The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 3263, 9 Septembre 1905

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Title: L'Illustration, No. 3263, 9 Septembre 1905

Author: Various

Release date: April 19, 2011 [eBook #35908]

Language: French

Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3263, 9 SEPTEMBRE 1905 ***







L'Illustration, No. 3263, 9 Septembre 1905


(Agrandissement)

Ce numéro contient une gravure hors texte: la Mer.


UNE NOCE AU DAHOMEY EN 1905
D'après une photographie du R, P. Chautard, communiquée par les Missions catholiques de Lyon.
--Voir l'article, page 176.


COURRIER DE PARIS

Journal d'une étrangère

Ce n'est pas la rentrée... mais déjà quelque chose qui ressemble au commencement d'une fin de vacances. Des fiacres chargés de malles traversent Paris; des volets clos depuis deux mois se rouvrent aux façades des maisons, et les cabarets du boulevard s'animent d'un va-et-vient de dîneurs affairés. On ne se réinstalle pas encore; on passe... On revient de la ville d'eaux où l'on a fait ses vingt et un jours de cure; de la plage ou de la montagne où il fait un peu froid et où la nuit commence à tomber plus tôt qu'on ne voudrait; et l'on repart pour la chasse, ou bien on va prendre pour un mois encore--jusqu'à la rentrée des classes--un reste de vacances en banlieue, dans la maison de campagne provisoirement désertée, et d'où l'on ressentira tout de même tant de joie à décamper définitivement aux premiers brouillards d'octobre...

Et l'on cause; on échange de rapides impressions sur les événements des dernières semaines: le krach des sucres, l'équipée de Gallay, la paix signée... La paix! C'est la grande nouvelle dont tout le monde s'entretient avec joie. Elle m'a délicieusement surprise, à mon retour de voyage, et j'en ai ressenti d'abord comme un allégement,--le bonheur de se réveiller au milieu d'un cauchemar qui faisait mal. Et puis ce bonheur s'est obscurci de visions tristes, et maintenant j'enrage. Je ne pense plus aux milliers de jeunes hommes dont l'accord des diplomates vient de décréter le salut, et qui vivront; ni aux milliers de mères qui, depuis huit jours, songent: «Je reverrai mon fils»... Je pense aux autres qui ne reviendront pas; et surtout aux malchanceux, aux victimes de la dernière heure, que les balles, la mitraille et les baïonnettes fauchèrent un peu partout, depuis cinq mois, dans les steppes de Mandchourie,--et sans gloire, en d'obscurs petits combats dont l'Histoire ne retiendra même pas les noms. Ceux d'avant furent des héros. Ils tombèrent en des luttes épiques et desquelles le sort de leurs patries allait dépendre; ils eurent le sentiment qu'ils mouraient pour quelque chose. Mais ceux d'après? Voilà plusieurs mois que cette guerre était interrompue et que nous en guettions la fin. Mais une interruption de guerre n'empêche point que des avant-gardes, la nuit, ne se heurtent, qu'un piège ne soit tendu à une troupe en marche, qu'une sentinelle n'envoie, pour se distraire, une balle au soldat ennemi qui passe; qu'on ne s'égorge ou qu'on ne se fusille par «petits paquets», sans haine, au hasard des rencontres; non parce que la consigne est de se battre, mais parce que celle de ne se battre plus n'est pas donnée encore. On s'occupe, on s'entretient la main; et, tandis que paisiblement les diplomates font leurs malles, prennent contact, s'offrent des cigarettes, négocient, là-bas des enfants qui ont des mères continuent de s'entre-tuer sans savoir pourquoi, en attendant que les diplomates aient fini leurs cigarettes et que sur leur ordre--communiqué sans hâte--les clairons aient sonné: Cessez le feu! Ce sont ces petits que je plains. Ils auraient pu vivre, et il n'a servi de rien qu'ils tombassent sur un champ de bataille. Ils sont tombés tout de même, et ne se relèveront plus.

Il n'y a, au fond, que ces krachs-là qui laissent après eux des ruines irréparables. Les autres finissent toujours, quoi qu'on dise, par s'oublier, et le sucre--si gros qu'en soient les morceaux--fond tôt ou tard au fond du verre... Tout s'arrange; il n'est que d'y mettre le temps et le prix.

Les bonnes gens ont un proverbe que j'aime fort: «Plaie d'argent n'est pas mortelle.»

Il y a eu cette fois mort d'homme, il est vrai; mais une mort qu'aucune loi n'ordonnait et que personne n'eût exigée. Aussi l'Église a-t-elle eu pitié de ce désespoir; et elle l'a appelé «folie» afin de pouvoir, sans enfreindre sa règle, prier tout haut pour celui qui n'était plus.

Quelques-uns ont reproché à M. l'abbé Fleuret sa complaisance. «Cet homme était sain d'esprit, lui ont-ils dit, et vous le saviez.»

Le prêtre a répondu qu'il s'était conformé à l'affirmation d'un médecin dont il lui était interdit de mettre en doute le témoignage. Il a eu raison. Mais il me semble qu'il eût pu répliquer plus simplement encore à ceux qui le blâmaient d'avoir été trop généreux:

«Ce n'est peut-être pas faire acte de folie que de s'appuyer au coeur le canon d'un pistolet, dans la minute où l'on voit sa fortune effondrée et son honneur perdu... Mais c'est être fou, et de la plus indubitable façon, que de prétendre vivre comme a vécu, pendant trente ans, cet homme-ci.

» Il était pauvre: il est devenu riche; il avait le goût des honneurs, et les honneurs lui sont venus; l'ambition de jouer un rôle le tentait: il l'a joué. A force d'intelligence et de volonté, cet homme avait atteint le plus haut degré d'influence et de prestige qu'il pût souhaiter. Il était envié pour son bonheur, admiré pour sa supérieure habileté, vénéré pour sa droiture. Il n'avait qu'à vivre, à se laisser vieillir, pour voir grandir sa fortune et l'honneur de son nom. Il n'a pas voulu. Il a eu, à soixante ans, la hantise d'ajouter aux vingt millions qu'il possédait d'autres millions; il a sacrifié sa tranquillité, la paix de sa conscience et de son esprit, la sécurité des siens, à la vanité d'être plus riche encore, de s'encombrer d'autres millions inutiles; pourquoi? Ce supplément d'opulence n'eût rien ajouté à son bien-être, à son bonheur intime, aux agréments de sa vie, à la réputation dont il jouissait. Cependant, pour le conquérir, il s'est déshonoré lui-même et il a ruiné plusieurs familles autour de lui. Cet homme est donc privé de raison. Et sa folie ne m'est pas prouvée par la façon dont il est mort, mais par celle dont il a vécu. Voilà pourquoi, quel que soit l'avis des médecins sur son cas, j'estime qu'il a droit à nos prières...»

