Title: Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 1/8)
Author: J. B. de Saint-Victor
Release date: June 1, 2012 [eBook #39880]
Language: French
Credits: Produced by Mireille Harmelin, Guy de Montpellier, Christine
P. Travers and the Online Distributed Proofreading Team
at http://www.pgdp.net (This file was produced from images
generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
TABLEAU
HISTORIQUE ET PITTORESQUE
DE PARIS.
IMPRIMERIE DE COSSON, RUE GARENCIÈRE, No 5.
Dédié au Roi
Par J. B. de Saint-Victor.
Seconde Édition,
REVUE, CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.
TOME PREMIER.—PREMIÈRE PARTIE.
Miratur molem..... Magalia quondam.
Æneid., lib. 1.
PARIS,
LIBRAIRIE DE CHARLES GOSSELIN,
RUE DE SEINE, No 12.
M DCCC XXII.
Il y a plus de deux siècles qu'on écrit sur Paris et sur ses antiquités. Ce sujet a fait naître une foule d'ouvrages où toutes les recherches semblent avoir été épuisées; et cependant il restoit encore un bon livre à faire sur cette cité célèbre, un livre sinon plus savant, du moins plus utile et mieux conçu que tous ceux qui ont été faits jusqu'à présent.
Paris peut être considéré sous les rapports divers de ses antiquités religieuses, de ses institutions (p. ii) civiles et politiques, des révolutions qu'il a éprouvées, des mœurs et des coutumes de ses habitants, des faits historiques dont il a été le théâtre, des monuments des arts qu'il renferme, etc. L'ensemble de ces rapports dans ce qu'ils ont de plus curieux et de plus important peut seul constituer une description intéressante d'une ville que tous les peuples de l'Europe, toutes les classes de la société sont avides de connoître; et jusqu'ici cependant aucun de ceux qui en ont écrit l'histoire, ne l'a conçue sur ce plan général, n'en a même rempli quelques parties à la fois d'une manière satisfaisante.
On ne connoît sur Paris aucun livre qui ait été écrit avant le règne (p. iii) de François Ier. À cette époque[1] un libraire, nommé Corrozet, publia un ouvrage ayant pour titre: La Fleur des antiquités, singularités et excellences de la ville de Paris. Ce livre fut réimprimé environ cinquante ans après, avec quelques augmentations, par un autre libraire, nommé Bonfons. Il n'a maintenant d'autre mérite que celui de son ancienneté; et ces deux auteurs ne s'y montrent exacts que lorsqu'ils parlent de l'état des choses, telles qu'elles étoient alors, et qu'elles se présentoient à leurs yeux.
L'un et l'autre manquoient de lumières et de critique. Un religieux (p. iv) bénédictin de Saint-Germain-des-Prés, dom Jacques du Breul, revit leur travail, consulta les titres, fit des recherches, corrigea leurs erreurs, et perfectionnant cette informe ébauche, en fit un livre nouveau[2], qu'il fit paroître au commencement du dix-septième siècle. On trouve dans cet ouvrage des renseignements précieux, et qui ont été d'une grande utilité à ceux qui ont écrit après lui: cependant, sans compter que Paris a entièrement changé de face depuis cette époque, son livre contient encore (p. v) beaucoup d'erreurs, qu'il lui étoit sans doute impossible d'éviter, parce que la matière étoit trop vaste pour qu'un seul homme pût d'abord tout débrouiller et tout arranger.
Ces premiers ouvrages donnèrent naissance à des compilations, à des abrégés plus ou moins médiocres qui n'apprenoient rien de nouveau. Une dispute qui s'éleva quelques années après, entre deux savants[3], sur nos anciennes églises, sans éclaircir beaucoup la question qu'ils traitoient, répandit quelques nouvelles lumières sur les antiquités de Paris. (p. vi) Pendant ce temps, Henri Sauval, avocat au parlement, travailloit à nous donner des connoissances plus exactes et plus étendues sur un sujet aussi important. Il recueillit, dans les dépôts publics et dans les archives particulières, une quantité prodigieuse de documents et de titres sur l'état ancien et moderne de la ville de Paris, les lut, les dépouilla avec une patience infatigable; mais n'eut ni le temps ni peut-être le talent de les mettre en ordre, de les comparer, de les vérifier. Il en est résulté que son immense recueil n'est qu'un amas informe de matériaux confondus ensemble, et dont il est impossible d'user sans y apporter les plus grandes précautions. (p. vii) Il est plein de répétitions, de détails fatigants, de trivialités, inexact dans les faits, peu judicieux dans les réflexions; et ses erreurs sur une foule de matières, principalement sur l'appréciation des monuments, sont telles, qu'elles seroient insupportables aujourd'hui aux personnes même les moins éclairées.
Cependant tant d'éléments divers, amassés par ce laborieux écrivain, pouvoient servir à construire un édifice régulier, et il n'étoit besoin que d'un esprit sage et patient qui sût choisir et ordonner, pour en tirer une bonne histoire de Paris. D. D. Félibien et Lobineau, deux religieux bénédictins, (p. viii) l'entreprirent avec succès, mais plutôt en savants qu'en littérateurs. Leur compilation est exacte, méthodique, mais sèche et minutieuse: les grands et les petits événements y sont racontés du même style, avec la même prolixité; et ces récits diffus et monotones ne peuvent être lus avec fruit et patience que par des érudits. Saint-Foix, au contraire, dans ses Essais sur Paris, a moins voulu faire une description exacte de cette ville, que produire, à l'occasion de quelques-uns de ses quartiers, de quelques rues, qu'il trouve tout simple de présenter par ordre alphabétique, des opinions nouvelles et bizarres, des traits hardis, satiriques et licencieux. (p. ix) Son livre, qui eut beaucoup de succès dans un temps où un esprit de mutinerie et d'insolence contre toute autorité étoit un sûr moyen de réussir dans toute production littéraire, est justement considéré aujourd'hui comme l'ouvrage d'un homme qui joignoit à quelque vivacité d'esprit, un jugement faux et une inexpérience complète sur les grandes questions de morale et de politique qu'il a l'audace de traiter à chaque instant. C'est de tous les écrivains sur Paris celui que nous avons lu et consulté avec le plus de défiance et de précaution; il nous a été d'ailleurs d'un très-foible secours, ayant puisé lui-même dans Sauval, et le plus souvent sans critique, (p. x) presque toutes les particularités dont se compose la compilation très-incomplète qu'il a publiée.
Nous ne parlerons point de Piganiol de la Force, le compilateur peut-être le plus ennuyeux, le plus dépourvu de discernement et de goût, parmi tous ceux qui ont entrepris de faire l'inventaire des monuments de Paris, de ses rues, et des curiosités dont il est rempli. Il n'est presque rien dans son livre qu'on ne trouve ailleurs plus exactement présenté et plus clairement décrit.
Le commissaire Delamare dans son Traité de la Police, Jaillot dans ses Recherches, l'abbé Lebeuf dans son Histoire du Diocèse (p. xi) de Paris, se sont montrés fort supérieurs à ceux qui les avoient précédés et à ceux qui les ont suivis. On diroit qu'ils se sont partagés entre eux un si vaste sujet, chacun en ayant traité plus spécialement une des parties dont il se compose; et tous les trois ayant porté, dans leurs travaux, une érudition et un discernement qui semblent ne pouvoir être surpassés. Sur la topographie ancienne et nouvelle de Paris, sur l'origine de ses monuments, sur ses institutions civiles et religieuses, sur toutes les parties de son administration, on peut dire qu'ils ont en quelque sorte épuisé la matière, et que leurs savants travaux laissent peu de choses à (p. xii) désirer; mais ce seroit vainement encore qu'on y chercheroit cet ensemble, cet accord de toutes les parties, sans lequel un ouvrage ne peut être bon, et quelques-uns de ces agréments du langage qui seuls font lire les bons ouvrages et en assurent le succès et la durée. Ils ont rassemblé d'excellents matériaux pour une histoire de Paris; mais cette histoire, aucun d'eux ne l'a faite, et n'a même pensé à la faire.
Toutefois ici finit la liste des écrivains qu'il nous est permis de citer. Après eux viennent en foule des compilateurs sans jugement, sans goût, dépourvus de toute critique, qui ramassent indistinctement tout ce qu'ont recueilli (p. xiii) leurs devanciers, et en composent des rapsodies, dont pas une ne mérite même l'honneur d'être nommée[4].
Nous ne craignons donc pas de le dire, il n'existe pas encore un seul ouvrage où Paris soit considéré sous tous les rapports qui peuvent le faire bien connoître; où la description de ses monuments soit accompagnée d'une critique judicieuse sur leur véritable (p. xiv) mérite; où les faits historiques, se liant aux peintures de mœurs, soient présentés dans cette juste mesure qui les rend curieux et attachants. On ne trouve dans aucun une marche claire et méthodique; aucun n'a donné un tableau complet et bien ordonné des diverses révolutions que cette ville célèbre a éprouvées.
Ce qu'ils n'ont point fait nous avons essayé de le faire: voici donc le plan que nous nous sommes tracé, et qu'autant qu'il est en nous, nous nous sommes efforcés de remplir.
Adoptant une division depuis long-temps consacrée, nous avons partagé en ses vingt quartiers la ville immense que nous avions à (p. xv) décrire; passant de là, et dans un ordre également consacré à la description particulière de chacun de ces quartiers, nous en avons d'abord présenté le tableau topographique, puis nous avons indiqué les accroissements qu'il a pu successivement recevoir. Viennent ensuite les institutions et les monuments, dans lesquels ce qui est religieux précède, autant qu'il est possible, ce qui n'est que civil et politique; de même que les origines et les antiquités sont discutées et expliquées avant que nous traitions de ce qui touche les productions des beaux-arts et les autres objets de détail purement matériels; et ces objets, dont l'importance sans doute est beaucoup (p. xvi) moindre, sans être séparés de l'historique du monument ou de l'institution à laquelle ils appartiennent, y reçoivent une place et un classement tout particulier. Par un semblable motif, tout ce qui concerne les rues, les places publiques, leurs origines et leurs étymologies, est rejeté à la fin de chaque division; et là, rangé suivant l'ordre alphabétique, peut y être ou lu ou simplement consulté. Au milieu de tant de descriptions et de récits divers qui se suivent ainsi (nous le croyons du moins), sans embarras et sans confusion, nous avons introduit, lorsqu'il nous a semblé convenable de le faire et que l'occasion s'en est naturellement présentée, des dissertations (p. xvii) générales sur plusieurs points les plus intéressants de nos anciennes traditions, tels que l'origine des églises et des monastères, celles des confréries, des corps de métiers, de l'université, des parlements, etc, etc.
Ce n'étoit point assez: le récit des grands événements dont Paris a été le théâtre pendant une si longue suite de siècles, pouvoit seul animer une semblable composition, en lier entre elles toutes les parties naturellement incohérentes, rompre la monotonie sans doute inévitable de tant de descriptions accumulées, mettre enfin dans leur véritable jour l'ensemble et les détails de cet immense tableau. C'étoit là une difficulté (p. xviii) que n'avoit essayé de vaincre aucun de ceux qui ont écrit l'histoire de Paris: nous avons cru toutefois qu'elle n'étoit pas invincible. Ayant donc ainsi distribué la ville en ses vingt quartiers, nous avons imaginé de partager en dix époques l'histoire de ses révolutions; et nous les avons tellement disposées, que chacune d'elles s'est presque toujours rattachée par quelques circonstances frappantes et singulières aux deux quartiers auxquels elle sert, pour ainsi dire, d'introduction; et cette disposition nous l'avons combinée de manière que les trois principales époques de cette histoire se trouvant placées à la tête de chacun (p. xix) des trois volumes dont se compose l'ouvrage entier, elles sont ainsi devenues pour chacun de ces volumes une sorte d'introduction d'une importance plus grande, d'un plus vif intérêt, et celle en effet qu'il devoit avoir. En tête du premier volume est placée l'histoire de Paris sous les deux premières races, alors que la ville étoit circonscrite et renfermée dans cette île que l'on appelle aujourd'hui le quartier de la Cité, quartier le plus ancien de tous, et le premier dans l'ordre des descriptions. Au commencement du second volume, nous racontons les querelles sanglantes des Armagnacs et des Bourguignons, sous le malheureux (p. xx) règne de Charles VI, querelles dont la partie septentrionale de Paris, qui occupe tout ce volume, fut le théâtre principal. Enfin le récit des guerres de religion, depuis le règne de François II jusqu'à la prise de Paris par Henri IV, commence le troisième volume, consacré tout entier à la description de la partie méridionale de Paris; et l'on sait que ce fut dans cette partie de la ville que se passèrent les scènes les plus tragiques et les plus tumultueuses de cette époque de calamités; qu'elles s'y renouvelèrent même si fréquemment et pendant un si long espace de temps, que le faubourg Saint-Germain (p. xxi) en avoit reçu le nom de Petite Genève[5].
Ce plan a obtenu les suffrages du public; on a de même approuvé le parti que nous avons pris de faire une simple énumération des innombrables productions des arts dont jadis étoient ornés les églises et autres monuments que nous (p. xxii) avons décrits, indiquant ensuite dans des notes plus ou moins étendues, celles qui méritoient d'être remarquées, soit par l'excellence de l'exécution, soit par quelque singularité ou circonstance particulière qui pouvoit leur donner une sorte d'intérêt. C'étoit en effet le seul moyen de ne rien oublier et cependant de ne rien confondre; d'éviter l'examen fastidieux et la critique fatigante de tant de peintures et sculptures, ou mauvaises ou du moins médiocres, et par conséquent au-dessous de toute critique et de tout examen; et au milieu de cet amas d'objets si peu dignes d'occuper le lecteur, de lui faire distinguer nettement et promptement ce qui (p. xxiii) devoit arrêter sa pensée et ses regards. Nous ne craignons pas de dire que rien n'a plus contribué que cette disposition si simple, si facile, et que cependant aucun historien de Paris n'avoit imaginée avant nous, à répandre l'ordre et la clarté dans ce qui n'avoit été jusqu'alors que désordre et confusion. Au reste, nous ne nous ferons point un mérite d'avoir mieux apprécié ces productions des arts que nos devanciers; sur ce point tout étoit à faire: les plus habiles eux-mêmes n'y entendoient rien; les autres ont servilement copié ce qui avoit été écrit avant eux; et de tous les jugements qui ont été portés sur un si grand nombre (p. xxiv) de statues, de tableaux, de monuments d'architecture, il n'en étoit peut-être pas un seul qui ne fût à réformer.
Ce n'étoit point encore assez: un ouvrage du genre de celui-ci devient, presque à chaque page, obscur et quelquefois inintelligible, s'il n'est accompagné de cartes, de plans, de vues perspectives qui, au milieu de tant de descriptions purement matérielles, font saisir aux yeux ce que la parole est souvent impuissante à exprimer, et en sont alors l'indispensable complément. Sous ce rapport, notre première édition ne laissoit rien à désirer: elle étoit enrichie d'une collection de trois cents planches ou vignettes, qui (p. xxv) offroient non-seulement la topographie complète de Paris dans tous ses détails, à toutes ses époques et avec tous ses développements, mais encore tous ses monuments actuellement existants, tous ceux que la révolution a détruits, tous ceux qui n'existoient déjà plus avant cette époque désastreuse, et dont quelques traces nous ont été conservées, ou dans des gravures extrêmement rares, ou dans des dessins inédits. Cette collection précieuse et jusqu'à présent unique en son espèce, étoit jointe au texte de cette première édition: elle accompagne la seconde dans un atlas in-4o, où elle a été arrangée dans l'ordre le (p. xxvi) plus méthodique, chaque planche portant un numéro qui correspond exactement aux renvois indiqués dans le texte.
Dans cette édition nouvelle, de même que dans l'autre, nous nous arrêtons à l'année 1789, époque à laquelle commence matériellement la révolution, époque que nous considérions, lorsque nous conçûmes la première idée de cet ouvrage, comme la fin de la monarchie. Nous nous y arrêtons, parce que l'histoire de cette révolution ne peut être traitée ni légèrement ni aussi succinctement qu'il le faudroit pour pouvoir trouver place dans un livre tel que le nôtre. Peut-être même, malgré l'heureux événement qui nous a (p. xxvii) rendu nos princes légitimes, ne sommes-nous point arrivés au moment où il est possible d'en tracer le tableau hideux avec toutes les couleurs qui peuvent le rendre ressemblant, et où il soit permis de dire toute la vérité sur les hommes et sur les choses. Plus nous sommes pénétrés d'horreur pour les crimes inouïs qui ont amené et consommé ce grand bouleversement de la société, plus nous nous sentons timides à entamer de pareils récits; et ainsi que nous le disions alors, et que nous le répétons encore aujourd'hui: ces récits sont réservés à d'autres temps et à des plumes plus éloquentes que la nôtre.
Mais du moins avons-nous (p. xxviii) profité de l'expérience que ce grand événement dont le triste spectacle a passé tout entier sous nos yeux, nous a en quelque sorte forcé d'acquérir, pour rectifier les erreurs et les négligences dans lesquelles nous étions tombé sur un grand nombre de points très-importants de nos origines, sur le vrai caractère de certaines institutions, sur les causes secrètes de certains événements, sur ce qui a pu se faire de juste ou d'injuste, d'utile ou de pernicieux dans cette longue suite de siècles qu'il nous a fallu parcourir. Ces erreurs étoient celles des écrivains qui nous avoient précédé: presque tous ont écrit notre histoire avec les préjugés funestes qui ont amené (p. xxix) notre ruine, et nous nous étions légèrement et malheureusement engagé sur les traces de ces historiens ou passionnés ou superficiels. La révolution française semble avoir été envoyée par la Providence pour enseigner toute vérité[6] aux hommes de cœur droit et de bonne volonté[7]. Arrivé à cette maturité de l'âge où il est donné de mieux voir et de mieux comprendre, nous avons fait en sorte de profiter de cet avertissement du ciel; et c'est une véritable satisfaction pour nous d'avoir cette occasion de protester contre ce que nous écrivions, il (p. xxx) y a quinze ans, sur la féodalité, sur le gouvernement de la France pendant la durée des deux premières races, sur plusieurs attributions du clergé dont nous n'avions point assez apprécié l'influence salutaire, sur nos parlements dont nous n'avions point assez fait connoître les fautes et les torts, sur l'université qui méritoit plus de blâme encore que nous ne lui en avons donné, sur les jésuites que nous n'avons point assez défendus contre leurs ennemis et leurs calomniateurs, etc., etc., et nous osons espérer que tous les honnêtes gens protesteront avec nous contre ce que nous écrivions alors, en faveur (p. xxxi) de ce que nous écrivons aujourd'hui.
Enfin, dans cette seconde édition, il y a plus d'ordre et de clarté dans l'arrangement des matières: beaucoup de détails qui nous étoient échappés dans la première, y ont été soigneusement recueillis; quelques passages qui avoient semblé obscurs ont été éclaircis et développés; et ce qui lui donne principalement sur l'autre un immense avantage, c'est qu'ici nous ne marchons au milieu de tant de souvenirs confus, de tant de ruines accumulées, qu'appuyés sur l'autorité, ce que d'abord nous n'avions point fait avec un aussi grand soin; que nous ne présentons (p. xxxii) pas un fait seul sans citer tous les témoignages que la saine critique nous permet d'appeler comme garants de ce que nous croyons devoir en nier ou en affirmer; de manière que les choses même les plus vraies que nous avons pu dire dans la première édition, ont ici un caractère beaucoup plus frappant de vérité.
On a vu de puissants monarques, conquérants ou législateurs, élever tout à coup des villes superbes, et depuis devenues fameuses, soit qu'ils fussent séduits par les (p. 2) avantages que présentoient les lieux pour y établir le centre de leur gouvernement, soit qu'ils n'eussent d'autres vues que celle de donner un nouvel éclat à leur nom en l'attachant à d'aussi grands monuments. L'antiquité nous offre plusieurs exemples de ces prodigieuses entreprises: c'est ainsi que furent fondées Alexandrie et Constantinople; et le commencement du siècle dernier fut surtout mémorable par l'exécution hardie d'un semblable projet. Un souverain législateur, sous le ciel le plus rigoureux, et au milieu d'un marais jusqu'alors impraticable, jeta les fondements d'une ville[8] qui, dans moins de cinquante ans, s'est couverte de palais magnifiques, de monuments publics d'une grandeur toute royale, et qui déjà rivalise en étendue et en beauté, avec les villes les plus florissantes de l'Europe.
Mais de tels événements sont rares, et les capitales des empires n'ont point ordinairement des commencements aussi illustres. (p. 3) Dans l'origine des sociétés, un concours de circonstances fait que telle ville, qui d'abord n'étoit ni plus puissante ni plus remarquable que celles qui l'environnoient, remporte sur ses voisins des avantages qui lui en assujettissent plusieurs; ou, par sa position, semble offrir une retraite plus sûre au premier conquérant qui s'élève au milieu de ces petites peuplades barbares. L'État s'agrandit, et ses richesses s'accumulent dans cette ville; les ressorts du gouvernement se multiplient; des communications s'établissent avec les peuples policés; l'opulence fait naître le luxe, et le luxe appelle les arts; la population s'accroît, les mœurs se polissent, les monuments s'élèvent: alors la grande cité, parvenue à son dernier degré de splendeur, décline insensiblement par ce retour inévitable des choses d'ici-bas, et finit par des ruines après avoir commencé par des cabanes.
La ville la plus fameuse des temps anciens, Rome, eut des commencements aussi misérables. Paris qui, dans nos temps modernes, (p. 4) tient parmi les peuples le même rang que Rome occupoit dans l'antiquité, Paris, dont la célébrité, déjà si grande depuis plusieurs siècles, devient incomparable par les événements inouïs, uniques dans l'histoire, dont il a été le théâtre pendant trente ans, ne fut, dans son origine, qu'une habitation de sauvages, comme la reine du monde n'avoit été d'abord qu'un repaire de brigands; et son origine, sur laquelle on s'est vainement épuisé en recherches, est même tout-à-fait inconnue. Aucune des hypothèses imaginées à ce sujet ne peut supporter le moindre examen, parce qu'aucune ne repose sur des monuments qui jouissent de quelque autorité; et généralement toutes les origines des peuples barbares se confondent dans cette obscurité impénétrable[9], résultat nécessaire de leur profonde ignorance. Nous (p. 5) nous garderons donc bien de rappeler ici l'histoire de ce fils d'Hector échappé à l'embrasement de Troie, et mille autres contes non moins puérils, tels, par exemple, que celui d'un monstre né en Franconie, que de vieux légendaires historiques ont présenté sérieusement comme le premier fondateur de l'ancienne Lutèce. Cette suite imaginaire de rois que d'autres savants presque aussi peu sensés ont jugé à propos de faire régner dans les Gaules, depuis Samothès, fils de Japhet, jusqu'au Troyen Francus, qu'ils assurent gravement avoir succédé à Rémus, son beau-père, dernier roi de la race d'Hercule, nous semble également ridicule, et indigne d'occuper un seul instant des esprits raisonnables.
Ce qu'il y a de très-certain c'est que la ville de Paris est une des plus anciennes des Gaules; et cette obscurité même de son origine en est une preuve aussi glorieuse qu'incontestable. Jules-César, qui en a parlé le premier, la nomme Lutetia, et la présente comme la ville principale des peuples qu'il désigne sous le nom de Parisiens. (p. 6) Strabon et Ptolomée en font mention, d'après lui, sous les noms de Loucototia et Loucotetia, ce qui a donné lieu à diverses étymologies également fausses et fabuleuses. Les noms de Lutèce et de Paris ne sont ni grecs ni latins; ils sont celtiques, et il y a grande apparence que nous en ignorerons toujours la véritable signification.
Cependant, lorsque le général romain vint dans les Gaules, cette capitale des Parisiens n'étoit encore qu'un amas de chétives cabanes[10] renfermées dans une île au milieu de la Seine[11]. Cette île, connue aujourd'hui sous le nom de quartier de la Cité, communiquoit avec la terre ferme au (p. 7) moyen de deux ponts de bois. Les deux rives du fleuve, maintenant couvertes d'édifices somptueux, et d'une population si nombreuse et si animée, n'étoient alors que d'affreuses forêts, qu'entouroient des marais fétides, et dont les solitudes étoient consacrées à des divinités sanguinaires[12]. Car les anciens Gaulois n'avoient point de temples, et ils ne commencèrent à en bâtir que sous la domination des Romains. Des bois obscurs et mystérieux étoient les sanctuaires redoutables des dieux qu'ils adoroient; (p. 8) et ces horribles enceintes furent souvent arrosées de sang humain par leurs druides.
Les Parisiens ont été célèbres parmi les peuples de leur nation pour leur courage et leur haine de toute domination étrangère; et lorsque César, maître d'une grande partie des Gaules, voulut subjuguer leur ville capitale, son lieutenant Labiénus, qu'il avoit chargé de cette expédition, y trouva une résistance à laquelle il ne s'attendoit pas: ces braves insulaires, craignant d'être forcés dans leur retraite, prirent la résolution héroïque de mettre le feu à leurs habitations, et marchèrent au-devant de l'ennemi, sous la conduite de Camulogène, vieux guerrier plein de bravoure et d'expérience. Le Romain, aussi courageux et plus habile, les trompa par une fausse marche, prit une position avantageuse dans la plaine qui est au-dessous de Meudon, et là les força à recevoir la bataille. La victoire y fut long-temps disputée, et ce peuple s'y défendit avec une opiniâtreté qui tenoit du désespoir; mais enfin la valeur (p. 9) aveugle fut forcée de céder au courage soutenu de la science militaire. Les Parisiens furent vaincus, le plus grand nombre y perdit la vie, et Camulogène justifia leur choix en périssant avec eux.
César, maître de Paris, ordonna aux Gaulois de le rebâtir; et considérant la situation avantageuse de cette ville au milieu d'un fleuve qui séparoit la Gaule celtique de la Belgique[13], situation qui pouvoit en faire un point de jonction très-avantageux pour les deux provinces, s'il leur prenoit envie de se révolter; n'ayant point oublié, d'ailleurs, la résistance vigoureuse que lui avoient opposée ses premiers habitants, il résolut de la faire entourer de murailles, de la fortifier, et d'y entretenir continuellement une garnison romaine. Il l'embellit en outre d'une grande quantité d'édifices, et la remit dans un état tellement florissant, que, peu de temps après, elle put (p. 10) secouer le joug, pour entrer dans la ligue des villes qui se réunirent au fameux Vercingetorix, dans l'espoir d'affranchir les Gaules du pouvoir de l'étranger. César, qui, depuis sa première conquête, ne parle que cette seule fois de la ville de Paris, dit qu'elle envoya huit mille hommes à l'assemblée des peuples confédérés. Ce fut là, comme on sait, le dernier effort des Gaulois pour la liberté; et la défaite de leur innombrable armée sous les murs d'Alexia les assujettit sans retour aux Romains.
Dès ce moment cette vaste contrée, dépouillée pour toujours de ses coutumes et de ses lois, se vit soumise à la même forme de gouvernement que les autres provinces de la république, et chaque ville fut traitée[14] suivant le degré de haine ou d'affection qu'elle avoit témoigné pour le vainqueur. (p. 11) Ce fut principalement sur la Gaule celtique que les Romains crurent devoir appesantir leur joug. À l'exception de quelques villes qui furent épargnées, ils la soumirent tout entière au tribut, et Paris, qui avoit opposé une si longue résistance, fut au nombre de ces cités appelées vectigales ou tributaires. Avec les lois romaines s'introduisit aussi la langue latine parmi les peuples conquis, et l'ancien langage celtique se perdit peu à peu. Quant à la religion, elle resta la même: vainqueurs et vaincus étoient également plongés dans les ténèbres du paganisme. Toutefois les sacrifices humains furent abolis, et ce fut un des bienfaits qu'apporta à ces nations barbares la police des Romains.
Un auteur[15] a avancé, sans autorité (p. 12) suffisante, que les deux forteresses, connues sous le nom de grand et de petit Châtelet, qui, des deux côtés de la rivière, défendoient la tête des ponts, étoient un ouvrage de César. Cette opinion a été victorieusement combattue: les Romains fortifièrent sans doute Paris lorsqu'ils y eurent entièrement établi leur domination; mais ils durent employer, pour s'y maintenir, le genre de fortification qui étoit en usage dans toutes les villes de leur vaste empire. Il est donc probable qu'ils élevèrent de chaque côté de la Seine deux tours en bois, l'une à la tête du pont, l'autre à l'entrée de la Cité; ces tours durent avoir une circonférence suffisante pour contenir les machines de guerre et les soldats nécessaires à leur défense; et le passage de Boëce, déjà cité, prouve que l'île elle-même étoit entourée de murs et flanquée de tours. Il est naturel aussi de penser que Paris, comme toutes les villes de l'Empire, eut des temples, (p. 13) des places, des édifices publics, et que, tranquille sous la protection d'un gouvernement aussi puissant, cette ville commença à étendre ses faubourgs sur les deux rives du fleuve. Toutefois il est impossible de donner aucun renseignement sur l'état de sa topographie intérieure pendant la domination des Romains, ni sur les accroissements progressifs qu'elle put alors éprouver; car il n'est plus question de Paris dans les historiens pendant près de quatre siècles, jusqu'à l'empereur Julien, qui y passa plusieurs hivers, avant et après son expédition contre les Allemands. L'affection qu'il portoit à cette ville, qu'il appelle sa chère Lutèce, le séjour qu'y firent après lui les empereurs Valentinien et Gratien, donnent lieu de croire que dès lors elle possédoit tout ce qui étoit nécessaire pour loger des empereurs et cette suite nombreuse d'officiers de toute espèce dont ils étoient sans cesse accompagnés, un palais, des thermes, une place d'armes, des arènes, un cirque, un amphithéâtre; mais si l'on considère les dimensions de l'île qui composoit (p. 14) la ville proprement dite, on se convaincra facilement qu'il est impossible que de tels édifices[16] aient existé dans un si petit espace. Ammien Marcellin, quoique fort embrouillé dans tout ce qu'il dit sur Paris, le fait cependant entendre assez clairement; les débris du palais des Thermes en sont une preuve encore plus incontestable, et leur construction toute romaine donne l'idée d'un grand et magnifique édifice. A-t-il été élevé avant Julien? est-ce lui qui l'a fait bâtir? C'est une question qu'il est impossible de décider, et d'ailleurs peu important d'éclaircir, puisqu'enfin de tout ce qui existoit alors à Paris du temps des Romains, si l'on en excepte une salle des Thermes, les ruines d'un aquéduc et quelques autres foibles débris, il ne reste plus absolument le moindre vestige.
Jusqu'au règne de Clovis, les rois francs, possesseurs d'une partie des Gaules qu'ils (p. 15) avoient envahie, n'avoient point encore étendu leur domination jusqu'au territoire et à la ville de Paris[17]: ce prince, que l'on doit considérer comme le véritable fondateur de la monarchie française, fut le premier qui s'en rendit maître; et il en fit la capitale de son empire[18]. Mais ce fut dans le palais des empereurs qu'il établit sa résidence, et non dans l'intérieur de la cité, car les Francs avoient un grand mépris pour ceux qui habitoient les villes. Ce mépris qui tenoit à leurs mœurs, le préjugé national qui les portoit à n'honorer aucune autre profession que celle des armes, les dévastations qu'ils commirent en pénétrant dans le pays (p. 16) conquis, les guerres sanglantes que Clovis fut forcé d'entreprendre et de soutenir pour former son établissement, le partage de ses conquêtes après sa mort, et les nouvelles capitales que fit naître cette division impolitique, toutes ces causes réunies empêchèrent Paris de s'agrandir sous la première race. Sous la seconde, on le voit presque abandonné: Pépin, Charlemagne, Louis-le-Débonnaire, Charles-le-Chauve n'y demeurèrent qu'en passant; et vers la fin de cette époque fatale, cette ville, assiégée sans cesse par les Normands, se trouva réduite, par la dévastation et l'incendie de ses faubourgs, à cette enceinte entourée d'eau, qui avoit été l'habitation des premiers Gaulois.
Ce n'est donc que sous le gouvernement plus ferme et moins troublé des rois de la troisième race, que Paris a commencé à prendre, par degrés, ces accroissements qui l'ont amené enfin au point où nous le voyons aujourd'hui. C'est à cette époque seulement que ses faubourgs du nord et du (p. 17) midi, composés de quelques maisons éparses, d'églises et de couvents isolés, commencèrent à se réunir par des constructions intermédiaires, furent renfermés dans des enceintes qui s'accrurent presque de siècle en siècle, et formèrent enfin ces deux parties nouvelles de Paris, connues sous le nom de la Ville et de l'Université, dont l'ensemble immense, renfermé dans sa dernière enceinte sous le règne de Louis XVI, compose cette ville superbe que l'on admire aujourd'hui.
Toutes les topographies qui ont été faites de l'ancien Paris s'accordent à présenter Philippe-Auguste comme auteur de la première enceinte de Paris, hors de la cité. Cependant, avant ce roi, il existoit déjà une clôture du côté du nord, qu'un historien[19], d'ailleurs exact et judicieux, a prétendu être un ouvrage des Romains. Cette opinion a été victorieusement combattue; et tout porte à croire que cette clôture, dont il est fait mention dans une ancienne charte, et dont il restoit encore (p. 18) quelques vestiges dans le dix-septième siècle, n'a été élevée que sous les derniers rois de la seconde race. «Alors, dit Félibien, tout le terrain où est à présent la ville étoit couvert d'une forêt.» La tour octogone qui subsistoit encore dans le siècle dernier au coin du cimetière des Innocents, servoit, dit-on, de corps-de-garde contre les bandes de voleurs dont cette forêt étoit infestée, et contre les incursions subites des Normands, qui s'y embusquoient par troupes détachées, et qui, plus d'une fois, en étoient sortis, pour se précipiter dans la place de Grève, piller le port et emmener des esclaves. La muraille fut sans doute construite dans la même intention, et pour une plus grande sûreté. Les juifs, qui, à cette époque de la fin de la seconde race, reparoissent en France, obtinrent la permission de bâtir dans cette enceinte[20], où se trouvoit une grande étendue de terrains vagues et de cultures, qu'ils acquirent sans doute (p. 19) à grands frais; et dès le commencement de la troisième race, on voit qu'ils y avoient des écoles et une synagogue. Ce qui ne leur avoit point été cédé fut long-temps désert, et ce ne fut que sous le règne de Louis-le-Jeune qu'on commença à élever des maisons dans Champeaux[21] et aux environs de Sainte-Opportune, qu'on appeloit auparavant l'Ermitage de Notre-Dame-des-Bois, parce que cette église étoit à l'entrée de la forêt.
«Entre le boulevart et la rivière au nord, dit Saint-Foix, depuis le terrain où est à présent l'Arsenal jusqu'au bout des Tuileries, représentons-nous donc les restes d'un bois marécageux, de petits champs, des cultures[22], des haies, des fossés et (p. 20) quatre ou cinq bourgs[23] plus ou moins éloignés les uns des autres; quelques rues bien boueuses autour du Grand-Châtelet et de la Grève; un grand pont (le pont au Change), pour arriver dans une petite île (la Cité), qui n'étoit habitée que par des prêtres, quelques marchands et des ouvriers; un autre pont (le Petit-Pont), pour en sortir du côté du midi; et au-delà de ce pont et du Petit-Châtelet, trois ou quatre cents maisons[24] éparses (p. 21) çà et là sur le bord de la rivière et dans les vignes qui couvroient la montagne Sainte-Geneviève: tel étoit Paris sous nos premiers rois de la troisième race; et je crois que, si l'on veut réfléchir sur les mœurs de ce temps-là, et sur les causes de ses accroissements dans la suite, on conviendra qu'il ne devoit pas être plus grand ni plus considérable. Tous ces tribunaux que nous voyons aujourd'hui, et dont les dépendances sont si nombreuses, n'existoient point encore; le roi, le comte ou le vicomte écoutoient les parties, jugeoient sommairement, ou bien ordonnoient le combat, si le cas étoit trop embarrassant. Il n'y avoit point aussi de colléges; l'évêque et les chanoines entretenoient quelques écoles, auprès de la cathédrale, pour ceux qui se destinoient à la cléricature. Les nobles se piquoient d'ignorance, et souvent ne savoient pas signer leur nom: ils vivoient sur leurs terres; et s'ils étoient obligés de passer trois ou quatre jours à la ville, ils affectoient de paroître toujours bottés pour (p. 22) qu'on ne les prît pas pour des vilains. Dix hommes suffisoient pour la perception des impôts; il n'y avoit que deux portes: et sous Louis-le-Gros, les droits de la porte du Nord ne rapportoient que douze francs par an[25]. Les arts les plus nécessaires ne se présentoient pas même à l'imagination, et l'on peut juger des divertissements et des spectacles par la grossièreté des mœurs; enfin rien dans Paris ne pouvoit engager l'étranger à y venir, l'homme industrieux à s'y établir.»
(p. 23) L'établissement de l'Université[26], sous Louis-le-Jeune, fut une des premières causes de l'agrandissement de Paris. La protection éclatante que Philippe-Auguste, son successeur, accorda à cette institution, l'estime singulière qu'il faisoit des savants, et les distinctions flatteuses dont il les honoroit, rendirent bientôt les écoles de Paris (p. 24) célèbres dans toute l'Europe. On y accourut des provinces et des pays étrangers; et le quartier appelé depuis l'Université, se peupla tellement, que la multitude des étudiants égaloit celle des citoyens. Ce prince, qui, parmi les grands projets qu'il avoit conçus, mettoit au premier rang l'embellissement de sa capitale, la fit entourer de murs, et dans cette clôture (la première dont on puisse parler avec certitude), non seulement il renferma une partie des bourgs déjà existants, mais encore une grande quantité de terrains vagues, dans lesquels il excita ses sujets à bâtir, par tous les avantages et les encouragements qu'il put imaginer. La noblesse et le clergé l'aidèrent puissamment dans des vues si utiles, et dans moins de quarante ans ces places vides et désertes furent couvertes d'édifices. Philippe-le-Bel augmenta encore l'importance et la population de Paris, en rendant le parlement sédentaire; et par la défense qu'il fit du duel en matière civile, les gens de loi se multiplièrent presque autant que les étudiants.
(p. 25) Cependant de nouveaux faubourgs s'étoient formés hors des murs. Les guerres désastreuses qui survinrent avec les Anglais, à qui leurs possessions sur le continent donnoient la facilité de pénétrer jusque dans le cœur du royaume, et d'en insulter à tous moments la capitale, obligèrent de pourvoir à la sûreté tant de la ville que des dehors. Les conjonctures dans lesquelles on se trouvoit étoient si pressantes, que d'abord on se contenta de creuser autour une double enceinte de fossés. Charles V, parvenu au trône, ordonna bientôt une nouvelle clôture du côté de la ville, depuis le bord de la rivière où est maintenant l'Arsenal, jusqu'au-delà du Louvre, et les derniers faubourgs furent renfermés dans cette seconde enceinte. Ces nouveaux accroissements obligèrent de bâtir deux autres ponts, pour la communication des quartiers.
Jusqu'au règne de François Ier, on ne voit aucune entreprise nouvelle pour l'accroissement de Paris. Ce roi, restaurateur des lettres et des arts, reprit tous les projets qui avoient été conçus pour l'embellissement (p. 26) d'une ville déjà si peuplée et si florissante. Il n'agrandit pas son enceinte, mais il augmenta ses dehors, et y éleva des monuments d'architecture qui sont encore au nombre des plus excellents qu'elle possède. Le vieux Louvre abattu fut remplacé par un édifice magnifique et régulier; de nouvelles rues s'ouvrirent sur les débris d'une quantité de vieilles constructions. Bientôt après Charles IX fit bâtir le château des Tuileries; le pont Neuf, commencé sous Henri III, fut achevé par Henri IV, et ce roi fut le premier qui orna Paris de places décorées d'une architecture uniforme; mais toutes ces constructions nouvelles furent faites dans l'ancienne enceinte, qui resta toujours la même jusqu'à Louis XIII. Sous ce prince, une nouvelle muraille fut élevée depuis la porte Saint-Denis, qu'on plaça alors à l'endroit où nous la voyons aujourd'hui, jusqu'à l'extrémité du faubourg Saint-Honoré; et le château des Tuileries se trouva renfermé dans cette troisième enceinte.
Enfin sous le règne brillant et majestueux (p. 27) de Louis XIV, sous ce règne où se développèrent à la fois toute la force du gouvernement monarchique et toutes les ressources du plus beau royaume de la chrétienté, Paris s'éleva rapidement au plus haut degré de richesse et de splendeur. Ses enceintes furent abattues; ses portes furent changées en arcs de triomphe; et ses fossés, comblés et plantés d'arbres, devinrent des promenades. Des places immenses, des rues superbes, des temples, des édifices publics naquirent de tous côtés, comme par enchantement; le chef-d'œuvre de l'architecture française, le Louvre, fut bâti; le dôme des Invalides s'éleva, etc. Enfin sous ce règne, où il se fit tant de choses si dignes d'être admirées, la ville qu'habitoit le monarque le plus puissant et le plus magnifique de l'Europe, obtint la plus grande part de tant d'éclat que son gouvernement répandoit sur la France entière, c'est-à-dire qu'elle pouvoit déjà être considérée comme la plus belle ville du monde[27].
(p. 28) Cette capitale s'est encore agrandie et embellie sous ses deux successeurs. Sous Louis XVI, les faubourgs immenses qui environnoient les boulevarts furent réunis dans une nouvelle enceinte, qui renferme aujourd'hui toute cette immense cité, et qui probablement sera la dernière[28].
Dans l'origine, l'île de la Cité n'étoit, selon Julien, environnée d'aucune muraille: «Lutèce, dit-il dans son Mysopogon, Lutèce, entièrement (p. 29) entourée par les eaux de la Seine, est située dans une île peu étendue où l'on aborde des deux côtés par des ponts en bois.»
On croit que ce fut seulement vers le quatrième siècle qu'une enceinte fut élevée; en 885, lors du siége fait par les Normands, on défendit cette enceinte par quelques fortifications.
«Cité de Paris, s'écrie le poète Abbon, tu es heureuse de t'élever au milieu d'une île: un fleuve te presse doucement dans ses bras, et baigne tes murailles de ses eaux. Des ponts jetés à ta droite et à ta gauche, et qui touchent tes deux rives, sont fermés par des portes, et de l'un et de l'autre côté s'élèvent des tours qui en protégent l'entrée»[29].
En rejetant cette opinion qu'il y avoit, du côté de la ville, une première enceinte bâtie par les Romains, nous sommes convenus cependant que cette enceinte avoit réellement existé. En effet, des titres qui remontent jusqu'au règne de Lothaire en indiquent le circuit, et l'on en voyoit encore des débris long-temps après le règne de Philippe-Auguste.
La première enceinte, hors de la Cité, sur laquelle on possède des renseignemens authentiques[30], (p. 30) et qui subsistoit encore du temps de Louis-le-Jeune, commençoit à peu près à la porte de Paris[31], continuoit le long de la rue Saint-Denis jusqu'à la rue des Lombards où il y avoit une porte, passoit ensuite entre cette rue et la rue Trousse-Vache, jusqu'au cloître Saint-Médéric; il y avoit là une seconde porte dont il existoit encore un jambage sous Charles V. La muraille tournoit ensuite par la rue de la Verrerie, entre les rues Bardubec et des Billettes, descendoit rue des Deux-Portes, traversoit la rue de la Tixeranderie et le cloître Saint-Jean, proche duquel étoit une troisième porte, et finissoit sur le bord de la rivière, entre Saint-Jean et Saint-Gervais[32]. Le midi de la Cité, dit (p. 31) depuis le quartier de l'Université, n'étoit point encore entouré de murs.
Les choses étoient en cet état, lorsque Philippe-Auguste forma le projet vraiment royal de renfermer dans une nouvelle enceinte tous les bourgs, toutes les cultures éparses autour de l'ancienne ville, et de faire ainsi de Paris une des plus grandes et des plus belles villes du monde. Cette entreprise coûta vingt ans de travaux continuels; car non seulement on éleva une muraille du côté du nord, mais encore les maisons qui, au midi, étoient éparses autour du petit Châtelet, furent pour la première fois environnées d'une enceinte.
La nouvelle muraille, au nord, passoit près du Louvre, le laissant en dehors[34]; traversoit les rues Saint-Honoré et des Deux-Écus, l'emplacement de l'hôtel de Soissons, les rues Coquillière, Montmartre, Montorgueil, le terrain où est à présent la halle aux cuirs, les rues Française, Saint-Denis, Bourg-l'Abbé, Saint-Martin; continuoit le long de la rue Grenier-Saint-Lazare; traversoit la rue Beaubourg, la rue Saint-Avoye, (p. 32) et passant sur le terrain des Blancs-Manteaux, et ensuite entre les rues des Francs-Bourgeois et des Rosiers, alloit aboutir au bord de la rivière, à travers les bâtimens de la maison professe des Jésuites et le couvent de l'Ave-Maria, où l'on voyoit encore, il n'y a pas long-temps, des restes de ses murailles. Elle avoit huit portes principales: la première, près du Louvre, au bord de la rivière; la seconde, à l'endroit où est maintenant l'église de l'Oratoire; la troisième, vis-à-vis de Saint-Eustache, entre la rue Plâtrière[35] et la rue du Jour; la quatrième, rue Saint-Denis, appelée la Porte-aux-Peintres; la cinquième, rue Saint-Martin, au coin de la rue Grenier-Saint-Lazare; la sixième, appelée la porte Barbette[36], entre le couvent des Blancs-Manteaux et la rue des Francs-Bourgeois; la septième, près de la maison professe des Jésuites; et la huitième, au bord de la rivière, entre le port Saint-Paul et le pont Marie[37].
Du côté de la rivière, au midi, l'autre moitié de cette enceinte, qui commençoit à la porte (p. 33) Saint-Bernard, est à peu près tracée[38] par les rues des Fossés-Saint-Bernard, des Fossés-Saint-Victor, des Fossés-Saint-Michel ou rue Saint-Hyacinthe, des Fossés-M.-le-Prince, des Fossés-Saint-Germain ou rue de la Comédie Française, et des Fossés-de-Nesle, à présent rue Mazarine. Il y avoit sept portes dans ce circuit: la porte Saint-Bernard ou de la Tournelle; les portes Saint-Victor, Saint-Marcel et Saint-Jacques[39]; la porte Gibard, d'Enfer ou de Saint-Michel, au haut de la rue de la Harpe; la porte de Buci[40], au haut de la rue Saint-André-des-Arcs, vis-à-vis de la rue Contrescarpe; et la porte de Nesle, où est à présent le collége des Quatre-Nations. Dans la rue des Cordeliers, il y eut encore une porte appelée la porte Saint-Germain; et lorsque la rue Dauphine fut bâtie, on en fit une vis-à-vis de l'autre bout de la rue Contrescarpe, et qu'on appela la porte Dauphine[41].
(p. 34) Un devis extrait d'un registre de Philippe-Auguste nous apprend que la partie méridionale de l'enceinte avoit 1260 toises d'étendue, et qu'elle avoit coûté 7020 livres, monnoie du temps.
La perte de la bataille de Poitiers et la prison du roi Jean faisant appréhender que les Anglais ne pénétrassent jusqu'au cœur de la France, le dauphin songea à fortifier la capitale du côté du midi. Il ne changea rien à l'enceinte de Philippe-Auguste, parce que les nouveaux faubourgs s'y trouvèrent si petits qu'il ne jugea pas à propos de les mettre à couvert; il se contenta de les ruiner, pour empêcher l'ennemi de s'y loger; et le rempart déjà existant fut entouré d'un fossé. Du côté du nord, les faubourgs étant beaucoup plus considérables et plus près des murs, il fut résolu de les renfermer dans les nouvelles fortifications. C'étoient d'abord de simples fossés, qui furent depuis changés en murailles flanquées de tours. Cette entreprise, commencée sous Charles V, ne fut achevée que sous Charles VI. Elle coûta 162,520 livres, somme équivalente aujourd'hui à 1,170,000 fr.; à cette occasion 750 guérites en bois furent attachées aux créneaux des murailles.
Nous avons dit que l'enceinte précédente aboutissoit (p. 35) d'un côté entre le port Saint-Paul et le pont Marie, vis-à-vis la rue de l'Étoile. Ce prince la fit reculer jusqu'à l'endroit où est l'Arsenal; et les portes Saint-Antoine[43], Saint-Martin et Saint-Denis furent placées où nous les voyons aujourd'hui. Depuis la porte Saint-Denis, ces nouveaux murs continuoient le long de la rue de Bourbon, traversoient les rues du Petit-Carreau et Montmartre, la place des Victoires, l'hôtel de Toulouse, le jardin du Palais-Royal, la rue Saint-Honoré près l'ancien hospice des Quinze-Vingts, et alloient finir au bord de la rivière, par la rue Saint-Nicaise. Aux quatre extrémités de l'enceinte générale, comme à celle de Philippe-Auguste, il y avoit quatre grosses tours: la tour du Bois, près du Louvre; la tour de Nesle, où est le collége des Quatre-Nations; la tour de Tournelle, près de la porte Saint-Bernard; et la tour de Billi, près des Célestins. Elles défendoient, des deux côtés de la rivière, l'entrée et la sortie de Paris par de grosses chaînes attachées d'une tour à l'autre, et qui traversoient la Seine, portées sur des bateaux placés de distance en distance. L'approche de l'île Saint-Louis étoit défendue par un fort[44].
(p. 36) Jusqu'à Louis XIII, ces enceintes ne furent point augmentées; cependant la ville s'accrut considérablement, tant par les constructions qui s'élevèrent par degrés dans les terrains vagues[45] qu'on y avait renfermés, que par[46] les nouveaux faubourgs qui se formèrent à ses portes. Ces faubourgs s'étoient tellement étendus, que, sous Henri II, on commença à s'en inquiéter, et à craindre l'excessive grandeur de Paris. Une ordonnance du roi défendit de bâtir davantage dans ses environs; et le projet fut formé de construire une nouvelle muraille qui renfermeroit définitivement cette ville dans ses dernières limites. Le plan en fut arrêté au conseil en 1550, et des bornes furent plantées du côté de l'Université; mais cette entreprise resta sans exécution.
La seule addition qui fut faite alors aux fortifications de Paris fut la construction d'un rempart (p. 37) qui commençoit au bord de la rivière, au-dessous de la Bastille, et se prolongeoit jusqu'au delà de la porte Saint-Antoine. François Ier avoit déjà tenté plusieurs fois ce travail, lorsque les guerres qu'il avoit à soutenir contre l'empereur lui faisoient craindre que les armées d'Allemagne, qui venoient jusqu'en Picardie, n'insultassent sa capitale; et il ne l'avoit point achevé. Cette fortification, plus solidement construite que les autres, subsistoit encore dans ces derniers temps. C'étoit une courtine flanquée de bastions, et bordée de larges fossés à fond de cuve.
Sous Charles IX, la porte Neuve, qui étoit près du Louvre, fut reculée jusque derrière les Tuileries; et un nouveau bastion fut construit à cette place, pour y élever une clôture nouvelle, laquelle auroit renfermé dans la ville ce château et la partie du quartier Saint-Honoré qui, depuis la rue Saint-Nicaise où étoit encore l'ancienne porte, étoit alors appelée faubourg Saint-Honoré. Toutefois cette portion de clôture ne fut achevée que sous Henri III, qui fit continuer les nouveaux murs depuis le bastion de la porte Neuve, nommée depuis porte de la Conférence, jusqu'à l'extrémité de ce faubourg, en traversant le terrain où est maintenant la place Louis XV[47].
L'île[49] du Palais, l'île Notre-Dame, le marais du Temple ayant été couverts d'édifices sous le règne précédent, il ne restoit plus de grands vides dans Paris; mais il y avoit encore un grand espace hors des murs, entre les faubourgs Saint-Honoré et Montmartre, qui n'étoit rempli que de cultures, et demandoit à être renfermé dans la ville pour en rendre l'enceinte plus régulière. Dès le temps de Charles IX, on avoit projeté de le faire, et des fossés avoient été creusés; cependant, jusqu'en 1630, les murs de la ville passoient encore de ce côté sur le terrain où est à présent la place des Victoires. Les rues des Petits-Champs et des Bons-Enfants y aboutissoient, et ce quartier étoit même si retiré, qu'on y voloit en plein jour, et qu'on l'appeloit le quartier Vide-Gousset[50]. Les bâtiments du Palais-Royal, que le cardinal de Richelieu avoit fait commencer en 1629, furent l'occasion d'une nouvelle enceinte: la porte Saint-Honoré, alors située où est à présent le marché des Quinze-Vingts, fut reculée, en 1631, jusqu'à cet emplacement (p. 39) qui garde[51] encore son nom, et se joignit ainsi aux fortifications qui, sous Henri III, avoient été élevées pour entourer le château des Tuileries; depuis cette porte, on bâtit de nouveaux remparts dont les boulevarts actuels nous tracent à peu près le contour. Une nouvelle porte fut construite à l'extrémité du faubourg Montmartre, à plus de deux cents toises de l'ancienne; et l'enceinte continuée derrière la Ville-Neuve alla aboutir à la porte Saint-Denis. Pendant ce temps, le quartier de l'Université recevoit de grands accroissements par les bâtiments qui s'élevoient de toutes parts, principalement au faubourg Saint-Germain.
Ce fut la dernière enceinte fortifiée de la ville de Paris. Nous avons déjà dit que Louis XIV en fit abattre les remparts; Louis XV et Louis XVI y réunirent les nouveaux faubourgs; et, sous le règne de ce dernier roi, elle fut entourée de la clôture que nous voyons aujourd'hui[52].
Les accroissements successifs dont nous venons d'offrir le tableau mirent dans la nécessité de diviser Paris en divers quartiers, pour pouvoir y maintenir plus facilement l'ordre et la police. Au dixième siècle on n'en comptoit que quatre; il y en avoit déjà huit sous le règne de Philippe-Auguste. Sous Charles V et Charles VI on se vit forcé de faire une nouvelle division qui en doubla le nombre; Henri III y ajouta un dix-septième quartier. Enfin, depuis cette époque jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, cette grande cité n'ayant cessé d'être l'objet principal des affections de ses souverains, et acquérant chaque jour une étendue plus considérable, une déclaration du roi, donnée en 1702, établit une dernière division en vingt quartiers, dont elle détermina les limites: les allées d'arbres qui avoient remplacé les anciennes murailles permirent alors d'unir Paris avec ses faubourgs. Ces nouvelles parties de la ville, encore remplies de marais et de cultures, se couvrirent bientôt d'édifices, et renfermées maintenant dans sa dernière enceinte, elles en sont devenues les quartiers les plus brillants ou les plus populeux.
(p. 41) Voici les vingt quartiers de Paris dans l'ordre où les a établis la déclaration du roi[53].
1er | Quartier. | La Cité. |
2e | —— | Saint-Jacques-de-la-Boucherie. |
3e | —— | Sainte-Opportune. |
4e | —— | Le Louvre, ou St.-Germain-l'Auxerrois. |
5e | —— | Le Palais Royal. |
6e | —— | Montmartre. |
7e | —— | Saint-Eustache. |
8e | —— | Les Halles. |
9e | —— | Saint-Denis. |
10e | —— | Saint-Martin-des-Champs. |
11e | —— | La Grève. |
12e | —— | Saint-Paul, ou la Mortellerie. |
13e | —— | Sainte-Avoie, ou la Verrerie. |
14e | —— | Le Temple, ou le Marais. |
15e | —— | Saint-Antoine. |
16e | —— | La place Maubert. |
17e | —— | Saint-Benoît. |
18e | —— | Saint-André-des-Arcs. |
19e | —— | Le Luxembourg. |
20e | —— | St.-Germain-des-Prés. |
Ce quartier comprend les îles du Palais, de la Cité, Saint-Louis et Louvier, depuis la pointe orientale de l'île Louvier jusqu'à la pointe occidentale de l'île du Palais, avec tous les ponts qui y aboutissent, y compris la culée du pont au Change.
Ceux qui n'ont point assez pénétré dans l'histoire des modernes habitants des Gaules, s'étonneront sans doute que la ville capitale d'un aussi grand royaume que la France, ait été pendant une si longue suite de siècles dans un tel état de foiblesse et de misère, que, loin de prendre de l'accroissement, on la voit au contraire devenir, à certaines[54] époques, plus misérable encore (p. 44) qu'elle n'avoit été. Ils ne s'étonneront pas moins de la voir sortir tout à coup de cette détresse et de cette obscurité, s'accroître par des degrés très-rapides, et s'embellissant plus lentement d'abord, devenir enfin, sous un petit nombre de rois, la première et la plus belle des cités.
Ces deux différents états, dont le brusque passage est si remarquable, s'expliquent facilement par le changement qui se fit, au commencement de la troisième race, dans le gouvernement de la monarchie françoise, changement dont l'effet fut de faire passer cette monarchie, de l'état de société domestique que les vainqueurs y avoient jusqu'alors, et pour ainsi dire, exclusivement maintenu, à l'état de société politique qui avoit été celui des Gaules sous la domination romaine; de faire enfin triompher le gouvernement monarchique de la police féodale, qui, à quelques variations près, avoit été, sous les deux premières races, le droit public de l'Europe entière.
Que n'a-t-on point dit sur le régime féodal, et avec combien d'ignorance et de mauvaise foi! Si l'on en croit les déclamateurs politiques de nos jours, c'est la révolte et l'usurpation qui (p. 45) lui ont donné naissance; c'est par la tyrannie qu'il s'est accru et fortifié; et toutefois, en même temps qu'ils s'élèvent contre les prétendus abus et l'oppression intolérable de cette espèce de gouvernement, ils s'indignent aussi contre les rois, qui, par degrés, sont parvenus à le détruire. Nous ne nous chargeons point de concilier de semblables contradictions; mais peut-être les monuments historiques nous fourniront-ils quelques moyens de constater à la fois l'origine, le caractère et les modifications diverses du gouvernement féodal.
