviers une bonne ville que on claimme Sainte Basille. Quant il furent là venu, il l’asegièrent de tous léz et fissent un grant apparrant de l’assaillir. Chil de Sainte Basille veirent lez Englèz tous armés et grant fuison, et lez archiers aroutés devant leurs murs et leurs fossés: si furent tout effraet, et n’eurent miez vollenté ne pourpos de yaux tenir. Si tretièrent et se composèrent au comte Derbi, que il se renderoient, parmy tant que li comtez les tenist as us et as coustummez de le bonne ville de Bregerach. Li comtez leur eut en couvent, et prist le feaulté et hoummaige des bourgois, et entra en Sainte Basille et y reposa troix jours. Au quatrimme il s’en parti, mès il y laissa une boine cappittainne englès, et archiers pour garder et deffendre le ville, se mestier faisoit en son nom. Fos 83 vº et 84.

Ms. de Rome: Le perte et le damage que les Gascons prissent devant Auberoce, lor fu moult grande, et ne s’en porent passer ne retourner en trop grant temps, car en raençons et racas de prisonniers il i ot bien pour trois cens mille florins, sans les aultres pertes et damages qui montèrent grant finance. Qant tout fu apointiiet et casquns sceut quel cose il devoit faire, tout se departirent li un de l’autre. Et demo[rè]rent mesires Franqes de Halle et si compagnon chapitainne de Bregerach; et puis se missent au retour li signeur viers la chité de Bourdiaus. Sus ce cemin fu fais 295 uns escanges dou conte de Pieregorth et de mesire Rogier son oncle et de auquns chevaliers de lor pais, à l’encontre dou conte de Qentfort et de quatre chevaliers englois qui estoient prisonnier au dit conte; et encores avoecques tous ces escanges, il paiièrent diis mille esqus, et les deubrent envoiier en la chité de Bourdiaus dedens le jour dou Noel. Point n’oy parler dou contraire que il ne le fesissent. Or retournèrent chil signeur d’Engleterre à grant joie et à grant pourfit en la chité de Bourdiaus, et i furent de toutes gens recheu et requelliet à grant joie. Si s’en retourna cascuns en sa garnison, ensi que il estoit ordonné, et eurent consel que il se tenroient là sus le pais, tout quois. Et lor fu avis que il en avoient assés fait pour celle saison, et que lonc dou temps il atenderoient lors raençons; et, tantos la Pasqe passée, il se remeteroient sus les camps et feroient bonne gerre.

Vous devés sçavoir que grandes nouvelles furent en France de celle bataille d’Auberoce, et trop petite plainte avoient li Gascon des François. Et disoient li auqun, l’un à l’autre: «Ha Dieus! laissiés aler. Ces Gascons sont englois à moitié; il ne desirent à avoir aultre signeur que le roi d’Engleterre.» Qant chil signeur de Gascongne, qui à la bataille d’Auberoce avoient esté pris, vinrent en France pour remoustrer au roi et à son consel conment les besongnes de Gascongne se portoient mal et porteroient, car les Englois tenroient les camps, qui ne lor iroit au devant, et voloient ossi estre auqunement aidiet de lors raençons, nuls ne voloit à euls entendre, ne il ne pooient avoir point d’audiense; mais les faisoit on là croupir et seoir au palais ou ailleurs, tant que il estoient tout lasset et tout hodet, et encores, avoecques tous les damages que il avoient eus, despendre lors deniers et laissier lors gages ou lors gens en crant aval Paris; ne il ne pooient veoir le roi, ne parler à lui, ne il ne se savoient à qui traire, pour avoir responses de lors requestes. Et se il faisoient auqunes supplications, et il les poursievissent à ceuls à qui il les avoient baillies, on lor disoit: «Retournés demain ou apriès,» et chils demain ne venoit onques. Tous les jours estoit ce à reconmenchier. Dont ce venoit et tournoit à ces barons et chevaliers de Gascongne à trop grande desplaisance, et maudisoient l’orgoel de France, et le sejour où li rois et si consilleur estoient, et se departoient de Paris malcontent et plus endebté assés que qant il i estoient venu pour esploitier.

296 Qant la douce saison d’esté fu revenue et le mois de mai, que les blés as camps et les herbes conmencent à monter, et que il fait bon hostoiier, que on compta en l’an de grasce mil trois cens et quarante cinq, li contes Derbi, qui un temps s’estoit tenus à Lieborne, s’en retourna à Bourdiaus, et là fist son mandement de toutes ses gens, liquel s’estoient ivrenet et passet le temps tout aise de ces racas et raençons et dou conquès qui lor estoit venus de la bataille d’Auberoce, et avoech tout ce, ordonné et apparilliet tant d’abis, d’armeures et de monteures que grant plaisance estoit au veoir et considerer. Tout vinrent au mandement dou conte Derbi, ce fu raisons, car il estoit lors souverains chapitains; et charroi et sonmiers furent tout mis à voiture. Il issirent un jour de Bourdiaus en grande ordenance, et se trouvèrent douse cens lances et vingt cinq cens archiers, et les garnisons que conquis avoient la saison devant, assés pourveues par raison. Et tout estoient as chevaus, archiers et gens d’armes, et cevauchièrent. La première ville que il trouvèrent, ce fu Sainte Basille, et n’estoit fremée que de palis. Les honmes de la ville n’osèrent atendre la venue des Englois, car il n’estoient pas fort assés, et alèrent au devant de euls tretiier, et se rendirent salves lors corps et lors biens. Si entrèrent auquns des signeurs dedens, et i dormirent pour celle nuit. Tout ne s’i porent pas logier, mais il orent des vins et des biens de la ville assés et largement. Fº 100.

P. 73, l. 30: ressongniés.—Mss. A 20 à 22: redoubté. Fº 174 vº. Voir aussi Sup. var. (n. d. t.)

P. 74, l. 14: trois.—Mss. A 11 à 14, 20 à 22: trois ou quatre. Fº 114.

P. 74, l. 15: esmèrent.—Mss. A 1 à 6, 8 à 17: esmeurent, esmurent. Fº 119.—Mss. A 23 à 29: nombrèrent. Fº 137 vº.

P. 74, l. 16: et se trouvèrent mil.—Ms. B 6: Sy se trouva bien douze cens lanches et quinze cens archiés et mille pietons.  260.

P. 74, l. 17: deux mil.—Mss. A 20 à 22: trois mil. Fº 175.

P. 74, l. 19: Sainte Basille.—Mss. A 1 à 6: Basille. Fº 119.—Mss. A 11 à 14, 23 à 33: Saint Basille. Fº 114.—Mss. A 18, 19: Saint Baisille. Fº 121.

P. 74, l. 32: Aiguillon.—Mss. A 1 à 33: Aguillon. Fº 119 vº.

297 P. 75, l. 1 et 2: le Roce Millon.—Mss. A 1 à 33: la Roche Millon. Fº 119 vº.

P. 75, l. 7: baus.—Mss. A 1 à 33: bans, bancz.

P. 75, l. 8: cauch.—Mss. A 1 à 33: chaulx, chauz. Voir aussi Sup. var. (n. d. t.)

P. 75, l. 11: avancier.—Mss. A 30 à 33: avanturer. Fº 172.

§ 224. P. 75, l. 12: Quant li contes.—Ms. d’Amiens: Quant li comtez Derbi se fu partis de Sainte Basille, il chevaucha le chemin d’Aguillon; mès ainchois que il y parvenist, il trouva un castel que on appielle le Roce Millon, qui estoit bien pourveus de bons saudoiiers et d’artillerie. Nonpourquant li comtez coummanda que li castiaux fuist assaillis. Donc s’avanchièrent Englès et archiers et le coummenchièrent à assaillir fortement et durement, et chil dedens à yaux deffendre vassaument, et jettoient pierrez et baux et grans barriaux de fier: de quoy il blecièrent grandement chiaux qui montoient contremont, dont li comtez Derbi estoit mout courouchiéz. En cel estat se tint li castiaux deux jours; au tierch jour, chil de dedens furent si appresset dou tret des archiers que il virent bien que longement ne se pooient tenir; si se rendirent, sauve leurs viez et leurs biens. Li comtez lez prist enssi et fist partir tous les saudoiiers estraingez qui deffendut l’avoient, et le regarni et pourvei de nouvelle gent; puis s’en parti et toutte sen host, sievant le rivierre de Loth. Et chevaucièrent li Englès tant que il vinrent devant le bonne ville de Montsegur, qui est grande et grosse; et y a un très fort castiel, et tout seant sour ceste rivierre de Loth. Quant il furent là venu, li comtez coummanda à logier touttez gens. Dont se logièrent, et ordonnèrent mancions et habitations pour yaux et pour leurs chevaux, et l’environnèrent de tous costéz. Dedens le ville de Montsegur avoit un bon chevalier à cappittainne, que li comtez de Laille y avoit mis et estaubli, et l’apielloit on monseigneur Hugon de Batefol. Chilz entendi grandement et bellement à le ville deffendre et garder, et moult avoient li homme de le ville en lui grant fiance. Fº 84.

Ms. de Rome: Qant ce vint à l’endemain, apriès messe et boire, les tronpètes de departement sonnèrent. Si se missent tout au cemin, et prissent les camps pour aler devant Montsegur, une bonne ville fremée de murs et de fossés. Et l’avoit li sires, qui se nonmoit Guillaumes, remparée et fortefiie assés et pourveue d’arbalestriers, qui li estoient venu de Toulouse à ses coustages. Fº 100 vº.

298 P. 75, l. 15: villains.—Les mss. A 15 à 17 ajoutent: tuffes et giveliers du pais. Fº 121.

P. 75, l. 16: velourdes.—Mss. A 1 à 6, 18 à 33: belourdes. Fº 119 vº.

P. 75, l. 16: estrain.—Mss. A 23 à 33: feurre. Fº 137 vº.

P. 76, l. 1: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 225. P. 76, l. 25: Par devant.—Ms. d’Amiens: Par devant Montsegur sist li comtez Derbi quinze jours. Et sachiés que là en dedens il n’y eult oncquez jour que il n’y fesist assaillir; et y fist drechier grans enghiens qui nuit et jour jettoient dedens le ville, et ce les greva et foulla trop durement. Et bien leur mandoit li comtez que, se il se volloient rendre bellement, il lez prenderoit à merchy; mès, se par forche lez concqueroit, il lez metteroit tous à l’espée, et arderoit toutte le ville et sans deport. Chil de Montsegur, qui doutoient le leur à perdre et qui ne veoient point d’appairant de nul secours, car tout li grant baron de Gascoingne estoient prisonniers ou si espars que il ne se pooient rassambler, si parlèrent à leur cappittainne et li dissent que, pour tous perilz eschieuwer, il se renderoient vollentiers. Et quant li chevaliers les oy enssi parler, si fu durement courouchiéz sour yaux; et leur dist que il se doubtoient de noient, car il se tenroient encorrez bien demy an et sans nul dammaige. Touttefois, chil de Montsegur se partirent de leur cappittainne sans plus parler; mais il ne se veurent mies dou tout asseurer ne tenir; ainschois tretièrent secretement que il se renderoient au comte. Et prissent une nuit leur cappittainne et l’enprisonnèrent; et puis mandèrent le comte Derbi, liquelx y envoya monseigneur Gautier de Mauny et o lui grant fuisson de gens d’armez. Si emprist le possession de le ville et dou castiel, et li delivrèrent monseigneur Huge de Batefol; mès li comtez Derbi li fist grasce et le laissa partir, et se mesnie, sans dammaige.

Quant li comtez Derbi eut le saisinne de Montsegur et pris le feaulté et sceurté dez bourgois, et il s’i fu reposés et rafreschis par cinq jours, il s’en parti; mès il y laissa à son departement un chevalier de Gascoingne, bon englèz, qui s’appelloit messires Drues dou Sant Lion, et chevaucha avant o tout son host, gastant et essillant le pays. Et trouvoient li coureur et li marescal de l’host gros villaiges et villez baptichez, où il conqueroient de tous biens à grant fuison, car li pays estoit plains et drus, ne oncques mais n’avoit estéz courus. Fº 84.

299Ms. de Rome: Tant esploitièrent les Englois que il vinrent devant Montsegur, et là s’arestèrent et se logièrent tout à l’environ, et furent là quinse jours. Et devés sçavoir que tous les jours il i avoit assaut et escarmuce. Et avoient les Englois fait drechier des enghiens qui brisoient et confroissoient murs et tours: ce fu la cause qui plus esbahi ceuls de la ville. Qant li chevaliers, qui dedens estoit, vei que li Englois ne se departiroient point de là ne se cesseroient de lors assaus, et que secours ne li apparoit de nul costé, si tretia deviers le conte Derbi. Trettiés se porta que il se mist, et toute sa terre, en l’obeisance dou roi d’Engleterre, et jura à demorer homs et feauls au dit roi; et parmi tant, il vint à paix as Englois, et demora en sa ville, et fist remparer ce que desemparet estoit. Adonc se deslogièrent li Englois, et chevauchièrent viers la ville et le chastiel d’Agillon. Fº 101.

P. 76, l. 26: quinze jours.—Ms. B 6: et y fist faire pluiseurs assauls, ançois que il le peuist avoir, car le chastiel estoit garny de bonnes gens d’armes de le conté de Fois qui nullement ne se volloient rendre. Finablement, ly Englès y entrèrent de forche et le conquirent. Et y furent tous mors ou pris, excepté cinq ou six gentilz hommes qui furent pris à merchy par le congnoissance de monseigneur Alixandre de Caumont qui là estoit, par lequel le dit conte usoit par son consail ès marches de Gascongne. Fº 261.

P. 77, l. 4: manandries.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: manantises. Fº 120.—Ms. A 7: manandries. Fº 114 vº.—Mss. A 8, 15 à 17, 20 à 29: maisons. Fº 109.—Mss. A 30 à 33: grans manoirs. Fº 172.

P. 78, l. 8: se nous nos cloons contre vous.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: se l’en clost les portes contre vous. Fº 120.—Ms. A 7: se nous vous cloons les portes. Fº 114 vº.—Mss. A 8, 15 à 17: se nous nous tenons contre vous. Fº 109 vº.—Mss. A 23 à 33: se nous cloons nos portes contre vous. Fº 137 vº.

§ 226. P. 79, l. 17: Tant esploita.—Ms. d’Amiens: Et chevauchièrent (li Englès) tant que il vinrent assés priès de Aguillon, qui est ungs des plus fors castiaux del monde et dez mieux seans pour estre fors, car il siet entre deux grosses rivierrez qui queurent d’encoste lui, l’une à destre et l’autre à senestre, et se assamblent à le pointe dou castiel; et si appell’on l’une Loth, et 300 l’autre Garonne, qui vient de le chité de Toulouse. Et siet cilx castiaux à sept lieuwes priès de Thoulouse. Tantost que li castellains vit le comte Derbi et sen host aprochier Aguillon, et il avoit entendu que lez autrez bonnez villez et castiel dou pays s’estoient rendut à lui, il se rendi ossi à peu de parlement; de quoy li comtes et tout li compaignon en eurent plus grant joie que li roys englès ewist d’autre part gaegnié cent mille livres. Se le fist li comtez Derbi garnir si bien que pour avoir son garde corps et son retour, se il besongnoit; et li sambla que oncquez n’avoit veu si biel, si fort, ne mieux seant. Et y fist castellain d’un chevalier sage et vaillant en qui mout se fioit, que on clamoit monseigneur Jehan de Gombri. Apriès concquist li comtes par force et par assault un très fort castiel que on appielle Sograt. Et de là endroit il s’en vinrent devant le forte ville de le Riolle, dont messires Aghos des Baux, uns chevalierz de Prouvenche, estoit gouvrenère et cappittaine. Fº 84.

Ms de Rome: Tant s’esploitièrent les hoos au conte Derbi que il vinrent assés priès d’Agillon. Li chastiaus, pour ces jours, estoit en la garde d’un chastellain, qui n’estoit point trop vaillans homs. Et bien le moustra, car si tretos conme il senti que les Englois venoient, il lor vint au devant et lor aporta les clefs de la ville et dou chastiel, et se mist en l’obeisance dou roi d’Engleterre. Li contes Derbi reçut le dit chastellain en paix, et se saisi de la garnison d’Agillon, et i mist gens et gardes de par lui pour estre plus à segur, car il n’avoit pas trop grant fiance ou chastellain, qui le rendage en avoit fait; et puis passa oultre et s’en vint de che voiage devant la Riole, et le assegea de tous costés. Fº 101.

P. 80, l. 5: cent mil.—Ms. B 6: deux cens mille. Fº 262.

P. 80, l. 12: Jehans de Gombri.—Mss. A 18, 19: Monseigneur de Gombi. Fº 123.

P. 80, l. 14: Sograt.—Mss. A 1 à 6: Sigrat. Fº 120 vº.—Mss. A 7, 11 à 19: Segrat. Fº 115 vº.—Ms. A 8: Sograt. Fº 110.—Mss. A 20 à 33: Segart. Fº 177.

§ 227. P. 80, l. 18: Or vint.—Ms. d’Amiens: Or vint li comtez Derbi devant le Riolle et l’asega fortement et destroitement, car nulles pourveanchez ne pooient entrer en le ville; mès elle estoit assés bien pourveue de bonne gent et de tous vivrez, et bien taillie de lui tenir ung grant temps. Se le faisoit li comtes 301 Derby tous lez jours assaillir et escarmucier; mès li chevaliers messires Aghos le deffendoit avoecquez ses compaignons vassaument, et venoit mout souvent as barrierrez traire, lanchier et escarmuchier à chiaux de l’ost. Là y avoit mainte belle apertisse d’armez faittez, et maint homme blechiet de dedens et ossi de chiaux de dehors, car si grant fait d’armes ne se puevent mies emprendre ne continuer sans grant dammaige dez uns et dez autrez. Et se touttez lez aventurez qui avinrent devant le Riolle, le siège durant, je vous volloie recorder, trop eslongeroie ma matère, car li comtez et sen host i sissent neuf sepmainnez: de quoy il ne fu oncquez jours qu’il n’y ewist fait aucuns fais d’armez. Fº 84.

Ms. de Rome: Dedens la Riole avoit un chevalier de Prouvence pour chapitainne, vaillant honme, qui se nonmoit mesires Agos des Baus, et avoecques lui pluisseurs bons compagnons. Devant la Riole i furent pluisseurs escarmuces et envaies as portes et as barrières, et grans assaus, car chil qui dedens estoient, tant que as deffenses et en toutes coses, se moustroient à estre droites gens d’armes. Fº 101.

§ 228. P. 81, l. 20: Li Englès.—Ms. d’Amiens: Sus le neuvimme sepmainne, il y eut un assaut trop dur et trop fort et trop bien ordonné, car li Englès avoient fait carpenter deus bierefrois de gros mairiens à troix estagez, et seant chacun bierefroi sus quatre ruoes. Et estoient chil bierefroit, au léz deviers le ville, tout couvert de quir boullit pour deffendre dou tret et dou feu, et avoit en chacun estage cent archiers. Si amenèrent ces deus berrefroix à force de gens assés priès des murs, et avoient encorrez li Englèz de loing tamps raempli une grant cantité des fosséz pour faire leur berrefrois voie. Si coummencièrent chil qui estoient amont, à traire durement à chiaux de dedens, et yaux moult navrer et mehaygnier, car il n’osoient pour le tret aprochier lez murs. Et entre ces deus berrefroix avoit bien trois cens compaignons à tous grans pilx et hauiaux et autres instrummens pour effondrer le mur, et jà en avoient dez pières ostées et rompues, car li archier qui estoient hault ens ès estages reparoient deseure tous les murs, et traioient si fort que nus nosoit aprochier. Par cel estat et assault et de force ewist esté le ville de le Riolle prise et conquise sans nul remède, quant li bourgois de le ville, qui tout effraet estoient, s’en vinrent à l’une dez portez et 302 demandèrent monseigneur de Mauni ou aucun grant seigneur à qui il pewissent parler. Ces nouvellez vinrent jusquez au comte Derbi; si y envoya le seigneur de Mauni et le baron de Stanfort assavoir quel cose il volloient dire et mettre avant. Si constèrent que li homme de le Riolle se volloient rendre, sauve leurs corps et leurs biens. «En nom Dieu, seigneur, respondirent li chevalier, nous ne savons mies se messires li comtes Derbi vous volra prendre en celle mannière, car vous l’avés trop durement courouchiet de ce que tant vous vous estez tenus contre lui. Si irons parler à lui et vous rapporterons quel cose il en vora faire.»

Lors se partirent li chevalier et s’en vinrent devers le comte, qui lez attendoit tous armés et sus son ceval, assés priès de là, et regardoit ses archiers qui estoient ens ès berrefroix coumment il besongnoient; se li dissent ce dont il estoient chargiet. Li comtes les oy vollentiers, mès à trop grant dur s’acorda à che que il ne les presist simplement à se vollenté. Finaublement il leur dist: «Biau seigneur, vous avés vostre sierement ossi bien au roy, mon seigneur, que jou ay, et sommes compaignon enssamble en ceste chevauchie: ralléz deviers yaux et faittez tout ce que bon vous samble; je le tenray.» Lors se partirent li doy baron et vinrent parler à chiaux de le Riolle, et dissent que nullement on ne leur feroit nulle grasce se il ne paioient au comte Derbi, avoecq le ville rendue et le feaulté faitte, vingt mil escus. Touttesfoix, chil florins furent ramoiennet, car chil de le Riolle doubtèrent plus à perdre et s’obligièrent à paiier treize mil, et de porter en le cité de Bourdiaux dedens un mois, et de ce livrèrent il bons plègez qui bien souffirent as chevaliers. Par ensi cessèrent li assault, et fu li ville respitée de tous perix. Fº 84 vº.

Ms. de Rome: Et qant les Englois veirent que pour asallir et escarmucier, il n’aueroient point la ville, il fissent faire et ouvrer par carpentiers deus bierefrois de gros mairiens à trois estages, et seans casqun bierefroi sus quatre roes. Et estoient chil bierefroit, au lés deviers la ville, tout couvert de quir boulit, pour deffendre dou trait et dou feu, et avoit en casqun estage cent archiers. Et amenèrent li Englois à force d’onmes ces deus bierefrois jusques as murs; car entrues que on les avoit ouvrés et carpentés, il avoient fait emplir les fossés si avant que pour conduire tout aise lors bierefrois devant euls. Et conmenchièrent li archier, qui estoient entré en ces estages, à traire fortement à ceuls qui se tenoient as deffenses; et traioient si roit et si ouniement 303 que à painnes ne se osoit nuls amoustrer, se il n’estoit trop fort paveschiés. Entre ces deus bierefrois qui estoient arestés devant les murs, avoit deus cens compagnons à tout hauiaus et grans pils de fier pour effondrer le mur; et jà en avoient des pières assés ostées et rompues, car li archier qui estoient hault ens ès estages, les deffendoient de ject et de tret. Fº 101.

P. 81, l. 26: cent.—Mss. A 20 à 22: deux cens. Fº 177 vº.

P. 82, l. 7: haviaus.—Mss. A 15 à 17, 20 à 22: hoiaux, hoyaux. Fº 123.—Mss. A 23 à 29: houyaulx. Fº 139.

P. 82, l. 8: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 82, l. 10: reparoient.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18, 19: repairoient. Fº 121.—Ms. A 8: rapparoient. Fº 110 vº.—Mss. A 15 à 17: apparoient. Fº 123.

P. 82, l. 19: le baron de Stanfort.—Ms. B 6: messire Alixandre de Caumont. Fº 264.

§ 229. P. 82, l. 27: Quant messires.—Ms. d’Amiens: Or vous diray de monseigneur Agoth des Baux quel cose il fist. Entroes que on parlementoit et alloit de l’un à l’autre, il se retraist et ses compaignons dedens le castiel de le Riolle, qui siet à l’un dez léz de le ville, et y mist grant fuison de pourveanches pour lui tenir un grant tamps; et quant il fu dedens et chil ossi que il y veut atraire, il avalla le pont et abaissa le restel et dist bien que il ne se renderoit mies enssi. Fº 84 vº.

Ms. de Rome: Par cel estat et asaut euist esté la ville de la Riole prise, et de fait il ni avoit nul retour, quant li bourgois de la ville vinrent à mesire Agoth, lor chapitainne, qui point ne s’effreoit de cose que il veist, et li dissent: «Sire, aiiés avis de nous. Se ces Englois nous prendent de force, nous sonmes tout mort et nostre ville courue.»—«Et quel cose volés vous que j’en face?» respondi li chevaliers.—«Nous volons que vous faites cesser l’asaut et que vous tretiiés à euls, par quoi nous demorons en paix, car il ne nous apert confort de nul costé; et se ce ne volés faire, retraiiés vous dedens le chastiel: il est fors assés, et faites vostre gerre à par vous, car nous ferons fin à la nostre.» Qant mesires Agos les entendi, si lor respondi et dist: «Biaus signeurs, grans merchis, vous me presentés courtoisie, et voirement me retrairai je ou chastiel. Je ne me voel pas encores rendre.» Adonc se departi li dis mesires Aghos de lor compagnie, et retraii tous les compagnons de sa carge, et li bourgois se missent en trettiet deviers le conte Derbi. Qant li contes Derbi 304 vei que li bourgois de la Riole trettoient, et li chevaliers ne s’ensonnioit point de lors trettiés, si demanda: «Et où est vostre capitainne? Pourquoi ne vient il avant en non Dieu?»—«Sire, il est retrais dedens le chastiel, et ne voelt point estre à nostres trettiés.»—«Voires, respondi li contes. Voelt il donc faire sa gerre à par lui? Jamais n’en auera si bon marchié que il euist eu avoecques vous; et puis que nous avons la ville, nous auerons le chastiel, quoi que il doie couster.» Fº 101.

§ 250. P. 84, l. 9: Ensi eut.—Ms. d’Amiens: Vous avés bien oy le tretiet et le composition de chiaux de le Riolle et dou comte Derbi, et coumment li ville se rendi. Quant li seigneur d’Engleterre virent que messires Agos s’estoit retrais ou fort, si dissent bien que il n’avoient riens fait se il laissoient le castiel derrierre, car tantost aroit reconcquis le ville. Si eurent consseil de l’asegier et de l’assaillir et de non partir de là, si l’aroient ou par forche ou par amours. Si l’environnèrent de tous léz et l’assaillirent par pluisseurs foix, mais peu y fissent, car li castiaux est fors et haux, et si siet sus vive roche.

Endementroex que li comtez Derbi et li baron d’Engleterre et de Gascoigne seoient devant le fort castiel de le Riolle, vint uns honnestez anchiens homs, nés et demourans en le Riolle, à monseigneur Gautier de Mauni, et s’aquinta de lui et li dist: «Sire, quel grace feriés vous à celui qui vous menroit en l’eglise et ou propre lieu où li corps de monseigneur vostre père, dont Dieux ait l’amme, gist et fu jadis ensevellis?» Messires Gautiers leva adonc le teste et regarda le preudomme, et li dist: «En nom Dieu, amis, je li feroie grant prouffit.»—«Or en vennés avoecq moy, dist li preudoms, et je vous y menray droitement, car je fui là au jour qu’il y fu mis et vous ferai tout sceur de ce que je vous recorde.» Li sires de Mauni, qui volentiers entendi à ces parolles, se parti de son hostel et s’en vint avoecques ses gens et le preudomme là où il le mena: che fu en une eglise moult anchienne qui siet dedens le Riolle; et dedens une petitte cappelle avoit un marbre à vosure rudement tailliet. «Sire, dist li preudoms, dessous ce marbre fu ensepvelis messires vos pèrez. Et faittez lever le tonbel: je croy que en l’autre qui se reclot sus, vous trouverés escript le nom de lui et le terme qu’il y fu mis.» Adonc messires Gautiers le fist tantost par ses escuiers ouvrir, et trouva en verité tout ce que li preudoms li avoit dit. Or vous diray pourquoy 305 ne coumment li chevaliers fu là ensepvelis, li pères à monseigneur de Mauny qui estoit de Haynnau. Fos 84 vº et 85.

Ms. de Rome: Chils trettiés se passa, et orent les Englois la ville de la Riole, et puis asegièrent le chastiel, liquels est biaus et fors, et mesire Agot des Baus dedens, et tous ses compagnons qui estoient Prouvenciel. Et fu li sièges lons et grans, car li chastiaus pour lors estoit de bonne garde et belle deffense, et si i avoit dedens chevaliers d’onnour et de vaillance. Or vous recorderai de une aventure que il avint là à mesire Gautier de Mauni, entrues que il seoient devant le chastiel de la Riole. Fº 101 vº.

§ 231. P. 85, l. 18: Il y eut.—Ms. d’Amiens: Jadis il y eut un evesque à Cambray, qui fu gascons et de chiaux de Mirepois en Gascoingne. Or avint que de son tamps il y eut un très grant behours et tournoy dehors le chité de Cambray. Là par usage il se font et feroient, se ungs en y avoit. A che tournoy eut bien cinq cens chevaliers tournians. Et là y eut li evesquez de Cambray un sien nepveult, jone chevalier tourniant, richement armés et montés. Chilx s’adrecha à monseigneur le Borgne de Mauni, père à monseigneur Gautier et à ses frèrez, qui estoit fors chevaliers, rades et bien tournyans, et mania tellement le chevalier de Mirepois que oncques depuis n’eut santé, mès morut: dont li evesques et tous ses linaigez furent grandement courouchiéz, car il estoit haux homs et gentilz et riches homs durement. Ceste cose passa; amendisses n’en furent oncques faittez ne requisez, pour ce que en esbatement de tournoy et de telz fais d’armes la cose estoit avenue.

Avint un grant tamps apriès que il vint en devotion à monseigneur le Borgne de Mauni que d’aller en pellerinage à Saint Jaqueme de Galisse. Si se parti de Haynnau en celle entente; sen allée fu sceue, et li linages de Mirepoix emfourmés que chilx qui avoit ochis leur cousin, passoit parmy leur pays. Dont bastirent il et ordonnèrent pluisseurs aghais sour lui, et le trouvèrent un jour assés priès de le Riolle. Si l’asaillirent et ochirent et navrèrent mout vilainnement ses varléz, de quoy li doi en morurent. Apriès che qu’il fu mors, chil de le Riolle l’alèrent querre et prissent ses chevaux et sen aroy et fissent de tout argent; et l’ensepvelirent en sainte terre, pour tant qu’il estoit chevaliers et pellerins, et li fissent son obsèque. Depuis ceste cose demoura, car si enffant estoient jone au jour qu’il fu ochis. Si s’avanchièrent depuis 306 par armes et vinrent en eage d’omme, et par especial messires Gautiers, enssi que vous avés oy comment il s’est fès et avanchiés. De quoy, quant il fu venus en Gascoingne avoecq le comte Derbi, bien li souvint de chiaux de Mirepoix qui avoient ochis son père, dont il le contrevenga assés bien; car il leur ardi touttez leurs terrez et en mist pluisseurs à fin, ne oncques n’en veult nul prendre à raenchon, ne à le bataille de Bregerach, ne d’Auberoche, ne d’ailleurs.

Quant li sirez de Mauni eut congnut clerement que li preudoms li avoit dit verité, se li fist tantost donner cent escus et deffouir les os de son père et enbausoummer et mettre en un bel sarqu, et puis cargier sus un sonmier. Et prist deus frères meneurs et leur fist delivrer or et argent, et fist ces [os] raporter à Vallenchiennes à Saint Franchois, c’on dist as Cordeliers; et là de rechief il les fist mettre et ensepvelir en une cappelle assés priès dou coer. Fº 85.

Ms. de Rome: Il i eut jadis un evesque à Cambrai qui fu Gascons, dou linage de ceuls de Beu et de Mirepois. Avint que dou temps cesti evesque uns très grans tournois se fist devant Cambrai, et i furent bien cinq cens chevaliers tournoians. Et là ot li dis evesques un sien neveut, jone chevalier tourniant, ricement armé et monté. Chils s’adreça à mesire le Borgne de Mauni, père à mesire Gautier et à ses frères, liquels fu en son temps chevaliers durs, fors, rades et bien tournoians. Et fu li jones chevaliers gascons tellement menés et batus que onques depuis il not santé, mais morut. Li sires de Mauni, qui riens n’i pensoit, ne au penser apertenoit selonch l’estat et l’ordenance d’armes et l’usage des tournois, ne sai qans ans apriès, il li prist devotion d’aler ou voiage de Saint Jaqueme en Galise, et i ala et prist un aultre cemin au retour que il n’euist alé. Et entendi que li contes de Valois, frères jadis au biau roi Phelippe et pères à madame de Valois qui fenme fu au conte Guillaume de Hainnau, tenoit son siège devant la Riole, car pour ces jours elle estoit englesce; et faisoit guerre li biaus rois Phelippes as Anglois en Giane pour auqunes disentions de terres, les quelles estoient en debat des deus rois ensamble.

Chils sires de Mauni vint veoir le conte de Valois qui li fist bonne chière. Au departement, il li demanda se il voloit riens mander ne escrire en Hainnau à sa fille. Li contes de Valois dist oil et escripsi. Li sires de Mauni, nonmé le Borgne, prist 307 congiet et se departi. En cel estat que il fu là et sejourna un jour, il fu avisés dou linage de ceuls de Mirepois et de Beu et dou jone chevalier qui mors avoit esté, ensi que on disoit, par sa coupe; et l’atendirent au dehors des logeis et l’asallirent et ocirent: dont li contes de Valois fu trop durement courouchiés et en calenga tout le linage et mist en termes que il l’avoient mourdrit. Et en furent en grant dangier de lors corps tout chil qui fait l’avoient, et encores euissent il esté en plus grant, se li enfant les euissent poursieuvis par parlement de Paris, quoi il mesissent en termes que il l’avoient fait de bonne gerre; mais, pour lors, messires Gautiers de Mauni et si frère estoient jone, et aussi vous savés que, qant il vinrent en congnisance d’onme, la guerre s’esmeut entre France et Hainnau, et depuis entre France et Engleterre, par quoi li enfant dou dit Borgne de Mauni n’eurent nulle action de proceder en plait à l’encontre des Gascons, fors à l’espée, car il tinrent l’opinion le roi d’Engleterre.

Au retourner au pourpos de la matère desus dite, li contes de Valois, pour l’amour de gentillèce, fist ensepvelir le dit Borgne de Mauni en une eglise, au dehors de la ville de la Riole, et li fist faire son obsèque. Trop bien savoit tout ce messires Gautiers de Mauni, que il estoit mis et ensepvelis en terre sainte en la Riole ou là priès, mais il couvenoit que il fesist enqueste à ceuls dou pais, où on l’avoit mis. Si le fist et tant en enquist que li anciien homme, qui avoient esté de ce temps, li ensengnièrent et le menèrent droit sus le lieu où il avoit esté ensepvelis. Se le fist deffouir et prendre les os et mettre en un sarqu et aporter en l’eglise des Cordeliers, que on dist Saint François, à Valenchiennes, et de rechief là ensepvelir moult reveranment, et encores en voit on les ensengnes. Fos 101 et 102.

P. 85, l. 19: de Beu.—Mss. A 20 à 22: du Beu. Fº 179.

P. 86, l. 10: englesce.—Ms. B 6: mais les Franchois le conquirent, quant il y eulrent bien sis ung an. Fº 265.

P. 86, l. 15: ses lettres.—Mss. A 20 à 22: comment il estoit au dit conte, car le conte de Vallois estoit là comme roy de France. Fº 179.

P. 86, l. 22: retet.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 33: soupeçonnez. Fº 122 vº.—Ms. A 8: encoulpez. Fº 111 vº.—Mss. A 15 à 17: arrestez. Fº 124.

P. 86, l. 32: avant.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19 ajoutent: et si certainement. Fº 122 vº.

308 P. 87, l. 17: ensepelir.—Ms. B 6: delés madame sa femme, en l’eglise des Cordeliers. Fº 265.

§ 232. P. 87, l. 22: Or revenrons.—Ms. d’Amiens: Or vous recorderai dou castiel de la Riolle qui se tint un grant temps contre les Englès. Et trop bien le deffendi messires Agos des Baux as Englès, et se tint depuis cinq sepmainnez que la ville eut estet rendue. Finablement li chevaliers perchut bien que li comtez Derbi ne se partiroit point si aroit le castiel à se vollenté, et d’autre part il ne veoit nul secours appairant. Si se laissa encheoir en tretiet parmy tant que il s’en pooit aller et tout le sien, et pooient porter et mener tout ce qui leur estoit. Li comtez Derbi leur acorda; il se partirent ensi que je vous compte et rendirent le castel: dont li Englèz eurent grant joie, car il estoient tout tannet de tant là sejourner. Et quant li comtes Derbi l’eut, si le fist remparer, garnir et repourveir, et y mist bon castellain, un chevalier d’Engleterre qui s’appielloit messire Richart de Lantonne. Fº 85.

Ms. de Rome: Tant tint li contes Derbi son siège devant le chastiel de la Riole, que messires Agos des Baus falli à ses ententes, car il quidoit que poissance de par le roi de France deuist là venir pour lever le siège, mais non fist; car ensi que je vous ai jà dit, li orgoels et la negligense estoient si grandes en l’ostel dou roi Phelippe, pour ce temps, que on ne faisoit compte de tels coses, ne de l’aler, ne de l’envoiier. Et pour le temps d’adonc, li saudoiier estoient si mal paiiet en France que nuls estrangiers ne s’y traioit volentiers pour demander saudées, ne ossi parellement chil dou roiaulme. Encores estoient li peril si grant, pour les nobles dou roiaulme qui de la gerre se ensonnioient, que, qant il avoient l’aventure de perdre une journée à l’encontre de lors ennemis, renonmée publique parmi le roiaume de France couroit sur euls, que il estoient traite, et que par traison il avoient perdu la journée. Et mieuls lor valoit à morir sus la place que estre pris ne retourner; car qant il retournoient, il estoient pendu conme traite. Et par tels violenses et amises de traisons avinrent depuis moult de mesciés ens ou roiaulme de France et par tous ses menbres, ainsi que vous orés recorder avant en l’istore.

Qant messires Agos des Baus vei que nuls secours ne li venroit de France, et si amenrissoient grandement ses pourveances, il traitta deviers ces signeurs d’Engleterre. Trettiés se porta que ils 309 et li sien se departirent sauvement, et en pooient porter ce qui lour estoit, voires seullement devant euls et non autrement; si se departirent et se traissent viers Toulouse. Et de là mesires Agos s’en retourna en Prouvence et n’osa venir en France, tant doubta il les crueuses justices que on i faisoit à petite oqison. Si se tint en Prouvence et sus le sien, et bien vei et senti que les envies dou roiaulme de France estoient trop grandes et que il n’i faisoit nul. Fº 102.

P. 87, l. 26: tour.—Mss. A 1 à 6, 23 à 33: court. Fº 122 vº.

P. 87, l. 27: chaingles.—Mss. A 20 à 22: sangles. Fº 180.

P. 88, l. 1: Agos.—Mss. A 15 à 17: Ragot. Fº 124 vº.

P. 88, l. 1: des Baus.—Mss. A 8, 18 à 22: des Vauls. Fº 112.—Mss. A 23 à 33: des Bans. Fº 140 vº.

P. 88, l. 24: parler au conte Derbi.—Ms. B 6: Sy entra en traitiet devers les chevaliers du conte tels que messire Richart de Stampfort et messire Gautier de Mauny: le traitiet se fist par le moien de messire Alixandre de Caumont. Fº 266.

P. 90, l. 28: le Riolle.—Ms. B 6: Ensy fut la Roille pour che tamps englesse, et le demora depuis plus de vingt sept ans. Fº 266.

§ 233. P. 91, l. 1: Apriès che.—Ms. d’Amiens: Apriès ce que li comtez Derbi eut se volenté et fu venus à sen entente de le Riolle, de le ville et dou castiel, il se parti et toutte sen host, et chevaucha vers Montpesas, ossi un très fort et biel castiel. Si le concquist par assaut et par eschiellement, mès mout li cousta de ses archiers, ainchois qu’il l’ewist. Si y laissa dedens de ses gens et le rafreschi de pourveanches, puis s’en parti et se traist deviers le ville et le fort castiel de Mauron. Et quant il furent là venu, il l’assaillirent fortement, mais il ne le peurent avoir par leur assault; si le gaegnièrent l’endemain par enghien et par le sens d’un gentil homme dou pays de Gascoingne, que on clamoit Alixandrez, seigneur de Chaumont. Car li coens Derbi se desloga et fist samblant d’aller autre part, et se parti de là à tout sen grant host, et laissa un petit de gens devant le ville avoecq le conte de Kenfort. Quant chil de la ville et li saudoier virent si peu de leurs ennemis devant le ville, il lez quidièrent tantost desconfire et prendre; si yssirent hors pour combattre à ces Englèz. Quant li Englès les virent venir, il se traissent arrière et fissent 310 samblant de fuir, et chils lez chachièrent loing enssus de leur ville. Qant li comtes Derbi vit che, qui estoit embusciés assés priès de là, il sailli avant et se mist entre lez saudoiiers et le ville, et y entra par force. Et furent li plus de chiaux qui dehors estoient, tous ochis.

Ensi par cel enghien fu li fors castiaux et la ville de Mauron gaegnie, et li bourgois de le ville pris et ranchonnet. Apriès fu prise ossi par enghien et soutilité le grosse ville que on clainme Villefranche, et fu toutte courue et robée. Depuis le fist li dis comtez remparer et regarnir et pourveir de tout chou qu’il y besongnoit, et y laissa un bon chevalier englès que on clammoit monseigneur Thomas Kok. Ensi chevauchoit li comtes Derbi le pays d’un lés et d’autre, et n’estoit nulx qui se mesist au devant. Et conqueroient ses gens villes et castiaux et prendoient gens et lez rançonnoient, et n’y avoit si petit en leur host qui ne fuist tous cargiés d’or et d’argent. Fº 85.

Ms. de Rome: Ensi eut li contes Derbi la ville et le chastiel de la Riole et le pourvei et rafresci de gens d’armes et d’archiers et de pourveances, et i laissa messire Jehan de la Souce à chapitainne. Et puis s’en departirent les Englois et ceminèrent deviers Montpesas. Elle n’estoit fremée que de pallis. Si considerèrent chil qui dedens estoient, la poissance des Englois, et conment il avoient pris plus fortes villes que la lour ne fust vint fois. Si envoiièrent tretier deviers le conte Derbi, avant que il parvenist à la ville, et se rendirent, salves lors corps et lors biens. Et puis passèrent oultre, et vinrent devant Villefrance en Agenois; elle se rendi tantos. Fº 102.

P. 91, l. 18-19: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 91, l. 23: Baucestre.—Mss. A 1 à 6: Lancastre. Fº 124.—Mss. A 7, 11 à 14, 18 à 33: Lancestre. Fº 118 vº.

P. 91, l. 25: Mauron.—Mss. A 1 à 6, 30 à 33: Manron. Fº 124.—Ms. A 8: Marcion. Fº 112 vº.—Mss. A 15 à 17: Martron. Fº 125 vº.—Mss. A 18, 19: Mauion. Fº 126 vº.—Ms. B 6: Manton. Fº 267.

P. 92, l. 17: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 92, l. 25: quatre cens.—Ms. B 6: cinq cens. Fº 268.

P. 93, l. 20: cent.—Ms. B 6: soixante. Fº 268.

§ 234. P. 93, l. 29: Quant li contes.—Ms. d’Amiens: Apriès ce que li comtez Derbi eut fait se vollenté de Villefrance, il s’en ralla vers Miremont, en raprochant le chité de Bourdiaux, qui est ungs très fors castiaux et bien seant; si y fu trois jours 311 devant; au quatrimme il se rendi. Si le prist li comtez et le donna à un sien escuier que on clammoit Jehan de Bristo. Apriès il prist le castiel que on claimme Thonis, et apriès le fort castiel de Damassen, et puis se traist deviers le chité d’Anghouloime et l’asega, mès elle fu assés tost rendue; si y mist dedens grant fuisson de gens d’armes et d’archiers, pour le garder, avoecq les bourgois. Quant li comtez eut ordonné de le chité d’Anghouloime che que bon l’en sambla, il se traist par devant Blaves qui est une très forte ville et où la rivière de Garonne l’enclot par derière. Si y basti et mist le siège par devant. Et y sist un grant temps et y fist livrer tamaint assault, mès peu y concquist; car la ville estoit forte et bien garnie et pourveue de bonnes gens d’armez. Et par especial, il y avoit deux chevaliers de Poito, vaillans hommez durement, que li roys de Franche y avoit envoiiés, monseigneur Guichart d’Angle et monseigneur Bouchikau, qui le gardèrent et deffendirent si bien avoecq leurs compaignons que il n’y prissent nul dammaige. Fº 85 vº.

Ms. de Rome: Et puis s’en vinrent devant la ville de Blaves, laquelle pour lors estoit françoise, et sciet à sept lieuves l’aige de la Geronde de la cité priès de Bourdiaus, il n’i a que la rivière entre deus. Si bastirent là les Englois lor siège, et dissent que point ne s’en partiroient si l’auroient à lor volenté, se poisance de roi de France ne venoit si grande que il ne peuissent contrester à l’encontre. Tant furent les Englois devant Blaves que chil qui dedens estoient, se tanèrent, car il estoient asegiet par terre et par la rivière de la Geronde, laquelle bat et fiert as murs de la ville; si se tourna englesce, et se missent en l’obeisance dou roi d’Engleterre. Ensi eurent les Englois Blaves, dont il furent moult resjoy, car elle lor avoit porté moult de contraire et portoit encores tous les jours, jusques à tant que elle fu pour euls. Si i ordonna li contes Derbi, avant que il s’en partesist, bon chapitainne, gens d’armes et archiers pour le garder. Et puis ils et ses gens, petit à petit, rapasèrent as barges et à bastiaus la rivière de la Geronde et retournèrent à Bourdiaus, et là se tinrent et s’i rafresqirent. Et lor fu avis que, pour celle saison, il avoient assés fait, et se tenroient là, jusques à tant que il oroient aultres nouvelles. Si envoia li contes Derbi ses honmes par les garnisons, tant pour entendre as lieus remparer, que pour garder les frontières, et que nuls mauvais trettiés ne se fesist des villes et des castiaus que conquis avoient as François. Nous nos soufferons un petit à parler 312 de euls, et parlerons d’aultres avenues qui avinrent en France et en Flandre. Fº 102 vº.

P. 93, l. 30: Miremont.—Mss. A 15 à 17: Miraumont. Fº 126. Voir aussi Sup. var. (n.  d. t.)

P. 94, l. 1: voir Sup. var (n. d. t.)

P. 94, l. 4: Bristo.—Mss. A 7: Brisco. Fº 119.—Mss. A 15 à 17: Briston. Fº 126.

P. 94, l. 5: Garone.—Ms. B 6: Geronde. Fº 269.

P. 94, l. 6: Thonins.—Mss. A 1 à 9, 18 à 33: Thonis. Fº 124 vº.—Mss. A 11 à 14: Thours. Fº 119.—Mss. A 15 à 17: Channis. Fº 126.

P. 94, l. 6 et 7: Damasen.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: Damensi. Fº 124 vº.—Mss. A 20 à 22: Damancy. Fº 182.—Ms. B 6: Damasson en Angolesmois. Fº 269.

P. 94, l. 9: d’Angouloime.—Ms. B 6: Et ensy concqueroit le conte Derby en la basse Gascongne chités, villes et chastieaulx, et faisoit rendre à luy et mettre en l’obeysanche du roy d’Engleterre son signeur. Et se ne ly alloit nul au devant; car, ensy que vous savés, l’anée precedente tous les barons de Gascongne franchois avoient esté mort ou pris devant Auberoche: pour coy nulle recouveranche ne se povoit mettre sus ou pais des gentilz hommes, car encore estoient le plus prisonniers as Englès qui ne se povoient armer. Fº 269.

P. 94, l. 16: vingt quatre.—Ms. B 6: douze. Fº 270.

P. 94, l. 27: Blaives.—Mss. A 1 à 6, 20 à 29: Blanes, Blaines. Fº 124 vº.—Mss. A 7 à 14: Blaves. Fº 119.—Mss. A 18, 19: Bleves. Fº 127.—Mss. A 15 à 17: Blaives. Fº 126.

P. 94, l. 29: Guichart.—Mss. A 20 à 22: Richart. Fº 182 vº.

P. 94, l. 29: d’Angle.—Ms. A 8: d’Engle. Fº 119.

P. 95, l. 1: Rochewart.—Mss. A 1 à 6: Rouchechouart. Fº 124 vº.—Ms. A 7: Rochouart. Fº 119.—Ms. A 8: Richechouart. Fº 113 vº.—Mss. A 11 à 33: Rochechouart. Fº 119 vº.

P. 95, l. 3: Entrues.—Ms. B 6: Le siège pendant devant Blaves, le conte de Kenfort à tout deux cens lances s’en vint devant Mirabiel et courut le pays environ Ausnay et entra en Saintonge, et puis retourna en l’ost et amena grant proie. Fº 271.

P. 95, l. 9: Mirabiel.—Mss. A 1 à 6: Mirebel. Fº 124 vº.—Mss. A 7 à 33: Mirabel. Fº 119 vº.

P. 95, l. 10: Ausnay.—Mss. A 15 à 17: Aunoy. Fº 126 vº.—Mss. 313 A 20 à 22: Aulnay. Fº 182 vº.—Mss. A 23 à 29: Ansny. Fº 143.—Mss. A 30 à 33: Ausny. Fº 175.

§ 235. P. 95, l. 13: Ce siège pendant.—Ms. d’Amiens: Quant li seigneur d’Engleterre eurent là sis un grant tamps, et que li yviers les aprochoit, et que riens à Blaves ne faisoient, il se deslogièrent et vinrent devant un castel que on claimme Bourch desoubs Blaves, et l’assegièrent et y fissent pluisseurs assaux. En le fin tant l’assaillirent que il le prissent et le rappareillièrent bien et fort, et y missent dedens deux cens archiers pour le garder. Et en fissent castiellain un bon escuier que on apelloit Jen Dancastre. Et puis rappassèrent la Garone et s’en revinrent à Bourdiaux, che fu environ le Saint Michiel l’an mil trois cens quarante cinq.

Au voir dire, moult furent honnerables et pourfitables ces deux saisons pour le comte Derbi et ses gens. Et tant y gaegnièrent en pluisseurs mannierrez que li plus povre en furent riche. Et ne faisoient compte li varlet ne d’or ne d’argent, tant en estoient rempli. Yaux revenu à Bourdiaux, il se departirent, et en alla chacuns en se garnison. Et li comtez Derbi et messires Gautiers de Mauni se tinrent à Bourdiaux. Fº 85 vº.

P. 95, l. 18: obligiet.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22 ajoutent: au roy d’Angleterre. Fº 125.

P. 95, l. 27: Norvich.—Mss. A 8, 9: Morvich. Fº 113 vº.—Mss. A 20 à 22: Norwich. Fº 183.

P. 96, l. 16 à 23: Or... devant.—Cet alinéa manque dans les mss. A 23 à 33. Fº 143.

P. 96, l. 21 à 23: en celle... devant.—Mss. A 1 à 6: en celle mesme saison et année. Fº 125.—Ms. A 8: en celle meisme saison et année de devant. Fº 114.—Mss. A 11 à 14: en celle mesme année. Fº 119 vº.—Mss. A 7, 18 à 22: en celle meisme anée et la saison devant. Fº 119 vº.

P. 95 et 96: Ce siège... devant.—Le § 235 manque dans les mss. A 15 à 17. Fº 126 vº.

§ 236. P. 96, l. 24: En ce tamps.—Ms. d’Amiens: En celle saison eschei en le indination et haynne trop grandement dou roy Phelippe de Franche ungs grans banerès de Normendie et de grant linage, messire Ghodefroit de Harcourt. Et le couvint soudainnement wuidier et partir hors dou royaumme de Franche; 314 car se li roys l’ewist tenut, il n’en ewist nient fait mains qu’il fist faire dou seigneur de Clichon et des autrez qui furent decollet à Paris. Si se parti messires Godeffroix au plus tost qu’il peult, et s’en vint en Braibant où il avoit belle revenue; et si estoit li dus Jehans, ses cousins. Se le festia et le tint ung tamps dallés lui. En le fin, il se parti et s’en alla en Engleterre deviers le roy, qui le vit vollentiers et le retint tantost à une grant cantitet de gens et de chevaux, et li donna belle terre et bonne pour son estat et le fist de son consseil. Fº 86.

Ms. de Rome: En che temps et en celle meisme saison eschei en le indination et haine trop grandement dou roi de France, mesires Godefrois de Harcourt, li uns des grans barons de toute la Normendie, frères au conte de Harcourt et sires de Saint Saulveur le Visconte et de pluisseurs villes en Normendie. Et ne vous sçai pas à dire la cause pourquoi la haine vint, mais elle fu si grande que, se li rois de France l’euist tenu en son aïr, il l’euist fait morir honteusement. Et couvint le dit mesire Godefroi tapir et fuir et issir dou roiaulme de France. Et ala en Engleterre deviers le roi Edouwart, et se offri à lui et mist en obeisance, ensi conme messires Robers d’Artois avoit fait jadis, ne nuls ne li pot onques faire sa paix. Li rois d’Engleterre le rechut et le retint dalés lui, et li donna assés pour tenir son estat. Fº 102 vº.

P. 96, l. 28: Harcourt.—Mss. A 11 à 14: par l’ennortement du sire de Saint Sauveur le Viconte et de plusieurs seigneurs de Normendie. Fº 120.

P. 96, l. 29: Saint Salveur.—Mss. A 1 à 33: Saint Sauveur. Fº 125.

P. 97, l. 1: et tout par amise et par envie.—Mss. A 11 à 14, 18 à 33: tout par envie. Fº 120.—Mss. A 15 à 17: par mauvaise envie. Fº 126 vº.

P. 97, l. 10 et 15: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 97, l. 16 et 17: mès avoit... pourfis.—Mss. A 11 à 14: car le roy avoit saisi toute la terre que le dit messire Geoffroy tenoit en la terre de Constentin et en faisoit lever les prouffiz. Fº 120.

P. 97, l. 16: toute sa terre.—Mss. A 20 à 22: toutes ses terres. Fº 183 vº.

P. 97, l. 20: priier.—Ms. B 6: Quant il eut là esté ung terme dalés le duc son cousin, qui recheu l’avoit moult liement, il prist congiet et vint en Flandres; et entra en mer à l’Escluse, et fist tant qu’il vint en Engleterre devers le roy qui lui fist grant 315 feste. Messires Godeffrois s’acointa si bien du roy que le roy le retint de son ostel et de son consail pour l’un des especiaulx, et lui donna cinq cens mars de rente par an assigné moult bien en Engleterre. Fº 272.

§ 237. P. 97, l. 25: En ce temps.—Ms. d’Amiens: Or parlerons ung petit dou roy d’Engleterre et de Jaquemon d’Artevelle, qui gouvrena bien par l’espasse de neuf ans les Flammens; et en fu, ensi que vous avés chydessus oy, si souverains que il y a eu en Flandrez peu de comtez qui mieux aient eut les Flammens en leur vollenté de lui tant qu’il dura. Chilx d’Artevelle estoit durement bien dou roy d’Engleterre. Et le tenoit li roys mout à amour pour le grant prouffit que il en atendoit, car d’Artevelle li proumetoit que il le feroit seigneur de Flandrez et le donroit à son aisnet fil, et en feroit on une ducé. Et sus ceste entension li roys englèz avoit fait ung grant appareil de nés et de vaissiaux sus le Tamise, et mandéz grant fuisson de barons et de chevaliers de son pays; et s’en devoit venir jeuuer en Flandrez et y devoit amener son fil le jone prinche de Gallez, et estoit jà meus, quant les nouvellez li vinrent que chil de Gand, par leur outraige, avoient tuet che d’Artevelle, son grant amit. Fº 85 vº.

Ms. de Rome: En ce temps resgnoit encores ou pais de Flandres, en grande prosperité et poissance, chils bourgois de Gand, Jacquemes d’Artevelle, liquels tenoit à amour le roi d’Engleterre, ce que il pooit, car tous jours se doubtoit il des Flamens, car il les sentoit muables. A considerer raison, il acquist le povre conclusion que il ot, ensi que je vous dirai. Il voloit de tous poins deshireter de la conté de Flandres le conte Lois l’escachiet et Lois de Male, son fil, et voloit le roi d’Engleterre metre en l’iretage de Flandres. Et disoit chils Jaquemes d’Artevelle que on feroit de Flandres une ducé, et en seroit dus li princes de Galles. Et sus cel estat en ce temps, il fist venir le roi d’Engleterre, son chier compère, à l’Escluse; et qant li rois fu là venus, point n’issi de ses vassiaus. Les bonnes villes de Flandres, c’est à entendre les consauls, l’alèrent veoir à l’Escluse et conjoir, et li offrirent tout le pais ouviert à li et à ses gens à son conmandement; et li priièrent que il vosist venir à Bruges et à Gaind, et que partout on li feroit bonne chière. Li rois, en euls remerchiant, respondi à ce moult doucement et dist que, pour l’heure, il n’estoit point venus pour descendre à terre. A toutes ces paroles estoit chils Jaquemes d’Artevelle.

316 Assés tos apriès, se fist uns parlemens ens ou vassiel dou roi, qui estoit moult grans et moult biaus, que on nonmoit Cristofle, et furent là tous les consauls des bonnes villes de Flandres. Là promeut Jaquemes d’Artevelle les paroles desus dittes et remoustra par pluisseurs raisons, aournées de biaus langage, que cose utille estoit de recevoir le prince de Galles à signeur, et que de Flandres on feroit une ducée, et se tenroit li dis dus et princes ou pais et gouvreneroit la terre et le pais de Flandre en tous bons usages, et tenroit justice et raison à tout honme; et prioit Jaques d’Artevelle que de ce, les bonnes villes qui là estoient se vosissent consillier et faire ent response. Adonc regardèrent il tous li uns l’autre, et ne sceurent que dire. Toutes fois il demandèrent consel de parler ensamble; on lor donna. Il parlèrent tout à un, et fu la response telle: «Jaquemes, nous avons bien oï ce que vous avés dit; et qant nous venimes ichi, nous ne savions pas que vous nous deuissiés aparler de ceste matère, et nous est assés nouvelle. Et nous ne poons pas faire cechi de nous tant seullement: il couvient que tous li pais de Flandres s’i asente; et qant là sera venu, que on voie et congnoise les rebelles qui à ce ne se vodront acorder, et que il soient bani publiquement et perdent ce que ou pais de Flandres à present il i tiennent, sans esperance de jamais ravoir, ne i retourner. Ensi se pora faire chils hiretages segurement, car, tant que avons qui chi sonmes, nous volons bien à signeur, puis que il est à ce promeus, le prinche de Galles, sauf et reservé les conditions desus dittes.» Ceste response souffi très grandement au roi et à son consel; mais il fu demandé as bonnes villes de Flandres qui avoient respondu, qant li rois se poroit certefiier de la response. Euls par acord prissent un mois de jour; on lor donna. Et disnèrent avoecques le roi en son vassiel meismes, et puis se departirent et retournèrent, casquns sus son lieu, les auquns tous abus et courouchiés de ces nouvelletés que il avoient oy, quoi que il euissent respondu à la plaisance dou roi et de d’Artevelle. Et leur sambloit dure cose et estragne de deshireter lor signeur; et se il faisoient ce, à tousjours mès il seroient tenu et reputé pour traittes et infames. Nequedent, d’Artevelle estoit tant doubtés et cremeus ou pais de Flandres que, au fort, nuls ne l’euist osé courouchier, ne desdire de ses volentés. Encores demora Jaques d’Artevelle dalés le roi sus sa navie à l’Escluse, depuis que li aultre furent parti.

Or montèrent grandes murmurations parmi la conté de Flandres, 317 qant les nouvelles s’espardirent que Jaquemes d’Artevelle avoit jeté sa visée à ce que li princes de Gales seroit sires de Flandres, et que on en feroit une ducée. Li auqun disoient, qui amoient le roi d’Engleterre: «Ce sera bien fait.» Et li aultre disoient le contraire, et que ce seroit damages, blames et traison trop grande à deshireter son signeur. Et en avoient les bonnes gens pité, et plus pour la cause dou fil, le conte Lois de Male, que il n’euissent pour le père, car ils lor avoit esté crueuls, hausters, durs et mervilleus. Et pour tels causes l’avoient ils bouté hors de Flandres, mais ils gardoient Lois, le jone fils, et disoient que il le nouriroient à lor manière, et seroit mieuls abuvrés de conditions flamenges que son père n’euist esté. Li dus Jehans de Braibant, pour le temps d’adonc, avoit une jone fille à marier, si ques conme sages et imaginatis que il fu et moult soubtieus, il avoit jetté sa visée à che que uns mariages seroit trop bien pris et fais de sa fille et dou fil le conte de Flandres. Et le concordoit assés le conte de Flandres, mais il n’estoit pas sires ne mestres de son fil: ançois le tenoient et gardoient li Flamenc, et le nourissoient sus bonnes gardes, et ne le laissoient point issir de la ville de Gant. Li dus de Braibant consideroit bien les coses à venir, et conment Jaquemes d’Artevelle pour ces jours estoit si grans en Flandres que par lui estoit tout fait, et sans lui n’estoit riens fait; et fu enfourmés de ces nouvelles conment li rois d’Engleterre estoit à l’Escluse et gissoit là à l’ancre, et procuroit, et Jaquemes d’Artevelle pour lui, que ses fils, li princes de Galles, fust dus de Flandres. Si se doubta li dis dus de Braibant que toutes cez coses n’avenissent, qui trop legierement pooient avenir, et avisa que il i meteroit un tel touel que il romperoit et briseroit tout.

Et c’est ce qui avint en la ville de Gant, les jours courans que li rois d’Engleterre se tenoit en sa navie devant l’Escluse, et atendoit la response de ceuls dou pais de Flandres. Une disension s’esmut très grande en la ville de Gant, des tisserans de draps à l’encontre de Jaqueme d’Artevelle, et tout par le promotion et esquoel de lor doiien qui se nonmoit Tomas Denis. Et voelt on bien dire que li dus de Braibant fu cause de ceste aventure, car chil tisserant, par l’information de lor doiien, vinrent un jour plus de quatre cens devant l’ostel d’Artevelle, et l’environnèrent devant et derrière, et moustrèrent que de force il voloient entrer dedens. Quant les varlès de ce d’Artevelle les veirent ensi 318 venus, si furent tout esmervilliet que il demandoient, car il n’avoient point acoustumé que chil de Gand, ne aultres gens venissent ensi de fait et en cel estat parler à lor mestre et voloir efforchier la maison. Si conmenchièrent à parler rudement à euls et voloir metre hors à force, mais il ne peurent; avant furent batu et vilené et blecié. Jaques d’Artevelle estoit enclos en sa cambre, et avoit oy la grignour partie des paroles et dou hustin. Si vint à une fenestre qui regardoit sus une rue où toutes ces gens estoient asamblé; se lor demanda: «Bonnes gens, quel cose vous fault? Pourquoi estes vous si esmeus?» Il respondirent: «Nous volons parler à vous. Venés çà jus.» Donc respondi Jaques et dist: «Et se je estoie là, que voriiés vous dire?»—«Nous volons que tu nous rendes compte dou grant tresor de Flandres, que tu as eu et levé, depuis sept ans, à ta volenté, et nous di quel cose tu en as fait, ne où tu l’a[s] mis.» Donc respondi Jaquemes d’Artevelle, qui bien considera que les coses aloient diversement et hors des rieulles acoustumés, aultrement que il ne soloient estre, et les quida apaisier de douces paroles et dist: «Bonnes gens, retraiiés vous casquns en son hostel, et dedens trois jours je vous appellerai et serai pourveus de vous rendre si bon compte, que vous en serés tout conteut.» Il respondirent de une vois: «Nous ne volons point tant atendre, mès vieng hors de ton hostel compter à nous,» Jaquemes d’Artevelle considera bien tantos que les coses aloient mal, et que il estoit en peril de sa vie; si dist: «Signeur, signeur, tenés vous là, je irai tantos parler à vous.» A ces mos il se tinrent tout quoi, et il issi hors de sa cambre et vint viers son estable et ses cevaus, et quida monter sus et partir par derrière et aler sa voie, mais il ne pot, car l’ostel estoit si environnés de tous lés que tantos il fu aperceus et veus quel cose il voloit faire; et fu acusés de ceuls qui gardoient l’uis à ceuls qui estoient à la porte devant. Donc s’esleva grans tumultes entre iaus, et rompirent de force les huis et passèrent tout oultre, et vinrent en l’estable et trouvèrent Jaquemon d’Artevelle qui s’ordonnoit pour monter et aler sa voie. Tantos de fait il l’asallirent; et li donna chils Thomas Denis, li doiiens des tisserans, le premier cop de une hace, en la teste, par quoi il l’abati. Se li avoit Jaques d’Artevelle fait pluisseurs biens, et l’avoit mis en l’office dou doiainné des telliers, et si estoit son compère. Nequedent, toutes ces coses et afinités furent oubliies et misses arrière. Et fu là ochis Jaques d’Artevelle mescanment, qui tant avoit eu d’estat, 319 d’onnour et de prosperités en Flandres; ne on ne trouva onques en Gant honme ne justice qui en vosist prendre ne lever amende. Ensi vont les fortunes de ce monde; ne nuls ne se puet ne doit confiier, se sages est, trop grandement ens ès prosperités de ce monde. Fos 103 et 104.

P. 98, l. 16: preeçoit.—Les mss. A 1 à 33 ajoutent: sa querelle. Fº 125 vº.

P. 98, l. 18 à 23: d’Engleterre... et dit ensi.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: en lui donnant en mariage la fille du conte Loys de Flandres, en faisant de la conté duchié, dont les Flamens avoient respondu d’un commun accort et dit ainsi. Fº 125 vº.—Mss. A 20 à 22: pour adheriter le filz au roy d’Angleterre. Si luy respondirent tous d’un commun accord. Fº 184. Voir aussi Sup. var. (n. d. t.)

P. 99, 100, 101, 102: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 103, l. 4: teliers.—Ms. A 8: cellier. Fº 115 vº.—Mss. A 15 à 17: sellier. Fº 128.

P. 103, l. 6: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 238. P. 103, l. 17: Quant li rois.—Ms. d’Amiens: De quoy li roys fu si courouchiés et si mautalentis sus les Flammens que il lez volloit gueriier; et leur manda que le mort de son compère d’Artevelle et qui si sagement les avoit gouvrennés, il leur feroit comparer chierement. Et retourna li roys à Londrez et n’ala adonc plus avant. Chil de Bruges, d’Ippre, de Courtray, de Popringhe et dez autrez bonnez villez de Flandrez se doubtèrent durement dou roy englèz que il ne leur fesist contraire pour la mort d’Artevelle. Si se vinrent à lui escuzer, et li dissent que de sa mort il n’estoient en rienz coupablez, et que, quant il li plairoit, il le feroient amender chyaux de Gand tellement que bien deveroit souffire, et que jà pour ce il n’en seroit le mains fors en Flandrez, ne li comtez plus avanchiéz, mais li tenroient tous lez couvens et proummesses que juret li avoient. Par ensi se rappaissa ung peu li roys d’Engleterre, et mist en nuncalloir le mort Jaquemon d’Artevelle, et depuis tint à amour grandement lez Flammens. Fº 85 vº.

Ms. de Rome: Qant li rois d’Engleterre, qui se tenoit à l’Escluse en sa navie et estoit tenus tout le temps, attendans la response des consauls des bonnes villes de Flandres, entendi que chil de Gant avoient ocis Jaquemon d’Artevelle, son grant amic et son chier compère, vous poés bien croire et sçavoir que il fu courouciés et sautmoutonnés oultre mesure. Et fist tantos desancrer sa navie et tirer les voilles amont, et se departi de devant 320 l’Escluse; et rentra en mer en maneçant grandement les Flamens. Et dist et jura que jamais il n’entenderoit à aultre cose, si lor aueroit si remoustré acertes que il lor en souvenroit à tous jours mais, et retourna arrière en Engleterre. Qant les nouvelles furent esparses parmi le pais et les bonnes villes de Flandres que d’Artevelle estoit mors, et que chil de Gant l’avoient ocis, si en furent li pluisseur moult tourblé pour le pourfit conmun dou pais de Flandres, et imaginèrent que li rois d’Engleterre, outre mesure, seroit moult courouciés, et que li pais de Flandres le poroit bien trop cierement comparer; si regardèrent que generaument il s’envoieroient escuser, ensi que il fissent. Et passèrent douse honmes notables oultre en Engleterre, et fissent tant parmi un bon moiien que il trouvèrent ou consel dou roi, que li rois s’apaisa et mist en oubli d’Artevelle, car il fu ensi dit au roi: «Sire, vous n’avés que faire de gerriier pour ce d’Artevelle. Vous avés gerre assés aillours. Soufisse vous, qant les bonnes villes de Flandres s’esqusent et voellent demorer avoecques vous en vostre gerre; car se il vous clooient les pas en Flandres et les entrées, vous en seriés plus foibles et aueriés plus d’ennemis, et remanderoient tantos le conte de Flandres et le remeteroient ou pais, et ensi aueriés vous perdu tout ce que vous avés mis en Flandres à conquerir l’amour des Flamens jusques à chi; pour tant vous fault oubliier d’Artevelle et refaire un nouvel. Et encores i a un point qui i fait grandement à considerer pour vous. Les Flamens gardent et tiennent dalés euls moult priès Lois, le fil dou conte, qui vendra tout à point au mariage de Issabiel, vostre fille. Ensi demorra tous jours li pais de Flandres à vos enfans. Si les tenés à amour, ce que vous poés, car il vous besongne.» Li rois d’Engleterre entendi bien à toutes ces paroles et les considera, et persevera sus, et fist bonne chière à ces douse bourgois que li pais de Flandres avoit là envoiiés, et les tint bien pour esqusés; et retournèrent à joie en Flandres, et demora li pais en paix. D’Artevelle fu oubliiés; li rois d’Engleterre tint à amour les Flamens et ne lor osta nulles des grasces faites ne données en devant, mais les amplia tous jours en bien pour euls tant que il... cause dou retraire, ensi que vous orés recorder avant en l’istore. Fº 104.