L'Église n'a pas eu maille à partir, ces jours-ci, qu'avec ceux qui l'accusaient de complaisance; il lui a fallu répondre aux injures des libres penseurs qui lui reprochent, à la date de 1905, la mort du chevalier de La Barre, après celle d'Étienne Dolet. Un de ceux-ci, à qui, tout à l'heure, quelqu'un reprochait devant moi la ténacité de si vieilles rancunes, répondit assez spirituellement: «Pourquoi la rancune, en Histoire, serait-elle moins légitime que la reconnaissance? Le 17 septembre prochain, le gouvernement de la République nommera «chevalier de la Légion d'honneur» la ville de Saint-Dizier, pour la récompenser de s'être, en 1541--il y a trois cent soixante et un ans--bien battue contre les troupes de Charles-Quint. S'il est permis--ans ridicule--de glorifier d'aussi vieux exploits, je ne conçois pas que nous vous choquions quand nous prétendons élever une statue au chevalier de La Barre, et flétrir, en 1905, un crime judiciaire commis en 1766. Il faut être juste avec tout le monde.»

Il est vrai. Cependant (et abstraction faite de la question de savoir pourquoi l'Église porte ici le poids d'une faute que la justice laïque fut seule à commettre), on ne saurait aimer, la façon dont nos libres penseurs ont organisé leur vengeance. Il ne leur suffit pas d'élever un monument à la mémoire du martyr: ils l'érigent en face du Sacré-Coeur. Ce n'est point un mort qu'ils glorifient; c'est une idée qu'ils opposent--comme un défi--à une autre idée. «Réparation», disent-ils. «Provocation», répondent les braves gens qui n'aiment pas les batailles dans la rue...

Ceux-ci ont raison, et il me semble que les libres penseurs viennent de créer là un précédent inquiétant. Car, s'il est spirituel, de la part des hommes sans religion, d'ériger devant une église l'effigie d'un «incroyant», il ne le serait pas moins, de la part des protestants, d'élever demain un monument à Calvin devant la fenêtre du Louvre d'où leurs coreligionnaires furent fusillés par Charles IX et peut-être aussi qu'un beau bronze allégorique, installé devant l'Arc de triomphe--une évocation, je suppose, des horreurs de la Guerre--ne serait point pour déplaire aux pacifistes. La discussion à coups de statues... Il ne nous manque que cela pour égayer nos trottoirs!
Sonia.



LES AVATARS DE JEAN GALLAY


                                            Gallay
Instantané sur lequel figure l'escroc Jean
Gallay dirigeant un service d'ordre alors qu'il
était adjoint au commissaire spécial à Caen.

Un de nos abonnés nous communique obligeamment une photographie qui fut prise au moment où Jean Gallay, adjoint au commissaire spécial à Caen, avait, dans les circonstances solennelles, la haute direction de la force armée chargée des services d'ordre, et commandait à la maréchaussée. Au moment où l'escroc fameux va réapparaître en compagnie des gendarmes,--mais dans une attitude combien différente!--l'image ne manque pas d'un certain piquant.

NOTRE SUPPLÉMENT: LA MER

LES ILES SCILLY

Nous publions avec ce numéro une gravure hors texte: la Mer, faisant pendant à celle que nous avons donnée il y a quinze jours: la Montagne.

La photographie reproduite a été prise, en pleine tempête, sur les côtes sauvages des îles Scilly. Fureur des flots, nuées d'écume... le spectacle est grandiose et dépasse toutes les descriptions. Elles seraient superflues et nos lecteurs préféreront trouver ici quelques renseignements sur les îles Scilly ou Sorlingues, fort peu connues, quoique situées à 200 kilomètres seulement des côtes du Finistère.

Ce sont de terribles récifs, redoutés des navigateurs, qui commandent l'entrée du canal Saint-Georges et de la mer d'Irlande. Long de 10 kilomètres, large de 5, ce minuscule archipel comprend deux cents îlots, dont cinq seulement sont habités. Leur population ne dépasse pas 1.850 âmes. Sainte-Mary est la capitale.

Pendant de longs siècles, les Celtes qui vécurent sur ces îlots ne furent que des écumeurs de mer. Mais, grâce à l'intelligence pratique du propriétaire de ces îles, M. Augustus Smith, depuis trente ans, cette terre de désolation et de sauvagerie s'est transformée.

Dans une récente conférence à la Société de Géographie, M. Lardeur a fait connaître comment, tirant profit des avantages du climat, heureusement modifié par une petite branche du Gulf-Stream qui baigne les côtes des Scilly, région où il pleut beaucoup, mais où il gèle rarement, M. A. Smith en a fait un jardin fleuri, un parc aux essences tropicales, et il a métamorphosé ces vieux écumeurs de mer en d'honnêtes horticulteurs.

Il y a cinquante ans, M. A. Smith eut l'idée de tenter dans son domaine de l'île de Tresco--une des Scilly--la culture des fleurs. Cet essai ayant été rémunérateur, il engagea ses fermiers à l'imiter. Mais ils refusèrent. Usant alors de toute son autorité, il divisa le sol en fermes de 10 à 30 acres et contraignit les habitants à se livrer à la culture des narcisses. Au bout de vingt ans, il avait triomphé de toutes les résistances.

Actuellement, de janvier à la fin d'avril, toutes les pentes des collines orientées vers le sud, tous les fonds des vallons se couvrent de narcisses, de giroflées et d'anémones; et chaque jour un vapeur transporte à Penzance jusqu'à 35 tonnes de fleurs coupées, qui se vendent, à Londres, de 4 à 12 francs la caisse, selon le mois.

Comme le grand ennemi des fleurs, aux Scilly, est le vent, les Scilloniens ont divisé leurs terres en tout petits carrés, protégés de tous côtés et pour ainsi dire capitonnés de haies compactes de véroniques et d'esclonias. C'est dans ces casiers, avec son sarcloir, que vit le Scillonien.

Dès que la cueillette des fleurs est faite, il remue et sarcle sans cesse son minuscule jardin, range les oignons de narcisse dans un coin et, dans un autre, de petites boîtes de sapin faites pour protéger chaque fleur au moindre soupçon de gelée.


La libre pensée devant le Sacré-Coeur: M. Le
Grandais prononçant son discours au pied de la
statue du chevalier de La Barre.

On peut errer de jardin en jardin, en suivant les sentiers, sous de véritables portes de verdure, et, partout, l'accueil le plus empressé est réservé au visiteur par l'ancien marin devenu commerçant avisé.

Telles sont maintenant ces terres battues par les flots qui les tiennent à l'écart du monde habitable et où se cachent, sous une enceinte de noirs brisants, des coins de vrai paradis.


LA STATUE DU CHEVALIER DE LA BARRE

A l'occasion d'un congrès de «libres penseurs» réuni à Paris, on a tenu à inaugurer--l'oeuvre définitive n'étant pas prête--la maquette d'une statue de l'infortuné chevalier de La Barre, condamné pour impiété par le tribunal d'Abbeville et supplicié dans cette ville le 1er juillet 1766.

Cette statue s'élèvera en face de la basilique du Sacré-Coeur, à Montmartre. C'est là qu'a eu lieu, dimanche dernier, la manifestation dont nous reproduisons un épisode. Notre instantané fut pris au moment où, devant le monument du sculpteur Bloch, représentant La Barre les jambes brisées par le supplice des coins, la figure contractée de douleur et se soutenant à peine, M. Le Grandais, conseiller municipal, prononçait le discours le plus véhément de cette journée, où l'on en a cependant entendu de violents.


