The Project Gutenberg eBook of Poèmes: Les bords de la route. Les Flamandes. Les Moines This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Poèmes: Les bords de la route. Les Flamandes. Les Moines Author: Emile Verhaeren Release date: September 28, 2010 [eBook #34008] Most recently updated: March 18, 2024 Language: French Credits: Produced by Marc D'Hooghe *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK POÈMES: LES BORDS DE LA ROUTE. LES FLAMANDES. LES MOINES *** POÈMES Par ÉMILE VERHAEREN LES BORDS DE LA ROUTE. LES FLAMANDES LES MOINES AUGMENTÉS DE PLUSIEURS POÈMES Deuxième édition PARIS SOCIÉTÉ DU MERCURE DE FRANCE M DCCC XCV LES BORDS DE LA ROUTE 1882-1894 _A PAUL SIGNAC_ DÉCORS TRISTES LE GEL Sous le fuligineux étain d'un ciel d'hiver, Le froid gerce le sol des plaines assoupies, La neige adhère aux flancs râpés d'un talus vert Et par le vide entier grincent des vols de pies. Avec leurs fins rameaux en serres de harpies, De noirs taillis méchants s'acharnent à griffer, Un tas de feuilles d'or pourrissent en charpies; On s'imagine entendre au loin casser du fer. C'est l'infini du gel cruel, il incarcère Notre âme en un étau géant qui se resserre, Tandis qu'avec un dur et sec et faux accord Une cloche de bourg voisin dit sa complainte, Martèle obstinément l'âpre silence--et tinte Que, dans le soir, là-bas, on met en terre un mort. LES BRUMES Brumes mornes d'hiver, mélancoliquement Et douloureusement, roulez sur mes pensées Et sur mon coeur vos longs linceuls d'entendement Et de rameaux défunts et de feuilles froissées Et livides, tandis qu'au loin, vers l'horizon, Sous l'ouatement mouillé de la plaine dormante, Parmi les échos sourds et souffreteux, le son D'un angélus lassé se perd et se lamente Encore et va mourir dans le vide du soir, Si seul, si pauvre et si craintif, qu'une corneille, Blottie entre les gros arceaux d'un vieux voussoir, A l'entendre gémir et sangloter, s'éveille Et doucement répond et se plaint à son tour A travers le silence entier que l'heure apporte, Et tout à coup se tait, croyant que dans la tour L'agonie est éteinte et que la cloche est morte. SUR LA COTE Un vent rude soufflait par les azurs cendrés, Quand du côté de l'aube, ouverte à l'avalanche, L'horizon s'ébranla dans une charge blanche Et dans un galop fou de nuages cabrés. Le jour entier, jour clair, jour sans pluie et sans brume, Les crins sautants, les flancs dorés, la croupe en feu, Ils ruèrent leur course à travers l'éther bleu, Dans un envolement d'argent pâle et d'écume. Et leur élan grandit encor, lorsque le soir, Coupant l'espace entier de son grand geste noir, Les poussa vers la mer, où criaient les rafales. Et que l'ample soleil de Juin, tombé de haut, Se débattit, sanglant, sous leur farouche assaut, Comme un rouge étalon dans un rut de cavales. (1884-85) LES CORNEILLES Le plumage lustré de satins et de moires, Les corneilles, oiseaux placides et dolents, Parmi les champs d'hiver, que la neige a fait blancs, Apparaissent ainsi que des floraisons noires. L'une marque les longs rameaux d'un chêne ami; Elle est penchée au bout d'une branche tordue, Et, fleur d'encre, prolonge une plainte entendue Par le tranquille écho d'un village endormi. Une autre est là, plus loin, pleurarde et solitaire, Sur un tertre maussade et bas comme un tombeau. Et longuement se rêve en ce coin rongé d'eau, Fleur tombale d'un mort qui dormirait sous terre. Une autre encor, les yeux fixes et vigilants, Hiératiquement, sur un pignon placée, Reste à l'écart et meurt, vieille et paralysée, Plante hiéroglyphique en fleur depuis mille ans. Le plumage lustré de satins et de moires, Les corneilles, oiseaux placides et dolents, Parmi les champs d'hiver, que la neige a faits blancs, Apparaissent ainsi que des floraisons noires. VAGUEMENT Voir une fleur là-bas, fragile et nonchalante, En cadence dormir au bout d'un rameau clair, En cadence, le soir, fragile et nonchalante, Dormir;--et tout à coup voir luire au clair de l'air, Luire, comme une pierre, un insecte qui danse, Instant de nacre en fuite au long d'un rayon d'or; --Et voir à l'horizon un navire qui danse Sur ses ancres et qui s'enfle et tente l'essor, Un navire lointain vers les grèves lointaines, Et les îles et les hâvres et les départs Et les adieux;--et puis, à ces choses lointaines, A ces choses du soir confier les hasards: Craindre si la fleur tombe ou si l'insecte passe Ou s'il part le navire à travers vents, là-bas, Vers la tempête et vers l'écume et vers l'espace Danser, parmi la houle énorme, au son des glas.... Ton souvenir!--et le mêler à ces présages, A ce navire, à cet insecte, à cette fleur, Ton souvenir qui plane, ainsi que des nuages, Au couchant d'ombre et d'or de ma douleur. (1886) VÉNUS ARDENTE En ce soir de couleurs, en ce soir de parfums, Voici grandir l'orgueil d'un puissant crépuscule Plein de flambeaux cachés et de miroirs défunts. Un chêne avec colère, à l'horizon, s'accule Et, foudroyé, redresse encor ses poings au ciel. Le cadavre du jour flotte sur les pâtures Et, parmi le couchant éclaboussé de fiel, Planent de noirs corbeaux dans l'or des pourritures. Et le cerveau, certes morne et lassé, soudain S'éveille en ces heures de fastueux silence Et resonge son rêve infiniment lointain, Où la vie allumait sa rouge violence Et, comme un grand brasier, brûlait la volonté. Et le désir jappant et la ferveur torride Ressuscitent le coeur mollassement dompté, Et voici que renaît Vénus fauve et splendide, Guerrière encor, comme aux siècles païens et clairs, Qui l'adoraient en des fêtes tumultueuses, Tandis qu'elle dressait, comme un pavois, ses chairs, Pâle, le cou dardé, les narines fougueuses. (1886) LES CIERGES Ongles de feu, cierges!--Ils s'allument, les soirs, Doigts mystiques dressés sur des chandeliers d'or, A minces et jaunes flammes, dans un décor Et de cartels et de blasons et de draps noirs. Ils s'allument dans le silence et les ténèbres, Avec le grésil bref et méchant de leur cire, Et se moquent--et l'on croirait entendre rire Les prières autour des estrades funèbres. Les morts, ils sont couchés très longs dans leurs remords Et leur linceul très pâle et les deux pieds dressés En pointe et les regards en l'air et trépassés Et repartis chercher ailleurs les autres morts. Chercher? Et les cierges les conduisent; les cierges Pour les charmer et leur illuminer la route Et leur souffler la peur et leur souffler le doute Aux carrefours multipliés des chemins vierges. Ils ne trouveront point les morts aimés jadis, Ni les anciens baisers, ni les doux bras tendus, Ni les amours lointains, ni les destins perdus; Car les cierges ne mènent pas en paradis. Ils s'allument dans le silence et les ténèbres, Avec le grésil bref et méchant de leur cire Et se moquent--et l'on entend gratter leur rire Autour des estrades et des cartels funèbres. Ongles pâles dressés sur des chandeliers d'or! * * * * * KATO HOMMAGE I Pour y tasser le poids de tes belles lourdeurs, Tes doubles seins frugaux et savoureux qu'arrose Ton sang, tes bras bombés que lustre la peau rose, Ton ventre où les poils roux toisonnent leurs splendeurs. Je tresserai mes vers comme, au fond des villages, Assis, au seuil de leur maison, les vieux vanniers Mêlent les osiers bruns et blancs de leurs paniers, En dessins nets, pris à l'émail des carrelages. Ils contiendront les ors fermentés de ton corps; Et je les porterai comme des fleurs de fête, En tas massifs et blonds, au soleil, sur ma tête, Orgueilleusement clair, comme il convient aux forts. II Ta grande chair me fait songer aux centauresses Dont Paul Rubens, avec le feu de ses pinceaux, Incendiait les crins au clair, les bras en graisse, Les seins pointés vers les yeux verts des lionceaux. Ton sang était le leur, alors qu'au crépuscule, Sous tel astre mordant de soir le ciel d'airain, Leur grande voix hélait quelque farouche Hercule Que la nuit égarait dans le brouillard marin; Et que les sens crispés d'ardeur vers les caresses, Et le ventre toujours béant vers l'inconnu, Leurs bras tordaient l'appel lascif vers les adresses Des monstres noirs, lécheurs de rut, sur un corps nu. III Ce que je choisirais pour te symboliser, Ce ne seraient ni lys, ni tournesols, ni roses Ouvrant aux vents frôleurs leur corolle en baiser, Ni les grands nénuphars dont les pulpes moroses Et les larges yeux froids, chargés d'éternité, Bâillent sur l'étang clair leurs rêves immobiles, Ni le peuple des fleurs despotique et fouetté De colère et de vent sur les grèves hostiles. Non--Mais tout frémissant d'aurore et de soleil, Comme des jets de sang se confondent par gerbes, En pleine floraison, en plein faste vermeil, Ce serait un massif de dahlias superbes, Qui, dans l'automne en feu des jours voluptueux, Dans la maturité chaude de la matière; Comme de grands tétons rouges et monstrueux, Se raidiraient sous les mains d'or de la lumière. IV Les forts montent la vie ainsi qu'un escalier, Sans voir d'abord que les femmes sur leurs passages Tendent vers eux leurs seins, leurs fronts et leurs visages Et leurs bras élargis en branches d'espalier. Ils sont les assoiffés de ciel, nocturne hallier, Où buissonnent des feux en de noirs paysages, Et si haut montent-ils, séduits par des présages, Qu'ils parvienent enfin au suprême palier. Ils y cueillent des fruits d'astres et de comètes; Puis descendent, lassés de gloire et de conquêtes, L'esprit déçu, les yeux ailleurs, les coeurs brûlés; Et regardant alors les femmes qui les guettent, Ils s'inclinent devant, à deux genoux, et mettent Entre leurs mains en or les grands mondes volés. (1892) CANTIQUES I Je voudrais posséder pour dire tes splendeurs, Le plain-chant triomphal des vagues sur les sables, Ou les poumons géants des vents intarissables; Je voudrais dominer les lourds échos grondeurs, Qui jettent dans la nuit des paroles étranges, Pour les faire crier et clamer tes louanges; Je voudrais que la mer tout entière chantât, Et comme un poids le monde élevât sa marée, Pour te dire superbe et te dresser sacrée; Je voudrais que ton nom dans le ciel éclatât, Comme un feu voyageur et roulât, d'astre en astre, Avec des bruits d'orage et des heurts de désastre. II Les pieds onglés de bronze et les yeux large ouverts, Comme de grands lézards, buvant l'or des lumières, Se traînent vers ton corps mes désirs longs et verts. En plein midi torride, aux heures coutumières, Je t'ai couchée, au bord d'un champ, dans le soleil; Auprès, frissonne un coin embrasé de méteil, L'air tient sur nos amours de la chaleur pendue, L'Escaut s'enfonce au loin comme un chemin d'argent, Et le ciel lamé d'or allonge l'étendue. Et tu t'étends lascive et géante, insurgeant, Comme de grands lézards buvant l'or des lumières, Mes désirs revenus vers leurs ardeurs premières. III Et mon amour sera le soleil fastueux, Qui vêtira d'été torride et de paresses Les versants clairs et nus de ton corps montueux. Il répandra sur toi sa lumière en caresses, Et les attouchements de ce brasier nouveau Seront des langues d'or qui lécheront ta peau. Tu seras la beauté du jour, tu seras l'aube Et la rougeur des soirs tragiques et houleux; Tu feras de clartés de splendeurs ta robe. Ta chair sera pareille aux marbres fabuleux, Qui chantaient, aux déserts, des chansons grandioses, Quand le matin brûlait leurs blocs, d'apothéoses. IV Hiératiquement droit sur le monde, Amour! Grand Dieu, velu de rouge en tes splendeurs sacrées, Vers toi, l'humanité monte comme le jour, Monte comme les vents et comme les marées; Nous te magnifions. Amour, Dieu jeune et roux, Qui casse sur nos fronts tes éclairs de courroux, Mais qui décoche aussi dans le fond de nos moelles, L'électrique frisson au plaisir éternel, Et nous te contemplons, sous ton ciel solennel, Où des coeurs mordus d'or flambent au lieu détoiles, Où la lune arrondit son orbe en sein vermeil, Où la chair de Vénus met des lacs de soleil. (1882) AU CARREFOUR DE LA MORT I Hélas, ton corps! ô ma longue et pâle malade, Ton pauvre corps d'orgueil parmi les coussins blancs!... Les maux serrent en toi leur nerveuse torsade Et vers l'éternité tournent tes regards lents. Tes yeux, réservoirs d'or profond, tes yeux bizarres Et doux, sous ton front plane, ont terni leurs ardeurs, Comme meurent les soirs d'été dans l'eau des mares, Mélancoliquement, dans tes grands yeux tu meurs. Tes bras qui s'étalaient au mur de ta jeunesse, Tel qu'un cep glorieux vêtu de vins et d'or, Au long de tes flancs creux lignent leur sécheresse, Pareils aux bras osseux et sarmenteux des morts. Tes seins, bouquets de sève étalés sur ton torse, Iles de rouge amour sur un grand lac vermeil, Délustrés de leur joie et vidés de leur force, Sèchent, eux que mon rut levait à son soleil. Et maintenant, qu'aux jours de juin, pour le distraire, On t'amène, là-bas, dans les jardins l'asseoir. Dès qu'on t'assied dans l'herbe, je crois le voir Tout lentement déjà t'enfoncer sous la terre. II A voir si pâle et maigre et proche de la mort, Ta chair, la grande chair, jadis évocatoire, Et que les roux midis d'été feuillageaient d'or Et grandissaient, mes yeux se refusent à croire Que c'est à ce corps-là, léché, flatté, mordu, Chaque soir, par les dents et l'ardeur d'une bête, Que c'est à ces deux seins pâles que j'ai pendu Mes désirs, mes orgueils et mes ruts de poète. Et néanmoins je l'aime encore, quoique flétri, Ce corqs, horizon rouge ouvert sur ma pensée. Arbre aux rameaux cassés, soleil endolori, Ce corps de pulpe morte et de chair effacée, Et je le couche en rêve au fond du bateau noir, Qui conduisait jadis, aux temps chanteurs des fées, Vers leurs tombeaux ornés d'ombre, comme un beau soir, --Traînes au fil des eaux et robes dégrafées-- Les défuntes d'amour dont les purs yeux lointains Brillent dans le hallier, les bois et dans les landes, Et dont les longs cheveux d'argents et de satins, Comme des clairs de lune, ardent dans les légendes. Et comme elles, je veux te conduire à travers Les fleuves et les lacs et les marais de Flandre, Là-bas, vers les terreaux et les pacages verts Et les couchants sablés de leur soleil en cendre, Là-bas, vers les grands bois obscurs et pavoisés Avec des grappes d'ombre et des fleurs de lumière, Où les rameaux noueux se tordent enlacés Dans un spasme muet de sève et de matière. Et telle, une suprême et magnifique fois Mon rêve aura songé ta beauté rouge et forte; Pauvre corps! pauvre chair! pauvre et douce voix Morte! III La mort peindra ta chair de ce vieux ton verdâtre Délicatement jaune et si fin, qu'on dirait Qu'à travers le cadavre un printemps transparaît Et qu'une lueur jeune en avive l'albâtre. Et recueilli du coeur, des yeux et du cerveau. Sentant pâlir en moi, comme un feu de lumière, Le souvenir trop net de ta beauté plénière, J'irai m'agenouiller devant ce corps nouveau. Je lui dirai les grands versets mélancoliques Que l'Église, ta mère, épand aux trépassés, Et je lui parlerai de nos amours passés Avec les mots fanés des lèvres catholiques. Je fixerai dans mon esprit ses traits humains, Ses yeux scellés au jour, au soleil, à la gloire, Et rien n'effacera jamais de ma mémoire La croix que sur ton coeur dessineront tes mains. Et pour réaliser ton suprême souhait, Le soir, dans la piété des chrétiennes ténèbres. Je sortirai ton sein de ses voiles funèbres Et je le baiserai tel que la mort l'a fait. IV Depuis que te voilà dissoute au cercueil sombre Et que les vers se sont tordus dans ta beauté Et que la pourriture habite avec ton ombre Et mord en toi les nids de sa fécondité, Qu'il fasse aurore en soir, mon âme est douloureuse Et stérile aux splendeurs des sites et des airs, Le jour ta forme est là, passante et vaporeuse. La nuit ton long fantôme emplît mes bras déserts. Il m'apparaît dans un orgueil pâle et candide. Debout mais sèchement retouché par la mort. Peignant je ne sais quoi de triste et de splendide Dans le lissage en feu vivant de ses crins d'or. Il me regarde et ses regards sembles des plaintes D'un exile lointain, doux et silencieux. Et telle est la douleur de ses clartés éteintes, Que chaque soir, mais mains lui ferment les deux yeux. 1892 * * * * * FRESQUES LES VIEUX ROIS Hommes stérilisés par des siècles d'ennui Et de virginités posthumes et pourries: Vos mains? du fer; vos coeurs? du bronze et de la nuit. Et vos ongles et vos deux yeux? des pierreries. Immobiles soleils, étincelants et noirs, Assis sur des trônes d'ébène, armés de gloire Et d'or. Masques rêveurs et grands comme les soirs, Et calcinés comme les rocs d'un promontoire. Vieillards redoutables et vieux, comme les mers, Qui regardez en vous pour voir toute la terre, Qui n'interrogez point l'azur des cieux amers, Et demeurez penchés sur votre seul mystère. Les fers cruels flamboient et vous dardez comme eux, Sous les mitres d'orgueil et sous les lances bleues, Qui rayonnent vers vous leurs aciers vénéneux: Et la terreur de votre front souffle à cent lieues. Et vous restez muets, toujours. Un léopard Lèche vos pieds bagués, et des femmes qu'on pare, Pour vous distraire à les tuer d'un seul regard, Tordent en vain vers vos désirs leur corps barbare. Et votre cerveau sèche et demeure engourdi, Lassé de visions de meurtre et de magie, Et plus aucun vouloir en vous ne resplendit: Et vous mourez tout seuls, un soir, dans une orgie. (1888) SOUS LES PRÉTORIENS Les soirs! voici les soirs de pourpre, évocateurs De carnages et de victoires, Quand se hèlent dans les mémoires Les clairons fabuleux et les buccins menteurs. Et regardez! Dans la mobile obscurité D'une salle immense, personne. Un bourdon sonne, A travers l'ombre rouge, avec mordacité! Contre des murs de nuit, de grands soleils. Soudain arborent des trophées; Les colonnes sont attifées De cartouches soyeux et de lauriers vermeils. L'orgueil des étendards coiffés d'alérions Vaguement remue et flamboie; Un bas relief se creuse et se déploie Où le granit se crispe en mufles de lions. Un bruit de pas guerriers multiplié s'entend Derrière un grand rideau livide: Un trône est là, sanglant et vide.... Et le silence brusque et volontaire attend. Mon rêve, enfermons-nous dans ces choses lointaines. Comme en de tragiques tombeaux, Grands de métaux et de flambeaux Et de faisceaux tendus sous des lances hautaines. (1887) LÉGENDES Les grands soleils cuivrés des suprêmes automnes Tournent éclatamment dans un carnage d'or; Mon coeur, où les héros des ballades teutones Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort? Ils passaient par les rocs, les campagnes, les havres, Les burgs--et brusquement ils s'écroulaient, vermeils, Saignant leurs jours, saignant leurs coeurs, puis leurs cadavres; Passaient dans la légende, ainsi que des soleils. Ils jugeaient bien et peu la vie: une aventure; Avec un mors d'orgueil, ils lui bridaient les dents; Ils la mâtaient sous eux comme une âpre monture Et la tenaient broyée en leurs genoux ardents. Ils chevauchaient fougueux et roux--combien d'années? Crevant leur bête et s'imposant au Sort; Mon coeur, oh, les héros des ballades fanées, Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort! (1888) LES PREUX En un très vieux manoir, avec des javelots Et des pennons lancéolés sur ses murailles. Une rage de bataille Rouge éclatait en tableaux. Grandir! on y voyait les féroces ramures De la mêlée, où des paladins merveilleux, Avec du soir au fond des yeux, Tombaient, allongés morts en leurs châsses d'armures. Hélas! tous ces cerveaux qui rêvèrent de gloire, Fendus! et tous ces poings, coupés! traceurs d'éclairs, Avec, dans l'air, leurs glaives clairs Et leurs aigles de casque éployés dans l'Histoire. Hélas! et la débâcle à travers leurs maisons, Le deuil de la débâcle en des nuits de tueries, Et les funèbres sonneries Cassant la destinée en or de leurs blasons. Pourtant, qu'ils soient tombés en corps-à-corps ardents, Ramus de force et les dix doigts onglés de haine Et la bouche folle et soudaine Et le sang frais marbrant leurs dents. Et contre la forêt fourmillante de lances Qui s'avançait, qu'ils aient, le désespoir au clair, Lourdes masses d'ombre et de fer, Terribles bras d'acier, cogné leurs violences. Qu'importe alors!