P. 104, l. 2 et 15: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 104, l. 14: c’estoient cil.—Ms. A 7: c’estoit cilz. Fº 121 vº.

P. 104, l. 14: c’estoient... euissent.—Ms. A 18, 19, 11 321 à 14, 23 à 33: c’estoit cellui que (mss. A 11 à 14, 23 à 33: qui) deffendu et gardé en eussent. Fº 130.

P. 105, l. 3: puisnée.—Mss. A 18 à 22: puis Noel. Fº 130.

§ 239. P. 105, l. 16: En ce temps.—Ms. d’Amiens: Pour ce que ens ou coummenchement de mon livre j’ay parlé dou comte Guillaume de Haynnau, fil au comte qui trespassa à Valenchiennes et là gist, et que on sace dou tamps à venir qu’il devint, je vous en feray mention. Voirs est que chil comtes fu ungs chevaliers de grant corage, hardis et entreprendans; mais peu dura, dont che fu dammaigez pour son pays et pour ses amis. Avint que, en celle saison que on compta l’an mil trois cens quarante cinq, il sist devant Utrec et constraindisi le ville et chiaux de dedens que il les eult à se vollenté. Assés tost apriès, il fist une grant assamblée de chevaliers et d’escuiers de son pays de Haynnau et de Hollande, et s’en alla en Frise guerier les Frisons. Si y eut une journée trop fortunée contre lui, car il y perdi grant fuisson de bonne bachelerie, chevaliers et escuiers, de ses pays, et il meymmes y demoura. Et là fu messires Jehans de Haynnau en grant peril et en grant aventure, et y ewist estet adonc mors et sanz remède, se n’ewist estet Robers de Glennes, uns siens escuiers, qui fu depuis chevaliers. Chilz Robers le prist entre ses bras et le porta en le mer bien avant et le jetta en ung batiel, et depuis le remist en une plus grosse nef et fist tant que li gentilz chevaliers fu sauvéz. Fº 85 vº.

Ms. de Rome: En ce temps, en celle meisme saison que on compta en l’an de grasce mil trois cens et quarante cinq, seoit li contes Guillaumes de Hainnau, de Hollandes et de Zellandes et sires de Frice, devant la chité de Utrec; et tant i sist que il le mist à raison et en ot en partie ses volentés. Tantos apriès, li dis contes, qui fu moult entreprendans, fist une asamblée et une priière de gentils honmes assés grande pour aler en Frise, car li Frison, pour lors, ne voloient, par lor orguel et presomption, obeir au conte de Hainnau. Et pour euls met[t]re à raison, li dis contes fist sa carge à Doudresc, en Hollandes, de naves, de barges et de vassiaus, et se departi de belle marée et de bon vent et à grant chevalerie de Hainnau, de Hollandes, de Flandres, de Braibant, de Gerlles, de Jullers, de Namur et de Hasbaing. Et s’adreça ceste navie viers Frise et une ville et abbeie que on apelle Stales. Li Frison estoient segnefiiet de la venue dou conte et de 322 ses gens, si ques pour euls requellier, il s’estoient grandement fortefiiet à l’encontre dou dit conte et de sa venue, et mis ensamble priès que tous li pais. Chils contes qui fu de grande volenté, hardis et entreprendans oultre mesure, et pour lors en la flour de sa jonèce, et qui petit amiroit et prisoit la poissance des Frisons contre la sienne, prist terre assés priès de Stales, de sa volenté et sans atendre mesire Jehan de Hainnau, son oncle, liquels avoit bonne chevalerie avoecques lui. Li Frison atendirent trop bien que li contes et ses gens, ce que pour lors en avoit en sa compagnie, euissent pris terre; et qant il furent oultre, tout consideré, il n’estoient que une puignie de gens ens ou regart des Frisons. Nonobstant tout ce, li contes les ala assaliir, et aussi fissent ses gens. Et là ot grant bataille et dure et fort combatue; mais li Frison estoient, à parler par raison, vingt contre un. Si tourna li mesciés sus le conte et ses gens, et furent là tout ocis, mais moult lor cousta de lors honmes. Petit s’en sauvèrent en la navie, se ce ne furent varlès, car encores avoit li contes fait une ordenance, afin que ses gens ne pensaissent au requler et trouver la navie apparillie, et conmandé as navieurs sus la teste que nuls ne traisist avant, mais rentraissent en la mer. Par ce point perdirent moult li Hainnuier, et furent tout mort chil qui avoecques le dit conte avoient pris terre. Messires Jehans de Hainnau et sa carge prissent terre d’aultre part; et se li contes euist creu son oncle, la besongne fust aultrement tournée que elle ne fist, et pour ce que point ne le crei, il l’en mescei, dont ce fu damages et pités pour tous ses pais.

Les nouvelles vinrent presentement à mesire Jehan de Hainnau, et estoit sus terre des Frisons, que son cousin li contes estoit perdus. Ils qui fu de ces nouvelles tous foursenés, parellement se voloit aler perdre; mais ses gens le prissent à force et l’enportèrent à sa navie, ensi que tout maugret li. Et l’encarga, à force de bras, uns siens esquier, fors homs durement, qui se nonmoit Robers de Ghines, et le mist au vassiel. Encores i ot là grant peril pour les Hainnuiers et grant hustin au rentrer ens ès vassiaus, car li Frison, ensi que tout foursené, entroient en la mer, li pluisseur jusques à la boudine, et venoient en cel estat combatre les Hainnuiers; et en ocirent et noiièrent auquns, et retinrent des barges et des hoquebos qui furent peri et perdu et chil qui dedens estoient. Et fu ceste bataille environ le Saint Luch, l’an mil trois cens quarante cinq.

323 Et demorèrent li Frison en paix par celle desconfiture jusques en l’an de grace mil trois cens quatre vingt et seize, que uns jones homs qui se nonma Guillaumes, fils ainnés au duch Aubert, conte de Hainnau, de Hollandes et de Zellandes, et ce Guillaume desus dit nonmet conte de Ostrevant, vivant son père, et gouvrenères de tout le pais de Hainnau, emprist le voiage à faire à tout bonne chevalerie de Hainnau et de Hollandes, de France et d’Engleterre, et ariva en Frise et desconfi les Frisons sus une marce que on dist le Viés Clostre. Et depuis i retournèrent li contes d’Ostrevant et li Hainnuier et Hollandois par pluisseurs fois, au damage et confusion des Frisons et de lor pais. Et contrevenga grandement chils contes d’Ostrevant nonmé Guillaumes, la mort de son grant oncle le conte Guillaume de Hainnau, et fu plus avant en Frise en son temps que nuls sires en devant euist esté, ensi que il vous sera compté et esclarci ensievant en l’istore, se je Froissars, actères et cronisières de ces croniques, puis avoir le temps, l’espace et le loisir dou faire, et que je m’en puisse veoir justement enfourmés.

Qant mesires Jehans de Hainnau fu retournés en Hainnau et chil qui revenu et escapé estoient de Frise en sa compagnie, onques depuis il n’orent parfaite joie, car trop de priès lor touça la mort dou gentil conte le signeur dessus dit, et par especial à un gentil chevalier qui se nonma messires Henris de Huffalise, et vosist bien estre demorés en Frise avoecques son signeur, ce disoit il. Fos 104 vº et 105.

P. 105, l. 19: d’Uttré.—Mss. A 1 à 6, 18, 19: du Tret. Fº 127 vº.—Ms. A 7: d’Uttré. Fº 122.—Ms. A 8: de Duttré. Fº 116.—Mss. A 11 à 14: du Trez. Fº 122.—Mss. A 15 à 17: de Dourdrech. Fº 128 vº.—Mss. A 20 à 22: d’Utrect. Fº 186 vº.—Mss. A 23 à 29: d’Utrech. Fº 146 vº.—Mss. A 30 à 33: du Tresche, du Trecht. Fº 177.

P. 105, l. 28: Dourdresch.—Mss. A 20 à 22: d’Utrect. Fº 186 vº.—Mss. A 1 à 6, 8, 18, 19: Dourdrech. Fº 127 vº.—Mss. A 23 à 29: Dordrech. Fº 146 vº.—Mss. A 30 à 33: Dourdrecht. Fº 177.

P. 106, l. 9: les ames.—Ms. B 6: Sy prist terre en une place à tout grant foison de nobles chevaliers et escuiers, où bien soixante mille Frison l’atendoient, qui le combatirent ossi tos que il ot pris terre. Et là eult grant foison de Frison mors; mais Haynuier y furent desconfis et le conte mors, et 324 [de] tous les nobles qui avec lui estoient petit s’en sauva. Fº 273.

P. 106, l. 10: priès.—Mss. A 18 à 22: à pou près. Fº 130 vº.

P. 106, l. 10: Et y fu priès demorés.—Mss. A 1 à 6: Et n’y demoura mie. Fº 128.—Mss. A 11 à 14: Si s’en revint arrière. Fº 122.

P. 106, l. 10 à 12: Et y fu... ou pays.—Mss. A 23 à 33: Messire Jehan de Haynau n’arriva pas ou pais. Fº 146 vº.

P. 106, l. 14: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 106, l. 17: Glennes.—Mss. A 15 à 17: Glannes. Fº 129.—Mss. A 23 à 33: Glunes. Fº 147.

P. 106, l. 17 et 18: qui estoit... legiers.—Mss. A 1 à 6: qui estoit adonc pour son corps fort et legier. Fº 128.—Mss. A 20 à 22: qui estoit adonques de son corps fort et legier. Fº 187.—Mss. A 23 à 33: adonc escuier de son corps. Fº 147.

P. 106, l. 21: Gertrud.—Mss. A 18, 19: Geltrud. Fº 130 vº.

P. 106, l. 23: conte.—Les mss. A 20 à 22 ajoutent: et l’appelloit on. Fº 187.

P. 106, l. 27: Binch.—Mss. A 18, 19: du Binch. Fº 130 vº.—Mss. A 20 à 22: Bins. Fº 187.

§ 240. P. 107, l. 10: Assés tost.—Ms. d’Amiens: Assés tost apriès se revenue et que il estoit baux et gouvrenèrez de le comté de Haynnau jusquez à tant que sa nièche madamme Margheritte, roynne à ce donc d’Allemaigne, y fu descendue, li roys de Franche qui mout desiroit que li gentilz chevaliers monseigneur Jehan de Hainnau fuist de son accord, fist tretier vers li le comte de Blois, qui avoit sa fille et dont elle avoit jà troix filz, et ossi monseigneur Charlon de Blois qui s’appelloit adonc ducs de Bretaingne, et pluisseurs autres seigneurs de Franche qui avoient faveur et amour à lui. Et par especial li sirez de Faignuellez, qui estoit des chevaliers li plus secrèz et especial de son consseil, y rendi grant painne. Trop à envis devenoit li jentilz chevaliers françois, car il avoit le fleur de se jonesse usée et aleuée ou service le roy englèz. Et li avoit li dis roys fait moult de prouffis et donnet grant penssion; mès pour retraire le chevalier de l’amour et dou service le roy englès, on l’emfourma que on ne li volloit plus paiier ses pencions en Engleterre. Che fu li princhipaux cause qui li donna voie, matère et escuzanche de renunchier au service dou roy d’Engleterre, et de venir ou service le roy de 325 France qui en eut grant joie, et il eut droit; car il eut l’ayde, le consseil et le service d’un sage et vaillant chevalier et qui sagement resgna tant qu’il vesqui; si ques d’ores en avant ens ès arméez et chevauchiez dou roy de Franche nous le trouverons: si en parlerons quant il en appertenra à parler.

Or revenrons as guerrez de Gascoingne et à le grosse chevaucie que li dus de Normendie y fist, ainnéz filz dou roy de Franche, et coumment il reconquist sus lez Englèz pluisseurs villez et castiaux, et coumment il assiega le fort castiel d’Aguillon. Fº 86.

Ms. de Rome: Vous savés que li contes Lois de Blois, sires d’Avesne et dou Louvion, avoit à fenme et à espouse la fille à mesire Jehan de Hainnau, qui tous jours s’estoit armés pour la partie dou roi d’Engleterre, et avoit de celle dame trois fils, Lois, Jehan et Gui. Par le moiien de ce conte de Blois et aultres chevaliers qui s’en ensonniièrent, li sires de Fagnuelles et li sires de Barbençon et li sires de Senselles et messires Wallerans de Lini plus que nuls, li rois Phelippes de France fist traitiier deviers mesire Jehan de Hainnau, pour li tourner François. Envis relenqisoit pour son honnour li dis chevaliers le roi d’Engleterre, car il l’avoit trouvé bon et courtois, et paiement apparilliet. D’autre part, il veoit que si heritier, les enfans dou conte de Blois, seroient de tous poins François, et que lors pères, li contes de Blois, estoit neveus dou roi Phelippe et dou conte d’Alençon. Si considera toutes ces coses et plus le temps à venir que le temps present, si ques, par les raisons desus dittes, il renvoia son honmage au roi d’Engleterre et devint homs au roi de France. Et li rois de France li restitua et donna otretant et plus que sa pension par an montoit, qui li venoit d’Engleterre, et fu asignés sus la terre de Vellis, et là paiiés d’an en an tant que il vesqui. Nous nos soufferons à parler de ces coses, et retournerons as besongnes de Gascongne. Fº 105.

P. 107, l. 20: trois.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: trois ou quatre. Fº 128 vº.

P. 107, l. 22: le signeur.—Mss. A 15 à 17: ou seigneur. Fº 129.—Mss. A 20 à 22: au seigneur. Fº 187.—Mss. A 23 à 29: par le seigneur. Fº 147.

§ 241. P. 108, l. 11: Bien estoit infourmés.—Ms. d’Amiens: Bien estoit enfourmés li roys Phelippez dez cevauciez que li comtez Derbi avoit fettez ens ou pays de Gascoingne, et coumment 326 il avoit pris villez, chitéz et castiaux, et le pays durement toullé et apovri. Si en estoit moult courouchiéz; et avoit fet ung très grant et especial mandement que tout noble et non noble, dont on se pooit aidier en bataille, fuissent à Paris: ce fu environ le Toussains, l’an mil trois cens quarante cinq. Si y vinrent au mandement dou roy, signeur et gens d’armes, de tous lés: premierement, li dus Oedes de Bourgoingne et messires Phelippes de Bourgoingne, ses filx, et avoient en leur routte cinq cens chevaliers et escuiers, et estoient bien trois mil chevaux; ossi messires Loeis, comtez de Foriès, en grant routte, li dus de Bourbon à grant gent, li daufins d’Auvergne, ossi li comtez de Bouloigne, li comtez de Roussi, li comtez de Porsiien, li sires de Couchi, li sires d’Aufemont et de Nielle, et tant de baronnie et de chevalerie que ce seroit uns detris dou compter. Et passoient tout chil seigneur, à fet qu’il venoient, oultre en allant le grant chemin de Toulouse. Si se parti li dus de Normendie dou roy son père à grant gent, et passa parmy Orliiens et puis parmy le Berri et puis l’Auvergne; et fist tant par sez journées qu’il vint à Toulouse, où il fu recheu à grant joie, car moult y estoit desiréz. Quant li dus de Normendie fu venus à Thoulouse, de rechief il fist ung grant mandement en le Lange d’Oc. Et vinrent en brief jours o toutte leur puissance li comtez de Nerbonne, li comtez d’Uzès, li senescaux de Biaucaire, li senescaux de Rohège, li senescaux de Quersin et pluisseur grant baron et chevalier de Gascoingne qui s’estoient acquités de leurs raenchons et de leur prise d’Auberoche. Si estoient en grant desir de reconcquerir sus les Englèz che qu’il avoient perdu. Li dus de Normendie tint en Thoulouse se feste dou Noel, des Estrinnez et des Roys. Et toudis li croissoient gens, car encorres li revinrent li comtez de Ghinnez, connestablez de Franche, et li comtez de Tamkarville et li comtez de Danmartin, et amenèrent de leur routte bien trois mil combatans. Fº 86.

Ms. de Rome: Bien estoit enfourmés li rois Phelippes de France des cevauchies et conquès que li contes Derbi, ses cousins, avoit fait ou desus dit pais de Gascongne, et des prises et rendages, chités, villes et chastiaus, et le pais durement foulé et apovri. Et fu consilliés à ce que on i pourveroit. Si fist faire un très grant mandement de gens d’armes à estre, les Normans, les François, et les Piqars en la chité d’Orliiens, et là faire lor moustre à un jour qui nonmés i fu, et les Lorrains, Barrois et Bourghignons 327 à Lions sus le Rosne, et les Prouvenciaus et ceux de la Lange d’Oc à estre à Montpellier; et institua de toutes ces gens d’armes estre souverains son fil le dus de Normendie. Et mist li dis rois Phelippes en sa compagnie le duc Oede de Bourgongne et mesire Phelippe de Bourgongne son fil, le duch de Bourbon, mesire Jaqueme de Bourbon, [le] conte d’Eu, le conte daufin d’Auvergne, le conte de Forois, le conte de Vendome, le conte d’Auçoire, le conte de Sansoirre, le signeur de Chastellon et grant fuisson de barons et de chevaliers de tous pais. Et qant ces gens se furent tous remis ensamble, il se trouvèrent siis mille honmes d’armes et quarante mille d’autres honmes as lances et as pavais, les quels on nonme pour le temps present gros varlès. Et furent tout environ le Noel l’an desus dit en la chité de Toulouse, et là tint li dus de Normendie sa feste. Fº 105 vº.

P. 109, l. 6: Tankarville.—Mss. A 18, 19: Tanquerville. Fº 130.

P. 109, l. 11: de Roie.—Le ms. B 6 ajoute: et le senescal de Bieaucaire, le senescal de Carquasonne, le senescal de Roergue, le senescal de Quersin, le senescal de Limosin, le senescal d’Aghinois, le senescal de Bigorre. Fº 275.

P. 109. l. 15: Quersin.—Mss. A 1 à 7, 15 à 33: Caoursin. Fº 129.—Mss. A 11 à 14: Omersin. Fº 123.

P. 109, l. 20: Rodais.—Mss. A 15 à 17: Roddais. Fº 129 vº.

§ 242. P. 109, l. 29: Tantost apriès.—Ms. d’Amiens: Tantost apriès l’Apparition des Roys, li dus de Normendie se parti de Toulouse o touttes sez hos; et fist devant chevauchier ses marescaux, le seigneur de Montmorensi et le seigneur de Saint Venant. Si se traissent premierement devant le fort chastiel de Miremont que li Englèz avoient concquis en celle saison; si l’asaillirent fortement et durement. Il y avoit dedens environ cent Englèz et une cappittainne, très bon escuier, que on appelloit Jehan de Bristo. Chilx avoec sez compaignons le deffendi tant qu’il peut; mais en le fin, il ne peurent durer as Franchois. Et fu li castiaux de Miremont pris par assaut, et tout li Englès ochis et meimmez Jehans de Bristo, et encorrez pluisseurs gens de le nation de le ville. Apriès il s’en vinrent devant celle grosse ville et forte de Villefranche, que li Englès avoient bien garnie et bien pourveue, et l’assaillirent fortement, et y furent quatre jours. Au cinquimme, il le prissent par assaut et par force, et ochirent bien deus cens 328 archiers englès qu’il y trouvèrent. Et y fu li cappittainne tellement navréz qu’il morut de le navreure. Si fu la ville de Villefranche toutte courue et toutte robée, et y trouvèrent grant avoir que li Englèz y avoient assamblé. Si l’ardirent et essillièrent toutte ains leur departement, mès il laissièrent le castiel tout enthier et sans garde, dont depuis mout se repentirent; puis se traissent par devant le cité d’Angouloime et l’assegièrent tout autour, car li estoient tant de gens que bien le pooient faire. Dedens avoit grant garnisson de par lez Englèz et un escuyer qui s’appelloit Jehans de Noruwich, appert homme durement. Fº 86.

Ms. de Rome: Et avant que li dus de Normendie se departesist de Toulouse, li revinrent grans gens d’armes que li connestables de France, li contes d’Eu et de Ghines, li amena. Si se departirent tantos apriès les festes dou Noel, et se traissent tout premierement devant le castiel de Miremont que les Englois tenoient. Et estoient marescal de l’oost le duc de Normendie, li sires de Saint Venant et li sires de Biaugeu; et vinrent tout premiers mettre le siège devant Miremont, car il gouvrenoient l’avant garde. Et sourvint messires Lois d’Espagne en l’oost des marescaus, en sa compagnie cinq cens arbalestriers geneuois et espagnols. Si asallirent le chastiel de Miremont ces gens d’armes et ces arbalestriers, et le prissent de force; et ocirent tous ceuls qui dedens estoient, horsmis le capitainne et cinq ou siis gentilshonmes qu’il retinrent pour prisonniers. Et puis passèrent oultre et laissièrent le chastiel tout vage, et se traissent devant la chité d’Angouloime et là missent le siège. Et là vinrent li dus de Normendie et tout li signeur de France qui en sa compagnie estoient, et l’environnèrent de toutes pars. Fº 105 vº.

P. 110, l. 3: Miremont.—Mss. A 20 à 22: Michemont. Fº 188.

§ 243. P. 111, l. 5: Quant li contes.—Ms. d’Amiens: Quant li comtez Derbi, qui estoit à Bourdiaux, entendi que li dus de Normendie et chil signeur de Franche estoient venut à si grant host pour reconcquerre tout le pays de Gascoingne que il avoit concquis, et que jà avoient reconcquis Miremont et Villefranche, et toutte robée et arse horsmis le castiel, il s’avisa et envoiia tantost quatre chevaliers des siens, ens ès quelx mout s’afioit, et leur dist que il presissent jusquez à soixante ou quatre vingt compaignons d’armes et trois cens archiers, et s’en alaissent par deviers 329 Villefranche et represissent le castiel qui estoit demouréz wuis et entiers et le remesissent à point et lez portez de le ville ossi, et le garnesissent bien de pourveanchez et des hommez dou pays ossi; et se li Franchois le venoient encorrez assaillir, que il se deffendissent bien, car il les secouroit à quel meschief que ce fuist. Li chevalier s’i consentirent vollentiers et se partirent de le cité de Bourdiaux, si comme chargiet leur fu. Or vous diray les noms de eiaux: che furent messires Estievènez de Tomby, messires Richars de Hebedon, messires Raoulx de Hastingez et messires Normans de Sinefroide.

Apries ce, li comtez Derbi parla au comte de Pennebrucq, à monseigneur Gautier de Mauni, à monseigneur Francke de Halle, à monseigneur Thumas Kok, à monseigneur Jehan de Lille, à monseigneur Robert de Noefville, à monseigneur Thummas Biset, à monseigneur Jehan de la Souche, à monseigneur Phelippe de Biauvers, à monseigneur Richart de Roclève et à pluisseurs autrez chevaliers et escuiers, que il volsissent aller à Aguillon et garder le fortrèce, car trop seroit courouchiéz si le reperdoient. Chil se partirent, qui estoient bien quarante chevaliers et sept vingt bons escuiers et cinq cens archiers, et s’en vinrent bouter dedens le fort castiel d’Aguillon. Si y trouvèrent bien six vingt bons compaignons que li comtes y avoit laissiet par de devant. Si pourveirent le castiel de farinez, de chars, de vins et de touttez autrez coses bien et largement.

Ossi li quatre chevaliers dessus noumet, ordonnet pour aller à Villefranche, chevaucièrent parmy le pays et prissent bues, vacez, cevaux, pourchiaux, vins, bleds, farinnes et quanqu’il trouvèrent de tex pourveanches. Et fissent tout amener dedens Villefranche, et reprissent le castel et le remparèrent bien et à point, et relevèrent les murs et les portez de le ville. Et fissent tant qu’il furent plus de quinze cens hommes tous aidablez et pourveu de vivrez pour vivre six mois tous entiers. Fº 86.

Ms. de Rome: Qant li contes Derbi, qui tenus s’estoit une espasse de temps en Lieboume et retournés à Bourdiaus, entendi que li dus de Normendie, à si grant poissance, estoit entrés en la Lange d’Och pour reconquerir che que conquis avoit sus deus ans à si grant painne et si bonne diligense, si se avisa que il esparderoit ses chevaliers et esquiers et ses gens d’armes, et envoieroit au devant pour rafresqir les garnisons et les forterèces qui obeisoient à lui. Et regarda sus mesire Thomas Kok et 330 li dist: «Tomas, quel cose faites vous chi? Je vous avoie ordonné à estre chapitainne de Villefrance en Agenès. Et je entens ensi que li François l’ont prise et sont venu devant Angouloime; mais tant i a de bien pour nous: il ont laissiet le chastiel et n’en ont fait compte. Se voel que vous et des vostres, tant que il devera souffire, s’en voisent bouter dedens le chastiel et le facent remparer. Il sciet sus marce de pais: si pora porter as François moult grant contraire.» Messires Thomas Kok respondi ensi et dist: «Sire, je ferai vostre conmandement. Et qant je vins deviers vous, je quidoie plus tos retourner que je n’aie fait. Car sus l’estat que je vous remoustrai, vous me deuissiés avoir delivret plus tos que vous n’aiiés fait, car Villefrance estoit mal pourveue de toutes coses, et pour ce a elle esté perdue.» Respondi li contes Derbi: «Il fault perdre, il fault gaegnier. Nous avons tenu les camps deus saisons, et li François les tenront ceste saison, car il sont trop poissant contre nous, se li rois d’Engleterre, nostres sires, ne vient par deçà à poissance de gens d’armes et d’archiers. Je li segnefierai proçainnement nostre estat, et sur ce il auera consel.» Adonc se departi messires Thomas Kok à tout cent armeures de fier et deus cens archiers. Et chevauchièrent à la couverte, et s’en vinrent de nuit bouter ens ou chastiel de Villefrance en Agenois; et le fissent tantos remparer et le pourveirent de vins, de chars et de grains et de toutes coses necessaires. Et en fissent une très bonne garnison et qui depuis fist et porta moult de contraires as François, car il n’osoient aler fouragier, fors en grans routes, pour la garnison de Villefrance.

En ces meismes ordenances, institua li contes Derbi le conte de Pennebruq à estre chapitainne de la ville et chastiel de Agillon; et ordonna et nonma de là aler avoecques li mesire Gautier de Mauni, mesire Franqe de Halle, mesire Jehan de Lille, mesire Robert de Noefville, messire Jehan de la Souce, mesire Richart Roclève, messire Phelippe de Biauvers et pluisseurs aultres chevaliers et esquiers, tant que il furent trois cens armeures de fier parmi les archiers. Et s’en vinrent bouter dedens le chastiel d’Agillon, et i trouvèrent bien siis vins compagnons que li contes Derbi i avoit laissiés, qant il s’en departi et il l’eut conquis. Si entendirent ces gens d’armes dou remparer et pourveir grandement, et coururent tout le pais d’autour et boutèrent tout là dedens, et avoient les camps et la rivière à lor volenté. Et vinrent les Englois en Agillon ensi estofeement, pour la cause de ce que 331 bien pensoient que il aueroient le siège; et par l’estat dou siège qui se tenroit devant Agillon se romperoient trop de cevauchies et de pourpos des François, qui estoient fort assés pour tenir les camps. Et entrues se poroit aviser li rois d’Angleterre et venir à Bourdiaus à poissance de gens d’armes et d’archiers et conbatre le duch de Normendie et les François. Fº 106.

P. 111, l. 24: Hebedon.—Mss. A 23 à 33: Helledon. Fº 148.

P. 111, l. 24 et 25: Hastinges.—Mss. A 11 à 14: Astinges. Fº 123 vº.

P. 112, l. 1: Biset.—Mss. A 18, 19: Bisset. Fº 132.

P. 112, l. 2: la Souce.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: la Soche. Fº 129 vº.—Mss. A 20 à 23: la Souche. Fº 188 vº.—Mss. A 8, 15 à 17: la Fonce. Fº 117 vº.

P. 112, l. 2 et 3: Biauvers.—Mss. A 1 à 14: Biauvais. Fº 129 vº.—Mss. A 18 à 33: Beauvais, Beauvaix. Fº 132.—Mss. A 15 à 17: Beauvers. Fº 130 vº.

P. 112, l. 3: Roclève.—Mss. A 18, 19: Rochève. Fº 132.—Mss. A 30 à 33: Rochlève. Fº 178.

P. 112, l. 7 et 8: trois cens.—Ms. B 6: à tout six cens armés de fer et deux cens archiers. Fº 279.

§ 244. P. 112, l. 26: Ces nouvelles.—Ms. d’Amiens: Trop se repentoit li dus de Normendie dou castiel de Villefranche qu’il avoit laissiet en estant, quant il entendi que li Englèz l’avoient repris et fortefiiet et regarni. Touttesfois, il demora une bonne pièche devant la chité d’Angouloime, et y fist pluisseurs fois assaillir; mès petit y concquist, car elle estoit bien deffendue. Quant il dus de Normendie et ses conssaux virent que il ne le conqueroient point par assault, et qu’il perdoient chacun jour de leurs gens à l’assaillir, il fissent coummander et criier que nulx n’alaist plus assaillir, ainschois se remuaissent et alaissent logier plus priès de le cité. Adonc obei chacuns au coummandement de leur souverain, che fu raisons.

Che siège durant devant Angoulem, vint ung jour au duc li senescaux de Biauquaire, ungs vaillans chevaliers, et li dist: «Sire, je sai bien touttez lez marcez de ce pays. Se il vous plaisoit, et vous me volsissiés prester six cens ou sept cens armurez de fier, jou iroie aventurer aval ce pays pour querre bestez et vitaillez, car assés tost en arons nous deffaulte.» Che pleut bien 332 au duc et à son consseil. Si prist l’endemain li dis senescaux le comte de Bloix, le jouene duc de Bourgoingne, le duc de Bourbon, le cambrelench de Tancarville, l’evesque de Biauvès, le seigneur de Couchy, le seigneur de Montmorensi, marescal de Franche, le seigneur de Roye, le seigneur d’Aufemont, le seigneur de Trie, le seigneur de Biausaut, le seigneur de Rainneval et pluisseurs autres seigneurs, chevaliers et escuiers, tant que il en eut bien huit cens armurez de fier. Si montèrent à une vesprée et chevauchièrent toutte le nuit jusquez au point dou jour, qu’il vinrent à demy lieuwe priès d’une grosse ville qui estoit rendue as Englèz et l’appell’on Antenis. Là endroit vint une espie au dit senescal, et li dist que dedens Antenis avoit bien six vingt armurez de fier, Gascons et Englès, et trois cens archiers, qui bien deffenderoient le ville, se on lez assailloit. «Mès jou ay veu, dist li espie, le proie de le ville yssir hors, et y a bien six cens ou sept cens grosses bestez, et sont par desoubz le ville aval lez prés.»

Quant li senescaux de Biauquaire oy ce, il dist as seigneurs qui là estoient: «Seigneur, je consilleroie que vous demorissiéz en ceste vallée quoiement, et jou yray à tout soixante compaignons à queillir ceste grande proie, et le vous amenroie chy endroit; et se chil Englèz yssoient hors pour rescourre leur proie, ensi que je pensse bien qu’il le feront, je les amenray jusquez à vous tout fuiant, car je say bien qu’il me casseront follement.» Chacuns s’asenti à che consseil. Adonc se parti li dessus dis senescaux et ala prendre le proie, ensi que deviset avoit, et l’amena par devant le ville. Quant chil de le ville le virent, il yssirent hors et coururent apriès tout armet, Gascons et Englès, pour le rescourre. Quant li senescaux les vit, il fist toudis cacier le proie avant, et s’en alloit le grant pas en voiez en samblant de fuir; et chil le cachoient toudis, qui à envis perdoient leurs bestez. Tant les mena il enssi fuiant, qu’il vinrent priès de l’embuschement. Adonc saillirent chil seigneur et chil bacheler de leur aghait, qui mieux mieux, en criant: «A le mort! à le mort!» Là coummença ungs fors pugneis, car chil Gascon et Englèz se remissent enssamble pour mieux deffendre. Quant il virent qu’il estoient si souspris que il ne pooient retourner à leur fortrèche, il se deffendirent ce qu’il peurent, et fissent grant fuisson de belles rescousses li ung l’autre; mais au darrain, il furent desconfit, et le plus grant partie mort, car force lez sourmonta. Quant il furent desconfit, 333 chil signeur se traissent par deviers le ville et le prissent à leur vollenté, et y demorèrent tout le jour et le nuit ossi; car bien en avoient besoing, qui toutte le nuit devant n’avoient dormit. L’endemain au matin, il missent dedens gens d’armez et fuison d’arbalestriers geneuois pour le garder, puis s’en revinrent en leur host par devant le chité d’Anghouloime à tout leur proie, là où il furent bien festiiet et à grant joie rechupt. Fos 86 vº et 87.

Ms. de Rome: Les nouvelles vinrent en l’oost le duch de Normendie, qui tenoit son siège devant la chité d’Angouloime, que li Englès estoient venu à Villefrance et avoient trouvé le chastiel tout vage et sans garde, et s’en estoient saisi et l’avoient remparet et repourveu de toutes coses; et ne faisoit point à reprendre presentement que trop il ne deuist couster. Si en furent grandement blamé li doi marescal de l’hoost, qant par lor negligense li chastiaus estoit repris, qui lor poroit porter grans contraires et damages, ensi que il fist toute la saison à lors fouragiers. Li marescal s’escusèrent au mieuls que il sceurent ne porent, et demora la cose ensi et li sièges devant Angouloime. La chité estoit bien pourveue de gens d’armes et d’archiers, par quoi elle en estoit plus tenable et de millour garde, car onques li François ne venoient as barrières que il ne fuissent requelliet, fust au traire ou au lanchier, et moult d’apertisses d’armes i furent faites.

Le siège estant devant Angouloime, vint un jour devant le duch de Normendie li seneschaus de Biauqaire, uns moult vaillans homs, et li dist: «Sire, je sçai bien toutes les marces de ce pais. Se i[l] vous venoit à point ensi et à vostre consel, que vous vosissiés faire cevauchier avoecques moi cinq cens armeures de fier, je les conduiroie en tel lieu où vous aueriés honnour et pourfit.»—«Et conment seroit ce, seneschaus? Moustrés nous en la manière.»—«Volentiers, monsigneur, respondi il. Vous savés que vostre hoost est grande, et que il i fault grant bestail pour le pourveir. Et, à ce que j’ai entendu, nous en auerons tantos defaute, si ques, avant que li cas aviengne et que les honmes dou pais où je menroi vos gens, destournent la proie, bon seroit que vous en soiiés saisis: si en sera vostre hoost plus plentiveuse.»—«Seneschaus, respondi li dus, vous parlés bien et sagement, et nous ferons apriès vostre ordenance.»

Donc fist li dus venir le connestable de France et les mareschaus, et lor remoustra l’ensengnement le senescal de Biauqaire. Tout s’i acordèrent et ordonnèrent tantos cinq cens armeures de 334 fier, bien montés et plains de bonnes emprises, et se departirent un soir de l’oost ou conduit dou dit senescal, et cevauchièrent toute celle nuit. Sus le point dou jour, il vinrent assés priès de une bonne ville fremée qui se nonme Anthenis, et estoit nouvellement rendue as Englois, et là dedens avoit grant garnison de gens d’armes et d’archiers. Et avoient les Englois requelliet tout le pais autour de euls, et fait venir le bestail de tous lés, et assamblé ens ès praieries desous Antenis. Et tout ce savoit bien li dis seneschaus, et la poissance des Englois qui dedens estoient. Il i pooit avoir environ cent armeures de fier et cent archiers. Si dist li seneschaus au duch de Bourbon et à mesire Jaqueme de Bourbon, son frère, qui là estoient, et as marescaus: «Signeur, nous trouverons la proie jà sus l’eure de prime, que chil de la ville bouteront hors ens ès praieries; et qant nous saudrons avant, il n’est riens si vrai que les Englois, qui sont chaut et hastieu, se bouteront hors pour le rescourre. Si nous fault avoir avis sur che et jeuer de l’enbusque, par quoi il soient atrapé et la ville prise. Velà un petit bois: nous nos meterons dedens, et envoierons deus cens des nostres lever la proie, et verons conment les Englois s’en maintenront.»

Chil signeur françois s’ordonnèrent ensi que li seneschaus parla, qui fu uns moult vaillans homs, et envoiièrent deus cens armeures de fier, tous bien montés. Qant la proie fu toute issue hors de la ville et avallée ens ès praieries, [evous les François] courir celle part, et le demorant se missent en embusqe, ensi que dit estoit. Qant chil que ces bestes gardoient ens ès praieries, veirent ces gens d’armes venir en une brousse, si furent tout esbahi et tournèrent en fuies, les auquns deviers la ville; et les aultres des fuians de paour se boutoient ens ès haies et buissons. Li hus et li cris monta tantos en la ville. Evous ces Englois courir as armes, monter as chevaus et issir de la ville, et euls mettre en cace apriès ces François qui enmenoient la proie et l’avoient jà aquelliet. Qant chil qui estoient en l’enbusque veirent le couvenant, si sallirent hors à quoite d’esporons, et se missent entre la ville et les Englois. Or furent il enclos devant et derrière, car [qant] chil qui la proie avoient aquelliet, veirent lors gens venir, il retournèrent sus les Englois et les envairent. Qant les Englois se veirent en ce parti, et ensi asalli, devant et derrière et de droite gens d’armes, sifurent tout esbahi, et toutesfois, conme gens de vaillance, il moustrèrent deffense très bonne; mais il ne porent durer longement, 335 car les François entrèrent tantos en euls et les espardirent. Là furent il tout mort ou pris. Petit s’en sauvèrent, tant que on les peuist veoir ne percevoir.

Et de recief les François vinrent à Anthenis et entrèrent dedens et le conquissent, et prissent les honmes de la ville à merchi. Et i furent un seul jour, et i ordonnèrent chapitainne de par euls et gens pour le garder, et puis s’en departirent et enmenèrent lors prisonniers et la proie que conquis avoient, et vinrent devant Angouloime. De ceste emprise ensi achievée rechut li dis seneschaus de Biauqaire grant grace et renonmée de tous ceuls de l’hoost. Et finèrent li prisonnier englois qui pris estoient au mieuls que il porent, et il ot fait des escanges des uns as aultres. Fos 106 vº et 107.

P. 113, l. 25: d’Aufemont.—Mss. A 1 à 6: d’Ouffremont. Fº 129 vº.—Mss. A 8, 15 à 17: d’Offemont. Fº 118.

P. 113, l. 27: Saintré.—Mss. A 11 à 14: Caintré. Fº 124.—Mss. A 20 à 22: Santé. Fº 189 vº.

P. 113, l. 28 et 29: entre mil et neuf cens.—Ms. B 6: six vingt. Fº 279.

P. 114, l. 1 et 2: Anchenis.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 23 à 33: Athenis. Fº 129 vº.—Ms. A 8: Anchenis. Fº 118.—Mss. A 15 à 17: Ancenis. Fº 131.—Mss. A 18, 19: Achenis. Fº 132 vº.—Mss. A 20 à 22: Athemes. Fº 189 vº.—Ms. B 6: Anthonis. Fº 279.

P. 114, l. 3: six vingt archiers.—Ms. B 6: six vingt lanches et trois cens archiers. Fº 279.

P. 114, l. 7: sept cens ou huit cens.—Mss. A 20 à 22: sept cens. Fº 189 vº.—Mss. A 23 à 33: deux cens. Fº 149.

P. 114, l. 25: espardre.—Mss. A 18, 19, 23 à 29: espandre. Fº 132 vº.—Mss. A 30 à 33: espartir. Fº 178 vº.

P. 114, l. 32: Sitost qu’il furent en friente.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Tantost qu’ilz furent ensemble mis. Fº 130.—Mss. A 20 à 22: Si tost qu’ilz furent esmeuz. Fº 189 vº.—Mss. A 8, 15 à 17 à 19: Si tost qu’ilz furent enfrientez. Fº 118.

P. 115, l. 5: Lussi.—Mss. A 15 à 17, 20 à 22: Lusy. Fº 131.

§ 245. P. 116, l. 9: Ensi se tint.—Ms. d’Amiens: Enssi se tint des seigneurs de Franche ung grant terme i sièges devant Angouloime. Et couroient li Franchoix ens ou pays que li Englèz 336 avoient concquis, et y faisoient maint grant destourbier, et ramenoient souvent en leur host des prisonniers et grans proies qu’il trouvoient. Et y acquist en cez chevauchies li senescaux de Biauquaire grant grasce. Quant Jehans de Norewich, cappittainne et souverain d’Angouloime, vit que li dus n’avoit tallent de deslogier s’il n’avoit le chité à se vollenté, et entendoit qu’il avoit reconcquis grant fuisson dez villez et des castiaux, si comme Villefranche, Miremont, Anthenis et des autres, et savoit que les pourveanches de layens amenrissoient et que li bourgois et li commun de le chité se enclineroient plus vollentiers as Franchois que as Englès, se il osoient, il s’avisa d’un malicieus tour tel que je vous diray. Le nuit de le Purification Nostre Dame, à l’entrée de fevrier, il vint as cretiaux de le chité tous seux, sans descouvrir son pourpos à nullui, et fist signe de son capperon qu’il volloit parler au ducq ou à son marescal. Li dus meysmes y vint sour son pallefroy, car il penssoit qu’il se volloit rendre, et li demanda s’il se volloit rendre ou non. Adonc Jehans li respondi qu’il n’en estoit point consilliet à ses compaignons; mès il estoit là venus pour tant que l’endemain il devoit y estre une grande feste et sollempnelle. Se li sambloit que il appertenoit bien, pour le reverence de Nostre Damme, cui feste il seroit, on se desportast celui jour de grever li ungs l’autre dedens et dehors; et se on leur volloit donner trois jours de respit, il parleroit à ses compaignons et aroient consseil de accorder ou de laissier. Li dus de Normendie accorda assés legierement le respit de trois jours, et le fist criier par toute l’ost. Chils Jehans de Norewich vint l’endemain à ses compaignons et leur descouvri son pourpos, tel que vous orés chy apriès, et leur moustra si bonnes raisons pluisseurs qui à son pourpos faire le mouvoient, qu’il s’i assentirent dou tout.

Or vous diray qu’il fist. L’endemain de le Candeler, enssi que on seoit au disner en l’ost et en le chité, il fist tous ses compaignons, gens d’armes, saudoiiers et archiers, appareillier, et tout sen harnas et tout ce qu’il avoient ossi, sans le sceu de chiaux de le cité; puis fist le porte ouvrir, et yssi hors à toutte se compaignie. Quant chil de l’ost le virent yssir, il se coummenchièrent à estourmir, che ne fu mies merveillez; si se coururent armer. Li dis Jehans de Norwich leur fist savoir que c’estoit sans raisson qu’il s’armoient, car il avoient acordet bon respit qui encorres duroit, et ne leur volloient nul mal. Atant se rapaisa li hos, et li dis 337 Jehans s’en passa oultre avoecq toutte se routte, et s’en alla par deviers Aguillon, où il fu bien venus et recheus à grant joie, quant il eut comptet sen aventure et les raissons pour quoy il avoit enssi laissiés le chité d’Angouloime. On racorda au duc coumment Jehans de Norvich s’en alloit et se compaignie sus le respit qu’il leur avoit donnet. «En nom Dieu, dist li dus, il m’a bareté. Che n’est pas li premiers, ossi ne sera ce li darrains, se je vis longement.» Fº 87.

Ms. de Rome: Ensi se tint li sièges des signeurs de France, un grant temps, devant la chité d’Angouloime, et cevauçoient ou pais que li Englois avoient conquis les saisons devant, et le metoient en grant tribulation. Qant la chapitainne d’Angouloime, qui se nonmoit Jehans de Nordvich, vei et considera que li dus de Normendie n’avoit nulle volenté de li deslogier, et sentoit que les pourveances de là dedens afoiblissoient, et que li contes Derbi ne faisoit nul apparant de lever le siège, et si veoit, d’aultre part, que chil de la ville s’enclinoient trop fort à estre françois, et plaindoient lors biens que il avoient sus le plat pais que il veoient perdus et ou dangier des François; si se avisa que à toutes ces coses il pourveroit si se avisa: de une grande soutilleté, et avint la nuit de la Purification Nostre Dame. Il vint sus les crestiaus de la ville, et fist signe de son caperon que il voloit parler et trettier de auqunes besongnes. Sitos que on vei ce signe, on envoia deviers li sçavoir que il voloit. Il dist que il parleroit volentiers au duc de Normendie, se il li plaisoit. On li demanda qui il estoit, qui voloit parler au duc. Il respondi que il estoit Jehans de Nordvich, capitainne de Angouloime de par le conte Derbi. «Bien, respondirent chil qui là estoient, on le dira à monsigneur.» On le dist au duch. Li dus fu consilliés de soi meismes que il monta à cheval et vint jusques à là, et fist dire à ce Jehan que il venist parler à lui as barrières. Jehans descendi des murs et vint as barrières et trouva le duch. Li dus li demanda: «Que voes tu dire?»—«Sire, dist il, je vous demande, moi et les miens, trieuves meshui et demain pour la reverense et solempnité dou jour Nostre Dame.»—«Et ne voes tu autre cose?» dist li dus.—«Mès Dieus! non.»—«Et je le te acorde meshui et demain, et encores le tierch jour apriès.» Li dus retourna; Jehans de Nordvich demora.

Qant ce vint le jour de la Purification, Jehans de Nordvich s’arma et fist armer tous ses compagnons englois qui en la garnison 338 estoient, et monter as chevaus, et puis fist ouvrir la porte. Il sallirent tout hors, et dist au departement à ceuls de Angouloime: «Faites dou mieuls que vous poés et savés, car je m’en vois sans retourner.» Qant chil de l’oost veirent venir les Englois ensi sus euls, si quidièrent de conmencement que il venissent là pour euls envaïr. Si criièrent alarme, et s’estournoi li hoos, et s’armèrent et vinrent contre ces Englois. Jehans de Nordvich ne fu de riens effraés, mais vint contre euls et dist tout quoi: «Signeur, nous avons trieuwes meshui tout le jour, et demain aussi, de l’acort et parole vostre signeur le duch de Normendie.» Li François auquns qui là estoient savoient bien que il estoit ensi; si se astinrent et les laissièrent passer pasieuvlement. Les nouvelles vinrent au duch, conment les Englois s’en aloient. Dist li dus: «Il ne pooient plus demorer. Et se il m’euissent requis: nous en volons aler salve nostres cors et le nostre, je lor euisse bien fait celle grace et legierement; car ce sont cas d’armes que on doit faire l’un à l’autre à ceuls qui tiennent garnisons sus les frontières.» Fos 106 et 107 vº.

P. 116, l. 17: Norvich.—Mss. A 8, 9: Marvich. Fº 118 vº.

§ 246. P. 118, l. 29: Quant ce vint.—Ms. d’Amiens: Quant chil de le chité d’Anghouloime se virent sans cappittainne et sans ayde fors de yaux meysmes, si n’eurent mies vollenté d’iaux tenir plus longement contre le duc; ainschois se rendirent assés tost apriès. Et y envoya li dus ses marescaux qui prissent le saisinne de le cité; et y ordonnèrent nouvellez gardez, et missent bons saudoiiers pour tenir et deffendre le chité contre lez Englès, s’il besongnoit. Puis se desloga li dus et se traist deviers le castiel de Damasen et y loga quinze jours par devant, ainschois qu’il le pewist avoir, et ne fu oncquez jours qu’il n’y ewist assault. Si fu concquis par force, et tout chil qui dedens estoient, Gascon et Englès, mors. Quant li François eurent pris Damassen, il le missent en milleur point que oncques mais n’avoit estet; et le donna li dus de Normendie à ung escuier de Biausse que on appelloit le Borgne de Milli, et y laissa avoec lui cent saudoiiers pour le garder. Apriès il s’en vinrent devant Thonis, qui siet sour le rivierre de Garonne. Si le trouvèrent bien pourveue de Gascons et d’Englès, qui le deffendirent vassaument ung grant tamps, et y avoit tous les jours assault. Tant y fu li dus que la ville se rendi, sauve leurs biens et leurs corps; et s’en partirent li Englèz et li 339 Gascon, mais riens n’en portèrent ne n’en menèrent, fors tant seullement leurs chevaux. Li dus de Normendie et toutte sen host se tinrent en Thonis ou environ jusquez apriès le jour de Pasques, qu’il se traissent tout devant Aguillon; mais ainschois qu’il y parvenissent, il trouvèrent à une lieuwe prièz, sus le rivierre, une petitte bonne villette fremmée qui estoit as Englèz, que on clamoit le Port Sainte Marie, et y avoit dedens bien deux cens saudoiiers gascons et englèz. Si l’assaillirent li Franchois vistement et ne l’eurent mies si aise, ainschois y fissent pluisseurs assaulx. Finalement, elle fu concquise de force, courue et robée, et tous li saudoiiers ocis, qui dedens estoient, et remparée de nouvel et regarnie de gens d’armes et de pourveanchez. Et puis s’en vinrent devant Aguillon. Fº 87.

Ms. de Rome: Les Englois partis et mis au cemin par la manière que je vous di, li dus de Normendie envoia ses mareschaus parler et tretiier à ceuls d’Angouloime, pour sçavoir quel cose il voloient dire et faire. Les bourgois de la chité et toute la conmunauté, qui avoient assés affection as François, se rendirent incontinent; et i entrèrent li signeur ce meisme jour, et i soupèrent à grant joie. Ensi orent il Angouloime et se rafresqirent là je ne sçai qans jours, et puis jettèrent lor visée que il iroient devant le chastiel d’Agillon et metteroient là le siège. Si se ordonnèrent pour che faire, et se departirent de la chité d’Angouloime en grant estat et arroi; et ceminèrent viers Agillon, et tant fissent que il i parvinrent. Fº 107 vº.

P. 119, l. 11: Villers.—Mss. A 1 à 6, 15 à 19, 23 à 29: Villiers. Fº 131.

P. 119, l. 15: Damassen.—Mss. A 30 à 33: Damassien. Fº 179.

P. 119, l. 21: Milli.—Mss. A 1 à 6: Mulli. Fº 131.—Mss. A 15 à 17, 20 à 33: Milly. Fº 132 vº.—Mss. A 18, 19: Nulli. Fº 134.

P. 119, l. 23: Thonins.—Mss. A 1 à 6: Thenis. Fº 131 vº.—Mss. A 7 à 14, 18 à 33: Thonis. Fº 125 vº.—Mss. A 15 à 17: Chonis. Fº 132 vº.

P. 119, l. 23: Garone.—Ms. B 6: Geronde. Fº 282.

§ 247. P. 120, l. 12: Tant esploitièrent.—Ms. d’Amiens: Or sont chil seigneur de Franche venut à host devant Aguillon, et logiet contreval ces biaux prés seloncq le rivierre qui porte 340 grant navie, cescuns sires entre ses gens, chacune connestablie par lui, si comme ordonné estoit par les marescaux de l’host. Et devés savoir que par devant le fort castel de Aguillon eut le plus bel host et le plus bel siège que on avoit, grant tamps avoit, veut ou royaumme de Franche ne ailleurs; et dura parmy cel estet tout jusques à le Saint Remy. Et y avoit bien cent mil hommes armez portans, à cheval et à piet. Et si ne poroit on raconter par nulle histoire à siège fait tant de biaux fais d’armes et de grandes appertisses qu’il avinrent là de une part et d’autre; car oncques gens assegiés ne souffrirent tant, ne ne se deffendirent si vassaument comme cil qui furent dedens Aguillon, si comme vous oréz chy apriès. Car tous les jours les couvenoit combattre deus fois ou trois à chiaux de l’host, et le plus souvent dou matin jusques à le nuit sans cesser, car toudis leur sourvenoient nouvellez gens, geneuois et autrez, qui ne les laissoient reposer. Les mannierrez et les assaux, coumment et de quoy, je les vous voeil declairier et plainnement deviser. Fº 87 vº.

P. 120, l. 14: d’Aguillon.—Ms. B 6: qui est une moult belle plache et seant en la pointe de deux rivières, dont est l’une le rivière de Lot et chiet en Geronde qui porte grant navire pour aller par tout le monde. Fº 283.

P. 120, l. 17: connestablie.—Mss. A 8 à 14, 18 à 22: connestable. Fº 119 vº.

P. 120, l. 17: par lui.—Mss. A 1 à 6: par elle. Fº 131 vº.—Mss. A 23 à 33: à par lui. Fº 150 vº.

P. 120, l. 23: cent mille.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: cinq mille. Fº 131 vº.

§ 248. P. 121, l. 9: Quant li signeur.—Ms. d’Amiens: Quant li seigneur de Franche furent venut devant Aguillon, il regardèrent premierement que il ne pooient parvenir jusquez à le forterèche, se il ne passoient le rivierre. Or leur couvenoit faire ung pont pour le passer. Si coummanda li dus que li pons fust fais, quoy que il coustast. Si y vinrent pour le ouvrer plus de trois cens carpentiers, qui y ouvroient jour et nuit. Quant chil de dedens Aguillon veirent que il estoit oultre le moitié de le rivierre, il fissent appareillier trois navez et entrèrent ens, et chacièrent tous ces ouvriers en voiez et les gardes ossi, et deffissent tout ce que il avoient fait et carpenté ung grant temps. Quant li signeur de Franche virent ce, il furent durement courouchiéz, et fissent 341 appareillier aultrez navez à l’encontre d’eux; et missent ens grant fuisson de gens d’armes, de Geneuois et bidaus arbalestriers, et coummandèrent les ouvriers à ouvrer sour le fianche de leurs gardes. Quant li ouvrier eurent ouvré ung jour jusques à miedi, messires Gautiers de Mauny et aucun de ses compaignons entrèrent ens leurs nefs, et coururent sus ces ouvriers et les gardez. Et fu tout deffait quanque fait avoient, et y laissièrent dez mors et des noiiés grant plenté. Chils debas et ceste rihote recoummenchoit chacun jour. Au pardarrain, li seigneur de Franche y furent si estoffeement et si bien gardèrent leurs ouvriers que li pons fu fais bons et fors.

Quant li pons dessus le rivierre fu parfais, toute li hos passa oultre, armet et ordounnet par mannierre de bataille; et assaillirent le castiel de Aguillon durement et fortement, sans yaux espargnier ne chiaux de dedens. Et chil dedens se deffendirent si vassaument que riens n’y perdirent, et dura chilx assaux ung jour tout jour. Au soir, chil de l’host se repairièrent et vinrent à leurs logeis. Chil dou castiel avoient ossi avoecq eux plenté d’ouvriers. Si remissent de nuit à point ce que brisiet et froissiet avoit esté par jour. Fº 87 vº.

Ms. de Rome: Qant li signeur et li grant baron de France, qui en la compagnie dou duc de Normendie estoient, furent venu devant Agillon, il regardèrent premierement et considerèrent que il ne pooient parvenir à la forterèce, se il ne passoient la rivière, qui est large, longe et parfonde, et lor couvenoit faire un pont pour le passer. Si ordonna et conmanda li dus que li pons fust fais, quoi que il coustast. Et vinrent pour ce pont ouvrer grant fuisson de carpentiers, et i ouvroient nuit et jour. Qant li chevalier qui dedens Agillon estoient, veirent que chils pons estoit fais et carpentés et menés jusques à la moiienné de la rivière, il fissent armer et apparillier trois naves, et entrèrent dedens à fuisson d’archiers, et cachièrent ces ouvriers en voies et les gardes aussi, et desfissent tantos et sans delai tout ce que fait avoient et carpenté à grant painne et mis un lonch temps. Qant li signeur de France veirent ce, si furent durement courouchié, et fissent apparillier aultres naves et batiaus, et amener sus la rivière à l’encontre de ceuls, et missent dedens grant fuisson de gens d’armes et d’arbalestriers. Et conmandèrent li signeur, les carpentiers à ouvrer sus la fiance de lors gardes. Qant li ouvrier orent ouvré un jour, messires Gautiers de Mauni, sus l’eure de nonne, 342 entrèrent, ils et ses compagnons, en lors nefs, et coururent sus ces ouvriers et lors gardes, et en i ot des mors et des bleciés, et couvint de rechief les ouvriers laissier oevre et retourner arrière. Et fu adonc tout deffait qanqque fait avoient. Ces debas et ces rihotes reconmençoient casqun jour.

Qant li signeur de France veirent ce, si en orent grant virgongne, et i vinrent en la parfin si estofeement, et si bien gardèrent les ouvriers, que li pons fu fais, biaus et fors. Si passèrent adonc li signeur et toute l’oost oultre, armé et ordonné par manière de bataille; et asallirent à ce donc le chastiel d’Agillon fortement, sans euls espargnier. Et i ot ce jour maint honme blechiet, car chil qui dedens estoient, se deffendirent si vassaument que mervelles seroit à recorder. Et dura chils assaus un jour tout entier, mais riens n’i conquissent que painne et travel, cops et horions; et retournèrent au soir à lors logeis pour euls reposer et aisier, car il avoient bien de qoi. Fos 107 vº et 108.

§ 249. P. 122, l. 24: Quant ce vint.—Ms. d’Amiens: Quant che vint à l’endemain, cil seigneur de France s’asamblèrent et regardèrent et advisèrent coumment il poroient le mieux et le plus apertement grever chiaux dou castiel. Si ordonnèrent, pour plus travillier leurs anemis, que il partiroient leur host en quatre parties, desquellez li première assauroit dou matin jusquez à prisme, la seconde, de primme jusquez à miedi, la tierce, de miedy jusques à vespres, et li quarte, de vespres jusques à le nuit; car bien penssoient que li deffendant ne poroient tant durer. Si le fissent enssi par grant avis, et assaillirent par tel ordonnanche cinq jours ou six; mès ce ne leur valli riens, ains y perdirent grossement de leurs gens, car chil dou castiel ne furent oncques si recreant, coumment que il fuissent travilliet oultre mesure, qu’il ne se habandonnaissent au deffendre si vassaument que oncquez chil de l’ost pewissent gaegnier le pont qui estoit dehors le porte dou castel. Et quant il virent que ce ne leur valloit riens, si en furent tout confus, car lor sires, li dus de Normendie avoit dit et juret qu’il ne se partiroit dou siège jusques à tant qu’il aroit concquis le ville et le castiel. Si eurent autre conseil, et envoiièrent à Thoulouse querre les huit plus grans enghienz de le chité, et en fissent faire quatre plus grans assés, et les fissent, sans cesser, jetter nuit et jour toudis dedens le castiel; mais chil dou castiel estoient si bien garitet 343 que oncques pierres ne leur greva, fors as toix des manandises. Et avoient chil dou castiel bons enghiens qui debrisoient tous les enghiens de dehors, et en peu de tamps en debrisièrent jusques à six, dont chil de l’ost furent mout courouchiet, et toudis avisèrent comment ils lez poroient le mieux grever. Fos 87 vº et 88.

Ms. de Rome: Qant ce vint à l’endemain, chil signeur de France se remissent ensamble pour avoir consel conment, ne par quel art ne manière, il poroient le mieuls esploiter pour grever lors ennemis. Et avisèrent que il departiroient lor hoost en quatre parties, des quelles la première partie assaudroit dou matin jusques à prime, la seconde de prime jusques à midi, la tierce de miedi jusques à vespres, et la quarte de vespres jusques à la nuit; car il pensoient que li deffendant ne poroient porter si grant faix que pour soustenir la painne toute jour ajournée, et pour estre en armes sans reposer, boire ne mangier, ne euls rafresqir. Au voir dire, li avis fu moult soubtieus pour donner as Englois moult à faire et grant contraire. Et furent ordonné ou premier assaut, dou matin jusques à prime, les Espagnols et les Geneuois, les Prouvenchiaus et les Savoiiens et Bourgignons; et estoient de celle route, parmi les signeurs et lors honmes qui s’en ensonnioient et s’i boutoient, bien huit mille de prime. Sitos que chil cessoient, entroient en l’asaut chil de Nerbonne, de Montpellier, de Besiers, de Montroial, de Fougans, de Limous, de Cabestain, de Saint Ubert, de Olimpi et de Carchasonne. De miedi jusques à vespres, rentroient en l’asaut chil de Toulouse, de Roerghe, de Qersi, d’Agenois et de Bigorre. De viespres jusques à la nuit, tous frès et tous nouviaux entroient en l’asaut li Limosin, chil de Villai, de Cevaudem, d’Auvergne, de Poito et de Saintonge. Et s’aquitoient toutes gens très loiaument. Et continuèrent ces assaus par siis jours, mais riens n’i gaegnièrent fors que de lors gens mors et bleciés grant fuisson; car chil dou chastiel ne furent onques si las, quoi que il fuissent travilliet oultre mesure, que il ne s’abandonnassent au deffendre si vaillanment que li signeur de l’oost meismement s’en esmervilloient conment il pooient souffrir et porter celle painne. Et les reputoient pour vaillans gens, quoi que ce fuissent lor ennemi; ne il ne porent onques pour tous ces assaus parvenir jusques au conquès dou pont, qui estoit devant le chastiel, tant estoit il bien gardés, deffendus et soustenus. Qant li signeur de l’oost veirent ce, il se cessèrent et entendirent à mettre à point les navrés et les bleciés.

344 Par devant Agillon ot le plus biau siège qui onques, les gerres durant de France et d’Engleterre, euist [esté] fait ne tenu ens ou roiaulme de France, et fait la grignour plenté d’apertisses d’armes. Et dura moult longement de l’entrée de march jusques en la fin dou mois d’aoust; et furent devant bien soissante mille honmes. Considerés les grans coustages qui en nasqirent. Il me fu dit et recordé, et ce fait assés à croire, que on euist fait, fondé et ordonné sus noient deus milleurs chastiaus plus biaus et plus fors que Agillon n’est, des deniers qui despendu, en tenant les saudoiiers, i furent. Qant li signeur de l’oost veirent que, par ces assaus que il faisoient, il ne pourfitoient riens, si en furent tous abus et esmervelliet. Bien savoient que par dedens estoient droite flours de gens d’armes, et bien le moustroient, car il ne s’esbahissoient de nulles nouvelletés que on lor fesist. Et orent li signeur un aultre consel, car il envoiièrent querre à Thoulouse, huit les plus grans enghiens qui i fuissent. Et encores en fissent il faire et carpenter quatre plus grans assés, et fissent, sans cesser, ces douse enghiens jetter nuit et jour par dedens la forterèche. Mais chil dou chastiel estoient si bien garitté et par si bonne ordenance que onques pière d’enghien ne les greva, fors à tois des manandies. Et avoient chil dou chastiel bons enghiens qui debrisoient tous ceuls de dehors, et sus huit jours il en rompirent et brisièrent jusques à siis, dont chil de l’oost furent très courouchiet, et avisoient toutdis nouvelles soutilletés par grant art et avis, conment il les peuissent le plus adamagier. Fº 108.

P. 123, l. 1 et 2: jusques à le nuit.—Mss. A 1 à 6, 8 à 17: jusques à mienuit. Fº 132.

P. 123, l. 19 et 20: fors as thois des manandies.—Ms. A 7: fors aus tours des manandies. Fº 126 vº.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: fors aus tours des manantises. Fº 132.—Mss. A 8, 15 à 17: fors ès tois des maisons. Fº 120.—Mss. A 23 à 33: fors aux tours des manoirs. Fº 151 vº.—Mss. A 20 à 22: fors qu’ilz effondroient les combles des tours. Fº 192 vº.

§ 250. P. 123, l. 25: Ensi estoit.—Ms. d’Amiens: Ensi estoit li castiaux de Aguillon et chil qui dedens estoient, ouniement assailli et par pluisseurs mannierrez; car priès que touttez les sepmainnez, on y trouvoit et avisoit aucune cose de nouviel, et chil dou castiel ossi pour yaux deffendre. Che siège durant, il avint par pluisseurs foix que messires Gautiers de Mauni s’en 345 yssoit à tout cent ou deux cens compagnons, et en alloient par oultre le rivierre de lor costet fourer, et ramenoient, veant chiaux de l’host, souvent grant proie, dont li Franchois avoient grant annoy. Et avint ung jour que messires Carlez de Montmorenssi, marescal des Franchois, chevauchoit et alloit, bien cinq cens compaignons tous à cheval avoecq lui, et amenoient grant proie en leur ost. Si encontra monseigneur Gautier de Mauni, liquelz se feri entre eux à ce qu’il avoit de gens. Là eut bon hustin et fort, mès briefment li Englès en ewissent eu dou pieur, se n’ewist estet li comtez de Penebruc qui vint au secours à bien trois cens compaignons. Lors y eut bataille durement forte, et moult de blechiéz de l’un lés et de l’autre. Finaublement, li Franchois wuidièrent le place. Et fu li sirez de Montmorensi mout dur navréz et à grant meschief sauvés. Et concquissent li Englèz le proie, et le amenèrent en leur castiel et ossi pluisseurs prisonniers. Enssi et touttez lez sepmainez deux fois ou trois y avoit des rencontres, des hustins, des assaux et des meslées. Fº 88.

Ms. de Rome: Ensi que je vous recorde, estoit li chastiaus d’Agillon et chil qui le deffendoient, asalli par pluisseurs manières et ordenances, car priès toutes les septmainnes on i trouvoit et avisoit auqune cose de nouviel. Et aussi chil dou chastiel, pour euls garder et deffendre, contrepensoient à l’encontre tous jours. Le siège durant devant Agillon, il avint par pluisseurs fois que messires Gautiers de Mauni s’en issi hors à tout cent ou siis vins compagnons, et en aloient par oultre la rivière de lor costé fourer, et ramenoient, voiant ceuls de l’oost, souvent grant proie, dont li François avoient grant anoi. Et avint un jour que mesires Carles de Montmorensi et li sires de Saint Venant cevauçoient, et avoient en lor route bien cinq cens compagnons, et ramenoient grant proie en l’oost, laquelle il avoient requelliet sus le pais, pour avitallier l’oost. Si se encontrèrent les François et les Englois desous Agillon. Messires Gautiers ne volt pas refuser, conment que il euist le mains de gens; et se ferirent ils et li sien en ces François, et li François entre euls. Là ot dur hustin et fort, et maint honme reversé, blechiet et mort, et fait pluisseurs grans apertisses d’armes. Toutesfois li Englois n’en avoient pas la millour pareçon et euissent perdu, mais cils rencontres avint si priès dou chastiel que li contes de Pennebruq et mesires Jehans de Lille et li compagnon qui ou chastiel estoient, les veirent; si salirent hors et vinrent tout à temps à la meslée. Et trop à 346 point fu secourus messires Gautiers de Mauni, car il le trouvèrent enclos entre ses ennemis, et entendoient moult fort à lui prendre, qant chil Englois, fresc et nouviel, se boutèrent dedens euls et les requièrent moult avant, en sus de mesire Gautier de Mauni et le remontèrent. Entrues que ces François et Englois se combatoient et entendoient à conquerir par armes l’un sus l’autre, la proie que li François menoient fu tous jours cachie des gros varlès avant, et missent à sauveté au pourfit des François. Les Englois n’orent aultre cose que l’esbatement des armes, et se departirent les Englois et les François casquns l’un de l’autre. Messires Gautiers, dit de Mauni, et li compagnon d’Agillon rentrèrent en la garnison, et li François retournèrent en l’oost. Et ne savoient chil qui parloient de ce rencontre à qui donner l’onnour de la journée, ou as François ou as Englois. Fº 108 vº.

P. 125, l. 6 et 7: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 251. P. 125, l. 8: De telz rencontres.—Ms. d’Amiens: Encorres avoecq tout che, chil seigneur de France fissent ung jour armer tous chiaux de l’host, et coummandèrent que chil de Toulouse, chil de Charchasonne, chil de Biauquaire et tout chil de leur senescaudie assausissent dou matin jusquez à miedi; et chilx de Chaours, de Roerghe, de Aghinois, à leur retrète jusquez au viespre; et chilz qui premiers poroit gaegnier le premier pont dou castiel, on li donroit tantost cent escus. Li dus de Normendie, pour mieux furnir cel assault, fist assambler grant plenté de nefz et de chalans. Li aucun entrèrent ens pour passer le dite rivierre, et li aucun passèrent au pont. Chil dou castel, qui virent l’ordonnance de l’assault, furent tout appareilliet de eux deffendre. Lors coummencha uns plus fors assaux qu’il n’avoient encorres eut. Qui donc veist gens abandonner vie et corps, et aprochier le pont pour gaegnier les cent escus et presser l’un sour l’autre si comme par envie, et qui regardast chiaux du castiel ossi yaux deffendre vassaument, il se pewist bien esmervillier. Finablement, au fort de le besoingne, aucun se missent par une nacelle en l’iauwe par desoubz le pont, et jettèrent grant kros de havés au pont leveis, et puis tirèrent si fort qu’il rompirent lez chainez qui le pont tenoient, et le abaissièrent jus par forche jusquez au droit pont. Qui adonc veist gens lanchier sus ce pont et trebuchier li ungs sus l’autre dix ou douze en ung mont, et veist chiaux de le porte d’amont jetter grandes pières, pos de cauch et grans mairiens, bien pewist veir grant fuisson de 347 gens mehaignier et morir et jus del pont trebuchier, qui oncques puis ne se relevèrent. Touttesvoies fu li pons gaegniés par forche au darains jusques à le maistre porte, mès il cousta grandement de leurs gens assés plus qu’il ne vaulsist. Quant li pons fu gaegniés, chil de l’host eurent plus affaire que devant, car il ne peurent aviser voie coumment il peuissent gaegnier le porte. Si se retraissent à lors logeis, car il estoit tart et priès de le nuit. Si avoient besoing de reposer. Quant il furent retret, chil dou castiel yssirent hors et refissent le pont plus fort que devant. Fº 88.

