The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 3255, 15 Juillet 1905

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Title: L'Illustration, No. 3255, 15 Juillet 1905

Author: Various

Release date: March 4, 2011 [eBook #35482]

Language: French

Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3255, 15 JUILLET 1905 ***







L'Illustration, No. 3255, 15 Juillet 1905


(Agrandissement)

Ce numéro contient quatre pages supplémentaires sur
les Fêtes franco-anglaises de Brest.



LE "FARFADET" AU FOND DU LAC DE BIZERTE
Les scaphandriers passant des chaînes et des câbles sous la coque du sous-marin pour tenter de sauver les douze hommes emprisonnés dans ce cercueil d'acier.

(Voir l'article et les photographies, page 45)

Les grandes actualités de cette semaine (Fêtes franco-anglaises de Brest, Catastrophe du «Farfadet», Révolte et reddition du «Kniaz-Potemkine») remplissent tout ce numéro, augmenté pourtant de quatre pages supplémentaires. Nous sommes ainsi obligés de renvoyer à la semaine prochaine la suite de l'amusant récit de Voyage en Norvège qu'a écrit pour L'Illustration M. Brieux, le célèbre auteur dramatique.


COURRIER DE PARIS

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

Chattanooga, Brooklyn, Galveston... Je revois ces noms, imprimés en lettres d'or, au turban des calottes noires; et la vision me hante de ces grands garçons aux faces rasées, tout de noir vêtus, avec leurs jambières kaki, leurs cartouchières, leurs gourdes en toile blanche et portant, au bout du fusil, la baïonnette courte, «trapue» comme un poignard. Il y a de cela huit jours déjà. Ils descendaient l'avenue des Champs-Elysées, lentement, autour d'un catafalque attelé de six chevaux, joyeusement pavoisé et sur lequel s'amoncelaient des gerbes d'orchidées et de roses. Ils promenaient sur la ville et sur les gens des yeux surpris. Nous étions leur spectacle; ils étaient le nôtre. Et, le soir même, ils s'en allaient. Maintenant, ils naviguent et, depuis six jours, bercés dans leurs couchettes de cordes, ils rêvent de Paris.

Je ne les plains pas. Ils auront passé sur l'eau quinze jours et deux nuits en chemin de fer pour vivre une demi-journée dans Paris; mais, cette demi-journée-là, n'a-t-elle pas suffi à leur faire goûter l'essentiel des joies que Paris destine à de grands enfants, venus de très loin et ignorants de tout? Ce n'est point la vue de nos soixante-dix églises qui eût pu les amuser beaucoup, ni celle de nos monuments; ni la visite de nos bibliothèques et de nos musées; et dans nos théâtres même, je ne vois pas de spectacle qui eût réussi à tenir éveillés longtemps ces enfants un peu barbares. Ils n'ont eu sous les yeux que des tableaux «faciles», dont il est impossible qu'ils n'aient pas, du premier coup, compris la beauté; et même ils n'ont pu se rassasier de cette beauté-là (ce qui est excellent), tant ils en ont joui vite... Ils ont vu de beaux uniformes; une belle caserne où deux repas savoureux leur ont été servis; ils ont marché sans fatigue, dans un décor d'apothéose, le long de la plus belle avenue du monde; ils ont vu de jolies femmes leur sourire et cent mille hommes les acclamer et ils s'en sont allés (suprême chance) avant d'avoir eu le temps de lasser nos enthousiasmes. Ils sont partis--ans leur intérêt et dans le nôtre--comme on devrait toujours partir: un peu trop tôt.

Ainsi ils emportent en eux quelque chose de mieux que la satisfaction d'avoir vu Paris et de le connaître; ils emportent la vision confuse, instantanée et comme féerique de sa grâce. Cela suffit; et, pour des âmes frustes, c'est bien la façon de voyager la meilleure.

On m'a conté qu'il y a cinq ans un grand fabricant de savon de Manchester eut la fantaisie de montrer l'Exposition aux 2.000 ouvriers de ses usines. Fantaisie généreuse, et surtout habile; ce sont là de beaux gestes, dont la notoriété d'une marque bénéficie... Un bateau spécial conduisait les touristes en France; deux trains spéciaux les amenaient, de bon matin, au Champ de Mars. On leur y servit 4.000 oeufs à la coque, des viandes froides, des confitures et du thé; puis des «tapissières» les promenèrent à travers la Ville. A deux heures, retour au Trocadéro, et lunch. Il leur restait à voir l'Exposition, mais que leur importaient ces choses sérieuses? Ils étaient tués de fatigue; ils étaient montés à la tour Eiffel et avaient respiré l'air de Paris; cela suffisait à leur joie. Et, pendant tout l'après-midi de ce jour-là, on vit sur les bancs des jardins, sur le gazon des pelouses, dans les coins de toutes les galeries, des hommes et des femmes étendus, et dormant à poings fermés: c'était le personnel de la maison L... brothers and Co, de Manchester, qui «visitait» l'Exposition. A sept heures du soir, ils reprenaient le train à la gare du Champ de Mars, chargés de paquets,--de bibelots à bon marché, de «souvenirs de 1900» achetés à tous les kiosques;--ils déclaraient, me dit un Parisien qui surveilla leur embarquement, que cette journée était la meilleure qu'ils eussent vécue...

Les marins anglais qui nous rendent visite cette semaine ne goûteront pas ces joies sommaires et profondes. C'est à Brest qu'ils célébreront le 14 Juillet, et la faveur de voir Paris en fête n'a été accordée qu'à leurs officiers.

Accueil enthousiaste... L'entente cordiale n'est pas, à ce que je vois, un vain mot, et voilà les Parisiens devenus anglophiles, résolument.

Mon libraire lui-même--que j'ai entendu à plusieurs reprises s'exprimer en termes vifs sur la perfidie d'Albion--a fleuri sa devanture de deux petits trophées de drapeaux où se mêlent les couleurs françaises et britanniques. Mais mon libraire est un philosophe qui sait, même dans l'enthousiasme, rester lucide et ne s'abuse point sur la précarité des sentiments humains. Il me disait tout à l'heure:

--Voyez pourtant, madame, combien on diffame ce peuple-ci, en affirmant qu'il n'est pas commode à gouverner. Existe-t-il au monde, je vous le demande, de plus malléables âmes que les nôtres? Quelques diplomates s'assemblent, bavardent, rédigent de petites notes qu'une douzaine de journalistes commentent à leur fantaisie; et suivant ce qu'on imprime--ou suivant ce que nous croyons que les choses qu'on imprime signifient--nous voilà partis pour l'amour ou pour la haine. Moi-même, qui suis un homme tranquille et ne lis qu'un journal par jour, je me suis senti secoué, depuis quarante ans--chaque fois que j'ai voulu m'intéresser aux choses de la politique étrangère--par des sentiments dont vous ne soupçonnez pas la diversité et l'incohérence. J'ai tour à tour béni et maudit tous les peuples autour de moi: l'Allemand, l'Espagnol, l'Autrichien, l'Italien, l'Anglais, le Russe... A l'égard de certains, j'ai su quelquefois de quoi ma méfiance ou mon antipathie étaient faites. J'avais des griefs précis. Mais, en général, vous l'avouerai-je? c'est plus simplement à la façon des moutons de Panurge que mon coeur a «marché». Ainsi, je détestais l'Angleterre depuis un temps infini; je ne sais pas exactement pourquoi et je ne serais pas moins embarrassé de vous préciser les raisons de la sympathie violente et parfaitement sincère qu'elle m'inspire aujourd'hui. J'obéis à une consigne, voilà tout; je suis un courant; j'abandonne mes nerfs à la volonté du journal que je lis, et je sens très bien qu'il ne dépend que du génie ou de la bêtise de ceux qui me gouvernent de me faire crier Vive ou A bas n'importe quoi. Tout cela n'est pas très brillant. Ce qui me console, c'est de penser que, sur ces questions, il n'y a pas un Anglais, un Italien, un Russe, un Allemand dont la sensibilité ne soit exposée aux mêmes accidents que la mienne. La science a perfectionné nos armures; mais ce sont toujours des coeurs de gosses qui battent dessous.

Il y a un homme à Paris qui, depuis quelques jours, m'inspire une compassion très profonde.

Il s'appelle M. Dubief; il est ministre du Commerce, de l'Industrie, des Postes et des Télégraphes, et aura, en cette qualité, à distribuer prochainement des croix aux Français qui, l'an dernier, se signalèrent à l'Exposition de Saint-Louis. Or, M. Dubief nous fait savoir, par une note insérée hier dans les journaux, qu'il ne disposera que de 200 croix, et que 2,000 personnes les lui demandent. M. le ministre, dès que la Chambre aura terminé ses travaux, compte donc emporter ces 2.000 dossiers à la campagne et les examiner lui-même, un par un. C'est à cela qu'il consacrera ses vacances.

Il est beau de consacrer ses vacances, quand on est ministre, à une tâche dont on sait que le résultat le plus sûr sera de désespérer ou de mettre de très mauvaise humeur 1.800 personnes au moins sur 2.000. Voilà de l'abnégation. Il est vrai que, dans la Légion d'honneur comme chez Phillis, «on désespère alors qu'on espère toujours», et que ceux qui montreront le poing à M. Dubief tout à l'heure auront oublié leur rancune dans six mois et, s'il est encore ministre, recommenceront de lui sourire.

Car la Légion d'honneur, en dépit de ses détracteurs, n'a rien perdu de son prestige d'autrefois. On a multiplié autour de l'Ordre d'autres ordres, inventé des rubans violets, verts, jaunes ou bleus à l'usage de ceux chez qui le ruban rouge se faisait trop attendre; on a essayé de consoler, à force d'accessits, ceux qui n'arrivaient point à décrocher le prix rêvé. Peine perdue. Rien de tout cela ne compte et il n'y a, pour les Français, qu'une façon d'être décoré... C'est, je crois, Philippe Gille qui, jadis, s'était fait composer une rosette où se juxtaposaient harmonieusement les couleurs des décorations diverses (françaises ou étrangères) dont il était nanti. On le nomma enfin chevalier de la Légion d'honneur.