--ils ont senti la joie unique D'exprimer l'être humain en sa totalité De hargne et de brutalité, Jusqu'au tressant dernier de la mort tétanique! (1889) SOIR DE CAVEAU Des torchères dont la clarté ne bouge Brûlent depuis les loins des jours, toujours, Parmi la cruauté de ce caveau voûté, D'ébène immense et lambrissé d'or rouge. Les supplices d'acier et les meurtres d'airain S'y souviennent: Néron, Procuste et Louis onze. --Regards de proie, ongles de bronze, Clous et tenailles dans leur main-- Un luxe vieux de métaux noirs habille Le solennel granit d'un fût assyrien, Érigé là, pour ne soutenir rien Que les siècles et leur douleur indébile. Soudain, sur ce pilier--ainsi qu'un ostensoir Lamentable, là-bas, qui s'éclaire lui-même-- Masque de cire en un nuage blême, Mon front surgit de souffrance et de soir: --Bouche de cris tordus en muette prière, Cheveux tristes d'orgueil fauché, Chair seule, et, par le col tranché, D'intermittents caillots de sang et de lumière-- Mon front, hélas! celui si pâle de ma mort En ces caveaux immobiles d'or rouge, Où plus jamais--sinon mes yeux--flamme ne bouge Pour regarder ce faste en fer de ma mort. (1891) ARTEVELDE La mort grande, du fond des sonnantes armoires De l'orgue, érige, en voix de gloire immensément, Vers les voûtes, le nom du vieux Ruwaert flamand Dont chaque anniversaire exalte les mémoires. Superbe allumeur d'or parmi les incendies, Les carnages, les révoltes, les désespoirs, Le peuple a ramassé sa légende, les soirs, A la veillée, et la célèbre en recordies. Avec un noeud d'éclairs il les tenait, ses Flandres, Un noeud de volonté--son poing comme un beffroi Debout dans la colère aimantait de l'effroi Et s'abattait, et les cages devenaient cendres. Les rois, il les prostrait devant son attitude, Impérieux, ayant derrière lui, là-bas, Et le peuple des coeurs et le peuple des bras Tendus! Il était fort comme une multitude. Et son âme voyait son âme et ses pensées Survivre et s'allumer par au delà son temps, Torche première! et vers les avenirs flottants Tordre ses feux, ainsi que des mains convulsées. Il se sentait miraculeux. Toute sa tête S'imposait à l'obstacle. Il le cassa sous lui, Jusqu'au jour où la mort enlinceula de nuit Son front silencieux de force et de tempête. Un soir, il disparut tué comme un roi rouge. En pleine ville ardente et révoltée, un soir. LA NUIT Depuis que dans la plaine immense il s'est fait soir. Avec de lourds marteaux et des blocs taciturnes, L'ombre bâtit ses murs et ses donjons nocturnes Comme un Escurial revêtu d'argent noir. Le ciel prodigieux domine, embrasé d'astres, --Voûte d'ébène et d'or où fourmillent des yeux-- Et s'érigent, d'un jet, vers ce plafond de feux, Les hêtres et les pins, pareils à des pilastres. Comme de blancs linceuls éclairés de flambeaux, Les lacs brillent, frappés de lumières stellaires, Les champs, ils sont coupés, en clos quadrangulaires, Et miroitent, ainsi que d'énormes tombeaux. Et telle, avec ses coins et ses salles funèbres, Tout entière bâtie en mystère, en terreur, La nuit paraît le noir palais d'un empereur Accoudé quelque part, au loin, dans les ténèbres. APREMENT I Dans leur cadre d'ébène et d'or Les personnages d'Anton Mor Persécutent de leur silence. Ils vous imposent leurs pensers. Ce n'est pas eux que vous fixez, Mais ce sont eux qui vous commandent. Masques terreux, visages durs, Serrés dans leurs secrets obscurs, Et leur austérité méchante. Haute allure, maintien cruel, Orgueil rigide et textuel: Barons, docteurs et capitaines. Leurs doigts sont maigres et fluets: Ils fignoleraient des jouets Et détraqueraient des empires. Ils cachent sous leurs fronts chétifs Les fiers vouloirs rébarbatifs Et les vices des tyrannies; Et les ennuis de leurs cerveaux, Scellés comme d'obscurs caveaux Aux banals soleils de la vie; Et le caprice renaissant De voir du sang rosir le sang Séché trop vite aux coins des ongles! II Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Une idole est debout--le mystère la masque: Un diamant se mêle à la nuit de son casque; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Elle impose, là-bas, son dardement de pierre, Sans que depuis mille ans ait bougé sa paupière; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Le chef qui se prolonge, ainsi que des murailles, Redresse immensément un front de funérailles; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Les deux seins noirs, pareils à deux lunes funèbres, Laissent deux baisers froids tomber en des ténèbres; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Les hauts bras étendus dont les mains sont coupées, Tendaient pour les vaincus l'orgueil droit des épées; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Le ventre, enguirlandé d'une toison virile, Reluit lividement, magnifique et stérile, Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer. (1888) LA GRILLE Avec de la fureur et du métal tordu Et du soleil sauvage et de l'ombre, la grille Comme une bête en fer fourmilleusement brille Et se hérisse et fend le dallage fendu Et, transversalement, coupe les stalles fières. Buissons de dards, fleurs d'aiguilles, bouquets de pointes, Lances d'acier, faisceaux de morsures--disjointes Et plus cruelles ainsi sur les barres altières. Au fond, le tabernacle est imposé, vainqueur, Et l'ostensoir fulgure et la grille qui mord Paraît, entre ses dents, broyer des choses d'or Quand on voit à travers étinceler le choeur. Et mâchoire pour les souffrances et langues Et crocs et tenailles pour les peines, et pal Pour les remords et les péchés, et crucial Autel pour les frayeurs et les crimes exsangues; Suspendez-y vos coeurs et vos sanglots, chrétiens, Et vos amertumes et vos espoirs anciens Et vos rêves de ciel--et la grille qui mord Paraît, entre les dents, broyer ces choses d'or. (1888) OBSCURÉMENT Obscurément: ce sont de fatales tentures Où griffes de lion et d'aigle et gueules d'ours Et crocs et becs; ce sont de roides contractures Et des spasmes soudains au long de rideaux lourds. Obscurément: un Achille de granit noir Se rue en son amour et piétine son socle: Sa peau de pierre allume éclair en un miroir, Et l'on entend craquer les reins du beau Patrocle. Obscurément: marteaux cassés! mortes les heures! Un soir immensément oppresse et s'établit; Et rien de Dieu n'ira jamais vers ces demeures Clouer ses bras en croix, dans l'ombre, où sur un lit, Obscurément, et nue, et, sous les langues d'or D'un grand flambeau tordu comme un rut de sirènes, Le ventre vieux et mort, Gamiani détord Avec ses doigts d'hiver ses lèvres souterraines. LES HORLOGES La nuit, dans le silence en noir de nos demeures, Béquilles et bâtons, qui se cognent, là-bas; Montant et dévalant les escaliers des heures, Les horloges, avec leurs pas; Emaux naïfs derrière un verre, emblèmes Et fleurs d'antan, chiffres et camaïeux, Lunes des corridors, vides et blêmes Les horloges, avec leurs yeux; Sons morts, notes de plomb, marteaux et limes, Boutique en bois de mots sournois Et le babil des secondes minimes, Les horloges, avec leurs voix; Gaînes de chêne et bornes d'ombre, Cercueils scellés dans le mur froid, Vieux os du temps que grignotte le nombre, Les horloges et leur effroi; Les horloges Volontaires et vigilantes, Pareilles aux vieilles servantes Boitant de leurs sabots ou glissant sur leurs bas, Les horloges que j'interroge Serrent ma peur en leur compas. MINUIT BLANC Dalles au fond des lointains clairs et lacs d'opales, Pendant les grands hivers, lorsque les nuits sont pâles Et qu'un autel de froid s'éclaire au choeur des neiges! Le gel se râpe en givre ardent à travers branches, Le gel!--et de grandes ailes qui volent blanches Font d'interminables et suppliants cortèges Sur fond de ciel, là-bas, où les minuits sont pâles. Des cris immensément de râle et d'épouvante Hèlent la peur, et l'ombre, au loin, semble vivante Et se promène, et se grandit sur ces opales De grands miroirs.--Oh! sur ces lacs de minuits pâles. Cygnes clamant la mort, les êtes-vous, ces âmes. Qui vont prier en vain les blanches Notre-Dames? PARABOLE Parmi l'étang d'or sombre Et les nénuphars blancs, Un vol passant de hérons lents Laisse tomber des ombres. Elles s'ouvrent et se ferment sur l'eau Toutes grandes, comme des mantes; Et le passage des oiseaux, là-haut, S'indéfinise, ailes ramantes. Un pêcheur grave et théorique Tend vers elles son filet clair, Ne voyant pas qu'elles battent dans l'air Les larges ailes chimériques, Ni que ce qu'il guette, le jour, la nuit, Pour le serrer en des mailles d'ennui, En bas, dans les vases, au fond d'un trou, Passe dans la lumière, insaisissable et fou. (1894) LA BARQUE Il gèle et des arbres pâlis de givre clair Montent au loin, ainsi que des faisceaux de lune; Au ciel purifié, aucun nuage; aucune Tache sur l'infini silencieux de l'air. Le fleuve où la lueur des astres se réfracte Semble dallé d'acier et maçonné d'argent; Seule une barque est là, qui veille et qui attend, Les deux avirons pris dans la glace compacte. Quel ange ou quel héros les empoignant soudain Dispersera ce vaste hiver à coups de rames Et conduira la barque en un pays de flammes Vers les océans d'or des paradis lointains? Ou bien doit-elle attendre à tout jamais son maître, Prisonnière du froid et du grand minuit blanc, Tandis que des oiseaux libres et flagellant Les vents, volent, là-haut, vers les printemps à naître? * * * * * LES PAROLES MORNES DES SOIRS I Sur mes livres éteints, où comme en un miroir J'ai reflété mon coeur lassé, mon coeur du soir, Après un jour vécu sans gloire et sans vaillance, Lampes immobiles, larmez, dans le silence, Vos feux pour le sommeil qui vient, torpidement, Clore mes yeux fanés et mon attristement; Lampes, brûlez, durant des heures et des heures Encor, inutiles pour tous, mais les meilleures Pour le rêve veiller--dont mon esprit, hélas! Au clair sonnant matin ne se souviendra pas. II Sous les vitres du hall nitreux que le froid fore Et vrille et que de mats brouillards baignent de vair, Un soir, en tout à coup de gel, s'ouvre l'hiver, Dans le foyer, fourbi de naphte et de phosphore Qui brûle: et le charbon pointu se mousse d'or Et le posthume été dans l'or se réitère; Il émeraude un bol, il enturquoise un verre Et multiplie en chatons d'or son âme encor. Par à travers ce feu qui le détruit, sa joie Est de faire des fleurs parmi les lustres, vivre! Et d'allumer sa mort comme une fête. Au loin, Lorsque tonne l'automne et que le vent disjoint On serre en noeud ses poings et que gratte le givre... O cette mort que l'on torture et qui flamboie! (1888) SAIS-JE OU? C'est quelque part en des pays du Nord--le sais-je C'est quelque part sous des pôles aciéreux, Où les blancs ongles de la neige Griffent des pans de roc nitreux. Et c'est grand gel--reflété brusquement En des marais d argent dormant; Et c'est givre qui grince et pince Les lancettes d'un taillis mince. Et c'est minuit ainsi qu'un grand bloc blanc. Sur les marais d'argent dormant, Et c'est minuit qui pince et grince Et, comme une grande main, rince Les cristaux froids du firmament. Et c'est en ce lointain nocturne, Comme une cloche taciturne Qui tait son glas, mortellement. Et c'est encore grand'messe de froid Et de drèves comme en cortège... C'est quelque part en un très vieux pays du Nord,--le sais-je? Mais c'est vraiment dans un vieux coeur du Nord--en moi. (1890) COMME TOUS LES SOIRS Le vieux crapaud de la nuit glauque Vers la lune de fiel et d'or, C'est lui, là-bas, dans les roseaux, La morne bouche à fleur des eaux, Qui rauque. Là-bas, dans les roseaux, Ces yeux immensément ouverts Sur les minuits de l'univers, C'est lui, dans les roseaux, Le vieux crapaud de mes sanglots. Quand les taches des stellaires poisons Mordent le plomb des horizons --Ecoute, il se râpe du fer par l'étendue-- C'est lui, cette toujours voix entendue, Là-bas dans les roseaux. Monotones, à fleur des eaux, Monotones, comme des gonds, Monotones, s'en vont les sons Monotones, par les automnes. Les nuits ne sont pas assez longues Pour que tarissent les diphthongues, Toutes les mêmes, de ces sons, Qui se frôlent comme des gonds. Ni les noroits assez stridents, Ni les hivers assez mordants Avec leur triple rang de dents, Gel, givre et neige, Afin que plus ne montent en cortège Les lamentables lamentos Du vieux crapaud de mes sanglots. (1889) L'HEURE MAUVAISE Depuis ces temps troublés d'adieux et de retours Et de soudaine lassitude D'être celui qui va, cerné de solitude, Mes jours toujours plus lourds s'en vont roulant leur cours. J'avais foi dans ma tête; elle était ma hantise. Et mon entêtement--haine et splendeur--vermeil, Où s'allumait l'intérieur soleil, Dardait contre le bloc de roc de la bêtise. De vivre ainsi hautement, j'avais Muette joie à me sentir et seul et triste, Ne croyant plus qu'à ma perdurance d'artiste Et à l'oeuvre que je rêvais. Celle qui se levait tranquille et douce et bonne Et s'en allait par de simples chemins, Vers les foyers humains, Où l'on pardonne. Ah! comme il fut plombant ce soir d'opacité, Quand mon âme minée infiniment de doutes, En tout à coup d'arbre à terre barra mes routes Et lézarda, craquement noir, ma volonté. A tout jamais mortes, mes fermetés brandies! Mes poings? flasques; mes yeux? fanés; mes orgueils? serfs; Mon sang coulait péniblement jusqu'à mes nerfs Et comme des suçoirs gluaient mes maladies. Et maintenant que je m'en vais vers le hasard.... Dites, le voeu qu'en un lointain de sépulture, Comme un marbre brûlé de gloire et de torture, Rouge éternellement se crispera mon art! (1887) LES RIDEAUX Sur mes rideaux comme des cieux, Les chimères des broderies Tordent un firmament silencieux; Les chimères des railleries. Elles flagellent de leurs queues La paix plane des laines bleues Et le sommeil des laines tombantes et lentes Sur les dalles, Mais aussi sur mon coeur. En ces plaines de laines, Dites, me bâtirai-je un asile aux douleurs? Les douces les bonnes laines comme des mains, Réchaufferaient les coeurs Que froidissent les pleurs humains. Les douces, les bonnes laines sont sûres: Elles feraient le tour de nos blessures Et nous seraient l'apaisement De nos tourments, Brusques, n'étaient ces railleries Des chimères des broderies Et leurs langues perforant l'air Et leurs ongles et l'or au clair De leurs ailes diamantaires. Sur mes lentes tapisseries Les chimères de haine et de méchanceté Font des buissons en pierreries. Elles dardent la cruauté; des yeux, Qui m'ont troué de leurs regards. Aux jours d'erreurs et de hasards; Elles ont des ongles aigus et lents Et leurs caprices sont volants Comme des feux à travers cieux; Bêtes de fils et de paillettes, Faites de stras et de miettes Et de micas de nacre et d'or, Dites comme j'ai peur de leur essor Et crainte et peur de leurs yeux, Couleur d'éclair parmi la mer! A quoi riment les tissus et les laines Pour les douleurs et pour les peines? Les lentes laines pour les peines? Je sais de vieux et longs rideaux, Avec des fleurs et des oiseaux, Avec des fleurs et des jardins Et des oiseaux incarnadins; De beaux rideaux si doux de joie, Aux mornes fronts profonds Qu'on roule en leurs baisers de soie. Les miens, ils sont hargneux de leurs chimères, Ils sont, mes grands rideaux, couleur de cieux, Un firmament silencieux De signes fous et de haines ramaires. A quoi riment leurs traînes et leurs laines? Mon âme est une proie Avec du sang et de grands trous Pour les bêtes d'or et de soie; Mon âme, elle est béante et pantelante, Elle n'est que loques et déchirures Où ces bêtes, à coupables armures D'ailes en flamme et de rostres ouverts, Mordent leur faim par au travers. A quoi riment les tissus et les laines Pour y rouler encor mes peines? Les jours des douleurs consolées, Avec des mains auréolées, Et la pitié comme témoin, Ces jours de temps lointains, comme ils sont loin! Mon âme est désormais: celle qui s'aime, A cause de sa douleur même, Qui s'aime en ces lambeaux Qu'on arrache d'elle en drapeaux De viande rouge. Les chimères de soie et d'or qui bouge, Qu'elles griffent les laines De mes rideaux à lentes traînes, Il est trop tard pour que ces laines Me soient encore ainsi qu'haleines. (1892) VERS Rayures d'eau, longues feuilles couleur de brique, Par mes plaines d'éternité comme il en tombe! Et de la pluie et de la pluie--et la réplique D'un gros vent boursouflé qui gonfle et qui se bombe Et qui tombe, rayé de pluie en de la pluie. --Il fait novembre en mon âme-- Feuilles couleur de ma douleur, comme il en tombe! Par mes plaines d'éternité, la pluie Goutte à goutte, depuis quel temps, s'ennuie. --Il fait novembre en mon âme-- Et c'est le vent du Nord qui clame Comme une bête dans mon âme. Feuilles couleur de lie et de douleur, Par mes plaines et mes plaines comme il en tombe; Feuilles couleur de mes douleurs et de mes pleurs, Comme il en tombe sur mon coeur! Avec des loques de nuages, Sur son pauvre oeil d'aveugle S'est enfoncé, dans l'ouragan qui meugle, Le vieux soleil aveugle. --Il fait novembre en mon âme-- Quelques osiers en des mares de limon veule Et des cormorans d'encre en du brouillard, Et puis leur cri qui s'entête, leur morne cri Monotone, vers l'infini! --Il fait novembre en mon âme-- Une barque pourrit dans l'eau, Et l'eau, elle est d'acier, comme un couteau, Et des saules vidés flottent, à la dérive. Lamentables, comme des trous sans dents en des gencives. --Il fait novembre en mon âme-- Il fait novembre et le vent brame Et c'est la pluie, à l'infini, Et des nuages en voyages Par les tournants au loin de mes parages --Il fait novembre en mon âme-- Et c'est ma bête à moi qui clame, Immortelle, dans mon âme! (1891) SONNET Par les pays des soirs, au nord de ma tristesse, Mous d'automne, le vent se pleure en de la pluie Et m'angoisse soudain d'une nuée enfuie, Avec un geste au loin d'âpre scélératesse. Est-ce la mort qu'annoncerait la prophétesse, Au fond de ce grand ciel d'octobre où je m'ennuie --Depuis quel temps?