Si l'on veut en trouver la véritable origine, ce n'est point à l'invasion des Francs qu'il convient de s'arrêter: il faut aller la chercher jusque sous les empereurs, et remonter même jusqu'aux temps qui ont précédé l'établissement du christianisme comme religion dominante de l'État. En effet nous trouvons dans Lampride et Vopiscus[55] qu'Alexandre Sévère, Aurélien et Probus donnèrent aux ducs et aux soldats des frontières, des champs et des maisons dans les pays conquis sur l'ennemi. Ces terres ainsi concédées étoient ordinairement situées sur le bord des fleuves ou entre les montagnes qui servoient de limites; on y joignit des esclaves et les animaux nécessaires (p. 46) à l'exploitation; et la propriété entière en fut accordée à ceux qui les reçurent, sous la condition expresse que les héritiers se consacreroient comme les pères au service militaire, et que jamais des personnes privées ne pourroient posséder ces terres ni par succession ni par contrat de vente[56].
Les établissemens de ce genre se multiplièrent; nous apprenons d'Ammien Marcellin[57] que long-temps avant la chute de l'empire des légions avoient été fixées dans certains postes pour y tenir lieu de garnison perpétuelle. On appeloit stations agraires les terres qu'occupoient ces légions[58], et l'on en établissoit sur toutes les frontières dont la garde sembloit difficile. On ne peut douter que ces stations ne fussent fortifiées[59], et que, gardées par un nombre plus ou moins grand de soldats, en raison de leur importance, c'étoit sur ce degré d'importance que se régloit la dignité du chef à qui le commandement (p. 47) en avoit été donné. Les stations agraires occupoient ordinairement les environs d'un château, qui en étoit le chef-lieu et que l'on appeloit simplement station[60]. Bientôt les soldats stationnaires obtinrent tous les avantages des possesseurs de fonds limitrophes, et se confondirent avec eux. Cette milice sédentaire reçut le nom de troupe riparienne, parce qu'elle faisoit son séjour sur la frontière, que l'on nommoit ripa[61], et fut ainsi distinguée des Comitatenses ou troupes de la cour, corps d'élite avec lequel les empereurs et leurs généraux se portoient sur les frontières menacées, lorsque les troupes sédentaires ne suffisoient pas pour les défendre.
Bientôt ces troupes de la cour prétendirent partager les avantages dont jouissoient les troupes ripariennes; elles ne voulurent plus quitter les cantonnements où elles avoient été placées temporairement, lorsqu'elles y eurent été assez long-temps pour y prendre des habitudes et y former des établissements avantageux[62]; et ce fut une nécessité, dans la foiblesse extrême où étoit tombé le pouvoir, de leur accorder dans les provinces intérieures de l'empire des quartiers permanents dont l'organisation fut la même que celle (p. 48) de ces postes que l'on avoit créés sur les frontières.
Et qu'on ne pense pas que de telles faveurs, soit dans les provinces intérieures, soit dans les terres limitrophes, fussent uniquement réservées aux sujets de l'empire, à ceux qui étoient naturellement intéressés à sa défense et à sa conservation: tout parti goth, franc ou germain qui, se détachant de cette multitude de barbares dont le territoire romain étoit pressé de toutes parts, demandoit à y être reçu et à servir l'empereur en qualité d'auxiliaire, étoit accueilli sous cette seule condition, et y recevoit de semblables établissements[63]. C'est ainsi que, soit par la violence, soit par les concessions des empereurs, la Gaule se vit successivement remplie de ces peuples du Nord. Ils avoient envahi la Belgique; ils possédoient la Bourgogne; leurs quartiers occupoient toutes les provinces qui sont entre la Loire et les Pyrénées; les provinces maritimes étoient devenues leur conquête. Toutefois il restoit encore dans le centre de cette vaste contrée des troupes romaines stationnaires, foibles débris sans doute des anciennes troupes ripariennes qui avoient (p. 49) été autrefois répandues sur les frontières[64]; et pendant long-temps ces troupes ne voulurent reconnoître que des généraux romains; mais un barbare devenoit tel à leurs yeux, dès qu'il avoit été revêtu par l'empereur de quelque grande dignité impériale[65]. C'est ainsi qu'elles ne répugnèrent point à combattre sous les ordres de Childéric, dès qu'il eut été fait duc ou comte militaire; c'est par la même raison qu'elles s'attachèrent à Clovis, aussitôt qu'il eut été revêtu de semblables dignités, considérant alors ce chef guerrier, dont les victoires avoient déjà jeté un grand éclat, comme un homme que la Providence avoit destiné à être le restaurateur de l'empire.
Ce fut aussi ce qui rendit ce roi franc si empressé de recevoir ces mêmes dignités; en lui donnant le titre d'Ami de l'empire et de Patrice des Romains, (p. 50) l'empereur Anastase lui aplanissoit les voies qui devoient le conduire à la conquête entière des Gaules. Déjà Clodion, qui, le premier parmi les chefs des Francs, avoit passé le Rhin en se déclarant ennemi de l'empire, n'avoit rencontré que de foibles obstacles[66]: sa première entreprise avoit été sur Cambrai; et loin de défendre cette frontière, les barbares à qui elle avoit été confiée, et qui eux-mêmes étoient Francs, se réunirent à lui et le reconnurent pour leur roi. Cet exemple entraîna les autres barbares établis sur les terres romaines dans le voisinage de cette frontière; et un passage de Procope[67] nous apprend que les soldats romains qui étoient stationnaires dans cette extrémité de la Gaule, se voyant dans l'impossibilité de retourner en Italie, et ne voulant pas subir le joug, ni s'exposer aux violences des barbares ariens qui occupoient la partie méridionale de cette vaste province, se livrèrent aux Armoriques et aux Germains avec tout le pays qu'ils avoient jusqu'alors gardé pour l'empereur, et qu'ils obtinrent de conserver toutes leurs coutumes sous cette nouvelle domination. Or, si des soldats romains, tout-à-fait étrangers au pays où ils étoient cantonnés, se montroient ainsi disposés à traiter avec des barbares, à combien plus forte (p. 51) raison devoient être empressés de le faire des soldats nés dans la province même, anciens compagnons d'armes des Francs, vivant sous la même loi civile et accoutumés à la même discipline? Et rien ne prouve plus que, dans toutes les Gaules, tant de peuples si différents avoient fini par ne plus faire qu'un seul peuple gouverné par les mêmes lois, et presque entièrement détaché de l'empire, que de voir le Romain Egidius devenir roi d'une peuplade de Francs, comme on avoit vu des rois francs compter des Romains parmi leurs sujets. Mais il n'est pas moins remarquable qu'il ne fut choisi pour chef par ces barbares, que parce qu'il étoit alors maître de la milice romaine. C'est ainsi que ce grand nom de Rome et d'empire romain imposoit encore même à ceux qui s'en partageoient la puissance et les débris.
Arrêtons-nous ici un moment; il ne peut plus y avoir d'incertitude sur l'origine des fiefs: elle est toute romaine, et les monumens qui nous attestent cette origine sont irrécusables. Mais si, de ces documents que nous offre l'histoire, nous nous élevons à des considérations d'un autre ordre sur les causes qui amenèrent de tels changements dans l'administration des principales provinces de l'empire, il nous sera facile de reconnoître que ces changements étoient la suite nécessaire et inévitable de la situation où se trouvoit alors le pouvoir politique; et que, dans cette situation (p. 52) presque désespérée, il sut habilement saisir le seul moyen de salut qui lui restât et le seul en même temps qui pût sauver la société.
Dès le temps des empereurs que nous venons de nommer, les barbares pressoient l'empire de toutes parts; tous les points de ses immenses frontières étoient menacés à la fois, tandis qu'à l'intérieur les factions militaires le déchiroient, se disputant sans cesse le pouvoir politique, devenu par ces disputes sanglantes et acharnées le fléau des peuples dont il devroit être le protecteur. Et quelle protection pouvoient leur offrir des princes dont la vie étoit sans cesse à la merci de leurs soldats, et qui passoient à étouffer les révoltes et à combattre leurs compétiteurs, le temps qu'ils auraient dû donner au gouvernement de l'État? Dans cet état de foiblesse, de désordre, de péril imminent, les plus habiles d'entre eux reconnurent que tout étoit perdu, s'ils ne trouvoient un moyen d'attacher par quelque intérêt qui leur fut propre, à la défense de la société, des hommes qui ne tenoient plus que par de foibles liens, toujours prêts à se briser, à l'autorité suprême, autorité à qui seule il auroit appartenu de conserver et de défendre les intérêts communs. Parmi tous les intérêts particuliers, il n'en étoit point sans doute de plus puissant que celui de la propriété; et ce fut une combinaison aussi heureuse que le malheur des temps permettoit de la concevoir, que de faire partout les (p. 53) soldats propriétaires des frontières qu'ils étoient chargés de défendre: ainsi la société politique, prête à se dissoudre, appeloit à son secours la société domestique ou la famille, qui, de même que dans l'enfance de la civilisation, se trouvoit ainsi chargée de pourvoir à sa propre défense; mais de telle manière cependant que, de l'agrégation d'un nombre considérable de petites sociétés de ce genre, à la fois distinctes et réunies, ce pouvoir politique composoit un système de défense générale pour la société entière, usant ainsi dans l'intérêt de tous, que lui seul pouvoit connoître, diriger et défendre, de tant d'intérêts particuliers, et en quelque sorte indépendants les uns des autres, qu'il s'étoit vu forcé de créer. Par ce moyen, il avoit su se faire, dans un grand état qui penchoit vers sa ruine, tout ce qu'il lui étoit possible d'avoir de force et d'unité.
Mais les barbares succédoient aux barbares; ils se précipitoient en quelque sorte les uns sur les autres, avides d'une si riche proie; et ce système de défense, qui long-temps arrêta leurs continuels efforts, ne put empêcher ce torrent de se déborder enfin de toutes parts sur ces provinces malheureuses. Ce fut au cinquième siècle que se fit l'irruption la plus terrible de ces féroces sauvages du Nord; et l'histoire nous en présente le souvenir comme celui de la plus effroyable calamité qui ait jamais désolé les peuples. Mais des (p. 54) irruptions partielles avoient précédé, et à diverses reprises, ce débordement général; et une fois entrées sur la terre de la civilisation, ces hordes n'en sortoient que très-rarement: il falloit les y établir ou les exterminer. Lorsqu'elle jugea impossible de les vaincre, la politique des empereurs chercha donc à se les attacher; et ainsi que nous l'avons déjà dit, créant pour eux des fiefs dans les pays dont ils s'étoient emparés, et par ce moyen opposant barbares à barbares, elle essaya de se faire des défenseurs nouveaux de ses plus redoutables ennemis.
De ce mouvement continuel des barbares et de cette calamité sans cesse renaissante des invasions, il résulta que toutes les provinces de l'empire, et particulièrement toutes les parties des Gaules, devinrent successivement frontières; que les troupes romaines qui les défendoient furent toutes stationnaires; que l'intérieur du pays se remplit de camps et de châteaux, ce qui jusque là n'étoit point encore arrivé; et qu'ainsi, avant la révolution qui devoit en faire le royaume de France, cette province tout entière étoit déjà divisée en bénéfices militaires. Avant la conquête, les Romains s'étoient associés les barbares: après la conquête, et lorsqu'ils furent las de violences et de ravages, les barbares composèrent avec ce qui restoit de Romains dans le pays dont ils s'étoient rendus (p. 55) maîtres, et qui s'étoient le plus vaillamment défendus; et voulant conserver ce qu'ils avoient acquis, ils adoptèrent les lois romaines, dont beaucoup d'entre eux connoissoient les avantages et avoient déjà éprouvé les bienfaits. Ce mélange d'un vieux peuple et d'un peuple enfant n'a peut-être point été assez remarqué, ainsi que les degrés divers par lesquels il a plu à la Providence de le produire. Ainsi se conserva ce qu'il existait d'ordre social dans le monde, héritage légué en quelque sorte par la grande nation mourante à cette foule de petites nations encore au berceau.
Les exploits, la conversion et la fortune de Clovis sont trop connus pour que nous les rappelions ici; et le règne de ce prince est une des époques les plus grandes et les plus éclatantes de l'histoire. On sait qu'il n'entra point dans la Gaule comme les farouches vainqueurs qui l'avoient précédé, mais qu'il y fut appelé par le vœu de toutes les classes de ses habitants, et que les évêques lui livrèrent pour ainsi dire le royaume que les Goths avoient formé dans ses provinces méridionales[68]; il y vint donc pour (p. 56) conserver et non pour détruire; et en effet rien ne fut changé dans l'organisation civile et politique du pays. De même que les autres barbares dont ils avoient suivi les traces, les Francs reçurent les lois et la police des Romains; ils adoptèrent leurs magistratures et jusqu'à ces dénominations purement honorifiques inventées par la cour de Bysance, et au moyen desquelles elle suppléoit aux récompenses réelles qu'il n'étoit plus en son pouvoir de donner. Il y eut donc comme par le passé des comtes, des ducs, des préfets militaires[69]. L'économie fiscale, civile et militaire des provinces fut la même[70]; le gouvernement des villes municipales et des cités ne changea point[71]; on y retrouva, comme sous les Romains, des colléges ou corps d'artisans, de marchands, chacun avec sa police particulière, ses usages et ses priviléges[72]; le serf représenta chez eux le colon romain: et cette espèce de servitude, bien différente de ce qu'étoit l'esclavage chez les peuples païens, fut la seule qu'ils conservèrent depuis (p. 57) la conquête[73]; les vainqueurs, prenant par degré le goût de l'agriculture, profitèrent dans l'administration et l'exploitation de leurs terres de l'expérience des vaincus[74]; si l'on considère (p. 58) en quoi consistèrent chez eux les revenus du fisc, on trouve qu'ils répondoient à autant de branches des finances de l'empire: ces revenus présentent de même les contributions des villes qui, chez les Romains, entroient dans le trésor des largesses, les parties casuelles, et le produit des terres fiscales dont se composoit l'épargne du prince[75]; quant à l'administration de la justice, aux diverses juridictions des tribunaux, depuis le conseil suprême du monarque jusqu'à la justice des propriétaires, il ne peut entrer dans notre sujet d'en développer l'organisation admirable et toutes les formes prévoyantes et protectrices: qu'il nous suffise de dire que le droit romain fut conservé par les rois francs partout où il étoit établi avant la conquête, et que le clergé ne cessa pas de vivre un (p. 59) seul instant sous la protection de la loi romaine qui étoit sa loi nationale[76].
Cependant, au milieu de tant de lois et de coutumes anciennes, fut introduite une loi politique nouvelle que les Romains n'avoient point connue: c'est le vasselage, loi dont l'origine est toute barbare, et qui devint le perfectionnement de la police des fiefs. Comme bénéfice, le fief n'étoit autre chose que la récompense des vétérans; comme terre frontière, il imposoit seulement l'obligation de défendre une tour, un château, ou toute autre espèce de retranchement. Le vasselage faisoit d'un barbare l'homme de son seigneur; par la cérémonie de la recommandation, il lui vouoit un attachement et un service personnel; et comme il fut établi, sous les rois francs, qu'on ne pourroit obtenir un fief et devenir bénéficier sans être vassal, il en résulta que tout propriétaire de bénéfice fut attaché par un double lien, et à la terre qu'il étoit de son intérêt de conserver et de défendre, et au prince que l'honneur, le devoir, son serment, l'obligeoient en toutes circonstances de servir et d'assister[77]. Le soldat (p. 60) romain défendoit le sol de l'empire, mais non pas l'empereur, prêt à recevoir pour maître quiconque se présentoit à lui avec la faveur de l'armée, reconnoissant pour Romain tout chef barbare, dès qu'il étoit revêtu des dignités romaines; et ce fut là le vice radical du système militaire fondé sur la création des bénéfices. Le vassal défendoit à la fois la terre et son seigneur, ou pour mieux dire, sa propriété et l'État; et la loi du vasselage, essentiellement monarchique, contribua puissamment à fonder la véritable monarchie dans les Gaules, et à la sauver dans ses plus grands périls.
C'est là cette féodalité qui signifie la fidélité, et dont on parle de nos jours avec tant d'ignorance (p. 61) et de fureur; institution plus naturelle qu'on ne pense, dit M. de Bonald, puisque, selon Condorcet, «on la retrouve à la même époque chez tous les peuples.» Elle n'étoit autre chose, dans son principe, que la plus noble relation d'autorité et d'obéissance, de protection et de dévouement, de foi gardée et d'assistance réciproque; elle offroit dans les nombreux rapports qu'elle établissoit entre les citoyens de toutes les classes de la société, et dans tous les degrés de sa hiérarchie, une image touchante de la famille[78]. Au milieu d'une nation si turbulente, si fière, livrée à des passions si violentes et si guerrières, s'ils n'eussent eu des vassaux (p. 62) fidèles, certes, jamais les rois de France n'eussent pu contenir tant de vassaux qui se révoltoient; et l'anarchie qui troubla trop souvent leur empire n'eût cessé qu'avec l'entier anéantissement de cette nation, qui portoit en elle-même un principe de destruction auquel jamais gouvernement monarchique n'a pu résister.
Ce principe de destruction étoit l'incertitude de l'hérédité et de la succession au trône dans la famille du souverain. Attachés au sang de leurs rois, les Francs ne connoissoient point encore la loi salutaire qui désigne un seul héritier et qui reconnoît pour tel l'aîné des enfans, ou, à défaut d'enfans, le parent le plus proche: ils choisissoient le prince qui leur sembloit le plus digne de commander, parce que la principale attribution de leurs rois étoit d'être leurs chefs militaires, le plus beau de leurs droits et le premier de leurs devoirs celui de commander les armées; d'où il résultoit que des collatéraux, des bâtards mêmes, pouvoient obtenir une juste préférence sur la postérité du prince régnant. Ce fut pour leur ôter la liberté du choix, que Clovis, retrouvant cette férocité première que le christianisme sembloit avoir adoucie et même entièrement détruite en lui, poursuivit jusqu'à leur entière extermination tous les princes de son sang[79]. Et toutefois, après tant de crimes, il (p. 63) ne sut faire autre chose[80] que démembrer et partager entre ses quatre fils le royaume qu'il avoit créé et qu'il n'avoit su maintenir dans l'ordre et dans la paix que parce qu'il y avoit régné sans partage. Alors commencèrent ces guerres funestes et continuelles entre des frères avides et (p. 64) jaloux, cette effroyable suite de vengeances et de trahisons, de violences, d'empoisonnements, d'assassinats dont l'histoire des deux premières dynasties nous présente trop souvent l'odieux et dégoûtant tableau. La race de Clovis ayant commencé à dégénérer, les maires du palais s'emparèrent de (p. 65) l'autorité, et ce changement produisit des guerres et des dissensions nouvelles. Une confusion horrible bouleversa l'empire français; et dans ce désordre général chacun put méconnoître une autorité qui n'avoit plus la force ni de punir ni de protéger. Elle ne fut point cependant tellement méconnue, cette autorité suprême, qu'une main vigoureuse ne pût encore rassembler ces parties éparses d'un grand état, et leur imprimer, de nouveau, le mouvement et la vie. C'est ce que fit Charlemagne, le plus grand homme de son temps, et l'un des hommes les plus étonnants qui aient paru dans aucun temps. Mais après sa mort, la foiblesse de ses successeurs, et surtout la loi désastreuse du partage de l'autorité, amenèrent des troubles nouveaux et peut-être encore une plus grande confusion. À ces calamités domestiques se (p. 66) joignit une autre calamité, les incursions terribles des Normands, nouveaux barbares qui, pendant près d'un siècle, ne cessèrent de traverser la France en tous sens, ravageant les campagnes, saccageant les villes, massacrant leurs habitants ou les emmenant en esclavage. La foiblesse des descendants de Charlemagne, plus grande encore que celle de la postérité de Clovis, les fit bientôt tomber d'un trône dont ils s'étoient rendus indignes; et ils tombèrent aux acclamations de toute une nation qui alors, on ne doit point se lasser de le redire, n'avoit ni sur l'hérédité légitime, ni sur l'ordre de la succession au pouvoir politique, les idées plus salutaires et plus justes que depuis elle a su acquérir, et qu'un long usage a consacrées au milieu d'elle, pour son bonheur et pour sa gloire. Dans ces premiers temps de la monarchie française ce n'étoit pas un droit suffisant au trône que d'être du sang royal: il falloit encore être utile à la nation pour prétendre à devenir son roi.[81]
(p. 67) Ainsi s'explique ce qu'on appelle l'usurpation des maires du palais sous la première race et celle des comtes de Paris sous la seconde: les deux (p. 68) races étoient tombées dans le mépris[82]. Sous des princes foibles s'étoient élevés des chefs guerriers devenus par leurs hautes qualités des objets d'estime, d'attachement et d'espérance pour une nation toute guerrière: elle choisit pour la commander celui qui lui sembla le plus digne; et en rejetant de même qu'en remplaçant des races dégénérées, ni la nation qui choisissoit le nouveau roi, ni les chefs qui avoient dirigé et confirmé son choix, ne pensoient avoir commis une action coupable devant Dieu et devant les hommes. Il n'est rien de plus déraisonnable que cette disposition qui nous porte à juger les siècles passés avec les idées et d'après les lois, les coutumes et les préjugés du siècle où nous vivons, rien qui indique davantage une profonde ignorance et les vues étroites de (p. 69) l'esprit: c'est là une des principales sources de tant d'erreurs et d'absurdités dont se compose la politique des sophistes de nos jours.
Au milieu de tant de désordres et de calamités publiques, les liens de la subordination féodale s'étoient sans doute fort relâchés: profitant de cette extrême foiblesse du pouvoir politique, chacun cherchoit à se rendre indépendant; et c'est une tendance naturelle et malheureuse de l'esprit humain. Toutefois le principe monarchique que le vasselage avoit si long-temps contribué à maintenir, restoit encore comme gravé dans le fond des cœurs; ce fut le vasselage lui-même qui rassembla en quelque sorte les membres épars de la monarchie pour la constituer de nouveau; car Hugues Capet n'étoit ni plus illustre par sa naissance, ni plus puissant par ses domaines que beaucoup d'autres grands vassaux de la couronne; et ce fut uniquement parce que ceux-ci lui prêtèrent foi et hommage et le reconnurent pour leur seigneur, qu'il fut roi[83]. Ici commence le (p. 70) temps des grandes polices, comme dit Mézeray: une loi de l'hérédité au trône plus régulière, plus monarchique, affermit la puissance des princes, et leur fournit les moyens de reconquérir par degrés ce que le malheur des temps leur avoit fait perdre d'influence et d'autorité; et peut-être allèrent-ils depuis trop loin dans une route où si long-temps ils s'étoient vus forcés de rétrograder: c'est ce que nous aurons occasion d'examiner. Il n'est question ici que de chercher si le régime féodal fut un bien ou un mal pour la France; (p. 71) et sur ce sujet nous croyons avoir déjà rempli une partie de la tâche que nous nous sommes imposée.
Que l'on se fasse une juste idée de ce qu'étoit la Gaule sous ces deux premières races, ainsi livrée à des peuples, féroces et grossiers qui l'avoient si long-temps ravagée, et qui, partagés sous différents chefs décorés du nom de roi, se la disputoient encore plusieurs siècles après l'avoir conquise; qu'on se la représente soumise à un pouvoir monarchique si mal constitué, à l'action duquel on échappoit de toutes parts par la difficulté des communications[84], par l'insuffisance des moyens d'administration matérielle, depuis si (p. 72) prodigieusement perfectionnés, et parvenus de nos jours à une perfection que l'on peut appeler désespérante; que l'on considère cette vaste contrée, si long-temps désolée, tourmentée par cette race d'hommes turbulents et impatients du joug; de nouveau tourmentée, désolée, et pendant plus d'un siècle, par d'autres barbares[85], qui, dans leurs continuelles incursions, en attaquent et en isolent les unes après les autres toutes les parties; et qu'ensuite on essaie d'imaginer une forme d'administration, nous ne dirons pas plus propre à conserver un tel pays que l'administration féodale, mais au moyen de laquelle il eût été même possible de le conserver: on ne la trouvera point. Dans un grand empire, presque toujours mal gouverné, qui très-souvent même n'étoit point gouverné, tout grand propriétaire se trouvoit naturellement substitué à ce gouvernement suprême qui sembloit l'avoir abandonné; et devenu lui-même souverain, protégeoit, défendoit, punissoit, récompensoit, encourageoit, maintenoit dans l'ordre et dans la subordination, la population plus ou moins nombreuse que la loi de la féodalité avoit mise sous sa dépendance: c'étoit, nous le répétons, une vivante image de la famille; et pour louer une telle (p. 73) institution autant qu'elle mérite de l'être, nous appellerons en témoignage l'un de ses plus grands ennemis: «Le gouvernement féodal, dit Mably, étoit sans doute ce que la licence a imaginé de plus contraire à la fin que les hommes se sont proposée en se réunissant en société[86]. Cependant, malgré ses pillages, son anarchie, ses violences et ses guerres privées, nos campagnes n'étoient pas dévastées comme elles le sont aujourd'hui. L'espèce de point d'honneur qu'on se faisoit de compter beaucoup de vassaux dans sa terre servoit de contre-poids à la tyrannie des fiefs. Loin de dévorer tout ce qui l'entouroit, le seigneur principal faisoit des démembrements de ses terres pour se faire des vassaux, et les familles se multipliaient sous sa protection.»
«Je le demande à tout homme sensé et impartial, s'écrie un illustre écrivain de nos jours[87]: si le régime qui multiplie les hommes, protége les familles, les appelle à la propriété, et préserve les campagnes de la dévastation, est contraire à la (p. 74) fin de la société, quelle est donc la fin de la société, et quel est le régime qui lui convient? Si c'est là de l'anarchie et de la tyrannie, quel nom donnerons-nous à l'anarchie et à la tyrannie dont nous avons été les témoins et les victimes? À des seigneurs guerroyans ont succédé des gens d'affaires avides, des procès ruineux à des incursions passagères, et des impôts excessifs à des redevances ridicules. Les campagnes n'y ont pas gagné; et à part celles que vivifie, en les corrompant, le voisinage des villes, les autres se sont appauvries et dépeuplées.
«Il faut le dire, puisque la force de la vérité en arrache l'aveu à l'inconséquent écrivain que nous venons de citer[88], le régime féodal a peuplé les campagnes; le régime fiscal, commercial, philosophique a agrandi les villes: l'un appelle le peuple à la propriété par des démembrements et des inféodations de terres; l'autre le fait subsister par des fabriques, en attendant de l'enrichir par des pillages. Celui-ci procure à l'homme une subsistance précaire et variable, comme les chances du commerce, et qu'il reçoit tous les jours sous la forme d'une aumône du fabricant qui l'occupe; celui-là donne à la famille un établissement indépendant de l'homme et fixe comme la nature; l'un en un mot donne des (p. 75) citoyens à l'état, l'autre élève des prolétaires pour les révolutions; et quelle que soit la manie de la déclamation, comme il faut toujours revenir aux faits, il est à remarquer que l'établissement des manoirs champêtres date presque toujours du temps de la féodalité, et que la destruction des nombreux hameaux, dont on retrouve les vestiges dans les campagnes et le nom dans les chartes, a concouru avec les progrès du commerce et l'accroissement des cités.»
Mais de grands abus, dira-t-on, firent dégénérer une institution dont le principe étoit bon peut-être; et l'histoire des temps de la féodalité signale des actes oppressifs et tyranniques, des guerres intestines et sans cesse renaissantes, des trahisons, des révoltes, et surtout, dans ses derniers siècles, un système général d'indépendance qui ressembloit au désordre et à l'anarchie. Qui prétend nier ces choses? certes, le plus grand des prodiges eût été que, dans des siècles aussi grossiers, une race d'hommes qui n'avoit d'autre passion que celle de la guerre, d'autre occupation que les exercices violents qui en sont l'image, n'eût pas abusé d'un pouvoir qui lui étoit en quelque sorte abandonné, n'eût pas considéré toutes ses usurpations comme des droits, lorsque ses chefs étoient impuissants à réclamer d'elle aucun devoir. Voit-on autre chose parmi les nations qui s'enorgueillissent le plus de leur civilisation, dès (p. 76) que la main qui les gouverne laisse un moment flotter les rênes, et ne se montre plus assez ferme pour les ressaisir? Sied-il bien aux hommes du dix-huitième siècle, du siècle de l'industrie, du commerce, des sciences exactes, du siècle qui s'est donné lui-même le nom de siècle des lumières, et qui en conservera éternellement le sobriquet, sied-il bien à ces hommes de s'indigner en parlant de révoltes, de trahisons, de tyrannie, d'anarchie, d'oppression des peuples, de guerres intestines, de mépris pour le sang et la dignité de l'homme, de violation de toutes les lois naturelles de la société? Quel spectacle nous a-t-il offert, sans compter tout le reste, ce siècle follement orgueilleux et lâchement cruel? la force violant la propriété, afin d'exercer sans nul obstacle sa fureur de détruire. Que voyons-nous dans ces siècles qu'il ose poursuivre de son insolent dédain? la force devenue conservatrice, parce qu'elle avoit été rendue propriétaire; et par suite de ces institutions que l'on appelle sottement stupides et barbares, une société qui compte quatorze siècles d'existence, ce qui ne s'est jamais vu ni dans aucun temps ni dans aucun pays.
Toutefois gardons-nous d'attribuer uniquement au régime féodal ce prodige sans exemple de durée et de prospérité. Ce régime avoit en lui-même, comme tout ce qui est purement humain, son principe de destruction; et ce principe eût (p. 77) sans doute prévalu, si la puissance au-dessus de l'homme qui avoit formé cette société naissante ne l'eût soutenue en perfectionnant et affermissant ce qu'elle avoit de bon et de naturel dans ses institutions. Nous ferons voir bientôt comment, sans la religion chrétienne, ce même régime féodal, qui devint un instrument de conservation, auroit, au contraire, tout divisé et tout détruit.
Un tel gouvernement, au moyen duquel la puissance et les honneurs étoient dévolus à celui qui possédoit la terre et qui la faisoit cultiver, n'étoit point favorable sans doute à l'accroissement des villes: la noblesse française dédaignoit d'y séjourner; elle habitoit constamment la campagne, «et son séjour, dit l'écrivain que nous venons de citer[89], y étoit utile pour elle et pour le peuple par mille raisons domestiques et politiques.» Mais pour expliquer clairement un tel usage, et montrer que non-seulement il étoit utile, mais nécessaire, il convient de remonter encore jusqu'à l'établissement des bénéfices, c'est-à-dire jusqu'aux temps qui précédèrent la conquête.
Toutes les provinces de la Gaule étant successivement devenues frontières, ainsi que nous l'avons déjà dit, les troupes stationnaires en (p. 78) avoient ainsi occupé successivement toutes les parties; et les camps ainsi que les châteaux s'étoient multipliés dans l'intérieur du pays. Ils furent toujours établis dans le voisinage des cités; et par suite de ces établissements se formèrent des cantons qui, dans l'origine, n'étoient que des démembrements du territoire de ces cités, dont on avoit composé des propriétés pour les comtes, les ducs, les soldats châtelains, qui commandoient et défendoient la contrée. Ces terres reçurent bientôt une sorte d'anoblissement de la noble profession de ceux qui les possédoient: dès lors on mit une grande différence entre les cantons et les domaines des cités; et les habitants de ces terres privilégiées furent long-temps les seuls que l'on nommât cantonniers[90].
Cette disposition ne fut point changée sous les rois francs, et ne pouvoit l'être. Les bénéfices cantonniers continuèrent d'être possédés uniquement par les familles militaires[91]; il y eut des cantonniers francs, romains et barbares[92], parce qu'en effet, après la conquête, l'armée du conquérant se trouva composée d'un mélange de soldats de ces diverses nations; et tant que (p. 79) les chefs furent amovibles, ils prêtèrent hommage au roi comme vassaux de la couronne[93]. Quant aux bourgades et cités, elles étoient la demeure des bourgeois et plébéiens et de toute personne qui n'étoit point assujettie au service militaire. L'histoire nous apprend qu'elles appartenoient en toute propriété aux rois, qui se les partageoient lorsqu'ils régnoient conjointement ensemble, ou qui en faisoient don aux personnes qu'ils vouloient gratifier; qu'une telle possession n'avoit rien de commun avec le commandement militaire de la province, puisque des femmes pouvoient y prétendre, et que plusieurs reines reçurent de semblables donations à titre de douaire; que ces bourgeois et plébéiens, désignés sous le titre commun de provinciaux, bien qu'ils fussent distingués en plusieurs ordres de citoyens, étoient cependant, et quel que pût être leur rang, fort au-dessous des hommes militaires; qu'ils payoient des tributs comme sujets du fisc, et que, sous ce rapport, comme sous plusieurs autres, ils étoient soumis à la juridiction du comte[94]. On y apprend encore que, dans les environs des maisons royales, que ces provinciaux[95], sujets du fisc, étoient tenus de bâtir et d'entretenir, (p. 80) s'élevèrent des habitations où affluèrent des plébéiens de toutes les classes, attirés auprès de ces demeures privilégiées par diverses causes qu'il n'est point de notre sujet de rappeler ici: ainsi se formèrent les villes, qui reçurent ce nom de celui de villa, que portoit tout manoir royal; et elles devinrent plus ou moins considérables, selon que le souverain faisoit plus ou moins de séjour dans le palais autour duquel elles s'étoient formées; mais elles n'en restèrent pas moins soumises aux mêmes redevances que les bourgs et les cités; et l'on peut concevoir maintenant pourquoi la noblesse resta confinée dans ses terres où elle jouissoit, au milieu de ses vassaux, de tous les honneurs et prérogatives qui lui appartenoient, et comment elle tint à déshonneur d'habiter des lieux où elle eût été confondue avec les classes inférieures de la société.
Un capitulaire de Charlemagne établit une distinction entre ces maisons royales: celles qui se nommoient villæ capitaneæ étoient le séjour des rois pendant la paix. C'était là qu'ils déployoient toute la magnificence de leur représentation. Elles se composoient d'un palais pour le monarque et de bâtiments suffisants pour loger la suite nombreuse de ses domestiques et de ses officiers; et il n'y en avoit aucune qui n'eût un château fortifié, ce qui, par la suite, fit de ces demeures l'asile de toute la contrée environnante, pendant les longues incursions des Normands. (p. 81) Les autres manoirs royaux désignés sous le nom de villæ mansionales, hébergements, parements se composoient de simples bâtimens militaires[96] établis dans diverses parties du royaume, où les rois étoient reçus lorsqu'ils voyageoient, ou qu'ils se portoient sur le théâtre de la guerre. Telles étoient les habitations royales sous les deux premières races, et l'on peut dire qu'il n'y eut point de capitale du royaume, avant qu'un comte de Paris fût devenu roi[97].
Cependant, en raison de l'avantage de sa position au milieu d'un grand fleuve qui étoit pour elle une sorte de fortification naturelle, la ville de Paris fut toujours considérée comme un des points les plus importants du royaume, et ce fut l'un de ceux où se passèrent, dans les moments les plus critiques, ses plus mémorables événements. Nous trouvons que les rois de la première race y firent des séjours assez fréquents, entre autres Chilpéric et la reine Frédégonde; sous la seconde race, nous voyons Paris pillé par les Normands (p. 82) en 845; pillé une seconde fois et brûlé en 856 par ces mêmes barbares; en 862 ils pénètrent sur son territoire par sa partie méridionale, dévastent l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, abordent ensuite dans la Cité dont ils surprennent les habitants sans défense; pillent encore la ville et la réduisent de nouveau en cendres. Ce fut alors que Charles-le-Chauve, sous le règne duquel arrivèrent tous ces désastres, ordonna que les fortifications de Paris fussent relevées et augmentées, qu'on rétablît et qu'on réparât les châteaux situés sur le bord de la Seine, et notamment celui de Saint-Denis[98]. Avec ces nouveaux moyens de défense, et grâce aux dispositions prévoyantes et au courage intrépide de son évêque Goslin et du comte Eudes, cette ville put soutenir de la part des Normands un dernier siége plus long et plus acharné que les précédents. Constamment repoussés dans toutes leurs attaques, ils l'abandonnèrent enfin après treize mois de tentatives inutiles, et après lui avoir donné huit assauts consécutifs. Personne n'ignore qu'Eudes monta sur le trône après la mort de Charles-le-Gros, et qu'en lui auroit commencé la troisième race de nos rois, s'il n'étoit mort sans enfants. Cette circonstance rendit pour un moment la couronne aux princes de la famille carlovingienne.
(p. 83) Ce fut probablement encore la défense de Paris qui valut la royauté à son petit neveu Hugues Capet, et qui fit remonter sur le trône de France cette famille nouvelle qui ne devoit plus en descendre. L'empereur Othon II, en guerre contre Lothaire qui régnoit alors, s'étoit avancé en 978 jusque sous les murs de Paris, à la tête d'une armée de soixante mille combattants; il avoit brûlé un de ses faubourgs et insulté l'une de ses portes, lorsqu'il se vit attaqué sur les hauteurs de Montmartre par les forces réunies du comte Hugues Capet et de Henri, duc de Bourgogne, qui remportèrent sur lui une victoire décisive, s'emparèrent de tous ses bagages et le poursuivirent jusqu'à Soissons.
On peut donc comprendre maintenant pourquoi la ville de Paris, au commencement de la troisième dynastie, étoit encore, comme du temps de César, renfermée dans la Cité proprement dite. Elle avoit, sur les deux rives du fleuve, et dès la fin de la première race, quatre abbayes considérables aux quatre points cardinaux et presque à une égale distance: Saint-Laurent à l'orient, Sainte-Geneviève au midi, Saint-Germain-des-Prés au couchant, et Saint-Germain-l'Auxerrois vers le nord. Autour de ces monastères, s'élevoient les habitations des serfs et autres personnes qui en dépendoient, et ce fut là l'origine de ces faubourgs qui depuis ont tant contribué (p. 84) à l'embellissement et à l'agrandissement de cette capitale. Quant à la Cité, voici à peu près l'idée qu'on doit s'en faire: la cathédrale au levant, le grand et le petit Châtelet au nord et au midi, et le Palais des rois ou des comtes au couchant, en faisoient les quatre extrémités. On y voyoit aussi un palais pour l'évêque et une place publique ou marché. Des rues étroites et sales, des maisons[99] construites en bois, des églises d'une architecture lourde et gothique, remplissoient l'intervalle qui séparoit les grands édifices. Ces églises, dont plusieurs étoient des monastères, avoient des enclos assez considérables; et si l'on considère que l'île entière, bien qu'elle ait été agrandie par la réunion de deux autres petites îles qui étoient à sa pointe occidentale, n'a aujourd'hui que cinq cents toises de long sur cent quarante dans sa plus grande largeur, on pourra juger qu'elle contenoit alors une bien foible population[100]. (p. 85) En effet, quoiqu'on eût déjà abattu plusieurs vieilles églises avant la révolution, cet étroit espace renfermoit encore la cathédrale, le palais archiépiscopal, le palais de justice, dix paroisses, deux hôpitaux, deux communautés d'hommes, quatre chapelles, un marché, quatre places publiques, une bibliothèque et une prison. La plupart des églises ont été détruites; d'autres, à moitié ruinées, ont changé de destination; mais quelques-uns des principaux monuments, qui sont au nombre des plus remarquables de Paris, n'ont éprouvé aucune dégradation.
Paris, renfermé dans l'enceinte étroite d'une île, défendu par sa situation et par les fortifications qui l'environnoient, fut, pendant plusieurs siècles, une des places les plus fortes du royaume[101]. Abbon, déjà cité, nous apprend qu'en 886, lors de la dernière attaque des Normands, (p. 86) cette ville étoit encore entourée de murailles et flanquée de tours grandes et petites. Toutes ces tours étoient en bois.
Ce fut au moyen de ces fortifications déjà détruites par les Normands, et rétablies par Charles-le-Chauve, qu'elle put soutenir contre ces hordes barbares ce dernier siége si mémorable et qui devint le sujet d'une épopée[102]. On n'y entroit alors que par le Grand et le Petit pont. Quelques historiens ont confondu le Grand pont avec un autre pont que le même roi avoit fait construire à l'extrémité occidentale de la Cité, qui fut détruit pendant le siége même[103], et que remplaça le pont aux Colombes, ainsi appelé parce qu'on y vendoit des oiseaux. Ce dernier pont existoit (p. 87) encore dans le dix-septième siècle; mais on ignore la date de sa construction, et il est très-incertain qu'il ait succédé à celui de Charles-le-Chauve, sur lequel on n'a d'ailleurs que de très-obscurs renseignements. Tout ce qu'on sait de ce pont aux Colombes, c'est que ses piles étoient en maçonnerie, et portoient un plancher de bois; il aboutissoit d'un côté au quai de la Mégisserie, et de l'autre à celui de l'Horloge. Ayant été détruit par la violence des glaces[104], on le reconstruisit, et l'on y plaça des moulins, ce qui lui fit donner le nom de pont aux Meuniers. S'étant écroulé une seconde fois en 1596, Charles Marchand, capitaine des trois cents arquebusiers et archers de la ville, proposa de le faire reconstruire à ses dépens, sous la condition qu'il porteroit son nom. Sa proposition fut acceptée, et il obtint des lettres-patentes à ce sujet. Ce pont fut achevé en 1609, et procura une commodité au public par le passage qui fut ménagé au milieu, et dont il ne jouissoit pas auparavant; car le pont aux Meuniers étant possédé à titre de cens, étoit fermé à ses deux extrémités, et ne s'ouvroit que pour l'usage de ceux qui l'habitoient. Le pont (p. 88) Marchand fut détruit en 1621 par un incendie. Le Grand pont, après avoir changé plusieurs fois de nom, porte maintenant celui de pont au Change; le Petit pont a conservé le sien.
Ces deux derniers ponts étoient encore, dans le quatorzième siècle, les seuls points de communication entre la Cité et les autres parties de la ville. Les divers ponts qui y aboutissent maintenant furent élevés à différentes époques, jusque vers le milieu du dix-septième siècle; et le pont Neuf est, sans contredit, le plus considérable de ces utiles monuments.
L'île de la Cité n'a pas toujours été telle qu'elle est aujourd'hui: elle finissoit anciennement à l'endroit où est la rue de Harlay. Le jardin du palais s'étendoit jusqu'à cette extrémité; et là, un petit bras de rivière le séparoit de deux îles, dont la plus grande, sur laquelle fut construite depuis la place Dauphine, se nommoit l'île aux Bureaux[105]. La plus petite, située du côté de (p. 89) Saint-Germain-l'Auxerrois, étoit appelée l'île à la Gourdaine, et l'on y voyoit un moulin à eau qui fut, sous François II, employé au service de la monnoie; à la pointe de l'île aux Bureaux, il y avoit une maison ou hôtel des Étuves[106]. Ces deux îles furent réunies à celle de la Cité, long-temps avant qu'on pensât à élever le pont Neuf, et changèrent alors leur nom en celui d'île du Palais.
Jusqu'au règne de Henri III, il n'y avoit point encore de bâtiments considérables dans le faubourg Saint-Germain, et tous les palais des princes, ainsi que les hôtels des grands seigneurs, étoient situés dans le quartier de la ville où s'élevoit le palais même du roi, autour duquel les personnes qui fréquentoient la cour devoient naturellement établir leur demeure. Vers ce temps, on commença à ouvrir quelques rues nouvelles dans ce faubourg, et l'on y bâtit plusieurs belles maisons que des gens de qualité habitèrent. À cette même époque, la partie de la ville proprement (p. 90) dite, qu'on nommoit alors le faubourg Saint-Honoré, se couvrit aussi de magnifiques hôtels jusqu'à la clôture nouvelle commencée, de ce côté, sous Charles IX. Il en résulta que les relations entre ces deux grands quartiers de Paris devinrent beaucoup plus fréquentes qu'auparavant, et qu'on sentit davantage l'incommodité d'une communication qui ne pouvoit se faire que par le pont Saint-Michel ou par bateau. Pour la rendre plus facile, le roi résolut donc de faire bâtir un nouveau pont à la pointe de l'île du Palais: la première pierre en fut posée le 31 mai 1578, du côté des Augustins, et l'on commença dès lors à y travailler; mais l'ouvrage étoit encore peu avancé, lorsque les guerres civiles forcèrent de le suspendre.
Il ne fut achevé que sous le règne suivant. Henri IV, conquérant et pacificateur de son royaume, au milieu des grands et utiles projets qu'il formoit pour le bien de son peuple, n'oublia point l'embellissement de sa capitale, et mit au nombre des premières constructions qu'il y fit exécuter la continuation des travaux du pont Neuf: ils furent achevés en 1604.
Ce pont, qui diffère des ponts[107] modernes par la courbe de ses arcs et par sa construction (p. 91) en dos d'âne, que les architectes d'alors jugeoient nécessaire pour la durée, fut long-temps considéré comme un des plus beaux de l'Europe, et n'est en effet qu'une construction lourde, irrégulière, et qui n'a d'autre mérite que celui de sa solidité. Il avoit été commencé sur les dessins et sous la direction d'un architecte nommé Androuet du Cerceau[108]; ce fut Guillaume Marchand qui le termina. Il est porté sur douze arches de plein cintre, qui se partagent inégalement des deux côtés de la pointe de l'île du Palais. On en compte sept sur le grand cours de l'eau, cinq sur le bras de la Seine du côté des Augustins, et la partie de l'île à laquelle ils aboutissent contient encore l'espace de deux arcades.
Au-dessus des arches règne une double corniche d'un pied et demi de large, soutenue par des mascarons. Ce pont a plus de cent quarante-quatre toises de longueur[109]: sa largeur est de douze, qu'on a partagées en trois parties, dont les dimensions n'ont pas toujours été les mêmes. Celle du milieu, qui sert au passage des voitures, n'avoit autrefois que cinq toises: des deux côtés s'élevoient pour les gens de pied des trottoirs qui s'étendoient sur les demi-lunes que forment les piles du pont; et dans ces espaces, (p. 92) vides alors, on tendoit, les jours ouvriers, de misérables tentes qui interceptoient la belle vue qu'offre Paris de ce côté, et embarrassoient le passage. Lors des réparations qui furent faites en 1776, les trottoirs furent baissés et rétrécis, et l'on construisit des boutiques en pierre de taille dans les demi-lunes[110].
La pointe de l'île du Palais, située vis-à-vis la place Dauphine, forme une espèce de môle carré, qu'on appeloit, avant la révolution, place de Henri IV, et au milieu duquel étoit placée la statue équestre de ce grand monarque[111]. C'est le premier monument de ce genre qu'on eût encore élevé à nos souverains. Avant cette époque, si l'on faisoit la statue d'un roi, c'étoit pour la mettre sur son tombeau, au portail de quelque église ou de quelque maison royale qu'il avoit fait bâtir ou réparer. Cette statue y fut placée[112] en 1613, sous la régence de Marie de Médicis. Elle étoit posée sur un piédestal de marbre blanc; aux quatre coins étoient attachés des trophées d'armes et des esclaves en bronze, de grandeur naturelle, représentant, dit Sauval, les quatre (p. 93) parties du monde, le tout soutenu par un soubassement de marbre bleu turquin. Dans toutes les descriptions de Paris, on trouve que la statue du roi avoit été exécutée par un sculpteur françois nommé Dupré, et que le cheval seul étoit l'ouvrage de Jean de Bologne, sculpteur italien: c'est une erreur qu'ont accréditée certaines circonstances qui jusqu'à présent n'avoient pas été assez connues. La vérité est que cet artiste, qui jouissoit d'une grande célébrité et qui étoit attaché au grand-duc de Toscane Ferdinand Ier, reçut de la cour de France la commission d'exécuter en entier ce grand monument et commença le cheval. Il ne l'avoit point entièrement achevé, lorsqu'il mourut en 1608. Alors Pierre Tacca, son élève, fut chargé de mettre la dernière main aux travaux que son maître avoit laissés imparfaits. Ce sculpteur acheva donc le cheval, fit la statue du roi[113], et le monument entier fut terminé en 1613. Il avoit été embarqué le 13 avril de cette même année à Livourne pour être rendu à Paris par (p. 94) le Havre; mais le navire sur lequel il étoit chargé ayant fait naufrage sur les côtes de Sardaigne, ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que l'on parvint à retirer la statue du sable où elle étoit enfoncée et à la charger sur un autre navire. Elle n'arriva à Paris qu'en 1614. Un architecte nommé Marchand avoit déjà disposé l'emplacement et construit le piédestal sur lequel elle devoit être placée, et la première pierre en avoit été posée par Louis XIII le 2 juin de la même année. Enfin le 23 août de la même année l'inauguration du monument fut faite par les principaux magistrats de la ville de Paris, le jeune monarque étant alors absent de sa capitale. Les esclaves qui décoroient les quatre coins de ce piédestal étoient réellement l'ouvrage de trois sculpteurs françois, Francavilla, Bordone et Tremblay.
Toutefois ce ne fut qu'en 1635, vingt et un ans après cette érection de la statue équestre de Henri IV, que furent achevés, sous le ministère du cardinal de Richelieu, les ornemens et bas-reliefs qui achevèrent la décoration du piédestal. Ce fut ce ministre qui en ordonna lui-même les inscriptions[114] et qui fit construire le carré ou (p. 95) massif de maçonnerie, au milieu duquel s'élevoit toute cette composition. Ces inscriptions expliquoient le sujet des bas-reliefs, qui étoient au nombre de cinq et représentoient plusieurs événements remarquables ou glorieux de la vie du grand roi. À droite, la prise d'Amiens par les (p. 96) Espagnols, et celle de Montmélian en Savoie; à gauche, les batailles d'Arques et d'Ivry; sur la face de derrière, l'entrée triomphante de ce prince dans la ville de Paris.
Il n'y a rien autre chose à dire de toutes ces sculptures, sinon que les meilleures étoient d'une grande médiocrité. On pouvoit en considérant cette statue et ce cheval, d'un style à la fois roide, lourd et mesquin, s'étonner de la réputation dont avoient joui Jean de Bologne et son élève; les captifs de bronze[115] ne valoient pas mieux que le monument qu'ils décoroient, mais n'étoient peut-être pas plus mauvais, et l'on en peut dire autant des bas-reliefs.
Ce fut sur le pont Neuf et devant la statue de Henri IV qu'une populace effrénée, après avoir exercé mille indignités sur le cadavre de Concini, si connu sous le nom de maréchal d'Ancre, vint (p. 97) en brûler les restes défigurés. Il est remarquable que cette même populace, si furieuse contre lui, après sa mort, avoit cependant beaucoup aimé, au temps de sa faveur, cet Italien, qui, avant les troubles, lui donnoit des fêtes, des tournois, des carrousels, dans lesquels il brilloit, disent quelques mémoires du temps, étant beau cavalier et adroit à tous les exercices. Un tel exemple montre pour la millième fois ce qu'est le peuple, et ce que valent ses affections. Cependant tant de preuves accumulées n'empêcheront point de malheureux insensés de rechercher encore ses vains applaudissements; et les leçons de l'histoire seront toujours perdues pour l'orgueil et pour l'ambition[116].
Près de la seconde arche du pont Neuf, du côté du Louvre, s'élevoit sur une charpente le bâtiment dit de la Samaritaine. Ce petit monument renfermoit une pompe au moyen de laquelle l'eau étoit distribuée, par divers canaux, au Louvre, aux Tuileries et au Palais-Royal. On ignore l'époque de sa construction, que quelques historiens attribuent à Henri III; mais il est probable qu'il fut l'ouvrage de son successeur. Quoi qu'il en soit de ce fait historique peu important à vérifier, cet édifice, qui tomboit en ruines au commencement du siècle dernier, fut détruit en 1712, et rétabli aussitôt au même endroit et dans une forme plus élégante. Il se composoit de trois étages, dont le second étoit au niveau du pont. Les faces latérales étoient percées de cinq croisées; sur la face principale, et dans un enfoncement en forme d'arcade, avoit été placé le cadran d'une horloge à carillon. On voyoit au-dessous, avant la révolution, un groupe en plomb doré qui représentoit Jésus-Christ, et la Samaritaine auprès du (p. 101) puits de Jacob. Ce puits étoit figuré par un bassin dans lequel tomboit une nappe d'eau sortant d'une coquille. La pompe en avoit été reconstruite en 1772[117].
Les deux figures, plus grandes que nature et d'une exécution assez médiocre, étoient de deux sculpteurs de l'académie, Bertrand et Frémin. On lisoit au-dessous l'inscription suivante, tirée de l'Écriture:
Fons hortorum,
Puteus aquarum viventium.
Cette inscription très-heureuse indiquoit à la fois le sujet du groupe et la destination du monument.
Au-dessus du cintre, s'élevoit un campanille en charpente, revêtu de plomb également doré, dont la lanterne renfermoit les timbres de l'horloge et ceux qui composoient le carillon.
Ce petit bâtiment avoit un gouverneur, parce qu'il étoit considéré comme maison royale; il a été entièrement démoli, il y a quelques années.
Avant Henri IV, il existoit à Paris de beaux monumens; mais aucun de nos rois n'avoit songé à embellir la ville elle-même, en y faisant construire une suite d'édifices sur un plan régulier. L'enceinte des murs contenoit encore une grande quantité de marais, de terres labourables, et il n'y avoit alors de places publiques que la Grève, les Halles, le Parvis-Notre-Dame, la place Maubert, celles du Chevalier-du-Guet, de Sainte-Opportune et de la Croix-du-Tiroir.
Lorsque le projet de bâtir le pont Neuf avoit été conçu, on avoit coupé l'île de la Gourdaine du côté du grand cours de l'eau; le moulin de la Monnoie avoit été détruit; et sur les deux côtés du triangle que forme ce terrain avoient été construits les deux quais que nous y voyons aujourd'hui. Commencés en 1580, ensuite interrompus, ils furent repris vers le temps où l'on finissoit le pont, et achevés en 1611. Tout l'espace qui s'étendoit depuis l'Éperon jusqu'au jardin[118] du (p. 103) Palais étoit encore en prairies. «C'étoit, dit Sauval, une solitude stérile, déserte et abandonnée, qui, tous les ans, étoit noyée et cachée sous l'eau.» Henri IV en fit don, l'an 1607, au premier président de Harlay, à la charge d'y faire bâtir suivant les plans et devis qui lui seroient donnés par le grand-voyer, et sous la condition de quelques redevances. Ce magistrat fit construire d'abord, le long des murs du jardin, une rue de maisons uniformes qui aboutit aux deux quais du grand et du petit cours d'eau, et qui fut nommée rue de Harlay.
Sur le plateau triangulaire que formoit le reste de l'île, on fit une place qui fut environnée de maisons à double corps de logis, dont l'un a vue sur la place, et l'autre sur les quais. Le plan en fut donné par le roi, qui la nomma Place Dauphine, en mémoire de la naissance de son fils Louis XIII. Cette place, dont la forme est aussi triangulaire, n'a que deux ouvertures, l'une au milieu de la basse du triangle, l'autre à son sommet, du côté du pont Neuf. Les maisons qui en forment l'enceinte furent construites dans un ordre régulier, et sur le même plan que celles de la rue de Harlay. Elles étoient toutes alors à quatre étages, couvertes d'ardoises, bâties de briques, et liées ensemble par des chaînes de pierre en bossage. Une corniche saillante et ornée de dentelures régnoit autour de la place et en couronnoit (p. 104) tous les édifices. Ce mélange de couleurs et cette régularité pouvoient produire à la vue un effet assez agréable; mais il n'en est pas moins vrai qu'une telle construction étoit mesquine et de mauvais goût, ce dont il est facile de juger par les grandes parties qui en subsistent encore[119]; elles prouvent que l'architecture, florissante sous François Ier et Henri II, avoit alors beaucoup perdu de son premier éclat: ce qu'il faut attribuer aux agitations des guerres civiles et au malheur des temps.
Lorsque ces édifices commencèrent à se dégrader, on permit aux propriétaires de faire reconstruire leurs maisons suivant leur goût et leurs idées particulières, d'où il est résulté que cette place a même perdu cette symétrie qui en faisoit le seul mérite[120].
Ce fut sur l'île dite depuis l'île aux Bureaux[121], et sur laquelle s'élève aujourd'hui cette place, que furent brûlés Jacques Molay, grand-maître des Templiers, et le maître de Normandie, le 18 mars 1313. Ce grand événement et la destruction de cet ordre célèbre, auquel on reprochoit des (p. 105) crimes et des abominations jusqu'alors inouïes, sont trop connus pour que nous en rappelions ici les circonstances. Ces moines étoient-ils innocens ou coupables? Cette question, sur laquelle aucun historien raisonnable n'avoit rien osé affirmer jusqu'à nos jours, est sans contredit la plus difficile, la plus obscure de toute l'histoire moderne; et les ténèbres qui la couvrent sembloient, avant la révolution françoise, ne pouvoir jamais être éclaircies. Cependant Saint-Foix, avec son audace et sa légèreté ordinaires, ne manque point, à l'occasion du supplice de ces deux personnages, de renouveler en leur faveur les allégations vagues et les déclamations furieuses de cette tourbe de prétendus philosophes dont il étoit le contemporain, déclamations et allégations dont le but étoit moins de prouver l'innocence des Templiers, que d'insulter, avec quelque apparence de raison, à toute autorité politique et religieuse. Ces apologistes hypocrites ont dit, dans leurs plaidoyers, beaucoup de mal des papes et des rois, et c'est là surtout ce qu'ils vouloient: quant à l'innocence de ces prétendues victimes de l'avarice et du despotisme, ils ne l'ont point prouvée, parce qu'il étoit impossible de le faire de manière à ne point laisser de réplique; et leurs adversaires les ont, plus d'une fois, extrêmement embarrassés, lorsqu'ils leur ont présenté les preuves si fortes, si singulières, que des actes et des témoignages authentiques élèvent contre ces moines, (p. 106) reconnus universellement pour des hommes livrés à tous les vices, à toutes les débauches, pour des séditieux, par cela seul dignes de punition. Ceux qui les défendent ont souvent allégué en leur faveur l'invraisemblance des crimes qu'on leur reproche: «Est-il probable, s'écrient-ils, que tant d'illustres guerriers, tant d'hommes d'une si haute qualité fussent coupables de crimes aussi atroces, d'aussi grossières, d'aussi honteuses turpitudes?—Est-il vraisemblable, pourroit-on leur répondre avec un auteur contemporain, que ces personnages si nobles eussent jamais avoué de telles infamies, si l'accusation n'eût été vraie? Non est verisimile quòd viri tam nobiles, sicut multi inter eos erant, unquàm tantam vilitatem recognoscerent, nisi veraciter ità esset....» (Baluze.) Si les apologistes répliquoient que la torture leur arracha beaucoup d'aveux, il seroit facile de donner la preuve que la plupart d'entre eux firent des aveux sans qu'on les eût torturés. Au reste nous aurons occasion d'examiner avec plus de détails cette grande question historique, et nous espérons y répandre quelques lumières que les travaux de plusieurs savants modernes nous ont procurées[122].