--Eh bien, lui dit un ami, cela vous en fait une de plus?

--Non, dit Gille. Cela m'en fait onze de moins.
Sonia.



NOTES ET IMPRESSIONS

Qu'est-ce qu'une constitution? L'habit d'un peuple fait sur mesure. John Bodley.

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L'histoire est aux peuples ce que la mémoire est aux individus, la condition de la personnalité. Félicien Challaye.


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Il arrive un âge où l'on peut encore se faire des ennemis, faire encore des ingrats, mais où l'on ne se fait plus d'amis. Jules Claretie.


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La franchise n'oblige pas à dire tout ce qu'on pense, mais à penser tout ce qu'on dit. Marie Adville.

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Il est immoral de se laisser duper. E. Pétavel-Olliff.

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En littérature, le secret pour n'être pas banal est d'être vrai. Em. Faguet.

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Toujours entre deux dangers: une puissance établie est une tyrannie en germe; un droit proclamé, une révolte en perspective.

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L'idéal de l'amitié est de jouir de la supériorité de son ami sans que notre vanité en revendique une part. G.-M. Valtour.




Canot à vapeur du Kniaz-Potemkine remorquant un navire charbonnier capturé pour réapprovisionner les soutes du cuirassé.

LA REVOLTE DU "KNIAZ-POTEMKINE" ET LES ÉMEUTES D'ODESSA]


Effet du premier obus lancé par le Kniaz-Potemkine, le
29 juin, sur une maison de la rue Niejinskaïa.


Six jours après le tir du Kniaz-Potemkine: la brèche de
la maison de la rue Niejinskaïa est réparée.

L'Illustration, qui a publié la semaine dernière la seule photographie authentique du Kniaz-Potemkine, met cette semaine sous les yeux de ses lecteurs le dossier photographique complet de cette extraordinaire aventure qui a ensanglanté Odessa, répandu la terreur dans tous les ports de la mer Noire et la stupéfaction dans le monde entier.

Cet ensemble de documents a été réuni à Odessa et à Constantza par notre envoyé spécial, M. Gustave Babin, avec l'aide de nos divers correspondants-photographes dans la Russie du Sud et en Roumanie. L'envoi de notre collaborateur était accompagné de la lettre suivante:

Odessa, 23 juin au 6 juillet.

Je ne tremblerai plus quand on nous menacera de l'état de siège. Je n'aurai plus nulle angoisse en abordant les remparts d'une ville momentanément humiliée sous ce régime d'exception. A Odessa, du moins, il est mieux que supportable. Incarné sous les traits du général Karangosof, il apparaît, même, aimable. Je sais bien qu'il y a quelques jours seulement--quelques nuits surtout--ce fut autrement terrifiant. Pour le moment, c'est charmant.


Brèche d'entrée dans la façade Brèche de sortie dans la muraille postérieure.

Maison du faubourg Bougaïefka, à Odessa, traversée par le
second obus du "Kniaz-Potemkine", le 29 juin.


Le Kniaz-Potemkine mouillé près
                        du phare.

Et d'abord, à la frontière, je n'ai point reconnu notre Sainte Russie. La douane comme la gendarmerie de Voloschik furent, pour notre train, la courtoisie même. Un blond et charmant lieutenant faisait là fonctions de censeur littéraire. Comme un fait exprès, il y avait dans ce convoi deux ou trois étudiants et autant, je crois, d'hommes de lettres, avec des malles bourrées de bouquins. On les apportait par piles sur une table et, d'un index point du tout nerveux, le lieutenant les feuilletait, y laissait tomber un oeil calme jusqu'à l'indifférence et les rejetait les uns sur les autres avec un très visible et élégant dédain pour la parole imprimée. Et, si je n'avais rencontré au buffet. éplorée, devant son café, une pauvre cigale montmartroise qui, exilée dans un café-concert d'Odessa, avait pris la fuite aux premières balles, par le premier train, en oubliant son passe-port, et qu'on retenait là jusqu'à ce que cette pièce administrative arrivât, en vérité, j'aurais cru entrer tout bonnement en Allemagne.

Oui, mais il y avait, à 513 verstes de là, Odessa fumant, Odessa oppressée par l'état de siège et sous la menace des canons du Prince-Potemkine-Taurique. On en éprouvait déjà comme un vague serrement de coeur.


            Le Georgi-Pobiedonostzef ensablé dans
                         le port, après sa soumission.

    A la dernière station, les soldats sont campés sous des tentes blanches, très basses; les uns jouent, d'autres font la lessive. Plus près, aux larges portes des usines, d'autres soldats veillent, en tenue d'été, vestes et casquettes blanches, l'arme au poing, contre l'intrusion possible d'émeutiers et de grévistes. Et l'émotion se corse un peu.

Cependant, voici Odessa, une belle et spacieuse gare, toute neuve, toute blanche, des rues interminables, coupées et recoupées en équerre, et dont les lointaines extrémités se noient, confuses, dans la blonde vapeur d'un jour d'été timide.

Les gens vont, viennent, point pressés; des femmes élégantes passent, balançant de claires ombrelles; les izvostchik filent rapides sur le pavé qui réverbère une température de fonderie en pleine chauffe. Nulle apparence de trouble et de préoccupation. Mais il faudrait causer avec
Le général Karangosof, gouverneur d'Odessa.
                      Phot. A. Gornstein.
l'un de ces passants placides pour avoir dans quelles affres ils viennent de vivre. Ce n'est que les jours suivants, après bien des conversations, après, surtout, une excursion à travers les quais ravagés du port, parmi les ruines de l'incendie, les traces évidentes du pillage, de l'orgie sans nom, sur les môles où le pied écrase des balles par milliers, c'est alors seulement que nous aurons la vision confuse, mais effroyable, du drame inouï dont le souvenir hante encore comme un cauchemar les cervelles les moins impressionnables...

Vous devez connaître aussi bien que nous, désormais, toutes les péripéties de la sanglante tragédie. Qui sait? mieux que nous, peut-être, car il demeure encore dans toute cette aventure, pour les gens d'ici, quelque chose de mystérieux.

Aussi, je n'ose entreprendre encore de vous expliquer l'inexplicable: l'apparition de la flotte de la mer Noire devant Odessa pour capturer le Kniaz-Potemkine révolté, la mutinerie du Georgi-Pobiedonostzef, la retraite de l'amiral Krieger, son retour après le départ du Potemkine et la soumission du Pobiedonostzef, etc., etc. De tout cela, on ne sait ici que ce que l'on a aperçu, ou cru apercevoir, des fenêtres ayant vue sur la mer. Chacun interprétant à sa façon, suivant la portée de sa lorgnette et l'excellence de ses yeux, toutes ces manoeuvres, s'est formé sa petite version bien à lui et qui n'a que quelques points de ressemblance avec la version du voisin. Quand on a conversé seulement avec dix personnes et recueilli leurs dix avis autorisés, on est perdu, égaré, ahuri. Mais, à défaut du drame qui s'est déroulé sur la mer et que j'espère bien être à même de vous conter un peu plus tard, vous connaîtrez du moins le drame qui a eu la ville d'Odessa pour théâtre.


Les troupes sur la place de la Cathédrale.


L'escadre de la mer Noire devant Odessa,
le 5 juillet.

Depuis des semaines, Odessa était troublée par des grèves trop justifiées, paraît-il, au dire même des gens les plus modérés. Pourtant, aucun désordre grave ne s'était manifesté. Le lundi 26 juin, les premières collisions se produisaient entre les ouvriers et la troupe. Le lendemain, l'effervescence s'accroissait encore. Ce fut sur ces entrefaites que, le mercredi, le Kniaz-Potemkine amena et débarqua sur le nouveau môle le corps du matelot Omeltchouk. A la nuit tombante commençait le pillage du port; bientôt après, l'incendie.


Amas de bouteilles, «têtes blanches» et «têtes rouges», sur les quais du port.



Photographie qui passe, à Odessa, pour être celle du Kniaz-Potemkine bombardant la ville, et qui représente, en réalité, un navire du type Georgi-Pobiedonostzef, tirant des salves pendant une visite officielle.

Au crépuscule, une populace innommable se ruait vers la mer, forçait les entrepôts, enfonçait les bureaux, éventrait les coffres-forts, volait, razziait, de l'alcool d'abord, tout ce qu'elle trouvait d'alcool. Une orgie indescriptible commençait tandis que les pillards pratiques organisaient par la ville, avec le butin ainsi conquis, un fructueux petit commerce. Dans la soirée, on avait, pour 10 kopecks, une bouteille d'excellent madère ou de porto de derrière les fagots. Le vodki coulait partout, il faut avoir vu, sur le port, les amoncellements de ces petites bouteilles claires de la régie des alcools--les «têtes blanches» et les «têtes rouges», comme les appelle le peuple, d'après la couleur de leur cachet--pour s'imaginer ce que purent être ces saturnales.

A la nuit close, lancé du Potemkine, un vrai signal d'exercice, que certains yeux devaient guetter au ciel, jaillit parmi les étoiles. Et, d'un seul coup, comme à un cinquième acte d'opéra, le brasier s'alluma. Au nouveau môle, où avait reposé tout le jour le cadavre d'Omeltchouk, une forte odeur de pétrole flotta dans l'air: les précautions étaient prises d'avance et, entre deux rasades de vodki, les sinistres travailleurs abattus dans l'après-midi sur le port avaient bien employé leur temps. Renouvelant les exploits des «soeurs de France», des femmes allaient, couraient, portant de lourds bidons: Odessa eut, tout comme jadis Paris, des pétroleuses!

