The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 3664, 17 Mai 1913

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Title: L'Illustration, No. 3664, 17 Mai 1913

Author: Various

Release date: February 4, 2012 [eBook #38760]

Language: French

Credits: Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3664, 17 MAI 1913 ***







L'illustration, 3664, 17 Mai 1913.


(Agrandissement)

Ce numéro contient:

1° LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre n° 7: Servir et La Chienne du roi, de M. Henri Lavedan;
Un Supplément économique et financier de deux pages.


LES SACRIFICES INUTILES DU MONTENEGRO
Avant l'abandon de Scutari: une mère monténégrine et son fils sur la tombe du père,
tombé à l'assaut des hauteurs de Bardaniol.
Phot. S. Tchernof.--Voir l'article, page 472.



COURRIER DE PARIS

LE RIDEAU

Quand les mois du printemps entamé sont en plein jeu et qu'à la cantonade l'été, sans y mettre beaucoup de zèle, équipe cependant ses lumineux décors, les théâtres, tout en continuant, comme dans l'hiver, d'attirer et de réchauffer les hommes, les possèdent cependant avec moins de force. A cette arrière-saison dramatique le spectateur est distrait, assis sans volonté. Il écoute et regarde en laissant échapper par instants des signes de fatigue et d'impatience. La pièce, pour lui, n'est plus là, dans cette solitude, close et ténébreuse à midi, elle est au grand air, en pleine nature. Ici elle devient l'entr'acte qui paraît long, et c'est la vie, la course, le voyage, qui semblent désormais la seule action passionnante dont l'intrigue et le dénouement valent la peine d'être connus. Aussi le rideau, qui se rend compte de cette défaveur, change tout à coup. Il n'est plus le même. Il a je ne sais quoi de flasque et d'abattu.

Dès qu'arrive cette fin de l'année où il entre en subite mélancolie, je ne puis m'empêcher de rêver en le contemplant. D'ailleurs il m'a toujours ému et fait penser, car il est à lui seul la moitié du théâtre. Il le personnifie. Il en est le premier et le dernier tableau. C'est par lui que débutent toutes les pièces, drames, ballets, comédies, tragédies, et qu'elles finissent toutes. Il est le prologue et l'épilogue de la grande farce humaine. Concevons-nous une minute qu'il puisse ne pas être? L'imagination s'y refuse. Tout nous dit en effet qu'avant d'apprendre la belle histoire qui nous est promise nous devons n'en rien connaître, et qu'il faut qu'elle nous soit exposée toute neuve, avec ordre sans doute,--mais dans une sorte de brusquerie de début, de façon à nous heurter et à nous accaparer instantanément. Un mur entre la pièce et le spectateur est donc d'abord nécessaire, le mur derrière lequel se passera tant de fois quelque chose! un mur épais mais fragile, lourd mais léger, impénétrable et mince qui puisse au commandement non pas se fendre et s'écrouler, mais disparaître, s'évanouir, fondre et monter dans un silence obtenu par les battements précipités, puis par les trois coups de nos coeurs.

Mon premier rideau fut celui d'un magnifique théâtre de vingt-quatre francs quatre-vingt-quinze, que l'on m'avait, bien avant que j'eusse atteint l'âge de déraison, donné pour mes étrennes. Je revois l'architecture imposante du Parthénon naïf, peint en crème et sur le fronton duquel un cartouche de bleu de chapelle affichait en capitales d'or le mot Opéra. Dans un décor de palais à colonnades était suspendue à l'intérieur, par des fils raides et emmêlés, la troupe des douze personnages, bottelés les uns contre les autres: le roi, barbu, avec son diadème en papier collé trop bas sur les sourcils, la reine... un duvet jaune d'oeuf ébouriffé sur le crâne, comme une plume au derrière d'un canari, et le guerrier lamé d'argent ainsi qu'une croquette de chocolat, et flanqué de son sabre en carton noir, et tous enfin, arborant leur petite tête ronde et rose d'une vivacité de radis, pliant mal leurs membres menus, taillés en allumettes. Mais ce qui me parut tout de suite le comble de l'enchantement ce fut le rideau, moitié moins grand que mon mouchoir et pourtant si vaste, d'une étendue à bouleverser la raison. La manoeuvre en était d'une extrême et difficile simplicité qui demandait du soin. L'étoffe gommée s'enroulait à regret sur un bâton de perchoir que dépassait d'un côté un morceau de fer tordu en baïonnette. Je ne me lassais pas de monter et de baisser ce rideau, qui fonctionnait si mal et ne se relevait jamais droit. Il bloquait, grinçait, me donnait du tintouin... Cependant, je ne pouvais m'en détacher. Il était pour moi le plus passionnant des décors, parce qu'il les contenait tous, sans exception, dans les plis de sa jupe groseille, oui, tous: le salon et le port de mer, la forêt et la prison, le désert et la montagne, la cuisine et la cathédrale, le tremblement de terre et l'inondation, la ville de Pékin et le Vésuve en feu!... Les meilleures pièces que je me représentais à moi-même sur mon théâtre, c'était celles que me jouait mon rêve, une fois le rideau baissé. Mes personnages m'ennuyaient et cela me dérangeait de les tenir, de les mouvoir, de les faire aller et parler. J'aimais bien mieux les laisser tout pantois à se manger leur nez absent, dans l'ombre du palais désert. Et je me gavais du rideau, je le savais par coeur... je le touchais du bout du doigt, je le caressais comme un chat... je me reculais pour le regarder de loin, j'étudiais de tout près, à plat ventre, ses particularités, je comptais ses coups de pinceau, ses fils, les brins de ses glands, pareil à celui du cordon de sonnette, à la porte de l'appartement; je connaissais toute la géographie de ses faux reliefs, de ses ombres et de ses lumières... Et, quand je m'étais bien gorgé de son vin pur, je le relevais pour me procurer le plaisir de le baisser ensuite--en tirant dessus à deux mains--car il lui était, je ne sais pour quelle raison, défendu de redescendre tout seul et par son propre poids.

Lorsque j'eus la joie, plus tard, de voir le premier vrai rideau de théâtre, un pour-de-bon, un saignant, un vivant, je retrouvai, combien amplifiées et portées à leur paroxysme, les impressions de mon enfance. Un autre que moi faisait à présent manoeuvrer la colossale toile, mais c'était toujours celle de mes premiers regards. Elle avait grandi, elle aussi, voilà tout.

Je me souviens que j'étais exprès arrivé bien avant que le spectacle commençât pour avoir le temps de profiter un peu du rideau et de m'en repaître. Il se prêtait avec une évidente complaisance à la cordialité de mes désirs. D'une lourde et implacable immobilité, il se secouait tout à coup, d'abord imperceptiblement, et bougeant à peine. Puis il s'ébrouait, frémissait. Des frissons le parcouraient, du haut en bas, et passaient sur lui, mais sans l'affecter. Tour à tour, avec mesure et retenue, il se soulevait à demi comme une onde, se creusait comme un sillon, se gonflait comme une voile. Il respirait, il me faisait l'effet d'un poumon gigantesque. Il avait l'air de s'essayer aussi, de se préparer, de repasser tout ce qu'il s'apprêtait à bientôt révéler. De l'orchestre, tapi à ses pieds, s'échappaient dans une discordance infiniment mélodieuse des bruits d'instruments qui venaient le frapper et qu'il renvoyait dans la salle ainsi qu'une raquette. La flûte, et le violon, le basson, le cornet, poussaient chacun leur cri naturel, presque sauvage, et qui les faisait reconnaître sans qu'on eût besoin de les voir, comme il n'est pas nécessaire, si on l'entend, de constater l'oiseau qui lance un son dans les branches touffues, pour affirmer à coup sûr: «C'est un merle,... une mésange.» Et, au fur et à mesure que les spectateurs entraient plus nombreux, le rideau se rengorgeait, si l'on peut dire, et donnait des marques croissantes de paisible agitation.

A droite et à gauche, il était percé de deux petites ouvertures rondes et grillagées, qui semblaient être ses yeux, et qui certainement les étaient, puisque l'on pouvait par moments distinguer des prunelles qui luisaient avec avidité... En même temps, poussé de l'autre côté par un souffle du large, le souffle des passions toutes prêtes et maquillées, qui venaient le battre plus fort, le rideau remuait, oscillait, paraissait vouloir s'enlever et quitter le sol comme un aérostat qui ronge ses amarres. Et, soudain, la rampe éclatait tout du long, par en bas, le baignait de clartés, embrasait ses crépines, lui cousait, à grandes aiguillées, des volants de lumière. Son robuste tissu, inondé de sang frais, ruisselait d'une pourpre plus pure, s'imbibait de carmin. La toile ressuscitait en velours. Les ors jaillissaient, brodés et rappliqués à neuf. Les torsades, les cordelières, tout l'enchevêtrement classique et solennel des câbles fastueux qui retiennent mal, sans les empêcher de s'échapper et de crouler, les tentures de vingt mètres, prenaient leur aspect et leur volume d'apparat. La minute approchait. Le rideau allait se lever... Il le savait lui-même. Tout se taisait... Mes yeux ne décollaient plus du bas de la frange enflammée, qui déjà, une ou deux petites fois, s'était détachée de quelques centimètres du sol. J'avais vu--oh! à peine le temps qu'il rentrât, telle une souris--dépasser le bout d'un pied de satin. Et puis le silence se fit profond, retenu, étranglé... Une espèce d'attente intolérable étreignit mon coeur... qui reçut alors, l'un après l'autre, les trois coups... Ah! ces trois coups!... La première fois que je les entendis, ils me bouleversèrent comme un pressentiment qui ne devait pas me tromper.

C'est d'ailleurs bien autre chose qu'un bruit... c'est terriblement plus et mieux! C'est une sensation splendide et douloureuse, une épreuve de choix à laquelle rien ne se peut comparer. Sur la nuque, l'échine et le rein, au travers du jarret et sur les genoux, dans les tréfonds de la tête et du coeur, cela vous tombe dessus, massif et dru, à la volée, à la façon du marteau de forge et de la hache du bourreau, de la cognée du bûcheron, du bélier qui bat la tour, et vous avez la pleine certitude d'être à la fois l'enclume, l'arbre, la victime et la muraille sur laquelle s'abattent trois fois ces masses de fer et de plomb. Cela tient encore de la rossée de bâton, de la trique sèche et bien en main, de la porte qu'on enfonce, et aussi du coup de hampe de la hallebarde sur un parquet pour annoncer le passage d'un roi. Il y a dans ces trois coups de la force et de la cruauté, de l'irrévocable, quelque chose de brutal et de solennel, qui sent la lutte ouverte, l'attaque violente, et l'instant suprême. Et le rideau part.

Il quitte les planches, rapetissé, et grimpe, s'élève, comme si, au lieu de s'enrouler, il filait tel quel, bien tendu en grande largeur, et traversait le plafond pour monter au firmament et s'y perdre, frise de la nue.

Jamais je n'ai pu assister à sa lente et grave ascension sans me reporter à l'époque enfantine où je tournais la manivelle grinçante de mon opéra. J'ai vu beaucoup de rideaux depuis, dans ma vie. On en fait à présent des bleus, des blonds, des roses, des verts d'eau... de toutes les couleurs... On en invente qui figurent des mythologies, des bacchanales, de l'antique «à la persane». Les uns, fendus par le milieu, s'écartent comme des portières sur une tringle, les autres sont tout à coup brusquement hissés et cargués pour retomber à la fin de l'acte, en paquets de peluche, soulevant des flots de poussière... mais rien, jamais, vous m'entendez, n'atteindra la pourpre du vieux rideau de France, la pourpre qui pend du cintre ainsi qu'une chape et qu'un manteau sur des épaules et qui s'entasse en bas, devant la rampe et l'humble tabernacle du souffleur, comme sur les marches d'un trône,... la pourpre sans doublure et qui a pourtant son envers, symbolique et touchant, son vilain envers de toile à voile, nue, pas peinte, où on écorche, en l'y frottant, son front moite et plein de rêves, le rideau de théâtre enfin, d'or et de soie par devant, et par derrière plus rude qu'un cilice.
Henri Lavedan.

(Reproduction et traduction réservées.)




La maison de campagne d'Horace retrouvée à Licenza, dans
la Sabine; vue d'ensemble des fouilles, dans leur état actuel.

Phot. Robert Vaucher.--Tous droits réservés.

LA VILLA D'HORACE

Rome, 12 mai 1913.

La visite de la reine Marguerite à la villa d'Horace a récemment attiré l'attention du public sur les travaux entrepris pour retrouver exactement l'emplacement de l'habitation du grand poète. M. Angiolo Pasqui, le distingué directeur des fouilles de la province de Rome, a bien voulu me consacrer une journée, afin que L'Illustration, la première, pût donner à ses lecteurs une vision exacte de ce que l'on découvre actuellement.

Depuis Rome, le chemin de fer de l'Adriatique nous transporte jusqu'à Mandela, dans la Sabine. De là, au trot régulier de nos mulets, nous nous acheminons à travers des vallées pittoresques, qui vont se resserrant de plus en plus. Bientôt, le pays devient sauvage; de loin en loin, sur les sommets des montagnes, dont quelques-unes ont plus de 1.000 mètres d'altitude, de petits villages sont perchés en nids d'aigles. Nous arrivons enfin au pied du mont Lucretile, où les travaux, commencés en mai 1911, sont actuellement assez avancés pour permettre d'apprécier l'importance des découvertes faites.

Il y a longtemps que l'on a cherché dans le monde des archéologues quel pouvait bien être l'emplacement de la villa d'Horace. Déjà, dans le courant du quinzième siècle, Daleandro Alberti avait voulu résoudre le problème, mais sans succès. En 1776, de Sanctis étudia la topographie du terrain et établit que la villa d'Horace devait se trouver près de Licenza. Il est intéressant de remarquer qu'un peintre français, J. Ph. Hackert, fit, en 1780, quelques peintures dans la vallée de Licenza, dont l'une, intitulée: «Vue de la situation de la maison de campagne d'Horace», nous montre un joli paysage situé au pied du Lucretile, exactement à l'endroit où les fouilles se poursuivent actuellement. Il semble donc que, en 1780 déjà, on ait été sur la bonne voie. Malheureusement, M. Pietro Rosa affirmait, en 1857, que la villa d'Horace se trouvait à Rocca-Giovane, village situé à quelques kilomètres de Licenza.

Les déclarations d'Horace dans plusieurs de ses écrits s'inscrivent en faux contre cette thèse. Le grand lyrique dit, en effet, que, pour se rendre chez lui, il quitte la Via Valeria à Varia et gagne, par une succession ininterrompue de vallées entourées de montagnes sauvages, le temple de Vacuna, puis continue jusqu'au mont Lucretile à un endroit où, dit-il, se trouve sa villa «dont le côté droit est illuminé par le soleil levant et le côté gauche couvert des ombres du couchant».