Cet événement présente une petite circonstance qui montre à quel point le droit de propriété (p. 107) étoit alors respecté, nos rois donnant alors eux-mêmes le premier exemple de ce respect, fondement le plus solide de toute société. Philippe-le-Bel, aussitôt après le supplice des Templiers, écrivit aux religieux de Saint-Germain, pour leur déclarer que, par cette exécution, il n'avoit point prétendu porter atteinte aux droits qu'ils avoient sur le terrain où elle s'étoit faite. Cette déclaration se trouvoit dans les registres de la chambre des comptes et dans le trésor de chartes.
Dans l'espace qui est borné au midi par le pont Saint-Michel, au nord par le pont au Change, se trouvent plusieurs édifices, dont les plus remarquables sont le Palais et la Sainte-Chapelle.
Pour bien faire entendre l'histoire des églises, il est nécessaire que nous jetions un coup d'œil général sur l'établissement de la religion chrétienne en France, que nous examinions l'influence qu'elle a exercée sur l'esprit de la nation, (p. 108) et quelle fut l'existence civile et politique de ses ministres aux différentes époques de la monarchie. Ces observations nous conduiront à une explication claire de l'origine et de l'accroissement de tant d'établissements religieux, de tant de pieuses fondations que Paris renfermoit dans son sein, et qui, pendant une si longue suite de siècles, ont produit des effets si salutaires sur sa police et ses mœurs.
Toutefois, avant d'offrir un semblable tableau, qui se place naturellement à l'endroit où nous traiterons des paroisses et des monastères de la Cité, nous croyons devoir faire la description de la Sainte-Chapelle[123], non seulement parce que, dans l'ordre itinéraire que nous suivons, elle est la première église que l'on rencontre en sortant de la place Dauphine, mais par la raison plus forte que cette église séculière n'avoit de rapport avec (p. 109) aucune autre église de Paris, et fut bâtie par un saint roi pour une destination toute particulière.
Les croisades avoient apporté de grands changements dans la situation de l'Europe et de l'Asie. Après de longs combats, les croisés, maîtres des saints lieux et de toute la Palestine, s'étoient emparés de Constantinople, par une suite des divisions qui, dès le commencement, n'avoient cessé de régner entre eux et les Grecs; et ils y avoient fondé un nouvel empire. Il ne fut pas de longue durée. Après plusieurs règnes, tous malheureux et continuellement agités, les affaires en vinrent à une telle extrémité, que les Latins, manquant de vivres, assiégés par terre et par mer, abandonnés par un grand nombre de leurs principaux chefs, n'ayant plus enfin aucune ressource, se virent dans la triste nécessité d'engager une partie des reliques du trésor impérial, pour subvenir à leurs besoins les plus pressants; et les Vénitiens sembloient disposés à recevoir un tel gage pour sûreté d'une somme considérable qu'ils consentoient à prêter. Baudouin, héritier de l'empire, que l'empereur Jean de Brienne avoit envoyé solliciter des secours auprès de saint Louis, le supplia, ainsi que la reine Blanche sa mère, de ne pas permettre que la Couronne d'épines, la plus vénérée de ses reliques, fût portée ailleurs qu'en France; et lui proposa, s'il vouloit l'empêcher de tomber entre les mains de ces insulaires, d'accepter (p. 110) le don qu'il lui en faisoit. Le monarque écouta avec joie une proposition si flatteuse pour sa piété, et envoya des ambassadeurs à Constantinople, avec tout pouvoir pour acquérir la sainte Couronne, et la retirer des mains des Vénitiens, si elle étoit déjà engagée. Ces envoyés s'acquittèrent avec succès de leur mission, trouvèrent aide et protection par tous les pays où ils passèrent, et revinrent heureusement en France. Dès que le roi fut informé de leur retour, il alla jusqu'à Troyes au-devant de la précieuse relique, avec la reine sa mère, ses frères et un nombreux cortége de seigneurs, entra avec elle à Sens, portant lui-même le brancard sur lequel elle étoit déposée, et l'accompagna jusqu'à Paris, où l'on arriva, après huit jours de marche, le 18 août 1239[124]. Une foule immense de peuple l'attendoit hors de la ville, près l'église Saint-Antoine-des-Champs, impatiente de jouir d'un spectacle aussi auguste. Là, sur un échafaud qui avoit été dressé à l'avance pour cette cérémonie, la sainte Couronne fut exposée à tous les yeux. Tout le clergé vint processionnellement au-devant d'elle, et chaque église apporta ses plus précieux reliquaires. Alors le roi, déposant ses habits royaux, les pieds nus, et revêtu d'une simple tunique, se chargea de nouveau du brancard avec (p. 111) le comte d'Artois son frère. Un grand nombre d'évêques, d'abbés, de seigneurs marchoient devant, tête et pieds nus; dans ce touchant appareil, la sainte Couronne fut portée à la cathédrale, et de là déposée à la chapelle du Palais, dédiée alors sous le nom de Saint-Nicolas.
Cette chapelle avoit été bâtie par le roi Robert, deux cents ans avant saint Louis[125]. Les historiens ne sont point d'accord sur l'endroit où elle étoit située; cependant tout porte à croire que c'étoit dans l'emplacement même où s'élève l'édifice que nous voyons aujourd'hui: et déjà cette chapelle de Saint-Nicolas avoit remplacé une première chapelle bâtie par les rois de la première race, et dédiée sous le nom de saint Barthélemi. On croit que nos monarques avoient en outre des oratoires particuliers dans l'intérieur de leur palais, un entre autres au titre de la Vierge, dans lequel saint Louis transporta les reliques qu'il avoit acquises, tandis qu'il faisoit bâtir un monument plus digne de les recevoir.
Il en avoit conçu le projet aussitôt que la sainte Couronne avoit été entre ses mains: un événement (p. 112) nouveau, qui le rendit maître de presque toutes les reliques de la chapelle impériale de Constantinople, le confirma dans cette résolution. Baudouin, parvenu à l'empire, et non moins malheureux que son prédécesseur, n'avoit pu faire autrement que d'engager encore ces restes sacrés pour une somme considérable: il en fit l'abandon au roi dont il attendoit de nouveaux secours, aux mêmes conditions que la sainte Couronne. Ces saintes reliques dont nous allons donner le détail furent énoncées dans un acte authentique, daté du mois de juin 1247, signé de ce prince, acte par lequel il confirmoit la donation qu'il en avoit faite. Cette pièce étoit conservée, avant la révolution, dans les archives de la Sainte-Chapelle.
Un célèbre architecte de ce temps, nommé Eudes de Montreuil, fut chargé de la construction de la nouvelle chapelle; et l'on croit que ce fut en 1240 qu'en furent jetés les premiers fondements. Il y déploya une grande habileté, et y employa tout le luxe d'ornement, toute la légèreté de construction que l'architecture gothique avoit empruntée des Arabes, et qui en faisoit alors le principal caractère. Ce monument est travaillé avec toute la délicatesse d'une châsse en orfévrerie; et après six cents ans, c'est encore un des édifices les plus curieux et les plus élégants de Paris. Il fut achevé et dédié en 1248.
(p. 113) Cette église est double, et formée d'une seule nef: la chapelle supérieure, à laquelle on monte par un escalier de quarante-quatre degrés, est précédée d'un vestibule en forme d'ogives, que couronne une plate-forme. Cette plate-forme, qui se trouve au niveau de la rose, est terminée par une balustrade ornée d'aiguilles; une seconde balustrade règne à la base du fronton qu'accompagnent deux autres aiguilles, dont la hauteur surpasse son sommet. Le corps entier de l'édifice se compose de jambages très-légers, qui se rapprochent les uns des autres dans la partie du rond-point, et que surmontent également des aiguilles extrêmement délicates. Les intervalles en sont remplis par de longues croisées en ogives, au-dessus desquelles s'élève encore un mur d'appui qui parcourt toute l'étendue du monument[126].
Le portail de la chapelle supérieure, dont l'arcade est aussi en forme d'ogive, est dépouillé de tous les ornements de sculpture dont il étoit décoré, et la place qu'ils occupoient se trouve maintenant recouverte d'un enduit de maçonnerie. Ces sculptures, (p. 114) suivant l'usage des douzième et treizième siècles, représentoient le jugement dernier. Au pilier qui sépare les deux battants de la porte étoit une statue de Jésus-Christ bénissant de la main droite, et tenant un globe de la gauche. Dans le support on avoit sculpté les Prophètes; des deux côtés on voyoit des hiéroglyphes (ce qui étoit encore un usage de ces temps-là), et quelques traits de l'Écriture sainte, entre autres l'histoire de Jonas. Au-dessous un écusson offroit la fleur de lys mêlée aux armes de Castille, par allusion à Blanche, mère du fondateur[127].
Les vitraux, qui existent encore, sont un monument précieux de ce qu'étoit la peinture sur verre à l'époque du treizième siècle. L'état de barbarie où languissoient alors tous les arts qui dépendent du dessin, porte à croire que, dans ces temps-là, elle ne différoit guère de ce qu'elle avoit été dans son origine, laquelle toutefois remonte en France à une époque beaucoup plus reculée; car, dès le sixième siècle, il est question de vitres peintes dans les vieilles chroniques. Celles de la Sainte-Chapelle sont remarquables par leur hauteur, la variété et la vivacité de leurs teintes. L'ordonnance des tableaux qu'elles représentent est bizarre, leur fabrication plate et sans effet; le dessin des figures, tracé sur un fond uni, (p. 115) est accompagné seulement de quelques hachures, afin de donner un peu de relief au sujet, et ce dessin est tout-à-fait barbare; mais cette vivacité éblouissante des couleurs, que tant de siècles n'ont pu altérer, fait encore l'étonnement et l'admiration des connoisseurs[128]. Nous verrons, dans les âges suivants, l'art de la peinture sur verre se perfectionner sous le rapport du style et du dessin, mais sans jamais surpasser ni peut-être égaler cet admirable coloris. Ces vitraux, qui représentent divers traits de l'Ancien et du Nouveau Testament, sont tous du temps de la construction de l'église, à l'exception de celui qui est au-dessus de la porte, et qui a pour sujet les visions de l'Apocalypse. On le croit de la fin du quatorzième siècle.
L'édifice inférieur, qu'on nomme basse Sainte-Chapelle, servoit autrefois de paroisse aux domestiques des chanoines et chapelains, aux habitants de la cour du Palais, et à toutes les personnes attachées au service de la Sainte-Chapelle[129]; on y entroit par une porte latérale, maintenant obstruée par des échoppes. Les épitaphes d'un grand nombre de chanoines et dignitaires qui ont été enterrés dans ses caveaux en formoient le pavé; et dans ces mêmes caveaux (p. 116) étoit déposé le corps du célèbre Boileau: le poète reposoit auprès de ses héros, et, dit-on, sous la place même du lutrin qu'il avoit chanté[130]. Sur le portail étoit une image de la Vierge, qui a été renversée et détruite[131], ainsi que toutes les figures placées dans les niches extérieures latérales. Autour des murs intérieurs règne un rang de colonnes extrêmement déliées, qui sont les seuls supports de l'édifice supérieur.
Cette église basse étoit desservie par un curé vicaire perpétuel, à la nomination du trésorier à qui appartenoit la place de curé primitif.
Dans les titres de fondation de la Sainte-Chapelle, il n'est fait mention que de chapelains; et saint Louis, qui porta le nombre total des desservants jusqu'à vingt et un, en établit en effet cinq principaux[132]. Cependant on ne peut douter que (p. 117) les membres supérieurs de ce chapitre n'aient été honorés du titre de chanoines dès les premiers temps[133]; et un réglement de Charles V, du mois de janvier 1371, ne laisse aucun doute à ce sujet[134]. Leur chef, qui dans l'origine étoit appelé maître chapelain ou maître gouverneur de la Sainte-Chapelle, reçut, en 1314, le titre de trésorier, dans le testament de Philippe-le-Bel, comme étant spécialement chargé de la garde du trésor des saintes reliques. En 1379, Clément VII lui accorda le privilége de porter la mitre et l'anneau. La dignité de chantre avoit déjà été fondée, en 1319, par Philippe-le-Long. Du reste, cette basilique, qui jouissoit de tous les priviléges et prérogatives accordés aux églises de fondation royale, avoit encore l'avantage d'être exempte de la juridiction épiscopale, et de relever immédiatement du saint Siége.
(p. 118) CURIOSITÉS DE LA SAINTE-CHAPELLE.
RELIQUES ET AUTRES OBJETS PRÉCIEUX.
Dans une grande arche de bronze doré appelée la grande châsse de la Sainte-Chapelle, et qui étoit placée sur une voûte gothique, derrière le maître autel, étoient renfermées les reliques données à saint Louis par l'empereur Baudouin; elles y étoient conservées dans des tableaux et des vases de cristal. En voici le détail:
1o La couronne d'épines de Notre-Seigneur; 2o une grande partie du bois de la vraie croix; 3o un morceau du fer de la lance; 4o une portion du manteau de pourpre; 5o des morceaux du roseau et de l'éponge; 6o des drapeaux de son enfance; 7o le linge dont il se servit au lavement des pieds; 8o des cheveux de la sainte Vierge; 9o une portion de son voile; 10o le haut du chef de saint Jean-Baptiste; 11o un morceau de la pierre du sépulcre, et plusieurs autres reliques non moins précieuses[135].
Dans deux grandes armoires placées dans la sacristie, un grand nombre de reliquaires en or et en argent, enrichis de pierres précieuses, et contenant les reliques d'un grand nombre de saints, apôtres, martyrs, confesseurs, etc., entre autres, de St. Pierre, de St. Matthieu, de St. Jacques-le-Mineur, de St. Siméon, de St. Philippe, de St. Étienne, premier martyr, de St. Jérôme, de St. Martin, de St. Dominique, de St. Georges, de Ste. Barbe, de Ste. Ursule, etc.
Une croix qui fut faite par ordre de Henri III, et en vertu de lettres-patentes données à Paris en 1575. Elle étoit d'argent doré ainsi que son pied supporté par quatre figures de lions. Le bois de la vraie croix[136] en couvroit tout le milieu; et cette croix, toute chargée de pierres précieuses, portoit un Christ en or massif.
(p. 119) Le chef de saint Louis en or, de grandeur naturelle, soutenu par quatre anges, et garni de pierres précieuses.
L'étui dans lequel avoit été apporté en France le principal morceau de la vraie croix donné par saint Louis à la Sainte-Chapelle. Cet étui, garni en dedans d'une lame d'argent doré, paroissoit, par les creux intérieurs qui y avoient été pratiqués, avoir contenu trois morceaux de la vraie croix, sous la forme de trois croix grecques de différentes proportions. Le plus considérable, celui qui fut déposé dans la grande châsse, et qui étoit le plus grand que l'on connût, avoit, lorsqu'il fut apporté à la Sainte-Chapelle, de largeur deux pouces sur un pouce et demi d'épaisseur, et deux pieds six pouces sept lignes de hauteur. Dans la partie supérieure de ces creux intérieurs de l'étui, étoient représentés quatre anges en adoration, et dans la partie inférieure, sainte Hélène et son fils Constantin debout au pied de la croix.
Deux manuscrits contenant des textes d'Évangiles, ornés de vignettes, recouverts de plaques d'or et d'argent ciselées, d'émaux, de pierres précieuses; l'un du 14e siècle, l'autre d'une très-haute antiquité.
Trois croix, désignées sous les noms de croix de Bourbon, croix de Venise, croix de Bavière, enrichies de pierres du plus grand prix.
Des calices, des soleils, des figures en ivoire, en or, en argent; d'anciens missels, d'anciens ornemens, etc., etc. Tous ces objets étoient remarquables à la fois par leur richesse et par leur haute antiquité.
Un buste d'agate-onyx qui servoit d'ornement au bâton cantoral dans les grandes solennités. On avoit cru que ce buste offroit une image de l'empereur Valentinien III; et l'on y avoit adapté une draperie en vermeil et deux bras en argent qui portoient, de la main droite, une couronne d'épines, de la gauche, une croix grecque en vermeil. Depuis on a reconnu que ce buste étoit celui de l'empereur Titus[137].
La fameuse sardoine-onyx à trois couleurs, représentant l'apothéose d'Auguste: cette pierre gravée, unique dans le monde par son volume, et dans laquelle la beauté du travail répond au prix de la matière, avoit été donnée à la Sainte-Chapelle en 1379, (p. 120) ainsi que l'attestoit une inscription gravée sur le socle. On ignore comment et à quelle époque cette agate a été apportée en France. Il paroît, par les ornements dont elle étoit entourée, que, dès le temps où elle appartenoit aux empereurs grecs, l'ignorance en avoit fait un sujet de piété[138]. On croyoit qu'elle représentoit le triomphe de Joseph. Le piédestal en étoit orné de reliques; il étoit d'usage de l'exposer aux bonnes fêtes, et il arrivoit quelquefois de la porter processionnellement[139]. Ceci dura jusqu'en 1619, que le savant M. Peiresc reconnut le véritable sujet de ce bas-relief qui est l'apothéose d'Auguste[140].
Au-dessous du maître-d'autel, sous la crosse de l'ostensoir, le modèle de la Sainte-Chapelle en vermeil et dans la proportion de 3 à 4 pieds. Cet ouvrage, d'un travail extrêmement délicat, que plusieurs ont cru aussi ancien que l'édifice même, n'avoit été exécuté qu'en 1630 par Pijard, orfèvre, garde des reliques de la Sainte-Chapelle, et étoit un don de Louis XIII.
TABLEAUX.
Sur deux petits autels séparés par la porte du chœur, deux petits tableaux en émail, formant différents cartouches où étoient représentés des sujets de la passion de Notre-Seigneur. Dans celui de la droite, on voyoit Henri II et Catherine de Médicis; dans celui de la gauche, François Ier et la reine Éléonore son épouse. Ces deux tableaux, exécutés en 1553, étoient de Léonard Limosin, émailleur, peintre de la chapelle du roi.
Du côté de l'épître, et dans une petite chapelle, appelée oratoire de saint Louis, où ce monarque se retiroit pour entendre l'office, un grand tableau représentant l'intérieur de la grande châsse, avec toutes les reliques dans l'ordre où elles y étoient rangées, et saint Louis à genoux devant ces reliques.
Sur la croisée, saint Louis à genoux devant une croix entrelacée d'une couronne d'épines.
Un modèle en terre cuite de la Notre-Dame-de-Pitié que Germain Pilon avoit exécutée en marbre pour le roi. La Vierge y est représentée assise, la tête voilée, les mains croisées. On admire surtout l'expression de la tête[141].
Sur des trumeaux autour de l'église, les figures des douze apôtres, d'un gothique meilleur que celui des figures du portail, ce qui a fait présumer qu'elles étoient d'un temps postérieur à la construction de l'édifice.
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Le célèbre Montreuil, architecte de la Sainte-Chapelle et mort en 1266, avoit été enterré dans le chœur de cette église. On le voyoit représenté sur sa tombe, tenant une règle et un compas à la main.
Dans un caveau sous l'arcade la plus proche du grand autel, étoit la sépulture des trésoriers et chanoines de la Sainte-Chapelle. Le collége de la Sainte-Chapelle a été pendant long-temps une pépinière de prélats illustres, de magistrats et d'hommes de lettres distingués.
Dans cette description que nous venons de donner de la Sainte-Chapelle, nous n'avons pu indiquer que sommairement toutes les richesses qui y étoient renfermées. Toutefois le zèle religieux du saint roi qui en étoit le fondateur ne se borna point à ces actes d'une magnificence toute royale[142]: tous les ans, le jour du vendredi saint, il se rendoit en grand appareil à la Sainte-Chapelle; (p. 122) et là, revêtu de ses habits royaux, il exposoit lui-même les monuments de la passion à la vénération du peuple. Cet exemple fut suivi par plusieurs de ses successeurs[143], auxquels il laissa les plus grands exemples de courage et de piété qu'aucun monarque ait jamais donnés. Il semble que le président Hénault n'a point assez senti tout ce qu'il y avoit d'admirable dans ce pieux et grand roi. Il l'admire sans doute lorsqu'il le voit réduisant les rebelles, combattant les ennemis de son royaume, rendant à ses peuples une justice exacte et vigilante; mais cet historien, abusant ensuite d'un mot employé par le père Daniel, le trouve singulier, lorsqu'il le voit, dans son intérieur, donnant à la prière le temps qu'il pouvoit dérober aux affaires, témoignant une entière déférence à sa mère, une douceur paternelle à ses domestiques. Peu s'en faut qu'il ne le présente alors comme tombé dans un état d'imbécillité. «Dans ces moments, dit-il, ses domestiques devenoient ses maîtres, sa mère lui commandoit, et les pratiques de la dévotion la plus simple remplissoient ses journées.» Ce qui semble petit au président Hénault, à nos yeux est sublime; (p. 123) et comme, d'après son propre aveu, les vertus solides et la noble fermeté qui composoient le caractère de saint Louis ne se sont jamais démenties, ce mélange touchant de grandeur et d'humilité nous offre un être presque au-dessus de l'humanité, un héros tel que le paganisme n'en pouvoit produire, en un mot, le véritable héros chrétien[144].
C'étoit dans deux salles voûtées qui faisoient partie des bâtiments de la Saint-Chapelle, qu'étoit placé le trésor des chartes, ou le dépôt des titres de la couronne, des diplômes de nos rois, des traités de paix et d'alliance, des ventes, dons, échanges, etc. Autrefois, et jusque dans les premiers temps de la troisième race, ces princes avoient coutume de faire porter avec eux, dans leurs voyages, leurs titres, leurs reliques et tout ce qu'ils avoient de plus précieux. Philippe-Auguste ayant eu le malheur d'être surpris un jour au milieu de cet attirail, et de tomber dans une embuscade que les Anglois lui avoient dressée à Bellefosse, entre Blois et Fréteval, le trésor des chartes fut la proie du vainqueur qui le fit transporter en Angleterre, où il est encore. Philippe ordonna qu'il fût rétabli, tant sur les notes que (p. 124) sa mémoire put lui fournir, que sur les copies des actes qu'on put retrouver. Depuis ce fatal événement, les chartes ne sortirent plus du palais, où, après avoir été placées en divers lieux, elles furent enfin renfermées dans ce dernier dépôt, vers la fin du quatorzième siècle.
À chaque pas que nous faisons dans Paris, nous éprouvons de nouveaux effets de la nuit profonde dont les antiquités de cette ville ont été si long-temps enveloppées; nous sentons davantage combien il est difficile de dire quelque chose de satisfaisant sur des origines qui ne sont connues que par des traditions vagues, souvent contradictoires, la plupart transmises par des chroniqueurs éloignés des sources, et presque tous dépourvus de lumières et de critique dans tout ce qu'ils ont écrit. La discussion de ces vieux récits, des chartes, des titres qui s'y rapportent, seroit inutile et fastidieuse; et c'est pour y avoir attaché trop d'importance que les anciens historiens (p. 125) de Paris ont ôté tout intérêt à leurs volumineuses compilations. Il vaut mieux, choisissant dans ces lambeaux épars, en rassembler les faits qui semblent les plus probables, et toutefois ne les offrir que pour ce qu'ils sont, pour de simples probabilités.
Par exemple, l'origine du Palais est tout-à-fait inconnue, et aucun écrivain ne nous fait connoître ni quand ni comment il fut bâti. Ceux qui ont parlé du séjour de quelques empereurs romains à Paris, s'accordent tous à dire qu'ils habitoient le palais des Thermes: mais peut-on en conclure qu'il n'y avoit point alors d'édifice du même genre dans la Cité? César nous apprend lui-même qu'il avoit transporté le conseil souverain des Gaules dans Lutèce, «summum Galliæ concilium in Lutetiam Parisiorum transtulit;» et c'est une opinion généralement reçue, que le proconsul, gouverneur général de toute la province, avoit son séjour ordinaire dans cette ville. Est-il probable qu'il ait demeuré hors de ses murs, lorsqu'il s'agissoit de veiller sur un peuple nouvellement soumis, toujours disposé à secouer le joug, et dont la révolte, dans un lieu aussi fortifié, eût été plus dangereuse que partout ailleurs? On ne peut raisonnablement le penser; et Ammien-Marcellin donne effectivement à entendre que la forteresse des Parisiens (p. 126) (c'est ainsi qu'il appelle l'île de la Cité)[145] avoit, dès ce temps-là, un palais et une place publique.
Il ne seroit pas même impossible de déterminer où devoit être ce palais. Une ancienne tradition[146], appuyée de plusieurs auteurs graves, nous apprend qu'aussitôt que les premiers chrétiens eurent obtenu des empereurs le libre exercice de leur religion, les habitants de Paris firent bâtir une église cathédrale à la pointe orientale de l'île, où leur ville étoit alors renfermée. On peut conclure de là que le palais ou château dont parle Ammien-Marcellin étoit situé à l'autre extrémité, c'est-à-dire à la place où il est encore aujourd'hui; car ces deux situations ont été constamment celles qui ont présenté le plus de commodités et les aspects les plus agréables.
Si nous cherchons ensuite dans notre propre histoire, nous y trouverons des témoignages qui ne nous permettront pas de douter que, bien que nos rois de la première dynastie demeurassent habituellement au palais des Thermes, il existoit cependant une maison royale dans la Cité. Sur ce sujet, voici ce que dit Grégoire de Tours, racontant la mort tragique des petits-fils de Clovis. «Childebert[147] envoya une personne de confiance (p. 127) à Clotaire, roi de Soissons, pour l'engager à venir le trouver, afin de résoudre ensemble s'ils feroient mourir leurs neveux, ou s'ils se contenteroient de les dégrader en leur coupant les cheveux..... Clotaire ne tarda pas à se rendre à Paris..... Ils firent courir le bruit que le résultat de leur entrevue avoit été de faire proclamer rois les fils de Clodomir, et envoyèrent les demander à Clotilde, qui demeuroit alors dans la ville (quæ tunc in ipsâ urbe morabatur), pour les élever sur le pavois. Cette bonne reine, transportée de joie, fit venir les petits princes dans son appartement, et après avoir eu l'attention de les faire manger: Allez, mes enfans, leur dit-elle en les embrassant, allez trouver vos oncles; si je puis vous voir sur le trône de votre père, j'oublierai que j'ai perdu ce cher fils..... Clotaire, après les avoir poignardés de sa propre main, monta tranquillement à cheval pour retourner à Soissons; Childebert se retira dans le faubourg (in suburbana concessit).» Il y avoit donc dans la Cité un palais où l'on élevoit ces jeunes princes, et cette demeure est ici bien clairement distinguée de l'édifice qui étoit sur la rive méridionale du fleuve[148].
(p. 128) Le palais fut successivement agrandi, réparé ou rebâti par les maires, qui s'emparèrent de l'autorité sous la première race; et Hugues-Capet, comte de Paris, ayant succédé aux rois de la seconde, abandonna entièrement le palais des Thermes, pour établir dans celui-ci sa résidence ordinaire[149]. Robert, son fils, le fit rebâtir en entier; et quoique Philippe-Auguste eût fait depuis reconstruire le Louvre, on voit que ses successeurs, saint Louis, Philippe-le-Hardi et Philippe-le-Bel demeuroient au Palais. Saint Louis, qui l'orna de la chapelle magnifique dont nous avons déjà parlé, fit encore dans son intérieur des augmentations et des embellissements considérables; et sous Philippe-le-Bel, il fut de nouveau reconstruit presque en entier. «Ce roi, dit du Haillan, fit bâtir dedans l'île du Palais, au lieu même où étoit l'ancien château de la demeure des rois, le Palais tel qu'il est aujourd'hui.... étant conducteur de cette œuvre, messire Enguerrand de Marigny.» Belleforest s'exprime encore plus fortement, et dit «que Philippe-le-Bel (p. 129) fit construire un autre palais tout à neuf, tel que nous le voyons, et qu'il fut achevé l'an 1313, le 28e et dernier an du règne de ce bon roi.» Toutefois ces deux écrivains si inexacts et si embrouillés ne doivent pas être crus entièrement, et ceci ne doit s'entendre que de quelque augmentation considérable que Philippe auroit fait faire à cet édifice; car il est constant que la chambre qui porte encore le nom de saint Louis, et la salle appelée depuis la grand'chambre ont été bâties par ce roi. Il y restoit même encore quelques-unes des anciennes constructions faites par le roi Robert, entre autres la chambre dite depuis de la Chancellerie, dans laquelle on prétend que saint Louis consomma son mariage. Charles VIII, Louis XI et Louis XII y ajoutèrent encore de nouveaux bâtiments.
Lorsque Charles V abandonna la Cité pour aller occuper l'hôtel Saint-Paul, à l'extrémité orientale de la ville, ce palais, dont les anciens historiens ont tant vanté la magnificence, n'étoit encore qu'un assemblage de grosses tours qui communiquoient entre elles par des galeries; les deux tours parallèles que l'on voit encore sur le quai de l'horloge sont des restes de cet édifice, et peuvent donner une idée du genre de sa construction. Des fenêtres de ces tristes demeures la vue s'étendoit au loin sur Issi, Meudon et Saint-Cloud. Le jardin qu'on appeloit Jardin du (p. 130) Roi occupoit tout l'espace où sont aujourd'hui le cours Neuve et de Lamoignon; il se prolongeoit jusqu'au bras de la rivière qui couloit, comme nous l'avons déjà dit, à l'endroit où est aujourd'hui la rue de Harlay. Ce jardin, du temps de Charles V, étoit encore, comme tous les jardins royaux, d'une simplicité extrême: il étoit environné de haies que couvroient des treilles enlacées en losange, et disposées, à chaque extrémité et au milieu, en forme de tourelle ou pavillon. On y voyoit des prés que l'on fauchoit, des vignes dont on recueilloit le vin, des légumes qui servoient pour la table du roi[150]. Les appartements du château étoient immenses et couverts de dorure; mais le luxe, encore sans art et mal entendu, n'y avoit rien fait pour l'agrément et les commodités de la vie; des barreaux de fer qui se croisoient sur les fenêtres, donnoient à cette demeure royale l'aspect d'une prison, et les vitraux colorés et chargés d'images de saints, de devises et d'écussons achevoient d'y intercepter la lumière. On aura peine à croire que, du temps même de François Ier, on ne s'y asseyoit encore que sur des bancs et des escabelles, et que la reine seule avoit le (p. 131) droit d'avoir des chaises de bois, pliantes et rembourrées; mais il ne faut point oublier que nos premiers rois, ceux mêmes de la troisième race jusqu'à Louis XI, considérés comme chefs des grands plutôt que comme souverains de la nation, n'eurent pendant long-temps, et sauf quelques exceptions, ni opulence ni autorité. Maîtres seulement de leurs domaines, leur cour n'étoit composée que de leurs domestiques, et les revenus souvent très-bornés de ces possessions étoient les seuls moyens qu'ils eussent de soutenir l'élévation de leur rang; car les impositions qu'on demandoit aux peuples n'étoient que momentanées, et levées seulement dans les grands besoins de l'État, et du consentement général. Ce n'étoit que dans les réunions solennelles des grands vassaux, et au milieu de leurs armées, que ces monarques paroissoient avec tout l'éclat de la majesté royale; hors de là, leur vie simple et patriarcale ne différoit guère de celle d'un seigneur de château; et dans Paris même leur souveraineté se trouvoit à tout moment en conflit avec la juridiction de l'évêque, des monastères, des divers corps, et les priviléges des bourgeois.
Ces assemblées de grands vassaux, dont nous venons de parler, et que l'on voit consacrées dès les premiers temps de la monarchie sous le nom de plaids généraux, n'étoient point d'institution royale: elles existoient de temps immémorial parmi les Francs, et ils en avoient apporté la coutume (p. 132) de leur pays[151]. Tous les hommes libres avoient le droit de s'y rendre et de prendre part aux délibérations, soit qu'elles eussent pour objet quelque expédition militaire, soit qu'il ne fût question que de traiter des affaires générales de la nation pendant la paix; et le soin extrême qu'avoient les rois francs de convoquer ces assemblées dans toutes les occasions importantes, prouve à quel point elles leur étoient nécessaires pour légitimer leurs actes, et combien grande étoit leur autorité[152]. «On y régloit, dit Hincmar, l'état de tout le royaume pour le courant de la nouvelle année; et ce qui avoit été réglé, rien ne pouvoit le déranger. Il n'étoit jamais permis de s'en écarter, sans une extrême nécessité qui fût commune à la totalité du royaume»[153]. À ce plaid, ajoute cet écrivain, assistoient les (p. 133) majeurs clercs et laïques, et les mineurs: c'est-à-dire que les seigneurs s'y faisoient accompagner de leurs vassaux[154].
Le plaid général se tenoit au printemps. On le nommoit Champ de Mars, parce que c'étoit là que se rassembloient toutes les troupes qui devoient, en cas de guerre, entrer en campagne, immédiatement après la séparation de l'assemblée[155]. (p. 134) Tout nous prouve que, sous la première race, il n'étoit point au pouvoir des rois d'entreprendre la guerre, sans l'assentiment de la nation[156], c'est-à-dire de tous les hommes libres, de tous ceux qui avoient le droit de porter les armes. On voit ces princes employer, dans ces grandes occasions, les discours les plus pathétiques pour arracher à la multitude[157] le cri d'indignation qui (p. 135) la faisoit courir aux armes et décidoit ainsi la question[158]. Les mêmes maximes et les mêmes usages se conservèrent sous les Carlovingiens; et Charlemagne lui-même n'entroit jamais en campagne sans avoir tenu l'assemblée générale de ses fidèles. Là il rendoit compte des négociations qu'il avoit pu faire pour conserver la paix, et démontroit la nécessité et la justice des guerres qu'il alloit entreprendre[159]. Puisqu'un si grand monarque n'avoit le pouvoir qu'au même titre que l'avoient possédé ses prédécesseurs, on peut croire que ses successeurs immédiats ne l'augmentèrent point; et en effet, sous la seconde race, le pouvoir politique ne sortit point de ces bornes étroites où les Francs avoient, si malheureusement pour eux-mêmes, renfermé leurs premiers rois.
Mais, outre ce conseil public, nos rois de la première et de la seconde race, suivant une autre coutume des Francs, avoient une cour particulière composée de plusieurs grands du royaume, prélats et principaux officiers de la couronne. C'étoit là leur conseil ordinaire, où se traitoient les affaires les plus urgentes, et celles qui demandoient du secret; où se préparoient les matières (p. 136) qui devoient être portées à l'assemblée générale. Entrons à ce sujet dans quelques détails.
Il faut aller chercher l'origine de ces conseillers des rois francs jusque dans les forêts de la Germanie; et Tacite nous apprend que les cent compagnons que les Germains avoient donnés à leurs princes avoient pour fonction spéciale de les conseiller dans l'administration de la justice[160]. Après la conquête, ces conseillers du roi continuèrent d'être avec lui, l'aidant également à rendre la justice, ou la rendant eux-mêmes en son nom; on trouve en effet qu'ils jugeoient en son absence comme en sa présence, et que le comte palatin[161], qui avoit son tribunal, sa juridiction particulière, n'étoit plus que rapporteur auprès d'eux, parce que les causes qui se portoient devant cette cour étoient au-dessus de sa compétence. Il y avoit deux classes de ces conseillers du roi: les conseillers éminents (p. 137) ou principaux, qui étoient toujours choisis parmi les plus grands personnages de l'État; et les conseillers ordinaires ou inférieurs. Leur réunion composoit ce qu'on appeloit le Palais du roi, ou la cour de justice.
Lorsqu'elle étoit ainsi réunie, la juridiction de cette cour étoit fort étendue. D'après les monuments qui nous en sont restés, il paroît que toutes les causes criminelles pouvoient être jugées par le roi dans son Palais; et l'histoire de la première race nous offre en effet des exemples de semblables causes plaidées devant les grands ou les conseillers, quoiqu'elles intéressassent des personnes du plus haut rang[162]: mais il semble aussi qu'alors c'étoient seulement les conseillers éminents, ou de première classe, qui jugeoient; et que les conseillers ordinaires n'avoient point, dans ces causes importantes, le droit de siéger avec eux.
Le Palais du roi, ou sa cour de justice, étoit très-distinct de sa cour proprement dite; et les anciennes chroniques distinguent très-bien les officiers de la cour du roi ou de sa maison, des officiers de son Palais. Cela est tellement vrai, que le lieu où siégeoit cette cour de justice n'étoit pas toujours une dépendance du manoir royal; et qu'alors les rois se rendoient de leur demeure au palais, lorsque leur présence y étoit absolument (p. 138) nécessaire, ce qui arriva surtout sous les rois fainéants[163].
La cour du Palais subsista dans les premiers temps de la troisième race, fort peu différente de ce qu'elle avoit été sous la première et sous la seconde, mais il paroît qu'alors elle changea moins souvent de lieu, et que Paris fut sa résidence la plus ordinaire[164]. Un monument du règne de Louis VI nous apprend qu'elle s'appeloit alors, la suprême cour royale, et que les conseillers qui la composoient rendoient la justice avec le roi ou en son nom[165].
Lorsque, dans les nombreux tribunaux qui rendoient la justice dans toutes les parties de la France, une affaire étoit de nature à être ajournée, c'étoit toujours en la cour du roi que se faisoit l'ajournement. C'étoit là le tribunal permanent de l'État, celui à qui appartenoit l'instruction de toute espèce de cause, sans qu'il fût nécessaire d'y adjoindre d'autres juges, si ce n'est dans quelques cas extraordinaires et prévus.
En établissant que la cour ou le Palais du roi avoit compétence pour juger toutes les causes, nous avons néanmoins fait cette distinction importante, et qu'il ne faut point oublier, que, parmi (p. 139) ces causes, celles qui intéressoient les barons et les grands vassaux n'entroient dans ses attributions que lorsque cette cour se trouvoit complétée par la présence à ses délibérations des conseillers éminents, et alors sa juridiction étoit fort étendue[166]; mais comme ces grands personnages ne faisoient pas leur séjour ordinaire à la cour du roi, il en résultoit que, dès qu'ils l'avoient désertée, elle perdoit la partie la plus importante de sa juridiction, et se voyoit forcée de renvoyer un grand nombre de causes au plaid général du Champ-de-Mars, où elles étoient jugées, non par l'assemblée entière dont ce plaid étoit composé, mais par quelques-uns de ces conseillers principaux qu'on ne manquoit point d'y trouver, et dont la présence eût été nécessaire pour valider, dans ces mêmes causes, le jugement de la cour. Ceci toutefois n'empêchoit point que ce tribunal ne fût dans une activité continuelle; et en effet plusieurs capitulaires font foi que la cour du Palais tenoit tous les jours ses audiences, et prononçoit tous les jours des jugements. Elle se maintint en cet état, tant que le gouvernement féodal conserva lui-même sa hiérarchie primitive (p. 140) et ses justes rapports de subordination envers le souverain; mais à mesure que le malheur des temps fournit aux seigneurs l'occasion de se rendre plus indépendants, la puissance de cette cour de justice fut aussi par degrés renfermée dans des bornes plus étroites, parce que tout seigneur étant devenu propriétaire, et tout homme libre ayant été forcé de se rendre vassal, toute appellation dut être jugée dans le plaid général, où chaque suzerain étoit dans l'obligation de présenter son vassal en la cour du roi[167]. Alors les fonctions de la cour du Palais se bornèrent à préparer le jugement des plus grandes causes par des enquêtes, à prononcer sur les questions incidentes, à juger de quelques affaires de peu d'importance et entre gens de médiocre condition.
Toutes ces variations dans les attributions de la cour royale de justice prenoient leur source dans cet antique usage qu'une pratique constante et les préjugés les plus chers de la nation avoient consacré de temps immémorial, «qu'un homme libre ne pouvoit être jugé que par ses pairs, du moins dans tout ce qui touchoit à ses droits les plus essentiels, tels que les biens, l'honneur et la vie.» Ainsi la puissance qu'avoit la cour (p. 141) de juger s'étendoit ou se rétrécissoit, selon que la qualité de ceux qui la composoient augmentoit ou diminuoit le nombre de ceux qui en étoient justiciables. C'est dans cette coutume qu'il faut chercher l'institution de la pairie[168], institution qui donna plus de fixité à la compétence de ce tribunal suprême. Tout porte à croire que la pairie commença sous Philippe-Auguste; et il résulta de cet heureux établissement que les barons et les pairs eux-mêmes devinrent justiciables de la cour suffisamment garnie de pairs, sans que les autres conseillers pussent en être exclus.
Cette première disposition en amena une autre; et l'autorité de la cour acquit un nouveau degré de solidité par une ordonnance de Philippe-le-Bel[169], qui établit qu'elle seroit continuellement présidée par deux prélats ou deux personnes laïques bonnes et suffisantes, c'est-à-dire deux conseillers principaux; et il est très-remarquable que, (p. 142) tout le temps que ces personnages éminents la présidoient, la cour prenoit le nom de parlement, terme générique qui ne signifie autre chose qu'assemblée[170]. La durée de cette assemblée étoit dans le principe de deux mois; et dès que ce terme étoit expiré et que les présidents s'étoient retirés, ce tribunal n'étoit plus parlement, mais prenoit alors le nom tantôt de cour des enquêtes, tantôt de cour des requêtes; parce qu'elle rentroit alors dans les anciennes limites où l'avoit de tout temps renfermée l'absence des conseillers principaux, le même principe amenant constamment les mêmes conséquences.
Puisque la qualité de son président décidoit de la compétence plus ou moins grande de la cour, il est facile de concevoir qu'il suffisoit d'établir un grand président qui dût siéger pendant tout le cours de l'année, pour faire de la cour royale un parlement perpétuel. C'est ce qui fut enfin (p. 143) établi par une ordonnance de 1320; et dès lors il n'y eut plus d'autre intervalle pour la tenue des parlements, que le temps des vacations, où ce qui restoit de conseillers, et les fonctions qu'ils exerçoient, offroient une image exacte de ce qu'avoit été autrefois la cour du roi pendant l'absence de ses conseillers principaux.
Dans cette organisation définitive, le parlement conserva tous les droits qu'il avoit comme cour de justice du roi, tous ceux qu'il avoit comme conseil du roi, et nous allons bientôt parler de ceux-ci; et toutefois ces droits varioient suivant que le roi assistoit ou n'assistoit pas à ses séances[171].
Quant aux droits qui ne lui avoient appartenu que dans le cas où il avoit été garni d'un nombre suffisant de pairs et de barons, ils ne lui restèrent qu'aux mêmes conditions; et la noblesse conserva le privilége de n'être jugée que par ses pairs, et dans l'audience solennelle du parlement. Du reste le parlement, devenu sédentaire, n'eut jamais aucun des droits qu'avoient eus les parlements considérés comme assemblée générale de la nation; il n'est point de faits historiques (p. 144) plus attestés que ceux qui établissent cette différence essentielle, et il n'y a qu'une grande ignorance des origines de notre monarchie qui ait pu faire confondre des institutions d'une nature et d'un caractère si différents[172].
(p. 145) Heureux lui-même le parlement de Paris s'il eût toujours respecté ces vraies bornes d'une autorité qui, prenant sa source dans le pouvoir souverain, ne pouvoit avoir d'existence légitime qu'en lui et par lui; s'il n'eût point, abusant des priviléges que lui avoit accordés, dans l'intérêt des peuples, la bonté paternelle de nos rois, considéré et défendu comme des droits ce qu'il n'avoit obtenu que comme des concessions; s'il n'eût point follement rêvé qu'il étoit la vraie cour de France, le PARLEMENT DE LA NATION, et qu'il lui appartenoit de lutter contre la volonté de ces mêmes rois dont il n'étoit que le CONSEILLER et le SERVITEUR! Il existeroit encore; et l'ancienne monarchie françoise, à la ruine de laquelle il a si aveuglément contribué, existeroit tout entière avec lui. Nous aurons occasion de signaler, dans la suite de cette histoire, ces empiétements successifs de la cour de justice du roi sur l'autorité royale; cet esprit d'indépendance, d'opposition, de mutinerie, qui rendit quelquefois le parlement ridicule, même alors qu'il étoit dangereux, esprit de jalousie et d'orgueil qui n'avoit de force que lorsque le pouvoir montroit de la foiblesse, qui le (p. 146) poussa d'abord à s'unir à des rebelles contre le roi, qui l'unit ensuite à des sectaires contre l'Église, et finit par en faire le fléau de l'Église et du roi.
Maintenant que nous avons éclairci, autant qu'il étoit en nous de le faire, le point le plus obscur et le plus intéressant de cette question importante, il nous suffira de présenter un tableau des modifications diverses qu'éprouva, dans son organisation intérieure, le parlement de Paris, depuis le moment où l'ordonnance de Philippe-le-Bel eut rendu son autorité moins variable, et son existence plus assurée.
Avant cette ordonnance fameuse de 1302, une autre ordonnance du même prince, de l'année 1291, avoit déjà fixé ce qui avoit rapport à cette organisation intérieure de sa cour de justice. Suivant cette ordonnance, elle devoit être composée d'une cour ou chambre des plaids[173], de deux (p. 147) chambres des requêtes[174], et d'une chambre des enquêtes. Dans la première chambre des requêtes, instituée pour les sénéchaussées et les pays de droit (p. 148) écrit, on comptoit cinq membres du conseil du roi, et trois seulement dans la seconde, qui régloit les affaires des autres provinces. Il y avoit dans la même chambre des enquêtes[175] huit membres du conseil, moitié clercs et moitié laïques, qui siégeoient alternativement, partagés en deux compagnies. Le nombre des membres de la chambre des plaids n'étoit point marqué.
En 1304, deux ans après l'ordonnance dont nous venons de parler, on trouve que la chambre des plaids étoit composée de treize clercs et d'un pareil nombre de laïques, au-dessus desquels étoient les deux prélats et les deux seigneurs de la cour nommés par le roi, qui devoient la présider. Les deux chambres des requêtes pour la langue d'oc et pour la langue française comptoient chacune cinq membres, et c'étoit toujours un évêque qui présidoit celle des enquêtes. L'établissement (p. 149) du parlement de Toulouse fut cause que peu de temps après on supprima une des chambres des requêtes. Celle qui resta ne fut composée que de quatre maîtres; c'étoit ainsi qu'on appeloit les membres de cette chambre et de celle des plaids, dite la grand'chambre; tandis que ceux de la chambre des enquêtes étoient nommés jugeurs et rapporteurs.
Cet ordre fut observé jusqu'en 1319, que Philippe-le-Long y apporta quelque changement, en réduisant à huit le nombre des clercs[176] dans la grand'chambre, tandis qu'il y laissa douze laïques, sans compter le chancelier. En créant une seconde chambre des enquêtes, il ordonna que, sur les deux, l'une devoit connoître des enquêtes du temps passé jusqu'au jour de son ordonnance; et l'autre, des enquêtes qui adviendroient de ce jour en avant. Il voulut qu'en ces deux chambres il y eût vingt conseillers clercs et trente laïques, dont seize seroient jugeurs et les autres rapporteurs. Il établit aussi la chambre des requêtes du palais, laquelle ne fut d'abord composée que de cinq membres, trois clercs qualifiés du titre de maîtres, et deux laïques désignés sous celui de messires.
(p. 150) Il y avoit dès lors, et même dès 1318, au moins deux des laïques de grand'chambre revêtus de la qualité de président; il y en avoit trois en 1342. Philippe de Valois ordonna cette année qu'à la fin de chaque séance ces trois maîtres présidents et dix membres de son conseil nommés par lui s'assembleroient pour régler le nombre des conseillers dont les diverses chambres du parlement seroient composées dans la séance suivante; ce qui prouve qu'il n'y avoit encore rien de fixe à cet égard.
Tel fut le premier état du parlement. Nos rois s'y rendoient alors très-souvent, soit pour juger des causes particulières, soit pour faire des réglements généraux; et ils y étoient suivis des gens du conseil et de ceux des comptes. L'usage de faire des rôles à la fin de chaque séance pour la composition du parlement suivant, dura sans interruption jusqu'au règne de Charles VI, qu'à la faveur des troubles qui agitèrent alors le royaume, ceux qui se trouvèrent en place de présidents et de conseillers se continuèrent d'eux-mêmes dans leurs fonctions.
Cependant les membres de cette cour souveraine continuèrent à être pourvus gratuitement de leurs offices par le roi, d'après la nomination qui en avoit été faite par le corps entier, lorsque quelque place venoit à vaquer; ce fut François Ier qui introduisit la vénalité des charges. Les remontrances que le parlement fit si inutilement (p. 151) à ce sujet sous le règne de ce prince furent renouvelées par les états d'Orléans en 1560, et par l'assemblée des notables en 1583, avec aussi peu de succès. Comme il y avoit déjà long-temps que les élections étoient abolies, et que les rois, disposant à leur gré des places vacantes, donnoient souvent à des gens mariés celles qui étoient, dans le principe, affectées aux clercs, il se trouva que le nombre des laïques finit par l'emporter de beaucoup sur celui des ecclésiastiques. Enfin Henri III fixa, en 1589, le nombre de ces derniers à quarante, y compris les présidents des enquêtes.
François Ier, qui introduisit de si grandes nouveautés dans le parlement, y rendit perpétuelle la tournelle[177], déjà érigée en chambre particulière dès 1436; il confirma aussi la chambre des vacations[178], créée en 1405 par Charles VI, et maintenue par une ordonnance de Louis XII, de 1499.
(p. 152) Pendant long-temps il n'est point fait mention du procureur général et des avocats généraux du roi au parlement. Les procureurs du roi, établis dans les bailliages et sénéchaussées, venoient alors à Paris pour les causes dont il avoit été appelé au parlement. Ce n'est qu'en 1331 qu'il est parlé pour la première fois du procureur général, dont les attributions étoient de poursuivre les criminels et les usurpateurs soit des biens de la couronne, soit de ceux des particuliers. Les avocats généraux furent créés ensuite pour lui servir d'auxiliaires. C'étoit à ce magistrat qu'appartenoit le droit de tenir les mercuriales[179], assemblées ainsi nommées parce qu'elles se tenoient le mercredi.
Dans les derniers temps, le parlement étoit composé de la grand'chambre, de trois chambres des enquêtes et d'une des requêtes.
Il y avoit dans la grand'chambre, outre le (p. 153) premier président, neuf présidents à mortier, vingt-cinq conseillers laïques, douze conseillers clercs, trois avocats généraux et un procureur général. Les cinq présidents les plus nouveaux servoient à la tournelle; les conseillers laïques y servoient aussi par semestre; mais les conseillers clercs ne quittoient jamais la grand'chambre; et s'ils alloient à la tournelle, c'étoit seulement dans certains cas où il y avoit assemblée de tournelle et de grand'chambre réunies.
La tournelle criminelle étoit composée de cinq présidents à mortier, de six conseillers laïques de la grand'chambre, et de deux de chacune des enquêtes.
Les trois chambres des enquêtes étoient composées chacune de deux présidents et de soixante-six conseillers.
Celle des requêtes du palais avoit deux présidents et quatorze conseillers.
La chambre des requêtes de l'hôtel étoit composée de maîtres des requêtes. Elle connoissoit des causes des officiers privilégiés.
Anciennement il n'y avoit au parlement de Paris qu'un greffier en chef civil; un édit du roi, de l'an 1709, créa quatre offices de greffiers en chef, lesquels furent de nouveau abolis en 1716, pour remettre les choses sur l'ancien pied. On y comptoit, en outre, un greffier en chef au criminel, un greffier des présentations, un des affirmations (p. 154) de voyage; des greffiers plumitifs de la grand'chambre, des greffiers garde-sacs de la tournelle, etc., un grand nombre d'huissiers, de procureurs, d'avocats, etc., etc.
Les ducs et pairs[180], dit Sauval, soit qu'ils fussent princes ou même fils de France, les rois et reines de Navarre, etc., étoient jadis obligés de donner des roses au parlement, en avril, mai et juin. On ignore la cause d'une semblable coutume, et l'on n'est pas non plus fort instruit sur la manière dont elle s'observoit. Nous sommes seulement (p. 155) certains que le pair qui étoit appelé à faire cette cérémonie faisoit joncher de roses, de fleurs et d'herbes odoriférantes toutes les chambres du parlement, et avant l'audience réunissoit dans un déjeuner splendide les présidents, les conseillers, et même les greffiers et huissiers de la cour. Il alloit ensuite dans chaque chambre, faisant porter devant lui un grand bassin d'argent, lequel contenoit autant de bouquets de roses, d'œillets, et d'autres fleurs de soie ou naturelles, qu'il y avoit d'officiers, avec un pareil nombre de couronnes composées des mêmes fleurs et rehaussées de ses armes. On lui donnoit ensuite audience dans la grand'chambre, puis il assistoit à la messe avec le parlement entier. Tant que duroit la cérémonie, l'audience exceptée, il y avoit un concert de haut bois qui alloit ensuite donner des sérénades aux présidents avant leur dîner. Il faut observer de plus, 1o que celui qui écrivoit sous le greffier avoit son droit de roses; 2o que le parlement avoit son faiseur de roses, appelé le rosier de la cour; 3o que les pairs devoient acheter de lui celles dont se composoient leurs présents. La présentation des roses se faisoit généralement par tous ceux qui avoient des pairies dans le ressort du parlement de Paris.
Sous le règne de François Ier, il y eut, dit Hénault, dispute entre le duc de Montpensier et le duc de Nevers, sur la baillée des roses au parlement. (p. 156) Le parlement ordonna que le duc de Montpensier les bailleroit le premier, à cause de sa qualité de prince du sang, quoique le duc de Nevers fût plus ancien pair que lui. Parmi les princes du sang qui se soumirent à cette cérémonie, on compte encore les ducs de Vendôme, de Beaumont, d'Angoulême, et beaucoup d'autres. On trouve même qu'Antoine de Bourbon, roi de Navarre, s'y assujettit en qualité de duc de Vendôme. Henri IV, n'étant encore que roi de Navarre, justifia au procureur général que ni lui, ni ses prédécesseurs, n'avoient jamais manqué de satisfaire à cette redevance. Elle a cessé entièrement dans le dix-septième siècle, sans qu'on en puisse fixer précisément l'époque. Il y a quelque apparence que ce fut sous le ministère du cardinal de Richelieu.
Le costume des membres du parlement varioit suivant leur rang et leur qualité. Les princes du sang, les pairs laïques et le gouverneur de Paris s'y rendoient, vêtus d'un habit de drap d'or ou de velours, ou de drap noir recouvert d'un manteau, coiffés d'une toque ou bonnet de velours garni de plumes, et l'épée au côté; l'habit des pairs ecclésiastiques se composoit d'un rochet et d'une robe de satin violet, fourrée d'hermine.
Les présidents à mortier portoient le manteau (p. 157) d'écarlate fourré d'hermine, et le mortier de velours noir[181]. Le premier président avoit deux galons d'or à son mortier: les autres n'en avoient qu'un. Les conseillers, avocats et procureurs généraux étoient revêtus d'une robe écarlate, et coiffés d'un chaperon rouge fourré d'hermine. Les greffiers en chef portoient la robe rouge avec l'épitoge; et cette robe étoit également affectée au greffier criminel, aux quatre secrétaires de la cour et au premier huissier. Celui-ci étoit distingué par un bonnet de drap d'or, fourré d'hermine et enrichi de perles. Ces costumes n'ont subi depuis leur origine que peu de changements, et peuvent, ainsi que celui des ecclésiastiques, nous donner quelque idée des anciens costumes françois empruntés au vêtement romain dont ils retracent en effet les formes principales.
Nous avons dit que, sous la troisième race, le parlement tenoit habituellement ses séances à Paris; à cet effet, saint Louis lui avoit accordé à perpétuité plusieurs salles de son palais, et la chambre où se tenoit la tournelle criminelle en avoit conservé le nom de chambre de Saint-Louis. (p. 158) La grand'chambre, à laquelle le vulgaire donnoit le nom de chambre dorée, depuis qu'elle avoit été réparée par Louis XII, étoit déjà le lieu d'assemblée du parlement avant Philippe-le-Bel, et on l'appeloit la CHAMBRE DES PLAIDS, camera placitorum. C'est ainsi que le Palais, qui d'abord avoit été la demeure exclusive de nos rois, se trouva successivement partagé entre eux et leur conseil ou cour de justice.
Après que Charles V l'eut quitté pour aller habiter l'hôtel Saint-Paul, nous voyons Charles VI y revenir, et y demeurer à diverses époques. En 1410, lorsque les querelles entre les ducs d'Orléans et de Bourgogne remplissoient Paris de désordres et de séditions, ce prince malheureux, qu'une maladie funeste réduisoit à la situation la plus affreuse où puisse se trouver un roi, à cette extrémité de voir son autorité impunément envahie par ceux qui étoient nés pour la défendre, et son peuple victime de leurs dissensions ambitieuses, quitta de nouveau l'hôtel Saint-Paul, où il ne se croyoit pas en sûreté, pour venir s'établir au Palais. François Ier y demeuroit encore 1531; et, cette année-là, il rendit le pain bénit dans l'église de Saint-Barthélemi, en qualité de premier paroissien.
Charles V, encore dauphin et régent du royaume, habitoit le Palais, lorsque Étienne Marcel, prévôt de Paris, et chef de la faction appelée (p. 159) la Jacquerie, pénétra jusque dans sa chambre, et y fit massacrer sous ses yeux Robert de Clermont, maréchal de Normandie, et Jean de Conflans, maréchal de Champagne. Les corps de ces deux seigneurs furent traînés dans la cour, devant la pierre de marbre[182], et là abandonnés à tous les outrages d'une populace aveugle et révoltée.
En 1383, avant l'accident terrible qui le priva entièrement de sa raison, Charles VI, vainqueur des Flamands, ayant résolu de châtier sévèrement la faction dite des Maillotins, qui, pendant son absence, s'étoit livrée dans Paris aux plus horribles excès, parut dans cette même cour aux yeux du peuple, au milieu de l'appareil le plus majestueux et le plus formidable. Son trône avoit été placé sur un échafaud, où il monta, accompagné des princes de son sang et des plus grands seigneurs de sa cour, pour y prononcer sur le sort des factieux, qui étoient encore dans les prisons; car les plus coupables avoient été exécutés sur-le-champ. Cette cérémonie effraya tellement les familles de ces malheureux, qu'on les vit accourir en foule lui criant merci, les hommes, têtes nues, et les femmes échevelées. Le chancelier (p. 160) d'Orgemont fit un long discours, dans lequel il reprocha à cette multitude ses révoltes, ses insolences, ses cruautés, et les outrages qu'elle avoit faits à la majesté royale. Sa harangue finie, le roi pardonna, à la prière de ses oncles, qui l'en supplièrent à genoux; et le supplice que les coupables avoient mérité fut changé en une amende pécuniaire.