L'incendie, dans ces conditions, se développa en un clin d'oil. Un des projecteurs électriques du Potemkine promenait dans la nuit limpide son blême faisceau, se posait un moment sur un point, où la flamme rouge aussitôt s'allumait, comme au contact de cette froide et puissante lumière; la lueur électrique traçait alors sur l'horizon un ou deux cercles, s'éparpillait un moment sur le ciel pur, glissait sur la mer calme et s'arrêtait encore sur un bâtiment, un dock, un bureau, qui flambait à son tour. Le viaduc de bois de la ligne des quais, qui s'embrasa, formait en avant du tout comme une digue de feu.


Vue de la place du Sobor (cathédrale d'Odessa), occupée par la troupe, pendant l'état de siège.--Des ouvriers couvreurs travaillent, malgré les événements, sur les toits de l'église.
--Phot. Byelozerkovsek.


Plan d'Odessa et carte de la mer Noire avec l'itinéraire du Kniaz-Potemkine.


          Le Kniaz-Potemkine-Tauritchesski à Constantza.

Par bonheur pour le reste de la ville, il n'y avait pas un souffle d'air. Les flammes montaient droites, comme dans un âtre, et les flammèches planaient longtemps avant de redescendre, lentes comme les étincelles d'un bouquet d'artifice dans une fête d'été.

Sur les bassins, où l'on avait jeté des barils vides, on répandit du pétrole.

Les navires, à leur tour, s'embrasèrent en crépitant!

Des cris de joie, des chants d'ivrognes--couvrant peut-être des hurlements--traversaient le ronflement sourd de l'incendie.

Et qui dira quels drames dignes de l'enfer durent se dérouler dans cette fournaise! Combien des buveurs de l'après-midi, surpris dans le premier sommeil, à demi tués déjà par l'alcool, furent surpris par l'incendie et dévorés! Combien s'étaient endormis stupides, sur le pavé tiède et ne se réveillèrent pas!


Agence de la Compagnie maritime Rossiiskaïa après l'émeute. Wagons brûlés sur lesquels sont tombés les rails de la voie aérienne.


Vue générale du port prise du haut du grand escalier au moment où les docks du nouveau môle commençaient à flamber. (Au milieu du bassin de droite: le cuirassé Georges-Pobiedonostzef, qui s'est mutiné, puis soumis.)

De gauche à droite: les vapeurs Platon, Serge (coulé et dont on ne voit que les cheminées) et Catherine. Débarcadères des lignes de Nicolaief et de Kherson et leurs hangars finissant de brûler.


Tronçon de la voie ferrée aérienne qui servait à amener le blé dans les bateaux-transports. Hangars de la Compagnie des chemins de fer incendiés et laissant des tas de sel à découvert.

LE PILLAGE ET L'INCENDIE DU PORT D'ODESSA
(Photographies G. Babin, D. Pouditchef, J. Belozerkovsky, etc.)


Une des constructions en briques sur lesquelles passait la voie terrée desservant les quais et les môles.


Le pont du vapeur Pierre, de la Compagnie Rossiiskaïa, après l'incendie allumé par les émeutiers.


Aspect d'un entrepôt saccagé et incendié.


Les pompiers combattant le feu dans un magasin des chemins de fer du port.

LE PILLAGE ET L'INCENDIE DU PORT D'ODESSA
(Photographies C. Babin. D. Pouditchef, J. Belozerkovsky, etc.)


(Agrandissement)
LE CORPS DU MATELOT OMELTCHOUK EXPOSÉ,
LE 28 JUIN, SUR LE NOUVEAU MOLE D'ODESSA

D'après des photographies et un croquis d'une
rigoureuse précision communiqués à notre envoyé spécial.
]

On dansait, dit-on, à cette heure-là, sur le Potemkine!...

Pourtant, il allait y avoir la répression, la terrifiante, la nécessaire répression. Elle mit le comble à l'abomination.

Pour se bien rendre compte de ce qui se passa, il faut connaître un peu la topographie des lieux.

Du boulevard Nicolas, belle esplanade qui rappelle le cours d'Ajot, à Brest, on domine tout le port, enserré par une ceinture de pentes rapides ou de murailles à pic et où l'on n'accède que par un bel escalier monumental, partant du pied de la statue du duc de Richelieu --gouverneur de la ville pendant l'émigration et depuis ministre de Louis XVIII--par un ou deux autres escaliers moins importants et par un petit nombre de rues assez raides. Rien n'est donc plus facile à bloquer que cette enceinte, cette sorte de fosse oblongue. On la bloqua. Toutes les issues en furent barrées par des troupes. Et la fusillade commença vers une heure du matin.


     Un coffre-fort retrouvé
     dans les décombres des
   bureaux de la Compagnie
               Rossiiskaïa.

Non pas, dit-on, tout de suite sur les fauteurs d'émeute. Au premier commandement, beaucoup de fusils partirent en l'air. Mais les assiégés ripostèrent, et ce fut effroyable. Les soldats, comme on dit, défendirent leur peau. Et avec quelle frénésie! Ce qu'il a pu être tiré de balles est inimaginable. Il est des endroits, aujourd'hui encore, sur les môles et les quais, où on les ramasse à poignées. Quiconque tentait de fuir était reçu par des feux de salve.

Les cosaques, les farouches cosaques, furent à leur tour de la partie. Et on les avait munis de mitrailleuses qui crachaient la mort sans discontinuer avec un bruit de rouet. De temps à autre, des charges, à bride abattue, avec les terribles nagaïkas cinglant à la volée, repoussaient les fuyards vers le brasier ardent ou poursuivaient ceux qui semblaient sur le point de s'échapper. Ce fut atroce.

Ceux qui, de loin, ont pu entr'apercevoir ces scènes dantesques, frémissent encore en vous les racontant et il est tels détails que la plume se refuserait à écrire.

Cela égala en horreur les massacres les plus tristement fameux. Et qui saura jamais combien de personnes périrent cette nuit-là! La flamme dut supprimer bien des cadavres.

Quant aux gens du Potemkine, ils ne firent rien pour essayer de défendre leurs amis. Que pouvaient-ils? Ils gardaient leur poudre pour le lendemain--et encore, il faut bien leur rendre cette justice, ne la gaspillèrent-ils pas.

Ici, on ne sait pas exactement ce qui s'est passé ce second jour.

Quand l'équipage rebelle eut obtenu l'autorisation de donner à Omeltchouk une autre sépulture que celle des marins--escomptant peut-être quelque mouvement--un groupe de matelots descendit à terre pour conduire le camarade à sa dernière demeure. Mais il fut bien spécifié que, si on les inquiétait, si on portait la main sur un seul d'entre eux, si, enfin, ils n'étaient pas de retour à bord à une certaine heure, le navire bombarderait la ville.

Les funérailles se déroulèrent sans incident. Toutefois, elles se prolongèrent, et les marins demeurés sur le navire s'impatientèrent. Ils le firent connaître vers 7 heures 1/2, par un premier coup de canon tiré à blanc, puis par un second. Et, comme on ne leur répondait par aucun signal, ils lancèrent deux obus, l'un dirigé sur le Sobor, sur la cathédrale aux toits d'azur violent, l'autre sur le dépôt des poudres, au faubourg Bougaïefka. Tous deux, assez bien pointés, cependant, manquèrent le but précis. Le premier démolit, à 100 mètres du Sobor, la corniche d'une maison de la rue Niejinskaïa et vint s'abîmer sur le pavé devant la maison du consul général d'Italie; l'autre traversa de part en part, sans éclater, le dernier étage d'un immeuble de Bougaïefka. C'étaient vraisemblablement, à en juger par le peu d'importance des dégâts qu'ils ont fait, deux obus d'exercice peu chargés.

Bien vite, on envoya du port au cuirassé le signal que les matelots rentraient à bord.

La nuit qui suivit fut plus impressionnante presque que celle de la veille. Ce fut la «nuit noire».

Sur cette ville sans lumière, car le gouverneur avait fait couper les fils électriques, une terreur indicible plana.

Tandis que la plupart des habitants demeuraient tapis chez eux, improvisaient des dortoirs dans les caves, n'osaient faire un pas dehors, dans l'obscurité, tremblaient au moindre bruit, d'autres, éperdus, fuyaient vers la gare. Quelles scènes il y aurait à décrire, shakespeariennes et où le burlesque se heurtait à chaque instant au tragique! Des malins achetaient par lots des billets aux guichets, prenant tout, sans s'occuper de la destination, moins du prix. D'aucuns réalisèrent, cette nuit-là et le lendemain, de superbes bénéfices. On cite un quidam, habitué des sleeping-cars les plus capitonnés, qui donna 1.000 roubles d'un simple billet de seconde classe qui n'en avait pas coûté cinq! De ces affolés soudoyèrent à prix d'or les employés de la gare et des trains pour pouvoir monter sans billet dans le convoi en partance, s'arrêtèrent à une ou deux stations... et rentrèrent le lendemain à Odessa par le premier train. En deux jours, 30.000 personnes quittèrent ainsi la ville!

On commence à peine à se remettre de cette alerte, et qui sait quelles inquiétudes hantent encore, la nuit venue, ce bourgeois qui s'en va, à pas comptés, à ses affaires, ce commerçant qui rêvasse au seuil de sa boutique?

Tant que le diable de «Potemkine» ne sera pas arrêté, capturé, mouillé à son coffre, à Sébastopol, on tremblera encore.

Cependant, les troupes de renfort ont été retirées d'ici ou à peu près. Le campement établi près du Sobor se dépeuple de jour en jour. On déblaye le port; des trains entiers de décombres partent d'heure en heure. Une armée de pauvres diables cherchent leur vie au milieu de ces détritus sans forme, où se mêlent les matières les plus diverses.

Tout naturellement ma première préoccupation professionnelle fut d'aller un peu voir de ce côté. Vous pensez si l'on chercha à m'en dissuader. A s'aventurer seulement avec un kodak en bandoulière, on risquait sa tête!... Pure exagération de Méridionaux.