Le temple de Vacuna a été retrouvé à Rocca-Giovane, où une inscription de Vespasien rappelle les restaurations que l'empereur a fait exécuter au temple de la Victoire: la Vacuna dei Sabini. Une fois ce temple découvert, il était impossible de continuer à situer la villa d'Horace à Rocca-Giovane, puisque le poète lui-même déclare qu'elle se trouve au delà, sur la route qui, de Varia (actuellement Vicovaro), conduit dans la haute Sabine. Or, des monuments et tombeaux d'une grande importance, portant souvent des inscriptions, en particulier le temple dédié à Flora, la déesse sabine, ont été retrouvés dernièrement le long de cette route, et confirment encore l'existence, dans cette direction, de la villa d'Horace. Enfin, les derniers doutes disparaissent lorsqu'on voit la Licenza (ancienne Digentia) roulant ses eaux mugissantes à 120 mètres de la villa repérée, et qu'on se rappelle que le poète a souvent parlé de ce torrent dans ses oeuvres. Il a dit expressément que sa modeste maison se trouvait près des rives fraîches de la Digentia, dont les eaux vont se perdre à Mandela. Ces eaux qui, selon Horace, avaient des qualités médicinales, calmant spécialement les maux de tête et d'estomac, possèdent encore ces propriétés aujourd'hui. C'est ce torrent aussi qui fournissait l'eau à la villa et aux bains qui furent établis tout auprès.

*
* *

Horace a vécu pendant trente ans dans sa villa de Licenza et y a écrit beaucoup d'odes. Il y courut deux dangers mortels: il fut attaqué par un loup dans une forêt du Lucretile, et risqua, une autre fois, d'être écrasé par un grand noyer qui faillit tomber sur lui. Pour témoigner sa reconnaissance d'avoir été sauvé de ce second péril, le poète sacrifia dès lors chaque année un chevreau aux dieux des forêts.

Dans les environs de sa villa, Horace possédait cinq autres propriétés; aussi pouvait-il être représenté au Conseil de Varia par cinq chefs de famille. Ses domaines se trouvant sur les bords de la Digentia, le poète connut certains des ennuis inhérents à la propriété rurale: il se plaint, en effet, d'avoir souvent à remettre en état ses terrains, dévastés par les eaux grossies du torrent. D'autre part, on peut voir un mur de clôture, qu'il dut faire construire afin de protéger ses moutons contre les incursions des loups, nombreux dans les bois touffus du Lucretile.


       Vallée de la Licenza, dans les monts de la Sabine.

Il est intéressant de noter que les traditions populaires ont toujours gardé le nom de villa d'Horace au verger planté d'oliviers et de noyers oit l'on a entrepris les fouilles avec tant de succès.

Horace, comme Agrippa et Mécène, légua son patrimoine à Auguste lui-même. Ses terrains devinrent donc biens impériaux. Grâce au respect inspiré par le nom d'Horace, la villa resta intacte, tandis qu'on bâtissait à côté un établissement de bains publics, qu'il eût été plus aisé de construire sur les fondements mêmes de la maison du poète.

La villa d'Horace forme un rectangle parfait, autour duquel un mur d'enceinte à contreforts devait empêcher les glissements de terre. Le jardin, qui occupe environ les quatre cinquièmes du terrain, est lui-même entouré d'un cryptoportique (ou galerie voûtée) et contient une très vaste piscine. Devant la maison, qui est un peu plus élevée que le jardin, et à laquelle on accède par quelques gradins, te cryptoportique existe aussi, afin de donner plus de fraîcheur en été. Le bâtiment est divisé en deux parties, dont l'une, à droite, est réservée aux maîtres. Dans l'autre habitaient le villicus et les esclaves. Dans la première partie se trouvent plusieurs chambres à coucher et un grand triclinium. Les mosaïques de toutes ces salles sont de marbre finement travaillé et rappellent la belle époque d'Auguste, tandis que celles des chambres réservées aux serviteurs sont d'un travail beaucoup plus grossier. A côté de ces chambres, séparés par un corridor, se voient les bains avec caldarium pour hommes et pour femmes. Le cryptoportique était pavé de petits carrés de marbre, alternant avec des morceaux de palombino (qui est un calcaire du pays). Les piliers étaient de marbre. La grande piscine, située au centre du jardin, a deux mètres de profondeur.


      Le «frigidarium» transformé plus tard en crypte: sur la
                  hauteur, le château de Licenza.

De beaux marbres ont été retrouvés à l'intérieur de la maison. Malheureusement, en 1857, l'abbé Marco Tulli, archiprêtre de Licenza, voulant y construire une église, fit faire des fouilles sur l'emplacement de la villa d'Horace, et, avec les marbres mis à jour, fabriqua la chaux qui lui était nécessaire. Les murs sont faits en reticolato (matériaux prismatiques donnant aux surfaces l'aspect d'un réseau), caractéristique de l'époque d'Auguste. Encore faut-il remarquer que, tandis qu'à Rome le reticolato est en tuf, il est, ici, taillé dans du calcaire très dur. C'est donc intentionnellement qu'on l'a employé, afin d'être en rapport avec l'architecture. La villa n'a subi dès lors aucune reconstruction.

Adjacentes à la maison d'Horace se trouvent des constructions postérieures, séparées, dont une partie est du temps de Vespasien. L'autre, plus récente, date des Antonins. Ces ruines longent le jardin du poète et sont les restes d'un grand bain.

On y a relevé l'emplacement d'une vaste salle, autour de laquelle couraient des canaux pour la conduite des eaux et de la vapeur nécessaire au chauffage. Dans une piscine peinte en bleu, on élevait des poissons, probablement pour amuser les visiteurs. Tandis que le caldarium est resté intact, le frigidarium a subi de nombreuses transformations. Celui-ci a la forme d'un rectangle, avec des niches dans chaque angle et, au milieu, la piscine.

La piscine, au centre du jardin: au fond, les pentes du mont Lucretile. Bains de l'époque de Vespasien, contigus à la villa d'Horace, qu'on voit au fond. Le cryptoportique construit en reticolato, entourant le jardin.

Photographies R. Vaucher.--Droits réservés.


Mosaïque de marbre d'une salle de la villa d'Horace. Amphores de la cave d'Horace trouvées dans les premières fouilles.
Le «caldarium»: au centre, les piliers qui soutenaient la mosaïque et entre lesquels circulait l'air chaud.
Plan-croquis des fouilles de la villa d'Horace, relevé sur place, le 11 mai 1913, par M. Robert Vaucher.

1. Entrée de la villa (détruite par des glissements de terrain).--2. Le cryptoportique.--3. Jardin.--4. Piscine. --5. Triclinium.--6. Partie habitée par les maîtres.--7. Partie réservée aux serviteurs.--8. Caldarium.--9. Égouts.--10. Conduite emmenant l'eau de la piscine.--11. Collecteur des eaux de pluie.--12. Bains vespasiens.--13. Frigidarium.--14. Porte de l'église construite sur le frigidarium.--15. Crypte creusée dans la piscine.--16. Terrains restant à fouiller.


               Vue générale de ce qui subsiste de la
                            villa d'Horace.

Plus tard, une église fut construite sur le frigidarium lui-même, et, de la piscine, on fit une sorte de crypte que l'on employa comme cimetière. Cette crypte fut trouvée pleine de squelettes, portant au cou des colliers avec médailles, qui permettaient de faire remonter la construction de l'église au sixième ou septième siècle, soit au temps des Goths et des Lombards. Les mosaïques qui couvrent le fond sont très grossières. On rencontre chaque jour des objets de toutes espèces au fur et à mesure que les fouilles avancent. M. Pasqui a réuni dans le pittoresque village de Licenza une collection très complète d'objets ayant appartenu à Horace. Il y a une tête en marbre de l'impératrice Sanonina qui est assez intéressante. Les ustensiles domestiques (cuillers, candélabres, clefs, anneaux, poids marqués et portant le sceau du vérificateur) sont nombreux. Le grand poète avait même de jolies pierres pour le jeu des osselets. Des vases gaulois bien conservés peints à la barbotine, et remontant au deuxième et au troisième siècle, voisinent avec un glyrarium, sorte de vase de terre cuite renversé, employé comme cage afin d'engraisser rapidement les oiseaux et n'ayant que quelques trous pour laisser passer la nourriture. Déjà les anciens connaissaient donc des procédés pour l'élevage intensif. Des briques ont été recueillies avec la signature: «Numeri Nevi». Elles sont donc parmi les plus anciennes que l'on connaisse. M. Pasqui me montre également de ravissants camées et une bague en or de grande valeur, trouvés dans la villa elle-même. Une pierre tombale, représentant les quatre saisons, nous donne des conseils de résignation: «Certes, vous devrez tous mourir, dit l'inscription, mais du moins vous avez vécu. Dans la vie, l'on mange et l'on boit bien: aussi devez-vous être heureux d'avoir vécu...»

Nous voici arrivés au bout de notre excursion et, tandis que le soleil se couche derrière le mont Lucretile, je me hâte de faire un croquis de l'emplacement de la villa d'Horace, car il est impossible d'en obtenir le plan. «J'ai une modeste maison de campagne», écrit Horace; en effet, la villa n'est pas très grande, --juste la place, dans la partie réservée aux serviteurs, pour loger les huit esclaves que possédait le poète.

Les travaux sont loin d'être terminés, et l'on peut espérer que le gouvernement italien, vu les beaux résultats déjà obtenus par M. Pasqui, se hâtera de permettre--financièrement--de poursuivre les fouilles qui nous réservent peut-être encore d'agréables surprises.

Il y a deux ans, le promeneur attentif aurait à peine remarqué, sur une colline ombragée d'oliviers et de noyers, deux piliers dépassant le sol de 50 centimètres, et il ne se serait certainement pas douté que des mosaïques se trouvaient merveilleusement conservées, dans cet endroit retiré, à deux mètres sous terre.

Le sol italien est encore riche en trésors, et l'ère des découvertes n'est point close.
Robert Vaucher.






Un mouvement d'ensemble.--Devant la tribune officielle: remise du drapeau fédéral aux gymnastes de Vichy par la section de Tunis-ville.

LA FÊTE ANNUELLE DES GYMNASTES DE FRANCE

Chaque année, à la Pentecôte, l'Union des Sociétés de gymnastique de France, que préside depuis bien des années déjà, avec tant de zèle éclairé, M. Ch. Cazalet, tient ses assises, sa «fête fédérale», dans la ville qui l'invita l'année précédente. C'était, cette fois, à Vichy. Et, selon un usage traditionnel aussi, plusieurs membres du gouvernement présidaient à cette fête. C'étaient MM. Louis Barthou, président du Conseil, Etienne, ministre de la Guerre, et Clémentel, ministre de l'Agriculture.

Plus de 8.000 gymnastes, parmi lesquels figuraient les sokols de Prague, les dames gymnastes de Rotterdam, une société italienne de Cagliari, d'autres sociétés étrangères encore, ont pris part, dans ces deux journées, aux concours et, dans la manifestation finale, exécuté devant les ministres ces exercices d'ensemble dont la précision, attestant la parfaite discipline, l'entraînement des gymnastes, charme toujours les profanes.

Au cours des fêtes, M. Ch. Cazalet, interprète autorisé de la jeunesse française, a donné au ministre de la Guerre l'assurance de l'adhésion enthousiaste de tous ces jeunes gens à la loi de trois ans, parce qu'ils savent «qu'on ne respecte que les forts». Et M. Etienne l'a remercié avec émotion.

Le lendemain, à l'issue du banquet que l'Union et la ville de Vichy offraient aux membres du gouvernement, le président du Conseil, de son côté, a affirmé une fois de plus le ferme dessein qui anime le cabinet entier qu'il préside d'accomplir tout son devoir patriotique en soutenant devant le Parlement le projet d'augmentation du service militaire, car «la défense nationale est le premier devoir d'un républicain».

Le dernier acte de ces belles fêtes a été la remise, par la section de Tunis-ville, qui le gardait depuis l'an dernier, du drapeau de l'Union à M. Ch. Cazalet, qui allait le confier à son tour, pour l'année qui s'ouvre, aux gymnastes de Vichy.




Une noce hollandaise d'il y a cent ans reconstituée à
l'exposition d'Amsterdam: le cortège des invités.

UN MARIAGE A AMSTERDAM EN 1813

Sans trop s'inquiéter de la concurrence de Gand, les Pays-Bas ont voulu fêter le centenaire de leur indépendance--le retour de Guillaume-Frédéric d'Orange, fils de leur dernier stathouder--en organisant une exposition à Amsterdam. Elle est plus spécialement consacrée aux arts féminins et à la science domestique, et l'on y voit, notamment, de curieuses reproductions d'intérieurs hollandais d'il y a cent ans, ainsi que de pittoresques tableaux vivants qui évoquent les petits métiers auxquels les femmes des classes laborieuses demandent une existence précaire.


Le bourgmestre et les demoiselles d'honneur.

S'ils sont moins profonds en leurs enseignements sociaux, d'autres tableaux vivants, qui rappellent gracieusement les moeurs et coutumes des Pays-Bas en 1813, offrent de plus aimables spectacles.


Les mariés.

L'idée apparaît heureuse entre toutes d'avoir reconstitué avec une fidélité attentive, les noces d'un jeune aristocrate hollandais et d'une petite bourgeoise de l'époque. Des barques enguirlandées de fleurs amenèrent de Zaandam à Amsterdam les époux et leurs invités, tous habillés de costumes du temps, religieusement conservés dans les familles dont les membres participaient à l'élégante fête. Le bourgmestre figura en bonne place, flanqué de deux mignonnes demoiselles d'honneur, et, sans montrer un émoi exagéré, les jeunes épousés renouvelèrent leurs tendres aveux devant l'indiscret objectif de l'appareil photographique.




A CINQ PAS D'UNE LIONNE.--Un bel exploit de chasseur et une prouesse de photographe.

A considérer ce dramatique instantané, aussi émouvant par ce qu'il montre que par ce qu'il laisse supposer des péripéties d'une chasse dont il fixe l'un des instants, on se demande, et l'on hésite à décider, s'il faut davantage admirer l'intrépidité du tireur épaulant son arme avec un soin précis, et visant le fauve prêt à bondir, ou celle du photographe invisible qui, à quelques mètres, posément, sans hâte malhabile, fit les gestes nécessaires pour prendre l'impressionnant cliché... L'honneur en revient à un jeune et hardi reporter du Daily Mirror, M. Albert Wyndham: chargé par son journal d'aller enregistrer, au centre de k'Afrique, de sensationnelles scènes de chasse, il dut, avec son compagnon, M. Brian Brooke, battre pendant plusieurs semaines les jungles de l'Ouganda avant de rencontrer le «sujet» souhaité. Le hasard favorisa enfin les audacieux. Un matin, vers l'aurore, ils surprirent une lionne que M. Brian Brooke réussit à blesser grièvement. En suivant sa piste sanglante, ils parvinrent au lit desséché s'une rivière: là, M. Wyndham s'installa, avec son appareil, tandis que son camarade fouillait les hautes herbes, où des indices certains lui avaient révélé le passage de l'animal. Après dix longues minutes de recherche, il découvrit la retraite de la lionne, qui s'était tapie à quelques pas du photographe. Comme la redoutable bête, soudain dressée, s'avançait en rugissant, la gueule ouverte, vers le chasseur, qui tenait son fusil braqué sur elle, M. Wyndham fit jouer le déclic de l'objectif. Presque au même moment, le coup partait: frappé entre les yeux, le fauve s'affaissait, foudroyé.




