Title: Au Hoggar
mission de 1922
Author: Conrad Kilian
Release date: March 30, 2024 [eBook #73291]
Language: French
Original publication: Paris: Société d'éditions géographiques maritimes et coloniales
Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Bibliothèque Sainte-Geneviève and the ULB Sachsen-Anhalt)
AU HOGGAR
IL A ÉTÉ
TIRÉ DE CET OUVRAGE
CENT TRENTE EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 130
ET NON MIS DANS LE COMMERCE
Conrad KILIAN
Ouvrage orné de trois cartes et de seize planches hors-texte
PARIS
SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS
GÉOGRAPHIQUES, MARITIMES ET
COLONIALES
ANCIENNE MAISON CHALLAMEL,
FONDÉE EN 1839
17, rue Jacob
(VIe)
1925
A
M. E.-F. GAUTIER
EN HOMMAGE
DE RESPECTUEUSE ADMIRATION
C. K.
Au cours de l’année 1922, j’ai effectué une mission en Sahara Central.
Le but de cet ouvrage est de faire connaître les observations diverses que j’ai pu faire pendant cette mission, soit nouvelles, soit confirmant les observations antérieures (quand des explorateurs m’avaient précédé), ainsi que les vues d’ensemble, les idées, auxquelles ces observations m’ont parfois conduit.
J’ai laissé de côté généralement ce qui avait trait aux difficultés que j’ai rencontrées dans l’exécution de cette mission, non que je n’en aie point eues, ou que je n’aie point lieu d’être fier de la manière dont je les ai surmontées, mais parce qu’il m’a paru que cela ne rentrait pas dans le cadre de cet ouvrage.
J’ai également laissé de côté en général toute allusion aux dangers que j’ai pu courir ou affronter, à l’endurance dont j’ai pu avoir à faire preuve, aux privations que j’ai pu avoir à subir ou à m’imposer, bref au côté sportif de ma mission, non que tout cela n’ait joué un rôle à certains moments et que je n’aie eu parfois à sourire des situations auxquelles peuvent mener en certaines régions du Sahara[8] la curiosité scientifique, la passion de connaître, celle de la pénétration, l’amour du nouveau, de l’inconnu, ainsi qu’un penchant particulier à jouer avec le paradoxe, les difficultés et le danger. Il m’a paru également que cela sortait du cadre de cette étude et n’avait d’ailleurs guère d’intérêt[1].
J’ai enfin également, en général, peu traité des questions d’influence, de pénétration française, de politique indigène (état de pacification, tranquillité des tribus, apprivoisement), non que cette activité ne m’ait également passionné et que je n’aie coopéré en Français, et en officier de réserve, dans la mesure de mes moyens, à la grande œuvre des Officiers du Sud, mais parce que d’une part depuis lors (c’était au début de 1922) la situation ayant évolué, ce que je pourrais dire ne serait plus d’actualité, et que d’autre part ce n’est pas à moi qu’il convient de parler de cette œuvre collective, mais aux chefs admirables qui la dirigent tout à l’honneur de la France.
J’ai cru, par contre, devoir introduire dans ces études, afin de les animer un peu, quelques impressions de voyage : on me pardonnera peut-être le tour moins scientifique que j’ai tenté de donner ainsi à cet ouvrage, si je suis arrivé, ce qui était mon but, par ce moyen à en rendre la lecture moins aride.
La partie géologique de ce travail est extraite d’une étude intitulée : « Essai de synthèse de la géologie du Sahara Sud-Constantinois et du Sahara Central » livrée en mars 1923 pour paraître dans les comptes rendus du Congrès Géologique[9] International de Bruxelles de 1922, dont l’impression subit un retard inexplicable et imprévu, car ces comptes rendus auraient dû en effet déjà paraître.
Ces résultats géologiques de ma mission sont donc en partie inédits (en partie seulement, car certains points ont déjà fait l’objet de notes à l’Académie des Sciences et à la Société Géologique).
Leur rédaction est de date antérieure à la publication des travaux de M. Jacques Bourcart, de la Mission Danoise Olufsen, de même que mon exploration, qui fut faite avant le voyage de cette mission.
M. Jacques Bourcart a confirmé en général les idées géologiques nouvelles que j’avais émises sur le Sahara Central dans les quelques notes publiées avant sa relation de voyage parue dans le Bulletin du Comité de l’Afrique Française.
Au début de cet ouvrage, je considère comme un devoir de témoigner de ma reconnaissance envers tous ceux qui m’ont particulièrement aidé dans mon œuvre d’exploration :
Je remercie M. le Gouverneur Général de l’Algérie, M. Steeg, de la haute bienveillance qu’il voulut bien me témoigner, ainsi que M. le Général Paulinier, commandant le 19e Corps d’armée.
Je remercie également M. le Colonel Dinaux, MM. les Commandants Béraud, Fournier et Duclos, les Capitaines Lhoilier, de Saint-Martin, Dupré et Le Maître, le Dr Dario, les Lieutenants Brunet et Vella, de la bienveillante attention avec laquelle ils m’ont suivi, protégé, aidé, conseillé et renseigné.
Grâce aux Officiers des Territoires du Sud, j’ai pu triompher[10] des multiples difficultés que j’ai rencontrées, me tirer des situations très critiques dans lesquelles je me suis trouvé et obtenir des résultats scientifiques importants.
Je les remercie pour les services qu’ils ont ainsi rendus pour une meilleure connaissance des pays du Sahara Central en rendant possibles des investigations scientifiques.
[1]De ce « côté sportif » des explorations, je crois que l’on peut dire qu’il est passionnant à vivre, agréable à raconter, supportable à écouter et odieux à lire. C’est pourquoi je n’en ai point écrit ici.
DES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES
SUD-CONSTANTINOIS
OU DU SAHARA ARABE SUD-CONSTANTINOIS
Pour parvenir au Massif Central Saharien, il faut traverser tout un pays de vastes plaines, le pays de la grande cuvette crétacico-tertiaire sud-constantinoise, dont le fond est occupé par l’oued Rhir et les chotts Melrir, Merouan et Djerid, dont une partie de la surface est couverte par les sables du Grand Erg Oriental et dont les bords sont constitués au N. par les monts de l’Aurès et de l’Atlas saharien, à l’E. par les monts de Matmata, au S. E. et au S. par la Hamada de Tinghert, au S. W. et à l’W. par les plateaux du Tademaït et du Mzab.
Nous avons effectué cette traversée par Touggourt, Ouargla, Hassi el Khollal, le Gassi Touil et Tanezrouft dans la Hamada de Tinghert.
Plusieurs problèmes se sont posés à nous dans ces régions. En voici un exposé en passant :
La mer n’a-t-elle pas occupé le fond de cette vaste cuvette crétacico-tertiaire sud-constantinoise dans les temps pliocènes et les premiers temps pléistocènes (quaternaires).
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* *
[12]J’entends la mer, sous la forme d’un golfe lagunaire méditerranéen, avec de vastes formations deltaïques et d’estuaires dont l’ampleur serait explicable par le peu de résistance des formations drainées crétacico-tertiaires.
Cette lagune aurait eu des relations variables avec la mer suivant le rythme des mouvements eustatiques[2] et finalement, séparée au Pléistocène d’une façon définitive de la Méditerranée, elle se serait mutée en lac saumâtre, elle se serait asséchée progressivement et se serait réduite à un certain nombre de lacs salés dont les derniers survivants, les Chotts, subsistent peut-être parce que l’action de l’évaporation est équilibrée par les venues considérables d’eaux artésiennes qui se produisent dans ces régions et par l’apport des eaux superficielles.
Les oueds sahariens, cherchant à suivre le niveau de base dans ses positions successives, en un nombre de cycles encore indéterminés, se seraient progressivement et par stades gravés plus profondément à l’amont et auraient essayé de s’individualiser des lits vers l’aval, de se creuser des chenaux, de faire drainage, en des chapelets de lacs, communiquant peut-être seulement de façon intermittente lors des grandes crues, et dans lesquels ces oueds étalaient largement leurs alluvions.
L’asséchement progressif de ce vaste golfe lagunaire, de ce grand lac saumâtre, puis de ces lacs salés, ainsi que celui analogue d’autres golfes lagunaires sahariens (par exemple les golfes de l’Océan Atlantique vers le Djouf et vers Tombouctou) aurait apporté des perturbations dans l’humidité de l’atmosphère, à une période humide aurait succédé une période sèche et ces oueds seraient « venus » de moins en moins souvent, de plus en plus rarement, pour finalement ne plus jamais « venir » d’un bout à l’autre, mais seulement sur des fractions de leur cours et par extraordinaire, suivant des lits compliqués de barrages, « limites de venues[13] de l’oued », de barrages de dunes faites par le vent, de bassins d’épandage, etc., etc.
En même temps, le climat désertique s’accentuant, le vent aurait pris de plus en plus d’importance comme facteur dans l’évolution du modelé saharien, vannant d’un côté les plages détritiques, soit marines, soit fluvio-marines et fluvio-lacustres, soit fluviatiles, entassant de l’autre les sables ainsi triés en des endroits de prédilection, et joint aux crises de ruissellement, à l’insolation diurne, à la gelée nocturne, à la sécheresse, accentuant par creusement et surtout élargissant de vastes dépressions ailleurs.
Le vent aurait mis un dernier accent aux modelés antérieurs en leur donnant leur caractère essentiellement désertique.
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* *
On sait que, depuis les travaux de Pomel et de Flamand principalement, beaucoup d’auteurs ont rejeté l’hypothèse d’une mer saharienne existant à la fin du Pliocène et au début du Pléistocène.
Et pourtant qu’y aurait-il d’invraisemblable à ce que la mer, ayant eu un niveau[3] très supérieur à celui qu’elle a aujourd’hui — plus élevé que le seuil de Gabès[4] — ait pénétré au Pliocène et occupé une partie de cette cuvette, pour en disparaître au Pléistocène suivant le processus indiqué, quand on constate sur les côtes d’Algérie (d’après le Général de Lamothe) des rivages marins anciens indiscutables de 60, 103, 148 et douteux de 204, 265 et 325 mètres[14] d’altitude et qu’en Egypte on a fait des constatations de même ordre.
La région du seuil de Gabès échapperait donc seule à ce phénomène des variations du niveau de la Méditerranée[5].
Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler :
1º Que le général de Lamothe a observé que les pouddingues fluviatiles de l’oued Biskra se terminent brusquement près de l’oasis, à 50 ou 60 mètres au-dessus de la plaine et à la cote 200 ;
2º Que Desor, Martin et Escher de la Linth ont trouvé dans le Souf, près d’Hassi Bou Chama, des coquilles marines, entre autres Nassa gibbosula L., vivant actuellement dans la Méditerranée ;
3º Que Pomel lui-même a comparé certaines formations pléistocènes du Sahara aux atterrissements de l’estuaire de la Macta ;
4º Que la présence de terrasses pliocènes, pléistocènes, signalées par Flamand, de dunes anciennes dans le Souf, est très compatible avec l’existence d’une lagune s’asséchant et faisant varier les niveaux de base des cours d’eau sahariens ;
5º Que Flamand indique que le Terrain des Gours (oligo (?) miocène) d’atterrissements continentaux est séparé des formations plus récentes de la région déprimée oued Rhir-Ouargla-oued Mya de la fin du Pliocène et du Pléistocène, par une falaise abrupte d’où se détachent de nombreux gours (gara Krima entre autres) ;
6º Que les idées de Flamand relatives à la « Carapace hamadienne » plio-pléistocène n’ont peut-être pas une grande valeur pour les formations diverses du Sud-Constantinois. Ces idées, fondées sur la seule découverte de deux[15] exemplaires de Limnea Bouilleti Mich. dans la région de l’oued Gharbi sont peut-être excellentes pour la « Carapace hamadienne » des hauts pays de l’oued Gharbi, mais ne peuvent certainement être adoptées pour celle du Sahara sud-constantinois, qui, par ses très faibles altitudes, en dessous de 300 mètres, est très distincte, sans des observations qui les confirment.
(Les observations de Flamand ne sont d’ailleurs pas plus probantes pour réfuter l’hypothèse d’un golfe de l’Océan Atlantique à l’Ouest, car elles ne portent pas sur les régions basses de l’Ouest) ;
7º Enfin, que le Cardium edule L. est abondant dans certains dépôts pléistocènes.
On a déclaré que le Cardium edule L. n’apportait ici aucune certitude.
Evidemment, c’est un mollusque qui s’adapte à des milieux très variés.
Dans la dépression qui suit le bord Sud de la Hamada de Tinghert, près de Temassinin, dont il sera parlé plus loin, dépression qui échappe pour le moment, par sa situation géographique et son altitude (370 m.), à l’hypothèse d’avoir été, au Pléistocène, une dépression marine ou en étroit voisinage avec la mer, j’ai rencontré en abondance Corbicula saharica P. Fischer, Melania tuberculata Mâll., mais pas de Cardium edule.
D’autre part, Flamand dit lui-même qu’il ne connaît pas de gisements de Cardium edule dans le haut pays oranais. Il déclare que les dépôts à Cardium edule sont les termes ultimes à l’aval des dépôts des oueds pléistocènes vers les Chotts constantinois d’une part, et vers le Bas-Touat, le Djouf-Taoudenni, d’autre part.
Comment se fait-il, s’il est vrai que le Cardium edule a pu vivre dans des nappes d’eau n’ayant jamais eu aucun passé marin, aucune connexion avec la mer ou aucun étroit voisinage laguno-marin, comment se fait-il qu’il ne se trouve pas au Sahara, répandu d’une façon générale à l’état fossile, là justement où on peut être à peu près sûr que ce cas fut[16] réalisé et qu’il se trouve constamment en abondance à l’état fossile là précisément où il peut y avoir discussion ?[6].
Quelle raison donner de cette absence en gros ?
Il est curieux d’autre part de constater, s’il est vrai que le Cardium edule vivait alors dans des espèces de chotts sans liaison avec la mer, que ce mollusque ne vit pas actuellement dans les chotts et nappes d’eau de l’intérieur.
Enfin, on ne doit pas oublier que dans les étangs du bord de la Méditerranée, en communication directe avec la mer, le Cardium edule vit souvent actuellement sans être associé à d’autres mollusques marins et qu’il vit généralement en nombre dans les seuls étangs en communication avec la mer.
En général, il semble donc que le Cardium edule ait nécessité, sinon toujours des eaux laguno-marines, du moins toujours un étroit voisinage laguno-marin qui n’est plus conservé dans certaines régions où on trouve actuellement le Cardium edule à l’état fossile[7].
Je conclus qu’on ne doit pas rejeter complètement pour le moment l’hypothèse d’un golfe lagunaire méditerranéen dans le Sahara sud-constantinois à la fin de l’époque pliocène[17] et au début du Pléistocène, ni même également d’un golfe de l’Océan Atlantique vers le Bas-Touat, le Djouf et Taoudenni à la même époque[8].
La question est encore ouverte.
L’établissement d’une carte saharienne de répartition du Cardium edule arriverait peut-être à jeter un jour décisif sur cette question. En dressant cette carte, les Officiers du Sud rendraient un grand service.
N’y aurait-il pas dans ces régions des dépressions pour le creusement desquelles on doit donner à l’action du vent un rôle essentiel ?
*
* *
Jusqu’à maintenant, on avait admis l’existence, dans le Sahara sud-constantinois, d’un immense oued, se formant dans les montagnes de l’Ahaggar pour finir dans l’Oued Rhir et le Chott Melrir après un cours de plus de 1.300 kilomètres : l’oued Igharghar.
Au cours de ma mission, j’ai fait au sujet de cet oued des observations troublantes :
D’une part :
a) A mon passage à Tanezrouft, j’ai constaté qu’en ce point où l’on fait traverser la Hamada de Tinghert par l’Igharghar, il y a bien un oued, mais qu’il coule du Nord vers le Sud, du Nord de la daia Tanezrouft à la daia Tanezrouft, au lieu de se diriger du Sud vers le Nord ;
b) Il m’a semblé que la Hamada n’était franchie nulle[18] part par l’Igharghar. Des militaires qui avaient parcouru cette région m’ont déclaré avoir eu la même impression. Je n’ai encore pu trouver personne qui ait vu, autre part que sur la carte, l’Igharghar traverser la Hamada ;
c) Dans la dépression qui suit le Bâten (versant à falaises) de la Hamada au Sud, on rencontre en abondance Corbicula saharica P. Fischer et Melania tuberculata Mâll., faune sub-actuelle qui semble indiquer l’existence récente dans cette dépression d’une vaste « daia » ou d’une série de « daia » dans laquelle ou dans lesquelles les eaux venant du Sud se réunissaient.
Une partie de cette eau devait disparaître par évaporation, une autre partie pouvait être absorbée par les graviers, grès friables et autres formations crétacées perméables, s’enfoncer sous le plateau crétacé suivant le pendage si régulier de ces terrains vers le Nord et emprisonnées par les formations argileuses et marneuses intercalées dans ce Crétacé, alimenter le Nord en eaux artésiennes par une circulation sous pression en profondeur, dans le fond de la vaste cuvette crétacée comme cela continue à se produire actuellement.
Certaines « reculées » dans la Hamada de Tinghert, qui ont d’ailleurs donné leur nom à la Hamada[9], semblent comme des « manches » et des « culs-de-sac » d’absorption.
Et il convient de signaler également la présence d’entonnoirs d’effondrements et d’absorptions dus aux formations de gypse dans la Hamada, qui favorisent la disparition des eaux superficielles et jouent un rôle important pour la compréhension de la circulation souterraine de l’eau dans ces régions.
D’autre part :
a) J’ai constaté, après d’autres observateurs, dans les gassis du Grand Erg Oriental, l’existence de galets d’origine vraisemblablement lointaine.
[19]Si l’oued Igharghar ne traverse pas la Hamada de Tinghert actuellement, il semble donc, ainsi que d’autres oueds de cette région, qu’il l’ait traversée autrefois, avant d’être décapité peut-être par l’accentuation du creusement de la dépression Sud-Tinghert[10] ;
b) A quoi attribuer la constitution des masses considérables de sable du Grand Erg Oriental si l’oued Igharghar ne traverse pas la Hamada, cet erg étant considéré jusqu’à maintenant comme les alluvions de sa zone d’épandage remaniées et modelées par le vent.
On doit admettre que le vent a étalé et entassé, étale et entasse encore, en des endroits de prédilection, et suivant une manière qui lui est propre, le sable obtenu par une sorte de vannage, soit des plages détritiques marines, ou fluvio-marines, ou fluvio-lacustres (les plus dépourvues d’humidité), soit des formations d’atterrissements (les plus sèches) des nombreux oueds descendant des bords élevés de la cuvette crétacico-tertiaire (Zab, Gantra, Tademaït, Tinghert, Hamada El Homra, Hamada Neïla), oueds ayant alluvionné et alluvionnant beaucoup dans cette partie à pente faible de leur cours et en raison du peu de résistance des formations drainées crétacico-tertiaires ; oueds dont certains, parmi lesquels l’ancien Igharghar (dont on a peut-être exagéré l’importance quant à sa contribution à la formation des sables du Grand Erg Oriental) poussaient peut-être leur cours supérieur jusque dans le Massif Central Saharien avant que le fossé Sud-Tinghert ne se soit creusé profondément suivant le processus indiqué plus loin.
On doit admettre également une production importante de sable aux dépens des formations crétacico-tertiaires par[20] travail combiné de la gelée, de l’insolation, des orages violents, de la sécheresse et du vent[11] ;
c) Enfin, à quoi attribuer le creusement ou l’achèvement et l’accentuation du creusement de la dépression Sud-Tinghert si l’Igharghar ne traverse pas, ou, plus exactement, ne traverse plus la Hamada, pour donner une pente à des affluents latéraux et une évacuation aux produits de leur travail.
Il y a lieu d’étudier cette dépression et de voir si c’est une dépression fermée :
1º Peut-être suit-elle le « Bâten » de Tinghert vers la Tripolitaine avec une légère pente vers l’Est plus ou moins cachée par les sables. Alors elle aurait une issue vers l’Est : c’est peu probable.
Un écoulement vers l’Ouest, vers In Salah, ne semble pas plus probable ;
2º Peut-être y a-t-il une issue vers El-Biodt où je n’ai pas passé et le lit de Tanezrouft serait un ancien lit abandonné par un de ces phénomènes de capture si fréquents au Sahara et dont j’ai observé des cas si typiques dans les Tassilis (par exemple le haut de l’oued Tassirt capté au profit du Tahihaout, et l’oued Tounourt, dont on voit un débouché abandonné sur la vallée de l’Irrarar près d’Amguid).
Des personnes ayant passé par El-Biodt, que j’ai consultées, n’ont pas eu cette impression ;
3º Peut-être doit-on voir là une sorte d’ancien lac, peut-être permanent, en lequel s’élargissait l’Igharghar dans les formations tendres de la base du Crétacé, avant de traverser les formations plus dures du haut de la série en défilé, peut-être avec légère contre-pente, dans lequel on doit expliquer, par cette légère contre-pente du thalweg, par des mouvements très récents, ou par des éboulements et des barrages limites de venues d’oued, le changement de sens de l’oued qui, n’ayant plus son cours régulier et actif[21] d’autrefois, aurait été impuissant à rétablir son sens primitif ;
4º Peut-être enfin est-ce une véritable dépression fermée, c’est-à-dire qui n’a pas d’écoulement superficiel facile possible, pas d’issue.
Et alors le creusement de la dépression ou du système de dépressions qui se trouve le long du versant méridional de la Hamada de Tinghert se serait fait ou plus vraisemblablement achevé depuis l’accentuation du caractère désertique du climat saharien, et par suite de la mise à nu des couches tendres du Crétacé, par combinaison de l’action alternée des orages violents[12], de la sécheresse, de la gelée, de l’insolation et de la corrasion (pour attaquer et réduire en poudre ces formations particulièrement peu résistantes de la base du Crétacé supérieur) et de l’action continue du vent, balayant au fur et à mesure les produits du travail de ces agents.
Le capitaine Cortier a déjà signalé que l’oued Oahnet, dans la Hamada de Tinghert, finissait en daia fermée sans traverser le troisième kreb de la Hamada.
L’oued Igharghar s’arrêterait également à Tanezrouft sans traverser ce troisième kreb dit d’In-Eddi — et ne serait donc pas un cas unique.
Non loin de là, la dépression de l’oued El-Chiati également au bas de la Hamada El-Homra (le prolongement de la Hamada de Tinghert dans le Sud-Tripolitain) semble un cas analogue, car je n’en connais pas d’écoulement certain.
L’oued Ech Chergui, au Fezzan, semble également finir dans la sebkra de l’oasis Djedid sans écoulement superficiel.
Enfin, il y aurait là en l’espèce de la dépression ou du système de dépressions Sud-Tinghert un cas analogue[22] comme formation à celui des dépressions d’Egypte dont on attribue le creusement aux mêmes agents. (La dépression de Beharieh en particulier présente un caractère de similitude très remarquable ; elle est creusée, suivant Beadnelle, par ces mêmes agents dans les mêmes formations tendres crétacées).
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* *
Mais, jusqu’à maintenant on niait qu’il y ait dans le Sahara français des dépressions pour la formation desquelles la part de l’action du vent soit si considérable.
Le cas de la « dépression Sud-Tinghert » me semble obliger à ne pas être affirmatif et à admettre la possibilité du rôle essentiel de l’action du vent combinée à celle alternée des orages violents, de la gelée, de la sécheresse, de l’insolation et de la corrasion, dans la formation de grandes dépressions dans les sédiments crétacés du Sahara français sud-constantinois, en attendant que de nouvelles observations sur cette dépression nous fixent définitivement sur son origine.
On doit admettre que l’action du vent, jointe à celle des autres agents énumérés plus haut, n’est pas négligeable et contribue au moins à donner de l’ampleur aux effets de l’action des oueds.
Quelle est la date à laquelle il faut faire remonter la constitution des amas de bois et de troncs d’arbres, depuis silicifiés, que l’on rencontre au Sahara ?
Flamand les place dans l’Albien.
Je m’élève contre cette affirmation.
Certains au moins des bois silicifiés du Sahara sont de date postérieure. J’ai trouvé en effet au Nord de la Hamada de Tinghert, près de Hassi Pujat (que les Arabes appellent Hassi Bekbort), des formations considérables de bois silicifiés dont certains troncs avaient plus de 50 centimètres[23] de diamètre et 1 ou 2 mètres de long. Ces superbes débris jonchaient le sol et témoignaient par leur abondance et la taille de certains d’entre eux, de la formation de ces amoncellements de bois flottés et de leur silicification en cet endroit même.
Or, ces dépôts reposent sur des formations post-crétacées, ce qui me fait admettre pour ces bois silicifiés l’âge tertiaire.
Cette date ne semble pas exceptionnelle : Beadnelle, donne à certains bois silicifiés de Beharieh, en Egypte, qui semblent tout à fait comparables, l’âge post-éocène.
Quant aux bois silicifiés déclarés albiens ou crétacés, je crois qu’une sévère révision de leurs conditions de gisement pourrait bien amener un changement dans l’âge attribué à certains d’entre eux.
Il est intéressant de noter que la silicification des bois semble à certains auteurs avoir toujours été liée à l’existence d’un climat désertique.
La démonstration de la présence de bois silicifiés dans plusieurs niveaux du complexe crétacico-tertiaire sud-constantinois pourrait donc être considérée, en admettant que la silicification n’ait pas été opérée partout à la même date, comme un argument en faveur de l’hypothèse de l’antiquité récurrente du climat désertique dans ces régions, de l’existence de plusieurs époques de ce climat au Crétacé et au Tertiaire avant l’époque actuelle.
Ainsi donc, au Sud, au voisinage du Massif Central Saharien primaire, les bords relevés (peut-être par des mouvements alpins) de la cuvette crétacico-tertiaire constituent la Hamada de Tinghert.
Les formations crétacées y forment des plateaux doucement inclinés vers le Nord et terminés en falaises ou krebs au Sud.
On distingue trois gradins principaux dont les krebs ont[24] été désignés par Cortier sous les noms de kreb d’In-Eddi, kreb de Tefist et kreb du Djoua. (Le kreb du Djoua étant le plus méridional et correspondant aux formations les plus basses de la série crétacée.)
Les étages représentés d’une façon certaine sont le Cénomanien, le Turonien et le Sénonien, à facies en général marno-calcaire (les argiles multicolores à gypse sont très développées à la base du kreb du Djoua où elles sont, semble-t-il, cénomaniennes et du kreb d’In-Eddi où elles paraissent sénoniennes).
Une étude de cette série crétacée de Tinghert avec la distinction de ses niveaux fossilifères paraîtra ultérieurement.
Quant à l’existence de l’Albien marin à la base de la série, elle n’est pas certaine (pas plus qu’en Tripolitaine d’ailleurs).
Le kreb du Djoua nous a fourni en abondance à sa partie supérieure des fossiles marins cénomaniens.
Ces formations fossilifères sont supportées par des argiles multicolores à gypse et à niveaux gréseux — formations lagunaires — d’âge indéterminé.
Ce sont ces argiles avec leurs formations de sables et grès tendres qui constituent le fond de la dépression du Djoua, qui longe le kreb du Djoua au Sud.
Dans ce fond, Foureau a recueilli des fossiles[13] ; ils ont été étudiés par M. Haug. Parmi eux, il n’est aucune espèce caractéristique de l’Albien qui permette d’attribuer avec certitude à l’Albien ces argiles, plutôt qu’au Cénomanien.
Plus au Sud, la dépression du Djoua est limitée par les sables de l’Erg d’Isaouan.
Il semble que vers ce contact les argiles multicolores, à niveaux sableux de plus en plus abondants passent[25] à un complexe argilo-sableux et argilo-gréseux, d’âge indéterminé également, qui représente pour une part peut-être des formations continentales constituées au cours de la période d’émersion post-carbonifère, ante-cénomanienne, sans qu’il soit possible de préciser davantage.
Ainsi, il n’est pas prouvé, pour le moment, que la transgression méso-crétacée ait atteint la région de Tinghert dès l’Albien.
On ne connaît pas d’Albien marin certain à la base du Crétacé. Les formations crétacées marines les plus basses datées d’une façon incontestable sont cénomaniennes.
La transgression crétacée marine n’est certaine que pour l’époque cénomanienne.
A partir de l’Erg d’Isaouan vers le Sud on ne trouve plus de formations crétacées ou secondaires avant le Soudan où le Crétacé affleure au Sud du Massif Central Saharien ancien, suivant une bande continue, entre le 16e et le 18e degrés de latitude, allant de la région d’Agadès à Tabanckort, dans laquelle l’on retrouve le pendant des krebs de Tinghert dans ceux de Tamaïa.
Au Sud de l’Erg d’Isaouan s’étendent donc les pays primaires du Massif Central Saharien.
[2]Ou des mouvements épirogéniques.
[3]Ou, si l’on préfère, « que l’Afrique du Nord ayant été moins émergée au Pliocène qu’aujourd’hui la mer ait occupé alors par le seuil de Gabès une partie de cette cuvette pour en disparaître, etc. »
[4]Altitude du seuil : 47 mètres ; le seuil rocheux a été trouvé par les sondages de la mission Roudeyre à 15 mètres seulement d’altitude. Ce seuil rocheux aurait provoqué la formation d’une barre. Cette barre aurait contribué à l’établissement d’un milieu de salure et de faune spéciale.
[5]Ou, si l’on préfère, des mouvements épirogéniques de la région méditerranéenne.
[6]Il est vrai que dans les dépressions de l’oued Mzezem et du Houd-ech-Cheb sur les bords sud-tunisiens du Grand Erg Oriental, au Nord de Rhadamès et sur la frontière tripolitaine, Pervinquière a signalé la présence en abondance du Cardium edule et que ces cuvettes par leurs dépôts ne semblent pas pouvoir être considérées comme ayant été nettement marines (absence de NaCl dans les dépôts). Mais ces cuvettes peuvent avoir eu un étroit voisinage marin ou des connexions éphémères avec la mer ; par leur altitude (280 m.), elles ne pouvaient être très loin du golfe méditerranéen ; enfin il a pu se produire une sorte de lessive ou autre opération chimique dans ces dépôts qui expliquerait cette absence de NaCl.
[7]Je rappelle également la découverte d’une proue de galère dans la région des Chotts.
Les Chotts, actuellement, ne se prêteraient guère à la vie active d’une galère ; cette trouvaille peut faire penser ainsi que le desséchement des résidus des golfes sahariens plio-pléistocènes s’est parachevé pendant la période historique ; et l’on ne saurait ne pas évoquer ici le souvenir du lac Triton des écrivains latins.
[8]Car la question de ce golfe se pose non moins sérieusement ; mais j’ai traité plus particulièrement dans ce paragraphe du golfe méditerranéen sud-constantinois qui rentre seul dans le cadre de ce chapitre intitulé : « du Sahara arabe sud-constantinois ».
[9]Tinrert en Tamahak est un diminutif de inrer qui veut dire ravin.
[10]Ou que cette présence soit due à l’influence de la mer dont il est parlé plus haut ; mais cette hypothèse est peu probable. Le golfe lagunaire ne semble pas avoir eu une si vaste extension, et son caractère lagunaire ne permet peut-être pas d’imaginer de pareils transports de galets qui paraissent d’ailleurs originaires de l’Ahaggar.
[11]Cette formation de sable aux dépens du sous-sol s’impose particulièrement à l’esprit dans des régions voisines : les régions d’affleurement des formations sableuses de la base de la série crétacée.
[12]L’action des orages violents se traduit en particulier par l’action dissolvante des eaux de ruissellement pour dissoudre les éléments solubles si abondants dans les formations crétacées de cette région et jouer un rôle important dans leur désagrégation.
[13]Il convient de remarquer que cette faune du Djoua peut être constituée par des éléments de dates diverses réunis par les hasards de l’inondation, et qu’on ne sait pas bien ce qu’il convient de considérer comme réellement originaire des argiles et lentilles sableuses ou gréseuses du fond du Djoua. M. Haug a cru pouvoir admettre que la Desertella Foureaui avait été apportée par les eaux. Cela ne donne pas grande confiance en l’homogénéité réelle de cette faune.
APTITUDE DU SOL A RECEVOIR UNE VOIE
FERRÉE
ET RESSOURCES EN EAU
DANS LES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES
SUD-CONSTANTINOIS
(Extrait d’un rapport fait pour M. Fock.)
J’ai longé le Gassi Touil par son bord Ouest[14] sur une longueur de 100 kilomètres environ, jusqu’à sa terminaison Sud à Hassi Pujat.
J’ai pu constater que le Gassi Touil offre dans cette partie, qui est sa partie méridionale, à travers les masses considérables de sable du Grand Erg Oriental, un passage dégagé de sable — très large (de 10 à 20 km. en moyenne, parfois 30 km. et même 40) — au sol de cailloutis, de « reg » remarquablement plat.
[28]Dans cette partie du Gassi Touil que j’ai vue, on trouve des îlots de dunes d’une ampleur assez considérable, mais je n’ai pas observé de chaînes de dunes traversant le Gassi Touil d’une rive à l’autre, ainsi que cela est fréquent dans les autres gassis.
Il semble donc que l’on puisse dans cette partie du Gassi Touil se maintenir constamment sur un sol de reg, poser la voie ferrée partout sur du reg.
Je ne puis donner sur le reste du Gassi Touil un avis fondé autrement que sur des renseignements car je ne l’ai pas vu moi-même.
Mes renseignements me donnent lieu d’espérer que le Gassi Touil, au point de vue qui nous intéresse, est de nature homogène et que sa partie septentrionale est assez semblable à la partie méridionale que je connais.
Ainsi donc, le Gassi Touil se prête, par la nature et la forme de son sol, à l’établissement d’une voie ferrée — dans sa partie méridionale, je peux l’affirmer — dans sa partie septentrionale, cela me paraît vraisemblable.
La nature du pays n’est inquiétante qu’au point de vue des suites de cet établissement.
Que résultera-t-il à son point de vue de la naissance de cette voie ferrée dans le Gassi Touil ?
N’est-il pas à craindre que, obstacle opposé au libre déchaînement des vents sahariens dans l’immensité si dépourvue d’aspérités du Gassi Touil et au cœur du vaste pays de sable du Grand Erg Oriental, la voie ne provoque son ensablement ?
Quelle ampleur pourrait prendre cet ensablement ? Arriverait-il à empêcher la circulation des trains, ou resterait-il négligeable ou seulement gênant ?
Au cas où cet ensablement se produirait et deviendrait inquiétant, y aurait-il des moyens de lutter efficacement, y aurait-il moyen de triompher indéfiniment ; si l’on ne pouvait que lutter temporairement, la durée de cette lutte jusqu’au moment inéluctable où la voie deviendrait inutilisable serait-elle suffisamment longue et son prix de revient suffisamment faible pour permettre, malgré cet ensablement[29] prévu, de considérer l’établissement de cette voie ferrée comme légitime cependant et comme une bonne affaire ?
Telles sont les questions qui se présentent immédiatement — et qu’il est nécessaire de soulever au passage dans cet aperçu rapide — questions relatives à l’ensablement éventuel de la voie du Gassi Touil.
J’ai tendance à croire qu’en prenant, par prudence, certaines précautions, en particulier en faisant toujours passer la voie à la distance la plus grande possible des rives du Gassi et des îlots de dunes, l’ensablement de la voie ferrée du Gassi Touil — s’il se produisait — n’arriverait pas à devenir désastreux dans des délais inacceptables.
Mais, pour pouvoir tabler sur des certitudes, il conviendrait de faire l’expérience suivante, par exemple : poser une centaine de mètres de voies ferrées dans le Gassi Touil et observer si un ensablement se produit au bout de quelques mois et ses proportions.
On ne peut guère considérer la voie ferrée Biskra-Touggourt comme susceptible de donner des bases de prévision sur la question ensablement dans le Gassi Touil, ces régions étant peu comparables à ce point de vue spécial.
J’ai traversé la Hamada de Tinghert par Hassi Pujat et Tanezrouft pour aboutir à Fort Flatters.
A Hassi Pujat et à Tanezrouft, j’ai ainsi eu l’occasion de voir ce que l’on considère comme le lit de l’Igharghar.
Sans doute, il y a là un passage tentant pour l’établissement d’une voie ferrée ; mais il convient de faire remarquer : d’une part, qu’à Tanezrouft l’oued vient avec une grande violence après la pluie[15] et qu’une voie ferrée suivant le fond de la vallée sans dispositifs spéciaux en vue de la[30] venue de l’oued aurait à subir éventuellement de graves dommages[16] ; d’autre part, que certaines des formations des flancs de la vallée, au Nord de Tanezrouft (argiles à gypse), présentent de graves inconvénients pour l’établissement d’une voie ferrée à flanc de coteau (possibilités de glissements, eaux séléniteuses attaquant les ciments, etc. (il est vrai qu’on fabrique maintenant des ciments résistant aux eaux séléniteuses)[17].
Telles sont les difficultés à envisager pour l’établissement d’une voie ferrée à travers la Hamada de Tinghert par la vallée attribuée à l’Igharghar passant à Tanezrouft.
Je n’ai pas suivi la vallée au Sud de Tanezrouft, ayant dû passer à travers la Hamada pour gagner directement Fort Flatters ; je n’en ai eu qu’un aperçu du haut de la gara Tanezrouft : elle va[18] vers le Sud-Ouest, vers la dépression Sud-Tinghert, en s’élargissant, calme et majestueuse et offrant un passage évidemment tentant.
Pour la traversée de la Hamada de Tinghert, après avoir franchi le défilé de Hassi Pujat qui s’impose pour échapper aux sables qui couvrent les premiers plateaux, je crois qu’il serait bon de rechercher un tracé passant sur les plateaux plutôt que par la vallée de Tanezrouft.
Cela nécessiterait quelques travaux d’art pour franchir les krebs, mais on y gagnerait un bon sol de hamada et la tranquillité lors des pluies (on n’aurait plus alors à craindre les crises de violence de l’oued Tanezrouft).
C’est une étude à faire.
Sur le parcours dont je viens d’étudier la viabilité, je conçois l’établissement d’une Centrale d’eau au voisinage de Temassinin.
Centrale d’eau de Temassinin.
Il existe à la Zaouia de Sidi Moussa un puits artésien. A mon passage, j’y ai abreuvé mes chameaux et ai pu constater que l’eau y jaillissait en abondance (pour ces régions).
Je ne saurais donner d’indication précise sur le débit de ce puits, n’ayant fait que passer très rapidement et ayant eu d’autres préoccupations. Ce n’est qu’une vague impression que je peux indiquer ici : ce puits atteindrait un débit d’une dizaine de litres à la seconde que je n’en serais pas surpris.
Le puits artésien de la Zaouia est déjà un élément précieux et peut-être suffisant (j’ignore quels seraient les besoins de la voie ferrée) ; son eau pourrait être amenée, par gravité et par conduites, jusqu’au voisinage immédiat de la voie ferrée (20 km. environ, puisqu’on est obligé de passer à cette distance de Fort Flatters pour éviter les sables).
Il est vraisemblable que des recherches d’eau artésienne auraient du succès dans cette dépression Sud-Tinghert, dans laquelle se trouve Temassinin.
On peut espérer un sondage heureux, mais il faut escompter des déboires et ne pas compter sur le succès du premier sondage.
Les eaux artésiennes sont vraisemblablement emprisonnées dans les niveaux de grès sableux crétacés plus ou moins[32] lenticulaires qui sont pincés dans les marnes et argiles imperméables de la base du Cénomanien ou leur sont inférieurs.
Tous ces niveaux sableux ne sont pas forcément des asiles d’eaux artésiennes ; il faut qu’ils soient dans certaines conditions particulières, et nous ne connaissons pas encore suffisamment le bassin de Temassinin pour donner un diagnostic sûr.
On comprend dès lors que nous déclarions qu’il faut espérer un sondage heureux.
Si l’on désire rechercher des eaux artésiennes dans la dépression Sud-Tinghert, il conviendrait de ne pas agir par coups de sonde désordonnés, ainsi que cela fut trop souvent le cas dans l’oued Rhir.
Il conviendrait, croyons-nous, de pousser des sondages méthodiquement, c’est-à-dire faire un premier sondage à un emplacement indiqué sur le terrain par un géologue ayant quelque expérience à ce sujet.
Faire suivre le sondage par le géologue en question qui serait en observateur sur les lieux. Ce géologue aurait qualité pour arrêter le sondage lorsqu’il estimerait que, par suite de l’âge ou de la qualité des formations atteintes, il n’y a plus lieu de continuer.