Ms. de Rome: De tels rencontres et de tels hustins i avenoient souvent, le siège tenant, sans les assaus et les escarmuces qui estoient priès que tous les jours à chiauls dou chastiel. Et ce estoit grandement en la desplaisance le duch de Normendie et des signeurs de France. Et seoient là plus par erredrie que pour cose que li chastiaus vausist quatre fois, ne toutes les signouries qui au chastiel apendoient, mais tous les jours il le quidoient avoir à volenté et ceuls qui dedens estoient. Ce estoit la cause pour quoi tant il s’i tenoient, ne point il ne s’en voloient partir ne aler avant, non que li chastiaus de Agillon demourast derrière à lor contraire; car avis lor estoit, se il le laissoient derrière, et elle lor fust ennemie, elle lor torroit lors pourveances par terre et par aige. Pour ce et pour lor honnour, rendoient ils grant painne à l’avoir. Et de ce se arguoit durement li dus de Normendie que tant se tenoient, et que si vaillanment les Englois, qui dedens estoient, se portoient. Et avoit juret li dus de Normendie que le siège d’Agillon ne leveroit par nulle condition que ce fust, se li rois, son père, ne le remandoit, si aueroit les Englois, qui dedens Agillon estoient enclos, à sa volenté. Or avisèrent li François une autre manière d’asaut, et fist on armer un jour tous ceuls de l’hoost; et qant il furent armé, li signeur ordonnèrent que chil de Toulouse, de Carcasonne, de Biauqaire et tout li honme des senescaudies desus dictes qui là estoient, fesissent assaut dou matin jusques à midi, et chil de Bighorre, de Roergue, de Qersi et d’Aginois, à lor retraitte, jusques à viespres, et chils qui premierement poroit conquester le pont aueroit cent esqus.

Li dus de Normendie, pour mieuls furnir cel assaut, fist venir et asambler sus la rivière grant plenté de nefs et de calans. Li pluisseur entrèrent dedens pour passer la ditte rivière, et li auqun passèrent au pont que il avoient fait. Qant chil dou chastiel veirent 348 l’ordenance de l’assaut, si furent tantos tout apparilliet pour deffendre. Lors conmença uns trop plus fiers assaus que il n’i euist encores eu. Qui veist là gens abandonner vies et corps, et aprocier le pont pour la convoitise de cent esqus gaegnier, et presser l’un sus l’autre ensi que par envie, et qui veist aussi cheuls dou chastiel euls deffendre vassaument, de toutes ces coses il se peuist grandement esmervillier. Finablement, au fort de la besongne, auqun appert compagnon se missent en un batiel desus la rivière, et vinrent desous le pont et jettèrent grans gros cros et havés de fier au dit pont leveis, et puis tirèrent si fort que de force il rompirent les chainnes que le pont portoient et tenoient, et l’avalèrent jus par force. Et qui adonc veist gens lancier sus ce pont et tresbuchier l’un sus l’autre, diis ou douse en un mont, et qui veist ceuls de la porte d’amont, as deffenses, jetter pières et blechier honmes, il peuist de toutes ces coses avoir grant mervelle, et moult en i ot de trebusciés en l’aige. Toutes fois li pons fu conquis par force, mais il cousta grandement des François plus que il ne vausist. Qant li pons fu gaegniés, chil de l’hoost eurent plus à faire que devant, car il ne porent aviser voie conment il peuissent gaegnier la porte. Si se retraissent à lors logeis, car jà estoit tart, et avoient li plus bien mestier de reposer. Qant il furent retrait, chil dou chastiel issirent hors, et tantos il entendirent au pont refaire, et le refissent plus fort que devant. Fos 108 vº et 109.

§ 252. P. 126, l. 25: A l’endemain.—Ms. d’Amiens: A l’endemain, vinrent doy maistre enghigneour au ducq et as seigneurs de son consseil et dissent, se on les volloit croire et livrer bois et ouvriers à fuison, il feroient quatre grans cas, fors et haulx, sour quatre grandes fortes nefs que on menroit jusques as murs dou castel, et seroient si hault qu’il sourmonteroient lez murs, par quoy chil qui dedens lez cas seroient, se combateroient main à main à ciaux qui seroient sour les murs. Li dus y entendi vollentiers, et coummanda que chil quatre cat fuissent fait, quoy qu’il dewissent couster, et que on mesist en oeuvre tous les carpentiers dou pays, et que on leur payast largement leur journée, par quoy il ouvraissent plus apertement et plus vollentiers. Chil quatre chat furent fait à le devise et ordonnanche dez deux maistrez en quatre fortez nefs, mès on y mist longement, et coustèrent grans deniers. Quant il fu parfait et les gens d’armes dedens entré, 349 qui à chiaux dou castiel devoient combattre, et il eurent passet le moitiet de le rivierre, chil dou castiel fissent desclichier quatre martinéz que il avoient nouvellement fait faire pour remediier contre lez quatre cas dessus diz. Chil quatre martinet jettèrent si grosses pièrez et si souvent sus ces cas, qu’i[l] furent bientost [si] debrissiet, que lez gens d’armez et chil qui les conduisoient, ne se peurent dedens garantir. Si les couvint retraire arrière, ainschois qu’il fuissent oultre le rivierre. Et en fu li uns effondrés el fons de l’aige, et le plus grant partie de chiaux qui dedens estoient, noiiet: dont che fu pitéz et dammaiges, car il y avoit des bons chevaliers et escuiers. Fº 88.

Ms. de Rome: A l’endemain vinrent doi mestre des enghiens que li dus de Normandie avoit mandés et fait venir de moult lonc à grans coustages. Et dissent au duch et as signeurs: «Faites nous delivrer bois et ouvriers, et nous ferons et ordonnerons quatre enghiens que on nomme kas, et les ferons hauls et fors et bien batilliés, et sus quatre fortes nefs, que on menra jusques as murs dou chastiel; et seront si très hault que il sourmonteront les murs. Et auera, en ces kas, estages où gens d’armes se meteront, et se combateront, main à main, à ceuls de dedens, et par cel assaut, se jamais il doivent estre conquis, il le seront.» A ces paroles entendirent li dus de Normendie et li signeur volentiers, et leur sembla raisonnable. Et furent tantos ouvriers mis en oevre, bos amenés et achariiés, et estoient bien deus cens carpentiers ouvrans. Et furent fait chil enghien, nonmés kas, sus quatre grosses nefs, à la devise et ordenance des deus mestres enghienneours, qui menoient les ouvriers. Qant chil enghien nonmés kas furent parfait, et les gens d’armes dedens entré qui à ceuls dou chastiel devoient combattre, et il orent passet la moitiet de la rivière, chil dou chastiel fissent descliqier quatre martinés que il avoient nouvellement fait faire, pour remediier contre les quatre kas desus dis. Chil quatre martinet jettèrent grosses pières et si souvent sus ces kas que il furent bientos tous confroissiés et debrisiés, que les gens d’armes, qui dedens estoient et chil qui les conduisoient, ne se peurent garandir. Si les couvint retraire arrière, avant que il fuissent oultre la rivière. Et en fu li uns effondrés au fons de l’aige, et la plus grant partie de ceuls qui dedens estoient, noiiet: dont ce fu pités et damages, car il i avoit de bons chevaliers et esquiers, qui grant desir avoient de lors corps, pour leur honnour, avanchier. Fº 109 vº.

350 § 253. P. 127, l. 28: Quant li dus.—Ms. d’Amiens: Quant li dus de Normendie et li signeur de France virent le grant mescief, et que par ce il ne pooient venir à leur entente, il furent mout courouchiet; et fissent les autres trois nefs et les chas cesser et retraire, et yssir hors tous chiaux qui dedens estoient. Si ne pooient li seigneur plus aviser voie, mannierre ne enghien coumment il pewissent le fort castiel de Aguillon concquerre, et se n’y avoit duc, ne comte, tant fust grans sirez, ne prochains de linage au ducq de Normendie, qui osast parler dou deslogier; car li dis ducs en avoit parlet moult avant qu’il ne s’en partiroit, si aroit le castiel à se vollenté et chiaux qui dedens estoient, non se li roys ses pèrez ne le remandoit. Si avisèrent li seigneur que li comtez de Blois, li comtes de Ghinnez, connestablez de Franche, li comtez de Tancarville se partiroient dou siège et s’en repairoient en Franche pour compter au roy le mannierre dou siège et quel cose li roys volroit que li dus sez filz en ordonnast. Si se partirent chil troi seigneur dessus nommet, et aucun chevalier de Franche ossi, par le bon congiet dou ducq, et s’en revinrent à Paris deviers le roy de Franche, et lui recordèrent toutte l’ordonnance dou siège d’Aguillon et le couvent de chiaulx de l’host et ossi de cheux dou castiel. Si en fu li roys moult esmervilliéz coumment tant se pooient tenir, et ne remanda mies adonc le duc son fil, mès s’acorda bien à ce que il tenist le siège et que il les conquesist par afammer, puisque par assault ne les pooit avoir. Or vous lairons à parler dou siège d’Aguillon, et parlerons dou roy englès et coumment il ariva en Normendie, en l’ille de Coustentin, en celle meysme saison, sus l’enort de monseigneur Godeffroy de Halcourt. Fº 88 vº.

Ms. de Rome: Qant li dus de Normendie et li signeur de France veirent le grant mescief, et que par ce il ne pooient venir à lors ententes, il furent moult courouchiet, et fissent les aultres trois nefs et les kas cesser et retraire, et issir hors tous ceuls qui dedens estoient. Si ne pooient li signeur plus aviser voie, manière ne enghien conment il peuissent le chastiel de Agillon avoir et destruire. Et se n’i avoit prince ne baron, tant fust grans sires ne proçains de linage au duc de Normendie, qui osast parler dou deslogier, ne aler d’aultre part entendre, car li dus en avoit parlé moult avant que point de là ne se departiroit, si aueroit le castiel à sa volenté et ceuls qui dedens estoient, con longement que il i deuist mettre, non se li rois son père ne le remandoit. Si avisèrent 351 li signeur que li contes de Ghines, connestables de France, et li contes de Tanqarville se departiroient dou siège et s’en retourneroient en France, pour remoustrer au roi l’estat de son fil, le duch de Normendie, et dou siège qui tant avoit cousté et coustoit encores tous les jours. Si se departirent de l’oost chil doi conte desus nonmé, assés par le gré et congiet dou dit duch, et cevauchièrent tant par lors journées que il vinrent à Paris, et trouvèrent le roi et la roine et la duçoise de Normendie et les dames. Si furent chil signeur conjoi et requelliet liement dou roi et de la roine, de tous et de toutes; et demandèrent de l’estat dou duch et dou siège. Il lor en comptèrent assés. Si demora la cose ensi et li sièges devant Agillon. Nous nos soufferons à parler dou duc de Normendie, et parlerons dou roi d’Engleterre. Fº 109 vº.

§ 254. P. 128, l. 29: Bien avoit.—Ms. d’Amiens: Vous avés bien chy dessus oy coumment messires Ghodeffroix de Halcourt, qui estoit li uns dez plus grans barons de Normendie, escei en le indination et malivolensce dou roy Phelippe de Franche, et ossi coumment il vint en Engleterre, où li roys englès le rechupt liement et le retint de son hostel et de son consseil, et le assigna de terre et de pencion grande et rice pour lui et pour son estat. Chilx messires Godeffroix avoit pris en grant anoy et despit le courouch dou roy de Franche, et mettoit et rendoit toutte le painne qu’il pooit, que li roys englèz volsist ariver en Normendie. Et bien li disoit que Normendie estoit ungs dez gras pays de tout le monde et dez plentiveux de tous biens, et que trop grandement il y feroit le prouffit de lui et de ses gens. Tant consilla et enhorta le roy englès que il eut affection et desir de y venir et de faire une chevauchie en Franche plus grande que oncque n’avoit fait; si fist tout cel estet son apparreil très grant et très gros de touttes coses. Et entroes qu’il s’appareilloit, pluisseurs lettrez li vinrent de Gascoingne dou comte Derbi, son cousin, qui se tenoit à Bourdiaux, et li segnefioit à quel puissance li dus de Normendie seoit devant Aguillon et avoit ou dit castiel asegiet ses gens. Si eut li roys pluisseurs pourpolx, et touttesfoix celli où il s’enclinoit le plus, estoit de aller lever le siège devant Aguillon et combattre lez Franchois.

Et messires Godeffrois de Halcourt, d’autre part, le reconssilloit de ariver en Normendie, si comme vous avés chy dessus oy, 352 si ques li roys englès, sus cel estat, fist ung grant appareil de naves et de vaissiaux, grans et petis, et de touttes pourveanches qui à gens d’armes appertiennent, et les fist touttez aroutter et appointier ou havene de Hantonne; et fist un especial et grant mandement de tous ses hommes dont il se pooit aidier, à estre à Londres ou environ, le vegille monseigneur Saint Jehan Baptistre. Tout y furent au jour denommet, pourveu et garni pour passer le mer avoecq lui. Assés tost apriès le jour Saint Jehan, li roys parti et prist congiet à le roynne sa femme, et le recoummanda en le garde dou comte de Kent son cousin, dou seigneur de Perssi et dou seigneur de Noefville, et son royaumme en le garde de ces seigneurs et de quatre prelas, l’archevesque de Chantorbie, l’arcevesque d’Iorche, l’evesque de Lincolle et l’evesque de Durem; et n’eswuida mies son royaume tellement que il n’y demorast assés de bonne gent pour le garder et deffendre, se mestiers faisoit.

Li rois englès s’en vint à Hantonne, et là entra en mer et touttes ses gens ossi, dont il y avoit belle carge. Et pooient y estre quatre mil hommez d’armes et dix mil archiers, sans les Galès et aucuns Irois qui sieuwoient son host tout à piet. Or vous nommeray aucuns seigneurs qui estoient avoecq le roy: premiers li prinches de Galles ses filx, qui lors estoit en l’eage de treize ans ou environ, li comtez de Herfort, li comtez de Norrenton, li comtez de Cornuaille, li comtes de Warvich, li comtez de Sufforch, li comtez d’Arrondiel, le comtez de le Marche, li comtez de Hostidonne, messires Renaux de Gobehen, messires Jehans de Biaucamp, messires Loeys de Biaucamp, messires Rogiers de Biaucamp, li sirez de Ros, li sirez de le Ware, li sirez de Felleton, messires Guillaummes Filx Warine, li sires de Willebi, messires Guillaumme de Windesore, li sires de Brasseton, li sirez de Multon et pluisseur autre banereth et chevalier. Et se missent en mer et singlèrent che premier jour à l’ordonnance dou vent et dez maronniers au léz deviers l’ille de Grenesie. Et fist li roys patron de se nave monseigneur Godeffroy de Halcourt, en qui il avoit grant fiance. Fº 88 vº.

Ms. de Rome: Bien avoit li rois d’Engleterre oy recorder que li François tenoient les camps en Gascongne, et que li dus de Normendie, à poissance de gens d’armes, seoit devant Agillon. Et tout l’estat dou pais, ses cousins, li contes Derbi, li avoit escript, et que sur ce il euist avis et consel, car ensi que li pais 353 avoit esté gaegniés, il se perderoit, se on n’i pourveoit. Et se il estoit perdus, ce ne seroit point à recouvrer en grant temps ou espoir jamais, car les villes se fortifieroient et garniroient aultrement et plus fort que il n’euissent esté en devant. Et aussi li chevalier dou pais qui tourné françois estoient, jamais ne retourneroient en l’obeissance dou roi d’Engleterre; et tout li aultre, qui espoir poroient venir à celle volenté, n’i prenderoient point bon exemple. Toutes ces coses considera bien li rois d’Engleterre. Si eut avis et volenté que, à poissance de gens d’armes et d’archiers, il passeroit la mer, et s’en iroit prendre terre à Bourdiaus sus la Geronde et lever le siège de devant Agillon; à tout le mains, il en feroit son acquit. Si fist un mandement et semonse de gens d’armes à estre à Londres as octaves de la Saint Jehan Baptiste. Tout i furent, chil qui mandé et escript estoient. Et se departi li dis rois dou chastiel de Windesore, et vint à Cènes, et de là à Eltem, et toutdis estoit la roine en sa compagnie. Qant li rois d’Engleterre ot tout son estat ordonné, et ses pourveances furent prestes, et sa navie toute ordonnée, tant à Wesmude, à Pleumude et à Dardemude, il fist traire ses gens petit à petit de celle part, et cargier la navie, et puis prist congiet à la roine, et le reconmanda en la garde des Londriiens. Et puis se departi et enmena avoecques lui, son fil, le prince de Galles, Edouwart, l’ainnet de tous ses enfans, et pooit avoir pour lors environ quinse ans.

Avoecques le roi et moult proçains de li, se tenoit mesires Godefrois de Harcourt, liquel estoit banis et escaciés dou roiaulme de France, ensi que vous savés et que dit est en l’istore ichi desus. Chils Godefrois de Harcourt fu uns chevaliers de grant corage, et moult vaillans de consel et d’armes, selonch sa poissance, car il fu boisteus moult fort. Mais pour ce ne demora mies que il ne fust hardis et entreprendans, et ne daigna onques fuir en bataille; et avoit pris ce que on l’avoit escachiet hors de France et bani, en grande ingratitude et desplaisance. Et proposoit que, par envie, fraude et mauvesté, on li avoit fait ce blame, et que tout estoit pour garder et tenir en droit et soustenir les coustumes et libertés normandes. Et pour ce que trop avant il en avoit parlé à l’encontre de la majesté roiale, on l’avoit pris en indignation, si ques trop volentiers il en veroit, ce disoit il au roi d’Engleterre et à auquns barons d’Engleterre, son coer esclarchi et sa contrevengance. Et rendoit grant painne à ce, et 354 consilloit que li rois d’Engleterre et sa navie presissent terre en Normendie; et leur disoit que trop bien il les menroit et ou millour pais, plus rice, plus cras et mieuls pourveus de tous biens qui fust ou monde. Et disoit ensi: «Sire, de une marée, nous i serons et ne trouverons honme qui nous contredie.» Li rois d’Engleterre entendoit as paroles messire Godefroi de Harcourt et les sentoit, contenoit assés, et trouvoit bien dalés li qui li consilloit à faire; mais son corage s’enclinoit à ce que ses gens, qui estoient enclos dedens le chastiel d’Agillon, fuissent réconforté, car il gissoient là en peril et en dangier. Et respondoit à ce, et disoit: «Godefroi, je sçai assés que vous me consilliés loiaument, mais il faut premierement entendre au plus disseteus, et [qant auerons] nous esté par de delà et viseté Bourdiaus et le pais, jamais en Engleterre ne retournerons, si auerés veu une partie de vostre desir.»

Ensi se devisoient li rois d’Engleterre et messires Godefrois de Harcourt ensamble. Et tant vinrent que il se trouvèrent à lor passage, où toutes les nefs estoient apparillies et cargies, ensi que conmandé et ordonné estoit. Et euls venu, il n’i sejournèrent point longement, car il avoient tout pourveu, et vent à volenté. Si entrèrent tout generaulment en lors vassiaus, et se desancrèrent et entrèrent en la mer, et levèrent les voilles amont. Et estoit li intention dou roi de prendre la mer pour aler en Gascongne et à Bourdiaus, mais qant il furent en la mer et il quidièrent esploitier et avoir le vent pour euls, ils l’orent tantos si contraire que il ne pooient aler avant. Et les couvint jesir à l’ancre à l’encontre des isles de Normendie, et tant que li rois en estoit tous anoieus. Adonc li dist messires Godefrois de Harcourt: «Sire, soiiés tous certains que Dieus voelt que nous alons en Normendie. Si vous pri que vous creés Dieu et le vent, et vous verés proçainnement que vostres besongnes en vaudront mieuls.»—«Godefroi, respondi li rois d’Engleterre, se li chastiaus d’Agillon et chil qui sont dedens enclos, estoient en Normendie, je seroie bien tos consilliés de traire celle part; mais il fault et si apertient que nous alons à plus digeteus devant, et reconfortons ceuls qui gissent en dangier et en peril.» A ces paroles respondi messires Godefrois de Harcourt et dist: «Sire, conment les poés vous faire plus grande aïe que de entrer dedens le roiaulme de France et tantos, et faire forte gerre? Vous chevaucerés et tout vostre hoost jusques ens ès portes de Paris, et jà ne trouverés qui vous 355 empèce, ne contredie vostre cemin. Et par le voiage que vous ferés ensi parmi le roiaulme de France, se levera li sièges de devant Agillon; car toutes gens d’armes, où que il soient, seront mandé pour venir à l’encontre de vous et vous combattre. Et li dus de Normendie et li grant baron de France, qui seent devant Agillon, ne seront pas oubliié, ne mis derrière que il ne soient remandé.» Adonc regarda li rois d’Engleterre sus le conte de Warvich et le conte de Arondiel, qui estoient dalés li, et lor demanda: «Que vous en samble de ce que Godefrois de Harcourt conselle?» Il respondirent: «Sire, nous n’i veons que tout bien, et voirement dist il verité de une cose: li voiages est lons de chi en Gascongne, et si avons le vent contraire pour nous, et vous ne poés aler avant ne esploitier fors que par le vent. Et se vous prendés terre en Normendie, et cevauchiés avant ou roiaulme de France, de legier, ensi que il dist, se leveront chil qui tiennent siège devant Agillon.» Adonc dist li rois: «Or avant, faites tourner deviers Normendie, car nous volons prendre et aler ce cemin, et Dieux soit sus nostre voiage!» Fos 109 vº et 110.

P. 129, l. 8: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 129, l. 12: Cartesée.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18, 19: Cartasée. Fº 133 vº.—Mss. A 20 à 22: Carcassée. Fº 195.

P. 129, l. 17: Kent.—Mss. A 11 à 14, 18, 19: Kenk. Fº 128.—Mss. A 15 à 17: Ken. Fº 135.

P. 129, l. 24 et 25: mil trois cens quarante cinq.—Mss. A 18, 19, 23 à 29: mil trois cens quarante six. Fº 137.

P. 129, l. 29: quatre.—Mss. A 20 à 22: trois. Fº 195.

P. 129, l. 32: Durem.—Mss. A 15 à 17: Durennes. Fº 135.

P. 130, l. 8: Si pooient.—Ms. B 6: Et entrèrent ens le roy son filz, six contes, vingt deux barons, quatre cens chevaliers et tout en somme six mille hommes d’armes et douze mille archiés et environ six mille Gallois. C’estoit grant bieauté à veoir la navire nagier sur mer et ces ensaignes et ces banières venteler sur la mer. Sy y avoit environ quatre cens nefs. Là sist le roy sur mer, et fist messire Godefroy de Harcour estre patron de toute la navire. Fº 294.

P. 130, l. 8: sept mil.—Mss. A 1 à 33: quatre mille. Fº 134.

P. 130, l. 9: trois.—Ms. A 8: Yrlois. Fº 121 vº.—Mss. A 15 à 17: Yrlandois. Fº 135 vº.

P. 130, l. 14: treize.—Mss. A 15 à 17: dix sept. Fº 135 vº.—Mss. A 20 à 22: quatorze. Fº 195 vº.

356 P. 130, l. 14: Herfort.—Mss. A 20 à 22: Harfort. Fº 195 vº.

P. 130, l. 15: Norenton.—Ms. A 7: Noreton. Fº 128 vº.—Mss. A 20 à 22: Norton. Fº 195 vº.

P. 130, l. 17: Hostidonne.—Mss. A 1 à 6: Hastidonne. Fº 134.—Mss. A 15 à 17: Hostidionne. Fº 135 vº.—Mss. A 23 à 29: Hontindonne. Fº 153.

P. 130, l. 17 et 18: Askesufforc.—Mss. A 11 à 14: Hasquesufford. Fº 128 vº.—Mss. A 20 à 22: Acquesuffort. Fº 195 vº.—Mss. A 1 à 6: Stanfort. Fº 134.—Mss. A 15 à 17: Kenforth. Fº 135 vº.

P. 130, l. 20: Biaucamp.—Mss. A 15 à 17: Beaux Champs. Fº 135 vº.

P. 130, l. 21: Gobehen.—Mss. A 11 à 17: Gobehan. Fº 128 vº.

P. 130, l. 22: Ros.—Mss. A 30 à 33: Rooz. Fº 181.

P. 130, l. 22: Lussi.—Mss. A 18, 19, 23 à 33: Lucy. Fº 137.

P. 130, l. 22: Felleton.—Mss. A 20 à 22: Filleton. Fº 195 vº.

P. 130, l. 23: Brasseton.—Mss. A 15 à 17: Busenton. Fº 135 vº.—Mss. A 20 à 33: Braston. Fº 195 vº.

P. 130, l. 23: Multon.—Mss. A 30 à 33: Millon. Fº 181.

P. 130, l. 23 et 24: le Ware.—Mss. A 1 à 6: Ware. Fº 134.—Mss. A 7 à 17: la Ware. Fº 128 vº.—Mss. A 23 à 33: Labbar. Fº 153.

P. 130, l. 25: Bercler.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18, 19: Bercles. Fº 134.—Mss. A 23 à 29: Barcles. Fº 153.—Mss. A. 30 à 33: Barclet. Fº 181.

P. 130, l. 25: Willebi.—Mss. A 20 à 22: Willebry. Fº 195 vº.

P. 130, l. 27: Guillaumes.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Jehan. Fº 134.

P. 130, l. 28: James.—Mss. A 8, 15 à 17: Jaques. Fº 121 vº.

P. 130, l. 28: Audelée.—Mss. A 8, 9, 15 à 17, 23 à 33: Andelée. Fº 121 vº.

P. 130, l. 29: Wettevale.—Mss. A 15 à 17: Westevalle. Fº 135 vº.

P. 130, l. 29: Bietremieus de Brues.—Mss. A 15 à 17, 23 357 à 33: Berthelemi de Brunes. Fº 135 vº.—Mss. A 20 à 22: Bertholomieu de Brunis. Fº 195 vº.

P. 130, l. 31: nommer.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19 ajoutent: singulierement. Fº 134.

P. 130, l. 32: Oulphars.—Mss. A 11 à 14: Oulfas. Fº 128 vº.

P. 131, l. 14: gras.—Mss. A 15 à 17: cras. Fº 135 vº.—Mss. A 8, 9, 11 à 14: grans. Fº 122.

P. 131, l. 27: voiage.—Les mss. A 15 à 17 ajoutent: Et pour certain vous et nous tous en vauldrons mieulx, car nous y trouverons or, argent, vivres et tous autres biens à grant plenté. Fº 135 vº.—Ms. B 6: car il n’i a rien, fontainne ne rivière où jou n’ay esté voller de mes oisieaulx; et congnois tous les pasages par où on puelt entrer ne yssir en Normendie. Fº 295.

§ 255. P. 131, l. 28: Li rois d’Engleterre.—Ms. d’Amiens: Li roys de Franche estoit bien enfourmés de l’arivée le roy englès et dou grant appareil qu’il avoit fait, mès il ne savoit de quel part il vorroit ariver. Si avoit garnis tous ses pors de mer et partout envoiiéz gens d’armes. Et avoit envoiiet son connestable le comte de Ghines et le comte cambrelent de Tamkarville, qui nouvellement estoit revenu d’Agillon, à grant fuisson de gens d’armes, en Normendie, qui se tenoient en le bonne ville de Kem. Et avoit envoiiet l’un de ses marescaux, monseigneur Robert Bertran, en Constentin, à grant fuisson de gens d’armez, car il supposoit que messires Godeffroys de Halcourt poroit bien amenner les Englès celle part. Et avoit envoiiet à Harflues monseigneur Godemar dou Fay à grant fuisson de gens d’armes, et li avoit recargiet toutte celle marche mouvant de Harfluez tant c’à Kalais. Tant singla li roys englèz qu’il ariva à l’entrée d’aoust en l’ille que on claimme Grenesie, à l’encontre de Normendie, et se tient celle terre françoise; si le trouva plaine et grasse durement, et y sejourna sept jours, et l’ardi et essilla tout. Là eut consseil li roys que il se trairoit en Normendie, et premiers ou boin pays de Constentin. Si ordonnèrent leurs vaissiaux et leur navie et rentrèrent ens, et tournèrent lez voilles deviers le Hoge Saint Vast, assés priès de Saint Sauveur le Visconte, où li marescaux de Franche estoit à bien deux mil combatans. Tant singla la navie au roy englès qu’il arivèrent en le Hoge Saint Vast le jour de le Madelainne, l’an mil trois cens quarante six.

358 Quant messires Robers Bertrans, marescaux de Franche, entendi que li roys englèz avoit ars et essilliéz l’ille de Grenesie et pris le fort castiel qui y estoit, et volloit ariver en Normendie, si manda par touttez les garnisons gens d’armes et compaignons pour deffendre et garder le pays, si comme ordonné et coummandé de par le roy li estoit. Et fist sen asamblée à Saint Salveur, qui solloit estre au dessus dit monseigneur Godefroy de Halcourt, mès li roys de Franche li avoit tolut et toutte se terre ossi; et se mist as camps et dist que il veeroit au roy englèz le passaige. Si avoit li dis marescaux de Franche adonc avoecq lui pluisseurs chevaliers et escuiers de Normendie, dou Maine, dou Perce, de le comté d’Allenchon. Si se ordonnèrent li Franchois bien et hardiement par le fait de leur souverain, seloncq le marinne, et missent tout devant chiaux qui archiers et arbalestriers estoient. Quant li roys englès et se navie durent ariver, il trouvèrent cel encontre. Là fist li roys englès le prinche de Gallez, son fil, chevalier, et le recoumanda à deux des milleurs chevalierz de son host, le seigneur de Stanfort, qui revenus estoit nouvellement de Gascoingne et dou comte Derbi, et monseigneur Renart de Gobehem. Et puis coummanda li roys à ordonner les archers seloncq le marine et de prendre terre. Dont s’aroutèrent vaissiel, chacuns qui mieux mieux. Là estoient li Franchois qui bien s’aquittoient d’iaux veer et deffendre le passaige; et y eut dur hustin et fort malement, et dura li trais moult longement. Fº 89.

Ms. de Rome: En ce jour estoit amirauls de la mer et institués de par le roi et son consel, li contes de Warvich, et connestables, li sires de Biaucamp, et marescauls, mesires Thomas de Hollandes, et mestres cambrelens d’Engleterre, li contes de Honstidonne. Et avoit li rois d’Engleterre en celle flote et route quatre mille hommes d’armes et douse mille archiers. Adonc furent les nefs tournées au conmandement et ordenance dou roi, au lés deviers Normendie; et tantos il orent si plain vent que à droit souhet il euissent assés perdu, et prissent terre en l’ille de Coustentin, en la Hoge Saint Vast. Dont messires Godefrois de Harcourt estoit si resjois de ce que il veoit que il enteroient en Normendie, que de joie il ne s’en pooit ravoir, et disoit bien: «Nous enterons ou plus cras pais dou monde, ou plus plentiveus, et si en ferons nostre volenté, car ce sont simples gens qui ne scèvent que c’est de gerre.» Fº 110.

P. 132, l. 9 et p. 133, l. 1: voir Sup. var. (n. d. t.)

359 § 256. P. 133, l. 7: Quant la navie.—Ms. d’Amiens: Quant li vaissiaux le roy englès deut approchier terre, il, de grande vollenté, se mist à deus piés le bort de se nef et s’esquella tous armés et sailli à terre. Ad ce qu’il sailli, li ungs de ses piés li glicha, et chei trop durement en dens sus le sablon, tant que li sans li volla hors dou viaire. Adonc le prissent li chevalier qui dallés lui estoient, et li dissent: «Sire, sire, rentrés en vostre nef; vous n’avés que faire de traire avant pour combattre. Nous ferons bien ceste journée sans vous. Che que vous estez cheus et si dur blechiés, nous esbahist grandement, et le tenons à mauvais signe.» Adonc respondi li roys et dist à ses chevaliers qui ces parollez li avoient dittez: «Signeur, signeur, il n’est miez enssi, mais est ungs très bons signez, car la terre me desire et connoist que je sui ses sirez naturelx. Pour ce a elle pris de mon sanc. Alons avant, ou nom de Dieu et de saint Jorge, et requerons nos ennemis.» De le responsce dou roy furent chil qui dallés lui estoient, tout sollet, et dissent entr’iaux que il se confortoit grandement de soy meysmez. Touttesfois il se tinrent là tant que il fust estanciés, et entroes se combattoient li autre. Là eut bataille dure et forte, et dura moult longement. Et prendoient li Englèz terre à grant meschief; car li Franchois leur estoient au devant, qui lez traioient et berssoient, et en navrèrent de coumencement pluisseurs, ainschois que il pewissent ariver. Touttesfois, li archier d’Engleterre moutepliièrent si, et tant ouniement traioient, que il efforcièrent les Normans qui là estoient, et les reculèrent. Et prissent terre premierement li princes de Gallez et se bataille, et puis messires Godeffroit de Halcourt et li comtez de Sufforch, qui estoit marescaux de l’ost. Là furent li Franchois reculet, et ne peurent tenir plache, et mis à desconfiture. Et y fu messires Robers Bertrans durement navrés, et uns siens fils, uns juenez et mout appers chevaliers, mors, et pluisseurs autrez. Et vous di que se li Englès ewissent eu lors chevaux, qui encorres estoient en lors vaissiaux, jà homs ne s’en fuist partis, que il n’ewissent esté ou mors ou pris. A grant dur et à grant meschief se sauva li marescaux de France.

Apriès celle desconfiture, ariva li roys englès et tout sen host paisieulement en le Hoge Saint Vast, et se tinrent là sus les camps quatre jours en descargant leur navie, et en ordonnant leurs besoingnes et en regardant quel part il se trairoient. Si fu enssi conssilliet que il partiraient leur host en trois pars; et yroit li 360 une des parties par mer pour ardoir et essillier le pays seloncq le marinne, là où il avoit plenté de cras pays et plentiveus et grant fuisson de bonnes villez, et prenderoient touttez lez naves et les vaissiaux qu’il trouveroient sus les frontierrez de le marine. Et li roys et li prinches, ses filz, yroient à tout une grosse bataille par terre, gastant et essillant le pays, et li doy marescal, li comtez de Sufforch et messires Godeffrois de Harcourt, à cinq cens hommez à cheval et deux mil archiers, reprenderoient l’autre léz de le terre, et chevaucheroient un autre chemin, et revenroient touttez les nuis en l’ost le roy englès, leur seigneur. Chil qui s’en allèrent par mer, che furent: messires Richart de Stamfort, messires Renaux de Gobehen, li sirez de Ros, li sire de le Ware, messires Loeis de Biaucamp, messires Jehans Camdos, messires Edouwart de Clifort, li sirez de Willebi et messires Thoumas de Felleton et pluisseurs aultrez.

Chil chevalier et leurs gens, qui s’en aloient par mer seloncq le marinne, prendoient touttes les naves, petittez et grandes, qu’il trouvoient, et les enmenoient avoecq yaux. Archiers et gens de piet aloient de piet seloncq le marinne d’encoste yaux, et reuboient et ardoient villettez, enssi qu’il lez trouvoient. Et tant allèrent et chil de terre et chil de mer que il vinrent à un bon port de mer et à une moult forte ville que on claimme Blarefleu, et le concquissent, car li bourgois se rendirent à yaux pour doubtance de mort; mès pour ce ne demoura mies que toutte la ville ne fust reubée, et pris or et argent et chiers jeuiaux, car il en trouvèrent si grant plenté que garchon n’avoient cure de draps fourréz de vair, ne de couvretoirs, ne de telz coses. Et fissent tous les hommes de le ville yssir hors, et monter en naves et aller avoecq yaux, pour ce qu’il ne volloient mies que ces gens se pewissent rassambler, quant il seroient oultre passet, pour yaux grever. Fº 89.

Ms. de Rome: Qant li rois Edouwars d’Engleterre, qui pour lors estoit en la flour de sa jonèce, ot pris terre en la Hoge Saint Vast, en l’ille de Coustentin, et que tout[e] la navie fu aroutée, et toutes gens issoient de lors vassiaus et saloient sus le sabelon, car la mer estoit retraite, li rois, qui estoit de grant volenté, mist son piet sur le bort de sa nef et salli oultre sus la terre; et à ce que il fist son sault, li piés li gliça et chei si roit sus le sabelon que li sans li vola hors dou nés à grant randon. Donc dissent li chevalier qui dalés li estoient: «Sire, retraiiés vous en 361 vostre navie. Vechi un povre et petit signe.»—«Pourquoi? respondi li rois, mais est li signes très bons, car la terre me desire.» De ceste response se contentèrent et resjoirent moult grandement tout chil qui l’oirent. Et issirent, petit à petit, les Englois hors de la navie, et se logièrent là environ au mieuls que il porent. Et qant toutes les nefs furent descargies, le rois d’Engleterre eut consel que on les garniroit de gens d’armes et d’archiers, et poursievroient tous jours la marine; et puis orent consel conment il chevauceroient. Il ordonnèrent lors gens en trois batailles, de quoi li une cemineroit d’un lés, costiant la marine, et la bataille de l’avant garde chevauceroit sus le pais à destre, et li rois en milieu de ces batailles; et devoit, toutes les nuis, la bataille des marescaus retraire ou logeis dou roi. Si conmencièrent à cevauchier et à aler ces batailles, ensi que ordonné estoient. Chil qui s’en aloient par mer, selonch la marine, prendoient toutes les naves petites et grandes que il trouvoient, et les enmenoient avoecques euls. Archiers et honmes de piet aloient costiant la mer, et prendoient et enportoient devant euls tout che que il trouvoient. Et tant alèrent et chil de mer et chil de terre, que il vinrent à un bon port de mer et une forte ville que on clainme Barflues, et entrèrent dedens; car li bourgois se rendirent pour le doubtance de mort, mais li chastiaus n’eut garde, car il est trop fors. Et pour ce ne demora pas que la ville ne fust courue et roubée de tout ce de bon que il i trouvèrent; et i trouvèrent or et argent à grant plenté, et [de] lor butin et pillage, il cargoient lors vassiaus; et fissent entrer en lors vassiaus tous les honmes aidables de la ville, et les enmenèrent avoecques euls, afin que ils ne se requellaissent et mesissent ensamble et les poursievissent. Fº 110 vº.

P. 133, l. 10 et 11: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 133, l. 27: sus leur navie.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: sur le rivage. Fº 135.

P. 133, l. 28: quatre cens.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: trois cens. Fº 135.

P. 133, l. 31: serrant.—Ms. A 8: suiant. Fº 122 vº.—Mss. A 15 à 17: suivant. Fº 136 vº.

P. 134, l. 13: Barflues.—Mss. A 7, 15 à 17: Barfleu. Fº 129 vº.—Mss. A 11 à 14: Barefleu. Fº 129 vº.—Ms. A 8: Harfleus. Fº 122 vº.—Mss. A 1 à 6, 18 à 33: Harefleu, Harfleu. Fº 135.

P. 134, l. 15: reubée.—Ms. B 6: car elle n’estoit point 362 framée. Sy fut toute pillie et arse et destruite, et l’avoir mis ès nefs. Et en estoient les gouverneurs le conte de Hostidonne et messire Jehan de Beaucamp. Fº 296.

§ 257. P. 134, l. 24: Apriès ce que.—Ms. d’Amiens: Apriès ce que la grosse ville de Barefleu fu prise et robée, il allèrent et s’espandirent aval le pays seloncq le marinne, et faisoient touttes leurs vollenté[s], car il ne trouvoient nul homme qui leur veast. Et allèrent tant qu’il vinrent à une bonne ville et riche et grant port de mer que on claimme Chierebourch, et le prissent et le robèrent en tel mannierre qu’il avoient fait Barefleu. Et puisedi en tel mannierre il fissent de Montebourc, d’Avaloingne et touttes autrez bonnes villez qu’il trouvèrent là en celle marce; et gaegnièrent si grant tresor qu’il n’avoient cure de draps ne de jeuiaux, tant fuissent bon, fors d’or et d’argent seullement. Apriès, il vinrent à une moult grosse ville et bien fremée et fort castiel que on claimme Quarentin, là où il i avoit grant fuison de saudoiiers et de gens d’armes de par le roy de Franche. Adonc descendirent li seigneur et les gens d’armes de leurs naves, et vinrent devant le ville de Quarentin et l’assaillirent fortement et vistement. Quant li bourgois virent chou, il eurent grant paour de perdre corps et avoir; si se rendirent sauf leurs corps, leurs femmes et leurs enfans, maugret lez gens d’armes et lez saudoiiers qui avoecq yaux estoient, et missent leur avoir à vollenté, car il savoient bien qu’il estoit perdu davantaige. Quant li saudoiier virent che, il se traissent par deviers le castiel qui estoit mout fors, et chil seigneur d’Engleterre ne veurent mies laissier le castiel enssi. Si se traissent en le ville, puis fissent asaillir au dit castiel deux jours si fortement, que chil qui dedens estoient et qui nul secours ne veoient, le rendirent, sauf leurs corps et leur avoir; si s’en partirent et en allèrent autre part. Et li Englèz fissent leur vollentés de celle bonne ville et dou fort castiel, et regardèrent qu’il ne le pooient tenir. Si l’ardirent et abatirent, et fissent les bourgois de Quarentin entrer ens ès naves, et allèrent avoecq yaux, enssi qu’il avoient fait les autres. Or parlerons ottant bien de le chevaucie le roy englès que nous advons parlet de ceste. Fº 89 vº.

Ms. de Rome: Apriès que la ville de Barflues fu prise et robée sans ardoir, il s’espardirent parmi le pais, selonch la marine, et i fissent grant partie de lors volentés, car il ne trouvoient honme qui lor deveast; et ceminèrent tant que il vinrent jusques à une 363 bonne ville, grose et rice, et port de mer, qui se nonme Chierebourch. Si en ardirent et reubèrent une partie, mais dedens le castiel il ne peurent entrer, car il le trouvèrent trop fort et bien pourveu de bonnes gens d’armes et arbalestriers, qui s’i estoient bouté pour le garder, de la conté d’Evrues, qui pour lors estoit hiretages au roi de Navare. Si passèrent oultre les Englois et vinrent à Montbourch, et de là à Valongne. Si le prisent et robèrent toute, et puis l’ardirent et parellement grant fuisson de villes et de hamiaus en celle contrée, et conquissent si fier et si grant avoir, que mervelles seroit à penser. Et puis vinrent à une aultre bonne ville, seans sus mer, que on dist Qarentin, et i a bon chastiel et tout au roi de Navare, et de la conté d’Evrues. Qant il parfurent venu jusques à là, il trouvèrent la ville close et assés bien fremée et pourveue de gens d’armes et de saudoiiers: si se ordonnèrent les Englois pour le asallir, et i livrèrent de venue très grant assaut. Qant li bourgois de Quarentin veirent ce, il orent grant paour de perdre corps et avoir. Si se rendirent, salve lors corps, lors fenmes et lors enfans, vosissent ou non les gens d’armes et les saudoiiers qui dedens estoient, liquel se retraissent ou chastiel, et là dedens s’encloirent. Les Englois entrèrent en la ville de Quarentin et s’i rafresquirent, et ne vorrent pas laissier le chastiel derrière, mais le alèrent tantos asallir de grant volenté, et furent deux jours par devant. Qant li compagnon qui ou chastiel estoient, veirent que point les Englois ne passeroient oultre, et mettoient lor entente à euls prendre de force, et ne venoient secours ne delivrance de nulle part, si doubtèrent à tout perdre et tretièrent as Englois, et le rendirent, salve lors corps et lors biens. Qant li signeur se veirent au desus de Quarentin, de la ville et dou castiel, il regardèrent que il ne le poroient tenir. Si le ardirent et desemparèrent tout, et fissent les honmes aidables et de deffense de Qarentin entrer en lor navie, ensi que ceuls de Barflues, et les enmenèrent avoecques euls, par quoi il ne se aunassent sus le pais et lor portaissent damage. Et ensi avoient il pris les honmes de Chierebourc, de Montebourc et des aultres villes voisines. Et fu tous li pais pilliés, courus et robés, selonc la marine, et avoient cargiet lor navie de si grant avoir de draps, de pennes, de lainnes, de fillés et de vassielle que mervelles estoit à penser. Or parlerons nous otretant bien de la cevauchie le roi d’Engleterre, que nous avons parlé de ceste. Fº 111.

P. 134, l. 30: Chierebourc.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Chierbourc. 364 Fº 135.—Mss. A 20 à 22: Chierbourch. Fº 197.—Mss. A 15 à 19: Chierebourc. Fº 136 vº.—Mss. A 23 à 33: Chierebourg. Fº 155.—Mss. A 8, 9: Cherebourc. Fº 122 vº.—Ms. A 7: Chierebourch. Fº 129 vº.

P. 135, l. 3: Montebourch et Valoigne.—Mss. A 7, 8, 9, 15 à 17: Montebourch ou Montebourc Davalongne. Fº 129 vº.—Mss. A 18, 19: Montebourch Davaloigne. Fº 138 vº.—Mss. A 20 à 22: Montbourch Davalonne. Fº 197.—Mss. A 23 à 29: Montebourg Danalongne. Fº 155.—Mss. A 30 à 33: Montebourg de Valongnes. Fº 182.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14, ne font pas mention de Valognes.

P. 135, l. 8: grosse ville.—Ms. B 6: qui est au roy de Navare. Fº 297.

P. 135, l. 9: Quarentin.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Karentin. Fº 135.—Mss. A 7, 8, 9: Qarentain. Fº 129 vº.—Mss. A 15 à 17: Carentain. Fº 136 vº.—Mss A 18, 19: Carentan. Fº 138 vº.—Mss. A 20 à 33: Carenten. Fº 197.

P. 135, l. 16 à 18: avoir... et misent.—Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18, 19, 23 à 33: avoir, leurs femmes et leurs enffans. Malgré les gens d’armes et les souldoiers qui avec eulx estoient, ilz mistrent... Fº 135. Voir aussi Sup. var. (n. d. t.)

§ 258. P. 136, l. 8: Quant li rois.—Ms. d’Amiens: Quant li roys Edouars eut envoiiés ses gens seloncq le marinne, enssi comme vous avés oy, il se parti de Hoges Saint Vast en Coustentin et fist monseigneur Godeffroy de Harcourt, marescal de l’host, gouvreneur et conduiseur, pour tant qu’il savoit toutez les entrées et yssues dou pays, liquelx prist cinq cens armures de fer et deux mil archiers, et se parti dou roy et de son ost, et alla bien six ou sept lieuwez loing enssus de l’host, ardant et essillant le pays. Si trouvèrent le pays cras et plentiveux de touttes coses, les grainges plainnes de bleds, les maisons plainnes de touttes rikèches, riches bourgois, kars, karettes et chevaux, pourchiaux, moutons et les plus biaux bues del monde que on nourist ens ou pays; si les prendoient et amenoient en l’ost le roy, quel part qu’il se logast le nuit, mès il ne delivroient mies as gens le roy l’or et l’argent qu’il trouvoient, ainschois le retenoient pour yaux. Enssi cheuvauchoit li dis messires Godeffrois, comme marescaux, chacun jour d’encoste le grant host le roy, au destre costet, et revenoit au soir o toutte se compaignie, là où il savoit que ly 365 roys se devoit logier, et telx fois estoit qu’il demouroit deux jours, quant il trouvoient cras pays et assés à gaegnier. Si prist li roys son chemin et son charoy deviers Saint Leu en Coustentin. Mais ainschois qu’il y parvenist, il se loga sus une rivierre trois jours, atendans ses gens qui avoient fait le chevauchie seloncq le marinne, enssi comme vous avés oy. Quant il furent revenut et il eurent tout leur avoir mis à voiture, li comtes de Warvich, li comtez de Sufforch, li sires de Stanfort, messires Renaux de Gobehen, messires Thummas de Hollandez, messire Jehans Camdos et pluisseur autre reprissent le chemin à senestre, à tout cinq cens armures de fer et deux mil archiers, et ardoient et couroient le pays, enssi que messires Ghodeffroit de Halcourt faisoit d’autre costé; et tous les soirs revenoient en l’ost le roy, voir[e]s se il ne trouvoient leur prouffit à faire trop grandement. Fos 89 vº et 90.

Ms. de Rome: Qant li rois d’Engleterre ot envoiiet ses gens costiant la marine, par le consel de mesire Godefroi de Harcourt, et chil se furent mis au cemin, assés tos apriès il se departi de la Hoge Saint Vast, là où il avoit pris terre, et fist monsigneur Godefroi de Harcourt conduiseur de toute son hoost, pour tant que il savoit les entrées et les issues de la duccé de Normendie. Liquels messires Godefrois, conme uns des marescaus, se departi dou roi, à cinq cens armeures de fier et deus mille archiers, et chevauça bien siis ou sept lieues en sus de l’hoost le roi, ardant et essillant le pais. Se le trouvèrent cras, et plentiveuse la contrée de toutes coses, les gragnes plainnes de bleds, les hostels raemplis de toutez ricoises, buefs et vaces les plus cras et mieuls nouris dou monde, brebis, moutons et pors aussi. Tant trouvoient à fouragier que il n’en savoient que faire. Si prendoient les Englois de tous ces biens à lor volenté et le demorant laissoient, et s’esmervilloient des grans recoises et des biens que ils trouvoient près; et de ce bestail il en avoient assés tant que il voloient, et en envoioient encores grant fuisson en l’oost le roi, dont il estoient servi. Ensi cevauçoit messires Godefrois de Harcourt, casqun jour, dou costé le grant hoost le roi, au destre costé, et revenoient le soir et toute sa compagnie, là où il sçavoit que li rois devoit logier; et tèle fois estoit que il demoroit deux jours, qant il trouvoit bien à fourer. Et prist li rois son charoi et son cemin deviers Saint Lo le Coustentin, mais ançois que il parvenist jusques à là, il se loga trois jours sus une rivière, atendans 366 ses gens qui avoient fait la cevauchie sus la marine, ensi que vous avés oy. Qant il furent revenu, et il orent tout lor avoir mis à voiture, li contes de Sufforc, li contes de Warvich, messires Renauls de Gobehen et messires Thomas de Hollande reprissent le cemin à senestre, ardans et assillans le pais, ensi que messires Godefrois de Harcourt faisoit à destre. Et li rois chevauçoit entre ces deus èles; et tous les soirs se trouvoient ensamble, et ceminoient à si grant loisir que il n’aloient le jour que deus ou trois lieues dou plus. Fº 111 vº.

P. 136, l. 19: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 137, l. 4: Saint Leu.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Saint Lou. Fº 135 vº.—Mss. A 23 à 33: Saint Lo. Fº 155 vº.

§ 259. P. 137, l. 15: Ensi par les Englès.—Ms. d’Amiens: Ensi par les Englès estoit ars et essilliés, robéz et pilliéz li bons pays et li cras de Normendie. Ces nouvelles vinrent au roy de France qui se tenoit à Paris, coumment li roys englès estoit en Constentin et gastoit tout devant lui. Dont dist li roys que jammais ne retourroient li Englèz, si aroient estet combatu, et les destourbiers et anois qu’il faisoient à ses gens, rendus. Si fist li roys lettrez escripre à grant fuison, et envoya premierement deviers ses bons amis de l’Empire, pour ce qu’il li estoient plus lontain, au gentil et noble roy de Behaingne, et ossi à monseigneur Charlon de Behaingne, son fil, qui s’appelloit roys d’Allemaingne, et l’estoit par l’ayde et pourkas dou roy Carlon, son père, dou roy de Franche, et avoit jà encargiet lez armes de l’Empire. Si les pria li roys de Franche si acertes que oncques peult, que il venissent o tout leur effort, car il volloit aller contre les Englès qui li ardoient son pays. Chil dessus dit seigneur ne se veurent mies excuzer, ains fissent leur amas de gens d’armes allemans, behaignons et luzenboursins, et s’en vinrent deviers le roy efforchiement. Ossi escripsi li roys au duc de Lorainne, qui le vint servir à plus de quatre cens lanchez. Et y vint li comtez de Saumes en Saumois, li comtez de Salebrugez, li comtez Loeys de Flandres, li comtez Guillaumme de Namur, chacuns à moult belle routte. Encorrez escripsi li roys et manda especialment monseigneur Jehan de Haynnau, qui nouvellement s’estoit aloiiés à lui par le pourkas dou comte Loeys de Blois, son fil, et dou seigneur de Faignoelles. Si vint li dis chevaliers, messires Jehans de Haynnau, servir le roy moult estoffeement et à grant fuisson de bonne bachelerie de Haynnau et d’ailleurs. Dont li roys eult 367 grant joie de sa venue, et le retint pour son corps et de son plus privet et especial consseil. Li roys de Franche manda tout partout gens d’armes là où il lez pooit avoir, et fist une des grandez et des grossez assambléez de grans seigneurs et de chevaliers, qui oncques ewist estet en Franche, ne à Tournay, ne ailleurs. Et pour ce que il mandoit ensi tout partout gens et en lontains pays, il ne furent mies sitos venu ne assamblé; ainchoys eut li roys englèz mout mal menet le pays de Constentin, de Normendie et de Pikardie, enssi comme vous oréz recorder chi enssuiwant. Fº 90.

Ms. de Rome: Ensi, en ce temps dont je parole, que on compta en l’an de grasce mil trois cens et quarante siis, fu gastés et essilliés li bons pais et li cras de Normendie, de quoi les plaintes grandes et dolereuses en vinrent au roi Phelippe de Valois, qui se tenoit ens ou palais à Paris. Et li fu dit: «Sire, li rois d’Engleterre est arivés en Coustentin à poissance de gens d’armes et d’archiers, et vient tout essillant et ardant le pais, et sera temprement à Can, et tout ce cemin li fait faire messires Godefrois de Harcourt. Il faut que vous i pourveés.»—«Par m’ame et par mon corps, respondi li rois, voirement i sera pourveu.» Lors furent mis clers en oevre pour lettres escrire à pooir, et sergans d’armes et messagiers envoiiés partout [deviers] signeurs et tenavles de la couronne de France. Li bons rois de Boesme ne fu pas oubliiés à mander, ne mesires Carles ses fils, qui jà s’escripsoit rois d’Alemagne, quoi que Lois de Baivière fust encores en vie. Mais par la promotion de l’Eglise et auquns eslisseurs de l’empire de Ronme, on avait esleu Carle de Boesme à estre rois d’Alemagne et emperères de Ronme; car li Baiviers estoit jà tous viels, et aussi il n’avoit pas fait à la plaisance des Ronmains, ensi que il est escript et contenu ichi desus en l’istore. Si furent mandé li dus de Lorrainne, li contes de Salebruce, li contes de Namur, li contes de Savoie et messires Lois de Savoie, son frère, le conte de Genève et tous les hauls barons, dont li rois devoit ou pensoit à estre servis. Et aussi [fu escript] as honmes des chités, des bonnes villes, des prevostés, bailliages, chastelleries et mairies dou roiaulme de France, que tout honme fuissent prest. Et lor estoient jour asignet, là où casquns se deveroit traire et faire sa moustre, car il voloit aler combatre les Englois, liquel estoient entré en son roiaume. Tout chil qui mandé et escript furent, se pourveirent et s’estofèrent de tout ce que à euls apertenoit, 368 et ne fu pas sitos fait. Avant eurent les Englois cevauchiet, ars et essilliet moult dou roiaulme de France.

Si furent ordonné de par le roi et son consel, sitos que les nouvelles furent venues que li rois d’Engleterre estoit arivés en Coustentin, mesires Raouls, contes d’Eu et de Ghines et connestables de France, et li contes de Tanqarville, cambrelenc de France, à cevauchier quoitousement en Normendie, et li traire en la bonne ville de Can, et là asambler sa poissance de gens d’armes et faire frontière contre les Englois. Et lor fu dit et conmandé, tant que il amoient lor honneur, que il se pourveissent, tellement que les Englois ne peuissent passer la rivière d’Ourne qui court à Can et s’en va ferir en la mer. Chil signeur obeirent et dissent que il en feroient lor pooir et lor devoir, et se departirent en grant arroi de Paris et s’en vinrent à Roem, et là sejournèrent quatre jours, en atendant gens d’armes qui venoient de tous lés, et puis s’en departirent; car il entendirent que li rois d’Engleterre estoit venus jusques à Saint Lo le Coustentin. Et cevauchièrent oultre et vinrent à Can, et là s’arestèrent et fissent lors pourveances telles que elles apertiennent à faire à gens d’armes qui se voellent acquiter et combatre lors ennemis. Encores fu escrips et mandés dou roi Phelippe messires Jehans de Hainnau, qui s’estoit tournés François, ensi que vous savés. Si vint servir le roi moult estofeement et bien accompagniés de chevaliers et d’esquiers de Hainnau et de Braibant et de Hasbain, et se contenta grandement li rois Phelippes de sa venue. Si venoient et aplouvoient gens d’armes, de toutes pars, pour servir le roi de France et le roiaulme, les auquns qu’il i estoient tenu par honmage, et les aultres pour gaegnier lors saudées et deniers. Si ne porent pas sitos chil des lontainnes marces venir que fissent li proçain, et les Englois ceminoient tout dis avant. Fº 112. Voir aussi Sup. var. (n. d. t.)

P. 138, l. 13: duch de Loeraingne.—Ms. B 6: et à l’evesque de Mès. Fº 299.

§ 260. P. 139, l. 4: Vous avez.—Ms. d’Amiens: Vous avés chy dessus bien oy recorder des Englès coumment il cevauchoient en troix batailles, li marescal à destre et à senestre, et li rois et li prinches de Galles, ses filz, en le moiienne. Et vous di que li roys cevauçoit à petittez journées: toudis estoient il logiés, où que ce fuist, entre tierce et midi. Et trouvoient le pays si plentiveux et si garny de tous vivres, qu’il ne leur couvenoit 369 faire nullez pourveanchez, fors que de vins; si en trouvoient il asséz par raison. Si n’estoit point de merveille, se cil dou pays estoient effraet et esbahit, car, avant ce, il n’avoient oncquez veu hommes d’armes, et ne savoient que c’estoit de guerre ne de bataille; si fuioient devant les Englèz, ensi que brebis devant les leus, ne en yaux n’avoit nulle deffensce.

Li roys Edouwars et li princes de Gallez, sez filz, avoient en leur routte bien quinze cens hommes d’armes, six mil archiers et dix mil sergans à piet, sans ceux qui s’en alloient avoecq lez marescaux. Si chevaucha, comme je vous di, en tel mannière li roys, ardans et essillans le pays et sans brisier sen ordonnance, et ne tourna point en le chité de Coustanses; ains s’en alla par deviers le grosse ville, riche et marchande durement, que on claimme Saint Leu en Coustentin, qui estoit plus rice et valloit trois tans que la chité de Coustances. En celle ville de Saint Leu le Constentin avoit très grant draperie et très grant aport de marchandise et grant fuisson de richez bourgois; et trouvast on bien en le dite ville huit mil hommes, mannans que bourgois, rices que gens de mestier. Quant li roys englès fu venu assés prièz, il se loga dehors, car il ne veut mies logier en le ville pour le doutance dou feu, mais li grosse ville fu tantost conquise à peu de fait et courue et robée partout. Il n’est homs vivans qui poroit pensser, aviser ne croire, se on lui disoit le grant avoir qui là fu gaegniés et robés, ne le grant fuison dez draps qui là furent trouvet. Qui en volsist acheter, on en ewist grant marchiet. Chacuns en pooit prendre là où il volloit, mès nulz riens n’y acomptoit, ains tendoient plus à querre l’or et l’argent, dont il trouvoient asséz. Et si ardamment y entendirent que la ville demoura à ardoir, mès grant partie des ricez bourgois furent pris et envoiiés en Engleterre pour ranchonner; et grant planté dou commun peuple furent de premiers tués à l’entrée en le ville, qui se missent à deffensce. Fº 90.

Ms. de Rome: Vous avés ichi desus bien oï recorder l’ordenance des Englois et conment il chevauçoient en trois batailles, li marescal à destre et à senestre en deus èles, et li rois et li princes de Galles, ses fils, en la moiienne. Et vous di que li rois cevauçoit à petites journées, et aussi faisoient toutes ses batailles. Et estoient logiet toutdis entre tierce et midi, car il trouvoient tant à fourer et si plentiveus pais et raempli de tous biens, les plus cras buefs dou monde, vaces, pors et oilles et tant que il n’en savoient 370 que faire; et estoient tout esmervilliet des biens que il trouvoient. Il prendoient desquels que il voloient, et le demorant laissoient aler. Et ne brisoient point les Englois lor ordenance, et ne tournèrent point adonc viers Coustanses, mais prissent le cemin de Saint Lo le Coustentin, une grose ville, qui pour lors estoit durement rice et pourveue de draperie. Et bien i avoit neuf ou dis mille bourgois, gens de tous mestiers, mais la grignour partie s’estofoient tout de la draperie. Qant li rois d’Engleterre fu venus assés priés, il se loga dehors et envoia ses marescaus et ses gens d’armes et archiers devant, pour escarmucier et veoir quel cose chil de la ville voloient dire et faire, tant que au deffendre lor vile. Il furent tantos conquis et desconfi et caciet en fuites, et entrèrent les Englois dedens, et en fissent toutes lor volentés. Et orent li pluisseur pité des honmes, fenmes et enfans qui ploroient et crioient à haus cris, et les laissoient passer et widier la ville legierement; mais ils widoient les maisons des riches biens que il i trouvoient, et ne faisoient compte que d’or et d’argent. Et n’avoit si petit varlet en la compagnie, qui ne fust tous ensonniiés d’entendre au grant pourfit que il veoient. Fº 112.

P. 140, l. 4 et 5: huit mil ou neuf mil.—Mss. A 7, 23 à 33: huit vingt ou neuf vingt. Fº 131.—Mss. A 20 à 22: huit mille. Fº 198 vº.—Ms. B 6: dix à douze mille. Fº 300.

P. 140, l. 6 et 7: dehors.—Ms. B 6: au dehors de la ville, en une abeie. Fº 300.

P. 140, l. 9: conquise.—Ms. B 6: car les gens qui estoient en la ville n’estoient point de deffense, car c’estoient simple gens laboureulx et marchans et ouveriers qui faisoient leur draperie, et pour le temps de lors ne savoient que c’estoit de guerre; car oncques n’avoient porté espée, fors ung baston de blanc bos pour les chiens, allant de ville à aultre. Fº 300.

§ 261. P. 140, l. 16: Quant li rois.—Ms. d’Amiens: Qant li roys englès eut fait ses vollentés de le bonne ville de Saint Leu en Constentin, il se parti de là pour venir par deviers le plus grosse ville, le plus grande, le plus riche et le mieux garnie de toutte Normendie, horsmis Roem, que on claimme Kem, plainne de très grant rikèce, de draperie et de touttes marcandises, de riches bourgoix, de noblez dammes, de bellez eglises et de deux richez abbeies. Et avoit entendu li roys englès que là se tenoient en garnison, de par le roy de France, li comtez d’Eu et de Ghinnez, 371 connestablez de Franche, et il comtez de Tamkarville et grant fuison de bonne chevalerie de Normendie et d’ailleurs, que li roys y avoit envoiiés pour garder le ditte ville et le passaige contre les Englès. Si se traist li roys celle part, et fist revenir ses bataillez enssamble. Tant alla li roys qu’il vint asséz priès de Kem: si se loga à deux lieues prièz. Li connestable et li autre seigneur de Franche et dou pays, qui là estoient avoecq lui, fissent la ville gettier mout noblement toutte le nuit; et au matin, il coummandèrent que tout fuissent armet un et autre, chevalier et escuier et bourgois ossi, pour deffendre le ville. Qant il furent tout armet, il yssirent hors de le ville et se rengièrent par devant le porte par où li Englès devoient venir, et fissent grant samblant de bien deffendre et de leurs vies mettre en aventure. Fº 90.

Ms. de Rome: Qant li rois d’Engleterre et ses gens orent fait lors volentés de la ville de Saint Lo le Coustentin, il s’en departirent et prissent lor cemin pour venir deviers une plus grose ville trois fois que Saint Lo ne soit, qui se nonme Cen en Normendie. Et est priès aussi grose, et aussi rice estoit pour lors, que la chité de Roem, plainne de draperie et de toutes marceandises, rices bourgois et bourgoises et de bon estat, aournée de belles eglises et par especial de deus nobles abbeies durement belles et riches, seans l’une à l’un des cors de la ville et l’autre à l’autre. Et est appellée li une de Saint Estievène, et l’autre de la Trenité, le une de monnes, celle de Saint Estievène, et en celle de la Trenité dames, et doient estre siis vins dames à plainne prouvende. D’autre part, à l’un des cors de la ville, sciet li chastiaus, qui est uns des biaus castiaus et des fors de Normendie. Et en estoit pour lors chapitainne, uns bons chevaliers, preus, sages et hardis, qui se nonmoit messires Robers de Wargni, et avoit avoecques lui dedens le chastiel en garnison bien trois cens Geneuois. Dedens la ville estoient logiet li connestables de France, li contes de Tanqarville et plus de deus cens chevaliers, tout au large et à leur aise; et estoient là venu et envoiiet pour garder et deffendre Kem et faire frontière contre les Englois.

Li rois d’Engleterre estoit tous enfourmés de mesire Godefroi de Harcourt que la ville de Kem estoit durement rice et grosse, et bien pourveue de bonnes gens d’armes. Si chevauça celle part et tout sagement, et remist ses batailles ensamble, et se loga celle nuit sus les camps à deus petites lieues priès de Kem. Et tout dis le costioit et sievoit sa navie, laquelle vint jusques à deus lieues priès 372 de Kem, sus la rivière de Iton qui se rentre en la mer, et sus un havene que on nonme Austrehem, et la rivière Ourne, et court à Kem; et estoit de la ditte navie conduisières et paterons li contes de Honstidonne. Li connestables de France et li aultre signeur, qui là estoient, fissent celle nuit grant gait, car il sentoient les Englois moult priès de euls. Qant ce vint au matin, li connestables de France et li contes de Tanqarville oirent messe. Et aussi fissent tout li signeur qui là estoient, où grant fuisson de chevalerie avoit, et avoient consilliet le soir que de issir hors et de combatre les Englois. Si sonnèrent les tronpètes dou connestable moult matin, et s’armèrent toutes manières de gens de armes, et les bourgois meismement de la ville. Et widèrent hors de la ville et se traissent sus les camps, et se missent tout en ordenance de bataille. Et moustrèrent tout par samblant et par parole que il avoient grant volenté de combatre les Englois, dont li connestables de France estoit moult resjois. Fº 112 vº.

P. 140, l. 17: Saint Leu.—Mss. A 1 à 6: Saint Loup. Fº 136 vº.

P. 140, l. 20: Kem.—Mss. A 1 à 6, 8 à 19, 23 à 33: Caen. Fº 136 vº.—Ms. A 7: Kan. Fº 131.—Mss. A 20 à 22: Kent. Fº 199.

P. 141, l. 2: Robers.—Mss. A 15 à 17: Thomas. Fº 138 vº.

P. 141, l. 2: Wargni.—Mss. A 20 à 22: Warny. Fº 199.—Mss. A 23 à 29: Blargny. Fº 157.

P. 141, l. 7: envoiiés.—Ms. B 6: dont il estoient bien vingt mille hommes. Fº 299.

P. 141, l. 15: Kem.—Ms. B 6: Et à deux lieues de Kem a ung chastiel que on apelle Austrehen sur ceste meisme rivière de Ourne, où toutes les grosses nefs arivent. Fº 301.

P. 141, l. 16: Austrehem.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Hautrehen. Fº 137.—Mss. A 7, 18, 19, 23 à 33: Austrehen. Fº 131.—Mss. A 8, 9, 15 à 17: Austrehem. Fº 124.—Mss. A 20 à 22: Haustrehem. Fº 199.

P. 141, l. 21: assamblé.—Ms. B 6: plus de deux cens. Fº 302.

P. 141, l. 25: bourgois.—Ms. B 6: car le communalté de Kem avoient fait leut moustre; sy s’estoient bien trouvé quarante mille hommes deffensablez. Fº 302.

§ 262. P. 142, l. 17: En ce jour.—Ms. d’Amiens: A celui 373 jour, li Englès furent moult matin esmeus d’aller celle part. Li roys ossi yssi hors et fist ses gens aller par conroy, car bien penssoit qu’il aroit à faire; si se traist tout bellement celle part, ses batailles rengies, et fist ses marescaux chevauchier devant à toutte sa bannierre jusques as fourbours de le ville, et assés priès de là où chil signeur estoient rengiet, et li bourgois de Kem moult richement et par samblant en bon couvenant. Si tost que cez gens bourgois de Kem virent lez bannierrez dou roy englèz et de ses marescaux approchier et tant de si bellez gens d’armes que oncques n’avoient veut, il eurent si grant paour que tout chil del monde ne les ewissent retenut que il ne rentraissent en leur ville, volsissent connestablez et marescaux ou non. Adonc pewist on veir gens fremir et abaubir, et celle bataille enssi rengie desconfire à pau de fait, car chacuns se penna de rentrer en le ville à sauveté. Grant fuisson de chevaliers se missent à l’aler deviers le castiel: chil furent à sauveté.

