Title: L'Illustration, No. 3229, 14 Janvier 1905
Author: Various
Release date: July 3, 2010 [eBook #33069]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
NOTE DU TRANSCRIPTEUR: La pièce de théâtre "Bercail" publiée par L'Illustration Théâtrale et distribuée par L'Illustration ne nous a pas été fournie; elle n'est donc pas contenue dans ce document.
M. Debrie, expert. M. Boucard. Mme Syveton. Agent figurant le cadavre.M. Périssé, expert.COMMENT EST MORT M. GABRIEL SYVETON?
La position dans laquelle a été retrouvé le corps, reconstituée avec
l'aide de Mme Syveton, devant M. Boucard, juge d'instruction, et les
experts.
D'après une photographie officielle de M. Bertillon et un croquis d'un
assistant.
AVIS AUX ACTIONNAIRES
de l'Illustration
MM. les Actionnaires de la Société du Journal l'ILLUSTRATION sont convoqués en Assemblées générales ordinaire et extraordinaire pour le mardi 31 janvier courant, au siège social, 03, rue Saint-Georges, Paris, à deux heures.
ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLEE ORDINAIRE:
Examen et approbation, s'il y a lieu, du bilan et des comptes de l'exercice 1904--Répartition des bénéfices.--Fixation du dividende.--Renouvellement du conseil de surveillance.
--Fixation du prix auquel le gérant pourra procéder au rachat d'actions de la Société en 1905.--Quitus à donner à la succession de feu M. Depaepe des comptes de sa gérance.
--Tirage au sort des obligations à rembourser en 1905 et remboursement par anticipation de la totalité des obligations 4% 1902.
ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE EXTRAORDINAIRE:
Nomination du gérant.--Détermination de ses pouvoirs--Fixation de son traitement et des avantages à lui accorder et notamment modification de l'article 25 des statuts.--Modifications statutaires qui seront la conséquence des décisions prises.--Modification de l'article 27 des statuts.
--Et généralement statuer, s'il y a lieu, sur toutes mesures à prendre dans l'intérêt social.
Pour assister à cette Réunion, MM. les Actionnaires propriétaires de titres au porteur doivent en faire le dépôt, avant le 26 du courant, à la Caisse de la Société. Il leur sera remis en échange un récépissé servant de carte d'entrée.
L'année s'est ouverte sur une hécatombe dont quelques personnes, amies des bêtes, se montrent justement affectées. A propos d'une mystérieuse affaire où il semble que la politique tienne tout de même un peu plus de place qu'il ne faudrait, MM. les experts ont éprouvé le besoin de chercher dans l'extermination d'un grand nombre de chiens l'explication de la mort d'un homme; et la Société protectrice des animaux se fâche; elle estime que tant de meurtres étaient inutiles à la démonstration qu'on veut faire. Elle n'eût point protesté, sans doute, s'il ne se fût agi que de cobayes ou de lapins. Le cobaye et le lapin ne sont point considérés comme animaux «amis de l'homme», et ce n'est qu'à cette catégorie de bêles que la Société protectrice accorde, comme on sait, sa protection. Je ne comprends pas le motif d'une si étrange inégalité de traitement, et je me demande si c'est être vraiment juste et charitable que de ne l'être qu'avec ses amis.
Ceci me rappelle un petit tableau qui me frappa, la première fois que je revins à Paris, il y a deux ans. Un cheval était arrêté, faubourg Montmartre, au seuil de la dure montée de la rue des Martyrs. L'homme qui le gardait portait un brassard où s'inscrivaient des initiales dont je demandai la signification à l'ami qui m'accompagnait. Mon ami m'expliqua que cet homme était un agent de la Société protectrice des animaux et que sa mission consistait à prêter renfort, de temps à autre, aux attelages trop chargés et à alléger pour les pauvres chevaux la fatigue de cette montée. Je regardai le cheval. En attendant le moment de secourir ses frères, il rêvait au bord du trottoir, le nez tourné vers une blanche tête de veau qui semblait sommeiller, avec deux petits bouquets d'herbes dans les narines, à l'étalage d'une boucherie. Tout autour s'alignaient, blancs et roses, des morceaux de bêtes décapitées, écorchées, dépecées. Et ce cheval songeait peut-être: «Etranges façons de nous aimer! On nous tue, on nous découpe, on nous mange; mais on ne veut pas que nous nous fatiguions; le coup de couteau, oui... le coup de fouet, non... Pourquoi?»
La bonté de l'homme est, en effet, pleine de lacunes qui échappent au raisonnement des bêtes.
... Soirée at home. Quelques amis d'il y a deux ans sont venus me rejoindre dans le coin d'hôtel où j'aime à me reposer, la journée finie, du tapage de la rue. C'est mon cousin Franz Bénaly, dont la tendresse inquiéta naguère ma sauvagerie et qui consent à ne plus me faire la cour; c'est Bonnafousse (extrême-gauche du Conseil municipal), plus farouchement verbeux que jamais; c'est le député Delbon, dont je goûte la belle tenue et les sages raisonnements. On parle des récentes distributions de rubans rouges; on cite des noms que je ne connais pas; et Bonnafousse est plein de verve. Il s'écrie:
--Une croix m'a beaucoup amusé: c'est celle de Pauvert de la Chapelle. Vous ne connaissez pas, madame, M. Pauvert de la Chapelle?
--Du tout.
--C'est un vieillard qui habite une petite ville d'Italie--Sienne, je crois--et qui vit là en ermite. Il collectionne des médailles anciennes d'un grand prix et il se montre si difficile, si raffiné dans ses choix qu'en un demi-siècle il n'en a trouvé que cent soixante-sept qui fussent dignes de figurer dans sa collection.
--Et c'est pour récompenser sa patience qu'on le décore?
--Non pas; c'est pour récompenser sa générosité, car il a fait don de ces médailles à l'Etat. Son intention était de les lui léguer. Mais il a eu peur de ne pas mourir assez vite, et c'est de ce scrupule que le gouvernement le remercie en lui donnant le ruban rouge. Je trouve cela très comique. On semble vouloir dédommager ce collectionneur vénérable du sacrifice qu'il s'imposa en renonçant de son vivant à la jouissance du joli trésor qu'il avait formé. Mais pensez-vous que ce soit là un sacrifice et ne vous semble-t-il pas, au contraire, que la privation à laquelle consentit ce spirituel vieillard est d'avance compensée par le spectacle de la joie qu'il nous procure et par un certain orgueil de faire de l'Etat--lui vivant--son obligé? Un mort ne jouit pas du plaisir de faire plaisir, et c'est probablement ce que s'est dit M. Pauvert, de la Chapelle. Il a pensé au sourire de gratitude dont un ministre honorerait son exécuteur testamentaire, le jour où lui seraient notifiées par celui-ci ses volontés dernières: et il a été jaloux, il a voulu pour lui ce sourire-là, tout de suite... Il l'a eu. Et on lui donne la croix par-dessus le marché. C'est un malin.
Le député Delbon répondit:
--Bonnafousse, vous êtes sévère et je ne partage pas votre avis. Je trouve même que la croix de M. Pauvert de la Chapelle fut mieux que la reconnaissance d'une action généreuse: elle est la récompense d'un geste de courage. En voulez-vous la preuve? Observez autour de vous les gens âgés que le hasard a faits riches. Il n'y en a pas beaucoup qui osent faire un testament,--s'attarder à l'idée de leur propre fin, parler de choses qui se passeront après eux et dont leur mort est la condition nécessaire... Il n'y a pas beaucoup d'hommes qui osent cela; et il y en a moins encore qui, devançant l'heure où ils auront disparu du monde, aient le courage de se donner à eux-mêmes, en se séparant des choses qui composaient le décor familier, la parure, ou la raison d'être de leur vie, la vision de cette fin-là. Un vieillard qui n'a vécu que pour collectionner des médailles, et qui les donne, a certainement la sensation,--en se regardant le lendemain matin dans sa glace--de faire la barbe à quelqu'un qui n'est plus vivant tout à fait. Et la preuve qu'il faut un peu de courage pour faire cela, Bonnafousse, et froidement se traiter soi-même en personne défunte, c'est que, de tous les millionnaires que nous connaissons, vous et moi, il n'y en a pas un qui s'y soit encore décidé...
Des lumières, des fleurs, une cohue de fourrures et de chapeaux fleuris... c'est le premier Salon de 1905, inauguré ces jours-ci: 1'«Exposition des Femmes artistes», où Natenska m'a traînée, malgré le mauvais temps. Rien que des visages de femmes, dans le plus affolant des vacarmes; elles parlent toutes à la fois, et cela fait comme un brouhaha d'usine en marche. Impossible d'arriver jusqu'aux tableaux; j'ai la migraine; Natenska me dit: «Je parie que tu voudrais bien t'en aller?--Je t'en supplie...--A ton aise; et je vais te faire prendre un bain de repos... Il y a de tout, à Paris».
Elle a hélé un fiacre, en riant: «Saint-Etienne du Mont!»
