Title: Rapport sur un voyage botanique en Algérie, de Philippeville à Biskra et dans les Monts Aurès, entrepris en 1853 sous le patronage du Ministère de la guerre
Author: E. Cosson
Release date: May 3, 2024 [eBook #73526]
Language: French
Original publication: Paris: Librairie de Victor Masson
Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque de l'Université Claude Bernard Lyon 1)
PAR
E. COSSON
D. M. P.
(Extrait des Annales des sciences naturelles, 4e série, tome IV.)
PARIS
LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON
PLACE DE L’ÉCOLE-DE-MÉDECINE.
1856
[3]Dans un premier voyage en Algérie, d’Oran au Chott El-Chergui, exécuté en 1852, nous avons pu étudier les caractères généraux de la végétation de la province de l’Ouest, et reconnaître les principales lois qui président à la distribution des végétaux dans l’Afrique française. Il était important pour nous de compléter ces notions, et, pour atteindre ce but, nous avons demandé à S. Exc. M. le Ministre de la Guerre de vouloir bien nous accorder son patronage pour un voyage d’exploration analogue dans la province de Constantine[1].
L’itinéraire que nous avons suivi, en 1853, de Philippeville à Biskra et de Biskra à Batna, où nous sommes revenu en parcourant une grande partie des monts Aurès, nous a permis non-seulement de compléter, par nos recherches sur des points situés à des latitudes analogues, les données de notre premier voyage, mais encore d’acquérir des notions positives sur la partie septentrionale de la région saharienne de la province de Constantine, et sur[4] la région montagneuse supérieure qui n’avait pas encore été explorée. — La région littorale, de Philippeville à Constantine, était connue par les explorations de Bové, de MM. Choulette et de Marsilly, etc., et surtout par celles de M. Durieu de Maisonneuve, notre excellent ami et collaborateur ; aussi cette partie du pays, où nous n’avons fait que quelques herborisations, ne nous a-t-elle offert qu’un très petit nombre d’espèces qui n’y eussent pas déjà été observées. — La région des hauts-plateaux, dont M. Durieu n’avait pu visiter qu’une bien faible partie aux environs de Sétif, n’était guère connue entre Constantine et El-Kantara, que par quelques espèces qu’y avait signalées M. le docteur Guyon ; aussi elle a été pour nous l’objet de l’examen le plus attentif, et nous lui devons d’intéressantes découvertes. — La région saharienne, aux environs de Biskra, avait déjà été visitée par M. Guyon qui y avait indiqué plusieurs espèces d’un haut intérêt ; mais c’est à M. P. Jamin, directeur du jardin d’acclimatation de Beni-Mora, et à M. Balansa, que le Ministère de la Guerre avait bien voulu nous adjoindre pour nos recherches, qu’est due surtout la connaissance de la végétation de cette partie du Sahara algérien, la seule qui ait été étudiée d’une manière à peu près complète au point de vue de ses productions végétales. M. Hénon, interprète militaire, a également concouru à l’exploration de cette région, et on lui doit, en outre, la découverte de plusieurs plantes remarquables, recueillies par lui dans l’expédition entreprise, en 1853, au sud de Biskra, et poussée jusqu’au voisinage de Tuggurt, sous le commandement de M. le général Desvaux. M. Reboud, dans l’expédition exécutée[5] en 1854 et qui a assuré la soumission de Tuggurt, a fait également d’intéressantes découvertes, qui sont venues s’ajouter aux documents que nous possédions sur la région saharienne. Dans l’année 1854, un de nos amis, M. Kralik, a exploré, sous le patronage des autorités françaises, la partie méridionale de la régence de Tunis ; les importants matériaux qu’il a réunis contribueront à compléter la statistique végétale de la région saharienne, en fournissant les plus utiles moyens de comparaison entre la végétation d’une contrée qui n’avait pas été explorée depuis Desfontaines, et celle des parties analogues du Sahara algérien, avec lesquelles elle a d’étroites affinités ; dans ce même voyage, M. Kralik a retrouvé plusieurs des espèces de Desfontaines, qui, faute d’échantillons complets dans les herbiers, n’étaient qu’imparfaitement connues des botanistes. — Nos recherches dans les montagnes de l’Aurès, qui présentent les sommités les plus élevées de l’Algérie, nous ont permis de constater des faits de géographie botanique importants, et de recueillir un assez grand nombre d’espèces qui n’avaient pas encore été observées en Algérie, et dont plusieurs sont nouvelles pour la science. M. Balansa a contribué à l’étude de la flore des environs de Batna ; il a séjourné à cette localité plus d’un mois après notre départ, et y a recueilli quelques espèces qui avaient échappé à nos recherches, et un assez grand nombre d’autres observées par nous dans un état imparfait de développement.
Nous devons à la bienveillance de M. le Ministre de la Guerre d’avoir pu, pour notre voyage, nous adjoindre d’habiles collaborateurs. Ainsi, outre M. Balansa qui nous avait précédé à Biskra, et qui, avec M. Jamin, nous a guidé dans l’exploration de cette riche localité, nous avions pour compagnon de voyage M. Henri de la Perraudière, ami dévoué et explorateur heureux, auquel nous devons plusieurs découvertes importantes. Ce fidèle compagnon de nos courses nous a secondé, dans toutes nos recherches, avec un zèle et une obligeance extrêmes, et a bien voulu nous suppléer à Biskra pour quelques excursions qu’une indisposition temporaire nous a empêché d’entreprendre. Un aide auquel nous avions en partie confié la préparation de nos collections, en nous déchargeant de nombreux travaux matériels, nous a mis à même[6] de nous livrer plus exclusivement à nos travaux scientifiques[2]. C’est également par la haute protection que M. le Ministre de la Guerre a bien voulu nous accorder, que nous avons pu visiter avec une entière sécurité les montagnes de l’Aurès, bien que leur soumission fût toute récente ; nous avons séjourné sur tous les points dont l’exploration présentait quelque intérêt, grâce aux moyens de transport et de campement qui avaient été libéralement mis à notre disposition. — La mission qui nous avait été confiée d’étudier les cultures de la contrée que nous avons parcourue[3] nous a donné la faculté de puiser aux sources officielles tous les renseignements qui pouvaient nous être utiles pour l’exécution de notre voyage. — Nous ne saurions exprimer trop vivement à M. le général d’Autemarre d’Ervillé, qui commandait alors la subdivision de Constantine, notre reconnaissance pour l’excellent accueil qu’il a bien voulu nous faire, et pour la sollicitude toute bienveillante avec laquelle il a interprété les instructions qu’il avait reçues du Ministère de la Guerre au sujet de notre voyage. — M. le colonel Desvaux, aujourd’hui général, commandant la subdivision de Batna, et si versé dans la connaissance du pays, non seulement nous a fait l’honneur de nous offrir une généreuse hospitalité, mais a bien voulu tracer lui même notre itinéraire, assurer tous nos moyens de campement, et surtout rendre nos recherches beaucoup plus faciles par les nombreux renseignements qu’il nous a donnés ; c’est aussi l’obligeance de ce général distingué qui nous a procuré la connaissance de toutes les observations météorologiques recueillies à Batna, et l’avantage de pouvoir accompagner notre rapport de la[7] carte de la partie la plus importante de notre voyage. M. le lieutenant Payen, aujourd’hui capitaine, attaché au bureau arabe de Batna, nous a fourni d’utiles documents, et a bien voulu se charger de tracer le calque d’après lequel la carte a été gravée. — Nous devons également de sincères remercîments à M. le chef de bataillon Collineau, aujourd’hui colonel, qui commandait alors le cercle de Biskra, et qui nous a accordé l’hospitalité la plus aimable. M. le capitaine Seroka, chef du bureau arabe de Biskra, a eu l’obligeance de nous communiquer le tableau officiel du nombre des Dattiers et des autres arbres fruitiers qui constituent les principales oasis des Ziban, ainsi que la liste des noms indigènes des diverses variétés de Dattiers qui y sont cultivées[4].
Partis de Marseille le 8 mai, nous sommes arrivés le 10 à Philippeville, au moment où la végétation présentait le développement le plus riche et le plus complet. Le jour même de notre arrivée, nous avons exploré les collines situées au nord-ouest de la ville, et spécialement celle où se trouvent les citernes romaines ; le 11, nous avons visité une partie de la vallée de la Zéramna et du Safsaf, ainsi que les coteaux qui limitent au nord la vallée de la Zéramna ; le 12, nous avons fait une nouvelle herborisation dans la vallée du Safsaf, dont nous avons descendu le cours jusqu’à son embouchure ; le 13, dans la matinée, nous sommes arrivés à Constantine, par la diligence, et nous avons fait une première course à la base de la montagne de Sidi-Mecid ; le 14, nous avons complété l’exploration de cette montagne, et visité les environs de la chute du Rummel ; la journée du 15 a été consacrée à nos préparatifs de départ, à la rédaction de nos notes, et à quelques promenades aux environs immédiats de la ville ; le 16, nous sommes partis à cheval de Constantine, nous avons fait une assez riche herborisation aux environs du caravansérail d’Aïn-Bey et dans la plaine de Mélila ; le 17, nous avons herborisé dans les pâturages salés des environs de Mélila, et dans la plaine qui s’étend jusqu’aux chotts Mzouri et Tinsilt ; le 18, nous avons exploré les coteaux d’Aïn-Yagout, une partie de la plaine d’Oum-el-Asnam, et nous avons remonté le cours de l’Oued Batna jusqu’à Batna ; le 19, nous avons visité la[8] pépinière de Batna et les pâturages qui l’avoisinent ; le 20, nous avons herborisé aux environs de Lambèse ; les journées des 21, 22 et 23, ont été consacrées à l’exploration des Djebel Tougour et Bordjem ; le 24, nous avons quitté Batna, et nous sommes arrivés au caravansérail de Ksour ; le 25, nous avons herborisé aux environs du caravansérail, et à la halte connue sous le nom des Tamarins, puis nous avons longé le cours de l’Oued El-Kantara, et nous sommes parvenus à la région saharienne par le défilé d’El-Kantara ; le 26, nous avons fait l’exploration de l’oasis et des environs du caravansérail d’El-Kantara, nous avons traversé la plaine et nous sommes arrivés à El-Outaïa ; le 27, nous avons fait une course à la Montagne-de-sel, et exploré rapidement la plaine d’El-Outaïa, le col de Sfa et la plaine jusqu’à Biskra ; les journées des 28, 29, 30, 31 mai et 1er juin ont été remplies par l’exploration des environs de Biskra ; le 2, nous avons remonté le cours de l’Oued Biskra jusqu’au confluent de l’Oued El-Kantara et de l’Oued Abdi, et nous sommes venus camper dans l’oasis de Branis ; le 3, nous avons exploré la vallée de l’Oued Abdi entre Branis et Beni-Souik, où notre tente était dressée sur la place du village ; le 4, nous avons herborisé aux environs de Beni-Souik, sur les plateaux qui précèdent la vallée de Ménah et dans cette vallée ; le 5, nous avons parcouru la partie de la vallée de l’Oued Abdi comprise entre Ménah et Haïdous ; le 6, nous en avons continué l’exploration d’Haïdous à Télet, et nous avons campé sur le plateau situé à la base du Djebel Groumbt-el-Dib ; le 7, nous avons exploré le pic, extrémité orientale et point culminant du Djebel Mahmel, et une partie du Djebel Groumbt-el-Dib ; le 8, nous avons visité la partie supérieure de la vallée de l’Oued Abdi, connue sous le nom de Fedj-Geurza, et nous avons campé à Hdour, au-dessous d’Igerman, au voisinage de l’un des ruisseaux sources de l’Oued El-Abiad ; le 9, nous avons fait le trajet de Hdour à Em-Médinah, et nous avons exploré la vallée où nous avons campé à la base de la pente sud du Djebel Cheliah ; le 10, nous avons fait l’exploration d’une partie du Djebel Cheliah, et nous avons trouvé notre tente dressée dans les pâturages d’Aïn-Turck, sur le versant nord de la montagne ; les 11 et 12 ont été consacrés à l’étude de la végétation[9] du Djebel Cheliah ; le 13, nous avons quitté Aïn-Turck, exploré la vallée de l’Oued Essora, et nous avons campé dans la plaine d’Yabous ; le 14, trajet d’Yabous à Timegad, de là à Lambèse, et de Lambèse à Batna en voiture ; le 15 a été consacré à la rédaction de nos notes ; le 16, nous avons fait une nouvelle course au Djebel Tougour ; le 17, nous sommes partis en voiture de Batna pour nous rendre à Aïn-Yagout et nous avons exploré pendant le trajet la plaine d’Oum-el-Asnam et les environs du Medracen ; le 18, nous nous sommes rendus en voiture d’Aïn-Yagout à Constantine, et pendant ce trajet nous avons de nouveau exploré les bords des chotts Mzouri et Tinsilt ; les 19 et 20, nous avons séjourné à Constantine ; le 21, nous avons pris la diligence de Constantine à Philippeville ; le 22, nous avons fait une dernière herborisation aux environs de Philippeville ; et le 23, nous nous sommes embarqués pour la France.
Nous avons déterminé, par des observations barométriques, l’altitude de tous les points qui nous ont paru présenter quelque importance sous le rapport de la géographie botanique. Malheureusement ces altitudes, par suite d’un accident arrivé à l’un de nos deux baromètres anéroïdes, n’ont pu être calculées que d’après la moyenne des observations que nous avions prises à Philippeville et à Batna, et non pas, comme nous nous l’étions proposé, d’après des observations simultanées ; cependant les variations barométriques n’ayant été que très faibles, aux mêmes localités, pendant la durée de notre voyage, et l’instrument que nous possédions étant bien réglé, on peut considérer les résultats que nous publions comme suffisamment approximatifs au point de vue de la délimitation des zones végétales. — Nous avons admis comme présentant une exactitude absolue les altitudes que nous avons trouvées consignées au Dépôt de la Guerre et sur la Carte de la subdivision de Batna, qu’elles aient été déterminées par des observations géodésiques ou barométriques ; quant aux indications d’altitude tirées de nos propres observations, nous avons eu soin de ne les donner que comme approximatives, en accompagnant du mot environ les nombres qui les expriment.
Dans la narration du voyage, nous ne nous astreindrons pas à[10] exposer les faits dans l’ordre absolu dans lequel nous les avons observés, nous les grouperons souvent afin d’éviter de fastidieuses répétitions, et de donner en moins d’espace une idée plus nette de la végétation et des ressources agricoles et forestières du pays. — Pour rendre facile la comparaison de ce travail avec celui que nous avons publié précédemment sur la province d’Oran[5], nous suivrons le même ordre dans la rédaction. Seulement, pour indiquer avec plus de précision les stations des plantes, nous intercalerons dans le texte, à la suite du paragraphe descriptif de chaque localité, la liste des espèces qui y ont été observées, au lieu de ne donner qu’une liste par région naturelle et de rejeter l’ensemble des listes à la fin du rapport. Cette disposition des listes permettra, en outre, de suivre avec plus de facilité les diverses dégradations de la végétation d’une région à l’autre. Nous nous bornerons à indiquer la géographie botanique générale des espèces dans les listes dressées d’une manière plus complète pour les localités qui doivent être considérées comme des types des diverses régions. La statistique botanique comparée et les conclusions que nous publierons à la fin de ce rapport, sont déduites non pas de ces listes partielles, toutes suffisantes qu’elles sont pour démontrer la vérité des faits que nous avançons, mais de la totalité des plantes observées, en tenant compte toutefois, lorsque cela est possible, des modifications apportées par la culture dans la végétation primitive du pays. — Dans notre travail, nous n’attribuerons pas une moindre importance aux végétaux cultivés qu’à ceux qui croissent spontanément dans le pays. Selon nous, la statistique botanique est un guide infaillible pour la culture, car elle offre l’expression exacte de la résultante des forces naturelles qui déterminent la végétation, et ses données nous paraissent plus complètes et plus sûres que celles fournies par les autres sciences d’observation n’exprimant que quelques-uns des éléments dont l’ensemble seul constitue cette résultante.
La première impression qu’éprouve le voyageur en arrivant par mer à Philippeville ou à Stora, est celle du contraste que présente cette partie du littoral algérien avec les côtes arides de la Provence qu’il vient de quitter. Ici l’œil se repose avec plaisir sur les pentes verdoyantes et boisées qui, en se continuant avec les bois montagneux de la Kabylie, se perdent à l’horizon.
La belle route de Stora à Philippeville, taillée sur les flancs des collines qui bordent la rade, permet d’explorer facilement la partie inférieure des bois dont le Chêne-Liége (Quercus Suber) forme la principale essence. La lisière des bois, les anfractuosités des rochers et les ravins sont parsemés de broussailles, où l’on trouve réunis les Myrtus communis, Calycotome spinosa, Arbutus Unedo, Phillyrea latifolia et media, Rubus fruticosus var. discolor, Genista Numidica. — On ne rencontre que quelques rares et maigres touffes du Chamærops humilis que nous avions vu couvrir les coteaux des environs d’Oran. — C’est seulement aux approches de Philippeville que les bois font place à des vignes, à des jardins et à de nombreux vergers.
Philippeville, à environ 4 kilomètres de Stora, fondée seulement en 1838, sur l’emplacement de l’ancienne Russicada, a pris un rapide développement, et ses environs présentent des cultures florissantes. — Parmi les restes nombreux qui signalent l’importance de l’ancienne ville romaine, il faut mentionner en première ligne les vastes citernes situées sur le penchant de la colline qui domine la ville au nord-ouest. En se rendant à ces citernes par un des sentiers qui sillonnent la colline, on est frappé de la vigueur d’une végétation à type tout européen. Des Cratægus Azarolus, à tronc de près d’un mètre de circonférence, croissent à la base des côtes schisteuses qui dominent les citernes. La colline est occupée en grande partie par des vignes, des jardins, des vergers, où sont plantés et[12] prospèrent la plupart des arbres fruitiers du midi de la France. Les parties incultes sont couvertes de broussailles entre lesquelles croissent les :
Partout à la base de la colline, sur les bords des chemins et dans les terrains remués, croît en excessive abondance le Galactites mutabilis.
La route de Philippeville à Constantine traverse la riche vallée de la Zéramna ; cette vallée, qui n’était encore, en 1838, qu’un vaste marais, est devenue, par l’endiguement de la rivière et par de nombreux travaux d’assainissement, un des points les plus fertiles de l’Algérie, et il n’est pas douteux qu’elle n’en devienne également un des plus salubres, lorsque les travaux déjà commencés l’auront complétement mise à l’abri des inondations hivernales. Cette large vallée, qui au voisinage de la ville n’est guère qu’une vaste réunion de jardins, de cultures maraîchères et de vignes, présente, dans quelques points encore incultes, de riches pâturages, dont la végétation luxuriante indique l’extrême fertilité du sol. — Dans les jardins se trouvent réunies presque toutes nos cultures du centre de l’Europe. Nous y avons remarqué, entre autres, des Artichauts d’une vigueur peu commune, et qui donnent d’abondants produits. — Les coteaux couverts de broussailles, ou plantés d’Opuntia Ficus-Indica, forment un saisissant contraste avec le reste de la vallée, où la végétation rappelle par son aspect celle de nos latitudes. — Le Nicotiana glauca, dont le tronc s’élève souvent à plusieurs mètres de hauteur, et l’Acacia Julibrissin sont plantés fréquemment dans le voisinage des habitations dont les jardins renferment à la fois la Vigne, le Mûrier, l’Olivier, le Figuier, l’Abricotier, le Poirier et le Cognassier. — Aux bords des chemins et sur les rives de la Zéramna, des bouquets d’Ulmus campestris, de Fraxinus australis à tronc souvent de plus de deux[13] mètres de circonférence, et de magnifiques Populus alba offrent partout de frais ombrages. Le Laurier-Rose (Nerium Oleander) avec le Ricin (Ricinus communis) forment, fréquemment aux bords des ruisseaux d’épais buissons. — Près de la Zéramna, les terrains inondés l’hiver nous ont offert les : Ranunculus macrophyllus et procerus, Trifolium isthmocarpum, Orobus atropurpureus, Œnanthe silaifolia et anomala, Alopecurus bulbosus var. macrostachyus ; dans ces mêmes lieux M. Durieu de Maisonneuve a découvert l’Alternanthera denticulata, le Cyperus pygmæus et le Glinus lotoides.
En suivant le cours de la Zéramna, on arrive au confluent de cette rivière et du Safsaf (Rivière des Peupliers). De vastes pâturages s’étendent depuis les bords de ce dernier cours d’eau jusqu’à la base des coteaux qui limitent au nord la vallée de la Zéramna. Sur la rive droite du Safsaf et vers son embouchure, un bois formé exclusivement de Tamarix Africana, dont les troncs atteignent une hauteur de plusieurs mètres, ombragent des prairies marécageuses parcourues par des troupeaux de bœufs. La seule espèce digne d’être mentionnée que ces prairies nous aient offerte est le Kœleria hispida. En se rapprochant de la mer, on arrive à des dunes de sable mouvant, parsemées d’épais buissons de Juniperus Phœnicea, entre lesquels se rencontrent de larges et hautes touffes de Genista Numidica et de Retama Duriæi. Dans les sables des dunes croissent plusieurs espèces intéressantes : Ononis variegata, Medicago Helix, Arthrolobium durum, Armeria Mauritanica, Muscari maritimum, etc. — La pente sud des coteaux qui bordent la mer, depuis l’embouchure du Safsaf jusqu’à Philippeville, est couverte dans la partie encore inculte d’épaisses broussailles, où dominent les Erica arborea, Pistacia Lentiscus, Cistus Monspeliensis et salviæfolius, Myrtus communis, Calycotome spinosa, Lavandula Stœchas, Phillyrea latifolia, Daphne Gnidium ; l’Asphodelus ramosus y occupe également de larges espaces ; l’Ornithogalum Arabicum s’y rencontre avec l’Iris juncea. A la base de ces coteaux, dans les lieux frais et herbeux, croissent en grande abondance le Senecio delphinifolius et le Stachys marrubiifolia.
Une vaste pépinière, à un kilomètre environ au sud de la ville, a puissamment contribué par ses cultures, ses nombreuses distributions de graines et de jeunes arbres, aux progrès rapides de l’agriculture du pays. Une belle avenue de Platanes conduit au centre du jardin ; la plupart de ces arbres, plantés seulement en 1847 et 1848, sont déjà parvenus à une grande élévation, et leur tronc mesure généralement près de 80 centimètres de circonférence. — Parmi les plantations de ce riche établissement, on remarque des semis de Mûriers et des carrés de la plupart de nos espèces d’arbres fruitiers ; seul le Pêcher dépérit après peu d’années ; le Cerisier présente une vigoureuse végétation, et porte de très beaux fruits ; le Prunus Mirobolana donne des produits abondants ; l’Eriobotrya Japonica (Néflier-du-Japon) amène ses fruits à parfaite maturité ; le Cyprès et le Thuya, plantés en ligne, forment de magnifiques abris qui garantissent le Bananier des vents qu’il redoute et permettent à ses régimes d’atteindre leur complet développement. — En omettant de parler ici des arbres spontanés et très répandus dans le pays, tels que l’Orme, le Fraxinus australis, le Peuplier blanc, etc., qui constituent plusieurs carrés importants de la pépinière, nous devons mentionner, pour leur belle végétation, le Frêne commun, le Vernis-du-Japon, le Micocoulier, le Sycomore, le Saule blanc, le Gleditschia triacanthos et les Pins d’Alep, sylvestre et maritime ; et parmi les arbres d’agrément, le Sophora Japonica, le Catalpa, le Sterculia, doivent être particulièrement signalés ; ce dernier arbre a été récemment planté en quinconce vers la porte de la ville. — La pépinière ne présente qu’un trop petit nombre de Chênes et de Châtaigniers, pour qu’il soit possible d’en tirer quelques conclusions au point de vue des[16] chances d’acclimatation de ces deux arbres. Le Tilleul jusqu’ici a été cultivé sans succès. — Il ne faut pas oublier le Nopal (Opuntia coccinellifera), dont la culture donne de légitimes espérances.
Pour compléter le tableau des principales cultures qui, avec les céréales, le Maïs, le Millet, et les plantes potagères de toutes sortes font la richesse du pays, nous devons signaler la Pomme-de-terre qui, dans des circonstances favorables, donne des produits abondants. L’acclimatation du Cotonnier est un fait acquis, au moins au point de vue scientifique. Nous avons vu des Maltais en semer les graines à la volée dans des champs imparfaitement préparés, et ils ne doutaient pas néanmoins du succès de la récolte ; car ce mode de culture, malgré son imperfection, donne souvent de bons résultats, à la condition seulement d’éclaircir le plant peu de temps après la levée du semis. — L’Arachide est souvent cultivée en grand pour l’importance de ses produits oléagineux.
Les cultures des villages européens, Vallée, Saint-Antoine, Damrémont et Saint-Charles, qui forment la banlieue de Philippeville, ne diffèrent pas sensiblement de celles des environs immédiats de la ville ; on y retrouve, en effet, de nombreuses plantations d’Olivier, de Mûrier, de Vigne, etc., et le Seigle, l’Orge, l’Avoine et le Tabac, y sont cultivés par les colons ; des prairies artificielles donnent d’abondants produits.
Pour ne rien omettre des ressources du pays, nous empruntons aux Annales de la colonisation algérienne l’indication des grands espaces boisés du territoire de Philippeville qui peuvent être le plus utilement exploités ; tels sont : à 2 kilomètres sud-ouest de la ville, les bois du Safsaf, d’une étendue d’environ 500 hectares, et dont les essences principales sont le Frêne (Fraxinus australis), l’Orme, le Chêne-vert et le Chêne-Liége ; à 5 kilomètres sud-ouest, les forêts, qui couvrent les montagnes limitant la vallée de la Zéramna, présentent un développement de près de 3000 hectares, et sont composées presque exclusivement de Chênes-Liége ; le bois de Stora, qui, comme nous l’avons dit, se continue avec les immenses forêts de la Kabylie, compte plus de 500 hectares de Chênes-Liége et d’Oliviers, qui, par la greffe, deviendraient pour les habitants une source précieuse de richesses ; la forêt d’Eghmen,[17] à 10 kilomètres de la ville, est composée des mêmes essences, et occupe une étendue de plus de 200 hectares.
La rapidité du trajet de Philippeville à Constantine ne nous a permis de noter que les faits les plus saillants présentés par la végétation spontanée et les cultures des points peu éloignés de la route. Sur les bords du chemin, à peu de distance de Philippeville, nous remarquons le Carduus Numidicus qui y croît en abondance. — C’est avec regret que nous avons dû renoncer à explorer les bois des environs de Saint-Antoine, composés surtout de Pistacia Lentiscus, Arbutus Unedo, Phillyrea latifolia, Cratægus Azarolus, Calycotome spinosa, Erica arborea, Myrtus communis, qui forment d’élégants massifs, entre lesquels nous avons aperçu les Centaurea Tagana et napifolia, Elæoselinum meoides, Lonas inodora, Pulicaria odora, Carduncellus multifidus. — Saint-Antoine, village à 7 kilomètres de Philippeville, bâti sur les coteaux de la vallée de la Zéramna, malgré toutes ses ressources agricoles et l’étendue de ses pâturages, ne présente cependant qu’une médiocre importance ; la salubrité du pays laisse encore à désirer, mais les travaux de défrichement, qui seront bientôt réalisés sur une plus grande échelle, assureront à cette localité de meilleures conditions de prospérité. — Gastonville, à 15 kilomètres de Saint-Antoine, est déjà un centre plus considérable de colonisation ; l’abondance des eaux, un bois d’Oliviers sauvages, la culture du Colon et du Tabac, promettent un riche avenir à cette belle localité. — Les environs d’El-Arrouch, dans la vallée de l’Oued Ensa, à 31 kilomètres de Philippeville, présentent de riches pâturages, de vastes terrains propres à la culture des céréales et des bois d’Oliviers dont les produits abondants sont déjà l’objet d’un commerce important. — La route, depuis El-Arrouch jusqu’à El-Kantour, est taillée sur la croupe d’une montagne élevée, dont les pentes, couvertes de riches pâturages, offrent en grande abondance l’Ononis rosea, le Salvia bicolor, l’Ampelodesmos tenax (Dis des Arabes), le Scilla maritima, le Cynara Cardunculus et l’Asphodelus[18] ramosus dont l’industrie tire actuellement de l’alcool par la distillation des tubercules de la racine. — A El-Kantour, les quelques hectares de terrains déjà défrichés révèlent la fertilité du sol par la richesse de leurs produits. Le Carduus Numidicus croît en grande abondance dans les pâturages et les cultures de cette localité. — Jusqu’à Smendou, les cultures européennes tiennent bien moins de place que celles des Arabes au milieu des nombreux pâturages qui constituent déjà pour le pays une véritable richesse ; dans ces pâturages, nous voyons le Convolvulus tricolor et le Thymus Numidicus ; plus loin, sur les bords de la route, se retrouve le Carduus Numidicus avec le Notobasis Syriaca et un Centaurea à fleurs jaunes (probablement le C. Sicula). — Les jardins du Hammah, qui doivent leur nom à une source d’eau chaude et minérale qui les arrose, s’annoncent de loin par les magnifiques Dattiers qui n’en sont pas le moins bel ornement. Les Figuiers, la Vigne, d’antiques Pruniers (Reine-Claude) renommés pour l’excellence de leurs fruits, s’y mêlent aux Orangers, aux Grenadiers et aux Oliviers et composent des bosquets délicieux, qui, par leur végétation luxuriante, peuvent être mis en parallèle avec ceux de quelques vallées inférieures des montagnes de l’Aurès ; des Peupliers blancs et des Ormes se rencontrent également dans ces bosquets ; grâce à des travaux récents d’assainissement, les jardins du Hammah ont repris leur ancienne splendeur, — La beauté et l’étendue des cultures annoncent un peu plus loin les approches de la capitale de la province ; une suite presque non interrompue de plantations, où de magnifiques Oliviers, des Cerisiers, des Abricotiers et des Figuiers forment avec l’Orme, le Micocoulier, le Cyprès et le Pistacia Atlantica, d’épais ombrages, indique l’extrême richesse du sol. Le Dipsacus sylvestris croît partout aux bords de la route, et démontre par sa présence que l’espèce voisine, le Dipsacus fullonum (Chardon-à-foulon), pourrait y être cultivée avec succès, et fournir un nouvel élément à l’industrie européenne. — Par le pont d’Aumale construit sur le Rummel, dont les bords offrent de nombreux pieds arborescents de Ricin (Ricinus communis), on arrive au pied de la pente rapide qui contourne le rocher de Constantine. De là, on découvre toute la vallée du Rummel inférieur, dont les[19] plantations et les cultures ne le cèdent en rien a celles du Hammah. Plus loin, au-dessous de l’admirable cascade à plusieurs étages que forme la chute du Rummel à l’extrémité du ravin de Constantine, d’anciens jardins arabes se révèlent par la présence d’Amandiers, de Figuiers, de Mûriers séculaires, avec lesquels le Caroubier (Ceratonia Siliqua) et les nombreux Lauriers-Rose qui croissent aux bords des eaux, constituent d’épais massifs de verdure. Jadis quelques moulins arabes, dont les murs humides offraient au botaniste une des Mousses les plus rares de l’Algérie, l’Entosthodon Duriæi Mont., utilisaient seuls une bien faible partie de l’immense force motrice, que l’abondance et la rapidité des eaux du Rummel ont mise à la disposition de l’homme dans ce lieu privilégié ; mais maintenant l’activité européenne a remplacé ces masures par un moulin, où toutes les règles de la science rigoureusement appliquées permettent d’obtenir avec le Blé dur une farine de qualité au moins égale à celle de nos Blés d’Europe les plus estimés. Le lit du Rummel est encaissé, au-dessus de la cascade, entre des rochers abruptes, élevés de plus de 100 mètres, et couverts d’Opuntia ; l’aspect sévère de ces rochers forme un saisissant contraste avec la fertilité de la vallée, et fait de ce site l’un des plus imposants de l’Algérie.