Li connestablez, li cambrelens de Tamkarville et pluisseur autre chevalier et escuier avoecq yaux se missent en le porte de le ville, et montèrent as fenestrez des deffenscez, et veoient ces archiers qui tuoient gens sans merchy et sans deffensce; si furent en grant esmay que ce ne fesissent il d’iaux, s’il lez tenoient. Enssi qu’il regardoient aval en grant doubte ces gens tuer, il perchurent un gentil chevalier englès qui n’avoit que un oeil, que on clammoit messire Thoumas de Hollande, et cinq ou six bons chevaliers avoecq lui, qu’il avoient autrefoix compaigniet et veu l’un l’autre en Grenade, en Prusse, oultre mer et en pluisseurs lieux, ensi que bon chevalier se treuvent; si les appiellèrent et leur dissent en priant: «Ha! seigneur chevalier, venés amont et nous gharandissiéz de ces gens sans pité qui nous ochiront, se il nous tiennent, enssi que les aultrez.» Quant li gentilx chevaliers messires Thumas les vit et il lez eut ravissés, il fu moult liés: ossi furent li autre compaignon. Si montèrent en le porte jusquez à yaux, et li connestablez de Franche, li cambrelens de Tamkarville et tout li autre qui là estoient afuis, se rendirent prissonnier; et le dit messire Thummas de Hollande et si compaignon les rechurent vollentiers et se pennèrent d’iaux à sauver et de garder leurs vies; et puis missent bonnez gardes dalléz yaux, par quoy nulx ne lez osast faire mal ne villonnie.

Puis s’en allèrent chil chevalier englès par le ville de Kem 374 pour destourber à leur pooir le grant mortalité que on y faisoit, et gardèrent puisseurs belles bourghoises et dammes d’encloistre de violer: dont il fissent grant aumousne et courtoisie et droite gentillèche. Et fu trouvés et robés si grans tresors, que on ne le poroit croire ne pensser. Au recorder le persequcion, le occision, le violensce et le grant pestilensce qui adonc fu en le bonne ville de Kem, c’est une pité et grans orreurs à pensser coumment crestiien puevent avoir plaisanche ne conssienche de enssi li ungs l’autre destruire. A deus corron[s] de celle bonne ville de Kem avoit deus moult grandes et mout riches abbeies, l’une de noirs monnes et l’autre de noires dammes qui sont touttes gentilz femmez. Et doient estre et elles [sont] six vingt par compte et par droit nombre, et quarante converses à demie prouvende, dont une grant partie furent viollées. Et furent ces deus abbeies priès que touttes arsses avoecq grant partie de le ville, dont ce fu pitéz et dammaigez. Et moult en despleut au roy, mès amender ne le peut, car ses gens s’espardirent si en tous lieux pour le convoitise de gaegnier, que on ne les pooit ravoir. Et sachiés que très grans tresors y fu gaegniés, qui oncques ne vint à clareté, et tant que varlet et garchon estoient tout riche; et ne faissoient compte de blancq paiement fors que de florins: il donnaissent plain ung boisciel de paiement pour cinq ou pour six florins.

Quant li roys englès eut acompli ses volentéz de le bonne ville de Kem, et que ses gens l’eurent toutte courue et robée, et concquis ens si grant avoir que on ne le poroit numbrer, si regarda li roys et ses conssaux que il avoient tant d’avoir qu’il n’en savoient que faire, et n’en quidoient mies tant en un royaumme qu’il en avoient jà trouvet depuis qu’il arivèrent en l’ille de Grenesie en venant jusquez à là. Et avoient pris par droit compte en le ville de Kem cent et sept chevaliers et plus de quatre cens riches bourgois; et en avoient encorrez grant fuison pour prisonniers pris ens ès bonnes villes, que concquis avoient en avant. Et si estoit ossi toutte leur navie en le Hoge Saint Vast. Dont il regardèrent as pluisseurs coses, à sauver leur avoir concquis et leurs prisonniers, et à garder leur navie. Si ordonna li roys d’Engleterre que tous leurs avoirs fust menés et chariiés à leur navie, et ossi tous leurs prisonniers menet, ainschois que il chevauchaissent plus avant. Tout enssi comme il fu ordonnet, il fu fait. Les naves et li vaissiel furent recargiet de draps, d’avoir et de jeuiaux tant que 375 sans numbre, et leurs charois alegeris; et puis missent tous leurs prisonniers en leur navie. Et en fu rekerkiés li comtez de Hostidonne à deux cens hommes d’armes et cinq cens archiers, qui se parti dou roy et de l’host et monta en mer et ramena tout ce que devant est dit, à sauveté en Engleterre. Or parlerons dou roy Edouwart et coumment il chevauça encorez avant. Fº 90 vº.

Ms. de Rome: En ce jour se levèrent aussi les Englois moult matin. Et oirent li rois messe et tout li signeur, et puis se apparillièrent et missent en ordenance et au cemin pour aler à Kem. Si se traissent tout souef, lors batailles rengies, les banières des marescaus tout premiers, et aprochièrent la ville de Kem. Ces gens d’armes de France, chevaliers et esquiers, estoient tout tret sus les camps, et mis en bonne ordenance de bataille, et d’autre part aussi tout li honme bourgois de Caen; et moustroient par samblant que il attenderoient les Englois et les conbateroient. Mais qant il les veirent venir cevauchant en ordenance de bataille, et tout en une brousse, banières et pennons ventellans, ce que acoustumé il n’avoient pas de veoir, si se conmencièrent à esfraer, et encores plus qant ces archiers conmenchièrent à traire et il sentirent ces saiètes; et se desconfirent si de euls meismes que tout chil dou monde ne les euis[sen]t mies retenus qu’il ne se fuissent mis à la fuite. Adonc peuist on veoir gens fremir et esbahir, et celle bataille rengie desconfire à peu de fait, car casquns se pena de rentrer dedens la ville à sauveté. Là ot grant encauch et maint honme reversé et bouté jus à terre, et ceoient à mons l’un sus l’autre, tant estoient il fort eshidé. Li connestables de France et li contes de Tanqarville, li sires de Graville, li sires d’Estouteville, li sires de Saqenville, li sires de Coursi, li sires d’Iveri, qui veirent ce grant meschief apparant et ces honmes et bourgois de Kem ensi fuir et ceoir l’un sus l’autre, s’en retournèrent, casquns que mieuls mieuls, sans arroi et ordenance. Et montèrent amont en une porte sus l’entrée dou pont et se quidièrent là sauver; et estoient, n’i avoit baron, ne chevalier, tout esbahi dou mescief que il veoient, car les Englois estoient jà entré dedens la ville bien avant. Et ensi que il entroient, il se rengoient et ordonnoient sus les caucies, ne nuls n’entendoit à lui deffendre, mès au fuir et à lui sauver, et gissoient li mors et les ocis sus les caucies à mons. Auqun chevalier et esquier, qui savoient le cemin viers le castel et meismement des honmes de la ville, se destournèrent et se missent hors dou fouleis et de la voie des Englois, et se retraissent 376 et boutèrent ou chastiel. Tout chil et celles qui peurent avoir celle aventure d’entrer ens ou chastiel, furent sauvé. Moult de honmes, de fenmes, et d’enfans widoient aussi par les portes qui estoient ouvertes, et prendoient les camps et eslongoient ce mescief, et ne faisoient compte de cose qui demorast derrière. Bien sçavoient que tout estoit perdu: encores ewireus qui se pooit sauver par ce parti. Englois, gens d’armes et archiers qui encauçoient les fuians, faisoient grans occisions, car honme n’estoit espargniés, qui ceoit en lors mains.

Et avint que li connestables de France et li contes de Tanqarville, qui monté estoient en celle porte au pont, regardèrent au lonc, tant en la ville que dehors la ville, car tous jours entroient Englois; et veirent devant euls sus les rues si grans oribletés et pestilenses que grans hisdeurs seroit et estoit de le oser regarder. Si se doubtèrent de euls meismes de esceir en ce dangier et entre mains d’archiers qui point ne les congneuissent. Ensi que il regardoient aval, en grant doubte, ces gens ocire et abatre, il perchurent un gentil chevalier englois, qui n’avoit q’un oel, lequel on nonmoit mesire Thomas de Hollandes, et cinq ou siis chevaliers avoecques lui, et desous banière. Et par la banière que uns chevaliers portoit toute droite, il le ravisèrent, car bien l’avoient veu aultrefois, et boutèrent hors deus de lors pennons par les fenestres de la porte, et conmenchièrent à criier et à huier et à faire signe que on parlast à euls. Tantos chil gentilhonme englois, qui estoient avoecques mesire Thomas de Hollandes, entendirent ce signe, et li dissent: «Monsignour, arestés vous. Là sus sont retrait grant fuisson des barons de France, qui ne sont pas bien asegur de lors vies. Montons amont, car il vous demandent et se voellent rendre. Vous poriés par ce parti moult tos avoir une bonne journée.» Mesires Thomas et sa banière s’aresta; et descendirent de lors chevaus et montèrent les degrés de la porte. Ensi que il montoient, li doi conte de France lor vinrent au devant et li dissent: «Messires Thomas de Hollandes, entendés à nous et nous prendés à prisonniers, et nous sauvés les vies de ces archiers.»—«Qui estes vous?» dist mesires Thomas. «Nous sonmes Raouls, contes d’Eu et de Gines, connestables de France, et je Jehans de Melun, contes de Tanqarville et canbrelens de France.» Qant messires Thomas de Hollandes les entendi, si senti et congneut tantos que il avoit bien volé, et fu tous resjois pour deus raisons: li une estoit 377 pour tant que il avoit bons prisonniers, dont il poroit avoir cent mille moutons; l’autre pareçon, pour tant que il lor sauveroit les vies, car il gissoient là et avoient esté en grant peril pour les archiers et les Gallois, car ils sont si divers que il ne voellent nului congnoistre. Tantos chil doi conte fiancièrent lors fois à mesire Thomas de Hollandes, et aussi fissent tout li aultre baron et chevaliers, qui dedens la porte estoient. Considerés la bonne estrive et aventure que mesires Thomas de Hollandes ot d’avoir si bons prisonniers qui li ceirent ens ès mains. Tantos, il ordonna trois de ses chevaliers et de ses honmes à demorer là d’encoste ses prisonniers, et mist son pennon en la porte. Ce estoit segnefiance que la porte estoit à lui, et tout chil qui dedens estoient; et puis descendi aval et monta à ceval, et se remist en ordenance avoecques les autres au cevauchier et à aler toutdis avant; mais toutes gens fuioient devant les Englois. Si est la ville de Kem grande et poissans et estendue durement et fort peuplée. Et cei adonc si bien as Englois que sans le dangier de passer au pont, il passoient et repasoient, ensi que il voloient, la rivière de Ourne, car la mer estoit si basse pour celle heure que il n’i avoient nul empecement de passer, et par ce point fu la ville plus tos conquise.

Ensi ot et conquist li rois d’Engleterre la bonne ville de Kem, et en fu sires; mais aussi il li cousta moult de ses honmes, car chil qui estoient montés ens ès loges et sus les tois, par jetter pières et baus et autres coses, en mehagnièrent et ocirent assés. Et fu dit au roi d’Engleterre au soir et raporté de verité que il avoit perdu bien cinq cens honmes, dont li rois fu si courouchiés que il ordonna et conmanda que à l’endemain tout fust mis à l’espée, et la ville contournée en feu et en flame. A ces paroles dire, estoit messires Godefrois de Harcourt presens, qui amoit la ville de Kem, quoi que il fust là en la compagnie des Englois, et ala au devant et rafrena le corage dou roi, et li remoustra ensi, en disant: «Chiers sires, soufisse vous, se vous avés les biens de la ville, sans essillier. Encores est la ville moult peuplée, et se sont repus et muchiés moult de gens en cambres, en soliers, en tours et en celiers, qui se meteront à deffense, se il voient que on les voelle tout metre à l’espée. Et ce vous poroit grandement couster de vos honmes, et vous en avés bien à faire, avant que vous soiiés au cor de vostre voiage; et auerés des rencontres et des batailles assés, avant que vous soiiés venus devant Calais, où 378 vous tendés à venir; mais faites asavoir et criier par toute la ville que casquns se loge et se tiengne en sa paix, car jà ont vostres gens tant conquesté que tout li plus povre sont rice.» Li rois se rafrena et se ordonna par le consel Godefroi de Harcourt.

Li rois d’Engleterre et ses gens furent signeur de la ville de Kem trois jours, et ne fissent à honme ne à fenme mal, depuis que mesires Godefrois de Harcourt en eut priiet et parlet. Mais jà avoient les Englois pris et levés tant de biens et de bons meubles, que bien lor devoit souffire; et tant en avoient amené des aultres villes conquises et dou plat pais que tout en estoient cargiet et soelet. Et orent ordenance et avis, en ces trois jours, que tout lor butin et lor conquès et les prisonniers que pris avoient, il les envoieroient en Engleterre par la mer, et en lors vaissiaux qui gissoient à l’ancre, assés priès de Kem, en la rivière de Ourne. Se ne fissent li plus de ces Englois que porter, mener et chariier toutes bonnes coses, draps, toilles, pennes, lis, cambres ordonnées, et tous bons meubles. De menues coses et petites, il ne faisoient compte, et vendoient bien li un à l’autre lor pillage et lor conquès, et en donnoient très grant marchiet, et lors prisonniers aussi, et tout estoit remis à cariage et voiture et porté en la navie. Li connestables de France et li contes de Tanqarville furent rendu et livré de mesire Thomas de Hollandes au roi d’Engleterre. Et furent tant que dou rendage et de la prise bien d’acort ensamble, et des aultres chevaliers qui pris avoient esté en la ville de Kem prissonniers. Et toutes coses furent tout mis ens la navie, et li contes de Honstidonne, à tout deus cens honmes et quatre cens archiers, ordonnés à estre capitains et conduisières de la navie, pour mener en Engleterre. Et fissent ce les Englès à celle intension et ordenance que il ne voloient point estre cargiet, sus le grant cemin que il avoient à faire, de nulle cose qui lor donnast empecement. Fos 113 et 114.

P. 143, l. 1: oïrent.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: virent. Fº 137.

P. 143, l. 1: ruire.—Mss. A 15 à 17, 20 à 29: bruire, bruyre. Fº 138 vº.

P. 143, l. 6: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 143, l. 13: aucun chevalier.—Ms. B 6: neuf chevaliers. Fº 304.

P. 144, l. 19: moutons.—Mss. A 20 à 22 et B 6: escus. Fº 200.

P. 146, l. 4: il vous tourroit.—Mss. A 23 à 33: la quèle 379 chose vous redonderoit à grant blasme (mss. A 30 à 33: honte. Fº 184.) Fº 158 vº.

P. 147, l. 17: Si fu ordonnés.—Ms. B 6: Sy le renvoia on et tout l’avoir devant conquis et toute leur navire en Engleterre par le conte de Hostiton à cinq cens combatans. Et ossy y furent mené tous les prisonniers, le connestable et le conte de Tancarville et bien six vingt chevaliers et quinse cens riches hommes normans, que de Kem, que de Saint Lo et de Barfleu, qui depuis paièrent grant renchon. Fº 306.

§ 263. P. 147, l. 25: Ensi ordonna.—Ms. d’Amiens: Quant li roys englès eut enssi ordounné, si comme vous avés oy, il fist chevauchier ses marescaux seloncq se premierre ordounnanche, l’un des lés et l’autre d’autre; et il et li prinches de Galles, ses filx, chevauchoient enmy le moiienne. Yaux parti de Kem, il entrèrent en le comté de Ewrues, ardant et essillant le pays. Et vinrent à une ville que on claimme Louviers, là où on fait plus grant drapperie qu’en ville qui soit en France; et estoit priès ossi bonne que li chitéz d’Ewrues ou que Saint Leu en Constentin. Si fu la ville de Louviers prise assés tost à peu de force, car elle n’estoit point fremmée; et fu toutte courue et robée, et y eut trouvet très grant avoir. Quant li roys englès eut fait ses vollentés de le ville de Louviers et de le comté de Ewruez, horsmis des fortrèchez, car devant nul fort il ne se volloit arester, si se mist sour la rivierre de Sainne, et gasta tout le pays d’entours Mantes et Meulent. Et s’en vint à Vrenon, qui estoit moult grosse ville, et l’ardi et essilla. Puis s’en vint à Poissi, mout grosse ville ossi, et trouva le pont brisiet et deffait. Ossi avoit il fait à Vrenon, dont il fu dollans et courouchiés; mès encorrez estoient les estakez et les gistez en le rivierre. Si se aresta là li roys, et y sejourna par cinq jours. Endementroes fist il le pont refaire bon et fort, pour passer son host bien et aisiement. En che sejour il fist chevaucier ses marescaux monseigneur Godeffroy de Harcourt et le comte de Warvich jusques à Saint Clou, et là bouter les feus, et puis Saint Germain en Laie et le Monjoie aussi ardoir et abattre, et tant que on en veoit clerement les feux de Paris. Et estoient adonc moult esbahit en le chité, car elle, à che donc, n’estoit point fremmée fors que de bailles. Si se doubtoient li Parisiien qui li Englès par outraige ne venissent escarmucier à yaux.

Quant li roys de Franche, qui se tenoit adonc en Paris, vit lez 380 Englès si aprochier, que les feux estoient à deux petittez lieuwez priès de lui, si fu moult courouchiéz, et demanda consseil coumment il poroit ouvrer de ceste besoingne. Ad ce jour avoit grant fuison de prelas et de fourés chaperons dalléz lui, car li roys de Behaigne, li dus de Loerainne, messires Jehanz de Haynnau, li comtez de Namur et toutte se chevallerie estoient à Saint Denis et là environ. Si conssillièrent au roy que il venist deviers yaux, et ewist advis de chevauchier contre ses ennemis, et que de yaux enclore sour aucun pas, car à leur navie ne poroient il jammais retourner. Et lui dissent encorrez, pour lui recomforter, qu’il ne fust de riens effraés, car par fummières li Englès ne le bouteroient jamès hors de son hiretaige.

Adonc se parti li roys de Paris et s’en vint à Saint Denis, où il trouva le roy de Behaingne, le duc de Lorainne, le comte de Bloix, son nepveult, monseigneur Jehan de Haynnau, et grant fuison de bonne chevalerie, qui li fissent grant chierre et li conssillièrent qu’il chevauchast contre ses ennemis. Lors remforcha li roys son mandement partout, en Bourgoingne, en Campaigne, en Franche, en Vermendois, en Artois, en Pikardie et par tous lieux où il pooit avoir gens d’armes, qu’il venissent deviers lui; et chil obeirent, qui mandet furent.

Endementroes fu li pons à Poissi refais bons et fors, et passa oultre li roys [englès] et toutte sen host; et s’en vint logier en l’abbeie de Poissi, et y fu le nuit de Nostre Damme my aoust, et le jour toute jour. Et l’endemain il s’en parti, et chevaucha plus avant le chemin de Pikardie, au léz devers Biauvais et Biauvesis. Fº 91.

Ms. de Rome: Au quatrime jour, li rois d’Engleterre et les Englois issirent de Kem, et qant il monta à ceval, il i avoit autour de li grant fuisson de honmes et de fenmes, qui venu l’estoient veoir. Se lor dist li rois tout hault: «Entre vous qui chi estes, de la courtoisie que je vous fac, remerciiés vostre bon amic Godefroi de Harcourt, car par li estes vous deporté de non estre ars.» Tout et toutes s’engenoullièrent adonc devant le roi, et dissent de une vois: «Très chiers sires, Dieus le vous puist merir, et à li ossi.» Adonc cevauça li rois oultre, et li princes de Galles, ses fils; et grant fuisson de claronchiaus et de tronpètes et de menestrels cevauçoient devant et faisoient lor mestier. Et cevauchièrent en cel estat tout au lonch de la ville de Kem, et missent priès d’un jour au widier, avant que li arrière garde fust 381 hors. Et prissent tout le cemin de Louviers, et se logièrent oultre Kem, celle première journée puis lor departement, une lieue ou cemin de Louviers.

Et li contes de Honstidonne à toute sa carge à flun de la mer se desancra, et vint celle première marée jessir à l’ancre en l’abouqure de la mer. Et enmenoit si grant avoir jà conquis en Normendie que mervelles seroit à penser, et bien cinq cens prisonniers, tous rices honmes des viles où il avoient passet, et le conte d’Eu et de Ghines, connestable de France, et le conte de Tanqarville, et bien soissante chevaliers et esquiers. Et esploitièrent tant depuis, à l’aide de Dieu et dou vent, que il prissent terre en Engleterre. Si fu tous li pais resjois de lor venue, et par especial la roine Phelippe d’Engleterre, et conjoi ces chevaliers prisonniers; et furent envoiiet et mis ens ou chastiel de Londres, tout au large et à lor aise, car li rois en avoit ensi escript et segnefiiet à la roine. Se tint la bonne roine l’ordenance dou roi, ne jamais ne l’euist brissiet.

Tant cevauchièrent li rois d’Engleterre et ses gens, depuis que il se furent departi de la bonne ville de Kem, que il aprochièrent Louviers, une bonne ville, et où on faisoit grant fuisson de draperie, et estoit pour lors rice et plentiveuse de tous biens. Les Englois entrèrent dedens à peu de fait, car pour lors et en devant elle n’estoit noient fremée. Si fu la ville courue et reubée, mais il ne prendoient que toutes bonnes coses, et ne se voloient mais cargier de si grant meuble que il avoient fait en devant, pour tant que lor navie ne les sievoit plus. Nequedent ne se pooient il tenir de pillier et de rompre huges et escrins et de prendre or et argent, qant il le trouvoient. Et qant il avoient assamblé des draps, des lainnes et des biaus jeuiauls à grant fuisson, il apactissoient les honmes dou pais qui se boutoient ens ès fors. Et tenoient trop bien lors pactis, et lor vendoient tout ce de gros que pris et pilliet avoient; et donnoient pour cent florins ce qui en valloit mille, et ensi orent il moult de finance sus le cemin.

Qant il orent fait lors bons et lors volentés de Louviers et il s’en departirent, li darrainnier boutèrent le feu dedens; et puis entrèrent en la conté d’Evrues et l’ardirent toute, reservé les forterèces. Et passèrent Pasci et au Pont à l’Arce et aprocièrent la chité de Roem, qui pour lors estoit moult bien garnie de gens d’armes et de signeurs; mais chil qui dedens estoient, n’avoient 382 nulle volenté de issir, car il avoient bien oï dire que la ville de Kem estoit perdue par l’orguel des bourgois de la ville, qui vorrent issir. Et là estoient en garnison li contes de Harcourt, frères à mesire Godefroi, et li contes de Dreus, mais sa ville fu arse. Li avant garde ne se peurent tenir, c’est à entendre chil qui la gouvernoient, que il n’aproçassent Roem, et en ardirent les fourbours. Li rois d’Engleterre et sa bataille passèrent ensi que à une lieue priès, et se rengièrent et ordonnèrent à la veue et moustre de ceuls qui en Roem estoient, et lor mandèrent la bataille par un hiraut; mais point ne s’i acordèrent.

Si tournèrent les Englois deviers Vrenon, où il i a bon chastiel et fort, auquel il ne fissent nul samblant de l’asallir, mais il ardirent la ville, et puis Vrenuel et tout le pais de environ Roem et le Pont de l’Arce. Et vinrent ensi tout ardant le pais, à destre et à senestre, et devant euls jusques à Mantes et Meulent. Et passèrent assès priés dou fort chastiel de Roleboise, mais point n’i assallirent. Et partout sus la rivière de Sainne trouvoient il les pons deffais. Et tant ceminèrent que il vinrent à Poissi, et trouvèrent le pont deffait; mais encores estoient les estaces dou pont et les gistes en la rivière. Si se aresta là li rois et toute li hoos, et i sejournèrent cinq jours. Et entrues entendirent les Englois carpentiers, que il avoient amené en lor compagnie, au pont refaire. Et couroient li fourageur tout le pais environ, tant que, des feus que il faisoient ou plat pais, les fumières en estoient veues de Paris.

Li rois Phelippes et li signeur de France, qui se amassoient à Paris et venoient de tous costés, avoient grant mervelle de ce que les Englois faisoient. Et disoient ensamble li auqun: «Mervelles est dou voiage des Englois. Que pensent il à devenir, ne où quident il passer la rivière de Sainne?» Disoient à aultre qui respondoient à ce pourpos: «Il iront passer en Bourgongne, qui ne lor ira aultrement au devant.»—«Que on conmence donc! respondoient li aultre; il n’est point en lor poissance de faire ce voiage: il seront avant conbatu quatre fois.» Or fu on moult esmervilliet à Paris, qant les nouvelles i vinrent que les Englois avoient refait le pont à Poisi, et estoient tout passé la rivière de Sainne. Donc fu conmune renonmée que les Englois venroient devant Paris. Donc se departi li rois Phelippes à toute sa cevalerie que il avoit très grande, et s’en vint à Saint Denis. De quoi li bourgois de Paris furent tout esbahi, mais il leur fist dire et 383 semer paroles que il se departoit pour aler au devant des Englois et euls combatre; et parmi tant, li peuples de Paris s’apaissa. Et li rois d’Engleterre se tint à Poissi cinq jours, et fu là le jour de la Nostre Dame mi aoust, et tint court solempnèle en l’abeie des Dames de Poisi, et sist à table en draps vermauls d’escarlate, fourés d’ermine, et en sourcot sans mances, et tint son estat roial de toutes coses, aussi bien ou mieuls que il fust en Engleterre.

Qant li rois d’Engleterre ot esté à Poisi les Dames, cinq jours, et ils et ses gens s’i furent rafresqi, il s’en departirent et cevauchièrent oultre en aproçant Paris. Messires Godefrois de Harcourt, li contes de Warvich, messires Renauls de Gobehem et messires Thomas de Hollandes menoient l’avantgarde, et cevauçoient à tout cinq cens lances et douze cens archiers, et ardoient et essilloient tout le pais devant euls. Et avoient ars les Englois, estans euls à Poisi les Dames, Saint Germain en Laie, la Montjoie, Saint Clo et Boulongne, et courut jusques ens ès fourbours de Paris. Et pour ce avoient esté li Parisien si esbahi, car adonc Paris n’estoit noient fremée fors de kainnes, et furent adonc toutes levées et sierées, qant li rois fu partis et venus à Saint Denis. Fos 114 et 115.

P. 147, l. 28: soissante.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: quarante. Fº 138 vº.

P. 148, l. 7 et 8: l’un à l’un des lés et l’autre à l’autre lés.—Mss. A 1 à 6, 8, 11 à 22: l’un d’un costé et l’autre d’autre. Fº 139.—Mss. A 23 à 33: l’ung à dextre et l’aultre à senestre. Fº 159.

P. 148, l. 10 et 27: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 148, l. 12: Louviers.—Mss. A 23 à 33: Loviers.—Mss. A 20 à 22: Louvres. Fº 201 vº.

P. 148, l. 30: de Dreus.—Mss. A 1, 3: d’Evreux.

P. 148, l. 31: Roem.—Mss. A 1 à 7: Rouen. Fº 139.—Mss. A 20 à 22: Rouan. Fº 202.

P. 148, l. 32: Vrenon.—Mss. A 1 à 6, 8 à 22: Vernon. Fº 139.—Mss. A 7, 23 à 33: Gysors. Fº 133, en marge. Vernon a été effacé dans le texte du ms. A 7.

P. 149, l. 2: Vrenuel.—Mss. A 1 à 6, 8 à 14, 18 à 22: Viennel. Fº 139.—Mss. A 15 à 17: Vernonnel. Fº 140 vº.—Mss. A 7, 23 à 33: Vernon. Fº 133.

P. 149, l. 4: Mantes.—Les mss. A 20 à 22 ajoutent: à chevas. Fº 202.

P. 149, l. 5 et 6: Roleboise.—Mss. A 11 à 14: Roloboise. 384 Fº 133 vº.—Mss. A 20 à 22: Roseboise. Fº 202.—Mss. A 23 à 29: Roulleboise. Fº 159.

P. 149, l. 10: estaches.—Mss. A 11 à 14, 18, 19, 30 à 33: ataches. Fº 133 vº.—Mss. A 20 à 22: estançons. Fº 202.

P. 149, l. 15: Boulongne.—Mss. A 7, 20 à 33: petite Bouloigne. Fº 133.

P. 149, l. 16 et 25 et p. 150, l. 16: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 264. P. 150, l. 17: Ensi que.—Ms. d’Amiens: Ensi que li roys englès chevauchoit et qu’il aloit, son host traynant, messires Ghodeffroix de Harcourt, ses marescaux, qui chevauchoit d’un costet et faisoit l’avangarde à tout cinq cens hommez d’armes et douze cens archiers, encontra grant fuisson de bourgois d’Amiens à cheval et à piet et en grant arroy et riche, qui s’en alloient au mandement dou roy Phelippe, vers Paris. Si les courut sus messires Godeffroys et se routte, et les assailli vighereusement; et chil se deffendirent ossi assés vassaument, car il estoient grant fuison et de bonne gent et friche et bien armet. Là eut grosse bataille et dure et qui dura longement, et mainte belle rescousse, car chacuns se prendoit priès de bien faire le besoingne. Finablement, li bourgois d’Amiens furent là desconfit, tout mort et tout pris; peu en escappa. Et perdirent tuit leur charoy, leur arroy et leurs pourveanches qui estoient grandez et grossez; et en y eut bien mors sus le place douze cens. Et retourna li dis messires Godeffroys deviers le roy englès sur le soir, et li recorda sen aventure: dont li roys fu moult liés, quant il vit que li besoingne estoit pour lui. Si cevauça li roys avant et entra ens ou Biauvesis, ardant et essillant le plat pays, ensi comme il avoit fait en Normendie. Et chevaucha tant en telle manière que il s’en vint logier en une moult belle et riche abbeie que on claimme Saint Missiien et siet assés priès de Biauvais. Si y jut là li roys une nuit. L’endemain, si tost qu’il s’en fu partis, il ne s’en dounna de garde, si vit le feu dedens et toutte ardoir, dont il fu moult courouchiés, car il l’avoit asseuret et coummandet à ses marescaux que on n’y fesist nul mal; et ceux qui le feu y boutèrent, il lez fist pendre, affin que li aultre gardaissent une autre foix mieux son commandement. Fº 91.

Ms. de Rome: Or cevauchièrent les Englois et entrèrent ou pais de Vexsin. Et ardirent chil de l’avant garde les fourbours de Pontoise et de Biaumont sus Oise et Cormelles en Vexsin et Sas en Vexsin et tout le pais sans nul deport, et prissent le cemin 385 de Ghissors et de Gournai. Et ardirent les Englois Gamaces et tous les fourbours de Ghisors et de Gournai et tout le pais de Vexsin, et entrèrent en Biauvoisin. Et trouvèrent chil de l’avant garde les bourgois d’Amiens assés priès de Saint Just en Biauvesins, que li rois de France avoit mandés, et aloient passer Oize la rivière au pont à Crai. Il furent courut sus de ceuls de la bataille des marescaus et se deffendirent, car il estoient bien quatre mille. Et les conduisoient li viscontes de Qesnes, li sires de Biausaut, li sires de Sautcourt et mesires Pières de Mellincourt, et furent en bon couvenant et se conbatirent assés vaillanment; mais finablement, il furent desconfi, et en i ot biaucop de mors et de pris. Li demorans tournèrent en fuites, et se boutèrent en la Herielle et ens ès villes voisines fremées de là priès. Li quatre chevalier demorèrent prisonnier, et plus de deus cens autres honmes, qui tout paiièrent depuis raençon. Ce soir retournèrent chil de l’avant garde deviers le roi d’Engleterre, là où il estoit logiés. A l’endemain, toute li hoos passa assés priés de Biauvais, et furent li fourbours ars, et une moult rice abbeie, qui est asisse assés priès de Biauvais, que on nonme Saint Lusiien. Fº 115.

P. 150, l. 21 et 22: douze cens.—Mss. A 23 à 29: quatorze cens. Fº 160.—Mss. A 30 à 33: treize cens. Fº 184 vº.

P. 150, l. 25: viers Paris.—Ms. B 6: et estoient bien trois mille. Fº 308.

P. 151, l. 11: douze cens.—Ms B 6: quinze cens. Fº 308.

P. 151, l. 20: Saint Lusiien.—Mss. A 1 à 33: Saint Messien. Fº 140.

P. 151, l. 27: Car li rois.—Ms. B 6: car à la prière des moines et qui avoient fait present de bons vins, il leur avoit acordé, et fist pendre vingt de ceulx qui le feu y avoient bouté. Et donna encores as moines vingt des plus riches prisonniers qu’il euist de la cité de Bieauvais en restituant leur damaige: de quoy ces vingt paièrent l’un pour l’autre chacun vingt escus à ceulx de Saint Mesien pour la refescion de leur abbeie; et ne les vot onques le roy quitter de leur foy aultrement jusques à tant qu’il eurent paiet. Fº 309.

§ 265. P. 152, l. 3: Apriès chou.—Ms. d’Amiens: Quant li roys se fu partis de Saint Messiien, il s’en passa oultre par dallés le chité de Biauvais et n’y vot point arester pour assaillir, 386 ne à assegier, car il ne volloit mies travillier ses gens, ni perdre sen artillerie, et s’en vint logier ce jour en une ville que on claimme Milli en Biauvesis. Li doy marescal de son ost passèrent si priès des fourbours de Biauvais qu’il ne se peurent tenir que il n’alaissent assaillir et escarmuchier à chiaux des barrièrez, et partirent leurs gens en trois bataillez et assaillirent à trois portez. Et y eut mout grant assault, mès peu y gaegnièrent, car à la dite chité ne peurent il riens fourfaire; mais il ardirent tous les fourbours de Biauvais jusques as portez, et deux bonnes abbeies qui seoient hors des murs de le cité, et à leur departement, pluisseurs villages entours le chité. Et se deseverèrent li doy marescal li ungs de l’autre. Si en allèrent li ungs chà, li autres là, ardant, robant et essillant le pays de tous costéz; et allèrent tant en telle mannierre qu’il vinrent au soir logier à Milli dallés le roy leur seigneur.

L’endemain, li roys se parti de Milli et s’en alla parmy le pays, gastant et essillant à son pooir, et vint logier à une bonne grosse ville que on claimme Grantviller. L’endemain, il s’en parti et passa par devant Argies; et ne trouvèrent nullui qui gardast le castiel. Si l’ardirent et tout le pays d’environ jusquez à le ville de Pois, là où il trouvèrent bonne ville et deux castiaux, mès nuls des seigneurs n’y estoit, ne nullez gardez n’y avoit, fors deux belles damoiselles, filles au seigneur de Pois, qui tantost ewissent estet viollées, se n’ewissent esté doy chevalier d’Engleterre qui les deffendirent et les menèrent au roy pour ellez garder: che furent messires Jehans Camdos et li sires de Basset. Liquelx roys, pour honneur et gentillèche, leur fist grant feste et les envoya conduire à sauveté là où ellez veurent aller. Et se loga li roys le nuit en le ditte ville et ou plus bel castel de Pois, et toutte son ost ens ès vilettes d’entour. Celle nuit parlementèrent les bonnez gens de Pois as marescaux de l’ost que li ville deut y estre rachatée parmy une somme de florins à paiier au matin. Quant ce vint au matin, li roys se desloga et se mist au chemin à tout son host, excepté aucuns qui demorèrent pour recepvoir le racat.

Quant chil de le ville furent assamblet et il virent que li hos s’estoit partis et que cil qui demouret estoient, n’estoient que ung petit de gens, il n’eurent talent de paiier, ainschois les coururent seure pour ocire. Chil Englès se missent à deffensce et envoiièrent apriès l’ost querre secours. Li messages s’en alla quanqu’il pot, 387 criant: «Trahi! trahi!» Quant chil de l’ost l’entendirent, il retournèrent qui mieux mieux, tant qu’il vinrent à Pois, et tuèrent chiaux qu’il trouvèrent, qui lasqueté et fraude leur avoient fait; et ardirent le ville et le castiel si netement qu’il n’y demora maison. Puis s’en alla li hos, et ne cessa si vint à Airainnes. Là endroit fist criier li roys sur le hart que nulx ne fourfesist à le ville, car il y volloit reposer ung jour ou deux. Che fist il pour tant qu’il volloit querre avis par quel pas il polroit le rivierre de Somme passer plus aise. Fº 91.

Ms. de Rome: Et s’en vinrent logier ce jour à Grantvillers, et passèrent la rivière de Tierain, et puis vinrent à Dargies, ardant et essillant tout le pais. Si ne trouvèrent chil de l’avant garde nului qui deffendissent ne gardaissent le chastiel de Dargies. Si le prissent à petit de fait et le desemparèrent, et le ardirent ce que ardoir en porent; et puis passèrent oultre, ardant et exillant le pais à tous lés. Et vinrent ensi jusques à Pois, là où il trouvèrent bonne ville et deus chastiaus, mais nuls des signeurs n’i estoient, ne nulles gardes n’i avoit, fors deus belles jones damoiselles, filles au signeur de Pois, Jehane et Marie, qui tantos euissent esté violées, se ne fuissent doi gentil cevalier d’Engleterre, asquels la congnisance vint de la prise, mesire Jehan Candos et mesire Renault de Basset, qui tantos les delivrèrent, pour la cause de gentilèce, des mains d’archiers qui les avoient, et les amenèrent au roi: liquels rois en ot pité, et lor demanda où elles vodroient estre, et elles respondirent: «A Corbie.» Là les fist li rois mener et conduire sans peril. Et se loga li rois celle nuit en la ditte ville de Pois et toutes ses gens, là ou environ, au mieuls qu’il peurent. Et orent celle nuit parlement li honme de Pois et ceuls des deus chastiaus, à mesire Godefroi de Harcourt et au conte de Warvich qui gouvrenoient l’avantgarde, pour euls sauver de non estre ars à l’endemain, car il doubtoient ce grandement au deslogement dou roi. Et se porta trettiés que, parmi une sonme de florins que il paieroient à l’endemain et trop bon marchiet, il seroient respité.

A l’endemain, li rois et toute li hoos se deslogièrent et se missent au cemin; et demorèrent derrière auquns hommes d’armes et archiers, pour recevoir cel argent. Mais qant li hoos fu eslongie environ une lieue, ces honmes de Pois ne vorent point paier, ne nulle paction tenir; mais coururent sus ceuls qui demoret estoient, et en ocirent et mehagnièrent auquns. Les nouvelles vinrent à ceuls 388 de l’arieregarde, qui cevauçoient tout derrière, conment li bonhonme de Pois estoient faussaire. On le segnefia au roi, pour sçavoir quel cose il en voloit faire. Li rois fist arester toute l’oost et là logier pour ce jour, et envoia ses marescaux de rechief à Pois. Qant les Englois furent retourné jusques à là, il trouvèrent ces bonhonmes qui estoient rebelles, qui tantos furent en voies, qant il veirent ces Englois venus; mais il en i ot des atrapés biaucop, qui furent mors et mehagniet. Et fu la ville de Pois toute arse, et li doi chastiel ars et abatu; et puis retournèrent li marescal, là où li rois d’Engleterre estoit logiés.

Qant ce vint à l’endemain, li rois et toute li hoos se deslogièrent et cevauchièrent viers Arainnes, ardant et essillant le pais à destre et à senestre. Et vinrent à Arainnes environ tierce, et là s’arestèrent, car il ne savoient là, ne où, ne qant, il passeroient la rivière de Sonme. Fº 115.

P. 152, l. 17: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 152, l. 26: Grantviller.—Mss. A 1 à 6, 11 à 29: Grantvillier. Fº 140.

P. 152, l. 28: Argies.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: Orgies. Fº 140.—Le ms. B 6 ajoute: qui estoit au conte de Blois. Fº 309.

P. 153, l. 19: se rançonnèrent.—Ms. B 6: à paier douse cens florins dedens trois jours. Fº 310.

§ 266. P. 154, l. 21: Or voel je.—Ms. d’Amiens: Or voeil retourner au roy Phelippe de France, qui estoit à Saint Denis ou là environ, et tousjours li venoient et croissoient gens de tous costéz, et tant en avoit que sans nombre. Si estoit li dis roys partis de Saint Denis o grant baronnie en instance de che que de trouver le roi englès et de combattre à lui, car de ce avoit il grant desir, pour contrevengier l’arssin de son royaumme et le destruction que li Englès y avoient fait. Et chevauça tant li roys de France par ses journées qu’il vint à Coppegni le Quisiet, à troix lieuwes priès d’Amiens, et là s’aresta pour atendre ses gens qui venoient de touttez pars, et pour aprendre le couvenant des Englès.

Or dirons dou roy Edouwart qui estoit à Arainnes arestéz, si comme vous avés oy, et avoit mout bien entendu que li roys de Franche le sieuwoit o tout son effort; et si ne savoit encorrez là où il poroit passer le rivierre de Somme, qui est grande, large et parfonde; et si estoient tout li pont deffait ou si bien gardet de 389 bonnes gens d’armes que le rivierre ne porroit passer. Si appella li roys ses deux marescaux, le comte de Warvich et monseigneur Godeffroit de Halcourt, et leur dist que il presissent mille hommez d’armes et deux mille archiers tous bien montés, et s’en alaissent tastant et regardant seloncq le rivière de Somme, se il poroient trouver passaige là où il poroit passer et toutte sen host. Si se partirent li doy marescal dessus noummet, bien acompaigniet de gens d’armes et d’archiers, et passèrent parmy Loingpret et vinrent au Pont à Remy, et le trouvèrent bien garny de grant fuisson de chevaliers et d’escuiers et des gens dou pays, qui là estoient assamblet pour le pont et le passaige deffendre et garder. Si vinrent là li Englès, et se missent à piet et en bon couvenant pour lez Franchois assaillir. Et y eut très grant assault et très fort, et qui dura dou matin jusques à primme, mès li pons et la deffensce estoient si bien batillie et deffendue, que oncques li Englès n’i peurent riens concquerre; ainschois s’en partirent et chevauchièrent d’autre part. Et vinrent à une grosse ville que on claimme Fontainne sur Somme; si l’ardirent toutte et robèrent, car elle n’estoit point fremmée. Et puis vinrent à une autre ville que on claimme Loncq en Pontieu sur Somme; si ne peurent gaegnier le pont, car il estoit bien garnis et fu bien deffendus. Apriès, il s’en chevauchièrent deviers une autre grosse ville que on claimme Loncqpret sur Somme. Et y a bonnes chanonneries et riche ville et moult de biaux hostelx, qui tout furent ars et robés, et n’y demoura maison en estant; mès li pons estoit deffais, et ne peurent veoir mannierre ne tour coumment il fuist refèz. Si chevaucièrent encorres deviers Pikegny, et trouvèrent le ville et le castiel et le pont bien garny, par quoy jammais ne l’ewissent gaegniet ne pris. Enssi avoit li roy Phelippes fait pourveir les destroix et les passaiges sus le rivierre de Somme, affin que li roys englès ne son host ne pewissent passer, car il les volloit combattre à se vollenté ou afammer par delà le Somme. Fº 91 vº.

Ms. de Rome: Bien lor avoit dit messires Godefrois de Harcourt que desous Abbeville devoit avoir un passage, mais que on seuist ou peuist prendre la mer à point. On li demanda quels li pasages estoit, et se point il l’avoit passet. Il respondi: «Onques ne le passai. Je ne le sçai fors par oïr dire. Et toutes fois, entre Amiens et Abbeville, il i a pluisseurs passages sus la rivière de Sonme. On deveroit envoiier taster se li pont sont deffait ou bien gardé.»

390 Li rois i envoia; et en furent esleu et ordonné pour aler, li contes de Warvich et messires Godefrois de Harcourt, à tout mille honmes d’armes et deus mille archiers, tous bien montés. Si se departirent de Arraines et cevauchièrent parmi Lonchpret, et vinrent au Pont à Remi, et le trouvèrent bien garni et pourveu de grant fuisson de chevaliers et d’esquiers et des honmes dou pais qui là estoient assamblé. Et en estoient chapitainne li sires de Doumarc, li sires de Havesqerqe, li sires de Brimeu, li sires de Boubert et li sires de Saintpi, et avoient mallement fortefiiet le pont, et euls aussi. Qant les Englois veirent ce, il passèrent oultre et vinrent à Fontainnes sus Somme, une grose ville, et l’ardirent toute, car elle n’estoit point fremée. Et puis vinrent à Lonch en Pontieu, et trouvèrent le pont bien garni et pourveu de gens d’armes et d’archiers; et estoit cose imposible de euls conquerre et là passer. Fos 115 vº et 116.

P. 154, l. 23: de tous lés.—Ms. B 6: tant de l’Empire que des parties de Franche; et sy atendoit le conte de Savoie et mesire Lois de Savoie son frère qui estoit priès et mandés à mille lanches. Fº 311.

P. 155, l. 3: Copegni l’Esquissiet.—Mss. A 1 à 6: Compegny l’Esquissié. Fº 241.—Mss. A 15 à 17: Copigny l’Esquiessié. Fº 142.—Mss. A 20 à 22: Copegni l’Escuissé. Fº 204.—Mss. A 23 à 29: Coppigny l’Esquisié. Fº 161.—Mss. A 7 à 14, 18, 19, 30 à 33: Coppegni l’Esquissié. Fº 134 vº.—Ms. B 6: Coppegny. Fº 311.

P. 155, l. 23: Pont à Remi.—Ms. A 7: Pont Atemi. Fº 135.—Mss. A 30 à 33: Pont Athemy. Fº 186 vº.

P. 156, l. 3: sus Somme.—Ms. A 7: sus Sainne. Fº 135.

P. 156, l. 5: Lonch.—Mss. A 20 à 22: Loing. Fº 204 vº.—Mss. A. 30 à 33: Long. Fº 186 vº.

P. 156, l. 24: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 267. P. 156, l. 16: Quant li doi.—Ms. d’Amiens: Quant li marescal d’Engleterre eurent enssi un jour enthier tastet et chevauchiet et costiiet le rivierre de Somme, et il virent que de nul léz il ne trouveroient point de passage, si retournèrent arrière à Arainnes deviers le roy leur seigneur, et li recordèrent leur cevaucie et tout ce que trouvet avoient.

Che meysme soir, vint li roys de Franche jesir à Amiens à plus de cent mil hommes, et estoit tous li pays d’environ tous couviers de gens d’armes.

391 Quant li roys englès eut entendu ses deux marescaux, si n’en fu mies plus liés et coummencha moult à muser; et coummanda que, l’endemain au matin, il fuissent tout appareilliet, car il se volloit deslogier de là. Si se passèrent le nuit enssi, et l’endemain bien matin, li roys englès oy messe; puis sonnèrent les trompettes, et montèrent tout à cheval. Et chevaucha li roys parmy le Vismeu, à tout son host, droit par deviers Oizemont et le bonne ville de Abbeville en Pontieu, et si coureur devant, et de tous costés ardans et essillans le pays, si comme il avoit coummenchiet.

Che meysme jour coummanda li roys de Franche à monseigneur Godemar dou Fay, que il partesist d’Ammiens et presist grant fuisson de gens d’armes, et s’en allast à le Blancque Take desoubz Abbeville et gardast là le passaige contre lez Englès, par quoi il ne pewissent passer. Adonc se departi messires Ghodemar dou Fay et prist bien deux mil hommez d’armes et cinq mil de piet parmy les Geneuois, et s’en vint là où il estoit ordounnés et establis pour aller. Fº 92.

Ms. de Rome: Qant il (les Anglais) veirent que tout li pasage estoient si bien pourveu et deffendu, il retournèrent viers le roi et toute l’oost, qui les atendoient à Arrainnes, et li recordèrent ce que il avoient trouvé.

Bien avoient entendu li roy d’Engleterre et ses consauls, que li rois Phelippes, à toute sa poissance, le poursievoit moult fort et estoit jà venus à Amiens, et que sur ce il euissent avis et consel. Si fu li dis rois d’Engleterre consilliés de departir d’Arraines et de aprocier Abbeville et le pasage de la Blance Taqe, où il esperoient à passer, car trop mieuls lor valoit que il atendesissent apriès le passage, que li passages atendesist apriès euls. Si se departirent au matin de la ville d’Arraines et chevauchièrent viers Abeville, ardans et essillans le pais. Et coururent chil de l’avantgarde jusques à Aumale, et fu la ville arse; et puis s’en retournèrent viers Oizemont, où li rois d’Engleterre et les Englois, pour ce jour, avoient pris lor logeis. Et trouvèrent sus lor cemin une grose ville non fremée qui s’apelle Sénartpont et se gouverne toute de la draperie: si fu de l’avant garde toute courue et arse; et puis passèrent oultre et vinrent à Oizemont. Là trouvèrent il le roi et toute l’oost; si se logièrent pour ce jour. Fº 116.

P. 156, l. 27 et 28: à muser et à merancolier.—Mss. A 1 à 6, 8 à 14, 18, 19: à avisier et soy merencolier. Fº 141 vº.

392 P. 158, l. 1: le Blanke Take.—Mss. A 1 à 6, 8 à 14, 18 à 22: Blanche Tache. Fº 141 vº.—Mss. A 7, 15 à 17, 23 à 33: la Blanche Take ou Tacque ou Taque. Fº 135 vº.—Ms. B 6: entre Saint Vallery et le Crotoy desoubz Abeville. Fº 313.

P. 158, l. 15: combatans à tournikiaus.—Mss. A 1 à 6, 8 à 10: tourniquiens, turniquiens. Fº 142.—Mss. A 15 à 17, 20 à 22: Tournoisiens, Tournisiens. Fº 142 vº.

§ 268. P. 158, l. 16: Apriès ceste ordonance.—Ms. d’Amiens: Encorrez coummanda li roys de Franche que tout seigneur et aultre fuissent prest, car il volloit chevaucier deviers Arainnes, là où on disoit que li roys englès estoit. Et se parti d’Ammiens et passa le Somme parmy les pons, et chevaucha vers Arainnes et y vint à heure de nonne. Et li rois englès s’en estoit partis au matin; et encorres trouvèrent li dit Franchois assés des pourveanches as Englès. Si se loga li roys de Franche à Arainnes à l’heure qu’il y vint et le soir ossi, et l’endemain tout le jour, pour attendre ses gens et son grant host qui le sieuwoient.

Li roys englès, qui chevauchoit parmy le Vismeu, ardant et essillant le pays, fist tant que il parvint à Maroel. Et ardirent ses gens le ville, et assaillirent le castiel, et le concquissent d’assault et le abatirent et rompirent, et ossi une abbeie qu’il trouvèrent bien garnie en le ville de Maroel. Et puis chevaucièrent devers Oisemont, ardant et essillant le pays, tant que les flameskes en volloient en Abbeville. Tant allèrent li Englès en celle mannierre qu’il aprochièrent le ville de Oisemont, là où tout le pays de Vismeu estoit assambléz. Quant ces gens, qui estoient en Oisemont, virent aprochier cez Englès, il se traissent hors as camps, et se quidièrent bien deffendre encontre yaux; si les coururent seure asprement et vistement. Et avoient pour cappittainne un bon chevalier banereth, le seigneur de Bouberk, hardi homme durement. Là y eut grant hustin et dur. Et eurent li Englès une mout fort rencontre, et en y eult pluisseurs navrés et blechiés. Et trop bien s’i portèrent li Franchois; mais finablement il furent si dur combatut, et tant y sourvint de nouvelle gent sus yaux, que il perdirent le place, et les couvint partir et rentrer en le ville à grant meschief. Et y fu li sires de Bouberk très bons chevaliers, bien assallans et bien deffendans, et fu pris et prisonniers à monseigneur Jehan Camdos. Et ossi y furent pris li sirez de Brimeu, li sirez de Sains, li sirez de Louville, li sirez de Saint Pi 393 et pluisseur autre chevalier et escuier. Et entra li roys en le ville de Oizimont et se loga ou grant hospital, et touttes ses gens en le ville ou environ, sus une petite rivierre. Et che meysme jour que li ville de Oisimont fu prise, courut messires Ghodeffroy de Harcourt, à tout une cantitet de gens d’armes et d’archiers, jusques à Saint Wallery. Et là eut une grant escarmuche et grant hustin, car li ville et li castiel estoient bien pourveus de bonnes gens d’armez, dont li comtez de Saint Pol et messires Jehans de Lini estoient chief. Et n’i peurent li Englès [riens] concquerre; si retournèrent arrierre deviers le roy englès, et le trouvèrent à Oizimont. Liquelx roys estoit moult penssieux coumment il poroit passer le rivierre de Somme, car bien savoit que li roys de Franche le sieuwoit à tout très grant effort. Si en fist li roys englès parler à aucuns chevaliers franchois qu’il tenoit pour prisonniers. Et leur faisoit proumettre grant courtoisie, mès que il li volsissent enssignier un passaige pour passer le Somme, liquelx devoit y estre ens ou pays entre Vismeu et Pontieu; mais li chevalier, pour leur honneur, s’escusoient et disoient que nul n’en y savoient.

Quant li roys englès, qui estoit logiés ou grant hospital de Oizimont, vit che qu’il ne porroit atraire aucuns chevaliers franchois dou pays de Pontieu et d’ailleurs qu’il tenoit pour prisonniers, affin que il li vosissent ensseignier passage pour passer et toutte sen host le rivierre de Somme, et tout s’escuzoient pour leur honneur, si eut li roys englès autre advis et conseil, que il fist venir devant lui gens de menre estat et de le droite nation dou pays de Vismeu, que il tenoit pour prisonniers, si leur dist enssi: «Se il a chi homme nul qui me voeil enssegnier le passage, pour passer le rivierre de Somme, et toutte mon host, je le quitteray de se prison et avecq lui cinq ou six de ses compaignons pour l’amour de lui, et li donray cent noblez d’Engleterre.»

Là eut un compaignon que on clammoit Gobin Agache, qui bien congnissoit le passaige de le Blanke Take, car il avoit estet nouris assés priès, et l’avoit passet et rappasset pluisseurs fois. Quant il oit le proummesse dou roy, si eut grant joie, tant pour gaegnier lez florins que pour estre delivréz de prison; si dist ensi: «Sire, oil, en nom Dieu, se vous me volléz tenir couvent, je vous menray demain au matin en tel lieu là où tout vostre ost sera passéz avant tierche, sour l’abandon de ma teste. Je say ung gués là où douze homme passeraient bien de froncq deux foix entre jour et nuit, et n’aroient de l’yauwe plus hault que jusques 394 à genoulx. Car li fluns de le mer est: en venant, il regorge la rivierre si contremont, que nuls n’y poroit passer; mès quant chilx fluns, qui vient deux foix entre jour et nuit, s’en est tout rallés, li rivierre demeure là endroit si petitte, que on y passe bien aise à piet et à cheval. Che ne fait on nulle part que là, fors au pont à Aubeville, qui est forte ville et grande et bien garnie de gens d’armes. Et à ce passage, sire, que je vous di, a gravier de blanke marle, forte et dure, que on y puet seurement chariier, et pour ce le appell’on le Blancque Take.»

Quant li roys oy les parolles dou varlet, il n’ewist mies estet ossi liés qui li ewist donnet vingt mil escus; et li dist, s’il le trouvoit en veritet, qu’il quitteroit tous sez compaignons pour l’amour de lui, et li amenderoit son couvent. Et Agace li respondi: «Sire, oil. Ordonnés vous sour ce, et pour y estre là sus le rivierre, devant soleil levant.» Dist li roys: «Vollentiers.» Puis fist savoir par tuit son host que chacuns fust armés et appareilliéz au son de le trompette, pour mouvoir et departir de là pour aller ailleurs. Fº 92.

Ms. de Rome: Ce jour que li rois d’Engleterre se departi d’Arainnes et que il vint à Oizemont, li rois Phelippes de France se departi de la chité d’Amiens et prist le cemin de Arainnes. Et estoit li intension de li, quel part que il trouveroit le roi d’Engleterre et les Englois, il les combateroit. Et avoit envoiiet devant, pour garder le pas à la Blance Taqe grant fuisson de gens d’armes, des quels messires Godemars dou Fai estoit chapitains, car on avoit enfourné le dit roi que les Englois ne pooient avoir autre passage que par là. Qant li rois de France vint à Arainnes, les Englois en estoient parti dou matin. Encores trouvèrent les François biau cop de lors pourveances, les pains ou four, et les chars ens ès hastiers, de quoi les pluisseurs se disnèrent. Li rois de France se tint à Arainnes. Gens d’armes et arbalestriers geneuois le sievoient de toutes costés. Encores estoient à venir li contes Amé de Savoie et messires Lois de Savoie, ses frères, et amenoient bien cinq cens honmes d’armes. Li bons rois de Boesme et mesires Carles, ses fils, et leurs routes sievoient le roi de France, et se logoient au plus priès de li que il pooient. Tant de peuple venoient de tous lés que mervelles seroit à penser; tous les camps estoient couvers de gens et de charoi, qui poursievoient le roi. On disoit au roi: «Sire, cevauchiés par ordenance. Les Englois sont enclos: il ne pueent avoir nullement le pasage de la Blanqe 395 Taqe si apparilliet, avoecques ce que mesires Godemars dou Fai et grant gent d’armes sont par de delà la rivière de Sonme, qui le garderont et deffenderont; et vous et li vostre, lor venrés d’autre part au dos. Comptés ensi: il sont vostre, car il ne sont que une puignie de gens ou regart des vostres. A celle fois chi, en auerés vous raison; il ne vous pueent fuir ne escaper, se il ne mucent en terre.» Fº 116.

P. 159, l. 18: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 159, l. 19: Gobin.—Mss. A 11 à 14: Colin. Fº 136.—Mss. A 20 à 22: Robin. Fº 205 vº.

P. 159, l. 19: Agace.—Mss. A 20 à 22: Agache. Fº 205 vº.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Agathe. Fº 142.

P. 159, l. 22: passet.—Ms. B 6: le plus grosse nefs d’Espaigne y passeroit. Fº 314.

P. 160, l. 15: cent nobles.—Mss. A 15 à 17: cent nobles d’or. Fº 143.

P. 160, l. 19 et 21: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 269. P. 160, l. 22: Li rois d’Engleterre.—Ms. d’Amiens: Li roys ne dormy mies gramment celle nuit, ains se leva à le mienuit, et fist sounner le tronpette. Chacuns fu tantost appareilliéz, sommiers tourssés, chars cargiés. Si se partirent, sour le point del jour, de le ville de Oizemont, et chevauchièrent sour le conduit de ce varlet et de ses compaignons, parmy le pays que on claimme Vismeu, tant qu’il vinrent à soleil levant assés priès de che gués que on claimme à le Blancque Take; mès li fluns de le mer estoit adonc tous plains: si ne peurent passer. Ossi bien couvenoit il au roy atendre sez gens qui venoient apriès lui. Si demoura là endroit jusques apriès prime, que li fluns s’en fu tous rallés. Et ainssois que li fluns s’en fuist rallés, vint d’autre part messires Godemars dou Fay à grant fuisson de gens d’armes, envoiiéz de par le roy de Franche, si comme vous avés oy. Et avoit li dis messires Godemars rassamblet grant fuisson des gens dou pays à piet et à cheval avoecq les siens, qui tantost se rengièrent sour le pas de le rivierre pour deffendre le passage. Mais li roys englès ne laissa mies à passer pour che; ains coummanda à ses marescaux tantost ferir ou gués et sez archiers traire fortement as Franchois. Là commença ungs fors hustins, car messires Godemar et li sien deffendoient vassaument le passaige. Là y eut aucuns chevaliers et escuyers franchois d’Artois et de Pikardie et de le carge monseigneur Godemar, qui, pour leur honneur avanchier, se freoient ou dit gués et venoient d’encontre jouster as 396 Englès. Là eut mainte belle jouste et maintez bellez appertisses d’armes faittes. Et vous di que li Englès eurent là ung mout dur encontre, car tout ceux qui estoient avoecq monseigneur Godemar envoiiet pour garder et deffendre le passage de le Blancque Taque, estoient gens d’eslite, et se tenoient bien rengiet et sus le destroit dou passage de le rivierre: dont li Englès estoient dur rencontré, quant il venoient à l’yssue. Et y avoit Geneuois qui dou tret leur faisoient mout de maux; mais li archier d’Engleterre traioient si fort et si ouniement qu’à merveillez, et entroez qu’il ensonnioient les Franchois, gens d’armes passoient. Et sachiés que li Englès se prenoient bien priès de bien yaux combattre, car il leur estoit dit que li roys de Franche les sieuwoit à plus de cent mil hommes. Et jà estoient aucun compaignon coureur de le partie des François venus jusques as Englès, et qui en reportèrent vraies enssaingnes au roy dez Franchois, si comme vous oréz dire. Fº 92 vº.

Ms. de Rome: Or retourrons au roi d’Engleterre, qui estoit en la ville d’Oisemont, à quatre lieues priès d’Abeville, et avoit entendu, par auquns prisonniers que ses gens avoient pris, que li rois de France, à grant poisance, estoit venus à Arainnes et le sievoit fortement. Li rois d’Engleterre desiroit à avoir passet la rivière de Sonme, avant que li François venissent sur lui. Et fu ordonné, la nuit que il se loga à Oisemont, que, tantos apriès mienuit, on se deslogeroit, et fu conmandé que on sievist les banières des marescaus. Tout ensi que il fu ordonné, il fu fait; et sonnèrent les tronpètes des mareschaus tantos apriès mienuit. Toutes manières de gens, au son des tronpètes, sallirent sus et se resvillièrent et armèrent; au secont son des tronpètes, on toursa et apparilla, et se missent toutes gens en ordenances des batailles, ensi que il devoient estre et aler. Au tier son, tout montèrent à ceval et se departirent et prissent le cemin, et jà estoit l’aube dou jour apparant, et se missent sus les camps; et ne laissièrent nulle cose derrière, et esqievèrent le cemin pour aler à Abeville, et prissent celi de la Blanqe Taqe. Si bien se esploitièrent que, sus le point de solel levant, le flun estoit tous plains; et qant il vinrent au pas, il trouvèrent que la mer weboit et se mettoit au retour. Donc dissent il: «Vechi bonnes nouvelles: avant que l’arrière garde soit venue, li avantgarde passera.» Messires Godemars dou Fai et sa carge estoient d’aultre part la rivière de Sonme. Et avoient les gens d’armes requelliet et assamblet parmi tout le pais et fait venir avoecques euls, et avoient les arbalestriers d’Amiens, 397 d’Abeville, de Saint Riqier et tous les arbalestriers des villes là environ et les honmes de deffense aussi. Et estoient bien douse mille, et quidoient bien garder le pasage, mais non fissent, ensi que je vous recorderai; mais avant je vous parlerai un petit dou roi de France.

Qant ce vint le joedi au matin, li rois de France, qui logiés estoit à Arainnes, se desloga et envoia ses coureurs devant pour descouvrir le pais, et pour avoir nouvelles des Englois. Et vinrent à Oizemont, et trouvèrent encores grant apparel de chars en hastiers, à moitié quites, là laissies, et des pastés grant plenté ens ès fours, et des chars en caudrons et en caudières sus le feu, qui n’estoient point quites. Et disoient li auqun François: «Les Englois sont malescieus. Il ont tout volentiers laissiet ces pourveances en cel estat, à la fin que nous nos i ataqons. Il n’i a gaires que il se departirent de chi.» Les nouvelles vinrent au roi de France, là où il cevauçoit entre Arainnes et Oisemont, et mesire Jehan de Hainnau en sa compagnie, et li fut dit et nonchiet le couvenant des Englois. Adonc fist li rois haster ses gens, et vint à Oisemont ensi que à heure de tierce; et entra en la ville et descendi à l’ostel des Templiers, et là s’aresta, et toute li hoos aussi. Et destoursèrent les sonmiers et les pourveances, et burent et mengièrent un petit, et puis tantos retoursèrent et missent à voiture. Et fu adonc conmandé que tout voiturier et charoi et sonmiers presissent le cemin de Abbeville et tournaissent celle part, et toutes gens d’armes et de piet sievissent les banières des marescaus. Ensi conme il fu ordonné, il fu fait. Tout se departirent de Oizemont, et n’i arestèrent li François, depuis que il i furent venu, que une heure; et se missent tout au cemin en ordenance de bataille et en grande volenté de trouver les Englois, à ce que il moustroient. Les Englois, qui estoient venu sus le pas de Blanqe Taqe pour passer oultre, n’eurent aultre espasce de loisir que ce que li François missent à venir de Oizemont à la Blanque Taque, où il puet avoir de cemin environ cinq lieues. Or vous recorderai conment la besongne se porta celle journée que les Englois vinrent pour passer la rivière de Sonme.

Mesires Godemars dou Fai et sa poissance estoit d’aultre part l’aige, ens ou pais de Pontieu; et les François estoient avoecques lui, tout rengiet et ordonné en bataille sus le rivage. Li rois d’Engleterre et ses gens estoient en Vismeu: ensi se nonme le pais où il se tenoient. Et bien veoient François et Englois l’un 398 l’autre; et atendirent là les Englois tant que la rivière fu bien ravalée. Mais les Englois, qui desiroient à passer, le prissent moult vert, car bien sçavoient que les François les poursievoient, et si veoient lors ennemis d’aultre part la rivière. Et avint que pluisseur chevaliers et esquiers, qui se desiroient à avancier et à faire armes, brochièrent cevaus des esporons, les lances ens ès poins et les targes au col, et entrèrent en la rivière. D’aultre part, chevaliers et esquiers françois, qui veoient les Englois venir, se vorrent aussi avanchier et se boutèrent contre euls en la rivière. Et i ot fait des joustes au plat de la rivière... abatus et bien moulliés et noiiés, qui ne les euist rescous. Finablement toutes manières de gens se missent au pasage et en haste de passer. Là couvint que Englois fuissent bonnes gens d’armes et de grande ordenance; car les François, qui estoient d’aultre part, les empeçoient et ensonnioient ce qu’il pooient. Fos 116 vº et 117.

§ 270. P. 162, l. 21: Sus le pas.—Ms. d’Amiens: Sus le pas de le Blancque Take fu la bataille dure et forte, et mout bien gardée et deffendue des Franchois; et maintes belles appertisses d’armes y eut ce jour fait, d’un lés et de l’autre. Mais finablement li Englès passèrent oultre, à com grant mesaise que ce fuist, et se traissent sus lez camps. Depuis qu’il eurent gaegniet le pas de le rivière et qu’il furent sur lez camps, li Franchois furent tantost desconffis. Et y eut là grant occision et maint homme mort de Abbeville, de Saint Rikier, de Rue, de Monstroel, dou Crotoi et dou pays de Pontieu, qui là estoient tout assamblet. Et s’en parti messires Godemars durement navrés et aucuns chevaliers et escuiers de se routte, et en laissièrent pluisseurs mors et pris. Quant li Englès, qui premiers estoient passet, furent oultre, il fissent voie as darrains et à leurs charoy et à leurs pourveanches. Encorrez n’estoient il mies tout oultre, quant aucun escuier as seigneurs de Franche qui aventurer se volloient, especiaulment de chyaux de l’Empire, dou roy de Behaingne et de monseigneur Jehan de Haynnau, vinrent sur yaux, et concquissent aucuns chevaux et harnas et tuèrent des Englès sour le rivaige, qui mettoient painne à passer, affin qu’il fuissent tout oultre. Les nouvellez vinrent au roy Phelippe de Franche, qui chevauchoit fortement celle matinée, et estoit partis de Arainnes, que li Englès avoient passet le Blancque Taque et desconfit messire Ghodemar et se routte. De ces nouvellez fu li roys moult courouchiés, car il 399 quidoit bien trouver là les Englès sus le passage. Si demanda se il poroit passer à le Blancque Take: on li respondi que nenil, car li fluns de le mer commençoit jà à remonter. Dont eut conseil li roys de venir passer le rivierre de Somme au pont à Abbeville, et retourna mout courouchiéz, et s’en vint ce joedi jesir à Abbeville. Et toutte sen host sieuwy ce train, et vinrent li seigneur logier en le ditte ville et ou pays environ, car tout n’y pooient mies y estre logiéz, tant estoient grant fuison. Fº 92 vº.

Ms. de Rome: Et avant que li Englois fuissent tout passet, il i ot grande escarmuce et maint homme reversé. Toutes fois, li Englois passèrent oultre, à quel mescief que ce fust; et ensi que il passoient, il prendoient terre et s’ordonnoient sus les camps. Sitos que ces bonhonmes dou pais, que messires Godemars avoit amené pour li aidier à garder et à deffendre le pasage, sentirent les saiettes de ces archiers, et que il en furent enfillé, il se desroutèrent tout, et ne tinrent point de ordenance et de conroi, mais tournèrent les dos et laissièrent les gentils honmes combatre et faire ce que il pooient. Se les Englois euissent aussi bien entendu au cachier et au prendre prisonniers, que il entendirent à lor charoi et sonmiers à metre hors de la rivière, il euissent porté plus de damage assés les François que il ne fissent. Qant messires Godemars dou Fai vei le grant mescief qui tournoit sus euls, et que tout li Englois estoient oultre, et que, de sa poissance, ce n’estoit riens, car moult de ses honmes fuioient et se sauvoient, si s’apensa que il se sauveroit aussi, car point n’i avoit de recouvrier. Si prist les camps et fist retourner sa banière avoecques lui. Et me fu dit que chils qui le portoit, le bouta en un buisson, car elle l’ensonnioit au brocier son ceval, et que là elle fu trouvée en ce jour meismes des Englois. Messires Godemars, tous desconfis et desbaretés, et auquns chevaliers de sa route, s’en vinrent à Saint Riqier en Pontieu, et là se tinrent pour aprendre des nouvelles et où li rois de France estoit. Or, vous parlerons dou roi d’Engleterre, conment il persevera depuis que il ot conquis le pasage. Fº 117.