Le cloître de Saint-Michel de Cuxa, réédifié dans la cour
de l'établissement de bains de Prades, et qui a été vendu à un Américain.
--Phot. Labouche.

UN CLOITRE MENACÉ D'EXIL

Tout le Roussillon, et il n'est pas exagéré de dire: tout le Midi, est ému en ce moment du péril qui menace le magnifique cloître de Saint-Michel de Cuxa.

Ce cloître a été acheté récemment par un sculpteur américain, et l'acquéreur, M. George Gray-Barnard. est venu ces jours-ci avec ses démolisseurs pour en prendre livraison et pour l'emballer ensuite pierre à pierre à destination de l'Amérique.

C'est au sud de la jolie petite ville de Prades (Pyrénées-Orientales), dans un coin perdu de la vallée de Taurinya, que s'élèvent les ruines de l'antique abbaye de Saint-Michel de Cuxa. De tous les côtés, comme pour faire une protection à cette solitude, se dressent les remparts des montagnes proches aux flancs piqués d'oliviers et de chênes-lièges dans les parfums pénétrants des arnicas et des genévriers.

L'entonnoir sauvage n'ouvre que d'un seul côté, une fenêtre d'azur, mais dans cette fenêtre s'encadrent les flancs gigantesques et les cimes de neige éternellement éblouissantes du Canigou.

La date de la fondation de l'abbaye se perd dans la nuit du haut moyen âge.

Ce qu'on sait, c'est qu'en 879, d'après le testament de l'abbé Protasius, le monastère possédait une bibliothèque de trente manuscrits richement enluminés, ce qui était considérable pour l'époque, et dénote que l'abbaye était déjà un centre puissant et riche de culture.

L'abbé, crossé et mitré, avait privilège d'évêque et jouissait de pouvoirs quasi souverains. Sa juridiction spirituelle et temporelle dominait deux cent trente-quatre villages, paroisses et vallées, et embrassait de nombreux monastères en Cerdagne, en Espagne même et jusqu'à l'île de Minorque. Au treizième siècle commença, pour l'abbaye, la période de décadence, et le monastère, avec ses bâtiments et jardins, fut vendu en 1791 pour la somme dérisoire de 17.287 livres.

Il ne reste aujourd'hui de l'antique abbaye catalane que des ruines désolées mais encore imposantes qui proclament l'indifférence et la barbarie des hommes modernes.

La porte principale de l'enceinte présente sur ses montants découronnés un saint Pierre et un saint Paul à demi byzantins, accompagnés de chimères ailées et de guivres, fantastique bestiaire du onzième siècle. L'église montre encore son transept et sa nef unique dont les lourdes voûtes romanes défiaient les chaleur; de l'été. Seules les ogives du choeur permettaient au soleil de ruisseler vers l'autel dans les cascades de rubis des verrières. La nef n'est plus aujourd'hui qu'un grenier sans toiture.


       Les ruines de l'antique abbaye de Saint-Michel de Cuxa
                     (Pyrénées-Orientales).--
Phot. Labouche.

Une partie de l'enceinte existe encore avec ses massifs contreforts. A l'une de ses extrémités, la maison abbatiale s'enorgueillit de son portail de marbre élevé sur un perron de plusieurs marches et couvert de sculptures du onzième siècle.

Enfin, dominant tout l'ensemble, par-dessus les herbes et les débris jonchant les cours abandonnées, par-dessus quelques vieux arbres, seuls restes des plantations monacales, s'érige la puissante tour carrée, moitié clocher, moitié forteresse, dont les arcatures à plein cintre sont muettes de leurs cloches et semblent toujours, de leurs yeux aveugles, regarder en face le Canigou.

Quant au cloître--c'est surtout de lui qu'il s'agit--il a été arraché en 1840 aux ruines de l'abbaye et réédifié par quelque vandale inconscient dans la cour de l'établissement de bains de Prades, où il déroule la suite imposante de ses lourdes arcades romanes. Ses colonnes trapues baignent dans la lumière natale et ses puissants chapiteaux ciselés de feuillages, de lions et d'esclaves laissés dans le marbre rose ont conservé leur beauté, parce que, dans leurs reliefs magnifiques, joue encore le soleil catalan.

Dès qu'on a su, à Prades, que le cloître, vendu à un étranger, allait partir pour l'Amérique, la ville s'est émue, l'architecte départemental des monuments historiques a réclamé l'aide de l'administration des Beaux-Arts, et M. Brousse, député des Pyrénées-Orientales, a manifesté l'intention d'interpeller le ministre.

Aussitôt M. Léon Bérard, sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts, a accordé une subvention de 3.000 francs à la ville de Prades pour l'aider à acquérir les chapiteaux. Et pour donner à la ville le temps de réunir par souscription le complément du prix d'achat (une autre somme égale de 3.000 francs), M. Léon Bérard a avisé le préfet qu'une nouvelle instance de classement était ouverte--la première n'avait pas abouti--ce qui empêchera tout déplacement des chapiteaux pendant trois mois.

Le cloître de Cuxa, on le voit, n'est pas encore sauvé. Document magnifique de l'art local et souvenir vénérable de l'histoire provinciale, ce monument incarne une part de l'âme catalane et méridionale. Sa perte serait un deuil pour le Roussillon et pour le Midi.

Quand se décidera-t-on à voter une loi qui, comme la loi italienne, interdise l'exode de nos vieilles pierres à l'étranger? Jusque-là tout est à craindre, car l'Amérique, pour ne parler que d'elle, achète tous les jours, dans tous les coins de la France, de nouvelles reliques de notre patrimoine ancestral.
J.-R. de Brousse.




LE VOYAGE DU ROI D'ESPAGNE EN FRANCE.--Au camp d'aviation de Buc. Après avoir passé la revue des aéroplanes, le roi et le président de la République assistent aux évolutions des aviateurs civils et militaires. Voir l'article, page 472.



LA FETE MILITAIRE DE FONTAINEBLEAU EN L'HONNEUR DU ROI D'ESPAGNE Un virage vertigineux des mitrailleuses du 7e dragons devant la tribune officielle décorée aux couleurs espagnoles et françaises.
Dessin de Georges Scott.--Voir l'article, page 472.]




L'alphabet sogdien, rétabli par M. Gauthiot.
La correspondance des sons n'est pas rigoureuse entre le sogdien et les langues que note notre alphabet; une même lettre sogdienne représente ainsi, quelquefois, des sons que nous écrivons par plusieurs lettres (k, g, par exemple). Dans d'autres cas, le son noté est disparu et les linguistes le notent au moyen de lettres grecques, comme bêta ou gamma, sons voisins, mais assez différents, de notre v et de notre g. Enfin, le tracé des lettres varie souvent avec leur position: le signe +, qui figure ici au-dessus de deux d'entre elles, indique leur forme à la fin du mot.

UNE LANGUE ET UNE CIVILISATION RETROUVÉES

La «philologie»--comme on disait voici soixante ans--ou la «linguistique», comme on dit aujourd'hui, n'est pas une science à l'usage des gens du monde, et la publication d'une «grammaire» est rarement un événement sensationnel. Toute règle cependant souffre des exceptions, et la révélation de la grammaire «sogdienne», que vient de faire un jeune savant français, M. R. Gauthiot, dans une de ses thèses de doctorat soutenues en Sorbonne le 30 avril, est une de celles-là.

C'est que le sogdien n'est pas une langue ordinaire: sa découverte et son déchiffrement présentent, pour l'histoire de l'Asie tout entière et même, dans une certaine mesure, pour l'histoire générale de l'ancien continent, une importance comparable à celle qu'offrait, pour l'étude de l'antiquité, le déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens, effectué voici presque un siècle par Champollion.

Il y a dix ans, tout ce qu'on savait du sogdien, des Sogdiens, et de la Sogdiane, tenait en quelques lignes: Strabon et Hérodote donnaient leurs noms; un texte iranien assurait que les sauterelles étaient le fléau de la Sogdiane; un portrait de Sogdien, barbu et à pantalon long, figurait sur le tombeau du roi des rois perse Darius Hystaspes.

A ce moment, les orientalistes commençaient l'exploration archéologique du Turkestan chinois. Ce territoire, situé juste au centre de l'Asie, et qui n'est plus aujourd'hui qu'un énorme désert dans une frêle ceinture d'oasis, leur paraissait, par sa situation même entre la Chine et l'Inde, devoir fournir la clef des rapports qu'ont eus de tout temps les civilisations de ces deux pays, les plus grandes et les plus vieilles de l'Asie orientale. L'histoire du bouddhisme--la grande religion née dans l'Inde et qui, en s'épandant sur tout l'Extrême-Orient, y a joué un rôle aussi important que celui du christianisme en Occident--attendait de nouveau domaine des éclaircissements essentiels, qu'il lui a, en effet, fournis généreusement.

Sur la marge et parfois jusqu'au centre du désert, le Turkestan chinois a livré les traces d'une civilisation restée sans lendemain, mais qui avait été florissante. Les sables, d'une presque absolue sécheresse, avaient gardé intactes depuis des siècles des villes bâties en bois, abandonnées un jour à la hâte, où l'on a retrouvé des oeuvres d'art, des objets familiers, des manuscrits. Et tout le monde se rappelle qu'à la fin de 1909, M. Pelliot, aujourd'hui professeur au Collège de France, ramenait en Europe la plus vaste collection de textes orientaux, toute une bibliothèque, murée et oubliée depuis des siècles dans une des grottes du vieux monastère des «Mille Bouddhas», creusé dans une montagne des environs de Tun-houang, dernière ville chinoise vers le Turkestan: une partie de ces documents allait permettre de résoudre la question du sogdien, qui venait justement de se poser.


            Quelques lignes d'un manuscrit sogdien,
            rapporté de Tun-houang par M. Pelliot.

Ce manuscrit contient, en une quarantaine de pages formant plus de quinze cents lignes, une rédaction sogdienne d'un récit légendaire bouddhique déjà connu, dans son fond, par des rédactions hindoues, tibétaines et chinoises, mais fort différent de celles-ci par les détails: l'histoire du prince Sudâshan. Le prince, fils d'un roi lui-même célèbre par ses vertus, a l'ambition de devenir un Bouddha, et s'entraîne sans cesse à de plus grands efforts de charité. Le fragment photographié le montre au moment où des brahmanes, «venus d'un pays qui est à mille lieues», s'efforcent de le tenter en lui demandant en cadeau une des raretés de ce monde: «le roi des éléphants blancs, Râjyavardhana, aux six choses inestimables». Sudâshan ne se décide pas d'abord et leur propose d'autres richesses: «Ce dont vous avez envie, leur dit-il, demandez-le, et je vous le donnerai, à la fois à manger et à boire, à la fois des vêtements, à la fois des trésors, à la fois des richesses, à la fois des esclaves femmes et hommes, à la fois des chameaux, à la fois du petit bétail et des animaux: ce qui vous fait envie, quoi que ce soit, prenez-le en abondance!» (La partie en italique correspond au fragment reproduit ci-dessus.)]

Deux missions allemandes--Grünwedel et Hugh en 1902, Yvon Lecoq en 1904-1905--avaient en effet fourni quelques fragments d'une langue inconnue, mais notée en diverses écritures connues, tantôt en «manichéen», tantôt en «syriaque», langue dont, grâce à cette circonstance, M. F. W. K. Millier, de Berlin, avait pu reconnaître la parenté avec des dialectes anciens de l'Iran et que son collaborateur M. Andréas avait identifiée avec le sogdien. Peu de temps après, on découvrait qu'une écriture «sogdienne», auparavant inconnue, avait servi à noter ce sogdien, et M. Pelliot d'un côté, le voyageur anglais Stein de l'autre, en apportaient des spécimens. Il ne manquait plus qu'un moyen de comprendre la langue ainsi retrouvée: M. Pelliot le fournit, en signalant, parmi le matériel réuni, quelques «bilingues», c'est-à-dire des traductions en sogdien d'ouvrages que l'on possédait déjà en rédaction chinoise. Avec ces documents, le déchiffrement de l'écriture et l'étude de la langue étaient possibles: M. Gauthiot, qui s'en chargea, vint brillamment à bout de tous deux.

L'écriture sogdienne--dont on voit ici l'alphabet et un spécimen--se lit de droite à gauche, c'est-à-dire en sens inverse de la nôtre, comme l'arabe ou l'hébreu. Comme ces dernières également, elle ne note pas les voyelles, mais seulement les consonnes. En fait, c'est une écriture «sémitique»; cependant la langue qu'elle note appartient à une tout autre famille de civilisation; elle fait partie du grand ensemble des «langues indo-européennes», et se rattache au groupe iranien.

Langue et écriture, le sogdien est ce qui reste aujourd'hui d'une civilisation qui, tous les documents le montrent, a régné près de quinze siècles, non seulement dans la Sogdiane étroite délimitée par Alexandre, mais sur toute l'étendue qui va presque de la mer Caspienne aux premières villes de la Chine, sur toute l'étendue du Turkestan. Le peuple sogdien, fait de cultivateurs, de marchands, de bourgeois, de voyageurs, servait de lien entre l'Inde, la Chine, le Tibet, la Perse. A travers son territoire, les grandes pistes caravanières qui partaient de la Chine portaient le commerce de tout l'Extrême-Orient vers les pays du Sud et de l'Ouest et jusqu'aux confins de la Méditerranée orientale. Sur ces voies du trafic, les idées et les croyances se transmettaient également, et c'est par leur trajet que se sont étendus vers l'Extrême-Orient le bouddhisme et l'art qu'il véhiculait; même des hérésies, des sectes, autrement moins importantes, suivaient aussi ces chemins, et l'une d'elles qui atteignit jusqu'à la Chine, devait se répandre en même temps dans l'Occident chrétien: c'est ce «manichéisme» que saint Augustin chargeait de sa haine et qui se termina dans la célèbre croisade des Albigeois. A ces civilisations qu'ils faisaient joindre les Sogdiens servaient en même temps de rempart: ils les défendirent pendant des siècles contre les nomades du Nord, Scythes, Huns, et autres, jusqu'aux temps où, vers le huitième siècle de notre ère, tandis, d'ailleurs, que l'islam s'installait dans la Perse rénovée et y transformait la civilisation, ils finirent par succomber sous les massacres mongols. Leurs descendants ne sont plus aujourd'hui qu'une poignée, réfugiés dans la vallée escarpée de l'Yagnab: M. Gauthiot vient de partir les étudier sur place.