LA FLOTTE ANGLAISE DANS LA BALTIQUE


L'escadre anglaise de la Manche à Swinemunde: au fond, l'escadre allemande.

Il n'était pas allé de flotte anglaise dans la Baltique depuis 1854. Celle qui y parut alors--c'était pendant la guerre de Crimée--ne faisait point une visite de courtoisie et saluait la terre avec de bons boulets.

Cette fois, l'empereur Guillaume II ayant manifesté l'intention vague de proclamer, d'accord avec les autres puissances intéressées, la Baltique «mer fermée», la réponse ne s'est point fait attendre: l'escadre anglaise de la Manche, accompagnée d'une escadre de croiseurs sous les ordres de l'amiral Wilson, soit neuf cuirassés et huit croiseurs, quittait les eaux dans lesquelles elle croise habituellement et se rendait directement à Swinemunde (Allemagne), d'où elle devait gagner Danzig, puis Cronstadt, Esbjerg (Danemark) et Ymuiden (Hollande).


       Marins anglais achetant des cartes postales à Swinemunde.

Après les protestations et les craintes exprimées par la presse allemande au moment où cette visite fut annoncée, on ne pouvait pas s'attendre à ce que l'accueil, à Swinemunde, fût des plus chaleureux.

«Les autorités, nous écrit notre correspondant, se sont montrées polies et la population est restée de glace avec je ne sais quoi d'inquiet qui ne s'est dissipé que lorsque la flotte allemande est venue saluer l'amiral anglais et s'est mise à l'ancre derrière la flotte anglaise. Cette surprise que les marins allemands avaient réservée à leurs camarades anglais remplissait de joie les baigneurs' de Swinemunde, qui se délectaient de voir que, s'ils avaient voulu, les Allemands tenaient les Anglais dans le port comme dans une souricière!»


LES PRISONNIERS DE GUERRE

Voir les gravures, pages 170 et 171.

A la demande d'une indemnité de guerre que formulait le Japon, au début des pourparlers de paix, la Russie a obstinément répondu: «Pas un kopeck». Ce désaccord sur la question d'un dédommagement pécuniaire à accorder au vainqueur fut la cause du différend le plus sérieux qui ait divisé les plénipotentiaires réunis à Portsmouth. On a pu craindre un moment qu'il ne fît échouer la conférence. Mais le Japon a généreusement cédé sur ce point devant l'intransigeance de la Russie. La seule indemnité en argent qu'il recevra doit compenser seulement la différence entre les dépenses nécessitées par l'entretien des prisonniers russes au Japon et celles relatives à l'entretien des prisonniers japonais en Russie.

On estime à 71.000 environ le nombre des soldats et marins russes internés dans l'archipel nippon. En regard de ce chiffre, celui des prisonniers faits par les Russes est insignifiant. L'engagement qui leur a été, à ce point de vue, le plus favorable, celui de Heikoutaï, leur a donné 300 prisonniers.

D'un côté comme de l'autre, on s'est montré extrêmement humain pour ces soldats malheureux.

Les Japonais valides emmenés en Russie sont pour la plupart au village de Medwied, dans le gouvernement de Nijni-Novgorod; les malades et les blessés ont été soignés à l'hôpital militaire de Moscou. Aux uns comme aux autres on a laissé toute la liberté compatible avec les règlements militaires.

Au Japon, on ne demeura pas en reste de chevalerie. L'accueil fait aux prisonniers russes par les populations fut courtois, presque empressé. On poussa la charité jusqu'à s'occuper de les instruire. En attendant qu'ils fussent en état d'apprendre le japonais, ce qu'un certain nombre auront tenté, on apprit à la masse à lire...le russe; car on sait combien est grande, en Russie, la proportion des illettrés.

Un jour, on organisa spécialement pour les prisonniers, à Himeji, avec le concours d'une troupe célèbre d'acteurs--la troupe d'Ichikawa Danzo--une représentation théâtrale, où ils purent voir ce qu'étaient les somptueux guerriers japonais d'autrefois, les Samouraïs aux belles armures.


LE BATAILLON CYCLISTE AUX GRANDES MANOEUVRES DE L'EST

Nous avons, à différentes reprises, parlé des soldats cyclistes du capitaine Gérard. Il y en eut d'abord une compagnie; il y en a maintenant un bataillon, dont le commandant Gérard--car l'excellent officier a conquis son quatrième galon --conserve le commandement. Ce bataillon, fort de cinq à six cents fusils environ, vient de faire son vrai début cette semaine, aux grandes manoeuvres de l'Est, commencées lundi, dans la région avoisinant Vitry-le-François, et ce début a été extrêmement brillant.


En colonne par six.

Le bataillon du commandant Gérard fait partie du 6e corps d'armée, placé sous les ordres du général Dalstein. Dès lundi, il se distinguait en occupant, avec une rapidité étonnante, un point stratégique important vers lequel on l'avait lancé, puis en surprenant, dans les bois au milieu desquels il se cachait, le corps d'armée «provisoire» qui manoeuvre dans cette première période contre le 6e corps, et en le forçant à une action prématurée. Ceux qui virent les cyclistes du commandant Gérard s'élancer à toute vitesse sur la grand'route, replier prestement leurs bicyclettes et les charger sur leur dos pour aborder la position, puis se mettre en bataille et ouvrir le feu; enfin, l'action terminée, regagner le grand chemin, remonter leurs machines et repartir â force de pédales, ceux-là s'émerveillèrent de l'excellent entraînement de ces hommes, de leur entrain, de leur vivacité. Mardi, le bataillon cycliste se distinguait par des exploits nouveaux, par une intervention plus décisive encore.

Dès le matin, avant le jour, le général Dalstein donnait l'ordre au commandant Gérard de se porter sur une ligne reliant Soulanges à Saint-Amand, afin de barrer au corps provisoire, toujours, la grande voie d'accès de Vitry-Châlons et de permettre au 6e corps de couper dans leur retraite les arrière-gardes de l'armée ennemie qui reculait.

En une heure, en pleine nuit, par des chemins abominables, détrempés par la pluie, le bataillon avait franchi 12 kilomètres et était à la place indiquée, qu'il occupait en attendant l'arrivée de la 6e brigade de cavalerie qui le suivait.

Un peu plus tard, deux détachements de cyclistes arrêtaient, en tête et en flanc, aidés par du canon, un régiment d'artillerie ennemie. Puis le bataillon au complet, lancé en avant, prenait contact avec quelques troupes de chasseurs à pied, à Pogny.

Le général Dalstein rappela alors le bataillon dont il avait besoin et le plaça à son aile droite. Là, il joignit bientôt l'avant-garde d'une division adverse, forçant encore une fois le corps provisoire surpris à engager le combat, et enfin se groupa en réserve, à la disposition du commandant, de corps d'armée, tandis que la 42e division tout entière prenait sa place au feu.