Nanti d'une autorisation que me délivra le capitaine Viasmitinof, aide de camp du nouveau gouverneur, le général Karangosof (tous deux d'une parfaite urbanité), j'ai pu parcourir tout à loisir les décombres amoncelés, les bâtiments ruinés.

Au premier plan, dès qu'on arrive sur le port par l'escalier monumental, il faut traverser les ruines du viaduc qui portait la ligne ferrée. Les ruines!... Cela se réduit sur cinq cents mètres, à des piles de maçonnerie espacées d'où retombent les rails affaissés comme des rubans, car toute la construction en bois a disparu. La petite gare est encore debout et dresse assez crânement, à ciel ouvert, ses murs calcinés. Mais, au loin, de longues rames de wagons brûlés et dont demeurent seulement les bâtis de métal encombrent la voie inférieure sur le quai. De la maison qui abritait les bureaux de la direction du port, il ne reste que les murailles.

Tout près, en face, c'est le nouveau môle, séparant le port au Charbon du Nouveau Port. La partie centrale, sur toute la longueur, en était occupée par des hangars appartenant soit à la Compagnie Rossia (ou Rossiiskaïa), soit à la Compagnie Koshkim. Mais gondolés, éventrés par places, leurs cloisons et leurs toitures de tôle tordues, boursoufflées, ils sont à démolir en entier et, dès qu'on aura noyé les décombres qui fument encore, on va s'y employer.

A gauche du môle, deux navires consumés étalent leurs coques écaillées, rouillées déjà, souillées de longues coulées de coaltar ou de pourriture, tous leurs ponts détruits, leurs fines et jolies membrures toutes déformées: à quai, le Piotr (le Pierre) de la Compagnie Rossia, dont le pavillon flotte encore, souillé de fumée, mais épargné par la flamme; à côté, l'étrave à terre, l'Iekaterina (la Catherine), et, près d'elle, sabordé sans doute et coulé, le Serguief. Vous pouvez aller de bassin en bassin, ce sera tout le long la même désolation, les mêmes ruines et vous venez d'avoir un résumé du spectacle qui va se renouveler sur un kilomètre et demi peut-être de longueur: toitures écroulées, murs de briques chancelants, coques vides, rouges et lépreuses d'avoir été léchées par la flamme. Et puis des tas informes de débris, goudrons fondus, caisses brûlées, cafés à demi calcinés, sucres gluants, noirs, dégageant d'acres odeurs, amas d'où montent de nauséabondes vapeurs. Et, de-ci de-là, des amoncellements invraisemblables de bouteilles vides, le goulot rompu, parfois à demi fondues et agglutinées en paquets, bouteilles de vins fins, de Champagne, de vodki surtout. Parfois, quelque coffre-fort, la porte arrachée, sur les parois duquel on voit les traces des cartouches qui le firent sauter. Puis encore, de petits fragments qui scintillent au soleil et qui sont les robes de nickel des balles qu'on écrase.

Tout à l'extrémité du nouveau môle, au bout de l'interminable enfilade des hangars en ruines, voici la place où l'idée de l'émeute, sans doute, a germé dans bien des cerveaux; la place où, tout un jour, sans entraves, ont retenti les déclamations les plus révolutionnaires, les excitations les plus criminelles: c'est là où fut exposé le corps d'Omeltchouk.

Vers huit heures, une chaloupe du Potemkine l'amena, beau grand cadavre d'homme robuste et jeune, que la mort déjà commençait d'altérer.

Il était en tenue de service, en gris, comme disent les marins de chez nous, avec sa chemise à col bleu entre-bâillée sur sa gorge musclée. On fit à terre un lit de paille et l'on y déposa le corps, étendu sur des planches ramassées aux environs. Devant la foule des débardeurs, des flâneurs, qui commençait à s'assembler, ou procéda à toute une funèbre toilette. On joignit ses deux mains sur sa poitrine et, entre ses doigts, on plaça un cierge qu'une âme pieuse était allée chercher. On étendit sur ses pieds, comme un suaire, le drapeau blanc écartelé de la croix bleue de Saint-André, le pavillon de la marine impériale russe et, au-dessus des mains, on posa un écriteau tout préparé qui relatait le drame du bord et apprenait au peuple comment Omeltchouk était mort pour ses camarades, en allant porter à l'état-major leurs doléances.

Quelque temps il demeura là en plein soleil, deux marins en armes montant la garde à son chevet, entouré d'une foule sans cesse grossissante, sans cesse renouvelée, où des femmes s'agenouillaient, où des popes priaient, des hommes invectivaient, foule impressionnable, vibrante, à laquelle on distribuait des imprimés de propagande et que, de temps en temps, haranguaient des orateurs enflammés. Auprès du pauvre mort, on avait mis une caisse ramassée sur les quais, une caisse énorme dans laquelle les kopecks pleuvaient, pour la famille d'Omeltchouk, pour les frais de ses funérailles.

A un moment donné, quelqu'un eut pitié de ce pauvre mort étendu, que caressait l'ardent soleil de juin et l'on dressa, avec trois espars et une bâche, une sorte de petite tente pour le protéger contre l'ardeur du jour.

Le soir, l'orgie ici battait son plein. Et c'est à cet endroit que j'ai vu le plus de balles.

Tout cela va s'éloignant et les détails s'en perdent déjà dans les mémoires. N'était ce terrible Potemkine, dont le nom sans cesse nous retentit aux oreilles, on aurait à peu près repris sa vie normale.

J'incline à croire, pourtant, que les âmes trempées commencent à n'y plus penser--surtout le soir, aux approches de minuit, alors que les divettes des beuglants expédient leur dernier morceau dans le cliquetis
       Emplacement où fut exposé
       le corps d'Omeltchouk.

       --Phot. prise après
       la fin des émeutes.
des assiettes et des couverts, en reniflant les apprêts du souper--car les cafés-concerts ont rouvert leurs portes. Dans leurs jardins abrités de grands arbres, l'eau verte du Léthé doit sourdre quelque part. Sous les ombrages de l'un d'eux, l'autre nuit, une société de ces brillants guerriers qui assurent l'état de siège était même tellement bruyante que l'officier de police dut intervenir aimablement, mais fermement. Nulle inquiétude, je vous assure, ne planait sur eux ni sur nous.

Quand nous sortîmes, un joli ciel de cuivre pâle s'éveillait sur la ville. La mer luisait comme un beau satin sombre. Et nous demeurâmes longtemps à admirer l'accord harmonieux de ce ciel rosé, caressant de reflets cette mer violette, en écoutant caqueter une caille matineuse déjà éveillée dans les arbres du Boulevard. A nos pieds stridulaient les grillons qui pullulent et qui, du soir à l'aube, se chantent à eux-mêmes leur grêle et monotone chanson. Un souffle de bucolique était épars dans l'air frais et il faisait, en vérité, fort bon vivre sous la loi martiale.
Gustave Babin.


Le 8 juillet, le cuirassé révolté faisait sa soumission à Constantza. Aussitôt informé, notre collaborateur s'embarquait four le fort roumain. C'est de Constantza que sera daté son prochain envoi qui, sans doute, nous révélera enfin la véritable aventure du Kniaz-Potemkine-Tauritchesski.



A Montigny-la-Cour (Aisne): groupe de fermes dévastées par l'ouragan du 30 juin.
--Phot. Ruet frères.

LES CYCLONES DU 30 JUIN ET DU 4 JUILLET

EN FRANCE.

Longtemps on a pu croire que les cyclones étaient des phénomènes particuliers aux régions tropicales, ne se produisant dans nos pays qu'à l'état de rare exception; or il semble qu'ils y deviennent de plus en plus fréquents et, en France notamment, on a eu trop souvent, depuis quelques années, l'occasion de les constater. Tout récemment encore, les orages ont été accompagnés, sur plusieurs points du territoire, de perturbations atmosphériques extraordinaires.


Près d'Angers: un arbre brisé et déchiqueté par la
tempête sur les bords de la Maine, le 4 juillet.
--Phot. Chanteau.


A Cravant (Loiret): une des fermes ruinées.                      A Cravant: chambre d'une victime.

C'est ainsi que, le 30 juin, une trombe d'une violence inouïe a dévasté les départements de l'Aisne et des Ardennes, sur un parcours de 80 kilomètres, causant pour une vingtaine de millions de dégâts. Un exemple entre les plus saisissants pourra, surtout avec un document photographique à l'appui, donner une idée des désastreux effets du fléau.

Deux courants, l'un venant du sud-ouest, l'autre du sud-est, se rencontrèrent au centre même du hameau de Montigny-la-Cour (Aisne), formé d'une agglomération de fermes; en quelques secondes, la tornade résultant de ce choc formidable détruisait les bâtiments: il n'en restait plus que des pans de murs effondrés, des carcasses de toitures, dont les charpentes de fer avaient été tordues comme des brins d'osier, les lourdes plaques de tôle ondulée emportées à des distances invraisemblables; les chariots renversés, les meubles brisés gisaient pêle-mêle parmi l'amas des décombres. Quant aux champs environnants, ils étaient littéralement fauchés. De pareils sinistres ont signalé la journée du 4 juillet. A Cravant, commune du canton de Beaugency (Loiret), une partie des maisons renversées ont enseveli sous leurs ruines leurs habitants, plus ou moins grièvement blessés. La ville d'Angers a été également fort éprouvée: outre des dégâts matériels considérables, on a eu à y déplorer deux morts; quantité d'arbres jonchaient le sol; sur les bords de la Maine, on remarquait un tronc robuste que le cyclone avait non seulement décapité, mais encore décortiqué d'une façon curieuse.

A la même date, l'ouragan sévissait en Belgique. Sur la grande route de Bruxelles, entre Ath et Enghien, au hameau de Bourlon, commune de Bassilly, le moulin dit «du Prince» était détruit par la foudre; celui de Ghislenghien, occupant une éminence, à l'intersection des routes de Bruxelles et de Soignies, était complètement rasé.