Les grands traits de l'histoire totale du bouddhisme à travers l'Asie s'étaient fixés depuis une trentaine d'années; dans les dix dernières, on avait appris en outre toute l'importance du rôle joué par le Turkestan chinois dans cette histoire; mais son mécanisme intérieur restait ignoré... C'est ce mécanisme que révèle la découverte du sogdien. Si l'on se rappelle qu'en même temps il est de plus en plus apparu que l'Inde, au moment même où le bouddhisme allait en sortir, a subi les influences les plus directes de l'Occident, et que notamment l'art bouddhique, qui s'est alors formé, est tout grec par sa forme, comme il est tout hindou par son contenu religieux, on voit que ce n'est pas seulement toute l'histoire de l'Asie qui s'éclaire, et dans son plus grand épisode, mais un des plus vastes fragments de toute l'histoire de l'ancien continent.
Jean-Paul Laffitte.



GAVROCHE AU MONTENEGRO

Depuis le commencement de la guerre jusqu'à la prise toute récente de Scutari, le Monténégro nous a fourni bien des images héroïques. Celle que nous reproduisons ici témoigne que le vaillant petit peuple a parfois l'humeur plaisante, et que l'impertinent Gavroche y exerce ses jeunes malices... C'était à Cettigne, le lendemain de la chute de la citadelle turque. L'allégresse publique s'exprime toujours plus librement que la joie officielle: il lui fallut, pour être satisfaite, qu'un âne, revêtu d'étoffes de deuil et portant en évidence un «faire-part» de la Neue Freie Presse--le grand journal de Vienne--fût promené dans les rues de la ville. Espièglerie bien innocente, sans doute, qui n'éveillera point les susceptibilités du puissant voisin, et que notre confrère autrichien aura l'esprit de ne pas grossir en incident diplomatique... Quelques jours après, le roi Nicolas était contraint de remettre à l'Europe Scutari à peine conquise: les événements avaient fait prendre à la Neue Freie Presse sa revanche.


Comment, au lendemain de la prise de Scutari, s'est
exprimée à Cettigne la malice populaire à l'égard de
la presse autrichienne.
--Phot. Voukotitch.




Un chemin dans la forêt de Terre-Neuve qui alimente en papier le Times, le Daily Mail, le Daily Mirror et soixante publications diverses d'Angleterre.

LE NAPOLÉON DU JOURNALISME

UNE GRANDIOSE ENTREPRISE: LA PAPETERIE
DE GRAND-FALLS

Il y a six ans, l'homme que ses compatriotes appellent pittoresquement le «Napoléon du journalisme», lord Northcliffe, directeur du Times, fondateur des deux journaux aux plus grands tirages d'Angleterre, le Daily Mail et le Daily Mirror, et d'une soixantaine d'autres publications, s'avisa un beau matin que ses journaux consommaient annuellement une quantité de papier dont le prix d'achat se chiffrait par millions de francs, que l'épuisement des sources de matière première, la pulpe des forêts norvégiennes, augmenterait rapidement ce tribut formidable, et qu'il trouverait profit et sécurité à fabriquer lui-même son papier, audacieux projet dont l'exécution coûterait une bagatelle: trente-huit millions de francs!

L'Anglo-Newfoundland Development Company venait au monde, dotée d'un apanage princier: 5.500 kilomètres carrés couverts de forêts vierges où abondaient les essences propres à la fabrication de la pulpe à papier, et que traversaient des chapelets de lacs et de rivières qui en faciliteraient singulièrement l'exploitation. Terre-Neuve, cette vaste solitude dont l'intérieur était encore en partie inexploré, allait devenir la rivale des pays Scandinaves, et réclamer sa place sur le marché mondial du papier.

L'immense domaine était admirablement choisi pour servir d'emplacement à une usine qui serait avant longtemps la plus grande fabrique de pulpe et de papier du monde. Bondissant de cascades en cascades, le fleuve des Exploits offrait une mine inépuisable de «houille blanche», et ce fut par la mise en valeur de ce réservoir de forces naturelles que débuta la grandiose entreprise: une digue de 466 mètres de long, haute de 8 mètres, épaisse également de 8 mètres à la base, barra bientôt le lit du fleuve, constituant au-dessus des premières cascades un immense bassin capable d'alimenter en toutes saisons deux conduites gigantesques, deux formidables tubes d'acier de 717 mètres de longueur et 5 mètres de diamètre.

Quatre ans après la prise de possession de ces forêts vierges, lord Northcliffe pouvait inaugurer, en présence du gouverneur de Terre-Neuve, cette merveille de l'industrie qu'est Grand-Falls, avec ses machines qui dévorent chaque jour cinquante mille arbres pour les transformer en pâte à papier. En même temps que l'usine colossale, une ville avait surgi du sol, ville d'ingénieurs et d'ouvriers qui comptait dès sa naissance trois mille âmes, cinq églises, deux écoles, un hôpital, un théâtre, une maison commune, un hôtel et un club. Et, miracle d'activité, une voie ferrée, longue de 33 kilomètres, la reliait déjà à Botwood, le port maritime le plus rapproché, où des quais attendaient les navires qui viendraient bientôt charger leurs premières cargaisons de pulpe et de papier.

Sans exposer ici la technique de ce dernier-né de la grande industrie qu'est la fabrique de la pulpe de bois, contentons-nous de commenter notre série de photographies qui reconstitue pittoresquement la transformation du sapin en papier à journaux, telle qu'elle se déroule, d'un bout de l'année à l'autre, dans le domaine de Terre-Neuve.

Répartis par campement, les bûcherons commencent par tailler un chemin à travers la forêt entre la coupe et la nappe d'eau (lac ou rivière) la plus rapprochée. Tous les arbres d'une certaine grosseur sont abattus et dépouillés de leurs branches. L'abatage est conduit scientifiquement, d'après des méthodes qui découlent des enseignements des meilleures écoles forestières d'Europe: les troncs abattus sont immédiatement remplacés par de jeunes plants, si bien que l'exploitation du domaine de Grand-Falls, loin d'être une oeuvre de dévastation, a pour résultat indirect d'embellir les forêts en y laissant pénétrer plus d'air et de lumière et en favorisant ainsi la croissance des arbres épargnés. Dès que la première neige de l'hiver a nivelé les chemins, des attelages de chevaux traînent les troncs jusqu'à l'entrepôt fluvial. On les y entasse par piles énormes, en attendant le printemps et le dégel. Puis, quand la débâcle a rendu la vie aux torrents, on provoque l'écroulement de ces piles, et c'est par milliers que le courant entraîne les arbres à travers rapides et cascades jusque dans les eaux du fleuve des Exploits, où ces milliers se comptent désormais par millions.

Les troncs forment alors une île flottante qu'il s'agit de conduire aux abords du moulin, situé à une distance qui peut atteindre 100 kilomètres, en raison des innombrables boucles du fleuve. Une équipe de vingt à vingt-cinq hommes, montée dans une grande pirogue appelée du nom indien de wanagan, suit de près cette masse mouvante, la pousse et la conduit comme des bergers font d'un troupeau; et c'est un spectacle émotionnant et pittoresque que de voir ces rudes Terre-Neuviens, chaussés de leurs hautes bottes aux semelles souples, bondir d'épave en épave pour ramener dans le courant les troncs réfugiés au fond d'une anse aux eaux tranquilles.

Parfois, l'heure tourne au tragique, quand les troncs d'avant-garde s'accrochent aux arêtes d'une roche et résistent à la poussée des troncs suivants. En un clin d'oeil une barricade, dont la hauteur et l'épaisseur augmentent de seconde en seconde, se dresse en travers du lit, dans un grondement formidable. Au péril de leur vie, les hommes se précipitent à l'assaut de la barrière, s'efforcent, à coups de maillets, de dégager les premiers troncs, et ont tout juste le temps de se garer de la meurtrière avalanche, quand la palissade s'écroule enfin par-dessus les rochers qui lui servaient de fondations.

Parvenus au terme de leur long voyage, les troncs viennent s'accumuler par millions dans le bassin naturel de Rushy-Pond, situé à 4 kilomètres de l'usine. Un assemblage de chaînes, appelé boom, arrête leur élan et ne laisse passer que les quantités requises. Entraînés par le courant, les arbres viennent s'échouer sur une plate-forme roulante qui les convoie vers la scierie (slasher) où des scies circulaires les sectionnent en tronçons de 0 m. 80. Ceux-ci tombent sur un plan incliné qui, par l'intermédiaire d'une chaîne sans fin, les dirige vers une autre salle où des machines les dépouillent de leur écorce. Un triage permet d'écarter les tronçons de mauvaise qualité, qu'un convoyeur mécanique emporte vers les chaufferies; les autres sont dirigés vers la salle de broyage où vingt-quatre machines les réduisent en pulpe, à l'aide de meules de pierre qui font 200 tours par minute.


Après avoir été entraînés par les courants à travers un immense labyrinthe de torrents, de rivières et de lacs, les millions de troncs de sapin sont enfin arrêtés par un barrage à
Rushy-Pond, aux abords du gigantesque moulin qui va les transformer en pâte à papier.


Le barrage laisse passer le nombre de troncs demandés par la consommation, et qu'une plate-forme roulante achemine vers l'usine. Les troncs passent d'abord sur des scies circulaires qui les divisent en tronçons réguliers; ceux-ci tombent dans une rigole où un courant les entraîne.


Chargées sur des wagonnets, ces bûches humides sont déversées sans interruption sur un nouveau convoyeur qui les conduit à la chambre de broyage. Là elles sont réparties à droite et à gauche, et soumises à l'action de meules de pierre qui les broient et les réduisent en pulpe.


Délayée dans l'eau, la pulpe de bois passe par une série de cuves où elle se transforme en une pâte de plus en plus fine. Elle est ensuite soumise à l'action de rouleaux sécheurs et compresseurs et prend l'aspect et la consistance d'une large bande sans fin.


La «pâte» destinée à l'exportation est sectionnée avant d'être placée sous des presses hydrauliques qui achèvent de la débarrasser de toute humidité. A Crand-Falls même, une partie de la «pâte» est étirée et transformée en papier à journaux.

CINQUANTE MILLE TRONCS DE SAPIN TRANSFORMÉS CHAQUE JOUR EN PAPIER


Le train spécial et la voie ferrée reliant la papeterie de Grand-Falls à Botwood, son port maritime. Amas de balles de pulpe attendant, à Botwood, leur embarquement pour l'Europe.

La pulpe, qui présente alors la consistance et la couleur d'une bouillie d'avoine, est déversée sur une immense feuille de tôle percée d'une multitude de petits trous qui retiennent les fibres échappées au broyage. Elle passe par différents tamis, qui achèvent de l'épurer, avant de s'acheminer vers les presses, par l'intermédiaire d'une large bande de feutres sans fin. Dès qu'elle a passé entre les deux premiers rouleaux elle perd sa fluidité, prend la consistance d'une épaisse feuille de buvard, et forme bientôt une bande continue, large de 2 mètres environ. Des couteaux la découpent à la longueur voulue; on plie la bande ainsi obtenue comme on ferait d'un drap, et, après avoir intercalé des paillassons en fils métalliques, on soumet une certaine quantité de pâte à l'action d'une presse hydraulique. La pression, qui est de 300 tonnes, expulse assez d'eau pour que la matière prenne la consistance désirée, et, empaquetée par balles, elle est prête pour l'exportation. Chargée sur le train qui pénètre au coeur même de l'usine, elle est convoyée à Botwood, d'où l'un des deux navires attachés à l'entreprise la transporte en Angleterre, à Gravesend, où les Imperial Paper Mills, papeterie modèle fondée, elle aussi, par lord Northcliffe, la transforment en papier, à raison de 1.000 tonnes par semaine.

A Grand-Falls même, une partie de la pulpe est employée directement à la fabrication du papier à journaux. Après une série d'opérations qu'il serait trop long de décrire ici, la pâte, finement broyée et convenablement épurée, présente l'aspect et la consistance de l'eau de savon; en réalité, la matière fibreuse est diluée dans une eau abondante qu'il s'agit d'éliminer rapidement afin d'obtenir la cohésion des éléments solides tenus en suspension. La transformation du liquide en solide s'opère instantanément au bas d'un plan incliné constitué par une toile métallique, et de l'eau, absorbée à travers les mailles, se dégage une feuille de papier continue, large de 4 mètres, qui se précipite à travers un labyrinthe de rouleaux compresseurs et de cylindres sécheurs à la vitesse de 190 mètres par minute pour s'enrouler finalement sur des mandrins et former d'énormes bobines qui dévideront leurs 8.500 mètres de papier sous les presses de l'imprimeur.

Devenu son propre fournisseur de papier avec le fonctionnement des usines de Grand-Falls et de Gravesend, lord Northcliffe a complété son oeuvre: l'une de ses sociétés, l'Amalgamated Press, qui dépensait à elle seule 350.000 francs par an pour son encre d'imprimerie, a fondé une compagnie filiale qui se consacre exclusivement à la fabrication de ce produit.

*
* *

Les faits et les chiffres que nous avons cités au cours de cette rapide étude suffiraient à montrer qu'il n'existe pas dans le monde une entreprise comparable à celle dont le «Napoléon du journalisme» régit les destinées. L'Amérique elle-même, hantée comme elle l'est de la manie du colossal, n'a rien produit d'approchant, dans le domaine du journalisme. Avec ses soixante journaux qui représentent un capital de plus de deux cent cinquante millions de francs, qui distribuent chaque semaine vingt-cinq millions d'exemplaires, et qui emploient une armée de plus de vingt mille personnes, lord Northcliffe s'est fait dans le monde, au point de vue industriel, une place unique.

En étudiant son oeuvre gigantesque sous un autre angle, nous sommes amené à constater que personne ne saurait lui être comparé, dans le monde entier, au point de vue de l'influence. Inspirateur des plus puissants journaux de langue anglaise, son influence s'exerce dans tous les domaines de l'intelligence; elle façonne, dirige et domine l'opinion publique au delà même des frontières du Royaume-Uni. Nous autres, Français, ne pouvons qu'acclamer cette formidable influence: ami personnel du roi Edouard, lord Northcliffe fut, après le regretté souverain, le plus puissant facteur de l'entente cordiale, et ce furent encore ses journaux qui dénoncèrent avec le plus d'énergie et d'opiniâtreté le péril national que constituaient pour l'Angleterre les ambitions et les armements de l'Allemagne. Si les peuples de langue anglaise sont devenus francophiles, c'est à lui que nous sommes, en grande partie, redevables de cette heureuse métamorphose.