Ce sont là des résultats excellents et auxquels rendent unanimement hommage les arbitres des manoeuvres comme les écrivains spéciaux.

Une polémique s'était engagée, ces temps derniers, entre M. Maurice Berteaux, ministre de la Guerre, et le général Langlois, le savant tacticien, au sujet des mérites des grosses formations cyclistes et des services qu'elles pouvaient rendre. Après ce seul début du bataillon Gérard aux manoeuvres, après les belles opérations qu'il a accomplies, on peut d'ores et déjà considérer le procès comme jugé, et le général Langlois, qui s'était fait l'avocat chaleureux des cyclistes, voit triompher sa thèse.

Le bataillon du commandant Gérard a fait ses preuves. Il a enchanté, par sa mobilité, par son activité efficace, ses défenseurs même les plus convaincus.


Pliage des machines.


Machine au dos.


Au combat.


Après la manoeuvre: dépliage des machines.


Le bataillon cycliste en ligne déployée.
Photographies L. Guérin, Mourmelon-le-Grand.


UNE MENACE POUR LE BOIS DE BOULOGNE


La zone des fortifications au bois de Boulogne, où l'on
se propose de raser les fourrés pour construire des immeubles.

Plusieurs journaux parisiens, le Figaro d'abord, puis le Petit Journal et l'Écho de Paris, ont jeté un cri d'alarme: l'administration (la Ville ou l'État, on ne sait au juste) se proposerait, lorsque les fortifications seront démolies de la porte Maillot à la porte d'Auteuil, dans quelques mois, de mettre en vente les terrains ainsi gagnés, qui se couvriraient aussitôt d'énormes immeubles de rapport. Non seulement l'emplacement de l'enceinte actuelle, mais la zone militaire, reboisée après 1871, qui s'étend entre les remparts et l'allée des Fortifications, seraient transformés en un nouveau quartier. Des milliers d'arbres tomberaient ainsi et l'on a calculé que le bois de Boulogne serait diminué de 40 hectares.

Il serait étonnant qu'un tel projet pût aboutir à une époque où tous les hygiénistes sont d'accord pour réclamer plus d'espaces libres et verdoyants dans Paris et autour de Paris. Et il semblerait plus logique, quoique moins lucratif pour la Ville et l'État, d'agrandir le Bois au lieu de le restreindre, en affectant à des plantations nouvelles, à des allées ombreuses, les 69 hectares de talus et de fossés militaires qui le longent et que l'on va niveler.

Les photographies que nous reproduisons ici, en même temps que deux plans explicatifs qui nous ont été obligeamment communiqués par le Figaro, mettent en quelque sorte les pièces du procès sous les yeux du public.


Un sentier qui deviendra une rue bordée de maisons de six étages.

De la Muette à la porte d'Auteuil.

La section grisée en traits obliques indique la bande boisée que l'administration se propose de lotir.--Croquis communiqués par «le Figaro».


AU BOIS DE BOULOGNE: LES PLANTATIONS ET LES TAILLIS MENACÉS
Photographie prise à la Muette.



PRISONNIERS JAPONAIS EN RUSSIE
1. Blessé écrivant au pays.--2. Le village de Medwied, dans le gouvernement de Novgorod, résidence des prisonniers valides.--3. Convalescents jouant au jeu «Go».--4. Le mal du pays.--5 et 6. Prisonniers travaillant à fabriquer des fleurs artificielles ou de menues constructions.--7. Dans une rue du village de Medwied.--8. Une chambre d'officiers.

Photographies prises à l'hôpital militaire de Moscou et au village de Medwied.--Voir l'article, page 167.


PRISONNIERS RUSSES AU JAPON
1. Débarquement d'un contingent de prisonniers.--2. Obsèques d'un soldat mort en captivité: les prières sont dites par un pope japonais.--3. Une représentation théâtrale à Himeji, pour les prisonniers russes.--4. Un jeune officier russe prenant une leçon de japonais.--5. Convoi de blessés.--6. Baraquements construits spécialement pour loger les prisonniers russes à Matsuyama.

Photographies de MM. Le Boulanger et J.-C. Balet.
--Voir l'article, page 167.
]


LES SUCRES

A LA RAFFINERIE SAY


              La raffinerie Say: vue extérieure
                     sur le boulevard de la Gare.

Au moment où deux krachs successifs sur les sucres viennent de causer tant d'émotion, où la raffinerie, industrie jusque-là plutôt discrète et assez mystérieuse même, a été si souvent mise en cause, nous avons cru intéressant de conduire nos lecteurs dans l'une de ces usines qui ont fait si fort parler d'elles en ces dernières semaines. Les portes de la raffinerie Say, qui était plus particulièrement en cause, lors des récents incidents, nous ont été très aimablement ouvertes.

La raffinerie Say, fondée, comme on sait, par M. Constant Say, dont M. Cronier fut le collaborateur principal, occupe, sur le boulevard de la Gare, dans le quartier de la Gare, des bâtiments considérables disposés autour et en arrière d'une cour d'aspect assez monumental. C'est une usine fort bien aménagée et un beau type de grande raffinerie. C'est là que nous avons pu prendre les quelques clichés que nous publions et qui montrent les principales opérations du raffinage. Nous complétons ainsi, d'ailleurs, les articles que nous avons publiés alors que le Parlement discutait les décisions adoptées par la conférence internationale réunie à Bruxelles pour examiner les modifications à apporter à la législation sucrière,--articles qui s'arrêtaient à la fabrication du sucre et surtout du sucre indigène.


L'atelier de sciage du sucre.

Le raffineur se propose, en somme, de donner au sucre sa forme commerciale. En effet, si le produit qui sort de la sucrerie est à peu près pur, il se présente toutefois à l'état de cristaux blancs, brillants. Il s'agit de le transformer en pains, en cubes, en morceaux sciés ou cassés mécaniquement, formes sous lesquelles le consommateur a l'habitude de l'acheter. En même temps, la raffinerie traite, purifie, améliore et rend utilisables pour l'alimentation les produits inférieurs, les sucres dits de second jet, qui sont teintés de jaune ou de roux, et aussi les sucres exotiques, fabriqués aux colonies avec plus ou moins de soin.


La salle des turbines.

Tout cela est traité par une méthode à peu près uniforme, à certains tours de main, à certains détails près.

Le sucre arrivant de la fabrique subit d'abord l'opération de la fonte, c'est-à-dire qu'il est dissous dans l'eau, et, à l'état de solution, filtré sur un mélange de noir animal et de sang qui le décolore et le débarrasse d'une partie des impuretés qu'il peut contenir. En ces dernières années, on a substitué à ce procédé de clarification le filtrage sur un produit chimique spécial: le sucro-carbonate calcique.

Après un nouveau passage à travers des toiles, puis, de nouveau, un filtrage sur du noir animal, le produit est envoyé à la cuite en grains dans le vide. Il a déjà subi, au cours de la fabrication, une opération toute pareille.