Constantine, l’ancienne Cirta, à 83 kilomètres de Philippeville, à 656 mètres d’altitude, couronne l’immense massif de rochers calcaires que le Rummel (Ampsaga) contourne de son cours impétueux. — La profondeur du ravin du Rummel et les pentes abruptes des rochers qui l’encaissent ne permettent l’accès de la ville que par le pont romain d’El-Kantara, et par l’immense talus qui, au sud-ouest, se relie avec la montagne de Koudiat-Ali, prolongement de la chaîne du Chettabah. — L’importance de Constantine et l’aspect remarquable de cette ville sont trop généralement connus pour qu’il nous soit permis d’en parler ici. Par la variété de ses sites, la fertilité de son sol et l’abondance de ses eaux, le territoire de Constantine ouvre un vaste champ à la colonisation agricole. Nous avons déjà essayé de donner une idée de la richesse des jardins[20] et des plantations de la vallée du Rummel inférieur, la vallée arrosée par le Rummel supérieur et son affluent le Bou-Merzoug (Père de la fécondité)[7], bien que la végétation y présente un caractère plus européen, n’offre pas au colon de moindres éléments de richesse pour les cultures industrielles et la production des céréales. Sur les pentes et les plateaux partiellement cultivés par les indigènes croissent en abondance l’Orge et le Blé, alors même que ces cultures ne peuvent être fertilisées par l’irrigation. — L’Opuntia Ficus-Indica, si abondant sur tous les rochers du ravin du Rummel, couvre également de larges espaces de la pente argileuse et rapide qui descend vers la vallée du haut Rummel. Des plantations récentes de Saules-pleureurs, de Peupliers (Populus pyramidalis et alba), d’Acacias, d’Azédarachs, d’Ormes, de Frênes, et des jardins où se trouvent réunis le Mûrier, l’Abricotier, l’Amandier et le Cerisier, longent la route qui conduit à la pépinière. — Ce bel établissement, qui a si puissamment contribué au boisement partiel de cette portion du pays, autrefois dépourvue d’arbres[8], est situé sur un des points les plus pittoresques de la vallée ; il est garanti, excepté à l’ouest, des vents, qui se font souvent sentir avec intensité dans cette région déjà élevée. — Parmi les arbres fruitiers qui réussissent parfaitement dans ce jardin, nous devons citer le Noyer, l’Amandier, l’Abricotier, le Cognassier, plusieurs variétés de Cerisier, de Poirier et de Pommier. Les froids assez intenses de l’hiver, car le thermomètre descend assez souvent jusqu’à - 5°, ne permettent pas de cultiver en grand l’Oranger, le Bigaradier et le Néflier-du-Japon, que nous avons vu présenter une si belle végétation dans les jardins de la vallée du Rummel inférieur. L’Olivier lui-même réclame beaucoup de soins pendant les premières[21] années, mais il finit par croître avec vigueur. Le Pêcher ne réussit pas mieux qu’à Philippeville, et habituellement ne tarde pas à être attaqué par les pucerons. — L’une des principales richesses du jardin consiste dans les nombreux plants d’arbres forestiers, qui sont appelés à jouer un rôle important dans les cultures du pays. Nous devons mentionner pour leur beau développement le Frêne, l’Acacia, le Saule-pleureur, le Vernis-du-Japon, le Peuplier blanc, le Pin d’Alep, le Cyprès et le Thuia orientalis. Le Sycomore et l’Érable plane ne réussissent que dans les terrains sablonneux. Le Bouleau et le Platane demandent pour leur plantation des conditions particulières. L’Orme commun, les Peupliers suisse et d’Italie, après avoir présenté d’abord une belle végétation, ne tardent pas à être attaqués par des larves qui altèrent leur bois profondément ; l’Orme-d’Amérique est moins exposé à cette cause de dépérissement. Nos Chênes du nord ne croissent qu’avec une extrême difficulté, et de cinq mille Châtaigniers qui avaient été plantés, à peine en reste-t-il trois ou quatre à la pépinière. Le Mûrier pousse avec vigueur, et sa culture est appelée à prendre un grand développement. — Les essais tentés pour l’acclimatation des cotons Georgie-longue-soie et Louisiane ont donné dans ces deux dernières années des résultats assez satisfaisants. — Le Tabac ne demande, pour fournir d’abondants produits, qu’à être garanti contre l’influence des vents ; les abris sont facilement obtenus par des lignes de Cyprès, de Thuia, et même de Saule-pleureur ou d’Osier dans les endroits frais ; les Arundo Mauritanica et Donax ne sont pas moins avantageux pour former de puissants brise-vents, et contribuer à l’assainissement des terrains trop humides. — Le Nopal (Opuntia coccinellifera), malgré le froid de l’hiver, semble pouvoir être acclimaté utilement. — Le Pavot somnifère, cultivé en grand, outre les produits oléagineux, pourrait fournir l’Opium, si le mode d’extraction de cette substance était mieux connu. — La maladie de la Vigne et celle de la Pomme-de-terre ont sévi en 1850, mais ne semblent pas devoir donner de sérieuses inquiétudes. — Les jardins de la pépinière présentent, entre autres arbres d’agrément, le Melia Azedarach, déjà planté en abondance sur toutes les promenades des environs de la ville,[22] le Broussonetia papyrifera, le Gleditschia triacanthos, l’Elæagnus angustifolia, le Robinia viscosa et l’Acacia Julibrissin ; ce dernier arbre, par une ramification prématurée, est privé ici du développement qu’il peut atteindre dans des conditions plus favorables. — Le Spartium junceum (Genêt-d’Espagne), en raison de sa rapide croissance et de la vigueur de sa végétation, peut facilement être utilisé pour former des clôtures de jardins et de vergers. — La magnifique haie d’Agave qui entoure la pépinière montre le parti que l’on peut tirer de cette plante pour en former des clôtures impénétrables, et retenir les terres sur les pentes rapides.
La principale herborisation que nous ayons faite aux environs de Constantine a été l’exploration de la montagne de Sidi-Mecid. Aux environs du pont d’El-Kantara se rencontrent surtout des espèces rudérales. Un peu plus haut, dans les rochers, M. Durieu de Maisonneuve a découvert l’Euphorbia calcarea, et recueilli le Daucus gracilis dans les terrains en friche. Les moissons qui couvrent la partie inférieure de la montagne nous ont offert un grand nombre d’espèces, dont nous donnons plus loin la liste. Au-dessus des cultures et dans les ravins schisteux se rencontrent le Convolvulus Sabatius, l’Hedysarum pallidum et l’Astragalus geniculatus ; les pâturages des parties incultes de la montagne, ou de celles qui n’ont pas été cultivées depuis plusieurs années, présentent un très grand nombre d’espèces dont nous donnons également la liste. Sur l’étroit plateau qui termine la montagne (790 mètres d’altitude) croît en assez grande abondance le Reseda Duriæana, que nous retrouverons fréquemment dans la région des hauts-plateaux, et nous y rencontrons quelques pieds du Rhamnus lycioides. La pente nord, presque partout taillée à pic, est composée d’immenses blocs de rochers, dans les fissures desquels croissent les Prunus prostrata, Brassica Gravinæ, Stachys circinnata, Erodium hymenodes, Athamanta Sicula, Silene velutina. — Près de la chute du Rummel, à la base de la montagne de Sidi-Mecid, des incrustations calcaires ont été déposées par des sources minérales chaudes ; cette partie des rochers présente de nombreuses touffes d’une nouvelle espèce du genre Fumaria (F. Numidica), bien distincte par la petitesse de ses fleurs du[23] F. corymbosa, qui se plaît dans des localités analogues de la province d’Oran ; cette espèce, ainsi que l’Erodium hymenodes, se retrouve à l’entrée du ravin du Rummel avec le Brassica Gravinæ et le Prunus prostrata. — Les hauteurs du Mansourah, qui font face à la montagne de Sidi-Mecid, et que nous n’avons pu explorer que d’une manière imparfaite, ne nous ont guère offert que l’Onobrychis alba et le Reseda Duriæana. Dans les endroits frais de cette même montagne, M. Durieu de Maisonneuve a découvert le Juncus valvatus var. caricinus et le Juncus striatus var. macrocephalus ; ces deux plantes croissaient pêle-mêle dans cette station, comme nous les avons retrouvées depuis au pied des montagnes du Djurdjura ; dans les rochers se rencontrent le Campanula Numidica et le Linaria flexuosa.
En quittant Constantine, nous suivons pendant quelque temps la route, bordée d’arbres, qui nous conduit vers le confluent du Bou-Merzoug et du Rummel ; les talus des bords de la route nous présentent le Thymus Numidicus et l’Othonna cheirifolia. — Une pente rapide, où nous observons l’Onobrychis argentea, nous amène au plateau élevé sur lequel est bâti le caravansérail d’Aïn-Bey, près de sources dont les eaux pures et abondantes seront plus tard une précieuse ressource pour la culture ; sur les bords d’un ruisseau, nous recueillons l’Alopecurus pratensis var. ventricosus, le Catabrosa aquatica et le Ranunculus cœnosus. Ce point déjà élevé (environ 760 mètres) nous offre un grand nombre d’espèces qui se retrouvent dans toute la région des hauts-plateaux.
Le plateau d’Aïn-Bey se continue avec la vaste plaine qui conduit au caravansérail de Mélila (environ 840 mètres d’altitude) ; cette plaine uniforme est bornée par deux chaînes de montagnes nues, dépourvues de bois, et presque parallèles ; les Djebel Bou-Kameroun et Guerioun sont les points les plus élevés de la chaîne orientale ; les montagnes qui limitent la plaine à l’ouest se relient au Djebel Nifenser. Le Cynara Cardunculus (Khorchef), très répandu dans cette partie du pays, indique la profondeur du sol ; l’Othonna cheirifolia y est d’une extrême abondance ; le Phalaris truncata croît dans toutes les moissons. — Les parties fraîches ou arrosées de cette vaste plaine entièrement dépourvue de broussailles et de toute végétation arborescente ont été ensemencées de Blé et d’Orge par les indigènes. Les prés salés qui bordent les marais et le petit lac des environs de Mélila nourrissent de nombreux troupeaux ; nous y rencontrons en grande abondance une espèce nouvelle, le Carduncellus rhaponticoides, qui avait été découvert par M. le docteur Guyon en 1847. Çà et là l’extrême vulgarité des Salsolacées frutescentes, l’Atriplex Halimus et le Salsola vermiculata, révèle la présence du sel dont le sol est imprégné. Plus loin, les pentes rocheuses du Djebel Nifenser (Bec de vautour) offrent des touffes espacées du Deverra scoparia dépourvues de fleurs et de fruits ; vers les sommités de la montagne apparaissent quelques arbres rabougris (Pistacia Atlantica). Des pâturages ras et pierreux, qui occupent la plus grande partie de la plaine jusqu’au Chott Mzouri, présentent en grande[31] abondance l’Artemisia Herba-alba, le Santolina squarrosa et l’Asphodelus fistulosus.
Le sol, plus fertile aux environs du chott, est cultivé par les indigènes, et la belle végétation des céréales indique sa richesse. Dans ces moissons nous remarquons une espèce nouvelle d’un genre qui n’avait encore été observé que dans les provinces caucasiennes, en Espagne et dans l’ouest de l’Algérie, le Hohenackeria polyodon que nous retrouverons dans tous les terrains meubles et riches des hauts plateaux. — La route qui conduit à Aïn-Yagout suit la chaussée naturelle (860 mètres d’altitude) qui sépare les chotts Tinsilt (mâle) et Mzouri (femelle) ; ces lacs salés, qui, à l’étendue près, rappellent les immenses Sebka de la province d’Oran, nous présentent quelques-unes des espèces que nous avions observées, dans un autre voyage, sur les bords du Chott El-Chergui. Ainsi nous y retrouvons le Tamarix bounopœa et l’Halocnemum strobilaceum, dont les touffes espacées sont enfouies dans la vase. Sur la zone vaseuse déjà desséchée depuis longtemps, nous recueillons le Kœlpinia linearis, et cette station de la plante est probablement la plus septentrionale dans la province de Constantine. — Les eaux, en partie déjà évaporées (17 mai), n’occupent plus que le centre de ces lacs, qu’un mois plus tard, à notre retour (18 juin), nous trouverons complétement à sec et recouverts d’une couche de sel épaisse et miroitante.
[34]Aïn-Yagout, situé à peu de distance au sud de ces lacs, vers le sommet des pentes rocheuses qui dominent la vallée d’Oum-el-Asnam, à 880 mètres d’altitude, ne consiste encore qu’en un caravansérail, bâti en 1852, qui constitue la principale station entre Constantine et Batna. Les eaux pures et douces d’une source très abondante y sont recueillies dans une fontaine récemment construite, et, en s’échappant par plusieurs orifices, donnent naissance à un cours d’eau assez considérable qui permettrait d’établir sur ce point un centre important de colonisation agricole. Les pentes arides et rocailleuses qui longent la route conduisant à la vallée d’Oum-el-Asnam sont parsemées de nombreuses touffes de Genista microcephala, Anthyllis Numidica, Retama sphærocarpa, Globularia Alypum, Lygeum Spartum.
La plaine d’Oum-el-Asnam, fermée à l’est par un vaste hémicycle de montagnes rocailleuses et élevées, présente quelques champs d’Orge et de Blé qui sont loin (18 mai) d’être arrivés à leur maturité. Dans quelques parties moins fertiles de la plaine, la présence du sel est révélée par l’abondance des Salsolacées ligneuses.
En suivant la route qui contourne la base des montagnes, on ne tarde pas à arriver au monument grandiose connu sous le nom de Medracen ou tombeau de Syphax. Entre les assises des gradins qui constituent ce tombeau circulaire, dont la hauteur est de 20 mètres et la circonférence de 179, nous trouvons un Ferula, probablement[36] nouveau, dont les fruits ne sont pas encore arrivés à maturité, et les espèces suivantes :
Le coteau sur lequel est construit ce monument ne présente d’autre végétation arborescente que des pieds disséminés des Juniperus Phœnicea et Oxycedrus et du Pistacia Atlantica ; il nous offre plusieurs plantes qui méritent d’être mentionnées, entre autres les :
Avant d’arriver à Oum-el-Asnam, on traverse des pâturages salés arrosés par les eaux d’une source assez abondante, qui, en raison de sa température constante (20 degrés), a reçu le nom de Fontaine-chaude. Le Carduncellus rhaponticoides, déjà observé à Mélila, se retrouve dans ces pâturages. — Une ferme, construite à la même époque que le caravansérail d’Aïn-Yagout, est exploitée par des Arabes qui ont mis en culture des terrains assez étendus. — Au delà d’Oum-el-Asnam la route s’engage dans une vallée resserrée entre des montagnes peu élevées, et dont les pentes rocailleuses, presque dépourvues d’arbres, présentent de nombreuses touffes du Retama sphærocarpa et du Ballota hirsuta, que nous retrouverons jusqu’à la limite de la région des hauts-plateaux ; cette vallée étroite débouche bientôt dans une plaine, où des ruines romaines, par l’étendue qu’elles occupent, annoncent que ce lieu fut jadis un centre assez important de population. L’Artemisia[37] Herba-alba et plusieurs plantes des terrains salés couvrent de larges espaces dans le voisinage des ruines, et ce n’est que dans la partie basse de la plaine que quelques champs sont cultivés par les indigènes. — En continuant à nous diriger vers le sud, nous remontons la vallée de l’Oued Batna, limitée à l’ouest par des montagnes élevées et boisées, et à l’est par des collines pierreuses couvertes de broussailles où domine le Juniperus Phœnicea. A quelques kilomètres de Batna, la base des montagnes et des coteaux commence à se couvrir de véritables bois, dont les essences principales sont le Chêne-vert (Quercus Ilex), les Genévriers (Juniperus Phœnicea et Oxycedrus) et le Pistacia Atlantica. On y rencontre de nombreux buissons de Quercus coccifera, d’Anthyllis erinacea et Numidica, et de Rosmarinus officinalis. Le fond de la vallée présente quelques cultures et des jardins qui entourent des moulins européens construits sur le cours d’eau. Dans les plantations, nous remarquons les Peupliers blanc et d’Italie (Populus alba et pyramidalis), le Fraxinus australis, le Saule-pleureur et le Pêcher, etc. — Les terrains frais aux bords de l’Oued Batna, en partie couverts de touffes de Scirpus Holoschœnus et de Juncus glaucus nous offrent en très grande abondance le Silybum eburneum, que nous avions observé pour la première fois sur les hauts-plateaux de la province d’Oran ; le Potamogeton densus croît dans le lit d’un ruisseau.
Batna, à 1014 mètres d’altitude, à 193 kilomètres de Philippeville et à 110 de Constantine, est située dans une vaste plaine déboisée, entourée des montagnes élevées et boisées de l’Aurès et de la chaîne des Ouled-Sultan. Cette ville, bien que sa fondation soit toute récente, par sa position, sur la route de Constantine à Biskra, qui lui assure le transit du commerce du Sahara avec le Tell, et surtout grâce aux avantages naturels de son heureuse situation, a pris un rapide développement, et son importance commerciale et agricole tend chaque jour à faire de nouveaux progrès. A ces nombreux avantages qui résultent de la fertilité du sol, de l’abondance et de la pureté des eaux, et de la richesse forestière des montagnes[38] voisines, viennent se joindre ceux d’un climat tempéré et d’une grande salubrité. — Une pépinière, créée tout récemment, contribuera à donner une impulsion plus rapide à l’agriculture encore naissante de cette riche contrée. Dans les plantations de cet établissement, nous avons remarqué le Mûrier, la Vigne, le Pêcher, l’Orme, le Frêne, le Negundo, le Vernis-du-Japon, le Cyprès, le Peuplier blanc et le Saule-pleureur, qui nous ont paru s’acclimater parfaitement. Le Peuplier-d’Italie (Populus pyramidalis) pousse avec vigueur pendant plusieurs années ; mais plus tard les individus plantés dans les lieux secs ont souvent leur bois profondément perforé par des larves d’insectes. Le Catalpa, l’Arbre-de-Judée (Cercis Siliquastrum) et le Kœlreuteria paniculata, indiquent par leur présence que de nombreux arbres d’ornement pourraient y être introduits avec succès. — Dans les terrains en friche et dans les carrés de la pépinière, nous trouvons un grand nombre des plantes propres à la région des hauts-plateaux, entre autres les Hohenackeria bupleurifolia et polyodon qui y sont réunis ; le Delphinium Orientale y présente les mêmes variations de couleur que dans nos jardins d’Europe, et il y croît spontanément comme dans les terrains remués du reste de la région. Nous y avons également vu le Silybum eburneum et le Valerianella stephanodon, qui s’y rencontrent en très grande abondance avec d’autres espèces que nous retrouverons dans les autres parties de la plaine. — Dans les prairies qui avoisinent la pépinière dominent les espèces suivantes :
[39]La Luzerne (Medicago sativa), qui croît abondamment dans ces prairies, ainsi que dans tous les environs de Batna et dans les pâturages du reste de la région, est un indice certain du succès réservé à l’établissement des prairies artificielles. La spontanéité du Medicago sativa dans le pays est démontrée non-seulement par sa présence dans des lieux qui n’ont jamais été cultivés, mais encore par la forme particulière qu’affecte la plante, dont les fruits sont constamment pubescents. — Les prairies rapprochées de la pépinière, et dont le pacage a été interdit par l’administration, qui se réserve la récolte des foins, sont, par l’abondance et la qualité de leurs produits, un exemple frappant des progrès que peut faire dans cette contrée l’aménagement des prairies naturelles, ressource si précieuse pour l’agriculture. — Dans les parties fraîches et herbeuses, M. Balansa a découvert une nouvelle espèce du genre Festuca des mieux caractérisées, le F. Lolium.
La route qui conduit de Batna à Lambèse traverse les pâturages de la plaine, où sont établis de nombreux douairs avec leurs troupeaux ; bientôt elle se rapproche des montagnes boisées assez élevées (Djebel Itche-Ali) qui limitent au sud-ouest la vallée de Lambèse. L’extrême vulgarité de l’Artemisia Herba-alba, de l’Euphorbia luteola, et du Santolina squarrosa, semblent indiquer une moins grande fertilité du sol dans cette partie de la vallée. — Lambèse, à 10 kilomètres au sud-est de Batna, et à peu près à la même altitude, n’occupe qu’une très faible partie de l’immense enceinte de l’antique Lambæsis. Les ruines imposantes des murs, des arcs de triomphe, des temples, du théâtre, de l’amphithéâtre, etc., montrent quelle était l’importance de la cité romaine, dont des évaluations, qui ne paraissent pas trop s’éloigner de la vérité, ont porté la population jusqu’à 50,000 âmes. — Les eaux abondantes et pures de l’un des ruisseaux qui prennent leur source dans les montagnes voisines, n’arrosent maintenant que quelques rares champs de céréales et quelques jardins, et n’alimentent qu’un misérable moulin arabe ; mais elles étaient, du temps de l’occupation romaine, recueillies dans un aqueduc, dont quelques arcades sont encore presque intactes ; d’épais dépôts calcaires, et qui forment de véritables rochers appliqués sur les parois de cet aqueduc, indiquent[40] qu’il a été pendant longtemps traversé par les eaux, même après l’abandon de la cité. Les endroits frais et arrosés dans le voisinage de ce ruisseau nous offrent quelques espèces européennes : Ranunculus sceleratus, Potentilla reptans, Veronica Anagallis, Scrophularia auriculata, Carex hirta, etc. Nous y observons également le Juncus valvatus var. caricinus et l’Alopecurus pratensis var. ventricosus.
La colonisation trouvera de précieuses données dans l’étude sérieuse dont les ruines romaines qui couvrent la province de Constantine sont l’objet depuis quelques années. Non-seulement l’archéologie viendra nous apprendre quels étaient les lieux choisis par les Romains pour leurs cités les plus importantes, et nous guider ainsi pour l’établissement de nouveaux centres de population ; mais elle nous fera encore mieux connaître les moyens si perfectionnés d’irrigation qu’ils mettaient en pratique ; et il serait souvent facile, comme à Lambèse, de rétablir les aqueducs romains avec une dépense bien faible, si l’on tient compte de la grandeur des résultats. L’administration, du reste, a déjà si bien compris l’importance de ces faits, que partout les points occupés par les Romains ont été choisis de préférence pour la fondation de nos établissements.
Nous n’avons pu explorer qu’une bien faible partie des terrains incultes occupés par les ruines ; ils présentent la plupart des plantes caractéristiques de la région des hauts-plateaux. — Aux environs de l’amphithéâtre, nous retrouvons le Clypeola cyclodontea, déjà observé par nous dans un précédent voyage, sur les plateaux de la province d’Oran. — Les montagnes qui, au sud, avoisinent Lambèse sont couvertes de bois composés presque exclusivement de Chênes-verts (Quercus Ilex et var. Ballota), de Juniperus Phœnicea et Oxycedrus, et de Pistacia Atlantica ; l’Orme se rencontre également dans ces bois, mais il nous y a paru plus rare que les autres essences que nous venons de mentionner. Sur la pente argileuse du ravin creusé par le principal ruisseau qui arrose Lambèse, on trouve l’Amandier, dont nous avons déjà signalé l’existence à l’état spontané sur les montagnes basses qui limitent la région des hauts-plateaux de la province d’Oran. Les environs de ce[41] ravin nous offrent le Geranium tuberosum, le Sisymbrium crassifolium et les Alyssum Atlanticum et serpyllifolium, qui y croissent en très grande abondance et de nombreuses touffes d’Ononis fruticosa.
Nous ne pouvions quitter Batna sans consacrer quelques jours à l’exploration du Djebel Tougour, l’une des montagnes les plus élevées de l’Algérie, et qui nous promettait la constatation de faits du plus haut intérêt, car la végétation de la région montagneuse supérieure n’était encore connue que par quelques herborisations faites par divers botanistes sur les points du petit Atlas les plus rapprochés d’Alger. — Le Djebel Tougour fait partie de la chaîne de montagnes des Ouled-Sultan qui s’élève à l’ouest de la vallée de Batna, et il en forme le point culminant. Cette montagne se détache du reste du massif comme une énorme pyramide, dont les versants les plus étendus sont ceux du nord et du sud. La pente méridionale vient mourir dans la large vallée de Batna, qui la sépare des derniers contre-forts de l’Aurès (Djebel Itche-Ali) limitant la vallée du côté opposé ; cette pente, en raison de son étendue, eût été très importante à explorer au point de vue de la distribution des espèces ; mais l’ascension de la montagne par ce côté présentait de trop grandes difficultés pour qu’il nous fût possible de la tenter, et d’en espérer des résultats satisfaisants dans le peu de temps que nous aurions pu y consacrer. Le versant nord, moins accidenté, est limité par la vallée étroite et profonde qui le sépare du Djebel Bordjem. A l’est la montagne présente une pente étroite moins inclinée et divisée en plusieurs mamelons, et est séparée du Djebel Bou-Merzoug par la vallée désignée par les gardes forestiers sous le nom de Ravin-du-colonel ; ce ravin, dans sa partie supérieure contournant la base de la montagne,[47] se continue avec l’autre vallée que nous avons déjà indiquée comme limitant la montagne au nord ; le point culminant entre ces deux vallées établit le partage des eaux du Tell et du Sahara : les eaux du Ravin-du-colonel viennent se perdre dans la plaine de Batna, tandis que celles de la vallée opposée, limite occidentale du Djebel Tougour, vont se jeter dans l’Oued Ksour, affluent principal de l’Oued El-Kantara.