--à suivre un vol d'oiseaux de suie Tourner dans l'infini leur si même vitesse? Attendre et craindre d'être! Et voir, en attendant Toujours le même rêve, en l'air moite et fondant, Avec ces cormorans de deuil curver des lignes, Le soir, quand le pêcheur lassé de la douleur, Celui dont la nuée interprète les signes, Pêche de la rancune en les bas-fonds du coeur. (1891) LA-BAS Calmes voluptueux, avec des encensoirs Et des rythmes lointains par le soir solitaire, Claire heure alanguissante et fondante des soirs, Le soir sur des lits d'or s'endort avec la terre, Sous des rideaux de pourpre, et longuement se tait! Calmes voluptueux, avec de grands nuages, Et des îles de nacre et des plages d'argent Et des perles et des coraux et le bougeant Saphir des étoiles, à travers les feuillages, Et de roses odeurs et des roses de lait, Pour s'en aller vers les couchants et se défaire De soi, comme une fin lente de jour, un jour, En un voyage ardent et moi comme l'amour Et légendaire ainsi qu'un départ de galère! (1888) SILENCIEUSEMENT En un plein jour, larme de lampes, Qui brûlent en l'honneur De tout l'inexprimé du coeur, Le silence, par un chemin de rampes, Descend vers ma rancoeur. Il circule très lentement Par ma chambre d'esseulement; Je vis tranquillement en lui; Il me frôle de l'ombre de sa robe; Parfois, ses mains et ses doigts d'aube Closent les yeux de mon ennui. Nous nous écoutons ne rien dire. Et je rêve de vie absurde et l'heure expire. Par la croisée ouverte à l'air, des araignées Tissent leur tamis gris, depuis combien d'années? Saisir le va-et-vient menteur des sequins d'or Qu'un peu d'eau de soleil amène au long du bord, Lisser les crins du vent qui passe, Et se futiliser, le coeur intègre, Et plein de sa folie allègre, Regarder loin, vers l'horizon fallace, Aimer l'écho, parce qu'il n'est personne; Et lentement traîner son pas qui sonne, Par les chemins en volutes de l'inutile. Etre le rais mince et ductile Qui se repose encor dans les villes du soir, Lorsque déjà le gaz mord le trottoir. S'asseoir sur les genoux de marbre D'une vieille statue, au pied d'un arbre, Et faire un tout avec le socle de granit, Qui serait là, depuis l'éternité, tranquille. Avec, autour de lui, un peu de fleurs jonquille. Ne point saisir au vol ce qui se définit; Passer et ne pas trop s'arrêter au passage; Ne jamais repasser surtout; ne savoir l'âge Ni du moment, ni de l'année--et puis finir Par ne jamais vouloir de soi se souvenir! (1889) UN SOIR Avec les doigts de ma torture Gratteurs de mauvaise écriture, Maniaque inspecteur de maux, J'écris encordes mots, des mots.... Quant à mon âme, elle est partie. Morosement et pour extraire L'arrière-faix de ma colère, Aigu d'orgueil, crispé d'effort, Je râcle en vain mon cerveau mort. Quant à mon âme, elle est partie. Je voudrais me cracher moi-même, La lèvre en sang, la face blême: L'ivrogne de son propre moi S'éructerait en un renvoi. Quant à mon âme, elle est partie. Homme las de rage, qui l'âge D'être lassé de son orage, La vie en lui ne se prouvait Que par l'horreur qu'il en avait. Quant à mon âme, elle est partie. Mes poings ont tordu dans le livre L'intordable fièvre de vivre; Ils ne l'ont point tordue assez Bien que mes poings en soient cassés. Quant à mon âme, elle est partie. Le han du soir suprême, écoute! S'entend là-bas sur la grand'route; Clos tes volets--c'est bien fini Le mors-aux-dents vers l'infini. (1888) QUELQUES-UNS Plus loin que les soleils, une ville d'ébène Se dresse et mire énormément en leur cerveau Son deuil et sa grandeur de morte ou de caveau. La terre? elle a passé. Le ciel? se voit à peine. Et de l'ombre toujours, immensément toujours. Un horizon d'ivoire y traîne des suaires Sur des monts soulevés en tertres mortuaires Qui n'ont plus souvenir de ce qui fut les jours. Et des passants muets marchent dans les soirs blêmes, Hommes pleins de douleurs, vieux de tristesse, seuls. Ils ont plié leurs ans ainsi que des linceuls; Ils sont les revenus de tout, même d'eux-mêmes; Les vices leur sont noirs, mais aussi les vertus; Leurs coeurs saignés à blanc et leurs ardeurs matées, Ils travaillent à vivre indulgemment athées. Leurs yeux qui se parlaient encore, ils les ont tus; Et maintenant plus rien en eux jamais ne bouge; Ni les désirs, ni les regrets, ni les effrois; Ils n'ont plus même, hélas! le grand rêve des Croix Ni le dernier espoir tendu vers la mort rouge. (1887) * * * * * LES FLAMANDES 1883 A LÉON CLAUDEL LES VIEUX MAITRES Dans les bouges fumeux où pendent des jambons, Des boudins bruns, des chandelles et des vessies, Des grappes de poulets, des grappes de dindons, D'énormes chapelets de volailles farcies, Tachant de rose et blanc les coins du plafond noir. En cercle, autour des mets entassés sur la table, Qui saignent, la fourchette au flanc dans un tranchoir Tous ceux qu'auprès des brocs la goinfrerie attable, Craesbeke, Brakenburgh, Teniers, Dusart, Brauwer, Avec Steen, le plus gros, le plus ivrogne, au centre, Sont réunis, menton gluant, gilet ouvert, De rires plein la bouche et de lard plein le ventre. Leurs commères, corps lourds où se bombent les chairs Dans la nette blancheur des linges du corsage, Leur versent à jets longs de superbes vins clairs, Qu'un rais d'or du soleil égratigne au passage, Avant d'incendier les panses des chaudrons. Elles, ces folles, sont reines dans les godailles, Que leurs amants, goulus d'amours et de jurons, Mènent comme au beau temps des vieilles truandailles, Tempes en eau, regards en feu, langue dehors, Avec de grands hoquets, scandant les chansons grasses, Des poings brandis au clair, des luttes corps à corps Et des coups assénés à broyer leurs carcasses, Tandis qu'elles, le sang toujours à fleur de peau, La bouche ouverte aux chants, le gosier aux rasades, Après des sauts de danse à fendre le carreau, Des chocs de corps, des heurts de chair et des bourrades, Des lèchements subis dans un étreignement, Toutes moites d'ardeurs, tombent dépoitraillées. Une odeur de mangeaille au lard, violemment, Sort des mets découverts; de larges écuellées De jus fumant et gras, où trempent des rôtis, Passant et repassant sous le nez des convives, Excitent, d'heure en heure, à neuf, leurs appétits. Dans la cuisine, on fait en hâte les lessives De plais vidés et noirs qu'on rapporte chargés, Des saucières d'étain collent du pied aux nappes, Les dressoirs sont remplis et les celliers gorgés. Tout autour de l'estrade, où rougeoient ces agapes. Pendent à des crochets paniers, passoires, grils, Casseroles, bougeoirs, briquets, cruches, gamelles; Dans un coin, deux magots exhibent leurs nombrils. Et trônent, verre en main, sur deux tonnes jumelles; Et partout, à chaque angle ou relief, ici, là, Au pommeau d'une porte, aux charnières d'armoire, Au pilon des mortiers, aux hanaps de gala. Sur le mur, à travers les trous de l'écumoire, Partout, à droite, à gauche, au hasard des reflets, Scintillent des clartés, des gouttes de lumière, Dont l'énorme foyer--où des coqs, des poulets. Rôtissent tout entiers sur l'ardente litière-- Asperge, avec le feu qui chauffe le festin. Le décor monstrueux de ces grasses kermesses. Nuits, jours, de l'aube au soir et du soir au matin. Eux, les maîtres, ils les donnent aux ivrognesses. La farce épaisse et large en rires, c'est la leur: Elle se trousse là, grosse, cynique, obscène, Regards flambants, corsage ouvert, la gorge en fleur. La gaieté secouant les plis de sa bedaine. Ce sont des bruits d'orgie et de rut qu'on entend Grouiller, monter, siffler, de sourdine en crécelle, Un vacarme de pots heurtés et se fendant, Un entrechoquement de fers et de vaisselle, Les uns, Brauwer et Steen, se coiffent de paniers, Brakenburgh cymbalise avec deux grands couvercles. D'autres râclent les grils avec les tisonniers. Affolés et hurlants, tous soûls, dansant en cercles, Autour des ivres-morts, qui roulent, pieds en l'air. Les plus vieux sont encor les plus goulus à boire. Les plus lents à tomber, les plus goinfres de chair, Ils grattent la marmite et sucent la bouilloire, Jamais repus, jamais gavés, toujours vidant, Leur nez luit de lécher le fond des casseroles. D'autres encor font rendre un refrain discordant Au crincrin, où l'archet s'épuise en cabrioles. On vomit dans les coins; des enfants gros et sains Demandent à téter avant qu'on les endorme, Et leurs mères, debout, suant entre les seins. Bourrent leur bouche en rond de leur téton énorme. Tout gloutonne à crever, hommes, femmes, petits; Un chien s'empiffre à droite;, un chat mastique à gauche; C'est un déchaînement d'instincts et d'appétits, De fureurs d'estomac, de ventre et de débauche, Explosion de vie, où ces maîtres gourmands, Trop vrais pour s'affadir dans les afféteries, Campaient gaillardement leurs chevalets flamands Et faisaient des chefs-d'oeuvre entre deux soûleries. LA VACHÈRE Le mouchoir sur la nuque et la jupe lâchée, Dès l'aube, elle est venue au pacage, de loin; Mais sommeillante encore, elle s'est recouchée, Là, sous les arbres, dans un coin. Aussitôt elle dort, bouche ouverte et ronflante; Le gazon monte, autour du front et des pieds nus; Les bras sont repliés de façon nonchalante, Et les mouches rôdent dessus. Les insectes de l'herbe, amis de chaleur douce Et de sol attiédi, s'en viennent, à vol lent, Se blottir, par essaims, sous la couche de mousse, Qu'elle réchauffe en s'étalant. Quelquefois, elle fait un geste gauche, à vide. Effarouche autour d'elle un murmure ameuté D'abeilles; mais bientôt, de somme encore avide, Se tourne de l'autre côté. Le pacage, de sa flore lourde et charnelle, Encadre la dormeuse à souhait: comme en lui, La pesante lenteur des boeufs s'incarne en elle Et leur paix lourde en son oeil luit. La force, bossuant de noeuds le tronc des chênes, Avec le sang éclate en son corps tout entier: Ses cheveux sont plus blonds que l'orge dans les plaines Et les sables dans le sentier. Ses mains sont de rougeur crue et rèche; la sève Qui roule, à flots de feu, dans ses membres hâlés, Bat sa gorge, la gonfle, et, lente, la soulève Comme les vents lèvent les blés. Midi, d'un baiser d'or, la surprend sous les saules, Et toujours le sommeil s'alourdit sur ses yeux, Tandis que des rameaux flottent sur ses épaules Et se mêlent à ses cheveux. ART FLAMAND I Art flamand, tu les connus, toi, Et tu les aimas bien, les gouges, Au torse épais, aux tétons rouges; Tes plus fiers chefs-d'oeuvre en font foi. Que tu peignes reines, déesses, Ou nymphes, émergeant des flots Par troupes, en roses îlots, Ou sirènes enchanteresses, Ou femelles aux contours pleins, Symbolisant les saisons belles, Grand art des maîtres, ce sont elles, Ce sont les gouges que tu peins. Et pour les créer, grasses, nues, Toutes charnelles, ton pinceau Faisait rougeoyer sous leur peau Un feu de couleurs inconnues. Elles flamboyaient de tons clairs, Leurs yeux s'allumaient aux étoiles, Et leurs poitrines sur tes toiles Formaient de gros bouquets de chair. Les Sylvains rôdaient autour d'elles, Ils se roulaient, suant d'amour, Dans les broussailles d'alentour Et les fourrés pleins de bruits d'ailes. Ils amusaient par leur laideur, Leurs yeux, points ignés trouant l'ombre, Illuminaient, dans un coin sombre, Leurs sourires, gras d'impudeur. Ces chiens en rut cherchaient des lices; Elles, du moins pour le moment, Se défendaient, frileusement, Roses, et resserrant les cuisses. Et telles, plus folles encor, Arrondissant leurs hanches nues, Et leurs belles croupes charnues, Où cascadaient leurs cheveux d'or, Les invitaient aux assauts rudes, Les excitaient à tout oser, Bien que pour le premier baiser Ces femelles fissent les prudes. II Vous conceviez, maîtres vantés, Avec de larges opulences, Avec de rouges violences, Les corps charnus de vos beautés. Les femmes pâles et moroses Ne miraient pas dans vos tableaux, Comme la lune au fond des eaux, Leur étisie et leurs chloroses, Leurs fronts tristes, comme les soirs, Comme les dolentes musiques, Leurs yeux malades et phtisiques, Où micassent les désespoirs, Leurs grâces fausses et gommées, S'allanguissant sur les sofas, Sous des peignoirs en taffetas Et des chemises parfumées. Vos pinceaux ignoraient le fard, Les indécences, les malices Et les sous-entendus de vices. Qui clignent de l'oeil dans notre art, Et les Vénus de colportage, Les rideaux à demi tirés, Les coins de chair moitié montrés Dans les nids du décolletage, Les sujets vifs, les sujets mous, Les Cythères des bergeries, Les pâmoisons, les hystéries, L'alcôve--Vos femmes à vous, Dans la splendeur des paysages, Et des palais, lambrissés d'or, Dans la pourpre et dans le décor Somptueux des anciens âges, Vos femmes suaient la santé, Rouge de sang, blanche de graisse; Elles menaient les ruts en laisse Avec des airs de royauté. LES PLAINES Partout, d'herbes en Mai, d'orges en Juillet pleines, De lieue en lieue, au loin, depuis le sable ardent Et les marais sur la Campine s'étendant, Des plaines, jusqu'aux mers du Nord, partout des plaines! Autour du plus petit village, où le clocher, Aigretté d'un coq d'or et reluisant d'ardoises, Grandit, sur des maisons hautes de quatre toises, Auprès du bourg pêcheur et du bourg maraîcher, Toujours, si large et loin que se porte la vue, Là-bas, où des boeufs noirs beuglent dans les terreaux, Où des charges de foin passent par tombereaux, Et puis encor, là-bas, où quelque voile entrevue, Toute rouge, sur fond diaphane et vermeil, Fait deviner les flots, la chanson matinière Des marins qui s'en vont au large, et la rivière Que sabrent les rayons lamés d'or du soleil, Partout, soit champ d'avoine, où sont les marjolaines, Coins de seigle, carrés de lins, arpents de prés, Partout, bien au-delà des horizons pourprés, La verte immensité des plaines et des plaines! I Sous les premiers ciels bleus du printemps, au soleil. Dans la chaleur dorée à neuf, elles tressaillent, Landes grises encor et lourdes au réveil, Et ne se doutant pas que les sèves travaillent, Tellement le sol tarde à secouer l'hiver. Même, quand les vergers dressent les houppes blanches De leurs pommiers, que la feuille, papillon vert, S'est attachée et bat de l'aile au long des branches, Quelques terreaux là-bas boudent compacts et nus. L'eau des fossés déborde et les terres sont sales, L'orée et le sentier boueux, les bois chenus, Bien que Mars ait craché ses poumons en rafales. Pourtant l'on voit déjà des groupes de fermiers, Avec leurs lourds chevaux, lustrés de blancheurs crues, Dans les champs, divisés par cases de damiers, Couper le sol massif, au tranchant des charrues. Déjà l'on sème. Un grand vieillard, qui va rêvant, Semoir autour des reins, jette à pleines poignées Les graines d'or, qu'abat un brusque coup de vent. Les sillons sont à point; les bêches alignées Reluisent d'un feu blanc sous les coups du soleil, Et Mai paraît, le mois des fleurs aromatiques, Et servantes et gars, en rustique appareil. Habits usés, bras nus, sabots au bout des piques, Qui de l'aurore au soir fatiguent les labours. Voici: les champs sont pleins, les fermes délaissées, On en remet la garde aux chiens veilleurs des cours, La glèbe, avec des mains calleuses, convulsées, Avec fièvre, avec joie, avec acharnement, La glèbe, pied par pied, coin par coin, est conquise; Partout la lutte et la sueur, le groupement Des efforts arrachant la récolte promise: Femmes sarclant le lin, hommes tassant l'engrais, Chevaux traînant la herse à travers les cultures, Pendant qu'autour, flattés de soleil tranquille et frais, Les trèfles verts, les foins en fleur, les emblavures, Les taillis, que l'on voit bondir sous le vent clair, Les jardins, les enclos, les vergers, les fleurettes, Roulent leur bonne odeur excitante dans l'air, Où chante, ailes au vent, un millier d'alouettes. II Sous les éclats cuivrés et flambants du soleil Languit la frondaison des chênes, sur les routes Un sable jaune et fin cuit dans un clair sommeil, Au ras des fossés verts les mousses sèchent toutes. Une atmosphère ardente encercle la moisson; D'âcres vapeurs, venant de marais noirs, enfument Tout l'espace enfermé dans le vaste horizon, Où les orges aux feux méridiens s'allument. Alors par au dessus des champs, un large vent, Un vent du Sud, traînant, voluptueux, oppresse, Avec le va-et-vient de son souffle énervant, La campagne vautrée en sa lourde paresse. Un tressaillement d'or court au ras des moissons, La terre sent l'assaut du rut monter en elle, Son sol générateur vibrer de longs frissons, Et son ventre gonfler de chaleur éternelle. De partout sort le flot des germes fécondants, Condensés en nuage épaissi dé poussières Et qui descend baigner d'amour les blés ardents. On dirait voir fumer de géantes braisières, Des débris d'incendie encor chauds. Chaque arpent, Chaque tige entr'ouverte est entourée et prise, Des vibrions en font l'assaut, éperdument, Et l'union se fait en des moiteurs de brise. III Le polder moite et qui suait sa force crue, Sous les midis, par coins de glaise étincelants, S'étalait tel: en champs luisants de miroirs blancs Taillés à chocs brutaux de pique et de charrue. La Flandre--au coup de col de ses gros chevaux roux, Bavochant de l'écume au branle de leur tête Et pieds gluants--traînait son vieux travail de bête Par à travers les blocs de ses lourds terreaux mous. De la graisse d'humus et de labour, fondue, Coulait dans le vent d'or d'automne--et lentement Toute la plaine enflait sous ce débordement De vie éparse aux quatre coins de l'étendue. C'étaient, à l'angle clair d'un bois et d'un marais, Des gars casseurs de terre, avec de grandes bêches; On entendait souffler leur corps d'ahans revêches Et, d'un rythme visqueux, tomber des tas d'engrais. Plus loin, les servantes tassaient les sacs, par groupes, En mouchoirs rouges, en sabots noirs, en jupons bleus; Et se baissaient-elles: leurs reins, plies en deux, Faisaient surgir du sol, monstrueuses, leurs croupes. Et derrière eux l'Escaut poussait son flux vermeil, Par au delà des prés et des digues masquantes, Et les bateaux cinglaient, toutes voiles claquantes Leur proue et leurs sabords souffletés de soleil. IV Voici les nuits, les nuits longues, les jours blafards, Novembre emplit d'hiver, l'immense plaine morne, Où tout est boue et pluie et se fond en brouillards, Où nuit et jour, matin et soir, l'ouragan corne. Villages et hameaux geignent au vent du Nord; L'humidité flétrit les murs de plaques vertes, La neige tombe et pèse et lourdement endort Les chaumes noirs groupant entre eux leurs dos inertes. Les chiens, au seuil des cours de ferme, sont muets; Les chemins recouverts de flaques et de fanges; On travaille les lins à nonchalants poignets, Avec la roue à bras qui ronfle dans les granges. Le fleuve, à clapotis rudes, fouette son bord. Dans les bouleaux, plantés en rangée équivoque Sur les digues, un nid d'oiseau ballotte encor, Un seul--et lentement la bise l'effiloque. Des bruits lointains et sourds sortent des horizons, Comme des grondements venus du bout des mondes, Ils passent, tristes vents des funèbres saisons, Et sonnent le néant dans leurs notes profondes. La terre geint et crie à les subir, les bois Ont des plaintes d'enfant, des râles et des rages, A se sentir plies et domptés sous leur poids, Dans un cassement sec et brutal de branchages. Ils s'acharnent au ras des champs planes et mous, Cinglant les nudités scrofuleuses des terres, La végétation pourrie--et leur remous Abat sur les chemins les ormes solitaires. Les sapins isolés sont coupés au jarret, Ou fendus tout du long, en ligne verticale, Les chênes débranchés--il faut une forêt Pour résister aux chocs hurleurs de la rafale. Et dans la plaine vide, on ne rencontre plus Que sur les chemins noirs de poussifs attelages, Que des voleurs, le soir, le matin, des perclus, Se traînant mendier de hameaux en villages, Que de maigres troupeaux, rentrant par bataillons, Sous les soufflets du vent, avec des voix bêlantes, Que d'énormes corbeaux plânants, aux ailes lentes, Qu'ils agitent dans l'air ainsi que des haillons. KATO Après avoir lavé les puissants mufles roux De ses vaches, curé l'égout et la litière, Troussé son jupon lâche à hauteur des genoux, Ouvert, au jour levant, une porte à chatière. Kato, la grasse enfant, la pataude, s'assied. Un grand mouchoir usé lui recouvrant la nuque, Sur le viel escabeau, qui ne tient que d'un pied. Dans un coin noir, où luit encor un noctiluque. Le tablier de cuir rugueux sert de cuissart; Les pieds sont nus dans les sabots. Voici sa pose: Le sceau dans le giron, les jambes en écart, Les cinq doigts grapilleurs étirant le pis rose, Pendant qu'au réservoir d'étain jaillit le lait, Qu'il s'échappe à jet droit, qu'il mousse plein de bulles, Et que le nez rougeaud de Katu s'en repaît, Comme d'un blanc parfum de pâles renoncules. C'est sa besogne à l'aube, au soir, au coeur du jour, De venir traire, à pleine empoignade, ses bêtes, En songeant d'un oeil vide aux bombances d'amour, Aux baisers de son gars dans les charnelles fêtes. De son gars, le meunier, un grand rustaud râblé, Avec des blocs de chair bossuant sa carcasse, Qui la guette au moulin, tout en veillant au blé, Et la bourre de baisers gras dès qu'elle passe. Mais son étable avec ses vaches la retient, Elles sont là, dix, vingt, trente, toutes en graisse, Leur croupe se haussant dans un raide maintien, Leur longue queue, au ras des flancs, ballant à l'aise. Propres? Rien ne luit tant que le poil de leur peau; Fortes? Leur cuisse énorme est de muscles gonflée; Leur grand souille, dans l'auge emplie, ameute l'eau, Leur coup de corne enfonce une cloison d'emblée. Elles mâchonnent tout d'un appétit goulu: Glands, carottes, navets, trèfles, sainfoins, farines, Le col allongé droit et le mufle velu, Avec des ronflements satisfaits de narines, Avec des coups de dent donnés vers le panier, Où Kato fait tomber les raves qu'elle ébarbe, Avec des regards doux fixés sur le grenier, Où le foin, par les trous, laisse flotter sa barbe. L'écurie est construite à plein torchis. Le toit, Très vieux, très lourd, couvert de chaume et de ramées, Sur sa charpente haute étrangement s'asseoit Et jusqu'aux murs étend ses ailes déplumées. Les lucarnes du fond permettent au soleil De chauffer le bétail de ses douches ignées. Et le soir, de frapper d'un cinglement vermeil Les marbres blancs et roux des croupes alignées. Mais, au dedans, s'attise une chaleur de four, Qui monte des brassins, des ventres et des couches De bouse mise en tas, pendant qu'autour Bourdonne l'essaim noir et sonore des mouches. Et c'est là qu'elle vit, la pataude, bien loin Du curé qui sermonne et du fermier qui rage, Qu'elle a son coin d'amour dans le grenier à foin, Où son garçon meunier la roule et la saccage, Quand l'étable au repos est close prudemment, Que la nuit autour d'eux répand sa somnolence, Qu'on n'entend rien, sinon le lourd mâchonnement D'une bête éveillée au fond du grand silence. LA FERME A voir la ferme au loin monter avec ses toits. Monter, avec sa tour et ses meules en dômes Et ses greniers coiffés de tuiles et de chaumes, Avec ses pignons blancs coupés par angles droits; A voir la ferme au loin monter dans les verdures. Reluire et s'étaler dans la splendeur des Mais, Quand l'été la chauffait de ses feux rallumés Et que les hêtres bruns l'éventaient de ramures: Si grande semblait-elle, avec ses rangs de fours, Ses granges, ses hangars, ses étables, ses cours, Ses poternes de vieux clous noirs bariolées, Son verger luisant d'herbe et grand comme un chantier, Sa masse se carrant au bout de trois allées. Qu'on eût dit le hameau tassé là, tout entier. L'ENCLOS Quatre fossés couraient autour de l'enclos. Or, Quand le soleil de Mai, brûlant l'air de ses flammes, Sabrait leur eau dormante avec toutes ses lames, La ferme s'allumait d'un encadrement d'or. Ils s'étendaient, plaqués au bord de mousse verte Et de lourds nénuphars étoilant le flot noir. Les grenouilles venaient y coasser, le soir, L'oeil large ouvert, le dos enflé, le corps inerte. Des canards pavoisés y nageaient fiers et lents, Des canards bleus, verts, gris, pourpres, des canards blancs, Des canards clairs et blancs, avec un grand bec jaune; Ils y plongeaient leur aile et leur ventre lustré, Et les pattes battant les eaux, le col doré, Cassaient rageusement des iris longs d'une aune. DIMANCHE MATIN Les nets éveils d'été des bourgades sous branches Et sous ombre coupée au vent--et les roseaux Et les aiguilles d'or des insectes des eaux Et les barres des ponts de bois et leurs croix blanches Et prés de beurre et lait--et métairie en planches Et le bousculement des baquets et des seaux Autour de la mangeoire, où grouillent les pourceaux, Et la servante, avec du cru soleil aux manches; Ces nets éveils dans les matins!