Conduit dans des chaudières chauffées à une haute température, il peut y demeurer aussi longtemps qu'il est nécessaire sans éprouver d'altération, grâce au vide d'air maintenu dans les appareils. Au sein de la masse pâteuse, des cristaux, des grains, commencent à se former. La masse passe alors dans des bacs ou réchauffoirs, maintenus à 80 degrés environ, où elle achève de se cristalliser. Une agitation continuelle ou mouvage, communiquée à l'appareil, active la formation du grain et le régularise.

Le sucre est désormais prêt à être mis en pain.

La chose se fait dans un local appelé empli, chauffé à un point assez élevé encore et voisin de 30 degrés.

Des réchauffoirs, la masse est amenée par des manches de fonte jusqu'au-dessus de chariots portant les formes coniques de métal où le pain va se mouler. Des leviers, manoeuvres de l'extérieur par des ouvriers demi-nus--la chaleur qui règne dans l'atelier nécessite ce costume sommaire--règlent l'écoulement du sucre. En quelques minutes, les vingt-quatre formes d'un chariot sont remplies et le tout est conduit dans des étuves où les pains vont demeurer plusieurs jours. Chaque forme porte à sa pointe, au bas, un trou, qu'on a soigneusement bouché avant le remplissage. Quand on estime le bloc bien pris, le bouchon est ôté et ce qui demeure de sirop au sein de la masse compacte s'écoule peu à peu. On active encore cette évacuation, en même temps qu'on parachève le nettoyage du sucre, en disposant, à la partie supérieure des formes, une bouillie épaisse d'eau et d'argile. L'eau, en s'écoulant, dissout et entraîne le sirop impur. On procède encore par clairçage en faisant traverser la masse par du sirop très pur ou clairce, qui remplit le même office que l'eau. Il reste à nettoyer la base du pain et à le démouler.


Au port de la Villette: l'embarquement du sucre en péniches.


A LA RAFFINERIE SAY.
--L'«empli», atelier où le sucre est versé dans les moules où il prend la forme de pains.

Pour les sucres destinés à être sciés, la forme conique des pains présentait le double inconvénient de compliquer l'opération du sciage et de laisser beaucoup de déchets. On y a remédié en fabriquant des pains prismatiques, qui sont produits dans des moules en forme de couronnes cylindriques, divisés en secteurs dont chacun donne une barre de sucre plate, facile à débiter sans pertes.

Des treuils puissants montent ces tablettes, à pleins chariots, à l'étage supérieur, où se trouve l'atelier de sciage: là des machines ingénieuses, conduites par des femmes, les découpent en petits «cailloux» tout prêts pour la table.

C'est de là que le sucre part pour être enfin mis en boîtes, puis en caisses, et emporté par de puissants camions automobiles vers les gares, vers le canal où l'attendent des péniches, vers la Seine où l'on en charge des steamers entiers.


LECTURES D'ACTUALITÉ

Les deux hommes du jour: le président ROOSEVELT ET M. SERGE WITTE [1].

[Note 1: Roosevelt intime, par Albert Savine (Juven, 3 fr. 50).--La Vie au rancho, par le président Th. Roosevelt (traduction Savine, Dujarric, 3 fr. 50).--L'Idéal américain, par Th. Roosevelt, traduction Rousiers (Armand Colin, 3 fr. 50).--La Vie intense, par Th. Roosevelt, traduite par la princesse Ferdinand de Faucigny-Lucinge et Izoulet (Flammarion, 3 fr. 50).--De Monroe à Roosevelt, par le marquis de Barral-Montferrat, avec préface de M. le comte d'Haussonville (Plon, 3 fr. 50).--La Russie économique et l'Oeuvre de M. Witte, par Alfred Anspach (Le Soudier, 3 fr. 50).

Le livre de M. Savine abonde en renseignements et nous est d'autant plus précieux qu'il est le seul, je crois, qui nous raconte en détail l'existence du grand président. D'origine hollandaise par son père, mais portant, dans son sang, quelque chose de toutes les races qui peuplent les États-Unis, Th. Roosevelt nous offre le type physique et moral du parfait Américain, alerte, vigoureux, plein de rondeur. Né à New-York, le 27 octobre 1858, le futur grand homme fit de fortes études à Howard Collège, où il cultiva, en même temps que les lettres, tous les sports athlétiques. De bonne heure, en 1881, il fut élu à l'assemblée législative de son Etat, où il se montra ardent adversaire de la corruption sous toutes ses formes. Après la mort de sa première jeune femme, il s'en alla fonder un rancho sur les bords du Petit-Missouri. Dans la vie sauvage et indépendante, loin de toute civilisation, avec ses cowboys, avec ses taureaux et ses troupeaux de vaches et de chevaux, il voulut retremper son âme.

Avec quelle vérité lui-même nous a tracé ses années de solitude et de lutte contre la nature et contre les voleurs, ses courses sur des chevaux indomptés, ses chasses périlleuses. Sa Vie au rancho nous éclaire parfaitement sur son caractère et sur son énergie. Peut-être ne trouvera-t-on pas dans ces pages un lyrisme débordant. Mais le futur président tient, avant tout, à être précis et à ne pas voiler sous des fleurs, les faits réels de la vie du ranchero. Ce n'est point un homme de lettres: il écrit avec son tempérament. Après trois années de dure existence et de succès commercial, il liquida son exploitation. Il avait déjà, mêlant la littérature aux labeurs manuels, publié, outre la Vie au rancho, un livre sur la Guerre navale en 1812. Au mois de mai 1889, il acheva la rédaction de ses deux beaux volumes: la Conquête de l'Ouest.

Ne se pas spécialiser, c'est sa devise. Aussi essaye-t-il de tenir en même temps la plume, la carabine, et d'exécuter les grandes chevauchées à travers les plaines mornes. Nous le trouvons, après son retour à la vie civilisée, directeur de la police de New-York, exact à faire observer la loi, ne ménageant pas les concussionnaires. En 1897, il est nommé secrétaire adjoint à la marine, où son principal souci est de préparer la lutte contre l'Espagne, qu'il veut entamer, même sans déclaration de guerre. Quand elle éclate il ne peut tenir dans son poste en apparence pacifique et, malgré toutes les objurgations, conduit aux batailles, avec intrépidité, un régiment de rough-riders, dont il a plus tard raconté l'histoire, car, s'il aime l'action, il aime aussi à la décrire. Sa tenue pendant la guerre, ses services comme chef de la police et secrétaire adjoint de la marine, semblent le désigner pour la place vacante de gouverneur de New-York. Sans hésiter, il se précipite dans la mêlée et pose sa candidature. En 1900, il se présente comme vice-président et soutient, pour la présidence, Mac-Kinley. Quel est son programme? Celui que nous lisons dans la Vie intense: l'extension territoriale des États-Unis. Comment le fait-il connaître aux populations? Il loue un wagon électoral, parcourt le pays, annonce d'avance les arrêts et, pour ne pas perdre de temps, harangue de la plate-forme du train les foules accourues. Dans une seule journée cet homme de fer prononça jusqu'à quatorze discours. Au milieu de tout cela il n'oublie pas tout à fait les lettres et compose son Olivier Cromwell. Le 6 septembre 1901, l'assassinat de Mac-Kinley lui conférait cette présidence des États-Unis qui lui a été renouvelée et dans laquelle il a fait tant de gestes illustres.