P. 162, l. 22: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 162, l. 30: desconfit.—Ms. B 6: Toutefois les Englès vinrent sy enforchiement que il conquirent la rivière et prirent terre et desconfirent tous les Poulyés et Normans qui là estoient. Et y fut pris le conte de Dreus, le sire de Castillon, le sire de Pois, le sire de Briauté, le sire de Cresecque, le sire de Bourbourc, messires Hectors Kierés et grant foison de chevaliers et 400 d’escuiers. Et en y eult mors, que d’un que d’autre, bien six mille. Et s’eufuy messires Godemars et se sauva. Fº 315.

P. 163, l. 6: de Rue.—Mss. A 30 à 33: d’Arras. Fº 186 vº.

P. 163, l. 6: Saint Riquier.—Mss. A 20 à 22: Saint Richier. Fº 206 vº.

P. 163, l. 7: plus d’une grosse liewe.—Mss. A 20 à 22: plus de deux grosses lieues. Fº 206 vº.

§ 271. P. 164, l. 5: Quant li rois.—Ms. d’Amiens: Or parlerons dou roy englès coumment il persevera depuis qu’il fu passés à le Blancque Take, et qu’il eult desconfi monseigneur Godemar dou Fay et lez Franchois. Il s’aroutèrent et se missent en ordonnance si comme il avoient fait par devant en venant jusques à là, et chevauchièrent tout bellement et à leur aise. Quant il se trouvèrent en Pontieu et le rivierre de Somme à leur dos, si en loa li roys englès ce jour Dieu par pluisseurs foix, qui tel grasce li avoit fait, et fist venir avant le varlet qui le passaige li avoit enssaigniet, et li quitta se prison et à tous ses compaignons pour l’amour de lui, et li fist delivrer cent noblez et un bon ronchin: de celui ne say jou plus avant. Mais li Englès chevauchièrent tout souef et tout joyant, et eurent che jour empensset de logier en une bonne et grosse ville que on claimme Noyelle, qui priès de là estoit; mès quant il seurent que [elle estoit à] la comtesse d’Aubmarle, qui estoit serour à monseigneur Robert d’Artois, qui trespassés estoit, il assegurèrent le ville et le pays appertenans à le damme pour l’amour de lui, de quoy elle remerchia mout le roy et les marescaux. Si allèrent logier plus avant ens ou pays en aprochant la Broie. L’endemain au matin, chevauchièrent li marescal englès et vinrent jusquez au Crotoy, qui est une bonne ville et marcande et bon port de mer; si le gaegnièrent à peu de fait, car elle n’estoit point fremmée: si le pillièrent et robèrent enssi qu’il veurent. Et puis s’en revinrent au soir deviers leur host, et amenèrent grant fuisson de buefs, de vaches, de pors et de brebis, et ossi grant fuison de bons vins de Poito et de Gascoingne, qu’il avoient trouvet en le ville dou Crotoy, car elle en estoit bien pourveue. Ceste nuit se tinrent tout aise, et à l’endemain, se deslogièrent et tirèrent pour venir deviers Crechi en Pontieu; si chevauchièrent che venredi jusquez à heure de miedi. Et se loga adonc toutte li os par le coummandement dou roy, assés priès de Crechi. Fº 93.

401Ms. de Rome: Qant li rois d’Engleterre et ses gens furent oultre, et que il eurent mis en cace et desconfi lors ennemis et delivré la place, et que il ne veoient ne trouvoient mais qui lor veast le cemin, il se traissent bellement et ordonneement ensamble et aroutèrent tout lor charoi, et cevauchièrent, banières desploiies, li avant garde des marescaus premiers, le roi et son fil le prince apriès, et l’arrière garde tout derrière. Et cevauçoient ensi, par ordenance que il avoient fait ou païs de Vexin et de Vismeu, et ne se esfreoient de riens, puis que il sentoient la rivière de Sonme derière euls. Il n’avoient mais que la rivière de Qance à passer, qui court desous la ville de Monstruel, et orent intension d’aler veoir Noielle et asallir le chastiel et logier dedens la ville. Mais qant il sceurent que elle estoit à madame d’Aumale, serour à mesire Robert d’Artois, qui trespassés estoit, il tournèrent d’aultre part et asegurèrent le castel et toute la ville. Mais li marescal cevauchièrent jusques au Crotoi et prissent la ville et le ardirent, mais il ne fissent riens au chastiel, car il est trop fors; et chevauchièrent viers Saint Esprit de Rue, et prissent la ville et le ardirent. Et se logièrent les Englois là environ la Broie, et orent grant fuisson de bons vins, qui furent trouvé au Crotoi des marceans de Saintonge et de la Rocelle, qui là gissoient à l’ancre. Et le venredi il ceminèrent tant que il vinrent à Creci en Pontieu et là se arestèrent, et se requellièrent toutes les trois batailles des Englois ensamble. Fº 117.

P. 164, l. 23: Noielle.—Mss. A 1 à 6: Norle. Fº 143 vº.—Mss. A 11 à 14: Nocle. Fº 137 vº.—Mss. A 18, 19: Noile. Fº 147.

P. 164, l. 25 et 26: sereur à monsigneur Robert d’Artois.—Ms. B 6: nièche à messire Goddefroy de Harcourt. Fº 316.

P. 164, l. 30: la Broie.—Mss. A 1 à 6: la Voie. Fº 143 vº.—Mss. A 11 à 22: la Voye. Fº 137 vº.—Mss. A 8, 9: la Boye. Fº 129 vº.

P. 165, l. 15: de Saint Esperit de Rue.—Mss. A 20 à 22: de Saint Esprit et de Rue. Fº 207.

§ 272. P. 165, l. 20: Bien estoit infourmés.—Ms. d’Amiens: Bien savoit li roys englès et estoit emfourmés que li roys Phelippez de Franche le sieuwoit à tout son grant effort, et avoit grant desir de combattre à lui, si comme il appairoit, car il l’avoit vistement poursieuwi jusquez à le Blancque Take et estoit 402 retournés arrierre à Abbeville. Si dist adonc li roys englès que jammais n’yroit plus avant, si aroit veus et attendus ses annemis, et que il estoit sus son bon hiretaige de Pontieu, qui estoit à madamme se mère et li avoit estet donnés en mariaige, pour tant avoit il mieux cause et raison de là atendre ses ennemis que ailleurs, et de prendre l’aventure et le fortune telle que Dieux li envoieroit. Or savoit il bien que il n’avoit pas si grant gens de six fois comme estoient si annemy: pour tant avoit il plus grant mestier, ou cas que combattre se volloit, de regarder à son conroy et aviser le marce et le pays et d’entendre à son avantaige. Si fist touttez mannierrez de gens logier très ce venredi, et leur dist et fist dire par son connestable et ses marescaux, que chacuns se pourveist et appareillast endroit soy, si comme pour attendre le bataille, car, se li Franchois venoient, il seroient combatu. Adonc entendi chacuns à se besoingne che venredi toutte jour à rebourbir leurs armures, et remettre tout leur harnoy en bon point et à yaux fortefiier. Et regardèrent et advisèrent li doy marescal et messires Renaux de Gobehem et messires Richart de Stanfort terre et plache pour ordounner leur batailles et atendre leurs ennemis. Fº 93.

Ms. de Rome: Bien estoit enfourmés li rois d’Engleterre que son adversaire, li rois de France, le sievoit à tout son grant effort, si ques, qant li rois d’Engleterre se vei à Creci en Pontieu, il dist à ses gens: «Prenons chi place de terre, et attendons nostres ennemis qui nous poursievent. Je sui sus mon droit hiretage, qui me vient de par madame de mère. Si le vodrai deffendre et calengier contre ceuls qui le me vodront debatre.» Donc se logièrent les Englois sus les camps et missent en bonne ordenance, et avoient vivres et pourveances assés, qui les poursievoient; et aussi li fourageur en trouvèrent assés, qant il orent passet la rivière de Sonme. Et fist li dis rois aviser et regarder par ses chevaliers les plus usés d’armes, le lieu et la place de terre, où il ordonneroit ses batailles et atenderoit ses ennemis. Ce furent li contes de Warvich, mesires Renauls de Gobehen, mesire Godefroi de Harcourt et le conte de Sufforc. Chil quatre baron, le samedi au matin, avisèrent et considerèrent bien la place de terre et raportèrent au roi: «Sire, à nostre avantage, nous attenderons chi nostres ennemis.» Et li rois respondi: «Ce soit, ou nom de Dieu et de saint Gorge!» Ensi se portèrent les ordenances.

403 Or parlons un petit dou roi Phelippe de France, liquels poursievi le joedi, qant il se departi de Oizemont, les Englois jusques moult priès de la Blanqe Taqe. On li dist sus le cemin: «Sire, les Englois sont oultre, et li flos de la mer conmence à retourner. Vous ne poés passer par là: il vous fault revenir à Abeville, et là passerés vous la rivière de Sonme à pont et toutes vostres aussi.» Li rois crei ce consel et retourna à Abeville, et toutes ses gens, et se logièrent: ce fu le joedi; et le venredi aussi, il se tint là tout le jour, attendans ses gens, car il en i avoit grant fuisson derrière. Fº 117 vº.

§ 273. P. 167, l. 3: Le venredi.—Ms. d’Amiens: Che venredi tout le jour se tint li roys Phelippez de Franche en Abbeville, attendans sez gens, et faisoit ossi passer oultre les aucuns pour estre plus appareilliet quant li bataille se feroit. Et avoit li dis roys de Franche envoiiet devant ses marescaux, monseigneur Carle seigneur de Montmorensi et le seigneur de Saint Venant, pour aprendre et savoir le couvenant des Englès. Si raportèrent li dessus dit au roy à heure de vespres que li Englèz estoient logiet assés priès de Crechi en Pontieu, et moustroient, seloncq leur ordounanche, qu’il atenderoient là le roy. De ces nouvelles fu li roys de Franche moult liés, et dist, se il plaisoit à Dieu, que à l’endemain il seroient combatu. Si pria au soupper dalés lui, che venredi, les haux prinches qui adonc estoient dedens Abbeville, telx que le roy de Behaingne, le comte d’Alenchon, son frère, le comte de Blois, son nepveu, le duc de Loerainne, le comte de Flandres, monseigneur Jehan de Haynnau, le comte de Namur, le comte de Salebruche, l’arcevesque de Roem, l’arcevesque de Rains, l’arcevesque de Sens, l’evesque de Laon, le comte d’Auçoire, le comte de Halcourt et pluisseurs autres. Et fu che soir en grant recreation et en grant parlement d’armes, et pria à tous les seigneurs que il fuissent amit et courtois, sans envie, sans orgoeil et sans haynne li uns as autrez, et chacun li eut en couvent. Encorres atendoit li roys le comte de Savoie et monseigneur Loeys de Savoie, son frère, qui devoient venir à bien mil lanches, Savoiiens et de le Dauffinet; car enssi estoient il mandet et retenut et paiiet de leurs gaiges pour trois mois tous pleniers. Or vous conterons dou roy englèz et de son couvenant, et coumment il ordounna ses batailles, et puis si retourons as Franchois. Fº 93.

404Ms. de Rome: Ce venredi, envoia li rois descouvrir sus les camps, pour aprendre le couvenant des Englois. Et raportèrent chil qui envoiiet i furent, que les Englois avoient pris place et pièce de terre au dehors de la ville de Creci en Pontieu. Et fu dit ensi au roi: «Sire, à ce que il moustrent et sont ordonné, il vous atenderont, et auerés la bataille.» De ces nouvelles fu li rois Phelippes tous resjois, et conmanda à ses marescaus et au mestre des arbalestriers que il regardaissent que toutes gens fuissent prest et ordonné, car le samedi on iroit combatre les Englois. Chil obeirent au conmandement dou roy, et se apparillièrent li signeur de France et lors gens de tous poins. Là estoient logiet dedens Abbeville et venu pour servir le roi, premierement li rois de Boesme, messires Carles de Boesme son fils, rois d’Alemagne, li contes de Alençon, li contes de Flandres, li contes de Blois, li dus de Lorainne, li contes de Harcourt, li contes de Namur, li contes d’Aumale, li contes de Forois, li contes d’Auçoire, li contes de Sansoire, le daufin d’Auvergne, le conte de Boulongne et tant de nobles et hauls signeurs que la matère en seroit trop longe au prononchier et au nonmer. Et estoit la ville de Abbeville, qui est une ville grande et estendue et bien logans, si raemplie de gens d’armes que tout estoit plain et pris, et encores tous les villages de là environ. Mesires Godemars dou Fai se tenoit en la ville de Saint Riquier, et n’osoit venir à Abeville deviers le roi Phelippe, car il le sentoit trop crueuls, pour tant que, sus sa garde et carge, li rois d’Engleterre et les Englois estoient passet oultre à la Blanqe Taqe. Et de ce il estoit bien consilliés, car voirement se il fust venus avant deviers le roi, entrues que il estoit en son aïr, il euist fait le dit messire Godemar dou Fai pendre, jà ne l’en euist respité ne deporté. Et en avoit parlé moult hault li dis rois sus celle fourme, là où mesires Jehans de Hainnau estoit presens. Encores atendoit li rois de France le conte de Savoie et mesire Lois de Savoie son frère, qui venoient à bien mil lances de Savoiiens et de Geneuois. Par especial, la poisance dou roi de France estoit trop grande enviers ceste des Englois, car li rois de France avoit bien vingt mil honmes d’armes et soissante [mil] honmes de piet des conmunautés dou roiaulme de France et bien vingt mil Geneuois arbalestriers; et li rois d’Engleterre, quatre mil honmes d’armes et douze mil archiers. Nous retournerons au roi d’Engleterre et parlerons de son couvenant. Fos 117 vº et 118.

405 P. 167, l. 20: au souper.—Ms. B 6: à l’abeie Saint Pière. Fº 318.

P. 167, l. 22: premierement.—Le ms. B 6 ajoute: messires Charles de Behaingne, ses filz, qui jà avoit enchergiet les armes, le roy de Navare. Fos 318 et 319.

§ 274. P. 168, l. 8: Ce venredi.—Ms. d’Amiens: Che venredi, si comme je vous ai dit, se loga li roys englès à plains camps à toutte son host, et se aisièrent bien de ce qu’il avoient: che fu assés, car il avoient trouvet le pays moult cras de vins et de touttez autres pourveances. Si donna à soupper che venredi tous lez baronz et le plus des chevaliers de son host, et leur fist moult grant chière, et puis leur dounna congiet d’aller reposer, si comme il fissent. Ceste meysme nuit, ensi que jou ay oy depuis recorder, quant touttes ses gens furent parti de lui et qu’il fu demourés dallés les chevaliers de son corps et de sa cambre, il entra en son oratore et fu là en genoulx et en orisons devant son autel, en priant à Dieu que il le laiast partir de le besoingne à honneur. Environ mienuit il alla couchier, et se leva l’endemain assés matin par raison, et oy messe et s’acumenia, et ses fils li prinches de Gallez ossi, et en tel mannière li plus de l’host. Et oïrent tout li seigneur messe et s’acumeniièrent et confessèrent et se missent en bon estat.

Apriès les messes, li roys commanda à touttes gens armer et yssir de lor logeis et à traire sus les camps, et fist faire un grant parck priès d’un bois de tous les chars et charettez de l’host, liquelx pars n’eut qu’une seule entrée, et fist mettre tous les chevaux dedens che parck, puis ordounna trois bataillez bellement et sagement. S’en dounna la premierre à son aisnet fil le prinche de Gallez à tout douze cens armures de fier, quatre mil archiers et quatre mil Gallois de son pays, et mist son fil en le garde dou comte de Warvich, dou comte de Kenfort, dou comte de Kent, de monseigneur Godeffroy de Halcourt, de monseigneur Renaut de Gobehen, de monseigneur Richart de Stanfort, de monseigneur Jehan de Biaucamp, de monseigneur Thummas de Hollandes, de monseigneur Jehan Camdos et de pluisseurs autres bons chevaliers et escuiers. Et donna la seconde bataille au comte de Norhantonne, au comte de Sufforch, à l’evesque de Durem, à monseigneur Loeis de Biaucamp, au seigneur de le Ware, au seigneur de Willebi et as pluisseurs autres bons 406 chevaliers et escuiers, à tout douze cens armures de fier et trois mil archiers. Et la tierche il retint pour lui, qui devoit estre [entre] ces deux batailles, à tout quinze cens ou seize cens armurez de fier et quatre mil archiers et le remannant de pietons. Et sachiés que tout estoient Englès ou Gallois: il n’y eult miez plus hault que six chevaliers d’Allemaingne, desquelx fu li ungs messire Rasses Masurez, je ne say lez autrez noummer, et messires Oulphars de Ghistellez, de Hainnau.

Quant li roys eut enssi ordonné sez batailles par l’avis de ses marescaux en un biel plain camp devant son parck deseure dit, là où il n’avoit fraite ne fosset, et tout estoient à piet, il alla tout autour de renck en renck, et leur amonestoit de si bonne chière, en riant, de chacun bien faire son devoir, que ungs homs couars en deuwist hardis devenir. Et coummanda sour le hart que nuls ne se meuvist ne desroutast de son renck pour cose qu’il veist, ne alast au gaaing, ne despouillast mort ne vif, sans son congiet, coumment que li besoingne tournaist; car, se li fortune estoit pour yaux, chacuns venroit assés à tamps et à point au gaaing; et, se li fortune estoit contre yaux, il n’avoient que faire de gaegnier. Quant il ot tout ordonnet et coummandé ensi comme vous avéz oy, il donna congiet que chacuns alast boire et reposer jusqu’au son de le trompette, et quant li trompette sonneroient, que chacuns revenist à son droit renck, desoubz se bannierre, là où ordonnéz estoit. Si fissent touttez gens son coummandement, et s’en allèrent boire et mengier un morsiel et rafreschir pour y estre plus nouviel, quant il besongneroit. Fº 93 vº.

Ms. de Rome: Ce venredi, ensi que je vous ai dit, se loga li rois d’Engleterre à plains camps o toute son hoost, et se aisièrent de ce que il orent. Il avoient bien de quoi, car il trouvèrent le pais cras et plentiveus de tous vivres, de vins et de viandes, et estoient bien pourveu sus lors sonmiers, car il en avoient grant fuisson trouvé en Normendie, ou Vexin et en Vismeu. Ce venredi, donna li rois d’Engleterre à souper tous les barons et les capitainnes de son hoost, et lor fist bonne chière et lie, et puis lor donna congiet d’aler reposer, si com il le fissent. Ceste meismes nuit, qant toutes ses gens furent departi de li, et que il fu demorés avoecques les chevaliers de sa cambre, il entra en son oratore, et fu là en genouls et en orisons devant un autel que ses cambrelens avoient fait, ensi que on fait et ordonne pour un roi, 407 qant il est logiés as camps, et reconmenda à Dieu toutes ses besongnes, et li pria affectuesement que il peuist, à son honnour, retourner en Engleterre, et puis ala couchier. Le samedi au matin, il se leva et apparilla, et li princes de Galles, son fils, et aussi fissent tout chil de l’hoost. Et oïrent messe et se confessèrent li rois et ses fils, et la grignour partie de ceuls de l’hoost, et se aqumeniièrent et missent tout en bon estat, car bien sçavoient que point ne partiroient dou jour sans bataille. Qant tout ce fu fait, il fu heure de mengier et boire un cop, et puis entendre à li ordonner et à mettre en ordenance de bataille. Qant il eurent mengiet et beu à lor aise, et il se furent armé et mis en ordenance, il se traissent tout sus les camps en la propre place que il avoient le jour devant aviset.

Et fist faire li rois un grant parc priès d’un bois derrière son hoost, et là mettre et retraire tous chars, carettes et sonmages, et fist encores tous les cevaus entrer dedens ce parc, et demorèrent tout honme à piet; et n’avoit en ce parc que une seulle entrée. Encores là presentement il fist faire et ordonner par son connestable le conte de Herfort et de Norhanton et ses marescaus, trois batailles. Et fu mis et ordonnés en la première Edouwars, son fil, li princes de Galles. Et dalés le prince furent esleu à demorer, pour li garder et consillier, li contes de Warvich, li contes de Kentfort, mesires Godefrois de Harcourt, mesires Renauls de Gobehen, mesires Tomas de Hollandes, messires Richars de Stanfort, li sires de Manne, li sires de le Ware, li sires de Felleton, messires Jehans Candos, mesires Bietremieus de Brouhes, mesires Robers de Noefville, mesires Thomas Clifors, mesires Guillaumes Penniel, mesires Jehans Hacconde, li sires de Boursier, mesires James d’Audelée, mesires Pières d’Audelée, li sires de Basset, li sires de Bercler, li sires de Ponnins, li sires de Moulins et pluisseurs aultres, lesquels je ne puis pas tous nonmer. Et pooient estre en la bataille dou prince environ douse cens honmes d’armes et quatre mille archiers et mille Gallois, trop apertes gens. Si se mist la bataille dou prince en ordenance moult proprement, tout signeur desous sa banière ou son pennon. En la seconde bataille furent li contes de Herfort et de Norhantonne, li contes d’Arondiel, li sires de Roos, li sires de Lussi, li sires de Persi, li sires de Noefville, li sires de Braseton, li sires de Helinton, li sires de Multon, li sires de Fil Watier, li sires de Fil Warin, et pluisseurs aultres et tant que il 408 furent douse cens hommes d’armes et quatre [mille] archiers. La tierce bataille ot li rois pour son corps et pluisseurs bons chevaliers et esquiers; et estoient en sa bataille environ quinse cens hommes d’armes et siis mille autres hommes parmi les archiers.

Qant ces batailles furent ordonnées et mises à lor devoir, et que casquns sçavoit quel cose il devoit faire, on amena le roi une petite blance hagenée: il monta sus, et puis cevauça autour des batailles en priant et en amonestant ses hommes que casquns vosist entendre à bien faire son devoir, et que tout i estoient tenu; et retenoit sus son corps et se ame que pour son hiretage et son bon droit, que Phelippes de Valois li ostoit et perseveroit en ce, il avoit passet la mer et atendoit l’aventure de la bataille. Tout respondirent à lui, chil qui ses paroles entendirent, que loiaument il s’aquiteroient, tant que tout i aueroient honnour, et il lor en saueroit gré. De ces responses les remercia li rois, et puis revint à sa bataille, et descendi de sa hagenée, et se mist à piet avoecques ses gens et manda son fil, le prinche. On li amena et fu adestrés de quatre chevaliers de son corps qui sont nonmé ensi: mesires Jehans Candos, mesires Bietremieus de Bruhes, mesires James d’Audelée et mesires Guillaumes Penniel. Li enfes se engenoulla devant son père: li rois le prist par la main et le baisa et le fist chevalier, et puis le renvoia en l’ordenance de sa bataille, et pria et enjoindi as quatre chevaliers desus nonmés que il en fesissent bonne garde; et il respondirent en inclinant le roi, que tout en feroient lor devoir. Qant ces batailles furent toutes apaisies et mises en pas et en ordenance, ensi que vous avez oï, on ordonna de par les marescaus que casquns s’aseist à terre et mesist son arc ou son bacinet devant lui, pour estre plus frès, qant on asambleroit. Tout ensi que il fu ordonné, il fu fait. Et se reposèrent et rafresqirent les Englois par la fourme et manière que dit vous ai. Or retournons à l’ordenance dou roi de France et des François qui estoient logiet dedens Abbeville. Fº 118.

P. 168, l. 11: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 169, l. 14 et 15: Stanfort.—Mss. A 1 à 6: Pontchardon. Fº 145.

P. 169, l. 15: Manne.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: Mauni, Mauny. Fº 145.

P. 169, l. 15: de le Ware.—Mss. A 18, 19: de Ware. Fº 148 vº.

P. 169, l. 16: Chandos.—Ms. B 6: qui estois tenus pour ung moult vaillant homme d’armes et saige; et estoit delés le 409 banière du prinche, laquelle messires Thomas Ourduwich portoit. Là estoit le sire de le Ware, le sire de la Poule, le sire de Basset et plus de deux mille hommes d’armes et quatre mille archiés. En la seconde bataille, estoit le conte de Norhantonne, le conte de Herfort, le conte d’Arondel, le sire de Manne, messires Hues de Hastinges, le sire de Willeby, messires Thomas Bisse et pluiseurs aultres qui estoient douze cens lanches et deus mille archiers. En la tierche bataille estoit le roy bien acompagniés de barons, de chevaliers et de aultres. Sy estoit delés luy le conte de Sallebrin, le conte d’Arezelles, le conte de Cornuaille, le sire de Lusy, le sire de Persy, le sire de Neufville, le sire de Ros, le sire de Felleton, messire Thomas de Hollande et messire Jehan de Hartecelle. Fos 319 et 320.

P. 169, l. 16: Broues.—Ms. A 7: Bruues. Fº 138 vº.—Mss. A 1 à 6, 15 à 17, 20 à 33: Brunes. Fº 145.—Mss. A 8, 18, 19: Brubbes. Fº 130 vº.—Mss. A 11 à 14: Brubles. Fº 138 vº.

P. 169, l. 17 et 18: Cliffors.—Mss. A 1 à 6, 8, 18 à 22: Clisors. Fº 145.

P. 169, l. 18: de Boursier.—Mss. A 23 à 29: le Boursier. Fº 164.

P. 169, l. 18: Latimiers.—Mss. A 15 à 17: le Latimier. Fº 145 vº.—Mss. A 11 à 14: Latiniers.  138 vº.—Mss. A 18, 19: de Latiniers. Fº 148 vº.

P. 169, l. 21: huit cens.—Mss. A 20 à 22: huit mille. Fº 209.

P. 169, l. 26: d’Arondiel.—Les mss. A 20 à 22 ajoutent: de Labreth. Fº 209.

P. 169, l. 27: Ros.—Mss. A 30 à 33: Rooz. Fº 187.

P. 169, l. 27: Luzi.—Mss. A 30 à 33: Ligy. Fº 187.

P. 169, l. 27: Willebi.—Mss. A 20 à 22: Willebri. Fº 209.

P. 169, l. 29: Tueton.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: Tuecon. Fº 145.—Mss. A 20 à 22: Turcon. Fº 209.

P. 169, l. 29: li sires de Multonne.—Mss. A 15 à 17: Loys de Multonne, monseigneur de la Haze. Fº 145 vº.

P. 169, l. 29: Multone.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: Mulsonne. Fº 145.—Mss. A 18, 19: Mulconne. Fº 148 vº.—Mss. A 20 à 22: Mulcon. Fº 209.

P. 169, l. 29: Alassellée.—Mss. A 23 à 29: de la Selée. Fº 164.—Mss. A 30 à 33: de la Selle. Fº 187.

410 P. 170, l. 2: cinq cens.—Mss. A 15 à 17: six cens. Fº 145 vº.—Mss. A 20 à 22: huit cens. Fº 209.

P. 171, l. 1 et 2: poissance.—Les mss. A 15 à 17 ajoutent: ainsi qu’il fist. Fº 146.

§ 275. P. 171, l. 3: Ce samedi.—Ms. d’Amiens: Che samedi au matin que li roys englès eult ordounné ses bataillez, si comme vous avés oy, se parti li roys de Franche de Abbeville, qui sejourné y avoit le venredi tout le jour, atendans ses gens, et chevaucha, bannierrez desploiiées, deviers les ennemis. Adonc fu biel veoir ces seigneurs noblement montéz et acemés et cez rices paremens et ces bannierrez venteler et ces conrois par ces camps chevauchier, dont tant en y avoit que sans nombre. Et sachiés que li hos le roy de Franche fu extimés à vingt mil armurez de fier, à cheval, et à plus de cent mil hommes de piet, desquelx il y avoit environ douze mil que bidaus, que Jeneuois. Et li roys englès en avoit environ quatre mil à cheval, dix mil archiers et dix mil Gallois, que sergans à piet. Quant li roys de Franche se fu très sus les camps et eslongiet Abbeville environ deux petittez lieuwez, il ordounna ses bataillez par l’avis de ses marescaux. Et toudis alloient et chevauçoient ses gens avant, bannierres desploiiées, et ossi le sieuvoient il, car li routte estoit si grande que il ne pooient mies chevauchier, ne aller tout d’un froncq. On faisoit les geneuois arbalestriers à leur aise aller tout devant et porter sus chars leurs arbalestres et leur artillerie, car on volloit de yaux coumenchier le bataille et assambler as Englès. Et cilz qui se tenoit che jour le plus prochains dou roy, c’estoit messires Jehans de Hainnau, car li dis roys l’avoit retenu dalléz lui pour deviser et ordounner par son conseil en partie de ses ennemis. Quant li roys de France eut ordounnet ses bataillez et ses conrois, il fist cevauchier avant delivrement pour raconsuir lez Englèz, et si envoya devant pluisseurs appers chevaliers et compaignons pour veoir là où on les poroit trouver ne raconssuiwir, car bien penssoit qu’il n’estoient mies loing. Et toudis alloit li hos avant et li roys ossi. Ainchois qu’il ewist esloingniet Abbeville quatre lieuwez, revinrent li chevalier qui envoiiet y avoient estet, et li dissent qu’il avoient veut les Englèz et qu’il n’estoient mies plus hault de trois lieuwez en avant.

Adonc pria li roys à un mout vaillant chevalier et moult uset d’armez, que on clammoit le Monne de Basèle, et à trois ou quatre autres 411 preus chevaliers ossi, que il se volsissent avanchier et chevauchier si priès des Englès, qu’il pewissent conssiderer leur couvenant. Chil vaillant chevalier le fissent vollentiers et se partirent dou roy, qui tout bellement cevauchoit, mès s’arestoit en souratendant leur revenue. Jà estoit il heure de nonne, et sollaux commenchoit à tourner. Et avoit li roys englès fait sonner ses trompettes, et chacuns dez siens estoit remis en se bataille desoubz se bannierre, si comme ordonnés avoit estet en devant, car bien sentoient que li Franchois les aprochoient. Et seoient touttes mannierres de gens bien et faiticement les dos contre le solleil, et les archiers mis contre les annemis. Enssi et en cel estat les trouvèrent li dessus dit chevalier. Quant il eurent bien conssideré et ymaginé leur couvenant que pour rapporter ent le certaineté, et bien s’en perchurent li Englès, il s’en retournèrent arrière. Si encontrèrent en leur chemin pluisseurs bannierrez des leurs à une lieuwe des Englès, qui chevauçoient toudis avant et ne savoient où il alloient. Si les fissent arester et attendre lez autres, puis s’en revinrent au roy et à son consseil, et dissent qu’il avoient veut et comsideret les Englèz, qui estoient à mains de deux lieuwez de là et avoient ordonnet trois bataillez, et les atendoient bellement. Adonc estoit dalléz le roy messires Jehans de Haynnau, qui le relation oy mout vollentiers, pour tant que li bon chevalier en raportoient verité. Et li dissent cil qui ce rapport faisoient, qu’il regardast quel cose il en volloit faire. Lors pria li roys au Monne de Basèle qu’il en volsist dire son advis, pour tant qu’il estoit durement vaillans chevaliers, et les avoit veu et justement conssideré. Li Monnes s’escuza par pluisseurs foix, et disoit que là avoit tant de noblez seigneurs et de bons chevaliers que sus yaux ne s’en vorroit mies ensonniier. Non obstant ses excusanches et son bel langage, il fu tant priiéz et cargiéz dou roy qu’il en dist son advis en telle mannierre. Fos 93 vº et 94.

Ms. de Rome: Ce samedi au matin, qant li rois de France ot oy messe en l’abeie de Saint Pière, dedens Abeville, où il estoit logiés, on fist sonner ses tronpètes, liquel cevauchièrent en toutes les rues d’Abeville, pour resvillier gens d’armes, armer et traire sus les camps. Au son des tro[n]pètes dou roi, se armèrent et apparillièrent tous signeurs et toutes aultres gens; et tant en i avoit grant fuisson, que il missent plus de demi jour à widier hors d’Abeville. Et devés sçavoir que onques nobles gens, qui deuissent sentir et considerer que c’est de tels coses, ne se ordonnèrent 412 pis, ne issirent de bonne ville ne ne missent sus les camps, que les François fissent. Li rois issi de Abbeville, mesire Jehan de Hainnau et le signeur de Montmorensi en sa compagnie, et se traist sus les camps. Li rois de Boesme et mesires Carles, ses fils, issirent assés tos apriès li; et tout issoient sans ordenance, ne point n’atendoient l’un l’autre. Qant on ot un petit eslongiet Abbeville, il fu dit au roi: «Sire, ce seroit bon que vous envoiissiés chevauceurs devant, pour aviser le couvenant de vostres ennemis.» Li rois respondi et dist: «On i envoie!»

Donc furent esleu quatre chevaliers usés d’armes, les quels je vous nonmerai: premiers le Monne de Basèle, le signeur de Biaugeu, mesire Mille de Noiiers et mesire Loeis d’Espagne. Chil quatre chevalier se departirent dou couvenant des François et cevaucièrent sus les camps, et si avant aprocièrent les Englois que les Englois euissent bien trait jusques à euls, se il vosissent, mais nennil. Onques ne se desrieulèrent, mais se tinrent tout quoi et les regardèrent en seant. Et qant li quatre chevaliers les orent avisés et considerés, il se missent au retour. Et ensi que il retournoient, il encontroient lors gens qui ceminoient, les auquns à cheval, les aultres à piet et sans ordenance, de quoi il en fissent pluisseurs arester et demorer tous qois sus les camps, car il lor disoient: «Pourquoi allés vous avant, folle gent, sans les banières des marescaus? Vous vos alés perdre: vechi les ennemis devant vous.» Qant chil quatre chevalier furent venu deviers le roi, il s’arestèrent et trouvèrent le roi sus les camps, le conte d’Alençon, le conte de Flandres, le conte de Blois, le duc de Lorraine, mesire Jehan de Hainnau, le signeur de Montmorensi et grant fuisson de nobles signeurs autour de li, car tout s’arestoient, pour tant que il estoit arestés. Qant li rois vei les chevaliers ens sa presence, il volt sçavoir quel cose il avoient veu et trouvé, ce fu raison. Li chevalier regardoient l’un l’autre, et ne voloit nuls parler premiers. Donc regarda li rois sus le Monne de Basèle et li dist: «Monnes, parlés, je vous voel oïr.» Fos 118 vº et 119.

P. 171, l. 30: le Monne de Basèle.—Mss. A 1 à 6: le Moyne de Baselée. Fº 145 vº.—Mss. A 11 à 14, 18, 19: le Moynne de Baseles. Fº 139.—Mss. A 20 à 22: le Moynne de Baselle. Fº 209 vº.—Mss. A 23 à 33: le Moyne de Bascle. Fº 164 vº.

P. 171, l. 31: Noiiers.—Mss. A 23 à 29: Nouyers. Fº 164 vº.

413 P. 172, l. 22: que on tenoit.—Ms. B 6: pour tant que il estoit le plus rusés de guerre. Fº 322.

§ 276. P. 172, l. 28: Sire.—Ms. d’Amiens: «Sire, vostre conroy sont diversement espars par ces camps: si sera durement tart ainschois qu’il soient ordonné ne rassamblé, car nonne est jà passée. Si consseilleroie que vous fesissiés chy endroit vostre host logier, et demain matin, apriès messe, si ordonnissiéz vos batailles meurement, et puis chevauchissiés par deviers vos ennemis, rengiés sans desroy, el nom de Dieu et de saint Gorge, car je sui certain que vostre annemy ne s’enfuiront mies, ains vous atenderont seloncq che que j’ay veut.»

Chilx conssaulx pleut assés au roy de Franche, et l’ewist vollentiers fait. Si fist envoiier partout as routtez des seigneurs et priière qu’il fesissent retraire leurs bannierrez arrière, car li Englèz estoient là devant rengiés; si volloit là endroit logier jusquez à l’endemain. Bien fu sceu entre lez seigneurs li mandemens dou roy, mès nulx d’iaux ne se volloit retourner, se chil ne se retournoient, qui estoient premiers. Et chil qui estoient devant avanchiet, ne se volloient retourner pour tant qu’il estoient si avant allet, se li autre ne se retournoient premiers, car ce lor sambloit estre homtez, mais il se tenoient quoys. Li autre, qui estoient derière, chevauchoient toudis avant pour tant qu’il voloient y estre ossi avant que li autre ou plus. Et tout ce estoit par orgoeil et par envie, si comme on puet bien supposer, et dont touttes bonnez gens d’armes n’ont que faire, car Dieux et fortune het ces deus visces. Or ne fu mies li conssaux dou bon chevalier tenus, ne li coummandemens dou roy acomplis, dont che fu follie, car oncques bien ne vint de desobeir à son souverain. Tant avoit là de grans seigneurs, de baronnie et de chevalerie, que merveillez seroit à recorder. Si regardèrent li ungs sus l’autre, si comme pour leur honneur avanchier, car, enssi con dist, c’est une bonne envie d’armes, mès que on le face raisonnablement. Fº 94.

Ms. de Rome: Li Monnes enclina le roi et dist: «Sire, volontiers, puis que vous le conmandés, et ce sera par l’amendement et correction de mes signeurs et compagnons. Nous avons cevauchiet si avant que nous avons veu et consideré le couvenant des Englois. Il sont mis et ordonné en trois batailles, bien et faiticement, et ne font nul samblant que il doient fuir, mais 414 vous attenderont à ce qu’il moustrent. Si conselle de ma partie, salve tousjours le millour conseil, que vous faites toutes vos gens chi arester sus les camps, et logier pour celle journée. Car, avant que li darrainnier puissent estre là où li premier sont, et vos batailles ordonnées et mis en pas, ensi que il apertient, il sera tart et hors d’eure pour courir sus et combatre vos ennemis. Et seront vos gens tous las, et vous trouverés vos ennemis frès et nouviaus, et tous avisés à savoir quel cose il deveront faire. Et ce consel, je le donne et nul aultre; et qui mieuls scet, se le die.» Donc regarda li rois sus son frère, le conte d’Alençon, et sus messire Jehan de Hainnau, et dist: «Il nous samble que chils chevaliers a bien parlé, et nous volons que sa parole soit oïe et tenue.»—«Monsigneur, respondirent li doi desus nonmé, il a parlé bien et sagement, ensi que il apertient, selonch l’usage d’armes; si faites apriès son consel.» Donc s’arestèrent li signeur tous sus l’opinion dou Monne de Basèle, qui fu uns moult vaillans chevaliers et usés d’armes, et le plus proçain dou corps le bon roi de Boesme. Et fu conmandé à deus marescaus de France de faire ordenance sus ces paroles et tantos. Li doi marescal obeirent, ce fu raison, et cevauchièrent li uns devant, et li aultres derrière, en disant et conmandant as bannières: «Arestés, banières, de par le roi, ou nom de Dieu et de monsigneur saint Denis.» Chil qui estoient premiers, à ceste ordenance arestèrent, et li darrainnier, point, mais cevauçoient tout dis avant et disoient que point il ne se aresteroient, jusques à tant que il seroient ausi avant que li premier estoient. Et qant li premier veoient que li darrainnier les aproçoient, il cevauçoient avant et voloient moustrer: «Je sui premiers, et premiers demorrai.»

Ensi par grant orguel et beubant fu demenée ceste cose, car casquns voloit fourpasser son compagnon. Et ne pot estre creue ne tenue la parole dou vaillant chevalier, de quoi il lor en mesvint si grandement, com vous orés recorder assés briement. Ne ausi li rois de France ne si marescal ne porent estre mestre de lors gens, car il i avoit si grant multitude de peuple, et par especial de grans signeurs, que casquns par envie voloit là moustrer sa poissance. Et trop grant temps avoit que point il ne s’estoient veu en parti de bataille avoir, si apparans conme ceste estoit, et cose si notable que la poissance d’Engleterre et la poissance de France ensamble l’un contre l’autre; car tout estoit là des deus roiaulmes, ou dedens Agillon et en Gascongne avoecques le conte Derbi, ou devant 415 Agillon au siège avoecques le duch de Normendie. Si se voloient li un pour l’autre avancier, et non estre nonmé à demorer derrière. Et cevauchièrent en cel estat sans arroi et sans ordenance si avant que il aprochièrent les ennemis, et que ils les veirent en lor presence. Or fu moult grans blames pour les premiers, et mieuls lor vausist à estre aresté à l’ordenance dou vaillant chevalier desus nonmé, que ce que il fissent. Car si tretos que il veirent lors ennemis, il reculèrent tout à un faix si desordonneement que chil qui derrière estoient et qui venoient, s’en esbahirent. Et quidièrent li pluisseur que la bataille fust conmenchie et li premier desconfi; et orent adonc bien espasce de aler devant se il veurent, de quoi li auqun i alèrent. Et li aultre se tinrent tout quoi et ne moustrèrent point adonc de haste, mais laissièrent passer ceuls qui passer voloient, et disoient: «Nous demorrons chi, atendans le roi et ses arrois, car il nous est dit de ses marescaus ensi.» Là ot sus les camps si grant peuple de conmunauté des chités et bonnes villes de France que tout estoit là reversé, et les cemins tous couvers entre Abbeville et Crechi, et plus de euls vingt mil de ces bons honmes, qant ils se veirent sus les camps, traissent lors espées, et escriièrent: «A la mort, ces traitours Englois! Jamais piés n’en retournera en Engleterre.» Fº 119.

P. 173, l. 19 à 22: en disant... saint Denis.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: en disant et commandant aux banières, de par le roy, ou nom de monsigneur saint Denis, que chacun se tenist selon ce que ordonné lui estoit. Fº 146.—Mss. A 20 à 22: en commandant aux bannières, de par le roy, eulx arrester, en nom Dieu et saint Denis. Fº 210.—Mss. A 23 à 33: en disant aux banières: «Arrestés, banières, de par le roy, ou nom de Dieu et de saint Denis.» Fº 165.

P. 173, l. 28: ceste cose.—Ms. B 6: car il estoient sy grant peuple au regart des Englès qu’il lez deuissent avoir tout devorez. Fº 323.

§ 277. P. 174, l. 22: Il n’est nulz.—Ms. de Rome: Vous devés sçavoir, et c’est cose posible et legière assés à croire, que il n’est honme, tant fust presens à celle journée, ne euist bon loisir de aviser et imaginer toute la besongne ensi que elle ala, qui en sceuist ne peuist recorder, de la partie des François, bien justement la verité. Et ce que je en ai escript, je en fui enfourmés 416 de vaillans honmes, chevaliers d’Engleterre qui là furent, et liquel missent grande entente à veoir le couvenant des François: ce furent depuis mesires Jehans Candos et mesires Bietremieus de Brouhes, et de la partie des François li sires de Montmorensi, et des chevaliers messire Jehan de Hainnau; car chil doi hault baron estoient et furent ce jour au frain dou roi Phelippe de France. Mais sitos que les chevaliers usés d’armes, qui estoient de la partie des Englois, veirent le povre couvenant des François, il dissent: «Ces gens sont nostre.» Et aussi li sage chevalier de France et usé d’armes, parellement dissent: «Nous sonmes en parti de tout perdre, car il n’i a point de bonne ordenance en nous.»

Les Englois, qui ordonné estoient en trois batailles, et qui seoient jus à terre tout bellement, sitos que il veirent les François aprochier, ils se levèrent sus, moult ordonneement sans nul effroi, et se rengièrent en lors batailles. Et se mist en grande ordenance ceste dou prince, car elle pensoit bien à avoir le grignour faix de la journée, et missent les archiers tout devant en fourme de une erce, et les gens d’armes ou fons, et la bataille seconde sus une aultre èle, pour reconforter la première, se besoings estoit, et le roi d’Engleterre et sa bataille, encores plus en sus, liquel avoient pris la mote d’un moulin à vent. Et là se tenoit li rois au plus hault, pour veoir plus lonc et autours de li. Et pooit estre li rois adonc en l’eage de trente sis ans, en la flour de sa jonèce, et conforté grandement en ses besongnes. Fos 119 vº et 120.

P. 174, l. 28 et 30: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 278. P. 175, l. 14: Quant li rois.—Ms. d’Amiens: Ensi en chevauchant toudis avant, li maistres des arbalestriers, qui conduisoit les Geneuois, chevauça tant et se routte qu’il se trouvèrent devant les Englèz. Lors s’arestèrent tout quoy et prissent leurs arsbalestrez et leur artillerie, et s’appareillièrent pour coummencher le bataille. Environ heure de vesprez, coummencha ungs esclistrez et ung tonnoire très grans et une pleuve très grosse avoecq un très grant vent; et l’avoient li Franchois ens ou viaire, et li Englès au dos. Quant li maistres des arbalestriers eut ordonné et aroutté les Geneuois pour traire, il coummenchièrent à huer et à juper moult hault; et li Englès [demorèrent] tout koy et descliquièrent aucuns kanons qu’il avoient en le bataille, pour esbahir les Geneuois.

Apriès ce que li oraiges fu passés, li dit mestre des arbalestriers 417 fissent avanchir bidaus et Geneuois, et aller par devant lez bataillez pour traire et pour bersser as Englès et yaux derompre, enssi que coustumme est, et allèrent de si priès qu’il traissent assés li uns as autrez. Et furent assés tost bidaus et Geneuois par lez archiers desconfis et fuisson fuis en voies, se il pewissent; mais les bataillez des grans seigneurs estoient si escaffées pour yaux avanchier et combattre lors ennemis, qu’il n’atendirent ne ung, ne autre, ne ordonnanche, ne aroy; ains coururent tous desordonnés et entremeslés, tant quil encloïrent les Geneuois entre yaux et les Englès, par quoy il ne peurent fuir, ains cheoient li cheval foible parmy yaux, et li cheval fort cheoient parmy les foiblez qui cheu estoient. Et chil qui derière estoient, n’y prendoient point garde pour le priesse; si cheoient parmy chiaux qui ne se pooient relever. Et d’autre part, li archier traioient si espessement et si ouniement à chiaux qui estoient devant et d’encoste, que li cheval, qui sentoient ces saiettez barbues, faisoient merveillez. Li ung ne volloient avant aller, li autre salloient contremont, li pluisseur regettoient fort, li autre se retournoient les culz pour les saiettez qu’il sentoient, par deviers les ennemis, maugret leurs mestres, et chil qui sentoient le mort, se laissoient cheoir. Et les gens d’armes englès, qui estoient rengiet à piet[359], s’avanchoient et se freoient entre ces seigneurs et ces gens qui ne se pooient aidier de leurs chevaux, ne d’iaux meismes, et tenoient daghes, haces et cours espios de gue[r]re, durs et roys, et ocioient gens à leur aise, sans contredit et à peu de fait et de deffensce; car il ne se pooient aidier ne dessonniier li uns par l’autre, ne oncquez on ne vit tel mesaventure, ne perdre tant de bonnes gens à peu de fait.

En telle mannierre dura chilz grans mesciéz pour lez Franchois jusques à le nuit, car li nuis les desparti. Et jà estoit vesprez, quant li bataille coummencha; ne oncques li corps dou roy de Franche, ne nulz de se bannierre ne peut che jour parvenir jusques à le bataille. Ossi ne fissent nullez des commugnez des bonnes villez de Franche, fors tant que li sires de Noiiers[360], ungs anchiens chevaliers et durement preudons et vaillans, porta l’oriflambe, 418 la souverainne bannierre dou roy, si avant qu’il y demoura. Fº 94.

Ms. de Rome: Qant li rois Phelippes de France vint auques priès de la place où les Englois estoient aresté et ordonné et il les vei, se li mua li sans, car moult les avoit encargiet en grant haine, et perdi tous pourpos et arrois sus l’estat que li Monnes de Basèle avoit dit et ordonné, et dist tout en hault: «Par m’ame et par mon corps, je voi mes ennemis, mais je les voel aler combatre. Faites traire avant ces Geneuois et conmenchier la bataille, ou nom de Dieu et de monsigneur saint Denis.» Donc fu faite voie as arbalestriers, et moustroient les auquns que point il n’i aloient de bonne volenté, car jà il estoient tous las de venir à piet de Abbeville jusques à là, où il i a siis lieues, et de porter lors arcs. Ces Geneuois pooient estre environ quinse mille. Li mestres des arbalestriers des Geneuois dist tout en hault: «On nous fait issir hors de l’ordenance des marescaus. On nous avoit dit que nous reposerions meshui ichi, et entenderions à mettre nostre artellerie à point; et on voelt, tous lassés que nous sonmes, que nous alons tantos combatre!» Ces paroles furent ditets et reprises au conte d’Alençon, qui durement en fu courouchiés, et dist à ceuls qui estoient dalés li: «Regardés, on se doit bien cargier de tèle ribaudaille! Il ne sont bon, fors à la table. On tue tout! Il nous porteront plus d’empecement que de avancement.» Entrues que ces paroles et detriances couroient, et que chil Geneuois se requelloient, descendi dou chiel une plueve si grose et si espesse que mervelles fu à considerer, et conmença à esclitrer et à tonner, et sambla proprement que li mondes deuist finer. Avoecques tout ce, il vint une vollée de corbaus, si grande et si espesse, en vollant pardesus les deus hoos et en demenant très grant noise. Adonc dissent auquns chevaliers, et de l’une part et de l’autre: «Il auera, avant que il soit nuit, ichi très grande bataille et effusion de sanc et mortalité de honmes, sur qui que li affaires tourne.»

Apriès toutes ces coses, li temps s’apaisa et li solaus conmença à luire sus l’eure de basses vespres, biaus et clers. Li François l’avoient en l’oel, et li Englois au dos. Qant chil Geneuois furent tout requelliet et mis ensamble, et il deubrent aprocier les Englois, il conmenchièrent tout de pluisseurs vois à juper si hault 419 que ce fu mervelles. Et fissent ceste ordenance pour les Englois esbahir, mais les Englois n’en fissent compte, assés tos apriès la seconde fois en tèle manière et la tierce ensi, et il l’ont de usage; et puis passèrent avant et tendirent lors arbalestres, et conmenchièrent à traire. Et qant chil archier d’Engleterre veirent ceste ordenance, il passèrent un pas avant, et puis fissent voler ces saiètes, les quelles entrèrent et descendirent si ouniement sus ces Geneuois que ce sambloit nège. Li Geneuois, qui point n’avoient apris à trouver tels archiers que chil d’Engleterre sont, qant il sentirent ces saiètes qui lor perchièrent bras et poitrines, et lors ceoient sus lors visages et de plus lonc que il ne pooient traire, se conmenchièrent à esbahir et furent tantos desconfi. Et coppèrent li pluisseur les cordes de lors arbalestres, et les aultres les ruèrent jus, et conmencièrent à tourner les dos et moustrèrent samblant que il voloient fuir, mais il ne peurent, car il furent enclos des gens d’armes. Et li rois de France et son frère, le conte d’Alençon, qant il veirent le mauvais couvenant de euls, dissent: «Tués la pietaille! Tués la pietaille! Il nous ensonnient et tiennent le cemin sans raison.» Là veissiés gens d’armes entouelliés entre euls ferir et fraper sus euls et ocire, et moult de vaillans honmes, euls et lors cevaus, ceoir et tresbuchier parmi euls, que on ne pooit aidier ne relever. Et toutdis traioient archier englois esforciement ou mont, et ne perdoient nuls de lors trais, car il enfieroient et enpalloient parmi les corps, ou parmi chevaus, ou testes ou bras ou jambes de gens d’armes, par telle manière que on estoit mehagniet trop durement ou bleciet ou mort, et si ne savoit on d’où les saiètes venoient. Ensi se conmença la bataille, ce samedi, à heure de basses viespres, tout oultre l’ordenance et la volenté des vaillans honmes qui avoient consilliet que on se logast là ce samedi devant les Englois, et que le dimence on aueroit avis conment on se poroit ordonner. Fº 120.

P. 175, l. 22: quinze mil.—Ms. B 6: qui fasoient porter sur les cars leurs arbalestres. Fº 324.

P. 176, l. 19 et 20: li Englès.—Ms. B 6: Les Englès avoient entre eulx deulx des bonbardieaulx, et en firent deux ou trois descliquier sur ces Geneuois, qui trop mal ordeneement se mirent quant il les oïrent ruer. Fº 325.

P. 176, l. 25 et 32: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 176, l. 31: cil d’Engleterre.—Ms. B 6: qui traissent deus ou trois fois où il ne tiroient c’une fois. Fº 326.

420 P. 177, l. 12: raison.—Ms. B 6: Et ossy ly aucuns Geneuois, pour eulx oster de che dangier, se mettoient vingt ou trente ensamble et se deffendoient. Fº 326.

P. 177, l. 15: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 279. P. 177, l. 24: Li vaillans.—Ms. d’Amiens: Li bons roys de Behaingne, qui tant fu larges et courtois, preux et vaillans, quant il entendi que on se combatoit, apella le Monne de Basèle, qui estoit dalléz lui et de ses chevaliers, et les bons chevaliers de son pays de Behayngne et de Luxembourch, qui durement l’amoient, et leur pria et enjoindi especialment que il le volsissent mener si avant qu’il pewist ferir un cop d’espée. Si chevalier acomplir veurent son desir, se requeillièrent tout enssamble et fissent chevauchier les bannierrez leur seigneur le roy, et s’en vinrent de grant vollenté assambler as Englès; et là eut fort hustin et dur, et reboutèrent adonc le bataille dou prinche. Fº 94 vº.

Ms. de Rome: Li vaillans et nobles rois de Boesme et contes de Lucenbourc, sires de Ammeries et de Rainmes, qui se nonma Jehans, et li auqun dient que il fu rebaptisiés à avoir nom Carles, et qui fils fu à l’empereour Henri, entendi par ses gens que la bataille estoit conmenchie: «Ha! dist li Monnes de Basèle, liquels estoit dalés li et à son frain, on n’a point tenu ne creu mon ordenance. Si sonmes sus un parti que de tout perdre.» Li gentils rois entendi la parole dou chevalier; se li demanda: «Monnes, quel heure est il, et conment sont nostre ennemi?»—«Sire, respondi li chevaliers, il est tous bas vespres, et si avons le solel en l’oel. Et sont li nostre de povre arroi, car il entrèrent ou tret des archiers et s’en vont perdre sans raison, et, puis que la cose est conmencie, on n’i puet remediier.» Adonc dist li gentils rois, qui tous aveugles estoit, au Monne de Basèle et as ses aultres chevaliers: «Biau signeur, je vous pri chierement, et par la foi que vous me devés, que vous me menés si avant en la bataille que je puisse ferir un cop d’espée.» Et il respondirent tout: «Monsigneur, volentiers.»

Là se aloiièrent tout li chevalier dou roi par les resnes de lors cevaus ensamble, à la fin que il ne se peuissent departir l’un de l’autre, ne perdre la veue de lor signour le roi, ne retourner l’un sans l’autre. Et qant il se furent mis en celle ordenance, li Monnes de Basèle, qui estoit li plus usés d’armes, et qui dou matin avoit cevauchiet pour aviser le couvenant des ennemis, 421 fist tourner les banières dou roi sus costé, et regarda là où les gens d’armes englois se tenoient, qui encores se tenoient en lors pas, ensi que ordonné on les avoit. Les banières dou roi de Boesme, li rois et ses gens tourniièrent tant que il vinrent là où les gens d’armes estoient, et conmenchièrent la bataille à euls, et qant il i entrèrent, il estoit jà tart. Là furent chil Behagnon et Alemant requelliet de la bataille dou prince et des vaillans hommes qui là estoient. Là fu la bataille forte et dure et bien poursievoite. Et ot li rois de Boesme son desirier acompli, car on le mist tout devant; et se il euist esté congneus que ce euist esté li rois de Boesme, on ne l’euist pas tretiiet jusques à mort. Mais li vaillans homs fu là ocis, et tout chil qui avoecques le gentil roi estoient, reservé deus equiers, Lambeqins dou Pé et Pières d’Auvilers. La manière conment il se sauvèrent, je ne le sçai pas, mais par euls fu sceu l’ordenance dou roi et des gens, et conment il entrèrent dedens la bataille et asamblèrent à lors ennemis.

Bien est verité que de si grans gens d’armes et de si noble cevalerie et si grant fuisson que li rois de France avoit là, il en issirent trop petit de grant fais d’armes, car la bataille conmença tart, et si estoient li François trop fort lassé et travilliet. Toutesfois, ensi que il venoient, li vaillant honme, pour lor honnour et pour euls acquiter, cevauçoient toutdis avant, et ne savoient où il aloient, fors morir. Considerés cel afaire et conment une dure fortune et perverse tourna sus les François. Fos 120 vº et 121.

P. 178, l. 13 et 19: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 178, l. 19: li Monnes de Basèle.—Mss. A 18, 19: le Moine de la Basèle. Fº 151 vº.—Mss. A 20 à 22: le Moisne de Baselle. Fº 212 vº.

P. 178, l. 21: conté.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 20 à 22: duchié. Fº 147 vº.

P. 178, l. 21: Lussembourc.—Mss. A 18, 19: Lucebourc. Fº 151 vº.

P. 179, l. 5: Saint Pol.—Mss. A 15 à 17: Saint Poul. Fº 148.

P. 179, l. 6: de Namur.—Mss. A 15 à 17: Jehan de Namur. Fº 148.

P. 179, l. 7: Sanssoire.—Le nom de ce chevalier est omis dans les mss. A 1 à 6, 11 à 14.

P. 179, l. 13: il s’en parti.—Ms. B 6: messire Charles de 422 Behaigne, qui jà s’apelloit roy d’Alemaigne, quoique l’empereur vesquit encore, fist là voller l’aigle d’Alemaigne, car il s’en parti et pluiseurs des siens qui le sievirent; et ne cessa de chevaucier, sy vint en la chité d’Amiens. Fos 333 et 334.

P. 179, l. 17: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 280. P. 179, l. 24: Vous devez.—Ms. de Rome: Vous devés sçavoir que li rois de France avoit grant angousse au coer, qant il veoit ses gens ensi desconfire et fondre l’un sus l’autre par une puignie de gens que li Englois estoient, et en demanda consel à mesire Jehan de Hainnau qui dalés lui estoit. Li dis mesire Jehan respondi et dist: «Monsigneur, je ne vous saueroie aultre cose consillier: le millour pour vous est que vous vos retraiiés et tenés arrière de la bataille. Il en est avenu par le desroi et le mauvaise ordenance des vostres, ce que chils vaillans chevaliers li Monnes de Basèle en dist et proposa ce matin. Vous perderés celle fois, et vous gagnerés une aultre. Ensi vont les pareçons d’armes et les fortunes en ce monde. Et encores est li perils trop grans pour vous, car il sera tantos tart et fera brun de la nuit. Si vous poriés, qui estes rois de France, aussi bien fourvoiier que avoiier, et mettre sus vostres ennemis que entre vostres amis; et vous tous seuls ne poés pas faire la besongne.»

Li rois de France, qui tous fremissoit d’aïr et de merancolie, ne respondi point adonc, mais cevauça encores un petit plus avant. Et li sambla que il se voloit adrecier deviers le conte d’Alençon, son frère, dont il veoit les banières sus un petit tertre, liquels contes d’Alençon estoit descendus et avoit là requelliet ses gens moult ordonneement; et en cel estat, sans requler, il vint combatre les Englois, et aussi li contes de Flandres en tèle manière. Vous devés sçavoir que li grant signeur et moult de vaillans gens s’aquitèrent vaillanment et moustrèrent tout estat et fait de proèce, et ne furent pas trouvet mort à l’endemain en fuiant, mais l’espée en la main et le viaire viers lors ennemis.

Che samedi au matin, avoit li rois de France donné à mesire Jehan de Hainnau un noir coursier durement biel et grant. Et portoit sus le dit coursier uns chevaliers de Hainnau, qui se nonmoit Tieris de Senselles, la banière dou dit messire Jehan de Hainnau. Et avint que li chevaus et le chevalier sus passa de force tout parmi les conrois des Englois, ne onques la banière ne li vola hors des buhos où li hanste estoit boutée. Qant li chevaliers se vei hors de la bataille et sus les camps, il n’ot nul talent 423 de retourner arrière, car riens n’i euist fait, et si ne pooit sçavoir que son mestre estoit devenu. Si prist le cemin pour venir viers Dourlens et viers Arras, et fu le dimence à Cambrai et là aporta la banière.

Messires Jehans de Hainnau et mesires Carles de Montmorensi estoient au frain dou roi de France et li plus proçain de li, et avoient cause de li garder et consillier. Si le fissent partir et issir hors dou peril, ensi que à force. Là avoit un chevalier de Hainnau, qui se nonmoit sires Henris d’Usfalise, sires dou Petit Wargni, moult vaillant et appert chevalier, et estoit retenus au capiel et au frain le signeur de Montmorensi. Qant il vei que son signeur s’en retournoit, il n’ot nulle volenté dou retourner, mais feri cheval des esporons et entra dedens la bataille, et i fist d’armes ce que il peut[361], mais il i demora. Dieus ait l’ame de li et de tous les aultres, car ce samedi il en i ot mors grant fuisson. Fº 121.

P. 179, l. 26: fondre.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: fouldroier. Fº 148.

P. 180, l. 25: Thieri.—Mss. A 15 à 17: Henrry. Fº 148 vº.

P. 180, l. 26: Senselles.—Ms. A 7: Fenseilles. Fº 141 vº.—Mss. A 15 à 17: Sanselles. Fº 148 vº.—Mss. A 20 à 22: Seriseilles. Fº 213.

§ 281. P. 181, l. 15: Ceste bataille.—Ms. d’Amiens: Lors s’avala la bataille dou comte de Norhantonne et de l’evesque de Durem; et reconfortèrent celle dou prinche de Galles. Li comtez de Blois, li dus de Lorainne et leurs gens se combatoient d’autre part mout vassaument, et donnèrent à leur endroit les Englèz assés affaire. Et fu tel fois que li bataille dou prinche de Gallez branla et eut moult affaire. Et vinrent doy chevalier englès de le bataille dou prince deviers le roy englès et li dissent: «Sire, il vous plaise à venir comforter vostre fil, car il a durement affaire.» Adonc demanda li rois s’il estoit auques blechiés ne navréz, et on li dist: «Oil, mès non trop durement.» Donc respondi li roys et dist as chevalliers: «Retournés deviers lui et ne m’en venés meshui querre jusquez à tant qu’il soit si navrés qu’il 424 ne se puist aidier: laissiés l’enfant gaegnier ses esperons.» Adonc retournèrent li chevallier de le bataille dou roy et revinrent deviers le prinche et se bataille. Fº 94 vº.

Ms. de Rome: Ceste bataille, ce samedi, entre la Broie et Creci, fu moult felenesse et très orible. Et i avinrent pluisseurs grans fais d’armes, liquel ne vinrent pas tout à connissance; car, qant la bataille conmença, il estoit jà moult tart. Et ce greva plus les François que aultre cose, car pluisseurs gens d’armes, chevaliers et esquiers, sus la nuit, perdirent lors signeurs et lors mestres. Si vaucroient par les camps, et ne savoient où il aloient, et souvent il s’embatoient entre les Englois, où il estoient mal logiet.

Vous devés sçavoir que, se les trois batailles dou roi d’Engleterre se fuissent toutes misses ensamble et euissent poursievi les François, tout i fuissent demoret ou mort ou pris, quoique il en i demorast assés et trop. Mauvaisement on puet sçavoir conment chil se conbatirent, qui là furent mort, tels que le conte Carle d’Alençon, frère au roi de France, le conte Lois de Blois, lor neveu, le conte Lois de Flandres, le duch de Lorrainne, le conte de Harcourt, frère à mesire Godefroi de Harcourt, qui là estoit, le conte d’Aumale, le grant prieus de France et pluisseurs aultres; mais on doit croire et supposer que si grans signeurs que chil estoient, ne furent pas mort ne ocis à petit de fait. Mais couvint que des grans fais d’armes par euls et par lors gens i avenissent, liquel ne vinrent pas tout à la congnisance de ceuls qui m’en enfourmèrent; mais en tels coses on en puet mieuls sçavoir la verité par les victorieus que par les desconfis, car il ont plus grant loisir et l’avis plus atempré, et plus grant entente il i mettent au regarder que ne font li fuiant ou li cheu ou chil qui tirent à euls sauver. Chil grant signeur de France desus nonmé, liquel pour leur honnour et pour euls acquiter, qant il entrèrent en la bataille, moult de vaillans hommes, chevaliers et esquiers qui les servoient et qui offisce avoient, les uns de estre au frain dou signeur, et les aultres à porter les banières ou à estre dalés pour aidier à deffendre et à garder, ne puet estre que il ne fuissent grant fuisson, et que la venue d’euls et la moustre ne fesist à cremir. Et avint que chil qui avoient à garder le corps le prince de Galles, qant il veirent si grant peuple venir à l’encontre d’euls, resongnièrent le faix et orent consel de envoiier deviers le roi son père, ensi qu’il fissent, qui estoit en sus de la bataille dou 425 prinche et sus la mote d’un moulin à vent. Et estoient chil de la bataille dou roi à costé par derrière de une grose haie, et ne pooit on venir ne entrer sus euls fors que par devant, à la fin que il vosist descendre et venist aidier son fil, quoi que la seconde bataille et la première fuissent remisses tout en une; et i envoiièrent, et i vint uns chevaliers de par le conte de Warvich. On li fist voie, et parla au roi et dist: «Chiers sires, je sui chi envoiiés de par ceuls qui ont le corps de vostre fil, le prince, en garde, et vous segnefiient que il font doubte que la poissance des François ne les esforce, car elle est trop grande.» Donc respondi li rois: «Et mon fil, en quel estat est il?»—«En nom Dieu, sire, respondi li chevaliers, il est encores fors et hetiés et en bon point.» Donc dist li rois: «Or alés, alés et retournés deviers ceuls qui chi vous envoient, et lor dites de par moi que il est heure que li enfes gagne ses esporons, et ne me venés plus querre, tant que il ait poissance de tenir en main glave ne espée; car se il plaist à Dieu et à monsigneur saint Gorge, la journée sera pour li.» Li chevaliers retourna sus ceste parole.

Or avoit li rois ensi parlé, je vous dirai pourquoi. De là où il estoit, il pooit veoir en partie le couvenant des François, si ques ils et ses gens l’avoient veu et veoient encores si très povre et mauvais que pires ne pooit estre; car ensi que il venoient et entroient en la bataille, il s’abandonnoient follement et se perdoient[362].... Fº 121 vº.

P. 181, l. 15: la Broie.—Mss. A 1 à 6, 18, 19: Broye. Fº 148 vº.—Mss. A 20 à 22: Braye. Fº 152.

P. 181, l. 16: Creci.—Ms. A 7: Cresy. Fº 141 vº.

P. 181 l. 16 et 24: voir aussi Sup. var. (n. d. t.)

P. 181, l. 25: à raençon.—Ms. B 6: Et proprement le roy d’Engleterre avoit ordonné que on n’entendesist à prendre prisonniers; et n’en y eult mie, que che soir, que l’endemain, douze. Fº 331.

P. 181, l. 25 et 26: car entre... de peuple.—Mss. A 20 à 22: Ainsy l’avoit le roy Edouard ordonné dès le matin pour l’advertance de la grant multitude des François. Fº 213 vº.

P. 182, l. 16: d’Arondiel.—Mss. A 18, 19: d’Aronde. Fº 152 vº.

426 §§ 282, 283, 284. P. 183, l. 23: On doit.—Ms. d’Amiens: A ceste bataille, qui fu assés priès de Crechi, eut trop de contraires et de inconveniens pour les Franchois. Premierement par orgoel il se combatirent sans arroy, sans ordonnanche et oultre le vollenté dou roy; car il ne peult oncquez parvenir jusques à le besoingne, ne messires Jehans de Haynnau, qui estoit retenus pour son corps, ne pluisseurs autres bons chevaliers. Et assamblèrent li Franchois as Englès, li pluisseur qui n’avoient beu ne mengiet tout le jour, mais estoient lasset et travilliet, dont il n’estoient mies plus fort, ne mieux en leur alainne; et se combatoient le solleil en l’oeil, qui mout lez grevoit, et avoecq tout ce, il estoit durement tart, car il fu tantost nuis. Se ne savoient li pluisseur radrechier à leur bannière, ne à leurs mestres, mès cil qui aventurer et combattre se volloient, tout enssi qu’il venoient, se boutoient ens; et quant il estoient parvenu jusques à la bataille, il trouvoient d’encontre ces archiers qui trop grant encombrier leur faisoient. Enssi se parsevera ceste vesprée tant que la nuis fu toutte obscurchie, et ne recongnissoient mies l’un l’autre. Touttesfois, li Englès ne se mouvoient de leur place, ne dou lieu où il estoient ordounné, ne nulx hommes d’armes de leur costet ne se metoit devant leur tret, car il pewissent bien foliier. Li roys de France, qui se tenoit enssus de le bataille, dallés lui monseigneur Jehan de Haynnau et aucuns de son consseil, bons chevaliers et sceurs, qui estoient garde de son corps, enqueroit souvent coumment li besoingne se portoit. Se li fu dit environ soleil esconssant li mesaventure et li pestilence qui estoit avenus sus ses gens; et se n’y avoit point de remède de nul recouvrier. Quant li roys oy ces nouvellez, si fu durement enflaméz d’ayr, et se feri son cheval des esperons par deviers ses ennemis. Adonc le ratinrent chil qui dallés lui estoient, messires Jehans de Haynnau, messires Carlez de Montmorensi, li sires de Saint Digier, li sires de Saint Venant et aucun bon chevalier qui ordonnet estoient pour son corps garder et li conssillier, et qui ymaginèrent et considerèrent le peril, et dissent: «Ha! chiers sirez et noblez roys, aiiés atemprance et mesure en vous. Se aucune partie de vos gens se sont perdu par follie et par leur outrage, ne vous voeilliés pour ce mettre en peril, ne le noble couronne de France en tel meschief ne tel aventure; car encorres estes vous puissans assés de rassambler otant de gens que vous avés perdu et plus assés. Jà ne sera vos royaummes si desconfis, et retournés meshui à la 427 Broie qui est assés priès de chy: dedens demain aurés vous autrez nouvelles et bon consseil, se Dieux plaist.»