EN BELGIQUE: le moulin «du Prince» à Bassilly, après
l'orage du 4 juillet.
Phot. Navau.



A PARIS.--Le cortège escorté par le détachement des
marins américains arrivant à la gare des Invalides.

LA TRANSLATION DES RESTES DE L'AMIRAL PAUL JONES


        A PARIS.--La marine américaine et
            l'armée française fraternisant.

La translation des restes de l'amiral John-Paul Jones, au sujet de laquelle nous avons publié une information préliminaire dans notre dernier numéro, s'est effectuée, comme il convenait, avec un apparat solennel. A cette occasion, le gouvernement des États-Unis avait envoyé à Paris un détachement de marins et de soldats d'infanterie de marine comptant 486 hommes et 22 officiers, qui, reçus à l'école militaire, trouvèrent auprès de leurs camarades de l'armée française un fraternel accueil.

Le jeudi 6 juin, après une cérémonie religieuse célébrée à l'église américaine de l'avenue de l'Aima, cérémonie où notre gouvernement était représenté par les personnalités les plus qualifiées, la dépouille mortelle de l'illustre amiral fut placée sur une prolonge d'artillerie, attelée de huit chevaux et décorée de drapeaux aux couleurs des deux nations, puis, escortée des troupes du service d'honneur et suivie du cortège officiel, conduite à la gare des Invalides.

A Cherbourg, la préfecture maritime avait fait établir une chapelle ardente dans le hangar de l'appontement des transatlantiques. C'est là que, gardé par des sections américaines et françaises, le corps devait reposer jusqu'au départ. Le samedi 8, les honneurs militaires rendus, un torpilleur de haute mer, Zouave, embarquait le cercueil, qui bientôt était hissé à bord du Brooklyn.


La chapelle ardente sur l'appontement du port de commerce de Cherbourg, gardée par un factionnaire français et un factionnaire américain.


Le transfèrement du corps de Paul Jones de la chapelle ardente sur le torpilleur de haute mer Zouave.


A CHERBOURG.--Le cercueil hissé
par un palan sur le pont du Brooklyn



SUR LA PLACE ROUGE, A MOSCOU.--Prières publiques, le 25
juin, pour la victoire des armes russes.
--Phot. Smirnov.

Le peuple russe est devenu une énigme pour le reste du monde: est-il un peuple de révoltés ou de loyaux sujets? Les faits se succèdent et se démentent. A Moscou, se tiennent les assemblées qui exigent la paix et une constitution nationale; à Moscou, les révolutionnaires assassinaient, il y a quelques mois, le grand-duc Serge et, il y a deux jours, le préfet de police Chouvalof; et c'est à Moscou, sur la place Rouge, que l'on pouvait voir, le 25 juin, une énorme foule d'hommes et de femmes s'associer pieusement à des prières publiques pour le succès des armées du tsar.

L'occupation de sakhaline par les japonais.



Les Japonais ont occupé Sakhaline. Le 7 juillet, l'escadre de l'amiral Kataoka est arrivée à la pointe du jour dans les eaux de l'île. Le lendemain, la position de Korsakofsk, faiblement défendue, tombait entre les mains de l'infanterie de marine nippone. Voilà le grand événement de ces derniers jours dans la guerre d'Extrême-Orient. L'importance de ce nouveau succès des Japonais n'échappera à personne. Pour la première fois depuis le commencement de la guerre, les Nippons pénètrent véritablement sur le territoire russe et, maintenant qu'ils ont Sakhaline, ils émettent déjà la prétention de ne plus jamais s'en dessaisir.


Le général Rotiger, qui remplace le général Sakharof au
ministère de la guerre en Russie.
Phot. C.-O. Bulla.

L'île de Sakhaline est, comme on le sait, une étroite langue de terre qu'un détroit de 33 kilomètres à peine, le détroit de la Pérouse, sépare de l'île nippone de Yéso. La convention d'Aïgoun (1858), ratifiée en 1860 par le traité de Péking, avait donné la presque totalité de l'île à la Russie. En 1876, la partie sud de Sakhaline avait été cédée par le Japon à la Russie en échange des îles Kouriles. Mais le Japon avait considéré qu'il avait fait là un marché de dupes. Les pêcheries de Sakhaline présentent pour les Japonais, qui se nourrissent en partie du produit de leur pêche, une grande importance économique. Aussi, maintenant que le contrat de 1876 est déchiré par la fortune des armes, il semble bien improbable que la Russie puisse jamais en faire rétablir les clauses.


A SAKHALINE.--Un appontement à Korsakofsk.


LES GRÉVISTES ET LE PROCUREUR

Marennes est une petite ville très paisible en temps ordinaire. On y cultive l'ostréiculture avec succès et les autorité y sont respectées tout aussi bien que dans les autres villes. Mais voici que, ces jours derniers, une grève survint, et ce fut la guerre allumée. Un certain nombre d'ouvriers de l'usine des produits chimiques de Saint-Gobain ayant réclamé vainement une augmentation de salaires, avaient cessé le travail. D'autres ouvriers furent engagés pour prendre la place des chômeurs, ce que voyant, les rouges vinrent mettre le siège devant les portes de l'usine. Cela se passait le 5 juillet au matin. Les grévistes, armés de gourdins, étaient rangés devant les grilles de l'établissement et s'opposaient au passage des jaunes. Selon l'usage, on alla prévenir le procureur de la République. Et ce magistrat, fidèle à son devoir et soucieux de sa responsabilité, courut se jeter entre ces frères ennemis et supplia les grévistes de ne plus assiéger l'usine. Ceux-ci trouvèrent plaisant d'arrêter le procureur et de le conserver comme otage. Ils poussèrent le malheureux magistrat contre la grille, l'enveloppèrent dans un cercle qu'il ne songea pas à franchir et, comme il faut bien se distraire un peu pendant les heures de chômage, l'obligèrent à saluer le drapeau rouge. On devine l'émoi que provoqua cet événement quand il fut connu dans Marennes. Les autorités, un peu désemparées par ce fâcheux précédent et redoutant la contagion de l'exemple, n'hésitèrent pas, pour faire délivrer ce prisonnier de marque, à passer sous les fourches caudines des grévistes. Le maire et le président du tribunal civil allèrent, en personne, prier le directeur de l'usine de faire cesser le travail... jusqu'au lendemain. Le lendemain, il y avait enfin des gendarmes devant l'usine.


LA GRÈVE DE MARENNES.--Devant l'usine de produits chimiques de la Compagnie de
Saint-Gobain: les gendarmes protègent les travailleurs contre les grévistes.

C'est devant cette porte que les grévistes ont retenu prisonnier, pendant plusieurs heures, le procureur de la République.


LA CATASTROPHE DU "FARFADET" DANS LE LAC DE BIZERTE.

                                                Ferryville.                  Eglise.Grande porte.         Casernes.                

Bassins de radoub en construction. Pavillon de la direction du port, surmonté d'un minaret. Quai d'honneur. Lac de Bizerte.

Vue panoramique de l'arsenal de Sidi-Abdallah.


La grande porte de l'arsenal.

LA CATASTROPHE DU "FARFADET"

Une terrible catastrophe vient d'éprouver notre marine de guerre: le sous-marin Farfadet a coulé, avec douze hommes appartenant à l'élite de la flotte. Et, comme si ce n'était pas assez de la gravité du fait même, la douloureuse émotion causée par ce sinistre s'est accrue de la pensée des souffrances et des angoisses indicibles des naufragés, d'une trop longue incertitude au sujet de leur sort, pendant les tentatives de sauvetage réitérées, demeurées vaines, hélas!


Le lieutenant de vaisseau Ratier, commandant du Farfadet, survivant. L'enseigne de vaisseau Robin, victime de la catastrophe. Le maître mécanicien Maheu, victime de la catastrophe.

L'ÉTAT-MAJOR DU "FARFADET."--Phot. comm. par le Matin.

C'est le 65 juillet, vers 8 heures du matin, que se produisit l'accident. Le Farfadet, construit à Rochefort sur les plans de M. l'ingénieur Maugas, mesurant 40 mètres de longueur, 2 m. 90 de diamètre, et déplaçant 185 tonneaux, évoluait devant l'arsenal de Sidi-Abdallah, au fond du lac de Bizerte, lorsque son commandant, le lieutenant de vaisseau Ratier, donna l'ordre de plonger. A ce moment le panneau d'avant refusa de se fermer; l'eau, y pénétrant, en chassa l'air violemment; le commandant, le second maître Le Troadec et le quartier-maître Lejean furent projetés au dehors: ils durent leur salut à cette circonstance.


Le Farfadet à l'appontement de l'arsenal.                                Le Farfadet en plongée.               


L'avant du Farfadet.                                               L'arrière du Farfadet.

Mais l'enseigne de vaisseau Robin, le maître Maheu, les quartiers-maîtres Moleuc, Reuflet, Simon, Boujard, Rabin, Moulin, Cheval, Lessausse, Rolland et Paume restaient emprisonnés dans le bateau, qui avait coulé à 20 mètres de profondeur. On avait lieu de les supposer protégés par les cloisons étanches et pourvus d'une provision d'air pour plusieurs heures; les réponses faites aux premiers appels des scaphandriers, au moyen de coups frappés contre la coque, confirmèrent cette hypothèse: il y avait donc de sérieuses chances de sauver l'équipage en opérant rapidement le renflouement du sous-marin.

Les travaux, suivis de loin comme de près avec une anxiété poignante, furent entrepris aussitôt, sous la direction de l'amiral Aubert. Malheureusement, une grue s'abattit, des chaînes se rompirent; deux tentatives effectuées en temps utile échouèrent, faute d'un matériel suffisant, et il fallut renoncer à l'espoir, un instant conçu, de ramener vivantes les victimes de ce drame de la mer, dont les péripéties remplissent le coeur de tristesse et l'imagination d'épouvante.