Cette place sembloit être destinée aux représentations solennelles; car long-temps auparavant, en 1314, Philippe-le-Bel y avoit également paru sur son trône, et dans tout l'appareil de sa puissance, pour demander un emprunt aux députés des principales villes de son royaume, qu'il avoit fait assembler[183].
La grand'salle de ce palais étoit aussi consacrée à des solennités extraordinaires. C'étoit là qu'étoient reçus les ambassadeurs, que se donnoient les festins d'apparat, que l'on faisoit les noces des enfants de France. En 1378, Charles V y reçut l'empereur Charles IV, qui étoit venu le visiter avec son fils Venceslas, roi des Romains. Les trois souverains dînèrent dans la grand'salle, (p. 161) au milieu d'une foule de seigneurs; et après le repas on y joua devant eux une espèce de tragédie, représentant la prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon. L'empereur grec, Manuel Paléologue, et l'empereur Sigismond, roi de Hongrie, y furent accueillis depuis par Charles VI, avec cette grandeur et cette noblesse qui a toujours éclaté dans les procédés de nos rois envers les souverains étrangers. Le dernier de ces deux princes en abusa par d'étranges indiscrétions. Ayant eu la curiosité de voir plaider une cause au parlement, il s'y assit sur le siége du roi, ce qui déplut d'abord à tout le monde; mais le mécontentement fut à son comble lorsqu'on le vit, au milieu de la séance, faire approcher une des deux parties, à qui son adversaire reprochoit de ne pas être chevalier, et lui faire gagner sa cause en lui donnant l'accolade et les éperons. Toutefois on dissimula, «parce qu'il étoit, dit Sauval, partisan du duc de Bourgogne, qui gouvernoit alors la France, et dont le parti étoit tout-puissant.»
Les voûtes de la grand'salle étoient autrefois en bois, et soutenues par des piliers de même matière, enrichis de dorures, sur un fond couleur d'azur; dans les espaces qui les séparoient, s'élevoient les statues de nos rois, depuis Pharamond, avec une inscription qui apprenoit le nom de chaque roi, la durée de son règne (p. 162) et l'année de sa mort. À l'un des bouts s'élevoit une chapelle que Louis XI avoit fait bâtir, et qui fut reconstruite depuis. On voyoit à l'autre extrémité une table de marbre de la plus grande dimension, sur laquelle se faisoient les festins royaux. Les empereurs, les rois, les princes du sang, les pairs de France et leurs femmes avoient seuls le droit d'y manger; on dressoit d'autres tables pour le reste de la cour. Par un contraste assez singulier, les clercs de la Basoche eurent, pendant près de trois siècles, le privilége de faire de cette table le théâtre des farces, moralités et sotties qu'ils représentoient dans le Palais.
Le 7 mai de l'an 1618, un incendie, dont on n'a jamais pu connoître la cause, détruisit cette salle antique et magnifique, la chapelle et une grande partie des bâtiments du Palais. Ce fut alors que fut construite la grand'salle que nous y voyons aujourd'hui. Un nouvel incendie, arrivé le 10 janvier 1776, ayant consumé tous les bâtiments qui s'étendoient depuis la galerie des prisonniers jusqu'à la Sainte-Chapelle, on acheva d'en abattre les débris, pour y établir une construction nouvelle et régulière, qui, accordant entre elles tant de parties incohérentes, annonçât, avec quelque dignité, un édifice de cette importance. La description de ces deux parties modernes du Palais est la seule qu'il soit possible de faire; car on tenteroit vainement de donner l'histoire (p. 163) de tous les changements survenus dans ce labyrinthe inextricable de bâtisses, qui n'offrent plus que des fragments informes, des souvenirs incertains, et dont deux accidents si terribles ont achevé de rendre méconnoissables les plans primitifs.
L'architecte du palais du Luxembourg, le célèbre Desbrosses, fut chargé de la reconstruction de la grand'salle, et la termina en 1622. Elle se compose de deux immenses nefs collatérales, voûtées en pierres de taille, et séparées entre elles par un rang d'arcades qui portent sur des piliers. De grands cintres vitrés, pratiqués à l'extrémité de chaque nef, y répandent une lumière peut-être insuffisante; mais il n'en est pas moins vrai que cette manière d'éclairer a quelque chose de noble et d'imposant. La décoration en est d'ordre dorique, et cette sévérité d'ornement convient à son caractère. Desbrosses s'y est permis, tant dans l'ajustement de l'ordre lui-même que dans sa frise, des disparates qu'on n'aime pas à rencontrer dans un genre d'architecture dont la régularité fait la principale condition; les deux arcades du bout de la salle présentent aussi quelque chose d'irrégulier, et l'on remarque qu'il y a un demi-pilastre de moins du côté de la plus petite. Quoi qu'il en soit, ce monument fait honneur au génie de l'architecte et à celui de son siècle. Il présente dans sa disposition générale un caractère de grandeur, une manière large et bien prononcée qui ne s'est (p. 164) plus retrouvée depuis, même dans les édifices du siècle de Louis XIV[184].
Le dépôt des archives, placé dans le comble au-dessus de ses voûtes, et d'une construction beaucoup plus moderne, mérite d'être remarqué. Cette pièce, qui renferme des registres et des manuscrits précieux échappés aux précédents incendies, est d'une fabrication extrêmement ingénieuse, et fait honneur à M. Antoine, son inventeur. La grand'salle, qu'on appelle aussi salle des pas perdus, sert de promenoir aux gens du Palais, et donne entrée dans diverses pièces plus ou moins étendues, qui, de même que dans l'ancien ordre, renferment les tribunaux, les greffes et autres services. Au reste, leurs distributions, qui se sont opérées successivement, ne tiennent à aucun plan général, et n'offrent aucun ensemble qui mérite d'être décrit.
Il nous reste à faire connoître les nouveaux travaux qui ont été exécutés pour opérer le raccordement des diverses parties du Palais, après le dernier incendie, et avec l'intention d'y joindre une décoration extérieure. La direction en fut confiée à MM. Moreau, Desmaisons, Couture et Antoine, membres de l'Académie d'architecture; et leur plan embrassa non-seulement la cour actuelle, mais un projet d'alignement dans les rues (p. 165) adjacentes, ainsi que la place demi-circulaire qui fait face au principal corps-de-logis.
Celui-ci est bâti au fond de la cour, sur un perron formé par un grand escalier, dont l'élévation donne assez de noblesse à cette masse, peu remarquable d'ailleurs par son caractère. Un corps avancé de quatre colonnes doriques en orne la façade, composée du reste d'un rang d'arcades à rez-de-chaussée, et de fenêtres en attique; une sorte de dôme quadrangulaire couronne l'édifice. Au bas du perron, et de chaque côté, sont deux arcades, dont l'une sert de passage, et l'autre donne entrée dans la Conciergerie, prison bâtie sur le terrain où étoit autrefois le jardin de nos rois. On le nommoit alors le Préau du Palais.
Les deux ailes de la cour sont composées d'un étage d'arcades à rez-de-chaussée, servant de soubassement sur la rue à une ordonnance dorique, dans la hauteur de laquelle sont compris deux étages. Dans l'aile à droite est un grand escalier richement orné, par lequel on entre dans la grand'salle du Palais. Une grille de fer qui ferme la cour réunit ces deux ailes. Cet ouvrage est vanté, et peut avoir du mérite sous le rapport de la serrurerie; mais les gens de goût voient avec peine qu'on ait consacré une dépense considérable à un genre de travail peu intéressant en lui-même, lorsqu'on pouvoit produire, à moins de frais, et (p. 166) par les moyens de l'architecture, une clôture plus noble et plus analogue au monument. Les ornements, d'ailleurs, en sont lourds et d'un mauvais choix[185].
Cette cour se nomme encore cour du Mai, à cause de l'ancien usage où étoient les suppôts de la Basoche d'y planter tous les ans, le dernier samedi du mois de mai, un arbre très-élevé, après avoir abattu celui de l'année précédente. Des deux côtés de cet arbre étoient attachées les armes de ce corps burlesque, lesquelles étoient d'azur à trois écritoires d'or, avec deux anges pour support. On sait que la Basoche, dont l'origine est très-ancienne, étoit une espèce de juridiction composée de la communauté des clercs du parlement de Paris. Ils y jugeoient les différends qui pouvoient naître entre eux, et quelquefois même ils s'y exerçoient à plaider des causes sur des questions difficiles et singulières. Ce tribunal avoit une foule d'offices et de dignités, entre autres un chancelier, un trésorier, des maîtres des requêtes. Il y avoit même autrefois un roi de la Basoche.
(p. 167) CURIOSITÉS DU PALAIS DE JUSTICE.
TABLEAUX.
Dans la chapelle de la cour, laquelle occupoit tout l'avant-corps du milieu, les quatre Évangélistes, par Brenet; la Foi, l'Espérance et la Charité, par Renou.
Dans la deuxième chambre, un Christ par Beauvoisin.
Dans la troisième chambre, un Christ, et le portrait de Louis XIV, d'après Largillière, par Giroux.
Dans la salle du conseil, un Christ, et le portrait de Louis XVI, par Guérin.
Dans les bâtimens de la chambre des comptes, plusieurs tableaux du Christ par Dumont le Romain; la Madelaine au pied de la croix, par Bourdon.
SCULPTURES.
Sur l'escalier qui conduisoit à la cour des aides, la statue de la justice par Gois.
Sur l'autel de la chapelle, un Christ par Bouchardon; les médaillons de Charlemagne et de saint Louis par le même.
Au-dessus de l'archivolte de l'entrée de la galerie Mercière, le médaillon de Louis XVI; et deux statues représentant l'Étude des lois et l'Éloquence, par Lecomte.
Tel est l'état actuel du Palais: le nouveau plan que les circonstances n'ont pas permis d'achever entièrement, en auroit coordonné toutes les parties, dans lesquelles on remarque encore des irrégularités[186].
(p. 168) Vis-à-vis le pont au Change est une tour carrée qui, de ce côté, forme l'angle des bâtiments du Palais, et en est une dépendance. C'est là que fut placée la première grosse horloge qu'il y ait eu à Paris. Elle fut faite en 1370, par un horloger allemand nommé Henri de Vic, que Charles V fit venir en France. Le cadran en fut réparé sous le règne de Henri III, décoré des figures de la Force et de la Justice; et un même écusson y offroit réunies les armes de France et celles de Pologne[187]. La cloche qu'on nommoit tocsin du Palais, et qui étoit au sommet de cette tour, fut fondue à la même époque; et l'on voit encore, dans la partie la plus élevée, le petit lanternon au milieu duquel elle étoit suspendue.
Dans l'enceinte de la cour du Palais, et vis-à-vis la Sainte-Chapelle, étoit une petite église sous l'invocation de Saint-Michel, dont l'érection remonte au-delà du règne de Philippe-Auguste. Elle a donné son nom au pont du petit cours de l'eau qui lui étoit parallèle, et à la partie de la rue de la Barillerie qui aboutit à ce pont. Cette église a été démolie lors des nouvelles constructions.
(p. 169) Dans la même cour, vis-à-vis la façade de la même chapelle, est le bâtiment nouveau de la chambre des comptes, lequel n'a rien de remarquable dans son architecture; l'ancien qu'il a remplacé avoit été élevé sous Louis XI, et fut aussi détruit par un incendie en 1737; de manière que tous les monuments que renferme cette enceinte ont été tour à tour la proie des flammes. Une arcade placée sur le flanc gauche de cet édifice, et dont les ornements ont été sculptés par le célèbre Jean Goujon, sert de communication avec l'hôtel dans lequel demeuroit autrefois le premier président de cette cour.
Derrière ces édifices sont encore l'hôtel et le jardin de la première présidence du parlement[188]. Un passage ouvert dans le milieu de la rue de Harlay conduit dans la cour Neuve[189], par laquelle on entre dans la partie postérieure du Palais, et de là, dans la galerie dite des Merciers; la communication avec la Sainte-Chapelle se fait par une galerie latérale en face du perron.
Par tout ce que nous avons dit sur l'origine du parlement, nous croyons avoir assez prouvé que la plus grande de toutes les erreurs seroit de supposer que tous les droits et toutes les fonctions qui avoient appartenu à la totalité des conseillers royaux, formant ce que nous avons appelé la cour du roi, eussent été transportés à cette portion de son conseil qui fut députée pour tenir sa cour de justice. Et en effet nous avons vu que, suivant que le roi y assistoit, ou qu'elle étoit suffisamment garnie de pairs, ou qu'elle étoit présidée par des conseillers principaux, ou qu'elle se composoit seulement de ses conseillers ordinaires, cette cour changeoit de caractère, de compétence et d'attributions. Ces distinctions ne cessèrent point d'être observées, après que nos rois eurent établi la permanence du parlement.
La cour de justice ou parlement n'étoit donc, nous le répétons, qu'une députation de conseillers du roi. Cette députation ne fut certainement (p. 171) pas unique; et la multiplicité des affaires obligea le souverain de partager son conseil en plusieurs chambres, à chacune desquelles furent attribuées la connoissance et la discussion d'une certaine espèce d'affaires. Ainsi émanèrent de la même source toutes les cours ayant suprême juridiction; ainsi, dans l'administration générale du royaume, suivant les temps et selon que la prérogative royale étoit plus ou moins étendue, tout sortoit du roi et tout y retournoit.
Le parlement n'étoit donc point le conseil suprême ou grand conseil du roi, puisque l'on trouve des ordonnances rendues par ce grand conseil, hors de Paris, et lorsque le parlement étoit déjà sédentaire dans cette capitale[190]. Il nous sera facile de faire comprendre ce qu'il étoit.
Nous avons dit que le parlement n'étoit qu'une députation de conseillers royaux: il faut ajouter qu'il ne se composoit même que de la moindre partie de ces conseillers. Presque tous les autres demeuroient auprès de la personne du monarque; et il arrivoit souvent que lorsque le parlement ne tenoit point ses séances, la plupart des conseillers qui formoient cette cour de justice étoient appelés (p. 172) auprès de lui. Quelquefois le roi lui-même se rendoit à la chambre; et dans l'un et l'autre cas, les conseillers, réunis en sa présence, se formoient en conseil, ponebant se ad concilium[191]; et cette réunion étoit appelée le grand conseil, où les membres du parlement étoient admis au même titre que les autres membres du conseil, et en raison de leur seule qualité de conseillers[192].
Ainsi varioient, il faut le dire encore, les droits de toute assemblée de ce genre, selon que le roi étoit absent ou présent; et soit qu'il assistât au conseil commun, toutes les chambres assemblées, et tînt ce que depuis on a appelé lit de justice, soit qu'il présidât lui-même son conseil, ce n'étoit que dans ces circonstances solennelles que se pouvoient faire ces actes d'autorité souveraine que l'on nommoit ordonnances. En un tel cas, la formule étoit: le roi et son conseil veulent. Le roi et son conseil entendent. Ordonnance faite par (p. 173) la cour de notre SEIGNEUR ROI et de son commandement[193].
Du temps où la législation appartenoit aux assemblées de la nation, ce conseil du roi n'avoit, en ce qui touchoit l'administration générale du royaume, qu'une autorité très-foible et très-bornée; mais il reprenoit naturellement l'autorité suprême dans tout ce qui concernoit l'administration particulière des domaines du roi, ses finances, la bourgeoisie et la police de ses villes. Sur ces points qui n'étoient pas d'un intérêt général, il faisoit tout réglement qu'il lui plaisoit de faire. Ce même droit, le roi et son conseil l'avoient encore en ce qui concernoit l'administration de la justice: c'est-à-dire qu'ils pouvoient faire, sans déroger toutefois au droit de chacun, tel réglement qu'ils jugeoient le meilleur pour en assurer l'exécution. (p. 174) Ces réglements, compris d'abord sous le titre générique de capitulaires, reçurent par la suite le nom particulier d'établissements[194] et d'ordonnances, ce dernier mot n'ayant point alors toute l'acception qu'on lui a donnée depuis. Ce fut par une ordonnance que, sans déroger aux droits des pairs et de la noblesse, Philippe-le-Bel détermina la forme qu'il prétendoit donner à sa cour de justice séante à Paris. L'interprétation des lois appartenoit encore au conseil du roi, pourvu que, dans cette interprétation, il fît simplement un acte judiciaire, l'explication d'un doute, et non un acte de législation. C'est là l'origine de ce que l'on a depuis appelé déclaration. En un mot, tant qu'il y eut des barons de la couronne, le roi ne put faire avec son conseil aucune ordonnance ou établissement qui dût être reçu dans le royaume entier. «Tels réglements, dit Beaumanoir; estoient espéciaument pour son domaine; et li barons ne laissoient pas à user en leurs terres selon les anchiennes coutumes[195]. Mais quand li establissement (p. 175) est généraux[196], il doit courre dans tout le royaume; et nous devons croire que tel establissement est fait par très-grand conseil et pour le commun pourfit....» Ainsi donc, lorsque les grandes baronnies eurent été réunies au domaine de la couronne, les établissements et ordonnances du roi durent courir dans la France entière; et le pouvoir législatif se trouva de droit réuni dans la personne du monarque, assisté de son conseil.
Il en fut de même de l'administration de la justice: et en effet la réunion des trois grandes pairies, qui étoient les trois plus grands fiefs de la couronne, ayant rendu le roi seigneur immédiat de trois grandes provinces, la Normandie, le comté de Toulouse ou le Languedoc, et le comté de Champagne, la justice dut y être rendue au nom du nouveau seigneur. Il fallut donc y pourvoir, et y remplacer les cours provinciales qu'y avoient formées les barons avec leurs conseillers ou assesseurs. Que fit le roi de France pour les remplacer? rien autre chose que députer des conseillers, les uns pour tenir l'échiquier de Normandie, les autres pour tenir les grands jours de Troyes, d'autres encore pour former le parlement de Toulouse; (p. 176) puis, par des réglements nouveaux, ces députations devinrent par la suite des cours souveraines et permanentes. L'érection successive des autres parlements dans différentes villes du royaume a partout la même origine. Sur la demande expresse ou présumée des habitants de ne plus relever leurs appellations par-devant la cour de justice qui avoit été rendue sédentaire à Paris, les rois créoient un certain nombre de conseillers avec attribution des fonctions essentielles à une cour royale; et la justice se rendoit par eux dans les provinces, au même titre que le faisoit le parlement de Paris, parce que les conseillers qui formoient ces cours souveraines étoient conseillers au même titre que ceux dont se composoit ce parlement, qui n'avoit sur eux d'autre avantage que celui d'une plus grande ancienneté.
De même il plut à nos rois d'employer à des fonctions particulières, de donner une attribution spéciale à cette portion de leurs conseillers qui demeuroient auprès d'eux sans emploi particulier, et dont ils s'étoient servis comme de leur conseil suprême ou grand conseil, chaque fois qu'il leur avoit plu de leur communiquer la plénitude du pouvoir souverain en présidant à leurs séances; car, dans un tel cas, ce conseil avoit l'administration générale des affaires, faisoit des établissements et des ordonnances, soit que le parlement fût appelé à y délibérer, soit qu'il ne le fût pas; et, on ne sauroit (p. 177) se lasser de le répéter, la présence du roi faisoit seule toute leur compétence, quel que fût leur nombre, et même, quelle que fût leur qualité. Charles VIII fut le premier qui donna une forme permanente à ce conseil[197], l'érigeant en compagnie avec cour souveraine et collége d'officiers, lui conservant le nom de grand conseil, et lui attribuant la connoissance et la décision d'une partie des affaires dont il étoit appelé à connoître lorsqu'il avoit été conseil du roi, et délibérant sous sa présidence.
Louis XII confirma depuis cet établissement, et augmenta le nombre de ses membres, le portant à vingt conseillers, qu'il distribua en deux semestres.
Le grand conseil, ainsi composé et réformé par Louis XII, continua de connoître de toutes les mêmes affaires qui auparavant avoient été de son ressort. Son occupation la plus continuelle étoit celle du réglement des cours et des officiers; il connoissoit aussi de tous les dons et brevets du roi, de l'administration de ses domaines, de toutes les (p. 178) matières qui étoient sous la direction des grands et des principaux officiers, et des affaires, tant de justice que de police de la maison du roi; beaucoup d'affaires particulières y étoient aussi introduites, soit par le renvoi que le roi lui faisoit des placets qui lui étoient présentés, soit par le consentement des parties.
Depuis ce temps, nos rois lui ont attribué exclusivement la connoissance de plusieurs matières presque toutes relatives à sa première institution, telles que de décider des contrariétés et nullités d'arrêts, d'être conservateur de la juridiction des présidiaux et des prévôts des maréchaux, de veiller à l'exécution des brevets dans la nomination accordée au prince de tous les grands bénéfices, d'être chargé exclusivement des procès concernant les archevêchés, évêchés et abbayes, etc., etc.
Le roi a encore employé de tout temps le grand conseil pour établir une jurisprudence uniforme dans tout le royaume sur certaines matières, telles que les usures, les banqueroutes, etc.
C'est par une raison à peu près semblable que la plupart des grands ordres avoient obtenu le droit d'évocation au grand conseil, afin que le régime et la discipline de ces grands corps ne fussent pas intervertis par la diversité de jurisprudence, et qu'ils ne se vissent pas obligés de disperser leurs membres dans tous les tribunaux. Les secrétaires du roi et les trésoriers de France jouissoient de la même prérogative.
(p. 179) Enfin le grand conseil a souvent suppléé les cours souveraines pour le jugement de plusieurs affaires qui en ont été évoquées.
Il seroit impossible d'entrer ici dans le détail de toutes les attributions diverses dont le grand conseil a joui plus ou moins long-temps. Il suffit d'avoir, par quelques exemples, donné une idée de celles qui conviennent à son institution.
Le chancelier étoit, depuis l'origine, seul chef et président né de cette compagnie. Un conseiller d'état commis par lettres-patentes du roi y présidoit à sa place pendant un an.
Le grand conseil se composoit, dans les derniers temps de la monarchie, 1o de huit maîtres des requêtes qui étoient aussi présidents par commission pendant quatre années; 2o des anciens présidents honoraires, dont les offices avoient été supprimés; 3o de conseillers d'honneur, dont le nombre n'étoit pas fixé; 4o de cinquante-quatre conseillers, distribués, ainsi que les officiers précédents, en deux semestres. Il y avoit en outre deux avocats généraux, un procureur général et douze substituts; un greffier en chef, plusieurs greffiers pour la chambre, les présentations et affirmations, les dépôts civils et criminels; cinq secrétaires du roi servant près le grand conseil; un trésorier, des huissiers, contrôleurs, procureurs, et autres officiers subalternes. Tous ces officiers jouissoient de plusieurs priviléges, notamment de ceux de commensaux (p. 180) de la maison du roi. L'habit de cérémonie des membres du grand conseil étoit la robe de satin noir.
Cette compagnie étoit la seule de son espèce, et sa devise l'indiquoit: Unico universus. Elle a tenu ses séances à Paris en divers endroits, notamment au Louvre, aux Augustins, dans le cloître Saint-Germain-l'Auxerrois. Enfin, par un arrêt du conseil d'état donné en 1686, elle eut la permission de s'établir dans l'hôtel d'Aligre, où elle est restée jusqu'au moment de la révolution.
Toutefois nous en parlons ici, non-seulement parce que l'ordre et la clarté des matières semblent le demander, mais encore parce que le grand conseil, lorsqu'il était conseil du roi, se tenoit souvent à la chambre des comptes; les résolutions qui y furent prises formèrent le recueil d'ordonnances connu sous le titre d'ordonnances rendues par le conseil tenu en la chambre des comptes.
Du même principe découlent constamment les mêmes conséquences. Nous avons montré que, de tout temps, le conseil du roi partagea avec lui le fardeau des affaires dans toutes les branches de l'administration; et il n'est pas besoin de dire que les finances n'en furent point exceptées. Nos souverains l'établirent eux-mêmes juge entre eux et (p. 181) leurs sujets, dans les contestations qui s'élevoient à l'occasion de la répartition et de la levée des impôts. C'étoit le conseil du roi qui gardoit son trésor, qui examinoit les comptes des baillis, sénéchaux et autres receveurs royaux; et[198] l'on députoit à cet effet des maîtres de la cour[199]. Dans la suite, on érigea cette députation en chambre perpétuelle: il ne faut point chercher d'autre origine à la chambre des comptes.
Il paroît, par une ordonnance de saint Louis, que, dès le règne de ce prince, la chambre des comptes étoit sédentaire à Paris. Depuis, nos rois ne cessèrent de combler cette cour de marques de confiance et d'honneur, auxquelles ils ajoutèrent des priviléges considérables: la noblesse au premier degré, les droits de commensaux de leur maison; l'exemption des décimes, de tous droits seigneuriaux, charges publiques, ban, arrière-ban, tailles, corvées, péages, aides, gabelles, etc., etc.
Les titres dont le dépôt étoit confié à cette compagnie étoient si importants, que l'ordonnance de décembre 1460 expose que les rois se rendoient souvent en personne à la chambre, pour (p. 182) y examiner eux-mêmes les registres et états du domaine, «afin, y est-il dit, d'obvier aux inconvénients qui pourroient s'ensuivre de la révélation et portation d'iceux.»
On sait que les chambres des comptes étoient des cours établies principalement pour connoître et juger en dernier ressort de ce qui concernoit la manutention des finances et la conservation du domaine de la couronne. On doit considérer dans celle de Paris 1o les officiers dont elle étoit composée; 2o la forme dont on y procédoit à l'instruction et au jugement des affaires; 3o le caractère de la juridiction qu'elle exerçoit.
Elle avoit, comme le parlement, divers ordres d'officiers: un premier président, douze présidents ordinaires, soixante-dix-huit maîtres, trente-huit correcteurs, quatre-vingt-deux auditeurs, un avocat et un procureur général; des greffiers, commis, contrôleurs du greffe, huissiers, etc., etc.
Les officiers de la chambre servoient par semestre, à l'exception du premier président, des gens du roi et des greffiers en chef dont le service étoit perpétuel. Il y avoit assemblée générale pour enregistrer les édits et déclarations d'une grande importance, procéder à la réception des officiers, etc. À l'égard du service ordinaire, la chambre étoit partagée en deux bureaux: au second bureau se jugeoient tous les comptes, à l'exception de celui du trésor royal, de celui des monnoies (p. 183) et de ceux qui se présentoient pour la première fois. Toutes les autres affaires s'expédioient au grand bureau: c'étoit là aussi que se donnoient les audiences.
On peut distinguer en trois parties les fonctions qu'exerçoient les officiers de la chambre, ce qui concernoit 1o l'ordre public; 2o l'administration des finances; 3o la conservation des domaines du roi et des droits régaliens. Chacune de ces divisions renfermoit un nombre infini d'objets, dont l'énumération seroit ici inutile et même fastidieuse. D'ailleurs, dans une analyse aussi succincte que celle où nous sommes forcés de nous renfermer, il seroit toujours impossible de donner autre chose qu'une idée incomplète d'une compagnie dont l'établissement remonte aux temps les plus reculés, qui jouissoit des prérogatives les plus éminentes, et dont les attributions étoient aussi variées qu'étendues.
Les plus grands personnages du royaume ont tenu à honneur de remplir la charge de premier président de la chambre. Plusieurs de ces magistrats ont été chanceliers de France, ce qui est arrivé aussi plusieurs fois dans le parlement; mais on cite l'exemple unique d'un chancelier, Pierre Doriole, devenu ensuite premier président de la chambre des comptes. Cet événement est arrivé sous Louis XI. Ce magistrat suprême jouissoit de beaucoup de droits honorifiques, et la garde du (p. 184) grand trésor de la Sainte-Chapelle lui étoit confiée. Sa robe de cérémonie étoit de velours noir, ainsi que celle des autres présidents de sa compagnie.
La chambre des comptes occupoit un grand bâtiment situé dans l'enceinte du Palais, presque en face de la Sainte-Chapelle. Ce monument, élevé en 1504 par Jean Joconde, religieux de l'ordre de Saint-Dominique, offroit une façade d'un gothique élégant, et chargée d'ornements très-délicats. Les arcades qui bordoient le grand escalier étoient estimées pour leur dessin et leur exécution. Cinq statues, de grandeur naturelle, posées dans des niches, représentoient Louis XII entouré des quatre Vertus cardinales, et l'on voyoit en divers endroits les armes et la devise de ce bon roi[200]. Un incendie qui éclata dans cet édifice, et dont il fut impossible d'arrêter la violence, le consuma entièrement dans la nuit du 27 octobre 1737[201].
C'est alors que fut commencé, sur les dessins de M. Gabriel, premier architecte du roi, l'édifice qui subsiste encore aujourd'hui. Jusqu'en 1740, qu'il fut achevé, la chambre des comptes tint ses (p. 185) séances aux Grands-Augustins, où partie de ses archives avoit été transportée.
Les deux statues placées sur le portail, représentant la Justice et la Prudence, ont été exécutées par Adam aîné[202].
La cour des aides ne fut point formée autrement que le grand conseil et la chambre des comptes. Elle s'établit de même par la permanence qui fut donnée à une députation jusque là amovible et momentanée.
Cette cour étoit unique dans l'origine, et son ressort s'étendoit par tout le royaume. Elle avoit été instituée par nos rois, à l'instar des parlements, pour juger et décider, sans appel, tous procès, tant civils que criminels, au sujet des aides, gabelles, tailles et autres matières du même genre. Ses jugements, dès l'instant de sa création, marchoient de pair avec ceux du parlement, auquel elle a toujours été assimilée; car sa juridiction ne peut être considérée comme un démembrement de celle des autres cours souveraines. En effet, dès le commencement de la levée des aides ou (p. 186) subsides, qui ne s'accordoient alors que pour un temps limité, les rois nommoient, soit pour établir et imposer ces droits, soit pour décider des contestations qui pouvoient naître à l'occasion de leur perception, des commissaires dont le pouvoir finissoit avec la levée de ces impositions. Ces droits étant devenus perpétuels et ordinaires, la fonction de ces juges s'est également perpétuée; mais jamais la connoissance des aides ou subsides n'a été donnée à aucun autre tribunal du royaume.
On peut faire remonter la véritable institution de la cour des aides jusqu'à l'année 1355, que le roi Jean ayant assemblé à Paris les états du royaume de la languedoil ou pays coutumier, et en ayant obtenu une gabelle sur le sel et quelques autres impositions, ordonna qu'elles seroient recueillies par des receveurs qu'établiroient les députés des trois états dans chaque province. La même ordonnance portoit création de généraux superintendants, tirés des trois états, formant un tribunal auquel seroient cités, pour être jugés en dernier ressort, tous les contrevenants et rebelles à la perception des impôts. De là le nom d'élu donné aux receveurs particuliers, et celui de généraux des aides, lequel est resté aux députés généraux préposés pour en avoir la direction dans la ville de Paris, et recevoir l'appel des députés particuliers ou élus distribués dans les provinces. Les malheurs de la guerre ayant rendu nécessaires (p. 187) des levées successives d'impôts, les généraux des aides devinrent permanents et ordinaires avant la fin de ce règne, ainsi qu'on le voit par une des lettres du même roi, adressée en 1361, «à nos amés et féaux les généraux trésoriers à Paris sur le fait des aides, etc.»
Ces généraux superintendants, nommés sous les deux règnes suivants généraux conseillers, étoient, comme nous l'avons dit, choisis et établis par les trois états; mais depuis le roi s'en réserva la nomination, ce qui n'a point varié jusque dans les derniers temps. Leur origine, qu'ils tiroient de l'assemblée des états-généraux, fit que pendant long-temps ils comptèrent parmi eux les personnes les plus distinguées dans les deux premiers ordres du royaume, et eurent même l'honneur d'être présidés par des princes du sang. Aussi n'est-il point de marques de considération que nos souverains n'aient données à cette compagnie. C'étoit entre les mains du roi que ses membres prêtoient serment, et souvent ils assistoient à ses conseils.
Le nombre de ces généraux conseillers n'étoit pas fixé, et a beaucoup varié jusqu'au règne de Louis XI, sans cependant passer celui de neuf, arrêté d'abord en 1355. Ce dernier prince voulut que cette cour fût composée d'un président, de quatre généraux conseillers, trois conseillers, un avocat et un procureur du roi, un greffier, un receveur des amendes et deux huissiers.
(p. 188) Henri II abolit la distinction qui existoit entre les généraux et les conseillers, créa une seconde chambre en la cour des aides, confirma et augmenta la juridiction de cette compagnie.
Louis XIII, par un édit de 1635, établit une troisième chambre, et créa douze offices de conseillers, auxquels il ne donna que ce titre, sans y ajouter celui de général, qui ne fut conservé qu'aux anciens offices, et qui même s'abolit tout-à-fait par la suite. Dans les derniers temps, la cour des aides étoit composée d'un premier président, de neuf autres présidents, de conseillers d'honneur, dont le nombre étoit indéterminé, de cinquante-deux conseillers, trois avocats-généraux, un procureur-général avec quatre substituts, cinq secrétaires du roi servant près ladite cour, deux greffiers en chef, etc., etc.
L'habit de cérémonie des membres de la cour des aides étoit, pour le premier président, la robe de velours noir avec le chaperon pareil, doublé d'hermine. Les conseillers, gens du roi et greffiers en chef portoient la robe rouge, et, suivant un ancien usage, ils devoient mettre sur cette robe un chaperon noir à longue cornette.
La cour des aides avoit le droit de connoître et de décider en dernier ressort de tous procès, tant civils que criminels, au sujet des aides, gabelles, tailles, octrois, et de tous subsides et impositions. Elle recevoit les appels interjetés des sentences (p. 189) des élections et autres tribunaux et siéges de provinces, pour toutes matières de sa compétence. Elle étoit seule compétente pour juger du titre de noblesse et des exemptions ou priviléges qu'il portoit relativement aux impôts, etc., etc. Ses officiers étoient commensaux de la maison du roi, jouissoient du franc salé, de la noblesse au premier degré, et à peu près de tous les priviléges accordés aux autres cours souveraines.
Sous Charles VII, l'auditoire de la cour des aides étoit situé vers la chambre des comptes, à côté de la chapelle basse. Ce lieu ayant paru incommode, Louis XI lui accorda, en 1477, des salles appelées chambres de la reine, situées au-dessus de la galerie des Merciers, où l'on établit les seconde, troisième chambre, salle et chapelle de cette cour; quant à la première chambre, elle put rester dans l'ancien bâtiment, au moyen d'une porte de communication que l'on ouvrit entre cet édifice et le nouveau local. Cette première chambre fut démolie en 1620, et rebâtie sur le même emplacement.
La cour des aides avoit rang, dans les cérémonies, après le parlement et la chambre des comptes, mais seulement parce qu'elle étoit de moins ancienne création que ces deux compagnies. Quelques-uns de ses officiers ont eu l'honneur d'être élevés, ainsi que ceux des autres cours souveraines, à la suprême dignité de la magistrature.
Renfermé depuis 1551 dans l'enclos du Palais, la grand'salle étoit son tribunal. Ce siége connoissoit de tout ce qui concernoit le civil, le criminel et la police dans les cours et salle du Palais, la juridiction en étoit exercée par un bailli d'épée, un lieutenant-général, un procureur du roi; un premier huissier, un huissier audiencier et un doyen. Les causes en étoient portées par appel au parlement.
Elle étoit tenue par les maîtres des requêtes, et avoit, ainsi que le grand sceau, ses officiers, savoir: quatre conseillers secrétaires du roi audienciers, quatre conseillers contrôleurs, douze conseillers rapporteurs référendaires, quatre conseillers trésoriers receveurs, etc.
Cette chambre connoissoit en première instance de tout ce qui concernoit le domaine du roi et les droits qui lui appartenoient dans l'étendue de la généralité de Paris.
Il comprenoit trois juridictions: 1o la connétablie et maréchaussée de France; 2o l'amirauté; 3o les eaux et forêts.
L'origine de la plupart de ces monuments, surtout de ceux qui remplissoient autrefois la Cité, offre de plus grandes obscurités que celle d'aucune autre antiquité de Paris. Il n'en est point sur laquelle les historiens se soient plus exercés; et la plus belle victoire que les plus habiles d'entre eux aient remportée dans les contestations qu'un tel sujet a fait naître, a été d'apprendre à leurs adversaires à douter dans des matières où ils croyoient être arrivés à quelque certitude.
Toutes les églises de ce quartier y existoient de temps immémorial, c'est-à-dire que celles qu'on y voyoit encore dans le siècle dernier, et dont aucune n'avoit plus de six cents ans d'antiquité, avoient été bâties sur les ruines de semblables édifices. «Il y a apparence, dit Delamare, que les fidèles des premiers temps convertirent en églises toutes les maisons particulières où ils avoient coutume de se retirer pour y faire en secret leurs exercices pendant les persécutions; et que c'est de là que sont venues toutes ces (p. 192) petites paroisses du quartier de la Cité, dont on ne sait point l'origine.» Depuis ces premières fondations, Paris fut brûlé plusieurs fois[203], et chaque fois sans doute ses monumens furent renouvelés. À ces désastres, qui ont détruit pour nous jusqu'aux moindres vestiges de ces anciens édifices, il faut joindre cette terreur singulière qui s'empara des chrétiens vers les dernières années du neuvième siècle: ils attendoient la fin du monde précisément en l'an mille de Jésus-Christ; et cette fausse opinion répandue partout leur faisoit négliger l'entretien des églises, qui, de tous côtés, tomboient en ruines. Lorsque cette année fatale fut passée, les peuples, revenus de leur effroi, s'empressèrent partout de les rebâtir avec plus de magnificence qu'auparavant. On fit des fondations nouvelles, et le culte reprit toute sa solennité. C'est aussi à partir de cette époque que les traditions deviennent moins obscures, que les titres qui établissent les origines ont plus d'authenticité. Toutefois, si l'on n'a quelque connoissance de ce qui a précédé les temps de la troisième race, en ce qui concerne le clergé, des révolutions diverses qu'il avoit éprouvées dans son état et dans ses biens, de ce qu'il avoit perdu, acquis ou (p. 193) recouvré avant ces temps mémorables qui consolidèrent son existence, en assurant celle de la société, on comprendroit difficilement encore ce que nous pourrions dire sur cette partie la plus intéressante des antiquités de Paris: nous allons donc essayer d'en tracer un rapide tableau.
On ne sait si c'est bien sérieusement que certains écrivains que déjà nous avons signalés comme ne reconnoissant aucune légitimité, ont accusé les évêques romains qui habitoient l'Aquitaine et la Septimanie d'avoir trahi leurs souverains légitimes, parce qu'ils se déclarèrent pour les Francs contre les Goths, usurpateurs depuis moins de cent ans de cette belle portion des Gaules: ce seroit montrer par trop d'ignorance, et il est plus naturel de supposer qu'ils sont encore ici de mauvaise foi. Qui peut ignorer que, dans cette province encore toute romaine, où vivoit une population nombreuse de sujets romains, séparée de ses grossiers vainqueurs par ses mœurs, par ses lois, par ses préjugés et ses traditions; où des troupes romaines occupoient et défendoient encore, en invoquant le nom de la ville éternelle, les points divers au milieu desquels ils étoient cantonnés, nul devoir, nul lien ne pouvoit attacher les anciens habitants du pays à des barbares qu'ils méprisoient et dont ils étoient opprimés? Cette oppression étoit à la fois politique et religieuse sous les Goths, qui, ayant embrassé l'arianisme, exerçoient une (p. 194) persécution violente contre le clergé catholique, et punissoient par la prison, l'exil, la confiscation, souvent même par le martyre, le zèle que montroient les prélats romains pour la saine et pure doctrine de l'Église[204]. Un roi barbare se présente à eux, qui avoit embrassé la foi orthodoxe: trouvant ainsi en lui la seule garantie qui pouvoit leur rendre supportable une domination étrangère, ils préfèrent son joug à celui qu'un roi barbare et hérétique faisoit peser sur eux, sans cesser pour cela de se considérer, dans le secret de leur pensée, comme sujets de l'empire et des empereurs. La victoire des Francs ratifie leur choix; l'approbation de la cour de Bysance le légitime[205]: le reste suit naturellement; et dans cette grande et heureuse révolution que ces pasteurs des fidèles favorisèrent de toute leur influence, il n'y avoit nulle raison pour que leur conscience fût, un seul instant, troublée; et leur existence, ainsi que celle de leurs ouailles, cessa de l'être.
De quelque manière que Clovis, ses compagnons d'armes et ses successeurs aient entendu le christianisme, il n'en est pas moins vrai qu'ils se convertirent de bonne foi, c'est-à-dire qu'ils reçurent tous les dogmes du christianisme, qu'ils se soumirent (p. 195) à ses lois, et que les prêtres chrétiens ne tardèrent point à jouir auprès de leurs vainqueurs de la plus haute considération.
Ils la durent à des vertus dont ces barbares n'avoient sans doute qu'une idée très-imparfaite, mais qui cependant ne leur étoient point tout-à-fait étrangères. Moins éloignés des traditions primitives que le vieux peuple qu'ils remplaçoient, ces peuples enfants avoient des mœurs pures, un caractère hospitalier; et c'est ce qui leur fit admirer une pureté de mœurs qu'ils étoient encore si loin d'égaler, et une charité qui surpassoit tous leurs sentiments les plus généreux. Ce fut surtout cette dernière vertu qu'il n'appartient qu'au christianisme d'exalter jusqu'à ses degrés les plus sublimes, qui leur fit une impression plus profonde, et qui leur rendit si vénérables les hommes qui la pratiquoient. En même temps que les prêtres chrétiens prêchoient de toutes parts et sous leurs yeux la justice, l'obéissance, la résignation et toutes ces autres lois évangéliques qui sont la garantie la plus sûre de l'ordre dans la société, la source de toute paix et de toute consolation pour les membres qui la composent, ils les voyoient s'associer à toutes les souffrances de ceux qu'ils éclairoient de leurs doctrines, à toutes leurs misères, se dépouiller de tout ce qu'ils possédoient pour les soulager, et prouver, non pas seulement par des paroles édifiantes, mais par de continuels (p. 196) et touchants exemples, que le patrimoine de l'Église est celui des pauvres, et que ce n'est pas ici-bas qu'elle a placé son véritable trésor. Ce fut ainsi que, gagnant l'estime et la confiance des vainqueurs, les prêtres chrétiens purent, dès le commencement, exercer une influence salutaire sur le sort des vaincus. Les évêques furent, en effet, le principal refuge des Romains désarmés; ils se rendirent leurs intercesseurs auprès des rois, leurs médiateurs auprès des seigneurs, leurs patrons auprès des juges; et devenus ainsi le lien qui rapprochoit les deux peuples, et le principal instrument de cette concorde qui devoit les confondre en un seul peuple, leur crédit s'affermit au point de devenir en très-peu de temps une autorité régulière et légitime, qui, dès les premiers siècles de la monarchie, étoit déjà la plus considérable dans l'État. Il n'étoit pas rare qu'un duc quittât son duché pour devenir évêque; et un ministre superstitieux à qui une devineresse avoit prédit son élévation à l'épiscopat, considéroit une telle prédiction comme la plus heureuse qui pût jamais se réaliser en sa faveur[206]. Ce même esprit de conciliation et de paix, les prêtres chrétiens le portèrent au milieu des guerres civiles dont la nation ne cessa point d'être déchirée, aussitôt que se furent développés au milieu d'elle les vices et la foiblesse (p. 197) de son pouvoir politique; et ainsi s'accrut encore, sous la seconde race, la puissance des évêques[207].
Ainsi s'accrurent aussi ses richesses que la conquête avoit extrêmement diminuées. Encore que le clergé romain eût été d'un grand secours aux Francs dans la conquête des Gaules, et que Clovis, déjà chrétien, l'eût traité avec beaucoup de ménagements, il est vrai de dire que les Romains armés, qui étoient en mesure de composer avec lui en avoient reçu des conditions bien plus favorables; et comme l'Église n'avoit point de résistance à opposer à l'avidité et la rapacité des vainqueurs, ses biens et ses trésors furent une proie facile que le roi barbare distribua, ou peut-être se vit forcé d'abandonner à l'avarice de ses compagnons d'armes, qui prétendoient sans doute avoir leur part du butin. Ce que la violence lui avoit enlevé, la vertu de ses ministres le lui rendit: lorsque les nouveaux maîtres des Gaules virent le noble et saint usage qu'ils savoient faire du peu qui leur étoit resté, princes et sujets s'empressèrent d'accroître des richesses dont la dispensation devenoit la ressource principale des malheureux et rétablissoit ainsi doucement et régulièrement dans l'état l'équilibre rompu sans cesse par l'inégalité nécessaire et inévitable des fortunes; et les vrais chrétiens crurent aussi amasser un trésor pour le ciel (p. 198) en partageant ce qu'ils possédoient avec ceux dont les biens «étoient le vœu des fidèles, le patrimoine des pauvres, la rançon des âmes, le prix des péchés, la solde des serviteurs et des servantes de Dieu[208].» Ce fut ainsi que le clergé acquit en peu de temps d'immenses propriétés.
Dans le même temps s'élevoient de toutes parts des monastères où se retiroient des Justes dégoûtés du monde et qui aspiroient à une vie plus parfaite. Ces pieux cénobites, ainsi réunis, offrirent une image encore plus frappante de toutes les vertus chrétiennes: partageant toutes leurs heures entre la prière et le travail des mains, ils consacroient au soulagement des malheureux tout ce que pouvoit leur fournir ce travail au-delà de l'absolu nécessaire. Ce fut cette charité ardente, infatigable, qui fertilisa les solitudes où ils avoient fait vœu de vivre et de mourir: ce fut donc au profit des pauvres et uniquement à leur profit que, de leur côté, les moines devinrent légitimes propriétaires d'une partie considérable de la France que leurs sueurs avoient fécondée[209].
Il est certain, au reste, qu'après la conquête, l'Église avoit continué de posséder, selon la loi romaine, ce qui lui étoit resté de ses biens, et ce que, dans les temps postérieurs, elle en avoit pu acquérir; (p. 199) toute la suite des monuments historiques nous prouve qu'exempts des charges publiques lorsqu'ils étoient médiocres et à peine suffisants pour l'entretien de ses ministres, ces biens perdoient leur immunité, dès qu'ils devenoient plus considérables[210]. Cette loi continua d'être observée sous les rois francs, et elle y fut même très-souvent exécutée avec une plus grande rigueur que sous les romains[211]. Nous voyons que les terres de l'Église payoient un cens, des tributs, que ses serfs ou colons devoient au fisc des corvées, et que l'immunité même n'exemptoit pas les églises des dons annuels qu'elles étoient tenues d'acquitter envers le roi[212].
Une autre loi romaine (et cette loi extrêmement remarquable jette un grand jour sur la matière que nous traitons) vouloit que l'Église possédât ses biens aux mêmes titres que les donateurs qui les lui avoient concédés. Or ces biens étoient nécessairement ou civils ou militaires: le possesseur d'un bien militaire devoit un service personnel, ou s'il ne pouvoit servir lui-même, il étoit tenu de se faire remplacer par ses enfants; le propriétaire d'un bien civil fournissoit des miliciens. Le clergé se vit donc, en sa qualité de propriétaire, obligé de remplir ces conditions de la propriété, et de fournir des soldats à l'état.
(p. 200) Ces miliciens qu'entretenoit l'Église devoient être toujours sur pied; et dans ces temps de périls continuels, il falloit qu'ils fussent prêts à marcher au premier signal. C'étoient des hommes libres et non des vassaux; car des prêtres désarmés ne pouvoient en avoir, le vasselage étant, ainsi que nous l'avons déjà dit, une condition particulière et exclusive du bénéfice militaire. Pour obtenir le service d'un homme libre, il falloit pourvoir à sa solde et à sa subsistance: il fut créé à cet effet sur les biens ecclésiastiques des bénéfices à vie qui devinrent la paie de ces soldats de l'Église. Ces biens, dont elle ne leur donnoit que l'usufruit, n'étoient point séparés, quant à la propriété du fonds, des autres biens qu'elle possédoit, et devoient y rentrer après la mort de l'usufruitier[213]. Cette loi, selon laquelle étoit réglé le service militaire de l'Église, paroît avoir été aussi ancienne que la monarchie[214].
Or il étoit difficile que, dans un semblable système, il ne s'introduisît pas de grands abus; et que, dans des siècles grossiers où celui qui avoit la force se plioit si difficilement à la règle et aux lois, le plus foible ne fût pas le seul à souffrir de ces abus. Il arriva donc que les ecclésiastiques ne (p. 201) furent pas toujours libres de choisir leurs hommes, et qu'on les obligea de concéder leurs bénéfices à de vieux soldats que l'on vouloit récompenser, et qui considéroient ainsi ce qu'ils recevoient de l'Église comme un don du souverain qui le leur avoit fait obtenir. Il arriva encore que les capitaines auxquels les évêques ou plutôt le prince donnoit la conduite des hommes libres, lorsqu'il falloit marcher à l'ennemi, acquérant sur eux cet ascendant irrésistible que donne le commandement militaire, les déterminèrent facilement à se faire leurs propres vassaux, et s'attribuèrent par ce moyen la disposition de leurs bénéfices qui se trouvèrent ainsi séparés des biens dont ils tiroient leur origine[215]. Les guerres dangereuses des Sarrasins dans lesquelles l'Église étoit spécialement menacée, le péril extrême auquel l'état fut exposé par leurs invasions, multiplièrent ces usurpations. Charles Martel, que l'on accuse d'avoir dépouillé le clergé, n'eut effectivement d'autre tort que d'autoriser ce qui étoit déjà fait, ce qui probablement se faisoit encore; et c'est ainsi que ces biens, reconquis par l'Église sous la première race, rentrèrent, au commencement de la seconde, dans le domaine des rois, et redevinrent le patrimoine des Francs.
Il fallut bientôt réparer cette grande injustice: (p. 202) Pépin, qui vouloit affermir son pouvoir, sentit qu'il n'appartenoit qu'à la religion de lui donner la force et la stabilité; le ciel même parut se déclarer contre les spoliations impies que son père avoit permises et protégées[216], et poussé à la fois par le cri de sa conscience et par les conseils d'une politique sage et prévoyante, il voulut que l'Église recouvrât ce qui lui avoit été enlevé, et reprît ainsi dans l'état le rang et l'influence qu'elle avoit perdus. Toutefois, vu la qualité et la puissance de la plupart de ceux qui avoient usurpé ces biens, une restitution entière eût été dangereuse, étoit même impossible: des transactions avec ces propriétaires illégitimes étoient un moyen qui s'offroit de lui-même, et que l'on sut employer de manière à concilier ensemble l'intérêt des familles, le repos des consciences et les lois de l'équité. On rendit à l'Église une partie de ses biens; et elle concéda l'autre à ceux qui en étoient actuellement possesseurs, sous la condition qu'ils tiendroient d'elle ces biens à titre de bénéfice et qu'ils lui paieroient à cet effet une redevance[217].
Ces bénéfices différoient peu, relativement aux bénéficiers, de ceux que l'Église avoit autrefois donnés à ses hommes libres; mais l'Église n'en étoit (p. 203) plus propriétaire, ni même des biens dont la jouissance lui étoit réservée, au même titre et avec la même plénitude. Il paroîtroit que la plus grande partie de ces biens, avant de lui être rendus, passèrent entre les mains du roi qui dut ensuite les lui transmettre; et que, par cette transmission, ils prirent la nature des bénéfices royaux: c'est-à-dire qu'ils devinrent une propriété du prince dont il se saisissoit de nouveau, à la mort de chaque titulaire, toutefois avec cette différence qu'il ne pouvoit les réunir au fisc, comme il l'auroit fait d'un fief vacant par le défaut d'héritier mâle, parce que ces biens étoient consacrés au service de Dieu, et exempts des conditions du vasselage; mais qu'il en jouissoit à titre de propriétaire, jusqu'au moment où il lui plaisoit d'y placer un nouvel usufruitier[218]. De même pour les domaines qui furent concédés par le clergé à des bénéficiers, le roi se réserva d'en former de nouveaux bénéfices à la mort de l'usufruitier et aux mêmes conditions, s'il le jugeoit nécessaire, de telle sorte qu'un bénéfice ecclésiastique ne pouvoit jamais être réuni à l'église de laquelle il dépendoit, tant qu'il convenoit au roi d'y nommer un nouveau bénéficier. Ces biens entrèrent donc aussi dans la classe des bénéfices royaux et furent soumis à la (p. 204) même juridiction; mais si la première disposition étoit favorable au clergé et conservatrice des biens dont il avoit la jouissance, comme nous le prouverons tout à l'heure, la seconde lui fut très-nuisible; et l'on conçoit facilement que de tels bénéfices obtenus de la munificence royale durent être bientôt considérés comme des fiefs par ceux qui les possédèrent, et, lorsque l'hérédité s'y fut établie, devenir aussi des fiefs héréditaires: c'est ce qui arriva en effet de tous ces bénéfices ecclésiastiques dont l'Église se vit une seconde fois et successivement dépouillée.
Il arriva donc qu'à peine rentrée dans la possession de ses biens, l'Église fut de nouveau menacée de les perdre. Entourés de bénéficiers armés, beaucoup plus puissants qu'eux, qui, ne supportant qu'avec impatience une dépendance dont ils étoient humiliés et importunés, profitoient du moindre prétexte pour s'en affranchir[219], les titulaires des propriétés ecclésiastiques étoient en danger non-seulement d'être privés de toute espèce de droit sur les bénéfices qu'ils avoient concédés, mais encore de se voir enlever la propriété (p. 205) de ce qui leur avoit été rendu, et avec plus de facilité peut-être qu'auparavant, parce qu'ils étoient plus foibles encore, presque tous leurs hommes libres étant devenus vassaux de leurs bénéficiers.
Dans ce péril imminent, dans cette situation extraordinaire où son existence étoit sans cesse menacée par ces hommes violents, qui se souvenoient encore d'avoir été les vainqueurs des Gaules, et qui se montroient toujours prêts à agir comme du temps de la conquête, le clergé, réduit en quelque sorte au droit de la défense naturelle, ne crut pas, et sans doute avec quelque raison, devoir rester scrupuleusement soumis aux capitulaires et aux canons qui défendoient aux ecclésiastiques de porter les armes. Il demanda et obtint les honneurs du baudrier[220]; les évêques prirent l'épée, l'habit militaire, les éperons; et devenus guerriers et seigneurs de la nation, ils purent avoir des vassaux, puisqu'ils alloient à la guerre où tout homme libre pouvoit aller; ils se firent rendre hommage par leurs hommes libres, conservèrent (p. 206) la propriété des manoirs nobles, qui étoient sous leur redevance, et s'épargnèrent ainsi la solde ruineuse des capitaines qu'ils avoient été obligés de mettre, avec tant de danger pour eux, à la tête de leurs soldats. C'est ainsi que le vasselage, le seul lien de la société temporelle qui fût assez fort pour n'être point encore rompu, contribuoit à raffermir et à conserver la société spirituelle qui seule pouvoit ensuite tout sauver et tout conserver.
Ainsi s'expliquent ces habitudes guerrières que ne cessent de reprocher à ces hommes de paix tant de petits esprits qui ne voient rien au-delà du temps où ils vivent et des objets qui sont sous leurs yeux; et ce qui prouve à quel point ce parti extrême qu'avoit pris le clergé étoit justifié par les circonstances extraordinaires dans lesquelles il se trouvoit, c'est que Charlemagne ayant porté à l'assemblée générale de la nation une requête qui lui avoit été présentée à l'effet d'interdire aux ecclésiastiques le service militaire, et cette interdiction y ayant été décidée[221], les partisans du clergé éclatèrent en murmures et répandirent le bruit que c'étoit dans l'intention de dépouiller l'Église de ses honneurs et de ses biens que l'empereur avoit présenté cette requête et obtenu ce réglement.
Au reste la loi nouvelle fut mal observée sous le (p. 207) règne de ce prince, parce que l'on continua d'envahir les biens du clergé, quoiqu'une autre loi eût prononcé la peine du sacrilége contre ceux qui les envahiroient[222]. Ce ne fut que sous Louis-le-Débonnaire que «les évêques et les clercs déposèrent les ceinturons et baudriers d'or, les glaives ornés de pierreries, les éperons et les habits précieux[223].» Essayant alors de revenir au premier moyen qu'ils avoient employé pour leur défense, ils imaginèrent de choisir parmi les fidèles du roi des chefs auxquels ils confioient la conduite de leurs vassaux; ces chefs reçurent le nom d'avoués[224] des églises. Ce moyen, sans doute plus conforme aux maximes de l'Évangile, et le seul que, dans des circonstances ordinaires et communes, il leur eût été permis d'employer, ne pouvoit suffire encore à protéger leur foiblesse, au milieu de l'impuissance des lois et de ce désordre politique où la France continuoit d'être plongée. La création des avoueries eut un résultat à peu près semblable à la séparation qui avoit été opérée (p. 208) sous Charles Martel; et ces avoués n'étoient en effet, sous un autre nom, que ces capitaines qui l'avoient alors si violemment dépouillée. Le même principe amena donc et nécessairement des conséquences toutes semblables. Les bénéficiers cessèrent de rendre hommage aux évêques, dès que ceux-ci eurent cessé de porter les armes, et ne reconnurent plus que leurs avoués; l'hérédité des fiefs ayant commencé à s'introduire, vers cette époque, un grand nombre d'avoués se firent les suzerains de ces vassaux qui ne leur appartenoient pas; et ce ne fut que par l'extinction des familles qui possédoient les avoueries, et par les donations qui lui furent faites postérieurement à l'établissement de l'hérédité, que les églises recouvrèrent les biens et les vassaux qui leur avoient été une seconde fois enlevés.