La portion de la plaine de Batna, que nous traversons pour gagner les premières collines qui constituent la base du Djebel Tougour à l’est, nous présente les caractères généraux des autres parties de la région des hauts-plateaux ; mais l’influence de l’altitude sur la végétation s’y révèle déjà par un retard notable dans le développement des céréales, et par la présence de plusieurs espèces que nous n’avions pas encore rencontrées, entre autres le Serratula pinnatifida, et une nouvelle espèce du genre Leontodon (L. helminthioides). Nous ne tardons pas à arriver à un étroit sentier côtoyant le ravin profond qui, en hiver, déverse les eaux du Djebel Tougour dans la vallée de Batna. Les pentes argileuses du ravin sont couvertes d’épaisses broussailles, et les collines qui l’encaissent présentent des bois où dominent les Genévriers (Juniperus Phœnicea et Oxycedrus) et le Chêne-vert (Quercus Ilex) mêlé au Pinus Halepensis ; là se rencontrent également le Colutea arborescens, et les Anthyllis erinacea et Numidica, le Rosmarinus officinalis var. Tournefortii, qui forment des buissons bas ; on y voit quelques touffes de l’Ephedra Græca, espèce des montagnes de Sicile et de Grèce. Entre les buissons formés par ces plantes ligneuses, se trouvent les Linum suffruticosum, Buplevrum paniculatum, Jurinæa humilis var. Bocconi, et le Serratula pinnatifida. Là s’offre également à nous, pour la première fois, un magnifique Hedysarum (H. Perraudieranum), que nous dédions à M. H. de la Perraudière, auteur de sa découverte. Le ravin nous conduit bientôt aux maisons des gardes préposés à la conservation des forêts. Ces maisons (environ à 1200 mètres d’altitude), qui doivent être le point de départ de notre course dans la montagne, sont entourées de jardins qui ne présentent encore que des cultures potagères et des plantations toutes récentes d’arbres fruitiers. Des[48] pâturages assez riches occupent le fond de la vallée, et des Arabes y font paître leurs troupeaux. — Presque immédiatement au-dessus de la prairie, la partie inférieure de la montagne nous offre un terrain argileux parsemé de broussailles espacées composées de Genévriers (Juniperus Phœnicea et Oxycedrus), de Calycotome spinosa, de Chênes-verts et de quelques rares Oliviers rabougris. En continuant l’ascension de la montagne par la pente orientale, dans un ravin au-dessous du premier mamelon, nous retrouvons en abondance l’Amandier, dont la spontanéité, dans ce site sauvage, ne saurait être mise en doute. — A quelques centaines de mètres au-dessus de la maison des gardes, nous rencontrons plusieurs buissons d’une espèce arborescente nouvelle pour la science (Fraxinus dimorpha). Plus haut, un autre mamelon est couvert de touffes d’Asphodeline lutea. Un plateau incliné s’étend de ce dernier mamelon jusqu’à la base du pic ; à la partie inférieure de ce plateau se trouvent déjà quelques espèces de la région montagneuse supérieure, entre autres le Seseli varium et l’Iberis Pruitii ; le Calycotome spinosa, que nous avons vu former le fond de la broussaille à la base de la montagne, a complétement disparu ; mais négligeons un moment les plantes qui sont à nos pieds pour élever nos regards vers le roi de la forêt, le Cèdre, qui vient remplacer tous les autres arbres, et qui forme jusque vers le sommet du pic un magnifique massif. La plupart de ces Cèdres séculaires ont une circonférence de plus de 3 mètres, et le tronc de quelques-uns d’entre eux mesure jusqu’à 4 ou 5 mètres. Ce n’est pas sans plaisir et sans surprise que, dans cette majestueuse forêt qui rappelle si peu nos bois de l’Europe centrale, nous trouvons mêlées aux plantes de la région montagneuse plusieurs espèces de la flore des environs de Paris, les : Cerastium brachypetalum, Geranium lucidum, Sedum acre, Veronica arvensis, Valerianella olitoria, etc. Vers l’extrémité de ce plateau s’étend de l’est à l’ouest une bande de rochers presque à pic (environ 1800 mètres d’altitude) qui nous offre le Linaria reflexa var. lanigera, et plusieurs espèces caractéristiques de cette nouvelle zone de végétation, entre autres les Cotoneaster Fontanesii et Nummularia qui forment quelques buissons espacés, et le Draba Hispanica qui tapisse de ses larges[49] touffes les anfractuosités des rochers ; près de là se rencontrent quelques pieds du Cratægus monogyna var. hirsuta. Après avoir contourné l’extrémité de ces rochers, et franchi le dernier ravin qui nous sépare de la base du pic, nous arrivons à la limite de la forêt de Cèdres, à environ 2030 mètres d’altitude, et environ à 50 mètres encore au-dessous du sommet du pic. Sur les pentes des crêtes qui séparent les principaux versants, les Cèdres, mieux abrités contre la violence des vents, peuvent parvenir à une altitude encore plus rapprochée du sommet du pic ; il est probable que le sommet et les arêtes abruptes ne sont déboisés qu’en raison de la nature rocheuse du sol, de l’absence de terre végétale et de la violence des vents. Sur le Djebel Tougour, comme sur les autres montagnes couvertes de forêts de Cèdres, l’arbre, même vers le sommet de la montagne, garde presque les mêmes proportions qu’à sa limite inférieure d’altitude ; il n’en est pas ainsi dans les Alpes, où les espèces arborescentes diminuent successivement de grandeur, et ne sont plus à leur extrême limite représentées que par des buissons rabougris. — Un pâturage ras et peu étendu à la base du pic nous offre des touffes compactes et argentées du Catananche cæspitosa, du Scorzonera pygmæa et d’une nouvelle espèce du genre Senecio (S. Gallerandianus), qui, par le port, rappelle le Senecio incanus des Alpes. Dans les lieux pierreux, le Carduncellus atractyloides, l’Asperula aristata, le Salvia Aucheri, le Catananche montana, le Vicia glauca, le Draba Hispanica et le Calamintha alpina, etc., croissent en assez grande abondance. Les rochers du pic ne nous présentent d’autres végétaux ligneux que des touffes basses du Rhamnus alpinus, du Berberis vulgaris var. australis et du Prunus prostrata, qui applique ses tiges tortueuses sur les parois des rochers[15]. Un pied unique d’Acer[50] Monspessulanum fait toutefois exception, et par ses dimensions se trouve être sur cette montagne le dernier représentant de la végétation arborescente. Le point culminant (2086 mètres d’altitude) nous montre les plantes de la région montagneuse supérieure associées à des espèces du centre de l’Europe et à quelques-unes de celles de la plaine de Batna et de la région montagneuse inférieure ; nous y retrouvons l’Ephedra Græca déjà observé à environ 1100 mètres d’altitude, près de la maison des gardes. — Un plateau peu étendu, à l’ouest du pic, a offert à M. Balansa les : Valerianella olitoria et carinata, Scabiosa crenata, Santolina canescens, Bromus tectorum. Il a recueilli, vers la partie supérieure des pentes méridionale et occidentale, les : Draba Hispanica, Polygala rosea, Silene Atlantica, Sedum glanduliferum, Pimpinella Tragium, Evax Heldreichii, Scorzonera pygmæa, Hieracium saxatile, Campanula Atlantica, Erinus alpinus, Linaria flexuosa, Anarrhinum fruticosum et Stipa pennata. — Le versant septentrional, par lequel nous descendons dans la vallée qui sépare le Djebel Tougour du Djebel Bordjem, est creusé d’un profond ravin, et couvert de Cèdres depuis la base du pic jusqu’au niveau de la vallée. Vers le milieu de la hauteur de la pente, on voit çà et là parmi les Cèdres de la forêt quelques pieds isolés de l’Acer Monspessulanum, et quelques buissons du Cratægus monogyna var. hirsuta, ainsi que les Cotoneaster que nous avons déjà mentionnés sur la pente orientale. Un groupe de rochers, qui continue sur la pente nord l’espèce de muraille dont nous avons déjà parlé, forme une grotte, près de laquelle on rencontre un seul pied du Lonicera arborea, arbre des montagnes élevées du royaume de Grenade. A l’ombre de ces rochers, M. Balansa a recueilli le Geum heterocarpum, découvert d’abord par M. Boissier dans les montagnes du midi de l’Espagne, puis retrouvé en Orient, sur le mont Cadmus en Carie, par le même botaniste, dans la chaîne du Taurus par M. Balansa, et dans les Alpes françaises, aux environs de Gap, par M. Blanc. — Les zones de végétation sur cette pente, généralement couverte d’un humus abondant, sont encore moins tranchées que sur la pente orientale ; en effet, des touffes de Buplevrum spinosum s’y montrent presque depuis la partie supérieure de la montagne jusque[51] dans le fond de la vallée, et une espèce nouvelle d’Erodium (E. montanum) y occupe une assez large étendue. Sur ce versant, on trouve les : Milium vernale, Triticum hordeaceum, Avena macrostachya, Cynosurus Balansæ, Linaria heterophylla, Selinopsis montana, Vicia glauca, etc. — La limite inférieure des Cèdres est déterminée, comme nous l’avons déjà dit, par le niveau même de la vallée (environ 1620 mètres d’altitude), où nous dressons notre tente en face du col qui partage le premier contre-fort de la montagne voisine et qui est désigné sous le nom de Teniat-Bordjem. Sur aucun point de la pente nord, nous n’avons retrouvé ni les arbres, ni les broussailles qui constituent la végétation ligneuse de la partie inférieure de la pente orientale ; ce n’est qu’à la limite de la vallée, à la base du versant nord, que se rencontrent quelques Genévriers, ainsi que des pieds espacés de Chêne-vert et de Fraxinus dimorpha qui là est arborescent, et que sur la pente orientale, à une altitude plus élevée, nous n’avions rencontré qu’à l’état de buisson. — Les environs de notre campement nous présentent des pâturages s’étendant jusqu’aux ravins qui les séparent de la base du Djebel Bordjem. Nous recueillons dans ces pâturages entre autres espèces les : Ononis Cenisia, Buplevrum spinosum, Vicia glauca et onobrychioides, etc. — Le sol argileux et schisteux de l’un des ravins nous présente un grand nombre de plantes intéressantes, parmi lesquelles nous nous bornerons à citer les : Jurinæa humilis var. Bocconi, une espèce nouvelle d’Helichrysum (H. lacteum), Ononis Cenisia, Evax Heldreichii, Scabiosa crenata, Scleranthus polycarpus, etc. En poursuivant l’exploration de la pente qui nous conduit au col du Djebel Bordjem, nous voyons des touffes du Juniperus Oxycedrus indiquer le commencement de la région boisée ; là nous rencontrons en grande abondance de vastes touffes d’Ampelodesmos tenax, les Asphodeline lutea, Buplevrum spinosum, Othonna cheirifolia. Plus haut, les bois prennent un plus grand développement ; le Chêne-vert (Quercus Ilex et var. Ballota) est l’essence qui domine, et la plupart des arbres présentent près d’un mètre de circonférence. Le Cèdre ne se montre qu’à la base des rochers qui couronnent les sommités, ou dans[52] la partie supérieure des ravins de ces premiers contre-forts de la chaîne du Djebel Bordjem. Les rochers du col (environ 1830 mètres d’altitude) nous offrent le Rhamnus Alaternus var. prostratus ; dans les fissures ombragées se rencontrent des touffes des Fumaria Numidica et sarcocapnoides. — Lorsque nous sommes arrivés à l’échancrure du col, nous voyons se perdre à l’horizon les immenses forêts de Cèdres couvrant toutes les pentes des nombreuses montagnes qui nous apparaissent dans la direction de Sétif.
La présence ou l’abondance du Cèdre sur les divers versants, ainsi que les formes qu’il peut présenter, nous ont paru résulter d’un concours de circonstances et être soumises à des lois dont l’exposé trouvera mieux sa place dans les considérations générales sur la région montagneuse. Nous nous bornerons ici à faire remarquer que la superficie occupée par le Cèdre est beaucoup plus étendue sur les versants dirigés vers le nord que sur les pentes opposées, où il ne se présente généralement qu’au-dessous des sommités les plus élevées et dans la partie supérieure des ravins les plus profonds.
Pour donner une idée plus complète de la richesse forestière des environs de Batna, nous croyons devoir consigner ici les précieux renseignements que nous devons à l’obligeance de M. Grillot, alors garde général des forêts de la subdivision. Les forêts reconnues par l’administration et soumises à sa surveillance, et celles où il a été fait quelques explorations, ne comprennent pas moins de 13,500 hectares. — Les forêts du Djebel Tougour sont évaluées approximativement à 1200 hectares de Cèdres et 1500 hectares de Chênes-verts et essences diverses. — Le Djebel Bordjem ne contient pas moins de 1800 hectares, dont le Chêne-vert forme l’essence principale. — Les vastes forêts qui couvrent les nombreuses montagnes du Bellesma offrent une étendue d’environ 1800 hectares de Chênes-verts et 3000 hectares de Cèdres, qui, sur les versants nord, les sommités et dans les ravins, se prolongent à une distance d’environ 6 lieues. Dans l’une de ces forêts a été abattu un Cèdre de près de 45 mètres de hauteur, et dont le tronc, mesuré à 1 mètre au-dessus du sol, présentait 6m,25 de circonférence. La forêt de Teniet-el-Haad, dans la province d’Alger, que nous avons visitée depuis, présente communément des Cèdres de cette circonférence, et un assez grand nombre qui[59] offrent encore des proportions plus remarquables. — Plus à l’ouest, pour gagner la plaine des Bou-Aoun, on traverse une gorge d’une longueur de près de 6 lieues, et dont les pentes sont couvertes de Chênes-verts, d’Oliviers et de Pistacia Atlantica ; l’écorce de ce dernier arbre, qui contient beaucoup de tannin, pourra devenir l’objet d’une exploitation importante. Dans un autre ravin également rapproché du territoire des Bou-Aoun, on rencontre un bois de Houx (Ilex Aquifolium) de 3 à 4 hectares. — Les forêts des environs immédiats de Lambèse, composées surtout de Chênes-verts, de Genévriers, et où le Pin d’Alep se rencontre sur quelques points, présentent plus de 2000 hectares. — A 3 lieues de Lambèse, à Nza-Sdira, sur un versant occidental, il existe une forêt composée de Chênes-verts, d’Ormes, d’Erables (Acer Monspessulanum) et de Frênes qui atteignent souvent de grandes dimensions ; on y rencontre des Pruniers sauvages et le Lierre (Hedera Helix) ; dans cette forêt, il n’est pas rare de voir le Chêne-vert acquérir un magnifique développement, et son tronc ne se ramifie souvent qu’à 10 mètres du sol. — A 5 lieues environ de Lambèse, à Squaq, une forêt de Cèdres couvre plus de 3000 hectares.
La pente des derniers contre-forts de l’Aurès (Djebel Itche-Ali)[17], qui, vers le point de jonction des vallées de Lambèse et de Batna, s’élèvent de plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de ces vallées, présente des bois dont les essences principales sont les Pinus Halepensis, Juniperus Oxycedrus et Phœnicea, Acer Monspessulanum, Quercus Ilex, et le Pistacia Atlantica qui descend jusque dans la vallée. Ces bois, dans l’étendue que nous en avons parcourue, ne nous ont offert qu’un seul Cèdre de quelques années seulement ; M. Jamin y a observé le Juniperus thurifera, qui n’y est représenté que par quelques pieds, et que nous retrouverons en abondance sur d’autres montagnes de l’Aurès. Dans la partie inférieure de la pente, M. Balansa a rencontré quelques pieds d’une espèce nouvelle de Poirier (Pyrus longipes), qui pourra servir de sujet pour la greffe de nos variétés de poiriers d’Europe. L’Amandier croît également dans ces bois.[60] Dans leur partie supérieure se retrouvent le Cratægus monogyna var. hirsuta et le Cotoneaster Fontanesii avec le Ruscus aculeatus. Vers le milieu de la hauteur de la montagne se trouvent réunies un assez grand nombre d’espèces caractéristiques de cette zone :
Les broussailles qui bordent la vallée sont composées, comme celles de la vallée elle-même, du Retama sphærocarpa, qui plus haut est remplacé par le Calycotome spinosa.
La route de Batna à Ksour nous amène bientôt au point de la vallée qui établit le partage des eaux du Tell et du Sahara (1090 métrés d’altitude). La route se rapproche de la rivière, dont le lit ne présente que des flaques d’eau de distance en distance, et traverse des plaines uniformes presque entièrement incultes, où de larges espaces sont couverts de touffes de Retama sphærocarpa, d’Artemisia Herba-alba et de Santolina squarrosa ; dans les champs en friche, nous retrouvons en abondance le Delphinium Orientale. Sur les montagnes qui limitent la vallée à l’est, les bois ne sont plus représentés que par des broussailles parsemées de quelques arbres peu élevés (Pistacia Atlantica et Juniperus Phœnicea). — Vers Ksour, la vallée s’élargit, et, dans le voisinage du caravansérail (961 mètres d’altitude), quelques champs de céréales, qui nous offrent le Hohenackeria polyodon et le Valerianella stephanodon, sont fertilisés par des irrigations dérivées de la rivière, dans laquelle des sources versent leurs eaux douces et abondantes. Dans des terrains en friche auprès du caravansérail se rencontrent de nombreuses touffes de Peganum Harmala et le Silybum eburneum. — La route, après avoir traversé la plaine de Ksour, s’engage dans l’un des profonds ravins des montagnes qui bornent cette plaine vers le sud ; les pentes argileuses et pierreuses de ces ravins encaissés n’offrent que quelques rares buissons ; vers leur partie[61] inférieure, dans les points arrosés par des dérivations de la rivière, quelques champs de céréales présentent le plus beau développement, et annoncent la fertilité du sol, qui, pour produire de riches moissons, n’a besoin que d’irrigations pratiquées du reste avec une certaine habileté par les indigènes. A Nza-Ben-Messaï ou les Tamarins (790 mètres d’altitude), les eaux de la rivière sont encore assez abondantes, et sur les berges se rencontrent de nombreux buissons de Lauriers-Roses et de Tamarix Africana, en arabe Tarfa, d’où le nom d’Oued Tarfa donné au cours d’eau par les indigènes, et le nom français attribué à la localité. Il n’y a encore aux Tamarins d’autre construction que la maison bâtie par les soins de l’administration pour servir de halte aux voyageurs. Sur les bords de l’Oued Tarfa, M. le docteur Guyon a recueilli le Lonchophora Capiomontiana que nous retrouverons dans la région saharienne. La vallée des Tamarins forme un bassin assez étendu du nord au sud, borné à l’est et à l’ouest par des montagnes entièrement déboisées. Quelques champs de Blé dur et d’Orge, bien arrosés, sont déjà (25 mai) arrivés presque à maturité ; les plantes que nous observons dans ces moissons sont encore pour la plupart celles de la région des hauts-plateaux, et nous y retrouvons le Hohenackeria polyodon, que dans notre voyage nous n’avons pas vu au sud de cette localité.
Les lieux incultes nous présentent déjà quelques-unes des espèces que nous retrouverons dans la région saharienne, entre autres les : Atractylis microcephala, Anabasis articulata, Herniaria fruticosa, Astragalus tenuifolius, Echium humile, etc. — La présence de ces espèces sahariennes s’explique par une moindre altitude, par la présence de terrains salés, et surtout par l’action du vent du sud qui fait déjà sentir là sa puissante influence.
Des ruines indiquent que les Tamarins furent jadis un poste occupé par les Romains. — La route s’éloigne bientôt du cours de l’Oued Tarfa pour se rapprocher de l’Oued Fedâla, quelle traverse et longe ensuite pour descendre dans le ravin creusé par le lit de cette rivière ; ce ravin est encaissé entre les pentes argileuses et pierreuses des Djebel Tilatou et Madou, et ses pentes présentent de nombreuses touffes de Retama sphærocarpa et de Passerina hirsuta. A l’extrémité du Djebel Tilatou, l’étendue occupée par des ruines romaines dans un élargissement de la vallée montre toute l’importance qu’avaient les établissements romains dans cette partie du pays. Quelques champs de céréales cultivés par les indigènes promettent, grâce à l’irrigation, d’assez belles récoltes. Plus loin, nous traversons l’Oued Fedâla et l’Oued Ksour vers leur confluent, et nous suivons l’Oued El-Kantara, réunion de ces deux cours d’eau, et encaissé entre des montagnes escarpées ; au nord-ouest s’élève le Djebel Metlili constitué par d’énormes blocs de rochers, dont les assises, souvent régulières et verticales, apparaissent de loin comme une muraille immense ; au sud-est le Djebel El-Gaous moins élevé, à pentes moins escarpées, est formé de blocs jetés sans ordre, et dont un grand nombre se sont éboulés dans la vallée. Dans tous les points où la rivière a déposé une épaisse couche de terre végétale, les indigènes ont cultivé le sol, et arrosent leurs moissons par des travaux d’irrigation exécutés avec intelligence, et qui n’ont besoin que de quelques perfectionnements. Ces atterrissements nous présentent déjà plusieurs des espèces que nous retrouverons dans les endroits arrosés de la région saharienne :
[64]Là nous rencontrons également le Cordylocarpus muricatus, que, dans la province d’Oran, nous n’avions pas vu dépasser les limites du Tell. — Les montagnes resserrent de plus en plus l’étroite vallée que nous venons de suivre, et bientôt nous arrivons au pied de la muraille de rochers gigantesques qui semblent fermer l’accès de la région saharienne ; ce n’est qu’après avoir contourné une dernière colline que l’on voit apparaître l’étroite brèche creusée par le torrent, et formant l’entrée du célèbre défilé d’El-Kantara : à droite et à gauche s’élèvent perpendiculairement les rochers de l’immense massif qui paraissaient devoir nous barrer le passage. La profondeur du ravin, ses nombreuses sinuosités, le bruit des eaux, tout concourt à impressionner vivement le voyageur dans ce site grandiose et sauvage. Un magnifique pont d’une seule arche, construit par les Romains, traverse le torrent dont la route suit tous les contours. Quelques Dattiers qui croissent sur les bords du torrent annoncent seuls l’approche de la première oasis, dérobée aux regards par les détours du défilé. Encore quelques pas, et le Sahara nous apparaîtra dans son austère majesté. — Il est impossible de dépeindre la magnificence du vaste panorama qui se déroule à nos regards : les cimes majestueuses des innombrables Dattiers de l’oasis se détachent, au soleil couchant, par leur vert foncé, sur la teinte rougeâtre qui semble embraser l’horizon ; les murs de terre qui forment la ceinture de l’oasis, les tours carrées dont elle est flanquée, et les maisons qui composent les villages arabes, forment par leur teinte grisâtre un saisissant contraste. La plaine apparaît dans toute son étendue, et des montagnes au sol rougeâtre semblent dans le lointain se confondre avec le ciel. Tout, jusqu’au costume sévère et primitif des indigènes, concourt à donner à ce tableau un caractère de grandeur et d’étrangeté qu’il nous faut renoncer à décrire.
L’oasis d’El-Kantara, à 35° 16′ de latitude boréale, à 534 mètres d’altitude d’après M. Fournel (environ 550 d’après nos observations barométriques), est située comme les autres oasis des Ziban au delà de la chaîne des montagnes qui séparent le Tell du Sahara ; cette oasis s’étend parallèlement au cours de la rivière, dont les eaux abondantes et douces, par d’importants travaux d’irrigation, fertilisent toutes les cultures. — Un vaste caravansérail, construit, par les soins de l’administration, sur le bord de la rivière opposé à l’oasis, indique seul la domination française. — L’oasis d’El-Kantara ne compte pas moins de 76,200 Dattiers et de 8,552 arbres fruitiers, soumis à un impôt annuel uniforme de 20 centimes. Les plantations de Dattiers et d’arbres fruitiers qui, de loin, présentaient l’aspect d’une forêt, sont divisées en jardins par des murs en terre peu élevés qui les entourent. Ces jardins ne contiennent souvent que quelques arbres habituellement plantés sans ordre ; d’étroits canaux d’irrigation (saguia) creusés dans le sol servent à l’arrosement des arbres et des cultures ; ces canaux mettent en communication entre eux les bassins peu profonds qui entourent chaque pied de Dattier, et permettent aux divers propriétaires d’arroser leurs cultures avec facilité toutes les fois que la sécheresse du sol le nécessite. A l’ombre des Dattiers sont plantes des Abricotiers, des Figuiers, des Grenadiers, quelques ceps de Vigne et quelques Pêchers. Les jardins offrent, en outre, quelques Cédratiers, et la circonférence du tronc de l’un de ces arbres mesurait près de 80 centimètres. Le Blé, l’Orge, les Oignons, les Fèves occupent les vides laissés par les plantations, et croissent vigoureusement grâce à l’ombrage que leur prêtent les arbres en les garantissant de l’influence des vents du sud, et en maintenant dans l’atmosphère la fraîcheur nécessaire à leur développement. — Un habitant du village le plus rapproché du caravansérail, et qui avait reçu, sans doute, quelques leçons de culture au jardin d’acclimatation de Beni-Mora, nous a montré avec complaisance les plantations de Riz de ses saguia, les quelques ares de Coton qu’il venait d’ensemencer,[66] et surtout les arbres fruitiers de son jardin, qui, par les soins qu’il leur avait donnés, se distinguaient déjà de ceux du voisinage. — Les plantes spontanées qui se rencontrent dans les cultures de l’oasis appartiennent, pour la plupart, à la végétation européenne, et nous verrons qu’il en sera de même pour les autres oasis[18]. — Le lit de l’Oued El-Kantara présente de nombreuses touffes de Lauriers-Rose et de Tamarix Gallica, entre lesquelles coulent les eaux de la rivière ; sur les parties nues des berges argileuses croissent en grande abondance un Deverra, le magnifique Reseda Aucheri, et d’autres plantes de la région saharienne. — Des clôtures récentes annoncent l’agrandissement que tend à prendre l’oasis, et dans les jardins qu’elles entourent sont cultivés le Blé et l’Oignon au pied de Dattiers de récente plantation.
L’immense plaine argilo-calcaire d’El-Kantara, bordée au sud de montagnes rocailleuses et nues (Djebel Kteuf), est, en général, d’une extrême aridité ; le Peganum Harmala, l’Anabasis articulata, et l’Artemisia Herba-alba, si commun dans les terrains analogues des hauts-plateaux, y couvrent de larges espaces ; on y rencontre çà et là de rares touffes de Zizyphus Lotus. A l’extrémité de cette plaine la route traverse plusieurs fois le lit de l’Oued El-Kantara, et s’engage entre des collines nues et coupées par de nombreux ravins.
A quelques kilomètres plus au sud, à 6 kilomètres nord-ouest d’El-Outaïa, existe une fontaine chaude, que les indigènes connaissent sous le nom de Hammam-Sid-el-Hadj (Bain du Pèlerin) ; son vaste bassin est alimenté par plusieurs sources, dont la principale atteint une température de plus de 40 degrés. Des débris de constructions romaines se rencontrent dans le voisinage de cette source que nous n’avons pas pu visiter. Les eaux de la fontaine du Hammam contiennent une certaine quantité de matières salines, où dominent le sulfate de chaux et le sel marin. M. Guyon (Voyage aux Ziban), auquel nous avons emprunté les détails qui précèdent, signale aux environs du Hammam le Lonchophora Capiomontiana, et dans les lieux arides voisins le Statice pruinosa.
Un unique pied de Dattier, seul vestige d’une oasis détruite par Salah-Bey, l’un des derniers beys de Constantine, nous annonce le voisinage du caravansérail d’El-Outaïa (256 mètres d’altitude). Dans les environs du caravansérail et du village arabe campent quelques douars, dont les troupeaux paissent dans les maigres pâturages de ce sol aride et déjà brûlé par le soleil (27 mai), en attendant le jour peu éloigné de leur migration dans le Tell. Quelques jardins où dominent le Figuier et le Grenadier se trouvent dans le voisinage immédiat du village. — Une herborisation dans le lit de l’Oued El-Kantara, et à la base de la Montagne-de-sel (Djebel Mélah), nous présente la plupart des espèces sociales caractéristiques de la région saharienne, entre autres les Limoniastrum Guyonianum, Statice pruinosa, Linaria fruticosa, Sonchus quercifolius, etc.
Le sol de la Montagne-de-sel (Djebel Mélah) est composé d’une argile rougeâtre et de terrains calcaires mêlés de gypse, à la surface desquels vient souvent s’effleurir le sel qui les imprègne et qui apparaît dans le lointain comme de larges taches blanchâtres sur les flancs de la montagne. Le Djebel Mélah doit son nom aux bancs considérables de sel qu’il renferme, et que les habitants exploitent en grand. Le sel peut être extrait par masses volumineuses cristallines, et à un état de pureté qui permet, sans aucune préparation, de le livrer immédiatement à la consommation. Les eaux des sources du[70] Djebel Mélah sont chargées de sel qui cristallise aux bords des ruisseaux et incruste les plantes qui y croissent.
La plaine d’El-Outaïa présente un terrain argileux généralement salé ; ce terrain cependant devient assez fertile sous l’influence des irrigations, et de riches moissons d’Orge et de Blé dur se rencontrent sur tous les points qui peuvent être arrosés par des dérivations des eaux de la rivière. Les Arabes s’occupent de toutes parts de la moisson (27 mai), et coupent les chaumes à peu de distance des épis, dont ils forment des bouquets, qu’ils se jettent de main en main pour les remettre aux femmes qui, sur le bord du champ, en opèrent le battage au moyen de gros bâtons. — Le lit de l’Oued El-Kantara nous offre en abondance des buissons de Limoniastrum Guyonianum, dont les innombrables fleurs, d’un rose vif, forment d’admirables panicules, qui, par leur couleur éclatante, contrastent avec le feuillage blanchâtre de l’arbuste. — A l’extrémité de la plaine s’élèvent des montagnes (Djebel Bourzel) que traverse le Col-de-Sfa. Du sommet du col, on voit se dérouler devant soi la région saharienne dans toute son immensité, et sans autre limite que l’horizon ; les oasis de Biskra n’y apparaissent que comme de vastes îlots de verdure, qui se détachent par leur couleur foncée sur la teinte terne du terrain. — Les pentes pierreuses et le ravin argileux du col ne présentent d’autres plantes ligneuses que le Rhus dioica et le Periploca angustifolia, qui y forment des touffes rabougries. Là se trouvent réunies la plupart des espèces caractéristiques des montagnes basses et arides des environs de Biskra, entre autres les diverses espèces d’Arthratherum, les Andropogon laniger, Chloris villosa, Farsetia linearis, Limoniastrum Guyonianum, etc. Le Lasiopogon muscoides a été également observé par M. Hénon à cette localité.