... Dans un coin de la place Sainte-Geneviève, la petite église érige, sous le brouillard, sa façade de pierres noircies. Il tombe une pluie fine et c'est, autour du monument, une agitation silencieuse d'hommes et de femmes--de femmes surtout--qui vont et viennent, de fiacres, d'automobiles dont les grosses roues filent sans bruit sur le sable mouillé. La neuvaine de sainte Geneviève est la première fête de l'année, et, depuis une semaine, les Parisiens et les Parisiennes dont les âmes sont demeurées fidèles au goût de la prière ont repris le chemin de Saint-Etienne du Mont, viennent écouter là des sermons, murmurer des cantiques et brûler de petits cierges autour de la sépulture dorée de la «patronne de Paris». Cela se fait d'une façon très discrète, et l'on dirait une fête de famille à laquelle le reste du quartier demeure tout à fait indifférent. L'église est pleine de gens qui prient, qui méditent ou qui, simplement, «regardent». Je frôle au passage des chapeaux de «bourgeois» et des casquettes, des fourrures et des châles usés. Devant plusieurs chapelles, des femmes sont agenouillées; des ouvriers flânent autour des piliers, considèrent d'un oeil curieux les longues bannières bleues suspendues de chaque côté du choeur et, plus loin, un petit étendard blanc, semé de fleurs d'or passé,--l'étendard de la sainte. L'orgue joue en sourdine en attendant que le sermon commence, et les «pèlerins» continuent de se suivre, d'affluer sans bruit vers le coin d'église où flamboie l'or de la sépulture entr'ouverte. Sous la profusion des petits cierges qu'un bedeau à long tablier bleu redresse, ou rallume, ou remplace sans cesse d'un geste affairé, le sarcophage apparaît comme hérissé de baguettes de feu; et, devant l'ouverture pratiquée à l'une de ses extrémités, un prêtre se tient debout, reçoit les menus objets que cent mains lui tendent--une médaille, une petite image, un lambeau d'étoffe pliée--fait au-dessus de chaque objet le signe de la croix, puis, par l'orifice béant, lui fait toucher la place où repose la sainte dépouille. Parfois la femme qui vient de recevoir des mains du prêtre le petit objet sanctifié s'agenouille: il soulève au-dessus d'elle le pan droit de son étole et la bénit.
J'ai regagné la rue. Devant l'église s'alignent trente baraques en bois:
la «foire aux chapelets». Et c'est comme un chapelet aussi que forme,
allongé sur la chaussée boueuse, le cordon des menues boutiques, toutes
pareilles, serrées les unes contre les autres, sous l'averse froide. Des
voix douces m'interpellent: «Une image de sainte Geneviève, madame?...
Un joli chapelet?... Des cartes postales?...» Une petite vieille, trop
pauvre pour être locataire d'une baraque, a rassemblé sur un pliant
quelques objets de piété qu'elle protège de son parapluie: «Un chapelet,
madame?» La place est vide; autour des boutiques, il n'y a pas dix
passants. Suis-je à Paris ou à Bruges? Je ne sais plus. Singulière
ville...
Sonia.
4 janvier.--Escale, à Brest, du croiseur-cuirassé Essex conduisant en Egypte le duc de Connaught, frère du roi d'Angleterre et généralissime de l'armée britannique, accompagné de la duchesse et de ses deux filles. Salué par les autorités, le duc va rendre les visites officielles à la préfecture maritime et à la sous-préfecture; le soir, il offre un dîner à bord de l'Essex. Ses sympathies pour la France s'expriment en outre dans un télégramme adressé au chef de l'Etat.
8.--A Ville-d'Avray, cérémonie annuelle commémorative de l'anniversaire de la mort de Gambetta, sous la présidence du ministre de la guerre, assisté de M. Trouillot, ministre du commerce. Discours de M. Berteaux, faisant appel au loyalisme des chefs de l'armée.--Dans le deuxième arrondissement de Paris, scrutin pour l'élection d'un député en remplacement de M. Gabriel Syveton, décédé. L'amiral Bienaimé, récemment démissionnaire, candidat du parti nationaliste, élu par 6.437 voix contre M. Bellan, syndic du Conseil municipal, républicain ministériel, qui obtient 5.165 voix.
Le vice-amiral
Bienaimé,
député du IIe arrondissement de
Paris.--
Phot. E. Pirou.]
9.--La commission internationale d'enquête sur l'incident de Hull tient sa première séance plénière. Sur la proposition de l'amiral Spaun, la présidence de la commission est attribuée à l'amiral Fournier.
10.--Rentrée des Chambres pour l'ouverture de la session ordinaire de 1905. M. Paul Doumer est élu président contre M. Brisson.
ÉTRANGER
31 décembre.--Signature de la convention d'arbitrage entre les Etats-Unis et l'Espagne.
1er janvier.--Combat au Maroc, près de la frontière algérienne, entre des cavaliers du prétendant et des troupes du Makhzen.
3.--Modification essentielle des partis en Hongrie: le parti Apponyi et la fraction Ugron fusionnent avec le parti de l'indépendance, dont le chef est François Kossuth, et acceptent son programme dirigé contre le compromis de 1867 et réclamant une union strictement personnelle (c'est-à-dire uniquement fondée sur la personne de l'empereur-roi) avec l'Autriche. Le parti de l'Indépendance compte ainsi 116 députés.--La réponse du sultan du Maroc à la lettre du ministre de France arrive à Tanger; elle confirme les assurances de bonne volonté déjà données verbalement par Abd el Aziz à notre consul à Fez; le sultan déclare qu'il n'a jamais pensé à se priver des services de la mission militaire française et il prie notre ministre de se rendre auprès de lui, à Fez.--La garnison marocaine d'Oudjda, ayant attaqué les troupes du prétendant, est battue par celles-ci, aidées du contingent de Bou Amama; ses pertes sont sérieuses.
4.--L'empereur-roi lit aux députés hongrois le discours du trône, renvoyant la Chambre et fixant les élections du 25 janvier au 5 février.--Décret royal de dissolution de la Chambre grecque, fixant les élections au 5 mars.--En Roumanie, le cabinet vieux-conservateur Georges Cantacuzène remplace le cabinet libéral Demètre Stourdza.
5.--Publication de la lettre du prince Troubetzkoï, président du zemstvo de Moscou, au ministre de l'intérieur; le prince y demande que le tsar, «en face de la révolution qui menace, ait confiance en la nation et dans ses corps constitués».--Décret royal de dissolution de la Chambre roumaine, fixant les élections aux 1er et 11 février.
Nous avons annoncé, la semaine dernière, la capitulation de Port-Arthur, signée dans la soirée du 2 janvier. Depuis la première attaque dirigée contre la place, la bataille de trois jours de Kin-Tchéou (26 mai), sept mois s'étaient écoulés, sept mois d'attaques sans cesse renouvelées et de bombardement continu. Toutes les nations, et jusqu'au souverain du Japon lui-même, ont rendu hommage à l'héroïsme de Stoessel, de ses officiers, de ses hommes.
L'amiral Doubassov (Russe).--Phot. Levitsky. | L'amiral baron de Spaun (Autrichien).--Phot. Grillich. |
LES DEUX NOUVEAUX MEMBRES DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'INCIDENT ANGLO-RUSSE DE HULL
L'armée assiégée comptait, au début, 35.000 hommes; 11.000 furent tués, 16.000 étaient malades ou blessés; ne restaient plus dans les forts que 8.000 hommes, dont 2.000 environ n'étaient pas en état de combattre. Pendant le siège, 265% des hommes furent mis hors de combat: ce chiffre extraordinaire s'explique par ce fait que de nombreux soldats blessés successivement plusieurs fois (jusqu'à 7 fois) retournèrent se battre après chaque guérison. Sur 10 généraux, 2 furent tués, 1 mourut, 2 furent blessés, 1 fut contusionné. Sur 9 commandants de régiments, 2 furent tués, 2 moururent de blessures, 4 furent blessés. Sur 8 commandants de batteries, 1 fut tué, 5 furent blessés.
D'après le texte de la capitulation, toute la garnison était prisonnière. Les officiers pouvaient garder leurs épées; il leur était permis de rentrer en Russie, contre leur parole de ne plus servir jusqu'à la fin des hostilités; le tsar, par télégramme, les a autorisés à donner cette parole. Tous les forts, batteries, navires, matériel, etc., devaient être remis dans l'état aux Japonais. Cette convention a été immédiatement exécutée. Dès le 3, à midi, les Russes évacuaient les forts de Itzé-Chan, Antzé-Chan, Kaiyang-Kow. Le 4, au matin, commençait le transfert du matériel. Le 5, commençait la pénible opération du désarmement; elle a eu lieu dans le village de Yakoutsoui, près du rivage de la baie du Pigeon. Les prisonniers de guerre étaient ensuite dirigés sur Dalny, d'où ils partiront pour le Japon. Le même jour, le 5, un premier détachement japonais entrait dans la ville pour maintenir l'ordre. L'entrée officielle des vainqueurs a été fixée au 8. Sur 878 officiers, 441, jusqu'à présent, ont donné la parole demandée par le général Nogi et retourneront en Russie; le général Stoessel est parmi ces derniers.