Nous avons dit que la circonstance qui avoit fait des bénéfices royaux de cette autre partie des biens enlevés au clergé, et dont la jouissance lui avoit été rendue, avoit été favorable aux propriétaires de ces biens; et en effet les rois, protecteurs nés de l'Église et de ses ministres, et qui voyoient en eux l'appui le plus sûr et le plus ferme de leur couronne, loin d'avoir aucun (p. 209) intérêt à les dépouiller, trouvoient au contraire un avantage véritable à accroître leur crédit et leur influence, et leur conservoient ainsi fidèlement ces biens, comme un dépôt qui leur avoit été commis. C'étoit là ce qu'on appeloit le privilége de l'immunité, que n'avoient pas les fondations faites par de simples particuliers, fondations dont l'administration revenoit aux familles après la mort des fondateurs, en raison du même droit qui les faisoit vacquer en régale, quand elles étoient faites ou supposées faites par le roi. De cette disposition de la loi en faveur de ces familles, résultoient mille inconvénients, et tous au détriment du clergé, qui voyoit souvent des héritiers avides et peu scrupuleux dissiper des biens dont la piété de leurs ancêtres avoit voulu faire le patrimoine des pauvres et des églises; et les nouveaux fondateurs, témoins de ces désordres, n'eurent qu'un moyen de s'assurer que les intentions qu'ils avoient eues, en faisant de semblables dons, seroient remplies: ce fut de remettre leurs fondations entre les mains du roi, qui, les confirmant alors par des chartes, leur donnoit la nature d'aleu ou de propre, et tous les avantages de l'immunité. Ainsi prirent le caractère de fondations royales, un grand nombre de bénéfices qui n'avoient point été donnés à l'église par les rois.
Tout porte à croire que ce fut de même dans l'intention de s'assurer la conservation des biens (p. 210) qui leur avoient été donnés, ou qu'ils s'étoient créés eux-mêmes par leurs travaux, que les monastères voulurent jouir aussi des avantages attachés aux fondations royales, et s'affranchir de la juridiction des évêques, qui d'abord étoient les dispensateurs de ces biens au même titre que de ceux des autres églises, et avoient ainsi le droit d'en appliquer l'usage selon qu'ils le jugeoient à propos; ce qui ne se faisoit pas toujours avec justice et discernement. Et il faut bien supposer que ce privilége des évêques n'étoit pas sans de graves inconvénients, puisque ce fut un saint évêque qui lui-même établit le premier un abbé dans un monastère, et l'affranchit de la juridiction de l'ordinaire, «dans la crainte qu'il eut, dit l'annaliste qui rapporte ce fait, que ses successeurs n'envahissent les biens de ce monastère[225].» Un monastère remis ainsi entre les mains du roi recevoit le nom d'abbaye; et dès ce moment, son abbé prenoit rang parmi les seigneurs ou grands vassaux, administrant lui-même ses biens, en acquittant les charges, fournissant directement à l'état les soldats dont auparavant il grossissoit le contingent des évêques, et ne reconnoissant plus d'autre autorité que celle de Dieu et du roi.
(p. 211) Mais il n'en étoit pas des moines comme des prêtres séculiers. Ceux-ci avoient leur part des biens des églises; les autres, soumis à la vie commune, ne possédoient rien en propre, n'avoient droit qu'au simple nécessaire, fixé par la règle qu'ils avoient embrassée. Tout le reste étoit à la disposition de leurs abbés, qui trop souvent ne faisoient pas de ces richesses ainsi accumulées dans leurs mains, l'usage auquel elles avoient été destinées, et les dissipant dans les folles dépenses d'un luxe scandaleux, excitoient ainsi la cupidité des laïques dont ils imitoient la manière de vivre, et qui, témoins de leur vie mondaine, durent se croire très-propres à les remplacer dans cette manière d'administrer des biens ecclésiastiques. C'est ainsi que se formèrent et se multiplièrent les commendes, qui n'étoient autre chose que le droit d'usufruit et d'administration réservé à tout fondateur, droit que le roi étendit des monastères simples, qui, à ce titre, avoient pu, de tout temps, être administrés par des laïques, aux abbayes de fondation royale, et dont il étoit le suprême administrateur. Or cette disposition particulière que l'on faisoit du bien des abbayes, sembloit ne pas avoir des inconvénients aussi graves que la dilapidation des biens du clergé séculier, parce que l'on ne dépouilloit en apparence qu'un seul homme, qui étoit l'abbé, les moines n'ayant droit, nous le répétons, qu'à l'absolu nécessaire, fixé par les (p. 212) statuts de leur communauté. On vit donc s'élever de toutes parts des commendes au profit des gens de la cour et des nobles de province; et sous la seule condition de pourvoir à l'entretien des lieux réguliers, et à la nourriture des religieux, les commendataires purent dissiper à leur gré, prodiguer à tel usage profane qu'il leur plaisoit, l'immense superflu des biens confiés à leur gestion. Ce fut un nouveau genre de spoliation qui n'eut point de bornes: on se partagea les biens des monastères comme des terres conquises; les rois donnèrent des abbayes aux reines, à leurs fils, à leurs filles, ils en gardèrent pour eux-mêmes; il n'y eut point de vassal un peu puissant qui ne s'en fît donner, et plusieurs mirent leur fidélité au prix de semblables dons. Vainement les évêques s'élevèrent contre cette dissipation impie et souvent inhumaine des biens des monastères, et menacèrent les spoliateurs des jugements de Dieu[226]: ils n'y gagnèrent autre chose que la (p. 213) vaine formalité à laquelle se soumirent les rois et les seigneurs de faire tonsurer ceux de leurs enfants qu'ils vouloient enrichir ainsi, sans rien diminuer de leurs domaines; et l'on conçoit que sous de tels abbés, le sort des moines n'étoit pas plus assuré, ni le vœu des fondateurs plus respecté que sous l'administration des laïques. Enfin les choses en vinrent au point que l'on crut nécessaire de faire des arrangements pour que la communauté ne manquât pas du moins des premiers besoins de la vie, et de séparer à cet effet de la mense abbatiale la portion de bien strictement nécessaire à la subsistance des religieux et à la réparation des églises, portion à laquelle les abbés et les commendataires n'eurent pas le droit de toucher. Un tel remède fut pire peut-être que le mal; parce que délivrés, par de tels arrangements, de toute responsabilité sur ce qui touchoit les moines et le monastère, ces administrateurs disposèrent plus librement encore et avec moins de scrupule de la part de biens, incomparablement plus grande, qui leur étoit restée. Par exemple, les comtes de Paris s'étant établis commendataires de presque toutes les abbayes que renfermoit leur comté, une fois ce partage fait avec la communauté, distribuèrent à leurs gens de guerre toutes les terres restantes, qui furent ainsi pour toujours soustraites à la juridiction ecclésiastique. Ce qu'ils avoient fait, d'autres seigneurs le firent également (p. 214) dans toutes les parties de la France; et un grand nombre de menses abbatiales se trouvèrent ainsi sécularisées.
Telle est l'histoire des propriétés de l'église sous les deux premières races; et cette histoire n'est autre chose que le récit du pillage perpétuel de ces propriétés par une race d'hommes violente et guerrière, dont ses ministres travailloient sans cesse à adoucir les mœurs et à éclairer l'intelligence. Ce que lui enlevoit l'avidité des vainqueurs dans les moments de désordre, on voit que la piété des fidèles le lui rendoit dans des temps moins agités, au risque de le lui voir enlever encore; et que, dans ce combat sans relâche de la cité de Dieu contre la cité du monde, la charité et la patience de l'une triomphèrent à la fin de l'avarice et de la violence de l'autre. C'est qu'il falloit que l'église de France subsistât, Dieu ayant visiblement de grands desseins sur un royaume qui fut toujours le premier de la chrétienté; et peut-être touchons-nous au dernier accomplissement de ces desseins, après la dernière spoliation plus inique sans doute, plus funeste, plus barbare que toutes les autres, dont elle vient d'être la victime; spoliation qui, malgré tous les efforts de l'impiété, ne peut manquer d'être réparée par les mêmes moyens.
On peut maintenant apprécier à leur juste valeur ces cris stupides de l'impiété, de toutes parts (p. 215) répétés par la prévention et par l'ignorance, qui accusent d'usurpation du bien d'autrui, un clergé sans cesse dépouillé de son propre bien; qui nous présentent comme plongé dans toutes les jouissances du luxe et de la mollesse des cénobites que leurs administrateurs laïques laissoient mourir de faim, comme des hommes turbulents et sanguinaires des évêques qu'une triste nécessité forçoit à prendre les armes, afin d'opposer quelques résistances à un brigandage qui s'exerçoit sur le patrimoine des pauvres, qui menaçoit la religion elle-même dans l'existence de ses ministres. L'impiété ne s'arrête point là: dévorée d'une rage que rien ne peut éteindre, elle va chercher dans la fange des chroniques les plus obscures et les plus méprisées[227], ce que ses suppôts de tous les âges (car elle n'a jamais cessé d'en avoir) (p. 216) ont pu écrire de plus infâme, de plus grossièrement mensonger contre les moines et les prêtres; et opposant avec impudence ce vil fatras de turpitude aux témoignages de l'histoire les plus graves, les plus avérés, les plus éclatants, elle ne craint pas de dépeindre comme des scélérats abominables, des hommes qui, d'âge en âge et jusqu'à nos jours, n'ont cessé de transmettre aux générations, les croyances, les préceptes, la morale de l'Évangile; supposant que, par un miracle plus grand, plus inconcevable que tous ceux qu'elle rejette, ces hommes ont pu et voulu, dans cette longue succession qui ne s'est pas interrompue un seul instant, perpétuer des croyances auxquelles ils ne croyoient pas, annoncer des préceptes auxquels ils n'obéissoient pas, prêcher une morale qu'ils ne pratiquoient pas; créant ainsi, au gré de sa haine extravagante, une société de nobles toujours furieux et de prêtres toujours hypocrites, société impossible, qui cependant a duré quatorze siècles, société la plus tyrannique qui ait jamais opprimé les peuples, et (p. 217) qui cependant a donné pour la première fois au monde le spectacle d'une nation où il n'y avoit plus de maîtres ni d'esclaves. La race guerrière qui subjugua les Gaules et qui y établit son empire fut long-temps sans doute rude et grossière dans ses mœurs: cependant, dès les premiers moments de la conquête, elle se montre pleine de respect et d'admiration pour la doctrine et la vertu des prêtres chrétiens; elle écoute avec docilité leurs avertissements les plus sévères, elle s'effraye de leurs saintes menaces: si, malgré cette admiration et ce respect, ces barbares demeurèrent encore long-temps légers, changeants, livrés à mille passions impétueuses, à quel excès ne se fussent point livrés des caractères aussi indomptables, sans ce frein que la religion sut leur imposer, frein salutaire qu'ils n'osèrent jamais briser, quoiqu'il ne suffît pas toujours pour les diriger et les retenir? car ce temps où il se commit de grands crimes, fut aussi celui des grandes expiations. Dans nos temps plus policés, nous avons surpassé les crimes et rarement imité le repentir: «C'est qu'alors, comme l'a dit un illustre écrivain que nous nous plaisons à citer, l'homme étoit emporté et qu'aujourd'hui il est corrompu[228].» L'ignorance étoit grande dans ces temps orageux, et d'autant plus profonde, d'autant plus incurable que ceux qui (p. 218) y étoient livrés se plaisoient au milieu de ses ténèbres[229]. Où se conservoient les dernières lueurs des lettres et des connoissances humaines prêtes à s'éteindre, si ce n'est dans les cloîtres qui rendirent ensuite à la société moderne ce qu'ils avoient sauvé du grand naufrage de l'ancienne société? où étoient les seules écoles qu'il y eût alors? auprès de la cathédrale et de la demeure des évêques: là étoient encore l'hôpital pour les malades, l'hospice pour les pélerins et les pauvres voyageurs[230]; et dans ces asiles de paix «la science et la miséricorde s'étoient rencontrées et embrassées[231].» Lorsque le pouvoir politique, si foible alors sous des rois foibles, parce qu'il n'étoit pas naturellement constitué, reprenoit un peu de vigueur sous quelques princes guerriers ou d'un ferme caractère, à qui s'adressoit le monarque pour le rétablissement de l'ordre et le maintien de la justice, si ce n'est aux évêques, protecteurs naturels des peuples, et qui recevoient alors la noble mission de porter (p. 219) au pied du trône le cri des opprimés et de demander en leur nom que justice fût rendue[232]? Qu'étoit le vasselage, seul lieu de cette société naissante, qui, comme nous l'avons déjà dit, ne fut jamais entièrement rompu, sinon le respect pour la foi jurée? et quel autre garant pouvoit-on avoir que la religion, de la foi du serment? Lorsque tout n'étoit que trouble et confusion dans l'état, où étoient l'ordre et l'unité, sinon dans la société des fidèles, qui seule demeuroit immuable dans ses dogmes, dans ses traditions, dans sa discipline? Pour cette multitude que divisoient sans cesse des intérêts si opposés, des usurpations si manifestes, des préjugés d'indépendance si fortement enracinés, quel autre signe de ralliement que la CROIX qui, s'élevant de toutes parts, sur (p. 220) le sommet de leurs tours et sur la pointe de leurs clochers, réveilloit à tous moments dans leur cœur des sentiments qui leur étoient communs, de croyances qui pour tous étoient les mêmes, et sembloit rappeler à ne former qu'une seule patrie sur la terre, des hommes destinés à n'avoir qu'une même patrie dans le ciel? et nous pouvons défier toute la subtilité sophistique des incrédules de nos jours, d'expliquer comment il eût été possible que ce royaume de France, formé par des évêques; ainsi que l'a dit un écrivain dont sans doute ils ne récuseront pas le témoignage[233], eût pu être sauvé de sa ruine autrement que par des évêques; c'est-à-dire comment, sans la religion et ses ministres, il eût pu rester en France, après la fin de la seconde race, vestige de société.
Sous les rois de la troisième race, le clergé put espérer enfin des jours moins agités, et pour ses propriétés des garanties et une protection dont, jusqu'alors, lui seul avoit été privé. Il put, de même que les autres membres de la société, conserver ce qui lui appartenoit, et opposer avec succès, aux nouveaux envahissements que l'on tenta contre lui, ses titres et ses priviléges. Or, dans cet espace de quelques lieues sur lequel ont été successivement tracées et élevées les diverses enceintes de (p. 221) Paris, et qui s'est couvert aussi par degrés d'un si grand nombre d'édifices et d'une population, jusqu'au temps où nous vivons, toujours croissante, les évêques et les abbés avoient beaucoup de possessions, et eurent plus à combattre que partout ailleurs pour maintenir leurs droits sur un coin de terre que la multitude des habitants d'une ville devenue capitale du royaume, leur disputoit, pour ainsi dire, pied à pied; et ces droits, ils surent cependant les abandonner, selon que l'exigeoit l'intérêt public, auquel il est rare qu'ils n'aient pas toujours sacrifié leurs propres intérêts.
Par exemple les évêques de Paris possédoient, comme les autres prélats, des terres autour du siége de leur église, dans un temps où cette ville étoit presque tout entière renfermée dans la Cité, et où il étoit impossible de prévoir l'agrandissement immense qu'un jour elle devoit recevoir. Sous le règne de Louis-le-Jeune, une partie de ces propriétés, situées au couchant de la ville, étoit désignée sous le nom de Culture-l'Évêque, et prenoit naissance aux limites de l'ancien et du nouveau bourg Saint-Germain-l'Auxerrois. Dans ces terres, qui étoient devenues de la nature des fiefs, l'évêque, sous la seule condition de l'hommage et des redevances féodales, avoit presque tous les droits d'un souverain, haute et basse justice, propriété des serfs, perception de certains (p. 222) impôts, pouvoir de donner des terres à cens, d'établir des arrière-fiefs, etc.
Les monastères fondés dans les environs de la ville avoient également des propriétés dans les terrains ou cultures qui, de tous côtés, entouroient son enceinte; et, comme nous l'avons dit, les abbés, affranchis de la juridiction de l'ordinaire, étoient, ainsi que les évêques, maîtres absolus dans ces propriétés, et vassaux immédiats de la couronne. Ils donnoient, comme propriétaires de fiefs, les terres dépendantes de leurs abbayes à cens ou à rentes, sous la condition d'y faire des cultures ou d'y élever des bâtiments; et c'est ainsi que s'étoient formés les bourgs Saint-Germain-des-Prés, Saint-Germain-l'Auxerrois, Saint-Marcel, etc. Dans l'intérieur, des monastères avoient été aussi fondés, dotés et soustraits également à la juridiction épiscopale. Il résultoit, de cet état de choses, une foule de droits, de prérogatives, de prétentions opposées, que l'on a peine à concevoir, et dont cependant les traces se sont conservées jusqu'à nos jours. Les évêques défendoient leurs priviléges contre le roi, les moines contre l'évêque. À mesure que la ville s'étendoit, les droits de censives étoient réclamés sur les divers territoires qu'on y faisoit entrer; le roi n'obtenoit rien que par transaction, soit des couvents, soit des prélats, et ne devoit en effet (p. 223) rien obtenir que de cette manière; si une chapelle se trouvoit placée dans l'arrondissement d'un monastère, et que les besoins du culte ou tout autre considération portât à l'ériger en paroisse, les moines, et cela étoit juste encore, conservoient le droit de nommer à la cure; ils ne cédoient point ce droit, même lorsqu'ils abandonnoient, de leur propre mouvement, leur église pour quelqu'autre demeure qui leur sembloit plus convenable, fût-ce l'extrémité opposée de la ville; ces droits de patronage, trop souvent exercés par des laïques, se transmettoient, se cédoient par vente ou par échange; on les obtenoit même lorsqu'une église étoit bâtie sur une terre accordée avec amortissement[234], et c'est ainsi que se sont établies les diverses censives qui existoient dans la Cité, censives qui se sont insensiblement augmentées par les adjonctions qu'y ont faites les communautés, des biens qu'elles acquéroient ou de ceux qui leur étoient légués.
Nous pensons que cette histoire succincte des biens du clergé suffira pour faire bien entendre ce que nous avons à dire des églises et des fondations nombreuses que Paris renfermoit dans ses (p. 224) murs, des mutations diverses qu'elles ont éprouvées, et des rapports qui se sont établis entre elles et des églises situées dans d'autres quartiers de cette capitale.
Cette église, bâtie au fond d'une cour, et masquée par un rang de maisons, est située dans la rue de la Barillerie, laquelle communique de la place du Palais au pont Saint-Michel. Son origine est très-ancienne, et remonte jusqu'à saint Éloi, orfèvre et monétaire des rois Clotaire et Dagobert. Ce pieux personnage ayant mérité, par ses vertus, l'estime et la confiance de ces deux princes, Dagobert lui fit don d'une maison assez vaste, située vis-à-vis du Palais. Saint Éloi eut d'abord le projet d'y faire construire un hôpital, mais, par des considérations particulières, il en fit une communauté de filles, sous l'invocation de saint Martial, évêque de Limoges. Plusieurs savants ont cru que l'église de ce dernier saint existoit déjà depuis long-temps[235]; mais cette opinion a (p. 225) été combattue, et ne semble pas fondée. La fondation de Saint-Éloi fut achevée vers l'an 632 ou 633[236]. L'espace se trouvant bientôt trop étroit pour contenir le grand nombre de vierges qu'attiroit la célébrité du lieu, le saint eut recours à la bonté du roi, qui lui accorda tout le terrain que renferment aujourd'hui les rues de la Barillerie, de la Calendre, aux Fèves et de la Vieille-Draperie. Dans tous les titres, cet espace est appelé la Ceinture de Saint-Éloi.
Ce monastère, qui garda long-temps le nom de Saint-Martial, prit ensuite celui de son fondateur; et dans le neuvième siècle on ne le connoissoit plus que sous ce dernier titre[237]. Avant le règne de Charles-le-Chauve il n'étoit point encore sous la juridiction de l'ordinaire[238]; et ce fut ce prince qui l'y fit entrer, à la prière d'Ingelvin, évêque de Paris. Cette charte fut confirmée par Louis-le-Bègue en 878[239].
Le relâchement s'introduisit parmi les religieuses qui l'habitoient, et au commencement du douzième siècle il fut porté à un tel point, que l'évêque se vit forcé d'employer la rigueur pour en arrêter le scandale; ces religieuses furent dispersées en divers monastères éloignés, et l'on (p. 226) donna l'abbaye à Thibaud, abbé de Saint-Pierre-des-Fossés, sous la condition d'y mettre un prieur[240] et douze religieux de son ordre. Ces changements arrivèrent en 1107[241]. Dix-huit ans après, ce même abbé la remit entre les mains de l'évêque de Paris, Étienne de Senlis, qui la garda neuf ans. Pendant cet intervalle, l'église, qui étoit immense, et qui tomboit en ruines, fut séparée en deux par une rue qui subsiste encore sous le nom de Saint-Éloi. Le chevet ou chœur forma une église nouvelle, sous le nom de l'ancien patron, Saint-Martial[242], et de la nef on en fit une autre, sur partie de laquelle a été bâtie celle que l'on voit aujourd'hui.
En 1134, l'évêque fit, de nouveau, le don de ce monastère aux mêmes religieux, et sous les mêmes conditions, y ajoutant toutefois celle de rendre à l'évêque et au chapitre de Notre-Dame (p. 227) les mêmes devoirs qui avoient été imposés aux religieuses. Ils s'y sont maintenus jusqu'en 1530, que leur principale abbaye, nommée alors Saint-Maur-des-Fossés, fut réunie, avec toutes ses dépendances, à l'évêché de Paris. L'office y fut alors célébré par quelques prêtres séculiers. Enfin cet édifice tomboit de vétusté, lorsqu'en 1629 M. de Gondi, premier archevêque de Paris, le destina à la congrégation des clercs réguliers de Saint-Paul, dits Barnabites, que Henri IV avoit appelés en France en 1608. Ces religieux, qui se consacroient aux missions et à toutes les autres fonctions sacerdotales, firent successivement rebâtir l'église et la maison qu'ils occupoient[243]. Ces constructions n'offrent rien de remarquable dans leur architecture.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES BARNABITES.
TABLEAUX.
Dans le cloître, quelques peintures, sujets tirés des Actes des apôtres, par de Berge. Dans un parloir, la Prédication de Saint-Pierre; dans l'Église, un Ecce Homo, et quelques autres tableaux par des peintres inconnus.
(p. 228) La bibliothèque de ces pères contenoit environ seize mille volumes, et une collection d'estampes assez considérable.
Quelques années avant la révolution, on voyoit encore, devant l'église des Barnabites, une petite place, que, depuis, l'on a fait entrer dans le plan général de celle du Palais de justice. C'étoit sur cette place qu'avoit été autrefois située la maison du père de Jean Châtel, qui, le 27 décembre 1594, tenta d'assassiner Henri IV. «Sur la fin de cette année, dit Péréfixe, un jeune écolier âgé de dix-huit ans, fils d'un marchand drapier de Paris, s'étant coulé avec ses courtisans dans la chambre de la belle Gabrielle où étoit le roi, le voulut frapper d'un coup de couteau dans le ventre; mais de bonne fortune, le roi s'étant baissé en ce moment pour saluer quelqu'un, il ne l'atteignit qu'au visage, lui perça la lèvre d'en haut et lui rompit une dent.... Le parlement condamna le parricide à avoir le poing droit (p. 229) brûlé et à être tenaillé, puis tiré à quatre chevaux.... Le père de ce misérable fut banni, sa maison de devant le Palais démolie, et une pyramide élevée en la place»[244].
Personne n'ignore que les jésuites furent impliqués dans la procédure de cet assassin, et que ce fut l'occasion de la première persécution qui ait été exercée contre leur société. Il y a long-temps que cette œuvre d'iniquité a été pénétrée dans toutes ses profondeurs et mise à découvert, de manière que, pour les esprits droits et éclairés, il n'est rien de plus évident que l'innocence de ces religieux, et de plus démontré que la malice de (p. 230) leurs persécuteurs. Néanmoins tant de calomnies atroces ont été répandues sur cette société célèbre; tant d'ennemis acharnés, et qui semblent se succéder contre elle d'âge en âge, comme une génération malfaisante, les ont répétées et propagées; elles ont été renouvelées avec tant de fureur, lors de la dernière persécution, plus odieuse que toutes les autres, dont elle a été la victime, et qui en a amené l'entière destruction, qu'encore que sa ruine ait entraîné avec elle ses ennemis eux-mêmes, et la religion, et la monarchie, il en est resté contre les jésuites beaucoup d'impressions défavorables et d'injustes préventions, qui ne nous permettent pas de passer légèrement sur l'une des accusations les plus capitales qu'on ait jamais osé élever contre eux.
Les ennemis de la compagnie de Jésus étoient les huguenots, le parlement, et tous ceux qui étoient liés avec cette cour de prétentions et d'intérêts. Les huguenots avoient raison de détester les jésuites, puisque ceux-ci étoient, en effet, leurs plus redoutables adversaires; le parlement, tout plein encore du venin de la ligue, et qui s'étoit mis en opposition ouverte contre l'autorité royale, long-temps avant l'époque de la ligue et celle de la réforme, avoit également sujet de haïr une société uniquement formée pour propager et défendre les principes du catholicisme, source de toute autorité, et qui (p. 231) en est le plus ferme appui. Ligueurs et huguenots, en apparence si opposés les uns aux autres, étoient, en effet, animés d'un même esprit, celui de révolte et d'indépendance; et la perte des jésuites avoit été également jurée par l'un et l'autre parti. Douteroit-on de cette haine commune à tous les deux? Elle va nous être attestée par un écrivain contemporain.
«Après l'attentat de Jean Châtel, dit l'historiographe Dupleix, les huguenots et les libertins, sous prétexte d'un fervent zèle pour le salut du roi, sur le bruit que cet escolier débauché avoit estudié sous les jésuites, publièrent qu'il estudioit encore sous eux, et qu'il avoit confessé qu'ils l'avoient induit à commettre un parricide exécrable en la personne de Sa Majesté par diverses persuasions et artifices, dont les bons François trop crédules furent grandement esmeus, et sur l'heure lancèrent mille exécrations, maudiçons et imprécations contre les jésuites, plusieurs criant qu'il les falloit égorger et jeter dans la rivière... Les jésuites étoient haïs d'aucuns des JUGES mêmes; mais ni PREUVE NI PRÉSOMPTION ne pouvant être arrachée de la bouche de l'assassin, par la violence de la torture, pour rendre les jésuites complices de son forfait, des commissaires furent députés (p. 232) pour aller fouiller tous les livres et écrits de cette compagnie[245]».
Suivons toutes les traces de cette affaire, et ne marchons qu'appuyés sur des autorités irrécusables. «Ni preuve ni présomption contre les jésuites n'avoient pu être arrachées de la bouche de l'assassin.» Douteroit-on de la véracité de l'historien qui nous a transmis cette circonstance? Écoutons de l'Étoile, ennemi mortel des jésuites. «Jean Châtel, dit-il, par son interrogatoire, déchargea du tout les jésuites, même le père Guéret, son précepteur[246].» Matthieu, Cayet, les Mémoires de la ligue, M. de Thou, sont, sur ce point, d'un accord unanime, et reconnoissent avec de l'Étoile que Châtel disculpa formellement les jésuites, non-seulement de lui avoir conseillé d'assassiner le roi, mais même d'avoir eu la moindre connoissance de son dessein[247].
Cependant des commissaires sont députés pour aller fouiller les livres et écrits de cette compagnie, et cela uniquement parce que le régicide (p. 233) avoit étudié pendant trois ans sous un jésuite, le père Guéret; et bien «qu'en DERNIER LIEU, il eût étudié aux écoles de droit de l'université[248],» on ne pensa point à aller fouiller, ni les livres, ni les écrits de l'université. Quatre conseillers se transportèrent donc au collége des jésuites, où ils firent la visite de plusieurs chambres. «On trouva dans celle du père Guignard (qui étoit le bibliothécaire de la maison), parmi plusieurs écrits, un papier écrit de sa main, en 1589, dans le temps qu'on assassina Henri III: c'étoit de ces libelles que les troubles avoient enfantés, et qu'une curiosité indiscrète faisoit garder[249].» Ajoutons que c'étoient de ces libelles tels que, cinq ans auparavant, on en composoit en faveur du parlement, peut-être même par ses ordres, et bien certainement dans ses vues, et avec son approbation[250].
La découverte d'un tel écrit, au milieu des papiers du bibliothécaire d'un collége, lorsqu'on sortoit à peine d'un temps de guerres civiles, qui (p. 234) avoit vu naître des milliers de semblables productions que l'on conservoit impunément partout, dont les collections existoient sans doute alors, puisqu'on les trouve encore aujourd'hui dans nos bibliothèques, constituoit-elle un délit suffisant, nous ne dirons pas pour faire arrêter ce bibliothécaire et lui faire subir le dernier supplice, mais seulement pour le faire réprimander et admonester par ceux qui avoient trouvé cette pièce et qui s'en étoient saisis[251]? Non, sans doute. Que sera-ce donc si le témoignage le plus grave nous force à douter de l'existence même de ce prétendu délit? Écoutons l'illustre chancelier de Chiverny, par l'ordre duquel fut instruit le procès de Jean Châtel:
«Sur l'occasion que Jean Châtel avoit estudié quelques années au collége des jésuites, et que les PREMIERS du parlement leur vouloient mal d'assez long-temps, ne cherchant qu'un prétexte pour ruiner cette société, trouvant celui-ci plausible à tout le monde, ils ordonnèrent et commirent quelques-uns d'entre eux qui étoient LEURS VRAIS ENNEMIS, pour aller chercher et fouiller partout dans le collége de Clermont, (p. 235) où ils trouvèrent véritablement, ou peut-être SUPPOSÈRENT, ainsi que quelques-uns l'ont cru, certains écrits particuliers contre la dignité des rois, et quelques mémoires contre le feu roi Henri III[252].
Le père Guignard ayant été mis en jugement et appliqué à la question, on lui produit cet écrit trouvé peut-être véritablement dans sa chambre, peut-être supposé. Sur cet attentat d'un nouveau genre, il est déclaré coupable du crime de lèse-majesté par des juges qui, cinq ans auparavant, avoient porté contre le roi un arrêt régicide et sacrilége, et condamné par eux à mourir attaché à un gibet. Il marche à cette mort infâme avec un admirable courage; prêt de monter à l'échelle ses dernières paroles sont des paroles de paix; il y proteste de nouveau avec douceur et tranquillité de son innocence et de celle de sa compagnie, et meurt avec la résignation d'un martyr[253].
(p. 236) On n'avoit point trouvé d'écrit chez le père Guéret. Tout son crime étoit d'avoir été pendant trois ans le RÉGENT de Jean Châtel. Le parlement jugea, dans sa sagesse, que tout jésuite devoit répondre de tout élève qui avoit étudié sous lui, à quelque époque que ce pût être; et le régent du régicide fut aussi arrêté, interrogé et appliqué à la question. Ce fut encore un spectacle bien touchant que celui de la constance et de la résignation de ce bon père au milieu des traitements barbares qu'on lui faisoit éprouver[254]. Comme il n'avoua rien, qu'il n'y avoit contre lui aucun (p. 237) indice et qu'il n'avoit point d'accusateurs, ses juges crurent devoir y mettre de la modération[255], et le condamnèrent seulement à être banni à perpétuité, «pour avoir été, dit l'arrêt, le PRÉCEPTEUR de Jean Châtel.» «Le précepteur de Jean Châtel!» s'écrie un apologiste des jésuites au sujet de cette qualification étrange inusitée, que l'on employa en cette occasion avec une affectation si marquée; «certes la qualité de précepteur décèle ici la passion des juges, qui affectoient de confondre celui qui donne des leçons publiques à tous ceux qui viennent l'entendre, avec celui qui forme en particulier l'esprit et le cœur d'un élève dont il est chargé spécialement. Il est vrai que Châtel avoit fait sa philosophie sous le père Guéret; mais Calvin et Bèze n'avoient-ils pas fait toutes leurs études en Sorbonne? s'est-on avisé d'imputer à cette célèbre école les guerres civiles dont le calvinisme a été la source? mais Châtel lui-même n'avoit-il pas fait toutes ses classes à l'université, avant de faire sa philosophie au collége? Et après (p. 238) être sorti du collége, n'avoit-il pas repris ses études à l'université? Que la haine est inconséquente! on ne dit rien aux premiers maîtres de Châtel, dont les leçons devoient paroître plus suspectes à toutes sortes de titres; on ne dit rien aux derniers maîtres de Châtel, au professeur en droit, sous lequel ce monstre étudioit actuellement, et l'on applique à la question, et on livre au supplice et à l'infamie, et on extermine les jésuites, parce que Châtel, dans l'intervalle de ses études, commencées et reprises à l'université, avoit étudié quelque temps sous les jésuites qu'il déchargea de tout dans ses interrogatoires[256]!
Mais supposons même un instant coupables ces deux religieux, dont le témoignage uniforme de tous les historiens, les interrogatoires juridiques du régicide, leurs propres interrogatoires, le caractère connu de leurs juges, les formes rapides et violentes de la procédure élevée contre eux, tout, jusqu'aux pièces de conviction et aux motifs dérisoires de leur condamnation, rend l'innocence plus évidente et plus claire que la lumière du jour: étoit-il raisonnable de rendre la société des jésuites responsable du crime de deux de ses membres, de l'envelopper tout entière dans leur ruine; et (p. 239) une sorte de pudeur ne devoit-elle pas empêcher le parlement de concevoir même l'idée d'une aussi monstrueuse injustice? Non-seulement il put en concevoir l'idée, mais encore la consommer. Un arrêt qu'il rendit chassa de France tous les jésuites, comme complices du père Guéret, auquel, peu de jours après, ce même parlement ouvrit les portes de sa prison, pour n'avoir pu lui découvrir ni crime ni accusateur. Tel fut le dénoûment de cette intrigue qu'on ne sait comment qualifier, qui affligea et déconcerta tous les gens de bien, même parmi ceux qui n'aimoient pas les jésuites; qui fut la joie, le triomphe et en partie l'ouvrage des sectaires protestants[257], qui montre à tous les yeux, et plus clairement qu'on ne l'avoit pu voir encore, quel étoit l'esprit parlementaire, et s'il n'étoit comprimé, de quels dangers il menaçoit la monarchie et la religion.
La pyramide fut élevée, «et ès diverses faces furent gravées diverses inscriptions à l'opprobre des jésuites.... Car ceux qui inventoient les plus satiriques et poignantes contre leur société, étoient les mieux venus de ceux qui avoient pris la direction de cet ouvrage[258].» C'est-à-dire des magistrats.
(p. 240) Cependant quelle étoit l'opinion de Henri IV sur tous ces actes si violents et si passionnés de son parlement? Considéroit-il effectivement les jésuites comme ses ennemis? Appuyoit-il ces mesures que l'on sembloit prendre pour sa sûreté et pour rendre sacrée et inviolable aux yeux des peuples la personne des rois? En 1762, lorsque le parlement philosophe acheva si heureusement ce qu'avoit commencé le parlement ligueur[259], on produisit comme extrait de ses registres un édit de ce roi, qui confirmoit l'arrêt de bannissement porté en 1595 contre la compagnie de Jésus, et apposoit ainsi le sceau de l'autorité royale au grand et mémorable jugement qui avoit été rendu à l'égard de cette compagnie; mais l'apologiste des jésuites déjà cité[260] prouva, de manière à couvrir d'une éternelle confusion ceux qui faisoient valoir une semblable pièce, que cet édit avoit été inconnu à tous les écrivains qui ont pu et dû le connoître; inconnu aux historiographes de Henri IV, à ses ministres, à ses ambassadeurs, à ses négociateurs dans les cours étrangères, aux magistrats, gens du roi et parlements qui ont dû l'enregistrer; inconnu au (p. 241) chancelier de France qui auroit dû le dresser, le sceller et l'expédier, inconnu au pape qui devoit s'y intéresser si vivement, inconnu aux jésuites qu'il proscrivoit et au roi lui-même qui l'avoit rendu; que, considéré en lui-même, il étoit contradictoire dans le fond, et choquoit tous les caractères de la législation; qu'il étoit irrégulier dans sa forme, barbare dans son style, ridicule par son orthographe, évidemment faux par sa date et par les variantes des différents textes qui en ont été produits; enfin que de toutes les impostures historiques et politiques, et de toutes les pièces fabriquées, il n'y en eut jamais de plus grossière et de plus impudente.
Mais si Henri IV n'a point confirmé cet arrêt, l'a-t-il approuvé? Nous trouvons que le 14 janvier 1595, c'est-à-dire peu de jours après le départ des jésuites, M. de Villeroi, ministre du roi, écrivit une longue lettre à d'Ossat[261], alors chargé d'affaires de la cour de France à Rome, dans laquelle, lui rendant compte de tous ces événements, il lui explique les motifs qui ont engagé le roi à souffrir l'exécution de l'arrêt; et ces motifs, nous les ferons connoître toute à l'heure. Le 31 du même mois, d'Ossat, répondant au ministre, lui fait un récit détaillé de ce qui s'est passé dans l'audience qu'il a obtenue du Pape à (p. 242) ce sujet, audience dans laquelle le pontife se montre très-instruit du fond de l'affaire et fort affligé de la conduite inique du parlement; et sur les paroles assez vives que lui adresse à cette occasion Sa Sainteté, M. d'Ossat ne peut dire autre chose sinon qu'à tout événement, si le parlement avoit excédé en quelque chose, ce ne seroit point la faute du roi. Puis il prouve que, dans la circonstance présente, il est plus sage et plus utile pour la cour de Rome de prendre en bonne part ce qui s'est passé, que «de se mettre en nécessité d'en demander réparation, et en danger plus certain de ne l'avoir jamais...., et corroborer de plus en plus le SCHISME qui n'est déjà que trop avancé[262].»
L'ambassadeur de France n'a point d'autre réponse à faire aux ministres du saint Père, lorsqu'ils reviennent avec lui sur ce fâcheux événement, que de leur faire part de cette lettre de M. de Villeroi, dans laquelle celui-ci «rejette la résolution et exécution dudit arrêt, principalement sur la force et nécessité du temps et des choses qui n'avoient permis d'en user autrement[263].»
Sur les plaintes modestes que lui porte le général des jésuites de cet injuste arrêt, que répond-il encore? «Qu'il en étoit marry, mais qu'il (p. 243) pouvoit l'assurer que le roi n'y avoit aucune part;» puis il ajoute, et ceci est très-remarquable: «Que la cour du parlement faisoit des arrests sans en demander congé ni advis à Sa Majesté; et quand le roi eût été dans Paris même, il n'en eût rien sçu avant que ledit arrest eust été donné: beaucoup moins l'avoit-il pu sçavoir en étant loin, et en un siége[264].» Du Perron confirme dans une autre occasion ce qu'avoit dit d'Ossat, que le bannissement des jésuites ne provenoit d'aucune impulsion de Sa Majesté[265]. Le duc de Luxembourg, ambassadeur à la cour de Rome quelques années après, fait de même tous ses efforts pour persuader au pape que le roi n'avoit aucune part aux arrêts portés contre les jésuites; enfin, l'année même de leur bannissement, on propose à Henri IV un jésuite pour légat en France[266]: il l'accepte volontiers. Ce jésuite meurt l'année suivante; le roi se montre très-sensible à sa perte, et lui fait rendre après sa mort des honneurs qui témoignent l'estime singulière qu'il en faisoit[267].
(p. 244) Quels motifs pouvoient donc déterminer un prince qui, dans la bonne et la mauvaise fortune, avoit constamment montré tant de pénétration d'esprit et de force de caractère, à souffrir que, contre sa volonté, et même contre ses propres affections, une injustice aussi criante fût consommée dans ses états, par des gens qui n'avoient d'autre pouvoir que celui que ses prédécesseurs et lui-même leur avoient concédé, et qui ne pouvoient légitimement l'exercer qu'avec leur bon plaisir et sous leur protection? On a déjà pu voir par les diverses paroles échappées aux ministres et aux agents de Henri, à quel point l'embarrassoit ce parlement, si long-temps le foyer de la révolte et des guerres civiles; et qui, dans ces premiers moments où la paix venoit d'être faite entre le roi et ses sujets, demeuroit encore le point de ralliement de tous les mécontents, c'est-à-dire, tout à la fois des impies et des fanatiques. D'un côté, abusant lâchement de cette situation périlleuse où se trouvoit encore son maître et seigneur, il rendoit des arrêts, sans lui en demander congé ni advis, sans daigner même lui en donner connoissance; de l'autre, si Rome eût osé se plaindre, il levoit l'étendard du SCHISME qui n'étoit déjà que trop avancé. La politique exigeoit donc que son insolence fût soufferte, et l'abus qu'il faisoit de son pouvoir, toléré; et les considérations qui faisoient différer au roi le rappel des jésuites, sont (p. 245) très-bien présentées par l'historiographe déjà cité: «premièrement, dit-il, il ne le pouvoit, sans annuler l'arrêt donné fraîchement par son parlement, ce qui eût semblé alors injurieux; et avec le temps qui donne diverses faces aux affaires, l'action en pouvoit être moins odieuse. En second lieu, le roi étant aux prises avec l'Espagnol, ne se pouvoit passer du service de ses subjets religionnaires, lesquels, déjà outrés de sa conversion, l'eussent abandonné, s'il eût rappelé les jésuites.... Par une troisième considération, le roi craignoit d'offenser la reine d'Angleterre, l'alliance de laquelle lui étoit grandement nécessaire; mais après avoir mis fin aux guerres étrangères, rangé le Savoyard à la raison, étouffé la conjuration du maréchal Biron, renouvelé son alliance avec les Suisses, fermement établi la paix en son royaume, et le roi d'Écosse ayant succédé à la couronne d'Angleterre, il se résolut facilement à rappeler les jésuites[268].»
«C'est alors en effet que, véritablement maître dans son royaume, connoissant l'INNOCENCE des jésuites et les services qu'ils rendoient à l'Église[269];» «sachant que le commun désir des catholiques étoit de les revoir, leur absence n'ayant servi qu'à mieux faire connoître (p. 246) le bien et le profit de leur présence[270]; cédant à son propre désir et à ce vœu général exprimé par ce qu'il y avoit de plus grand dans le royaume. Car il y avoit peu de princes officiers de la couronne et seigneurs catholiques qui ne contribuassent leur recommandation en faveur des jésuites[271].» C'est alors, disons-nous, que ce grand roi ordonna le rappel tant désiré de cette illustre société; et cet acte éclatant de justice et de haute et prévoyante politique, il le fit, «malgré les artifices d'aucuns de ce grand sénat qui avoient une étrange aversion au rappel des jésuites..... malgré les libertins et les religionnaires qui faillirent en forcener de rage[272].» Cet œil si perçant et si sûr avoit su pénétrer tout ce qu'il y avoit de profond et d'admirable dans la législation des jésuites qu'il considéroit comme le chef-d'œuvre de la politique chrétienne[273]; et jamais il n'y eut d'apologie plus énergique et plus éloquente de cet (p. 247) institut, que la réponse à jamais mémorable qu'il fit aux remontrances que le parlement osa lui adresser au sujet de son rétablissement, par l'organe de son premier président, M. de Harlay. Henri IV y prouve par des paroles aussi pleines de franchise et de vie que celles de l'orateur du parlement étoient embarrassées et captieuses, l'innocence, le désintéressement, l'humilité, la pureté des mœurs, la charité, le dévouement, l'habileté des jésuites, leur fidélité envers le roi, d'autant plus grande qu'ils étoient plus fidèles envers l'Église de Dieu; combien étoient vils et odieux les motifs de la jalousie qui animoit contre eux leurs ennemis et leurs rivaux; combien étoit excellente leur règle monastique, ayant en elle-même tous les caractères qui pouvoient en assurer l'utilité, la force et la durée; et à travers cette noble et vigoureuse réponse, perce un mépris assez grand pour ces gens de robe qui pouvoient s'honorer en remplissant leur charge, laquelle étoit de rendre la justice, et qui se rendoient en effet méprisables en se mêlant de faire les politiques: «J'ai toutes vos conceptions et services en la mienne, leur dit-il; mais vous n'avez pas la mienne en la vôtre. Vous m'avez proposé des difficultés qui vous semblent grandes et considérables, et n'avez cette considération que tout ce qu'avez dit, a été pesé par moi, il y a huit ou neuf ans; vous faites les (p. 248) entendus en matière d'état; et vous n'y entendez non plus que moi à rapporter un procès[274].»
La pyramide, ce monument que l'impudence et la malignité avoient consacré[275], que le parlement avoit fait élever aux dépens des jésuites dont il avoit confisqué les biens, fut renversée par ordre de ce grand roi; elle le fut en plein jour, malgré les alarmes hypocrites des ennemis des jésuites, qui, affectant de craindre un soulèvement populaire, conseilloient de ne l'abattre que la (p. 249) nuit[276], «et la gloire du rappel des jésuites, dit Mézeray lui-même, résulta de l'ignominie de leur bannissement.»
N'ayant pu empêcher la destruction de la pyramide, les mécontents voulurent du moins en conserver l'image, et recueillir surtout les inscriptions[277] dont elle étoit chargée. On en reproduisit donc l'estampe gravée depuis long-temps; et les calvinistes ainsi que les magistrats en ornèrent à l'envi leurs cabinets, jusqu'à ce que le roi, «pour oster du tout la mémoire à l'advenir de ce pilier, en envoya enlever la planche de cuivre chez l'imprimeur Leclerc, qui l'avoit faite dès l'an 1595[278].»
(p. 250) C'est d'après une de ces gravures devenues extrêmement rares que nous donnons ici la représentation exacte de ce monument. L'architecture en est singulière: l'édifice s'élevoit sur un plan carré d'ordre ionique; il étoit composé, sur chacune de ses faces, de deux pilastres, avec entablement et fronton, une attique, un second fronton, quatre acrotères ornés de figures, et une aiguille en pierre surmontée d'une croix[279]. Cette construction, dans laquelle on reconnoît le goût déjà corrompu de ce temps-là, n'offre aucun caractère décidé; elle est, comme tous les monuments de la même époque, surchargée d'ornements, et composée de parties incohérentes.
Cette église, qui étoit située vis-à-vis le Palais, dans la rue qui porte son nom, est une de celles qui servent à faire connoître, par leur situation (p. 251) et leurs dépendances, l'ancien état de la Cité et même de la ville de Paris. Son origine remonte jusqu'aux rois de la première race, ce qui est prouvé par un fragment d'un auteur anonyme, lequel écrivoit sous le roi Robert[280]. Cet auteur nous apprend qu'elle avoit été anciennement bâtie par nos rois, et comme le mot antiquitùs qu'il emploie ne peut être entendu que d'une longue suite d'années, et même de plusieurs siècles, MM. Jaillot et Lebeuf en ont conclu avec raison qu'elle existait avant les rois de la seconde race.
Une autre particularité que l'on trouve dans le même anonyme, c'est que «les fidèles, de même que les rois, y avoient fait transporter les reliques et corps de plusieurs saints, pour enrichir, ainsi qu'il convenoit, une chapelle royale.» Or, un grand nombre de témoignages ne permettant pas de douter qu'il n'y ait eu, dès les premiers temps, un palais dans la Cité, ce passage porte à croire que cette église en étoit la chapelle; et sans doute elle avoit pris le nom de Saint-Barthélemi, à l'occasion de quelques reliques de ce saint qu'on y avoit apportées de l'Orient sous le règne de Clovis ou de Childebert, comme on peut le conjecturer d'un passage de Grégoire de Tours.
(p. 252) Cette chapelle étoit desservie par des chanoines: outre les biens dont ils jouissoient par la libéralité de nos rois, ils avoient encore, sur le chemin de Saint-Denis, un oratoire sous le titre de Saint-Georges, avec un terrain assez considérable qui l'environnoit, et dont une partie leur servoit de cimetière. Cet oratoire, qui prit depuis le nom de Saint-Magloire, ne se trouva renfermé dans la ville que lors de l'enceinte que fit faire Philippe-Auguste.
Vers l'an 963, ou, selon d'autres, en 965, il arriva qu'un évêque d'Aleth[281] et plusieurs autres prêtres et religieux transportèrent à Paris un grand nombre de reliques, qu'ils vouloient soustraire aux insultes des Normands, qui ravageoient alors l'Armorique. Parmi ces reliques étoit le corps de saint Magloire: Hugues Capet, à cette époque duc de France, les fit solennellement déposer dans la chapelle de Saint-Barthélemi. La guerre étant terminée, chacun de ces exilés voulut s'en retourner dans son pays avec son trésor; Hugues, qui n'y consentit qu'à regret, obtint d'eux, pour prix de l'hospitalité qu'il leur avoit accordée, le corps entier de saint Magloire, et quelques autres parties des corps saints qu'ils avoient apportés. Il conçut aussitôt le projet d'agrandir cette chapelle, et d'y fonder une abbaye, pour honorer (p. 253) davantage des reliques aussi précieuses. Ce projet ne tarda pas à être exécuté; un monastère fut bâti, et aux chanoines il substitua des religieux de la règle de Saint-Benoît. Ces moines entrèrent également en possession de l'oratoire Saint-Georges, auquel le pieux fondateur ajouta encore de nouvelles concessions de terres, et l'église fut dédiée sous le titre de Saint-Barthélemi et Saint-Magloire; mais le nom de ce dernier saint, beaucoup plus célèbre que l'autre, ayant bientôt prévalu parmi le peuple, pendant près d'un siècle elle ne fut appelée que l'église de Saint-Magloire. Tous ces faits sont également constatés par l'écrivain anonyme déjà cité.
Les religieux de Saint-Benoît restèrent dans cette abbaye jusqu'en 1138, que, s'y trouvant trop resserrés, ils se transportèrent avec leurs reliques dans leur chapelle de Saint-Georges, qu'ils avoient fait reconstruire, augmenter, et qu'ils consacrèrent sous le titre de l'autre saint. Alors l'église de la Cité reprit son ancien nom de Saint-Barthélemi, et devint une paroisse soumise au patronage des moines de Saint-Magloire, qui nommoient à la cure, et en outre y plaçoient un de leurs membres en qualité de prieur. Ils jouirent de ce droit jusqu'en 1564, que le titre abbatial fut supprimé, et l'abbaye réunie à l'évêché de Paris.
À l'exception des dépendances de la Sainte-Chapelle, tout l'enclos du Palais étoit dans la juridiction (p. 254) de cette paroisse, qui s'étendoit d'ailleurs depuis la rue de la Barillerie jusqu'au pont Neuf.
Au quatorzième siècle, l'église, presque ruinée, avoit été réparée, par un accord fait entre le curé et les religieux; depuis elle a été agrandie à diverses reprises, et reconstruite presque en entier dans les années qui ont précédé la révolution[282].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-BARTHÉLEMI.
TABLEAUX.
Le Mariage de sainte Catherine, par Loir; sainte Geneviève, saint Guillaume et saint Charles Borromée, par Hérault.
SCULPTURES.
De chaque côté du portail, saint Barthélemi et sainte Catherine, par Barthélemi de Mélo.
TOMBEAUX.
Dans cette église avoient été enterrés: Claude Clersellier, savant philosophe cartésien, mort en 1684. Sur son tombeau étoit représentée la Religion; à ses pieds un génie, entouré d'instrumens de mathématiques, tenoit entre ses mains une tête de mort qu'il regardoit attentivement. Ce monument avoit été exécuté par le même Barthélemi de Mélo.
(p. 255) Louis Servin, avocat général au parlement de Paris, célèbre dans l'histoire de cette cour, et qui mourut en 1626 aux pieds de Louis XIII, tenant son lit de justice, au moment même où il faisoit à ce prince des remontrances sur quelques édits bursaux.
Toute la décoration de cette église, très-surchargée d'ornements où étoit empreint le mauvais goût du dix-huitième siècle, avoit été exécutée en 1736, sur les dessins des frères Slodtz.
Il y avoit dans cette église trois confréries, dont la plus ancienne datoit de 1353.
On ne voit presque point d'anciennes abbayes, sous la première race de nos rois, qui n'eussent, outre l'église principale, des oratoires détachés et dispersés en différents lieux de leur enclos. Il est probable que l'église de Saint-Pierre-des-Arcis et celle de Sainte-Croix-de-la-Cité, dont nous allons parler immédiatement après, étoient des chapelles situées d'abord dans l'enceinte du monastère de Saint-Éloi, et qu'elles doivent leur origine à la dévotion du fondateur ou de quelques-unes des abbesses qui lui ont succédé.
(p. 256) L'abbé Lebeuf pense qu'après l'incendie qui consuma Paris en 1034, ces deux oratoires furent rebâtis dans le voisinage de l'ancienne clôture, et qu'alors les religieuses, dont l'enclos étoit fort diminué, permirent qu'on élevât sur leur terrain des maisons, dont les habitants furent ensuite attribués à ces églises, lorsqu'on les érigea en paroisses. Cette érection dut avoir lieu vers le temps où les religieuses furent chassées de leur monastère, circonstance qui donnoit plus de liberté pour faire ces nouveaux arrangements[283].
Quoi qu'il en soit de ces conjectures, qui sont ingénieuses et vraisemblables, la paroisse de Saint-Pierre-des-Arcis étoit effectivement une des dépendances du prieuré de Saint-Éloi dans la Cité. Au reste, l'étymologie de ce surnom (des Arcis) a beaucoup exercé l'imagination des savants, et quelques-uns d'entre eux l'ont expliqué d'une manière tout-à-fait ridicule.
M. de Launoy, dont Sauval suit aveuglément les opinions, prétendoit, d'après un passage mal interprété de Grégoire de Tours, qu'il y avoit eu autrefois beaucoup de Syriens à Paris; et les confondant ensuite avec les Assyriens, comme si ce n'eût été qu'un même peuple, il conjecturoit de là qu'ils avoient pour leur nation une église nommée (p. 257) Saint-Pierre-des-Assyriens, laquelle ayant été brûlée par les Normands, fut ensuite rebâtie dans la Cité; et de là est venu, selon lui, le nom de Saint-Pierre-des-Assis ou Arcis.
M. de Valois, qui a combattu cette opinion plus sérieusement et avec plus de chaleur qu'elle ne méritoit, en présente une autre qui ne semble guère mieux fondée, prétendant faire dériver ce nom de la maladie des ardents ou feu sacré, dans laquelle on eut recours à l'intercession de saint Pierre. Celle de l'abbé Lebeuf, adoptée par Jaillot, paroît la plus raisonnable: il veut que ce mot vienne d'arcisterium, synonyme de monasterium, et qu'il ait été donné à cette église située entre deux monastères[284], pour rappeler son origine et sa première destination.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-PIERRE-DES-ARCIS.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, saint Pierre guérissant les boiteux, par Vanloo.
Le Lavement des pieds, par le même; une Cène, par Lafond.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été enterré Guillaume De Mai, capitaine de six vingts hommes d'armes, mort en 1480. Il étoit représenté, sur son tombeau, dans le costume militaire de son siècle. Ce monument, rare dans son espèce, fut déposé au Musée des Petits-Augustins.
(p. 258) Saint-Pierre-des-Arcis fut érigé en paroisse vers le commencement du douzième siècle; en 1424, on rebâtit entièrement l'église; en 1711, on y fit des augmentations, des réparations et un nouveau portail, lequel fut élevé sur les dessins de Lanchenu[285].
Cette église embrassoit dans ses droits curiaux presque toutes les maisons de la rue de la Vieille-Draperie, en allant vers le Palais; ils s'augmentèrent encore, en 1720, par l'adjonction qu'on lui fit des paroissiens de Saint-Martial. De l'autre côté, en allant vers l'église de la Magdeleine, elle avoit encore un certain nombre de maisons; de plus, une partie de celles qui faisoient l'entrée de la cour de Saint-Éloi, les cinq branches de la rue qui porte le même nom, le cul-de-sac Saint-Martial presque en entier, quelques maisons dans la rue aux Fèves, et enfin quelques-unes de celles qui composent la rue de la Juiverie[286].
L'origine de cette église, qui étoit à l'extrémité de la rue de la Vieille-Draperie, dans la partie de cette rue la plus éloignée du Palais, est aussi obscure que celle de Saint-Pierre-des-Arcis; et sans se mettre en peine de ce qu'en ont imaginé MM. de Launoy, Dubreul et leurs copistes, il faut s'en tenir à cette opinion déjà mentionnée, qu'elle étoit d'abord une dépendance de Saint-Éloi, et qu'elle en fut détachée, puis ensuite rebâtie hors de la ceinture, lorsque ce monastère eut été donné à l'évêque. On ajoute qu'au milieu du douzième siècle, la dévotion à saint Hildevert, évêque de Meaux, s'étant introduite à Paris, cette chapelle lui fut dédiée, et qu'un bâtiment qui en dépendoit fut alors changé en hôpital pour les frénétiques et les malades attaqués de l'épilepsie. Cet hôpital ayant été depuis transféré à Saint-Laurent, l'église reprit son premier nom, et fut érigée en paroisse.
L'abbé Lebeuf présume que ce nom tiroit son origine de quelques morceaux de bois de la vraie croix que saint Éloi, dont les mains habiles ont (p. 260) fabriqué tant de précieux reliquaires, aura pu obtenir pour prix de quelques-uns de ses travaux, et qu'il aura ensuite déposés dans un des oratoires renfermés dans l'enclos de son monastère. Au reste, avant que l'église de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie existât, celle-ci étoit appelée simplement Sainte-Croix dans les anciens titres, sans aucun caractère distinctif.
Il ne restoit plus depuis long-temps aucun vestige du bâtiment qui existoit dans les douzième, treizième et quatorzième siècles; et le dernier, commencé en 1450, n'avoit été entièrement terminé qu'en 1529[287]. La cure, dont les droits étoient médiocres et d'une très-petite étendue, étoit à la collation de l'archevêque de Paris, depuis la destruction du titre abbatial de Saint-Maur-des-Fossés[288].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINTE-CROIX-DE-LA-CITÉ.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été enterré:
Pierre Danet, long-temps curé de cette paroisse et depuis abbé de Saint-Nicolas de Verdun, mort en 1709. Il est auteur de deux dictionnaires de la langue latine, qui jouirent autrefois de quelque estime, et de plusieurs autres ouvrages d'érudition.
(p. 261) Il existoit dans cette église une confrérie en l'honneur des cinq plaies de Notre-Dame: elle fut érigée en 1498, et on croit que c'est la première église de Paris où cette dévotion ait été admise.
Le territoire de la paroisse de Sainte-Croix embrassoit tout le carré sur lequel l'église étoit bâtie, une grande partie de la rue Gervais-Laurent, quelques maisons dans la rue de la Vieille-Draperie et dans la rue aux Fèves.
Vis-à-vis Sainte-Croix, et de l'autre côté de la Cité, étoit la paroisse de Saint-Germain-le-Vieux.