Voilà un peu pour sa vie extérieure. Quelle est sa pensée? L'Idéal américain nous le livrera tout entier. Guerre aux coquins, aux hommes susceptibles de vénalité, à ceux qui les achètent; guerre au manufacturier égoïste, dur et sec, au démagogue aussi malfaisant dans une république que le courtisan dans une monarchie; guerre à l'indifférence grossière sur les résultats de la corruption et de l'injustice! L'Américain ne doit pas être seulement un animal poursuivant le dollar, sans autre souci que de s'enrichir, avec un idéal purement matériel et avilissant. Il faut qu'il ait le culte de la gloire, de l'indépendance hardie, de la générosité, de l'amélioration civique et nationale. A cette peinture de l'idéal américain il ajoute une virile exhortation à l'américanisme. Allemands, Irlandais, immigrants de toutes les races, doivent, en touchant le sol de la nouvelle patrie, cesser d'être Européens et prendre les moeurs et l'exclusif amour du pays qu'ils ont choisi. Pas d'exclusivisme contre l'étranger, mais pas non plus de cosmopolitisme: il faut que les âmes s'unifient sur toute l'étendue du territoire, que les enfants soient élevés en Américains et non selon les conventions de la vieille Europe. «Avant tout, nous devons nous tenir épaule contre épaule, sans nous inquiéter des aïeux ou de la religion de nos camarades, mais seulement de la sincérité de leur américanisme.» Pas de conception humanitaire prématurée, mais de l'unité et un patriotisme ardent, mais une force navale immense pour faire respecter dans les deux Amériques la doctrine de Monroe, et aussi, peut-on ajouter, pour l'amplifier. En effet, dans sa passion pour sa terre natale, Roosevelt a dépassé les principes purement défensifs de 1823 qui établissaient un mur entre les deux Amériques et la vieille Europe. Il ne se confine pas dans ce particularisme: de temps à autre il pratique à la muraille quelques brèches plus ou moins énormes; il inaugure la politique mondiale, intervenant dans les démêlés de la Russie avec les juifs, dans la question marocaine, et réunissant pour l'heureuse paix la Russie et le Japon. On peut lire sur ce point le livre de M. le marquis de Barral-Montferrat qui paraît le jour même où j'écris cet article.

En même temps que le président Roosevelt, M. Witte se présente depuis quelques semaines en pleine lumière. Peut-être n'a-t-il pas les facultés diverses du grand Américain et reste-t-il en toute circonstance un pur économiste, comme nous le montre, dans son livre savant, M. Anspach. A la date où M. Witte devint ministre des finances, le 30 août 1892, l'oeuvre pacifique de la Russie était double. Il fallait d'abord créer les voies ferrées, dont l'immense empire était presque complètement dépourvu. Pour couvrir de rails une aussi prodigieuse étendue, l'argent était nécessaire, et la Russie avait peu de crédit et un budget insuffisant. M. Witte amena fort habilement les capitaux étrangers et les capitaux français en particulier. Le budget intérieur, trop faible pour permettre les vastes entreprises, monta d'un milliard de roubles à plus de deux milliards, grâce à la sagesse de M, Witte. Aussi lui fut-il possible de faire un réseau de voies ferrées et spécialement, traversant la Sibérie, le fameux chemin de fer si utile aux Russes, pendant la dernière guerre et dont ils useront, pour leur plus grand profit, dans l'avenir pacifique.

Ce que M. Witte devait développer encore, c'était l'émigration en Sibérie. Ce qui importe à la Russie, c'est de se peupler, c'est de tirer de son vaste et riche territoire toutes les richesses qu'il peut fournir et qu'il est loin d'avoir donné. Voilà ce qu'a parfaitement vu M. Witte. Aussi, en même temps qu'il construisait des chemins de fer, favorisait-il l'émigration en Sibérie. De 61.455 le chiffre annuel des émigrants s'éleva, grâce à ses soins, à près de 250.000. Magnifique résultat! Maintenant, car il y a toujours quelque restriction aux plus grands éloges, s'il a contribué à la mise en oeuvre économique de la Russie, on lui reproche d'avoir négligé les choses militaires, d'avoir trop changé les épées en socs de charrue et en rails de chemin de fer. Après avoir perdu la direction des affaires pendant quelques années, M. Witte redevient, par l'heureux résultat de la conférence de Portsmouth, le premier personnage de l'empire. Il n'a pas tous les dons divers de Roosevelt, ni ses qualités brillantes, ni son tempérament. Il n'a pris la plume qu'une fois, mais pour écrire un livre tout spécial: Principes des tarifs des chemins de fer pour le transport des marchandises(1884).

Chose singulière! MM. Roosevelt et Witte ont la même ascendance paternelle. M. Witte est né à Tiflis, le 29 juin 1849, d'un père qui se rattachait à une ancienne famille hollandaise.
E. Ledrain.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

L'ÉCLIPSE PHOTOGRAPHIÉE A PARIS AVEC UN OBJECTIF ORDINAIRE.

Nous publions ici quelques photographies prises à Paris pendant l'éclipse de soleil du 30 août.

Ceux de nos lecteurs qui auront essayé eux-mêmes de prendre, avec leurs objectifs ordinaires, des clichés directs du phénomène, supposeront sans doute, en voyant ces photographies, qu'elles ont nécessité l'emploi d'appareils spéciaux et fort coûteux; il n'en est rien!

On croit généralement que, pour obtenir une image amplifiée, il est indispensable d'employer, soit un objectif à foyer extrêmement long, soit un téléobjectif de fort grossissement, accessoires que ne possèdent généralement pas les amateurs les mieux outillés.

Il est possible au contraire d'utiliser les objectifs à court foyer dont sont munis la plupart des appareils à main si répandus aujourd'hui. Les personnes qui ont eu l'occasion de braquer ce genre d'objectif sur le soleil ou sur la lune ont pu remarquer que l'image obtenue est microscopique (un objectif 9x12 de 130mm de foyer donne un disque d'un millimètre et demi de diamètre à peine). Mais, pour obtenir de grandes images directes, il suffit de placer en avant de l'objectif une simple jumelle de théâtre ou, mieux encore, une forte jumelle marine, de telle sorte que l'axe de l'un des oculaires soit sur le prolongement de l'axe optique de l'objectif. La photographie ci-dessous représentant le dispositif nous dispense d'une longue description.


Dispositif pour photographier à grande distance.
L'éclipse photographiée à Paris avec un appareil ordinaire et une jumelle.

En batterie pour photographier l'éclipse.

Le tirage de la jumelle, la distance de cette dernière à l'objectif, et enfin le tirage de la chambre noire se déterminent assez rapidement par tâtonnements.

Le deuxième oculaire de la jumelle, loin d'être inutile, sert de chercheur. On dirige l'appareil vers le soleil et dès que son image réduite vient se dessiner sur la planchette de l'objectif, on a la certitude que la même image amplifiée se projette sur le verre dépoli; on couvre alors, au moyen du voile noir, l'intervalle séparant la jumelle de l'appareil afin d'éviter l'introduction de toute lumière étrangère.

