Title: L'Illustration, No. 3666, 31 Mai 1913
Author: Various
Release date: February 12, 2012 [eBook #38842]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3666, 31 Mai 1913
Ce numéro contient:
lº LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre nº 9: L'Habit vert, de MM.
Robert de Fiers et G.-A. de Caillavet;
2° Quatre pages non brochées: La Sculpture au Salon de 1913;
3° Un Supplément économique et financier de deux pages.
UN BRAVE PARMI LES BRAVES Achille Delannoy, patron du
canot de sauvetage de Calais, décoré de la Légion d'honneur le 25 mai.
Voir l'article, page 503.
Il est fort à la mode en ce moment de se bouleverser des jardins. On ne parle que d'eux, des dangers qu'ils courent, de leur gloire, de leur beauté, de l'art qui doit régir leur composition. Ils obtiennent chaque jour des amis, des défenseurs et des apôtres nouveaux, et plus d'un citadin profane qui, en se couchant, ne se doutait pas de ce que c'était qu'une plate-bande, se réveille à la rosée du lendemain avec une âme jardinière.
Bien que j'en éprouve une joie sans malice, je suis un peu étonné que l'on semble s'aviser seulement à cette heure des indispensables jardins, de leur importance et de leur nécessité. Comme, depuis que le monde est monde, ils couvrent sur la terre une bonne moitié du sol, si ce n'est plus, ils méritent aussi de tenir dans notre existence intellectuelle et sentimentale une place qui ne sera jamais trop grande. Ne sont-ils pas l'embellissement naturel d'une destinée au même degré que d'un site? Ils ont été faits et voulus pour accompagner un esprit et clore, sans l'emprisonner, un coeur, autant que pour agrémenter une maison ou entourer un château. C'est la ceinture végétale de notre nudité. Nous avons besoin de jardins pour nous promener dans les idées et dans les sentiments, et vivre loin d'eux est funeste à qui désire une bonne respiration morale. Aussi ai-je toujours été curieux, avant de faire la connaissance de quelqu'un, de savoir si, au moins, «son appartement intérieur» donnait sur des jardins, car c'est l'essentiel, la vraie vue qu'il convient de posséder pour goûter, dans sa plénitude, le charme pur et profond de la vie. Tout le monde n'a pas la chance ou le privilège d'ouvrir ses fenêtres sur des arbres et des gazons, mais tout le monde peut aimer les jardins, et grâce à cet amour, voir se dérouler des tapis d'un vert éternel, et se balancer une branche et neiger des roses...
Si nous étions plus adroits et moins ingrats, si nous gardions bien le simple souvenir de tous les jardins qui nous ont passé par les yeux, qui ont une minute été toucher notre âme et que nous n'avons pas su retenir, quel vaste et délicieux domaine n'aurions-nous pas pour errer aux heures d'isolement?... car il va de soi qu'au figuré comme au réel, après le suprême et incomparable bonheur d'être deux dans la complicité du jardin, le plus doux est d'y être seul. Qui de vous, dites-moi, même jeune, et quel que soit son âge, n'a déjà en soi et derrière soi, tout un mémento de bosquets, de grandes allées, de petits chemins, de berceaux, d'ombrages tremblants et de vives fleurs? Qui de nous ne pourrait, s'il lui en venait le caprice, écrire «Mes jardins», l'histoire de ses jardins dont il nous conterait qu'il fut le captif volontaire, le Silvio Pellico tendrement ravi?
Premiers et vagues jardins de la trébuchante enfance, au milieu desquels, un jour, nous fûmes tout à coup révélés à nous-mêmes, où notre bout de nez plongé dans une fleur, nous avons soudain senti et respiré le parfum spécial de notre existence qui nous montait au front et se répandait en nous pour nous obséder toujours... Jardins de plus tard, où nous marchons et regardons alors sans le secours de personne, jardinet clos de murs croulants chez une vieille tante en province, carré de légumes et de pâquerettes, de gueules-de-loup et de pensées blanches qui me semblait une immensité à perte de vue... au delà de laquelle j'imaginais de merveilleux pays, qui était pour moi le vestibule fleuri de l'univers.
Et puis ce sont les Tuileries à cerceaux et à ballons du commencement de ma jeunesse, les Tuileries dont je percevais déjà, sans l'approfondir ni pouvoir l'exprimer, l'altière et mélancolique grâce, la noblesse un peu triste. C 'est là que, pour la première fois, dans une langoureuse ivresse, vous m'avez arrêté, déesses de pierre, faunes engainés, graciles coureurs à tête ronde lancés en avant sur la pointe d'un orteil brisé, avec un pigeon sur le poignet dé votre bras tendu... C'est là que j'ai appris les vastes arbres centenaires qui superposent leurs rameaux pleins des murmures du passé, les fleurs qui font de beaux dessins, le jet d'eau royal, sceptre liquide qui secoue des pierreries dans l'air et asperge de diamants l'aile des oiseaux... et vous aussi chaises aux pailles arrachées, chaises rustiques à la Rousseau, groupées par endroits dans le creux ménagé au bas d'un gros tronc noir, pour y faire cuvette aux jours d'arrosage. Il y en avait toujours une de renversée, à l'écart, comme si elle s'était battue avec les autres et qu'elle n'eût pas été la plus forte. Elle me faisait penser à la Révolution et je n'ai jamais pu la regarder ainsi à terre sans me représenter un des Suisses du 10 août, étendu sur le dos dans le jardin, où des coups de fusil perdus font tomber des feuilles...
... Retraites ombreuses du Luxembourg qui sentiez si bon les matins et les soirs du temps où j'aspirais l'odeur des premières convoitises...
Et je n'ai pas parlé, avant, des chers jardins des maisons familiales, des jardins de vacances où l'on a joué dans une innocente ardeur avec d'adorables petites filles que l'on s'est souvenu plus tard d'avoir aimées, sans le savoir, dont les bras nus égratignés par les épines, et les cheveux flottants où restait une feuille morte, vous repassent devant la pensée, trente ans après, dans des allées où on ne court plus.
C'était l'époque aussi des jardins de pensionnat où l'on se mettait si promptement en nage et où l'on buvait, en manches de chemise, à la pompe, l'eau la plus fraîche qui jamais vous coulera le long du cou,... des jardins de l'Abbaye où l'on avait une soeur «dans la classe bleue».
Et puis on s'est lancé bientôt dans les routes qui vont loin... on a élargi ses promenades, on a pris des voitures et des trains, et on a successivement connu, les uns après les autres, les grands jardins réservés dont les noms vous terrassent quand on les prononce... Une fois, dix, vingt fois et plus, on a visité, sans jamais les connaître et les posséder complètement, ces villes de verdure, ces capitales de la flore, de la perspective et du point de vue, ces prises d'horizon, ces captations de lumière, d'ombre, d'espace et d'eau qui s'appellent avec tant de solennelle majesté Versailles, Saint-Cloud, Chantilly, Compiègne, Fontainebleau... on a vu les jardins de la Loire, ceux des ruines et ceux des châteaux, des anciennes terres princières... les jardins blasonnés qui paraissent, eux aussi, descendre des croisades, et dont les traditionnelles beautés de race, respectées et transmises, montrent des roideurs héraldiques, des ordonnances d'écusson. Chaque parterre est un quartier. Ah! les jardins, les jardins!... Que ce mot prononcé, traîné, lentement, un peu bas, d'une voix qui désire et soupire et qui prend le ton de la volupté, que ce mot suffit donc à propager en nous une indicible extase! Avez-vous pensé jamais au séjour affreux que serait la terre, inhabitable sans les jardins? Et sans eux que serait aussi tout ce qui vient du coeur? Que seraient l'amitié, la tendresse, l'amour...? l'amour dont ils sont le pays indiqué, le suave domaine et le bleu décor, la chambre à ciel ouvert? On ne peut faire un pas en dehors de soi sans trouver la petite porte battante ou la grille du jardin, sans entrer dans un jardin... Nous sommes entourés par les masses de verdures de ce mot touffu, magique et prodigieux.
Si nous voulons aller du côté sentimental, aussi bien dans le passé que dans le présent, nous ne rencontrons que des souvenirs de jardin... C'est au jardin que nous avons été nous cacher et nous réfugier haletants, échappés de nous-mêmes, pour mener un jeu, rêver, écouter chanter notre âme par la voix du rossignol, dire tout haut des vers qui nous étourdissaient, et guetter une robe, cueillir une main, ou pleurer, le front sur un arbre auquel on racontait sa peine...
Et, si nous voulons aller vers l'art, nous sommes tenus de passer à tout instant par des jardins... jardins de Breughel et de Léonard, de Cranach et du Poussin, jardins des Primitifs, qui ne perdent pas un pouce de la fenêtre où ils viennent si gentiment se serrer et s'encadrer, jardins des tableaux du grand siècle qui paraissent dessinés à la Vauban, jardins de Watteau, d'Hubert Robert et de Fragonard,... et combien d'autres!
Irons-nous à l'histoire? Elle est pleine aussi de jardins... qui feraient un livre au titre embaumé... jardins de Cléopâtre et de Sémiramis... petits jardins et préaux fleuris des temps gothiques, jardins magnifiques et somptueux de la Renaissance, jardins de Philippe II et de François Ier, du cardinal d'Amboise et de Richelieu, de Louis XIV et du Régent, de Marie-Antoinette et de la du Barry... jardins d'Espagne, jardins d'Italie, jardins d'Orient... jardins mystiques de la foi, ceux des couvents, du cloître et du missel, des marges de l'antiphonaire... Et jardin sévère de Jésus-Christ... jardin sans fleurs des Oliviers...
Les jardins sont partout... partout... Il faudrait plus d'un an pour les énumérer. Ils couvrent le passé, le présent, l'avenir... ce monde-ci et l'autre... Car sans oser rien préjuger du mystère futur... on peut dire avec certitude et sans se tromper, que le paradis sera un jardin... Plus beau que ceux d'en bas et les surpassant tous, il en rappellera cependant un peu, pour notre récompense, les humaines délices... Et si des fleurs insoupçonnées nous attendent aux divins bosquets, du moins celles de la terre, je le pense, ne seront pas oubliées. Il est impossible, sans sacrilège, d'admettre un paradis qui n'aurait pas de roses... La Vierge s'y plairait moins...
Et nous y verrons aussi des cyprès, mille fois millénaires, en forme de
clochers... et des jets d'eau montant toujours, toujours... et de grands
papillons à tête d'archange, d'un bleu tout nouveau... bleu d'éternité.
Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
La Société centrale de Sauvetage des naufragés tenait, dimanche dernier, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, son assemblée générale, sous la présidence de M. Georges Pallain, gouverneur de la Banque de France, remplaçant M. l'amiral Duperré, légèrement indisposé. Le président de la République y était représenté par le lieutenant-colonel Aldebert, le ministre de la Marine par le vice-amiral de Jonquières.
A cette émouvante fête annuelle, la fête de l'héroïsme, une assistance nombreuse se pressait, vibrante, frissonnante à chaque instant au récit des exploits que lui narrait d'une voix chaleureuse, dans un rapport impressionnant, M. Busson-Billault, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, administrateur de la Société.
Le premier héros qu'il nomma est François-Achille Delannoy, patron du canot de sauvetage de Calais. Un vrai brave, on peut l'affirmer, sous une solide étoffe; une âme sans peur dans un corps d'athlète. Dans sa carrière de sauveteur, commencée voilà quarante-deux ans, il a arraché aux flots, à la mort, cent quatre-vingt-seize personnes, des marins comme lui, des compatriotes quelquefois, des frères, et aussi des Anglais, des Norvégiens, des Italiens, des Eusses... Quelle nation du monde n'est pas redevable à ce vaillant d'avoir conservé quelqu'un de ses fils?
En sa faveur, la Société centrale, depuis qu'elle le distingua, en 1871, a épuisé toutes les récompenses dont elle dispose. Elle a dû, cette année, recourir au gouvernement et solliciter de lui la consécration suprême. Elle eut la joie de l'obtenir: le président accrocha sur le chandail de laine bleue du marin, tout scintillant déjà de vingt-sept médailles et décorations diverses, et où les rubans mêlaient toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, la croix de la Légion d'honneur. Delannoy reçut les larmes aux yeux la double accolade de M. Georges Pallain et de l'amiral de Jonquières. Un tonnerre de bravos roula sous l'immense plafond, et se prolongea longuement, jusqu'à l'instant où le nouveau chevalier rejoignit sa place et tomba dans les bras de sa fidèle compagne, en blanche coiffe boulonnaise, qui l'étreignait à plein coeur.