Il y a bien des traditions sur l'origine de cette ancienne église; et l'on a expliqué de bien des manières le patronage qu'y ont exercé pendant long-temps les moines de Saint-Germain-des-Prés: son nom de Saint-Germain-le-Vieux a fait naître également plusieurs opinions contradictoires.
(p. 262) Tous les historiens conviennent que c'étoit, dans le principe, une chapelle baptismale dépendante de la cathédrale, sous le titre de Saint-Jean-Baptiste, et qu'elle existoit dès le cinquième siècle. L'auteur de la vie de sainte Geneviève vient à l'appui de cette tradition, en nous apprenant que la maison où la sainte décéda étoit sur le bord de la rivière, et voisine de l'oratoire de Saint-Jean, qu'il prétend même avoir été bâti sur un terrain dont elle avoit la propriété. Il ajoute cette particularité, qu'elle avoit fait rassembler les dames de Paris dans cet oratoire, comme dans un lieu sûr, pour s'y mettre en prières, lors du faux bruit de l'arrivée d'Attila à Paris.
Dans le neuvième siècle, cette même chapelle servit d'asile, contre les Normands, aux religieux de Saint-Germain-des-Prés, qui y déposèrent le corps de leur patron. L'abbé Lebeuf pense que, dès ce temps-là, cet hospice leur appartenoit. Jaillot contredit cette opinion, et convenant cependant, avec son docte adversaire, que, lorsque les religieux retournèrent à leur monastère, ils laissèrent dans l'oratoire de Saint-Jean un bras de saint Germain, il soutient que cette église ne prit le nom du dernier saint que lorsque le baptistère eut été transporté plus près de la cathédrale, à Saint-Jean-le-Rond; et qu'alors seulement l'évêque et le chapitre de Paris donnèrent le patronage de l'ancienne chapelle à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés. (p. 263) De telles questions sont aussi difficiles que peu importantes à éclaircir.
Son titre n'offre pas moins de difficultés: dès le douzième siècle, on trouve des actes qui font mention de l'église de Saint-Germain-le-Vieux, Sanctus Germanus Vetus; mais il n'en est aucun qui donne la raison de ce surnom. L'abbé Lebeuf ne semble pas heureux dans ses conjectures, lorsqu'il fait dériver ce mot d'aquosus, en françois barbare, evieux ou aivieux; d'où, par corruption, on auroit fait le vieux, parce que, dit-il, cette église étoit située dans un endroit aquatique, duquel le marché Palu a aussi tiré son nom[289]. Il paroîtroit plus probable que ce surnom lui étoit venu d'une ancienne tradition qui portoit que le saint patron s'y étoit retiré dans le sixième siècle.
En 1368, l'abbaye de Saint-Germain céda son droit sur la petite église de Saint-Germain-le-Vieux à l'Université de Paris; et depuis ce temps-là son recteur nommoit à la cure, qui s'étendoit, d'un côté, le long de la rue du Marché-Palu jusqu'au milieu du Petit-Pont, de l'autre, presque (p. 264) jusqu'à l'extrémité de celle de la Calendre. Elle possédoit en outre quelques maisons dans les rues Saint-Éloi, aux Fèves, toutes celles du Marché-Neuf et les édifices qui environnoient la paroisse.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-GERMAIN-LE-VIEUX.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, décoré de quatre colonnes de marbre de Dinan, le Baptême de Jésus-Christ, par Stella.
Dans la chapelle de la Vierge, une Assomption, par le même.
Dans une autre chapelle, le Lavement des pieds, par Vouet.
Derrière la chaire, tous les Saints du Paradis, par un peintre inconnu.
On exposoit dans cette église, aux grandes fêtes, une tapisserie faite du temps de Charles V, où étoit représentée la vie de saint Germain. Les personnages en étoient, dit-on, assez correctement dessinés, et offroient une image exacte et naïve des modes de ce temps-là, pour l'un et l'autre sexe.
Cette église fut rebâtie en entier et agrandie dans le seizième siècle. Le portail et le clocher n'étoient que de 1560[290].
On prétend que saint Marcel, évêque de Paris, vint au monde dans la cinquième maison de la rue de la Calendre, à droite en entrant par celle de la Juiverie. D'après cette ancienne tradition, qui cependant n'est pas moins contestée que les (p. 265) autres, le clergé de Notre-Dame y faisoit une station le jour de l'Ascension, où il avoit coutume de porter processionnellement la châsse du saint.
Le territoire de Saint-Germain-le-Vieux commençoit du côté du petit Châtelet et sur le Petit-Pont; il continuoit à gauche, renfermant toutes les maisons qui étoient de ce côté; cette paroisse avoit quelques maisons dans la rue du Marché-Neuf, toutes celles du Marché-Neuf, le côté gauche de la rue Marché Palu, presque toute la rue de la Calendre, quelques maisons éparses dans les rues Saint-Éloi, aux Fèves, de la Juiverie et Saint-Christophe[291].
En sortant de Saint-Germain-le-Vieux, on entre dans la rue de la Juiverie, qui traverse la Cité dans toute sa largeur, et aboutit d'un côté au Petit-Pont, et de l'autre à celui de Notre-Dame. Au milieu de cette rue, dont le nom vient des (p. 266) Juifs qui l'ont autrefois habitée, étoit une église dédiée sous le titre de la Magdeleine.
Plusieurs compilateurs ont prétendu que dans l'origine c'étoit une chapelle sous l'invocation de Saint-Nicolas, où les bateliers et poissonniers avoient établi leur confrérie[292]; mais un titre du douzième siècle, rapporté par l'abbé Lebeuf, prouve que cette église avoit été autrefois une des synagogues des Juifs[293]. Philippe-Auguste les ayant chassés de France en 1182, donna, l'année suivante, tous leurs édifices publics à Maurice de Sully, évêque de Paris, avec permission de les consacrer au culte catholique, suivant le témoignage de Guillaume Lebreton.
«Ecclesias fecit sacrari pro synagogis
In quocumque loco schola vel synagoga fuisset.»
Telle fut l'origine de la paroisse de la Magdeleine.
On ignore dans quelle année cette église fut décorée du titre d'archipresbytérale qu'elle possédoit: les archives de Saint-Magloire indiquent qu'elle en jouissoit dès 1232[294]; auparavant, c'étoit le curé de Saint-Jacques-de-la-Boucherie qui étoit un des archiprêtres de Paris. Il y a apparence qu'alors cette dignité n'appartenoit privativement (p. 267) à aucun des curés de Paris, et que l'évêque en disposoit à son choix: depuis ce temps, elle est restée sans interruption dans l'église de la Magdeleine[295].
C'étoit dans cette église que s'étoit fixée la grande confrérie des Bourgeois, l'une des plus célèbres de Paris. Nous en parlerons avec plus de détails lorsque nous traiterons de ces sortes d'associations; il nous suffira de remarquer ici que cette confrérie, suivant l'abbé Lebeuf, y avoit succédé à celle des Mercatorum aquæ parisiensium; ce qui a pu faire naître l'opinion que saint Nicolas, patron de cette dernière corporation, l'étoit aussi de l'église.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE LA MAGDELEINE.
TABLEAUX.
Dans le chœur.—Les Noces de Cana. La Visitation. Jésus-Christ au milieu des docteurs. La Mort de la Vierge, par Philippe de Champagne.
Dans la nef.—Tobie, par un peintre inconnu.
(p. 268) Le bâtiment de la Magdeleine fut agrandi à plusieurs reprises, et notamment en 1749, lorsqu'on y réunit les paroisses de Saint-Gilles et Saint-Leu, de Saint-Christophe et de Sainte-Geneviève des-Ardents. Alors on y voyoit encore des constructions qui étoient du quatorzième siècle, entre autres le portail et quelques arcades de la nef.
Cette paroisse embrassoit presque tout le carré long que forme la partie de la Cité qui est entre la rue de la Juiverie et le parvis Notre-Dame, depuis le côté droit de la rue du Marché-Palu jusqu'à Saint-Denis-de-la-Chartre. Elle ne dépendoit d'aucune église ni séculière ni régulière[296].
Les traditions populaires, quelquefois si difficiles à détruire, sont souvent appuyées sur les fondements les plus légers. Le nom de cette église a fait naître l'idée que saint Denis et ses compagnons avoient été renfermés dans une prison ou chartre, qu'elle a remplacée, et qu'ils y (p. 269) ont souffert diverses tortures, dont on montroit même les instruments[297]. Loin qu'une telle opinion soit appuyée sur aucun titre, les monuments les plus anciens la détruisent; et Grégoire de Tours faisant le récit de l'incendie qui, en 586, consuma Paris, indique clairement que la prison de cette ville étoit alors près de la porte méridionale[298]. Soit que cette prison eût été détruite par ce désastre, soit que son ancienneté l'eût mise hors d'état de servir, il paroît que, peu de temps après, on en rebâtit une autre dans le quartier opposé. En effet, l'auteur de la vie de saint Éloi, qui écrivoit au septième siècle, dit qu'il y avoit alors une prison du côté du septentrion, dans un endroit un peu écarté, situation qui convient assez à celle de Saint-Denis-de-la-Chartre.
En adoptant cette tradition, tout s'explique facilement. L'église Saint-Denis aura été appelée Sanctus Dyonisius de Carcere, à cause de son voisinage de la prison publique[299]; et ce qui le (p. 270) prouve, c'est que la petite chapelle Saint-Symphorien, située dans le même lieu, est aussi appelée Sanctus Symphorianus de Carcere dans les titres primordiaux. Or, on ne peut dire que ce martyr d'Autun ait été renfermé dans une prison de Paris; et ce n'est pas là d'ailleurs le seul exemple de cette espèce de dénomination employée dans de semblables circonstances.
Ce qui est très-certain, c'est qu'au commencement du onzième siècle, et sous le règne du roi Robert, cette église subsistoit près de l'édifice qu'on appeloit prison de Paris, carcer Parisiacus, et qu'elle étoit alors nommée Ecclesia Sancti Dyonisii de Parisiaco carcere[300]. Des chanoines séculiers en étoient alors les desservants; et ils jouirent paisiblement et de l'église et des biens qui y étoient attachés jusqu'en 1122. Alors l'administration en tomba entre des mains laïques, espèce d'usurpation dont on ne voit que trop d'exemples dans l'histoire de ces premiers temps. Henri, troisième fils de Louis-le-Gros, fut un de ces administrateurs de Saint-Denis substitués aux gens d'église, et il en percevoit les revenus en 1133, sous le titre d'abbé.
En cette même année, le même roi Louis-le-Gros (p. 271) et la reine Adelaïde, voulant fonder un monastère de religieuses de l'ordre de Saint-Benoît, jetèrent les yeux sur Montmartre, comme sur le lieu le plus propre à l'exécution de leur dessein. Les religieux de Saint-Martin, qui jouissoient de ce terrain en vertu d'une donation qui leur en avoit été faite environ quarante ans auparavant (en 1096), le cédèrent au roi par une transaction, où intervint l'évêque, et par laquelle Saint-Denis-de-la-Chartre leur fut donné comme indemnité. Telle est l'origine de ce prieuré de fondation royale, et membre dépendant de Saint-Martin. Les priviléges, immunités, franchises et exemptions qui lui furent alors accordés furent depuis confirmés par Charles V et Charles VI; et ces religieux le possédèrent jusqu'au commencement du dix-septième siècle, où la mense[301] priorale fut unie à la communauté de Saint-François-de-Sales, établie, vers ce temps-là, pour la retraite des prêtres pauvres et infirmes.
On voyoit, par l'épitaphe d'un de ses prieurs, que cette église avoit été rebâtie vers le milieu du quatorzième siècle. Elle étoit double, suivant un usage assez fréquent dans les constructions de ce (p. 272) temps-là, et dans un des côtés de la nef étoit une paroisse sous le titre de Saint-Gilles et Saint-Leu, dont la cure fut transférée, en 1618, dans l'église de Saint-Symphorien[302].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-DENIS DE LA CHARTRE.
SCULPTURE.
Dans une grande niche, au-dessus du maître-autel, saint Denis, saint Rustique et saint Eleuthère recevant la communion des mains de Jésus Christ, par Michel Anguier.
Il y avoit dans cette église, une confrérie (p. 273) de Drapiers-chaussetiers sous le nom de Notre-Dame-des-Voûtes, à cause des voûtes souterraines qui étoient pratiquées sous le pavé de cet édifice.
Sur les vitrages de Saint-Denis-de-la-Chartre, on voyoit autrefois le portrait de Jean de la Grange, cardinal d'Amiens, qui en avoit été prieur; il y étoit représenté avec ses armoiries. Il est probable que cette peinture fut détruite en 1665, époque à laquelle cette église fut réparée par la libéralité de la reine Anne d'Autriche, et le maître-autel refait à neuf[303].
L'enceinte des maisons qui l'environnoient, et qu'on appeloit le bas de Saint-Denis, étoit un lieu privilégié, dépendant du prieuré, et dans lequel, avant la révolution, les ouvriers qui n'étoient point maîtres, pouvoient travailler avec toute sûreté et franchise.
Cette église, située derrière le prieuré de Saint-Denis-de-la-Chartre, dont elle n'est séparée (p. 274) que par une rue étroite, est celle dont nous avons parlé en donnant l'explication du surnom de Carcere qui étoit commun à ces deux édifices. L'histoire d'ailleurs en sera courte. À la place qu'elle occupe existoit autrefois une ancienne chapelle, sous le titre de Sainte-Catherine, dont l'origine et le fondateur sont également inconnus. Comme cette chapelle, par négligence ou succession de temps, tomboit en ruines, Mathieu de Montmorenci, comte de Beaumont, qui n'avoit pu accomplir le vœu qu'il avoit fait d'aller à Jérusalem, voulant expier cette faute, abandonna à l'évêque de Paris les droits qu'il avoit sur elle; et celui-ci, de son côté, s'engagea à la faire rebâtir. Cet acte est de 1206[304], et cet évêque étoit Eudes de Sully. Éliénor, comtesse de Vermandois, et quelques autres pieux personnages, y ajoutèrent bientôt plusieurs dotations, qui permirent d'y établir quatre chapelains desservants; et quelques années après, elle quitta le nom de Saint-Denis, qu'on lui avoit donné d'abord, pour prendre celui de Saint-Symphorien. Ces chapelains obtinrent le titre de chanoines en 1422. Depuis on y transporta, comme nous l'avons dit, la paroisse de Saint-Gilles et Saint-Leu, laquelle y fut unie (p. 275) jusqu'en 1698, que le chapitre et la paroisse passèrent, avec leurs biens et leurs paroissiens, à l'église de la Magdeleine. Peu de temps après, cette chapelle fut cédée à la communauté des peintres, sculpteurs et graveurs, qui la rétablirent, la décorèrent[305], et lui firent donner le nom de Saint-Luc leur patron.
CURIOSITÉS DE LA CHAPELLE SAINT-LUC.
Sur le maître-autel, un tableau représentant saint Luc, patron de la communauté.
Derrière Saint-Denis-de-la-Chartre, et dans une rue qui porte le nom de Saint-Landri, est l'église consacrée à ce saint. C'est encore un de ces monuments dont l'origine inconnue et les traditions incertaines ont donné lieu à une foule de conjectures et d'opinions fastidieuses. Quoique plusieurs titres authentiques prouvent que cette église existoit sous ce nom au douzième siècle, on a poussé la témérité jusqu'à douter et même à nier qu'il y ait jamais eu un évêque de Paris nommé Landri. L'abbé Lebeuf, qui rejette justement une semblable opinion, croit que cet édifice étoit d'abord un lieu de sûreté appartenant à l'abbaye Saint-Germain-l'Auxerrois, dans lequel ses (p. 277) moines venoient déposer leurs effets les plus précieux, lors des invasions des Normands; ce qui lui semble d'autant plus probable, que les abbayes de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain-des-Prés avoient de semblables hospices. Il pense qu'on y aura bâti une chapelle, desservie par le prébendaire que ce chapitre avoit à la cathédrale, et qu'ensuite l'élévation du corps de saint Landri, au douzième siècle, l'ayant enrichie de quelques-unes de ses reliques, la chapelle aura pris le nom du saint.
Un autre savant combat cette conjecture par celle-ci[306]: il imagine que cette église pourroit bien avoir été l'oratoire de saint Landri lui-même, les évêques ayant eu une maison à cet endroit; qu'il n'est pas même impossible que ce fût alors la chapelle dédiée sous le nom de Saint-Nicolas, qu'on a confondue avec l'église de la Magdeleine; ce qu'il essaie de prouver d'abord parce qu'elle reconnoissoit saint Nicolas pour l'un de ses patrons, ensuite parce qu'il est vraisemblable que les poissonniers et bateliers l'érigèrent plutôt à cette place, qui est la plus voisine du port où abordoient les vivres et les marchandises; enfin il ajoute qu'après la mort de saint Landri, elle a dû prendre le nom de ce bienheureux évêque: adhuc sub judice lis est.
(p. 278) Ce qu'il y a de certain sur cette église, c'est qu'elle étoit paroissiale dès le douzième siècle[307], et que le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois avoit le droit de présenter à sa cure, par la raison qu'elle étoit bâtie sur sa censive; et cette censive il l'avoit obtenue par l'amortissement d'une portion de terrain que les chanoines de Notre-Dame lui avoient donnée pour loger le vicaire qui desservoit la prébende dont il étoit possesseur dans l'église cathédrale. Nous avons déjà fait observer que c'est ainsi que se formèrent le plus grand nombre des censives qu'on trouve dans la Cité.
L'église Saint-Landri, qui est très-petite et presque carrée[308], fut rebâtie vers la fin du quinzième siècle, et dédiée seulement en 1660. On trouve qu'en 1408 Pierre d'Orgemont, évêque de Paris, lui avoit accordé quelques reliques de son patron, lesquelles furent tirées de sa châsse conservée dans l'église Saint-Germain-l'Auxerrois[309].
(p. 279) CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-LANDRI.
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été enterrés:
Catherine Duchemin, épouse de Girardon, célèbre sculpteur du siècle de Louis XIV. Ses restes mortels avoient été déposés dans un monument exécuté, sur les dessins de son époux, par deux de ses élèves, Lorrain et Nourrisson[310]. Vingt-cinq ans après, Girardon fut placé à côté d'elle dans le même tombeau.
À côté du chœur, on voyoit un monument orné de quatre colonnes de marbre et décoré des armes du chancelier Boucherat. Ce ministre, qui l'avoit fait élever pour lui-même, fut enterré, quelques années après, à Saint-Gervais (en 1686).
On y lisoit l'épitaphe du magistrat Broussel, surnommé le patriarche de la Fronde et le père du peuple.
Les fonts baptismaux de Saint-Landri passoient pour les plus beaux de Paris; ils se composoient d'une cuvette de porphyre de très-grande dimension enrichie de bronze doré, et avoient été donnés à cette église par son curé, M. Garçon.
On entroit dans cette chapelle par la rue de la Colombe, laquelle commence au bout oriental de la rue des Marmousets. C'étoit un édifice très-ancien, le plus ancien peut-être de toute la Cité, la solidité de sa construction, toute en pierres, l'ayant préservé des changements et des réparations que le temps a fait subir aux autres églises. Celle-ci étoit du reste très-peu connue, parce que les maisons qui l'entouroient la couvroient entièrement, et qu'on n'y faisoit point un service régulier.
Ce petit monument fut fondé, au commencement du douzième siècle, par Étienne de Garlande, archidiacre de Paris, et doyen de Saint-Agnan d'Orléans[311]; il donna pour sa dotation la maison qu'il possédoit dans le cloître Notre-Dame, et trois clos de vignes, dont deux étoient situés au bas de la montagne Sainte-Geneviève, et l'autre à Vitry. Lorsqu'il en eut ainsi assuré (p. 281) les revenus, il y établit, du consentement de l'évêque, deux titulaires, lesquels se partageoient la prébende canoniale, avoient place au chœur comme au chapitre, et faisoient à la fois le service dans la chapelle et à la cathédrale. Cette fondation s'est maintenue jusque dans les derniers temps. La chapelle Saint-Agnan n'étoit ouverte que le 17 novembre, jour auquel l'église célébroit la fête du patron.
On lit, dans une vie de saint Bernard, que ce saint étant allé un jour aux écoles de Paris, avec le projet d'y attirer, par ses exhortations, quelques écoliers à la vie monastique, il y prêcha sans succès, et en sortit sans qu'aucun d'eux eût voulu le suivre. L'historien ajoute qu'un archidiacre de Paris l'ayant emmené dans sa maison, le pieux abbé se retira, navré de douleur, au fond de la chapelle qui étoit attenante à ce logis, et là se répandit en larmes et en gémissements, persuadé que Dieu étoit irrité contre lui, puisqu'il avoit recueilli si peu de fruit de son sermon. L'abbé Lebeuf pense que ceci ne peut convenir qu'à l'archidiacre Étienne de Garlande, contemporain de saint Bernard, et par conséquent que c'est dans cette chapelle, telle qu'elle subsistoit encore dans le siècle dernier, que ce petit événement s'est passé.
Un fait plus curieux est ce qui arriva, peu de temps avant son érection, dans la rue des Marmousets, (p. 282) qui y conduit. Louis VI, dit le Gros, y avoit fait abattre, de sa propre autorité, une maison située près de la porte du cloître, laquelle appartenoit à un chanoine: il trouvoit que cette maison, trop saillante, rendoit le passage incommode. Le chapitre aussitôt réclama ses droits et ses immunités, et le fit avec une telle vivacité, que Louis reconnut son tort, promit de ne plus rien attenter de semblable, et consentit même à payer un denier d'or d'amende. Bien plus, afin que cette réparation fût aussi authentique que les chanoines le désiroient, il la fit le jour même qu'il épousoit Adélaïde de Savoie, et avant de recevoir la bénédiction nuptiale; enfin le monarque alla jusqu'à permettre qu'il en fût fait mention dans les registres du chapitre. Il eût mieux valu peut-être que le pouvoir royal eût été renfermé dans des bornes moins étroites; mais il est beau de voir un prince aussi religieux à maintenir les priviléges des citoyens, et les lois qu'il a juré d'observer[312].
Le pavé de cette chapelle étoit beaucoup plus bas que celui de la rue; et c'étoit une preuve de plus de l'exhaussement considérable qu'avoit éprouvé le sol de la Cité.
En revenant vers Notre-Dame, on trouve cette petite église dans un cul-de-sac qui a son entrée par la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs. Quelques historiens ont cru qu'elle n'avoit été bâtie qu'au commencement du treizième siècle, lorsque les reliques de sainte Marine furent transportées de l'Orient à Venise[313]. L'abbé Lebeuf pense que cette église a pu être construite à cette époque par les soins de quelque Vénitien; et ce qui le fortifie dans cette opinion, c'est qu'il y avoit de son temps, dans le voisinage, une rue dite la rue de Venise. Ce savant s'est trompé: la rue en question devoit son nom à une enseigne de l'écu de Venise, sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à un homme de cette nation; et elle n'étoit appelée ainsi que depuis deux cents ans. Auparavant (p. 284) et du temps même de François Ier, on la nommoit rue des Dix-Huit, à cause d'un petit hôpital ou collége dont il sera question à l'article de la Sorbonne. Quant à l'église dont nous parlons, l'origine en est tout-à-fait inconnue; on sait seulement qu'elle existoit long-temps avant le treizième siècle, et Jaillot prétend avoir lu un diplôme, sans date, de Henri Ier, mais qu'on estime être de l'an 1036[314], par lequel ce prince fait don de l'église de Sainte-Marine à Imbert, évêque de Paris.
C'étoit, avant la révolution, la paroisse du palais archiépiscopal et des cours, et celle où se faisoient les mariages ordonnés par l'officialité. Anciennement, ceux que ce tribunal avoit condamnés, étoient mariés avec un anneau de paille. Nous ignorons l'origine de cet usage, et nous ne jugeons pas à propos de rapporter l'explication bouffonne que Saint-Foix en a donnée[315].
Plus près encore de la cathédrale, et dans la rue qui porte son nom, est l'église de Saint-Pierre-aux-Bœufs.
On peut aussi la mettre au nombre de ces édifices très-anciens, dont l'origine incertaine et la dénomination singulière ont fort exercé l'imagination des érudits. Plusieurs ont cru qu'elle avoit été autrefois la paroisse des bouchers de la Cité, ou le lieu de leur confrérie, et vouloient expliquer par là et son surnom et les deux têtes de bœufs qui étoient sculptées sur son portail[316]. D'autres ont pensé qu'on y marquoit les bœufs avec une clef ardente, pour les préserver de certaines maladies; quelques-uns ont eu recours à un miracle. L'abbé Lebeuf considéroit ces deux têtes comme les armes parlantes d'une ancienne famille de Paris[317]. Toutes ces opinions diverses, qui ne reposent sur aucun monument historique, ne méritent (p. 286) point d'être discutées, et il est permis à chacun de faire ses conjectures.
Cette église étoit sans doute dans la censive du monastère de Saint-Éloi, puisqu'elle fait partie de ses dépendances, et qu'on la trouve au nombre des chapelles qui furent données, en 1107, au monastère de Saint-Pierre-des-Fossés. Elle fut érigée, quelque temps après, en paroisse, ainsi que Saint-Pierre-des-Arcis et Sainte-Croix; et l'évêque de Paris, devenu l'héritier des droits de ce monastère, nommoit à la cure. Cette cure étoit modique, et n'embrassoit qu'une partie des rues environnantes[318].
Dans la rue Saint-Christophe, qui aboutit au parvis Notre-Dame, étoit une église sous l'invocation de ce saint: on l'abattit en 1747, pour agrandir le parvis et reconstruire la chapelle des Enfants-Trouvés.
(p. 287) Cette église existoit déjà au septième siècle. Quelques auteurs ont avancé qu'elle étoit la chapelle des comtes de Paris; et pour soutenir cette assertion, ils ont produit des titres qu'ils avoient mal entendus. Sauval, surtout, s'est trompé sur les noms, les faits et les dates qu'il rapporte en parlant de cette église[319].
Une ancienne charte[320] prouve qu'en 690 l'église Saint-Christophe étoit la chapelle d'un monastère de filles, dont l'abbesse se nommoit Landetrude: quel étoit ce monastère? on l'ignore; on ne sait pas même ce que devinrent ces religieuses, qui durent en sortir dans le siècle suivant; car au commencement du neuvième siècle cette maison devint un hôpital dans lequel on recueilloit les indigents[321].
Elle étoit alors desservie alternativement, et de semaine en semaine, par deux prêtres que nommoient les chanoines de Notre-Dame. Mais ce chapitre étant devenu seul possesseur de l'hospice, comme nous le dirons par la suite, on bâtit une autre chapelle, qui reçut aussi le nom de Saint-Christophe, et fut érigée en paroisse au douzième siècle. Elle fut ensuite rebâtie vers la fin du quinzième. Cette dernière église a subsisté jusqu'en 1747.
Derrière Saint-Christophe, et à peu de distance de cette église, étoit celle de Sainte-Geneviève-des-Ardents, dont l'origine est absolument inconnue.
L'histoire de cette fille admirable, que ses vertus et sa piété rendirent respectable même à des rois païens, et célèbre, sans qu'elle cherchât à sortir de l'obscurité où la Providence l'avoit placée; qui, tant qu'elle vécut, fut le conseil, le refuge et la consolation des habitants de Paris, et mérita, après sa mort, cet honneur insigne d'être regardée comme la patronne d'une ville appelée à de si hautes destinées; cette histoire si extraordinaire et si touchante est trop connue pour que nous croyions devoir la répéter. La tradition s'en est transmise d'âge en âge; et jusque dans les derniers temps de la monarchie, on a vu le peuple de cette capitale, au milieu de ses plus grandes calamités, tourner d'abord ses regards vers son ancienne protectrice, implorer la clémence du ciel par son intercession, suivre avec transport ses reliques (p. 289) vénérées au milieu des rues et des places publiques, et attribuer à cette protection puissante la cessation des fléaux dont il étoit affligé.
En 1129 ou 1130, Paris et ses environs se virent en proie à une maladie terrible, qu'aucun remède ne pouvoit vaincre, et que l'on nomma le feu sacré ou le mal des ardents. Ses ravages furent si rapides et si terribles, l'impossibilité de les arrêter par aucun secours humain tellement démontrée, qu'on ne chercha plus que celui du ciel, dont la colère avoit envoyé ce fléau. On eut recours, pour l'apaiser, aux jeûnes, aux prières, et surtout à l'intercession de la bienheureuse Geneviève. La châsse de la sainte fut descendue et portée processionnellement à la cathédrale. On prétend que la nef et le parvis étoient remplis de malades qui, en passant sous ces reliques miraculeuses, furent guéris à l'instant, à l'exception de trois, dont l'incrédulité servit à rehausser l'éclat du prodige et la gloire de la sainte patronne. On ajoute que le pape Innocent II, alors à Paris, ayant fait vérifier ce miracle, ordonna qu'on en feroit la fête tous les ans, sous le titre d'Excellence de la bienheureuse vierge Geneviève. Depuis elle a été célébrée sous celui de Miracle des Ardents.
Toutefois l'église dont nous parlons existoit long-temps avant la procession célèbre de l'année 1139. Ceux qui se sont imaginé que cette procession passa (p. 290) le long de ses murs, se sont néanmoins trompés, car la rue Notre-Dame n'étoit point encore ouverte. On arrivoit alors à la cathédrale par une rue nommée des Sablons ou Vieille rue Notre-Dame, qui étoit proche de la rivière, et aboutissoit directement au portail de l'ancien édifice qu'a remplacé la cathédrale d'aujourd'hui. Ce portail étoit situé à l'endroit où est maintenant le milieu de la nouvelle nef, en tirant un peu vers le midi[322].
Il est certain, comme nous l'avons déjà dit, que sainte Geneviève avoit une habitation et un oratoire dans la Cité. Il n'est pas moins constant que les chanoines du monastère élevé en son honneur sur le bord méridional, possédoient dans l'île une censive, un hospice et une petite chapelle; qu'ils jouissoient d'une prébende et d'une vicairie dans l'église cathédrale, et qu'à l'exemple des autres religieux qui habitoient sur les deux rives de la Seine, ils se retirèrent dans leur hospice, pour se soustraire, eux et leurs richesses, à la fureur des Normands. Dans l'enceinte de cet hospice étoit une chapelle qui en dépendoit: cette chapelle devint dans la suite l'église dont nous faisons l'histoire. On l'appela Sainte-Geneviève-la-Petite; et même, long-temps après le miracle dont nous venons de parler, elle n'avoit point (p. 291) d'autre nom. Il est probable que la fête établie en mémoire d'un aussi grand événement se célébrant avec plus de solennité dans une église qui portoit le nom de la sainte et près de laquelle il étoit arrivé, par suite des temps la dévotion des fidèles fit donner à cette église le surnom des Ardents.
Voilà ce que nous avons pu recueillir de plus authentique sur ce vieux monument. En 1202 les chanoines cédèrent la chapelle de Sainte-Geneviève ainsi que la prébende et la vicairie qu'ils avoient à Notre-Dame, à Eudes de Sully, évêque de Paris; et il y a apparence que c'est alors qu'elle fut érigée en paroisse[323]. Elle a subsisté jusqu'en 1747, qu'elle fut détruite pour agrandir l'hôpital des Enfants-Trouvés. La structure du sanctuaire ressembloit aux constructions du temps de Louis-le-Jeune; ce qui fait présumer qu'elle étoit de cette époque. Le portail en fut refait en 1402. On voyoit au milieu l'image de sainte Geneviève entre saint Jean-Baptiste et saint Jacques-le-Majeur; à côté, dans une niche, étoit la statue d'un homme agenouillé, ayant les cheveux courts et le capuchon abattu. On prétend que c'étoit l'image du célèbre Nicolas Flamel[324], lequel avoit contribué à cette réparation par ses libéralités.
(p. 292) Il nous reste à faire connoître encore deux anciennes églises qui, comme celle-ci, ne subsistent plus, Saint-Jean-le-Rond et Saint-Denis-du-Pas; mais leur histoire étant plus intimement liée à celle de l'église cathédrale, nous croyons devoir parler auparavant de ce grand et antique édifice.
On est naturellement porté à croire qu'un monument de cette importance, que la première église de Paris offrira des traditions plus sûres et dans son origine et dans les révolutions qu'elle a éprouvées, que cette foule de chapelles obscures dont nous venons d'exposer si péniblement l'histoire. Cependant cette origine est enveloppée de ténèbres encore plus épaisses; et aucun point de l'histoire de Paris n'offre plus de difficultés, n'a excité plus d'opinions diverses parmi ceux qui ont écrit de ses antiquités.
Ils ne sont d'accord ni sur le nom, ni sur l'origine, (p. 293) ni même sur la position de cette première basilique des Parisiens. Les uns l'ont placée dans la Cité, les autres dans les faubourgs; et ceux qui s'accordent dans l'une de ces deux opinions, se divisent ensuite lorsqu'il est question de fixer le véritable lieu qu'elle occupoit. Parmi ceux qui la mettent dans la Cité, quelques-uns croient que sa situation fut celle de Saint-Denis-du-Pas; ceux-ci veulent qu'elle s'éleva à l'endroit même où est aujourd'hui Notre-Dame; ceux-là, dans un lieu voisin, sous le nom de Saint-Étienne. Les partisans de l'autre système offrent la même variété dans leurs conjectures: les uns pensent qu'elle étoit à la place où l'on a bâti depuis l'église Saint-Marcel; d'autres à la Trinité, depuis Saint-Benoît; plusieurs à Notre-Dame-des-Champs, qui fut ensuite le monastère des Carmélites. Il n'y a pas moins de contradictions sur son fondateur: on ne sait si c'est saint Denis ou quelqu'un de ses successeurs, ni lequel de ceux-ci. Enfin cette obscurité s'est étendue jusque sur l'édifice actuellement existant, que ces mêmes historiens, toujours divisés, attribuent à Childebert, au roi Robert, à Erkenrad, évêque de Paris, à Maurice et Eudes de Sully, deux de ses successeurs.
Depuis que la science et la critique ont fait de véritables progrès, il n'est plus permis de soutenir des opinions aussi visiblement fausses que celle par laquelle on a prétendu que, même après (p. 294) la paix accordée à l'église par Constantin, les évêques avoient eu les siéges de leurs églises hors des cités, et par conséquent que la cathédrale de Paris a été autrefois à la place de Saint-Marcel ou de toute autre église sur la rive méridionale.
Il est également impossible de supposer, avec quelque vraisemblance, que saint Denis ait fondé un oratoire dans l'enceinte de la Cité; il est vrai que les actes de ce saint en font mention, ainsi que du clergé qu'il institua: «Ecclesiam illis quæ necdùm in locis erat, et populis illis novam construxit, ac officia servientium clericorum ex more instituit[325].» Mais les historiens de la ville et de l'église de Paris, qui se sont appuyés d'un semblable témoignage, n'ont pas réfléchi que ces actes n'ont été rédigés qu'à la fin du sixième siècle, et peut-être plus tard, sur la foi d'une simple tradition, et l'auteur en convient lui-même: «Sicut fidelium relatione didicimus.» Une semblable autorité peut-elle donc balancer celle de tant de monuments historiques, qui nous apprennent que, jusqu'au commencement du quatrième siècle, les chrétiens n'ont cessé d'être en butte à des persécutions qui ne sembloient se ralentir quelques instants que pour se rallumer avec plus de fureur; que, loin d'avoir (p. 295) des temples publics, ces premiers fidèles trouvoient à peine des asiles assez secrets pour se dérober aux recherches de leurs aveugles ennemis? On sait d'ailleurs que les progrès assez lents que l'Évangile avoit faits dans les Gaules[326], et dont on ne trouve de monuments remarquables qu'en 177, dans les actes des célèbres martyrs de Lyon et de Vienne, furent arrêtés tout à coup par les persécutions nouvelles de Marc-Aurèle et de Sévère: depuis ce temps, soit que les pasteurs eussent été tous immolés, soit que la peur eût dispersé le troupeau des chrétiens, on n'en trouve plus de vestiges jusque sous l'empire de Dèce, au milieu du troisième siècle. À cette époque, selon Grégoire de Tours[327], de nouveaux apôtres, au nombre desquels étoit saint Denis, furent envoyés dans les Gaules. Alors on persécutoit plus que jamais les chrétiens; et Paris, où l'ardeur de son zèle conduisit ce saint évêque, étoit, comme toutes les autres villes de cette vaste contrée, soumis aux Romains, imbu de leurs préjugés et adorateurs de leurs faux dieux. Étoit-il possible que, dans des circonstances aussi difficiles, saint Denis pût bâtir sans obstacle une église dans le sein de la ville et même dans les faubourgs? N'est-il pas plus raisonnable de croire que, se conformant à (p. 296) cette prudence prescrite par Jésus-Christ même, laquelle ne permettoit ni de s'offrir au martyre, ni de l'éviter, et réglant sa conduite sur celle des hommes apostoliques qui l'avoient précédé, il réunit ses néophytes dans des cryptes ou lieux souterrains écartés, tant pour les instruire dans la parole de Dieu, que pour les faire participer aux mystères de la religion? Ainsi, sans rejeter entièrement cette tradition, qu'il forma une église à Paris, il faudra l'entendre seulement d'une assemblée de fidèles, avec laquelle il célébra ces mystères augustes. On peut même accorder qu'il choisit pour cette célébration les lieux où furent depuis Saint-Marcel, Saint-Benoît et les Carmélites; mais, comme nous l'avons déjà dit, il faut absolument rejeter l'idée qu'aucune de ces églises ait été la première cathédrale de Paris.
Les successeurs immédiats de saint Denis vinrent eux-mêmes dans des temps non moins orageux[328], et prêchèrent dans des lieux encore arrosés de son sang. Ce ne fut qu'en 313, lorsque Constantin eut placé la religion à côté du trône des Césars, et fait restituer aux chrétiens les biens dont ils avoient été dépouillés, qu'il fut possible de rebâtir (p. 297) les basiliques ruinées, et d'en élever de nouvelles. Les évêques de Paris durent profiter d'une circonstance aussi favorable pour faire construire une église dans la Cité; et l'on en trouve enfin des indices certains sous l'épiscopat de Prudentius, vers la fin du quatrième siècle[329]. Cette église étoit située sur le bord de la Seine, à peu près à l'endroit où est la chapelle inférieure et la dernière cour de l'archevêché; et comme on étoit très-exact à tourner le chevet ou rond-point de ces édifices vers l'orient, sans avoir égard à l'alignement des rues, dont le désordre d'ailleurs alors étoit très-grand, il est probable que le fond de cette petite église étoit dans la direction du lieu où est située maintenant l'église de Saint-Gervais.
Sur cette ancienne disposition des rues, il est difficile de rien dire que de conjectural, et d'indiquer autre chose que ce qui pouvoit être, d'après la connoissance que l'on a des principaux monuments qui, à cette époque, existoient dans la Cité. Il faut se figurer qu'alors la pointe de l'île se terminoit à peu près à l'endroit où étoit autrefois le pont Rouge; car l'espace appelé le (p. 298) Terrain[330] ne s'est formé que, par succession de temps, des décombres que produisit la démolition des vieilles églises auxquelles a succédé la cathédrale que nous voyons à présent. Comme le pont Notre-Dame n'existoit point encore, il ne pouvoit y avoir une rue qui continuât en droite ligne, à partir du Petit-Pont; mais elle devoit suivre une diagonale pour arriver à la porte du septentrion, où étoit le Grand-Pont, seule issue que l'île eût alors de ce côté. Il est facile, d'après cela, de se faire une idée de la manière dont devoient être tournées les rues aboutissantes à cette grande rue qui conduisoit d'un pont à l'autre. Quant aux chapelles et monastères qu'on a vu s'élever de tous côtés au milieu de cet espace, ils ne doivent point embarrasser, parce que, jusqu'au (p. 299) règne de Childebert, fils de Clovis, il n'y eut qu'une seule église à Paris, et déjà ce n'étoit plus la même qui avoit existé du temps de l'évêque Prudentius. Le nombre des habitants de Paris, et par conséquent des chrétiens s'étant fort augmenté, on en avoit rebâti une plus grande et plus magnifique au même endroit. Fortunat[331], qui vivoit peu de temps après, parle des colonnes de marbre, des vitraux superbes dont elle étoit décorée, de la hauteur de ses voûtes, et donne à entendre que c'étoit au roi Childebert qu'elle devoit tant de magnificence.
Plusieurs titres incontestables, parmi lesquels il en est un qui remonte à l'an 860[332], nous apprennent que cette ancienne cathédrale a d'abord porté le nom de Saint-Étienne. C'est en vain que quelques érudits ont prétendu qu'il étoit question, dans ces anciens écrits, de Saint-Étienne-des-Grés, de Saint-Étienne-du-Mont et même de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, dont ce premier martyr étoit un ancien patron: il a été prouvé que les deux premières églises n'existoient pas encore (p. 300) à cette époque, et quant à la troisième, que non-seulement l'église de Saint-Germain-des-Prés n'a jamais été connue sous le nom de Saint-Étienne, mais que ce dernier titre ne lui a même jamais été donné par adjonction, tandis qu'on y a joint quelquefois le nom de Saint-Vincent.
Toutefois, par un titre qui n'est guère postérieur aux premiers[333], on voit que cette église étoit composée de deux édifices, dont l'un étoit la basilique de Notre-Dame, et l'autre celle de Saint-Étienne. Aussi Grégoire de Tours, parlant de l'incendie qui réduisit en cendres toutes les maisons de l'île de Paris en l'an 586, dit que les seules églises furent exceptées. Cette pluralité des églises dans la Cité ne peut s'entendre que des édifices qui en formoient depuis peu la cathédrale. Saint-Étienne avoit été le premier de ces édifices; ensuite, suivant l'ancien usage où l'on étoit de bâtir de petites églises autour des grandes basiliques, il est à présumer qu'on en avoit élevé une à côté, sous l'invocation de la Vierge. Ce monument s'étant trouvé trop petit par l'augmentation du nombre des fidèles, on l'aura rebâti et agrandi sous le règne de Childebert; et c'est alors sans doute que la basilique nouvelle sera devenue (p. 301) la cathédrale, par une autre coutume assez fréquente dans ces temps-là, de donner aux églises neuves qui remplaçoient les anciennes, ou ruinées ou trop petites, un vocable différent du premier patron. Voilà ce que nous avons pu recueillir de plus vraisemblable sur la première origine de Notre-Dame de Paris.
Quelles que soient les objections que l'on imagine d'élever contre cette hypothèse, on ne peut nier du moins que, sans compter un grand nombre d'autres autorités, il n'existe une charte authentique de Childebert lui-même, par laquelle il donne la terre de Celle, près Montereau-Faut-Yonne, à l'église mère de Paris, qui est dédiée en l'honneur de sainte Marie, etc.[334], et que par conséquent cette église ne fût déjà bâtie sous la première race de nos rois: du reste, on n'a que des traditions confuses sur les révolutions[335] (p. 302) qu'elle a pu éprouver jusqu'au moment où elle fit place au monument qu'on voit aujourd'hui. A-t-elle été rebâtie depuis Childebert par l'évêque Erkenrad, comme on l'a prétendu? l'abbé Lebeuf est porté à le croire, et cette opinion n'a rien qui la rende invraisemblable. Il n'en est pas de même de celle par laquelle on veut établir que l'édifice actuel, commencé par le roi Robert, fut continué par ses successeurs jusqu'à Philippe-Auguste, sous le règne duquel Maurice de Sully eut la gloire de l'achever: non-seulement l'architecture de cette église n'offre aucun caractère qui puisse la faire attribuer aux siècles qui ont précédé cet évêque, mais il existe plusieurs témoignages qui prouvent qu'il le fit édifier dès ses fondements[336]. Toutefois il est probable que les anciennes fondations avoient été conservées, et que ce fut sur ces fondations que fut élevé le chœur de l'église nouvelle[337]. En effet, il est remarquable que cette partie, trop étroite pour la hauteur et la largeur du monument entier, n'est point dans l'alignement de la nef, et que celle-ci fait un coude léger. Cette irrégularité semble être le résultat d'un plan par lequel Maurice auroit voulu que le portail se trouvât en face de la (p. 303) rue nouvelle qu'il avoit fait ouvrir, et à laquelle il donna le nom de rue Notre-Dame, qu'elle porte encore aujourd'hui.
Ce fut vers l'an 1160 que cet évêque entreprit de faire une seule basilique des deux églises, et de leur donner une étendue beaucoup plus considérable du côté de l'occident. Celle de Notre-Dame fut d'abord abattue jusqu'aux fondements, comme nous venons de le dire, et l'on éleva sur le champ le nouveau sanctuaire. Ce ne fut qu'environ cinquante ans après, que la vieille église de Saint-Étienne fut détruite[338], lorsque l'on commença la construction des ailes, qu'elle auroit gênée du côté méridional. Une inscription qu'on lit sur les pierres du portail de la croisée fait foi qu'on travailloit encore à cette partie de l'église en 1257. Le portail et les chapelles du côté du nord ne furent achevés que dans le quatorzième siècle, de manière que cette immense construction fut le résultat de près de trois siècles de travaux non interrompus. Cependant on n'avoit pas attendu son entier achèvement pour y réunir les fidèles; et lorsque le sanctuaire eut été achevé, la simple bénédiction du lieu et des autels[339] parut suffisante pour y célébrer les saints mystères. (p. 304) La dédicace solennelle de l'édifice n'a même jamais été faite.
La forme du plan de cette église est une croix latine, dont les principales dimensions, dans œuvre, sont, pour la longueur, soixante-cinq toises, pour la largeur, vingt-quatre. La hauteur, sous clef de la voûte, est de dix-sept toises deux pieds. La disposition générale du plan est grande et noble, les proportions en sont heureuses, et ce monument gothique passe, avec raison, pour un des plus vastes et des plus beaux qui existent dans la chrétienté[340].
La façade, qui fut élevée dès le règne de Philippe-Auguste, est remarquable par ses sculptures et par son élévation. Elle est terminée par deux grosses tours, hautes de deux cent quatre pieds; elles sont carrées, et offrent une largeur de quarante pieds sur chaque dimension. L'intervalle qui les sépare étant égale à leur diamètre, il en résulte que la façade entière du portail est de cent vingt pieds. On communique de l'une à l'autre tour par deux galeries hors d'œuvre.
Cette façade est percée de trois portes, au-dessus desquelles étoient rangées, sur une seule ligne, les statues[341] de vingt-sept de nos rois, dont le (p. 305) premier étoit Childebert, et le dernier Philippe-Auguste. On y voyoit Pépin-le-Bref monté sur un lion, ce qui étoit un monument de la victoire éclatante qu'il remporta sur un de ces terribles animaux.
Les sculptures placées dans les voussures ogives[342] de ces trois portes et dans les niches au-dessous, offrent cette multiplicité, cet entassement d'objets qui fait le caractère de la barbarie gothique. Au portail du milieu est représenté Jésus-Christ sous plusieurs aspects avec les apôtres, les symboles des quatre évangélistes, les prophètes et même les sibylles. Dans les côtés sont figurés les vertus et les vices sous l'emblème de divers animaux. On y remarque encore une représentation grossière du jugement dernier, et dans les pilastres qui séparent ce portail d'avec les deux autres, sont placées deux grandes statues de femmes, dont l'une est la Foi et l'autre la Religion.
Au portail de la tour voisine du cloître, on voit la statue de la Vierge, celles des prophètes qui l'ont prédite, sa mort, son couronnement; à droite et à gauche, saint Jean-Baptiste, saint (p. 306) Étienne, sainte Geneviève, saint Germain, saint Denis, et un roi qu'on ne peut désigner. Ces figures sont du treizième siècle.
Celles du portail à droite, qui paroissent plus anciennes, offrent une réunion d'objets encore plus incohérents. La Vierge y figure de nouveau avec la crèche, les trois mages, des rois, des apôtres, des évêques de Paris; et parmi ces derniers, saint Marcel, reconnoissable à sa crosse, à sa mitre et au dragon qu'il a sous les pieds. Toutes ces sculptures, dont la plus grande partie existe encore, ont éprouvé de grandes dégradations, ainsi que celles qui ornent les portails des deux croisées, lesquelles sont à peu près du même style et de la même composition[343].
On entre par toutes ces portes dans l'église dont la nef et le chœur sont accompagnés de doubles ailes voûtées, au-dessus desquelles s'élèvent (p. 307) des galeries spacieuses, et qui règnent tout à l'entour de l'édifice. Toutes ces constructions sont soutenues par cent vingt piliers et cent huit colonnes. On compte encore dans ce vaste contour quarante-cinq chapelles[344].
Les différentes voûtes de cet édifice sont contre-butées à l'extérieur par un grand nombre d'arcs-boutants de différentes hauteurs, lesquels opposent leur résistance à l'effort de la poussée. Ce moyen, constamment employé par les Goths, leur ayant permis d'élever à une hauteur excessive des murs auxquels ils ont conservé peu d'épaisseur, donne à leur architecture cette apparence de légèreté encore augmentée par la subdivision infinie de ces faisceaux de colonnes d'un très-petit diamètre qui composent leurs piliers, et qu'ils ont eu l'adresse de figurer jusque dans les nervures croisées et intérieures de ces voûtes.
Quant à l'extérieur, ces piliers sont la plupart terminés en obélisques. Les pignons[345] en forme (p. 308) de frontons sont évidés au milieu par des roses[346] à jour, d'un travail très-délicat, et dont les plus grandes ont quarante pieds de diamètre. Celle qui est du côté de l'archevêché a été reconstruite en entier sur le même dessin, en 1726, par Claude Pinet, appareilleur, sous les ordres de M. Boffraud, architecte. On admire les anciens vitraux colorés qui remplissent la rose du grand portail et celles des croisées. Ils ont été réparés, en 1752, par Pierre Leviel, vitrier, auteur d'un traité sur ce genre de peinture, que l'on croyoit perdu, et dont il a retrouvé les divers procédés.
Trois galeries en dehors forment, à diverses hauteurs, des espèces de ceintures d'entrelas[347] qui unissent ensemble toutes ces formes pyramidales, et rassurent l'œil sur leur solidité, en même temps qu'elles présentent, par la richesse et la variété de leurs ornements, une heureuse opposition avec le lisse des murs et des contreforts. La (p. 309) première est placée au-dessus des chapelles, la deuxième surmonte les galeries de la nef et du chœur, et la troisième règne autour du grand comble. Celle-ci, par sa disposition, sert pour faire extérieurement la visite de l'église, et contribue à sa conservation en facilitant la conduite et l'écoulement des eaux pluviales, ce qui s'opère par une multitude de canaux et de gouttières qui les font parvenir jusqu'au pied de l'édifice. La charpente, qui a trente pieds d'élévation, est en bois de châtaignier.
Lorsqu'il s'agit d'un monument aussi célèbre, on ne doit négliger aucun des détails qui semblent intéressants. Avant que le chœur eût été orné d'une décoration moderne, il étoit chargé de sculptures gothiques représentant, du côté intérieur, l'histoire de la Genèse. Elles avoient été exécutées en 1303, aux frais du chanoine Fayet. Celles de l'extérieur, qui existent encore, offrent toute la suite du Nouveau Testament. Autrefois on lisoit au bas les noms de Jean Ravy et Jean Bouthelier son neveu, maçons de Notre-Dame; ce dernier avoit achevé ces ouvrages en 1351.
Il faut encore remarquer la ferrure des deux portes latérales de la façade. Elle est composée d'enroulements exécutés en fonte de fer, dans un style d'ornements qui rappelle le goût grec du Bas-Empire; ce qui peut faire présumer que ces pentures, travaillées en arabesques très-légères, et (p. 310) ornées de rinceaux[348] et d'animaux, ont été enlevées de quelque autre monument, et appliquées à celui-ci. Cette conjecture prend plus de force si l'on observe que ces pentures ne sont point pareilles, et que ni la porte du milieu ni les portes des croisées ne présentent rien de semblable ou d'analogue. On les attribue cependant à un célèbre serrurier nommé Biscornet.
Ce portail est de niveau avec la place: on prétend que du temps de Louis XII il s'élevoit beaucoup au-dessus d'elle, et qu'il falloit monter plusieurs marches pour entrer dans l'église. On remarque en effet que les anciens monuments bâtis dans la plaine s'enterrent successivement par l'exhaussement du sol environnant. Il arrive que le temps dépose chaque année à leur pied une couche insensible de terre ou de matériaux étrangers qui, n'étant point enlevés lorsqu'on renouvelle le pavement des rues, surmontent insensiblement les socles et les marches, de manière qu'on finit par descendre dans les édifices où l'on montoit plusieurs siècles auparavant.
Cette cathédrale avoit été magnifiquement décorée par Louis XIV, qui accomplit aussi le vœu (p. 311) qu'avoit fait son père, d'y élever un maître autel digne d'un temple aussi auguste et de la puissance d'un grand roi. Malgré les dégradations, les brigandages horribles exécutés sur tant de matériaux précieux, de sculptures, de peintures, de boiseries artistement travaillées, qui étoient entrés dans la décoration de ce grand monument, il reste cependant encore quelques traces de tant de richesses; et le groupe de la Mère de douleur, placé dans la niche de l'arcade qui est derrière le grand autel, est demeuré intact. La Vierge y est représentée les bras étendus vers le ciel; la tête et une partie du corps de son fils reposent sur ses genoux; un ange soutient une main du Christ, un autre porte sa couronne d'épines. Ce groupe, exécuté en marbre blanc par Coustou l'aîné, quoique loin sans doute du style grand et pur de la sculpture antique, n'est pas cependant dépourvu de beautés, et l'expression y est surtout remarquable. Du reste, l'autel, entièrement dégradé, a été refait sur les dessins de feu M. Legrand, architecte distingué, et même la décoration intérieure de la totalité du sanctuaire est devenue plus noble et plus régulière par la suppression du jubé et des chapelles adossées aux deux premiers piliers du chœur: ces chapelles, par leur disposition, empêchoient de jouir de l'ensemble de ce monument.
Il a été fait trois fouilles remarquables dans (p. 312) cette église; la première en 1699, lorsqu'on commença la construction du grand autel. On découvrit alors, sous les payés du sanctuaire, les tombes d'un grand nombre d'évêques et autres personnages éminents, dont plusieurs y avoient été enterrés dès les premiers temps de l'édification du monument.
Dans la seconde fouille, entreprise en 1711, pour creuser la crypte qui sert de sépulture aux archevêques, furent trouvées neuf pierres antiques chargées de sculptures et d'inscriptions en caractères romains. Nous donnerons quelques détails sur ces débris d'antiquités en finissant de décrire ce quartier[349].
Enfin, la troisième fouille, que l'on fit en 1756, pour édifier la sacristie et le bâtiment du trésor du côté du midi, détruisit entièrement cette ancienne opinion, que les fondations de Notre-Dame avoient été bâties sur pilotis. Cette fouille, poussée jusqu'à vingt-quatre pieds de profondeur, deux pieds au-dessous de ces fondations, a fait voir qu'elles posent sur un gravier solide. Elles sont composées de gros moellons liés avec du mortier et du sable. Il n'y a que quatre assises de pierre de taille bien équarries, et posées en retraite (p. 313) les unes sur les autres, qui terminent cette fondation jusqu'au sol. L'ancienne sacristie, qu'on abattit alors, parce qu'elle menaçoit ruine, avoit été construite à la place d'une galerie qui communiquoit de l'église aux chapelles de l'archevêché. L'édifice qui a remplacé ces deux anciennes constructions a été fait sous la direction du célèbre architecte Soufflot.
Telles sont les particularités les plus intéressantes que nous avons pu recueillir sur ce monument célèbre dans toute la chrétienté, que tant de mains royales se sont plu à décorer, et qui, tout dépouillé qu'il est de son antique splendeur, rappellera toujours les plus grands, les plus touchants souvenirs de la monarchie françoise. C'est dans l'église de Notre-Dame que nos rois ont le plus souvent donné des preuves éclatantes de cette piété si noble et si sincère qui les distingue parmi tous les souverains, et dont l'exemple salutaire, en raffermissant le principe religieux dans l'âme de leurs sujets, contribua, plus que toute autre chose, à soutenir un ordre politique, fragile de sa nature, et menacé à chaque instant de se changer en désordre et en anarchie. À chaque avénement, le nouveau monarque alloit dans ce temple auguste déposer sa couronne aux pieds de celui qui juge les rois; avant de marcher à l'ennemi, il y retournoit demander la protection du ciel pour ses armes; et dans la gloire du triomphe, il y (p. 314) revenoit encore humilier son front, et consacrer les marques de sa victoire[350]. Il n'étoit point de fêtes solennelles, soit pour remercier le ciel des succès, soit pour l'implorer dans les calamités, où l'on ne marchât d'abord vers la cathédrale; et les pompes de la religion se mêloient sans cesse aux affections les plus vives des peuples, aux intérêts les plus grands des princes. Un de nos rois[351], délivré d'une longue captivité, alla porter à Notre-Dame le tribut de ses actions de grâces avant de rentrer dans son palais; un autre[352] y fit élever le monument d'une victoire (p. 315) qu'il croyoit n'avoir obtenue que par une protection signalée de la Vierge; Henri IV, le meilleur des princes, saint Louis, le plus grand des rois, ont prié sous ces voûtes; et la suite de cette histoire nous fournira une foule d'exemples non moins remarquables de ce zèle religieux qui, dans ces souverains, sembloit se transmettre d'âge en âge avec la valeur et les droits du trône.
La cathédrale de Paris ayant été, dans tous les temps, l'objet de la dévotion particulière de nos rois, fut, dès les commencements, comblée de leurs présents, et décorée avec une magnificence digne d'aussi grands souverains. Elle étoit riche en peintures, en sculptures, en reliques, en vases antiques et précieux, en ornements de tous genres; et le culte n'étoit célébré dans aucune église de France avec un appareil aussi auguste[353].
(p. 316) Non-seulement les rois et les princes, mais le corps des bourgeois, plusieurs confréries, des communautés d'artisans, de simples particuliers se sont plu à l'envi à l'enrichir de leurs offrandes. On voyoit devant l'autel de la Vierge un lampadaire d'argent remarquable, en ce qu'il étoit composé de sept lampes, dont six avoient été données par Louis XIV et la reine son épouse. Celle du milieu, qui avoit la forme d'un navire, étoit un présent de la ville de Paris, et rappeloit un vœu singulier qu'elle avoit fait dans un danger imminent[354]. Un chanoine de cette église en avoit fait entièrement reblanchir l'intérieur à ses frais. Un autre avoit donné les peintures qui ornoient le chœur; enfin la nombreuse collection de tableaux qui garnissoit l'immense étendue de la nef, les (p. 317) croisées et les chapelles, étoit le résultat d'une offrande annuelle que, pendant près d'un siècle, firent à Notre-Dame la communauté des orfèvres, et la confrérie de Sainte-Anne et de Saint-Marcel.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE NOTRE-DAME.