--Des mantelets, Des bonnets blancs et des sarreaux, par troupelets. Gagnaient le bourg et son clocher couleur de craie. Pommes et bigarreaux!--Et, par dessus la haie. Les fruits rouges tentaient, et, dans le verger clair, Brusque, comme un sursaut, claquait du linge en l'air. LES GRANGES S'élargissaient, là-bas, les granges recouvertes, Aux murs, d'épais crépis et de blancs badigeons, Au faîte, d'un manteau de pailles et de joncs, Où mordaient par endroits les dents des mousses vertes. De vieux ceps tortueux les ascendaient, alertes, Luttant d'assauts avec les lierres sauvageons, Et deux meules flanquaient, ainsi que deux donjons, Les portes qui bâillaient sur les champs, large-ouvertes. Et par elles, sortait le ronron des moulins, Rompu par les fléaux frappant l'aire à coups pleins, Comme un pas de soldats qu'un tambour accompagne; On eût dit que le coeur de la ferme battait, Dans ce bruit régulier qui baissait et montait, Et le soir, comme un chant, endormait la campagne. LES VERGERS Hôtes du moineau preste et du merle siffleur: Des arbres vieux, moussus, les branches étagées, Baignaient dans le soleil de Mai, sur vingt rangées, Leurs dômes élargis dans toute leur ampleur. Les bourgeons sous l'éclat de la jeune chaleur Pointillaient les rameaux de rosâtres dragées, Les verdures vêtaient les cimes de frangées, Les vaches, le pis lourd, vaguaient dans l'herbe en fleur. Les pommiers au matin se couvraient de buées, lui séchaient lentement ainsi que des suées. Midi pénétrait l'air de longs accablements. Le soir, quand le soleil flambait dans les nuages, On croyait, à le voir cribler d'or les branchages, Qu'un grand feu crépitait dans un tas de sarments. L'ABREUVOIR En un creux de terrain aussi profond qu'un antre, Les étangs s'étalaient dans leur sommeil moiré, Et servaient d'abreuvoir au bétail bigarré, Qui s'y baignait, le corps dans l'eau jusqu'à mi-ventre. Les troupeaux descendaient, par des chemins penchants: Vaches à pas très lents, chevaux menés à l'amble, Et les boeufs noirs et roux qui souvent, tous ensemble, Beuglaient, le cou tendu, vers les soleils couchants. Tout s'anéantissait dans la mort coutumière, Dans la chute du jour: couleurs, parfums, lumière, Explosions de sève et splendeurs d'horizons; Des brouillards s'étendaient en linceuls aux moissons, Des routes s'enfonçaient dans le soir--infinies, Et les grands boeufs semblaient râler ces agonies. LE LAIT Dans la cave très basse et très étroite, auprès Du soupirail prenant le frais au Nord, les jarres Laissaient se refroidir le lait en blanches mares, Dans les ronges rondeurs de leur ventre de grès. On eût dit, à les voir crêmer dans un coin sombre, D'énormes nénuphars s'ouvrant par les flots lents, Ou des mets protégés par des couvercles blancs Qu'on réservait pour un repas d'anges, dans l'ombre. Plus loin, les gros tonneaux étaient couchés par rangs, Et les jambons suant leurs graisses et leurs sangs, Et les boudins crevant leur peau, couleur de cierge, Et les flancs bruns, avec du sucre autour des bords, Engageaient aux fureurs de ventres et de corps... --Mais en face le lait restait froid, restait vierge. LES GUEUX La misère séchant ses loques sur leur dos, Aux jours d'automne, un tas de gueux, sortis des bouges, Rôdaient dans les brouillards et les prés au repos, Que barraient sur fond gris des rangs de hêtres rouges. Dans les plaines, où plus ne s'entendait un chant. Où les neiges allaient verser leurs avalanches, Seules encor, dans l'ombre et le deuil s'épanchant, Quatre ailes de moulin tournaient grandes et blanches. Les gueux vaguaient, les pieds calleux, le sac au dos, Fouillant fossés, fouillant fumiers, fouillant enclos, Dévalant vers la ferme et réclamant pâture. Puis reprenaient en chiens pouilleux, à l'aventure, Leur course interminable à travers champs et bois, Avec des jurements et des signes de croix. LES PORCS Des porcs, roses et gras, les mâles, les femelles, Remplissaient le verger de leurs grognements sourds, Et couraient parles champs, les fumiers et les cours, Dans le ballottement laiteux de leurs mamelles. Près du purin, barré des lames du soleil, Les pattes s'enfonçant en plein dans le gadoue. Ils reniflaient l'urine et fouillaient dans la boue, Et leur peau frémissait sous son lustre vermeil. Mais Novembre approchant, on les tuait. Leur ventre, Trop lourd, frôlait le sol de ses tétins. Leurs cous, Leurs yeux, leurs groins n'étaient que graisse lourde, et d'entre Leurs fesses on eût dit qu'il coulait du saindoux: On leur raclait les poils, on leur brûlait les soies. Et leurs bûchers de mort faisaient des feux de joies. CUISSON DU PAIN Les servantes faisaient le pain pour les dimanches, Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain, Le front courbé, le coude en pointe hors des manches, La sueur les mouillant et coulant au pétrin. Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumait de hâte, Leur gorge remuait dans les corsages pleins. Leurs deux poings monstrueux pataugeaient dans la pâte Et la moulaient en ronds comme la chair des seins. Dehors, les grands fournils chauffaient leurs braises rouges, Et deux par deux, du bout d'une planche, les gouges Dans le ventre des fours engouffraient les pains mous. Et les flammes, par les gueules s'ouvrant passage, Comme une meule énorme et chaude de chiens roux, Sautaient en rugissant leur mordre le visage. LES RÉCOLTES Sitôt que le soleil dans le matin luisait, Comme un éclat vermeil sur un saphir immense, Que dans l'air les oiseaux détaillaient leur romance, La ferme tout entière au travail surgissait. Un va-et-vient, mêlé d'appels hâtifs bruissait, Et les bêtes de cour, en farfouille, en démence, Courant, sautant, volant, mêlaient d'accoutumance, Leurs cris et leur folie à ce bruit qui haussait. Et dès l'aube, on partait ensemble au long des haies, Sarcler des champs de lin, entourés de saulaies, Couper, tasser, rentrer le foin par chariots. Là-haut, chantaient pinsons, tarins et loriots. Les plaines embaumaient au loin; et gars et gouges Tachaient les carrés verts de camisoles rouges. LA GRANDE CHAMBRE Et voici quelle était la chambre hospitalière Où l'étranger trouvait bon gîte et réconfort, Où les fils étaient nés, où l'aïeul était mort, Où l'on avait tassé ce grand corps dans sa bière. Aux kermesses, aux jours de foire et de décor, La ferme y célébrait la fête coutumière, Et jadis, quand vivait encore la fermière, Elle y trônait, au centime, avec ses pendants d'or. Les murs étaient crépis; deux massives armoires Étalaient dans les coins leur bois zébré de moires; Au fond, un christ en plâtre expirait sous un dais, Le front troué, les yeux ouverts sur les ivresses; Et le parfum des lards et la senteur des graisses Montaient vers son coeur nu, comme un encens mauvais. LA CUISINE Au fond, la crémaillière avait son croc pendu, Le foyer scintillait comme une rouge flaque, Et ses flammes, mordant incessamment la plaque, Y rongeaient un sujet obscène en fer fondu. Le feu s'éjouissait sous le manteau tendu Sur lui, comme l'auvent par-dessus la baraque, Dont les bibelots clairs, de bois, d'étain, de laque, Crépitaient moins aux yeux que le brasier tordu. Les rayons s'échappaient comme un jet d'émeraudes. Et, ci et là, partout, donnaient des chiquenaudes De clarté vive aux brocs de verre, aux plats d'émail. A voir sur tout relief tomber une étincelle, On eût dit--tant le feu s'émiettait par parcelle-- Qu'on vannait du soleil à travers un vitrail. LES GRENIERS Sous le manteau des toits s'étalaient les greniers Larges, profonds, avec de géantes lignées De solives en croix, de poutres, de sommiers, D'où pendaient à ses fils un peuple d'araignées. Les récoltes en tas s'y trouvaient alignées: Les froments par quintaux, les seigles par paniers, Les orges, de clarté poussiéreuse baignées, L'avoine et le colza par monceaux réguliers. Un silence profond et lourd, tel une mare, S'étendait sur les grains que coupait de sa barre Et de ses lames d'or le soleil de Juillet. Au reste les souris toutes se tenaient coites, Les museaux enfoncés dans leurs niches étroites, Tandis que sur un van le grand chat blanc veillait. L'ÉTABLE Et pleine d'un bétail magnifique, l'étable, A main gauche, près des fumiers étages haut, Volets fermés, dormait d'un pesant sommeil chaud, Sous les rayons serrés d'un soleil irritable. Dans la moite chaleur de la ferme au repos, Dans la vapeur montant des fumantes litières, Les boeufs dressaient le roc de leurs croupes altières Et les vaches beuglaient très doux, les yeux mi-clos. Midi sonnant, les gars nombreux curaient les auges Et les comblaient de foins, de lavandes, de sauges, Que les bêtes broyaient d'un lourd mâchonnement; Tandis que les doigts gourds et durcis des servantes Étiraient longuement les mamelles pendantes Et grappillaient les pis tendus, canaillement. LES ESPALIERS D'énormes espaliers tendaient des rameaux longs, Où les fruits allumaient leur chair et leur pléthore, Pareils, dans la verdure, à ces rouges ballons Qu'on voit flamber les nuits de kermesse sonore. Pendant vingt ans, malgré l'hiver et ses grelons, Malgré les gels du soir, les givres de l'aurore, Ils s'étaient accrochés aux fentes des moellons, Pour monter jusqu'au toit, monter, monter encore. Maintenant ils couvraient de leur largeur les murs, Et sur les pignons hauts et clairs, poires et pommes, Bombaient superbement des seins pourprés et mûrs. Les troncs géants, crevés partout, suaient des gommes; Les racines plongaient jusqu'aux prochains ruisseaux, Et les feuilles luisaient comme des vols d'oiseaux. EN HIVER Le sol trempé se gerce aux froidures premières, La neige blanche essaime au loin ses duvets blancs, Et met au bord des toits et des chaumes branlants, Des coussinets de laine irisés de lumières. Passent dans les champs nus les plaintes coutumières, A travers le désert des silences dolents, Où de grands corbeaux lourds battent l'air des vol lents Et s'en viennent de faim rôder près des chaumières. Mais depuis que le ciel de gris s'était couvert, Dans la ferme riait une gaieté d'hiver, On s'assemblait en rond autour du foyer rouge, Et l'amour s'éveillait, le soir, de gars à gouge, Au bouillonnement gras et siffleur du brassin, Qui grouillait, comme un ventre, en son chaudron d'airain. TRUANDAILLES Dites! jadis, ripaillait-on Dans les bouges et dans les fermes: Les gars avaient les reins plus fermes Et les garces plus beau téton. Alors, en de longues tablées, Autour des mets grossiers, mais bons, Autour des lards et des jambons, Et des mangeailles rassemblées, De grands buveurs compacts et forts Riaient, chantaient, gueulaient à boire, Bâfraient à casser leur mâchoire, Hurlaient à réveiller les morts. Chacun avait, à droite, à gauche, Chair de femelle à savourer, Chair grasse, prête à se cabrer En des ruades de débauche. Chacun avait là deux brasiers, Deux yeux allumés, deux prunelles, Bûchers de voluptés charnelles, Où rôtir des amours entiers. Deux seins tout frais, tout ronds, tout rouges, Frais et ronds à mordre dedans, A les marquer d'un coup de dents; Deux seins appétissants de gouges, Bombant le haut des tabliers, Et ressemblant aux pommes mûres, Qu'on voit grossir dans les ramures Gigantesques des espaliers. Toutes ces garces en folie Sablaient aussi des brocs d'étain, Et comme leurs gars, ventre plein, Menton poissé, langue salie, Râlaient en proie au rut fiévreux Dans un emmêlement farouche, Criaient, juraient à pleine bouche. Et pour leurs mâles amoureux Se battaient, tombaient pêle-mêle, Parmi les tables, dans les coins, Ruaient des pieds, tapaient des poings, Roulaient dans une ivresse telle, Qu'on eût dit entendre le bruit D'une lutte à mort dans les bermes, Et que les chiens veilleurs des fermes Hurlaient d'effroi toute la nuit. LA VACHE Dès cinq heures, sitôt que l'aurore fit tache Sur l'enténèbrement nocturne, piqué d'or, Un gars traça des croix sur le front de la vache. Et, le licol tendu, la mena vers la mort. Partout dans les clochers sonnaient les réveillées; Les champs riaient, malgré les brouillards étendus Sur la campagne, ainsi que des laines mouillées, Et les froids, qui la nuit étaient redescendus. Des ouvriers lourds et mous à leurs travaux revêches. Allaient, bâillant encor, muets, presque dolents, Sur leur énorme dos luisait l'acier des bêches, Plaquant le jour brumeux et gris de miroirs blancs. On entendait gronder des fracas de roulages Sur les pavés, des bruits de vieux chariots pleins; Au loin se balançaient des charges de fourrages Entre les coins de blés et les recoins de lins. Les poternes s'ouvraient partout, au long des routes, Avec des grincements de clefs et de verroux. Et les bêtes de clos à clos s'appelaient toutes, Et la vache passait très lente et beuglait doux. A droite--on voit blondir l'immensité de plaines: Des carrés roux, faisant des angles dans les verts, Des villages par tas, des hameaux par vingtaines, Avec de grands zigzags de routes à travers. A gauche--les vergers rajeunis, qu'effiloque Le vent de Juin, soufflant sur les massifs fleuris, Toute l'explosion de l'estivale époque, Blanche sous un azur jeune, brouillé de gris. Enfin par un dernier détour de sente verte, On parvient au village assis sur un plateau: La boucherie est là, tout en haut, large ouverte, Dans un encadrement plaqué de champs et d'eau. La vache brusquement s'arrête au seuil du porche. Tout est rouge autour d'elle et fumant, sur le sol Un taureau tacheté de rousseurs, qu'on écorche Et dont coule le sang par un trou fait au col. Des moutons appendus au mur, tètes fendues, Des porcs, gisant sur la paille, moignons en l'air, Un veau noir sur un tas d'entrailles répandues Avec le coutelas profond fouillant la chair. Et plus loin, au-delà de ces visions rouges, Ce sont des coins verdis de blés quelle entrevoit, Où des boeufs laboureurs, que bàtonnent des gouges. Entaillent le terreau gluant d'un sillon droit. Et voici que se fait la lumière complète, Le creusement profond des lointains horizons, Le grand jour triomphal et doré, qui projette Ses flammes d'incendie au ras des floraisons, Qui baigne les champs gras d'une sueur fumante, Les pénètre, à plein feu, de ses rayons mordants, Les brûle de baisers d'amour, comme une amante, Et leur gonfle le sein de germes fécondants. La vache voit bleuir le grand ciel qui surplombe L'embrasement du sol où luit l'Escaut vermeil, Lorsqu'un coup de maillet l'étourdit;--elle tombe, Mais son dernier regard s'est empli de soleil. LES PAYSANS Ces hommes de labour, que Greuze affadissait Dans les molles couleurs de paysanneries, Si proprets dans leur mise et si roses, que c'est Motif gai de les voir, parmi les sucreries D'un salon Louis-Quinze animer des pastels, Les voici noirs, grossiers, bestiaux--ils sont tels. Entre eux, ils sont parqués par villages; en somme, Les gens des bourgs voisins sont, déjà l'étranger, L'instrus qu'on doit haïr, l'ennemi fatal, l'homme Qu'il faut tromper, qu'il faut leurrer, qu'il faut gruger. La patrie? Allons donc! Qui d'entre eux croit en elle? Elle leur prend des gars pour les armer soldats, Elle ne leur est point la terre maternelle, La terre fécondée au travail de leurs bras. La patrie! on l'ignore au fond de leur campagne. Ce qu'ils voient vaguement dans un coin de cerveau, C'est le roi, l'homme en or, fait comme Charlemagne, Assis dans le velours frangé de son manteau; C'est tout un apparat de glaives, de couronnes, Écussonnant les murs de palais lambrissés, Que gardent des soldats avec sabre à dragonnes. Ils ne savent que ça du pouvoir.--C'est assez. Au reste, leur esprit, balourd en toute chose, Marcherait en sabots à travers droit, devoir. Justice et liberté--l'instinct les ankylose; Un almanach crasseux, voilà tout leur savoir; Et s'ils ont entendu rugir, au loin, les villes, Les révolutions les ont tant effrayés, Que, dans la lutte humaine, ils restent les serviles, De peur, s'ils se cabraient, d'être un jour les broyés. I A droite, au long de noirs chemins, creusés d'ornières, Avec des tufs derrière et des fumiers devant, S'étendent, le toit bas, le mur nu, des chaumières, Sous des lames de pluie et des soufflets de vent. Ce sont leurs fermes. Là, c'est leur clocher d'église, Taché de suintements vert-de-grisés au nord, Et plus loin, où le sol fumé se fertilise, Grâce à l'acharnement des herses qui le mord, Sont leurs labours. La vie est close tout entière Entre ces trois témoins de leur rusticité, Qui les ploient au servage et tiennent en lisière L'effort de leur labeur et de leur âpreté. Ils sont là, travaillant de leurs mains obstinées Les terreaux noirs, l'humus tout imprégné d'hiver, Pourri de détritus et creux de taupinées; Ils bêchent, front en eau, du pied plantant le fer, Le corps en deux, sur les sillons qu'ils ensemencent, Sous les gréions de Mars qui flagellent leur dos. L'été, quand les moissons de seigle se balancent Avec des éclats d'or, tombant des cieux à flots, Les voici, dans le feu des jours longs et torrides, Peinant encor, la faux rasant les seigles mûrs, La sueur découlant de leurs fronts tout en rides Et transperçant leur peau des bras jusqu'aux fémurs: Midi darde ses rais de braise sur leurs têtes: Si crue est la chaleur, qu'en des champs de méteil Se cassent les épis trop secs et que les bêtes, Le cou criblé de taons, ahannent au soleil. Vienne Novembre avec ses lentes agonies, Et ses râles roulés à travers les bois sourds, Ses sanglots hululants, ses plaintes infinies, Ses glas de mort--et les voici suant toujours, Préparant à nouveau les récoltes futures, Sous un ciel débordant de nuages grossis, Sous la bise, cinglant à ras les emblavures, Et trouant les forêts d'énormes abatis, De sorte que leurs corps tombent vite en ruine, Que jeunes, s'ils sont beaux, plantureux et massifs, L'hiver qui les froidit, l'été qui les calcine, Font leurs membres affreux et leurs torses poussifs; Que vieux, portant le poids renversant des années, Le dos cassé, les bras perclus, les yeux pourris, Avec l'horreur sur leurs faces hérissonnées, Ils roulent sous le vent qui s'acharni aux débris; Et qu'au temps où la mort ouvre vers eux ses portes, Leur cercueil, descendant au fond des terrains mous, Ne semble contenir que choses deux fois mortes. II Les soirs de vents en rage et de ciel en remous, Les soirs de bise aux champs et de neige essaimée, Les vieux fermiers sont là, méditant, calculant, Près des lampes, d'où monte un filet de fumée. La cuisine présente un aspect désolant: On soupe dans un coin, toute une ribambelle D'enfants sales gloutonne aux restes d'un repas; Des chats osseux, râclés, lèchent des fonds d'écuelle; Des coqs tintent du bec contre l'étain des plais; L'humidité s'attache aux murs lépreux; dans l'âtre, Quatres pauvres tisons se tordent de maigreur, Avec des jets mourants d'une clarté rougeâtre; Et les vieux ont au front des pensers pleins d'aigreur. «Bien qu'en toute saison tous travaillassent ferme, Que chacun de son mieux donnât tout son appoint, Voilà cent ans, de père en fils, que va la ferme, Et que bon an, mal an, on reste au même point; Toujours même train-train voisinant la misère.» Et c'est ce qui les ronge et les mord lentement. Aussi la haine, ils l'ont en eux comme un ulcère, La haine patiente et sournoise, qui ment. Leur bonhomie et leurs rires couvent la rage; La méchanceté luit dans leurs regards glacés; Ils puent les fiels et les rancoeurs que, d'âge en âge, Les souffrances en leurs âmes ont amassés. Ils