Après Delannoy, ce furent dix, vingt autres, dont le plus jeune n'a pas quinze ans, et dont on ne sait lequel admirer le plus. Ce sont Riou, Jégou, Cloarec, rudes Bretons qui, à eux trois, dans la tempête du 30 septembre, sauvèrent cinquante-six personnes; c'est Leprêtre, de Gravelines, qui pour avoir, par une nuit sinistre, sauvé avec ses camarades du bateau de sauvetage, huit hommes sur une barque en perdition--une épave, déjà--reçoit la médaille d'or de l'amiral de Jonquières; c'est Hougard, de la Turballe, c'est le capitaine Casanova, des Messageries Maritimes, qui, le 20 juin, sauve et recueille les cinq cent trente-neuf marins et passagers du navire allemand Queula,--et voilà pourquoi le comte Perponcher représente sur l'estrade l'ambassadeur d'Allemagne. Car tous ces gens, Delannoy en tête, on l'a vu, sont, eux aussi, internationalistes, comme se proclamaient nombre de ceux qui, à la même heure, manifestaient en d'autres lieux contre la loi de trois ans, au nom des grands principes. Seulement, leur manière est différente, par bonheur.
La cérémonie se termina par la présentation du «challenge de l'héroïsme», créé par notre confrère le Matin, dédié Aux marins sauveteurs de France pour glorifier l'héroïsme français. C'est un magnifique objet d'art, oeuvre des frères Falize, qui a été attribué, pour la première fois, aux marins de Saint-Guénolé-Kérity, Riou, Jégou, Cloarec et leurs camarades du bateau de sauvetage, et qui va orner, un an, le beau phare d'Eckmühl, à Penmarch.
M. Paul Tromel, bourgmestre
d'Usedom, soldat de 2e classe
à la légion (2e rég. étranger).
Le cas de ce bourgmestre allemand qui, il y a quelques semaines, s'engagea dans notre légion étrangère, a déjà fait couler beaucoup d'encre. Les journaux quotidiens ont raconté comment M. Paul Tromel, bourgmestre d'Usedom, après avoir assisté, le 28 mars dernier, à une séance du conseil d'arrondissement de Swinemunde, se rendit à Berlin, d'où il écrivit à son adjoint d'Usedom de vouloir bien se charger des affaires courantes. Puis, il quitta l'Allemagne et l'on perdit sa trace jusqu'au jour où l'on apprit que, sous le nom de Funze, M. Tromel avait contracté un engagement dans la légion étrangère. Là-dessus, les feuilles allemandes ne manquèrent point cette occasion de renouveler leurs coutumières attaques contre notre légion, et le cas de M. Tromel donna lieu aux plus fantaisistes versions.
On affirmait, notamment, que le bourgmestre d'Usedom avait été «racolé» à Paris et dirigé sur la légion en même temps qu'un autre Allemand originaire de Tilsitt. Celui-ci se serait évadé à Marseille, mais Tromel n'aurait pas osé suivre cet exemple. Cependant, il aurait prié le déserteur d'agir pour lui en Allemagne. Et là-dessus, toute la presse pangermaniste de mener grand train.
Or, il est résulté des premières informations précises reçues de Saïda, où tient actuellement garnison le soldat de 2e classe du 2e étranger Paul Tromel, que ce dernier, non seulement s'était engagé à la légion dans toute la lucidité de son esprit, mais encore qu'il assurait s'y trouver parfaitement bien et ne demandait qu'à continuer la vie qu'il s'y était faite. Ce qui était confirmé par une déclaration écrite dudit Paul Tromel, déclaration datée du 16 mai dernier, et dont nous reproduisons plus bas le fac-similé. Enfin, ces derniers jours, les journaux allemands voulaient bien annoncer eux-mêmes que l'adjoint d'Usedom venait de recevoir de Tromel une carte postale illustrée portant ces mots:
«Je vous adresse en signe de vie mes salutations. Je supporte très bien le service. Je pense souvent à vous. Mille choses pour vous et votre famille. De votre: Paul Tromel.
Donc, il apparaît bien que l'incident est clos. Le nom du bourgmestre d'Usedom allonge simplement la liste de ceux de ses compatriotes qui ont voulu, comme lui, changer leur destinée et vivre, dans notre légion, la vie militaire française, dont, apparemment, on ne leur avait point dit que du mal.
Autographe de la déclaration écrite et signée,
à Saïda, le 16 mai dernier, par M. Paul Tromel.
Sous les auspices du «Souvenir français», et grâce à l'heureuse initiative d'un officier du 4e tirailleurs, le capitaine Mennetrier, un monument vient d'être élevé, au cimetière musulman de Bône, à la mémoire des soldats indigènes morts au service de la France. C'est une blanche «Koubba» de style mauresque, décorée de faïences; à l'intérieur, se dresse un mausolée, dont la stèle porte une inscription en arabe rédigée par un «thaleb», suivant le rite coranique.
Monument élevé, au cimetière
musulman de Bône, à la mémoire
des soldats indigènes morts
pour la France.
Ce monument, conforme à la tradition musulmane, est le premier qui, sur la terre d'Afrique, soit consacré aux héros de notre armée algérienne tombés au champ d'honneur. L'hommage qui leur est ainsi officiellement rendu ne pouvait manquer de toucher les populations indigènes: aussi la cérémonie d'inauguration a-t-elle été pour elles l'occasion d'une manifestation de loyalisme, qu'elles ont tenu à rendre d'autant plus éclatante que, quelques jours auparavant, nos commissions de recrutement avaient procédé, dans la région même, aux opérations de la conscription.
Devant la Koubba, de nombreux discours furent prononcés. Parlant au nom du «Souvenir français», M. Délaye indiqua qu' «au moment où nous faisons un plus large appel aux soldats indigènes de notre Afrique du Nord, il était nécessaire de montrer à nos sujets musulmans que la France se souvient et sait honorer la mémoire de tous ceux qui meurent pour elle». M. Bulliod, représentant la municipalité de Bône, évoqua, avant M. Laromer, président de la Société des «Vétérans de 1870-1871», les fastes glorieux de nos troupes algériennes. Puis M. Mardassi Brahim, notable musulman, dans une belle allocution patriotique, proposa à ses jeunes coreligionnaires l'exemple de Saïd ben Béchir, ce «turco» du 3e tirailleurs qui s'illustra à la défense de Bazeilles. Et, enfin, M. Chérif-Cheikh, conseiller municipal et président du comité du monument, fit noblement valoir que, si nos soldats indigènes sont, par eux-mêmes, courageux et prêts à tous les sacrifices, ils doivent aux officiers français qui les conduisent et qui leur apprennent à se battre de former une irrésistible élite.
LE MARIAGE DE LA FILLE DE GUILLAUME II.--Dîner de gala
dans la Salle Blanche du château royal de Berlin.
A gauche, de bas en
haut: la princesse impériale (femme du kronprinz), le duc de Cumberland,
la reine Marie d'Angleterre, l'empereur d'Allemagne, la duchesse de
Cumberland (cachée par un valet), le prince impérial d'Allemagne; à
droite, de bas en haut: la princesse Cécile Henri de Prusse, le roi
d'Angleterre, l'impératrice d'Allemagne, le fiancé (prince Ernest de
Cumberland), la fiancée (princesse Victoria-Louise), l'empereur de
Russie, la grande-duchesse de Bade, etc.
--Dessin de J. MATANIA, envoyé
spécial à Berlin du journal illustré anglais, The Sphere.
Le mariage civil et religieux de la princesse Victoria-Louise, fille de l'empereur Guillaume II, avec le prince Ernest-Auguste de Cumberland, due de Brunswick-Lunebourg, fils du duo de Cumberland, chef de la maison dépossédée de Hanovre, a été célébré en grande pompe, le samedi 24 mai, au château royal de Berlin. Les souverains anglais et le tsar, venus exprès dans la capitale allemande, assistèrent aux diverses cérémonies en même temps que cinquante grands-ducs, grandes-duchesses et princes de maisons régnantes. Notre gravure donne une vision du fastueux dîner qui, dans la Salle Blanche du palais, réunit, le 22 mai au soir, ces hôtes augustes autour des jeunes fiancés dont l'union symbolisait la réconciliation des Guelfes et des Hohenzollern. On annonce, en effet, déjà, que, d'ici à peu de mois, le jeune prince Ernest-Auguste, le mari de la fille du kaiser, sera remis en possession de tous les droits de sa famille sur le duché de Brunswick qu'administre actuellement et provisoirement une régence.
East river, les docks et le pont de Brooklyn.
Copyright by Pierre Loti, 1913.
Samedi, 21 septembre 1912.
Le jour se lève. L'hélice du paquebot qui m'amène a ralenti son tournoiement fébrile: évidemment nous arrivons, nous sommes devant New-York.
La statue de la Liberté.
Et, comme par un pressentiment qu'une grande chose extraordinaire va passer, j'ouvre la fenêtre de ma cabine. En effet, là-bas, en face, une sorte de colosse de Rhodes, une femme exaltée se dresse sur le ciel, le bras tendu dans un geste magnifique. Sans l'avoir jamais vue, je la reconnais, il va sans dire: la statue de la Liberté, qui veille à l'entrée de l'Hudson. Elle est haute comme une tour. Les pluies et les vents lui ont déjà donné la patine vert-de-gris des antiques déesses de l'Égypte. Sur un piédestal en pierres roses, aussi grand qu'une citadelle, elle surgit, pâlement verdâtre, dans le brouillard du matin et dans les fumées que le soleil dore. Elle est superbement symbolique et terrible. On dirait qu'elle fait à l'univers entier des signes d'appel; on dirait qu'elle crie: «Hurrah! C'est ici la porte! Hurrah! Entrez tous dans la fournaise! Jetez-vous tête baissée dans le gouffre des affaires, du bruit, de l'agitation et de l'or!»
Et le voici qui s'ouvre devant nous, ce gouffre quasi infernal. Jadis,
ce n'était que l'entrée d'une large rivière, entre des roseaux et des
arbres. Aujourd'hui c'est quelque chose qui, pour mes yeux épris
d'Orient et de lignes pures, tient du cauchemar, mais arrive quand même
à une sorte de beauté tragique, par l'excès même de l'horreur. Mille
Les toits de New-York.
tuyaux crachent des fumées noires ou des vapeurs en tourbillons blancs,
qui se mêlent, qui s'enroulent, qui embrouillent l'horizon comme sous
des sarabandes de nuages. Le long des deux rives, à perte de vue,
s'alignent les docks couverts, qui sont de gigantesques carcasses toutes
pareilles, en ferraille couleur de deuil. Partout des inscriptions
accrocheuses s'étalent en lettres de dix mètres de haut, les unes
blanches ou rouges sur les fonds noirs, les autres aériennes soutenues
par des charpentes d'acier. On est assourdi par des sifflets stridents,
des plaintes gémissantes de sirènes, des grondements de moteurs, des
fracas d'usines. Et, au-dessus de tout cela que tant de fumées
enveloppent, plus haut, plus haut, comme des géants poussés trop vite et
trop efflanqués, des géants qui allongeraient démesurément le cou pour
mieux voir, les gratte-ciel surgissent effarants et invraisemblables,
les uns carrés, les autres pointus, les gratte-ciel à trente, quarante
ou cinquante étages, surveillant ce pandémonium par leurs myriades de
fenêtres...
Ah! on vient me réclamer ma «feuille d'entrée», un questionnaire que chacun doit remplir avant d'être admis à poser le pied sur le sol d'Amérique. Moi qui avais oublié! En hâte je griffonne mes réponses. Un peu stupéfiantes, les questions: «Etes-vous anarchiste? Etes-vous polygame? N'êtes-vous pas idiot? N'avez-vous jamais donné de signes d'aliénation mentale? Possédez-vous plus de cinquante dollars de patrimoine? Combien de condamnations avez-vous subies? etc..» De telles précautions témoignent du juste souci qu'ont les Américains de ne pas admettre chez eux les hôtes «non désirables» (undesirables),--et nous devrions bien en faire autant à Tunis, pour les émigrants que nous envoie chaque jour l'Italie.--C'est égal, ce formulaire suranné est un peu naïf, car si l'on était idiot ou maboul, il est probable qu'on n'en conviendrait pas, surtout par écrit.
*
* *
Les passerelles du Métropolitain.