TABLEAUX DE LA NEF.
À droite en entrant.
1. Le Boiteux guéri par saint Pierre à la porte du temple, par D. Sylvestre.
2. Saint Pierre délivré de prison, par Jean-Baptiste Corneille.
3. Le départ de saint Paul, de Milet pour Jérusalem, par Galloche.
4. Le martyre de saint Simon en Perse, par Louis Boullogne père.
5. Le martyre de saint Jean l'évangéliste près la porte Latine à Rome, par C. Hallé père.
6. L'apparition de Jésus-Christ à saint Pierre, par J. Sourlay[355].
7. Saint Pierre ressuscitant la veuve, par Louis Tetelin.
8. Saint Paul prêchant les Gentils, par Eustache Le Sueur[356].
À gauche en entrant.
1. Jésus-Christ chez Marthe et Marie, par Simpol.
2. La multiplication des pains, par J. Christophe.
3. La vocation de saint Pierre et de saint André, par M. Corneille.
4. Les Vendeurs chassés du temple, par Claude-Guy Hallé.
5. La guérison du Paralytique, par Jouvenet.
6. L'entretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine, par Boullogne jeune.
7. Jésus-Christ guérissant le Paralytique à la piscine, par Boullogne.
(p. 318) Sur la partie du pilier qui faisoit face à la chapelle de la Vierge, laquelle étoit au côté droit de la principale entrée du chœur.
1. Le vœu de Louis XIII, par Philippe de Champagne.
2. À côté, et un peu plus bas, vis-à-vis la chapelle, saint Paul et Silas flagellés dans la ville de Philippes en Macédoine, par Louis Tetelin.
3. Au-dessus, saint André à genoux devant la croix, par Jacques Blanchard.
4. Sur la même ligne, en tournant, saint Jacques conduit au martyre, par Noël Coypel père.
5. Immédiatement après, la guérison de la femme affligée d'un flux de sang, par Cazes.
6. À côté, saint Paul lapidé à Listres, par Jean-Baptiste Champagne neveu.
7. Au-dessus de la chapelle, saint Pierre prêchant à Jérusalem, par Charles Poërson père.
En tournant à la croisée gauche du cloître, en face de la chapelle Saint-Denis, qui étoit également à la porte du chœur.
1. La descente du Saint-Esprit, par Blanchard.
2. À côté, vis-à-vis la chapelle Saint-Marcel, saint Paul guérissant un boiteux, par Michel Corneille.
3. Au-dessus, l'enlèvement de saint Philippe, par Thomas Blanchet.
4. De suite, en tournant, le martyre de saint Étienne, par Charles Le Brun.
5. Le martyre de saint Pierre, par Sébastien Bourdon.
6. Le martyre de saint André, par Charles Le Brun.
7. Au-dessus de la chapelle, la conversion de saint Paul, par Laurent de la Hire[357].
(p. 319) TABLEAUX PLACÉS AU-DESSUS DES STALLES DU CHŒUR.
À droite.
1. L'annonciation, par Hallé.
2. La Visitation (le Magnificat), par Jouvenet.
3. La nativité de Jésus-Christ, par Lafosse.
4. L'adoration des Mages, par le même.
À gauche.
1. La présentation de Jésus-Christ au temple, par Louis Boullogne.
2. La fuite en Égypte, par le même.
3. Jésus-Christ dans le temple au milieu des docteurs, par A. Coypel.
4. L'assomption de la Vierge, par le même.
AU-DESSUS DU POURTOUR EXTÉRIEUR DU CHŒUR.
En entrant par la grille de la croisée, du côté de l'archevêché.
1. La décollation de saint Jean et l'enlèvement de son corps par ses disciples, par Cl. Audran.
2. Saint Paul ressuscitant Eutique, par Courtin.
3. Le repentir de saint Pierre, par Tavernier.
4. Saint Paul devant Agrippa, par Villequin.
En tournant du côté du sanctuaire pour passer au côté gauche.
1. Saint Paul convertissant saint Denis dans l'Aréopage, par Cestin.
(p. 320) 2. Agabus prédisant à saint Paul ce qu'il doit souffrir pour Jésus-Christ, par Chéron.
3. Saint Jean prêchant dans le désert, par Parrocel père.
4. L'adoration des rois, par Vivien.
CHAPELLES DES BAS-CÔTÉS AUTOUR DU CHŒUR.
Après la petite porte de l'escalier qui conduit aux tribunes du chœur.
1. Chapelle de Saint-Pierre et Saint-Paul. Un tableau ovale représentant ces deux saints accompagnés de leurs disciples, par Beaugin, et une Descente de croix.
2. Chapelle de Saint-Pierre martyr. Saint Pierre guérissant les malades par son ombre, par La Hire. Vis-à-vis, le Naufrage de saint Paul à Malte, par Poërson.
3. Ensuite la sacristie renfermant le trésor[358].
4. Chapelle de Saint-Denis et Saint-Georges. Une Notre-Dame de Pitié, de l'école de Vouet; saint Pierre visité par un ange dans sa prison, par Vouet.
5. Chapelle de Saint-Gérald. La mort de la Vierge, par N. Poussin. Vis-à-vis, un vœu à la Vierge sur un champ de bataille.
6. Chapelle de Saint-Remi, dite des Ursins. Saint Claude, par Galloche. Portrait de Jouvenel des Ursins avec sa famille.
7. La Chapelle d'Harcourt.
8. Chapelle de Saint-Crépin, Saint-Crépinien et Saint-Étienne. Un Christ, l'Ascension et la Résurrection, par Beaugin. Hérodiade à table avec Hérode, par L. Chéron. Saint Pierre baptisant le Centenier, par M. Corneille.
9. Chapelle de Saint-Nicaise. Le jugement dernier, peint sur bois par de Hery.
10. Chapelle de Saint-Louis et de Saint-Rigobert. Un Christ, d'après Michel-Ange; Saint-Étienne conduit au martyre, par Houasse.
(p. 321) 11. Chapelle de la Décollation de Saint-Jean-Baptiste. Le martyre de saint Barthélemi, par Paillet. La décollation de saint Jean, par Louis Boullogne. Une Assomption, par Hurel.
12. Chapelle de Vintimille, sous le titre de Sainte-Foi et de Saint-Eutrope. Saint Charles Borromée communiant les pestiférés, par Vanloo. Une Sainte Famille, par Paillet.
13. Chapelle de Saint-Michel, dite de Noailles. L'apparition de l'ange aux trois Maries, par C. Natoire.
14. Chapelle de Saint-Ferréol. Saint Michel, par Vignon. L'annonciation, par Champagne.
15. Chapelle de Saint-Jean-Baptiste et de la Madeleine ou chapelle de Beaumont. Un Christ en croix.
16. Dans l'embrasure de la porte rouge, la mort d'Ananie et Saphire, et le centenier Corneille aux pieds de saint Pierre, par Aubin Vouet.
17. Chapelle de Saint-Eustache. La transfiguration, d'après Raphaël. Le vœu du marquis de Locmaria, par Le Monnier.
18. Chapelle de Sainte-Agnès. La Vierge allaitant l'enfant Jésus.
En redescendant des bas-côtés de la nef, du même côté.
1. Chapelle Saint-Nicolas. Ce saint sauvant des pénitents du naufrage, par Thiersonnier. Le miracle de saint Paul et de Sylas en prison, par N. de Plattemontagne.
2. Chapelle de Sainte-Catherine. Le martyre de cette sainte, par M. Vien.
3. Chapelle de Saint-Julien-Zozime. Ce saint donnant la communion à sainte Marie Égyptienne, par Beaugin. Les noces de Cana, par Cotelle.
4. Chapelle de Saint-Laurent. Le martyre de ce saint, par un élève de Le Sueur. L'apparition de Jésus-Christ aux trois Maries, par Marot.
5. Chapelle de Sainte-Geneviève. Une Vierge et l'enfant Jésus, avec saint Jean et sainte Geneviève, par Beaugin. La guérison des démoniaques.
6. Chapelle de Saint-Georges et de Saint-Blaise. Une mère de (p. 322) douleur consolée par les anges, par Beaugin. Les miracles de saint Paul à Éphèse, par L. Boullogne.
7. Chapelle de Saint-Léonard. Ce saint en habit guerrier, par Champagne. Le vœu de madame la Grande-Duchesse, pour sa maladie, par Dumesnil.
CHAPELLES DES BAS-CÔTÉS DE LA NEF.
En entrant à droite.
1. Chapelle de Sainte-Anne. Sainte Anne et la Vierge, par Vouet. La présentation de la Vierge, par La Hire.
2. Chapelle de Saint-Barthélemy et de Saint-Vincent. Le martyre de ce dernier saint, par Beaugin. Notre Seigneur sur la montagne, par Poërson.
3. Chapelle de Saint-Jacques. Un Christ, par Le Nain. La femme adultère, par Renaut.
4. Chapelle de Saint-Antoine et de Saint-Michel. Saint Michel à genoux devant la Vierge, par Champagne. Jésus-Christ guérissant un possédé, par Vernansal.
5. Chapelle de Saint-Thomas de Cantorbéry. Saint Dominique et saint Thomas à genoux devant la Vierge, manière de Lanfranc. La résurrection du fils de la veuve de Naïm, par Guillebaut.
6. Chapelles de Saint-Augustin et de Sainte-Marie-Magdeleine. Dans la première, la Piscine, par Alexandre. L'aveuglement de Barjésu, par Loir. Dans la deuxième, l'incrédulité de saint Thomas, par Arnould; la résurrection de la fille de Jaïre, par Vernansal[359].
(p. 323) SCULPTURES[360].
L'ancien grand-autel, élevé sur les dessins de Decotte, étoit décoré de plusieurs statues en bronze, et surchargé d'ornements ciselés et dorés, où il y avoit plus d'éclat et de richesse que de bon style et de bon goût. On y remarquoit un bas-relief en bronze doré par Vassé; deux anges adorateurs par Cayot.
Dans le chœur, on remarquoit encore:
À gauche, la statue en marbre blanc de Louis XIII, à genoux, revêtu de ses habits royaux, offrant son sceptre et sa couronne à la Sainte-Vierge, et mettant son royaume sous sa protection, par Coustou jeune.
À gauche, celle de Louis XIV, par Coyzevoz. Elle représentoit ce monarque revêtu pareillement de ses habits royaux et accomplissant le vœu du roi son père[361].
Dans les tympans des arcades du rond-point, des anges en bas-relief représentant des vertus avec leurs attributs, savoir: la Charité et la Persévérance, par Poultier; la Prudence et la Tempérance, par Frémin; l'Innocence et l'Humilité, par Le Pautre; la Foi et l'Espérance, par Le Moine; la Virginité et la Pureté, par Thiéry; la Justice et la Force, par Bertrand. Au bas des pilastres et sur des culs-de-lampe, six anges en bronze portant les instruments de la passion, et modelés par Hurtrelle, Vanclève, Poirier, Magnier et Flamen.
(p. 324) Au milieu du chœur, un aigle en bronze, accompagné des trois vertus cardinales, par Duplessis.
Aux deux portes latérales du chœur, deux chaires épiscopales, enrichies d'ornements et de bas-reliefs représentant l'histoire du martyre de saint Denis, et la guérison du roi Childebert, par l'intervention de saint Germain, évêque de Paris.
Dans la chapelle Saint-Christophe, la statue du saint, par Gois; celle de saint Denis, par Mouchy, dans la chapelle qui lui étoit consacrée; dans celle de Saint-Michel, dite de Noailles, saint Louis et saint Maurice, par Rousseau.
Sur la menuiserie des stalles du chœur, des bas-reliefs, par Goullon, offrant des sujets pris dans le Nouveau Testament.
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Au pied du sanctuaire avoient été déposées les entrailles de Louis XIII et de Louis XIV.
Dans cette église avoient été inhumés:
Étienne II, dit Tempier, évêque de Paris, mort en 1279.
Simon de Bucy, évêque de Paris, mort en 1304 (enterré dans la chapelle Saint-Nicaise).
Aymérie de Magniac, cardinal et évêque de Paris, mort en 1384.
Pierre d'Orgemont, évêque de Paris, mort en 1409.
Dans la chapelle Saint-Remi, Juvénal des Ursins, chancelier de France sous Louis XI, et Michelle de Vitry sa femme, morte en 1456[362].
Henri Dumoulin, évêque de Paris, mort en 1447.
Sous la croisée, Paul Émile de Véronne, chanoine de cette église et auteur d'une Histoire de France, mort en 1529.
Joachim du Belloy, chanoine et archidiacre de Paris, l'un des poètes les plus estimés de la cour de François Ier, mort en 1559.
(p. 325) Jean-Baptiste de Chatelier, nonce du pape, mort en 1583.
Albert de Gondi, duc de Retz, marquis de Belle-Isle, maréchal de France, mort en 1602.
Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, de Sens, et grand-aumônier de France, mort en 1616.
Dans la chapelle de Saint-Louis et Saint-Rigobert, le cardinal Pierre de Gondi, évêque de Paris, mort en 1616[363]. Cette chapelle, magnifiquement décorée, étoit destinée à la sépulture de cette illustre famille.
Dans la chapelle de Saint-Eustache, Jean-Baptiste Budes de Guébriant, maréchal de France, mort en 1643, et Renée de Bec-Crepin sa femme.
Pierre de Marca, archevêque de Paris, et célèbre par son traité de Concordiâ sacerdotii et imperii, mort en 1662.
Hardouin de Péréfixe de Beaumont, archevêque de Paris, mort en 1671.
François de Harlay, archevêque de Paris, mort en 1695.
Anne-Jules de Noailles, pair et maréchal de France, mort en 1708.
Claude Chastelin, chanoine de cette église, auteur de plusieurs ouvrages de piété, mort en 1712.
Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, mort en 1729.
Charles-Gaspard-Guillaume de Vintimille, archevêque de Paris, mort en 1746. Charles-François de Vintimille son frère, mort en 1740.
L'abbé de la Porte, chanoine jubilé[364] de cette église et l'un de ses bienfaiteurs.
Dans la chapelle d'Harcourt, le mausolée de Claude-Henri, comte d'Harcourt, mort en 1769. Ce monument avoit été exécuté par Pigalle, d'après un songe où madame d'Harcourt avoit vu son mari tel qu'il y étoit représenté[365].
(p. 326) Lorsque l'on creusa le crypte qui sert de sépulture aux archevêques de Paris, on y découvrit le tombeau d'une reine d'Angleterre dont le nom est inconnu, et celui de Louis de France, dauphin, fils de Charles VI et d'Isabeau de Bavière. Au bas des degrés du grand autel étoit déposé le cœur de Louise de Savoie, mère de François Ier.
RELIQUES ET AUTRES OBJETS PRÉCIEUX.
Derrière le chœur étoit la châsse de Saint-Marcel, en or et en vermeil, enrichie de perles fines et de pierres précieuses.
L'autel de la chapelle de Saint-Denis contenoit quatre châsses, où l'on conservoit quelques reliques inconnues.
La salle du Trésor contenoit entre autres richesses:
Le chef de saint Philippe, apôtre; ce chef de vermeil étoit couvert de pierres précieuses du plus grand prix.
Une reliquaire de vermeil représentant saint Louis, et renfermant plusieurs parcelles de la sainte couronne, des fragments de l'éponge, du suaire et du tombeau de Jésus-Christ.
La tunique de Saint-Germain, renfermée dans une châsse en vermeil; des vêtements de la Vierge et une partie du crâne de saint Denis, etc., etc.; une quantité considérable de ciboires, de calices, de croix, de vases, de chandeliers, de soleils en vermeil enrichis de diamants, de pierres fines, monuments précieux de la piété des plus illustres personnages de la France, et dont le brigandage de 1793 a fait disparoître jusqu'aux moindres vestiges.
On y conservoit aussi des monuments curieux relatifs à la manière dont se faisoient les investitures par le moyen du couteau; les réparations des dommages par l'offrande d'un morceau de bois sur lequel l'acte étoit écrit, ou par celle d'une baguette d'argent, lorsque la réparation venoit d'un prince, etc., etc.
La maison de l'évêque étoit située, de temps immémorial, près de Saint-Étienne[366]. Elle s'élevoit vis-à-vis de la nef de l'église d'aujourd'hui, et se terminoit à la double chapelle qui se voit encore dans la seconde cour de l'archevêché; le reste, du côté de l'orient, est une augmentation de bâtiments, dont le plus ancien n'a pas plus de deux cents ans.
Lorsque les évêques cessèrent de faire les ordinations dans leur cathédrale, ce qui arriva vers le temps où la multiplication des offices, et surtout des fondations, les empêcha de s'y rendre aussi assidûment que les anciens l'avoient fait, ils conçurent le dessein de faire construire une ou deux chapelles dans leur maison. La principale de ces chapelles fut décorée avec la magnificence que l'on déployoit alors dans les monuments de ce (p. 328) genre, quand on les élevoit dans les maisons des grands seigneurs; l'autre servit aux jugements ecclésiastiques, dès qu'on eut cessé de les prononcer aux portiques des cathédrales.
Maurice de Sully, dans le temps même qu'il faisoit bâtir l'église de Notre-Dame, fit construire, sur une ligne parallèle, le palais épiscopal et la double chapelle dont nous venons de parler. Dans la chapelle basse étoient des chapelains établis par les évêques; le jeudi-saint on y lavoit les pieds des enfants de chœur, et tous les dimanches on y célébroit la messe pour les prisonniers de l'archevêché. La chapelle supérieure servoit aux ordinations, aux sacres d'évêques, à certaines thèses de théologie, et à d'autres assemblées solennelles. Il est constaté que toutes ces constructions sont de ce temps-là, par le nécrologe de Paris et par les historiens contemporains[367].
On arrive dans la seconde cour par une arcade placée sous le bâtiment du trésor; et c'est là qu'est le nouveau palais archiépiscopal. Il doit son agrandissement à plusieurs prélats qui ont gouverné l'église de Paris, et principalement au cardinal de Noailles, qui y fit faire de grandes augmentations et beaucoup d'embellissements en 1697. C'est un (p. 329) grand hôtel, dont la situation est belle et la vue agréable, mais qui n'offre dans toute sa construction qu'une architecture mesquine et sans caractère[368].
Le peu de séjour que nos premiers rois firent dans la ville de Paris fut cause que son siége épiscopal parut trop peu considérable pour qu'on l'érigeât en métropole, et qu'il fut long-temps soumis à la juridiction de l'archevêché de Sens. Les deux premières races ayant été le temps des grandes dotations, Paris, qui ne s'accrut que sous les rois de la troisième, étoit un des évêchés les moins riches de la France; toutefois, lorsque cette ville fut devenue la capitale du royaume, son siége acquit bientôt une grande importance, plutôt par la position que par l'étendue des propriétés de l'évêque[369]. Ajoutons ici quelques développements (p. 330) nouveaux à ce que nous avons déjà dit de la situation de l'Église de France, pendant les premiers siècles de la monarchie, et de ce que furent en effet, à cette époque, le crédit et l'autorité des évêques.
Il ne paroît pas que, dans les premiers temps de la conquête, les évêques aient joui, sous les rois francs, d'une autorité plus grande que sous le gouvernement des empereurs. Or le caractère épiscopal étoit alors étranger à toutes les magistratures civiles[370]; et le seul privilége qu'eussent obtenu ces premiers pasteurs des églises, c'étoit de ne pouvoir être accusés que devant un tribunal ecclésiastique composé de leurs pairs, et d'être les premiers juges de leurs subalternes, qui ne pouvoient de même être accusés que devant eux[371].
De même les Romains n'ayant jamais eu l'idée d'attacher aux terres des titres honorifiques, et les évêques ayant continué de posséder leurs biens selon la loi romaine, jusqu'après le règne de Louis-le-Débonnaire[372], il y a grande apparence que (p. 331) les dignités ecclésiastiques ne devinrent des honneurs, selon le sens que les Francs attachoient à ce mot, qu'à l'époque où les évêques et les abbés prirent le baudrier[373], et devenus chefs de leur milice, vassaux des rois, seigneurs suzerains, durent nécessairement participer à tous les avantages que donnoit le service militaire chez une nation qui n'estimoit que la profession des armes, et où il n'y avoit de noble que l'homme libre et armé.
Toutefois la conquête de la Gaule fut favorable à l'épiscopat; et bien que l'autorité des évêques n'en fût point en apparence augmentée, elle reçut un accroissement réel, par cette circonstance qui en fit des médiateurs entre les vainqueurs et les vaincus, ce qui leur donna pour clients tout ce qu'il y avoit de Romains désarmés. Ce patronage qu'ils surent exercer de manière à satisfaire les princes et à les rendre plus assurés de la soumission de leurs nouveaux sujets, devint, par degrés, une autorité régulière que le pouvoir souverain se plut à légitimer. Ils ne tardèrent donc point à avoir une entière juridiction sur tout ce qui étoit romain, et l'on voit que, dès la première race, ils l'exerçoient absolument et sans la moindre contestation[374].
(p. 332) Ils surent conserver ce précieux avantage qu'ils devoient à leur modération et à leurs vertus; et, par une contradiction qui ne doit point étonner dans des hommes tels que les conquérants des Gaules, rudes et violents dans leurs mœurs, mais sincèrement religieux, les Francs, qui souvent abusoient, envers les évêques du droit du plus fort, et ne se faisoient point un scrupule de leur ravir leurs biens, chaque fois qu'il s'en présentoit quelque occasion favorable[375], respectoient en eux et le sacré caractère dont ils étoient revêtus, et cette autorité salutaire pour tous, à l'ombre de laquelle vivoit une population innombrable, et qui auroit pu se faire redouter, si elle n'eût été façonnée à l'obéissance par leurs préceptes, protégée contre une trop grande oppression par leur crédit et par leur influence. Loin de diminuer, cette autorité des évêques sembla s'accroître: au milieu de la fureur des guerres civiles et des troubles qui accompagnèrent (p. 333) le premier changement de dynastie, elle étoit la seule qui fût demeurée solide et vénérable; et tellement que le chef de la nouvelle famille régnante[376] crut n'avoir d'autre moyen de cimenter sa puissance que de s'assurer les suffrages de ces mêmes prélats que son père avoit dépouillés, ou dont il avoit permis que l'on se partageât les dépouilles. En recevant l'onction sainte qui consacroit son pouvoir, il consacra lui-même l'alliance désormais nécessaire et inviolable de l'autel et du trône; et c'est de ce moment seulement que commença à se développer en France la société chrétienne, qui jusqu'alors y avoit été foible, et, pour ainsi parler, à peine ébauchée.
L'influence des évêques devint alors plus grande que jamais; et elle eut son caractère propre, fort différent de celui du pouvoir politique, caractère qu'exprime parfaitement le mot autorité, sous lequel nous l'avons désignée, et qui lui fut en effet spécialement consacré. Ce mot conservant en cette circonstance le sens qu'il avoit eu chez les Latins, signifia cette puissance que donnent la gravité des mœurs et la sagesse des conseils; et tout ce qu'il y avoit de lumière et de science tant sacrée que profane, étant alors renfermé dans la société spirituelle ou religieuse, la société matérielle ou politique en qui tout étoit à peu près (p. 334) éteint, excepté la FOI, sembla reconnoître que le principe de son existence n'étoit pas en elle, puisque dans l'intelligence seule est la vie des sociétés. En effet, s'il est incontestable que la loi de Dieu est le principe et la règle de toute loi humaine, de même que le pouvoir divin est la source et le modèle de tout pouvoir établi au milieu des hommes, il en résulte que cette loi divine n'étant positive que dans le christianisme, puisque c'est dans le christianisme seul que la révélation l'a promulguée, la religion, pour un peuple chrétien, plus que pour aucun autre peuple, est éminemment la raison de la société; et comme il n'appartient qu'à ceux qui l'ont étudiée et comprise, de pouvoir juger de ce qui s'accorde avec elle, ou de ce qui lui est contraire, par conséquent de modérer, de diriger la force aveugle de tout pouvoir matériel, en lui communiquant cette lumière céleste dont il est privé, il en résulte encore que c'est uniquement dans ces hommes divinement éclairés et quels qu'ils puissent être, qu'est la conscience de la société. Or, nous le répétons, au clergé seul appartenoient alors la science et l'intelligence: il étoit donc nécessaire que son action s'étendît sur toutes les parties du corps social pour y combattre sans cesse l'action de cette autre puissance de désordre, pour réprimer et protéger, récompenser et punir, conserver l'ordre dans l'état et par conséquent la vie; il le falloit jusqu'à ce que (p. 335) les vérités dont il avoit reçu le précieux dépôt, qu'il portoit partout avec lui et répandoit sans mesure, pénétrant ainsi le fond même de la société, y rendissent tout pouvoir intelligent et consciencieux; ce qui se fit de telle manière qu'à mesure que s'éclairoit ainsi le pouvoir dans la société temporelle, cet usage extraordinaire que la société spirituelle avoit fait du sien pour le salut de tous, devenant par degré moins nécessaire, elle rentra aussi par degré dans les limites des attributions qui lui sont propres, lorsque, dans le corps social entier, tout est complet et bien ordonné. Qui ne comprend point ces choses, ne comprend point ce qu'étoit la France dans le moyen âge, et vivant au milieu des sociétés chrétiennes, n'a pas même l'idée de ce que sont ou doivent être ces sociétés.
Les Francs barbares surent les comprendre; et parmi eux, la société matérielle se soumettant par un instinct sublime de conservation et comme pour se sauver d'elle-même aux lois paternelles et sévères de la société spirituelle, et la foi devenant le lien ferme et indissoluble qui unissoit l'une à l'autre, cette société offrit, même au milieu de ses désordres et de ses violences, une image de la communion des fidèles, moins imparfaite, nous ne craignons pas de le dire, qu'on ne l'avoit vue jusqu'alors. Car, sous les empereurs romains et au milieu de cette vieille société où avoit si long-temps triomphé la philosophie païenne, il étoit (p. 336) resté des faux systèmes de cette philosophie et de ses erreurs orgueilleuses, je ne sais quelle subtilité dans les esprits et quelle révolte au fond des cœurs qui n'avoient cessé de troubler la paix de cette communion sainte; et l'hérésie y étoit née, presque au moment même où l'on avoit prêché l'Évangile; et en effet, c'est dans la simplicité de l'ignorance et dans les hauteurs de la science les plus sublimes que triomphe ordinairement la foi: le demi-savoir mène au doute et à l'incrédulité.
Ainsi s'explique, pendant ces premiers âges de la monarchie, l'action du clergé ou de la puissance spirituelle dans les choses qui, en nos temps modernes, semblent devoir être uniquement du ressort du magistrat ou de la puissance temporelle. Or, l'Église avoit eu, de tout temps, sa juridiction particulière, sa force répressive, sa police: considérée comme société visible, tous ces signes extérieurs étoient des conditions nécessaires de son existence; et il lui eût été sans doute impossible d'exister, si, de même que toute autre société, elle n'eût eu le droit de surveiller ses membres, d'examiner leur conduite, et de leur infliger des châtiments, lorsqu'ils contrevenoient à ses lois. Tous ces châtiments, au fond purement spirituels, puisqu'ils n'obligeoient que celui dont la volonté étoit de rester ou de rentrer dans la communion des fidèles, étoient compris sous le titre général de censures: (p. 337) la nature n'en fut point changée; et l'on ne fit autre chose que les appliquer aux délits qui, jusqu'alors, avoient uniquement dépendu de la justice séculière, et rendre toute punition canonique obligatoire, indépendamment de la volonté de celui qui avoit été condamné. Dans le cas de rébellion, il y avoit intervention de la puissance civile; et la justice du prince se trouvoit ainsi, et en un grand nombre de cas, confondue avec celle de l'Église, ou pour mieux dire suspendoit alors ses coups pour la laisser seule frapper les coupables avec plus de douceur, et néanmoins avec plus d'efficacité[377].
Les évêques reçurent donc, dans leurs attributions, une partie considérable de la police temporelle, et en outre cette espèce de surveillance qui en est la fonction la plus noble, la plus utile, et qu'ils pouvoient exercer sans déroger à la sainteté et à la gravité de leur caractère. Ils furent chargés de (p. 338) veiller à l'observation des ordonnances du prince et de lui rendre compte de la manière dont elles étoient exécutées[378]; ils avoient une inspection particulière sur les comtes ou principaux magistrats des provinces; les serfs ou colons, et généralement toutes les classes inférieures de la société, étoient placés sous leur protection spéciale; ils les défendoient contre les abus du pouvoir, et avoient le droit de modérer à leur égard la trop grande rigueur des châtiments[379]; ils devoient avertir le roi de la négligence de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions; ils étoient encore ses Commissaires dans leurs diocèses, et jouissoient de tous les priviléges attachés à cette dignité.
En vertu de cette extension qu'avoit reçue leur juridiction, ils tenoient, quand il étoit nécessaire, des plaids auxquels se rendoient tous les habitants qui dépendoient de leur évêché, tant clercs que laïques. On faisoit paroître les coupables devant eux: ils les prêchoient, les exhortoient, les admonestoient, et lorsque le cas l'exigeoit, prononçoient (p. 339) contre eux la peine canonique que comportoit la nature de leur délit. Le juge royal assistoit à ces espèces d'assises, soit pour concourir au jugement, lorsque le châtiment étoit grave, et que son concours étoit nécessaire, soit pour forcer le coupable à subir toute pénitence plus légère qui lui avoit été imposée, et à laquelle il auroit refusé de se soumettre[380]. C'étoit par un semblable motif que le comte accompagnoit ordinairement l'évêque dans la visite qu'il faisoit de son diocèse, afin d'amener par la force à la pénitence et à la satisfaction ceux que les censures de leur premier pasteur n'avoient pu toucher et corriger[381].
Ce seroit une grande erreur de croire, comme on l'a souvent avancé sans en donner aucune preuve, que les punitions canoniques, et particulièrement (p. 340) l'excommunication, peine capitale qui répondoit à la peine de mort dans les tribunaux séculiers[382], fussent arbitrairement infligées par les évêques au gré de leurs caprices et de leurs intérêts. Non-seulement il falloit un jugement pour retrancher un chrétien de la communion des fidèles ou le soumettre à une pénitence publique, mais ce jugement devoit être rendu publiquement dans des formes régulières, et qui fournissoient à l'accusé tous moyens de prouver son innocence, si, en effet, il étoit innocent. Diverses autres formalités prescrites par la loi précédoient d'ailleurs ce jugement: le coupable recevoit d'abord un avertissement; s'il s'y montroit insensible, et qu'il ne se retirât point de son désordre, l'évêque s'adressoit alors au roi ou au magistrat, afin qu'il essayât d'interposer son autorité[383]; enfin, si ce dernier moyen n'avoit pu réussir, on commençoit (p. 341) la procédure, et l'excommunication n'étoit ainsi lancée qu'à la dernière extrémité. Les effets en étoient terribles: la société entière concouroit en quelque sorte à son exécution[384]; et il étoit rare que les plus rebelles et les plus endurcis ne finissent par s'y soumettre et par donner satisfaction; mais il est hors de doute qu'ils eussent résisté et que beaucoup se fussent assuré l'impunité par leur résistance, si la justice temporelle eût seule été chargée de les punir.
Quelques-uns, même en reconnoissant que c'étoit le pouvoir politique lui-même qui, dans l'impuissance (p. 342) où il étoit de gouverner, avoit imploré le secours de l'autorité religieuse, ont prétendu qu'ensuite les gens d'église allèrent beaucoup trop loin, et que, partant de ce principe que tout délit contre les hommes est un péché envers Dieu, ils se crurent en droit de connoître de toutes les affaires criminelles, et même d'étendre leur juridiction sur ce qui étoit purement civil[385]. Mais étoit-il bien facile, dans de semblables temps, et au milieu de tant de dangers qui menaçoient à tout moment l'existence même de la société, d'établir une ligne de démarcation bien exacte? étoit-il même possible de s'en faire une bien juste idée, et le principe une fois admis par l'une et l'autre puissance n'entraînoit-il pas avec lui, et sans exception, toutes ses conséquences? Quels inconvénients pouvoit d'ailleurs entraîner avec elle l'extension plus grande d'une juridiction moins rigoureuse dans ses châtiments, et cependant plus puissante dans ses effets? Ils excommunièrent, dit-on, les princes eux-mêmes qui les avoient appelés à leur aide: pour établir qu'ils ne devoient point (p. 343) le faire, alors que ces princes s'étoient mis dans le cas de l'excommunication, il faudroit prouver que la loi suprême par laquelle ceux-ci prétendoient obliger leurs sujets n'étoit point obligatoire pour eux, qu'un prince est au-dessus de la religion et un homme au-dessus de Dieu. Les évêques abusèrent-ils de ce dernier droit, que ces mêmes princes, dans la noble simplicité de leur esprit et dans la droiture de leur cœur, ne pensèrent point à leur contester, droit que les décisions de l'Église ont si solennellement confirmé et rendu à jamais inattaquable? Nous ne croyons pas qu'il soit possible d'en citer un seul exemple contre lequel il n'y eût rien à répliquer[386]. Peut-être pourroit-on plus justement dire que ce que la puissance temporelle (p. 344) leur avoit concédé, ils voulurent le garder plus long-temps qu'il ne falloit; qu'il y eut, dans les âges postérieurs, quelque conflit de juridiction, et par conséquent quelque abus de ce qui avoit été si utile et si salutaire. Mais si les ministres de la religion, en défendant avec trop de chaleur ce qu'ils considéroient comme des droits acquis, et en ne rendant qu'à regret, dans des temps plus paisibles, ce que le malheur des temps avoit fait leur accorder, montrèrent ainsi qu'ils étoient hommes et sujets aux foiblesses de l'humanité, on n'en est pas moins forcé de convenir que ce fut grâce à l'heureux changement qu'ils avoient opéré dans les mœurs de la nation, que les princes se trouvèrent en mesure de leur reprendre sans danger le pouvoir et les attributions qu'auparavant ils s'étoient estimés heureux de leur faire accepter[387].
Nous avons dit comment les bénéfices ecclésiastiques (p. 345) institués sous le titre de précaires, étoient devenus des fiefs par l'usurpation de ceux qui en avoient été faits bénéficiers, et comment les avoués des églises s'étoient de même emparé des biens qu'elles leur avoient concédés à de certaines conditions, et sans prétendre aliéner la propriété du fonds[388]. L'extinction successive des familles qui avoient usurpé ces biens, les ayant fait en partie rentrer dans les domaines de clergé, et leur inféodation y ayant attaché tous les priviléges qui appartenoient alors à la féodalité, il en résulta pour les évêques de nouveaux droits comme vassaux de la couronne, ou seigneurs suzerains, droits qui ajoutèrent encore à leur importance politique; car lorsque, vers la fin de la seconde race, les seigneurs, profitant de la foiblesse du gouvernement et du malheur des temps, s'arrogèrent, dans leurs terres, tous les droits de la souveraineté, et que cette usurpation eût été légitimée par les (p. 346) rois de la troisième race, il étoit difficile sans doute que les gens d'église, devenus possesseurs de terres inféodées, ne les maintinssent pas telles qu'ils les avoient reçues, et ne se missent pas, sous tous les rapports, au lieu et place des anciens possesseurs[389].
Ils le firent en effet; et en ce qui concerne les évêques de Paris, il arriva que, lorsque cette ville fut devenue, sous la domination des Capétiens, la seule capitale du royaume, ces prélats acquirent, par cette situation nouvelle, un degré de puissance et de considération qu'ils n'avoient point eu jusque-là; et l'on peut concevoir que cette défense de leurs priviléges, alors si légitime, les mit naturellement en opposition avec le pouvoir et les volontés du monarque. Nous avons dit qu'ils possédoient au (p. 347) couchant de la ville un terrain considérable, sous le nom de Culture-l'Évêque. C'est la plus ancienne concession qui leur ait été faite; et l'on n'en peut fixer l'origine, qui remonte jusqu'aux rois de la première race. Ils jouissoient donc dans ce domaine de tous les droits seigneuriaux. C'étoit là qu'étoit leur maison de plaisance, et qu'ils avoient leurs greniers dans un lieu nommé Ville-l'Évêque; vis-à-vis étoit un port qui dépendoit également d'eux, et qui avoit le même nom. Par l'agrandissement rapide de Paris hors de sa première enceinte de ce côté, il se trouva qu'on fut forcé d'empiéter sur leur terrain, et qu'on voulut bâtir sur leur censive: ces projets nouveaux ne s'exécutèrent point sans obstacle de leur part, et firent naître entre eux et les rois une foule de contestations et de transactions, dont nous aurons occasion de parler dans la suite de cet ouvrage.
Les droits de l'évêque étoient tels, que, du temps de saint Louis, la ville de Paris étoit pour ainsi dire partagée en deux parties, dont l'une étoit sous la domination du roi, l'autre sous celle du prélat; et les bourgeois qui reconnoissoient la juridiction de ce dernier refusoient souvent d'obéir aux ordonnances du monarque. Les choses en vinrent au point que le roi crut nécessaire d'assembler un parlement, pour faire examiner si les vassaux de l'évêque n'étoient point tenus de se soumettre à ses commandements. La décision de (p. 348) l'assemblée fut en sa faveur, malgré les efforts de sa partie adverse, qui produisit pour sa défense les transactions faites entre les rois précédents et l'église de Paris. Voyant qu'on n'y avoit point égard, il mit en interdit toutes les églises de son diocèse, et défendit qu'on y célébrât le service divin. Cette démarche eut un tel éclat, que le roi, appréhendant les suites qu'elle pouvoit avoir pour la religion, fit sa paix avec l'évêque, qui continua de jouir de ses anciens priviléges.
Cependant de telles résistances, qui, nous ne nous lassons point de le répéter, ne peuvent être jugées selon les règles de la politique moderne qu'avec une extrême injustice et même une grande absurdité, n'eurent point d'effets véritablement fâcheux; et depuis l'établissement de la troisième race, le pouvoir des rois s'étant élevé par degré sur les ruines de la féodalité, l'évêque de Paris, malgré l'influence que lui donnoit en effet l'avantage nouveau de sa position, se vit insensiblement forcé de céder à une autorité qui, chaque jour, prenoit un nouvel ascendant. Ses efforts pour maintenir sa juridiction temporelle n'empêchèrent point que, peu à peu, elle ne lui échappât, pour aller se perdre, avec tant d'autres droits, dans ceux de la couronne. Dès le règne de Louis-le-Gros, et principalement sous Philippe-Auguste, elle avoit reçu des atteintes dans les transactions (p. 349) qui furent faites entre ces monarques et l'Église[390]; saint Louis lui porta de nouveaux coups, et successivement elle diminua, ainsi que nous l'avons déjà dit, à mesure qu'elle devint moins nécessaire au maintien de l'ordre et à l'existence de la société[391].
(p. 350) Bien que la juridiction ecclésiastique fût infiniment plus parfaite que celle des barons[392], qu'elle fût même réglée sur les principes de toute bonne (p. 351) jurisprudence, sur des lois fixes, sur la gradation des tribunaux, cependant l'Église, qui dans tous les temps ne cessa point de s'élever contre les coutumes injustes et barbares, se voyoit quelquefois obligée de les tolérer. Par exemple, l'usage des duels juridiques appelés jugement de Dieu[393], (p. 352) étoit si généralement adopté et tellement conforme aux goûts et aux mœurs de la nation françoise, que les juges ecclésiastiques ne pouvoient pas toujours rejeter cette manière étrange de décider du bon droit entre deux contendants. C'étoit dans la cour même de l'évêché que se faisoient ces monomachies ou duels ordonnés par le tribunal de l'église de Paris; ce que nous apprend Pierre-le-Chantre, qui écrivoit vers l'an 1180. Quædam ecclesiæ habent monomachias, et judicant monomachiam debere fieri quandoquè inter rusticos suos: et faciunt eos pugnare in curiâ ecclesiæ, in atrio episcopi vel archidiaconi, sicut fit Parisius. Le même auteur ajoute que le pape Eugène (sans doute Eugène III) ayant été consulté au sujet de ces combats, répondit: «Suivez vos coutumes» utimini consuetudine vestrâ; mais il n'en est pas moins vrai que l'Église condamnoit et cette épreuve et toutes les autres. Les papes, les évêques, les conciles ont prononcé anathème contre les duellistes[394]. Agobard, dans ses livres contre la loi (p. 353) Gombette[395], réfuta avec force la damnable opinion de ceux qui prétendent que Dieu fait connoître sa volonté et son jugement par les épreuves de l'eau, du feu et autres semblables. Il se récrie vivement contre le nom de Jugement de Dieu qu'on osoit donner à ces épreuves. «Comme si, dit-il, Dieu les avoit ordonnées, et s'il devoit se soumettre à nos préjugés et à nos sentiments particuliers pour nous révéler tout ce qu'il nous plaît de savoir.» Les mêmes opinions furent soutenues dans le onzième siècle par Yves de Chartres, par saint Thomas et par tous les théologiens les plus sages et les plus éclairés; et généralement, dans ces temps d'une ignorance et d'une corruption si profonde, il n'est pas une seule de ces maximes fondées sur le bon sens et la morale, qui font maintenant la règle des sociétés chrétiennes les plus civilisées, que n'ait alors professée l'église, seule juste et seule éclairée au milieu des vices et des ténèbres dont elle étoit entourée.
On ne s'étonnera donc plus maintenant si, malgré tout ce que l'histoire de Paris raconte des démêlés des rois avec les évêques, nous ne craignons point d'avancer qu'il n'est point de siége dans la (p. 354) chrétienté qui offre une suite plus remarquable de grands et pieux personnages. On y compte, jusqu'à Jean-François de Gondi, une succession de cent sept évêques, parmi lesquels il en est six que l'Église révère comme des saints, neuf qui ont été cardinaux, et quelques-uns chanceliers de France.
En 1622, cet évêché, soumis à la métropole de Sens, en fut séparé par Grégoire XV, et érigé en archevêché. Cette érection fut faite en faveur de M. Jean-François de Gondi; il fut peu après nommé commandeur des ordres du roi, honneur dont avoient joui presque tous ses successeurs. Louis XIV accorda une distinction encore plus glorieuse à M. de Harlai de Chanvalon, en érigeant, pour lui et les archevêques de Paris, la terre de Saint-Cloud en duché-pairie[396].
(p. 355) On compte dix archevêques depuis M. de Gondi jusqu'à M. de Juigné, qui gouvernoit l'église de Paris en 1789.
On entend par Chapitre, dans une église cathédrale ou collégiale, la communauté des ecclésiastiques qui la desservent, lesquels sont appelés chanoines[397], et doivent vivre suivant la règle particulière de la congrégation dont ils sont membres.
Quelques-uns font remonter l'origine des chanoines jusqu'aux apôtres, qui, d'après toutes les traditions, vécurent réunis avec les disciples, et donnèrent les règles de la vie commune. En effet, quoique les noms de clercs et de chanoines ne fussent pas usités dans les premiers temps, il paroît que les prêtres-diacres de chaque église formoient entre eux un collége; et cette expression (p. 356) se trouve souvent dans les pères des trois premiers siècles.
On trouve aussi que cet ordre et ces réunions furent souvent troublés par les persécutions; mais dans ces maux qui affligeoient les églises, les clercs, séparés les uns des autres, continuoient du moins à mettre leurs biens en commun; les plus riches venoient ainsi au secours des plus pauvres, et chacun se contentoit de la sportule ou portion[398] qu'il recevoit tous les mois de l'évêque, seul dispensateur de cette commune propriété.
Cependant la distinction que l'on fit, en 324, des églises cathédrales d'avec les églises particulières, peut être regardée comme la véritable origine des colléges et des communautés de clercs appelés chanoines. Du temps de saint Basile et de saint Cyrille, ils étoient déjà désignés sous ce nom en Orient; on l'employa plus tard en Occident. Vers le milieu du quatrième siècle, saint Eusèbe, évêque de Verceil, rassembla le premier ses clercs, et les soumit à toute la rigidité de la vie monastique; mais c'est surtout saint Augustin qu'on peut considérer comme le restaurateur de la vie commune dans cette partie de la chrétienté. Lorsqu'il fut devenu évêque d'Hippone, il forma une communauté des prêtres de son église, avec lesquels (p. 357) il vivoit dans un entier détachement des choses du monde. Cet exemple fut imité dans les Gaules, comme dans les autres parties de la chrétienté; mais les troubles qui, sous la domination des rois francs, ne cessèrent d'agiter cette contrée, faisant naître partout la licence et le désordre, n'épargnèrent point ces asiles de la piété et de la paix. La discipline ne tarda point à s'y altérer; il y eut déréglement et scandale dans les mœurs, et souvent ce scandale fut porté à son comble. Enfin saint Chrodegand, évêque de Metz, qui vivoit sous le règne de Pépin, conçut le projet d'en arrêter le cours, ce qu'il fit et par ses leçons et par ses exemples. Les réglements qu'il donna à ses chanoines furent adoptés par un grand nombre d'églises; et l'on vit de nouveau les clercs attachés aux cathédrales vivre suivant les règles austères des anciens canons.
Quoique l'histoire ne nous laisse pas même soupçonner que le chapitre de Notre-Dame, entraîné par le torrent, ou séduit par les exemples, soit jamais tombé dans les écarts qui, dans ces siècles malheureux, furent l'affliction de l'Église, et sont devenus l'injuste et éternel reproche de ses adversaires, cependant on peut se persuader qu'il n'aura pas été des derniers à adopter les réglements de saint Chrodegand; parce que, dans tout ce que nous en disent les traditions, on le voit zélé pour ses devoirs, animé d'une véritable piété, (p. 358) et tendant sans cesse vers une plus grande perfection. Ces témoignages ont fait penser à l'historien de l'église de Paris que l'institution ou plutôt la réforme du chapitre de la cathédrale avoit été faite par Erkenrad Ier, sous le règne de Charlemagne: on n'en trouve cependant de monuments authentiques que sous celui de Louis-le-Débonnaire. Ce prince, profitant de l'occasion d'un concile qu'il avoit convoqué à Aix-la-Chapelle en 816[399], y fit rédiger une règle fixe pour les chanoines: un diacre nommé Amalarius fut chargé de ce soin par les pères du concile. Cette règle prescrivoit l'habitation et la vie commune dans des cloîtres fermés; mais elle n'exigeoit point la désappropriation ni certaines abstinences qui étoient de précepte et d'usage dans les monastères. L'empereur ordonna qu'elle fût observée dans les différents États soumis à sa domination; et ce fut là, suivant les plus sûres apparences, l'époque de l'institution des chanoines de Notre-Dame dans la forme qui s'est conservée presque entière jusqu'aux derniers temps. C'est depuis cette réforme qu'on les voit appelés si souvent dans les actes les frères de Sainte-Marie, et qu'il est parlé de cloître, de règle et de chapitre[400].
(p. 359) Le concile de Paris, tenu en 829, ayant ordonné que les chefs des communautés séculières et régulières pourvoiroient aux besoins temporels de ceux qui les composoient, l'évêque Inchade céda pour lors aux chanoines, en toute propriété, plusieurs terres et villages qui appartenoient à l'église de Paris, avec toutes leurs dépendances. C'est de la division qui se fit de ces mêmes biens dans des temps postérieurs, que se sont formées les prébendes canoniales dont jouissoient encore les chanoines de Notre-Dame au moment où l'église a été dépouillée de son patrimoine.
Ce chapitre étoit non-seulement le plus considérable de Paris[401], mais encore de la France (p. 360) entière; et il devoit moins cet avantage au grand nombre de bénéfices qui en dépendoient, qu'au mérite, à la science et aux vertus en quelque sorte héréditaires des dignes ecclésiastiques qui le composoient. Il a joui dans tous les temps de cette haute réputation; dans tous les temps on le prit pour modèle, on le consulta avec confiance, on reçut ses décisions avec respect. Il a la gloire d'avoir donné à l'Église six papes, trente-neuf cardinaux et un nombre considérable d'évêques. On voit un pontife illustre, Alexandre III, demander comme une faveur que ses neveux fussent élevés dans le cloître Notre-Dame; Louis VII et plusieurs de nos princes y puisèrent l'esprit de la religion et le goût de la science; enfin un fils de Louis-le-Gros, Henri, fut chanoine de Notre-Dame; et Philippe, son frère, préféra le simple titre d'archidiacre de l'église de Paris aux évêchés auxquels sa haute naissance et ses vertus lui donnoient le droit de prétendre.
Ce chapitre étoit composé de huit dignités qui pouvoient être possédées par d'autres que par les chanoines, et de cinquante-deux canonicats. Il y avoit en outre six vicaires perpétuels, dont deux titres avoient été unis au chapitre; deux vicaires de Saint-Agnan et un chapelain; huit bénéficiers (p. 361) chanoines de Saint-Jean-le-Rond, et dix de Saint-Denis-du-Pas. Ces bénéficiers, ainsi que tous les chapelains attachés à Notre-Dame, ne faisoient qu'un seul corps avec l'église de Paris[402].
La principale entrée du cloître étoit à côté de l'église cathédrale. On y voyoit, avant la révolution, une porte, laquelle avoit été construite en 1751[403], avec les matériaux et en partie sur l'emplacement de la petite église de Saint-Jean-le-Rond, dont nous allons parler.
On sait que les fonts baptismaux de l'église de Paris étoient jadis à Saint-Germain-le-Vieux, (p. 362) qui avoit alors le nom de Saint-Jean-Baptiste, et qu'ils furent depuis transportés plus près de la cathédrale, dans une chapelle bâtie pour cet usage. Cette chapelle, que l'on abattit en même temps que les anciennes églises de Notre-Dame et de Saint-Étienne, fut ensuite rebâtie et placée au bas de la tour septentrionale de la nouvelle basilique. On présume, que dans l'origine, elle étoit moins avancée vers l'occident; on sait du reste que le surnom qu'elle portoit ne venoit que de la forme ronde employée dans ces sortes d'édifices.
La bâtisse de Saint-Jean-le-Rond de Paris ne paroissoit être que du treizième siècle, et même le portail étoit beaucoup plus nouveau. Ce baptistère, que desservoient deux prêtres[404], fut pendant long-temps le seul qu'il y eût dans cette capitale; mais lorsque le nombre des citoyens eut fait multiplier celui des églises, et que chacune eut obtenu d'avoir son baptistère particulier, ces deux prêtres furent chargés de visiter les malades, d'inhumer les morts, et de célébrer, pendant une année, la messe pour les chanoines décédés. Ils jouissoient à cet effet du revenu annuel de la prébende de chaque chanoine défunt. Ces dispositions changèrent depuis: l'annuel fut transporté aux chanoines de Saint-Victor, et l'on indemnisa les deux prêtres par le don d'une prébende dans (p. 363) l'église de Notre-Dame, sous certaines conditions qui les maintenoient dans la dépendance du chapitre[405]. Dans la suite le nombre de ces desservants fut augmenté.
On a remarqué que cette église, et peut-être même l'entrée de la cathédrale étoient les lieux où se terminoient juridiquement certaines affaires ecclésiastiques, coutume qui rappeloit ce qui s'étoit pratiqué plus anciennement aux portiques des grandes églises. Il existe un ancien acte finissant par ces mots: Actæ sunt hæc in ecclesiâ Parisiensi apud cupas[406]. On lit aussi que les médecins se sont assemblés autrefois ad cupam nostræ Dominæ. Cette même église servoit de paroisse aux laïques logés dans le cloître Notre-Dame.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés: Henri Boileau, avocat général, mort en 1491; Gilles Ménage, savant célèbre, mort en 1692; Jean-Baptiste Duhamel, habile théologien, mort en 1706.
On démolit Saint-Jean-le-Rond en 1748; alors les fonts baptismaux, les fondations et le service (p. 364) divin furent transférés à Saint-Denis-du-Pas, qui, depuis cette époque, s'appela Saint-Denis et Saint-Jean-Baptiste.
Le surnom de cette église fit naître, dans le dix-septième siècle, une contestation si vive entre deux savants, qu'elle en devint ridicule, par l'importance qu'ils mirent à une question d'un si foible intérêt, et surtout par l'amertume qu'ils répandirent dans leur discussion. M. Delaunoy prétendoit que cette église étoit ainsi surnommée par la raison que le premier apôtre des Parisiens y avoit souffert le martyre, à passione. M. de Valois, qui combattit son sentiment avec humeur et même avec emportement, le réfuta toutefois avec beaucoup de solidité; et il n'est plus question ni de cette étymologie évidemment fausse, ni de cette vieille querelle.
Ce terme de passus a été employé à l'égard de plusieurs saints[407] qui certainement n'ont jamais (p. 365) souffert le martyre; et l'on ne peut raisonnablement l'expliquer que par la situation de leur église. Celle de Saint-Denis n'étoit séparée de la cathédrale que par un chemin étroit nommé pas, et d'ailleurs étoit située auprès du petit bras de la rivière qui coule entre l'île Saint-Louis et la Cité. Il ne faut donc point chercher une autre origine à ce surnom, puisqu'autrefois on appeloit ainsi tout chemin étroit et tout courant d'eau qui est entre deux terres; et que, dans l'ancien langage françois, pas et passage sont synonymes.
Cette chapelle, qui existoit avant le douzième siècle, étoit depuis long-temps négligée, et il y a apparence qu'on n'y faisoit plus le service divin. En 1164 et jusqu'à la fin de ce même siècle, plusieurs pieux personnages y fondèrent des prébendes, au nombre de cinq. Elles furent ensuite divisées, par une ordonnance du chapitre de Notre-Dame, entre dix chanoines[408], qui les ont conservées jusqu'au moment de la révolution. En 1182, le pape Luce III donna à Saint-Denis-du-Pas la qualité d'église[409].
L'institution des hôpitaux est un des bienfaits du christianisme. La police des païens, qui savoit réprimer la fainéantise, qui empêchoit le mendiant valide de dérober à la pitié le pain qu'il pouvoit obtenir par son travail, n'alloit point jusqu'à s'inquiéter du sort de l'infortuné dont l'âge et la maladie avoient épuisé les forces. On croyoit qu'il valoit mieux que le pauvre mourût que de vivre inutile et souffrant. La vertu purement humaine n'étoit point capable d'un si grand dévouement: il n'y avoit qu'une charité toute céleste qui pût embrasser dans sa tendre prévoyance tous les âges, toutes les misères, toutes les souffrances; et, parmi tant de maux qui affligent les hommes, regarder comme les plus dignes de ses soins les infirmités les plus horribles et les misères les plus repoussantes.
Dès les premiers temps, une partie considérable des biens que les églises avoient obtenus de la libéralité des empereurs fut consacrée à ces pieux (p. 367) établissements. Des prêtres les administroient, sous la direction de l'évêque; et l'on y recevoit sans distinction et les pauvres chrétiens et le païen indigent que ceux de sa religion continuoient à repousser. Julien l'Apostat lui-même ne put s'empêcher de rendre témoignage à cette vertu surnaturelle des premiers fidèles; et la confusion qu'il en ressent éclate dans une lettre qu'il écrit à un pontife de Galatie, auquel il recommande d'établir, à leur imitation, des hôpitaux et des contributions pour les pauvres. Dans cet écrit très-remarquable, il attribue l'accroissement du christianisme principalement à trois causes, à l'hospitalité, au soin des sépultures, à la gravité des mœurs.
Dès les commencements de la monarchie française, on voit des hôpitaux établis dans différentes villes par la piété de nos rois; et l'on ne peut douter que l'Hôtel-Dieu ne soit une des fondations les plus anciennes de ce genre. Néanmoins toutes les recherches de nos historiens n'ont pu nous procurer à ce sujet que des notions vagues et incertaines. C'est sans doute de cette incertitude qu'est venue la tradition qui fait honneur à saint Landri de la création de ce pieux établissement, tradition vers laquelle semblent pencher plusieurs savants distingués[410] qui se sont occupés des antiquités (p. 368) de Paris. Cependant on ne trouve dans les anciens titres qui prouvent incontestablement que saint Landri a existé, aucune particularité sur ses actions et sa vie. Son culte n'a commencé que sous l'épiscopat de Maurice de Sully; et c'est seulement dans une légende insérée dans un bréviaire de 1492, qu'on lit pour la première fois que ce saint évêque étoit particulièrement recommandable par sa grande charité. Un éloge aussi vague ne pouvoit suffire pour faire conclure qu'il est le fondateur de l'Hôtel-Dieu, et c'est cependant sur ce seul titre que la légende du dix-septième siècle lui en attribue la fondation, malgré le silence absolu de tous les historiens et de tous les martyrologes. Il est donc impossible de ne pas rejeter cette assertion jusqu'à ce qu'on en ait donné des preuves raisonnables et suffisantes.
Saint Landri est mort vers l'an 656; et tout porte à croire qu'à cette époque l'Hôtel-Dieu n'existoit point encore. On trouve même qu'en 690 il y avoit sur l'emplacement où il est situé un monastère de filles, dont Landetrude étoit abbesse[411]. Alors c'étoit la maison de l'évêque qui étoit l'asile des malheureux, de la veuve et de l'orphelin. Le pauvre et le malade y trouvoient des secours et des consolations; elle servoit encore de retraite aux pélerins et aux voyageurs; et les annales (p. 369) de l'église, celles de la monarchie, les actes, les récits les plus authentiques nous représentent les évêques de Paris, dignes successeurs des apôtres, livrés par-dessus tout à ces pieux devoirs. On les voyoit, excitant le clergé par l'ardeur de leur zèle et de leur charité, se faire un plaisir et une gloire de recevoir tous ceux que leur affliction ou leurs besoins conduisoient vers eux, leur laver les pieds, les servir eux-mêmes à table, leur administrer les sacrements, et leur prodiguer ainsi tous les secours de l'âme et du corps.
Le premier titre où il est question de l'Hôtel-Dieu est un acte de l'an 829, par lequel l'évêque Inchade assigne à cette maison les dîmes des biens dont il avoit gratifié son chapitre, pour se conformer à une décision du concile d'Aix-la-Chapelle, dont nous avons déjà parlé. On voit, par cet acte de donation, que, dans certains temps, les chanoines y lavoient les pieds aux pauvres; d'où il résulte que l'Hôtel-Dieu existoit sous le règne de Charlemagne, et que l'évêque et son chapitre y avoient des droits, soit pour l'avoir fondé, soit pour avoir contribué à le doter.