La chance, qui suffit parfois à expliquer le succès, n'a joué qu'un rôle médiocre dans cette étonnante carrière; lord Northcliffe, prototype du self-made man, l'a édifiée pierre à pierre, en donnant comme assises à sa géniale conception du journalisme moderne ces deux qualités que l'on retrouve toujours chez les grands hommes: l'endurance mentale, l'art de découvrir et de retenir de bons lieutenants. Parvenu, comme il l'est, au faîte de la puissance et de la fortune, il ne manque jamais, chaque matin--qu'il soit à Londres ou à Paris--de se faire lire d'un bout à l'autre ses journaux quotidiens, le Times, le Daily Mail, le Daily Mirror, etc., et de dicter ses critiques, ses éloges et ses conseils. Quant à sa connaissance des hommes, à ce flair merveilleux qui lui permet de déterrer le talent où qu'il se trouve caché, nous ne citerons qu'un trait.


       Lord Northcliffe photographié
       spécialement pour
L'Illustration.

Visitant un jour les bureaux du Daily Mail, à Londres, mon attention fut attirée par une espèce de tronc disposé dans le vestibule d'entrée. Une affiche invitait tous les collaborateurs de la maison (rédacteurs, employés, ouvriers) à soumettre à la direction, sous forme de notes qu'ils déposeraient dans cette boîte, toute idée qui leur paraîtrait neuve et pratique; le dépouillement avait lieu chaque semaine, et les signataires des cinq lettres les plus intéressantes recevaient chacun une prime d'une guinée (26 francs). Ce fut grâce à cette boîte magique que d'humbles reporters se signalèrent à l'attention du Chief,--u patron, dirions-nous. Et qui ne s'efforcerait de mériter cette attention, en une maison où des rédacteurs peuvent ambitionner des appointements annuels de plus de 5.000 livres sterling, soit plus de 125.000 francs! Lord Northcliffe ne se contente pas de découvrir des hommes: il sait les retenir.

*
* *

Ferons-nous remarquer en terminant que ce grand ami de la France est presque une personnalité française? Son édition, continentale du Daily Mail, dirigée par le brillant penseur qu'est M. Ralph Lane, avec l'active collaboration d'un jeune Irlandais de grand avenir, M. Cliff Disney, est imprimée et publiée à Paris; et c'est dans une note sincèrement francophile que sont rédigées ses informations avant de se répandre parmi sa clientèle d'élite.

Lord Northcliffe séjourne souvent parmi nous, et peu de personnes connaissent aussi bien que lui notre pays, qu'il a parcouru dans tous les sens. Jamais il n'a laissé échapper une occasion de proclamer son admiration pour le génie de notre race, de montrer ce que l'art et la science doivent à la France, et d'affirmer sa confiance en nos destinées.

En mars dernier, au lendemain du jour où l'Allemagne annonça l'augmentation de son armée, un de nos amis, qui venait d'assister à une conversation à laquelle avait pris part le directeur du Times, nous rapporta un propos significatif. Comme on demandait à lord Northcliffe quelle serait, selon lui, l'issue d'une guerre internationale, il déclara, en faisant allusion à la puissance militaire de nos voisins de l'Est:

--Je crois qu'une pareille guerre procurera au monde une surprise au moins égale à celle que lui valut la guerre de 1870!

Et pour ajouter aussitôt, en souriant:

--Mais j'espère bien que la prompte riposte que la France a faite aux provocations d'outre-Rhin en adoptant le «service de trois ans» démontrera à ces bons commerçants allemands l'exactitude du principe que Norman Angell a développé dans la Grande Illusion, à savoir que la guerre est toujours une mauvaise affaire!

Mais nous voilà loin de notre sujet et de Terre-Neuve! Rebroussons chemin pour constater qu'un avenir illimité attend l'entreprise gigantesque qu'est la papeterie de Grand-Falls. La marche ascendante du Daily Mail, du Daily Mirror, et des autres journaux qu'elle alimente, rend déjà insuffisant son rendement mensuel de 5.000 tonnes de papier et de 4.000 tonnes de pulpe de bois; et le jour approche où ce monstre industriel exigera ses cent mille arbres par vingt-quatre heures, au lieu des cinquante mille qui calment actuellement son appétit de Gargantua!
V. Forbin.




                     Pénélope (Mlle Bréval). Les prétendants                      Ulysse (M. Muratore). Le berger Eumée (M. Blanchard).
«PÉNÉLOPE» AU THÉÂTRE DES CHAMPS-ELYSÉES.
--Ulysse, de retour au palais d'Ithaque sous les haillons d'un vieux mendiant, met en déroute
les prétendants à la main de Pénélope (acte III).

Décor de X. K. ROUSSEL.--Dessin de J. SlMONT. Voir l'article, page 472.

Après son long exil, le roi d'Ithaque est rentré en son palais,--sous l'aspect d'un mendiant, afin de n'être pas reconnu. Il a trouvé Pénélope toujours fidèle, mais harcelée par les prétendants, et il lui suggère de désigner pour époux celui d'entre eux qui aura pu tendre l'arc d'Ulysse. Ils s'y exercent à tour de rôle, vainement. Alors, le vieux mendiant, au milieu de la dérision générale, saisit l'arme terrible; il la tend sans effort et prend pour cible ses rivaux terrifiés. Puis, rejetant ses hardes, il apparaît dans sa cuirasse; Pénélope se précipite dans ses bras, et ses serviteurs glorifient les dieux qui assurèrent son retour.




Une section mixte de projecteurs légers comprenant deux
postes photo-électriques, un à dos de mulets,
l'autre sur charrette marocaine.

LE PROJECTEUR ÉLECTRIQUE LÉGER
DE CAMPAGNE

Jusqu'ici, nous n'avions en France que de gros projecteurs, les uns fixes employés dans les places fortes et les forts, les autres portés par des voitures automobiles photo-électriques et destinés à la guerre de siège ou à la lutte d'artillerie.

Or, l'Italie avait déjà employé des projecteurs légers de campagne l'année dernière en Tripolitaine; l'Autriche a constitué des sections de ces appareils; les États balkaniques les ont utilisés en Macédoine et en Thrace et la nouvelle loi militaire allemande prévoit l'organisation de 26 sections de projecteurs électriques légers de campagne.


              Un projecteur en position.

Certes, l'importance de l'emploi d'un appareil léger pour le combat rapproché pour le feu d'infanterie n'avait pas échappé à notre commandement, mais les dépenses budgétaires, la difficulté de réaliser un matériel pratique et les enseignements parfois contradictoires des guerres récentes imposaient la prudence.

Depuis trois ans, le commandant de Lavenne de Choulot, du 143e d'infanterie, cherche à appeler l'attention sur cette question. Il a présenté successivement deux projecteurs légers pour être utilisés au Maroc. Dans l'Afrique du Nord, la transparence de l'air augmente le pouvoir éclairant et permet d'employer un calibre moins fort que sur le continent; en outre du grand effet moral qu'il produit sur les indigènes, le faisceau lumineux du projecteur permet de découvrir un groupe ennemi à partir de 1.000 mètres et un homme seul à 700 mètres, on devine quel concours précieux il apporte au fusil, à la mitrailleuse et même au canon, il diminue les chances de surprises et contribue au repos du soldat au camp. Il peut aussi rendre des services pour les communications optiques et faciliter l'atterrissage des aviateurs pendant la nuit.

En collaboration avec le capitaine Penchenier, du parc d'artillerie d'Oran, le commandant de Choulot a présenté un troisième modèle qui fut reçu par la section technique d'artillerie. M. Millerand, alors ministre de la Guerre, mit à la disposition du général Alix, commandant des troupes du Maroc oriental, une section mixte de projecteurs légers qui comprend deux postes photo-électriques, un à dos de mulets et l'autre sur charrette marocaine.

Chaque poste se compose d'un projecteur rappelant ceux de nos torpilleurs, mais bien plus léger, d'un groupe électrogène démontable, de divers accessoires indispensables dans un pays dénué de ressources comme l'Afrique du Nord, et le combustible pour cinquante heures d'éclairage.

Les premières expériences ont eu lieu à la fin du mois de mars avec le groupement mobile du général Girardot dans la plaine de Marhouf au nord de la Gada de Debdou et ont donné pleine satisfaction; elles vont être continuées sous peu dans le Maroc occidental où M. Etienne, ministre de la Guerre, a décidé d'envoyer à bref délai quatre appareils du système du commandant de Choulot.

Les nouvelles des derniers engagements des troupes du général Alix dans la région de la Moulouya nous apprennent que les projecteurs légers y furent utilisés avec fruits. Au cours d'un des combats du mois dernier, notamment dans la nuit du 9 au 10 avril, à Nekhila, un des projecteurs, installé à l'angle sud du bivouac, près des tentes du 1er régiment étranger, fut exposé de 0 heures à minuit 15 aux tirailleries des Marocains; il permit de les découvrir aux moyennes distances de tir (600 m.), et lorsque, plus tard, ils se furent glissés dans un ravin d'où ils pouvaient se jeter sur le camp. Les Marocains surpris et furieux de ne pouvoir sortir sans être exposés aux feux des défenseurs, couvrirent de balles l'abri du projecteur, sans atteindre ce dernier.

Le lendemain, on ramassait sur le sol, en avant du camp, des douilles de cartouches modernes, des papiers de paquets de cartouches françaises volées ou emportées par des indigènes déserteurs et des balles à chemise de cuivre, et des cartouches de Mauser espagnol.


Projecteur installé à l'un des angles du bivouac de
Nekhila, à proximité d'une section de mitrailleuses.



UN NOUVEAU CADRAN DE 24 HEURES

Depuis que l'administration française compte de 1 à 24 les heures de la journée complète, on cherche un moyen pratique de faire figurer la nouvelle notation sur les cadrans des horloges. On pourrait, évidemment, adopter un cadran divisé en 24 heures; mais cette solution, qui est probablement celle de l'avenir, exige une transformation complète des mouvements d'horlogerie; on s'est donc contenté jusqu'ici d'inscrire sous chaque heure des cadrans actuels l'heure correspondant à la nouvelle formule entre midi et minuit.

Cet expédient est jugé insuffisant. La réforme horaire présente d'incontestables avantages; et point n'est besoin d'être grand calculateur pour établir instantanément la concordance entre les deux notations: en retranchant 12 de 14, de 17, de 21, etc., on connaît l'heure d'après l'ancien style. Mais la majorité du public trouve l'opération fastidieuse. Aussi, les diverses administrations en général, et les Compagnies de chemins de fer en particulier, cherchaient une combinaison de nature à faciliter l'éducation du public en imposant à son regard et à son cerveau la notation nouvelle à l'exclusion de l'ancienne.

Un mécanicien bordelais vient de résoudre le problème d'une façon tellement simple que chacun de nous sera stupéfait de n'avoir pas eu depuis longtemps la même idée. M. G. Blanchard applique aux horloges un système analogue à celui qui fonctionne sur les compteurs de taxis.

Le cadran extérieur où se meuvent les aiguilles est fixe et percé de 12 fenêtres. Sous ce cadran, un autre cadran mobile porte les 24 heures inscrites dans cet ordre: 1 13 2 14 3 15 4 16, etc., 12 0.

On comprend dès lors ce qui va se passer. A travers les fenêtres du cadran extérieur, on lit d'abord les 12 premières heures de la journée; à midi précis, un déclanchement automatique se produit, le cadran mobile pivote de quelques millimètres ou de quelques centimètres, selon la circonférence du cadran, et on voit apparaître les heures comptées de 12 à 23. A minuit, un déclanchement en sens inverse ramène le cadran des heures à la première position.


De minuit à midi.

De midi à minuit

Cadran à changement de chiffres automatique pour la notation des
vingt-quatre heures de la journée.

Ce système ingénieux présente l'avantage de pouvoir s'adapter aux horloges existantes, sans changer le mouvement et moyennant une dépense minime.

Grâce à l'initiative de notre confrère de la Petite Gironde, M. Maurice Desbans, l'invention présentée à l'administration des Postes et aux Compagnies de chemins de fer, a été accueillie comme elle le méritait. Des expériences publiques vont être faites dans plusieurs bureaux de poste de Paris et de Bordeaux, et sur les chemins de fer de l'État.

Sous peu de jours, les Parisiens pourront, à midi précis, voir s'opérer le changement d'heures aux grands cadrans de la gare Saint-Lazare.




Tenue de cheval.                            Grande tenue.                            Tenue de jour.
Le nouveau manteau dessiné pour les officiers d'infanterie par M. Georges Carette.

LE NOUVEAU MANTEAU DES OFFICIERS

Afin de faire cesser la dissemblance, peu logique et pleine d'inconvénients en campagne, qui existait entre la tenue en capote des officiers d'infanterie et celle de la troupe, le ministre de la Guerre a adopté, pour le cadre, un manteau gris de fer bleuté, de même couleur que la capote des soldats. Le modèle de ce manteau, établi sur les données du général Dubail, président de la commission des uniformes, a été dessiné par M. Georges Carette, le grand tailleur, qui est aussi un artiste de talent--auteur de l'aquarelle que nous ne pouvons reproduire ici qu'en soi--et dont les formes de coupe ont été publiées au Bulletin officiel.

Les officiers porteront ce vêtement dans toutes les circonstances où les hommes seront en capote, par conséquent en campagne. Pour la grande tenue, les officiers auront les épaulettes sur la capote, avec un ceinturon or et bleu. Pour la tenue de jour, le ceinturon ordinaire se portera en dessous, la bélière sortant par une fente verticale pour soutenir le sabre. En tenue de cheval, l'officier ajoutera une pèlerine mobile.

Ainsi les troupes d'infanterie, avec leurs officiers, auront désormais un aspect gris bleu uniforme qui, en temps de guerre, empêchera les officiers d'être spécialement le point de mire de l'ennemi, et qui, en temps de paix, rapprochera davantage encore si possible le soldat de son chef sans que la discipline et le respect hiérarchique aient le moins du monde à en souffrir.



LA PENTECOTE
DES «ÉCLAIREURS DE FRANCE»

Nos vaillants petits Eclaireurs ont mis à profit les vacances de la Pentecôte: ayant deux jours entiers de liberté, ils les ont passés, suivant les bons préceptes du scoutisme, en plein air, dans un camp improvisé aux environs de Paris. Le ministre de la Guerre avait mis à leur disposition les terrains du génie militaire situés en bordure de la route qui mène de Versailles à Saint-Cyr: c'est là que, dimanche matin, ils plantèrent leurs tentes, et qu'ils furent passés en revue par le colonel Bouttieaux, représentant le général Hirschauer, inspecteur de l'aéronautique militaire, et le commandant Richard, accompagnés de M. André Chéradame, président de l'Association des Éclaireurs. La journée se termina par une visite au champ d'aviation de Saint-Cyr, sous la conduite du commandant Richard, qui donna aux boy-scouts toutes les explications attendues par leurs jeunes curiosités: ils assistèrent à une ascension en ballon sphérique captif, à une sortie du dirigeable le Temps, piloté par le capitaine Peaucellier, et à de belles envolées d'aéroplanes.