Deux ou trois heures plus tard, après d'interminables formalités de douane et des batailles sur les docks contre des journalistes armés de kodaks, je me trouve enfin au centre de New-York, confortablement installé et très haut perché dans un hôtel à je ne sais combien d'étages, où fonctionnent de prodigieux ascenseurs. Je domine de mes fenêtres la plupart des bâtisses d'alentour, où tout est rouge, d'un rouge sombre tirant sur le chocolat. Murs de briques rouges. Toits en terrasses, sans tuiles bien entendu, mais couverts de je ne sais quel «imperméable» peint en rouge,--et ce sont des promenoirs pour les habitants, leurs chiens et leurs chats; des messieurs en bras de chemise (car il fait très chaud, une chaleur mouillée de Gulf-Stream) y lisent les journaux à dix pages, des ménagères y battent leurs tapis ou bien y font sécher leurs lessives. Au-dessus des toits, un peu partout, s'élancent des charpentes en fer pour soutenir en plein ciel les grandes lettres des affiches-réclames, ou bien pour élever, comme à bout de bras, les énormes tonneaux peints en rouge qui contiennent les provisions d'eau en cas d'incendie. Trop de choses en l'air, vraiment, trop de ferrailles, trop d'écritures zigzaguant sur les nuages. Et çà et là, auprès ou au loin, des gratte-ciel se dressent isolés--sortes de maisons-asperges, pourrait-on dire--qui font mine d'épier avec indiscrétion tout ce qui se passe alentour. D'en bas m'arrive un continuel vacarme; en plus des autos comme à Paris, c'est le Métropolitain qui fonctionne sur de bruyantes passerelles en fer, à hauteur de premier ou de deuxième étage; sans trêve, les trains se poursuivent ou se croisent. Et il y en a d'autres en dessous, qu'on entend rouler comme des ouragans dans les profondeurs du sol. C'est la ville de la trépidation et de la vitesse! Regardés de mes hautes fenêtres, les passants me semblent tout écrasés et courtauds. Les femmes, avec la mode actuelle, disparaissent sous leur chapeau trop large, ressemblent à un disque où des plumets s'agitent. Et, au milieu de ces gens empressés qui cheminent le long des trottoirs, de tous petits êtres décrivent des courbes folles: des «enfants à roulettes» qui, déjà pris d'une frénésie d'aller vite, font du skating éperdument sur l'asphalte.
Broadway.
Quatre heures, le moment où j'avais fait dire à des journalistes que je les recevrais. Et il m'en arrive un, puis deux, puis dix, puis vingt, puis trente!... Tous ont l'abord courtois et cordial, et bien volontiers je leur tends la main. Mais où donc les mettre? Mon salon n'a plus assez de chaises; qu'on ouvre ma chambre à coucher, on en fera asseoir sur mon lit; pour les occuper, qu'on leur offre des cigarettes!
Et je suis sur le banc des accusés, au milieu de tout ce monde. Un seul parle français et traduit aux autres mes paroles ahuries, qui sont aussitôt notées sur des carnets. «Qu'est-ce qu'il a dit? Qu'est-ce qu'il a dit?» Je n'aurais jamais cru que mes réparties, généralement ineptes, pourraient être si précieuses.
--«Mon cher maître, voulez-vous d'abord nous exposer ce que vous pensez des femmes américaines.»
--«Moi! Mais rien encore: je n'ai pas eu le temps de sortir, je n'en ai vu qu'une seule, une femme de chambre rencontrée dans l'ascenseur, et c'était une négresse!»
--«Bien. Écrivez: M. Pierre Loti diffère son jugement et demande à réfléchir.»
A l'instant même, en voici deux qui font leur entrée, deux Américaines, demoiselles journalistes, le kodak au cran de sûreté. Elles ont l'air intelligent, éveillé, gracieux et d'ailleurs très comme il faut. Je les fais asseoir à mes côtés; l'une d'elles s'excuse d'être encore en tenue de voyage: c'est qu'elle arrive à peine du Congo, où elle était allée chasser le rhinocéros... Et l'interrogatoire continue. La littérature, l'hygiène, la politique, la religion et l'économie sociale, tout y passe. Quelle haute idée ont-ils donc de mon omnicompétence, pour enregistrer avec tant de soin mes plates réponses:
--«Mon cher maître, êtes-vous d'avis que la convention de Genève autorisera l'emploi des aéroplanes militaires? Mon cher maître, êtes-vous partisan de la castration pour les assassins, qu'un de nos philanthropes vient de proposer?»
Foule du samedi, à 5 heures de l'après-midi.
Les deux gentilles misses parlent français. Leurs questions particulières s'entre-croisent avec celles de l'interprète général. Et bientôt c'est le plus étourdissant des coq-à-l'âne, où se heurtent la réélection de M. Fallières, les suffragettes, la castration des assassins, la représentation proportionnelle et les randonnées du rhinocéros. Que va-t-il sortir de ce tohu-bohu, et quel effet d'ensemble cela donnera-t-il, en imprimé, dans les journaux de cette nuit?...
Mais j'avais pensé que ce serait assommant, et au contraire! C'est d'ailleurs si nouveau pour moi, qui, en France, ne reçois jamais un reporter, c'est si imprévu, si drôle, et ils ont si bonne grâce, que vraiment je m'amuse. Quand ils sont tous partis, les grandes lettres que j'aperçois par mes fenêtres, les grandes lettres dans le ciel, commencent à éclairer le brumeux et lourd crépuscule, chaque inscription prenant feu d'un seul coup, l'une en rouge, l'autre en bleu, l'autre en vert; ce sont des réclames lumineuses et clignotantes; New-York en est couvert et on m'a bien recommandé d'aller le soir admirer dans les rues cette féerie quotidienne.
New-York le soir, vu de Brooklyn.
Un gigantesque panneau-réclame: course de chars
romains surmontant une maison.
A neuf heures donc, je descends me mêler à la foule, sur les larges
trottoirs de Broadway. Malgré les costumes parisiens des femmes, malgré
les «complets» et les horribles «melons» pareils aux nôtres, ce n'est
pas la foule de Paris; les allures ont je ne sais quoi de plus décidé,
de plus volontaire, de plus excentrique aussi. Et quel méli-mélo de
toutes les races! On reconnaît au passage des Japonais, des Chinois
tondus à l'européenne, des Grecs, des Levantins, des Scandinaves aux
cheveux pâles.--Quelqu'un du pays me disait ce soir: «New-York n'est pas
encore tout à fait l'Amérique, il n'en est plutôt que le seuil, où
s'arrêtent d'abord en débarquant les foules disparates qui nous viennent
d'Europe. A la seconde génération, quand tous ces gens se sont mêlés,
croisés, nous voyons naître alors de vrais Américains qui ont une
cohésion parfaite et l'amour de leur patrie nouvelle, vérifiant la
devise «e pluribus unum». Ceux-là se fixent plus volontiers dans nos
villes de l'intérieur, où il faut aller pour se sentir vraiment aux
Etats-Unis, et voir la race entreprenante et forte, rajeunie comme un
arbre taillé, qui résulte du mariage de toutes ces énergies.»--Beaucoup
de femmes élégantes, sur les trottoirs de Broadway, et beaucoup de très
belles, du moins quand elles ne sont pas crûment éclaboussées par de
Des gratte-ciel.
blêmes soleils électriques leur donnant des teints de cadavres; mais
trop de négresses, en vérité; à chaque instant, sous quelque grand
chapeau garni de roses, passe une figure toute noire. Les opulentes
boutiques, les étalages derrière d'immenses glaces, sont comme le long
de nos boulevards. Mais l'électricité qui ruisselle ici, qui règne en
souveraine, est mille fois plus agressive que chez nous; il semble que
tout vibre et crépite sous l'influence de ces courants innombrables,
dispensateurs de la force et de la lumière; on est comme électrisé
soi-même et un peu frémissant. Mon Dieu, que de bruit dans Broadway!
Presque sans trêve, il faut se résoudre à entendre courir en vertige
au-dessus de sa tête, sur les vibrantes passerelles de ferraille, des
files de wagons-monstres, bondés de monde et étincelants de feux. En
revenant d'ici, Paris va me sembler une bonne vieille petite ville
arriérée et calme, aux maisonnettes basses; d'ailleurs aucune de ses
illuminations du 14 juillet n'approche des fantasmagories qui, les soirs
quelconques, se jouent à New-York. Partout des lumières multicolores,
qui changent et scintillent, formant et déformant des lettres; elles
dégringolent en cascade du haut en bas des maisons, ou traversent les
voies comme des banderoles tendues. Mais c'est en l'air surtout qu'il
faut regarder--malgré le fracas souterrain des trains express qui vous
feraient baisser instinctivement les yeux vers le sol--c'est en l'air,
au faîte des extravagantes bâtisses, au-dessus des toits; là sont les
réclames lumineuses, qui remuent par des trucs nouveaux, les visions qui
dansent. Un marchand de je ne sais quoi a surmonté sa boutique d'une
course de chars romains où l'on voit des chevaux gigantesques agiter
avec frénésie leurs pattes de feu. Un marchand de parapluies a érigé une
bonne femme qui gesticule avec son ombrelle ouverte. Un marchand de
mercerie exhibe un énorme chat, tout en feu jaune, qui dévide un peloton
de feu rouge et s'entortille avec le fil. Un marchand de brosses à
dents, le plus cocasse de tous, fait gigoter dans le ciel un diablotin
qui roule des prunelles de feu vert, en brandissant de chaque main une
brosse de 10 mètres de long... Vite, vite, les apparitions se dessinent,
se démènent, s'effacent, reviennent, vite, si vite que le regard se
trouble à les suivre. Et de temps à autre, au bout d'un gratte-ciel non
éclairé, qui montait invisible dans l'atmosphère de brume et de fumée,
quelque affiche géante, que l'on dirait suspendue comme une
constellation, éclate en feu rouge, vous martèle un nom dans l'esprit,
et se hâte de s'éteindre. Tout cela, pour ma mentalité d'Oriental, est
déroulant et même un peu diabolique; mais c'est si drôle et en même
temps si ingénieux, que je m'amuse et presque j'admire...
Dimanche, 22 septembre.
Ce que je vais raconter de ma première nuit de New-York fera sourire les Américains; aussi bien est-ce dans ce but que je l'écris. Dans un livre du merveilleux Rudyard Kipling, je me rappelle avoir lu les épouvantas du sauvage Mowgli la première fois qu'il coucha dans une cabane close: l'impression de sentir un toit au-dessus de sa tête lui devint bientôt si intolérable, qu'il fut obligé d'aller s'étendre dehors à la belle étoile. Eh! bien, j'ai presque subi cette nuit une petite angoisse analogue,--et c'étaient les gratte-ciel, c'étaient les grandes lettres-réclames au-dessus de moi, c'étaient les grands tonneaux rouges montés sur leurs échasses de fonte; trop de choses en l'air, vraiment, pas assez de calme là-haut. Et puis, ces six millions d'êtres humains tassés alentour, ce foisonnement de monde, cette superposition à outrance oppressaient mon sommeil. Oh! les gratte-ciel, déformés et allongés en rêve! Un en particulier (celui du trust des caoutchoucs, si je ne m'abuse), un qui surgit là très proche, un tout en marbre qui doit être d'un poids à faire frémir! Il m'écrasait comme une surcharge, et parfois quelque hallucination me le montrait incliné et croulant...
Un coin de Central Park.
C'est dimanche aujourd'hui; le matin se lève dans une brume lourde et moite; il fera une des chaudes journées de cette saison automnale qu'on appelle ici «l'été indien». Sur New-York pèse la torpeur des dimanches anglais et, dans les avenues, les voitures électriques ont consenti une trêve d'agitation. Rien à faire, les théâtres chôment et demain seulement je pourrai commencer à suivre les répétitions du drame qui m'a amené en Amérique. Mais dans le voisinage, tout près, il y a Central Park, que j'aperçois par ma fenêtre, avec ses arbres déjà effeuillés; j'irai donc là, chercher un peu d'air et de paix.
Central Park est comme un bois de Boulogne ouvert en pleine ville, avec des allées pour les cavaliers, des allées pour les autos, d'immenses prairies pour le football, et des recoins presque solitaires pour les idylles.
Un promeneur et un écureuil dans Central Park.
