Title: L'Illustration, No. 3648, 25 Janvier 1913
Author: Various
Release date: September 22, 2011 [eBook #37506]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
Ce numéro se compose de vingt-quatre pages dont huit brochées à part
avec des aquarelles de L. Sabattier: Un mois à Pékin.
Il contient deux suppléments:
1° L'Illustration Théâtrale avec le texte complet de Bagatelle, de
Paul Hervieu, et un portrait de l'auteur par Léon Bonnat, reproduit en
couleurs;
2° Le 1er fascicule des Souvenirs d'Algérie (Récits de chasse et de
guerre), du général Bruneau.
M. RAYMOND POINCARÉ Élu président de la République
française le 17 janvier, pour entrer en fonctions le 18 février 1913.
Photographie Ch. Gerschel, prise spécialement pour L'Illustration, le
lendemain de l'élection présidentielle, dans le cabinet de travail de M.
Poincaré, rue du Commandant-Marchand.
MM. les Actionnaires de la Société du journal L'Illustration sont convoqués en Assemblée générale ordinaire pour le jeudi 13 février prochain, au siège social, 13, rue Saint-Georges, Paris, à deux heures.
ORDRE DU JOUR:
Lecture des rapports du gérant et du conseil de surveillance. Examen et approbation, s'il y a lieu, de ces rapports, du bilan et des comptes de l'exercice 1912.--Répartition des bénéfices.--Fixation du dividende.--Proposition du gérant relativement aux frais généraux.--Renouvellement du conseil de surveillance.--Fixation du chiffre du traitement du gérant pour l'année 1913.
Pour assister à cette réunion, MM. les Actionnaires propriétaires de titres au porteur doivent en faire le dépôt avant le 7 février, à la Caisse de la Société. Il leur sera remis en échange un récépissé servant de carte d'entrée.
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C'est, comme il convenait, à l'Élection présidentielle du 17 janvier qu'est consacrée la plus grande partie de ce numéro. Nous n'avons pas voulu cependant ajourner la publication du second article illustré de L. Sabattier: Un mois à Pékin. Il remplit huit pages brochées à part, dont quatre en couleurs.
Dans le supplément théâtral de cette semaine, qui contient Bagatelle, de Paul Hervieu, nos lecteurs trouveront une autre gravure en couleurs: le portrait du grand écrivain, par Léon Bonnat.
Dans le prochain numéro, nous publierons Kismet.
--Oui, je pars. Je pars demain, déclara, dans le salon où nous étions réunis, à l'heure du thé, un homme d'environ cinquante ans.
Ces mots déchaînèrent à la minute un concert d'exclamations et de regrets: «--Quelle chance vous avez!... Je vous envie! Vous allez dans le Midi, bien sûr? Chercher le soleil? Ah! la chaleur! la bonne chaleur!
--Vous n'y êtes pas, dit-il, je vais quérir la neige et trouver le froid.»
Et, comme chacun s'étonnait, croyant à une boutade, il précisa sa pensée: «Mais oui. J'ai été élevé dans cette idée fondamentale qu'il y avait des saisons. Les saisons! Ma mère m'en a tout de suite, dès que j'ai pu commencer à bégayer, appris et fait épeler les noms, justement sur un calendrier, que j'ai depuis conservé comme une rareté et une relique. C'était un calendrier de 1831, de sa jeunesse à elle, et qu'elle avait gardé. Je le vois. Fané, décoloré, un peu cassé, ayant souffert des coins, garni toujours de la ficelle vieux rose qui avait servi à l'accrocher. Il portait, écrits au-dessus des colonnes de mois, les noms respectifs des saisons qui étaient au nombre de quatre. Oh! je ne me trompe pas! Mes souvenirs sont très précis. Pas une de plus, pas une de moins. On les appelait: l'Hiver, le Printemps, l'Été et l'Automne. Et quatre images ravissantes, ineffaçables à jamais dans mon esprit et reproduites dans mon coeur, déterminaient et fixaient le caractère spécial de chacune des époques distinctes et qui ne se confondaient pas, qui étaient comme les parents, les membres, séparés et unis, d'une même famille, désignée sous le vocable d'année.
» Voici ce que représentaient ces vignettes, tableaux parlants:
» Pour l'Hiver, c'était un lac immense, à perte de vue gelé, sur lequel glissaient, avec une grâce vertigineuse, des messieurs en chapeau haut de forme et drapés de manteaux romains, chaussés de patins recourbés comme des cimeterres. Des dames indolentes étaient poussées dans des traîneaux d'où retombaient des fourrures balayant la glace, et sur le bord du lac une vieille femme de la campagne pliait, le dos courbé sous un fagot de bois mort, tandis qu'au loin,... bien loin... bien loin... une petite fumée, solide et nourrie, se sauvait d'un toit de chaumière écrasée de neige. Ah! qu'on devait donc bien se chauffer les pieds dans cette petite maison-là! Le Printemps, c'était deux jeunes filles, assises en robe de bal, dans une prairie, taquinant ensemble une pâquerette, non loin d'une tour gothique sur les créneaux de laquelle deux pigeons se cajolaient. L'Été s'exprimait par un repas joyeux sur l'herbe, et la course échevelée d'une fillette en pantalon de percale, agitant un filet d'un vert de sucre d'orge à la poursuite d'un papillon de la taille d'un merle. Et enfin, des vendangeurs actifs et accroupis parmi les treilles couleur d'or, un promeneur pensif avec un livre ouvert à la main, et des enfants lançant dans le ciel un indécis cerf-volant plus grand qu'eux, en forme de bouclier des croisades, soulignaient les charmes acides et toute la mélancolie de l'Automne.
» Tout cela était parfaitement clair et indubitable. On ne pouvait s'y méprendre. Il y avait des saisons. Elles existaient. Ma mère les avait vues, comme je vous vois. Elle les avait passées maintes fois depuis qu'elle était au monde, et ses parents aussi. Souvent elle me raconta que l'hiver de telle année, en Gâtinais, la rivière avait été prise pendant plus d'une semaine et qu'elle l'avait traversée à pied, et qu'elle portait de la mousseline à pois aux processions du mois de Marie, et que dès juillet on ne savait plus où se fourrer tellement il faisait chaud. J'ai donc pris, dès le jeune âge, cette mauvaise habitude, d'une règle climatérique, d'une marche et d'un ordre dans la succession, la distribution du chaud et du froid, du soleil et de la pluie, de la grêle et du vent. J'ai besoin pour bien vivre et demeurer l'esprit tranquille de n'être pas troublé ni bousculé de ce côté-là. De cette discipline de la nature dépend la mienne, celle de mes pensées, et si tout se conduit mal autour de moi je commence moi-même à me déranger. Or voici plus d'une demi-douzaine d'années que le ciel a la berlue et que les saisons, atteintes de folie, douce ou furieuse, entrent les unes dans les autres, au point qu'on ne peut plus les distinguer. Elles semblent s'amuser à un continuel cache-cache, et se déplacer sans cesse. Et, pour mieux nous jouer un tour, elles n'observent plus le leur. Les bourgeons pointent en janvier et il gèle à la Trinité. Eh bien, j'avoue que ces aberrations de la nature me rendent malade et que je m'applique alors, autant qu'il m'est permis, à y remédier, en allant chercher, là où j'ai le plus de probabilités de la rencontrer, la température correspondante au moment de l'année. J'entends maintenir avec énergie, et rétablir quand elle est rompue, la tradition classique, c 'est-à-dire: du froid pendant l'hiver, du frais au printemps, du chaud en été, et de l'humide à l'automne. Ces sensations physiques me sont nécessaires, indispensables. Elles sont réclamées par mon corps et par ma raison avec autant de force et de netteté que l'est, par mon esprit, mes yeux et mes oreilles, la perception du temps et de sa mesure... Pourriez-vous vivre en face d'une horloge continuant à marcher quoique détraquée, et qui marquerait et sonnerait onze heures quand il en est trois? Accepteriez-vous, d'autre part, un baromètre qui indiquerait ponctuellement la tempête quand le firmament est d'azur et qui piquerait au beau quand l'orage éclate? Non. Comprenez donc en ce cas que j'exige une corrélation loyale entre la saison et son expression, ses manifestations logiques et légitimes. Or nous sommes en janvier, et il fait ici un avril pourri. Je m'en vais donc à la rencontre de l'hiver, et je pars demain.
--Pour où?
--Pour la Suisse.
--Simplement? C'est tout? Pourquoi pas les pays plus avancés du Nord? les royaumes de glace? les pôles?
--Parce que je suis un sage et qu'il ne faut rien exagérer... Je veux du froid, sans doute, du vrai et du bon, mais supportable, du froid joli et civilisé. Je n'exige pas celui des pâles voyageurs et des virtuoses du scorbut, celui qui solidifie le mercure et fait craquer les ongles... Ce sera pour plus tard, quand je serai entraîné. En attendant, la Suisse pacifique et sans surprises violentes me convient assez. Les hôtels y sont excellents, chauffés à merveille, les sapins ont des givres qui semblent oubliés de la nuit de Noël et la neige y a la couleur du lait qui remplit les seaux de bois dans les vacheries. Je me réjouis déjà de la voir, étendue partout, cette neige honnête, d'y marcher, d'y compter les trous de mes pas, d'y observer la forme si sympathique de mes pieds plus petits que leur trace, d'entendre le craquement de soie que vont faire, en la pressant bientôt, mes prudentes semelles. J'ai toujours éprouvé qu'elle exerçait sur nous une action morale extraordinaire et vivifiante. Elle fouette et bat le sang, resserre les tissus de la peau comme ceux des idées. Elle fait penser pur et blanc, et jamais ne finit dans la boue. Le froid précisément la préserve de cette dégradation et de cette souillure, il la maintient et la pétrifie. C'est le plus beau des tapis, le plus moelleux des gazons. Et puis la Suisse, prise brusquement et à petites doses, nous donne, l'hiver, d'admirables leçons de calme et d'immobilité. Le mouvement même et les exercices auxquels on s'y livre ont leur rythme, leurs lois, et n'offrent rien de commun avec l'agitation que nous cause la fièvre cérébrale de Paris. On n'est plus le même en face de la montagne, on retrouve sa plénitude, son équilibre et sa sérénité...»