Une plaine argileuse, ondulée et nue, dont le sol est en général imprégné de sel, s’étend jusqu’à Biskra, éloignée d’environ 8 kilomètres ; elle est coupée de collines arides qui disparaissent à environ un kilomètre de l’oasis ; çà et là s’élèvent des cônes réguliers qui peuvent atteindre 15 mètres d’élévation, et qui sont souvent tronqués au sommet ; les plantes qui croissent sur les collines et sur ces tumulus, et qui sont le plus souvent mutilées par les troupeaux,[71] appartiennent presque toutes à la végétation saharienne, et se présentent généralement par touffes espacées, comme la plupart des espèces de cette région.
Dans les dépressions du sol où l’eau a séjourné l’hiver, on observe les :
Biskra[19], à 319 kilomètres de Philippeville, à 236 sud-ouest de Constantine, à 126 sud de Batna, à 34° 56′ latitude boréale et 3° 21′ longitude orientale, à 75 mètres d’altitude, est située, au sud des derniers contre-forts de la chaîne de l’Aurès, sur le cours de la rivière qui porte son nom, et qui résulte de la réunion de l’Oued El-Kantara et de l’Oued Abdi. Cette ville est pour ainsi dire par sa position la clef des oasis des Ziban dont elle est la capitale ; il suffit de jeter les yeux sur une carte pour comprendre son importance, car son occupation assure la soumission des populeuses vallées de l’Aurès méridional et des oasis qui en dépendent, en même temps que celle des nombreuses et importantes oasis des Ziban[20]. — Le fort Saint-Germain est construit à l’entrée de l’oasis de Biskra, vers la prise d’eau qui en alimente les nombreuses saguia, d’où le nom de Ras-el-ma (Tête de l’eau) donné par les indigènes aux constructions récentes qui sont groupées dans[72] le voisinage du fort. — Une population assez nombreuse, et composée exclusivement d’indigènes, est agglomérée dans plusieurs villages situés dans l’intérieur de l’oasis. Ces villages sont composés de maisons construites en terre, couvertes en terrasse, généralement à un seul étage, et placées pour la plupart le long des ruelles qui sillonnent l’oasis, sur lesquelles elles n’ont souvent que la porte pour toute ouverture. Leurs murs sont composés d’espèces de briques, faites d’argile mêlée à du fumier, et séchées au soleil ; des poutres de Dattier, recouvertes des feuilles du même arbre, soutiennent la terre battue qui constitue la terrasse ; des planches grossières en bois de Dattier, et réunies par des traverses de Genévrier, en forment les portes. Un ruisseau longe habituellement l’un des côtés de la ruelle, et ses eaux, souillées par l’incurie des habitants, servent à tous leurs usages domestiques. Les villages sont entourés de toutes parts des jardins de l’oasis, dont quelques-uns sont assez étendus. Dans les clairières de l’oasis ou au bord des chemins, çà et là se trouvent réunies la tente en poil de chameau de l’Arabe nomade et la hutte en feuilles de Dattiers qu’habite le Nègre. A peu de distance du premier village arabe, au sud de Biskra, avait été construit en pisé l’ancien fort de Biskra, abandonné récemment depuis la construction du fort de Saint-Germain. Les jardins qui dépendent de l’ancien village européen qui était protégé par le fort, et dont il n’existe plus que des vestiges, sont encore cultivés par les soldats de la garnison qui, à l’ombre des Dattiers, y entretiennent des cultures potagères. — Plusieurs moulins arabes, d’une construction toute primitive, sont établis sur les principaux canaux dérivés de l’Oued Biskra, et seront probablement remplacés bientôt par des usines plus perfectionnées, dont le moulin à turbine et à deux tournants, bâti pour le caïd, ne tardera pas à démontrer tous les avantages aux indigènes. Les canaux de dérivation se ramifient en d’innombrables saguia qui servent à l’arrosement de toutes les cultures, et permettent de faire arriver l’eau avec facilité au pied de chacun des arbres de l’oasis. Les eaux de ces saguia tiennent en dissolution une assez grande quantité de sel marin et d’autres substances salines ; aussi partout où elles ne sont pas[73] ombragées, voit-on généralement leurs bords se couvrir des plantes qui affectionnent spécialement les lieux salés : diverses Salsolacées, Aizoon Hispanicum, Mesembryanthemum nodiflorum, etc. Dans les endroits ombragés et au voisinage des saguia, les plantes salines font ordinairement place à une végétation rudérale presque entièrement européenne. Pour éviter d’inutiles redites, nous croyons devoir grouper dans une même liste toutes les plantes que nous avons observées dans les terrains cultivés des diverses oasis que nous avons visitées ; car ce sont à peu près les mêmes espèces qui se rencontrent dans toutes les cultures de la région saharienne.
Le nombre des Dattiers (110,858) et des arbres fruitiers (6,046) qui composent l’oasis peut donner une idée de son étendue, et l’on peut juger de l’importance de ses produits par l’impôt considérable que prélève l’administration ; car pour chaque pied d’arbre les indigènes ne paient pas moins de 40 centimes. Outre le Dattier[21], base des cultures sahariennes, les jardins des oasis de Biskra présentent plusieurs espèces d’arbres dont l’introduction est antérieure à l’occupation française. Nous nous bornerons ici à dresser la liste de ces arbres, et celle des plantes cultivées par les indigènes ou récemment introduites ; car nous avons donné ailleurs[22] des détails qui permettent de comparer les ressources agricoles de la région[76] saharienne avec celles des régions littorales et des hauts-plateaux dont nous avons parlé plus haut, et avec celle de la région montagneuse dont nous nous occuperons dans la suite de ce rapport.
Le jardin d’acclimatation de Beni-Mora, bien que sa fondation soit toute récente (1852), a puissamment contribué aux progrès agricoles du pays, grâce au zèle et à l’activité de son directeur, M. P. Jamin. Ce jardin, heureusement situé pour l’instruction agricole des tribus, devrait être cependant, en raison de quelques conditions défavorables, moins un jardin d’acclimatation proprement dit qu’une pépinière où les plantes acquerraient le degré de rusticité nécessaire pour pouvoir être livrées, avec des chances de succès, aux indigènes, qui, d’ici à quelque temps du moins, ne sauront pas toujours leur donner les soins convenables. Les essais d’introduction de nouveaux végétaux doivent généralement être faits dans des terrains de choix où ces végétaux soient soustraits aux influences dangereuses qui peuvent les atteindre avant leur acclimatation complète. Or Beni-Mora, situé en dehors de l’oasis, planté d’un nombre insuffisant de Dattiers et dépourvu d’enceinte, est exposé par cela même à la violence des vents, contre lesquels les brise-vents, formés d’arbrisseaux plantés en ligne, ne sont[77] qu’une protection bien insuffisante. Dans des localités mieux abritées contre le siroco et le vent du nord, et où les irrigations peuvent être pratiquées avec des eaux douces, et non chargées de principes salins, on obtiendrait avec moins d’efforts de meilleurs résultats. Quelques hectares bien choisis dans la grande oasis de Biskra, ou mieux encore dans celles de Branis ou de Mchounech, qui présentent ces avantages, permettraient très probablement de réaliser des acclimatations de végétaux, qui, à Beni-Mora, n’ont pas donné jusqu’ici de résultats satisfaisants.
Indépendamment des nombreux végétaux utiles déjà introduits dans les cultures de Beni-Mora, il nous resterait encore à mentionner les plantes d’ornement qui y sont acclimatées, et dont nous avons donné la liste dans nos notes sur les cultures des oasis des Ziban.
Il ne faut pas juger par l’état actuel des cultures des oasis, toutes prospères quelles sont, de l’avenir qui leur est réservé ; car les guerres continuelles que se livraient autrefois les tribus, et qui les[79] forçaient à porter plutôt leurs efforts sur la défense de leurs cultures que sur leur perfectionnement, ne permettaient pas les progrès qui pourront être facilement réalisés sous l’administration pacifique et la tutelle bienveillante de la France. Ceci n’est pas une simple hypothèse ; car nous avons vu les tribus soumises des environs de Biskra et de l’Aurès, recevoir avec empressement les instructions qui leur sont données, au jardin d’acclimatation et dans les tournées agricoles du directeur de la pépinière, pour l’amélioration de leurs cultures et l’introduction de nouvelles espèces végétales. L’influence des chefs, dont le dévouement a été récemment prouvé d’une manière si frappante par l’admirable expédition de Ouargla, viendra utilement se joindre aux efforts éclairés de l’administration de notre belle colonie pour combattre l’esprit de routine, heureusement moins tenace chez les Sahariens que chez certains peuples que leur civilisation plus avancée devrait rendre moins rebelles à l’esprit du progrès.
Le sol des immenses plaines qui entourent Biskra est composé de terrains argilo-calcaires, ordinairement plus ou moins salés et quelquefois pierreux, ainsi que nous l’avons déjà signalé pour la plaine étendue du Col-de-Sfa à Biskra. Le sable pur et mouvant ne se rencontre, au contraire, aux environs immédiats de Biskra que sur quelques points circonscrits. A 6 kilomètres à peu près au sud-ouest de la ville, des rochers élevés sont entourés et couverts en partie de sable ; ce massif est connu des indigènes sous le nom de Maouïa, et est désigné par les Européens sous celui de Montagne-de-sable. — Cette montagne est composée de deux chaînes de rochers parallèles se dirigeant de l’est à l’ouest, et séparées seulement par un ravin étroit où s’est accumulé un épais dépôt de sable. La plaine argileuse qui précède la montagne offre la plupart des espèces caractéristiques des plaines des environs de Biskra. Ainsi on y rencontre le Neurada procumbens appliqué sur le sol ; le Bubania Feei et le Limoniastrum Guyonianum y croissent en grande abondance ; les petites touffes fructifères et hygrométriques de l’Anastatica Hierochuntica n’y sont souvent fixées au sol que par l’extrémité de leur racine pivotante ; çà et là s’observent l’Atractylis flava et le Pennisetum dichotomum qui n’y est pas[80] rare ; dans les ravins peu profonds dont la plaine est sillonnée, se rencontre le Lonchophora Capiomontiana. La zone sablonneuse à la base de la pente méridionale présente des touffes des : Astragalus Gombo, Scrophularia deserti, Bubania Feei, Calligonum comosum, Euphorbia Guyoniana, Arthratherum pungens et Danthonia Forskalii, entre lesquelles croissent les :
Sur la pente méridionale assez abrupte le sable ne se trouve qu’entre les anfractuosités des rochers ; aussi y observe-t-on des espèces rupestres mêlées aux plantes des sables, entre autres :
Un peu au-dessous du sommet se rencontrent des débris de murailles, restes probablement de constructions romaines. A partir de ce point les rochers disparaissent sous une épaisse couche de sable, et sur cette pente mouvante croissent seulement l’Arthratherum pungens, de nombreuses touffes de Cyperus conglomeratus var., l’Astragalus Gombo et le Calligonum comosum dont les troncs tortueux sont presque enfouis dans le sable que dépassent seules les sommités équisétiformes de l’arbuste. Le point culminant est formé d’un sable tellement mobile qu’il exclut toute végétation.
Les environs de Biskra possèdent des sources assez abondantes ; nous nous bornerons à mentionner ici les plus importantes, la fontaine d’Aïn-Oumach et la Fontaine-chaude[24]. La[81] fontaine d’Aïn-Oumach, à environ 10 kilomètres au sud-ouest de Biskra, jaillit d’un rocher de gypse compacte, et forme immédiatement un ruisseau qui, après un assez long trajet, va arroser l’oasis d’Oumach. L’eau de la fontaine est douce et n’a aucune odeur ; sa température prise à la source est de 25 degrés. Dans les marais que forme le ruisseau se rencontrent les Arundo Phragmites var., Erianthus Ravennæ, plusieurs Juncus, et autres plantes des lieux aquatiques. De nombreuses sources viennent se jeter dans le lit de ce cours d’eau, et il en est une, entre autres, qui présente un bassin de près de 3 mètres de diamètre, et où la profondeur de l’eau est d’environ 80 centimètres ; la sonde rencontrant un fond de sable mouvant y pénètre jusqu’à une profondeur de 14 mètres. L’eau de cette source est douce et sans odeur, sa température est de 27 degrés. A des intervalles variables le sol tremble, et l’on entend un bruit souterrain ; alors le sable du fond de la source est soulevé par une espèce de bouillonnement, et l’on voit le niveau de l’eau s’élever dans le bassin en même temps qu’un jet sous forme de colonne en occupe le centre et se termine en cône un peu au-dessus de la surface. Plusieurs des sources qui alimentent le ruisseau présentent des particularités semblables. — Aux environs de la fontaine d’Aïn-Oumach se rencontrent des sables mouvants et des terrains salés, où croissent des Statice, des Phelipæa, le Limoniastrum Guyonianum, et le Cynomorium coccineum. — La Fontaine-chaude (Aïn-Sala’hin), à environ 6 kilomètres nord-ouest de Biskra, doit son nom à la température élevée de ses eaux (45 degrés). Ces eaux jaillissent d’un bassin circulaire situé sur la pente d’un monticule, dont le sol, par son aspect, sa dureté et ses aspérités, rappelle certains terrains volcaniques. Des mamelons, d’une hauteur de 10 à 15 mètres, avoisinent la fontaine, et leurs sommets sont généralement creusés d’excavations semblables à celles de petits volcans éteints et analogues au bassin de la fontaine elle-même. Les eaux de cette source exhalent une odeur d’hydrogène sulfuré ; elles sont salines, et leur composition est à peu près la même que celle de la source voisine d’El-Outaïa (Hammam-Sid-el-Hadj)[25].[82] Les eaux de la Fontaine-chaude vont se réunir dans un même ravin à celles d’une source voisine (Aïn-el-Djerab), généralement connue sous le nom de Gouffre, pour aller se perdre au loin dans les terrains argileux de la plaine. De nombreuses sources d’eau salée se jettent dans ce ravin ; aux environs des fontaines le sol de la plaine est généralement salé, et l’on y rencontre le Nitraria tridentata, le Limoniastrum Guyonianum, des Salsolacées frutescentes, parmi lesquelles doivent être cités le Sevada Schimperi, qui n’avait encore été observé que sur le littoral de la Mer-rouge, et le Traganum nudatum, qui couronne généralement des tertres arrondis élevés de plus d’un mètre ; les terrains sablonneux présentent également un grand nombre d’espèces intéressantes ; on y observe les Euphorbia Guyoniana, Cleome Arabica, Ammochloa subacaulis, Lotus pusillus, Arthratherum pungens, Senecio coronopifolius, etc. Dans les terrains rocailleux croissent le Bubania Feei, qui y est très abondant, les Echiochilon fruticosum, Oligomeris glaucescens, Pyrethrum fuscatum et trifurcatum, Gymnarrhena micrantha, etc. Dans les marais situés près de la Fontaine-chaude se rencontrent le Juncus maritimus et le Phragmites communis var. Les bords de ces marais sont couverts de touffes de Lygeum Spartum mêlées à celles des Statice pruinosa et cyrtostachya, de l’Halocnemum tetragonum, et du Frankenia thymifolia. Dans les ravins qui avoisinent la source, on voit çà et là de magnifiques touffes de Tamarix pauciovulata.
Les seules oasis arrosées par l’Oued El-Abiad que nous ayons visitées, sont celles de Sidi-Okba et de Mchounech. La première ne diffère pas sensiblement, par ses cultures et sa végétation spontanée, de l’oasis de Biskra ; aussi nous bornerons-nous ici à signaler la bande étroite de sable mobile qui borde cette oasis à l’ouest, et dont nous ne retrouvons pas l’analogue pour les oasis des environs de Biskra. Notre course à Sidi-Okba avait eu surtout pour but la visite de la mosquée où sont conservés les restes vénérés de Sidi-Okba, l’un des premiers conquérants arabes du nord de l’Afrique. L’intérêt historique de cette mosquée a été trop bien indiqué[26] pour[83] que nous pensions devoir y insister ici. — L’oasis de Mchounech, située à l’entrée de la gorge qui donne passage à l’Oued El-Abiad, présente les caractères généraux des oasis de la partie saharienne de la vallée de l’Oued Abdi. Les rochers de la gorge dont nous venons de parler ont offert à M. Balansa l’Oreobliton chenopodioides, qui croît dans les fissures, et le Fumaria longipes, qui se rencontre dans les anfractuosités ombragées. Au pied des murs en pierre de l’oasis se rencontre le Stachys Guyoniana, que nous avons déjà observé à El-Kantara ; le Moricandia suffruticosa est très abondant dans l’oasis où il forme de véritables haies avec le Lycium mediterraneum.
De Biskra à Saada, les plaines sont tout à fait analogues à celles des environs immédiats de Biskra ; elles n’en diffèrent que par un sol encore plus uniforme par sa composition et le nivellement de sa surface. La route qui conduit à Saada longe la rive droite de l’Oued Biskra. Après avoir traversé la grande oasis de Biskra, on arrive, au delà de l’oasis de Kora, à une vaste plaine où les cultures de céréales occupent une assez grande étendue ; ces céréales sont souvent coupées avant la maturité pour être données comme fourrage aux bestiaux ; la plaine est parfaitement unie, et son sol est aride et imprégné de sel ; des touffes de Salsolacées frutescentes s’y rencontrent çà et là. Près de Kora, on voit les restes d’un poste romain ; en se rapprochant de la rivière, on rencontre des touffes des Tamarix Gallica, bounopœa et pauciovulata ; dans quelques endroits le sel, dont le sol est imprégné, est en si grande abondance, qu’il exclut toute autre végétation. Après trois ou quatre heures de marche, on arrive au commencement de la forêt de Saada. — Cette vaste forêt exclusivement[84] composée de Tamarix, s’étend parallèlement au cours de l’Oued Djedi, et son étendue de l’ouest à l’est a été reconnue sur une longueur d’environ 40 kilomètres ; le Tamarix Gallica en constitue la principale essence, et y atteint souvent 8 à 10 mètres de hauteur ; les troncs des plus gros de ces arbres présentent à leur base une circonférence de 1m,20 à 1m,50 ; les Tamarix Balansæa et bounopœa y sont beaucoup moins abondants. Un grand nombre de Tamarix ont été coupés et broutés par les bestiaux, et les nombreux rejets qui partent des souches constituent la broussaille presque impénétrable qui fait le fond de la forêt. La végétation herbacée de la forêt ne présente guère que des espèces françaises ; le Senebiera Coronopus couvre de larges espaces sur les bords des ruisseaux où il croît souvent à l’exclusion de toute autre espèce ; on y rencontre également les Schismus calycinus, Spergularia media, Sonchus maritimus et le Mentha Pulegium. Le sol marécageux de la forêt est constitué par des terrains d’alluvion apportés par les inondations hivernales des cours d’eau ; au bord des nombreux ruisseaux qui sillonnent la forêt croissent le Laurier-Rose et l’Inula viscosa. — Une maison de commandement a été construite au sud de la forêt sur une éminence, et à peu de distance du confluent de l’Oued Biskra et de l’Oued Djedi, pour garantir des déprédations des Arabes cette forêt, ressource si précieuse pour le pays. — Au sud de l’Oued Djedi s’étend une immense plaine ondulée pierreuse et sablonneuse ; elle présente un assez grand nombre des plantes caractéristiques de la flore de Biskra : les Salsolacées frutescentes, l’Atriplex Halimus surtout, y croissent en abondance, et y forment des touffes arrondies d’environ un demi-mètre de hauteur ; aucun arbrisseau ne vient interrompre la monotonie de cette plaine ; seulement on voit à de rares intervalles d’énormes touffes du Zizyphus Lotus, à l’abri desquelles croissent quelques plantes annuelles ; on n’y rencontre aucune source. Dans les dépressions du sol, où l’eau peut séjourner pendant l’hiver, on observe les :
Les endroits sablonneux présentent les :
Dans les lieux rocailleux s’observent les :
Au voisinage du caravansérail ont été recueillis les :
A l’ouest s’étend une plaine argilo-calcaire et sablonneuse sur quelques points ; on n’y voit d’autres arbustes que le Zizyphus Lotus qui croît dans le sable, et le Rhus dioica dans les terrains pierreux, la végétation y est très analogue à celle des environs de Biskra.
Pour compléter le tableau de la flore des environs de Biskra, nous croyons devoir faire précéder la liste des plantes observées dans la région saharienne de quelques détails sur la végétation arborescente : les environs immédiats de Biskra ne présentent pas de véritables arbres ; les arbrisseaux les plus élevés qu’on y rencontre appartiennent au genre Tamarix, et sont généralement loin d’offrir les proportions qu’ils atteignent dans la forêt de Saada ; ce sont les :
qui, avec le Laurier-Rose, ornent souvent les bords des sources et des ruisseaux ; dans les plaines, le Nitraria tridentata et le Zizyphus[86] Lotus forment des touffes généralement orbiculaires et espacées ; dans les rochers ou sur les pentes rocailleuses croît le Rhus dioica, qui peut être employé pour la préparation du cuir et des outres, de la même manière que l’espèce voisine (Rhus pentaphylla), si généralement répandue dans la région littorale de la province d’Oran ; le Periploca angustifolia se rencontre aussi dans les mêmes lieux ; enfin le Limoniastrum Guyonianum forme des buissons peu élevés dans les plaines, et est surtout abondant sur les berges des ravins. — Nous avons cru devoir reporter à la suite de la même liste la relation de nos herborisations sur les bords et dans le lit de l’Oued Biskra, car les alluvions de ce cours d’eau présentent, groupées dans un espace restreint, des plantes de stations trop dissemblables pour pouvoir donner une idée exacte de la distribution des végétaux dans cette partie du Sahara.
L’une des herborisations les plus intéressantes des environs de Biskra est, sans contredit, celle du lit de la rivière où se trouvent réunies presque toutes les plantes de la région, plus quelques-unes appartenant à d’autres régions, et que les eaux y ont apportées ; les berges offrent les plantes des lieux secs ou des rochers, les alluvions une partie de celles des sables et celles des lieux humides. — En remontant le cours de l’Oued Biskra, on voit, à peu de distance du fort Saint-Germain, vers les sources abondantes et chargées de matières salines qui mêlent leurs eaux à celles de la rivière, l’Arundo Donax, le Phragmites communis var. Isiacus, l’Erianthus Ravennæ, et des Tamarix former d’épais fourrés et constituer le fond de la végétation. Sur les berges se trouvent de nombreux buissons du Nitraria tridentata et du Limoniastrum Guyonianum. Près de l’ancien fort turc, construit au sommet d’un coteau aride qui domine le cours de l’Oued Biskra, les alluvions étendues de la rivière présentent un grand nombre d’espèces intéressantes, entre autres les :
Le Pennisetum dichotomum y forme de larges touffes, et nous y rencontrons les Anvillea radiata, Bubania Feei, Statice Bonduellii. — Sur les coteaux argileux qui avoisinent le fort croissent la plupart des plantes des stations analogues ; nous y remarquons le Gymnarrhena micrantha, le Fagonia latifolia et l’Erodium hirtum, dont les fibres radicales sont terminées par d’épais renflements charnus d’une saveur sucrée. — Les coteaux pierreux qui s’élèvent en face du fort turc offrent un grand nombre d’espèces rupestres ou des terrains rocailleux, entre autres le Reaumuria stenophylla, le Deverra chlorantha et le Periploca angustifolia. — Du fort turc au confluent de l’Oued Abdi et de l’Oued El-Kantara, la route que nous suivons pour nous rendre à Branis, est parallèle au cours de l’Oued Biskra, et traverse une plaine tout à fait analogue à celle qui s’étend du Col-de-Sfa à Biskra dont elle est la continuation ; là nous trouvons en grande abondance l’Heliotropium undulatum. Au nord du confluent des deux rivières nous entrons dans une nouvelle plaine encore plus uniforme que la précédente, mais cependant un peu moins nue ; la seule plante que nous ayons à y signaler est l’Atractylis prolifera ; sur des coteaux à l’est croît le Senecio Decaisnei. En remontant le cours de l’Oued Abdi, nous parvenons à l’entrée de la vallée qui porte son nom ; cette rivière, dont les eaux sont abondantes et douces, est resserrée entre les coteaux abrupts qui surmontent sa rive gauche et les montagnes basses qui longent sa rive droite. — L’oasis de Branis (à environ 170 mètres d’altitude) peu étendue, et qui ne renferme que 10,761 Dattiers et 422 arbres fruitiers, occupe sur la rive droite les alluvions déposées par le cours d’eau ; cette oasis, garantie de la violence des vents par les contours de la vallée et abondamment arrosée, présente de nombreuses ressources pour la culture, et nous y admirons la beauté des Dattiers au milieu desquels est dressée la tente du caïd qui nous donne l’hospitalité. Le Figuier, l’Abricotier, le Pêcher, le Pommier, le Poirier, le Grenadier[95] y acquièrent un magnifique développement, et la Vigne s’enlace en guirlande entre les Dattiers ; un pied d’une variété à peine épineuse de l’Opuntia Ficus-Indica a un tronc de près d’un mètre de circonférence. Les habitants de l’oasis ont l’habitude de suspendre les figues les plus précoces, et qu’ils considèrent comme mâles, aux branches des arbres chargés de figues plus tardives dans le but d’en obtenir une fécondation plus complète. Cet usage, qu’on nous a dit être assez général dans les vallées de l’Aurès, nous a rappelé la caprification que l’on pratique en Italie ; mais nous pensons que les indigènes ont été seulement amenés à l’adoption de cette pratique par analogie avec la fécondation artificielle du Dattier. — En quittant Branis nous suivons un étroit sentier longeant de nombreux ravins dont l’aridité et la nature de la végétation nous rappellent les environs de Biskra. De nombreux vestiges d’aqueducs, creusés dans les rochers abrupts qui dominent la rive gauche de la rivière, indiquent, par la hauteur même à laquelle ils se trouvent, toute l’importance et l’étendue de l’ancien réseau des canaux destinés à la distribution des eaux.
Jusqu’à l’oasis de Djemora le pays offre le même aspect de stérilité ; ce sont les mêmes ravins, les mêmes montagnes nues. Quelques champs de Blé dur bien arrosés et d’une riche végétation précèdent l’oasis de Djemora. Cette oasis (environ 340 mètres d’altitude), qui s’étend parallèlement à l’Oued Abdi, est encaissée entre les collines de la rive droite de la rivière et la montagne escarpée qui s’élève sur la rive gauche ; elle renferme avec les petites oasis de Gueddila et d’Ouled-Brahim, qui n’en sont que des dépendances, 60,983 Dattiers et 3,349 arbres fruitiers, soumis à un impôt de 30 centimes par pied. Dans les cultures de Djemora on retrouve en abondance l’Opuntia, que nous n’avons vu que rarement dans les oasis des environs de Biskra. De Djemora à Beni-Souik, les alluvions de la rivière sont plantées de Dattiers, ou cultivées en céréales, et les deux oasis se font presque suite. L’oasis de Beni-Souik renferme 13,146 Dattiers et 2,168 arbres fruitiers, qui paient 30 centimes par pied. La pente rapide qui de l’oasis conduit au village, est couverte de champs de céréales disposés en terrasse et abondamment arrosés ; et nous ne pouvons la gravir qu’en suivant les nombreux détours d’une saguia bordée par les murs des cultures ; entre les pierres de ces murs humides croissent en abondance les Stachys Guyoniana, Convolvulus arvensis, Hyoscyamus albus, Carduus pycnocephalus et Parietaria diffusa. — Beni-Souik,[97] à environ 510 mètres d’altitude, est construit sur le penchant d’une montagne dont les rochers dominent le village. Les maisons, en terre, à plusieurs étages, sont disposées en amphithéâtre autour d’un étroit plateau qui forme une sorte de place publique, où nous trouvons dressées les tentes de notre campement. Les pentes escarpées des rochers qui s’élèvent au-dessus du village ne nous présentent que quelques rares buissons de Juniperus Phœnicea et des Oliviers rabougris. Nous y rencontrons quelques pieds de l’Apteranthes Gussoniana que les habitants mangent avec avidité, ce qui peut en expliquer la rareté.
Dans les anfractuosités de la pente qui regarde l’Oued Abdi croît le Fumaria longipes, que nous n’avions encore recueilli que dans la gorge de Mchounech. Sur les alluvions du ravin profond qui contourne la montagne à laquelle est adossé le village, nous observons les espèces sahariennes suivantes :
Ces espèces ne s’offriront plus à nous dans la vallée de l’Oued Abdi au-dessus de ce point. Il faut remarquer que les alluvions présentent à la fois des espèces appartenant à la flore saharienne qui y trouvent encore les conditions de chaleur nécessaires à leur développement, et quelques espèces de la région montagneuse inférieure ou de la région des hauts-plateaux qui y ont été amenées par les eaux.