Une fois la mise en plaque bien faite, il n'y a plus qu'à opérer rapidement, pour ne pas laisser le temps à l'image de s'échapper en raison du double mouvement de la terre et du soleil.

L'emploi de plaques orthochromatiques et antihalo s'impose absolument, avec l'adjonction d'un écran jaune; de plus, il faut tenir compte de la diminution progressive de la lumière jusqu'à la phase maxima de l'éclipse; le 30 août, la surface solaire masquée par la lune était, à 1 h. 19, les 818 millièmes de la surface totale; comme l'action de la lumière est proportionnelle au carré de sa surface, il fallait établir une échelle de temps de pose inversement proportionnelle au carré de la surface solaire visible. Ainsi les quatre épreuves ci-dessus ont-elles reçu les temps d'exposition suivants:

           Midi 33 -- 1/80e de seconde
            --  42 -- 1/55e    --
         1 heure 7 -- 1/30e    --
        1 heure 19 -- 1/20e    --

avec écran jaune triplant le temps de pose. L'objectif était un anastigmat 9x12 de 130 millimètres de foyer travaillant à toute ouverture, soit f. 0.8 et monté sur une chambre 13x18.

Nous espérons, par ces détails, rendre service aux photographes désireux de fixer sur la plaque un phénomène astronomique intéressant.

Il est à peine besoin d'ajouter que ce dispositif ne limite pas son emploi à la photographie céleste, et qu'il peut être utilisé chaque fois qu'un puissant téléobjectif serait nécessaire.
Léon Gimpel.




       La houille en Nouvelle-Calédonie: un «décapelage»
            dans le ravin des Cerisiers.

La houille en Nouvelle-Calédonie.

Notre gravure montre le décapelage, c'est-à-dire la mise à nu, d'un filon à fleur du sol dans les gisements houillère de la Nouvelle-Calédonie.

Depuis longtemps déjà, on avait constaté la présence de la houille dans notre colonie, mais les tentatives d'exploitation avaient été presque nulles. M. Portal, continuant les recherches effectuées en 1890 par M. Caulny, puis en 1903 par M. Colomer, croit pouvoir affirmer aujourd'hui l'existence de six grands faisceaux, faciles à exploiter, où se trouveraient représentés les principaux types de charbon, si ces prévisions se réalisent.

La mise en valeur de ces filons va permettre l'installation de hauts fourneaux pour traiter sur place les minerais de nickel qui constituent une part notable des richesses de la colonie. Elle favorisera l'installation de petites industries locales, en même temps qu'elle assurera à notre flotte une précieuse station de ravitaillement. Enfin, la variété des charbons permettrait d'espérer que l'excès de production sur la consommation locale sera aisément absorbé par les divers marchés du Pacifique.

La colonie étrangère en Chine.

Dans les dix dernières années, la colonie étrangère, en Chine, a un peu plus que doublé.

Elle comptait 9.891 étrangers en 1893, et 20.404 en 1903.

Les Anglais et les Japonais, qui y étaient représentés, en 1893, par mille et quelques unités, le sont maintenant par plus de cinq mille et les Américains y ont doublé leur nombre.

Le premier rang est occupé par les Anglais et le deuxième par les Japonais.

Parmi les Européens, ce sont d'ailleurs les Belges qui, proportionnellement, ont le plus gagné, passant de 50 à 311.

Quant aux Français, de 786 en 1893, ils étaient 1.213 en 1903. Ils occupent maintenant le sixième rang, après les Américains, les Portugais et les Allemands.

Si l'on considère les maisons de commerce, on note que les maisons japonaises ont, dans le même temps, passé du nombre 42 au nombre 361. C'est un gain de 319 unités, alors que les maisons anglaises n'ont gagné que 66 unités, les allemandes 78, et les américaines 84. Les maisons françaises y sont au nombre de 71, en progression de 38 unités depuis dix ans, et au cinquième rang, après les maisons anglaises, japonaises, allemandes et américaines.

La psychologie des jumeaux.

On a souvent raconté des choses curieuses sur la psychologie des jumeaux: elle serait très semblable le plus souvent, et il existerait de l'un à l'autre des corrélations singulières et frappantes. Un cas, récemment relaté par M. Ch. Féré à la Société de Biologie, présente, lui aussi, de la singularité. Il s'agit de deux jumelles qui, contrairement à l'opinion générale, ont le caractère très différent. Mais, chose singulière, au même moment, le caractère des deux jeunes filles change. La particularité n'est pas dans ce fait qu'il change, car les mutations de caractère sont chose connue et fréquente: elle est dans ce fait que la mutation est une permutation. Des deux jeunes filles, l'une était expansive, l'autre indifférente. Elles furent, en bas âge, réunies à un frère aîné, un fils que leur père avait eu d'un autre mariage.

La première l'accueillit fort mal et lui a toujours témoigné de l'antipathie. L'autre lui a fait bon visage. La première est blonde, à peau blanche, et grande; la seconde, brune, et courte. Leurs figures sont très différentes. Jusqu'à la treizième année, les deux sieurs ont conservé chacune le caractère qui vient d'être dit. Mais, à cette époque critique, du jour au lendemain, il y a eu changement total. La brune, autrefois affectueuse pour son frère, ne peut plus le supporter: l'antipathie qu'elle a prise pour lui lui donne même de l'animation et de la loquacité: elle s'en moque et le critique sans cesse. Elle a pris tout le caractère qu'avait sa soeur. Et celle-ci lui a pris le sien: elle est devenue apathique, cherche l'isolement, et supporte son frère sans marquer de répulsion. Le frère n'a rien gagné, les parents non plus.

Le paquebot «Kaiserin-Augusta-Victoria».


Lancement du Kaiserin-Augusta-Victoria, le plus long paquebot du monde.

On a lancé, le 29 août, des chantiers Vulkan, à Stettin, un navire destiné aux voyages transatlantiques, qui sera le plus long du monde: le Kaiserin-Augusta-Victoria. La mise à l'eau a eu lieu sans apparat, quoique l'empereur Guillaume II y assistât, avec l'impératrice Augusta-Victoria, qui avait accepté d'être la marraine du navire. Mais l'empereur a tenu à faire répandre qu'il venait là simplement à titre d'«ami» du président de la Hamburg-Amerika Linie, à la flotte de laquelle appartient le nouveau paquebot. Et il n'a prononcé nul discours, laissant à son «ami» et au maire de Stettin la tâche d'exalter la marine allemande et le patriotisme naval.

Le Kaiserin-Augusta-Victoria sera un admirable navire et qui justifie les panégyriques adressés ce jour-là à la Compagnie Hamburg-Amerika.