Les feuillages sont les mêmes qu'en France, mais flétris par un plus précoce automne, après un été plus brûlant. Çà et là des blocs de rochers noirs se lèvent, comme s'ils avaient crevé les pelouses, et c'est le sol même de New-York qui reparaît à nu, ce sol dur et homogène qui a favorisé la hardiesse des maisons à trente ou quarante étages, écrasantes de lourdeur. Le parc est tellement grand que parfois on se croirait en pleine campagne, si toujours un ou deux gratte-ciel dans le lointain n'élevaient au-dessus de la cime des arbres leurs têtes indiscrètes, semblables à des maisons chimériques du pays de Gulliver... Les gens élégants doivent avoir fui la ville, car je ne rencontre aujourd'hui que des petits bourgeois endimanchés, des «enfants à roulettes», d'austères vieilles misses à lorgnon qui doivent être des institutrices. Et solitairement je vais m'asseoir au bord d'une allée.
A peine suis-je là qu'un bruit très léger me fait tourner la tête. A côté de moi, sur mon banc, un amour de petit écureuil gris vient de bondir, et il me regarde en faisant le beau, debout sur son arrière-train, relevant sa belle queue de chat angora... Oh! en voici un second, plus hardi encore» qui saute sur mes genoux! J'en aperçois aussi qui courent sur l'herbe ou qui jouent dans les branches.--Et c'est une des choses gracieuses et touchantes de New-York, cette tribu de petits êtres libres qui a pris possession de Central Park et que tout le monde protège; on leur bâtit des maisonnettes de poupée sur les arbres, les promeneurs leur apportent des bonbons et des graines qu'ils viennent manger à la main; rien ne les effraie plus, ni le galop des cavaliers, ni le bruit de ces «enfants à roulettes», aussi gentils et effrontés qu'eux-mêmes, qui font du skating sur l'asphalte de tous les sentiers.
L'armée du Salut.
Le déclin du jour amène pour moi d'intolérables mélancolies dans ce parc d'automne, au milieu de cet humble petit monde du dimanche, qui est si hétéroclite et qui m'est si inconnu; au-dessus des bosquets d'ombre, les lointains gratte-ciel, rougis à la pointe par le soleil couchant, me donnent une impression d'exil que je n'avais jamais éprouvée, même en plein désert; les écureuils gris, par précaution contre les chats qui vont bientôt rôder, remontent dans leurs maisonnettes suspendues; le crépuscule commence à m'étreindre, et j'ai envie de m'enfuir vers les rues plus animées où je coudoierai plus de monde. Je ne sais si déjà je m'américanise, mais je sens ce soir qu'il me faut du mouvement et du bruit.
Dans les quartiers qui entourent le parc, toutes ces hautes maisons, que de richesses elles étalent et quel luxe dominateur! C'est presque trop; la proportion, la mesure manquent un peu. Les entrées où veillent des mulâtres galonnés, sont de marbre ou de porphyre, avec des colonnades grecques, byzantines ou gothiques, avec de lourdes et somptueuses grilles en bronze ou en fer forgé qui feraient honneur à nos cathédrales. Et tout cela vient de surgir presque en un jour! C'est humiliant en vérité pour notre vieille Europe qui a mis des siècles à bâtir ses villes célèbres et n'a jamais eu assez d'or pour faire aussi beau. Mais, à tant de luxe, quelque chose manque, quelque chose que l'on ne définit pas, et qui est peut-être tout simplement l'âme d'un passé...
*
* *
Neuf heures, et nuit brumeuse. Quand je suis accoudé à ma haute fenêtre, avant de redescendre me plonger dans la fantasmagorie des rues, une sérénade tout à fait burlesque éclate sans préambule, en bas, sur un trottoir de Broadway. Des voix d'hommes hurlent ensemble une sorte de cantiques de guerre, accompagné à l'unisson par des trombones et des cors de chasse. Qu'est-ce que c'est que ce charivari, mon Dieu?--Ah! l'armée du Salut! Un bataillon qui est venu se poster là pour tâcher de sauver au passage les égarés du dimanche soir s'acheminant vers les bouges de l'alcool. Eh! bien, après la première minute de stupeur et de sourire, on oublie le ridicule de cela pour céder à une impression plutôt grave. Dans cette ville où trépident nuit et jour les transactions et les affaires, il y a donc place encore pour le vieux rêve religieux qui berça les hommes pendant des siècles. Ce rêve, il est vrai, a pris une forme délirante, tapageuse, effrénée, ici où tout est neuf et excessif; mais on le sent là, bien vivant quand même, derrière cette musique de maison de fous. Et on ne sourit plus.
Copyright. Droits réservés.
PIERRE LOTI.
--A suivre.--
Au Bois, le matin: les jolies rencontres du photographe.
MAI PARISIEN.--Robes et chapeaux printaniers: la mode vue
aux dernières réunions de Longchamp.--Phot. de Givenchy et Agié.
C'est toujours au Bois, le matin, et, l'après-midi, aux Courses, qu'il faut aller chercher les visions très diverses de luxe et de grâce féminine dont le mois de mai parisien compose son attrait particulier. Les hasards d'une promenade dans les allées du Bois ont favorisé le photographe; il en a rapporté trois instantanés qui, par bonne fortune, forment des tableautins de genre achevés. Et il a pu surprendre, aux réunions de Longchamp, toutes les variétés des élégances printanières, encore timides et hésitantes jusqu'au dernier meeting où elles s'affirmèrent sans réserve. Les images que nous avons rapprochées ici, et celle de la double page qui suit, donneront un aperçu des modes de cette saison, que marque le triomphe incontesté du petit chapeau empanaché, abondant en aigrettes et en paradis, et paré de capricieuses «fantaisies».
ÉLÉGANCES DE LONGCHAMP: LA FOLIE DES AIGRETTES ET DES
PARADIS
Le village de Tormery,
vu du sommet de la roche
menaçante.
Un des événements de la semaine dernière a été cette explosion du rocher de Tormery dont on parlait depuis si longtemps. Il faisait partie obligée des curiosités que devait visiter le touriste, venu passer quelques jours à Aix-les-Bains ou dans la contrée. On vous conduisait jusqu'à la gare de Chignin et l'on vous montrait le rocher.
--Voilà la «Roche Pourrie», disait le guide, et au-dessous le village de Tormery qu'elle écrasera un de ces jours.
Et, de fait, il y avait lieu de redouter un cataclysme, car cette énorme masse, de 9.000 mètres cubes, semblait suspendue au-dessus des soixante et quelques maisons habitées par les braves cultivateurs savoyards. Un premier avertissement avait été donné le 14 août 1903. A 7 heures du soir, deux blocs de 400 mètres environ s'étaient détachés de la «Roche Pourrie», comme l'avaient baptisée les paysans, à cause de sa désagrégation lente, mais progressive. Ces blocs, par bonheur, étaient tombés dans la plaine et n'avaient atteint personne. Ils s'étaient contentés d'écraser deux celliers inoccupés, dont, après la chute, il n'était plus resté trace.
Les échafaudages dressés pour le
percement des 237 trous de mine.
Allait-il donc, dans un temps plus ou moins long, en être de même du village? C'était certain, c'était fatal, si l'on ne prenait au plus vite les mesures nécessaires.
L'administration des ponts et chaussées intervint. Elle fit sceller, en travers des crevasses, des barres de fer qui permettraient de constater le moindre déplacement du rocher. C'était un palliatif momentané et insuffisant, parce que le rocher qui repose sur un sol marneux pouvait un jour s'abattre d'un seul coup sur Tormery sans avoir bougé auparavant.
Des démarches nouvelles furent faites de la part des autorités locales, maire, conseil municipal, conseil d'arrondissement, conseil général, préfet... Les ingénieurs des ponts et chaussées examinèrent sous toutes ses faces la «Roche Pourrie» et finirent par tomber d'accord sur ce point qu'il fallait la détruire.
Le bloc B (après l'explosion qui a détruit, à droite et à gauche, les parties condamnées de la masse rocheuse) est tombé en arrière, entraînant des fragments de la partie supérieure, et s'est coincé en A dans la crevasse; la partie C de la roche centrale restée en surplomb s'est déplacée de 4 centimètres en bas et vers sa droite.
Vue en plan.
Vue en coupe (suivant d e
sur la vue en plan).
Mais comment? On ne pouvait pas, bien entendu, faire écrouler le rocher sur le village: c'eût été provoquer la catastrophe qu'on voulait éviter. Par les moyens ordinaires, c'est-à-dire par des coups de mine successifs, on aurait envoyé au loin d'énormes quartiers de roc qui auraient broyé tout ce qui se serait trouvé sur leur passage. Il fallait au contraire anéantir le rocher, le réduire en parcelles inoffensives, et pour cela provoquer, en des points très nombreux et très rapprochés, autant d'explosions absolument simultanées. Mais, même en employant l'électricité, on ne voyait pas bien la possibilité d'y arriver... d'autant plus qu'il fallait éviter tout «ratage», c'est-à-dire toute mine n'ayant pas fait explosion et demeurant par suite très dangereuse.
On s'adressa--il y a un an de cela--à la maison Davey, Bickford, Smith et Cie, de Rouen, déjà bien connue par son cordeau Bickford qui sert dans les mines--et aussi dans les attentats anarchistes --à faire exploser un engin, utile ou criminel. Il ne s'agissait pas cette fois du cordeau Bickford ordinaire, comme l'ont dit presque tous les journaux, mais bien d'un nouveau cordeau détonant au trinitrotoluène, pour lequel la maison a pris un brevet spécial et qui détone avec une vitesse de 6.000 mètres à la seconde, alors que le cordeau ordinaire brûle à raison d'un mètre en 90 secondes et ne peut pas exploser.
La vitesse de détonation du nouveau cordeau permet de faire partir ensemble un nombre incalculable de mines avec une seule amorce électrique mise au moment même où l'on veut produire l'explosion.
Le cordeau est en contact avec toutes les cartouches, car il va au fond de chaque trou. Il oblige toutes les cartouches à partir. Plus d'accidents consécutifs aux culots, d'explosifs,--terme consacré pour désigner l'explosif non parti. En outre, pendant le chargement, l'absence d'amorce supprime tout danger.
Le chargement à la dynamite des
trous de mine et la pose des
cordeaux détonants.
C'est avec ce cordeau qu'on a exécuté des travaux très difficiles et très délicats, comme le déblaiement du tunnel d'Ypres, situé au milieu de riches propriétés qu'une secousse trop forte eût pu détériorer, ceux de Briddlington (Yorkshire), de Port-de-Bouc, de Saint-Jean-de-Maurienne, etc.
La maison Davey, Bickford et Cie envoya un jeune ingénieur, M. Georges Dienne, qui examina le rocher. Après une visite minutieuse, il fut d'avis qu'on pouvait, sans le moindre danger pour le village, réduire en poussière les 9.000 mètres cubes.
Mais M. Reulos, ingénieur des ponts et chaussées, estima que c'était exagéré. A son avis, il suffisait d'enlever deux blocs qui se trouvaient à droite et à gauche du bloc central et qui, à eux deux, cubaient 2.000 mètres. Le reste ne serait plus dangereux. On consoliderait le bloc de 7.000 mètres restant, au moyen d'un mur de soutènement.
N'ayant à s'occuper que de l'exécution des ordres reçus, M. Georges Dienne s'inclina. Il prit ses mesures. Ce fut une besogne longue et difficile que de percer les 237 trous de mine sur les flancs de ces deux blocs. On en jugera par les photographies prises pendant la préparation.
Ces trous de mine furent chargés avec de la dynamite gomme à 92% de nitroglycérine. Certains de ces trous dépassaient quatre mètres et demi de profondeur et étaient chargés de six kilos de dynamite.
La longueur totale de cordeau détonant, partant de chaque trou pour se raccorder au point où fut placée, à la dernière minute, l'amorce électrique qui provoqua la détonation générale, était de 1.500 mètres.
L'explosion.
Près de la cabane, sur le flanc de la
montagne, à gauche, se tenait, avec ses aides, l'ingénieur chargé de
déterminer la déflagration; on voit, aux bords de la dentelure de flamme
et de fumée, que la roche éclatée est projetée dans l'espace en
cailloutis minuscules.
Bien que M. Dienne répondît de tout et affirmât que les maisons de Tormery ne ressentiraient même pas une secousse, l'administration crut devoir prendre des mesures exceptionnelles de prudence. On donna ordre d'évacuer le village et ce fut un spectacle attristant de voir les paysans abandonner leurs maisons avec leurs femmes et leurs enfants, traînant après eux leurs bestiaux, emportant leurs objets les plus précieux, leurs instruments agricoles, etc. Mercredi matin, le maire de Chignin, commune d'où dépend Tormery, vint avec les gendarmes et les gardes forestiers visiter les maisons une à une pour s'assurer que personne n'y était resté.