Après avoir quitté Beni-Souik en jetant un dernier regard sur les oasis qui s’étendent à nos pieds, nous descendons la pente rapide qui nous amène au fond de la vallée. Le lit de la rivière dans lequel nous marchons est bordé de Lauriers-Rose et de Celtis australis formant d’épais massifs. Des troncs de Dattiers creusés en canal, et appuyés sur les berges élevées, portent dans l’oasis les eaux des saguia qui sillonnent les flancs de la montagne. Des Ronces, des Clématites en fleurs, s’élèvent entre les Grenadiers et les Abricotiers qui couvrent les berges, et la Vigne s’enlace entre les troncs des Dattiers, dont les cimes forment au-dessus de nos têtes de magnifiques ombrages. La fraîcheur, le murmure des eaux, la pureté du ciel, tout semble concourir à embellir ce site enchanteur.
Les rochers de la pente abrupte qui surmonte la rive gauche de l’Oued Abdi nous offrent le Capparis rupestris, le Genista cinerea, le Ballota hirsuta et le Poterium ancistroides, qui croissent dans leurs anfractuosités. L’Atractylis microcephala couvre encore toutes les parties pierreuses. Le Rhus dioica et le Lycium mediterraneum forment çà et là d’épais buissons, et l’on voit apparaître le Pistacia Atlantica. Les plus beaux arbres sont des Oliviers sauvages, et le tronc de l’un d’eux mesure plus de 4 mètres de circonférence. — Après avoir traversé un ravin qui descend du Djebel Bous, nous gravissons une pente qui nous amène aux plateaux élevés précédant la vallée de Ménah. Sur ces plateaux,[100] des champs d’Orge encore sur pied (3 juin) et d’une belle végétation occupent d’assez vastes espaces, quoique la disposition du sol ne permette pas de les arroser ; ces moissons nous offrent un certain nombre d’espèces que nous avons déjà observées ailleurs dans la région des hauts-plateaux : Cerastium dichotomum, Anthyllis Numidica, Crucianella angustifolia, Androsace maxima, Rochelia stellulata, Ziziphora Hispanica, Sideritis montana. — Des Genévriers, le Rosmarinus officinalis et l’Anthyllis Numidica, des touffes de Zizyphus Lotus, de Cistus Clusii, y forment de nombreuses broussailles ; l’Artemisia Herba-alba, l’Anabasis articulata et l’Herniaria fruticosa couvrent de larges surfaces ; les Stipa tenacissima (alfa) et barbata, le Lygeum Spartum et le Cynara Cardunculus, sont assez abondants. — Une pente argileuse et ravinée descend de ce plateau dans la vallée de Ménah. Dans l’un des ravins, nous trouvons quelques pieds rabougris du Linaria scariosa, que M. Hénon avait recueilli dans les atterrissements de l’Oued Biskra.
La ville de Ménah, située à environ 900 mètres d’altitude, est construite sur une colline, dans une vallée assez large, vers le confluent de l’Oued Bouzina et de l’Oued Abdi, dont les eaux en arrosent les cultures et les jardins. Ce centre de population est le plus important de ceux que nous ayons visités dans notre voyage de l’Aurès. On y retrouve encore quelques ruines romaines. Une mosquée est construite dans la partie inférieure du village, près de la maison du caïd. Une vaste salle, qui avait servi de refuge au bey de Constantine après la prise de cette ville par les Français, nous est assignée pour notre campement ; mais des légions de puces nous forcent bientôt à déloger, et à installer notre tente sur la terrasse même de la maison.
L’étendue de la vallée, l’abondance des eaux, ont permis à l’industrie des habitants de créer d’importantes cultures et des jardins où le Dattier, qui ne mûrit plus qu’imparfaitement ses fruits, n’apparaît que çà et là comme une réminiscence des oasis que nous venons de quitter. Les jardins et les vergers, groupés sous forme d’oasis, s’étendent jusqu’à l’entrée du ravin creusé par les eaux abondantes et douces de l’Oued Bouzina. De même qu’à Branis et[101] à Djemora, des saguia sont creusées à une grande hauteur sur les parois abruptes des rochers qui encaissent le ravin. La partie de la vallée, qui n’est pas occupée par les jardins et les vergers, présente des champs entourés de murs en pierres sèches, où sont semés le Blé et l’Orge. A l’époque de notre passage (4 juin), les indigènes étaient tous occupés de la moisson qui commençait. Le Blé était récolté avec la paille entière, au lieu d’être coupé seulement au-dessous de l’épi comme dans la plaine saharienne d’El-Outaïa. Dans le même champ se trouvaient souvent réunies les variétés barbues du Blé dur et du Blé tendre, avec quelques-unes des variétés de nos Blés d’Europe qui y étaient beaucoup moins abondantes. Dans les vergers se retrouvent l’Abricotier, le Figuier, le Grenadier et la Vigne ; le Noyer y est plus rare. Parmi les cultures des jardins nous devons noter les Fèves, la Garance qui y est cultivée avec assez d’intelligence, et la Tomate qui n’y est plantée que plus rarement. La présence du Cynara Cardunculus dénote partout la profondeur du sol. Le Laurier-Rose et une forme à larges feuilles du Salix pedicellata croissent en abondance aux bords des eaux.
La route de Ménah à Chir passe au pied d’une montagne élevée couverte de bois, dont l’essence principale nous a paru être le Pinus Halepensis, mais qu’il ne nous a pas été permis de visiter, car ce lieu était encore pour les habitants un sujet d’effroi. Sur un des contre-forts les plus abrupts de la montagne, on voit les ruines de Narah, véritable nid d’aigle, dont les belliqueux habitants descendaient pour dévaster les cultures de leurs voisins, avant que la domination française fût venue apporter à ces contrées la paix et la sécurité. — A quelques kilomètres de Ménah, les eaux de l’Oued Abdi sont presque épuisées par de nombreux canaux d’irrigation. — Aux environs de Chir, le Noyer commence à devenir l’arbre dominant de tous les vergers.
Chir (environ 1320 mètres d’altitude) est construit, comme les autres villages de la vallée, sur la pente des montagnes qui bordent le cours de l’Oued Abdi. Son importance est beaucoup moindre que celle de Ménah, et nous ne nous y arrêtons que quelques instants.
Entre Chir et Haïdous, les pentes des montagnes présentent de nombreux villages, situés généralement sur la rive gauche de l’Oued Abdi, dont les eaux fertilisent les vergers et les moissons. — La plante la plus remarquable que nous trouvions sur les bords de la route de Chir jusqu’à Haïdous est le Salvia Balansæ, qui n’avait encore été observé qu’à Mostaganem, et dont nous ne rencontrons ici que quelques pieds isolés.
Au-dessous d’Haïdous s’étendent de nombreux vergers où domine le Noyer, qui y acquiert des proportions que nous lui avons rarement vu prendre en Europe, et où se rencontrent également la Vigne et le Pommier. Les Quercus Ilex et sa variété Ballota, Ulmus campestris, Fraxinus dimorpha qui là devient un grand arbre, et le Pistacia Atlantica, forment généralement avec le Celtis australis et le Salix pedicellata une ceinture autour de ces vergers ; et il ne nous a pas toujours été possible de savoir si ces arbres croissaient spontanément, ou si leur introduction était due à l’industrie des habitants. — Haïdous (environ 1350 mètres d’altitude) est construit sur la pente septentrionale et au-dessous du sommet des montagnes qui longent la rive gauche de l’Oued Abdi. Les Noyers sont plantés jusqu’au pied du village, et c’est à l’abri[105] d’un de ces beaux arbres que nous trouvons préparé notre campement. Au-dessus du village, la montagne est couverte de nombreux buissons de Fraxinus dimorpha au tronc rabougri et aux feuilles toutes conformes et suborbiculaires. Les terrains remués qui longent l’un des sentiers qui conduisent au village nous offrent réunies les deux espèces du genre Hohenackeria, et c’est le point le plus élevé de l’Algérie où nous ayons observé ces deux plantes.
En quittant Haïdous, nous traversons des bois peu élevés et des broussailles composés de Fraxinus dimorpha et de Juniperus Phœnicea, et nous gagnons la rive opposée où se retrouvent des pieds espacés des mêmes arbres. Nous y remarquons, en outre, le Juniperus Oxycedrus, qui là atteint le plus grand développement que nous lui ayons vu prendre. Des champs calcaires, à peu de distance du village de Télet, présentent de riches moissons, où nous rencontrons en abondance les Phalaris truncata, Cerastium dichotomum, Leontodon helminthioides, et une espèce nouvelle de Ranunculus (R. rectirostris).
Télet (environ 1520 mètres d’altitude), petit village construit sur un plateau étroit à la base du Djebel Groumbt-el-Dib, nous sert de halte pour nous préparer à l’ascension des Djebel Groumbt-el-Dib et Mahmel. Sur la pente pierreuse au-dessus du village se voient de nombreuses touffes de Berberis vulgaris var. australis,[106] Genista cinerea, Cratægus monogyna, etc. Quelques champs d’Orge, à épis à peine développés (6 juin), occupent la partie inférieure d’un plateau qui s’étend au pied du Djebel Groumbt-el-Dib, et du pic élevé qui termine à l’est le Djebel Mahmel. La partie la plus élevée du plateau où sont dressées nos tentes (environ 2,020 mètres d’altitude), à la base méridionale du pic du Djebel Mahmel, n’offre que quelques pâturages broutés par les troupeaux du douar qui nous donne l’hospitalité. — A sept heures du soir (7 juin), le baromètre marquait 597 millimètres, le thermomètre 12 degrés ; le ciel commençait à se couvrir de nuages de poussière soulevés par le siroco. Quelques heures après, une pluie abondante amenait un tel refroidissement de l’atmosphère, que le thermomètre descendait pendant la nuit à + 4°. Cette pluie continua pendant toute la nuit pour ne cesser que le lendemain matin vers neuf heures. Le baromètre, qui, à huit heures du matin, marquait seulement 594 millimètres, était remonté à 597, chiffre que nous avions observe la veille, et une température de 14°,5 vint enfin nous faire oublier la sensation désagréable que nous avaient fait éprouver la pluie et le froid, alors que nous étions déjà parfaitement habitués à la température saharienne, qui, cinq jours auparavant, sous l’influence énergique du vent du sud, s’était élevée à Biskra jusqu’à 48 degrés. La crainte du retour de la pluie nous détermine à remplacer l’abri imparfait que nous avait prêté la tente du douar par celui plus sûr que nous offrait l’une des nombreuses grottes naturelles, creusées dans les massifs de rochers qui bordent la pente sud du plateau où nous étions établis, et qui servent d’abri aux troupeaux pendant la nuit ; nous devons donc faire déloger les moutons pour y installer notre domicile et notre bagage botanique. — Une grande partie du plateau est occupé par des touffes de Sarothamnus purgans et de Buplevrum spinosum, entre lesquelles croissent les : Carex hordeistichos, Erodium cicutarium, Medicago Cupaniana, Scleranthus annuus var., Carduus macrocephalus, Paronychia Aurasiaca, Asphodeline lutea, Othonna cheirifolia ; de larges espaces sont couverts de Plantago Coronopus et d’Evax Heldreichii, dont les rosettes sont appliquées sur le sol.
[107]La pente sud par laquelle nous faisons l’ascension du pic du Mahmel, entièrement déboisée et composée de rochers et de pierres éboulées, ne présente que quelques touffes espacées de Sarothamnus purgans et de Buplevrum spinosum ; le Draba Hispanica commence aussi à y paraître à peu de distance du plateau. Sur cette pente croissent la plupart des plantes des pâturages de la région, et dans sa partie supérieure nous retrouvons presque la même végétation que nous avait déjà offerte le Djebel Tougour. — Un plateau rocailleux, étroit, étendu de l’est à l’ouest, constitue le sommet du pic (2,306 mètres d’altitude) qui, au nord-est, termine la chaîne du Djebel Mahmel et celle du Djebel Groumbt-el-Dib. Les plantes de cette sommité sont encore en grande partie celles de la pente sud. La pente nord, également pierreuse, est coupée de nombreux massifs de rochers. A environ 50 mètres au-dessous du sommet, de larges cavités, creusées dans les rochers ou circonscrites par eux, sont remplies d’une épaisse couche de neige, malgré la saison déjà avancée (7 juin) ; ces trous à neige, qui se rencontrent sur une assez grande étendue de l’est à l’ouest, ne nous ont pas paru descendre très bas sur la pente. Dans les points que la neige a abandonnés, et où les plantes sont encore étiolées par leur long séjour sous l’épaisse couche de neige qui vient seulement de disparaître, et quelquefois sur la neige elle-même, nous voyons fuir devant nous des essaims de sauterelles tellement nombreux, que de larges espaces en sont entièrement couverts. La voracité de ces insectes est telle qu’un bien petit nombre de plantes ont été respectées (Evax Heldreichii, Gagea polymorpha, Muscari racemosum, Arabis ciliata). Les pâturages de ce versant ne consistent guère que dans quelques espèces dont il ne reste que des vestiges, et dans l’intervalle desquelles le sol est couvert de Plantago Coronopus et d’un gazon d’un blanc éclatant d’Evax Heldreichii. — La pente nord est entièrement déboisée ; quelques arbres n’apparaissent qu’à sa partie inférieure, dans les ravins qui descendent vers la vallée de Bouzina, et qu’il ne nous a pas été donné de pouvoir explorer.
Un col assez profond (Teniat-Mahmel) sépare le pic, extrémité du Djebel Mahmel de la chaîne du Djebel Groumbt-el-Dib.[108] Le point le plus élevé de cette dernière montagne, dans le voisinage du col, égale au moins en altitude le sommet du pic du Djebel Mahmel, et présente une crête de rochers qui sépare la pente nord de la pente sud. Dans les anfractuosités et les fentes de ces rochers croissent de nombreuses touffes de l’Erodium trichomanæfolium, dont les gazons tapissent de larges espaces presque à l’exclusion de toute autre végétation, et ce point est jusqu’ici l’unique station de la plante en Algérie. Sur la pente nord, immédiatement au-dessous de la crête de rochers, dans un terrain calcaire, meuble et pierreux, nous rencontrons le Papaver Rhœas mêlé à un grand nombre d’espèces parisiennes, que nous avions déjà observées sur la sommité du Djebel Mahmel. — La pente sud de la montagne, tout à fait analogue au versant correspondant par lequel nous avons fait l’ascension du Djebel Mahmel, ne nous offre guère que les mêmes espèces.
En quittant le plateau élevé situé à la base du pic du Djebel Mahmel, nous traversons des bois qui s’étendent depuis la grotte où nous avons campé (environ 1,850 mètres d’altitude) jusqu’à la vallée de l’Oued Abdi ; ces bois sont composés presque exclusivement de Quercus Ilex et de Juniperus Oxycedrus ; nous y retrouvons également le Fraxinus dimorpha.
La partie supérieure de la vallée de l’Oued Abdi (Fedj-Geurza), dans le voisinage des sources de la rivière, est occupée par quelques douars et de belles moissons de Blé et d’Orge qui ne sont pas encore (8 juin) parvenues à maturité. — Les pâturages du fond de la vallée, où dominent les Graminées, sont beaucoup plus riches que ceux des plateaux que nous venons de quitter, et nous y recueillons plusieurs espèces intéressantes, entre autres les Triticum hordeaceum, Avena macrostachya, Catananche montana, espèces nouvelles pour la science.
La vallée de l’Oued Abdi que nous allons quitter, l’une des plus riches de l’Aurès, est un curieux sujet d’étude pour le voyageur, car, sur une longueur d’environ 15 lieues, il y voit représentées toutes les zones de végétation de l’Algérie, depuis l’oasis du Sahara jusqu’aux pâturages alpestres. Il ne manque à cette fertile vallée, pour rivaliser avec les contrées les plus favorisées, que les belles forêts de Cèdres qui couvrent d’autres parties des monts Aurès. — Dans la partie inférieure de la vallée, de Branis à Beni-Zouik, le Dattier constitue des oasis, et est la culture dominante ; à Ménah, il n’est déjà plus qu’un ornement au milieu des arbres fruitiers du midi de l’Europe ; à Haïdous, le Noyer et les arbres fruitiers du centre de l’Europe peuplent seuls les vergers ; enfin à Fedj-Geurza se retrouvent seulement encore quelques rares cultures au milieu des pâturages de la région montagneuse. — Les nombreux villages qui occupent les deux revers de la vallée sont construits en terre, il est vrai, mais n’en révèlent pas moins chez[113] leurs habitants un degré de civilisation bien supérieur à celui des tribus nomades qui n’ont que la tente pour tout abri. — La population nombreuse de ces villages laisserait peu de place à la colonisation ; mais il n’est pas douteux que, sous l’influence protectrice de la France, les indigènes ne puissent augmenter encore les richesses d’une contrée déjà fertilisée par leurs travaux et leur industrie. — Il ne faut pas d’ailleurs s’exagérer l’aversion des Kabyles des monts Aurès (Chaouia) pour les chrétiens ; nous avons pu avec l’escorte d’un seul spahis parcourir une grande partie du pays, où aucun Européen ne peut pénétrer sans une autorisation spéciale, et cela sans avoir jamais couru l’ombre d’un danger, et en recevant partout l’accueil empressé non-seulement des chefs représentant l’autorité française, mais encore des populations elles-mêmes qui nous témoignaient une curiosité bienveillante, et se faisaient un plaisir de nous fournir des difa souvent onéreuses pour de petites localités, et auxquelles notre appétit européen ne nous permettait, à leur grand regret, de ne faire honneur que d’une manière trop imparfaite. Partout notre tente était dressée avant notre arrivée qui était attendue avec impatience, et la reconnaissance de ces braves gens, pour les légers services médicaux que nous pouvions leur rendre, s’exprimait par des signes non équivoques. A Haïdous, je fus assez heureux pour améliorer rapidement, au moyen de quelques cautérisations, l’ophthalmie grave de la femme d’un paysan de la localité, et la preuve de la confiance du mari en mes connaissances médicales ne se fit pas attendre : le brave homme s’empressa de m’amener son mulet boiteux, espérant que ma science, qui avait pu être de quelque utilité à sa femme, ne serait pas moins efficace pour la guérison de sa bête.
La protection éclairée que l’on accorde actuellement au culte musulman n’est pas un des moyens les moins efficaces de nous rallier des populations qui, pour nous aimer, n’ont besoin que de nous mieux connaître. Le respect de l’influence des marabouts si vénérés de leurs tribus, et la construction de mosquées par les soins de l’administration française, ont plus fait pour empêcher les excès du fanatisme religieux, et prévenir les insurrections, qui prendraient pour drapeau la différence de religion, que toutes les[114] persécutions, qui n’étaient pas loin de l’esprit de ceux qui ont longtemps pensé que l’élément indigène devait être repoussé au delà des limites de notre occupation, sinon entièrement détruit ; car le fanatisme de quelques colons mal inspirés a osé aller jusque-là. — Qu’il me soit permis de citer un fait tout personnel comme preuve de la tolérance religieuse des Chaouia : à Menah, au retour de l’exploration du ravin de l’Oued Bouzina, dans laquelle il nous avait fallu traverser plusieurs fois la rivière, nous étions fort embarrassés pour changer de vêtements, au milieu du nombreux entourage qu’il nous était impossible d’éloigner ; on nous désigna, sans aucune hésitation, comme un lieu fort convenable pour nous soustraire aux regards des curieux, la mosquée de l’endroit construite par un marabout vénéré.
La race kabyle a été l’objet de trop d’études pour que nous puissions espérer ajouter aux connaissances déjà acquises ; mais nous comprenons trop l’importance de la force humaine, comme principal agent de l’agriculture, pour hésiter à entrer ici dans quelques considérations sur des faits que l’exercice de la médecine dans les tribus nous a permis de constater de la manière la plus authentique. Malgré leur civilisation déjà avancée et leurs instincts laborieux, les Kabyles de l’Aurès ne s’en livrent pas moins à tous les débordements d’un déplorable libertinage, cause puissante de dépopulation et d’abâtardissement[32] pour une race remarquable par la beauté de son type, et qui, par ses caractères généraux, se rapproche beaucoup de celle du centre de l’Europe.
Ce n’est pas sans regret que nous quittons la charmante vallée de l’Oued Abdi ; mais nous sommes pressés d’aller explorer le Djebel Cheliah, dont nous voyons dans le lointain les vastes forêts de Cèdres. Nous descendons la pente rapide d’un ravin qui nous conduit à El Hdour (environ 1,610 mètres d’altitude), à la source de l’un des affluents de l’Oued El-Abiad ; les montagnes des environs sont couvertes de bois composés de Chênes-verts (Quercus Ilex et var. Ballota) et de Fraxinus dimorpha, entre lesquels se montrent de nombreux pieds de Juniperus thurifera, espèce d’Espagne[115] et d’Orient qui n’avait pas encore été observée en Algérie ; ce dernier arbre descend jusque dans la vallée, et, vu de loin, il rappelle un peu, par la grosseur de son tronc et la disposition de ses branches, les Saules blancs étêtés qui entourent les prairies du centre de la France ; dans le fond de la vallée sont d’assez vastes champs de Blé entourés de murs et bien arrosés. Au sud, la montagne d’Iche-moul montre la partie supérieure de ses pentes couvertes d’arbres de forme pyramidale, que nos guides nous assurent être des Cèdres. — De Hdour à Em-Medinah, nous suivons une vallée creusée de ravins argilo-schisteux, dont les pentes présentent des bois clairsemés, et dans lesquels le Juniperus Oxycedrus vient remplacer le J. thurifera ; dans ces mêmes bois se voient également quelques pieds de Pinus Halepensis.
La vallée de Em-Medinah (environ 1,390 mètres d’altitude), assez vaste et bien arrosée, s’étend à la base du Djebel Cheliah, dont l’immense massif la limite au nord-est ; d’autres montagnes beaucoup moins élevées complètent le cirque qui la circonscrit ; de nombreuses ruines romaines, qui ont fait donner son nom à la vallée (Em-Medinah, la ville), montrent qu’elle fut jadis un centre important de population ; des ruisseaux, origine de l’Oued El-Abiad, en fertilisent les cultures ; de riches moissons de Blé, qui ne sont pas encore parvenues à maturité (9 juin), occupent une assez grande étendue de ce sol fertile. Les Arabes n’ont pas d’établissement fixe à Em-Medinah, et n’y viennent camper que pendant l’été et l’automne pour y faire paître leurs troupeaux, et se livrer aux travaux de la culture ; pendant les froids de l’hiver, alors que la vallée est le plus souvent couverte par la neige, ils vont établir leurs douars dans les pâturages de la région saharienne. En raison de l’altitude, les champs n’ont besoin que d’irrigations assez rares, et seulement lorsque les épis sont déjà formés ; la moisson a lieu en août, et l’on retrouve ici les habitudes sahariennes : la paille est coupée à peu de distance des épis, et le dépicage du Blé et de l’Orge est pratiqué au moyen de chevaux ou de mulets. Les mêmes champs ne sont jamais cultivés deux années de suite, comme ceux de la vallée de l’Oued Abdi, qui, par les soins des habitants, sont devenus de véritables jardins constamment en[116] culture. — Dans les pâturages dominent les espèces suivantes, la plupart européennes :
Dans les moissons et dans les terrains anciennement cultivés, la végétation spontanée est également constituée en grande partie par des espèces européennes :
Les coteaux, au sud de la vallée, présentent le Fraxinus dimorpha, et des pieds de Juniperus thurifera d’un beau développement. Les pentes des montagnes plus élevées qui dominent ces coteaux sont occupées par d’assez beaux bois, dont les essences principales sont le Chêne-vert (Quercus Ilex), le Juniperus Oxycedrus, et le Pinus Halepensis, et où le Calycotome spinosa et l’Anthyllis erinacea avec le Buplevrum spinosum forment des buissons peu élevés. Dans un champ enclavé dans ces bois, nous trouvons pour la première fois une espèce nouvelle du genre Brassica des mieux caractérisées (Brassica dimorpha) avec d’autres plantes intéressantes. — Les clairières de ces mêmes bois nous offrent le Catananche cærulea, des touffes non fleuries du Scabiosa crenata, les Festuca triflora et cynosuroides, etc.
La pente nord du Djebel Cheliah est coupée de ravins profonds, espacés, creusés par les ruisseaux qui se jettent dans l’Oued Essora. En longeant l’un de ces ravins les plus rapprochés d’Em-Medinah, nous traversons de beaux bois composés de Fraxinus dimorpha, de Chênes-verts (Quercus Ilex et var. Ballota), de Juniperus Oxycedrus, qui s’élève seulement à quelques centaines de mètres au-dessus de la base de la montagne ; les branches de ce dernier arbre présentent fréquemment de véritables bouquets de l’Arceutholobium Oxycedri. Au-dessus des bois, jusqu’à la base du premier pic, s’étendent des pâturages ras analogues à ceux que nous retrouvons dans la partie déboisée du pic principal. Le seul arbre que nous observions dans ces pâturages, au-dessus de 1,800 mètres d’altitude, est un pied de Juniperus thurifera, que nous n’avons pas retrouvé ailleurs sur le versant nord de la montagne. Les pentes qui nous conduisent à la crête nous offrent des touffes de Cratægus monogyna var. hirsuta, Sarothamnus purgans, Anthyllis erinacea et d’Artemisia campestris, entre lesquelles croissent les Ononis Cenisia, Vicia glauca, Helichrysum lacteum, Evax Heldreichii, Catananche montana, etc. — Une exploration rapide des sommités[119] du Djebel Cheliah jusqu’à la base du pie principal nous présente les plantes de la région montagneuse supérieure, entre autres les Scorzonera pygmæa, Brassica humilis, Senecio Gallerandianus, Potentilla Pensylvanica, etc. L’approche de la nuit nous force, à cause du voisinage des lions, de gagner notre campement, et de remettre au lendemain une nouvelle ascension de la montagne pour l’exploration du pic principal. L’un des profonds ravins qui s’étendent de ce pic vers la vallée de l’Essora nous conduit aux sources d’Aïn-Turck, près desquelles sont dressées nos tentes (environ 1,500 mètres d’altitude). Le fond de la vallée de l’Oued Essora, au-dessous de notre campement, est occupé par des pâturages et quelques moissons.
La partie inférieure de la montagne est couverte de bois, dont les Chênes-verts (Quercus Ilex et var. Ballota) et le Fraxinus dimorpha constituent les principales essences ; le Juniperus Oxycedrus s’y rencontre en assez grande abondance, et on y voit aussi des buissons souvent assez élevés du Cratægus monogyna var. hirsuta, et de rares pieds du Prunus Insititia ; quelques Cèdres descendent jusque dans la vallée, mais seulement le long des ravins. — Au voisinage du campement d’Aïn-Turck, et au bord des ruisseaux, s’étendent des pâturages ras et déboisés circonscrits par les bois de la partie inférieure de la montagne, et par la forêt de Cèdres qui, au-dessus, en occupe le versant. — Les bords du ravin que nous gravissons dans la forêt de Cèdres nous présentent, vers 1,800-1,900 mètres d’altitude, l’If (Taxus baccata), que nous verrons s’élever jusqu’à la limite supérieure du Cèdre ; mais cet arbre, quoiqu’il atteigne d’assez grandes proportions, ne se[121] rencontre que par individus isolés. L’Acer Monspessulanum, dont nous n’avions rencontré que quelques pieds épars, entre, sur ce point seulement, pour une assez grande part dans la composition de la forêt. Les Cotoneaster Fontanesii et Berberis vulgaris var. australis forment des buissons dans les clairières, où l’on voit des touffes rabougries et hémisphériques du Juniperus nana, et où nous recueillons plusieurs espèces intéressantes : Linaria heterophylla, Paronychia Aurasiaca, Vicia glauca, Lamium longiflorum, Viola gracilis, Selinopsis montana, Iberis Pruitii, Scorzonera pygmæa, Scabiosa crenata, Brassica humilis, etc. — Vers 2,150 mètres d’altitude, on arrive à la limite supérieure de la forêt de Cèdres, qui se termine brusquement, comme au Djebel Tougour, par des Cèdres aussi développés que ceux de la partie inférieure. — Une vallée étroite nous sépare encore de la base du pic ; les deux versants de cette vallée sont également couverts de Cèdres. — Les pâturages, qui s’étendent presque jusqu’aux sources situées à peu de distance du sommet, nous présentent en abondance les : Draba Hispanica, Scorzonera pygmæa, Buplevrum spinosum, Senecio Gallerandianus, Potentilla Pensylvanica (déjà observé en Espagne par M. Reuter dans des stations analogues), etc. ; on y observe aussi le Prunus prostrata, et quelques pieds rabougris de l’Acer Monspessulanum. — Aux environs des sources, dans les endroits frais ou arrosés, croissent les Barbarea intermedia, Arabis ciliata, Viola gracilis, Valeriana tuberosa, etc. — La pente rocailleuse peu étendue qui nous sépare du sommet est en grande partie couverte par d’énormes touffes de Sarothamnus purgans ; là nous recueillons un Jasione non encore fleuri, et voisin de certaines formes du Jasione perennis. — L’étroit plateau pierreux qui forme le point culminant du Djebel Cheliah s’étend de l’est à l’ouest. Des murs en pierres sèches, construits sur la partie la plus élevée, nous servent de refuge contre le vent pour nos observations thermométriques et barométriques.