La deuxième escadre du Pacifique est arrivée,--après avoir contourné le cap de Bonne-Espérance et, par le sud, Madagascar,--sur la côte nord-est de la grande île; les cuirassés de l'amiral Rodjestvensky jetaient l'ancre, le 2, à Sainte-Marie de Madagascar; le 3, les navires de l'amiral Falkersam mouillaient dans la baie de Passandeva; le point de concentration serait décidément la rade de Diego-Suarez.
--Les préparatifs de la 3º escadre sont poussés avec vigueur, à Libau.
Une escadre japonaise continue à croiser dans les environs de Singapour; 4 croiseurs ont été vus sur le littoral oriental de Sumatra; le 6, un croiseur a reconnu l'entrée du port de Manille.
M. VADECARD
M. Vadécard.--Phot. Marius.
M. Vadécard, dont le nom vient d'acquérir, à la suite d'incidents retentissants, une notoriété quasi universelle, est, nul ne l'ignore aujourd'hui, le secrétaire général du Grand-Orient de France. L'importance soudainement révélée de son rôle dans l'affaire désormais historique dite «des fiches» l'ayant mis au premier plan de l'actualité, sa personne ne pouvait rester à l'abri de la curiosité des profanes, derrière les murailles du Temple où il exerce ses fonctions avec une activité discrète. De ce jour, la publication de sa biographie s'imposait. Déjà la presse quotidienne l'a répandue à des milliers d'exemplaires; bornons-nous donc à en résumer les points exacts.
Fils de travailleurs de modeste condition, M. Vadécard est né dans la Seine-Inférieure. Des bancs de l'école primaire, il passa au pupitre d'une étude de notaire, puis, appelé sous les drapeaux, fit son service comme artilleur; à sa sortie du régiment, il obtint un emploi à l'administration centrale du Grand-Orient, devint sous-chef du sous-secrétariat et enfin secrétaire général. Ce titre, ses qualités d'ancien administrateur de la caisse des écoles du quatorzième arrondissement de Paris, sa collaboration à divers journaux et revues d'un républicanisme plutôt foncé lui valaient le ruban rouge, au mois de janvier de l'an dernier.
Mais rien ne saurait mieux compléter cette notice sommaire que la physionomie même du personnage, et, s'il est un soin qui tout particulièrement incombe à un grand périodique illustré, c'est de la faire connaître au public. Nous donnons donc son portrait, document rare et presque inédit, jusqu'à présent, d'après une photographie récente, ressemblance garantie. Cette fidèle image d'un des plus fervents zélateurs d'un genre d'apostolat qu'il ne nous appartient pas d'apprécier ici nous montre un homme encore jeune (trente-huit ans), un visage d'apparence bénigne au premier abord, mais où les traits caractéristiques, à les observer de près, annoncent un esprit réfléchi, méthodique et ferme en ses desseins.
Loin de renier son humble origine, M. Vadécard s'honore d'être un enfant du peuple; il se flatte de devoir surtout à son labeur la haute situation qu'il occupe aujourd'hui dans la puissante association maçonnique de la rue Cadet. Certes, sa place n'est point une sinécure, à n'en juger que par l'organisation du fameux système de «fiches» dont il fut la cheville ouvrière. A ce sujet, d'ailleurs, le secrétaire général du Grand-Orient, soucieux de départir les responsabilités, déclare en propres termes que, «si, depuis février 1901, il a contribué à fournir au ministère de la guerre les moyens de contrôler les sentiments et les tendances politiques des officiers de l'armée française, c'est sur la demande expresse du ministre, au vu et au su de son entourage immédiat».
Mme Barnay, soeur de M. Gabriel Syveton. | M. Sylvain Périssé, ingénieur, chargé des expertises sur la cheminée. Phot. G. Blanc. | M. le Dr Pouchet, chargé des expertises toxicologiques. | M. Girard, directeur du Laboratoire municipal. Phot. Berthaud. |
La dernière lettre écrite par M. Gabriel Syveton à son
père, quatre jours avant sa mort.
LA CHEMINEE A GAZ DU CABINET DE TRAVAIL DE M. SYVETON.
La tache noire que l'on aperçoit au milieu du manteau blanc de la cheminée est un débris des scellés de justice qui fermaient le tablier et qui ont été brisés pour les expertises judiciaires.
LE CABINET DE TRAVAIL DE M. SYVETON
Photographie officielle prise par M. Bertillon après la mise en place
devant la cheminée d'un agent de la sûreté figurant le cadavre.
Casbah de Saïdia.
Village des Bocoyas | Phare |
Panorama de Port-Say et de la plaine des Oulad-Mansours.
Port-Say, vu de la plage du Kiss.
Débarquement d'orge à l'abri de la première
jetée de
Port-Say.
Le prétendant Moulay-Mohammed, celui que les Merarbas appellent le Rogui (le Révolté), après une assez longue période d'inaction, est rentré en scène à la frontière algéro-marocaine. Le 31 décembre dernier, il avait envoyé 500 cavaliers attaquer la casbah de Saïdia, située à l'embouchure de l'oued Kiss, qui forme en cet endroit près du rivage méditerranéen la frontière entre l'Algérie et le Maroc.
Il fut d'abord repoussé avec de grandes pertes par le pacha El Hadj Allai, commandant militaire de la casbah. Mais, quelques jours après, grâce aux cavaliers de Rou Amama, il fut vainqueur de la mahalla d'Oudjda et prit sa revanche sur les troupes du pacha, qu'il battit complètement dans la plaine des Triffas.
Les dépêches, qui nous apportaient ces nouvelles de Port-Say, ajoutaient que les Marocains, démoralisés, franchissaient l'oued Kiss et s'établissaient sur le territoire algérien.
En présence de ces événements le général Servières, chef du 19e corps, ordonna au capitaine Quoniam commandant les zouaves d'Adjeroud de déplacer son camp et de prendre position à l'entrée de Port-Say, pour protéger la petite colonie.
Port-Say est situé, en effet, à 1.200 mètres environ de la casbah de Saïdia, d'où l'on aperçoit les petites maisons blanches et les tuiles rouges de la ville naissante.
Fondée, il y a cinq ans, par M. Louis Say, lieutenant de vaisseau de réserve, à l'extrémité orientale de la plaine des Oulad-Mansours et de la plage du Kiss; située à l'embouchure d'un oued, route naturelle en Algérie qui, par le cirque d'Adjeroud, la met en communication avec la plaine des Triffas et la grande plaine des Angads où se trouvent Marnia et Oudjda, la nouvelle ville est le débouché de tous les produits agricoles de la région.
L'énergie de M. Louis Say et l'activité intelligente de ses collaborateurs, dont l'un des principaux est M. Bourmancé, facilitent aux négociants les transactions commerciales.
Un port est en construction et un abri temporaire permet à de petits bateaux plats, en usage aussi à Tanger et appelés «gondoles», les embarquements d'orge, de bestiaux, ou les débarquements de matériaux et d'approvisionnements, destinés au camp des zouaves et au bordj des spahis.
Le pacha El Hadj Allai lui même a souvent recours aux marins bocoyas de M. Say. Récemment les Bocoyas, des Riffains établis à Port-Say, opérèrent le débarquement de plusieurs milliers de quintaux d'orge achetés en Algérie pour ravitailler la casbah et les silos de la plaine des Oulad-Mansours, dévastés par la guerre actuelle.
Non seulement les Marocains viennent à Port-Say pour échanger leurs produits, mais encore, lorsqu'ils sont malades, ils y trouvent les soins et les remèdes nécessaires. Il existe même à Port-Say une école où les petits Marocains apprennent le français.
Enfin, à l'entrée de la grande avenue, dite de Marnia, s'élève une construction élégante de style barbaresque: c'est le «Colonial Club» où chaque soir, après le dur labeur de la journée, M. Say se réunit avec ses collaborateurs.
Tout cela est bien de la vraie «pénétration pacifique» et l'on voit que nos colons algériens, comme nos diplomates, ne restent pas inactifs dans l'accomplissement de la mission dévolue à la France.
A. Gautheron
Le cirque d'Adjeroud: carrefour-frontière des sentiers de mulet allant, à droite, vers le Maroc, à gauche, vers l'Algérie. | A Port-Say: le Colonial Club où se réunissent les collaborateurs de M. Say. |
SUR LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE
Le port et la ville de Vladivostok: au centre, le
croiseur
"Rossia", remis en état; au premier plan, groupe d'officiers
et
de fonctionnaires.--Phot. Marcerou-Schreter et Cie.
Les Japonais ont souvent annoncé qu'aussitôt après la chute de Port-Arthur ils dirigeraient leurs efforts contre Vladivostok.
La prise de Port-Arthur leur a coûté huit mois d'efforts et 90.000 hommes de pertes: la prise de Vladivostok serait encore plus difficile.
Cette forteresse, en effet, est dans une situation naturelle bien plus avantageuse que Port-Arthur et son organisation défensive est également plus solide.
Elle est située à l'extrémité d'une presqu'île rectangulaire de 30 kilomètres de long sur 10 de large, qui s'avance entre le golfe de l'Oussouri et celui de l'Amour. Ce dernier, large d'environ 12 kilomètres, est entièrement battu par le feu des forts; en outre il est semé de petites îles, de rochers à fleur d'eau ou d'écueils cachés, qui y rendent la navigation extrêmement périlleuse: l'accident du Bogatyr l'a assez prouvé.