Il est surtout navrant de constater qu'un arsenal neuf, sur lequel on fondait les plus grandes espérances, puisse, à ce point être dépourvu d'outillage qu'un sous-marin, coulé tout près et à une faible profondeur, soit perdu sans ressource. L'arsenal de Sidi-Abdallah est remarquable, paraît-il, à certains égards: il n'est certainement pas complet--la preuve en est douloureusement faite.
X...



LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE

Deux romans: l'Isolée[1], par M. René Bazin, et les Demi-Fous[2], par M. Michel Corday.

[Note 1: Calmann-Lévy, 8 fr. 50.


[Note 2: Fasquelle, 3 fr. 50.

Un roman politique de M. René Bazin, un roman physiologique de M. Michel Corday: voilà deux livres fort divers qui, cependant, vont fraterniser dans cet article comme ils fraternisent depuis deux jours sur ma table. Toutefois, malgré leurs intentions presque contradictoires, les ouvres romanesques, en apparence les plus opposées, ne manquent pas de ressemblance. Si elles sont écrites par des hommes de talent, on doit y rencontrer de la poésie, une action harmonieuse, des faits naissant les uns des autres, des caractères bien marqués. Aussi, en passant des pages de M. Bazin à celles de M. Corday, n'éprouve-t-on pas une secousse trop vive, ne fait-on pas un saut trop violent?

Qu'a voulu dire M. René Bazin? Professeur--si je ne me trompe, il l'a du moins été--à l'Institut catholique d'Angers, partageant les opinions religieuses de sa bonne contrée de Maine-et-Loire, l'auteur des Oberlé a particulièrement souffert de la loi contre les congrégations et de la fermeture des écoles de soeurs. Il a, dans l'Isolée, rendu toute sa pensée et toute son indignation. Cinq religieuses de Sainte-Hildegarde enseignent ans un quartier de Lyon. M. René Bazin se sent attiré vers la ville mystique de Notre-Dame de Fourvières et de l'Immaculée Conception. A leur grand chagrin, les pieuses filles que la maison mère, chargée de bouches nouvelles, ne peut recueillir, sont obligées, en quittant leur école de par la loi, de se faire séculariser. Où iront-elles porter leurs pas, leur douleur, leur inexpérience de la vie? L'une rentre à la ferme maternelle, une autre trouve une place dans une maison d'enseignement. La supérieure, soeur Justine, femme énergique et bonne, toujours préoccupée de ses pauvres compagnes, est installée, dans une famille, auprès d'un jeune phtisique qui bientôt ne peut plus se passer de ses soins. Mais que deviendra soeur Pascale, la plus jeune, la plus jolie, la plus angélique? Il y a de la beauté sous ses cheveux blonds qui vont repousser. Fille d'un canut lyonnais, elle a sucé tout le lait mystique et tendre de la race. Ne sera-t-elle pas exposée à bien des périls? Elle se retire à Nîmes, chez des parents: une veuve Prayou et son fils Jules. Rien de plus dramatique, à partir de ce moment, que l'oeuvre de M. René Bazin; l'écrivain a montré qu'il était capable de peintures fortes, qu'à sa douceur ordinaire il pouvait joindre la plus étonnante vigueur. Qu'il me permette cependant de lui dire mon avis. J'estime qu'il est allé trop loin. Quoi! cette enfant ravissante, sortie du couvent, devient la maîtresse--forcée il est vrai--de son cousin! Pour complaire à son suborneur, elle attire le soir les passants! Et, comme elle veut fuir cet enfer et répondre à l'appel de la soeur Justine, le personnage immonde la tue d'un coup de couteau entre les deux épaules. Sans doute M. René Bazin a voulu, dans toute leur horreur, marquer les effets possibles de la loi. Mais que nous apercevions soeur Pascale, aux ailes d'ange, dans un pareil milieu et dans une aussi monstrueuse déchéance, est-ce que cela ne blesse pas toutes nos délicatesses? Cependant, c'est seulement une opinion personnelle que j'indique. Les pages de M. Bazin se lisent avec passion et nous présentent une tête admirable de stoïcisme chrétien et de solidarité religieuse: celle de soeur Justine.

Si M. Bazin a exprimé sa pensée et un peu présenté une thèse contre les expulsions, c'est une thèse pareillement --non plus politique, mais physiologique--que soutient M. Michel Corday. Comment se font les mariages? Un beau jour, un jeune homme, possesseur d'une belle fortune, est présenté, par un hasard que créent des amis communs, à une jeune fille dont le physique et l'éducation lui plaisent. On les rapproche, ils font en Suisse ou en Italie l'éternel voyage. Cela s'appelle une union assortie. L'enquête n'a porté que sur la richesse des deux époux et sur des choses tout à fait superficielles. N'aurait-il pas fallu, avant tout, se livrer à des recherches sur les ascendants, demander s'ils avaient eu des tares, s'ils avaient été alcooliques, ou fous, ou même demi-fous? Quand on fiança Céline Desgranges à Raoul Cintrat, les parents de la jeune fille ne considérèrent que la situation financière du fiancé, que ses terres, son beau jardin, sa maison luxueuse et sa bonne mine. Bientôt tout se brouilla dans le ménage. Autoritaire, jaloux, déraisonnable en tout, avec des violences dont les accès le portaient à frapper sa femme, avec des moeurs effroyables, Raoul rendait la vie commune impossible. Était-ce sa faute? Son hérédité l'avait amené là. Son père était mort depuis longtemps, brûlé par l'alcool; sa mère, maniaque, ne savait pas soumettre sa vie à la raison. Hélas! pourquoi les Desgranges n'avaient-ils pas porté de ce côté leurs investigations? Et quels enfants échurent, avec d'immenses douleurs, à leur fille! L'aîné, dans un accès de satyriasisme, se rendit coupable d'un de ces actes qui entraînent la cour d'assises et le déshonneur. Berthe, mariée à un officier, tomba dans une puérile dévotion. Un autre fils, René, exaspéré par la misère dans laquelle le tenait son père et par tout ce qui lui fut révélé des tortures de sa mère, fut en proie à l'obsession irrésistible du meurtre. D'un coup de fusil, il envoya dans la mort Raoul Cintrat. Voilà à quoi s'exposent ceux qui se marient ou qui marient les leurs sans avoir préalablement fait d'enquête médicale sur l'hérédité.

D une phrase lumineuse, brève, tranchante et serrée comme l'acier, M. Michel Corday a développé son récit et sa thèse--son récit qui a pour objet, comme celui de M. Bazin, de prêcher, avec plus d'agrément qu'une dissertation, une idée morale et sociale. Comme M. Bazin --je soupçonne entre eux, malgré la différence de tempérament, quelques ressemblances--M. Corday a poussé les choses à l'extrême; il est allé jusqu'au bout de sa logique, jusqu'à la dernière possibilité. Pascale est tombée là où l'on sait: voilà l'aboutissement de la loi. René tue son père: voilà où conduit le peu de souci de se préoccuper de l'atavisme avant les mariages.
E. Ledrain.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

L'accident du dirigeable «Lebaudy».




           L'enveloppe du dirigeable Lebaudy, éventrée
           par la tempête au camp de Châlons, le 6 juillet.

Le dirigeable Lebaudy, que nous montrions, dans notre dernier numéro, atterrissant à Meaux, première étape de son grand voyage de Moisson à Châlons-sur-Marne, avait continué ensuite sur La Ferté-sous-Jouarre pour arriver enfin, luttant contre le vent, au camp de Châlons. Ce raid aérien, si fidèlement exécuté suivant l'itinéraire déterminé à l'avance par le ministère de la guerre, permettait d'affirmer que les chercheurs de la dirigeabilité aérienne avaient acquis, et d'une façon incontestable, un premier résultat.

Malheureusement, à peine le Lebaudy était-il amarré au poste qui lui avait été désigné, qu'une bourrasque, prenant bientôt les proportions d'une tempête, renversant des poteaux télégraphiques et déracinant des arbres, passa sur le camp. L'aéronat n'y put résister. L'enveloppe, poussée sur des arbres, se déchira. Cependant, la machinerie, ayant relativement peu souffert, l'ingénieur Julliot espère, après les réparations faites à l'enveloppe, pouvoir reprendre assez prochainement ses très intéressantes expériences.

La maladie des truites



L'an dernier un naturaliste allemand, qui fait autorité en matière de maladies des poissons, signalait une curieuse maladie qu'il avait observée chez de jeunes truites arc-en-ciel. Cette maladie n'attaque que les truites très jeunes, âgées de quelques mois au plus: elle est toujours mortelle dans certaines stations; dans d'autres, évoluant plus lentement, elle peut aboutir à la guérison. Les symptômes observés par M. Hofer lui ont permis de rapprocher la maladie des truites du tournis des moutons: dans les deux cas, en effet, il y a des mouvements de tournoiement et du vertige. Chez le poisson l'affection est suivie de lésions osseuses spéciales, d'ankyloses et de nodosités. On sait maintenant à quoi est due cette bizarre maladie: Mlle Marianne Plehn a montré qu'elle est due à un parasite, à un champignon qui se loge, en partie, dans le crâne, déterminant des lésions qui retentissent sur le cerveau, naturellement. Ce parasite viendrait des aliments qu'on donne à la truite. On la nourrit surtout de chair d'égleffin, poisson de mer chez qui le parasite existe normalement, mais sans déterminer chez lui de symptômes pathologiques connus. Pour éviter aux truites le tournis, il suffit donc de ne point leur donner de chair de poisson ou bien de la leur servir bien cuite, la cuisson tuant les parasites.

Chemins de fer allemands, anglais et français.



Dans le cours des dix dernières années, les recettes des voies ferrées ont augmenté: en Allemagne, de 828 millions; en Angleterre, de 632 millions et, en France, de 246 millions.

Et, cependant, la longueur de nos voies ferrées a gagné, dans ces cinq dernières années seulement, 1.157 kilomètres, passant de 33.796 à 34.953 kilomètres.