De ce point, le plus élevé de toute l’Algérie, se déroule un magnifique panorama ; au sud et près de nous, les pentes blanchâtres, abruptes, nues et accidentées, des montagnes qui limitent[122] la vallée de l’Oued El-Abiad, et dans le lointain les plaines du Sahara ; à l’ouest, les sommets de nombreuses montagnes, et aux limites de l’horizon le Djebel Tougour et la chaîne des Ouled-Sultan ; au nord des pentes boisées, et au delà les vastes plaines des hauts-plateaux, et leurs chotts aux surfaces miroitantes ; à l’est, les montagnes accidentées et les vallées profondes de l’Aurès oriental.
Le versant sud du Djebel Cheliah, dont nous n’explorons la pente rocheuse que jusqu’à quelques centaines de mètres au-dessous du sommet, nous offre dans les fissures des rochers l’Amelanchier vulgaris et le Ribes Grossularia, et dans les rocailles qui couvrent le sol les : Erodium montanum, Helichrysum lacteum, Campanula rotundifolia, Anthoxanthum odoratum, Asplenium Ruta-muraria, Rhamnus alpinus, Catananche montana, etc. — Cette pente est trop abrupte et trop dépourvue de terre végétale pour pouvoir être régulièrement boisée ; aussi les Cèdres n’y occupent-ils généralement que les ravins, et n’arrivent-ils qu’à une altitude bien inférieure à celle qu’ils atteignent sur la pente nord ; la plupart d’entre eux présentent les caractères de la vétusté, et leurs sommets ont été brisés par le vent ou par les éboulements de rochers. — Plusieurs pentes méridionales des montagnes élevées qui environnent le Djebel Cheliah ou qui en dépendent sont, au contraire, couvertes de Cèdres presque jusqu’au sommet ; mais ces arbres, dont la cime s’étale généralement en parasol, présentent un moins beau développement que ceux des pentes tournées vers le nord.
Qu’il nous soit permis d’exprimer ici nos craintes sur la conservation des magnifiques forêts de l’Aurès. Les nombreux débris des Cèdres, qui jadis formaient la limite des forêts, indiquent que cette limite a déjà notablement baissé par suite des déprédations des Arabes, qui souvent, au voisinage de leurs pâturages ou de leurs campements, mettent le feu au pied des plus beaux arbres. Il serait à désirer que des règlements sévères vinssent mettre un terme à ces désordres dans des contrées où la conservation de la végétation arborescente est une des conditions indispensables de la richesse du pays ; car la dénudation du sol et l’éboulement des rochers viendrait stériliser les vallées, et apporter à la longue un[123] trouble profond dans la distribution des eaux, en convertissant les cours d’eau, source de fertilité, en des torrents dévastateurs. Pour protéger les forêts d’une manière plus complète, il faudrait aussi empêcher la mutilation des arbres, à laquelle les Arabes ne sont que trop portés, et soumettre à une réglementation l’extraction de la résine, qui, avec l’écorçage, ne sont pas de moindres causes de destruction[34]. Le but ne peut être atteint, néanmoins dans les montagnes élevées et à pentes rapides, que par l’interdiction absolue du pacage dans les pâturages des sommités ; car, par la destruction des jeunes plants et la vétusté de la forêt qui en est la conséquence, les troupeaux contribuent beaucoup à abaisser le niveau d’altitude atteint par la végétation arborescente. La rapidité du développement des arbres dans les pays chauds viendra bientôt, du reste, récompenser les soins de l’administration, ainsi que le prouvent par un exemple frappant les forêts des environs de Batna soumises au régime forestier, et qui sont en voie de réparer leurs pertes. Dans le rapport sur notre voyage dans la province d’Oran, nous avons déjà appelé l’attention sur les résultats importants obtenus aux environs de Saïda, par la surveillance de l’autorité militaire, pour l’amélioration des bois qui couvrent le revers septentrional de la chaîne qui sépare le Tell des hauts-plateaux ; cet exemple démontre que l’autorité militaire peut, par une répression efficace, obtenir des indigènes, sans surcroît de dépenses et sans l’organisation d’un personnel nombreux, la stricte observation des mesures nécessaires pour empêcher le déboisement du pays.
Les bois des montagnes qui limitent au nord la vallée de l’Oued Essora, en face d’Aïn-Turck, ne possèdent pas de Cèdres, à cause de leur peu d’élévation ; les arbres qui y dominent sont les mêmes que ceux de la partie inférieure du Djebel Cheliah. Le Fraxinus dimorpha avec l’Anthyllis erinacea et le Calycotome spinosa y forme de nombreux buissons.
Nous suivons le cours de l’Oued Essora ; la vallée (environ 1,200 mètres d’altitude) offre quelques cultures, et nous y remarquons quelques Mûriers et des vignes presque sauvages qui s’enlacent dans les arbres. — Dans les bois dominant à l’est le Teniat-Touchent, nous voyons des arbres verts à forme pyramidale, que de loin nous croyons appartenir à une espèce nouvelle pour nous ; mais, en nous en rapprochant, nous pouvons constater que ces arbres, dont la forme insolite excitait notre attention, sont des Pinus Halepensis, qui, en raison de circonstances locales, n’ont pas leur port habituel. A l’ombre de ces arbres, nous trouvons le Ruscus aculeatus et les Euphorbia Nicæensis et verrucosa var. leiocarpa.
Au sortir du col de Teniat-Touchent, nous entrons dans la plaine d’Yabous où nous retrouvons un grand nombre d’espèces de la région des hauts-plateaux. — Le Djebel Amrous, qui borne la plaine au sud, est couvert de bois, dans lesquels dominent les Fraxinus dimorpha, Pistacia Atlantica et Juniperus Oxycedrus. — En ravin argileux, assez profond et à berges très accidentées, nous présente les mêmes arbres et de nombreux buissons de Calycotome spinosa ; l’Othonna cheirifolia y est d’une extrême abondance ; ce ravin nous conduit à un autre étage de la plaine ; cette nouvelle plaine est jonchée de ruines romaines, et nous n’y voyons d’autres cultures que quelques champs d’Orge brûlés par le soleil ; l’aspect général du pays nous rappelle les solitudes des hauts-plateaux de la province d’Oran. Un grand nombre de plantes[129] vivaces n’ont pas encore fleuri (13 juin) ; mais la plupart des plantes annuelles ont déjà disparu. — Le sol, au voisinage de l’un des principaux affluents de l’Oued Taga, devient plus fertile ; de nombreux douars sont établis sur ce point, où l’on nous dresse notre tente auprès de ruines romaines qui couvrent un large espace ; les endroits frais présentent des pâturages et d’assez belles moissons. Un ravin profondément encaissé, et creusé par un cours d’eau qui se jette dans l’Oued Taga, nous offre, dans les rochers de ses berges escarpées, de nombreux pieds de Pistacia Atlantica et de Fraxinus dimorpha, et des touffes de Jasminum fruticans ; sur les alluvions déposées par les eaux, nous retrouvons le Brassica dimorpha que nous avons déjà recueilli sur les montagnes de Em-Medinah, et nous observons les espèces suivantes : Pulicaria Arabica, Velezia rigida, Ruta montana, Phelipæa Schultzii, Polycarpon Bivonæ, Cerastium Atlanticum, Sinapis pubescens, Othonna cheirifolia, Medicago secundiflora, etc. — Un colombier naturel s’est établi dans des cavités de la partie la plus escarpée du ravin, et de nombreuses volées de pigeons viennent y chercher un refuge.
En nous dirigeant vers le cours principal de l’Oued Taga, continuation de l’Oued Firez, nous observons dans des ravins argilo-schisteux de nombreuses touffes de Retama sphærocarpa, Anthyllis Numidica et Centaurea Parlatoris ; là nous retrouvons aussi en abondance le Brassica dimorpha, dont les alluvions de l’affluent de l’Oued Taga ne nous avaient offert que quelques individus. — Plus loin, des coteaux argileux, à croupes arrondies et creusées de nombreuses ravines, sont parsemés de touffes de Lygeum Spartum, Deverra scoparia, Asphodelus ramosus et Atractylis cæspitosa, entre lesquelles croissent les espèces suivantes : Erysimum strictum var. micranthum, Gypsophila compressa, Ruta montana, Hedysarum pallidum, Sedum altissimum, Eryngium dichotomum, Crucianella patula, Santolina squarrosa, Androsace maxima, Wangenheimia Lima, etc. Au pied de ces coteaux, dans les terres en friche de champs récemment cultivés, nous voyons réunies la plupart des espèces, qui, dans la région des hauts-plateaux, sont propres aux terrains remués.
Aux environs de l’Oued Taga, de maigres moissons couvrent la plus grande partie du sol, et de toutes parts les indigènes sont occupés à la récolte (13 juin). — Après avoir traversé le lit de l’Oued Taga, nous nous hâtons d’arriver à Timegad.
Les ruines de Timegad (l’ancienne Tamugada), moins bien conservées que celles de Lambèse, n’en présentent pas moins un vif intérêt pour l’archéologue. Un arc de triomphe encore debout, l’enceinte d’un vaste édifice, un cirque, de nombreuses inscriptions, des débris de toute sorte, indiquent, par l’étendue qu’ils occupent, toute l’importance de la cité romaine, dont l’emplacement n’est plus aujourd’hui qu’une plaine inculte. Nous n’avons guère observé, dans les ruines où les Arabes établissent souvent leurs douars, que des espèces rudérales : Peganum Harmala, Torilis nodosa, Borrago officinalis, Atriplex Halimus, Chenopodium Vulvaria et opulifolium, Urtica pilulifera, etc.
Sur les bords de l’Oued Soutetz (environ 940 mètres d’altitude), quelques rares pieds de Tamarix Gallica nous offrent un ombrage que nous sommes heureux de trouver après avoir traversé les vastes plaines déboisées dont nous venons de parler. — Jusqu’au marabout de Sidi-Mansar, nous parcourons une plaine bornée au sud par des montagnes peu élevées, à peine boisées, et où dominent surtout les Juniperus Phœnicea et Oxycedrus ; dans l’un des nombreux ravins qui aboutissent à l’Oued Soutetz, nous retrouvons le Centaurea microcarpa et le Nasturtium coronopifolium, que nous n’avions pas revus depuis que nous avons quitté la région saharienne. La végétation de la plaine offre, du reste, les mêmes caractères que celle de la vallée de Lambèse dont elle n’est que la[132] continuation ; le Retama sphærocarpa y devient d’une extrême abondance. — Nous franchissons la porte de l’ancienne Marcouna, dont la route longe les ruines jusqu’à Lambèse, où, après notre long séjour sous la tente, nous sommes heureux de retrouver la civilisation européenne.
La contrée que nous avons parcourue est comprise entre les 3° 21′ et 4° 34′ de longitude orientale de Paris et les 36° 53′ et 34° 40′ de latitude septentrionale.
Cette contrée, depuis Philippeville jusqu’à Biskra, peut être partagée en quatre régions naturelles, aussi distinctes au point de vue de la géographie botanique qu’à celui de la géographie physique :
1o Région méditerranéenne. — Cette région, limitée au nord par la Méditerranée, ne nous paraît pas s’étendre au sud beaucoup au delà de Constantine. Les environs de cette ville présentent une végétation assez distincte de celle du littoral, des hauts-plateaux et de la montagne, pour que nous ayons dû y voir l’analogue de la région méditerranéenne intérieure que nous avons admise dans la province d’Oran, où elle occupe une zone beaucoup plus étendue. L’ensemble de la région peut donc être subdivisé en deux régions secondaires : l’une méditerranéenne littorale, l’autre méditerranéenne intérieure.
2o Région des hauts-plateaux. — Cette région, dont la limite au nord n’est guère déterminée que par l’altitude (700 à 1,000 mètres environ), comprend les plaines larges et élevées situées au sud de Constantine, et s’étend jusqu’à la chaîne de montagnes qui, vers El-Kantara, la séparent de la région saharienne.
3o Région montagneuse. — Cette région est représentée surtout par les montagnes élevées des environs de Batna, par celles de la chaîne de l’Aurès et par les vallées qui en dépendent.
4o Région saharienne ou désertique. — Cette région, caractérisée essentiellement par la culture en grand du Dattier, expression d’un concours de circonstances toutes spéciales, commence au sud de la grande chaîne de l’Atlas, et paraît s’étendre jusqu’à la limite septentrionale des pluies estivales ; elle serait ainsi comprise environ entre les 35e et 15e degrés de latitude boréale. La région saharienne n’est représentée dans ce rapport que par les plantes[134] observées aux environs de Biskra, et quelques autres recueillies entre Biskra et Tuggurt.
Dans le voyage qui fait l’objet de notre travail, nous avons, autant que possible, recueilli dans chaque région, et sur un grand nombre de points, toutes les espèces, même les plus vulgaires. Nous avons ajouté aux résultats de nos observations les indications puisées dans les matériaux que nous avions à notre disposition, toutes les fois que cela était nécessaire.
Le nombre total des espèces et des principales variétés dont les stations sont consignées dans nos listes est de 1,432.
Pour donner une idée exacte de la répartition des espèces dans les régions que nous avons indiquées plus haut, et de leur distribution géographique générale, nous avons dressé un tableau qui présente à la fois le nombre des espèces propres à chaque région, celui des espèces communes à plusieurs régions, et les principales affinités de géographie botanique. Dans ce tableau, les affinités géographiques des plantes d’Algérie sont exprimées en tête des colonnes de la manière suivante :
Eur. (Europe). Plantes se retrouvant dans une grande partie de l’Europe.
Méd. (Région méditerranéenne). Plantes communes à la plupart des contrées du bassin méditerranéen.
Méd. occ. (Région méditerranéenne occidentale). Plantes appartenant à la partie occidentale du bassin méditerranéen.
Esp., Port. (Espagne, Portugal). Plantes propres à la péninsule ibérique.
Esp., Or. (Espagne, Orient). Plantes existant à la fois en Espagne et en Orient, sans avoir été observées sur des points intermédiaires.
It. (Italie). Plantes qui n’ont encore été observées qu’en Italie, en comprenant sous cette dénomination non-seulement l’Italie proprement dite, mais encore la Sicile, Malte, la Corse et la Sardaigne. Les plantes qui ne sont point spéciales à l’Italie sont, d’après leurs affinités géographiques, classées sous les titres de Méd. occ. ou Méd. or.
Méd. or. (Région méditerranéenne orientale). Plantes se trouvant dans la partie orientale de la région méditerranéenne de l’Europe.
Or. (Orient). Plantes se trouvant en Asie, excepté celles qui doivent être rattachées au groupe suivant.
Or. dés. (Région désertique de l’Orient). Espèces se trouvant dans les déserts de l’Égypte, de l’Arabie, de la Palestine et de la Perse méridionale.
Spéc. (Plantes spéciales). Plantes qui n’ont encore été observées qu’en Algérie ou dans les États voisins Maroc et Tunis.
NOMS DES RÉGIONS. | EUR. | MÉD. | MÉD. OCC. | ESP. PORT. | ITAL. | MÉD. OR. | OR. | OR. DÉS. | ESP. OR. | PL. SPÉC. | SOMME des ESP. |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Litt. | 36 | 85 | 25 | 6 | 15 | 1 | 2 | 20 | 190 | ||
Litt. Const.[36] | 7 | 11 | 2 | 1 | 2 | 1 | 24 | ||||
Litt. Const. Plat. | 4 | 6 | 1 | 11 | |||||||
Litt. Const. Mont. | 3 | 2 | 1 | 6 | |||||||
Litt. Const. Sah. | 2 | 3 | 1 | 6 | |||||||
Litt. Const. Plat. Mont. | 11 | 14 | 3 | 1 | 1 | 31 | |||||
Litt. Const. Plat. Sah. | 4 | 10 | 1 | 1 | 16 | ||||||
Litt. Const. Mont. Sah. | 1 | 1 | 2 | ||||||||
Litt. Const. Plat. Mont. Sah. | 13 | 17 | 2 | 1 | 1 | 34 | |||||
Litt. Plat. | 4 | 5 | 3 | 2 | 14 | ||||||
Litt. Plat. Mont. | 11 | 5 | 3 | 1 | 20 | ||||||
Litt. Plat. Sah. | 4 | 8 | 1 | 13 | |||||||
Litt. Plat. Mont. Sah. | 12 | 7 | 1 | 1 | 1 | 22 | |||||
Litt. Mont. | 5 | 9 | 3 | 1 | 2 | 2 | 22 | ||||
Litt. Mont. Sah. | 2 | 2 | 4 | ||||||||
Litt. Sah. | 6 | 11 | 2 | 19 | |||||||
Const. | 5 | 20 | 3 | 2 | 2 | 7 | 39 | ||||
Const. Plat. | 1 | 9 | 1 | 1 | 4 | 16 | |||||
Const. Mont. | 3 | 5 | 1 | 2 | 1 | 2 | 3 | 17 | |||
Const. Sah. | 2 | 5 | 7 | ||||||||
Const. Plat. Mont. | 11 | 15 | 5 | 4 | 4 | 1 | 2 | 9 | 51 | ||
Const. Plat. Sah. | 1 | 5 | 2 | 1 | 9 | ||||||
Const. Mont. Sah. | 1 | 2 | 3 | ||||||||
Const. Plat. Mont. Sah. | 10 | 17 | 3 | 2 | 1 | 2 | 3 | 38 | |||
Plat. | 22 | 18 | 5 | 7 | 2 | 3 | 2 | 1 | 1 | 12 | 73 |
Plat. Mont. | 28 | 28 | 12 | 13 | 1 | 1 | 2 | 16 | 101 | ||
Plat. Sah. | 13 | 29 | 4 | 6 | 2 | 4 | 1 | 4 | 10 | 73 | |
Plat. Mont. Sah. | 9 | 20 | 4 | 5 | 1 | 1 | 6 | 11 | 57 | ||
Mont. | 105 | 46 | 24 | 17 | 5 | 9 | 7 | 8 | 36 | 257 | |
Mont. Sah. | 3 | 3 | 3 | 9 | |||||||
Sah. | 16 | 45 | 12 | 8 | 6 | 6 | 85 | 21 | 45 | 244 | |
Total des espèces pour l’ensemble de la province | 355 | 463 | 124 | 77 | 37 | 24 | 25 | 89 | 47 | 187 | 1428 |
[136]Ce tableau, bien qu’il n’indique les affinités géographiques de la végétation de la province de Constantine qu’avec l’Europe, les diverses parties du bassin méditerranéen et l’Orient, comprend cependant la presque totalité des espèces que nous avons mentionnées, puisque quatre espèces seulement n’ont pu, en raison de leur patrie, y être portées ; ce sont les Ononis angustissima et Phagnalon purpurascens, qui n’avaient encore été signalés qu’aux îles Canaries, le Digitaria commutata, qui n’avait encore été observé qu’au Cap de Bonne-Espérance, aux îles Canaries et à celles du Cap-vert, et le Pappophorum scabrum, plante du Cap de Bonne-Espérance. — Il est évident que, en raison des limites dans lesquelles nous avons nécessairement dû circonscrire notre tableau, il ne peut comprendre toutes les contrées où se rencontrent les espèces à dispersion très large, les moins importantes du reste au point de vue de la géographie botanique.
Les affinités de l’ensemble de la végétation de la province de Constantine avec l’Europe et le bassin méditerranéen, déjà démontrées par l’examen du tableau, seront rendues plus évidentes encore par les sommes suivantes, résumant quelques-unes des données du tableau principal : si l’on fait la somme des espèces appartenant aux diverses parties du bassin méditerranéen, on voit que cette somme est de 725 espèces, et en y ajoutant les 355 espèces de l’Europe, on arrive au total de 1,080 espèces, tandis que les autres éléments de la végétation ne sont représentés que par le total de 348 espèces.
On a vu plus haut que le total des espèces mentionnées est de 1,428 ; mais nous devons faire remarquer qu’une espèce qui se trouve à la fois dans plusieurs régions, joue dans ces diverses régions le même rôle qu’un nombre égal d’espèces qui seraient propres à chacune de ces régions en particulier. Le tableau suivant, résumant pour chaque région ses principales affinités géographiques, permettra, par leurs sommes, de donner d’une manière plus exacte encore, les proportions relatives des éléments constitutifs de l’ensemble de la végétation.
AFFINITÉS DE GÉOGRAPHIE BOTANIQUE. | MÉD. LITT. | MÉD. INT. | H.-PLAT. | MONT. | SAHAR. | SOMMES. | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Végétation européenne | 125 | 79 | 158 | 228 | 99 | 689 | ⎫ ⎪ ⎪ ⎬ ⎪ ⎪ ⎭ |
2061 |
Région méditerranéenne | 196 | 142 | 213 | 193 | 185 | 929 | ||
Région méditerr. occident. | 49 | 25 | 50 | 62 | 33 | 219 | ||
Espagne, Portugal | 11 | 13 | 40 | 46 | 23 | 133 | ||
Italie, Sicile | 20 | 12 | 10 | 15 | 1 | 58 | ||
Région méditerr. orientale | 1 | 2 | 7 | 13 | 10 | 33 | ||
Orient. | 3 | 3 | 11 | 12 | 12 | 41 | ⎫ ⎪ ⎬ ⎪ ⎭ |
492 |
Orient désertique | 2 | 2 | 86 | 90 | ||||
Espagne, Orient | 5 | 18 | 20 | 33 | 76 | |||
Plantes spéciales | 27 | 29 | 70 | 85 | 74 | 285 | ||
Somme des espèces observées dans chaque région. | 434 | 310 | 579 | 674 | 556 | 2553 |
On voit par ce tableau que l’élément européen et méditerranéen de la végétation est représenté par 2,061, tandis que la somme des autres éléments n’est représentée que par 492. En d’autres termes, les affinités de la végétation de la province de Constantine sont, pour plus des quatre cinquièmes, avec l’Europe ou les diverses contrées du bassin méditerranéen.
FAMILLES. | MÉD. LITT. | MÉD. INT. | H.-PLAT. | MONT. | SAHAR. | NOMBRE des ESPÈCES. |
---|---|---|---|---|---|---|
Renonculacées | 11 | 7 | 16 | 16 | 10 | 32 |
Papavéracées | 4 | 4 | 7 | 5 | 6 | 7 |
Fumariacées | 2 | 4 | 5 | 6 | 1 | 9 |
Crucifères | 14 | 15 | 41 | 46 | 48 | 90 |
Cistinées | 6 | 4 | 10 | 12 | 6 | 23 |
Résédacées | 2 | 2 | 5 | 2 | 7 | 11 |
Frankéniacées | 1 | 4 | 4 | |||
Caryophyllées | 14 | 9 | 19 | 23 | 16 | 49 |
Linées | 4 | 1 | 2 | 1 | 1 | 7 |
Malvacées | 5 | 4 | 5 | 2 | 7 | 10 |
Hypéricinées | 3 | 1 | 2 | 1 | 4 | |
[138]Géraniacées | 4 | 5 | 8 | 10 | 10 | 20 |
Zygophyllées | 5 | 5 | ||||
Rutacées | 3 | 2 | 3 | 6 | ||
Rhamnées | 2 | 3 | 6 | 2 | 7 | |
Térébinthacées | 1 | 1 | 3 | 2 | 4 | |
Légumineuses | 69 | 48 | 58 | 68 | 53 | 164 |
Rosacées | 7 | 3 | 3 | 26 | 1 | 28 |
Lythrariées | 4 | 2 | 1 | 1 | 4 | |
Tamariscinées | 1 | 3 | 9 | 9 | ||
Paronychiées | 3 | 3 | 12 | 13 | 14 | 21 |
Crassulacées | 2 | 3 | 3 | 8 | 9 | |
Ficoïdées | 1 | 1 | 5 | 6 | ||
Ombellifères | 21 | 16 | 27 | 37 | 19 | 72 |
Rubiacées | 9 | 3 | 13 | 19 | 7 | 25 |
Valérianées | 3 | 4 | 5 | 7 | 12 | |
Dipsacées | 2 | 2 | 2 | 4 | 1 | 6 |
Composées (Cynarocéphales) | 21 | 19 | 37 | 33 | 30 | 71 |
— (Corymbifères) | 32 | 13 | 21 | 28 | 39 | 79 |
— (Chicoracées) | 21 | 14 | 29 | 37 | 30 | 66 |
Campanulacées | 2 | 2 | 5 | 1 | 8 | |
Primulacées | 3 | 2 | 4 | 5 | 3 | 8 |
Oléacées | 4 | 1 | 3 | 3 | 6 | |
Asclépiadées | 3 | 3 | ||||
Gentianées | 5 | 1 | 2 | 1 | 5 | |
Convolvulacées | 3 | 6 | 4 | 4 | 3 | 9 |
Borraginées | 8 | 8 | 17 | 14 | 16 | 33 |
Solanées | 2 | 3 | 3 | 4 | 9 | |
Scrophularinées | 11 | 8 | 8 | 22 | 10 | 38 |
Orobanchées | 1 | 8 | 2 | 6 | 12 | |
Labiées | 10 | 10 | 26 | 31 | 13 | 50 |
Plumbaginées | 2 | 1 | 4 | 2 | 8 | 14 |
Plantaginées | 4 | 4 | 6 | 5 | 9 | 10 |
Salsolacées | 1 | 4 | 13 | 4 | 23 | 26 |
Polygonées | 6 | 3 | 6 | 5 | 8 | 14 |
Daphnoïdées | 1 | 1 | 3 | 5 | 2 | 6 |
Euphorbiacées | 11 | 5 | 7 | 3 | 12 | 22 |
Urticées | 2 | 4 | 2 | 2 | 4 | 7 |
Cupulifères | 1 | 1 | 2 | 4 | ||
Conifères | 1 | 4 | 8 | 2 | 11 | |
Orchidées | 1 | 1 | 5 | 6 | ||
Iridées | 4 | 2 | 2 | 3 | 1 | 5 |
Liliacées | 9 | 11 | 12 | 14 | 7 | 27 |
Joncées | 2 | 2 | 7 | 4 | 3 | 12 |
Cypéracées | 7 | 1 | 9 | 7 | 10 | 19 |
Graminées | 44 | 37 | 65 | 64 | 62 | 143 |
Fougères | 1 | 2 | 3 | 2 | 8 |
La région méditerranéenne est, comme nous l’avons déjà dit, limitée au nord par la Méditerranée, et ne nous paraît pas s’étendre au sud beaucoup au delà de Constantine, où sa limite méridionale n’est guère déterminée que par l’altitude (700 à 1,000 mètres environ) et l’aspect particulier des plaines déboisées qui indiquent le commencement de la région des hauts-plateaux.
De Philippeville à la limite de la région, l’inclinaison générale du sol est régulière et continue ; elle ne devient très prononcée qu’aux environs de Constantine, qui est à plus de 600 mètres d’altitude. Le pays est coupé, même sur le littoral, de chaînes ou de groupes de montagnes ; les plus élevées de ces montagnes sont celles de la Kabylie et celles des environs de Constantine. Les cours d’eau sont assez nombreux, et leur volume est en général assez considérable.
Les bois, qui sur le littoral couvrent de larges espaces, disparaissent vers Constantine. Nous avons donné dans la première partie de ce travail assez de détails sur la composition de ces bois pour n’avoir pas à y revenir ici. Nous rappellerons seulement qu’ils sont en général formés d’espèces réellement arborescentes, et non pas de broussailles parsemées d’arbres comme dans la plus grande partie de la région méditerranéenne de la province d’Oran. Leurs principales essences sont : le Frêne (Fraxinus australis) ; l’Orme (Ulmus campestris) ; le Chêne-vert (Quercus Ilex) ; le Chêne-Liége (Quercus Suber), qui est assez généralement répandu pour être l’objet d’une exploitation importante ; l’Olivier (Olea Europæa), qui sur quelques points forme presque à lui seul de véritables bois. Outre ces arbres, qui peuvent également se trouver par pieds isolés, nous devons mentionner : l’Azerolier (Cratægus Azarolus), qui, aux environs de Philippeville, acquiert un développement exceptionnel ; le Peuplier blanc (Populus alba) qui est très généralement répandu dans les endroits humides et aux bords des eaux ; le Tamarix Africana qui forme un bois assez étendu vers l’embouchure du Safsaf ; le Micocoulier (Celtis Australis), le Caroubier (Ceratonia Siliqua) et le Pistacia Atlantica, qui se trouvent dans les bosquets de la vallée du Rummel intérieur.
[140]Les broussailles, dont nous avons indiqué la composition dans la relation du voyage, sont beaucoup moins répandues que dans la partie correspondante de la province d’Oran, et elles ne se rencontrent guère que sur les pentes de quelques coteaux. Nous devons faire remarquer l’extrême rareté du Palmier-nain (Chamærops humilis), qui, sur un si grand nombre de points du littoral des provinces d’Oran et d’Alger, envahit le sol, d’où le colon ne peut le faire disparaître que par des défrichements souvent dispendieux.
La végétation de la région méditerranéenne dans son ensemble rappelle celle des points correspondants du littoral européen, et sa vigueur luxuriante est un indice de l’extrême fertilité du pays. Les céréales peuvent acquérir un magnifique développement non-seulement dans les vallées et dans les endroits irrigables, mais encore sur les pentes où l’irrigation ne peut être pratiquée. D’abondants pâturages couvrent la plupart des terrains incultes, et sont déjà par eux-mêmes une source de richesse, en attendant que le défrichement vienne les convertir en magnifiques moissons. Les tubercules de l’Asphodèle (Asphodelus ramosus) et les bulbes de la Scille (Scilla maritima), plantes si abondantes dans tous ces pâturages, fourniront longtemps encore à l’industrie européenne la matière première pour la distillation de l’alcool. La profondeur de la couche végétale est indiquée partout par l’excessive fréquence du Cynara Cardunculus.