La rade est protégée, sur le front de mer, par une grande île montueuse aux formes tourmentées, l'île Russe (Rouski) qui crée en avant d'elle deux goulets, le Bosphore oriental et le Bosphore occidental ou détroit de l'Ouest. Cette île était déjà au début des hostilités couverte de fortifications, innombrables aujourd'hui.
Le port se trouve, enfin, au fond d'une rade merveilleuse, la Corne d'Or, de 6 kilomètres de longueur, assez profonde pour être accessible tout entière et à toute marée aux plus grands navires, assez grande pour pouvoir donner l'hospitalité à toutes les flottes du monde réunies. La Corne d'Or est protégée des vents de tous côtés par les sept collines qui l'entourent, hauteurs couvertes, elles aussi, de forts permanents et de travaux multiples. On peut donc dire que, du côté de la mer, Vladivostok est inabordable.
A côté de ces avantages considérables, ce grand port souffre d'un grave défaut: plus éloigné que Port-Arthur des courants chauds bienfaisants, il voit tout le long des côtes la mer se geler pendant environ trois mois par an, généralement de la mi-décembre à la mi-mars. La Corne d'Or, elle, n'est prise, en moyenne, que pendant une quinzaine de jours.
La glace n'est d'ailleurs pas un obstacle absolu: les Russes au moyen de deux puissants brise-glace, dont le principal est le Baïkal de 4.000 tonneaux, ont toujours pu assurer, en plein hiver, les actives transactions commerciales du port, en ouvrant un chenal aux navires; mais il ne faut pas se dissimuler que ce mode de passage n'est pas très favorable aux évolutions d'une escadre battue ou poursuivie. C'est pour cette raison que l'escadre de la Baltique n'a aucun intérêt, fût-elle même suffisamment renforcée, à tenter la lutte contre la flotte japonaise avant l'époque du dégel. Du côté de la terre, la situation de Vladivostok est également fort avantageuse: la péninsule est couverte de montagnes de 200 à 500 mètres d'altitude, solidement fortifiées, offrant toute une série de défenses successives qui rappellent celles du Kouang Toung, avec cette différence qu'elles sont appuyées sur des ouvrages de fortification permanente construits à loisir, au lieu des ouvrages improvisés des avant-lignes de Port-Arthur, dont l'enlèvement a cependant demandé aux Japonais trois mois de lutte sanglante. S.-F.
Carte de Vladivostok et de ses abords, dressée d'après
les documents les plus récents.
LA DERNIÈRE BASE NAVALE DES RUSSES EN
EXTRÊME-ORIENT
LA FIN DE LA RÉSISTANCE DE PORT-ARTHUR
Le général Stoessel visite dans les défenses avancées les survivants de
cinq jours et cinq nuits de combat.
«Grand souverain, pardonne-nous, nous avons fait ce que humainement il
était possible. Juge-nous, mais miséricordieusement. Pendant presque
onze mois, une lutte ininterrompue a épuisé nos forces; un quart
seulement, dont moitié même sont malades, des défenseurs occupent sans
secours 27 verstes de forteresse sans pouvoir même alterner pour un
court repos. Les hommes sont devenus des ombres.»
Télégramme du général Stoessel à l'empereur Nicolas II. 1er janvier
1905.
Un des candélabres du quai du Léman.--
Phot.
Bonnet-Favaron.
Le quai du Léman (au fond, à gauche: la jetée).--
Phot.
Bonnet-Favaron.
Pavillon de la terrasse du parc Mon-Repos.--Phot.
Borrey.
Arbustes et massifs devant les villas du quai du
Léman.--
Phot. Quay-Cendre.
LES QUAIS DE GENÈVE SOUS LA GLACE
Une bise violente soufflant sur le lac Léman et chassant l'eau par rafales, le 1er et le 2 janvier, au moment où la température descendait à un degré de froid exceptionnel, a produit sur toutes les végétations proches du rivage et le long des quais de Genève un effet de congélation véritablement remarquable. Les arbres et les massifs des villas qui bordent le lac, les parapets et les candélabres des quais de la ville--ces candélabres ne se dressent pas à moins de 7m,50 au-dessus du niveau de l'eau--se sont recouverts d'une épaisse couche de glace offrant un aspect hyperboréen des plus inattendus.
GRAVURE D'A. TILLY FILS----TABLEAU D'ALBERT GUILLAUME
LA CORRECTION
La Massière, la comédie de M. Jules Lemaître, dont la première
représentation vient d'être donnée cette semaine, et que nous allons
publier prochainement, introduit les spectateurs dans le monde des
peintres. L'amusant premier acte, qui se déroule dans l'atelier
Justinien, aura révélé à beaucoup, avec sa pittoresque mise en scène, un
milieu tout nouveau pour eux. Le tableau de M. Albert Guillaume que nous
reproduisons ici pourrait constituer, bien qu'il soit antérieur à la
pièce, l'illustration très exacte de l'une des scènes, au type près du
professeur: celle où Marèze, le «cher maître», s'assied à la place d'une
élève pour corriger l'étude en train. C'est le cadre familier à
quiconque a fréquenté tant soit peu l'une ou l'autre des «académies»
disséminées dans Paris, de Montmartre à Montparnasse: le grand vitrage,
d'où tombe la lumière égale et froide du nord; les murs gris où
s'accrochent des masques ou des fragments de statues, et aussi
quelques-unes des meilleures esquisses des élèves dont l'atelier
s'honore; à terre, des cartons à dessin; et au milieu de tout cela,
devant la table à modèle, la ligne des chevalets devant lesquels
peinent, bien sages, bien appliquées, qui en blouses garçonnières, qui
ceintes du tablier des ménagères ou des ouvrières, les aspirantes à la
gloire de Rosalba, de Vigée-Lebrun ou de Rosa Bonheur. Le vieux
professeur va de l'une à l'autre, ajustant sur son nez l'indispensable
binocle, conseillant, louangeant, critiquant: «Mais non, mais non, mon
enfant, comme dit Marèze, dans la Massière, ça n'est pas ça... Combien
avez-vous de têtes?... Huit têtes, hein? au moins... Et le modèle,
combien?... Six, six et demi. Alors?... Regardez mieux!...»
M. Carolus-Duran conversant avec notre
correspondant M.
Ziegler dans le jardin de la
Villa, par un froid exceptionnel.
M. CAROLUS-DURAN A LA VILLA MÉDICIS]
Lettre et photographies de notre correspondant de Rome.
Le changement de directeur de notre Académie nationale à Rome a été un véritable événement dans le monde artistique. Le départ de M. Guillaume a donné lieu dans la presse à des considérations extrêmement flatteuses pour le «vétéran de l'art». Ses Etudes d'art antique et moderne, aussi bien que ses oeuvres sculpturales, lui avaient valu en Italie une grande renommée. On avait pour lui comme un sentiment de vénération.
Quant à son successeur, M. Carolus-Duran, on sent de la chaleur dans l'accueil sympathique que lui ont fait les principaux journaux de la péninsule. Son arrivée à la Villa Médicis a été saluée on pourrait presque dire avec enthousiasme, car on connaissait, en plus de ses oeuvres, son affection pour l'Italie, où il a séjourné un certain temps.
«J'adore l'Italie», c'est en effet ce qu'aime à répéter M. Carolus-Duran à tous les journalistes et personnalités qui l'ont approché depuis qu'il est à Rome. Et ce qui le rend encore plus agréable aux Italiens, c'est qu'il le dit dans leur divine langue.
«Tout ce qui existe sous votre beau ciel m'est cher, disait-il à l'un d'eux. Je ferai de la Villa Médicis un centre intellectuel, où se rencontreront tous ceux qui en Italie ou en France s'adonnent aux arts, aux lettres et même à la politique Du moment que nous nous connaîtrons, nous nous aimerons.»
M. Carolus-Duran frappant à la porte
de l'atelier d'un
sculpteur.
Le nouveau directeur de la Villa Médicis m'a raconté lui-même comment il a appris l'italien. C'est au couvent des bénédictins de Subiaco, où il resta dix mois pour l'exécution de son fameux tableau: la Prière du soir. Les bons moines furent ses maîtres.
Quel directeur sera M. Carolus-Duran? Il déclare vouloir être un ami pour les jeunes artistes pensionnaires. «J'essayerai de toute façon, dit-il, de leur faire facile et libre la vie d'art qu'ils vivent à la Villa Médicis. Je sais par expérience combien âpre est la voie pour arriver au but.» Il désirerait surtout les voir voyager non seulement en Italie, mais dans tous les pays où il existe des monuments et d'importantes collections d'art. Plus de copies, système suranné, mais la liberté de créer selon leurs aspirations et inspirations personnelles.
Naturellement, c'est à l'Académie des beaux-arts à décider souverainement de l'opportunité de ces réformes. Toutefois, un vent nouveau semble dès maintenant souffler sous les arceaux et les ombrages de la Villa Médicis. P. Z.
M. Carolus-Duran M. Guillaume.
A L'ACADEMIE DE FRANCE A ROME.--M. Carolus-Duran s'entretenant avec son
prédécesseur,
M. Guillaume, dans le cabinet directorial de la Villa
Médicis.