Le lendemain, après avoir bravement couché à la belle étoile, malgré le temps peu favorable, les Eclaireurs, réveillés de bonne heure par la diane, recommencèrent leurs exercices. Les travaux du camp et la visite de l'École de Saint-Cyr, où les reçut le général Bigot, remplirent la matinée. L'après-midi, on leur montra un lâcher de pigeons militaires, puis ils procédèrent eux-mêmes au gonflement et au lancement d'un ballon sphérique.


La revue des équipes, devant les tentes, par le colonel Bouttieaux. Exercice d'aéronautique: préparatifs de lancement d'un sphérique.

AU CAMP DES JEUNES ECLAIREURS DE FRANCE,
ENTRE VERSAILLES ET SAINT-CYR.

--Phot. L. Gimpel.



CE QU'IL FAUT VOIR

LE PETIT GUIDE DE L'ÉTRANGER

Les gens du monde ont pris, depuis quelques années, l'habitude de rentrer, chaque automne, un peu plus tard à Paris. Mais ils y demeurent plus longtemps qu'on ne faisait autrefois. La «saison mondaine», dont les programmes sont censés destinés à occuper l'hiver, ne commence plus guère qu'au printemps. Elle le remplit. Elle le déborde. Mai... juin... voilà les mois des plus grands dîners, des plus somptueuses fêtes, des spectacles de haut luxe. Il semble qu'à ce moment de l'année la Parisienne pense: «Pourquoi hésiterais-je à m'éreinter, puisque je vais me reposer (ou faire semblant) pendant trois mois, et qu'en tout cas la rituelle saison d'eaux va, dans quelques semaines, réparer les effets de ce surmenage?»

On s'amuse donc tant qu'on peut, et c'est l'instant de la Saison parisienne où, notamment, le Théâtre d'amateurs bat son plein.

Les gens du monde ont de tout temps aimé à jouer des comédies. Il semble même que ce soit un peu pour encadrer ces comédies-là qu'on a inventé le paravent... Mais les petits-fils et les petites-filles de ces amateurs ne se contentent plus des programmes qui suffisaient à leurs grands-parents; et que nous voilà loin du «proverbe» d'Octave Feuillet, du dialogue de Verconsin, du badinage de Meilhac, qui composaient le «numéro» de résistance des soirées «artistiques» de la meilleure bourgeoisie! Tout cela est démodé; presque autant que les fantaisies de Vieux-temps pour violon, les morceaux de harpe de Godefroy, et les chansonnettes morales de Berthelier!

De vrais décors remplacent le paravent des ancêtres. On ne joue plus, simplement, la comédie; on mime, on chante, on danse. Pour encourager les progrès de la chorégraphie dans les salons, le bruit court qu'il va se fonder des Associations de mères de famille! Et voici le plus admirable: ces ballets, ces pantomimes, ces Revues, ces opérettes ou ces drames sont bel et bien de l'inédit; et de l'inédit d'amateurs, s'il vous plaît. Pourquoi pas? Chacun, en matière d'art, a désormais la gentille ambition de se suffire à soi-même. Des employés de chemins de fer organisent des Expositions de peinture; des médecins musiciens se sont assemblés pour fonder un «orchestre médical»; pourquoi les gens du monde qui ont la passion de l'Art dramatique ne se donneraient-ils pas le plaisir d'écrire eux-mêmes la pièce où ils rêvent d'être applaudis?

Aussi bien l'étranger, à qui un heureux hasard de relations aura permis de venir s'asseoir devant une de ces scènes d'amateurs, sera-t-il d'avis qu'on s'y amuse parfois beaucoup, et de la plus spirituelle façon. Est-ce là un des avantages de notre tempérament national? Le Français, la Française sont-ils plus naturellement, plus spontanément artistes qu'on ne l'est en d'autres pays? Il est certain qu'il y a en ce moment, à Paris, quelques salons où l'on sait le mieux du monde improviser un couplet, et le chanter; où des jeunes femmes qui n'ont jamais appris le théâtre jouent la comédie délicieusement, sont d'exquises mimes, se font ballerines au besoin, et avec quelle troublante autorité!... Cela, c'est évidemment, de février à juin, l'un des plus étonnants spectacles que donne Paris. Le malheur est qu'il n'est accessible qu'à un assez petit nombre de passants...

*
* *

Il en est d'autres, heureusement, moins fermés que celui-là, et qui seront, cette semaine, le rendez-vous de nos élégances printanières. Il faudra, bien entendu, avoir applaudi Pénélope. Il faudra avoir fait le tour de l'ancienne salle des fêtes de la Cour des comptes, au Palais-Royal, où, dans une très amusante exposition d'Art décoratif théâtral, M. Paul Ginisty a réuni la plus curieuse collection de maquettes, c'est-à-dire de décors-joujoux et de théâtres de poupées, qui se puisse imaginer. Il faudra ne pas oublier d'aller voir, chez Manzi, la Rétrospective de ce délicieux imagier-philosophe que fut Boutet de Monvel; et rue de Constantine, à l'hôtel de Sagan, l'Exposition des objets d'art de la Renaissance et du Moyen Age qu'ont mise à la mode de très hauts patronages mondains, et la récente visite d'Alphonse XIII.

Aussi bien ni ces patronages, ni la «recommandation» de cette visite royale n'étaient-ils nécessaires pour que le Moyen Age et la Renaissance sollicitassent nos curiosités. L'amour du progrès sait se concilier, le mieux du monde, dans l'esprit des personnes cultivées de ce temps-ci, avec la religion du passé. L'habitude de vivre en République n'empêche pas que nous ne soyons infiniment sensibles à l'amitié que nous portent les rois; nous exposons avec orgueil Ingres et David, à côté de cimaises où il nous plaît de voir Roussel et Vuillard triompher, et dans l'instant même où nous envoyons Besnard régner à Rome sur nos peintres; et les admirateurs de Francis Jammes et de Paul Claudel ne trouveront pas étrange qu'on les convie, dans quelques jours, à venir applaudir, à l'Odéon, Moïse, et à regarder Mme Cléo de Mérode danser du Chateaubriand.

Notre vie moderne est faite de ces contrastes; et peut-être est-ce cela qui la rend si intéressante à vivre. Contrastes d'idées, contrastes de sentiments. Les mêmes femmes qui se seront précipitées ces jours-ci aux matches de boxe anglaise de la salle Boisleux pour y voir saigner des nez, et s'évanouir quelques jeunes hommes, accourront mercredi au Cours-la-Reine pour s'y pâmer devant une Exposition de fleurs. Salon d'horticulture, le dernier de la saison. Celui-là aussi est à voir. Celui-là surtout. Les «envois» dont il est composé sont ceux d'un Peintre qui a sur tous les autres cette supériorité d'être--avec la collaboration de quelques jardiniers--égal à lui-même, éternellement.
UnParisien.



VISIONS DE L'INDE

Après Constantinople et la Syrie, évoqués merveilleusement en ces «Visions d'Orient» dont l'Illustration reproduisit naguère quelques-unes des plus achevées, et qui, données en projections, obtinrent auprès du grand public un si durable succès, l'Inde et ses splendeurs devaient tenter M. Gervais-Courtellemont: au cours d'un récent voyage, il a réussi, grâce à la photographie des couleurs, qui jamais ne fut poussée à ce point de perfection, à en fixer, pour l'enchantement de nos yeux, toute l'éblouissante féerie.

Nos lecteurs pourront bientôt apprécier le charme fidèle de ces nouvelles «Visions», dont ils auront la primeur, comme ils ont eu celle des «Visions d'Orient». Auparavant, elles seront montrées, une seule fois, le samedi 17 mai, à 4 h. 1/2, au théâtre Réjane, où doit avoir lieu la matinée de bienfaisance organisée au profit de la caisse des veuves et de la caisse de secours de l'Association des secrétaires de rédaction.



AGENDA (17-24 mai 1913)

Expositions artistiques.--Paris: Grand Palais: les deux Salons.--Ancien hôtel de Sagan (23, rue de Constantine): exposition d'objets d'art du Moyen Age et de la Renaissance, au profit de la Croix-Rouge française. (Clôture fin mai.)--Au Petit Palais: l'oeuvre de David et de ses élèves.--Villa Damrémont, 3: exposition de cent tableaux, aquarelles, dessins, pastels de maîtres modernes au bénéfice d'un artiste devenu aveugle. (Clôture fin mai.)

L'exposition horticole.--L'exposition de printemps de la Société nationale d'horticulture de France s'ouvrira le 21 mai au Cours-la-Reine, pour se terminer le 26 mai; concours spéciaux de roses.

L'exposition canine.--Au jardin des Tuileries (terrasse de l'Orangerie): du 17 au 26 mai, exposition canine internationale organisée par la Société centrale pour l'amélioration des races de chiens en France.

Conférences.--Au Cercle de l'Union artistique (rue Boissy-d'Anglas): le 17 mai, en matinée réservée aux dames, conférence sur la Danse, par le marquis de Montferrier.--A la Comédie des Champs-Elysées (avenue Montaigne), à 4 h. 1/2, le 17 mai: conférence de M. G. Prade: les Minutes tragiques de l'aviation; le 24 mai: la Femme et le Théâtre, par M. Marcel Prévost.

Fêtes de Jeanne d'Arc.--A la basilique de Saint-Denis, le 18 mai: fête historique et religieuse en l'honneur de Jeanne d'Arc.

Vente de charité.--Au ministère de la Justice, le 17 mai, de 2 heures à 7 heures, troisième journée de vente de l'Orphelinat des Arts.

Sports.--Courses de chevaux: le 17 mai, Saint-Ouen; le 18, Longchamp; le 19, Saint-Cloud; le 20, Saint-Ouen; le 21, le Tremblay; le 22, Longchamp; le 23, Maisons-Laffitte; le 24, Saint-Ouen.--Automobile: le 18 mai, ouverture du IVe Salon russe de l'Automobile, à Saint-Pétersbourg.--Cyclisme: les 17 et 18 mai, course annuelle Bordeaux-Paris. Arrivée au Parc des Princes.--Boxe: le 21 mai, au Cirque de Paris, match Ledoux-Castillon; à la salle Wagram, le 28 mai, Grand Prix de Paris (amateurs).--Escrime: le 17 mai, assaut du cercle Hoche; à la même date, au Nouveau-Cirque, à 2 heures: assaut en l'honneur de Pini.--Au Jardin des Tuileries, du 18 au 25 mai: Grande semaine des Armes de combat, de la Fédération parisienne d'escrimeurs.--Courses à pied: Racing-Club de France, le 18 mai, prix Blanchet.



LES LIVRES & LES ÉCRIVAINS

LES ANGES GARDIENS

Nos lecteurs, les premiers, auront connu les pages inédites de cette oeuvre poignante de vérité, de ce livre grave et clair, si prodigieusement animé et puissamment actuel, émouvant comme un cri d'alarme, et dont l'exceptionnel retentissement déjà confirme l'opportunité sociale. «Ce livre, que l'auteur croit utile aux mères françaises, n'est pas destiné à leurs filles.» M. Marcel Prévost, en toute loyauté, vient d'inscrire à la première page du volume de librairie (1) cet avertissement qui fut d'abord donné par M. Gaston Rageot à notre public lorsque le roman commença de paraître dans L'Illustration. Les livres des mères ne sont point nécessairement des livres pour leurs filles. Il est dangereux d'enseigner directement la vie aux imaginations trop fragiles et aux coeurs trop neufs.

Note 1: Les Anges gardiens, Ed. Lemerre, 3 fr. 50.

Il n'appartient pas, du reste, aux jeunes filles de choisir elles-mêmes leurs «anges gardiens». C'est là oeuvre des mères et responsabilité des mères. Les anges gardiens! Le mot a déjà sa fortune faite! Il a évoqué, dans tous les foyers français, la vision d'un péril. Bien entendu, une généralisation absolue serait imprudente et inique. Les anges gardiens, qui nous viennent d'Angleterre, d'Allemagne, d'Italie, de Belgique, pour veiller sur l'instruction et les loisirs de nos filles ne sont point tous de mauvais anges. Non, sans doute, mais parmi ces quelques ailes blanches il se glisse un trop grand nombre d'ailes noires...

«Il est anormal, dit le préfet de police Lehoux--qui, nous avertit M. Marcel Prévost, exprime, touchant les «anges gardiens» (page 333), l'opinion exacte de l'auteur--il est anormal qu'une fille de dix-huit à vingt ans, une fille d'une certaine culture, d'une certaine éducation, quitte sa famille et sa patrie pour venir gagner son pain à Paris. Oui, c'est anormal, parce que l'expatriation, à cet âge, est pleine de dangers pour elle, et que toute honnête famille ne s'y résoudra qu'à la dernière extrémité. Sur dix cas, il y en aura un où d'honnêtes parents auront délibérément envoyé à l'étranger leur fille sage et courageuse, et neuf autres cas où la fille aura quitté ses parents par coup de tête, soit que la famille fût inhabitable (mariage du père, inconduite de la mère, scandale), soit qu'une aventure galante l'eût entraînée. Dans ces neuf derniers cas, la demoiselle accumulera les obscurités et les mensonges pour que nul ne puisse remonter jusqu'à sa famille: faux noms, faux lieu de naissance, faux certificat... Les étrangers sont obligés de déclarer leur identité? Mais combien de mères ou de pères de famille, embauchant une institutrice, se donnent la peine de vérifier la déclaration de l'étrangère?... Et quand vous avez fait votre choix, avec cette légèreté, dans ce milieu essentiellement suspect et presque impossible à contrôler, qu'est-ce que vous confiez à la personne choisie? Précisément ce que vous avez de plus précieux et de plus fragile,--votre fille.»

Les raisons du préfet Lehoux sont la raison même. Les lectrices averties auxquelles s'adresse M. Marcel Prévost en ont déjà convenu, et si, dans ce drame multiple en son unité, la vérité fut pénible et brutale à dire, si, parfois, le fer rouge a brûlé pour guérir, on n'aura pas l'inélégance d'en tenir rancune au maître et franc écrivain. Une chose certaine, c'est qu'après avoir lu ce livre, une mère sentira son coeur battre un peu plus fort au seuil de ces agences de placement dont la porte s'ouvre sur l'inconnu. Elle aura, à cette minute, une conscience plus précise de son devoir, un instinct plus impérieux de ses responsabilités, et, appelée à faire un choix si grave, si grave, elle exigera toutes les garanties possibles, et d'autres encore. Elle choisira mieux, elle choisira juste,--comme une mère doit choisir.
Albéric Cahuet.



l'oeuvre française a panama

Panama, la création, la destruction, la résurrection, par Philippe Bunau-Varilla: ainsi ce nom sonore, Panama, longtemps noté d'infamie, que les partis, depuis des ans, se jetaient à la face comme une injure, s'inscrit fièrement, cette fois, en tête d'un volume tout neuf (2), oeuvre de justification, de réparation, de glorification.