Région méditerranéenne littorale. — Le climat tout méditerranéen de la région littorale est nettement indiqué par les caractères généraux de la végétation spontanée[37] et des cultures. — L’Agave (Agave Americana) et le Figuier-de-Barbarie (Opuntia Ficus-Indica), si répandus aux environs d’Oran, n’occupent ici que des espaces circonscrits. La saison des pluies et la saison de sécheresse sont moins nettement tranchées. Le développement des plantes est moins précoce que dans la province d’Oran en raison de la différence de latitude et des influences qui se produisent selon la longitude.
Nous ne croyons pas devoir donner ici le tableau des espèces[141] caractéristiques de la végétation, car il suffit de consulter nos notes sur les environs de Philippeville et sur le trajet de Philippeville à Constantine pour se faire une idée de la richesse botanique et agricole de la région.
Le nombre total des espèces et des principales variétés observées dans la région littorale est de 434.
Sous le rapport de leur durée elles peuvent être partagées en deux groupes, le nombre des espèces annuelles ou bisannuelles étant d’environ 242 et celui des espèces vivaces de 192. — Parmi les espèces vivaces, 43 sont ligneuses ; on ne peut guère compter que 7 arbres croissant spontanément dans la région : Cratægus Azarolus, Tamarix Africana, Olea Europæa, Fraxinus australis, Ulmus campestris, Quercus Suber, Populus alba. La relation de notre voyage donne des renseignements suffisants sur les arbres introduits dans la région.
Si l’on considère les plantes de la région littorale au point de vue de leur classification en familles naturelles, on trouve que le nombre des Dicotylédones est de 359, et celui des Monocotylédones de 75. — Les familles principales rangées, d’après leur importance relative dans la région, donnent le tableau suivant :
Espèces. | Espèces. | ||||
---|---|---|---|---|---|
1 | Composées | 74 | 14 | Rosacées | 7 |
2 | Légumineuses | 69 | 15 | Cypéracées | 7 |
3 | Graminées | 44 | 16 | Cistinées | 6 |
4 | Ombellifères | 21 | 17 | Polygonées | 6 |
5 | Crucifères | 14 | 18 | Malvacées | 5 |
6 | Caryophyllées | 14 | 19 | Gentianées | 5 |
7 | Renonculacées | 11 | 20 | Papavéracées | 4 |
8 | Scrophularinées | 11 | 21 | Linées | 4 |
9 | Euphorbiacées | 11 | 22 | Géraniacées | 4 |
10 | Labiées | 10 | 23 | Lythrariées | 4 |
11 | Rubiacées | 9 | 24 | Oléacées | 4 |
12 | Liliacées | 9 | 25 | Plantaginées | 4 |
13 | Borraginées | 8 | 26 | Iridées | 4 |
Les résultats fournis par la comparaison de la région littorale, au point de vue de la géographie botanique, avec les autres contrées du bassin méditerranéen étant consignés dans un tableau synoptique[38] nous ne croyons pas devoir les reproduire ici ; nous[142] nous bornerons à exposer quelques données complémentaires des indications portées au tableau.
Si l’on fait la somme des espèces appartenant aux diverses parties du bassin méditerranéen, on voit que cette somme est de 277 ; en y ajoutant les 125 espèces de l’Europe on obtient le total de 402, tandis que les autres éléments de la végétation ne sont représentés que par 32 espèces. — Sur les 27 espèces spéciales, 20 n’ont pas été observées dans les autres régions.
De l’examen de la statistique botanique comparée de la région littorale il résulte qu’elle offre les plus grandes analogies avec le littoral européen, et que nous y retrouvons la confirmation de la loi que nous avons formulée, d’après laquelle les influences selon la longitude sont dominantes sur le littoral algérien. — Il est à peine besoin d’ajouter que les cultures ne doivent pas différer sensiblement de celles des parties analogues du littoral européen.
Région méditerranéenne intérieure[39]. — Le climat plus européen de Constantine se dénote par l’aspect de la végétation et des cultures ; l’Oranger et le Néflier-du-Japon (Eriobotrya Japonica) ne mûrissent plus leurs fruits dans la vallée du Rummel supérieur, et la culture de l’Olivier y réclame des soins spéciaux. Le développement de la végétation est plus tardif que dans la région littorale par suite de la différence d’altitude.
Nous ne donnons pas ici le tableau des espèces caractéristiques de la végétation, car il suffit de consulter nos notes sur les environs de Constantine pour se faire une idée de la nature de la végétation et des ressources agricoles de la région.
Le nombre total des espèces et des principales variétés vues par nous dans la région méditerranéenne intérieure est de 310.
Sous le rapport de leur durée elles peuvent être partagées en deux groupes, le nombre des espèces annuelles ou bisannuelles étant d’environ 173 et celui des espèces vivaces de 137. — Parmi[143] les espèces vivaces, 21 sont ligneuses ou frutescentes ; on ne peut guère compter que 4 arbres croissant spontanément dans cette région, dont l’un des caractères est l’absence de bois ; ces 4 arbres sont les : Pistacia Atlantica, Ceratonia Siliqua, Olea Europæa et Celtis australis. La relation de notre voyage donne des renseignements suffisants sur les arbres introduits dans la région.
Si l’on considère les plantes de la région méditerranéenne intérieure au point de vue de leur classification en familles naturelles, on trouve que le nombre des Dicotylédones est de 252, et celui des Monocotylédones de 58. — Les familles principales, rangées d’après leur importance relative dans la région, donnent le tableau suivant :
Espèces. | Espèces. | ||||
---|---|---|---|---|---|
1 | Légumineuses | 48 | 12 | Convolvulacées | 6 |
2 | Composées | 46 | 13 | Géraniacées | 5 |
3 | Graminées | 37 | 14 | Euphorbiacées | 5 |
4 | Ombellifères | 16 | 15 | Papavéracées | 4 |
5 | Crucifères | 15 | 16 | Fumariacées | 4 |
6 | Liliacées | 11 | 17 | Cistinées | 4 |
7 | Labiées | 10 | 18 | Malvacées | 4 |
8 | Caryophyllées | 9 | 10 | Valérianées | 4 |
9 | Borraginées | 8 | 20 | Plantaginées | 4 |
10 | Scrophularinées | 8 | 21 | Salsolacées | 4 |
11 | Renonculacées | 7 | 22 | Urticées | 4 |
Sur les 310 espèces de la région, 180 n’ont pas été vues par nous dans la région littorale. — Sur les 29 espèces spéciales, 7 n’ont pas été observées dans les autres régions, 2 seulement ont été trouvées dans la région littorale.
Si l’on fait la somme des espèces appartenant aux diverses parties du bassin méditerranéen, on voit que cette somme est de 194 ; si l’on y ajoute les 79 espèces d’Europe, on obtient le total de 273, tandis que les autres éléments de la végétation sont représentés par 37.
L’examen de la statistique botanique comparée de la région méditerranéenne intérieure démontre que cette région est suffisamment distincte de la région littorale, au moins comme région secondaire, et qu’elle offre encore les plus grandes analogies avec la végétation méditerranéenne de l’Europe ; les influences qui se produisent selon la latitude sont déjà révélées par la présence de 5 espèces qui se trouvent à la fois en Espagne et en Orient. —[144] Les cultures sont à peu près les mêmes que celles de la région littorale, mais notablement moins méridionales à cause de l’altitude.
La région des hauts-plateaux[40], ainsi que nous l’avons dit plus haut, n’a pas au nord de limite tranchée ; cette limite n’est guère déterminée que par l’altitude et l’aspect particulier des vastes plaines qui constituent la région. Au sud au contraire elle est limitée de la manière la plus naturelle par la chaîne de montagnes qui s’étend de l’est à l’ouest comme une immense muraille pour la séparer du Sahara. Les hauts-plateaux dans la province de Constantine ne sont, à vrai dire, qu’une dépendance de la région montagneuse ; leurs vastes plaines dépourvues de bois d’une altitude de 700 à 1,100 mètres, n’en sont guère que le premier étage. Ces plaines, par leur étendue, le nivellement de leur surface, leur uniformité, offrent cependant un type assez tranché pour que nous ayons cru devoir les regarder comme constituant une région spéciale ; cette manière de voir est du reste complétement justifiée par les analogies de la végétation de la contrée qui nous occupe avec celle des hauts-plateaux des provinces d’Alger et d’Oran. — Les cours d’eau peu nombreux dans la région des hauts-plateaux, et en général d’un volume peu considérable, vont se jeter dans les lacs salés et à sec en été (Chott ou Sebka) qui ne sont pas rares dans le pays, ou se perdent dans la région saharienne. — Les chotts, bien qu’on y rencontre déjà quelques-unes des plantes des grands chotts de l’ouest, en raison de leur altitude et de leur étendue relativement faible, n’impriment pas à la végétation un caractère aussi spécial que dans la province de l’Ouest.
La région des hauts-plateaux ne possède pas de véritables bois ; la végétation arborescente n’y est représentée que par quelques arbres de la région montagneuse inférieure qui s’y rencontrent généralement par pieds isolés, tels sont : les Genévriers (Juniperus Oxycedrus et Phœnicea), le Pin-d’Alep (Pinus Halepensis),[145] le Chêne-vert (Quercus Ilex) et une nouvelle espèce de Frêne (Fraxinus dimorpha) ; çà et là dans la plaine, dans les ravins, sur les coteaux et à la base des montagnes on voit le Pistacia Atlantica, dont la limite d’altitude paraît être à peu près celle des hauts-plateaux et qui ne forme des massifs que d’une manière exceptionnelle ; au voisinage des chotts et au bord des eaux croissent des Tamarix (T. Africana, Gallica et bounopœa).
Les broussailles sont rares dans la région, et elles sont surtout formées par le Zizyphus Lotus et le Retama sphærocarpa qui se présentent généralement sous la forme de buissons orbiculaires espacés.
De larges surfaces dans les terrains incultes sont couvertes de plantes vivaces ou frutescentes parmi lesquelles nous devons mentionner les : Artemisia Herba-alba, Santolina squarrosa, Asphodelus ramosus, Othonna cheirifolia, Cynara Cardunculus, etc. L’Alfa (Stipa tenacissima) et les autres espèces de Stipa qui, dans l’Ouest, sont si abondantes, sont au contraire assez rares dans les plaines des hauts-plateaux de l’est. — Les dépressions du sol et les endroits les moins arides offrent des pâturages assez riches où domine souvent la Luzerne (Medicago sativa).
Les cultures ne tiennent encore que peu de place ; le Blé et l’Orge ne sont généralement semés par les indigènes que dans les endroits frais ou arrosés. — C’est surtout dans les terrains meubles, dans les moissons et dans les champs récemment cultivés que se trouvent les espèces caractéristiques de la région.
Nous ne donnons pas ici le tableau de ces espèces caractéristiques de la végétation, car il suffit de consulter nos notes sur le trajet de Constantine à Batna, sur les environs de Batna (voir la liste des plantes observées dans les plaines de Batna et de Lambèse) et sur le trajet de Batna à El-Kantara pour se faire une idée de la nature de la végétation et des ressources agricoles de la région.
Le nombre total des espèces et des principales variétés est de 579.
Sous le rapport de leur durée elles peuvent être partagées en deux groupes à peu près égaux, le nombre des espèces annuelles ou bisannuelles étant de 299, et celui des espèces vivaces de 280.[146] Parmi les espèces vivaces, 49 sont ligneuses ou frutescentes ; on ne peut guère, ainsi que nous l’avons dit plus haut, compter que 5 arbres croissant spontanément dans cette région, dont l’un des caractères est d’être dépourvue de bois. — La relation de notre voyage donne des renseignements suffisants sur les arbres introduits dans la région.
Si l’on considère les plantes de la région des hauts-plateaux au point de vue de leur classification en familles naturelles, on trouve que le nombre des Dicotylédones est de 473 et celui des Monocotylédones de 106. — Les familles principales rangées, d’après leur importance relative dans la région, donnent le tableau suivant :
Espèces. | Espèces. | ||||
---|---|---|---|---|---|
1 | Composées | 87 | 17 | Scrophularinées | 8 |
2 | Graminées | 65 | 18 | Orobanchées | 8 |
3 | Légumineuses | 58 | 19 | Papavéracées | 7 |
4 | Crucifères | 41 | 20 | Euphorbiacées | 7 |
5 | Ombellifères | 27 | 21 | Joncées | 7 |
6 | Labiées | 26 | 22 | Plantaginées | 6 |
7 | Caryophyllées | 19 | 23 | Polygonées | 6 |
8 | Borraginées | 17 | 24 | Fumariacées | 5 |
9 | Renonculacées | 16 | 25 | Résédacées | 5 |
10 | Rubiacées | 13 | 26 | Malvacées | 5 |
11 | Salsolacées | 13 | 27 | Valérianées | 5 |
12 | Paronychiées | 12 | 28 | Primulacées | 4 |
13 | Liliacées | 12 | 29 | Convolvulacées | 4 |
14 | Cistinées | 10 | 30 | Plumbaginées | 4 |
15 | Cypéracées | 9 | 31 | Conifères | 4 |
16 | Géraniacées | 8 |
Sur les 579 espèces de la région, 418 n’ont pas été vues par nous dans la région littorale, 373 n’ont pas été observées dans la région méditerranéenne intérieure. — Sur les 70 espèces spéciales, 12 seulement nous paraissent propres à la région ; 4 lui sont communes avec la région littorale et 18 avec la région méditerranéenne intérieure.
Si l’on fait la somme des espèces appartenant aux diverses parties du bassin méditerranéen, on voit que cette somme est de 320 ; si l’on y ajoute les 158 espèces d’Europe, on obtient le total de 478, tandis que les autres éléments de la végétation sont représentés par 101.
L’examen de la statistique botanique comparée de la région des[147] hauts-plateaux, démontre que cette région est très distincte de la région littorale, tandis que sa végétation participe à la fois aux caractères des régions méditerranéenne intérieure, montagneuse et saharienne. Les flores européenne et méditerranéenne y sont représentées par les quatre cinquièmes des espèces ; les influences qui se produisent selon la latitude sont démontrées par l’accroissement notable du nombre des espèces espagnoles et orientales et par la présence de 18 espèces qui se trouvent à la fois en Espagne et en Orient ; les nombres des espèces vivaces et annuelles sont déjà presque égaux. — Les cultures de l’ensemble de la région des hauts-plateaux, sont presque exclusivement celles de l’Europe tempérée[41] ; toutefois dans le voisinage de la région saharienne elles pourraient être plus méridionales.
La région montagneuse[42], ainsi que nous l’avons dit plus haut, est représentée dans ce rapport surtout par les montagnes des environs de Batna, par celles d’une grande partie de la chaîne de l’Aurès, ainsi que par les vallées qui en dépendent. — Ces montagnes présentent des massifs d’une altitude déjà considérable, dont les principaux sont : aux environs de Batna, le Djebel Tougour (2,086 mètres), et dans la chaîne de l’Aurès, le Djebel Mahmel (2,306 mètres), et le Djebel Cheliah (2,312 mètres) ; le sommet de cette dernière montagne, d’après les évaluations les plus probables, est le point le plus élevé de l’Algérie. Les versants dirigés vers le sud sont généralement escarpés, peu boisés ou complétement dépourvus de bois, ceux du nord, à pentes ordinairement moins rapides, sont au contraire pour la plupart couverts de forêts qui, par la beauté des arbres qui les constituent, peuvent être comparés à celles de l’Europe centrale. Le sol des montagnes est généralement sec et ne présente quelque humidité que dans les parties argilo-schisteuses qu’on rencontre surtout à leur base ; dans ces parties plus fraîches, se trouvent souvent réunies un grand nombre des plantes caractéristiques de la région ; la sécheresse générale du sol paraît tenir à la nature même des roches qui sont surtout des calcaires et des grès difficilement désagrégeables. — La neige, qui en hiver couvre la plus grande partie des montagnes, ne persiste pas habituellement, même sur les plus hautes sommités, au delà du mois de mai ; ce n’est que dans de vastes excavations des pentes septentrionales (Djebel Mahmel) où la neige s’accumule qu’elle peut persister. — La partie supérieure des montagnes est dépourvue[149] de sources ou n’en présente habituellement que de trop peu abondantes pour donner naissance à de véritables ruisseaux ; les ravins sont pour la plupart à sec pendant une grande partie de l’année ; les vallées au contraire sont souvent arrosées par des cours d’eau assez considérables pour fertiliser par des dérivations des cultures étendues.
La région montagneuse peut être partagée en trois zones principales :
1o Zone inférieure. Cette zone est caractérisée par l’Olivier (Olea Europæa), le Micocoulier (Celtis australis), et par une végétation et des cultures méditerranéennes ; sa limite d’altitude étant d’environ 1,000 mètres, elle n’est guère représentée dans le pays que nous avons parcouru que par la partie inférieure de la vallée de l’Oued Abdi, car partout ailleurs elle est presque entièrement exclue par l’altitude même des hauts-plateaux.
2o Zone moyenne. Cette zone est caractérisée par les bois de Chênes-verts (Quercus Ilex et var. Ballota) ; l’Olivier n’y existe plus qu’à l’état de buisson. La limite supérieure de la zone est environ à l’altitude de 1,600 mètres.
3o Zone supérieure. — Cette zone est caractérisée surtout par les forêts de Cèdres ; sa partie supérieure souvent déboisée, rappelle les caractères de la végétation alpestre par la présence de plantes vivaces disposées en touffes compactes.
Nous avons donné dans la relation du voyage assez de détails sur la composition des diverses forêts de la région montagneuse pour ne pas devoir y insister ici. — Le nombre des principales espèces arborescentes est de 15 environ ; ce sont, en les classant d’après leur ordre approximatif d’altitude : l’Olivier (Olea Europæa), le Micocoulier (Celtis australis), le Pistacia Atlantica, les Genévriers (Juniperus Phœnicea et Oxycedrus), le Pin d’Alep (Pinus Halepensis), l’Orme (Ulmus campestris), l’Amandier (Amygdalus communis), une espèce nouvelle de Frêne (Fraxinus dimorpha), les Chênes-verts (Quercus Ilex et var. Ballota), le Juniperus thurifera, le Houx (Ilex Aquifolium), l’Érable de Montpellier (Acer Monspessulanum), le Cèdre (Cedrus Libani var. Atlantica), et l’If (Taxus baccata). — A la zone inférieure appartiennent l’Olea europæa,[150] le Celtis australis, le Pistacia Atlantica qui s’avance un peu au delà de la limite inférieure de la zone moyenne, et le Juniperus Phœnicea, que l’on retrouve également dans cette dernière zone. — A la zone moyenne appartiennent le Juniperus Oxycedrus et le Pinus Halepensis, qui peuvent exister également dans la zone inférieure, et exceptionnellement dans la zone supérieure ; l’Ulmus campestris, qui croît aussi dans les montagnes basses et les vallées du littoral ; l’Amygdalus communis, que dans la province de l’ouest nous avons observé à une altitude beaucoup plus faible ; le Fraxinus dimorpha, qui peut descendre jusque dans la région des hauts-plateaux, et qui empiète aussi quelquefois sur la zone supérieure, où il ne se présente plus que sous forme de buisson ; l’Acer Monspessulanum, qui croît également dans la zone supérieure, où, sur les hautes sommités, il est réduit à l’état de buisson rabougri ; et le Quercus Ilex, caractéristique de la zone dans la contrée que nous avons parcourue. — A la zone supérieure appartiennent le Juniperus thurifera, dont l’altitude nous paraît comprise entre 1,600 et 1,800 mètres ; le Taxus baccata, dont l’altitude inférieure nous a paru être de 1,800 mètres, et qui atteint la limite de la partie boisée ; et le Cedrus Libani var. Atlantica, qui caractérise essentiellement la zone. — L’Ilex Aquifolium que nous n’avons pas observé dans notre voyage, mais qui nous a été indiqué comme formant un bois d’une certaine étendue dans les montagnes au nord-ouest de Batna, paraît intermédiaire entre les zones moyenne et supérieure ; dans le Djurdjura nous l’avons trouvé en assez grande abondance à la limite des deux zones. — Le Pyrus longipes, qui n’est représenté que par un petit nombre d’individus dans les bois des environs de Batna, paraît devoir être rapporté à la zone moyenne. — Le Lonicera arborea, dont il n’a été observé qu’un seul pied au Djebel Tougour, s’y rencontre à une altitude d’environ 1,800 mètres. — Le Chêne-Zéan (Quercus Mirbeckii DR.) a été observé dans les montagnes de l’Aurès par M. le capitaine Payen, mais nous ne l’y avons pas rencontré ; il est commun, au contraire, dans le massif de l’Atlas près de Blidah, dans l’Ouarensenis, dans le Djurdjura et aux environs de Bône.
Le Cèdre (Cedrus Libani Barrel. ; Pinus Cedrus L.), qui, dans la[151] province de Constantine, forme presque exclusivement la végétation forestière de la zone montagneuse supérieure, occupe une surface de plusieurs milliers d’hectares. Il existe également sur d’autres points de l’Algérie : on le rencontre dans la chaîne du Djurdjura, mais, dans ces montagnes plus abruptes, il n’y a que quelques pentes favorables à son développement ; une forêt de Cèdres d’une certaine étendue couvre la partie supérieure de la montagne d’Aïn-Telazit au-dessus de Blidah ; c’est surtout dans la magnifique forêt de Teniet-el-Haad que le Cèdre atteint les dimensions les plus considérables. — Cet arbre, qui, d’après les faits historiques, paraît avoir couvert les sommités du Liban, n’y est plus, au dire de tous les voyageurs, représenté que par un petit nombre d’individus de grande dimension, généralement mutilés et quelques centaines de jeunes pieds ; dans la chaîne du Taurus, il forme des massifs importants. Nous réunissons dans nos indications de géographie botanique le Cèdre d’Algérie et le Cèdre du Liban, que nous considérons comme appartenant à une même espèce. Le Cèdre d’Algérie (Cedrus Atlantica Manetti ; Pinus Atlantica Endl.) ne diffère, en effet, du Cèdre du Liban (Cedrus Libani Barrel., Loud. ; Pinus Cedrus L., Endl.) que par les feuilles ordinairement plus courtes. Quant à la forme et au volume des cônes, ils ne fournissent aucun caractère distinctif ; pour nous, le Cèdre d’Algérie ne serait donc qu’une variété du Cèdre du Liban, dont nous avons reçu des échantillons authentiques du Liban et du Taurus ; notre manière de voir est confirmée par l’opinion de MM. Antoine et Kotschy, qui rapportent également comme variété au Cèdre du Liban le Cèdre d’Algérie, nous avons vu des échantillons de cette variété recueillis dans le Taurus par MM. Kotschy et Balansa. — Le Cèdre d’Algérie se présente sous deux formes : l’une, la plus répandue, est caractérisée par des feuilles plus courtes, généralement arquées et presque conniventes, et surtout par leur teinte glauque-argentée (Cedrus argentea V. Renou Ann. forest. III, 2, pl. 2) ; l’autre, est caractérisée par les feuilles un peu plus longues, généralement droites, divergentes et vertes (Cedrus Libani V. Renou, loc. cit., pl. 1). L’étude des Cèdres dans les diverses forêts de l’Algérie nous a amené à ne considérer les C. Libani[152] et argentea V. Renou, que comme des modifications ou sous-variétés dues à des circonstances locales : en effet, généralement, les jeunes arbres et les individus abrités offrent des feuilles vertes et droites, tandis qu’elles sont au contraire glauques et conniventes chez les arbres adultes et exposés à l’influence des vents et de la chaleur ; nous devons ajouter que quelquefois nous avons trouvé les deux sortes de feuilles réunies sur un même pied. Sous l’influence des conditions locales que nous venons de signaler, le Cèdre se présente sous deux aspects très différents : pendant sa jeunesse ou dans les ravins, il affecte souvent la forme pyramidale, tandis que sur les versants il se couronne plus communément, et s’étale en parasol. Le Pinus Halepensis, qui s’est également offert à nous sous ces deux états, démontre encore le peu d’importance qu’il faut y attacher.
Dans la relation de notre voyage, nous avons donné sur la composition des broussailles et des pâturages, ainsi que sur les cultures de la région, des détails qui nous dispensent d’y revenir ici.
Nous n’indiquerons pas les espèces caractéristiques de la région, car il suffit de consulter nos notes sur les montagnes de Batna, de Lambèse, de la vallée de l’Oued Abdi, et en particulier sur les Djebel Tougour, Itche-Ali, Mahmel et Cheliah, qui ont été étudiés d’une manière spéciale, pour se faire une idée de la nature de la végétation et des ressources forestières et agricoles de la région (voir spécialement les listes des plantes observées dans les bois de Lambèse, aux Djebel Tougour, Mahmel et Cheliah).
Le nombre total des espèces et des principales variétés est de 674.
Sous le rapport de leur durée, elles peuvent être partagées en deux groupes, dont l’inégalité est en sens inverse de celle qui se présente dans les autres régions ; en effet, le nombre des espèces annuelles ou bisannuelles n’est que de 238, tandis que celui des espèces vivaces est au contraire de 436. — Parmi les espèces vivaces, 85 sont frutescentes ou ligneuses ; le nombre des espèces réellement arborescentes est de 17 ; les détails que nous avons donnés plus haut sur leur distribution dans la région où les forêts tiennent une si large place nous dispensent d’en répéter ici[153] l’énumération. — La relation de notre voyage fournit des renseignements suffisants sur les arbres introduits dans la région (voir la partie de cette relation concernant les jardins et les vergers de la partie inférieure de l’Oued Abdi et les cultures des environs de Batna et de Lambèse).
Si l’on considère les plantes de la région montagneuse au point de vue de leur classification en familles naturelles, on trouve que le nombre des Dicotylédones est de 569, et celui des Monocotylédones de 105. — Les familles principales rangées d’après leur importance relative dans la région, donnent le tableau suivant :
Espèces. | Espèces. | ||||
---|---|---|---|---|---|
1 | Composées | 98 | 18 | Conifères | 8 |
2 | Légumineuses | 68 | 19 | Valérianées | 7 |
3 | Graminées | 64 | 20 | Cypéracées | 7 |
4 | Crucifères | 46 | 21 | Fumariacées | 6 |
5 | Ombellifères | 37 | 22 | Rhamnées | 6 |
6 | Labiées | 31 | 23 | Papavéracées | 5 |
7 | Rosacées | 26 | 24 | Campanulacées | 5 |
8 | Caryophyllées | 23 | 25 | Primulacées | 5 |
9 | Scrophularinées | 22 | 26 | Plantaginées | 5 |
10 | Rubiacées | 19 | 27 | Polygonées | 5 |
11 | Renonculacées | 16 | 28 | Daphnoïdées | 5 |
12 | Borraginées | 14 | 29 | Orchidées | 5 |
13 | Liliacées | 14 | 30 | Dipsacées | 4 |
14 | Paronychiées | 13 | 31 | Convolvulacées | 4 |
15 | Cistinées | 12 | 32 | Salsolacées | 4 |
16 | Géraniacées | 10 | 33 | Joncées | 4 |
17 | Crassulacées | 8 |
Sur les 674 espèces de la région, 533 n’ont pas été vues par nous dans la région littorale, 492 n’ont pas été observées dans la région méditerranéenne intérieure, 320 n’ont pas été rencontrées sur les hauts-plateaux. — Sur les 85 espèces spéciales, 36 sont propres à la région, 4 seulement lui sont communes avec la région littorale, 16 avec la région méditerranéenne intérieure, et 41 avec la région des hauts-plateaux.
Si l’on fait la somme des espèces appartenant aux diverses parties du bassin méditerranéen, on voit que cette somme est de 329 ; si l’on y ajoute les 228 espèces d’Europe, on obtient le total de 557, tandis que les autres éléments de la végétation sont représentes par 117.
[154]L’examen de la statistique botanique comparée de la région montagneuse démontre que cette région, tout en présentant d’étroites affinités avec les hauts-plateaux, en est suffisamment distincte par le nombre des espèces qui lui sont propres, et par la végétation forestière qui y est très largement représentée, tandis que les hauts-plateaux sont presque dépourvus d’arbres. — Le nombre des espèces européennes est plus considérable dans la région montagneuse que dans aucune des autres régions ; celui des espèces méditerranéennes y est au contraire relativement moindre. Les affinités avec le centre de l’Europe sont encore attestées par la prédominance du nombre des espèces vivaces sur celui des espèces annuelles. — Les influences qui se produisent selon la latitude sont démontrées par la présence de 46 espèces espagnoles, celle de 25 espèces orientales, et de 20 espèces qui se trouvent à la fois en Espagne et en Orient. — Les cultures de cette région prise dans son ensemble sont nécessairement celles de l’Europe centrale ; mais la région montagneuse inférieure, participant au caractère des régions voisines, présente au moins en partie les ressources agricoles de ces régions elles-mêmes.