Puis, avec l’enseignement de ce premier sondage, il pourrait en être entrepris d’autres aux emplacements désignés par lui et toujours suivis.
Le géologue se prononcerait également sur l’opportunité de poursuivre chacun de ces sondages ou de les arrêter.
Ainsi, on évitera : de poursuivre un sondage alors que scientifiquement il n’y a plus d’espoir d’un ordre dont on puisse tenir compte ; de ne pas tirer de chaque sondage la leçon précieuse qu’il peut procurer pour les recherches ultérieures ou en cours.
Enfin, en cas d’insuccès répétés, dès qu’il estimera avoir suffisamment d’éléments pour juger de la question, le géologue se prononcera sur la nécessité de poursuivre l’ensemble des recherches ou de les arrêter.
Au besoin, il pourra être adjoint un sourcier au géologue,[33] l’expérience ayant montré que, malgré beaucoup d’insuccès, les indications de certains baguettisants peuvent parfois se trouver justes, quoique la réalité de la sensibilité à l’eau ne soit pas encore démontrée scientifiquement.
Le géologue pourrait choisir de préférence les points de sondage qui lui seraient indiqués comme particulièrement propices à la fois par sa science et par le sourcier. Cela pour mettre le plus de chances de son côté.
Mais il conviendrait, croyons-nous, de donner tout pouvoir au géologue, qui ne tiendrait compte des indications du sourcier que s’il hésitait entre plusieurs emplacements également indiqués au point de vue scientifique.
Le sourcier ne serait nullement nécessaire. Le géologue absolument nécessaire si l’on veut travailler méthodiquement et arriver au succès par le moins grand nombre de sondages.
Le géologue devrait auparavant se familiariser avec les recherches, très spéciales, d’eaux artésiennes dans l’oued Rhir par exemple, en suivant quelques sondages et en consultant les archives des sondages passés, car les recherches d’eaux artésiennes ne sont pas si simples qu’il paraît à première vue : un sondage placé à 15 mètres d’un autre qui a trouvé l’eau à 50 mètres pourra ne la trouver qu’à 70 mètres, etc.
Je n’ai pas la place dans ce rapport rapide de tenter d’exposer comment il peut en être ainsi, mais je tiens à attirer l’attention sur la complexité de la recherche des eaux artésiennes.
Il est vrai que dans les archives on ne trouverait peut-être pas de renseignements géologiques bien précis sur les couches rencontrées par chaque sondage ; la méthode du géologue observateur n’ayant malheureusement pas, à ma connaissance, été suivie avec continuité dans l’oued Rhir.
Cette campagne de recherches d’eaux artésiennes, en cas de succès, pourrait avoir une grande importance pour le développement de la région de Temassinin.
Elle pourrait également, éventuellement, dans ces conditions,[34] nous révéler des choses intéressantes sur les ressources du sous-sol.
Profondeur des sondages. — Il me semble me rappeler que le sondage heureux de la Zaouia de Temassinin ne dépasse pas 20 mètres.
Quoi qu’il en soit, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, les eaux artésiennes semblent se rencontrer à la base du Cénomanien.
Il en est de même en différents endroits du pourtour de la vaste cuvette crétacico-tertiaire du Sud-Constantinois.
Les formations primaires, jusqu’à maintenant, ne se sont pas révélées dans ces régions, d’une façon positive, détentrices d’eaux artésiennes.
C’est donc aux formations primaires qu’il conviendrait d’arrêter les sondages dans ces recherches d’eaux artésiennes.
Or, l’épaisseur des formations qui surmontent le Primaire dans la dépression Sud-Tinghert ne semble pas considérable, quoique les sables cachant le contact en surface au Sud de Temassinin empêchent de donner des précisions avec sûreté.
Je crois qu’elles peuvent être considérées en moyenne comme d’une épaisseur inférieure à 70 mètres, au maximum à 100 mètres.
Le succès peut évidemment se révéler avant cette profondeur, puisqu’à la Zaouia, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, il me semble me rappeler qu’il fut obtenu avant 20 mètres.
Mais il est sage, pour le premier sondage, de partir de la prévision de 100 mètres, c’est-à-dire partir avec un tubage de diamètre suffisamment grand pour atteindre cette profondeur avec un bon calibre.
En cas d’insuccès de ce premier sondage, c’est-à-dire au cas où l’on aurait atteint les formations primaires sans rencontrer d’eaux artésiennes, on pourra en déduire pour les autres sondages à quelle profondeur approximative on rencontrera pour chacun le Primaire et ainsi la profondeur[35] approximative à laquelle on devra pousser chaque sondage tant qu’il ne rencontrerait pas d’eaux artésiennes, avant de l’arrêter.
Quant à pousser plus profond que le contact crétacico-primaire, cela serait évidemment intéressant et satisferait la curiosité de certains, mais ce ne serait pas les eaux artésiennes qui ont « montré le nez » à la Zaouia, qui sont donc bien une réalité — dont on ignore seulement l’extension et la répartition — que l’on rechercherait, ce seraient des eaux artésiennes qui, si elles existent, n’ont encore « montré le nez » nulle part d’une façon décisive, dont on n’a encore aucune preuve de l’existence, dont l’on peut tout juste prétendre considérer comme des indices certains points d’eau situés dans le Carbonifère et certaines sources très timides qui se rencontrent au contact des Pays pré-tassiliens et de l’Enceinte tassilienne, contre les Grès supérieurs des Tassilis, lorsqu’ils se dressent pour former les bombements ou plateaux de l’Enceinte tassilienne, tels que Aïne Ksob, Aïne Redjem, Tanelak, Tazzait, etc.
Et en admettant que ces points d’eaux et sources soient en relation avec des eaux artésiennes en pression dans et sous les formations des Pays pré-tassiliens, dans la région de Temassinin ces eaux ne pourraient être rencontrées qu’à une grande profondeur, et on ne peut conseiller la recherche d’eaux encore hypothétiques à cette profondeur. Il faudrait qu’il n’y en ait pas d’autres à envisager, ce qui n’est pas le cas, ou que l’on tienne à s’édifier sur les ressources en eau de ces formations primaires.
Si l’on peut perdre quelque argent pour s’édifier à ce sujet, l’on pourra pousser le premier sondage très profond (300 m.). Quant aux autres sondages, naturellement il conviendra toujours — à moins que le premier sondage n’ait révélé du nouveau — de les arrêter aux formations primaires, car la recherche jusqu’à ces formations est seule conseillée par la réalité.
On devra, dans le choix des emplacements de sondages, choisir de préférence, à chance égale, les emplacements les plus près de la voie ferrée.
[36]Au total, pour la Centrale d’eau de la dépression Sud-Tinghert, comme eaux artésiennes :
1º On peut compter sur un débit assez sérieux déjà existant à la Zaouia de Sidi Moussa à Temassinin et que l’on pourrait amener par conduite jusqu’à la voie ferrée ;
2º On peut espérer légitimement, par une campagne de sondages méthodiques, faire jaillir d’autres eaux artésiennes.
Dans la dépression Sud-Tinghert, et en étant plutôt pessimiste (car j’ai été volontairement plutôt pessimiste), on peut espérer que la profondeur des sondages n’aura pas à dépasser 100 mètres.
En plus de ces eaux artésiennes, il convient d’indiquer qu’il existe un puits à Fort Flatters, d’une profondeur, à mon lointain souvenir, d’environ 80 mètres, fournissant une excellente eau potable.
On peut compter sur le succès certain de puits du même ordre de profondeur dans la dépression Sud-Tinghert et, en raison de l’existence de puits beaucoup moins profonds (Tab-Tab), il est très fondé de l’espérer à une profondeur beaucoup moindre, tout en étant plutôt pessimiste, comme je m’en fais un devoir dans cette étude, afin de ne pas exposer à des désillusions.
L’emplacement exact en devrait être désigné autant que possible par un géologue.
On voit que les ressources en eaux, dont pourrait disposer la Centrale d’eau de la dépression Sud-Tinghert, sont très satisfaisantes, soit par les éléments déjà existants, soit par ceux que l’on est en droit d’espérer.
Cette eau pourra être refoulée sur une hauteur de la Hamada de Tinghert pour alimenter par gravité la voie du Gassi Touil, car au Nord de Tanezrouft, dont l’étude suit, l’étude des puits existants, d’ailleurs rares et souvent morts[19], n’encourage pas beaucoup à faire des recherches d’eau dans ces régions. Elles ne donneraient probablement, vers 80 ou 100 mètres seulement semble-t-il, que des eaux très mauvaises, non artésiennes, peut-être peu abondantes et dont on ne peut affirmer qu’elles dureraient longtemps, et au delà, si elles parvenaient à des eaux artésiennes, ce qui serait sans précédent dans la région, ces recherches n’obtiendraient vraisemblablement ce succès qu’à une profondeur difficile à estimer en l’absence de précédents, mais que l’on ne peut guère espérer, je crois, devoir être inférieure à 200 mètres (profondeur à laquelle on peut espérer rencontrer les argiles à niveaux sableux de la base du Cénomanien), si l’on ne veut pas se bercer d’espoirs trop optimistes et s’exposer avec de grandes probabilités à des déceptions douloureuses.
Dans la Hamada de Tinghert, au Nord de la dépression Sud-Tinghert dans laquelle il me paraît indiqué de placer une « Centrale d’eau » en raison de la qualité, de l’abondance et, pour une part, du caractère jaillissant des eaux existantes et éventuelles, je dois attirer l’attention sur le point d’eau de Tanezrouft qui serait sur le tracé même de la voie telle qu’on me l’a indiquée.
Là, à une faible profondeur (2 ou 3-4 m. au maximum),[38] on trouve, d’après mes renseignements indigènes[20], de l’eau dans une certaine abondance, mais extrêmement chargée en sels calcaires, magnésiens et sodiques, impropre à l’alimentation et inutilisable pour les chaudières sans distillation préalable (eau analogue à celle d’El-Biodt probablement, et sans doute apparentée à celles des puits du Gassi Touil qui proviendraient du même niveau aquifère). Cette eau pourrait provenir en partie d’un niveau aquifère affleurant dans le voisinage, en partie des eaux de précipitation ; toutes ces eaux se rassemblent dans le fond de la cuvette de Tanezrouft par gravité.
Quoi qu’il en soit, il y a là une cuvette assez humide, ainsi que l’atteste d’ailleurs une belle végétation de tamarix, coloquintes et autres plantes, et il n’est pas douteux que deux ou trois puits de quelques mètres de profondeur, bien placés, fourniraient une quantité d’eau appréciable, mais mauvaise.
C’est un appoint qu’il convenait de signaler ici.
Mais l’importance des eaux de Tanezrouft ne peut être mise en parallèle avec celle des eaux de la dépression Sud-Tinghert envisagées précédemment — qui est beaucoup plus considérable et susceptible d’un tout autre développement.
[14]En raison de l’obligation où j’étais, pour nourrir mes chameaux, de rester dans les régions de sable qui offrent quelques ressources en pâturages alors que les gassis en sont dépourvus.
[15]J’ai passé après une « venue » de l’oued et j’en parle en connaissance de cause.
[16]Il convient en outre de signaler dans la cuvette de Tanezrouft la présence de petites dunes. Mais elles ne constituent pas un obstacle bien important : elles pourront être soit tournées soit traversées facilement.
[17]On trouvera sur le flanc Est de la vallée de Tanezrouft, après le coude que domine la gara Tanezrouft, un banc de calcaires massifs que l’on pourra exploiter pour moellons et peut-être pour pierres de taille.
[18]Je n’entends par cette expression nullement indiquer le sens dans lequel coule l’oued dans cette partie de son cours, mais simplement la direction de la vallée.
[19]A mon passage, en janvier 1922, dans la région du Gassi Touil, les puits Hassi Pujat, Hassi Tartrat, Hassi de la Roque étaient morts.
[20]Lorsque j’ai passé à Tanezrouft, une « venue » récente de l’oued avait comblé le puits et laissé une daia à laquelle furent abreuvés les chameaux. Je ne puis donc parler du puits de Tanezrouft que par renseignements.
DE LA FLORE DES
PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES SUD-CONSTANTINOIS
OU
DE LA FLORE DU SAHARA ARABE
(Caractères généraux.)
La flore des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois a une physionomie à elle.
Elle est caractérisée par le règne des Salsolacées qui sont la note dominante de la végétation, ainsi que par sa relative uniformité et monotonie.
Ces caractères la distinguent nettement de la flore du Massif Central Saharien, ou flore du pays targui, variée, et dans laquelle les Salsolacées jouent un rôle beaucoup moins important, un rôle même effacé.
*
* *
Les espèces essentielles de cette flore, répandues en grande abondance, sont principalement :
a) Dans les ergs, et presque exclusivement dans les ergs :
Salsolacées : le Had (Cornulaca monocantha, Del.).
Graminées : le Drinn (Arthratherum pungens, P. B.), le Sboth, variété soyeuse.
[40]Polygonacées : l’Aricha, 3e forme de Calligonum comosum, L’Hérit., l’Azelle, 2e forme de Calligonum comosum, L’Hérit.
Le Drinn et le Had se trouvent à la vérité plus au Sud dans quelques ergs du pays targui, mais par suite du rôle considérable joué par les ergs dont ces plantes sont l’apanage, en Sahara arabe, ces espèces font plus partie de la physionomie de cette flore, que de celle du Massif Central Saharien, du pays targui ;
b) Dans les terrains argilo-salés et humides :
Salsolacées : le Guetof (Atriplex Halimus L.)
Plombaginées : le Zita (Limoniastrum Guyonianum, Dur. et var. Ouarglense, de Pomel).
Le Guetof se trouve également en pays targui.
Le Zita semble avoir besoin de plus de sel et d’humidité que lui ;
c) Sur les plateaux calcaires, dès qu’il y a un peu de sable :
Graminées : le Sfar (Arthratherum brachyatherum, Coss. et Bal.) ;
d) Associées, dans les sols calcaires, soit sur les hamadas plus ou moins ensablées, soit dans les alluvions sablo-argilo-calcaires des oueds, soit dans les sebka gypseuses :
Salsolacées : le Baguel (Anabasis articulata, Moq., var. elongata), l’Agerem (Anabasis articulata, type), le Bel-Bel (? Anabasis articulata, var. ou ? Salsola tetragona, Del.).
Légumineuses : l’R’tem (Retama rtem, Webb.).
Le R’tem a une affection particulière pour les plateaux calcaires légèrement ensablés et les oueds de hamada légèrement caillouteux et sablonneux.
Je n’ai jamais observé l’R’tem au Sud de la Hamada de Tinghert ;
e) Répandue un peu partout sur les plateaux, dans les sables des plateaux, les sables d’oued, les petites dunes et à la base des grandes dunes :
Salsolacées : le Damran (Traganum nudatum Del.).
[41]Gnétacées : l’Alenda (Ephedra alata, Decne).
L’Alenda semble plus exigeant de sable que le Damran qui, lui, paraît plus éclectique de goût quant à la nature du sol ;
f) Sur les « regs » caillouteux, dans les « Gassis » :
Salsolacées : le Ressel (Halocnemon strobilaceum, Moq.).
Graminées : le Nessi (Aristida plumosa, L., var. floccosa, Batt. et Trab.).
Le Ressel n’apparaît que dans les parties Sud des gassis du Grand Erg Oriental. (Je ne l’ai observé dans le Gassi Touil qu’à partir d’un point situé à 90 kilomètres environ au Nord de Hassi Pujat.)
Le Nessi se trouve ailleurs que sur le reg où il forme des taches dorées ; on le trouve un peu partout ; il pousse après la pluie en touffes vert tendre, puis se conserve longtemps en touffes devenues jaunes.
Ces deux espèces méritaient d’être réunies, associées, car elles sont, en Sahara arabe, à peu près la seule végétation des regs et gassis.
Telles sont les espèces de plantes persistantes qui constituent le fond typique de la flore du Sahara arabe.
C’est cet ensemble qui constitue l’essentiel de la végétation de la plus grande partie de la vaste cuvette (du vaste bassin) crétacico-tertiaire sud-constantinoise.
*
* *
Au Sud et au Sud-Ouest, les bords relevés de cette cuvette, le Tademaït et le Tinghert, ont une tendance à avoir une flore individualisée par rapport à cet ensemble.
Il semble que cela soit dû :
1º Au caractère géologique particulier de ces pays de hamada à vallées encaissées dans les calcaires et les argiles, vallées relativement humides et abritées, constituant un milieu, un habitat spécial ;
2º A la situation géographique : latitude plus faible et proximité du pays targui.
C’est une flore de transition.
[42]Dans ces vallées on trouve principalement :
a) Les arbres ou arbustes suivants :
Tamaricinées : l’Etel (Tamarix articulata, Vahl), le Fersig (Tamarix pauciovulata, J. Gay).
Légumineuses : le Teleh (Acacia tortilis, Hayne) ; l’Rtem, déjà cité, est particulièrement abondant.
Rhamnées : le Sedra (Zizyphus Lotus, Def.) qui est un jujubier.
b) Comme plantes de petite taille dans les fonds humides :
Cucurbitacées : la Coloquinte (Citrullus Colocynthis, Schrad.).
Crucifères : le Chobrock (Zilla macroptera, Cosson), le Krom (? Moricandia divaricata, Cosson et Dur.).
Géraniacées : le Zemma (Erodium glaucophyllum, Ait.).
Resedacées : Randonia africana, Cosson, Reseda villosa, Cosson, etc.
Certaines de ces plantes, les Tamaricinées (qui avec l’Rtem sont à affinités méditerranéennes) entre autres, se rencontrent également dans certaines vallées des plateaux de la région d’Inifel et de Fort Miribel (le bord Ouest de la grande cuvette crétacico-tertiaire sud-constantinoise) dans l’oued Mya et en d’autres rares coins humides et plus ou moins abrités du Sahara arabe.
Mais ce sont les vallées ombreuses du Tademaït et du Tinghert qui sont particulièrement leurs terres d’élection ; c’est là que l’on trouve l’ensemble de ces espèces bien représentées et que l’on est frappé par le cachet particulier de la flore ainsi individualisée dans la flore générale des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois.
*
* *
Après les pluies, avec le Nessi, une végétation particulière sort du sol et fleurit avec une rapidité stupéfiante : c’est l’acheb (ou « pâturage vert »).
L’acheb est un ensemble de plantes tendres, vertes, gorgées d’eau et en fleur, que la pluie fait sortir du sol comme[43] par un coup de baguette magique ; flore essentiellement éphémère, et qui, vivant par cette humidité fugace, doit vite fleurir et grainer.
L’acheb est en général à base de Crucifères ; par exemple : le Hennê (? Henophyton deserti, Cosson et Dur.), Lehema (? Malcomia aegyptiaca, Spr.), le Goulglane (? Savignya longistyla, Boiss. et Reut.).
Que je rappelle la présence curieuse du Populus euphratica, Oliver, dans l’oued Mya, que j’ai constatée après Inifel, aux environs de Sejra Touila — dans mon itinéraire de retour — et celle, intéressante, dans le Sud des Gassis du Grand Erg, du Hyosciamus Falezlez, Cosson, ou jusquiame, Bethina en arabe, Efelehleh en tamahak, que j’ai observée à une dizaine de kilomètres au Nord de Hassi Pujat, sur le Gassi, et cette esquisse des traits généraux de la flore des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois, tels qu’ils me sont apparus lors de mon passage dans ces régions, est terminée.
On trouvera plus loin, dans le paragraphe traitant de mon itinéraire, l’énumération des associations principales de plantes essentielles rencontrées de Ouargla à Temassinin.
C’est là un des esclavages du Saharien. On finit par être hypnotisé sur ce point de vue et la « question pâturage » devient rapidement un des sujets de conversation dominant.
C’est que c’est une question vitale.
Le chameau en effet est très résistant, mais à la condition qu’il mange presque tout le temps et que sa nourriture soit celle qui lui plaît.
On s’expose à des désastres si les chameaux n’ont pas régulièrement chaque jour leurs heures de pâturage.
Car cet animal ne se « refait » pas en cours de route ; tout ce que l’on peut espérer, et encore, c’est qu’il se conserve[44] assez près de sa forme de départ et il faut un pâturage régulier[21] pour le maintenir ainsi à peu près en forme (en supposant naturellement qu’on ne le fatigue pas trop), sinon sa bosse fond, puis ses cuisses, l’animal a l’œil triste, et bientôt il tombe « assel » et vous dit adieu sans se préoccuper du cruel embarras dans lequel il vous met.
Le chameau est difficile quant à sa nourriture, non que les plantes qu’il mange présentent toujours à notre œil humain un aspect bien appétissant, mais il aime une certaine variété et si on abuse de certains genres de pâturages trop longtemps, il erre tristement avec un air distrait et pensif sans sembler songer à la présence des plantes qu’il avalait goulûment la veille ; il faut donc le mettre en appétit par des changements fréquents si on veut qu’il mange beaucoup et se maintienne en bonne forme.
Certains ont une nature plus heureuse et sont toujours en appétit, mais ce sont des cas particuliers.
Des considérations de saison et d’état des animaux jouent aussi dans le choix des pâturages ainsi que des considérations d’abreuvage.
Pour qu’un chameau profite des instants qu’on lui donne pour paître, il est préférable qu’il soit nu et qu’il puisse folâtrer à son aise. Quand on le peut, il vaut mieux le laisser sans entraves : il y a beaucoup de fantaisie dans son caractère et il faut qu’il puisse s’y abandonner à ces moments-là ; c’est un grand enfant farceur : il aime aller de touffes en touffes en ne donnant qu’un coup de dent à chacune ; bien souvent il refusera d’une plante qu’on lui offre, pour se précipiter avec un air affriandé vers une autre semblable et de même espèce ; il aime à happer rapidement, et sous son nez, la touffe qu’un camarade se préparait à tondre.
Les chameaux n’aiment pas manger avec la chaleur ; l’été, il faut les faire paître le matin jusqu’à 10 heures ou l’après-midi après 5 heures du soir, ou encore la nuit.
[45]Si le chameau aime des plantes piquantes comme le Had qu’il dévore ainsi qu’un mets velouté, s’il aime des espèces de paquets de verges comme le Damran et l’Ageran, bref, si beaucoup de ses mets préférés semblent trouver chez lui de l’affection par suite d’un fond de vice dans sa nature, il a également un goût marqué pour les fleurs les plus délicates, les plus parfumées et les plus charmantes, comme les fleurs d’Acheb, de Teleh, de R’tem, et semble ne pas être insensible, loin de là, à la poésie et à la tendresse de cette nourriture.
C’est une stupeur, la première fois que l’on rencontre de l’acheb, de voir tout ce parterre brillant et éclatant de fleurs délicieuses de grâce et de couleurs, happé goulûment par sa lèvre bavante et dégoûtante de chameau.
En cet animal si inattendu qu’il semble avoir été forgé un jour de distraction, si repoussant qu’aucun art antique ne s’est plu à en reproduire l’image, si abject que d’un commun accord les textes anciens ont en général fait silence autour de lui, je n’en vois qu’une excuse : ses bons yeux doux et profonds.
Des plantes du Sahara arabe, le chameau préfère le Had, le Sfar, le Damran, le Krom, en fleurs ou portant ses graines, le Chobrock en fleurs et par dessus tout l’Acheb (ou pâturage vert).
Le Drinn, le Sboth et le Nessi, quand ils ne sont pas trop secs ou qu’ils portent leurs graines, sont aimés du chameau.
Le chameau mange l’Azelle, l’Aricha, le Guetof, le Baguel, l’Agerem et le Bel-Bel.
Il ne mange pas l’R’tem, sauf ses fleurs, ni l’Alenda, ni le Zemma, ni le Falezlez.
Il n’accepte le Ressel que quand cela lui passe par la tête — et c’est assez rare.
On le voit parfois s’attaquer aux Tamarix.
Du Teleh il mange les fleurs et les fruits en tire-bouchon, avec grand plaisir. Les Touaregs, avec les fruits du Teleh, font, en les pilant, des pâtées pour les jeunes.
[46]Telle est la valeur des plantes essentielles du Sahara arabe pour l’alimentation des chameaux.
On voit que les Salsolacées sont toutes, sauf le Ressel, appréciées du chameau[22].
Ces Salsolacées, ainsi que nous l’avons dit plus haut, sont la dominante de la végétation du Sahara arabe et sont répandues sur d’immenses surfaces, d’ailleurs, chose curieuse, par vastes étendues où souvent l’on ne trouve qu’une ou deux espèces mais en quantité.
On voit ainsi l’étendue considérable de pâturages quasi permanents dont disposent les tribus arabes (Chamba et autres). C’est là ce qui caractérise ces régions au point de vue pastoral ; c’est la présence de vastes étendues de pâturages quasi permanents de Salsolacées, de vastes plaines où l’on peut vivre à peu près constamment (car là où le chameau vit, l’homme peut subsister en se nourrissant du lait des chamelles et des chèvres).
Quand les animaux ont tout tondu, on change de camp.
La pluie a aussi une influence sur les déplacements, car dans les régions d’acheb les animaux ont plus de lait, ils ont besoin de boire moins souvent et on s’établit de préférence là où il a plu récemment.
Naturellement, dans ce nomadisme on est l’esclave des points d’eau où il faut faire boire les chameaux régulièrement suivant la saison et la qualité du pâturage de tous les trois jours à tous les huit jours et, en général, les nomades s’établissent près des puits, non seulement pour pouvoir abreuver facilement leurs chameaux mais encore et surtout à cause des ânes, chèvres et moutons qui demandent à boire plus souvent.
Quand il y a beaucoup d’acheb et pas de plantes salées, les chameaux peuvent se passer de boire très longtemps, mais c’est un cas qui se produit surtout en pays targui.
Ce sont les régions de sable, à Had, qui sont les meilleurs[47] pâturages en toute saison en Sahara arabe. Puis les étendues sablonneuses à Damran.
Ce sont les regs des Gassis et les Hamadas non ensablées (à moins qu’il n’ait plu récemment) qui constituent les pays les plus déshérités au point de vue pastoral.
En pays targui, on n’a pas en général ainsi d’immenses étendues de pâturages quasi permanents, mais salés, de Salsolacées. C’est là l’apanage des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois.
On trouvera, dans le paragraphe traitant de mon itinéraire, les plantes composant les pâturages rencontrés successivement d’Ouargla à Temassinin.
[21]En l’absence de pâturages il convient, quand l’on peut, de se munir d’Alef, de Drinn, de Bechna et autres fourrages.
[22]Mais étant salées elles obligent à faire boire les chameaux souvent.
IMPRESSIONS ET NOTES DE ROUTE
Mon itinéraire général à travers ces pays fut, à l’aller : Touggourt, Ouargla, Hassi el Khollal, le Gassi Touil, Tanezrouft et Temassinin.
Au retour : In Salah, Aïne Guettara, Inifel, Hassi Djemel, Ouargla et Touggourt.
Nous ne parlerons que de l’itinéraire d’aller, de Touggourt à Temassinin, cet itinéraire étant suffisant pour donner une idée de ces pays.
Le 8 janvier, à 9 heures du matin, je quitte Touggourt pour marcher « vers le Sud ».
Quelle joie ! quelle fièvre ! de s’élancer au pas souple de son méhari vers les espaces infinis du désert, vers le[50] mystérieux et prestigieux Ahaggar, vers « le nouveau », vers « l’inconnu ».
Les oasis de Temacine, Blidet Amar et Ouargla successivement rencontrées sont tour à tour laissées en arrière, et tour à tour s’effacent dans le lointain comme s’évanouit un trop beau songe, la ligne verte de leurs palmeraies enchanteresses et les silhouettes élancées et songeuses de leurs minarets blancs.
Bientôt c’est le vrai désert et les jours succèdent aux jours dans l’immensité des sables moutonnants et des hamadas caillouteuses.
Notre solitude n’est plus guère rompue qu’aux puits ; là on trouve souvent quelque animation ; ce sont les lieux mondains et vivants du Sahara ; caravanes de passage, nomades au pâturage non loin de là, bêtes et gens se rencontrent au puits où la même nécessité les mène : boire.
Et il y a grand échange de nouvelles relatives aux dernières pluies, à l’état des pâturages, à celui des points d’eau, aux récents « rezzous », grandes conversations sur les prix des méharas, des moutons, des chèvres, des dattes, du thé, du sucre et de la toile, au milieu des cris des hommes tirant l’eau et des réclamations bruyantes des chameaux qui ont soif et attendent avec impatience leur tour pour se désaltérer ou qui ne sont pas contents parce qu’on ne les charge pas à leur convenance.
De nombreux oiseaux, apanage des points d’eau, amusent l’œil de leurs vols et sautillements gracieux et affairés.
Et quelle joie lorsque les nomades possèdent quelques bêtes laitières : chacun de se gorger et de remplir ensuite des outres du lait des chamelles ou des chèvres.
Bien souvent également on trouve quelque objet de marchandage ou d’échange et alors c’est une volupté très arabe de conduire pendant des heures, en buvant de nombreux thés, la négociation savante d’un de ces objets, si insignifiant soit-il, dont souvent d’ailleurs ils n’ont même pas l’intention d’entrer en possession ; ils parlent « douro » et « sourdi » et ils sont heureux.
[51]Enfin, les nomades ont parfois des femmes.
Quel attrait prend alors le puits : surprendre une gracieuse fille voilée alors qu’elle est occupée à faire la provision d’eau de sa famille, apercevoir un œil charmant par la déchirure d’une tente, en voilà un bonheur !
Le point d’eau est pour ces pays sahariens comme un paradis et on s’aperçoit vite qu’il est inutile de tenter à son approche de conserver une allure modérée, tant l’impatience et la curiosité des hommes sont grandes ou, lorsqu’il faut en partir, de le quitter à l’heure fixée d’avance.
Il faut le quitter pourtant.
On arrive enfin à « décoller » ; l’on s’enfonce de nouveau dans la solitude et les longues étapes recommencent de la petite caravane perdue dans l’immensité saharienne, au bercement des psalmodies et des flûtes mélancoliques, avec les aboiements des chameliers pour pousser les chameaux ou les mieux grouper, qui brisent de temps en temps la rêverie.
Chaque jour après l’étape on établit son camp ; après de nombreux thés à la menthe bus religieusement, rituellement, à la mode arabe, autour des feux qui mettent de violents et chauds accents d’ombre et de lumière sur les figures et les amples vêtements de laine blanche, des jeunes gens dansent longuement dans le bruit scandé des derboucca ; puis les lueurs des feux meurent lentement, les hommes s’étendent roulés dans leurs burnous et bientôt, sous la clarté des étoiles, le silence infini du désert n’est plus troublé que par le bruit de mâchoires des chameaux qui ruminent étendus sur leurs genoux pliés et qui semblent ainsi un vol posé de grands cygnes noirs avec leurs cols longs et souples.
Dans la pose pleine de majesté, de calme, de pensée et de mystère de leurs têtes aux yeux doux et profonds dominant leurs corps allongés, ils évoquent également, tandis qu’ils ruminent longuement et gravement près du camp endormi, quelques sphynx songeant sur le désert.
Je traverse ainsi le Grand Erg Oriental par Hassi-el-Khollal et le Gassi Touil.
[52]Je fais connaissance dans les dunes du Grand Erg avec la tempête de sable ; spectacle impressionnant[24] :
Quand le vent commence à se faire violent, les crêtes des dunes fument sous les rafales, le sable court sur le sol vite, très vite, en longues traînées qui semblent des courants de vapeur, monte à l’assaut des pentes et bientôt tout semble argenté par une brume blanche qui glisse follement au ras du sol.
Ce n’est que le début : peu à peu le sable s’élève et tout disparaît dans un brouillard pulvérulent qui empêche de distinguer quoi que ce soit à quelques mètres devant soi ; on ne voit plus le soleil ; on est perdu dans une obscurité jaune.
Alors on doit s’arrêter et attendre que le calme soit revenu, roulé dans son burnous, le capuchon rabattu sur la figure pour se protéger du bombardement serré du sable qui vous assiège.
Le Gassi Touil, entre les deux régions de dunes du Grand Erg Oriental, est un passage absolument plat au sol de cailloutis, large par endroits d’une cinquantaine de kilomètres.
Je le longe pendant une dizaine de jours.
Quel spectacle d’une infinie singularité que celui de cette immensité plate et noire, d’une désolation inouïe, sans rien, rien jusqu’à l’horizon ; c’est le pays le plus nu du monde peut-être ; l’on n’y trouve pas la moindre végétation, le moindre point d’eau (250 km. sans puits) ; les Arabes l’appellent le « pays de la peur ».
O magie incroyable de la lumière saharienne sous les baisers ardents du soleil, cette terre hostile anime sa nudité de teintes et de mirages merveilleux ! Le Gassi Touil est par excellence le pays du mirage.
Les hauteurs sont élastiques ; une touffe d’herbe au loin prend parfois les dimensions d’un arbre ; un méhariste amplifié par le mirage peut apparaître un instant d’une[53] taille fantastique et terrifiante, ou, absorbé par ce même mirage, disparaître tout d’un coup comme par enchantement ; les distances ne peuvent s’estimer ; on croit marcher dans un songe.
A l’horizon paraissent des dunes de l’autre rivage du Gassi Touil teintées du bleu le plus tendre au rose le plus délicat ; par le mirage elles sont déformées en falaises, en villes fortifiées ; dans le mirage elles se noient, elles se reflètent comme dans des nappes d’eau calmes et miroitantes, ainsi que des lacs d’argent ; parfois il semble que l’on voit les ports lointains d’une paisible mer d’azur.
Constamment le mirage change à l’horizon ; on n’a pas le temps de s’en lasser qu’il s’est évanoui en une vision nouvelle et qu’il a pris ce charme de plus d’avoir été trop éphémère.
Il semble que ce soit comme une consolation et que les pays les plus déshérités matériellement soient ceux des plus beaux mirages, ceux qui nous charment et nous envoûtent le plus de rêves insaisissables et merveilleux.
Enfin, voilà la porte par laquelle je pénètre dans les marches de guerre du pays targui : Tanezrouft dans la Hamada de Tinghert.
C’est un enchantement : je vois des arbres, des fleurs, de l’eau et ce n’est pas un décevant mirage !...
Je n’ai rien vu de pareil depuis Ouargla et ce premier coin verdoyant m’enivre d’enthousiasme.
Charmant salut targui :
De véritables prairies, d’innombrables fleurs, sont un tapis grisant à mes pas ravis entre les bouquets ombreux d’étels étoilés de pourpre et les massifs de r’tems aux blancs papillons follement odorants.
Il a plu et c’est une abondance stupéfiante de végétation qui a couvert en quelques jours le fond de cette vallée de Tanezrouft, sans doute moins attrayante en temps ordinaire.
Mon méhari s’en donne à cœur joie. Toutes ces délicates et gracieuses fleurs sont happées goulûment par sa lèvre prenante, et son ventre prend vite des dimensions considérables[54] : il gardera sans doute comme moi un souvenir ému de Tanezrouft.
La végétation n’est pas seule à donner à Tanezrouft un caractère inoubliable : la sortie du défilé qui traverse la Hamada est commandée par une gara en forme de coupole dont la silhouette mystérieuse fait planer sur ce pays un charme secret et tout puissant.
Son sommet est couvert de caractères tifinar, cette écriture très particulière des Touareg que le roman de l’Atlantide a rendue célèbre ; c’est la première inscription de tifinar que je rencontre ; nous sommes bien dans les marches extérieures du pays targui et ces inscriptions ont sans doute été gravées pendant les longues heures de veille par les sentinelles qui se sont succédé sur cet observatoire traditionnel.
Car ce fut un point stratégique important : quand les Arabes Chamba menaçaient les Touareg, ce défilé de Tanezrouft était la première défense qu’ils rencontraient au sortir du Grand Erg et un point d’eau ardemment souhaité.
Depuis, nous y avons soutenu également des combats ; entre autres des tirailleurs y furent surpris et assiégés dans leur camp pendant quatre jours, en 1918, par les pillards ; dix tombes témoignent encore du caractère sérieux de ce combat.
C’est également un endroit où il ne fait pas bon être surpris par un orage : l’oued y vient avec une rapidité foudroyante, une violence considérable, et anéantit toute caravane se trouvant alors sur son passage ; d’innombrables carcasses de chameaux noyés dans ces désastres achèvent de donner une note tragique à ces lieux aimables.
Les Sahariens vivent dans une perpétuelle terreur de la noyade : à la vue de tous ces os blanchis qui jonchent le sol, on comprend combien cette terreur est loin d’être puérile ; terreur cocasse en vérité et ironique — oh combien ! — quand on souffre cruellement de la soif, ce qui est courant dans ces pays.
Puis c’est Temassinin et la Zaouia de Sidi-Moussa, célèbre centre musulman des Touareg.
[55]Elle fut commencée sous El Hadj-el-Foki, un marabout targui et achevée par son fils Sidi-Moussa dont la tombe est un objet de grande vénération.
Il est peu de musulmans, surtout de la Confrérie des Tidjania, de passage dans ces régions, qui ne se rendent pieusement en pèlerinage à la petite « kouba » de « timchent » de Sidi-Moussa, dont la simple blancheur reposant dans l’ombre des palmiers est une charmante apparition, source de désirs de douceur et de paix comme la vue d’une colombe sommeillant, menue et confiante, dans l’obscure clarté d’une cathédrale.
Pendant que j’échange les salutations d’usage avec le caïd de ces lieux, Mohammed-ag-Abdenneby, de la tribu des Forassi, la tribu maraboutique très respectée de Sidi-Moussa, mes hommes se partagent de petits bouts d’étoffes que le gardien du sanctuaire leur a fait la faveur de leur accorder et qui viennent, paraît-il, du lieu sacré. Ils les attachent à une lanière de cuir passée autour du cou : nous n’avons désormais plus rien à craindre, nous voilà sous la haute protection de Sidi-Moussa.
Le caïd m’offre des œufs et un poulet : aimable attention ! Je n’en devais plus manger de longtemps, car les Touareg considèrent cet animal comme impur et n’en mangent généralement pas. Si Mohammed-ag-Abdenneby en mange quoique targui, c’est sans doute qu’il a pris de mauvaises habitudes au voisinage des Français de Fort Flatters.
Puis les jardins et les palmiers de Temassinin ne sont bientôt plus qu’un souvenir et nous voilà de nouveau seuls dans les sables, ceux de l’Erg d’Isaouan-n-Tifernin.
Touggourt est le point terminus de la voie ferrée, le point le plus avant dans le Sahara où vous mène le rail.
[56]C’est de là que je pars à chameau, le 8 janvier, vers le Sud, après avoir reçu le très aimable accueil et les précieux conseils des officiers des Affaires Indigènes (le Cmdt Béraud, le Cmdt Fournier et le Cne Lhoilier), qui, ainsi que tous les officiers du Sud, suivant la tradition saharienne, voient toujours d’un œil sympathique les voyageurs qui viennent étudier leur cher Sahara.
L’oued Rhir est une traînée de palmeraies[26] qui se sont admirablement développées, sous la direction française, par le travail de la sonde artésienne ; on est heureux de voir là une belle œuvre de la civilisation qui ainsi a créé de merveilleuses palmeraies là où souvent il n’y avait rien, en faisant jaillir des eaux abondantes.
A cette œuvre, le nom de Rolland et du Cmdt Pujat est attaché.
Je passe à Temacine, une oasis pittoresque dont le village est établi sur un socle bâti avec des troncs de palmiers, et qui jouit de la présence d’un lac ravissant.
Son caïd, Abd-el-Kader, me montre aimablement la curiosité de l’endroit : les « retass » ; ce sont des plongeurs qui curent les puits artésiens arabes de la région ; c’est un spectacle étonnant que celui de ces hommes qui peuvent supporter de plonger trois à quatre minutes à une profondeur de 30 à 40 mètres, pour remplir au fond du puits une corbeille de sable ; comment peuvent-ils supporter cette pression et aussi longtemps ? C’est un problème ; il paraît que c’est par suite d’un entraînement poursuivi de génération[57] en génération : ils sont « retass » de père en fils et forment une corporation à part, d’ailleurs très respectée des autres indigènes. Ils disparaissent ; on n’en compte plus que quelques-uns : leur métier ne rapporte plus, c’est l’introduction de la sonde artésienne dans le pays qui en est la cause.
Après Temacine, c’est la Zaouia de Tamelet, de la Confrérie des Tidjania, avec ses rues voûtées et fraîches, sa mosquée dotée d’une belle coupole, ouvragée délicatement, et les tombes des marabouts célèbres que cette coupole abrite.