Il a 213 mètres de longueur, 39 mètres de largeur, 16m,50 de creux. Son tonnage brut est de 25.000 tonnes, son déplacement de 42.500 tonnes; ses machines, à balancier, système qui atténue les trépidations toujours si désagréables aux passagers, développeront 17.200 chevaux, et lui donneront une vitesse de 18 milles à l'heure, lui permettant de faire, en sept jours et demi, la traversée de Cherbourg à New-York. Il y a plus rapide. Mais la Hamburg-Amerika a voulu surtout créer un bateau confortable et de gros rapport. Le Kaiserin-Augusta-Victoria pourra prendre 16.000 tonnes de cargaison, emmener 550 passagers de 1re classe, 300 de 2e, 250 de 3e et 2.500 d'entrepont, soit 3.400 passagers, ce qui, avec les 600 hommes dont se compose l'état-major et l'équipage, donne un total de 4.000 habitants à cette ville flottante: trois navires pareils suffiraient au transport d'une division d'infanterie sur pied de guerre, hommes et matériel.

Il est presque superflu d'ajouter qu'on a déployé, dans l'aménagement du paquebot, un grand luxe. Il y a, à bord, des appartements complets, avec salle de bain; deux restaurants, où l'on dîne en musique, aux accents d'un orchestre allemand et d'un autre de tsiganes; une salle de gymnastique et des bains de lumière électrique. Une bouquetière vend chaque jour des fleurs fraîches; des soeurs de charité diplômées assurent le service de l'infirmerie. Le téléphone est partout; enfin, des ascenseurs desservent les différents étages.

Le match à l'aviron franco-allemand


Le match à l'aviron Francfort-Paris: l'équipe allemande victorieuse.

La victoire du match à huit rameurs que se disputèrent, dimanche dernier, les équipes de Paris et de Francfort, a été remportée par l'équipe allemande. L'équipe de Paris, qui avait eu un départ rapide, fut rejointe par l'équipe de Francfort. En définitive, les Allemands atteignirent le but avec une avance de deux longueurs et en 8 m. 50 s.

Une réception, après la rencontre, au garage de la Basse-Seine et un banquet, le soir, à l'Union-Billard, réunissaient joyeusement les vainqueurs et les vaincus autour du fondateur de l'épreuve, M. Doyen.

Notons que, couru pour la cinquième fois, le match a été gagné trois fois par les Allemands et deux fois par les Français.

M. Hammarskjoeld (S.) M. Staaf (S.)                   M. Vogt (H.)                        

                  Cte Wachtmeister (S.)             M. Lundeberg (S.)             M. Michelsen (N.)   M. Berner (N.)
LA SCISSION SUÉDO-NORVÉGIENNE.
--Les délégués suédois et norvégiens à la conférence de Carlstad.

LA SCISSION SUÉDO-NORVÉGIENNE

La Norvège ayant manifesté, de la façon éclatante que l'on sait, sa ferme volonté de se séparer de la Suède, il restait à déterminer dans quelles conditions aurait lieu cette scission et à régler un certain nombre de questions qu'elle pose. D'un commun accord entre les gouvernements des deux pays, une commission a été constituée pour étudier, si l'on peut dire, les clauses du divorce.

Cette commission se compose: pour la Suède, de MM. Lundeberg, président du Conseil; le comte Wachtmeister, ministre des Affaires étrangères; Hammarskjoeld, ministre des Cultes, et Staaf, ministre sans portefeuille;--pour la Norvège, de MM. Michelsen, président du Conseil; Loevland, ministre des Affaires étrangères; Berner, président du Storthing, et Vogt, ministre sans portefeuille. La conférence s'est réunie pour la première fois le 31 août, à Carlstad (Suède).

AUX COURSES


      M. Hennion. Aux courses.--M. Hennion
       interdit le pari au livre aux sportsmen.

Le monde des courses est en émoi. Après de longues années de tolérance, le pari au livre vient d'être rigoureusement interdit: il était illégal et, pratiqué par tous les gros joueurs, il absorbait de grosses sommes qui échappaient ainsi au pari mutuel et à sa retenue de 8 p. 100. L'application du nouveau régime a coïncidé avec l'ouverture de la saison d'automne sur les hippodromes parisiens. C'est M. Hennion, commissaire principal de la Sûreté générale, qui a été chargé de l'exécution de l'arrêté pris par M. Ruau, ministre de l'Agriculture. La chose s'est passée d'ailleurs le plus simplement du monde. Notre photographie montre M. Hennion entouré des bookmakers et sportsmen auxquels il notifie l'interdiction d'échanger des paris sous peine d'arrestation et de procès-verbal. Sportsmen et bookmakers sourient à ce discours courtoisement menaçant. Ils en ont entendu bien d'autres, ils sont patients, et ils savent attendre la fin des heures de crise.


L'accident de chemin de fer de Witham, en Angleterre.

UN DÉRAILLEMENT
EN ANGLETERRE

Un grave accident de chemin de fer s'est produit, le 1er septembre, non loin de Londres, sur la ligne du Great Eastern Railway: un express, bondé de 200 voyageurs, parti, à 9 h. 27 du matin, de la station de Liverpool-Street, et qui se rendait à Cromer, station estivale très fréquentée, a déraillé partiellement, à un embranchement, à la petite station de Witham.

Le train se coupa soudain en deux, les wagons d'arrière étant sortis de la voie. La partie avant --trois wagons--continua sa route derrière la locomotive qui, subitement allégée de la majeure partie de sa charge, partait à une vitesse effrayante. Les wagons déraillés, escaladant le quai, allèrent se jeter contre les bâtiments de la gare, écrasant trois employés; trois s'y brisèrent les uns contre les autres, s'entassèrent en un monceau de débris, sous lesquels gisaient pêle-mêle des cadavres, des blessés, des gens hurlant, à demi-fous. On releva dix morts et plus de cinquante blessés.

UNE NOCE AU DAHOMEY

La civilisation a été vite, au Dahomey, depuis que le lamentable Behanzin n'y trône plus. Voyez plutôt ce qu'est, aujourd'hui, une noce à Ouidah: la robe immaculée et le voile de blanche mousseline pour l'épousée; la redingote de nos mariés ultra corrects, le gibus et les gants blancs pour le jeune époux; aucune de nos élégances n'est inconnue à ce couple noir, défilant en tête de son cortège nuptial sous les
                    Tamagno.
bananiers. On est presque tenté de trouver indécents, auprès d'eux, ces négrillons qui arborent audacieusement le pagne, en attendant,--qui sait?--l'âge du smoking. Et, si le cinématographe ne fonctionne pas encore, à la sortie de l'église, comme aux grands mariages à Saint-Philippe du Roule et à la Madeleine, du moins en est-on déjà à la photographie, et c'est d'après un amusant cliché, récemment pris par le R. P. Chautard, que notre dessinateur a pu reconstituer fidèlement cette noce au Dahomey.

LE TÉNOR TAMAGNO

Le célèbre ténor Tamagno vient de mourir, à cinquante-cinq ans, dans la villa qu'il possédait près de Varèse.

Sa carrière a été des plus brillantes et surtout des plus fructueuses. Doué d'une voix admirable, en un temps où le ténor se fait rare, il se fit donner, dès qu'il fut en possession de la renommée, des appointements formidables. En ces dernières années, chacune de ses soirées lui rapportait de 5.000 à 6.000 francs.



(Agrandissement)



Note du transcripteur: ce supplément ne nous a pas été fourni.