La nouvelle de cette explosion avait attiré beaucoup de curieux. Il en était venu d'Aix-les-Bains, de Chambéry, de Grenoble, de Lyon, de Genève. La compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée avait organisé des trains spéciaux et la petite gare de Chignin ne s'était jamais trouvée à pareille fête. Pour contenir la foule, on avait dû faire venir une compagnie de chasseurs alpins. Il fallait à tout prix empêcher les curieux d'être victimes de leur imprudence et de recevoir sur la tête un des blocs de roches qu'allait infailliblement lancer en l'air l'explosion, absolument comme un volcan en éruption.
Quant au village on en avait fait le sacrifice. Il allait, vraisemblablement, être enseveli sous les décombres, comme Pompéi et Herculanum sous la lave du Vésuve. Le conseil général avait voté une somme de 100.000 francs pour indemniser les habitants, obligés de se reconstruire un asile un peu plus loin dans la vallée.
Mercredi matin, la foule était là, haletante. On se montrait, en face de Tormery, le Granier, cette muraille de 2.000 mètres qui maintient la montagne. On se racontait qu'en 1428 une partie de cette montagne s'était écroulée, engloutissant vingt-trois localités, dont une ville de 5.000 habitants, nommée Saint-André, et sur l'emplacement de laquelle se trouve actuellement le lac du même nom. On se disait qu'aujourd'hui encore, dans la clarté des matins, on peut apercevoir sous les eaux du lac, au fond, tout au fond, la pointe du clocher de Saint-André, comme dans la baie de Soulac, en Saintonge, on aperçoit à temps calme la ville engloutie par la mer.
Dix heures... M. Georges Dienne, après une rapide inspection, réunit ses cordeaux et pose le détonateur. On avertit la foule que l'explosion va avoir lieu.
Dix heures trente-cinq... une faible flamme, un crépitement, suivi d'un bruit semblable à celui des grêlons qui tombent. Ce sont les petits fragments du roc qui dégringolent de chaque côté, pas plus gros que les graviers qu'on jette dans les allées des parcs... Le village est intact.
--C'est ça l'explosion! s'écrie-t-on dans la foule.
Et, il faut l'avouer à la honte de l'espèce humaine, il y a un immense désappointement. On se figurait voir une lueur colossale, des jets de feu gigantesques, des blocs énormes projetés à des hauteurs incommensurables et retombant sur les toitures du village qu'ils auraient broyées comme des fétus de paille... Ce n'était vraiment pas la peine de venir de si loin.
Après l'opération: blocs de roche
tombés dans la fissure derrière la
masse centrale de roc restant en
porte à faux.
Si, c'était la peine, parce qu'on a vu la puissance de la science actuelle, luttant contre les forces de la nature.
Parmi les habitants aussi, il y en eut quelques-uns qui furent déçus. Ils savaient qu'il y avait 100.000 francs destinés à payer les dégâts et ils avaient escompté cela, imaginant sans doute qu'au lieu de leur vétusté masure on leur donnerait un petit chalet plus moderne, plus confortable que la demeure ancestrale si rudimentaire. Mais ils se consolèrent vite. N'était-ce pas le bonheur quand même, que de pouvoir sans encombre reprendre sa place au foyer et ses habitudes?...
Les deux blocs latéraux sont donc pulvérisés. Le danger est-il complètement, définitivement conjuré? Il est à craindre que non.
Le bloc principal, de 7.000 mètres, subsiste. Les terrains qui le supportent sont toujours aussi mauvais: c'est de la marne qui s'attendrit et se délaie à la pluie...
Il est vrai qu'on va le soutenir par un mur. Mais ce mur, dont la construction présentera de grandes difficultés et nécessitera de fortes dépenses, pourra-t-il présenter une résistance suffisante? Le terrain sur lequel on aura à poser les fondations est-il assez solide? Quelle épaisseur faudra-t-il lui donner pour qu'il puisse supporter la poussée formidable du rocher?
Les blocs non minés qu'on a voulu garder sur le sommet du rocher et du côté de la montagne, pour faire contrepoids, sont tombés dans la crevasse qui sépare le rocher de la montagne. Au lieu de soutenir la «roche pourrie», ils vont la pousser vers l'avant.
En outre, une partie de ce rocher qui, avant l'explosion, faisait corps avec le noyau principal, s'est déplacée de quatre centimètres vers la droite du côté nord et est descendue également de quatre centimètres, ainsi qu'en font foi les «témoins» posés avant l'explosion et examinés après.
Tout cet été il n'y aura rien à craindre. Mais, l'hiver venu, avec les pluies, ou bien encore au dégel...?
On fera bien, pendant que la saison est favorable, de construire au plus vite le mur de soutènement et d'y apporter tous les perfectionnements possibles, dût-on y consacrer les 100.000 francs qu'on destinait à la reconstruction du village.
Mais n'eût-il pas été plus simple d'anéantir d'un seul coup tout le
rocher?
C. D.
Une représentation de la Fiancée vendue de Smetana sur la vaste scène
en plein air du Théâtre national de Prague.--Phot. V. Jehticka.
Maintenant que le soleil s'est enfin décidé à rendre au mois de mai sa splendeur traditionnelle, les théâtres de la nature ont commencé de disposer leurs premiers décors. Les représentations en plein air se généralisent de plus en plus et il faut signaler, cette année, la gigantesque entreprise du Théâtre national de Prague, qui, dans un décor naturel en amphithéâtre, dans la banlieue de la capitale de la Bohême, peut mettre en scène, devant 20.000 spectateurs, une prodigieuse figuration. Notre photographie a été prise lors de la première représentation de la Fiancée vendue, l'opéra de Smetana, qui sera interprétée par le même ensemble à Paris, au théâtre des Champs-Elysées.
La Société dos Jardins ouvriers de Paris et de banlieue a été créée en 1904. Son but est de réunir les concours généreux qui lui permettent de prendre en location ou en dépôt des terrains qu'elle attribue ensuite moyennant une très faible rétribution à des ouvriers chargés de famille et sous la seule obligation de bien cultiver leur petit lot de terre et d'y construire une tonnelle-abri.
Cette oeuvre si intéressante a eu des débuts difficiles. Procurer à l'ouvrier ou à l'employé de Paris un coin de sol de 100 à 150 mètres carrés paraît chose bien chimérique. La société débuta avec cinq jardins à Levallois-Perret. Dix autres vinrent s'y ajouter en 1905, prélevés sur un terrain de l'Assistance publique, boulevard Brune. A partir de 1906, le développement de l'oeuvre fut plus rapide. A sa dernière assemblée générale, le 2 février 1913, M. Robert Georges-Picot, le secrétaire général, annonçait un total de 36 groupes représentant 1.420 jardins. On n'a pas idée de ce qu'il a fallu d'efforts pour amener à la culture et à la vie certains terrains de rebut. Les ouvriers ont littéralement pétri et formé le sol. Mais aussi avec quelle joie ils vous montrent leurs légumes, leurs fleurs et leurs plates-bandes. On peut affirmer que, sur un terrain de 100 à 150 mètres, ils obtiennent, en moyenne, 80 francs de légumes, sans compter un gain moral qui ne saurait s'apprécier en argent. Car ces braves gens organisent entre eux des concours de jardinage, des visites de jardins, des fêtes d'enfants, des mutualités maternelles. Dimanche, ils se réunissaient joyeusement à Bicêtre où ils avaient organisé la représentation en plein air d'une adaptation de la légende de Geneviève de Brabant. On avait élevé une petite chèvre pour tenir le rôle de la biche. Un aimable juge de paix avait rimé des vers. Un artiste de l'Odéon, M. Dutertre, avait dirigé les répétitions qui eurent lieu pendant deux mois, le soir, chez l'abbé Lemire. Les jardiniers d'Arcueil avaient charrié pour leurs camarades de Bicêtre le décor de feuillage, et un millier de spectateurs applaudirent avec enthousiasme la grâce douloureuse de Geneviève et la noble allure du comte de Brabant.
L'abbé Lemire.
LES THÉÂTRES DE MAI.--Une scène de
Geneviève de Brabant
représentés sur le Théâtre de verdure des Jardins
ouvriers, à Bicêtre.--Phot. Gimpel,
M. Paul Hervieu. M. PAUL HERVIEU EN ESPAGNE.--L'illustre
écrivain à la fête champêtre du «Rocio», près de Séville.--Phot.
Serra.
M. Paul Hervieu vient de faire en Espagne un séjour de quelques semaines, pendant lequel il a été l'objet des manifestations de sympathie les plus flatteuses, pour lui-même et pour les lettres françaises. Le maître de la tragédie moderne s'était rendu à Madrid pour assister à la première représentation de la Course du Flambeau, traduite par un excellent écrivain, M. Carlos de Battle, et interprétée par une grande artiste, Mme Carmen Cabena: acclamé par les spectateurs du théâtre de la Zarzuela, affablement reçu par le roi Alphonse XIII et le ministre de l'Instruction publique, fêté par la société madrilène et par ses confrères espagnols, il a vu son voyage se transformer en une manière d'ambassade littéraire, qui, nous écrit notre correspondant M. J. Causse, «a contribué à fortifier l'oeuvre accomplie, dans le même temps, par les diplomates des deux côtés des Pyrénées».
A ces attentions officielles se sont unies, pour charmer son séjour, les impressions pittoresques qu'il a rapportées d'une excursion en Andalousie. Près de Séville, M. Paul Hervieu et ses compagnons de voyage, Mme la baronne de Pierrebourg--en littérature Claude Ferval et le comte et la comtesse de Lauris, ont eu l'occasion d'assister à l'une des fêtes les plus caractéristiques de l'Espagne. Le pèlerinage champêtre de la vierge du «Rocio» (de la Rosée), dont le sanctuaire, situé en plein bois, est chaque année, à cette époque, le rendez-vous de nombreuses confréries. La famille du grand armateur M. Ramon Ibarra a l'habitude de convier gracieusement, dans sa belle propriété de Lopaz, les jeunes filles et les jeunes gens de l'aristocratie sévillane, qui, vêtus du costume populaire andalou, vont attendre le passage des pèlerins, venus à cheval ou'en charrettes décorées de fleurs... L'éminent académicien, qui s'était mêlé à eux, n'a pas échappé à l'objectif du photographe; et c'est ainsi qu'a pu être pris cet instantané imprévu de l'auteur des Tenailles et de la Loi et l'Homme.
LE DÉMAGOGUE M. Jean Jaurès au meeting
du Pré-Saint-Gervais.
La mise à l'étude du projet de loi rétablissant le service militaire de trois ans, la décision prise par le gouvernement, conscient de ses responsabilités et soucieux de ses devoirs, de maintenir sous les drapeaux la classe libérable à l'automne, tout cela, que la masse du pays--et de l'armée--acceptait sagement, a produit parmi les partis avancés une effervescence qui n'a rien d'ailleurs d'inattendu, et fourni le prétexte de protestations, de propagandes qui ont eu, par malheur, une regrettable répercussion dans certains régiments.
Des manifestations, demeurées heureusement isolées, se sont produites, la plus grave à Rodez, où un commencement de sédition fut arrêté, dès le début, par l'attitude énergique, résolue, du commandant Angelby.
Ces mouvements d'indiscipline ont été réprimés et punis sans faiblesse comme sans retard. Des enquêtes, conduites notamment par le général Pau, le général Goetschy ont rapidement établi les culpabilités et déterminé les nécessaires sanctions.
Mais, de prime abord, les renseignements recueillis par les enquêteurs révélaient clairement que les vraies responsabilités remontaient plus haut, et que les soldats insubordonnés, avec cette légèreté, cette spontanéité qui caractérisent la jeunesse, n'avaient été que trop dociles à des suggestions venues du dehors.
«Nous ne sommes pas en présence d'une mutinerie militaire, aurait déclaré en rentrant à Paris le général Pau, mais d'un mouvement d'origine politique.»
Les socialistes, les membres de la C. G. T. et autres anarchistes allaient bien vite fournir eux-mêmes des arguments probants pour justifier cette impression,-sans parler des faits précis qui allaient être révélés par diverses opérations de police.
Le dimanche 24 mai devait avoir lieu la traditionnelle manifestation au «mur des Fédérés», au cimetière du Père-Lachaise. Les socialistes décidaient brutalement d'en faire le prétexte d'une manifestation hostile au maintien de la classe sous les drapeaux, hostile aux «trois ans»,--pour tout dire, nettement antimilitariste. Le gouvernement ne le pouvait permettre. Il décida d'interdire cette démonstration, et la Chambre l'approuva.