La région saharienne[43] est, comme nous l’avons déjà dit, limitée à El-Kantara de la manière la plus naturelle par la chaîne de montagnes qui s’étend de l’est à l’ouest comme une immense muraille, la sépare de la région des hauts-plateaux et n’en permet l’accès que par l’étroite brèche creusée par l’Oued El-Kantara. A peu de distance au-dessus du défilé dominent encore les plantes des hauts-plateaux et l’ensemble de la végétation présente l’aspect uniforme qui caractérise cette dernière région ; à l’autre extrémité du défilé s’étendent les plaines sahariennes, dont l’aridité forme un contraste saisissant avec la riche végétation de l’oasis. La magnificence des dattiers attire seule les regards et fait bientôt oublier la monotonie des hauts-plateaux que l’on vient de quitter. L’influence[155] désertique se révèle immédiatement, et à El-Kantara, malgré l’altitude (534 mètres), se trouvent un grand nombre de plantes sahariennes. La moisson est déjà faite, alors que dans les plaines des hauts-plateaux les plus voisines, et situées presque à la même altitude, les céréales sont loin d’être arrivées à maturité. Plus à l’est, dans les vallées de l’Aurès qui débouchent dans le Sahara, la limite de la région est moins brusquement tranchée ; le vent du sud s’engouffrant dans ces vallées y exerce sa puissante influence qui n’est atténuée que d’une manière insensible par la distance et les contours des vallées elles-mêmes ; la végétation suit les mêmes dégradations et, sur des points déjà éloignés, existent des oasis et se retrouvent un grand nombre des plantes caractéristiques du Sahara.
Nous avons déjà indiqué plus haut la limite probable de la région saharienne au sud, mais le Sahara est trop imparfaitement connu pour que nous puissions rien préciser à cet égard. Nous ne pouvons pas davantage exposer les caractères physiques de la région ; les environs de Biskra constitués surtout par des plaines argilo-calcaires, généralement salées, où le sable n’est qu’un accident, situées au pied de montagnes élevées, possédant des cours d’eau relativement abondants et des sources assez nombreuses, sont évidemment loin de pouvoir représenter l’ensemble du Sahara, où la plupart des conditions sont toutes différentes. Aussi croyons-nous devoir renvoyer aux renseignements généraux donnés dans la relation de notre voyage, sur les environs de Biskra.
Nous n’énumérerons pas ici les espèces caractéristiques de la région, car il suffit de consulter la partie de notre travail qui concerne la région saharienne pour se faire une idée de la nature de la végétation et des ressources de la région au point de vue de la culture (voir spécialement la liste des plantes observées aux environs et au sud de Biskra, et nos Notes sur la culture du Dattier et les cultures des oasis des Ziban).
Le nombre total des espèces et des principales variétés est de 560. Sous le rapport de leur durée elles peuvent être partagées en deux groupes, le nombre des espèces annuelles ou bisannuelles étant environ de 322, et celui des espèces vivaces de 238. Parmi les espèces vivaces 70 environ sont frutescentes ou ligneuses ; la[156] végétation arborescente spontanée, ainsi que nous l’avons dit dans la relation du voyage, n’est guère représentée que par les diverses espèces et variétés de Tamarix ; ces arbres peuvent atteindre d’assez grandes dimensions, et ils constituent à Saada une véritable forêt. Le Pistacia Atlantica, qui n’est pas rare dans la vallée de l’Oued Abdi, à la limite de la région saharienne et de la région montagneuse inférieure, n’existe pas aux environs de Biskra, quoique sur d’autres points du Sahara il forme de véritables massifs. Bien que le Dattier, l’arbre par excellence du désert, ait été évidemment introduit par l’homme dans la région saharienne, nous ne pouvons omettre de le mentionner ici. — Dans la relation de notre voyage nous nous sommes bornés à donner l’énumération des arbres introduits dans la région (consulter pour plus de détails nos Notes sur les cultures des oasis des Ziban).
Si l’on considère les plantes de la région saharienne au point de vue de leur classification en familles naturelles, on trouve que le nombre des Dicotylédones est de 467, et celui des Monocotylédones de 93. — Les familles principales, rangées d’après leur importance relative dans la région, donnent le tableau suivant :
Espèces. | Espèces. | ||||
---|---|---|---|---|---|
1 | Composées | 99 | 17 | Plantaginées | 9 |
2 | Graminées | 62 | 18 | Plumbaginées | 8 |
3 | Légumineuses | 53 | 19 | Polygonées | 8 |
4 | Crucifères | 48 | 20 | Résédacées | 7 |
5 | Salsolacées | 23 | 21 | Malvacées | 7 |
6 | Ombellifères | 19 | 22 | Rubiacées | 7 |
7 | Caryophyllées | 16 | 23 | Liliacées | 7 |
8 | Borraginées | 16 | 24 | Papavéracées | 6 |
9 | Paronychiées | 14 | 25 | Cistinées | 6 |
10 | Labiées | 13 | 26 | Orobanchées | 6 |
11 | Euphorbiacées | 12 | 27 | Zygophyllées | 5 |
12 | Renonculacées | 10 | 28 | Ficoïdées | 5 |
13 | Géraniacées | 10 | 29 | Frankéniacées | 4 |
14 | Scrophularinées | 10 | 30 | Solanées | 4 |
15 | Cypéracées | 10 | 31 | Urticées | 4 |
16 | Tamariscinées | 9 |
Sur les 560 espèces de la région, 4, en raison de leur patrie, n’ont pu figurer dans le tableau où nous avons groupé les principales affinités géographiques. Sur les 556 autres espèces, 440 n’ont pas été vues par nous dans la région littorale ; 441 n’ont pas[157] été observées dans la région méditerranéenne intérieure ; 294 n’ont pas été rencontrées sur les hauts-plateaux, et 387 manquent dans la région montagneuse. Sur les 74 espèces spéciales, 45 sont propres à la région, 1 seulement lui est commune avec la région littorale, 5 seulement avec la région méditerranéenne intérieure, 26 avec la région des hauts-plateaux et 18 avec la région montagneuse.
Si l’on fait la somme des espèces appartenant aux diverses parties du bassin méditerranéen, on voit que cette somme est de 285 ; si l’on y ajoute les 99 espèces d’Europe, on obtient le total de 384, tandis que les autres éléments de la végétation sont représentés par 205.
En faisant abstraction des plantes, qui, dans la région saharienne, ne se rencontrent que dans les cultures et les endroits arrosés des oasis, le nombre des espèces est réduit à 416, et ce chiffre est évidemment encore trop fort, car aux environs de Biskra les eaux ont amené dans la plaine saharienne des espèces étrangères à la région, et les alluvions des cours d’eau présentent également un assez grand nombre d’espèces des régions montagneuse et des hauts-plateaux. En opérant la réduction que nous venons d’indiquer, le nombre des espèces d’Europe n’est plus que de 37 au lieu de 99 et la somme des espèces appartenant aux diverses parties du bassin méditerranéen n’est plus que de 170 au lieu de 285, les autres éléments de la végétation restant au contraire représentés par les mêmes nombres.
Pour compléter les données fournies par nos tableaux, nous devons ajouter que 211 espèces sont communes aux environs de Biskra et aux environs de Gabès, partie méridionale et littorale du désert de la régence de Tunis ; sur les 74 espèces spéciales des environs de Biskra 50 se retrouvent aussi à Gabès. — Si l’on compare de même la végétation des îles Canaries à celle du désert de Biskra, on voit que 55 espèces existent à la fois dans les deux pays, et que 3 espèces qui n’avaient encore été signalées qu’aux Canaries appartiennent également à notre région saharienne.
La région saharienne est non-seulement la plus nettement tranchée sous le rapport de la géographie botanique, mais elle est encore[158] caractérisée par l’importance qu’y acquièrent certaines familles (Frankéniacées, Zygophyllées, Tamariscinées, Ficoïdées, Asclépiadées, Plumbaginées, Salsolacées, etc.) au point de vue du nombre des espèces, ou de l’abondance des individus ; et il est à remarquer que ces familles ne sont pas ou sont à peine représentées dans les autres régions. — L’examen de la statistique botanique comparée de la région saharienne démontre que les plantes d’Europe et celles du bassin méditerranéen y jouent un rôle beaucoup moins important que dans les autres régions ; ses analogies avec l’Italie sont complétement nulles. Les affinités dominantes du Sahara sont avec l’Orient désertique représenté par l’Égypte, une partie de la Palestine, l’Arabie, et une partie de la Perse méridionale. — Le nombre des espèces qui se retrouvent à la fois en Espagne et en Orient y est relativement considérable. C’est surtout pour la région saharienne que nous trouvons la confirmation de la loi que nous avons déjà énoncée, d’après laquelle les influences selon la latitude sont dominantes dans l’intérieur ; cette loi, pour rendre notre pensée d’une manière plus saisissante, peut encore être exprimée de la manière suivante : sous le rapport de la géographie botanique, en Algérie, s’éloigner du littoral dans le sens du méridien, c’est moins se rapprocher du tropique que de l’Orient. La comparaison de la région saharienne de la province de Constantine avec celles de la province d’Alger et d’Oran, d’après les faits qui nous sont déjà connus, confirmerait notre manière de voir ; mais cette comparaison, pour laquelle il n’existe encore que des documents insuffisants, trouvera mieux sa place dans un autre travail pour lequel nous espérons être à même de recueillir des données plus complètes. — Ainsi que nous l’avons déjà dit ailleurs (Notes sur la culture du Dattier dans les oasis des Ziban), la culture en grand du Dattier est l’expression d’un concours de conditions physiques et climatologiques qui dominent dans toute la vaste zone presque privée de pluies, s’étendant de l’Océan jusque vers la vallée de l’Indus, et qui impriment à cette zone un caractère spécial révélé par l’uniformité de la végétation. La présence simultanée sur la côte orientale de l’Espagne et dans les déserts de l’Orient d’un certain nombre d’espèces qui, en Europe, manquent dans les points intermédiaires,[159] est une nouvelle preuve de l’importance des influences désertiques auxquelles la culture du Dattier est subordonnée. — De l’ensemble des considérations que nous venons d’exposer, il nous paraît résulter, de la manière la plus manifeste, que les cultures du Sahara algérien doivent être celles du sud-est de l’Espagne, et surtout celles des régions comprises dans la zone désertique ; quant aux cultures tropicales, elles ne constitueront jamais, selon nous, qu’une exception, même dans les localités qui semblent devoir leur être le plus favorables, et elles seront peut-être plutôt un objet de curiosité qu’une source réelle de richesse pour notre belle colonie.
Dressée par M.
Rousseau,
Capitaine au 2e Régiment de la
Légion étrangère.
Ann. des Scienc. nat. 4e Série. | Bot. |
Payen del. | N. Rémond imp. r. des Noyers, 65, Paris. | Jacobs sc. |
[1]Depuis le voyage qui fait l’objet du présent rapport, nous avons, en 1854, grâce à la bienveillante protection du Ministère de la Guerre, exploré les montagnes de l’Ouarsenis, de Teniet-el-Haad, du petit Atlas, et surtout les montagnes les plus élevées de la partie occidentale de la chaîne du Djurdjura, à la suite de l’expédition dirigée par M. le Gouverneur général, et sous l’appui d’un détachement de troupes indigènes commandé par M. le capitaine Beauprêtre. — Pour pouvoir compléter le rapport que nous avons déjà publié sur la province d’Oran en l’étendant à la région saharienne, ainsi que pour étudier la végétation de la province d’Alger dans ses diverses régions naturelles, et en faire l’objet d’un travail parallèle à celui que nous publions sur la province de Constantine, il nous reste à explorer, dans les provinces de l’Ouest et du Centre, les points extrêmes de l’occupation française, la région des hauts-plateaux de la province d’Alger, ainsi que les montagnes situées à la limite du Sahara. Un quatrième voyage que nous nous proposons d’entreprendre cette année nous mettra à même de réaliser le projet que nous indiquons, et de recueillir en même temps des documents qui nous permettront de donner à la publication de la Flore d’Algérie une nouvelle impulsion. En effet, par ces explorations, les diverses régions naturelles de chaque province se trouvant suffisamment connues, nous serons à même de publier un Catalogue raisonné de la Flore d’Algérie, catalogue indispensable pour diriger les recherches des botanistes qui s’occupent de l’exploration du pays, et qui ne sera pas moins utile aux auteurs eux-mêmes de la Flore d’Algérie en servant de cadre à la rédaction d’un ouvrage aussi étendu.
[2]Toutes les plantes que nous avons recueillies dans nos voyages, et qui ne se trouvent pas encore au Muséum dans l’herbier spécial d’Algérie, dont M. Ad. Brongniart a bien voulu nous confier le classement, seront ajoutées par nous à cette importante et riche collection.
[3]Voyez, dans le présent rapport les articles sur les cultures des environs de Philippeville, de Constantine, de Batna, et de la vallée de l’Oued Abdi, ainsi que les considérations agricoles, tirées de la géographie botanique, et consignées dans le résumé. — Voyez également, dans le Bulletin de la Société Botanique de France, t. II, p. 36 et 599, les notes sur la culture du Dattier, et les autres cultures des oasis des Ziban, par MM. E. Cosson et P. Jamin.
[4]Voyez l’article déjà cité : Notes sur la culture du Dattier.
[5]Rapport sur un voyage botanique en Algérie d’Oran au Chott El-Chergui (Ann. sc. nat., 3e sér., XIX, 83, et 4e sér., I, 220).
[6]Le nom des espèces qui n’ont encore été observées qu’en Algérie ou dans les deux États voisins, Maroc et Tunis, est précédé du signe *.
[7]La vallée de Bou-Merzoug, d’après les Annales de la Colonisation algérienne, contiendrait plus de 20,000 hectares, qui, pour être mis en culture, n’auraient besoin que de quelques travaux de dessèchement.
[8]La végétation arborescente n’est guère représentée, dans la partie de la vallée du haut Rummel voisine de la ville, que par le Laurier-Rose qui couvre les bords des ruisseaux, et qui fournit à la ville son principal combustible, en attendant que la viabilité des routes mette à bas prix à sa disposition les richesses forestières de la région montagneuse.
[9]Nous avons groupé dans cette liste les plantes qui croissent, à diverses localités, dans les décombres et les lieux vagues qui avoisinent la ville.
[10]On a dû remarquer qu’un assez grand nombre d’espèces se trouvent, sur le versant occidental de la montagne de Sidi-Mecid, à la fois dans les pâturages et dans les moissons. Ce fait s’explique facilement par le mode de culture des Arabes : les mêmes terrains ne sont cultivés par eux que d’une manière intermittente et incomplétement défrichés ; généralement ils respectent les touffes de broussailles et de plantes vivaces qu’ils contournent par le sillon de la charrue ; ces touffes forment ensuite des espèces d’îlots au milieu des champs. De cette culture encore toute primitive, il résulte nécessairement que les plantes des terrains cultivés peuvent se retrouver dans les pâturages, et celles des terrains incultes dans les moissons.
[11]Les abréviations ab. et tr. ab. indiquent que la plante est abondante ou très abondante à la localité.
[12]Nous avons, dans cette liste, fait suivre de la lettre M. le nom des plantes qui se rencontrent surtout dans les moissons.
[13]Nous avons, dans cette liste, désigné le Djebel Itche-Ali par l’abréviation Itch. et les bois des environs de Lambèse par L.
[14]Dans les listes, le nom des espèces qui n’ont encore été observées qu’en Algérie ou dans les deux États voisins, Maroc et Tunis, est précédé du signe (*). — La rareté ou la vulgarité des espèces est indiquée, quand il y a lieu, par les abréviations C., R., etc., auxquelles nous avons attribué leur valeur habituelle. — Les abréviations ab. et tr. ab. indiquent que la plante est abondante ou très abondante à la localité citée.
Les abréviations dont nous nous sommes servi pour désigner la distribution géographique générale des espèces sont celles qui sont généralement adoptées : Æg. = Égypte. Am. Amérique. Arab. = Arabie. As. = Asie. Austr. = austral. méridional. Bal. = îles Baléares. Bor. = boréal, septentrional. B. sp. = Cap de Bonne Espérance. Can. = Iles Canaries. Cauc. = Caucase. Centr. = central. Cors. = Ile de Corse. Cret. = Ile de Crète. Cypr. = Ile de Chypre. Cyr. = Cyrenaïque. Dalm. = Dalmatie. Eur. — Europe, indique que l’espèce est répandue dans presque toute l’Europe. Gall. = France. Georg. = Géorgie. Gorg. = Iles du Cap vert. Graec. = Grèce. Hisp. = Espagne. It. = Italie. Lus. = Portugal. Lib. = Mont Liban. Mad. = Ile de Madère. Mar. = Maroc. Med. = Méditerranée, indique que la plante est commune à plusieurs points du bassin méditerranéen tant à l’ouest qu’à l’est. Med. occ. = partie occidentale du bassin méditerranéen. Med. or. = partie orientale du bassin méditerranéen. Melit. = Ile de Malte. Mesop. = Mésopotamie. Natur. = naturalisé. Occ. = occidental. Or. = orient. or. = oriental. Palæst. = Palestine. Pers. = Perse. Ross. = Russie. Rumel. = Roumélie. Sard. = Ile de Sardaigne. Sib. = Sibérie. Sic. = Sicile. Spont. = spontané. Syr. = Syrie. Tauri. = Crimée. Ting. = Tanger. Trip. = Régence de Tripoli. Tun. = Régence de Tunis.
[15]Le Pêcher nous avait été indiqué, par quelques habitants, comme croissant dans les montagnes de Batna ; mais il est probable que cette indication est erronée, et n’est due qu’à une confusion avec le Prunus prostrata, qui, en raison de la forme des feuilles et de la couleur des fleurs, peut facilement être pris pour le Pêcher par des observateurs non exercés. Une erreur du même genre avait été commise pour le Prunus insititia, que l’on considérait comme le type sauvage de l’Abricotier.
[16]Pour plus de brièveté, nous avons dans cette liste désigné le versant oriental par la lettre E., et le versant septentrional par la lettre N. ; les abréviations inf., moy., sup., placées à la suite de ces lettres indiquent que la plante croît dans la partie inférieure, moyenne ou supérieure de ces versants. — Par l’abréviation Pât. inf., nous avons désigne les pâturages de la région montagneuse inférieure, à la base orientale du Djebel Tougour, au voisinage de la maison des gardes environ de 1200-1300 mètres d’altitude. — Par l’abréviation Pât. moy., nous avons désigné les pâturages de la région montagneuse moyenne s’étendant de la base nord du Djebel Tougour à la base Djebel Bordjem, environ à 1600 mètres d’altitude. — Par l’abréviation Roch., nous avons désigné la bande de rochers, à environ 1800 mètres d’altitude, étendue de l’est à l’ouest, et coupant les versants est et nord. — Par l’abréviation Somm., nous avons désigne la partie culminante de la montagne au-dessus de 2000 mètres d’altitude. — Par l’abréviation Bordj., nous avons désigné le versant méridional du Djebel Bordjem dont la végétation ne diffère pas sensiblement de celle du Djebel Tougour.
[17]Voyez la liste des plantes observées dans les bois des environs de Lambèse.
[18]Ces plantes européennes, de même que les espèces cultivées qui réclament un terrain meuble, trouvent le principal obstacle à leur développement dans l’efflorescence saline qui couvre le sol à sa surface et se durcit dès qu’il commence à perdre son humidité. Pour obvier dans la culture à cet inconvénient, il est utile, comme M. Jamin nous l’a fait observer, de répandre du fumier sur le sol après qu’il a reçu les façons convenables ; on pourrait obtenir un résultat plus complet en superposant au fumier des débris herbacés, des fragments de roseaux ou de feuilles de Dattier qui concourraient efficacement à s’opposer à la dessiccation du terrain. Dans un grand nombre de cas, ce dernier procédé serait même peut-être suffisant.
[19]Une grande partie des renseignements que nous publions sur Biskra et ses environs sont dus à MM. Balansa et P. Jamin, qui ont bien voulu, en outre, nous fournir tous les éléments de l’article sur Saada et ses environs, localité que les circonstances ne nous ont pas permis de visiter.
[20]Voyez dans le Bulletin de la Société Botanique de France, II, 38, le tableau officiel des principales oasis des Ziban, et du nombre des arbres qui les composent, qui nous a été communiqué par M. le capitaine Seroka, chef du bureau arabe de Biskra.
[21]Voyez les Notes sur la culture du Dattier dans les oasis des Ziban, que nous avons publiées conjointement avec M. P. Jamin, Bulletin de la Société Botanique de France, II, 36.
[22]Voyez les Notes sur les cultures des oasis des Ziban, que nous avons publiées conjointement avec M. P. Jamin, Bulletin de la Société Botanique de France, II, 599.
[23]Les végétaux dont le nom est précédé du signe (†), dans cette liste et dans les suivantes, sont ceux dont l’acclimatation n’est pas encore assurée ou n’a donné jusqu’ici que des résultats peu favorables.
[24]Nous devons à M. P. Jamin les renseignements que nous publions sur les sources intermittentes qui avoisinent la fontaine d’Aïn-Oumach.
[25]Voyez, pour l’analyse des eaux de la Fontaine-chaude, Guyon, Voyage aux Ziban, p. 265.
[26]Guyon, Voyage aux Ziban, p. 180. — Jules Duval, Tableau de l’Algérie, p. 278.
[27]Pour plus de brièveté, nous avons dans cette liste désigné les stations des espèces par les abréviations suivantes : All., alluvion, c’est-à-dire terrains déposés par les eaux ou qui sont inondés pendant la saison des pluies. — Cot., coteaux ou ondulations du sol très arides, ne présentant généralement qu’un très petit nombre de plantes annuelles, et des touffes espacées de plantes vivaces. — Dépr., dépressions du sol, ordinairement argileuses et souvent salées, où l’eau séjourne pendant plus ou moins longtemps dans la saison des pluies. — Hum., lieux humides, bords des eaux. — Pl., plaine, désignation générale dans laquelle nous avons compris les terrains plats argilo-calcaires et souvent salés, qui constituent la plus grande partie du Sahara aux environs de Biskra. — Rav., ravins, ordinairement profonds, creusés par les ruisseaux, et à sec pendant la plus grande partie de l’année. — Roch., rochers. — Sabl., sables. — Sal., terrains salés.
[28]Nous avons, dans cette liste, désigné par All. les alluvions de l’Oued Abdi ; par Roch. sup. les rochers de la portion de la montagne qui domine le village ; par Roch. les rochers du versant de la même montagne qui regarde la vallée de l’Oued Abdi.
[29]Dans cette liste, nous avons désigné par Plat. les plateaux entre Beni-Souik et Ménah ; — par Rav. le ravin de l’Oued Bouzina ; — par M. la vallée de Ménah proprement dite, à environ 900 mètres d’altitude ; les plantes dont le nom est suivi de cette indication ont été, pour la plupart, observées soit dans les cultures, soit au bord des eaux ; — par Cot. les coteaux de la vallée.
[30]Dans cette liste, nous avons désigné par Cot. la partie pierreuse et déboisée du coteau au-dessus du village de Chir ; — par Vall. la portion de la vallée entre Chir et Haïdous.
[31]Nous avons dans cette liste, pour plus de brièveté, désigné par M., le Djebel Mahmel, et par G., le Djebel Groumbt-el-Dib ; les lettres n. et s., placées à la suite des lettres qui représentent le nom de ces montagnes indiquent qu’il s’agit de leurs versants nord ou sud ; somm., placé de la même manière, indique leur sommet ; — Tl. désigne le village de Télet ; Ch. inf. et Ch. sup. désignent les champs qui sont sur la pente sud au-dessous ou au-dessus de Télet ; Tl. sup. désigne les parties incultes du versant méridional au-dessus de Télet, comprises environ entre 1500 et 2000 mètres d’altitude ; — Plat. indique le plateau situé à environ 2000 mètres d’altitude à la base méridionale des Djebel Mahmel et Groumbt-el-Dib ; — Fedj. représente Fedj-Geurza, c’est-à-dire la partie supérieure de la vallée de l’Oued Abdi, où ce cours d’eau prend sa source ; l’abréviation cot., placée à la suite de Fedj., indique les coteaux boisés qui limitent au nord la vallée de Fedj-Geurza et se continuent avec la pente sud du Djebel Mahmel.
[32]Voir Guyon, Voyage aux Ziban, p. 144.
[33]Nous désignons dans cette liste par Ch. les champs cultivés ; — par Pât. les terrains en friche et les pâturages de la vallée de l’Oued Essora, au-dessous d’Aïn-Turck, c’est-à-dire d’une portion de cette vallée, à environ 1,200 mètres d’altitude.
[34]Le Pinus Halepensis est surtout exposé à cette dernière cause de dépérissement, car son écorce, employée surtout pour la tannerie et la préparation des outres, est un objet de commerce important avec les tribus sahariennes.
[35]Le versant nord se divise naturellement en partie boisée et en partie déboisée, la partie boisée vers Aïn-Turck, s’étend de la vallée de l’Essora jusqu’à environ 250 mètres du sommet, c’est-à-dire d’environ 1200 jusqu’à 2150 mètres d’altitude. — Nous avons désigné le versant nord par N. ; — F. inf. indique la partie inférieure de la forêt qui s’étend depuis l’Oued Essora jusqu’à l’altitude d’Aïn-Turck, c’est-à-dire une zone comprise entre 1200 et 1500 mètres d’altitude ; — F. moy. indique la zone moyenne de la forêt comprise entre 1500 et 1800 mètres d’altitude ; — F. sup. indique la partie supérieure de la forêt comprise environ entre 1800 et 2150 mètres d’altitude ; — par l’abréviation Turck., nous avons désigné les environs d’Aïn-Turck ; — Pât. sup. désigne les pâturages du pic principal ; — Somm. indique le sommet de la montagne ; — S. désigne la partie supérieure de la pente sud, que nous n’avons explorée qu’à quelques centaines de mètres au-dessous du sommet ; — Pât. désigne les pâturages des pics secondaires du Cheliah.
[36]Dans ce tableau, nous avons, pour plus de brièveté, désigné par Const. la région méditerranéenne intérieure.
[37]Nous devons à MM. Durieu de Maisonneuve, Balansa et Choulette de précieux renseignements sur la végétation de la région littorale.
[38]Consulter pour la région littorale, comme pour les suivantes, le Tableau résumant pour chaque région ses principales affinités de Géographie botanique.
[39]Nous devons à M. Durieu de Maisonneuve de nombreux renseignements sur la végétation de la région méditerranéenne intérieure. — M. de Marsilly a bien voulu nous communiquer les résultats de ses herborisations aux environs de Constantine.
[40]MM. Balansa et du Colombier ont contribué à l’exploration de la région des hauts-plateaux aux environs de Batna.
[41]Les observations météorologiques recueillies à Batna, sous la direction de M. le général Desvaux, viennent confirmer les données de la statistique botanique, en démontrant que le climat de la région des hauts-plateaux de la province de Constantine présente de grandes analogies avec celui des pays tempérés. Nous nous bornerons à donner ici la moyenne des températures observées à Batna en 1853.
Températures moyennes observées à Batna en 1853.
1853. — MOIS. | NOMBRE des observat. | MOYENNE DES TEMPÉRATURES. | MAXIMUM du mois. | MINIMUM du mois. | ||
---|---|---|---|---|---|---|
8 h. matin. | Midi. | 5 h. soir. | ||||
° | ° | ° | ° | ° | ||
Janvier | 31 | 3,71 | 8,60 | 8,76 | 12 | 0 |
Février | 28 | 2,95 | 7,86 | 7,62 | 14 | 1 |
Mars | 31 | 3,00 | 10,45 | 10,65 | 15 | 0 |
Avril | 30 | 9,33 | 15,83 | 15,77 | 22 | 4 |
Mai | 31 | 13,87 | 20,20 | 21,30 | 30 | 6 |
Juin | 15 | 15,60 | 23,26 | 24,20 | 29 | 13 |
Juillet | 31 | 23,68 | 30,70 | 33,35 | 37,30 | 18 |
Août | 31 | 24,42 | 29,61 | 32,40 | 36 | 21 |
Septembre | 30 | 19,38 | 24,10 | 25,48 | 33 | 13 |
Octobre | 31 | 14,81 | 19,23 | 19,71 | 25 | 9 |
Novembre | 30 | 8,23 | 12,73 | 15,42 | 20 | 2 |
Décembre | 31 | 5,52 | 8,92 | 8,95 | 14 | 3 |
° | ° | |||||
Année | 350 | 37,30 | 0 | |||
° | ° | ° | ||||
Moyennes de l’année | 11,95 | 17,45 | 18,29 |
Nous devons ajouter comme corollaire à ce tableau qu’à Batna, en 1853, il a plu tous les mois de l’année, et que les mois où la pluie a été la plus fréquente ont été mai, octobre, novembre et décembre ; il a neigé en janvier, février, mars, novembre et décembre ; la dernière neige est tombée dans la plaine le 27 mars, et la première le 28 novembre.
[42]MM. Balansa et du Colombier nous ont fourni d’utiles documents sur la végétation de la région montagneuse. — Mon ami M. T. Royer, ancien capitaine du génie, et M. Thoman ont bien voulu faire tous les calculs pour la détermination des altitudes d’après nos observations barométriques ; toutes ces altitudes ont été calculées en prenant pour base les moyennes des observations recueillies par nous à Philippeville et à Batna.
[43]Les explorateurs qui ont le plus contribué à faire connaître la végétation de la région saharienne sont MM. Balansa, Guyon, Hénon, P. Jamin et Reboud.