Li roys, qui moult estoit escaufféz d’aïr, tout en chevauchant, considera lez parollez de sez bons chevaliers et leur consseil, et plus celui de monseigneur Jehan de Haynnau que nulx des aultrez, car il le sentoit si loyal et si adviset, que contre se deshonneur, il ne l’ewist nullement fourconssilliet. D’autre part ossi, au voir dire, il veoit bien qu’il estoit tart, et une puignie de gens qu’il avoit dallés lui, pooient, sus une desconfiture, peu faire. Si se rafrenna et tourna son cheval sus frain, et prist le chemin de la Broie et y vint gesir celle nuit, et li chevalier dessus noummet, qui estoient dallés lui. Encorres se combatoient et entoueilloient aucuns de chiaux qui estoient à le bataille. Si s’en parti messires Carles de Behaingne, filx au bon roy de Behaingne, qui s’appelloit et escripsoit roys d’Allemaingne; ossi fissent pluisseurs seigneurs, car ce ewist esté pité se tout y fuissent demouret. Si en demoura il assés, dont ce fu dammaiges, mès telz bataillez et si grans desconfitures ne se font mies sans grant occision de peuple. Li comtez Guillaume de Namur eut mort desoubz lui son courssier, et fu en grant peril de son corps et à grant meschief relevés; et y demora ung bon chevalier des siens que on clammoit messires Loeys de Jupeleu. Si se sauva li dis comtes par l’avis et l’effort de sez hommes qui le gouvrenoient, qui le missent hors dou peril. On ne vous poet mies dire ne recorder de tous chiaux qui là furent, quel aventure il eurent, ne coumment il se combatirent chil qui y demorèrent, ne coumment cil s’en partirent, qui se sauvèrent; car trop y fauroit de raisons et de parolez. Mès tant vous di, que on oy oncques à parler de si grande desconfiture, ne tant mors de grans seigneurs, ne de bonne chevalerie, qu’il eut là à si peu de fait d’armes qu’il y eut fait, si comme cil le temoignent qui y furent, tant d’un lés comme de l’autre, et par lesquelx li pure verité en est escripte. Ceste bataille fu par un samedi, l’endemain dou jour Saint Bietremieu, ou mois d’aoust, l’an de grace Nostre Seigneur mil trois cens quarante six.

Quant la besoingne fu departie et la nuis fu venue toutte espesse, li roys englès fist criier sus le hart que nulx ne se mesist à cachier apriès les ennemis, et que nus ne despouillast les mors, ne les remuast, jusquez à tant qu’il en aroit donnet congiet. A celle fin fist li rois ce ban, que on les pewist mieux reconnoistre 428 au matin, et coummanda que chacuns allast à se loge reposer sans desarmer, et pria que tout li comte, seigneur, baron et chevalier venissent souper avoecq lui, et coummanda à ses marescaux que son host fust bien gardés et escargaitiés toute celle nuit. Li coummandemens dou roy fu fais de tout en tout; et vinrent soupper dalléz le roy, chil qui priiet en estoient. Si poés bien croire qu’il furent en grant joie et en grant repos de coer, pour la belle aventure qui avenue leur estoit. Fos 94 vº et 95.

Page 184, l. 25: voir Sup. var. (n. d. t.)

P. 185, l. 6: garites.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: creneaulx. Fº 149 vº.

P. 185, l. 9: chastellain.—Mss. A 23 à 29: capitaine. Fº 168.

P. 185, l. 9 et 10: li infortunés.—Mss. A 30 à 33: le fortuné. Fº 189 vº.

P. 185, l. 30: perseverèrent.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19, ajoutent: après celle desconfiture. Fº 149 vº.

§ 285. P. 187, l. 20: Quant la nuis.—Ms. d’Amiens: Le diemenche au matin fist grant brumme, si ques grant fuisson des Englès yssirent des loges, aucun à cheval et aucun à piet, et allèrent, par le congiet dou roy, aval les camps pour savoir se il porroient veoir aucuns des Franchois qui se rassamblaissent par troppiaux ou granment enssamble pour yaux rassaillir de nouviel. Si en trouvèrent fuisson des commungnes dez bonnes villez qui avoient dormit en boskès, en fossés et en hayes, par troppiaux; et demandoient li ungs as autres de leur aventure et qu’il devenroient; car il ne savoient que avenu leur estoit, ne que li roys ne leurs conduisières estoit devenus. Quant il virent ces Englès venir viers yaux, il les atendirent et penssèrent que ce fuissent de leurs gens. Et chil Englès se ferirent entr’iaux, si comme li leux entre brebis, et les tuoient à vollenté et sans deffensse. Une autre compaignie d’Englès allèrent aventurer d’un autre costet. Si trouvèrent grans tropiaux de gens en pluisseurs lieux, qui alloient aval lez camps pour savoir se il poroient oyr nouvellez de lor seigneur; li autre queroient lors mestres, li aultres leurs proismez, li autres lors compaignons, et chil Englès les ocioient tout enssi qu’il les trouvoient ou encontroient. Fº 95.

 ....................

Ms. de Rome: [Li rois acola le prince, et] li princes, li. Et là li dist li rois: «Biaus fils, Dieus vous doinst bonne perseverance! Vous estes mon hiretier, car vous vos estes wi vaillanment portés 429 et acquités.» Li princes, à ceste parole, s’enclina tout bas, et se humelia en honnourant le roi son père, ce fu raison.

Vous devés sçavoir que grant joie de coer fu là entre les Englois, qant il sentirent et congneurent de fait que la place lor estoit demorée, et que la nuit avoit esté pour euls. Si tinrent ceste aventure à belle, et en regratiièrent Dieu qui lor avoit envoiiet, et passèrent la nuit jusques à l’endemain.

Qant ce vint le dimence au matin, il fist grant brume, et tèle que à painnes pooient veoir lonch un arpent de terre. Adonc se departirent de l’oost par l’ordenance dou roi et des marescaus, cinq cens hommes d’armes et doi mille archiers, pour descouvrir et savoir se il trouveroient ne veoiroient auquns François qui se vosissent requellier. Che dimence au matin, estoient parti de la ville d’Abbeville et de Saint Riqier en Pontieu les conmunautés de Roem, de Biauvais et de Amiens, qui riens ne savoient de la desconfiture qui estoit avenue le samedi. Et trouvèrent ces gens, à male estrine pour euls, ces Englois qui cevauçoient. Si se boutèrent entre euls, et quidièrent de premiers que ce fuissent de lors gens. Et lorsque les Englois les avisèrent, il les courirent sus moult vistement, et furent tantos ces François desconfis et mis en cace. Si en i ot mors sus les camps, que par haies, que par buissons, ensi que il fuioient pour euls sauver, environ huit mille; et se il euist fait cler sans brume, il n’en fust jà piés escapés.

Assés tos apriès furent rencontré de ces Englois meismes, une aultre route de François où li archevesques de Roem et li grans prieus de France estoient, qui riens aussi ne savoient de la desconfiture, car on lor avoit dit que li rois de France ne se combateroit jusques au dimence, et sus cel estat avoient il le samedi logiet sus les camps entre lors gens et lor charroi. Qant les Englois les perchurent, il en orent grant joie et lor courirent sus, et furent aussi tantos desconfi. Et là furent mort li doi chief qui les menoient, et uns aultres homs, moult vaillans, qui se nonmoit li chastelains d’Amposte, et qui nouvellement estoit venus de Rodes, et s’estoit trouvés par pluisseurs fois en batailles mortels sus les Turs, mais toutdis à son honnour il en estoit issus, et morut là li chevaliers, avoecques le dit grant prieus de France. Ensi chevauchièrent, ce dimence au matin, ces Englois à destre et à senestre, querans les aventures, et ruèrent jus par fous et par compagnies moult de François. Et fui enfourmés que, le dimence au matin, la grant desconfiture fu des conmunautés, et le samedi 430 au soir et par nuit des barons et chevaliers de France. Fº 123.

P. 187, l. 20: ce samedi.—Mss. A 1 à 6, 8 à 22: du samedi. Fº 150.

P. 187, l. 25: tortis.—Mss. A 15 à 17: teurteiz. Fº. 150.—Mss. A 20 à 22: torsins. Fº 215 vº.—Mss. A 30 à 33: torcys. Fº 189 vº.

P. 187, l. 27: bacinet.—Mss. A 23 à 29: heaulme. Fº 168 vº.

P. 188, l. 8 et 9: nuitie.—Mss. A 7, 20 à 22: journée. Fº 143.—Mss. A 1 à 6, 18, 19: nuittiée, nuittée. Fº 150 vº.—Mss. A 8, 9, 15 à 17: nuitée. Fº 135.

P. 188, l. 13: Ensi.—Les mss. A 1 à 6, 11 à 14 ajoutent: baillant et rendant graces à Dieu. Fº 150 vº.

P. 188, l. 14 et 15: ne voloit.... fesist.—Mss. A 20 à 22: ne le vouloit mye. Fº 215 vº.

P. 188, l. 15: que nulz s’en fesist.—Mss. A 1 à 6, 8, 9, 11 à 14, 18, 19: que aucun fouist. Fº 150 vº.

P. 188, l. 24: les communautés.—Ms. B 6: de Rains, de Roan, de Paris, de Chalon, d’Amiens, d’Arras et des chités et bonnes villes de France. Fº 336.

P. 188, l. 27: à male estrine.—Mss. A 1 à 9, 15 à 19: male estraine. Fº 150 vº.—Mss. A 20 à 22: male espine pour eulx en leur chemin, c’est assavoir ces Anglois. Fº 216.

P. 189, l. 3: sept mil.—Mss. A 15 à 17: huit mille. Fº 150 vº.

Page 189, l. 27: voir Sup. var. (n. d. t.)

§ 286. P. 189, l. 31: Ce dimence.—Ms. d’Amiens: Environ heure de tierche, revinrent (li Englès) à leurs loges, en ce point que li roys et li seigneur avoient oy messe. Si lor comptèrent lor aventure et chou qu’il avoient fait. Adonc coummanda li roys à monseigneur Renaut de Ghobehen, qui estoit moult vaillans chevaliers et li plus preux des chevaliers englès tenus, qu’il presist aucuns chevaliers connissanz armes et tous lez hiraux avoecq lui, et allast par tout les mors, et mesist tous les chevaliers qu’il poroit recongnoistre, en escript, et tous les princhez et les grans seigneurs fesist porter enssamble d’un costet, et sus chacun son nom escript, par quoy on les pewist reconnoistre et faire leur service seloncq leur estat. Li dis messires Renaux et se compaignie le fissent, ensi que coummandé leur fu, et cierquièrent tout le jour les camps de chief en cor et tous les mors, et rapportèrent au soir au roy, si comme il avoit jà souppet, leur escript. Et fu sceut 431 par leur escript qu’il avoient trouvet onze chiés de princes, parmy un prelat, mors, quatre vingt chevaliers bannerèz et environ douze cens chevaliers d’un escut ou de deux, et bien quinze mil ou seize mil autrez, que escuiers, que tourniquiel, que bourgois de bonnes villez, que bidaus, que Geneuois, que gens de piet, tous gisans sour les camps, et n’avoient trouvet que trois chevaliers englès et environ vingt archiers.

Or est bien raison que je vous nomme les princhez et les haux hommez qui là demorèrent mors, mèz des autres ne poroie venir à chief. Si commencerai au jentil et noble roy, monseigneur Carle, roy de Behaingne, qui tous aveugles vot estre premiers à le bataille, et coummanda et enjoindi très especialment à ses chevaliers qu’il le menaissent, comment que ce fust, si avant qu’il pewist ferir un cop d’espée sour aucunz dez ennemis, et chil li acomplirent son desir; et demorèrent dalléz lui tuit si chevalier, et furent trouvet mort environ le bon roy. Li plus grans prinches apriès che, fu messire Carlez, comte d’Allenchon, frèrez germains au roy de Franche; apriès, li comtes Loeis de Blois, filz à la sereur germainne au roy de Franche; apriès, li comtez de Flandres; apriès, li dus de Loerainne; apriès, li comtes de Saumes en Saumois; apriès, li comtez de Halcourt; apriès, li comtes d’Auchoire; apriès, li comtez de Sansoire; apriès, li comtes d’Aubmale; apriès, li grans prieux de France, si ques on disoit adonc que passet avoit deux cens ans que on n’avoit veut ne oy racompter que tant de prinches fuissent mort en une bataille, comme il furent là, ne à Courtray, ne à Bonivent, ne autre part. Dieux en ait les anmes, car il morurent vaillamment ou serviche dou roy, leur seigneur, qui moult les plaindi et regretta, quant il en sceut la verité; mès le congnissance ne l’en vint jusquez au lundi à heure de nonne, et qu’il y eut envoiiet par trieuwes quatre chevaliers et ses hiraux. Et se tenoit li dis roys à Amiens, où il vint le diemence au matin, car il se parti de la Broie le diemenche au point dou jour, à privée mesnie; et là à Amiens ou environ se requeillièrent li plus de ses gens, qui ooient dire que li roys y estoit.

Che dimenche tout le jour apriès le bataille, demoura li roys englès en le ditte place où il avoit eu victore, et le soir ossi. Le lundi au matin, vinrent hiraut de par le roy de Franche prendre trieuwes, troix jours seullement, de ceux qui revenroient apriès leurs mestrez et leurs amis, pour ensepvelir, et li roys leur accorda. 432 Et fist li dis roys porter le corps dou roy de Behaingne, son cousin germain, en une abbeie qui siet assés priès de là, et le appelle on Mentenay. Et ossi y fist il porter les corps des autres princhez; dont messire Godeffroit de Halcourt plaindi mout le mort dou comte, son frère, mès amender ne le peut. Che meysme diemence vint li comtez de Savoie [et] sez frèrez, à bien mil lanchez, et ewist este à le bataille, se elle ewist estet faitte par l’ordre dou bon chevalier le Monne de Basèle, qui demoura vaillamment dalléz le bon roi de Behaingne, son mestre. Quant cil doy seigneur dessus noumet entendirent que la bataille estoit outrée, et qu’il n’y estoient point venut à tamps, si furent moult courouchiés. Touttesfoix, pour emploiier leur voiaige et deservir leur gaiges, il chevauchièrent che dimenche au dessus de l’host le roy englès, et s’en vinrent bouter en le ville de Monstroeil pour la garder et deffendre contre les Englès, se mestier faisoit, car elle n’estoit mie adonc si forte que elle est maintenant. Si eurent chil de Monstroel grant joie de le venue des dessus dis seigneurs.

Ce lundi au matin se desloga li roys englès et chevaucha deviers Monstroeil, et envoia courir ses marescaux deviers Hedin, ardoir et essillier le pays, si comme il avoient fait par devant. Et ardirent Waubain, Biauraing, mais au castiel ne fissent nul mal, car il est trop fors. Et puis s’en retournèrent vers Moustroel, et ne se peurent tenir qu’il n’alaissent escarmucier as Savoiiens qui laiiens estoient, mais rien n’y gaegnièrent. Si s’en partirent et ardirent les fourbours, et revinrent deviers l’ost le roy, qui avoit pris son chemin deviers Saint Josse, et se loga celle nuit sus le rivierre. Au matin il s’en partirent, et passèrent l’aige et ardirent ses gens le ville de Saint Josse et puis Estaples, le Noef Castiel, le Delue, et apriès tout le pays boullenois et tout entour Bouloingne, et la ville de Wissan, qui estoit adonc bonne et grosse, et y loga li roys et toutte son host une nuit. Fº 95 vº.

Ms. de Rome: Le dimence au matin, ensi que li rois d’Engleterre issoit de messe, retournèrent li chevauceour et les archiers, liquel avoient parfurni la desconfiture. Si recordèrent au roi, les capitainnes mesires Richars de Stanfort et mesires Renauls de Gobehen, tout ce que il avoient veu et trouvé, et dissent enssi en oultre que nuls apparans n’estoit de nulle requelloite. Adonc eut consel li rois que il envoieroit cercier les mors à sçavoir quel signeur estoient là demoret. Et en furent ordonné de l’aler, et fu dit de la bouce dou roi, mesires Thomas de Hollandes, mesires 433 Renauls de Gobehem, li sires de Persi, mesires Guis de Briane et mesires Oulfars de Ghistelle, et lor furent delivret tout li hiraut de l’oost, et quatre clers pour escrire les noms des nobles. Si se departirent li desus nonmé et plus de quatre cens honmes en lor compagnie, pour aidier à tourner et à retourner les mors. Qant il furent venu sus la campagne où la bataille avoit esté, li hiraut dou roi d’Engleterre trouvèrent biau cop des hiraus les signeurs de France, qui là estoient venu pour cerchier lors mestres et lors signeurs mors. De qoi li signeur d’Engleterre furent moult resjoi et lor fissent bonne chière. Et cercièrent chil hiraut englois et françois tous les camps, et trouvèrent les signeurs mors en pluisseurs places, et estoient recongneu le plus par lors armoieries; et tantos que il estoient avisé et recongneu, les clers dou roi les metoient en escript. Si y furent trouvet onse chiés de hauls signeurs, quatre vins et trois banerés et douse cens et douse chevaliers d’un esqut, sans le menu peuple, dont il i eut plus de trente mille. Sus l’eure de vespres retournèrent deviers le roi d’Engleterre li baron qui envoiiet avoient esté cerchier les mors, et amenèrent avoecques euls les hiraus françois, pour mieuls certefiier la besongne, et estoient cinq. Je les vous nonmerai: premierement Valois, Alençon, Harcourt, Donpierre et Biaujeu. Li rois d’Engleterre les vei volontiers, et aussi fissent tout li signeur. Et là furent nonmé tout li signeur qui mort estoient: le roi de Boesme premierement, le conte d’Alençon, le conte de Blois, le conte de Flandres, le duch de Lorrainne, le conte d’Auçoirre, le conte de Harcourt, le conte de Saint Pol, le conte d’Aumale, l’arcevesque de Roem et le grant prieus de France. Des barons et des chevaliers, la detriance seroit trop grande à nonmer; mais dalés le conte de Namur, qui fu à la besongne et s’en parti, qant il vei l’eure, morut mesires Phelippes de Jupeleu. De la relation faite par les barons et chevaliers desus nonmés et les hiraus avoecques euls appellés, furent moult esmervilliet li rois d’Engleterre et li signeur de son costé, et plaindirent par especial moult grandement la mort dou bon roi de Boesme, et tinrent son fait à grant vaillance. Et s’en vestirent li rois et ses fils, li princes de Galles, de noir, pour l’amour de li, et aussi pour les aultres qui li estoient de linage, et mesires Godefrois de Harcourt, pour la mort de son frère et de son neveu le conte d’Aumale.

Che soir donna à souper li rois en son logeis tous les barons et 434 chevaliers d’Engleterre qui là estoient, et qui aler i vorrent; et menèrent grant joie et grant reviel toute la nuit, et fissent bon gait et gardèrent les mors. Et à l’endemain on se ordonna au departir de là, et de traire plus avant viers Monstruel sus la Mer. Mais avant le departement dou roi, il fu ordonné et prononchiet par les hiraus françois, que li rois donnoit trieuwes quatre jours à tous ceuls qui vodroient travillier à aidier ensepvelir les mors. Et furent les corps des hauls signeurs presentement levés et portés en une abbeie, seans assés priès de là, qu’on nonme Mentenai. Et furent là, à un obsèque que on fist pour les signeurs, li rois d’Engleterre presens et ses fils, et vesti de noir, et la grignour partie des barons d’Engleterre qui en la compagnie dou roi estoient. Et devés sçavoir que li hiraut françois furent très larguement bien paiiet tant dou roi, de son fil et des barons d’Engleterre, et emportèrent avoecques euls, sans les jeuiauls, en deniers apparilliés, plus de deus mil livres. Nous laisserons un petit à parler dou roi d’Engleterre et des Englois, et parlerons dou roi de France.

Vous avés ichi desus oï recorder conment, le lundi, li rois fist faire une ordenance sus le pais et donna trieuwes quatre jours pour ensepvelir les mors, qant il et ses gens se departirent de Creci en Pontieu, apriès ce que il ot fait faire en l’eglise dou monastère de Mentenai un moult biel service pour l’amour de son cousin le roi de Boesme, qui là i fu aportés, et de tous les aultres hauls et grans signeurs. Li Englois cevauchièrent et s’aroutèrent, et prissent le cemin de Monstruel sus Mer. Le dimence au soir, estoient venu en la ville de Monstruel, li contes de Savoie, et mesires Lois de Savoie son frère, et li contes de Genève, et bien cinq cens lances de Savoiiens, et n’avoient peut venir à temps à la bataille; mais, pour tant que il avoient entendu que la desconfiture estoit sus les François, et que la ville de Monstruel seoit ou voiage des Englois, il se boutèrent dedens. Les Englois coururent devant Monstruel, et ardirent Wauben et Estaples et Saint Josse, et passèrent la rivière de Cance, et ardirent tout le pais autour de Boulongne; et ne cessèrent de ceminer, si furent venu devant Calais et le asegièrent. Fos 123 et 124.

P. 190, l. 10: troi.—Ms. B 6: deulx. Fº 337.

P. 190, l. 23: onze.—Mss. A 11 à 14: dix. Fº 144.

P. 190, l. 24: banerés.—Mss. A 11 à 33: banières, bannières. Fº 144.

435 P. 190, l. 25: d’un escut.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14: d’un escri. Fº 151.

P. 190, l. 25: trente mil.—Ms. B 6: seize mille. Fº 337.

P. 190, l. 26: d’autres gens.—Ms. B 6: Encores n’alèrent il mie savoir la verité de ceulx qui ochis avoient esté le dimanche au matin. Et prumierement y fu mort le roy de Behaigne, le conte d’Allenchon, le conte de Blois, le conte de Flandres, le duc de Loraine, le conte de Sanssoire, le conte de Harcourt, le conte d’Ausoire, le conte de Saint Pol, le conte d’Aumerle, l’archevesque de Sens, le grant prieur de Franche. Et toutes les armes de ches prinches furent aportéez en l’armoierie du roy d’Engleterre. Et tout les corps des prinches furent emporté en une abeie de moisnes qui siet près de là, que on apelle Mentenay. Ceste bataille de Cressy en Pontieu fu l’an de grasce Nostre Seigneur mil trois cens quarante six, le vingt sixiesme jour d’auoust. Fos 337 et 338.

P. 191, l. 8 et 9: en un.... Montenai.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: en un moustier, près de la chapelle de Montenay. Fº 151 vº.—Mss. A 20 à 22: au moustier de la chapelle de Montenay. Fº 217.—Mss. A 23 à 33: au moustier de Montenay. Fº 169.

P. 191, l. 12: et puis chevança.—Ms. B 6: Le lundy au matin, après messe et boire, se deslogèrent les Englès de Crechy où celle belle et eureuse aventure leur estoit avenue, et prindrent le chemin de Hesdin et de Boulongne. Et chevauchèrent les marisalx devers la ville de Rue et ardirent les faubours, mais à fortresse ne peurent il advenir. Et puis chevauchèrent devers la ville de Monstreul, et ardirent tout le plat pais d’environ jusques à Blangy et jusques à Hesdin et Maurain ossy, mais au chastiel ne peurent il aprochier, car il estoit trop fort. Le mardy il passèrent oultre et vinrent bouter les feus à Saint Josse, et ardirent le Neuf Castiel de Waubain et Estaples et les fourbours de Boullongne, et se logèrent asés priès de là. Le merquedy, il passèrent oultre et vinrent devers Wissan; sy ardirent le lieu et le village oultre les bois de Hardelo et tout le plat pais de le conté de Boulongne, et s’en vinrent devant la forte ville de Calais.

Or considerés entre vous se, depuis cinq cents ans, il fu nulz rois qui fesist sy puissant voiage ne sy grant que le roy Edouart d’Engleterre fist adonc, et les belles aventures qui luy avinrent sur son chemin depuis qu’il ariva en Constentin en le Hoghe Saint Vast, les pons, les pasaiges qu’il trouva et toudis aparilliés pour 436 combatre ses ennemis. Et fu sy près de Paris que jusques as portes, car en grant tamps en atendant, sy comme j’ai oit recorder en Engleterre, les sors de Merlin disoient que ly saingler de Windesore venroient ferir des dens ens ès portes de Paris. Par che saingler on doit entendre le roy Edouwart d’Engleterre, car il fu nés ens ou chastiel de Windesore, et avery chelui sors en che tamps: il passa et repassa la rivière de Saine et puis la rivière de Somme et se combaty ses annemis tels que toute la fleur de Franche et de bonne chevallerie sans nombre et les desconfy; et y furent mors deus tans de gens que il estoient, Et après il vint mettre le siège devant Calais, qui est une des fortes villes du monde, et dist que jamais ne s’en partiroit sy l’aroit; et de che ne faly mie à son entente, sy comme vous orés chi avant recorder en ces chroniques. Fos 338 à 340.

P. 191, l. 14: Hedin.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 20 à 29: Hesdin. Fº 151 vº.

P. 191, l. 14: Waubain.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: Waudain. Fº 151 vº.

P. 191, l. 14: Serain.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22: Seran. Fº 151 vº.

P. 191, l. 17: au lés devers Blangis.—Mss. A 15 à 17: du costé devers Boulongne et Blangis. Fº 151.

P. 191, l. 17: Blangis.—Mss. A 18, 19: Blanges. Fº 155.—Mss. A 23 à 29: Blangy. Fº 169 vº.

P. 191, l. 20: Estaples le Delue.—Mss. A 1 à 6, 8 à 19: Estapes et Delue. Fº 151 vº.—Mss. A 20 à 22: Estaples, Delue. Fº 216 vº.

P. 191, l. 22: les bos.—Mss. A 15 à 17, 20 à 29: le bois. Fº 151.—Mss. A 30 à 33: le pays. Fº 190.

P. 191, l. 22: Hardelo.—Mss. A 20 à 22: Hadrelo. Fº 217.

§ 287. P. 191, l. 29: Quant li rois.—Ms. de Rome: Qant li rois Phelippes fu partis dou chastiel de la Broie, ensi que chi desus est dit, à moult seule gent, ils et sa route qui n’estoit pas grans, cevaucièrent celle nuit tant et le dimence au matin, que il vinrent en la chité d’Amiens. Et fu li rois logiés en l’abeie dou Gart, qui sciet au dehors d’Amiens. Petit à petit gens venoient, qui escapé de la bataille estoient, apriès lors signeurs et lors mestres. Encores ne savoit point li rois la verité de la perte des nobles de son sanc que il avoit perdus, et qui demoret estoient 437 derrière. Le dimence au soir, il en fu enfourmés de une gran partie, et encores mieuls le mardi au matin, qant li hiraut françois retournèrent, liquel avoient esté presens à cerchier tous les mors. Li rois les plaindi et regreta grandement et longement l’un apriès l’autre, et lor fist faire en l’eglise d’Amiens, avant que il s’en partesist, un moult solempnel office et service. Il n’est doels qui ne se passe et ne se mète en oubli: li rois de France passa cel anoi au plus biel que il pot, et entendi à ses besongnes. Toutesfois, mesires Jehans de Hainnau fu là uns très bons moiiens pour mesire Godemar dou Fai, car li rois le voloit faire prendre et pendre; mais li gentils chevaliers dessus nonmés rafrena le roi et li brisa son aïr, et l’escusa par tant de raisons et si bonnes, que li rois, pour celle fois, s’apaisa et entendi à toutes ses besongnes, et donna toutes gens d’armes congiet. Messires Jehans de Hainnau prist congiet au roi, et puis s’en retourna arrière en Hainnau, ensi que chils qui grosement avoit perdu en ceste cevauchie, et aussi avoient fuisson d’autres. Nuls n’en retournoit contens.

Les nouvelles s’espardirent en moult de lieus et volèrent moult lonc, conment [par] le roi d’Engleterre, de une puignie de gens que il avoit, estoit ruée jus la poissance dou roi de France, et avoient esté li François bien diis contre un. Si acquist li rois d’Engleterre grant grasce, et li rois de France et li François grant blame, et moult fu eslevés li noms le roi d’Engleterre, douquel nous parlerons et compterons conment il persevera. Fos 123 vº et 124.

P. 191, l. 30: à moult seule gent.—Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19: à moult pou de gens. Fº 151 vº.—Mss. A 20 à 22: à moult petit de gens. Fº 217.—Mss. A 15 à 17: à moult petite compaingnie. Fº 151 vº.


SUPPLÉMENT AUX VARIANTES.


Dans le cours d’un voyage que nous avons fait à Breslau en 1868, nous avons pu étudier à loisir le célèbre manuscrit des Chroniques de Froissart conservé dans la bibliothèque de cette ville. Quoique ce manuscrit (coté A 29 dans notre classement des mss. du premier livre) appartienne à une famille représentée par 7 exemplaires dont 4 sont à Paris[363], cependant il offre à partir de 1340, et surtout de 1342, certains développements qui manquent dans les autres manuscrits de la même famille. Le Froissart de Breslau, dont la valeur réside principalement dans les belles miniatures de l’école de Louvain qui illustrent les deux derniers volumes[364], a été exécuté ou grossé par David Aubert pour Antoine, bâtard de Bourgogne, en[365] 1468 et 1469; par conséquent, jusqu’à ce qu’on ait retrouvé les développements dont nous parlons dans un manuscrit plus ancien, il y a lieu de les considérer plutôt comme l’œuvre de 440 David Aubert et des scribes aux gages de la maison de Bourgogne que comme celle de Froissart. Cependant, à notre retour en France, nous nous proposions de solliciter le prêt du ms. de Breslau auprès de la municipalité de cette ville par l’entremise du gouvernement prussien; malheureusement, les cruels événements de 1870 et de 1871 ne nous ont pas permis de donner suite à ce projet. Ayant appris, d’un autre côté, à la fin de 1868, que les variantes du ms. de Breslau avaient été copiées au seizième siècle en marge d’un exemplaire de l’édition de Sauvage qui fait partie de la collection plantinienne d’Anvers, nous avions prié M. Moretus, propriétaire de cette collection et héritier des Plantin, de vouloir bien nous autoriser à prendre communication sur place de cet exemplaire; malgré l’obligeante entremise de M. le baron de Witte, cette autorisation nous a été refusée. Plus heureux que nous, M. le baron Kervyn de Lettenhove a pu donner les variantes du ms. de Breslau, sinon d’après l’original lui-même, au moins d’après la copie du seizième siècle inscrite en marge du Froissart de la collection Plantin. Force nous est donc de reproduire aujourd’hui ces variantes d’après l’édition du savant éditeur belge (voy. t. IV, p. 479 à 508, et t. V, p. 545 à 548). Seulement, nous avons pensé qu’il importait de ne pas confondre avec les résultats de notre propre travail des textes qui ne nous arrivent ainsi que de troisième main; voilà pourquoi nous avons pris le parti de les publier à part et en supplément à la fin du présent volume de notre édition.


P. 56, l. 20: Montagrée.—Ms. A 29: qu’il assaillit si longement et par telle manière qu’il le prist d’assault, et le chevalier qui dedens estoit lui fut amené: si l’envoya tenir prison à Bourdeaux.

P. 61, l. 21: consideret.—Ms. A 29: comment à grans 441 assaux ils ne pourroyent resister, aussi qu’ils estoyent petitement pourveus d’artillerie et de vivres.

P. 66, l. 17: leur.—Ms. A 29: venoient de haut en bas descendant et tout effondrant combles de tours et de manoirs, planchers et voutures, portes et murs. Et tellement s’espouvantoyent tous, quant ils veoyent la pierre venir, qu’en fin ne savoyent où se musser et sauver, fors ès profons celiers du chastel qui tous croulloyent par le grand fais du coup qu’ils recevoyent.

P. 71, l. 6: bataille.—Ms. A 29: Celle venue des deux chevaliers rafraichit moult grandement l’ost du conte Derby, qui estoit jà fort travillié pour le grand fais qu’il avoit eu à soutenir par le gros nombre de très vaillants chevaliers et escuyers qu’iceux Françoys et Gascons estoyent. Mais, comme dict est, il furent pris trop depourveuement, ainsi que l’usage de guerre porte que l’on prent toujours son ennemi à son avantage.

P. 73, l. 30: ennemis.—Ms. A 29: par son sens et par ses vertus dont il estoit comblé.

P. 75, l. 8: cauch.—Ms. A 29: et tonneaux pleins de cailloux et grosses pièces de boys.

P. 76, l. 1: fronth.—Ms. A 29: Incontinent que ceux du chastel virent leurs murailles ainsi pertruiser, ils furent moult esbais et non sans cause. Adonc les plusieurs en abandonnèrent les deffenses et se retirèrent dedens l’eglise qui estoit assez forte; et entandis les autres assaillants escheloyent le fort d’autre part.

P. 82, l. 8: instrumens.—Ms. A 29: comme pieds de chèvre et longues pièces de boys pour effondrer les murs. Et tantost en eurent elevé grand foison de pierres et tiré à part, car nul ne les povoit empescher, ne destourner leur labeur pour le traict, comme dict est. Et tant besognèrent iceux brigans, qu’en moins de deux heures ils firent un trou si grand en celui mur, que bien y povoyent entrer deux hommes de front.

P. 91, l. 18 et 19: Stanfort.—Ms. A 29: pour la mort duquel et des archiers, iceux bons hommes furent trop durement traictés et la pluspart occis, et leurs biens meubles et leurs vivres furent abandonnés aux compagnons qui s’en tindrent tous aises. Quant le comte Derby volut partir de Monpesas, il defendi de piller autrement la place et d’y boutter le feu, car il la donna, le chastel et la chastellennie, à un sien escuyer, qui s’appeloit Thomas Lencestre, et laissa avec luy en garnison, pour garder le pais, soixante compagnons, la pluspart archiers. Et 442 ainsi fut prins le chastel de Monpesas et preservé de larcin et destruction par le don que le conte en avoit fait au gentil escuyer qui s’en tenoit bien joyeux, car il siet en belle contrée et bon pais. Tant chevaucha le conte Derby, quant il fut parti de Monpesas, qu’il vint et ses routtes devant la ville de Mauron, laquelle estoit forte et pourveue de vaillans compagnons. Il s’arresta et logea, puis commanda que l’assaut fust douné de toutes parts; et quant il perceut que par assaut ils n’i gangnoyent rien, il ordonna que tout homme se retraist et se logeast pour celle nuit.

P. 92, l. 17: oultre.—Ms. A 29: Quant cil de Mauron veirent les bagages de l’ost charger, puis mettre à la voye, et le conte Derbi et sa grande routte partir, ils dirent entre eux: «Ces Angloys voyent bien que leur proufict n’est pas de eux [tenir] longuement ici, et qu’ils n’i peuvent rien conquester; ils y furent hier trop bien gallés, mais ceux là qui sont demourés derrière, pensent ils nous tenir ici enclos? La grosse routte est jà bien loin; si conseille que tantost nous yssons dehors et les allons combattre; ils ne sont pas gens pour nous, nous les aurons incontinent deconfits et mis à mercy: si sera honneur et proufit à nous grandement.»

P. 93, l. 30: Miremont.—Ms. A 29: qui est bon chastel et en bonne marche.

P. 94, l. 1: Sainte Marie.—Ms. A 29: Quant il vint devant Miremont, il y fit arrester et loger ses gens à l’entour, car le soir approchoit, et là se passèrent celle nuit de ce qu’ils peurent avoir. Et quant vint l’endemain, entour soleil levant, le conte commanda d’assaillir le forteresse. Et dura l’assaut si jusques à haute none que les Angloys se retirèrent en leur logis à petit de conquest; mais ils furent très bien battus, et en y eut des morts et des bleciés. Quant le conte Derbi veit la manière, il jura que de là ne partiroit qu’il n’eust le chastel conquis. Mais leans n’avoit nul gentilhomme, fors aucuns routtiers, qui s’y estoyent boutés avecque les bons hommes. Quant ils sceurent que le conte Derbi chevauchoit là entour, si furent avertis du serment que le conte avoit fait: ils n’en furent pas moins pensifs. Et si povoient veoir comme tous ces Angloys se logeoyent comme pour y demourer tout l’yver, et si ne leur estoit apparant d’avoir secours de nul sens. Et quant le conte eut là esté quatre jours, il fit dire à ceux de dedens que, s’ils se vouloyent rendre courtoisement, ils auroyent pitié d’eulx, et que si plus se faisoyent assaillir, qu’ils n’en prendroient jamais homme qui là dedens seroit trouvé, à merci. Tant 443 fut parlementé que les routtiers s’en povoyent aller comme ils estoyent venus, et les bons hommes demouroyent en leurs biens et moyennant ce firent serment au conte Derby, qui les receut: si que, au quatriesme jour, la place lui fut rendue. Et la donna le conte à un sien escuyer appellé Jehan de Bristo, qui en fut moult joyeux, car le don estoit bel et riche, et fit depuis très bien reparer le chastel. Quant le conte Derbi fut à son dessus de Miremont, il chevaucha vers une petite ville fermée sur la Garonne, appelée Thorine, que ses gens prindrent d’assaut, et la robèrent, puis brullèrent. De là le conte et ses gens chevauchièrent vers le fort chastel de Damassen, et y voulut arriver la nuit, et y envoya devant ses escheleurs, qui tant esploitèrent que à l’aube du jour les Anglois en furent saisis, et le guet qu’ils trouvèrent dormant jettèrent du haut de la grosse tour au fond des fossés. Et le chastellain mesme, qui estoit de Limosin et vaillant escuyer, fut occis à l’huis de sa chambre, la hache au poin, et tous ses compaignons morts; car jamais le conte ne autre ne povoit le chastel de Damassen reconquerir que d’emblée. Il trouva la place garnie pour deux ans de vins, de bleds, de farine, de chairs et autres provisions, et d’artillerie et armures à planté. Et quant le conte Derbi veit que si bien lui estoit prins de celle forteresse, il conclut qu’il en feroit sa retraicte; si la garnit de bons gens d’armes et d’archiers, puis partit de là et chevaucha tant avec sa routte qu’il vint devant la cité d’Angoulesme, qu’il assiegea de toutes parts, et dist que jà n’en partiroit s’il ne l’avoit à sa volenté. Adonc ceux de la cité se composèrent à lui, à condition qu’ils envoyeroient à Bourdeaux, en ostage, jusques à vingt et quatre hommes des plus riches de la ville, et demoureroient en souffrance de paix un moys; et si dedens le terme dudit moys le roy de France envoyoit homme au pays si puissant de gens qu’il peust tenir les champs à l’encontre du conte Derby, iceux ostages seroient renvoyées quictes et delivres à Angoulesme, et absous de leur traicté; et, se ainsi n’en avenoit, se mettroyent en l’obeissance du roy d’Engleterre. Atant chevaucha outre le conte Derbi et vint à tout son ost devant Blaives, qu’il assiegea de tout point. Si en estoyent capitaines et gardiens deux vaillans chevaliers de Poictou, monseigneur Guichart d’Angle et monseigneur Guillaume de Rochechouart. Ceux dirent bien, quant le conte Derbi fit parlementer à eux par messire Gautier de Mauni, qui en telles affaires se savoit moult hautement conduire, car il estoit gracieux parleur et 444 courtoys, qu’ils ne se rendroient à homme nul. Endementires le conte Derbi seoit devant Blaives, chevauchèrent les Angloys jusques devant Montaigne en Poictou dont monseigneur Boucicaut estoit capitaine; si eut là moult grant assaut, mais rien n’i conquirent les Angloys, fors horions, dont ils reçeurent mains, et y laissèrent de leurs gens morts et blecés en grant nombre. Si s’en retournèrent, mais ainçoys furent devant deux bonnes forteresses, Mirabel et Auni, où ils ne firent que quelques assaux, puis revindrent au siège de Blaves où presque tous les jours estoit faict aucune apertise d’armes. Le siège durant devant Blaves, le terme du moys vint que ceulx d’Angoulesme se devoyent rendre; si envoya le conte Derbi ses deux marechaux auquels ceux de la cité firent homage au nom du roy d’Angleterre par vertu de la procuration qu’il avoit. Ainsi eurent paix ceux de la cité d’Angoulesme; et revindrent leurs ostages. Si renvoya le dict conte à leur requeste Jehan de Nortwich, escuyer, et l’establit capitaine d’icelle cité. Et toujours se tenoit le siège devant Blaves, tellement que les Anglois s’en lassèrent, et par special pour ce que l’yvers aprochoit fort, car c’estoit après la Sainct Michel, que les nuits sont longues et froides, et si ne conqueroyent riens sur ceux de Blaves. Si eurent conseil ensamble le conte Derbi, monseigneur Gautier de Mauni et les autres barons et chevaliers de l’ost, qu’ils delogeroyent de là et qu’ils se retryroayent vers la cité de Bourdeaux et là s’entretiendroyent, si autre incidance ne survenoit, jusques au nouveau temps. Ainsy se deslogea le conte Derbi et ses routtes de devant Blaves; si passèrent la rivière de Gironde et vindrent à Boudeaux, où ils furent receus à grand honneur de toute la cité. Assés tost après, le conte Derbi departit toutes gens et renvoya chacun en sa garnison pour mieux entendre aux besognes dessus la frontière, et aussi pour estre plus au large.

P. 97, l. 10: malmeus.—Ms. A 29: Quant il sceut qu’il n’i avoit point de remède.

P. 97, l. 15: Braibant.—Ms. A 29: car, de ses terres qu’il avoit en France ou en Normandie, n’en recevoit rien.

P. 98, l. 18: d’Engleterre.—Ms. A 29: ce que jamais le pais et les bonnes villes n’eussent voulu consentir, comme bien fut veu.

P. 99, l. 18: esté.—Ms. A 29: envoyet de Gand.

P. 100, l. 2: venus.—Ms. A 29: ceste conclusion prise.

445 P. 100, l. 17: souffrir.—Ms. A 29: à tout preud’hommes.

P. 101, l. 7: assaillis.—Ms. A 29: par telle force que merveille estoit à veoir le grand peuple qui là survenoit.

P. 102, l. 3 et 4: sans nostre sceu.—Ms. A 29: contre nostre gré.

P. 103, l. 6: Flandres.—Ms. A 29: Premierement toutes petites gens le mirent en amont, et pouvres et mechantes gens l’occirent en la parfin.

P. 103, l. 11: Tenremonde.—Ms. A 29: si n’en demena mies trop grant duel.

P. 103, l. 13: moult.—Ms. A 29: rebelles et.

P. 103, l. 18: l’Escluse.—Ms. A 29: à grand estat.

P. 103, l. 24: dist.—Ms. A 29: à son departement.

P. 104, l. 2: excuser.—Ms. A 29: de la mort de Jacquemart d’Artevelle et d’autres choses dont on les chargeoit.

P. 104, l. 15: de lui.—Ms. A 29: moult troublés, courroucés et tant desolés que plus ne povoient.

P. 106, l. 14: foursenés.—Ms. A 29: Quant il sceut la mesaventure et mort de son neveu, il se vouloit incontinent combattre et vendre aux Frisons, qu’il veoit là rengés devant lui, car ils requeroyent battaille; ses gens, voyant la desconfiture, le portèrent et conduirent, vousist ou non, en une autre nef, et par especial ce gentil escuier Robert de Guelin, qui alors estoit escuyer de son corps.

P. 125, l. 6 et 7: desconfis.—Ms. A 29: car il fut poursuivi jusques aux tentes de l’ost: si s’en alla vers sa tente moult desconfit, pour la perte de ses compagnons; et les Angloys, tous travailliés de combattre, retournèrent dedans Aiguillon, et les plusieurs fort navrés, et remportèrent leurs gens qui estoyent demourés morts sur la place.

P. 128, l. 30: que.—Ms. A 29: monseigneur Gautier de Mauni, le conte de Pennebrouc, monseigneur Franque de Halle, monseigneur Thomas Cocq et bien jusques à quarente chevaliers et escuyers et troys cens hommes d’armes parmi les archers, avec six vingts compagnons de par le conte Derbi.

P. 129, l. 8: paians.—Ms. A 29: en Gueldres, en Julliers, en Alemaigne, en Brabant, en Flandres, en Haynaut et en Escoce.

P. 132, l. 9: Hoghe Saint Vast.—Ms. A 29: Bien avoit un moys par avant ouy recorder le roy de France, lui estant à Paris, 446 que le roy d’Angleterre mettoit sus une très grande armée. Et depuis il avoit esté veus sur la mer en une grosse flotte de navires.

P. 133, l. 1: fremée.—Ms. A 29: fors de petits fossés et de palis en aucuns lieux, mais au dessus de la ville il y a un bon chastel grand et fort et bien garni de bons compaignons. Aussi il s’entendirent à faire armer et appareiller et pourvoir de bastons et d’armures, chascun selon son estat.

P. 133, l. 10 et 11: roidement.—Ms. A 29: du visaige contre le sablon.

P. 135, l. 17: enfans.—Ms. A 29: adonc, vousissent les gens d’arme qui estoyent avec eux ou non, ils abandonnèrent leur ville et leurs biens à la voulenté de Dieu, comme ceux à qui il sembloit que tout estoit perdu. Si tost que les gens d’armes et saudoyers qui en la ville de Carenten estoyent, veirent l’ordonnance des bourgeoys, ils prindrent leurs bagues, et se retirèrent par devers le chastel qui estoit moult fort. Et quand ces seigneurs d’Angleterre entrèrent en la ville et qu’ils veirent la force du chastel, et sceurent comment la garnison de la ville s’y estoyent retraicts et leurs biens, il conclurent qu’il ne lairroient pas une telle doute derrière eulx. Adonc ils firent assaillir au chastel par deux jours, tant asprement qu’il estoit possible. Et quant les compagnons qui dedans estoyent, et qui nul secours n’atendoyent, virent comment on les queroit de près, ils parlementèrent si bien pour eux, qu’ils rendirent le place, leurs corps et leur avoir sauves.

P. 136, l. 19: pays.—Ms. A 29: Ils trouvèrent le pays gras et plantureux de toutes bonnes provenances, les granges pleines de bleds et d’avoines et aultres grains, les maisons pleines de toutes richesses, riches bourgeois, chars, charrettes attelées de bons gros chevaux, chevaux, pourceaux, moutons et brebis, vaches, veaux et les plus beaux et grands beufs du monde que l’on nourist et elève en celle marche. Si en choisirent et prindrent à leur voulenté, desquels qu’ils voulurent, et les amenèrent en l’ost du roy. Toutesfois, comme je fus adonc informé, varlets et garçons ne bailloyent mie à leurs maistres l’or, l’argent et les joyaux qu’ils trouvoyent, ainçois retenoyent tout pour eulx.

P. 137, l. 15: Ensi.—Ms. A 29: par le pouvoir du roy d’Angleterre et par le conseil et enhortement de monseigneur Godefroy de Harrecourt, estoit par les Angloys, anciens ennemis du 447 royaume de France, chevauché, couru, robé, pillé et par feu essilé ce bon et plantureux pais de Normandie. Et quant le roy de France, qui se tenoit à Paris, entendit ces dures nouvelles, il fut tellement courroucé que plus ne povoit. Adonc il manda le bon chevalier monseigneur Jehan de Haynault, qui lors se tenoit dedens Bouchain, qu’il venist devers lui, et il y alla moult estoffeement et à belle compagnie de chevaliers de Haynault et d’autre part. Et pareillement le roy manda partout ses gens d’armes, là où il en pensoit recouvrer, et fit une moult grosse assemblée de ducs, de contes, de chevaliers, de nobles hommes et de gens de guerre de toutes sortes, et plus grant qu’il n’avoit esté veu cent ans devant. Et pour tant qu’il mandoit gens de tous costés en lointaines contrées, ils ne furent pas sitost venus ni assemblés; aincoys eurent le roy Edouart et ses Angloys trop piteusement couru et desolé le pais de Constantin et de Normandie, comme ci après sera encore plus amplement declaré. Ainsi vindrent au roy en son palais à Paris ces durs avertissemens, par maintes foys et par maints messages, comment le roy d’Angleterre, à grant baronnye et à grant povoir de gens d’armes, estoit arrivé au port de Sainct Wast et descendu en Constantin, si ardoit et detruisoit tout le pais devant lui, à dextre et à senestre. Adonc dist le roy Philippe et jura que jamais ne retourneroit le roy Edouard, ne ses Angloys, si n’auroyent esté combattus; et les domages et derobiers qu’ils faisoyent à ses subjects et à son pais, qu’ils desoloyent par feu et par glaive, leur seroyent cher vendu. Si fit le roy, tantost et sans delay, lettres escrire et seeller en grand nombre, et envoya premierement devers ses bons amis de l’Empire, pour tant qu’ils estoyent plus loin, au très gentil roy de Behaigne, que moult il aymoit, et aussi à monseigneur Charles de Behaigne son fils, qui dès lors s’appeloit roy d’Alemaigne, et en estoit roy notoirement, par l’ayde et pourchas de monseigneur Charles son père et du roy Philippes de France, et avoit jà enchargé les armes de l’Empire. Si les pria le roy de France, tant acertes comme il peut, qu’ils venissent à tout leur effort, car il vouloit chevaucher contre les Angloys, qui couroyent et ardoyent son pais sans tiltre et sans querelle et sans sommation nulle.

P. 143, l. 6: non.—Ms. A 29: et perceurent bien leur faute quand ils avoyent prins fiance en communauté. Quant les Angloys en veirent la manière, ils lez poursuivirent très aigrement. Adonc le connestable et le conte de Tancarville, et environ vingt et cinq 448 chevaliers, se boutèrent sur une porte à l’entrée du pont, à sauveté.

P. 148, l. 10: fremée.—Ms. A 29: de portes, de murs et de tours.

P. 148, l. 27: approchant.—Ms. A 29: la noble cité de.

P. 149, l. 16: Bourch le Royne.—Ms. A 29: et aucuns beaux manoirs qui apertenoyent aux bourgeois de Paris.

P. 149, l. 25: estoient.—Ms. A 29: Si tost que ceux de Paris qui estoyent en grand nombre, sceurent que le roy d’Angleterre et ses mareschaulx aprochoyent la cité de si près, car ils veoyent tout plainement les feus et les fumées à tous lés deçà Saine, si ne furent mie ceux de Paris bien asseurés, car elle n’estoit point adonc fermée de murs. Adonc s’emeut le roy Philippe, voyant ses ennemis ainsi aprocher et le grant domaige qu’ils faisoyent en son royaume, et fit abbattre les appentis de Paris, puis monta à cheval et s’en vint à Sainct Denis, là où le roy de Behaigne, monsigneur Jehan de Haynault, le duc de Lorraine, le conte Louis de Flandre, le conte de Blois et grant baronnie et chevalerie estoyent venus en moult grant arroy. Quant les bourgeoys de Paris veirent le roy partir pour les elongner, ils vindrent à luy, eux gettans à genoux, et dirent: «Ha, cher sire et noble roy, que voulez vous faire? Quant vous abandonnez ainsi vostre bonne cité de Paris, qui n’est fermée ne de tours ne de murs; et si sont nos ennemis à moins de deux lieues près. Tantost se viendront boutter à tous lés en la ville et par especial quand ils sçauront que vous en serez ainsi parti, et diront que vous les fuyez et que vous ne les osez attendre, et lors nous n’aurons qui nous defende ne garantisse contre eux. Et pour tant, cher sire, vueillez demourer ici, si aiderez à garder vostre bonne cité de Paris.» Le roy Philippe leur respondit et dit: «Mes bonnes gens de Paris, ne vous doutez de rien; jà les Anglois nevous approcheront de plus près. Je m’en vueil aller à Sainct Denis, devers mes gens d’armes qui là m’attendent, car à toute diligence je vueil chevaucher contre les Angloys et les combattre, comment qu’il soit.»

P. 150, l. 16: mances.—Ms. A 29: qu’on dict mantel royal.

P. 152, l. 17: fremée.—Ms. A 29: et garnie de planté de soudats.

P. 156, l. 24: armes.—Ms. A 29: Le roy d’Engleterre fut moult pensif tout le soir, et environ une heure devant le jour, lui 449 fut certifié par unes espies qui le suivoyent de loin secretement, car ils estoyent plus en l’host des François que des Anglois, moult bien parlant françoys, alemant et angloys, et planté d’autres, que pour vray le roy de France estoit le soir entré en Amiens et avoit plus de cent mille hommes: si venoyent à grand esploit de Paris le combattre à voulenté. Ces espies estoyent de Normandie. Quant le roy Edouard eut ouy parler le Normand, il se leva et appareilla, puis ouit messe devant soleil levant. Adonc il fit sonner ses trompettes de delogement. Lors monta le roy à cheval et partit de la ville d’Araines; et suivirent toutes manières de gens les bannières des mareschaulx, si comme le roy avoit commandé le jour de devant. Et ainsy chevauchèrent par ce gras pais de Vismeu, en approchant la bonne ville d’Abbeville.

P. 159, l. 18: lui.—Ms. A 29: tels qu’il les voudra eslire de sa compagnye. Quant les prisonniers qui là estoyent amenés, estroitement loyés et durement traictés, eurent entendu la parolle du roy d’Angleterre, il y en eut de tous rejouis; et entre les autres avoit un valet appelé Gobin Agace, qui s’avança de parler et dit au roy.

P. 160, l. 19: Blanke Take.—Ms. A 29: Quant le roy Edouart d’Angleterre fut par Gobin Agace, comme dict est, averti du passage de la Blanche Taque et de sa position, il estoit jà près de la nuit; et quant il eut souppé, il voulut aller reposer combien qu’il ne dormit guères, car il se leva et son fils le prince, dès la minuit: si furent armés; et tantost le roy fist sonner sa trompette de delogement. Adonc chascun entendit à soy appareiller et à charger sur les sommiers et charrettes, malles, bahus, bouges, coffres et bagages. Si se partit le dit roy et ses routtes de Oisemont en Vismeu, sur le point du jour, et chevauchèrent sous la conduite du dit Gobin Agace, tant qu’ils vindrent, environ soleil levant, sur l’entrée de ce que l’on clame la Blanche Tacque; mais le flus de la mer estoit adonc tout plein: si ne peurent mie si tost passer. Aussi bien convenoit il au roy illec attendre ses routtes qui venoient après lui. Si demoura là endroit jusques après prime que tout le flus fut retourné.

P. 160, l. 21: ailleurs.—Ms. A 29: s’ils ne vouloyent retourner dont ils estoyent venus, ce que faire ne pourroyent, pour les Françoys qui leur seroyent au devant.

P. 162, l. 22: forte.—Ms. A 29: et l’estours si terrible et si mortel que merveille seroit à penser; car pour le pas gaingner 450 et deffendre, maint vaillant homme y perdit la vie, et mainte belle apertise d’armes y eut faicte ce jour, du costé de France et du costé des Angloys.

P. 168, l. 11: car.—Ms. A 29: les Angloys trouvèrent la contrée moult plantureuse de vins, de chairs, de bleds, d’avoines et d’autres fourrages; et aussi pour les deffautes qui avenir pourroyent, planté de grandes pourveances par charroy suivoyent tousjours leur ost. Si entendirent ce jour à eux remettre à point et leurs chevaux ferrer, et à fourbir leurs armures.

P. 174, l. 28: Englès.—Ms. A 29: qui peurent bien veoir et comprendre à la verité planté du convenant des batailles du roy de France et de ses arbalestriers geneuoys, doit il avoit un grant nombre, et qui trop laschement s’y esprouvèrent, et des communautés des pais et des bonnes villes, cités et chasteaux du royaume de France, dont il y avoit sans conte et sans nombre, comme dict est, qui plus y feirent d’empeschement assez aux seigneurs et vaillans hommes que d’avancement. Et aussi j’en aprins ce que possible me fut, par les gentilshommes de monseigneur Jehan de Haynault, qui fut tousjours auprès de la personne du roy Phelippe de France.

P. 174, l. 30: France.—Ms. A 29: Le roy d’Engleterre, qui avoit ordonné ses gens d’armes et ses archers et autres pietons des marches de Galles et d’ailleurs en troys batailles tous à pied, et qui s’estoient mis à terre pour estre moins foulés au besoin, comme dict est, incontinent qu’il veit les François aprocher, il commanda que tout homme se levast ordonneement; et se rengèrent en leurs batailles, celle du prince de Galles tout premierement, dont les archers estoyent en manière d’une herse, et les gens d’armes tout au fons de la bataille. Le conte de Northanthonne, le conte d’Arondel, le sire de Roos, le sire de Ligi, le sire de Villebi, le sire de Basset, le sire de Saint Aubin et pluiseurs autres qui faisoyent la seconde, se tenoyent sus esle moult bel et ordonneement, pour conforter la bataille du prince, s’il besognoit. Vous devés savoir que les grans seigneurs, comme roys, ducs, princes et barons françoys, ne vindrent pas jusque devant la bataille des Angloys tous ensemble, mais venoyent l’un devant et l’autre derrière, sans ordre.

P. 176, l. 25: traire.—Ms. A 29: de gros carreaux.

P. 176, l. 32: perçoient.—Ms. A 29: leurs habillemens et navroyent à tous lés. Pluiseurs couppèrent les cordes de leurs 451 arbalestes, et disoient les aucuns: «Nous ne pouvons tirer de nos arbalestes, les cordes sont de la pluye fort retraictes.»

P. 177, l. 15: relevèrent.—Ms. A 29: Là entre ces Englès avoit pillars et bidaus, Gallois et Cornouaillois, qui portoyent grans coustilles et fort trenchans.

P. 178, l. 13: gens.—Ms. A 29: comme celuy qui ne voloit partir sans faire armes.

P. 178, l. 19: amoient.—Ms. A 29: l’eussent envis laissé.

P. 179, l. 17: quatre.—Ms. A 29: voire plus de six.

P. 181, l. 16: moult.—Ms. A 29: dangereuse et horrible, mortelle et sans pitié, car princes, roys, ducs, contes, barons, ne autres n’i estoyent receus à merci ne à rançon; et y advindrent maints haults faits d’armes, qui pas ne vindrent tous à conoissance.

P. 181, l. 24: occis.—Ms. A 29: car dès le matin le roy d’Angleterre et les barons de son ost avoyent ordonné et conclu que, s’ils avoient bataille aux François, jà homme ils ne prendroyent à rençon.

P. 184, l. 25: tout tart.—Ms. A 29: le roy de France, qui n’avoit à son departement que soixante hommes, qu’uns qu’autres, fut admonesté par monseigneur Jehan de Haynault, qui là estoit et l’avoit remonté une fois, ayant le coursier du roy esté occis par le trait, de se retirer, en lui disant: «Sire, pour Dieu, soyés content de vous retraire; il est plus que temps. Ne vous perdez mie si simplement. Si vous avés perdu à ceste fois, vous gangnerés à une autre.» Lors le print par le frein et l’emmena, ensi comme par force, en sus et en dehors des batailles; et paravant il l’avoit jà prié qu’il vousisist retraire, mais ce fu pour neant: dont il fu plus d’une foys en grant dangier.

P. 189, l. 27: merci.—Ms. A 29: Et me fu dict et certifié que, de gens de pié et communauté des cités et bonnes villes de France et du pais de Picardie et de Normandie, il en y eut de mors ce dimanche, pour tout le jour, plus de quatre foys autant que le samedi n’avoit eu à la bataille, qui tant fu dure et mortelle.

FIN DES VARIANTES DU TOME TROISIÈME.

NOTES

CHAPITRE LI.

[1]Cf. Jean le Bel, Chroniques, t. II, chap. LXI, p. 5 à 13.

[2]Froissart, reproduisant une erreur de Jean le Bel (Chroniques, t. II, p. 5), donne à la comtesse de Salisbury le nom d’Alice; elle s’appelait Catherine, et elle était fille de Guillaume de Grandisson.

[3]Par acte daté d’Eltham le 3 avril 1342, Édouard III charge l’évêque de Durham, Henri de Lancastre, comte de Derby, son cousin, Raoul de Nevill et 4 autres chevaliers, de traiter au sujet d’une trêve avec David de Brus, roi d’Écosse. (Rymer, Fœdera, vol. II, p. 1191.) Par un autre acte donné plus d’un an après le premier et daté de Westminster le 20 mai 1343, Edouard III enjoint aux mêmes de veiller sur la frontière d’Écosse à l’exécution de la dite trêve qui doit durer jusqu’à la Saint Michel 1343 et de là en trois ans. (Ibid., p. 1225.)

[4]Jean le Bel s’est trompé en rapportant cette trêve à l’année 1343 ainsi que l’arrivée de Robert d’Artois et d’Édouard III en Bretagne (Chron., t. II, p. 17); ces trois événements appartiennent à l’année 1342. Froissart a reproduit les erreurs de date de son devancier et de son modèle. La trêve entre Jeanne de Montfort et Charles de Blois est du 1er mars 1342, ainsi qu’il résulte de la pièce suivante: «Nous Jehane de Flandres, duchesse de Bretaingne, comtesse de Richemond, de Monffort et vicomtesse de Limoges, faisons savoir à touz que, oie la requete que nous a faite maestre Henri de Malestret de par nostre sire le roi de France, c’est à savoir sur l’otroi de seures et saufves trefves entre nous et nostre partie adverse dou débat qui pant en presant entre nostre très cher singnour de Bretaingne et de Monffort nous et noz effanz d’une partie, et monseigneur Charles de Blois à cause de la dame de Penthèvre sa famme, d’autre, sur la chaiète et sucession de la duché de Bretaingne, eue sur ce deliberacion et conssail de noz chevaliers, gentis homes, bourgois et menu commun, pour l’obeissance dou dit singnour et la bone esperance dou bien d’acort et de paiz, les avons otroiées et otroions par ces lettres ès noms que desus et pour touz ceulx de nostre partie juques à la quinzaine de Pâques prochènes venanz, en telle manière que, se la partie adversse les veult otroier et soi assantir et ce fermement comme dit est, nous voulons que nostre dit otroi soit valable de meitanant; et ou cas où elle ne s’i assantiroit, nous rappelons le desus dit otroy fait par nous, et voulons que ils soit de nulle value et dou tout mis à naiant. Donné tesmoen nostre grant sael et ensamlile o le sael nostre très cher et très aemé et féal bachelier monseigneur Tengui dou Chatel nostre cappitaine de Brest, tant pour li que pour ceulx de la ville de Brest, et le sael nostre aemé et féal bachelier monseigneur Henri de Kaer, le vendredi amprès Reminiscere l’an mil trois cens quarante et un» (1er mars 1342). Orig., 2 sc. pend, sur simple queue de parch.; 3e sceau en déficit. (Arch. nat., sect. hist., J 241, nº 41.)

Jeanne de Monfort devait être à Brest lorsqu’elle accorda cette trêve, car des lettres de sauvegarde qu’elle délivra aux habitants de Saint-Malo sont données «à Brest, le jour où l’on chante Reminiscere l’an MCCCXLI.» (J 241, nº 40.)

[5]Il n’est pas absolument impossible que la comtesse de Montfort, s’embarquant à Brest où elle se trouvait alors, ait profité de la trêve pour faire un voyage en Angleterre; mais les actes du temps n’en font pas mention. Au contraire, dans des lettres de quittance d’une somme de mille livres sterling empruntée le 10 mars 1342 à la comtesse, Édouard III dit qu’il a reçu cette somme per manus Walteri de Mauny (Rymer, Fœdera, vol. II, p. 1189); il parle, dans une autre pièce en date du 20 juillet de la même année, de demandes que Jeanne et Amauri de Clisson lui ont faites per litteras et nuncios (Rymer, ibid., p. 1205). Il est probable, comme l’a supposé Dacier, que Froissart, reproduisant une erreur de Jean le Bel (Chroniques, t. II, p. 10), a placé mal à propos sous cette année un voyage qui n’eut lieu qu’à la fin de juin ou au commencement de juillet de l’année 1344.

[6]Le 30 juillet 1342, Robert d’Artois était sur le point de s’embarquer pour la Bretagne avec cent vingt hommes d’armes et autant d’archers (Rymer, Fœdera, vol. II, p. 1201); le 15 août suivant, la flotte destinée pour la Bretagne était partie (Rymer, ibid., p. 1209). Cette rencontre sur mer entre la flotte de Robert d’Artois et celle de Louis d’Espagne est mentionnée par Jean le Bel (Chron., t. II, p. 12); mais tous les détails appartiennent en propre à Froissart. Le chanoine de Liége fait même précéder la simple mention du combat de réserves qui sont tout à fait de nature à nous prévenir contre les additions de Froissart: «Je ne sçay pas dire toutes les aventures qui leur sourvindrent, car je n’y fus pas, et ceulx qui m’en ont raconté m’en ont dit en tant de diverses manières que je ne m’en sçay à quoy tenir de la vérité. J’ay trouvé en ung livre rimé, que ung jongleur a fait, tant de bourdes et de menteries, que je ne les oseroie dire.» (Chron., t. II, p. 11.)

[7]En plaçant Dinan dans les environs de Vannes, Froissart répète une erreur qu’il a empruntée à Jean le Bel; mais rien n’obligeait le chroniqueur de Valenciennes à ajouter au récit de son devancier des détails qui semblent de pure invention. La prise de Vannes elle-même par Robert d’Artois, dont Froissart a trouvé la mention dans Jean le Bel (Chron., t. II, p. 12), est fort douteuse, car il n’y est fait nulle allusion dans une lettre assez longue d’Édouard III à son fils datée du siége devant Vannes le 5 décembre 1342 (V. Hist. Ed. III, par Robert d’Avesbury, éd. de 1720, p. 100 et 101). Jean le Bel dit à propos de ce siége de Vannes: «Et y avint de belles aventures et grandes proesses, d’ung costé et d’aultre, que je ne sçauroye pas raconter ne dire au vray; si vault mielx que je m’en taise.» (Chron., t. II, p. 12.) Il est certain que Jean le Bel se montre ici plus réservé que Froissart. Toutefois, il y a de bonnes raisons de penser que la réserve du chanoine de Liége aurait dû être plus grande encore.

[8]Aujourd’hui hameau de la commune de Priziac, Morbihan, ar. Napoléonville, c. le Faouët. V. sur ce nom de lieu le tome deuxième de notre édition, Sommaire, p. XLVIII, note 300.

[9]Morbihan, ar. Vannes.

[10]Aujourd’hui château de la commune de Sarzeau, Morbihan, ar. Vannes.

[11]La présence de Hervé de Léon à cette prétendue prise de Vannes par Robert d’Artois est une erreur que Froissart a empruntée à Jean le Bel (Chron., t. II, p. 12). Hervé de Léon, fait prisonnier dans une embuscade par Gautier de Mauny au mois de mai 1342 et amené le 7 juillet suivant à Londres, où il fut enfermé à la Tour, ne put se trouver à Vannes entre l’arrivée de Robert d’Artois et celle d’Édouard III en Bretagne, c’est-à-dire après le commencement d’août et avant le 5 octobre 1342, car il ne dut être relâché qu’après la conclusion de la trêve de Malestroit (janvier 1343). Jean le Bel, en disant que le même Hervé de Léon avait été au début partisan de Montfort (Chroniques, t. I, p. 229) a entraîné Froissart dans une autre erreur, car le vicomte de Léon, oncle de Jeanne de Penthièvre mariée à Charles de Blois, se montra dès le commencement de la lutte, de l’aveu des propres partisans de Montfort, l’adversaire déclaré de ce dernier (Preuves de l’histoire de Bretagne, par dom Morice, t. I, p. 1431). V. la dissertation de dom F. Plaine intitulée: De l’autorité de Froissart comme historien des guerres de Bretagne, p. 19. Nantes, 1871.

[12]Ce siége de Rennes, dont la mention est empruntée à Jean le Bel (Chroniques, t. II, p. 15), est tout aussi problématique que la prise de Vannes par Robert d’Artois.

[13]Robert d’Artois mourut entre le 6 octobre (Rymer, Fœdera, vol. II, p. 1212) et le 20 novembre 1342 (ibid., p. 1215); mais Jean le Bel (Chron., t. II, p. 13) et Froissart (p. 20 et 224) se trompent en le faisant mourir en Angleterre. Il résulte d’une charte d’Édouard III, datée de Westminster le 1er mai 1343, que la mort du comte d’Artois arriva en Bretagne: «... Nos, licet dictæ quadringentæ libræ ad prædicta debita ipsius Roberti, [qui] in dictis partibus (Britanniæ), diu ante dictum festum Paschæ, diem suum clausit extremum...» (Rymer, ibid., p. 1222.)

CHAPITRE LII.

[14]Cf. Jean le Bel, Chroniques, t. II, chap, LXII, p. 15 à 18.

[15]Édouard III s’embarqua à Sandwich (port du comté de Kent, à 4 l. n. de Douvres) le 5 octobre 1342 (Rymer, Fœdera, vol. II, p. 1212).

[16]Nous apprenons par une lettre d’Édouard III à son fils, donnée au siége de Vannes la veille de Saint Nicolas (5 décembre) 1342, dont Robert d’Avesbury nous a conservé le texte (Hist. Ed. III, éd. de 1720, p. 100), que Louis de Poitiers, comte de Valentinois, commandait alors la garnison de Vannes. Froissart se trompe lorsqu’il dit, dans la rédaction d’Amiens (p. 227), que Louis de Poitiers était à ce moment capitaine de Nantes.