Enfin, à Blidet Amar, je dis adieu aux oasis de l’Oued Rhir.
C’est maintenant un paysage de sables moutonnants à végétation de damran.
Nous passons à Hassi Ma’mar, puis nous suivons la ligne des poteaux télégraphiques jusqu’aux environs d’Ouargla ; c’est là un bonheur de civilisés que cette vue d’alignements de poteaux télégraphiques ; nous ne l’aurons plus après Ouargla.
Végétation de Zita, de R’tem et de Damran.
Voilà Ouargla, la célèbre oasis où réside le Commandant du Territoire des Oasis. J’y reçois l’accueil dont les Sahariens ont le secret. Chacun me fait des recommandations, me donne des conseils et des renseignements expérimentés dont je reconnaîtrai dans la suite toute la valeur.
C’est toujours un brillant centre d’Officiers du Sud, de ces « Chevaliers du Désert », comme on les a appelés, que Ouargla. J’y trouve le Cne de Saint-Martin, le Dr Chéneby, le Lt Giraudy ; au retour, j’y trouverai le Lt Brunet, etc. ; tous ces noms sont bien connus des Sahariens.
Puis c’est le désert, le vrai désert, cette fois.
Départ par la brume, le 15 janvier.
Les palmiers s’espacent et adieu l’oasis.
Je ne verrai plus de vraies oasis de plusieurs mois.
La gara Krima est au loin devant nous qui émerge fièrement de la brume ; c’est la célèbre gara chère aux Chamba[58] d’Ouargla, qu’ils salueront de mille démonstrations de joie dès qu’ils la verront poindre à l’horizon au retour.
Au bas de la gara Krima se trouvent les ruines de Sedrata, ancienne ville des Berbères (?) devenus les Mzabites par la suite, que ceux-ci, éternels persécutés à cause de leur richesse et de leur hérésie, durent fuir comme ils avaient abandonné Tiaret, pour se réfugier finalement dans les plateaux inhospitaliers du Mzab, où ils ont créé, à force de persévérance et d’efforts, les nombreuses villes dans lesquelles vivent leurs femmes, où se trouvent leurs foyers qu’ils visitent quand leur vie de commerçants le permet, et que gouverne une oligarchie religieuse de prêtres : les Tolbas.
La gara Krima est un plateau escarpé d’accès difficile et de défense facile. C’était sans doute autrefois un refuge en cas de danger.
Un puits fut creusé sur ce plateau ; ainsi les populations qui s’y réfugiaient étaient sûres de n’y pas mourir de soif.
Les nombreux instruments de pierre taillée qu’on y trouve montrent l’antique importance, au point de vue humain, de la gara Krima.
Dans le fond salé que domine la gara Krima, on trouve une végétation d’arbustes Zita.
Nous quittons ce fond à Zita pour monter sur un plateau, en laissant la gara Krima à gauche et la gara Teho à droite.
La surface du plateau est tachée de touffes de Bel-Bel.
Le 16 janvier. — Le matin, au départ, il y a un épais brouillard, et c’est un spectacle curieux que les chameaux se dessinant brusquement dans ce voile quand ils approchent de vous : on dirait une apparition apocalyptique.
Nous cheminons dans la plaine de Tarfaia.
Nous trouvons Bel-Bel et Alenda, Sfar, Damran et R’tem, du Drinn quand il y a suffisamment de sable.
Le brouillard se lève lentement et bientôt disparaît ; il n’y a plus que de gros cumulus.
Nous laissons à gauche la gara Mkhadma, la gara Tarfaia, Hassi Tarfaia et la gara Smelteneckis ; nous laissons à droite la gara Komfelhem et la gara et le Hassi Berouba.
[59]Nous traversons quelques dunes, une plaine et arrivons sur un plateau, où nous campons, avec Sfar, Damran et Alenda.
Le 17 janvier. — De bonne heure, avec vent debout, nous apercevons des gazelles qui broutent gracieusement du Sfar dans la rosée du matin. Elles se laissent approcher, puis fuient, légères, dans une course admirablement souple et rapide. C’est une vitesse folle qu’elles paraissent fournir sans effort, comme si c’était un jeu. Dans leur fuite, elles ont la coquetterie délicieuse de cueillir quelques touffes à droite et à gauche, comme si elles nous narguaient.
Nous laissons la pittoresque gara Ksekis s’mehari à gauche, ainsi que la gara Smiri.
Sur le sable nous trouvons des buissons d’Azelle.
Nous laissons à gauche l’Erg en Nos.
Pâturage de Damran et Agerem.
Le soir se produit une ondée.
Le 18 janvier. — Près de Hassi Madjeira, nous subissons une violente tempête de sable.
Le 19 janvier. — Je passe près d’une gara, la gara Beckri, où une inscription arabe est gravée, disant : « Là est mort Ali ben Mohammed ».
Nous laissons Hassi Madjeira à notre gauche.
Dans cette région, on observe la présence de vallons sinueux qui manifestent nettement d’un passé humide avec des rivières actives.
Les pâturages sont de Sfar, Agerem et Azelle, accompagnés d’Alenda.
Nous laissons à droite l’erg Tomiet et l’erg et Hassi-Bou-Maza.
Dans les dépressions sableuses, nous trouvons Azelle et Alenda et sur les plateaux Sfar et Agerem.
Le 20 janvier. — Départ avec ciel couvert. Temps gris.
Végétation de Sfar, Damran et Agerem.
Nous laissons à droite l’erg Goret Naga, Goret Retmaia, Goret Zotti ; à gauche, Goret Faouar et Hassi el Kezal.
[60]Nous pénétrons dans des dunes avec Drinn, Azelle et Had.
Nous trouvons de nombreux débris d’œufs d’autruche, dont de grands, tous au même endroit, comme si l’œuf venait de se casser.
Le 21 janvier. — Le plateau rocheux apparaît de temps en temps, avec Damran et Agerem, Damran et Sfar.
Dans la dune il y a toujours Drinn, Azelle et Had.
Le 22 janvier. — Arrivée à Hassi-el-Khollal, creusé au fond d’une dépression du plateau rocheux.
Dans la dune, au voisinage, se trouvent Had, Drinn, Bel-Bel.
Le 23 janvier. — Les chameaux sont passés au goudron à cause de la gale.
Il a certainement plu ici il y a quelque temps car quelques fleurs d’Acheb poussent çà et là.
Le 24 janvier. — Pays d’erg. Pâturages de Had, Drinn, Damran et un peu d’Acheb : Hennê et Lehema.
Le 25 janvier. — Temps gris et menaçant.
Nous suivons un gassi.
Dans la dune il y a Damran, Had et Drinn.
Nous campons au confluent de deux gassis.
Le 26 janvier. — Temps très menaçant.
Nous suivons un gassi. La végétation de Damran disparaît. Il n’y a aucune végétation sur le gassi ; c’est du reg.
Le gassi est barré par des chaînes de dunes que nous traversons.
Dans les dunes, toujours Drinn, Had et Azelle et un grand arbuste, l’Aricha, qui atteint sur le sommet des dunes 5 à 6 mètres de hauteur.
Dans le gassi nous trouvons des débris de coquille d’œuf d’autruche. On aurait tué une autruche par là il y a douze ans. Ce serait la dernière autruche tuée dans tout le pays.
Pluie vers midi.
[61]Le 27 janvier. — Deux ondées dans la nuit.
Nous suivons toujours le même gassi, large de 3 à 5 kilomètres environ.
Dans la dune, de beaux Arichas.
Nous passons à un endroit du reg où les outils en silex taillé sont abondants, ainsi que des nuclei. Beaucoup de silex sont de taille inachevée ; il y avait donc là des ateliers de taille, jadis.
Cela ne peut se concevoir qu’avec l’existence d’un passé humide.
Nous campons près de l’erg de la Bride, où est mort Legras.
Nouvel atelier de taille.
L’erg de la Bride est fort curieux ; il possède un entonnoir très profond, analogue, semble-t-il, à celui d’Aïne Taïba, mais sans eau.
D’après les guides, il y aurait ainsi, dans la partie orientale du Grand Erg, des entonnoirs avec de petits lacs dans le genre d’Aïne Taïba, avec même, auprès, les ruines d’une ville ; mais on n’en sait plus le chemin.
Le 28 janvier. — Nous parvenons dans le Gassi Touil.
Le pays n’a plus aucune végétation ; les dunes sont absolument nues ; je n’en ai jamais vues d’aussi nues ; elles ne portent que quelques rares Arichas. Elles sont par massifs de direction légèrement oblique par rapport à la direction du gassi. Ces massifs semblent se montrer régulièrement de 3 en 3 kilomètres. La direction dominante du vent, qui semble jouer le rôle essentiel dans le modelé de ces grandes dunes, paraît être Nord-Ouest.
Le 29 janvier. — Nous suivons le Gassi Touil. La végétation sur les dunes se réduit toujours à quelques rares Arichas et un peu de Had et de Drinn.
Nous trouvons pour la première fois du Ressel sur le reg.
Le 30 janvier. — Nous suivons toujours la rive Ouest du Gassi Touil. L’erg est maintenant absolument nu ; rien que le sable éclatant d’un côté et le reg noir de l’autre. Pas la moindre végétation ; c’est d’une désolation inouïe.
[62]Nous trouvons pourtant le soir un coin avec un peu de Had et de Drinn. Campons.
Le 31 janvier. — Le gassi se rétrécit progressivement.
Trouvons sur le reg beaucoup de Nessi en taches dorées et cendrées, suite d’une pluie sans doute, et du Falezlez.
Arrivons à Hassi Pujat, après avoir rencontré des amas de troncs silicifiés, dont certains énormes.
Hassi Pujat est actuellement un puits mort, malgré sa profondeur (75 m.).
Nous pénétrons dans la Hamada de Tinghert par une vallée qui serait celle de l’oued Igharghar. Des falaises calcaires s’élèvent progressivement de chaque côté de la vallée, surmontées encore de dunes.
Le 1er février. — Nous descendons dans la cuvette de Tanezrouft, encaissée dans les plateaux.
L’oued a coulé.
La végétation à Tanezrouft est étonnante : Zemma, Damran, Nessi, R’tem en fleurs, Coloquinthes, bouquets de beaux Tamarix, Guetof, Krom, etc.
Et une « daia » à laquelle les chameaux se désaltèrent (ils n’avaient pas bu depuis Hassi-el-Khollal).
Le 2 février. — Les chameaux pâturent.
Le 3 février. — Nous remontons un oued affluent de l’oued Tanezrouft. De nombreuses flaques d’eau constituant des « redirs » ont été laissées par la récente venue de l’oued.
Je fais la connaissance du Teleh, dont quelques beaux spécimens ornent cette petite vallée. R’tem, Resedas.
Le 4 février. — Nous descendons deux krebs successifs.
Le plateau le plus bas est très fossilifère et couvert d’Acheb (à base de Goulglane).
Et nous arrivons dans la dépression des argiles cénomaniennes. Quelques palmiers, et c’est Fort Flatters.
[23]Ces « impressions de route » tirées de mon journal de route sont extraites du texte d’une conférence que j’ai prononcée le 24 avril 1923 à Grenoble devant le Club Alpin (Section de l’Isère) de même qu’un article « Seul au Hoggar » que j’ai livré à la Vie Tunisienne Illustrée en mai 1923 et qui y a paru en décembre de la même année.
[24]Les tempêtes de sables sont particulièrement fréquentes lors des équinoxes.
[25]Tirées de mon journal de route.
[26]Certaines palmeraies de l’Oued Rhir sont organisées vraiment industriellement ; et elles tirent par des dispositifs de khandek et de seguia particulièrement étudiés, par des formules d’écartement entre palmiers particulièrement au point, le maximum de parti de l’eau qui leur est fournie par leurs puits artésiens.
Souvent des cultures interstitielles, des oliviers en quinconce augmentent encore le rendement de l’eau.
Un service agricole des territoires du Sud, très actif, dirigé par M. Lemmet, étudie avec de beaux résultats, par une station d’essais, les moyens d’améliorer la qualité des dattes autant que le rendement des palmiers.
DU MASSIF CENTRAL SAHARIEN
OU DU PAYS TARGUI
(AHAGGAR ET AJJER)
En opposition avec le Sahara arabe, bas pays, surtout de systèmes immenses de dunes (Ergs) et de plateaux tabulaires calcaires généralement peu saillants (Hamadas), le pays targui est un haut pays avec de vraies montagnes (Adrars) de schistes cristallins, de granits et de roches volcaniques, dont certaines atteignent environ 3.000 mètres, et des plateaux plus ou moins tabulaires gréseux très saillants (Tassilis).
On peut distinguer dans ce très vaste « Massif central saharien » deux ensembles montagneux : ce que nous appelons l’« Enceinte tassilienne », à la périphérie, le « Pays cristallin> », au centre ; et un ensemble à reliefs de moindre importance reconnu au Nord-Ouest, Nord et Nord-Est de l’Enceinte tassilienne, entre l’Enceinte tassilienne et le pays crétacé, que nous appelons les « Pays pré-tassiliens ».
Entre les pays crétacés de la Hamada de Tinghert et l’Enceinte tassilienne, telle que nous la définirons plus loin, se trouvent donc des reliefs de moindre importance que ceux de l’Enceinte tassilienne, souvent ensablés, ou ennoyés, d’un caractère particulier ; ce sont ce que nous appelons « les Pays pré-tassiliens ».
Ils sont constitués par des formations primaires, postérieures à celles de l’Enceinte tassilienne : formations mésodévoniennes (?), supra-dévoniennes et enfin, existant d’une manière sporadique, carbonifères.
Il est possible que ces formations soient plus ou moins en transgression et en discordance sur les formations de l’Enceinte tassilienne, et que les Pays pré-tassiliens se séparent de l’Enceinte tassilienne, non seulement par leurs formes différentes, et l’âge différent de leurs formations, mais encore par une discordance ou une lacune stratigraphique à la base du Dévonien moyen (?) ou supérieur.
Dans cette zone, nous plaçons en particulier les pays d’Amzack au Nord-Est et d’Isaouan au Nord des Tassilis de l’Ajjer, d’Iris et d’Abadra dans le Nord de l’Emmidir, d’El-Ouatia et de l’erg Ennefous (ou Tessegafi), dans le Nord de l’Ahnet, etc., etc.
Les plissements que ces pays peuvent avoir subi sont principalement hercyniens ; puis des mouvements alpins légers se manifestèrent probablement aussi.
Jusqu’à maintenant on n’a pas constaté l’existence des formations de cette zone, sur tout le pourtour du Massif Central Saharien.
On l’a constaté surtout au Nord-Ouest, Nord et Nord-Est.
Dans ces régions, les Pays pré-tassiliens sont relativement bien connus.
Des gisements et fossiles ont été étudiés. Nous ne nous y attarderons donc pas et nous nous contenterons d’indiquer la présence de formations méso (?), supra-dévoniennes et carbonifériennes et de séparer les pays de ces formations[65] sous le nom de « Pays pré-tassiliens » de l’Enceinte tassilienne, à formations plus anciennes, principalement siluriennes.
(de Tasilé, terme de Tamahak désignant les plateaux gréseux de type particulier qui sont les éléments caractéristiques de cette enceinte).
Nous appelons ainsi une ceinture de plateaux gréseux, plus ou moins tabulaires, qui entourent le Pays cristallin : les Tassilis de l’Ajjer, l’Emmidir, l’Ahnet, les Tassilis de l’Adrar, les Tassilis de Tin Rerhoh et les Tassilis de l’Ahaggar, pour ne citer que les plus importants.
*
* *
En poursuivant de Temassinin, où nous sommes parvenus, la marche vers le Sud-Ouest, après avoir traversé les sables du Nord-Ouest de l’Erg d’Isaouan, l’anticlinal de grès dur appelé Adrar-n-Taserest (ou Djebel Tanelak), d’âge indéterminé en raison de l’absence de fossiles (qui est peut-être dévonien ?), et le Tineri-n-Taserest (région de l’oued In-Dekak), on arrive à l’Enceinte tassilienne en une de ces parties que nous prenons comme type, en raison de la clarté, rare dans ces régions, avec laquelle se présente sa structure.
C’est la région la plus occidentale des Tassilis de l’Ajjer (ou Azgueurs), la région des monts Relloulen, Terourirt et Ahellakan, des oueds Tassirt, In Dekak, Iskaouen et du Mâder Tahihaout, région que l’on peut désigner et que nous désignerons sous le nom de Tassirt-Iskaouen.
Cette région des Tassilis ne nous paraît pas devoir être considérée comme un ensemble dévonien, ainsi qu’il était admis jusqu’à ce jour.
En réalité, elle se décompose en deux zones de plateaux bien distinctes :
A) Les Tassilis externes dont les escarpements Sud dominent la région déprimée où passe l’Atafaït-Afa, la piste[66] d’In-Salah à Rhat, région déprimée du Tahihaout, de l’oued Tigamaïn-n-Tisita, de l’oued Arami, de Tounourt.
Ces plateaux sont dévono-siluriens :
a) A leur partie externe, les grès les plus supérieurs sont des grès du Dévonien inférieur. On y trouve en effet des gisements fossilifères dévoniens inférieurs (gisement de la partie basse de l’oued Tassirt).
Dans ces grès, peut-être quelques bancs de conglomérats.
Au sujet de la concordance de ces grès dévoniens avec les « Grès supérieurs » suivants, nous faisons toutes les réserves ;
b) Constituant la partie élevée des plateaux en dessous des grès précédents, qui ne constituent que des affleurements sur le bord Nord et externe, se trouvent des grès dans lesquels nous n’avons pas trouvé de fossiles et que nous appelons Grès supérieurs des Tassilis, pour ne pas préjuger de leur âge exact (pour respecter les anciennes attributions, comme nous ne pouvons pas prouver le contraire, on peut les considérer comme appartenant au Dévonien inférieur, mais il se peut qu’ils se révèlent ultérieurement, ou entièrement ou partiellement siluriens supérieurs-gothlandiens) ;
c) En dessous, affleurent les Schistes argileux siluriens à Graptolithes (gisements de Tamellelt ou Tanout-Mellet), d’une façon continue à la base des escarpements Sud de ces Tassilis externes, et nous avons pu observer leur concordance parfaite de sédimentation avec les Grès supérieurs, le passage progressif, par des grès argileux micacés, des Schistes argileux à ces Grès supérieurs[27].
Dans ces schistes argileux, on rencontre des bancs de minerai de fer, ayant une teneur en fer très élevée, allant jusqu’à 70 p. c. par endroits. Malheureusement, l’absence de charbon jusqu’à maintenant au Sahara, ainsi que l’absence de main-d’œuvre, font que cela ne peut guère avoir d’intérêt minier.
[67]B) Les Tassilis internes, au Sud des précédents, qui se terminent au Sud par les très hautes falaises et les grands escarpements des monts Ahellakan et Ens-Iguelmamen, dominant le Pays cristallin de l’Edjéré[28] et de l’Amadror.
Ces plateaux sont en grès quartziteux non fossilifères ; nous avons pu observer la relation de ces grès avec les Schistes à Graptolithes ; ils leur sont inférieurs ; ce sont donc des grès siluriens ou cambriens. Dans l’absence de fossiles, on ne peut affirmer qu’ils ne sont pas cambriens (tout ou partie). Nous les appelons Grès inférieurs des Tassilis.
La transition avec les Schistes à Graptolithes se fait par un ensemble puissant de grès à « rippel-marcks » de « Grès à colonnettes » (c’est ainsi que le commandant Besset a appelé, suivant une expression très imagée, un facies très spécial de ces grès de transition) et de schistes argileux multicolores, qui affleurent dans la région déprimée de l’Atafaït-Afa, du Tahihaout.
Ces grès massifs, d’une remarquable puissance, reposent très nettement en discordance angulaire sur les Schistes cristallins à filons de pegmatite, donc anté-siluriens, peut-être antécambriens de l’Edjéré et du Massif Central Saharien, par de beaux conglomérats de base à galets de quartz dont l’affleurement est souvent caché sous les éboulis.
Nous appelons cette discordance : la Discordance tassilienne.
Ultérieurement, il paraîtra une étude sur les formations fossilifères dévoniennes et siluriennes rencontrées par nous dans cette région, avec des précisions sur leur âge.
Mais d’ores et déjà, nous pouvons indiquer que, pour la première fois au Sahara, nous avons découvert des organismes siluriens autres que des Graptolithes constituant les éléments d’un principe de faune.
Ce sont des Orthocères, une glabelle de Trilobite, des Lamellibranches et quelques autres organismes. Le tout est[68] associé aux Graptolithes dans le gisement fossilifère des Schistes argileux de Tanout-Mellet.
On peut espérer, en cet endroit, trouver toute une faune variée du Silurien ; j’espère qu’une nouvelle mission me permettra d’exploiter cette découverte.
Ainsi, les sédiments siluriens jouent un rôle très important dans la constitution de cette partie des Tassilis.
L’appellation de Tassilis dévoniens, employée jusqu’à ce jour, est donc absolument incompatible avec la réalité et il convient de lui substituer celle de « Tassilis dévono-siluriens », qui, elle-même, n’est peut-être pas encore exacte puisque le Cambrien peut être également représenté, mais qui suffit tant que la présence du Cambrien n’est pas démontrée par la découverte de fossiles indiscutablement cambriens.
Ces observations relatives à la région Tassirt-Iskaouen jettent un jour nouveau sur la constitution de l’Enceinte tassilienne.
Dans la région des Irraren-n-Ahaggar (ou Iraouen), un raid rapide nous a permis de constater qu’après la traversée de l’erg d’Amguid[29], la piste qui va d’Amguid à Hassi Messeguem suit une dépression, qui est la continuation de la dépression de l’Atafaït-Afa, c’est-à-dire dominée au Nord par des escarpements dont la base est constituée par des Schistes à Graptolithes, et le haut par des Grès supérieurs des Tassilis, et qui est limitée au Sud par l’élévation progressive des Grès inférieurs des Tassilis, qui forment des plateaux dans lesquels se trouve un aguelmam temporaire que l’on m’a dit s’appeler Tarara (appellation dont je ne suis pas certain, n’ayant pu la recouper par plusieurs témoignages de Touareg).
[69]Passons à l’Emmidir (ou Mouydir)[30].
J’ai étudié la corne Nord-Est du feston de l’Emmidir. Quand on vient d’Amguid, après la traversée Sud de l’erg d’Amguid et de l’oued Raris, on rencontre un éperon venant du Nord, de Grès inférieurs des Tassilis, appelé In-Touareren (ou Mongar-Tir) dominant le Pays cristallin qui s’étend au Sud de cet éperon.
J’ai constaté la présence, à la base des grès, des beaux conglomérats par lesquels la base de la série primaire tassilienne repose en discordance (la Discordance tassilienne) sur les Schistes cristallins dans la région Tassirt-Iskaouen.
Cet éperon, qui appartient donc à la zone des Tassilis internes, est séparé par la large vallée de l’oued Tidilekerer de la falaise Est des plateaux de Grès inférieurs des Tassilis internes de l’Emmidir qui vont se joindre dans le Nord aux plateaux des mêmes Grès inférieurs du pays d’Iraouen, dont nous avons parlé précédemment.
Cet éperon se soude également vraisemblablement à eux dans le Nord, dans la région d’Iraouen.
Après la traversée du reg de cet oued Tidilekerer, on arrive à cette falaise Est de l’Emmidir qui, plus au Sud, se continue par les monts Ihedran et de Raris.
Cette falaise, c’est l’escarpement des Grès inférieurs des Tassilis qui termine la zone des Tassilis internes de l’Emmidir sur les Pays cristallins ; ici elle est orientée Nord-Sud ; plus au Sud, elle prend une orientation Nord-Est-Sud-Ouest, pour, après avoir été Est-Ouest, se retourner Sud-Ouest-Nord-Est et gagner la région de Tadjemout dont il sera question plus loin.
Cette falaise forme ainsi la limite Sud du feston des plateaux de l’Emmidir — dominant le Pays cristallin de Raris et d’Aseksem.
Dans cette falaise, se trouve une échancrure faite par l’oued Tin Tarahit, qui descend du plateau pour aller se[70] jeter avec l’oued Tidilekerer dans l’oued Raris, qui, lui-même, rejoint le grand collecteur de ces pays, l’oued Ir’err’er, dans la région d’Amguid.
C’est là que la piste escalade la falaise, et l’on parvient sur des plateaux correspondant à la zone des Tassilis internes, doucement inclinés vers l’Ouest, de la corne Nord-Est du croissant de l’Emmidir. On descend progressivement dans une dépression dite de Tiounkenin où affleurent, sur le flanc Ouest, les Schistes argileux à Graptolithes. Cette dépression appartient à une zone de dépressions qui sépare dans cette région des Tassilis internes de Tassilis externes.
C’est l’analogue du Tahihaout, de la dépression de Tounourt, etc.
Là, se trouve un gisement abondant de Graptolithes au voisinage immédiat du puits Abankor de Tiounkenin.
Le sillon que nous avons indiqué dans la région type Tassirt-Iskaouen, puis dans la région d’Iraouen, correspondant à l’affleurement des Schistes à Graptolithes, existe donc également dans la partie Nord-Est de l’Emmidir.
Vers le Sud de Tiounkenin, il se continue, toujours à l’Ouest de la grande falaise terminale de Raris, limitant à l’Ouest la zone des Tassilis internes de l’Emmidir, par la vallée où se trouve l’aguelmam d’Afelanfela (ou aguelmam Deïtman), puis l’oued Ir’err’er-oua-n-Isananen et, décrivant un feston, gagne la cuvette de Taoulaoun dont il sera question plus loin.
Après Tiounkenin, nous rencontrons une seconde zone de plateaux, les Tassilis externes de l’Emmidir, toujours inclinés vers l’Ouest avec les monts de Khanget-el-Hadid, que traverse l’oued Tiounkenin (ou Khanget-el-Hadid).
Vers la partie externe, après les Grès supérieurs des Tassilis, on rencontre dans des grès un superbe gisement à Spiriferidés du Dévonien inférieur, aux environs immédiats de l’aguelmam Hindebera dans l’oued Tiounkenin (Khanget-el-Hadid).
Au sujet de la concordance de ce Dévonien avec les Grès supérieurs, je fais toutes les réserves.
Ils m’ont paru en concordance.
[71]Les Tassilis externes se terminent à l’Ouest par le plongement des grès très inclinés sous la plaine du Mâder Amserha (ou Mâder Khanget-el-Hadid).
J’ai pu suivre par leur côté Ouest les Tassilis externes vers le Nord jusqu’à l’oued Henin (Tilia). Dans cette région, leur plongement vers l’Ouest est constant et très accusé.
Vers le Sud, les Tassilis externes de l’Emmidir, constitués probablement par les monts Ezzetorin et Tesadit, Talmest, Tifirin, etc., s’incurvent pour prendre une direction Est-Ouest, puis Sud-Est-Nord-Ouest, comme nous l’avons vu pour les Tassilis internes à propos de leur falaise terminale sur le Pays cristallin.
Le pendage général restant constamment dirigé vers le centre du croissant.
J’ai traversé la corne Nord-Ouest du feston de l’Emmidir[31], à Aïne-Redjem. Là, l’Emmidir projette vers le Nord une apophyse, une série de dômes allongés Nord-Sud ; ce sont les dômes allongés de la montagne d’Aïne-Redjem, du Djebel Idjeran et du Djebel Azaz-Aïne Kahla.
Entre ces dômes, des ensellements, dont le plus accusé est celui par lequel l’oued Idergan traverse cette corne Ouest de l’Emmidir et où se trouve Aïne-Redjem.
La surface générale de ces dômes allongés m’a paru constituée par les Grès supérieurs des Tassilis.
L’anticlinal du Djebel Idjeran est éventré, et les Schistes argileux à Graptolithes doivent être mis à nu au milieu du Djebel Idjeran, probablement là où on signale des palmiers.
L’anticlinal d’Aïne Kahla est éventré plus encore : les Schistes cristallins eux-mêmes sont entamés dans l’axe de l’anticlinal.
Vers le Sud, cette région anticlinale qui constitue la corne Nord-Ouest du feston de l’Emmidir semble largement éventrée. D’après les travaux de M. Gautier sur le Mouydir[72] Ahnet, — ces travaux qui marquent une étape si importante dans la connaissance de ces régions — il semble que cet éventrement détermine une avancée du Pays cristallin vers le Nord qui sépare les deux festons tassiliens de l’Emmidir et de l’Ahnet-Acedjerad (situé au Sud-Ouest de l’Emmidir).
Autour de cette avancée du Pays cristallin, il semble qu’on puisse distinguer toujours les mêmes zones : les lèvres supérieures de « la plaie » en Grès supérieurs des Tassilis, puis la zone déprimée des Schistes argileux (cuvette de Taoulaoun), puis les Grès inférieurs des Tassilis qui se terminent en falaise au bord de la cuvette de Tadjemout en discordance (la Discordance tassilienne) sur les Schistes cristallins de l’avancée de Tadjemout-Arack.
Vers l’Est, ces zones vont se raccorder, suivant le feston de l’Emmidir, et, comme nous l’avons indiqué précédemment, aux pays de la corne Ouest qui bordent également un anticlinal arasé, une avancée du Pays cristallin, l’anticlinal d’Amguid qui sépare l’Emmidir des Tassilis qui nous ont servi de type.
Au Sud-Ouest de l’Emmidir, l’Enceinte tassilienne est représentée par l’Ahnet-Acedjerad. Dans cette région, il semble, toujours d’après les importants travaux de M. Gautier, que l’on retrouve la même disposition que dans l’Emmidir : un feston de deux séries de plateaux, avec une zone de dépressions (la dépression d’Ouallen entre autres), correspondant à l’affleurement des argiles et Schistes siluriens à Graptolithes, feston en discordance (Discordance tassilienne) sur le Pays cristallin, le long et au bas de la falaise de son bord externe qui s’appelle ici le Bâten-Ahnet[32].
A l’Est de la région-type Tassirt-Iskaouen, l’Enceinte tassilienne prend une ampleur considérable particulière[73] qu’il convient de signaler. Ce sont les vastes plateaux des Tassilis de l’Ajjer, terrains de parcours de toute une confédération de Touareg, la Confédération des Touareg de l’Ajjer.
On distingue toujours deux séries de plateaux séparés par la bande de dépressions de Tiremmar, de l’oued Iferniken, de l’oued Agou, et de la piste de l’Atafaït-Afa jusqu’aux monts Ekohaouen vers l’Est[33]. (Plus à l’Est, l’état des connaissances ne nous permet pas de faire des précisions, mais je suis certain que les explorations ultérieures constateront la continuité de structure de l’Enceinte tassilienne dans ces régions.)
Les grands escarpements des monts Ahellakan se poursuivent et les Tassilis internes dominent par leurs escarpements Sud le Pays cristallin de Tihodaïn, d’Abada-Hegerin, d’Admer et de l’erg d’Admer.
Ainsi, dans toute la partie Nord, Nord-Ouest et Nord-Est de l’Enceinte tassilienne, nous constatons une parfaite unité de structure.
Ainsi, comme la région-type Tassirt-Iskaouen, dans toutes ces parties de l’Enceinte tassilienne, on constate la présence des Grès supérieurs, des Schistes argileux à Graptolithes siluriens et des Grès inférieurs, des Tassilis externes et des Tassilis internes et la présence d’une discordance (la Discordance tassilienne) à la base des Grès inférieurs.
Il est probable qu’au Sud les autres segments de cette enceinte (Tassilis de l’Ahaggar, Tassilis de l’Adrar, etc.) sont analogues.
[74]Mais, s’ils présentent vraisemblablement la même structure générale et sensiblement les mêmes formations, il semble qu’ils diffèrent assez par certains côtés des parties Nord de l’Enceinte tassilienne.
Ainsi, il semble que les couches de grès soient plus horizontales, que les plateaux soient beaucoup moins en relief sur le Pays cristallin et plus ensevelis dans des formations d’ennoyage, et que cette partie de l’Enceinte tassilienne ait été moins affectée par des plissements que la partie Nord-Ouest en particulier.
Maintenant que nous avons montré combien les différentes régions de l’Enceinte tassilienne présentent de similitude de structure avec la région Tassirt-Iskaouen, et combien il était fondé de les réunir sous cette appellation commune « Enceinte tassilienne », il convient de définir exactement ce que nous rangeons sous ce nom. C’est :
L’ensemble des monts et des plateaux disposés autour du Pays cristallin du Massif Central Saharien, qui sont constitués par les mêmes formations ou par des formations du même âge que celles qui constituent les monts et plateaux de la région Tassirt-Iskaouen dont nous avons ébauché l’étude précédemment, c’est-à-dire Grès inférieurs, Silurien, Grès supérieurs et Dévonien inférieur[34].
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* *
Les parties Nord et Nord-Est de l’Enceinte tassilienne sont ridées suivant une direction sub-méridienne, ainsi que[75] cela a été déjà souvent signalé, avec une tendance vers une direction Nord-Ouest-Sud-Est[35].
Ces plissements provoquent la projection d’apophyses anticlinales vers le Nord, comme celles dont font partie les monts de Tisekfa, d’Adrar-n-Taserest (Djebel Tanelak), d’Aïne-Kahla, d’Hassi-el-Khenig, enfin de Timerguerden, la crête entre Takcis et oued Meraguem.
Cette dernière région anticlinale est prolongée vers le Nord peut-être par les anticlinaux arasés de Bled-el-Mass et d’Aïn Cheick-Aïn Chebbi où le cristallin semble à nu.
Nous distinguons d’une manière générale quatre régions anticlinales de l’Est à l’Ouest, qui groupent ces rides :
Région de Tisekfa entre les deux Isaouan, d’Amguid entre l’Isaouan-n-Tifernin et les pays de l’oued Abadra, d’Aïne-Redjem, entre les pays d’Abadra et de l’Ouest de l’oued El Khenig-Elouatia, et enfin la région anticlinale de l’Ouest de l’Ahnet-Acedjerad, entre les pays d’Elouatia et les pays peu connus de l’Ouest.
Ces régions anticlinales provoquent le long du bord interne de l’Enceinte tassilienne des avancées du Pays cristallin, qui donnent une allure festonnée, une allure en guirlande à l’Enceinte tassilienne dans ces régions Nord, Nord-Est et Nord-Ouest.
C’est ce que nous avons signalé pour les régions d’Amguid et d’Aïne Redjem-Tadjemout, où cela est particulièrement net, par qui sont séparés les festons des Tassilis de l’Ajjer, de l’Emmidir et de l’Ahnet.
Les rides et ondulations sont généralement assymétriques, le pendage du côté Est étant en général plus fort que le pendage du côté Ouest.
Il semble que ces bombements, ces rides, soient comme[76] des vagues venant de l’Ouest, et de moins en moins accentuées à mesure que l’on va vers l’Est.
Mais nos connaissances des régions Est des Tassilis de l’Ajjer ne nous permettent pas de certitude au sujet de la continuation de cette formule tectonique vers l’Est.
On a parlé pour certains de ces accidents de « flexures » des grès, dues à des failles du socle cristallin en profondeur.
Cette manière de voir ne nous paraît pas très fondée pour le moment :
Nous n’avons pas observé dans les parties de l’Enceinte tassilienne de flexures typiques de cet ordre, mais généralement des ondulations, bombements, rides, etc., très nets.
Par exemple, à Tidjoubar (ou Aïne-Bou-Mesis), à l’Est d’Amguid, dans la zone des Tassilis internes des Tassilis de l’Ajjer, se trouve un bombement allongé à peu près Nord-Sud, très accentué et très caractéristique, qui incite à être très prudent avant d’adopter cette hypothèse des formations de reliefs dans l’Enceinte tassilienne par failles en profondeur et flexure en surface.
Les plissements sont plus marqués dans la zone des Tassilis internes que dans celle des Tassilis externes.
Il semble que les Schistes argileux à Graptolithes et leur cortège de schistes argileux multicolores, qui paraissent assez plastiques, aient amorti les mouvements et les aient transmis atténués dans les Grès supérieurs.
Quelle est l’histoire de ces mouvements de l’Enceinte tassilienne ?
Pour le moment, il est très difficile de formuler des affirmations, étant données, d’abord l’incertitude qui existe encore sur l’âge de certaines formations (Grès supérieurs, par exemple), ensuite les difficultés d’observation des liens exacts qui existent entre le Crétacé et les formations primaires et surtout entre les formations dévoniennes (méso (?) et supra) et les formations siluriennes (et (?) éo-dévoniennes).
Des lacunes peuvent échapper, ainsi que des formations de transgression, etc.
[77]D’autre part, certains de ces contacts sont ennoyés, cachés et il est difficile de savoir si certains mouvements peu accusés ne disparaissent pas sous des formations reposant en discordance dessus (c’est le cas pour le Djebel Redjem).
C’est donc absolument sans certitude que l’on peut hasarder quelque chose sur l’histoire de ces mouvements.
Il convient peut-être pour le moment, par rattachement de ces mouvements à ceux constatés dans le Nord-Ouest (Touat et Saoura) par M. Gautier et classés hercyniens, de considérer encore que les formations de l’Enceinte tassilienne ont subi leurs plissements et mouvements divers à l’époque des plissements hercyniens.
Je tiens à souligner cette remarque que des mouvements calédoniens furent peut-être les principaux à intéresser les formations de l’Enceinte tassilienne, mouvements auxquels se seraient ajoutés ou superposés des mouvements hercyniens, et des mouvements alpins. A vrai dire, les plissements se sont succédé dans ces régions en épousant souvent plus ou moins les plissements précédents et il est difficile de faire la part de chacun. Et cette remarque est non moins importante pour les plissements du Pays cristallin dont nous parlerons plus loin.
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Il semble qu’il y ait des variations légères de facies, latéralement dans l’Enceinte tassilienne, en particulier le facies gréseux paraît plus accentué à l’Est, le facies marno-argileux à l’Ouest ; c’est ce qui, joint à une accentuation des plissements vers l’Ouest, produirait des différences d’aspect entre l’Emmidir et les Tassilis de l’Ajjer.
Ces deux caractères semblent d’ailleurs liés : les régions où les facies profonds argileux, marneux, schisteux sont les plus représentés, les régions Nord-Ouest, devaient être plus intéressées par des plissements que des régions à facies détritiques gréseux prédominant.
Ces Grès des Tassilis semblent franchement marins. Ils[78] sont en général régulièrement lités ; on trouve des fossiles marins, en dessus et en dessous pour les Grès supérieurs, en dessus seulement, mais bathiaux (?) (Graptolithes) pour les Grès inférieurs.
Il est possible que les mers aient remanié des ergs lors de leurs transgressions.
Les Grès supérieurs se distinguent en général assez facilement des Grès inférieurs.
En particulier, les Grès inférieurs sont généralement beaucoup plus massifs.
Les plateaux de Grès inférieurs sont entaillés par des cañons très profonds, à parois ruiniformes, d’aspect très différent des cañons creusés dans les Grès supérieurs beaucoup moins pittoresques.
Citons le magnifique cañon de l’oued Iskaouen, creusé dans les Grès inférieurs.
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Nous avons vu que des avancées du Pays cristallin pénétraient l’Enceinte tassilienne, dans les régions anticlinales d’Aïne-Redjem et d’Amguid.
La mise a nu du cristallin dans l’axe de ces anticlinaux correspond à des dépressions, sans doute parce que les Gneiss, Granits et Micaschistes, roches hétérogènes, se désagrègent plus facilement sous l’action de l’érosion saharienne[36], que les grès quartziteux des Tassilis.
Et dès qu’ils sont mis à nu, les facteurs d’érosion ayant plus de prise sur eux, leur démolition est plus rapide.
C’est pour cette même cause sans doute que le contact des Grès inférieurs des Tassilis et du Cristallin se traduit par la saillie considérable des plateaux gréseux, sur le Pays cristallin, par un bâten (falaise) imposant qui entoure[79] comme une barrière tout le Pays cristallin au Nord-Est, Nord et Nord-Ouest.
Pour expliquer la formation de cette imposante barrière, on a invoqué la présence d’une faille qui suivrait le bord interne des Tassilis internes.
Rien ne nous permet d’admettre l’existence de cette faille pour le moment, tout au moins l’existence aussi générale de cette faille.
La présence de témoins des Grès inférieurs des Tassilis sur le Pays cristallin très loin du « bâten » en question semble obliger soit à rejeter l’explication par failles d’une manière générale, soit à placer cette faille à une assez grande distance du « bâten » actuel, dans le Pays cristallin.