sont âpres au gain minime; ils sont sordides; Ne pouvant conquérir leur part, grâce au travail, La lésine rend leurs coeurs durs, leurs coeurs fétides; Et leur esprit est noir, mesquin, pris au détail, Stupide et terrassé devant les grandes choses: C'est à croire qu'ils n'ont jamais vers le soleil Levé leurs yeux, ni vu les couchants grandioses S'étaler dans le soir ainsi qu'un lac vermeil. III Aux kermesses pourtant les paysans font fête, Même les plus crasseux, les plus ladres. Leurs gars Y vont chercher femelle et s'y chauffer la tête. Un fort repas, graissé de sauces et de lards, Sale à point les gosiers et les enflamme à boire. On roule aux cabarets, goussets ronds, coeurs en feu, On y bataille, on y casse gueule et mâchoire Aux gens du bourg voisin, qui voudraient, Nom de Dieu! Lécher trop goulûment les filles du village Et gloutonner un plat de chair, qui n'est pas leur. Tout l'argent mis à part y passe--en gaspillage, En danse, en brocs offerts de sableur à sableur, En bouteilles, gisant à terre en tas difformés. Les plus fiers de leur force ont des gestes de roi A rafler d'un seul trait des pots de bière énormes, Et leurs masques, plaqués de feu, dardant l'effroi, Avec leurs yeux sanglants et leur bouche gluante, Allument des soleils dans le grouillement noir. L'orgie avance et flambe. Une urine puante Mousse en écume blanche aux fentes du trottoir. Des soulards assommés tombent comme des bêtes; D'autres vaguent, serrant leurs pas, pour s'affermir; D'autres gueulent tout seuls quelques refrains de fêtes Coupés de hoquets gras et d'arrêts pour vomir. Des bandes de braillards font des rondes au centre Du bourg; et les gars aux gouges faisant appel, Les serrent à pleins bras, les cognent ventre à ventre, Les lâchant, les cherchant, dans un assaut charnel, Et les tombent, jupons levés, jambes ruantes. Dans les bouges--où la fumée en brouillards gris Rampe et roule au plafond, où les sueurs gluantes Des corps chauffés et les senteurs des corps flétris Étament de vapeur les carreaux et les pintes-- A voir des bataillons de couples se ruer Toujours en plus grand nombre autour des tables peintes, Il semble que les murs sous le heurt vont craquer. La soûlerie est là plus furieuse encore, Qui trépigne et vacarme et tempête, à travers Des cris de flûte aiguë et de piston sonore. Rustres en sarreaux bleus, vieilles en bonnets clairs, Gamins hâves, fumant des pipes ramassées, Tout cà saute, cognant des bras, grognant du groin, Tapant des pieds. Parfois les soudaines poussées De nouveaux arrivants écrasent dans un coin Le quadrille fougueux qui semble une bataille. Et c'est alors à qui gueulera le plus haut, A qui repoussera le flot vers la muraille, Dût-il trouer son homme à longs coups de couteau. Mais l'orchestre aussitôt redouble ses crieries Et, couvrant de son bruit les querelles des gars, Les mêle tous en des fureurs de sauteries. On se calme, on rigole, on trinque entre pochards, Les femmes à leur tour se chauffent et se soûlent. L'acide du désir charnel brûlant leur sang. Et dans ces flots de corps sautants, de dos qui boulent. L'instinct lâché devient à tel point rugissant Qu'à voir garces et gars se débattre et se tordre, Avec des heurts de corps, des cris, des coups de poings, Des bonds à s'écraser, des rages à se mordre, A les voir se rouler ivres-morts dans les coins. Se vautrant sur le sol, se heurtant aux bossages. Suant, l'écume blanche aux lèvres, les deux mains. Les dix doigts, saccageant et vidant les corsages, On dirait--tant ces gars fougueux donnent des reins. Tant sautent de fureur les croupes de leurs gouges-- Des ardeurs s'allumant au feu noir des viols. Avant que le soleil n'arde de flammes rouges, Et que les brouillards blancs ne tombent à pleins vols, Dans les bouges, on met un terme aux soûleries. La kermesse s'épuise en des accablements, La foule s'en retourne, et vers les métairies On la voit disparaître avec des hurlements. Les vieux fermiers aussi, les bras tombants, les trognes Dégoûtantes de bière et de gros vin sablés, Gagnent, avec le pas zigzaguant des ivrognes, Leur ferme assise au loin dans une mer de blés. Mais au creux des fossés que les mousses veloutent, Parmi les plants herbus d'un enclos maraîcher, Au détour des sentiers gazonnés, ils écoutent Rugir encor l'amour en des festins de chair. Les buissons semblent être habités par des fauves. Des accouplements noirs bondissent par dessus Les lins montants, l'avoine en fleur, les trèfles mauves, Des cris de passion montent; on n'entend plus Que des spasmes râlants auxquels les chiens répondent. Les vieux songent aux ans de jeunesse et d'ardeurs. Chez eux, mêmes appels d'amour qui se confondent. Dans l'étable où se sont glissés les maraudeurs, Où la vachère couche au milieu des fourrages, Dans l'auge, dont les gars font choix pour le déduit, Mêmes enlacements, mêmes cris, mêmes rages, Mêmes fureurs d'aimer rugissant dans la nuit. Et dès qu'il est levé, le soleil, dès qu'il crève De ses boulets de feu le mur des horizons, Voici qu'un étalon, réveillé dans son rêve, Hennit et que les porcs ébranlent leurs cloisons Comme allumés par la débauche environnante; Crête pourpre, des coqs se haussent sur le foin Et sonnent le matin de leur voix claironnante; Des poulains attachés se cabrent dans un coin; Des chiens bergers, les yeux flambant, guettent leurs lices; Et les naseaux souillants, les pieds fouillant le sol, Des taureaux monstrueux ascendent les génisses. Alors vautrés aussi dans leur rut d'alcool, Le sang battant leur coeur et leurs tempes blêmies, Le gosier desséché de spasmes étouffants, Et cherchant à tâtons leurs femmes endormies, Eux, les fermiers, les vieux, font encor des enfants. MARINES I Au temps de froid humide et de vent nasillard, Les flots clairs s'étamaient d'étoupe et de brouillard, Et traînaient à travers les champs de verdeur sale Leur cours se terminant en pieuvre colossale. Les roseaux desséchés pendaient le long du bord, Le ciel, muré de nuit, partout, du Sud au Nord, Retentissait au loin d'un fracas d'avalanches; Les neiges vacillaient dans l'air, flammêches blanches. Et sitôt qu'il gelait, des glaçons monstrueux Descendaient en troupeau large et tumultueux, S'écrasant, se heurtant comme un choc de montagnes. Et lorsque les terreaux et les bois se taisaient, Eux s'attaquaient l'un l'autre, et craquaient, et grinçaient, Et d'un bruit de tonnerre ébranlaient les campagnes. II Au sortir des brouillards, des vents et des hivers, Le site avait les tons mouillés des aquarelles; L'Escaut traînait son cours entre les iris verts Et les saules courbant leurs branches en ombrelles; Il coulait clair et blanc dans les limpidités, Et les oiseaux chantaient parmi les oseraies: Il coulait clair dans les splendeurs et les gaietés Et mirait les hameaux, tête en bas, dans les baies. Là, sous la chaleur neuve et la clarté d'éveil, Des chalands goudronnés luisaient dans le soleil. Des vapeurs ameutaient les flots lents de leurs roues, Des mâts se relevaient: misaines et beauprés. Et les voiliers géants dressaient sue l'eau leurs proues, Où des nymphes en bois bombaient leurs soins dorés. III Sur le fleuve, rempli de mâts et de voilures, Un ciel incandescent tombait de tout son poids Et gerçait et grillait le sol de ses brûlures, Comme s'il l'eût couvé sous des ailes de poix. Près des digues, bouillaient le limon et la vase; Les pointes des roseaux s'aiguisaient de clartés, Et les vaisseaux craquaient du sommet à la base, Sous l'accablant fardeau de ces torridités. Plus loin, près d'une passe où le courant s'ensable, Émergeaient, s'étiraient de jaunes bancs de sable, Que des oiseaux, l'aile au soleil, tachaient de blanc; Le site entier chauffait dans un air de fournaise Et semblait menacé d'un embrasement lent, Et les flots criblés d'or charriaient de la braise. IV En automne, saison des belles pourritures, Quand au soir descendant le couchant est en feu, On voit au bas du ciel d'immenses balayures De jaune, de carmin, de vert pomme et de bleu. Les flots traînent ce grand horizon dans leurs moires, Se vêtent de ses tons électriques et faux, Et sur fond de soleil, des barques toutes noires Vont comme des cercueils d'ébène au fil des eaux. Les voix du jour mourant, funèbres et lointaines, Roulent encor dans l'air avec le vent des plaines Et les sons d'angélus tintant de tour en tour; Mais tous cris vont mourir, et mourir toutes flammes. L'appel des passeurs d'eau va se taire à son tour.... Voici qu'on n'entend plus qu'un bruit tombant de rames. AMOURS ROUGES Et qu'importent les mots méchants et les parlotes S'ils ont la volupté de se sentir à deux? Que lui font l'oeil mauvais et les cris de bigotes, Quand au soit, descendant, au long du chemin creux. Il la sent s'allumer de charnelles tendresses, Qu'il l'étreint contre lui, regarde longuement Son cou large, où sont faits des coins pour les caresses, Ses yeux d'où sort l'ardeur de son embrasement; Qu'elle vibre et s'affole et s'offre tout entière, Que la rage d'aimer l'enflamme, qu'elle veut, Tant le sang de son coeur lui brûle chaque artère, Tant hurlent ses désirs et ses instincts en feu, Ne faire de son corps qu'une table dressée, Où son gars mangerait et boirait jusqu'au jour, La bouche gloutonnante et la manche troussée. Tout un festin de chair, de jeunesse et d'amour! Et pendant qu'il la chauffe, ils vont par les saulaies, Par les sentiers moussus, faits pour s'en aller deux, Ils vont toujours, tirant les feuilles hors des haies, Les mordant avec fièvre et les jetant loin d'eux. Il confie en riant ce qui troublait sa tête, Avant qu'il n'eût espoir certain de l'épouser, Il se rappelle encor--tout connue elle--la fête Où de force il plaqua ses lèvres d'un baiser. Mais c'est elle, à présent, qui s'en poisse la bouche. Qui s'en soûle et s'en gave aux godailles d'amour, Au grand air, sous l'éclat du soleil qui se couche Et dans le rouge adieu de la nature au jour. Et d'un commun accord, sans pourtant se rien dire. Au coude d'un chemin menant droit aux fouillis, Le coeur battant son plein, le visage en sourire. Ils cherchent où s'asseoir dans l'épais des taillis. Et près d'un blond carré d'orge, dans la verdure Fraîche et vibrante encore et gazouilleuse au vent. Ils dénichent, comme au hasard, une encoignure. Faite d'un bois derrière et de buissons devant, Un coin calme, où bruit seule parmi l'épeautre, La respiration onduleuse des blés. Se regardant toujours et s'attirant l'un l'autre, Ils se sont abattus, haletants et troublés. Et c'est alors un cri des sens, une fringale, Un assouvissement de désirs et d'instincts, Un combat chair à chair de gouge avec son mâle, Des étreintes de corps à se briser les reins, Des vautrements si fous que l'herbe en est broyée Comme après un assaut de vents et de grêlons, Les buissons cassés net et la terre rayée D'un grattage lascif de pieds et de talons. Elle sert de sa chair autant qu'il en demande, Sans crier, se débattre ou simuler des peurs, Ne craignant même plus que le village entende L'explosion d'amour, qui saute de leurs coeurs. Ils songent aux fureurs échauffantes des bêtes, Aux printemps allumant l'ardeur dans les troupeaux, Aux chevaux hennissants, aux vaches toujours prêtes A se courber au joug amoureux des taureaux. Et lui--roi de ce corps pâmé, lui maître d'elle, Le choisi, parmi tous, pour mener le déduit, La voyant dans ses bras frissonner comme une aile, Sent son orgueil de gars puissant monter en lui. Ses assauts enfiévrés comme un choc de rafales Traversent la fureur de leurs accouplements, Ses spasmes ont des cris plus profonds que des râles, Son rut bondit sur elle avec des jappements, Il voudrait l'accabler dans une ardeur plénière, Et lui broyer les sens sous des poids de torpeur, Et ce débordement de lutte dernière Devient rage à tel point que leur amour fait peur. Après l'ébruitement du scandale au village, Après de longs refus brutaux, un temps viendra, Où les parents vaincus voudront le mariage; Et l'amant d'aujourd'hui, son gars aimé, sera Le même qu'on verra venir, le jour des noces. Lui donner l'anneau d'or et conduire à l'autel, Orné de cierges neufs et de roses précoces, Ses vingt ans agités du frisson maternel. LES FUNÉRAILLES Voici huit jours qu'a trépassé le vieux fermier Qui, rond par rond, thésaurisa dans un sommier Tant d'or et tant d'argent que son énorme bière Semblait lourde d'écus quand on le mit en terre. La cloche a vacarmé longtemps en son honneur Et les notes battu leur danse en ton mineur, Mais aujourd'hui ses quatre fils offrent à boire Tant que l'on veut pour qu'on se soûle à sa mémoire. Dans leur maison, ils ont rangé trente tonneaux Pour des gosiers beaux et clairs, tels des anneaux, Et prétendant que tous aient une part des fêtes Ils ont donné du sucre et de la bière aux bêtes. Les servantes et les valets quittant le deuil Et les quatre porteurs du colossal cercueil Et le fossoyeur borgne et les enfants de messe Sont conviés, avant tout autre, à la Kermesse. Puis les parents les plus proches et les cousins. Ceux qui furent les vieux amis et les voisins: Et tels qui sont gaillards et savoureux de derme Sont invités dûment parce qu'ils sablent ferme. Et depuis l'aube on trinque, à grands brocs étamés. Dans la salle la plus large, volets fermés, Portes closes, tandis que Juin gerce de rides, Dehors, les champs ardents et les polders torrides. La fête étant vouée uniquement au mort. On boit sans bruit, on boit sans cris, si l'on boit fort; Et l'ivresse plombant les fronts de somnolence, Bientôt l'on boit et l'on se soûle en plein silence. Ils sont là, tous, face à face, vagues et lourds, Les mains moites, les doigts gauches, les regards gourds, Les pieds allongés droits sous la table de chêne, Et seul, le hoquet gras debonde leur bedaine. Le fossoyeur éructe et croit du fond d'un trou Lancer, d'un han profond, un bloc de terreau mou; Le jeune enfant de messe avec des mains térettes Lampe d'un coup son broc, ainsi que les burettes. Les gros porteurs assis côte à côte, le dos Bien que fruste et géant ployé sous des fardeaux D'ivresse et de sommeil, rêvent que leurs épaules Jonglent avec des morts au fond de nécropoles. Un cousin pleure, ainsi qu'un toit que pluie et vent Râflent d'automne, et tout son corps est comme un van Sonnant et sanglotant que la douleur secoue, Jusqu'à faire égoutter les larmes de sa joue. Seuls d'entre tous, les fils ne semblent point navrés: Ils ont les goussets lourds et les orgueils lustrés, Ils sont comme des coqs debout sur l'héritage, Et c'est à coups de becs qu'ils feront le partage. Ils se sentent déjà maîtres du bourg et ceux Dont on craindra le geste, et le signe des yeux: Aussi, pour affirmer leur droit indubitable, L'un d'eux met un tas d'or comme un poing sur la table. L'étonnement est si rouge et fervent, que tous, Bien que mornes, hagards, béants et comme fous, Devant ce bloc soudain sorti de son armoire, Le verre en main, la bouche ouverte, oublient de boire, Et qu'il faut le rappel d'un porteur de cercueil Pour ranimer en eux le jovial orgueil De décanter au fond des bedaines lalave D'ivresse et de fureur qui bout encor en cave. LES VIEILLES Les chairs, les belles chairs en fleur des gouges mortes, Jeunes encore, où vont-elles? et qui de nous Les verra resplendir ailleurs, rouges et fortes, Et les adorera, toujours à deux genoux! Souvent, lorsque Juillet flamboie, on rêve d'elles, De leurs beaux corps défunts, qu'on a connus jadis, Et plus haut que ne va le vol des hirondelles, Près des cieux, on croit voir de lointains paradis Embrasés de lumière et tapissés de nues, Où l'oeil vainqueur, les seins sortis du corset d'or, Des anneaux de rubis cerclant leurs jambes nues, Le front plaqué d'un feu de soleil qui s'endort, Les gouges dans leur gloire ardente se promènent. Ah! celles-là, du moins, ont bien fait de mourir Avant que les laideurs et les maux se déchaînent Sur leur être superbe et trop beau pour souffrir. Mais d'autres que voilà, toutes celles que l'âge Courbe, casse, salit, ruine et rabougrit, Qui subissent, l'échine en deux, le vasselage Du cerveau qui s'ébête et du coeur qui pourrit, Qui ne veulent crever, quoique jaunes, flétries, Qui s'accrochent au monde et se sèchent d'aigreur, Bien que les temps soient là des voluptés taries, Sont celles que je hais, celles qui font horreur! Ah chair de vieilles, chair veule, rèche, moisie, Mauvaise chair, tout au plus bonne pour les vers, Pourquoi ne pas, avant la sinistre étisie, Purger de tes humeurs séniles les champs verts, De ta lèpre l'air frais et de ta jalousie Les beaux soirs, le soleil et les chemins d'amour? Chair puante, pourquoi salir de toi la terre. Et qu'avons-nous besoin de ta hideur?--Le jour! Vois donc comme il jaillit flamboyant d'un cratère D'aube, comme il émaille en bleu les cieux ardents, Comme il rosit au front l'enfance et la jeunesse! Pour vous, vieilles, le jour, c'est le masque sans dents, C'est la paupière où du pus congelé se presse, Faisant comme une plaie à chacun de vos yeux, C'est le menton piqué de poils roux, c'est la teigne Qui ronge par endroits le gris de vos cheveux, C'est un cancer, servant à vos faces d'enseigne, Ce sont vos deux sourcils râclés, ce sont vos seins Clapotant sur les flancs leur flic-flac de vessie Flasque, ce sont vos bras osseux, ce sont vos reins, Vos doigts, vos mains, vos pieds gonflés d'hydropisie, C'est votre corps entier, gluant, lépreux, perclus, Carcasse répandant une telle asphyxie, Que les chiens de la mort n'en voudront même plus! AUX FLAMANDES D'AUTREFOIS Au grand soleil d'été qui fait les orges mûres, Et qui bronze vos chairs pesantes de santé. Flamandes, montrez-nous votre lourde beauté Débordante de force et chargeant vos ceintures. Sur des tas de foin sec et fauché, couchez-vous! Vos torses sont puissants, vos seins rouges de sève. Vos cheveux sont lissés comme un sable de grève, Et nos bras amoureux enlacent vos genoux. Laissez-vous adorer, au grand air, dans les plaines, Lorsque les vents chauffés tombent du ciel en feu, Qu'immobiles d'orgueil, au bord de l'étang bleu, Dans les midis vibrants et roux, trônent les chênes. Au temps où les taureaux fougueux sentent venir L'accès dit rut, la fièvre affolante, hagarde, Lorsque dans les vergers des fermes on regarde Les jeunes étalons, le cou tendu, hennir; Lorsque l'immense amour dans les coeurs se décharge, Lorsqu'ils s'enflent, au souffle intense de la chair, Comme s'ouvre la voile aux rages de la mer, Aux assauts redoublés d'un vent qui vient du large. Telles, avec vos corps d'un éclat éternel, Votre oeil miroitant d'or, votre gorge fleurie, Nous vous magnifions, femmes de la patrie, Qui concentrez en vous notre Idéal charnel. * * * * * LES MOINES 1885 _A GEORGES KHNOPFF_ LES MOINES Je vous invoque ici, Moines apostoliques, Chandeliers d'or, flambeaux de foi, porteurs de feu, Astres versant le jour aux siècles catholiques, Constructeurs éblouis de la maison de Dieu; Solitaires assis sur les montagnes blanches, Marbres de volonté, de force et de courroux, Prêcheurs tenant levés vos bras à longues manches Sur les remords ployés des peuples à genoux; Vitraux avivés d'aube et de matin candides, Vases de chasteté ne tarissant jamais, Miroirs réverbérant comme des lacs lucides Des rives de douceur et des vallons de paix; Voyants dont l'âme était la mystique habitante, Longtemps avant la mort, d'un monde extra-humain, Torses incendiés de ferveur haletante, Rocs barbares debout sur l'empire romain; Étendards embrasés, armures de l'Église, Abatteurs d'hérésie à larges coups de croix, Géants chargés d'orgueil que Rome immortalise, Glaives sacrés pendus sur la tête des rois; Arches dont le haut cintre arquait sa vastitude, Avec de lourds piliers d'argent comme soutiens, Du côté de l'aurore et de la solitude, D'où sont venus vers nous les grands fleuves chrétiens; Clairons sonnant le Christ à belles claironnées, Tocsins battant l'alarme, à mornes glas tombants, Tours de soleil de loin en loin illuminées, Qui poussez dans le ciel vos crucifix flambants. VISION Vers une hostie énorme, au fond d'un large choeur, Dans un temple bâti sur des schistes qui pendent, Voici dix-huit cents ans que les moines ascendent Et jettent vers le Christ tout le sang de leur coeur. Le temple est assis haut, là-bas, où rien ne bouge; Du fond de l'univers, du Zénith, du Nadir, On regarde l'hostie immense l'esplendir Sous le jaillissement d'un grand soleil d'or rouge. Et les moines, les saints, les vierges, les martyrs. Foulant à pas égaux les routes ascétiques, S'en