Cependant, respectueux du droit de réunion, il ne songea non plus à empêcher les adversaires des mesures militaires de s'assembler, dimanche, au Pré-Saint-Gervais, en un meeting de protestation. Il n'eut pas à regretter cette tolérance. Tout se passa dans un ordre parfait.
Le temps, d'abord, était radieux et chaud et incitait à la douceur. Une foule, que les organisateurs ont évaluée à 120.000 personnes, mais qui en comptait 30.000 à 35.000 suivant la préfecture de police, se rendit par cette tiède journée au lieu indiqué par des affiches et les journaux intransigeants.
Des femmes, des enfants s'étaient mêlés aux manifestants. Des filets bourrés de victuailles et de «litres» se voyaient dans les groupes, derrière les drapeaux rouges ou noirs roulés dans leurs gaines. On saucissonna sur l'herbe, et ce fut une partie de campagne autant qu'un meeting. Après quoi, on se réunit autour des tribunes, pour y entendre, tour à tour, les quatre-vingt-seize orateurs inscrits! Que d'éloquence en une journée!
Il y avait là tous les orateurs écoutés du parti,--ou plutôt des partis, M. Jaurès en tête, qui ne fut ni le plus violent ni, partant, le plus applaudi. Il y avait encore M. Vaillant, véhément toujours, malgré les ans, M. Marcel Sembat, M. Albert Willm. Ils distribuaient la bonne parole par petites tables, si l'on peut dire, du haut de sept tribunes, sept camions dont le plus entouré était certes celui qu'ombrageait le drapeau noir des communistes anarchistes.
Aucun conflit, grâce aux mesures d'ordre habilement prévues par le préfet de police, M. Hennion, ne troubla la réunion.
Le lendemain, bien résolu à rechercher toutes les responsabilités dans les regrettables incidents dont les casernes ont été le théâtre, le gouvernement faisait procéder à une centaine de perquisitions, à Paris--notamment à la Confédération Générale du Travail, et à la Bourse du Travail--et en province, afin de rechercher les preuves des excitations politiques.
Le commandant Mongrand.
--Phot. Grémion.
Dans une récente et importante interview publiée par notre confrère le Temps, M. le gouverneur général Sarraut a tenu à déclarer que l'attentat d'Hanoï, la bombe lancée le 26 avril dernier sur des officiers français à la terrasse d'un café local, n'était pas «un crime annamite» mais un crime extérieur à l'Indo-Chine, inspiré très vraisemblablement par le prince exilé Cuong Dé et exécuté par «la pègre internationale d'Asie».
Les journaux quotidiens ont dit, en leur détail, les circonstances de cet attentat qui causa une si grande émotion en France. Le samedi 26 avril 1913, vers 7 h. 1/2 la bombe, éclatant au milieu des consommateurs du café de Hanoï-Hôtel, blessait mortellement les commandants Mongrand et Chapuis, de l'infanterie coloniale, et atteignait plus ou moins grièvement douze autres Français et six indigènes. L'un des morts, le commandant Mongrand, qui s'était particulièrement distingué au Soudan où il avait été cité pour action d'éclat à la prise du repaire de Kentadji sur le Niger, laisse une veuve et quatre enfants. Il achevait sa période de séjour en Indo-Chine et, par décision du 24 avril, avait été affecté au 4e colonial, à Toulon.
L'une de nos gravures représente le lieu de l'attentat, la devanture du café photographiée le lendemain du crime, avec son panneau défoncé et ses vitres brisées Le sang des victimes a laissé des traces sur le sol et sur l'une des tables.
La terrasse du café de Hanoï-Hôtel après l'explosion de
la bombe.
Quelques jours avant cet événement, une autre bombe avait tué à Thaï Binh un mandarin attaché à la cause française. Il n'est résulté de ces attentats aucune panique parmi nos compatriotes. Dans la nuit qui a suivi le meurtre des officiers, le gouverneur général, M. Sarraut, a fait afficher une énergique proclamation. Les victimes ont été enterrées le mardi 29 avril à 9 heures du matin. Tout Hanoï et beaucoup de Français de l'intérieur y assistaient. Devant la chapelle de l'hôpital militaire, alors que l'on venait de placer les deux cercueils sur des prolonges d'artillerie, le gouverneur général de l'Indo-Chine, M. Albert Sarraut, a prononcé un discours ému, promettant le châtiment exemplaire des meurtriers et de leurs complices. Ce discours se termina par le cri de «Vive la France!» qui, malgré la tristesse de l'heure, fut très applaudi.
Les obsèques des victimes de l'attentat d'Hanoï: le discours
de M. Sarraut, gouverneur général de l'Indo-Chine, devant la
chapelle de l'hôpital militaire.
C'est entendu. Paris s'étend, Paris «coule» vers l'ouest. Il avait, au temps de Mme de Sévigné, son centre mondain place Royale et dans le Marais; sous Louis-Philippe, entre le Cirque d'hiver et les Variétés; plus tard, entre les Tuileries et Tortoni. Les hommes de cette génération-ci ont amené le centre de Paris sur les boulevards, entre l'Opéra et la Madeleine. Ce sera demain les Champs-Elysées et l'Étoile, et, dans trente ans, Bagatelle, quand il n'y aura plus de fortifications. Les expositions de peinture et les marchands de tableaux suivront le mouvement; ils l'ont déjà suivi (nous le remarquions ici dernièrement); mais cela n'empêche pas qu'il n'y ait en ce moment dans l'un des moins occidentaux et des plus vieux quartiers de Paris, un Salon de peinture qu'il faut voir. C'est le Salon des artistes du 4e arrondissement. Il a même, ce Salon, le privilège d'une situation unique; il est installé pour un mois dans la cour d'un des plus pittoresques et vénérables monuments de Paris: à l'Hôtel de Sens.
Cet hôtel avait été construit, à la fin du quinzième siècle pour les archevêques de Sens, sous l'autorité desquels était placé--et demeura placé jusqu'en 1622--l'évêché de Paris. Il eut, durant cette période, des hôtes illustres: Louis de Bourbon, Louis de Guise cardinal de Lorraine, la reine Margot, et, avant elle, Nostradamus! La renommée du prophète provençal s'était propagée jusqu'à Paris, et Henri II avait fait prier Nostradamus de venir à la cour. Il y vint. Le roi ordonna qu'il fût logé chez le cardinal de Sens. Cela se passait au mois d'août 1556. Nostradamus fut même retenu à l'hôtel de Sens par un petit accident que, quoique astrologue, il n'avait point prévu. Un accès de goutte le cloua douze jours dans sa chambre, en attendant les succès de prophète qu'il allait remporter à la cour quelques jours après! Mais le vieil hôtel lui-même allait connaître d'étranges mésaventures. Abandonné par les archevêques de Sens, il allait être successivement le dépôt des coches de Bourgogne; puis une confiturerie, puis une verrerie... Et le voilà qui se relève tout doucement de cette déchéance. Il est, depuis quelques mois, la propriété de la Ville de Paris, qui se propose d'installer là une partie de ses collections. Quelque temps s'écoulera encore avant que soient commencés les travaux que cet aménagement nécessite; et la Société d'artistes du 4e arrondissement a eu la très bonne idée de mettre à profit ce délai en demandant à la Ville de lui ouvrir, pour un mois, la maison où Nostradamus eut la goutte, et devant la porte de laquelle la reine Margot fit, le 6 avril 1606, trancher la tête à un gentilhomme dont elle avait eu, comme femme, à se plaindre. L'Exposition n'occupe du vieil hôtel que la cour intérieure, qu'on a plafonnée d'un vélum, et sablée avec soin. Au fond de la cour, une porte basse ouverte sur l'étroit et tortueux escalier noir qui mène aux souterrains; à côté, surélevée de quelques marches, une petite chambre où un mobilier gothique --oeuvre de quelque exposant tapissier de l'arrondissement--a pour cadre une très belle cheminée «du temps», et les poutres vermoulues d'un plafond qu'aucune restauration n'a profané encore.
Et plus de trois cents oeuvres sont exposées ici. Les sujets de la plupart d'entre elles sont empruntés à l'arrondissement lui-même, à son histoire, à ses paysages. Et gentiment, le long de ces murs, amateurs et professionnels fraternisent. Saluons parmi ceux-ci: Franck Bail, Belot, Emile Bernard, Max Blondat, Delahogue, Druard, J.-J. Dufour, E. Fraisse, Garcia-Ramon, Grouiller, Lalauze, E. Lequeux, Pannemaker, A. Boulard, Emile Renard... Il est évident que d'une exposition située entre la rue François-Miron et le pont des Célestins--ou, plus exactement, à l'angle de la rue du Figuier et de l'ancienne rue de la Mortellerie--ces excellents artistes n'avaient nul profit ni surcroît de gloire à espérer... Simplement, ils ont «marché» avec les camarades, pour l'honneur de l'arrondissement. C'est très bien. C'est d'autant mieux qu'ils fourniront aux curieux qui leur feront visite une occasion de connaître ce coin délicieux du vieux Paris où l'on ne va pas assez. Le carrefour où s'érige l'Hôtel de Sens est à quelques pas de la Seine. Il fait face à l'île Saint-Louis, ce petit morceau de ville qui est, à lui seul, une relique. Autour de la vieille maison, c'est la rue des Lions, la rue des Jardins, les rues Saint-Paul, Beautreillis, du Petit-Musc; des façades d'hôtels seigneuriaux endormis dans la paix de petites rues de province. Ayez dans la poche le 4e fascicule de l'ouvrage où le marquis de Rochegude a décrit en vingt brochures (une par arrondissement) les rues de Paris, et conté l'histoire des maisons; et promenez-vous... Ce ne sera pas du temps perdu.
*
* *
Mais que, tout de même, le Paris d'autrefois ne vous fasse pas trop oublier celui d'à présent. N'oubliez pas les Ballets russes. Guettez l'ouverture, aux Champs-Elysées, d'un certain Cinéma-Théâtre où l'on dit qu'il sera indispensable aux gens du monde de se montrer de temps en temps. (Acceptons-en l'augure! Ce n'est pas le directeur de l'entreprise qui s'en offensera.)
Et puis, retournez à Bagatelle pour y voir, à partir de lundi, l'exposition annoncée par la manufacture de Sèvres, et qui sera composée de figurines, de bibelots ayant trait aux jardins et aux fleurs. Sèvres se modernise, se rajeunit sans cesse. Sèvres invente. Il faut qu'on sache cela. Les étrangers nous entendent dire assez de mal de nos industries d'État pour qu'il nous soit très agréable de leur en pouvoir dire du bien de temps en temps. J'ajoute que de notre Manufacture de Sèvres on ne parle plus guère, depuis des mois, que pour louer ses oeuvres et rendre hommage aux admirables efforts des hommes qui la dirigent. Sa participation d'hier à l'Exposition de Turin, celle d'aujourd'hui à l'Exposition de Gand sont des victoires auxquelles on ne saurait être indifférent chez nous.
... Et puis, enfin, n'allons pas oublier que c'est lundi prochain, 2 juin, que sera déclarée à l'Opéra-Comique la naissance du dernier enfant de Gustave Charpentier: un petit garçon appelé Julien et que tout Paris acclame, avant même que le bruit de son premier vagissement soit venu à nos oreilles.
Il y a vraiment des nouveau-nés qui ont de la chance.
Un Parisien.
Examens et concours.--Le 7 juin, clôture des inscriptions du concours pour le recrutement des dames employées aux postes et télégraphes.
Expositions artistiques.--Grand Palais (Champs-Elysées): Salon de la Société des artistes français; Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.--Petit Palais: exposition de David et ses élèves.--Ancien hôtel de Sagan (23, rue de Constantine): objets d'art du Moyen Age et de la Renaissance au profit de la Croix-Rouge française.--Hôtel de Sens (rue du Figuier): les Artistes du 4e.--A Bagatelle (bois de Boulogne): exposition de l'Art du jardin.--Hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau (29, rue de Sévigné): promenades et jardins de Paris, seizième, dix-septième, dix-huitième siècles.--Cercle de la Librairie (117, boulevard Saint-Germain): Palais-Salon.--Galerie Devambez (43, boulevard Malesherbes): la petite ville de province.
Les Rosati.--Le 8 juin, à Fontenay-aux-Roses, pèlerinage annuel des Rosati; les honneurs de la Rose seront faits à M. Francis Picavet, secrétaire au Collège de France, et à M. Le Sidaner, peintre.