Ainsi, la gara Holla, à une trentaine de kilomètres des Tassilis, domine le Pays cristallin de l’Edjéré de son plateau escarpé, de Grès inférieurs des Tassilis.
Nous croyons que, en l’absence d’autres explications générales possibles actuellement, on doit admettre pour la formation de cette falaise, l’explication donnée plus haut.
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L’Enceinte tassilienne dont nous venons d’ébaucher l’étude et dont l’altitude ne dépasse guère 1.700 mètres, entoure un pays dont les montagnes atteignent de grandes altitudes (Tahat, 3.000) ; c’est le Pays cristallin.
En outre, les Pays pré-tassiliens, l’Enceinte tassilienne, étaient des pays à reliefs plus ou moins tabulaires, des pays tabulaires ; le Pays cristallin, lui, n’a pas ce caractère.
C’est l’immense pays de l’Ahaggar (ou Hoggar).
Vaste pays de schistes cristallins percés d’intrusions de roches granitoïdes, injectés de pegmatites et de diverses roches filoniennes, souvent recouverts d’épanchements et d’appareils, et traversés de dykes volcaniques.
Le Massif Central Saharien a été décapé de sa couverture primaire (cambro (?)-silurienne) tout au moins à sa périphérie et les Schistes cristallins que nous avons vu apparaître en discordance sous l’Enceinte tassilienne, sont à nu sur une immense surface.
(On ne sait si la couverture primaire a couvert tout ce Pays cristallin actuellement à nu, dans l’absence de témoins, reconnus à ce jour, de cette couverture dans le centre du Pays cristallin ; il se peut qu’une partie de l’Ahaggar depuis les mouvements saharidiens dont il sera parlé plus loin soit toujours restée émergée, que les mers primaires n’aient jamais complètement recouvert le Pays cristallin, et qu’il y ait eu là un continent permanent, un « asile » depuis les débuts de l’ère primaire jusqu’à nos jours ?!.
On ne peut, pour le moment, affirmer quoi que ce soit à ce sujet.)
On trouve toute la gamme des schistes cristallins ; les gneiss dominent.
Il semble que ces roches, métamorphisées de façon et à des degrés variés, aient été des plus diverses avant leur transformation par les différents métamorphismes : grès, marnes et calcaires, roches d’épanchement volcaniques, etc., semblent avoir été représentés.
Nous avons recueilli de nombreux échantillons de ces Schistes cristallins.
L’étude minéralogique de ces échantillons, recueillis le long d’un itinéraire filiforme dans le Pays cristallin ne rentre pas dans le cadre de cet exposé général[37].
Nous laissons donc de côté l’étude minéralogique de ces Schistes cristallins de l’Ahaggar en attendant que des études de longue haleine nous permettent de les grouper suivant leur rapport avec les îlots de roches intrusives, suivant les influences diverses qu’ils ont pu subir : injections[81] filoniennes, actions mécaniques, etc., et suivant les zones de profondeur auxquelles ils peuvent appartenir.
L’étude des Schistes cristallins de l’Ahaggar à ces points de vue, pourra revêtir un grand intérêt général par suite de la nudité de ces pays qui se prêtent plus qu’aucun autre à des études de cet ordre.
Ce sur quoi nous désirons attirer l’attention, c’est l’âge de ces Schistes cristallins, ainsi que l’âge et la forme de leurs plissements propres.
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* *
L’âge des formations qui sont devenues les Schistes cristallins est, peut-être, anté-cambrien.
En effet, nous avons vu que l’Enceinte tassilienne reposait en discordance sur les Schistes cristallins plissés.
Dans cette enceinte, nous avons montré l’importance des formations siluriennes.
Même dans l’éventualité de la démonstration de l’absence du Cambrien à la base, on peut conclure avec beaucoup de probabilité à l’âge anté-cambrien des Schistes cristallins : car on peut considérer comme très longue la période qui sépare la date du dépôt des formations qui sont devenues par métamorphisme les Schistes cristallins, de la date de la transgression marine qui débuta par la formation des Conglomérats de base de la série tassilienne.
1º La transgression marine s’est faite en effet après le plissement, après l’injection de tout ce complexe cristallin par les pegmatites et après que l’érosion eut atteint ces filons de pegmatite (car nous avons constaté que la couverture tassilienne repose directement, en de nombreux points, sur un substratum de Schistes cristallins injectés de pegmatite).
2º Avant cette transgression, en effet, le « rabotage » du massif avait été très loin : le granit avait été atteint, ainsi que les diverses roches intrusives profondes (nous avons vu en divers points les Grès inférieurs reposer par les Conglomérats de base sur le granit) et il ne restait aucun élément non métamorphisé sous la couverture tassilienne, elle, non métamorphisée (nous n’avons vu nulle part[82] dans le Pays cristallin de sédiments non métamorphisés, ni aucun explorateur).
3º Enfin le caractère général de cette discordance n’est pas en effet pour inciter à croire courte la période qui s’est écoulée entre plissement et transgression.
C’est pourquoi nous croyons ne pas nous écarter d’une très grande probabilité en qualifiant les Schistes cristallins d’anté-cambriens.
Dans ces Schistes cristallins peut-on faire des divisions stratigraphiques ?
Cela est impossible encore.
On est tenté de distinguer des pays de Schistes cristallins de caractère peut-être plus ancien.
Mais il n’est, pour le moment, pas prudent de s’abandonner à cette séduction.
La présence de discordance typique stratigraphique sur laquelle on puisse se fonder, avec conglomérats, dans les Schistes cristallins n’a pas en effet été observée, ni par nos prédécesseurs ni par nous-même.
Des quartzites (entre autres la pyramide de l’In Kaoukan dans l’Anahef) ont été observés par M. Buttler en légère discordance sur des gneiss sous-jacents.
Rien ne donne à cette discordance une importance suffisante pour le moment, ni caractère nettement stratigraphique (absence de conglomérats), ni grande extension, qui permette déjà de fonder sur elle une coupure dans les Schistes cristallins anté-cambriens. Mais elle laisse prévoir la possibilité d’une pareille éventualité[38].
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On avait tout d’abord, à la suite des découvertes de la Mission Flatters, rattaché les plissements propres aux[83] Schistes cristallins, qui apparaissent au Sud des Tassilis, aux plissements calédoniens.
Puis, les découvertes des Schistes du Tindesset par la Mission Foureau-Lamy, considérés comme de la fin de l’Ordovicien, des Schistes d’El-Khenig, par le Capitaine Cottenest, considérés comme gothlandiens, avaient jeté quelque trouble dans les idées admises jusque-là sur la date de ces mouvements.
Les conditions de gisement de ces Schistes à Graptolithes n’ayant pu être éclaircies, on avait admis soit que ces schistes appartenaient à une partie non métamorphisée de l’ensemble des formations qui, métamorphisées, avaient donné les Schistes cristallins, — et alors l’hypothèse calédonienne restait absolument acceptable — soit que ces Schistes à Graptolithes considérés tous comme siluriens supérieurs, étaient à la base du complexe gréso-argileux dévonien, et alors il fallait admettre que les plissements qui avaient intéressé les Schistes cristallins et qui leur étaient propres étaient antérieurs à certains mouvements calédoniens typiques.
Mais, par suite de l’incertitude régnant en Ecosse sur la question de savoir si le Silurien supérieur avait été intéressé par les mouvements calédoniens, on avait voulu y voir les premiers mouvements calédoniens. C’est cette dernière opinion qui était celle de Suess qui déclarait qu’on ne saurait prétendre que les Saharides ne se révèleraient pas quelque jour comme le prolongement des Calédonides.
Ces plissements propres aux Schistes cristallins de l’Ahaggar furent dénommés Saharides par Suess, en attendant que des explorations ultérieures permettent de les rattacher avec certitude aux Calédonides.
Maintenant que nous avons étudié les relations des[84] Schistes argileux à Graptolithes avec les Schistes cristallins, nous pouvons déclarer que les Schistes cristallins ont été plissés avant le Silurien — et vraisemblablement avant le Cambrien.
La possibilité de réaliser les espoirs de Suess et de rattacher les Saharides aux mouvements calédoniens est donc écartée à tout jamais.
Ces mouvements sont trop antérieurs aux mouvements calédoniens.
Et nous croyons pouvoir admettre que les mouvements les plus récents qui ont plissé les Schistes cristallins avant le dépôt en discordance dessus de la couverture tassilienne, sont algonkiens, et faisons toutes les réserves sur l’existence de mouvements antérieurs (discordance de l’In Kaoukan ?) intéressant une partie des Schistes cristallins, qui peut être mise en lumière un jour par l’étude approfondie du Pays cristallin.
Ainsi, les Saharides (pour conserver l’appellation de Suess) sont algonkiennes.
C’est là un des résultats de notre mission dont nous sommes fier que la démonstration de l’existence d’un « Faîte saharien » algonkien, comparable au « Bouclier canadien »[39], au « Faîte sibérien » et au « Bouclier baltique ».
Etudions maintenant les plissements eux-mêmes.
Tout d’abord, il convient de faire remarquer que l’état actuel de plissement des Schistes cristallins est le résultat de mouvements complexes.
Il est possible que pour certains des Schistes cristallins, les mouvements algonkiens se soient déjà superposés à d’autres antérieurs (discordance de l’In Kaoukan ?).
D’autre part, les Schistes cristallins plissés par les mouvements algonkiens ont sans doute été repris (la partie[85] voisine de l’Enceinte tassilienne tout au moins) par les plissements postérieurs que nous avons décrits dans l’Enceinte tassilienne et qui ont déterminé l’allure festonnée de cette enceinte, par le découpage des régions anticlinales provoquant des avancées du Pays cristallin.
On ignore même si ces mouvements qui ont plissé l’Enceinte tassilienne n’ont pas eu une grande ampleur dans l’Ahaggar, et si cet Ahaggar ne présente pas actuellement le résultat de la mise à nu du Cristallin par décapage d’un vaste bombement d’âge alpin (?) ridé sensiblement Nord-Sud, avec tendance vers une direction Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est (les rides les plus accentuées se trouvant vers l’Ouest), par les mouvements hercyniens ou calédoniens (?) ou hercyniens et calédoniens (?) qui ont agité l’Enceinte tassilienne.
Ce dôme qui est décapé maintenant de sa couverture primaire pouvait même être une région de violents plissements primaires et les régions anticlinales de l’Enceinte tassilienne, dont nous avons esquissé les traits, ne représenteraient peut-être que les terminaisons mourantes vers le Nord des vastes rides de ce dôme qui, dans les régions ahaggariennes auraient été beaucoup plus accentuées, allant peut-être jusqu’au déversement et même à des nappes de charriage[40].
Cette hypothèse n’a rien d’impossible :
L’Enceinte tassilienne avec son pendage vers la périphérie se présente bien comme les bords d’un vaste bombement arasé et sa disposition en guirlandes paraît bien être le résultat du décapage d’un dôme plissé de rides sub-méridiennes (avec une tendance vers une direction Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est).
Enfin, il est possible que le Pays cristallin ait été le théâtre d’affaissements, de surrections, de mouvements épirogéniques en relation avec les phénomènes volcaniques[86] dont nous parlerons plus loin, et avec les plissements tertiaires alpins dont ces incidents pourraient avoir été le contre-coup : le contre-coup de l’Atlas.
Il est donc difficile de déterminer, dans l’état actuel de plissements des Schistes cristallins, la part des plissements algonkiens, et la caractéristique de ces plissements.
Les observations que l’on peut faire au cours d’une rapide mission d’exploration ne permettent pas de répondre avec précision et certitude à ces questions ; une étude de longue haleine est nécessaire.
On a parlé d’une direction générale sub-méridienne des plissements saharidiens.
En effet, on constate que beaucoup de crêtes de Schistes cristallins dont certaines sont certainement de plissement surtout algonkien, sont voisines de la direction Nord-Sud, mais toujours avec une tendance vers Nord-Ouest-Sud-Est.
Ainsi, au mont Ahellakan où les Grès inférieurs des Tassilis reposent très calmes sur les Schistes cristallins, ce qui permet de considérer les plissements des Schistes cristallins dessous comme purement algonkiens, on constate que la direction des plissements est bien Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est.
Dans l’Edjéré, ces crêtes sont particulièrement nettes, émergeant des coulées dont nous parlerons plus loin. Elles sont en général plutôt Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est que Nord-Sud, avec le pendage des Schistes dirigés vers l’Est, tout le long de l’oued Tedjert en particulier.
Certaines crêtes sont dirigées presque Nord-Ouest-Sud-Est, en particulier à l’Est de la gara Holla.
La gara Tersi est un synclinal de Schistes cristallins isolé en « Monad-Nock », orienté Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est.
Dans la région Nord de l’Anahef, la région de l’In-Sakan, les Schistes cristallins ont une allure très calme et forment des plateaux ondulés, la direction des plissements semble encore Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est.
(Je citerai parmi ces ondulations l’anticlinal-dôme de l’In-Kaoukan.)
[87]Dans la région d’In-Amdjel, les Schistes cristallins forment des crêtes également sub-méridiennes. Là, ils semblent laminés ; il se pourrait qu’il y ait eu des phénomènes de charriages.
Ainsi on constate dans l’Ahaggar, dans les plissements des Schistes cristallins, une direction dominante sub-méridienne Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est, à laquelle ne semble pas être étrangère la direction générale qui fut celle des mouvements algonkiens, des Saharides dans l’Ahaggar.
Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler ici que la direction Nord-Ouest-Sud-Est est la direction des plissements algonkiens, entre la mer Blanche et le Nord de la Norvège.
D’autre part, il convient de faire remarquer que nous ne connaissons ces plissements algonkiens que par les régions du Nord et du Centre de l’Ahaggar, que ce n’est là qu’un aperçu relativement local sur ces plissements et qu’il est possible que d’autres explorations nous apprennent qu’ils ont une autre direction ailleurs et sont plus ou moins disposés en virgation.
Des explorations de la région entre Ahaggar et Tibesti seraient très intéressantes à ce sujet, ainsi que des explorations des pays cristallins de l’Eglab.
Cette direction sub-méridienne Nord-Nord-Ouest-Sud-Sud-Est qui déjà dans l’Ahaggar n’est pas absolument générale, ne peut encore être considérée comme la direction générale des Saharides, pour le moment.
Les plissements postérieurs semblent avoir épousé plus ou moins les directions des plissements algonkiens, avoir tout au moins été influencés par elles.
Et c’est à l’influence des plissements algonkiens en particulier qu’on pourrait peut-être attribuer la tendance Nord-Ouest-Sud-Est des rides sub-méridiennes de l’Enceinte tassilienne, de date postérieure, sinon le caractère sub-méridien lui-même de ces rides.
Les Schistes cristallins sont percés par des massifs de roches intrusives granitoïdes ou grenues[41] variées, qui font contraste par leurs dômes luisants ennoyés à la base par les produits de la desquamation (boules) avec les crêtes fines des Schistes cristallins.
Ces massifs de roches intrusives granitoïdes sont la note dominante dans la partie axiale du Tifedest où ils semblent disposés en chapelets d’intrusions elliptiques.
Citons en particulier dans cette grande région allongée sub-méridiennement des monts du Tifedest, comme type de ces massifs de roches intrusives granitoïdes, les massifs de l’In Takoulemout et de l’Iskarneïer à l’Est de l’oued Martoutic et de l’oued Aor et à l’Ouest de l’Ir’err’er.
Dans la Koudia, la partie la plus élevée de l’Ahaggar, les intrusions de roches granitoïdes jouent un rôle également important.
Citons entre autres :
Les reliefs à l’Ouest d’Ideles, entre Ideles et Irhafock (avec de beaux types de désagrégation en boule) ;
Le flanc Nord-Ouest du Tahat et au Nord-Ouest du Tahat les régions de l’oued Tellet-Mellel, de l’oued Ti-n-Iferan aux environs d’une source remarquable par ses figuiers dont l’altitude est voisine de 1.700 mètres, et de l’oued Arrou aux mêmes altitudes.
Dans la partie haute de la Koudia des roches grenues apparaissent parfois sous les coulées, jusqu’à de très hautes altitudes.
Ces intrusions de roches grenues paraissent avoir eu, quant au choix des endroits de leur mise en place, une certaine prédilection pour ce qui est devenu les régions axiales des vastes systèmes anticlinaux actuels des Schistes cristallins, ou pour ce qui est devenu les régions de plus grand bombement du pays des Schistes cristallins.
[89]Il est très difficile de savoir de quand date la mise en place de ces diverses roches granitoïdes, dans l’absence actuelle d’éléments datés reconnus, postérieurs aux Schistes cristallins anté-cambriens, avec lesquels on en puisse observer les rapports.
Certaines de ces mises en place sont anté-siluriennes (ou anté-cambriennes ?), car le long de la Discordance tassilienne sous les Grès inférieurs et leurs Conglomérats de base, on constate la présence de roches granitoïdes. C’est le cas dans la région d’In-Ebeggi (Edjéré) et dans la région de Titahouine Tahart (ou Aïne-Karma) près d’Amguid.
D’autre part, les filons de pegmatites diverses qui injectent les Schistes cristallins si généralement, qui sont en relation possible minéralogique et génétique avec ces massifs intrusifs de roches granitoïdes, sont arrêtés, comme nous l’avons souvent observé, par la discordance et ne poursuivent pas leur chemin (du moins nous n’en avons pas observé qui poursuivent leur chemin) au travers des Conglomérats de base et des Grès inférieurs des Tassilis.
Cela semble prouver que ces injections filoniennes de pegmatites sont antérieures au Silurien (ou au Cambrien ?) ; et on peut considérer, semble-t-il, que beaucoup des intrusions de roches granitoïdes de l’Ahaggar ont eu une mise en place anté-silurienne (ou anté-cambrienne ?).
Mais il est possible que certaines mises en place soient de date postérieure.
Cependant, rien ne le prouve jusqu’à maintenant.
L’existence de mises en place anté-siluriennes (ou anté-cambriennes ?) est seule prouvée pour le moment.
Les Schistes cristallins sont en général injectés de roches filoniennes, particulièrement de pegmatites variées, entre autres de pegmatites à tourmalines et à minéraux[42].
[90]Les pegmatites sont injectées avec une telle constance et une telle abondance dans les Schistes cristallins, que c’est un des caractères dominants du Pays cristallin, surtout de l’Anahef, d’être lardé de pegmatites, et qu’on pourrait presque le définir par ce caractère et l’appeler : le Pays cristallin pegmatitifère.
Nous avons vu que ces pegmatites paraissent en général anté-siluriennes (ou anté-cambriennes ?).
Enfin, ces Schistes cristallins, avec leurs intrusions de roches grenues et leurs injections de pegmatites et autres roches filoniennes, sont souvent recouverts de roches d’épanchement et d’appareils volcaniques (cratères, dômes, aiguilles, brêches, tufs) et sont traversés par des dykes également volcaniques.
Ces pays ont été le théâtre d’éruptions d’une ampleur considérable et d’époques diverses.
Leurs formes usées par tous les agents de l’érosion depuis les lointains temps primaires, ont été ainsi rajeunies par ces reliefs volcaniques surimposés, et protégées également dans une certaine mesure contre l’action ultérieure de l’érosion.
Et ce sont des aiguilles, monts et plateaux volcaniques qui constituent actuellement les parties culminantes de la Koudia de l’Ahaggar : le mont Tahat, l’Ilaman, l’Amdai, l’Asekrem[43].
Certains de ces volcans sont très bien conservés ainsi que leurs coulées et analogues aux puys, gravennes, planèzes et cheires du Massif Central Français.
Il est très difficile de dater ces éruptions en raison de[91] l’absence d’éléments stratigraphiques datés, reconnus à ce jour dans ce vaste Pays cristallin de l’Ahaggar.
C’est en vain que nous avons cherché dans les alluvions que l’on trouve sous les coulées des restes d’organismes permettant d’avoir une idée de l’âge des épanchements.
On en est réduit à faire uniquement pour le moment, entre les différents volcans et leurs coulées, des comparaisons fondées sur l’état de conservation des appareils volcaniques et les relations des coulées entre elles (quand c’est possible).
*
* *
Les principaux centres volcaniques dont nous avons constaté l’existence sont les suivants :
a) Au Nord et au pied du massif de l’Oudan, entre ce massif et le mont Edjeleh, et plus près de ce massif que l’Edjeleh, nous avons constaté la présence de coulées basaltiques étalées en vastes nappes qui couvrent une assez grande surface.
Ces coulées semblent récentes.
Leur existence n’avait pas été signalée jusqu’à maintenant ;
b) Dans l’Edjéré et à l’Ouest de Tisemt nous avons rencontré des volcans et coulées, de l’Hanou Tin-a-degdeg dans l’oued Tedjert à Tisemt sur les bords de la plaine de l’Amadror.
Ces volcans sont remarquablement bien conservés. Tous leurs appareils noirâtres font contraste avec les crêtes des Schistes cristallins qui émergent parées de vives couleurs par les jeux de lumières étonnants de ces pays des sombres coulées basaltiques.
Ces coulées s’étalent en général comme de véritables lacs occupant les fonds des vallées, et les oueds se sont réfugiés sur leurs bords, en suivant leur contact avec les Schistes cristallins ; ces oueds ont souvent leurs rives parées de magnifiques colonnades de prismes basaltiques, en particulier l’oued Tedjert de l’abankor Ahalléllen (au Sud de[92] Hanou-Tin-a-degdeg, lui-même au Sud de Hanou-Tin-Edéjerid), à l’abankor Tin-ed’ness (près du redir El-Arab).
Sur les bords de cet oued Tedjert, à Tin-ed’ness, deux coulées de ces basaltes des vallées sont superposées, la plus élevée est donc la plus récente.
Non loin de là, à l’Est de Tin-ed’ness, et à l’Ouest de la gara Maserof (en gneiss) une coulée plus élevée forme plateau.
Cette coulée semble plus ancienne que les deux précédentes, qui se trouvent en contrebas.
On peut donc distinguer dans la région de Tin-ed’ness trois phases dans l’activité volcanique.
Ces phases sont d’une époque antérieure à la présence de l’homme de l’âge de la pierre taillée dans ces régions. En effet :
A l’Est du point d’eau de Tin-ed’ness, dans des grottes qui se trouvent sur les flancs d’un cratère, nous avons fait la découverte en faisant une tranchée de fouille, de nombreux instruments de l’âge de la pierre taillée bien en place, de facture genre Tardenoisien, c’est-à-dire avec pièces microlithiques et géométriques[44].
(Ces instruments sont, semble-t-il, contemporains des tombes anté-islamiques à tumuli qui sont particulièrement abondantes dans les fonds de cratères, peut-être parce que quelque croyance religieuse s’attachait à ces entonnoirs infernaux et y voyait quelque rapport avec le noir séjour des morts.)
Ces grottes avaient donc été habitées par des populations préhistoriques comme elles l’ont été d’ailleurs souvent depuis par les Touareg ainsi qu’il ressort de l’abondance des ustensiles de touareg que l’on trouve abandonnés sur leur sol.
[93]Ce volcan n’est peut-être pas le plus récent de la région de Tin-ed’ness. Près de là, se trouvent des volcans que leur état de conservation peut faire considérer comme postérieurs. Mais la proximité de ces derniers fait que l’habitat des grottes voisines lors de leur activité est peu vraisemblable.
Il ressort de cette observation que l’activité des volcans de l’Edjéré est antérieure à la présence des hommes de l’âge de la pierre taillée qui ont habité ces grottes.
Mais la civilisation de l’âge de la pierre semble très récente en pays targui. Les Touareg conservent encore l’usage de l’emmanchure néolithique pour leurs haches, et l’âge de la pierre taillée, postérieur à la période d’activité des derniers volcans de l’Edjéré, n’est peut-être pas très ancien.
Les éruptions de l’Edjéré paraissent pléistocènes par l’état de conservation de leurs coulées et de leur cratère.
Les cratères de la région de Tin-ed’ness semblent alignés sensiblement suivant des directions sub-méridiennes.
On peut distinguer à l’Est de Tin-ed’ness, et de l’Est à l’Ouest, deux de ces alignements.
A l’Ouest de Tin-ed’ness on aperçoit une autre chaîne de volcans (monts Iferekouassen), la plus importante par l’ampleur de ses appareils.
Les volcans de l’Est de Tin-ed’ness paraissent en général moins récents que ceux de l’Ouest, mais ce n’est que l’impression qu’on peut avoir au cours d’un rapide passage, c’est-à-dire bien sujette à caution.
Les volcans sont très développés également dans la région de l’Ouest de l’oued In Reggi et du Nord-Ouest de Tisemt (monts Tig’elouin) où ils forment un ensemble montagneux important.
On trouve quelques cratères et coulées près de Tisemt.
La montagne de Tisemt qui domine les deux salines si réputées en pays targui est un curieux cratère.
L’entonnoir de ce cratère est rempli de cailloutis, sortes d’alluvions, de morceaux de roches diverses et très variées[94] que nous n’avons trouvés que là, et épars sur le sol autour de ce cratère.
Il existe un épanchement de ces cailloutis, sortes d’alluvions, sur le flanc Est de ce cratère.
Ces morceaux de roches diverses sont sans doute des débris arrachés à la cheminée et la dernière émission de ce volcan semble avoir été une émission de cailloutis.
Il semble que nous ayons là un beau type de « neck ».
Outre son genre particulier d’activité, le cratère de Tisemt est intéressant à un autre point de vue.
Dans les débris qui remplissent son entonnoir, nous avons trouvé des calcaires travertineux que M. Buttler a observés en place, non loin de la base.
Ainsi, ce cratère est postérieur à ces travertins, et le jour où ces travertins se révèleront fossilifères, nous pourrons avoir des données précises sur l’âge de ce volcan.
Au pied de ce cratère se trouvent les salines de Tisemt ; l’origine de ces salines est mystérieuse encore !
La formation de ces amas de sels a-t-elle été en relation avec les manifestations volcaniques ?
La forme des protubérances salines pourrait faire pencher vers cette hypothèse, mais elle pourrait également faire croire à l’existence passée de sources chargées de sel en cet endroit !!!, sources plus ou moins artésiennes, provenant peut-être d’un seuil rocheux, barrant l’issue des eaux cheminant en profondeur dans la plaine de l’Amadror, les obligeant à remonter en surface et les faisant sortir dans cette dépression qui est le point le plus bas de la plaine de l’Amadror (en profondeur de la plaine de l’Amadror se trouvent peut-être des dépôts salés qui chargeaient ces eaux en sels, dépôts salés d’une sorte d’ancienne mer morte ; le puits de Tisemt, très profond [80 m. environ], est salé, mais pas artésien !).
Des analyses d’échantillons salins que M. Buttler a recueillis dans cette saline nous fixeront peut-être dans la suite.
Dans toute la région Edjéré-Tisemt, l’ensemble volcanique peut être considéré comme pléistocène et antérieur[95] à la présence de l’homme de l’âge de la pierre taillée dans cette région ;
c) Au Sud-Est de la plaine de l’Amadror, dans le Nord de l’Anahef, le massif volcanique de l’Assgaffi est le témoin d’une activité volcanique certainement antérieure à celle de tous les volcans précédents.
Là, on ne constate plus la présence de cratères bien conservés et les coulées sont perchées très au-dessus des vallées sur des socles cristallins (c’est le cas pour le Tellerteba, dont les parties les plus élevées sont d’épanchement volcanique), ce qui suppose un long travail d’érosion.
Les coulées sont également de nature minéralogique différente.
Le centre volcanique de l’Assgaffi et du Tellerteba est très ancien, aucune précision n’est possible pour le moment quant à son âge : il est tertiaire vraisemblablement, c’est tout ce qu’on peut en dire, et encore ! il pourrait être crétacé, mais alors il faudrait admettre qu’il n’est pas en relation avec le contre-coup des plissements alpins (Atlas) principaux sur un pays peu souple.
d) Dans la région d’Idelès, nous trouvons de nouveau un centre volcanique d’activité récente, pléistocène probablement.
Les coulées et volcans sont bien conservés. Citons en particulier les beaux basaltes prismés de l’oued Terrinet (affluent de la rive Ouest de l’oued Telouhet) tout près d’Idelès ;
e) Dans la Koudia, les formations volcaniques ont un immense développement.
Ce n’est que vastes coulées étagées, aiguilles, culots volcaniques plus ou moins prismés, l’Irhafock à Tamanrasat.
Dans ces régions centrales de l’Ahaggar l’activité volcanique s’est manifestée avec une ampleur particulière et en de nombreuses périodes (trois principales, semble-t-il), suivant des modes divers et avec des émissions variées.
[96]La période la plus récente semble représentée par la coulée de basalte de l’oued Echchil (ou Abedassen) et l’îlot volcanique qui se trouve dans le fond de l’oued Ti-n-Iferan, au Nord-Ouest du Tahat, au Sud de la Source des Figuiers.
La période la plus ancienne, peut-être contemporaine des éruptions de l’Assgaffi, semble représentée par le plateau de l’Isekran (p. c. avec Asekrem dans l’Atakor) qui domine les vastes coulées étagées plus récentes dans lesquelles est encaissé l’oued Teroummout, et également peut-être par la coulée de l’Adrian.
La période de plus grande activité semble intermédiaire entre ces deux extrêmes et correspondant en particulier aux vastes coulées étagées dans lesquelles est encaissé l’oued Teroummout.
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On voit par l’exposé qui précède que les manifestations volcaniques au Pays cristallin de l’Ahaggar sont loin d’avoir été un cas isolé, localisé, et sans ampleur.
Nous avons constaté la présence de centres volcaniques au Nord de l’Oudan, dans l’Edjéré et la région Ouest de Tisemt, dans le Nord-Ouest de l’Anahef, dans la région d’Idelès et dans toute la Koudia.
Ce ne sont pas là encore tous les centres volcaniques du Pays cristallin de l’Ahaggar ; d’autres ont été signalés : le volcan d’In-Size, le Serkout, etc., etc.
A mesure que les explorations se poursuivent, le Pays cristallin de l’Ahaggar apparaît de plus en plus comme une terre de prédilection du volcanisme, au Tertiaire et au Quaternaire.
Les volcans de l’Ahaggar sont peut-être en relation avec des affaissements[45], qui, comme nous le verrons plus[97] loin, pourraient expliquer certains des caractères morphologiques du Pays cristallin.
Il n’est pas possible de démontrer encore l’existence d’affaissements et il est difficile pour le moment de préciser leurs emplacements et de déterminer quelle fut leur ampleur.
Dans un pays à base de Schistes cristallins, c’est une étude qui nécessiterait une longue série d’observations.
Il se pourrait, en particulier, qu’il y ait un affaissement à l’origine de la plaine de l’Amadror.
Les volcans de l’Edjéré-Tisemt sur le bord Ouest de cette plaine s’expliqueraient ainsi très bien.
Certains de ces volcans auraient peut-être provoqué dans la suite, par des barrages dus à leurs coulées, un vaste lac ; que ce soit avec lac ou sans lac, par alluvionnement, les oueds descendant des parties hautes du Pays cristallin auraient comblé cette grande dépression et ainsi se serait établi le vaste « reg » de la haute-plaine de l’Amadror dont l’immensité remarquablement plate de cailloutis et d’argile, située à l’altitude moyenne de 1.000 mètres environ, est un des étonnements des explorateurs qui l’ont vue.
Cet affaissement à l’origine de la plaine de l’Amadror n’est encore qu’à l’état d’hypothèse.
Au point de vue morphologique on peut distinguer dans ce vaste Pays cristallin[46] deux zones :
Le pourtour plus ou moins aplani ;
Le centre fortement montagneux.
De telle sorte qu’on peut comparer le Massif Central Saharien à un vaste ensemble fortifié comprenant une enceinte ; à l’intérieur de cette enceinte un vaste glacis,[98] l’« Avant-pays cristallin » et, entourée par ce glacis, une imposante citadelle, le « Massif cristallin ».
Ce glacis, l’Avant-pays cristallin, est composé soit de pays d’ennoyage à « reg » (plaine de cailloutis) prédominant, soit de pays de Schistes cristallins, particulièrement paeneplainisés, usés, « rabotés » par l’érosion, dont la monotonie est rompue plus ou moins fréquemment par des « monad-nock », des parties plus résistantes qui ont subsisté en relief et dont la silhouette aiguë et déchiquetée ou en tas conique de boules, étonne souvent au milieu de ces étendues relativement aplanies.
Citons dans cette zone : les pays de l’oued Tedjert et de l’oued Taheret (au pied des monts Ahellakan), de l’Amadror, d’Abada-Heg’erin, d’Admer, de Raris et de l’oued Taremert-n-Akh, d’Ag’erar, d’Afedafeda, une partie (la partie Est) du Tanezrouft-n-Ahnet, enfin les tanezroufts qui séparent les Tassilis-n-Ahaggar du massif de l’Ahaggar[47].
Ces pays sont très évolués au point de vue morphologique.
La zone montagneuse, le Massif cristallin, constitue l’ossature décharnée du Pays cristallin qui se dégage de ces contrées plus ou moins aplanies, comme la carcasse blanchie d’un chameau en décomposition sur le « reg ».
Il semble que l’œuvre des volcans n’ait pas été étrangère au rajeunissement et à la conservation d’une partie de ces reliefs centraux.
Elle comprend principalement :
Au Nord : une sorte d’arête, le Tifedest, de direction sub-méridienne ;
Au Sud : cette arête, après un ensellement, s’empâte en une vaste masse montagneuse semblant présenter dans la répartition de ses parties culminantes une grossière direction Est-Ouest, vaste système montagneux dont le massif[99] le plus important, le plus élevé, est appelé par les Touareg Atakor-n-Ahaggar (pommeau de l’Ahaggar) ou Tehount-n-Ahaggar (grosse pierre de l’Ahaggar)[48] ; et dans lequel les Touareg distinguent en particulier l’Ahaggar-oua-hegerin (haut Ahaggar) et l’Ahaggar-oua-gezzoulen (bas Ahaggar), l’Anahef, le Serkout, l’Ajjer, etc.[49].
Le Massif cristallin fait contraste avec l’Avant-pays cristallin par son caractère réellement montagneux.
Il est prématuré pour le moment de chercher à distinguer quels rôles exacts ont pu jouer des affaissements[50] ou ont joué des volcans dans l’individualisation du Massif cristallin ou encore, la résistance relative des roches qu’on y rencontre.
Dans le Massif cristallin les oueds ahaggariens présentent des caractères d’évolution variés : certaines vallées paraissent très évoluées et présentent sur leurs flancs des terrasses d’alluvions ; d’autres semblent en pleine jeunesse et sont fort accidentées.
Le contraste est souvent saisissant.
Il est vrai que les vallées ayant des caractères morphologiques très différents dans les pays de roches grenues, dans ceux de Schistes cristallins et dans ceux d’épanchements volcaniques, il semble souvent que l’on constate l’existence de stades d’évolution différents, alors qu’en réalité il s’agit de façons d’évoluer différentes en rapport avec la nature du sol, dont le caractère de divergence est accentué à un point rare dans ces pays.
Sans doute aussi l’activité de creusement des oueds sahariens s’est réfugiée, localisée progressivement, dans leur[100] cours tout à fait supérieur pour aplanir les derniers reliefs importants qui subsistent du massif central et parce que ces monts élevés reçoivent encore pas mal d’eau ; et les oueds sahariens conservent là une certaine jeunesse qui est en antithèse avec le reste de leur cours.
Des affaissements ont pu jouer un rôle important dans le rajeunissement inégal de certains oueds par des bouleversements divers dans leurs profils en long ; ainsi s’expliquerait en même temps la présence de certaines terrasses.
Des oscillations du niveau marin dans des golfes sahariens[51] (dont nous avons montré la possibilité d’existence dans le passé, au début de ce travail), en un temps où les oueds sahariens auraient coulé d’un bout à l’autre de leur cours et auraient ainsi été comparables, dans leur activité, à de vrais fleuves et rivières, pourraient expliquer également la formation de certaines terrasses qui seraient ainsi la conséquence de ces variations d’un lointain niveau de base ?!
Les volcans ont contribué, semble-t-il, par leurs épanchements à changer la physionomie de certaines vallées et par des coulées formant barrages ou occupant le fond des vallées le profil en long de certains oueds, qui ont été ainsi amenés à modifier complètement leur activité sur des niveaux de base nouveaux s’échelonnant d’amont en aval ; d’une part ces oueds se sont mis à alluvionner sur certaines parties de leur cours, d’autre part ils ont repris une action de creusement dans d’autres ; une nouvelle formule d’activité particulièrement compliquée a présidé à leur vie ; on trouve là également l’explication de certaines terrasses.
Peut-être pourrait-on envisager la possibilité d’un passé glaciaire pour l’interprétation des formes de certaines vallées ; certains modelés offrent des caractères de similitude curieux avec ceux dus à l’action des glaciers.
Dans le massif du Tellerteba (2.200 m. environ) des[101] cirques peuvent évoquer la présence passée dans ce massif de glaciers suspendus, mais ils peuvent aussi représenter les restes d’immenses cratères très anciens et d’un type particulier.
Des vallées des régions hautes présentent parfois des espèces de seuils rocheux que l’on pourrait assimiler à des verrous glaciaires (les oueds post-glaciaires auraient creusé ces verrous dans la suite et la présence de certaines terrasses à l’amont pourrait ainsi encore être expliquée) ; mais ces seuils avec contre-pente peuvent être expliqués aussi par la seule dureté relative du rocher.
Des terrasses ont un tel développement dans certaines vallées qu’on pourrait y voir des terrasses de fonte de glaciers.
Il existe des roches moutonnées, mais l’effet de l’insolation sur les roches grenues les explique aussi.
Il semble pour le moment que l’on doive attribuer la création de ces contrastes, de ces terrasses et de ces formes suspectes au travail très particulier des oueds de ces régions, combiné à l’action de l’insolation, la gelée, les crises de ruissellement, les alternatives d’humidité et de sécheresse et le vent[52], sur un pays cristallin ayant été travaillé par des érosions antérieures de formules différentes de celles dont il est l’objet actuellement, ayant subi peut-être des mouvements variés et ayant été certainement le théâtre de manifestations volcaniques violentes.
Dans tous les cas, les oueds ahaggariens réduits en général pour le moment à une vie torrentielle discontinue et intermittente, semblent avoir passé par une période de vie plus active pendant laquelle ils devaient couler en surface, constamment, et sur tout leur cours ; le Sahara semble avoir passé ainsi par une phase humide.
[102]Ceci nous ramène à la question de la mer saharienne discutée au début de ce travail.
Il convient d’ailleurs dans les considérations morphologiques de ne pas oublier que le Pays cristallin est émergé depuis des temps très lointains, peut-être depuis les temps permiens et, pour une part peut-être, depuis des temps plus anciens encore.
[27]Dans les formations de transition, avec les Grès supérieurs, M. Buttler aurait observé un niveau de conglomérats. (Communication orale.)
Cette découverte pourrait prendre de l’importance dans la suite ; c’est pourquoi je tiens à la signaler.
[28]Ou Egéré.
[29]Ou Amgid — ou encore Emegêdé — de émi, débouché, et égêde, massif de dunes.
[30]Il serait plus exact d’écrire Emidir de émi, porte, et édir, lointain bas.
[31]Ou Immidir.
[32]Il semble en particulier que les grès marqués « Di″ » sur la carte Gautier du Mouydir Ahnet correspondent aux Grès inférieurs des Tassilis.
[33]C’est à la zone des Tassilis externes qu’appartient le plateau du Tindesset, célèbre parce que c’est dans les schistes qui affleurent au pied et le long de ses escarpements Sud que la mission Foureau-Lamy a découvert les premiers Graptolithes qu’on a signalés dans le Sahara. Ils furent étudiés par Munier-Chalmas. Des Graptolithes furent ensuite signalés près de Hassi-el-Khenig (Capne Cottenest et à Aïn Cheikle (Capne de Saint-Martin). C’est à nous qu’il appartint de retrouver ces formations à Graptolithes au Sahara, d’en préciser les conditions de gisement et d’en esquisser la répartition générale.
[34]Au cas où les grès du Dévonien inférieur se révèleraient en discordance avec les Grès supérieurs, ou séparés par une lacune de ces grès, s’ils se révèlent de plus en concordance avec du Mésodévonien lui-même en concordance avec le Dévonien supérieur, on devra les rattacher aux Pays pré-tassiliens et non les conserver dans les éléments constitutifs de l’Enceinte tassilienne ; dans tout autre cas, pour des raisons morphologiques, je crois qu’il conviendra de les considérer comme faisant partie des formations de l’Enceinte tassilienne.