M. Paul Doumer, président de la Chambre des
députés.--
Phot. Pierre Petit.]
M. Paul Doumer vient d'être élu à la présidence de la Chambre des députés, battant de vingt-cinq voix M. Henri Brisson, président sortant. C'était depuis longtemps déjà un de nos hommes politiques les plus en vue et il en est peu qui, avant la cinquantaine, aient une carrière aussi bien remplie.
Ses débuts dans la vie furent très modestes. Né à Aurillac (Cantal) en 1857, il passe de l'école primaire à l'atelier d'un fabricant de médailles, où il entre comme apprenti. Plus tard il professe les mathématiques au collège de Mende, puis au lycée de Laon: l'instruction secondaire acquise en «piochant» dur, en dehors du travail manuel, a fait de l'artisan un licencié ès sciences. Lorsqu'il quitte l'Université pour prendre la direction d'un journal républicain de l'Aisne, M. Doumer n'a pas trente ans; une fois sur le chemin de la politique, il avancera d'un pas rapide et sûr: député de son département d'adoption en 1888, de l'Yonne en 1893, réélu dans l'Aisne en 1902; rapporteur de plusieurs lois importantes; ministre des finances du cabinet Léon Bourgeois, en 1895; appelé en 1896, sous le ministère Méline, au poste de gouverneur général de l'Indo-Chine, qu'il occupa cinq ans en y montrant de remarquables capacités d'administrateur. Hier, l'ancien ministre des finances présidait la commission du budget; aujourd'hui, le voilà élevé à l'une des plus hautes situations de la République.
En voyant M. Doumer, toujours jeune et alerte, monter au fauteuil, il nous souvient du temps où, attaché au président Floquet en qualité de chef de cabinet, il marchait dans l'ombre solennelle et tutélaire de cet homme d'Etat. Maintenant, c'est pour lui que les tambours battent aux champs et que retentit la voix sonore de l'huissier annonçant: «Monsieur le Président!» Il a bien le droit d'en éprouver quelque fierté, étant surtout, comme on dit, le fils de ses oeuvres.
L'Angleterre, en la circonstance, généreuse, humaine, a permis que le cercueil du président Kruger fût ramené au Transvaal. L'«Oncle Paul» dort maintenant son dernier sommeil parmi les siens, dans la terre natale, au cimetière de Pretoria, où sa tombe a été ouverte à la suite de celles de son petit-fils, de son fils et de la vaillante compagne de sa vie.
Jusqu'au suprême moment où il vint rejoindre là les êtres chers, la fatalité semble s'être acharnée sur le malheureux vieillard. Un de nos correspondants nous rapporte un incident qui a failli retarder ses obsèques définitives.
Le corps devait être exposé, pendant une semaine, dans la vieille église de Pretoria, maintenant abandonnée et remplacée par un temple tout neuf. Mais, le clocher de cette église ancienne menaçant ruine, on voulut, craignant quelque accident, l'abattre avant de permettre à la foule de pénétrer dans l'édifice. L'opération fut malheureusement conduite et fut à deux doigts de tourner à la catastrophe. Le clocher, sur lequel on avait équipé des câbles, tirés par des automobiles, s'écroula de façon si malencontreuse qu'il produisit de graves dégâts et qu'on dut hospitaliser le cercueil dans un autre immeuble religieux, la Suzanna hall. C'est de là que la dépouille mortelle de Kruger est partie pour aller reposer auprès des siens.
AU CIMETIÈRE DE PRETORIA.--Les tombes de la famille Kruger.
(A gauche: la tombe du petit-fils de l'ex-président: Paul Kruger; puis
celle de son fils: Pierre; celle de sa femme et, enfin, à droite et
ouverte, celle prête à recevoir le cercueil de l'ex-président.)--
Phot.
comm. par M. Gh. Laine.
Le SLEEPING DES ENFANTS ASSISTÉS.
Le sleeping des enfants assistés.
En 1895, l'administration de l'Assistance publique avait fait construire un wagon spécialement aménagé pour conduire ses pupilles à l'hôpital marin de Berck. Lors de la création du sanatorium d'Hendaye, il y a quatre ans, on dut se contenter de ce même wagon pour assurer le transport des petits malades qu'on y dirigeait. Mais on conçoit que la voiture, étudiée en vue d'assurer le confortable suffisant pour un voyage de quelques heures, ne remplissait qu'imparfaitement son rôle alors qu'il s'agissait de faire parcourir aux enfants 800 kilomètres de voie ferrée. Aussi, dès son arrivée à la direction de l'Assistance publique, M. Mesureur se préoccupa de remédier à cet état de choses et mit à l'étude la création d'un «sleeping» spécial au sanatorium d'Hendaye.
Le wagon nouveau vient d'être achevé.
Il est de dimensions un peu inusitées: 15 mètres de longueur, 2m,95 de largeur et 2m,60 de hauteur: ce sont les cotes maxima que permettent et le gabarit des ouvrages d'art et les courbes de la voie. Le wagon, en effet, n'est pas monté sur boggies. On a adopté un système de châssis rigide, formant corps avec la caisse et reposant sur des ressorts très doux qui a pour but d'amortir autant qu'il est possible la trépidation de la marche.
Intérieurement, il est divisé en trois compartiments principaux, la partie centrale étant réservée aux enfants; les deux extrémités affectées au personnel, chef de convoi, infirmiers qui les accompagnent, et aux services accessoires: office, lingerie, etc. La partie où sont logés les enfants,--la plus intéressante à montrer,--est elle-même coupée par un couloir central. Elle comprend quatorze compartiments de longueurs variables, où l'on installe les petits voyageurs suivant leur âge.
Chaque compartiment est pourvu de deux banquettes se faisant face et sur lesquelles peuvent prendre place quatre enfants assis. Les dossiers de siège, en se rabattant sur les banquettes, forment deux lits, complétés par les coussins de sièges et de dossiers, servant de matelas. En outre, dans chaque stalle, est fixé, le long de la paroi longitudinale de la voiture et au-dessus de la fenêtre du compartiment, un hamac, relevé pendant le jour contre cette paroi, et facile à rabattre, pour le service de nuit. Ainsi, chaque compartiment peut donc recevoir trois enfants convenablement couchés, la nuit, tous dans le sens de marche du train, et, pendant le jour, un enfant sur trois peut encore se reposer, en s'étendant sur l'une des deux banquettes, disponible pour lui seul, alors que ses deux petits camarades sont assis en face de lui.
Et il serait superflu d'ajouter que l'on s'est par-dessus tout préoccupé d'assurer à cette voiture un aménagement hygiénique par excellence.
Aménagement de jour: les banquettes. Aménagement de nuit:
les couchettes.
LE SLEEPING DE L'ASSISTANCE PUBLIQUE--Photographies
Anthony's
La périodicité dans les phénomènes biologiques.
Un médecin autrichien, M. H. Swoboda, a remarqué que les souvenirs--d'un événement, d'une mélodie, etc.--ont une tendance à surgir spontanément au bout de certaines périodes. Une de ces périodes, pour lui, a vingt-trois heures de durée, c'est-à-dire que le souvenir revient volontiers, de lui-même, vingt-trois heures après le moment de la perception. Il y a d'autres périodes plus longues, qui sont des multiples de la première: ainsi, le souvenir revient aussi, brusquement, au bout de quarante-six heures; on observe de même des réveils de souvenir au bout de vingt-trois jours.
Les périodes de vingt-trois, quarante-six, etc., s'observent chez l'homme; chez la femme elles sont un peu différentes; on observe plutôt dix-huit heures que vingt-trois, vingt-huit jours que vingt-trois M. Swoboda explique ces faits par des oscillations périodiques auxquelles serait soumis l'organisme, oscillations qui suivraient un rythme régulier. La période masculine serait de vingt-trois jours; la féminine de vingt-huit. Un autre médecin de Vienne. M. Fliess, a déjà observé l'existence de périodes analogues dans les phénomènes pathologiques: crises d'angoisse, migraines, saignements de nez, etc. Cette périodicité expliquerait le retour spontané des souvenirs, tout comme elle expliquerait le fait assez souvent observé du retour, à intervalles réguliers, de certains rêves. Elle expliquerait aussi comment il se fait que les rêves portent souvent sur des circonstances déjà assez lointaines, plutôt que sur les événements de la veille: les souvenirs d'il y a vingt-trois ou quarante-six jours pour l'homme, ou d'il y a vingt-huit jours pour la femme, reviendraient plus spécialement à l'esprit durant le sommeil.
La périodicité jouerait encore un rôle important dans les phénomènes de la mémoire: M. Swoboda assure qu'il vaut mieux apprendre une pièce qu'il faudra réciter par coeur vingt-trois ou quarante-six heures avant de la réciter, qu'à d'autres intervalles; et, si l'on apprend en plusieurs fois, mieux vaut faire coïncider la répétition avec la phase d'évocation spontanée.