Fêtes de bienfaisance.--Le 1er juin, au parc de Gennevilliers, fête de bienfaisance, donnée par l'Aéronautique-Club de France. Départ de 10 ballons montés.--Le Ier juin, au théâtre des Champs-Elysées, représentation de gala au bénéfice de la Société de charité maternelle de Paris; le 6 juin, au même théâtre, représentation au profit du monument Jules Renard.--Le 7 juin, à la Porte-Saint-Martin, représentation de retraite de M. Frédéric Achard.
Concerts.--Le 5 juin, à la salle de Géographie (184, boulevard Saint-Germain), à 4 heures: concert donné par M. Edouard Risler.--Le 6 juin, salle des Agriculteurs (8, rue d'Athènes), à 9 heures du soir: concert donné par M. Henri Gilles, avec le concours de Mme Emma Eames, et de M. Emilio de Gogoza. Mme Eames ne s'est pas fait entendre depuis plusieurs années à Paris, et M. Emilio de Gogoza y chantera pour la première fois.
Sports.--Courses de chevaux: le 31 mai, Enghien; le Ier juin, Longchamp; le 2, Saint-Cloud; le 3, Saint-Ouen; le 4, le Tremblay; Epsom (Derby); le 5, Longchamp; le 6, Maisons-Laffitte; Epsom (the Oaks); le 7, Auteuil.--Aviation: le 1er juin, à l'aérodrome de Port-Aviation, à Juvisy: match Garros-Audemars.--Boxe: au Nouveau-Cirque (rue Saint-Honoré): championnats du monde de lutte de combat; le 31 mai, à 9 heures du soir, à la salle des Ingénieurs civils (rue Blanche): assaut annuel de la salle Conte; le 1er juin, à l'Exposition universelle de Gand: match Carpentier-Bombardier-Wells.--Lawn-tennis: à partir du 7 juin, sur les terrains du Stade français, à Saint-Cloud: championnat du monde de tennis.--Aviron: le Ier juin, à Juvisy, coupe des nations; la Société des Régates rouennaises organise pour le 8 juin des régates nationales à l'aviron.--Cyclisme: le 8 juin, Paris-Bruxelles.
l'homme en rose
L' «Homme en rose» n'existe plus. Vainement ce très grand artiste, ce fastueux poète de la lumière: Albert Besnard, est allé chercher dans l'Inde le prince des féeries hindoues, vêtu de mousselines couleur d'aurore et piquées d'or, le rajah des légendes qui vit une existence de songe dans les murailles ajourées de ses palais. Les souverains de l'Asie anglaise portent aujourd'hui des vestons en laine de Manchester, jouent au golf et se font blanchir à Londres. L'homme en rose n'existe plus; mais les décors de son ancienne puissance sont toujours debout, avec leurs immuables temples, leurs dieux farouches, et les foules affamées et fanatisées qui continuent leur agitation délirante dans la lumière pourpre de 1'«Inde couleur de sang».
Déjà, lorsque, dans notre numéro de Noël de 1911, nous eûmes la joie de reproduire quelques-unes des plus belles pages d'album et des études rapportées par Albert Besnard de son voyage, notre confrère Pierre Mille, l'un des meilleurs écrivains chroniqueurs et critiques de ce temps, sut admirablement dire à notre public ce que fut cette visite du somptueux artiste aux Indes. Cette terre de symboles vieux comme le monde, Albert Besnard la parcourut presque dans tous les sens, promenant ses extases de panthéiste dans le Ceylan bouddhique dont il vit les temples d'Anouradhapoura assiégés de fidèles, à Kandy, à Madura, à Trichinopoli où des cloches chrétiennes sonnent sur les foules hindoues, à Tanjore, à Pondichéry, l'Inde française où les hommes sont plus beaux, plus altiers, à Hydérabad on fête et en folie, à Calcutta, aux bords du Gange, à Delhi, à Jeypour, à Bombay, enfin. La vie est une fête!... s'écriait l'artiste, marchant dans le soleil. La vie, surtout pour lui, était une illumination. Et c'est de la rutilante couleur qu'il a fixée en ses notes de route (1) en même temps qu'en ses pages d'album. L'écrivain ne s'y sépare pas du peintre. Il traduit tout en visions plutôt qu'en pensées. «Je suis de ceux qui n'apprennent que par les yeux!» écrit-il. Et c'est pour nos yeux surtout qu'il rend sensibles les scènes vues: ainsi cette femme qui, enveloppée d'un pagne de soie orange tissé d'argent, allonge sur le sol ses bras très purs, cerclés d'or; ainsi cet adolescent vêtu de rose, conduisant par les degrés d'un temple un éléphant énorme «qui descend et grandit jusqu'à abolir les piliers, la voûte»; ainsi cet autre éléphant «obèse, cheminant du pas pressé et pourtant mesuré d'un vieil employé allant à ses affaires». L'image fixée par la plume est exacte et chante clair et gai comme le croquis, au pinceau, de l'album. Les visions, parfois, vous brûlent.
Note 1: Que publia le Figaro et qui viennent d'être réunies sous ce titre: l'Homme en rose, en un volume de la bibliothèque Charpentier, Fasquelle, édit.. 3 fr. 50.
«Tout à l'heure, sur un pont hors de la ville, j'ai vu passer trois femmes vêtues de rouge. Sous un ciel presque blanc, le sol flambait, ce sol de l'Inde, rose comme la flamme ou rouge comme le sang... Sur la tête, ces créatures portaient une cargaison de vases de terre cuite. Elles marchaient très vite, du pas souple des figures antiques, avec un léger bond du corps en avant qui leur donnaient l'air de voler. Elles marchaient très vite, comme des fantômes ignés au travers d'un brasier.»
Albert Besnard écrit comme il peint. Il y a dans son encrier toute la
magie flamboyante de sa palette.
Albéric Cahuet.
l'armée toujours prête
M. Joseph Reinach vient de réunir en volume (2) les études qu'il a consacrées aux questions militaires au cours de sa carrière politique, longue de plus de trente ans. Vice-président de la commission de l'armée à la Chambre, il a pris une part active à tous les débats concernant la défense nationale, depuis la discussion de la loi de 1909 sur l'artillerie, dont il fut le rapporteur, jusqu'à celle qui occupe aujourd'hui le Parlement. Cette oeuvre se signale par son harmonie, son unité; on y voit comment un esprit net et pratique, affranchi de toute considération étrangère, est conduit logiquement, après avoir accepté le service de deux ans, à envisager comme une nécessité le retour à celui de trois ans, d'abord pour la cavalerie, puis pour toutes les armes. L'augmentation du personnel de l'artillerie, que l'auteur vota il y a quatre ans, a contribué, avec l'abaissement de la natalité, à vider les unités actives; il fallait donc, pour parer à ce danger, soit réduire le nombre de nos corps d'armée, soit prolonger la présence des hommes sous les drapeaux. M. J. Reinach, n'ayant pas demandé, il y a six mois, dans son discours sur la loi des cadres, qu'on changeât l'organisation de nos grandes unités, était fatalement amené à réclamer le service général de trois ans. Le projet, assurant la fixité des effectifs, qu'il a élaboré avec M. de Montebello, a été adopté par le gouvernement; grâce à lui, nous verrons demain l'armée toujours prête, malgré les armements formidables de nos voisins. R. K.
Note 2: L'Armée toujours prête. Édition Berger-Levrault, 3 fr. 50.
Voir dans La Petite Illustration le compte rendu du Journal d'une femme de cinquante ans, souvenirs de la marquise de La Tour du Pin-Gouvernet, et des autres livres nouveaux.
L'exposition d'horticulture vient de finir. Il semble permis d'affirmer, sans paradoxe, que, grâce au mauvais temps des premières semaines de mai, les parterres de roses eurent une splendeur exceptionnelle. Le soleil est souvent le grand ennemi des exposants: beaucoup de fleurs s'épanouissent avant l'heure officielle; celles que des soins spéciaux réussissent à retarder se fanent à peine écloses. Le froid humide dont nos jardins ont tant souffert pendant quelques semaines, avant les grandes chaleurs de la fin du mois, avait été mis habilement à profit par nos horticulteurs, et si quelques coloris manquaient d'intensité, la fraîcheur des nuances présentait la séduction de la tonalité anglaise.
On a surtout admiré la rose nouvelle, Madame Edouard Herriot, qui fit sensation à l'exposition internationale d'horticulture de Londres où elle obtint la coupe d'or du Daily Mail.
Il est assez malaisé de définir exactement la nuance de cette rose magnifique qui vient s'ajouter à la série des roses cuivrées obtenues par M. Pernet-Ducher, de Lyon. Pour le rédacteur du Gardener's Chronicle, «la couleur reste évasive. La teinte rose des fleurs épanouies est très charmante, les boutons sont d'une riche couleur orange-cerise foncé».
Le Gardener's Magazine voit les boutons «de couleur orange-vermillon riche ou orange terre cuite; les fleurs entièrement ouvertes sont rose foncé fortement teinté de saumon orange».
The Horticultural advertiser trouve la couleur «grandiose, d'un riche cuivre rougeâtre avec des teintes saumon et abricot». Enfin, l'obtenteur s'exprime ainsi: «Fleur de grandeur et de duplicature moyennes, d'un superbe coloris rouge corail nuancé de jaune et de rose de Carthane, passant au rouge crevette».
Ces diverses définitions m'ont paru fort discutables, la dernière surtout. Cependant, après avoir gémi de mon impuissance à trouver le mot juste, j'ai regardé du corail et j'ai constaté que la définition de M. Pernet-Ducher est la plus exacte. La nuance de Madame Edouard Herriot correspond à un corail spécial, un peu orangé, très différent du corail rouge ou du corail rose que nous avons généralement dans l'oeil.
A cette rose remarquable, le jury a attribué la coupe de l'Hay, offerte par M. Gravereaux.
Une autre nouveauté, Juliet, pourrait s'appeler Caméléon. Cuivrée le matin, rose à midi, violâtre le soir, cette rose, d'une jolie forme, passe par divers tons en conservant une fraîcheur de nuance très rare chez des fleurs aussi capricieuses.
Les rosiers sarmenteux de M. Nonin, plus beaux que jamais, formaient un ensemble décoratif d'une richesse et d'une légèreté déconcertantes. Source d'or apporte dans cette famille une jolie couleur jaune, assez marquée, que l'on ne possédait pas encore; Excelsa, plus cramoisie que Crimson Rambler, est moins resplendissante. Dans les polyantha nains, signalons Georges Elger, blanc à coeur jaune.
A côté des roses, on voyait les traditionnels gloxinias, les fulgurants bégonias, et toute la série des fleurs connues, parmi lesquelles M. Cayeux faisait revivre la Clarkia elegans, délicieuse papilionacée de couleur orangée, à laquelle on ne saurait comparer l'antique et terne Clarkia pulchella.
*
* *
Il y eut aussi un concours de bouquets réservé aux femmes du monde. La plupart des concurrentes surent, en peu de temps, garnir agréablement les vases mis à leur disposition; mais ce furent de simples ébauches.
On ne saurait, paraît-il, demander davantage aux «amateurs». Jusqu'ici, on pensait que, pour faire un bouquet, il suffit d'avoir des fleurs et tant soit peu de goût. La noble dame, dissimulée sous le pseudonyme de Clairoix, nous apprend dans l'Art du bouquet (Laveur) qu'il est encore nécessaire de connaître les théories des Japonais, maîtres incontestés en la matière; pour guider notre ignorance, elle formule, d'après Sin-Kiou-Shin, philosophe de l'antiquité, quelques styles en honneur au pays de Mme Chrysanthème.
Etudions les principes subtils du Shin no Hana, du Rikkwa, du Sangi, du Shitsu, du Zi, et nous saurons disposer en gerbes élégantes, voire savantes et expressives, les plantes et les fleurs que nous traitions naguère avec trop de désinvolture.
«Des silhouettes et des taches», telle est l'idée maîtresse dans la décoration florale au Japon. Ajoutez à cela la beauté de nos fleurs, et, n'en déplaise à l'auteur de ce petit livre joliment conçu, la grâce maniérée ou la fantaisie d'une femme de goût, et vous aurez un bouquet parfait.