Arrêtant là tout d'un coup son apologie du froid, l'amateur des saisons
sentit qu'il en avait dit assez et rentra dans le silence que personne
autour de lui ne songea d'ailleurs à rompre. Chacun suivait, pour une
minute au plus... dans l'avenir comme dans le passé, sa vision
personnelle d'hiver et de frimas. Celui-ci était retourné aux
récréations de l'enfance... aux mois d'engelures et de cache-nez, aux
glissoires dans la cour... Celui-là aux grand'gardes pendant le siège,
dans les tranchées durcies... Cet autre à la lecture du Capitaine
Hatteras, du temps que, sous la lampe de famille, il naviguait en
frôlant les banquises. Une jeune femme, les yeux fermés, dansait à ce
bal costumé où la poudre lui allait si bien... Et, du fond de son
fauteuil, une grand'mère regardait en face d'elle, dans la glace, ses
cheveux devenus d'argent dont la neige ne fondrait plus.
Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
Son grand-oncle: Paulin Gillon, député de la Meuse et maire de Bar-le-Duc de 1840 à 1848. | Son arrière-grand'mère: Mme Landry Gillon. | Son arrière-grand-père: Landry Gillon, neuf fois député de la Meuse. |
Nulle élection, sans doute, ne reçut de l'immense majorité de l'opinion un accueil plus chaleureux, plus enthousiaste, que celle qui vient de porter à la suprême magistrature de la République M. Raymond Poincaré.
En France, une joie sereine, des espoirs infinis, une confiance touchante, une patriotique fierté. En Europe, une sympathie unanime qui s'est traduite par les télégrammes les plus flatteurs pour l'élu, qu'avaient désigné et sa haute valeur intellectuelle et la dignité irréprochable de sa carrière politique. Quiconque aime la France a marqué d'une pierre blanche la date du 17 janvier. Il semble que de ce jour-là une ère nouvelle se soit ouverte pour notre pays.
M. et Mme Antoni Poincaré, père et mère du
nouveau
Président.
Nous ne saurions revenir sur les luttes qui agitèrent cette journée et celles qui la précédèrent: c'est le passé,--un passé qu'il faut effacer dans la concorde, la paix, le travail fécond pour la patrie.
Notons toutefois, puisque aussi bien nous nous efforçons d'enregistrer ici, semaine par semaine, pour les chercheurs de l'avenir, les faits qui intéressent l'histoire, notons les deux phases principales de cette lutte qui fut ardente, les deux scrutins dont le dernier donna à M. Raymond Poincaré la victoire sur son concurrent, M. Jules Pams.
La compétition, en effet, était nettement circonscrite entre ces deux hommes politiques. Et chacun d'eux avait son grand électeur, M. Georges Clemenceau, ancien président du Conseil, menant campagne pour M. Pams, après avoir, un moment, dans les réunions préparatoires, soutenu M. Antonin Dubost, tandis que M. Aristide Briand, garde des sceaux, ancien président du Conseil aussi, défendait de tout son coeur la candidature de M. Raymond Poincaré. Et c'étaient là deux Warwicks également passionnés, également habiles et connaissant à fond leur Parlement et les ressorts qu'il convient de faire jouer pour l'émouvoir, le décider. Il faut bien croire pourtant--le résultat acquis est là qui en témoigne--que l'éloquence de l'un fut plus persuasive que la verve de l'autre.
La maison natale de
M. Raymond Poincaré, à Bar-le-Duc.
Au premier tour de scrutin, M. Raymond Poincaré venait en tête avec 429 voix contre 327 à son concurrent. D'autres votes s'étaient égarés, on peut bien le dire aujourd'hui sans risquer de désobliger personne, sur les noms de MM. Ribot et Deschanel, qui n'étaient plus candidats; un fantaisiste avait même accordé son suffrage à M. Henri Rochefort, tandis que les socialistes, avec ensemble, votaient pour leur doyen d'âge, M. Vaillant.
Pourtant, M. Raymond Poincaré n'avait pas atteint la majorité absolue, qui était de 434 voix, 867 suffrages ayant été exprimés. Il fallut un second tour de scrutin.
M. Raymond Poincaré y triompha. Du moment où, gravissant les degrés de la tribune pour déposer son bulletin, il fut salué par les acclamations de l'Assemblée nationale, sa victoire déjà était certaine. De fait, 483 voix--le chiffre même qu'avait obtenu autrefois M. Émile Loubet--lui décernaient l'honneur suprême. Et M. Antonin Dubost, du haut du fauteuil, le proclama «Président de la République française pour sept ans à partir du jour où prendrait fin le mandat du Président en exercice».
De longs applaudissements, des cris de «Vive la République!» saluèrent cette formule sacramentelle,--auxquels firent écho, dehors, dans la cour de Marbre, sur la place d'Armes, dès que la foule connut les résultats du scrutin, d'enthousiastes vivats. Quelques heures plus tard, c'était le pays tout entier qui exultait à la nouvelle de cette élection qu'il souhaitait, qu'il espérait d'une ardeur telle que toute autre l'eût déçu profondément.
M. Antoni Poincaré, dans les dernières années de
sa vie,
photographié par Mme Raymond Poincaré.
Le nouveau chef d'État est Lorrain de bonne souche, et, dans les circonstances actuelles, il n'est pas jusqu'à cette origine qui ne donne au choix de l'Assemblée nationale un caractère patriotique, sentimental, peut-on dire, dont le peuple entier a été profondément touché.
M. Poincaré (Raymond-Nicolas-Landry, sur les registres de l'état civil) est né, en effet, à Bar-le-Duc le 20 août 1860. Son père, Antoni Poincaré--. Un Nancéen--mort l'an dernier inspecteur général des ponts et chaussées, était alors, dans cette ville, ingénieur ordinaire au corps. Il habitait, dans la rue des Tanneurs, qui a depuis changé son nom expressif pour celui de rue Nève, une maison de décorative apparence, qui garde encore le caractère sobre et élégant des architectures du dix-huitième siècle, mais qui, en réalité, est beaucoup plus ancienne. En arrière, est un jardinet très simple que coupe un canal aux sombres eaux vives, une dérivation de l'Ornain au bord de laquelle, probablement, en des temps lointains, s'échelonnaient les ateliers qui avaient donné à la rue des Tanneurs sa vieille dénomination.
Le petit Raymond Poincaré, à six mois, sur les genoux de
sa mère;
à trois ans, près de son chien favori; le jour de sa première
communion.
L'immeuble appartint longtemps à M. Ficatier-Gillon, grand-père maternel de M. Raymond Poincaré. Ce nom de Gillon est vénéré dans le Barrois, ayant été illustré tour à tour par Jean Landry Gillon qui, sous le règne de Louis-Philippe, avocat général à la Cour de cassation, fut élu neuf fois député de la Meuse, preuve éclatante de son ascendant sur ses compatriotes, et par Paulin Gillon, avocat, maire de Bar de 1840 à 1848, puis également député, puis enfin sénateur inamovible et sur qui un dicton charmant courait, là-bas, au pays: «Paulin Gillon, à l'occasion, sait dépouiller sa table pour faire une bonne action.» Le premier était l'arrière-grand-père, le second le grand-oncle du nouveau Président.
Le lycée de Bar-le-Duc, où le jeune Raymond Poincaré fit
ses études.--Phot. Oterlaender.
La maison familiale de la rue des Tanneurs passa plus tard au docteur Enard dont le fils, lui-même médecin distingué, continue de l'habiter et en fait, avec infiniment de bonne grâce, les honneurs aux visiteurs curieux. Et Mme Enard mère évoque la figure de l'enfant aujourd'hui élevé si haut, du «petit monsieur Raymond», sérieux de toujours, appliqué, précis; montre, au pied d'un vieil arbre, le banc de fonte où, studieux écolier, il préparait ses leçons, et la fenêtre de laquelle il fixa, en un dessin hésitant que conserve pieusement quelque intime, le panorama pittoresque du vieux Bar juché sur sa colline.
La précoce maturité du caractère, c'est la première qualité que s'accordent à discerner, chez M. Raymond Poincaré, ceux qui le connurent jeune, ses condisciples d'il y a trente à quarante ans, ceux qui l'accompagnaient, le matin, au lycée par cette rue de la Banque toute bordée de souvenirs émouvants: la maison qu'occupa Bismarck aux jours tragiques, celle où logeait Moltke, et la Banque elle-même, le vaste hôtel où s'installa le roi Guillaume et où se décida, en conseil de guerre, le fameux «mouvement tournant» qui aboutit à la prise de Sedan.
«Le Clos», vu du jardin.
«Le Clos» et la campagne environnante.
Au reste, ce pays, tel qu'il apparaît, du moins, en cette saison, voilé de brumes, pailleté de givre, ce pays, dont rêvera, quelques années plus tard, nostalgique, le lycéen de Bar exilé à Paris et interné à Louis-le-Grand, semble prédisposer aux pensées graves. Il apparaît lui-même songeur, sévère un peu, malgré la courbe molle de ses collines et l'argent frissonnant de ses rivières enchâssées dans l'émail vert des prairies gorgées d'eau. De Bar-le-Duc à Sampigny, petit bourg très fier, désormais, de posséder le castel neuf, aux toits élancés, qui s'érige au bord d'un domaine modeste où, chaque été, le Président vient jouir de quelques semaines de repos, de Sampigny à Nubécourt où, dans un petit enclos ombreux, à l'écart des tombes du village déferlant au pied des murs d'un vieux sanctuaire roman, ondulent les sépultures des familles Gillon, Ficatier, Poincaré, les lames sous lesquelles reposent et Landry et Paulin Gillon, et le tertre où l'on étendit, voilà un an à peine, la dépouille d'Antoni Poincaré, près d'une autre place préparée dont l'écusson vide attendra longtemps encore, nous l'espérons, le nom de Nanine-Marie Ficatier, son épouse; dans toute cette contrée si proche des frontières, attentive comme une sentinelle, sur les routes sinueuses et accidentées où, à chaque détour, presque, on croise ou l'on dépasse quelque troupe en manoeuvres, quelque patrouille, où à chaque pas vous salue d'un sourire plein de confiance et d'entrain quelque petit soldat courbé sur une ingrate et nécessaire besogne de terrassier, du haut des collines rondes, à travers les bois poudrés à frimas, ce qu'on éprouve c'est une impression de recueillement, non point mélancolique et dolent, comme en Bretagne par exemple, mais volontaire, mais concentré, profond. Et la devise de Bar-le-Duc traduit à merveille l'état d'âme des hommes issus de ce fort terroir qui vous conquiert sans s'y appliquer par des sourires: «Plus penser que dire».
Le jeune Raymond Poincaré quitta le pays de son enfance à seize ans, pour venir faire à Paris sa rhétorique supérieure et sa philosophie. Son départ du lycée de Bar laissait à ses émules affectueux, à ses amis de coeur, qui s'appelaient Pol Brouchot, aujourd'hui conseiller à la cour de Paris, Léon Oudinot, mort censeur des études au lycée Buffon, et Henry Bohn, qui fut sous-inspecteur de l'enregistrement et qui a disparu aussi, des gerbes de lauriers à se partager. Il est amusant de feuilleter les palmarès des dernières distributions de prix où il fut nommé; son nom y figure à chaque paragraphe: excellence, narration latine, narration française, version latine, version grecque, thème grec, histoire, géographie, allemand, mathématiques, histoire naturelle, dessin d'imitation,... les lettres, les sciences, les arts même, son intelligence vive s'assimile avec une aisance égale toutes les matières du programme. Un de ses professeurs à Louis-le-Grand, M. Lafon, l'orientera vers les lettres et décidera de sa vocation.
Bachelier, puis licencié ès lettres, l'étudiant dut interrompre, en 1879, son droit pour satisfaire, comme volontaire d'un an aux obligations militaires. Elles furent légères à cet homme de devoir, à ce Lorrain patriote fervent. «On a eu raison, écrivait-il de Nancy, où il était incorporé au 26e d'infanterie, à son ami Pol Brouchot, on a eu raison de te dire que mon volontariat m'est une tâche fort douce et ceux qui t'ont assuré que je n'avais pas encore trouvé ici l'occasion de me chagriner ne sont pas des conteurs.»
M. Raymond Poincaré, député de
la Meuse, à 27 ans.
Il était caporal quand il passa ses examens de seconde année. Au sortir du régiment il était sergent. Et il témoigna de son amour du métier militaire en servant tour à tour comme sous-lieutenant de réserve aux chasseurs à pied, puis comme lieutenant et comme capitaine aux alpins.
En 1880, il entrait au barreau, et Me du Buit le choisissait comme secrétaire: ce fut l'aurore de sa carrière au Palais, où il devait bientôt se classer parmi les maîtres. C'est à ce moment que, curieux sans doute de connaître un domaine voisin de celui qui était sien, il fut--il veut bien, avec cette délicieuse urbanité qui est l'une de ses qualités les plus séduisantes, le rappeler à l'occasion à ceux d'entre nous qu'il accueille--un peu notre confrère, ayant assumé les fonctions de chroniqueur judiciaire au Voltaire.
Il commença sa carrière politique comme chef de cabinet de M. Jules Develle, son compatriote, titulaire, dans le cabinet Freycinet, en 1886, du portefeuille de l'Agriculture. Ce fut alors qu'il posa sa candidature, comme conseiller général, dans le canton de Pierrefitte (dont Sampigny, son actuelle résidence d'été, est l'une des communes). Il fut élu. L'année suivante, il remplaçait comme député de Commercy M. Liouville. L'arrondissement, fidèle, lui renouvela son mandat jusqu'en 1902, jusqu'au moment où il passa de la Chambre au Sénat.
A la Chambre des députés, M. Raymond Poincaré avait, d'emblée, conquis une situation enviable. Un discours sur le budget des finances, en octobre 1890, avait mis en lumière la clarté de son esprit, son entente des affaires publiques. En 1893, il se voyait confier le rapport général sur le budget. Cette même année, il faisait partie, comme ministre de l'Instruction publique, du cabinet Charles Dupuy, qui dura seulement quelques mois (avril-décembre). Mais quand, six mois plus tard, M. Charles Dupuy reprit la présidence du Conseil, il confia à M. Raymond Poincaré le ministère des Finances (juin 1894 à janvier 1895). M. Ribot, qui succéda à M. Ch. Dupuy comme chef du gouvernement, conserva ce collaborateur précieux, que la souplesse de son esprit et l'étendue de ses connaissances mettaient à même de rendre, à la tête de l'un ou l'autre département, des services distingués, lui confiant derechef le ministère de l'Instruction publique.
Mme Raymond Poincaré. Phot. Nadar.
La chute du cabinet Ribot fit rentrer dans le rang M. Raymond Poincaré. Ses collègues le portèrent bientôt à la vice-présidence de la Chambre, où il fut tour à tour réélu trois fois (1896-1897-1898).
M. Sarrien, en mars 1906, le rappela au pouvoir, lui attribuant le ministère des Finances, qu'il abandonna au moment où M. Clemenceau fut appelé à former un cabinet.
A la fin de 1911, période troublée, inquiète, on discutait le traité franco-allemand. M. Raymond Poincaré était chargé, par le Sénat, de rédiger le rapport sur cet instrument diplomatique lorsque tomba le ministère Caillaux. C'est alors qu'il fut appelé--janvier 1912--à former le cabinet aux destinées duquel il présida jusqu'au 17 janvier dernier.
Au cours de ses passages successifs au ministère, M. Raymond Poincaré a attaché son nom à diverses réformes ou actes politiques importants. Il a fait proclamer l'autonomie des Universités, créé le doctorat ès sciences politiques et administratives, fait adopter l'impôt progressif sur les successions, puis, président du Conseil, fait ratifier au Parlement le traité franco-allemand et le traité franco-espagnol, voter le traité instituant le protectorat marocain et, enfin, fait accepter par la Chambre la réforme électorale.
Au moment où l'Assemblée nationale vient de donner à sa politique générale une si haute et si éloquente consécration, il sied de rappeler, bien que ces souvenirs soient encore tout frais dans nos mémoires, avec quel fier souci de la dignité nationale il a dirigé, depuis un an, les affaires extérieures de la France.
En ces derniers mois, il avait assumé un rôle agissant qui lui avait conféré, aux yeux de l'Europe entière, un prestige considérable. Dès que se dessina la crise balkanique, il avait pris l'initiative généreuse de faire, appel à une entente des puissances en vue d'une action pacificatrice. Il n'a pas dépendu de ses sages conseils, des vaillants efforts qu'il multiplia jusqu'au bout, que l'orage actuel ne fût conjuré. Le mérite de son attitude, si conforme à la grande tradition française, demeure entier à son actif: il s'est, en ces jours troublés, inquiétants, affirmé grand homme d'État. Son influence dans la politique intérieure ne fut pas moins bienfaisante. L'autorité avec laquelle, au nom de la France, il avait paru devant l'Europe, ferme sans provocation, l'esprit conciliant mais résolu qu'il avait montré en face des adversaires mêmes du dedans, ce sont les deux bases solides de l'estime, de l'affection que lui a vouées la foule équitable.
M. Raymond Poincaré est, depuis 1909, membre de l'Académie française où il a remplacé cet autre Lorrain admirable, Émile Gebhart et où l'a accueilli M. Ernest Lavisse.
En dehors des classiques thèses de doctorat, en dehors même de son oeuvre oratoire, plaidoiries, discours politiques, d'une pensée si forte et d'une forme littéraire si parfaite, il était désigné au choix de l'illustre Compagnie par un ouvrage qui, sous le titre Idées contemporaines, publié en 1906, contient une série d'études sur des sujets très divers, du «Courage fiscal» à un «Éloge d'Arago», d'un chapitre sur «l'Éducation des jeunes filles» à un autre sur «Jeanne d'Arc et l'idée nationale», où son esprit pénétrant, son talent sobre et de grand style se montrent sous les aspects les plus variés et les plus captivants.
Et, détail piquant, celui qui, dans quelques semaines, va porter en
écharpe le grand cordon de la Légion d'honneur n'était, jusqu'à présent,
pas même chevalier de l'ordre... Que, d'ailleurs, on n'en prenne pas
texte pour récriminer contre l'injustice de ceux qui récompensent les
mérites. La vérité est que M. Raymond Poincaré était entré dans la
politique, était ministre même avant l'âge où les plus ambitieux peuvent
songer à la croix,--et qu'une loi sévère interdit aux parlementaires en
fonctions de la recevoir, quels que soient les services qu'ils puissent
rendre à la République.
G. B.
L'élément féminin au Congrès de Versailles: le couloir
des tribunes réservées. Dessin de Simont.
Nous montrons, plus loin, par un document photographique qui fixe une minute d'histoire, l'acte décisif du Congrès, la proclamation, devant l'Assemblée nationale, du nouveau président de la République. Mais ce n'est pas dans la salle des séances que se joua tout entière la partie engagée pour la plus haute magistrature de l'État. Et les coulisses, mondaines et politiques, de l'élection présentèrent, en cette journée mémorable, de curieux aspects.
M. Antonin Dubost ouvrant la séance.
Croquis de H. Le
Riche.
Dans le couloir des tribunes réservées à d'heureux et rares invités, à l'heure du vote, on se croirait presque dans un couloir de théâtre, pendant un entr'acte de répétition générale. Le spectacle parlementaire qui se donne ici est, en effet, fort couru, et jamais, de mémoire de congressiste, on ne vit salle plus brillante, plus nombreuse en jolies femmes. Elles sont venues là, attirées par la grande affaire parisienne qu'est avant tout, à leurs yeux, l'élection présidentielle, excitées comme par l'attrait d'une pièce nouvelle, dont on a beaucoup parlé avant que le rideau se lève, et dont on attend beaucoup: sera-ce le triomphe indiscutable, complet, ou simplement le succès d'estime?
De leurs fauteuils de balcon où elles formaient la plus gracieuse des «corbeilles», elles ont assisté à la première partie du spectacle,--entendez la proclamation du premier scrutin. Et maintenant, répandues dans les couloirs, elles échangent leurs impressions et leurs voeux, consultent l'important personnage qui passe, un papier à la main, discutent les chiffres, commentent les résultats. Tandis qu'en bas, dans la galerie des Bustes, les dernières passions se mêlent et se heurtent à grand bruit, ici on cause discrètement, à voix douce, comme dans un salon. Une réunion mondaine s'est improvisée, en un coin du palais où s'agitent les destinées de la France. Et sans doute en est-il, parmi ces élégantes, qui, reprises bientôt par des préoccupations moins graves, s'interrompent de parler «politique», pour aborder le chapitre--inépuisable--des toilettes.
Cependant le second tour a commencé, et la salle des séances, où tout à l'heure se pressaient, impatients d'entendre proclamer le premier scrutin, les membres de l'Assemblée nationale, s'est vidée en un instant. C'est maintenant dans la galerie des Bustes, emplie de rumeurs, qu'est le spectacle.
M. Aynard et M. Méline. |
M. Combes et M. Ribot. |
M. Deschanel. |
Dans la galerie des Bustes, pendant le scrutin. Croquis de H. Le Riche.
Les discussions de la dernière heure dans la galerie des
Bustes, pendant qu'on vote dans l'hémicycle.
Debout, au premier plan, M.
Combes et l'abbé Lemire; au milieu d'un groupe, M. Aristide Briand
adjurant quelques adversaires de grossir la majorité de M. Poincaré dont
l'élection est déjà certaine; à gauche, deux dessinateurs de
L'Illustration. Dessin de Léon Fauret.
Tandis que chacun va successivement voter, des groupes se forment près des portes, autour de la table où sont posés les bulletins. Sénateurs et députés s'abordent, s'interrogent, échangent un mot, un sourire, rapprochés et séparés au hasard des rencontres. Certains se félicitent, escomptant le succès de leur candidat; d'autres discutent encore, non sans véhémence. Des colloques s'établissent, dont plus d'un paraît imprévu: M. Ribot se penche vers M. Combes, qui, l'instant d'avant s'entretenait avec l'abbé Lemire. Très entouré, M. Briand exhorte, avec sa persuasive éloquence, plusieurs parlementaires à «faire l'union républicaine sur le nom de M. Poincaré». Cependant, comme le jour tombe, une longue théorie d'huissiers traverse la galerie, porteurs de lampes destinées aux salons voisins, où des remuons se tiennent... La bataille va s'achever.
UNE MINUTE HISTORIQUE AU CONGRÈS DE VERSAILLES.--Le
président de l'Assemblée nationale, M. Antonin Dubost, lit les résultats
définitifs du second scrutin qui donne la majorité absolue à M. Raymond
Poincaré.--Phot. René Millaud.
Il est exactement six heures quarante-cinq. Après la suspension de séance d'une heure qui a suivi le second scrutin, le président de l'Assemblée nationale a fait son entrée dans la salle du Congrès, peu à peu désertée pendant les opérations de dépouillement et où viennent d'affluer en un clin d'oeil, dans toutes les travées, de l'extrême droite à l'extrême gauche, les 872 votants. L'instant est solennel. Une heure et une date se fixent dans l'histoire parlementaire de la France; toute l'attention, tous les regards des congressistes vont au président de l'Assemblée qui se lève, et il y a une minute d'immobilité et de silence,--tandis qu'au-dessus de ce millier de têtes où viennent de bouillonner les passions politiques, tout là-haut, allongé sur la toiture vitrée de la salle, un audacieux opérateur prend un cliché unique dans les annales de la photographie. Il remplit, lui aussi, son rôle historique avec vaillance et précision et saisit, dans toute son ampleur, avec tous ses premiers rôles et tous ses figurants, la physionomie de ce Congrès du 17 janvier, que les circonstances, les luttes ardentes de la veille et les indications précises de l'opinion nationale auront rendu exceptionnel.
LA POPULARITÉ DU NOUVEAU PRÉSIDENT.--M. Poincaré, le soir
de son élection, paraît (entouré de sa famille et de quelques amis) à
une fenêtre de son hôtel,
rue du Commandant-Marchand, pour répondre à
ceux qui sont venus l'acclamer.
M. Poincaré a connu, le 17 janvier, les premières émotions de la grande popularité. Les Parisiens attendaient impatiemment, mais sans vouloir douter de sa victoire, la décision du Congrès: ils l'ont accueillie avec une joie unanime. Et ce furent, sur les boulevards, devant les transparents des journaux annonçant, en lettres lumineuses, les résultats officiels, dans les cinématographes où déjà se déroulaient, sur l'écran, les péripéties de la journée, des manifestations spontanées en l'honneur du nouveau président de la République.
Salué par des ovations chaleureuses à son retour de Versailles, devant la gare des Invalides, et aux abords de l'Elysée, où il était allé, selon le protocole, rendre visite à M. Fallières, l'élu du Congrès avait regagné son hôtel de la rue du Commandant-Marchand. Plusieurs milliers de personnes vinrent l'y acclamer vers 11 heures, demandant à grands cris qu'il se montrât. Et M. Poincaré dut paraître à son balcon, entouré de Mme Poincaré--que réclamait aussi la foule, et qui eut sa part des applaudissements--et de quelques amis, tandis que les photographes se hâtaient de prendre des clichés de cette scène, à la vive lumière du magnésium.
Pour M. Pams: M. Georges Clemenceau. |
LE NOUVEAU CABINETAu lendemain de son élection à la présidence de la République, M. Raymond Poincaré, en complet accord avec ses collègues, remettait à M. Armand Fallières la démission du ministère. Le soir même, le chef de l'État confiait à M. Aristide Briand la mission de former le nouveau cabinet. La tâche qu'avait assumée allègrement M. Aristide Briand lui fut facile. Son rêve eût été de conserver, groupés autour de lui, tous les collaborateurs du cabinet Poincaré, puisque aussi bien il entend continuer la politique qui, depuis un an, a donné de si féconds résultats. Mais en dehors de M. Pams, qui s'était retiré la veille de l'élection présidentielle, trois autres de ses collègues lui exprimèrent le regret de ne pouvoir demeurer à ses côtés: MM. Delcassé, ministre de |
Pour M. Poincaré: M. Briand. |
la Marine, Léon Bourgeois, ministre du Travail, et M. Lebrun, qui avait remplacé au ministère de la Guerre M. Millerand. Il fallut donc pourvoir--avec celui des Affaires étrangères--quatre portefeuilles de titulaires nouveaux. De plus, quelques remaniements furent nécessaires dans l'attribution des autres départements, M. Aristide Briand tenant à prendre, avec la présidence du Conseil, le ministère de l'Intérieur.
Le ministère fut constitué dès mardi soir:
Dix de ses membres appartenaient déjà à l'ancien cabinet, cinq qui y reprennent des portefeuilles avaient précédemment été ministres: M. Barthou, qui remplace M. Aristide Briand à la vice-présidence du conseil des ministres, avait déjà occupé ces hautes fonctions. M. Jonnart a été ministre des Travaux publics en 1893-1894, mais il s'est surtout imposé à l'attention dans les hautes fonctions de gouverneur général de l'Algérie, auxquelles il fut appelé à deux reprises, en 1900, puis de 1903 à 1911. M. Eugène Etienne, qui avait été auparavant ministre de l'Intérieur, prit le portefeuille de la Guerre dans le cabinet Rouvier et le conserva dans le cabinet Sarrien. Enfin, M. Pierre Baudin, ancien ministre des Travaux publics, est désigné pour présider aux destinées de la marine par sa qualité de président de la Ligue maritime, et par l'intelligente sollicitude qu'il a toujours montrée aux choses de la marine.
M. David. M. Bourély. M. P. Morel. H. Chaumet. M. J. Dupuy.
Agriculture. S.-s. Finances. S.-s. Intérieur. S.-s. Postes. Travaux publ.
E. Besnard. M. Jonnart. M. Guist'hau. M. L. Barthou. M. Briand. M. J. Morel.
Travail. Maires étr. Commerce. Justice. Intérieur. Colonies.
M. Klotz. M. P. Baudin M. Steeg M. I. Bérard. M. Etienne.
Finances. Marine. Instr. publ. S.-s. Beaux-Arts, Guerre.
LE NOUVEAU MINISTÈRE, PRÉSIDÉ PAR M. BRIAND.--Phot. H. Manuel.
LES SOUVENIRS DE L'ÉPOPÉE, A NICOPOLIS.--La princesse
Marie Bonaparte (Georges de Grèce) visite les lieux où furent ensevelis,
en 1798, parmi les ruines antiques, les héroïques défenseurs français de
Preveza.--Phot. S. Vlasto.
On a dit avec quel dévouement les jeunes princesses de la famille royale de Grèce ont organisé les secours aux blessés en Grèce, en Thessalie et en Epire, mais il sera particulièrement agréable aux Français qu'un ami de L'Illustration, actuellement en Epire, M. S. Vlasto, leur signale le rôle bienfaisant, en cette guerre, d'une princesse de France, la princesse Georges de Grèce, née princesse Marie Bonaparte:
«Après avoir installé à ses frais le vaisseau-hôpital Albania, la princesse Marie est venue à Preveza où, de ses deniers, elle a créé un hôpital qu'elle a placé sous la direction de Mme Panas, veuve du célèbre chirurgien, dame de la Croix-Rouge française.
«Toute l'Epire est sous le charme de cette princesse française qui ne recule devant aucune fatigue, visite et soigne elle-même les blessés, organise des soupes populaires pour les réfugiés et porte partout le rayonnement de sa bonté et de sa beauté.
» Le hasard a conduit les pas de la princesse Marie à Nicopolis où eut lieu en 1798 la défense héroïque de 280 Français assiégés par 6.000 sauvages musulmans sous les ordres de Mouktar pacha, le fils du fameux Ali, pacha de Janina.
»Fouqueville raconte (tome I, chapitre IV, de son Histoire de la régénération de la Grèce) l'admirable résistance de quelques soldats français conduits par Tissot et le capitaine Richemond. Il décrit l'affreux massacre des prisonniers, «le bras du bourreau nègre qui n'avait cessé d'égorger s'arrêta, son corps s'agita convulsivement, ses genoux fléchirent et il vint tomber asphyxié au milieu des martyrs».
»La photographie représente la princesse Marie, qui, adossée aux murs du petit théâtre antique de Nicopolis, contemple les lieux où furent massacrés et où sont enterrés les soldats de Bonaparte.»
Les porte-drapeau des régiments qui ont combattu en
Tripolitaine, suivis de leurs colonels respectifs, gravissent l'autel de
la Patrie, où le roi d'Italie épingle sur chaque étendard la médaille de
la campagne de Libye.--Phot. Vaucher et Luigi Veccia.
Notre correspondant de Rome nous écrit:
Rome, revêtue de sa parure de fête, a reçu hier, 19 janvier, les délégations des régiments qui ont pris part à la campagne de Tripolitaine et qui venaient dans la capitale pour faire décorer leurs drapeaux par le roi.
La cérémonie, magnifique, fut empreinte d'un caractère de noblesse et de grandeur qui impressionna profondément tous ceux qui y assistèrent.
Après une revue à Castro Pretorio, les troupes de Libye, y compris un bataillon d'asoari, dénièrent devant les souverains, sur la place de l'Indépendance.
Du terrain de la revue jusqu'à la piazza Venezia, les troupes de la garnison de Rome en grande tenue formaient la haie, tandis que leurs camarades rentrés d'Afrique passaient en tenue de campagne, au milieu des hourras et des fleurs dont la foule était prodigue.
Ensuite, sur le monument Victor-Emmanuel II lui-même, la cérémonie principale se déroula en une véritable apothéose.
Les souverains et la reine mère, ayant à leurs côtés tous les princes de la maison de Savoie, vinrent se placer sur le monument, au pied de l'autel de la Patrie.
Les officiers qui venaient de combattre en Libye se groupèrent également sur le monument; en bas, à droite, prirent place les généraux et les amiraux, et, à gauche, les députés et les sénateurs.
Alors, sur un signe du ministre de la Guerre, le général Spingardi, les porte-drapeau dont les étendards vont être décorés s'avancent sur un rang, suivis des colonels de chaque régiment.
Le moment est solennel. Sur la grande place, les troupes sont massées en carré; c'est une féerie de couleurs et d'armes qui étincellent au soleil. Les drapeaux, dont quelques-uns sont en loques, s'inclinent devant le roi, qui, après avoir entendu un bref discours de présentation du ministre de la Guerre, s'avance et épingle tour à tour sur la soie glorieuse la médaille conquise en Libye.
La cérémonie terminée, les souverains, escortés d'un brillant état-major et de tous les princes royaux, sont rentrés au Quirinal où la foule leur fit de chaudes ovations.
Le soir, au théâtre Constanzi, eut lieu une grande représentation de gala à laquelle les souverains assistèrent.
La journée du 19 janvier peut être considérée comme le digne couronnement de la guerre italo-turque et de la conquête de la Tripolitaine.
Il faut noter l'amabilité avec laquelle la presse étrangère a été admise
à participer à la fête. On a voulu lui faire oublier les rigueurs de la
censure qui, pendant l'année de guerre, fut inexorable, et on y a
pleinement réussi.
Robert Vaucher.
MM. de Giers. de Wangenheim. Garoni. Bompard. Pallavicini.
Gérard Lowther.
(Russie). (Allemagne). (Italie). (France). (Autriche-Hongrie).
(Angleterre).
Les ambassadeurs sortent de la Sublime-Porte, après avoir remis la note
des puissances.
Phot. du Dr Renzo Larco, envoyé spécial du Corriere
della Sera.
La note collective des grandes puissances qui, ainsi que nous l'avons indiqué la semaine dernière, conseillait à la Turquie de céder Andrinople et d'abandonner à l'Europe la solution de la question des îles, a été remise à la Porte par les ambassadeurs le jour même où paraissait notre précédent numéro. Les représentants des six grandes puissances s'étaient donné rendez-vous, le 17 janvier, à 3 heures, à la Sublime-Porte où le marquis Pallavicini, ambassadeur d'Autriche-Hongrie et doyen du corps diplomatique, a pris seul la parole: «Au nom de nos gouvernements, a-t-il dit au ministre des Affaires étrangères ottoman, nous avons l'honneur de vous remettre la présente note à laquelle nous vous prions de répondre le plus tôt possible.»--«Le gouvernement impérial répondra dans le plus bref délai», dit Noradounghian Gabriel effendi, en recevant le document.
L'entrevue, très courtoise, ne dura que quelques minutes et les ambassadeurs se retirèrent, tandis qu'un de nos confrères italiens, le docteur Renzo Larco, correspondant du Corriere della Sera, réussissait à prendre un cliché du groupe sortant de la, Sublime-Porte.
L'impression générale, sur le moment, était que l'on se heurterait, du côté du gouvernement turc, à une résistance traduite par un refus poli de céder Andrinople. Mais ces derniers jours, après la démarche collective, il semble bien que de nouvelles instances individuelles et pressantes dis plusieurs des ambassadeurs ont fortement influencé les ministres ottomans, qui sont maintenant résignés aux suprêmes sacrifices, le haut conseil de dignitaires et de fonctionnaires convoqué par le gouvernement s'étant prononcé, comme on le prévoyait, en faveur de la paix.
Il faut cependant aussi tenir compte, en ces circonstances, du sentiment de l'armée, dont l'état moral, depuis l'arrivée à Tchataldja d'Enver bey, de Fethi bey et des héros de Tripoli, se serait complètement transformé et qui, avec ses 200.000 hommes campés entre Tchataldja et Gallipoli à moins de 50 kilomètres de Constantinople, constitue une puissance qu'on ne saurait négliger dans les décisions actuelles.
La Question d'Orient en 1913.
Dans la nuit du 9 au 10 janvier 1853, tandis qu'on dansait au Palais d'Hiver de Saint-Pétersbourg, l'empereur Nicolas prenait à part, fort amicalement, l'ambassadeur de la reine, lord Seymour, et lui disait ces paroles historiques: «Milord, nous avons sur les bras un homme malade, gravement malade, ce serait un grand malheur s'il devait nous échapper avant que les dispositions nécessaires fussent prises.» L'agonisant dont, il y a soixante ans, la fin prochaine préoccupait si vivement le tsar, c'était le Turc, récemment amputé de la Grèce et de l'Égypte, et fort incomplètement remis de ses dernières angoisses. En dépit des pronostics, le malade a pu survivre à la crise qui le menaçait alors et à bien d'autres crises depuis. Mais on ne se refait pas une santé avec d'incessantes opérations chirurgicales ou des panacées empiriques, et l'heure fatale paraît bien avoir sonné en ce début de 1913, où toute l'Europe, de nouveau, se rassemble Au chevet de la Turquie. L'image est de M. Stéphane Lauzanne. Elle rend parfaitement sensible la situation diplomatique d'aujourd'hui et elle donne le meilleur des titres au volume tout frémissant d'actualité que vient de publier le brillant rédacteur en chef du Matin.
Le livre de M. Stéphane Lauzanne (Ed. Fayard) est le premier ouvrage où se trouvent réunis--et à quelle heure opportune!--en une série de chapitres clairs, animés, pittoresques et substantiels, toutes les idées intéressantes, tous les documents utiles, tous les faits notables qui fixent la question d'Orient, en 1913. Déjà, sans doute, dans ses lettres et ses dépêches, M. Stéphane Lauzanne nous avait fait connaître les éléments précieux de son enquête sur le Bosphore, parmi les foules de Péra, dans les palais de Constantinople, ou dans l'état-major de Tchataldja; déjà, il nous avait silhouetté en traits précis le visage arménien de Noradounghian Gabriel effendi, le ministre des Affaires étrangères, fin lettré, ainsi que la haute et lourde silhouette du généralissime Nazim, «qui ne manque ni de bon sens, ni de valeur, mais dont le principal défaut est de faire tout un peu tard»; et aussi la douloureuse physionomie du grand vizir Kiamil, le grêle octogénaire qui incarne toute l'angoisse ottomane, et encore la double face de Mahmoud Chefket, qui mina son propre effort de réorganisation matérielle de l'armée en ruinant le moral traditionnel du soldat musulman; et enfin la sympathique figure du vaillant et malheureux Mahmoud Mouktar... Mais toutes ces notes, hâtives et colorées, devaient être liées entre elles et présentées en même temps que l'exposé --contrôlé, complété et libéré de la censure--des grands faits militaires, en un tableau d'ensemble, un tableau d'histoire de la Turquie d'Europe à ses derniers jours. Il n'est pas un chapitre de ce livre qui ne fournît à l'esprit soucieux d'actualités des indications précieuses et des sujets de méditation ou de discussion. Mais surtout on lit avec stupeur les pages révélatrices, documentaires, sur l'extraordinaire panique de Kirk-Kilissé qui décida, semble-t-il, de la défaite de l'empire et paraît avoir été comme voulue par le destin. Il y a aussi un chapitre très renseigné sur les massacres, les fameux massacres si exclusivement reprochés aux Turcs.
--Jamais, affirmait la soeur Jeanne, directrice de l'hôpital français de Constantinople, jamais une de nos soeurs n'a été molestée ou inquiétée. Il y en eut qui s'en furent exercer leur ministère jusqu'au fond des montagnes d'Arménie: pas une seule n'a été outragée ou malmenée. Nous n'avons pas eu à nous plaindre des Turcs. Notre robe est plus sacrée pour eux que pour beaucoup de chrétiens.
Quant au général Baumann, le réorganisateur français de la gendarmerie ottomane, il a répété bien des fois depuis les débuts de la guerre:
--Ne croyez pas que les massacreurs furent toujours les Turcs. Ne croyez pas que les victimes furent toujours les Bulgares ou les Grecs. Si vous voulez connaître la vérité telle qu'elle est, lisez les rapports que les onze officiers français qui sont de votre race, de votre mentalité, de votre croyance, ont rédigés depuis des mois sur les événements de Macédoine. Et puis vous jugerez.
M. Stéphane Lauzanne nous donne des extraits de ces rapports. Ils sont édifiants et méritaient vraiment quelque publicité. Mais, s'il en résulte que, peut-être en Macédoine, ce ne sont pas toujours les mêmes qui ont été massacrés, on n'en devait pas moins souhaiter que cette ère de sauvagerie prît fin d'une façon ou d'une autre et qu'à des mains plus adroites ou plus fermes fût confiée l'oeuvre, dédaignée par les Turcs, de réconciliation nationale et de régénération économique.
On attendait impatiemment un livre récent et complet ou, du moins, aussi complet que possible sur l'Albanie et les Albanais. Ce livre: l'Albanie inconnue (Hachette), paraît aujourd'hui sous la signature de M. Gabriel Louis-Jaray. Selon l'heureuse expression de M. Gabriel Hanotaux en sa belle préface, «cet ouvrage arrive à son heure puisqu'il révèle à l'Europe la plus attardée de ses provinces au moment où elle devient la plus jeune de ses nations». En l'été 1909, poussé par un instinct vraiment divinatoire, M. Louis-Jaray a réussi à franchir les montagnes centrales de Licema et de Mirdite où nul étranger ne s'était aventuré avant lui, et c'est le récit de cette excursion hardie, de ce voyage presque impossible que vulgarise son livre d'aujourd'hui. On suit l'explorateur et ses quinze hommes d'escorte dans la marche redoutable qu'il accomplit en boucle depuis Uskub jusqu'à l'Adriatique par Pritchina, Mitrovitza, Spek, Prizrend, Licema, Orosch au pays des Mirdites, Scutari, Antivari, San Giovanni di Medua, Durazzo pour revenir à Uskub; et tous ces noms, devenus soudainement célèbres, s'appliquent, en suivant cet itinéraire, à des réalités, évoquent à la fois des paysages grandioses et des intérêts humains, racontent des traditions et des émotions qui présentent l'Albanie--la principauté indépendante de demain--avec le fort relief de son caractère à la fois sauvage et antique dans l'évolution moderne européenne.
A mentionner, enfin, dans la bibliographie récente de la question d'Orient, le pittoresque recueil d'observations (Ed. P. Roger, 4 fr.), notées sur place par M. A. Muzet, Aux pays balkaniques: Monténégro, Serbie, Bulgarie.
Actualités sociales.
«Il y a quelque chose de changé en France.» Voilà ce que l'on entend communément répéter dans notre pays où de nouveau s'exalte superbement l'idée de patrie. Sans doute, on peut dater de la première menace allemande un peu précise l'origine de ce réveil national. Mais, pour réaliser, chez nous, ce rajeunissement d'âme, n'y eût-il que l'imminence du péril extérieur. La vérité aussi, c'est que, depuis trois ou quatre ans, une génération toute neuve d'intellectuels est arrivée à l'âge d'homme, une génération libérée du pessimisme, du dogmatisme décevant des aînés et qui a substitué au goût stérile de la méditation, le désir, la volonté vivifiante de l'action.
«Si, écrivait Renan dans Patrice, si Napoléon eût été aussi critique que moi, le 18 brumaire n'aurait pas eu lieu. Celui qui veut tout saisir dans ses concepts est faible et effacé, incapable d'agir avec énergie... Un tel homme est peu fait pour réussir auprès des autres hommes, et de fait, il n'est pas dans les conditions humaines, il n'est pas né viable.»
Au cours de sa très intéressante enquête, recueillie par l'Opinion, et éditée d'hier par la librairie Plon, Agathon a pu se convaincre et nous convaincre que les Jeunes Gens d'aujourd'hui sont nés remarquablement viables. Ils ont le courage, l'espoir, l'optimisme, qui sont les plus précieuses des forces sociales. Et ils sentent la vanité de la négation, en même temps que «la difficulté de se passer d'un absolu moral». D'où, parallèlement à un retour au réalisme politique, un retour à l'idéal, au mysticisme, une renaissance des religions et plus particulièrement du catholicisme. On pourra discuter, en leur détail, certaines des affirmations d'Agathon, mais il serait difficile de n'être point frappé de la vérité générale de ses conclusions que confirme tout ce que, à l'heure actuelle, nous pouvons observer autour de nous. Dans une seconde partie du livre d'Agathon, se trouvent réunis les témoignages nouveaux et également décisifs, acquis après l'enquête dans tous les milieux intellectuels où l'on peut maintenant découvrir--dit l'un des témoins--«une intuition rajeunie de la réalité morale qu'est l'âme française, l'amour des hommes plutôt que des idées, d'un poète plutôt que d'un hémistiche, le goût de s'imposer, sans honte, une discipline morale», tout cela qui fait «une génération sérieuse, ardente et riche de sensibilité».
Les Fastes révolutionnaires. C'est pendant la Terreur, un dimanche, à Tréguier, où, pour la première fois, se dresse la guillotine. On conduit à l'échafaud une femme du peuple, une mère, condamnée à mort pour avoir donné asile à des prêtres insoumis... «Peu après 9 heures, on perçut, dominant le pas rythmé des soldats, une voix claire, une voix de femme qui chantait l'Ave maris Stella. C'était la condamnée, qu'on emmenait au supplice. Tous ceux qui, aux écoutes, l'entendirent du fond de leurs maisons en étaient immobiles d'angoisse et, derrière ces persiennes fermées, ces façades mortes, il y avait quelque part des enfants suffoquant de sanglots, qui reconnaissaient la voix de leur maman. Elle y pensait, elle le savait, elle chantait pourtant... Elle était tout en blanc; à son corsage, elle avait placé cinq fleurs... cinq fleurs qui, pour elle, avaient nom Ursule, Claudine, Marie, Yves-Louis et Jean-Baptiste. Et, sous la fraîcheur de ce bouquet symbolique, son coeur battait ses dernières pulsations...» Dans le nouveau recueil de récits révolutionnaires, auquel nous empruntons ces lignes émouvantes (Bleus, Blancs et Rouges, Perrin, 5 fr.), M. G. Lenôtre nous convainc aisément que la Terreur en province fut plus sanglante et plus impitoyable encore qu'à Paris. Tels missionnaires de la Convention y rivalisèrent d'atrocité voulue et raffinée. «Durant le demi-siècle qui suivit la Révolution, les survivants de l'un et de l'autre camp, encore sous l'étreinte de l'effrayant cauchemar, se refusaient d'un tacite accord à en évoquer certaines visions trop repoussantes... Mais, à présent que la mode est de discréditer systématiquement les victimes et d'exalter effrontément les oppresseurs, une telle réserve n'est plus autorisée. Quand tout sera connu, même l'immonde, on jugera impartialement auxquels revient l'opprobre et à qui doit aller la pitié.» Lisez «Taupin», «le Mariage de M. de Bréchard», «l'Abbé Jumel», «Mlle de La Chauvinière», «Angélique des Melliers», «Auguste». Vous frissonnerez souvent au contact de la vérité qui passe, froide et nue comme le couperet. Mais vous ne pourrez détacher vos yeux de ces tableaux de la folie rouge reconstitués par l'art si personnel et minutieusement documenté de cet incomparable évocateur.
D'autres témoignages précieux, d'autres documents impitoyables sur les fastes sanglants de cette terrible époque nous sont également présentés par M. Paul Gaulot dans une émouvante étude sur les Petites Victimes de la Terreur (Plon). Ces petites victimes--ainsi désignées pour leur humble condition sociale, car devant la guillotine il n'y eut que des égaux--Catherine Cler, Marie-Madeleine Coutelet, Laverdy, Dervillé, Paverolles, Agathe Jolivet, Marguerite Boulet, Charles Noël et une quinzaine d'autres, étaient des jeunes filles des pauvres femmes, des vieillards, des fous, dont aucun n'était assurément capable de faire courir le moindre danger, non point à la société, mais au régime lui-même. Et tous, néanmoins, périrent «légalement». condamnés régulièrement par des juges et pour des «crimes» que n'avaient prévus encore aucune législation ni aucune civilisation.
Il semble bien que l'on n'aura jamais tout dit sur la question Louis XVII, car la bibliographie sur ce mystère de l'histoire s'allonge chaque année de quelques nouvelles études. Ce n'est certainement point la «Réponse» de M. Boissy d'Anglas «à M. Frédéric Masson et à quelques autres», (la Question Louis XVII, Daragon, 1 fr. 25) qui nous convaincra d'une façon décisive de la réalité de la survivance. Mais plutôt les arguments nets, directs, multiples et concordants, que M. Gustave Bord a accumulés dans les quatre forts volumes de son ouvrage: Autour du Temple (Émile-Paul), nous paraîtraient-ils beaucoup plus solidement confirmer la vérité simple, jusqu'ici le plus généralement admise par l'histoire, de la mort au Temple de l'enfant royal. Le laborieux ouvrage de M. Gustave Bord mériterait une minutieuse analyse. Mais on ne peut point toujours parler de la question Louis XVII. Il suffira de signaler cette très complète et très curieuse enquête à ceux que le sujet continue de particulièrement passionner.
Mgr Meunier.--Phot. Jubier.
Un digne et doux prélat vient de disparaître au milieu de l'affliction sincère et exceptionnelle de tout un diocèse. Mgr Meunier, à qui la ville d'Évreux vient de faire des funérailles grandioses, était né en Corse, à Calvi, le 10 janvier 1844. Après avoir exercé pendant dix ans à Avignon les fonctions de vicaire général, il fut nommé évêque d'Évreux, en 1898. Très bon, extrêmement charitable, ardemment patriote, il était très populaire auprès de ses fidèles et tenu en haute estime dans l'épiscopat pour sa haute valeur morale.
Pour la première fois aux États-Unis, en décembre dernier, une femme a été élue député. C'est la doctoresse Nena Jolidon-Croake, que les électeurs de l'État de Washington, où le droit de vote et, conséquemment, de représentation est reconnu aux femmes, ont envoyée participer aux travaux législatifs.
Mme N. Jolidon-Croake.
--Phot. Peterson.
Mme Nena Jolidon-Croake est d'origine française. Le berceau de sa famille est Vauthiermont, dans l'ancien département du Haut-Rhin. Son arrière-grand-père fut l'un des volontaires français qui s'enrôlèrent aux États-Unis pour prendre part à la guerre de l'Indépendance. Après son retour en France, le soldat de Washington exerça les fonctions d'instituteur. Il était maire de Vauthiermont en 1814, lors de l'invasion des alliés, et fut tué par les Prussiens pour s'être courageusement opposé à leurs exactions. Le grand-père de Mme Jolidon-Croake, également instituteur à Vauthiermont, quitta la France pour l'Amérique en 1826. Il emmenait avec lui ses enfants, dont l'un d'eux, François Jolidon, le père du député actuel, revint souvent sur le vieux continent et maintint les relations les plus étroites entre la branche américaine et la branche française de la même famille.
Dans les lettres récentes qu'elle adressa à ses parents de France, la doctoresse Jolidon-Croake, député américain, donne de fort intéressants détails sur les difficultés de sa campagne électorale au cours de laquelle elle dut lutter contre six concurrents masculins.
Devant le monument de Buzenval: le maire de Rueil
embrassant l'ancienne cantinière du 11e bataillon
de marche, Mme Dietenbek, après lui avoir remis
la médaille de 1870.
Il est à noter--curieuse coïncidence--que c'est la petite-fille d'un ancien soldat français de Washington qui devient la première femme député d'Amérique dans l'État précisément qui a reçu le nom du libérateur de la grande république américaine.
L'anniversaire de la bataille de Buzenval a été célébré, dimanche dernier, 19 janvier, suivant la bonne tradition patriotique. Tandis que, à Garches, les autorités et les habitants de la commune se rendaient, en pieux pèlerinage, au cimetière où reposent les soldats morts pour la patrie, le maire et la municipalité de Rueil, toutes les sociétés locales, les jeunes gens de la classe 1912, s'étaient réunis pour venir déposer des couronnes sur le monument commémoratif du glorieux combat. Après les discours, le maire de Rueil, M. Leblond, remit la médaille de la guerre à une vaillante femme, Mme Dietenbek, qui, engagée volontaire en 1870, servit comme cantinière au 11e bataillon de marche et fut blessée à Buzenval. Mme Dietenbek avait revêtu, pour la circonstance, son uniforme d'antan, si seyant, si gai. Sur la tunique bleue, M. Leblond épingla le ruban; puis, martialement, il lui donna l'accolade.
Les vivres et les munitions de l'armée bulgare.
On a dit, avec raison, que les victoires des alliés balkaniques peuvent être attribuées, dans une large mesure, à l'excellente organisation du service de ravitaillement. Il semble notamment que les Bulgares ont eu à résoudre, sous ce rapport, des problèmes que nombre d'états-majors européens eussent considérés comme presque insolubles.
Notre collaborateur, M. de Pennenrun, doit nous conter bientôt la façon remarquable dont fonctionnèrent les chemins de fer bulgares. Mais, comme le fait remarquer, dans la Revue, générale des sciences, le commandant Lemarc, l'armée de la Maritza ne put utiliser que peu de temps la voie ferrée Sofia--Philippopoli--Mustapha-Pacha. Au bout, de quelques jours, elle se trouva à 90, 100, 150 kilomètres de la ligne.
Comment cette armée put-elle se ravitailler rapidement dans de telles conditions? Les données sérieuses manquent encore pour l'expliquer. Le commandant Lemarc nous indique du moins les facilités que put rencontrer l'état-major et les difficultés qu'il eut à résoudre.
A l'entrée en campagne, l'armée de la Maritza comptait 8 divisions formant un total de 225.000 hommes, soit à peu près la valeur de cinq corps d'armée français. Le haut commandement avait, pour assurer la nourriture du soldat, des ressources de divers ordres: les vivres du pays, les vivres portés par les hommes, ceux transportés par des voitures suivant les troupes, et ceux envoyés de l'arrière.
La guerre ayant commencé aussitôt après la récolte, l'armée bulgare s'est trouvée dans des conditions exceptionnelles pour vivre aux dépens des pays traversés. Les paysans de Thrace ont, en effet, l'habitude de conserver d'une récolte à l'autre ce qui est nécessaire à la nourriture de leur famille et de leurs animaux.
Or, l'expérience apprend que, dans un pays agricole moyennement peuplé, 60 à 70 habitants par kilomètre carré, une zone de 3 kilomètres carrés au maximum peut faire vivre 1.000 hommes pendant un jour. En Thrace, où la densité de la population ne dépasse guère 30 habitants par kilomètre carré, il faudrait une zone de 5 kilomètres carrés. Dès lors, l'armée bulgare avait besoin d'une zone d'environ 100 kilomètres de longueur sur 30 à 35 kilomètres de profondeur pour s'alimenter durant quatre jours, sans rien recevoir de l'arrière et sans toucher à ses réserves. Cela représentait 750 hommes pour 10 kilomètres carrés.
En ce qui concerne la viande, on admet qu'un pays, à moins d'être très pauvre, possède 10 têtes de gros bétail par kilomètre carré (non compris les moutons et les porcs). Une zone de 10 kilomètres carrés pouvait donc fournir 100 têtes qui, à raison de 400 rations par tête, donnaient 4.000 rations pour les 750 hommes occupant cette surface.
Le commandant Lemarc estime que, dans ces conditions, la période de concentration n'offrait aux Bulgares aucun problème d'alimentation difficile; l'exploitation des ressources locales pouvait suffire.
Le ravitaillement par convois présentait d'autres difficultés. Disons seulement qu'en supposant les huit divisions de l'armée de Thrace éloignées de huit étapes de leur base, il fallait, pour assurer la nourriture des troupes, 12.800 voitures avec 25.600 animaux de trait.
Examinons maintenant le chapitre des munitions.
Chaque division possédait comme artillerie:
9 batteries Schneider (Creusot), de 4 pièces;
3 à 6 batteries Krupp, de 3 à 6 pièces;
1 batterie d'obusiers lourds de 4 pièces.
Soit un total de 54 à 72 pièces légères et de 4 pièces lourdes.
On peut compter, par pièce rapide, une consommation journalière de 70 à 140 coups par pièce. Pendant la guerre de Mandchourie, certaines batteries japonaises ou russes ont tiré 500 coups par pièce dans un seul jour.
Si nous adoptons 140 coups pour les pièces légères, 100 coups pour les pièces lourdes, la consommation pour deux batailles aura été respectivement de 280 et 200 coups.
Soit pour une division:
280 x 60 (nombre moyen de pièces légères) = 16.800 coups.
200 x 4 (pièces lourdes) = 800 coups.
Le total pour les 8 divisions serait:
134.400 coups de pièces légères pesant 1.500.000 kilos;
6.400 coups de pièces lourdes, pesant 130.000 kilos.
Pour transporter ces munitions d'artillerie, il fallait 3.260 voitures.
D'autre part, on peut admettre qu'un homme consommait 50 cartouches dans un petit combat et 100 cartouches dans une bataille. En supposant que chaque soldat bulgare ait été engagé dans deux combats et dans une bataille, il aura consommé 200 cartouches. Soit, pour l'armée, 36 millions de cartouches pesant un million de kilos et formant le chargement de 2.000 voitures.
Récapitulons. Le ravitaillement de l'armée de la Maritza exigeait:
Voitures. Pour les vivres. 12.800 Pour les munitions d'artillerie. 3.260 Pour les munitions d'infanterie. 2.000 Ensemble. 18.060
De son côté, l'armée d'Andrinople demandait environ 5.000 voitures.
Soit un total de 23.060 voitures avec 46.120 animaux.
Cette masse de véhicules occuperait sur une route une longueur de 230 kilomètres, soit la distance de Paris à Maubeuge.
Le nombre des accidents du travail, depuis l'année 1904, a subi une progression régulière qui peut sembler étrange et excessive:
En 1901...... 229.162 accidents. En 1902...... 223.286 En 1903...... 212.753 En 1904...... 222.124 En 1905...... 259.882 En 1906...... 306.860 En 1907...... 359.747 En 1908...... 354.027 En 1909...... 383.249
Ainsi, de 1904 à 1909, dans l'espace de cinq années seulement, le nombre des accidents a presque doublé.
Il est remarquable d'ailleurs que cette augmentation (qui de 1908 à 1909 est de 8,25%) affecte toutes les catégories professionnelles sauf deux, celle des tailles de pierres précieuses et celle de la manutention.
L'Inspection du travail attribue cet accroissement à une reprise générale de l'activité commerciale et industrielle.
Il serait facile de démontrer que les deux courbes ne sont nullement parallèles.
Il semblerait plus logique de voir dans ce mouvement le résultat d'une éducation spéciale des intéressés. Pendant les quatre premières années, le nombre des accidents reste stationnaire. Les intéressés connaissent à peine la loi, et ne savent pas s'en servir. Ils l'étudient. Mais, dès 1905, ils la connaissent, et s'en servent.
On sait qu'un sismologiste anglais, M. H. E. Reid, a proposé un moyen de prévoir les tremblements de terre consistant à dresser des piliers en ligne faisant l'angle droit avec un début de faille. Si, après avoir bien repéré ces piliers, on continue à les surveiller, on discernera de petites modifications résultant de petits mouvements insensibles qui présagent et précèdent toujours des mouvements beaucoup plus forts.
Un autre sismologiste, M. C. Davison, propose une surveillance des petites secousses dans le temps et dans l'espace, car elles en présagent toujours de plus violentes. Dans le cas du séisme de Mino-Owari, au Japon, en 1891, il y a eu une augmentation marquée de fréquence des chocs autour de la ligne de rupture, de la faille, pendant les quatre années précédentes. Le grand déplacement d'où résulte un tremblement de terre a toujours besoin d'être préparé: il faut que, les uns après les autres, divers obstacles au glissement disparaissent. C'est cette disparition progressive d'obstacles qui est cause des chocs préliminaires, et qui, tout à coup, permet la catastrophe brusque et considérable. Si donc, on observe avec soin, et si l'on porte sur la carte l'indication des épicentres des petites secousses ressenties, on peut considérer la ligne qui réunit ces épicentres comme donnant l'esquisse générale d'une faille qui se produira avant longtemps, de façon subite. Dans le cas du Mino-Owari, il est très visible que la carte des failles qu'on pouvait présager d'après les petites secousses deux ans avant le séisme coïncide exactement avec la carte des failles réalisées lors de ce dernier.
L'Angleterre consomme une quantité énorme de sucre qu'elle est obligée d'importer de ses colonies et des pays étrangers, car on admet généralement que le sol et le climat des îles Britanniques ne comportent point une culture rémunératrice de la betterave.
Des Hollandais, croyant cette opinion peu justifiée, ont fait un essai dans le comté de Norfolk; une première récolte de 3.000 tonnes de betteraves a été envoyée dans les sucreries du continent où elle a fourni un pourcentage de sucre très satisfaisant. En présence des résultats obtenus, une société a construit une usine à Cautley et elle a mis en culture la surface nécessaire pour produire environ 40.000 tonnes de betteraves à la récolte prochaine.
L'eau dure, c'est-à-dire tenant en dissolution beaucoup de sels et en particulier des sels de chaux, est, en général, considérée comme plutôt mauvaise pour la santé.
Or, d'après les observations d'un spécialiste allemand, le docteur Rose, la beauté de la dentition serait en raison directe de la dureté de l'eau de boisson. Voici, en effet, le pourcentage de dentitions entièrement saines observé chez des milliers d'enfants habitant des localités différentes où l'eau présentait des degrés hydrotimétriques de dureté fort variés:
Proportion. Dureté de l'eau de dentitions saines. Moins de 2° ............... 1,3 % 5 à 10°.......... 4,3 % 15 à 20°.......... 6,4 % 25 à 30°........... 14,5 % Plus de 38°................ 20,2 %
Les meilleures dentitions se trouveraient dans les localités où, en plus de la chaux, les eaux renferment de la magnésie qui durcit l'émail.
D'autre part, la chaux et la magnésie, en combattant l'acidité du sang, empêcheraient le rachitisme des enfants.
En fait, le nombre des jeunes gens aptes au service militaire augmente dans les régions où les eaux sont plus dures. Dans le département de Hohnstein, où les eaux ont 10 degrés hydrotimétriques, le nombre des recrues est environ moitié moindre que dans les régions où les eaux atteignent 30 degrés.
Aussi, le professeur Hempel, de Dresde, blâme les personnes qui recherchent des eaux de boisson très pures. Il recommande «l'eau tendre pour la baignoire et la chaudière, l'eau dure pour la carafe».
La course cycliste des six jours au Vélodrome d'Hiver.
Si l'on excepte les épreuves mémorable; d'aviation, jamais peut-être, à Paris, une manifestation sportive n'attira la même foule, ne suscita le même enthousiasme que la course cycliste des six jours, organisée au Vélodrome d'hiver. Imaginée en 1896 par un Américain, cette épreuve comportait à l'origine une course individuelle de six jours, soit cent quarante-quatre heures; trois fois, elle fut disputée à New-York dans ces conditions d'une sévérité outrancière. Depuis plusieurs années la course a lieu par équipes de deux hommes ayant le droit de se relayer à leur guise.
Seize équipes, la plupart françaises, quelques-unes belges, américaines, ou mixtes, prirent le départ lundi 13 janvier, à 6 heures du soir. Ce nombre était peu à peu réduit à six équipes qui, fait extraordinaire mais s'étant déjà produit, terminèrent le parcours ex-aequo, après avoir couvert exactement 4.467 kil. 580, ce qui représente 17.870 fois le tour de la piste de 250 mètres. Pour stimuler l'ardeur des coureurs, plusieurs spectateurs avaient eu l'idée d'offrir des primes de 100, 200, 500 francs --notre confrère l'Auto alla jusqu'à 1.000 francs--au coureur terminant en tête tel ou tel tour de piste. Les primes succédaient aux primes et, à la lueur de milliers de lampes électriques, l'épreuve s'acheva dans un enthousiasme indescriptible. Mais le résultat était nul. Une nouvelle course de vitesse, sur dix tours de piste, qui donna lieu à une lutte passionnante entre les deux champions qui tenaient la tête, le Français Dupré et l'Australien Goullet, fit attribuer la victoire à ce dernier.
La foule qui, au cours des six jours, a apporté aux guichets du vélodrome près de 250.000 francs, acclama le vainqueur et sembla oublier que, dans l'épreuve réelle des cent quarante-quatre heures, il y a six ou plutôt douze vainqueurs qui firent preuve d'uni; endurance mathématiquement égale. Ne sommes-nous pas habitués, en effet, à voir les grandes victoires sportives reposer sur des fractions de seconde?
Mme Paquin.--Phot. Agié.
Dans la promotion dite du 1er janvier, le ministre du Commerce vient de décorer Mme Paquin: en sa personne, la couture française, la rue de la Paix tout entière a été justement honorée.
Vice-présidente de la Chambre syndicale de sa profession, directrice, avec son frère, d'une maison fameuse Mme Paquin, dont le nom évoque à l'esprit des merveilles de luxe et de goût, méritait à coup sûr d'être choisie comme représentant d'une industrie qui a pris, depuis quelques années, une extension considérable. A toutes les expositions organisées à l'étranger depuis 1900, à celle de Turin, notamment, les pavillons de la toilette féminine française ont constitué l'une des attractions les plus courues.
Avec ses émules, plus qu'aucun autre peut-on dire, Mme Paquin a contribué à cet éclatant succès. Et elle a ainsi accru, au dehors, le prestige de la mode française.
Un des plus parisiens et des plus distingués parmi les grands chefs de la Compagnie P.-L.-M., dont il était aussi un vétéran, M. Gustave Habert, vient de mourir à l'âge de soixante-dix ans.
M. Gustave Habert.
--Phot. Chusseau-Plaviens.
Entré tout jeune à la Compagnie, en 1862, M. Habert s'était fait remarquer de bonne heure par une intelligence pleine de tact s'alliant à une rare élévation de caractère. Après avoir franchi les divers échelons de la hiérarchie, il avait été appelé au poste envié de secrétaire général de la Compagnie; dans ces fonctions parfois difficiles, qui exigent autant de doigté que de fermeté, il sut, par sa bonne grâce et la sûreté de ses relations, se concilier toutes les sympathies.
Travailleur acharné, ayant conservé une verdeur que beaucoup envieraient à un âge moins avancé, M. Habert s'était décidé à prendre sa retraite, il y a seulement quelques mois. Nommé secrétaire général honoraire, il avait résigné ces fonctions, à la fin de 1911. Il avait été remplacé par M. Georges Goy, secrétaire général actuel, qui continue, avec d'aussi précieuses qualités, les traditions en honneur dans le haut commandement du P.-L.-M.
Huit pages non brochées, dont quatre en couleurs, sur UN MOIS A PÉKIN complètent ce numéro.
[Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés en titre ne nous ont pas été fournis.]