Note 2. Panama, la création, la destruction, la résurrection. Ed. Plon, 10 fr.

A la première page de l'exemplaire qu'a reçu le directeur de L'Illustration, on lit les lignes tracées d'une écriture résolue, mais calme et claire: «Je vous envoie la tragique histoire dont notre génération a été le témoin attristé et trompé, mais où les générations futures puiseront des éléments nouveaux de foi dans la grandeur, a sûreté et la fécondité du génie français.» L'homme qui montre ce beau courage civique de se dresser ainsi devant l'opinion et de proclamer bien haut l'ardente conviction qui l'a soutenu dans une lutte de plus de vingt années contre l'erreur, la calomnie, la lâcheté, le mensonge--ce sont des mots qui reviendront bien des fois sous sa plume véhémente, au cours de cet énorme et très captivant livre--cet homme-là était, à vingt-six ans, ingénieur en chef en titre du Canal de Panama. De fait, il en fut, pendant plusieurs mois, le directeur général, quand M. Dingler dut quitter l'isthme, abandonner, à bout de forces, l'entreprise qui lui avait coûté la perte de ses affections les plus chères, sa femme, ses enfants... Il devenait ainsi le chef supérieur d'une armée de quinze mille combattants, employés et ouvriers, acharnée à livrer à la nature la plus audacieuse bataille peut-être que les humains aient jamais risquée. Que d'esprits, même vigoureux, eussent succombé, à cet âge, sous un pareil faix! Celui-ci sortit de l'épreuve trempé, mûr pour toutes les luttes, animé surtout d'une inébranlable foi dans la grandeur de l'oeuvre à laquelle il était associé: il allait désormais y dévouer toutes ses forces avec le zèle fervent d'un confesseur ou d'un apôtre.

Il n'est que d'approcher, si peu que ce soit, M. Philippe Bunau-Varilla, pour être conquis par l'ingéniosité de cette intelligence lucide, ailée, la hardiesse, l'audace de ses conceptions, qu'on serait volontiers tenté de prendre pour des rêves, si la clarté, la précision avec laquelle il les expose, les arguments dont il les étaie, ne leur redonnaient tout aussitôt leur caractère des belles et loyales possibilités,--si sa parole persuasive n'emportait bien vite la conviction qu'elles sont réalisables presque aisément, élégamment. Il entraîne; il subjugue. Il force l'estime,--voire l'admiration, et son courageux volume est bien pour renforcer, en ceux qui le connaissent, ce sentiment. Sans doute, l'auteur a trop de sagesse, d'expérience, pour se leurrer de l'illusion qu'il va convaincre et rallier l'universalité de l'opinion, et, d'un coup, annihiler l'erreur sombre qu'il combat d'une si vigoureuse ardeur. La bataille est encore trop récente; les calamités qu'elle a entraînées sont encore trop fraîches dans les mémoires. Le temps seul amènera la paix. Mais déjà ce travail doit rallier les hommes de bonne foi.

On a exposé ici naguère, à propos d'un précédent livre du même auteur, le plan à la fois simple et grandiose, et si lumineusement logique, de M. Philippe Bunau-Varilla pour le percement de l'isthme: l'ouverture d'un détroit, d'un bras de mer sans écluses ni travaux d'art fragiles, réunissant les deux océans. Il redit encore sa confiance dans ce projet, l'absolue certitude où il est qu'on peut sûrement, une fois le canal actuel achevé, le perfectionner jusqu'à en faire ce détroit idéal,--et ce, grâce à un procédé de traction des roches noyées dont il est l'inventeur. Jamais sa dialectique n'a été plus entraînante. Et il a réussi à faire partager sa conviction au Sénat américain lui-même, si prévenu, pourtant.

Le récit de la lutte soutenue par M. Bunau-Varilla, pour arriver d'abord à l'achèvement de la conception admirable du génie français, puis, plus tard, au résultat que je viens de dire, est une merveilleuse leçon d'énergie et de volonté. Mais le point culminant de l'ouvrage--et l'on s'y attend bien, et l'on court vite à ce chapitre, et on le dévore avec le même plaisir qu'un joli roman d'aventures--c'est l'exposé, pour la première fois livré à nos curiosités, de la fondation de la République de Panama, qui fut l'oeuvre personnelle de M. Philippe Bunau-Varilla, et une oeuvre où il y avait, selon le mot de Figaro, à dépenser «plus de génie qu'il n'en fallut pour gouverner pendant cent ans toutes les Espagnes». Gustave Babin.

Voir dans La Petite Illustration le compte rendu des autres livres nouveaux.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

Une locomotive a naphtaline.



Tout le monde connaît la naphtaline, de corps blanc qui se présente habituellement sous forme de boules à aspect miroité et à odeur caractéristique. La naphtaline avait autrefois la réputation de combattre les mites, mais l'illustre Berthelot a fait justice de cette légende; on a bien essayé d'en faire un explosif en la nitrant, mais la nitronaphtaline s'est révélée comme un explosif d'une stabilité exagérée qui ne détonait guère que quand cela lui convenait. C'est alors que M. Brillié, l'ingénieur bien connu à qui l'on doit les 600 premiers autobus de la Compagnie générale, a eu l'idée de faire jouer à la naphtaline le rôle de l'essence de pétrole devenue d'un prix excessif et d'alimenter avec ce combustible nouveau le moteur d'une locomotive.

Il y a fort longtemps, en effet, que l'on recherche à remplacer, par la locomotive à explosion, la locomotive à vapeur qui présente tant d'inconvénients avec sa consommation exagérée d'eau et de charbon, sa fumée, ses escarbilles, etc. Ce n'est, toutefois, qu'après plusieurs années de recherches que M. Brillié est parvenu à établir le modèle qu'il rêvait, et c'est ce modèle que le Creusot présentait, il y a quelques jours sur le polygone d'Harfleur, près du Havre, à une nombreuses assistance composée de techniciens de l'automobile et de la voie ferrée.

La locomotive nouvelle présente deux caractéristiques essentielles: elle consomme de la naphtaline, produit qui coûte environ dix fois moins que l'essence, et elle utilise le système de transmission Hautier qui constitue par lui-même un changement de vitesse continu.

Le système Hautier est formé de deux transmissions, agissant l'une par prise directe, l'autre par l'intermédiaire d'un moteur à air. Au démarrage ou en rampe dure, c'est le moteur à air qui fonctionne seul, en palier c'est la prise directe. En terrain moyennement accidenté, les deux transmissions continuent leurs efforts dans la proportion la plus favorable à l'économie du travail.

La naphtaline, à vrai dire, présente l'inconvénient d'être un corps solide ne fondant que vers 80 degrés. Il faut commencer par la réduire à l'état liquide. On y parvient en mettant le moteur en marche au benzol et utilisant la chaleur de l'eau de circulation pour fondre la naphtaline qui peut alors se comporter comme de l'essence ordinaire.

Le moteur employé est un moteur ordinaire d'automobile, tournant à vitesse modérée et dont la puissance ne dépasse pas 70 chevaux. Avec ce moteur, relativement faible, la locomotive du Creusot a remorqué aisément, à l'allure de 20 kilomètres, une charge roulante de 170 tonnes. Au démarrage, elle a pu développer un effort atteignant 3.500 kilos, et à 20 kilomètres à l'heure un effort de 700 kilos.

La consommation dépasse à peine une demi-livre de naphtaline par cheval-heure, ce qui rend le moteur plus, économique qu'un moteur à vapeur. Quant à la conduite de la machine, elle est des plus faciles et sa souplesse est en même temps très grande.

Les résultats obtenus n'ont pas été sans surprendre quelque peu les assistants, et les officiers d'artillerie présents ont exprimé le voeu de voir la locomotive Brillié-Hautier du Creusot remplacer bientôt la locomotive réglementaire actuelle dont: la fumée constitue dans les opérations de siège un admirable repère pour les canons de l'ennemi.

La locomotive à explosion a du reste l'avantage de ne pas nécessiter de mise en pression, de ne pas consommer d'eau, de réduire dans la proportion de dix à un le poids du combustible, de supprimer les projections d'escarbilles et enfin de réduire au minimum les chances d'incendie. Dans les régions, comme l'Afrique, où les eaux chlorurées et magnésiennes détruisent si rapidement les chaudières, elle présenterait des avantages incontestables au double point de vue de l'économie et de la régularité de l'exploitation. La verrons-nous un jour remplacer l'antique machine de Stephenson?


La locomotive sans tender avec moteur à naphtaline.


L'industrie de l'aviation en 1912.



L'industrie française de l'aviation, qui semble avoir des débouchés restreints, provoque un mouvement d'affaires de plus en plus important, dont on n'aurait pu indiquer le chiffre, sans provoquer le sourire, il y a seulement cinq ou six ans.

D'après le rapport de M. Besançon à la dernière assemblée générale de l'Aéro-Club de France, on avait construit en 1911 un total de 1.350 aéroplanes utilisant une puissance globale de 80.000 chevaux. En 1912, le nombre s'est élevé à 1.425, et l'on prévoit 2.000 appareils nouveaux en 1913.

Si l'on admet une valeur moyenne de 15.000 francs par appareil, ce qui semble pouvoir être considéré comme un minimum, le commerce des aéroplanes construits en 1912 représente donc un chiffre de plus de 28 millions auquel il y a lieu d'ajouter une somme importante, difficile à évaluer, pour les industries accessoires que l'aviation fait vivre autour d'elle. C'est ainsi m'en 1911 et en 1912 les aviateurs ont «consommé» environ 8.000 hélices.

D'autre part, si nous considérons l'ensemble des résultats obtenus, à un an de distance, au point de vue de la vitesse, de la hauteur, de la distance et de la durée sans escale, nous trouvons les chiffres suivants:

Plus grande vitesse: 167 kil. 800 à l'heure, en 1911; et 174 kil. 100 en 1912.

Plus grande hauteur: 3.910 mètres en 1911, et 5.610 mètres en 1912.

Plus grande distance sans escale: 270 kil. 600 en 1911 et 1.010 kil. 900 en 1912.

Plus grande durée sans escale: 2 h. 16' en 1911 et 13 h. 1' en 1912.

Enfin, au cours du dernier exercice, la Commission de l'Aéro-Club a accordé 189 brevets de pilote aviateur.

Les recettes des théâtres parisiens en 1912.



Il est intéressant de rapprocher le montant des recettes réalisées en 1912 par les théâtres parisiens et par les attractions de divers genres: En voici la liste:

Théâtres subventionnés          10.003.395
Autres théâtres                 24.077.339
Cinématographes                  6.841.566
Concerts et cafés-concerts       9.458.570
Music-halls                      7.441.010
Cirques et attractions diverses. 4.719.261
Bals                             1.106.406
Concerts artistiques               537.787
Musées, expositions              1.307.656

              Total             65.492.990

Les théâtres ayant effectué les plus fortes recettes sont (en chiffres ronds):

Opéra                            3.266.000
Opéra-Comique                    3.116.000
Théâtre-Français                 2.614.000
Variétés                         1.802.000
Châtelet                         1.684.000
Porte-Saint-Martin               1.609.000
Gymnase                          1.421.678
Vaudeville                       1.419.000
Le cinéma Gaumont de l'Hippodrome a encaissé 1.421.000 francs, et vient
au même rang que le Gymnase et le Vaudeville!

Ce qu'il faut de balles pour tuer un homme.



Le maréchal de Saxe disait jadis que pour tuer un homme il fallait son poids de plomb. En dépit des perfectionnements de l'armement, les choses n'ont guère changé de nos jours; c'est, du moins, ce qui résulte d'une étude de la bataille de Kin Tcheou, faite, récemment par le général Rohne, un spécialiste allemand bien connu.

Dans cette bataille qui précéda les opérations d'investissement de Port-Arthur, les forces russes s'élevaient à 17.500 hommes dont 4.400 seulement furent engagés, tandis que l'effectif japonais comprenait 35.600 hommes. Les Russes perdirent au total 100 officiers et 1.375 soldats; les Japonais 133 officiers et 4.071 soldats.

La consommation des munitions s'éleva à 736.000 cartouches d'infanterie et 7.780 coups de canon pour les Russes, 4.000.000 de cartouches et 40.150 coups de canon pour les Japonais.

En admettant que 18% des pertes ont été causées par l'artillerie et 82% par les balles d'infanterie, on trouve que pour mettre un Russe hors de combat il a fallu environ 151 coups de canon ou 3.300 cartouches d'infanterie, et pour un Japonais 10,5 coups de canon ou 214 cartouches.

En comptant le poids des projectiles de l'artillerie japonaise à 6 kil. 5 et celui des balles de fusil à 10 gr. 5, on voit que, pour atteindre un Russe, il a fallu près de 1.000 kilos d'acier et de plomb sous forme de projectiles d'artillerie ou environ 32 kilos de plomb sous forme de balles d'infanterie.

Le maréchal de Saxe a donc plus raison que jamais, et l'on ne saurait s'étonner de ce résultat, car, contrairement au préjugé vulgaire, le perfectionnement des armes à feu n'a aucune influence sur la grandeur des pertes qu'une troupe peut subir à la guerre. Le pour cent de ces pertes dépend uniquement de la valeur morale de la troupe engagée: si la troupe est bravo, elle subit des pertes considérables, parce qu'elle garce sa position sous le feu; mais si elle ne compte dans ses rangs que des poltrons elle ne subit que des pertes insignifiantes, parce qu'elle tourne le dos et se met à l'abri dès qu'elle a vu tomber quelques hommes dans ses rangs. Il y a, en effet, longtemps que les poltrons ont reconnu qu'à la guerre comme en escrime la meilleure parade est la neuvième, celle qui consiste à... déguerpir.

La machine a souffler le verre.



La machine à souffler le verre a été inventée en Amérique en 1903, mais c'est seulement en ces dernières années qu'elle a révolutionné l'industrie des bouteilles.

En 1906, il existait 8 machines aux États-Unis; il y en avait 36 en 1908. On en compte aujourd'hui 136 qui produisent chacune 111 grosses et demie, soit environ 16.000 bouteilles par journée de vingt-quatre heures. La production totale en 1911 a atteint 3.575.000 grosses.

La main-d'oeuvre a naturellement baissé dans des proportions considérables. Tandis que, de 1900 à 1910, la force motrice employée dans les fabriques de bouteilles augmentait de 40%, l'effectif global du personnel ne s'accroissait que de 7%. Et, au lieu de 10.000 souffleurs en 1905, il n'y en a plus que 7.200 en 1911. Aussi, prévoit-on que, dans peu d'années, cette profession spéciale aura complètement disparu aux États-Unis.