Les faits dont parlent M. Swoboda sont fort curieux. Il nous paraît certain que bon nombre de médecins ou d'observateurs ont dû constater des faits de périodicité sur leurs malades ou sur eux-mêmes. En tout cas, s'ils portent leur attention de ce côté, ils devront en constater. Peut-être quelques-uns d'entre eux auront-ils l'obligeance de nous faire connaître le résultat de leur observation: il pourra intéresser les lecteurs et servir à faire mieux connaître une loi qui a de l'importance et dont on pourra tirer un parti pratique.
Le platine à Madagascar.
Le Bulletin économique de Madagascar signale une découverte importante, faite dans la rivière de l'Isonjo, de la province de Farafangana, où une révolte a récemment éclaté. Des laveurs d'or ont recueilli quelques fragments d'un métal blanc qui, expédiés au service des mines, ont été reconnus comme composés de platine natif. Le platine est un métal très rare et coûteux; la plus grande partie du platine qui se trouve dans le commerce provient des mines de la Russie. Il est très désirable que l'on trouve de nouveaux dépôts de cette substance précieuse. Le platine est employé dans l'industrie, où il sert à la fabrication des cornues dans lesquelles s'opère la concentration de l'acide sulfurique.
On en fait beaucoup usage aussi dans la confection des lampes à incandescence, en raison de son coefficient de dilatation, voisin de celui du verre.
Enfin, c'est un métal précieux pour les laboratoires de chimie et de physique, où, très résistant à la chaleur et très malléable en même temps, il sert à faire des creusets, des cornues, des tubes, pour différentes réactions exigeant une haute température ou l'intervention d'acides très puissants. Dans nos appartements, le platine sert encore, sous forme de mousse, à allumer les becs de gaz, sans allumettes: il a le pouvoir, en absorbant les gaz, de s'échauffer assez pour les enflammer. A l'état naturel, le platine se présente sous la forme de paillettes ou de petits grains irréguliers; on le trouve le plus souvent parmi les produits de désagrégation des roches anciennes, avec d'autres métaux lourds, le fer et l'or en particulier.
A Madagascar, c'est avec l'or qu'on l'a découvert et, étant donnée sa valeur commerciale, c'est une acquisition précieuse. On va explorer attentivement la rivière de l'Isonjo et ses affluents, pour mettre la main, si possible, sur les roches d'où proviennent les débris découverts à Bemahala, sur le gisement original du métal si recherché. Il faut espérer que le gisement sera assez riche pour qu'il vaille la peine d'en faire l'exploitation méthodique.
Comment se comportent les glaciers.
On sait qu'il existe une commission internationale des glaciers qui s'est chargée de la surveillance des montagnes et de leurs glaciers Le but de cette commission est principalement scientifique: il s'agit simplement de savoir si les glaciers augmentent ou diminuent, les variations fournissant des indications sur les tendances générales du climat, sur les probabilités de périodes chaudes ou froides, sèches ou humides; il est en outre intéressant de suivre les variations des glaciers en corrélation avec les études météorologiques qui se font sur l'ensemble du globe. Enfin, les études sur les glaciers présentent un intérêt pratique en indiquant les oscillations probables des sources et des torrents constituant la houille blanche. Chaque année la commission publie un rapport d'ensemble. Celui qui vient de paraître nous fait savoir qu'en Suisse la plupart des glaciers sont en décrue ou stationnaires. Il y en a treize qui présentent une légère crue: trois seuls sont en crue certaine, ce sont trois affluents du Rhône. Dans les Alpes autrichiennes, il en va assez généralement de même: les glaciers qui reculent sont plus nombreux que les glaciers qui avancent. En Dauphiné, d'après M. Kilian, recul général: il y a même des glaciers qui semblent devoir mourir à brève échéance, leur décrue persistant depuis trente et quarante ans. Il est vrai qu'ils pourront un jour ressusciter. Et il en est qui ont la vie dure: les glaciers de Porteras et de la Grande Roche du Lauzou sont quasi morts depuis vingt ans; mais ils n'ont pas totalement disparu encore. Partout il y a recul dans le Dauphiné, et ceci n'est pas encourageant pour les nombreuses industries qui vivent de la force hydraulique.
Il y a eu, de 1860 à 1891, un mouvement de recul très prononcé. Depuis 1893, ce mouvement s'est ralenti, mais il existe toujours. Sans doute, il s'arrêtera avant longtemps pour être remplacé par une crue qui durera un certain nombre d'années.
La destruction de l'oeuf d'hiver du phyloxéra par le lysol.
Est-il possible de maintenir indemnes de l'invasion phylloxérique les vignes non atteintes, aussi bien que les plantations nouvelles? M. Balbiani l'avait autrefois affirmé et de récentes expériences de M. G. Cantin démontrent la légitimité de cette prétention.
En trempant des boutures, avant la plantation, dans une solution de lysol à 1%, et en soumettant chaque année les jeunes plants à une simple pulvérisation effectuée au commencement de mars, après la taille, avec une solution d'eau lysolée à 4%, M. Cantin a obtenu, depuis quatre ans la préservation parfaite de plants français francs de pied. La vigne n'a d'ailleurs nullement souffert du traitement, bien au contraire.
Le cancer contagieux des souris.
On n'a pas encore trouvé le microbe du cancer, mais tout porte à croire que le cancer est une maladie microbienne et le fait que, chez certaines espèces, on voit se produire de véritables épidémies de cancer est une preuve suffisante de la nature animée de la cause du mal.
Dans l'espèce humaine, la contagiosité du cancer n'est encore que soupçonnée, en dépit de l'existence indiscutable des «maisons à cancer» et surtout de l'expansion du mal dans les grandes villes. Ainsi, à Paris, chaque année, les cas de cancer sont plus nombreux.
Mais il est une espèce, la souris, où le cancer est très fréquent et où l'on observe de véritables épidémies de cancer.
Trois de ces épidémies viennent d'être observées, dont l'une à Buenos-Ayres, par M. Linière, et deux à Paris, par M. Giard et par M. Borel.
Au cours d'une de ces dernières, 20 souris sur 200 furent atteintes.
Comment se transmet la maladie? C'est ce qu'il a été impossible aux observateurs de déterminer.
Il y a quelque dix ans, un expérimentateur, M. Morau, avait pu démontrer que ce cancer des souris est transmissible par des piqûres de punaises. Mais, dans le dernier cas dont il s'agit, ni la nourriture avec des produits cancéreux ou avec des excréments de souris cancéreuses, ni les piqûres d'acariens parasites n'ont paru avoir la moindre influence dans la transmission du mal.
Le problème de la cause du mal et de ses modes de transmission est donc encore sans solution.
La criminologie moderne.
Un célèbre criminologiste italien, M. Garofalo, dans un ouvrage récent, estime au chiffre de 15.000 à 16.000 le nombre des affaires d'homicide soumises annuellement aux juges d'instruction en Russie. En France, la moyenne annuelle de 1896 à 1900, a été de presque 1.200. En Italie, en 1899, on a dénoncé 3.587 crimes. Au total, le chiffre moyen annuel des condamnés pour meurtre, assassinat, parricide, infanticide et empoisonnement pourrait être évalué à 10.000 pour l'Europe, moins la Pologne, le Caucase et la Turquie. Et l'on sait que les condamnations ne représentent qu'un peu plus du tiers des criminels.
D'autre part, on a calculé que sept nations d'Europe (France, Allemagne, Angleterre, Autriche-Hongrie, Italie, Russie et Espagne) dépensent à elles seules près de 222 millions par an, rien que pour l'entretien des prisonniers et pour l'administration des prisons. Si l'on ajoutait à ces frais ceux des agents de la sûreté, on atteindrait des chiffres énormes.
Par contre, les détenus ne produisent guère que 20 millions de francs, soit le neuvième de la dépense dont ils sont l'occasion.
M. Garofalo, en présence de ces chiffres, pense qu'il y aurait profit à chercher un moyen d'utiliser l'activité mentale des criminels, en les plaçant dans des milieux capables de modifier heureusement cette activité et non, comme on le fait toujours, dans des prisons ou des bagnes, où on les condamne à perpétuité à conserver leur mentalité de criminels.
Comment se propage l'anémie des mineurs.