viennent là, du fond de leurs cloîtres mystiques, S'incendier l'esprit au feu des repentirs: Les uns, n'ayant jamais péché, portent leur âme Comme un faisceau de lys sur leur manteau brodé, Ils ont le front de calme et d'ardeur inondé Et dans leurs doigts d'argent ils portent une flamme; Il en est dont les reins se ceinturent d'orties Et qui marchent, hagards, par les sentiers étroits, Le dos raidi, les flancs creusés, les bras en croix, La bouche effrayamment ouverte aux prophéties; D'autres, la gorge sèche et la poitrine en feu, Sont les suppliciés de jeûne et de prière Dont le corps s'éternise en des gestes de pierre Et qui dans les déserts hurlent après leur Dieu. Et tous s'en vont ainsi, vêtus de larges voiles, Comme des marbres blancs qui marcheraient la nuit, Qu'il fasse aurore ou soir, une clarté les suit Et sur leur front grandi s'arrêtent les étoiles, Et parvenus au temple ouvrant au loin son choeur, Dans un recourbement d'ogives colossales, Ils tombent à genoux sur la froideur des dalles Et jettent vers leur Dieu tout le sang de leur coeur. Le sang frappe l'autel et sur terre s'épanche, Éclabousse de feu les murs éblouissants, Mais quoi qu'ils aient souffert depuis dix-huit cents ans, L'hostie est demeurée implacablement blanche. SOIR RELIGIEUX Sur le couvent qui dort, une paix d'ombre blanche Plane mystiquement et, par les loins moelleux, Des brouillards de duvet et des vols nébuleux Égrènent en flocons leur neigeuse avalanche. Le ciel d'hiver, empli d'un espace géant, Nacre l'azur profond d'une clarté sereine; Il semble que la nuit tende sur de l'ébène Des manteaux de silence et des robes d'argent. Les peupliers penchant, pâles, leur profil triste, Nimbé de lune, au bord des rives sans remous, Avec un va-et-vient de balancement doux, Font trembler leurs reflets dans les eaux d'améthyste. A l'horizon, par où les longs chemins perdus Marchent vers le matin, à la lueur des chaumes, Flottent, au son du vent, des formes de fantômes Qui rasent les gazons de leurs pieds suspendus. Car c'est l'heure où, là-bas, les Anges, en guirlande, Redescendent cueillir, mélancoliquement, Dans les plaines de l'air muet, le lys dormant, Le lys surnaturel qui fleurit la légende. On les rêve passant sur les cimes, où luit, Comme des baisers d'or, l'adieu de la lumière, Ils vont par le sentier, le champ et la bruyère, Et, le doigt sur la bouche, ils écoutent la nuit. Et tel est le silence éclos autour du cloître Et le mystère épars autour de l'horizon, Qu'ils entendent la pure et belle floraison Du pâle lys d'argent sur les montagnes croître. LES CRUCIFÈRES Avec leur manteau blanc, ouvert ainsi qu'une aile, On les voit tout à coup illuminer la nuit Dont le barbare et grand moyen âge crénèle Le monde, où rien d'humain ni de juste ne luit. C'est eux, quand l'Occident s'arme contre l'Asie, Qui conduisent l'Europe à travers les déserts; Et les peuples domptés suivent leur frénésie, Emportés, dans leur geste, au bout de l'univers! C'est eux, les conseillers des pontifes suprêmes, Qui démasquent le schisme et qui fixent les lois, Qui se dressent debout, sous leurs vêtements blêmes, Pour tirer d'adultère et de stupre leurs rois! C'est eux, qui font flamber les bûchers d'or superbes, A la gloire du Christ et des papes romains, Où les feux rédempteurs échevèlent leurs gerbes Et se nouent en serpents autour des corps humains! C'est eux, les patients inquisiteurs des foules, Qui jugent les pensers et pèsent les remords, Avec de noirs regards traversant leurs cagoules Et des silences froids comme la peau des morts! C'est eux, la voix, le coeur et le cerveau du monde. Tout ce qui fut énorme en ces temps surhumains Grandit dans le soleil de leur âme féconde Et fut tordu comme un grand chêne entre leurs mains! Aussi, vienne leur fin solennelle et tragique. Elle ébranle le siècle et jette un deuil si grand, Que l'Histoire rebrousse en son cours héroïque, Comme si leur cercueil eût barré son torrent. SOIR RELIGIEUX Le déclin du soleil étend, jusqu'aux lointains, Son silence et sa paix comme un pâle cilice; Les choses sont d'aspect méticuleux et lisse Et se détaillent clair sur des fonds byzantins. L'averse a sabré l'air de ses lames de grêle, Et voici que le ciel luit comme un parvis bleu, Et que c'est l'heure où meurt à l'occident le feu, Où l'argent de la nuit à l'or du jour se mêle. A l'horizon, plus rien ne passe, si ce n'est Une allée infinie et géante de chênes, Se prolongeant au loin jusqu'aux fermes prochaines. Le long des champs en friche et des coins de genêt. Ces arbres vont--ainsi des moines mortuaires Qui s'en iraient, le coeur assombri par les soirs, Comme jadis partaient les longs pénitents noirs Pèleriner, là-bas, vers d'anciens sanctuaires. Et la route d'amont toute large s'ouvrant Sur le couchant rougi comme un plant de pivoines, A voir ces arbres nus, à voir passer ces moines, On dirait qu'ils s'en vont ce soir, en double rang, Vers leur Dieu dont l'azur d'étoiles s'ensemence; Et les astres, brillant là-haut sur leur chemin, Semblent les feux de grands cierges, tenus en main, Dont on n'aperçoit pas monter la tige immense. MOINE ÉPIQUE On eût dit qu'il sortait d'un désert de sommeil, Où, face à face, avec les gloires du soleil, Sur les pitons brûlés et les rochers austères, S'endort la majesté des lions solitaires. Ce moine était géant, sauvage et solennel, Son corps semblait bâti pour un oeuvre éternel; Son visage, planté de poils et de cheveux. Dardait tout l'infini par les trous de ses yeux; Quatre-vingts ans chargeaient ses épaules tannées Et son pas sonnait ferme à travers les années; Son dos monumental se carrait dans son froc, Avec les angles lourds et farouches d'un roc; Ses pieds semblaient broyer des choses abattues Et ses mains agripper des socles de statues, Comme si le Christ-Dieu l'eût forgé tout en fer Pour écraser sous lui les rages de l'enfer. * * * * * C'était un homme épris des époques d'épée, Où l'on jetait sa vie aux vers de l'épopée, Qui dans ce siècle flasque et dans ce temps bâtard, Apôtre épouvantant de noir, venait trop tard, Qui n'avait pu, suivant l'abaissement, décroître, Et même était trop grand pour tenir dans un cloître, Et se noyer le coeur dans le marais d'ennui Et la banalité des règles d'aujourd'hui. * * * * * Il lui fallait le feu des grands sites sauvages, Les rocs tortionnés de nocturnes ravages, Le ciel torride et le désert et l'air des monts, Et les tentations en rut des vieux démons, Agaçant de leurs doigts la chair en fleur des gouges Et lui brûlant la lèvre avec de grands seins rouges, Et lui bouchant les yeux avec des corps vermeils, Comme les eaux des lacs, avec l'or des soleils. On se l'imaginait, au fond des solitudes, Marmorisé dans la raideur des attitudes, L'esprit durci, le coeur blême de chasteté, Et seul, et seul toujours avec l'immensité. On le voyait marcher au long des mers sonnantes, Au long des bois rêveurs et des mares stagnantes, Avec des gestes fous de voyant surhumain, Et s'en venir ainsi vers le monde romain, N'ayant rien qu'une croix, taillée au coeur des chênes, Mais la bouche clamant les ruines prochaines. Mais fixes les regards, mais énormes les yeux, Barbare illuminé qui vient tuer les dieux. * * * * * Maintenant qu'il repose obscurément, sans bière, Dans quelque coin boueux et gras de cimetière, Saccagé par les vers, pourri, dissous, séché, A voir le tertre énorme où son corps est couché, On rêve aux tueurs d'ours, abattus dans la chasse, A ces hommes d'un bloc de granit et de glace. Que l'on n'enterrait point, mais dont les restes lourds, Sur un bûcher tendu de soie et de velours, Dans le décor géant des forêts allumées, Au fond des soirs, là-bas, s'en allaient en fumées. MOINE DOUX Il est des moines doux avec des traits si calmes, Qu'on ornerait leurs mains de roses et de palmes, Qu'on formerait, pour le porter au-dessus d'eux, Un dais pâlement bleu comme le bleu des cieux, Et pour leurs pas foulant les plaines de la vie, Une route d'argent d'un chemin d'or suivie. Et par les lacs, le long des eaux, ils s'en iraient, Comme un cortège blanc de lys qui marcheraient. Ces moines, dont l'esprit jette un reflet de cierge, Sont les amants naïfs de la Très Sainte Vierge, Ils sont ses enflammés qui vont La proclamant Étoile de la mer et feu du firmament, Qui jettent dans les vents la voix de ses louanges, Avec des lèvres d'or comme le choeur des anges, Qui l'ont priée avec des voeux si dévorants Et des coeurs si brûlés qu'ils en ont les yeux grands, Qui la servent enfin dans de telles délices, Qu'ils tremperaient leur foi dans le feu des supplices, Et qu'Elle, un soir d'amour, pour les récompenser, Donne aux plus saints d'entre eux son Jésus à baiser. FÊTES MONACALES A coups de cloche, à coups de trompe et de bourdon, Au rouge déploiement des bannières claquantes, La crosse droite en main, comme on tient l'espadon, Front nu, torse en hauteur, allures attaquantes, Les chevaux rythmant clair, de leurs sabots d'acier, Quelque tintamarrante entrée au coeur des villes. Les moines féodaux, bardés d'orgueil princier, S'étalent tout en or dans les fêtes civiles; Le peuple qui les voit surgir dans la cité, Avec des cris de foule en feu les accompagne; Sur les remparts un arc triomphal est planté, Par où, sous le grand cintre encadrant la campagne, Plus solennel encor semble entrer le soleil. L''encens éploie au loin ses bleuâtres spirales: Vingt grands abbés, la mitre au front, le doigt vermeil, Régnent, monumentaux comme des cathédrales. Le drapeau monacal se reflète à l'écart, Pesant d'orgueil sacré, dans des lambris de marbre. Vingt hérauts, plastronnes de soie et de brocart, Sont fixés, tout debout, chacun au pied d'un arbre Dont, feuille à feuille, on a doré le dôme entier. Et le soleil chrétien voit ces luxes rebelles Trôner dans la splendeur d'un vallon forestier Et sous le va-et-vient des papales flabelles. Un repas colossal souffle, fourneaux béants, Éructant vers l'azur sa flamme et sa fumée. Par les gueules de fer des soupiraux géants. Une odeur de mangeaille et de chair allumée Et de sauces fleurant les gras parfums huileux, Plaque au palais et fait suinter d'aise les bouches. Les sièges, les divans et les coussins moelleux Cerclent la table encor vide, comme des couches. L'air est coupé de longs effluves altérants; Sur les vélums tendus le vent plisse des moires; Des corbeilles de fruits bombent leurs tons safrans Sur des plintes de chêne et sur des bords d'armoires, Et les échansons vifs passent, le bras orné De la sveltesse en col de cygne des aiguières. Dans l'attente et l'odeur du repas atourné, Les abbés, écoutant les voeux et les prières Que leur fait à genoux l'orgueil de leurs vassaux, S'imprègnent de l'encens des lourdes flatteries. La fête se prolonge au loin sous des arceaux De guirlandes d'argent et de piques fleuries. Le long des chemins verts, près des gueules des fours. Des soldats, cuirassés d'acier et de lumières, Campés sur leurs chevaux, au coin des carrefours, Pointent leurs casques bleus sous un vol de bannières; Le soleil estival mord le fond d'un torrent. Allume les rochers et fait craquer les chênes; Dans les hameaux, tout un peuple tintamarrant Se prépare, brutal, aux kermesses prochaines, Où son rut roulera comme un fleuve au travers, Et des étalons roux, la prunelle élargie, Le ventre frémissant et les naseaux ouverts, Tendent leurs cous gonflés du côté de l'orgie. Enfin, la table est prête et dresse ses couverts. Les vingt abbés, la croix d'argent sur leurs poitrines, Sous les arbres dorés aux feuillages roussis, Humant les lourds pâtés, les lards et les terrines, Flanqués chacun d'un haut vassal, se sont assis. On sert des paons, la queue épanouie en lyre; Des porcs, les flancs mordus de tridents ciselés; Des cuissots roux dont les odeurs d'ambre et de myrrhe Fument d'entre les dents de grands bols crénelés; Aussi le grand gibier des cuisines royales: Les sangliers, dont la hure, dans le festin, Haineusement grimace et courbe ses crocs pâles, Les aloyaux et les rognons de bouquetin, Les filets raffinés, les volailles farcies, Les daims sanglants, tués la nuit, aux alentours, Les faisans adornés de grappes cramoisies Et la chair des chevreuils avec des langues d'ours. A gauche, au coin d'un lourd massif, entouré d'ormes, Sur les tréteaux vêtus de velours damassés, On mime, avec des cris et des clameurs énormes, Jérusalem conquise et l'assaut des Croisés, Le glaive au vent, sur la douve monumentale, D'abord s'avance au pas le héros Godefroi, Levant sur l'Orient la croix occidentale, Le duc de Normandie en vêtements d'orfroi, Pierre l'Ermite, assis sur sa mule âpre et raide, Bohemond, Adhemar, Hugues de Vermandois, Robert de Flandre, et là, fier entre tous, Tancrède. La gloire est magnifique à ces faiseurs d'exploits. On lutte à corps serré, pied à pied, et les casques, Les heaumes, les armets, sonnent clair sous les coups, Les glaives vont tournant en sanglantes bourrasques, On s'agrippe: Chrétien dessus, Maure dessous, Roulent noueusement dans le flux des mêlées, Des cimeterres bleus luisent, éclairs de deuil. Heurtant d'un choc d'acier les masses dentelées, Et les pennons tenus debout comme un orgueil. Les coeurs sont furieux, les têtes allumées. On entend le grand cri: Notre-Dame et Noël! Et cet emmêlement des deux larges armées Fait croire un long instant que le heurt est réel. Les Turcs creusent les rangs de sanglantes ornières; Les Chrétiens vers le ciel, d'un regard plus fervent, S'exaltent; on ne sait laquelle des bannières Triomphale et levée ira claquante au vent, Quel symbole mourra de mort rouge, quel monde Tiendra sous sa lourdeur l'autre monde écrasé Quand par-dessus les flots de la tuerie immonde, Vêtu d'un long manteau d'argent fleurdelysé, Surgit, debout, l'archange, avec sa cour de gloires, Avec ses cheveux fiers, avec son pied dompteur, Avec ses doigts dorés, d'où tombent les victoires. Et l'Asie est conquise au Christ inspirateur. A droite, un lent cortège altier de filles belles, Vierges superbement, les cheveux en camail Sur l'épaule, le corps orné de brocatelles, La ceinture bouclée avec fermoirs d'émail. Lentes, et sur un pas de rythme ancien, procède. Elles ne font qu'aller, que venir, que passer. L'horizontal soleil, tout en splendeur, obsède De ses glissants rayons leur front, et vient baiser Les bijoux solennels qui pavoisent leurs tempes Et leur col frais et nu jusqu'au vallon des seins. Les premières s'en vont en rang, levant les hampes De l'oriflamme et des drapeaux diocésains. Le front caché suivant le vol des broderies, Les doigts cerclés d'argent et les poignets d'airain. D'autres viennent, tenant de sveltes armoiries, Des tortils monacaux et blancs, où le burin Tailla sur fond d'azur des mitres crénelées; D'autres, devant leurs pas égaux sèment des fleurs; D'autres, les pieds battus de traînes déferlées. Les yeux auréolés de prière et de pleurs, Passent, symbolisant les lentes litanies. Avec des cartels d'or et des emblèmes bleus. Et tel, ce défilé, coulant ses symphonies Et sa mobilité de couleurs et de feux, Parmi le déploiement des ruts et des ripailles, Attire l'oeil des grands moines enluminés Qui, par-dessus les plats des lourdes victuailles, Penchent leur face énorme et leurs sens tisonnés. Aux coupes, aux hanaps, les échansons encore Versent les vins de France et les cidres normands. Il flambe des parfums aux éclairs de phosphore Dans les ventres ouverts des cratères fumants. Les vents passent, tordant leurs feux en chevelures, Et s'imprègnent d'encens et l'épandent au loin Et le roulent parmi les flux des moissons mûres Et la marée en fleur de l'avoine et du foin. Tandis qu'arrive, rouge, à travers champs, la houle Des vacarmes touffus et des débordements Et des grosses clameurs et des ruts de la foule. On devine, là-bas, dans les hameaux fumants De liesse à pleins instincts et de joie à pleins ventres, Serves et serfs, patauds et pataudes, tous soûls, Les gars, luttant entre eux comme les loups des antres, Et les femmes hurlant autour, les regards fous. Enfin, le long repas finit, et les lumières, Dans les massifs géants, larment l'obscurité, L'ombre descend des monts aux heures coutumières, Le ciel s'étend immense ainsi qu'un drap lacté Sur les étangs rêveurs et les plaines songeuses. Mais bien qu'il fasse soir, les bruits croissent toujours Et montent plus grouillants des plèbes tapageuses Et roulent plus tonnants vers les échos des bourgs, Jusqu'à ce que minuit tombe sur les villages Et que les moines las, mis en joie et repus, Quittent la fête ardente encor. Leurs attelages Sont amenés, timons ornés, chevaux trapus. On les y voit monter, la face au vin rougie, Et s'en aller par les routes à travers bois. Faisant, de loin en loin, sur la foule et l'orgie Avec leurs mains en or de lents signes de croix. L'HÉRÉSIARQUE Et là, ce moine noir, que vêt un froc de deuil, Construit, dans sa pensée, un monument d'orgueil. Il le bâtit, tout seul, de ses mains taciturnes, Durant la veille ardente et les fièvres nocturnes. Il le dresse, d'un jet, sur les Crédos béants, Comme un phare de pierre au bord des océans, Il y scelle sa fougue et son ardeur mystique, Et sa fausse science et son doute ascétique. Il y jette sa force et sa raison de fer, Et le feu de son âme et le cri de sa chair, Et l'oeuvre est là, debout, comme une tour vivante, Dardant toujours plus haut sa tranquille épouvante, Empruntant sa grandeur à son isolement, Sous le défi serein et clair du firmament, Cependant qu'au sommet des rigides spirales Luisent sinistrement, comme des joyaux pâles. Comme de froids regards, toisant Dieu dans les cieux, Les blasphèmes du grand moine silencieux. * * * * * Aussi vit-il, tel qu'un suspect parmi ses frères, Tombeau désert, vidé de vases cinéraires, Damné d'ombre et de soir, que Satan ronge et mord, Lépreux moral, chauffant contre sa peau la mort, Le coeur tortionné, durant des nuits entières, La bouche morte aux chants sacrés, morte aux prières. Le cerveau fatigué d'énormes tensions. Les yeux brûlés au feu rouge des visions. Le courage hésitant, malgré les clairvoyances, A rompre effrayamment le plain-chant des croyances, Qui par le monde entier s'en vont prenant l'essor Et dont Rome, là-bas, est le colombier d'or, Jusqu'au jour où, poussé par sa haine trop forte, Il se possède enfin et clame sa foi morte Et se carre massif, sous l'azur déployé, Avec son large front vermeil de foudroyé. * * * * * Alors il sera grand de la grandeur humaine, Son orgueil flamboiera sous la foudre romaine, Son nom sera crié dans la rage et l'amour, Son ombre, projetée, obscurcira le jour. Les prêches, les écrits, les diètes, les écoles, Les sectes germeront autour de ses paroles. Le monde entier, promis par les papes aux rois, Sur le vieux sol chrétien verra trembler la croix. Les disputes, les cris, les querelles, les haines, Les passions et les fureurs, rompant leurs chaînes, Ainsi qu'un troupeau roux de grands fauves lâchés, Broieront, entre leurs dents, les dogmes desséchés. Un vent venu des loins antiques de la terre Éteindra les flambeaux autour du sanctuaire. Et la nuit l'emplira morne, comme un cercueil. Depuis l'autel désert jusqu'aux marches du seuil. Tandis qu'à l'horizon luiront des incendies, Des glaives furieux et des crosses brandies. LES CLOITRES Aux siècles féodaux, quand tiares et croix Soudainement dans les guerres dégringolées, S'ensanglantaient autant que les glaives des rois Et se cassaient au heurt des superbes mêlées, Les évêques jugeaient la plainte et le grief; Leur donjon mordait l'air de ses créneaux gothiques; Ils n'avaient cure et soin jamais que de leur fief; Ils se disaient issus des déesses mythiques; Leurs coeurs étaient d'airain, mais leurs cerveaux battus, Comme une enclume en bronze, étaient tintants de gloire. Ces temps passaient de fer et de splendeur vêtus Et le progrès n'avait encor de sa râcloire Rien enlevé de grand, de féroce et de gourd Au monde, où se taillaient les blocs des épopées. Quelque moine en était le dompteur rouge et lourd, Mais moins à coups de croix qu'à taillades d'épées, Il inspirait, au peuple agenouillé, frayeur; Aux grands, respect; aux chefs, il parlait de puissance Qui leur venait d'en haut et plongeait en torpeur Les serfs dont il fallait étouffer la croissance. Et naquirent alors des cloîtres fabuleux. En des enfoncements de bois et de mystères: D'abord gardiens sacrés de morts miraculeux, Ils vécurent ayant des rois pour donataires. Et des princes, vassaux de Dieu, pour protecteurs; Ils devinrent