[17]L’investissement de Nantes par Édouard III en personne est une erreur que Froissait a empruntée à Jean le Bel (Chron., t. II, p. 16). Les premières opérations du roi anglais en Bretagne furent dirigées contre Ploërmel, Malestroit (Morbihan, ar. Ploërmel), Redon, villes qui étaient au pouvoir des Anglais dès le 5 décembre 1342, date de la lettre d’Édouard III à son fils dont il est question plus haut. A cette même date, Amauri de Clisson, les seigneurs de Lyac (Loyat, Morbihan, ar. et c. Ploërmel), de Machecoille (Machecoul, Loire-Inférieure, ar. Nantes), de Reies (Retz ou Saint-Père-en-Retz, Loire-Inférieure, ar. Paimbœuf), de Ryeus (Rieux, Morbihan, ar. Vannes, c. Allaire), avaient fait soumission au roi d’Angleterre, qui, une fois maître de Ploërmel, de Malestroit et de Redon, mit le siége devant Vannes et se contenta d’envoyer vers les parties de Nantes son cousin de Northampton, le comte de Warwick et Hugh Spencer avec trois cents hommes d’armes (Hist. Ed. III, par Robert d’Avesbury, p. 99 et 100).

[18]Hervé de Léon avait été fait prisonnier dès le mois de mai 1342. V. plus haut, p. VI, note 11.

[19]L’armée du duc de Normandie dut se rassembler à Angers et se mettre en marche vers la Bretagne après le 12 novembre 1342. Par lettres du 12 nov. 1342, Philippe de Valois mande aux receveurs de Saintonge et du Poitou d’envoyer des vivres et des fourrages à Angers, pour l’armée que le duc de Normandie, son fils, doit conduire dans l’Anjou, le Maine et la Bretagne. (Arch. nat., sect. hist., k 43, nº 23.)—Original.

[20]Édouard III, dans la lettre à son fils datée du siége devant Vannes le 5 décembre 1342, se tait complétement sur ce siége de Rennes, qui par conséquent, s’il a eu lieu, doit être postérieur au 5 décembre; mais le silence du roi anglais rend le fait au moins douteux. Nous craignons qu’ici encore Froissart n’ait été moins réservé que Jean le Bel, qui dit en cet endroit: «Je ne m’ose plus avant entremettre de conter comment ces deux grandes assemblées se departirent, ne quelles aventures il y eut, car je n’y fus mye, et ja soit que je treuve en ces romans rimés dont j’ay parlé cy dessus biacop de choses, neantmoins, pource qu’elles sont plus plaines de mensonge que de vérité, je ne les ose dire.» (Chron., t. II, p. 18.)

[21]Froissart veut probablement parler d’Étienne Aubert, évêque de Clermont, fait cardinal par Clément VI la première année de son pontificat, et qui touchait, ainsi que les cardinaux d’Autun et de Périgord, 500 livres de rente sur la cassette de Philippe de Valois (De Camps, portef. 83, fos 149 et 150); mais d’après une bulle de Clément VI datée d’Avignon le 11 décembre 1342, les cardinaux envoyés pour négocier un arrangement entre les deux partis étaient Pierre des Prés, évêque de Palestrina, et Annibal Ceccano, évêque de Frascati. (V. Rymer, Fœdera, vol. II, p. 1216.)

[22]Froissart se trompe dans la rédaction de Rome (p. 245) en rapportant ces faits à Clément V, tandis qu’ils eurent lieu sous le pontificat de Clément VI qui succéda à Benoît XII en 1342.

[23]Édouard III se défiait beaucoup de la partialité des messagers du pape pour les Français, car il écrivait à son fils le 5 décembre: «Chiere filtz, sachez que le tierce jour que nous fusmes herbergés au dite siège, viendrent à nous un abbé et un clerc de par les cardinalx ovesque lour lettres pour nous requère de eaux envoier sauve conduyt pour venir devers nous; et nous disoient que, s’ils eussent conduyt, ils puissent estre devers nous entour les huit jours après. Et feissons nostre conseil respondre as ditz messagiers et deliverer à eux noz lettres de conduyt pour mesmes les cardinalx pour venir à la ville de Maltrait, à trente leages de nous, qu’estoit nadgairs renduz à nous et à nostre pees; qar nostre entent n’est pas qu’ils deivount pluis priés aproscher nostre ost que la dite ville de Malatrait pour plusours causes... mais qe, coment que les cardinalx veignent issint devers nous, nous ne pensoms mye delaier un jour de nostre purpos, qar nous poioms bien penser des delaiez qe nous avons eu, einz ces heures, par tretis de eaux et des aultres....» (Hist. Ed. III, par Robert d’Avesbury, p. 100 et 101.)

[24]C’est la célèbre trêve de Malestroit, ainsi nommée parce qu’elle fut conclue le 19 janvier 1343 dans le prieuré de Sainte-Madeleine de Malestroit, de l’ordre de Saint Benoît, au diocèse de Vannes.

CHAPITRE LIII.

[25]Cf. Jean le Bel, Chroniques, chap. LXII à LXIV, p. 18 à 28.

[26]Olivier de Clisson fut exécuté par jugement du roi, c’est-à-dire sans jugement régulier, le 2 août 1343. Voici le procès-verbal, jusqu’à présent inédit, de son exécution: «L’an de grace mil trois cens quarante trois, le semadi secont jour d’aoust, messires Oliviers, sires de Cliçon, chevaliers, prisonniers en Chastellet de Paris, pour plusieurs traisons et autres crimes perpetrez par lui contre le roy et la coronne de France et aliances qu’il avoit faites au roy d’Angleterre anemi du roy et du royaume de France, si comme li diz messires Oliviers le cognut et confessa, fu par jugement du roy donné à Orliens traynez du Chastellet de Paris ès Hales en Champiaus, et là ot sur un eschafaut la teste coppée. Et puis d’ileuc fu le corps trayné au gibet de Paris et là pendu au plus haut estage. Et la teste fu envoïe à Nantes en Bretaigne pour estre mise en une hante seur la porte de Sauvetout comme de traistre et cuida trahir la dite cité de Nantes à perpetuel memoire.» (Arch. nat., sect. jud., X2a 4, fº 186.)—Par acte du 22 août 1343, Philippe de Valois donne à son chambellan Thibaud, sire de Mateflon, les biens confisqués «dans la baillie de Caen, pour la forfaiture de Olivier, jadis seigneur de Clichon, qui pour ses meffaiz a esté mis à mort, notamment le manoir de Tuyt seant à l’un des bous de la forest de Cingueleis... les minières de fer de Biaumont qui pevent valoir cent livres tournois.» (Arch. nat., JJ75, p. 141, fº 72.)—En juin 1344, Jean, sire de Derval, reçoit 500 livrées de terre sur ce qui avait appartenu à feu Olivier de Clisson aux terres et appartenances de Goulaine et de l’Épine (Loire-Inférieure, ar. Nantes) JJ75, p. 185, fº 70.—Enfin, en août de la même année, il est fait don à Pierre Benoît, évêque de Léon, de 25 livres de rente annuelle en terre que possédait feu Olivier de Clisson dans la paroisse de Guémené (Loire-Inférieure, ar. Savenay) JJ75, p. 90.

[27]Ces chevaliers furent exécutés le samedi 29 novembre 1343. Le parlement instruisait leur procès, lorsqu’il reçut, le lundi 24 novembre, des lettres closes du roi conçues en ces termes: «De par le roy. Les gens de nostre parlement, Nous envoions à Paris nostre amé et feal chevalier Jehan Richer, mestre des requestes de nostre hostel, et nostre prevost de Paris, pour aucunnes besoignes touchans les prisonniers de Bretaigne. Si vous mandons que sour ce les creez de ce que il vous en diront de par nous. Donné à Poissi, le vingt troisième jour de novembre.» (Arch, nat., sect. jud., X2a 4, fº 208 vº.) Ce billet était un arrêt de mort. Voici le procès-verbal de l’exécution des chevaliers bretons. «L’an de grace mil trois cens quarante trois, le samedi vingt neuvième jour de novembre, veille de feste Saint Andriu apostre, messires Geufroi de Malatrait l’ainzné, messires Geufroi de Malatrait le jeune, messires Guillaume de Briex, messires Alain de Kedillac, messires Jehans de Montauban, messires Denis du Plaissié, chevaliers, Jehan Malart, Jehan des Briez, Raoulet des Briex, Jehan de Sevedain, escuiers, touz traistres et qui s’estoient armé de la partie du roy d’Angleterre et des anemis du roy de France et du royaume, et pour homicides, roberies, feux boutez et autres excès, crimes de majesté roial bleciée, si comme il le confessèrent, et plusieur confessèrent que il avoient fait aliance au roy d’Angleterre de le servir comme roy de France,—furent par jugement et par mandement du roy envoié au prevost de Paris par lettres seellées du seel de son secré, trayné du Chastellet de Paris duques en Champiaus ès hales, et là leur furent les testes copées sour un eschafaut. Et puis furent les corps trainez au gibet de Paris, et là furent penduz. A ceste exeqution faire furent present, du mandement le roy, li sires d’Offemont, li sires de Til, messires Pierre de Cuignières, messires Jehan du Chastellier, messires Jehan Richer, messire Jehan Haniere, messires Fauviau de Wadencourt, messires J. de Traversi et plusieurs autres.

«Copie de la lettre du roy envoïe seur ce [au] prevost de Paris. Philippe, par la grace de Dieu roy de France, au prevost de Paris ou à son lieutenant, salut. Nous te mandons et commettons que les chevaliers et escuiers qui ont esté amenez de Bretaigne, et lesquels furent hyer en nostre parlement et depuis envoiez en nostre Chastellet de Paris, tu au jour d’uy fai justisier, c’est assavoir trainer du dit Chastellet duques ès dittes hales, et ès dittes hales leur fay copper les testes, et puis les fay pendre au gibet de Paris, car nous comme traistres les condempnons à morir de la mort dessus dite. Et garde que en ce n’ait defaut, si cher comme tu doubtes à nous courrecier, et nous mandons à tous que en ce faisent te obeissent. Donné à Saint Germain en Laye, le vingt neuvième jour de novembre, l’an mil trois cens quarante trois. Saingué: par le roy, Lorriz.» (Ibid., fº 186 vº.)

[28]Ces chevaliers étaient accusés d’avoir voulu faire Godefroi de Harcourt duc de Normandie; condamnés le 31 mars 1344, ils furent exécutés le 3 avril suivant. M. Léopold Delisle a publié le procès-verbal de l’exécution. (Histoire du château et des sires de Saint-Sauveur-le-Vicomte, Pièces justificatives, p. 99.)

[29]Le 14 août 1344, donation est faite à Guillaume du Merle, chevalier, seigneur de Messy (Messei, Orne, ar. Domfront) du manoir de Cloé (aujourd’hui Clouay, château, Manche, ar. Saint-Lo, c. Saint-Clair, comm. Saint-Jean de Savigny) confisqué sur Guillaume Bacon, naguère supplicié pour crime de lèse-majesté. (Arch, nat., JJ82, p. 55.)

[30]Jean, sire de la Roche Tesson. La seigneurie de la Roche Tesson était située dans la paroisse de la Colombe (Manche, ar. Saint-Lo, c. Tessy). Les ruines du château sont encore marquées sur la carte de Cassini, au confluent de la Roche et de la Sienne.

[31]Le 14 août 1344, donation est faite à Robert de Dreux de 500 livres assises sur le manoir de Juaye (aujourd’hui Juaye-Mondaye, Calvados, ar. Bayeux, con Balleroy) et autres bien confisqués par la forfaiture «.... des autres chevaliers de Normandie qui furent naguère justiciez avec Richart du Persy, et en la terre d’Anneville confisquée sur le feu sire de la Roche Taisson mis à mort avec Richart du Percy.» (Arch, nat., JJ81, p. 251.)

[32]Par acte daté de Westminster le 26 février 1344, Édouard III donne commission à son maître charpentier William de Horle de faire choix dans toute l’Angleterre d’un certain nombre de charpentiers qui doivent coopérer sous ses ordres aux constructions de Windsor. Rymer, Fœdera, vol. III, p. 6.

[33]Froissart, dit Dacier, confond mal à propos l’institution de l’Ordre de la Jarretière avec celle de la fête de la Table Ronde, qui eut lieu cette année, suivant Walsingham et la plupart des historiens anglais. Il est possible que cet établissement ait fourni à Édouard III l’idée du second et en ait été l’origine; mais les mêmes historiens, dont l’autorité en ce point doit l’emporter sur celle de Froissart, s’accordent généralement à reculer la date de l’institution de l’Ordre de la Jarretière à l’année 1349, quelques-uns même à l’année suivante. (V. Hist. of the Garter, by Hel. Ashmole.) Ce ne fut que le 6 août 1348 qu’Édouard III fît reconstruire à Windsor cette magnifique chapelle de saint Georges qui subsiste encore, en y instituant un collége de vingt-trois chanoines et de vingt-quatre chevaliers; et les statuts de l’Ordre de la Jarretière portent la date de 1349.

CHAPITRE LIV.

[34]Cf. Jean le Bel, Chroniques, t. II, chap. LXVI et LXVII, p. 36 à 39.

[35]Jean le Bel rapporte, à tort, la campagne de Henri de Lancastre, comte de Derby, en Guienne et en Gascogne, à l’année 1344: «... et fut l’an de grace mil CCCXLIV, à l’entrée d’yver.» (V. t. II, p. 43.) Froissart a reproduit l’erreur chronologique commise par le chroniqueur qu’il reconnaît lui avoir servi de guide pour toute la partie de ses chroniques antérieure à 1350. Il est certain, comme Dacier l’avait parfaitement établi dès la fin du dernier siècle (V. Chroniques de Froissart, p. 233, note 1), que la campagne de Henri de Lancastre, comte de Derby, n’eut lieu qu’en 1345. Par lettres datées de Westminster le 14 avril 1345, Édouard III nomme Guillaume de Bohon, comte de Northampton, son lieutenant dans le royaume de France et le duché de Bretagne et le charge de défier Philippe de Valois (Rymer, Fœdera, vol. III, p. 36 et 37). Le 10 mai suivant, le comte de Derby est nommé capitaine et lieutenant du roi d’Angleterre dans le duché d’Aquitaine et ses dépendances (Ibid., p. 37); et le 20 mai, il reçoit des lettres de protection pour lui et les compagnons d’armes qui doivent faire partie de l’expédition (Ibid., p. 39). Le 26 mai, le roi d’Angleterre adresse des lettres au pape pour lui signifier la rupture de la trêve et la déclaration de guerre à la France; le 11 juin, il somme tous les hommes d’armes et archers de rejoindre le comte de Derby à Southampton; enfin, le 15 du même mois, il ordonne des prières publiques par tout son royaume (Ibid., p. 41, 44, 45).

[36]Le 17 mai 1345, des lettres de protection pour passer en Bretagne furent en effet delivrées à Thomas d’Agworth (Rymer, vol. III, p. 38); mais il servait sous les ordres de Guillaume de Bohon, comte de Northampton, nommé capitaine et lieutenant du roi en Bretagne, par lettres du 24 avril 1345 (Ibid., p. 37).

[37]Tout le reste de ce chapitre appartient en propre à Froissart ou du moins n’est pas emprunté à Jean le Bel.

[38]Aujourd’hui hameau de la commune de Saint-Laurent-des-Vignes, Dordogne, arr. et c. Bergerac. Montcuq avait une garnison anglaise le 15 août 1345. A cette date, Henri de Montigny, sénéchal de Perigord et de Querci, en faisait le siége. Une quittance délivrée par ce chevalier à Bernard Ramundi, baile royal, est datée «... in castris ante Montem Cucum sub sigillo nostro, XVº die augusti, Mº CCCº XLº quinto.» (Bibl. nat., Dép. des Mss., Cabinet des Titres, Orig., au mot Montigny.) Cette charte a été publiée par M. Bertrandy dans son Étude sur les Chroniques de Froissart, p. 32, note 1. Bordeaux, A. de Lanefranque, 1870, in-8. Nous tenons à dire ici bien haut que, pour toute cette campagne de Derby, nous avons souvent fait usage de l’utile travail de M. Bertrandy, composé en grande partie, l’auteur ne nous saura pas mauvais gré de l’ajouter, d’après les précieux documents recueillis par M. Lacabane.

[39]D’après une chronique manuscrite placée en tête des Coutumes de Bordeaux, de Bergerac et du Bazadais et signalée par dom Vaissète, la prise de Bergerac eut lieu le 24 août 1345: «L’an mil CCCXLV, fo pres Bragueyrac, en Peyregort, per lo conte Darvi, lo jorn de sent Bertomyu. (Bibl. nat., dép. des mss., fonds français, nº 5361, fº 1 rº.) D’après la rédaction de Rome (p. 268), un certain nombre d’habitants de Bergerac aimèrent mieux quitter leur ville que de se soumettre aux Anglais. Cette dernière version, plus vraisemblable que celle des deux rédactions antérieures, est confirmée par un acte d’accord entre le comte de Derby et les frères d’Albret, seigneurs de Vayres (Gironde, ar. et c. Libourne), acte daté de Bergerac le 11 septembre 1345, par lequel Derby laisse notamment auxdits frères la faculté de rappeler les gens de Bergerac «.... potestatem reappellandi et convocandi gentes Bregeraci de redeundo ad villam predictam, perdonandi, graciam faciendi...» (Arch. dép. des Basses-Pyrénées, orig. parch.) Cet acte a été signalé et publié par M. Bertrandy, Études, etc., p. 36 à 38, note 1.

[40]Il existe un Langon (Gironde, ar. Bazas), mais il est à une trop grande distance de l’itinéraire suivi par Derby. Lanquais (Dordogne, ar. Bergerac, c. Lalinde), proposé par M. Ribadieu (Les Campagnes du comte Derby, p. 24, Paris, 1865, in-12), s’adapte bien comme situation, sinon comme nom, au récit de Froissart.

[41]Dordogne, ar. Bergerac, c. Beaumont, à peu de distance de Lanquais.

[42]Dordogne, ar. Bergerac, c. Laforce. La localité appelée aujourd’hui les Lèches est désignée au moyen âge par les formes las Lechas, de Lerches, de las Lescas (Noms anciens de lieux du département de la Dordogne, par M. le vicomte de Gourgues, p. 122). Ces formes donnent une certaine vraisemblance à l’identification du Lac de Froissart avec les Lèches proposée par M. Bertrandy (Études, etc., p. 71).

[43]Aujourd’hui hameau de Saint-Pierre-d’Eyraud, Dordogne, ar. Bergerac, c. Laforce.

[44]Aujourd’hui Lamonzie-Montastruc, Dordogne, ar. et c. Bergerac.

[45]A Paunat proposé par M. Ribadieu, M. Bertrandy préfère avec raison (Études, p. 46) Pinac, aujourd’hui disparu, mais qui existait au moyen âge avec une église, ecclesia de Pinac, et faisait partie de l’archi-prêtré de St-Marcel (Dordogne, ar. Bergerac, c. Lalinde), au diocèse de Périgueux.

[46]Dordogne, ar. Bergerac. Le château de Lalinde, avec la haute et basse justice et le revenu appelé vulgairement le petit commun de Clarenxs, fut donné par Derby à Thomas Coq en récompense de ses services. (Bertrandy, Études etc., p. 44, note 2.)

[47]Dordogne, ar. Bergerac. Laforce se rapproche assez mal, comme forme, du Forsach de Froissart, mais il se rapporte bien, comme situation, au récit du chroniqueur. Ce qui est certain, c’est que Laforce était au pouvoir des Anglais avant le mois de septembre 1345. Par acte daté de Bergerac le 2 septembre 1345, Derby confirme la cession de la haute et basse justice dans les paroisses de Laforce et de Lunas, en la châtellenie de Bergerac, dont il avait antérieurement récompensé les services d’Hélie Prévôt, damoiseau de Laforce (Bibl. nat., dép. des mss. Périgord, vol. 52, fº 59). V. Bertrandy, Études etc., p. 33, note 1.

[48]Cette fortification, qui fut probablement ruinée de bonne heure, n’est point marquée sur la carte de Cassini ni sur les plus anciennes cartes du Périgord.

[49]Aujourd’hui Beaumont-du-Périgord, Dordogne, ar. Bergerac.

[50]Dordogne, ar. Ribérac.

[51]Dordogne, ar. Périgueux, c. Brantôme.

[52]Aujourd’hui hameau de la commune de Fossemagne, Dordogne, ar. Périgueux, c. Thenon.

[53]Il y eut un complot pour livrer Périgueux aux Anglais entre le 24 juin et le 6 août 1345 (Bibl. nat., mss. Lespine, Périgord, vol. 49, fº 112 bis). V. Bertrandy, Études etc., p. 49, 50, note 1 et p. 51.

[54]Gironde, ar. la Réole. Pellegrue fut pris par les Anglais, ainsi que l’affirme Robert d’Avesbury (Hist. Ed. III, p. 122) et ainsi qu’il résulte d’une charte d’Édouard III datée de Westminster le 12 août 1348. V. Bertrandy, Études etc., p. 64, note 3 et p. 65. Froissart lui-même, dans la rédaction de Rome (p. 279) a corrigé l’erreur qu’il avait commise à ce sujet dans les deux rédactions antérieures (p. 60 et 278).

[55]Aujourd’hui hameau de la commune le Change, Dordogne, ar. Périgueux, c. Savignac-les-Églises.

[56]Dans l’acte de la vente du château d’Auberoche faite en novembre 1346: au cardinal Talleyrand de Périgord, il est dit que ce château fut livré aux Anglais par trahison: «... proditorie et aliter indebite et injuste occupatum et captum...» Arch. nat., JJ76, p. 396, fos 241 et 242. C’est sans doute cette vente d’Auberoche à un cardinal, anticipée et dénaturée par Froissart, qui fait dire à notre chroniqueur dans la rédaction de Rome (p. 279 et 280) que la ville d’Auberoche appartenait à un haut dignitaire ecclésiastique qui «se tenoit en Avignon dalés le pape.»

[57]Derby n’eut pas à s’emparer de Libourne, car cette ville ne cessa d’être au pouvoir des Anglais pendant les années 1345 à 1348. Froissart ici encore, en ne mentionnant pas cette prise imaginaire de Libourne, a corrigé dans la rédaction de Rome (p. 280) une erreur qui lui avait échappé dans les rédactions antérieures (p. 61 et 279). Il aurait dû ne pas s’arrêter en si bon chemin et supprimer aussi la rentrée non moins imaginaire de Derby à Bordeaux.

[58]Cet épisode fort invraisemblable a été supprimé dans la rédaction d’Amiens (p. 284 et 285).

[59]D’après la rédaction de Rome (p. 286), c’est de Libourne que serait parti le comte de Derby.

[60]Froissart commet une erreur en fixant la date de la bataille d’Auberoche à la veille (p. 71) ou au lendemain (p. 290) de la Saint-Laurent, 9 ou 11 du mois d’août 1344. La campagne de Derby eut lieu, contrairement à l’assertion de Jean le Bel adoptée par Froissart, en 1345, non en 1344. Et quant au mois, la date donnée par Villani est la plus probable. Or, d’après cet historien, l’action commença le 21 octobre à la pointe du jour, «... à la punta del di, a di 21 d’octobre» Muratori, Rerum Italicarum scriptores, tome XIII, col. 927. Le témoignage de Villani est confirmé par une chronique anonyme placée en tête des Coutumes de Bordeaux, etc., où on lit que «l’an MCCCXLV fo la batallia dabant Albarocha en Peyregort, lo jorn de Sent Sevrin.» Bibl. nat., dép. des mss., fonds français, nº 5361, fº 1 rº. saint Seurin ou saint Séverin a trois jours de fête, le 21, le 23 et le 29 octobre. En choisissant le 21, on met d’accord le chroniqueur français anonyme et l’annaliste italien. V. Bertrandy, Études etc., p. 114 et 115.

[61]Le comte de l’Isle (Bertrand de l’Isle-Jourdain) était encore prisonnier des Anglais le 6 mai 1346, jour où des lettres d’Etat lui furent octroyées par Philippe de Valois. Bibl. nat., dép. des mss., Parlement 12, fº 242 vº. V. Bertrandy, Etudes etc., p. 124.

[62]Froissart se trompe: Louis de Poitiers, 1er du nom, comte de Valentinois et de Diois, fils d’Aymar IV, fut tué à Auberoche, et non fait prisonnier, comme l’affirme notre chroniqueur.

[63]Le comte de Périgord ne fut sans doute pas fait prisonnier à Auberoche, puisque dans le mois qui suivit la bataille, c’est-à-dire en novembre 1345, un accord intervint entre Jean, duc de Normandie et le comte du Périgord en vertu duquel ce dernier s’engage à défendre son comté à la tête de 200 hommes d’armes et de 400 sergents. Bibl. nat., dép. des mss., fonds Doat, vol. 243, fol. 160 et suiv. V. Bertrandy, Études etc., p. 95 et 96.

[64]Pierre Raymond, comte de Comminges. Le 17 décembre 1346, le duc de Bourbon, lieutenant en Languedoc, donna à Roger de Comminges, chevalier, seigneur de Clermont-Soubeiran, 2,000 tournois pour se racheter (Comptes de la sénéchaussée de Beaucaire cités par dom Vaissète, Hist. du Languedoc, t. IV, p. 255); mais il ne faut pas confondre Roger de Comminges avec Pierre Raymond, comte de Comminges.

[65]Si Arnaud de la Vie, vicomte de Villemur, fut fait prisonnier à Auberoche le 21 octobre 1345, il était libre le 10 juin 1346, jour où le roi de France lui octroya des lettres d’Etat. Bibl. nat., dép. des mss., Parlement 12, fº 249. V. Bertrandy, Études etc., p. 119.

[66]Arnaud d’Euze ou d’Evèze, vicomte de Caraman, n’avait pas encore payé sa rançon à la date du 30 mai 1346; «car à cette date, dit M. Bertrandy (Études, p. 124, note 3), les habitants de Montricoux (Tarn-et-Garonne, ar. Montauban, c. Négrepelisse), localité dont Arnaud était seigneur, engagèrent les revenus communaux de la Devèze et du port de Montricoux, à l’effet de concourir, pour une somme de 200 livres de petits tournois, au payement de la rançon de leur seigneur.» Orig., Archives de M. le vicomte de Malartic.

[67]Le sénéchal de Querci, tué à Auberoche, fut sans doute Henri de Montigny, qui remplissait encore ces fonctions le 15 août 1435, et dont une lettre de Philippe de Valois au receveur de Cahors, datée de Vincennes, le 3 février 1347 (n. st.), mentionne la mort. [Bibl. nat., dép. des mss., Orig. du Cab. des Titres, au mot Montigny.] D’un autre côté, le sénéchal de Querci était le 27 novembre 1345 Guillaume de Montfaucon, seigneur du Verdrac, capitaine général et sénéchal de Périgord et de Querci, à qui le duc de Normandie signifie qu’il a donné au comte de Périgord toute la terre ayant appartenu, dans le diocèse de Périgueux, au seigneur de Montfaut, partisan des Anglais. Bibl. nat., dép. des mss., fonds Doat, vol. 243, fº 158. V. Bertrandy, Études, etc., p. 121, note 1, et p. 129.

[68]Agout des Baux, sénéchal de Toulouse et d’Alby dès 1342, fut sans doute fait prisonnier à Auberoche, comme l’affirment Villani et Froissart, car dès le 6 novembre 1345, Girard de Montfaucon, chevalier, était sénéchal de Toulouse, probablement au lieu et place d’Agout des Baux (Bibl. nat., dép. des mss., Titres scellés, vol. I, fº 319); et, d’un autre côté, le 15 janvier 1347 (n. st.) Agout des Baux était redevenu gouverneur et sénéchal de Toulouse et d’Alby (Bibl. nat., Titres scellés, vol. 9, au mot Barbazan).

[69]Le seigneur dont il s’agit ici est Raymond Jourdain de Tarride, auquel Jean, duc de Normandie donna, en août 1346, trois cents livres tournois de rente annuelle à asseoir en la sénéchaussée de Toulouse pour ses services en Flandre et en Guienne. Arch. nat., JJ82, fº 380, p. 255.

[70]Roger était oncle, d’après la première rédaction (p. 70), et d’après la troisième (p. 289), frère du comte de Périgord.

[71]Aymar de Poitiers, cinquième fils d’Aymar IV du nom, seigneur de Chalançon, puis de Veyne le 11 juillet 1345, ne fut pas tué, mais seulement fait prisonnier à Auberoche; et Jean, duc de Normandie, par lettres du 25 novembre 1345, confirmées le 31 décembre 1350, lui donna 300 livres tournois en récompense de ses services (Anselme, Hist, généal., t. II, p. 195). Hautecuer de Poitiers, auquel le duc de Normandie donna, par lettres datées «ès tentes devant Aiguillon, le 29 avril 1346» cent livres «pour soi remonter et armer» et qui fut aussi pris par les ennemis à Auberoche, appartenait sans doute à la même famille que Louis et Aymar de Poitiers.

[72]Sur cet énigmatique vicomte de Murendon qui aurait été tué à Auberoche, voyez le t. I de cette édition, p. CCXLV du sommaire, note 378. «Lo vescomte de Monredon» est mentionné dans une montre de 1376 parmi les parents de Gaston Phœbus, comte de Foix. V. Rôles de l’armée de Gaston Phœbus (1376-1378) publiés par P. Raymond, p. 40. Bordeaux, 1872, in-4º.

[73]Amauri IV, vicomte de Lautrec et seigneur d’Ambres, ne fut pas tué, mais seulement fait prisonnier; il n’avait pas encore recouvré sa liberté au mois de mai 1346; il perdit à Auberoche Pons, sous-sergent d’armes et prévôt de Réalmont, écuyer de sa suite. Il avait obtenu du roi de France dès le 28 novembre 1345 des lettres de sauvegarde. Dom Vaissète, Hist. de Languedoc, t. IV, p. 255.

CHAPITRE LV.

[74]Froissart voit, à tort, une seconde campagne de Derby là où il n’y eut en réalité que la continuation de la campagne inaugurée par ce capitaine en juillet 1345: c’est une conséquence de l’erreur qui lui a fait rapporter, d’après Jean le Bel, le commencement de la campagne à l’année 1344.

[75]Cf. Jean le Bel, Chroniques, t. II. chap. LXV, p. 29 à 33 et chap. LXVII, p. 40 à 43.

[76]Ce curieux passage, qui ne se trouve que dans la rédaction d’Amiens (p. 293), est une réfutation du chapitre LXV de Jean le Bel.

[77]Froissart se trompe. La chevauchée de Derby contre la Réole est postérieure au 8 octobre 1345, puisque dans des lettres qui portent cette date et par lesquelles Édouard III donne à Raymond Seguin la bladerie de la Réole, le roi anglais ajourne l’entrée en jouissance au moment où la Réole sera retombée entre les mains des Anglais (Arch. hist. de la Gironde, t. II, p. 419; Bertrandy, Études etc., p. 142).

[78]Derby n’eut pas à quitter Bordeaux, où il n’avait point passé ses quartiers d’hiver. La bataille d’Auberoche ayant été livrée le 21 octobre 1345, et la prise de la Réole par les Anglais étant antérieure au 26 janvier 1346, date d’une concession faite par Édouard III aux habitants de cette ville, la chevauchée contre la Réole dut suivre immédiatement l’affaire d’Auberoche. D’ailleurs, Robert d’Avesbury dit formellement que Derby, après sa victoire d’Auberoche, poursuivit sans discontinuer pendant tout l’hiver ses opérations militaires: «subsequenterque per totum yemem subsequentem ibidem se strenue gessit.» (Hist. de mirabilibus gestis Edwardi III, p. 122.) Froissart lui-même, en mentionnant le passage de Derby à Bergerac, rend tout à fait invraisemblable son départ de Bordeaux, tandis qu’au contraire Bergerac est sur le chemin d’Auberoche à la Réole.

[79]Lot-et-Garonne, ar. et c. Marmande, sur la rive droite de la Garonne, en amont de la Réole.

[80]Nous identifions la Roche Millon de Froissart avec Meilhan, chef-lieu de canton de Lot-et-Garonne, ar. de Marmande, voisin de la Réole. Cette heureuse identification a été proposée pour la première fois par M. Ribadieu, Les campagnes du comte de Derby en Guyenne, p. 46, note 1.

[81]Jean le Bel, dont Froissart ne fait ici que développer le texte, dit à propos de Monségur (Chroniques, t. II, p. 40): «et puis aprez le fort chastel et grosse ville de Monségur, qui siet sur une grosse rivière appellée Lot.» Cette phrase prouve avec évidence que Jean le Bel et après lui Froissart entendent parler de Monségur, Lot-et-Garonne, ar. Villeneuve-sur-Lot, c. Monflanquin, et non de Monségur-Gironde, ar. la Réole, sur la rive gauche du Drot, comme le suppose M. Bertrandy (Études etc., p. 160). Il est probable que Derby, après sa victoire d’Auberoche, sépara son armée en deux corps, chargés d’opérer, l’un sur les bords de la Garonne, l’autre sur les rives du Lot; au premier, qui avait la Réole pour objectif, reviendraient les affaires de Sainte-Bazeille et de Meilhan; au second, dont Aiguillon était le point de mire, devraient être rapportées les entreprises contre Monségur sur Lot et Castelsagrat. Faute d’avoir supposé cette division en deux corps d’armée, que les nécessités stratégiques rendent au moins vraisemblable, Jean le Bel et Froissart ont été amenés à confondre deux mouvements de troupes parfaitement distincts et à présenter comme successives des opérations qui ont pu être simultanées.

[82]Lot-et-Garonne, ar. Agen, c. Port-Sainte-Marie, au confluent de la Garonne et du Lot. Aiguillon était déjà au pouvoir des Anglais le 10 décembre 1345, jour où Raoul, baron de Stafford, sénéchal de Guyenne, y donne à Guillaume de Lunas, co-seigneur d’Aiguillon, partisan des Anglais, un droit de péage sur la Garonne et le Lot vendu par Astorg de Lunas, père de Guillaume, aux frères Sornard traités comme rebelles parce qu’ils n’ont pas encore abandonné la cause du roi de France. (Bibl. nat., mss. Bréquigny, t. 28, fº 279). V. Bertrandy, Études etc., p. 188. Raoul de Stafford était sans doute le chef du corps d’armée qui avait été chargé d’opérer sur les bords du Lot avec Aiguillon pour objectif, tandis que Derby en personne opérait sur la Garonne contre la Réole. Il n’y a pas de témérité à supposer que ce Guillaume de Lunas, dont il est question dans la charte de Raoul de Stafford, et un autre co-seigneur d’Aiguillon, nommé Raimfroid de Monpezat, jouèrent un rôle décisif dans cette reddition si facile et si prompte de l’importante forteresse d’Aiguillon. Les faveurs signalées dont ces deux seigneurs, et surtout celui de Monpezat, furent comblés par le roi d’Angleterre, autorisent pleinement cette supposition. En effet, par lettres datées de Westminster le 20 août 1348 (Bibl. nat., mss. Bréquigny, t. 75, fº 210; Bertrandy, Études etc., p. 154, note 1), Édouard III confirme la donation faite par Derby à Raimfroid de Monpezat des lieux de Sancto Sacerdocio (Saint-Sardos, Lot-et-Garonne, ar. Agen, c. Prayssas) et de Sancto Damiano (Sanctus Damianus désigne Monpezat où une église était, si elle n’existe pas encore, sous l’invocation de saint Damien; ce ne peut être Saint-Amans? comme le suppose M. Bertrandy), toute juridiction au lieu dit de Podio Bardaco (Pech-Bardat, hameau de la comm. de Lacépède), sur les paroisses de Sancte Fidis (Sainte-Foi-de-Pechbardat, hameau de Lacépède; et non La Fitte, comme le suppose M. Bertrandy) et de Cepeda (Lacépède, Lot-et-Garonne, ar. Agen, cant. Prayssas), des droits pareils dans les paroisses de Sancto Michaele de Bas (Saint-Michel, auj. hameau de la comm. de Dolmayrac, Lot-et-Garonne, ar. Villeneuve-sur-Lot, cant. Sainte-Livrade; et non Sembas? comme le suppose M. Bertrandy) et de Sancto Calvario de Reda (Rides, auj. hameau de la comm. de Cours, Lot-et-Garonne, ar. Agen, cant. Prayssas; et non Saint-Caprais et Ridès, comme l’affirme M. Bertrandy); il le réintégra dans les possessions de ses prédécesseurs au lieu ou territoire de l’abbaye de Payrinhaco (Pérignac, aujourd’hui hameau de la commune de Monpezat).

[83]Nous identifions avec Dacier (p. 254 de son édition) et M. Ribadieu (Campagnes de Derby, p. 49, note 1) Segrat, Sigrat, Sograt, Segart de Froissart (p. 80 et 300) avec Castelsagrat, Tarn-et-Garonne, ar. Moissac, cant. Valence-d’Agen. L’occupation de Castelsagrat par les Anglais est postérieure au 21 novembre 1345, jour où dix-sept localités de l’Agenais, parmi lesquelles figure Castelsagrat, envoient Pierre de Caseton vers le roi de France avec une lettre de créance; d’un autre côté, elle est antérieure au 5 avril 1346, car à cette date les consuls d’Agen, invités à fournir un contingent à Jean, duc de Normandie, pour le siége d’Aiguillon, motivent leur refus sur ce que les Anglais occupent plusieurs localités de l’Agenais menaçantes pour leur ville, entre autres, Castelsagrat (Arch. comm. d’Agen, BB1; Bertrandy, Études etc., p. 157 et 158). Le 22 juillet 1348, Édouard III donna à Gaillard de Durfort, seigneur de Blanquefort et de Duras, les bastides et lieux de Miramont et de Castelsagrat, au diocèse d’Agen, de Molières et de Beaumont, au diocèse de Sarlat (Bibl. nat., mss. Bréquiguy, t. 28, fº 207; Bertrandy, Études etc., p. 158, note 2 et p. 150).

[84]La rédaction d’Amiens, en prêtant à la ville de la Réole aussi bien qu’au château une résistance énergique (p. 301), s’écarte plus de la vérité que les deux autres rédactions, car il résulte de plusieurs documents authentiques, et notamment des termes d’une donation faite par Derby le 26 janvier 1346 (Archives historiques de la Gironde, t. I, p. 302; Bertrandy, Études etc., p. 162 et 163), que les habitants de la Réole se soumirent d’eux-mêmes et de bonne grâce: sponte et gratis ad fidelitatem et obedienciam veniendo. Derby se montra reconnaissant. Par acte daté de la Réole le 26 janvier 1346, il affranchit de tous droits d’octroi, dans la ville de Bordeaux, les vins recueillis sur les vignobles appartenant aux habitants de la Réole dans le ressort et district de cette ville (Bibl. nat., mss. Bréquigny, t. 28, fº 95; Bertrandy, Études etc., p. 163, note 1.)

[85]Ce prélat se nommait Pierre de Lévis; il était le troisième fils de Guy de Lévis, seigneur maréchal de Mirepoix et d’Isabel de Montmorency-Marly. Le neveu de l’évêque, qui fut tué par le Borgne de Mauny dans le tournoi dont il s’agit, s’appelait Roger de Lévis; il était fils de Jean de Lévis, premier du nom, seigneur de Mirepoix, et de Constance de Foix. Froissart commet un anachronisme, en disant que Pierre de Lévis était de ceux de Buch (p. 85 et 306), car le premier mariage qui unit les maisons de Grailly-de-Buch et de Foix est de 1343. (V. Bertrandy, Études, p. 205.)

[86]Les Lévis-Mirepoix et les Mauny portaient les mêmes armes: d’or à trois chevrons de sable. Ce fut sans doute cette similitude qui, selon l’ingénieuse hypothèse de M. Lacabane, fit dégénérer le tournoi de Cambrai en un combat à outrance entre Roger de Lévis et les trois frères de Mauny. V. Bertrandy, Études, p. 205 à 208.

[87]Le siége de la Réole par Charles, comte de Valois, est de l’an 1324. Le 14 novembre 1325, Charles le Bel accorda des lettres de grâce à Jean de Lévis, chevalier, seigneur de Mirepoix, frère de Roger de Lévis, sur le fait de la mort de Jean, dit le Borgne de Mauny, et de Mathieu dit Le Monnier tués: «in exercitu nostro Vasconie novissime preterito vel prope dictum exercitum.» Arch, nat., JJ62, p. 505.

[88]Sur Agout des Baux, sénéchal de Toulouse, voyez plus haut, p. XVII, note 68.

[89]D’après la rédaction de Rome (p. 310), les habitants de Monpezat ne soutinrent pas de siége et se rendirent simplement à Derby. Cette dernière version est plus vraisemblable que celle que Froissart, dans ses deux premières rédactions (p. 91 et 309), avait empruntée à Jean le Bel (t. II, p. 41). Il est probable que la reddition de Monpezat, comme celle d’Aiguillon, fut due à l’influence de Raimfroid, seigneur de Monpezat et co-seigneur d’Aiguillon. Les donations dont nous avons vu plus haut que ce chevalier fut comblé par Derby, donations qui furent confirmées par Édouard III le 4 septembre 1347 (Bibl. nat., mss. Bréquigny, t. XXVIII, fº 123) et le 20 août 1348, ces donations, dis-je, furent sans doute la récompense de ces deux signalés services.

[90]Aujourd’hui Castelmoron-sur-Lot, Lot-et-Garonne, ar. Marmande. La rédaction de Rome (p. 310) ne mentionne pas cette prise de Castelmoron par Derby, racontée par Froissart d’après Jean le Bel qui l’attribue à une ruse d’Alexandre de Caumont. Quoiqu’en dise M. Ribadieu (Les campagnes du comte de Derby, p. 55, note 1), il y avait d’étroites relations entre Caumont et Castelmoron, comme le prouve une donation faite le 21 janvier 1339 par Jean, roi de Bohême, à Pierre de Galart, des biens que «... Arnaut de Cautrain, rebelles du roy nostre sire à Caumont, a ou puet avoir ou lieu de Chastiau Mauron.» Arch. nat., sect. hist., JJ63, fº 193, p. 247. D’après un registre des délibérations communales d’Agen, Castelmoron fut pris par les Anglais le 8 janvier 1347.

[91]Aujourd’hui Villefranche-du-Queyran, Lot-et-Garonne, ar. Nérac, c. Casteljaloux.

[92]«Quant li contes Derby, dit Froissart (p. 93) eut fait sa volenté de Villefrance, il chevauça vers Miremont, en raproçant Bourdiaus.» Ces dernières expressions prouvent qu’il s’agit de Miramont, Lot-et-Garonne, ar. Marmande, c. Lauzun.

[93]Lot-et-Garonne, ar. Marmande.

[94]Lot-et-Garonne, ar. Nérac.

[95]Cette expédition de Derby en personne dans l’Angoumois à la fin de 1345 et au commencement de 1346, est une erreur historique où Froissart a été induit par la désignation chevaleresque et romanesque donnée par Jean le Bel à Agen que le chroniqueur liégeois (t. II, p. 42) appelle «la cité d’Agolem ou d’Agolent», sans doute en souvenir du siége fabuleux soutenu dans cette ville par le sarrazin Agolant contre Charlemagne (v. plus bas, p. XXIX, note 124). Du reste la prise d’Agen en 1345 par Derby dans Jean le Bel n’est pas plus exacte que celle d’Angoulême dans Froissart. Il faut dire toutefois que ce dernier chroniqueur a pris soin de se corriger lui-même, en ne mentionnant pas ce siége et cette reddition imaginaires d’Angoulême dans la dernière rédaction de ses Chroniques, c’est-à-dire dans le texte de Rome (p. 311 à 313). Il appert de titres authentiques que le Limousin (Arch, nat., JJ76, p. 290), la Saintonge (Arch. nat., JJ76, p. 321, fº 195 et fº 166), notamment les châtellenies de Soubise et de Taillebourg (Arch. nat., JJ77, p. 34) et même le Poitou (Arch. nat., JJ77, p. 51) et l’Angoumois (Arch. nat., JJ75, p. 6), il appert, dis-je, de plusieurs titres authentiques que le Limousin, la Saintonge, le Poitou et l’Angoumois furent le théâtre d’escarmouches nombreuses et d’hostilités continuelles entre Français et Anglais pendant les derniers mois de 1345 et les premiers mois de 1346; mais il n’est nulle part question du siége et de la prise d’Angoulême par les Anglais. Dans tous les cas Derby, dont la présence à cette époque dans le Périgord, l’Agenais et le Bordelais est attestée par les documents les plus dignes de foi, ne put diriger en même temps, du moins en personne, les hostilités dans la Saintonge et l’Angoumois.

[96]Quoique la rédaction de Rome, en général plus exacte que les autres, mentionne la prise de Blaye par les Anglais (p. 311), il y a lieu de préférer ici par exception la version des deux premières redactions (p. 94 à 96, 311) et de Jean le Bel (Chroniques, t. II, p. 42). En effet, par un acte du 3 août 1348, signalé et publié par M. Bertrandy (Études, p. 231, note 1), Édouard III donne à Guillaume Sanche de Pomiers, en récompense de ses services, le lieu de Mountasetz (aujourd’hui Montanceix, Dordogne, ar. Périgueux, c. Saint-Astier, comm. Montrem), et cette concession doit durer: «... quamdiu locus de Blavia in rebellione nostra persteterit.» Bibl. nat., mss. Bréquigny, t. XXVIII, fº 239.

[97]Pierre Clari, et non Boucicaut, comme le dit Froissart (p. 95), était capitaine de Mortagne le 23 septembre 1345, car à cette date il reçut de Jean Chauvel, trésorier des guerres, «... sur ses gages et de ses gens d’armes et de pié ou dit lieu, sous le gouvernement de M. l’evesque de Beauvez, lieutenant du roy ez parties de la Langue d’oc, Poitou, Xaintonge, Limousin et lieux voisins, cent vingt trois livres tournois. A Pons, 23 septembre 1345.» Bibl. nat., dép. des mss., Titres scellés de Clairambaul, au mot Clari. V. Bertrandy, Etudes etc., p. 101.

[98]Sans doute Mirebeau ou Mirebeau-en-Poitou, Vienne, ar. Poitiers. Par une charte inachevée et non datée, mais qui paraît être de la fin de 1345 par la place qu’elle occupe dans un registre du Trésor des Chartes où presque toutes les pièces remontent à cette date, Jean de Marigny, évêque de Beauvais, lieutenant du roi en Languedoc, Poitou, Saintonge et Limousin, accorde des priviléges aux habitants de Mirabel, en récompense de leur fidélité. Arch. nat., sect. hist., JJ74, p. 564.

[99]Aulnay ou Aulnay-de-Saintonge, Charente-Inférieure, ar. Saint-Jean-d’Angély. La résistance du château d’Aulnay est confirmée par des lettres de Philippe de Valois accordées le 16 février 1348 (n. st.) en faveur de Pons de Mortagne, vicomte d’Aulnay, pour la bonne garde et défense «... de son chastel d’Aunay, assis à trois lieues près de Saint Jehan d’Angely, lequel nos ennemis prendroient et assaudroient volontiers, et plusieurs fois se sont efforciez de prendre et assaillir.» Bibl. nat., dép. des mss., Parlement 12, fos 293 vº et 294. V. Bertrandy, Études, p. 233.

CHAPITRE LVI.

[100]Cf. Jean le Bel, Chroniques, chap. LXVI, p. 35 à 37.

[101]L’arrêt de bannissement, entraînant la confiscation des biens de Godefroi, est du 15 juillet 1344 (Arch. nat., sect. jud., X 8837, fº 204 vº). V. Delisle, Histoire du château et des sires de Saint-Sauveur-le-Vicomte, p. 56 et Preuves, p. 105. Valognes, 1867, in-8.

[102]L’exil de Godefroi semble avoir commencé au plus tard en 1343, comme en témoigne une charte originale datée du château d’Aerschot, le 6 mai de cette année. Godefroi possédait cette seigneurie du chef d’Alix de Brabant sa mère. V. Delisle, Ibid., p. 59 et Preuves, p. 96.

[103]Godefroi de Harcourt dut passer en Angleterre au commencement de 1345, car les lettres patentes par lesquelles Édouard III le prend sous sa protection et spéciale sauvegarde, sont du 13 juin de cette année. V. Rymer, Fœdera, vol. III, p. 44.

[104]Des lettres patentes datées de l’Écluse (en flamand Sluis) et conservées à Londres, au Record Office, que M. Kervyn de Lettenhove a publiées pour la première fois (Œuvres de Froissart, t. IV, p. 469 et 470), prouvent qu’Édouard III n’avait plus, à la date de ces lettres, c’est-à-dire le 19 juillet 1345, le projet de faire du prince de Galles un duc de Flandre; mais il serait peut-être téméraire d’en conclure, à l’exemple de l’érudit belge, que le roi anglais et Jacques d’Arteveld n’avaient jamais conçu le projet que leur prête Froissart.

[105]Édouard III s’embarqua à Sandwich pour l’Écluse le dimanche 3 juillet 1345 (Rymer, Fœdera, vol. III, p. 50). Nous voyons par une lettre d’Édouard III au vicomte de Lancastre que son voyage à l’Écluse avait été nécessité par les dangers qui menaçaient ses alliés en Flandre: «... ordinato nuper propter hoc passagio nostro supra mare, propter aliqua nova subita quæ venerunt nobis, super procinctu dicti passagii, de perditione terræ nostræ Flandriæ et quorumdam alligatorum nostrorum, nisi illuc statim personaliter veniremus.» Rymer, ibid., vol. III, p. 55.

[106]Le passage mis entre crochets appartient à la rédaction de Rome, la seule qui mentionne (p. 317) le rôle actif joué par le duc de Brabant dans le mouvement dont Jacques d’Arteveld fut victime. Cette addition du texte de Rome est de tout point conforme à la vérité historique. Une alliance intime, quoique secrète, fut conclue en 1345 entre le comte de Flandre et le duc de Brabant; et la main de ce dernier tendit habilement tous les fils de la trame où le grand agitateur des communes flamandes périt enveloppé.

[107]Ce Thomas Denis était sans doute de la même famille que Gérard Denys, alors doyen du métier des tisserands. Deux lignes des Comptes de la ville de Gand pour 1345, grattées avec soin et peut-être de la main de Gérard Denys lui-même, constatent que ce personnage distribua des sommes considérables aux ouvriers qui se mirent avec lui en grève (la grève ou le ledig-gang était défendue par les lois de la commune). V. Kervyn de Lettenhove, Œuvres de Froissart, t. IV, p. 472.

[108]Édouard III était de retour en Angleterre et débarqua à Sandwich le 26 juillet 1345. V. Rymer, Fœdera, vol. III, p. 53.

[109]L’alliance était redevenue étroite entre le roi d’Angleterre et les bonnes villes de Flandre dès le 8 septembre 1345. En effet, à cette date, Édouard III conclut un traité avec les communes flamandes sur la monnaie d’or dite la Noble qui devait avoir cours en Flandre et même y être frappée à son effigie (Rymer, Fœdera, vol. III, p. 59). Le 10 octobre de la même année, il donne pleins pouvoirs à Guillaume de Stury, à Thomas de Melcheburn et à Gilbert de Wendlynburgh, pour traiter de la confirmation des anciens traités qui stipulaient l’hommage de la Flandre à Édouard III, et en retour le devoir pour celui-ci de la protéger envers et contre tous (Rymer, ibid., p. 61).

[110]Staveren ou Stavoren, ville de Hollande, à l’extrémité S. O. de la province de Frise, ar. de Sneek, c. d’Hindelopen, sur le Zuiderzée. D’après la seconde rédaction (p. 105), l’expédition de Frise aurait commencé vers la Saint-Remi (1er octobre); et d’après la troisième rédaction (p. 322), la bataille de Staveren se serait livrée vers la Saint-Luc (18 octobre). Il résulte de plusieurs documents authentiques et contemporains que l’affaire de Staveren eut lieu en septembre 1345. V. Butkens, Trophées de Brabant, t. I, p. 433.

[111]Cette addition appartient en propre à la troisième rédaction et ne se trouve que dans le manuscrit de Rome (p. 323).

[112]Belgique, prov. Hainaut, ar. Charleroi, sur la rive droite de la Haine. Jeanne se remaria en 1347 à Wenceslas, duc de Luxembourg, frère de l’empereur Charles IV et fils de l’héroïque Jean de Bohême; elle succéda à son père Jean III dans le duché de Brabant en 1355. Lestinnes-au-Mont, dont Froissart fut curé grâce à la protection de Wenceslas et de Jeanne, n’est qu’à une lieue de Binche.

[113]Marguerite, impératrice des Romains, comtesse de Hainaut, Hollande, Zélande et dame de Frise, n’avait pas encore pris possession de son comté en mars 1346, car dans un acte qui porte cette date, on expose à un personnage que l’on nomme serenissime domine (sans doute l’empereur Louis de Bavière), la nécessité de faire arriver promptement l’impératrice Marguerite sa femme, pour prendre possession des comtés de Hollande, de Zélande et de la seigneurie des deux Frises (Archives du Nord, fonds de la Chambre des Comptes de Lille, B 803).

[114]Le 25 juin 1346 (Rymer, Fœdera, vol. III, p. 83), Édouard III nomme Thierri, seigneur de Montjoye et de Falkyngburgh (en français Fauquemont) son arbitre et le charge de régler les difficultés qui menacent de s’élever (... cum suboriri timeatur materia quæstionis) au sujet de la succession de Guillaume, comte de Hainaut, pour la part d’héritage qui revient à la reine Philippe sa femme. Ces difficultés, où Jean de Hainaut put prendre parti contre Édouard III, contribuèrent peut-être à pousser le seigneur de Beaumont dans le parti français. V. Rymer, ibid., p. 80.

[115]L’acte par lequel Jean de Hainaut, sire de Beaumont, se reconnaît vassal du roi de France, à cause des biens donnés par le dit roi en foi et hommage, est du 21 juillet 1346 (Cop. parch., Archives du Nord, fonds de la Chambre des Comptes de Lille, B 804).

[116]Par acte du 21 juillet 1346, Philippe, roi de France, mande à ses receveurs en Vermandois de payer à Jean de Hainaut, sire de Beaumont, une rente viagère à lui donnée en foi et hommage (Orig. parch., Archives du Nord, B 804). La pension que Jean de Hainaut toucha en Angleterre jusqu’à la fin de 1345, était de mille marcs.

CHAPITRE LVII.

[117]Cf. Jean le Bel, Chroniques, chap. LXVIII et LXIX, p. 45 à 60.

[118]Jean, duc de Normandie, ne paraît avoir fait qu’une courte apparition en Languedoc en 1345. Le 2 août de cette année, il était à Carcassonne (dom Vaissète, Hist. de Languedoc, t. IV, p. 257). Le 8 août 1345, Philippe de Valois nomme Pierre de Bourbon, comte de Clermont et de la Marche, son lieutenant «en toutes les parties de la Langue d’oc et de Gascoigne»; c’est ce Pierre de Bourbon qui apparaît à la tête des forces françaises dans le Querci et l’Agenais depuis le 22 septembre 1345 (dom Vaissète, t. IV, p. 257) jusqu’à l’arrivée du duc de Normandie. Pendant ce laps de temps, Jean, duc de Normandie, se tient en Poitou, en Limousin, en Angoumois (à Angoulême depuis le 24 octobre jusqu’au 7 novembre), en Touraine et en Berry. Le 22 décembre 1345, le duc de Normandie envoie Jean de Marigny, évêque de Beauyais «... en Tholosain et ès parties de par delà pour certaines et grosses besoignes.» Le duc de Normandie, étant à Loches le 17 janvier 1346, charge l’évêque de Beauvais de convoquer les États du Languedoc à Toulouse; et par lettres circulaires datées de Toulouse le 27 janvier 1346, Jean de Marigny les convoque dans cette ville pour le 17 février suivant (dom Vaissète, t. IV, p. 257). Le duc de Normandie était encore à Châtillon-sur-Indre (Arch. nat., JJ68, fº 475; JJ75, fº 294 vº; JJ76, fº 246) et à Loches (JJ75, fº 248) dans les premiers jours de février 1346.

[119]La première rédaction porte cet effectif à cent mille hommes (p. 109), chiffre évidemment exagéré.

[120]Curieux détail d’histoire militaire fourni par la rédaction de Rome (p. 327) qui remonte aux premières années du XVe siècle.

[121]D’après Froissart (p. 109, 327 et 328), le duc de Normandie part de Toulouse pour aller faire le siége de Miramont; d’après Jean le Bel, au contraire (t. II, p. 46), il arrive du Poitou, du Berry et du Limousin. La date de la Noël est une erreur ajoutée par le chroniqueur de Valenciennes au récit de Jean le Bel. Le duc de Normandie n’apparaît dans le Midi qu’en mars 1346; il est à Montauban le 22 (Arch. nat., JJ76, fº 158) et à Cahors le 13 de ce mois, d’après les Chroniques manuscrites du Querci, par l’abbé de Foulhiac. V. Bertrandy, Études etc., p. 288.

[122]L’objectif de Jean, duc de Normandie, dans cette campagne est Aiguillon. Par conséquent, le Miramont dont il est ici question doit être Miramont, Lot-et-Garonne, ar. Marmande, c. Lauzun, beaucoup plus rapproché d’Aiguillon et plus important au point de vue stratégique que le Miremont ou Miramont du Périgord (aujourd’hui Mauzens-et-Miremont, Dordogne, ar. Sarlat, c. le Bugue).

[123]Froissart prend soin de nous dire dans sa seconde rédaction (p. 110) qu’il s’agit ici de Villefranche en Agenais (aujourd’hui Villefranche-du-Queyran, Lot-et-Garonne, ar. Nérac, c. Casteljaloux).

[124]Nous identifions «la cité d’Agolem ou d’Agolent» de Jean le Bel (t. II, p 42, 46 à 51) avec Agen. Froissart nous paraît s’être trompé en l’identifiant constamment avec Angoulême que Jean le Bel écrit Angolesme (V. t. II, p. 268), comme l’exige l’étymologie. La paraphrase de «cité d’Agolant» pour désigner Agen n’a rien d’étonnant sous la plume d’un chronTiqueur du XIVe siècle, surtout quand il se complaît autant que Jean le Bel dans tout ce qui se rattache de près ou de loin aux poëmes de chevalerie (V. t. II, p. 54, 110 etc.). Or on sait que la chronique dite du faux Turpin mentionne la prise d’Agen par Agolant qui soutint dans cette ville un siége contre Charlemagne, et cette mention a même passé du faux Turpin dans les Chroniques de Saint-Denis «Ensi vint Agoulans à tout ses os jusques à une cité de Gascoigne qui a non Agenes, et par force la prist... Mès Kallemaine... vint près à quatre miles de la cité d’Agenes où Agoulans et ses os estoit.» (Dom Bouquet, Hist. de France, t. V, p. 288). Agolant figure toujours, dit Fauriel, comme roi d’Agen dans la Vie de saint Honorat ainsi que dans une foule d’autres romans provençaux perdus (Hist. litt., t. XXII, p. 238). Notre identification de la «cité d’Agolant» avec Agen s’accorde, d’ailleurs, très-bien avec les circonstances topographiques indiquées par Jean le Bel. La «cité d’Agolant» est voisine de Villefranche, de Tonneins, de Damazan et d’Aiguillon (t. II, p. 42, 46 et 47); elle est à une nuit de marche de Tonneins (ibid., p. 48): personne n’ignore que toutes ces localités, fort éloignées d’Angoulême, sont à une assez faible distance d’Agen.

Si le siége d’Agen, succédant à la prise de Villefranche et de Miramont, ne présente aucune impossibilité géographique, la reddition de cette ville au duc de Normandie avant le siége d’Aiguillon, c’est-à-dire avant le 10 avril 1346, ne paraît pas plus fondée, au point de vue historique, que la reddition d’Angoulême imaginée par Froissart; car le 5 avril 1346, les consuls d’Agen, pressés de fournir un contingent au duc de Normandie, pour le siége d’Aiguillon, motivent leur refus sur ce que les Anglais occupent plusieurs localités de l’Agenais menaçantes pour leur ville, et entre autres Castelsagrat (Arch. comm. d’Agen (BB 1) citées par M. Bertrandy, Études etc., p. 158).

[125]Le nom de cette localité est écrit Anchenis ou Anthenis dans Froissart (V. p. 114, 332, 334 et 335), Antenis dans Jean le Bel (V. t. II, p. 50 et 51). Comme cette localité, d’après ce dernier chroniqueur, est située sur le bord de la Gironde, à peu de distance de Monségur-Gironde, d’une part, et d’Aiguillon, de l’autre (V. t. II, p. 51), comme de plus Jean le Bel paraît ne faire de Thonis pris par les Anglais (p. 42), et de Antenis repris par les Français (p. 48), qu’une seule et même localité, il y a quelque raison d’identifier Antenis, qui peut être une mauvaise lecture d’un copiste pour Thonis, avec Tonneins, chef-lieu de canton du Lot-et-Garonne, ar. de Marmande. Quant à Froissart, il fait évidemment d’Anthenis et de Thonis deux localités distinctes, puisque, après avoir mentionné la prise d’Anthenis par des gens du duc de Normandie (p. 115 et 116), il raconte le siége et l’occupation de Thonis (Tonneins) par ce même duc de Normandie (p. 119). A notre avis, Anthenis, en tant que localité distincte de Tonneins, est purement imaginaire, et Froissart n’a été conduit à en supposer l’existence que par une corruption du texte de Jean le Bel.

[126]Comme rien n’autorise à supposer qu’Agen soit jamais tombé au pouvoir de Derby dans cette campagne, cette ville n’a pu être reprise par les Français; mais, dans tous les cas, elle aurait été reprise avant le 3 février 1346, puisque dom Vaissète (Hist. gén. de Languedoc, t. IV, p. 258) analyse le contenu de lettres données par le duc de Bourbon à Agen le 1er février 1346 (n. st.).

[127]Lot-et-Garonne, ar. Nérac.

[128]Lot-et-Garonne, ar. Marmande.

[129]Lot-et-Garonne, ar. Agen. Nous ne connaissons aucun document qui mentionne l’occupation de Port-Sainte-Marie par les Anglais et par conséquent sa reprise par les Français à cette date. Au contraire, le duc de Normandie, par acte daté d’Agen au mois d’août 1346, exempte de toute espèce de tailles les habitants du Port-Sainte-Marie, en considération de leur fidélité: «... habitatores ville Portus Sancte Marie, in fronteriis inimicorum existentis, tanquam fideles et obedientes, fideliter, legaliter et diligenter servierint...» (Arch. nat., JJ76, p. 239.) Une autre charte du mois de décembre 1347 mentionne une tentative de trahison aux Anglais réprimée impitoyablement par les habitants eux-mêmes. Arch. nat., JJ76, p. 238.

[130]Jean le Bel (Chroniques, t. II, p. 53) dit «cent mille hommes» et l’on retrouve ce chiffre, évidemment exagéré, dans la première rédaction (p. 340), ainsi que dans un certain nombre de manuscrits de la seconde (p. 120). La troisième rédaction réduit l’effectif des assiégeants à «soixante mille hommes» (p. 344). Nous avons préféré comme le plus vraisemblable le chiffre de cinq mille fourni par le plus grand nombre des manuscrits de la première rédaction (p. 340).

[131]Tout en adoptant comme la plus exacte, relativement à la durée du siége d’Aiguillon, la version de la troisième rédaction (p. 344), nous avons substitué comme date du commencement de ce siége le mois d’avril au mois de mars, car nous avons des lettres de Jean, duc de Normandie, datées de Montauban le 22 mars (Arch. nat., JJ76, fº 158), et d’autres lettres du même prince données en ses tentes devant Aiguillon en avril 1345 (Arch. nat., JJ68, fº 448); or comme Pâques en 1346 tomba le 16 avril, et qu’à partir de ce jour on commença à faire usage du millésime 1346, on peut en conclure que les Français mirent le siége devant Aiguillon entre le 22 mars et le 15 avril.

[132]D’après Jean le Bel, le siége d’Aiguillon dura jusques au temps de wahin (t. II, p. 53), c’est-à-dire jusqu’à l’automne. Froissart, dans ses deux premières rédactions (p. 120 et 340) le fait durer jusqu’à la Saint-Remi (1er octobre). La rédaction de Rome se rapproche davantage de la vérité. Il résulte des lettres de Derby, publiées par Robert d’Avesbury (Hist. Ed. III, éd. de 1720, p. 142), que le siége d’Aiguillon fut levé «la dismenge proschein devaunt le feste de seint Barthum,» c’est-à-dire le 20 août. D’un autre côté, la dernière charte donnée par le duc de Normandie in nostris tentis ante Aculeonem, qui est une prorogation de l’acte d’hommage dû au roi de France par le comte de Foix, est datée du 19 août 1346 (Bibl. nat., mss. Doat, 189, fº 260). V. Dacier, éd. de Froissart, p. 275, note 2, et Bertrandy, Études etc., p. 345, note 1.

[133]Sans doute Montréal-de-l’Aude, ar. Carcassonne.

[134]Aujourd’hui Fougax-en-Barrineuf, Ariége, ar. Foix, c. Lavelanet.

[135]C’est sans doute à l’assaut de ce pont qu’un chevalier gascon du parti anglais, Alexandre de Caumont, fut fait prisonnier par Robert d’Augerans. Par lettres du 7 juillet 1346, confirmées par Philippe de Valois le 19 septembre 1347, le duc de Normandie fit un don de 500 livres à Robert d’Augerans, chevalier «en récompense de ses services, et que, de sa franche volonté, il bailla et delivra au dit duc, Alexandre de Caumont, chevalier, ennemi du roy, lequel il avoit pris à l’assaut du pont d’Aguillon, et duquel il euist eu grant raençon.» Bibl. nat., Mss., Cabinet des Titres. V. Bertrandy, Études etc., p. 326.

CHAPITRE LVIII.

[136]Cf. Jean le Bel, Chroniques, t. II, chap, LXX et LXXI, p. 61 à 75.

[137]Édouard III, dans une lettre du 6 mai 1346 où il demande des prières et actions de grâces pour les succès remportés en Guienne par le comte de Lancastre qui lutte contre des forces écrasantes (magnum et superimmensum exercitum), annonce qu’il va partir à la tête d’une armée pour porter secours à son lieutenant. V. Rymer, Fœdera, vol. III, p. 81.

[138]Le 25 juin 1346, Édouard III nomme son fils Lionel régent du royaume pendant son absence. V. Rymer, ibid., p. 84.

[139]Édouard III mit à la voile le dimanche 2 juillet. V. Rymer, ibid., p. 85.

[140]L’embarquement eut lieu à Portchester où divers actes signalent la présence du roi d’Angleterre à partir du 20 juin 1346 (Rymer, p. 83 à 85). Portchester, village du comté de Southampton, situé sur la côte septentrionale du havre de Portsmouth, à une lieue de cette dernière ville, avait au moyen âge un port très-important aujourd’hui comblé par des atterrissements. Le 2 juillet au soir, Édouard III était à l’île de Wight, et c’est à dater de ce moment que le sceau spécial, en usage en cas d’absence du roi, fut remis à la chancellerie.

[141]La flotte anglaise était revenue à son point de départ le 10 juillet, comme le prouve une charte datée de ce jour et donnée par Édouard III en pleine mer, en vue de l’île de Wight, pendant un arrêt de sa traversée (Rymer, Fœdera, vol. III, p. 85). Le lendemain 11 juillet, le roi anglais expédia encore une charte datée du port de Sainte-Hélène, dans l’île de Wight (aujourd’hui St-Helens, à la pointe orientale de l’île), avant de mettre à la voile pour Saint-Vaast-de-la-Hougue où il débarqua le lendemain 12 juillet.

[142]La seconde rédaction est la seule où Froissart nous montre Philippe de Valois opposant dès le début à l’envahisseur des moyens de défense proportionnés à l’attaque (p. 357). D’après les autres rédactions (p. 137 et 138, 367 et 368), ces préparatifs furent faits après coup et quand il était déjà trop tard. On remarquera qu’ici comme en beaucoup d’autres endroits, la seconde rédaction, représentée par le manuscrit d’Amiens, est la plus favorable à la France en général et à Philippe de Valois en particulier. Il est certain que Philippe de Valois fit rassembler, à Harfleur et à Caen, un assez grand nombre de gens d’armes sous les ordres de Raoul, comte d’Eu et de Guines, connétable de France. Le rôle de la retenue de ces gens d’armes, parmi lesquels figure le comte de Flandre, nous a été conservé par une copie de De Camps, portef. 83, fos 472 à 475, au Dép. des mss. de la Bibl. nat.

[143]Manche, ar. Valognes, c. Quettehou. D’après la seconde rédaction, le débarquement d’Édouard III à Saint-Vaast aurait eu lieu le jour de la Madeleine, c’est-à-dire le 22 juillet (p. 357). Nous voyons par une lettre de Michel de Northburgh, clerc et conseiller d’Edouard III, qui accompagna le roi anglais dans cette expédition, lettre rapportée textuellement par Robert d’Avesbury (Hist. Ed. III, p. 123), que ce débarquement se fit le mercredi 12 juillet. D’après la seconde rédaction aussi, Robert Bertran, à la tête de deux mille combattants, aurait essayé de s’opposer à ce débarquement, et il aurait été mis en déroute après un combat acharné où il aurait reçu une blessure et perdu l’un de ses fils (p. 357 et 359); mais il n’y a pas lieu d’ajouter foi à ce prétendu combat dont les deux autres rédactions et surtout Michel de Northburgh ne disent pas un mot. Édouard III trouva à Saint-Vaast onze navires dont huit étaient munis de châteaux devant et derrière; il y fit mettre le feu. Le roi d’Angleterre se tint six jours en cet endroit depuis le mercredi 12 jusqu’au mardi 18 juillet; ce temps fut employé à reposer les troupes, à débarquer les chevaux et à cuire du pain pour l’armée (Hist. Ed. III, p. 123 et 124).