On se rappelle que lors du percement du Saint-Gothard les mineurs eurent fort à souffrir d'une maladie qui a conservé le nom d'«anémie des mineurs». Cette anémie était due à la présence d'un parasite, d'un petit ver qui, vivant en troupes nombreuses dans l'intestin, déterminait rapidement un état d'anémie très prononcé et très persistant. On reconnut bientôt que ce parasite se propageait par l'eau de boisson et, pour éviter qu'il se répandit davantage, on veilla à ce que l'eau potable ne pût être contaminée par les déjections des malades. Le mal perdit de son intensité, mais il n'a pas disparu: les sujets atteints le promenèrent à droite et à gauche; ils l'introduisirent dans beaucoup de mines en particulier, où la malpropreté facilita la contagion, et l'on a signalé la présence de l'anémie des mineurs ou ankylostomiase--le parasite porto le nom d'ankylostome duodénal--dans quelques mines anglaises, ces temps derniers. L'ankylostomiase existe aussi dans toute la région du sud des Etats-Unis: elle y est très répandue et c'est à elle qu'on attribue l'apathie et la paresse d'une partie importante de la population blanche de la région du delta du Mississipi. Une découverte intéressante vient d'être faite au sujet de cette anémie. C'est qu'elle ne se propage pas seulement par l'eau de boisson; il ne suffit pas d'être assuré de la pureté de celle-ci pour éviter le mal. Celui-ci peut se prendre par la peau. Vivant dans le sol et dans l'eau, il peut s'introduire sous la peau si celle-ci présente une petite écorchure. Il y a quelques années déjà, un helminthologiste bien connu, M. Looss, avait émis l'opinion que ce mode d'infection devait exister; mais le public médical se montra hostile à cette vue. Tout récemment, un autre investigateur, M. P. Schaudinn, du Comité sanitaire allemand, a repris l'idée de Looss et l'a soumise à l'épreuve, arrivant à ce résultat qu'en effet l'ankylostomiase peut parfaitement se propager par la peau. Des ankylostomes vivants, en contact avec une écorchure, y pénètrent et gagnent l'intestin où ils s'installent. M. Schaudinn confirme, en même temps, les vues d'un médecin anglais, M. Bentley, qui, il y a peu de temps, déclarait que la démangeaison des pieds souvent observée chez les coolies, qui, en Assam, travaillent pieds nus dans les plantations de thé, doit être due aux larves d'ankylostomes qui s'introduisent dans les tissus. Ces coolies sont fort malpropres: il n'y a pas de cabinets d'aisances, et, dès lors, les sujets sains, marchant sur le sol et s'y écorchant le pied, ont celui-ci sans cesse en contact avec des ankylostomes évacués par les malades. La contagion est très facile. Et les conclusions de ceci est qu'il faut, pour éviter l'ankylostomiase là où il y a des sujets malades, surveiller sa peau aussi bien que sa bouche et éviter tout contact externe avec l'eau et le sol, du moment où l'on a une écorchure, si légère soit-elle.
Les Charmes, par M. Catulle Mondes (Fasquelle, 3 fr. 50).--Chansons des enfants du peuple, par Xavier Privas (Rueff, 3 fr. 50).--
Poésies de France et de Bourbon, par Maurice Olivaint (Lemerre, 3 fr. 50).--Contes anciens, par Charles Callet (Lemerre, 3 fr. 50).
Les Charmes.
Langueurs, mélancolies, rêves d'avenir, retours sur le passé, sollicitudes,-tout ce qui remplit une âme aimante déborde dans les vers de Mme Mendès. C'est tout elle-même, c'est tout le trésor fort riche de ses sentiments qu'elle a répandu en ces poésies à la fois émues et subtiles. J'ai le culte des classiques; peut être parfois Mme Mendès affecte-t-elle de les dédaigner, de s'éloigner de leur claire et ferme simplicité. Mais comment ne lui pardonnerait-on pas de ne point partager nos principes littéraires? Elle nous séduit par sa musique singulière, par les notes fines qu'elle trouve pour exprimer tout ce qu'elle ressent, tous ses songes intérieurs. Pas de banalité, pas de lieux communs; avec des tours et des expressions bien à elle, elle dévoile son âme exquise. La plupart des poètes se ressemblent: ils nous chantent la chanson commune, la petite déclamation ordinaire sur l'amour. Ici, c'est un air nouveau que nous entendons; c'est tout un pays merveilleux et intime qui se découvre. Pluie en avril me semble une des plus ravissantes pièces des Charmes:
Hier, sur le jardin, le temps était si clair.
L'air était si fragile avec ses fraîcheurs douces
Glissant jusques au tronc parmi les jeunes pousses,
Il faisait si charmant de clair espoir, hier!
Il était si tentant au bord de la nature,
Il semblait si facile et si cher de venir,
A travers le printemps, rêver de l'avenir
Avec ce coeur épris de divine aventure!
C'était l'instant subtil où tout est si léger,
Le soleil, les oiseaux, les fleurs de toutes sortes,
Qu'il n'est pas nécessaire aux tiges d'être fortes,
Que l'herbe a l'air d'attendre et le mur de songer,
L'instant frais et subtil où le bonheur lui-même,
Innocent de savoir et de joie ennobli,
N'est fait que de douceur, de grâces et d'oubli...
Et ce m'était léger de penser que je t'aime.
Mais tout s'est obscurci, mais il pleut ce matin.
Dans l'horizon brouillé plus rien ne se dessine,
Une eau lourde et glacée accable la glycine,
Un jasmin se détache et défaille soudain...
Quelle main de dieu morne épand ce crépuscule
Avec son voeu malsain, sournois, appesanti?
Quelque chose est fini du printemps averti,
Quelque chose est Uni de mon bonheur crédule...
Tout cela fait songer à une eau limpide et divine qui, tout irisée des rayons du soleil, sort d'une fontaine, en léger filet, mais vient de loin, des profondeurs de la terre. Les vers si joliment nuancés de Mme Catulle Mendès partent de son âme profonde, légèrement agitée par l'inquiétude.
Chansons des enfants du peuple.
M. Xavier Privas a été sacré prince des chansonniers. A Montmartre et au quartier latin, qu'il charme tour à tour, on reconnaît sa maîtrise et l'on s'incline devant lui quand il passe. Ne lui demandez pas de vous dire la vieille chanson française, à la fois sensible, spirituelle et gauloise. Il ne suit pas davantage ses confrères de Montmartre, lesquels brodent quelques vers en argot sur les événements du jour et sur les personnages politiques. M. Privas dédaigne les faciles succès et ne verse jamais dans la caricature. Essentiellement lyrique est sa muse, et parfois même légèrement baudelairienne. Elle s'attendrit sur les gants des défuntes amies, renfermés dans un coffret, et qu'elle visite l'un après l'autre le jour des morts. Les souvenirs tristes, les douleurs de Pierrot et aussi les pures idées, voilà ce qui attire M. Privas. Chose singulière! Il se fait applaudir avec cela du public le plus léger, le plus ami de la joie dans les cabarets où l'on va pour s'amuser. Pas de concession au mauvais goût; il ne sort jamais de sa mélancolie et de sa noblesse; loin de descendre vers la foule et de s'adapter à ses laideurs, il l'oblige à monter vers lui et vers la beauté. Dans Chansons des enfants du peuple, lisons d'abord la Nuit:
Douce nuit, étends ton suaire
Sur les débris des jours mauvais
Dont l'automne a jonché la terre;
Douce nuit, sois la messagère
D'une ère de joie et de paix!
Cache les anciennes souillures
Sous ton linceul aux lourds replis,
Afin que les heures futures
Soient moins pénibles et plus pures
Que celles des temps accomplis.
De celui qui pour la justice
S'est glorieusement battu
Sois la déesse protectrice
Et veuille qu'un sommeil propice
Répare son corps abattu.
Fais-lui cueillir les asphodèles
Du rêve en d'inconnus pays.
Afin qu'aux sources immortelles
Il puise des forces nouvelles
Pour défendre ses droits conquis!
J'ai détaché cette page; le même idéalisme et le même art marquent toutes ces Chansons des enfants du peuple, dont M. Privas a écrit la musique en même temps que la poésie.
Poèmes de France et de Bourbon.
M. Maurice Olivaint est magistrat et poète. Que vaut-il comme magistral? Je l'ignore. Je le suppose cependant plutôt débonnaire, n'appliquant pas le Code dans toute sa rigueur, ne se complaisant pas aux désespoirs des condamnés. Sa poésie, en effet, est pleine de douceur et de tendresse; elle décèle un coeur enclin à la mansuétude et à l'attendrissement. Longtemps justicier aux colonies, transporté de l'une à l'autre, M. Olivaint a, dans plusieurs volumes, donné les impressions vives que chaque exil lui a procurées. Nous avons surtout ici ce qu'il a songé à l'île Bourbon. Les splendeurs des contrées brûlantes avec leurs palmiers et leurs arbustes aux larges feuilles ne consolent pas les fils de la France occidentale, lesquels sous les ardents rayons regrettent le soleil plus pâle et jusqu'aux brumes du pays natal. Dans les poèmes où M. Olivaint célèbre la puissante nature de Bourbon, il y a toujours un peu de nostalgie. Et cependant la plus belle page du livre n'a pas trait au pays de Leconte de Lisle, ni à la psychologie de M. Olivaint. Pour l'écrire, le poète s'est isolé de lui-même et de ce qui l'entourait; on dirait une enluminure tombée d'un manuscrit orné par un maître primitif:
Quand la gloire des dieux rayonnait sur le monde
La femme, dans l'orgueil d'un prestige exalté
Par la lyre et le marbre où revit sa beauté,
Se dévoilait sans honte à l'art qu'elle féconde.
Le Verbe surprit home en sa luxure immonde.
Néron, persécuteur d'un culte détesté,
Traîne au cirque sanglant ta chaste nudité,
Vierge vouée au Christ dont la grâce l'inonde.
La crainte de la mort ne trouble point tes yeux.
Mais tu croises les bras sur ton sein soucieux
D'échapper aux regards que la jeunesse attire.
Et ce geste éperdu qui te vêt de splendeur,
Comme une fleur d'amour éclose du martyre,
Aux hommes éblouis révèle la Pudeur.