château, puis bourgade et village; Ils grandirent--cité géante--et leurs tuteurs Mirent le féodal pouvoir en attelage Au-devant de leur brusque et triomphal soleil. Et, dans ce flamboiement de grandeurs monastiques. Sur le trône de pourpre et sous le dais vermeil, S'élargissait l'orgueil des grands abbés gothiques: Hommes sacrés, couverts du manteau suzerain, Eblouissant leur temps de leurs majestés pâles Et, pareils à des dieux de granit et d'airain, Assis, les pieds croisés sur les foudres papales. C'était au fond de ces monastères hautains Que le dogme du Christ, ouvrant ses bras au monde, S'armait pour l'avenir et forgeait ses destins. Les moines travaillés de passion féconde, Portant des coeurs de fer dans leurs torses de feu, Trop lourds pour s'appuyer sur la raison fragile, Dans les buccins faisaient sonner le nouveau Dieu. Sur un pavois de guerre ils dressaient l'Evangile, La garde de leur glaive était sculptée en croix, Saint Michel écrasait la payenne Bellone, Et Rome avait un roi qui par-dessus les rois Haussait un front bâti pour la triple couronne. Ils trônèrent pareils, les cloîtres lumineux, Jusqu'au jour où les vents de la Grèce fatale Jetèrent brusquement leurs souffles vénéneux A travers la candeur de l'âme occidentale. Le monde émerveillé s'emplit d'esprit nouveau. Mais les moines soudain grandirent à sa taille, La puissance monta des bras à leur cerveau: Eux qui jadis, géants d'orgueil de la bataille, Passaient, pennons au vent, dans les rouges assauts, Se dressèrent, géants d'étude et de pensée. Ils portèrent ainsi que de puissants faisceaux Devant leur Christ nié, devant leur foi chassée, Qui se penchait déjà du côté de la nuit, Leur coeur brûlant toujours de sa flamme première. Et l'idéal superbe et noir fut reconstruit, Et tout en haut la croix monta dans la lumière. Et les livres chrétiens, les Sommes, les Décrets, Les grands éclairs jetés au loin par les génies Sur la philosophie humaine et ses secrets, Sur les mondes, les cieux, les morts, les agonies, Les éternels pourquois et le tressaillement De l'univers en proie aux angoisses mystiques, Et les dogmes nimbés, mélancoliquement, Et s'asseyant rêveurs, dans leur robes gothiques. Et les torches, avec des crinières de sang Échevelant au loin leur clarté mortuaire Sur les peuples chrétiens frappés, le doute au flanc, Et la blancheur du lange et celle du suaire, Un monde qui commence, un monde qui finit, Tout un dardement d'or de lumière mêlée Refrappa de splendeur l'assise du granit, Où les moines dressaient leur foi renouvelée. Tels se maintinrent-ils--et rien de leur orgueil N'était depuis mille ans descendu de leur tête. Mais aujourd'hui, dans le mépris et dans le deuil, Dans l'isolement blême où leur fierté végète, Dans le dédain, c'est à jamais qu'ils sont défunts, Qu'ils sont couchés, qu'ils sont endormis dans leurs coules, Qu'ils sont les morts, les morts sans cierges, sans parfums, Sans pleurs, les morts géants insultés par les foules, Au fond des cloîtres froids et des caveaux scellés, Au loin, dans leur silence et dans leur cimetière. Pauvres moines!--ou Dieu vous a-t-il consolés Et donné votre part de ciel et de lumière? CROQUIS DE CLOITRE En automne, dans la douceur des mois pâlis, Quand les heures d'après-midi tissent leurs mailles, Au vestiaire, où les moines, en blancs surplis, Rentrent se dévêtir pour aller aux semailles, Les coules restent pendre à l'abandon. Leur plis Solennellement droits descendent des murailles, Comme des tuyaux d'orgue et des faisceaux de lys, Et les derniers soleils les tachent de médailles. Elles luisent ainsi sous la splendeur du jour, Le drap pénétré d'or, d'encens et d'orgueil lourd, Mais quand s'éteint au loin la diurne lumière, Mystiquement, dans les obscurités des nuits, Elles tombent, le long des patères de buis, Comme un affaissement d'ardeur et de prière. MOINE SIMPLE Ce convers recueilli sous la soutane bise Cachait l'amour naïf d'un saint François d'Assise. Tendre, dévotieux, doux, fraternel, fervent, Il était jardinier des fleurs dans le couvent. Il les aimait, le simple, avec toute son âme, Et ses doigts se chauffaient à leurs feuilles de flamme. Elles lui parfumaient la vie et le sommeil, Et pour elles, c'était qu'il aimait le soleil Et le firmament pur et les nuits diaphanes, Où les étoiles d'or suspendent leurs lianes. Tout enfant, il pleurait aux légendes d'antan Où sont tués des lys sous les pieds de Satan, Où dans un infini vague, fait d'apparences, Passent des séraphins parmi des transparences. Où les vierges s'en vont par de roses chemins, Avec des grands missels et des palmes aux mains, Vers la mort accueillante et bonne et maternelle A ceux qui mettent l'or de leur espoir en elle. * * * * * Aux temps de Mai, dans les matins auréolés Et l'enfance des jours vaporeux et perlés, Qui font songer aux jours mystérieux des limbes Et passent couronnés de la clarté des nimbes, Il étalait sa joie intime et son bonheur, A parer de ses mains l'autel, pour faire honneur A la très douce et pure et benoîte Marie, Patronne de son coeur et de sa closerie. Il ne songeait à rien, sinon à l'adorer, A lui tendre son âme entière à respirer, Rose blanche, si frêle et si claire et si probe, Qu'elle semblait n'avoir connu du jour que l'aube, Et qu'au soir de la mort, où, sans aucun regret, Jusqu'aux jardins du ciel, elle s'envolerait Doucement de sa vie obscure et solitaire, N'ayant rien laissé d'elle aux buissons de la terre, Le parfum, exhalé dans un soupir dernier, Serait depuis longtemps connu du ciel entier. AUX MOINES Moines venus vers nous des horizons gothiques, Mais dont l'âme, mais dont l'esprit meurt de demain. Qui retrempez l'amour dans ses sources mystiques Et le purifiez de tout l'orgueil humain. Vous marchez beaux et forts par les routes des hommes, L'esprit encor fixé sur les feux de l'enfer, Depuis les temps lointains jusqu'au jour où nous sommes, Dans les âges d'argent et les siècles de fer, Toujours du même pas sacerdotal et large. Seuls vous survivez grands au monde chrétien mort, Seuls sans ployer le dos vous en portez la charge Comme un royal cadavre au fond d'un cercueil d'or. Moines -- oh! les chercheurs de chimères sublimes-- Vos rêves, ils s'en vont par delà les tombeaux, Vos yeux sont aimantés par la lueur des cimes, Vous êtes les porteurs de croix et de flambeaux Autour de l'idéal divin que l'on enterre. Oh! les moines vaincus, altiers, silencieux, Oh! les géants debout sur les bruits de la terre, Faces d'astres, brûlés par les astres des cieux, Qui regardez crier autour de vous les foules Sans que la peur ne fasse un pli sur votre front Ni que le vent d'effroi n'en fasse un dans vos coules; Oh! les moines que les siècles contempleront, Moines grandis, parmi l'exil et les défaites, Moines chassés, mais dont les vêtements vermeils Illuminent la nuit du monde, et dont les têtes Passent dans la clarté des suprêmes soleils, Nous vous magnifions, nous les poètes calmes, Et puisque rien de fier n'est aujourd'hui vainqueur, Puisqu'on a déchiré les lauriers et les palmes, Moines, grands isolés de pensée et de coeur, Avant que la dernière âme ne soit tuée, Mes vers vous bâtiront de mystiques autels Sous le vélum errant d'une chaste nuée, Afin qu'un jour cette âme aux désirs éternels, Pensive et seule et triste, au fond de la nuit blême, De votre gloire éteinte allume encor le feu, Et songe à vous encor quand le dernier blasphème Comme une épée immense aura transpercé Dieu! CROQUIS DE CLOITRE Sous un pesant repos d'après-midi vermeil, Les stalles, en vieux chêne éteint, sont alignées, Et le jour traversant les fenêtres ignées Etale, au fond du choeur, des nattes de soleil. Et les moines dans leurs coules toutes les mêmes, --Mêmes plis sur leur manche et même sur leur froc, Même raideur et même attitude de roc-- Sont là, debout, muets, plantés sur deux rangs blêmes. Et l'on s'attend à voir ces immobilités Brusquement se disjoindre et les versets chantés Rompre, à tonnantes voix, ces silences qui pèsent; Mais rien ne bouge au long du sombre mur qui fuit, Et les heures s'en vont, par le couvent, sans bruit, Et toujours et toujours les grands moines se taisent. SOIR RELIGIEUX Des villages plaintifs et des champs reposés, Voici que s'exhalait, dans la paix vespérale, Un soupir doucement triste comme le râle D'une vierge qui meurt pâle, les yeux baissés, Le coeur en joie et tout au ciel déjà tendante. Les verts étaient tombés. Seule encor remuait, Là-bas, vers le couchant, dans l'air vide et muet, Une cloche d'église à d'autres répondante Et qui sonnait, sous sa mante de bronze noir, Comme pour un départ funéraire d'escortes, Vers des lointains perdus et des régions mortes, La souffrance du monde éparse au fond du soir. C'était un croisement de voix pauvres et lentes, Si triste et deuillant qu'à l'entendre monter, Un oiseau quelque part se remit à chanter, Très faiblement, parmi les ramilles dolentes, Et que les blés, calmant peu ù peu leur reflux, S'aplanirent--tandis que les forêts songeuses Regardaient s'en aller les routes voyageuses, A travers les terreaux, vers les doux angelus. CROQUIS DE CLOITRE Dans le cadre de leurs frises historiées Et le déroulement de leurs meneaux étroits, Contre le mur lépreux des cours armoriées, Les douze stations du chemin de la croix, Toutes en marbre blanc, montent appariées: L'usure de l'hiver a raclé leurs parois Et les scènes de deuil se sont excoriées, Sous la râpe des vents et sous la dent des froids. C'est là, quand les lointains sur fond d'or se burinent, Qu'au son de bourdons sourds, les moines pélerinent. Lignant de leur fantôme en noir ces grands décors. Où le soir lumineux, plein de mélancolie, Lent ensevelisseur des jours finis, replie Ses linceuls de soleil sur les horizons morts. RENTRÉE DES MOINES I On dirait que le site entier sous un lissoir Se lustre et dans les lacs voisins se réverbère; C'est l'heure où la clarté du jour d'ombres s'obère, Où le soleil descend les escaliers du soir. Une étoile d'argent lointainement tremblante, Lumière d'or, dont on n'aperçoit le flambleau, Se reflète mobile et fixe au fond de l'eau Où le courant la lave avec une onde lente. A travers les champs verts s'en va se déroulant La route dont l'averse a lamé les ornières; Elle longe les noirs massifs des sapinières Et monte au carrefour couper le pavé blanc. Au loin scintille encore une lucarne ronde Qui s'ouvre ainsi qu'un oeil dans un pignon rongé: Là, le dernier reflet du couchant s'est plongé, Comme, en un trou profond et ténébreux, la sonde. Et rien ne s'entend plus dans ce mystique adieu, Rien--le site vêtu d'une paix métallique Semble enfermer en lui, comme une basilique, La présence muette et nocturne de Dieu. II Alors les moines blancs rentrent aux monastères, Après secours portés aux malades des bourgs, Aux remueurs cassés de sols et de labours, Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires, A ceux qui crèvent seuls, mornes, sales, pouilleux Et que nul de regrets ni de pleurs n'accompagne Et qui pourriront nus dans un coin de campagne, Sans qu'on lave leur corps ni qu'on ferme leurs yeux, Aux mendiants mordus de misères avides, Qui, le ventre troué de faim, ne peuvent plus Se béquiller là-bas vers les enclos feuillus Et qui se noient, la nuit, dans les étangs livides. Et tels les moines blancs traversent les champs noirs, Faisant songer au temps des jeunesses bibliques Où l'on voyait errer des géants angéliques, En longs manteaux de lin, dans l'or pâli des soirs. III Brusques, sonnent au loin des tintements de cloche, Qui cassent du silence à coups de battant clair Par-dessus les hameaux, jetant à travers l'air Un long appel, qui long, parmi l'écho, ricoche. Ils redisent que c'est le moment justicier Où les moines s'en vont au choeur chanter Ténèbres Et promener sur leurs consciences funèbres La froide cruauté de leurs regards d'acier. Et les voici priant: tous ceux dont la journée S'est consumée au long hersage en pleins terreaux, Ceux dont l'esprit sur les textes préceptoraux S'épand, comme un reflet de lumière inclinée. Ceux dont la solitude âpre et pâle a rendu L'âme voyante et dont la peau blême et collante Jette vers Dieu la voix de sa maigreur sanglante, Ceux dont les tourments noirs ont fait le corps tordu. Et les moines qui sont rentrés aux monastères, Après visite faite aux malheureux des bourgs, Aux remueurs cassés de sols et de labours, Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires, A leurs frères pieux disent, à lente voix, Qu'au dehors, quelque part, dans un coin de bruyère. Il est un moribond qui s'en va sans prière Et qu'il faut supplier, au choeur, le Christ en croix, Pour qu'il soit pitoyable aux mendiants avides Qui, le ventile troué de faim, ne peuvent plus Se béquiller au loin vers les enclos feuillus Et qui se noient, la nuit, dans les étangs livides. Et tous alors, tous les moines, très lentement, Envoient vers Dieu le chant des lentes litanies; Et les anges qui sont gardiens des agonies Ferment les yeux des morts, silencieusement. CROQUIS DE CLOITRE Tout blancs et comme emplis des tristesses passées, Que redisent leurs voix dans un écho pleureur, Sous le recourbement des voûtes surbaissées, Les corridors claustraux allongent leur terreur. Les murs sont recouverts de triptyques funèbres, Où des crucifiements pendent écartelés, Le jour frappant à cru les divines vertèbres Et dorant de soleil les clous vermiculés. Et de large et de long des couloirs clairs et sombres, Tantôt dans la lumière et tantôt dans les ombres. Avec un bruit frôlant de coules et de pas, Des moines recueillis vont, se croisent, s'effacent.... Et tous prient Dieu les uns pour les autres et passent Et tous s'aiment en lui, ne se connaissant pas. MOINE SAUVAGE On trouve encor de grands moines que l'on croirait Sortis de la nocturne horreur d'une forêt. Ils vivent ignorés en de vieux monastères, Au fond du cloître, ainsi que des marbres austères. Et l'épouvantement des grands bois résineux Roule avec sa tempête et sa terreur en eux, Leur barbe flotte au vent comme un taillis de verne, Et leur oeil est luisant comme une eau de caverne. Et leur grand corps drapé des longs plis de leur froc Semble surgir debout dans les parois d'un roc. Eux seuls, parmi ces temps de grandeur outragée, Ont maintenu debout leur âme ensauvagée; Leur esprit, hérissé comme un buisson de fer, N'a jamais remué qu'à la peur de l'enfer; Ils n'ont jamais compris qu'un Dieu porteur de foudre Et cassant l'univers que rien ne peut absoudre, Et des vieux Christs hagards, horribles, écumants, Tels que les ont grandis les maîtres allemands. Avec la tête en loque et les mains large-ouvertes; Et les deux pieds crispés autour de leurs croix vertes: Et les saints à genoux sous un feu de tourment, Qui leur brûlait les os et les chairs lentement; Et les vierges, dans les cirques et les batailles, Donnant aux lions roux à lécher leurs entrailles; Et les pénitents noirs qui, les yeux sur le pain, Se laissaient, dans leur nuit rouge, mourir de faim. Et tels s'useront-ils en de vieux monastères. Au fond du cloître, ainsi que des marbres austères. SOIR RELIGIEUX Vers une lune toute grande. Qui reluit dans un ciel d'hiver, Comme une patène d'or vert, Les nuages vont à l'offrande. Ils traversent le firmament, Qui semble un choeur plein de lumières, Où s'étageraient des verrières Lumineuses obscurément. Si bien que ces nuits remuées Mirent au fond de marais noirs, Comme en de colossaux miroirs, La messe blanche des nuées. MOINE FÉODAL D'autres, fils de barons et de princes royaux, Gardent amples et clairs leurs orgueils féodaux. On les établit chefs de larges monastères Et leur nom resplendit dans les gloires austères: Ils ont, comme jadis l'aïeul avait sa tour, Leur cloître pour manoir et leurs moines pour cour. Ils s'assoient dans les plis cassés droits de leurs bures, Tels que des chevaliers dans l'acier des armures; Ils portent devant eux leur grande crosse en buis, Majestueusement, comme un glaive conquis; Ils parlent au chapitre en justiciers gothiques, Et leur arrêt confond les pénitents mystiques; Ils rêvent de combats dont Dieu serait le prix Et de guerre menée à coups de crucifix; Ils sont les gardiens blancs des chrétiennes idées, Qui l'estent au couchant sur le monde accoudées; Ils vivent sans sortir de leur rêve infécond, Mais ce rêve est si haut qu'on ne voit pas leur front; Leur chimère grandit et monte avec leur âge Et monte d'autant plus qu'on la cingle et l'outrage; Et jusqu'au bout leur foi luira d'un feu vermeil, Comme un monument d'or ouvert dans le soleil. CROQUIS DE CLOITRE Le choeur, alors qu'il est sombre et dévotieux, Et qu'un recueillement sur les choses s'embrume, Conserve encor dans l'air que l'encens bleu parfume Comme un frisson épars des hymnes spacieux. La gravité des longs versets sentencieux Reste debout comme un marteau sur une enclume, Et l'antienne du jour, plus blanche que l'écume, Remue encor son aile au mur silencieux. On les entend frémir et vibrer en son âme; C'est à leur frôlement que vacille la flamme Devant le tabernacle,--et que les saints sculptés Gardent, près des piliers, leurs poses extatiques, Comme s'ils entendaient toujours les grands cantiques Autour de leur prière en sourdine chantés. UNE ESTAMPE Le corps émacié sous des voiles ballants, La couronne de fer et d'or mordant la tempe, L'impérière la mort règne dans une estampe, Noire d'usure et d'ombre et vieille de mille ans. Car cette estampe ornait jadis l'hôtellerie D'un cloître bernardin relevant de Clairvaux; Ceux qui pélerinaient par bourgs, par bois, par vaux. Le soir, étaient hantés par cette allégorie, Quand, les rêves lassés et les pensers contrits, Ils s'arrêtaient pour y dormir au monastère, Et que le grand dortoir livide et solitaire, Avec tout son silence, entrait dans leurs esprits. Elle exerçait alors l'intime pénétrance D'un art hostile à l'homme et pourtant recherché Des cerveaux inquiets de grâce et de péché Et des coeurs tourmentés par l'énigme et l'outrance. On sentait que celui qui l'avait faite ainsi Était un maître ardent, tourmenté de magie, Qui cherchait dans la peur du cercueil l'énergie De rester dans sa foi catholique endurci. Que de regards avaient passé sur cette image! Que de baisers chrétiens et de pleurs pénitents, Sur le macabre et grand squelette, à qui les temps Avaient donné le ton d'un rugueux étamage! Que de pensers remplis de deuil et d'infini! Que de lèvres déjà froides et solennelles Et qui n'avaient laissé d'autre souvenir d'elles Qu'un peu de leur moiteur sur le vélin terni! Oh! les vieux pèlerins des grands siècles austères, Oh! les passants perdus par l'espace lointain, Ceux qui s'en vinrent hier, ceux qui viendront demain, Les résignés, les forts, les purs, les solitaires! Oh! les bouches en feu qui l'aimeront encor, Les innombrables mains qui de leurs doigts d'argile L'attoucheront, avec un tremblement fébrile, Et qui toutes seront mortes, avant la mort! CROQUIS DE CLOITRE A pleine voix--midi soleillant au dehors Et les chants reposant--les nones sont chantées, Dans un balancement de phrases répétée Et hantantes, comme un rappel de grands remords. Et peu à peu les chants prennent de tels essors, Les antiennes sont sur de tels vols portées, A travers l'ouragan des notes exaltées, Que tremblent les vitraux au fond des corridors. Le jour tombe en draps clairs et blancs par les fenêtres; On dirait voir pendus de grands manteaux de prêtres A des clous de soleil. Mais soudain, lentement, Les moines dans le choeur taisent leurs mélodies Et, pendant le repos entre deux psalmodies, Il vient de la campagne un lointain meuglement. MÉDITATION Heureux, ceux-là, Seigneur, qui demeurent en toi, Le mal des jours mauvais n'a point rongé leur âme, La mort leur est soleil et le terrible drame Du siècle athée et noir n'entame point leur foi. Obscurs pour nos regards, ils sont pour loi les lampes, Que les anges sur terre, avec leurs doigts tremblants, Allument dans les soirs mortuaires et blancs Et rangent comme un nimbe à l'entour de tes tempes. Heureux le moine doux, pour qui l'orgueil n'est point, Dont les yeux n'ont jamais, si ce n'est en prière, Comme des braises d'or avivé leur lumière Et dont l'amour retient le coeur à ton coeur joint. Son esprit lumineux, telle une aube pascale, Jette des feux pieux comme des fleurs de ciel; Il marche sans péché, ni désir véniel, Comme en une fraîcheur de paix dominicale. Heureux le moine saint s'abattant à genoux, Devant ta croix, dressant au ciel ses larges