[35]On peut se demander si les plissements alpins n’ont pas eu pour contre-coup de provoquer un bombement d’ensemble du Massif Central Saharien ; ils ne se traduiraient ainsi pas par des rides, eux, mais par ce vaste bombement et son orientation générale.
[36]En particulier de l’insolation qui, sur des éléments de couleur et de nature différente, provoque un échauffement différent, une dilatation différente, ce qui conduit fatalement à la désagrégation de la roche.
[37]L’étude des échantillons des Schistes cristallins que nous avons rencontrés fera peut-être l’objet d’un travail ultérieur.
[38]Il est peut-être bon également de signaler que nous n’avons aucune certitude que ces quartzites et leur cortège supérieur cristallin n’appartiennent pas à la couverture primaire dont ils représenteraient des parties métamorphisées à la suite des plissements hercyniens (ou calédoniens ?) qui ont agité l’Enceinte tassilienne voisine et dont nous ignorons encore la forme et l’ampleur dans ces régions. Dans cette éventualité, pour qu’il n’y ait pas de confusion, nous devons préciser que dans toute cette étude du Pays cristallin, quand nous parlons des Schistes cristallins, nous entendons par là surtout ceux qui sont antérieurs aux formations de l’Enceinte tassilienne, les seuls certains à ce jour.
[39]Le parallèle pourrait être poussé assez loin en particulier avec le Bouclier canadien et le « Bouclier baltique ».
[40]J’ai constaté la présence de roches écrasées, de granits écrasés en particulier.
[41]L’étude des échantillons de ces roches grenues fera peut-être l’objet d’un travail ultérieur.
[42]Une étude des échantillons des roches d’injection filoniennes fera peut-être également l’objet d’une étude ultérieure.
[43]Dans tout cet exposé sur les volcans de l’Ahaggar, nous avons dû nous abstenir de donner des déterminations de roches volcaniques, par prudence, étant donnée l’absence momentanée de nos échantillons. Ces déterminations feront peut-être l’objet d’un travail ultérieur.
[44]La fouille méthodique de ces grottes serait très intéressante au point de vue de la préhistoire.
Il y eut là un centre de vie préhistorique particulièrement important, semble-t-il, à une époque relativement humide (comme il ressort d’une coquille de mollusque terrestre que m’a fourni un rapide tamisage).
[45]Ou avec la surrection du Massif cristallin par rapport à l’Avant-pays cristallin.
[46]J’ai fait abstraction dans cette étude du Pays cristallin de l’Adrar-n-Ahnet qui n’en fait peut-être pas partie, et de l’Adrar-n-Ajjer, qui est dans le même cas.
[47]Dans cette zone nous devons signaler la présence de travertins, en relation avec l’oued Tedjert, et près de Tisemt, observée par M. Buttler (communication orale).
[48]Ou encore Takerkort-n-Ahaggar (le crâne de l’Ahaggar).
[49]Je ne m’attarde pas sur ces divisions morphologiques, M. Jacques Bourcart en ayant fait une remarquable étude dans le bulletin de l’Afrique Française.
[50]Ou la surrection du Massif cristallin par rapport à l’Avant-pays cristallin.
[51]Ou si l’on préfère, de vastes mouvements orogéniques faisant osciller en ampleur les pénétrations marines dans le Sahara.
[52]Il convient de ne pas oublier non plus la neige ; elle tombe encore parfois sur le Tahat. La neige a pu être plus abondante et plus fréquente à certaines époques du passé.
APTITUDE DU SOL A RECEVOIR UNE VOIE
FERRÉE
ET RESSOURCES EN EAU
DANS LE MASSIF CENTRAL SAHARIEN[53]
A condition de passer à une vingtaine de kilomètres à l’Ouest de Fort Flatters, à cause des sables, on pourra, de la Hamada de Tinghert aux Tassilis, faire passer la voie ferrée constamment sur un beau sol de « reg » (cailloutis) dont j’ai constaté l’immensité du haut de la pointe Nord du Djebel Tanelak (ou Adrar-n-Taserest) ; (ce reg est l’œuvre des oueds Ir’err’er et In-Dekak, dont j’ai aperçu les cours et le confluent du point précédent).
Eviter dans le tracé de passer dans le lit supposé de l’Ir’err’er et de l’In-Dekak : c’est la seule précaution à prendre dans cette région qui est exceptionnellement propice à l’établissement d’une voie ferrée.
Je ne connais pas le passage de l’Ir’err’er d’In-K’ebir (sur la carte In-Salah 1/1.000.000) à l’erg d’Amguid.
En effet, après avoir traversé le Tiniri-n-Taserest, j’ai gagné Tanout-Mellel (ou Tamellelt) dans l’oued In-Dekak.
Par contre j’ai séjourné un mois à Amguid et cette région m’est familière.
Sur le bord Est de la vallée de l’Ir’err’er on trouvera des terrasses d’alluvions très propices à l’établissement de la voie.
De nombreux mechbed très anciens montrent d’ailleurs le chemin à la voie ferrée.
Ensuite, après Titahouin-Tahart, la voie aura à éviter quelques sables puis pourra, en Pays cristallin, gagner Tesnou dans de très bonnes conditions par le vaste et plat pays de Raris à reg prédominant et les pays analogues et aussi propices de l’oued Taremert-n-Akh.
Dans ce pays de Raris et de l’oued Taremert-n-Akh la nature et la forme du sol (pays cristallin paeneplainisé) me paraissent ne donner aucun sujet d’inquiétude, ni soulever aucune difficulté à signaler.
Sur le parcours dont je viens d’étudier la viabilité, je conçois l’établissement d’une Centrale d’eau au voisinage d’Amguid.
a) Eaux de source. — Dans la région d’Amguid, les sources actuellement existantes que je connais pour y avoir abreuvé mes chameaux, sont :
1º La source de Titahouin-Tahart (T) ou Aïne-Kerma (A) ou Source du Figuier (F).
[105]Cette source, située à la base de la falaise de Grès inférieurs des Tassilis qui forme le flanc Est de la vallée de l’Ir’err’er au voisinage des Conglomérats de base et de la Discordance tassilienne, ne tarit jamais (d’après les Touareg), son eau est toujours pure, claire, renouvelée et n’a rien d’une eau stagnante ; son abord est difficile, en raison des joncs et figuiers (de là son nom) qui en défendent l’accès et c’est une des raisons pour lesquelles, quoique l’eau y soit excellente, on y abreuve moins souvent ses chameaux qu’à Tin-Eselmaken, car les animaux sont effrayés par les joncs, refusent d’approcher jusqu’à l’eau et pour les désaltérer on doit apporter un abreuvoir et se fatiguer à le remplir d’eau par un va-et-vient de « dalou », ce que l’on évite en allant à Tin-Eselmaken qui se présente mieux à ce point de vue très spécial.
La Source du Figuier a permis autrefois de cultiver un jardin dont il existe encore les ruines. Quelques palmiers subsistent également, dont deux au moins sont en très bonne santé.
Je crois qu’en améliorant les conditions de captage, on pourra tirer de cette source une quantité d’eau appréciable.
La position de la Source du Figuier, assez au-dessus du lit de l’Ir’err’er, au pied de la falaise des Grès inférieurs des Tassilis, permettra d’amener son eau par gravité en conduite jusqu’à la Centrale d’eau d’Amguid ;
2º Tin-Eselmaken. — Par une profonde entaille dans la falaise qui forme le flanc Est de la vallée de l’Ir’err’er débouche la profonde gorge de Tin-Eselmaken, encaissée jusque-là dans les plateaux de Grès inférieurs des Tassilis internes.
Les observations que j’ai pu faire sur la mare de Tin-Eselmaken sont les suivantes :
a) Le fond n’est pas rocheux ; par suite l’on ne saurait assimiler cette mare à un aguelmam typique, tel Afelanfela, près de Tiounkenin (dans l’Emmidir), tels Ens-Iguelmamen (dans l’Oudan, gara Ti-Djanoun), tel In-Ebeggi (dans le massif de l’Assgaffi, etc., etc.) ;
[106]b) L’eau à l’amont de cette mare est toujours pure alors qu’il n’en est pas de même à la partie aval.
Après un mois de séjour à Amguid, en même temps que des tribus de Touareg (Eaohen-n-ada et Kel-Amguid), qui possédaient un important cheptel de chameaux et surtout de chèvres, j’eus l’occasion de constater que en même temps que l’élargissement terminal aval de la mare avait considérablement diminué d’importance (en effet, alors qu’à mon arrivée c’était un plaisir d’y nager, à mon départ une grande partie était à sec et ce qui subsistait de cet élargissement terminal ne permettait pas des ébats de cet ordre), ce qui y restait d’eau était devenu une eau imbuvable, épouvantablement chargée d’urine de chèvre et de chameau, à tel point que, seul l’élargissement terminal de la mare se prêtant à l’abreuvage des bêtes (pour des raisons d’accès) et l’eau en étant refusée même par les chameaux, les Touareg avaient dû renoncer à abreuver leurs troupeaux à Tin-Eselmaken et recourir à la Source du Figuier, malgré le caractère fatigant qu’y ont les opérations d’abreuvage ;
c) De nombreux poissons (Barbus biscarensis) animent les eaux de Tin-Eselmaken ; certains atteignent une taille de 20 et même 30 centimètres.
A mon arrivée dans la région d’Amguid ces poissons mettaient de la vie dans toute la mare ; dans la suite ils se réfugièrent en amont, là où l’eau était restée pure, ainsi que gyrinides, dysticides et autres bêtes de ces eaux[54] ;
d) De nombreux lauriers-roses (Defla) couvrent les berges de la mare de Tin-Eselmaken ; on compte trois palmiers.
De ces observations il résulte qu’on peut considérer la mare de Tin-Eselmaken comme permanente et constamment alimentée en amont.
Cette eau semble avoir pour origine la venue en surface de l’eau absorbée en amont lors des pluies par les alluvions[107] de l’oued Tin-Eselmaken et qui jusque-là avait cheminé en profondeur dans ces alluvions.
On ne peut affirmer que cette source de Tin-Eselmaken n’est pas également en relation avec le contact à proximité en profondeur des Grès inférieurs avec les Schistes cristallins par les Conglomérats de base.
Les Grès inférieurs semblent en effet susceptibles d’être l’objet d’un réseau intérieur de circulation d’eau.
Au-dessus de Tin-Eselmaken on peut voir en effet, dans la falaise, et sur le flanc gauche, une ouverture à mi-hauteur d’où, lors des pluies, et pendant quelques jours après, l’eau sortirait en cascade (renseignements touareg).
Entre Tin-Eselmaken et la Source du Figuier, à mi-chemin à peu près, on peut également observer dans la falaise de Grès inférieurs et, assez au-dessus du contact par les Conglomérats de base avec les Schistes cristallins, une sorte de replat herbeux formant tache verte. Les Touareg me dirent qu’il y avait là une source appelée Tin-Tarabin par certains, alors tarie, mais qui coulait parfois après les pluies ; j’ai grimpé jusqu’en ce lieu escarpé et j’ai constaté la présence, au replat herbeux, d’un puisard (sans doute pour puiser l’eau absorbée par les terres du replat), ce qui confirme bien les dires des Touareg de l’existence d’un point d’eau à cet endroit ; un mechbed dans les éboulis et de nombreux tombeaux anté-islamiques (?) montrent que ce point d’eau fut même assez fréquenté et assez important.
Il n’y a donc pas de doute, les Grès inférieurs peuvent abriter dans leur sein une assez importante circulation d’eau.
Il n’en est pas de même en général dans les mêmes proportions et de la même manière tout au moins des roches granitoïdes et des Schistes cristallins.
On comprend dès lors que le contact de ces deux roches puisse provoquer le rassemblement ou la liaison des eaux selon la ligne de contact, le gorgement par elles des fentes et divers chemins possibles de circulation d’eau au bas des Grès inférieurs et provoquer, par suite, des sources au voisinage du contact.
[108]Lorsqu’il y a des fissures dans les Schistes cristallins ou des filons, les eaux peuvent descendre en dessous du contact, suivre les fissures ou cheminer entre la roche filonienne et la roche encaissante ; ainsi s’expliquent des sources en dessous de ce contact, dans le Cristallin, comme In-Ebeggi (des Tassilis) et d’autres situées le long de l’escarpement du bord interne des Tassilis internes. Ces sources sont rarement très en dessous du contact et il apparaît clairement que leurs conditions d’existence sont liées à l’existence voisine de ce contact.
On comprend donc que de même que pour la Source du Figuier, l’on puisse croire, pour la source de Tin-Eselmaken, qu’il y ait peut-être, outre les relations avec la nappe phréatique de l’oued Tin-Eselmaken, quelques relations entre son existence et le voisinage du contact des Grès inférieurs par les Conglomérats de base avec les Schistes cristallins.
Cette discussion théorique n’est pas déplacée ici, la détermination d’un mode habituel de gisement d’eau dans ces régions pouvant aider dans des recherches ultérieures.
Quel est le débit que l’on peut espérer de la source de Tin-Eselmaken ?
J’ai séjourné à Amguid en pleine chaleur ; l’évaporation était donc très intense ; la surface offerte par la mare d’Amguid est assez considérable ; le nombre de bêtes abreuvées par jour était d’environ 300 chèvres et 30 chameaux en moyenne ; la venue d’eau n’équilibrait pas cette perte d’eau puisque l’élargissement terminal fut en partie asséché en un mois.
Je crois néanmoins que, dans de bonnes conditions de captage, on peut espérer tirer de Tin-Eselmaken un litre à la seconde.
L’eau de Tin-Eselmaken pourra être amenée par gravité jusqu’à la Centrale d’eau ;
3º Source de Tihoubar (ou Aïne-Bou-Mesis). — Si l’on remonte l’oued Arami (ou oued Tounourt), cet oued qui débouche dans la vallée de l’Ir’err’er à quelques kilomètres au Nord de Tin-Eselmaken et du lieu-dit d’Amguid, on parvient[109] après une quinzaine de kilomètres à un point d’eau très important appelé Tihoubar ou Aïne-Bou-Mesis[55].
Là, j’ai constaté la présence d’une source assez abondante d’eau excellente ; plusieurs palmiers, des ruines de jardins importants, de nombreux lauriers-roses, des roseaux, attestent de la richesse relative en eau de ces lieux.
La culture fut abandonnée récemment (il y a trois ou quatre ans), paraît-il, par suite de l’insécurité du pays.
Il semble qu’il y eut deux sources, mais une seule a subsisté, l’autre n’ayant pas été entretenue sans doute.
Cette source de Tihoubar est permanente (d’après les Touareg, entre autres Amaïs qui la connaît très bien, Aïne-Bou-Mesis étant dans son terrain de parcours un endroit de pâturage affectionné ; c’est Amaïs également qui récolte les quelques dattes que donnent les palmiers d’Aïne-Bou-Mesis).
Je crois qu’en améliorant le captage, en particulier en creusant plusieurs drains, on pourrait tirer du vallon d’Aïne-Bou-Mesis plus d’un litre à la seconde.
On pourrait amener par gravité cette eau jusqu’à la Centrale d’eau.
Telles sont les trois sources que l’on trouve dans le voisinage d’Amguid et qui pourraient alimenter la Centrale-Eau d’Amguid ;
b) Eaux de puits. — Mais là ne se bornent pas les ressources en eau dont pourra disposer cette Centrale-Eau ; si elles ne se montraient pas suffisantes, ou leur débit en dessous de mes prévisions, on pourra avoir plus d’eau par des puits :
1º Puits de Tounourt. — A l’endroit où l’oued Arami débouche dans la dépression de Tounourt (à quelques kilomètres d’Amguid) se trouve un puits peu profond (2 ou 3 m.) très abondant, appelé Tin-Tedjert, d’eau excellente[56][110] ; ce point fournira un apport sérieux. On pourra y mettre trois ou quatre puits.
D’autre part, des indices certains (présence de Tourha (T) ou Kerenka (A)[57] donnent le droit de compter dans la dépression de Tounourt, au parfait succès de puits de quelques mètres (4 à 6 m.) de profondeur ; les Tourha pourront servir d’indicateurs d’emplacements de puits.
Enfin, des puits seraient particulièrement bien placés juste avant (en amont) et dans le défilé par lequel l’oued Arami sort de la dépression de Tounourt et traverse la masse fortement relevée des Grès inférieurs pour se jeter dans l’oued Ir’err’er.
La dépression de Tounourt permet donc l’établissement d’un précieux champ de puits de faible profondeur (4 à 6 m.) bien alimentés, semble-t-il, particulièrement à l’entrée et vers la sortie de l’oued Arami (ou oued Tounourt) et à quelques kilomètres de la Centrale d’eau.
2º Puits de l’Ir’err’er. — Enfin on pourra creuser un puits dans les alluvions de l’oued Ir’err’er.
Ce puits serait bien placé à la hauteur du défilé de l’oued Arami (d’ailleurs, sur la carte au 1/800.000, il est marqué un puits en cet endroit : les Touareg en ont été très étonnés et m’ont dit n’avoir aucun souvenir qu’il y ait eu jamais un puits là, je n’ai donc pu avoir aucun renseignement sur la profondeur de ce puits) ; l’emplacement indiqué sur la carte serait excellent.
Ce puits sera vraisemblablement très bien alimenté : n’est-ce pas dans cette région d’Amguid que se réunissent probablement dans les alluvions, en profondeur, toutes les eaux du bassin supérieur si vaste de l’Ir’err’er ?
[111]Je ne peux donner aucune indication sur la profondeur à laquelle on trouvera le roc et jusqu’à laquelle on devrait creuser le puits pour traverser toutes les nappes aquifères de ces alluvions et avoir le rendement maximum en eau.
On a déclaré qu’il y avait là, en profondeur, des eaux artésiennes ; je ne le crois pas, mais ce n’est pas impossible, des niveaux argileux pouvant emprisonner des eaux en charge (la charge venant de l’amont).
c) Conclusion. — On voit que les ressources en eaux dont pourrait être dotée la Centrale-Eau d’Amguid sont très satisfaisantes pour le pays (et pourtant je n’ai envisagé que les eaux très proches d’Amguid et n’ai parlé ni des barrages-citernes, que l’on pourrait établir, ni des eaux que l’on pourrait rechercher par sondage en roche).
Cependant je tiens à attirer l’attention sur ce que le pays d’Amguid n’ayant jamais été l’objet d’une succion d’eau aussi intense que celle qui serait faite au cas où on réaliserait ce projet, on peut craindre à la suite de périodes sèches trop longues le tarissement de certaines sources et de certains puits, mais je ne crois pas de la totalité.
L’emplacement de cette Centrale-Eau qui serait le plus favorable, serait le point de la voie qui nécessiterait la moindre longueur de connexions avec les différents points d’eau.
Je crois qu’elle serait bien placée à côté du puits de l’Ir’err’er.
[53]Extrait d’un rapport fait pour M. Fock par l’auteur de ce travail.
[54]L’absence de Branchipus à Tin-Eselmaken semble indiquer que les eaux de Tin-Eselmaken ne sont pas stagnantes.
[55]Il n’est pas marqué sur la carte au 1/1.000.000.
[56]Lorsque j’ai passé à Tounourt ce puits était comblé, l’oued Arami étant « venu » récemment. J’ai fait boire mes chameaux à un « abankor » voisin qui traduisait l’état encore très gorgé d’eaux des alluvions de l’oued Arami, par suite de cette dernière venue.
[57]Calotropis procera.
DE LA FLORE DU
MASSIF CENTRAL SAHARIEN
OU
DE LA FLORE DU PAYS TARGUI
(Caractères généraux)
Nous avons vu précédemment que la flore des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois, du Sahara arabe, flore de pays de vastes sables et d’immensités calcaires en général à faibles reliefs tabulaires, de pays géologiquement et morphologiquement plutôt monotones constituait une végétation dont la note dominante caractéristique était donnée par l’abondance des Salsolacées et était elle-même une flore monotone et peu variée.
La flore du Massif Central Saharien[58] au contraire est variée, diverse, et les Salsolacées n’en sont plus la note essentielle.
Elle est plus variée, en effet, d’aspect général déjà et pour l’œil d’un observateur non spécialement botanique car alors qu’en Sahara arabe la végétation se borne d’ordinaire à des buissons et à des touffes, ici, dans le Massif[114] Central Saharien les arbres sont bien représentés et souvent fort beaux dans les lits d’oueds.
Ceci est un des caractères du pays des touareg, qui a frappé tous les explorateurs qui l’ont visité ; il a même prêté à des exagérations issues du contraste que l’on voulait marquer entre le Sahara que l’on venait de traverser et le pays où l’on arrivait.
Ce caractère tient à ce qu’en pays targui les oueds encaissés et humides sont nombreux, alors que dans les pays crétacico-tertiaires sud-constantinois c’est une rareté, limitée en général dans les régions que nous avons parcourues au Tademaït et au Tinghert (dont nous avons noté précédemment les quelques arbustes et arbres).
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Des arbres et arbustes du pays targui.
L’étude de ces arbres va à elle seule nous montrer le caractère varié de la flore ahaggarienne en même temps que le changement qui se produit dans la végétation quand l’on passe du Sahara arabe en pays targui.
1º Le Tourha (T) ou Kerenka (A) ou Calotropis procera Ait.[59].
C’est là un arbre qui frappe dès que l’on arrive en pays targui par ses feuilles d’un vert franc et grandes.
Je ne l’ai pas trouvé dans le Sahara arabe.
Je l’ai observé dès Tanout-Mellel (où un bel exemplaire est situé à quelques mètres du puits), dans le Tahihout, l’oued Tounourt, l’oued Khanget-el-Hadid et l’oued Tilia, etc.
On voit que sa limite Nord correspond à peu près à celle du pays targui, du Massif Central Saharien, vers le Nord.
Il est très répandu dans l’Ahaggar où on en voit de très beaux exemplaires qui atteignent une taille de 5 ou 6 mètres. Citons ceux de l’oued Iskaouen (dans les Tassilis internes),[115] en particulier à Inémiragen, ceux du cirque intérieur du Tellerteba, ceux des ravins du massif du Tala-Malet qui débouchent dans l’oued Inouaouen, etc.
C’est un arbre qui ne croît que dans les lieux très humides ; il est un indice sûr qu’en creusant on trouvera de l’eau au maximum à 4 mètres de profondeur.
Il est très répandu au Soudan.
Voilà déjà une des caractéristiques de la flore targuia : on y trouve de nombreuses plantes actuellement, principalement répandues au Soudan et inconnues dans les pays crétacico-tertiaires sud-constantinois ;
2º Le Telôkat (T) ou Ficus eucalyptoïdes, Batt. et Trab. Voilà un arbre spécial à l’Ahaggar et il est fort beau. Lui aussi a des feuilles, de vraies feuilles, qui ressemblent à celles de l’Eucalyptus ; c’est une chose qu’on n’est pas accoutumé à voir en Sahara arabe où les quelques arbres que l’on trouve (je fais abstraction du Populus Euphratica, qui est localisé dans l’oued Mya), les Tamaricinées n’ont rien de comparable comme appareil foliaire.
J’en ai vu deux superbes exemplaires, l’un dans le massif du Briri, au-dessus de la source appelée Naher, et l’autre dans l’Oudan, au bas de la célèbre gara Ti-Djanoun, à quelques mètres de l’aguelmam de l’oued Ens-Iguelmamen, où il est associé au Nerium Oléander ; enfin, j’en ai vu de nombreux exemplaires de petite taille, un vrai peuplement, sur le flanc Ouest du Briri, en aval de Naher.
D’après les Touareg, cet arbre est répandu dans les vallées profondes et humides du Tifedest-Ta-Settefet.
Jusqu’à maintenant il n’était connu que par la description de Battandier et Trabut, d’après les rameaux et fructifications transmis par le général Laperrine à ces savants botanistes ; il était indiqué des Tassilis de l’Ajjer.
D’après mes observations, il est donc répandu également dans le Pays cristallin, dans le Tifedest ;
3º Le Telôkat (T) ou Ficus Telôkat Bat. et Trabut.
Je n’ai pas rencontré cet arbuste voisin du précédent ; il est cité du Tassili de l’Ajjer ; il est probable qu’il se trouve[116] également dans le Pays cristallin, dans le Tifedest en particulier.
Ces deux Ficus ne sont connus que du Massif Central Saharien : leur existence souligne l’individualité de cette flore ; ils appartiennent à une section de Ficus dont ils sont les représentants les plus septentrionaux : ils accusent donc également des affinités soudanaises beaucoup plus que septentrionales dans les caractères essentiels de la flore persistante du Massif Central Saharien ; c’est ce que l’on constate en général aux altitudes point trop élevées ;
4º Le Tamat ; c’est un Acacia voisin du Teleh, que nous avons cité comme apparaissant dans le Tademaït et la Hamada de Tinghert (et venant du Sud).
Il s’en distingue par ses fleurs en boules jaune d’or (alors que celles du Teleh sont de couleur blanchâtre) très parfumées, par ses fruits non en tire-bouchon comme ceux du Teleh, par son allure particulière et son habitat (en général il est plus exigeant d’humidité que le Teleh).
Chudeau le qualifie d’Acacia arabica Willd. ou A. Adansonii Guill. et Perr., mais il lui donne une répartition très méridionale.
Dans les comptes rendus de la mission Foureau-Lamy il est qualifié d’Acacia Trentiniani A. Chev. Mais il est indiqué comme sans feuilles ni fleurs de février à octobre, et j’ai vu des Tamats en feuilles en mai.
Le Dr Bonnet le considère comme étant l’Acacia Seyal Delc.
Il semble que sa limite Nord soit celle du Massif Central Saharien, qu’il ne pénètre pas dans les pays crétacico-tertiaires sud-constantinois.
Je l’ai trouvé en particulier représenté par un beau peuplement à Titahouine Tahart (près d’Amguid) et à Tihobar (appelé Aïne-bou-Mesis par les Arabes), près de l’oued Arami (également dans la région d’Amguid). C’est encore un arbre plus ou moins soudanais, qui apparaît en venant du Nord, dès qu’on pénètre dans le pays targui. Sa taille n’atteint généralement pas celle du Teleh et il est presque toujours en forme de parasol ;
[117]5º L’Ahtès (T), peut-être ? l’Acacia albida Del.
C’est un arbre généralement de grande taille mais plutôt rare. Je ne l’ai rencontré qu’en trois endroits : à Tihoubar, ou Aïne-bou-Mesis (à l’est d’Amguid), dans l’oued In-Ebeggi (près de l’oued In-Sakan) et dans l’oued Terrinet (près d’Idelès) (là associé à une plante grimpante, une sorte de liane accrochée aux basaltes) ; ces trois endroits étaient très humides, il semble donc qu’il exige beaucoup d’humidité.
Ces localités suffisent pour montrer qu’il est répandu dans tous le pays targui et remonte au Nord jusqu’à ses confins.
Il est cité comme du Damergou par Fouraut ; encore une limite à remonter vers le Nord, jusqu’aux confins septentrionaux du Massif Central Saharien.
Décidément, là vraiment, quand on vient du Nord, il y a un brusque changement, de nombreuses apparitions simultanées d’espèces nouvelles, là vraiment apparaît une flore nouvelle : la flore targuia ;
6º Le Teleh (A) ou Abser (T) ou Acacia tortilis Hayne.
C’est un des arbres les plus répandus du pays targui et nous avons vu qu’il remontait au Nord jusque dans les pays crétacico-tertiaires (Tademaït et Tinghert). Il arrive à une fort belle taille (7 à 8 m.) et forme souvent de véritables bois.
Citons les beaux peuplements de Teleh d’In-Delah (au débouché de l’oued Iskaouen, sur le Tahihaout), de l’oued Iskaouen et des oueds qu’il reçoit, de l’oued Tigamaïn-n-Tisita, de l’oued Inouaouen (contre le massif du Tala-Malet), etc.
Les fruits du Teleh servent à faire une nourriture reconstituante pour les chameaux ; les fruits et les feuilles sont très appréciés des chèvres (et des gazelles d’ailleurs) et bien souvent, pour nourrir les chèvres, les Touareg incisent ses grosses branches à leur naissance, de façon à ce qu’elles pendent et deviennent accessibles aux chèvres.
On voit de beaux arbres ainsi complètement abîmés et[118] l’on se demanderait pourquoi, si l’on n’avait vécu avec les Touareg.
Ses épines servent d’aiguilles aux femmes touareg.
Je dois citer un Teleh qui est sacré : c’est celui de Tihoubar ou Aïne-el-Hadj-el-Bekri (dans l’Emmidir), situé près de la tombe du marabout targui El Hadj-el-Bekri, un des fils de El Hadj-el-Foki (le frère de Cheik Othman que Duveyrier a rendu célèbre), un des frères de Sidi-Moussa.
Ce Teleh doit au voisinage de cette tombe très respectée où l’on va faire ses dévotions, d’être lui-même sacré : il est défendu de l’abîmer pour que les pèlerins trouvent toujours près de lui une ombre agréable avec la chaleur ; quand on passe par là, il est d’usage de camper sous cet arbre.
Cette tombe est très respectée également parce que El Hadj-el-Bekri fut le père d’un amenokal célèbre : El Hadj-Ahmed.
Le Teleh est encore un arbre du Massif Central Saharien qui est plus ou moins soudanais ;
7º L’Atil (A) ou Agar (T).
C’est le Moerua rigida R. Br. et, d’après Chudeau, parfois le Cadaba farinosa Forsk.
Je l’ai trouvé dès l’oued Tassirt, dans les Tassilis externes (qui se jette dans l’oued In-Dekak) ; il est assez répandu un peu partout dans le Massif Central Saharien ; c’est un arbre sans épines et à petites feuilles.
C’est également un arbre soudanais : nous constatons donc encore qu’une espèce soudanaise remonte jusqu’aux confins septentrionaux du pays targui, du Massif Central Saharien.
Son nom, en tamâhak, semble voisin du verbe éger (lancer une pierre contre quelque chose) ; c’est qu’en effet cet arbre serait l’abri de mauvais génies et que les Touareg ont coutume, pour les chasser, de lancer des pierres contre son tronc.
Cet arbre est souvent beau et atteint 5 ou 6 mètres ;
8º Le Tabourak (T) ou Balanites aegyptiaca Delile, et
9º L’Irak ou Salvadora persica L., que l’on trouve très[119] localisée (en particulier dans l’oued Tarat [Tassili-n-Ajjer] et à Silet), sont encore des arbres qui apparaissent au Sud des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois, dans le Massif Central Saharien.
A côté du groupe des arbres précédents, surtout soudanais, que l’on rencontre jusqu’à environ 1.600 mètres d’altitude dans une zone de végétation que nous sommes tenté d’appeler « première zone » de végétation du pays targui, un autre groupe d’arbres, plutôt méditerranéens semble-t-il, monte à des altitudes plus élevées que lui dans une zone de végétation que nous serions tenté d’appeler pour cette raison la « zone méditerranéenne » de l’Ahaggar, de 1.600 à 2.000 mètres, qui précède une troisième zone de 2.000 à 3.000 mètres dépourvue d’arbres et arbustes généralement et que pour cela nous appelions la « zone dénudée »[60].
Il est constitué par :
1º Le Laurier-rose ou Defla (A), ou Elel (T), ou Nerium Oleander.
Nous l’avons rencontré dans l’oued Echchil, à 1.730 mètres environ d’altitude, dans l’oued Abedassen, vers 1.800 mètres. Il ne vit que dans les lieux très humides, où il forme parfois de vrais bosquets, charmants quand ils sont en fleurs, ainsi à Tin-Eselmaken (près d’Amguid), à Tihoubar (dans la même région), à Ens-Iguelmamen (au bas de la gara Ti-Djenoun), dans l’oued Aorr (près de l’oued Martoutic, dans le Tifedest), à In-Ebeggi (dans le haut de l’oued In-Takoufi), dans l’oued Teroummout (en amont de Tamanrasat), etc., etc. ; ils sont nombreux.
Mais ils sont la terreur de tout le monde et on évite soigneusement de pâturer dans leur voisinage, car les chameaux sont assez bêtes pour parfois en manger, sans s’en apercevoir, et en mourir.
Son bois est très apprécié des Touareg parce que droit[120] et souvent bifurqué au bout ; ils s’en servent en particulier comme support pour accrocher les outres et les bâtons de laurier-rose font partie de leur matériel de campement ; comme tels ils les emportent généralement dans leurs déplacements. Des petites branches ils font souvent des tuyaux de pipes.
2º L’Aleo (T), ou Olea Laperrini Batt. et Trabut.
C’est un arbre à port d’olivier ; je l’ai rencontré dans l’Anahef (dans le cours supérieur de l’oued In-Sakan), à environ 1.400 mètres d’altitude, dans le cirque intérieur du Tellerteba, vers 1.500 mètres, sur le flanc Nord et Nord-Ouest du massif du Tahat, de 1.700 à 1.900 mètres (et même peut-être 2.000 m.), où on en trouve souvent de grosses souches.
3º Le Tafeltast (T).
C’est là un arbuste très particulier, dont la feuille est odorante lorsqu’on l’écrase. Il n’a pas encore été déterminé.
Je l’ai rencontré sur les contreforts Nord-Ouest du Tahat, associé à l’Aleo et à un troisième arbuste dont je n’ai alors pas même pu connaître le nom targui.
Dans le même vallon il y avait sur les arbustes une espèce de liane non moins étonnante.
Ces contreforts Nord et Nord-Ouest du Tahat mériteraient une étude botanique approfondie.
Nous avons retrouvé le Tafeltast à In-Ebeggi, au sommet de l’oued In-Takoufi (dans le Tifedest) à une altitude moindre.
Enfin, on rencontre encore dans le Massif Central Saharien :
1º Des Tamaricinées :
a) L’Etel[61] (A), ou Tabarekkat (T), ou Tamarix articulata Vahl.
[121]C’est un arbre souvent très beau qui constitue parfois des peuplements si magnifiques que l’on conçoit que les premiers explorateurs de l’Ahaggar les aient qualifiés de forêts ; citons ceux de l’oued Telouhat (près d’Idelès), des oueds Arrou et Tessert (entre le Tahat et In-Amdjel, dans les contreforts Nord-Ouest du massif de l’Ahaggar). Il est souvent associé au Tarfa, mais en général forme de plus beaux ombrages ; il ne semble pas monter aussi haut, je ne l’ai observé que jusqu’à 1.550 mètres environ.
Il aime les terrains salés où il est souvent associé au Guetof ;
b) Le Tarfa (A), Azaoua (T).
Il correspond au Sahara à plusieurs espèces de Tamarix, comme j’ai eu l’occasion de le constater par les floraisons.
Le Tamarix gallica, ou T. nilotica Ehr., à fleurs petites et grappes grêles, paraît le plus courant dans l’Ahaggar, et c’est lui qui paraît monter le plus haut : j’en ai observé de très beaux peuplements jusqu’à 1.700 mètres environ d’altitude, sur les contreforts Nord-Ouest de l’Atakor (dans l’oued Tiniferan et l’oued Arrou, associé au Jedari et au Figuier) ; citons les beaux exemplaires d’Hirafok.
Ces Tamarix sahariens mériteraient une étude précise. C’est un groupe d’arbres plutôt méditerranéens et on voit que le Tarfa monte en effet à l’assaut de l’Ahaggar jusque vers 1.700 mètres, dans la zone de 1.600 à 2.000 mètres, que je suis tenté d’appeler méditerranéenne ;
2º Le Jedari (A), ou Tahounek (T), ou Rhus Oxyacanthoïdes Dum. Cours.
Encore un arbuste méditerranéen qui remonte dans le massif de l’Ahaggar jusque vers 1.700 mètres : j’en ai observé de très beaux exemplaires dans les oueds Arrou et Tiniferan (des contreforts Nord-Ouest de l’Atakor) ; je l’ai observé également dans le cirque intérieur du Tellerteba.
Le bois de Jedari est recherché par les Touareg pour faire des instruments de cuisine de préférence au bois de Tamarix ;
[122]3º Le Figuier ou Kerma (A), Tahart (T), ou Ficus carica L.
Il est peut-être spontané ?!.
J’ai constaté sa présence, vers 1.700 mètres, dans l’oued Tiniferan, au pied Nord-Ouest du Tahat.
Nous voyons que cet arbre méditerranéen remonte également jusque dans la deuxième zone de végétation.
Dans les « arrem » (centres de cultures) il est souvent accompagné de la Vigne (Vitis vinifera).
Le Figuier et la Vigne peuvent avoir été introduits dans l’Ahaggar à la même date (ou peu après) que les cultures méditerranéennes dans les oasis du Fezzan (par l’influence des Romains [?]) — on sait que les Touareg ont eu des relations très étroites avec le Fezzan dont certains groupes prétendent être originaires.
Après ces arbres traduisant encore des affinités méditerranéennes il ne nous reste plus qu’à ne pas oublier dans les arbres et arbustes de l’Ahaggar :
1º Le Jujubier ou Cédar (A), ou Tabakat (T), dont les espèces sont le Zizyphus Saharae Batt. et Trab., assez répandu, que l’on trouve en particulier à Amguid, et peut-être le Zizyphus Spina-Christi Wild., jujubier de grande taille qu’il m’a semblé reconnaître dans l’oued Tessirt (dans les contreforts Nord-Ouest de l’Atakor, entre l’oued Arrou et In-Amdjel).
Les Touareg se servent des feuilles de Tabâkat, hachées menues, pour soigner les blessures ;
2º Une espèce spéciale au Massif Central Saharien, le Myrtus Nivelli Batt. et Trab., trouvé dans l’Ifetessen et qui vraisemblablement existe également dans le Pays cristallin ;
3º Le Cafrier ou Capparis Spinosa L., que j’ai rencontré à Tin-ed’ness, dans l’Edjéré ; c’est un arbuste plutôt méditerranéen ;
4º Le Palmier-dattier ou Nakhla (A), ou Tazzaït (T), ou Phœnix dactylifera, que l’on rencontre près d’un certain[123] nombre de points d’eau et dans les « arrem » jusqu’à une assez haute altitude (à Idelès par exemple il y a de nombreux palmiers et c’est à environ 1.300 mètres).
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* *
Le simple examen de ces arbres et arbustes montre bien une grande variété dans la flore persistante du Massif Central Saharien (quand on la compare à celle du Sahara arabe).
Il accuse en outre d’abord de fortes affinités d’une part méditerranéennes et d’autre part soudanaises, ensuite une personnalité propre, une province botanique distincte que marque nettement l’existence d’espèces spéciales : les Ficus eucalyptoïdes et Telokat, l’Olea Laperrini, le Myrtus Nivellii, et enfin peut-être le Tafeltast, un ou deux autres arbustes et des lianes (?).
De cet aperçu également se dégage, dans la répartition en altitude, l’existence de trois zones de végétations, une première zone, jusqu’à 1.600 mètres environ, à arbres ou arbustes soudanais, méditerranéens ou propres, une zone plus élevée, de 1.600 à 2.000 mètres environ, à laquelle ne parviennent que certains arbustes comprenant l’Aleo en particulier et le Tafeltast, à caractères originaux ou plutôt méditerranéens que soudanais, comme d’ailleurs cela est logique quand on ne considère que la température, que nous avons appellée zone méditerranéenne, et une troisième zone de 2.000 à 3.000 mètres, dépourvue en général d’arbres ou arbustes, et que nous avons appelée la zone dénudée[62].
On peut dire également ce que cette étude rapide des arbres et arbustes touareg laisse apercevoir : le paradoxe botanique de l’Ahaggar : placé au milieu du Sahara sa végétation persistante réduite pourtant en général à peu près au fond des oueds au dehors desquels on trouve le désert, est de caractère propre peu désertique quand on la compare à celle du Sahara arabe.
[124]La présence de nombreux arbres à vraies feuilles, inconnus du pays arabe, est à ce sujet très démonstrative, surtout quand ces arbres ou arbustes, et c’est le cas des Telôkat, sont spéciaux à l’Ahaggar.
Cette flore peu désertique doit être une flore résiduelle : sans doute ces arbres et arbustes dans une époque plus humide, furent répandus d’une manière plus ou moins continue dans le Massif Central Saharien ; maintenant l’Aleo, les Telôkat, etc., sont isolés dans des stations plutôt rares et souvent très éloignées les unes des autres, endroits plus particulièrement humides où ils ont pu subsister, témoins très nets d’un âge antérieur plus favorisé[63] (étant spéciaux au Massif Central Saharien et à fruits lourds, on ne peut guère, à notre sens, donner d’autres explications).