L'auteur nous donne de précieuses indications sur l'art d'adapter la forme et la couleur des vases à la forme et à la couleur des branches, fleuries ou non. Voici quelques exemples cueillis au hasard:
Iris mauves, feuillages d'érable negundo blanc, deux feuilles de fougère mâle;
Un pavot rouge pourpre, quelques branches de cytises jaunes, une ou deux branches d'iris mauve pâle en bouton; vase de cristal assez bas;
Une pivoine en arbre, rose vif; une branche d'érable japonais pourpre, une petite branche souple de cornouiller vert à fleurs blanches;
Dans un grand cornet de Delft bleu, un mélange de lilas de Perse de nuance très délicate et d'épine-vinette pourpre à fleurs jaunes;
Dans un vase petit, en poterie verte commune: deux grappes de sorbier, quatre ou cinq scabieuses pourpres violettes;
Dans un vase en faïence, bleu et blanc: quelques branches de saule.
De judicieuses remarques sur l'harmonie des couleurs, quelques recettes
pour conserver les fleurs coupées, ajoutent à l'intérêt pratique d'un
ouvrage fort habilement illustré et que les femmes élégantes, ayant des
loisirs, des fleurs et des arbres, auront plaisir à consulter.
F. Honoré.
Une lugubre affaire, encore incomplètement éclaircie, et qui rappelle, par sa mystérieuse horreur, les contes les plus angoissants d'Edgar Poe, passionne en ce moment Madrid, où son sinistre héros, le capitaine Manuel Sanchez Lopez, chef du personnel à l'École de guerre, était fort connu.
Dans la cour du manège de l'École supérieure de guerre, à
Madrid, la police examine les ossements de la victime du capitaine
Sanchez Lopez, extraits de la cachette (qu'on voit au coin supérieur
gauche) où l'assassin les avait emmurés.--Phot, Alfonso.
Le 24 avril dernier, on constatait la disparition d'un joueur de profession, nommé Rafaël Garcia Jalon, et, deux jours après, on apprenait qu'une jeune fille avait tenté de toucher à la caisse de son cercle un jeton de 5.000 pesetas que Jalon y avait pris, en recommandant de ne le changer qu'à lui-même. Une rapide enquête permit d'établir que cette jeune fille était Marie-Louise Sanchez; elle fut aussitôt arrêtée, puis relâchée, devant ses dénégations et celles de son père. Sur ces entrefaites, une perquisition, opérée au domicile du capitaine, à l'École de guerre, amena la découverte, dans les égouts, de lambeaux de chair humaine. Au cours des recherches, on remarqua, au fond d'une chambre de débarras de l'appartement, une cloison qui semblait nouvellement replâtrée; quelques coups de pioche mirent à jour une cachette où gisaient des os brisés, des vêtements que l'on reconnut pour être ceux de Jalon, et les instruments ayant servi à dépecer le cadavre. Ces funèbres débris furent portés dans la cour du manège attenant.
En même temps qu'on appréhendait Sanchez et sa fille, on jetait en prison un caporal et trois soldats, convaincus de complicité. Depuis, Marie-Louise Sanchez a avoué le crime et accusé formellement son père, à qui l'enquête impute d'autres forfaits plus anciens, et qui, malgré des charges accablantes, continue à protester de son innocence.
La T. S. F. entre Paris et Washington.
Une note du commandant Ferrié, présentée à l'Académie des sciences nous apprend que le poste de T. S. F. de la tour Eiffel a «causé» plusieurs fois avec le poste de Washington. Ce dernier possède une antenne en nappe portée par un mât de 200 mètres de hauteur et deux mâts de 150 mètres; il utilise une force d'environ 90 chevaux. Le poste de Paris dispose de 80 chevaux.
La distance à vol d'oiseau entre les deux stations dépasse 6.000 kilomètres. Or, les postes étrangers qui disposent d'une puissance double ou triple ne sont guère entendus, de façon normale, qu'à une distance d'à peu près 4.000 kilomètres.
Remarquons que ces conversations ont été échangées de façon assez suivie. Elles seront reprises, dès qu'on aura arrêté le programme des observations astronomiques à faire sur les deux continents pour déterminer au moyen de la T. S. F. (par la méthode des coïncidences que nous avons jadis expliquée), la différence de longitude entre Paris et Washington.
Ce record magnifique prouve, une fois de plus et de façon péremptoire, la supériorité, systématiquement contestée, du poste de la tour Eiffel; il permet de supputer les résultats que l'on obtiendra le jour où le poste disposera d'une force plus grande, si le Parlement se décide à voter les crédits nécessaires pour l'établissement du réseau intercolonial. Le projet sommeille depuis un an dans les cartons de la commission du budget à la grande joie, sans doute, du ministre des Postes et Télégraphes de la Grande-Bretagne qui, récemment, s'exprimait ainsi devant la Chambre des Communes:
«Le premier occupant en télégraphie sans fil sera le maître du trafic, il convient donc de se hâter afin d'établir de grandes stations de télégraphie sans fil dans toutes les colonies anglaises, avant que les colonies françaises en soient munies.»
Un deuil de l'aviation française en cochinchine.
De Saïgon, où la mort de l'aviateur Georges Verminck, tombé, le 7 avril, à Mytho, au cours d'un périlleux atterrissage on vol «piqué», a été vivement déplorée, nous arrive aujourd'hui l'écho de l'impression profonde causée, dans la colonie française, comme dans les milieux indigènes, par cette fin tragique.
Les belles randonnées qu'il avait exécutées pendant un séjour de deux mois, notamment de Saïgon à Pnompenh, de Saïgon au cap Saint-Jacques, et de Saïgon à Bienhoa, avaient rendu Georges Verminck unanimement sympathique, et l'on peut dire, populaire en Cochinchine, où il assurait, avec son frère Charles et son camarade Marc Pourpe, le prestige de l'aviation française: aussi ses funérailles, auxquelles assistèrent de nombreux Annamites, eurent-elles un caractère de grande solennité. «Elles furent célébrées à la cathédrale de Saïgon, nous écrit un témoin attristé de la cérémonie, M. Richard, en présence d'une foule considérable. Après l'absoute, que Mgr Mossard avait tenu à donner, le cortège, précédé par la musique du 11e régiment d'infanterie coloniale, se dirigea vers le cimetière, où plusieurs discours furent prononcés.
Mais le témoignage le plus touchant du deuil ressenti dans la population indigène nous est apporté par une pièce de vers annamite, commençant ainsi: «Verminck, malheureux Verminck! En quelques minutes, dix ans d'efforts sont anéantis. Richesse, honneurs, existence même, tout t'abandonne sans espoir! Lorsqu'ils contemplent les nuages, les hommes de Cochinchine te regrettent. Lorsqu'ils entendent le vent, les hommes d'Europe te pleurent!» Et cette émouvante lamentation, ce thrène à la manière antique, qui n'est pas dépourvu de valeur littéraire, se termine par ces deux vers: «O ciel, pourquoi anéantir ainsi un héros? Le fer, la pierre même s'irritent de ce malheur immérité.»
Le cloître de Saint-Michel de Cuxa.
Nous avons signalé, dans notre numéro du 17 mai dernier, la vente à un sculpteur américain, M. Gray-Barnard, du cloître de Saint-Michel de Cuxa (Pyrénées-Orientales), menacé d'exil. Depuis la publication de notre article, le sort de ces vieilles et vénérables pierres a subi de nombreuses vicissitudes, dont nous informe M. J.-R. de Brousse.
L'acquéreur, M. Gray-Barnard, est allé trouver M. Léon Bérard, sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts, et lui a dit qu'il abandonnait son achat, et faisait don du cloître à la France. Mais, aussitôt cette nouvelle répandue dans la presse méridionale, il est revenu sur sa décision. Puis, changeant à nouveau d'avis, et reprenant son généreux projet, il a avisé M. Bérard «qu'il offrait le cloître à la ville de Prades, à condition que les dépenses par lui engagées pour l'enlèvement dudit cloître lui soient remboursées.»
Une horloge inattendue.
Cadeau offert par la ville de
Hameln à la princesse
Victoria-Louise.
La ville de Hameln, située dans la province de Hanovre, au confluent de la Hamel et de la Weser, est célèbre par la légende du charmeur de rats dont la maison constitue la principale curiosité de l'endroit. On y fabrique des étoffes de soie, de laine et de coton, on y pêche des saumons.
Les habitants de l'industrieuse cité, désireux d'offrir à la fille du kaiser un cadeau de mariage original, ont imaginé un modèle de pendule qu'on dirait conçu par le vieux Silène pour honorer Bacchus. Nos lecteurs sauront apprécier à sa valeur ce chef-d'oeuvre de l'horlogerie allemande où le goût germanique s'épanouit avec une ampleur vraiment «kolossale».
Le vice-amiral Le Bris, chef d'état-major général de la marine, vient de se rendre à Saint-Pétersbourg. C'est une de ces visites grâce auxquelles les chefs de l'armée russe et de l'armée française, depuis la signature, en 1892, de la convention militaire qui unit les deux pays, demeurent en contact effectif et se mettent d'accord sur les mesures à adopter en vue de telles ou telles éventualités. Le dernier voyage de ce genre fut celui qu'effectua, l'an dernier, l'amiral prince de Liéven, chef d'état-major de la marine impériale, et qui eut pour principal résultat la signature d'une convention navale franco-russe.
Le vice-amiral Le Bris a trouvé à Saint-Pétersbourg, dans tous les cercles officiels, l'accueil le plus cordial, comme déraison. L'empereur, à peine de retour de Berlin, où il avait assisté au mariage de la princesse Victoria-Louise, donnait aussitôt audience au chef d'état-major général de la marine française et aux officiers qui l'accompagnaient, ainsi qu'au capitaine de vaisseau Grasset, commandant du croiseur école Jeanne-d'Arc, en ce moment à Cronstadt, et les comblait de distinctions. En leur honneur, des réceptions superbes ont été organisées, notamment à l'ambassade de France, où M. Delcassé avait invité avec eux le président du Conseil, M. Kokovtzov, les ministres des Affaires étrangères, de la Guerre, de la Marine, chez le prince de Liéven, où les officiers français purent apprécier la toute gracieuse hospitalité de la princesse de Liéven; enfin, un déjeuner d'adieu, extrêmement brillant, a été donné, mercredi, à bord de la Jeanne-d'Arc.
Dîner offert par le prince de Liéven, chef d'état-major
de la marine impériale russe, et par la princesse de Liéven au
vice-amiral Le Bris, chef d'état-major de la marine française, et aux
officiers du croiseur-école Jeanne-d'Arc.--Phot. Bulla.
Marie-Magdeleine, la belle oeuvre de M. Maurice Maeterlinck, représentée pour la première fois à Nice en mars dernier, et que nous allons publier dans un de nos prochains numéros, vient de retrouver, sur la scène du Châtelet, le grand succès qui l'accueillit naguère. Son action, ramassée et vivante, se développe en trois actes pour lesquels M. Maxime Dethomas a composé des décors dont la sobriété somptueuse s'accorde à merveille au style incisif et coloré de l'oeuvre. C'est l'aventure de Marie de Magdala, courtisane, que la curiosité porta sur les pas du Nazaréen et qui ne s'en détacha plus. Cette oeuvre, d'une haute tenue littéraire, est d'une grande vérité humaine. Le paganisme et la chrétienté y opposent leurs philosophies différentes. Et quelle atmosphère troublée et troublante! Le mystère s'y renforce de réalisme. La résurrection de Lazare, si puissamment matérialisée, est un des moments les plus pathétiques de ce drame émouvant. Mme Georgette Leblanc-Maeterlinck, aux belles lignes souples et sinueuses, a magnifiquement incarné Marie-Magdeleine sous ses deux aspects, d'abord celui de la courtisane vaniteuse, cruelle et lascive, puis celui de la pécheresse repentie, si touchante d'humilité et de résignation.
Il y a près d'un siècle que Chateaubriand écrivit le Moïse dont l'Odéon vient d'offrir en spectacle à ses abonnés la tardive «première représentation». Le sujet de cette tragédie est assez simple: un fils d'Aaron s'est épris d'une Amalécite; l'étrangère le pousse à renier le Dieu d'Israël; mais Moïse, chargé des tables de la Loi, redescend opportunément du Sinaï pour empêcher l'abjuration. Le public a manifesté plus de respect que d'enthousiasme pour cette oeuvre haute, froide, claire, d'inspiration apparemment racinienne et d'une humanité sans doute un peu conventionnelle. La forme en est supérieure au fond. Elle abonde en beaux vers sonores que de dévoués artistes ont fait applaudir.
Mme Georgette Leblanc-Maeterlinck au second et au
troisième acte de Marie-Magdeleine. Phot. Gerschel.
Note du transcripteur: Les suppléments
mentionnés en titre ne nous ont pas été fournis