charmes, Et qui lave ton nom avec les mêmes larmes Que nous prostituons à nos douleurs à nous. Son coeur est tel qu'un lac dans la montagne blanche, Qui réverbère en ses pâles miroirs dormants Et ses vagues de prisme emplis de diamants Toute clarté de Dieu qui sur terre s'épanche. Heureux le moine rude, ardent, terrible, amer, Dont le sang se déperd aux larmes des supplices, Dont la peau se lacère aux griffes des cilices Et qui traîne vers toi les loques de sa chair. Pour en tordre le mal, ses mains tortionnaires Ont d'un si noir effort étreint son corps pâmé, Qu'il n'est plus qu'âme enfin et qu'il vit sublimé, Tout seul, comme un rocher meurtri par les tonnerres. Heureux les moines grands, heureux tous ceux qui vont Là-bas, en des chemins de paix et de prière, Les regards aimantés par la vague lumière Qui se fait deviner par delà l'horizon. LES CONVERSIONS I De quels horizons noirs ou de quels lointains d'or Accourez-vous au seuil du cloître aride et terne, Grands ascètes chrétiens, qui seuls tenez encor, Debout, votre Dieu mort, sur le monde moderne? Toi, moine âpre et superbe et grand, moine-flambeau, Moine silencieux, dont l'âme exaspérée Et ténébreuse a pris le cloître pour tombeau, Depuis que Dieu parut dans ta vie effarée, Comme une torche en feu sur l'horizon des soirs, Ta volonté d'airain superbement maîtresse A dompté tes désirs, à bridé tes espoirs Et fait crier ton coeur d'angoisse et de détresse. Mais ton humilité, c'est encor de l'orgueil: Tu restes roi, dans ta servitude claustrale, Dans ton obéissance à tous et dans ton deuil. La règle en sa vigueur grave et préceptorale, Dont les convers pieux suivent les sentiers d'or, Tu l'exagères tant que c'est toi qui domines. Ton front est fier, tes yeux victorieux encor, Les lins de tes manteaux ont des blancheurs d'hermines, Tu porteras, un jour, la crosse et le camail, Et tes frères craindront tes images catholiques, Loup superbe, rentré géant dans le bercail. Oh! quel effondrement d'espoirs hyperboliques, Et quels rêves tués doivent joncher ton coeur, Et quel rouge brasier doit enflammer ton torse, Et quel étreignement doit te saisir, vainqueur, Et te sécher la langue et te briser la force Quand tu songes, le soir, aux jours qui sont passés! Tu montais autrefois aux palais de la vie. Le cerveau grandiose et les sens embrasés; Les beaux désirs ainsi qu'une table servie S'étalaient devant toi sur des terrasses d'or; Des escaliers, dont les marches comme des glaives Tournoyaient en spirale au fond du grand décor, Servaient aux pieds ailés et joyeux de tes rêves, Des sites langoureux et les vagues halliers, Où flottaient doucement les écharpes des brumes, Se découvraient du haut de superbes paliers, Et des femmes, traînant leurs robes en écumes Derrière elles, penchaient sous des vélums lascifs Toute leur chair vers tes amours et tes victoires. Oh ! que de seins tendus et de corps convulsifs Tes beaux bras ont plies dans leurs étreintes noires Et tes baisers mordus pendant tes nuits d'ardeur! Quel cortège voilé de pâles amoureuses Ton souvenir éclaire à son flambeau rôdeur. Et quels sanglots plaintifs d'éternelles pleureuses Ton âme entend là-bas, au fond des soirs, gémir! Mais tous ces désespoirs et toutes ces colères Tu les veux, tu les dois, hors de ton coeur, vomir, Et ton torse puissant, chargé de scapulaires, Ne peut plus rien garder de sa folie en soi. L'Église te proclame et t'appelle et t'élève; Demain tu seras fort et solennel, la foi Sera, comme un drapeau gonflé d'orgueil, ton rêve. II Toi, ton songe volait vers l'infini, tu fus Quelque chercheur ardent, profond et solitaire, Dans la science humaine et ses dogmes reclus. Ton cerveau flambloyait aux choses de la terre, Chaque minuit, quand sur les lacs pâles des cieux, Comme de grands lotus blanchissaient les étoiles, Tu regardais s'ouvrir la floraison des feux; Elles étaient pour toi sans mystères, ni voiles. Et tu prenais pitié des pâtres pèlerins Dont l'âme avait tremblé devant ces fleurs fatales. Toi, tu savais leur vie et marquais leurs destins, Tes yeux avaient scruté leurs flammes végétales Et ton esprit, hanté d'aurore et d'avenir, Avait montré par où les rouges découvertes, Avec leurs torches d'or, un jour, devraient venir, Lorsque, soudain, passa dans les plaines désertes, Où ton rêve volait comme un aigle, au milieu Des suprêmes effrois et des blêmes vertiges, Un vent qui t'abattit aux pieds d'airain de Dieu. Ton front resta pâli de ces brusques prodiges, Ton coeur se dégonfla de folie et d'orgueil, Tu sentis le néant du mal et de l'envie Et tes pas retournés te menèrent au seuil Du cloître, où l'homme habite au delà de la vie. III Et toi, tu fus conquis par l'immobilité Et le vide du cloître et les poids de silence Qui pesant sur le coeur lèvent la volonté. Les hommes te lassaient avec leur turbulence Et leur clameur banale et leurs oeuvres d'un jour. Tes bras s'étaient meurtris à tordre des chimères, Tes mains à pavoiser de tes désirs l'amour. La vie, âpre total de nombres éphémères, Tu ne la fixas plus que d'un regard d'adieu. Et t'en allant, chargé d'orgueil et de pensée, Loin du monde roulant sans idéal, sans Dieu, Chrétien, tu ravalas ta suprême nausée. Tu te marmorisas depuis et ton cerveau Devint tranquille et pur et d'égale lumière. Comme une lampe d'or aux parois d'un caveau, Tu suspendis ton âme au temple, et ta prière Y consuma son feu d'argent; ton front dompté Ne s'appesantit plus sous la science vaine Et ton corps se figea, vêtu d'éternité. La nuit, quand tu songeais dans les stalles d'ebène, Immobile et muet, inflexible et serein, La foudre aurait roulé le long de la muraille Que rien n'eût remué dans ta pose d'airain. Tout ton esprit tendait vers l'ultime bataille, Et ta mort fut superbe et magnifiquement Tu fermas tes grands yeux aux choses de la terre Et le tombeau t'emplit de son isolement, Lutteur victorieux, tranquille et solitaire. IV Et toi, le sabre au poing tu courais dans la gloire, Au galop clair sonnant de ton étalon roux, Qui, les sabots polis et blancs comme l'ivoire, Sautait dans la mêlée et mordait de courroux Les nuages de poudre épars sur la bataille. Tu passais, cavalier nerveux et halé d'or, Aussi droit de fierté que superbe de taille, L'audace t'emportait, au vent de son essor, La peur ne mordait point tes moelles énergiques, Tu portais ton orgueil ainsi qu'un gonfanon, Et les soldats, épris de courages tragiques. Savaient quel large éclair passait dans ton renom. Tu traversas ainsi des guerres et des guerres Et des assauts et des haines et des amours. Maintenant les combats sont choses de naguères Et ta vie a changé comme un fleuve de cours. Et c'est toi que l'on voit là-bas, avec ta gaule, Front nu, le corps étroit dans ton manteau ballant, Arc-bouté de la main contre le tronc d'un saule, Tenir sous garde et suivre au loin ton troupeau blanc De vaches et de porcs baignés de brume rose, Tes génisses paissant sur les terreaux déserts Et tes grands boeufs, tassant leur croupe grandiose, Dans la levée en fleur des longs herbages verts. Et tel, moine soumis, qui vis auprès des bêtes, Qui, repentant, as pris le chemin de la Foi, Tu laisses la nature et son deuil et ses fêtes Entrer avec son calme et sa douceur en toi. Pourtant, quand tu reviens, le soir, vers l'oratoire Et que dorment déjà les étables, parfois Un clairon très lointain sonne dans ta mémoire Le défilé guerrier des choses d'autrefois, Et ton esprit s'échauffe à ces soudains mirages Et tes yeux, réveillés de leur claustral sommeil, Suivent longtemps, là-bas, la charge des nuages, Qui vont les flancs troués des glaives du soleil. SOIR RELIGIEUX Un silence souffrant pénètre au coeur des choses, Les bruits ne remuent plus qu'affaiblis par le soir, Et les ombres, quittant les couchants grandioses, Descendent, en froc gris, dans les vallons s'asseoir. Un grand chemin désert, sans bois et sans chaumières, A travers les carrés de seigle et de sainfoin, Prolonge en son milieu ses deux noires ornières Qui s'en vont et s'en vont infiniment au loin. Dans un marais rêveur, où stagne une eau brunie, Un dernier rais se pose au sommet des roseaux; Un cri grêle et navré, qui pleure une agonie, Sort d'un taillis de saule oui nichent des oiseaux; Et voici l'angelus, dont la voix tranquillise La douleur qui s'épand sur ce mourant décor, Tandis que les grands bras des vieux clochers d'église Tendent leur croix de fer par-dessus les champs d'or. LES MATINES Moines, vos chants d'aurore ont des élans d'espoir, Et des bruits retombants de cloche et d'encensoir: Quand les regards, suivant leur route coutumière, Montent vers les sommets chercher de la lumière; Quand le corps, dégourdi des langueurs du réveil, Comme un jardin d'été se déplie au soleil; Quand le cerveau, tiré des sommeils taciturnes, Secoue au seuil du jour ses visions nocturnes, Quand il reprend sur lui la charge de penser, Et que l'aube revient d'orgueil le pavoiser; Quand l'amour, revenu des alcôves aux plaines, Berce des oiseaux d'or dans ses douces haleines; Quand peuplant de regards les loins silencieux, Les souvenirs charmeurs nous fixent de leurs yeux; Quand notre corps se fond dans la volupté d'être Et que de nouveaux sens lui demandent à naître: Moines, vos chants d'aurore ont des élans d'espoir Et des bruits retombants de cloche et d'encensoir. LES VÊPRES Moines, vos chants du soir roulent parmi leurs râles Le flux et le reflux des douleurs vespérales. Lorsque dans son lit froid, derrière sa cloison, Le malade redit sa dernière oraison; Lorsque la folie arde au coeur les lunatiques, Et que la toux mord à la gorge les étiques; Lorsque les yeux troublés de ceux qui vont mourir, Tout en songeant aux vers, voient le couchant fleurir; Lorsque pour les défunts, que demain l'on enterre, Les fossoyeurs, au son du glas, remuent la terre; Lorsque dans les maisons closes on sent les seuils Heurtés lugubrement par le coin des cercueils; Lorsque dans l'escalier étroit montent les bières Et que la corde râcle au ras de leurs charnières; Lorsqu'on croise à jamais, dans la chambre des morts, Le linceul sur leurs bras, leurs bras sur leurs remords; Lorsque les derniers coups de la cloche qui tinte Meurent dans les lointains, comme une voix éteinte, Et qu'en fermant les yeux pour s'endormir, la nuit Etouffe, entre ses cils, la lumière et le bruit: Moines, vos chants du soir roulent parmi leurs râles Le flux et le reflux des douleurs vespérales. MÉDITATION Heureux ceux-là, Seigneur, qui demeurent en toi: Le mal des jours mauvais n'a point rongé leur âme, La mort leur est soleil et le terrible drame Du siècle athée et noir n'entame point leur foi. Tout oeuvre se disjoint, toute gloire s'efface; Ce que sont devenus les claironneurs d'orgueil, Demandez-le, vous tous, qui franchissez le seuil De leurs tombeaux, aux vers qui leur rongent la face. Les jours sont engloutis par les prompts lendemains; Toute joie entre une heure et s'éloigne et s'exile, Vous qui marchez, serrant votre bonheur stérile, Déjà le dégoût coule et sort d'entre vos mains. Toute science enferme au fond d'elle le doute, Comme une mère enceinte étreint un enfant mort, Vous qui passez, le pied hardi, le torse fort, Chercheurs, voici le soir qui vous barre la route. Toute chair est fragile et son déclin est tel Que jeune, elle est déjà maudite en ses vertèbres; Quels crocs ont déchiré l'orgueil des seins célèbres? Vous qui passez, songez aux chiens de Jézabel! AGONIE DE MOINE Faites miséricorde au vieux moine qui meurt, Et recevez son âme entre vos mains, Seigneur. Quand ses maux lui crieront que sa vie en ce monde A fini de creuser son ornière profonde; Quand ces regards vitreux, obscurcis et troublés, Enverront leurs adieux vers les cieux étoilés; Quand se rencontrera dans les affres des fièvres, Une dernière fois, votre nom sur ses lèvres; Quand il s'affaissera pâle, brisé d'effort, La chair épouvantée à l'aspect de la mort; Quand, l'esprit obscurci du travail des ténèbres. Il cherchera la croix avec des mains funèbres; Quand on recouvrira de cendres son front ras Et que pour bien mourir on croisera ses bras; Quand on lui donnera pour suprême amnistie, Pour lampe de voyage et pour soleil l'hostie; Quand les cierges veillants pâliront de lueurs Son visage lavé des dernières sueurs; Quand on abaissera sa tombante paupière, A toute éternité, sur son lobe de pierre; Quand, raides et séchés, ses membres verdiront. Et que les premiers vers en ses flancs germeront; Quand on le descendra, sitôt la nuit tombée, Parmi les anciens morts qui dorment sous l'herbée; Quand l'oubli prompt sera sur sa fosse agrafé, Comme un fermoir de fer sur un livre étouffé: Faites miséricorde à son humble mémoire, Seigneur, et que son âme ait place en votre gloire! MORT CHRÉTIENNE Qu'il te soit fait hommage et gloire, ô mort chrétienne! Parmi les biens du temps seule réalité, Seul pain spirituel dont le coeur entretienne, Sur la terre, son fixe orgueil d'éternité; Qu'il te soit fait hommage et gloire, ô mort austère, A toute heure qui vient et passe, à tout moment, Toi, dont l'autel d'ébène appuyé sur la terre Mêle sa flamme à la pâleur du firmament. Qu'il te soit fait hommage à travers les années, Grave ensevelisseuse! O mort! O noir amour! Qui dans tes maigres mains détiens les destinées Et qui remplis de ciel les yeux défunts au jour; Qu'on te louange! mort pieuse et baptisée! Mort, qui portes en toi la tristesse des soirs, Mort sereine, gerbant au fond de la pensée, Dans les vallons du coeur, la moisson des lys noirs. Mort des moines, mort des martyrs et mort des vierges, Hosannas traversant d'un vol les cieux hautains, O mort, ceinte de feux, de prière et de cierges, mort qui fais la vie! O mort qui fais les saints! Le juste ne craint pas ta fidélité sombre, Il regarde au delà des horizons flottants: Que sont les ans? Une ombre errant après une ombre Dans le brouillard trompeur de l'espace et du temps. LE CIMÉTIÈRE Sous ce terrain perdu que les folles avoines Et les chiendents et les sainfoins couvrent de vert, On enterrait--voici quatre siècles--des moines Les mains jointes, le front du capuchon couvert, Le corps enveloppé de la pudeur des laines. Ils s'endormaient dans un calme sacerdotal Et rien ne leur venait ni des mers, ni des plaines, Qui pût troubler leur long sommeil horizontal. Alors comme aujourd'hui, les larges moissons mûres Charriaient leur marée autour des loins d'argent, Où luisaient des clochers ainsi que des armures. L'enclos funèbre avait le même aspect changeant, La terre ocreuse était de micas chatoyée, La même croix d'airain, que midi faisait d'or, Tenait sur ses grands bras sa douleur déployée Et semblait un oiseau qui prend un tel essor Qu'il atteindra le ciel, d'un seul coup d'aile immense. Depuis, les morts nouveaux ont écrasé les vieux Et toujours cet enclos que le deuil ensemence S'étend, vierge et muet, vide et silencieux, Mêlant et remêlant les cendres aux poussières, Les défunts aux défunts, les débris aux débris, Sous le même soleil et les mêmes prières; Toujours les blés houleux entourent son mur gris. Toujours sous le manteau de ses folles avoines, De ses chiendents soyeux et de son gazon vert, Il tient caché les corps des abbés et des moines, Les mains jointes, le front du capuchon couvert. Et cette antiquité de deuil réglementaire, Ces mêmes morts toujours à d'autres succédant, Qui rendirent jadis cet enclos légendaire, Ont maintenu, dans notre âge de doute ardent, Autour du deuil chrétien de ces trépas superbes, Mystérieusement couchés dans ce coin noir. Les mêmes bruits pieux de vent parmi les herbes Et d'oiseaux clairs rythmant leurs chansons dans le soir. Pourtant, par les beaux mois d'été glacés de lune, Sous un ciel reluisant d'or et d'argent poli, Ce lieu répand encor sa hantise importune. Et lorsque les brouillards montent du sol pâli Et s'étendent, sur les tombes, en blanc suaire. On voit, là-bas, de grands moines se rassembler, Se saluer le front par terre et s'en aller Par la vague terreur de la nuit mortuaire. AUX MOINES Et maintenant, pieux et monacaux ascètes, Qu'ont revêtus mes vers de longs et blancs tissus, Hommes des jours lointains et morts, hommes vaincus Mais néanmoins debout encor, hommes poètes, Qui ne souffrez plus rien de nos douleurs à nous, Rien de notre orgueil roux, rien de notre paix noire, Qui vivez les yeux droits sur votre Christ d'ivoire, Tel que vous devant lui, l'âme en flamme, à genoux, Le front pâli du rêve où mon esprit s'obstine, Je vivrai seul aussi, tout seul, avec mon art, Et le serrant en mains, ainsi qu'un étendard, Je me l'imprimerai si fort sur la poitrine, Qu'au travers de ma chair il marquera mon coeur. Car il ne reste rien que l'art sur cette terre Pour tenter un cerveau puissant et solitaire Et le griser de rouge et tonique liqueur. Quand tout s'ébranle ou meurt, l'Art est là qui se plante Nocturnement bâti comme un monument d'or, Et chaque soir, que, dans la paix, le jour s'endort, Sa muraille en miroir grandit étincelante Et d'un reflet rejette au ciel le firmament. Les poètes, venus trop tard pour être prêtres, Marchent vers les lueurs qui tombent des fenêtres Et reluisent ainsi que des plaques d'aimant. Le dôme ascend si haut que son faîte est occulte, Les colonnes en sont d'argent et le portail Sur la mer rayonnante ouvre au loin son vantail Et le plain-chant des flots se mêle aux voix du culte. Le vent qui passe et qui s'en vient de l'infini Effleure avec des chants mystérieux et frêles Les tours, les grandes tours, qui se toisent entre elles Comme des géants noirs de force et de granit, Et quiconque franchit le silence des porches N'aperçoit rien, sinon, au fond, à l'autre bout, Une lyre d'airain qui l'attend là, debout, Immobile, parmi la majesté des torches. Et ce temple toujours pour nous subsistera Et longtemps et toujours luira dans nos ténèbres, Quand vous, les moines blancs, les ascètes funèbres Aurez disparu tous en lugubre apparat, Dans votre froc de lin et votre aube mystique, Au pas religieux d'un long cortège errant, Comme si vous portiez à votre Dieu mourant, Au fond du monde athée, un dernier viatique. SOIR RELIGIEUX Près du fleuve roulant vers l'horizon ses ors Et ses pourpres et ses vagues entre-frappées, S'ouvre et rayonne, ainsi qu'un grand faisceau d'épées, L'abside ardente avec ses sveltes contreforts. La nef allume auprès ses merveilleux décors: Ses murailles de fer et de granit drapées, Ses verrières d'émaux et de bijoux jaspées Et ses cryptes, où sont couchés des géants morts; L'âme des jours anciens a traversé la pierre De sa douleur, de son encens, de sa prière Et resplendit dans les soleils des ostensoirs; Et tel, avec ses toits lustrés comme un pennage, Le temple entier paraît surgir au fond des soirs, Comme une châsse énorme, où dort le moyen âge. * * * * * TABLE LES BORDS DE LA ROUTE _DÉCORS TRISTES_ LE GEL LES BRUMES SUR LA COTE LES CORNEILLES VAGUEMENT VÉNUS ARDENTE LES CIERGES _KATO_ HOMMAGE CANTIQUES AU CARREFOUR DE LA MORT _FRESQUES_ LES VIEUX BOIS SOUS LES PRÉTORIENS LÉGENDES LES PREUX SOIR DE CAVEAU ARTEVELDE LA NUIT APREMENT LA GRILLE OBSCURÉMENT LES HORLOGES MINUIT BLANC PARABOLE LA BARQUE _LES PAROLES MORNES_ DES SOIRS SAIS-JE OU? COMME TOUS LES SOIRS L'HEURE MAUVAISE LES RIDEAUX VERS SONNET LA-BAS SILENCIEUSEMENT UN SOIR QUELQUES-UNS * * * * * LES FLAMANDES LES VIEUX MAITRES LA VACHÈRE ART FLAMAND LES PLAINES KATO LA FERME L'ENCLOS DIMANCHE MATIN LES GRANGES LES VERGERS L'ABREUVOIR LE LAIT LES GUEUX LES PORCS CUISSON DU PAIN LES RÉCOLTES LA GRANDE CHAMBRE LA CUISINE LES GRENIERS L'ÉTABLE LES ESPALIERS EN HIVER TRUANDAILLES LA VACHE LES PAYSANS MARINES AMOURS ROUGES LES FUNÉRAILLES LES VIEILLES AUX FLAMANDES D'AUTREFOIS * * * * * LES MOINES LES MOINES VISION SOIR RELIGIEUX LES CRUCIFÈRES SOIR RELIGIEUX MOINE ÉPIQUE MOINE DOUX FÊTES MONACALES L'HÉRÉSIARQUE LES CLOITRES CROQUIS DE CLOITRE MOINE SIMPLE AUX MOINES CROQUIS DE CLOITRE SOIR RELIGIEUX CROQUIS DE CLOITRE RENTRÉE DES MOINES CROQUIS DE CLOITRE MOINE SAUVAGE SOIR RELIGIEUX MOINE FÉODAL CROQUIS DE CLOITRE UNE ESTAMPE CROQUIS DE CLOITRE MÉDITATION LES CONVERSIONS SOIR RELIGIEUX LES MATINES LES VÊPRES MÉDITATION AGONIE DE MOINE MORT CHRÉTIENNE LE CIMÉTIÈRE AUX MOINES SOIR RELIGIEUX *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK POÈMES: LES BORDS DE LA ROUTE. LES FLAMANDES. LES MOINES *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the trademark license is very easy. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. 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