Quelle explication donner de cette survivance de toute une flore persistante peu désertique, dans l’Ahaggar, quand en Sahara arabe la flore persistante caractéristique des temps humides semble avoir totalement disparu ou si une partie a survécu, semble s’être fortement transformée, adaptée par mutations ? (Il n’y a qu’un exemple de survivance sans grandes modifications en pays arabe : celle du Populus Euphratica, dans l’oued Mya.)
On doit attribuer, semble-t-il, à des causes géologiques et morphologiques la survivance de cette flore en pays targui ; à l’existence dans le Massif Central Saharien de vallées soit à roches encaissantes imperméables, soit très profondes, qui drainent l’humidité comme par des gouttières, vallées souvent pourvues de seuils, dans leurs profils en long, qui font cran pour retenir l’eau dans leurs alluvions en amont, de telle sorte que l’eau que reçoit la région,[125] quoique peu considérable sans doute par rapport à celle qui tombait jadis dans ces pays, est ramassée dans les alluvions des lits de ces oueds qui sont ainsi gorgés d’eau jusque souvent très près de la surface, particulièrement en amont immédiat des « crans », des « seuils de retenue », y est totalisée, y dure longtemps, étant ainsi soustraite dans une forte mesure à l’évaporation, et constitue ainsi quand même un milieu suffisamment humide pour permettre la survivance de cette flore en des endroits privilégiés.
(Parfois même, quand la gorge est profonde, l’eau forme de petites mares permanentes alimentées par l’amont ; ces mares se trouvent en particulier dans les coins des vallées très profondes, placées de telle manière qu’elles soient la plupart du temps à l’ombre, subissant ainsi une moindre évaporation et tirant tout le parti possible de leur alimentation en eau par l’amont, qui forcément n’est jamais très considérable, ni très continue ; ces petites mares sont souvent dans des creux des seuils rocheux ou au bas de ces seuils.)
Le résultat général est la diminution de la quantité des surfaces suffisamment humides mais non la disparition complète de milieux suffisamment humides.
Bref, c’est la localisation de plus en plus grande aux oueds et même souvent seulement à des points privilégiés de leurs cours d’une flore jadis répandue beaucoup plus largement, avant peut-être un desséchement plus complet atteignant les oueds même dans leurs vallées les plus profondes et leurs points les mieux disposés pour la résistance et la disparition entière de cette flore.
Par suite de la concentration de l’humidité précédemment exposée il n’y a guère d’humidité diffuse s’étendant continuellement en dehors du réseau des lits d’oueds, par suite peu de végétation persistante en dehors de ce réseau (sauf dans les rares ergs du Massif Central Saharien).
De là le paradoxe : des lits d’oueds souvent en permanence très humides, avec végétation peu désertique conservée et en dehors le désert (à moins de pluie récente, car[126] alors il y a de l’acheb), plus absolu souvent que le désert arabe, plus dépourvu encore de plantes persistantes.
Au contraire, en Sahara arabe en général, par suite de l’abondance des sables répandus sur d’immenses surfaces, soit d’ergs, soit de vastes plaines ou terrasses de terrains alluviaux, par suite du caractère généralement calcaire ou argilo-calcaire du sous-sol et par suite des caractères morphologiques de ce bas-pays à reliefs mous, dépourvus généralement d’oueds à lit fortement individualisé, les eaux ne sont pas totalement centralisées dans des lits d’oueds ; la plus grande partie reste diffuse longtemps dans les sables dans lesquels elle chemine lentement par suite de la perte de charge due au frottement ; une fois les sables traversés, de ce qui n’est pas resté en humidité diffuse ou reprise par un mouvement ascensionnel dû à la capillarité et à la succion vers la surface et vers l’évaporation, une partie va alimenter des nappes d’eaux artésiennes, en profondeur, est donc perdue pour la végétation naturelle du pays ; une autre partie alimente sous les sables ou dans les alluvions, des nappes d’eau trop profondes pour qu’elles puissent servir à une végétation normale, car il faut aller la chercher au moyen de puits profonds ; une partie est absorbée par les diaclases des calcaires ; finalement ce qui se ramasse dans les oueds, quand il en existe, à leur surface ou près de leur surface, n’est qu’une faible part de ce qui tombe sur leur région ; ce qui fait que la diminution des précipitations atmosphériques s’est traduite en gros par une diminution de l’humidité du sol partout, avec conservation générale d’une certaine humidité diffuse partout, les oueds généralement larges et mal délimités, quand il en existe, n’étant que légèrement plus humides (en surface) et non surtout par un desséchement complet de certaines régions de plus en plus étendues avec la conservation corrélative de milieux également constamment très humides à surface de plus en plus restreinte.
De là, en général, pour des causes géologiques et morphologiques la survivance, sans mutations adaptatives, presque impossible en Sahara arabe, à part des exceptions[127] rares, d’espèces typiques de la flore persistante peu désertique des temps humides ; de là également, en général, la non-limitation plus ou moins stricte de la flore persistante à un réseau de lits d’oueds et ainsi la valeur en plantes persistantes des grandes plaines et des ergs.
Une des conséquences de ces considérations c’est qu’une partie de la flore persistante du Sahara algérien, par suite de la variation continue et progressive de l’humidité du sol, a pu évoluer sur place lentement et que ses Salsolacées et autres plantes caractéristiques sont peut-être dans leur pays d’évolution et d’origine.
Ces considérations expliqueraient également le caractère monotone et uniforme, la pauvreté de cette flore persistante du Sahara arabe :
1º N’y sont guère que les plantes de jadis qui ont pu s’adapter et avec la même vitesse d’adaptation que celle du dessèchement, c’est-à-dire les plantes de jadis suffisamment près du type nécessaire ;
2º L’humidité étant à peu près également faible partout la végétation est peu diverse ;
3º Les plantes persistantes des régions non désertiques ne peuvent guère pénétrer et s’acclimater en des points de ces régions, dans l’absence de réseau de pénétration de terres plus humides, d’une humidité non désertique ;
4º Il n’est rien resté ou presque rien qui n’ait une forme adaptée au désert, de la flore des temps humides antérieurs (à part le Populus Euphratica).
La flore persistante du Sahara algérien peut être considérée comme homogène, autochtone et typique au point de vue désertique.
Il n’en est pas de même de la flore persistante du Massif Central Saharien : comme nous l’avons vu elle est en comparaison riche, variée et peu désertique.
Elle est hétérogène : en effet, à côté des espèces qui paraissent être le reliquat d’une flore de jadis existent des[128] espèces qui semblent d’origine diverse : les unes soudanaises et d’autres méditerranéennes.
Est-elle hétérogène vraiment, c’est-à-dire d’origines diverses ?
Il faudrait savoir si les espèces plutôt soudanaises ne sont pas devenues surtout soudanaises parce qu’elles ont cessé d’être surtout ahaggariennes, par suite par exemple du balancement du « climat désertique », l’hypothèse chère à Chudeau.
Il est bien difficile également de savoir si les espèces dites méditerranéennes sont venues de la Méditerranée.
On peut, dans l’hypothèse d’un golfe méditerranéen sud-constantinois, très bien imaginer le développement d’espèces méditerranéennes au Sud : elles auraient subsisté sur place après le retrait vers le Nord.
Ce golfe méditerranéen, puis sa suppression, pourrait expliquer par le même coup beaucoup de caractères de la flore persistante du Sahara sud-constantinois, en particulier les Salsolacées, plantes que l’on pourrait considérer comme maritimes à l’origine, adaptées secondairement au Sahara[64].
C’est certainement l’Olea Laperrini dont la présence est la plus curieuse à constater ; c’est peut-être un résidu dégénéré de vieilles cultures.
Quoi qu’il en soit, cette flore d’arbres et d’arbustes est en tous les cas hétérogène d’aspect : beaucoup de plantes qu’on y trouve se rencontrant surtout au Soudan actuellement et beaucoup d’autres surtout dans la province méditerranéenne, certaines enfin lui étant propres.
La flore persistante du pays targui, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, n’est pas largement répandue, diffuse : elle est réduite, concentrée aux lits d’oueds en un réseau favorisé (et peu désertique).
[129]Ce réseau est d’autant plus serré et riche que l’on est sur les contreforts ou dans un massif montagneux plus important, les précipitations atmosphériques y étant plus considérables, le réseau hydrographique y étant plus dense et plus profondément gravé et enfin par suite des seuils, des « crans de retenue » dont nous avons déjà parlé, cette eau ne fuyant pas normalement, rapidement vers l’aval, en dehors de la crise de venue de l’oued.
De là l’explication, en partie, de ce que la valeur au point de vue humain des différentes régions du pays targui est souvent en rapport direct avec leur caractère plus ou moins montagneux (indépendamment de la question de l’acheb).
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J’espère que ces conclusions seront de plus en plus renforcées par les explorations à venir et que la province botanique du Massif Central Saharien avec son individualité, sa richesse, sa variété et sa forme typique de végétation, sera de plus en plus couramment distinguée du reste du Sahara : Sahara arabe au Nord, soudanais au Sud, etc.
Des études approfondies de la flore du pays targui ne feront, je crois, que montrer de plus en plus l’individualité et le caractère varié de cette flore.
Cette étude serait fertile en découvertes dans ce sens particulièrement, à mon avis, dans l’Oudan, le Tifedest et les contreforts Nord-Ouest de l’Atakor.
Dans les vallées de l’Oudan surtout ; la légende célèbre de la Garet-el-Djenoun n’est peut-être pas très loin de la réalité : s’il y a des vallées suspendues sur son vaste plateau terminal encore vierge d’exploration, peut-être une flore étonnante s’y est-elle concentrée.
En tous cas, des vallées profondément entaillées de ses contreforts il y a beaucoup à espérer ; je n’ai vu que le bas d’une de ces vallées, l’oued Ens Iguelmamen ; la végétation en était exubérante pour le Sahara et j’ai vu là un très beau Telokat. Que nous réservent les régions en amont ?
[130]Quant aux contreforts Nord-Ouest de l’Atakor j’ai eu là, dans l’oued Arrou, la volupté de cheminer pendant plusieurs heures auprès d’un ruisseau chantant, au milieu de Tarfa des plus ombreux et sur de vraies prairies avec menthes, véroniques, graminées, etc. ; des Touareg m’ont affirmé que cet oued coulait toujours ; c’est là un coin dont l’étude botanique serait, je crois, des plus intéressante également, avec celle encore des coins humides du Tifedest-Ta-Mellet (citons en particulier dans le Tifedest-Ta-Mellet, l’oued Timakhatin [affluent de l’oued In-Takoufi], les environs d’In-Ebeggi, de l’oued Aorr [au pied de l’Iscarneier] et de l’oued Entenecha).
Il est intéressant de constater que nous sommes amené par cette étude botanique à une conclusion analogue à une de celles de la partie géologique de ce travail à laquelle amènent également les études zoologiques, à savoir la croyance à un passé plus humide, notamment plus humide dans les régions du Sahara arabe comme dans celles du Massif Central Saharien[65].
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L’étude des arbres et arbustes du pays targui, que je viens de faire, m’a permis une mise au point des caractéristiques générales de sa flore.
Dès lors un examen détaillé du reste de cette flore pourrait paraître fastidieux.
Si j’envisage l’éventualité d’en publier une étude, j’estime qu’elle n’aurait pas de raison d’être ici, dans ce travail destiné surtout à des mises au point plutôt synthétiques.
Dans le Massif Central Saharien, le chameau se nourrit principalement d’Arta[66], de Chobrok[67], de Guetof, de Had, de Drinn, de Mourkba[68], d’un sous-arbrisseau à tiges et feuilles velues qui pousse dans la montagne, de Nessi, de Chgar, de Krom, de Girgir, de Chereg, de Kach, de Chaliate, de Rabié, de Lehema et autres plantes d’Acheb dont un Rumex (R. vesicarius E. L.).
Les Touareg distinguent plusieurs variétés de pâturages par des mots spéciaux.
A part l’Arta, spécialité en général des grands et larges oueds sablonneux et des « mader », et qui a son moment, le Had, localisé dans les sables, le Drinn que l’on trouve dans les sables et dans certains « mader » ensablés et qui est souvent réservé pour la récolte de son grain, le Guetof des fonds de vallées argileuses et salées, le Chobrok limité aux lits des oueds, qui résiste un certain temps à la sécheresse, mais n’est réellement très apprécié du chameau qu’aux alentours de sa floraison, le Mourkba et le Nessi qui se maintiennent en touffes sèches longtemps, mais alors ne constituent plus qu’un maigre pâturage (à moins que le Mourkba ne porte ses graines), le chameau se nourrit principalement dans le Massif Central Saharien de plantes éphémères qui suivent la pluie, de pâturage vert d’Acheb.
Nous n’avons plus en pays targui en général ces vastes étendues de Salsolacées, ces vastes pâturages quasi permanents, qui en Sahara arabe permettaient de ne pas être lié étroitement au point de vue pâturage, à la pluie, ce qui en été était fort précieux.
[132]Ici, le réseau de végétation persistante étant somme toute de surface restreinte, on est d’une manière générale étroitement attaché à la pluie, beaucoup plus qu’en Sahara arabe, et l’été principalement les pâturages sont parfois rares, il ne reste que les quelques pâturages persistants à Had, Drinn, Guetof, Arta, etc.
Aussi, les Kel-Ahaggar sont, par l’absence de pluies, contraints parfois, les pâturages permanents ne suffisant pas alors, de faire nomadiser une partie de leurs chameaux dans des régions plus favorisées, hors de leur noble pays, dans l’Adrar des Iforas, dans l’Aïr, etc., et suivant les fantaisies de la pluie, certaines fractions sont contraintes de faire pâturer leurs chameaux dans des terrains de parcours qui ne sont pas les leurs[69], ce qui ne va pas sans négociations diverses, car chacun s’efforce de garder alors pour lui seul les régions précieuses où les bêtes profitent, où « il y a à manger ». C’est l’été surtout que ces crises se produisent.
Ceci nous montre tout le prix du réseau de pâturages persistants[70] du pays des Kel Ahaggar, surfaces restreintes, propriétés de tribus, jalousement réservées souvent pour les périodes dures et auxquelles des plantes particulières constituant un facteur nécessaire dans la bonne alimentation du chameau (qui doit en manger à certains moments suivant les formules compliquées de cette alimentation très spéciale sur laquelle je n’ai pas la place de m’étendre ici) donnent encore plus de prix.
Aussi les quelques coins du pays targui, susceptibles de développement agricole, correspondant souvent au meilleur de ces quelques pâturages résistants, de ces quelques[133] pâturages de garantie contre la sécheresse et de grande nécessité pour le cycle alimentaire du chameau, on comprend qu’un développement agricole[71] de l’Ahaggar, outre les obstacles qu’il rencontrerait du côté de la main-d’œuvre puisse se heurter à l’hostilité des Touareg à qui il enlèverait des éléments nécessaires à leur vie pastorale.
Le nomadisme des chameaux n’est pas toujours celui des individus accompagnés de leurs ânes, chèvres et moutons ; souvent les Touareg, principalement les femmes, restent avec les chèvres, les moutons et les ânes en terre d’Ahaggar, dans leur terrain ancestral de parcours auquel ils sont très attachés et continuent à transhumer suivant leurs traditions, leurs habitudes, très casanièrement pourrait-on dire, pendant que les chameaux sont emmenés prendre de la bosse ou l’entretenir, où ils trouvent bon pacage et les pâturages qui conviennent à la saison et à leur état. Il semble que l’on trouve là un reflet dans les mœurs, de cette évolution de l’humidité du climat au Sahara dont il est souvent question dans ce travail.
Il est d’ailleurs constant que pour certaines régions actuellement peu sympathiques du pays des Kel Ahaggar, les Touareg vous parlent d’un temps assez proche (une centaine d’années, pas plus) où elles étaient plus favorisées sous le rapport des pâturages et des points d’eau ; à citer en particulier à ce sujet les voisinages de l’Amadror.
[134]Le pâturage vert est excellent pour remettre en état un chameau, il est agréable aussi parce qu’il diminue la fréquence de la nécessité des opérations d’abreuvoir[72], mais c’est un pâturage fade — aussi les Touareg, quand ils ne peuvent recourir à un pâturage salé, donnent du sel à leurs chameaux.
L’alimentation du chameau a d’ailleurs un tas de nécessités qui rendent très complexes son élevage et son entretien, ces nécessités se superposant avec la question de la pluie. Son étude détaillée sortirait du cadre de ce travail.
Les mehara de l’Ahaggar sont souvent des animaux petits fins, nerveux, musclés et à ligne élégante.
Les vrais mehara de l’Ahaggar proviennent d’une véritable sélection, alors qu’en pays arabe, c’est surtout le choix, le dressage et la castration qui font le mehari.
Le mehari Ahaggar, de race pure, se distingue généralement bien des mehara provenant des autres élevages :
le mehari de l’Adrar est généralement grand, a une ligne majestueuse, un pas magnifique, mais est généralement moins fin et moins léger que le mehari Ahaggar et sa figure est moins éveillée ;
le mehari du Fezzan est plutôt un chameau mixte qu’un mehari, il a de très solides qualités ;
le mehari de l’Aïr est souvent de robe pie et d’allure délicate ;
le pays arabe ne produit guère de beaux mehara ; sa spécialité, ce sont les chameaux porteurs, les chameaux lourds, supportant de grosses charges. (Le commandant Pujat distingue d’ailleurs les chameaux arabes des autres chameaux du Sahara, en fait une espèce différente, originaire d’Asie, amenée par les invasions arabes, alors que[135] les chameaux touareg seraient d’origine essentiellement africaine, en tous les cas, d’introduction plus ancienne en Afrique.)
Le mehari de l’Ahaggar est le mehari par excellence, le chameau de guerre ; il est agréable à monter, a un pied extraordinairement sûr, passe partout dans la montagne, supporte bien l’amble et le trot, peut couvrir de grandes distances (jusqu’à 120 km. dans la journée), est capable de courir en course en terrain accidenté, enfin est susceptible de marcher au galop et même de partir au galop de pied ferme.
On l’accuse d’être parfois un peu plus délicat que les autres chameaux et d’être peu à son aise dans les sables, mais c’est là peut-être une fausse réputation : car au bon, au vrai mehari de l’Ahaggar on a fait subir en général dans sa jeunesse l’entraînement, l’accoutumance à tous les terrains et à tous les genres de pâturages, à toutes les régions en particulier par la vie de rezzous et il est très résistant quand on sait le mener surtout, si après son dressage, on lui a laissé se constituer de la bosse de plus d’un an et qu’on le prend avec cette bosse ferme et confirmée.
Mais c’est dire que la formation d’un vrai mehari Ahaggar est une œuvre de longue haleine, qui nécessite tout un art et une succession de combinaisons compliquées, aussi les Kel Ahaggar ne se défont pas facilement de leurs excellentes montures qui représentent tant de soins, d’attention, de dressage et de formation savante, et, en général, nous n’arrivons pas à en posséder — de là sûrement une réputation injustifiée, car il y a des mehara touareg dont la résistance est extraordinaire.
Enfin les mehara touareg sont souvent éduqués avec beaucoup de douceur et d’intelligence, ils en arrivent à avoir un caractère autrement plus fin et sympathique que les stupides chameaux arabes abrutis par la brutalité de leurs maîtres ; le mehari targui connaît son maître et manifeste discrètement pour lui, par de petits cris, ses impressions diverses, sa joie, son étonnement, etc., animant ainsi la route de ses réflexions gentilles et remplissant le rôle[136] d’un camarade discret, dévoué et affectueux. Il est même parfois trop familier et s’oublie à mettre pensivement sa tête sur votre épaule[73].
Les mehara ne sont qu’une minorité dans l’ensemble des chameaux touareg : les Touareg en effet élèvent principalement des chameaux pour leur lait, pour leur viande et pour porter ; les animaux qui ne sont pas encore « sedes » font nombre aussi ; et tout cela constitue des troupeaux ; ces troupeaux de chameaux sont le principal de la richesse en pays targui.
Les campagnes de ces dernières années ont porté un coup très rude à l’élevage ahaggar et son cheptel camelin a de la difficulté à se remonter.
Les Touareg sont gens de chameaux et aussi gens de chèvres. Les chèvres sont leur grand élevage avec les chameaux ; ils en ont de grands troupeaux, mais c’est plutôt l’accessoire de la richesse. Elles leur fournissent du lait, du beurre, des fromages, de la viande.
Toute une partie de la population, les plébéiens, est appelée Kel-oulli (gens de chèvres) plutôt qu’imrad — ce dernier terme étant méprisant alors que le premier ne l’est pas.
Souvent, comme je l’ai dit précédemment, les tentes touareg ne circulent qu’avec leurs chèvres, leurs ânes et quelques mehara — le gros des chameaux menant une vie de pâturage distincte.
Pour les chevreaux, les Touareg édifient de petites tours basses dans lesquelles ils les entassent la nuit — il convient de ne pas confondre ces petits abris avec des tombeaux ou autres monuments lithiques.
Les chèvres demandent à boire tous les jours et mangent un peu de tout.
[137]Les cuirs de chèvres peuvent évidemment faire l’objet d’un certain commerce[74] ; mais il conviendrait de ne pas exagérer les possibilités de rendement de l’élevage ahaggar, qui déjà semble trouver ses pâturages insuffisants à certains moments, ni de fonder de trop grands espoirs sur le commerce de ces peaux qui nécessiteraient, pour pouvoir jouer un rôle sur le marché des cuirs (des peaux de gants par exemple), d’être tannées avec soin, ce qui imposerait la création d’un centre de tannage dans l’Ahaggar — et un traitement des chèvres durant leur vie, qui permette de compter sur la qualité de leur peau après leur mort.
Les Touareg font avec le lait de chèvre du beurre et du fromage qu’ils vont vendre souvent fort loin.
Avec les chèvres, les Touareg possèdent des moutons (sans laine), plus rares ; ces moutons sont souvent croisés avec des chèvres et donnent des produits bizarres mâtinés chèvre et mouton, avec longue queue, poil long et cornes de chèvres.
[138]Enfin, des ânes font partie du cheptel inséparable des tentes touareg ; ce sont de jolis ânes gris argent, avec les pattes zébrées et une croix noire veloutée sur le dos ; souvent ils s’échappent et mènent une vie sauvage.
Les Touareg possèdent un cheval, celui de l’Amenoukal, grand sujet de conversation, car ils en sont très fiers, et qu’ils nourrissent complètement au lait — ce qui ne lui réussit pas mal.
Quand j’aurai signalé quelques zébus dans les « arrem », originaires du Soudan (on leur fait faire la traversée du Tanesrouft au printemps), j’aurai terminé cet exposé sur l’élevage des Touareg dont on peut dire qu’après guerriers féodaux, ils sont essentiellement pasteurs de chèvres et de chameaux.
[58]Cette étude botanique et l’étude zoologique qui la suit s’appliquent essentiellement à l’Enceinte tassilienne et au Pays cristallin — les Pays pré-tassiliens constituent un glacis biologiquement pauvre ou sans intérêt particulier du Massif Central Saharien — et en général nous n’avons pas pensé à sa misérable ou banale existence dans ces études.
[59]Asclepiadée.
[60]La végétation soudanaise paraît remonter plus haut sur le versant Sud du Massif cristallin que sur le versant Nord et en même temps être plus richement représentée.
[61]Le pluriel d’Etel est Tilia ; cependant nous adoptons Etels comme nous avons fait souvent au cours de cet ouvrage pour les pluriels de noms arabes ou de Tamahak, quoique leurs pluriels vrais soient différents.
[62]Cette dernière serait particulièrement intéressante à étudier. On y a signalé des conifères ??!!?.
[63]Des auteurs ont attribué le déboisement du Sahara à l’action de l’homme. Nous ne nous attarderons pas à réfuter cette explication ; elle vaut par son caractère enfantin celle des naturalistes du moyen âge, à propos des gisements de fossiles, qui voulaient y voir l’œuvre des pèlerins jetant leurs coquilles en des endroits de prédilection et constituant ainsi ces amas de coquilles marines loin de la mer.
[64]Ce qui paraît être le milieu par excellence des Salsolacées actuellement, cela paraît être avant tout le sable — souvent le sable salé.
[65]La région du Massif Central Saharien, à cause de ses montagnes et de sa situation tropicale, a dû, semble-t-il, recevoir toujours plus de précipitations atmosphériques que le Sahara arabe. Cette différence a dû (?) toujours rester à peu près indépendante de la variation générale du climat dont ces deux régions ont dû être affectées à peu près également.
[66]Calligonum comosum L’Hérit., 1re forme.
[67]En pays targui le Chobrok correspond souvent à Zilla myagroïdes et non plus seulement à Zilla macroptera.
[68]Panicum turgidum — graminées — et autres graminées geniculées.
[69]Quoique souvent chaque terrain de parcours ait été délimité par l’usage de telle sorte qu’il puisse suffire à la vie pastorale complète de sa tribu, qu’il possède tous les éléments nécessaires au cycle d’alimentation du chameau, pâturage salé, pâturage doux, pâturage d’été, pâturage d’erg, pâturage de plaine et pâturage de montagne.
[70]Et tout le prix ainsi à certains moments des quelques ergs du pays targui et de certaines régions ensablées.
[71]Il est certain que de nombreux points de l’Ahaggar pourraient devenir des centres de cultures prospères. Outre les « édelés » déjà existant, ou ceux que l’on pourrait remettre en état, j’ai noté nombre de points et en particulier de nombreuses terrasses d’alluvions (qui ont l’avantage entre autres d’être à l’abri des venues de l’Oued) qui seraient susceptibles autant par leur sol que par leurs ressources en eaux d’un développement agricole appréciable.
L’Ahaggar pourrait se nourrir largement lui-même et même exporter vers d’autres régions sahariennes. Outre les céréales, beaucoup de cultures peuvent réussir en terre d’Ahaggar ainsi que les essais entrepris à Tamanrasat l’ont montré : tomates, oignons, radis, pommes de terre, arbres fruitiers, vignes, etc.
[72]Souvent les chameaux sont laissés seuls dans un pâturage pendant que les tentes avec les ânes et les chèvres continuent leur transhumance : ils vivent très bien sans que personne les mène boire ; il est vrai qu’ils connaissent parfois les points d’eau où alors ils vont boire tout seuls. On rencontre très souvent, en pays ahaggar, des chameaux vivant ainsi librement sans bergers.
[73]Les chameaux touareg sont habitués en outre à une forme de caravane particulière : au lieu que les bêtes soient en troupes désordonnées comme c’est le cas pour les convois arabes, elles sont chez les Touareg groupées par files d’animaux attachés les uns aux autres par la mâchoire. Cette forme de convois a l’avantage de permettre une plus grande vitesse, un silence remarquable et un faible personnel.
[74]Je n’ai pas la place de traiter dans cet ouvrage du rendement et de l’avenir possible de l’Ahaggar. On peut dire pour être bref qu’au point de vue commercial et du développement économique de ce pays la question qui se pose n’est pas de savoir ce que l’on pourrait vendre aux Touareg, car ils sont extrêmement avides de tout, mais bien au contraire de savoir ce qu’on pourrait leur acheter pour qu’ils aient de l’argent à dépenser à des achats auxquels ils ne demandent qu’à se livrer.
Mais pourquoi ne laisserait-on pas ce peuple charmant de chevaliers et de pasteurs, d’amoureux et de poètes, continuer de constituer dans le monde un merveilleux anachronisme.
Si l’on arrivait à développer considérablement des cultures diverses pour que l’Ahaggar produise céréales et fruits secs (raisins, figues, etc.), et si l’on arrivait à créer des industries diverses de cuirs, de conserves de viandes ; si l’on parvenait à exploiter des mines variées (fer, or, etc.) et à capter l’énergie immense des vents sahariens (turbines à vent, etc.) ou celle du soleil, ne serait-ce point en fixant ce peuple délicieusement nomade, en lui enlevant de son splendide isolement, en supprimant son beau désordre et en l’affublant des pitoyables attributs de notre civilisation ?! et il faudrait sans doute dire adieu aux « gestes » de ces derniers chevaliers, aux libres « meharées », aux mélodies des « imzaden », aux tendres « Ahals » près des tentes et aux poèmes du rythme « ilâner-ialla ! »...
Au point de vue zoologique, le Massif Central Saharien est intéressant par sa faune dulcaquicole ; alors que les pays crétacico-tertiaires ne possèdent pas en général (en dehors des oasis) d’eaux permanentes en surface, le Massif Central Saharien avec ses vallées profondes, ses eaux totalisées plus ou moins dans les lits de ses vallées et ses seuils de retenue, présente en un certain nombre de points des petites mares permanentes.
Chose curieuse étant donné l’éloignement actuellement réciproque de ces mares et leur éloignement global d’autres milieux dulcaquicoles, ces points d’eau possèdent une faune aquatique complète.
Au premier abord l’on peut remarquer d’abondants insectes d’eau ; les Dytiscides, les Gyrinides, les Hémiptères-Népides (Noctonètes et autres) sont nombreux.
A citer particulièrement pour les insectes aquatiques les points d’eau d’Entenecha, de Tahara, d’In-Ebeggi et d’Ens-Iguelmamen, dans le Tifedest, d’In-Ebeggi, dans l’Anahef, de Tin-Eselmaken, dans les Tassilis.
Un examen plus attentif permet de reconnaître, outre la présence des larves de ces animaux et de larves de moustiques, celles de Vers.
Enfin l’on a la, surprise de trouver parfois des Poissons en abondance ; dans la mare permanente de Tin-Eselmaken,[140] près d’Amguid, en particulier j’ai eu l’occasion d’observer la présence de nombreux poissons dont certains atteignaient une taille de 30 centimètres environ ; je suis arrivé à en capturer deux qui ont été déterminés par le docteur Pellegrin, du Museum[75] ; ce sont deux exemplaires du Barbus biscarensis Boulenger, des environs de Biskra.
Une autre espèce de barbeau, le Barbus Deserti Pellegrin, a été récoltée dans la mare d’Ifedil, dans les Tassilis également, associée à l’espèce précédente et décrite par le Dr Pellegrin ; il est probable que cette espèce existe également à Amguid.
Tels sont les deux points du Massif Central Saharien où la présence des poissons a été reconnue avec certitude et les espèces déterminées.
Ces barbeaux se rencontrent certainement en d’autres mares permanentes du Tassili de l’Ajjer, en particulier probablement dans l’oued Mihero ; les Touareg m’en ont signalé également dans l’Emmidir (dans un aguelmam de l’oued Arak).
Ils se rencontrent peut-être également dans le Pays cristallin.
Foureau a signalé des Clarias (Siluridés) dans les Tassilis de l’Ajjer ; je n’en ai point rencontré et je me demande s’il n’y aurait pas eu confusion.
Les Touareg ne mangent pas les poissons sous prétexte qu’ils sont impurs, se nourrissant, disent-ils, d’excréments !
C’est la même raison qui leur fait ne pas manger de poulet (disent-ils) ; mais il se peut qu’il y ait plutôt dans ces coutumes une cause ancienne religieuse.
Si l’on examine ces eaux avec une grande attention on y trouve de nombreux Crustacés de petite taille ; j’ai observé en particulier la présence de Branchipus en trois aguelmams différents : l’un près de Tin-Edness, vers 900 mètres[141] d’altitude, dans lequel ils étaient très nombreux ; l’autre dans le Telleret’ba, vers 1.500 mètres d’altitude, le troisième dans l’oued Ens-Iguelmamen (au pied de la gara Ti-Djenoun).
Les Batraciens ne sont pas absents : le Cne Cortier a recueilli la Rana mascareniensis D. B. (déterminée par le Dr Pellegrin) dans la mare d’Ifedil ; il est vraisemblable que d’autres espèces sont répandues dans le Massif Central Saharien ; j’ai observé de nombreux tétards en divers points d’eau, mais en particulier dans l’oued Terroummout, la partie amont de l’oued Tamanrasat où, chose curieuse, ils étaient là répandus en abondance dans des flaques d’eau laissées par la « venue » récente de l’oued (un aguelmam permanent placé en amont permet, je crois, d’expliquer ce curieux peuplement) et à Idelès où les grenouilles pullulaient quand j’ai passé.
La présence de Batraciens est aussi étonnante que celle de Poissons au Sahara.
Enfin, c’est une chose fort surprenante que la présence de Crocodiles en pays targui (car là le peuplement par l’intermédiaire des pattes d’oiseaux n’est guère vraisemblable).
C’est au Cne Nieger que revient l’honneur d’avoir permis la détermination de l’espèce exacte de ces crocodiles déjà signalés par Duveyrier et de Bary.
C’est le Crocodilus niloticus Lour., des grands fleuves africains (déterminé par le Dr Pellegrin).
Les Touareg m’ont souvent d’ailleurs signalé l’existence de crocodiles dans des aguelmams des Tassilis (en particulier dans celui de l’oued Mihero).
Il semble avoir existé plus à l’Ouest, car au Sud de Tiounkenin, dans l’Emmidir, se trouvent deux aguelmams permanents[76], les plus grands et les plus profonds que j’ai vus au Sahara, et, paraît-il aussi, plus vastes et profonds[142] que les plus avantagés à ce point de vue, des Tassilis de l’Ajjer : ce sont les aguelmams Afelanfela (ou Deïtman) ; mes Touareg me déclarèrent qu’il y avait là un grand crocodile et qu’il avait même le meurtre du grand-père de l’un d’eux à son actif (!) ; je m’empressai de me rendre à cet endroit ; je constatai la présence des aguelmams en question mais pas de leur hôte terrible, ni de traces quelconques qu’on puisse lui attribuer ; je n’allai point cependant jusqu’à tenter l’expérience de l’appât, en me permettant de nager dans ce lac ainsi que ce m’était un plaisir dans les autres aguelmams ; mes Touareg ayant mis tout leur talent de persuasion à me convaincre que ce n’était pas prudent.
Il semble que ce vieux crocodile solitaire soit mort, car les témoignages de mes Touareg étaient très précis et comme eux je ne doute pas qu’un crocodile ait pu vivre là : la taille de ces aguelmams, leur profondeur, leur richesse en algues et plantes aquatiques, leurs alentours à végétation exubérante, permettent très bien d’imaginer qu’il pût en être ainsi.
Le capitaine Duprè m’a dit avoir trouvé une mâchoire de crocodile en un point d’eau des Tassilis de l’Ajjer.
Telle est la physionomie générale de la faune dulcaquicole du Massif Central Saharien ; on voit que les groupes aquicoles principaux : Poissons, Reptiles, Batraciens, Crustacés, Vers, etc., y sont représentés.
Cette faune aquatique[77] mériterait des recherches suivies[78], entre autres l’exploration systématique des mares permanentes et quasi-permanentes, peu nombreuses d’ailleurs, du Massif Central Saharien, en particulier dans les Tassilis de l’Ajjer des mares d’Ifedil, de Mihero, de[143] Taragaïn (dans l’oued Iskaouen), de l’oued In-Tmanahen et de Tin-Eselmaken ; dans l’Emmidir, des mares d’Afelanfela (ou Deïtman, près de Tiounkenin), de l’oued Arak ; dans le Pays cristallin, des mares de Tin-ed’ness (Edjéré), du cirque intérieur du Tellerteba (Anahef), du Tala-Malet, de l’oued Terrinet (près d’Idelès, beaux marécages), de Tahara (Tifedest), de l’oued Ens-Iguelmamen (Oudan) — particulièrement des mares du Tifedest-ta-Mellet et de l’Oudan.
Que penser de la présence d’une faune dulcaquicole complète, avec Poissons, Reptiles et Batraciens, localisée dans les rares mares permanentes du pays targui, isolée au milieu du Sahara, sinon que c’est un héritage des temps humides, une « faune résiduelle ».
C’est dans cette fin que nous avons cru devoir faire cette petite mise au point zoologique malgré qu’elle ne contienne que quelques précisions nouvelles.
Quant à dégager les caractères propres, les éléments originaux et particuliers de cette faune résiduelle, ses relations et échanges passés avec le voisinage, c’est ce qu’il est encore impossible de faire, étant donné les précisions encore peu nombreuses que l’on en a[79].
On peut tout de même indiquer, ce qui est logique, que ses relations se sont faites probablement surtout par versants, que la ligne de partage des eaux a une grande importance à ce sujet, ce qu’indique la présence du Barbus biscarensis ou barbeau de Biskra à Tin-Eselmaken et à Ifedil, c’est-à-dire justement sur des points du réseau hydrographique ancien qui relèvent de la région des Chotts comme l’oued Biskra.
Il est difficile de déterminer si ce poisson est de passé plutôt ahaggarien que zibanais.
[144]Nous nous bornons à cet exposé sur la faune dulcaquicole du Massif Central Saharien ; au point de vue zoologique c’est ce qui nous paraît le plus intéressant à signaler pour le moment dans ces pays et, d’autre part, le reste nous entraînerait hors des proportions imposées à ce travail.
[75]Par l’intermédiaire de M. le Profr Leger.
[76]Probablement alimentés par une source importante, comme un bouillonnement en surface semble l’indiquer.
[77]La flore aquatique aussi d’ailleurs.
[78]J’avais fait des recherches dans ce sens et je me promettais de présenter, comme suite de mon expédition, une étude détaillée de la faune dulcaquicole du Sahara central ; malheureusement les matériaux recueillis dans ce but ont été victimes d’accidents dus à la malveillance, qui me privent de la possibilité de présenter cet ensemble qui eût été intéressant par sa nouveauté.
[79]Et que malheureusement par suite des incidents signalés précédemment je n’ai pu rapporter.
IMPRESSIONS ET NOTES DE ROUTE
Enfin voilà des montagnes ; nous sommes cette fois en vrai pays targui : ce sont les plateaux nus et brûlants des Tassilis dont les vallées encaissées cachent dans le fond de gorges fantastiques des bosquets de lauriers-roses et de mimosas[82] fleuris et odorants, de petits lacs qu’animent de nombreux poissons et des marécages touffus, retraites noires de quelques vieux crocodiles.
En parcourant ces oueds de légendes dans les replis desquels les surprises se succèdent aux yeux émerveillés, je comprends maintenant les yeux nostalgiques des officiers sahariens au moindre souvenir des pays touareg ;[146] ne nous a-t-il pas paru à tous comme une île enchantée, ce pays targui, après la traversée monotone du Sahara arabe ? et comme il m’apparaît naturel maintenant le prestige extraordinaire du nom « Hoggar » sur toutes les populations sahariennes : pays fabuleux et magique en vérité quand on le compare aux autres régions sahariennes, et dont on ne peut considérer les descriptions merveilleuses comme le fallacieux effet de l’emphase arabe que tant qu’on ne le connaît pas ! A mesure qu’il se dévoile, il apparaît digne de sa renommée.
Je renonce à décrire ces vallées ombreuses et parfumées des Tassilis enserrées dans leurs hautes murailles comme un trésor dont la terre garde un soin jaloux ; ne serait-ce pas un sacrilège ?
On y surprend souvent au détour d’une gorge, soit la timide gazelle aux gracieux effrois, reposant mignonnement à l’ombre du térébinthe ou du mimosa, soit le sauvage mouflon au front noble et vaillant buvant longuement à quelque flaque d’eau miroitante laissée dans le creux du rocher par une récente pluie.
Dans les Tassilis, au Tahihaout, je rencontre des traces récentes de chèvres, d’ânes et de chameaux ; des tribus de Touareg nomadisent donc non loin ; j’ai besoin d’un guide ; j’envoie mon méhariste, Mahomed-ben-Hamouillah, sur leurs traces essayer de m’en trouver un ; il revient bientôt, et voici un Targui devant moi : Amdor-ag-Amadou, des Eaohen-n-ada.
C’est un guerrier mystérieux et superbe : haute taille, port fier et hardi, démarche souple, muscles longs, attaches fines, teint de bronze doré ; peu d’hommes réunissent tant d’éléments de beauté pour la splendeur de leur corps.
Ce beau corps est paré avec une coquetterie raffinée (n’est-il pas un guerrier ?) ; un bracelet de serpentine au-dessus du coude fait valoir le nu d’un bras dont Adonis eût été jaloux ; une sorte de gandourah très décolletée laisse admirer le galbe rare du cou et des épaules.