[144]Pendant que l’armée anglaise campait à Saint-Vaast, une partie de la flotte se rendit le vendredi 14 juillet devant Barfleur. Les habitants avaient pris la fuite; les Anglais mirent le feu aux maisons ainsi qu’à neuf navires munis de châteaux devant et derrière et à deux crayers en bon état qu’on trouva dans le port, sans compter un certain nombre de petits bateaux. Michel de Northburg, qui rapporte ces détails (Hist. Ed. III, p. 124), estime que Barfleur est aussi important que Sandwich (port du comté de Kent, situé à quatre lieues N. de Douvres, assez important au moyen âge, mais aujourd’hui obstrué par des alluvions).

[145]D’après Michel de Northburgh (Ibid., p. 127), ce fut la flotte anglaise, et non l’armée de terre qui, après la prise de Barfleur, alla brûler la ville et l’abbaye de Cherbourg. Le clerc d’Édouard III dit, comme Froissart (p. 134 et 135), que les Anglais ne parvinrent pas à s’emparer du château de Cherbourg.

[146]C’est le mardi 18 juillet, d’après Michel de Northburgh, qu’Édouard III partit de Saint-Vaast pour aller à Valognes, où il passa la nuit et où il trouva beaucoup de provisions.

[147]Michel de Northburgh ne mentionne pas Montebourg. Jean le Bel, auquel Froissart a emprunté cette indication, paraît s’être trompé, en plaçant Montebourg avant Valognes dans l’itinéraire suivi par Édouard III. Il existait, il est vrai, dès le moyen âge, une route se dirigeant directement de Saint-Vaast sur Montebourg; mais Édouard III, qui s’avançait du nord au sud, dut passer à Valognes avant d’aller à Montebourg.

[148]D’après Michel de Northburgh, Édouard III partit de Valognes le mercredi matin 19 juillet, et, après avoir marché une grande journée, arriva le soir au Pont-d’Ouve (aujourd’hui hameau de la comm. de Saint-Côme-du-Mont, Manche) que les habitants de Carentan avaient détruit pour s’opposer à la marche des Anglais, Édouard III fit reconstruire ce pont pendant la nuit, et entra le lendemain jeudi 20 juillet dans Carentan, qui n’est qu’à une lieue anglaise du Pont-d’Ouve. On y trouva vivres et viandes en abondance, mais le roi d’Angleterre ne put empêcher qu’une grande partie de la ville ne fût brûlée. Michel de Northburgh compare Carentan, pour l’importance, à Leicester (chef-lieu du comté de ce nom, à 32 I. N. N. O. de Londres, dont cinq églises anciennes attestent l’importance, dès le moyen âge).

[149]Le roi d’Angleterre partit de Carentan le vendredi 21 juillet d’après Michel de Northburgh (Ibid., p. 124 et 125), et fit une halte, mais d’un jour seulement, et non de trois comme le dit Froissart, sur le bord d’une rivière, en un village où se trouve un pont que les habitants de Saint-Lô avaient rompu. Cette rivière est certainement la Vire, puisqu’on voit, par une lettre d’Édouard III à Thomas de Lucy, que le pont dont il s’agit ici est Pont-Hébert (Manche, ar. Saint-Lô, c. Saint-Jean-de-Daye). Le roi d’Angleterre fit rétablir ce pont, traversa la Vire, lui et son armée, le lendemain samedi 22 juillet, et vint camper tout près de Saint-Lô. Les habitants de cette ville avaient commencé à la mettre en état de défense; mais les gens d’armes qu’ils y avaient rassemblés quittèrent la place, à l’approche des Anglais, sans même attendre l’arrivée des ennemis. Ceux-ci entrèrent dans Saint-Lô et y trouvèrent bien mille tonneaux de vin, sans compter une foule d’autres richesses. Michel de Northburgh estime Saint-Lô plus important que Lincoln (chef-lieu du comté de ce nom, à quarante-trois lieues N. de Londres; cette ville était, au moyen âge et avant les guerres civiles, une des plus riches et des plus populeuses de l’Angleterre).

[150]D’après Michel de Northburgh, il fallut trois journées de marche aux Anglais pour aller de Saint-Lô à Caen. Édouard III quitta Saint-Lô le dimanche 23 juillet et passa sa journée dans une abbaye que Michel de Northburgh ne nomme point (Cerisy-l’Abbaye), pendant que ses gens portaient le ravage par tout le pays environnant, à cinq ou six lieues à la ronde. Les lundi et mardi 24 et 25 juillet, le roi anglais poursuivit sa marche et campa chaque soir dans les villages; il arriva devant Caen le mercredi 26 juillet, à trois heures après-midi.

[151]«Caame, dit Michel de Northburgh, est la ville plus grosse que nulle ville d’Engleterre horspris Loundres.» (Robert d’Avesbury, Hist. Ed. III, p. 126 et 127.)

[152]Quoique cette abbaye fût entourée de murs crénelés et bastilles, les moines l’avaient abandonnée à l’approche des Anglais. (Ibid., p. 125 et 126.)

[153]D’après Michel de Northburgh (Ibid., p. 125), et les Grandes Chroniques de France (éd. de M. P. Paris, t. V, p. 453), Guillaume Bertran, évêque de Bayeux, frère du maréchal de France Robert Bertran, était au nombre des défenseurs du château de Caen.

[154]Froissart s’est trompé en donnant dès 1346 à Jean, sire de Tancarville, vicomte de Melun, le titre de comte qui ne lui fut conféré par le roi Jean que le 4 février 1352. (Arch. nat., JJ81, p. 85, fº 101.)

[155]Cette flotte, d’après Michel de Northburgh, était composée d’environ deux cents navires qui cinglèrent vers Rothemasse (lisez: Roche Massé, aujourd’hui la Roche de Maizy, Calvados, à l’embouchure de la Vire), pendant que l’armée de terre marchait sur Saint-Lô; les gens d’armes qui montaient ces navires faisaient des descentes continuelles sur le rivage, pillant et brûlant le pays à deux ou trois lieues dans l’intérieur. Quand l’armée de terre, maîtresse de Saint-Lô, reprit sa marche sur Caen, la flotte anglaise quitta le mouillage de la Roche de Maizy et mit à la voile pour Ouistreham (Calvados, ar. Caen, c. Douvres), à l’entrée de la baie de Caen. De la Roche de Maizy à Ouistreham, sur une étendue de côtes de vingt-six lieues anglaises, cette flotte captura et brûla soixante onze navires de guerre français avec château devant et derrière, vingt-trois crayers, sans compter une foule de petits bateaux de vingt et un à trente tonneaux de vin (Hist. Ed. III, p. 127).

[156]Par cette rivière qui keurt parmi le ville de Kem, qui porte grosse navire (p. 145), Froissart semble entendre le bras de l’Orne, où venait se jeter l’Odon, un peu avant l’intersection des rues Saint-Pierre et Saint-Jean, et qui, entourant d’eau de tous côtés le quartier autrefois appelé pour cette raison île Saint-Jean, le séparait de la vieille ville. Ce bras a été comblé depuis le dernier siècle dans sa partie S. E., entre l’ancien pont Millet et l’église Saint-Pierre, mais sa partie N. O., entre le quartier Saint-Jean et le faubourg Saint-Gilles, sert aujourd’hui, comme au temps de Froissart, de port à la ville de Caen. Michel de Northburgh, d’accord sur ce point avec notre chroniqueur, dit que, du côté de l’eau où sont situées les abbayes de Saint-Étienne et de la Trinité, il ne resta de défenseurs que dans le château. D’où l’on peut conclure que la partie évacuée fut la vieille ville, dont les habitants cherchèrent un refuge et essayèrent de se retrancher dans l’île Saint-Jean. Le continuateur de Nangis dit, de son côté, que le combat eut lieu au milieu de la ville, à l’entrée du pont et un peu au-dessus, en face de l’église Saint-Pierre. Enfin, d’après la version très-vraisemblable des Grandes Chroniques de France, le comte d’Eu et le sire de Tancarville ne sortirent du château qu’au milieu de l’action et pour seconder l’énergique résistance des habitants. Il résulte de tous ces témoignages concordants que le fort du combat eut lieu au passage du bras de l’Orne le plus rapproché du château et à l’assaut de l’ancien pont Saint-Pierre.

[157]Ce que dit Froissart de la lâcheté présomptueuse des bourgeois de Caen en cette circonstance est une erreur grossière empruntée à Jean le Bel (Chron., t. II, p. 72 et 73). Nos gens, dit Michel de Northburgh «... avoient mult affeare, et les Fraunceys defendèrent le dit pount fortment et eaux portèrent mult bien...» (Hist. Ed. III, p. 126.) La vérité est que les habitants de Caen, en essayant de défendre contre une puissante armée leur ville, alors complétement ouverte, firent preuve d’un courage intrépide et poussé jusqu’à la témérité. Du côté des Français, cent chevaliers environ et cent vingt ou cent quarante écuyers furent faits prisonniers avec le comte d’Eu et le sire de Tancarville; il y eut également beaucoup de morts, mais on n’en put savoir le chiffre exact, parce que les cadavres gisaient épars par les rues, maisons et jardins, et qu’ils furent dépouillés sur-le-champ de leurs vêtements par la rapacité des vainqueurs.

[158]«Et nul gentil homme mort des noz, rapporte Michel de Northburgh, fors qe un esquier qe fust blescé et morust deux jours après.» Cette dernière phrase n’est point précisément en contradiction avec ce que dit Froissart du dommage éprouvé par l’armée d’Édouard III à la prise de Caen; car, si un seigneur seulement succomba, les pertes en archers et simples gens d’armes purent être relativement assez considérables. N’oublions pas d’ailleurs que la lettre de Michel de Northburgh, clerc d’Édouard III, est un bulletin de victoire rédigé au point de vue de l’effet que l’on voulait produire en Angleterre; or on sait que le silence sur les pertes des vainqueurs, ou du moins l’atténuation de ces pertes, est une habitude constante dans les documents de ce genre.

[159]Le comte de Huntingdon, qui s’était battu à la prise de Caen, ayant été atteint de la fièvre à la suite de ce combat, dut regagner l’Angleterre, où il porta la fameuse convention du 23 mars 1338 entre le roi de France et les seigneurs normands au sujet d’une invasion en Angleterre, dont on avait trouvé le texte dans le sac de Caen. Jean de Strafford, archevêque de Canterbury, donna lecture de cette convention dans le cimetière de l’église Saint-Paul, la veille de l’Assomption, 14 juillet 1346, devant toute la population de Londres assemblée, pour surexciter le patriotisme des Anglais contre la France. (Hist. Ed. III, p. 130 à 136.)

[160]Bayeux se rendit le jeudi 27 juillet, c’est-à-dire le lendemain de l’arrivée d’Édouard III à Caen. V. Hist. Ed. III, p. 127 et 128.

[161]Édouard III passa par Lisieux où il délivra le 3 août à Annibal de Ceccano, cardinal évêque de Frascati, et à Étienne Alberti, cardinal prêtre des Saints Jean et Paul, des lettres de sauvegarde dont le texte a été publié par Rymer (Fœdera, vol. III, p. 88). Nous voyons par une lettre du confesseur d’Édouard III, dont Robert d’Avesbury cite un fragment (Hist. Ed. III, p. 128 et 129), que ces cardinaux, chargés par le pape de traiter de la paix entre les deux rois, échouèrent complétement dans leur mission.

[162]Philippe de Valois fit rassembler à Rouen des forces imposantes et les chargea de se tenir sur la défensive en gardant la rive droite de la Seine et en détruisant à l’avance tous les ponts sur le passage de l’armée anglaise. Ce plan permit à Édouard III de ravager impunément toute la rive gauche du fleuve. V. Hist. Ed. III, p. 129.

CHAPITRE LIX.

[163]Cf. Jean le Bel, Chron., t. II, chap. LXXI et LXXII, p. 75 à 80.

[164]D’après Michel de Northburgh (Hist. Ed. III, p. 136), Édouard III arriva à Poissy la veille de l’Assomption (14 août) 1346.

[165]Le château de Montjoie était situé dans la forêt de Marly; il venait d’être démoli lorsque Ducange publia son Dictionnaire. V. cet ouvrage au mot Mons Gaudii.

[166]Le premier soin d’Édouard III, dès qu’il fut arrivé à Poissy, fut de faire travailler à la reconstruction du pont rompu par les Français, pont dont il avait besoin pour passer sur la rive droite de la Seine. Un certain nombre de gens d’armes à la tête des contingents fournis par les villes environnantes et notamment par la Commune d’Amiens, essayèrent, sans doute suivant l’ordre du roi de France, de s’opposer à cette reconstruction. Cette tentative échoua: les Français furent repoussés, après avoir perdu cinq cents des leurs, par le comte de Northampton (Hist. Ed. III, p. 136 et 137). Telle est la version de Michel de Northburgh rapportée par Robert d’Avesbury. La mention des gens d’armes de la Commune d’Amiens dans ce récit, d’ailleurs un peu différent de celui de Froissart, indique clairement que le clerc d’Édouard III a voulu parler de la même affaire que Jean le Bel (Chroniques, t. II, p. 77) auquel le chroniqueur de Valenciennes a emprunté cet épisode. Seulement, nous voyons, grâce au témoignage d’un témoin oculaire et, qui plus est, d’un ennemi, que Jean le Bel s’est trompé en reprochant durement à Philippe de Valois (p. 76) de n’avoir rien fait pour s’opposer à la reconstruction du pont de Poissy par les Anglais; et Froissart a eu raison de ne pas reproduire les critiques injustes et passionnées adressées à cette occasion par le chroniqueur liégeois au roi de France.

[167]D’après Michel de Northurgh (Hist. Ed. III, p. 137), Édouard III partit de Poissy pour s’avancer en Beauvaisis et passa la Seine le 16 août, le lendemain de l’Assomption. Philippe de Valois fut grossièrement dupe d’une feinte d’Édouard III, auquel l’archevêque de Besançon vint apporter à Poissy des lettres de défi de la part du roi de France. Ces lettres de défi, datées de Saint-Denis le 14 août 1346, ne nous sont connues que par une mauvaise traduction latine conservée à Oxford; et elles ont été publiées par M. Kervyn de Letthenhove (t. IV de son édition de Froissart, p. 496 et 497). Dans ces lettres, Philippe de Valois proposait la bataille à son adversaire, soit entre Saint-Germain-des-Prés et Vaugirard, soit entre Francheville et Pontoise, pour le jeudi, le samedi, le dimanche ou le mardi suivant. Le rusé monarque anglais, voyant à qui il avait affaire, se contenta de répondre pour le moment de vive voix qu’il se disposait à prendre le chemin de Montfort (Montfort-l’Amaury, Seine-et-Oise, ar. Rambouillet), où on pouvait le venir chercher. En même temps, pour donner plus sûrement le change sur la direction qu’il était résolu à prendre, l’habile stratégiste chargeait son fils le prince de Galles, établi à Saint-Germain-en-Laye, de menacer l’ouest et même le sud de Paris, comme si les Anglais eussent voulu passer la Bièvre et la Seine en amont de Paris: de là les incursions à Saint-Cloud, à Boulogne et à Bourg-la-Reine. Le roi de France tomba dans le piége que son adversaire lui tendait: il alla se poster avec le gros de ses forces au pont d’Antony pour défendre le passage de la Bièvre au moment même où le roi anglais, exécutant, le mercredi 16 août, un rapide mouvement rétrograde, franchissait la Seine sur le pont refait de Poissy. Le lendemain jeudi 17 août, quand le tour fut joué, Édouard III adressa de Grandvilliers une hautaine et ironique réponse aux lettres de défi de Philippe de Valois où il lui dit: «... nous ne sommes mie avisés d’estre tailliés par vous, ne de prendre de vous lu et jour de bataille.» Ces curieuses lettres d’Édouard III à Philippe de Valois, dont le texte est, comme on le voit, en français, sont conservées dans les Archives du collége de Corpus Christi, à Cambridge; elles ont été publiées, d’après une copie de M. Snell, par M. Kervyn de Lettenhove (t. IV de son édition de Froissart, p. 497 et 498). Une collation de ce document, faite par M. Riley, apporte au texte de M. Kervyn d’importantes corrections (t. V de son édition, p. 551). Cf. Grandes Chroniques, éd. in-12, t. V, p. 457, et le continuateur de Nangis, éd. de Géraud, t. II, p. 199.

[168]Jean le Bel (Chron., t. II, p. 77) et tous les manuscrits de Froissart, à l’exception de celui de Rome, appellent cette abbaye Saint-Messien. Cette leçon n’est pas aussi absolument mauvaise qu’on pourrait le croire au premier abord, car les restes de saint Messien (sanctus Maximianus) reposaient à côté de ceux de saint Lucien, son compagnon, dans l’abbaye de ce nom, de l’ordre de Saint-Benoît, diocèse et ville de Beauvais. En réalité, le feu ne fut mis qu’au faubourg de l’Hôtel-Dieu et n’atteignit que très-faiblement l’abbaye de Saint-Lucien.

[169]Oise, ar. Beauvais, c. Marseille-le-Petit.

[170]Cet évêque était le belliqueux Jean de Marigny, qui fut promu l’année suivante à l’archevêché de Rouen. V. Gallia christ., t. IX, col. 721.

[171]Oise, ar. Beauvais. D’après Michel de Northburgh (Ibid., p. 137 et 138), un engagement fut livré à Grandvilliers entre l’avant-garde de l’armée anglaise et des gens d’armes de la maison du roi de Bohême. Les Anglais eurent d’abord le dessous et perdirent Thomas Talbot; mais ils reprirent bientôt l’avantage grâce à un renfort amené par le comte de Northampton. Les Français eurent douze morts, huit blessés et furent poursuivis jusqu’à deux lieues d’Amiens.

[172]Oise, ar. Beauvais, c. Grandvilliers.

[173]Somme, ar. Amiens. Michel de Northburgh ne parle ni de l’incendie de Saint-Lucien et des faubourgs de Beauvais ni de la halte à Milly. D’après le clerc d’Édouard III (Ibid., p. 137), le roi anglais passa à Poix le lendemain de son départ de Poissy et n’y coucha point; cette place fut prise par l’arrière-garde de son armée, malgré les efforts de trois cents Français qui périrent en la défendant. D’après l’auteur de l’Histoire des maieurs d’Abbeville (p. 321), Oulphart de Ghistelles, chevalier flamand au service d’Édouard III, commandait les Anglais qui s’emparèrent du très-fort château de Poix.

[174]Somme, ar. Amiens, c. Molliens-Vidame, à trois lieues et demie O. N. O. d’Amiens et à la même distance S. E. d’Abbeville.

[175]Aujourd’hui Nampty-Coppegueule, Somme, ar. Amiens, c. Conty. Froissart reproduit un passage de Jean le Bel dont voici le texte: «Il (Philippe de Valois), se loga en une ville qu’on appelle Copegueule, qui siet à trois lieues prez de la cité d’Amiens...» Les copistes de Froissart prenant le premier u de Copegueule pour un n, le second u pour un i ou un y, et réunissant la dernière syllabe de ce mot: le, aux deux mots qui suivent: qui siet, ont été conduits à forger un nom de lieu imaginaire: Copegney ou Copegni le-qui-siet, imprimé d’ordinaire dans les éditions antérieures et aussi dans la nôtre: Copegni l’Equisiet. Copegny l’Equisiet est purement fictif et ne provient que d’une mauvaise lecture de trois mots de Jean le Bel: Copegueule qui siet; en réalité ce n’est pas autre chose que Copegueule, localité placée, comme le dit Jean le Bel, à environ trois lieues d’Amiens et à cinq ou six lieues d’Airaines où campait Édouard III. Le nom de cette localité, située précisément sur la route de Beauvais à Amiens que suivait Philippe de Valois, est défiguré sur la carte de Cassini sous la forme Coppeguette, mais il a été rétabli sous sa vraie forme sur la carte de l’état-major (feuille de Montdidier), et il s’est conservé jusqu’à nos jours dans le nom de la commune de Nampty-Coppegueule.

[176]Aujourd’hui Longpré-les-Corps-Saints, Somme, ar. Abbeville, c. Hallencourt.

[177]Somme, ar. Abbeville, c. Ailly-le-Haut-Clocher. Le pont de l’Étoile (Somme, ar. Abbeville, c. Picquiguy) ayant été rompu, les Anglais essayèrent vainement de passer la Somme en amont d’Abbeville à Hangest et à Pont-Remy, où ils furent repoussés par le roi de Bohême. (Histoire chronologique des maieurs d’Abbeville, p. 321.)

[178]Somme, ar. Abbeville, c. Hallencourt.

[179]Somme, ar. Abbeville, c. Ailly-le-Haut-Clocher.

[180]Somme, ar. Amiens.

[181]D’après Jean le Bel (Chron., t. II, p. 80 et 81), le roi de France alla directement de Coppegueule (aujourd’hui Nampty-Coppegueule) à Airaines, sans passer par Amiens.

[182]Le Vimeu, ancien pagus Vimnaus, s’étendait entre la Somme et la Brêle; Saint-Valery-sur-Somme en était la ville principale.

[183]Aujourd’hui hameau de la comm. d’Offoy, Somme, ar. Péronne, c. Ham.

[184]Somme, ar. Amiens, c. Oisemont.

[185]Aujourd’hui Mareuil-Caubert, Somme, ar. et c. Abbeville. Cette localité est à quelque distance de la rive gauche de la Somme, à une demi-lieue au sud d’Abbeville; il n’y avait pas d’abbaye proprement dite, comme l’indique Froissart, mais seulement un prieuré dépendant de l’abbaye de Breteuil. L’église de Saint-Christophe de Mareuil figure en 1164 au nombre des biens, situés dans le diocèse d’Amiens, dont l’évêque Thierri confirme la possession à l’abbaye de Breteuil, au diocèse de Beauvais. V. le Gallia Christiana, t. X, Instrumenta, col. 263.

[186]Une attaque fut aussi dirigée contre Abbeville par le comte de Warwick et Godefroi de Harcourt, mais elle fut vigoureusement repoussée par le mayeur Colard Le Ver, V. Hist. d’Abbeville, par F. C. Louandre, éd. de 1844, t. I, p. 222 et 223.

[187]Somme, ar. Amiens, à quatre lieues au sud d’Abbeville. Le grant hospital dont parle Froissart était une commanderie de Saint-Jean de Jérusalem. M. Joachim Ambert, auteur d’une assez volumineuse dissertation sur la bataille de Crécy (Paris, 1845, petit in-8 de 144 pages avec une carte) croyant que ces mots: grant hospital désignent un hospice, croit retrouver cet hospice dans un enclos situé à Vismes qui porte aujourd’hui le nom de Maladrerie (V. p. 71 de son mémoire). On est exposé à ces méprises quand on croit pouvoir interpréter les textes en ancien français sans avoir appris suffisamment cette langue. Charles V, accordant en novembre 1372 certains priviléges à Oisemont en Vimeu, dit qu’il lui a été exposé «par nostre amé et féal conseiller le prieur et les frères de l’ordre de l’ospittal de Saint-Jehan de Jherusalem ou prieuré de France, et leurs hommes et subgiés les habitants de la ville d’Oysemont en Vimeu, que, vint et six ans a ou environ, ladite ville, laquelle estoit lors moult notable et bien peuplée, et y avoit bon marchié deux jours chascune sepmaine, et en laquelle nostre prevost de Vimeu tient son siège et ses plais deux fois la semaine, fut pieça, quant les Anglois ennemis de nostre royaume chevauchèrent par ledit pais en venant de Normandie à Calais.... arse, gastée et destruite, et pluseurs des habitans d’icelle les aucuns mors, et les autres prins et raenconnès par les dis ennemis.» (Arch. nat., JJ103, fº 142 vº, p. 304.)

[188]Saint-Valery-sur-Somme, Somme, ar. Abbeville.

[189]Passage de la Somme situé entre Abbeville et Saint-Valery, à une lieue et demie de l’une et l’autre de ces villes, en face des communes de Noyelles-sur-Mer et de Port-le-Grand, sur la rive droite, de Mons et de Saigneville, sur la rive gauche. Ce passage, autrefois le seul guéable en aval d’Abbeville, tire son nom, d’après Froissart, d’un amas de marne blanche qui forme à marée basse un atterrissement au milieu du cours de la rivière; il a été appelé quelquefois par corruption Blanquetade. «Cassini s’est trompé, dit M. F. C. Louandre, en plaçant le gué de Blanquetaque à l’embouchure de la Somme, au-dessus du Crotoy. Ce que les marins nomment Blanquetaque, c’est-à-dire tache blanche, est le point le plus apparent de la falaise crayeuse qui forme, au-dessus de Port-le-Grand, une longue bande de couleur blanche. C’est donc à douze ou quinze cents mètres environ, à l’aval de ce village, que nous devons placer l’endroit où se trouvait ce passage. Sur tous les points de la Somme, depuis Port-le-Grand jusqu’au Crotoy, le fond de la rivière est mobile comme ses flots: chaque marée le creuse ou l’exhausse alternativement; mais le gué de Blanquetaque n’a jamais varié. Dans les longues guerres du moyen âge, il a toujours servi de passage aux nombreuses armées qui ravagèrent le pays. Aujourd’hui, comme au temps de Gobin Agache, ce gué «est à gravier de blanche marle, fort et dur, sur quoi on peut fermement charrier.» Mais maintenant le fleuve est entièrement guéable depuis Port-le-Grand jusqu’à Noyelles.» (Dissertation sur la bataille de Crécy, par F. C. Louandre, dans la Revue anglo-française, t. III, p. 248). Le rédacteur des Grandes Chroniques est d’accord avec la tradition immémoriale du pays sur la position du gué de Blanquetaque: «il (le roi d’Angleterre) laissa son disner et s’en desparti et s’en ala à Saigneville, au lieu qui est dit Blanchetache» (éd. in-12, t. V, p. 459 et 460); Saigneville (Somme, ar. Abbeville, c. Saint-Valery-sur-Somme) est situé sur la rive gauche de la Somme, précisément en face de Noyelles et de Port-le-Grand.

[190]D’après Michel de Northburgh (Hist. Ed. III, p. 138), Édouard III passa la Somme le jour de la Saint-Barthélemy (24 août) 1346.

[191]Somme, ar. Abbeville, c. Ailly-le-Haut-Clocher.

[192]Somme, ar. Abbeville. Rue, sur la rive gauche de la Maye, se composait de deux paroisses, l’une sous le titre du Saint-Esprit, et l’autre sous celui de Saint-Wulphy.

[193]Aujourd’hui Montreuil-sur-Mer, chef-lieu d’arrondissement du Pas-de-Calais.

[194]Somme, ar. Abbeville, c. Rue.

[195]D’après Michel de Northburgh, le roi de France avait ordonné cinq cents hommes d’armes et trois mille gens des Communes pour garder le passage. Le combat fut acharné, puisque deux mille gens d’armes furent tués du côté des Français; en outre, beaucoup de chevaliers et d’écuyers furent faits prisonniers, et ceux qui parvinrent à s’échapper furent poursuivis jusqu’aux portes d’Abbeville.

[196]La rédaction d’Amiens ou seconde rédaction est la seule, comme l’a fait remarquer M. Rigollot, qui mentionne (p. 398) cette blessure de Godemar du Fay (V. Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie, t. III, p. 140). Godemar du Fay, qui avait sous ses ordres Jean de Picquigny, le sire de Caumont et Jean du Cange, trésorier des guerres, paraît avoir recommencé le combat entre Noyelles-sur-Mer et Sailly-le-Sec (Somme, ar. Abbeville, c. Nouvion-en-Ponthieu), sur la route d’Abbeville, où l’on découvre encore journellement, disait M. Seymour de Constant en 1831, des sarcophages entourés d’une grande quantité d’ossements épars. (V. Mémoire sur le plan et la position des deux armées à la bataille de Crécy, par le baron Seymour de Constant, p. 12. Abbeville, 1831, in-18 de 46 pages, avec une carte). Jean du Cange, que nous voyons chargé de défendre avec Godemar du Fay les passages de la Somme, devait connaître à fond le pays, car l’abbé de Corbie ayant demandé la permission d’établir un système de ventailles (écluses) en certains relais de la Somme et de faire payer un droit aux navires profitant de ces écluses, Philippe de Valois enjoignit en mars 1343 «à son amé vallet Jehan du Cange» de faire une enquête (Arch. nat., JJ74, p. 427, fº 246). L’insuccès de l’affaire de Blanquetaque ne fit encourir aucune disgrâce à Jean du Cange, qui était trésorier des guerres et gouverneur du comté de Ponthieu en décembre 1346 (Arch. nat., JJ100, fº 51, p. 151.)

[197]Aujourd’hui Noyelles-sur-Mer, Somme, ar. Abbeville, c. Nouvion-en-Ponthieu. Noyelles est à deux lieues et demie N. O. d’Abbeville. D’après M. F. C.T198 Louandre (Hist. d’Abbeville, éd. de 1844, t. I, p. 227), la plaine entre Noyelles et Port s’appelle encore aujourd’hui Blanquetaque.

[198]Froissart, en disant que la comtesse d’Aumale était sœur de Robert d’Artois, reproduit une erreur de Jean le Bel (Chron., t. II, p. 84). Catherine d’Artois, qui, dans un vidimus du 12 février 1347 où elle confirme la charte de commune de Ponthoile, prend le titre de «dame de Noyelles et de Pontoilles,» veuve en 1342 de Jean II de Castille-Ponthieu, comte d’Aumale, était fille, et non sœur, de Robert d’Artois. Blanche sa fille, mariée en 1340 à Jean de Harcourt, était nièce de Godefroi de Harcourt. (Bibl. nat., dép. des mss., collection de dom Grenier, vol. 214, fº 250.)

[199]Michel de Northburgh parle en ces termes de la prise et du pillage du Crotoy: «Et mesmes le jour (jeudi 24 août) mounsignour Hugues le Despenser prist la ville de Crotoie, et luy et sa gent tuèrent illesques quatre cens hommes d’armes et tendrent la ville et trouvèrent graunt plenté du vituailles» (V. Robert d’Avesbury, Hist. Ed. III, p. 138). Les archives du Crotoy ne furent pas plus épargnées que les habitants, car Philippe de Valois, confirmant en décembre 1346 une charte de priviléges octroyée en 1209 par Guillaume, comte de Ponthieu et de Montreuil, motive ainsi cette confirmation: «comme par souffiants relation nous soit apparu que les lettres et priviléges de Crotoy et de Maioc aient esté arses ou perdues par la venue du roi d’Angleterre nostre ennemi ou de ses gens, ou mois d’aoust derrain passé.» Arch. nat., JJ100, fº 51, p. 151.

[200]D’après Michel de Northburgh, Édouard III se tint sur le bord de la Somme pendant toute la journée du jeudi 24 août, et même il y coucha dans la nuit du 24 au 25, afin d’être en mesure d’empêcher le roi de France qui le suivait de passer à son tour au gué de Blanquetaque; mais Philippe de Valois n’osa tenter le passage en face de toute l’armée anglaise et prit la direction d’Abbeville.

[201]D’après le clerc d’Edouard III, le roi anglais passa la journée du vendredi dans la forêt de Crécy; il y a donc lieu de penser que passant par l’ancien chemin Vert et par Forest-l’Abbaye (Somme, ar. Abbeville, c. Nouvion-en-Ponthieu) il traversa la forêt de Crécy dans la partie comprise entre le Titre et la vieille ferme sise à Crécy qu’on nomme le Donjon.

CHAPITRE LX.

[202]Cf. Jean le Bel, Chron., t. II, chap, LXXII, p. 85 à 93. Aux études spéciales sur la bataille de Crécy déjà citées dans les notes qui précèdent, nous croyons utile d’ajouter l’indication des ouvrages suivants qui nous ont été obligeamment communiqués par notre confrère M. A. Demarsy:

[203]Ce bois est celui de Crécy-Grange qui figure encore aujourd’hui au Dictionnaire des Postes comme écart de la commune de Crécy-en-Ponthieu; il est situé un peu au nord du bourg de Crécy et de la commune de Wadicourt, à égale distance de ces deux localités. «Après avoir laissé la forêt de Crécy sur la gauche, l’armée anglaise avait pris position sur une hauteur, en appuyant son aile droite à Crécy et étendant sa gauche du côté de Wadicourt. Elle dominait ainsi, devant son front, un ravin en pente douce, nommé la Vallée des Clercs; cette excellente position militaire, défendue, du côté de Crécy, par plusieurs rideaux placés l’un sur l’autre, en escalier, devient un peu plus accessible en s’éloignant de ce bourg, et peut être tournée du côté de Wadicourt. Afin d’obvier à cet inconvénient, le roi d’Angleterre barricada sa gauche avec des palissades et des chariots, laissant néanmoins une ouverture pour sortir et entrer quand il serait temps; plaça son bagage derrière lui, dans le bois, à gauche du chemin qui conduit de Crécy à Ligescourt; fortifia ce bois avec des abatis, et fit ainsi de son poste un vaste camp retranché que protégeait encore la petite rivière de Maie qui coule dans la vallée de Crécy.» (Hist. d’Abbeville, par F. C. Louandre, t. I, p. 229.) Dans cette position, l’armée anglaise était retranchée sur sa droite, sur sa gauche et sur ses derrières. Édouard III ayant son extrême gauche un peu au delà de Wadicourt, à cheval sur l’ancienne chaussée Brunehaut d’Abbeville à Hesdin qui depuis la bataille du 26 août a reçu dans le pays le nom de Chemin de l’armée, Édouard III pouvait en cas d’échec opérer sa retraite par ce chemin en allant passer l’Authie à Ponche.

[204]La mention de cet ordre, empruntée à Jean le Bel (p. 91), ne se trouve que dans le manuscrit d’Amiens (p. 406).

[205]D’après la tradition du pays, Philippe de Valois, trompé par un faux rapport, se dirigea d’abord, en quittant Abbeville, vers Noyelles, dans l’espérance d’acculer les Anglais au milieu des marais de l’Authie. Ce ne fut qu’après avoir fait deux lieues sur cette route qu’il acquit la certitude qu’Édouard se trouvait à Crécy. Ce qui est certain, c’est que la route qui conduit d’Abbeville à Noyelles, porte encore le nom de Chemin de Valois; et il n’est pas un habitant du pays qui ne vous dise, si vous l’interrogez, que cette désignation vient du passage de Philippe de Valois. (V. Itinéraire à Crécy, par l’abbé Caron, p. 18, et Bataille de Crécy, par le baron Seymour de Constant, 3e éd., p. 67).

[206]Ce passage de la première rédaction (p. 174), supprimé dans la seconde (p. 413 et 416), est emprunté presque textuellement à Jean le Bel (Chron., t. II, p. 89); on le retrouve dans la troisième rédaction (p. 415 et 416) modifié de la manière suivante: «Ce que j’en ai écrit, je l’ai su par des chevaliers anglais qui assistèrent à cette bataille et étudièrent avec grand soin les mouvements des Français: ce furent Jean Chandos et Barthélemy de Burghersh et, du côté des Français, le sire de Montmorency et des chevaliers de la suite de monseigneur Jean de Hainaut, car ces deux hauts barons tinrent pendant toute cette journée la bride du cheval du roi de France.»

[207]«Tous les historiens, dit l’abbé Caron, tous les chroniqueurs qui ont décrit la bataille de Crécy rapportent qu’Édouard échelonna son armée sur la colline après l’avoir divisée en trois corps distincts qui formaient trois lignes ou, comme on disait alors, trois batailles, qu’il donna à son fils, le prince de Galles, alors âgé de quinze ans seulement, le commandement de la première bataille ou de la première ligne qui occupait la partie inférieure de la colline, et qu’il se réserva la direction de la troisième ligne située sur la partie la plus élevée. A l’aspect des lieux, il est facile de reconnaître ces dispositions de l’armée anglaise. Les trois lignes de bataille sont encore tracées sur le terrain, et séparées les unes des autres par des rideaux ou tertres de gazon qui se prolongent sur toute l’étendue de la colline et que dans le pays on appelle raidillons. On les a conservés intacts, et sans les mettre en culture. Ils servent aujourd’hui à soutenir les terres du champ de bataille qu’on cultive.» (Itinéraire au champ de bataille de Crécy, p. 31.)

[208]Il existe encore entre le bois de Crécy-Grange et la Vallée-aux-Clercs un moulin qui, d’après la tradition locale, aurait servi de poste d’observation à Édouard pendant la bataille. Ce moulin, du haut duquel la vue s’étend sur toute l’étendue de la Vallée aux Clercs, «porte, dit un savant du pays qui l’a visité, le cachet de la vétusté, et il est le seul des environs d’une construction aussi solide, établi sur une embase de grès taillés, désigné par l’histoire et par la tradition comme le moulin d’Édouard» (Bataille de Crécy, par le baron Seymour de Constant, 3e édit., Abbeville, 1851, p. 60).—«La tour de ce moulin, dit M. l’abbé Caron, a cinq pieds d’épaisseur.» (Itinéraire au champ de bataille de Crécy, Versailles, 1849, p. 34.)

[209]Nous avons ici, comme l’a bien vu M. Rigollot (Mém. de la Soc. des Antiq. de Picardie, t. III, p. 135, 180) la version anglaise de la bataille de Crécy; la version française de cette même bataille, empruntée presque textuellement à Jean le Bel, n’est donnée que par le ms. d’Amiens ou seconde rédaction; nous pensons seulement, à l’encontre du savant antiquaire d’Amiens, que la version anglaise est antérieure à la version française (V. notre introduction au premier livre, en tête du t. I de cette édition). Si Froissart a reproduit de préférence sa première version, malgré la couleur anglaise qui la distingue, dans le manuscrit de Rome, c’est sans doute parce que le chroniqueur de Valenciennes semble avoir composé sa troisième rédaction surtout pour faire disparaître de son premier livre ses emprunts trop textuels à Jean le Bel, ce que nous appellerions aujourd’hui ses plagiats.

[210]Ce chiffre semble exagéré. Le nombre de six mille donné par Villani, particulièrement bien informé quand il s’agit des mercenaires italiens au service de la France, est plus vraisemblable. D’après le chroniqueur florentin, on avait fait venir ces Génois de Harfleur où ils formaient l’équipage de trente-trois galées ancrées dans ce port; ils étaient sous les ordres de Charles Grimaldi et d’Ayton Doria. L’arme des Génois était l’arbalète à manivelle, machine pesante et d’un maniement assez compliqué qui lançait des quarreaux ou viretons.

[211]Cet incident, rapporté aussi par les continuateurs des Chroniques de Nangis et de Saint-Denis, mais passé sous silence par Villani, n’est mentionné que dans les première et troisième rédactions; Froissart l’a supprimé dans le manuscrit d’Amiens ou seconde rédaction.

[212]Ce passage du ms. d’Amiens, qui nous fournit la version française de la bataille de Crécy, n’est que la reproduction presque textuelle, sauf une addition relative à l’emploi de canons par les Anglais, du texte de Jean le Bel (Chron., t. II, p. 87 à 89). Le chroniqueur liégeois lui-même tenait ce récit de Jean de Hainaut qui fut toute cette journée à la bride du cheval du roi de France.

[213]Cette mention de l’emploi de canons par les Anglais à la bataille de Crécy, qui ne se trouve que dans la seconde rédaction de Froissart, est confirmée par le continuateur des Chroniques de Saint-Denis et par Villani; ce dernier donne aux canons des Anglais, au nombre de trois selon le chroniqueur de Saint-Denis, le nom de bombardes. «Un des canons très-curieux, dit M. Louandre, dont les Anglais firent usage à Crécy, et qui était conservé à la Tour de Londres, fut retrouvé presqu’entier parmi les décombres, après l’incendie de cette Tour en 1841 (voir le Journal des Débats du 8 novembre 1841).» (Hist. d’Abbeville, éd. de 1844, t. I, p. 236, en note.) D’un autre côté, on lit dans le Courrier de la Somme du 5 septembre 1850: «Samedi dernier, M. Davergne, cultivateur, a trouvé en labourant sur le champ de bataille de Crécy, un boulet en fonte du poids de 560 grammes, d’une circonférence de 24 centimètres; il est tout détérioré par la rouille.»

[214]L’arme des archers anglais était l’arc simple ou arc à main qui lançait la flèche ou saiette (sagitta). D’après Villani, les archers anglais, pour un quarreau d’arbalète que les Génois avaient lancé, leur décochaient trois saiettes. Les Anglais, au quatorzième siècle, s’étaient si bien approprié le maniement de l’arc à main que Gaston Phœbus, comte de Foix, dans son Traité de la chasse, l’appelle arc turquois ou anglais et renvoie à l’école des Anglais ceux qui veulent s’y perfectionner. Dans les miniatures des manuscrits des Chroniques de Froissart où l’on a représenté la bataille de Crécy, notamment dans les beaux mss. du quinzième siècle provenant de la collection du seigneur de la Gruthuse, on a très-bien marqué la différence des arbalètes à manivelle si massives des Génois et des arcs à main si légers et si commodes des Anglais.

[215]Miles VI du nom, seigneur de Noyers et de Vendeuvre, maréchal, porte-oriflamme et grand bouteiller de France, ne fut pas tué à Crécy; il mourut fort âgé au mois de septembre 1350. (V. Anselme, Hist. généal., t. VI, p. 648.)

[216]Sans doute Raismes, Nord, ar. Valenciennes, c. Saint-Amand-les-Eaux.

[217]Les qualifications mises entre crochets ne se trouvent que dans le ms. de Rome (p. 420). On avait cru jusqu’à présent que Froissart, en donnant à Jean de Bohême le prénom de Charles, avait reproduit une erreur de Jean le Bel: le roi de Bohême a-t-il été réellement rebaptisé sous le prénom de Charles, ainsi qu’on le lit dans la rédaction de Rome; ou le chroniqueur de Valenciennes a-t-il essayé de pallier après coup une erreur qu’il avait commise? Nous laissons à des érudits plus complétement renseignés que nous le soin de choisir entre cette alternative.

[218]Le savant Sinner, dans son Catalogus codicum mss. bibliothecæ Bernensis (t. II, Berne, 1770, p. 220 à 241), décrivant le ms. donné en 1697, à la bibliothèque de Berne, par le comte Alexandre de Dohna, et trouvant dans ce ms. le nom de ce chevalier écrit: le Moyne de Bascle, avait émis l’opinion qu’il appartenait à une illustre maison de Bâle, en Suisse, appelée le Moyne; mais la forme Bascle n’est donnée que par une dizaine de manuscrits de la même famille; ce nom est écrit: Basèle, Baselle et même Baselée dans tous les autres manuscrits (V. p. 412). Il est aujourd’hui démontré que l’habile et courageux chevalier dont les sages conseils, si on les eût suivis, auraient sauvé l’armée française à Crécy, était originaire de l’ancien comté de Luxembourg. Un Alard de Basailles (en latin: de Basellis) figure en 1307 parmi les feudataires de Henri, comte de Luxembourg, auquel il prête serment de foi et hommage en promettant de le servir envers et contre tous, excepté l’évêque de Liége (Bibl. nat., dép. des mss., fonds latin, nº 10163, fº 67 vº). Il y avait au moyen âge deux seigneuries et deux châteaux de Bazeilles, l’un sur l’Otain (Meuse, ar. et c. Montmédy), l’autre sur la rive droite de la Meuse à 3 kil. E. S. E. de Sedan (Ardennes, ar. et c. Sedan). L’héroïque compagnon d’armes de Jean de Luxembourg à Crécy devait tirer son nom et son origine du Bazeilles voisin de Sedan, car un «Obertin de Baseilles» est cité dans un acte du 11 juin 1359 parmi les hommes de fief de la châtellenie de Bouillon. (V. Table chronologique des chartes de l’ancien comté de Luxembourg, par Fr. X. Wurth-Paquet, Luxembourg, 1869, in-4º, p. 65.) D’après M. Jeantin, cité par M. Kervyn (t. V de son édition des Chroniques de Froissart, p. 475 et 476), les seigneurs de Bazeilles devaient ce surnom de moine à leur cimier qui portait un moine ou un hermite tenant un chapelet. Le nom du petit village de Bazeilles se trouve ainsi associé d’une manière glorieuse à deux des plus grands désastres de notre histoire.

[219]Une croix, nommée dans le pays Croix de Bohême, sise à Fontaine-sur-Maye, sur le Chemin de l’Armée, rappelle l’endroit où est mort Jean de Bohême.

[220]L’écuyer dont il s’agit ici est Lambert IV de Dammartin de Warfusée, seigneur d’Oupeye, dont le père, Lambert III, maréchal de l’évêque et prince de Liége, était mort le 1er janvier 1346 (n. st.). On voit par un acte du 11 juin 1359 que Lambert d’Oupeye était prévôt de Bouillon. (V. Table chronol. des chartes du Luxembourg, in-4º, 1869, p. 65.)

[221]Charles IV, fils de Jean de Luxembourg, roi de Bohême, avait été élu roi des Romains le 11 juillet 1346.

[222]Buhot est un mot de l’ancien français, qui s’est conservé dans divers patois et notamment dans le patois normand, et qui désigne ici une sorte d’étui où reposait l’extrémité de la hampe.

[223]Auj. Belgique, prov. Luxembourg, ar. Bastogne.

[224]Nord. ar. Avesnes, c. Quesnoy.

[225]Pas-de-Calais, ar. Montreuil-sur-Mer, c. Hesdin. Labroye, par où le roi de France vaincu se replia sur Amiens, est un peu à l’est de Crécy. L’armée anglaise était adossée au petit bois de Crécy-Grange, appuyant sa droite au bourg de Crécy et à la Maye, son centre au fameux moulin à vent, sa gauche à Wadicourt; son front dominait la Vallée des Clercs, principal théâtre de l’action. L’armée française tournait le dos à Labroye, sa gauche formée par les Génois en avant de Fontaine, vis-à-vis la Vallée des Clercs, son centre à Estrées, sa droite à la ferme de Branlicourt voisine de Labroye. C’est ce qui explique pourquoi, lorsque la gauche et le centre de l’armée française, c’est-à-dire les Génois et le comte d’Alençon, eurent été mis en déroute par le prince de Galles et les archers anglais, Philippe de Valois, qui commandait la droite, opéra sa retraite par le château de Labroye.

[226]Jean V de Harcourt, comte d’Aumale, fils de Jean IV, comte de Harcourt tué à Crécy, fut seulement blessé dans la bataille du 26 août 1346: le roi Jean le fit décapiter en 1355.

[227]D’après l’Art de vérifier les dates (t. II, p. 778) Jean de Châtillon, comte de Saint-Paul, serait mort avant 1344, et son fils et successeur Gui V était trop jeune en 1346 pour se battre à Crécy.

[228]Ce châtelain, nommé Jean Lessopier, dit Grand-Camp, était entièrement dévoué à Philippe de Valois.

[229]La section du chemin d’Abbeville à Hesdin située entre Marcheville et Wadicourt, qui longe la Vallée-des-Clercs, s’appelle encore le Chemin de l’armée. L’écrasement dont parle Froissart eut lieu sans doute au fond du ravin qui donne accès dans la Vallée des Clercs du côté de Wadicourt en un lieu-dit nommé par les gens du pays le Marché à Carognes.

[230]Cette indication concorde bien avec la situation topographique des deux armées. L’armée française, développant ses lignes parallèlement au Chemin de l’armée avec Crécy pour objectif, avait la face tournée vers l’ouest; et comme le combat commença vers quatre heures de l’après-midi, elle devait avoir le soleil dans les yeux.

[231]Nicolas Roger, archevêque de Rouen, oncle du pape Clément VI, ne fut pas tué à Crécy; il mourut à Avignon en 1347. (V. Gallia Christiana, t. XI, col. 79.)

[232]La plaine, où s’était engagé le fort du combat, nommée auparavant Bulecamp ou Bulincamp, prit du recensement des morts fait par ces clercs le nom de Vallée-aux-Clercs qu’elle porte encore aujourd’hui. On y voit deux larges fosses, l’une à l’angle formé par cette vallée et celle de la Maye, l’autre près d’un ravin descendant de la colline où se trouvaient les Anglais. (V. Histoire généalogique des comtes de Ponthieu et maieurs d’Abbeville, par Jacques Sanson, en religion frère Ignace, p. 334. Paris, 1657, in-fol. Cf. Itinéraire, etc., par l’abbé Caron, p. 36, et Notice historique sur Crécy, par de Cayrol, Compiègne, 1836, p. 6.)]

[233]Nous ignorons quel est ce prélat. Michel de Northburgh se trompe en rangeant parmi les morts l’évêque de Nîmes et l’archevêque de Sens. (Hist. Edw. III, p. 139.)

[234]Ce chiffre est, selon toute vraisemblance, très-exagéré. Northburgh porte le nombre des morts, pour le samedi 26, à 1542, non compris les fantassins et gens des communes, pour le dimanche 27, à 2000; or le clerc d’Édouard III a dû augmenter plutôt qu’atténuer les pertes des Français.

[235]Raoul, duc de Lorraine; Charles, comte du Perche et d’Alençon; Louis de Châtillon, comte de Blois; Louis, dit de Nevers et de Crécy, comte de Flandre; Jean IV, comte de Harcourt; Jean II, comte d’Auxerre et de Tonnerre; Louis II, comte de Sancerre; Simon, comte de Salm, succombèrent en effet à Crécy. Jean V de Harcourt, comte d’Aumale, fut seulement blessé, comme nous l’avons dit plus haut. En revanche, on peut ajouter à la liste, donnée par Froissart, des grands seigneurs tués à Crécy, Henri IV, comte de Vaudemont, gendre du roi de Bohême, et Jean V, comte de Roucy.

[236]Il était dans la destinée de Jean de Bohême d’être aussi errant après sa mort que pendant sa vie. Quoi qu’en aient dit les auteurs de l’Art de vérifier les dates (t. III, page 458, note 1), le cœur seul de Jean de Luxembourg a dû être déposé dans l’église des Dominicaines de Montargis, dont une tante de ce prince était prieure et une autre religieuse. Les restes de ce preux, déposés provisoirement dans l’abbaye de Valloires (auj. couvent de la comm. d’Argoules, Somme, ar. Abbeville, c. Rue), furent transportés, du vivant de l’empereur Charles son fils, en grande pompe, à Luxembourg et inhumés dans la crypte des Bénédictins d’Altmunster, près Luxembourg, puis dans l’église des Récollets, ensuite dans celle de Munster au Grunt, d’où le vandalisme révolutionnaire les fit passer dans le cabinet d’antiquités de M. Buch Buchmann, propriétaire d’une faïencerie près de Trèves; ils se trouvent aujourd’hui à Castel, à une lieue et demie environ au sud de Saarburg (Prusse, prov. Bas-Rhin, rég. Trèves). V. le beau livre de M. le professeur Schœtter, Johan, graf von Luxemburg und könig von Böhmen. Luxemburg, Bück, 1865.

[237]Maintenay ou Maintenay-Roussent, Pas-de-Calais, ar. Montreuil-sur-Mer, c. Campagne-lès-Hesdin, sur la rive droite de l’Authie, à 13 kil. S. S. E. de Montreuil. Maintenay n’était pas une abbaye, comme le dit Froissart, mais un prieuré du diocèse d’Amiens.

[238]Aujourd’hui Vieil-Hesdin, Pas-de-Calais, ar. Saint-Pol-sur-Ternoise, c. le Parcq, à une l. E. S. E. de la ville moderne de Hesdin fondée, comme on sait, en 1554, par Charles-Quint.

[239]Pas-de-Calais, ar. et c. Montreuil-sur-Mer.

[240]Aujourd’hui Beaurain-Château, hameau de la commune de Beaurainville, Pas-de-Calais, ar. Montreuil-sur-Mer, c. Campagne-lès-Hesdin.

[241]Aujourd’hui Blangy-sur-Ternoise, Pas-de-Calais, ar. Saint-Pol-sur-Ternoise, c. le Parcq.

[242]Pas-de-Calais, ar. et c. Montreuil-sur-Mer.

[243]Pas-de-Calais, ar. Montreuil-sur-Mer.

[244]Pas-de-Calais, ar. Montreuil-sur-Mer, c. Samer.

[245]Aujourd’hui hameau et château de la commune de Condette, Pas-de-Calais, ar. Boulogne-sur-Mer. La forêt de Hardelot, marquée sur la carte de Cassini, contenait encore, en 1667, douze cent vingt arpents et vingt verges; les bois de Boulogne-sur-Mer, situés un peu plus au N. E., contenaient à la même époque quatre mille quatre cents arpents environ. V. Les forêts de la Gaule, par A. Maury, éd. de 1867, p. 177.

[246]Pas-de-Calais, ar. Boulogne-sur-Mer, c. Marquise.

[247]Abbaye d’hommes de l’ordre de Cîteaux, au diocèse d’Amiens, à trois l. N. O. de cette ville; aujourd’hui couvent et château de la commune de Crouy, Somme, ar. Amiens, c. Picquigny. Le célèbre manuscrit du premier livre des Chroniques de Froissart, qui fait aujourd’hui partie de la bibliothèque de la ville d’Amiens, le seul qui nous ait conservé la seconde rédaction du premier livre de notre chroniqueur, provient de l’abbaye du Gard.

CHRONIQUES

[248]Mss. B 4, 3, fº 87 vº.—Ms. B 1: «que ne.» Mauvaise leçon.

[249]Mss. B 4, 3, fº 87 vº.—Ms. B 1 (lacune).

[250]Ms. B 3, fº 90 vº.—Mss. B 1, 4 (lacune).

[251]Mss. B 4, 3, fº 88 vº.—Ms. B 1, fº 133 vº (lacune).

[252]Ms. B 4, fº 88 vº.—Mss. B 1, 3, fº 134 (lacune).

[253]Mss. B 4, 3, fº 89.—Ms. B 1, fº 134 vº (lacune).

[254]Mss. B 4, 3, fº 89.—Ms. B 1 (lacune).

[255]Mss. B 4, 3, fº 89.—Ms. B 1 (lacune).

[256]Mss. B 4, 3, fº 89.—Ms. B 1, fº 135 (lacune).

[257]Mss. B 4, 3, fº 89 vº.—Ms. B 1 (lacune).

[258]Mss. B 4, 3.—Ms. B 1 (lacune).

[259]Mss. B 4, 3, fº 89 vº.—Ms. B 1 (lacune).

[260]Ms. B 4, fº 90 vº.—Mss. B 1, 3, fº 137 (lacune).

[261]Ms. B 4: «ly ennemis en parloient.» Fº 90 vº.

[262]Mss. B 4, 3, fº 91 vº.—Ms. B 1, fº 138: «devant Hembon.» Mauvaise leçon.

[263]Ms. B 3, fº. 95.—Mss. B 1, 4: «que.» Fº 139 vº.

[264]Mss. B 4, 3, fº 92 vº.—Ms. B 1, fº 139 vº (lacune).

[265]Mss. B 4, 3.—Ms. B 1: «et furent pris devant le barrière en bon convenant.»

[266]Ms. B 4, fº 92 vº.—Ms. B 1, fº 140 (lacune).

[267]Mss. B 4, 3.—Ms. B 1: «baron.» Mauvaise leçon.

[268]Ms. B 4.—Ms. B 1 (lacune).

[269]Ms. B 4: «veurrent.» Fº 93.—Ms. B 3: «volurent.» Fº 94 vº.

[270]Mss. B 4, 3, fº 93.—Ms. B 1, fº 140 vº (lacune).

[271]Mss. B 4, 3, fº 93 vº.—Ms. B 1, fº 141 vº: «avoient.» Mauvaise leçon.

[272]Mss. B 4, 3, fº 93 vº.—Ms. B 1, fº 141 vº: «l’arriegade.» Mauvaise leçon.

[273]Mss. B 4, 3, fº 94.—Ms. B 1 (lacune).

[274]Ms. B 3, fº 95 vº.—Ms. B 1, fº 142: «quatre tans.»—Ms. B 4: «quatre contre ung.» Fº 94.

[275]Mss. B 4, 3, fº 94.—Ms. B 1, fº 142: «l’ost.» Mauvaise leçon.

[276]Mss. B 4, 3, fº 94 vº.—Ms. B 1, fº 142 vº: «savoient.» Mauvaise leçon.

[277]Mss. B 4, 3, fº 94 vº.—Ms. B 1: «sannable.» Mauvaise leçon.

[278]Mss. B 4, 3, fº 95.—Ms. B 1, fº 143 vº (lacune).

[279]Ms. B 3, fº 96 vº.—Mss. B 1, 4: «sannables.» Mauvaise leçon.

[280]Ms. B 4: «samblable.» Fº 95.—Ms. B 3: «semblablement.» Fº 97.

[281]Mss. B 4, 3, fº 95 vº.—Ms. B 1, fº 144 (lacune).

[282]Mss. B 4, 3, fº 96.—Ms. B 1, fº 144 vº (lacune).

[283]Mss. B 4, 3, fº 96.—Ms. B 1, fº 145 (lacune).

[284]Mss. B 4, 3.—Ms. B 1 (lacune).

[285]Mss. B 4, 3, fº 96.—Ms. B 1, fº 145 vº (lacune).

[286]Ms. B 3, fº 98: «de Laigle.»—Mss. B 1, 4: «Laille.» Fº 145 vº.

[287]Mss. B 4, 3, fº 96 vº.—Ms. B 1, fº 145 vº: «conte.» Mauvaise leçon.

[288]Ms. B 3, fº 98.—Mss. B 1, 4: «Lescuc.» Mauvaise leçon.

[289]Mss. B 4, 3, fº 96 vº.—Ms. B 1, fº 145 vº (lacune).

[290]Mss. B 4, 3.—Ms. B 1 (lacune).

[291]Mss. B 4, 3, fº 97.—Ms. B 1, fº 147: «contes.» Mauvaise leçon.

[292]Ms. B 3, fº 100 vº.—Ms. B 1, fº 148 vº: «Piereguis.»

[293]Mss. B 4, 3, fº 98 vº.—Ms. B 1: «la Montgis.»

[294]Mss. B 4, 3, fº 98 vº.—Ms. B 1: «trairoient.» Fº 148 vº.

[295]Ms. B 3, fº 100 vº.—Ms. B 1, fº 148 vº: «Pieregnis.»—Ms. B 4, fº 98 vº: «Pierogorth.»

[296]Ms. B 4, 3, fº 98 vº.—Ms. B 1, fº 139: «s’aploit.» Mauvaise leçon.

[297]Mss. B 4, 3.—Ms. B 1: «la Montgis.»

[298]Ms. B 3, fº 101 vº.—Ms. B 1, fº 149 vº: «Pieregnis.»—Ms. B 4, fº 99: «Pieregorth.»

[299]Ms. B 3, fº 102.—Mss. B 1, 4, fº 149 vº: «Lescuc.» Mauvaise leçon.

[300]Mss. B 4, 3, fº 100.—Ms. B 1, fº 151 (lacune).

[301]Ms. B 4, fº 101.—Ms. B 1 (lacune). Fº 152 vº.—Ms. B 3: «s’ilz laissoient.» Fº 103 vº.

[302]Mss. B 4, 3, fº 101.—Ms. B 1, fº 153 (lacune).

[303]Mss. B 4, 3, fº 101.—Ms. B 1, fº 153: «savoient.» Mauvaise leçon.

[304]Ms. B 3, fº 103 vº.—Mss. B 1, 4: «de Pennebruc.» Fº 153.

[305]Mss. B 1, 3, 4: «Herbi! Herbi!» Fº 153 vº.

[306]Mss. B 1, 3, 4: «il.»

[307]Mss. B 4, 3, fº 102.—Ms. B 1, fº 154 (lacune).

[308]Mss. B 4, 3.—Ms. B 1 (lacune).

[309]Mss. B 4, 3, fº 103 vº.—Ms. B 1, fº 155 vº (lacune).

[310]Ms. A 2, fº 119 vº.—Mss. B 1, 3, 4, fº 155 vº: «Sainte Basille.» Mauvaise leçon.

[311]Mss. B 4, 3, fº 105 vº.—Ms. B 1, fº 159 vº (lacune).

[312]Mss. B 4, 3, fº 106.—Ms. B 1, fº 160 (lacune).

[313]Mss. B 4, 3, fº 107.—Ms. B 1, fº 162 (lacune).

[314]Mss. B 4, 3, fº 107.—Ms. B 1, fº 162 (lacune).

[315]Mss. B 4, 3, fº 107 vº.—Ms. B 1, fº 162 vº (lacune).

[316]Ms. B 4, fº 107 vº.—Ms. B 1: «malmenés.» Mauvaise leçon.

[317]Ms. B 4: «besongnoit.» Fº 107 vº.

[318]Ms. B 4, fº 108: «hamer.»

[319]Ms. B 4: «tourblés.» Fº 108 vº.—Ms. B 3: «courroussé.» Fº 112.

[320]Ms. B 4, fº 109.—Mss. B 1, 3, fº 165 vº: «vendre.» Mauvaise leçon.

[321]Mss. B 4, 3, fº 109.—Ms. B 1, fº 165 vº: «mère.» Mauvaise leçon.

[322]Mss. B 4, 3, fº 110.—Ms. B 1, fº 166 vº (lacune).

[323]Mss. B 4, 3, fº 110.—Ms. B 1, fº 167 (lacune).

[324]Mss. B 4, 3, fº 111.—Ms. B 1: «commencent.» Fº 168 vº.

[325]Ms. B 3, fº 115.—Mss. B 1, 4, fº 168 vº (lacune).

[326]Mss. B 4, 3, fº 111 vº.—Ms. B 1, fº 169 (lacune).

[327]Ms. B 3, fº 115 vº.—Mss. B 1, 4, fº 169 vº (lacune).

[328]Ms. B 3, fº 116.—Mss. B 1, 4, fº 170 (lacune).

[329]Ms. B 3, fº 116: «en peu de temps.»

[330]Ms. B 3: «de Valoigne.» Fº 119 vº.—Mss. B 1, 4: «Davaloigne.» Fº 175.

[331]Mss. B 4, 3, fº 116.—Ms. B 1, fº 175 vº: «leurs.» Mauvaise leçon.

[332]Mss. B 1, 3, 4, fº 176 vº (lacune).

[333]Mss. B 4, 3, fº 116 vº.—Ms. B 1, fº 177 (lacune).

[334]Mss. B 4, 3, fº 116 vº.—Ms. B 1, fº 177 (lacune).

[335]Ms. B 3: «et là feit venir le conte de Hantiton.» Fº 121.—Mss. B 1, 4: «le fist venir li contes.» Fº 177. Mauvaise leçon.

[336]Mss. B 4, 3, fº 117 vº.—Ms. B 1, fº 178 (lacune).

[337]Mss. B 4, 3, fº 117 vº.—Ms. B 1, fº 178: «fussent.» Mauvaise leçon.

[338]Mss. B 4, 3, fº 118 vº.—Ms. B 1, fº 180: «avoit.» Mauvaise leçon.

[339]Ms. de Rome, fº 115.—Mss. A et B: «Messien.» Mauvaise leçon.

[340]Mss. B 4, 3, fº 109.—Ms. B 1, fº 180 (lacune).

[341]Ms. B 3, fº 123 vº.—Mss. B 1, 4, fº 180: «gardaissent.» Mauvaise leçon.

[342]Mss. B 4, 3, fº 109.—Ms. B 1, fº 180 vº (lacune).

[343]Mss. B 4, 3, fº 119 vº.—Ms. B 1, fº 181: «avoient.» Mauvaise leçon.

[344]Mss. B 4, 3, fº 120.—Ms. B 1, fº 182 (lacune).

[345]Mss. B 4, 3, fº 121.—Ms. B 1, fº 183 vº: «de.» Mauvaise leçon.

[346]Mss. B 4, 3, fº 122.—Ms. B 1, fº 185: «savoit.» Mauvaise leçon.

[347]Ms. B 3, fº 122.—Mss. B 1, 4: «isteroient.» Mauvaise leçon.

[348]Mss. B 4, 3, fº 122 vº.—Ms. B 1, fº 185 vº (lacune).

[349]Mss. B 4, 3, fº 122 vº.—Ms. B 1, fº 186 (lacune).

[350]Mss. B 4, 3, fº 122 vº.—Ms. B 1, fº 186 (lacune).

[351]Mss. B 4, 3, fº 124.—Ms. B 1, fº 188 (lacune).

[352]Ms. B 4, fº 124 vº.—Ms. B 1, t. II, fº 3 vº (lacune).

[353]Mss. B 4, 3, fº 125.—Ms. B 1, t. II, fº 3 vº: «amis.» Mauvaise leçon.

[354]Mss. B 4, 3.—Ms. B 1: «ennemis.» Mauvaise leçon.

[355]Ms. B 4, fº 125.—Ms. B 1, t. II, fº 4 (lacune).

[356]Mss. B 4, 3, fº 126.—Ms. B 1, t. II, fº 5 vº (lacune).

[357]Mss. B 4, 3, fº 126 vº.—Ms. B 1, t. II, fº 6 (lacune).

[358]Mss. B 4, 3, fº 127 vº.—Ms. B 1, t. II, fº 7 vº (lacune).

VARIANTES

[359]Ms. B 6: Et y avoit entre les Englès Gallois à piet qui ont usaige de poursievir ost, que on appelle pillars et rubaudaille; et portoient par usaige grandes coustilles: sy s’en venoient tout en muçant tout soiement entre leurs archiés et les gens d’armes. Fº 327.

[360]Ms. B 6: messire Mille de Noiiers, ung chevalier de Bourgongne, vaillant homme d’armes; mais il ala sy avant que luy et la banière demorèrent. Fº 329.

[361]Ms. B 6: et prist la banière du dessus dit seigneur, l’en ala porter entre les Englès, et là mourut; et fu la banière jettée par terre. Fº 330.

[362]Un feuillet du ms. du Vatican a été arraché en cet endroit; et l’intérêt exceptionnel qui s’attache à la bataille de Crécy, rend cette lacune doublement regrettable.

[363]Voy. l’introduction au premier livre, placée en tête du tome premier de notre édition, p. XXXV et XXXVII.

[364]Voy. sur ces miniatures l’intéressante brochure du docteur Alwin Schultz, Beschreibung der Breslauer Bilderhandschrift des Froissart, Breslau, 1869, in-4º de 19 pages avec la reproduction photographique d’une miniature et 6 dessins. Cf. J. E. Scheibel, Nadendilen von den Merkeowrdigkeilen der Rheingerschen Bibliotheck, Breslau, 1794.

[365]A la suite des dernières lignes du quatrième volume, on lit ces mots: «Cy fine le quart et dernier volume des Croniques messire Jehan Froissart touchant les histoires et advenues de France et d’Angleterre, grossé par David Aubert l’an de grace Nostre Seigneur 1468. Nul ne s’y frote. B. de Bourgogne.» (Nul ne s’y frote est la devise et B. de Bourgogne la signature autographe d’Antoine, bâtard de Bourgogne).

TABLE

Note sur la transcription de la Table.

Les renvois vers le Sommaire ont été vérifiés et corrigés, mais les renvois vers le texte des Chroniques et vers les Variantes ont été reproduits tels qu'ils apparaissent dans l'original.

CHAPITRE LI.

Robert d’Artois en Bretagne.—Sommaire, p. I à V.—Texte, p. 1 à 20.—Variantes, p. 197 à 224.

CHAPITRE LII.

Édouard III en Bretagne.—Sommaire, p. VI à IX.—Texte, p. 20 à 34.—Variantes, p. 224 à 246.

CHAPITRE LIII.

Exécution d’Olivier de Clisson suivie de celle d’un certain nombre de chevaliers bretons.—Exécution des seigneurs normands complices de Godefroi de Harcourt.—Édouard III fait défier le roi de France.—Sommaire, p. IX à XII.—Texte, p. 35 à 41.—Variantes, p. 247 à 257.

CHAPITRE LIV.

Première campagne du comte de Derby en Guienne.—Sommaire, p. XII à XVIII.—Texte, p. 42 à 73.—Variantes, p. 257 à 295, 440 et 441.

CHAPITRE LV.

Bruits calomnieux contre Édouard III.—Seconde campagne du comte de Derby en Guienne.—Sommaire, p. XVIII à XXIV.—Texte, p. 74 à 96.—Variantes, p. 296 à 313, 441 à 444.

CHAPITRE LVI.

Bannissement de Godefroi de Harcourt.—Mort de Jacques d’Arteveld et du comte de Hainaut.—Jean de Hainaut embrasse le parti de Philippe de Valois.—Sommaire, p. XXV à XXVIII.—Texte, p. 96 à 108.—Variantes, p. 313 à 325, 444 et 445.

CHAPITRE LVII.

Expédition de Jean, duc de Normandie, en Guienne.—Siège d’Aiguillon.—Sommaire, p. XXVIII à XXXIII.—Texte, p. 108 à 128.—Variantes, p. 326 à 351, 445.

CHAPITRE LVIII.

Édouard III en Normandie.—Sommaire, p. XXXIII à XXXIX.—Texte, p. 129 à 149.—Variantes, p. 351 à 383, 446 et 447.

454

CHAPITRE LIX.

Édouard III dans l’Ile de France, la Picardie, le Vimeu et le Ponthieu; préliminaires de la bataille de Crécy.—Sommaire, p. XL à XLVIII.—Texte, p. 149 à 167.—Variantes, p. 384 à 404, 448 et 449.

CHAPITRE LX.

Bataille de Crécy.—Sommaire, p. XLVIII à LXIII.—Texte, p. 168 à 193.—Variantes, p. 405 à 437, 450 et 451.

FIN DE LA TABLE DU TOME TROISIÈME.

Typographie Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris.