The Project Gutenberg eBook of Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Second

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Title: Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Second

Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac

Release date: November 12, 2011 [eBook #37987]
Most recently updated: January 8, 2021

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE DE BERTRAND DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNÉLON, TOME SECOND ***

Notes de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

L'abbréviation c ou m après un chiffre romain signifie que le chiffre doit être multiplié respectivement par cent et par mille. L'abréviation lt signifie livres tournois.

CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUE

DE
BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,

AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575.

PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.

TOME DEUXIÈME
ANNÉE 1569.

PARIS ET LONDRES.


1838.

RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

Des Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE LXVIe SIÈCLE

Conservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.

ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.


PARIS ET LONDRES.


1838.

DÉPÊCHES, RAPPORTS,

INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XXVIe SIÈCLE.

LA MOTHE FÉNÉLON.

Paris.—Imprimerie PANCKOUCKE, rue des Poitevins, 14.

AU TRÈS-NOBLE

HENRI PETTY FITZMAURICE

MARQUIS DE LANSDOWNE

LORD PRÉSIDENT DU CONSEIL
DE SA MAJESTÉ
LA REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE.

CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ
AVEC L'AGRÉMENT DE SA SEIGNEURIE

PAR
SON TRÈS-HUMBLE, TRÈS-OBÉISSANT ET TRÈS-DÉVOUÉ
SERVITEUR

CHARLES PURTON COOPER.

1

DÉPÊCHES
DE
LA MOTHE FÉNÉLON.


XXXIXe DÉPESCHE

—du IIIe de juing 1569.—

(Envoyée par Jehan de Bouloigne.)

Plainte faite par l'ambassadeur à Élisabeth contre la saisie de ses dépêches, et la conduite des députés envoyés par elle en Allemagne.—Il demande formellement, au nom du roi de France, qu'elle porte secours à la reine d'Écosse et lui fasse rendre sa couronne.—Explications données par Élisabeth, au sujet des reproches qui lui sont adressés.—Promesses qu'elle fait de continuer avec la France les relations les plus amicales.—Nouvelle de la mort de M. d'Andellot.—Rumeur causée à Londres par des accusations d'empoisonnement sur M. d'Andellot, et de tentatives d'empoisonnement sur l'amiral de Coligny, M. de La Rochefoucault et de Montgommery.—Effet produit par la nouvelle, encore incertaine, que le duc de Deux-Ponts a passé la Loire.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, durant ces festes de Pentecoste, devers la Royne d'Angleterre à Grenuich, pour trois principales occasions; l'une, pour luy compter l'estat de voz affères, ainsy que, par voz lettres du xıııȷe du passé, il vous a pleu me le commander; l'aultre, pour luy remonstrer aulcuns mauvais déportemens de ses ministres en Allemaigne; et 2 la troisiesme, pour le faict de la Royne d'Escoce. Je luy ay commancé mon propos par me plaindre grandement à elle de l'interception et divertissement, que le maistre de la poste de Canturbery a ozé fère, d'ung vostre paquet et d'ung paquet de Mr. de Gordan, des mains du postillon qui me les aportoit, luy remonstrant qu'il les avoit transportez en lieu, où l'on me les avoit retenuz deux jours, et puys m'avoient esté renduz par ung des gens de son principal secrétaire, Me. Cecille, en si mauvais estat qu'encor qu'ilz apareussent aulcunement cloz, ilz ne monstroient toutes foys qu'on leur eust gardé le respect deu aulx lettres et cachet d'ung si grand prince; ce qui me faisoit croyre que l'indignité n'estoit procédée d'une telle princesse comme elle, ny de son commandement, ains de la malicieuse curiosité et extrême passion de ceulx qui, en plusieurs aultres mauvaises sortes, avoient, ceste année, miz souvent la dicte Dame en hazard de perdre le bien de la paix et amytié de Vostre Majesté et celle de vostre royaulme: dont la suplioys humblement qu'elle m'en vollût fère avoir rayson.

A quoy elle, monstrant n'estre aulcunement contante, m'a respondu que, à la vérité, c'estoit chose qui n'estoit advenue de son sceu, et bien fort à son regrect, mais que Milaris Coban venoit de luy bailler des lettres de son mary, qui est gouverneur du quartier, où cella a esté faict, par lesquelles il luy donnoit compte du tout, et comme le postillon estoit un homme nouveau, lequel venant, sans passeport, en la compaignye d'aulcuns Angloys qui estoient passez en mesmes temps de Flandres pour servyr d'espyes, s'estoit avec eulx randu si suspect, qu'on les avoit toutz foillez et visitez ensemble; dont me prioyt d'excuser, pour 3 ceste foys, la détention de mon dict paquet, et qu'elle ne lairoit pourtant de me fère avoir réparation du tort qu'on m'y pourroit avoir faict.

Je luy ay répliqué que les paquetz de Vostre Majesté avoient accoustumé de servir de passeport et de seureté à ceulx qui les pourtoient, dont ne restoit aulcune bonne excuse pour ceulx qui m'avoient si fort offancé, lesquelz, continuans ainsy de plus en plus se porter toutjour fort mal envers Vostre Majesté, seroient en fin cause de vous fère monter au cueur ung juste desir de rescentiment, et que leur entreprinse avoit esté bien fort vayne en cest endroict, car je ne leur eusse que trop volontiers communiqué ceste dépesche, à laquelle je m'asseuroys qu'ilz n'eussent prins le playsir, que j'espéroys que la dicte Dame auroit, d'y veoir les affères de Vostre Majesté en très bonne disposition, la priant d'avoir agréable d'en ouyr le récit.

Et ayant la lettre en la main, je luy leuz incontinent toute cette partie qui concernoit le bon estat de voz dictes affères, et la calompnye et menterye de ceulx qui en parloient aultrement, et l'asseurance de vostre amytié envers la dicte Dame avec la correspondance que vous desiriez d'elle: laquelle monstra avoir le tout fort agréable, et fut une chose qui vint bien à propos pour aulcunes matières, qui estoient lors en termes en ceste court; lesquelles se menoient diversement sellon la diversité des novelles, que les ungs et les aultres représentoient de la guerre de France; à l'occasion de quoy elle s'arresta davantaige sur le discours de la dicte lettre et m'y fyt plusieurs demandes, ausquelles je miz peyne de satisfère: puys luy diz que, de tant que vous ne vouliez garder aulcune malle impression 4 ny réserver rien sur vostre cueur contre elle, vous la priez de vous esclaircyr d'une chose qu'on vous avoit mandée d'Allemaigne, c'est que ses agentz par dellà faisoient de si mauvaiz offices et si contraires à vostre service que, quant elle vous auroit déclairé la guerre, ilz ne se monstreroient plus ouvertement voz ennemys qu'ilz faisoient, provoquans et incitans les princes protestans d'Allemaigne de fère et continuer la guerre en vostre royaulme, et employent le nom et le crédict d'elle, pour leur trouver des deniers; et, que mesmes l'on vous avoit mandé que Quillegrey, et ung aultre des siens, qui se tient à Francfort, estoient sur le point de leur faire fornyr quatre vingtz ou cent mille tallartz, avec promesse de plus grand somme, quant la flotte de Londres seroit arrivée en Hembourg: ce que vous ne vouliez ny pouviez croyre que procedât aulcunement d'elle, estant chose qui répugnoit grandement à la paix, et aulx promesses, et sèremens, que vous avez juré, de procurer le bien et évitter le mal loyaulment l'ung de l'aultre, et trop contraire à l'honneur de la parolle qu'encores freschement elle vous avoit donnée de la continuation de son amytié, mais que c'estoient aulcuns mal affectionnez, transportez de passion, qui abusoient ainsy de son authorité, et ne se soucyoient d'allumer, par ce feu couvert qui estoit plus cuysant que si la flamme en paroissoit, une guerre entre vous, pourveu qu'ilz vinsent à boult de leurs intentions, ce que vous la priez très instantment de fère cesser.

Et luy tins ce propoz, Sire, tant par ce que j'avois des adviz conformes à cella que pour ayder de divertyr une levée de deniers qu'on estoit après à fère icy; à laquelle je sçavoys qu'aulcuns seigneurs de ce royaulme contradisoient.

5 De quoy la dicte Dame, voulant donner satisfaction à Vostre Majesté, m'a dict que, à la vérité, elle avoit deux agentz en Allemaigne, l'ung nommé Du Mont, homme vieulx, catholique, ancien serviteur du feu Roy son père, qui se tenoit en une sienne mayson prez de Francfort, et l'aultre Quillegrey, gentilhomme anglois, bien affectionné à son service, par lesquelz deux elle entretenoit l'amytié des princes allemans, lesquelz se monstroient très affectionnez de la continuer envers elle, tout ainsi qu'ilz l'avoient toutjour heue ferme et constante envers le dict feu Roy son père, mesmes qu'elle pouvoit compter le duc Auguste, le lansgrave de Esse, les palgraves et aultres principaulx princes de dellà, pour ses fort inthimes amys, et me vouloit bien dire qu'elle, avec eulx, avoient ensemblement pourveu à leurs affères contre ceulx qui vouloient exterminer leur religion; mais qu'au reste, ses agens n'avoient eu jamais charge de fère ny procurer rien en particullier contre Vostre Majesté, et m'asseuroit qu'il n'y avoit esté aulcunement forny argent, au moins par nul moyen qui procédât d'elle, sans lequel je pouvois croyre que ses gens n'estoient pour trouver guyères grandz sommes, et qu'elle vous remercyoit grandement de l'honnorable jugement que vous feziez de son intention, en ce que, quant le dict adviz seroit véritable, vous l'en vouliez tenir deschargée; ce qu'elle vous prioit de croyre, qu'encor qu'on luy représentât plusieurs occasions, qu'elle n'estoit pour en prendre jamais pas une de ceste sorte à couvert contre vous; ains envoyeroit ouvertement la vous notiffier: mais que vous la trouverez fère profession sinon de prudence, au moings d'intégrité, en tout ce qu'elle vous avoit promiz; adjouxtant plusieurs aultres propos assés longs, lesquelz il est 6 bien besoing que Voz Majestez sachent, mais je réserve les vous fère entendre par homme exprès.

Et m'a esté dict que ceste mienne remonstrance a eu desjà quelque effect, mais je métray peyne de le sçavoir mieulx pour vous en asseurer par mes premières. Et pour la fin, je l'ay remercyée au nom de Voz Majestez, de la bonne et vertueuse dellibération qu'elle monstre prendre meintennant ez affères de la Royne d'Escoce pour la remettre en son estat, ainsy que Mr. l'évesque de Ross me l'a particullièrement racompté, la supliant d'y pourvoir si bien, et si à temps, que le retardement n'y puysse plus engendrer de difficulté, et qu'elle se veuille acquérir seule l'honneur de la plus honnorable entreprinse qui soit escheue, de nostre temps, en main de nul prince chrestien, sans excepter celle de l'empereur Charles Ve en la restitution qu'il fit du Roy de Tunes[1], car ce fut pour ung pays mahumétan, en hayne de Barberousse, qui infestoit l'Espaigne, là où ceste cy est une légitime et héréditaire princesse, sa parante, qui ne luy a faict jamais desplaysir, et est venue, en la confiance de sa parolle, recourir à elle, luy requérant, en bonne sorte et avec beaulcoup d'humillité, son promiz secours; oultre que par ce moyen, plus que par nul aultre qui se puysse jamais offrir, elle satisfera grandement à toutz les princes de la terre, mesmement à Voz Majestez Très Chrestiennes, qui luy en aurez obligation; luy voulant bien dire, de la part d'icelles, que, sans l'attante de son dict secours, vous vous fussiez desjà efforcez, quelz affères que vous ayez sur les bras, de pourveoir 7 à ceulx de la dicte Dame, sellon que vous y estiez, par les trettez et par ung honneste debvoir, obligez; qui ne vouliez, en façon du monde, laysser ung si mauvaiz exemple de vous à voz alliez et confédérez, que vous fussiez veuz habandonner la cause de ceste princesse, laquelle tenoit le lieu de la principalle et plus ancienne alliance de vostre coronne.

A quoy la dicte Dame m'a respondu, et semble que ce a esté de bonne affection, qu'encor qu'elle ayt à considérer l'obligation qu'elle a à la justice du murtre du feu Roy d'Escoce, qui estoit son subject, et à la cession que la dicte Dame a faicte du tiltre qu'elle prétandoit de ce royaulme à Monsieur, frère de Vostre Majesté, et à d'aultres différendz, qu'elles ont à démesler ensemble touchant leurs deux royaulmes, qu'elle, néantmoins, pourvoirra si bien à son affère qu'on cognoistra qu'elle luy porte plus d'amytié et de bienveuillance qu'elle ne s'est aymée elle mesmes.

Lequel propos s'est estendu en responses et répliques, touchant la justice sur les princes souverains, comme elle est réservée à Dieu seul; et touchant la cession du tiltre d'Angleterre, comme c'est ung malicieulx artiffice pour irriter la dicte Dame contre la France et contre ceste pouvre princesse, lequel se trouvera manifestement faulx; et en aultres discours, qui excèderoient par trop la mesure d'une lettre, de les adjouxter icy; par quoy les remettray à une aultre foys, et prieray atant le Créateur après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, Sire, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

De Londres ce ııȷe de juing 1569.

8

A la Royne.

Madame, il vous plairra veoir, en la lettre du Roy, le compte, que je donne à Voz Majestez, de certains propoz que j'ay naguières tenuz à la Royne d'Angleterre et des responces qu'elle m'y a faictes, parmy lesquelles j'ay recuilly de ses discours aulcunes aultres particularitez, que je réserve vous fère entendre par le premier des miens que je vous dépescheray; et vous diray davantaige, Madame, que j'ay adviz qu'on a, secrètement et en grand dilligence, dépesché le Sr. Gilles Grays, avec ung brigantin à rames, devers Me. Oynter, pour luy dire qu'aussitost qu'il aura conduict la flotte en Hembourg, il ayt à la laysser là, et qu'avec les grandz navyres, hommes et tout son aultre équipaige de guerre, il fasse incontinent voyle vers les quartiers d'Escoce; mais je n'ay encores descouvert pour quelle occasion, seulement je présume que c'est pour s'opposer à l'entreprinse qu'on leur a persuadée du capitaine St. Martin, de laquelle je vous ay naguières faict mencion, ou bien pour remédier aulx affères d'Irlande. Je travailleray d'en sçavoir la certitude.

L'on a vollu, ici, calompnier la nouvelle de la mort de Mr. Dandellot, affirmans y avoir lettre, du vıȷe de ce moys, de la Rochelle, qui monstroit le contraire; mais j'entendz que, devant hyer, il vint lettres à ceste Royne de son ambassadeur, Mr. Norrys, par lesquelles il luy en confirme la mort, et luy mande davantaige qu'il y a gens en vostre court, qui poursuyvent leur reccompence pour avoir empoysonné Mr. l'Admyral, Dandellot, de La Rochefoucault et de Montgommery, jouxte la certitude, qui 9 aparoit desjà, de ce qui est advenu du dict Sr. Dandellot, lequel ayant esté ouvert s'est trouvé empoysonné, et que, sur leur vye, il s'ensuyvra bientost la semblable espreuve des aultres; et que le duc de Deux Pontz a passé la rivière de Loyre à la Charité, dellibérant s'acheminer, par Dun le Roy et Bourges, droict à l'exécution de son entreprinse sellon sa première intention, et que Voz Majestez estiez à Orléans pour assembler vostre camp. Lesquelles nouvelles ont diversement esmeu ceste court; dont je prendray garde si elles y produyront rien de nouveau.

Au surplus, la pratique d'accord que je vous ay mandée, qu'on commançoit avec l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, se continue toutjour, mais assés froidement, et la met on en termes, par des personnes qui s'en meslent, sans fère semblant d'y estre employez; mais il y aparoit une telle jalouzie et compétance des entremetteurs, que je ne voy que cella preigne encores ung si droict chemyn qu'il s'en puysse espérer, de long temps, la conclusion. Une chose, à la vérité, y concourt des deux costez, c'est ung desir d'accorder et évitter la guerre, et n'y a que la formalité et le poinct de la réputation, et quelque partie de la restitution qui y met le retardement. Je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté, et prie Dieu qu'il vous doinct, Madame, en parfaite santé, très longue vie et toute la prospérité que vous désire.

De Londres ce ııȷe de juing 1569.


10

XLe DÉPESCHE

—du Xe de juing 1569.—

(Envoyée par Jehan Valet jusques à Calais.)

Prise de la Charité et passage de la Loire par le duc de Deux-Ponts.—Intelligence des Anglais avec ce prince.—Désir qu'ils ont de profiter des succès remportés par les Allemands en France, pour tenter de recouvrer Calais.—Nouveaux préparatifs de guerre.—Assurance est donnée à l'ambassadeur qu'ils ne sont pas dirigés contre la France.—Crainte que la flotte de la Rochelle, dont le retour n'est point annoncé, ait été retenue pour le service des protestants.—Mise en liberté des mariniers espagnols.—Assurance est donnée à l'ambassadeur, par lettre du roi, que M. d'Andelot n'est pas mort par le poison.—Projet de convention pour la restitution des prises.—Noms des commissaires anglais qui ont été désignés pour se rendre à Rouen.

Au Roy.

Sire, la dépesche que j'ay faict à Voz Majestez, devant ceste cy, est du #305;#305;ȷe du présent, et, despuy, m'ayant esté donné quelque adviz que la prinse de la Charité, et le passaige de l'armée du duc de Deux Pontz par dellà la rivière de Loyre, commançoient de remectre en vigueur dans ce conseil la querelle de Callais, et encores d'aultres partiz (que j'ay eu occasion d'avoir fort suspectz, pour me venir devant les yeulx), que l'avance, qu'ilz ont faicte d'aulcuns deniers à l'entreprinse des princes d'Allemaigne, n'a volontiers esté sans y conclure quelque marché pour eulx, et qu'il y a aparance que le dict Duc ne s'est hazardé d'entrer si avant en pays, sans estre bien asseuré de leur intelligence; j'ay travaillé, par le prétexte de négocier, avec 11 les seigneurs du susdict conseil, d'aulcunes particularitez (comme de la prinse de mon paquet;—de la pleincte que j'ay dernièrement faicte à la Royne, leur Mestresse, touchant le mauvais office de ses agentz en Allemaigne;—de ma réplicque sur les responces qu'ilz ont données à mes précédantes remonstrances, laquelle, tout exprès, je leur ay de nouveau baillée par escript;—et du faict de la Royne d'Escoce); de tirer principallement quelque notice de ceste aultre affère, dont ay aprins, Sire, que, à la vérité, il a esté par aulcuns miz en avant de se prévaloir de la présente occasion des adversitez de vostre royaulme, et qu'il ne failloit qu'ilz s'attendissent d'en avoir jamais une aultre plus à propos, pour pouvoir fère leurs besoignes en France. Mais, ou soit pour la naturelle inclination, que ceste Royne a à la paix; ou pour la recordation du Hâvre de Grâce; ou pour n'estre les principaulx seigneurs accordans à la guerre, ou pour n'avoir bien prest ce qui leur faict besoing pour la commancer, ou encores, qui est plus à croyre, pour estre le playsir de Dieu d'ainsy disposer meintennant les personnes et les présens affères de ce royaulme, la dellibération n'est passée si avant que je vous en veuille encores mettre en peyne, et je travailleray cependant, aultant qu'il me sera possible, de la divertir du tout.

Seulement, Mr. l'admyral d'Angleterre, sur une grande crierye et remonstrance qu'il a faicte, comme il estoit bien adverty qu'après avoir, à mon instance, et pour satisfère à Vostre Majesté, nettoyé, de leur costé, la mer de pirates, l'on armoit meintennant navyres et vaysseaulx à force, par toutz les portz et hâvres de vostre royaulme, pour remplir vostre mer, de dellà, de nouveaulx pillartz, et ayant touché aussi quelque mot du passaige de voz gallères par 12 deçà, il a obtenu commission de pourvoir dilligentment à tout ce qu'il verra estre requiz, concernant le faict de sa charge, pour garder que les pays et subjectz de la dicte Dame ne soyent ny offancés, ny surprins. Et ainsy, luy et Me. Cecille ont esté, despuys trois jours, à Gélingan donner ordre de rabiller et mettre promptement en équipage toutz les grandz navyres de guerre, pour s'en pouvoir servir au besoing; et Me. Ouynter, qui est desjà de retour, avec cinq de ceulx qu'il avoit mené en Hembourg, se tient à Haruich, sur l'emboucheure de la Tamize, avec tout son équipage, sans rien licencier, et les monstres généralles continuent se fère par ce royaulme, avec quelque aprest d'armes, en quoy, à la vérité, ilz procèdent de la plus grande aparance et démonstration qu'ilz peuvent, pour donner expectation de quelque grande chose aulx leurs et aulx estrangiers; mais je ne descouvre, pour encores, qu'ilz ayent en main aulcune déterminée entreprinse contre Vostre Majesté; tant y a que, comme je ne vous veulx donner allarme de ce costé que le plus tard que je pourray, bien qu'on s'esforce de me la fère desjà prendre bien grande, aussi vous supliè je, Sire, de n'en demeurer en tant de confiance que ne commandiez toutjour aulx gouverneurs et capitaines, d'icelle partie de vostre frontière qui regarde ce royaulme, de ne la laysser desgarnye, et qu'ilz ayent à prendre toutjour garde aulx surprinses qui s'y pourroient fère, qui sera ung vray moyen pour mieulx conserver la paix.

Du reste, l'on m'a faict aparoir, touchant l'interception de mon paquet, que, à la vérité, le postillon, qui le pourtoit, estoit passé en la compaignye d'un gentilhomme angloix, nommé Trassan, qui avoit demeuré absent unze 13 ans hors du pays, et avec d'aultres escolliers angloix, qui venoient de Louvain, qu'on a souspeçonné estre toutz envoyez pour servir d'espyes par deçà, lesquelz ont esté despuys miz en pryson. Et, de ma remonstrance touchant les mauvaiz offices que les agentz de ceste Royne faisoient en Allemaigne, aulcuns du dict conseil m'ont asseuré que ce que la dicte Dame m'en avoit respondu estoit vray; aultres m'ont dict que, pour n'avoir eu cognoissance de toutes ces despesches d'Allemaigne, ilz ne me vouloient asseurer de rien, ce qui monstre qu'il en est quelque chose, mais qu'il est secrètement conduict; tant y a que j'ay quelque adviz que, despuys ma dicte dernière audience, cest ordre de fornyr xl mille {lt} esterlin, par les marchans de Londres, ès mains de Quillegrey, dont j'ay faict mencion en mes précédantes, et l'emprunct de cent mille {lt} esterlin, sur les bien aysez de ce royaulme, a esté aulcunement révoqué, et qu'en lieu de ce, a esté seulement donné commission au maire de ceste ville d'empruncter sur le crédict de la chambre de Londres, qui est comme sur la mayson de ville de Paris, par lettres du privé scel, xviiȷ ou xx mille {lt} esterlin, qui est soixante quinze mille escuz, et rien davantaige; sinon qu'on est après à fornyr vingt huict mille florins de plus pour retirer deux obligations de pareille somme, qui a esté naguières employée en quelque lieu d'Allemaigne, au nom de la dicte Dame; que touchant les aultres particullaritez, dont j'ai faict instance, pour asseurer la mer et le commerce par deçà aulx Françoys, et leur rendre leurs biens et navyres, qui y sont arrestez, et fère cesser le traffic de la Rochelle, qu'il m'y sera si bien satisfaict que j'en demeureray contant. Dont retournant, ceste après diner, trouver la dicte Dame et iceulx seigneurs, sur l'occasion de vostre 14 dépesche du xxvııȷe du passé, que j'ay receu le ve d'estuy cy, et sur celle du ıȷe du présent, que le Sr. de Vassal, ung des miens, me vient, tout présentement, de bailler, je mettray peyne d'avoir une finalle résolution de toutes ces choses, et de confirmer la volonté de ceste princesse et de ces seigneurs, tant qu'il me sera possible, en la continuation de la paix.

La flotte de la Rochelle n'est encores de retour, de laquelle devisant hyer avec ung seigneur de ceste court d'où pouvoit venir l'occasion du retardement, veu qu'elle avoit arrivé le vııȷe de may au dict lieu, et qu'on ne met guières à charger grande quantité de sel, et qu'il a despuys faict fort bon vent pour revenir, il m'a dict qu'il souspeçonnoit que ceulx du dict lieu pourroient bien avoir retenu les vaysseaulx de la dicte flotte, pour s'en servir à transporter des hommes à quelque aultre quartier, affin de se pouvoir plus ayséement joindre à leurs aultres troupes, ou bien pour faire quelque aultre entreprinse; mais encores qu'aulcuns de deçà fussent, possible, bien consentans de telle chose, il me pouvoit asseurer que ce n'estoit au moins par dellibération du conseil, et qu'il croyoit que la Royne, sa Mestresse, n'en sçavoit rien.

Ceulx cy ont commancé procéder de quelque modération sur les affères qu'ilz ont avec le Roy d'Espaigne, ayant le maire de ceste ville, despuys deux jours, miz en liberté envyron cent pouvres Espaignolz maryniers, qui estoient dettenuz prisonniers en ceste ville despuys le commancement de ces prinses, et bien qu'on ayt serché, du commancement, de les délivrer soubz caution de dix escuz pour teste, en cas que les choses passassent à quelque ouverture de guerre; néantmoins, après que monsieur l'ambassadeur 15 d'Espaigne a eu remonstré que telle chose s'esloigneroit trop de la bonne paix d'entre Leurs Catholique et Sérenissime Majestez, qui ne debvoit estre mise en tel doubte, et que, mesmes, le duc d'Alve, naguières, luy estant admené plusieurs pouvres maryniers et pescheurs anglois, prins sur la coste de Zélande, les avoit toutz renvoyez sans en retenir ung seul, le dict maire a, par ordonnance de ce conseil, franchement dellivré les dictz Espaignolz, et les a desjà faictz embarquer pour les passer en Flandres. Qui est tout ce que, pour ceste foys, je diray à Vostre Majesté, à laquelle baysant en cest endroict très humblement les mains, je prieray atant le Créateur qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xe de juing 1569.

L'on me vient présentement d'advertyr qu'il a esté mandé à Me. Oynter de ramener les cinq grandz navyres dans la rivière de Rochestre; s'il est ainsy, c'est signe qu'on ne veult point encores rien entreprendre.

Monsieur le cardinal de Chatillon n'a point esté en ceste court despuys la nouvelle de la mort de son frère, de laquelle l'on dict qu'il porte un extrême regrect; il s'en est allé à quelques beings, qui sont par dellà Oxfort.

A la Royne.

Madame, j'ay miz en la lettre du Roy les principaulx poinctz que, pour ceste heure, j'ay à fère entendre à Voz Majestez, mesmes de ce que, despuys dix ou douze jours, je me suys trouvé bien perplex pour les divers adviz que, coup sur coup, l'on m'a donné comme ceulx cy se préparoient 16 à une déclaration de guerre ou à fère une ouverte entreprinse sur quelque endroict de vostre royaulme, qui n'a esté sans que j'aye miz peyne d'aprofondir le faict, et recercher, jusques dans les volontez et intentions de ceulx de ce conseil, ce que j'en debvois bien croyre, et puys le vous mander, premier que de vous mettre en plus de peyne que celle où je comprens bien que Vostre Majesté est meintennant pour rechasser le duc de Deux Pontz hors de la France.

Sur quoy Vostre Majesté considèrera ce que j'en mande au Roy; mais, oultre que desjà j'ay déposé une partie de la peur qu'on m'en donnoit, je vays encores ceste après diner m'en esclaircyr et confirmer davantaige avec ceste Royne, et avec les seigneurs de ce conseil, sur l'occasion de tretter avec eulx du contenu ez deux dernières dépesches que j'ay freschement receues de Voz Majestez, et, par mes premières, j'espère que je vous résouldray clairement du tout. Au moins espérè je avoir toutjour notice des aultres armemens que ceulx cy pourront fère de nouveau, oultre ceulx qu'ilz ont desjà en mer, premier qu'ilz puyssent estre en estat de les employer à quelque entreprinse. Au reste, je me doubte bien que j'auray à respondre à la dicte Dame sur ce que Mr. Norrys luy a mandé de la mort de Mr. Dandellot comme elle luy a esté avancée par poyson, et a escript que c'est ung Itallien Florentin, lequel en pourchasse inpudentment la récompense à Paris, qui se vante de l'avoir aussi donnée à Mr. l'Admyral et aultres, ce que l'on mect peyne de fère avoir en si grand horreur et exécration à ceste Royne, et aulx plus grandz de sa court, que j'entendz que, despuys cella, l'on a ordonné je ne sçay quoy de plus exprès en l'essay accoustumé de 17 son boyre et de son manger, et a l'on osté aulcuns Italliens de son service, et est sorty du discours d'aulcuns des plus grandz qu'encor qu'il ne faille dire ny croyre que telle chose ayt esté faicte du vouloir ny du commandement de Voz Majestez, ny que mesmes vous le veuillez meintennant aprouver après estre faict, que néantmoins toutz princes debvoient dorsenavant avoir pour fort suspect tout ce qui viendra du lieu d'où telz actes procèdent, ou qui y sont tollérez; et s'esforce l'on, par ce moyen, de taxer et rendre, icy, odieuses les actions de la France; et croy qu'on en faict aultant ailleurs. Mais sur l'asseurance de ce que le Roy m'a escript, par sa lettre du xıııȷe du passé, de la mort du dict Sr. Dandellot, j'asseureray fort que ce qu'on dict du poyson est une calompnie, et que Voz Majestez ne serchent ceste façon de mort, mais bien l'obéyssance de voz subjectz, et de donner ung juste chastiement à ceulx qui présument de la vous dényer.

J'entendz que ung gentilhomme françoys, nommé le Sr. de Jumelles, est despuys hyer arrivé par deçà, vennant d'Allemaigne, par la voye d'Embourg, lequel dellibère passer en France et aller trouver le duc de Deux Pontz, pour luy porter quelque asseurance d'ung nouveau renfort et secours de la part du duc de Cazimir et aultres princes protestans. J'advertiray aulx passaiges de prendre garde à luy, et Vostre Majesté, s'il luy playt, commandera d'y avoir aussi l'œil dans le pays; et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xe de juing 1569.

La Royne d'Escoce se porte bien, et j'attandz, dans trois jours, ung des siens qu'elle dépesche devers Voz Majestez pour avoir la déclaration de Monseigneur vostre filz 18 sur le tiltre qu'on luy objecte qu'elle luy a cédé du royaulme d'Angleterre.


(Plus a esté miz à la lettre de Mr. de l'Aubespine, du dict jour, par postile, que:—ayant ung peu eschauffé les seigneurs de ce conseil sur la pratique de continuer la paix et le commerce d'entre ces deux royaulmes, ilz m'ont envoyé les noms des merchans qu'ilz ont ordonné passer à Roan pour la dellivrance des biens des Anglois par dellà, avec asseurance que la Royne, leur Mestresse, me baillera lettre, signée de sa main, pour fère restituer aulx Françoys leurs biens, qui sont arrestez par deçà, au mesmes jour que le Roy, par lettre aussi signée de sa main, mandera fère la dellivrance aus dictz Angloys; dont vous prie, monsieur, pendant que les choses sont en quelques bons termes, envoyer, du premier, à Mr. le maréchal de Cossé ou à moy, une lettre de Sa Majesté, qui porte en substance ce qui est contenu en ce billet à part et je procureray en avoir aultant de la dicte Dame:

«Qu'il soit le bon playsir du Roy d'accorder une lettre, signée de sa main, portant promesse que tout ce qui est prins ou arresté, des biens des Angloix, en son royaulme, leur sera randu, et la réelle dellivrance leur en sera faicte, au mesmes jour et temps que la Royne d'Angleterre, sa bonne sœur, par aultre lettre aussi signée de sa main, déclairera que ce qui a esté prins et arresté en Angleterre ou qui s'y trouvera, en essence, apartenir aulx Françoys ou que iceulx Françoys monstreront et vériffieront sommairement leur apartenir, leur sera réallement restitué; et que Sa Majesté trouve bon que ce soit le xe de juillet prochain, 1569; et, au reste, que des prinses et pilleries 19 qui ont esté commises, d'ung costé et d'aultre, Leurs Majestez feront mutuellement administrer justice à leurs communs subjectz jouxte la teneur des trettez.»

Passeront en France, pour tretter sur le relaschement des biens arrestez des Angloix, Richart Patrik, Thomas Waker, et Françoys Benysson, marchandz de Londres.)


XLIe DÉPESCHE

—du XVe jour de juing 1569.—

(Envoyée par Olyvier Champernon jusques à Calais.)

Nouvelles instances des protestants pour faire déclarer la guerre.—Entrevue de l'ambassadeur et d'Élisabeth.—Efforts de l'ambassadeur pour convaincre la reine qu'il n'y a point de ligue formée contre sa religion.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle est certaine du contraire, mais qu'elle-même s'est liguée avec les princes protestants pour la défense de sa religion, et qu'elle n'a nul besoin de recourir aux armes.—Elle manifeste le désir de voir terminer les troubles de France par une nouvelle pacification.—Elle laisse entendre que le roi est trahi, et annonce que de nouvelles levées se font en Allemagne.—Heureux retour et désarmement de la flotte de Hambourg.—L'ambassadeur déclare qu'il a confiance dans le maintien de la paix, mais que l'on n'en doit pas moins se préparer à la guerre.—Refus fait à l'ambassadeur de lui laisser visiter l'ambassadeur d'Espagne.—Promesse d'Élisabeth de se montrer favorable à la reine d'Écosse.—Remontrances de l'ambassadeur pour assurer l'entière liberté du commerce avec la France, et faire interdire tout commerce avec la Rochelle.—Réponse du Conseil aux remontrances.

Au Roy.

Sire, suivant ce que, le xe du présent, j'ay escript à Vostre Majesté de certain adviz qu'on m'avoit donné que 20 la Royne d'Angleterre vouloit rentrer en demandes sur le faict de Callais, et en atacher bien ferme une pratique, jusques à déclaration de guerre, par l'apuy des princes protestans, lesquelz on me disoit luy avoir promiz qu'ilz ne poseroient les armes qu'elle n'en eust quelque satisfaction, de tant que, sur le nom et crédit d'elle, il leur avoit esté forny de l'argent pour leur présente entreprinse; et entendant aussi qu'aulcuns remonstroient très instantement à la dicte Dame que, puysque les différans de la religion estoient sur le poinct d'une descizion par ung général faict d'armes, estant le duc de Deux Pontz desjà oultre la rivière de Loyre, qu'il estoit temps, pendant qu'il avoit l'avantaige, et que l'ocasion se offroit à elle, en faisant ses besoignes, de pouvoir aussi, sans aulcun dangier, moyenner une victoire, à tout le moins, ung bien asseuré establissement en sa religion, qu'elle se résolût ou de secourir, à ce coup, ouvertement, la cause, ou de se préparer aulx entreprinses des catholiques; desquelz elle sçavoit que la ligue estoit conclue et jurée, qui ne fauldroit de luy retumber bien tost sur les braz; et que, oultre ses persuasions, l'on luy en imprimoit encores d'aultres de la division et désordre qu'on luy asseuroit estre parmy voz principaulx capitaines et chefz d'armée; et qu'il n'estoit possible que vostre royaulme, en cest estat, peult tout à la foys résister aulx estrangiers et à ceulx de la Rochelle; j'ay bien vollu, Sire, pour m'esclarcyr de ce faict, après avoir, au contraire de tout ce dessus, miz peyne de disposer le mieulx que j'ay peu la dicte Dame et les principaulx d'auprès d'elle, luy aller expressément dire que Voz Majestez, par leurs lettres du xxvııȷe du passé et du xıȷe du présent, me commandiez de luy donner compte, non seulement 21 de l'estat de voz présens affères, mais de ne faillir ordinairement l'advertir de l'entier succez qu'il plairra à Dieu vous y donner, soit bien, soit mal, estimant qu'ainsy le requiert le debvoir de vostre commune amytié, et que vous luy voulés monstrer par là de quelle confiance vous proposez vivre avec elle.

Et, ainsy, luy ay racompté que le duc de Deux Pontz a prins la Charité, non par deffault d'y avoir pourveu de bonne heure, ny que Mr. d'Aumalle n'ayt faict toute dilligence de la secourir, mais par le manquement d'aulcuns capitaines qui estoient dedans; et luy en ay racompté la façon sellon le contenu de voz lettres, et que Mr. d'Aumalle est desjà au devant de l'ennemy à Bourges et le marquiz de Bade joinct à luy avec deux mille chevaulx; et que Mr. de Nemours est prest de s'y joindre, avec d'aultres bonnes forces qu'il admène du Lyonnois, ayant recuilly, en chemyn, les deux mille chevaulx et quatre mille hommes de pied qui vous viennent d'Itallie; que Monsieur, frère de Vostre Majesté, s'est desjà aproché au Blanc, en Berry, avec ung renfort de trois mille cinq cens chevaulx et deux mille harquebuziers esleuz, de sorte que Vostre Majesté va mettre ensemble une des plus fortes et puyssantes armées qu'on ayt, long temps y a, veu en l'Europe; que Mon dict Seigneur, oultre ce dessus, a layssé bonnes forces en Guyenne pour empescher que ceulx de la Rochelle ne se puissent mettre en campaigne, ny rien entreprendre, ny les Viscomtes passer oultre pour se venir joindre au dict duc de Deux Pontz, comme on luy avoit promis qu'ilz feroient; et que, s'en allant Vostre Majesté à Orléans, pour estre plus près de voz forces, la Royne s'est advancée vers Mon dict Seigneur, vostre frère, pour résouldre, avec luy 22 et avec les principaulx capitaines du camp, du temps, du lieu et de la façon qu'on combattra le dict duc; qu'au reste le cours de ceste guerre monstre bien meintennant que les catholiques n'ont poinct de ligue faicte entre eulx, car s'ilz en avoient, il est sans doubte que le pape auroit desjà dressé armée, soubz la conduicte de quelque prince d'Itallye, pour marcher contre les Allemans; que l'empereur eust gardé les dictz Allemans de sortir de leur pays, ou seroit meintennant en armes contre eulx; que le Roy d'Espaigne auroit, dez l'entrée du printemps, envoyé le duc d'Alve, comme Vostre Majesté avoit faict Mr. d'Aumalle, avec une puissante armée, sur les terres des princes protestans, ainsy qu'eulx ont bien ozé entrer en Flandres et en la Franche Comté; mais qu'elle voyoit bien que chacun y alloit pour son particullier, et que Vostre Majesté soubstenoit seul tout ce faiz, qui ne combatiez que pour le recouvrement de l'obéyssance de voz subjectz, laquelle Dieu vous feroit bien tost avoir: car c'estoit icy leur extrême remède; et j'espérois, Dieu aydant, que les premières nouvelles seroient d'une continuation de vostre victoire, aussi bien sur le dict duc, comme elle avoit esté heureusement commancée et poursuyvye sur les aultres.

Lequel propos, Sire, Vostre Majesté comprend assés pourquoy je le luy ay tenu en ces termes, sans que je l'expéciffie davantaige; et certes, la dicte Dame s'y est trouvée si bien disposée qu'après beaucoup de mercyemens de la faveur et démonstration de confiance que uzés envers elle, elle m'a respondu que je debvois croyre, sans aulcun doubte, qu'elle sentoit ung plus grand plésir que aulcuns, possible, ne pensent de ce que Voz Majestez avoient miz ung bon ordre et une bonne provision à bien asseurer leur 23 estat et l'estat de leurs présens affères, desquelz elle ne vouloit ny la décadence, ny la ruyne; ains, quant il y en adviendroit, qu'elle n'en auroit guières moins de desplaysir que s'il mésadvenoit aulx siens propres, vous priant de croyre que vous ne la trouverez jamais contraire à la cause de vostre authorité; mais que, aultant que la dicte cause n'est séparée de celle de la religion, et qu'elle n'a jamais comprins que ceulx de la Rochelle vous veuillent desnyer ny contradire l'obéyssance qu'ilz vous doibvent, elle desireroit qu'en lieu d'une victoire, il vous succédât une bonne pacification avec voz subjectz, entendant, mesmement, qu'il se prépare nouvelles levées en Allemaigne pour renforcer le duc de Deux Pontz, ainsy que ung gentilhome, qui est naguières venu de dellà, l'affirme; et qu'elle estime que, demeurant ainsy les deux causes de la religion et de la rébellion meslées, et, jusques à ce que vous aurés miz peyne de les séparer, vous ne viendrez à boult ny de l'une ny de l'aultre, au moins tant qu'il y aura des princes protestans en estat; et, quant à la ligue des catholiques, qu'elle sçayt très certainement qu'elle est jurée et conclue, mais qu'avec les aultres princes de sa religion elle a très bien pourveu en son faict, tant y a que, pour son regard, elle ne s'est vollue mouvoir ny ne se mouveroit contre Vostre Majesté, tant qu'elle vous estimera combattre pour demeurer maistre dans vostre royaulme; aussi qu'il luy semble que la dicte ligue vous revient plus à dommaige que à proffict, car ne faict doubte que les aultres princes catholiques n'ayent promiz beaulcoup de choses à Voz Majestez Très Chrestiennes qu'ilz ne vous tiennent meintennant, et que ce leur est assés de veoir le feu bien allumé en vostre estat, qui l'esteinct d'aultant 24 au leur, et d'y adjouxter toutjour matière pour plus fort l'embraser, finissant ainsy son propos par des parolles que je n'ay peu bien entendre, expéciffiant ce mot de trayson.

Je l'ay grandement remercyé de sa bonne et droicte intention envers Voz Majestez et de ses advertissemens, la supliant me dire qu'est ce qu'elle a vollu entendre par ce mot de trayson, car, pour évitter toute tache d'ung si détestable crime, j'estois obligé de réveller à Vostre Majesté ce que j'en orroys dire, et aussi qu'il luy pleût me dire si elle avoit nulle certitude qu'il se préparât une aultre descente d'Allemans en vostre royaulme.

Elle m'a respondu qu'elle m'avoit, quant au premier, parlé si clairement que, joinct ce que je voyois du cours de ceste guerre, je pouvois assés comprendre ce qu'elle vouloit dire; et, pour le regard du second, qu'elle ne me pouvoit encores bien asseurer de ce qui en estoit, mais qu'elle feroit examiner encores ce gentilhomme venu freschement d'Allemaigne, et puys me manderoit ce qu'on auroit aprins de luy. Le dict gentilhome est le Sr. de Jumelles, duquel, en mes précédantes, je vous ay faict mencion.

Après, j'ay faict ung bien exprès mercyement, avec offre, de vostre part, à la dicte Dame pour sa démonstration d'avoir trouvé mauvais ce qui avoit apareu de la levée des Flamans et des rafreschissemens qu'on disoit vouloir porter à la Rochelle, la supliant, puysqu'elle avoit bien pourveu à interrompre ces deux mauvais exploictz, qu'elle vollût aussi fère cesser celluy, dont je luy avois naguières parlé, de ses agentz en Allemaigne.

A quoy m'a respondu que moy mesmes me pourray bien tost esclarcyr de ce faict au retour de Quillegrey, qui sera de brief par deçà, et qu'elle luy commandera de me venir 25 donner compte de ce qu'il a dict et faict concernant vostre service en Allemaigne.

Et ainsy, Sire, il semble que ceste princesse est pour se laysser encores quelque temps conduyre à n'entreprendre rien ouvertement contre Vostre Majesté; mesmes, j'entendz que, despuys ma dicte audience, il a esté escript une lettre par les seigneurs de son conseil, au nom d'elle, à Me. Ouynter, comme elle luy gratiffie le debvoir qu'il a faict à bien conduyre la flotte de ses merchans en Hembourg, et d'y avoir layssé deux de ses grandz navyres pour la reconduyre, estant bien ayse que, à l'aller et au retour, il n'ayt eu aulcun mauvais rencontre, et qu'il ayt ainsy gracieusement tretté les pescheurs flamans qu'il a trouvez en mer, qui se sont venuz soubzmettre à luy, et de leur avoir notiffié la charge qu'elle luy avoit donnée de les conserver plus tost que de leur nuyre; qu'au reste, il ayt à reconduyre les cinq vaysseaulx, qu'il a ramenez, dans leur arsenal accoustumé de la rivière de Rochestre, et licencier les hommes, après leur avoir faict bailler argent par le trésorier de la maryne, qui a commission de les payer: ce qui monstre, Sire, qu'ilz n'ont, à présent, aulcune entreprinse en main; et m'ont donné quelque satisfaction, par escript, à la façon de Me. Cécille, sur une réplique que j'avois baillée à leurs responces, dont Vostre Majesté verra le tout. Tant y a qu'on remonte beaulcoup d'artillerye dans la Tour, qu'on en charge ung nombre sur des vaysseaulx, ensemble de bouletz, pouldres, corseletz, piques et aultres monitions de guerre; et bien qu'on dyse que c'est pour porter à l'isle d'Ouyc, Porsmue et ez isles de Gerzé et Grènezé, où à la vérité l'on édiffie de nouveaulx fortz, néantmoins ce temps me faict toutjour souspeçonner 26 quelque malle entreprinse de ceulx cy, pour la pratique qu'ilz ont avec ceulx qui sont en armes dans vostre royaulme, Allemans et Françoys. Dont vous suplie très humblement, Sire, ne laysser vostre coste de deçà desgarnye; et je suplieray le Créateur, etc.

De Londres ce xve de juing 1569.

J'entendz qu'il a esté envoyé ung passeport au Sr. de Sethon en Escoce pour venir icy, et semble qu'il veult passer en France. Le Sr. de Bortyc, escuyer de la Royne d'Escoce, partira jeudy prochain pour aller trouver Vostre Majesté.

A la Royne.

Madame, le doubte en quoy l'on m'avoit miz que la Royne d'Angleterre se vouloit déterminer à la guerre, ainsy que, par mes précédantes, je le vous ay mandé, a esté cause dont j'ay esté, naguières, devers elle à Grenuich, pour sonder, par divers propos, ce qu'elle en avoit en opinion; et de tant que le sommaire des dictz propos, avec sa responce, est en la lettre que j'escriptz au Roy, laquelle responce je suplie Vostre Majesté vouloir entendre, car elle me l'a faicte fort considéréement et avec grand affection, je ne la réciteray, icy, de nouveau, seulement je y adjouxteray, Madame, qu'ayant toutjour miz peyne d'entretenir ceste princesse en quelque craincte de guerre, aussi bien qu'en une grande espérance de paix du costé de France, sellon qu'elle se vouldroit bien ou mal déporter envers Voz Majestez, il a succédé qu'avec la naturelle inclination qu'elle a d'évitter affères et despence, et par l'assistance d'aulcuns 27 principaulx d'auprès d'elle, nous avons diverty, jusques à ceste heure, la déclaration de guerre où l'on s'est tant esforcé de la fère entrer. Je ne sçay dorsenavant que pourra produyre le temps, ny si la multiplication des affères de vostre royaulme et l'entreprinse qu'a faict le duc de Deux Pontz d'entrer si avant en pays, et les aprestz qu'on dict qui se font en Allemaigne pour le renforcer, et ce, qu'on ne voyt mouvoir que fort froidement les aultres princes catholiques à ceste entreprinse, fera monter quelque nouvelle entreprinse au cueur de cette princesse; car vous sçavés, Madame, ses prétentions, et je vous puys asseurer qu'elle est merveilleusement persuadée et sollicitée de les poursuyvre meintennant. Elle a de l'argent et est après à lever encores ung emprunct, elle a ses navyres aulcunement prestz, assés d'armes, d'artillerye et monitions de guerre prestes, la monstre s'est, despuys ung moys, faicte en ce royaulme, ses intelligences sont establyes avec les princes d'Allemaigne et avec ceulx de la Rochelle, et, dict on qu'il y a une levée de reytres preste pour elle, quant elle vouldra; mais l'espérance que j'ay, après Dieu, est en la prospérité et bon succez de voz affères, d'où je sens bien que de là dépendra toutjour le mouvement de ce royaulme, et je mettray bien peyne, aultant qu'il me sera possible, que vous n'en ayés du tout point de mal, au moins qu'il vous en viègne le moins que fère se pourra.

Et, quoy que soit, ilz ne pourront, quel présent apareil qu'ilz ayent, estre si soubdains en leurs entreprinses, que je ne vous donne toutjour, tout à temps, advertissement de ce qui debvra sortir d'icy, pour y pouvoir remédier. Et, à présent, grâces à Dieu, les choses vont encores assés bien, ainsy que je le mande en la lettre du Roy, avec 28 espérance de les fère encores mieulx porter, s'il ne survient mutation, chose qui est fort ordinaire en ceste court; mais je vous donray plus grand confirmation du tout par ung des miens, que j'envoyeray bien tost devers Voz Majestez, ne voulant cependant, Madame, obmettre de vous dire que pour taster en quelle disposition est ceste princesse sur les affères des Pays Bas, esquelz j'entendoys qu'on trettoit accord, je luy ay demandé congé de pouvoir fère ung honneste debvoir de visitation envers l'ambassadeur d'Espaigne, affin de n'estre veu manquer, de ma part, à ce que l'étroicte amytié et alliance d'entre noz deux maistres nous oblige mutuellement l'ung à l'aultre; ce que la dicte Dame a vollu différer de m'accorder: mais, enfin, elle m'a octroyé de l'envoyer visiter par ung des miens, en ce que je luy donroys charge dire au dict sieur ambassadeur que la deffance, qu'elle m'en a faicte jusques icy, a esté pour avoir trop de quoy se plaindre de luy, mais qu'elle me le concède meintennant pour ne fère tort à mon office: et ainsy, je l'ay envoyé visiter avecques toutes bonnes parolles, qui néantmoins ont esté dictes en présence du gentilhomme qui le garde.

J'ay aussi, de la part de Voz Majestez, vifvement insisté à la dicte Dame qu'elle veuille poursuyvre sa bonne et vertueuse dellibération sur le restablissement de la Royne d'Escoce. A quoy elle m'a promiz d'y mettre la main à bon escient, et qu'elle n'attend que quelques depputez, qui doibvent venir d'Escoce, pour y commancer. Ung navyre, d'un certain merchant escouçoys, nommé Cabran, qui alloit porter des armes, de l'artillerye et des monitions de guerre au comte de Mora a coru en fons, près de Neufchastel. De quoy aulcuns, icy, sont bien marrys, aultres en sont bien ayses, et samble que les affères de la Royne 29 d'Escoce vont plus en amandant que empirant, qui est tout ce que, pour le présent, je diray à Votre Majesté. Et sur ce, etc.

De Londres ce xve de juing 1569.

L'ambassadeur de France a la Royne d'Angleterre, touchant les responces qui lui ont esté faictes sur sa dernière remonstrance, du xxve d'apvril 1569.

Je n'ay peu, ny vollu, doubter que Vostre Majesté n'ayt pareille estime de l'amytié du Roy, Mon Seigneur, que le Roy l'a toutjour eue de la vostre, estant les deux cogneues importer grandement au proffict et utillité de l'ung et de l'aultre.

Ce qui m'a faict ozer franchement requérir Vostre Majesté qu'il vous pleût donner ung semblable tesmoignage de vostre amytié envers le Roy, au proffict de ses subjectz, que le Roy au proffict des vostres en a, naguières, par son ordonnance, du xıııȷe d'avril dernier, donné ung bien exprès de celle qu'il vous porte;

Ayant Sa Majesté Très Chrestienne espéciallement, et oultre la généralle mencion de ses alliez et confédérez, mandé qu'on ayt à asseurer la mer et le commerce par tout son royaulme, nomméement aulx Anglois, et leur rendre, et restituer, tout ce qui se trouvera avoir esté prins et arresté sur eulx despuys ces troubles;

Là où l'ordonnance, que Vostre Majesté a faicte, du xxvıȷe d'avril ensuyvant, bien qu'on m'allègue qu'elle pourvoit suffizamment aulx Françoys, ne porte toutesfoys rien de plus expécial pour leur asseurer la mer et le commerce 30 par deçà, que pour ceulx mesmes qui sont excluz d'y venir, tant elle est généralle pour toutz navigans;

Ny ne pourvoit aulcunement à la restitution des biens, qui ont esté ostez aus dictz subjectz du Roy et menez en ce royaulme;

Et aussi peu leur diminue l'opinion que, pour l'occasion des violences et mauvais déportemens d'aulcuns Anglois, et d'aultres, qui ont faict leur retrette en Angleterre, ilz se sont imprimez de quelque ropture de paix, despuys six moys, du costé de ce royaulme; mesmes que, nonobstant la dicte généralle ordonnance, l'on ne laysse de les piller encores toutz les jours, ce qu'ilz estiment n'adviendroit, s'il estoit mandé d'asseurer nomméement la mer et le commerce aulx Françoys.

Dont semble que, nonobstant ce qu'on m'a respondu que les œuvres et non parolles estoient requises en cest endroict, qu'il y a aussi besoing de quelques bonnes parolles de déclaration, de Vostre Majesté, pour les Françoys, comme il y en a desjà, de la part du Roy, pour les Anglois; affin d'oster aulx ungs et aulx aultres toute ceste opinion de guerre, que les malles œuvres, exécutées contre les subjectz du Roy, et trop tollérées, et dissimulées aulx aultres, leur a imprimé; et pour obvier aussi au mal que, si l'on en demeure encores là, il s'en pourra ensuivre d'ung costé et d'aultre.

Et y a besoing aussi d'une déclaration et promesse en la parolle de Vostre Majesté, que ce qui a esté osté, emporté ou aultrement arresté, par deçà, aulx subjectz du Roy, leur sera randu, ainsi que la justice vous en sera requise, jouxte les chapitres de la paix, et que ceulx qui 31 s'en trouveront saysiz, ou coulpables, y seront contrainctz par la voye de la mesme justice;

Acceptant l'offre de punition et chastiement contre ceulx qui, au partir de voz portz, vont courir jusques dans ceulx du Roy, qui s'esforcent d'allumer la guerre entre ces deux royaulmes, suyvant lequel offre vous plairra commander qu'il soit décerné prinse de corps contre ceulx que, sur juste plaincte, je nommeray cy après à Vostre Majesté.

Et, au regard de ce qu'on met en doubte de pouvoir persuader aulcuns Anglois de passer en France, pour aller assister à la dellivrance des biens de voz subjectz par dellà, comme Vostre Majesté le trouve bon et qu'il en vienne, au semblable, de France par deçà, je ne sçay où l'on fonde ceste difficulté; car il y en va et vient assés, toutz les jours, sans empeschement aulcun, et ceulx de voz subjectz qui conversent bien en France, n'y reçoipvent que toute faveur et gracieuseté.

Quant aulx choses nécessaires, qu'on va de vostre royaulme quérir à la Rochelle, il vous plairra accepter simplement, et sans condition, l'offre que le Roy vous faict d'accommoder de mesmes Vostre Majesté, et voz subjectz, en telz aultres endroicts de son royaulme, qui présentement luy obéyssent, qu'il vous plaira choysir, avec tout bon et favorable trettement.

En quoy la communication du contract, faict avec ceulx de la Rochelle, laquelle Vostre Majesté m'a promise, semble estre bien nécessaire affin de fère pourvoir voz dictz subjectz des mesmes accommodemens, ou des plus semblables qu'il sera possible de trouver, là où ilz yront; et n'y a lieu de craindre que, descouvrant la teneur du dict contract au Roy, il coure sur le marché de ceulx qui l'ont 32 faict, car ce n'est rien qui convienne à sa grandeur: mais, quant bien il y debvra courir quelque intérest, Vostre Majesté, s'il luy playt, ne l'estimera tant qu'elle ne mette en beaulcoup plus grand compte l'amytié du Roy et le contantement qu'elle luy pourroit donner en cella, qu'il ne peult avoir que bien fort suspect et odieulx le dict commerces de la Rochelle, m'ayant mandé que les aultres commerce de son royaulme ne pevuent compatir avecques celluy là, dont vous prie le fère cesser, et joyr de celluy que libérallement il vous offre.

Responce du Conseil d'Angleterre à certain escript de l'ambassadeur de France envoyé au dict Conseil le xxxe de may 1569.

Le dict escript contenoit certains et divers articles, sur la plus part desquelz responce a esté faicte, et toutesfoys il a esté trouvé bon de répliquer ce qui s'ensuyt:

Que, ayant la Majesté de la Royne, à l'instance du dict ambassadeur, faict publier une proclamation, du xxvıȷe d'avril, pour le révoquement de toutz les pirates, dedans laquelle le dict ambassadeur, comme il se peult veoir par sa responce, vouldroit qu'il y eust déclaration plus expécialle pour les subjectz du Roy et qu'il y fût faicte expresse mencion des Françoys;

Si la dicte proclamation a esté bien considérée, il y a suffizante provision ordonnée pour la seureté tant des subjectz du Roy de France que des aultres princes, trafficans et hantans les mers, tellement qu'on ne peult penser comme le dict ambassadeur vouldroit que en cella on pourveût mieulx, si ce n'est qu'on réytérât de nouveau la 33 dicte proclamation en aultre forme de langaige et parolles, chose qui pourroit causer argument de négligence, et qui contreviendroit nomméement aulx coustumes et usaige de ce royaulme, où on n'a de coutume de publier toutz les jours de nouvelles proclamations, comme on faict en aultres pays, où, pour l'usage, cella est trouvé bon; et toutesfoys, quelque deffault que le dict ambassadeur trouve estre en la dicte proclamation, si est ce que, estant suffizante et l'intention de Sa Majesté bonne et droicte, comme elle est, il trouvera, par exécution, prompt remède à toutes les particullières complainctes qu'il fera.

Le second poinct auquel il veult estre respondu, c'est en ce qu'il demande qu'on choysisse deux personnes pour aller d'icy en Normandie, et que deux aultres viennent de dellà icy, pour procurer la délivrance des biens des subjectz arrestez et dettenuz de toutz les deux costés, laquelle chose a toutjour esté trouvée raysonnable; mais les troubles, qui sont en France, sont manifestement cogneuz estre si dangereux pour les Anglois, mesmement pour fère séjour en Normandie et aultres lieux, où journelle persécution est faicte, que, jusques icy, on n'a sceu induyre deux personnes, propres pour ce faict, à prendre ceste charge, pour craincte de leurs vies et deffiance de prompte justice. Néantmoins on esprouvera de nouveau, sur l'asseurance que le dict ambassadeur offre bailler pour leur seureté, s'il se pourra recouvrer deux personnes, encores qu'ilz ne soyent telz comme ilz doibvent estre, mais telz qu'on les pourra trouver, qui puissent estre persuadez d'aller en Normandie exposer les plainctes des subjectz de la Royne à ce que, ainsy qu'ilz feront raport de la justice et restitution qui se fera en Normandie et aulx aultres 34 endroicts de France, on face le semblable en ce royaulme à ceulx qui y seront envoyez de la part du Roy; et incontinent qu'on pourra trouver les dictz personnaiges, le dict ambassadeur en sera adverty. Cependant il seroit bon que le dict ambassadeur considérât, comme on luy a souvantes foys dict, la différence des griefs et plainctes des deux costez, car la complaincte, de la part d'Angleterre, est que, journellement, les marchans anglois, leurs navyres et biens, sont prins et arrestez en France par les gouverneurs des places où ilz arrivent, et, de l'aultre costé, les plainctes des Françoys sont des navyres et merchandises qui ont esté prinses sur mer, partie par les Françoys, de leur propre nation, à cause de leurs guerres civilles, et partie, ainsy que l'on dict, par quelques Anglois, adhérans aus dictz Françoys, d'ung costé ou d'aultre. Pour à quoy obvier, la Majesté de la Royne, tant par sa proclamation que aultrement, a deffandu à toutz ses subjectz de se mettre en mer, excepté ceulx qui sont advouhez d'elle mesme, et les merchans et pescheurs; et est notoire au dict ambassadeur en combien de places de ce royaulme, à sa requeste, on a faict, despuys naguières, restitution de grande quantité de biens, qui ont esté trouvez aulx portz et hâvres, ou de la valleur d'iceulx, sur les preuves qui ont esté faictes comme ilz appartenoient aulx Françoys. Il y a heu si facille et prompte restitution que, sur l'arrest des navyres des subjectz du Roy d'Espaigne, y en ayant heu quelques ungs que les Françoys disoient estre à eulx, encores qu'ilz eussent esté premièrement arrestez comme apartenans aulx Espaignolz, ilz leurs ont esté toutesfoys promptement délivrez, combien [que] despuys il ayt [été] trouvé qu'ilz apartenoient aulx subjectz du Roy d'Espaigne. Et aussi le dict ambassadeur 35 entendra qu'il n'y a aulcuns biens des subjectz du Roy de France qui soient détenuz ou arrestez en tout ce royaulme par le commandement de Sa Majesté, ny de la cognoissance de son conseil, ny par authorité advouhée d'aulcun officier, excepté seulement en une petite place, où il y a eu séquestration de certains vins, à la requeste de Thomas Baker de Brighthempton, ce qui est notoire au dict ambassadeur par les plainctes que le dict Baker luy a faictes d'une manifeste injustice qu'on luy fit, l'an passé, en Bretaigne; là où, d'autre part, il y a tant de complaincte des subjectz d'Angleterre pour leurs navyres et biens, arrestez tant à Bourdeaulx que à Brest, Roan et Calais, qu'il semble qu'on ne doibve avoir aulcune espérance d'esgalle et franche restitution; et n'y a ordre qui peult tant contanter les subjectz d'Angleterre, comme une mutuelle restitution des deux costez, en quoy le travail du dict ambassadeur ne pourroit estre que bien loué, et y sera faict le semblable de la part de la Majesté de la Royne et de son conseil.

Le dernier article de l'escript du dict ambassadeur est que les merchans anglois qui ressortent à la Rochelle présentement, pour leurs commoditez desquelles ilz ont desjà faict marché, soyent divertiz de leur traffic pour l'exercer en aultres lieux de la France, à cause de quoy le dict ambassadeur a requis d'avoir communication du marché que les dictz merchans anglois ont faict avecques ceulx de la Rochelle, affin qu'on peult veoir et penser de pourvoir pour le semblable, s'il estoit possible, en aultres places pour la commodité des dictz Anglois.

Pour responce à cella, l'ambassadeur ne doit ignorer que la nature des merchans ne soit telle de fère leur traffic, 36 d'eulx mesmes, sans persuasion ny commandement, aulx places où ilz peuvent trouver les commoditez qu'ilz desirent, et à meilleur marché. Par ainsy, d'aultant qu'il a esté toutjour trouvé que nulle part de la France a jamais sceu accommoder les Anglois de sel, sinon la Rochelle et aultres places circonvoysines, les dictz merchans anglois y ressortent, seulement pour ceste commodité, comme ilz ont dict, quant on les en a enquis. Et n'y a aultre remède en cella, sinon que, si le Roy peult trouver aultre place, commode pour la trafficque d'eulx et leurs navyres, et où les dictz Anglois puissent estre bien trettez, et avoir le sel à moindre et pareil priz qu'à la Rochelle, il n'y a nul doubte que, le marché qu'ilz ont faict pour ceste année finy, ilz ne soyent contantz d'y aller, et pour plus grand contantement du Roy, si aultrement ilz ne le veulent fère, ilz y seront induictz par les bons et raysonnables moyens qu'il convient à chacun prince d'uzer envers ses subjectz merchans.


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XLIIe DÉPESCHE

—du XXIe de juing 1569.—

(Envoyée jusques à la Court par le Sr. de Sabran.)

Grand armement fait en Angleterre.—Exclusion générale de commerce prononcée par le roi de Portugal contre les Anglais, en représailles de lettres de marque délivrées par la reine.—Craintes que l'armement, qui semble dirigé contre le Portugal et l'Espagne, ne le soit en réalité contre, la France, malgré les assurances de paix et d'amitié données par la reine et son conseil.—Mémoire général sur les affaires de France, d'Espagne et d'Écosse.—Motifs qui justifient les craintes de l'ambassadeur.—Résolution du conseil d'Angleterre de tenir le royaume en armes afin de pouvoir profiter de tous les évènements qui pourraient survenir en France.—Élisabeth exige le serment, comme chef suprême de l'église anglicane.—Efforts des catholiques pour prévenir une déclaration de guerre.—Détails donnés par Élisabeth à l'ambassadeur sur la ligue formée entre les princes catholiques pour la dépouiller de son trône.—État des différends entre l'Angleterre et les Pays-Bas.—Mission secrète d'Eschiata auprès de sir William Cécil.—Opposition du duc de Norfolc et du comte d'Arondel aux arrangements proposés par sir Cécil.—Négociations entre les principaux seigneurs du conseil pour arrêter les conditions d'un accommodement.—Nouvelle que l'ambassadeur d'Espagne ne tardera pas à être délivré de ses gardes.—Les affaires de la reine d'Écosse restent toujours en suspens devant le conseil.—Espoir de sa prochaine délivrance.—Ses droits à la couronne d'Angleterre comme étant la plus proche héritière d'Élisabeth.—Conditions de l'accord proposé pour assurer son rétablissement en Écosse.—Lettre d'Élisabeth à Marie Stuart, sur la maladie subite qu'elle a éprouvée, et sur la cession qu'elle est accusée d'avoir faite de ses droits au trône d'Angleterre.

Au Roy.

Sire, sur quelque soubdaine résolution, que despuys trois jours ceste Royne et ceulx de son conseil ont prinse, 38 ilz ont envoyé leur admyral à Gelingan radresser l'armement et équipage des navyres de guerre, qu'ilz avoient desjà cassé, et encores ung plus grand, à ce qu'on dict, qu'ilz n'en ont heu de ceste année, et font lever à dilligence des marinyers, et s'entend que Me. Ouynter est desjà commandé se tenir prest pour se remettre, du premier jour, en mer.

Je n'ay peu encores au vray descouvrir à quoy tend leur entreprinse; car, d'une part, l'on me dict que c'est contre les Portugois, de tant qu'ayant le Roy de Portugal naguières faict proclamer en son royaulme une généralle exclusion de tout commerce avecques les Anglois, à cause d'une lettre de marque que ceste Royne a baillée contre ses subjectz, et ayant nécessairement à envoyer ung grand nombre d'espices et aultres merchandises de Lisbonne en Envers, pour lesquelles plus seurement conduyre ceulx cy entendent qu'il faict équiper en guerre bon nombre de vaysseaulx, nomméement contre eulx; eulx, de leur part, se dellibèrent, en toutes sortes, de luy empescher le passaige de ceste mer estroicte. Aultres disent que c'est contre le duc d'Alve, lequel, s'aprestant d'envoyer de Flandres en Espaigne une flotte bien riche, et en attendant une aultre semblable d'Espaigne pour Flandres, et voulant, pour la conserve de toutes deux, mettre bon équipage sur mer, ceulx cy veulent opiniastrément s'oposer à toute sa navigation jusques à ce que leurs différans seront accommodez.

Mais, parce que j'ay trop plus à cueur les choses de France que celles là, je crains toutjour que les mouvemens et aprestz, que ceulx cy font, soyent pour s'y adresser, et j'ay quelques ocasions de le souspeçonner à ceste heure, qu'ilz voyent Vostre Majesté empeschée ailleurs, et que 39 ceulx de la nouvelle religion, Allemans et Françoys, mènent plus vifvement leurs pratiques en ceste court qu'ilz n'ont encores faict, et qu'on a avallé ces jours passez de l'artillerye hors de ceste rivière vers Porsemue, comme pour l'avoir plus preste pour quelque entreprinse sur la coste de France, et qu'il est à croyre que mal ayséement se sont ceulx cy miz à advancer ce qu'ilz ont desjà baillé d'argent aux dictz Allemans et à ceulx de la Rochelle, sans avoir merchandé quelque chose pour eulx. Ce que je suplie très humblement Vostre Majesté prendre pour ung advertissement de tenir les capitaines et gouverneurs de vostre frontière, qui regarde ce royaulme, aperceuz de se tenir sur leurs gardes, tant qu'on sera ainsy en armes, comme l'on est par deçà, et à Mr. le maréchal de Cossé de fère toutjour quelque démonstration qu'il a assés de forces pour secourir les places, et pour garder le pays de s'eslever, et ceulx cy d'y rien entreprendre, comme certes, Sire, il n'est besoing qu'il en soit desgarny, non que pour cella je vous veuille encores si tost mettre en doubte d'une ouverture de guerre de ce costé; car les parolles et promesses, que ceste Royne et ceulx de son conseil me donnent toutz les jours, sont bien fort au contraire: mesmes l'on m'a asseuré que certaine entreprinse, qu'on avoit miz en avant à la dicte Dame, de lever quatre mille reytres et six mille Allemans, pour les fère marcher, à tiltre d'une armée, en son nom, pour la deffance de sa religion, a esté interrompue ou au moins différée; mais leurs secretz aprestz, et les propos que j'entendz qu'aulcuns d'eulx tiennent, monstrent qu'ilz desireroient bien que quelque exploict se peult fère au proffict de ce royaulme, avant que les armes se viennent à poser, affin de fère veoir que l'argent, qu'ilz ont faict débourcer 40 pour ceste guerre, n'a esté mal employé, ny leurs desseings mal venuz, sans toutesfoys que leur Mestresse en commande rien, affin d'avoir le désadveu plus prest, si l'entreprinse ne succède bien. A quoy je prendray garde, du plus prez que je pourray, et de vous advertir à temps, nonobstant leur soubdain aprest, de ce qui sortira de ce royaulme; mais, affin de vous donner plus grand notice de toutes choses qui passent icy meintennant concernant vostre service, je vous envoye ung des miens, le Sr. de Sabran, présent pourteur, pour les vous réciter fidellement, mesmement celles qu'il est meilleur entendre de parolle que les mettre par escript; auquel, s'il vous playt, donrez entière foy, dont m'en remettant à luy, je prieray pour le surplus le Créateur, etc.

De Londres ce xxȷe de juing 1569.

A la Royne.

Madame, se conduysant la Royne d'Angleterre et son conseil sellon l'évènement des affères qu'elle entend de ses voysins, et non sellon le fondement des siens propres, il advient qu'elle change, quasi toutes les sepmaines, de delliberation, qui n'est sans que cella me mette souvent en doubte si je doibz espérer paix ou guerre de son cousté; ainsy qu'à présent elle monstre vouloir remettre quelque grand équipage sur mer, comme je le mande en la lettre du Roy, là où il n'y a que huict jours qu'elle a cassé celluy que Me. Oynter avoit ramené de Hembourg, et n'y a que six jours qu'elle m'a tenu ung propos de grande et bien asseurée paix avec toutz ses voysins; et je sçay que la résolution 41 en avoit auparavant esté prinse telle en son conseil, mesmes pour le regard de Voz Majestez, après que, par plusieurs paroles, m'a heu fort expressément asseuré de sa droicte intention envers icelles, elle m'a monstré approuver grandement la vertu et grandeur de cueur de Vostre Majesté en tout ce qu'elle faisoit pour conserver l'estat et aucthorité du Roy, son filz, bien qu'elle me dict avoir grand regrect que vous n'eussiez, du commancement, résisté aulx conseilz et persuasions de ceulx qui, pour se mettre hors du dangier, vous avoient faict entrer dans icelluy, mais que, de sa part, elle ne seroit de si mauvaise conscience que de le vous acroistre, adjouxtant plusieurs bonnes parolles de la grand espérance, qu'elle prenoit, de l'establissement des affères du Roy, de la confirmation de sa grandeur et d'une merveilleusement bonne opinion de sa magnanimité, bonté et vertu, sellon ung discours, que son ambassadeur luy en avoit naguières escript, et pareillement de la valleur et grand estime, que Monseigneur vostre filz s'estoit acquise despuys ung an, qui avoit randu si cellèbre son nom qu'elle n'en voyoit aulcun qui fût pour le surpasser en l'Europe, et qu'il correspondroit au premier nom qu'il avoit d'Allexandre; racomptant aussi les grandz forces qui estoient meintennant en France, et me respondit, au reste, si conformément à la paix sur toutes mes remonstrances, que j'ay eu occasion d'espérer qu'aulmoins elle ne vous déclaireroit la guerre; et, bien que ce nouvel armement, qu'elle a commandé despuys trois jours, soit ung advertissement de ne s'y fyer que bien à poinct et d'inciter Vostre Majesté à fère sonnieusement advertir les capitaines et gouverneurs des places, qui sont sur la mer, de se tenir sur leurs gardes, si espérè je qu'ilz ne pourront estre si 42 soubdains en leurs entreprinses, qu'on ne s'aperçoive assés à temps des aprestz qu'ilz feront, s'ilz en veulent exécuter quelcune d'importance.

J'envoye exprès ce gentilhomme, Sr. de Sabran, pour vous aller donner bon compte du tout et mesmes d'ung adviz, en particullier, sur les choses que, cy devant, je vous ay mandées, où il semble qu'il fault procéder fort considéréement, à tout le moins ne se haster de rien pour encores; auquel me remettant, et vous priant luy donner foy, je n'adjouxteray, pour le surplus, qu'une prière à Nostre Seigneur, etc.

De Londres ce xxȷe de juing 1569.

L'on me vient, à toute heure, requérir de certitude sur les choses de France, estant ce royaulme en grand suspens sur icelles, et sur ce qu'exploictera le duc de Deux Pontz; il plairra à Vostre Majesté me fère donner adviz comme il vous playt que j'en réponde.

MÉMOIRE BAILLÉ AU Sr. DE SABRAN.

Pour plus grand notice de ce qui passe meintennant en Angleterre, oultre le contenu de la dépesche, le dict Sr. de Sabran dira à Leurs Majestez:

Que la Royne d'Angleterre et les siens ont grandement le cueur aulx choses de France, et semble qu'ilz proposent de régler les leurs sellon l'évènement que icelles prendront.

Mais ne se peuvent bien résouldre de ce qu'ilz en doibvent espérer, ny si l'yssue de noz guerres sera un commancement à eulx d'y entrer, par ce qu'ilz l'ont recherché, 43 dont demeurent en suspens s'ilz s'y doibvent présentement mesler ou non.

Et publient assés ouvertement qu'à la juste occasion qu'ilz en ont, il se offre meintennant de beaulx moyens pour fère leur proffict, lesquelz, pour estre notoires et les avoir desjà plusieurs foys mandé par mes aultres dépesches, je n'en metz icy aultre chose sinon qu'ilz sont fort instiguez et sollicitez par ceulx de la novelle religion, Allemans, Françoys, Flamans et naturelz Anglois, de n'en différer l'entreprinse.

Je me suys contre cella, jusques à ceste heure, servy de certaines raysons et moyens pour les arrester, sellon l'inclination, que j'ay cogneue en ceste princesse, de vouloir évitter affères et despence, luy proposant l'utillité de la paix avecques le Roy, et les dommaiges qui luy viendront de la rompre, et qu'elle n'y pourra rien gaigner, sinon une mauvaise estime de l'infraction des trettez et de se déclairer pour une cause, qui ne convient à nul Prince Souverain. Je m'y suys aussi conduict sellon que j'ay veu qu'elle s'estoit attachée ailleurs, et estoit venue en quelque deffiance des siens, me servant, entre deux, pour le service du Roy, de l'une et l'aultre occasion, le plus sagement que j'ay peu.

Et ay miz peyne que les opinions de ceulx de son conseil, qui en aultres choses sont bien souvant différantes, se soyent toutjour unyes et conformées ensemble à la continuation de la paix avecques le Roy.

Dont, encor que aulcuns, despuis que le duc de Deux Pontz a heu passé la rivière de Loyre, se soyent volluz rétracter et proposer la déclaration de la guerre comme très oportune, et bien fort utille à ceste princesse et à son 44 royaulme, il a esté donné ordre qu'il leur a esté fermement contradict; et de tant que, dans le dict conseil, l'on cognoit, ung à ung, ceulx qui sont pour la paix et ceulx qui tiennent pour la guerre, et qu'il n'a encores mal prins à nul d'eulx, ny nul n'a esté plus mal veu, pour avoir librement opiné ce qui luy en sembloit, la partie s'y est trouvée si forte que, si les bien affectionnés ne l'ont peu gaigner, les mal affectionnez aussi ne l'ont emportée.

Mais pour aultant, qu'avec la déduction de la guerre contre la France, il a esté besoing d'y mesler des choses, concernant les aultres estatz voysins et l'estat aussi de leur propre pays, j'entendz qu'il a esté advisé de mettre le tout en suspens et en surcéance jusques à ce que le temps leur monstrera plus à clair ce qu'ilz auront à fère, qui est signe qu'enfin ilz se gouverneront sellon le succez des choses de France; desquelles ce que j'y espère de mieulx et de plus seur, pour le regard de ceulx cy, ne dépend, certes, que de la propre prospérité du Roy.

Cependant, voicy ce que, par prétexte de pourvoir à la seurté de ceste princesse et de sa couronne, les dictz [seigneurs] du conseil, qui ne s'y ozent monstrer contradisans, bien que souvant ilz employent le mesmes prétexte à fère diversement réuscir les choses qu'ilz desirent ou veulent évitter, et quelquefoys au préjudice les ungs des aultres, ont présentement arresté:

C'est que ung armement et apareil de guerre sera tenu en estat pour s'en pouvoir servir à toutes les heures qu'on vouldra;—qu'on se pourvoirra de deniers;—que les pratiques et intelligences avec les princes d'Allemaigne s'entretiendront;—que la fortiffication des portz et de la frontière, despuys Germue viz à viz de Zélande, jusques à Arondel, 45 qui est au droict du Hâvre de Grâce, se continuera, mesmement celle de Porsemue et de l'isle d'Ouyc, pour la craincte de la France;—et que ung nombre de nouveaulx fortz se dressera en Irlande pour craincte de l'Espaigne.

Il a esté expédié plusieurs commissions pour continuer à fère les monstres par tout le royaulme, et se pourvoir d'armes, nomméement d'hacquebuttes, à tout le moins d'une en chacune maison, et mandé très expressément, à toutes les villes et principaulx lieux, de dresser des buttes et jeux de priz pour la hacquebutte, et mesmes de fère cuillette de deniers pour les entretenir.

Et de tant que ceulx, qui tiennent pour le party de la paix, font trouver cella mauvais et onéreux, et procurent que le peuple crye contre les gravesses et contre les désordres et manquemens qu'ilz sentent en leurs biens et trafficz, et qu'ilz détestent la guerre qu'on veult attirer en ce royaulme, les aultres ont soubdain faict expédier lettres de la dicte Dame pour fère entendre partout que l'ordonnance des monstres et de fère provision d'armes n'a esté en intention de les mettre en guerre, ains seulement pour sçavoir quel estat la dicte Dame pourra fère de forces en son royaulme, si, contre tant d'armes qui sont prinses ez pays voysins, elle a besoing pour sa deffance de s'ayder des siennes, et affin aussi que chacun s'acoustume de s'ayder des mesmes armes que les aultres manyent aujourdhuy.

Ilz ont faict aussi mander partout que ceulx, qui ont office ou gaiges, ou qui sont en l'estat et au prévillège de ceste princesse, l'ayent de nouveau à recognoistre pour suprême chef de l'églize de ce royaulme, et luy en prester le sèrement, et que toutz gens de justice ayent à se réconsilier aux évesques, touchant la confession de leur foy, ou 46 aultrement estre suspenduz de leurs charges et offices, et mesmes les advocatz interdictz de ne playder ou consulter pour les parties.

Qui n'est sans que les catholiques en sentent une grande offance dans le cueur, mais pourtant ilz n'entreprennent encores d'y fère aultre chose que de continuer ceste ordinaire remonstrance à la dicte Dame, qu'elle n'a aulcun plus seur moyen de se meintenir, ny d'asseurer son estat, que de garder droictement la paix et ses promesses aulx princes alliez et confédérez de sa couronne, et de bien tretter ses propres subjectz, sans les grever ny leur empescher les trafficz et commerce qui les font riches et qui leur donnent occasion de luy vouloir bien et ne murmurer de rien contre elle, par où ils pensent, de tant que cella est agréable à la dicte Dame, renverser les conseilz des aultres.

Et impriment aussi à la dicte Dame quelque peur, du costé de France, d'Espaigne et de Portugal, pour les choses que les Anglois ont mal exploicté, ceste année, contre les subjectz de ces troys royaulmes, luy représentant combien, par la détermination, que naguières Vostre Majesté print, de vouloir sçavoir ce que debvez espérer de paix ou de guerre, de son costé, les choses estoient venues prez de ropture;

Et par les nouvelles proclamations, que le Roy d'Espaigne et le Roy de Portugal ont freschement faictes, semblables à celle du duc d'Alve, de toute excluzion de traffic et de commerce de leurs royaulmes et subjectz avec les Anglois, en quelle indignation ilz sont contre l'Angleterre.

Lesquelles remonstrances, estant apuyées de la voix et 47 faveur du peuple, ont bien toutjour quelque effect envers la dicte Dame, mais les aultres ne layssent pourtant de tenir en vigueur la recordation des exploictz et offences, qu'ilz prétendent que le duc d'Alve a commiz contre elle, et font aller en avant les lettres de marque qu'elle a octroyé contre les Portugoys, et ne permettent que nous nous puyssions si clairement esclarcyr avec la dicte Dame qu'ilz ne la facent estre réservée en plusieurs choses à l'intelligence de ceulx qui mènent la guerre en France.

Ce que j'ay clairement cogneu en mes dernières audiences, ès quelles ayant miz peyne de luy oster ceste impression qu'on luy a donnée de la ligue des catholiques, elle m'a ouvertement respondu qu'elle sçayt bien que, de long temps, il a esté commancé par le feu pape de tramer la ruyne d'elle et de son estat, ayant sollicité l'Empereur, le Roy, et le Roy d'Espaigne à la conqueste d'Angleterre;

Leur usant de ces propres, ou peu dissemblables, argumens que, s'ilz estoient catholiques, et estimoient leur religion estre la bonne, et saincte, et celle de Dieu, qu'ilz s'employassent à bon escient au meintennement, protection et restablissement d'icelle, sans s'y monstrer si tièdes qu'ilz faisoient, que certes Dieu les vomyroit; par ainsy, qu'ilz ne devoient plus différer ceste chrestienne entreprinse contre ung pays si rebelle et contumax à la religion catholique, comme l'Angleterre, qui estoit le suport, retrette et principal bolevart de toutz les hérétiques.

De quoy l'Empereur, qui procuroit lors le party d'elle avec l'archiduc son frère, l'en avoit advertye, et que luy mesmes ne s'estoit peu excuzer, envers le pape, de luy donner là dessus bonnes parolles, mais qu'il n'avoit garde de luy nuyre.

48 Et que, freschement, il avoit esté interceu trois lettres sur ung gentilhomme qui alloit au camp de Monseigneur, frère du Roy, qui avoit esté prins par ceulx de la Rochelle, lesquelles lettres elle avoit devers elle, et cognoissoit aussi bien l'escripture comme celle de sa propre main, mais ne vouloit nommer celluy qui l'avoit faicte, lequel mandoit, entre aultres choses, qu'il estoit temps de mettre à exécution les propoz, qui avoient esté tenuz à la Royne Très Chrestienne en ung lieu qu'il expéciffie, où Mr. d'Aluye estoit présent, et qu'à bon droict l'on pourroit, à ceste heure, entreprendre de passer en armes en Angleterre, soubz le tiltre de la cession, que la Royne d'Escoce en a faicte à Monsieur, frère du Roy.

En quoy, encor que, sur la responce que je luy ay faicte que c'estoit une malicieuse invention, pour empescher la restitution de la Royne d'Escoce, et altérer la paix qu'elle a avecques la France, et qu'il ne se trouvera, despuys le dernier tretté de paix, que le Roy, ny la Royne, ny Monsieur ayent, par un prétexte, ny aultre, entendu en nulle pratique contre elle, et qu'elle m'ayt là dessus asseuré que, pour cella, elle ne se mouvera contre Leurs Majestez en faveur de ceste cause, qu'elle a odieuse, des subjectz contre leur Roy, ny n'entreprendra rien que pour la conservation de sa religion et de son estat, à quoy elle dict qu'elle a très bien pourveu;

Si est ce qu'on luy a miz tant de deffiance dans le cueur qu'elle estime sa conservation ne dépendre de rien tant que des armes et de la continuation de la guerre: dont, encores que j'aye plusieurs aparances qu'elle propose de persévérer en la paix, comme est sa parolle, et celle des seigneurs de son conseil; la retrette de ces cinq grandz 49 navyres de guerre dans Gelingan, avec le renvoy des hommes qui estoient dessus; les ordonnances contre ceulx qui couroient la mer; la révocation d'une partie des payemens qui se debvoient fère en Allemaigne; le rabays de l'emprunct qu'elle avoit miz sus, par ses lettres de son privé scel; la commission qu'elle a baillée à deux merchans de ceste ville pour aller à Roan pourchasser amyablement la dellivrance des biens des Anglois, avec promesse de fère le semblable aulx Françoys par deçà; l'absence de Mr. le cardinal de Chatillon qui ne vient plus, si souvant qu'il faisoit, en ceste court (ny le vydame de Chartres n'y a encores compareu); et les ataches qu'ilz ont avecques le duc d'Alve, qui ne sont encores accomodées:

Si, veoy je d'aultres choses qui me sont assés suspectes, comme la facillité de ceste princesse et la naturelle inclination des siens à la guerre de France; le recouvrement de Callais, qu'ils disent avoir meintennant moyen de l'entreprendre; la pratique avec ceulx qui sont en armes en France, ausquelz ilz ont advancé quelque argent; l'irrésolution de ceulx de ce conseil, desquelz ceulx, qui aspirent à la guerre, ont trop plus de vivacité et d'entreprinse que les aultres; l'armement et équipage de mer, qu'ilz tiennent prest; le transport qu'ilz font d'artillerye et de monitions de guerre, d'icy à Porsemue, comme pour les avoir toutes préparées, et hors de ceste rivière, pour une soubdaine entreprinse; les monstres et provisions d'armes par tout ce royaulme; et la levée des Flamans, laquelle on remect en termes au nom de Dolovyn, agent du prince d'Orange, qui faict semblant de les vouloir passer en Endem, et les tenir là jusques à ce que les gens de cheval et le reste de l'armée du dict prince d'Orange seront prestz 50 à marcher, ce qui n'a tant d'apparence par ce qu'on n'entend aulcun apprest du dict prince d'Orange, comme je crains qu'ilz les veuillent employer à quelque entreprinse en France, et se servir de l'occasion de nos troubles présens.

Joinct que ceulx, qui ont miz en fraiz ceste princesse, vouldroient bien qu'il se fyst quelque exploict à son proffict, avant que les armes viennent à se poser, affin de monstrer que l'argent n'a esté mal employé, ny leur desseing n'est mal venu, sans toutesfoys qu'elle le commande, affin d'avoir le désadveu plus prest si les choses succédoient mal.

Et pour garder que la dicte Dame ne s'aperçoyve de la grande despence, qui va en cella, et à soubstenir en partie ceulx de la Rochelle, ilz y font courir, toutz premiers, les deniers casuelz et extraordinaires de ce royaulme, desquelz donnent entendre à la dicte Dame que ce n'est chose de quoy elle puisse fère estat, et s'en sont si bien emparez qu'ilz en disposent à leur playsir, lesquelz reviennent à bonne somme toutz les ans.

TOUCHANT LES DIFFÉRANTZ D'ENTRE L'ANGLETERRE ET LES PAYS BAS.

Eschiata, frère du Sr. Guydo Cavalcanty, estant naguières passé de Flandres en ce pays, a demeuré quatre jours caché dans le logis du secrétaire Cecille, pour luy fère veoir et considérer quatre articles qu'il dict que le Sr. Chapin Vitelly a estimé convenables pour mettre les dictz différantz en bons termes d'accord.

Le dict Cecille a heu très agréable que telle chose luy 51 soit venue en la main, et n'est sans apparance que luy mesmes ayt procuré de le fère mettre en avant en Flandres, affin de se randre autheur du mesmes bien, d'où l'on luy impute tout le mal, et, encor qu'il n'ayt accepté le contenu des dictz articles, il a au moins accepté l'ouverture de l'accord et l'a, premièrement, communiqué à milor Quiper, garde des sceaux, puis au comte de Lestre, despuys au duc de Norfolc, et finablement au comte d'Arondel.

Lesquelz duc [de Norfolc] et comte d'Arondel n'ont prins l'affaire de la façon que le dict Cecille espéroit, car, de tant que ce sont eulx qui ont fermement soubstenu qu'on ne debvoit venir à nulle ouverture de guerre ny à nul mauvais exploict contre le Roy d'Espaigne, et qui ont, contre les conseils du dict Cecille, faict prendre résolution à ceste Royne de persévérer en bonne paix avec luy, ilz veulent meintennant que le dict Roy Catholique leur en sache tout le gré, et ne peuvent comporter que icelluy Cecille se rande autheur du dict accord ny qu'il le conduyse sellon son opinion.

Et en sont les choses venues atant, parce qu'aulcuns de ce conseil monstroient adhérer au dict Cecille, qu'iceulx deux seigneurs leur ont ouvertement déclairé qu'ilz ne dellibéroient permettre, en façon du monde, que le dict Cecille leur coupât ainsy l'herbe soubz le pied, et que si eulx vouloient [se] joindre à luy, et porter ses opinions, et suyvre ses entreprinses, qu'ilz estimoient estre temps de jouer à la descouverte, chacun en droict soy, le mieulx qu'il pourroit s'en suyvre.

Dont la plus part d'eulx, voyantz que ceulx cy, lesquelz sont les plus nobles et authorisés du pays, se déterminoient en ceste sorte, leur ont donné parolle de suyvre 52 leur volonté et qu'ilz y procèderont ainsy qu'ilz verroient estre bon de le fère.

Qui a esté cause que le dict comte d'Arondel a despuys fermement remonstré au dict Cecille qu'il avoit trop entreprins de tenir quatre jours Eschiata Cavalcanty et sa proposition cachez en son logis, sans en venir faire part au conseil;

Et que le dict Cecille sçavoit bien que la volonté de la Royne estoit d'accommoder ces différantz de Flandres, en dangier d'une prochaine rebellion dans ce pays, si bien tost elle ne le faisoit, et que luy, et ses semblables, principaulx seigneurs du pays entendoient mieulx que nulz aultres l'importance de cella, et à quoy cella pouvoit devenir; par ainsy, c'estoit à eulx d'y pourvoir et de remédier aulx aultres désordres par les meilleurs moyens qu'ilz cognoistroient convenir à l'honneur de ceste coronne et a l'utillité de leur Royne et de son royaulme;

Que ces différans avec le Roy d'Espaigne, puysqu'il estoit cogneu qu'il n'estoit honneste ny de les avoir ainsy commancez, ny utille de les continuer, et que mesmes l'on n'avoit de quoy faire les premiers aprestz pour luy commancer la guerre, oultre le dommaige, qu'adviendroit à ceste coronne, de perdre une si ancienne alliance comme celle de Bourgoigne, qu'il falloit nécessairement venir à ung des deux poinctz;—ou de rejecter toute la coulpe de ce mal sur aulcun petit nombre de particulliers de ce royaulme et en descharger la Royne, le conseil et la noblesse du pays, et que contre ceulx là le Roy d'Espagne et le duc d'Alve ayent réparation et justice;—ou bien entrer en amyable tretté d'accord par des honnestes moyens, conduictz par personnes confidantes, exemptes de toute souspeçon 53 de mal, aultres que le susdict Eschiata Cavalcanty, qui a faict banqueroute, et duquel le frère, en d'aultres affaires, dont il s'est quelquefoys meslé parmy les princes, ne s'en est sorty en bonne grâce d'eulx, et pour tant que le Sr. Ridolfy luy sembloit très propre et de très bonne et honneste qualité pour bien conduyre cest affaire, il vouloit en toutes sortes qu'il luy fût commiz.

Le dict Cecille, estimant n'estre son bien de contradire à cella, et considérant combien le premier party de rejeter la coulpe sur aulcuns particuliers torneroit à sa ruyne, a loué et aprouvé le segond, de venir en tretté d'accord, promettant de fère tout ce qu'il luy seroit possible envers la Royne à ce qu'elle eust agréable que le dict Ridolphy s'en entremît;

Et cependant luy ayant prins grand peur de ce qu'on luy vouloit ainsy imputer tout le mal de ceste guerre, tant odieuse à tout ce royaulme, a heu recours au duc de Norfolc, et luy a requis sa protection, avec promesse de suyvre dorsenavant son party, et de se porter en toutes choses pour son certain et tout déclairé serviteur, et qu'il luy playse le remettre en la bonne grâce du dict comte d'Arondel, lequel monstre luy estre bien fort adversaire.

J'entendz que le dict duc luy a gracieusement remonstré qu'il estoit temps qu'il se retirât d'une si périlleuse entreprinse, qu'il avoit toutjour poursuyvye jusques icy, de randre la Royne, leur Mestresse, contraire et oposante à ceulx de son conseil, et qu'il n'estoit pas possible qu'il se peult tenir entre ces deux fers, sans estre oprimé de l'ung ou de l'aultre, et que, possible, les deux concourroient à sa ruyne.

Et, pour le regard du comte d'Arondel, que, à la vérité, 54 il estoit fort offancé contre luy de ce qu'estant le plus noble et ancien seigneur du royaulme, personnaige de toute intégrité, il sçavoit que le dict Cecille faisoit avoir à mespriz à la dicte Dame ses conseilz et opinions, et faisoit résouldre les affaires tout au contraire d'icelles; par ainsy, qu'il en uzât dorsenavant en toute aultre sorte, et qu'il commançât, dez ceste heure, sur l'occasion des affaires du Roy d'Espaigne, d'en faire commettre la matière à celluy que le dict comte luy avoit nommé.

Et ainsy, le dict Cecille, ayant commencé de se démesler de ceste prinse, s'est despuys si bien confirmé, pour ne luy avoir le comte de Lestre vollu nuyre, qu'il semble qu'il n'est pour estre déboutté de son lieu, et n'a layssé de renvoyer de sa part (mais croy que c'est avec le sceu de la Royne) le susdict Eschiata et Paulo Fortigny en Flandres, avec quelques additions et modérations sur les dictz quatre articles pour veoir si le dict accord pourra réuscyr par son entremise.

Et les dictz seigneurs qui sont à présent quatre concorans en une opinion, sçavoir, le dict duc et les comtes d'Arondel, de Lestre et de Pembrot, ont trouvé moyen, en absence du dict Cecille, d'envoyer le dict Ridolfy devers l'ambassadeur d'Espaigne, pour luy mettre en avant, comme de luy mesmes, aulcuns moyens d'accord, lesquelz despuys ont esté réduictz en cinq articles qui contiennent en substance:

Que les deniers, personnes, navyres, merchandises et biens, arrestez et prins, soyent, en ung mesmes jour, d'une part et d'aultre, entièrement et sans fraulde randuz;—qu'il soit pourveu aulx déprédations et à récompenser ceulx à qui elles ont esté faictes sellon le contenu 55 des trettez, et miz meilleur ordre pour l'advenir;—que le commerce et traffic soyent restituez en la mesme liberté et condicion qu'auparavant;—qu'il soit député commissaires, et à iceulx assigné jour et lieu, pour renouveller les anciens trettez d'entre l'Angleterre et la Mayson de Bourgoigne, et pourvoir à toutz les différans qui restent à vuyder sur iceulx;—que tout ce que les dictz commissaires accorderont ayt, par sèrement des deux princes à estre ratiffié et aprouvé, et par eulx et leurs subjectz inviolablement observé.

Lesquelz articles ont despuys esté monstrez au dict Cecille, qui y a faict aulcunes difficultez, tantost de l'ordre d'iceulx, voulant qu'on commançât par députer les commissaires et non par rendre, tantost pour requérir qu'il y eust quelque chose plus à l'honneur et advantaige de ceste coronne, et ainsy a prolongé l'affaire quelques jours, attandant la responce de Flandres, laquelle ne venant poinct, par ce, à mon adviz, que les dictz seigneurs ont miz ordre que le duc d'Alve n'entende en aultre négociation qu'à celle qui partira de leur main, le dict Cecille a esté contrainct de passer oultre.

Et j'entendz qu'il a, ce jourdhuy, baillé par escript aulcunes considérations sur les dictz cinq derniers articles, lesquelles, si elles sont telles qu'on me les a sommairement récitées, elles n'empescheront, à mon adviz, l'effect de l'accord; mais bien le pourront ung peu prolonger. Je mettray peyne de sçavoir plus certainement ce qu'elles contiennent.

Cependant, il semble que les choses ont prins beaulcoup de modération par la liberté qu'on a donné à ce nombre de marinyers espaignolz, dont en ma précédante dépesche j'ay 56 faict mencion, et que je suys adverty que, dans deux jours, monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, sous prétexte de changer de logis, yra sans garde, avec ceulx de sa famille, seul par la ville, et arrivé qu'il sera à l'aultre logis, ne sera plus tenu resserré.

DU FAICT DE LA ROYNE D'ESCOCE.

Poursuyvant monsieur l'évesque de Roz, envers la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil, le secours promiz à sa Mestresse pour estre remise en son estat, ou bien luy estre permiz de passer en France pour aller requérir celluy du Roy et des aultres princes chrestiens, il a eu la responce, dont cy devant j'ay faict mencion, qu'il failloit esclarcyr premièrement le doubte, où la dicte Royne d'Angleterre estoit, de la cession, qu'elle a entendu que sa dicte Mestresse avoit faict, du tiltre de ce royaulme à Monseigneur, frère du Roy, et suyvant la dicte responce la Royne d'Escoce a faict là dessus une déclaration, par lettre escripte et signée de sa main, qui pouvoit suffire, la copie de laquelle lettre j'ay desjà envoyée.

Néantmoins la Royne d'Angleterre a respondu à la dicte lettre en la façon qu'on verra par la coppie de la sienne, du xxve de may dernier, suyvant laquelle la dicte Royne d'Escoce a dépesché le Sr de Bortyc, son escuyer d'escuerye, et Rolle, son secrétaire, devers leurs Majestez Très Chrestiennes et devers Mon dict Seigneur pour avoir leur plus ample déclaration là dessus affin de satisfaire et contanter la dicte Royne d'Angleterre.

Et a l'on cependant escript, de la part des dictes 57 deux Roynes, en Escoce, pour faire venir aulcuns députez de la noblesse et des estatz du pays, pour veoir si le restablissement de leur Royne se pourra faire par voye de paciffication.

En quoy semble que la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil se disposent d'y mettre la main en bonne sorte, et desjà les plus grandz de ce royaulme se sont ouvertement déclairez pour le droict que la dicte Royne d'Escoce prétend à ce mesmes royaulme d'Angleterre, après leur présente Mestresse, disantz que toutz les aultres prétendans recherchoient leur droict de si loing, ou à tiltres mal fondez de bâtardise, ou aultres non aprouvez par les loix du royaulme, qu'ilz dellibèrent n'estre jamais contre celluy tant clair de la dicte Dame, fille du cousin germain de leur Royne, qui estoit propre nepveu, filz de la seur du Roy Henry VIIIe d'Angleterre[2], laquelle la plus part d'eulx ont veue et cogneue, laquelle chose les faict incliner et estre favorables à sa restitution en son propre royaulme.

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Sur quoy, pour l'accommodement de la dicte Dame avec ses subjectz, semble qu'on veuille venir à une loy d'oblivyon des choses passées, ou que mesmes la dicte Dame imputera à bien à ses subjectz, et les remercyera de toute la démonstration qu'ilz ont faicte pour vanger et avoir réparation du murtre du feu Roy, son mary, et qu'ilz n'auroient fait que leur debvoir de la poursuyvre elle mesmes quant elle en eust été coulpable;—que le jugement contre le comte de Baudouel sera confirmé;—qu'il sera ottroyé une abolition généralle de toutes choses mal venues jusques icy;—et chacun restably en ses biens, honneurs, charges et offices;—que la religion aura cours en la forme qu'elle y est establye meintennant;—qu'ung conseil sera estably, par ordonnance des estats du pays, pour contenir les choses en ceste modération, desquelles le comte de Mora sera l'ung;—et que des choses susdictes la Royne d'Angleterre et la noblesse de son pays seront respondans.

J'entendz que, pour le regard des choses, que ceulx cy prétendent capituller sur la dicte restitution, il y en a quatre principalles:—la première, d'asseurer le tiltre de ceste coronne, et qu'il demeure cédé et remiz entièrement à la Royne d'Angleterre;—la seconde, que la nouvelle religion soit si bien establye en Escoce, que la dicte Dame ne la puisse changer;—la tierce, qu'il soit faict une si ferme et estroicte confédération entre ces deux royaulmes, que par nul prétexte ilz ne puissent estre jamais en armes l'ung contre l'aultre, et qu'ilz soyent obligez à ung mutuel secours;—la quatriesme, qu'il soit trouvé quelque expédiant d'authoriser si bien les promesses et capitullations que la Royne d'Escoce fera, estant en ce royaulme, qu'elle n'y puisse jamais contrevenir par allégation 59 de force ny de peur, en quoy semble qu'ilz veulent avoir le prince d'Escoce pour gaiges de sa parolle.

Sur quoy leurs Majestez me commanderont ce que j'auray a dire et procurer là dessus, pour l'intérest de leur service, pour la réputation de leur grandeur, et pour la conservation des alliances de leur coronne.

LETTRE DE LA ROYNE D'ANGLETERRE A LA ROYNE D'ESCOCE.

—de Grenuich, le xxve de may 1569.—

Madame, à mon grand regrect, j'ay entendu le grand dangier en quoy estiez naguières, en quel je loue Dieu de n'en avoir rien ouy, jusques à ce que le pire fût passé; car, combien qu'en tout temps et lieu, telles nouvelles ne m'eussent peu contanter, si est ce que si tel mauvais accidant me fût mandé des cieulx que quelque mal vous advînt en ce pays, je croy vrayement que mes jours me sembleroient trop prolongés pour, devant mourir, recepvoir si grande playe. J'espère tant en la bonté d'icelluy, qui m'a toutjour gardée de malles advantures, qu'il ne permettra que je choppe en telz retz, et, pour me garder en ceste bonne opinion de bonne faveur en mon endroict, il m'a faict cognoistre par vostre commandement la dolleur qu'aultrement j'eusse senty, si le contraire m'eust advenu, et vous promectz de luy en avoir randu souvant grâces infinyes.

Quant à la responce, que vous recherchez recepvoir par mylord Boyt, de ma satisfaction en la cause, touchant monsieur d'Anjou, je ne dobte point ny de vostre honneur, ny de vostre foy, en ce que m'escripvez de n'en avoir onques pensé telle chose, mais pour ce que, peult estre, 60 quelque parent ou bien quelque ambassadeur vostre, ayant authorité généralle, de vostre main, pour l'authoriser de faire toutes choses pour l'advancement de voz affaires, ayent adjousté telle promesse, comme venant de vous, et le pensant contenu en leur commission, comme telle chose qui plus servyst d'esperon pour chevaulx de haulte race. Car si nous voyons [que] souvant ung petit rameau sert à saulver la vye aulx noyans, [et] que ung petit droict anime le combattant, je ne sçay pourquoy ne penseroient ilz que la barque de vostre bonne fortune flotant en mer dangereux, à quoy tant de ventz contraires soufflent, ayent besoing de toutes aydes pour obvier telz maulx et vous conduyre à bon port; et si ainsy soit, qu'ilz se sont serviz de vous en telle chose, vous pouvez en honneur nyer l'intention, mais si est ce que le droict leur demeure, et à moy apartient le tort. Pour aultant, je vous suplie y avoir telle considération de moy, qu'apartient à telle [qui] n'eust onques mérité en vostre endroict que vray guerdon et honnorable opinion, avec telz faictz qui gardent le vray accord d'une telle armonye que la mienne, qui en toutes mes actions vers vous n'a onques failly la droicte mesure.

Pour tant ce porteur vous déclairera plus amplement ce que je souhayte en ce cas. Oultre plus, si vous recherchez quelque responce de la commission donnée à milor Roz, je croy que vous oblyez combien prez il me touche, si je m'en mélasse jusques à ce que je soys satisfaict en ce qui vous touche en honneur et moy en seureté. Ce temps pendant, je ne vous fâcheray plus de longue lettre, sinon qu'après mes cordiales recommendations, je prie le Créateur vous garder en bonne santé et vous donner longue vie.


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XLIIIe DÉPESCHE

—du XXVIIIe de juing 1569.—

(Envoyée exprès à Calais par Jehan Valet.)

Préparatifs pour une nouvelle expédition maritime.—Achats d'armes par les protestants.—Crainte que la flotte de la Rochelle ne serve à une entreprise sur Bordeaux.—Les affaires d'Espagne et d'Écosse sont en voie de conciliation.—Arrivée de sir Georges Douglas en Angleterre.—L'autorisation de se rendre auprès de Marie Stuart lui est refusée.—Départ de deux commissaires anglais qui se rendent à Rouen pour traiter de la restitution des prises.—Plaintes de l'ambassadeur Norrys contre le retard apporté en France à l'expédition de ses dépêches.—Nouvelles de France données par monsieur Norrys dans sa correspondance.—Il annonce que le duc de Deux-Ponts est mort empoisonné.

Au Roy.

Sire, des choses qui passoient icy jusques au xxȷe de ce mois, concernans vostre service, Vostre Majesté en aura esté amplement informée tant par mes lettres et mémoires du dict jour, que le Sr. de Sabran vous a aportées, que par le récit d'aulcunes particularitez que je luy ay commises pour vous dire. Meintennant, Sire, voicy [ce] que j'ay à faire entendre à Vostre Majesté, c'est que l'on continue de rabiller et mettre en bon équipage à Gelingan douze des grandz navyres de guerre de ceste Royne, pour les pouvoir getter en mer quant on vouldra, oultre les quatre qui sont desjà dehors, deux à Hembourg et deux à la Rochelle, et plusieurs aultres de particulliers qui sont armés. Il est vray que la levée des hommes et marinyers 62 pour les dictz douze navyres ne se haste guières, seulement l'on a advisé d'où soubdainement l'on les pourra prendre, et n'y a encores aulcune commission expédiée pour l'affret et avitaillement des dictz navyres, chose qui ne se pourra si secrectement ny si soubdainement exécuter que n'en ayons toutjour quelque notice pour vous en donner adviz. Il est vray que aulcuns de ces Flamans qui sont icy, et quelques Françoys avec eulx, sont après à équiper en guerre quatre grandes ourques, de celles qu'on a naguières prinses sur les Espaignolz et Flamans, et ung assés bon navyre, et d'aultres petitz vaysseaulx jusques au nombre de dix pour aller, du premier jour, à la mer; et s'entend que Doulovyn, agent du prince d'Orange, va estre admiral de ceste petite flotte, laquelle pourra estre preste dans douze ou quinze jours, si la remonstrance, que l'ambassadeur d'Espaigne a faicte pour empescher que les dictes ourques ne soyent couvertes ny employées en tel usage, ne le retarde; tant y a que l'aprest se continue, et semble que c'est pour transporter deux ou trois mille Flamans en quelque lieu: ce qui se raporte aulcunement à certain adviz, que je vous ay cy devant mandé, qu'on prétendoit de les mettre en Hendem et les tenir là jusques à ce que les gens de cheval et le reste de l'armée du dict prince d'Orange seroient prestz; mais parce que je crains toutjour que ce soit plus tost pour les descendre à la Rochelle, ou en quelque aultre endroict de vostre royaulme, je ne me suys peu tenir d'en faire grand instance à ceulx de ce conseil, qui m'y ont aulcunement satisfaict jusques à m'affirmer, par sèrement, que ce n'est contre Vostre Majesté. Mais encor qu'il y ayt quelque dangier qu'en pourtant ainsy toutjour la cloche et 63 pour nous, et pour les aultres, contre les entreprinses de ceulx cy, ilz ne s'irritent contre moy, je ne leur puys toutesfoys laysser passer telles choses, quelque bonne démonstration qu'ilz me facent, par ce qu'ilz sont trop soubdains à changer leurs dellibérations et trop promptz de les convertir contre nous; et, soubz colleur de ce présent armement, plusieurs de ceulx qui s'estoient, par craincte des ordonnances faictes contre les pirates, retirez de la mer, s'aprestent de s'y remettre; de quoy je feray plaincte à ma première audience.

J'entendz que le conseiller Cavaignes a faict, tout de nouveau, ung marché avec aulcuns de ce royaulme pour recouvrer huict lez de pouldre, chacun de douze barilz, et chacun baril contenant ung cent, qui est neuf à dix milliers de pouldre, et huict vingtz bottes de piques, chacune botte de huict, qui est plus de douze cens piques, et vingt quaysses de hacquebutes, à cinquante pour quaysse, qui sont mille hacquebutes, avec leur fornyment; et qu'on est après, au pays d'Ouest, à les luy faire embarquer avec plusieurs et diverses sortes d'artiffices à feu, qui est signe qu'on a crainct le siège à la Rochelle.

Il a esté naguières veu passer une grand flotte de vaysseaulx, qu'on estimoit estre le retour de celle de la Rochelle, mais, parce qu'elle a passé oultre, l'on présume que c'est celle d'Espaigne et de Portugal, de quarante vaysseaulx chargez d'espiceries, de laynes, et aultres riches merchandises, conduicte par aulcuns navyres de guerre, que ceulx cy avoient entendu se préparer pour passer en Envers, dont ilz sont bien marrys qu'ilz n'ayent esté toutz prestz, au passaige de Callais, pour recognoistre qui c'estoit; mais le vent a trop bien servy, despuys 64 quelques jours en çà, pour leur pouvoir empescher ceste routte.

Il n'est encores nouvelles que la susdicte flotte de la Rochelle s'en reviègne, dont semble que ceulx du dict lieu l'ayent retenu pour se servir des lxxvj vaysseaulx qui y sont pour quelque leur entreprinse, ainsy que je vous en ay touché ung mot en mes lettres du xe du présent, et semble que ceulx de la nouvelle religion, qui sont icy, ayent adviz que le duc de Deux Pontz et l'Admyral cercheront de venir, s'ilz peuvent, à une bataille; mais, s'ilz ne le peuvent, que leur desseing sera de s'eslargir et occuper une partie de la Guyenne pour y entretenir l'armée, et nomméement de prendre Bourdeaulx; à quoy ce nombre de vaysseaulx leur pourroit beaulcoup servir, bien qu'on publie icy que le retardement de la dicte flotte procède de quelque difficulté, que la Royne de Navarre a faicte, sur l'acomplissement du marché du sel et du vin.

L'on commance à parler de quelque progrez[3] que, à l'accoustumé, la Royne d'Angleterre dellibère faire à ce prochain mois de juilhet, et de tant qu'on dict que ce sera à l'isle d'Ouyc, vers la Normandie, je le tiens en ce temps, à cause de leur présent apareil, aulcunement suspect. Je travailleray toutjour de descouvrir le plus que je pourray ce qu'ilz prétendront de faire.

Les entremises d'accorder les différans d'Angleterre avec les Pays Bas se continuent, et, de ma part, j'estime que des deux costez l'on s'est résolu d'y entendre, et ne reste que le moyen d'y procéder; mais de tant qu'il semble convenable de commancer par la liberté de monsieur l'ambassadeur 65 d'Espaigne, à laquelle on le veult remettre par occasion de changer de logis, comme je l'ay desjà escript; ceulx de ce conseil ont mandé à l'évesque de Chichestre de luy bailler sa mayson, qu'il a en ceste ville, pour quelques moys, et je croy que dans deux jours cella s'effectuera; et puys le mesmes pourra négocier et tretter de toutes choses avec ceste Royne; dont, encor que la finalle descizion des dictz différans, à cause des allées et venues, et de la liquidation et estimation des prinses, soit pour aller en longueur, je croy toutesfoys qu'on ne passera plus oultre à nulz mauvais exploictz les ungs contre les aultres, au moins si l'instabilité de ceulx cy et quelques meilleures espérances d'Allemaigne, qu'il semble qu'ilz n'en ont eu meintennant, ne les y provoque.

Les affaires de la Royne d'Escoce demeurent en suspens, attandant la déclaration que Monsieur, frère de Vostre Majesté, envoyera sur le tiltre de ce royaulme, et cependant s'entend que le Sr. Ledinthon s'apreste de venir d'Escoce de la part du comte de Mora, lequel comte monstre, à ce qu'on dict, ne reffuzer d'entendre à quelque paciffication pour le restablissement de sa Mestresse. Ceulx cy ont suspect le soubdain retour que ce jeune gentilhomme Duglas a faict par deçà, par ce mesmement qu'il monstroit, quant il passa naguières en France, d'y vouloir faire long séjour, et, nonobstant que Mr. l'évesque de Roz l'ayt adverty de n'incister guières à demander la permission d'aller trouver la dicte Dame, pour aulcunes ocasions bien considérables, et pour n'imprimer à ceulx cy qu'il aporte nouvelle pratique de France au préjudice de leurs intentions. Il n'a layssé toutesfoys de présenter à ceste Royne la lettre de Vostre Majesté pour obtenir son passeport, 66 lequel ne luy a esté accordé, et est icy encores à l'atandre.

Je ne veulx obmettre comme j'ay tant faict que deux honnestes bourgeois et merchans de ceste ville ont esté desjà dépeschez devers monsieur le maréchal de Cossé, avec commission de ceste Royne pour aller amyablement pourchasser la dellivrance des biens des Anglois, qui sont arrestez par dellà. J'espère que mon dict sieur le mareschal en envoyera bien tost deux aultres par deçà pour la restitution des biens des Françoys, et qu'il sera convenu de jour certain, auquel, des deux costez, esgallement et sans fraulde, la restitution se fera; et que Vostre Majesté m'envoyera, ou à monsieur le maréchal de Cossé, une lettre, signée de vostre main, conforme au mémoire que j'envoyay le xe de ce moys.

Ceste Royne m'a faict dire par Me Cecille que son ambassadeur se plainct de ce que, demandant ses passeportz pour envoyer ses paquetz, l'on les luy diffère toutjour quatre jours, et le retarde l'on aultres quatre jours à Paris premier que de luy en vouloir bailler, et que, sans doubte, l'on fera le semblable à moy icy; dont ay esté fort expressément requis d'en escripre à Vostre Majesté à ce qu'il vous playse faire entendre au susdict ambassadeur comme vous voulez que dorsenavant l'on en use tant à la court que à Paris, qui vous suplie, Sire, ne les mal contanter en si peu de chose, et je prieray le Créateur, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xxvııȷe de juing 1569.

67

A la Royne.

Madame, de tant que ceulx cy sont bien fort soubdains en leurs dellibérations de guerre, et [que] sur la première nouvelle qui les met en peur de l'avoir ou en espérance de la pouvoir faire avec advantaige à leurs voysins, ils recourent incontinent aulx armes et à faire leurs aprestz soit pour se deffandre ou pour assaillir, je me trouve, quasi toutes les sepmaines, en suspens de ce que j'en doibz espérer et suys souvant contrainct de vous mander diversement ce que je voy et entendz de leurs changemens, mais le temps et la froideur, qu'aulcuns d'entre eulx usent tout à propos, rabat souvent et beaulcoup de leur challeur, de sorte qu'il ne s'en ensuyt ny toute l'exécution ny icelle si soubdaine qu'ilz se proposent; ainsy que Vostre Majesté le pourra veoir en la lettre que j'escriptz au Roy touchant l'ordonnance qu'ilz avoient faicte despuys dix jours de jetter promptement en mer douze grandz navyres de guerre, laquelle ne passe meintennant plus avant que de les tenir prestz pour les y pouvoir mettre quant ilz vouldront; en quoy semble qu'ilz attandent s'y gouverner sellon le cours de la guerre de France, à laquelle ilz ont bien fort le cueur, et n'y a rien qui tant les esmeuve que les évènemens qu'on leur en mande.

Monsieur l'ambassadeur Norrys a naguières escript à la Royne, sa Mestresse, que les deux armées sont bien fort grandes et puyssantes s'estant, d'ung costé, Monseigneur vostre filz joinct à Mr d'Aumalle et les Italliens arrivez; et que Vostre Majesté a esté au camp et a par une 68 bien vertueuse et digne façon de parler, confirmé le cueur des gens de guerre et anymé les Allemans et les Suysses de combattre à ce coup vertueusement pour l'honneur de la France et pour la deffance de la couronne du Roy, vostre filz, lesquelz vous ont toutz promiz de bien faire leur debvoir; que d'ailleurs l'armée du dict duc marche toutjour en pays et est si avant qu'on ne le peult plus empescher de recuillyr ceulx de la Rochelle et les Vyscomtes, et que mesmes quelcun rapportoit d'avoir veu monsieur l'Amyral saluer et embrasser le dict duc, et que les deux armées n'estoient que à huict lieues l'une de l'aultre, n'y ayant toutesfoys encores heu que quelque escarmouche entre eulx, où Mr. de La Rochefoucault avoit eu du meilleur, et que le poyson de Mr. Dandellot avoit esté avéré, qu'ung sien serviteur luy avoit baillé, lequel avoit esté tiré à quatre chevaulx, et avoit allégué Mr. de Martigues pour cuyder excuser son faict.

Je seray toutjour soigneulx de descouvrir ce que je pourray des dellibérations et entreprinses de ceulx cy, desquelz, encor que j'aye occasion de craindre qu'ilz se layssent enfin persuader à quelque déclaration de guerre, mesmes s'ilz peuvent accommoder leurs aultres différantz, je crains néantmoins plus pour ceste heure ce qu'ilz pourront entreprendre soubz main par leurs pirates et par ces estrangiers qui s'équipent, lesquelz, s'il advient qu'ilz puissent surprendre quelque lieu qui soit pour s'en prévaloir, ne fault doubter qu'ilz ne les advouhent et seront de mesme prestz de les désadvouher, s'ilz ne font rien qui vaille. Et de tant que, entre quelques uns de ces seigneurs, il a esté faict mention d'Ambleteuille comme d'ung lieu qui seroit important et bien à propos pour eulx, semble 69 qu'il sera bon de pourvoir qu'ilz n'y puissent rien entreprendre; et je prieray atant le Créateur, etc.

De Londres ce xxvııȷe de juing 1569.

Despuys la présente escripte, aulcuns seigneurs de ceste court m'ont adverty qu'il est arrivé lettres de Mr. Norrys, du xxe du présent, qui mande la mort du duc de Deux Pontz, advenue par poyson, et qu'il sentit son mal le xe de ce moys, soupant avec la Royne de Navarre, et mourut le xııȷe; que le comte de Mensfelt[4] a esté subrogé en sa charge par le consens universel de l'armée; que, avant mourir, il avoit présenté la bataille à nostre armée qui l'avoit reffuzée; que, pour contanter Vostre Majesté, laquelle vouloit en toutes sortes qu'on combatît au passaige de la Creuse, le Ringrave et le capitaine La Rivière avoient ataché une grosse escarmouche, où ilz avoient esté deffaitz et eulx demeurez mortz sur la place; et pareillement l'aultre comte de Mensfelt[5] pour vouloir bien satisfaire au duc d'Alve, avoit entreprins un aultre combat où il avoit esté pareillement deffaict; et que la ville de Périgueulx a esté prinse, et que la Royne de Navarre est dedans. Je ne sçay que pourront produire ces nouvelles, mais, pour garder que ce ne soit rien de mal, j'yray trouver demain ceste Royne sur l'occasion de la dépesche du Roy du xıııȷe de ce moys, bien qu'elle soit d'assés vieille datte, laquelle je viens de recepvoir tout meintennant, et feray le mieulx que je pourray.


70

XLIVe DÉPESCHE

—du Ve jour de juillet 1569.—

(Envoyée par Olivyer Champernon jusques à Calais.)

Nouvelle entrevue de l'ambassadeur et d'Élisabeth, dans laquelle sont discutées les affaires de France.—Menace de guerre faite par les seigneurs du conseil qui annoncent qu'une armée de dix mille Anglais est prête à descendre sur le continent.—Élisabeth accorde, contre l'avis de son conseil, la permission à sir Georges Douglas de se rendre auprès de Marie Stuart.—Succès remportés en Écosse par le comte de Murray.—Disposition d'Élisabeth à se tenir toujours prête pour attaquer la France.—Les différends de l'Angleterre avec l'Espagne paraissent entièrement aplanis.

Au Roy.

Sire, estant bien seurement adverty, ainsy que je l'ay mandé en ung postille de mes précédantes du xxvııȷe du passé, que la Royne d'Angleterre avoit eu adviz de la mort du duc de Deux Pontz, et qu'on luy faisoit acroyre, nonobstant icelle, que les affaires de ceulx de la Rochelle alloient prospérant soubz la conduicte du comte de Mensfelt, qui avoit esté subrogé en sa place, et soubz celle de monsieur l'Admyral qui estoit meintennant joinct avecques luy, j'ay bien vollu veoir si je recognoistrois, par aulcuns propos ou démonstrations de la dicte Dame, que ces nouvelles l'eussent meue à rien entreprendre de nouveau; dont luy ayant, sur l'occasion de vostre lettre du xıııȷe du passé, demandé audience, j'ay prins argument, sans monstrer 71 rien sçavoir du trespas du dict duc, de luy dire qu'aussitost que icelluy duc s'est trouvé au dellà de la rivière de Loyre, il a faict toute la dilligence qu'il a peu de s'advancer en pays, sentant que Monsieur, frère de Vostre Majesté, joignoit les forces de Guyenne avec celles de monsieur d'Aumalle pour l'aller rencontrer, et qu'ayant gaigné le devant il n'avoit onques vollu attandre le combat; et qu'à ceste heure Mon dict Seigneur, après avoir miz douze mille chevaulx et vingt mille hommes de pied ensemble toutz confidans et asseurez, oultre le renfort qu'il attandoit d'heure à aultre quasi d'une seconde armée de monsieur de Nemours, qui avoit recuilly les Italliens, avoit aproché de si prez l'armée du dict duc qu'il ne pouvoit estre que bien tost ne s'en entendît une journée, qui, j'espérois, seroit avec continuation de victoyre aussi bien sur ces reytres, comme elle avoit esté commancée auparavant, lesquelz empyroient de tant en toutes sortes la cause de ceulx qui estoient desjà en armes dans le royaulme, qu'il ne se recognoissoit en eulx rien d'honneste ny digne de gens de guerre, ains toutz actes de cruelz larrons, de brigans et de barbares inhumains, et que je m'esbahissoys que toutz les vrays princes ne s'esmouvoient dilligemment pour réprimer, ou encores pour soubdain estaindre une si mauvaise troupe d'hommes, qui vous alloient oltrageant sans occasion, et alloient soubslevant et soubstennant l'opinion des subjectz contre la légitime authorité de leurs princes; de quoy, encor qu'il semblât que rien ne s'en adressât meintennant à elle, si estoit il dangier que ce qu'elle en voyoit desjà attaché aulx principaulx estatz de la chrestienté ne vînt bien tost à une dangereuse conséquence sur le sien; et que, de vostre part, pour plus seurement pourvoir à voz 72 affaires, aviez advisé de vous acheminer à Orléans, où en attendant le retour de la Royne, vostre mère, qui estoit encores au camp avec Monsieur, frère de Vostre Majesté, vous assembliez une aultre aussi grande et puyssante armée que celle qu'aviez baillée à Mon dict Seigneur; et que de toutz ces poinctz vous aviez bien vollu faire part aulx aultres princes souverains voz alliez et confédérez, et principallement m'aviez commandé d'en donner ung entier et bien particullier compte à la dicte Dame, comme à celle qui avoit toutjour monstré de desirer que le succez de ceste guerre vînt à l'advantaige de Vostre Majesté, à la conservation de vostre estat, et à la confuzion de ceulx qui s'esforcent de le troubler et de troubler le repoz de voz subjectz.

A quoy la dicte Dame m'a respondu qu'il ne se menoit à la vérité aulcuns affaires à présent, en toute la chrestienté, desquelz elle fût si soigneuse d'en entendre les évènemens que de ceulx de Vostre Majesté, qui estoient à ceste heure comme sur ung théâtre, proposés pour exemple à toutz les aultres princes, dont elle vous remercyoit, de tout son cueur, de la bonne part que ordinairement il vous playsoit luy en faire; que, pour ce coup, sembloit qu'elle eust de plus fresches nouvelles d'iceulx que moy, puysque je ne luy parlois point de la mort du duc de Deux Pontz, qu'on asseuroit avoir esté empoysonné, et avoir senty son mal le xe de juing, ainsy qu'il estoit à table avecques la Royne de Navarre, et qu'il estoit mort le xııȷe, et qu'avant mourir il avoit présenté la bataille à l'armée de Mon dict Seigneur, mais les capitaines du camp n'avoient estimé estre lors raysonnable de le combattre; et que la dicte Dame considéroit assés, et avecques dolleur, le grand ennuy et 73 travail, où sont Voz Très Chrestiennes Majestez, pour la désolation de vostre royaulme, ce qui la mettoit en grand soucy du sien, voyant que les plus grandz estatz estoient ainsy affligez; mais qu'elle espéroit, veu les bonnes forces qu'aviez miz ensemble et celles qu'assembliez de nouveau, que le plus grand dangier estoit desjà passé, me priant, qu'avec ung salut et recommendation de sa part à Voz Très Chrestiennes Majestez, je ne faillysse par mes premières vous asseurer que nul aultre prince de votre alliance se resjouyra jamais plus grandement qu'elle de la prospérité et conservation de vostre coronne, et de la paix de vostre royaulme, s'il playt à Dieu la vous y donner; ny au contraire nul ne sera plus marry qu'elle du mauvais succez, s'il y advient: et a estendu son propos en plusieurs aultres particullaritez, touchant le commancement de ceste guerre, la continuation d'icelle et l'yssue qu'elle pourroit prendre, qui monstrent certes qu'elle est agitée en diverses dellibérations; et, par le jugement que j'en puys faire, qu'elle propose de s'y gouverner sellon le temps, dont je desire, Sire, que Dieu mette en vostre main de quoy pouvoir abréger et acoursir le dict temps de ceste guerre; car la longueur et prolongement d'icelle ne peult produyre que toutjour nouvelles difficultez.

La dicte Dame, après cella, m'a entretenu en d'aultres matières de mariages, disant avoir entendu que celluy de Vostre Majesté avecque la seconde de l'Empereur, et de l'aynée avecques le Roy d'Espaigne estoient concludz; et s'est mise à parler de vostre eage de vostre taille, beaulté, adresse, et bien fort honnorablement de voz vertuz et de celles de Mon dict Seigneur vostre frère, ce que j'ay grandement confirmé; et seroit le discours trop long à le mettre 74 icy, seulement je diray qu'elle a monstré prendre grandement playsir de le continuer.

Et sur ces gracieulx deviz je me suys licencié d'elle, puys m'estant ung peu arresté avecques les seigneurs de son conseil pour tretter d'aulcuns affaires, qu'elle m'avoit remiz à eulx, concernantz vostre service et le bien de voz subjectz, ainsy qu'ilz sont venuz à me discourir des nouvelles qu'ilz avoient de France, trois d'entre eulx, à une voix, se sont advancez de me dire qu'il y avoit dix mille hommes de bonne qualité en Angleterre, et des principaulx et plus riches du pays, qui estoient toutz pretz et dellibérez de passer en France pour soubstenir le prince de Navarre et l'Admyral, non contre Vostre Majesté, ny contre la Royne, vostre mère, ni contre Monsieur, car se réputoient voz serviteurs tant que vous auriez la paix avecques leur Mestresse, ains pour faire la guerre à monsieur le cardinal de Lorrayne et aux Italliens que le pape a envoyez pour exterminer leur religion; mais que la Royne, leur Mestresse, ne l'a vollu consentir, pour ne monstrer aulcun signe de ropture de paix: de quoy vous luy debviez ung bien grand mercys, car s'ilz estoient meintennant en France avec l'apuy d'une si bonne troupe de Françoys et d'estrangiers, qui sont en armes, qui seroient pour eulx, il y auroit de quoy, possible, y faire bien leurs besoignes; et s'eschauffant là dessus en plusieurs grandes parolles, je ne leur ay respondu aultre chose sinon que je remercyois très grandement la Royne, leur Mestresse, de sa bonne intention, et que desjà j'avois miz peyne de faire cognoistre à Vostre Majesté qu'elle l'avoit véritablement bonne et droicte envers vous, qui aussi luy en réserviez et luy en rendriez, de votre part, une toute semblable, et que Dieu 75 l'avoit ainsy conduicte à ne laysser ordir à ses subjectz une injuste guerre sur une mauvaise trame et tant différante de sa qualité de Royne comme estoit celle qu'ilz se proposoient, laquelle elle cognoissoit très bien que ne luy seroit ny utille ny honnorable, mais quant ilz entreprendroient, d'eulx mesmes, de descendre à main armée en France, ilz le feroient à très mauvais tiltre sans leur en avoir donné occasion, tant y a qu'ilz y trouveroient Vostre Majesté en armes avecques ung bon nombre de Françoys, que vous aviez desjà aulx champs contre les Allemans, et que vous seriez prest d'y en mettre encores dix mille toutz fraiz et bien armez contre eulx. Et ne suys passé plus avant, bien que, de leur part, ilz ayent suivy le propos avec termes ung peu bien advantaigeux, qui néantmoins se sont enfin terminez assés gracieusement, mais non sans monstrer qu'ilz ont de l'animosité et de l'entreprinse dans la teste.

Ilz continuent toutjour leur aprest de douze grandz navyres de guerre, mais n'y a encores commission pour lever les hommes et marinyers, ny pour les avitailler. Il ne s'entend encores rien du retour de la flotte de la Rochelle, ce qui faict doubter qu'elle est retardée pour quelque entreprinse par dellà. Le capitaine Orsey a demandé renfort de garnyson pour l'isle d'Ouyc, dont il est gouverneur, et millor Sideney ayant receu quelque estrette en Irlande a envoyé requérir ung prompt secours; et j'entendz qu'il a esté accordé au dict Orsey de luy bailler trois cens hommes davantaige, et a esté mandé au dict Sideney qu'on luy envoyera dilligemment le secours qu'il demande; dont semble que bien tost se lèveront gens de guerre, et je prendray garde comment, et à quelles fins, l'on y procèdera. 76

L'ambassadeur d'Espaigne s'attand de changer demain de logis et que, de là en avant, il ne luy sera plus baillé de gardes, dont après il commancera de tretter de ces prinses et différans d'entre ce royaulme et les Pays Bas, par luy mesmes, avecques ceste Royne et les seigneurs de son conseil.

Les affaires de la Royne d'Escoce demeurent toutjour en suspens, attandant le retour du Sr. Bortic et Rollet, qui sont allez devers Vostre Majesté pour la déclaration du tiltre de ce royaulme, et attandant aussi les députez qui doibvent venir d'Escoce. Cependant ce jeune gentilhomme George Duglas a tant faict qu'il a obtenu passeport pour aller trouver la dicte Royne d'Escoce, à quoy semble qu'elle n'aura prins playsir, craignant que cella puysse retarder en quelque chose ses affaires. J'entendz que Mr. de Flamy a escript que le comte de Mora est en campaigne, réduysant par force toute l'Escoce à sa dévotion, et qu'il est adverty que bien tost après il dellibère l'aller assiéger dans Dombertran, qui est la place où la dicte Dame fonde le principal espoir de sa restitution. Sur ce, etc.

De Londres ce ve de juillet 1569.

A la Royne.

Madame, affin qu'en devisant et discourant avec la Royne d'Angleterre je puisse toutjour prendre quelque adviz et conjecture des dellibérations qu'elle a sur les présens affaires de vostre royaulme, je la vays trouver aultant de foys qu'il me vient tant soit peu d'argument de parler à elle, et ainsy, despuys quatre jours, sur l'occasion d'une dépesche du xıııȷe du passé que j'ay naguières receue, je luy suys allé tenir le propos que Vostre Majesté verra en la lettre 77 du Roy, lequel j'ay bien vollu réciter au long avec les propres termes de la responce de la dicte Dame, et y adjouxter ung peu du jugement que je fays de son intention, affin que Voz Majestez puyssent encores plus avant et au vray juger quelle elle est, qui, à mon adviz, n'est aultre que de tenir vaysseaulx armez et hommes prestz pour une occasion, si le temps la luy offre, non qu'elle ne me semble de soy toutjour bien disposée à la paix, mais les argumens qu'on luy administre pour me dire, et ceulx que les plus authorisés d'auprès d'elle allèguent ouvertement, joinct l'apareil de guerre qu'elle a en estat, monstrent que le seul bon succez de voz affaires la fera persévérer en la paix. Et cependant par les catholiques, qui sont icy, l'accord des différantz des Pays Bas est vifvement poursuyvy, de sorte que y correspondant le Roy d'Espaigne et le duc d'Alve comme ilz font, je tiens ceste guerre pour plustost finye qu'il n'y a heu espée desgaynée, ny ung seul coup de haquebute tiré, et, bien que les articles n'en soyent encores concludz, les exploictz néantmoins de guerre n'en passeront, à mon adviz, plus avant; ains restera toute la difficulté sur la restitution des prinses affin d'indempniser les merchans sur leurs merchandises seulement, lesquelz ne fault doubter que ne s'accordent ayséement d'en recouvrer une partie pour ne perdre le tout: car, quant aulx deniers du Roy Catholique, ilz sont entiers et se pourront randre du soir au matin, et, pour le regard de ceulx des particulliers, l'on n'en parle poinct, parce qu'ilz estoient tirez d'Espaigne sans congé. Les seulz troubles qui sont meintennant en Irlande rendent ceulx cy ung peu ombrageux et mesfians du Roy d'Espaigne, craignant qu'il tienne la main à ceulx qui s'y sont soublevez. 78

Je prendray toutjour garde à ce qui se trettera et qui s'entreprendra, pour vous en donner le plus prompt adviz que je pourray. Mr. le cardinal de Chastillon n'a veu ceste Royne, ny n'a esté en court, il y a tantost deux moys. J'entendz qu'à Mr. le vydame de Chartres a esté mandé de se mettre plus avant dans le pays, sans se tenir ainsy en la frontière, n'ayant, ce semble, ceste Royne bonne opinion de luy, et ne se parle poinct qu'il doibve encores venir en ceste court. Quelques nouveaulx depputez sont freschement arrivez d'Allemaigne, sur lesquelz j'auray l'œil le plus ouvert que je pourray, et prieray atant le Créateur, etc.

De Londres ce ve de juillet 1569.


XLVe. DÉPESCHE

—du VIIIe jour de juillet 1569.—

(Envoyée par le Sr. George Duglas, Escouçoys, jusques à la Court.)

Pressante recommandation de la reine d'Écosse auprès du roi de France, en faveur de sir Georges Douglas.

Au Roy.

Sire, m'ayant la Royne d'Escoce despuys trois jours escript de ses nouvelles affin principallement que je luy fisse entendre des vostres, elle m'a, par mesme moyen, bien affectueusement prié de représanter à Vostre Majesté le desir et grande affection qu'elle a, puysque Dieu n'a layssé 79 en sa main de quoy pouvoir monstrer aulcune recognoissance envers le Sr. Douglas, présent porteur, pour le notable service qu'elle en a receu, qu'il vous playse prendre en la vostre de le luy recognoistre et l'en recompencer eu luy donnant advancement d'honneur, de bien et quelque honeste charge près Vostre Majesté, de tant qu'elle estime tenir de luy le recouvrement de sa liberté et qu'il est le principal moyen de l'avoir tirée de l'estroicte prison où l'on la dettenoit en Escoce[6]. A quoy, Sire, m'asseurant que Vostre Majesté vouldra très volontiers avoir esgard, tant pour la satisfaction de la dicte Dame que pour la magnanimité de vostre cueur sur ung acte digne de vostre faveur et de celle de toutz vrays et légitimes princes, je n'entreprendray de vous en dire davantaige sinon que vous gratiffierez grandement la dicte Dame, si, par vostre libéralité envers ce gentilhomme, vous suplissés celle que par plusieurs bienfaictz, en récompence de son bon et fidelle service, elle luy vouldroit uzer; et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce vııȷe de juillet 1569.


80

XLVIe DÉPESCHE

—du XIe de juillet 1569.—

(Envoyée par Jehan Valet jusques à Calais.)

Retour de la flotte de la Rochelle.—Armement et levée de troupes pour l'Irlande où l'insurrection fait des progrès.—Craintes de l'ambassadeur que ce ne soit un prétexte pour cacher les préparatifs d'une expédition contre la France.—Ses efforts pour maintenir la paix que les succès remportés par les protestants rendent très-douteuse.—Il rend compte à Élisabeth de l'état des affaires de France.—Il donne avis que le duc Casimir se prépare à entrer dans le royaume avec une armée allemande.—L'ambassadeur d'Espagne est délivré de ses gardes; mais il n'est pas encore permis à l'ambassadeur de France de lui rendre visite.—Plaintes d'Élisabeth contre la mauvaise réception faite à ses commissaires en France, et contre le retard apporté à la désignation des commissaires français qu'elle attend pour traiter de la restitution des prises.

Au Roy.

Sire, vous ayant, le ve de ce moys, escript toutes choses de deçà, ainsy que je les avois en cognoissance, il se offre meintennant de vous dire que le lendemain vȷe, je fuz adverty du retour de la flotte de la Rochelle, laquelle despuys est entrée en ceste rivière; et qu'on avoit commancé, le matin, de tirer des armes, de l'artillerye, des pouldres et aultres monitions de guerre, de la Tour de Londres pour les mettre sur mer, avecques commissions expédiées, le mesme jour, pour lever promptement cinq mille hommes, de quoy je donnay, sur l'heure, adviz à Mr. le maréchal de Cossé et à Mrs. de Piennes, de Gordan, de Caillac et 81 de Sigoignes; et leur manday que je sçavois bien que ceulx cy estoient fort pressez du costé d'Irlande par ce qu'ilz y avoient naguières receu une estrette, et que pourtant cest aprest qu'ilz faisoient pourroit bien estre pour y envoyer du secours; tant y a que je les prioys de se tenir sur leurs gardes, et de donner ordre que toute la coste de dellà en fût advertye: car je ne pouvoys avoir que beaulcoup suspect de veoir faire la dicte levée sur le retour d'icelle flotte.

Or despuys, Sire, j'ay cogneu à la vérité que c'estoit pour envoyer en Irlande, auquel pays, sur le quartier qui s'apelle d'Esmont, les affaires ne passent bien pour les Angloys, les ayant les Irlandoys, avec lesquelz s'est meslé le jeune frère du comte d'Ormont, et le capitaine Estuquetay, chassez à vifve force de la campaigne, et incontinent assiégé la ville de Corc, laquelle j'entendz que s'est randue à telle composition qu'on leur a livré toutz les Anglois qui étoient dedans, dont milor Sidenay, qui est Vice Roy par dellà, presse grandement d'estre secoureu. Néantmoins l'on m'a dict que, despuys les premières commissions expédiées pour y faire passer cinq mille hommes, l'on a advisé qu'il suffira, pour ce commancement, d'y en envoyer trois mille; et semble qu'encor que, sellon le jugement des sages, ceste guerre d'Irlande soit bien importante et de grande conséquence à ceste Royne, qu'on la luy faict néantmoins trouver légière et facille, et que pour cella elle ne doibt cesser de faire toutjour l'aprest de ses grandz navyres de guerre et les mettre en bon estat pour s'en servyr quand elle vouldra en ses aultres entreprinses; et ne laysser de poursuyvre la description d'hommes, que j'entendz qui se faict soubz prétexte des monstres ordinaires, et de l'ordonnance de se fornir d'armes, et des jeuz de priz qui ont esté 82 instituez pour tirer de la haquebutte, où l'on establit partout des capitaines, avec grand aguet qu'ilz soyent toutz de la nouvelle religion, qui est signe qu'ilz vont guettant quelque occasion, et qu'ilz se veulent trouver prestz pour l'heure qu'elle se présentera.

Je ne deffauldray envers ceste princesse, laquelle ne me semble du tout divertye à telle entreprinse, et envers ceulx, que je cognoys qui ne la veulent, de les confirmer à la paix, et les faire tenir fermes qu'il ne se face aulcune manifeste infraction ny violance à icelle. Au moins travailleray je de tout mon pouvoir que Vostre Majesté sente le moins de mal, que faire se pourra, de leur costé; car de n'en sentir poinct du tout je croy que, quant j'auroys toute l'authorité de ceste Royne en ma disposition, je n'y pourroys mettre remède, tant y a de moyens et d'artiffices, et de vive sollicitation, icy, en faveur de l'aultre party. Et ont aulcuns des bons de ce conseil, despuys quatre jours, envoyé devers moy sçavoir si ce qui estoit naguières advenu en France entre les deux armées[7] estoit tant à l'advantaige de ceulx de la Rochelle comme on le publioit; car cella, ainsy qu'ilz disoient, randoit ceulx, qui portent icy leur party, si insolens qu'ilz ne les pouvoient modérer, et avoient bien à faire à interrompre les mauvaises entreprinses qu'ilz mettoient en avant, faisant courir le bruict que le filz de Mr. Norrys m'en avoit porté les nouvelles, lesquelles m'avoient soubdain saysy de tant de douleur que j'en estois demeuré tout estonné, sans luy pouvoir rendre aulcune responce. 83 Sur quoy, pour l'heure, je ne leur ay pu mander aultre chose sinon que je n'avois aulcunes nouvelles que celles qui m'estoient venues du dict filz de Mr. Norrys, lequel pourtant n'avoit peu cognoistre en moy une si grande altération et changement qu'on disoit, parce que je n'avois creu son discours, lequel je les prioys aussi ne le vouloir croyre, car il ne l'asseuroit que sur ouyr dire: et que bien tost j'auroys la certitude du tout par voz lettres, lesquelles je ne fauldrois de leur communiquer.

Deux jours après, j'ay receu ce qu'il vous a pleu m'en escripre du xxıxe du passé, et le troisiesme je suys allé dire à ceste Royne que, de tant que vous aviez meintennant deux grandes armées l'une contre l'aultre dans vostre royaulme, qui s'entresuyvoient et se logeoient si près que les sentinelles et corps de garde se pouvoient souvant entreouyr et entendre, et qu'il estoit mal aysé qu'il ne s'ensuyvyst quasi toutz les jours aulcun exploict de guerre, Vostre Majesté me feroit aller souvant devers elle pour luy racompter le tout au vray, sellon la certitude que vous mesmes en auriez de vostre camp, fût gain ou perte, tant vous [vous] proposiez vivre confidentment avecques elle. Et ainsy, estant naguières advenu ung assés heureux succez à ceulx du parti contraire, vous m'aviez incontinent envoyé l'extraict de ce que l'on vous en avoit escript affin de le luy monstrer, qui cognoistroit par icelluy, et par ce que m'en escripviez à part, que vous aviez grand soing de satisfaire en cest endroict au debvoir de la commune amytié d'entre Voz Majestez et à l'intérest qu'avec toutz les aultres princes souverains vous estimiez qu'elle a en cette guerre, dont lui fiz premièrement lecture de cette partie de vostre lettre qui en faisoit mencion, affin qu'elle le tînt pour véritable; 84 puys luy leuz le dict extraict, sur lequel elle me fit beaulcoup de curieuses demandes, adjouxtant que la victoire n'estoit si grande de beaulcoup pour les aultres comme on la publioyt et qu'elle feroit volontiers chastier ceulx qui avancent les choses en aultre façon qu'elles ne sont; comme aussi on luy avoit dict que vous aviez faict empoysonner le duc de Deux Pontz, là où il se sçayt meintennant de certain qu'il est mort d'une fièbvre chaulde, et que si ceulx qui desrobent quelque chose ou font la faulce monoye sont puniz, que ceulx là le doibvent estre beaulcoup plus aigrement qui desrobent ou falciffient la réputation des princes, me priant de vous remercyer beaulcoup de foys et fort expressément de la faveur que luy faisiez de luy vouloir ainsy communiquer le bien et le mal de voz succez; et que puysqu'elle n'avoit peu estre ouye à vous y procurer le bien de la paix, elle n'estimoit y pouvoir meintennant aultre chose en la guerre, sinon prier Dieu qu'il ne vous y advînt poinct de mal, et que certes elle l'en prioyt dévottement et de bon cueur.

Puys, s'estendant le propoz à discourir des oltrageuses entreprinses des Allemans, et combien elles debvoient estre odieuses et suspectes à toutz grandz princes, elle m'a parlé de l'aprest du duc de Cazimir, et qu'il seroit bien tost en campaigne; ce qu'elle m'a expéciffié de sorte qu'il semble qu'elle le tienne pour asseuré. Mais la priant despuys qu'il luy pleût tout ouvertement me dire ce qu'elle en sçavoit, elle s'est rétractée ung peu, et dict que, dans ceste sepmaine, elle espéroit d'en avoir la certitude par lettres de ses agentz qui sont en Allemaigne, et que, puys après, elle me le feroit assavoir. Tant y a que je fays plus de fondement sur ce qu'elle m'a dict d'elle mesmes que sur ce 85 qu'elle s'est despuys vollue monstrer réservée, quant je me suys monstré curieux; car j'ay d'aultres conjectures, Sire, lesquelles je vous feray sçavoir par le premier des miens, que j'envoyeray devers vous, qui me font croyre que le dict duc de Cazimir marchera bientost; dont suplie très humblement Vostre Majesté de vous en éclarcyr de bonne heure affin de n'estre surprins, craignant bien fort, s'il descend par la Picardie ou le long de la frontière des Pays Bas, ainsy qu'on le présume, que ceulx cy ne se mettent incontinent, avec grand équipage, sur mer pour le favoriser. J'auray toutjour l'œil et le cueur à leur apareil et entreprinse pour vous en donner incontinent les plus certains adviz que je pourray, et prieray atant le Créateur, etc.

De Londres ce xȷe de juillet 1569.

A la Royne.

Madame, il m'a semblé que le soing que le Roy a heu, par ses lettres du xxıxe du passé, de m'advertir des choses qui sont advenues entre les deux armées le xxve auparavant, a esté de quelque proffict et a servy assés à interrompre des mauvais desseings que ceulx, qui instiguent ceste Royne à la guerre, luy commançoient desjà de proposer sur le fondement d'une trop plus grande victoire que, par la vérité de la lettre du Roy, elle a bien cogneu qu'elle n'estoit, la luy ayant, ceulx qui n'ont bonne affection, augmentée de plus de mille pour cent, qui a esté cause, après en avoir discoreu avecques la dicte Dame que, m'ayantz le duc de Norfolc, le grand Chamberlan, le secrétaire 86 Cecille et deux aultres du conseil convoyé jusques à la salle de présence, je leur ay monstré le mesme extraict que j'avoys leu à la dicte Dame, lequel les ungs ont aprouvé comme vray et les aultres ont dict qu'il n'estoit pas à croyre qu'estantz douze centz ou deux mille soldatz enveloupez de la cavallerye ennemye, sans aulcun secours de la nostre, qu'il ne s'en fût perdu que quatrevingtz ou cent, sur quoy je leur ay, en l'authorité des lettres du Roy, si bien satisfaict que ce que Sa Majesté en mande a esté et est partout tenu pour véritable.

Je adjouxteray icy, Madame, que l'ambassadeur d'Espaigne, ayant despuys trois jours changé de logis, est meintennant sans gardes et croy que bien tost l'on commancera de tretter avecques luy de ces différantz des Pays Bas. Il est vray que, sellon certain propos que ceste Royne m'a tenu, il semble qu'elle demeure encores aulcunement offancée contre le duc d'Alve et contre le dict ambassadeur, et mesmes l'ayant priée qu'elle vollût à ceste heure luy permectre et à moy de nous pouvoir entrevoir et visiter comme auparavant, elle m'a fort expressément requiz que je me volusse encores déporter, pour quelque temps, de l'aller voir; bien me permettoit de pouvoir quelque foys envoyer devers luy ung gentilhomme ou ung secrétaire des miens. Et à la suyte de cella, elle s'est prinse ung peu bien asprement à moy de ce que les deux députez, qu'elle a envoyez à Roan pour la restitution des biens de ses subjectz, n'ont esté, à ce qu'elle dict, ny bien receuz, ny bien responduz, et que monsieur le maréchal de Cossé n'en a envoyé ici d'aultres de sa part, comme je l'avois promiz, et qu'elle s'esbahyt comme je me suys tant advancé au faict de ceste restitution, sans estre bien asseuré de l'intention 87 de Voz Majestez et de celle de mon dict sieur le maréchal, monstrant avoir doubte que je luy aye faict ung semblable trait en cecy, comme elle se plainct que l'ambassadeur d'Espaigne luy en a uzé d'ung très mauvais sur les choses de Flandres, ou bien qu'elle veult, estant sur le poinct de tretter meintennant avecques le dict ambassadeur des dictes choses de Flandres, sonder plustost avecques moy à quoy se debvoir tenir du costé de Voz Majestez, pour de tant plustost conclurre à l'aultre part, si elle voyt beaulcoup de difficultez de la vostre. Et m'a pareillement requiz de la dellivrance de quatre, ses subjectz, qui sont dettenuz à Callais, m'appellant à tesmoing moy mesmes si je sçay que, durant ma charge, elle en ayt faict retenir ung des vostres par deçà.

Je luy ay respondu que je ne me suys nullement advancé non d'une seule parolle au faict de la susdicte restitution, sans estre bien garny de mandement du Roy et Vostre, et encores de celluy de mon dict sieur le maréchal, par lettres bien expresses de Voz Majestez et de luy, lesquelles je luy ay desjà monstrées; et que je m'asseuroys qu'on vous trouveroit entiers et véritables en tout ce que m'aviez ordonné de luy en dire, ne debvant prendre en mauvaise part que monsieur le maréchal eust envoyé devers Voz Majestez la commission des députez de la dicte Dame, et qu'il ayt différé quelques jours à leur rendre responce jusques à ce qu'il ayt sceu vostre intention, et qu'il estoit sans doubte, si elle satisfaisoit bien par deçà aulx Françoys, qu'il seroit encores mieulx satisfaict par dellà à ses subjectz. Et au regard de ceulx qui estoient dettenuz à Callais, cella estoit advenu pour faire cesser la détention et violence, qui se faisoit sans son sceu par deçà aulx Françoys; mais puysqu'elle 88 ordonnoit qu'il n'en fût rettenu pas ung, je procureroys en semblable que les siens luy fussent randuz, vous supliant, Madame, avoir agréable qu'il luy soit donné quelque satisfaction là dessus, comme j'estime que vostre service le requiert, et m'envoyer la promesse, signée de la main du Roy, touchant la dicte restitution, que j'ay plusieurs foys demandée, affin d'en retirer une semblable de la dicte Dame, ainsy que je l'ay convenu avecques elle. Et ne s'est le propoz finy en aigreur, l'ayant elle mesmes ramené à doulceur et gracieuseté sur la commémoration des infiniz travaulx, que vous donnent ces guerres, et sur la dilligence et grandeur de cueur dont vous mettez peyne d'y remédier, et n'a obmiz de parler fort honnorablement du Roy, et des grandz vertuz qui reluysent en luy, et de la valleur et réputation de Monsieur; car aussi je fays tout ce que je puys pour ne me despartir jamais d'avec elle avec mauvaise responce. Sur ce, etc.

De Londres ce xȷe de juillet 1569.


89

XLVIIe DÉPESCHE

—du XIXe jour de juillet 1569.—

(Envoyée par Jehan Pigon, mon homme, jusques à Calais.)

Préparatifs que font des gentilshommes anglais pour passer en France et se joindre aux protestants de la Rochelle.—Plainte portée à ce sujet par l'ambassadeur, auprès d'Élisabeth, qui déclare s'être opposée à leur projet.—Elle proteste de son constant désir de conserver la paix, et donne l'assurance que la flotte anglaise n'a porté aucun secours à la Rochelle.—Continuation de l'armement pour l'Irlande.—Négociation pour l'accommodement des affaires des Pays-Bas.—Espoir du prochain rétablissement de la reine d'Écosse.—Résolution prise par sir Chambernant, de se rendre à la Rochelle avec des volontaires, malgré le refus fait par la reine d'autoriser son départ.—Projet qui semble arrêté dans le conseil, de débarquer une armée anglaise en France si le duc Casimir y pénètre.—Audience est accordée par Élisabeth au vidame de Chartres.

Au Roy.

Sire, entendant qu'aulcuns gentishommes anglois pourchassoient leur congé pour passer en France, et que, nonobstant le reffuz que leur Royne leur en faisoit, ilz ne layssoient de se pourvoir d'armes et de chevaulx, d'assembler hommes, de solliciter les estrangiers, qui sont icy, d'affretter vaysseaulx et achapter monitions et vivres, pour faire leur voyage, j'ay crainct que la dicte Dame, encor qu'elle ne leur donnast l'expresse permission qu'ilz demandent, pour ne monstrer contravenir à la paix, ny aller contre l'opinion d'aulcuns principaulx de son conseil qui fermement s'y opposent, qu'elle pourroit néantmoins dissimuler 90 et faire semblant de n'en veoir rien, ou mesmes se laysser en fin aller aulx trop vifves et véhémentes persuasions de ceulx qui, pour la venue de l'armée du duc de Deux Pontz et de l'aprest de celle [du duc] de Cazimir, se monstrent à ceste heure merveilleusement bouillans et eschauffez d'entreprendre quelque chose.

J'ay bien vollu, Sire, pour aulcunement essayer d'y remédier, dire en la meilleur façon que j'ay peu à la dicte Dame que je ne voulois faillir de faire le meilleur et le plus exprès office, que je pourroys envers elle, sur ung propos qu'aulcuns seigneurs de son conseil m'avoient naguières tenu, touchant ung nombre d'anglois de bonne qualité, qu'ilz disoient estre prestz et bien dellibérez de passer en France:—non, disoient ilz, contre Vostre Majesté ny contre la Royne, ny Monsieur, par ce qu'ilz se réputoient voz serviteurs, tant que seriez en bonne paix avecques elle; ains pour aller faire la guerre à Mr. le cardinal de Lorrayne et aux Italliens, que le pape avoit envoyez pour exterminer leur religion; ce qu'elle ne leur avoit vollu permettre.—Dont je luy voulois bien dire le mesmes que j'avois respondu à iceulx seigneurs de son dict conseil, que, au nom de Vostre dicte Majesté, je la remercyois grandement de sa bonne intention et que j'avois desjà miz peyne de vous faire cognoistre que, à la vérité, elle la vous portoit bonne et droicte, comme aussi vous luy en réserviez et luy en rendiez une toute pareille de vostre part, et qu'en cella avoit elle monstré une royalle correspondance de vraye Royne avecques ung grand Roy; comme eulx, de leur costé, monstroient celle qu'ilz avoient de subjectz à subjectz, laquelle ne luy debvoit aulcunement playre; et que à elle touchoit de ne faire ny souffrir estre faict par ses dicts subjectz, pour quel 91 prétexte que ce fût, aulcune entreprinse en France, sinon, ainsy que Vostre Majesté l'en requerroit; car, de tant que c'estoit vous deux qui aviez contracté paix, et l'aviez pour vous et les vostres jurée l'ung à l'aultre, elle pouvoit bien penser qu'elle seroit toutjour tenue de tout ce que, au préjudice d'icelle, ses subjectz entreprendroient; et qu'elle creût hardyment, s'ilz descendoient en armes en France, qu'ilz vous y trouveroient tout armé avec bon nombre de Françoys, que vous aviez desjà miz aulx champs contre les reytres; et seriez prest d'y en mettre encores ung aultre bon nombre de toutz frais contre eulx, avec grand occasion de poursuyvre quelque foys, par après, contre elle et contre son royaulme le juste rescentiment à quoy ilz vous auroient provoqué: dont, puisque Dieu l'avoit desjà meue à ne leur laysser sur ung tant inique fondement bastir une très injuste guerre, qui ne luy pouvoit estre ny utille ny honnorable, je la suplioys qu'elle leur vollût si bien interrompre leurs dellibérations, que vous n'en puyssiez estre aulcunement offancé, ny elle désobéye.

A cella la dicte Dame, monstrant ne prendre que de bonne part ma remonstrance, m'a respondu qu'il estoit vray qu'ung bon nombre de ses subjectz, avec aulcuns principaulx du royaulme, s'estoient résoluz et aprestez d'aller trouver monsieur l'Admyral, et que celluy qui premier luy avoit parlé de l'entreprinse, estimant qu'elle l'auroit fort agréable, avoit espéré d'en raporter ung bon présent, mais qu'elle vouldroit de bon cueur que je sceusse ce qu'elle luy en avoit respondu, et comme elle avoit griefvement reprins leur folle dellibération, me priant de croyre qu'elle ne randroit la parolle, qu'elle m'avoit donnée là dessus, ny faulce ny mensongière; bien estoit vray qu'il y en 92 avoit aulcuns qui estoient poussez d'une si forte conscience qu'on ne les pouvoit arrester.

Je luy ay dict, et l'ay dict despuys bien expressément aux seigneurs de son conseil, qu'elle et eulx vous auroient à respondre de tout le mal qui vous viendroit de ce royaulme, ou bien vous monstrer ceulx qui le vous auroient procuré, et que eulx mesmes seroient contrainctz de vous en faire la justice, lesquelz se pourroient asseurer d'avoir ung grand Roy à partie, qui ne se contanteroit jamais qu'il n'en vît une exemplaire punition. Après, j'ay parlé à la dicte Dame du retour de sa flotte de la Rochelle, et qu'encor qu'il vous eust faict bien mal de veoir mener un tel traffic avec ceulx que vous teniez meintennant pour grandz ennemys, néantmoins, parce qu'elle m'avoit prié vous assurer qu'il n'y alloit rien de quoy vous peussiez estre offancé ny eulx secouruz, vous aviez miz ordre qu'il ne leur fût, à l'aller ny au retour, faict aulcune démonstration d'hostillité en toute la coste de dellà; dont aulcuns de ceulx, qui en estoient revenuz, se louoient d'avoir, partout où ilz avoient vollu descendre, esté bien receuz en amys.

Elle m'a respondu, avecques sèrement sur son Dieu, qu'elle ne sçavoit qu'on eust aporté en la dicte flotte aulcune chose qui vous deût offancer, et que ceulx de la Rochelle ne se pouvoient vanter d'avoir eu de son argent, ny de ses monitions, ny de ses vivres, sinon qu'ilz les eussent prins sur la parolle de Hélie dans la bouteille de la veufve de Sareptha[8], car elle ne se trouvoit avoir rien [de] moins dans sa bource, 93 pour ce qu'ilz disoient en avoir tiré; et que ceulx, qui avoient advancé leurs deniers en ce marché de la Rochelle, se malcontantoient bien fort pour ne leur avoir esté forny, à moictié prez, le nombre de sel et vins qu'on leur avoit promiz; mesmes l'on avoit vollu vandre le tout à d'aultres, de sorte qu'elle avoit esté contraincte d'en escripre à monsieur l'Admyral; dont, à ceste heure, quant elle les voyoit entrer en plainctes, elle se prenoit à rire de la grand confiance qu'ilz avoient heue aulx parolles de ceulx là.

Despuys, Sire, l'on m'a asseuré que le ser Henry Chambernant et aultres, sur le congé qu'ilz pourchassoient de passer en France, en ont esté du tout débouttez, et qu'on a dépesché nouvelles commissions contre les pirates; tant y a que ceulx de la nouvelle religion ne cessent pour cella de se pourvoir, et de préparer secrectement tout le secours qu'ilz peuvent pour ceulx de leur party. Mesmes j'entendz que, pendant que ceste flotte a séjourné à la Rochelle, il y est arrivé deux ourques, de Dasque et de Hembourg, chargées de monitions de guerre, oultre ce que le conseiller Cavaignes y a envoyé d'icy. Et toutjour continue l'on l'aprest des grandz navyres de guerre de ceste Royne; mesmes aulcuns principaulx seigneurs de ce conseil les sont allez visiter ceste sepmaine, pour haster la besoigne, ce qui me faict toutjour doubter de quelque entreprinse; et, 94 si la guerre de Guyenne s'aproche en ce quartier, ou que l'armée [du duc] de Cazimir y descende, je ne fays doubte qu'ilz ne se jectent incontinent en mer, avec tout cest équipage de navyres, pour les favoriser. Ilz hastent le plus qu'ilz peuvent le secours d'Irlande, duquel ilz feront bientost l'embarquement.

L'on est après, touchant les différandz de Flandres, de veoir avec monsieur l'ambassadeur d'Espaigne et avec aulcuns merchans gènevoys et espaignolz, qui sont icy, s'il se pourra moyenner aulcun bon accord sur l'intérest des particuliers; et puys le dict ambassadeur pourchassera audience de ceste Royne pour tretter de celluy du Roy Catholique, son Maistre.

Il ne se faict, en aparance, aulcune sollicitation pour la Royne d'Escoce, atandant le retour du Sr. Bourtic, son escuyer, qui est allé en France, et la venue des députez de son pays; mais les affaires ne layssent de s'advancer beaulcoup soubz main par une certaine voye, qui fera, à mon adviz, réuscir ce qu'elle prétend; et, en cest endroict, etc.

De Londres ce xıxe de juillet 1569.

Sellon aulcun propos, que le conseiller Cavaignes a tenu à des principaulx seigneurs de ce conseil, il semble que la Royne de Navarre ayt envoyé ses bagues par deçà pour emprumpter de l'argent dessus; dont ne fault doubter qu'elle n'y recouvre quelque bonne somme. Les Srs. Du Doict et de Sainct Symon, qui sont pour la seconde foys arrivez naguières de la Rochelle, sollicitent leur dépesche pour s'y en retorner; et me vient on d'advertyr que le susdict Chambrenant s'apreste, de luy mesmes et sans congé, d'y aller avecques eulx, puysque la Royne, sa Mestresse, le 95 luy a reffuzé et d'y mener ceulx qui volontairement l'y vouldront suyvre.

A la Royne.

Madame, l'occasion de ceste dépesche, comme de plusieurs aultres précédantes, est pour advertyr Voz Majestez de l'altération et changement qu'on voyt, quasi toutz les jours, advenir ez choses de deçà, esquelles l'on ne suyt guyères le mesmes reiglement qu'on leur ordonne dans le conseil; ains, hors de là, soubz main elles sont par aulcuns, qui n'ont bonne affection, ausquelz ne deffault ny moyen, ny authorité dans ce royaulme, incontinent acheminées au rebours, de sorte que les bien affectionnez n'en sentent que le vent; ou bien, quand ilz s'en aperçoyvent, c'est lorsqu'elles sont desjà si advancées, avec la colleur du proffict et advantaige de la dicte Dame et de son royaulme, qu'ilz ne les peuvent plus ny les ozent arrester ny contradire. Par ainsy, j'estime estre fort requiz que Voz Majestez soyent souvant advertyes commant le tout y passe. Or, ce que j'en escriptz présentement en la lettre du Roy monstre qu'il ne se pourroit desirer de la dicte Dame aulcunes meilleures parolles, ny promesses, ny aulcunes meilleures démonstrations de paix, que celles qu'elle me donne, et que je les trouve ordinairement telles en elle et en aulcuns principaulx de son conseil; mais leurs aprestz, et aulcuns secretz adviz qui me viennent de leurs dellibérations, me mettent néantmoins en doubte d'une guerre; et ne fays doubte, si celle qui est en Guyenne s'aproche vers la mer de deçà, ou que le duc de Cazimir avec son armée y descende, qu'il ne se manifeste lors quelque entreprinse 96 tramée de long temps entre eulx, ou bien qu'ilz s'eschauferont d'en tenter quelcune nouvelle d'eulx mesmes, laquelle les gens de bien n'ozeront bonnement empescher; ains, pour la peur des mauvais qui seront lors insolans, ilz feront semblant de la trouver bonne.

A quoy, Madame, puysqu'il y a encores du temps et que leur soubdaineté ne pourra, comme j'espère, prévenir la dilligence dont j'useray toutjour à vous advertir, je m'asseure que vous pourvoirrez si à propos à la seurté de la frontière, qui regarde ce royaulme, qu'on ne pourra gaigner que honte et dommaige d'y entreprendre quelque chose.

Monsieur le vydame de Chartres s'estant miz plus avant dans le pays, comme ceste Royne le luy avoit faict commander, est enfin venu loger aulx faulxbourgs de ceste ville, et, dimenche dernier, il soupa avec ces seigneurs du conseil en la mayson du duc de Norfolc. Hier, il fut faire la révérance à la dicte Dame à Grenuich. Je ne sçay encores s'il mettra en avant quelques pratiques avecques elle. Monsieur le cardinal de Chastillon ne l'a veue despuys le commancement de may; possible qu'il la viendra trouver à Richemont qui n'est guières loing de Chin, où il est logé: auquel lieu elle va jeudy prochain pour y demeurer cinq ou six jours, et puys, elle s'acheminera à son progrez qu'on continue dire qui sera sans doubte vers l'Isle d'Ouyc.

Je vous requiers toutjour, Madame, de donner quelque satisfaction à la dicte Dame tant sur les saysies de Roan et de Calais que envers son ambassadeur; car voz bons déportemens envers elle m'aydent grandement à renverser les conseilz de ceulx qui l'instiguent à vous nuyre. Sur ce, etc.

De Londres ce xıxe de juillet 1569.


97

XLVIIIe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour de juillet 1569.—

(Envoyée par le Sr. de Vassal jusques à la Court.)

Négociation des envoyés de la Rochelle pour obtenir un emprunt sur les joyaux de la reine de Navarre et la signature des principaux chefs protestants.—Continuation des préparatifs de guerre en Angleterre, où l'on tient une flotte armée toute prête à mettre à la voile.—Plaintes du traitement fait en France à l'ambassadeur Norrys au sujet de l'exercice de sa religion.—Menace d'user de représailles à Londres contre l'ambassadeur de France.—Déclaration du roi touchant la restitution des biens saisis à Rouen sur les Anglais.—Mémoire général sur les affaires de France et d'Angleterre.—Efforts de la reine pour anéantir entièrement le catholicisme dans ses états.—Divisions en Angleterre.—Violent désir qu'a la reine de recouvrer Calais.—Discussion entre sir Cécil et l'ambassadeur sur l'existence de la ligue formée par les princes catholiques.—Disposition des seigneurs anglais à entreprendre la guerre.—Craintes sérieuses que doivent faire naître l'expédition projetée par le duc Casimir, et les apprêts qui se continuent à Londres sans relâche.—Nécessité pour le roi de donner satisfaction à Élisabeth sur la restitution des prises, et d'éviter toute occasion de rupture ouverte.—Succès des rebelles en Irlande.—Réconciliation de l'ambassadeur d'Espagne avec la reine, qui a enfin ordonné sa mise en liberté.—Conditions de l'accord proposé pour terminer les différends des Pays-Bas.—Les affaires d'Écosse demeurent toujours en suspens.—Mémoire secret sur divers projets de mariage d'Élisabeth, notamment avec le duc d'Anjou.—Conversation entre la reine et l'ambassadeur sur ces mariages.—Autre mémoire secret.—Opinion de l'ambassadeur qu'Élisabeth ne se mariera jamais.—Raisons sur lesquelles cette opinion est fondée.—Détails sur la vie privée de la reine.—Familiarités entre elle et le comte de Leicester.—Représentations du duc de Norfolc à ce sujet.—Déclaration de la reine, qu'elle ne veut pas épouser le comte de Leicester.—Quels sont les divers aspirants au trône d'Angleterre comme présomptifs héritiers d'Élisabeth?—Les droits de Marie Stuart sont soutenus par toute la noblesse.—Remontrances du comte de Leicester à Élisabeth sur la conduite qu'elle doit tenir à l'égard de Marie Stuart.—Il insiste vivement 98 pour qu'elle soit rétablie en Écosse.—Déclaration d'Élisabeth qu'il importe à sa sûreté de retenir Marie prisonnière.—Projet de mariage du duc de Norfolc avec Marie Stuart.—Détails sur les conséquences importantes d'un pareil événement qui assurerait le rétablissement de la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, ce que les Srs. Du Doict et de Sainct Symon, estantz pour la seconde foys envoyez de la Rochelle devers la Royne d'Angleterre, ont principallement négocié avecques elle et avecques les seigneurs de son conseil, est de pouvoir trouver icy deux centz mille escuz par emprunct sur les bagues de la Royne de Navarre et sur les obligations et promesses qu'ilz ont portées, par escript, d'elle et des principaulx de leur camp, avec fidéjussion personnelle, de Mr. le cardinal de Chastillon et de Mr. le vydame de Chartres, de ne partir de ce royaulme sans les avoir faictz entièrement payer et rembourcer. A quoy, encor que la dicte Dame et iceulx seigneurs ne se soyent advancez de leur rien offrir de leur part, il semble néantmoins qu'ilz leur ayent permiz de pouvoir engaiger à d'aultres en ce royaume les dictes bagues pour vingt cinq ou trente mille livres esterlin, qui est cent mille escuz, et est l'on après à recercher secrètement les meilleures bources de Londres pour les fornir, avec offre de grandz intéretz. Je suys après à y donner tout l'empeschement que je porray, mais je sentz bien qu'ilz recouvreront la dicte somme, ou la plus grand part d'icelle, quant ce ne sera que de ceulx de leur religion et de ceulx qui ceste année ont butiné les prinses et pilleries de la mer. Le dict Sainct Symon s'en est desjà retourné 99 avec quelque responce, mais le dict Sr. Du Doict est demeuré pour attandre les deniers, lesquelz il presse estre forniz bientost, affin de les avoir conduictz en leur camp à la St. Michel.

Et cependant, j'entendz qu'il faict équiper en guerre une de ses grandes ourques, qui ont esté prinses ceste année sur les Flamans, comme l'on a commancé, plus d'ung moys a, d'en armer encores aultres quatre dans ceste rivière, ainsy que je l'ay desjà escript; mais par nulle dilligence, que j'aye sceu faire, je n'ay peu encores descouvrir pour quelle entreprinse c'est; car, ayant faict pratiquer, et mesmes par argent, aulcuns de ceulx qui sont arrestez pour aller aus dictes ourques, ilz ont juré ne sçavoir où, ny quant, ny à quoy tend leur voyage. Et parce que les dictes ourques ne sont propres pour la guerre, ny pour aller courir à la mer d'Olande et Zélande, comme aulcuns disoient que ceulx qui y sont desjà au nom du comte Ludovic de Nasseau les y attendoient; ains sont vaysseaulx lourdz et poysantz, et néantmoins capables pour porter grand nombre d'hommes et de monitions et vivres en quelque lieu, je me crains toutjour de quelque entreprinse sur la coste de dellà. Et certes, Sire, de ce qu'on veoyt ceulx de la Rochelle tenir meintennant la campaigne au millieu de vostre royaulme, estantz ainsy renforcez de l'armée du duc de Deux Pontz; et qu'il se dresse par les princes protestans encores ung aultre secours en leur faveur; et que les aultres princes catholiques, se contentans d'exempter eulx et leurs estatz du dangier de ceste guerre, layssent ayséement courir tout le hazard et fondre tout l'orage sur vous et sur vostre royaulme, ceulx ci s'anyment et prènent plus de cueur de renouveller leurs prétentions en France, estimans 100 que très oportunéement, et sans dangier, ilz les peuvent meintennant pourchasser. Et ceulx mesmes qui du commancement allégoient à ceste Royne qu'il luy estoit besoing de tenir ung armement prest pour d'aultres fins, semblent monstrer meintennant qu'elle le doibt employer à ceste cy, et qu'il y a de quoy se prévalloir si grandement de noz présentes adversitez, pour elle et pour son royaulme, que les gens de bien, qui aulcunement en détestent dans leur cueur les dellibérations, ne les ozent pour ceste occasion bonnement contradire; et je crains bien fort que la bride qui a vallu jusques icy à arrester ces plus boillans, ne soit assés forte pour les retenir davantaige, si ces troubles vont guières plus avant, bien que je ne deffauldray de la leur faire tenir la plus ferme et roide qu'il me sera possible, et de prévenir au moins leur dilligence par celle que je mettray à vous advertir, soigneusement et souvant, de ce que je leur verray faire; qui ont, Sire, desjà tant advancé leur armement, sellon le raport que m'en vient de faire ung, qui est tout à ceste heure arrivé de Gelingan où je l'avois exprès envoyé, qu'ilz l'ont rendu prest à le mettre à la voyle et ne reste rien plus aulx douze grandz navyres de guerre de ceste Royne, que les fornir d'hommes et de vivres; mais je n'ay adviz que pour telle forniture il y ayt encores aulcune commission dépeschée.

Je verray ceste Royne et ses seigneurs avant qu'ilz s'esloignent à leur progrez, et, sur l'occasion des lettres qu'il vous a pleu m'escripre, du ixe du passé, où il y a bonne et assés ample matière de les entretenir, je leur remonstreray fermement les choses qui conviennent à la paix, et celles qui la pourraient rompre, et les confirmeray, aultant qu'il me sera possible, à la debvoir bien entretenir; ne voulant 101 obmettre, Sire, une bien fort grande pleincte que la dicte Dame mesmes, en ma dernière audience, et iceulx seigneurs m'ont faicte, et laquelle ilz prènent fort à cueur, de la violence dont ceulx de Paris ont usé contre Mr. Norrys, leur ambassadeur, [jusques] à luy avoir rompu l'accoustumée franchise de son logis, où estoit madame sa femme et ses enfans, pour les recercher sur l'exercisse de leur religion; et de ce, aussi, qu'on parle au dict ambassadeur en termes si deffians d'elle et de toutz les Anglois, comme les réputans ennemys, qu'ung des plus grandz de ceste court m'a despuys envoyé dire, avec grand affection, que cella estoit suffizant pour faire passer sa Mestresse à une déclaration de guerre, et qu'on monstroit bien en France par le mauvais trettement, qu'on faisoit à leur ambassadeur, qu'on ne se soucyoit guières que je fusse icy ny bien veu ny bien tretté, et que je fusse de mesmes empesché en l'exercisse de ma religion; ce que ne pouvant croyre procéder aulcunement de Voz Majestez Très Chrestiennes, m'advertissoit estre besoing vous escripre dilligentment d'y vouloir remédier. Et, par ce que j'ay baillé ample mémoire et instruction de toutes choses à ce gentilhomme des miens, le Sr. de Vassal, et l'ay exprès dépesché pour vous en aller donner bon compte, je vous suplieray seulement de luy donner entière foy; et prieray, pour le surplus, Nostre Seigneur, etc.

De Londres ce xxvıȷe de juillet 1569.

Ainsy que je signoys la présente, est arrivé celle qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, du vııȷe du présent, avec la relacion des choses advenues au siège de la Charité, desquelles j'informeray mieulx au vray ceste Royne 102 et les siens, qu'il semble qu'ilz ne l'ont esté par les premières nouvelles qu'on leur en a escriptes, et suys très ayse des aultres honnestes et gracieulx termes de la dicte lettre, qui viennent bien fort à propos.

A la Royne.

Madame, j'ay miz peyne de faire, jour par jour, entendre à Voz Majestez l'estat des choses de deçà, et les vous ay quelque foys mandées diverses, sellon que diversement je les ay veues advenir, et néantmoins toutjour telles que vous en avez peu clairement juger le mesmes succez, qui, despuys jusques à ceste heure, s'en est ensuyvy; meintennent, Madame, vous entendrez à quoy elles s'acheminent, et cognoistrez par ce que j'en escriptz au Roy et par le mémoire que j'ay baillé au Sr. de Vassal, présent porteur, et par ce que je luy ay donné charge de vous en dire, qu'elles sont en ung poinct où il ne nous fault estre ny endormiz ny paresseux. Je ne deffauldray envers ceste Royne et ces seigneurs de toutz les offices, sollicitations et remonstrances, qui sont nécessaires à la paix, et, pour cest effect, je verray la dicte Dame et eulx encores une foys, avant qu'ilz s'esloignent à leurs progrez; et, avec le contenu de voz lettres, du ixe du présent, qui m'aydera beaulcoup de l'entretenir sur voz nouvelles et sur la restitution des biens de ses subjectz à Roan, je tretteray des aultres matières qui me tiennent en doubte d'elle, et métray peyne de descouvrir ce qu'elle en a en son intention, sans obmettre de luy toucher ung mot de ce que me mandez de son ambassadeur, pour lequel elle s'est advancée de me faire la pleincte que verrez en la lettre du Roy; et je vous suplie 103 très humblement, Madame, que, pour l'honneur de sa Mestresse et pour servir au temps, il vous playse uzer et faire user si dignement envers luy qu'il n'ayt aulcune juste occasion de se plaindre, voulant hardyment sa dicte Mestresse qu'il vous rande entier compte de ses actions, et que vous les veuillez entendre de luy mesmes, sans adjouxter foy à ce qu'on vous en pourra raporter; car elle m'a asseuré luy avoir fort expressément commandé de déposer toute affection qu'il pourroit avoir à ceulx de sa religion, pour faire nettement sa charge; et qu'elle entend qu'il ayt à la vous randre bien agréable et non aulcunement suspecte.

Je suys bien ayse de pouvoir monstrer à la dicte Dame la déclaration, que le Roy m'a envoyée touchant la restitution des biens des Anglois à Roan, car desjà elle s'estoit deux foys prinse bien aigrement à moy de ce que je l'avois hastée d'envoyer ses députez par dellà, lesquelz mandoient qu'ilz n'y avoient esté ny bien receuz, ny bien responduz; et je craignois que sur noz difficultez elle s'accommodât plus facilement avec aultruy, pour tant plus convertir ses entreprinses à nostre dommaige; mais elle verra par la dicte déclaration la franchize et intégrité, dont Voz Majestez uzent envers elle, et au moins aurez vous d'aultant constitué vostre cause en bonne foy et équité, et Dieu renversera le tort et injustice qu'on vous y vouldra faire; vous supliant au reste, Madame, ouyr et croyre ce que le dict Sr. de Vassal vous dira de ma part, et je prieray dévottement le Créateur, etc.

De Londres ce xxvıȷe de juillet 1569.

104

Mémoire au sr. de Vassal de ce qu'il dira de ma part, oultre le contenu de la dépesche, à Leurs Majestez;

Qu'on pourvoit icy ez ordonnances de la justice et des armes, et en tout aultre règlement du pays, que rien ne s'y face au désadvantaige de ceulx de la nouvelle religion, ains les ministres et évesques tiennent fermement la main, avec l'assistance d'aulcuns d'auprès de ceste Royne, que les déterminations du conseil aillent toutjour à leur proffict et faveur.

Dont, puys naguières, s'est ensuyvy le commandement qu'on a faict aulx officiers de ceste Royne et toutz aultres, qui sont à ses gaiges et à son priviliège, de se réconsilier aulx évesques, et de recognoistre et advouer la dicte Dame pour suprême chef de l'églize de ce royaulme, et luy en prester le sèrement;

Avec grand aguet que nul soit miz en charge, ny commis au gouvernement des provinces, portz et places, ny soit estably capitaine aulx levées, monstres et descriptions d'hommes et d'armes qui se font, qui ne soit de la dicte religion.

Vray est que faisant naguières telle différance de personnes, l'on a senty qu'il y avoit, dans l'opinion du monde, de la contradiction et anymosité grande, dont la susdicte ordonnance de recognoistre la dicte Dame pour suprême chef de l'esglize n'a passé en avant.

Et, encores despuys deux mois, ayant esté non seulement permiz mais expressément commandé par toutes les provinces, de se pourvoir d'armes, nomméement de haquebutes, 105 et de s'exercer à icelles, l'on va, à ceste heure, ez lieux plus suspectz, par ce que les catholiques s'y pourvoyoient et s'exerçoient plus curieusement que les aultres, retirant peu à peu les dictes armes des mains du peuple, pour les mettre soubz la garde des officiers, qui sont toutz, comme dict est, de la nouvelle religion.

Ainsy se manifeste la division dans ce royaulme, laquelle se norryt et prend, chacun jour, acroissement par la menée de ceulx qui aspirent au gouvernement des affaires, et par ceulx qui prétendent à la succession de ceste coronne, lesquelz commancent desjà, tout à descouver, pratiquer leurs partizans; et pareillement pour la contradiction qui se veoyt à conseiller d'un costé, et dissuader de l'aultre, l'accord des différantz des Pays Bas; et surtout pour le manifeste support qu'aulcuns font aulx affaires de la Royne d'Escoce contre d'aultres, qui fermement s'y opposent;

Entreprenans, les ungs et les aultres, de tant plus ouvertement poursuyvre leurs menées, que chacun party a plusieurs argumens pour soubstenir et débattre ce que plus il prétend, et plusieurs sans dangier ozent bien se déclairer pour la cause qu'ilz estiment la meilleure.

Les seulz affaires qui concernent meintenent la France, qui sont deux principallement, demeurent sans deffaveur, parce qu'en l'ung, lequel est de la religion, l'on est contrainct de suyvre les décretz et ordonnances de certain parlement, cy devant tenu en ce royaulme contre la religion catholique, à laquelle encor que plusieurs en leur ceur portent toute faveur, ilz ne s'ozent néantmoins monstrer adversaires de la nouvelle.

Et au segond affaire, lequel est de Callais, toutz, d'ung 106 mesme vouloir et d'une mesme opinion, concourent à ce qui met en avant pour le recouvrer, et semble que ceulx, qui ont maulvaise intention, bastissent sur ce dernier prétexte des entreprinses pour le premier, et font à cest effect dresser les apareilz que nous voyons, lesquelz sont en l'estat que j'ay cy devant escript.

Je travailleray bien, aultant qu'il me sera possible, d'interrompre et divertir leurs menées par toutz les meilleurs moyens, que j'estimeray y pouvoir servir, ainsy que, ez trois ou quatre dernières audiences, je n'ay obmiz de remonstrer à ceste Royne par propos nullement recerchez, ains sur la suyte des siens, bien vifvement le bien de la paix, et le mal et ruyne qui luy adviendroit de la rompre, et qu'elle se pouvoit plus prévaloir de la présente amytié du Roy, qu'elle ne fera de proffict d'une guerre incertaine et trop dobteuse, si elle le provoque à estre son ennemy; et luy ay admené toutz les argumens que j'ay peu pour luy oster l'opinion de la ligue, qu'on luy faict acroyre des catholiques; mais encor qu'elle se laysse quelque foys bien disposer, je cognois néantmoins qu'après qu'elle a conféré mes propoz avec aulcuns, qui sont auprès d'elle, ilz luy représentent tant de dangiers, et luy admènent tant de persuasions au contraire, que bien souvant ilz la divertissent.

Naguières, au partir d'elle, m'estant arresté en la salle de présence avec les seigneurs de son conseil, pour aulcuns affaires des merchantz françoys, Me. Cecille, parmy les aultres, me dict tout hault que j'avois prins grand peyne de vouloir monstrer à la Royne, sa Mestresse, qu'il n'y avoit poinct de ligue entre les catholiques, qui estoit trop notoire qu'elle estoit faicte et jurée, et encor que le 107 Roy fût meintenent seul en campaigne, les aultres princes néantmoins concouroient d'intelligence avec luy, et le Pape et le Roy d'Espaigne y avoient leur exprès secours, et que, à ce que j'avois remonstré que le dict secours n'arguoit rien de la dicte ligue, pour ce que, si elle estoit, les dictz princes auroient desjà armées en leur nom aulx champs;

Qu'on sçavoit bien, quant au Pape, qu'il y avoit miz tout ce qu'il pouvoit, car ses moyens n'estoient pas grandz; que l'Empereur n'avoit grand pouvoir en Allemaigne pour arrester les reytres, comme je disois qu'il eust faict, si la dicte ligue eust esté faicte; ains estoit l'authorité ez mains des princes de l'empire, lesquelz il ne pouvoit empescher qu'ilz ne missent hors du pays aultant de gens de guerre, comme ilz en vouldroient tirer pour la deffance de leur religion; et que le Roy Catholique ne pouvoit, à cause des Mores, envoyer plus de forces d'Espaigne que celles qui en estoient desjà dehors, ni le duc d'Alve n'ozeroit mettre ensemble tant d'Allemans et de Flamans qu'ilz se trouvassent plus fortz que les Espaignolz, car ne s'y vouloit fyer; et de sortir avec les dictz Espaignolz hors du pays, il craignoit trop une révolte qui l'empeschât d'y rentrer; et par ainsy que, y dominant, à ce qu'il disoit, en tyran, il estoit contrainct d'y demeurer assidu à le garder. Par ainsy, les aultres princes, par l'aparance d'ung petit secours, faisoient au Roy seul soubstenir toute ceste guerre.

Je luy ay respondu qu'on ne debvoit estimer le Roy si mal conseillé, s'il y avoit ligue, qu'il vollût prandre sur luy tout le hazard et toute la charge d'icelle, pendant que les aultres demeureroient asseurez dans leurs estatz à juger des coups; et qu'il estoit très certain que le Roy ne prétendoit, 108 par les armes qu'il avoit meintennant en la main, que de recouvrer l'obéyssance de ses subjectz, et que ce qui sembloit le monstrer tant adversaire de la nouvelle religion estoit parce qu'il ne voyoit point d'aultres, qui luy menassent la guerre, ny qui s'oposassent à ses desirs et intentions en son royaulme, ny qui missent son authorité en débat, que ceulx de la dicte religion.

A cella il m'a aigrement répliqué que, si le Roy n'estoit droictement armé contre leur religion, laquelle il voyoit bien que beaulcoup de princes, de peuples et de nations, qui l'avoient desjà receue, se mettoient en avant pour la soubstenir, et qu'il ne serchât, comme je disois, que le droict de son authorité, pour quoy reffuzoit il donques les honnestes et advantaigeuses propositions de paix, que la Royne, sa Mestresse, et les princes d'Allemaigne luy avoient mises en avant, ou pourquoy ne faisoit il cognoistre que les aultres se plaignoient à tort; car toutz les gens de bien du monde concourroient en sa faveur, et à luy offrir secours et assistance contre ceulx qui n'auraient aultre tiltre que de rebelles?

Je luy ay respondu qu'il n'estoit raysonnable que telle proposition de paix vînt d'ailleurs que de l'humble suplication et parfaicte obéyssance des subjectz; car aultrement elle seroit honteuse au Roy, mais, s'ilz commançoyent par là, ne failloit doubter que le Roy ne se portât envers eulx comme prince clément et bénigne; et que le dict secrétaire Cecille le debvoit remonstrer à Mr. le cardinal de Chastillon, à qui il parloit souvant, affin qu'il plyât son frère à ce debvoir: car, si sellon icelluy il ne posoit avec humilité les armes soubz la confiance du Roy, il failloit ou que les huguenotz eussent le dessus des Roys, ou que les Roys vinssent 109 à boult des hugnenotz, et que les ungs fussent la ruyne des aultres.

Là s'eslargirent trois ou quatre d'entre eulx en beaulcoup de grandz propos, qui monstroient ne tenir à eulx qu'on n'entreprînt tout promptement ung voyage en France, et de tant qu'ilz ne se pouvoient tenir de blasmer le temporisement qu'on en faisoit, ilz donnoient à cognoistre qu'on temporisoit, et qu'on attendoit seulement l'occasion, [ce qui] se descouvre assés par l'armement qu'ilz tiennent prest; et je crains fort, si la guerre de Guyenne s'aproche vers la mer de deçà, qu'ilz la facent lors paroistre, ou bien, si le duc de Cazimir descend en Picardye, lequel de Cazimir l'on estime qu'il entreprendra ceste guerre en son nom, mais qu'il la fera avec les deniers de ce royaulme.

Et semble que plusieurs, icy, ayent opinion que le dict duc de Cazimir descendra au dict pays de Picardie, au moins fault il faire estat qu'il marchera suyvant ce que ceste Royne naguières m'en a dict, laquelle m'en a parlé en certaine façon qu'elle a monstré le tenir tout asseuré. Et bien que despuys elle se soit rétractée, disant qu'elle l'avoit seulement ouy dire, mais qu'elle m'en feroit bien tost sçavoir la certitude, qui luy en seroit mandée par les prochaines lettres d'Allemaigne, le comte de Lestre m'a despuys mandé que Quillegrey avoit escript que le dict duc avoit quatre ou cinq mille chevaulx et six mil lansquenetz toutz prestz; ne restoit plus que quelque argent pour se mettre incontinent en campaigne.

Et je sçay, par adviz bien certain, qu'il a esté escript au dict Quillegrey, lequel sembloit estre en termes de s'en revenir, qu'il n'ayt encores à bouger de Hembourg, et que, nonobstant les difficultés qui se sont jusques icy trouvées 110 sur la forniture des 40 mil livres esterlin, vallans 133 mil escuz, qui debvoient estre miz en ses mains, pour les bailler de dellà, desquelz, à la vérité, l'on avoit trouvé moyen d'aulcunement révoquer, à tout le moins retarder le payement, qu'il sera donné ordre qu'il les aura du premier jour; et qu'aussitost qu'il entendra que le dict duc de Cazimir marchera, qu'il ne faille de l'aller trouver, et de l'accompaigner et suyvre nomméement en son voyage de France.

Laquelle intelligence de ceulx cy avec le dict duc de Cazimir me faict doubter qu'ilz ayent ensemble projecté quelque entreprinse en mesmes temps, et que ceulx cy tiennent prestz ces douze grandz navyres de guerre et tout ce grand équipage, qui est retourné de la Rochelle, pour l'exécuter; car desjà l'on parle de retourner à la mer, et aulcuns pirates, à tiltre de merchans, s'y sont desjà miz.

Mesmes, il m'est venu, despuys deux jours, ung advertissement de lieu bien notable, lequel m'a esté confirmé, despuys une heure, par l'ambassadeur d'Espaigne, comme l'on a escript à monsieur l'Admyral qu'il face tout ce qu'il pourra pour conduyre son armée en Picardie ou Normandie, et qu'il se trouvera douze ou quinze mil Angloys, prestz de se mettre en mer pour le favoriser, et que cependant l'on luy assemblera une bonne somme de deniers sur les bagues de la Royne de Navarre.

Je ne sçay si, par l'entremise d'aulcuns seigneurs qui se monstrent ennemys et contraires de telles entreprinses, lesquelz je ne fauldray de bien employer, et par la survenue des affaires d'Irlande, et qu'encores les différans des Pays Bas, ni ceulx d'Escoce, ne sont bien accommodez, nous pourrons évitter une partie de cest orage, ou au moins déclaration de guerre; tant y a que je desire qu'on contante 111 aulcunement la dicte Dame sur la délivrance et restitution des biens de ses subjectz, affin de nous constituer toutjours en meilleure cause, et ne luy donner l'occasion à elle, par noz difficultez, de s'accommoder plus facillement avec aultruy, pour tant plus convertir ses entreprinses à nostre dommaige.

Elle est travaillée, à la vérité, en Irlande par le frère du comte d'Esmont, lequel comte estant dettenu en la Tour de Londres à la poursuyte, comme on dict, du comte d'Ormont, milor Sideney, gouverneur d'Irlande, a faict appeler son dict frère pardevant luy pour venir respondre de certains excez, et l'a faict aussi convenir sur la restitution d'aulcunes terres, que aulcuns Anglois aclament leur apartenir par donnation des roys d'Angleterre, lorsqu'ilz conquirent le pays, ayant esté mandé de les adjuger à la partie qui en exibera meilleur tiltre, là où n'estant accoustumé d'uzer au dict pays d'aultres tiltres ny documens que de quelque preuve d'ancienne possession par tesmoing, le dict frère n'a compareu à l'une ny l'aultre assignation, dont voulant le gouverneur procéder contre luy comme rebelle, il s'est miz aulx champs; et le jeune frère du comte d'Ormont s'est joinct avecques luy, ensemble Estuquetay, qui despuys a esté prins et admené en ceste ville; tant y a que le dict d'Esmont, avec l'ayde de ceulx qui demandent la messe, est demeuré maistre de la campaigne et a prins deux fortz sur le gouverneur et va toutjour gaignant pays.

Aussi s'entend que le Chef Onel a accordé mariage avec la veufve ou avec la fille de feu Jammes Maconel d'Escoce, et que mille ou douze centz Escossoys saulvaiges, catholiques et bons soldatz, s'aprestent de passer en Irlande, pour 112 se trouver aulx nopces, ce qui met ceulx cy en doubte qu'ilz y veulent attempter quelque chose.

Et faict ceste Royne dilligence d'envoyer promptement le secours de trois mil hommes, que j'ay cy devant mandé, avec bon nombre de toutes monitions de guerre, et a l'on, ces jours passez, arresté par tout ce royaulme les vagabondz et gens sans adveu, pour aussi les y envoyer, dont l'on en a assemblé ung bon nombre.

L'ambassadeur d'Espaigne, qui est meintennant sans gardes, et est visité de ceulx qui ont affaire à luy, bien qu'il ne sorte encores de son nouveau logis, a desjà donné satisfaction de luy à ceste princesse, ainsy qu'elle mesmes me l'a dict, c'est qu'il a excusé aulcunes siennes lettres, qui sembloient l'avoir offancée, disant qu'elles ont esté prinses en aultre sens qu'il n'avoit onques entendu les escripre, et que toutjour il avoit honnoré la dicte Dame et desiré conserver la paix et amytié qu'elle a avecques le Roy, son Maistre, et pareillement la dicte Dame l'a faict satisfaire à luy sur sa détention, et qu'elle ne l'avoit commandé, sinon pour la démonstration tant violante qu'avoit commencée le duc d'Alve, comme s'il eust vollu passer à une manifeste déclaration de guerre, et qu'il sembloit que le tout fût procédé du dict ambassadeur, mais puysque l'ung et l'aultre monstroient, à ceste heure, qu'ilz n'avoient que toute bonne affection à l'entretennement de la paix, elle vouloit bien donner à cognoistre au dict ambassadeur que, y procédant ainsy sellon le debvoir de sa charge, il ne recepvroit que toute faveur et gracieuseté d'elle, ainsy que, de ceste heure, elle le gratiffioit très volontiers de sa liberté.

Et semble qu'il a esté raporté à la dicte Dame que le 113 Roy d'Espaigne a mandé au duc d'Alve de ne prendre aulcune deffiance d'elle, ny penser qu'elle luy veuille mouvoir guerre, parce qu'il ne pouvoit croyre qu'elle ne se souvînt de l'obligation de la vie, qu'elle luy debvoit, de la luy avoir saulvée, lors qu'à grand difficulté, quant il estoit en ce royaulme, il avoit interrompu et faict révoquer le jugement de mort, qui estoit desjà tout conclud et arresté contre elle[9].

La difficulté de l'affaire des Pays Bas a tenu, jusques icy, à certains poinctz, qui empeschoient bien fort l'accord;—premièrement, à l'offance que la dicte Dame sentoit, tant de ces lettres qui avoient esté escriptes d'elle, que de la saysie des biens et personnes de ses subjectz en Envers, et de l'injure faicte à son ambassadeur en Espaigne;—secondement, à l'opinion du secrétaire Cecille, lequel ayant descouvert que le duc d'Alve et le dict ambassadeur menoient une pratique pour le débouter de son lieu, il s'esforceoit de disposer contre eulx, en tout ce qu'il pouvoit, la volonté de sa Maistresse et les affaires de ce royaulme;—tiercement, à la restitution des prinses; mais estant ce dernier en bonne voye de composition au grand advantaige de ceulx qui possèdent le butin, et le secrétaire Cecille racointé au dict ambassadeur, facillement l'on est parvenu au premier qui estoit d'adoulcir l'offance que sentoit la dicte Dame.

Or, les articles proposez là dessus par le Sr. Ridolphy, lesquelz j'ay sommairement couchés en ung mémoire, que 114 j'ay envoyé le xxȷe du passé, ont esté publicquement présentez en ce conseil, et les remonstrances du dict Cecille, lesquelles on disoit qui seroient fort contraires à iceulx, ne tendent que à ce qui s'ensuyt:—premièrement, à debvoir commancer l'accord par eslire des arbitres sur la dicte restitution, à ce qu'elle soit esgallement faicte et sans fraulde, et que le priz des choses qui ne pourront estre restituées soit raysonnablement faict;—segondement, à lever les gravesses, toles et impostz miz en Envers sur les Anglois;—tiercement, à réformer aulcuns chapitres des anciens trettez, jouxte ce qui en fut remonstré à la dernière conférance de Bruges, en l'an 1561;—et, pour le quatriesme, à rendre l'accoustumée liberté et priviliège à l'ambassadeur de la dicte Dame en Espaigne, et à son agent en Flandres, si elle se détermine d'y en envoyer;—lesquelles choses pourront bien, possible, avant qu'elles soyent bien discutées, aporter quelque longueur, mais non empescher la conclusion de l'accord.

Et j'entendz que desjà un Sr. Thomas Fiesque, qui est naguières venu de Flandres, et le Sr. Anthoine de Goaras, merchant espaignol, ont charge, l'ung de composer de l'argent, et l'aultre des merchandises qui ont esté prinses aulx particulliers, de quoy semble qu'ilz feront merveilleusement bonne et grasse la condition d'aulcuns seigneurs de ceste court; et, quant à la restitution des choses advouhées par les deux princes, et aussi touchant l'injure publique, dont l'ung et l'aultre se plaignent, cella sera remiz aulx depputez qui n'y auront grand peyne.

Les affaires de la Royne d'Escoce demeurent en suspens, attandant la déclaration, que Monsieur, frère du Roy, envoyera sur la cession, qu'on dict qu'elle luy a faicte du tiltre de ce royaulme, et atandant aussi les depputez, que le 115 comte de Mora doibt envoyer, lesquelz il n'a peu encores dépescher pour estre occupé ez parties du Nort, bien qu'il s'entend que les comtes d'Arguil et de Honteley se soyent accommodez avecques luy.

Et incontinent après le retour du dict Bourtic, et l'arrivée des dictz depputez, j'espère qu'on commancera de procéder, à bon escient, au restablissement et restitution de la dicte Dame, à quoy on a miz grand peyne de bien disposer la Royne d'Angleterre; et semble que la dilligence et vifve sollicitation, que les principaulx de ce royaulme luy en font, l'ayent réduicte à n'y pouvoir plus contradire ny dissimuler, et mesmes le secrétaire Cecille, qui sembloit y contrarier, porte meintennant le faict, et est à espérer que non seulement elle recouvrera son royaulme, mais qu'on l'asseurera du tiltre et succession de cestuy cy après le décès de sa cousine; et à cella se déclairent les principaulx du pays, et y concourt la faveur du peuple, et s'estime que la Royne mesmes d'Angleterre, encor qu'il luy en face, possible, bien mal au cueur, n'entreprendra pourtant de s'y opposer.

AULTRE MÉMOIRE AU DICT Sr. DE VASSAL.

Despuys deux moys, aulcuns seigneurs de ce conseil m'ont faict dire que, se trouvant la Royne d'Angleterre pressée par ses subjectz de prandre aulcun bon ordre sur les différantz des Pays Bas et sur la souspeçon de guerre où l'on vivoit avecques la France et l'Espaigne, et aussi sur les affaires de la Royne d'Escoce, pareillement à déclairer son successeur et à restablir le commerce de la mer à ses 116 subjectz, finallement à réprimer ceste sublévation commancée en Irlande en dangier qu'elle la voye bien tost s'estendre plus avant si elle ne pourvoit promptement à tout ce dessus;

La dicte Dame, pour aulcunement se démesler de si grandes difficultez, avoit pensé qu'elle feroit mettre en avant aulcun propos de son mariage avecques le Roy, ou bien avecques le Roy d'Espaigne, dont, possible, j'en ouyrois bien tost parler, mais qu'il failloit que je demeurasse tout adverty de n'en croyre rien, car ce n'estoit que pour amuser le monde et gaigner le temps.

Et le xxvııȷe du passé, en une audience que je heuz de la dicte Dame, sur la fin des propoz elle me demanda si les nouvelles qu'on disoit de ces mariages du Roy avec la seconde de l'Empereur, et de l'aynée avec le Roy d'Espaigne, estoient véritables; à quoy je répondiz que je n'en sçavois du tout rien, et qu'il ne m'en avoit esté mandé ung seul mot de France;

Mais que, avant partir, j'avois bien sceu qu'il avoit esté quelque foys parlé de l'aynée avec le Roy, et que mal ayséement, s'il y avoit miz affection, vouldroit il meintennant entendre à changer; mais que j'estimois que là où il estoit à ceste heure, l'on y parloit bien d'aultre matière que de nopces. Ce que je luy vouluz dire ainsy, sentant la grande jalouzie qu'elle a, quant elle entend que leurs Majestez Très Chrestienne et Catholique s'allient ainsy plus estroictement entre eulx.

Elle me répliqua qu'on luy avoit dict que les choses en estoient si avant qu'elles valloient aultant que faictes, adjouxtant que le Roy et Monsieur estoient à ceste heure de taille et de force, et si parfaictement sains et en bonne disposition, 117 qu'il n'y avoit plus dangier de les maryer, et que, à manyer armes et estre bien à cheval, le Roy ressembloit desjà le feu Roy, son père, qui avoit esté le plus adroict prince de son temps, et Monsieur avoit changé ses coustumes de court en aultres plus braves et difficiles entreprinses, qui faisoient merveilleusement bien parler de luy.

Je miz peyne de confirmer son honneste discours le plus à la louange de l'ung et de l'aultre, sellon la vérité, que je peuz, et après, elle suyvit à me dire que premièrement pour le Roy, et puys pour Monsieur l'on avoit quelque foys miz en avant le party de la princesse de Portugal, et qu'au regard de celluy là elle ne seroit encores estimée hors d'eage.

Je luy diz que ung chacun à la vérité s'esbahyssoit bien fort comme elle faisoit tant de tort aulx grandes qualitez, que Dieu avoit miz en elle, de beaulté, de sçavoir, de vertu et de grandeur d'estat, pour ne vouloir laysser aulcune belle postérité après elle pour y succéder;

Que nul ne debvoit pas trouver mauvais qu'elle y vollût bien penser, puisque Dieu luy avoit donné de quoy pouvoir eslire: car n'y avoit prince qui ne s'estimât bien heureux, si elle le vouloit choysir, et que aussi croyois je, à la vérité, qu'il fauldroit qu'elle en vînt là d'elle mesmes, parce que nul ne s'ingèreroit dorsenavant de s'y offrir, mais que je voulois bien dire qu'à faire une bonne et droicte eslection, je ne voyois qu'il y eust rien de meilleur, ny plus desirable en toute la chrestienté, pour les princesses à marier, que ces trois princes de France, filz du Roy Henry, dont l'aisné estoit très digne Roy, vray successeur de son père, le second tant royal en toutes sortes qu'il ne luy 118 failloit qu'une coronne, et le troisiesme correspondroit sans doubte à ses deux aisnez.

Elle respondit que le Roy ne vouldroit poinct d'elle, et qu'il se tiendroit tout honteux de monstrer, à une entrée à Paris, une Royne pour sa femme, qui parût si vieille qu'elle feroit, et qu'elle n'estoit plus en eage pour sortir de son pays, comme avoit faict la Royne d'Escoce, quant on la porta bien jeune en France.

Je diz que, quant ung tel ou semblable mariage adviendroit, qu'il se commanceroit la plus illustre lignée qui eust esté, mille ans a, au monde de l'extraction des deux plus nobles et plus anciennes coronnes des chrestiens, et qu'il sembloit à son propoz qu'elle eust cy devant accusé les ans du Roy et que meintennant elle vollût accuser les siens;

Mais ainsy qu'elle s'estoit bien conservée contre ses ans, de sorte qu'ilz ne luy avoient rien emporté de sa beaulté, ainsy le Roy et Monsieur avoient si bien aproffité les leurs, qu'ilz avoient acquiz beaulté, force et taille, telle qu'ilz estoient hommes toutz parfaictz;

Et qu'il debvoit prandre envye à la dicte Dame de faire une entrée à Paris, car elle y seroit la plus honnorée, et bien venue, et bénye, de ce bon et grand peuple et de toute la noblesse de France, qu'en lieu où elle pourroit aller en tout le reste du monde; et, s'il luy estoit grief de passer la mer, possible, entreprendroit quelcun de faire ung si heureux voyage par deçà qu'elle en auroit très grand playsir et contantement.

«Je ne sçay, dict elle, si la Royne l'auroit agréable, car, possible, veult elle une belle fille si jeune qu'elle la puysse dresser à son playsir.»—«Je sçay, respondiz je, que la Royne est si bénigne, et d'une si humaine et gracieuse 119 conversation, que toutes deux n'auriez rien plus agréable au monde que d'estre toutjour ensemble, et de complaire l'une à l'aultre, tesmoing l'honneur et respect qu'elle a toutjour porté à la Royne d'Escoce et qu'elle luy porte encores.»

Au partir de la dicte Dame, Me. Cecille me toucha ung mot des dictz mariages, sur lesquelz tant pour monstrer aulcune bonne affection envers la Royne, sa Mestresse, que pour ne luy laysser une opinion de tant d'alliance et d'intelligence de nostre part avec le Roy d'Espaigne, que cella la fît recourir à luy pour d'aultant se retirer de nous;

Je luy esloigniz assés le party de la seconde de l'Empereur, et luy diz que je voullois tretter avecques luy d'ung aultre mariage, qui seroit le plus à propos du monde, pour l'establissement de ces deux royaulmes et pour la paix universelle de la chrestienté;

Et est attandant que nous en trettions ung jour privéement ensemble, dont plairra à la Royne me mander si ce sera sellon le propos, que Sa Majesté m'en tint à mon partement, en quoy luy plairra considérer cest aultre discours qui s'en suyt.

TROISIÈME MÉMOIRE AU DICT Sr. DE VASSAL.

Les principaulx de ce royaulme tiennent pour résolu que leur Royne ne se mariera jamais, et quant bien elle en feroit quelque semblant, ce ne seroit que pour amuser le monde affin que ses subjectz ne la pressent de déclairer son successeur à la couronne.

Lesquelz subjectz l'en ayant bien fort pressée, au dernier 120 parlement, qui a esté tenu en ce royaulme, elle leur a usé de tant d'artiffices qu'en monstrant de les en vouloir contenter, elle s'en est entièrement démeslée.

Ayant une foys aproché le propos avec l'Archiduc jusques à dresser les articles et conventions matrimonialles, et envoyer le comte de Sussex jusques devers l'Empereur, et puy l'a acroché sur le prétexte de ne pouvoir ottroyer au dict Archiduc, ny à ceulx de sa mayson, aulcun exercisse de la religion catholique, de tant que en ung parlement, qui sur le faict de la religion avoit esté auparavant tenu, elle s'estoit obligée de n'ottroyer jamais chose semblable en ce royaulme.

Et despuys, pour le rompre du tout manda à l'Empereur que, quant elle auroit volonté de prandre party, ce ne seroit d'ailleurs que de la mayson d'Autriche, mais que pour son indisposition elle estoit résolue de n'entendre du tout à pas ung jusques à ce qu'elle se trouvât plus sayne.

Peu de temps après, s'estant le comte d'Arondel vollu esclarcyr de ce qui estoit entre la dicte Dame et le comte de Lestre, et si cella estoit occasion de luy faire ainsy rejecter toutz aultres partys, il persuada au duc de Norfolc, qui est le premier et plus authorisé de ce royaulme, de dire au dict [comte] de Lestre:

Que, pour le debvoir qu'il avoit à la Royne, sa Mestresse, et à sa coronne, comme vassal, et conseiller d'icelle, et encores comme amy du dict [comte] de Lestre, il luy vouloit bien dire que, s'il y avoit quelque chose si advancée entre la dicte Dame et luy qu'il se peult asseurer de l'espouser, qu'il le dict ouvertement et qu'il commançât d'y procéder en quelque bonne façon, qui fût décente, et convenable à la grandeur et importance d'ung tel mariage, 121 et que, de sa part, il luy promettoit de luy estre aydant en tout ce qu'il pourroit; mais, s'il n'y avoit rien de tel, qu'il advisât de se déporter dorsenavant de la familiarité, et trop grande privaulté, dont il avoit usé jusques icy, et de se contanter d'estre grand escuyer, et d'avoir plus d'avancement que nul aultre, sans attampter à l'honneur de la coronne, ny gaster celluy de leur Mestresse; car il le vouloit bien advertir tout franchement, que la noblesse ny les subjectz du royaulme n'estoient pour le luy souffrir;

Et le taxa de ce qu'ayant l'entrée, comme il a, dans la chambre de la Royne, lorsqu'elle est au lict, il s'estoit ingéré de luy bailler la chemise au lieu de sa dame d'honneur, et de s'azarder de luy mesmes de la bayser, sans y estre convyé.

A quoy le dict [comte] de Lestre respondit qu'il le remercyoit, et se tenoit obligé à luy plus que de la vie, pour l'advertissement qu'il luy donnoit, et qu'à la vérité, la Royne luy avoit monstré quelque bonne affection, qui l'avoit miz en espérance de la pouvoir espouser, et d'ozer ainsy user de quelque honneste privaulté envers elle; dont, par l'offre que le dict duc luy faisoit d'ayder son entreprinse, il le constituoit en la plus grande obligation qu'il pouvoit jamais avoir à homme du monde, mais le prioyt de luy donner temps qu'il s'en peult esclarcyr, et, s'il voyoit qu'il n'y peult advenir, luy promettoit de se retirer bien tost; et quoy que ce fût, qu'il avoit la mesmes obligation à l'honneur de la Royne et à celle de sa coronne, que ung bon vassal et conseiller doibt avoir, et qu'en toutes sortes il le vouloit plus soigneusement conserver que sa propre vie.

A quelques jours de là, estant la dicte Dame pressée d'en 122 déclairer son intention, elle respondit tout résoluement qu'elle ne prétandoit d'espouser le dict [comte] de Lestre, dont despuys, les deux se sont portez plus modestement, et luy s'est retiré des grandes despences que, pour y cuyder parvenir, il avoit de long temps entreprinses.

De ces deux démonstrations, et d'une aultre auparavant envers le Roy de Suède, lequel pareillement elle avoit renvoyé, ensemble d'aulcuns propos qu'elle a tenuz touchant d'aultres plus grandz partis, et pour une forme de vivre à quoy elle s'est adonnée, les grandz de ce royaulme tiennent pour chose résolue qu'elle ne prendra jamais mary; et quant bien elle en prendroit, qu'il n'y aura toutesfoys lignée d'elle, estant mal sayne, et que mesmes pour quelque accidant qu'elle a aulx jambes, elle ne sera de longue vie, et que néantmoins elle refouyra tant qu'il luy sera possible de déclairer son successeur.

Pour rayson de quoy ilz commancent d'avoir la dicte Dame et son authorité à moins de respect; mesmes voyantz que ceulx qui prétandent à sa coronne après sa mort, dressent desjà des partiz et ligues bien fortes dans ce royaulme, au grand dangier des testes des plus grandz et de la subversion de l'estat, ilz se déterminent d'y pourvoir de bonne heure par nouvelle assemblée du parlement, encor que la dicte Dame entrepreigne de s'y opposer.

Je me suys enquiz si elle avoit aulcune jeune parante à maryer, qu'elle peult déclairer son héritière à sa dicte coronne; mais l'on ne sçayt qu'elle en ayt pas une, et ne se parle meintennant que du droict et prétention de trois: sçavoir, de la Royne d'Escoce, des pupilles de Herfort, et du comte de Huintenton.

Dont l'on a miz grand peyne d'esteindre et suprimer, si 123 l'on eust peu, celluy de la Royne d'Escoce, par l'impression qu'on donnoit à la noblesse de ce pays des choses advenues du murtre du feu Roy d'Escoce son mary, et de celles qui estoient advenues avec le comte de Boudouel.

A quoy semble que ceste Royne, pour quelque jalouzie qu'elle avoit, se soit quelquefoys inclinée, et qu'encor qu'elle ayt toutjour bien fort tandu à luy conserver sa personne, qu'elle ayt néantmoins layssé courir ce qui touchoit à son honneur, ainsy que mesmes despuys naguières, estimant que la venue de Duglas confirmeroit quelque chose de ce qu'on en avoit parlé cy devant, elle luy a octroyé le congé, contre l'opinion du conseil, de l'aller veoir; de sorte que l'ung des grandz dict que, si le comte Boudouel mesmes venoit, il seroit facilement admiz à l'aller trouver.

Le secrétaire Cecille avoit esté jusques icy bien fort contraire à la dicte Dame, pour advancer le droict de ceulx de Herfort, qui sont en sa tutelle, et sont de la mayson de Sommerset, de laquelle il est serviteur; pareillement le garde des sceaux, et les évesques et ministres de la nouvelle religion, ont fort porté et portent le faict du comte de Huintenton, beau frère du comte de Lestre, craignans, si elle parvient à la coronne, qu'elle n'extermine leur dicte religion.

Tant y a qu'il se veoyt que, par l'apuy du duc de Norfolc et du comte d'Arondel, du comte de Lestre, du comte de Pembrok, de celluy de Sussex, des principaulx seigneurs du Nort, et aultres de ce royaulme, le droict de la dicte Dame va prévalloir dessus toutz ceulx qui y prétendent; dont le dict comte de Lestre, en faveur principallement du duc de Norfolc, semble avoir entreprins d'y donner bonne 124 conduicte, sans pour ce offancer en rien la Royne d'Angleterre, se préparant par là ung refuge à l'advenir contre tant d'ennemys et d'envyeulx qu'il s'est acquiz en ce royaulme.

Et desjà a commancé dire à la Royne, sa Mestresse, qu'il luy failloit regarder de bonne sorte à ce qu'elle avoit à faire en l'endroict de la Royne d'Escoce, et en sortir si bien une foys que cella ne luy empeschât d'entendre à ses aultres affaires, et qu'il n'en fût jamais plus parlé; en quoy sembloit qu'il n'y eust que ung de deux moyens, ou de mettre entière fin à la dicte Dame, ou de la restablir bien tost en son estat:

Que si elle avoit pensé ou desiré la fin de ceste princesse, il la suplioyt de regarder ce que sa propre conscience luy en disoit, et là où en yroit sa réputation, et quel grief exemple elle proposeroit à elle mesmes et à toutz les aultres princes souverains, qui sont aujourdhuy au monde.

Mais si elle la veult remettre, qu'elle ne doubte d'y procéder hardyment le plus tost qu'elle pourra; car, par ce moyen elle remédiera à beaulcoup de choses, qui ne luy sont peu importantes meintennant, qui concernent sa seureté et celle de son royaulme, par ce que luy estant le Roy d'Espaigne ennemy et le Roy non asseuré amy, l'Empereur offancé contre elle et le Pape plus irrité que toutz, ilz luy pourroient sussiter tant d'affaires qu'elle ne sçauroit commant s'en démesler, là où, par ceste restitution, elle recouvrera l'amytié et bienveuillance des ungs, et divertira l'entreprinse des aultres; car la dicte Dame mesmes, laquelle elle aura obligée et faicte sienne, s'y employera et y employera ses parans; et, quoy que soit, mais qu'elle l'ayt mise de son party, et par ainsy réuny toute l'isle en une 125 concorde à sa dévotion, elle n'aura que doubter des entreprinses des estrangiers; et que le fondement, qu'elle peult avoir faict sur le comte de Mora, n'est bon ny seur, car il n'est le vray ny légitime Roy d'Escoce.

La dicte Dame, s'estant bien fort esbahye de veoir procéder ce propos d'ung tant sien espécial serviteur, comme est le dict comte, luy a néantmoins respondu qu'elle ne pense se pouvoir jamais asseurer de la Royne d'Escoce, et qu'il est certain, qu'aussi tost qu'elle sera en son pays, elle pratiquera tout ce qu'elle pourra contre elle et contre son estat, et qu'elle aura ministre propre monsieur le Cardinal, son oncle, pour l'en solliciter; non que pour cella il luy soit jamais tumbé en l'entendement de toucher à sa personne, ny souffrir d'y estre touché, non plus qu'à la sienne propre, mais qu'elle estime le plus seur estre de la retenir par deçà, et laysser les choses d'Escoce ez mains du régent soubz le jeune Roy;

Vray est qu'elle commançoit à cognoistre que les siens mesmes, et ses plus obligés, la trahyssent et prennent le party de la Royne d'Escoce contre elle, à quoy elle avoit besoing de prendre garde, et qu'elle espéroit d'y bien remédier.

Le dict comte a répliqué qu'il avoit esté meu d'une singulière et très dévotte affection de vray et fidelle vassal et serviteur, et encores de conseiller très affectionné au bien, au repos et à l'aquit de l'honneur de la dicte Dame, de luy ouvrir ce propoz, et qu'elle considérât bien qu'en gardant la Royne d'Escoce par deçà, elle norrissoit le serpent dans le sein, qui seroit matière propre à plusieurs partisans qu'elle a en ce royaulme de tramer toutjour quelque chose sur le faict de sa restitution en son estat, et de sa 126 prétention en cestuy cy; mais qu'elle pouvoit adviser de bonne heure de conduyre ce faict, avec tant de seurté pour elle et pour ses affaires, qu'il ne luy pourroit jamais venir dommaige de ce costé.

Elle a répliqué qu'elle ne voyoit pouvoir prendre aulcune bonne seurté là dessus, car, si la Royne d'Escoce offroit ostages, ce seroient ceulx qui ont esté contre elle, qui sont les principaulx du pays, affin de s'en deffaire, et remuer puys après l'Escoce à son playsir, ou bien, dict elle, son filz, qu'elle n'ayme guières.

Le comte a respondu que, touchant ceulx qui ont esté ses adversaires, il ne faict doubte qu'elle ne les baille fort volontiers, mais quant au filz, que l'évesque de Roz ne pensoit que cella se peult ayséement faire.

Lesquelz propoz, encor que la dicte Dame ne les ayt bien prins, et que le secrétaire Cecille se soit esforcé de les luy faire despuys trouver encores pires, allégant que ces seigneurs, qui entreprennent de favoriser la Royne d'Escoce, ont pensé de la mort d'elle, et de veoir l'aultre la survivre, et estre, après sa mort, eslevée à ceste coronne, et qu'ilz la recognoissoient desjà en leur cueur pour Royne; n'ayant de sa part fondé son espérance que en la vie de sa propre Royne, de laquelle il ne veult jamais penser à la mort qu'il ne se prépare incontinent à celle de luy mesmes; et nonobstant aussi la sollicitation des ministres et de toutz les adversaires de la dicte Royne d'Escoce, ses affaires prènent grand fondement par le moyen du duc de Norfolc, qui prétend de l'espouser.

Et, par prétexte d'asseurer la Royne d'Angleterre des promesses et conventions qui se feront entre elles deux, semble qu'on luy ayt desjà faict trouver bon qu'elle soit 127 maryée en Angleterre, et quant désormais elle ne le trouveroit bon, l'on ne laira de passer oultre, tant les choses semblent estre advancées avec le dict duc de Norfolc. A quoy la dicte Royne d'Escoce monstre non seulement de consentir, mais bien fort le desirer, comme entrant par là en possession de la coronne d'Angleterre après sa cousine, veu la bonne part que le dict duc a avec toute la noblesse, et grande authorité par tout le pays, et qui desjà faict publier partout que le droict de la dicte Dame est le plus certain; de sorte que les aultres, qui y prétendent, commancent de céder, nonobstant la résistance de ceulx de la nouvelle religion, desquelz aulcuns des principaulx sont desjà gaignez pour elle, et nonobstant que Me. Cecille luy ayt esté contraire jusques icy, qui meintennant, en faveur du duc, monstre soubstenir plus que nul aultre le party de la dicte Dame.

Mais affin que le Roy ne preigne jalouzie de ce mariage, et ne craigne qu'il préjudicie en rien à l'alience qu'il a avec les Escossoys, ilz allèguent desjà que le petit prince demeurera dans le pays, sans rien changer ny innover des anciens trettez, qui sont entre la France et l'Escoce.

J'entendz que l'ambassadeur d'Espaigne, encor que, possible, il n'ayt la notice de toutes ces particullaritez, a esté néantmoins recerché de tenir la main au dict mariage, et de faire que le Roy Catholique, son Maistre, le trouve bon, bien que je sçay qu'aulcuns de ceulx qui le conduysent conseillent les parties de le consommer, et puys l'aller remonstrer aulx princes et parans qui y peuvent avoir intérest.

Et encor que la Royne d'Angleterre ayt quelque sentyment de toute ceste pratique, et qu'il luy en face assés mal au cueur, si veoyt elle la partie desjà si faicte qu'elle 128 n'entreprend de s'y opposer, mesme semble que, si elle ne se résould d'entendre bientost à la liberté et restablissement de la Royne d'Escoce, qu'on l'y fera procéder malgré elle.

Le Sr. Quenelles a esté commiz, pour ung mois, à la garde de la dicte Dame, estant le comte de Cherosbery tumbé en une griefve malladye, qui luy a saysy la personne et l'entendement; et cependant l'on pourvoirra de luy envoyer un comte ou ung grand seigneur pour plus honnorer la dicte Dame, en ayant esté déboutté le comte de Betfort, parce qu'il est trop protestant.

Mesmes est l'on après à pourchasser que la Royne d'Angleterre et elle se voyent bien tost, par prétexte qu'elles pourront plus seurement et plus ayséement contracter, en présence l'une avecques l'aultre, du tiltre de ce royaulme, que ne feroient par procureurs; mais c'est pour plus ayséement conclurre le dict mariage, auquel semble à la vérité qu'ilz prétendent d'y procéder si soubdainement que puys après, si aulcuns princes ou parans ne le trouvoient bon, l'on leur puisse respondre qu'il est desjà faict.


129

XLIXe DÉPESCHE

—du Ier jour d'aoust 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)

Voyage de la reine d'Angleterre.—Explications demandées par l'ambassadeur aux seigneurs du conseil, sur les actes d'hostilité contre la France, qui se multiplient tous les jours.—Désir qu'ils montrent de conserver la paix et de voir terminer promptement les guerres civiles de France par une pacification.—La reine confirme toutes les déclarations faites par son conseil.—L'ambassadeur pense néanmoins que les Anglais n'attendent pour se déclarer qu'une occasion favorable.—Espoir d'un prompt arrangement pour la restitution des prises.—Mouvements dans les duchés de Suffolk et Norfolk.—L'audience est refusée à l'ambassadeur d'Espagne, mais on ne doit concevoir pour cela aucune crainte de guerre entre les deux pays.—Nécessité de se tenir en France sur le pied de guerre à l'égard d'Élisabeth.—Vive recommandation de l'ambassadeur auprès de la reine-mère en faveur de Mr. Norrys et de sa femme.—Déclaration d'Élisabeth pour la restitution des prises.

Au Roy.

Sire, voyant faire icy, despuys quelques jours, plus grand dilligence que de coustume de mener bien vifvement les affaires à solliciter ceulx du conseil, à pratiquer gens, armer vaysseaulx, cercher deniers, dépescher messagiers en Allemaigne, envoyer souvent à la Rochelle, et plusieurs aultres démonstrations et préparatifz, qui me faisoient doubter d'une prochaine déclaration de guerre, j'ay bien vollu, avant que ceste Royne ayt commancé son progrez, et avant que aulcuns seigneurs de ce conseil, qui ne la vont accompaigner, mesmement de ceulx qui tiennent le party de la 130 paix, se soyent esloignez en la contrée, les prier de venir prendre leur disner en mon logis, pour leur parler si vifvement de ces matières que les bons eussent occasion de les prandre à cueur pour y remédier, et les aultres cognussent qu'elles estoient desjà descouvertes.

Dont y estantz venuz messieurs le duc de Norfolc, les comtes d'Arondel et de Lestre, milor Chamberlan, le secrétaire Cecille et aultres seigneurs, après que je les ay heu honnorez, et trettez, et mercyés, je les ay priez de m'excuser si, pour l'occasion du soubdain voyage de la Royne, leur Mestresse, et de la prochaine absence d'aulcuns d'eulx, que je n'espérois de long temps trouver ensemble, je ne différois à plus loing qu'à ceste heure, en mon propre logis, de leur parler d'affaires; mais ce ne seroit pour les ennuyer, ains pour garder qu'il ne vînt ennuy à noz Maistre et Mestresse sur aulcunes choses, lesquelles on s'esforceroit de faire mal aller entre eulx et leurs deux royaulmes: que je les voulois bien asseurer, sur la parolle royalle de Vostre Majesté et sur celle de la Royne vostre mère, que, despuys la dernière conclusion de la paix, vous n'aviez faict, ny tretté, ny presté l'oreille à tretter aulcune chose de ce monde, qui fût contre le bien, la grandeur et l'estat de la dicte Dame, ny en quoy vous eussiez pensé l'offancer, ny luy faire desplaysir, ny pareillement à nul d'eulx; et qu'ayant espéré la mesme correspondance de leur costé, vous estiez merveilleusement esbahy de veoir que les effectz fussent meintennant au contraire.

En premier lieu vous aviez naguières receu une confirmation du mesmes adviz, que desjà je leur avois donné, comme au nom et par les ambassadeurs ou agentz de la dicte Dame en Allemaigne, il s'y faisoit levée de gens de 131 guerre, de pied et de cheval, et grande forniture de deniers aulx princes protestans; et qu'à l'instance d'elle ilz estoient sollicitez et instiguez de descendre en vostre royaulme:—segondement, que, sans qu'il aparût guerre en nulle aultre part de la chrestienté sinon en France, et que la dicte Dame fût hors de souspeçon qu'on la luy fît, elle néantmoins se préparoit de toutes choses, comme pour la faire;—tiercement, que vous voyez les subjectz de ce royaulme continuer ung commerce qui ne vous pouvoit estre que suspect et odieux avec ceulx de la Rochelle, lesquelz vous réputiez meintennant voz grandz ennemys, et iceulx de la Rochelle conduyre de mesmes fort ouvertement leurs intelligences par deçà, et s'y fornyr d'armes, de monitions de guerre, de vivres, d'argent en quantité, en tirer des hommes, et toute faveur, par mer et par terre, contre vous et voz bons subjectz; davantaige que les pirates, nonobstant les ordonnances de la dicte Dame, ne layssoient d'estre receuz ez portz de ce royaulme, et sortir d'iceulx sur voz subjectz; et mesmes j'estois adverty que, puys huict jours, il estoit sorty, de divers endroictz d'Angleterre, plus de vingt cinq vaysseaulx armez, pour aller nomméement piller la flotte des Françoys, qui revient des Terres Neufves; finalement que la justice, ores qu'elle ne fût du tout dényée, estoit néantmoins tant prolongée et dissimulée à vos subjectz sur les prinses et déprédations, qu'on leur avoit faictes par deçà, que les fraiz de leur poursuyte, laquelle estoit encores sans fruict, commançoit desjà d'esgaller et de surmonter le principal:

Qui estoient choses toutes contraires à la paix, par lesquelles ilz monstroient desjà faire violance à icelle, ce que vous ne pouviez, ny vouliez croyre procéder de la dicte 132 Dame ny d'eulx, ses conseillers; tant y a que vous voyez bien qu'ilz le tolléroient à ceulx qui, sellon leur passion, ne faisoient difficulté d'employer contre vous le nom, le crédit et la faveur de la dicte Dame et de ce royaulme: ce qui enfin vous provoqueroit d'en cercher la vengence et d'en procurer, quelque jour, ung juste rescentiment. A quoy je les prioys de remédier de bonne grâce, et de s'employer si bien à faire cesser toutz ces mauvais exploictz, que Vostre Majesté n'eust occasion se despartir de l'amytié et bonne intelligence, en laquelle je leur déclairois et asseurois devant Dieu, que vous vouliez aultant constantment persévérer avec la dicte Dame et ses subjectz, s'il ne tenoit à elle et à eulx, comme avec quel aultre que ce fût des princes et estatz voz voysins, tant vous fussent ilz estroictement alliez et confédérez.

Lequel propoz, Sire, fut paysiblement escouté de ces seigneurs, et le secrétaire Cecille, se tenant au millieu d'eulx, le leur récita en anglois, et, après qu'ilz eurent quelque temps conféré ensemble, monsieur le duc, prononceant en langaige du pays aulcuns peu de motz, ordonna au milor Chamberlan de me les expliquer en françoys, qui furent, en substance, que eulx toutz vouloient, de tout leur pouvoir et affection, conserver la paix avec Vostre Majesté et avec vostre royaulme, et que ce qu'ilz desiroient meintennant le plus estoit de vous veoir bien d'accord avec voz subjectz, et veoir leur Mestresse esclarcye d'aulcunes choses, qu'elle a eu grand occasion de doubter en ceste guerre; mais, puysque je debvois aller le lendemain trouver la dicte Dame, ilz me prioient de luy faire la mesme remonstrance, et luy porter hardyment les chefs d'icelle par escript, et ilz espéroient qu'elle m'y respondroit 133 avec toute satisfaction; ou, si elle le commettoit à eulx, ilz mettroient peyne de me la donner si bonne, que j'aurois occasion de demeurer contant; seulement me vouloient dire qu'ilz estoient fort esbahys comme la guerre de France duroit tant, veu ce que je disois que vous ne prétendiez aultre chose, sinon de recouvrer l'obéyssance de voz subjectz, et que voz subjectz disoient ne desirer rien tant en ce monde, que d'estre receuz à la vous randre avec l'acquit de leurs consciences.

Je ne leur ay respondu que bien peu de parolles là dessus, car aussi le temps ne le permettoit; mais, estant, le jour après, allé trouver la dicte Dame au lieu de Lambet, auquel partant de Grenuich elle faisoit la première dynée de son progrez, et m'ayant ainsy que de coustume et encores plus bénignement receu, à cause des recommandations et bonnes parolles que, par voz lettres du xvȷe du passé vous me commandiez luy dire, qui certes sont venues bien à propoz, avec le récit des choses advenues au siège de la Charité, lesquelles on luy avoit desjà mandées en bien aultre façon qu'elles ne sont; je luy ay touché les mesmes poinctz que j'avois remonstrez aus dictz seigneurs en parolles, possible, plus respectueuses, néantmoins bien fort expresses, pour luy faire cognoistre que vous aviez grande occasion de révoquer à offance et infraction de paix beaulcoup de choses, qui procédoient des siens et de son royaulme.

A quoy la dicte Dame estant préparée de responce, après avoir avecques tout respect et grande démonstration de faveur accepté voz recommendations, et monstré qu'elle avoit grand contantement de veoir que vous la teniez pour aultant vostre bonne seur comme elle asseuroit bien fort 134 de l'estre, et desirer vostre prospérité, m'a dict que sur les pratiques que je luy allégois d'Allemaigne, elle ne me pouvoit dire sinon ce que, despuys six sepmaines une aultre foys elle m'en avoit respondu: c'est qu'elle n'y en avoit mené ny commandé d'y en mener aulcune, en quelque façon que ce fût, contre vous ny contre vostre coronne, et estat; et n'estoit pour non plus souffrir en Angleterre qu'on y en menât pas une, que raysonnablement l'on peult juger estre contre la paix, laquelle elle vouloit de son costé meintenir ferme et asseurée avec Vostre Majesté; seulement elle avoit, là et icy, faict regarder à ce qui estoit besoing de pourvoir pour se conserver elle, et son royaulme, et sa religion, qui estoit tout ce qu'elle m'en pouvoit dire, et [que] cella se trouveroit toujour véritable; et qu'au regard des aultres particullaritez, elle commanderoit, comme elle commanda sur l'heure, à ceulx de son conseil de m'y pourvoir le plus au contantement de Vostre Majesté qu'il leur seroit possible. Puys me réitéra ce que, quelques jours auparavant, elle m'avoit dict que, puysque Dieu n'avoit vollu exaulcer son bon desir sur la paix de vostre royaulme, elle le prioyt à ceste heure d'exaulcer la prière, qu'elle luy faisoit, que la guerre ne vous y peult nuyre en chose qui fût contre vostre grandeur et authorité; au reste qu'elle estoit bien ayse qu'au siège de la Charité, les choses n'y eussent tant succédé à vostre dommaige comme on disoit, et qu'elle vouldroit de bon cueur que voz subjectz, qui sont en armes, eussent, des deux costez, prins à bon escient la vraye charité entre eulx.

Et ainsy m'estant licencié bien fort gracieusement de la dicte Dame et des dicts seigneurs, après avoir sondé le plus avant que j'ay peu de leur intention, laquelle ilz m'ont 135 assés monstrée franche et bonne sur l'entretennement de la paix, mais non si claire ny ouverte sur les aprestz d'Allemaigne, ny sur ceulx d'icy, comme je desiroys, je ne vous puys dire, Sire, sinon qu'ilz monstrent de temporiser et de guetter une occasion sur le succez qu'ilz verront de la guerre de France; dont je ne deffauldray ny d'office envers eulx à les contenir, aultant qu'il me sera possible, ny de dilligence envers Voz Majestez pour vous advertir toutjour de ce que je leur verray faire.

Hier matin, la dicte Dame, touchant la restitution des biens des Françoys en son royaulme, expédia une lettre, signée de sa main, non du tout aulx termes de celle, que Vostre Majesté m'a envoyée, parce qu'il a semblé à son conseil que cella ne se pourroit, d'ung costé n'y d'aultre, ainsy proprement exécuter, mais en la forme que verrez par la coppie que je vous en envoye, et monstre l'on icy d'y vouloir assés droictement procéder.

Il y a eu, ces jours passez, quelque aparance de sublévation en Suffoc et Norfolc, de laquelle ne sçay encores bien la cause; tant y a que jusques à dix sept principaulx autheurs d'icelle ont esté prins, mais les officiers du pays ont esté si dilligentz qu'ilz l'ont bientost esteinte.

Les différans des Pays Baz demeurent encores en quelque suspens et y a commissaires depputez pour vandre aulcunes prinses. Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne a demandé audience, plus de huict jours y a, qui ne luy a esté encores ottroyée; et ceste Royne s'esloigne d'icy et est desjà partie de Richemont, continuant son progrez, sans la luy bailler. Néantmoins l'on ne parle au dict affaire que d'accord, et n'y a aparance qu'il y doibve avoir guerre entre eulx.

136 Le faict de la Royne d'Escoce se va entretennant jusques au retour du Sr. de Bortyc et jusques à ce que le comte de Mora aura envoyé ses députez, auquel ceste Royne a naguières escript que s'il faict plus le long et le restif en cella, qu'elle advisera de procéder sans luy à l'accommodement de la Royne d'Escoce et à sa restitution en son estat. Sur ce, etc.

De Londres ce 1er d'aoust 1569.

A la Royne.

Madame, sur la pluspart des choses que je vous ay naguières mandées par le Sr. de Vassal, je continue meintennant en la lettre du Roy dire à Voz Majestez ce que j'ay dict et faict en icelles, pour davantaige les descouvrir, et quelz propoz j'en ay tenuz à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil; dont me semble, Madame, que ny de leurs bonnes parolles ny d'une partie de leurs démonstrations, lesquelz je ne veulx dire que ne soyent bonnes, je ne puys toutesfoys juger que leur intention soit tant à la paix, comme ce que je veoy qu'ilz font soubz main et à couvert monstre qu'ilz l'ont à la guerre; et ne puys cognoistre encores si mes remonstrances produyront aulcun fruict: tant y a qu'on a tenu sur icelles ung bien estroict conseil, mais je loue bien fort ceste vostre bonne et prudente résolution de vouloir avoir l'œil tout aussi ouvert à prendre garde ez lieux, où il est vraysemblable que ceulx cy pourroient dresser leurs premières entreprinses, comme si vous estiez en guerre ouverte avec eulx, et ne laysser pourtant de leur donner de vostre costé, et prendre du leur, 137 toute l'asseurance que vous pourrez. De ma part, Madame, à la mezure que je verray, jour par jour, que leurs affaires se formeront, je ne fauldray d'uzer de toute la dilligence qu'il me sera possible pour incontinent le vous mander.

Je suys allé prandre congé de ceste Royne quand elle s'est achemynée de Grenuich, et l'ay priée de trouver bon que je la peusse aller trouver en son progrez, s'il se offroit occasion de négocier aulcune chose d'importance avecques elle, ce qu'elle m'a fort libérallement accordé, et que je seray le bien venu en quelle part qu'elle sera, bien qu'on dict qu'elle n'avoit accoustumé de tretter d'affaires en ses voyages, et qu'elle ne donne volontiers audience aulx ambassadeurs oultre Windezor, parce que la plus part de ceulx de son conseil ne sont plus lors avecques elle. L'on faict compte que sur la fin de ce moys elle pourra estre à Hamptonne, et puys passera en l'isle d'Ouic, et que son dict voyage durera envyron deux moys; bien me vient on de dire, despuys une heure, qu'il se parle aulcunement de rompre son dict progrez. Elle m'a parlé et faict parler si souvant de Mr Norrys, son ambassadeur, et de madame sa femme, pour leur faire avoir bon trettement en France, que je suplie très humblement Vostre Majesté, de tant que telles personnes doibvent par droict estre exemptes et préservées de toute injure, les vouloir emparer pour l'honneur de leur Mestresse soubz vostre bonne faveur et protection; et je suplieray le Créateur, après avoir très humblement baysé les mains de Votre Majesté, qu'il vous doinct, Madame, en parfaite santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

De Londres ce 1er d'aoust 1569.

138

Déclaration et promesse de la Royne d'Angleterre, touchant la restitution des biens des Françoys en son royaulme.

La Royne, en considération de semblable promesse et accord faict par le Roy Très Chrestien, son bon frère, pour le bien de ses subjectz, promect et accorde au dict Seigneur Roy Très Chrestien que les biens apartenant aulx Françoys, qui ont esté miz et demeurent soubz arrest, en quelque lieu ou port que ce soit d'Angleterre, estant en leur espèce, ou, s'ilz ne le sont, la vraye valleur d'iceulx, leur seront réallement randuz et dellivrez dans ung certain jour du moys d'aoust prochain, qui sera advizé, nommé et accordé entre Monsieur le Mareschal de Cossé et Richard Patric et Hugues Offley, merchans de Londres, commis et envoyés par Sa Majesté pour conférer avec le dict sieur Mareschal sur la dicte restitution; et que des dicts biens ainsy arrestez, si le tout ou partie a esté miz hors d'arrest au proffict d'aultre que de ceulx à qui ilz apartiennent, ensemble des aultres biens, qu'iceulx Françoys monstreront et vériffieront sommairement leur apartenir par deçà, Sa Majesté promect leur en faire administrer prompte justice, sommairement et de plain, sans figure ny longueur de procès, contre ceulx qui les ont prins et les détiennent, ou en sont coulpables, en faisant le Roy, son bon frère, tant sur la dicte restitution au dict jour qu'administration de justice, procéder de mesmes pour les Anglois en son royaulme.

A Richemond le xxvııȷ de juillet 1569.

139

A esté adjouxté par le sr. de la Mothe Fénélon, ambassadeur du Roy, ce qui s'ensuyt:

Ayant la Majesté de la Royne d'Angleterre veu et leu la promesse, que le Roy, Mon Seigneur, a faict et signée de sa main le vııȷe de juillet 1569, touchant la restitution des biens des Anglois en son royaulme, et desirant d'user de toute correspondance à icelle, l'a faicte regarder aulx seigneurs de son conseil, qui ont estimé estre mal aysé de pouvoir exécuter une promesse du tout semblable pour les Françoys en Angleterre; dont m'en ont faict remonstrer les difficultez suyvant lesquelles la Majesté de la dicte Dame a trouvé bon de faire une déclaration et promesse, signée de sa main, pour la restitution des biens des Françoys en son royaulme, en la forme qui est mise cy dessus, et que, jouxte la teneur d'icelle, les deux soyent exécutées en France et en Angleterre au proffict de leurs communs subjectz; et ainsy l'a accordé, au lieu de Richemond le xxvııȷe de juillet 1569.


140

Le DÉPESCHE

—du Ve d'aoust 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Valet.)

Emprunt fait en Angleterre sur les joyaux de la reine de Navarre.—Armement de plusieurs navires de guerre par les envoyés d'Allemagne et de la Rochelle.—Proposition faite aux Anglais de faciliter à leurs vaisseaux une descente en Normandie.—Troubles de Suffolk, Norfolk et d'Irlande.—Préparatifs d'une nouvelle flotte marchande pour Hambourg.—Démarches de l'ambassadeur d'Espagne afin d'obtenir audience.—Départ de sir Henri Chambrenant pour la Rochelle avec plusieurs volontaires.

Au Roy.

Sire, pendant que la Royne d'Angleterre a séjourné à Richemont, Mr. le cardinal de Chatillon, le vydame de Chartres, le Sr. Du Doict et le Sr. Dolovyn, agent du prince d'Orange, ont esté souvant devers elle pour luy faire plusieurs sollicitations au contraire de ce que, en ma dernière audience, je l'ay instantment priée ne vouloir faire ny souffrir estre faict en son royaulme au préjudice de la paix. Sur quoy elle a assemblé ceulx de son conseil, lesquelz, à ce que j'entendz, n'ont ainsy entièrement résolu les choses comme les aultres desiroient, et ne m'ont du tout déboutté de mes justes remonstrances; ce que je métray peyne de sçavoir plus en particulier et au vray. Tant y a que le dict sieur Cardinal a mené, durant ce séjour, les seigneurs de ce conseil faire bonne chère en son logis à Chin, et, ung jour de la sepmaine passée, luy et les aultres députez de la Rochelle ont aporté monstrer à la dicte 141 Dame les bagues de la Royne de Navarre, lesquelles elle a esté curieuse de veoir, et aulcuns orfèvres ont esté appellés pour les priser: qui, à ce que j'entendz, les ont estimées valloir soixante mil livres esterlin, c'est deux cens mil escuz; et m'a l'on dict que la dicte Dame s'est excusée de prester rien dessus, mais qu'on se retirât aulx merchans pour y trouver deniers, dont semble que Me. Grassan, principal merchant de ceste ville, qui est néantmoins facteur de la dicte dame, ayt prins la charge de faire fornir sur icelles trente mil livres esterlin, c'est cent mil escuz; et crains bien fort, nonobstant aulcuns empeschemens que l'on y a miz, que la somme se trouvera: car il n'est possible de persuader qu'on puysse ny doibve empescher les particulliers, qui veulent faire ce secours et assistance à ceulx de leur religion.

Les quatre ourques, que j'ay cy devant mandé qu'on armoit en ceste rivière, seront prestes dans dix jours; elles sont les mieulx artillées qu'il est possible, et pourra en icelles et en deux aultres floyns, que de mesmes l'on équipe, si c'est pour combat de mer, plus de huict cens hommes, et si c'est pour mettre gens en terre, elles sont capables d'en transporter plus de trois mille à la foys. J'ay faict instance de ne les laysser sortir, et ay prié monsieur l'ambassadeur d'Espaigne de s'y opposer aussi de son costé. A quoy, pour mon regard, l'on m'a desjà aulcunement bien respondu; mais je ne sçay si je les pourray arrester du tout, au moins les retarderay je tant que je pourray, et feray prendre garde à leur embarquement pour en donner adviz à Mr. le maréchal de Cossé. J'ay sceu que quelques marinyers de Normandie sont venuz remonstrer à ceulx de la nouvelle religion, qui sont par deçà, comme 142 il a esté retiré beaulcoup de gens de guerre de leur pays pour aller au camp, et qu'à ceste cause, s'ilz veulent entreprendre de descendre en quelque endroict de leur coste, ilz n'y trouveront grand résistance. A quoy, Sire, je vous suplie très humblement de pourvoir; car il ne fault que bien peu d'aysance à ceulx cy pour les convyer à nous mal faire.

Ces commancemens de sublévation, qui ont appareu en Suffoc et Norfolc, ont miz toute ceste court en peyne, et est l'on bien fort après pour descouvrir que c'est. Celle d'Irlande semble aller en augmentant, et enfin le comte d'Ormont y a esté dépesché en poste. Milor Sideney y a eu quelque commancement de victoire, où l'on dict qu'il a deffaict trois cens hommes; mais j'entendz qu'il n'y avoit que douze ou quinze soldatz, et que le reste estoit tout paysans qui ont esté surprins en ung vilage.

Ceulx cy préparent une segonde flotte pour Hembourg, laquelle s'en va desjà chargée, la plus part sur navyres ostrelins, bien que les merchans de Londres ne se contantent guyères de la première, parce qu'ilz n'ont encores vandu, à ce qu'ilz disent, que les gros draps de petite valleur, et les fins draps de priz demeurent en séjour.

L'ambassadeur d'Espaigne ayant une foys demandé audience, et ne luy ayant esté accordée, a esté en dellibération de n'en demander plus; mais ceulx qui portent le faict de son Maistre en ceste court, l'ont conseillé de la demander encores une foys, sans s'arrester à ces sérémonies, et qu'ilz espèrent la luy faire ottroyer, ce qu'il n'a ainsy proprement vollu faire, craignant un segond reffuz; mais par prétexte de demander ung passeport pour une sienne dépesche en Flandres, il a envoyé sonder si l'on luy vouldroit 143 accorder la dicte audience; je ne sçay encores que luy aura raporté son homme.

Le comte de Mora ayant mandé qu'il avoit assigné l'assemblée du conseil d'Escoce au xxve de juillet, pour accorder de depputez et de mémoires, qu'on envoyeroit par deçà, a faict jusques à ceste heure retarder icy les affaires de la Royne d'Escoce; mais j'entendz que dans dix jours l'on est délibéré de procéder à l'expédition d'iceulx avec les dicts depputez s'ilz viennent, ou sans eulx si ne viennent pas, et d'y mettre une bonne fin. Sur ce, etc.

De Londres ce ve d'aoust 1569.

A la Royne.

Madame, par mes précédantes, du xxvıȷe du passé et du premier d'estuy cy, j'ay faict entendre à Voz Majestez l'estat des choses de deçà le plus par le menu que je les ay peu sçavoir, lesquelles continuant estre encores de mesme, je ne vous mande en la lettre du Roy sinon ce que despuys est survenu, qui semble torner à la confirmation d'icelles. Et à cella j'adjouxteray seulement, Madame, que, ayantz ceulx cy naguières dépesché, d'ung costé le sire Gilles Grays en Hembourg sur ung vaysseau légier qu'ilz appellent le brigantin de la poste, et layssé aller de l'aultre le sire Henry Chambrenant, luy quinziesme, vers ceulx de la Rochelle, non par exprès congé, mais comme de luy mesmes, pour estre néantmoins comme ung agent de ceste Royne en leur camp, affin de luy escripre la vérité des choses ainsy qu'elles y adviendront, parce qu'on commence à n'adjouxter foy à ce qui s'en mande de dellà, ilz sont attandans, 144 à ceste heure, nouvelles de ces deux endroictz, et tiennent cependant leur apareil et armement prestz; et ne layssent pour cella de se porter toutjour gracieusement envers moy, avec toutz signes de paix, et je metz peyne de les y confirmer, et fays entre deux tout ce que je puys pour leur oster l'opinion de la guerre, à laquelle je vous ay mandé que je les veoy préparez. Je vays aujourd'huy trouver la dicte Dame à Otlan, où elle m'a assigné l'audience, et par les propos que je luy tiendray de vostre dépesche du xxvıȷe du passé, j'essayeray de tirer des siens ce que je pourray de son intention, et de bien disposer icelle envers vous et voz présens affaires, le plus qu'il me sera possible; aydant le Créateur auquel je prie, etc.

De Londres ce ve d'aoust 1569.


145

LIe DÉPESCHE

—du Xe jour d'aoust 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Bouloigne par Jaques Blassé.)

Élisabeth, à la sollicitation de l'ambassadeur, prononce l'arrêt des navires qui sont en armement pour le compte des envoyés d'Allemagne et de la Rochelle.—Efforts des protestants pour faire lever l'arrêt.—Nouvelle entrevue de l'ambassadeur et d'Élisabeth.—Instances de la reine pour une prompte pacification en France.—Elle se montre peu inquiète du soulèvement d'Irlande.—Elle annonce que de nouveaux apprêts de guerre se font en Allemagne.—Déclaration des seigneurs anglais, que si la paix n'est pas bientôt rétablie en France, ils se joindront ouvertement aux protestants.—Retour des commissaires anglais envoyés à Rouen.—Hésitation de la reine d'Angleterre, qui se trouve également engagée par ses promesses envers les deux partis qui sont en armes en France.

Au Roy.

Sire, ceulx qui sollicitent icy les affaires de ceulx de la Rochelle et des princes protestans, voyantz les quatre ourques, qu'ilz avoient armées dans ceste rivière, estre à mon instance mises en arrest, qui aultrement s'en alloient prestes pour partir dans huict jours, ont faict, lundy et mardy de la sepmaine passée, soir et matin, une extrême dilligence, envers ceste Royne et les seigneurs de son conseil, de faire lever le dict arrest et d'obtenir d'aultres provisions, qu'ilz pourchassoient pour l'entretennement de leur guerre. Sur quoy, arrivant le mercredy à Otlan, je trouvay qu'ilz y estoient encores avec grand espérance d'obtenir une pleyne et entière déclaration de ce qu'ilz demandoient. Néantmoins s'estantz ung peu retirez, les seigneurs du conseil sortirent 146 à la salle de présence pour tretter paysiblement avecques moy des choses que j'avois à dire à leur Maistresse, à laquelle incontinent après ilz m'introduyrent, et je cogneuz par le propos qu'elle me commança qu'il n'y avoit guières qu'elle avoit débattu du faict de ceste guerre avec monsieur le cardinal de Chastillon; car elle m'en parla tout soubdain, et travailla beaulcoup de descouvrir de moy si Vostre Majesté estoit fermement résolue de vouloir mettre fin à ceste guerre et aulx différans de la religion par les armes. Sur quoy, sans m'advancer de rien, j'escoutay paysiblement son discours, lequel pour estre long je remettray, Sire, à le vous faire entendre par ung des miens que j'envoyeray bientost le vous réciter; seulement vous diray qu'il semble que, du costé d'Allemaigne et d'icy, l'on envoyera devers Voz Majestez Très Chrestiennes pour en sçavoir vostre intention, affin de veoir si la cause de la religion va séparée de celle de l'estat ou non, pour, puys après, faire là dessus une déterminée résolution en leurs affaires.

Je fiz un particullier récit de l'estat des vostres à la dicte Dame, tant de ce que Monsieur, frère de Vostre Majesté, s'alloit remettre en campaigne que de ce que ceulx de la Rochelle avoient exploicté de leur part, et de la nouvelle levée des Suysses, et de celles des gens de pied françoys, jouxte le contenu de voz lettres, luy touchant à propos ung mot du desplaysir que vous aviez d'entendre la sublévation de son pays d'Irlande, à quoy vous n'estiez prest de tenir aulcunement la main; ains au contraire, si vous y pouviez quelque chose pour la conservation de son estat et authorité au dict pays, vous me commandiez luy dire que vous vous y offriez de bon cueur. Et poursuyviz les aultres particullaritez, que j'avois à luy dire des choses d'Allemaigne 147 et de celles d'icy, de celles de la Rochelle et de la restitution des prinses, avec grand soing de la disposer envers vous et vos présens affaires, le mieulx que je le pouvois faire.

La dicte Dame me respondit que, pour la confiance que Voz Majestez Très Chrestiennes monstriez avoir d'elle en voz affaires, en les luy faisant ainsy privéement communiquer, elle se sentoit obligée d'en desirer la prospérité, comme certes elle faisoit, et vous prioyt de croyre que, demeurant la religion, de laquelle elle estoit, en son estat, elle desiroit au reste que vostre coronne et vostre grandeur et authorité, ensemble celle de la Royne, vostre mère, demeurassent aussi entiers et sans diminution comme elle le desiroit pour elle mesmes; et que la sublévation d'Irlande n'estoit guyères dangereuse, car estoit chose assés ordinaire à ces sauvaiges, de laquelle elle sçavoit desjà comment en debvoir sortir; qu'aussy aysé, disoit elle, fût il de remédier aulx troubles de vostre royaulme: néantmoins elle ne layssoit de vous estre aultant attenue de l'offre que luy faisiez en cella, comme s'il y alloit de la propre coronne d'Angleterre; dont me prioyt vous en présenter son meilleur salut et son bien exprès mercyement par mes premières; et que, si vous aviez heu ceste bonne pensée pour elle à la conservation de son pays, qu'elle en avoit heu premier une aultre pour vous pure et droicte à la conservation du vostre, et s'estimeroit encores bien heureuse s'il luy en pouvoit venir une segonde en l'entendement, pour la mettre en termes, qui vous fût aultant agréable comme elle la vous desiroit bien fort utille; que touchant les choses d'Allemaigne, Quillegrey luy avoit escript qu'ung comte du pays, non à la vérité de ces grandz, mais bien ung 148 des principaulx et plus estimez aulx charges de la guerre, luy avoit dict qu'il estoit très asseuré qu'une aultre levée d'Allemans, de pied et de cheval, estoit preste et qu'elle marcheroit bientost pour aller secourir la cause de leur religion, comme avoit faict celle du duc de Deux Pontz; et que, des quatre ourques dont je luy avois parlé, elle les avoit faictes arrester; et pour la restitution des biens des Françoys, qu'elle en avoit signé une lettre, laquelle elle commanda sur l'heure au secrétaire Cecille de me la monstrer et m'en bailler la coppie.

Et ainsy, je me licentiay en bien fort bons termes de la dicte Dame; néantmoins, au partir d'elle, retrouvant encores aulcuns de ces seigneurs dans la salle, l'ung des principaulx me dict, comme en riant, et toutesfoys en façon qui ne sembloit se moquer, que si nous ne sçavions avoir la paix avec les nostres, ilz ne la pourroient ny vouldroient avoir avecques nous; et adjouxta avec sèrement, et comme homme qui sembloit y avoir regrect, que si Vostre Majesté menoit cecy à l'extrémité des armes, qu'il voyoit que les choses n'yroient bien entre ces deux royaulmes. Et despuys, j'ay entendu que Dolovyn a mandé continuer l'aprest des ourques, et qu'il espère avant quinze jours faire lever l'arrest d'icelles, lequel terme je crains bien fort que se raporte au temps qu'ilz entendent que ces aultres Allemans commanceront de marcher, et qu'ilz veulent lors mettre tout le reste de leur apareil en mer. Ilz dépeschent promptement deux des grandz navyres de guerre pour conduyre la segonde flotte qui va en Hembourg, et les dix aultres, qui sont prestz, demeurent dans la rivière de Rochestre, oultre ung bon nombre d'aultres qui sont en équipaige dans divers portz de ce royaulme. Je ne seray cependant ny paresseux, 149 ny endormy sur leurs actions, à mettre en besoigne tout ce que je pourray pour les modérer, et au moins pour les vous mander d'heure à aultre, ainsy que je les verray advenir.

Les merchans qui estoient allez à Roan sont revenuz, qui font ung très bon rapport de Mr. le mareschal de Cossé et de ceulx avec qui ilz ont eu affaire. Il est venu deux aultres merchans françoys avecques eulx; je les ay toutz ouys parler et semble que les différans et difficultez qui se font, des deux costez, se pourront aulcunement accommoder. Il avoit esté respondu au secrétaire de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne que son maistre pourroit venir à l'audience quant il luy plairroit, et despuys estant renvoyé pour sçavoir l'heure d'icelle, l'on luy a opposé nouvelles difficultez qui mettent la matière en longueur. L'on n'attend que l'arrivée de ceulx qui, en l'assemblée de St Jehansthon le xxve du passé, ont esté depputez par le comte de Mora pour venir icy, affin de procéder incontinent après au faict du restablissement de la Royne d'Escoce. Sur ce, etc.

De Londres, ce xe d'aoust 1569.

L'on me vient d'advertir que ceste levée de reytres, dont ceste Royne m'a cy dessus parlé, se faict par des nepveuz du feu duc de Deux Pontz, oultre celle du duc de Cazimir, et que par lettres de Quillegrey, du xxıȷe du passé, l'on a adviz qu'ilz marcheront aussitost que xıııȷ mil livres esterlin, c'est envyron quarante sept mil escuz, restans de xl mil livres esterlin, dont souvant j'ay faict mencion, seront fornyes, lesquelles seront bientost prestes. Je mettray peyne de sçavoir plus au vray ce qui en est.

150

A la Royne.

Madame, ce que j'escriptz présentement en la lettre du Roy est pour vous représanter toutjour l'estat auquel me semble que continuent les choses de deçà, et le jugement qu'on peult faire à quoy elles deviendront, sellon les propos que la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil m'en ont tenu, qui certes monstrent, elle et eulx, d'estre en perplexité comment ilz pourront satisfaire aulx contraires promesses, qu'il semble qu'ilz ont faictes aulx deux parties; sçavoir, à Voz Majestez Très Chrestiennes de persévérer en la paix et aulx aultres d'estre avec eulx en ceste guerre, avec lesquelz on voyt bien desjà qu'ilz sont de volonté et de plusieurs secours, que soubz main ilz leur ont baillé et baillent encores toutz les jours; mais les aultres, ne se contantans de cella, les pressent de se déclairer davantaige ouvertement pour leur cause, estimans que cella portera grand faveur, et bien fort grand dommaige à la vostre; à quoy par leurs apprestz ilz monstrent certes se disposer, bien que leurs parolles, mesmement celles de la dicte Dame, ne sont rien moins qu'à la déclaration de guerre, dont est mal aysé de préveoir au vray ce qu'ilz feront; et croy que eulx mesmes ne l'ont encores plus expressément déterminé que de commettre leurs entreprinses à ce que le temps et l'occasion leur présentera. La dicte Dame a respondu résolument qu'elle ne prestera poinct d'argent sur les bagues de la Royne de Navarre, laquelle responce a esté pour satisfaire Vostre Majesté et contanter aulcuns de ce conseil; mais en effect le sieur Grassan faict secrectement toute la dilligence qu'il peult, pour trouver en ceste 151 ville les xxx mil livres esterlin, dont en mes précédantes je vous ay faict mencion: et ainsi, la pluspart des choses qui s'obtiennent, icy et en Allemaigne, au proffict de ceulx de la Rochelle, sur le crédit et moyen de la dicte Dame, se mènent sans le sceu d'aulcuns principaulx de ce conseil, et quelque foys sans celluy mesmes de la Royne, et souvant contre l'intention d'elle et d'eulx, et si secrectement que je suys en grand peyne de les descouvrir. Il est freschement arrivé de la Rochelle ung Allemant, et en sa compaignie ung Françoys, de qui je ne sçay encores le nom, qui ont aporté toutz deux plusieurs lettres de leur camp à ceste Royne et aulx seigneurs de son dict conseil; je mettray peyne de sçavoir que c'est, et prieray atant le Créateur, etc.

De Londres ce xe d'aoust 1569.


152

LIIe DÉPESCHE

—du XVe jour d'aoust 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Bordillon.)

Continuation de l'armement des navires dont l'arrêt a été prononcé.—Détails sur la nouvelle flotte destinée pour Hambourg.—Résultat de l'assemblée de Saint-Johnstown en Écosse.—Refus fait par le comte de Murray de consentir à aucun accord avec Marie Stuart.—Arrivée à Londres des déclarations touchant la cession que la reine d'Écosse est accusée d'avoir faite de ses droits au trône d'Angleterre.—Nouvelles de la Rochelle.—Grandes espérances des protestants de France.—Lettre de M. de Chatillon à un seigneur anglais.—Relation envoyée par ceux de la Rochelle à Élisabeth, de leurs opérations militaires depuis leur jonction avec le duc de Deux-Ponts.—Combat de la Roche-Abeille.—Défense de Niort.—Défaite des capitaines Richelieu et Lancereau.—Prise de Chabanois par l'amiral de Coligni.—Siége de Lusignan.—Déclaration des protestants, qu'ils ne demandent qu'un dernier édit de pacification.—Nouvelle ordonnance de la reine d'Angleterre contre les pirates.

Au Roy.

Sire, cest apareil des quatre ourques et des trois aultres vaysseaulx, qui debvoient sur la fin de la sepmaine passée sortir de la rivière de Londres, ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes, monstroient s'adresser ou contre voz subjectz, ou sur quelque endroict de votre royaulme, parce que les Srs. de Jumelles, Du Doict, de Launay de Bretaigne, le jeune Mouy, Sainct Fale, l'Allement naguières revenu de la Rochelle, et aulcuns aultres Françoys, se randoient conducteurs du Sr. Dolovyn, général de la flotte; dont s'estant trouvé le dict Dolovyn et ses ourques en arrest, eulx aussi sont demeurez arrestez jusques 153 icy: mais ne tiennent pourtant leur entreprinse délayssée, ains se préparent toutjour pour l'aschever, ayant desjà miz les armes, les monitions, pouldres, vivres et encores quelques enseignes, que je présupose estre de ces compaignies des Flamans qu'ilz prétendent s'embarquer, et plus de cent cinquante pièces de fer de fonte, tout dedans leurs vaysseaulx, et sollicitent au possible de faire lever le dict arrest: ce que je crains bien fort qu'ilz obtiennent, car j'entendz qu'à icelluy Doloyvn, quant il a dressé son équipage, le capitaine Peletan, lieutenant de l'artillerye, luy a promiz fornir de la Tour quelque quantité de pouldres, ung nombre de piques et de haquebutes, et il aschapte des corseletz à la ville, qui n'est sans que aulcuns de ce conseil luy tiennent la main en cella; lesquelz, possible, n'en advouhent rien, meintennant que la chose est descouverte, néantmoins ilz s'esforceront de faire que l'entreprinse ne réuscisse vayne, comme desjà semble qu'on veuille permettre à icelluy Dolovyn de sortir, en baillant caution ou bien prenant la moictié des mariniers qui soyent de ce pays: à quoy il dict qu'il ne veult condescendre. Je feray tout ce qu'il me sera possible pour l'empescher, et cependant Vostre Majesté fera, s'il luy playt, advertyr en la coste de Normandie et Picardie qu'on se tienne sur ses gardes, et aussi à Brest et à Bourdeaulx; car il a esté tenu propoz entre eulz de ces deux lieux.

La première flotte, que ceulx ci avoient envoyé en Hembourg est desjà de retour dans ceste rivière, et dict on qu'elle vient assés bien pourveue de merchandises aschaptées de dellà, ce qui contante aulcunement les merchantz, et faict ung merveilleux playsir à ceulx de la nouvelle religion, qui remonstrent par ce commancement de traffic qu'on se 154 pourra dorsenavant passer d'aller en Envers. Les navyres, qu'on disoit que le duc d'Alve avoit faict armer en Olande et Zélande, n'ont monstré aulcun semblant de les empescher; dont ceste segonde flotte pour le dict Hembourg, qui est d'envyron xxv vaysseaulx, s'en va partir plus confidentment le xxve de ce moys, soubz la conduicte de deux seulz navyres de guerre de ceste Royne, affrettez et avitaillez aulx despens des merchans, comme asseurez qu'ilz ne trouveront point de rencontre, bien qu'il semble que l'entremise d'accorder les différantz des Pays Bas soit, despuys quelques jours, ung peu réfroydie; et ceulx cy passent toutjour oultre à faire vandre les merchandises des Espaignolz, dont en a esté vendu, despuys huict jours, pour xx mil escuz en ceste ville, qu'on les estime valloir plus de soixante mille. Je crains fort que l'argent de la dicte vante aille à l'entretennement de la guerre de France ou aulx levées d'Allemaigne.

J'entendz que le comte de Mora, encor qu'il ayt proposé le faict de la Royne d'Escoce en termes indifférantz, qui sembloient laysser le libre jugement d'icelluy à ceulx de l'assemblée tenue à St. Jean Sthon le xxve du passé, a néantmoins faict, par les voix et suffrages de ceulx de son party, qui s'y sont trouvez en plus grand nombre que les aultres, que rien n'y ayt esté déterminé à l'advantaige de la dicte Dame, et a envoyé ung simple messagier devers ceste Royne pour s'excuser de ne pouvoir entendre à nul expédiant de la restitution de la dicte Royne d'Escoce, sans offancer sa conscience et sans préjudicier au petit Roy, son Maistre, et au bien du pays; et qu'il estime l'avoir desjà assés estably pour le pouvoir deffandre par la force: ce que monsieur l'évesque de Roz a opinion que ne sera aprouvé de 155 ceste Royne ny de ceulx de son conseil; dont, dans peu de jours, nous en sçaurons la résolution, car je m'en vays pour cest effect, et pour la restitution des prinses, trouver demain la dicte Dame, estantz l'excuse du dict comte de Mora et la déclaration de Voz Majestez, touchant le titre de ce royaulme, arrivez à poinct pour estre en mesme temps trettez et débatuz avec la dicte Dame et les seigneurs de son conseil. Sur ce, etc.

De Londres ce xve d'aoust 1569.

Je viens tout présentement d'estre adverty qu'il a esté mandé à monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, qu'il aura audience, quant il vouldra, de ceste Royne, en faisant aparoir qu'il ayt receu lettre du Roy Catholique, despuys celle que la dicte Dame luy a escript cest yver en latin. Je ne sçay encores si le dict sieur ambassadeur acceptera la dicte condicion. Je vous envoye la coppie d'une nouvelle proclamation que la dicte Dame a faicte contre les pirates.

A la Royne.

Madame, j'ay miz en la lettre du Roy les particullaritez, qui servent de principal argument pour la dépesche que je fays présentement à Voz Majestez, demeurant le reste des choses d'icy au mesmes estat que je vous ay naguières mandé, du xe du présent, et ne fauldray de vous escripre toutjour ce que, jour par jour, je verray advenir de plus ou de moins en icelles. Cella vous diray je, icy, davantaige, Madame, que l'Allemant et le Françoys, naguières arrivez de la Rochelle, semblent estre principallement 156 venuz pour représanter l'estat de leur armée et de leurs affaires à ceste Royne, et solliciter quelques deniers, qu'ilz attandent de ce royaulme. Ilz ont distribué plusieurs lettres, dont par l'extraict de l'une, qui est de monsieur l'Admyral, et d'ung discours, lequel à grand difficulté j'ay recouvert, Votre Majesté verra de quelle façon ilz parlent de leur faict, et seray bien ayse d'estre advisé s'ilz ont envoyé à Voz Majestez la remonstrance dont ilz font mencion en icelluy[10]; car ceste Royne m'en a parlé fort expressément ainsy que je le vous [ferai] plus à plain entendre par ung des miens, que sur aultres occasions je dépescheray devers Voz Majestez, aussitost que le Sr. de Vassal, que je vous envoyay sur la fin du mois passé, sera de retour. Le dict Allemant s'enreva à la Rochelle et dict on qu'il est à ce comte de Mensfelt, qui est avec eulx, lequel est pensionnaire de ceste Royne.

Le conseiller Cavaignes a faict quelque semblant de vouloir aussi repasser à la Rochelle, pour aller prendre la charge qu'avoit au dict lieu le conseiller Bourg son beau frère, qu'on dict estre despuy naguières décédé. Je ne sçay encores s'il partira. Toutz ceulx cy de la nouvelle religion se monstrent, à ceste heure, grandement relevez en l'espérance de leurs affaires, faisans estat que Poictiers sera prins, et que ceulx de dedans, voyans ne pouvoir estre secouruz, ont desjà commancé de parlementer; que l'armée du Roy ne pourra de long temps estre rassemblée, et que cependant la leur aura exploicté beaulcoup de choses à leur proffict; et que bientost le renfort, qu'ilz attandent encores d'Allemaigne, entrera en France, pendant que les 157 aultres princes catholiques ne s'esmeuvent guières chauldement pour réprimer leur entreprinse. Sur ce, etc.

De Londres ce xve d'aoust 1569.

COPIE D'UNE LETTRE APORTÉE DE LA ROCHELLE.

Monsieur, ayant entendu par toutes les dépesches que m'a faictes monsieur le Cardinal, mon frère, et mesmes par la dernière que m'a aportée Mr. du Puench, de quelle bonne volonté et affection vous embrassez les affaires qui se présentent par dellà pour le bien de ceste cause, et la bonne assistance que vous donnez en iceulx à mon dict sieur le Cardinal, davantaige ce que vous faictes, à toutes occasions, pour son particullier, je n'ay vollu faillir, par ce pourteur s'en retournant, de vous en faire ung bien fort affectionné remercyement, attandant que Dieu me donne le moyen de le pouvoir recognoistre en quelque bon endroict envers vous ou les vostres, lequel s'offrant vous vous pouvez asseurer, Monsieur, que je mettray peyne de ne demeurer ingrat de tant d'obligation que nous vous avons, lesquelles néantmoins je vous prieray d'accroistre par toutz les aultres playsirs que vous nous pourrez faire cy après; car ayant la charge que nous avons sur les braz à suporter, vous sçavés que nous aurons, tant qu'elle durera, bon besoing de l'ayde, faveur et assistance de Sa Majesté, ce que vous estant assés cogneu que nous ne pouvons avoir du mal à faulte d'estre secouruz que vous ne vous en sentiez bientôt après, je ne m'estendray, avec le bon zèle que je sçay que vous avez à ce qui nous touche, à vous faire ceste plus longue que pour me reccommander bien affectionnéement 158 à vostre bonne grâce et suplier Dieu vous donner, Monsieur, en sancté, augmentation des siennes.

Et est escript par postille—du camp de Busserolles, ce vıe jour de juillet 1569.

Et plus bas,

Vostre entièrement bon amy
Chastillon.

DISCOURS ENVOYÉ DE LA ROCHELLE A LA ROYNE D'ANGLETERRE.

Parce que nous ne voulons faillir, par toutes les commoditez et occasions que nous pourrons avoir, de tenir la Majesté de la Royne d'Angleterre au vray advertye, et Messieurs de son Conseil, de l'estat de noz affaires de deçà, comme il est très raysonnable, tant pour le regard des obligations que nous luy avons, que pour la connexité de la cause commune et chrestienne, que nous soubstenons au priz de noz vies et biens, nous avons advisé d'envoyer à monsieur le Cardinal de Chastillon ce petit discours, pour faire entendre à Sa Majesté comme, après que nous fusmes advertys du passaige du feu duc de Deux Pontz à la Charité, avec les forces qu'il avoit tant d'Allemans que de Françoys, et qu'il s'acheminoit pour nous venir joindre, et que Monsieur, frère du Roy, avoit joinct les forces de Mr. d'Aumalle, qui dellibéroient d'empescher les passaiges au dict feu sieur Duc, il fut advisé d'aller audevant d'icelluy, et de passer la Vienne, et de marcher jusques auprès de la ville de Limoges, où on leur assigna le rendez vous, affin de les recuillir le plus tost qu'on pourroit; et que pour cest effect messieurs l'Admyral et de La Rochefoucault 159 prendroient l'eslite de nostre armée, principallement de l'arquebouzerie, pour le grand besoin qu'en avoit le dict feu sieur Duc pour passer les détroictz, où s'estans acheminez les dictz sieurs Admyral et de La Rochefoucault, ilz furent advertys que le dict feu sieur Duc avoit desjà passé la dicte rivière de Vienne, et qu'il estoit logé à deux lieues de la mayson d'Escars, où le logis du dict sieur Admyral fut faict: lequel, sans s'arrester en son dict logis, passa oultre pour aller trouver le dict feu sieur Duc, auquel il ne peult parler, à cause qu'il estoit à l'extrémité de sa malladie, dont il morut peu d'heures après; qui est chose, qui doibt bien estre à jamais remarquée comme ung singulier et expécial œuvre de Dieu, qui ayt vollu faire ceste grâce, et donner moyen à ce prince de traverser tant de pays avec ung grand attirail d'artillerye, d'infanterie et de bagaiges, et à la teste et veue d'une grand armée, et de passer tant de rivières, tant de lieux et détroictz difficiles et périlleux, et telz qu'il n'est mémoire qu'armée en ayt jamais passé de semblables, et par où, à grand peyne, peult on dire qu'une seule charrette eust peu passer, de façon qu'il semble que cella soit ung songe à ceulx qui ne l'ont poinct veu; et qu'estant hors de dangier, et au lieu où il souhaytoit, pour secourir les esglizes de ce royaulme, le jour mesmes Dieu l'ayt vollu retirer à soy; et qui plus est que sa mort n'ayt aporté aulcun changement ou nouvelleté en son armée, qui ayt peu empescher qu'on n'ayt tellement négocié et accordé avec les chefz, colonnelz et reytres de la dicte armée, sur les difficultez qui s'offroient, et qu'en bien peu de jours on ne les ayt randuz contantz, tant pour le regard de leurs payemens et sur les aultres faictz qui se pouvoient révoquer en doubte; ce que fut faict 160 à St. Yriès la Perche; pendant lequel séjour, Monsieur, frère du Roy, ayant joinct ses forces d'Itallie, se vollut aprocher avecques son armée à deux lieues près de nous, où il fut résolu de l'aller veoir, et d'essayer de le combattre; et ayans trouvé en teste près de leur logis, en ung passaige où il y avoit ung ruysseau et des marescaiges, le Sr. Strossy, colonnel général des bandes françoyses, logé avec toute la fleur de leur infanterie, il fut tellement chargé qu'il fut prins prisonnier, son lieutenant thué et ses meilleurs capitaines, et de cinq à six cens soldatz, sans que jamais le reste de leur armée, qui voyoit jouer le jeu, se vollût mettre en campaigne ny faire contenance de soubstenir leur infanterie; et n'eust été que, tout ce jour là, la pluye fut si extrême et si grande que noz harquebouziers ne pouvoient plus jouer, il y a bien aparance que l'exécution eust esté beaulcoup plus grande, et eust miz fin aulx différantz d'une part et d'aultre. Mais puysqu'il a pleu à Dieu que les choses soyent passées de ceste façon, nous avons assés d'occasion de le louer et remercyer, et de nous contanter. Despuys, on séjourna encores ung jour au lieu de St. Yriès pour veoir s'il ne prandroit point d'envye aulx ennemys d'avoir leur revenche; et, voyans qu'au lieu d'en faire quelque contennance, ilz ne comparoissoient plus despuys ce temps là, et qu'à ceste cause, il estoit besoing de prendre séjour en quelque pays fertil, où noz reytres peussent se reposer et rafreschir du travail de leur long voyage, on fit marcher l'armée du cousté où nous sommes à présent, delliberez et résoluz de cercher toutes les occasions pour attirer nos dictz ennemys au combat, comme la chose que nous souhaitons et desirons le plus.

Le mardy, xıııȷe de juing, le Sr. du Lude, et grande 161 compaignie de cavallerye et infanterye, avec quatre canons et deux collevrines, commancèrent à battre Nyort, place assés mauvaise et mal aysée à fortiffier, en laquelle le Sr. de La Brosse estoit cappitaine, et y avoit assés peu de soldatz; ce qui fut la principalle occasion de faire entreprendre au dict Sr. du Lude de l'assiéger, mais le capitaine Puyviault, malgré les ennemys, y entra avec bon nombre de soldatz, et soubstint deux assaultz fort furieulx, que donnèrent les ennemys le premier de ce moys, desquelz y est demeuré mil ou douze centz; et ne fault oblyer que les femmes y ont faict plus de debvoir qu'on ne pouvoit espérer de leur sexe. Entre toutz, les dictz La Brosse et Puyviault y ont acquiz grande réputation, estantz toutjours à la bresche, où, encores qu'ilz fussent blessez en plusieurs endroictz, ilz ont repoussé les ennemys avec si grand perte de leurs gens, et tel estonnement et confuzion, que, entendans d'aultre part que le secours, que nous envoyions à ceulx de dedans, estoit prochain, ilz levèrent le siège si hastivement, le sabmedy ıȷe de ce moys, qu'ilz ont laissé ung de leurs canons. Monsieur de Telligny, qui conduysoit le dict secours, lequel estoit de huict cornettes de Françoys et quatre de reytres, les a poursuyviz de si prez, que, n'ayantz eu loysir de gaigner Poictiers, ilz ont esté contrainctz retirer à St. Maixant le reste de leur artillerye, avec leur infanterie et cavallerye à Partenay, et meintennant les tient serrez de si prèz et encloz (leur empeschant les vivres, cependant que nostre camp s'aproche), qu'il est mal aysé qu'ilz se puissent saulver.

La nuict du mercredy, Mr. de La Noue, gouverneur de Rochellois, ayant assemblé quelques forces de son gouvernement, sortit de la Rochelle pour aller secourir le dict 162 Nyort, et fut adverty que à Frontenay Labattu, distant de trois lieues du dict Nyort, les compaignies des capitaines Richellieu et Lancereau estoient logées, lesquelles il surprint si à propos qu'il en fut thué envyron trois cens et plus de deux centz chevaulx prins.

Le jeudy vıȷe, monsieur l'Admyral print par force Chabanois, où tout fut miz en pièces, réservé le capitaine nommé La Planche. Luzignan est meintennant assiégé et sur le poinct d'estre emporté, de là nous espérons aller devant Poictiers.

Le comte de Mongommery, avec les Viscomtes, est party de Montauban et a donné jusques dedans les portes de Thoulouse, et ruyné l'abbaye de St. Jean Roch, qui est aulx faulx bourgs avec grand estonnement de toute la ville.

Et pour ce que nous avons eu toutjour en singulière recommendation de justiffier noz actions de plus en plus, et faire toucher au doict et à l'œil l'équité et justice de ceste cause, encore qu'elle doibve assés estre cognue et manifeste à tout le monde, il fut advisé, quant nous eusmes accordé avec noz reytres et faict leur payement, de dresser et envoyer une remonstrance au Roy, meintennant que nous avons, avec l'ayde et assistance divine, assés heureux succez et aparance d'advantaige sur noz adversaires, pour estre aussi, cy après, publiée par toute la chrestienté, affin qu'on cognoisse de quel pied nous marchons en ce faict; et si nous sommes menez et poussez pour aultre fin que pour la conservation de la liberté de noz consciences, de nostre religion, de noz honneurs, et de noz vies, et de noz biens; et s'il tient à nous qu'on ne paciffie les troubles qui sont en ce royaulme. Ce qui servira pour 163 ceulx, lesquelz mal advertys ou passionnez, publient que nous voulons attempter à l'estat duquel nous avons toutjours esté aultant zélateurs et desireulx que noz ennemys en ont esté envyeulx et marrys, et [qu'ilz ont] troublé le repos et tranquillité d'icelluy.

ORDONNANCE FAICTE PAR LA ROYNE D'ANGLETERRE CONTRE LES PIRATES.

La Majesté de la Royne entend que, combien que, par ses premières ordonnances et proclamations, il ayt été notiffié à ses subjectz, nomméement aulx officiers de ses portz, de arrester les pirates et faire cesser toutes pilleryes, si est ce que quelque nombre de vaysseaulx, armés et conduictz par certaines désordonnées personnes, de diverses nations, hantent encores toutjours les mers estroictes, et ressortent secrectement en petites criques et places secrectes de ce royaulme, pour y prandre vivres et aultres choses à eulx nécessaires, et se font licencier de se mettre en mer pour donner couverture à leurs entreprinses, affin qu'ilz ne soyent prins comme pirates.

Pour à quoy remédier, et affin que ce prétexte ne puisse, en aulcune manière, ayder à telles personnes à commettre leurs pilleryes, ny à ceulx qui, pour leur gain particullier ou en faveur d'iceulx, les vouldroient favoriser soubz une fainte prétention d'ignorance,

Sa Majesté estroictement charge et commande à toute manière d'officiers et ministres ayantz gouvernement et charge dans aulcun port de ville, ou ayantz authorité de faire depputez soubz eulx en aulcune petite crique, de quelque part que ce soit, que dorsenavant il ne soit souffert à aulcunes personnes, vennantz de la mer, d'avoir vivres, monitions ou aultres choses nécessaires pour eulx, leur compaignie ou vaysseaulx, s'ilz ne sont notoirement cogneuz estre de l'équipage des vaysseaulx merchandz, passagiers, ouy pescheurs, ayantz affaire par deçà; deffendant en oultre de rien achapter ou recepvoir, directement ou indirectement, des dictes personnes vennantz de la mer, jusques à ce que les merchandises ou biens ayent esté aportez et miz à terre, et aulx places accoustumées 164 sellon les loix de ce royaulme, avec le consentement des officiers des coustumes, et que toutz debvoirs ayent esté payés pour iceulx, sellon l'usaige des merchandz, sur peyne à ceulx qui feront le contraire ou qui en seront consentz, d'estre miz en prison et y demeurer jusques à ce que inquisition aura esté faicte (sellon les loix de ce royaulme) d'eulx et de leurs faictz, comme en cas de pilleryes, et d'estre jugez et puniz comme pirates, ainsy que par les loix sera ordonné; et quiconque donnera information de ce contre aulcun officier des coustumes ou quelcun de ses depputez, et le pourra prouver, et [si] il est capable d'exercer le dict office, il le jouyra, ou aultrement sera deuhement et libérallement récompensé selon ses mérites.

Davantaige Sa Majesté veult et entend que toute sorte d'officiers, et expéciallement Gardes des portz, Visadmyraulx, Connestables et Capitaines des châtaulx, assis dessus la mer, et toutz aultres, ayantz office en portz de ville ou places à prendre terre, respondront par cy après, à leur plus grand et extrême péril, de faire leur dilligence en leurs jurisdictions, de s'enquérir, mettre guet; et par ce moyen apréhender toutes navyres de personnes qui hantent la mer avec vaysseaulx armez, et n'estantz pas merchantz aparans, et entièrement arrester toutz aultres qui équiperont leurs vaysseaulx en guerre, exepté seulement ceulx qui seront notoirement cogneuz estre ordinaires merchandz, passaigiers ou pescheurs; et de n'adlouer dorsenavant ou admettre aulcune allégation de licence à naviguer sur la mer avec vaysseau armé, à personne, quelle qu'elle soit, si ce n'est à ceulx qui sont bien cogneuz apartenir à Sa Majesté, et qui peuvent estre envoyez en mer pour la tenir libre de pirates.

Et si quelcun est trouvé coulpable ou manifestement négligent à cella, Sa Majesté leur faict entendre qu'ilz seront puniz avec telle sévérité que l'exemple en demeurera cy après aulx aultres pour se garder d'offancer en mesme cas.

Donné à Otlan le ııȷe jour d'aoust 1569, à l'unziesme an du règne de Sa Majesté.


165

LIIIe DÉPESCHE

—du XXIIe d'aoust 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)

Arrivée en Angleterre des députés envoyés de Rouen pour traiter de la restitution des prises.—Bonne réception qui leur est faite.—Espoir qu'un accord ne tardera pas à être conclu.—Plainte de l'ambassadeur à Élisabeth, au sujet de l'armement des navires qui se continue, malgré l'arrêt qu'elle a ordonné.—Déclaration de la reine, que ces navires appartiennent au prince d'Orange, qui les fait armer pour se défendre contre le duc d'Albe, et qu'elle en a tacitement autorisé la sortie.—Prochain départ du conseiller Cavaignes, qui est remplacé par le sieur Dudoit en sa charge d'agent des protestants de la Rochelle.—Vives instances faites par l'ambassadeur auprès de la reine d'Angleterre en faveur de la reine d'Écosse.—Élisabeth annonce qu'elle y pourvoira, et que déjà elle a refusé de recevoir le message du comte de Murray.—Elle s'emporte en grande colère contre Marie Stuart, et menace de l'échafaud, en présence de l'ambassadeur, plusieurs des seigneurs de son conseil.—Préparatifs d'une nouvelle flotte qui semble destinée pour la Rochelle.—Les seigneurs d'Angleterre insistent de nouveau pour qu'une pacification se fasse en France.

Au Roy.

Sire, j'ay esté trouver la Royne d'Angleterre sur son progrès à Fernan Castel, qui est trente cinq mille loing d'icy, pour luy présenter les deux depputez de Roan, lesquelz elle a bénignement ouys; et, de tant qu'ilz venoient par vostre commission, elle les a admiz à luy baiser la main, et leur a dict en général qu'elle ne vous donroit l'advantaige de faire aulcune chose en faveur et proffict des Anglois, qu'elle n'en fît aultant ou plus, pour l'honneur 166 de Vostre Majesté, en faveur des Françoys, et qu'ilz pourroient au reste, moy présent, proposer à ceulx de son conseil ce qu'ilz avoient à dire, lesquelz satisferoient aultant abondantment à leurs justes remonstrances comme par rayson et justice il seroit possible de le faire. Puys tretta de ce faict à part avecques moy, ensemble du chastiement des pirates et de la continuation du commerce; en quoy nous eusmes aulcuns petitz différans, lesquelz je incistay fort qu'ilz fussent reiglez sellon les trettez de paix, et conduysis le propos à luy toucher ung mot de l'impression de guerre, où je sçavois qu'on l'entretenoit, et qu'elle ne la vous debvoit aulcunement commancer, ny craindre aussi que Vostre Majesté, sans estre expressément provoquée, la luy commançeât; en quoy, pour monstrer qu'elle donnoit quelque lieu à ma remonstrance, elle me satisfit assés bien sur les particullaritez dont je luy avois parlé; ce qui me fit passer oultre à luy remonstrer davantaige bien vifvement, qu'après qu'à mon instance elle avoit commandé d'arrester les quatre ourques et trois aultres vaysseaulx qu'on avoit armez dans ceste rivière, l'on n'avoit layssé de les préparer et avitailler secrectement pour les getter du premier jour dehors: ce qui estoit grandement contre sa parolle et contre sa promesse.

A quoy elle me respondit que, sur la première remonstrance que je luy avois faicte là dessus, elle s'estoit enquise du faict de ces vaysseaulx et avoit trouvé qu'à la vérité l'homme du prince d'Orange, qui les armoit, avoit quelque entreprinse en main, mais elle la luy avoit rompue, et luy avoit cassé trois ou quatre centz soldatz, qu'il avoit toutz pretz et bien armez, et qu'elle s'estoit courroucée à son admyral d'avoir permiz cest armement dans 167 ceste rivière, sans luy en avoir rien dict; mais qu'à présent ce n'estoit plus chose que je deusse craindre. Il est vray que luy ayant le dict homme du prince d'Orange faict aparoir qu'il avoit achapté les dictes ourques, et que c'estoit le ruyner du tout de les luy oster, elle luy permettroit de les admener sans faire semblant d'en rien sçavoir.

A cella je m'oposay bien ferme, et qu'elle debvoit penser, puys qu'il sortoit armé de ceste rivière, qu'elle seroit responsable de tout le mal qu'il feroit.

Elle me répliqua qu'il n'admèneroit poinct de gens de guerre, et qu'il n'yroit aulcunement contre voz pays ny subjectz, mais qu'il luy estoit besoing de se conduyre bien seurement pour doubte du duc d'Alve, qui l'avoit faict pilloriser en effigie, et ne failloit doubter qu'il ne le fît exécuter en personne, s'il le pouvoit prendre; et m'en parla en telle façon qu'elle ne me layssa moyen de l'en presser davantaige.

Bien sceuz je, avant partir du dict lieu, que aulcuns Françoys, qui avoient dellibéré se mettre ès dictes ourques, sollicitoient ung congé de s'aller embarquer ailleurs pour passer à la Rochelle, et qu'il leur avoit desjà esté ottroyé ung passeport pour quarante hommes seulement, mandant de les laysser sortir de ce royaulme avec leurs armes; dont, de tant que ceulx là se sont desjà acheminez hors d'icy, j'ay envoyé en divers lieux veoir où, et quant, et quel sera l'embarquement. Le conseiller Cavaignes est de la partie, au lieu duquel j'entendz que le Sr. Du Doict demeurera, icy, agent. Par ainsy se cognoist que le voyage des dictes ourques estoit premièrement entreprins pour aller descendre en France, dont, Sire, je vays ainsy peu à peu gaignant temps et tout ce que je puys envers ceste 168 princesse; car, au demeurant, il y a ung apareil de guerre tout prest en son royaulme.

Je diz puys après à la dicte Dame, suyvant vostre lettre du xxıȷe de juillet, et suyvant plusieurs aultres de la Royne d'Escoce, que puysqu'elle avoit meintennant receu les amples déclarations de Voz Majestez Très Chrestiennes et celle de Monsieur, frère de Vostre Majesté, et de monsieur le Cardinal de Lorrayne, sur la seurté du tiltre de son royaulme; et receu aussi, d'aultre part, la déclaration que le comte de Mora luy avoit mandée pour faire perdre le sien à la Royne d'Escoce, je la suplioys, au nom de la dicte Dame, et très instantment de la part de Voz Majestez Très Chrestiennes, qu'elle luy vollût promptement ottroyer la prévoyance et remède qu'elle luy avoit toutjour promiz. Sur quoy je luy admenay toutz les argumens que j'avois pour le luy persuader, et pour luy faire veoir que, comme c'estoit une entreprinse honnorable et utille, que aussi elle luy estoit nécessaire, et qu'elle ne pouvoit, ny debvoit plus la prolonger, ny aulcunement la reffuzer; aultrement qu'il failloit qu'elle la remît paysiblement ez mains de Vostre Majesté et vous mettriez peyne de l'exécuter, sellon que vous y estiez en plusieurs sortes bien fort obligé.

Elle se monstra aulcunement altérée et ung peu esmeue là dessus, et me respondit en propos amples, lesquelz seront trop plus convenables de vous estre récitez de bouche par ung des miens, que j'envoyeray bien tost devers vous, que de les mettre icy par escript; tant y a qu'en substance, elle me pria vous escripre qu'elle n'avoit encores eu loysir de veoir les déclarations, que luy aviez envoyées, lesquelles elle espéroit que seroient telles que je luy disois; et quant à celle du comte de Mora, qu'elle ne l'avoit vollue accepter, 169 ny en tiltre de déclaration ny de responce, et avoit renvoyé son messaigier pour luy dire qu'il luy en eust à faire, tout promptement, une meilleure, ou qu'elle mesme se la feroit et pourvoirroit, sans luy, au faict de la Royne d'Escoce; et pourtant elle prioit Voz Majestez d'avoir pacience pour quinze jours seulement: car incontinent après, elle procèderoit en cest affaire d'une façon qu'elle espéroit ne debvoir estre que bien aprouvée de toutz les princes du monde; mais qu'elle me vouloit bien dire qu'elle avoit miz peyne d'estre plus que bonne mère à la Royne d'Escoce, là où elle, au contraire, s'estoit esforcée de faire plusieurs pratiques dans ce royaulme à son préjudice, et que celle qui ne vouloit bien user envers sa mère méritoit d'avoir une marastre; appelant là dessus ceulx de son conseil et monsieur l'évesque de Roz, ausquelz elle récita en françoys la plus part de ce que je luy avois dict, et pareillement la responce qu'elle m'avoit faicte, puys leur desduysit en anglois, en grand collère, aulcunes grandes pleinctes de la Royne d'Escoce, et menassa les plus habilles et les plus grandz de leur faire trancher la teste.

Je prins, quelque temps après, le propoz pour le ramener à doulceur, et pour aulcunement justiffier Voz Majestez et moy, vostre ambassadeur, de n'avoir jamais entendu en aulcunes sinistres pratiques, qui ayent peu tant soit peu altérer vostre commune amytié. A quoy elle me respondit, Sire, qu'elle vous en deschargeoit et moy aussi, et qu'elle sçavoit bien qui en estoient les coulpables.

Je me licentiay gracieusement de la dicte Dame, et me sembla, à veoir la contenance des principaulx d'auprès d'elle, qu'ilz estoient toutz esmeuz de ces propos, sur lesquelz monsieur l'évesque de Roz a despuys tretté avecques 170 elle; et j'espère que bien tost je vous pourray mander tout ce qui aura succédé en cella, aydant le Créateur auquel je prie, etc.

De Londres ce xxıȷe d'aoust 1569.

Il semble que ceulx cy préparent encores une nouvelle flotte pour la Rochelle, sur quoy Vostre Majesté me commandera s'il fauldra que je m'y oppose, et que je leur offre que vous les ferez accommoder de vin et de sel, ez aultres endroictz de vostre royaulme, aulx pareilles conditions qu'ilz les vont quérir au dict lieu.

A la Royne.

Madame, oultre ce que j'ay touché en la lettre du Roy des propoz que la Royne d'Angleterre m'a naguières tenu à Fernan Castel, j'aurois à vous faire entendre plusieurs particullaritez et discours, qui sont intervenuz là dessus entre elle et moy; mais, parce qu'ilz seroient longs à mettre icy, je vous diray seulement, Madame, que quant à la restitution des prinses, et chastiement des pirates, et continuation du commerce, elle et ceulx de son conseil ont monstré de me vouloir beaulcoup contanter, et ont depputé quatre bons et honnestes merchantz de cette ville pour convenir avec ceulx de Roan de toutes leurs difficultez; ès quelles, s'ilz correspondent d'effect à ce qu'ilz promettent de parolle, j'espère qu'on ne se despartira sans quelque accord, et avons cependant prolongé la mutuelle restitution jusques au prochain jour de St. Michel.

La dicte Dame m'a parlé du siège de Poictiers et de la 171 remonstrance, que ceulx qui sont devant ont envoyé faire à Voz Majestez pour se justiffier de la continuation de ceste guerre sur la deffance de leur religion et de leurs vies, laquelle ilz disent estre très légitime; et ay cogneu qu'ilz avoient envoyé faire ung grand fondement de cella envers la dicte Dame, comme j'estime qu'ilz ont faict le semblable envers les aultres princes protestans; et semble que Mr. Norrys luy ayt envoyé une coppie de la dicte remonstrance, et qu'il luy ayt escript que monsieur le comte de Retz la vous avoit aportée. A laquelle remonstrance, parce que je ne l'avois veue, je n'ay respondu que ce que j'ay estimé convenir à l'honneur et grandeur de Voz Majestez; c'est que je craignois que vous ne trouveriez jamais bonne, ny vouldriez jamais accepter aulcune de leurs remonstrances, quelles humbles parolles qu'ilz y sceussent mettre, tant qu'ilz seroient en armes; et que j'estimois qu'il leur fauldroit venir à une vraye et parfaicte obéyssance de les poser d'eulx mesmes, pour se commettre à la foy, bonté et clémence de Vos dictes Majestez, ne faisant doubte que ne fussiez prestz d'en user lors très abondantment envers eulx.

Elle m'a répliqué qu'ilz estoient comme celluy qui avoit appellé d'Allexandre à Allexandre mieux conseillé, et qu'ainsy se commettroient ilz franchement et sans craincte à Voz Majestez, quant vous ne seriez plus conseillez de leurs ennemys, mesmement de ceulx qui sont hors de vostre royaulme; car ilz ne se pouvoient deffier de vostre bonne volonté et affection, qui estiez leurs vrays et naturelz Princes et Seigneurs.

Je luy ay respondu que, à la vérité, ilz n'avoient aulcun bon argument de se deffier; car despuys les premiers troubles, 172 ès quelz ilz vous avoient assés offancez, ilz estoient souvant venuz au pouvoir de Voz Majestez, qui ne les aviez pourtant que bien trettez et toutjours essayé de les gaigner et attirer par doulceur. Et ce mesmes propos me fut, le mesmes jour, répété par le secrétaire Cecille, en présence des seigneurs de ce conseil, tout exprès pour oster de l'opinion d'aulcuns d'eulx qu'il n'y avoit rien de rebellion en ceste cause; à quoy incistant toutjour, de ma part, qu'ilz avoient donc à poser les armes et recourir à la clémence de Voz Majestez, eulx toutz de grand affection m'ont demandé quelle seureté ilz pourroient avoir de la clémence et bénignité, que vous leur prométriez. Je leur ay respondu que d'y demander seurté ilz y esteindroient le nom de clémence, et que je voyois bien que là gysoit le principal poinct; mais puysque Voz Majestez estiez de la partie, il estoit raysonnable que les principalles difficultez fussent remises en voz mains, et que vous eussiez, comme très légitimes et débonnayres princes, l'honneur et l'advantaige de les décider entre voz subjectz, et que la seurté seroit en l'honneur de vostre parolle, en la bonne estime que vouliez acquérir de toute droicture et intégrité envers les aultres princes, et en la foy, amour et confiance que vous desiriez que vos propres subjectz prinsent de vous. Il semble aulx propoz de la dicte Dame et des dictz seigneurs de son conseil qu'ilz souhaitent grandement de veoir réuscir quelque paix en vostre royaulme.

Touchant les affaires de la Royne d'Escoce, la dicte Dame a monstré qu'elle estoit aulcunement irritée et offancée contre elle, en quoy au moins elle ne trouvera que je y aye en rien mal meslé Voz Majestez, ny mené aultre pratique en cella que d'avoir toutjour franchement et 173 droictement procuré envers elle et les seigneurs de son conseil, et envers toutz ceulx que j'ay cognuz bien affectionnez à la dicte Dame, le bien, et la liberté, et la restitution d'elle à sa couronne. Je ne sçay ce qui aura succédé despuys mon partement de ceste court, mais il m'a semblé d'y avoir layssé les choses assés altérées pour cause de cest affaire; lequel est pour produyre enfin quelque nouveaulté en ce royaulme.

Les esmotions d'Irlande, à ce que j'entendz, vont toutjour grossissant, et commancent de donner peyne et soucy à ceste Royne. Elle a encores prolongée l'audience à l'ambassadeur d'Espaigne, et cependant le duc d'Alve a faict republier aulx Pays Bas une plus estroicte exclusion, que devant, de tout traffic avec les Anglois. Sur ce, etc.

De Londres ce xxıȷe d'aoust 1569.

Nicollas, le corrier, qui a accoustumé de servir ordinairement en ceste charge, me presse de luy donner congé parce qu'il dict n'avoir, longtemps y a, rien receu de ses gaiges, et de tant qu'il faict en ce temps assés besoing icy, il vous plairra, Madame, le faire aulcunement contanter.


174

LIVe DÉPESCHE

—du XXVIe jour d'aoust 1569.—

(Envoyée jusques à la Court par Nicolas le chevaulcheur.)

Départ d'un grand nombre de Français et de gens de guerre pour la Rochelle, avec le conseiller Cavaignes.—Craintes que l'on doit concevoir en France de plusieurs expéditions maritimes qui se préparent à la fois.—Plaintes faites à ce sujet par l'ambassadeur au conseil qui promet d'y remédier.—Chargement de la flotte de Hambourg.—L'ambassadeur d'Espagne ne peut encore obtenir d'audience.—Satisfaction manifestée par Élisabeth des déclarations qui lui ont été remises touchant la cession, qu'aurait faite Marie Stuart de ses droits au trône d'Angleterre.—Elle se montre plus favorable à la reine d'Écosse.—Remontrance de ceux de la Rochelle au roi, pour demander un édit de pacification.—Protestation de leur dévouement au roi.—Déclaration qu'ils n'ont pris les armes que pour la défense de leur religion.—Ils offrent une soumission entière sous la seule condition que l'exercice de la religion réformée leur sera irrévocablement garanti.—Ils sollicitent la convocation d'un concile général.

Au Roy.

Sire, ceulx que j'avois secrectement envoyé pour espier le chemin que prendroient les Françoys et Flamans, qui sont naguières partys de ceste ville, m'ont raporté qu'ilz les ont layssez s'embarquant en divers portz de ce royaulme, sans avoir peu certainement aprendre où ilz vont: car les ungs parlent de faire voyle à la Rochelle; les aultres d'aller trouver le capitaine Sores[11], qu'ilz disoient estre de retour 175 vers ceste mer estroicte avec vingt ou vingt cinq navyres bien armez; aultres d'aller avec l'homme du prince d'Orange, qui a desjà fait avaller ses ourques et aultres vaysseaulx prez de l'embouchure de cette rivière; aultres qu'ilz vont rencontrer le bastard de Briderode, lequel, ayant avec quatre bons navyres de guerre reconvoyé, de Hembourg jusques en la coste de deçà, une partie de la flotte des Anglois qui s'estoit escartée par tormente, est descendu prendre des rafreschissemens vers Aruich. Et semble à la vérité que ceste troupe faict divers chemyns, mais Cavaigne au moins avec sa compagnie prent celluy de la Rochelle, lequel Cavaignes va succéder à la charge qu'avoit le conseiller Bourg, son beau frère, qui est décédé en Angolesme le vȷe de juillet, et emporte, à ce que j'entendz, sept mille vc. {lt} esterlin, c'est vingt cinq mil escuz, qui est tout ce qu'il a peu pratiquer pour ceste foys, provenant de la vante de cinq cens miliers de métal, que les Anglois ont dernièrement aporté à leur retour de Brouage.

Et de tant qu'aulcuns ont estimé que toute ceste compaignie ensemble pourroit faire le nombre de trois mil homes de guerre, j'ay esté incontinent devers aulcuns seigneurs de ce conseil, qui d'advanture se sont trouvez en ceste ville, pour leur remonstrer que l'embarquement de tant d'hommes est chose fort contraire à la promesse, que la Royne, leur Mestresse, et eulx m'ont dernièrement faicte, et que j'ay grande occasion de ne leur donner jamais plus de foy, et d'escripre dorsenavant à Vostre Majesté et de paix et de guerre tout aultrement que je n'ay faict jusques icy.

A quoy ilz m'ont respondu qu'ilz ne peuvent croire que les choses passent aultrement que la Royne et eulx me les 176 ont promises, et que, possible, à cause de ceste seconde flotte qui va en Hembourg, et du partement de l'homme du prince d'Orange, lequel ilz n'estiment qu'il prègne la routte de France, et aussi du partement d'aulcuns Françoys qui à la vérité passent à la Rochelle, il y peult avoir bruict et aparance d'ung plus grand embarquement qu'à la vérité il n'est; car n'estiment qu'en tout y ayt plus de deux à trois cens hommes d'effect, qui n'est nombre de quoy je doibve faire cas; et que du capitaine Sores ilz n'en ont rien entendu, ny ne croyent qu'il soit de retour; vray est qu'en ce temps ilz ne peuvent en façon du monde contenir ceulx de la nouvelle religion; toutesfoys que, sur mon advertissement, ilz mettront peyne de s'enquérir que c'est, affin d'y remédier.

Cependant, Sire, encor que je n'estime que cest apareil, qui sort meintennant d'icy, soit pour faire grand effect en terre, si n'ay je vollu faillir de vous en donner promptement adviz, et l'ay aussi mandé aulx gouverneurs de voz places, qui sont sur la coste de dellà, affin d'y prendre garde, et je vériffieray encores mieulx ce qui en est pour les en advertir d'heure à aultre.

La dicte flotte pour Hembourg est desjà chargée de beaulcoup plus grand nombre de draps que n'estoit la première, et sera preste de sortir de ceste rivière le dernier de ce moys, soubz la conduicte de deux grandz navyres de guerre de ceste Royne. Le bruict continue qu'il s'en prépare une aultre pour la Rochelle; dont vous suplie me mander si je offriray, de vostre part, à ceulx cy que vous les ferez fornir de vins et sel, ez aultres endroictz de vostre royaulme, à pareilles condicions qu'ilz les ont à la Rochelle, affin de leur interrompre ce traffic. L'on a divulgué par tout ce 177 royaulme que la Royne de Navarre et monsieur le prince son filz, et ceulx de leur party, vous ont envoyé offrir une soubzmission d'obéyssance par escript, de laquelle le secrétaire Cecille m'a envoyé une coppie; et de tant qu'aulcuns des grandz m'ont mandé qu'ilz ont opinion qu'elle a esté faicte par deçà, parce qu'on l'a traduicte d'anglois en françoys, je la vous envoye affin de veoir s'ilz la publient en aultre façon qu'ilz ne l'ont faicte.

Les affaires de la Royne d'Escoce sont traversés de beaulcoup de difficultez; mais je n'espère encores que bien de la fin d'iceulx, et, possible, que les mesmes difficultez les establyront. Ceulx des Pays Bas demeurent encores en suspens, et l'audience est différée à monsieur l'ambassadeur d'Espaigne; néantmoins le desir de les accorder ne se réfroydit aulcunement, ains s'eschauffe de plus en plus des deux costez; dont ne reste que le moyen de le tretter, lequel demeure sur la réputation à qui parlera le premier. Sur ce, etc.

De Londres ce xxvȷe d'aoust 1569.

Tout présentement, le Sr. de Vassal vient d'arriver avec les deux dépesches de Vostre Majesté, du xve et xvȷe du présent, aus quelles je feray responce par mes premières.

A la Royne.

Madame, vous verrez en la lettre que j'escriptz au Roy ce que, pour ceste foys, j'ay principallement à faire entendre à Voz Majestez des choses de deçà, sinon touchant le faict de la Royne d'Escoce, qu'il me reste encores vous dire, Madame, que ceulx, qui luy sont icy bien affectionnez, 178 estiment luy importer grandement que le desir et bonne affection, que le Roy et Vous avez à son restablissement, soyent signiffiez et bien cogneuz à la Royne d'Angleterre; dont estiment estre fort requiz qu'il vous playse tenir à son ambassadeur, Mr. Norrys, un semblable langaige que, de la part du Roy et Vostre, je luy ay tenu icy à elle, pour l'admonester de ne plus prolonger ny reffuzer son secours à ceste princesse, ou bien remectre paysiblement l'entreprinse en vostre main; et ne trouver mauvais ny prendre aulcune deffiance de Voz Majestez, quant elle verra que, du premier jour, vous l'y mettrez à bon escient, avec d'aultres particullaritez que je vous manderay par ung des miens, aussitost que j'auray receu une responce que j'attandz demain de ceste court; qui pourtant, Madame, pourrez différer de parler au dict sieur ambassadeur jusques à ma première dépesche.

Or, le jour après que j'euz dernièrement parlé de cest affaire à la dicte Royne d'Angleterre, elle se fit lyre la déclaration du Roy et Vostre, celle de Monsieur filz de Vostre Majesté[12], de monsieur le Cardinal de Lorrayne et de Mr. l'Arsevesque de Glasco, touchant le tiltre de ce royaulme; lesquelles elle trouva en la forme qu'elle desiroit. Et ayant, avec loysir, pensé aulx choses que, le jour précédant, je luy avois dictes là dessus, et d'icelles conféré avec les seigneurs de son conseil, elle vollut parler, secrectement et à part, à Mr. l'évesque de Roz, pour entendre le fondz et la vérité de plusieurs raportz qu'on luy avoit faictz de la dicte Royne d'Escoce; lequel luy en dict franchement ce 179 qui en estoit: de quoy elle demeura consolée, voyant qu'il n'y avoit rien qui tournât à son préjudice, ny qu'on eust pensé de rien entreprendre en ce faict, sans son sceu ny sans son expresse permission et volonté. Dont, considérant mon instante sollicitation au nom de Voz Majestez pour la liberté et restitution de la dicte Royne d'Escoce, elle luy a escript incontinent une bonne lettre, pleyne de consolation et de promesses, et en a escript d'aultres bien expresses au comte de Mora, telles, comme le dict sieur évesque de Roz les luy a vollu deviser; lesquelles luy ont esté desjà envoyées par ung gentilhomme escouçoys, nommé Me. Thomas Flemy. Et, dans quinze jours, nous espérons qu'il sera commancé de procéder en telle façon sur ceste matière, que nous pourrons clairement juger quelle en pourra estre la fin; et adjouxteray ce mot, que le dict affaire semble estre passé si avant que je croy que d'icelluy deppend ou le repoz, ou le grand trouble de ce royaulme. Sur ce, etc.

De Londres ce xxvȷe d'aoust 1569.

Copie d'une remonstrance, que ceulx de la Rochelle ont mandé avoyr envoyée au Roy, après l'arrivée du duc de Deux Pontz.

Au Roy.

Sire, c'est une chose merveilleusement estrange et presque incroyable qu'entre tant de subjectz, que Dieu a vollu soubzmettre soubz l'obéyssance de Vostre Majesté, et qui se vantent ordinairement d'estre tant affectionnez au bien de voz affaires et conservation de vostre couronne, il n'y 180 en ayt néantmoins ung seul qui face seulement semblant de s'esforcer à esteindre ce feu qu'on voyt journellement embrazer, et [qui] peult consummer cestuy vostre royaulme; et que au contraire ilz s'en sont trouvez plusieurs qui ont infinyement travaillé à l'allumer et augmenter, et accroistre. Et, combien que cella deust plustost et premièrement procéder de ceulx qui, de gayeté de cueur et pour leur seul [intérest] particullier ont esmeu et sucité ces troubles, contre le gré et volonté de Vostre Majesté, et qui font la guerre ou la paix, quant il leur playt, et non pas de ceulx qui iniquement et injustement sont assailliz et poursuyviz en leurs consciences, honneurs, vies et biens, et qui n'ont aultre intention que de se deffandre et conforter contre telles injustes violences, n'ayant jamais rien tant hay que les troubles et esmotions ny tant procuré que l'entretien de la paix, toutesfoys la Royne de Navarre et Mr. le Prince, son filz, Mr. le Prince de Condé et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, esmeuz et poussez de ceste affection et obligation naturelle qu'ilz ont à Vostre Majesté et à la conservation de vostre royaulme, n'ont peu ny vollu différer plus long temps à recercher et raporter de leur part, comme ilz ont toutjours faict, toutz les remèdes propres et convenables dont ilz ont peu adviser, pour garentyr cestuy vostre royaulme d'une ruyne et subversion dont il a esté tant de foys, comme il est encores plus que jamais, menassé; et pour restablir une paix et tranquillité publique à laquelle, pour s'estre toutjours démonstrez par trop facilles et enclins, on sçayt assés en quelz périlz et dangiers ilz ont esté prestz de tumber, si Dieu par sa saincte grâce ne les en eust, contre toute espérance et opinion humaine, garentys et préservez; 181 tellement qu'ilz ont fort peu d'occasion d'espérer et attandre de pouvoir parvenir à ce qu'ilz desirent, si ce n'est qu'il playse à Dieu de changer du tout le cueur de leurs ennemys qui vous envyronnent, et les incliner à une paciffication; estimans plustost les dictz sieurs Princes et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, que, au lieu de recognoistre ceste libéralle et franche volonté qui est manifeste aujourd'huy, et le debvoir auquel ilz se veulent mettre pour restablyr une parfaicte et estroicte unyon et repoz entre voz subjectz, qu'elle sera calomniée et sinistrement interprétée, comme elle a toutjours esté, par ceulx qui ne hayssent et ne craignent rien plus que de veoir ceste réconcilliation; d'aultant néantmoins que les dicts sieurs Princes, Seigneurs, Chevaliers et aultres, qui les accompaignent, n'ont jamais rien eu en plus grande recommendation que de randre toutjours de plus en plus leurs actions manifestes à Vostre Majesté, et imprimer souvant des tesmoignages du desir singulier, qu'ilz ont toutjours heu, de vivre et morir en l'estroicte obéyssance et subjection naturelle qu'ilz vous doibvent, et faire paroistre à tout le monde combien leurs cueurs et volontez sont esloignez des impostures et calompnies du cardinal de Lorrayne et aultres ses adhérans, ministres et pensionnaires des ennemys naturelz de vostre coronne.

Et [d'autant] que les Françoys, qui ont esté contrainctz de s'assembler à leur très grand regrect, ne tendent que à meintenir et conserver leur religion, leurs honneurs, leurs vies et leurs biens, ilz ont estimé que telles considérations ne les pouvoient ny debvoient empescher ou retarder de poursuyvre et pourchasser, de tout leur pouvoir, l'effaict 182 d'une tant salutaire et nécessaire paix à ce royaulme, et rendre tesmoignage de l'humillité, révérance et respect, qu'ilz portent à Vostre Majesté; ce qu'ilz eussent encores beaulcoup plustost faict, sinon qu'ilz ont toutjours estimé que leurs ennemys eussent pancé, ou pour les moins vollu faire acroyre, que c'eust esté la nécessité qui les eust induictz à cella,—veu mesmes les asseurances, que leurs dictz ennemys ont bien ozé donner à Vostre Majesté, qu'il ne s'estoit faict aulcune levée de gens de guerre en Allemaigne pour le secours des dicts sieurs Princes; et, quant bien on en auroit faict, qu'il y avoit moyen et forces suffizantes pour les empescher d'entrer en ce royaulme; et, ores qu'ilz y fussent entrez, qu'il y avoit tant de rivières et de passaiges entre eulx et les dictz sieurs Princes, qu'il seroit fort aysé de les empescher de se joindre; et quant ilz seroient joinctz, que les dictz sieurs Princes n'auroient aulcuns vivres pour les entretenir;—ayantz pour ceste cause vollu temporiser et attandre qu'ilz eussent joinctz et payés leurs dictes forces, et rassemblé les aultres qui estoient dissipées et esparces, lesquelles on sçayt estre telles qu'on ne peult nyer qu'ilz ne puyssent bien ayséement résister à leurs dictz ennemys et exécuter des mauvais dessings, s'ilz en avoient quelque mauvaise volonté, comme on a vollu dire.

Si donc, aulx premiers troubles que feu monsieur le Prince de Condé et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, receurent et acceptèrent les condicions de la paix, concernant le seul faict de la religion et liberté de leurs consciences, incontinent après la mort de feu monsieur de Guyse et du Mareschal de Sainct André, et après avoir prins prisonnier monsieur le Connestable, qui estoient les trois principaulx chefz et conducteurs de l'armée;—si, 183 aulx derniers troubles, incontinent qu'on offrit au dict sieur Prince et aulx Seigneurs et Gentishommes de sa compaignie, le restablissement de l'exercisse de la religion, quoy qu'ilz eussent joinctes grandes forces estrangières et qu'on fût prest de donner l'assault à la ville de Chartres, à la teste et veue du camp de l'ennemy, qui estoit la plus part desbandé, et que, à la seule démonstration de paix, qui fut faicte par ung trompète envoyé soubz le nom de Vostre Majesté, non seulement le dict sieur Prince despartit de faire donner l'assault, mais fit du tout lever le siège et retirer son armée, sans avoir néantmoins raporté d'une si prompte obéyssance que une paix sanglante et playne d'infidellité;—si, aulx mesmes troubles, le lendemain de la bataille St. Deniz, le dict sieur Prince envoya vers Vostre Majesté le Sr. de Telligny pour luy remonstrer la ruyne et désolation qui menassoit dez lors ce royaulme, si on y laissoit entrer les estrangiers qui estoient desjà sur les frontières, et pour proposer et mettre en avant les moyens et remèdes pour parvenir à une paix qui ne touchoit que le seul faict de la religion, encores que le dict sieur Prince eust [eu] du meilleur en la dicte bataille, comme on sçayt, et que monsieur le Connestable, l'ung des principaulx chefs de l'armée des ennemys, y eust esté thué;—brief, si voz éedictz ont toutjours esté faictz et la paix accordée, lorsque ceulx de la religion ont eu moyen, par les forces, de s'en faire croyre, s'ilz en eussent vollu abuser;—et qu'en toutz les propoz et traictez de paix, il n'ayt esté faict mencion que du seul faict de la religion, et que leurs ennemys n'ayent jamais esté amenez à une paciffication que par une nécessité, et lors [que] par la force ouverte ilz ne pouvoient plus rien entreprendre contre eulx;—en 184 quelle conscience et avec quel visaige et contenance peult on dire qu'il va en ces troubles d'aultre faict que de la religion?

Et affin néantmoins de convaincre toutjours davantaige le dict cardinal de Lorrayne, et aultres ses adhérans, des menteries et impostures qu'ilz publient encores toutz les jours, les dictz sieurs Princes, et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, voulans oblyer l'infidellité, lascheté et desloyaulté, dont l'on a usé en leur endroict par le passé, déclairent et protestent aujourdhuy devant Vostre Majesté, comme devant Dieu, que quelques mauvais traitemens qu'on leur ayt faict recepvoir jusques à ceste heure, il ne leur est jamais tumbé en pensée de les inputer à Vostre Majesté, pour estre vostre naturel par tropt esloigné de telles sévéritez, rigueurs et injustices, dont vous avez par tant de fois randu de si ouvertes démonstrations qu'on n'en peult justement doubter. Et moins encores ont ilz pensé à changer, ny mesmes diminuer, tant peu que ce soit, de la volonté et affection naturelle qu'ilz ont tousjours eue à la conservation, advancement et grandeur de vostre estat; et que, si par toutz les effectz susdictz on a cogneu et veu à l'œil qu'ilz n'ont aultre fin et intention que de servir à Dieu, sellon sa vollonté et sellon qu'ilz sont instruictz par sa saincte parolle, soubz l'obéyssance, profession et authorité de voz éedictz, et d'estre maintenuz et conservez esgallement comme voz aultres subjectz en leurs honneurs, vies et biens, que meintennant ilz en veulent encores randre une preuve et tesmoignage si manifeste, que leurs ennemys mesmes ne les puyssent révoquer en doubte; non que toutes foys ilz veuillent entrer en aulcune justiffication de leurs actions passées, pour 185 estre leurs ignocences et justice de leur cause assés cogneue de Vostre Majesté et de toutz les roys, princes et potentatz estrangiers, qui ne sont de la faction et party d'Espaigne; et moins encores veulent ilz entrer en capitullation avec Vostre Majesté, saichans bien, grâces à Dieu, quel est le debvoir d'un bon et fidelle subject envers son souverain Prince et Seigneur naturel; mais d'aultant, Sire, qu'on sçayt assés le bon marché qu'on a faict, par cy devant, de la foy et parolle de Vostre Majesté, qui doibt estre saincte, sacrée et inviolable, et avec quelle audace on a abusé de vostre nom et authorité, au péril et dangier extrême de toutz voz subjectz, qui font profession de la religion réformée; il semble bien qu'on ne doibt trouver estrange si les dictz sieurs Princes, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, vous suplient très humblement de vouloir déclairer vostre volonté, touchant la liberté de l'exercisse de la dicte religion, par ung éedict solempnel, perpétuel et irrévocable; affin que par icelluy ceulx qui ont esté desjà par deux foys si témérayres que d'enfraindre et violler, avec toute impunité, ceulx que vous avez faictz, soient plus retenuz par le dict troisiesme éedict.

Et, pour ce que ceulx qui n'ont jamais peu endurer l'union et repos, qui estoient meintennu entre voz subjectz par le moyen de l'observation de voz éedictz, ont prins occasion de les altérer et corrompre par nouvelles interprétations et modiffications, du tout contraires à la substance de voz éedictz et à l'intention de Vostre Majesté; et que les dictz sieurs Princes, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, recognoissent qu'ilz ont esté, par ung très juste jugement de Dieu, beaulcoup plus affligez en temps de paix que en temps de guerre ouverte, pour avoir trop 186 ayséement consenty, aulx trettez de paix qui ont esté faicts, qu'on ayt faict la part à Dieu, et qu'on se soit contanté qu'il fût festé seulement en certains lieux et endroictz de ce royaulme et par certaines personnes.

Ne pouvant plus en saine conscience rien remettre de ce qui apartient du service de Dieu, ils suplient très humblement Vostre Majesté de vouloir ottoyer et accorder générallement à toutz voz subjectz, de quelque quallité et condicion qu'ilz soyent, libre exercisse de la dicte religion en toutes les villes, villaiges et bourgades, et toutz aultres lieux et endroictz de vostre royaulme, et pays de vostre obéyssance, sans aulcune exeption ou réservation, modiffication, ou restriction de personnes, de temps, ou des lieux, avec les seurtez nécessaires et requises; et oultre, ordonner et enjoindre à toutz vos dictz subjectz de faire profession manifeste de l'une ou l'aultre religion, affin de couper chemyn à plusieurs, lesquelz abusans de ce bénéfice, sont tumbez en athéisme et en une liberté généralle, s'estans licenciez de toute exercisse et profession de religion, ne desirans rien plus que de veoir une confuzion en ce royaulme, et tout ordre de pollice et dicipline eclésiastique renversée et oblyée, chose trop dangereuse et pernicieuse, et qui ne se doibt aulcunement tollérer.

Et d'aultant que les dictz sieurs Princes, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, ne doubtent pour ce, que ceulx qui ont tousjours jusques à meintennant jetté le fondement de leur desseings sur les calompnies qu'ilz publient pour les randre odieulx, mesmes à l'endroict de ceulx qui sont, par la grâce de Dieu, affranchiz de la servitude et tyrannie de l'Antechrist, ne fauldront de mettre en avant qu'ilz veulent opiniastrément 187 deffandre sans rayson ce qu'ilz ont une foys résolu de croyre touchant les articles de la religion chrestienne, [plutôt] que de se corriger et rétracter: ilz déclairent et protestent, comme ilz ont toutjours faict, que, si en quelque poinct de la confession de foy, cy devant présantée à Vostre Majesté par les esglizes réformées de vostre royaulme, on les peult enseigner, par la parolle de Dieu accompaignée de lieux conjoinctz de l'escripture saincte, qu'ilz s'esloignent de la doctrine des prophettes et apostres, que promptement ilz donneront les mains et cèderont très volontiers à ceulx qui les instruyront mieulx par la parolle de Dieu qu'ilz n'ont esté par cydevant, s'ilz errent en quelque article.

Et pour ceste cause ne desirent rien tant que la convocation d'ung concille libre et général, auquel ung chacun puysse estre ouy et desduyre ses raysons, qui seront confirmées ou convaincues par la pure parolle de Dieu, qui est le moyen duquel il a esté usé de tout temps et anciennement en pareille occasion.

Par ce moyen, Sire, il ne fault doubter que Dieu ne face la grâce à Vostre Majesté de veoir les cueurs et volontez de voz subjectz unys et réconciliez, et vostre royaulme retourner en son premier estat et esplandeur, à la honte et confuzion de voz ennemys et des nostres, lesquelz par leurs secrectes menées et très estroictes intelligences qu'ilz ont avec l'Espaignol, ont bien sceu industrieusement et subtillement divertyr l'orage et la tempeste, qui estoit ez Pays Bas, pour la faire retorner et tumber sur vostre coronne et sur vostre royaulme.

Ce qu'ilz suplient très humblement Vostre dicte Majesté vouloir bien et exactement considérer; et juger, s'il luy playt, s'il est plus à propos d'attandre des deux armées, qui 188 sont meintennant assemblées dans vostre royaulme, une sinistre et sanglante victoire, de laquelle le vaincu raporte aultant de fruict et de gain que le vaincueur, ou bien de les employer ensemble, pour le service de Vostre Majesté et bien de voz affaires, en beaulcoup de belles occasions qui se présentent aujourduy, aultant importantes au repos de vostre royaulme et conservation de vostre coronne, que nulles aultres qui se sont offertes de nostre temps; et par ce moyen renvoyer la tempeste et l'orage aulx lieux dont ilz sont venuz:

En quoy les dictz sieurs Princes, et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, sont déllibérez et résoluz, comme en toutes aultres choses où il yra du bien et grandeur de vostre estat, d'employer leurs personnes et biens, et toutz les moyens que Dieu leur a donnez, jusques à la dernière goutte de leur sang; ne recognoissans en ce monde aultre souverayneté ou principaulté que la vostre, en l'obéyssance et subjection de laquelle ilz veulent vivre et mourir, qui est telle et semblable que ung Prince Souverain et Seigneur naturel peult attandre et desirer de bons, fidelles et loyaulx subjectz et serviteurs.


189

LVe DÉPESCHE

—du Ier de septembre 1569.—

(Envoyée jusques à la Court par le Sr. de Sabran.)

Notification est faite à la reine d'Angleterre des projets de mariage du roi de France avec une fille de l'empereur d'Allemagne, et de Madame avec le roi de Portugal.—Nouvel arrêt des navires du prince d'Orange.—Crainte que cet arrêt ne soit bientôt levé.—Opinion de l'ambassadeur sur la remontrance de la reine de Navarre.—Prochain départ de la flotte destinée pour Hambourg.—Retour d'une flotte qui avait été envoyée à Narva.—Arrivée à Londres d'un ambassadeur venant de Moscovie.—Pressantes recommandations de l'ambassadeur pour qu'il soit fait de vives démonstrations en France en faveur de la reine d'Écosse.—Lettre secrète pour la reine-mère, avec recommandation expresse de la brûler après l'avoir lue.—Détails sur le projet de mariage entre le duc de Norfolk et Marie Stuart.—Des promesses réciproques ont été échangées.—Quelles sont les conditions du mariage.—Sollicitations faites par le duc auprès de l'ambassadeur pour obtenir le consentement du roi, de la reine-mère et des princes de la Maison de Lorraine.—Ce que le duc désire qui soit fait en France pour assurer le rétablissement de la reine d'Écosse sur son trône.—Mémoire général sur les affaires d'Angleterre, d'Espagne et d'Écosse.—Nouvelles d'Allemagne.—Préparatifs secrets faits en Angleterre pour pouvoir, à l'occasion, tenter une expédition en France.—Déclaration faite par Élisabeth au cardinal de Chatillon, qu'elle ne peut lui donner les secours d'hommes et d'argent qu'il demande.—Crainte de l'ambassadeur, que les nouvelles démonstrations d'amitié qui lui sont faites ne cachent quelque projet de guerre.—Caractère du soulèvement d'Irlande.—Refus fait par Élisabeth de recevoir l'ambassadeur d'Espagne en audience, sans qu'il ait été de nouveau accrédité auprès d'elle par Philippe II.—Les négociations relatives aux différends avec les Pays-Bas demeurent en suspens.—Mécontentement que montre Élisabeth de la résolution prise à son égard dans l'assemblée de Saint-Johnstown, en Écosse.—Décisions arrêtées dans cette assemblée sur les quatre articles proposés pour la reine d'Écosse.—Instances de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth pour qu'elle se prononce en faveur de Marie Stuart.—La reine d'Angleterre demande un délai de quinze jours avant de déclarer sa détermination définitive.—Pressante nécessité de secourir Dumbarton.—Entrevue de la reine d'Angleterre et de M. le cardinal de Chatillon.—Assurance est donnée à la reine par le cardinal, que les protestants de France n'ont rien négligé pour arriver à une pacification.—Réclamation officielle de l'ambassadeur auprès de la reine d'Angleterre en faveur de la reine d'Écosse.—Déclaration lui est faite que si elle refuse de la rétablir sur son trône, la France prendra les armes pour elle.—Réponse d'Élisabeth à cette réclamation.—Avis secret concernant les affaires de la reine d'Écosse.—Instances qui sont faites auprès d'elle pour qu'elle épouse le roi Philippe II ou un prince d'Espagne.—Négociations de sir Hamilton auprès du duc d'Albe pour obtenir un secours d'argent.—Conditions mises par le duc à la coopération de l'Espagne, pour le rétablissement de Marie Stuart.—Mécontentement que l'on doit éprouver en France de la conduite de l'Espagne dans cette négociation.

Au Roy.

Sire, par le retour du Sr. de Vassal j'ay receu voz deux dépesches du xve et xvıe du passé, sur lesquelles ayant envoyé demander audience à la Royne d'Angleterre elle me l'a avec quelque difficulté accordée pour ung jour de la sepmaine prochaine, vers Anthonne à lx mil d'icy, où je l'yray trouver; et n'obmettray rien du contenu en icelles ny de chose qui se offre meintennant icy pour vostre service. Et à mon retour je vous feray entendre comme elle aura prins les nouvelles du mariage de Vostre Majesté et de celluy de Madame[13]. Cependant, Sire, je continueray vous dire que ces Françoys et Flamans, qui sont naguières partys de ceste ville, se sont acheminez en divers portz et se 191 sont embarquez comme pour faire divers chemyns; et l'homme du prince d'Orange voulant, mècredy dernier, sortir de ceste rivière avec ses ourques et vaysseaulx, a esté de rechef arresté; mais il a envoyé en dilligence devers les seigneurs de ce conseil pour faire lever le dict arrest, ce que je croy qu'il obtiendra, et yra trouver le bastard de Briderode, qui est encores en la coste de deçà avec quatre navyres bien armez; et estiment aulcuns que toutz ces hommes, qui sont partiz d'icy, encor qu'ilz aillent sortir de divers portz, ne laysseront pourtant, quoy qu'on m'ayt promiz, de se joindre ensemble sur mer pour s'acheminer à la Rochelle ou vers quelque endroict de la coste de France, et dict on que le capitaine Sores a aussi ung aultre équipage de xxv ou xxx navyres; de quoy, à toutes advantures, j'ay desjà donné adviz aulx gouverneurs de la frontière de dellà, affin d'y prendre garde.

J'entendz qu'on faict imprimer en langaige de ce pays la remonstrance, que la Royne de Navarre vous a envoyé, et qu'on dellibère la publier en divers endroictz de ce royaulme, et que mesmes on l'envoye en Allemaigne pour justiffier ceulx de la nouvelle religion qu'ilz ne procèdent d'aulcune rébellion en ceste guerre; mais il court ung bruict par ceste ville que la dicte remonstrance a esté forgée par deçà pour entretenir ceste Royne, et pour s'opposer à l'opinion des catholiques, ne croyant le monde que ceulx de la Rochelle se soyent aulcunement miz à tel debvoir. Je useray là dessus comme il plairra à Vostre Majesté me le mander.

La flotte pour Hembourg est desjà chargée et parée pour le premier bon vent; l'on l'estime valloir plus d'un million d'or. Elle s'en va avec double équipaige d'hommes 192 en toutz les vaysseaulx, soubz la conduicte de deux grandz navyres de guerre de ceste Royne. Il est revenu une aultre flotte bien chargée de merchandises des pays froidz, que ceulx cy avoient au commancement de l'esté envoyé à Narves; et avec icelle est arrivé ung ambassadeur du duc de Moscouvie, lequel n'a encores parlé à ceste Royne. Il est bien accompaigné, et, tant luy que toutz les siens portent des patenostres en leurs seintures, ce qui les faict estre plus mal veuz de ceulx de la nouvelle religion, qui les estiment estre catholiques. Et par ce, Sire, que je vous envoye le Sr. de Sabran instruict d'aultres plus importantes particullaritez, je ne feray la présente plus longue que pour vous suplier très humblement de luy donner foy, et prier dévottement le Créateur, etc.

De Londres ce 1er de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, ce que j'adjouxteray meintennant icy, oultre le contenu en la lettre du Roy, et oultre ce que particullièrement j'ay donné charge au Sr. de Sabran de vous dire, auquel s'il vous playt, Madame, vous adjouxterez foy, est que les affaires de la Royne d'Escoce sont sur le poinct ou d'estre remédiez, si Voz Majestez les veulent ung peu ayder, ou bien de demeurer, possible, à jamais sans remède, s'ilz sont à ce coup habandonnez; dont ceulx, qui en sentent icy l'importance, estiment estre requiz qu'il vous playse faire deux choses: l'une, de parler là dessus vifvement à l'ambassadeur de la Royne d'Angleterre, conforme à ce que j'en ay desjà dict à elle de vostre 193 part, affin que vostre affection et intention en cella luy soient davantaige cogneuz par les lettres de son ambassadeur; dont j'ay baillé au dict Sr. de Sabran ung mémoire de ce qui en a esté tretté entre elle et moy, avec toutes ses responces, affin de vous pouvoir servir de quelque adviz pour en mieulx discourir avec icelluy sieur ambassadeur;—l'aultre, d'envoyer, dans le mois d'octobre prochain, quelque secours d'ung petit nombre d'arquebouziers à Dombertran, si ceste Royne, entre cy et là, n'accommode les affaires de la dicte Dame, ainsy que j'ay donné charge au dict Sr. de Sabran de vous en représenter le besoing: qui vous monstrera aussi, Madame, deux lettres, que la Royne d'Escoce m'a escriptes, dont l'une est de sa main, laquelle, avecques la créance de celluy qui me l'a aportée, me font très humblement suplier Voz Majestez, ès quelles elle a, après Dieu, sa confiance, qu'il vous playse luy assister de ce peu qu'elle vous requiert, qui luy conservera à elle son estat, et à vous beaulcoup de réputation envers les aultres princes, voz alliez et confédérez, pour avoir Voz Majestez, au millieu de voz plus grandz affaires, heu le soing de secourir ceste vostre première et principalle alliée et confédérée. Et j'entendz, Madame, que la pouvre princesse n'a receu aulcune plus grande consolation, despuys sa fortune, que d'entendre, par le retour du Sr. Bortyc, que vous l'aviez avecques ses affaires en bonne souvenance et recordation: et atant je prie Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, en parfaite santé, très heureuse et très longue vie et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

De Londres ce 1er de septembre 1569.

194

AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.

Madame, je n'ay plus tost entendu vostre desir sur le propoz d'entre la Royne d'Escoce et le duc de Norfolk, que je n'aye incontinent miz peyne de l'advancer par toutz les moyens que j'ay peu, et ay si bien conduict l'affaire que luy, en personne, et elle, par l'évesque de Roz, m'ont déclairé y avoir, soubz l'espérance de la restitution d'elle à sa coronne et promesse de luy qu'il l'y restituera, ung mutuel consentement de mariage entre eulx: de quoy luy s'est franchement commiz à moy, et m'a dict avoir lettre d'elle pour s'y commettre; et je l'ay mené à cella que, de luy mesme, il m'a recherché d'avoir là dessus l'approbation de Voz Majestez Très Chrestiennes, nomméement de Vous, Madame, dont je l'ay asseuré que je travailleray de vous disposer fort bien envers eulx, pourveu qu'ilz se veuillent toutz deux gouverner par vous, ce qu'il m'a promiz et donné la main qu'ilz feront; et que, de sa part, après la Royne sa Mestresse, il demeurera, tout oultre, bien asseuré serviteur du Roy et Vostre, tout le temps de sa vie.

C'est ung fort homme de bien, véritable et secrect, auquel sera besoing, Madame, que me permettiez de l'asseurer du consentement du Roy et Vostre, et que vous luy ferez encores, pour le regard des parans maternelz de la dicte Dame, avoir celluy de monsieur et madame de Lorrayne, et de monsieur le Cardinal; et, au reste, il vous requiert très humblement de deux choses:

L'une, de parler vifvement, à leur ambassadeur de dellà, de la restitution de la dicte Royne d'Escoce, affin que 195 vostre desir et bonne affection en cella soyent clairement cogneues à la Royne d'Angleterre, leur Maistresse;

Et l'aultre, qu'il vous playse envoyer cinq ou six cens harquebouziers françoys seulement, qui soyent avitaillez et amonitionnez pour ung temps, à Dombertran, avant la fin d'octobre prochain; car cella, avec l'assistance qu'il y fera d'icy, relèvera grandement la part de la dicte Dame dans le pays, ce qu'il estime n'estre que bon de le dire au dict ambassadeur, et comme c'est pour la garde seulement de la place, et pour recepvoir plus grandz forces, si voyés qu'il soit besoing d'y en envoyer, faignant d'avoir desjà donné charge à Mr. de Martigues ou à Mr. de Bouillé d'aprester ung armement en Bretaigne pour cest effect; et que Vostre Majesté ne craigne, pour ceste démonstration de Dombertran, d'irriter davantaige les Anglois, car dict qu'il y pourvoirra de tout son pouvoir.

J'ay donné charge à ce gentilhomme, présent porteur, qui est confidant, de vous dire aulcunes particullaritez, touchant le dict secours, et aussi, comme il n'est possible de consommer encores de quelques jours le dict mariage, et que je suys après à vous faire envoyer des messagiers de l'une et l'aultre partie, affin de les engaiger et obliger toutz deux à Vostre Majesté, et, me remettant à luy, je n'adjouxteray pour le surplus à la présente, qu'une très dévote prière à Dieu, etc.

De Londres ce 1er de septembre 1569.

Le duc d'Alve a envoyé lettre en ceste ville pour dellivrer dix mil escuz à la dicte Dame, ce que je pense estre en erres de l'aultre party; mais j'espère les faire bailler au duc 196 de Norfolc pour erres du sien. Je vous suplie très humblement faire brusler la présente.

MÉMOIRE BAILLÉ AU Sr. DE SABRAN.

LE DICT Sr. DE SABRAN DIRA A LEURS MAJESTEZ, oultre le contenu de la Dépesche:

Que la Royne d'Angleterre, continuant son progrez, est à présent à Bazin, esloigné xlv mil d'icy, et les choses de son royaulme demeurent en ung certain estat de paix, qui monstre néantmoins qu'elles sont disposées à la guerre, que la plus part de ceulx du pays s'atandent de l'avoir, et qu'il ne reste pour la commancer sinon qu'ilz voyent les affaires de France réduictz à ung poinct, qui face le jeu plus seur aulx leurs.

Oultre les aprestz et armemens dont j'ay faict mencion en mes aultres dépesches, l'on m'a donné adviz que le duc de Lunebourg, qui est pensionnaire de ceste Royne, et deux aultres coronnelz, tiennent une levée de trois mille reytres et de huict mille Allemans preste pour elle.

Et l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, m'a mandé avoir naguières receu lettres bien fresches de Mr. de Chantone, par lesquelles il luy mande que le duc de Cazimir a ses gens prestz; et que, oultre ceux là, le duc Auguste en a arresté d'aultres, de pied et de cheval, mais que pour encores ny les ungs ny les aultres ne marchent.

J'ay faict bien fort soigneusement enquérir du faict du dict de Lunebourg à ceulx, qui sont naguyères revenuz de Hembourg, qui disent qu'il ne haste sa dicte levée, et seulement qu'il tient ses hommes advertys et préparez, auxquelz il a distribué quelque peu d'argent venu d'icy, qui 197 faict que, en leurs festins et compaignies, ilz boyvent, de là en hors, à la bonne grâce de la Royne d'Angleterre.

Vray est que Quillegrey est allé trouver les dicts ducs Auguste et Cazimir jusques en Saxe pour tretter, comme je présume, du faict de ceste guerre avec eux; et j'entendz qu'il a escript que icelluy de Cazimir avoit, jusques à ceste heure, différé de marcher pour aulcunes difficultez, lesquelles à présent estoient composées, et que bien tost il seroit en campaigne. L'on parle d'envoyer ung aultre ambassadeur en Allemaigne pour se trouver à la prochaine diette, et je présume que ce sera Trokmarthon; car j'entendz qu'il se met en ordre et se prépare pour quelque voyage.

Naguyères a esté envoyé commission en ceste ville de Londres, pour commander à ceulx, qui sont obligez de tenir chevaulx de service, de les avoir toutz prestz du premier jour, et à ceulx qui doibvent avoir des courtaultz, lesquelz ilz appellent chevaulx légiers, de se pourvoir comme les aultres de chevaulx de service, et aulx brigandiniers d'avoir des corseletz, et aulx tireurs d'arc d'avoir des haquebutes, et aulx merchandz de se pourvoir chacun d'armes à sa commodité.

Encores despuys, est venue aultre commission par où est mandé à toutes les paroisses que, sellon la grandeur et nombre d'hommes qui est en chacune d'icelles, l'on ayt à se fornyr de certaine quantité de piques, d'haquebutes, corseletz, arcz et aultres armes, et les aschapter de la Tour sellon le priz qui en a esté faict de chacune espèce d'icelles par les commissaires à ce depputez, dont le Sr. Thomas Grassan est le principal; et c'est affin d'armer beaulcoup d'hommes par tout ce royaulme, et tirer cependant de l'argent; 198 et aussi pour renouveller les armes de la dicte Tour qui sont desjà si vieilles et usées, pour avoir esté longuement et souvant forbyes avecques du sablon, qu'il y en a une partie quasi percées à jour.

Oultre cella, l'on m'a donné adviz qu'aulx monstres généralles de ce pays, il y a esté faict une secrecte description de soldatz (sçavoir, de six mille harquebouziers, six mille corseletz et encores d'aultres douze mil hommes, mais ne sçay avec quelles armes), pour estre pretz et levez dans quatre jours, toutes les foys qu'on les mandera.

Ilz font aussi amaz d'argent par toutz les moyens qu'ilz peuvent, faisans vandre les merchandises d'Espaigne, faisans forger des angellotz neufs dans la Tour, comme pour soldoyer estrangiers, et arrester tous les payemens des particulliers, de sorte qu'on ne voyt plus courir aulcuns deniers parmy le commun; et, à ce propoz, l'on m'a donné adviz que, depuys quelques moys en çà, deux Anglois sont venuz de Genève à Lion avec plusieurs lettres d'eschange, qui donnent ordre au recouvrement des deniers pour le payement des reytres, mais je n'ay peu sçavoir leur nom.

Pour toutz ces aprestz, je n'estime que ceulx cy se hastent pourtant de nous commancer encores la guerre, ny d'exploicter ouvertement contre nous chose qui les puisse directement arguer de l'infraction des trettez, jusques à ce que le dict duc de Cazimir soit entré en France, ou que l'armée, qui est à Poictiers, soit aprochée en Normandie ou Picardie, ou qu'ilz voyent succéder une si grand bataille que les propres forces du royaulme ne soyent, puys après, suffizantes d'empescher que les leurs n'exécutent ce qu'ilz vouldront; ce qu'on m'a dict qu'ilz vont guettant sur toutes choses, et qu'en ce cas, ilz font estat d'avoir les 199 estrangiers à leur dévotion: et j'entendz qu'il y a je ne sçay qui en France, qui continue les asseurer de la prinse de Callays dans vingt jours, s'ilz le veulent essayer; à quoy ne fault doubter qu'ilz n'ayent une merveilleuse affection, et se parle aussi qu'on pourra faire descente au Tresport.

Il est vray que, de la sublévation advenue en Suffoc et Norfolk, encor qu'il ayt apareu que les eslevez estoient de la nouvelle religion, et presque toutz ouvriers de layne, qui s'estoient ainsy mutinez, parce qu'on ne les employoit à leurs accoustumez ouvrages durant ceste suspencion de traffic des Pays Bas, dont ne leur restoit aulcun moyen de vivre, et aussi de celle d'Irlande, de laquelle, encor que ceulx cy monstrent ne faire cas, qui a néantmoins apareu jusques icy bien grande, si sont ilz en peyne de toutes deux; et aulcuns principaulx du conseil, pour l'importance d'icelles, et pour divertyr aulcunes aultres plus affectés entreprinses qui ne leur playsent pas, cryent et pressent qu'il fault pourvoir à celles cy, et ne se surcharger tout à la foys de beaulcoup d'affaires estrangières avecques les princes, en quoy proposent d'abandonner le faict de la Royne d'Escoce et les différans des Pays Bas.

Dont sur une mienne remonstrance, qu'en ces entrefaictes j'ay vifvement faicte à ceste Royne et aulx principaulx des siens, après qu'ilz l'ont eu mise en dellibération, en laquelle j'entendz que la dicte Dame mesmes a prins aulcunement le party de la soubstenir, il a esté advisé de faire dire par Mr. le duc de Norfolk à Mr. le cardinal de Chatillon que, voyant la dicte Dame que je révoquoys à infraction de paix beaulcoup de choses, qui se faisoient en son royaulme en faveur et proffict de ceulx de la Rochelle tant par mer que par terre, elle et eulx, ses conseillers, 200 estimans n'estre bon ny convenable de perdre l'amytié du Roy, ny rompre la bonne paix qu'elle a avecques luy et avecques son royaulme, le vouloient bien advertyr, ensemble ceulx de son party, de se pourvoir ailleurs des remèdes et secours qu'ilz serchoient par deçà, et qu'ilz se contentassent que ce royaulme leur fût un reffuge de paix, sans le faire tumber en ung inconvéniant de guerre.

Et j'ay sceu despuys bien certainement que le dict duc luy a porté la parolle, et que suyvant icelle les ourques ont esté arrestées, lesquelles semble que prandront meintennant aultre routte que celle de France, bien qu'aulcuns m'en mettent en doubte, comme je le mande en la lettre du Roy. Les soldats de l'homme du prince d'Orange ont esté cassez, dont ce qu'il y avoit de Françoys se sont allés embarquer ailleurs. L'emprunct sur les bagues de la Royne de Navarre a esté en aparance reffuzé, et quelque forme de provision a esté ordonnée sur les prinses, et contre les pirates, et sur la continuation du commerce.

Je ne veulx toutesfoys rien inférer de paix ny de guerre pour cella, sinon aultant que, jour par jour, j'en verray advenir, et aultant que je pourray ramener les affaires au bien du service du Roy; car, au reste, toutz les adviz que j'ay, concourent à ce que ceulx cy n'attandent que l'ocasion et l'oportunité, que j'ay dict cy dessus, pour se déclairer; et que leurs présentes démonstrations ne sont que pour servyr au temps, affin de pouvoir prandre le party qui leur semblera plus expédiant de paix ou de guerre, quant ilz en verront leur poinct, et cependant en aparance satisfaire le Roy et ceulx qui luy sont icy bien affectionnez, mais en effet secourir et porter le faict des aultres, aultant qu'il leur est possible; comme, à la vérité, ilz les 201 secourent d'argent, et de monitions, et de tout ce que secrectement ilz les peuvent accommoder par des moyens toutesfoys, qui ne chargent guyères les finances de ceste Royne, ny ne touchent quasi en rien à elle.

La sublévation d'Irlande a monstré, du commancement, debvoir estre la plus grande qu'on eust jamais veu dans le pays, tant pour le grand nombre d'hommes qui avoient prins les armes, que pour y avoir des principaulx du pays meslez, et que les deux anciennes factions, qui toutjour avoient esté ennemyes, s'estoient accommodées en cecy; mais j'entendz que ung des principaulx de l'entreprinse a mandé à ceste Royne que ce n'estoit contre elle, ny contre son authorité, qu'ilz s'estoient ainsy armez, ains pour aulcunes leurs prétentions particullières, esquelles ilz vouloient estre satisfaictz; et que, quant il verroit passer l'affaire à rebellion, il se retireroit incontinent, et ramèneroit au service de la dicte Dame la meilleur part de la troupe. Et despuys, estant le comte d'Ormont arrivé par dellà, encor qu'on ayt eu quelque mesfiance de luy, il a néantmoins faict en sorte, avec son frère et avec le comte de Quilday, qu'il a ramené les choses à quelque modération; de quoy ceste Royne et les siens, icy, ont receu grand plésyr, et ont eu très agréable que j'aye faict bon office et offres là dessus, de la part de Leurs Majestez Très Chrestiennes, à la dicte Dame, laquelle, pour ceste cause et pour l'opinion qu'elle a heu que d'aultres princes y allumoyent le feu, elle s'est monstrée despuys mieulx disposée envers le Roy, plus difficile ez différans des Pays Bas, et moins accordante aulx requestes de ceulx de la Rochelle; tant y a que les armes ne sont encores posées au pays d'Irlande. 202

DES DIFFÉRANDZ DES PAYS BAS.

L'Ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, a essayé par plusieurs moyens d'entrer en tretté avec ceulx cy sur les différandz des Pays Bas, et le duc d'Alve a fort vollu que, pour la réputation de son Maistre, il commençât d'y procéder par ung moyen de continuer à parler à elle comme l'ambassadeur ordinaire, sans monstrer avoir nouvelle ny expécialle commission du Roy Catholique pour cella. De quoy ayant esté reboutté plusieurs foys, il l'a faict néantmoins solliciter par interposées personnes, nomméement par ung sieur Georges Espée et par le Sr. Ridolfy, si instantment qu'avec l'ayde d'aulcuns principaulx seigneurs du conseil il luy avoit esté, une foys, mandé, parce qu'il asseuroit avoir plusieurs lettres là dessus du Roy, son Maistre, mais qu'elles estoient en chiffre, qu'il vînt quant il luy plairroit; et me fut donné adviz à moy que parmy beaulcoup de grandz promesses, qui se faisoient là dessus pour parvenir à cest accord, l'on y mesloit je ne sçay quoy qui touchoit à l'interest de la France, et que j'eusse à y prendre garde, ce qui m'a long temps tenu en peyne; mais je n'en ay encores peu rien descouvrir, sinon quelques propoz généraulx qui, à la vérité, tendoient à ung certain leur particullier proffict et advantaige, et à confirmer davantaige l'alience et intelligence d'entre eulx et leurs estatz, et, s'il y a rien de mal, je ne puys croyre qu'il procède du dict sieur ambassadeur, ains d'icelluy Espée, qui est, à ce que j'entendz, ung très mauvais Françoys.

Tant y a que, quant le dict sieur ambassadeur a, despuys, 203 envoyé demander le jour, l'heure et le lieu de l'audience, la dicte Dame a de rechef assemblé son conseil pour luy respondre; et, ayant appellé premier le comte de Lestre pour luy dire bien peu de parolles tout bas, puys toutz les aultres ensemble, après avoir longuement débattu de l'affaire, elle leur a dict, tout hault, en langaige itallien, [de sorte] que les gens du dict sieur ambassadeur l'ont peu ouyr,—«Je n'en feray rien, car l'on me veult tromper; mais qu'il parle premièrement à vous et qu'il vous face voir s'il a des lettres de son Maistre, et puys je parleray à luy.»

Or, continuans toutjour le dict sieur ambassadeur et moy nostre mutuelle visitation par messaiges, il m'a mandé dire que la dicte Dame luy avoit une foys accordé la dicte audience, puys luy avoit mandé qu'il parlât premièrement à ceulx de son conseil, pour leur monstrer s'il avoit receu nouvel ordre et nouveau commandement du Roy, son Maistre, pour tretter et négocier de ces différans avecques elle; et qu'il avoit respondu que l'ordre, qu'il avoit de son dict Maistre, estoit une continuation de lettres qu'il luy avoit ordinairement escriptes, comme à son ambassadeur, pour tretter de toutes choses qui concernoient par deçà son service avecques elle, et qu'il n'avoit que faire avec ceulx de son conseil pour aller devers eulx; mais, s'ilz avoient à faire à luy, qu'ilz sçavoient où il demeuroit, et le pourroient venir trouver; et que despuys elle luy avoit envoyé offrir l'audience, mais qu'il n'y vouloit poinct aller.

Ainsy l'affaire demeure encores en suspens et les merchandises des Espaignolz se vandent.

204

DU FAICT DE LA ROYNE D'ESCOCE.

Après plusieurs remises et longueurs, uzées par la Royne d'Angleterre à la Royne d'Escoce, l'on tira enfin une promesse d'elle, au mois de juing dernier, qu'aussi tost qu'elle auroit receu la déclaration de Leurs Majestez Très Chrestiennes et de Monsieur, frère du Roy, sur le tiltre de ce royaulme, et qu'elle auroit heu la responce des Estatz d'Escoce, qui estoient convoquez par le comte de Mora à St. Jehansthon au xxve juillet, elle ne diffèreroit plus de procéder à la restitution de la dicte Dame; dont est advenu que, sur le xvıȷe d'aoust, la dicte Dame a receu les dictes déclarations touchant sa coronne, qu'elle a trouvées en la forme qu'elle les desiroit, et a heu la responce des dictz Estatz d'Escoce bien fort contraire à ce qu'elle espéroit.

Et fault entendre que, aus dictz Estatz, le dict comte de Mora a proposé assés pleinement quatre articles, qui concernoient le présent affaire de la dicte Royne d'Escoce, de sorte qu'on a cuydé qu'il deust laysser la libre détermination d'iceulx à l'assemblée, mais, luy et le comte de Morthon, et leurs adhérans, s'estoient, à ce qu'on dict, premièrement obligez, par sèrement et promesse entre eulx, de ne permettre que rien s'y conclûd au proffict de la dicte Dame, et d'employer eulx, leurs parans et amys, et toutz leurs moyens, pour empescher sa restitution.

Et ainsy, ilz ont obtenu, contre l'opinion du party qui estoit pour elle, lequel n'estoit là en grand nombre:—touchant le premier article, qui concernoit la restitution de la 205 dicte Dame;—que, pour la recordation du murtre du feu Roy, et pour le bien du jeune Roy son filz, et l'utillité du pays, et aussi, pour leurs consciences, ilz ne pouvoient authoriser ny consentir qu'elle fût restituée.

Au segond, qui estoit du divorce du comte Boudouel, affin que la noblesse ne fût plus en deffiance de luy;—que c'estoit chose qui concernoit le faict particullier de la dicte Dame, auquel pour le présent, ilz n'avoient grand intérest, et qu'elle y procédât comme sa propre conscience l'en admonesteroit.

Pour le regard du troisiesme, qui estoit de surceoyr cependant toutz exploictz de guerre, et n'attempter rien contre ceulx qui tenoient le party de la dicte Dame, ny assiéger son chateau de Dombertran;—qu'il importoit grandement d'establir, le plus diligemment et seurement qu'ilz pourroient, l'authorité du jeune Roy, leur Maistre, dans le pays; par ainsy qu'ilz n'en pouvoient différer l'exécution.

Et sur le quatriesme, qui estoit de députer des commissaires pour venir devers la Royne d'Angleterre tretter des affaires de la dicte Royne d'Escoce et de l'estat de leur pays;—que, veu la résolution prinse sur les aultres trois articles, ilz ne voyent qu'il y heût lieu de faire aultre chose sur cestuy cy que d'advertyr la dicte Royne d'Angleterre de leur dicte résolution: ce que le comte de Mora print en sa charge de faire par une simple lettre.

Sur quoy, ayant l'évesque de Roz, au nom de la dicte Royne d'Escoce, et moy, de la part de Leurs Majestez Très Chrestiennes, bien fort pressé la Royne d'Angleterre que, puisqu'il luy aparoissoit meintennant de la manifeste usurpation qu'on vouloit faire de la coronne d'Escoce sur ceste princesse, qu'elle luy vollût accorder ou reffuzer résoluement 206 son secours, à quoy elle nous y a faict la responce que j'ay escripte au Roy, le xxıȷe du passé, et a prins nouveau délay de quinze jours pour attandre si le dict comte de Mora luy envoyera quelque meilleure responce, ainsy qu'elle l'a conjuré et admonesté, par nouvelles lettres, de le faire.

Mais, de tant que la longueur porte ung merveilleux préjudice aulx affaires de la dicte Dame, elle et toutz ceulx, qui luy sont icy bien affectionnez, desirent que Leurs Majestez en facent une ferme et vifve remonstrance à Mr. Norrys, ambassadeur de la dicte Dame par dellà, comme ilz sont résoluz de pourveoir au restablissement de la dicte Royne d'Escoce, et que la Royne d'Angleterre, sa Maistresse, n'en doibt estre marrye, ny trouver mauvais qu'ilz mettent cependant quelque secours dans Dombertran, pour le pouvoir garder et pour y recepvoir plus grandz forces, quant Leurs dictes Majestez verront qu'il sera besoing y envoyer, monstrans qu'ilz ont desjà donné charge à Mr. de Martigues et à Mr. de Bouillé de dresser ung armement en Bretaigne pour cest effect. Et commant que soit, il est bien besoing que Leurs dictes Majestez, à bon escient, pourvoyent d'envoyer, dans la fin d'octobre, cinq ou six cens soldatz au dict Dombertran.

PROPOS DE LA ROYNE D'ANGLETERRE A Mr. LE CARDINAL DE CHATILLON.

La Royne d'Angleterre, craignant qu'enfin nostre guerre ne luy en cause une à elle, et que ne la face tumber en affaires et despences, monstre desirer infinyement 207 la paix de France; dont, oultre plusieurs discours conformes à cella, que j'ay cy devant mandé qu'elle m'en a tenuz, elle m'a dict avoir naguières miz Mr. le cardinal de Chatillon en ce propos:

Qu'est ce qu'il espéroit de ceste guerre? et qu'il sçavoit bien qu'il failloit qu'elle prînt fin, comme toutes aultres choses, qui ont eu commancement; et de tant la luy debvoit on donner plustost, que le commancement avoit esté violent et mauvais; et, par ce qu'elle jugeoit bien, en son cueur, que le Roy et la Royne ne desiroient rien tant que de pouvoir posséder en paix et tranquillité leur royaulme, avec l'amytié, et bienveuillance, et prompte obéyssance de leurs subjectz, qu'il failloit que, de leur costé, ilz monstrassent une semblable volonté et vray debvoir de bons subjectz envers eulx.»

Et le dict sieur Cardinal luy avoit respondu, «qu'il prenoit sur sa damnation et sur la perte de son âme qu'il n'y avoit en son frère, ny en luy, ny en aulcun qu'il cogneust de leur party, aultre desir que d'aymer, honnorer et obéyr le Roy, et la Royne, et Messieurs ses frères; et leur conserver, à leur pouvoir, la grandeur et dignité de leur estat, aultant soigneusement que leur propre vie; et qu'ilz n'estoient en armes que pour leur religion qu'on leur vouloit oster, et pour leurs personnes qu'on vouloit partout massacrer, qui estoient deux très urgentes causes de leur légitime deffance.»

Qu'elle luy avoit répliqué, «que la cause de la religion touchoit à si grand nombre de personnes, tant en France que ailleurs, qu'elle ne pouvoit croyre que le Roy vollût s'opiniastrer de l'exterminer par force, car il fauldroit qu'il entreprînt le renversement de toute la chrestienté; mais 208 que la cause des personnes touchoit bien à luy seul, parce que c'estoient ses subjectz; et que, là dessus, il failloit regarder de quelque moyen, qui fût honnorable pour l'ung et pour les aultres, et pourtant qu'il ne failloit tant se deffier du Roy et de la Royne [et qu'il failloit] qu'on en vînt à prendre confience de leur parolle et promesse.»

Qu'à cella il avoit représanté mille argumens pour ne pouvoir mettre assés de confience en la parolle de Leurs Majestez, pour n'avoir cy devant esté tenue ny gardée, ny leurs éedictz observez; et qu'estantz le Roy et la Royne ainsy possédez, comme ilz estoient meintennant, de leurs ennemys, ne failloit espérer aulcune modération en ces affaires.

Sur quoy elle avoit poursuyvy luy dire «qu'elle entendoit bien qu'il vouloit parler de monsieur le Cardinal de Lorrayne, mais, quant bien il ne seroit poinct avec Leurs Majestez, elle ne croyoit pourtant qu'elles se volussent meintennant commettre à eulx, ny se mettre en leurs mains, après une si cruelle guerre; par ainsy qu'il failloit qu'ilz pensassent de quelque bon et honnorable moyen d'en sortyr.»

Et qu'il luy avoit seulement respondu que Dieu envoyeroit le moyen, lequel, jusques icy, ne les avoit habandonnez; de laquelle responce elle n'estoit demeurée contante, et luy avoit dict qu'elle sçavoit qu'il adviendroit toutjour ce que Dieu vouldroit, mais qu'elle desiroit entendre de luy s'ilz estoient disposez de cercher de Dieu et accepter de luy ung paysible remède en ces malheurs; et qu'enfin il l'avoit asseurée qu'ilz l'avoient essayé, et qu'ilz avoient envoyé offrir à Leurs Majestez toutes condicions de paix humbles et convenables à très bons et fidelles subjectz, 209 qui requièrent seulement la seurté de leurs personnes et l'exercisse de leur religion, à quoy ilz n'avoient esté ouys; ce qu'elle vouloit bien entendre de moy s'il estoit vray, car il luy en avoit faict aparoir, par aulcunes lettres de monsieur l'Admyral, qui justiffioient beaulcoup leur cause envers tout le monde. A quoy j'ay respondu ainsy qu'il est contenu en ma précédante dépesche du xxıȷe du passé.

LE Sr. DE LA MOTHE FÉNÉLON A LA ROYNE D'ANGLETERRE.

—du XVIIe d'aoust 1569.—

Madame, le Roy, Mon Seigneur, et la Royne Très Chrestienne, sa mère, vous ont envoyé toutes les déclarations, que demandiez, touchant le tiltre de vostre coronne, et y ont de tant plus soigneusement procédé qu'ilz vous ont vollu faire cognoistre qu'ilz n'ont jamais pancé de vous offancer, et que ceulx là sont par trop malicieulx, qui ont supposé ceste cession pour traverser vostre commune amytié et vous mal mesler ensemble; car je vous veulx bien encores, pour une troysiesme foys, retourner dire cecy: qu'ilz n'ont pensé, ny pratiqué, ny presté l'oreille à pratiquer, rien qui soit contre vostre bien, grandeur ny estat, ny en quoy ilz estiment que vous deussiez prandre desplaysir, despuys le dernier tretté de paix.

Et meintennant, Madame, qu'il vous apert de la déclaration de Leurs Majestez et de celle de Monsieur, frère du Roy, pour le tiltre de vostre royaulme, et que vous avez receu celle que le comte de Mora faict pour priver la Royne d'Escoce du sien, je vous suplye, de la part de Leurs Majestez 210 Très Chrestiennes, ottroyer meintennant à la dicte Dame la pourvoyance et remède, que luy avez toutjour promiz en ses affaires;

Et ne preniez qu'en bonne part si le Roy et la Royne vous en font faire ceste instance; car, par le debvoir de l'alliance et du parentaige, et de l'obligation des trettez qu'ilz ont avec ceste princesse et sa coronne, ils ne peuvent laysser de pourchasser sa restitution, ny s'en excuser envers Dieu ny le monde. Néantmoins ilz ont bien vollu attandre paciemment l'ordre que vous y mettriez, et n'y entreprendre rien de leur main, de peur de vous offancer, sinon seulement de vous en faire solliciter, par moy leur ambassadeur, le plus modestement que j'ay peu; et ne prétendent encores de s'en mesler, tant qu'il y aura espérance de vostre secours; ains seront très ayses d'en raporter à vous seulle leur propre obligation, et celle de ceste paouvre princesse, leur alyée, s'il vous playt le luy bailler.

Mais ilz me commandent bien de vous dire que si, de ceste heure en avant, ilz voyent que vostre secours luy soit de telle façon prolongé, qu'il ne luy puisse de rien plus servir, parce que le comte de Mora va exécutant toutz ses bons subjectz dans le pays, et les dépossedantz de leurs biens et maysons, et poursuyt le siège de Dombertran, qui est la seule place demeurée en l'obéyssance de la dicte Dame; et par ainsy que vostre secours luy viègne à deffaillir, qu'ilz se mettront, du premier jour, en debvoir de luy pourvoir du leur, par toutz les meilleurs moyens et expédiantz qu'ilz verront le pouvoir faire;

Que, encores que vous ayez opinion que le comte de Mora soit entré bon et bien intentionné en ceste cause, vous voyés bien meintennant, Madame, qu'il est devenu 211 tout aultre; et ainsy advient de ceulx qui, peu à peu, prènent, d'eulx mêmes, quelque authorité (ou les armes), qu'ilz ne s'en veulent, puys après, volontiers despartyr par celle d'aultruy; car par vostre moyen, Madame, il pourroit tout ensemble pourvoir à la Royne, sa seur et sa Mestresse, au petit Prince son filz, au pays et subjectz, et bien fort seurement à luy mesmes et à ce qu'il eust desiré d'avancement dans le royaulme; et si, eust grandement satisfaict à sa réputation, et contanté Leurs Majestez Très Chrestiennes et toutz les aultres princes chrestiens, ce qu'il a tout mesprisé pour se cuyder contanter luy seul.

RÉPONSE DE LA ROYNE D'ANGLETERRE.

La dicte Dame m'a respondu—«que nulle aultre personne du monde ne desiroit plus soigneusement pourvoir au restablissement de la Royne d'Escoce qu'elle faisoit, pourveu que ce fût sans l'exposer au dangier de ses ennemys, et qu'elle le peult faire sellon son honneur et conscience, et, si je luy allégoys l'alliance de Leurs Majestez, elle luy estoit encores plus prochaine allyée;

«Qu'il y avoit quatre sortes de secours pour la remettre,—l'ung, de force;—l'aultre, de conseil;—l'aultre, d'argent;—et le quatriesme, par ung bon accord;—et que la dicte Royne d'Escoce n'avoit monstré tant mesprizer le repoz de son royaulme et le sang de ses subjectz, qu'elle n'eust toutjour préféré son retour à sa coronne par l'agréable consentement de ses subjectz que par la violence d'une guerre; et que, de sa part, oultre les aultres considérations, ceste cy luy passeroit fort la conscience, de ne la y 212 vouloir remettre pour exécuter, puys après, cruellement ses vengeances; car ne vouldroit estre cause du sang qui s'y espandroit;

«Que, à la vérité, elle n'avoit accepté ny pour responce, ny pour satisfaction, ce que le comte de Mora luy avoit mandé, dont luy avoit soubdain escript que, si dans quinze jours il ne luy respondoit aultrement et mieulx, sellon le propos de la restitution de la Royne d'Escoce, elle mesmes se feroit la responce, et luy feroit sentyr ce qu'elle en auroit résolu; et, à ceste occasion, la dicte Dame pryoit Leurs Majestez Très Chrestiennes d'avoir pacience pour ce peu de temps.

«Il est vray qu'elle me vouloit bien dire que la dicte Royne d'Escoce ne s'estoit bien déportée envers elle, encores qu'elle luy heust esté plus que bonne mère, et luy eust saulvé la vye; et qu'elle sçavoit tout ce qu'elle avoit pratiqué, despuys qu'elle estoit entré en ce royaulme, aultant par le menu comme si elle y eust esté appellée, car les princes ont des oreilles grandes qui oyent loin et prez, en divers lieux; et que la dicte Royne d'Escoce s'estoit esforcée de mouvoir le dedans de ce royaulme contre elle, par le moyen d'aulcuns des siens qui luy promettent de grandz choses, mais c'estoient gens qui conçoyvent des montaignes mais ne produisent que petitz monceaulx de terre, qui l'avoient pancé si sotte qu'elle n'en sentyroit rien, mais elle s'en estoit toutjour moquée dans la manche; et que n'ayant la dicte Royne d'Escoce bien vollu user d'elle comme de bonne mère, elle méritoyt qu'elle luy fût marastre;

«Qu'elle se sentoit en assés bon estat de forces et d'argent, et de toutes choses, pour ne pouvoir estre constraincte, 213 par nulle force qui soit aujourduy au monde, à faire en cest endroict, pour la Royne d'Escoce, sinon ce qu'elle estimeroit estre bon et convenable à son honneur, à son debvoir et à sa conscience; et que plusieurs choses s'obtiennent et se conduysent, par la bonne grâce et bienveillance, des princes bien nays, qui sont ayséement destornées, quant on les veult admener aultrement; et qu'il luy restoit sur le cueur plusieurs aultres choses, qu'elle me diroit mieulx à propos une aultre foys; seulement me vouloit demander comment j'estimoys que le Roy la peult secourir à ce besoing; car il luy fauldroit passer la mer.»


Sur quoy, après luy avoir donné satisfaction, pour Leurs Majestez Très Chrestiennes et pour moy, touchant ce qu'elle avoit sur le cueur de cest affaire, et m'ayant elle monstré d'en estre bien fort satisfaicte, je luy respondiz que, grâces à Dieu, le Roy avoit de très grandz moyens de la secourir, et qu'elle mesmes les pouvoit comprendre par ce qu'elle en oyoit dire, sans que je les luy particularisasse; et qu'il restoit, oultre cella, grand nombre de bons subjectz et serviteurs à ceste princesse dans son royaulme, aus quelz n'estoit besoing que de bien peu de secours; et, quant à passer la mer, il y avoit assés vaysseaulx en France, et des gens qui sçavoient bien ceste route; et que je croyois qu'elle mesmes, à ung besoing, nous ayderoit de ses propres vaysseaulx pour une si légitime entreprinse, laquelle je luy vouloys encores dire qu'il failloit, par nécessité, qu'elle fût exécutée.

Et nonobstant que lors, en présence de ceulx de son conseil, elle se courroucea asprement, et fit de grandz menasses, elle s'est despuys modérée, et n'ont, les persuasions 214 de la duchesse de Suffoc et de la comtesse de Lenos contre ceste cause, tant peu comme les bonnes raysons qu'on luy admène pour icelle, dont s'en attand quelque bonne expédition en brief.

ADVERTISSEMENT TOUCHANT LE FAICT DE LA ROYNE D'ESCOCE.

Au mois de juing 1568, la feu Royne d'Espaigne escripvit une lettre à la Royne d'Escoce, pleyne de grand affection, pour luy persuader d'envoyer le petit prince d'Escoce, son filz, en Espaigne, affin d'estre norry prez du Roy Catholique, son mary, adjouxtant quelque mot de le vouloir accepter pour leur gendre, et luy réserver une de leurs petites filles en mariage; ce que la Royne d'Escoce accepta incontinent avec grand affection. Mais quant sa responce arriva en Espaigne, la Royne d'Espaigne estoit desjà allée à Dieu, dont le Roy, son mary, print les lettres, sur lesquelles il a despuys escript, par deux foys, à la Royne d'Escoce; sçavoir, en janvier et février derniers, confirmant l'affaire, et ouvrant encores quelques propos de mariage à la dicte Dame pour luy, ou pour l'archiduc Carlos, ou pour dom Joan d'Austria, lesquelz il disoit aymer aultant que soy mesmes.

L'ambassadeur d'Espaigne communiqua le propos à monsieur l'évesque de Roz, qui, à ce que j'entendz, monstra ne trouver bon qu'on parlât d'aultre que du Roy Catholique, et néantmoins il tint la main à conduyre, en caresme prenant dernier, ung des gens du dict ambassadeur jusques à Borthon devers la dicte Dame, qui y fut expressément envoyé pour la veoir, et nother ses parolles, 215 ses contenances et sa forme de vivre, lequel fit, despuys, ung très bon récit de la dicte Dame, mais ne raporta, pour lors, aultre parolle d'elle, sinon qu'elle estoit en estat de ne pouvoir rien promettre ny d'elle, ny de son filz, car elle estoit en puyssance d'aultruy; seulement elle avoit besoing de secours pour estre remise à sa coronne, et que, s'il playsoit au Roy Catholique luy ayder, il se pouvoit promettre, d'elle et de son filz, tout ce que mériteroit la grande obligation qu'elle luy en auroit.

Peu de jours après, ayant la dicte Dame pratiqué ung moyen de se saulver et de se remettre en son pays, pourveu qu'elle fût ung peu secourue, dellibéra d'y employer le dict Roy Catholique et se commettre en ses mains, jusques à se offrir de passer en Flandres. Et à cest effect, le ser Jehan Amilthon fut envoyé devers le duc d'Alve, à Bruxelles, luy demander hommes et argent pour cest effect; lequel respondit qu'il seroit prest de mettre xx mil hommes dans l'Angleterre, à la dévotion de la dicte Dame, pourveu qu'il y eust quelques ungs du pays pour les recepvoir, et qu'il vît y avoir fondement ou aparance d'y pouvoir effectuer quelque chose, mais n'avoit encores ordonnance du Roy, son Maistre, de getter gens de guerre hors du pays, toutesfoys il l'en advertyroit promptement; et qu'au reste, argent ne manqueroit. Et comme le dict Amilthon luy répliqua, qu'au cas qu'il ne peust envoyer promptement des gens, il avoit charge de luy demander quelque prompt secours d'argent, il respondit que l'ung et l'aultre se bailleroient à la foys, quant le Roy, son Maistre, le luy auroit mandé, et que plustost ne se pouvoit faire.

Sur ceste responce, ayant la dicte Dame, despuys, 216 sondé la volonté de ses partisans dans le pays, a trouvé que toutz estoient disposez de faire ce que le duc de Norfolc vouldroit, mais que, de mettre tant d'estrangiers dans le pays, ilz ne le trouvoient bon; car ne veulent, à ce qu'ilz disent, combattre pour conquérir ce royaulme au Roy d'Espaigne, ny avoir rien à faire avec ceste nation là; seulement, ilz se veulent employer à bien garder le droict qu'elle prétend à ceste coronne, après la Royne, sa cousine, et cependant la remettre à la scienne, en quoy ilz s'estiment estre assés fortz pour conduyre l'entreprinse, pourveu qu'on ayt ung peu d'argent.

Ce qu'estant remonstré, en bonne sorte, au dict duc d'Alve, sans aulcunement reffuzer ses hommes, mais monstrant seulement la difficulté de ne les pouvoir encores accepter, et le sollicitant, au reste, de quelques deniers contantz, il a, avec bonnes parolles, prolongé plusieurs moys la responce, essayant cependant d'obliger la Royne d'Escoce de ne se priver de la liberté de son mariage, pour en user, puys après, sellon le conseil du Roy, son Maistre, et de luy bailler toutjour le petit prince d'Escoce, son filz; en quoy le temps a coulé jusques à la my aoust dernier, qu'ayant le dict duc promiz de bailler lors une résolue responce, il a asseuré le dict Amilthon, qui y est pour la troisiesme foys retorné, de faire, dans le xve de septembre, délivrer argent par deçà à la dicte Dame. Et j'entendz que desjà il a envoyé une lettre d'eschange pour luy faire fornyr seulement dix mil escuz.

Ne fault doubter qu'il ne se meyne une bien estroicte pratique pour le mariage de la dicte Dame avec dom Joan d'Austria, et que, par les allées et venues du susdict Amilthon, et du voyage que Rollet, secrétaire de la dicte Dame 217 a naguyères faict devers le duc d'Alve, au partyr d'Orléans, le propos n'en soit, possible, bien avant; mais ce ne seroit aulcunement l'advantaige d'elle, car n'auroit pourtant asseurance d'eschapper d'icy, ny d'estre remise en son estat, et si est sans doubte qu'elle perdroit le droict qu'elle prétend à ceste coronne; sur quoy, ayant l'ambassadeur d'Espaigne naguières miz monsieur l'évesque de Roz en divers propos du dict mariage, et de ce qui s'en parloit pour le duc de Norfolc, luy a incisté grandement qu'elle debvoit réserver en cella le consentement de Leurs Majestez Très Chrestienne et Catholique.

Est à craindre que la Royne d'Angleterre, pour certaine opinion qui luy est montée en la teste, veuille tenir la main au dict dom Joan, car a dict qu'elle se vouloit en toutes sortes dépétrer de la Royne d'Escoce et la remettre, pour son honneur, en son estat, bon gré mal gré qu'en eust le comte de Mora; et qu'elle sçavoit bien, qu'aussi tost qu'elle seroit en Escoce, qu'elle espouseroit ung estrangier, dont elle seroit haye et des Escouçoys et des Angloys, et se déboutteroit elle mesmes de l'espérance qu'elle monstre avoir si grande à la succession de ceste coronne.

Par le tret, que le Roy d'Espaigne a faict, de vouloir ainsy soubstraire au Roy ceste alliance d'Escoce, et s'emparer de la Royne et du petit Prince du pays, pour le mener norryr prez de luy, au mespriz de Leurs Majestez Très Chrestiennes et de la coronne de France, joinct ce qu'il a entreprins de la précédance, et ce qu'il a essayé de traverser la ligue des Suysses, il monstre qu'il a trop d'ambition sur le Roy, et qu'en plusieurs sortes il s'esforce de luy diminuer la grandeur, la dignité et les forces de son 218 estat, et qu'il recognoist trop mal l'amytié que la Royne luy a toutjour portée et ne la respecte comme il debvroit.


LVIe DÉPESCHE

—du Ve de septembre 1569.—

(Envoyée jusques à Calais par Olivyer Champernon exprès.)

Intrigues des protestants pour empêcher le rétablissement de la reine d'Écosse.—Fausse nouvelle répandue à Londres de la prise de Poitiers par l'amiral de Coligni.—Élisabeth demande que la France renonce à servir d'intermédiaire pour le commerce des Pays-Bas avec l'Angleterre.—Sortie, en grand équipage de guerre, des navires qui avaient été mis en arrêt sur les instances de l'ambassadeur.—Combien il est urgent de donner appui et de porter secours à la reine d'Écosse.—État et évaluation des joyaux envoyés de France par les protestants pour obtenir un emprunt.—Déclaration du conseil d'Angleterre sur le commerce de France et sur la nécessité de le restreindre en ce qui concerne les Pays-Bas.—Réponse de l'ambassadeur, dans laquelle il proteste contre cette prétention.

Au Roy.

Sire, vous ayant, le premier de ce moys, dépesché le Sr. de Sabran, avec tout ce qui se offroit lors à ma cognoissance digne de celle de Vostre Majesté, je dellibérois partir le lendemain pour aller trouver la Royne d'Angleterre affin de luy présenter voz lettres, que j'ay receues dans vostre paquet, du xve du passé, mais j'ay heu adviz qu'au partir de Bazin, elle s'est mise hors de son dellibéré progrez, pour aller veoir quelques petitz lieux escartez, et l'on m'a dict que je feray beaulcoup mieulx d'attandre 219 qu'elle soit arrivée en Amptonne; et ainsy j'ay attandu de partir jusques à ceste après dinée que je m'achemine au dict lieu pour y arriver aussitost qu'elle.

Je viens d'entendre que quelques mauvaises personnes luy ont merveilleusement soublevé le cueur contre la Royne d'Escoce par ung aultre nouveau moyen, après qu'ilz ont veu que celluy de la cession du tiltre de ce royaulme demeuroit convaincu par les amples déclarations de Vostre Majesté; c'est qu'ilz luy ont persuadé que, n'ayant la dicte Royne d'Escoce peu parvenir au premier et plus éminent lieu de ceste coronne, elle pratiquoit meintennant d'avoir le second, et que, contre ce que la dicte Royne d'Angleterre avoit tant fermement résisté à toutz ses estatz et parlemens de ne déclairer son successeur, elle s'esforçoit meintennant de monstrer que c'estoit elle, se insinuant pour seconde personne en ce royaulme, affin de se faire la première, veuille ou non la dicte Dame, et mesmes avant le temps, par le moyen des catholiques; lesquelz ilz luy remonstrent qu'elle les a eslevez en grandz espérances, et desjà toutz attirez à sa dévotion, dont le trouble n'est petit en ceste court, par ce mesmement que la dicte Dame a senty que toutz les plus grandz de ce royaulme, et les principaulx de son conseil, incistent que la dicte Royne d'Escoce soit délivrée et restituée à sa coronne. De quoy l'on m'a dict que la dicte Royne d'Angleterre est bien fort offancée contre le comte de Lestre et contre le secrétaire Cecille de ce qu'estans eulx deux ses expéciaulx serviteurs, ilz ne debvoient, sans son sceu, avoir entreprins, comme ilz ont faict, de porter ce party; et est fort après meintennant à les séparer du duc de Norfolc et du comte d'Arondel qui l'ont, quant à eulx, toutjour manifestement porté. 220 Et de tant, Sire, que sur ce courroux l'on vouldra, possible, forger encores des nouveaulx délays ez affaires de la Royne d'Escoce, qui seroit aultant que les ruyner du tout, Vostre Majesté et celle de la Royne tiendrez, s'il vous playt, du premier jour, à l'ambassadeur, Mr. Norrys, le propoz conforme à ce que je vous ay mandé par le dict Sr. de Sabran affin que, sur les lettres qu'il en escripra à sa Mestresse, son dict conseil ayt plus grand argument de luy remonstrer qu'elle les doibt advancer, et ne les avoir ainsy suspectz, comme les malicieux le luy représantent.

Il y avoit icy quelque commancement de bruict, quant le dict Sr. de Sabran est party, que Poictiers avoit esté prins d'assault le xıxe du passé, mais ayant receu lettres de Mr. de La Meilleraye et de Mr. de Sigoignes qui disent le contraire, j'en ay admorty et les nouvelles et les gaigeures qui s'en faisoient en ceste ville; et j'espère que Dieu vouldra qu'il en adviègne aultrement, car certes j'aurois bien à rabattre les entreprinses qui se mettroient incontinent en avant sur la dicte nouvelle, si elle estoit vraye.

Ceulx de ce conseil, despuys le pourparler que je fiz avec eulx à Fernan Castel, quant je leur présentay les députez de Roan, m'ont envoyé ung escript en latin que j'ay miz dans ce paquet, et sont ung peu marrys que je leur aye faict la responce que Vostre Majesté verra touchant la restriction du commerce des Pays Bas, car estimoient que je passerois cella légièrement, ce que je n'ay ozé faire au préjudice des trettez, sans avoir vostre commandement là dessus; mais sellon que je voy qu'ilz y vont de grande affection, et pour le temps, je croy, Sire, qu'il n'y aura grand mal de le laysser couler, et sinon en le consentant expressément, à tout le moins en ne le contradisant 221 guyères; car aussi bien y pourvoirront ilz par leurs costumiers à l'yssue des merchandises, comme j'entendz que le duc d'Alve l'a aussi prohibé aulx Pays Bas.

Il est quelque bruict qu'en Espaigne l'on a arresté les nefz venitiennes, qui venoient à Londres chargées de plusieurs merchandises nécessaires en ce royaulme, de quoy, s'il est vray, ceulx cy seront bien fort marrys.

Les quatre ourques et trois vaysseaulx de l'homme du prince d'Orange sont enfin sortyes de ceste rivière en grand équipage de guerre, mais je n'ay encores adviz quelle routte elles ont prins; seulement j'en ay adverty les gouverneurs de la frontière de dellà pour y prendre garde; et estantz toutes aultres choses en l'estat que je vous ay mandé par mes dernières, je n'adjouxteray, pour le surplus, à la présente qu'une dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce ve de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, avant m'acheminer vers la Royne d'Angleterre, laquelle j'espère trouver d'icy à trois jours à Amptonne, à lx mille d'icy, j'ay bien vollu faire une dépesche à Voz Majestez sur l'occasion de ces particullaritez, que Vostre Majesté verra en la lettre que j'escriptz au Roy; oultre lesquelles je ne vous diray, Madame, sinon touchant le faict de la Royne d'Escoce qu'il est heure que le Roy et Vous, Madame, luy assistiez, ainsy que par le récit que j'ay donné charge au Sr. de Sabran de vous en faire, et parce que j'en mande meintennant en la dicte lettre du Roy, Vostre Majesté jugera que oportunément et prudentment se devra 222 faire; car le feu en est bien allumé en ceste court, et semble, à la vérité, qu'il y va maintennant du faict ou du failly. Je ne deffauldray de mon office en cest endroict, ainsy que me l'avez commandé, pour servir en voz affaires et à ceulx de la dicte Dame aultant qu'il me sera possible; et par ce qu'ung de mes amys m'a dict avoir entendu de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, que le duc d'Alve pourroit prandre jalouzie, s'il entendoit qu'on vollût mettre aulcun secours de Françoys dans Dombertran, je suplie Vostre Majesté juger si cella sera considérable.

Et, au reste, Madame, ayant miz peyne de m'enquérir des bagues que le Sr. Du Doict a aportées pour engaiger par deçà, j'ay sceu qu'elles sont celles cy, sçavoir:

De la Royne de Navarre, un collier estimé par les orfèvres de France—cent soixante mil escuz;

Et ung quarquant—xl mil escuz;

De Mr. le Prince de Condé, bordeures, toretz, oreillettes et ung vaze d'agathe—xxxv mil escuz;

De monsieur l'Admyral, ung vaze d'agathe—xv mil escuz;

Une couppe d'agathe—x mil escuz;

Une croix—quatre mil escuz;

Une oreillette—deux mil escuz;

Et de Mr. du Vijan ung ruby et une aultre bague—quatre mil escuz;

Mais les orfèvres de Londres ne les prisent tant; lesquelles bagues ne sont encores engaigées. Sur ce, je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté, et prie Dieu qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce ve de septembre 1569.

223

DÉCLARATION DU CONSEIL.

ACTA CONSILII IN FERNAMENSI CASTELLO.

XVIIâ Augusti 1569.—

Presentibus: Duce Norfolciæ,
Comite Bedfordiæ,
Comite Lecestriæ,
Prefecto regii cubiculi,
D. Secretario.

Conventum est ut de reliquo omnibus Anglis et Gallis mercatoribus libera commercii ratio sit, negociandi in Angliâ et Franciâ et utrinque reciprocè: et hinc indè importandi et exportandi omnia mercium et commodorum genera utriusque regionis, ità ut in quàm optimis pacis temporibus antehàc factum est; proviso tamen ut, durante hâc intercursûs suspensione inter Angliam et Regis Hispani Inferiorem Germaniam, nullus alterutræ nationis mercator ullas Inferioris Germaniæ merces directè aut indirectè advehat in Angliam, neve ex Angliâ in Inferiorem Germaniam. Fas tamen erit cuivis Gallicanæ nationis viro ab Angliâ Hamburgum indèque Orientem versùs liberè negociari, non aliter quàm aliis exteris id permittimus. Quâ etiam in re Anglis fautoribus utentur et adjutoribus.

Item, uti omnia Anglorum bona, ab octavo ultimi julii die hinc in Franciam evecta aut Gallorum in Angliam evecta, ab omni manuum invectione, quam arrestum vocant, soluta et libera sint, liceatque dominis pro arbitratu iis in contrahendo uti, eorumque bonorum estimationem in merces 224 et res quas ipsis visum erit collocare, uti anteactis temporibus licitum est absque arresto aut impedimento.

Item, ut bona utriusvis nationis in utrovis regno antè octavum diem julii detenta, sub arresto rectè custodita remaneant usquè ad festum Sancti Michaelis: interim verò diligenter poterit inquiri quibus rationibus Gallorum bona, quæ ab illis repetentur, et in Angliâ antè diem octavum julii aut etiam posteà detenta aut capta fuisse probabuntur, poterint recuperari: cujus rei causâ, simulac duo illi honesti mercatores, Rothomago à mariscallo de Cossi nuper missi, petitiones et probationes suas coràm certis recuperatoribus, qui ad hoc munus delegati erunt, ediderint, omni indagine in singulis istius regni locis perquiretur, omnisque honesta etiam cogendi ratio adhibebitur, quò bona illa, quoad enim fieri poterit, in lucem prodeant atque ita illa sive illorum particulæ uspiàm deprehensæ aut verò illorum justæ estimationes collectæ antè festum Michaelis integrè dominis restituantur. Quo quidem tempore, de bonis etiàm Anglicis universalis et integra restitutio fiet eorum quæ antè octavum diem julii in Franciâ ullâ ratione detenta sunt.

Itera, si, propter magnas locorum distantias, antè festum Sancti Michaelis plena et integra restitutio bonorum Gallicorum, quæ illi petent et probabunt injustè allata in Angliam, fieri non poterit, eo fortassè quod aliqua eorum pars in extera hinc loca exportata fuerit, inscientibus eam fraudem factam nostris ministris, tamen adversùs delinquentes executio procedet ut illi ad restituendum non aliter planè cogantur, quàm si bona illa cuipiam essent subditorum coronæ Angliæ.

Et quoniàm illud sepè prædicatur magnum numerum Gallicorum mercatorum, qui in Hispaniam, Lusitaniam et 225 Occidentem versùs negociatum eunt, cogi maximis impensis naves armare quo se tueantur adversùs eos tàm suæ nationis quàm alios quosdam qui Rochellam navigant, dabitur à Dominis Consiliariis opera ut illi, qui cum gubernatoribus Rochellæ multum possunt, conveniantur, quo, re ad æquas aliquas pactiones deductâ, mutuæ istæ marinæ Gallorum inter se violentiæ cessent et mare undiquè liberum et apertum reddatur et à periculis magìs vacuum.

L'AMBASSADEUR DE FRANCE.

Ce que les Seigneurs du Conseil d'Angleterre, le 17 d'aoust 1569, à Fernan Castel, ont advisé touchant le commerce d'entre ces deux royaulmes, que dorsenavant il demeurera libre, le dict ambassadeur le trouve raysonnable et bien fort expédiant.

Mais quant à la restriction du dict commerce de ne transporter par les subjectz de l'ung ny l'aultre royaulme aulcunes merchandises d'Angleterre en Flandres, ny de celles de Flandres en Angleterre, durant la suspention qui est entre les deux pays, de tant que cella semble torner au préjudice du cinquième article des derniers trettez de paix, le dict ambassadeur ne le peult soubscripre, mais il en advertyra le Roy par ses premières; duquel article la teneur s'ensuyt:

«Item conventum, concordatum et conclusum est quod, quandiù hæc pax et amicitia integra inviolataque permanebit, omnes et singuli utriusque prefatorum regnorum, omniumque terrarum et dominiorum, quæ nunc ab utrolibet predictorum regum possidentur aut in posterùm possidebuntur, incolæ, quâcumque dignitate, quocumque 226 statu aut conditione extiterint, poterunt sese mutuis officiis amicitiæ prosequi et excipere liberè, tutò, securè, ultrò citròque, terrâ marique ac fluminibus commeare, navigare, inter se contrahere, emere, vendere, illicque quandiù velint morari, vel hinc indè, quandò visum erit, recedere et abire, et quæ comparaverint [aut] emerint arte, operâ, industriâ laboreve aut quocumque alio justo modo quesiverint ad suos vel exteros, quocumquè locorum libuerit, sine ullo impedimento, offensâ, arrestatione seu prohibitione, salvo conductu, licentiâ aut speciali permissione invehere et transportare possint[14]

Et touchant le faict de la restitution, iceulx Seigneurs du Conseil se souviendront, s'il leur playt, qu'ilz ont accordé que dans trois jours seront nommez quatre notables merchans de Londres, pardevant lesquelz, en présence de monsieur le lieutenant de l'Admyral, les delléguez françoys monstreront leurs plainctes et demandes pour, sur icelles, de toutes les merchandises et navyres des Françoys, qui ont esté prinses, admenées ou arrestées par deçà despuys le moys de septembre dernier, qui se trouveront encores en essence, ou de la juste valleur d'icelles, leur estre faicte prompte restitution; et que des aultres, qu'ilz feront sommairement aparoir, leur sera de mesmes administré prompte justice sur le champ, sans forme ni longueur de procès, contre ceulx qui les ont prinses, ou les dettiennent, ou en sont coulpables.

Et, en attandant que la dicte justice puisse estre faicte aus dictz delléguez Françoys, il a esté accordé que les arrestz faictz en France et icy, précédant le viıȷe de juillet 227 dernier, demeureront surciz jusques au prochain jour de St. Michel, si plus tost la dicte justice ne peult estre administrée aulx susdictz delléguez, et si, d'avanture, il estoit advenu quelque aultre arrest despuys le dict viıȷe de juillet, qu'il sera levé d'ung costé et d'aultre.


LVIIe DÉPESCHE

—du VIe de septembre 1569.—

(Envoyée jusques à Calais par homme exprès.)

Départ des sieurs de Lizy et de Jumelles sur la flotte destinée pour Hambourg, afin de hâter l'entrée en France de l'expédition du duc Casimir.—Nouvelle activité dans les préparatifs de guerre qui se font en Angleterre.

Au Roy.

Sire, après vous avoir amplement escript, du jour d'hyer, toutes occurrances de deçà, je ne pensoys qu'il se deust offrir argument ny matière de vous faire aulcune aultre dépesche jusques à ce que je serois de retour de devers ceste Royne; mais sur le raport d'ung certain personnaige, que j'avois envoyé espyer le partement de la flotte de Hembourg et recognoistre tout ce qui s'y feroit, lequel m'est venu trouver sur ce chemyn, j'ay à vous dire, Sire, qu'il a veu embarquer Mr. de Lizy et le Sr. de Jumelles sur l'ung des deux grandz navyres de guerre de ceste Royne, qui sont ordonnez pour la conduicte de la dicte flotte, et qu'il a entendu qu'ilz vont trouver le duc 228 de Cazimir pour le haster; et que ung Allemant, qui estoit en leur compaignie, lequel naguières est venu d'Embourg, a dict que, quant il partit, le dict duc de Cazimir avoit toutes choses prestes pour se mettre en campaigne, aussitost qu'il auroit heu responce d'icy, et qu'il estoit bruict qu'il descendroit en France, nomméement en Picardie. De quoy, Sire, je n'ay vollu différer une seule heure de vous en donner l'adviz, afin que [vous] ne vous trouviez ny déceu ny surprins du dict costé d'Allemaigne, car on me baille cecy pour bien fort asseuré; et si ay heu quelque advertissement, en partant de Londres, qu'on emporte en ceste dicte flotte ung bon nombre d'angellotz en espèces, et que les bagues de la Royne de Navarre ont esté cependant consignées ez mains du Sr. Grassan, principal merchant du dict Londres; dont n'estant la présente pour rien davantaige, je prieray Dieu, etc.

De Londres ce vȷe de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, cest adviz que Vostre Majesté trouvera en la lettre du Roy m'a faict ainsy haster ceste dépesche, incontinent après celle de hyer matin, affin que ne demeuriez en doubte des aprestz d'Allemaigne, comme j'estime qu'en estiez bien advertye d'ailleurs, et affin aussi, Madame, qu'y puyssiez pourvoir de bonne heure; et cognoys meintennant que ceste Royne ne m'a trompé quant elle m'en a donné le premier advertissement, car les choses aparoissent à ceste heure telles comme elle me les a cy devant dictes. L'on m'a mandé de ceste court qu'on y ordonne beaulcoup de préparatifz de guerre et qu'on dict que c'est pour se deffandre. 229

Je mettray peyne de sçavoir à quoy tend proprement leur entreprinse, car, en général, je vous ay desjà assés advertye de leur intention, de laquelle, s'il y a moyen de rebattre quelque chose, croyés, Madame, qu'il sera essayé, aydant le Créateur, auquel je prie, etc.

De Londres ce vȷe de septembre 1569.


LVIIIe DÉPESCHE

—du XIIIIe de septembre 1569.—

(Envoyée jusques à Calais par Olivyer Champernon exprès.)

Retard apporté dans le voyage de la reine par une indisposition du comte de Leicester.—Notification officielle est faite à Élisabeth, par l'ambassadeur, des projets de mariage du Roi et de Madame.—La reine se montre surprise de ces alliances.—Elle affirme à l'ambassadeur qu'elle n'a rien voulu prêter sur les joyaux de la reine de Navarre.—Elle proteste de sa volonté d'empêcher ses sujets de porter aucun secours à la Rochelle.—Elle insiste vivement sur la nécessité de restreindre le commerce de France avec les Pays-Bas;—Et s'excuse du retard apporté à la solution des affaires de la reine d'Ecosse.—Départ définitif des navires armés sous le nom du prince d'Orange.—Lettre secrète de l'ambassadeur à la reine-mère.—Détails confidentiels sur les débats qui se sont élevés entre Élisabeth et le duc de Norfolk, au sujet de son mariage projeté avec Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, je n'ay plus tost que hier au soir peu estre de retour d'Anthonne, où j'ay esté trouver la Royne d'Angleterre, laquelle n'y est arrivée de trois jours si tost qu'elle cuydoit, parce que une fiebvre aigue a surprins Mr. le comte de 230 Lestre en une maison écartée, qui est au comte de Soubtanton, où il a esté contrainct de se séjourner, et toute la court pour l'amour de luy; mais au bout de trois jours il a suyvy en lityère et à présent se porte bien.

J'ay présenté les lettres de Voz Majestez à la dicte Dame, laquelle a monstré du commancement estre ung peu troublée de la nouvelle qu'elles contenoient, dont m'a demandé si les choses estoient desjà conclues, sur quoy s'entend la jalouzie qu'elle a de la nouvelle confirmation d'alliance avec le Roy d'Espaigne. Je luy ay dict que vous aviez telle considération et respect à l'amytié d'elle que vous n'aviez vollu passer oultre en ce faict sans le luy communiquer, affin de faire veoir à tout le monde que, comme vous luy faisiés part d'ung propos, qui touche de si prez à la propre personne de Vostre Majesté, aussi vouliez vous qu'elle participât au bien, au proffict et à toutz les advantaiges qui proviendront de ceste alliance, laquelle ne seroit que pour confirmer davantaige celle que vous aviez avecques elle et la bonne paix, qui est entre vous et voz deux royaulmes, non moins fermement que avec ceulx mesmes, avec qui vous vous alliez.

De ce peu de motz ayant la dicte Dame prins aultre forme et aultre façon de parler, m'a prié de vous escripre qu'elle remercyoit très grandement Voz Majestez de la faveur que vous luy faiziés de luy communiquer ce privé et expécial propoz de vostre mariage et de celluy de Madame, lesquelz elle ne sçauroit que beaulcoup louer et aprouver, comme grandement convenables à la mutuelle grandeur de toutz les partys; et que, pour le regard de celluy de Vostre Majesté, il ne se pouvoit imaginer rien de plus grand ny de plus digne en la chrestienté que l'alliance d'ung Roy de 231 France avec la fille d'ung Empereur. Il est vray qu'elle avoit ouy parler de l'aynée et non de la seconde, tant y a que pour son regard Vostre Majesté ne pouvoit guières prendre aultre alliance en la chrestienté, qui luy fût moins suspecte que ceste cy, parce qu'elle aymoit l'Empereur comme si elle estoit sa fille, et si se sentoit estre aymée de luy comme de son propre père, et ne fit mention du Roy d'Espaigne. Puis adjouxtant qu'elle se réjouyroit toutjour des choses qui reviendroient à vostre bien, grandeur et advantaige, aultant que si c'estoit pour elle mesmes, dont prioit Dieu de vous faire bien heureux cestuy vostre mariage, et le vous randre plain de tout playsir et de contantement, et qu'elle m'envoyeroit les lettres de sa responce pour les vous faire tenir.

Et quant à ce que je luy avois dict de ne prester, ny permettre d'estre presté, nulz deniers en son royaulme sur les bagues de la Royne de Navarre, parce que ce seroit contre le tretté de paix, sellon que vous la feziés advertyr qu'on les vouloit convertir à vous faire la guerre, elle me vouloit asseurer de n'avoir rien presté dessus les dictes bagues, ny ne pensoit qu'on les eust engaigées en ce royaulme; ains croyoit que Mr. de Lizy les eust emportées en Allemaigne, et que mesmes elle ne les avoit vollu veoir. Il est vray qu'elle avoit entendu d'ung sien orphèvre à qui elles avoient esté monstrées, qu'il y avoit ung beau vaze d'agatte, lequel elle eust volontiers retenu, mais saichant d'où il venoit, n'en avoit vollu aulcunement parler.

Et de faict, Sire, la pratique est menée de telle sorte par ceulx qui portent le faict de la nouvelle religion qu'il n'y court rien du propre de la dicte Dame, ains plus tost elle se décharge de quelques intérestz, et néantmoins j'entendz 232 que les aultres sont accommodez en Allemaigne d'aulcuns deniers qui proviennent d'icy; de quoy je suys après à vériffier ce qui en est, affin de m'en plaindre et d'y remédier le mieulx qu'il me sera possible.

Et touchant le commerce que vous offriez à la dicte Dame en telz endroictz de vostre royaulme, que ses subjectz vouldroient choysir, pourveu qu'ilz n'allassent plus à la Rochelle, elle m'a dict qu'à la vérité elle m'avoit une foys promis d'y faire condescendre ses merchans, mais elle ne les avoit encores peu persuader, tant y a qu'elle communiqueroit de rechef là dessus avecques son conseil pour vous y satisfaire aultant qu'il seroit possible; et cependant elle me donnoit bien parolle avec sèrement que, quoy ce fût, nul de ses subjectz, sur peyne de mort, ne porteroit dorsenavant à la Rochelle armes, ny pouldres, ny artillerye, ny monitions, ny vivres, ny rien de quoy ceulx du dict lieu peussent estre secouruz contre Vostre Majesté; et parce que je ne me contantoys de cella, incistant qu'elle debvoit faire abstenir ses subjectz tout entièrement de ce traffic, elle m'a dict qu'elle en assembleroit son conseil et m'y feroit responce du premier jour;

Au surplus, qu'elle ne trouvoit poinct mauvais que j'eusse vollu attandre le commandement de Vostre Majesté sur la restriction de ne porter par les Françoys aulcunes sortes de merchandises des Pays Bas icy, ny d'icy aulx Pays Bas, veu ce que je luy allégois que cella touchoit les chappitres de la paix; toutes foys qu'elle vous prioyt, pour l'amytié qu'elle pansoit avoir mérité de Vostre Majesté, que vous luy vollussiez ottroyer la dicte restriction, veu qu'à présent le duc d'Alve luy estoit ennemy, et qu'il en avoit proclamé une semblable aulx Pays Bas contre l'Angleterre; 233 de quoy je luy ay promiz vous escripre en si bonne sorte que j'espérois que vous ne l'en esconduyriez.

Et pour le regard de la Royne d'Escoce, m'a dict qu'elle ne voyoit que son affaire peult estre si promptement expédiée comme je l'en pressois, et que le mal qu'il sembloit que je luy voulois imputer de ce que le comte de Mora poursuyvoit de ruyner ceulx du party de la dicte Dame et de la déshériter du tout, pendant qu'elle estoit dettenue par deçà, ne provenoit de sa coulpe, ains des faultes du passé, et qu'il failloit attandre la responce du dict comte de Mora, ainsy qu'elle l'avoit remonstré à Mr. de Roz, qui ne l'avoit trouvé mauvais; auquel de Mora elle avoit cependant escript de se déporter de n'assiéger Dombertran, dont, aussitost que ses depputez seroient venuz, elle ne fauldroit de procéder incontinent à l'expédition de cest affaire en la bonne sorte qu'elle m'avoit toujour promiz.

«Il est vray, dict elle, qu'il se mène une pratique pour la dicte Dame avec ung certain personnaige de mon royaulme, lequel je me déporte de nommer à présent, et me veult on faire acroyre que c'est pour mon bien et advantaige; mais ne me veulent laysser juger s'il est ainsy, tant y a que je dellibère, comment que soit, d'en demeurer l'arbitre.»

Et je cognuz bien, Sire, que cest affaire mettoit une grande traverse en ceste court. Je prendray garde à ce qui en proviendra, et à toutes aultres choses qui toucheront icy vostre service, et remettray le surplus à mes prochaines, priant Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xıve de septembre 1569.

234

A la Royne.

Madame, avant que je soys arrivé à Anthonne, la Royne d'Angleterre avoit receu des nouvelles de son ambassadeur, Mr. Norrys, qui ne luy avoit, ceste foys faict guières advantaigeux les affaires de ceulx de la nouvelle religion devant Poictiers; de quoy me semble que j'ay tiré plus gracieuse responce d'elle sur ce que je luy ay proposé, que, possible, je n'eusse faict, ainsy que Vostre Majesté le pourra veoir par la lettre que j'escriptz au Roy. Tant y a, Madame, qu'elle et les siens font encores grand fondement sur l'armée qui est devant le dict Poictiers, et espèrent d'aultres plus grandz choses du costé d'Allemaigne, non sans quelque opinion que le duc Auguste se meslera de l'entreprinse.

La dicte Dame a parlé si honnorablement des deux mariages du Roy et de Madame que je vous en ay bien vollu représanter sa responce, et j'espère que je vous en feray aussi bien tost tenir ses lettres. Elle, à ce propos, m'a bien vollu dire que, quant ce ne seroit que pour une si digne compaignie, il luy sembloit adviz qu'elle estoit convyée meintennant de se maryer, et m'a répété par trois foys, je ne sçay à quelle occasion, qu'elle ne feroit aulcun tort à son rang de princesse, et qu'asseuréement elle n'en espouseroit jamais qui ne fût prince, ce qu'elle a poursuyvy en beaulcoup de parolles; et je luy ay respondu en termes généraulx, lesquelz je remectz à une aultre foys. Puys, sur le faict de la Royne d'Escoce, nonobstant les responces dont elle a monstré procéder avec cueur attainct 235 et offancé contre elle, je luy ay touché et à ceulx de son conseil aulcuns poinctz, desquelz j'entendz qu'ilz ont esté aulcunement ramenez à rayson, et je n'ay peu passer plus avant sans aparance de quelque dangier en voz affaires, ou bien sans excéder les termes de la modestie; mais je ne deffauldray en cest endroict, à toutes les occasions qu'il s'offrira, d'en debvoir faire instance de la part de Voz Majestez.

Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne avoit envoyé son secrétaire devers la dicte Royne d'Angleterre pour luy communiquer, à ce que j'en peuz comprendre sur le lieu, une lettre du duc d'Alve pour entrer clairement en termes d'accord. Je mettray peyne de sçavoir proprement ce qui en est.

Ceulx de ce conseil m'ont parlé de leur vouloir bailler mes lettres de seurté pour les navyres qu'ilz envoyeront quérir leurs vins à Bourdeaulx, et, nonobstant que je leur aye respondu qu'il n'en estoit besoing en temps de si bonne paix, ilz m'ont fort incisté de ne leur reffuzer cella, de quoy je leur ay promiz que je vous en escriproys.

L'homme du prince d'Orange est enfin sorti de ceste rivière avecques ses ourques et vaysseaulx, le ıxe de ce moys, pendant que j'estois à Anthonne. Il ne m'a esté encores raporté quelle routte il a prins; l'on me veult faire acroyre qu'il n'a heu congé que d'aller vers les Pays Bas, mais aulcuns disent que son intention estoit d'aller à la Rochelle, et aultres disent qu'il avoit quelque entreprinse sur Belle Isle en Bretaigne. J'espère que, sellon mes advertissemens précédans, il trouvera toute la coste de dellà si bien fornye qu'il n'y recepvra que honte et dommaige, s'il s'y adresse; aydant le Créateur, auquel je prie, etc.

De Londres ce xıve de septembre 1569.

236

AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.

Madame, il y avoit eu de grosses parolles entre la Royne d'Angleterre et le duc de Norfolc, premier que j'aye ceste foys parlé à elle, et j'entendz qu'elle s'estoit corroucée fort asprement à luy de ce qu'il trettoit, sans son sceu, de se maryer avec la Royne d'Escoce, lui deffendant fort expresséement de n'y prétandre plus, en quelque façon que ce soit. Sur quoy, après quelques excuses du dict duc comme il n'avoit jamais prétandu de faire rien sinon avec le bon congé de la dicte Dame, et qu'il avoit, devant toutes choses, proposé le bien, la seurté et l'advantaige d'elle et de sa coronne, il s'est excusé de n'obéyr à ce commandement qu'elle luy faisoit ainsy en collère, sinon après qu'elle l'auroit remonstré à son conseil. Et bien qu'elle ayt répliqué qu'elle n'avoit que faire en cella de l'adviz de son conseil, le dict duc est demeuré ferme en son opinion; et croy, si la dicte Dame ne se modère, qu'il taschera tout à la foys de faire eschapper la Royne d'Escoce pour se retirer en quelque lieu de plus grand seurté en ce mesmes royaulme que celluy où elle est à présent, et de s'absenter luy de la court, ce qui ne sera sans quelque altération. Dont, Madame, il sera plus à propoz que jamais que vous parliez à l'ambassadeur d'Angleterre, ainsy que par le Sr. de Sabran je le vous ay mandé; et je prieray Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xıve de septembre 1569.

237

Par postille à la lettre précédente de la Royne.

Despuys ceste lettre escripte, j'ay heu adviz que celle du duc d'Alve portoit de demander saufconduict pour aulcuns personnaiges, depputez de la part du Roy Catholique, affin de venir tretter avec cette Royne des différandz dessusdictz, et cuyde l'on que ce seront le Sr. Chapin Vitel et le docteur Vargas, et que desjà le saufconduict est expédié. Je vériffieray encores mieulx ce qui en est.


LIXe DÉPESCHE

—du XIXe de septembre 1569.—

(Envoyée exprès par Jehan Valet jusques à Calais.)

Envoi des réponses faites par la reine d'Angleterre aux lettres concernant les mariages du Roi et de Madame.—Importance des sommes qu'Élisabeth s'efforce de réunir en Allemagne, où elle dispose d'un grand crédit.—Arrivée de la flotte anglaise à Hambourg.—Jonction des navires du prince d'Orange à ceux du bâtard de Briderode, sur la côte de Frize.—Troubles d'Irlande.—Conditions auxquelles les frères d'Ormont offrent de déposer les armes.—Détermination, prise par le roi d'Espagne, d'envoyer des députés à la reine d'Angleterre pour traiter de leurs différends.—Nouvelles d'Écosse.—Refus fait par le comte de Murray de lever le siége de Dumbarton, sur la demande d'Élisabeth.—Assemblée de Stirling.—Arrestation du comte de Lethington comme complice du meurtre de Darnley.

Au Roy.

Sire, partant la Royne d'Angleterre mercredy dernier de Amptonne, où elle a faict le bout de son progrez de 238 ceste année, sans passer en l'isle d'Ouic, comme elle avoit dellibéré de le faire, mais aulcuns principaulx seigneurs de sa court y ont bien passé, et le capitaine Orsey, qui en est gouverneur, est venu deçà faire devant la dicte Dame une reveue d'envyron deux mil harquebouziers de la dicte isle. Elle m'a envoyé sa responce, qu'elle faict aulx lettres de Voz Majestez du xve du passé, sur lesquelles vous ayant desjà, par les miennes du xıııȷe d'estuy cy, randu compte de ce que, de parolle, elle me dict lorsque je les luy présentay, je ne vous en toucheray icy rien davantaige; seulement vous diray, Sire, que la dicte Dame s'en vient à Amthoncourt au xxvȷe de ce moys, pour estre prez de ceste ville, affin de pourvoir à plusieurs siens affaires qui se présentent meintennant, entre lesquelles elle et les siens monstrent toutjour avoir fort le cueur aulx évènemens de France, regardans de près quelle yssue pourra prendre ceste guerre, et se pourvoyans pour ceste occasion, oultre ce que je vous ay desjà mandé de leur apareil de guerre par deçà, d'avoir aussi des deniers en Allemaigne; car bonne partie de ce que les recepveurs d'Angleterre peuvent lever, ou qui se peult recouvrer par moyens et inventions extraordinaires, se dellivre au Sr. Thomas Grassan, qui le va distribuant de main en main secrectement aulx merchantz de ceste ville, affin qu'ilz layssent aultant de deniers de la vante de leurs draps, qu'ilz ont envoyé en Hembourg, ez mains des agentz de la dicte Dame par dellà, si bien que de deux millions cinq cens mil escuz, que vallent les deux flottes ou aultres parties qu'on y a envoyé ceste année, l'on faict estat qu'il n'en retournera icy, ny par amployte d'aultre merchandise, ny en deniers, guières plus de huict centz mil escuz, affin que la dicte Dame ayt fonds et grand crédit en Allemaigne 239 pour y pouvoir lever gens de guerre quant elle vouldra.

Et touchant les bagues de la Royne de Navarre, la dicte Dame, à la vérité, a reffuzé de prester argent dessus, allégant estre pressée d'une debte qu'elle a promiz payer à la fin de ce moys à Francfort, mais n'empeschoit qu'on ne se peult accommoder avec ses créditeurs du dict payement sur les dictes bagues, pourveu qu'elle demeurât quicte tant du principal que des intérestz. Et ainsy, par ung moyen ou aultre, semble qu'il y a [et] aura deniers fornys sur les dictes bagues, mais c'est en sorte que les principaulx de ce conseil n'en sentent rien; et s'est monstrée la dicte Dame fort offancée, ces jours passez, contre la communaulté des merchantz de ceste ville, qui s'estantz assemblez pour dellibérer par pluralité de voix sur la forniture de tant de deniers en Allemaigne, elle leur a mandé qu'ilz avoient trop entreprins de tretter en ceste sorte d'ung tel faict, auquel ilz publioient et révéloient son secrect et le secrect de ses affaires, et qu'ilz n'avoient à penser que à la seurté de leurs deniers, sans s'entremettre de cecy plus avant.

La flotte, qui est partie pour Hembourg, a heu bon vent, et, sellon le raport d'ung qui est revenu de dellà, elle est arrivée à saulvement au dict lieu, et dict davantaige que Mr. de Lizy et le Sr. de Jumelles ont prins terre à Endem pour tant plus tost se randre devers le duc de Cazimir, affin de le haster de se mettre incontinent en campaigne; et qu'il a veu, au reste, joindre les ourques et vaisseaulx de l'homme du prince d'Orange avec les quatre navyres du bastard de Briderode sur la coste de Frize, et qu'ilz sont à ceste heure unze bons vaisseaulx ensemble, aussi bien armez et équipez qu'il est possible, et crainct 240 on qu'ilz porteront grand dommaige à la pescherye de Flandres de ceste année; tant y a que je suys bien ayse d'avoir au moins obtenu de ceste Royne qu'ilz n'ayent, pour ceste foys, prins la routte de France.

Les choses d'Irlande passent diversement, car une partie des soublevez, mesmement celle où estoient les deux frères du comte d'Ormont, ont desjà, par le moyen de leur frère, offert de se soubmettre [et] de poser les armes pourveu que les griefz, pour lesquelz ilz disent les avoir prinses contre Charo, soyent décidez au conseil d'Angleterre et non pardevant le Debitis; mais les aultres soublevez persévèrent, et mesmes j'entendz qu'ilz prospèrent en leur entreprinse, laquelle se monstre assés doubteuse. Néantmoins ceulx cy ne l'estiment estre de guières de dangier.

Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne m'a faict entendre que dans le paquet, qui luy est dernièrement venu par la dépesche que Vostre Majesté m'a faicte du dernier du passé, il a receu une lettre du Roy Catholique pour la Royne d'Angleterre qui porte deux chefz;—l'ung, de la prier qu'elle veuille ottroyer saufconduict à ceulx qu'il a advisé d'envoyer de sa part devers elle, tant pour tretter des différandz qui sont survenuz ceste année entre leurs subjectz, que pour satisfaire aulx poinctz de la lettre qu'elle luy escripvit l'hyver passé en latin;—et l'aultre chef, est de l'exorter qu'elle ne veuille porter plus aulcune faveur aulx rebelles de Flandres, ny pareillement à ceulx de France; car cella luy pourroit attirer la guerre en son pays, et qu'elle se déporte de leur assister si elle ne se veult, par mesme moyen, préparer de soubstenir le rescentyment que les princes offancez en pourront cy après justement avoir, me priant le dict ambassadeur que je le face ainsy entendre 241 à Vostre Majesté et qu'il sera prest de procurer envers le Roy, son Maistre, qu'il face toutjour semblables bonnes démonstrations et offices icy pour le bien de vostre service. Sur ce, etc.

De Londres ce xıxe de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, pour accompaigner les lettres, que la Royne d'Angleterre escript à Voz Majestez, j'ay touché en la lettre du Roy les principaulx poinctz que j'ay à vous faire meintennant entendre des choses de deçà, entre aultres celuy de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, par lequel le Roy, son Maistre, monstre avoir ceste foys cédé à la Royne d'Angleterre, et qu'en fin ayant bien pensé à son faict pour les aprestz qu'il sent d'Allemaigne, et, possible, pour les propres difficultez de ses pays, il ne s'est tant vollu tenir sur la réputation qu'il n'ayt envoyé le premier devers la dicte Dame, pour accorder amyablement des différandz qui sont entre eulx; de quoy elle s'estime avoir gaigné ung grand advantaige, et dict on que le Sr. Chapin Vitel et le docteur Vargaz seront pour cest effect dans dix ou douze jours par deçà. Je ne sçay encores ce qui en pourra réuscyr, tant y a que je crains assés que l'admonestement, que le dict Roy Catholique a faict à ceste princesse de considérer le rescentiment qu'on pourra avoir de l'assistance qu'elle a donnée à ceulx de la nouvelle religion, ainsy que le dict sieur ambassadeur me l'a mandé, ne la mette davantaige en souspeçon de l'yssue de la guerre de France, et ne l'induyse d'accommoder tant plus tost ses affaires ailleurs, 242 pour d'aultant retarder et traverser, en ce qu'elle pourra, ceulx de Voz Majestez; mais je luy en osteray toutjours par mes propos le doubte qu'elle en pourroit avoir sur le cueur, sans monstrer toutesfoys que je tende à rien de cella.

Le sire Thomas Flemy est revenu d'Escoce, qui raporte que le comte de Mora ne s'est vollu déporter d'assiéger Dombertran pour chose que la Royne d'Angleterre luy en ayt escript, et qu'en l'assemblée, qu'il a tenue à Esterlin le xxvııȷe d'aoust, il a faict ordonner ung depputé pour venir par deçà, ce qu'on estime bien n'estre à aultres fins que pour prolonger toutjour l'affaire. Tant y a que la part, qui est au dict pays pour la Royne d'Escoce, semble estre plus vifve et plus relevée meintennant qu'elle n'a encores esté, nonobstant que, pour avoir le secrétaire Ledinthon esté découvert d'en estre, l'on a trouvé moyen de le faire publicquement accuser dans la dicte assemblée pour complice du murtre du feu Roy d'Escoce, dont il a esté miz en arrest contre le desir des comtes d'Arguil, de Honteley, d'Athil et des principaulx seigneurs, qui ont cryé que la seurté et franchise de la dicte assemblée estoit viollée, et s'en sont allez fort mal contantz. Monsieur l'évesque de Roz est après à pourchasser là dessus audience de ceste Royne, mais je croy qu'il ne l'obtiendra jusques à ce que la dicte Dame sera à Amthoncourt, laquelle monstre de plus en plus avoir souspeçon et deffiance de tout ce qui se faict et qui se procure pour l'advantaige de sa cousine. Sur ce, etc.

De Londres ce xıxe de septembre 1569.

La Royne d'Escoce s'esbahyt qu'il n'y a nouvelles qu'à 243 Dombertran soyent arrivez les navyres que Vostre Majesté dict au Sr. de Bortic qu'elle y avoit faict dépescher de Bretaigne.


LXe DÉPESCHE

—du XXIIIe de septembre 1569.—

(Envoyée par Olivyer Champernon exprès jusques à Calais.)

Nouvelle de la levée du siége de Poitiers.—Nécessité de redoubler de vigilance sur les côtes de France.—Retour du sieur de Quillegrey, qui revient d'Allemagne.—Il annonce que les princes protestants offrent de reconnaître Élisabeth comme chef d'une ligue pour la défense de la religion réformée.—Députés envoyés en Allemagne par ceux de la Rochelle et par la reine d'Angleterre, pour assister à la diète de l'empire à Augsbourg.—On annonce la prochaine arrivée en Angleterre des députés du roi d'Espagne.—Mesures rigoureuses prises à l'égard de la reine d'Écosse.—Craintes de l'ambassadeur que les offres des princes protestants d'Allemagne et la condescendance du roi d'Espagne ne rendent Élisabeth plus entreprenante contre la France.—Lettre secrète pour la reine-mère, dans laquelle l'ambassadeur annonce le départ subit du duc de Norfolk, qui a quitté la cour sans autorisation de la reine.

Au Roy.

Sire, faisant à ceste heure la Royne d'Angleterre le retour de son progrez par des maisons escartées des gentishommes, où elle n'a de coustume d'ouyr volontiers parler d'aulcune matière d'affaires, par ce que ceulx de son conseil ne sont avecques elle, j'avois réservé de l'aller trouver quant elle arriveroit à Amthoncourt, qui sera, à ce qu'on dict, le lieu de son séjour de deux moys, pour luy 244 continuer les instances du commerce, et de la restitution des prinses, et de n'aller plus par les Anglois à la Rochelle; et luy compter pareillement l'acheminement de Monsieur, frère de Vostre Majesté, avecques vostre armée pour aller secourir Poictiers, suyvant le contenu de vos lettres du vıȷe du présent; mais m'estant cependant, par aultres lettres de Voz Majestez du vııȷe ensuyvant, arrivé l'adviz de l'heureux succez que la dicte entreprinse de Mon dict Seigneur a desjà heu[15], je n'ay vollu différer de le faire incontinent entendre à la dicte Dame par ung mot que je luy ay escript, là par où elle est, avec la coppie de voz dictes lettres qui sont dignes d'estre veues, et lesquelz contrepoyseront de beaulcoup les bruictz, que ceulx de la nouvelle religion publioyent et faisoient prescher en leurs esglizes, d'avoir levé le siège de Navarreins; d'avoir deffaict Mr. de Tarride et prins Mr. de Bonnivet; et relèveront la réputation de voz affaires par deçà contre ceulx qui les y désadvantaigeoient auparavant; dont je prie Dieu vous continuer toutjour sa divine assistance.

Je crains bien que si ce remuement, qu'on dict de ceulx de la dicte nouvelle religion en Picardye, s'estand vers Normandye et jusques sur ceste mer estroicte, qu'il ne convye les Anglois d'entreprendre quelque chose, quant ilz sentyront la guerre si prez d'eulx; et m'a l'on dict que quelques ungs de Roan et des envyrons de Dièpe sont, despuys deux jours, passez en ce royaulme pour parler et pratiquer avec ceste Royne, dont ay mandé aulx gouverneurs 245 de dellà qu'il leur est besoing d'estre plus vigilans que jamais, et que je mettray toutjour peyne de les advertyr, le plus d'heure qu'il me sera possible, de toutz les aprestz et menées que je sentyray qui se feront icy.

Le Sr. de Quillegrey, à son retour d'Allemaigne, n'a faict que passer par ceste ville, dont n'ay peu encores guières rien aprendre du faict de sa commission, sinon qu'il monstre estre fort comptant de l'avoir bien acomplye par dellà, ainsy qu'il luy estoit commandé de le faire, et a dict en quelque lieu qu'il pourtoit la carte blanque des princes protestans à ceste Royne, qui la font chef et luy deffèrent la somme des affaires et la principalle détermination et conclusion de ce qui s'y entreprendra. Je m'attandz bien que là dessus elle et les siens seront à ceste heure poussez à plusieurs grandes persuasions, lesquelz je ne sçay si je les pourray avec le temps modérer et réfroydir; en quoy je feray bien tout ce qu'il me sera possible, mais il m'y fauldra conduyre sellon que je pourray aprendre de la négociation du dict Quillegrey plus que je n'en sçay à présent, qui, possible, se trouvera ne raporter tant de grandz promesses d'Allemaigne comme il le veult faire aparoir.

Il semble que Mr. de Lizy et le Sr. de Jumelles se trouveront à la prochaine diette de l'empyre à Augsbourg, à laquelle le Sr. de Trokmarthon n'a poinct esté pour ceste foys envoyé, mais j'entendz qu'on a mandé au docteur Christophe Du Mont d'y assister pour la Royne d'Angleterre; et espèrent ceulx de la nouvelle religion quelques grandes déterminations de la dicte assemblée, mettans en grand compte que les Suysses y ont esté appellez et qu'ilz ont promiz d'y convenir.

La commune opinion continue en ceste ville que le 246 Sr. Chapin Vitel et le docteur Vargaz seront bientost devers ceste princesse, mais l'on m'a dict que le saufconduict, qu'elle a dépesché pour cella, n'est que pour ung messagier, qui doibt venir luy aporter des lettres du Roy d'Espaigne, sans aultrement expéciffier ny le nom ny la qualité d'icelluy; dont n'est vraysemblable que les dictz personnaiges se commettent soubz ung si simple saufconduict en ce voyage, sans qu'il y soit faict plus expresse mencion d'eulx.

La Royne d'Angleterre est entrée en plus grande jalouzie et deffiance qu'elle n'avoit encores esté de la Royne d'Escoce, et a vollu que, oultre le redoublement des gardes, le comte de Huntinton et le viscomte de Harifort, avec quelques ungs des leurs, soyent allez là où est la dicte Royne d'Escoce, bien que toutz deux luy soyent mal agréables et bien fortz suspectz. Je ne diffèreray pour cella de continuer, en temps et lieu, l'instance de sa restitution et de sa liberté, en la claire et ouverte façon que j'ay toutjour faict, au nom de Vostre Majesté; et prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxııȷe de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, je ne fays doubte, si le sieur de Quillegrey raporte tant de grandes promesses d'Allemaigne, comme il en a faict la démonstration, passant par ceste ville, et que s'estant en même temps le Roy d'Espaigne plyé de venir requérir d'accord la Royne d'Angleterre sur les différandz des Pays Bas, que je ne trouve dorsenavant la dicte Dame 247 et les siens encores plus difficiles et mal aysez en voz affaires, que je n'ay faict jusques icy; et néantmoins je ne dellibère pour cella procéder moins vifvement envers eulx, ez choses qui se offriront pour vostre service, que j'ay toutjour faict; car cella mesmes qui se veoyt meintennant n'est que Voz Majestez n'eussent préveu debvoir de mesmes advenir, si la guerre de France alloit ainsy en longueur comme elle faict.

Il est vray que je n'obmettray rien de ce que je cognoistray pouvoir servir à conserver la paix et à contenir ceulx cy, le plus qu'il me sera possible, en l'observance d'icelle qui, possible, cognoistront ne leur estre moins utille de ne la rompre en vostre endroict que de la renouveller ailleurs; en quoy je vous suplye, Madame, me mander si je leur accorderay la seurté qu'ilz m'ont requise pour leurs flottes et vaysseaulx qu'ilz dellibèrent envoyer à Bourdeaulx, ainsy que monsieur l'Admyral d'Angleterre a vollu une mienne lettre de recommendation au gouverneur du dict Bourdeaulx pour ung sien navyre, qu'il y a desjà dépesché. Et n'ayant à vous dire meintennant rien davantaige que ce qui est contenu en la lettre du Roy, je prieray pour le surplus Nostre Seigneur, etc.

De Londres ce xxııȷe de septembre 1569.

AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.

Madame, le faict du mariage de la Royne d'Escoce est venu à tel poinct que, incistant fort fermement la Royne d'Angleterre que le duc de Norfolc se déporte d'y entendre, et s'opiniastrant luy de ne le vouloir faire, ains d'y persévérer 248 jusques à la mort, elle luy a faict de telles démonstrations de malcontantement qu'il s'en est allé de la court sans prendre congé; de quoy la dicte Dame est fort mal contante. Et semble que cella pourra bientost produyre je ne sçay quoy de trouble en ce royaulme, mesmes que la Royne d'Escosse, se voyant resserrée davantaige, vouldra pourvoir à sa liberté, sans temporiser plus la bonne grâce de sa cousine. Sur quoy et aultres faictz, qui se présentent, je vous dépescheray ung des miens aussi tost que celluy que j'ay par dellà sera de retour; et je prieray Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Votre Majesté qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xxııȷe de septembre 1569.


249

LXIe DÉPESCHE

—du XXVIIe de septembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan de Bouloigne.)

A esté intercepté par les chemins le dict Bouloigne, destroussé et renvoyé devers l'ambassadeur.

Départ de plusieurs navires qui se rendent isolément à la Rochelle pour y faire le commerce.—La flotte du bâtard de Briderode et du prince d'Orange est chassée des côtes de Hollande et de Zélande.—On doit craindre qu'elle ne se porte sur les côtes de France.—Hésitation des Anglais à recevoir les députés du roi d'Espagne, qui leur inspirent une grande défiance.—Élisabeth témoigne à Marie Stuart tout le mécontentement qu'elle éprouve de son projet de mariage avec le duc de Norfolk.—Instances de l'ambassadeur pour avoir ses instructions sur divers points relatifs au commerce.—Sursis au départ de navires destinés pour la Rochelle et pour Bordeaux.—Lettre secrète pour la reine-mère, dans laquelle l'ambassadeur signale que l'on est prêt à en venir aux armes en Angleterre.—Envoi d'un paquet de lettres de la reine d'Écosse.—Lettre de Marie Stuart à l'ambassadeur.—Elle le conjure de s'opposer à ce qu'elle soit livrée au comte de Huntingdon et au vicomte de Hertford, ses ennemis.

Au Roy.

Sire, celluy des miens que j'avois envoyé devers la Royne d'Angleterre pour luy porter les nouvelles de l'acheminement de Monsieur, frère de Vostre Majesté, au secours de Poictiers et de l'heureux succez qu'avoit eu son entreprinse, a trouvé encores la dicte Dame à cinquante mil d'icy, délibérée de n'aprocher pour ceste foys Londres de si près comme est Amptoncourt, à cause du souspeçon de peste qui y a apareu au commancement de cest authomne; 250 et a prins son chemyn à Windesor, où l'on dict qu'elle fera deux ou trois mois de séjour, et m'a faict escripre, par Mr. le comte de Lestre, qu'elle avoit eu fort agréable d'entendre ce que je luy avois mandé des évènemens de France sellon la vérité des lettres que m'en aviez escriptes, ausquelles vennant de si bonne part elle ne volloit faillir d'y adjouxter foy; toutesfoys qu'elle me envoyoit le sommaire de ce qu'on luy en avoit mandé à elle, qui est, Sire, ce que trouverez en ung mémoire à part[16], et qu'elle prioit Dieu de mettre une bonne paix entre vous et voz subjectz.

Elle ne m'a encores respondu sur la deffance que je luy ay requis de faire à ses subjectz de n'aller plus à la Rochelle, sinon ce que je vous ay desjà mandé qu'elle m'avoit dict n'y avoir encores peu persuader ses merchans, mais qu'elle en parleroit de rechef à son conseil pour y mettre ordre, et qu'à tout le moins elle me donnoit desjà parolle qu'on n'y porteroit rien, sur peyne de mort, de quoy vous pussiez estre offancé, ny ceulx du dict lieu secouruz. Mais cependant, affin de ne monstrer que contre mon instance elle veuille permettre à ses dictz subjectz d'y aller en flotte, il sort trois et quatre vaysseaulx à la foys de ceste rivière de Londres, et le mesmes des aultres portz de ce royaulme, pour y aller quérir du sel et du vin comme les aultres foys, mais nul de ses grandz navyres de guerre ne les va conduyre; seulement j'entendz que le visadmyral Chambrenant équipe quelques vaisseaulx à Plemmue pour fayre ceste conduicte, et que Hacquens va mener au dict lieu de la Rochelle deux riches ourques, qu'il a freschement prinses sur les Espaignolz ou sur les Portugois; et n'ay poinct sceu qu'ilz chargent 251 aulcunes munitions, ny vivres pour y porter. Vray est que la coustume des Anglois est de prendre toutjour double monition de pouldre, quant ilz partent pour ung voyage, dont je crains qu'ilz en facent part à ceulx du dict lieu.

L'homme du prince d'Orange et le bastard de Briderode ont esté, ces jours passez, encores veuz rouant sur la coste de Hollande et Zélande, mais incontinent sont sortys xıııȷ bons navyres de guerre des dictes isles, à la conserve de leurs pescheurs, pour empescher que ceulx cy n'exécutent leurs mauvaises intentions; et je crains bien que cella ne les contraigne de revenir en ceste mer estroicte et vers la coste de France, dont j'estime que les gouverneurs de vostre frontière demeurent aperceuz d'y faire avoir toutjours bonne garde.

L'on attend en grand dévotion les depputez du Roy d'Espaigne, desquelz toutesfoys n'est venu aulcunes nouvelles despuys le partement du secrétaire de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, qui leur est allé porter le saufconduict, et n'est que ceulx cy ne demeurent en quelque meffiance de ceste grande facillité du Roy d'Espaigne, après une si notable injure qu'il a receue, craignantz que ce soit pour les tromper; dont y pourra encores avoir de la difficulté sur la seureté et manière de l'accord.

La Royne d'Angleterre a envoyé ung gentilhomme devers la Royne d'Escoce sans lettre de sa main, mais avec charge de parler à elle, en présence du comte de Cherosbery, sur ce qu'on l'a advertye qu'elle pourchassoit de se maryer avec le duc de Norfolc, et qu'elle ne debvoit avoir pensé de le faire sans son sceu. A quoy la dicte Dame ayant enquis le dict gentilhomme s'il avoit lettre ou commission 252 de la Royne, sa Mestresse, pour lui dire cella, et s'estant le dict comte advancé de dire que sa commission luy estoit assés cogneue, elle a respondu qu'il ne suffizoit en tel faict, qui touchoit tant à elle, qu'il eust veu la dicte commission si elle mesmes ne la voyoit, et qu'encores que la Royne d'Angleterre ne luy eust escript, elle ne laysseroit pourtant de luy escripre; et ainsy a baillé pour toute responce une bien honneste et sage lettre au dict gentilhomme, de laquelle la dicte Royne d'Angleterre aura, possible, occasion de demeurer satisfaicte; et monsieur l'évesque de Rosse l'est allée trouver à Windesor pour luy oster ces mauvaises impressions et se plaindre de la garde plus estroicte qu'on a freschement redoublée à la Royne, sa Mestresse, mesmes d'y avoir commis le comte de Hungtinton et le viscomte de Harifort, qui sont ses ennemys conjurez. Cependant le duc de Norfolk n'est plus à la court, ains s'en est allé en Norfolk, sans faire semblant de vouloir encores retourner. Sur ce, etc.

De Londres ce xxvıȷe de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, il me reste bien peu que dire icy à Vostre Majesté, oultre le contenu en la lettre du Roy, si n'est que je suys infinyement marry que je ne puysse conduyre la Royne d'Angleterre et les siens à user de si bons et convenables déportemens en voz présens affaires, comme la sincérité de la paix et de l'amytié qui est entre vous et voz deux royaulmes le requerroit; mais il semble qu'après leur avoir bien remonstré et vifvement débattu les choses, 253 et faict veoir qu'on les cognoist assés, qu'il fault par nécessité se contanter de gaigner toutjours celles qu'on peult avec pacience, et garder que les aultres qu'ilz ont ou colleur, ou trop grande affection de faire, ne vous puissent venir à guières de dommaige. Dont vous plairra, Madame, me mander si, prenant en quelque payement leurs excuses et mesmes leur gratiffiant ce qu'ilz monstrent pour encores ne vouloir vivre qu'en bonne paix avec vous, je leur accorderay la restriction qu'ilz m'ont requise de ne porter par les Françoys aulcune sorte de merchandises des Pays Bas icy, ny d'icy aulx Pays Bas, ainsy qu'ilz disent que le duc d'Alve a deffandu le semblable de son costé, et pareillement la seureté qu'ilz me demandent pour leurs vaysseaulx et flottes qu'ilz proposent d'envoyer à Bourdeaulx, affin de les en satisfaire et les engaiger davantaige à l'entretennement de la paix; et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxvıȷe de septembre 1569.

Despuys les deux lettres escriptes à Voz Majestez, ayant ceulx de ce conseil faict surçoyr le partement des navyres qui s'aprestoient pour la Rochelle et pareillement de ceulx qui s'aprestoient pour Bourdeaulx, ilz ont envoyé le premier Aldreman de ceste ville et le lieuctenant de l'Admyral pour conférer avec moy de la seureté et commodité qu'ilz pourront avoir, s'ilz quictent le commerce du dict lieu de la Rochelle pour aller ailleurs; sur quoy je leur ay baillé l'extraict de ce que Voz Majestez m'en ont escript, du xvȷe d'aoust et vȷe de septembre, lequel ilz ont porté à iceulx seigneurs du conseil, dont j'espère que du premier jour j'auray leur responce. 254

AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.

Madame, je viens tout à ceste heure de recepvoir ung pacquet de lettres de la Royne d'Escoce, lequel je vous envoye affin que commandiez de le distribuer comme il vous plairra; et par celle qu'elle a adressé à moy en chiffre, de laquelle je vous envoye la coppie, vous comprendrez assés l'estat où elle est, et combien le courroux de la Royne d'Angleterre a passé oultre contre la dicte Dame; dont semble que ceulx cy seront pour en prandre les armes entre eulx, si par une assemblée de conseil qu'on tient demain à Windesor il n'y est remédié.

LETTRE DE LA ROYNE D'ESCOCE AU Sr. DE LA MOTHE FÉNÉLON.

Monsieur de La Mothe, je vous envoye le présent pourteur pour vous faire entendre que je seray transportée demain hors d'icy à Tutbery, et bientost après à Nutingame, là où je seray mise entre les mains des plus grandz ennemys que j'ay au monde; assavoir, du comte de Huntington, viscomte de Hariford et autres de sa faction, qui sont desjà arrivez icy. Je ne trouve nulle constance en Mr. de Cherosbery à ceste heure en mon besoing, pour toutes les belles parolles qu'il m'a donné au passé, encor que je ne me puys nullement fyer en ses promesses. Lesquelles choses considérées, j'ay extrêmement grande craincte de ma vie, par quoy je vous prie que sitost que aurez receu la présente, de faire seurement tenir ce pacquet à l'évesque de Rosse 255 ou bien au duc de Norfolc, et de vous trouver avec eulx, et mes aultres amys, pour résouldre entre vous ce que trouverez plus expédiant pour ma saulvetté, et de parler vous mesmes à la Royne d'Angleterre pour empescher, tant que sera en vous, mon transportement, si tost qu'il vous sera possible d'avoir audience.

De Vuingfeild ce xxe de septembre.

Et dessus est escript:

A Monsieur de La Mothe.


LXIIe DÉPESCHE

—du IIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan de Bouloigne.)

Émotion causée à Londres par la retraite du duc de Norfolk.—Détails sur l'enlèvement de la précédente dépêche, qui a été prise de vive force des mains du courrier.—Le conseil d'Angleterre est en grande délibération sur le parti qu'il doit prendre à l'égard du duc de Norfolk et de Marie Stuart.—Mise en arrêt du comte d'Arundel, du comte de Pembroke et de lord Lumley.—Les passages d'Angleterre sont tenus étroitement fermés.—Refus est fait à l'ambassadeur de lui donner des passe-ports pour ses dépêches.

Au Roy.

Sire, vous ayant faict une dépesche le xxvıȷe du passé, et estant celluy par qui je l'envoyois allé devers millor Coban pour prandre son passeport, qui le luy a faict seulement tarder une heure et demye, aiusy que despuys il a 256 esté à trois mille de la mayson du dict lord Coban, au passaige d'ung boys, quelques ungs, montez à l'advantaige, ayantz les visages couvertz, mais non tant que l'ung d'eulx n'ayt esté recogneu, le sont venuz charger à coups d'espée par la teste, l'ont porté par terre, tout follé aulx piedz de leurs chevaulx, et luy ont demandé incontinent les lettres de France, puys les luy ayant ostées, l'ont garrotté et attaché à ung arbre, et l'ont layssé là; de quoy, Sire, j'ay envoyé faire une grand plaincte à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil et ne cesseray jamais qu'ilz ne m'en ayent faict rayson, vous supliant très humblement, Sire, en faire aussi parler vifvement à l'ambassadeur d'Angleterre par dellà, affin qu'il cognoisse que vous en santez une grande offance et que vous voulez qu'elle soit réparée. Cella est procédé de ce que, se voyantz ceulx cy pretz de venir à quelque grand trouble et altération entre eulx pour s'en estre le duc de Norfolc party mal contant de la court; et craignantz qu'il veuille à toute force mettre la Royne d'Escoce en liberté, et qu'à cest effect il ayt de grandz intelligences en France, ilz exécutent tout plain de violences pour cuyder descouvrir ce qu'ilz en souspeçonnent, et n'est possible à ce commancement d'y remédier. Mais affin que Vostre Majesté voye de quoy ilz se sont prévaluz sur moy par ce meschant acte, je vous envoye le duplicata de ma dicte dépesche, laquelle je n'avois faict en chiffre parce que l'on passoit et repassoit encores fort librement de France icy et d'icy en France, et qu'il n'y avoit rien que je ne volusse bien leur dire s'ilz me l'eussent demandé.

Il est vray que m'estant survenu sur la closture de la dépesche une petite lettre de la Royne d'Escoce, j'en avois 257 miz une coppie dedans affin que vous vissiez l'estat où se retrouvoit la dicte dame, laquelle coppie je vous envoye de rechef et dellibère la faire veoir à la Royne d'Angleterre pour luy en esmouvoir le cueur, si elle ne l'a trop dur; et luy mettre devant les yeulx quel grand tort font à sa réputation ceulx qui luy administrent de si furieulx conseilz, comme elle les exécute contre ceste pouvre princesse; et avois miz aussi dans ma dicte dépesche des lettres qu'elle escripvoit à Vostre Majesté, à la Royne, à Monsieur et à monsieur le Duc et à messieurs les Cardinaulx, ses oncles, et à madame de Guyse, sa grand mère, qui n'estoient que de mercyement.

A présent, la dicte Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil sont à dellibérer qu'est ce qu'ilz auront à faire sur ces choses du dict duc de Norfolc et de la Royne d'Escoce, sur lesquelles les comtes de Arondel et de Pembrot et milor Lomeley ont esté examinez comme autheurs de la menée, et sont commandez de ne partir de leurs logis et séparés les ungs des aultres, dont ne se peult encores juger ce qui en réuscyra; mais bientost se verra où en iront les résolutions, desquelles je ne fauldray vous en mander aultant qu'il en viendra à ma cognoissance; et prieray le Créateur, etc.

De Londres ce ııȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Madame, Vostre Majesté pourra comprendre, par la lettre que j'escriptz présentement au Roy, comme ceulx cy, sentans qu'il s'alume du trouble en ce royaulme, courent à divers remèdes pour le cuyder estaindre, et ainsy, 258 sans occasion, ont faict surprendre ung mien pacquet où tant s'en fault qu'ilz puyssent trouver ce qu'ilz vont cerchant, qu'au contraire ilz y trouveront de quoy estre convaincuz de leurs malices et du tort qu'ilz font à leur Maistresse de les luy conseiller. Je ne pourray vous escripre rien plus de quelques jours parce qu'ilz tiennent les passaiges estroictement fermez, et s'excusent de ne me vouloir bailler passeport jusques à ce qu'ilz auront veu quel chemyn prandront leurs affaires; mais j'espère, Madame, que Vostre Majesté commandera estre faict le mesmes à leur ambassadeur comme ilz feront icy à moy; et je prieray Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce ııȷe d'octobre 1569.


259

LXIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)

Arrestation du sieur de Sabran à son retour de France, et visite de ses papiers.—Notification est faite par la reine d'Angleterre que ses ports seront tenus fermés.—Protestation d'Élisabeth et des seigneurs de son conseil, que l'enlèvement de la dépêche de l'ambassadeur n'a pas été fait par leur ordre.—Vive assurance que toute satisfaction de cette insulte sera donnée.—Nouvelle du retour du duc de Norfolk, qui se décide à revenir à Londres, malgré les instances de l'ambassadeur.—Il est à redouter qu'il ne soit mis à la Tour, aussitôt qu'il se sera livré entre les mains de la reine.—Craintes que l'on doit concevoir pour Marie Stuart.—Assurance est donnée par l'ambassadeur que, dans toute la négociation relative au mariage du duc de Norfolk et de la reine d'Écosse, il a agi avec la plus grande prudence.—Le roi et la reine-mère donnent une vive approbation à ce projet de mariage.—Lettre de la reine d'Écosse à l'ambassadeur.—Supplications de Marie Stuart pour que la France ne l'abandonne pas dans le danger de mort où elle se trouve.

Au Roy.

Sire, se trouvans les choses ainsy troublées en ceste court pour le partement du duc de Norfolc et pour avoir, à cause de luy, les comtes d'Arondel, de Pembrot et millord Lomelley esté miz en arrest en leurs logis à Windesore, comme par mes précédantes Vostre Majesté l'aura peu comprendre, l'on n'a pas seulement attempté de surprendre mon pacquet pour cuyder descouvrir quelque chose de leur faict en mes lettres, mais a l'on arresté le Sr. de Sabran en venant de France, l'ont foillé, et ont visité aulcun 260 sien mémoire de nouvelles qu'il avoit ramassées en chemin, sans toucher toutesfoys au pacquet de Vostre Majesté; et ont, sept jours durant, faict tenir les passaiges fermés, et envoyé un trompette le notiffier à Mr. de Gordan, et le prier de le faire ainsy entendre au Sr. Chapin Vitel et aultres députez de Flandres, lesquelz ilz estimoient estre desjà à Callais, affin qu'ilz ne prinsent la peyne de passer pour estre incontinent après arrestez.

Mais sur la lettre que j'avois escripte à la Royne d'Angleterre pour me plaindre amèrement de la vollerye de mon pacquet, après m'avoir faict respondre par milord Chambrelan qu'elle avoit tout aussitost faict appeller ceulx de son conseil pour les purger par sèrement s'ilz sçavoient rien de ce faict, lesquelz luy avoient toutz respondu que non, elle me prioit de croyre que cella n'estoit aulcunement procédé d'elle, ny de son dict conseil, et qu'elle en estoit extrêmement déplaysante; dont envoyeroit ung commissaire sur le lieu pour en enquérir, et m'en feroit avoir si bonne réparation que j'en serois contant, me priant cependant de surceoyr pour quelques jours mes dépesches, car ne vouloit q'homme vivant sortît de son royaulme qu'elle n'eust pourveu à ses troubles qui se présentoient.

Despuys, entendant la dicte Dame que le dict duc de Norfolc s'estoit achemyné pour retourner vers elle, elle m'a envoyé, le ııȷe de ce moys, le Sr. Randol, naguières revenu ambassadeur de Moscouvye, pour me continuer la mesmes excuse de desplaysir qu'elle avoit de la surprinse de mon dict pacquet, et qu'elle avoit envoyé commission à milord Coban pour en informer et punir rigoureusement ceulx qui s'en trouveroient coulpables; et qu'au reste les passaiges me seroient ouvertz quant je vouldrois envoyer 261 quelcun en France, dont, sur l'heure, je dépeschay ung corrier avec mon pacquet du ııȷe du présent.

Chiffre.—[Et j'entendz que le duc de Norfolc arrivera aujourdhuy en ceste court, bien que j'aye faict, et faict faire par ses principaulx parans et amys, tout ce qu'il nous a esté possible pour le garder de venir, estimant ung chacun qu'aussi tost qu'on le tiendra l'on l'envoyera, et les aultres seigneurs qui sont en arrest, toutz prisonniers à la Tour; mesmes l'on dict qu'on leur y a desjà préparé le logis. Je ne sçay si c'est pour se confyer trop de leur cause, ou pour cuyder porter plus d'assistance, présens que absentz, au faict de la Royne d'Escoce, ou pour espérer trop de la faveur et de l'appuy qu'ilz se sentent avoir en ce royaulme, que ces seigneurs se sont ainsy facillement venuz commettre ez mains de la dicte Dame, ou bien qu'ilz soyent subjectz à avoir la teste trenchée et n'en puyssent évitter le mal, par ce qu'ilz en sont de race; tant y a qu'on les estime estre en grand dangier, ce que toutesfoys ne se pourroit exécuter sans esbranler grandement cest estat; au moins pourra estre que ce divertissement pour leurs propres affaires apportera quelque utillité aulx vostres; mais j'ay grand craincte de ceulx de la dicte Royne d'Escoce ausquelz toutesfoys l'on n'avoit si mal regardé qu'on les eust entièrement fondez sur la faveur du dict duc, car y a aparance que bientost il sera essayé de pourvoir à la liberté de la dicte Dame par aultre moyen;]—Dieu aydant, auquel je suplie, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce vıȷe d'octobre 1569.

262

A la Royne.

Madame, par le retour du Sr. de Sabran avec la dépesche de Voz Majestez, du xxe du passé, j'ay comprins quelle est vostre intention sur les affaires de deçà, lesquelz affaires sont néantmoins en aultre estat à ceste heure que vous ne les cuydiez, quant vous l'avez dépesché. Je m'y conduyray sellon le temps, dressant toutjours ma négociation à bien exactement accomplyr ce que me commandez, ou à faire ce qui plus tornera à vostre service, et à toutz les deux ensemble s'il m'est possible.

Chiffre.—[Et pour encores, je n'avois parlé de ce mariage de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc ung seul mot, au nom de Voz Majestez Très Chrestiennes, dont deussiez craindre que je me fusse trop advancé et que fussiez en peyne de me désadvouher, chose que je serois trop plus marry qui m'advînt que la propre mort; seulement j'avois trouvé moyen de me faire employer par les deux parties à requérir très humblement Voz Majestez de leur estre favorables; en quoy, à la vérité, je leur avois promiz de vous randre bien disposez envers eulx, et faire tout ce que je pourrois pour leur faire avoir vostre approbation, ce que vous pouviez puys après fort ayséement accorder ou reffuzer comme il vous eust pleu, sans venir à nul désadveu de vostre ambassadeur, dont ce qui s'en est passé jusques icy a esté sur ma seule parolle; et meintennant que vous m'avez donné et commandé de donner celle du Roy et la vostre en cella, je m'advanceray à quelque chose davantaige et essayeray de faire plus que, pour le présent, 263 je ne me veulx ny me oze promettre du peu de cueur, inconstance et légéreté de ces seigneurs, à qui j'ay affaire par deçà. La dicte Royne d'Escoce a esté en grand frayeur, comme pourrez voir par la coppie de la lettre qu'elle m'a escripte, mais nous l'avons consollée et pense estre asseuré que sa personne n'aura point de mal.]—Je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté et prie Dieu qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce vıȷe d'octobre 1569.

LETTRE DE LA ROYNE D'ESCOCE AU Sr. DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—Escripte à Tutbery, le xxve de septembre, en chiffre.—

Chiffre. —[Je croys que vous sçavez bien comme je suys rudement traictée, mes serviteurs chassez et deffandu que je n'escripve, ni reçoipve lettre d'aulcune part, et que toutz mes gens soyent fouillez. Je suys icy à Tutbery, d'où l'on me dict que milor Hontington me recepvra en sa charge. Il prétend au droict que je prétendz, et le pence avoir; jugez si ma vie sera seurement. Je vous prie d'adviser avec ceulx que cognoistrez de mes amys, et parlez à la Royne d'Angleterre que s'il advient mal de moy, estant entre mains de personnes souspeçonnez de me vouloir mal, qu'elle sera réputée du Roy, mon beau frère, et toutz aultres princes, la cause de ma mort. Usez en à vostre discrétion et advertissez le duc de Norfolc qu'il se garde, car l'on le menasse de la Tour.

Communiquez avec l'évesque de Roz sur la présente, car je ne sçay s'il en sçayt rien. J'ay miz au hazard quatre de mes serviteurs pour les advertyr, mais je ne sçay s'ilz 264 auront passé, car Bourtic cuyda estre prins et fut cerché, mais il avoit caché ses lettres par le chemyn; dont j'ay trouvé moyen de les retirer. J'ay escript au Roy et à la Royne, mère du Roy, et ay envoyé le pacquet pour vous le donner ou à Roz. Mettez leur mes excuses si je ne puys escripre, et leur mandez que j'aye de leur faveur. Je vous prie, faictes aussi que l'ambassadeur du Roy d'Espaigne vous accompaigne pour parler en ma faveur; car ma vie est en dangier si je demeure entre leurs mains. Je vous prie, encouraigez et conseillez les amys de se tenir sur leurs gardes et de faire pour moy meintennant ou jamais. Tennez secrect ceste lettre, que personne n'entende rien; car j'en serois plus estroictement gardée, et donnez voz lettres de faveur à ce porteur secrectement pour le navyre de milor de Cherosbery, les plus seures et favorables que pourrez; car cella me servyra grandement à trouver faveur vers luy; mais s'il est sceu, vous me ruynez. Il fault trouver moyen par quelque Anglois que j'entende de voz nouvelles; on pourroit essayer le baillif de Darby et quelques aultres; et ramentevez à Roz le vicaire d'icy prez, car il m'en fera tenir aussi.

Je vous suplie d'avoir pityé d'une pouvre prisonnière en dangier de la vie et sans avoir offancé. Si je demeure ung temps icy, je ne perdray seulement mon royaulme mais la vie, quant l'on ne me feroit aultre mal que le desplaysir que j'ay d'avoir perdu toute intelligence ou espoir de secours à mes subjectz fidelles. Si prompt remède n'y trouve, Dieu par sa grâce me doinct pacience, et quoy qui m'advienne je mourray en sa loy et en bonne volonté vers le Roy et la Royne, à qui je vous prie faire ma dolléance et à monsieur le Cardinal de Lorraine mon oncle.

265

Par postille à la lettre précédente.

Despuys ceste lettre escripte, Hontington est revenu ayant charge de la Royne de moy absolue. Le comte de Cherosbery, à ma requeste, a requis que je ne luy soys ostée, et me gardera jusques à la seconde dépesche. Je vous prie ramentevoir l'injustice contre la loy du pays que me mettre entre les mains d'ung qui prétend à la couronne comme moy. Vous sçavez aussi la différance grande de la religion. Je vous prie aussi escripre et favorablement pour le navyre du dict comte de Cherosbery par ce porteur et qu'il soit secret.

De Tutbery le xxve de septembre.


266

LXIVe DÉPESCHE

—du VIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. de La Croix.)

Effet produit à Londres par la certitude de la nouvelle que le siége de Poitiers a été levé.—Les vaisseaux marchands reprennent le commerce de Bordeaux et de la Rochelle sans équipage de guerre.—Hésitation des Anglais à ouvrir des négociations pour les affaires des Pays-Bas.—Craintes que leur inspire la mission du Sr. Ciapino Vitelli, marquis de Chelona.—Incertitude sur le cours que prendront les affaires du duc de Norfolk, des seigneurs arrêtés et de la reine d'Écosse.—Conjectures de l'ambassadeur sur le sort qui leur est réservé.—Mémoire secret.—Détails confidentiels sur tout ce qui est relatif à l'affaire du duc de Norfolk.—Conduite d'Élisabeth après que le duc se fut retiré de la cour.—Motifs qui ont déterminé son retour.—Il est mis en arrestation.—Nouveaux préparatifs de guerre, qui pourraient être tournés contre la France.—Arrivée du vicomte de Rohan venant d'Allemagne.—Traité d'alliance fait par le Sr. de Quillegrey, au nom de la reine de Navarre, avec le comte Palatin, le duc Auguste de Saxe et le landgrave de Hesse.—Cause du retard qu'éprouve l'expédition du duc Casimir.—Continuation des troubles en Irlande, malgré la soumission des deux frères du comte d'Ormont.—On attend à Londres les envoyés du comte de Murray pour régler les affaires d'Écosse.—Départ de la cour de tous les seigneurs qui pourraient se trouver compromis à l'occasion des prises faites sur les Espagnols.

Au Roy.

Sire, jusques au retour du Sr. de Sabran il n'a esté possible de persuader à ceulx cy que le siège de Poictiers fût levé, et mesmes y a heu plusieurs gageures qu'il estoit prins, mais à ceste heure ilz n'en doubtent plus, de quoy la partie des catholiques se resjouyt grandement, et va à ceste heure bien espérant de voz affaires, nonobstant qu'on 267 leur dye plusieurs choses d'aulcuns aultres aprestz d'Allemaigne; et donnent grand louange à Vostre Majesté de l'entreprinse d'avoir si à propos secouru ceste place, et à Monsieur, frère de Vostre Majesté, grand honneur de l'avoir heureusement exécutée, et à Mr. de Guyse et à Mr. le marquis son frère, et aultres seigneurs et gens de valleur qui estoient dedans, une grande réputation d'avoir si longuement et si bravement soubstenu ce furieulx siège. Je cognoys bien que cella, à la vérité, donne desjà beaulcoup de réputation à voz affaires, et fera, possible, que ceulx, qui concernent icy vostre service, se porteront mieulx.

Il semble que toutes ordonnances, pour les entreprinses de ceulx cy hors du royaulme, demeurent en quelque suspens, à cause des troubles qu'ilz ont crainct de voir advenir au dedans, et n'y a, pour encores, sinon des navyres merchantz qui soyent prestz à sortir pour aller au vin et au sel, tant à Bourdeaulx que à la Rochelle, qui monstrent ne faire le voyage que de eulx mesmes pour leur traffic, sans commission de ceste Royne ny de son conseil, bien que je m'asseure qu'ilz ne partent sans l'avoir; et s'estime que bien peu yront à la Rochelle, s'ilz sentent pouvoir faire librement et seurement leur emplette à Bourdeaulx.

Ceulx qui espéroient ung prochain accord ez différantz des Pays Bas, estiment qu'il est beaulcoup retardé par la sommation, qu'on a envoyé faire par ung trompette au gouverneur de Gravelines, d'advertir les députez qu'ilz ne viègnent poinct; en quoy semble qu'avec le peu de volonté d'accorder, l'on ayt aussi prins quelque souspeçon d'ung tel deputté comme est le Sr. Chapin Vitel, et qu'on vouldroit bien qu'ung aultre, qui ne fût pour comprendre tant des affaires de deçà comme luy, eust la commission 268 d'y venir[17]. L'on tenoit desjà les dictz différans pour toutz accordez, veu la facillité du Roy d'Espaigne, et qu'il n'avoit empesché les nefz veniciennes de venir continuer leur traffic comme auparavant; mais l'on juge meintennant qu'ilz prendront quelque tret.

Je ne sçay que penser, pour encores, des affaires du duc de Norfolc et de ces seigneurs qui sont en arrest en ceste court, ny pareillement de ceulx de la Royne d'Escoce; car les ungs semblent dépendre des aultres. Tant y a que bien tost l'on verra ce qui s'en doibt bien ou mal espérer; et cependant Vostre Majesté en entendra, s'il luy playt, le présent estat par le Sr. de La Croix, lequel j'envoye bien instruict de cella et d'aultres choses d'icy; et, vous supliant très humblement luy donner entière foy, je n'adjouxteray à la présente qu'une très dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce vııȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Chiffre.—[Madame, ce que, par mes deux précédantes dépesches, du ııȷe et vıȷe du présent, Vostre Majesté 269 aura commancé entendre de l'altération des affaires de deçà pour le partement du duc de Norfolc, et ce que le Sr. de La Croix, présent pourteur, vous dira où l'on en est meintennant, vous fera bien juger qu'il y auroit assés matière pour allumer ung grand débat dans ce royaulme, si beaulcoup des principaulx seigneurs d'icelluy n'estoient après à l'estaindre; mais ilz y font si grand dilligence qu'aulcuns espèrent, veu le retour du dict duc, et la bonté de la Royne d'Angleterre, que les choses n'en passeront plus avant. Aultres estiment que le dict duc, et les aultres seigneurs qui sont en arrest, se sont beaulcoup hazardez de s'estre ainsy facilement commiz ez mains de la dicte Dame, laquelle les faict desjà examiner par commissaires qui leur sont assez suspectz. Je cognois bien que les affaires de la Royne d'Escoce courent mesme fortune que les leurs, qui sans ceulx là semble que fussent long temps demeurez sans remède. Je feray tout ce qu'il me sera possible pour procurer que, si l'on accommode ceulx des dictz seigneurs, ceulx de la dicte Dame ne soyent délayssez, et que ceulx de Voz Majestez Très Chrestiennes n'en viègnent pourtant en pire estat, ainsy que, par le dict Sr. de La Croix il vous plairra l'entendre, auquel me remettant je prieray, pour le surplus, Nostre Seigneur, etc.

Le Sr. de La Croix dira a Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres.

Chiffre.—[Que le duc de Norfolc s'en estoit party mal contant de ceste court et s'estoit retiré en sa maison, pour luy avoir la Royne d'Angleterre faict de grandes démonstrations de malcontantement sur ce qu'il aspiroit au mariage 270 de la Royne d'Escoce, et luy avoit usé de fort rigoureuses parolles, s'il ne s'en despartoit.

Mais luy, qui estoit desjà, à ce qu'on dict, passé bien avant en ce propos par l'adviz des plus notables et principaulx du royaulme, desquelz il a encores les seings devers luy, avec grande aprobation du peuple, et non sans l'avoir aussi ouvertement communiqué aulx plus inthimes et espéciaulx conseillers de la Royne sa Mestresse; et qui, pour ceste occasion, avoit toutjour pensé qu'elle l'aprouvoit comme chose convenable au bien de ses affaires et à l'advantaige de sa couronne, a estimé ne s'en pouvoir ny debvoir meintennant en façon du monde retirer.

Mesmes luy a semblé que la dicte Dame n'avoit aucune juste occasion de luy vouloir mal pour cella, ny de trouver mauvais le dict mariage, ains que c'estoient ses ennemys et malveillans, qui alloient ainsy irritant ceste princesse contre luy pour le faire ruyner et pour ruyner les affaires de la Royne d'Escoce, et icelle déboutter de la légitime succession de ce royaulme après sa cousine, et attempter aulx propres personnes et à la vie d'elle et de luy, dont monstroit estre dellibéré de s'y opposer et de leur résister par toutz les moyens qu'il en pourroit avoir;

Et néantmoins requéroit l'assemblée de la noblesse et des estatz d'Angleterre, et la convocation du Parlement pour juger ceste cause, et pour justiffier qu'elle n'avoit jamais esté mise en avant par la Royne d'Escoce ny par luy, ains qu'elle avoit esté proposée à toutz deux par les plus notables du conseil et de toutz les principaulx du royaulme, comme très utille à leur Royne et convenable au bien de sa couronne et de ses subjectz; et partant, qu'il estoit besoin d'obvier par la dicte assemblée au mal qui s'en pourroit ensuyvre, 271 si leurs ennemys s'esforçoyent de l'empescher, et pourvoir par mesme moyen à plusieurs aultres affaires qui se monstroient très urgens en ce royaulme, protestant qu'il avoit toutjour procédé et qu'il vouloit encores toute sa vie procéder, avec deuhe révérance et subjection envers la Royne sa Mestresse; et que, pour chose qui dorsenavant se peult ensuyvre en ce faict, son intention ne seroit de faire rien en offance d'elle, ains de procurer toutjour l'honneur et grandeur de sa couronne, et le bien et repos de ses subjectz, et s'opposer à ceulx qui estoient cause de ceste perturbation.

Mais la dicte Dame, à qui tout cecy venoit à contrecueur, parce qu'elle craignoit qu'on luy vollût déclairer ung successeur à sa couronne, ce qu'elle a toutjour fort reffouy, manda ceulx de son conseil à Vuyndesor pour dellibérer du dict affaire; et de peur que la plus part tinsent la main à le faire réuscyr au contantement du duc, elle vollut bien leur signiffier, avant qu'ilz commençassent d'y procéder, ce qu'elle desiroit y estre faict, mandant aulx comtes d'Arondel, de Pembrot et milor de Lomelley, aussitost qu'ilz furent descenduz de cheval, de ne partir de leurs logis et demeurer séparez les ungs des aultres, jusques à ce que une responce, qu'elle attandoit du dict duc, fût arrivée, et les fit cependant examiner comme ses complices; et dépescha sur l'heure le capitaine des pencionnaires pour aller quérir le dict duc; et fit ressarrer les portz et passaiges de son royaulme, redoubler les gardes de la Tour de Londres, manda au comte de Cherosbery de redoubler celles de la Royne d'Escoce et de transporter la dicte Dame à Tutbery, comme en lieu plus fort que là où elle estoit; et en mesme temps, pour l'opinion qu'on eust que le Roy et le Roy d'Espaigne fussent de ceste intelligence, l'on volla 272 ung mien pacquet prez de la mayson de milor Coban, et guetta l'on celluy de l'ambassadeur d'Espaigne, lequel, entendant la perte du mien, se garda de dépescher.

Et ayant d'abondant la dicte Dame envoyé de toutes partz advertyr ses subjectz, et mandé ses plus prochains parantz, et ceulx en qui elle avoit plus de confiance, de la venir trouver, et se trouvant d'ailleurs le dict duc en Norfolc et Suffoc, où il est fort aymé, et où ceulx du pays luy vindrent offrir hommes et argent pour le secourir, et que plusieurs aussi vers le Nort se monstroient bien affectionnez envers la Royne d'Escoce, l'on estima que bientost il y auroit gens en campaigne pour les deux partiz, sous la conduicte du comte de Lestre d'une part, et du dict duc de l'austre, bien qu'on publioit que le dict de Lestre et le secrétaire Cecille avoient, du commancement, donné leur parolle et leur main au dict duc en ceste cause; mais despuys, ayantz à genoulx cryé pardon à la Royne leur Mestresse, s'en estoient despartys, ce que aulcuns estiment qu'ilz avoient ainsy prins le party du dict duc pour mieulx descouvrir son faict et puys le luy traverser.

Mais le dict duc, ayant prins aultre délibération, est revenu despuys lundy dernier au mandement de la dicte Dame contre l'opinion de toutz ses amys, et incontinent luy a esté commandé l'arrest en une mayson à trois mille de Vuyndesor, jusques à ce qu'il aura esté ouy. Et dict on qu'il a esté assés adverty du courroux en quoy la dicte Dame persèveroit contre luy, mais que, se confyant en sa bonne cause, et pour cuyder plus servyr par sa présence que absent à celle de la Royne d'Escoce, et à saulver la personne d'elle, laquelle il a estimé estre en quelque dangier, si l'on venoit aulx armes; et aussi, voyant que les dicts comtes d'Arondel 273 et de Pembrot et milord de Lomelley, qui luy sont estroictement conjoinctz d'amytié et de parentaige, estoient arrestez, et qu'il se sent fort apuyé de la bienveuillance de la noblesse et du peuple du pays, et mesmes de toutz les principaulx du conseil, il s'est ainsy franchement venu représanter; dont, par ce moyen, tout son affaire se débat meintennant dans la court, non sans beaulcoup de contention, ny sans qu'on ait opinion qu'il eust encores mieulx faict pour luy de ne venir poinct. Tant y a qu'estantz les plus grandz et les plus nobles du pays meslez en cecy, il ne pourra estre qu'il n'y ayt de la besoigne taillée entre eulx pour les empescher, possible, qu'ilz n'en entrepreignent d'aultre de quelque temps.

Et semble, si les choses passoient ung peu en avant, qu'il se manifesteroit je ne sçay quoy de la division de la religion qui ne se monstre encores, car infinys protestans sont pour le duc, mais, d'aultant qu'on est après, des deux costez, à modérer cest affaire et garder qu'on n'en viègne aulx armes, et que cependant ceulx qui manyent l'estat pour ceste princesse sont passionnez protestans, j'ay suspect ce qu'ilz ordonnent au faict des dictes armes et de la guerre; mesmes que, parmy ce qu'ilz ont mandé, ces jours passez, aulx capitaines et canoniers de se tenir prestz, ilz ont aussi mandé en ceste ville d'y aprester un grand nombre de chairs, de biscuictz et de bières, comme pour ung soubdain avitaillement; ce que n'est pour s'en servir en une guerre dans le pays, de quoy les gouverneurs de Normandie et Picardie sont desjà advertiz, et sera bon que ceulx de Bretaigne et de Guyenne le sachent.

Mesmes que, quant le conseiller Cavaignes est party pour la Rochelle, milord Coban a heu commission de le mener à 274 Gelingan veoir le bon estat des grandz navyres de ceste Royne, comme pour luy monstrer qu'ilz seront prestz quant il sera besoing, et a esté dict parmy les Françoys, qui sont en ceste ville, qu'ilz tiennent desjà comme à eulx les principalles ville de la Basse Normandie, réservé le chasteau de Caën; et naguyères, le jeune viscomte de Rohan est arrivé d'Allemaigne, qui monstre venir icy pour quelque pratique et menée qu'il a en main.

L'on s'est resjoui en ceste court pour l'alliance que le Sr. de Quillegrey a conclue de la Royne, sa Mestresse, avec le comte Pallatin, le duc Auguste de Saxe et Lansgrave d'Essen, bien qu'il ne l'ayt peu, à ce qu'on dict, tretter avecques l'Empereur. Il a admené ung gentilhomme de la part du dict Lansgrave pour la venir ratiffier, lequel a esté favorablement receu de la dicte Dame, et, après avoir receu présent d'elle et du comte de Lestre, et quelques chiens de sang pour son maistre, il a esté expédié et est prest pour s'en retourner.

J'entendz que xl mil {lt} esterlin, qui se debvoient fornir en Allemaigne pour le priz du vin et du sel de la Rochelle, ont esté payez, et le dict Quillegrey en a rapporté les acquitz, mais l'on s'esbahyt que le duc de Cazimir ne soit desjà en campaigne, et estime l'on que Mr. de Lizy le hastera; et que, si son entreprinse a esté différée, qu'elle n'est pourtant interrompue, imputant le retardement à son mariage et non à faulte de volonté ny de moyens, dont s'espère que la conclusion s'en fera à Heldelberc, où le duc Auguste doibt bien tost venir avec douze centz chevaulx pour y admener sa fille, et que le prétexte d'entrer en France sera pour demander quelque somme que le Roy reste [devoir] au dict duc de Cazimir.

275 Chiffre.—[Du costé d'Irlande, l'on ne se peult tant asseurer des deux frères du comte d'Ormont, et de la troupe où ilz estoient, qu'on tiègne l'eslévation du tout apaysée de leur costé, et les aultres tiennent encores les armes, et continuent à les exécuter tout ouvertement; dont milord Sydeney a mené l'armée contre eulx, et parce qu'on doubte assés de l'évènement, l'on luy a freschement envoyé quatre centz homes d'icy.

Le depputé d'Escoce doibt bien tost arriver en ceste court, à qui a esté desjà envoyé son passeport pour douze chevaulx, et parce qu'il est envoyé de la part du comte de Mora, et qu'il arrive sur le courroux et malcontantement de la Royne d'Angleterre, je crains fort qu'il obtiègne plus qu'il ne vouldra requérir contre la Royne d'Escoce; tant y a qu'on dict que les affaires ne vont au dict pays d'Escoce, comme le dict comte de Mora desireroit.

L'on se prépare bien fort de respondre aulx propositions, que feront ceulx qui viendront de la part du Roy d'Espaigne; et j'entendz qu'on a adverty ceulx, qui peuvent estre le plus chargez du faict de ces prinses, de s'absenter, dont le visadmyral Chambrenant et Haquens, et aulcuns aultres des principaulx qui y ont miz la main, ont desjà faict voille à la Rochelle et en Irlande, et dict on que le dict Haquens se résoult de tenir encores ceste année la mer contre les Espaignolz.

Je ne sçay si ce qui aparoit de trouble en ce royaulme retardera la venue des dictz députez de Flandres, attandu mesmement qu'on a envoyé ung trompette à Gravelines advertir qu'ilz ne se hastent de passer, et cependant semble que ceulx cy veulent passer oultre à faire vandre les merchandises des Espaignolz.

276 Je desire que sellon l'estat de toutz ces affaires et d'aultres qui, possible, paroistront encores plus grandz, il playse à Leurs Majestez me commander toutjour comment j'auray à m'y conduyre, affin de suyvre droictement leur intention et faire, jour par jour, ce qu'ilz estimeront convenir plus à leur service.


277

LXVe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès par Jehan Valet jusques à Calais.)

Vives plaintes de l'ambassadeur au sujet du paquet de dépêches qui lui a été enlevé.—Commission délivrée par Élisabeth pour faire punir les coupables.—Semblable saisie est faite par violence d'un paquet de dépêches envoyé à l'ambassadeur d'Espagne.—Les affaires du duc de Norfolk servent de prétexte à la reine pour refuser audience à l'ambassadeur.—Le duc est mis à la Tour.—Arrestation d'un grand nombre d'étrangers.—Rigueurs exercées contre les évêques catholiques.—Renforts de troupes envoyés en Irlande.—Effet produit en Écosse par la nouvelle du projet de mariage entre le duc de Norfolk et Marie Stuart, et des événements qui ont suivi.—Divisions dans le parti du comte de Murray.—Impossibilité pour l'ambassadeur, de faire des démarches auprès d'Élisabeth en faveur de la reine d'Écosse.—Départ d'un grand nombre de navires marchands pour faire le commerce de la Rochelle et de Bordeaux.—Instances de l'ambassadeur pour que le roi et la reine-mère se plaignent vivement à l'ambassadeur d'Angleterre à raison du paquet de dépêches qui a été volé, et de l'indigne traitement qui est fait à la reine d'Écosse.—Arrivée de la comtesse de Montgommery à l'île de Jersey.—Départ du vicomte de Rohan et d'autres Français sur les navires qui se rendent à la Rochelle.—Lettre de recommandation de l'ambassadeur en faveur du capitaine Muer, Écossais.—Lettre de créance pour le sieur Thomas Flemy, envoyé par la reine d'Écosse.—Nouvelles instances pour que le château de Dumbarton soit secouru.

Au Roy.

Sire, pour cuyder la Royne d'Angleterre aulcunement me contanter sur la perte de mon pacquet, elle a envoyé commission aulx officiers de Rochestre d'enquérir dilligemment du faict, et punir ceulx qui en seroient coulpables, 278 et Mr. le comte de Lestre m'a mandé qu'elle s'en estoit asprement prinse au secrétaire Cecille, et à d'aultres de son conseil, qu'elle souspeçonnoit y avoir tenu la main. Néantmoins je n'ay poinct recoupvert mon pacquet, et est advenu despuys, que retournant le mestre d'hostel de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne de Flandres avec ung pacquet du duc d'Alve, il luy a esté pareillement prins en chemyn, et ne faict on semblant de le vouloir randre non plus que le mien.

J'avoys, jeudy de la sepmaine passée, envoyé demander audience pour me plaindre de ce tort à la dicte Dame et pour tretter avec elle des affaires de la Royne d'Escoce et d'aulcunes particularitez de voz dernières dépesches; mais elle me fit prier, par le Sr. comte de Lestre et par milor Chamberlan, que je volusse avoir pacience pour cinq ou six jours, à cause qu'elle se trouvoit ung peu mal, et qu'elle estoit si empeschée ez affaires de ces seigneurs, qui estoient en arrest, qu'elle ne pourroit bonnement entendre en aulcuns aultres jusques à ce qu'elle eust pourveu à ceulx là. En quoy a esté desjà tant procédé que, de ce que le duc de Norfolc estoit arresté, il à esté à bon escient faict prisonnier et mené par eau, sur la barque de la dicte Dame, despuys Vuyndesor jusques dans la Tour de Londres, le xȷe de ce moys, à deux heures après midy, où il y a heu ung grand concours de peuple pour le veoir, qui ont toutz faict démonstration d'en estre très desplaysantz. Les aultres seigneurs sont encores arrestez à Vuyndezor, et plusieurs aultres particuliers, tant du pays que Italliens, et quelques Espaignolz faictz prisonniers; et dict on qu'on a mandé de toutes partz resserrer les évesques catholiques, qui avoient quelque liberté de se promener ou de parler avec leurs 279 amys et parans, se doubtans d'une sublévation dans le pays; et l'on a, ces jours passez, envoyé renfort d'argent et d'hommes en Irlande, où semble que les affaires se monstrent encores assés doubteux; et sont venues nouvelles complainctes à ceste Royne et aulx seigneurs de son conseil du comte d'Ormont, qui a envoyé son mestre d'hostel pour s'en purger.

Sur le commancement de ce moys, est arrivé ung corrier d'Escoce qui raporte que ces affaires de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc sont desjà cogneuz par tout le pays, et que, d'aultant qu'aulcuns des grandz en sont marrys, le peuple en est bien fort joyeulx, souhaytant plus que jamais d'avoir leur Royne, ce qui accroyt le débat parmy eulx; et que mesmes aulcuns du party du comte de Mora s'estoient despartys de luy, et que deux de ses principaulx adhérans, le comte de Morthon et le Sr. de Humes, estoient en grand différant l'ung contre l'aultre, et que le secrétaire Ledinthon avoit esté en grand dangier de sa vie par l'ordonnance des estatz du pays, comme coulpable du murtre du feu Roy, n'eust esté que milord Granges, capitaine du chateau de l'Islebourg, qui l'avoit prins en garde quant il fut constitué prisonnier à Esterlin, ne l'a vollu randre.

Les frontières d'entre l'Angleterre et l'Escoce sont si estroictement gardées, qu'il n'y passe homme qui ne soit prins, ou par ceulx de Baruich, ou par ceulx du party de la Royne d'Escoce, ou par ceulx du cousté du comte de Mora; et y a desjà comme une guerre commancée en icelluy endroict. Je ne sçay si ceste Royne a heu quelque souspeçon de milor Housdon, gouverneur de Baruich, tant y a qu'elle l'a faict venir icy, et a envoyé le maréchal Drury 280 pour commander dans la place. Nous attandons toutjour quelque bonne pourvoyance sur les affaires de la Royne d'Escoce, mais parce qu'ilz sont enveloupez avec ceulx de ces principaulx seigneurs arrestez, il y fault ung peu de pacience; et je ne laysseray pourtant de les solliciter avec toute l'instance et dilligence qu'il me sera possible.

Il est desjà party envyron quarante cinq vaysseaulx des portz de deçà pour aller au vin, dont une partie tirera à la Rochelle et le reste passera oultre à Bourdeaulx, où, si l'on y est bien receu, ilz seront, se disent ilz, convyés d'y continuer puys après leur traffic et employte, comme ilz le souloient faire auparavant. Et sur ce, etc.

De Londres ce xııȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Madame, encor que la Royne d'Angleterre ayt vollu faire quelque démonstration de me contanter sur l'oltrage qui m'a esté faict de la vollerie de mon paquet, je vous suplie néantmoins en parler si expressément à son ambassadeur qu'il ayt occasion d'escripre à sa Mestresse que Voz Majestez en sentent une grande offance, et qu'elles veulent qu'elle soit réparée; vous supliant aussi luy remonstrer bien vifvement comme Voz Majestez prenez fort à cueur le mauvais trettement, les violances et indignitez dont avez entendu qu'elle souffre estre uzé contre la personne et contre la liberté de la Royne d'Escoce, estant entre ses mains; et de ce qu'elle va, de jour en jour, dillayant de pourvoir à ses affaires, pendant que ses mauvais subjectz vont establissant les leurs contre elle dans son 281 propre pays, et vont ruynant les bons subjectz qui soubstiennent son party, et qu'ilz sont après à luy surprendre son chasteau de Dombertran pour achever de la déshériter du tout; chose qui, à mon adviz servira de beaulcoup, si faictes bien cognoistre au dict ambassadeur, qu'en offençant ainsy la dicte Royne d'Escoce, il ne peult estre que Voz Majestez ne s'en sentent oltragées et offancées; et je ne deffauldray de mon office accoustumé en cest endroict, ainsy que Mr. l'évesque de Roz cognoistra qu'en temps et lieu je le debvray employer.

La comtesse de Montgommery est despuys quelques jours passée en l'isle de Gerzé, où il a esté mandé de la recepvoir, et luy permettre de passer du tout en Angleterre quant elle vouldra. Le jeune viscomte de Rohan, et aulcuns aultres Françoys, jusques à vingt ou trente, se sont embarquez en ceste flotte des vins pour passer à la Rochelle.

Il est venu une très bonne nouvelle d'ung grand exploict de monseigneur vostre filz qui ne se publie encore guyères icy, tant y a qu'on commance d'en faire gageures à la bource. Dieu luy veuille bien assister, auquel je suplie, etc.

De Londres ce xııȷe d'octobre 1569.

Du dict jour.

Au Roy.

Sire, dellibérant le capitaine Muer, gentilhomme escossoys qui est de voz gardes, aller servyr son quartier, et estant passé devers la Royne d'Escoce, sa Mestresse, pour prandre ses lettres de recommandation à Vostre Majesté, il l'a trouvée si resserrée qu'il n'a peu avoir d'elle ung seul 282 mot d'escript; dont Mr. l'évesque de Roz m'a prié que je luy en vollusse bailler ung de ma part pour vous tesmoigner, Sire, qu'il s'est toutjour porté en homme de bien au service de la Royne, sa Mestresse, et s'est monstré son bon et fidelle subject, soubstennant constantment son party en tout ce qu'il luy a esté possible. A cause de quoy le dict sieur évesque, qui cognoist les vrays serviteurs de sa Mestresse, m'a prié de bien fort singullièrement le vous recommander. Et m'asseurant, que, en considération de ce, Vostre Majesté le recepvra très volontiers et avecques faveur, et que la présente n'est pour aultre chose, je n'adjouxteray rien plus icy qu'une très dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce xııȷe d'octobre 1569.

Du mesmes jour.

A la Royne.

Chiffre.—[Madame, estant, à ceste heure, la Royne d'Escoce tenue bien estroictement et fort resserrée au chasteau de Tutbery, soubz la garde des comtes de Cherosbery et de Huntincton, elle n'a heu la commodité de vous escripre par le Sr. Thomas Flemy, présent pourteur; dont Mr. l'évesque de Roz m'a prié d'y supléer pour elle par ce peu de motz, affin de requérir très humblement Voz Majestez Très Chrestiennes, au nom de la dicte Dame, qu'il vous playse pourvoir à l'avitaillement de son chasteau de Dombertran, lequel va estre perdu par faulte de secours et de vivres, et avec luy se pert bonne partye de la meilleure espérance que ceste pouvre princesse aye à son restablissement 283 à sa couronne; à tout le moins, ses affaires en vont estre d'aultant plus difficiles et retardez, et ceulx de ses adversayres davantaige establys et advancez. Et parce que Voz Majestez entendront plus en particullier ce grand besoing par le récit que le Sr. de Flemy leur en fera, et que je m'asseure qu'il trouvera le Roy et Vous, Madame, trez disposez de faire tout le secours que vous pourrez en cest endroict à la Royne sa Mestresse, et que la présente n'est que pour très humblement vous en suplier, je n'adjouxteray ici pour le surplus qu'une dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce xııȷe d'octobre 1569.

Ceste lettre estoit cloze et desjà délivrée au dict Sr. de Flemy, quant celles de Voz Majestez, du dernier du passé, sont arrivées, par lesquelles je luy ay faict veoir comme il a esté desjà pourveu à ce dessus. Neantmoins Mr. de Roz a desiré qu'il accomplît son voyage, tant pour haster la dicte pourvoyance, si d'avanture elle estoit retardée, que pour aultres occasions, lesquelles luy mesmes vous fera entendre; et par ainsy, je luy ay randu ceste dicte lettre pour la présenter à Vostre Majesté.


284

LXVIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan de Bouloigne.)

Procédure criminelle contre le duc de Norfolk, les comtes d'Arundel et de Pembroke, et lord Lumley.—Arrestation de sir Trokmorton et du sieur Ridolfy.—Commissaires établis pour conduire le procès.—Le comte de Leicester refuse de prendre part à la procédure.—Constance que montre Marie Stuart dans son malheur.—Première nouvelle encore incertaine de la victoire de Moncontour.—Arrivée des commissaires espagnols à Calais.—Bruit d'une entreprise projetée sur le Croisic en Bretagne.—La peste, qui est à Londres, sert de nouveau prétexte à la reine pour différer l'audience à l'ambassadeur.—Espoir que la victoire annoncée, si elle se confirme, sera d'un grand secours pour rétablir les affaires de la reine d'Écosse et assurer le succès de toutes les négociations commencées.

Au Roy.

Sire, ayant, le xııȷe du présent, receu les lettres de Voz Majestez du dernier du passé, j'ay estimé vous en debvoir donner adviz, et vous dire par mesme moyen, Sire, qu'encor que ceulx cy ayent, du commancement, quant ilz sont tumbez en ceste grande souspeçon et deffiance du duc de Norfolc, exécuté plusieurs choses assés violentement, ilz se sont néantmoins despuys ung peu modérez, de sorte que les pacquetz se conduysent assés seurement. Et ceulx de ce conseil monstrent, à ceste heure que le dict duc est dans la Tour, procéder par quelque ordre et forme de justice à luy faire son procès, et semble qu'on n'a encores trouvé sur les comtes d'Arondel, de Pembrot, ny 285 sur millord de Lomelley, de quoy les envoyer à la dicte Tour; tant y a qu'on les tient soubz estroicte garde, et a l'on envoyé le dict [millord] de Lomelley en une mayson forte prez de Vuyndesor, et miz le dict comte d'Arondel dans le colliège du dict Vuyndesor, et icelluy [comte] de Pembrot, pour estre vieulx et impotant, demeure resserré en son logis; et d'abondant l'on a arresté prisonniers le Sr. de Trokmarthon et le Sr. Roberto Ridolfy; et se dict qu'on a mandé le comte de Sussex comme souspeçonné de ces affaires et pareillement le millord Scrup, beau frère et inthime amy du dict duc, et plusieurs aultres seigneurs du quartier du Nort; mais l'on ne sçait encores s'ilz viendront.

Les commissaires à faire ce procès sont:—le millord Quiper, garde des sceaux, le marquis de Norampton, le comte de Betfort, mestre Quenolles, ser Raf Sadeler, ser Vuater Mildmey et le secrétaire Cecille,—lesquelz, parce qu'ilz sont toutz personnaiges triez et choysiz protestans, et fort affectionnez à ceulx de la Rochelle, je crains leur présente authorité, mesmement que ceulx là ny sont plus, qui sembloient tenir la main à l'entretennement de la paix entre ces deux royaulmes.—Le comte de Lestre n'assiste plus à leur procédure, ains sort du conseil aussi tost qu'on vient à toucher le faict de ces seigneurs.

Il y a quelque aparance que la Royne d'Escoce sera encores remuée en ung aultre lieu, et pense l'on que ce sera à Quilingourt, qui est ung chasteau du comte de Lestre. Elle se monstre magnanime et d'ung cueur grand et vertueulx en ceste sienne tant malle et adversaire fortune; en quoy nous luy assistons d'icy à luy donner toute la consolation par lettres que nous pouvons, et à procurer l'expédition 286 de ses affaires comme il vous a pleu me le commander.

Ceste nouvelle, qui a desjà couru jusques par deçà, d'une grand victoire[18] que Monsieur, frère de Vostre Majesté, vous a aquise contre ceulx de la Rochelle la resjouyra grandement, ainsy que plusieurs icy très affectionnez à Vostre Majesté s'en rejouyssent oultre mesure, et attandent en grand dévotion que j'en aye la confirmation par voz lettres, avec les particullaritez de ce qui y aura succédé. Dieu veuille que le tout soit sellon le bien et honneur de vostre coronne, et au proffict et repos de voz bons subjectz.

J'ay envoyé aussi resjouyr la dicte Royne d'Escoce du contenu au postille de voz dictes dernières, parce que la dicte Dame en estoit en grand soucy et le besoing s'en monstroit si pressé qu'il ne s'y pouvoit plus souffrir aulcun temporisement.

Le Sr. Chapin Vitel et aultres commissaires de Flandres sont desjà arrivez à Callais, et monsieur l'ambassadeur d'Espaigne est après pour avoir une nouvelle et plus ample permission pour leur passaige de deçà. Sur ce, etc.

De Londres ce xvııȷe d'octobre 1569.

L'on me vient d'advertyr que ceulx de la nouvelle religion, qui sont icy, parlent d'une entreprinse sur le Croysic en Bretaigne. Il sera bon, Sire, qu'en faciez donner adviz à Mr. de Martigues ou à Mr. de Bouillé affin d'y prendre garde.

287

A la Royne.

Madame, ce peu que j'escriptz présentement en la lettre du Roy des choses de deçà, après la dépesche que naguyères j'ay envoyé par le Sr. de La Croix, fera assés veoir à Vostre Majesté quel progrez elles continuent de prendre; dont bientost je vous en pourray faire sçavoir davantaige, mais [il faut] que j'aye parlé à la Royne d'Angleterre laquelle, pour l'aparance de peste, qu'il y a encores en ceste ville, d'où je n'ay bougé, elle m'a mandé que j'aille estre quelque peu de jours à Coulbronc, qui est ung lieu prez de Vuyndesor, pour prandre l'air, et que, puys après, je la pourray aller trouver.

Je suys très ayse qu'ayez parlé à Mr. Norrys, son ambassadeur, et, bien que ce ayt esté ainsy réservéement, comme avez estimé convenir à voz présentz affaires, j'espère que cella encores servira beaulcoup à ceulx de la Royne d'Escoce, ausquelz j'adjouxteray l'instante sollicitation que m'avez commandé envers ceste Royne, sa cousine, et verray si, par quelque rayson et pacience, je pourray tirer d'elle aulcune bonne provision pour iceulx; bien que, si une bonne confirmation me vient par voz lettres que Monseigneur vostre filz ayt gaigné la victoire contre ceulx de la Rochelle, comme on le publie par deçà, je ne fais doubte qu'on ne procède icy plus gracieusement et en meilleur façon au faict de la dicte Royne d'Escoce, et aultres affaires qui concernent vostre service, qu'on n'a faict jusques à présent; dont je suplie Nostre Seigneur assister toutjour voz justes et vertueuses entreprinses, et qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xvııȷe d'octobre 1569.


288

LXVIIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès par Pierre Bordillon jusques à Calais.)

Première entrevue de l'ambassadeur et de la reine après l'arrestation du duc de Norfolk.—Bonne réception qui est faite à l'ambassadeur.—Il proteste qu'il ignorait les projets du duc de Norfolk, dont il n'a été averti, pour la première fois, que par la reine elle-même.—Il réclame avec énergie contre la surveillance à laquelle il a été soumis et contre le vol qui a été fait de l'une de ses dépêches.—Élisabeth promet réparation au sujet de cet enlèvement.—Elle s'empresse de reconnaître que l'ambassadeur ainsi que le roi n'ont pas prêté les mains aux projets du duc de Norfolk.—Elle se plaint vivement de l'ambassadeur d'Espagne, qui aurait trempé dans le complot.—Instances de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth, pour qu'elle rétablisse Marie Stuart sur son trône, et empêche que Dumbarton ne tombe au pouvoir du comte de Murray.—Élisabeth s'excuse de ne pouvoir faire pour la reine d'Écosse ce qui lui est demandé.—Elle offre de faire connaître au roi combien sont graves les torts que Marie Stuart a envers elle, et propose de le prendre lui-même pour juge de sa conduite.—Pleine confirmation de la victoire de Moncontour.—Satisfaction que manifeste Élisabeth de ce nouveau succès.—Elle charge expressément l'ambassadeur d'offrir sa médiation au roi.—Arrivée du sieur Ciapino Vitelli en Angleterre.—Refus qui a été fait de recevoir sa nombreuse suite.—Il ne lui a pas été permis à lui-même d'entrer dans Londres.—Effet produit en Angleterre par la victoire de Moncontour.

Au Roy.

Sire, après avoir esté deux jours seulement en ung villaige, hors d'icy, pour y prendre ung meilleur air que celluy de la ville, qui est suspect de peste, je suys allé, le xxȷe de ce moys, trouver la Royne d'Angleterre à Vuyndesor, laquelle m'a plus favorablement receu que ceulx, 289 qui me cuydoient fort meslé ez affaires du duc de Norfolc, ne l'estimoient, et m'a bien monstré la dicte Dame qu'à la vérité elle estoit grandement courroucée contre le dict duc, et infinyement contre la Royne d'Escoce, mais bien fort délivrée de toute souspeçon de Voz Majestez.

Néantmoins pour m'essayer, en me faisant son excuse de ce que, ayant desiré la veoir plustost, elle ne me l'avoit peu ottroyer à cause des affaires qui luy estoient survenuz, elle me dict, en ryant, qu'elle croyoit que l'ambassadeur d'Espaigne et moy sçavions, de long temps, quelz affaires c'estoient.

A quoy je luy respondiz que au contraire je craignois estre en grande faulte de les avoir sceu trop tard, et de n'en avoir donné assés d'heure l'adviz que je debvois à Voz Majestez pour l'intérest que vous y aviez, à cause de la Royne d'Escoce; que [je] sçavois au reste combien curieusement l'on avoit cerché de vériffier que je fusse de la partie, sans regarder si en cella l'on offençoit la grandeur de Vostre Majesté, ny si l'on violloit la seurté de vostre ambassadeur, ny si l'on enfraignoit la protection, en laquelle elle m'avoit receu de vostre part avec ma légation; que, entre les aultres recerches, avoit esté trouvé bon de me faire voller mon pacquet, ce que sachant combien Vostre Majesté l'auroit à cueur, et m'en sentant infinyement oltragé, je ne cesserois de luy en demander réparation et justice jusques à ce qu'elle me l'auroit faicte; et que, pour tout cella, l'on n'avoit trouvé que j'eusse rien entreprins ny pratiqué en son royaulme, qui ne fût digne d'ung ambassadeur d'ung très vertueulx et magnanime prince son allié et confédéré, luy pouvant jurer, avecques vérité, que c'estoit elle mesmes qui, première, m'avoit faict prendre garde de 290 cest affaire; dont luy remiz en mémoire aulcuns poinctz qu'elle m'en avoit touchez en mes précédantes audiences. De quoy elle se souvint incontinent, et comme personne très affectionnée à la matière, après aulcunes grandes excuses de mon pacquet, avec promesse de m'en faire justice contre quiconques s'en trouveroit coulpable, elle tourna à me discourir les mesmes propos qu'elle m'avoit auparavant tenuz du susdict affaire, et que ce que je n'en avois peu comprendre, lorsque par parolles couvertes elle m'en avoit parlé, c'estoit ce que j'en voyois meintennant; et qu'il estoit sans doubte qu'on avoit essayé de soubslever tout son estat contre elle, dont estoit bien ayse que je ne m'en fusse ainsy entremiz, comme avoit faict l'ambassadeur d'Espaigne,—«duquel, dict elle, j'ay sceu le mesmes propos qu'il en a tenu à l'évesque de Roz, bien qu'ilz ne fussent que eulx deux seulz, quant ilz en discoururent ensemble.»

Je ne laissay pour tout cella, Sire, de faire une très grande et vifve instance à la dicte Dame, pour la liberté et bon trettement de la personne de la Royne d'Escoce, à ce qu'elle ne la vollût commettre ez mains de ceulx que la dicte Dame estime estre ses ennemys, ny souffrir qu'il luy fût dict, faict, ny usé chose qui ne convînt à la dignité de ce que Dieu l'a faicte estre princesse Souveraine en la chrestienté, parante et alliée des plus grandz princes chrestiens, expéciallement de Vostre Majesté et d'elle mesmes; et qu'au reste, elle vous vollût résouldre du secours et assistance qu'elle entendoit luy bailler pour la remettre en son estat, sans laysser passer plus avant ses mauvais subjectz à establyr leurs affaires comme ilz faisoient contre elle dans son propre pays; lesquelz je sçavois qu'ilz s'aprestoient 291 de nouveau pour aller achever de ruyner et tiranniser les bons subjectz et serviteurs de la dicte Dame, et d'essayer de luy prandre par force le chasteau de Dombertran; à quoy je la prioys pourvoir d'ung si bon expédiant et prompt remède, que cella peust estre empesché.

Desquelz propos se trouvant la dicte Dame en quelque perplexité, me respondit diversement, tantost en une sorte, et puys en une aultre, et allégua plusieurs excuses, lesquelles, parce que je ne les luy voulois admettre, nous fusmes en assés longue contention; et enfin me pria estre contant d'emporter d'elle, pour ceste foys, qu'elle vous donroit compte, du premier jour, de toutes les choses qui avoient passé entre la Royne d'Escoce et elle, et ne reffuzeroit que Voz Majestez en fussiez les juges, espérant que vous luy garderiez une oreille pure pour en entendre la vérité, laquelle, possible, vous trouveriez estre bien fort aultre qu'on ne le vous avoit raporté, et qu'elle procèderoit, au reste, comme elle avoit toutjour faict, bien droictement, ez affaires de la Royne d'Escoce, mais non avec la mesme affection qu'auparavant, jusques à ce qu'elle eust mieulx esclarcy si ce qu'on luy avoit raporté d'elle estoit vray ou faulx.

Or est il intervenu, Sire, et interviennent en cecy plusieurs faictz, lesquelz je feray par ung des miens tout exprès entendre bientost à Vostre Majesté, et cependant j'estime, qu'en ce qui concerne la personne de la Royne d'Escoce, il est pourveu qu'elle n'ayt que tout bon trettement mais ung peu moins de liberté qu'elle ne souloit.

Le mesme jour de ceste audience, la Royne d'Angleterre avoit heu de son ambassadeur, Mr. Norrys, nouvelles certaines de la grande et notable victoire, qu'il a pleu à 292 Dieu vous faire avoir sur voz ennemys par la vaillance et conduicte de Monseigneur vostre frère, soubz le bon heur de Vostre Majesté, de laquelle la dicte Dame me demanda les particullaritez, sachant que son mesmes courrier m'avoit apporté ung vostre pacquet; mais de tant que Mr. Brulart ne m'en avoit touché qu'ung mot en général, en une sienne lettre à part, je luy dictz que Vostre Majesté me commandoit seulement de luy annoncer la certitude et grandeur de la victoire, de laquelle vous luy aviez vollu faire la première part, mais que vous attandiez de vous en conjouyr plus amplement avec elle, quant Monseigneur vostre frère vous en auroit envoyé le vray récit de sa main.

Sur quoy elle me pria fort affectueusement vous escripre qu'elle se resjouyssoit de vostre prospérité et de voz victoires aultant et, possible, plus que nul de voz aultres alliez et confédérez, et ne regrectoit sinon qu'estant le gain de la bataille vostre, la perte n'en fût sur quelque aultre, car certainement elle estoit toute sur vous; dont s'estimeroit bien heureuse, au cas que volussiez prandre quelque bon expédiant avec voz subjectz, qu'elle vous en peust moyenner ung, qui vous fût aultant agréable comme elle le vous desireroit utille et honnorable, et très advantaigeux pour vostre grandeur, me conjurant bien fort ne faillyr de le vous faire ainsy entendre, ce que je luy promiz de faire, luy remonstrant qu'il n'avoit jamais tenu à Vostre Majesté que voz subjectz n'eussent jouy d'ung bien asseuré repos, soubz vostre obéyssance; ne voulant obmettre, Sire, de vous dire que ceste nouvelle a tant resjouy et relevé le cueur des catholiques en ce royaulme, qu'ilz n'en font moins de solemnité que si elle estoit proprement pour eulx, bien 293 que ceulx de l'aultre party vont rabattant la grandeur de la victoire tant qu'ilz peuvent.

Le Sr. Chapin Vitel est arrivé par deçà, auquel on a arresté à Douvres toutz ceulx de sa compaignye, qui estoient cinquante ou soixante, et luy a l'on seulement permiz d'en mener cinq; qui, encores, pour le prétexte de la peste, l'on ne l'a layssé entrer en Londres, ains luy et Mr. l'ambassadeur d'Espaigne ont esté conduictz à Quinston et de là à Coulbronc, prez de Vuyndesor, par ung gentilhomme Angloys, qui ne les habandonne guyères, et sont attendans leur audience, laquelle je croy qu'ilz auront demain. Sur ce, etc.

De Londres ce xxıve d'octobre 1569.

Ainsy que je fermoys la présente, le Sr. d'Amour est arrivé avec vostre dépesche du vıȷe du présent, lequel a esté contrainct d'attandre quelques jours le passaige à Dièpe.

A la Royne.

Madame, avec les propos dont je fays mencion en la lettre du Roy, qui ont ceste foys esté tenuz entre la Royne d'Angleterre et moy, nous en avons heu quelques aultres qui concernoient le service de Voz Majestez Très Chrestiennes, et encores d'aultres qui regardoient les présens affaires de la dicte Dame, lesquelz seroient longs à mettre icy; mais par ung des miens j'en feray, du premier jour, entendre à Vostre Majesté aultant que j'estimeray qu'il vous pourra revenir à proffict ou à playsir de les sçavoir; et, pour le présent, je diray seulement à Vostre Majesté 294 que ceste grande nouvelle de la victoire, que Monseigneur vostre filz a heureusement gaignée en Guyenne, relève si grandement la réputation de voz affaires, que, de tant qu'on cuydoit naguyères la couronne de France estre bien au bas et en ung très doubteux et dangereux estat, de tant estime ung chacun que vous l'avez meintennant establye et confirmée plus que nulle aultre de toute la chrestienté, dont je prie Dieu, qu'après ce tant digne exploict de force, il vous doinct à si bien employer la prudence sur l'establissement d'ung repos en vostre royaulme, que voz bonz subjectz y puyssent dorsenavant vivre en bonne seurté, sans être ainsy espouvantez, comme ilz l'ont continuellement esté despuys dix ans.

J'escriptz ung mot à Mon dict Seigneur votre filz, que je vous suplie très humblement commander luy estre envoyé, car ceste Royne s'attand qu'il luy escripve meintennant, comme il fit après l'aultre victoire du moys de mars; et baysant en cest endroict très humblement les mains de de Vostre Majesté, je suplieray le Créateur qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xxıve d'octobre 1569.


295

LXVIIIe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. de Vassal.)

Joie manifestée par les catholiques d'Angleterre à la nouvelle de la victoire remportée en France sur les protestants.—Bon accueil fait par Élisabeth au sieur Ciapino Vitelli.—Assemblée des consistoires protestants à l'effet de pourvoir aux mesures qu'il est nécessaire de prendre pour relever leur parti en France.—Négociations de l'ambassadeur, relatives à la demande qui a été faite pour le commerce des Pays-Bas.—Mémoire général sur les affaires d'Angleterre.—Mesures rigoureuses prises contre les catholiques, surtout vers le nord, où se montre une grande agitation.—Les projets d'expédition contre la France paraissent suspendus depuis que des craintes sérieuses se manifestent pour la tranquillité du royaume.—Vives sollicitations des protestants d'Angleterre pour que de prompts secours soient envoyés à la Rochelle.—Le conseil demande à Marie Stuart la remise de la lettre qui lui a été écrite par les seigneurs d'Angleterre pour l'engager à épouser le duc de Norfolk.—Déclaration lui est faite qu'il sera sursis à la décision qu'elle sollicite sur ses demandes, jusqu'à ce qu'elle ait livré cette pièce, qu'elle annonce avoir envoyée en Écosse.—Moyens qui ont été employés pour obtenir le retour du duc de Norfolk.—Détails confidentiels.—Effet produit sur les résolutions du duc par la certitude que le roi et la reine-mère donnent une entière approbation à son mariage.—La déclaration des commissaires lui est favorable.—Emportement d'Élisabeth contre les commissaires et contre le duc, poussé à une telle violence qu'elle tombe sans connaissance.—Chefs divers de l'accusation portée contre le duc de Norfolk.—Reproches qui sont faits aux comtes d'Arundel et de Pembroke, et à lord Lumley.—Sir William Cécil veut faire épouser sa belle-sœur au duc de Norfolk; c'est la condition qu'il met à sa sortie de la Tour.—Étroite surveillance à laquelle est soumise la reine d'Écosse.—Espoir qu'elle ne court aucun danger.—Protestation d'Élisabeth à l'ambassadeur, qu'elle répond de la vie de Marie Stuart comme de la sienne propre.—Remontrances de l'ambassadeur au conseil:—sur le commerce en général;—sur la demande qui lui a été faite au sujet des Pays-Bas;—sur l'interdiction absolue du commerce avec la Rochelle;—sur la restitution des prises,—et sur les affaires de la reine d'Écosse.—Instances de l'ambassadeur pour que Marie Stuart ne soit pas livrée à la garde de ses ennemis.

296

Au Roy.

Sire, j'yray vendredi prochain présenter les lettres de Voz Majestez et le Sr. d'Amour, pourteur d'icelles, à la Royne d'Angleterre, ainsy qu'elle m'a mandé que je l'aille trouver au dict jour; et cependant, pour ne vous retarder quelques adviz des choses, qui passent en ce royaulme, concernantz vostre service, je dépesche le Sr. de Vassal pour les vous aller raporter et pour vous en faire entendre aultant que j'en ay aprins sur le lieu, sellon que je l'ay bien instruict de tout; auquel, pour ceste occasion, je vous suplie très humblement, Sire, vouloir adjouxter foy.

Et vous ayant à faire la présente de tant plus briefve, je ne vous diray en icelle sinon que les protestans de ce royaulme ont faict tenir quelques jours la nouvelle de vostre victoire si secrecte, ou bien l'ont faicte aller si déguysée, que, n'en pouvant les catholiques avoir quasi aulcune notice, ilz ont envoyé devers moy bien fort secrectement, mais non sans ardeur et affection, pour sçavoir ce qui en estoit. Aus quelz ayant faict curieusement entendre et la certitude et la grandeur du combat, et comme il a pleu à Dieu vous en faire avoir le dessus par la valleur et bonne conduicte de Monseigneur vostre frère, non en forme de rencontre et par surprinse, mais de vifve force en aperte campaigne, où toutes les troupes ont combatu, et les aultres particullaritez du discours que Vostre Majesté m'en a envoyé, ilz en ont infinyement remercyé Dieu, et l'ont invoqué de grand dévotion sur l'entier succez du reste de 297 voz affaires, bénissant en mille sortes vostre bon heur et le bon heur de Mon dict Seigneur vostre frère; et monstrent, Sire, qu'ilz ont esté en grand frayeur de leur propre faict, mais que meshuy, où que les choses aillent, soit à continuer la guerre ou bien à tretter quelque pacification, qu'elles ne pourront estre conclues qu'au grand advantaige de leur bonne cause que vous soubstenez, et bien fort à la gloyre et réputation de Vostre Majesté.

Le Sr. Chapin a esté plus favorablement receu à son arrivée en ceste court qu'il ne l'a esté en l'entrée de ce royaulme, luy ayant la Royne d'Angleterre faict fort gracieulx recueil, et a admiz les principaulx de sa compaignie à luy bayser la main. Elle s'est fort plaincte du duc d'Alve et de Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, lequel ne s'est encores présenté à elle, bien qu'ilz soyent tous deux dans la mêmes commission. J'entendray plus avant de ce que le dict Sr. Chapin aura tretté, car c'est de devant hyer seulement qu'il a heu son audience, et par mes premières je vous en donray adviz, aydant le Créateur, auquel je prie, etc.

De Londres ce xxvııȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Madame, il vous plairra entendre par le Sr. de Vassal, présent pourteur, la suytte des choses dont je vous manday le commancement par le Sr. de La Croix, ès quelles j'avois de long temps prévu que Voz Majestez vouldroient enfin qu'il y fût procédé sellon que me l'avez escript par le Sr. de Sabran, ce que, de moy mesmes, je les avois ainsy disposées, 298 de façon qu'il n'a tenu à moy que l'effect ne s'en soit ensuyvy comme l'eussiez peu desirer, mais il va encores assés bien sellon vostre propos, et je mettray peyne de le mesnager le mieulx qu'il me sera possible.

Les bonnes nouvelles de la victoire, ainsy qu'elles ont grandement resjouy les catholiques, ainsy ont elles infinyement attristé ceulx de la nouvelle religion, qui, à ceste occasion, ont, ces jours passés, assemblé leurs concistoires et proposé plusieurs choses pour relever leurs affaires, et pour remettre et confirmer leur armée; dont je suys en grand peyne comme je pourray sçavoir ce qu'ilz en ont arresté, car s'il m'a esté cy devant très difficile, il m'est à ceste heure quasi impossible de descouvrir leurs conseilz. Tant y a que je tendray toutjour à divertir, le plus que faire se pourra, le mal qui vous pourroit venir de ce royaulme.

J'avoys cy devant baillé à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil certains articles, ès quelz celluy de la restriction de ne porter par les Francoys aulcune sorte de merchandises de Flandres icy, ny d'icy en Flandres, est contenu, non de tout sellon la dépesche de Voz Majestez du xxe septembre, par laquelle m'ordonnez de le laysser passer, ny sellon celle du dernier du dict moys, où me commandez de le reffuser du tout, mais j'ay suyvy la voye du millieu, comme verrez par les dicts articles; ce que je suplie très humblement Vostre Majesté ne trouver mauvais, car il m'a semblé expédiant de le faire ainsy pour vostre service, sellon la grande affection que ceste princesse monstre d'y avoir: dont le Sr. Chapin n'a obmiz de m'envoyer curieusement enquérir de ce qu'elle m'y avoit respondu. Il vous plairra me commander ce que, en cella et aultres occurrances de deçà, il vous plairra estre faict, affin que je 299 ne faille d'y procéder justement sellon vostre intention; et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxvııȷe d'octobre 1569.

LE SIEUR DE VASSAL DIRA A LEURS MAJESTEZ, oultre le contenu des lettres:

Que, pour garder que la prison du duc de Norfolc, et la détention des aultres seigneurs arrestez, et le resserrement de la Royne d'Escoce, qui sont choses mal agréables aulx subjectz de ce royaulme, ne les face eslever, ceulx qui président meintennant en ce conseil, ont fait despescher lettres de leur Royne aulx officiers et gens, qui ont charge en provinces, expéciallement vers le Nort, de pourvoir dilligentment qu'il ne se face aulcune assemblée, par quelque prétexte que ce soit; et qu'ilz trouvent moyen de retirer toutes sortes d'armes, mesmement les haquebuttes, des mains du peuple, le plus gracieusement qu'il leur sera possible; et qu'ilz soyent soigneux d'advertyr diligentment la Royne de la moindre nouveaulté, qu'ilz verront advenir, deffendant à toute manière de gens de ne parler de l'estat du gouvernement de ce royaulme, ny de la Royne leur Mestresse, ny des seigneurs de son conseil, sur peyne de prison et d'aultres rigoureuses punitions; et surtout qu'après ceste victoire du Roy, ilz ayent l'œil bien ouvert sur les actions de ceulx qui sont cogneuz catholiques, mesmement au dict pays du Nort, parce que aulcuns, vers ce quartier là, s'estoient déjà miz en campaigne, et aussi ez aultres endroictz de ce royaulme.

Et semble que l'armement et apareil des grands navyres 300 de ceste Royne sera miz en quelque suspens, demeurant néantmoins ainsy apresté qu'il est, pour s'en ayder à ung besoing, sans qu'ilz le gettent pour encores en mer; car ne se faict aulcune ordonnance pour cella. Vray est qu'ilz sentent merveilleusement la perte qu'ont faict ceulx de la Rochelle, et les vouldroient secourir de tout ce qu'ilz pourroient, mais toute leur principalle entente est, pour ceste heure, de pourvoir au dedans de leur pays, et sont à conseiller seulement, par les instantes sollicitations de ceulx de la nouvelle religion, comme ils pourront, tant d'icy que d'Allemaigne, relever les affaires des dictz de la Rochelle, et remettre et confirmer leur armée deffaicte.

Et de tant que ceste Royne est entrée en plusieurs grandes souspeçons et deffiances de son estat, à cause que les principaulx de sa noblesse et les premiers de son conseil ont escript à la Royne d'Escoce pour la suplier d'avoir agréable le mariage d'elle avec le duc de Norfolc, et que les protestans estiment qu'il y a de la menée des catholiques avec intelligence des princes estrangiers, la dicte Dame a faict requérir, par les comtes de Cherosbery et de Huntington, la dicte Royne d'Escoce de luy faire veoir l'original des lettres et les seings de ceulx, qui les luy ont escriptes, et luy en envoyer une coppie. A quoy la dicte Royne d'Escoce a respondu qu'elle les avoit envoyées à ceulx de sa noblesse et de son conseil en son royaulme, pour avoir leur adviz, et que, si l'on luy vouloit bailler ung passeport, elle les envoyeroit quérir et les feroit tenir par l'évesque de Roz à la dicte Dame, sa bonne sueur; ce que les dictz comtes n'ont accepté, et luy ont dict qu'il ne sera aulcunement procédé à l'expédition de ses affaires jusques à ce qu'elle ayt satisfaict à cella.

301 Or, il a esté usé de plusieurs artiffices envers le dict duc pour le faire retourner, parce qu'on craignoit que son partement mît aulx armes tout ce royaulme, expéciallement de luy promettre beaulcoup de choses pour la Royne d'Escoce, et qu'au contraire, s'il s'opiniastroit de ne venir poinct, ou s'il essayoit d'attempter quelque chose par la force, qu'il mettroit la personne de la dicte Dame et toutz ses affaires en grand dangier.

Tant y a que, si les comtes d'Arondel et de Pembrot et milor de Lomelley n'ussent poinct esté en arrest, et ne fussent venuz se présenter en ceste court, ains s'en fussent allez chacun en sa contrée, comme ilz l'avoient promiz, il semble que le dict duc eust persévéré de son costé en son entreprinse, mesmement que les seigneurs du Nort, lesquelz l'on n'oze encores mander venir, de peur qu'ilz ne reffuzent tout ouvertement de le faire, se monstrent toutz bien disposez pour luy.

Et il avoit, sur le doubte qu'on luy avoit donné du dangier où seroit la Royne d'Escoce, mandé par mon adviz aulx comte de Lestre et secrétaire Cecille qu'il ne pouvoit employer que eulx deux seulz envers la Royne, leur Mestresse, pour la bien disposer envers la Royne d'Escoce, et pour la garder de n'ordonner rien contre elle; dont les en prioyt de toute son affection, et que, s'il prenoit aulcun mal à la personne de la dicte Dame, qu'il luy costeroit la vie, ou il leur feroit perdre la leur; ce qui, à la vérité, a beaulcoup servy.

Néantmoins, ayant le dict duc esté trop facille à retourner, il a esté incontinent miz en arrest dans son logis soubz estroicte garde, où toutesfoys j'ay trouvé moyen, par Mr. l'évesque de Roz, de luy faire entendre la bonne 302 intention de Leurs Majestez Très Chrestiennes sur le faict du mariage, ce qui l'a tellement confirmé qu'il s'est résolu d'y persévérer jusques à la mort, et qu'après la Royne, sa Mestresse, il demeurera à jamais fidelle serviteur de Leurs dictes Très Chrestiennes Majestez;

Et n'a layssé pour cella de respondre bien fort sagement aulx interrogatoires, qui luy ont esté faictz par les commissaires, de sorte que, raportant iceulx commissaires ses bonnes responces à la dicte Dame, elle a monstré n'estre contante de ce qu'ilz le vouloient excuser, et leur dict plusieurs choses qui procédoient d'ung cueur fort offancé; mesmes, ainsy que l'ung d'eulx s'advança de dire que sellon les loix du pays ils ne le trouvoient coulpable de rien:—«Allez, dict elle, ce que les loix ne pourront sur sa teste, mon authorité le pourra.»—Et entra en si grand collère qu'elle esvanouyt, et courut l'on au vinaigre et aultres remèdes pour la faire revenir.

Ainsy fut le dict duc envoyé le lendemain à la Tour, et aussi tost ordonné de visiter ses maysons, ouvrir ses coffres, saysir ses papiers, mandé les gentishommes de Norfolc pour venir déposer et tesmoigner contre luy; dont aulcuns se sont présentez, aultres ont reffuzé de le faire, et fut envoyé en plusieurs endroictz de ce royaulme pour informer de sa vie et de ses faictz.

Tant y a qu'aulcuns principaulx du conseil luy ont mandé qu'il ne fût en peyne de rien pour cella, car n'y avoit vériffication aulcune qui fût pour préjudicier à sa vie, et qu'il n'y avoit de proposé contre luy que trois faictz:

Le premier, d'une sienne lettre qu'il avoit escripte au comte de Mora, touchant le dict mariage, laquelle le dict comte a envoyée à la Royne d'Angleterre non sans qu'on 303 le luy imputte à ung très mauvais tour;—l'aultre, est ung souspeçon seulement d'avoir praticqué avec les princes de dellà la mer;—et le troisiesme, ce sien partement de court sans congé.

Et quant au comte d'Arondel et millord de Lomelley, il leur estoit principallement imposé d'avoir persuadé le duc qu'il se deubt saysir de la Tour, ce que ne se pouvant vériffier parce que le millor de Havar, qui l'avoit raporté, allégoit ung autheur, et cest autheur ung aultre autheur, et en fin se trouvant que cella provenoit d'ung ouy dire, ilz n'ont esté miz en la Tour; néantmoins ilz demeurent encores, et aussi le comte de Pembrot, en arrest, bien qu'il s'estime que le dict [comte de] Pembrot, de tant qu'il n'est chargé que d'avoir conseillé le dict mariage, comme le cuydant aultant agréable à la Royne sa Mestresse, comme il a toutjours estimé qu'il luy estoit utille et à tout son royaulme, s'il en veult demander ung bien peu de pardon à la dicte Dame, qu'il sera miz incontinent en liberté.

Et le comte de Lestre monstre encores favoriser en plusieurs sortes, soubz main, le dict duc, et estre infinyement irrité et offancé contre le dict Cecille, qui va aigrissant la matière, lequel néantmoins excuse les extrêmes poursuytes qu'il y faict sur l'extrême courroux de sa Mestresse, et met en avant ung seul moyen pour remédier aulx affaires de la Royne d'Escoce et à ceulx du dict duc tout ensemble, qui est de quicter et renoncer entièrement par l'ung et l'aultre au dict mariage.

A quoy ayant respondu l'évesque de Roz, quant il le luy a dict, que la Royne d'Escoce, sa Mestresse, en seroit très contante, parce qu'elle n'y avoit jamais prétandu que pour cuyder complaire à la Royne d'Angleterre sa sœur, et à la 304 noblesse du pays, car c'estoit ung personnaige qu'elle n'avoit jamais veu que le duc; et que grâces à Dieu, il luy avoit esté proposé de plus grandz partys, le dict Cecille répliqua qu'il ne suffiroit de se quicter de parolle, ains le fauldroit faire par effect, dont luy feroit entendre plus clairement, une aultre foys, comme cella s'entendoit.

Et j'ay aprins despuys, que c'est de contraindre le dict duc d'espouser, avant sortir de la Tour, madame Obey, veufve du feu dernier ambassadeur d'Angleterre, qui estoit en France, laquelle est sœur de la femme du secrétaire Cecille.

Dont, affin d'admener les choses à ce poinct par longueur de prison du dict duc, et par une plus estroicte garde de la Royne d'Escoce et prolongation de ses affaires, iceulx commissaires, qui président à ceste heure seulz en ce conseil, ont dict au dict évesque de Roz, que la Royne d'Angleterre se trouvoit meintennant si pressée d'aulcuns siens grandz affaires, qu'encor que l'abbé de Donfermelin, depputté du comte de Mora, fût arrivé, elle ne pourroit entendre en façon du monde, de quelques jours, à l'expédition des affaires de la Royne d'Escoce; dont le prioyent se retirer à Londres jusques à ce que l'on le manderoit, qui seroit le plustost que la dicte Dame se trouveroit en disposition d'y vacquer.

Sur ce dessus, de tant que le dict duc propose de se conduyre en cecy par le conseil du dict évesque de Roz et aulcunement par le mien, et qu'il semble que je pourray retenir ou lascher une partie de ses dellibérations, sellon que je pourray comprendre que Leurs Majestez Très Chrestiennes le vouldront, il leur plairra m'en mander bien expressément leur intention.

Et cependant, la personne de la Royne d'Escoce demeure 305 asseurée en la garde du comte de Cherosbery, et, bien que le comte de Huntington y soit, il n'en a l'authorité, avec ce, que toutz ceulx de ce conseil se constituent pleiges pour luy qu'il ne fera rien qui ne soit digne d'homme d'honneur, pour respecter en toutes sortes, comme sera son debvoir, la dicte Dame; et mesmes la Royne d'Angleterre m'en a respondu comme de sa propre vie, comme aussi la dicte Royne d'Escoce, à présent, ne parle plus que de trop grand aguet qu'on a sur elle.

L'AMBASSADEUR DE FRANCE A LA MAJESTÉ DE LA ROYNE D'ANGLETERRE.

1.—Que le Roy Très Chrestien, par ses lettres du xxe de septembre, mande au dict ambassadeur d'accorder les choses qui furent proposées à Fernan Castel, le xvıȷe d'aoust dernier, touchant le commerce d'entre la France et d'Angleterre, et que, de sa part, il veult et desire que toute contractation, tant par mer que par terre, et pareillement la navigation aillent libres et bien asseurées entre les communs subjectz de Leurs Majestez.

2.—Et la prie le dict Roy, son frère, qu'elle ayt agréable de faire abstenir ses dicts subjectz du fréquent et ordinaire commerce qu'ilz mènent à la Rochelle, pour jouyr et user de celluy que très libérallement il luy offre en toutz les aultres endroictz de son royaulme, avecques promesse d'y faire favorablement recuillyr et bien tretter les dictz subjectz de la dicte Dame, et les faire pourvoir des choses qu'ilz desirent avoir de son royaulme, avec aultant de commodité qu'ilz les pourroient recouvrer au dict lieu de la Rochelle.

306 3.—Touchant la restriction de ne pourter par les Françoys aulcunes sortes de merchandises de Flandres en Angleterre, ny d'Angleterre en Flandres, durant la suspencion des deux pays, le dict Roy, Son Seigneur, estime qu'il n'y a lieu d'en faire article à part, attandu les bons termes où l'on est d'accorder du premier jour ces différendz, se réservant toutesfoys, au cas que la Majesté de la dicte Dame persévère de le desirer, qu'il advisera avec son conseil du moyen que, sans contrevenir aulx trettez, il l'en pourra satisfaire, ainsy qu'il desire la gratiffier en beaulcoup plus grand chose que cella.

4.—De tant que les sieurs commissaires, ordonnez sur la restitution des prinses, n'ont peu satisfaire à l'exécution d'icelle dans le jour de St. Michel, comme il avoit esté arresté, le dict ambassadeur suplie très humblement la Majesté de la dicte Dame que son bon playsir soit accorder d'ung aultre jour, pour à icelluy réallement et véritablement faire la restitution des prinses, qui se trouveront en essence apartenir aulx Françoys; ou qui, par les dicts commissaires, aura esté desjà ordonné leur estre payées, affin qu'en mesme temps la restitution et mainlevée se face en France des biens des Anglois.

5.—Et que, des aultres choses dont les dicts commissaires n'ont encores donné deuhe condempnation au proffict des Françoys, Sa dicte Majesté veuille promettre qu'il leur en sera faict prompte justice, sans figure ne longueur de procès, à la mesure qu'ilz la viendront requérir, et qu'ilz pourront sommairement vériffier qu'elles leur apartiennent.

6.—Au regard des affaires de la Royne d'Escoce, le dict ambassadeur, de la part du Roy, Son Seigneur, et par 307 son exprès mandement requiert deux choses:—La première, touchant la liberté et bon trettement de sa personne, qu'il playse à la Majesté de la Royne d'Angleterre commander qu'elle ne soit commise ez mains de ceulx qu'elle repputte ses ennemys, et qu'il ne luy soit dict ny fait aulcune chose qui ne convienne à la dignité de ce que Dieu l'a faicte estre princesse souveraine en la chrestienté, parante et alliée des plus grands princes chrestiens, expéciallement du Roy, Son Seigneur, et de la Majesté mesmes de la dicte Dame.

7.—La seconde, qu'elle veuille résouldre le Roy, son bon frère, du secours et assistance que Sa dicte Majesté entend donner à la dicte Royne d'Escoce, pour estre remise en son estat, sans laysser passer plus avant les mauvais subjectz de la dicte Dame à establir leurs affaires, comme ilz font, contre elle dans son propre pays; lesquelz luy ont desjà ruyné, et se préparent de luy ruyner encores davantaige, et de tiranniser ses bons et fidelles subjectz, et de vouloir, à toute force, luy emporter son chasteau de Dombertran; à quoy sera son bon playsir d'obvier par quelque bon expédiant et prompt remède, sellon qu'elle a toutjour promiz que oportunément elle le feroit.


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LXIXe DÉPESCHE

—du Ier jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Valet.)

Audience donnée par la reine d'Angleterre à l'ambassadeur et au sieur d'Amour, envoyé par le roi pour lui rendre compte de la bataille de Moncontour.—Élisabeth offre de nouveau sa médiation au roi.—Elle se loue du sieur Ciapino Vitelli.—Elle se plaint vivement de l'ambassadeur d'Espagne, qu'elle ne veut pas recevoir en audience.—Elle consent avec peine qu'il fasse partie de la commission établie pour régler les différends entre l'Angleterre et l'Espagnes.—Nom des membres de cette commission.—Retards ménagés par les Anglais pour empêcher d'en venir à un accord.—Profonde méfiance que leur inspire le sieur Ciapino Vitelli.—L'ambassadeur sollicite un passe-port pour que le sieur d'Amour puisse se rendre auprès de la reine d'Écosse, suivant les ordres du roi.—Il renouvelle les diverses demandes qu'il a déjà faites pour elle.—Le passe-port est refusé, malgré les vives instances de l'ambassadeur.—Déclaration d'Élisabeth, qu'elle a fait connaître au roi par son ambassadeur, tous les reproches qu'elle est en droit d'adresser à Marie Stuart.—Insistance de l'ambassadeur pour qu'il soit gardé le secret sur ce qu'une copie de la lettre écrite par les seigneurs du conseil à Marie Stuart, pour l'engager à épouser le duc de Norfolk, a été envoyée en France.—Assurance donnée par le sieur Ciapino Vitelli, que si les ducs Casimir et Auguste descendent d'Allemagne, le duc d'Albe entrera aussitôt en campagne.

Au Roy.

Sire, se retrouvant la Royne d'Angleterre vendredy dernier, qui estoit le jour qu'elle m'avoit assigné pour luy aller présenter les lettres de Voz Majestez, fort pressée d'affaires, et m'ayant contremandé au sabmedy à deux heures après midy, elle les a receues allors, ensemble celluy qui les aportoit bien fort favorablement; et, après s'estre curieusement 309 enquise de vostre bon portement et de celluy de la Royne et de Monsieur, et de monsieur le duc et de Madame, et puys d'aulcunes particullaritez de la bataille, elle m'a respondu, quasi en la mesme façon comme la première foys que je luy en avois parlé; c'est qu'elle se resjouyt de cestuy vostre advantaige aultant et, possible, plus que nul autre de voz aultres alliez et confédérez, tant parce qu'elle estime debvoir cella à vostre commune amytié, que pour l'intérest qu'elle a que les subjectz ne viennent au dessus de leurs princes; mais que, pour aultres respectz, elle ne peut faire qu'elle n'en soit assez marrye, principallement pour l'amour de vous mesmes, de tant que une victoire sur voz subjectz ne sçauroit estre qu'à vostre propre dommaige, et ne peult remplyr vostre royaulme que de sa propre callamité; et qu'aussi, à dire vray, quoy que je luy heusse dict que vous ne prétandiez aultre chose que l'obéyssance de voz subjectz, si creignoit elle néantmoins que vous y voulussiez meintennant cercher la ruyne de leur religion, me demandant fort expressément si j'avois heu souvenance de ce que, à ce propos, elle m'avoit naguyères prié de vous escripre, comme elle seroit très ayse de vous pouvoir proposer quelque bon expédiant avec voz subjectz, qui vous fût aultant agréable et à la Royne, comme elle mettroit peyne de le faire réuscyr proffitable et advantaigeux pour Voz Majestez, et si vous m'y aviez encores rien respondu.

Je luy ay dict que je n'avois rien obmiz de son dict propos par mes dernières lettres, mais que la responce ne pouvoit estre si tost venue, et qu'au reste, voz subjectz expérimenteroient, ainsy qu'ilz ont toutjour faict, beaulcoup de clémence en Voz Majestez, pourveu que vous trouvissiez en eulx la parfaicte obéissance qu'ilz vous doibvent.

310 Les aultres responces de la dicte Dame sur aulcunes choses, que je luy avois auparavant proposées, et dont j'en avois baillé ung mémoire à ceulx de son conseil, ont esté gracieuses, et s'est esforcée de les faire à vostre contantement, desquelz je vous envoyeray la substance par le premier. Et puys m'a touché ung mot de la venue du Sr. Chapin Vitel, qu'on appelle le marquis de Chetona, comme elle l'avoit trouvé de bonne sorte franc et ouvert, et homme propre pour tretter des affaires qu'ilz avoient à démesler ensemble, ès quelz elle espéroit que le tort du duc d'Alve seroit manifeste; car juroit son Dieu qu'elle n'avoit jamais pensé de retenir l'argent du Roy d'Espaigne, son frère, et que luy aussi avoit enfin monstré qu'il ne le croyoit pas, ains avoit courtoysement envoyé devers elle.

Sur quoy je luy ay dict que Voz Majestez Très Chrestiennes avoient esté très ayses d'entendre l'acheminement du dict marquis par deçà, et que ces différendz allassent prendre ce bon trein d'accord que ung chacun y espéroit, et que m'aviez commandé luy offrir tout le service à quoy elle trouveroit bon de m'employer en cest endroict, au nom de Voz Majestez, ainsy que je luy voulois bien dire que j'avois desjà offert le semblable au dict sieur marquis et à monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, lesquelz j'avoys veuz en passant à Colbronc, où nous [nous] estions rencontrez; ce que la dicte Dame a heu bien fort agréable.

Et à ce propos, Sire, j'ay à vous dire que, jusques à vendredy dernier, je n'ay jamais peu obtenir que la dicte Dame m'ayt vollu permettre de visiter le dict ambassadeur, lequel aussi elle n'a encores aulcunement souffert venir en sa présence, mesmes y a heu beaulcoup à faire à la persuader qu'elle le layssât estre ung des depputtez de la conférance, 311 mais enfin elle l'a consenty; et ainsy,—luy et le dict sieur marquis, et le sieur de Latour, secrétaire des Estatz de Flandres, et le Sr. de Fonges, homme bien lettré, toutz quatre pour le Roy d'Espaigne, et le milord Quiper, le marquis de Norampton, le comte de Lestre et le secrétaire Cécille, pour la Royne d'Angleterre,—conviendront, certains jours de la sepmaine, en la maison du parc de Vuyndesor pour tretter de ces différandz; mais, pour encores, la matière est si crue qu'on ne peult cognoistre quel boult elle fera, tant y a que, des deux costez, l'on monstre avoir grande espérance de l'accord; et ceulx d'icy semblent préparer le Sr. Piquelin comme pour l'envoyer, incontinent après le dict accord, ambassadeur en Espaigne. Néantmoins, de tant que les premiers articles, qu'on a proposez pour le Roy Catholique, semblent estre d'une si grande demande qu'on me l'a dicte monter à six millions d'or, j'ay opinion, joinct ce que j'ay compris du parler de la dicte Dame, que le pouvoir des dictz depputez d'Espaigne sera trouvé deffaillant, et non assés ample; et que, là dessus, la matière pourra estre acrochée. Et si, semble qu'on ayt aulcunement suspecte la venue du dict marquis par deçà, et qu'on crainct qu'il ne se suscite quelque nouvelleté dans le pays pendant qu'il y est, dont se tient ung grand aguet sur luy, et sur le dict ambassadeur d'Espaigne, et sur les dépesches qu'ilz font en Flandres; et en font, eulx aussi, plusieurs de leur part pour contenir et réprimer ce qu'ilz sentent, et qu'on dict assés ouvertement qui s'esmeut en divers endroictz de ce royaulme.

Au surplus, Sire, j'ay faict entendre à ceste princesse que Vostre Majesté avoit commandé au Sr. d'Amour de porter voz lettres de conjouissance à la Royne d'Escoce, sur la 312 victoire que Dieu vous a donnée, avec ung semblable discours de ce qui y a succédé, comme vous le luy avez envoyé à elle; dont l'ay priée de luy octroyer ung passeport pour y aller, et que puysque l'abbé de Donfermelin a esté icy de la part du comte de Mora, et qu'elle l'a desjà renvoyé, qu'il luy playse meintennant satisfaire aulx choses, que je luy ay dernièrement requises pour la liberté et bon trettement de la personne de la Royne d'Escoce et pour le secours qu'elle luy veult bailler, affin de la restablir à sa couronne, et résister aux entreprinses que le comte de Mora va exécutant, de jour en jour, contre elle.

A quoy elle m'a respondu que, quant à l'abbé de Donfermelin, il avoit porté des commissions si estranges et mauvaises contre la Royne d'Escoce, que, si elle ne fût poinct offancée meintennant, elle mettroit peyne de les faire réparer au comte de Mora, quoy qu'il costât, mais qu'elle n'estoit aulcunement convyée de ce faire; et, quant aulx aultres choses que je luy avois requises pour elle, qu'elle avoit envoyé ung discours des tortz qu'elle luy avoit faictz à son ambassadeur Mr. Norrys, pour les faire au vray entendre à Voz Majestez, et qu'elle espéroit que vous les cognoistriez telz que dorsenavant vous seriez plus pour sa cause que pour celle de la Royne d'Escoce; et qu'elle vouldroit en toutes sortes honnorer voz messaiges et messaigiers, mais vous suplioyt ne trouver mauvais si elle ne permettoit, durant ce sien juste courroux, que ses subjectz vissent recepvoir une si grand visite, comme seroit celle de la part de Vostre Majesté à la dicte Royne d'Escoce; mais que si je luy voulois bailler voz lettres, que pour l'honneur d'icelles elle les luy feroit seurement tenir.

Je luy ay répliqué plusieurs choses là dessus bien fort 313 vifvement, sellon que monsieur l'évesque de Roz et moy les avions auparavant bien pensées, mais elle est demeurée fermement résolue de ne vouloir en rien procéder sur les affaires de la dicte Royne d'Escoce, qu'elle n'ayt responce de ce que son ambassadeur vous en aura proposé.

Chiffre.—[Sur quoy Vostre Majesté trouvera ez mains du Sr. de Flemy de quoy pouvoir bien respondre au dict ambassadeur, mais il fault que ce soit en sorte que le dict ambassadeur ne cognoisse qu'on ayt envoyé en France la coppie de la lettre que les seigneurs de ce conseil ont escripte à la Royne d'Escoce pour le mariage du duc de Norfolc. J'ay receu nouvelles de la dicte Dame qu'elle se porte bien, et qu'elle est infinyement marrye que les lettres, qu'elle vous escripvoit dernièrement, ayent esté perdues avecques mon pacquet, et qu'il vous playse l'excuser meintennant, si elle ne vous escript; car n'a la liberté de faire ung seul mot que fort secrectement par le chiffre que nous avons ensemble. Elle vous reccommande sur toutes choses le secours de son chasteau de Dombertran. Le comte de Lenoz est dépesché pour aller en Escoce pour faire partie au secrétaire Ledinthon, que le comte de Mora veult faire exécuter comme coulpable du murtre du feu Roy d'Escoce. Sur ce, etc.

De Londres ce 1er de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, ceste dépesche est pour vous faire toutjour entendre la continuation des choses, que par le Sr. de Vassal je vous ay naguières mandées, lesquelles sont en l'estat que 314 Vostre Majesté verra en la lettre que j'escriptz au Roy, à laquelle me remettant, et attandant de vous renvoyer le Sr. d'Amour, aussitost qu'aurons recouvert les lettres de la response que la Royne d'Angleterre veult faire aulx vostres, je vous diray seulement, Madame, que ceste princesse a merveilleusement loué la valleur de Monseigneur vostre filz sur le gain de ceste bataille, et m'a dict qu'elle lyra avec affection le discours d'icelle, pour y trouver les actes généreux de son hardiesse; et qu'elle a entendu que le Roy s'est acheminé en son camp pour avoir part à la gloire, que les exploictz des armes ont accoustumé de produire aulx grandz princes; et en toutes sortes elle a parlé fort honnorablement de l'ung et de l'aultre, et pareillement de la digne et vertueuse conduicte que Vostre Majesté donne à leurs affaires. Mais aulcuns des siens, qui sont fort protestans, affin d'opposer toutjour quelque chose à la grandeur de la victoire, ont desja semé que les Viscomtes, nonobstant Mr. Damville, ont repassé les rivières, et se sont joinctz à monsieur l'Admyral; et que le dict Admyral, pour n'avoir fait guières grand perte de gens de cheval en ceste bataille, se trouve à ceste heure plus fort que jamais en campaigne. Tant y a qu'on m'a asseuré qu'ilz ne le croyent ainsy, et qu'ilz sçavent que desjà plusieurs familles sont passées de la Rochelle par deçà pour craincte du siège.

Il est arrivé despuys trois jours ung homme que le comte Pallatin a dépesché après l'arrivée de Mr. de Lizy, mais je ne sçay encores ce qu'il a proposé, et me sera très difficile de le descouvrir, parce que toutz ceulx qui ont meintennant le manyement en ceste court sont très passionnez protestans. Il semble que l'ambassadeur d'Espaigne et le marquis de Chetona ayent contraires adviz des choses d'Allemaigne, 315 car le dict ambassadeur dict que [le duc de] Cazimir a vi mil reytres arrestez et que le duc Auguste en peult mettre cinq mil aux champs quant il vouldra, ainsy que le Sr. de Chanthonay par ses dernières le luy a escript; et le dict marquis dict que le duc d'Alve a les plus seurs adviz du dict pays que nul aultre, et qu'il est asseuré que le dict [duc] de Cazimir, encor qu'il ayt ung nombre de capitaines arrestez, n'a toutesfoys baillé l'antiguelt aulx soldatz pour les avoir bien prestz quant il vouldra, et qu'il y courra du temps assés, avant que sa levée commance de marcher, ainsy que fit celle du duc de Deux Pontz; et que le duc Auguste employe la grand authorité qu'il a en Allemaigne à estre mesnagier et se faire riche; et que si ceulx là viennent en armes, que le dict duc d'Alve leur yra incontinent au devant avec six mil chevaulx et douze mil hommes de pied, les meilleurs gens de guerre qui soyent soubz le ciel; discourant plusieurs aultres choses là dessus qu'il a faict cadrer à la parfaicte intelligence et grand confiance, dont aujourduy les affaires d'entre ces deux grandz Roys de France et d'Espaigne se conduysent.

A quoy, encor que je me soys monstré fort consentant pour le regard de Voz Majestez Très Chrestiennes, je n'ay layssé pourtant de luy dire que, de leur costé, ilz monstrent de vouloir jouyr d'un trop grand repoz, durant nostre grand travail, sur ung débat qui leur touche aultant qu'à nous, et qu'ils debvoient desjà avoir couru sus à ces princes protestans, qui viennent ainsy soubstenir ceulx qui mènent la guerre dans vostre royaulme. Noz propoz n'ont esté que fort gracieulx et pleins de toute bonne affection, ainsy que les avons menez, et nous [nous] sommes entrevisitez souvant pendant que j'ay esté prez du dict Vuyndesor; et 316 se sont curieusement enquiz où est à présent le prince d'Orange.

J'entendz que Doulovyn et le bastard de Briderode, après avoir faict, sur la pescherie de Flandres et sur aulcuns lieux maritimes de Olande et Frize, ung pillage de six ou sept vintz mil escuz, et ayant joinct, à ce qu'on dict, envyron trente vaysseaulx, toutz bien équipez en guerre, et deux mil harquebouziers, et ung nombre de corseletz, se dellibèrent de tenir la mer. D'aultre part le capitaine Sores est desjà party de la Rochelle avec dix ou douze navyres bien armez, dont celluy où il va, lequel s'appelle le Prince, est de trois centz tonneaulx avec deux centz cinquante bons hommes dedans; et encor que ny les ungs ny les aultres n'abordent pour le présent en ce royaulme, néantmoins les pleinctes des maulx qu'ilz commancent de faire, viennent jusques icy, et je suys après à les faire remédier; mais il sera bon que cependant voz frontières de mer et les pouvres merchantz soyent advertys d'y prendre garde, ainsy que j'en ay desjà donné adviz aulx gouverneurs, qui sont plus voysins d'icy. Sur ce, etc.

De Londres ce 1er de novembre 1569.

J'entendz que le capitaine Vilènes de Boulonoys est venu de deçà soubz ung passeport de Vostre Majesté. Mandés moy, s'il vous playt, s'il faudra que je le face observer, et sera vostre bon playsir commander qu'il soit faict part de ceste dépesche à Monseigneur vostre filz.


317

LXXe DÉPESCHE

—du Ve jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. d'Amour, vallet de chambre du Roy.)

Retour du sieur d'Amour en France.—Réserve que doit s'imposer l'ambassadeur depuis les dernières arrestations faites dans le conseil.—Commencement des conférences sur les affaires d'Espagne.—Refus fait par Élisabeth de permettre à l'ambassadeur d'Espagne de siéger dans la commission.—Nouvelles instances de l'ambassadeur de France pour que le commerce d'Angleterre avec la Rochelle soit absolument interdit, et pour que Marie Stuart soit enfin rétablie en Écosse.—Élisabeth promet satisfaction pour la demande concernant la Rochelle, mais elle refuse formellement de s'occuper des affaires de Marie Stuart.—Déclaration qu'elle attendra la réponse du roi sur la communication qui lui a été faite de sa part.—Crainte qu'Élisabeth ne veuille livrer la reine d'Écosse au comte de Murray.—Secours préparés secrètement en Angleterre pour la Rochelle.—L'accord pour la restitution des prises est terminé.—Grand nombre de pirates qui se mettent de nouveau en campagne.—Crainte qu'ils ne se réunissent aux flottes ennemies, déjà en mer, pour tenter quelque coup de main sur les côtes de France.—Convention arrêtée avec l'Angleterre, touchant le commerce des deux nations et la restitution des prises qui ont été respectivement faites.

Au Roy.

Sire, m'ayant la Royne d'Angleterre, aujourduy matin, envoyé les lettres qu'elle répond à celles de Voz Majestez, j'en ay incontinent dressé ceste dépesche pour vous renvoyer le Sr. d'Amour, lequel s'estant bien et sagement acquicté de sa charge, vous rendra lui mesmes compte de ce que la dicte Dame luy a dict, et de ce qu'il luy a respondu; et 318 parce que, de ma part, je vous ay assez informé par mes précédantes de toutz les propos qu'elle m'a tenuz, touchant la victoire qu'il a pleu à Dieu vous donner, je ne vous en diray icy rien davantaige. Seulement adjouxteray, Sire, que les protestans de deçà s'esforcent en plusieurs sortes de relever par parolles la réputation des affaires de ceulx de la Rochelle, ainsy qu'ilz les vouldroient bien fort relever par effect, s'ilz pouvoient; publians qu'ilz n'ont perdu que quelques gens de pied, et que pour leur rester la cavallerye aussi entière que celle de Monsieur, frère de Vostre Majesté, ilz ne sont pour quicter encores la campaigne. Et m'a l'on dict que aulcuns des plus passionnez ont mandé à monsieur l'Admyral que s'il peult meintenir la guerre jusques à l'entrée du printemps, qu'il sera lors sans aulcun doubte secouru d'Allemaigne d'un grand nombre de gens de pied et de cheval, et d'icy de tout ce qu'on pourra d'argent; ce que je n'ay encores comprins debvoir estre ainsy par les propos de ceste Royne, laquelle, pour dire vray, est celle de toutz ceulx de sa court et de tout son conseil que je trouve mieulx disposée et plus respectueuse ez choses qui vous pourroient offancer en ceste guerre, estantz les aultres, qui tenoient le party de la paix, toutz meintennant en prison ou en arrest, ce qui me faict aller plus réservé en aulcunes choses envers la dicte Dame.

Et mesmes voyant que presque toutz les grandz et les principaulx merchantz estrangiers et naturelz de ce royaulme, lesquelz peuvent assez envers elle, concourent toutz à l'accord des différandz des Pays Bas, quant ilz voyent le Sr. marquis de Chetona de par deçà, dont j'ay miz peyne, en monstrant de le desirer aussi, de faire pareillement de mon costé que vous ne soyez demeuré en suspens avec ceste Royne et 319 les siens, et que le commerce ayt esté déclairé libre entre voz deux royaulmes, en quoy semble que je l'aye plus inclinée à ce party, qu'elle ne se veult encores laysser persuader pour l'aultre; duquel ne se cognoist qu'il y ayt guières de contantement entre les depputez sur les premiers abouchemens qu'ilz ont heu ensemble, où enfin elle n'a vollu que l'ambassadeur d'Espaigne, icy résidant, ayt aulcunement assisté, bien qu'une foys elle eust monstré le vouloir permettre.

Et je n'ay layssé pourtant, ez propos que j'ay tenuz à la dicte Dame, de luy insister fort fermement sur deux principaulx poinctz, l'ung de deffandre le traffic de la Rochelle à ses subjectz, et l'aultre de pourvoir aulx affaires de la Royne d'Escoce. En quoy il y a heu beaulcoup de contention entre elle et moy, mais non sans qu'elle ayt monstré ne vous vouloir non plus offancer, qu'elle ne veult estre offancée de Vostre Majesté; et en fin, j'ay obtenu, pour le regard du dict commerce de la Rochelle ce que verrez par sa response qu'elle m'a faicte bailler en escript, me priant d'asseurer Voz Majestez Très Chrestiennes que, si elle y pouvoit quelque chose de mieulx, elle le feroit en toutes sortes pour vous en contanter; mais que les privillièges de ses merchans, lesquelz elle a juré de meintenir, ne luy permectent rien davantaige.

Et touchant les affaires de la Royne d'Escoce, de tant que je ne luy ay aussi vollu admettre les excuses qu'elle m'a alléguées, de n'y pouvoir meintennant entendre, elle m'a dict, tout ouvertement, que la Royne d'Escoce l'a si griefvement offancée de tretter mariage avecques ung sien subject, et praticquer avecques luy de la succession du royaulme d'Angleterre, sans l'en avoir advertye, (veu les bons tours 320 de parante et de vraye amye qu'elle luy avoit toutjour monstré), qu'elle demeure fermement résolue, quoy que doibve advenir, de ne pourvoir en rien aulx affaires de la dicte Dame, qu'elle n'ayt heu responce de ce que son ambassadeur Mr. Norrys vous en aura faict entendre de sa part, en quoy j'ay estimé ne debvoir, pour ceste foys, passer plus avant; mais j'ay conseillé monsieur l'évesque de Roz d'envoyer demander audience pour luy faire une recharge, lequel a prié le marquis de Chetona de faire aussi quelque office en cest endroict, affin de monstrer que les deux plus grandz Roys de la chrestienté concourent à procurer la restitution de ceste princesse.

Aulcuns ont opinion que la Royne d'Angleterre a si grand desir de veoir meintennant la dicte Royne d'Escoce hors de son pays, qu'elle est pour la délivrer ez mains du comte de Mora; et qu'à cest effect elle pourroit bien avoir ainsy soubdain renvoyé l'abbé de Donfermelin, pour advertir le dict comte de préparer des forces sur la frontière affin de la recepvoir; ce que je n'ay encores du tout descouvert, mais je mettray peyne de le sçavoir et d'y remédier par toutz les moyens que je pourray.

Le comte de Lenoz avoit heu, sabmedy dernier, son passeport pour aller au dict pays d'Escoce, affin de se randre partie au secrétaire Ledinthon, mais pour quelques considérations, que ceste Royne a heu, il a faict arrester [son dict passeport], dont il y a envoyé ung promoteur. Et remectant les aultres particullaritez de deçà à la suffizance du dict sieur d'Amour, je supplieray, pour la fin de la présente, le Créateur, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce ve de novembre 1569.

321

A la Royne.

Madame, vous recepvrez, s'il vous playt, par le Sr. d'Amour les lettres, que la Royne d'Angleterre respond à celles que Vostre Majesté luy avoit escriptes, et il vous comptera le soing qu'elle a heu de s'enquérir de vostre bon portement et santé, et vous fera aussi entendre les aultres particularitez qu'il a aprinses, icy mesmes, de la dilligence, que ceulx de la nouvelle religion de deçà mettent à relever les affaires de ceulx de leur party qui sont en France; en quoy quelcun m'a adverty qu'ilz sont après à achapter des armes, picques, corseletz et haquebuttes en ce pays, et que aulcuns merchandz de la Rochelle sont venuz faire provision de quelques bledz, cher et burres, pour passer le tout de dellà le plus secrectement que faire se pourra, parce que ceste Royne s'y monstre assés difficille, et bonne partie de ses subjectz en sont bien fort mal contantz. Mais ceulx, qui manyent à ceste heure la court et les affaires, sont si passionnez protestans qu'ilz donnent ordre que cella s'exécutte sans qu'on en sente rien, et pouvez croyre, Madame, que je suys en grand peyne d'avoir affaire à gens qui sont du tout contraires aulx présentes intentions de Voz Majestez sur les troubles de vostre royaulme, et que ceulx qui s'y monstroient modérez sont à présent toutz prisonniers; je ne lairay pourtant de mesnaiger les bonnes parolles et les promesses de ceste princesse en vostre endroict, le mieulx qu'il me sera possible, pour garder qu'il ne vous viègne de mal d'icy, que le moins que faire se pourra.

Nous avons enfin arresté ung expédiant sur la restitution 322 des prinses, le plus convenable que nous avons peu obtenir en affaire si mal aysé que celluy là; et veu le désadveu de ceste Royne sur toutz les exploictz de ces pirates, il ne s'y pouvoit, par voye de justice, faire guières rien de mieulx, mesmes que les subjectz de ce royaulme se plaignent qu'ilz demeurent beaulcoup plus intéressez par les Bretons, sans qu'ilz en puyssent avoir aulcune rayson, qu'ilz n'ont porté de dommaige à toutz les Françoys. Il vous playrra, Madame, commander par voz lettres expresses à la court de Parlement de Roan et à Mr. de la Meilleraye, qu'ilz ne faillent de faire la mainlevée des biens des Anglois au dict Roan, le xxve jour de ce moys de novembre, comme de mesmes la restitution se fera pardeçà aulx Françoys, sellon qu'il a esté ainsy convenu entre la Royne d'Angleterre et moy et les depputtez du dict Roan.

La mer se va, de rechef, remplissant de pirates, dont j'ay faict dépescher commission contre aulcuns Anglois, qui y sont, pour les faire apréhender quelle part qu'ilz aborderont en ce royaulme; mais l'on m'a dict que le sire Artus Chambrenant, inthime amy du comte de Montgomery, et en la maison de qui la comtesse de Montgomery s'est retirée, arme quelques vaysseaulx vers la coste d'Ouest, lesquelz, s'ilz se joignent avec le bastard de Briderode et le Sr. Dolovyn et le capitaine Sores, ilz pourront faire, tout ensemble, le nombre de cinquante navyres de guerre, qui est pour debvoir prandre garde à la seurté de la mer et à quelque descente en terre, qui se pourroit faire pour surprendre quelque lieu mal gardé.

Ung personnaige, (chiffre) [marqué de pouldre au visaige], m'est venu prier de vous escripre qu'il ne peut encores partir d'icy de dix jours, et que l'affaire, pour lequel 323 il y est, se porte comme il le desiroit. Sur ce, je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté, etc.

De Londres ce ve de novembre 1569.

CONVENTION TOUCHANT LA RESTITUTION DES PRISES.

Responce faicte par les seigneurs du conseil d'Angleterre aulx articles à eulx propozés par le Sr. de La Mothe Fénélon (contenuz en la dépesche du xxvııȷe d'octobre dernier passé.—V. ci-dessus, p. 305.)

Au premier.—La Royne entend de l'observer ainsy de sa part.

2.—La Royne ne peult commander à ses merchantz de ressortir en certain lieu, ny de mener leur traffic en ung aultre, sinon ainsy qu'ilz l'estimeront plus commode, mais l'on les advertyra de l'offre du Roy, ne doubtant en rien, s'ilz peuvent trouver aultant de proffict et de seurté ez aultres endroictz, qu'ilz y ressortiront et non à la Rochelle; et n'entend licencier ny permettre aus dictz merchantz, ny aultres ses subjectz de porter au dict lieu de la Rochelle aulcunes choses qui puissent servyr ny ayder à la guerre, ny qu'ilz en puissent charger plus grand quantité que pour servir à eulx ou à leur propre deffance dans leurs vaysseaulx.

3.—La Royne se confye que le Roy vouldra en ce considérer la rayson de sa requeste.

4.—Ordre est donné aulx commissaires de mander et assigner ung jour.

5.—La Royne est bien disposée de faire par toutz bons moyens administrer justice avec prompte exécution d'icelle.

324 6.—De ceste matière la Royne a adverty le Roy, son bon frère, par son ambassadeur.

7.—De ceste cy aussi elle l'a adverty par son dict ambassadeur.

C'est la remonstrance, en forme d'articles, que les Srs. de Vymont et Cavellier, merchantz de Roan, depputez pour la restitution des biens des Françoys, prins ou arrestez en Angleterre despuys le moys d'octobre 1568, après longue poursuyte et condempnation obtenue d'une partie d'iceulx devant les Seigneurs Commissaires à ce depputez, ont présentée à la Royne d'Angleterre et au Sr. de La Mothe Fénélon, Ambassadeur du Roy, aulx fins y contenues, laquelle ayant esté renvoyée à iceulx sieurs commissaires, pour avoir leur adviz, et l'ayant eulx donné, avec aprobation suyvante des Seigneurs du Conseil de la dicte Dame, la teneur de la dicte remonstrance, et de l'adviz et de la dicte aprobation est comme s'ensuyt:

REMONSTRANCE DES DICTZ DEPPUTEZ.

1.—Qu'il playse à Sa Majesté et à Monseigneur l'Ambassadeur limiter le jour pour le faict de la restitution, de part et d'aultre, au 15 de novembre prochain 1569;

2.—Auquel jour seront levez toutz les arrestz, faictz en France, tant sur les deniers, navyres que merchandises, appartenant aulx subjectz de Sa dicte Majesté, et, si les dictz subjectz vouloient avoir leurs navyres, deniers et merchandises, ou partie d'icelles, avant le dict jour limité, la délivrance leur en sera faicte, en baillant bonne caution de la valleur de ce qui leur sera dellivré;

325 3.—Auquel jour seront semblablement dellivrez aulx subjectz du Roy Très Chrestien toutz les navyres, biens, deniers et merchandises, dont les juges delléguez de Sa Majesté ont jà ordonné et sentencié, et mesmes de ce qu'ilz pourront ordonner et sentencier avant le dict jour; et, au réciproque que dessus, si les subjectz du Roy vouloient avoir et enlever leurs navyres, merchandises et deniers, ou partie d'iceulx, avant le dict jour limité, la dellivrance leur en sera faicte en baillant bonne caution de ce qui leur sera dellivré.

4.—Et, pour aultant que les dictz juges delléguez n'ont peu vuyder les demandes, contenues en ung cayer à eulx baillé par les delléguez françoys, tant à cause des parties absentes, des preuves qu'ilz disent n'estre suffisantes, que mesmes de la malladie intervenue à Londres, Sa dicte Majesté veuille promettre que les delléguez anglois feront prompte justice aulx subjectz du Roy, en la forme qu'ilz ont commencé, pour le faict des navyres, deniers et merchandises prinses, saysies, arrestées et amenées en ce royaulme, despuys le premier jour d'octobre dernier, 1568, jusques à ce jour.

ADVIZ DES COMMISSAIRES.

Sur le premier article.—Les Commissaires de Sa Majesté l'accordent.

Sur le segond.—Ilz accordent semblablement à icelluy, pourveu que toutes les debtes y puyssent estre comprinses.

Sur le tiers.—Sur cestuy, ilz déclairent que tant toutes telles navyres, argent, biens et merchandises des subjectz 326 du Roy Très Chrestien, qui sont encores arrestez, si comme l'argent procédant de la vante d'aulcuns biens ou merchandises, qui ont esté arrestées et sont vandues, qui sont ou seront ainsy ordonnées par les dictz Commissaires à estre délivrées avant le jour assigné, seront pareillement délivrées allors ou auparavant, soubz semblable caution, comme au second article cy dessus est expéciffié. Et quant à l'argent, qui est deu par sentences desjà prononcées ou qui se prononceront avant le jour [dict], ne leur semble raysonnable d'estre comprins à la condition de la restitution des choses réelles, mais ilz accordent que les parties condempnées seront contrainctes de faire payement ou satisfaction d'iceulx, avec aussi grande expédition qu'on pourra par ordre de justice et leur commission, et plus tôt s'il est possible, par quelque aultre voye que ce soit.

Sur le quatriesme.—A cest article ilz disent qu'ilz sont contentz de procéder en ces causes suivant la teneur de leur commission, pourveu que la Majesté de la Royne soit asseurée du Roy Très Chrestien que les subjectz de Sa Majesté puissent avoir semblable expédition de justice, avec asseurance par dellà, touchant telles grandes injures et déprédations qu'ilz ont souffert par les subjectz du dict Roy Très Chrestien en Bretaigne, et ailleurs en France, despuys le premier jour d'octobre 1568.

CE QUI S'ENSUYT A ESTÉ DESPUYS ADJOUXTÉ

Il est accordé qu'après le dict jour, 25 de novembre, restitution estant faicte de chacun costé, le traffic mutuel entre les subjectz des deux royaulmes sera ouvert et remiz en liberté en la forme qu'il a esté par le passé.

327

APROBATION DU CONSEIL.

Ces articles, ainsy qu'ilz ont esté responduz, ont esté exibez par l'Ambassadeur de France et les Commissaires, lesquelz les Seigneurs du Conseil, les ayant dellibérez et considérez, les allouent de la part de la Majesté de la Royne, et promettent, en tant que en peult apartenir à Sa Majesté, [qu'ilz] seront deuhement accomplis, pourveu qu'ainsy soit faict par le Roy de France à ses subjectz.

A Vuindesore, le dernier jour d'octobre 1569.

Et plus bas est escript:

Concordat cum originali et registro, S. F. Alen.

PUYS DE LA MAIN DU DICT Sr. DE LA MOTHE.

Le contenu cy dessus, en la forme qu'il est, avec l'acte au pied des Seigneurs du Conseil d'Angleterre, nous a esté exibé, et nous l'avons aprouvé, et avons promis que nous procurerons envers le Roy, Nostre Seigneur et Maistre, de le faire ainsy deuhement accomplir en France au proffict des Anglois, comme la Majesté de la Royne d'Angleterre, sellon sa promesse, le fera accomplir, icy, au proffict des Françoys; et par ce, l'avons soubz signé à Londres, le xe jour de novembre 1569, qui a esté aussi soubssigné des dictz depputtez.

De La Mothe Fénélon, Ambassadeur.

J. Vymont. J. Cavellier.


328

LXXIe DÉPESCHE

—du XIIe jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr. de Vymont.)

Efforts des seigneurs anglais pour relever le courage des protestants de France.—Nouvelle activité dans les armements faits en Angleterre.—Prochain départ de sir John Hawkins à la tête d'une flotte qui pourrait être secrètement destinée pour la Rochelle.—Désir témoigné par Élisabeth que le commerce soit entièrement libre avec la France.—Nouvelles rigueurs exercées contre Marie Stuart.—Les remontrances de l'ambassadeur à ce sujet ne sont point écoutées.—Crainte qu'il témoigne du sort qui lui est réservé.—Nouvelles rigueurs exercées contre le duc de Norfolk.—Bienveillance dont on use envers le comte d'Arundel et lord Lumley.—Mise en liberté du comte de Pembrocke.—Les négociations avec l'Espagne, après avoir été rompues, sont prêtes à se renouer.—Détails sur le traité concernant le commerce et la restitution des prises.—Recommandation pressante de l'ambassadeur pour que Marie Stuart ne soit pas abandonnée.

Au Roy.

Sire, ma précédante dépesche est du ve de ce moys par le Sr. d'Amour, et despuys, s'estant espandu divers bruictz par deçà des choses de France, j'ay toutjour attandu qu'il m'en vînt quelque confirmation par lettres de Voz Majestez, mais voycy le xxxıııȷe jour que je n'en ay receu aulcune, et n'ay layssé pourtant d'espérer et de faire espérer à ceulx, qui vous sont icy bien affectionnez, beaulcoup mieulx de voz affaires, sellon la victoire qu'il a pleu à Dieu vous donner, qu'aulcuns principaulx protestantz de ce royaulme ne les publient. Lesquelz usent de tout artiffice 329 de nouvelles controuvées pour garder que ceulx de leur party n'ayent la cause de ceulx de la Rochelle pour si habandonnée qu'ilz n'essayent encores, par aulcun nouveau renfort de reytres et par quelque contribution d'icy, de les secourir, dont ceulx, qui aujourduy manyent seulz l'estat de ce royaulme, craignantz que vostre victoire ayt esbranlé les fondemens de leur religion par la chrestienté, vont faisant tout à descouvert de grandes dilligences affin de les relever en France, de les confirmer en Allemaigne et les asseurer icy; ayant, incontinent après les nouvelles de la dicte victoire, faict dépescher la flotte des Anglois à la Rochelle pour ne laysser d'y continuer leur traffic, et pour accommoder ceulx du lieu de quelques deniers en change de leur vin et sel, et n'ozantz d'eulx mesmes leur envoyer monitions ny vivres de ce royaulme, ilz ont procuré que le Sr. Dolovyn et le bastard de Briderode leur en ayent desparty largement du butin qu'ilz ont faict vers Olande et Frize; et sont après à dépescher Quillegrey, avec l'homme du comte Pallatin, qui est icy, pour aller encourager et anymer par grandes persuasions et promesses les princes d'Allemaigne au secours de monsieur l'Admyral, dont je crains qu'ilz hastent [le duc de] Cazimir de se mettre en campaigne avant la fin de l'yver. Et dedans cestuy leur royaulme, qui est le lieu où ilz se trouvent les plus empeschez, ilz ont envoyé ordonnance et commissions par toutes les provinces pour réprimer les catholiques et authoriser les protestans; et n'estimantz encores cella suffizant, ont commandé ung guet et garde en armes en divers endroitz, lequel a esté commancé de faire despuys quatre jours ez rues et carrefours de ceste ville et le relèvent seulement à midy et à minuict; et ont aussi envoyé, despuis 330 huict jours, nouvelles monitions et pouldres à leurs grandz navyres; et m'a l'on dict que Haquens faict dilligence d'armer encores sept aultres bons vaysseaulx de guerre, mais l'on me veult faire croyre que c'est pour ung nouveau voyage qu'il entreprend aulx Indes, et que les plus grandz de ce royaulme font les frays non sans opinion que ceste Royne mesmes y contribue, parce que on prend les monitions de la Tour, mais nul de ses propres vaysseaulx n'y va, affin de n'offancer le Roy d'Espaigne. De ma part j'ay aulcunement suspect le dict apareil, et crains qu'il se faict pour secourir ceulx de la Rochelle, estant le commun bruict icy que vostre armée les va assaillir, et que mesmes vous avez pour cella faict arrester aulcuns navyres anglois à Bourdeaulx en les payant, affin de les assiéger par mer et par terre. Il est vray qu'il n'y a encores rien d'ordonné touchant les hommes et les vivres pour le dict armement de ceulx cy, sinon seulement quelques milliers de biscuyt, et j'auray l'œil à ce qui s'y ordonnera davantaige pour vous en advertir incontinent.

Aulcuns ont miz grand peyne envers ceste princesse de luy faire avoir suspect le traffic des aultres endroictz de vostre royaulme, sinon de la Rochelle, pour avoir meilleure colleur d'y adresser toutjour les flottes de ce royaulme, mais elle m'a néantmoins fort libérallement accordé qu'après la mainlevée et restitution faicte de chacun costé, au xxve de ce moys, elle veult que le commerce mutuel d'entre voz deux royaulmes soit ouvert, et aille libre comme auparavant. Par ainsy ne fault doubter, quoy qu'advienne de ceulx de la Rochelle, que les merchantz ne les délayssent d'eulx mesmes, quant cella sera faict, pour ressortir ailleurs où bon vous semblera; dont adviserez, Sire, comme il sera 331 bon d'y procéder, car si Vostre Majesté veult que cella se face par proclamation, je presseray ceulx de ce conseil d'envoyer publier et notiffier, par leurs villes et portz et tout le long de leur coste, la continuation et seurté du dict commerce avecques la France, ce qui ne plairra guières à ceulx qui vous vouldroient desjà veoir en guerre de ce costé.

Ceulx cy sentent qu'avec la division de la religion la cause de la Royne d'Escosse va divisant et mettant en grand trouble tout leur royaulme, dont, pour y cuyder remédier ilz font observer et garder de fort prez la dicte Dame, laquelle s'en met en frayeur pour aulcunes rigueurs et contrainctes qu'on luy use, de quoy je suys extrêmement marry; mais il n'y a ordre que je puysse, pour ceste heure, obtenir rien de plus gracieulx pour elle de ceste Royne, sa cousine, ny de ceulx de son conseil, n'ayant toutesfoys layssé de dire et faire en leur endroict tout ce qui convient pour protester ung grande revanche contre ceulx qui seront cause ou de son mal ou de la perte de son estat, et n'ay poinct cogneu, au parler de ceste princesse, ny des dictz [seigneurs] de son conseil qu'on veuille rien attempter de viollant ny d'indigne contre la personne de la dicte Dame, sinon seulement de garder qu'elle ne puisse practiquer qu'avec ceulx qui l'ont en garde. Néantmoins elle a trouvé moyen, nonobstant cella, de me faire tenir quatre petites lettres, qui sont cy encloses, que je croy qu'elle les a escriptes sans lumyère, desquelles je m'asseure que Voz Majestez seront meues à compassion et seront convyées luy assister et de secourir son chasteau de Dombertran.

Le duc de Norfolc est toutjour en la Tour, et les gardes luy ont esté ces jours passez redoublés. Le comte d'Arondel et milord de Lomelley sont encores en arrest, mais avec 332 quelque liberté de s'aller promener à cheval, accompaignez d'aulcuns gentishommes qui sont commiz à les garder. Le comte de Pembrot, ayant avec grande démonstration de malcontantement requis d'estre deschargé de la Grand Mestrize d'Angleterre et de n'estre plus du conseil, pour se retirer chez luy, a esté licencié d'aller en sa mayson prez de Londres, mais non deschargé de ses estatz.

L'ambassadeur d'Espaigne s'en est retourné en cette ville, et le marquis de Chetona est demeuré encores à Coulbronc, qui de rechef a heu audience de ceste Royne, mais ne sçay encor ce qu'il y a négocié; tant y a qu'ayant semblé une foys que tout son affaire fût interrompu, l'on a despuys remandé les depputez pour faire encores ung abouchement, affin de renouer les matières, et, dans peu de jours, se verra ce qui s'en doibt espérer, aydant le Créateur auquel je prie, etc.

De Londres ce xıȷe de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, aulx choses, que Vostre Majesté verra en la lettre du Roy, je n'ay que adjouxter icy davantaige sinon l'instance, que les seigneurs de ce conseil m'ont faicte, de leur bailler ung semblable escript de ma main pour la seurté de la parolle et promesse de Voz Majestez sur la mainlevée, au xxve de ce moys, des biens des Anglois arrestez en France, et sur la seurté et liberté de leur commerce par dellà, après qu'elle sera faicte, comme ilz m'ont faict délivrer un acte de leur conseil pour la restitution des prinses au proffict de voz subjectz et pour le libre commerce d'iceulx 333 par deçà, après le dict xxve du présent; ce que je leur ay ottroyé, et les Srs. Vimont et Cavellier, depputez de Roan qui estoient icy, s'estantz très bien acquictez de leur debvoir, et ayant emporté le dict acte de ce conseil, et obtenu, avant partir, tout ce qui s'est peu faire par justice, sont desjà en chemyn pour aller faire exécuter la dicte mainlevée à Callais et à Roan; à quoy, Madame, j'estime que Voz Majestez auront desjà mandé de n'y faire aulcune difficulté ainsy que je vous en ay cy devant supliez; et parce que j'entendz que quelques ungs, sans rayson, s'y veulent opposer, je vous suplie, Madame, en faire encores rafreschir le commandement à Mr. de La Meilleraye et à Mr. de Gordan, affin de ne donner à ceulx cy aulcune occasion de se plaindre.

Les protestantz publient que monsieur l'Admyral ayant joinct avecques luy les troupes du comte de Montgommery et des Viscomtes, et ayant confirmé ses aultres forces tant d'Allemans que Françoys, s'est remiz en campaigne et qu'il s'achemine vers la Charité pour empescher qu'on n'y mette le siège et pour aller, tout d'ung trait, recuillir les trouppes du duc de Cazimir, affin de recommancer et continuer la guerre plus forte que jamais; ce que je metz peyne de dissuader à ceulx qui desirent icy l'advantaige de Voz Majestez, leur remonstrant qu'il s'en fault tant que ceulx de la Rochelle n'entrepreignent, à ceste heure, de tenir la campaigne qu'au contraire ilz craignent grandement d'estre assiégez dans leur fort, ce que je vouldrois leur pouvoir confirmer par lettres de Voz Majestez, mais il y a long temps que je n'en ay receu aulcune.

Au surplus, Madame, je vous suplie considérer l'estat de la Royne d'Escoce sur le contenu de ces petites lettres 334 qu'elle vous escript, et me donner quelque argument de la pouvoir aultant consoller en vostre nom, comme, en vostre mesmes nom, je metz peyne de procurer avec toute instance sa liberté, son bon trettement et sa restitution à sa couronne. Et espérant qu'il vous aura pleu me renvoyer desjà quelq'un des miens, qui sont par dellà, affin de vous en dépescher incontinent ung aultre comme il est besoing, je n'adjouxteray icy, pour le surplus, qu'une très dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce xıȷe de novembre 1569.

Aulcuns, naguières arrivez icy de la Rochelle, disent que la Royne de Navarre, et madame la Princesse de Condé avec ses petitz enfans, estoient en propos de s'embarquer pour passer en ce royaulme.


335

LXXIIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Venicien.)

Plaintes de l'ambassadeur contre le retard qui est mis à lui donner des nouvelles de France.—Inquiétudes que cause en Angleterre l'agitation des catholiques dans le Nord.—Sévérité dont on use envers les seigneurs prisonniers.—Négociations avec l'Espagne.—Difficultés qui sont faites sur les pouvoirs du Sr. Ciapino Vitelli.—Entraves mises par les Anglais à la conclusion d'un arrangement.—Parti violent qu'ils ont pris de convertir en monnaie anglaise les réaux d'Espagne, jusqu'alors conservés comme un dépôt à la Tour.—Meilleur traitement fait à la reine d'Écosse, qui a été rendue à la garde du comte de Shrewsbury.—Mesures prises contre les catholiques.—Le serment sur la religion leur est imposé.—Résolution prise par plusieurs familles catholiques d'Angleterre de se réfugier en France, où elles demandent protection.—Ordre est donné par Élisabeth aux seigneurs du Nord de se rendre à la cour.—On redoute à Londres un soulèvement dans ces contrées.—Prise faite par le capitaine de Sore.—Mandement du conseil pour qu'il soit arrêté avec sa prise.—Remonstrances du conseil contre les entreprises des Bretons, qui attaquent tous les navires anglais qu'ils trouvent en mer.

Au Roy.

Sire, je vous ay escript ce qui se offroit à ma cognoissance des choses de deçà, le xıȷe de ce moys, et despuys, l'on m'a dict que ceulx cy ont receu lettres de Mr. Norrys, par lesquelles semble qu'il leur face les affaires de ceulx de la Rochelle assez désespérez, de quoy ilz sont en grand peyne, et croy que, pour cella, ilz veulent haster le partement de Quillegrey pour Allemaigne, l'ayant envoyé quérir en la contrée pour le dépescher, mais je ne puys sçavoir encores 336 ce que portera sa commission, sinon qu'on m'a dict que les protestans se plaignent assez, que ceste Royne ne se veult laysser bien aller à toutes leurs persuasions, ains va fort réservée sur aulcunes d'icelles, et se oppose si fermement à celles qu'elle crainct pouvoir torner à manifeste offance de Vostre Majesté, qu'ilz la réputent pour peu affectionnée à leur religion.

J'ay bien miz peyne, de ma part, de mener, ou par desir de paix ou par craincte de guerre, toutjour la dicte Dame le mieulx que j'ay peu à la disposition de voz affaires, et le feray ainsy encores toutes les foys que j'auray à parler à elle, mais il ne me sciéroit bien, à ceste heure qu'elle est toute en affaires, de l'aller trouver, sinon avec quelque important argument de voz lettres, et voycy le xle jour de la plus fresche datte des dernières, que j'ay receu de Vostre Majesté, de quoy j'en suys bien en peyne, et ne sçay à quoy en debvoir imputer le retardement; sinon que je veulx croyre qu'il tient à toute aultre chose, plustost que penser qu'il en aille quelcune mal prez de Voz Majestez.

L'on avoit dict, ces jours passez, que la Royne d'Angleterre s'estant ung peu modérée envers ces seigneurs prisonniers, octroyeroit au duc de Norfolc de se pouvoir remuer au quartier de la dicte Dame dans la Tour, qui est espacieulx et large, par ce qu'il commance se trouver mal par faulte d'air dans celluy où il est, lequel est estroict, et est le propre lieu où son père fut miz quant il fut exécutté; et qu'elle accorderoit aussi à Milaris de Lomelley l'eslargissement du comte d'Arondel son père, et de millord de Lomelley son mary, mais j'entendz que sur ce poinct est arrivée une lettre du présidant du Nort, par laquelle il mande qu'à très grande difficulté peult il contenir le peuple, vers ce 337 quartier là, de s'eslever, dont les dictes provisions de ces seigneurs sont demeurées, jusques à ce qu'on ayt descouvert d'où cella procède, et qu'on y ayt remédié; et a l'on contremandé en dilligence le comte de Pembrot, qui s'en alloit retirer du tout en Galles, où est sa principalle mayson, pour le faire retourner à la court; mais je ne sçay encores si c'est pour luy commander de nouveau l'arrest, ou pour le contanter, tant y a qu'il semble que ceulx cy se trouvent assez empeschez de beaulcoup de choses.

Quelq'un, à ce que j'entendz, a raporté à la Royne d'Angleterre que le marquis de Chetona a esté instantment pressé par l'ambassadeur d'Espaigne et par les deux depputez, qui sont icy avecques luy de Flandres, de parler plus bravement à elle, à cause de la victoire de Vostre Majesté, que ne porte leur commission, et qu'il ne l'a vollu faire sinon avec quelque gentil mot en passant; de quoy elle luy a sceu ung grand gré, et pour mon regard, encor que je luy aye grandement cellébré la dicte victoire, comme ung gain, qui ne pouvoit estre sinon [que] fort grand, d'avoir Vostre Majesté par vifve vertu asseuré vostre propre grandeur lorsqu'elle sembloit estre en plus d'hazard, n'ayant toutesfoys monstré en une seule parolle que la dicte victoire fût pour torner au dommaige de la dicte Dame, ains plus tôt à son proffict et de toutz les princes chrestiens, il m'a vallu quelque chose sur la restitution de noz prinses, ès quelles elle a despuys mieulx dépesché les commissaires de Roan que je n'espérois; et a, possible, aulcunement nuy à iceulx de Flandres, lesquelz, si les choses ne se rabillent, sont en termes de s'en retorner sans rien faire, disantz ceulx de ce Conseil que le pouvoir du dict marquis de Chetona est bien ample pour le Roy d'Espaigne 338 à demander ce qu'il prétend, mais non assés pour la Royne, leur Mestresse, à tretter des choses dont elle veult demeurer d'accord avecques luy, ny, possible, assés suffizant pour en accorder pas une, et qu'il en fault attandre ung plus ample qui procède du mesmes Roy d'Espaigne, parce que cestuy cy est une subrogation de pouvoir, à la vérité bien expécial, que le duc d'Alve a de son Maistre pour tretter de toutz ces différandz avecques la dicte Royne d'Angleterre en la façon qu'il verra estre bon de le faire, avec puissance de substituer, comme il a substitué le dict marquis, lequel promect d'en faire venir de plus amples s'il est besoing, et de faire rattiffier tout ce qu'il accordera, et que, pourtant, il requiert qu'on ne veuille laysser de passer toutjour oultre. Dont nous verrons bien tost quel chemyn l'affaire pourra prendre, et cependant l'on convertyt en monoye de ce pays les réalles d'Espaigne qui sont en la dicte Tour.

La Royne d'Escoce m'a faict sçavoir de ses nouvelles, laquelle se porte bien de sa personne, et a senty quelque soulaigement despuys la dernière négociation que j'ay faicte pour elle, ayant ceste Royne, sa cousine, pour le respect de Voz Majestez Très Chrestiennes, nonobstant son grand courroux qui luy dure encores contre la dicte Dame, faict retirer le comte de Huntinton de sa garde, mais ne sçay encores si c'est pour l'en descharger du tout; tant y a que, pour le présent, elle est ez mains du comte de Cherosbery seul, qui se déporte, tant luy que madame la comtesse sa femme, en toutes choses bien fort honnestement et honnorablement envers la dicte Royne d'Escoce, et atant, Sire, je prie Dieu, etc.

De Londres ce xvııȷe de novembre 1569.

339

A la Royne.

Madame, vous aurez assez amplement comprins l'estat des choses de deçà par ce que je vous en ay escript en mes trois précédantes dépesches, lesquelles, à la vérité, je suys bien en peyne de sçavoir si les avez receues ou non, car il passe aujourd'huy le xle jour que je n'ay heu ung seul mot de Voz Majestez; néantmoins des dictes choses, que j'ay desjà commancé de vous parler, affin que d'icelles mesmes l'évènement vous en soit ordinairement cogneu, j'en ay miz le succez en la lettre du Roy, ainsy que, jour par jour, je l'ay aprins ou l'ay veu advenir, et n'ay que vous dire icy davantaige, Madame, sinon que, à l'occasion d'une recerche et de certaine forme de sèrement, à quoy l'on veult obliger les subjectz de ce royaulme sur le faict de la religion, plusieurs catholiques, qui font grand scrupulle de conscience là dessus, aymans mieulx habandonner le pays que jurer ainsy, me viennent demander des passeportz pour se retirer en France; dont j'en ay desjà donné à deux gentishommes, mais non sans estre bien informé (et ne le feray poinct aultrement), qu'ilz sont bons catholiques et en réputation de gens de bien, et non factieulx. Sur quoy vous plairra, Madame, me commander comment, en semblable, j'en auray cy après à user, et vous diray davantaige qu'il semble que, de cella et de la presse qu'on faict aulx seigneurs du Nort de se venir représanter en ceste court, l'on doubte assés qu'il se puisse bientost former ung trouble en ce royaulme, ainsy que par ung des miens, s'il vous playt me renvoyer 340 les aultres que j'ay par dellà, je le vous feray, avec les aultres particullaritez de deçà, plus amplement entendre.

Le capitaine Sores a freschement prins cinq riches ourques, qui avoient esté chargées en Envers pour Espaigne et Portugal, dont en a miz une à fondz, et il a conduict les aultres quatre en une rade à l'abry, vers le cap de Cornouailles, sans ozer entrer en aulcun port. Il a esté dépesché commission pour aller arrester luy et sa prinse, s'il peut estre apréhendé, monstrans ceulx de ce conseil qu'ilz ne veulent plus supporter, en façon du monde, les pirates; et me font grand instance que je veuille presser Voz Majestez de réprimer ceulx de Bretaigne, et que commandiez de faire justice des déprédations, que ceulx du dict pays ont commises et commettent, toutz les jours, sur les subjectz de ce royaulme. Sur ce, etc.

De Londres ce xvııȷe de novembre 1569.

Despuys la présente escripte, j'ay recouvert une coppie du mandement de la recherche et de la forme du sèrement, cy dessus mencionné, laquelle j'ay mise dans ce pacquet[19], affin que Vostre Majesté ayt plus grande notice des difficultez où ceulx cy se trouvent.


341

LXXIIIe DÉPESCHE

—du XXIIe jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par l'Escouçoys.)

Nouvelles répandues à Londres, qui sont favorables aux protestants de la Rochelle.—Premier bruit du soulèvement des catholiques dans le Nord.—Les négociations avec l'Espagne paraissent devoir rester sans résultat.—Soupçons des Anglais contre le Sr. Ciapino Vitelli, à raison des troubles du Nord.—Instance de l'évêque de Ross auprès d'Élisabeth pour obtenir une réponse définitive.—Déclaration que, si elle refuse son secours, la reine d'Écosse se placera sous la sauvegarde de la France et de l'Espagne.—Élisabeth demande un nouveau délai pour se prononcer.—Caractère sérieux que peuvent prendre les affaires du Nord.—Crainte de l'ambassadeur que les Anglais ne fassent de nouveaux efforts pour jeter les Allemands en France.

Au Roy.

Sire, n'ayant, en mes précédantes du xvııȷe de ce moys, guières rien obmiz de ce que j'ay estimé digne de vous estre escript des choses de deçà, j'auray tant moins que dire meintennant par ceste cy à Vostre Majesté, et seulement qu'il semble estre venu nouvelles à ceulx cy, de leur ambassadeur Mr. Norrys, et aussi par la voye de la mer, comme monsieur l'Admyral, ayant forny les principaulx fortz et les places de garde, d'auprès de la Rochelle, d'ung bon nombre de gens de pied, il s'est remiz en campaigne avec sa cavalerye pour aller recuillyr les Viscomtes, qui ont desjà repassé la Garonne à six lieues par dessus Thoulouze; de quoy les protestans de ce royaulme sont rentrez en quelque 342 meilleure espérance des affaires de ceulx de leur party, qu'ilz ne l'avoient auparavant, et s'esforcent de s'en prévalloir contre les catholiques, lesquelz, pour ceste occasion, envoyent souvent devers moy affin de sçavoir ce qui en est, et je ne leur puys dire rien de particullier là dessus, sinon que Vostre Majesté, par la dilligence et vertu de Monsieur, son frère, va toutjour poursuyvant la victoire et recouvrant les places qu'on vous a occupées, et chassant l'ennemy de la campaigne, et que voz affaires, nonobstant le déguisement de leurs nouvelles, prospèrent, grâces à Dieu, toutjour de mieulx en mieulx; dont desirerois avoir aulcune chose de plus expécial par voz lettres, affin de les en pouvoir mieulx contanter. Tant y a qu'on m'a dict que, nonobstant ceste invention et tout cest artiffice de nouvelles, l'allarme est bien chaulde en ceste court de l'eslévation des catholiques vers le Nort, ce que je mettray peyne de sçavoir plus au vray, affin de vous dépescher incontinent là dessus ung des miens en dilligence.

Il est arrivé despuys deux jours une dépesche du duc d'Alve, suyvant laquelle l'ambassadeur d'Espaigne, qui avoit layssé le marquis de Chetona seul à poursuyvre l'accord des différandz des Pays Bas à Vuyndesor, l'est allé retrouver, et semble que ceulx d'icy, pour n'estre veuz couper la broche de trop court au Roy d'Espaigne, continueront encores quelque conférance, et permettront que le dict ambassadeur soit ung des depputez de la part de son Maistre, mais je n'estime poinct qu'ilz concluent encores aulcun accord; et cependant le souspeçon croyt contre le dict marquis, à cause des troubles qui aparoissent plus formez despuys son arrivée, qu'ilz ne sembloient auparavant debvoir jamais estre, ce qui, possible, y peult bien 343 avoir donné quelque challeur; mais en effect, j'ay opinion que l'occasion vient bien d'ailleurs.

Ces jours passez, la Royne d'Escoce a dépesché ung gros pacquet de lettres, qui sont arrivées toutes ouvertes en ceste court, parmy lesquelles s'en est trouvée une pour la Royne d'Angleterre, et les aultres pour l'évesque de Roz, pour monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, et pour moy, et encores quelques aultres pour les seigneurs de ce conseil, lesquelles toutes le secrétaire Cecille a renvoyé au dict sieur évesque, qui a incontinent envoyé demander audience pour présenter la sienne à la Royne d'Angleterre, et la sommer des choses contenues en icelle, ou à deffault qu'elle ne les veuille accomplir, qu'il nous baillera celles qui s'adressent au dict sieur ambassadeur d'Espaigne et à moy pour exorter Voz Majestez Très Chrestienne et Catholique au secours de la dicte Dame; mais la dicte Royne d'Angleterre luy a faict escripre, par Mr. le comte de Lestre, qu'elle le prie d'avoir ung peu de pacience, parce qu'elle est occupée en d'aultres si grandz et très urgentz affaires, qu'elle ne pourroit vacquer à l'ouyr encores de huict jours, mais, iceulx passez, qu'il pourra envoyer sçavoir l'heure de son audience, et la dicte Dame l'orra allors fort volontiers.