De la figure on ne voit que deux yeux hiératiques, agrandis[147] au kohl et entre les yeux la naissance du nez ; le reste est caché sous un voile indigo[83] disposé savamment autour de la tête en un mouvement fixé peut-être depuis des siècles, surmonté d’une sorte de « bourrelet »[84], de diadème, de laines et de soies multicolores, qui donne à la tête une allure casquée ; les cheveux jaillissent parfois ainsi qu’un cimier de ce casque d’étoffe ; parfois aussi ils sont tressés à la manière lybienne.
Au côté un glaive de ligne sobre et pure gainé de cuir écarlate évoque les chevaliers.
Ainsi m’apparaît, superbe et mystérieux, le guerrier targui Amdor ag Amadou.
Je le prends comme guide.
Je m’aperçois bien vite qu’il n’est pas que son visage qu’il voile : qu’importe ! ne sont-ils pas tous plus ou moins ainsi les Touareg ; ils ne disent jamais tout : un de leurs proverbes dit, dans le style sybillique qu’ils affectionnent : « La moitié pour nous deux, l’autre je la garde », ce qui signifie : « Je ne me livre jamais entièrement », et c’est très targui !
Enfin, il prend la responsabilité de me conduire où je désire aller, cela me suffit.
Après le noir pays de l’Egéré aux nombreux cratères souvent occupés par de très vieux tombeaux comme si les anciens habitants du pays avaient cru que ces sombres entonnoirs avaient quelques rapports avec l’obscur séjour des morts et le reg[85] désespérant de la plaine de l’Amadror, voici le massif du Tallerteba, imposante forteresse de près de 2.200 mètres d’altitude qui se dresse au seuil du pur Hoggar.
[148]Des points d’eau se cachent dans ses flancs mystérieux ; c’est souvent un repaire de pillards. J’en fais l’exploration et l’ascension, malgré mon guide qui refuse de m’en faire les honneurs.
Quelle joie d’y découvrir un cirque intérieur dissimulé dans ses vastes flancs, avec végétation de térébinthes, mimosa, tamarix, laurier-rose, kerenka, etc., et même, ô surprise ! un petit ruisseau qui sort du cirque par une suite de cascades en une profonde entaille, pleine d’ombre et de fraîcheur, dans laquelle il se repose, entre deux bonds, en des vasques charmantes de porphyre[86] poli et bleu.
Quelle joie de gravir cette cime orgueilleuse et célèbre chez les Touareg, que je suis le premier à vaincre.
Après avoir étudié la région de l’oued In Sakan et de l’Adrar Idekel, dans le terrain de parcours des Eitlohen, dont des guerriers plus ou moins Senoussistes (comme pas mal des Touareg des confins du pays Ajjer dans lesquels j’ai circulé) assassinèrent le Père de Foucault à Tamanrasat, je gagne Idelès par l’oued Inouaouen.
Quelle surprise ! que ce centre de culture d’Idelès[87], le premier que je vois : au milieu des montagnes, à 1.300 mètres environ d’altitude, voici des palmiers, des figuiers, des cultures de blé et de mil, de beaux pieds de vigne et un animal surprenant en plein Sahara, un zébu, un bœuf à bosse du Soudan, dressé, qui, par un va-et-vient régulier, au moyen d’un appareil astucieux, tire l’eau d’un puits.
Des noirs travaillent aux cultures d’Idelès.
Les Touareg ne s’attachent pas à la glèbe : c’est là travail d’esclave et non de noble targui ; les Touareg se contentent en général, dans les arrems[88] du Hoggar, de toucher des redevances : ce sont des seigneurs.
[149]Quelle volupté que l’ombre fraîche des figuiers d’Idelès ; comme je suis tenté de m’arrêter quelques jours ici.
Nous continuons cependant notre route et gagnons les hautes régions de l’Atakor, le massif du Tahat qui, avec ses 3.000 mètres d’altitude, est le point culminant, la clef de voûte du Sahara central, et je descends en raid sur Tamanrasat, de l’autre côté de la Koudia où, avec le lieutenant Vella, le résident du Hoggar, je fais le pèlerinage sacré : la tombe du Père de Foucauld, le monument du Général Laperrine et de son ami, et le château du Père de Foucauld contre les murs duquel il fut assassiné — chose surprenante d’ailleurs pour un prêtre en pays musulman.
Ensuite je remonte dans l’Atakor dont je n’oublierai jamais, je crois, les cimes étranges et déchiquetées, ni les aurores merveilleuses quand, dans la fraîcheur du matin, alors que le soleil levant fait rougeoyer les aiguilles fantastiques de la Koudia, la caravane s’ébranle dans l’ombre d’une vallée.
Je gagne l’oued Arrou dans les contreforts Nord-Ouest de l’Atakor ; oued enchanté : sa gorge est toute bruyante de la chanson d’un ruisseau, de la délicieuse chanson de l’eau et c’est une joie immense ! toute la journée en le suivant, c’est de la folie.
C’est une des surprises de ces contreforts Nord et Nord-Ouest de l’Atakor ; on y trouve des ruisseaux, de vrais ruisseaux bondissants et joyeux, dans de l’herbe et des fleurs, sous de frais bosquets de Tamarix, de Térébinthes et de Jujubiers.
Enfin, c’est dans l’Atakor que l’on rencontre en général l’élite de la tahouggera (noblesse) des Kel-Ahaggar, des Kel-Ettebel (fils de suzeraineté) : les Kel-Rala, tribu dans laquelle est choisi l’Amenoukal (roi) des Kel-Ahaggar, dont la souveraineté d’ailleurs n’est plus établie sur tous les Kel-Ahaggar, mais principalement sur les Kel-Efella (gens du haut) seulement, les Kel-Ataram (gens d’aval) constituant actuellement un ettebel (ensemble de vassaux) distinct du grand ettebel (celui des Kel-Rala et des Tedjéhé-Mellet,[150] celui de l’Amenoukal), l’ettebel des Taitok[89].
Alors que les nobles guerriers de l’Ahaggar, leurs époux, sont en expédition lointaine, c’est là, dans les hautes vallées principalement, que vivent leurs femmes et leurs enfants avec les troupeaux, les biens de la famille, à l’abri, autant qu’on peut l’être, des rezzous.
C’est là le centre, le cœur de l’Ahaggar et son ultime réduit.
C’est d’ailleurs une région privilégiée de pâturage vert (d’Acheb), car les pluies tombent relativement souvent sur ces hautes montagnes et elles sont fréquemment couvertes d’un véritable manteau de fleurs violettes (le Krom) ainsi que d’une sorte de rougeoyante oseille, qui font le bonheur des chamelles et des chèvres et permettent à leurs maîtres de vivre dans l’abondance du lait, d’être des heureux du Sahara.
Ces hauts plateaux de l’Atakor sont donc souvent très habités, et très noblement habités ; on mène alors dans la société targui une vie mondaine infiniment attachante.
La vie en Koudia ! que de douceur de vivre est contenue dans ces mots pour un targui.
J’ai vécu avec les Touareg, comme les Touareg, et leur vie mondaine de guerriers, d’amoureux et de poètes m’a profondément enchanté.
On n’oublie pas le charme de leurs Ihallen (pl. d’Ahal, réunion), au doux son des Imzaden (pl. d’Imzad, violon monocorde).
L’ahal est très en honneur dans l’aristocratie targuia, et pour l’ahal, les chevaliers touareg accourent de très loin sur leurs plus beaux mehara, le glaive (takouba) au côté, dans l’espoir d’avoir l’occasion d’y briller devant dames et[151] damoiselles et plus particulièrement devant celles dont leurs vers célèbrent la beauté.
Planche XIV.
Et l’ahal succède à l’ahal, ici et là, fleurissant la vie de l’Ahaggar (noble) de ses notes gaies et charmantes.
C’est en vain que de retour dans la civilisation moderne, on cherche à reprendre goût à sa vie d’Européen ! Peut-on oublier les soirées merveilleuses où l’on devise gaiement sous les plus limpides clairs de lune que la terre connaisse, dans le chant caressant, le tendre chant des Imzaden et parfois le bruit guerrier que font les sabres frappés en cadence des esclaves dansants, ou encore les timides voix des chœurs alternés de jeunes filles...
D’un col nous découvrons soudain, à nos pieds, tapi dans la vallée de l’oued In-Fergan, un gros campement de riches tentes en peaux.
C’est la « cour » de la Tamenoukalt (reine), femme d’Aramouk.
Après qu’un de mes hommes eut été avertir de mon arrivée imminente et qu’un Targui eut fait signe, en agitant un long voile, qu’on nous attendait, nous marchons au galop, selon l’usage, vers les trois principaux seigneurs du camp qui viennent à notre rencontre dans toute la pompe de leurs voiles et de leurs « dokkali »[90].
Du haut de mon mehari, je reçois l’hommage qu’ils doivent à l’officier français, ainsi que le salut et les souhaits de bienvenue de la Tamenoukalt. Puis sous une tente rapidement dressée à l’endroit que l’on me demande de désigner selon mon bon plaisir, nous nous lions rapidement dans les nombreux thés de rigueur.
En l’absence d’Aramouk, son khalifat me fait les honneurs qu’un vassal de la France doit à un officier français (palabre, repas de fête, etc.), puis je me rends en la tente de la Tamenoukalt, en sa tente aux piliers sculptés.
[152]Après les nombreuses salutations d’usage :
« Ma-t-toulid ? » (Comment vas-tu ?), « Elkhir-râs » (le bien seulement), etc., qui se succèdent longuement et cérémonieusement, la reine entourée de ses nombreuses suivantes m’offre le thé. Les trois verres parfumés de menthe sont bus religieusement ; les suivantes chantent ou disent des poèmes de bienvenue en tamahak et commencent ensuite les imzaden de chanter langoureusement...
Je me retire bientôt, suivi de mon monde et du khalifat, et me rends à ma tente très lentement, selon les rites, pour marquer mon regret de m’éloigner de la charmante reine qui vient de me recevoir.
Le soir, la femme du khalifat et ses amies viennent jouer de l’imzad dans ma tente et causer, de peur que je ne m’ennuie tout seul, jusqu’à ce que, vaincu par la fatigue, je m’abandonne aux doux bras de Morphée.
Un soir, il y a « ahal » en mon honneur ; c’est une réunion galante de jeunes gens et de jeunes filles, de guerriers et de jeunes femmes, une vraie cour d’amour de jadis avec président et présidente (amrar et tamrart-n-ahal), où l’on pose des questions insidieuses sur l’amour, sur la beauté des assistantes, où l’on chante sa belle, où l’on fait assaut de poèmes, et jusque fort tard, sous la clarté lunaire les imzaden, de leurs soupirs caressants, invitent à la volupté pendant que l’on se conte fleurette à mi-voix.
Enfin, une grande coupe de lait passe de bouche en bouche... c’est le signal du départ... On se disperse, et, si l’on a été heureux en amour, l’on se rend vers des rendez-vous plus doux.
Le matin hélas, il faut partir... il faut s’arracher à cette cour enchanteresse... ; dans la splendeur du soleil levant ce sont les adieux pleins de regrets, puis le départ au galop d’un mehari écumant et fougueux dans les ou ! ou ! frénétiques, frémissants des femmes...
Je rencontre ainsi de nombreux campements que je quitte chaque fois à regret... N’ont-ils pas tous quelques beaux yeux pour vous retenir ?
[153]Elles s’appellent Guida, Dohata, Melloullen, Marenia, Lallaryée, Ossou, Smana, Dacine...
Elles vivent pour la musique, la poésie et l’amour.
On n’oublie pas leur beauté :
Ni la blancheur souvent éclatante de leur teint (qu’elles défendent jalousement contre les ardeurs du soleil, hors de leurs tentes, par d’immenses chapeaux et des poudres ocrées) ;
Ni leurs mains, que de foi ! longues et fines comme il en est peu ;
Ni l’ovale parfois si pur de leur visage ;
Ni leurs lèvres généralement voluptueusement dessinées ;
Ni, enfin, surtout, leurs yeux, tour à tour de velours et de feu, caressants et brûlants, qui tantôt langoureusement vous prennent, vous enferment dans l’ombre intime et tendre de leurs longs cils et grands sourcils noirs, tantôt soudainement vous embrasent comme de traits enflammés lancés par des arcs d’ébène.
Je circule ainsi dans l’Atakor, le Briri, le Tifedest, l’Oudan.
Parfois je n’ai plus de vivres pour subsister, je dois manger des racines amères ou du berdi, sorte de jonc sucré, ou encore me rationner à quelques dattes par jour.
Parfois le point d’eau est loin encore et c’est une lutte continuelle pour prudemment économiser l’eau, ne boire que quand la langue devient pâteuse et se colle au palais... ce qui arrive vite d’ailleurs avec la chaleur...
Parfois, je dois forcer les étapes et je passe seize à dix-huit heures de suite sur mon brave mehari « Ilaman », luttant contre la fatigue, contre mes yeux qui cherchent à se fermer.
Parfois je rencontre des traces inquiétantes et c’est l’anxiété pendant quelques heures, anxiété particulièrement grande quand c’est à l’approche d’un point d’eau nécessaire.
Quelle vie grisante on mène à alterner ainsi les périodes de solitude, de fatigue et de danger avec les repos animés[154] et sûrs de campements amis ; dans l’enivrement d’avoir de l’espace, d’être libre, de jouer avec le danger, d’avoir, au bercement de sa monture, devant ses Touareg silencieux, pour songer des jours entiers, et dans celui de trouver un accueil enchanteur dans quelque tribu amie, parmi les ou ! ou ! passionnés des femmes.
Je rencontre en particulier les campements du célèbre Anaba-ag-Amellal, qui trempa dans le massacre de la Mission Flatters, et qui revient de dissidence (car il a toujours fait partie du parti hostile à notre influence, et dans ces derniers temps agités il était aux côtés de ceux qui voulurent briser l’amitié française avec Ahmoud, avec les Sénoussistes) ; je suis sans doute le premier Français qui le voit depuis ses dernières incartades.
Il se conduit cependant convenablement, et boit vaillamment la coupe d’amertume que doit être pour lui l’obligation de me traiter en suzerain et de me faire les honneurs de ses tentes.
Cependant il éprouve le besoin de me faire admirer sa carabine italienne — sa carabine d’insoumis — dont il apprécie particulièrement, dit-il, le chargeur à six cartouches et la baïonnette-appui. Je dois lui faire remarquer que les carabines françaises semblent en général ne pas manquer leurs buts, pour qu’il cesse de mettre sur ma poitrine un canon de carabine chargée dont le contact m’était désagréable et adopte le ton qui convient à la situation.
Ses tentes ne sont pas gaies : sa femme Raima est en deuil de la mort de son frère, le célèbre amenoukal Moussa-ag-Amastan, et mène une retraite des plus sévère. Un autre deuil fait que les imzaden sont muets le soir dans les campements d’Anaba.
Et c’est dommage, car il y a de fort gentilles dames et damoiselles de haut lignage dans les campements d’Anaba et l’ahal eût été charmant, certainement.
Je passe au pied de la célèbre Gara-ti-Djanoun, la terminaison Nord de l’Oudan.
[155]La légende de cette haute montagne (2.700 m. environ), la plus impressionnante et la plus étrange que j’aie vue avec le Tellerteba, au pays des Kel-Ahaggar, a peut-être servi de thème à l’Atlantide... (Connaît-on toujours les sources de M. Pierre Benoît ?...), car je rencontre près d’Ens Iguelmamen, au bas de ce mont, des femmes qui me racontent ceci :
Deux amis, disent-elles, étaient partis pour tenter de monter sur cette cime inaccessible ; un seul en revint racontant que là-haut son compagnon était resté dans des jardins merveilleux couvrant le plateau terminal jusque-là inviolé... avec des femmes surnaturelles, et que lui n’avait pu qu’à grand’peine s’arracher à leurs étreintes ensorcelantes pour redescendre vers sa fiancée.
Depuis lors nul parmi les Touareg ne tenterait pour rien au monde l’ascension de cette montagne hantée, de si charmantes déités pourtant !
« Les femmes le défendent ! » me disent toutes fières de leur pouvoir les deux jolies Targuias qui me racontent cette légende.
A Amguid, je subis une crise d’appendicite et je dois y séjourner un mois en attendant que ma crise passe. Quoique beaucoup des Touareg qui nomadisent par là soient Senoussistes, et en soumission assez discontinue et douteuse, ils se conduisent cependant bien vis-à-vis de moi et je goûte alors tout particulièrement le charme de cette vie primitive d’un peuple, guerrier et pasteur de chèvres, qu’est la vie des Touareg, charme analogue un peu à celui qui se dégage des chants d’Homère sur les anciens Hellènes.
Vient l’époque où le Drinn est mûr :
Toute la jeunesse quitte alors les campements pour plusieurs jours et s’établit souvent fort loin des parents dans les étendues à Drinn.
Dans la journée, le Drinn est coupé à la faucille et les femmes le vannent et en moulent le grain (l’Oullen) entre deux pierres.
Puis, au coucher du soleil, chacun se met dans ses plus[156] beaux atours et il y a ahal près de quelque bel Etel où l’on se donne rendez-vous.
L’on chante, l’on danse dans le bruit scandé des derboucca et les mélodies lascives des imzaden... et l’on parle d’amour.
Je rentre à In-Salah par l’Emmidir après avoir été faire un raid d’études au Tahihaout. C’est en mai, la chaleur est déjà obsédante, la marche n’est possible que le matin et le soir. Dans la journée, il faut s’arrêter et attendre avec souvent une cinquantaine de degrés que la fraîcheur du soir apporte sa délivrance.
J’arrive enfin à In-Salah le 2 juin, ayant étudié dans des conditions presque sans précédents[91], à ma connaissance, d’isolement et d’improvisation, les régions parmi les moins connues et les plus difficiles du pays des Kel-Ahaggar.
Nous partons de Fort Flatters (Temassinin) le 7 février et cheminons dans des dunes.
Le 8, passons à Teouit (ou El Bir) situé dans une plaine allongée entre des dunes et où affleurent des grès. Pâturage de Damran. Les chameaux boivent.
Le 9, marchons tout le jour sur un vaste reg à végétation de Ressel et Nessi, pour arriver le soir au Djebel Tanelak (ou Adrar-n-Taserest), vers la terminaison Nord de cette chaîne de Tanelak, contre laquelle, face Est, trouvons un intéressant pâturage à Had, Ageran, Nessi, Acheb (Goulglane) et Chgar.
Nous avons rencontré les traces d’un canon de 80 qui a[157] passé par là il y a trois ans, paraît-il, lors d’une campagne contre les Touareg de l’Ajjer. Le désert conserve bien les traces.
Contre la montagne, nous trouvons des amas de troncs d’arbres magnifiques, qui nous servent à faire nos feux ; ces amas de bois semblent témoigner en faveur d’un passé plus humide, encore assez récent, car actuellement comme arbres il n’y a plus rien dans cette région.
Je monte sur le haut de la montagne contre laquelle nous sommes adossés ; de là, j’aperçois la gara Khamfoussa (Egeleh) à l’Est, et au Nord-Nord-Ouest le confluent de l’oued In-Dekak et de l’Ir’err’er, ainsi qu’un immense Teleh isolé au milieu du reg.
Sur ce sommet un tombeau (ou un signal ?) avec deux branches divergentes.
Nous établissons le camp non loin d’une tranchée, témoin des luttes des Touareg de l’Ajjer contre nous.
Le 10, traversons le Djebel Tanelak ; c’est un simple anticlinal de grès, d’âge indéterminé, subméridien, avec une tendance vers la direction Nord-Ouest-Sud-Est, un peu ensablé ; traversons un vaste reg, un tiniri, où ne pousse que du Ressel rare, pour arriver, après une soixantaine de kilomètres, à des collines de l’autre côté de ce tiniri ; contre ces collines, il y a un léger ensablement avec Had et Nessi.
Le 11, repos pendant que les chameaux vont s’abreuver à quelques kilomètres à un aguelmam (Redir) (A) laissé par les dernières pluies.
Je monte sur les collines voisines ; nous sommes encore contre le flanc Est d’un anticlinal plus ou moins subméridien de grès.
Le 12, marchons sur le reg, vers le Sud-Sud-Est, c’est-à-dire à distance des reliefs de notre droite. Ressel et Nessi.
Campons dans un pâturage d’Arta et de Had près d’un Teleh visible de loin.
Trouvons des débris d’œufs d’autruche.
Le 13, en continuant notre marche vers le Sud-Sud-Est, nous trouvons des oueds avec une végétation beaucoup plus[158] riche, au bas des montagnes des Tassilis ; nombreux Telehs et pâturages excellents.
J’observe la présence de nombreux tombeaux, dont un remarquable, avec autour des pierres levées en cercle. Il y a des tombes de modèles divers.
Nombreux fossiles dévoniens.
Campons dans un bosquet de Telehs.
Le 14, remontons la gorge de l’oued Tassirt qui traverse les Tassilis externes ; à l’entrée de cette gorge, encore des tombes de modèles variés ; la gorge est encaissée ; j’y observe un premier et bel Agar.
Dans cet oued de très nombreux mechbeds marquent l’importance de ce passage.
Puis arrivons à un col d’où l’on découvre la dépression du Tahihaout au Sud. Il y a là une « capture » en train de s’accomplir et le haut de l’oued Tassirt semble encore hésiter entre l’oued qui descend vers le Tahihaout et celui que je viens de suivre.
Descendons vers la dépression du Tahihaout dans des schistes argileux blancs ou violacés (Silurien). Surprenons un mouflon.
Campons au pied de la gara Tabahout, une gara d’argiles schisteuses violettes (Silurien) où l’on trouve de nombreux tombeaux ; il y a là une belle végétation de Tamarix, d’Arta, etc.
Dans les schistes argileux de la gara sont creusées des excavations qui m’intriguent beaucoup : sont-ce des tombes vides ou de futures tombes ?
Le 15, gagnons par une marche Ouest-Est, dans la dépression du Tahihaout, le point d’eau de Tanout-Mellel qui se trouve à l’issue de ce mader vers l’oued In-Dekak.
Nombreux et beaux Tamarix, Arta, Chobrok, Kerenka, etc.
Passons près d’une gara avec de nombreux tombeaux islamiques (avec enceintes orientées vers la Mecque par des Mirabs) et une inscription de tifinar. Nombreuses gazelles.
Campons près du puits de Tanout-Mellel, à l’entrée de la gorge de l’oued In-Dekak.
[159]Le 16, repos à Tanout-Mellel. Les chameaux s’abreuvent.
Je monte sur la crête des Tassilis externes, d’où j’aperçois au Nord la barre rosée des dunes de l’Erg d’Isaouan-n-Tifernin, et au Sud, belle vue sur la dépression intra-tassilienne correspondant aux Schistes à Graptolithes ; plus au Sud les Tassilis internes bordent l’horizon ; on y distingue les lignes sinueuses, profondément gravées des oueds Iskaouen, In-Defar, etc.
Le 17, j’étudie le bord Nord du Tahihaout, c’est-à-dire le bas des escarpements qui terminent les Tassilis externes sur le Tahihaout, les gara Idaouaren et Timakaratin.
Je trouve dans les Schistes argileux un gisement de Graptolithes.
Traversons ensuite le Tahihaout, laissant à gauche l’erg Tahihaout qui ensable les escarpements au Sud-Est de Tanout-Mellel, et gagnons l’entrée de la gorge de l’oued Iskaouen dans les Tassilis internes.
Campons là à In-Dela, près d’un vrai bois de superbes Telehs, non loin des garas Tinihesser et Tinakerkor.
Le Tahihaout est une étendue de pâturages qui joue un rôle important, ainsi que ses points d’eau, sur la grande piste Est-Ouest d’In-Salah à Rat, à la limite des terrains de parcours de l’Ahaggar et de l’Ajjer.
C’est un mader où les Touareg de l’Ahaggar nomadisent volontiers quand ils ne craignent pas les rezzous des Touareg de l’Ajjer.
Le 18, je remonte l’oued Iskaouen, un magnifique « cañon » creusé dans les Grès inférieurs.
Il y a beaucoup d’humidité, une belle végétation, des Lauriers-roses, des Tamarix, des Kerenka, des Telehs et de nombreux abankors (tilmas [A]) qu’il faut connaître.
A Taragaïn, un marécage permanent avec Berdi (Typha) où les mouflons viennent boire.
Nous campons au confluent de l’oued Oihaken et de l’oued Iskaouen, près d’un point d’eau tenant de l’abankor et de l’aguelmam : In-Emiragen. La végétation est là fort[160] belle ; entre autres, il y a de très beaux Kerenka[93]. Ce confluent est une rencontre grandiose de gorges magnifiques et partout les affluents ont constitué des reculées ruiniformes extraordinairement pittoresques.
Le 19, nous remontons toujours l’oued Iskaouen dans notre marche vers le Sud.
La vallée, d’abord encore étroite et encaissée, avec toujours de beaux arbres (Teleh, Etel, Kerenka) et Chobrok, Girgir, Arta, un peu de Bel-Bel, Lavande (?), Réséda, Mourkba, s’élargit et le Cristallin que laissaient pressentir les nombreux et gros cailloux de roches aux couleurs vives et variées de granits, gneiss, etc. du thalweg de l’oued jusque-là, apparaît sous les Grès inférieurs, placés en discordance dessus.
La vallée s’élargit de plus en plus, les grès étant réfugiés de plus en plus haut avec leurs falaises, sur des flancs de vallée en Cristallin couverts d’éboulis.
On a une impression de vraie montagne. Il y a de nombreuses terrasses d’alluvions sur le bord de l’oued qui, ici, s’ouvre après sa gorge étroite en un réseau confus de nombreux petits affluents sillonnant le Cristallin.
Nombreuses tombes variées et en particulier une tombe de marabout auprès de laquelle s’élèvent des pyramides de pierres, tumuli créés par le respect des passants qui se traduit ainsi.
Des mosquées à la manière targuia, c’est-à-dire constituées par la différenciation d’un lieu de prières sur le sol dessiné par des pierres et orienté par rapport à la Mecque, se montrent nombreuses (j’avais aperçu la première à Teouit).
Un homme tue un lièvre ; c’est un gibier courant en pays targui, et j’aurai dorénavant souvent l’occasion d’en manger.
Nous nous élevons difficilement dans un chaos confus[161] de boules énormes provenant de la démolition des granits, et, par endroits, au milieu de schistes cristallins injectés de pegmatites roses, jusqu’à un col qui marque la fin du bassin de réception de l’oued Iskaouen et le seuil de la région tassilienne.
Là se trouve la source d’In-Ebeggi ; dans les flaques d’eau d’In-Ebeggi se trouvent de nombreux tétards.
Puis nous descendons dans la zone déprimée de l’Avant-pays cristallin.
Nous campons dans l’oued Tin-Sebra, avec Chobrok et Mourkba, ayant terminé la traversée de l’Enceinte tassilienne, Tassilis externes (oued Tassirt) et internes (oued Iskaouen). Les falaises haut perchées des Tassilis internes dominent ce Pays cristallin au Nord. Nous sommes dans une avancée de ce Pays cristallin qui pénètre les Tassilis à la faveur de l’oued Tin-Sebra.
Le 20, même campement dans l’oued Tin-Sebra. Repos pour les chameaux, et je vais escalader le mont Bellellen, à l’Est du camp, mont couronné par une avancée des Grès inférieurs.
Le Targui Amdor, parti à la chasse dans les Tassilis, tue un mouflon. Les mouflons sont particulièrement abondants dans l’Enceinte tassilienne.
Le soir, l’orage gronde ; notre camp est dans le lit de l’oued. Amdor craint que l’oued ne vienne et que ce ne soit un désastre pour nous ; je le vois dans la nuit et la pluie, courir en cercle autour du camp, un brandon enflammé à la main ; c’est sans doute pour conjurer le mauvais sort et établir un cercle protecteur selon de vieilles croyances, un cercle sacré. On sait que les Touareg observent le passage des gazelles qui est faste ou néfaste. On observe ainsi nombre de souvenirs religieux divers, reliquats de croyances anté-islamiques.
Le 21, nous atteignons, à travers un pays de schistes cristallins, sans végétation et pas montagneux, usé, raboté et plus ou moins ennoyé dans son ensemble, le coude de l’oued Tidjert où nous trouvons un pâturage à Chobrok et des bouquets d’assez beaux Etels.
[162]A l’Ouest, deux montagnes escarpées, la gara Tersi et la gara Holla, se dressent très haut, surtout la seconde, et étonnent par leur fière allure au milieu de ce pays raboté dans son ensemble.
A l’Ouest, au loin, les crêtes des Djebel Zelaten et Timbelleret.
Le 22, par une marche Ouest-Est, je gagne la gara Holla, en passant au Nord de la gara Tersi et à son pied.
La gara Tersi est un synclinal des Schistes cristallins qui reste curieusement en relief sur les pays aplanis qui l’entourent.
La gara Holla possède un couronnement de Grès inférieurs.
Je fais l’ascension de la gara Holla, ascension difficile car le plateau terminal de Grès inférieurs qui la couronne est entouré par une très haute falaise. Il faut l’aborder par le Nord-Ouest.
Du sommet, la vue est extrêmement étendue et superbe sur l’Avant-pays cristallin, les Tassilis, l’Edjéré, etc.
Ce point conviendrait bien comme point géodésique pour établir la carte, étant visible de fort loin ; la gara Ti Djenoun, la gara Maserof et le sommet du Tellerteba, joint à la gara Holla constitueraient de bons points pour établir le canevas.
Je fais un tour d’horizon.
On aperçoit les escarpements des monts Iguelmamen, les monts Iadjen, les trois garas Ierden, la gara Tiski, les monts Ifedaniouen, l’erg Tihodaïn, le massif de l’Ounan, l’oued Isoras, la plaine de l’Amadror, peut-être le Tellerteba, la gara Maserof, l’Egéré avec l’Oudan et la gara Ti-Djenoun, le Djebel Tin-Tirelalamin, et la vallée de Tanombella, le Djebel Timbelleret, avec le Oilahunka et le Touferert, le Djebel Zelaten, la gara Tersi, l’éperon des monts Ahellakan et l’oued et l’erg Taheret.
Puis, par une marche Nord-Est-Sud-Ouest, nous regagnons l’oued Tedjert.
Le 23, nous suivons l’oued Tedjert, oued avec une belle végétation et de très beaux pâturages de Chobrok et[163] d’Acheb (Chaliate). Nous passons aux points d’eau de Tin Edejerid et Tinadegdeg.
Cette voie de l’oued Tedjert paraît avoir joué un rôle des plus important (c’est d’ailleurs un parcours excellent), car il y a un développement très grand de mechbeds et de nombreux signaux, tombes variées, mosquées, abris à chevreaux et emplacements de tentes, en particulier à Tinadegdeg, qui paraît avoir été un point extrêmement important.
Il y a des tombes musulmanes avec témoins, des tombes en tumuli coniques, parfois tronquées au sommet et présentant un creux (comme un cratère), des tombes simplement en gâteau rond soigneusement bâties, avec une sorte d’ouverture au milieu, des tombes enfin avec tout un système de cercles, de guirlandes, de pierres, de tumuli, d’allées, le tout orienté, que les Touaregs considèrent comme des lieux sacrés, et qui ne sont peut-être pas des tombes (?).
Les mosquées, toutes orientées, sont de dessins variés.
Les redjems, signaux aux formes multiples, paraissent dépendre d’une sorte de code et permettraient sans doute, en en possédant la clef, de se diriger et de vivre seul dans ces régions au moyen de leurs indications, que certains Touareg, sinon tous, paraissent comprendre mais tenir secrètes.
Il y a peut-être parmi eux des sortes de monuments votifs ?
Tous ces monuments lithiques mériteraient une étude précise, mais elle sortirait du cadre de ce travail.
Ces monuments divers mériteraient en particulier des fouilles méthodiques pour savoir ce qui est tombe. La région de l’oued Tedjert se présente comme particulièrement intéressante à ce point de vue.
Nous campons à l’abankor Ahallellen.
Le 24, nous arrivons, toujours en remontant l’oued Tedjert à l’abankor Tin-Edness au milieu des basaltes.
Là a campé et s’est abreuvée la mission Flatters avant de traverser l’Amadror. Les deux palmiers existent encore[164] entre lesquels fut fait le puisard qui servit à abreuver la mission.
On compte six palmiers à Tin-Edness.
Actuellement, un puisard bien alimenté se trouve un peu en amont.
La vallée est assez humide ; en aval et en amont se trouvent quelques aguelmams, dont In-Arab, à sec cette année, alors que les autres possèdent encore de l’eau.
J’aperçois des perdrix. Dans un petit aguelmam de nombreux crustacés, et un canard mort.
On tue un serpent très fin.
La colonnade de basalte de la rive gauche de l’oued de Tin-Edness est couverte d’inscriptions verticales de tifinars, élégantes et solides archives ; je prends la copie d’une partie de ces inscriptions.
Au Sud-Est dans le voisinage immédiat de l’abankor se trouve un de ces systèmes anciens et orientés d’allées, de cercles, de tumuli qui sont peut-être de vieilles tombes, et, brochant sur le tout, une tombe plus récente, pas encore musulmane, en gâteau rond, bien bâtie.
Le 25, même camp. Je gagne la gara Maserof, dont je fais l’ascension. De là, on a une belle vue sur les volcans et les coulées étagées de la région de Tin-Edness.
Je passe près d’un volcan dont les brèches des flancs sont creusées de nombreuses cavernes.
Ces grottes ont été très habitées ; de nombreux mechbeds sillonnent les environs de ce volcan à cavernes et attestent de l’importance de cette montagne au point de vue humain.
Dans une de ces cavernes, une des plus belles, je trouve de vieilles selles, de vieux ustensiles touareg en bois (grands récipients, sortes de pelles sculptées, etc.) et des instruments de pierre taillée.
Près de la gara Maserof se trouve une tombe (Aseka) célèbre — les Touareg du moins disent que c’est une tombe — ; c’est un monument lithique orienté. J’observe encore dans ces régions des tombes en gâteau rond bien bâties, avec un trou circulaire au milieu.
[165]Il y a d’autres monuments lithiques divers, dont je prends toujours les croquis.
Le 26, même camp. Je retourne à la montagne des cavernes ; je fais des fouilles légères dans la caverne principale, c’est-à-dire une petite tranchée dont je passe les terres au tamis.
Cela me permet de découvrir tout un outillage de pierre taillée, dont des pièces très fines et de matière choisie avec recherche. Je trouve également des fragments de coquilles d’œufs d’autruche percés pour en faire des colliers, des agates travaillées également en perles pour colliers, des poteries avec ornementation due à un moule de vannerie, etc., etc.
La chose la plus curieuse certainement est la présence de nombreux débris d’Amazonites (Feldspath vert émeraude) apportés là pourquoi ?... Cela fait penser aux célèbres émeraudes garamantiques de Carthage...
A signaler également la présence d’une coquille de mollusque terrestre. C’est là, semble-t-il, une preuve encore que ces régions ont jadis possédé un climat plus humide.
J’étudie toute la montagne et, dans une autre caverne, je trouve deux beaux fusils à pierre à long canon avec crosses ornées d’incrustations de nacre et de corail et finement sculptées, avec canons et batteries signées, l’un de Marseille, l’autre de Londres... Ces deux fusils sont de fabrication ancienne (Louis XV) ; que font-ils ici ?...
Ce fait est peut-être à rapprocher des lames de glaives touareg avec devises françaises que l’on rencontre souvent... Ce sont là probablement de vieilles armes razziées jadis dans le Nord et utilisées comme on a pu...
Dans la caverne où je trouve ces deux fusils, il y a un amoncellement de cornes de gazelles, mouflons, etc... Quel ravage firent ces deux fusils dans les gazelles d’antan !
Sur un méplat de la crête du volcan, je trouve un curieux monument lithique : c’est un croissant sans grand relief, soigneusement bâti, avec en son milieu une dépression et une fine lame de schiste fichée dedans ; ce croissant est[166] posé sur une partie plane de la crête du volcan d’où on a une superbe vue.
Je fouille ce croissant et ne trouve rien légitimant l’hypothèse d’une tombe. Je me demande si ce ne serait pas un très soigné signal.
Je n’ai pas observé un seul autre monument analogue en pays targui.
Dans la partie Sud de cette montagne se trouvent des tombes (?) en gâteaux ronds, mais avec des branches divergeant du centre et ailleurs de très grands tumuli coniques tronqués.
Le 27, continuons les fouilles de la caverne.
Le 28, également.
Toute cette montagne a donc été un centre très habité, et de longue date ; la fouille en règle de ces cavernes, tombes, tumuli, etc., donnerait peut-être des résultats intéressants sur les civilisations qui semblent s’y être succédé.
Le 1er mars, nous passons près d’un ancien point d’eau dont les environs sont abondants également en monuments lithiques divers, qui indiquent encore combien cette route de l’oued Tedjert a dû être importante ; elle a dû être une route transsaharienne d’autant plus fréquentée qu’elle passait par la saline de l’Amadror[94].
D’ailleurs elle paraît encore utilisée quand les démêlés entre gens de l’Ajjer et gens de l’Ahaggar n’enlèvent pas toute confiance dans ces régions situées entre les terrains de parcours de ces deux groupes de Touareg.
Gagnons un cratère à double pente, admirablement conservé, à l’Est du pays montagneux : il comporte deux entonnoirs accolés et des tufs ruiniformes avec cavernes, jadis habités aussi, car on y trouve des instruments taillés.
Dans les entonnoirs, au fond, se trouvent de grands[167] tumuli ; ce qui me fait penser que les tombes en grands tumuli coniques sont contemporaines des dernières industries de la pierre dans ces régions. Les grands tumuli ont été placés, semble-t-il, de préférence dans les cratères, où j’en ai observé régulièrement.
De petits cratères d’explosion se trouvent au pied Est de ce volcan.
Gagnons, au milieu des volcans et des coulées, l’oued In-Reggi, où nous campons. Beaux pâturages avec superbes Teleh.
Le 2, arrivons au volcan, dont je fais l’escalade, et à la saline célèbre de Tisemt de l’Amadror.
Apercevons au loin une grande antilope.
Puis campons dans le bois d’Arremen et Tamarix, qui se trouve à quelques kilomètres de la saline.
Il y aurait eu là autrefois, d’après Anaba-ag-Amellal, un puits profond d’eau salée.
Le 3, nous commençons la traversée de l’Amadror en suivant à travers le reg le mechbed Nord-Sud des convois de sel, puis appuyons sur le bord Ouest pour tenter de trouver un peu de pâturage ; il n’y a pas grand’chose, qu’un peu de Nessi et de Chobrok très sec ; à signaler la présence de Phar-phar ; il paraît que cette plante mangée à jeun, sans autre nourriture, est dangereuse pour les chameaux.
Le 4, nous continuons à traverser la vaste plaine de l’Amadror, en appuyant sur le bord Ouest.
Je trouve une boule de grès, parfaitement ronde, qui me paraît œuvre humaine ; serait-ce un boulet de catapulte ? Les Romains seraient-ils venus jusqu’ici ?
Toujours le reg, avec toujours quelques maigres touffes de Nessi et un peu de Chobrok.
On aperçoit le superbe massif de Tellerteba sur l’autre rive, silhouette magnifique, dont les mirages se jouent.
Nous modifions notre marche qui devient Nord-Ouest-Sud-Est, pour venir camper dans l’oued Amadror où nous trouvons quelques arbustes et du Chobrok.
Le 5, nous continuons notre marche sur le Tellerteba, marche presque Ouest-Est maintenant. Nous passons près[168] d’un beau bouquet d’Etel, isolé dans la plaine de l’Amadror sur une butte de terre maintenue par ses racines. C’est là sans doute un reste des temps plus favorisés. Nous campons sur le reg nu.
Dans la plaine de l’Amadror, Voinot signale qu’il a vu des traces d’autruches ; je n’en ai point vu ; donc, depuis, l’autruche semble avoir encore accentué sa retraite vers le Sud.
Le 6, nous arrivons à l’autre bord de la désolée plaine de l’Amadror, au pied Ouest du Tellerteba. C’est un magnifique massif, très romantique, que le Tellerteba, avec sa profonde entaille pleine d’ombre dont on se demande à quels lieux infernaux elle mène, au milieu de ces monts vertigineux et prismés.
C’est toujours du Cristallin avec du Volcanique ancien surimposé et que l’inversion du relief a perché, ainsi que peut-être également un effondrement.
Après avoir pâturé dans l’oued Tihourag où nous trouvons de l’Arta, nous contournons le Tellerteba et arrivons dans l’oued In Sakan, où nous rencontrons de beaux bouquets d’Etel, de bons pâturages avec Arta, Chobrok, Mourkba, etc., et dans la montagne du Chereg et du Girgir.