M. Olivaint appartient au Parnasse par le souci de la rime sonore, de la perfection du vers, mais la plupart du temps s'en sépare, par ce qu'il met de sa personnalité, de ses visions particulières, de ses intimités familiales dans ses Poèmes de France et de Bourbon. Ce n'est pas un impassible. Leconte de Lisle lui même, infidèle à ses principes, ne se montre-t-il pas constamment avec ses désirs et ses passions dans sa vaste poésie?
Contes anciens.
Ecrit en prose,--en une prose harmonieuse et fastueuse,--le livre de M. Callet ne se peut ranger ni dans la critique, ni dans le roman, ni dans la nouvelle. C'est avant tout une oeuvre d'art pur et de poésie. Député à l'Assemblée de 1871, orateur, écrivain, d'une plume habile et sûre d'elle-même, le père de M. Callet a dirigé son fils vers les lettres, mais sans l'amener à sa forme classique. Sans doute, il n'y a dans Contes anciens aucune tournure pénible, aucune difficile inversion, aucune obscurité, mais partout une magnificence qui n'exclut pas toutefois la précision et la préciosité du mot, et qui n'est pas là non plus pour cacher l'absence de l'idée. M. Callet est somptueux, mais cherche avec autant de soin les pensées neuves que les nouvelles couleurs. Je ne sais quoi de désillusionné, un pessimisme parfois un peu amer donne une saveur âcre aux Contes anciens. Rien ne relève la poésie comme le désenchantement. Qui est content de tout et qui rit toujours ne sera jamais un poète.
Je recommande tout particulièrement, dans les Contes anciens, la
Bourse d'or. Avant de donner sa fille à Bomuald, un riche marchand de
Hambourg exige que son futur gendre fasse, à travers les peuples, un
voyage d'une année et, pour ce, lui remet une bourse d'or. Plus
expérimenté, ne fera-t-il pas un meilleur mari? Le pèlerinage accompli
et les hommes mieux observés, le jeune homme revient, dépouillé de sa
naïve insouciance et de son généreux optimisme; il est grave et triste:
«Que ne m'avez-vous accordé cette main, dit-il à son père, quand ma
vingtième année vous implorait! Mon coeur était jeune, il s'ouvrait à la
vie; les soirs les plus sombres me semblaient des aurores; mon âme était
fleurie d'illusions. Vous avez fait tomber les fleurs en m'envoyant par
le monde! J'ai étudié les hommes, j'ai vu de près leurs agitations
stériles et mauvaises, je n'aime rien de ce qu'ils aiment.»--Dans le
conte des Cheveux blancs, superbe, violent, abondent les peintures
comme celle-ci: «L'empire gémissait sous la domination d'une reine, la
terrible Léto. Grande, hautaine, mystérieuse, déjà vieillissante, elle
écrasait le monde de son despotisme, broyait toute pensée, toute joie.
Malheur à ceux qu'elle voyait passer amoureux des fleurs du chemin, des
brises errantes, des sourires posés sur les lèvres des jeunes filles!... Sa volonté dominait tout; ministres, émissaires, soldats rampaient
devant la traîne de son vêtement constellé de topazes...» Qui ne sent
dans ces lignes, dans les moindres mots de M. Callet un artiste épris de
la beauté et singulièrement soucieux et capable de la rendre?
E. Ledrain.
LE VICE-AMIRAL
SHIBAYAMA,
nouveau commandant de
Port-Arthur.
Phot. G. Bolak.
Le premier soin des Japonais, une fois maîtres de cette citadelle de Port-Arthur tant convoitée, devait être d'en préparer la défense. Ils se disposent à y installer une forte station navale. C'est à l'amiral Shibayama, dont nous donnons le portrait que va en échoir le commandement, l'amiral Togo demeurant chargé de protéger la place vers la haute mer.
LOUISE MICHEL
Louise Michel vient de mourir à l'âge de soixante-douze ans. Toujours animée, malgré le déclin de ses forces, d'une toi agissante qui aura soutenu son extraordinaire vaillance jusqu'à son dernier souffle, elle faisait une tournée de conférences dans la région du Midi, lorsque, à Sisteron, elle se sentit terrassée par une congestion pulmonaire; elle exprima le désir d'être transportée à Marseille, chez une amie, Mme veuve Légier; c'est là qu'elle s'est éteinte, le 9 janvier.
L'an passé, au mois de mars, l'intrépide conférencière avait failli succomber, à Toulon, au même mal contracté à la suite des mêmes fatigues. On la crut perdue et les journaux lui consacrèrent prématurément des articles nécrologiques, de sorte que, convalescente, elle eut le singulier privilège de pouvoir lire sa propre oraison funèbre. Ils rappelèrent ses débuts comme institutrice, sa participation active à l'insurrection de la Commune, sa transportation à la Nouvelle-Calédonie à bord de la frégate Virginie, où elle eut pour compagnon de route Henri Rochefort; ils montrèrent la «Vierge rouge», après bien d'autres vicissitudes, continuant à prêcher l'évangile révolutionnaire, à pousser jusqu'au fanatisme exalté le culte de l'utopie; ils dirent aussi ses qualités de coeur et sa proverbiale charité... Mais une réaction inespérée s'opéra: la mort devait faire à la patiente crédit de quelques mois.
C'est de l'époque de cette première maladie que date l'intéressante photographie reproduite ici et qui, exécutée pour l'Illustration, représente Louise Michel ayant à son chevet sa fidèle amie Charlotte Vauvelle et le docteur Bertollet. Une des épreuves de cette photographie est entre les mains de M. Rochefort, auquel la malade l'adressa avec la dédicace suivante: «De la Virginie à la mort, à travers les noirs remous de la vie, la même amitié dure toujours.--A Henri Rochefort, Louise Michel.--Toulon, 14 avril 1904.»
M. Paul Bourgeois,
député de la Vendée
doyen d'âge de la
Chambre.
Phot. Ladrey.
M. PAUL BOURGEOIS
Le docteur Paul Bourgeois qui, au Palais-Bourbon, a présidé la première séance de la session, en qualité de doyen d'âge, est né en 1827; il achèvera au mois de mai prochain sa soixante-dix-huitième année.
Son allocution d'ouverture débute en ces termes: «Mes chers collègues, une Chambre républicaine radicale socialiste, présidée par un Vendéen, un Vendéen resté royaliste, vous le reconnaîtrez, la chose n'est pas banale.»
On ne saurait mieux préciser l'originalité de cette présidence éphémère. Ajoutons que M. Paul Bourgeois, élu représentant à l'Assemblée nationale le 8 février 1871, occupe sans interruption son siège de député depuis trente-quatre ans.
M. Adrien Arcelin.
M. ADRIEN ARCELIN
On vient de faire à Saint-Sorlin (Saône-et-Loire) des obsèques émues à M. Adrien Arcelin, que l'Académie de Mâcon,--l'une des plus vénérables sociétés savantes des départements,--à la veille de célébrer le centenaire de sa fondation, avait, par acclamations, rappelé au fauteuil de la présidence, tenant à avoir à sa tête, pour cette solennelle commémoration, le plus éminent de ses membres. M. Arcelin était originaire de Fuissé (Saône-et-Loire), il avait passé par l'Ecole des chartes et quelque temps avait été archiviste du département de la Haute-Marne. Mais son amour de l'indépendance, sa passion pour le travail libre, ne s'accommoda guère de ces fonctions administratives, qui lui prenaient le meilleur de son temps et paralysaient son initiative personnelle, il revint au pays natal et put donner libre carrière à son goût pour les études d'archéologie, de préhistoire et d'anthropologie qui furent la grande passion de sa vie.
M. Arcelin a apporté à l'étude du Mâconnais préhistorique d'importantes et décisives contributions.
Esprit infiniment distingué, âme excellente, M. Adrien Arcelin fut l'un de ces savants trop modestes comme en abrite beaucoup la province, et qui font davantage, sans bruit, pour la gloire durable de leur petite patrie, que les batteurs d'estrade et les rhéteurs à voix d'or et à grands gestes, dont pullule le monde.
LE DUEL BREITTMAYER-LUSCIEZ
Une erreur s'est glissée dans le bref compte rendu que nous avons publié la semaine dernière. D'après le procès-verbal des médecins, M. Lusciez n'a été, à aucun moment, «atteint à l'aisselle droite», et la crampe ou contracture des muscles de l'avant-bras qui l'a empêché de continuer le combat était «sans relation avec une piqûre superficielle n'ayant pas même traversé la peau». Ces détails ont leur importance dans un duel entre escrimeurs émérites.
LES THÉÂTRES
Nous ne pouvons qu'enregistrer, en dernière heure, le très grand succès remporté, au théâtre de la Renaissance, par la Massière, de M. Jules Lemaître, admirablement interprétée par MM. Guitry et Maury, Mmes Brandès et Judic. Nous publierons, dans un prochain numéro, l'oeuvre émouvante et charmante de l'éminent académicien.
Mlle Louise Michel sur son lit de convalescente à Toulon
(avril 1904). (A gauche, M. le docteur Bertollet; à droite, Mlle
Charlotte Vauvelle).
Photographie prise pour "l'Illustration" par M. Bougault.