Cependant, Sire, je vous envoye la coppie[20] de la lettre de la dicte Royne d'Escoce affin que Vostre Majesté voye que ceste princesse, en requérant avec compassion ung honneste remède en ses affaires, retient toutjour la dignité qui convient à son estat de Royne et à la grandeur de son cueur, et que Vostre Majesté me commande, en cas que la 344 Royne d'Angleterre l'en reffuze, ou diffère son dict secours et les aultres choses qu'elle luy requiert, ce que de vostre part je y auray à faire davantaige, oultre ce que je y ay tant expressément faict jusques icy, et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxıȷe de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, attendant de vous envoyer, dans trois ou quatre jours, le Sr. de Sabran, je vous ay bien vollu faire ceste petite dépesche sur les occasions que Vostre Majesté verra en la lettre du Roy, à laquelle je adjouxteray ce mot de plus, que desjà j'ay adviz de trois endroictz, que la sublévation des catholiques vers le pays du Nort va fort en avant, et que ceulx cy sont assés empeschez d'y remédier, ayantz, à ceste occasion, mandé restraindre davantaige les seigneurs qui sont en prison et en arrest, et semble qu'ilz sont après à susciter une généralle entreprinse des princes protestans en la cause de la religion, pour cuyder remédier à leur particullier, dont est dangier que les Allemans, pour estre fort intéressez avec ceste princesse, ne s'esmeuvent bien tost, et que le prolongement de la guerre de la Rochelle ne les attire à faire leurs premiers effortz en vostre royaulme; sur quoy sera bon, Madame, que faciez prendre garde aulx aprestz et mouvemens qui se feront le long du Rhin, et je veilleray sur les actions de deçà, et sur celles que ceulx cy pratiqueront de dellà, le plus dilligement qu'il me sera possible, et prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxıȷe de novembre 1569.


345

LXXIVe DÉPESCHE

—du XXVe jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. de Sabran.)

Nécessité de mettre fin aux guerres civiles de France pour arrêter les entreprises des Anglais et des princes protestants d'Allemagne.—Soulèvement des catholiques dans le nord de l'Angleterre.—Prise d'armes par le comte de Northumberland.—La ville de Durham est tombée en son pouvoir.—Noms des seigneurs que l'on croit d'intelligence dans l'entreprise.—Mesures adoptées par Élisabeth.—Lettre secrète à la reine-mère.—Démonstrations qu'il est nécessaire de faire en France pour encourager le soulèvement des catholiques en Angleterre.—Mise en liberté du Sr. Roberto Ridolfy.—Mémoire secret.—Confiance des révoltés du Nord dans les secours du roi.—Promesses qui leur ont été faites par le duc d'Albe.—Détails sur les négociations qui ont eu lieu à ce sujet.—Intelligences des Espagnols avec les seigneurs qui ont pris les armes.—Menées de l'ambassadeur d'Espagne pour que les mariages d'Élisabeth, de Marie Stuart et du prince d'Écosse soient remis à la discrétion de Philippe II.—Mission secrète de sir John Hamilton auprès du duc d'Albe.—Vaste projet de domination de la part de l'Espagne sur l'Angleterre.—Opinion de l'ambassadeur, que les instructions données au Sr. Ciapino Vitelli pour traiter avec Élisabeth, portent de sacrifier les intérêts de la France.—Méfiance que l'on doit concevoir des projets du duc d'Albe et de sa conduite lors de l'entrée du duc de Deux-Ponts en France.—Assurance qu'il n'y a rien à redouter des intrigues de l'Espagne au sujet des mariages d'Élisabeth et de Marie Stuart.—Le duc de Norfolk et la reine d'Écosse sont fermement résolus à persister dans leur projet d'union.—Nouvelle mission de sir John Hamilton auprès du duc d'Albe, restreinte, cette fois, à traiter d'un secours.—Second mémoire.—Irritation de la reine d'Angleterre contre le duc de Norfolk.—Elle s'abandonne entièrement aux protestants.—Desseins politiques des seigneurs protestants d'Angleterre à l'égard de la reine d'Écosse, des guerres civiles de France et des affaires d'Espagne.—Ils fomentent les expéditions d'Allemagne, assurent le crédit, envoient l'argent.—Leurs efforts, depuis la victoire de Moncontour, pour faire déclarer ouvertement la guerre.—Ils prolongent la détention des seigneurs arrêtés sous l'espoir de les compromettre dans les affaires de France et des Pays-Bas.—Détails sur les causes du soulèvement du Nord.—Déclaration du comte de Northumberland, qu'il n'a pris les armes que pour la défense de la religion catholique.—Hésitation d'Élisabeth à l'égard de Marie Stuart, qu'elle veut livrer au comte de Murray.—Elle se décide à la retenir prisonnière sous une garde plus rigoureuse.—Plaintes qu'elle fait à l'ambassadeur de la conduite de Marie Stuart.—Justification de la reine d'Écosse.—Les négociations au sujet des Pays-Bas sont tenues en suspens.

346

Au Roy.

Sire, il aparoit par divers respectz debvoir bien tost advenir divers inconvénians en ce royaulme sur la division de la religion, et sur les affaires de la Royne d'Escoce, et sur la détention de ces seigneurs prisonniers, et sur les différans des Pays Bas, mais principallement sur l'impression que les Anglois se donnent, les ungs de peur, et les aultres d'espérance, de la victoire que Vostre Majesté a dernièrement gaignée, et ay eu opinion, que de cella leur naistroient assés de pensemens pour leurs propres affaires, sans qu'ilz se meslassent plus de ceulx d'aultruy; mais j'entendz qu'en leur conseil, où à ceste heure n'y a que protestans, l'on n'estime que l'estat d'Angleterre deppende de rien tant que de l'évènement des choses de France, et que pourtant il leur y fault avoir l'œil plus ouvert que jamais; et que mesmes pour bien asseurer leur particullier, il leur est besoing de mouvoir le général de la religion par toute la chrestienté, et en relever la cause le plustost qu'on pourra en France, pendant que les armes y sont encores en vigueur. En quoy ilz ont tant d'aparantz argumens pour y persuader leur Mestresse, parce que ceulx qui leur souloient contradire ne sont plus auprès d'elle, que, joinct 347 l'auctorité des princes d'Allemaigne, ès quelz elle faict ung grand fondement, je crains bien fort qu'ilz la conduysent, non à une déclaration de guerre, car pour encores elle leur contradict assés en cella, mais à leur permettre à eulx mesmes de fomenter soubz main celle guerre, qui dure encores en vostre royaulme, par les mesmes couvertz moyens qu'ilz y ont procédé jusques icy, et mesmes de dresser une commune entreprinse de toutz les protestans pour s'esforcer d'y restablir leur religion; de quoy la continuation de noz troubles les en mect en grand espérance. Et est sans doubte, Sire, que, tant plus les dictz troubles yront à la longue, plus vous produyront, chacun jour, de nouvelles difficultez, et ouvriront les moyens aulx aultres princes et aultres estatz voysins de projecter, s'ilz peuvent, toutjour des desseings à la ruyne du vostre, ainsy que j'ay donné charge au Sr. de Sabran de le vous faire entendre sellon les adviz qu'on m'en a donnez, lesquelz me font grandement desirer que Vostre Majesté y preigne garde; et je regarderay que produyront en ce royaulme ceulx qui desjà s'y manisfestent bien avant, qui sont telz, Sire, comme sellon le commun bruict je le vous vays récitter:

C'est que les seigneurs catholiques des confins d'Angleterre, qui sont vers le Nort, ayant esté mandez en ceste court pour venir donner compte d'où procédoit l'esmotion, qu'on entendoit estre en leur quartier, et ayant eulx, une et deux foys, reffuzé de le faire pour la craincte qu'ilz ont qu'on les fît arrester prisonniers, ainsy qu'on a faict le duc de Norfolc et le comte d'Arondel, et entendans que, de rechef, la Royne, leur Mestresse, les envoyoit sommer par ung hérault d'armes de ne faillir à se représanter du premier jour devers elle sur peyne de rebellion 348 et de lèze majesté, ilz ont heu recours aulx armes; et le comte Northomberlan, à ce qu'on dict, a esté le premier qui s'est eslevé avec la ville de Duren, laquelle il a prinse, et y a érigé le crucifix et faict dire publicquement la messe, à laquelle plus de six mille personnes ont assisté et estime l'on,

Chiffre.—[Que, oultre les seigneurs prisonniers, les comtes de Vuesmerlan, [de] Dherby, de Comberlan, de Suthampton, le viscomte de Montegu, millor Dacres du Nort, millord de Morle, le sir Henry Percy, le sir de Morconnelle, le sir de Northon, le capitaine Rieth et plusieurs aultres principaulx personnaiges sont de l'intelligence; encore y veult on mesler le comte de Sussex; mais]

J'entendz que ceste Royne luy a donné charge et au comte de Housdon, et à milor Scrup, de mettre incontinent les garnysons de Vuarvich, de Carley et aulcunes troupes de Hiorc, aulx champs pour aller combattre le dict comte de Northomberlan, et qu'elle leur a envoyé une bonne quantité d'armes, lesquelles pour cest effect, et pour armer ung nombre d'hommes en ceste ville, elle a, ces jours passez, faict tirer de la Tour.

Je ne sçay si ce feu se pourra ayséement esteindre, mais il me semble que le commancement n'est moindre que celluy qui a embrasé vostre France. Il est vray que ceulx cy sont après à l'allumer par toute la chrestienté, si en aulcune manière ilz le peuvent faire, espérans que le leur particullier sera de tant plutost esteinct que de toutes partz l'on courra aulx remèdes. Je n'ay poinct veu ceste princesse despuys la nouvelle de ces troubles pour pouvoir juger quelle espérance elle a de les apayser, et n'estime que 349 je la doibve encores aller trouver de quelques jours, sinon qu'il m'en vînt aulcune bonne occasion par voz lettres, jusques à ce que Vostre Majesté m'aura commandé l'office qu'il luy plairra que je face là dessus envers elle, ainsy qu'il vous peult souvenir, Sire, qu'elle s'est esforcée d'en faire quelques ungs envers vous au commancement des troubles de vostre royaulme. Sur ce, etc.

De Londres ce xxve de novembre 1569.

A la Royne.

Chiffre.—[Madame, estant advenu cella mesmes, que Voz Majestez, par leurs lettres du xxe septembre, m'ont signiffié estre de leur intention, je vous envoye le Sr. de Sabran pour vous dire en quoy en sont meintennant les choses, et comme elles monstrent d'estre si avant qu'il fault qu'elles passent oultre; dont est temps que Vostre Majesté regarde comment s'en prévaloir, car d'aultres veillent pour les convertir à leur proffict. Je ne me suys advancé de promettre rien en particullier, mais seulement vostre assistance et faveur en général, et suys très ayse que la Royne d'Escoce, de laquelle nous venons de recepvoir tout meintennant des lettres, concoure en mesmes opinion que moy, qu'il ne fault rien mouvoir ouvertement contre la Royne d'Angleterre, ains seulement qu'il playse à Voz Majestez envoyer ung petit renfort de harquebouziers en Escoce, par prétexte de garder Dombertran, qui puissent donner cueur à ceulx qui tiennent la part de la dicte Dame dans le pays, et tenir en tel suspens le comte de Mora qu'il n'oze venir, ny envoyer gens contre ceulx 350 qui sont en armes en Angleterre; et qu'au reste vostre bon playsir soyt d'envoyer ung gentilhomme devers les Estatz d'Escoce pour les exorter à la restitution de leur Royne, lequel ayt aussi charge, en passant, d'en faire instance à la dicte Royne d'Angleterre et à ceulx de son conseil; et que, des pencions et revenuz, que la dicte Dame a en France, il vous playse l'en faire meintennant secourir pour les occasions qui se présentent, n'en ayant receu, despuys qu'elle est en Angleterre, qu'envyron quatre mil {lt}; et de ces trois choses elle me conjure ne faillir de vous en faire très humble prière et très grande instance de sa part.

Aulcuns aultres m'ont dict qu'il est fort requis que Voz Majestez facent faire aulcune démonstration en Normandie et Bretaigne d'aprester navyres, soubz colleur de serrer la mer à ceulx de la Rochelle, et que cella donra cueur aulx catholiques de Cornoaille et de tout le pays d'Ouest, qui ne sont moins fermes que ceulx du Nort, et tant les ungs que les aultres estimeront que ce soit pour leur secours; dont me semble, à la vérité, Madame, que ceste seulle démonstration, laquelle tiendra ceste princesse en doubte et les aultres en espoir, sera plus à propos pour vostre service par deçà et pour la commodité de voz présens affaires en France, que si vous passiez pour encores à plus grandz effectz. Et si, en aparance, garderez de mesmes envers ceste princesse, et, en effect, mieulx qu'elle n'a faict envers vous, les trettez de paix, lesquelz, despuys ung an, vous luy avez promiz d'inviolablement observer.

Ce de quoy les soublevez ont meintennant plus de besoing pour continuer leur entreprise est de deniers, et de cella requièrent ilz estre promptement secouruz. Le Sr. Roberto Ridolfy m'a prié de donner adviz de toutes ces choses 351 à monsieur le Nonce, qui est prez de Voz Majestez, auquel il n'oze escripre, parce qu'il ne vient que de sortyr de prison, où, pour le souspeçon qu'on a heu de luy, il a esté dettenu ung mois; dont vous plairra, Madame, commander au Sr. de Sabran ce qu'il luy aura à dire. Et remettant à luy mesmes de vous rendre compte de toutes aultres particullaritez de deçà, je prieray en cest endroict Nostre Seigneur, etc.]

De Londres ce xxve de novembre 1569.

MÉMOIRE AU DICT Sr. DE SABRAN.

Chiffre.—[Suivant ce que leurs Majestez m'ont commandé par leurs lettres du xxe de septembre, le Sr. de Sabran leur dira que, pour la cause de la religion, et pour le faict de la Royne d'Escoce, et pour la détention de ces seigneurs prisonniers, les armes sont à bon escient prinses en ce royaulme par les catholiques vers les quartiers du Nort; mais je puys protester que c'est sans aulcune injure que j'aye procuré procéder en façon du monde de la part de Leurs dictes Majestez, et sans les avoir constituez en cause qui puisse estre réputée mauvaise envers Dieu ny le monde. Il est vray qu'espérans les dictz catholiques n'estre habandonnez du Roy, ilz ont ainsy entreprins ceste querelle, laquelle ilz estiment apartenir à Sa Majesté plus que à nul aultre prince chrestien, et sont après à me demander quelque secours de luy, ainsy qu'ilz disent que ceulx du contraire party ont envoyé demander ung nombre d'harquebouziers à monsieur l'Admiral; sur quoy Leurs Majestez me commanderont ce que je leur auray 352 à respondre, car pour encores je ne leur ay promiz rien de particullier.

Or, nonobstant la conférance et le pourparlé d'accord, qui se faict sur les différans des Pays Bas, le duc d'Alve ne laysse de cercher le moyen comme il pourra bien allumer ceste guerre, car j'ay adviz qu'il a mandé aus dictz seigneurs du Nort, ne saichant encores leur prinse d'armes, qu'encor qu'il eust proposé d'attandre ung commandement plus réglé du Roy, son Maistre, qu'il ne l'a sur ce qu'il auroit à entreprendre avec eulx, et qu'il eust pensé ne debvoir jusques alors rien mouvoir ouvertement en leur faveur, ou au moins qu'il ne vît qu'ilz eussent commancé quelque chose de leur part, et qu'ilz se fussent miz aulx champs, ou qu'ilz eussent surprins quelque place, ou prins aulcuns prisonniers, ou remiz par force la Royne d'Escoce en liberté; si est ce que, sans temporiser davantaige, il seroit prest de leur fornyr cent mil escuz, et deux mille harquebouziers et mille corselletz, et encore cinq centz chevaulx, s'ilz luy envoyoient ung homme de qualité qui entendît le pays et les affaires, et qui le sceût résouldre du temps et du lieu qu'il fauldroit faire ceste descente, et luy désigner ceulx qui s'y trouveroient pour la recepvoir et la conduyre.

Et de cella l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, a desjà envoyé lettres à iceulx seigneurs du Nort par un capitaine de leur intelligence, lequel ilz avoient pour aultres occasions dépesché par deçà, et icelluy mesmes capitaine est prest de passer devers le duc d'Alve, espérant qu'il accomplyra plus volontiers ses promesses, quant il verra que l'entreprinse est plus advancée qu'il ne cuydoit.

Possible que le dict duc est meu à cella pour n'espérer 353 qu'il puysse obtenir aulcune rayson ny accord sur les dictz différans, et pour venger l'offance que véritablement il a receue des Anglois, aussi pour porter quelque faveur aulx catholiques, et pareillement pour la liberté de la Royne d'Escoce; car toutes ces choses concourent à cest affaire. Tant y a qu'il semble qu'il prétende principallement à la conqueste du pays, car il a desjà faict distribuer de l'argent, oultre le compte de ce secours, à aulcuns grandz, qui sont bien fort parcialz pour la mayson de Bourgoigne, et à d'aultres qui sont en obligation au Roy d'Espaigne, du temps qu'il estoit Roy de ce pays, lesquelz sont desjà gaignez.

Et le dict sieur ambassadeur faict grand presse que la Royne d'Escoce, puysque le duc de Norfolc est meintennant en prison, veuille délaysser le propos de mariage qu'elle a avecques luy, et que ce sera le Roy, son Maistre, qui l'espousera, ou la pourvoirra d'ung si bon et advantaigeux party, qu'elle n'en sçauroit trouver de meilleur en l'Europe; et faict grand instance que Me. Jehan Amilthon, serviteur de la dicte Dame, soit envoyé, avec lettres de créance d'elle, devers le dict duc d'Alve, affin, dict-il, de mieux conclure tout le faict du secours.

D'ailleurs l'on m'a donné adviz sur la négociation du marquis de Chetona que, pour la rendre plus agréable à ceste princesse, il semble qu'il y mesle je ne sçay quoy de préjudice contre la France sur la reddition de Callais et sur les entreprinses que la dicte Dame vouldroit faire par dellà; et qu'il luy mect en termes ung nouveau mariage avec de très grandz advantaiges qui ne sont à mespriser, et qu'en toutes sortes le duc d'Alve, cognoissant une fort grande importance de ce royaulme aulx affaires de son Maistre 354 estime qu'il ne pourroit en rien mieulx employer ses forces et ses moyens que d'y estandre sa grandeur s'il peult.

Et, de tant qu'ung assés principal personnaige de ceste court, qui est fort protestant, a dict en quelque lieu que le duc d'Alve ne se monstroit trop contraire à ceulx de leur religion, ny ne procédoit, à ceste heure, que bien respectueusement envers eulx; et que mesmes, lorsque le duc de Deux Pontz temporisa si long temps d'entrer en France, ce fut pour taster l'intention du dict duc d'Alve, lequel, monstrant se préparer contre luy parce qu'il avoit receu le prince d'Orange et ses gens en sa compaignye, et qu'il craignoit que ce fût pour redescendre aulx Pays Bas, ne voulant le dict duc de Deux Pontz avoir à faire, tout à la foys, au dict duc d'Alve et à monsieur d'Aumalle, qui luy estoit en teste, n'entreprint jamais de marcher, jusques à ce que le dict duc d'Alve l'eust asseuré que, pourveu qu'il n'entrât aulx estatz de Flandres, il ne s'armeroit aulcunement contre luy, et ne bailleroit au Roy que le secours qu'il ne luy pourroit honnestement reffuzer; et que despuys, quant il a entendu la victoire, que Monsieur, frère du Roy, a gaignée, il luy est eschappé de dire que l'Admyral n'estoit pourtant du tout deffect, et qu'il n'estoit encores besoing qu'il le fût; j'ay beaulcoup suspectes les négociations et pratiques du dict duc d'Alve, qui est homme qui les sçayt projecter de loing.

Tant y a qu'en ce qu'il prétend de mouvoir dans ce royaulme, je le laysse vollontiers passer comme une entreprinse desjà commancée, en laquelle il se déclaire fort qui n'est pour estre bientost achevée, et ne se peult encores juger quel bout elle fera; mesmes je l'advance, sans me rendre suspect, possible, plus que ses propres ministres, espérant 355 que cella pourra revenir au sollaigement des affaires du Roy, avec ce, que je ne voys pas que les choses soient encores si disposées icy pour le dict duc, que ses intelligences ayent à sortir sitost ny si bien à effect comme il le desireroit.

Au regard du mariage de la Royne d'Angleterre je croy qu'on n'y battra que à froid, comme les aultres foys qu'on l'a cy devant entreprins, car luy ayant ung des seigneurs de son conseil naguières remonstré qu'elle estoit pour avoir dorsenavant toutjours troubles et esmotions, quant ses subjectz verront n'y avoir plus espoir de son mariage, ny d'avoir lignée d'elle; et que pourtant elle feroit bien de se résouldre bien tost à quelcun, et convoquer à cest effect son parlement pour en dellibérer; et que, s'il luy playsoit avoir agréable celluy du duc de Norfolc, tout son royaulme en seroit fort contant; elle a respondu que, si ses subjectz l'aymoient et desiroient la veoir vivre ou avoir lignée d'elle, qu'ilz debvoient la laysser en sa liberté de se maryer ou non, et de prendre tel party qu'elle vouldroit, sans luy en proposer ung ou aultre sellon leur affection, qui, possible, ne luy estoit agréable; et, quant à convoquer son parlement, que nul de ses prédecesseurs n'en avoit jamais tenu que trois en sa vie, et elle en avoit desjà tenu quatre, dont, en ce dernier, l'on l'avoit tant tourmentée de ceste matière de mariage, qu'on l'avoit faicte résouldre à deux choses:—l'une, de ne tenir jamais plus parlement, et l'autre, de ne se maryer jamais,—et qu'elle dellibéroit mourir en ceste opinion.

Touchant la Royne d'Escoce, je fays, à la vérité, tout ce que je puys pour interrompre la pratique du duc d'Alve et confirmer ce qui est entre elle et le duc de 356 Norfolc, et en cella, la dicte Dame et le dict duc, encor qu'ilz soyent bien restrainctz et esloignez l'ung de l'aultre, ilz promettent toutesfoys, du lieu où ilz sont, qu'ilz ne s'abandonneront jamais, et respectent si fort leur mutuel bien et advantaige que chacun de son costé monstre mespriser sa propre liberté, et quasi sa vie, pour servir à celle de l'aultre; mais je crains que leur longue prison admène du changement en leurs affaires. Tant y a que j'ay pourveu que le susdict Amilthon, qui part pour aller devers le dict duc d'Alve, ne porte poinct de lettres de créance de la dicte Dame, parce que, ayant, aultres deux foys, esté envoyé devers luy, semble qu'il s'est ung peu trop advancé du mariage de sa Mestresse, et est sa créance limitée pour le secours seulement, si, d'advanture, il passe jusques à luy.

AULTRE MÉMOIRE AU Sr. DE SABRAN.

Chiffre.—[Que le courroux de la Royne d'Angleterre continue encores bien grand contre ceulx qui se sont meslez du mariage du duc de Norfolc et de la Royne d'Escoce, et de tant que les catholiques, lesquelz elle escoutoit assés vollontiers auparavant, ont monstré ne le trouver mauvais, et qu'au contraire toutz les protestans, sinon le comte de Lestre, l'on contradict comme leur estant grandement suspect, elle a du tout esloigné d'elle les catholiques et s'est commise de toutz ses affaires aulx protestans. Lesquelz n'ont pas ozé encores luy mettre en avant tout ce qu'ilz vouldroient contre les seigneurs qui sont en prison ou en arrest, à cause du dict comte de Lestre, qui s'est trouvé meslé en leur affaire, ny contre les catholiques qu'ilz craignent du pays du Nort, ny pareillement contre 357 la Royne d'Escoce, ny aussi contre la paix de France, ny contre celle qu'elle a avec le Roy d'Espaigne, parce qu'ilz ne trouvent que la dicte Dame ayt le cueur disposé pour attempter de si grandes et difficiles entreprinses.

Mais ilz ne layssent de luy donner beaucoup de grandes impressions sur toutes ces choses, et ne se soucient que, soubz ombre de luy faire évitter l'inconveniant des unes, elle aille tumber au dangier des aultres, pourveu qu'ilz la puissent mener là où ilz prétandent.

Et ainsy, pour le regard des choses de France, desquelles nous ferons premièrement mencion, ilz tiennent la dicte Dame en craincte que, au cas que par une généralle victoire le Roy vienne à boult de la guerre de son royaulme, qu'il est sans doubte qu'il la luy viendra incontinent commancer au sien, et que pourtant elle ne doibt rien espargner pour faire qu'elle luy dure longuement, ou au moins pour le contraindre de venir à ung accord, auquel elle ne soit poinct oblyée.

Et ne la pouvant pour cella induyre de mouvoir aulcune chose ouvertement contre le Roy, ilz en mènent d'eulx mesmes d'aultres, soubz main, du costé d'Allemaigne, et d'icy, et pareillement à la Rochelle, qui ne sont moins préjudiciables; et après qu'elles sont descouvertes, ilz les collorent de tant d'apparance de proffict pour ce royaulme, que les plus auctorizez du contraire party sont contrainctz, en plain conseil, d'en laysser passer la plus part, et mesmes, quant il y en a aulcunes ès quelles ne peult eschoir aulcun honneste adveu sellon les trettez, ilz n'ont honte de conseiller la dicte Dame de les désadvouher.

Meintennant ilz sont après à dépescher le Sr. de Quillegrey, 358 avec l'homme du comte Pallatin, en Allemaigne, pour aller mouvoir, par lettres et par promesses, les princes protestans au secours de ceulx de la Rochelle.

Et par le sentyment que j'ay, d'aulcunes sommes qu'on serche secrectement estre fornyes par les merchantz de Londres en Hembourg, il semble qu'il emportera lettre de crédict, pour respondre du payement de celles, que Mr. de Lizy aura desjà promises sur les bagues de la Royne de Navarre, lesquelles il a partie emportées, et partie layssées icy; et que mesmes, avec la contribution que les esglizes protestantes de ce royaulme pourront faire cette année, quelcun m'a dict qu'il pourra estre forny jusques à lx mil livres esterlin, qui est deux centz mil escuz, ce que je métray peine de sçavoir mieulx au vray.

D'ailleurs, ilz sollicitent les particulliers protestans de deçà de donner, chacun pour son regard, ce qu'ilz peuvent d'ayde et d'assistance à ceulx de la Rochelle en faveur de la religion; les ungs, en contribuant à leur secours; les aultres, en menant quelque commerce avec eulx; et aultres, en leur portant des rafreschissemens; et proposent grand scrupulle de conscience à ceste princesse, si elle les vouloit empescher; et puys couvrent leurs pratiques, pour le regard de celles de la Rochelle, de la liberté du traffic qui leur est permise par les trettez en tout le royaulme de France; et celles d'Allemaigne, que ce n'est que pour entretenir l'ancienne intelligence de ceste couronne avec les princes de l'empyre; et que l'argent qui y va n'est que pour payer les debtes de ce royaulme; et font quelques foys que leur Mestresse respond là dessus que, comme le Roy s'ayde des Allemans pour conserver son authorité, en quoy elle ne le veult aulcunement empescher, 359 aussi s'en veult elle ayder pour deffandre sa religion, ce qu'il ne doibt trouver mauvais.

Et n'y a poinct de doubte qu'ilz s'esforceront de faire déclairer ce royaulme ouvertement à la guerre, affin de relever les affaires de leur religion, tant il leur semble que la victoire du troisiesme d'octobre les a esbranlez en la chrestienté, s'ilz n'y trouvoient ceste princesse aulcunement opposante; laquelle, pour ceste occasion, je mène le plus doulcement que je puys, affin qu'elle ne traverse et ne donne de l'empeschement davantaige aulx affaires du Roy; et ne suys encores guières bien asseuré d'elle, parce que souvant elle se rend facille à leurs persuasions, mais je le serois beaulcoup moins si les propres affaires de la dicte Dame ne se trouvoient à ceste heure aulcunement brouillez dans son royaulme.

Quant aulx seigneurs, qui sont icy en prison et en arrest, lesquelz se souloient opposer aulx menées des dictz protestans, et les descouvroient et interrompoient assés souvant, iceulx protestans, qui manyent tout, les entretiennent en espérance que leur détention ne sera longue, et que le plus dangereux est desjà passé, et que, pour mieulx apayser le courroux et mal contantement qu'elle a consceu contre eulx, il leur est besoing d'avoir encores ung peu de pacience; mais en effect ilz tâchent de les faire tremper[21] en prison, et cependant font une extrême dilligence de cercher de toutes partz quelque vériffication contre eulx, mesmement s'ilz ont rien praticqué en France ny aulx Pays Bas.

Et affin que le peuple ne s'esmeuve pour leur détention, 360 et que les aultres de la noblesse, qui sont de leur party, ne soyent par cest exemple espouvantez de venir en court, quant ilz seront mandez, ilz publient que la dellivrance de ceulx cy sera du jour au lendemain; mais, voyantz que cella ne leur sert vers Norfolc et vers le pays du Nort, d'où les gourverneurs mandent qu'ilz ne peuvent contenir le peuple, et qu'au reste les dictz de la noblesse sont advertys de ne se fyer aulx mandemens des dictz protestans, s'ilz ne veulent expérimenter la prison, comme les aultres seigneurs, ilz ont naguières faict dépescher plusieurs lettres vers ces quartiers là, premièrement aulx principaulx de la noblesse, qu'ilz ayent à se représanter en court devant leur Royne dans quinze jours, pour aulcunes occasions concernantz le bien du royaulme; de quoy s'estantz, une et deux foys, excusez, et l'ayant, à la troisiesme foys, du tout reffuzé, ilz les ont envoyé sommer par ung hérault, sur peyne de rébellion et de lèze majesté:

Aultres lettres à ceulx qui ont charge par les dictes provinces, qui sont presque tous protestans, que, entendant la dicte Dame se continuer ung bruict de sublévation vers leurs quartiers, ilz ayent à descouvrir d'où cella procède et qui en sont les autheurs; et si, en nulle part, l'on faict amaz d'armes et de pouldres en plus grande quantité et en aultre manière qu'il n'a esté veu et n'a esté ordonné par les dernières monstres; et que chacun d'eulx ayt à recepvoir nouveau sèrement, de ceulx qui sont en leur jurisdiction et gouvernement, qu'ilz observeront les choses ordonnées au dernier parlement sur le faict de la religion, et qu'en ce, que les décretz du dict parlement ne les auroient assés obligez et qu'aulcuns feroient scrupulle de prester meintennant ce sèrement, s'ilz sont de la noblesse, qu'ilz 361 ayent à prendre obligation d'eulx de deux centz livres esterlin, c'est six cens soixante six escuz, et s'il est de moindre qualité, de deux cens marcz, c'est quatre cens escuz, qu'ilz demeureront fidelles et obéyssantz subjectz à la Royne.

Davantaige ont escript aus dictz officiers que, de la moindre nouvelleté qu'ilz verront advenir, ilz ne faillent d'en donner incontinent adviz à la court, leur ayant cependant envoyé, de main en main, grand nombre d'armes pour les distribuer secrectement aulx plus parcialz protestans; et que des plus principaulx des dictz officiers cinq ou six ayent à s'achemyner vers la dicte Dame, pour luy venir tesmoigner les choses qu'en faisant ceste description ilz auront descouvertes; et s'ilz ne pouvoient, sinon avec leur dangier ou avec le dangier du pays, au cas qu'ilz l'habandonnassent ou qu'ilz s'esloignassent de leurs charges, venir par deçà, qu'ilz escripvent amplement, par quelque homme de bien, seur et secrect, l'entière relation de toutes les dictes choses, signé de leurs mains, qui puisse faire foy contre les coulpables, ce qui s'entend principallement contre ceulx qui sont en arrest.

Et j'entendz qu'on avoit supposé ung homme, comme venant de la part des dictz officiers, sans porter toutesfoys aulcune lettre, par lequel ilz avoient faict tesmoigner à ceste Royne que les choses n'alloient que bien vers leurs quartiers, expéciallement en l'endroict du peuple, lequel demeuroit ferme et constant pour elle; et que, si ceulx de la noblesse vouloient rien entreprendre contre son aucthorité, qu'ilz leur courroient sus, et que mesme la pluspart des dictz de la noblesse, entendans que la prison de ces seigneurs n'estoit que pour leur plus grande justiffication, demeuroient contantz sans rien entreprendre. 362

Mais ilz n'ont peu long temps dissimuler la vérité de ces affaires à la dicte Dame, car, coup sur coup, est venu nouvelles comme le comte de Northomberlant s'estant saisy de la ville de Duran y a relevé le crucifix et faict dire la messe, où six à sept mille personnes ont assisté; et bien tost après les propres lettres du dict comte sont arrivées, par lesquelles il signiffie son intention et la cause de son entreprinse à la dicte Dame avec offre de luy rendre entière obéyssance, après Dieu, auquel il propose, quoy que ce soit, de garder sa conscience pure en la vraye relligion catholique, mais de résister fermement à la violence et indiscrétion d'aulcuns particuliers qui sont auprès de la dicte Dame. Et ainsy, vivans les dictz protestans en grand deffiance des catholiques, tant plus ilz ont cuydé estreindre et presser la matière, tant plus semble qu'elle est preste de leur eschapper des mains.

Au regard de la Royne d'Escoce, les dictz protestans représentent à la Royne d'Angleterre ung très grand dangier de son estat, si elle n'interrompt le mariage d'elle avec le duc de Norfolc, lequel luy est d'ailleurs si odieux, qu'elle y est ayséement persuadée; mais on cognoist bien qu'ilz n'ont si grand soing de son estat, comme ilz craignent que le dict mariage relève la partie des dictz catholiques dans ceste isle; et ayant esté par aulcuns proposé à ceste Royne de renvoyer en quelque bonne et honneste façon la dicte Royne d'Escoce en son royaulme, ce qu'elle n'a rejecté (et m'a dict à moy mesmes en certain propos là dessus, qu'il luy tardoit plus de la sçavoir hors d'Angleterre que à elle mesmes d'en sorty), la dicte dame a trouvé bon de le mettre en avant à l'abbé de Donfermelin quant il s'en est retourné, affin qu'il disposât le comte de Mora de vouloir 363 recepvoir la dicte Royne sa sœur et Mestresse avec honneur et seureté; mais les dictz protestans ont despuys mené une si vifve et dilligente praticque dans ce conseil, qu'ilz ont faict résouldre que, pour plus grande seureté de cest estat, il estoit besoing de la retenir soubz seure garde par deçà, enchargeant de nouveau au comte de Cherosbery d'y avoir plus grand soing que jamais; lequel, à ce que j'entendz, a mandé que toute l'Angleterre ne la sçauroit mettre en liberté, si la Royne, sa Mestresse, ne le commandoit.

Et semble que, pour l'heure présente, la dicte résolution ne sera que salutaire à la dicte Royne d'Escoce, car l'on a opinion qu'elle ne seroit bien asseurée de sa vie ez mains du dict comte de Mora, et je croy que, tant qu'elle sera ez mains de la Royne d'Angleterre, sa personne ne prendra poinct de mal, sellon certains propos que la dicte Dame m'a tenuz, quant elle s'est pleincte à moy de ce que la dicte Royne d'Escoce s'estoit vollue adresser au duc de Norfolc, aulx comtes d'Arondel, de Lestre et de Pembrot, pour la cuyder contraindre de faire quelque chose par force; et que ceulx là n'estoient que ses subjectz advancez par elle, et, comme elle les avoit faictz, elle les pouvoit deffaire; et que desjà ayant miz la main sur le plus grand, elle la mettroit bien sur les moindres, quant elle vouldroit; et que la dicte Royne d'Escoce debvoit avoir considéré qu'ilz ne luy seroient jamais si bons, ny si bien affectionnez comme elle, car, si elle eust vollu croyre leur conseil et mesmes celluy du duc, quelle amytié qu'il y ayt meintennant, elle ne seroit plus au monde, mais qu'elle aymeroit mieulx mourir que de l'avoir consenty ny souffert.

Sur quoy, je miz devant les yeulx à la dicte Dame aulcunes considérations, qui avoient meu la Royne d'Escoce 364 de s'adresser à eulx pour les affaires de sa liberté et restitution, parce qu'elle les leur avoit commiz, et s'en estoit dessaysie au grand regrect de la dicte Dame, laquelle n'avait rien tant desiré que de pouvoir venir en sa présence pour tretter avecques elle seulle, mais ses ennemys avoient toutjour miz peyne de l'empescher; et, quant au mariage du duc, j'entendois que cella n'estoit aulcunement procédé d'elle, ains luy avoit esté proposé par ceulx de son conseil, et qu'elle avoit toutjour respondu qu'elle s'y gouverneroit sellon que la Royne d'Angleterre et ceulx de sa noblesse la conseilleroient; par ainsy se voyoit que son intention n'avoit jamais esté de l'offancer: et semble que, sans les artiffices des protestans, lesquelz sont grandement contraires à la dicte Royne d'Escoce, la dicte Dame seroit assés bien disposée envers elle.

Au surplus, encor que la dicte Royne d'Angleterre et les plus grandz de ses subjectz ayent intention d'entendre à l'accord des différans des Pays Bas, et que iceulx, mesmes protestantz, pour aulcun respect, sçavoir est, du commerce, monstrent d'y concourir avec elle, sans ozer ouvertement le contradire, parce qu'il est grandement desiré du peuple (et l'alliance de Bourgoigne a grand part dans ce royaulme), si travaillent ilz bien fort, d'ailleurs, d'en prolonger tant qu'ilz peuvent la matière, affin que ce suspens leur puisse toutjour servir de couverture pour les pratiques, et transport d'argent et de merchandises, qu'ilz font en Allemaigne, d'où ceulx de la nouvelle religion sont grandement accommodez.

En quoy voyantz que le Roy d'Espaigne ne s'est tant vollu tenir ceste foys sur la réputation, qu'il n'ayt envoyé le premier requérir le dict accord à ceste princesse (chose 365 qu'ilz n'espéroient debvoir jamais advenir, et de laquelle ilz ne mettent en petit compte l'advantaige, qu'ilz se vantent d'avoir faict gaigner en cella à la dicte Dame), ilz luy proposent meintennant que, soubz la facillité d'ung si puissant prince comme est le Roy d'Espaigne, le duc d'Alve va trainant quelque grand malice; et que la lettre, que le duc luy a meintennant envoyée de son Maistre, peult bien estre ung vieux blanc qu'il a remply à sa poste; dont, s'il fault entrer en tretté, estiment que cella doibt estre tant des choses passées et de celles du présent, que pour celles qui peuvent advenir entre eulx, et, si le pouvoir du marquis de Chetona n'est suffizant pour tout cella, qu'elle doibt remettre l'affaire en un aultre temps, s'esforceans par ce moyen de l'interrompre. Mais estimant la dicte Dame que de ceste légation résultera ou la paix ou la guerre, mal vollontiers veult elle rejecter les propos du marquis de Chetona; et néantmoins ne peult trouver mauvais que toutz les différans soyent vuydez à une foys, dont a trouvé bon qu'il se soit desjà faict une assemblée de gens de lettres pour examiner le dict pouvoir, et qu'au cas qu'il ne soit suffizant, qu'on en face venir de plus ample; dont, encor qu'ilz n'ayent interrompu la matière, ilz l'ont au moins prolongée encores pour quelques moys, et pourra estre que le dict marquis s'en retourne sans rien faire.]


366

LXXVe DÉPESCHE

—du dernier jour de novembre 1569.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Nouvelles de la révolte du Nord.—Force des révoltés.—Impuissance de lord Hunsdon et du comte de Sussex pour les réduire.—Crainte d'un soulèvement des catholiques dans le pays de Galles.—Sollicitation du comte de Leicester pour obtenir le commandement en chef de l'expédition contre les rebelles, qui est donné au comte de Warwick, son frère.—Le comte de Leicester, établi lieutenant général, a la conduite de toutes les affaires.—Nombreuses levées de troupes faites dans toutes les parties de l'Angleterre, pour s'opposer à ceux du Nord.—Le comte de Shrewsbery est chargé de conduire Marie Stuart à Coventry, et de la mettre sous la garde du comte de Huntingdon.—Demandes que l'on dit être faites par ceux du Nord dans leurs proclamations.—Les négociations avec l'Espagne sont sur le point d'être rompues.—Soupçons d'Élisabeth que l'Espagne et la France ont excité les troubles du Nord.—Nouvelles d'Allemagne, où le duc Casimir s'apprête à commencer son expédition.—Proclamation de la reine contre ceux du Nord.—Violents reproches adressés aux comtes de Northumberland et de Westmorland.—Ils sont déclarés traîtres.—Proclamation de ceux du Nord.—Ils protestent de leur dévouement à la reine.—Ils demandent le rétablissement de la religion catholique.

Au Roy.

Sire, ceulx qui se sont eslevez au Nort poursuyvent leur entreprinse, lesquelz ayant faict leur première assemblée à Duren d'envyron six mil hommes de pied et quinze centz chevaulx, se sont miz aulx champs, et ont marché en bon ordre jusques bien prez de Yorc, et, en marchant, ilz ont toutjour accreu et renforcé leur troupe, laquelle l'on estime 367 estre à présent de plus de quinze mille hommes. Milor Housdon, qui avoit esté dépesché pour leur aller au devant, ne se sentant assés fort pour les combattre, s'estoit arresté en ung lieu par dellà Yorc, où l'on dict qu'il a esté surprins et qu'il est demeuré prisonnier entre leurs mains; je n'en sçay encores bien la certitude. Le comte de Sussex, présidant et gouverneur du pays, n'a encores de quoy leur faire grand empeschement; aussi dict on qu'il n'a vollonté de guières les empescher. Il avoit envoyé ung sien jeune frère, nommé le sieur d'Aygremont, avec trois cents chevaulx, pour battre l'estrade et recognoistre le chemin qu'ilz prendroient, lequel, à ce que j'entendz, s'est allé joindre à eulx. Au contraire, le sire Georges Bos, qui monstroit estre de la part des eslevez, s'estant jetté dans ung fort au dict pays du North, a déclairé le tenir pour la Royne, sa Mestresse. Le comte de Betfort a esté dépesché en Galles pour aller contenir le pays, duquel l'on ne crainct moins l'eslévation que du North.

Le comte de Lestre a faict, par plusieurs foys, une grande instance, le genou en terre, à la Royne sa Mestresse, de l'envoyer chef et général à ceste entreprinse, mais non seulement elle le luy a reffuzé, ains luy a très expressément commandé de ne bouger, et comme à celluy qui, quasi seul des principaulx de la noblesse, se retrouve maintennant près d'elle capable de conduyre les grandz affaires qui se présentent, elle les luy a commiz et l'a créé comme son lieutenant général et superintendant sur tout le royaulme, estantz presque toutz les aultres du conseil, qui sont présens, ou trop vieulx ou gens de lettres, et le secrétaire Cecille tumbé fort mallade; mais elle a faict général en la campaigne, pour commander sur les armes, le comte de 368 Vuarvic, frère du dict de Lestre, lequel ayant incontinent ordonné aulcuns capitaines, s'en est allé à Vuarvycsther son pays, qui est sur le chemyn que tiennent ceulx du North, affin d'assembler promptement des forces pour leur résister.

L'Admyral d'Angleterre est aussi party pour aller lever gens en son quartier, qu'on appelle Linconsther, et dict on qu'il a commission de passer jusques devers ces seigneurs du North pour sçavoir ce qu'ilz demandent; et semble que le comte [de] Dherby et milord Dacres du Nort s'entremettent aussi de modérer les choses, mais, en effect, l'on estime qu'ilz sont de la part des eslevez. Plusieurs gentishommes et pencionnaires de court ont esté dépeschez pour aller faire chacun une compagnye, mais plusieurs aussi s'en sont partys sans congé, qu'on dict estre allez de l'aultre part. L'on est après à lever quatre mil hommes en ceste ville aulx despens des habitans. Il est arrivé prez de la personne de ceste Royne trois centz harquebouziers, vieulx soldatz, de l'isle d'Ouyc. Toutz les officiers de la maryne ont esté mandez comme pour faire démonstration d'ung grand armement, et a l'on artifficieusement publié qu'on aprestoit douze navyres, affin que les eslevez et pareillement le marquis de Chetona le creussent ainsy; mais en effect, des douze grandz navyres qu'ilz ont toutjour tenu prestz, ilz n'ont mandé meintennant d'en équiper et mettre à la voille que sept, et d'iceulx n'en getter pour encores que trois en mer, sçavoir, l'Ayde, l'Arondelle et le Phœnix, avec cinq cens hommes seulement, bien que l'ordinaire fornyment des trois est de sept centz cinquante hommes, avec commandement de s'aller tenir sur le Pas de Callais pour guetter ce qui entrera et sortyra de ce royaulme.

Et au comte de Cherosbery a esté envoyé une commission 369 de lieutenant de Roy en la contrée où est assize sa principalle mayson, le deschargeant de la garde de la Royne d'Escoce, laquelle, pour ceste occasion, il doibt admener, à ce qu'on dict, du premier jour en la ville de Conventry, là où le comte de Huntingthon la recepvra de rechef en sa charge, pour la conduyre à Quilingourt, maison du comte de Lestre, ou bien à Vuyndesor, d'où l'on dict que la Royne d'Angleterre, pour luy faire place, s'en vient la sepmaine prochaine à Hamptoncourt, et la consigner là en la garde de quelque aultre, lequel je ne sçay encores qui ce sera.

L'on dict que les dicts eslevez demandent cinq choses:

La première, est la réunyon de la religion avec réformation d'icelle, et, quoy que soit, le restablissement de la catholique par tout le royaulme, affin que les estrangiers n'entrepreignent de l'y venir restablir;—la seconde, est le règlement du Conseil d'Angleterre pour y remettre les principaulx et plus anciens de la noblesse qui avoient accoustumé d'en estre, et chasser aulcuns nouveaulx, que mal à propos l'on y a introduict;—la troisiesme, est la délivrance du duc de Norfolc et aultres seigneurs, qui sont en prison ou en arrest;—la quatriesme, est la restitution de la Royne d'Escoce à sa couronne, comme prochaine parante et héritière présomptive de celle de ce royaulme après sa cousine;—et la cinquiesme, est de chasser d'Angleterre toutz les estrangiers, qui y sont fuytifz des aultres pays;—et m'ont aulcuns asseuré d'avoir leu de leurs escriptz qui contiennent tout cella. Tant y a que celluy que j'ay veu ne touche que le poinct de la religion, en la forme que Vostre Majesté verra. Bien pensè je que de leur costé soit venu certain libelle diffamatoire contre l'estat de ce gouvernement et contre ceulx qui le manyent, à cause duquel je croy que la 370 Royne d'Angleterre et son conseil ont ainsy passé oultre à déclairer rebelles les deux comtes et ceulx qui sont avec eulx de ceste entreprinse, comme le porte sa proclamation.

Le marquis de Chetona n'a pour encores grande espérance de pouvoir accorder les différans d'entre ce pays et les Pays Bas, veu certaine responce que la Royne d'Angleterre luy a desjà faicte sur la deffectuosité de son pouvoir; tant y a que, avec assés de regrect d'elle et des siens, vers lesquelz croyt le souspeçon de la demeure du dict marquis par deçà despuys ces troubles, il a vollu attandre encores une responce du duc d'Alve, premier que de prendre congé; et semble que, en toutes sortes, le dict accord est recerché de la part du Roy d'Espaigne, voyre avec désavantaige, dont sera merveille si en fin ceulx cy ne condescendent de l'accepter, voyantz mesmement les choses du dedans de leur royaulme n'aller si bien qu'ilz puissent entendre à celles du dehors. Sur ce, etc.

De Londres ce xxxe de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, ayant comprins, par le retour du dict Sr. de La Croix et par les lettres qu'il m'a apportées, beaulcoup de choses de vostre intention, je mettray peine de les accomplir le plus entièrement qu'il me sera possible, et me semble que la bonne lettre, que le Roy a escripte à monsieur l'ambassadeur d'Angleterre, touchant l'interception de mon pacquet, et touchant le faict de la Royne d'Escoce, a esté bien à propos. L'on dict que la Royne d'Angleterre porte ung merveilleux ennuy dans son cueur de ceste eslévation 371 du North, disant avecques larmes qu'elle n'a rien moins mérité que cella de ses subjectz, et qu'elle ne peult croyre qu'ilz ayent sitost oblyé les bons trettemens qu'ilz ont toutjour receu d'elle, pour s'en monstrer à ceste heure si ingratz; et qu'il fault que cella procède de la menée d'aulcuns estrangiers, dont est entrée en grande souspeçon et deffiance du duc d'Alve et des ministres du Roy d'Espaigne, et se crainct assés de Voz Majestez Très Chrestiennes pour les choses qu'elle sçayt que les siens ont mené avec ceulx de la Rochelle; mesmes qu'il semble,

Chiffre.—[Qu'ung nommé le Sr. Standen, Anglois, lequel, despuys la mort du feu Roy d'Escoce, s'est tenu en France, ayt, entre aultres particullaritez de la bataille et de ce qui a succédé despuys icelle, naguières escript à ung sien frère en ceste ville, qu'il se préparoit quelque entreprinse en France contre ce pays, dont icelluy frère a esté interrogé là dessus, et de certaine prison appellé le Flit où il avoit esté long temps dettenu l'on l'a remué dans la Tour,]—Vostre Majesté advisera s'il sera bon de rasseurer ceste princesse de vostre part, ou la laysser en ce suspens.

Les adviz, qu'on a icy d'Allemaigne, sont que le duc de Cazimir a sa levée de quatre mille chevaulx et quelques gens de pied toute preste, et, qu'aussitost qu'il aura touché certain argent, que je présume estre celluy des bagues de la Royne de Navarre, qu'il marchera. Je ne sçay si Mr. de Lizy aura trouvé les deniers si prestz de dellà, mais le Sr. Grassan, qui est après à cercher icy parmy les merchans cinquante mil {lt} esterlin (c'est cent soixante sept mille escuz) pour frayer à la guerre qui se commance icy, ou pour envoyer en Allemaigne, pensant les pouvoir trouver 372 en quatre heures, n'a, en dix jours, peu assembler qu'envyron cinquante mil escuz; n'ozantz ceulx cy encores distribuer rien de ce qui est provenu d'Espaigne. Néantmoins, sellon aultres adviz qui sont venuz du duc d'Alve, l'on dict qu'il ne s'entend encores pas ung mouvement de guerre en Allemaigne.

Chiffre.—[L'homme merqué de pouldre au visaige]—m'est, despuys dix jours, venu deux foys dire adieu pour s'en retorner, allégant quelques occasions de son retardement, et en fin, m'a dict qu'il avoit fort bien accomply ce qu'il avoit à faire par deçà. Sur ce, etc.

De Londres ce xxxe de novembre 1569.

Proclamation de la Royne d'Angleterre contre ceulx qui se sont eslevez au pays du North.

Par la Royne.

La Majesté de la Royne a esté diversement informée, sur la fin de l'esté, qu'il se faisoit de secrectes menées en aulcuns lieux du pays de Yorc et en l'évesché de Duren, qui monstroient tendre à une prochaine assemblée et esmotion de peuple insolent; de quoy, parce que, du commancement, les informations ne contenoient aulcune évidante preuve, Sa Majesté y a heu moins d'esgart jusques à ce que [à l'occasion] des secrectes assemblées et conventions, que faisoient les comtes de Northomberland et Vuesmerland avec aulcunes personnes suspectes, les susdictz raportz ont esté renouvellez, et que le bruict et le commun parler d'ung chacun est allé, de lieu en lieu, sur eulx, qui les a expressément nothez d'en estre les autheurs.

Sur quoy, le comte de Sussex, présidant pour Sa Majesté en ces parties du North, en a donné advertissement, adjouxtant toutesfoys qu'en sa conscience il n'estimoit que ce fût aultre chose que rumeurs soubdeynement levez et soubdainement finyes; et encores, ayant incontinent mandé les dictz comtes pour conférer avec eulx 373 de ces rumeurs, desquelles ilz ne pouvoient nyer qu'ilz n'en eussent ouy parler, ilz dissimulèrent néantmoins allors bien faulcement, ainsy qu'il apert à ceste heure, et protestèrent qu'ilz estoient ignoscens de ces occasions, offrans de despandre leurs vyes contre ceulx qui romproient la paix; et fut donné par le dict sieur présidant tant de foy à leurs sèremens, que non seulement ilz furent licenciez pour s'en retourner, ains leur fut baillé pouvoir d'examiner les causes des dictz bruictz.

Toutesfoys le feu, qu'ilz couvroient de leurs trahisons, estoit si grand qu'il errompit bientost nouvelles flammes, dont Sa Majesté, estant encores marrye d'entrer en aulcune ouverte mesfiance de ceulx de sa noblesse, et desirant pour ceste occasion voir les dictz comtes nettoyés de cest scandalle et son bon peuple demeurer en paix, lequel vyt en grand peur d'estre pillé, commanda au dict sieur présidant de faire entendre aus dictz deux comtes, au nom de Sa dicte Majesté, qu'ilz eussent à venir devers elle.

Sur quoy, ayant desjà, comme il est vraysemblable, le dict sieur présidant descouvert quelque chose davantaige de leurs mauvaises intentions, leur escripvit seulement de venir devers luy pour conseiller d'aulcuns affaires appartenans au conseil, ce qu'ilz différèrent de faire avec des responces frivolles; et, les en ayant de rechef plus expressément requis, ilz le dényèrent tout ouvertement.

En fin Sa Majesté leur a envoyé ses propres lettres affin de ne faillir de venir devers elle, mais, nonobstant icelles, ilz l'ont entièrement reffuzé, et auparavant la présentation des dictes lettres, ayantz assemblé ce qu'ilz avoient peu de personnes, qui n'estoit toutesfoys grand nombre, parce que les plus honnestes gens leur avoient reffuzé d'y aller, ilz sont entrez en une actuelle et ouverte rebellyon, se sont armez et fortiffiez en toute manière d'hostillité, et ont invadé maysons et esglizes, et ont publié en leurs propres noms des proclamations pour mouvoir les subjectz à prendre leur party, comme ayantz intention de rompre et subvertir de leur propre authorité les loix, et menassant le peuple que, quand ilz ne pourront achever leurs intentions, adonc les estrangiers entreront dans le royaulme pour les mettre à fin; et avec cecy, adjoustent qu'ilz n'entendent faire aulcun préjudice à Sa Majesté, qui est ung prétexte de tout temps prins et usurpé par trahistres; et sont deux hommes, si leurs qualitez sont bien considérées, qui, pour la réformation d'une grande chose, sont aussi mal choysis et ont aussi mauvais crédit que, possible, nulz aultres de ce royaulme. 374

Dont cognoissant Sa Majesté en quelle sorte les dictz comtes, qui sont toutz deux pauvres, n'ayant l'ung, qu'une bien petite portion de ce que ses ancestres souloient tenir, qui l'ont despuys perdu, et l'aultre, ayant presque tout son patrimoyne gasté, vont, à ceste heure, comme gens débauchez, de çà dellà, accompaignez et associez d'ung nombre grand de personnes désespérez comme eulx, pour satisfaire à leur nécessité et ambition, laquelle ilz ne peuvent assouvyr, sinon qu'ilz recourent aulx plus grandes et extrêmes trahysons, de long temps projectées par ceulx qui les provoquent à cella contre la personne de la Majesté de la Royne et contre son royaulme, avec couleur d'aultres prétendues grandes entreprinses,

Elle a trouvé bon de faire promptement entendre à toutz ses bien aymés subjectz que les dictz deux comtes, contre le propre naturel de la noblesse, qui a esté instituée et establye pour deffandre le Prince comme leur chef, et préserver la paix, sont ainsy ouvertement et traystreusement entrez en ceste grande rébellion, et ont rompu la paix publique de ce royaulme, chose qui est contre tout aultre exemple advenu despuys le règne de Sa Majesté, lequel a desjà duré unze ans, et acte bien horrible contre Dieu, seul auctheur d'une si longue paix, et de grande ingratitude contre leur souveraine Dame, à laquelle les dictz deux comtes avoient cy devant faict plusieurs professions de leur foy; et, à ceste heure, sont si desnaturez et pernicieulx, que leur natif pays, par leur seule mallice et ambicion, est pour estre troublé en la paix qu'il a si longtemps jouye, et en sa félicité.

A cause de quoy, Sa Majesté encharge et commande à toutz ses bons subjectz d'employer tout leur pouvoir à la préservation de la paix commune, qui est la bénédiction de Dieu Tout Puyssant, et de apréhender sans délay toutes manières de personnes qui, en aulcune sorte, se monstreront favorables à la rebelle entreprinse des dictz deux comtes ny de leurs associez; lesquelz, ainsy que Sa Majesté par le dict comte de Sussex, son lieutenant général au North, a commandé estre publiez rebelles et traystres à sa couronne et dignité.

Ainsy, pour obvier à tout prétexte d'ignorance, Sa dicte Majesté par ces présentes réytère et torne notiffier à tout son royaulme qu'ilz sont traystres et pour telz ont à estre tenuz, réputez et appellez en toutz propos, espérant que ceste cognoissance et admonition, donnée à toutz ses bons subjectz, suffira pour les faire contenir en leurs debvoirs et se contregarder de toutes les séductions 375 des susdictz rebelles et traystres, et de leurs adhérans et faulteurs, nonobstant quelconque prétexte qui puisse estre prins ou publié par eulx ou par ceulx qui n'ont pas la grâce de Dieu de se déclairer de vivre en paix, mais à mouvoir querelles et exciter volleries sur les biens et substance du bon peuple, vray et propre fruict de toutes rebellions et traysons.

Donné au Chasteau de Vuyndesor, le xxıııȷe jour de novembre 1569, en l'unziesme an du règne de Sa Majesté.

Ce que ceulx du North ont publié de la cause pour laquelle ilz ont prins les armes.

Nous, Thomas comte de Northomberland et Charles comte de Vuesmerland, loyaulx subjectz de la Royne,

Faisons sçavoir à toutz ceulx de l'ancienne religion catholique que Nous, avec plusieurs bien disposez personnaiges de la noblesse, et aultres, avons promiz nostre foy en l'avencement de ceste bonne intention, et que, pour aultant que diverses personnes désordonnées et mal disposées, d'alentour de la Majesté de la Royne, par leurs malicieuses et subtilles praticques, et affin de s'avancer eulx mesmes, ont ruyné et abattu en ce royaulme la vraye religion catholique, et abusans par ce moyen la Royne, et mettans en mauvais ordre le royaulme, cherchent et procurent de ruyner la noblesse;

Nous nous sommes assemblez pour leur résister par la force, et pour, avec l'ayde de Dieu et de Vous, ô bon Peuple, restaurer toutes les anciennes libertez de l'esglize de Dieu et de ce noble royaulme, parce que, si nous mesmes ne le faisons, nous serons réformez par les estrangiers, au grand dangier de l'estat de ce pays, où nous sommes.

Dieu saulve la Royne.

Soubzigné le comte de Northomberland, le comte de Vuesmerland et neuf aultres.


376

LXXVIe DÉPESCHE

—du Ve jour de décembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)

Retard apporté dans les communications de l'ambassadeur avec la France.—Nouvelles du Nord.—Lord Hunsdon, sir Raf Sadler et le comte de Sussex chargés d'étouffer la révolte.—Bonnes nouvelles qu'ils transmettent à la reine.—La tentative des révoltés sur Tutbury pour s'emparer de Marie Stuart n'a pas eu de succès.—Confiance que semble prendre Élisabeth dans les nouvelles qui lui sont données.—Mise en liberté du comte d'Arundel.—Commandement important confié au comte de Pembroke.—Mission du comte de Bedford dans le comté de Sussex.—Soupçon d'Élisabeth contre le vicomte de Montagu et le comte de Sussex lui-même.—Dégradation des armoiries du comte de Northumberland comme chevalier de l'ordre.—Les négociations avec l'Espagne restent en suspens.—Meilleur accueil est fait au Sr. Ciapino Vitelli, qui paraît être parvenu à détruire les soupçons que l'on avait contre lui.—Serment fait par Élisabeth sur les livres saints, qu'elle n'a point commandé l'enlèvement de la dépêche de l'ambassadeur.—Restitution de cette dépêche faite par un inconnu.—Espoir d'un meilleur traitement pour la reine d'Écosse.—Audience est accordée à l'évêque de Ross, qu'Élisabeth avait d'abord voulu faire arrêter.—Depuis la révolte du Nord, la reine d'Angleterre se montre plus favorable envers la France et plus irritée contre l'Espagne.—Nouvelle que le comte de Southampton et le vicomte de Montagu sont passés dans les Pays-Bas pour traiter avec le duc d'Albe.—Note mise sur l'enveloppe du paquet rendu.

Au Roy.

Sire, j'ay esté assés prompt et dilligent de vous escripre les mouvemens de ce royaulme, mais, de tant que la Royne d'Angleterre a heu souspeçon qu'il y pourroit avoir meslé quelque intelligence de dellà la mer, et qu'à ceste occasion 377 elle a commandé de tenir les passaiges estroictement serrez, encor que despuys elle m'ayt assez libérallement faict expédier ung passeport, signé de son garde des sceaulx et des principaulx de son conseil, pour vous envoyer le Sr. de Sabran, le gardien néantmoins de ses portz n'a vollu permettre que luy ny aultre ayent passé, sans avoir exprès passeport signé de la propre main de la dicte Dame, et par ceste difficulté le dict Sr. de Sabran, qui s'en est retorné de Douvres jusques icy, a esté retardé plus de huict jours entiers; par lequel j'espère qu'aulmoins à présent, Sire, et par mes lettres du xxve du passé, qu'il vous a aportées, et par aultres que, du dernier d'icelluy, je vous ay despuys escriptes, Vostre Majesté aura amplement entendu ce qui, jusques à la datte d'icelles, est advenu par deçà.

Et meintennant j'ay à vous dire, Sire, que ayant millord Housdon failly de tumber ez mains de ceulx du North, il s'est saulvé dedans Yorc, où ceste Royne l'a ordonné, luy et ser Raf Sadeler, adjoinctz au comte de Sussex, pour conduyre les affaires du North, sans que le dict comte ayt faict semblant de le trouver mauvais; et les trois ensemble, à ce que j'entendz, ont conjoinctement mandé à la dicte Dame qu'ilz n'ont esté d'adviz de combattre encores les eslevez jusques à ce que les forces, qu'elle a promiz leur envoyer davantaige, soyent arrivées, affin de ne rien hazarder; et que cependant, avec celles qu'ilz ont, ilz mettent peyne de confirmer le pays, et que ceulx du North, ayantz marché pardeçà le chasteau du Pont Freit, avoient faict advancer huict cens chevaulx comme pour aller surprendre le chasteau de Tutbery, affin de mettre la royne d'Escoce en liberté; de quoy adverty, le comte de Cherosbery avoit incontinent conduict la dicte Dame à Conventry, 378 dont les aultres voyantz leur entreprinse faillye s'en estoient retournez par dellà le dict Pont Freit, et avoient recullé lx milles; et que, sellon qu'ilz avoient entendu de leurs affaires, le comte de Northomberland délibéroit de poursuyvre opinyastrément son entreprinse; mais que le comte de Vuesmerlan commançoit desjà de branler, et qu'il n'y avoit guières à faire à le regaigner, et luy faire accepter ung pardon de la dicte Dame, s'en estant deux mille des siens desjà retornez; et que leur troupe commançoyt de se deffaire; que eulx trois avoient miz ordre aulx portz et forteresses de Neufcasthel, de Norpont, de Escalebourg et de Eychester, pour garder que les dicts comtes ne se peussent aulcunement prévaloir de la mer, ny vers France, ny vers Flandres, ny vers Yrlande; et par ainsy que, allans leurs affaires mal, comme il y avoit grande aparance qu'ilz feroient leur retrette, [ce] ne pourroit estre que ez frontières d'entre l'Angleterre et l'Escoce, et n'estoient d'adviz, puysqu'ilz avoient recullé, que la dicte Dame mît encores si grandes troupes aulx champs soubz le comte de Vuarvyc, comme elle avoit proposé de le faire, affin de ne travailler son peuple, lequel commançoyt estre aulcunement mutiné contre les aultres parce qu'ilz ne s'estoient peu tenir de piller; et qu'il suffira, à ceste heure, de bien petites forces pour rompre celles des dictz eslevez.

Tant y a que ceulx qui entendent les choses ne jugent qu'elles soyent ny aysées ny facilles; néantmoins ceste Royne, encores qu'elle les estime bien urgentes, semble que, à cause de ces bonnes nouvelles et par l'opinion de quelques ungs des siens, elle ayt diminué de moictié l'ordonnance de ces apareils, et que, de vingt quatre mil hommes qu'elle avoit mandé lever, elle n'en fera mettre 379 que douze mil aux champs; de quoy aulcuns jugent que trop légièrement elle se repose en la foy et parolle de ceulx qui luy représantent ce dangier estre petit; mais pour la seurté de sa personne et de sa court, elle a ordonné huict cens harquebouziers et six centz chevaulx à sa suytte, oultre ses gardes, et oultre les ordinaires de sa mayson.

Le comte d'Arondel a esté relasché, avec permission de s'en aller en sa mayson, soubz une solemnelle promesse qu'il a faicte d'estre bon et loyal à la Royne, sa Mestresse, laquelle toutesfoys il n'a veue.

Le comte de Pembrot a envoyé remercyer ceulx du conseil de la charge qu'ilz luy ont donnée sur deux provinces, qui sont prez de sa mayson, et qu'il mettra peyne d'en rendre bon compte à sa Mestresse.

Au retour du comte de Betford du pays de Galles, l'on l'a envoyé adjoinct au viscomte de Montegu en Sussex, pour quelque souspeçon qu'on a du dict vyscomte, et ne se peult l'on encores bien asseurer du mesmes comte de Sussex.

Les armoyries du comte de Northomberland ont esté dégradées et ostées publiquement par le Hérauld Jarretière du reng des aultres qui estoient à Vuyndezor, et mises bas avec ignominie, follées aulx piedz et puys jectées aulx fossez, après ung sermon qui a esté faict exprès pour cella.

Le marquis de Chetona ne donne encores grand advancement à ses affaires; néantmoins il est toutjour près de Vuyndezor, attandant d'un costé certaine responce du duc d'Alve, et de l'autre l'oportunité de pouvoir trouver ceste Royne et les siens en quelque bonne disposition, pour leur faire mieulx gouster ses honnestes offres et raysons qu'ilz n'ont encores faict; et leur a le dict marquis uzé de si gracieuses et humbles parolles et démonstrations pour son regard, et 380 pour ceulx qui sont avecques luy, que l'on n'a plus tant de souspeçon d'eulx comme l'on avoit, et a esté commandé fort expressément de ne leur faire aulcun desplaysir, ainsy que l'on commançoyt de les arceller et quereller à tout propos et leur faire beaulcoup d'indignitez. Sur ce, etc.

De Londres ce ve de décembre 1569.

A la Royne.

Madame, ne sachant qu'il soit advenu aultre chose, despuys ma précédante dépesche, laquelle est du dernier du passé, ez entreprinses de ceulx du North, ny aulx aprestz qu'on faict icy contre eulx, que ce que j'en escriptz présentement en la lettre du Roy, je ne vous en manderay rien davantaige en ceste cy; mais je vous diray au surplus, Madame, que de la bonne lettre que Voz Majestez escripvirent, le ııȷe de novembre, à l'ambassadeur d'Angleterre, sur la vollerie de mon pacquet et sur les affaires de la Royne d'Escoce, joinct l'instance que j'en ay faicte icy sur le lieu, sont advenues deux choses, oultre mon expectation:

L'une, que, ayant la Royne d'Angleterre juré sur ung livre de ses oraysons qu'elle estoit ignorante du faict de mon pacquet, et qu'elle mettroit peyne de m'en faire justice, ung homme incogneu vint, devant hyer, sur les huict heures du soir, estant la porte de mon logis desjà fermée, jetter par dessus icelle, dedans ma court, le dict pacquet avec une envelope où y avoit bien peu de motz escriptz en anglois, desquelz je vous envoye la traduction, qui protestent que le dict pacquet n'a poinct esté ouvert, ce que je croy estre vray, lequel je vous envoye tout tel, parce que 381 les lettres que la Royne d'Escoce vous escripvoit sont dedans.

L'aultre est qu'ayant la dicte Dame trois et quatre foys reffuzé de donner audience sur les affaires de la Royne d'Escoce à monsieur l'évesque de Roz, et mesmes ayant dellibéré de faire mettre le dict évesque en arrest, pour le souspeçon qu'elle a heu de luy, elle néantmoins luy a faict escripre par le secrétaire Cecille bien fort gracieusement, qu'elle sera preste de l'ouyr, quant il luy plairra d'y aller, lequel s'y est tout aussi tost acheminé; dont peult estre que la dicte Dame se soit résolue de prendre quelque bon expédiant sur la liberté et restitution de la dicte Dame, sa cousine, ce que nous ne lairrons réfroydir s'il s'y voyt tant soit peu de disposition. Bien pensé je que, parmy le marché, l'on vouldra principallement rompre le mariage d'elle et du duc de Norfolc.

Je croy que ces tumultes du North pourront randre la dicte Royne d'Angleterre plus trettable envers Voz Majestez Très Chrestiennes qu'elle n'a esté jusques icy, ez choses raysonnables qui luy seront requises en vostre nom; et qu'aussi y servira beaulcoup le bon rapport que toute la flotte des siens, qui est allée ceste année pour le vin à Bourdeaulx, a faict du bon trettement qu'elle y a receu, et de la grande faveur que voz gallères luy ont faicte; de quoy la dicte Dame demeure fort contante. Et semble aussi que, pour la difficulté de ne pouvoir ou ne vouloir tretter avec le duc d'Alve des différans qu'elle a avecques luy, elle cerche de se porter plus doulcement et respectueusement envers Voz Majestez, et certes je n'ay jamais guières cogneu de mauvaise intention en ce qui procédoit d'elle, mais je ne dy le semblable de ce qui procédoit de 382 son conseil. Sur ce, je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté, etc.

De Londres ce ve de décembre 1569.

Chiffre.—[J'entendz que le comte de Surampton et le viscomte de Montegu sont passez devers le duc d'Alve.]—Je vous suplie très humblement commander qu'il soit faict part de toute ceste despesche à Monseigneur vostre filz.

Copie de ce qui estoit escript à l'envelope du pacquet rendu.

Monsieur l'ambassadeur, je vous laysse ces lettres, lesquelles ne me peuvent de rien servir, et vous asseure, sur ma foy, qu'elles n'ont jamais esté ouvertes, et le milord Coban menaçoit chacun que s'il pouvoit trouver celluy qui avoit pris les dictes lettres, qu'il le pendroit; dont, pour craincte de cella, je les ay aportées à Londres, et je n'ozerois estre cogneu de mon nom, ny ne le vouldrois estre, ains plus tost avoir perdu beaulcoup d'escuz.


383

LXXVIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de décembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Valet.)

Nouvelles du Nord.—Les révoltés sont entièrement maîtres du pays, où ils rétablissent partout le culte de la religion catholique.—Le comte de Sussex, lord Hunsdon et sir Raf Sadler renfermés dans York.—Force des insurgés.—Parfaite union qui existe entre les deux comtes.—Activité d'Élisabeth, dans ses préparatifs d'attaque et de défense.—Son armée se rassemble à Leicester.—Elle a su gagner à son parti les comtes de Dherby, de Sussex et de Cumberland, le comte de Southampton et le vicomte de Montagu, le lord Dacres, principal catholique du Nord, et jusqu'aux comtes d'Arundel et de Pembroke.—Elle s'est assurée du secours des princes d'Allemagne, dans le cas où il lui seroit nécessaire.—Motifs auxquels on peut rapporter la révolte du Nord.—Crainte qu'Élisabeth ne fournisse des secours à la Rochelle, si la paix n'est pas conclue promptement.—Avis donné d'Allemagne, où le duc Casimir ne semble pas encore prêt pour tenter son expédition.—Préparatifs du sieur Dolovyn et du bâtard de Briderode pour se rendre avec une flotte nombreuse à la Rochelle.—Armements maritimes du duc d'Albe.—Crainte qu'ils inspirent à Élisabeth.—Le Sr. Ciapino Vitelli retarde son départ sous divers prétextes.—Détails sur le projet formé par Élisabeth de livrer la reine d'Écosse au comte de Murray.—Sollicitations de Marie Stuart pour que la France s'y oppose.—Arrivée en Angleterre d'un député de la reine de Navarre.

Au Roy.

Sire, ayant ceulx du Nord failly à leur entreprinse de surprendre Tutbery et de mettre la Royne d'Escoce en liberté, comme par mes précédantes, du ve du présent, je le vous ay mandé, ilz s'en sont retournez par dellà Pont Freit et ont couru le pays, restablissant partout la religion 384 catholique et la messe; puys se sont arrestez ez envyrons de Yorc, qui est une grande ville en laquelle le comte de Sussex, millord de Housdon et ser Raf Sadeller ont assemblé cinq mille hommes de guerre pour leur résister, mais ne les ozent encores aller rencontrer en la campaigne, et mesmes les layssent ordinairement courir jusques à leurs portes; ce qui donne espérance aulx aultres de les pouvoir mettre en quelque nécessité de vivres.

Et estantz advertys qu'ung seigneur protestant du North, nommé millord Tempost, venoit avec trois cens chevaulx pour se jecter dedans la dicte ville, ilz l'ont surprins et dévalizé, luy et toutz ses gens, et remonté aultant de ceulx de leur trouppe, et au millord Lathemor, très riche seigneur de ce quartier là, lequel n'a que deux filles, l'une maryée au sire Henry Percy, frère du comte de Northomberland, et l'aultre au filz aysné du secrétaire Cecille, toutz trois protestans, parce que, quant ilz l'ont mandé venir devers eulx, il a reffuzé de le faire, ilz ont envoyé saysir sa mayson, où ilz ont trouvé grand quantité de vaysselle d'argent et beaulcoup de deniers contantz, et, oultre ce, luy ont faict enlever de ses escuyeries et de ses parcz unze ou douze vingtz pièces de chevaulx; par lequel et aultres semblables exploictz, ilz se vont remontant et se pourvoyent pour continuer la guerre tant qu'ilz pourront. Ilz sont quinze mille hommes ensemble, et seroient davantaige s'ilz vouloient, mais ne permettent sinon à gens d'effect de se joindre à leur trouppe. Et voicy ce qu'on dict d'eulx, qu'ilz ont quatre mil hommes de cheval, aussi bien montez et armez et en [aussi] bon équipage qu'il s'en puisse trouver en Angleterre, et que les deux comtes procèdent toutjour d'ung bon accord avec résolution de poursuyvre conjoinctement 385 leur entreprinse jusques à la mort; et que, pour encores, ils n'ont faulte de rien.

De l'autre part, la Royne d'Angleterre faict de grandz aprestz pour les deffaire, ayant mandé aulx principaulx de la noblesse et aulx villes et provinces de son royaulme de luy envoyer en toute dilligence le secours, qu'en tel cas ung chacun pour son regard est tenu de luy bailler, qui monte à ung grand nombre tant de gens de cheval que de gens de pied; et que, de la levée qui se faisoit à ses despens, laquelle debvoit estre de xxıııȷ mil hommes, les douze mil ayent à s'acheminer incontinent devers le comte de Vuarvic, lequel dresse l'armée à Lechester, où la dicte Dame luy a envoyé grand quantité d'armes, de pouldres, d'artillerye et aultres monitions de guerre. Davantaige elle a mandé que les douze grandz navyres, dont en mes précédantes j'ay faict mencion, ayent à estre tenuz en ung apareil tout prest à la voille, et d'en faire sortir présentement trois pour la garde du Pas de Callais, et presse bien fort en ceste ville ung emprunct de cinquante mille {lt} esterlin, c'est cent lxvii mil escuz, lesquelz, pour la plus part, sont desjà miz ez mains de Me. Grassan; et par mesme dilligence, elle pourvoit à la garde et seureté de ses places et de ses portz, et va confirmant la vollonté de ses villes, et de toutz ceulx qu'elle estime tenir son party, et rasseurant les aultres, de qui elle a quelque doubte, par les meilleurs moyens qu'elle peult; dont semble que les comtes [de] Dherby, de Sussex et de Commerlan se soyent déclairés pour elle, et que le comte de Surampton et le viscomte de Montegu, lesquelz on disoit s'estre acheminez en Flandres, pour aulcune grande difficulté que, possible, ilz ont senty de ne pouvoir passer, affin de ne se randre davantaige suspectz, 386 ayent prins pour expédiant de retourner vers elle, laquelle leur a baillé incontinent des charges honnorables; que le millord Dacres du North, principal catholique du pays, parce qu'elle luy a permiz de se saysir d'une opulante succession d'ung sien nepveu, laquelle se querelle entre luy et le duc de Norfolc, il soit demeuré ferme pour la dicte Dame; et que, avec la prison, et aultres moyens qu'elle a uzé envers le dict duc et envers les comtes d'Arondel et de Pembrot, elle leur ayt si bien amorty le cueur, que, pour ce commancement, elle pense avoyr desjà randu les eslevez fort dénuez de leurs meilleures espérances; et tient le partement de Quillegrey, lequel pour aultres occasions estoit desjà tout dépesché pour Allemaigne, en suspens, affin que, si l'affaire se monstroit plus difficille ou dangereux qu'elle ne pance, elle puysse par luy mesmes en donner adviz aulx princes de dellà, desquelz elle se tient trop plus que bien asseurée qu'ilz s'esmouveront pour sa cause, et luy presteront tout le secours qu'elle leur vouldra demander; et cependant faict retirer soubz sa main les armes, artillerye et pouldres de ce royaulme, qui ne sont employées pour elle, et faict visiter les flottes et vaysseaulx, qui retournent de voyage, pour leur enlever les restes de leurs monitions, affin que les dictz eslevez ne s'en puissent prévaloir.

Et en effect, Sire, ceste esmotion n'est petite, de laquelle on faict acroyre à ceste Royne que l'occasion procède principallement de trois endroictz: sçavoir, de la Royne d'Escoce, de ceste grande victoire qu'il a pleu à Dieu vous donner, et des praticques du duc d'Alve; mais ne luy font mencion de la forme de sèrement, auquel despuys six sepmaines elle a vollu contraindre les catholiques contre 387 leur conscience; ce que je croy leur avoir, plus que tout le reste, faict ainsy soubdeynement prendre les armes. Tant y a, quant au premier poinct, de la Royne d'Escoce, parce que la dicte Dame a la personne d'elle entre ses mains, elle estime y pouvoir bien remédier; mais des aultres deux elle se prandroit sans doubte trop plus volontiers au duc d'Alve que à Vostre Majesté, si ce n'estoit, qu'ayant le dict duc miz l'estat de Flandres en paix, elle ne voyt bien le moyen comme luy pouvoir sussiter une guerre, et a opinion que, pour le présent, une bonne partie de son faict deppend de veoyr ou les affaires de ceulx de la Rochelle relevez, ou ung accord en vostre royaulme; et ne fault doubter qu'elle ne s'employe, sans rien espargner, en celle de ces deux choses qu'elle cognoistra y avoir plus d'aparance de pouvoir bien effectuer. Celluy comte de Mensfelt, qui a succédé au lieu du feu duc de Deux Pontz, luy a naguières escript qu'il se tenoit pour jamais son bon serviteur, et obligé soldat, et qu'il avoit adjouxté à ses armes la roze rouge et le phœnix, pour merque qu'il veult combattre toute sa vie soubz l'enseigne et faveur de la dicte Dame.

Au surplus, Sire, ce que j'ay d'adviz d'Allemaigne est en deux sortes, l'une venant du duc d'Alve, qui se publie icy, n'y avoir aulcun mouvement de guerre ny aprest en tout le dict pays; l'aultre est par une lettre de Mr. de Chantonné, du huictiesme du passé, laquelle je sçay que monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, résidant par deçà, a receue despuys deux jours en langaige espaignol, lequel traduict en francès est en ces termes qui s'ensuyvent:

«Certes, il conviendroit que en France se donnassent presse de pousser en avant la victoire qu'ilz ont sur les rebelles, 388 s'ilz ne veulent perdre le tout avecques le temps; car, despuys la nouvelle de la routte de l'Admyral, s'entend que Cazimir faict dilligence de mettre en ordre cinq mil chevaulx, bien que, jusques à ceste heure, ne se parle de nulz gens de pied, sans lesquelz ne semble qu'il soit pour entreprendre d'entrer en France, n'en ayant le dict Admyral à ceste heure pour luy en pouvoir envoyer au devant; et se dict communément qu'il estoit à regarder ce qui se passoit, quant ilz furent deffectz le jour de la bataille, et qu'il s'en soucya moins pour le beaulcoup d'argent qu'il leur debvoit; de quoy les Allemans monstroient ung grand sentyment et d'en estre bien mal contantz.»—C'est le contenu de la dicte lettre.

Je suys aussi adverty, Sire, que le Sr. Doulovyn et le bastard de Briderode ayantz, de leurs butins et pilleryes qu'ilz ont faictes sur mer, dressé ung armement de trente bons navyres de guerre, avec deux mille harquebouziers et quelque nombre de corseletz, et grandement pourveu leurs vaysseaulx d'artillerye, de pouldres et de toutes aultres monitions, sentans que le duc d'Alve faict quelque apareil en Olande et Zélande, lequel ilz craignent estre pour les aller combattre, dellibèrent de s'en aller à la Rochelle et y conduyre tout ce qu'ilz pourront de vivres, d'armes, de monitions, et encores, comme l'on pense, bonne somme de deniers; dont estant ces deux, et le capitaine Sores, qui s'intitulle à présent visadmyral de France, joinctz avec les aultres pirates de ceste mer estroicte, ilz pourront faire toutz ensemble une armée d'envyron quarante cinq ou cinquante vaysseaulx; à quoy Vostre Majesté, s'il luy playt, fera prendre garde tout le long de la coste de dellà. 389

Et j'entendz que ceste Royne est en quelque souspeçon de l'armement qu'on dict du duc d'Alve, bien qu'on luy veult persuader que c'est pour la conduicte de la flotte qui doibt bientost partir pour les Indes; et luy tarde infinyement que le marquis de Chetona soit hors de ce royaulme, lequel va néantmoins prolongeant toutjour son partement soubz colleur qu'il dict attandre une responce du duc d'Alve, laquelle ne vient poinct, et ne donne cependant que petit ou nul advancement à l'accord des différans des Pays Bas. Sur ce, etc.

De Londres ce xe de décembre 1569.

A la Royne.

Madame, encor que la lettre que j'escriptz présentement au Roy soit bien ample, j'ay néantmoins à vous dire de restes par ceste cy, que la praticque de mettre la Royne d'Escoce ez mains du comte de Mora avoit esté menée si secrectement que, quant six sepmaines a, j'en heuz quelque sentyment, comme incontinent je l'escripviz à Vostre Majesté, la Royne d'Escoce, à laquelle semblablement je le fiz entendre, et monsieur l'évesque de Roz n'en pouvans avoir pour lors aulcune certaine notice, estimèrent qu'il n'en estoit rien, mais à présent elle et luy et moy sommes très certainement informez que Me. Chary, filz aysné de millord Housdon, fut, en septembre dernier, dépesché par poste en Escoce pour l'aller proposer au comte de Mora, et despuys, en octobre ensuyvant, le propos en a esté continué à l'abbé de Domfermelin, quant il est venu par deçà; c'est de consigner la dicte Dame à icelluy de 390 Mora, pourveu qu'il la viègne prendre au port de Houl, pour la conduyre par mer en Escoce, affin de ne la passer par le North; et que, pour l'acquit de l'honneur de la Royne d'Angleterre, il face venir deux comtes et deux lordz, et les filz aysnez d'aultres deux comtes et d'aultres deux lordz, huict personnes en tout, hostaiges en Angleterre, pour la seureté de la personne et de la vie de la dicte Dame; dont, ayant le dict de Mora desjà communiqué l'affaire aulx comtes de Morthon et de Mar, et à millord Lendzey, icelluy de Mar a offert son filz aysné, et le dict Lendzey s'est offert soy mesmes, d'estre deux des dictz ostaiges. Chose que la dicte Royne d'Escoce crainct sur toutes aultres, et pour l'empescher elle supplie très humblement Voz Majestez, avecques larmes, d'envoyer mille harquebuziers, a tout le moins cinq centz, à Dombertran, affin de donner tant de cueur à ceulx de son party qu'ilz puissent empescher ses adversaires de se prévaloir si ayséement contre elle et contre son estat, comme ilz en font leur compte.

Et encor que je vous aye naguières mandé qu'on m'avoit donné adviz que, au conseil d'Angleterre, cella avoit esté interrompu par le menée des protestans, qui avoient faict résouldre la détention de la Royne d'Escoce par deçà estre très nécessaire, et n'y avoir aultre moyen que celluy là pour se pouvoir bien asseurer d'elle; néantmoins, parce qu'il y pourroit avoir de l'incertitude ez advertissemens qu'on me donne, qui comme sçavez, Madame, ne me peuvent venir que par meins tierces, et qu'il survient assés souvant du changement aulx dellibérations de ceulx cy, je suplie très humblement Vostre Majesté de vouloir pourvoir au pitoyable et très urgent besoing de ceste pouvre 391 princesse, vostre belle fille et principalle allyée de vostre couronne, par les meilleurs moyens qu'avec vostre commodité vous le pourrez faire, et me mander par le premier ce que, pour sa consolation, je luy auray à faire entendre là dessus, estant cependant ma dellibération de m'oposer fermement, au nom de Voz Majestez, à ce que cella ne s'exécute, ainsy que le dict évesque de Roz verra que à propos je le debvray faire; qui mettrons peyne, toutz deux, de sçavoir au vray en quoy en demeurent les choses.

Au surplus, Madame, j'entendz qu'aujourdhuy est arrivé en ceste court ung gentilhomme venant de la Rochelle, natif de Flandres d'auprès d'Esguerdes, lequel la Royne de Navarre envoye devers la Royne d'Angleterre; mais ne sçay encores à quelles fins, si n'est qu'on m'a dict que c'est pour tretter d'avoir quelque secours, et pour avoir, pour elle et madame Catherine sa fille, et pour madame la princesse de Condé et ses petitz enfans, asseurance d'estre, avecques toute seurté, receuz en ce royaulme au cas que la nécessité les contreigne d'y avoir leur reffuge. Je mettray peyne d'entendre mieulx ce qui en est, et Vostre Majesté me commandera ce que j'y auray à faire; et n'estant la présente que pour vous parler de ces princesses et de leur misérable estat, je ne la vous feray plus longue, remectant à mon retour de Vuyndesor, où je m'en vays demain, sur l'occasion de la dépesche que le Sr. de Vassal m'a aportée, de vous escripre plus amplement toutes aultres choses; et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xe de décembre 1569.


392

LXXVIIIe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de décembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Callais par Pierre Chassac.)

Nouvelles de la guerre de France.—Retraite de l'amiral de Coligni sur Montauban.—Réduction de plusieurs places fortes de Guyenne sous l'obéissance du roi.—Siège de Saint-Jean-d'Angely.—Capitulation proposée aux habitants.—Entrevue de l'ambassadeur et de la reine d'Angleterre.—Déclaration de l'ambassadeur, que tout secours donné par les Anglais aux protestants de la Rochelle sera pris pour un acte de guerre.—Protestation d'Élisabeth qu'elle veut maintenir la paix, qu'elle interdira à ses sujets de fournir aucun secours à ceux de la Rochelle, et qu'elle est fermement résolue à ne prendre les armes que pour la défense de sa religion, si elle était attaquée.—Sollicitations qui sont faites auprès d'elle par les princes protestants d'Allemagne, pour l'engager à entreprendre une guerre générale.—Déclaration de l'ambassadeur, que le roi ne serait pas éloigné d'accepter la médiation d'Élisabeth, et qu'il est toujours prêt à recevoir en grâce ses sujets révoltés.—Conversation entre la reine et l'ambassadeur sur les troubles du Nord.—Offre faite par l'ambassadeur des bons offices du roi.—Ses instances pour que l'Angleterre consente à la réunion des deux églises.—Assurance donnée par la reine que la révolte du Nord lui cause peu d'inquiétude, et qu'elle ne se refuse pas à négocier pour la réunion des églises.—Promesse qu'elle fait de bien traiter Marie Stuart et d'assurer une bonne issue à ses affaires.—Efforts des Espagnols pour renouer les négociations au sujet des Pays-Bas.—Nouvelles du Nord.—Un grand nombre des révoltés sont rentrés dans leurs foyers.—Le reste a mis le siége devant Castelbar.—Ils se sont rendus maîtres de Hartlepool.—Lord Heries, sorti de prison, a pris les armes avec le projet de se joindre à ceux du Nord.—Mouvements en Écosse contre le comte de Murray.—Pardon offert par Élisabeth aux révoltés.—Réunion des troupes de la reine.—Une bataille générale devient imminente.—Apprêts de guerre faits par le duc d'Albe dans les Pays-Bas.—Craintes qu'ils inspirent à la reine d'Angleterre.—Mesures qui sont prises par Élisabeth pour arrêter les entreprises des Espagnols.—Armements de plusieurs vaisseaux de guerre dans la Tamise.—Plainte des Anglais au sujet de quelques uns de leurs navires qui ont été arrêtés en Bretagne.—Vives instances pour que la restitution des prises soit faite au jour marqué.

393

Au Roy.

Sire, parce que vostre dépesche du xxe du passé, laquelle le Sr. de Vassal m'a apportée, n'a guières miz à venir après celle, que peu auparavant j'avoys receue par le Sr. de La Croix, je n'ay faict pour les deux qu'ung seul voyage devers la Royne d'Angleterre, affin de tant moins l'ennuyer sur le commancement de ces troubles, et ayant esté bien receu d'elle ainsy que toutjour, je luy ay faict ung sommaire récit de la retrette de monsieur l'Admyral vers Montauban assés en effroy, avec ce qui luy restoit de cavallerye; et comme les communes, en passant, s'estoient eslevées contre luy, et avoient assailly et deffaict aulcuns des siens aulx passaiges des rivières; néantmoins qu'il avoit passé oultre jusques à la Garonne pour se joindre aulx Viscomtes, qui estoient de dellà, ou leur donner moyen à eulx de passer devers luy, ce qui n'importoit guières que l'ung ou l'aultre advînt, car les deux forces ensemble n'estoient pour faire grand effect; et que cependant vous estiez après à recouvrer les places qu'il avoit occupées en Guyenne, dont la plus part s'estoient desjà réduictes, ès quelles vous aviez faict uzer d'une si grande clémence qu'il n'avoit esté touché ny à la vye ny à la personne d'ung seul des habitans; et [que] meintennant vous estiez devant St. Jehan d'Angely, là où ceulx de dedans avoient expérimenté la mesmes clémence de Vostre Majesté par une capitulation la plus gracieuse qui se pourroit ottroyer de nul prince à ses subjectz, laquelle néantmoins ilz avoient contre leur 394 foy et promesse, reffuzé despuys d'accomplir; priant la dicte Dame vouloir prendre la peyne de la veoir; ce que tant plus curieusement elle fit qu'elle desiroit sçavoir si vous leur aviés concédé la liberté de leurs consciences. Et après l'avoir leue, je suyviz à luy dire que, pour faire retourner le monde en son ordre accoustumé de l'obéyssance deuhe aulx princes, avec quelques exemples notables pour aprendre aulx subjectz de ne plus désobeyr, vous la requériez, comme princesse souveraine, constituée entre les aultres grandz princes de la terre sur cest ordre de commander, et comme ayant grand intérest qu'il ne fût parverty, ains s'il l'estoit qu'il fût fermement restably, qu'elle vous vollût sur la dicte capitulation accorder deux choses;—l'une, de croyre fermement que Voz Majestez Très Chrestiennes n'ont jamais eu que bonne et droicte intention à la conservation de leurs subjectz, et au contraire que les aultres ne l'ont heue ny bonne ny droicte envers l'obéyssance et subjection qu'ilz vous doibvent;—la seconde que, de tant que par la force, puysqu'aultrement ne pouviez, vous dellibériez recouvrer la dicte obéyssance, et qu'à cest effect vous estiez en personne en vostre camp, la dicte Dame vollût favoriser vostre juste entreprinse, et ne donner aulcune assistance, secours ny faveur, ny permettre estre donné par ses subjectz à ceulx qui ainsy s'opposent à vostre légitime authorité; aultrement vous prendriez cella pour une manifeste déclaration qu'elle ne vouldroit demeurer aulx bons termes de paix et d'amytié envers vous, que vous desiriez de bon cueur persévérer envers elle; et luy vouliez ainsy dire cella, Sire, à cause du Sr. de Lombres, gentilhomme flamant, que je sçavois estre desjà venu, de la part de ceulx de la Rochelle 395 devers la dicte Dame, et qu'on m'avoit dict que le frère de leur comte de Mensfelt y estoit aussi fort secrectement arrivé, et qu'il se tenoit caché en une chambre à Vuyndesor.

La dicte Dame me respondit que, avec le contantement qu'il vous playsoit luy donner du récit de voz affaires, elle en recepvoit ung aultre bien fort grand d'entendre qu'ilz alloient toutjours prospérant de bien en mieulx; et que, pour vous satisfaire sur les deux choses que je luy requérois, elle vouldroit qu'ung propos, que despuys quelques jours elle avoit desiré me tenir y peust suffire: c'est qu'elle protestoit envers Dieu et Voz Majestez Très Chrestiennes qu'elle avoit fermement rejecté deux très véhémentes persuasions qu'on s'estoit esforcé de luy donner; l'une d'entreprendre la deffance de voz subjectz travaillez pour la religion, et l'aultre de nourrir et foumanter la guerre en vostre royaulme, affin qu'elle ne passât au sien; car n'avoit estimé que l'une ny l'aultre de ces deux praticques peult convenir à son honneur ny à sa conscience, jugeant en son cueur que Voz Majestez Très Chrestiennes n'avoient peu vouloir mal à leurs subjectz, et que c'estoient plustost voz subjectz qui vous avoient provoquez et irritez; lesquelz, nonobstant qu'on leur fît empeschement en leur religion, debvoient, plustost que de mouvoir les armes, s'en estre allez hors du royaulme; par quoy avoit reffuzé d'estre pour leur cause, et n'avoit non plus desiré la continuation de la guerre en vostre royaulme, ains d'y veoir de bon cueur une paciffication; et que de leur envoyer meintennant du secours elle ne le feroit ny permettroit à ses subjectz, sinon au péril de leurs testes, de le faire; que mesmes, pour avoir la flotte de leurs vins esté ceste foys bien trettée à Bourdeaulx, dont elle vous en remercyoit grandement, elle avoit 396 obtenu de ses merchantz qu'ilz continueroient dorsenavant leurs trafficz au dict Bourdeaulx, ainsy qu'il vous playsoit le leur offrir, et ne retourneroient plus à la Rochelle; et qu'elle estimeroit les choses succitées en son pays du North estre advenues par juste punition de Dieu, si elle n'avoit ainsy droictement procédé envers vous, comme elle avoit [fait]. Une chose me vouloit tout librement dire, qu'elle n'avoit reffuzé d'entendre fort volontiers à ce qui luy avoit esté proposé pour résister aulx conseilz et entreprinses de ceulx qui aspiroient à la généralle ruyne de ceulx de sa religion, et que, quant il luy a apareu ou aparoistroit rien de cella, qu'on la tînt hardyment pour toute déclairée et pour estre d'une partie si bien faicte et si forte, qu'elle estimoit n'avoir à se doubter de rien, et n'estoit marrye, sinon qu'il sembloit qu'on eust descouvert, par aulcunes démonstrations de Voz Majestez, que vous y dressiez voz entreprinses; de quoy ayantz beaulcoup souffert pour cella, vous fussiez pour en souffrir encores davantaige.