De 1895 à 1903, il n'a été construit en Angleterre que 1.700 kilomètres de voies ferrées; et, en Allemagne, dans le même temps, les lignes ont passé de 45.261 à 51.740 kilomètres, gagnant ainsi 6. 479 kilomètres.

Il est évident que le moindre trafic de nos voies ferrées, s'il est, dans une certaine mesure, un témoignage du malaise de notre commerce et de notre industrie, est aussi une conséquence de la stagnation de notre population.

Il ne faut pas oublier que la France, avec ses 39 millions d'habitants, n'en compte aujourd'hui que quelques centaines de mille de plus qu'il y a dix ans; tandis que la population anglaise s'accroît de 1% par an, et la population allemande de 1,5.

Depuis 1895, l'Angleterre, peuplée de 43 millions d'individus, en a gagné environ 4 millions; et l'Allemagne, peuplée de 60 millions d'habitants, en a gagné plus de 7 millions!

Le froid et la vie des graines.



Le froid est-il capable de tuer les graines? C'est là une question qui a été très discutée.

M. Paul Becquerel a soumis des graines à l'action du froid intense produit par l'évaporation de l'air liquide et les résultats qu'il a constatés lui ont permis d'affirmer que la résistance des graines aux basses températures dépend uniquement de la quantité d'eau et de gaz que renferment leurs tissus.

Si cette quantité d'eau et de gaz est suffisante, le froid désorganise le protoplasma et le noyau des cellules, et rend impossible tout retour de la vie: mais, si le protoplasma a été préalablement desséché et, par la dessiccation, a déjà atteint son maximum de concentration, alors il échappe à l'action des basses températures et la graine conserve son pouvoir germinatif.

En somme, il semble que le froid ne soit pas capable, par sa seule action, de supprimer la vie. On sait que les microbes lui résistent parfaitement.

Quand il tue, c'est que les phénomènes physiques de la congélation détruisent les cellules vivantes en les faisant éclater et en désorganisant leur contenu. Mais toute cellule capable de résister à la dessiccation est, par cela même, capable de résister à l'action du froid le plus intense.


LE RADIUM SERAIT-IL GÉNÉRATEUR DE VIE?

Au milieu de tous les événements qui se partageaient, en ces dernières semaines, l'attention publique, on a vu surgir, dans les colonnes de quelques journaux, un titre qui, s'il répondait à une réalité, serait assurément le plus sensationnel de tous: «Une extraordinaire découverte.--Création de la vie.» Il s'agit d'une expérience faite avec le radium par un jeune savant anglais, M. J.-B. Burke. Nous avons demandé à notre collaborateur, M. Henry de Varigny, d'exposer à nos lecteurs cette expérience et d'en déterminer la valeur et la portée.

Il y a quelque temps déjà, M. Raphaël Dubois, professeur de physiologie à Lyon, fit une expérience dont il rappelait, le 3 novembre dernier, dans son discours à la rentrée solennelle de l'université de Lyon, les résultats essentiels. Il déposa un petit cristal de chlorure de baryum et de radium, avec toutes les précautions aseptiques voulues, sur un bouillon de culture gélatineux. Dans la gelée nutritive, il vit bientôt apparaître une quantité considérable de petits corpuscules qui s'enfonçaient rapidement dans la profondeur et qui augmentaient de volume. Ces corpuscules ressemblaient tellement à une culture de microbes que M. Laveran, l'éminent pathologiste à qui M. R. Dubois fit voir un de ses tubes à la Société de Biologie, dit aussitôt: «Mais ce sont des moisissures.» Ce n'étaient toutefois pas des moisissures, mais des granulations. Certaines de ces granulations commençaient à se segmenter, à se subdiviser en deux. Des photographies de ces corps en segmentation furent, à une autre séance de la même Société, présentées à un autre savant de grande valeur, à M. Henneguy, professeur de cytologie au Collège de France. Et M. Henneguy déclara: «On croirait bien voir des oeufs de grenouille en voie de segmentation.» Ces deux réponses font assez voir à quel point les granulations obtenues par

M. J.-B. Burke.

L'expérience de M. J.-Buttler Burke.
(Dessin de A.-H. Fisher d'après les documents fournis par M. Burke).]


Les radiobes de M. J.-B. Burke (Cercles A. B. C.), comparés aux cristaux de Rainey.

LE RADIUM SERAIT-IL GÉNÉRATEUR DE VIE?

M. Dubois ressemblent à de la matière vivante. Ces granulations, on peut les produire sans radium, avec du chlorure de baryum en particulier; mais il y a une parenté entre le baryum et le radium. Elles n'ont pas une durée indéfinie, d'après les observations de M. R. Dubois; on les voit se transformer lentement en cristaux et cette transformation est leur fin; après avoir paru se nourrir, grandir, se multiplier aussi, elles paraissent mourir, en atteignant une condition désormais fixe et stable. Leur multiplication, toutefois, est relative: il n'y a pas de vraie reproduction, il n'y a pas formation de corps similaires qui vivent plus longtemps que leurs progéniteurs et donnent à leur tour naissance à des corps qui font de même. «Ce serait véritablement la vie, dit M. Dubois, en parlant de ses granulations, si elles donnaient naissance à des êtres semblables à elles-mêmes, mais elles sont stériles et meurent, comment dire? radicalement célibataires, sans descendance, de la mort totale, complète, définitive.» Il ne faut donc pas parler de «création de vie» ou de «génération spontanée». Et il y a d'autant moins lieu de croire le radium capable de vivifier réellement une matière quelconque qu'on le sait un destructeur redoutable et puissant de toute vie: il désorganise les tissus, en tue les cellules et organes, comme chacun le sait. Aussi M. Dubois n'a-t-il pas tiré de conclusions sensationnelles de son expérience. Peut-être, toutefois, ne l'a-t-il pas assez fait connaître dans le monde scientifique. Car voici qu'elle a été réalisée, de façon indépendante, semble-t-il, par un jeune physicien anglais. M. Burke, avec les mêmes résultats en gros aussi. Mais une grande publicité a été faite à M. Burke et des conclusions extraordinaires en ont été tirées. Ce qu'elles valent, l'avenir le fera voir: mais il est essentiel d'indiquer qu'en cette affaire la priorité du savant français est éclatante. Les expériences françaises ont été signalées au public de Lyon au début de novembre dernier: les anglaises, fin mai 1905 (voir Nature, du 25 mai 1905). Ceci posé, voyons ce que M. J.-B. Burke, qui travaille au Cavendish Laboratory de Cambridge, a découvert.

M. J.-B. Burke étudiait depuis quelque temps la formation des agrégats moléculaires instables, et les propriétés extraordinaires du radium lui firent penser que cette substance éminemment instable pourrait, en agissant sur d'autres corps, déterminer la production de composés instables aussi. Il prépara donc un bouillon à la gélatine et, tout comme M. Dubois, y ensemença aseptiquement, cela va de soi, un peu de chlorure ou de bromure de radium. Nos figures font voir de quelle manière il s'y prit pour briser, à l'intérieur du tube contenant le bouillon gélatinisé, un petit tube contenant du radium. Comme M. Dubois, il vit se produire une apparence de culture à la surface du bouillon. Au bout de quelques heures, 24 avec le bromure, et 3 ou 4 jours avec le chlorure, il sembla se former une colonie microbienne. Cette colonie paraissait localisée à la surface d'abord; puis, avec le temps, tout comme dans l'expérience de M. Dubois, elle gagna la profondeur de la gélatine, descendant d'un centimètre en une quinzaine environ. Comme rien de tout ceci ne se passe dans les tubes de bouillon témoins, non ensemencés avec du radium, il faut bien conclure qu'on n'est pas en présence d'une contamination accidentelle par des germes quelconques. Les phénomènes sont évidemment occasionnés par le radium, et c'est pourquoi M. Burke a appelé radiobes les corps particuliers dont le radium provoque la formation dans le bouillon. Ces radiobes ne sont pas des microbes, d'ailleurs. M. Sims Woodhead, excellent bactériologiste, l'affirme positivement. Du reste, les radiobes présentent deux caractères qui les distinguent à fond des microbes. La forte chaleur qui tue les microbes n'en détruit pas les cadavres: or, par la chaleur, les radiobes se dissipent et disparaissent totalement. Mais on les voit reparaître quelque temps après le refroidissement. Autre fait: les radiobes sont solubles dans l'eau et les microbes ne le sont pas. Chose curieuse qu'il faut encore signaler: c'est qu'exposés à la lumière ils disparaissent. Mais si l'on met le bouillon à l'obscurité, on les voit reparaître au bout de quelques jours. Or, les microbes ne font rien de pareil et il n'y a pas à rapprocher de ceux-ci les radiobes: trop de différences, et de trop importantes, distinguent, ces deux groupes de corps.

Pourtant certains faits rapprochent les radiobes de la matière vivante. M. J.-B. Burke a, en effet, observé, comme M. R. Dubois, que les radiobes, d'abord très petits, grossissent. Ils présentent une sorte de croissance. D'abord imperceptibles, ils acquièrent peu à peu des dimensions appréciables au microscope (3 dixièmes de millième de millimètre: ce n'est pas énorme...). Chez les radiobes les plus volumineux, qui se présentent sous forme de petits corps d'apparence générale sphérique, il semble même y avoir un épaississement intérieur, quelque chose qui ressemble au noyau dont sont pourvues les cellules animales ou végétales. Enfin, comme l'a vu M. R. Dubois, M. J.-B. Burke constate que les radiobes, ayant atteint une certaine grosseur, se désagrègent, se brisent, se subdivisent. Mais ces produits secondaires n'ont guère de vitalité. M. Burke a ensemencé des parties de colonies sur des bouillons neufs: elles n'ont paru présenter qu'un accroissement insignifiant. D'autre part, la conduite particulière que manifestent les radiobes à l'égard de la chaleur, de l'eau et de la lumière, montre bien qu'on n'a pas affaire à des organismes vivants. Ce sont bien plutôt des agrégats physico-chimiques, purement et simplement. Et la mort à laquelle ils succombent, la fixation, l'immobilisation sous forme de cristaux, est un fait d'ordre physico-chimique encore, et non d'ordre vital.