Les bureaux de bienfaisance.



Le nombre des bureaux de bienfaisance relevé en France en 1910 était de 16.623, au lieu de 16.157 en 1909. En 1847, il n'y en avait que 7.599. En 1911, à la suite de la dévolution des biens ecclésiastiques, on a créé 2.300 bureaux nouveaux.

En 1910, 1.182.360 personnes ont été secourues par l'ensemble des bureaux de bienfaisance autres que ceux de Paris. Si on ajoute à ce chiffre le nombre des indigents et des nécessiteux secourus à Paris (100.322) on arrive à un total de 1.282.682 secourus, contre 1.235.091 en 1909 et 1.279.330 en 1908. Par rapport à la population totale de la France, la proportion des personnes secourues est de 325 pour 10.000 habitants, au lieu de 314 en 1909 et de 385 en 1905. La diminution de la population secourue tient d'ailleurs à la mise en application de la loi de 1905 sur l'assistance aux vieillards, infirmes et incurables.

La somme consacrée aux secours en 1910 a été de 24.700.000, ce qui représente une moyenne de 21 francs par individu recouru. Mais les dépenses totales des bureaux ont été de 47 millions et demi; leurs recettes se sont élevées à 52.137.000 francs.

Le type des racines et la distribution des plantes.



Les plantes diffèrent beaucoup à l'égard de la structure de leurs racines. Il en est à racine longue, unique, pivotante, qui s'enfonce dans le sol: la carotte par exemple. D'autres ont des racines qui forment une touffe éparpillée en dessous de la tige. Enfin il en est qui ont des racines horizontales, courant à la surface du sol, tout autour de la tige.

La pivotante convient surtout aux plantes vivant dans les sols profonds, où l'humidité se tient dans la profondeur, non à la surface. Par contre, les plantes à racines superficielles sont adaptées aux régions arides où il pleut rarement: ce réseau superficiel permet d'emmagasiner les moindres ondées.

Certaines espèces, toutefois, sont aptes à présenter des types différents de racines, ce qui leur permet de vivre dans des milieux différents. Le Mesquite des États-Unis est dans ce cas. Mais selon son habitat il présente une apparence différente. Là où le sol est humide au fond, il peut envoyer des racines profondes, et il devient arbre. Mais là où les racines sont obligées de rester superficielles, il est tantôt arbre tantôt arbrisseau, alors que là où les racines forment touffe divergente, il se présente comme un arbrisseau.

Un radis géant.




Une botte de radis   Un radis géant
de Paris.                     du Japon.

Un agronome distingué, M. de Notter, s'occupe depuis quelques années d'acclimater en France le daïkon géant, sorte de radis monstrueux originaire du Japon; les résultats obtenus sont fort encourageants.

Ce radis pèse couramment 2 kilos. Celui que représente notre photographie a été récolté aux environs de Paris; on voit à côté une botte ordinaire de petits radis prise à la même échelle.

Le daïkon, de goût assez agréable, cru ou cuit, peut constituer, paraît-il, un bon légume et un excellent fourrage. Dans certaines conditions de culture, son rendement devient considérable.

On ne saurait encore se prononcer en parfaite connaissance de cause sur sa valeur pratique sous le climat de Paris. Mais on doit souhaiter que les essaya se multiplient dès que les graines du daïkon se trouveront dans le commerce.

Notre représentant a Scutari.



En publiant, dans notre dernier numéro, quelques photographies prises au consulat de France à Scutari, pendant et après le bombardement, nous avons, par erreur, donné à M. Krajewski, notre distingué représentant en cette ville, le titre d'«agent consulaire». M. Krajewski est en réalité consul de 1re classe, et, comme tel, appartient à la «carrière»,--au rebours des agents consulaires, qui, souvent, ne sont pas de nationalité française.



SCUTARI REMISE AUX PUISSANCES

(Voir la gravure de première page.)

Moralement contraint, et confiant, d'ailleurs, en sa touchante bonne foi, dans l'équité des puissances pour lui faire accorder le prix de tant de sang versé, de tant de vies héroïquement sacrifiées à la patrie, le Monténégro s'est incliné, comme il l'avait dit: Scutari, évacuée par les troupes du prince Danilo, a été occupée mercredi, à 2 heures, par les détachements de marins débarqués des navires des diverses nations qui assuraient le blocus de la côte. Tous les détails de cette substitution de forces avaient été réglés d'avance et formulés dans un protocole signé entre les amiraux de l'escadre internationale et M. Plamenatz, ancien ministre du roi Nicolas à Constantinople, avant la guerre, et actuellement titulaire du portefeuille des Affaires étrangères dans le nouveau cabinet présidé par M. Miouchkovitch,--le ministère Martinovitch ayant démissionné précisément en raison de l'abandon forcé de Scutari.

Les Monténégrins ont, naturellement, été autorisés à enlever du moins le matériel de guerre qu'ils avaient conquis, ainsi que tous les objets appartenant au gouvernement ottoman.

Le détachement international chargé d'assurer la police de Scutari comprend 1.000 hommes: 300 Anglais, 200 Italiens, 200 Austro-Hongrois, 200 Français, 100 Allemands. Des vapeurs fluviaux l'ont conduit par la Bojana jusqu'à Scutari. Au même moment où il pénétrait dans la ville, les troupes monténégrines en sortaient, remontant dans la direction de l'ancienne frontière: le sacrifice était consommé.



LA VISITE DU ROI D'ESPAGNE

(Voir les gravures, pages 459, 460 et 461.)

Nous avons pu, dans notre dernier numéro, bien qu'il fût mis sous presse le lendemain de l'arrivée du roi d'Espagne à Paris, signaler par quelques photographies sa réception, le mercredi 7 mai, à la gare du Bois-de-Boulogne, la belle parade militaire donnée le même jour, en son honneur, sur l'esplanade des Invalides, et même la présentation qui lui fut faite, le lendemain, à Fontainebleau, des officiers de notre Ecole d'artillerie. Les images que nous publions aujourd'hui s'ajoutent à celles-là, pour fixer le souvenir de deux des plus impressionnants spectacles qui furent offerts à Alphonse XIII pendant sa trop courte visite.

En outre des petites manoeuvres de cavalerie exécutées, le matin, dans la vallée de la Solle, et des tirs réels d'artillerie dirigés, au Polygone, contre un village figuré en charpente, le programme de la journée de Fontainebleau comprenait, après le déjeuner au château, un carrousel organisé dans la «carrière» de Moret, vaste piste rectangulaire, sur un côté de laquelle une tribune avait été dressée pour le souverain, le président de la République et les invités officiels. Ils assistèrent, de là, aux brillants exercices de nos cavaliers du 7e dragons, aux jeux équestres, d'une précision parfaite, des écuyers de Saumur, enfin à l'entrée foudroyante des deux mitrailleuses du 7e dragons, virant à une allure vertigineuse, s'arrêtant brusquement, en pleine vitesse, pour prendre position et se mettre en batterie, puis repartant avec la même promptitude...

Le lendemain, Alphonse XIII, avant de prendre, à Jouy-en-Josas, le train qui devait le ramener en Espagne, se rendait en automobile à Bue, pour y passer la revue de quatre-vingt-seize aéroplanes, militaires et civils, magnifique témoignage de notre maîtrise de l'air et voir évoluer deux dirigeables venus de Saint-Cyr, le Commandant-Coutelle et le Temps. Conduit auprès des appareils rangés en ligne par le général Hirschauer et par M. Robert Esnault-Pelterie, président de la Chambre syndicale des industries aéronautiques, le roi s'attarda à cette inspection, interrogeant avec sa bonne grâce coutumière les pilotes et les constructeurs. Puis ce fut l'émouvante envolée des grands oiseaux, bondissant tour à tour du sol, et sillonnant l'espace, bientôt tout entier occupé par leurs ailes... Ainsi s'acheva, sur une apothéose de l'aviation française, le séjour en France du roi d'Espagne.



A LA MÉMOIRE DE CATULLE MENDÈS


Le monument de Catulle Mendès au
cimetière Montparnasse.

Un beau monument, oeuvre d'Auguste Maillard et de Fernand Desmoulin, marquera désormais, au cimetière Montparnasse, la place où repose Catulle Mendès. Sur un sobre piédestal, d'harmonieuses proportions, se dresse, entre deux cyprès funéraires, le buste du célèbre écrivain, dominant les tombes d'alentour. Une simple inscription, portant les deux dates extrêmes de sa vie, le signale au passant: «A Catulle Mendès--1841-1909.»

C'est dimanche matin, 18 mai, qu'aura lieu la cérémonie d'inauguration, en présence de M. Léon Bérard, sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts. Les grandes associations littéraires doivent s'y faire représenter, et des discours seront prononcés par M. S.-Ch. Leconte au nom des Poètes français, par Mme Daniel Lesueur au nom des Gens de lettres, par M. Adolphe Brisson au nom de la Critique, et par M. Robert de Fiers au nom des Auteurs dramatiques, par M. Courteline au nom des amis personnels de l'écrivain, enfin par M. Edmond Rostand, au nom du Comité du monument, dont il est le président depuis la mort de Léon Dierx. Ainsi la mémoire de Catulle Mendès sera magnifiquement exaltée.


Le maire d'Aix-en-Provence recevant Frédéric Mistral dans
la cour d'honneur de l'Hôtel de Ville.
--Phot. Henry Ely.]



LES FÊTES FÉLIBRÉENNES


Mlle Marguerite Priolo, reine du
Félibrige, en costume limousin.

--Phot. Henry Ely.

Lundi dernier, dans l'antique capitale provençale, la cité d'Aix, que, pour son calme majestueux et ses vieux hôtels des dix-septième et dix-huitième siècles, on appela «la Versailles du roi René», les poètes assemblés en cour d'amour aux États de Provence, présidés par Frédéric Mistral, ont procédé, comme tous les sept ans, à l'élection de leur nouvelle reine.

De toutes les régions où le Félibrige étend son influence intellectuelle et morale, les félibres étaient accourus: du Languedoc, du Béarn, de Catalogne, du Velay, d'Auvergne, du Comtat, de Gascogne. Par un bien charmant privilège, ce fut le lauréat des Jeux Floraux pour 1913, un jeune poète de vingt-quatre ans, M. Bruno-Durand, qui désigna la nouvelle reine du Félibrige, Mlle Marguerite Priolo, une délicieuse jeune fille, déjà reine régionale du Limousin.

La jolie souveraine qui succède pour une période de sept ans à Mlle Magali de Baroncelli-Javon, est la fille du docteur Priolo, de Brive, le plus aimable des Mécènes d'oc, et sa mère était encore, naguère, elle-même, la reine des félibres limousins sur lesquels elle exerça, pendant plus de quinze ans, la plus gracieuse royauté et qui ne lui permirent d'abdiquer le sceptre qu'à la condition de le transmettre à sa fille.



LES THEATRES

Un succès triomphal a salué la première représentation, au Théâtre des Champs-Elysées, de Pénélope, poème lyrique en trois actes, de M. Gabriel Fauré. Sur un livret de M. René Fauchois, aux vers clairs, imagés et sonores, adroitement tiré de la légende homérique, le compositeur a écrit une partition d'une simplicité, d'une grandeur profondément émouvantes. Cette oeuvre, ce chef-d'oeuvre--on peut le dire sans exagération--que le public d'hier a reconnu dans un superbe élan d'enthousiasme, marquera une date glorieuse dans la production musicale contemporaine. L'interprétation est digne des plus grands éloges. Des protagonistes aux figurants, depuis les musiciens jusqu'aux décorateurs, tous ont fait merveille. Mlle Bréval (Pénélope) et M. Muratore (Ulysse) ont été l'objet d'acclamations et de rappels sans nombre.

La Comédie des Champs-Elysées vient de représenter une pièce nouvelle d'un jeune auteur M. Edmond Fleg,--sur qui l'attention des critiques avait été attirée, il y a trois ans, au théâtre Antoine, par une pièce assez scabreuse, la Bête. Cette nouvelle comédie, le Trouble-Fête, nous montre l'embarras et le trouble que peut apporter, chez de jeunes époux amoureux, l'arrivée du premier bébé; la jeune femme, bouleversée et émerveillée par sa maternité, négligera le mari qui se laissera glisser vers quelque aventure, et quand, le bébé ayant grandi, la jeune mère a la faculté de redevenir l'amoureuse épouse, alors c'est le mari qui, fier de son garçonnet, se préoccupe surtout de ses responsabilités de père; et tout cela est indiqué en traits simples mais fins, en nuances variées et délicates, qui ont beaucoup plu: M. Louis Gauthier et Mlle Gladys-Maxhance ont interprété à ravir les deux principaux rôles de cette jolie pièce.

Le spectacle est complété par un acte de M. Tristan Bernard, la Gloire ambulancière, qui est un petit chef-d'oeuvre de comédie bourgeoise. Nous y voyons, caricaturés avec l'esprit le plus clairvoyant et le plus indulgent, tous les petits travers, toutes les petites passions, tous les petits ridicules qui peuvent agiter les divers membres d'une famille autour d'un des leurs atteint d'une maladie qui ne présente d'ailleurs aucune gravité. Une interprétation, qui réunit les noms de MM. Dumény, Beaulieu, et de Mmes Juliette Darcourt, Fonteney, Miller, se fait applaudir dans la Gloire ambulancière.

Les Berceuses--trois actes de MM. Pierre Veber et Michel Provins, qui connurent déjà le succès--viennent de reparaître sur la scène du théâtre Michel. Conduites avec une verve experte, les aventures du professeur Raphaël, si aimablement «bercé» par celles qui veillent sur son bonheur, sinon sur son repos, ont diverti comme au premier jour. Le spectacle est complété par deux amusantes petites pièces: Doux Propos, de MM. Gerbault et d'Avrecourt, et l'Ingénieux Prétexte, de MM. Missoffe et Saint-Arnould.

Au théâtre Réjane, une «saison d'opérette italienne» a été inaugurée, la semaine dernière, par la Petite Reine des roses, dont l'auteur de Paillasse, M. Leoncavallo, écrivit la musique, sur un livret de M. Forzano, adapté par MM. Claude Berton et Marcel.

Les triomphants auteurs du Mariage de Mlle Beulemans, MM. Fonson et Wicheler, ont eu, mieux que des imitateurs, des continuateurs en la personne de MM. Tricot et Wappers qui ont, avec les personnages du Mariage, et en leur conservant soigneusement l'accent, composé le Divorce de Mlle Beulemans, joué d'abord à Bruxelles, comme il convenait, et repris, ces jours derniers, au petit «Nouveau Théâtre» de la rue Fontaine.




(Agrandissement)




Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés
en titre ne nous ont pas été fournis