Sur quoy j'ay à vous dire, Sire, qu'on m'a asseuré estre naguières venu ung adviz à la dicte Dame, comme, despuys le retour du prince d'Orange en Allemaigne, luy et sa femme ont tant sollicité les princes protestans qu'ilz les ont faictz résouldre de se mouvoir toutz conjoinctement pour ceste cause, et qu'ilz n'attendent plus que la responce de la dicte Dame, dont je crains assés que le dict frère du comte de Mensfelt et icelluy de Lombres, avec Quillegrey, ne soyent bien tost dépeschez pour l'aller apporter; mais, affin d'empescher ou retarder la matière, j'ay dict à la dicte Dame que Voz Majestez avoient prins de fort bonne part ce qu'elle m'avoit prié vous escripre du bon desir qu'elle avoit à la pacification des troubles de vostre royaulme, et de se vouloir 397 employer à mettre en avant quelque bon expédiant pour cella, qui vous fût aultant agréable comme elle le vous desiroit advantaigeux, et qu'avec le mercyement que vous luy faisiez de sa bonne volonté, vous me commandiez luy dire que, quoy que voz subjectz vous eussent extrêmement offancé, vous n'aviez jamais reffuzé et ne reffuseriez encores de les recepvoir en vostre bonne grâce, quant ilz s'y vouldroient retirer et se remettre en vostre obéyssance; et ay adjouxté que, quant par l'exortation de la dicte Dame, ou meuz de leur propre repentance, ce qui seroit encores mieulx, ilz vouldroient retourner à ce debvoir, Voz Majestez Très Chrestiennes promettoient de les y recepvoir avec toute l'humanité qui se pourroit espérer de princes très clémentz et benings; au reste, que vous n'aviez rien entendu des choses sucitées au North, quant mes gens ont esté dépeschez, dont ne m'en aviez encores rien escript; mais je m'asseurois que la preuve de vostre propre mal, et la désolation que vous voyez devant voz yeulx de vostre propre royaulme par l'opiniastreté d'aulcuns de voz subjectz, vous feroient estre marrys que les sciens eussent suyvy leur exemple; dont, attendant que m'eussiez commandé de faire là dessus de vostre part quelque bon office envers elle, je ne voulois faillyr de luy offrir tout ce qu'en vostre nom je pourroys servyr à la paix de son royaulme et à la conservation de son authorité. Bien la suplioys ne prendre en mauvaise part ce que j'entreprenoys de luy dire là dessus, que pour le peu de compte qu'elle et les autres princes protestans avoient tenu d'entendre à l'accord de la religion et à la réunyon de l'esglize de Dieu, lorsque Voz Majestez Très Chrestiennes avoient procuré, au commancement des troubles de vostre royaulme, qu'elle se fît par 398 le Concille de Trante, auquel elle et eulx avoient esté semons, qu'ilz estoient cause que la division avoit despuys grandement travaillé la France, et commançoyt de travailler meintennant l'Angleterre, et seroit pour getter eulx mesmes de leurs estatz, s'ilz ne prènent expédiant de retourner à l'unyon de l'esglize catholique, laquelle les y recepvroit toutjours.

A quoy la dicte Dame avec grand affection m'a respondu qu'elle estoit très ayse d'entendre une si bonne intention de Voz Majestez sur le faict de voz subjectz, et que, si je luy pouvois donner quelque notice de vostre desir en cella, qu'elle mettroit bonne peyne de les y faire condescendre; que quant à l'entreprinse des siens ce n'estoit que témérité, et qu'elle avoit layssé tout exprès déborder ces deux comtes, sans s'oposer beaulcoup à eulx du commancement, pour l'espérance de ce qui est despuys advenu, que eulx et toutz ceulx qui les favorisent sont desjà bien fort laz de leurs follyes, et s'en vont rompuz d'eulx mesmes; et si n'estoit pour son honneur qu'elle n'y envoyeroit ung seul homme de guerre pour les deffaire, bien que, à toutes advantures, elle y avoit desjà dépesché de si bonnes forces que, dans quatre jours, elle espéroit en avoir sa rayson; et, quant à cercher l'unyon de l'esglize, Dieu sçavoit qu'elle avoit souvent envoyé devers l'Empereur pour l'en solliciter, et qu'elle ne s'y randroit jamais opiniastre, mesmes avoit dict à monsieur le cardinal de Chatillon que, quoyqu'on tînt en leur religion pour une grande abomination d'aller à la messe, qu'elle aymeroit mieulx en avoir ouy mille, que d'avoir esté cause de là moindre meschancetté d'ung million qui s'estoient commises par ces troubles.

Au surplus, Sire, sur aulcunes grandes contrariétez, 399 que nous avons heues pour les affaires de la Royne d'Escoce, elle m'a promiz qu'elle la feroit bien tretter, et luy feroit avoir toute honneste liberté; et qu'aussi tost que ces troubles seroient ung peu passez, lesquelz sembloient en partie estre suscitez pour l'amour d'elle, qu'elle prendroit ung si bon et honneste expédiant en ses affaires que Voz Majestez Très Chrestiennes en demeureriez raysonnablement satisfaictes, et qu'elle n'estoit en termes de la dellivrer en aulcune mauvaise sorte au comte de Mora, ny en lieu où ne fut bien asseurée de son bon trettement, et de la seurté et liberté de la dicte Dame.

Quant aulx différandz des Pays Bas, la responce du duc d'Alve est arrivée, et l'ambassadeur d'Espaigne est allé trouver le marquis de Chetona pour adviser ensemble comme ilz pourront remettre en quelques bons termes les choses de l'accord, mais n'ont grand espérance qu'ilz le puyssent faire; et j'ay opinion que ceste Royne se résouldra d'envoyer ung des siens en Espaigne, pour ne vouloir en façon du monde entrer en aulcun tretté avec le duc d'Alve ny avec pas ung envoyé de sa part.

Les nouvelles de ceulx du North seront en la lettre de la Royne, parce que ceste cy est desjà trop longue, et je prieray Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xvıȷe de décembre 1569.

A la Royne.

Madame, j'ay miz en la lettre du Roy le propos que m'a tenu la Royne d'Angleterre, ceste dernière foys que je l'ay veue, affin que de ses parolles présentes Vostre Majesté 400 puisse faire quelque jugement de ce qu'elle prétend ou desire à l'advenir; et, encor qu'elle monstre ne s'estonner guières des mouvementz du North, et que bientost elle espère les avoir remédiez, si est ce que, pour nulle aultre guerre, qui ayt esté entreprinse en ce royaulme despuys cent ans en çà, l'on n'a veu faire de si grandz aprestz, comme elle les ordonne pour ceste cy, soit d'hommes, d'armes, d'argent, de vaysseaulx et de toutes aultres monitions de guerre; et se manifeste assés qu'elle souspeçonne bien fort le duc d'Alve estre de ceste intelligence; néantmoins ne se plye pour cella davantaige à l'accord des différans des Pays Bas, ains monstre ne vouloir en façon du monde estre menée par contraincte ou rigueur; et mesmes, pour le regard de Voz Majestez Très Chrestiennes ez choses que je luy ay proposées de la Rochelle et de la Royne d'Escoce, elle a plus monstré de vous vouloir complaire pour la recognoissance du bon trettement qu'avez faict donner à ses subjectz à Bourdeaulx, que pour craincte qu'elle ayt qu'il luy puisse venir aulcun mal si elle ne le faisoit, bien que je ne veulx rien inférer pour cella, parce que le temps et l'occasion font souvent changer les volontez.

Ceulx du North, à ce que j'entendz, ne sont plus que envyron six mil hommes de pied et quinze centz chevaulx ensemble, mais on dict que ceulx qui se sont retirez se sont allez rafreschir en leurs maysons par ordonnances des comtes, pendant qu'avec le reste ilz poursuyvent le siège de Castelbarne contre le sir Henry Boy, qui le soubstient bravement; et cependant se sont saysys de Hartepoul, qui est une assés bonne ville, où y a ung chasteau, qu'ilz ont aussi prins, et ung port assez capable pour se pouvoir prévaloir de la mer. 401

Milor Herys ayant trouvé moyen de sortir soubz certaine capitulation du chasteau de l'Islebourg, où il estoit prisonnier, a assemblé envyron quinze centz chevaulx escouçoys sur la frontière pour se joindre aus dicts deux comtes, mais dict [on] qu'ilz l'ont prié de ne venir encores; et semble que les comtes d'Arguil, d'Honteley et d'Hatil assemblent aussi gens contre le comte de Mora.

L'on dict que ceste Royne a faict expédier ung général pardon pour toutz ceulx de ceste eslévation, qui se vouldront retirer, excepté les comtes et dix aultres des chefz d'icelle; et que mesmes à iceulx elle l'a faict offrir soubz main, lesquelz toutesfoys, tant chefz que adhérans, ne l'ont en façon du monde vollu accepter; ains de nouveau ont juré la poursuyte de leur entreprinse jusques à la mort. Dont pour les aller rompre, la dicte Dame a faict marcher le comte de Vuarvich avec quatre mil hommes, l'admyral Clinton avec aultres quatre mil, et mandé au comte de Sussex se joindre à eulx avec trois mille, faisantz en tout neuf mille hommes de pied et deux mille chevaulx, avec bon nombre d'artillerye, et tient on en ceste court que la bataille se donra dans quatre jours; mais aultres estiment que les dicts comtes ne l'accepteront, ains, que pour estre leur armée moins empeschée d'artillerye et de bagaiges que l'aultre, qu'ilz entreprendront de courre le pays, et m'a l'on dict que le comte de Sussex a envoyé suplier ceste Royne d'avoir agréable qu'il ayt la charge de ceste entreprinse puysqu'elle se faict en son gouvernement, ne voulant que le dict comte de Vuarvich, bien qu'il ayt titre de général, luy soit préféré. Et par ce qu'on a raporté que le duc d'Alve avoit quatre ou cinq mil hommes de pied ou de cheval en Zélande, desjà toutz prestz à s'embarquer, avec 402 artillerye, rouages, monitions et tout aultre équipage de guerre, la dicte Dame a ordonné mettre encores promptement quatre de ses grandz navyres en mer, avec les trois qui y sont, pour tenir le Pas de Callais, et en faict tenir aultres deux sur le port de Arthepoul, affin que les comtes ne puissent envoyer ni recepvoir aulcun messaige par la dicte mer.

La dicte Dame m'a faict veoir une plaincte d'aulcuns de ses subjectz, lesquelz retournans de Bourdeaulx avec quatre navyres chargés de vins, ont esté prins et arrestez à Blevet en Bretaigne, de quoy elle et ceulx de son conseil m'ont fort prié de vouloir très instantment requérir Vostre Majesté de les faire délivrer, et d'enjoindre bien expressément à ceulx de Roan de faire la mainlevée des biens des Anglois, comme elle a esté promise; dont, de ma part, j'en suplie très humblement Vostre Majesté, à laquelle, baysant en cest endroict très humblement les mains, je prieray dévottement le Créateur qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xvıȷe de décembre 1569.


403

LXXIXe DÉPESCHE

—du XXI de décembre 1569.—

(Envoyée par homme exprès, en la compagnie du marquis de Chetona, jusques à Calais.)

Demandes de secours en argent, vivres et munitions faites par les députés de la reine de Navarre.—Efforts de l'ambassadeur pour faire échouer leur négociation.—Nouvelle protestation d'Élisabeth, qu'elle ne fournira aucun secours, et qu'elle ne permettra qu'il en soit donné aucun d'Angleterre.—Mission du jeune comte de Mansfeld.—Ses conférences avec Élisabeth et sir William Cecil.—Voyage qu'il a fait en Allemagne pour hâter le départ du duc Casimir.—Confiance de la reine dans la prompte répression de la révolte du Nord.—Elle se montre entièrement rassurée au sujet des armements ordonnés par le duc d'Albe.—Efforts du Sr. Ciapino Vitelli pour renouer les négociations, malgré les insultes de tout genre qui lui sont faites.—Interpellation adressée au duc de Norfolk sur ses relations avec les seigneurs du Nord.—Protestation faite par le duc, qu'il n'a jamais eu aucune intelligence avec les révoltés; qu'il n'a jamais songé à son mariage avec Marie Stuart que sous le bon plaisir de la reine, mais qu'il ne prendra aucun engagement pour une nouvelle union avant d'avoir recouvré sa liberté.—Refus est fait de lui accorder son hôtel pour prison.—On montre plus de bienveillance envers lui ainsi qu'envers la reine d'Écosse.—Crainte de l'ambassadeur qu'il n'ait été délivré de l'argent au jeune comte de Mansfeld.—Son opinion, que la révolte du Nord est loin d'être apaisée;—que l'on doit conserver l'espoir du rétablissement de Marie Stuart en Écosse;—et que le duc de Norfolk serait rendu à la liberté s'il voulait renoncer à son mariage avec cette reine.—Nouvelle que les révoltés du Nord se sont emparés de Castelbar.—Résolution prise subitement par le Sr. Ciapino Vitelli, de quitter l'Angleterre.

Au Roy.

Sire, je n'ay plustost entendu que quelques ungs estoient venuz de la Rochelle, que je n'aye incontinent préveu qu'ilz estoient envoyez pour recouvrer de l'argent, 404 et des blez, et des pouldres de ce royaulme, ainsy que j'entendz qu'ilz font à présent bien fort grande instance d'en avoir; mais j'ay mis peyne de préoccuper la Royne d'Angleterre, premier qu'ilz ayent parlé à elle, de me promettre qu'elle ne leur baillera, ny souffrira que ses subjectz leur baillent, aulcunes provisions ny secours, luy ayant protesté de l'infraction d'amytié, si elle le faisoit ou le permettoit; de quoy elle m'a donné la parolle que je vous ay desjà escripte le xvıe de ce moys, et croy qu'à grand difficulté tireront ilz d'elle, ny encores ouvertement de ses subjectz, rien de cella. Bien pourra estre que par l'employte d'aulcuns merchantz, soubz colleur d'aultres trettes qui sont desjà expédiées pour porter des bledz en Portugal, ou bien par quelques ungs désadvouhez, ilz en pourront estre accommodez de quelque partie, mais plus habondamment, à mon adviz, les en forniront de Hendem le Sr. Dolovyn et le bastard de Briderode, devers lesquelz le Sr. de Lombres, et ung nommé Tafin, toutz deux Flamans, qui demeurent icy pour ceste négociation, ont à cest effect desjà envoyé home exprès.

Et le frère du comte de Mensfelt, qui estoit arrivé avecques eulx, après qu'à diverses foys il a heu tretté bien longuement, et fort secrectement avec ceste Royne et avec le secrétaire Cecille, il a esté expédié pour passer en Allemaigne; et, par des propos qu'il a tenuz à Vuyndesor et en ceste ville, semble qu'il ayt opinion de trouver le duc de Cazimir assez prest de marcher avec cinq mil reytres et huict mil lansquenetz, et que sa commission soit avec le prince d'Orange de haster le dict duc de Cazimir et de solliciter à ceste entreprinse de France les aultres princes protestans. 405

Quillegrey ne part en sa compaignye, et croy qu'on le réserve pour l'envoyer après, sellon qu'on verra que les affaires du North se porteront; desquelz semble qu'on faict desjà prendre une bien fort bonne espérance à ceste princesse, luy donnant entendre que les deux comtes, ne s'asseurans plus de leur trouppe, proposent desjà de gaigner la mer pour se retirer en France ou en Flandres, et que ceulx qui les ont suyviz monstrent de vouloir accepter le pardon de la dicte Dame. Et tant pour cella, que pour se trouver la dicte Dame aulcunement délivrée du doubte, qu'elle avoit du duc d'Alve, elle a contremandé de ne mettre en mer les sept grandz navyres, qu'elle avoit ordonnez sortir du premier jour; car a entendu que l'armement, que le dict duc prépare en Zélande, ne peult estre prest de quatre moys, pendant lesquelz elle espargnera la despence des dictz navyres, et aussi, qu'estant la responce, qu'on attandoit du dict duc d'Alve touchant les différantz des Pays Bas, arrivée, le marquis de Chetona, à qui l'on avoit desjà assés indignement donné congé, en faisant semblant, à ceste heure, de le demander à la dicte Dame pour s'en retourner, il luy a faict tant d'honnestes et gracieuses offres qu'il a monstré ne vouloir rien moins que le prendre ny que interrompre la conférance de l'accord; et elle, qui n'a peu user là dessus que de bonnes parolles, luy en a donné des meilleures qu'elle a peu touchant le desir qu'elle dict avoir de contanter le Roy d'Espaigne, de sorte que le dict marquis est encores demeuré pour essayer de remettre en termes la dicte conférance.

Je ne sçay que juger là dessus, pour la grande incertitude et variété qui se veoyt ordinairement au conseil de ceste princesse, si n'est qu'il ne sera mal aysé de trouver 406 ung expédiant de paix entre deux, qui ne veulent rien tant évitter que la guerre.

J'entendz que, despuys deux jours, l'on a faict interroger le duc de Norfolc sur l'entreprinse de ceulx du North, et sur le mariage de la Royne d'Escoce, et sur le propos d'ung aultre mariage pour le faire despartir d'estuy là; et qu'il a respondu n'avoir jamais heu aulcune communication avec ceulx du North, ny prétandu à la Royne d'Escoce que pour le bien de la Royne, sa Mestresse, et de son royaulme, et qu'il n'est dellibéré d'entendre à nul aultre nouveau propos de mariage, qu'il ne soit en liberté; dont, se sentant fort ignocent de tout cella, a envoyé suplier la dicte Dame de le vouloir faire eslargir, ou aulmoins luy ordonner sa mayson, qu'il a en ceste ville, pour prison, ce qu'elle ne luy a encores accordé, mais bien luy faict faire plus gracieulx trettement dans la Tour; et à la Royne d'Escoce, encore que son courroux ne soit, du tout, bien passé contre elle, ne luy faict toutesfoys user d'aultre rigueur meintennant, que de la faire observer de prez par les comtes de Cherosbery et Huntington qu'elle n'ayt aulcune communication avec ceulx du North, et qu'elle [ne] puysse escripre ou recepvoir aulcunes lettres du dict duc de Norfolc. Je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté, et prie Dieu qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xxȷe de décembre 1569.

A la Royne.

Madame, sur ce que j'escriptz en la lettre du Roy de l'instance que font ceulx de la Rochelle pour tirer des rafreschissemens de ce royaulme, je m'opposeray aultant qu'il 407 me sera possible qu'ilz n'en ayent, et croy que je leur y feray trouver assés de difficultez; mais, quant à ce qui peult succéder du passaige du jeune comte de Mensfelt en Allemaigne, Vostre Majesté y fera, s'il luy playt, prendre garde de dellà, car je n'y puys rien plus veoir d'icy, sinon qu'il s'y feyt quelque advance d'une partie de ces deniers, qu'on continue toutz les jours mettre ez mains de Me. Grassan, qui montent desjà plus de quatre centz mil escuz, de quoy j'ay bien grand souspeçon, parce que l'argent, qu'on a à distribuer dans ce royaulme, se mect ordinairement ez mains des trésoriers et recepveurs, et non ez mains des facteurs ou merchantz. Toutesfoys je n'ay entendu qu'il y ayt mandement d'aulcune nouvelle somme encores expédiée pour Allemaigne.

Des différantz des Pays Bas, il semble qu'on y procède, des deux costez, avec très grande deffiance; sçavoir, les ungs, de n'espérer tirer une digne satisfaction ny des biens déprédez, ny de l'offance receue; et les aultres, de ne se pouvoir, après qu'ilz l'auroient faicte, aulcunement asseurer de la paix. Je ne sçay si, après une si manifeste ropture qu'il y a heu en la conférance, les choses se remettront à ceste heure en meilleurs termes par la reprise que le marquis de Chetona en a faicte, ce qui se verra en peu de jours.

Touchant les affaires du North, j'ay opinion qu'on les faict plus petitz et moins dangereux à la Royne d'Angleterre qu'ilz ne sont, car j'entendz que les eslevez ne monstrent aulcun signe de repentance ny de craincte, et qu'ilz procèdent avec grand asseurance, et par bon ordre, et en grand confiance d'ung bon succez de leur entreprinse. 408

Les choses de la Royne d'Escoce demeurent en suspens, et bien qu'on luy attribue la principalle occasion de ces troubles, l'on n'estime toutesfoys que ce soit proprement elle qui les ayt succitez, mais que ce sont ceulx, qui ont cogneu les tortz qu'on luy faisoit, qui se sont ainsy meuz d'eulx mesmes pour les remédier. Et de tant que la Royne d'Angleterre, en son cueur, ne luy veult ny luy peult vouloir mal, et que l'auctorité de ses ennemys (si n'estoit ce, qu'ilz proposent quelque aparance de bien et de repoz pour ce royaulme par la détention de la dicte Dame), n'aproche de celle de ses amys et serviteurs, je ne puys encores désespérer de l'yssue de ses affaires, et croy que, pour l'honneur et respect de Voz Majestez, l'on n'usera au moins dorsenavant que dignement en l'endroict de sa personne.

Et quant à la prison du duc de Norfolc, elle luy sera, à mon adviz, plus longue pour ne se vouloir librement despartyr du mariage de la dicte Royne d'Escoce, bien que, ez aultres choses, ceste grande obéyssance d'estre venu au mandement de la Royne, sa Mestresse, et d'avoir quasi voluntairement accepté la prison pour la contanter, luy sert d'une grande justiffication envers elle, et la rend elle moins offancée envers luy. Tant y a qu'il se cognoist que des choses du North ont à sortir les principalles déterminations de toutz ses affaires, et de la plus part des aultres qui sont à présent en ce royaulme. Je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté et prie Dieu qu'il vous doinct, Madame, en parfaite santé, très longue vie et toute la prospérité que vous desire.

De Londres ce xxȷe de décembre 1569.

409

Par postille à la lettre précédente.

Despuys la présente escripte, est venu nouvelles que ceulx du North ont prins Castelbarne, lequel ilz tenoient assiégé, et je viens d'entendre que, pour aulcunes occasions survenues despuys hyer, le marquis de Chetona a prins résoluement son congé.


410

LXXXe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour de décembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. de Vassal.)

Nouvelles importantes du Nord.—Force des révoltés et situation de leurs affaires après la prise de Castelbar.—Le comte de Warwick attend, pour les attaquer, les renforts qui lui sont promis.—Tout se prépare pour une bataille décisive.—Rappel à la cour du comte de Pembroke, à qui toute faveur et autorité sont rendues.—Espoir qu'il fera mettre le duc de Norfolk en liberté.—Audience de congé a été accordée au Sr. Ciapino Vitelli, avant son départ.—Mission donnée en Allemagne par Élisabeth au jeune comte de Mansfeld.—Soupçon qu'il a été chargé de traiter de la levée de deux mille reitres.—Réclamations de l'ambassadeur à raison de diverses sommes qui lui sont dues.—Plaintes qu'il adresse à la reine-mère au sujet des promesses qui lui avaient été faites et qui sont restées oubliées.—Lettre secrète pour la reine-mère.—Vive recommandation de l'ambassadeur pour que le plus profond secret soit gardé sur les communications confidentielles contenues dans le second mémoire joint à la dépêche.—Premier mémoire.—Détails sur les affaires du Nord depuis la prise d'armes.—Motifs qui ont empêché les comtes de Northumberland et de Westmoreland de mettre à exécution leur entreprise aussi complètement qu'ils le désiraient.—Nécessité où ils se sont trouvés de devancer l'époque fixée pour la prise d'armes.—Succès qu'ils ont obtenus.—Appui qu'ils doivent espérer dans toutes les provinces du royaume.—Craintes d'Élisabeth, que plusieurs des seigneurs les plus influents de la cour, qui sont auprès d'elle, ne soient d'intelligence avec les révoltés.—Instances faites auprès du duc de Norfolk pour qu'il renonce à épouser la reine d'Écosse.—Mémoire confidentiel.—Sollicitations faites auprès de l'ambassadeur par les comtes de Northumberland et de Westmoreland, pour que le roi leur donne un secours d'argent, qui doit être remis à Calais ou à Boulogne.—Confiance qu'ils ont eue, en prenant les armes, dans l'appui de la France et de l'Espagne.—Grandes promesses qui leur ont été faites par l'Espagne avant la prise d'armes.—Refus de les accomplir, depuis qu'ils sont entrés en campagne.—Conditions que veulent imposer les Espagnols.—Ils exigent que la reine d'Écosse épouse don Juan, et lui fasse la cession du droit qu'elle prétend à la couronne d'Angleterre.—Avis qui a été donné secrètement de Londres par le Sr. Ciapino Vitelli, au duc d'Albe, d'agir sur-le-champ comme si la guerre était déclarée.—Démarches faites auprès du duc d'Albe par les comtes de Northumberland et de Westmoreland.—Déclaration de ceux du Nord qu'ils prennent les armes pour la religion;—pour assurer la succession au trône d'Angleterre après la reine;—et pour chasser les nouveaux parvenus qui se sont emparés du pouvoir.—Seconde lettre au roi.—Félicitations de l'ambassadeur pour la prise de Saint-Jean-d'Angely, et les offres de soumission faites par le prince de Navarre, le prince de Condé et l'amiral de Coligni.—Nouvelles qui viennent de lui être transmises par la reine d'Angleterre sur les affaires du Nord.—Division qui aurait éclaté entre les comtes de Northumberland et de Westmoreland.—Ils se seraient séparés, abandonnant leur infanterie et leur artillerie.—Les troupes de la reine se sont mises à leur poursuite.—Secours offerts à Élisabeth par le comte de Murray.—Incertitude de ces nouvelles.

411

Au Roy.

Sire, après que ceulx du North ont heu prins Castelbarne, ville et chasteau, qui n'ont tenu que huict jours par faulte de vivres, le comte de Vuesmerland a miz dedans une bonne garnyson et force vivres, avec dellibération de tenir la place, et le comte de Northomberland s'en est retourné à Arthelpoul pour y continuer, avec grand dilligence, la fortiffication qu'il y faict faire. Me. Northon est pour eulx en la ville de Durem, et d'aultres de leurs principaulx adhérans sont en d'aultres villes et chasteaulx ez envyrons. Ilz ont logé le principal de leur armée entre le dict Castelbarne et Arthelpoul, et ez villaiges qui sont le long d'une rivière tirant vers Yorc, de laquelle ilz ont faict rompre les pontz et les passaiges, et se résolvent, à ce qu'on dict, de donner la bataille, si l'armée de la Royne d'Angleterre entreprend de la passer. J'entendz que le 412 comte de Vuarvich a escript qu'ilz sont quinze mille hommes de pied, non toutz bien armez, et deux mil chevaulx en fort bon équipage, et qu'il ne s'estime encores assez fort pour les combattre; néantmoins prie la Royne et ceulx du conseil de luy mander résoluement si, avec les huict ou neuf mil hommes et dix huict centz à deux mil chevaulx qu'il peult desjà avoir avecques luy, il entreprendra de passer la susdicte rivière sur eulx. A quoy semble qu'on luy ayt respondu que, du premier jour, l'on luy envoyera de renfort les gens du Queint, que milor Coban a levez, et ceulx de Sommercet, qui sont de la charge du comte de Pembrot, et qu'aussitost qu'il les aura receuz, qu'il ne temporise plus d'aller rencontrer les dictz ennemys. Par ainsy semble qu'on se prépare, d'ung costé et d'aultre, à la bataille.

Le comte de Pembrot a esté mandé pour retourner, avec toute faveur et auctorité, à la court; et par luy s'espère que la réconcilliation du duc de Norfolc se fera, et qu'il pourra estre miz en liberté.

Ces jours passez, ung consul, de la nation espaignolle, de Bruges, soubz tiltre de courrier, est passé de deçà avec pacquetz et lettres pour le marquis de Chetona, lequel ayant esté recogneu a esté arresté et miz ez mains de Me. Marso, gouverneur des merchantz, mais les lettres principalles ont esté randues au dict marquis; lequel, pour son regard, et la Royne d'Angleterre, pour le sien, n'ont estimé que sa plus longue demeure par deçà peult estre de quelque utillité, dont est allé prendre publicquement congé de la dicte Dame, sans s'arrester à certaine aultre façon de congé moins digne, qu'on luy avoit donné auparavant; et luy a le comte de Lestre faict ung présent 413 de deux beaulx guilledins. Je ne sçay encores si sur l'embarquement il luy sera faict aultre présent de la part de la Royne, mais l'on a estimé qu'il le reffuzera.

J'entendz que la dicte Dame a fort gracieusement expédié le jeune comte de Mensfelt, et qu'elle luy a faict donner mil escuz, desquelz semble qu'il eust bien fort grand besoing, et a escript par luy amplement aulx princes d'Allemaigne; mesmes quelcun m'a dict qu'il emportoit une lettre de crédict pour faire fornyr quelque somme par dellà, mais ne sçay encores à quelles fins, bien m'a l'on donné entendre que c'est pour lever deux mil reytres pour la dicte Dame, mais n'ay encores certitude de cella.

La Royne d'Escoce vous escript, et vous envoye ung sien gentilhomme exprès pour vous compter ses nouvelles. J'ay si amplement instruict de toutes aultres choses de deçà le Sr. de Vassal, présent pourteur, que vous supliant très humblement, Sire, de le croyre, je n'adjouxteray rien plus icy qu'une bien dévotte prière à Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, en parfaite santé, très longue vie et toute la prospérité que vous desire.

De Londres ce xxvıȷe de décembre 1569.

A la Royne.

Madame, vous ayant par le Sr. de Sabran, le xxve du passé, et despuys, par cinq dépesches du dernier d'icelluy et du cinquiesme, dixiesme, séziesme et vingt uniesme du présent, faict toutjour entendre les adviz que j'ay heu de l'eslévation du North; de la praticque que ceulx de la Rochelle ont envoyé faire icy par le jeune comte de Mensfelt 414 et le Sr. de Lombres; de la négociation du marquis de Chetona sur les différandz des Pays Bas; de la ferme opposition de la Royne d'Angleterre au mariage de la Royne d'Escoce, pour l'occasion duquel et du souspeçon qu'on a heu d'elle sur les choses du North, l'on l'a transportée et resserrée davantaige; pareillement de la prison du duc de Norfolc, et des aultres mouvementz, préparatifz et apareilz de ce Royaulme; Vostre Majesté verra meintennant par la lettre du Roy, et entendra par le Sr. de Vassal, présent pourteur, et par les mémoires et instructions que je luy ay donnez, tout ce qui a succédé despuys, et en quoy en sont à présent les choses, ez quelles j'ay miz peyne, Madame, de suyvre, du plus prez que j'ay peu, ce que j'ay estimé estre de vostre intention; et loue Dieu que, à quoy qu'elles soyent meintennant devenues, la Royne d'Angleterre ne demeure que bien disposée envers Voz Très Chrestiennes Majestez, et monstre vous vouloir grandement complaire, sinon en ce que je la presse de la Royne d'Escosse, sur les affaires[22] [de la quelle] elle m'a dict qu'elle vous avoit fait entendre ses ra[isons] par son ambassadeur et qu'elle estoit toute esbahye [de n'en] avoir encores responce; mesmes, l'on m'a asseuré qu'en plusieurs choses elle deffend fermement contre aulcuns mal intentionnez de son conseil le salut et la vie de la dicte Dame, et nous faict l'on acroyre qu'avec le temps elle nous donra de meilleures et plus certaines responces pour elle que [nous n'en] avons heu jusques icy.

La dicte Royne d'Escoce vous escript, et vous envoye 415 exprès le Sr. de Gardelle pour vous compter de ses affaires, et vous requérir quelque bonne pourvoyance sur iceulx; et m'ayant prié de les vous recorder, j'ay baillé au dict de Vassal sa mesmes lettre[23] affin qu'il vous playse prendre la peyne de la veoyr.

Et me remettant à luy de toutes aultres particullaritez de deçà, sur lesquelles je vous suplie, Madame, le vouloir ouyr et luy donner foy, le surplus de la présente sera pour très humblement me ramentevoir à Vostre Majesté pour le payement de mes gaiges de la chambre et de la pencion de xıȷc {lt}, qu'il vous a pleu m'ordonner, à ce qu'il vous playse commander, Madame, que la moictié de la pencion qui me reste de ceste année, jà escheue (1569), et les gaiges de la dicte mesmes année, et la moictié de ceulx de la précédante, despuys que suys en ceste charge, me soyent payez, qui est en tout quinze centz livres, tant de la pencion que de la chambre, et ordonner que, pour les aultres suyvantes, je soys miz au rolle des assignez et payé, affin de n'en importuner plus Vostre Majesté. Ce que j'espère, Madame, que ne me vouldrez reffuzer, veu que je n'ay ny n'ay heu jamais aultre estat ny bienfaict de Voz Majestez, et qu'il vous peult souvenir qu'il a tantost dix ans qu'avez heu desir et intention de me faire du bien, pour m'avoir veu auparavant longuement servyr, et néantmoins j'ay toutjour despuys continué le service, et vostre bienfaict n'est encores venu; mais j'espère en la grande bonté et vertu de Vostre Majesté que là, où à tant d'aultres vous avez faict recepvoir honneurs, récompences et advancement de leurs services, vous ne me ferez demeurer seul 416 confuz d'honte et de paouvretté, pour ceulx que, avec toute dilligence et affection, vous sçavez, Madame, que j'ay très fidellement faictz à Voz Majestez; et, je prieray Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xxvıȷe de décembre 1569.

AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.

Chiffre.—[Madame, affin que le Roy et Vous et Monseigneur soyez advertys d'aulcunes choses, qui sont d'assés de moment pour celles de vostre service, et regardent beaulcoup le présent estat, et celluy d'advenir, de vostre grandeur, et peuvent encores vous servyr pour demeurer auculnement advisez en vous mesmes sur ce que, à mon adviz, l'on vous requerra, je vous suplie très humblement, Madame, ouyr à part et donner foy à ce mien gentilhomme, le Sr. de Vassal, et me commander par luy comme, sellon vostre intention, j'aurai à me conduyre en ce qui pourra eschoir à ma présente charge; et [que vous ne] preignez, Madame, à desplaysir si très humblement, et [au nom] de Dieu, je vous suplie que le propos n'aille plus avant que à Voz Majestez et à Mon dict Seigneur vostre filz, sellon que j'ay obligé ma foy et ma conscience de ne le reveller qu'à vous trois dellà la mer; et je suplieray le Créateur, après avoir très humblement baysé les mains à Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xxvıe de décembre 1569.

Avec le propos principal, je luy en ay commis d'aultres, pour dire aussi à part à Vostre Majesté. 417

MÉMOIRE.

Il a semblé que l'entreprinse des comtes de Northomberland et Vuesmerland leur deubt torner à malle fin par ce qu'ayant, du commancement, proposé de marcher jusques à Londres, et de mettre la Royne d'Escoce en liberté, et de se saysir des villes de Yorc et de Neufcastel, avec grand espérance que, aussitost qu'ilz se seroient monstrez en campaigne, ung milion de catholiques se lèveroient, et les grandz qui sont de leur intelligence s'yroient joindre à eulx, ou au moins leur envoyeroient de leurs forces, ou argent, ou quelque [autre secours], rien de tout cella ne leur a réuscy.

Ains, ayantz assés soubdainement marché trente mil oultre la ville d'Yorc, la Royne d'Escoce a esté incontinent transportée, et, encor que le peuple les ayt suyviz, nul des seigneurs n'a [pareu], ny bougé, ny envoyé devers eulx; dont, ne se sentans avoir assés d'argent pour conduyre leur troupe jusques à Londres [parce que ilz] ne vouloient vivre sur le peuple, ny de pou[voir occuper] ceste ville incontinent qu'ilz y seroient arrivez [parce que elle est] puyssante et bien fornye d'armes, et où ilz [n'espéroient] qu'il se fît aulcun mouvement pour eulx, ilz s'en [allèrent] vers Yorc, où ilz aproffitèrent encores moins parce que [estant] la ville, par la dilligence du comte de Sussex, bien pourveue de gens de guerre; ilz furent contrainctz de rapasser vers le quartier d'où ilz estoient venuz.

Et parce que une partie de leur troupe se retira [lors] et que les comtes, avec le reste, s'acheminèrent vers le pays de Blacmur, qui est marescageux et sur la mer, l'on 418 eust opinion qu'ilz s'en alloient rompuz d'eulx mesmes, et que les principaulx se venoient saulver sur quelques navyres en France ou en Flandres, dont la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil diminuèrent de moictié l'ordre des apareils qu'ilz avoient faict pour les aller deffaire.

Mais semble que, despuys, l'on a bien cogneu que leur retrette n'estoit advenue que par ce seulement que les aultres seigneurs catholiques, de leur intelligence, ne leur avoient aulcunement correspondu, s'excusantz, à ce qu'on dict, [sur ce] que l'entreprinse avoit esté hors de temps et beaulcoup plustost commancée qu'il n'estoit convenu entre eulx, ce que les dictz comtes semblent advouher, mais que, voyantz l'instante sommation qu'on leur faisoit de se représenter en court, et que, à faulte de comparoir, ung simple sergent les fût allez prendre, l'ung après l'aultre, en leurs maysons, ainsy qu'ilz sçavent très bien que les commissions en estoient desjà expédiées, ils avoient esté contraintz d'ainsy soubdain recourir aulx armes et se mettre en campaigne.

Dont, ayantz, à ceste heure, donné quelque fondement à leur entreprinse, et monstrantz de vouloir attendre le temps et la commodité des aultres, il se cognoist que leurs troupes ne se sont séparées d'eulx, ny ilz n'ont prins le chemin vers la mer, pour aulcunement habandonner leur dicte entreprinse, ny pour s'enfouyr hors du pays; ains que ceulx, qui se sont retirez, sont allez, par leur congé, se retirer en leurs maysons, pour estre prestz quant ilz les manderont, et eulx, avec le reste, sont allez saysir cependant la ville, le chasteau et le port de Hartepoul, qui sont très oportuns lieux par la terre, et fort commodes pour s'ayder de la mer; et ont assiégé la ville et chasteau de 419 Castelbarne, lesquelz, nonobstant que les comtes de Vuarvich, de Sussex et admyral Clinton ayent faict semblant de se mettre aulx champs pour les secourir, ilz n'y ont aproché, et les ont layssé prendre par composition (bagues saulves, aultant que chacun soldat sur soy, et Henry Boy, le capitaine, sur ung cheval seulement, en ont peu emporter); qui est une place assez forte, et où les dicts comtes ont trouvé de l'artillerye, des armes, des pouldres, et veult on dire aussi beaulcoup d'argent et de richesses.

L'on estime que le nombre d'hommes d'effect, de quoy iceulx comtes peuvent faire estat pour ung combat, sellon leurs rolles, est de vingt mil, comprins quinze centz Escouçois à cheval, que milord de Humes tient toutz prestz à leur dévotion sur la frontière, et qu'ilz se résolvent de donner la bataille, si l'armée [de] ceste Royne marche guières plus en avant, et s'entend que les dictz comtes ont mandé plusieurs parolles de deffy aulx chefz d'icelle, mesmement au comte de Vuarvich.

L'on commance à cognoistre qu'ilz procèdent d'une plus grande asseurance et plus grande confiance qu'on ne cuydoit, et que, demeurantz ainsy fermes ez lieux qu'ilz ont gaignez, et les fortiffians comme ilz font, qu'ilz sentent ung grand apuy dans le royaulme, et qu'ilz espèrent quelque bon secours de dehors, dont ceste Royne souspeçonne plus que jamais le duc d'Alve; et peult estre qu'à ceste occasion, elle s'estoit advisée d'arrester quelques jours encores le marquis de Chetona et sa troupe, qui est belle et grande, affin qu'ilz luy servissent comme d'ostages par deçà, mais le dict marquis s'est enfin déterminé de prendre résoluement son congé.

L'armée de la dicte Dame a desjà marché vers les ennemys, 420 soubz le comte de Vuarvich, assisté des comtes de Sussex et admyral Clynton, toute en bonne équipage d'armes, d'artillerye et de monitions, et s'espéroit en ceste cour que la bataille se donroit jeudy dernier; mais, encores qu'on ayt assés accoustumé en ce royaulme de ne la temporiser, néantmoins aulcuns ont opinion qu'on ne l'azardera.

Et parce que les dictz comtes ont publié ung escript, lequel translaté d'anglois en françoys, contient ce qui se veoyt par icellui, la dicte Royne et ceulx de son conseil sont entrez en nouvelles [craintes] des seigneurs qui y sont dénommés, lesquelz l'on a dilligemment [recherchés] là dessus, mais pour ce que le duc de Norfolc ne s'est en [ses] responces tant exaspéré contre les dictz comtes et leurs [adhérans] comme ont faict les comtes d'Arondel et de Pembrot, l'on a extraict certains articles du [dict escript et] d'aultres du faict d'entre la Royne d'Escoce et luy, [sur lesquels] l'on l'a, de rechef, curieusement interrogé, avec pl[us grand instance] pour luy faire quicter la Royne d'Escoce, luy donnant en[tendre] qu'aussi bien a elle escript de ne le vouloir aulcunement es[pouser], et qu'il se trouvera bien ung aultre party pour luy qui sera [approuvé] de la Royne, sa Mestresse, et par le moyen duquel il recouvrera sa liberté, car aussi ne trouve l'on qu'il soit chargé d'aulcune c[hose] que du dict mariage; dont, pour l'ennuy de la pryson, il a esté en grand [danger] de se laysser aller à ceste persuasion et habandonner la Royne [d'Escoce].

Mais j'entendz que, sellon les bons admonestemens et conseilz qu'on luy a administrez, il a en fin sagement respondu, que touchant ceulx du North, il n'a jamais heu 421 communication de leur entreprinse, et à quiconques vouldra dire aultrement il luy maintiendra qu'il a menty; et quant à ce qu'ilz ont allégué qu'il a tenu certain propos de la succession de ceste couronne, que, à la vérité, il en a parlé souvant, mais toutjours sellon les bons termes qui en furent proposez et débattuz au dernier parlement; que, du mariage de la Royne d'Escoce, il n'y a jamais prétandu sinon pour servir au bien de la Royne, sa Mestresse, et à celluy de son royaulme; et, quant elle a monstré ne le trouver bon, qu'il s'en est despourté; qu'il ne faict doubte que la Royne d'Escoce n'ayt faict le mesmes, quant la Royne d'Angleterre luy a faict cognoistre le courroux qu'elle en avoit, et qu'il sera toutjour plus ayse de se maryer au gré de la dicte Dame que contre sa volonté; mais qu'il ne dellibère en façon du monde entendre à nul party qu'il ne soit en liberté.

SEGOND MÉMOIRE.

Chiffre.—[Ayant les deux comtes du North, et ceulx qui les suyvent, prins les armes pour restablyr la relligion catholique en Angleterre, et pour mettre la Royne d'Escoce en liberté, et à icelle conserver la succession de ceste couronne, et pour s'opposer à ceulx qui, abusantz de l'auctorité qu'ilz ont prèz de la Royne d'Angleterre, l'employent à travailler les subjectz du royaulme et offancer les princes estrangiers, ilz ont espéré que, par mon moyen et de celluy de l'ambassadeur d'Espaigne, ilz seroient secouruz de nos deux Maistres, comme de deux grandz princes, intéressez en leur entreprinse. 422

Dont, pour icelle continuer, ilz nous ont faict remonstrer que, pour le présent, ilz se trouvent assés fortz de gens, mais qu'ilz n'ont argent pour les entretenir que jusques envyron le xe ou xve de janvier, et que celluy de Northomberland a desjà advancé sept ou huict mil escuz, qui est tout ce qu'il a peu fornyr, par ainsy requièrent d'estre promptement secouruz.

Sur quoy, pour mon regard, je leur ay faict considérer l'infiny espuysement des finances du Roy, Mon Seigneur, par la présente guerre de son royaulme, et aussi que le secours qui s'attand de luy à Dombertrand ne sera sans frais, lequel reviendra beaulcoup au proffict de leur entreprinse, dont se sont assés con[tentés] des bonnes espérances, que je leur ay données, de toute l'assistance que le Roy leur pourra faire, mesmes d'argent s'il en a, et de ge[ns.......] et de retraicte s'il est besoing en son royaulme. Néantmoins m'ont fort conjuré d'escripre à Sa Majesté qu'il luy playse leur fornyr quelque somme, sellon qu'il en pourra avoir la commodité; ce que je n'ay peu reffuzer de leur accorder. Et semble qu'avec bien peu d'argent de Sa Majesté ou de celluy du douayre de la Royne d'Escoce, porté à Callais ou à Bouloigne, ausquelz lieux ilz l'yront bien cercher, ilz se contanteront.

Quant à l'ambassadeur d'Espaigne, de tant qu'ilz avoient de grandes promesses de luy, et mesmes lettre de sa main, laquelle celluy de Northomberland porte toutjour sur soy, et qu'avant s'eslever il les sollicitoit, par offres d'ung grand et présent secours d'arquebouziers, de corseletz, de gens de cheval, et de cent mil escuz, affin qu'ilz prinsent incontinent les armes, meintennant qu'ilz les ont prinzes et qu'ilz se trouvent en nécessité d'argent, 423 et ayant le dict ambassadeur moyen de leur faire frayer huict mil escuz par deux merchantz de ceste ville, qui, sur sa parolle, se offrent de les leur bailler, ilz sont fort esbahys que non seulement il reffuze de le faire «par ce, dict il, qu'il n'a expresse commission pour cella du duc d'Alve,» mais aussi se monstre assés froid sur tout le reste du secours promiz, et qu'il ne fault qu'ilz espèrent que le duc s'advance d'en bailler, si quelcun des plus grandz et principaulx d'entre eulx ne va devers luy pour accorder à quelles condicions il l'envoyera, et à quelles ilz le prendront.

Sur quoy, je ne fays doubte que les voyant à ceste heure entrez bien avant et avoir besoing de luy, qu'il ne les veuille attirer à ses intentions, et, entre aultres, à celle qu'il a grande du mariage de la Royne d'Escoce et de dom Joan, avec le tiltre de la succession de ce royaulme; à quoy le comte de Northomberlan s'est toutjours monstré fort enclin, et qu'il les veult aussi [engager] de ne poser les armes, ny faire aulcun accord, sans luy.

Et se voyt assés que ce réfroydissement n'est que artiffice par[ce que je] sçay que le dict duc a esté fort marry que le viscomte de Montegu [ne] soit passé devers luy, comme il l'avoit promiz, et comme l'am[bassadeur] luy avoit desjà baillé lettre pour ce faire, et a le dict duc mandé qu'il face grand instance au dict de Montegu, ou bien à quelque [aultre] seigneur de qualité de ce royaulme, de l'aller trouver.

Ce que le dict ambassadeur essaye de faire par toutes les persuasions qu'il peult; et cependant que luy et le marquis de Chetona n'ont peu obtenir passeport pour escripre en Flandres, ilz ont faict que le Sr. Barbarin, gentilhomme florentin, de la troupe du dict marquis, a feinct qu'il luy 424 estoit nécessaire pour sa santé de retourner dellà la mer, dont, ayant pour une si raysonnable occasion obtenu son congé, sans toutesfoys pouvoir pourter aulcunes lettres, ilz luy ont secrectement baillé ces quatre motz d'escriptz «croyez entièrement le pourteur» signé des deux, en si peu de papier, qu'il l'a peu cacher en lieu secrect de sa personne; et sa créance a esté que n'y ayant espérance d'accord ez différandz des prinses, bien que le dict marquis se soit miz en debvoir de l'offrir à ceulx cy avec les plus gracieuses, voyre humbles, condicions qu'il a peu, mais se monstrans eulx opiniastres de n'y vouloir entendre, ilz prient le duc d'Alve de ne temporiser plus à leur faire le piz qu'il pourra comme à obstinez ennemis, et qu'il se haste d'entreprendre quelque chose contre eulx, pendant que ces troubles du North sont en vigueur, car ne recouvrera jamais une plus belle occasion; et que le dict marquis se trouve si offancé des indignitez qu'ilz luy ont faictes, qu'il n'a rien en plus grand desir que de s'en venger. Et, despuys le despartement du dict Barbarin, ung aultre gentilhomme anglois a esté dépesché devers le dict duc de la part du dict de Montegu, lequel, parce qu'il a heu à descendre en France, il m'a requiz ung passeport, et oultre celluy là j'entendz que ceulx du North luy ont dépesché le Sr. de Marconville, qui est le plus capable et suffizant homme qu'ilz ayent.

Certaine déclaration que ceulx du North ont faicte de l'intention de leur entreprinse.

Comme, par le très inique et sinistre raport d'aulcuns malicieux ennemys de la parolle de Dieu et du publicque estat de ce royaulme, ayt esté publié et miz en avant que l'assemblée des nobles hommes, 425 les comtes de Northomberland et de Vuesmerland, et de plusieurs aultres principaulx personnaiges qui suyvent leur party, ayt esté et soit contre la couronne et au préjudice de cest estat, il a semblé bon aus dictz deux comtes, et à ceulx de leur conseil, de signiffier à toutz les bons subjectz de la Majesté de la Royne quelle est en cest endroict leur vraye et saincte intention, et celle de leurs amys et alliés, comme s'ensuyt:

Parce que très saigement et loyaulment a esté naguières admis par le hault et puissant prince Thomas duc de Norfolc, Henry comte d'Arondel, Guillaume comte de Pembrok, et Nous, comtes de Northomberland et Vuesmerland, et plusieurs aultres de l'ancienne noblesse de ce royaulme, avec grand consentement de toutz les gens de bien, qui favorisent la parolle de Dieu et ayment l'honneur de cest estat, qu'il estoit nécessaire, pour obvier à effuzion de sang et à la ruyne de ce commun pays, et aussi pour refformer les désordonnées personnes qui, par abuz et par la malicieuse praticque d'aulcuns aultres, à eulx semblables, ont esté ellevez, de faire entendre à ung chacun quelle est la légitime succession de ceste couronne, et à qui, par légitime droict, cy après elle doibt apartenir, affin de ne la laysser aller à la dangereuse et incertaine descision que, pour rayson de divers tiltres, plusieurs, qui y prétendent intérest, la pourroient faire venir;

Laquelle saincte, bonne et honnorable intention de la dicte noblesse a esté, en plusieurs et diverses façons très mauvaises, préocupée envers la Majesté de ladicte Dame par les communs ennemys de son royaulme, et par iceulx mesmes, et leurs pernicieux et détestables conseilz et pratiques, qui nous sont assés cogneues et au reste de la noblesse, noz vies et noz libertez sont mises meintennant en grand dangier, et monopolles toutz les jours faictz pour apréhender noz personnes, conseils vrayement procédantz de la damnable et ambicieuse affection de ceulx qui, pour aulcune nostre soubzmission, ne peult estre aultrement modérée que par les armes;

A l'ocasion de quoy nous nous sommes assemblez d'une juste et loyalle intention envers la Majesté de la Royne et envers sa couronne, et la légitime succession d'icelle, pour leur résister force par force; et voyantz que nulle intercession ne nous peult valloir, nous nous sommes commiz à la grande bonté et clémence de Dieu et à l'assistance de toutz les vrays zélateurs de ce royaulme, résoluz en nous mesmes d'advanturer entièrement noz vies, terres et biens, 426 en ceste très juste et saincte entreprinse; en quoy nous requérons affectueusement l'ayde et secours de toutz ceulx qui desirent le repoz de cest estat et celluy de l'ancienne noblesse qui y est.

Du mesmes jour.

AULTRE LETTRE AU ROY.

Sire, ceste segonde lettre est pour me conjouyr avecques Vostre Majesté de la reddition de St. Jehan d'Angely, et du debvoir auquel les princes de Navarre et de Condé, monsieur l'Admyral et ceulx qui les ont suyviz se veulent mettre de requérir, à genoux, vostre bonne grâce, et retourner à vostre obéyssance, ainsy que par les vostres, du xxvııȷe du passé, il vous playt me le mander; lesquelles je n'ay receues que ainsy que mon pacquet estoit desjà cloz et dellivré au Sr. de Vassal. Et avec icelles j'ay ensemblement receu voz dernières, qui sont du quatriesme du présent. J'yray, pour l'occasion des unes et des aultres, trouver du premier jour la Royne d'Angleterre, et verray comme elle prendra ces bonnes nouvelles.

L'on m'a présentement faict entendre de sa part celles de cy dessoubz aulx propres termes qui s'ensuyvent:

«La nuict du xvııȷe de ce moys, s'estantz les rebelles de la Royne assemblez au chasteau de Duren pour prendre résolution s'ilz debvoient combattre ou non, ilz se sont trouvez de contraire adviz entre eulx, remonstrant le comte de Northomberland qu'il n'avoit prins les armes pour assaillir les gens de la Royne, sa Mestresse, mais seulement pour deffandre sa personne et celle des aultres seigneurs et gens de bien de sa compaignie, et pour faire certaine remonstrance à la dicte Dame affin de redresser aulcunes 427 choses au bien et proffict de la noblesse et de tout l'estat du royaulme; et que, s'estant là dessus meu différant entre luy et le comte de Vuesmerland, il s'estoit retiré icelle mesme nuict, avec douze centz chevaulx au lieu et chasteau de Exain; et le dict de Vuesmerland avoit prins ung aultre chemyn avec huict centz chevaulx vers Lisdidale, layssans leurs gens de pied, lesquelz avoient incontinent envoyé accepter le pardon de la dicte Dame; et avoient pareillement habandonné Artelpoul et layssé leur artillerye;—que le comte de Sussex et sire Jehan Fauster entendant cella s'estoient miz, l'ung, d'ung costé, avec quinze centz chevaulx et six centz harquebouziers, et l'aultre, de l'aultre, avec mil chevaulx à poursuyvre les dicts comtes;—que le comte de Vuarvich et l'admyral Clinton, ayantz layssé leur infanterye à Ripon, avoient dilligentment passé la rivière, avec toute la cavallerie et avec ung nombre d'arquebouziers et six pièces de campaigne, pour se mettre [après];—que le comte de Mora s'estoit aproché en la frontière pour combattre le dict de Northomberland, et offert à la dicte Royne d'Angleterre dix mil hommes payez pour vingt deux jours, s'il luy playsoit de s'en servyr.»

Je vériffieray mieulx ceste nouvelle, et par mes premières vous en manderay ce que j'en auray aprins, aydant le Créateur auquel je prie, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, Sire, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

De Londres ce xxvıȷe de décembre 1569.

428

ADDITION A LA LXXIIIe DEPÊCHE.

LA ROYNE D'ESCOCE A LA ROYNE D'ANGLETERRE.

—du xe de novembre 1569.—

Instances de Marie Stuart auprès d'Élisabeth pour obtenir son rétablissement en Écosse, ou tout au moins la permission de passer en France, même en payant rançon.

La copie de cette lettre, qui n'a pas été transcrite sur les registres de l'ambassadeur (voyez LXXIIIe Dépêche, p. 343), se trouve dans les papiers déposés aux Archives, provenant de la famille Fénélon. L'écriture est de la fin du XVIIe siècle; mais, ce qui en assure l'authenticité, c'est qu'elle fait partie de cahiers qui sont la copie littérale et textuelle des dépêches. Elle est tirée du second manuscrit dont nous avons parlé dans les observations insérées en tête du premier volume de cet ouvrage.

A la Royne d'Angleterre.

Madame ma bonne sœur, ne voulant rien obmettre jusques au dernier but de la patience qu'il a pleu à Dieu me prester en mes adversitez, j'ay différé tant que j'ay peu de vous importuner de mes lamentations, espérant qu'avecques le temps, père de vérité, vostre bon naturel considérant la malice de mes ennemys, qui sans aulcuns contredict courent à bride abatue leur cource contre moy, vous esmouveroit à pitié de vostre propre sang, vostre semblable, et de celle quy entre toutz autres princes vous a esleue pour son resfuge après Dieu, se fyant tant en voz favorables lettres et amiables promesses, fortifiez par ce lien de 429 parantaige et proche voisinnaige, que je me suis mise en voz mains et vostre pouvoir, de mon gré sans contrainte, où j'en demeure prez de deux ans, aucunes foys en espérance de vostre faveur et suport par courtoises lettres, d'autres foys en désespoir par les menées et faux rapportz de mes contraires. Néantmoins mon affection vers vous m'a toujours faict espérer le bien et souffrir le mal paciemment; or maintenant vous avez escouté de rechef la malice de mes rebelles, à ce que me mande l'évesque de Rosse, reffuzant d'ouyr la juste plaincte de celle qui volontairement s'est mise en vostre puissance, se jettant entre voz bras; par quoy j'ay présumé de tenter encores ma fortune vers vous, appelant à la Royne ma bonne sœur d'elle mêmes.

Hélas, Madame, quel plus grand signe d'amitié vous puis je monstrer que d'avoir fiance en vous, et pour récompense rendrez vous vayne l'espérance qui est mise en vous par vostre sœur et cousine, qui peut et n'a voullu envoyer allieurs pour secours? Sera donc mon attente en vous pour néant, ma pacience vayne, et l'amitié et respect que vous ay portée desprisée jusques là que je ne puys obtenir ce que ne sçauriez justement reffuzer à la plus estrange du monde. Je ne vous ay jamais offencée, ains vous ay aymée, honnorée et par toutz moyens recherché de vous complaire et assurer de ma bonne inclination vers vous. L'on vous a faict de faux raportz de moy, à quoy vous adjouxtez foy jusques à m'en avoir traittée non comme une royne, vostre parante, venue cercher support de vous, seure de vostre promise faveur, mais comme une prisonnière à qui vous pourriez imputer offence d'une subjecte. 430

Madame, puisque je ne puis obtenir de vous déclarer, face à face, ma sincérité vers vous, au moins permettez que monsieur de Rosse, mon ambassadeur, vous rende compte de toutz mes déportemens, comme celluy qui en est [chargé], ayant accez de vous remonstrer les occasions que j'ay de me douloir sans vous offencer, estant contraincte de renouveller mes anciennes requestes, desquelles je vous suplie le vouloir résouldre et moy aussy; à sçavoir, qu'il vous plaise, suyvant mes premières demandes, m'obliger pour jamais, m'aydant de vostre support au recouvrement de mon estat auquel il a pleu à Dieu me constituer entre mes subjectz, comme de tout temps [me l'avez] promis; ou sy le sang, mon affection vers vous, et longue patience ne vous semble mériter cela, au moings ne reffuzez de me laisser aller libre, comme je suis venue, en France ou aillieurs, où je me pourray retirer entre mes amys et alliez.

Et, s'il vous plait m'user de rigueur et me traiter comme ennemye, ce que je ne vous ay jamais estée, ni desire estre, laissez moi racheter ma misérable prison par ranson, comme est la coustume entre tous princes, voire ennemys, et me donnez commodité de traffiquer avecques les susdictz princes, mes amys et alliez, pour faire ma dicte ranson. Et cependant je vous supplie que, pour m'estre fiée en vous de ma personne et offert en tout de suivre vostre conseil, je n'en reçoive dommaige par l'extortion de mes rebelles sur mes fidelles subjectz, ny que je soys affoyblie, pour m'estre attendue à voz promesses, de la perte de Dombertran. Et si tous ces respectz et miennes humbles requestes sont par les faux raports de mes ennemys empeschez d'estre [accueillis de] vous, et que veulliez prendre de mauvaise part tout ce que j'ay faict à intention de 431 vous satisfaire, au moins ne permettez que ma vie soit, sans l'avoir déservi, mise en dangier, comme celluy qui se dict abbé de Domfermelin faict courir le bruict, se vantant de ce (que je ne puis croire) que me mettrez entre les mains de mes rebelles ou de tels aultres en ce pays dont ilz ne sont moins contens et que je ne cognois point.

Je proteste n'avoir jamais eu volonté de vous offancer, ny faire chose qui vous tournasse à desplaisir, ny n'ay méritée cruelle récompense que d'estre sy peu respectée, comme l'évesque de Rosse vous a desjà déclaré et fera de rechef, s'il vous plaist luy donner audience, de quoy je vous supplie bien humblement, et, comme dessus, de luy donner une résolution, et sy ce n'est par amour que ce soit par pitié. Vous avez esprouvée que c'est d'estre en troubles, jugez ce que les aultres souffrent par cela. Vous avez assés prestée l'oreille à mes ennemys, à leurs inventions pour vous rendre soupçonneuze de moy, il est temps de considérer ce quy les y meult et leurs doubles déportemens vers moy, et ce que je vous suys, et l'affection vers vous qui m'a faict venir en lieu où vous avez ce pouvoir sur moy.

Réduysez en mémoire les offres d'amitié que je vous ay faictes, et l'amitié que m'avez promise, et combien je desire vous complaire jusques à avoir négligé le support des aultres princes par vostre adviz et promesse du vostre. N'oubliez le droit d'hospitalité vers moy seule et pesez tout cecy avecques le respect de vostre confiance, honneur et pitié de vostre sang; et lors j'espère que ne me restera occasion de me repentir. Pensez aussi, Madame, quel lieu j'ay teneu et comment j'ay estée nourrye, et sy ayant, par le moyen de mes rebelles ou aultres ennemys, ung sy différant traictement de cestuy là par les 432 miens; de quy j'espéroys tout confort, sy malaisément je puys porter ung tel fardeau avecques celuy de vostre mauvaise grâce, qui m'est le plus dur; laquelle je n'ay jamais méritée, ny d'estre sy estroictement emprisonnée que je n'aye le moyen d'entendre les nouvelles de mes affaires, ou pouvoir mettre ordre en nul part, et mesmes sans pouvoir au moins consoler mes fidelles subjectz, qui souffrent pour moy, tant s'en faut que je les supporte comme j'espérois.

Je vous supplie de rechef que faux rapportz ou mauvais desseins de mes ennemys ne vous facent oublier tant d'aultres respectz en ma faveur. Et pour le dernier, si tout le reste ne peut esmouvoir vostre naturelle pitié, ne desprisez la prière des Roys, mes bons frères et alliez, aux ambassadeurs desquelz j'escriptz pour vous faire instante prière en ma faveur; et, affin que ne le preniez de mauvaise part, je vous supplie m'excuser sy, en caz [que] veulliez oublier vostre bon naturel et pitié qui vous a faict tant honorer et aymer vers moy, je les prie d'advertir les dictz Roys de ma nécessité, et les prie de presser l'ayde à mes affaires que j'ay attandue de vous, et requiers présentement, devant toute aultre, s'il vous plaist me l'accorder; [laquelle], comme j'espère vous trouverez enfin, je n'ay jamais déservi[24] de perdre.

Sy en cecy ou en aulcun poinct de ma lettre je vous offence, excusez l'extrémité de ma cause à ces infiniz troubles, où je me voys. Et pour fin, je me remetz à la suffizance de l'évesque de Rosse que je vous supplie croire comme moy, qui vous présente mes humbles recommandacions, 433 priant Dieu qu'il vous face cognoistre au vray mon intention vers vous et mes déportemens.

De Titbery ce xe de novembre 1569.

Je vous supplie m'excuser sy j'escriptz sy mal, car ma prison, m'est tant mal saine et moy inhabile à cest office et à tout autre exercice.

Vostre très affectionnée bonne sœur et cousine,

MARIE R.


ADDITION AUX DÉPÊCHES DE L'ANNÉE 1569.

LETTRES DIVERSES DE MARIE STUART A L'AMBASSADEUR.

(Les lettres suivantes sont tirées du même manuscrit.)

LA ROYNE D'ESCOCE A MONSIEUR DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du xxve de juillet 1569.—

Lettre de remerciment de Marie Stuart à l'ambassadeur, avec prière de lui continuer ses bons offices.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je receu hier vostre lettre du xxȷe de ce moys, ensemble celle de monsieur le Cardinal mon oncle, de laquelle je vous envoye la responce par le présent porteur, laquelle je vous prie luy faire seurement tenir par la première commodité. L'évesque de Rosse m'a plusieurs foys escript de la peine et soing que vous prenez pour l'advancement de mes affaires, de quoy je vous remercye de bien bon cœur, et vous prie de ne 434 vous lasser de continuer et de parler vifvement, l'occasion s'offrante, à la Royne, ma bonne sœur, ainsy qu'avez faict au passé, et que je m'assure, que le Roy, vostre Maistre, monsieur mon bon frère, entend que fassiez à toutes les fois que penserez que vostre parolle me pourroit servir.

Je n'eusse esté si longtemps sans vous escripre, si quelcung de mes secrétaires eust esté icy près de moy, et vous fairois plus ample discours à ceste heure de l'estat de mes affaires, sy je ne m'assurois que le dict évesque de Rosse vous communique librement tout [ce] qui se passe en iceulx, suyvant le commandement que je luy en ay donné à son partement d'icy et ce que je luy en ay souvant despuys escript. Je vous prie, au surplus, de me mander souvant de vos nouvelles, ou pour le moins quand vous [en] recepvrez des bonnes, d'en faire part au dict évesque de Rosse; et atant, après mes affectionnées recommandations à vostre bonne grâce, je prie le Créateur, monsieur de La Mothe Fénélon, vous donner heureuse et longue vie.

De Vuingfeild le xxve de juillet 1569.

Vostre bien bonne amye,
MARIE R.

435

LA ROYNE D'ESCOCE A MONSIEUR DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du xe d'aoust 1569.—

Prière de Marie Stuart à l'ambassadeur pour qu'il insiste vivement en sa faveur auprès d'Élisabeth.—Plaintes contre le secrétaire La Vergne.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je receu vostre lettre du vȷe du présent par le moyen de monsieur de Rosse, et, tant par icelle que par la sienne, cogneu la continuelle bonne volonté que vous avez au bien et expédition de mes affaires, en quoy vous ne serez déceu, le faisant pour une qui ne manquera jamais de bonne volonté à s'en revencher où elle pourra pour vous. J'ay eu naguières nouvelles d'Escosse par Me. Thomas Flemyng, présant porteur, que j'envoys vers le dict sieur de Rosse, lesquelz vous en fairont part et communiqueront sur ma pressente liberté, pour laquelle, (ou bien que je puisse chercher secours ailleurs), il ne faut plus que la Royne d'Angleterre s'excuse sur le comte de Mora pour les causes que vous entendrez par le dict Sieur de Rosse; de quoy je vous prie parler à la dicte Royne, quant l'occasion se présentera.

La Vergne m'a parlé de quelque affaire, dont je ne luy sceu résoudre parce que je ne sçay bonnement comme ces choses sont passées, et aussy que venant freschement de France, comme il m'a dit, il n'en a parlé ny à monsieur de Glazco mon ambassadeur, ny à aultre de mes gens; toutesfoys j'en escriray au dict sieur de Rosse pour en advizer avec vous et faire ce que vous ensemble trouverez bon pour ma seureté. Le dict de La Vergne se dict vostre secrétaire, encores que vous n'en fassiez mention par vostre 436 lettre; et me souvenant que je vous ay cy devant escript comme j'avois eu advertissement que de toutes les lettres et despesches, tant du Roy, monsieur mon bon frère, que de moy, on en bailhoit des coppies à la court d'Angleterre, sur quoy vous me mandaste que vous aviez ung secrétaire en France, et m'ayant cestuy cy dict qu'il y a esté envyron trois moys, et aussy qu'il n'avoit encores guères parlé avec moy qu'il ne me demandast sy je voulois escripre en France ou mander quelque chose de bouche, j'ay eu quelque soupçon que ce fust luy, et ne m'ay sceu garder de luy en parler et remonstrer que luy et aultres voz secrétaires se doibvent bien garder de telles choses, affin que les affaires du Roy, mon dict sieur mon bon frère, ne fussent sy divulguez comme ilz ont esté par cy devant, et que cela estoit fort dangereux. Et, à vous dire vérité, cela m'enpeschera aulcunement que je ne luy donne quelque crédit. Je luy ay faict quelque remonstrance pour le bon voulloir que j'ay et porte continuellement au bien et advancement [des] affaires [du Roy], dont je vous prie l'en assurer et la Royne, madame ma bonne mère, et je prie Dieu vous avoir, monsieur de La Mothe Fénélon, en sa saincte garde.

Le xe d'aoust 1569.

Vostre bien bonne amye,
MARIE R.

437

LA ROYNE D'ESCOSSE A MONSIEUR DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—du XIIe d'aoust 1569.—

Plaintes contre les menées du Sr. Moulins en France.

Monsieur de La Mothe Fénélon, je vous ay amplement escript par Me. Thomas Flemyng, du xe du présent, et ne me reste rien à vous dire, sinon que je me suis souvenue qu'on m'a advertye qu'un nommé Moulins, que vous cognoissés, est après à faire quelque menée en France contre moy et mon estat; de quoy je vous prie en escrire au Roy Très Chrestien, monsieur mon bon frère, affin que ces malignes entreprinses soyent rompues. J'ay escript à monsieur de Rosse qu'il advise avec vous sur l'affaire dont m'a parlé La Vergne, et sellon l'adviz qu'il m'en donnera je me résouldray, priant Dieu vous avoir, monsieur de La Mothe Fénélon, en sa saincte garde.

Escript à Vuingfeild le xıȷe jour d'aoust 1569.

Vostre bien bonne amye,
MARIE R.

Du mesmes jour.

Monsieur de La Mothe Fénélon, despuys vous avoir escript ce matin par La Vergne des menées de Moulins, le Sr. de Bourdeuille, ung de mes escuyers d'escurye, est arrivé venant de France, lequel parmy sa dépesche, m'a raporté que le dict Moulins s'est tant advancé en ses dictz menées que de vouloir solliciter d'envoyer un ambassadeur de France en Escosse. C'est ung très dangereux homme, 438 il fait tout ce qu'il peut pour empescher ceulx en faveur desquels j'escriptz pour estre miz en la garde du Roy Très Chrestien, monsieur mon bon frère, et en leur lieu faire mettre ceulx qui sont de sa pratique. Ce seroit bien faict pour le bien et service du Roy, mon dict sieur mon bon frère, de lui en escripre. Dont je vous en prie de bien bon cœur, et aussi en faveur d'un nommé de Castares, qui est de mes officiers, que je desirerois estre miz de la dicte garde. Il est homme de bien, duquel j'ay expérimenté la fidellité et en réponds, vous priant l'avoir pour recommandé; et je prie Dieu vous avoir, monsieur de La Mothe Fénélon, en sa saincte garde.

Escript à Vuingfeild le xıȷe jour d'aoust 1569.

Vostre bien bonne amye,
MARIE R.

(De la main de la Royne d'Escosse.)

Je vous manderay de ce propos plus au long par Borthick, et de toutes mes nouvelles avecques l'obligation dont je me sentz redevable à vous pour tant de bons offices, vous priant à ceste heure solliciter un peu ferme pour moy.

FIN DU DEUXIÈME VOLUME.

439


NOTES:

[1] Muley Hascen, roi de Tunis, ayant été chassé de ses états en 1534, par Khaïr Eddyn Barberousse II, roi d'Alger, implora la protection de l'empereur, qui le rétablit dans son royaume au mois de juillet 1535.

[2] Marie Stuart, fille de Jacques V et petite-fille de Marguerite d'Angleterre, était la petite-nièce de Henri VIII, et la cousine, issue de germain, d'Élisabeth. S'il est dit, au Ier vol., p. 66, qu'elle était nièce d'Élisabeth, c'est que celle-ci ayant sur elle l'avantage d'un degré, se trouvait être aussi, comme ou le disait en France, sa tante à la mode de Bretagne.

   HENRI VII † 1509.
   
   
Marguerite
Mariée à
Henri VIII † 1547
Marié à
Jacques IV † 1513. 1o. Catherine d'Aragon. 2o. Anne de Boleyn. 3o. Jeanne Seymour.
| | | |
Jacques V † 1542
Marié à
Marie de Lorraine.
Marie † 1568. Élisabeth † 1603. Édouard VI † 1553.
|
Marie Stuart † 1587.

[3] Voyage.

[4] Wolrad, comte de Mansfeld, qui était le lieutenant du duc de Deux-Ponts.

[5] Pierre Ernest, comte de Mansfeld, qui commandait le secours envoyé par le duc d'Albe à Charles IX.

[6] Sir Georges Douglas, le plus jeune des frères du seigneur de Lochleven, avait procuré l'évasion de Marie Stuart du château de Lochleven en gagnant quelques-uns des gardes et entre autres William Douglas, jeune garçon de seize à dix-sept ans, qui avait enlevé les clés des portes au gouverneur. (Jebb. 1735, t. II, p. 230.)

[7] Combat de la Roche Abeille, livré le 25 juin 1569, dans lequel Philippe de Strozzi, colonel général de l'infanterie, fut fait prisonnier par les protestants.

[8] Allusion à ce que les Saintes Écritures rapportent du prophète Élie, que s'étant rendu par l'ordre de Dieu à Sarepta, ville de la Phénicie, dans un temps de disette, il y trouva une pauvre veuve à laquelle il demanda le reste du peu de provision qu'elle avait en farine et en huile, lui disant:—«La farine qui est dans le pot ne manquera point, et l'huile qui est dans le vase ne diminuera point jusqu'au jour auquel le Seigneur doit faire tomber la pluie sur la terre.—Cette femme s'en alla donc et fit ce qu'Élie lui avait dit. Élie mangea et elle aussi, avec sa maison; et depuis ce jour là,—la farine du pot ne manqua point et l'huile du vase ne diminua point, selon que le Seigneur l'avait prédit par Élie.»—3e liv. des Rois, ch. 17, v. 9 à 16.

[9] A son arrivée en Angleterre, au mois de juillet 1554, Philippe avait obtenu de la reine Marie, qu'il venait épouser, la grâce d'Élisabeth, retenue prisonnière par sa sœur depuis le 11 mars, comme ayant trempé dans la conjuration de Thomas Wyatt, qui avait déjà servi de prétexte à l'exécution de Jeanne Gray.

[10] Cette pièce se trouve jointe à la LIVe Dépêche. Voyez p. 179.

[11] Le capitaine de Sore était amiral de la flotte des protestants; il avait succédé au baron de La Tour, mort à la bataille de Jarnac.

[12] Voir ces pièces qui sont insérées à la fin du Ier vol. à la suite de la XXXVIIIe Dépêche.

[13] Projets de mariage de Charles IX avec Élisabeth, seconde fille de Maximilien II, et de Marguerite, sa sœur, avec Sébastien, roi de Portugal. Voyez Ier vol., p. 67 et 68.

[14] Traité du 11 avril 1564. Rymer, Fœdera, t. vi, 2e part., p. 123.

[15] L'amiral de Coligni, qui avait mis le siège le 24 juillet devant Poitiers, défendu par le duc de Guise, fut forcé de l'abandonner le 9 septembre pour aller au secours de Chatellerault, que le duc d'Anjou menaçait.

[16] Cette pièce n'a pas été transcrite sur les registres de l'ambassadeur.

[17] Ciapino Vitelli, marquis de Chelona, célèbre capitaine italien, était l'un des principaux chefs de l'armée espagnole sous les ordres du duc d'Albe. En 1564, il avait conduit les bandes italiennes dans l'expédition d'Afrique. Depuis, Philippe II l'avait envoyé dans les Pays-Bas, où il exerçait les commandements les plus importants; il fut même dans la suite créé Grand-Maréchal.—Tous les historiens ont pensé que cette mission, dont il fut chargé en 1569, avait pour but secret d'assurer aux catholiques d'Angleterre un chef expérimenté, aussitôt qu'ils se seraient déterminés à prendre les armes.—Il est mort dans les Pays-Bas en 1576.

[18] Bataille de Moncontour, livrée le 3 octobre 1569.

[19] Ces deux pièces n'ont pas été transcrites sur les registres de l'ambassadeur.

[20] Cette lettre n'a point été transcrite sur les registres de l'ambassadeur, mais nous en avons trouvé une copie. Voyez ci-après, p. 428.

[21] C'est-à-dire Temporiser, de Trempance, délai, prolongation; temperation.

[22] Dans cette page du MS. et les deux suivantes, le bord du feuillet se trouvant rongé, il manque quelques mots qu'il a été facile de rétablir.

[23] Cette lettre n'a point été transcrite sur le registre.

[24] Mérité.—Ce mot est déjà employé dans le même sens au commencement de la page précédente.


TABLE

DES MATIÈRES DU DEUXIÈME VOLUME


Année 1569.—Seconde Partie.

  Pages

39e Dépêche.—3 juin.—

 
Au Roi. 1
Audience. Ib.
A la Reine. 8
Mort de M. d'Andelot. 8
Accusations d'empoisonnement. 8

40e Dépêche.—10 juin.—

 
Au Roi. 10
Prise de la Charité et passage de la Loire par le duc de Deux-Ponts. 10
Les Anglais prêts à déclarer la guerre malgré leurs protestations d'amitié. 11
Meilleur traitement fait aux Espagnols. 14
A la Reine. 15
Bruits sur la mort de M. d'Andelot. 16
Précautions prises par Élisabeth contre le poison. Ib.
Proposition de traité sur la restitution des prises. 18

41e Dépêche.—15 juin.—

 
Au Roi. 19
Crainte d'une déclaration de guerre. Ib.
Audience. 21
Assurance de paix. 25
A la Reine. 26
La guerre n'est point encore imminente. 27
Promesse d'Élisabeth en faveur de Marie Stuart. 28
Remontrances de l'ambassadeur sur le commerce. (30 mai). 29
Réponse du conseil aux remontrances. 32

42e Dépêche.—21 juin.—

 
Au Roi. 37
Préparatifs de guerre. Ib.
Exclusion de commerce prononcée par le roi de Portugal contre les Anglais. 38
Précautions qu'il faut prendre en France. 39
A la Reine. 40
Assurance de paix donnée par Élisabeth. Ib.
Mémoire général sur les affaires de France, d'Espagne et d'Écosse. 42
État des différends avec les Pays-Bas. 50
Du fait de la reine d'Écosse. 56
440 Ses droits à la couronne d'Angleterre. 57
Conditions de l'accord proposé pour son rétablissement. 58
Lettre d'Elisabeth à Marie Stuart (25 mai.) 59

43e Dépêche.—28 juin.—

 
Au Roi. 61
Apprêts d'une expédition maritime. Ib.
Achats d'armes pour la Rochelle. 63
Affaires d'Écosse. 65
Députés anglais envoyés à Rouen. 66
A la Reine. 67
Incertitude sur les projets d'Élisabeth. Ib.
Nouvelles qui lui sont données de France. Ib.
Mort du duc de Deux-Ponts. 69

44e Dépêche.—5 juillet.—

 
Au Roi. 70
Audience. Ib.
Menaces de guerre. 74
Nouvelles d'Écosse. 76
A la Reine. Ib.
Disposition d'Élisabeth à se tenir prête à profiter des événements. Ib.

45e Dépêche.—7 juillet.—

 
Au Roi. 78
Recommandation de Marie Stuart en faveur de sir Georges Douglas. Ib.

46e Dépêche.—11 juillet.—

 
Au Roi. 80
Retour de la flotte de la Rochelle. Ib.
Révolte en Irlande. 81
Nouvelles de la Rochelle.—Combat de la Roche-Abeille. 82
Audience. 83
A la Reine. 85
L'ambassadeur d'Espagne délivré de ses gardes. 86
Nouveaux détails d'audience. Ib.

47e Dépêche.—19 juillet.—

 
Au Roi. 89
Formation d'un corps de volontaires pour la Rochelle. Ib.
Audience. 90
Négociations avec les Pays-Bas. 94
Espoir du rétablissement de Marie Stuart. Ib.
A la Reine. 95
Résolution qui semble prise d'attaquer la France s'il se
   présente une occasion favorable.
Ib.

48e Dépêche.—27 juillet.—

 
Au Roi. 98
Les envoyés de la Rochelle sollicitent un emprunt sur les
joyaux de la reine de Navarre.
Ib.
Préparatifs de guerre. 99
Plaintes du traitement fait au Sr. Norrys en France. 101
A la Reine. 102
Constans efforts pour maintenir la paix. Ib.
Déclaration du roi sur la restitution des prises. 103
Mémoire général sur les affaires de France et d'Angleterre. 104
Mémoire secret sur divers projets de mariage d'Élisabeth. 115
Autre mémoire secret. 119
Élisabeth ne se mariera jamais. Ib.
Détails sur la vie privée de la reine. 120
Familiarités entre elle et le comte de Leicester. Ib.
Elle ne veut point l'épouser. 122
441 Présomptifs héritiers du trône. Ib.
Remontrance du comte de Leicester en faveur de Marie Stuart. 124
Projet de mariage du duc de Norfolk avec la reine d'Écosse. 126

49e Dépêche.—1er août.—

 
Au Roi. 129
Voyage d'Élisabeth. Ib.
Assurances de paix données par le conseil. 130
Audience. 133
Mouvements dans les comtés de Suffolk et de Norfolk. 135
A la Reine. 136
Nécessité de se préparer à la guerre. Ib.
Vive recommandation en faveur du sieur Norrys. 137
Déclaration d'Élisabeth (28 juillet) sur la restitution
des prises.
138

50e Dépêche.—5 août.—

 
Au Roi. Ib.
Emprunt pour la Rochelle. 141
Armement fait par les députés d'Allemagne. Ib.
Troubles de Suffolk, Norfolk et d'Irlande. 142
A la Reine. 143
Départ de sir Henri Chambrenant pour la Rochelle, comme volontaire. Ib.

51e Dépêche.—10 août.—

 
Au Roi. 145
Audience. 146
Arrêt des navires armés par les députés d'Allemagne. Ib.
A la Reine. 150
Hésitation d'Élisabeth, qui se trouve engagée envers les
deux partis en France.
Ib.

52e Dépêche.—15 août.—

 
Au Roi. 152
Négociations au sujet des navires arrêtés. Ib.
Commerce avec Hambourg. 153
Assemblée de Saint-Johnstown en Écosse (25 juillet). 154
A la Reine. 155
Nouvelles de la Rochelle. 156
Lettre de M. de Chatillon (6 juillet). 157
Relation envoyée de la Rochelle.—Opérations
militaires des protestants depuis leur jonction avec le
duc de Deux-Ponts.
158
Ordonnance d'Élisabeth contre les pirates (3 août). 163

53e Dépêche.—22 août.—

 
Au Roi. 165
Arrivée des députés de Rouen. Ib.
Audience. Ib.
A la Reine. 170
Nouveaux détails d'audience. Ib.
Troubles d'Irlande. 173

54e Dépêche.—20 août.—

 
Au Roi. 174
Expéditions maritimes qui se préparent de tous côtés. Ib.
Plaintes de l'ambassadeur à ce sujet. 175
Chargement de la flotte de Hambourg. 176
A la Reine. 177
Instance pour la reine d'Écosse. 178
Satisfaction d'Élisabeth au sujet des déclarations relatives
à la cession des droits de Marie Stuart au trône d'Angleterre.
Ib.
Remontrance de ceux de la Rochelle au roi après l'arrivée
du duc de Deux-Ponts.
179442

55e Dépêche.—1er septembre.—

 
Au Roi. 190
Projets de mariage du roi et de Madame. Ib.
Nouvel arrêt des navires du prince d'Orange 191
Arrivée d'un ambassadeur de Moscovie. 192
A la Reine. Ib.
État des affaires de Marie Stuart. Ib.
Demande de secours pour le château de Dumbarton. 193
Lettre secrète pour la reine. 194
Détails sur le projet de mariage du duc de Norfolk avec Marie
Stuart.—Sollicitations du duc auprès de l'ambassadeur.—Propositions
faites par lui.
Ib.
Mémoire général sur les affaires d'Angleterre, d'Espagne
et d'Écosse.
196
Des différends des Pays-Bas. 202
Du fait de la reine d'Écosse. 204
Propos de la reine d'Angleterre à Mr. le cardinal
de Chatillon.
206
Réclamation de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth en faveur de Marie Stuart. 209
Réponse d'Élisabeth. 211
Avis secret concernant Marie Stuart. 214
Vives instances faites auprès d'elle par l'Espagne pour qu'elle
se remette entièrement à la discrétion de Philippe II.
Ib.

56e Dépêche.—5 septembre.—

 
Au Roi. 218
Menées des protestants contre Marie Stuart. 219
Faux bruits de la prise de Poitiers. 220
Demande du conseil afin que la France ne serve pas d'intermédiaire
pour le commerce des Pays-Bas.
Ib.
Départ des navires du prince d'Orange. 221
A la Reine. Ib.
Nécessité de porter secours à Marie Stuart. Ib.
État et évaluation des joyaux envoyés de la Rochelle. 222
Déclaration du conseil (17 août) sur le commerce. 223
Réponse de l'ambassadeur.—Protestation contre toute
restriction de commerce.
225

57e Dépêche.—6 septembre.—

 
Au Roi. 227
Départ des sieurs de Lizy et de Jumelles pour hâter l'expédition
du duc Casimir.
Ib.
A la Reine. 228
Préparatifs de guerre en Allemagne contre la France. Ib.

58e Dépêche.—14 septembre.—

 
Au Roi. 229
Notification des projets de mariage du roi et de Madame. 230
Audience. Ib.
A la Reine. 234
Nouveaux détails d'audience. Ib.
Lettre secrète pour la reine. 236
Débats élevés entre Élisabeth et le duc de Norfolk au sujet de son
mariage projeté avec Marie Stuart.
Ib.

59e Dépêche.—19 septembre.—

 
Au Roi. 237
Sommes importantes réunies par Élisabeth en Allemagne. 238
Arrivée de la flotte anglaise à Hambourg. 239
Troubles d'Irlande. 240
Députés envoyés par Philippe II à Élisabeth pour traiter de
leurs différends.
Ib. 443
A La Reine. 241
Nouvelles d'Écosse.—Assemblée de Stirling.—Arrestation du
comte de Lethington comme complice du meurtre de Darnley.
242

60e Dépêche.—23 septembre.—

 
Au Roi. 243
Levée du siége de Poitiers. 244
Retour du sieur de Quillegrey d'Allemagne. 245
Projet d'une ligue entre les princes protestants. Ib.
Prochaine arrivée des députés d'Espagne. Ib.
Mesures rigoureuses prises à l'égard de Marie Stuart. 246
A La Reine. Ib.
Demande d'instructions relativement au commerce. 247
Lettre secrète pour la reine. Ib.
Départ subit du duc de Norfolk. Ib.

61e Dépêche.—27 septembre.—(Dépêche interceptée.)

Au Roi. 249
Retour d'Élisabeth à Windesor. 250
Craintes inspirées par diverses flottes qui sont en mer. 251
Méfiance des Anglais à l'égard de l'Espagne. Ib.
Mécontentement témoigné par Élisabeth à Marie Stuart au sujet
de son projet de mariage avec le duc de Norfolk.
Ib.
A La Reine. 252
Nouvelles instances pour des instructions. Ib.
Lettre secrète pour la reine. 254
Envoi d'un paquet de lettres de Marie Stuart. Ib.
Lettre de Marie Stuart à l'ambassadeur (20 septembre).—Instance
pour qu'il s'oppose à ce qu'elle soit livrée au comte de
Huntingdon et au vicomte de Hertford.
Ib.

62e Dépêche.—3 octobre.—

 
Au Roi. 255
Détails sur l'enlèvement de la précédente dépêche. Ib.
Émotion causée par le départ du duc de Norfolk. Ib.
Arrestation des comtes d'Arundel, de Pembroke et
de lord Lumley.
257
A La Reine. Ib.
Les passages d'Angleterre fermés. 258
Refus de passe-ports fait à l'ambassadeur. Ib.

63e Dépêche.—7 octobre.—

 
Au Roi. 259
Arrestation du sieur de Sabran à son retour de France. Ib.
Notification faite par Élisabeth que ses ports sont fermés. 260
Protestation de la reine et des seigneurs du conseil au
sujet de la dépêche enlevée.
Ib.
Nouvelle du retour du duc de Norfolk. Ib.
Craintes de l'ambassadeur pour le duc et pour Marie Stuart. 261
A La Reine. 262
Prudence de l'ambassadeur dans la négociation du mariage de
Marie Stuart avec le duc de Norfolk.
Ib.
Lettre de Marie Stuart à l'ambassadeur (25 septembre).—Ses
supplications pour que la France ne l'abandonne pas.
263

64e Dépêche.—8 octobre.—

 
Au Roi. 266
Certitude de la levée du siége de Poitiers. Ib.
Craintes inspirées par la mission 444 du sieur Ciapino Vitelli. 267
A la Reine. 268
Affaires du duc de Norfolk et de Marie Stuart. Ib.
Mémoire secret. 269
Détails sur le départ du duc de Norfolk. Ib.
Son retour et son arrestation. 272
Préparatifs de guerre en Allemagne. 274
Troubles d'Irlande. 275

65e Dépêche.—12 octobre.—

 
Au Roi. 277
Commission donnée par Élisabeth au sujet de la dépêche enlevée. Ib.
Refus d'audience. 278
Le duc de Norfolk mis à la Tour. Ib.
Nouvelles d'Écosse. 279
A la Reine. 280
Instances pour que de vives plaintes soient faites à l'ambassadeur d'Angleterre. Ib.
Au Roi.—Lettre de recommandation en faveur du capitaine
Muer, Écossais.
281
A la Reine.—Lettre de créance pour le Sr.
Thomas Flemyng, envoyé de la reine d'Écosse.
282

66e Dépêche.—18 octobre.—

 
Au Roi. 284
Procédure criminelle contre le duc de Norfolk. Ib.
Commissaires. 285
Première nouvelle de la victoire de Moncontour (3 octobre). 286
A la Reine. 287
Nouveau refus d'audience. Ib.

67e Dépêche.—24 octobre.—

 
Au Roi. 288
Audience. 289
Arrivée du sieur Ciapino Vitelli. 293
A la Reine. Ib.
Effet produit par la victoire de Moncontour. 294

68e Dépêche.—28 octobre.—

 
Au Roi. 296
Joie des catholiques d'Angleterre au sujet de la dernière victoire. Ib.
Bon accueil fait au sieur Ciapino Vitelli. 297
A la Reine. Ib.
Négociations au sujet du commerce. 298
Mémoire général sur les affaires d'Angleterre. 299
Mesures rigoureuses prises contre les catholiques. Ib.
Détails circonstanciés de tout ce qui a rapport à l'affaire du duc de Norfolk. 300
Chefs d'accusation contre lui. 302
—Contre le comte d'Arundel et lord Lumley,—et le comte de Pembroke. 303
Étroite prison de Marie Stuart. 304
Remontrances de l'ambassadeur sur le commerce, la restitution
des prises et la conduite tenue à l'égard de Marie Stuart.
305

69e Dépêche.—1er novembre.—

 
Au Roi. 308
Audience accordée à l'ambassadeur et au sieur d'Amour, envoyé de
France après la bataille de Moncontour.
Ib.
A la Reine. 313
Détails d'audience. Ib.
Nouvelles d'Allemagne. 314
Reproches contre le duc d'Albe. 315445

70e Dépêche.—5 novembre.—

 
Au Roi. 317
Retour du sieur d'Amour en France. Ib.
Instances de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth pour empêcher le
commerce avec la Rochelle, et pour qu'il soit porté secours
à la reine d'Écosse.
319
Crainte que Marie Stuart ne soit livrée au comte de Murray. 320
A la Reine. 321
Secours préparés secrètement pour la Rochelle. Ib.
Convention sur la restitution des prises et le commerce. 323

71e Dépêche.—12 novembre.—

 
Au Roi. 328
Efforts tentés en faveur des protestants de France. Ib.
Nouvelles rigueurs contre Marie Stuart et le duc de Norfolk. 331
Mise en liberté du comte de Pembroke. 332
Négociations avec l'Espagne. Ib.
A la Reine. Ib.
Instances pour que le traité sur la restitution des prises
soit fidèlement exécuté.
333
Vive recommandation en faveur de Marie Stuart. 334

72e Dépêche.—18 novembre.—

 
Au Roi. 335
Agitation dans le nord. 336
Négociations avec l'Espagne. 337
Conversion des réaux espagnols en monnaie anglaise. 338
A la Reine. 339
Mesures prises contre les catholiques. Ib.
Leur désir de se retirer en France. Ib.
Commission contre le capitaine Sores. 340

73e Dépêche.—22 novembre.—

 
Au Roi. 341
Nouvelles de la Rochelle. Ib.
Premier bruit du soulèvement des catholiques dans le Nord. 342
Soupçons des Anglais contre le sieur Ciapino Vitelli. Ib.
Instances de Marie Stuart auprès d'Élisabeth. 343
A la Reine. 344
Caractère sérieux de la révolte du Nord. Ib.

74e Dépêche.—25 novembre.—

 
Au Roi. 346
Prise d'armes par le comte de Northumberland. 347
Il est maître de Durham. 348
Seigneurs que l'on croit d'intelligence avec les révoltés. Ib.
A la Reine (lettre secrète). 349
Démonstrations qu'il est nécessaire de faire en France pour
encourager le soulèvement des catholiques en Angleterre.
Ib.
Mise en liberté du sieur Ridolfy. 350
Mémoire secret. 351
Confiance des révoltés dans les secours du roi.—Leurs
projets—Leurs négociations avec l'Espagne.—Vues
de l'Espagne sur Élisabeth et sur Marie Stuart.—Mission
de sir John Hamilton auprès du duc d'Albe.
Ib.
Second mémoire. 356
Irritation d'Élisabeth contre le duc de Norfolk.—Elle
s'abandonne aux protestants.—Leurs desseins politiques.—Causes
du soulèvement du Nord.—Affaires de Marie Stuart.—Négociations
avec l'Espagne.
Ib. 446

75e Dépêche.—30 novembre.—

 
Au Roi. 366
Nouvelles du Nord. Ib.
Demandes faites par les révoltés. 369
Rupture des négociations avec l'Espagne. 370
A la Reine. Ib.
Soupçons d'Élisabeth contre la France et l'Espagne. 371
Préparatifs du duc Casimir. Ib.
Proclamation d'Élisabeth contre ceux du Nord. (24 novembre). 372
Proclamation de ceux du Nord;—De la cause
pour laquelle ils ont pris les armes.
375

76e Dépêche.—5 décembre.—

 
Au Roi. 376
Nouvelles du Nord. 377
Marie Stuart conduite à Coventry. Ib.
Mise en liberté du comte d'Arundel. 379
Dégradation des armoiries du comte de Northumberland. Ib.
A la Reine. 380
Serment d'Élisabeth au sujet de la dépêche enlevée. Ib.
Restitution de la dépêche. Ib.
Audience est accordée à l'évêque de Ross. 381
Dispositions favorables d'Élisabeth envers la France. Ib.
Note mise sur l'enveloppe du paquet rendu. 382

77e Dépêche.—10 décembre.—

 
Au Roi. 383
Nouvelles du Nord. Ib.
Succès des révoltés. 384
Mesures prises par Élisabeth. 385
Motifs qui ont fait prendre les armes. 386
Nouvelles d'Allemagne. 387
Préparatifs pour secourir la Rochelle. 388
Armements du duc d'Albe. 389
A la Reine. Ib.
Projet d'Élisabeth de livrer Marie Stuart au comte de Murray. Ib.
Arrivée d'un député de la Rochelle. 391

78e Dépêche.—17 décembre.—

 
Au Roi. 393
Audience. Ib.
Efforts des Espagnols pour renouer les négociations. 399
A la Reine. Ib.
Nouvelles du Nord. 400
Siége de Castelbar et prise de Hartlepool par les révoltés. Ib.
Préparatifs de défense contre le duc d'Albe. 401
Plaintes contre les Bretons. 402

79e Dépêche.—21 décembre.—

 
Au Roi. 403
Demande de secours faite parvles députés de la Rochelle. Ib.
Mission du jeune comte de Mansfeld. 404
Confiance d'Élisabeth dans la répression de la révolte. 405
Interrogatoire du duc de Norfolk. 406
A la Reine. Ib.
Négociations de l'Espagne. 407
Meilleure disposition d'Élisabeth en faveur de Marie Stuart
et du duc de Norfolk.
408
Prise de Castelbar par les révoltés. 409
Départ du sieur Ciapino Vitelli. Ib. 447

80e Dépêche.—27 décembre.—

 
Au Roi. 411
Nouvelles du Nord. Ib.
Imminence d'une bataille décisive. Ib.
Faveur rendue au comte de Pembroke. 412
Audience de congé donnée au sieur Ciapino Vitelli. Ib.
Mission du comte de Mansfeld en Allemagne. 413
A la Reine. Ib.
État des affaires de Marie Stuart. 414
L'ambassadeur réclame le payement de sa pension, et l'accomplissement
des promesses qui lui ont été faites.
415
Lettre secrète à la reine. 416
Recommandation pour que le secret soit gardé sur le second
mémoire joint à la dépêche.
Ib.
Premier mémoire. 417
Historique des affaires du Nord depuis la prise d'armes. Ib.
Crainte que la révolte inspire à Élisabeth. 420
Instance faite auprès du duc de Norfolk pour qu'il renonce
à épouser Marie Stuart.
Ib.
Second mémoire confidentiel. 421
Demande d'un secours d'argent faite par les comtes de
Northumberland et de Westmoreland.
Ib.
Détails secrets de leurs négociations avec l'Espagne. 422
Avis donné par le sieur Ciapino Vitelli au duc d'Albe
de déclarer la guerre à Élisabeth.
Ib.
Proclamation de ceux du Nord. 424
Lettre au roi.—du même jour.— 426
Félicitations sur les nouvelles de France. Ib.
Affaires du Nord. Ib.
Bruit de la dispersion des révoltés. Ib.
Incertitude de cette nouvelle. 427

Addition à la 73e Dépêche.

 
Lettre de Marie Stuart à
Élisabeth (10 novembre).
428
Ses instances pour obtenir son rétablissement en Écosse,
ou la permission de passer en France, même en payant rançon.
Ib.

Addition aux Dépêches de l'année 1569.

 
Lettres diverses de Marie Stuart à l'ambassadeur. 433
25 juillet.—Remercîment de Marie Stuart à l'ambassadeur,
avec prière de lui continuer ses bons offices.
Ib.
10 août.—Prière de Marie Stuart pour que l'ambassadeur
insiste en sa faveur auprès d'Élisabeth.—Soupçons contre
le secrétaire La Vergne.
435
12 août.—Plaintes contre les menées du sieur
Moulins en France.
437
Du même jour.—Nouvelles plaintes contre le sieur Moulins. Ib.

FIN DE LA TABLE DU DEUXIÈME VOLUME.