Il est vrai qu'on peut très bien imaginer qu'il y ait des formes de vie aussi inférieures à celle du microbe que celle du microbe est inférieure à la vie de l'oiseau ou du mammifère. Mais, si le radiobe doit être considéré comme une de ces formes, on est obligé de reconnaître aussi que sa vie est à peine digne de ce nom; elle n'a point de permanence ni de transmissibilité. Aussi sera-t-il plus raisonnable de ne pas chercher dans les radiobes une forme de vie élémentaire; on y verra plutôt un cas curieux et intéressant d'agrégats moléculaires instables, qui n'arrivent à quelque fixité et stabilité qu'après des modifications et des transformations variées d'ordre physique ou chimique. C'est tout à fait l'avis de M. R. Dubois, c'est bien un peu celui de M. Burke. Inutile de tenir compte de l'avis de tant de personnes qui ont fait dire aux expériences de M. Burke des choses qu'elles ne disent point, en parlant de la «création de la vie». Il n'y a pas, dans les expériences singulièrement similaires de M. R. Dubois et de son successeur, M. J.-B. Burke, à parler d'une «création de vie»: les caractères essentiels de la vie font défaut. Il est vrai que la mort existe; mais il y a une mort de la matière inerte et surtout des composés peu stables de celle-ci. Mais la vie des radiobes n'existe pas: on ne rencontre pas chez eux ce flambeau que les individus successifs se passent et qui continue à circuler, porté par les derniers-nés, alors que les ancêtres ont disparu. Les radiobes ne se multiplient pas.

Tout ceci ne fait toutefois pas que les résultats des expériences de MM. Dubois et Burke manquent d'intérêt. Ils sont, au contraire, très intéressants, quand bien même ils n'aboutiraient qu'à nous faire voir dans la matière inerte des semblants de vie, du genre de ceux qu'on peut, dans le fond des cieux, observer chez les nébuleuses et chez les agrégats instables en voie d'évolution. Si ce n'est pas la physiologie qui en bénéficiera, ce sera la physique ou la chimie. Il y aura toujours profit. Et le radium en sera responsable, puisque derrière les radiobes, le véritable problème qui se présente est encore celui du plus fantasque et du plus anormal des corps que nous connaissons. Donc, tous nos compliments au radium et à MM. R. Dubois et J.-B. Burke aussi, qui nous ont ouvert des horizons nouveaux sur l'activité de la substance essentiellement anormale à laquelle M. Pierre Curie doit son fauteuil à l'Institut.
Henry de Varigny.



VISITE DE L'ESCADRE ANGLAISE A BREST


M. Aubert, maire collectiviste de Brest, dans son cabinet.

La municipalité socialiste de Brest avait préparé, concurremment avec les autorités maritimes, un programme de fêtes franco-anglaises. Elle avait commencé, le 10 juillet, par une retraite aux flambeaux, aux chants de l'Internationale et de la Carmagnole; elle devait offrir, le 14 juillet, un banquet populaire aux marins des deux escadres. L'amiral May, commandant de l'escadre anglaise, ayant déclaré que les exigences du service à bord de ses navires ne permettaient pas d'y envoyer ses équipages, le ministre de la marine a refusé aux soldats et marins français l'autorisation d'y assister.


Dans les rues de Brest.


Les préparatifs pour le bal à bord du Jauréguiberry accouplé au Formidable.

Les deux chefs de l'escadre anglaise: le vice-amiral sir William May et le contre-amiral Bridgeman. LES VISITES OFFICIELLES A BORD DU KING-EDWARD-VII.--Les états-majors des amiraux anglais et français saluent pendant que la musique dus navire joue la Marseillaise.


Supplément à L'ILLUSTRATION, 15 Juillet 1905.

LES FÊTES FRANCO-ANGLAISES DE BREST

Le séjour d'une escadre anglaise à Brest a été, pendant toute cette semaine, l'occasion de fêtes fort brillantes, dont le programme judicieusement réglé a permis à 1'«entente cordiale» de s'affirmer sous les formes les plus variées; depuis les réceptions, les banquets, les bals officiels, jusqu'aux réjouissances populaires et aux réunions où les matelots des deux nations ont pu fraterniser en camarades, ou Bretons et Anglais ont oublié, au moins un moment, leurs querelles anciennes, et où «Mariannic» et «Jack», le mathurin britannique, ont timidement fait connaissance. Mais le spectacle le plus caractéristique fut assurément celui de la rade avec les vaisseaux britanniques encadrés par notre escadre du Nord, les pavois arborés, le tonnerre des canons échangeant des salves d'honneur. C'est surtout le souvenir de cette imposante manifestation navale qui restera dans la mémoire des témoins et marquera dans les annales de notre grand port militaire.


LE BAL DU 11 JUILLET A BORD DU CUIRASSÉ "JAURÉGUIBERRY":
L'ARRIVÉE DES INVITÉS.

Un pont de 30 mètres, recouvert de toile à voile, permettait aux trois mille invités d'accéder facilement du quai au cuirassé Jauréguiberry, transformé en salle de bal avec des arbustes, des fleurs et des lampes électriques à profusion sous un vélum d'étamine faune. Le buffet et les salons avaient été installés sur le cuirassé Formidable, accouplé au Jauréguiberry.

LA VISITE DE L'ESCADRE ANGLAISE A BREST


ARRIVÉE SUR RADE DE L'ESCADRE ANGLAISE:
VUE PRISE DES GLACIS DU CHATEAU

L'escadre anglaise, composée de huit cuirassés, deux croiseurs et un bateau-atelier, avait été rejointe lundi, dans la matinée, par les pilotes de l'escadre du Nord, partis à sa rencontre sur deux contre-torpilleurs. Après avoir louvoyé jusqu'à l'heure fixée, elle s'est présentée, vers une heure et demie, à l'entrée du goulet où, sous la conduite de nos pilotes, d'une habileté consommée, elle a fait une entrée majestueuse. Après avoir doublé le sémaphore du Portzic, les navires rasent, pour ainsi dire, la terre, sous les yeux d'une foule nombreuse, très impressionnés par la beauté du spectacle. Puis l'escadre se disloque et chacune de ses unités va prendre, en rade-abri et en grande rade, le corps-mort qui lui a été réservé.


Les pilotes français de l'escadre du Nord, amenés par le contre-torpilleur Fauconneau à la rencontre de l'escadre anglaise, sont transbordés par une baleinière à bord du King-Edward-VII.


                                            Vice-amiral Pephau, préfet maritime.            Vice-amiral May, commandant de l'escadre anglaise.
L'ESCADRE ANGLAISE A BREST: LA POIGNÉE DE MAIN DES AMIRAUX
Dès que les bâtiments anglais furent ancrés dans la rade, le vice-amiral Caillard, commandant de l'escadre du Nord, puis le vice-amiral Pephau, préfet maritime, se rendirent sur le King-Edward-VII pour souhaiter la bienvenue au vice-amiral May, commandant de l'escadre anglaise, qui leur rendit aussitôt après leur visite.





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NOUVELLES INVENTION

(Tous les articles compris sous cette rubrique sont entièrement gratuits.)

DOUBLE FLUTE «LA FAUVETTE»

L'original instrument que représentent nos gravures est, sous son apparence de jouet, un véritable instrument de musique, susceptible de charmants effets variés. Son invention est due à M. A. Krantz, ancien premier prix de flûte au Conservatoire de Paris.

La simple inspection des figures permet de saisir le fonctionnement de cette double flûte. Les orifices produisant la gamme sent obturés par une série de doubles plaquettes garnies de cuir dont la manoeuvre actionne les deux flûtes.

Les avantages de cet instrument sont les suivants:

1° Avec le doigté ordinaire (celui de la flûte à 6 trous, du fifre, etc.), on peut tout jouer, indistinctement sur l'une ou l'autre flûte (l'étendue de chacune d'elles étant de 2 octaves 1/2) et obtenir avec tous les tons de la gamme cinq effets différents tels que tierce, sixte, dixième, etc.;

il est à remarquer que, pour produire ces cinq effets, le doigté reste le même, chaque clef bouchant à la fois sur chacune des flûtes les trous correspondants;

2° La justesse, la sonorité, l'étendue de cet instrument, font qu'il peut être, en solo, comparé à une petite flûte, au «picolo», avec cet énorme avantage qu'on peut jouer un air en solo, ou en duo à la tierce, à la sixte ou à la dixième, le tout avec le même doigté;

3° Il est impossible de jouer faux un duo sur cette flûte, les intervalles ci-dessus étant mécaniquement toujours justes;

4° Sur tout autre instrument, celui qui veut produire deux sons à la fois est forcé: 1° de lire deux notes; 2° d'employer deux doigtés différents, tandis qu'avec la flûte «la Fauvette», on ne lit qu'une seule note, et l'on en produit deux avec un seul et même doigté;

5° Grâce à un ingénieux dispositif, il suffit d'enlever la seule vis que comporte tout le système d'assemblage pour détacher le porte-clefs tout entier, ce qui permet, sans aucune difficulté, de donner à l'instrument tous soins de propreté.

Enfin, la tablature très explicite qui accompagne chaque instrument fait que, sans professeur, il faut très peu de temps pour obtenir de très satisfaisants résultats.

Il a été, d'ailleurs, composé spécialement pour «la Fauvette», un recueil de morceaux progressifs.

Pour tous renseignements sur cet instrument, s'adresser à M. Guillemaud, 7, rue Taylor, Paris.

«La Fauvette» est livrée, en boîte, accompagnée de sa tablature, au prix de 3 fr. 50 dans Paris, et de 3 fr. 75 franco province.