Campons près du confluent avec l’oued In Ebeggi, dans des Etels.
Le 7, le 8, le 9, le 10, j’étudie cette région où on a prétendu que Flatters avait passé et où il aurait trouvé des émeraudes ; en réalité, il a passé par l’oued Tibiokin et c’est dans cet oued, s’il a trouvé des émeraudes, qu’il en aurait plutôt trouvé, lors du camp de plusieurs jours qu’il dut y tenir pour faire reposer ses chameaux, les abreuver à l’aguelmam In-Saman, et recruter des guides.
C’est peut-être une légende cette mine d’émeraudes, comme les ruines signalées près de Tisemt à l’occasion de cette mission, ruines que je n’ai pas vues.
Au confluent des oueds In-Ebeggi et In-Sakan, se trouve une superbe terrasse d’alluvions.
A In-Ebeggi, nous n’avons pas besoin d’avoir recours à[169] l’abankor, l’aguelmam est plein d’eau, avec mêmes Dysticides et Vers.
Le point d’eau d’In-Ebeggi paraît très important ; un grand mechbed y aboutit. Le long de ce mechbed, aux environs d’In-Ebeggi, on trouve d’abondants débris de jaspes rouges (?).
Le 11, je remonte l’oued In-Sakan, profondément incisé dans les Schistes cristallins, en amont de l’abankor In-Sakan. Sur les terrasses d’alluvions, des tombeaux.
Je pousse une pointe dans l’Est de l’oued In-Sakan et étudie l’Adrar Idekel. Au cours de ce raid, je rencontre une source avec de beaux lauriers-roses et j’observe la présence de l’Aleo dans ces régions. L’Anahef est loin d’être dépourvu d’eau et de sources, ainsi que l’a dit Motylinski.
Je rentre par l’In-Kaoukan.
Le 12, je gagne le pied Ouest du Tellerteba en faisant l’étude des flancs de ce massif, par une marche à mi-côte ; sur le flanc Sud il y a un cirque où se trouvent quelques beaux arbres (Teleh, Agar) et de nombreux emplacements de campements touareg. Peut-être y a-t-il là encore un point d’eau, un abankor ?
Le 13, je fais l’ascension du Tellerteba. Je pars de l’altitude de 1.050 mètres environ. Après l’escalade difficile de la barre rocheuse qui en constitue les défenses avancées et après l’avoir franchie à 1.500 mètres environ d’altitude, je descends dans un vaste cirque intérieur. Le fond de ce cirque est très humide ; il y a là un abankor permanent. Par une très aiguë et profonde entaille dans le rempart que j’ai franchi, un oued sort de ce cirque. Il coule dans une gorge de sortie qui n’a pas plus de 2 mètres de largeur et s’amuse en cascades et vasques.
Dans le cirque, assez haut, se trouve un beau tombeau anté-islamique, peut-être signal en même temps, et, non loin de lui, un trou dans le rocher, une fente profonde avec de l’eau peuplée de crustacés (Branchipus) ; si l’abankor du bas du cirque est certainement un point d’eau permanent, cet autre point d’eau ne l’est peut-être pas.
[170]Je monte au sommet du Tellerteba ; mon altimètre marque 2.100. L’ascension est longue. Je laisse près du sommet un flacon fermé à l’émeri avec un parchemin et la date de mon passage.
Vers le sommet j’observe la présence de sous-arbrisseaux à odeur résineuse et aromatique ; malheureusement pendant mon retour les rameaux que j’en avais gardé se sont perdus.
Serait-ce ce que l’on a signalé comme genévrier — au-dessus de 2.000 mètres — dans l’Atakor ?
Je redescends par un ravin vertigineux vers le bas duquel se trouve un Aleo.
Les traces de mouflons sont nombreuses, et certains petits mechbeds doivent être leur œuvre, comme sur le reg on trouve souvent des mechbeds de gazelles.
Je sors du cirque par un épaulement au Sud de l’entaille de l’oued, car cette entaille, semée de hautes cascades, est impraticable ; je suis tout surpris de trouver, pour gagner la plaine à partir de cet épaulement, un mechbed pour chameaux, dessinant une descente compliquée et vertigineuse dans les rochers.
Ce Tellerteba paraît donc bien une forteresse de pillards, ainsi que mes renseignements l’indiquaient, et son cirque est en effet un poste de guerre naturel admirable : on peut s’y dissimuler avec ses chameaux, y tenir longtemps puisqu’il y a point d’eau et pâturages, et l’accès peut en être facilement défendu.
Du Tellerteba on peut surveiller la route du sel, de Tisemt, et piller toute caravane qui s’y aventure.
Je comprends la mauvaise réputation de cette belle montagne, qu’elle partage avec l’Ounan à son Nord-Est.
Le 14, par une marche Est-Ouest dans la plaine de l’Amadror, après avoir traversé des étendues jonchées d’innombrables grenats provenant de la démolition de micaschistes, nous gagnons l’oued Oidenki-Amorelli, où nous campons au milieu de buttes à Etels, dans un pâturage de Guetof et de Drinn.
Le 15, nous quittons la plaine de l’Amadror pour suivre la large vallée de l’oued Inouaouen. D’abord point de végétation,[171] puis, contre le massif du Tala-Malet, nous trouvons de très beaux Telehs, Agars, Kerenkas et du pâturage.
Là, une très belle mosquée targuia ; l’enceinte, très grande, en est faite avec de grosses pierres et représente un gros travail.
Je fais une incursion dans le massif de Tala-Malet, pour reconnaître si l’intérieur de ce massif possède des points d’eau, ainsi qu’on me l’a dit, puis nous continuons à suivre l’oued Inouaouen jusqu’au col, à 1.300 mètres, où nous campons au milieu d’Arta, près d’un ancien camp de la colonne Charlet, dont les défenses sont très bien conservées.
Beaucoup de Chihe[95].
Le 16, nous traversons successivement l’oued Tadjeret, l’oued Terressoutin, et nous campons dans l’oued Telouhat, au milieu de magnifiques bouquets d’Etels, peut-être les plus beaux que j’aie vus.
Nous trouvons là des Eitlohen ; ils ont quitté la région du Tellerteba précipitamment il y a peu, craignant, disent-ils, un rezzou de Touareg de l’Ajjer (?!).
Le 17, nous suivons l’oued Terrinet jusqu’à un important marécage avec Taheli (T) (Berdi [A] ; Typha angustifolia ?). Vallée charmante, avec ses colonnades de basaltes et sa belle végétation. Nombreux redjems ; certains, en forme de petits dolmens, semblent indiquer les abankors ; tous ces redjems, comme je l’ai déjà dit, on leur langage, mais je ne suis pas encore assez sûr de leur interprétation pour la donner ici.
Quoi qu’il en soit, quand on a vu ces redjems, ces tombeaux, ces mosquées touareg, ces monuments lithiques divers qui jalonnent les principales routes de nomadisme au Sahara, on comprend mieux les monuments mégalithiques de France dont certains devaient être ainsi des redjems jalonnant les grandes routes de nomadisme ou de commerce d’alors, d’autres aussi des lieux, des enceintes sacrés, d’autres, enfin, des tombeaux.
[172]Puis nous quittons l’oued Telouhat et marchons vers le Nord-Ouest, en montant sur le plateau volcanique d’où émerge par endroits le Cristallin et que surmontent des volcans. Nous passons un col et apercevons Idelès et ses palmiers, dominé par la belle gara Taderaz.
Le 18, nous gagnons Hirafock, au milieu des granites décomposés en boules qui forment parfois des tas coniques ou taourirts, très pittoresques, qui semblent comme les tas de boules de quelque Titan.
Nous traversons les oueds El-Ilou, Tahahift et Tafidjert (avec abankor). J’observe pour la première fois un cercle sacré (?), un cercle de quelques mètres de rayon, dessiné très soigneusement par trois rangs de pierres contigus formant un ruban en circonférence d’une régularité parfaite. J’insiste sur la facture très soignée de cet ouvrage, qui le met très à part dans la série des monuments lithiques sahariens. Cet ouvrage est situé au milieu des granits décomposés.
Pâturage à Guetof.
Hirafock est un centre de culture, un peu abandonné, semble-t-il. Ce ne sont pas les emplacements de centres de cultures qui manquent dans l’Ahaggar, ni l’eau, mais la main-d’œuvre. J’ai noté nombre d’endroits qui se prêteraient très bien à la culture.
A Hirafock, on trouve de beaux Tarfas et des figuiers.
Le 19, suivons l’oued Hirafock jusqu’à ce qu’il tourne vers le Nord.
Là, c’est une admiration béate : l’oued coule ; il paraît qu’il y aurait toujours un filet d’eau en cet endroit.
Nous quittons l’oued et prenons dans la montagne (Schistes cristallins) la direction de l’Ouest.
Les chameaux se régalent de Chereg.
Au Nord des coulées constituent plusieurs nappes étagées avec cratères, comme près d’Idelès.
Nous campons dans un fond à Chobrok et Teleh, d’où l’on a une belle vue sur l’Atakor, avec la masse du Tahat et des hauts plateaux.
[173]Le 20, nous montons dans l’Atakor, en suivant un chemin très bien établi ; le réseau hydrographique est dense et compliqué. Nous trouvons des truffes blanches (terfes [A]), en particulière abondance. Ces terfes, avec le Dahnoun (A) et le Berdi (A) sont des ressources en cas d’absence de vivres. Nous campons dans l’oued Tikeneouin.
Et le temps qui était menaçant depuis quelques jours devient mauvais et nous subissons un orage.
Les nuages sont très fréquents autour du massif du Tahat et des massifs montagneux les plus élevés du Massif cristallin qu’ils entretiennent ainsi dans une certaine humidité.
Le 21, nous campons dans l’oued Echchil près d’un abankor avec lauriers-roses, au pied du Tahat. L’altimètre marque 1.730 mètres.
Le 22, nous gagnons par le Nord du Tahat, par un épaulement du Tahat à plus de 2.000 mètres, l’oued Ti-n-Iferan situé beaucoup plus bas ; campons dans cet oued près de son confluent avec l’oued Tellet-Mellel, et près d’une source située dans le voisinage de beaux figuiers ; l’altimètre marque alors 1.720 mètres. Aperçu un tombeau et une roche gravée de tifinars.
Le 23, même camp.
Le 24, retour à l’oued Echchil.
Le 25, je gagne l’oued In-Fergan en remontant l’oued Abedassen d’abord, puis en appuyant à l’Est dans des plateaux semés de majestueuses aiguilles volcaniques.
Le 26, je descends vers l’oued Terroummout par de vastes coulées étagées d’où émerge à ma gauche le pittoresque Akrakar ; à droite l’Isekram.
Je trouve un Calosome. Les Coléoptères au Sahara sont surtout représentés par des Ténébrionidés (Pimelia, Blaps, etc.), des Curculionidés (Cleones, Apions, etc.) et des Carabidés (en particulier le Tamanrasat).
Puis sous les coulées, vers le bas, réapparaît le Cristallin avec un point d’eau important agrémenté de palmiers et[174] dans lequel je trouve de nombreux papillons noyés — parmi lesquels de très beaux Sphynx.
L’oued devient très humide dans les Schistes cristallins, profondément gravé, et sa végétation assez belle ; en particulier, il y a de fort beaux lauriers-roses. Il prend plus loin le nom d’oued Tamanrasat.
Je campe au pied d’une aiguille de lave prismée au milieu des tentes du caïd Oini.
Le 27, le 28 et le 29, Tamanrasat.
Le 30, le 31 et le 1er avril, retour par la même voie jusqu’à l’oued Echchil. Je rencontre en particulier les campements d’Anaba et ceux de la Tamenoukalt, que j’avais déjà rencontrés à l’aller.
Je gagne, de l’oued Echchil, l’oued Tikeneouin, où je passe, le 2, non loin d’un abankor.
Le 3, retour à l’oued Echchil.
Le 4, le 5 et le 6, repos et étude de l’oued Echchil et de ses environs.
Le 7, je gagne l’oued Tamzizek par l’oued Tiniferan et l’oued Arrou, ce dernier d’abord encaissé très pittoresquement dans les roches grenues, ensuite dans les Schistes cristallins ; beaucoup d’eau partout.
Le 8, je gagne In-Amdjel par l’oued Arrou, puis l’oued Tessert à l’Est de l’oued Arrou, puis l’oued In-Tayet, à l’Est de l’oued Tessert. Beau développement de terrasses d’alluvions ; quelques abankors à fleur de terre.
A signaler de beaux Cipolins dans la région de l’oued Tessert.
Belle végétation arborescente, en particulier dans les oueds Arrou et Tessert.
Le 9 et le 10, In-Amdjel.
Je visite le centre de culture d’In-Amdjel.
Un jeune Targui, Retaman-ag-Baba Ahmed me rappelle étonnamment un buste de Toutankamon. Il est de race targui pure. L’on attribue souvent une origine lybique et peut-être égyptienne aux Touareg. Leurs cheveux tressés, les croix abondamment répandues comme ornements sur[175] tout ce qui est targui, leur type n’est pas pour faire rejeter cette origine orientale des Touareg[96].
A In-Amdjel passe la piste automobile qui traverse le Sahara et mène au Niger ; une équipe travaille à la réparer pour le passage du raid Citroën qui ne sera pas la première traversée du Sahara en auto car le lieutenant Fenouil l’a déjà traversé avec plusieurs autos à roues. De la première traversée du Sahara en auto l’honneur revient à nos officiers.
Le 11, je gagne Teneleft près du Touferert (Toufrik). C’est une curieuse aiguille de roche grenue. Je campe dans les campements d’Abadoroul des Kel-Terourirt.
Le 12, pays de granits. Je passe par l’Anou (puits) oua-n-Tinifouk. A gauche les monts In-Tafargui, et à droite et en arrière les monts Igematen.
On aperçoit encore au Sud le Tahat.
Je gagne le bas du massif de Briri où je campe près de l’oued Amelak. Beaucoup d’Acheb, Lehema et Rabiè.
Le 13, je longe le massif du Briri et je campe près de l’oued Teneleft, dans le voisinage des tentes de Mohamed-ag-Iknane des Kelindrar.
Les granits ont là des formes extraordinaires dues à une corrasion intense superposée à l’insolation.
Je vais voir dans la montagne une petite source permanente : Naher, accessible aux ânes seulement.
Le 14, repos.
Le 15, je gagne l’oued Adenek et le Anou (puits) Adenek, en laissant à droite les monts Isk, Iskaouen, Ahellakan, les oueds Tin-Sebra et Tinian.
Je rencontre un superbe cercle, dans le genre de celui[176] rencontré entre Idelès et Hirafock, mais de diamètre beaucoup plus grand. Au milieu se trouve un petit carré dessiné par des pierres. Peut-être l’emplacement du feu sacré, car d’aucuns prétendent que ces cercles sont des restes du culte persan du feu[97] que les Touareg auraient eu avant d’être musulmans, ce qui est possible.
Je remonte l’oued Adenek jusqu’à un beau Tarfa près duquel j’établis mon camp.
Le 16, je suis l’oued Adenek un moment, puis le quitte et suis un mechbed en direction du mont Iskarneier. Je passe dans l’oued Tintamahé (qui se jette dans l’oued Abezzou), puis dans l’oued Entenecha où se trouve un bon abankor, puis dans l’oued Martoutic.
Je remonte l’oued Martoutic ; sur sa rive droite, dans la montagne, je vais visiter l’abankor Tahara (avec palmiers, lauriers-roses et joncs [Juncus maritimus]) et je campe au confluent des oueds Aor et Tintahouin, qui forment l’oued Martoutic.
L’Iskarneier et l’Intakoulmont sont, à l’Est de l’oued Martoutic, deux cimes élevées très importantes du Tifedest, remarquables en particulier comme type de desquamation des granits, car ce sont d’étonnantes coupoles polies émergeant d’un amoncellement de boules.
Le 17, je vais voir l’abankor de l’oued Aor, puis je gagne la source d’In-Ebeggi, par l’oued Ehan-nebra, le mont Babaia étant à l’Est.
Nous laissons à droite l’Adrar Hellelè et gagnons l’oued In-Takoufi (qui continue l’oued Ehan-nebra, après In-Ebeggi) par l’oued Goulgoul, affluent de sa rive droite.
A gauche, la montagne Hogeda et Adrar Dinaleouin ; à droite, Adrar Oscindida, Adrar Agenora, Agelaga, Amerê.
[177]De l’oued In-Takoufi, traversant son affluent de droite, l’oued Timaratin, dont la vallée amont abrite des points d’eau importants et doit être très intéressante, je gagne le passage de l’Henderiqui où nous campons. Pâturage d’Arta. Nombreuses antilopes mohor.
Le 18, traversons l’oued Intounin, dont l’amont est important par ses puits, l’oued Ouhet, également riche en eau à l’amont, laissons à droite l’oued Agellagan, contournons le mont Tileouin-Hanker et campons près de l’oued Ens-Iguelmamen, au pied de la gara Ti-Djenoun, de l’Oudan, après avoir abreuvé les chameaux à l’aguelmam d’Ens-Iguelmamen.
L’impression générale qui se dégage des régions du Tifedest que nous avons parcourues est qu’il est très avantagé à divers points de vue, et en particulier que les centres de culture y pourraient être nombreux (il y en a plusieurs abandonnés) sans l’absence de main-d’œuvre agricole que la suppression théorique de l’esclavage a créée dans ces pays.
Le Tifedest possède au plus haut degré l’avantage d’avoir des vallées humides ; il joue un rôle important dans la richesse des Issekemaren, les riches plébéiens des Kel-Ahaggar, et ses produits d’élevage camelin sont parmi les meilleurs de l’Ahaggar.
C’est certainement une des régions les plus richement dotées du pays des Kel-Ahaggar en même temps que vraiment des plus pittoresques et originales.
Le 19, je gagne directement le confluent de l’oued Taremert-n-Akh avec l’Igharghar, près d’Egeleh. C’est maintenant un tanesrouft, le pays plat de l’Avant-pays cristallin, pays absolument nu.
J’aperçois une grande antilope près d’Egeleh.
A signaler des tombeaux (?) nombreux, en gâteaux ronds bien bâtis, avec des sortes de branches radiées, généralement deux. Sont-ce des tombeaux ou des signaux ?
Je campe dans l’oued Taremert-n-Akh, près d’un peu d’Arta sec.
[178]Le 20, je gagne Amguid, où je retrouve de la végétation (de l’acheb) et des montagnes : l’Enceinte tassilienne.
Le 21 et le 22, repos à Amguid.
Le 22 et le 23, raid à Iraouen.
Du 24 au 1er mai, repos forcé à cause de mon état de santé.
Certains de mes Touareg également sont malades ou blessés ; et j’ai ainsi l’occasion de voir des femmes touareg dans le rôle de médecin ; car ce sont, en pays targui, les femmes qui connaissent les vertus des simples et l’art de guérir.
Pour les blessures elles font usage en particulier d’applications de plantes, principalement de cédrat ; en médecine générale elles font grand usage de la saignée et de sortes de cornets avec lesquels elles tirent du sang en des endroits choisis, particulièrement à la nuque ; ces cornets jouent un peu le rôle de ventouses scarifiées ; elles mettent aussi des applications de crottin sur les tempes ; elles connaissent les propriétés laxatives du senné (qui pousse en terre d’Ahaggar), etc., etc.
Les 2, 3, 4 et 5, raid au Tahihaout, par Tounourt Tin-Tedjert, l’oued Arami, Tihoubar (source avec vrais roseaux [Phragmites communis]), l’oued Ti-Gamahen et l’oued In-Tmanahen (point d’eau permanent et aguelmam).
Tuons des mouflons.
C’est la chasse préférée des Touareg que celle du mouflon (ils méprisent la chasse à la gazelle, dans laquelle excellent par contre les Arabes).
Quand le Targui part pour chasser, il cherche à ne pas être vu ; cela porte malheur ainsi que les souhaits ; et à son retour il vous fait les honneurs de la bête en vous apportant sa tête avec la queue coupée mise entre les dents.
Le mouflon séché, boucané, est un des éléments constitutifs de leurs réserves de vivres ; ils en font également le commerce ; du poil des manchettes, ils font des cordes très résistantes, ainsi que des chasse-mouches de nobles seigneurs[179] ; des cornes, quand elles sont grandes, des récipients pittoresques.
Le mouflon est considéré, semble-t-il, comme un des produits des terrains de parcours et, comme tel, la chasse n’en semble admise pour les tribus que sur leurs propres terrains de parcours.
Nous rencontrons de nombreuses mosquées à la manière targuia et un tombeau de marabout.
Dans le Tahihaout, j’essaie de m’emparer à la course d’ânes redevenus sauvages que l’on m’avait signalés. Ce n’est pas facile.
Du 6 au 19, je suis retenu à Tounourt et Amguid par une violente crise d’appendicite qui préludait depuis quelques jours.
Les Touareg me soignent et je garde un souvenir reconnaissant en particulier aux Forassi de la descendance d’El-Hadj-el-Foki qui m’entourent d’affection.
C’est une section raffinée des Touareg ; leurs femmes sont très recherchées pour leur beauté, leur finesse et leur bonne éducation, et la dot que doit donner leur mari est particulièrement élevée.
Et je vérifie encore combien est nuancé le code de la civilité touareg et combien ils ont de formes de respect pour les femmes de haut lignage, pour les vieillards, etc., etc.
J’y apprends également combien ils craignent la déesse Némésis. Il convient par exemple de ne jamais les féliciter sur le nombre de leurs chameaux ou de leurs jeunes bébés chameaux quand ils vous font l’honneur de leurs troupeaux, car cela porte malheur, disent-ils, un rezzou est si vite arrivé qui change la face des choses ! Il convient de ne même pas dire avec admiration : « Qu’il y en a ! », il convient tout juste de dire : « Il y en a quelques-uns », quand il y en a beaucoup.
Les Touareg cachent leur fortune ; s’ils sont voilés quant à leur figure, ils le sont aussi quant à leurs biens et d’ailleurs quant à tout. Nous ne savons pas en particulier ce qu’ils cachent dans leurs grottes secrètes, ce qu’ils y entassent. Ces cachettes, placées en général dans le terrain[180] de parcours de leur tribu, où ils mettent leurs biens, leurs provisions, ont souvent fait trotter mon imagination quand ils allaient y chercher des vivres (dattes, blé, mouflon séché, etc.). Depuis des siècles des objets curieux s’y sont peut-être entassés !... Les deux fusils que j’ai trouvés près de Tin-Edness appartenaient, paraît-il, au père d’un Eitlohen (Oinkara) ; ils lui venaient de son père, etc., etc., et ils étaient depuis longtemps cachés dans la grotte que lui seul connaissait, où je les découvris. Dans ces cachettes peuvent donc dormir des armes anciennes des Touareg (celles en tous les cas qu’on leur voit arborer dans les grandes cérémonies et qui sortent alors comme par enchantement) et beaucoup de vieilles choses. Peut-être là trouverait-on quelques éléments pour l’histoire des Touareg, si informe encore.
Que de voiles encore à déchirer couvrent les mystérieux Touareg[98].
Pendant ces quelques jours je subis de nombreux vents de sable.
C’est d’ailleurs habituel en avril-mai. Aussi est-ce une période peu sûre dans ces régions, car les Touareg, sachant que leurs traces seront ainsi effacées, profitent souvent des vents de sables pour faire leurs raids de pillages.
Le 19, je vais à la Source du Figuier pour m’assurer de mon rétablissement.
A signaler contre la montagne un groupe de tombeaux (?) orientés, à guirlandes, allées, tumuli, etc., près de Tin-Tarabin, à mi-chemin entre Tin-Eselmaken et Tit-Tahart.
[181]Le 20, gagnons l’oued Raris en traversant l’erg d’Amguid.
Le 21, je passe au pied de la pointe des Grès inférieurs d’In-Touareren ; là, un tombeau (?) ancien, orienté, à guirlandes de pierres, tumuli, etc., en vague croissant, est à signaler.
Traversons l’oued Tidilekerer ; remontons sur les Tassilis internes de l’Emmidir par l’oued Tin-Tarahit (au Nord, l’oued Asaouen mène à l’oued Tilia ou Henin). Tombes islamiques[99].
Descendons dans la cuvette de Tiounkenin, poussons une pointe au Sud, jusqu’à l’aguelmam Afelanfela (ou Deïtman), dans le voisinage duquel je dois signaler également un monument lithique du type à allées, guirlandes de pierres et tumuli.
Le 22, passons à l’abankor de Tiounkenin.
Gisement de Graptolithes.
Après la traversée des Tassilis externes par l’oued Khanget-el-Hadid, où se trouve l’aguelmam Hindebera, arrivons dans le mader Amserha, d’où nous remontons vers le Nord, vers les puits de l’oued Tilia.
Le 23, 24 et 25, oued Tilia. Beau pâturage de Had et de Drinn.
Le 26, le 27 et le 28, traversons les Pays pré-tassiliens par l’oued Abadra (abreuvage à un puits), pour aboutir à Aïn-Redjem.
Le 29, Aïn-Ksob.
C’est la fin du Ramadan, et pour marquer ce jour mes Touareg édifient une mosquée à leur manière dans laquelle ils se livrent à de nombreuses prières.
Le 30, Aïn-El-Hadj-el-Bekri (Tihoubar).
Tombeaux d’El-Hadj-el-Bekri et autres membres de sa famille.
[182]Des dattes sont déposées sous la protection du marabout, ainsi que d’autres objets.
Je crois qu’une partie est destinée à la famille d’El Hadj-el-Foki, sinon tout. On ne doit pas toucher à ces provisions, paraît-il, que si l’on est près de mourir de faim, en danger de mort, et les remplacer ensuite dès qu’on le peut.
Ce qu’il y a de curieux, c’est que les Touareg, pourtant pillards dans l’âme, respectent cette règle ; ils n’aiment d’ailleurs que le vol à main armée, qui seul est noble, et qui d’ailleurs n’est pas toujours un vol, puisque c’est souvent un vieux compte que l’on règle.
Le 31, je fais d’une traite le parcours Tihoubar, Foggaret-el-Arab. La région est désolée ; il y a absence complète de pâturage : c’est bien le Tidikelt.
Le 1er juin, repos à Foggaret-el-Arab.
Le 2, Foggaret-el-Arab-In-Salah.
J’apprends, à mon arrivé, que l’on m’avait cru assassiné ou grièvement blessé et que non seulement des patrouilles avaient été à la recherche de renseignements sur mon sort, mais encore qu’on s’était préparé à monter une mission pour aller à mon secours ou me venger si cela avait été nécessaire.
[80]Ou Hoggar.
[81]Ces « impressions de route », tirées de mon journal de route, sont extraites du texte d’une conférence que j’ai prononcée le 24 avril 1923 à Grenoble devant le Club Alpin (Section de l’Isère) de même qu’un article « Seul au Hoggar » que j’ai livré à la revue La Vie Tunisienne Illustrée en mai 1923 et qui y a paru en décembre de la même année.
[82]C’est ainsi que l’on peut appeler d’un nom descriptif et point trop inexact puisque le mimosa de France est un Acacia, les Tamat, Teleh et Ahtés (Acacia Seyal, Acacia albida et Acacia tortilis).
[83]Tagoulmoust (T).
[84]Dans le sens héraldique du mot.
[85]Le sol de la Crau rappelle assez certains sols de reg. Il y aurait peut-être lieu de se demander si ce sol de la Crau ne s’est pas constitué lors d’un climat plus ou moins désertique.
De nombreuses raisons géologiques me font soupçonner que cette hypothèse n’est pas loin de la vérité.
[86]Porphyre est ici employé dans le sens vulgaire.
[87]Edelés en Tamahak veut dire « lieu cultivé ». Idelès est un des plus beaux Edelés de l’Ahaggar.
[88]Arrem en Tamahak veut dire « village », « centre de sédentaires », Kel arrem (sédentaires) est opposé à nomades.
[89]Dans le Massif Central Saharien on distingue de l’Ouest à l’Est trois groupes de Touareg : le groupe des Kel-Ahaggar de l’Ettebel des Taïtok, avec l’Ahnet comme centre ; celui des Kel-Ahaggar du Grand Ettebel, avec l’Atakor de l’Ahaggar et, enfin, celui des Kel-Ajjer, avec l’Ajjer.
[90]Sortes de toges blanches ornées de bandes écarlates ou pourpres et de points bleus.
[91]Sinon celles des explorations de Duveyrier.
[92]Tirées de mon journal de route.
[93]D’après les Touareg il ne faudrait pas approcher son visage des belles fleurs roses des Kerenka ; cela donnerait mal aux yeux.
[94]La grande piste saharienne qui passe par l’Oued Tedjert, Tisemt et l’Amadror est certainement une des ces vieilles pistes sahariennes essentielles comme la piste d’In Size dont nous trouvons déjà l’indication dans les cartes espagnoles du xve siècle.
[95]Artemisia.
[96]Les Touareg ont souvent des clochettes pendues au cou de leur mehari ; tout ce qui est Arabe ne se sert pas de clochettes ; les cloches et clochettes ont quelque chose de chrétien ; les Touareg ont-ils passé dans les premiers siècles de notre ère par une phase chrétienne à laquelle des relations avec la Lybie et l’Egypte n’auraient pas été étrangères ? C’est là une question encore sans réponse sûre.
[97]Le culte du feu existerait chez certaines tribus du Soudan Egyptien, ce qui est déjà plus près de l’Ahaggar que la Perse et par suite pourrait nous éclairer peut-être davantage sur beaucoup de questions encore très mystérieuses qui se posent en terre d’Ahaggar.
[98]Je ne me suis guère étendu dans cet ouvrage sur les Touareg (caractère, mœurs, droit, organisation sociale, etc.). Duveyrier en a admirablement traité à propos de sa pénétration des Touareg de l’Ajjer, et on ne saurait en écrire après lui.
Plus on connaît les Touareg plus on s’aperçoit de l’exactitude de Duveyrier à leur sujet. Je suis fier de rappeler ici que ce premier explorateur du pays targui était un jeune géologue de 23 ans. C’est un bel exemple entre d’autres du rôle glorieux qu’ont joué les scientifiques, dans la conquête et la pénétration du Sahara Central.
[99]On doit remarquer que les tombes nettement islamiques, c’est-à-dire avec pierres-témoin plutôt rares en pays targui, quand on compare leur nombre à celui des monuments lithiques divers qu’on y rencontre.
Dans ce travail l’étude géologique et morphologique du pays nous a permis de distinguer, dégager et définir un certain nombre de régions et sous-régions, un certain nombre « d’unités structurales ».
I. Les pays crétacico-tertiaires sud-constantinois avec leur bord relevé à la périphérie constituant au Sud la Hamada de Tinghert et le Tademaït.
II. Le Massif Central Saharien comprenant :
1. Les Pays pré-tassiliens ;
2. L’Enceinte tassilienne avec :
a) Les Tassilis externes ;
b) Les Tassilis internes ;
3. Le Pays cristallin avec :
a) L’Avant-pays cristallin ;
b) Le Massif cristallin.
La distinction de ces unités de structure homogène nous paraît importante au point de vue géologique et géographique.
*
* *
Nous avons indiqué par une rapide mise au point botanique et zoologique combien la distinction inspirée par les considérations géologiques et morphologiques entre les pays crétacico-tertiaires sud-constantinois et le Massif Central Saharien était légitimée aussi par les caractères de la végétation et de la faune.
[184]On constate un grand changement dans la flore quand l’on passe du Sahara arabe dans le pays targui.
On remarque en outre :
la concentration de la végétation persistante sur le réseau hydrographique auquel elle est étroitement limitée (sauf cas de sable, cas plutôt rare), alors qu’en pays crétacico-tertiaires (particulièrement atteints par la « maladie des sables ») la végétation persistante est largement diffuse ;
les caractères de cette flore persistante beaucoup moins adaptée à la sécheresse, donc beaucoup moins désertique que celle des pays crétacico-tertiaires ;
la conservation d’une flore persistante de pays humides et d’une faune dulcaquicole complète composées d’espèces survivantes, à représentants dispersés de temps beaucoup plus humides.
(Les autres massifs sahariens géologiquement et morphologiquement comparables, les autres massifs cristallins du « Faîte saharien », avec leurs enveloppes primaires, sont peut-être ainsi de même au point de vue zoologique et botanique en opposition avec les pays de calcaires secondaires ou tertiaires et de sables qui les entourent plus ou moins au Nord et au Sud).
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* *
C’est ainsi que la flore et la faune du Massif Central Saharien semblent témoigner de l’existence d’un passé humide au Sahara.
On peut croire que le réseau hydrographique du Sahara en disproportion avec l’activité actuelle des oueds est également un héritage de ce passé humide.
Et ainsi la flore, la faune du pays targui et le réseau hydrographique saharien fournissent un faisceau de raisons de croire qu’un passé humide a régné sur le Sahara.
Nous ne sommes pas le premier à émettre cette hypothèse, mais la question nous a paru ne pouvoir que gagner à une mise au point, appuyée souvent de précisions nouvelles.
[185]Pour l’explication de ce passé humide, qui reste encore un point à éclaircir, nous avons cru devoir faire un exposé de la question de la mer saharienne car, au cas où des golfes méditerranéens et de l’Océan Atlantique auraient pénétré profondément le Sahara on s’expliquerait des précipitations atmosphériques plus considérables desquelles l’influence de volcans en activité et une plus grande élévation du Massif Central Saharien ne semblent des explications ni suffisantes, ni bonnes.
Et nous avons conclu que contrairement à l’opinion généralement admise actuellement la question n’est pas réglée définitivement et qu’on ne peut rejeter encore, sans éléments nouveaux, l’hypothèse des golfes sahariens.
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Au cours de cet exposé par unités structurales, nous avons mis en lumière le rôle joué par les sédiments siluriens dans les formations de l’Enceinte tassilienne.
Nous avons montré que les Grès inférieurs des Tassilis internes sont plus anciens que les Schistes à Graptolithes (siluriens) et qu’ainsi toute une partie des Tassilis est plus ancienne qu’on ne le croyait.
Nous avons esquissé la carte générale d’affleurement de ces Schistes siluriens à Graptolithes et des Grès qui leur sont inférieurs.
Ces résultats ont une notable répercussion sur la géologie des vastes domaines de grès de l’Afrique Centrale et Occidentale française dont ils peuvent contribuer à démêler les traits par analogie.
Ces résultats permettent ainsi de croire que les sédiments siluriens jouent un rôle important dans ces immenses pays[100].
Nous avons également indiqué que l’on peut maintenant considérer les Schistes cristallins de l’Ahaggar comme[186] plissés à l’époque algonkienne et comme eux-mêmes anté-cambriens.
On peut admettre également cet âge anté-cambrien pour les Schistes cristallins d’immenses régions du Sahara, ainsi que leur plissement à l’époque algonkienne, entre autres les régions de l’Adrar des Iforas, de l’Aïr, du Tibesti (la partie qui est en Schistes cristallins), de l’Eglab et d’Amseiga (au nord d’Atar, en Mauritanie).
Et c’est tout un « bouclier algonkien », un « faîte ancien » qui est révélé, le « Faîte saharien »[101].
Dans ces conclusions, nous n’irons pas plus avant dans la mise en relief des résultats scientifiques de notre exploration exposés au cours de ce travail.
Ceux-là, rappelés dans ces dernières lignes, suffisent déjà, croyons-nous, à légitimer la mission[102] scientifique en Sahara central au point de vue géologique, géographique et biologique dont nous avait chargé, en 1921, M. le Ministre de l’Instruction Publique.
Grenoble, le 15 mars 1924.
[100]Cette hypothèse paraît particulièrement vraisemblable quand on rapproche ces observations de celle de M. Sainclair.
[101]Nous nous proposons dans des missions ultérieures d’étudier ces différentes régions du « Faîte saharien » avec leurs enveloppes primaires en particulier par une mission d’exploration d’Est en Ouest du Sahara d’Atar en Mauritanie à Bardaï dans le Tibesti en passant par ses régions médianes et en coupant les pistes transahariennes par leur milieu, l’aller, passant par le Djouf et Tamanrasat ; le retour par Tummo Tamanrasat, In Size, Ouallen, le Sud d’Ouallen, l’Eglab et le Hank.
Les régions inconnues du coude du Tafassasset, où certains prétendent qu’existent les ruines d’une ville antique, et de l’Ouest de l’Acedjerad rentrent en particulier dans ce programme d’exploration.
Nous espérons qu’on nous donnera les moyens de la réaliser.
[102]Mission gratuite, c’est-à-dire non aux frais du gouvernement.
Pays crétacico-tertiaires sud-constantinois. | ||
Pages | ||
I. — | Plaine au Sud d’Ouargla | 40 |
II. — | Dans les dunes près de Hassi et Khollal | 46 |
III. — | Dans le Gassi Touil | 52 |
IV. — | Dans la Hamada de Tinghert | 54 |
V. — | Modelé désertique dans le Djoua | 62 |
Massif Central Saharien. | ||
ENCEINTE TASSILIENNE | ||
VI. — | Le bord des Tassilis externes qui domine le Tahihaout | 64 |
VII. — | Le bord des Tassilis internes, près d’In Ebeggi | 68 |
VIII. — | La gorge de l’oued Iskaouen dans les Tassilis internes | 78 |
PAYS CRISTALLINS | ||
IX. — | Les Basaltes de Tin ed’ness (Egéré) | 90 |
X. — | « Monad nock » à l’Est de Tin ed’ness (Egéré) | 96 |
XI. — | Dans l’oued Telouhet, près d’Idelès (Ahaggar) | 120 |
XII. — | La haute-plaine de l’Amadror et le Tellerteba | 146 |
XIII. — | Le Tellerteba vu de l’oued In Sakan (Anahef) | 148 |
XIV. — | Idelès, dans l’Ahaggar. — La Tamenoukalt. — Une aiguille volcanique | 150 |
XV. — | La Gara-ti-Djenoun (Oudan) | 154 |
XVI. — | Tahara, près de l’oued Martoutic (Tifedest) | 176 |
CARTES | ||
1. Carte d’itinéraire général | 10 | |
2. Coupe géologique de l’Enceinte tassilienne | 66 | |
3. Carte du Massif Central Saharien avec le figuré de l’Enceinte tassilienne en rouge | 186 |
Pages | |||
Introduction | 7 | ||
PREMIÈRE PARTIE | |||
DES PAYS CRÉTACICO-TERTIAIRES SUD-CONSTANTINOIS OU DU SAHARA ARABE SUD-CONSTANTINOIS | |||
I. — | Études géologiques. | ||
De la mer saharienne plio-pléistocène | 11 | ||
De l’origine de la dépression Sud-Tinghert | 17 | ||
Des troncs d’arbres silicifiés | 22 | ||
Du Crétacé du Tinghert et du Djoua | 23 | ||
Du projet de Transsaharien Souleyre. (Région du Gassi Touil et du Tinghert.) | |||
Aptitude du sol à recevoir une voie ferrée | 27 | ||
Ressources en eau | 31 | ||
II. — | Etudes botaniques. | ||
De la flore des pays crétacico-tertiaires sud-constantinois | 39 | ||
Du pâturage et du pâturage en Sahara arabe | 43 | ||
III. — | De mon itinéraire. | ||
De Touggourt à Temassinin. — Impressions de route. | 49 | ||
Notes de route | 55 | ||
[190]SECONDE PARTIE | |||
DU MASSIF CENTRAL SAHARIEN OU DU PAYS TARGUI (AHAGGAR ET AJJER) | |||
I. — | Etudes géologiques. | ||
Des Pays pré-tassiliens | 64 | ||
De l’Enceinte tassilienne | 65 | ||
Du Pays cristallin | 79 | ||
Du projet de Transsaharien Souleyre. (Région d’Amguid). | |||
Aptitude du sol à recevoir une voie ferrée | 103 | ||
Ressources en eau | 104 | ||
II. — | Etudes botaniques. | ||
De la flore du Massif Central Saharien | 113 | ||
Du pâturage dans le Massif Central Saharien et de l’élevage targui | 131 | ||
III. — | Etudes zoologiques. | ||
De la faune dulcaquicole du pays targui | 139 | ||
IV. — | De mon itinéraire. | ||
De Temassinin à In-Salah par l’Ahaggar. — Impressions de route | 143 | ||
De Temassinin à In-Salah, par l’Ahaggar. — Notes de route | 156 | ||
Conclusions | 183 |
Soc. An. M.
Weissenbruch
IMPRIMEUR DU ROI. BRUXELLES