Les chanoines possédoient, et sans doute à ce dernier titre, la moitié de cet établissement[412]; (p. 370) l'autre leur fut cédée, en 1002, par Renaud, évêque de Paris; et vers la fin du même siècle, un autre évêque, nommé Guillaume Montfort, leur fit don de l'église Saint-Christophe. Depuis cette dernière époque, on voit l'Hôtel-Dieu, entièrement sous l'administration du chapitre, gouverné par des chanoines proviseurs choisis dans son sein, et la chapelle Saint-Christophe desservie par deux prêtres de la cathédrale.
L'accroissement rapide de la population ayant considérablement augmenté le nombre des pauvres, il fallut bientôt multiplier celui des personnes employées au service de l'Hôtel-Dieu, et fixer les fonctions de chacun de ces ministres. Dès l'an 1217, des statuts nouveaux furent dressés par Étienne, doyen de Paris, conjointement avec le chapitre. Par ces statuts il est établi pour l'administration de cette maison quatre prêtres, quatre clercs, trente frères laïques, et vingt-cinq sœurs: ils portent qu'on ne peut en admettre davantage, qu'ils sont tenus de garder la chasteté, de vivre dans la désappropriation et en commun, d'être soumis au chapitre, aux proviseurs, et à celui des prêtres qualifié du titre de maître de la maison de Dieu[413].
Quoique ce nom de Maison de Dieu, employé dans ces réglements et dans une infinité de titres (p. 371) de la même époque, ne signifie pas une maladrerie, mais une maison d'hospitalité, et que l'Hôtel-Dieu ne soit pas autrement désigné dans le testament de saint Louis[414] et dans plusieurs auteurs contemporains, il est certain cependant qu'avant la fin du douzième siècle, on y prenoit déjà soin des malades, comme on l'a toujours fait depuis[415]. En cherchant l'origine de cette nouvelle destination de l'Hôtel-Dieu, un auteur[416] a pensé qu'elle pourroit bien venir d'un statut du chapitre de Notre-Dame, donné en 1168, par lequel il fut réglé que tous les chanoines qui décéderoient ou quitteroient leurs prébendes, donneroient à cet hôpital un lit garni[417]. Cette multiplication des lits facilita sans doute la (p. 372) réception des malades; et trente ans après, on lit dans un acte par lequel Adam, clerc du roi, lègue à l'Hôtel-Dieu deux maisons dans Paris, qu'il ne fait ce don que sous la condition qu'au jour de son anniversaire il sera accordé, sur leur produit, à ceux seulement qui seront malades, tout ce qu'il leur viendra dans la pensée de manger, pourvu qu'on en puisse trouver, ajoute naïvement le donataire. Eâ conditione, quòd ægrotantibus tantùm prædicti hospitalis quicquid cibariorum in eorum venerit desiderio, si tamen possit inveniri, de totali proventu domorum, in die anniversarii ejus detur.
La forme du gouvernement de cette maison fut changée dans la suite, soit que le nombre des pauvres fût augmenté, soit que les revenus ne fussent pas suffisants, ou qu'il se fût glissé quelque abus dans l'emploi qu'on en faisoit. Toutefois ce ne fut que long-temps après; et pendant plusieurs siècles elle fut gouvernée suivant les anciens statuts dont nous venons de parler. On appeloit alors frères et sœurs de la maison ou de l'Hôtel-Dieu, les personnes des deux sexes qui s'y consacroient au service des pauvres et des malades; et cet institut étoit une communauté, et non un ordre (p. 373) religieux[418]. Ce n'est qu'en 1505 qu'on voit un changement remarquable dans la double administration de ce grand établissement. Le soin des affaires temporelles fut alors confié à huit bourgeois notables et à un receveur nommé par le prévôt des marchands et des échevins[419]. On créa ensuite des commissaires pour la réformation du gouvernement spirituel; et en exécution d'un statut donné en 1536, huit chanoines réguliers de l'ordre de Saint-Augustin y furent introduits. Les réglements qu'ils firent y établirent l'observance régulière de l'abbaye de Saint-Victor, avec la forme des habits et les pratiques religieuses qui sont en usage dans cette communauté. Cette réforme devint encore plus parfaite vers 1630, par les travaux et l'exemple de Geneviève Bouquet, dite du Saint nom de Jésus. Élevée malgré elle et par l'éclat de ses vertus au rang de prieure, cette sainte fille établit un noviciat régulier et la vie commune parmi les sœurs de l'hôpital; elle fit ordonner la rénovation des vœux, et engagea les religieuses à quitter le nom de leur famille pour adopter celui de quelque saint ou sainte. Cet usage ainsi que la régularité s'est toujours maintenu (p. 374) dans cette maison jusqu'à l'époque qui a tout détruit, sans en excepter l'asile du pauvre.
L'Hôtel-Dieu étoit desservi, pour le spirituel, par vingt-quatre ecclésiastiques, dont le premier avoit la qualité de maître; ils étoient sous la direction immédiate du chapitre, qui la faisoit exercer par quatre députés réélus tous les ans, sous le titre d'administrateurs ou visiteurs de l'Hôtel-Dieu.
Les malades de tout âge, de tout sexe, de toute condition, de tout pays, de toute religion, y étoient indistinctement reçus, à l'exception de ceux qui étoient attaqués de certaines maladies, pour lesquelles d'autres hôpitaux ont été institués. On y comptoit douze cents lits dans vingt et une salles; et là, les malades, au nombre de trois mille au moins (et ce nombre étoit quelquefois doublé), étoient servis avec un zèle, une attention et une charité presque inconcevables, par plus de cent religieuses de l'ordre de Saint-Augustin[420]. Le spectacle de ces saintes filles, renonçant au monde, à leurs familles, à leurs biens, à toutes les espérances de la vie, ne conservant de toutes les affections du cœur qu'une pitié plus courageuse et plus (p. 375) tendre que n'étoient horribles les souffrances qui les environnoient, a toujours étonné et attendri tous ceux qui en ont été les témoins; et ce n'est que dans notre siècle, où d'odieux et vils systèmes ont flétri toutes les âmes et calomnié toutes les vertus, qu'on a cessé un moment d'admirer ce que la charité chrétienne offrit jamais de plus admirable. «Le cardinal de Vitry, dit Helyot, a voulu sans doute parler des religieuses de l'Hôtel-Dieu, lorsqu'il dit qu'il y en avoit qui se faisoient violence, souffroient avec joie et sans répugnance l'aspect hideux de toutes les misères humaines, et qu'il lui sembloit qu'aucun genre de pénitence ne pouvoit être comparé à cette espèce de martyre.»
«Il n'y a personne, continue le même auteur dans son langage naïf, qui, en voyant les religieuses de l'Hôtel-Dieu, non-seulement panser, nettoyer les malades, faire leurs lits, mais encore, au plus fort de l'hiver, casser la glace de la rivière qui passe au milieu de cet hôpital, et y entrer jusqu'à la moitié du corps, pour laver leurs linges pleins d'ordures et de vilenies, ne les regarde comme autant de saintes victimes, qui, par un excès d'amour et de charité pour secourir leur prochain, courent volontiers à la mort qu'elles affrontent, pour ainsi dire, au (p. 376) milieu de tant de puanteur et d'infection causées par le grand nombre des malades[421].»
Philippe-Auguste est le premier de nos rois qui ait fait des dons à l'Hôtel-Dieu; après lui saint Louis le combla tellement de ses pieuses libéralités, qu'il mérita d'en être appelé le fondateur. Non-seulement ce prince en accrut les revenus, mais il en augmenta considérablement les bâtiments, qui, avant lui, ne consistoient que dans trois ou quatre corps-de-logis, avec l'ancienne chapelle de Saint-Christophe[422]. Depuis, les bâtiments se multiplièrent entre la rivière et la rue (p. 377) des Sablons, et vinrent aboutir au Petit-Pont, où il y avoit une autre chapelle, sous le nom de Sainte-Agnès. En 1463, les frères et sœurs de l'Hôtel-Dieu acquirent plusieurs places autour de cette dernière chapelle, et y firent construire une entrée nouvelle et un portail. Par un arrêt de l'année 1511, ils firent fermer la rue des Sablons, après y avoir fait l'acquisition de sept maisons qui appartenoient à l'abbaye de Sainte-Geneviève.
En suivant la progression des accroissements de cet hospice, nous trouvons qu'en 1531 les administrateurs traitèrent d'une maison située sur le Petit-Pont, laquelle joignoit le portail dont nous venons de faire mention. Sur l'emplacement de cette maison, qui avoit appartenu à la Sainte-Chapelle, le cardinal Antoine Duprat, légat en France, fit construire la salle qu'on appeloit, avant la révolution, salle du Légat. À l'extrémité orientale, ils avoient déjà fait précédemment plusieurs acquisitions, entre autres celle d'une grande maison connue sous le nom du Chantier, et située entre l'Hôtel-Dieu et l'Archevêché. Ils s'étoient aussi rendus propriétaires de plusieurs bâtiments dans la rue de la Bûcherie[423]. En 1606, Henri IV fit rebâtir la salle de Saint-Thomas, et construire les piliers d'un pont où devoient aboutir ces nouvelles propriétés. La même année, la salle (p. 378) dite de Saint-Charles, qui donna son nom à ce pont, fut achevée par la libéralité de M. Pomponne de Bellièvre. Les administrateurs agrandirent encore l'Hôtel-Dieu, en faisant construire, le long de la rivière, une voûte, sur laquelle, ils élevèrent une salle nouvelle[424]. Ils obtinrent en même temps la permission de bâtir un second pont aux limites de leur maison, du côté de l'Archevêché. Ce pont, qui fut fini en 1634, aboutit d'un côté à la rue l'Évêque, et de l'autre à un portail construit sur l'autre bord de la rivière, dans la rue de la Bûcherie; on le nomma Pont-aux-Doubles, parce que, dans l'origine, les gens de pied payoient un double tournois pour y passer[425]. Ce péage, fixé par des lettres-patentes de Louis XIII, n'a cessé de subsister qu'au moment de la révolution; les deniers n'ayant plus cours alors, on payoit un liard pour le droit de passage.
Les salles dont nous venons de parler furent encore prolongées depuis. En 1714 on pensa à construire des bâtiments nouveaux, et pour subvenir à cette dépense, l'Hôtel-Dieu obtint sur les entrées aux spectacles un droit dont il a joui long-temps[426]. Le Petit-Châtelet lui fut même (p. 379) adjugé à cet effet en 1724; mais il ne put alors ni depuis mettre à profit ce don du roi pour accroître ses bâtiments.
Depuis cette dernière époque, il ne reste plus rien à dire de l'Hôtel-Dieu, sinon qu'il a été successivement dévasté par deux incendies, dont le dernier surtout avoit causé de grands ravages et laissé des traces profondes, qui, même après vingt ans, n'étoient point encore effacées. En 1789, la piété et l'humanité de Louis XVI lui avoient fait concevoir le projet de faire de grandes améliorations dans cette maison, et même, dit-on, de faire construire plusieurs Hôtels-Dieu en différents quartiers de la ville. Une partie de ce plan avoit déjà commencé à recevoir son exécution.
On a élevé, depuis la révolution, un nouveau portail à l'Hôtel-Dieu, du côté du parvis[427]. Cette décoration, qu'écrase la masse imposante du portail de Notre-Dame, mérite cependant d'être remarquée. L'architecte lui a donné un caractère mixte qui tient des temples et des monuments consacrés à la bienfaisance et à l'utilité publique; des croisées (p. 380) en forme d'arcades remplacent, aux deux côtés du péristyle, les niches qui, dans une église, eussent contenu les statues des saints patrons, et annoncent les logements et les bureaux nécessaires à l'entrée d'une semblable maison.
Une extrême simplicité convenoit à une telle construction, et l'auteur s'y est assujetti dans toutes les parties. Il ne s'est pas même permis les cannelures, ornement usité par les anciens dans l'ordre dorique, et qui le mettent en harmonie avec les triglyphes dont sa frise est ornée. La sculpture qui doit décorer le tympan du fronton n'est point encore exécutée.
C'est ainsi qu'est nommée la place qui est devant l'église cathédrale. Il n'y a pas de doute que ce mot ne vienne de celui de paradisus, dont on se servoit anciennement pour exprimer l'aire ou place qui étoit devant les basiliques, souvent même (p. 381) le cimetière qui occupoit cet espace, comme il l'occupe encore dans plusieurs endroits. On donnoit aussi quelquefois le même nom au cloître qui régnoit autour; mais il étoit plus particulièrement affecté au porche, vestibule ou portique des grandes églises. Il n'étoit pas rare de voir des autels dans cette première partie de ces édifices sacrés; et c'étoit là qu'étoient placées les cuves baptismales.
La place dont nous parlons a été successivement agrandie, et principalement en 1748, lorsqu'on abattit l'église Saint-Christophe, et qu'on supprima la rue de la Huchette. À cette époque on en baissa aussi le sol, afin de procurer une descente plus facile à l'église Notre-Dame, alors au-dessous du niveau de la place, et à laquelle, dans l'origine, on montoit par un escalier de treize degrés.
On détruisit en même temps une fontaine construite en 1639, devant laquelle étoit une ancienne statue, dont les symboles singuliers et équivoques ont fort exercé la sagacité des antiquaires. Elle représentoit une figure longue et d'un travail très-grossier, qui tenoit un livre d'une main, et de l'autre un bâton entouré d'un serpent. Plusieurs ont cru y voir une représentation d'Esculape, dieu de la médecine; d'autres, celle (p. 382) de Mercure; quelques-uns l'ont prise pour l'image d'Erchinoald ou Archambauld, qui, dit-on, fit présent à l'église de son hôtel et de sa chapelle Saint-Christophe. Il y en avoit qui vouloient que ce fût la figure de Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, sous l'épiscopat duquel on a cru que le grand portail de Notre-Dame avoit été achevé. L'abbé Lebeuf a présenté une opinion plus vraisemblable en disant que cette statue pouvoit bien être celle de Jésus-Christ, que l'on auroit détachée de l'ancienne église lors de la reconstruction, et placée par respect en face de la nouvelle. Jaillot offre aussi ses conjectures, qui ne sont point à dédaigner: il pense que cette figure étoit une représentation de sainte Geneviève. «Le visage, dit-il, étoit sans barbe, et ne portoit point les traits d'un homme; le reste d'un cierge qu'elle tenoit d'une main, un livre qu'elle portoit de l'autre, sont ses attributs ordinaires; le serpent, symbole de la santé, en est un nouveau que la reconnaissance a pu faire donner à l'occasion des guérisons miraculeuses que Dieu avoit accordées en cet endroit par son intercession; enfin la maladie personnifiée et foulée à ses pieds annonce la victoire que cette sainte avoit remportée sur elle.» On doit regretter que cette statue, qui étoit de plâtre recouvert en plomb, ait été détruite. Elle étoit également curieuse (p. 383) et par son antiquité et par l'obscurité qui l'environnoit.
C'étoit dans une maison du Parvis que se tenoient les écoles publiques avant l'établissement des colléges et de l'université. Elles avoient d'abord été placées dans le cloître Notre-Dame, à gauche en entrant, dans un endroit que les anciens titres nomment tres antiæ. Mais comme les chanoines étoient importunés du bruit inévitable que faisoient les écoliers, il fut convenu, après quelques contestations entre le chapitre et l'évêque, que les écoles seroient transférées dans un autre emplacement, et plus près de la maison épiscopale[428]. Elles furent en conséquence établies dans le lieu nommé le Chantier, situé entre le port l'Évêque et l'Hôtel-Dieu.
L'évêque avoit au Parvis une échelle patibulaire, qui étoit la marque de sa justice. Piganiol dit qu'il en avoit encore une au port Saint-Landri; mais c'est une erreur: il a confondu la justice de l'évêque avec celle du chapitre, à qui ce port appartenoit de temps immémorial.
Ce fut au parvis Notre-Dame que Bérenger et Étienne, cardinaux et légats du pape Clément V, firent dresser, le 11 mars 1314, un échafaud, sur lequel montèrent, après eux, le grand-maître des Templiers, le maître de Normandie et deux autres (p. 384) frères, pour y entendre le récit des crimes qu'on imputoit à leur ordre, et la sentence qui les condamnoit à une prison perpétuelle[429].
Voici encore une de ces institutions que la charité chrétienne pouvoit seule imaginer. Dans cette Rome païenne, si fière de sa police et de ses lois, des pères dénaturés exposoient leurs enfants, et un gouvernement non moins barbare les laissoit impitoyablement périr. Des hommes qui exerçoient un métier infâme alloient quelquefois recueillir ces innocentes victimes, et les élevoient pour les prostituer; on rencontroit par toutes les nations de ces enfants malheureux, nourris comme de vils troupeaux, et destinés aux plus exécrables (p. 385) usages. Non-seulement de telles horreurs étoient tolérées, mais les empereurs ne rougissoient point de lever un tribut sur ces enfants; et saint Justin le philosophe ne craint pas de le leur reprocher dans sa première apologie.
L'Église primitive avoit établi des hospices pour les enfants à la mamelle et pour les orphelins. Ces asiles, comme tous ceux qu'elle avoit élevés au malheur et à la souffrance, étoient dirigés par ses ministres, et sans doute la Gaule possédoit, ainsi que tout le reste de la chrétienté, de ces pieuses fondations; mais les révolutions qu'éprouvèrent ces contrées en changèrent la forme: et après l'établissement des Francs, on trouve, sans pouvoir en démêler l'origine, que le soin de ces enfants étoit confié aux seigneurs sur les fiefs desquels ils avoient été abandonnés. Leur zèle fut loin d'égaler celui des ministres de l'évangile; et dans Paris surtout, où la misère, la débauche et une plus grande population multiplioient ces expositions, le mal vint à un tel degré, que l'on sentit la nécessité de créer un asile pour ces pauvres et innocentes victimes. Ce fut encore l'Église qui en donna les premiers exemples: l'évêque et le chapitre de Notre-Dame destinèrent à cet usage une maison située au bas du Port-l'Évêque[430]; et l'on mit dans l'église (p. 386) même une espèce de berceau, où l'on plaçoit ces enfants, pour exciter la pitié et la libéralité des fidèles, coutume qui s'est conservée jusqu'aux temps qui ont précédé la révolution. Ils étoient alors appelés les pauvres Enfants Trouvés de Notre-Dame; et c'est sous ce nom qu'Isabelle de Bavière, femme de Charles VI, leur fit un legs de 8 francs, par son testament du 2 septembre 1431.
La libéralité du chapitre étoit entièrement gratuite, et faite uniquement pour l'honneur de Dieu, ainsi que le déclarèrent des lettres-patentes de François Ier données en 1536[431]. Cependant les seigneurs haut-justiciers, pour s'exempter de contribuer aux frais de la nourriture et de l'éducation des Enfants-Trouvés, prétendirent, quelques années après, faire passer cet usage pour une charge de fondation faite sous cette condition, en faveur du chapitre. Le parlement n'eut aucun égard à ces vaines allégations; et par un arrêt du 13 août 1552[432], il ordonna que les enfants seroient mis à l'hôpital de la Trinité, et que les seigneurs contribueroient d'une somme de 960 livres par an, répartie entre eux à proportion de l'étendue de leur justice. Toutefois on conserva à Notre-Dame le bureau établi pour recevoir ces enfants et les aumônes qu'on leur faisoit.
(p. 387) Un réglement aussi sage et aussi juste n'eut cependant qu'une exécution imparfaite et momentanée; et ces enfants ne tardèrent pas à retomber dans l'état de dénûment d'où l'on avoit tenté de les retirer. Le chapitre de Notre-Dame, toujours touché de compassion pour eux, offrit encore, pour les recevoir, deux maisons situées au port Saint-Landri, et ils y furent transférés par un arrêt du 12 juillet 1570. Cependant, malgré tant de précautions prises pour sauver la vie à ces infortunés, malgré les taxes imposées sur les hauts-justiciers pour leur procurer les premières nécessités, ils étoient encore dans un état qui fait frémir l'humanité; et le détail qu'en donne l'auteur de la vie de saint Vincent de Paule est si horrible, qu'on seroit tenté de le soupçonner de quelque exagération[433]. C'est à cet homme apostolique, à cette âme ardente et vraiment chrétienne, que l'on doit la révolution totale qui se fit dans le sort de ces pauvres enfants, et l'établissement fixe et durable de cette touchante institution. On ne peut répéter, sans être attendri jusqu'aux larmes, les paroles si naïvement éloquentes qu'il adressa aux dames que son zèle (p. 388) avoit rassemblées pour qu'elles l'aidassent dans les charités qu'il faisoit à ces petits malheureux. Il en avoit fait placer un grand nombre dans l'église; et voyant ces femmes chrétiennes déjà émues par ce spectacle: «Or sus, mesdames, s'écria l'homme de Dieu, voyez si vous voulez délaisser à votre tour ces petits innocents, dont vous êtes devenues les mères suivant la grâce, après qu'ils ont été abandonnés par leurs mères suivant la nature.» Les nobles et pieuses Françaises ne répondirent à ce discours que par des sanglots; et le même jour, dans la même église, au même instant, l'hôpital des Enfants-Trouvés fut fondé et doté.
Saint Vincent de Paule engagea les dames de la Charité qu'il avoit établies à se charger du gouvernement des Enfants-Trouvés, qu'il logea, en 1638, dans une maison à la porte Saint-Victor. Trois ans après Louis XIII leur assigna 3,000 liv. de rente sur le domaine de Gonesse, et y ajouta 1,000 liv. pour ceux qui en avoient soin. Leur zélé protecteur obtint encore de Louis XIV une rente de 8,000 liv., et la reine Anne d'Autriche lui céda pour eux son château de Bicêtre. Mais une situation si éloignée de la ville, et l'air trop vif qu'on y respire, étant nuisibles à ces enfants, on les fit revenir auprès de Saint-Lazare, où ils rentrèrent sous la surveillance des sœurs de la Charité. Cependant leur nombre augmenta tellement, (p. 389) que les aumônes et les revenus devinrent de nouveau insuffisants. Alors le parlement jugea qu'il étoit nécessaire de changer en une rente annuelle l'obligation où étoient les seigneurs hauts-justiciers de fournir à l'entretien des enfants exposés dans leur justice. Cette taxe fut enfin fixée à 15,000 livres réparties sur eux dans la proportion de leurs fiefs[434]. On fit à ce moyen l'acquisition, rue du faubourg Saint-Antoine, d'un grand emplacement et d'une maison, laquelle fut érigée en hôpital par une déclaration du roi, et unie à l'hôpital général. Ce ne fut qu'après tant de mutations qu'on put parvenir à un établissement commode et permanent.
Peu de temps après, en 1672, on leur acheta encore une maison vis-à-vis l'Hôtel-Dieu, et l'on y construisit une chapelle. Ces bâtiments subsistèrent jusqu'en 1746, qu'on les fit abattre, en même temps (p. 390) que les églises de Saint-Christophe et de Sainte-Geneviève-des-Ardents, pour en construire de plus spacieux. On éleva aussi une nouvelle chapelle, laquelle fut décorée de peintures par Brunetti et Natoire[435]. Nous n'entrerons dans aucun détail sur cet édifice, dont l'architecture n'offre ni défaut ni beautés remarquables. La distribution intérieure en est heureuse, et fait honneur à l'architecte Boffrand, qui fut chargé de bâtir ce monument[436].
On y recevoit les enfants en tout temps, à toutes les heures du jour et de la nuit, sans question et sans formalité; seulement un commissaire du quartier dressoit gratis un procès-verbal qui constatoit le jour et l'heure où l'enfant avoit été trouvé, et le nom de la personne qui le présentoit, laquelle d'ailleurs n'étoit obligée de s'expliquer sur aucune circonstance. Ces pauvres orphelins étoient élevés avec un soin paternel dans l'amour du travail et (p. 391) dans la piété; et on les y gardoit jusqu'à ce qu'ils fussent en âge de faire leur première communion et d'apprendre un métier.
En donnant l'historique du pont Neuf, nous avons parlé du pont de Charles-le-Chauve, dont il ne reste plus que des traditions obscures, et du pont Marchand, qui fut détruit en 1631. Dans la description de l'Hôtel-Dieu est comprise celle du pont Saint-Charles et du pont aux Doubles. Il nous reste encore à parler de quatre ponts qui communiquent de la Cité aux deux autres parties de la ville, et d'un dernier pont établi sur le détroit qui la sépare de l'île Notre-Dame ou Saint-Louis.
Ce pont, qui aboutit d'un côté au quai de l'Horloge, et de l'autre au quai de la Mégisserie, a remplacé celui qu'on appeloit anciennement le (p. 392) Grand pont, et qui fut pendant long-temps la seule communication de la Cité avec la rive septentrionale. Dans son origine, et pendant plusieurs siècles, ce pont n'étoit qu'en bois. Louis VII y établit le change en 1141, et défendit de le faire ailleurs; ce qui lui fit donner le nom de pont aux Changeurs, au Change et de la Marchandise. Il a conservé le second de ces noms.
Ce pont, suivant un ancien usage qui n'a cessé que de nos jours, étoit couvert de maisons dans toute sa longueur: les changeurs en occupoient un côté et les orfèvres l'autre. Les grandes inondations l'ayant emporté plusieurs fois, il fut successivement rebâti, mais non pas précisément à la place où nous le voyons aujourd'hui[437]. Si nous examinons ensuite les diverses révolutions qu'il a éprouvées, nous trouvons qu'au onzième siècle il étoit construit partie en pierres et partie en bois; en 1296 il étoit entièrement en pierres, et seulement en bois en 1621, lorsqu'il fut brûlé avec le pont Marchand. Le feu ayant pris à ce dernier pont, qui n'en étoit séparé que par un espace d'environ cinq toises, la flamme se communiqua en un instant au pont au Change; et l'incendie fut si violent, que tous les deux furent brûlés, et s'écroulèrent en moins de trois heures. Celui-ci (p. 393) fut seul rebâti: on commença à le reconstruire en pierres en 1639, et il fut achevé en 1647.
Le quai des Morfondus étoit autrefois beaucoup plus étroit qu'il ne l'est aujourd'hui; et, vu la grande population de Paris et le mouvement continuel qui se fait dans ce passage, il en résultoit des embarras très-incommodes, souvent même dangereux pour les gens de pied. On y remédia en 1738, au moyen de deux angles saillants que l'on pratiqua, l'un vis-à-vis la tour de l'horloge, et l'autre au pont Neuf, presque vis-à-vis la statue équestre de Henri IV. Pour exécuter ces travaux, la ville avoit acheté les quatre dernières maisons du pont au Change; et les ayant fait abattre, elle put former à cet endroit une petite place, où commence le trottoir en saillie qui règne le long du parapet jusqu'à l'autre extrémité.
Du côté opposé à la Cité on avoit placé au bout de ce pont et au sommet du triangle un monument qui représentoit Louis XIV à l'âge de dix ans, couronné par la Victoire, et élevé sur un piédestal, auprès duquel on voyoit Louis XIII et Anne d'Autriche, debout et en habits royaux. Ces figures, d'une exécution très-remarquable, et qu'on peut mettre au nombre des meilleures productions de l'école françoise, sont en bronze sur un fond de marbre noir; au-dessous un bas-relief cintré offre des captifs enchaînés. François (p. 394) Guillain, artiste françois, étoit l'auteur de toutes ces sculptures[438].
Mézerai, et Germain Brice qui l'a cité, n'ont point été exacts, lorsqu'ils ont dit que la reine Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, passant, lors de son entrée à Paris[439], sur le pont Notre-Dame, un homme descendit sur une corde du haut des tours de la cathédrale, et lui posa une couronne sur la tête. Ce fut sur le pont au Change que la chose arriva; et ce pont étoit celui sur lequel les rois et les reines avoient coutume de passer[440]. D'ailleurs, Isabeau de Bavière fit son entrée à Paris en 1389, et le pont Notre-Dame ne fut construit qu'en 1413.
Le pont au Change s'élève sur sept arches de plein cintre; la construction en est solide, mais sans élégance[441].
Ce pont, situé à l'opposite du pont au Change, sur le petit cours de l'eau, aboutit d'un côté à la place qui en a pris le nom, et de l'autre aux rues de la Barillerie, Saint-Louis et du Marché-Neuf. Il est impossible de donner la date précise de sa construction, et les historiens varient à ce sujet depuis 1378 jusqu'à 1387. Jaillot pense que le pont de Charles-le-Chauve étoit de ce côté, et que ce fut celui-ci qui lui succéda. Il fut d'abord appelé le petit Pont, ensuite petit pont Neuf, et simplement pont Neuf; mais dès 1424 on le nommoit pont Saint-Michel, et ce nom lui vint sans doute de la place et de la chapelle dont nous avons déjà fait mention[442].
Il avoit été renversé par les glaces en 1407; il éprouva le même accident en 1547; et, malgré les réparations qu'on y fit à cette époque, il fut presque totalement emporté en 1616. On pensa alors à le rebâtir avec plus de solidité: des habitants de Paris offrirent de faire cette construction en pierres, et d'élever sur sa surface trente-deux maisons d'égale structure, dont ils demandoient à jouir seulement pendant soixante années, s'obligeant en outre à payer une redevance annuelle (p. 396) pour chaque maison. Cet accord fut accepté, et la jouissance prolongée jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans. À la fin de ce bail, ceux qui possédoient ces maisons en obtinrent la propriété perpétuelle, au moyen d'un nouveau contrat et de nouvelles redevances[443].
Ce pont est composé de quatre arches de plein cintre, et n'a rien de remarquable dans sa construction.
Ce pont aboutit aux rues de la Lanterne et Planche-Mibrai, et fournit ainsi une communication en droite ligne de la porte Saint-Jacques à la porte Saint-Martin.
Plusieurs historiens de Paris[444] ont prétendu qu'il n'avoit été construit qu'en 1412, par un accord fait entre la ville et les religieux de Saint-Magloire, qui, disent ces historiens, étoient propriétaires de la rivière depuis l'île Notre-Dame (ou Saint-Louis) jusqu'au grand Pont. Cette opinion a été victorieusement réfutée. On a prouvé, par plusieurs pièces authentiques, 1o qu'il existoit sous Charles V un pont de fust ou de bois à (p. 397) cet endroit[445]; 2o que les religieux de Saint-Magloire n'avoient que le droit de pêche sur la rivière dans l'espace déjà indiqué[446]; 3o enfin que le roi, en permettant à la ville de bâtir des maisons sur ce pont, s'y réserva justice haute, moyenne et basse, et un denier de cens entre deux palées.
Toutefois l'abbaye Saint-Magloire, qui sans doute entendoit mal les droits qu'elle avoit eus en cet endroit, jugea à propos, lors de la reconstruction de ce pont, de mettre opposition à l'enregistrement des lettres du roi; mais elle fut déboutée de ses prétentions par un acte du parlement, de l'année 1412; et ce sont sans doute ces contestations qui ont fait naître les méprises des historiens.
Cette reconstruction fut faite en bois[447]. Le dernier mai 1413, le roi y mit le premier pieu, étant accompagné, dans cette cérémonie, du dauphin, des ducs de Berry et de Bourgogne, et du sieur de La Trémoille. Ce fut alors qu'il fut nommé pont Notre-Dame[448]. Il paroît que ces travaux furent faits avec peu de solidité, car en 1440 on voit qu'il avoit déjà besoin de réparations; (p. 398) et en 1499, le 25 octobre, à neuf heures du matin, il fut emporté en entier, par la négligence du prévôt des marchands et des échevins, à qui les experts avoient inutilement prédit cet accident. Cinq personnes seulement y périrent. On n'en exerça pas moins une très-grande rigueur contre ces magistrats imprudents: le prévôt et les échevins furent arrêtés, et un arrêt du parlement les condamna à une amende considérable et à la réparation du dommage envers les intéressés. Ils moururent en prison, n'ayant pas assez de bien pour satisfaire à ce qu'on exigeoit d'eux.
Cependant on songea à rétablir le pont, dont les décombres embarrassoient le cours de la rivière; mais la ville manquoit d'argent. Louis XII, qui régnoit alors, lui accorda, pendant six ans, la perception de plusieurs droits sur les denrées qui se consommoient dans Paris; et, au moyen de ces secours, on commença la construction du nouveau pont dans la même année. Cette construction fut longue. On voit qu'en 1508 le roi accorda un nouvel aide pour la réparation et parachèvement du pont Notre-Dame, et qu'en 1510 et 1511 le parlement permit encore à la ville de lever de nouveaux octrois pour le même objet; ainsi, quoique une inscription placée sous une arche de ce pont porte que la dernière pierre y fut mise en 1507, on peut dire qu'il ne fut entièrement terminé qu'en 1512, temps auquel on (p. 399) acheva les maisons dont il a été long-temps couvert. On en comptoit trente d'un côté et trente et une de l'autre, toutes de la même architecture, et ornées, dans l'origine, de grands termes d'hommes et de femmes. On voyoit dans les entre-deux les portraits de nos rois en médaillons; et aux quatre extrémités, étoient placées, dans des niches, les statues de saint Louis, de Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV. Il restoit encore quelques vestiges de toutes ces décorations lorsque ces maisons furent abattues[449].
Ce pont fut construit sur les dessins du célèbre Giocondo[450], dit Joconde ou Juconde, qui, après la mort du Bramante, fut choisi pour continuer, avec Raphaël, les travaux de l'église de Saint-Pierre de Rome. Il est porté sur cinq arches de plein cintre, et les gens de l'art l'estiment pour le caractère grand et simple de son architecture[451]. Deux pompes, placées (p. 400) sur une charpente vis-à-vis l'arche du milieu, élèvent l'eau de la rivière pour la distribuer à plusieurs fontaines de la ville. Elles en fournissent, dit-on, cent pouces par minute. À cet endroit il y avoit autrefois une porte d'ordre ionique, dont l'arc étoit décoré d'un très-beau bas-relief, de la main du célèbre Jean Goujon[452], représentant un fleuve et une naïade. Au-dessus étoit le portrait de Louis XIV, avec une inscription par Santeuil.
Ce fut sur ce pont que passa la fameuse procession de la Ligue, le 3 juin 1590.
Ce pont aboutit d'un côté à l'emplacement du Petit-Châtelet, et de l'autre au carrefour des rues Neuve-de-Notre-Dame, du Marché-Palu et du Marché-Neuf. Il étoit anciennement, comme nous l'avons dit, la seule communication qu'eût la Cité (p. 401) avec la rive méridionale, et Grégoire de Tours en fait mention en plusieurs endroits. On n'en sait aucune particularité jusqu'à l'an 1185, qu'il fut rebâti, sans doute en bois, par la libéralité de Maurice de Sully, évêque de Paris[453]. En 1196 il fut emporté par un débordement, et éprouva depuis plusieurs fois le même désastre[454]. En 1394 on le rebâtit, pour la septième ou huitième fois, avec le produit de quelques amendes auxquelles les juifs avoient été condamnés[455]. Il tomba encore en 1405, et fut reconstruit de nouveau en 1409. Cette même année, le roi Charles VI en fit don à la ville, et lui permit d'y élever des maisons[456]. Ces édifices, qui d'abord n'étoient point symétriques, furent rebâtis sur un même plan en 1552 et en 1603. De nouveaux débordements causèrent d'autres désastres à ce pont en (p. 402) 1649, 1651 et 1658; et une inscription indiquoit qu'en 1659 il avoit été rétabli à grands frais, sous la prévôté de M. de Sève. Enfin il fut entièrement consumé en 1718, par deux bateaux de foin auxquels un accident inconnu avoit mis le feu, et dont on avoit eu l'imprudence de couper les cordes. Ils s'arrêtèrent sous le petit Pont; et l'incendie se communiqua aux charpentes et aux maisons avec une rapidité que rien ne put arrêter. Ce pont fut alors rebâti en pierres, tel que nous le voyons aujourd'hui; mais les maisons ne furent point relevées.
Le petit Pont est porté sur trois arches d'une construction lourde et irrégulière.
Il servoit de communication entre la Cité et l'île Saint-Louis. Tant que cette île n'a pas été couverte de maisons, il n'y avoit point de pont en cet endroit. Sauval prétend qu'il ne fut construit qu'en 1642, après l'arrangement définitif conclu entre le chapitre et les habitants de l'île, pour les diverses constructions qu'ils s'étoient engagés d'y faire; cependant les mémoires du temps[457] rapportent (p. 403) que, le 5 juin 1634, trois processions passant ensemble sur ce pont pour se rendre à l'église Notre-Dame, occasionnèrent une si grande foule, que deux balustrades du côté de la Grève furent rompues, et que le pont entier fut sur le point de s'écrouler. En 1636, à l'occasion du jubilé, le parlement, pour prévenir de semblables accidents, ordonna qu'on mettroit des barrières aux ponts de bois.
Celui-ci fut si fort endommagé par les glaces dans l'hiver de 1709, qu'on se vit obligé, l'année suivante, de le détruire. Il ne fut rétabli qu'en 1717; et comme on le peignit alors en rouge, il prit son nom de cette couleur nouvelle qu'on lui avoit donnée. Il n'y avoit point de maisons dessus, et il n'y passoit aucune voiture.
On avoit accordé pour sa construction un péage, que le roi céda à la ville, pour la dédommager de la destruction de quelques maisons qu'elle possédoit au Marché-Neuf, et que l'utilité publique avoit fait abattre[458].
Près du port Saint-Landri étoit l'hôtel des Ursins, qui avoit reçu ce nom de Juvénal des Ursins, chancelier de France sous Louis XI, auquel il appartenoit à cette époque.
Cet hôtel, tombant en ruine, fut rebâti au seizième siècle sur un plan moins étendu; et sur une partie du terrain qu'il occupoit, on ouvrit une rue qui fut appelée rue du Milieu[459].
C'est ainsi qu'est désigné, sur le plan de Jaillot, cet hôtel dont la façade est dans la cour de la Sainte-Chapelle et vis-à-vis de ce monument. Cette façade se compose de quatre colonnes qu'accompagnent de chaque côté deux pilastres, et de trois ordres qui s'élèvent les uns au-dessus des (p. 405) autres, le dorique, l'ionique et le corinthien. Quoique l'ordre ionique y soit trop écrasé et d'une mauvaise proportion, cet ensemble a une sorte de magnificence, et semble indiquer une ancienne demeure de quelque personnage distingué.
D'après le plan que nous venons de citer cet hôtel auroit été autrefois la demeure du trésorier de la Sainte-Chapelle: cependant il n'en est fait mention dans aucun des historiens de Paris. Il est dit seulement qu'en 1624 le roi avoit permis de faire démolir deux maisons dans l'enclos de la Sainte-Chapelle, afin d'y ouvrir un passage qui communiqueroit à la rue Saint-Louis; que cette démolition fut faite, et que le passage fut ouvert. Or, il se trouve que ce passage, qui est aujourd'hui la rue Sainte-Anne, est pratiqué justement au milieu de l'hôtel que nous venons de décrire.
Nous avons parlé trop succinctement de cette construction, l'une des plus remarquables que présente la Cité, par la richesse et la perfection des ornements dont elle est décorée[460].
Au-dessus de la voûte s'élève, de chaque côté, (p. 406) une croisée en arcade, accompagnée de deux pilastres ioniques accouplés, dont les bandes de chapiteaux sont sculptées en petites feuilles, ce que nous croyons sans exemple dans les ornements de cet ordre. Sur la clef de l'archivolte sont sculptées deux têtes de faunes, l'une desquelles est remarquable, en ce qu'elle porte des oreilles de porc pendantes, et des serpents entrelacés dans ses cheveux. Au-dessus des croisées sont d'autres têtes couronnées de fleurs; et les tympans offrent des figures de génies portant des palmes, exécutées avec toute l'élégance de formes, la grâce et la délicatesse que l'on admire dans les meilleurs ouvrages de Jean Goujon. Toutefois ces figures étant exactement les mêmes des deux côtés, et se trouvant d'une proportion trop petite pour l'espace où elles sont renfermées, il y a quelque lieu de croire qu'elles y ont été appliquées par quelque opération de moulage, qui a permis de répéter et de multiplier ainsi la même figure.
La corniche qui porte l'arcade est soutenue par huit consoles richement décorées de feuillages, et terminées extérieurement par quatre têtes de femmes remarquables en ce que, différant entre elles de pose, de physionomie et même de coiffure, toutes portent un croissant dans leurs cheveux. Les quatre têtes intérieures, c'est-à-dire, placées sous l'arcade, sont des têtes de faunes, accompagnées de cornes d'abondance. Tous ces ornements (p. 407) se font remarquer par un style et une délicatesse d'exécution qui rappelle les plus beaux temps de la sculpture en France; et en effet, ils ont dû être exécutés à l'époque où vivoit le grand artiste que nous venons de citer: car dans des caissons qui ornent la partie inférieure de la corniche, on retrouve le monogramme de Henri II et de Diane de Poitiers, si souvent répété sur les monuments que ce prince a fait élever. Ce monogramme est ici accompagné d'une fleur de lis et d'un croissant.
Enfin sur le mur sont des encadrements dont le panneau est resté vide; ils sont supportés par des cornes d'abondance qui soutiennent des têtes d'enfants. Le travail en est fort inférieur à celui des autres ornements.
Tous les historiens se taisent sur la destination d'un monument exécuté avec tant de soins, avec une magnificence aussi recherchée, et dont la construction est néanmoins très-moderne, si on le compare à tant d'autres édifices dont l'origine nous est bien connue.
Cette île, située à l'orient de la Cité dont elle n'est séparée que par un bras de rivière très-étroit, étoit autrefois divisée en deux îles d'inégale grandeur, par un petit canal qui la traversent vers sa partie orientale, à l'endroit où est aujourd'hui l'église Saint-Louis. Toutes les deux étoient en prairies.
Ces deux îles appartenoient originairement à l'évêque et au chapitre de l'église de Paris, ce qui fit donner à la plus grande le nom d'île Notre-Dame; la plus petite étoit nommée l'île aux Vaches.
On ignore à la libéralité de qui cette église étoit redevable de la possession de ces îles; mais on lit dans les anciens historiens que, du temps de Charles-Martel, les comtes de Paris les avoient usurpées sur elle, et que, sous le règne de Pépin, elle n'y jouissoit plus que d'un neuvième et d'un dixième. En 867, Charles-le-Chauve les lui rendit, et confirma, par un diplôme, la propriété (p. 409) et la juridiction qu'elle y avoit eues autrefois[461]. Depuis, la propriété en étoit restée au chapitre seul, qui n'a cessé d'en jouir paisiblement.
Il y a lieu de croire qu'il y avoit, au nord et au midi, des ponts qui communiquoient à ces îles, et qu'ils furent emportés par le débordement de 1296; car on trouve dans les archives de Notre-Dame[462] qu'au mois de mars de cette même année Philippe-le-Bel fit faire deux charrières, l'une allant de la rue Saint-Bernard dans l'île, l'autre de la rue de Bièvre au Terrail, et qu'il établit un droit de péage pour la réparation des ponts. On lit aussi qu'en 1313 ce monarque ayant rassemblé à Paris ce qu'il y avoit de plus distingué dans la noblesse française et étrangère, lui donna, pendant cinq jours, des fêtes brillantes, au milieu desquelles il arma ses fils chevaliers[463]; (p. 410) et que, le quatrième jour de la fête, on passa dans l'île Notre-Dame sur un pont de bateaux qui fut fait à cette occasion. Ce fut là que le cardinal Nicolas, légat en France, prêcha la croisade aux deux rois d'Angleterre et de France[464]. Ces princes et Louis de Navarre, fils aîné de Philippe, prirent la croix, et un grand nombre de seigneurs la prirent à leur exemple. Les dames mêmes, entraînées, dit-on, par l'enthousiasme général, se croisèrent aussi, et promirent d'accompagner leurs maris dans le voyage d'outre-mer. Depuis on y éleva deux ponts de bois, pour établir une communication permanente entre cette île et les quartiers environnants.
La prison du roi Jean et les suites qu'elle faisoit appréhender ayant déterminé les Parisiens à fortifier leur ville, on crut devoir ne pas négliger (p. 411) l'île Notre-Dame. Des fossés furent creusés autour, et l'on planta des pieux dans la rivière entre l'île et les murs du côté de Saint-Victor. Les lettres du dauphin Charles, alors régent du royaume, à l'effet de conserver, dans cette circonstance, les droits du chapitre, sont du 30 novembre 1359[465]:
Elle resta inhabitée jusqu'au règne de Henri IV, qui la comprit dans les projets qu'il avoit formés pour l'accroissement et l'embellissement de Paris. Toutefois on ne commença à y élever des bâtiments que sous son successeur. Des commissaires nommés par le roi pour acquérir les deux îles du chapitre passèrent contrat avec le sieur Marie, architecte, le 19 avril 1714; et par cet acte, celui-ci s'engagea à joindre ensemble les deux îles, à les couvrir de maisons, et à y établir des rues et des quais[466]. Le chapitre, avec lequel on n'avoit point encore pris d'arrangements définitifs, s'opposa aux travaux déjà commencés; mais cette opposition fut levée par deux arrêts du conseil, et Marie, qui s'étoit associé les sieurs Le Regratier et Poulletier, continua d'exécuter son marché. Toutefois ces trois entrepreneurs n'allèrent pas jusqu'à la fin: en 1623 ils cédèrent leur traité au sieur La Grange, secrétaire (p. 412) du roi, et le reprirent en 1627; mais leurs travaux ne finissant point, les habitants et propriétaires des diverses portions de l'île se pourvurent au conseil en 1643, et obtinrent de leur être subrogés aux mêmes charges et conditions, s'engageant en outre à achever les constructions en trois ans: ce qui fut exécuté.
C'est la seule église qu'il y ait dans cette île: ce n'étoit, dans l'origine, qu'une petite chapelle qu'un maître couvreur, nommé Nicolas Le Jeune, qui le premier avoit commencé à bâtir sur ce terrain en 1600, y fit construire quelques années après. Alors elle n'étoit point orientée comme les autres églises, et le chevet en étoit tourné au midi. Le nombre des bâtiments et la population de l'île s'étant rapidement augmentés, la chapelle fut agrandie à la fin de 1622[467]; et M. de Gondi, (p. 413) sur la demande des habitants de l'île, l'érigea en paroisse l'année suivante, sous le titre de Notre-Dame-de-l'Île[468]. Elle ne le conserva pas long-temps; car, vingt ans après, on disoit le curé de Saint-Louis-en-l'Île. Lorsque ces mêmes habitants eurent fait l'acquisition du traité du sieur Marie, ils pensèrent à faire rebâtir leur église. Toutefois ils se contentèrent de construire d'abord le chœur, auquel ils donnèrent vers l'orient la situation qu'il devoit avoir; et l'ancienne chapelle servit de nef. Commencé en 1664, le nouveau chœur ne fut achevé qu'en 1679; et ce ne fut qu'en 1702 qu'on résolut de détruire cette chapelle, qui, réunie à cette autre construction, faisoit une disparate choquante, et d'ailleurs tomboit en ruine. En 1702, M. le cardinal de Noailles posa la première pierre de la nouvelle nef; et ces derniers travaux ayant été achevés en 1725, l'église entière fut dédiée sous l'invocation de saint Louis. La cure en étoit à la collation du chapitre de Notre-Dame.
Ce monument avoit été commencé sur un plan donné par Levau, premier architecte du roi; il fut continué par un autre architecte nommé Leduc, (p. 414) et ce fut sur les dessins de ce dernier que l'on éleva le grand portail. Il est décoré de quatre colonnes ioniques isolées, qui supportent un entablement couronné d'un fronton. La coupole a été construite par un autre architecte nommé Doucet; et les sculptures qui ornoient cet édifice avoient été exécutées sur les dessins de Jean-Baptiste de Champagne, peintre, et neveu de Philippe de Champagne.
Quelques écrivains ont mis cette église au nombre des plus belles de Paris: l'architecture en est cependant très-médiocre. La distribution intérieure est la même que dans la plupart des monuments de ce genre: elle forme une croix latine; la grande nef est accompagnée de deux nefs latérales plus étroites, et ouvertes par des arcades, entre lesquelles s'élèvent des pilastres jusqu'à la naissance de la voûte; en face de chaque arcade on a pratiqué des chapelles. Il n'y a rien là-dedans qui mérite tant d'admiration; et d'ailleurs ses dimensions la mettent au rang des petites églises[469]. Quant à l'extérieur, il est tel qu'on ne pourroit y reconnoître un édifice sacré, s'il n'étoit surmonté d'un petit campanille qui, par sa forme bizarre et par la manière dont il est placé, fait un effet presque ridicule.
Dans cette église avoient été enterrés:
Philippe Quinault, auditeur en la chambre des comptes, célèbre par ses ouvrages lyriques, mort en 1688.
Antoine Uyon d'Hérouval, aussi auditeur en la chambre des comptes, auteur de Recherches sur l'histoire de France, mort en 1689.
Vis-à-vis cette église étoit un établissement des sœurs de la Charité.
Parmi le grand nombre d'hôtels que contient la ville de Paris, et qui sont répandus dans ses divers quartiers, nous décrirons seulement ceux qui nous sembleront remarquables, ou par la beauté de leur architecture, ou par l'ancienneté de leur construction, ou par les souvenirs qui y sont attachés. C'est ce que nous avons déjà fait pour les hôtels qui existoient jadis, ou qui existent encore dans l'île de la Cité. Celle de Saint-Louis (p. 416) renferme un assez grand nombre d'édifices de ce genre, parmi lesquels on ne peut distinguer que l'hôtel Lambert et l'hôtel Bretonvilliers.
L'architecte de l'hôtel Lambert est le même Levau qui avoit donné les plans de l'église Saint-Louis; mais il a mieux réussi dans cette maison particulière que dans l'édifice public. L'emplacement qui lui étoit donné pour la bâtir étant irrégulier, il en prit une portion régulière pour la cour; et les parties non symétriques, séparées de cette cour par une aile de bâtiment, furent destinées à faire un jardin. En face de la principale porte qui donne dans la rue Saint-Louis, on aperçoit dans le fond un escalier à deux rampes d'une construction simple et majestueuse: l'extérieur en est décoré de colonnes et de pilastres d'ordre dorique, élevés sur des piédestaux, accompagnés de l'entablement modillonaire[470], (p. 417) de triglyphes et de boucliers dans les métopes. Au-dessus s'élève un attique, avec des pilastres ioniques qui supportent un fronton, dans lequel devoient être exécutées des sculptures; ce qu'on peut présumer par la saillie d'une grande partie du tympan. Au milieu du renfoncement cintré qui est au bas de l'escalier, on voit un fleuve et une naïade peints en grisaille par Le Sueur[471].
Les bâtiments qui environnent la cour sont d'ordre dorique comme l'entrée de l'escalier; et tous les ornements de détail qui couvrent les diverses parties de ces constructions sont d'une bonne exécution. La distribution des principaux appartements pratiqués dans l'aile qui sépare la cour du jardin, a été faite avec intelligence, et l'on y jouit d'une très-belle vue sur la Seine et sur les rives environnantes. Toute cette partie est décorée d'un ordre ionique qui comprend les deux étages, et au-dessus duquel règne une balustrade ornée de vases. Le tout est d'une proportion noble et élégante.
L'intérieur de cette magnifique maison étoit digne de ces dehors imposants; et l'on y admiroit surtout les belles peintures dont l'avoient enrichie Le Sueur et Le Brun, qui cherchèrent à se surpasser dans une circonstance qui réunissoit leurs travaux, et excitoit encore plus vivement leur (p. 418) rivalité. Ce dernier fut chargé de peindre la galerie dont se compose l'aile du bâtiment en retour de la rivière, et y traita plusieurs sujets de la fable d'une manière très-remarquable; mais on admiroit surtout le salon où Le Sueur avoit représenté les neuf Muses dans cinq tableaux qui en ornoient le pourtour. Cet artiste, dont l'heureux génie surpassoit de beaucoup celui de son rival, avoit peint, dans le plafond de cette même pièce, Apollon écoutant la prière de Phaëton, et lui mettant sur la tête sa couronne de laurier[472]. Ce morceau fut détaché et vendu à la mort de M. Delahaye, fermier général, et dernier propriétaire de cette maison. Les tableaux des Muses y restèrent encore long-temps, et jusqu'au moment de la révolution[473].
En sortant de l'hôtel Lambert, et passant sous l'arcade qui est presque en face, on arrive à l'hôtel Bretonvilliers, bâti par Ducerceau pour le président Le Ragois de Bretonvilliers, auquel on doit la construction du quai qui environne la pointe de (p. 419) l'île. Cet hôtel, dont les appartements étoient d'une grande magnificence, avoit été également décoré de peintures par les plus habiles artistes: on y remarquoit toute l'histoire de Phaëton, peinte par Bourdon, dans une vaste galerie qui occupoit tout le corps du bâtiment en retour sur le jardin; quelques peintures de Vouet, des fleurs de Baptiste, d'excellentes copies de Raphaël, par Mignard, etc.; mais ce qu'on y voyoit de plus précieux, c'étoient quatre grands tableaux du plus illustre peintre que la France ait produit, quatre chefs-d'œuvre de Poussin. Ils représentoient le passage de la mer Rouge, l'adoration du Veau d'or, l'enlèvement des Sabines et le triomphe de Vénus[474].
En 1719, les fermiers généraux transférèrent dans cet hôtel le bureau des aides et du papier timbré, qui étoit à l'hôtel de Charni, rue des Barres. On y a fait, jusqu'au moment de la révolution, la régie de toutes les entrées de la ville, ainsi que de tout le plat pays de Paris[475].
Ce pont sert de communication du port Saint-Paul à l'île Saint-Louis. Il paroît, par un acte cité par Sauval[476], qu'en 1371 il en existoit un à peu près au même endroit, sous le nom de pont de Fust (de bois) d'emprès Saint-Bernard-aux-Barrés. Ce ne fut qu'en 1614 que le contrat du sieur Marie pour la construction des édifices de l'île Saint-Louis ayant été ratifié par le roi, ce pont, aux termes du traité, fut commencé en pierres, et dans la direction de la rue des Nonandières. Louis XIII et la reine y posèrent la première pierre le 11 décembre. Ce pont, discontinué et repris à diverses époques, fut achevé et couvert de maisons en 1635. Les débordements des eaux y causèrent plusieurs fois de grands dommages: celui de 1658 entraîna les deux arches qui étoient du côté de l'île (p. 421) avec les maisons qu'elles portoient. L'année suivante, le roi ordonna que la pile et les deux arches fussent rétablies jusqu'au rez-de-chaussée, et que l'on construisît, en attendant, un pont de bois aboutissant au reste du pont de pierre, lequel devoit être de la même largeur, et suffisant pour le passage des voitures. Pour faciliter la reconstruction des parties détruites, il fut établi un droit de péage pendant dix ans; et c'est par cette raison qu'il est indiqué dans quelques actes sous le nom de pont au Double. En 1664 le dommage n'étoit pas encore réparé. Enfin on rétablit ce pont tel qu'il étoit auparavant, à l'exception des maisons, qui ne furent point rebâties sur les constructions nouvelles.
Ce pont est porté sur cinq arches de plein cintre.
Il communique du quai de ce nom à l'île Notre-Dame. Par un acte que rapporte Sauval[477], il paroît que vers cet endroit de l'île il y avoit, en 1371, un pont appelé le pont de Fust de l'île Notre-Dame; que le pont de Fust d'entre l'île Notre-Dame et Saint-Bernard fut planchié en septembre 1370; qu'en 1369 on y fit une tournelle (p. 422) quarrée et une porte, qui fut étoupée l'année suivante. Ce pont fut sans doute détruit par les glaces ou par les débordements, car on n'en voit aucune trace sur un plan postérieur au règne de François Ier[478]; et il n'existoit pas en 1577 puisqu'alors on proposa de construire deux ponts, qui des Célestins iroient dans l'île aux Vaches, et de cette île vers les Bernardins, sur le port de la Tournelle. Le sieur Marie se chargea, par son traité, de l'exécution de ce projet. Celui qu'il fit construire de ce côté étoit en bois; et les historiens de Paris disent que les glaces l'emportèrent en 1637, et que ce ne fut qu'en 1654 que l'on prit la résolution de le reconstruire en pierres. Cependant entre ces deux époques on trouve qu'un nouveau pont de bois avoit été élevé à la place de l'ancien; qu'en 1648 il tomboit de caducité, et que le 4 août de la même année on rendit un arrêt qui ordonnoit de l'abattre. Sauval, qui vivoit alors, se contente de dire qu'en 1651 une partie de ce pont fut emportée...... et depuis si bien réparée qu'il n'y paroît pas[479]. Il y a toute apparence que déjà il avoit été rebâti en pierres; car les divers arrêts du conseil portés à ce sujet[480] ordonnent au prévôt des marchands (p. 423) de faire rétablir incessamment le pont de pierre de la Tournelle, ce qui fut exécuté en 1656, comme le porte une inscription placée sous une des arches de ce pont.
Il est composé de six arches solidement bâties, et sur lesquelles on n'éleva point de maisons.
Toutes les recherches qu'on a faites sur cette île ont été infructueuses: Sauval dit qu'en 1370 on la nommoit l'île des Javiaux; en 1445, l'île aux Meules des Javeaux[481]; depuis, l'île aux Meules; et de son temps, l'île Louvier. Ce dernier nom lui venoit peut-être de quelque particulier qui en étoit propriétaire.
Cette île a environ deux cent vingt toises de longueur, et est située vis-à-vis l'endroit où étoit le mail de l'Arsenal. Le bras de la rivière qui (p. 424) la sépare du rivage est si peu considérable, et la Seine y charrie tant de gravier, qu'en été on la passoit à pied sec, ce qui fut cause qu'on proposa plusieurs fois de combler ce détroit et d'y bâtir des maisons; mais les grands-maîtres de l'artillerie ont toujours empêché qu'on acceptât ces propositions. Cette île appartenoit, dans le dix-septième siècle, au sieur d'Antrague. En 1671 la ville l'avoit prise à bail judiciaire, dans le dessein d'en faire un port pour la décharge des marchandises. Elle en fit ensuite l'acquisition le 2 octobre de la même année, et depuis y fit construire en bois un pont de communication.
Cette île servoit, en 1714, de dépôt pour le foin et pour le fruit, ainsi que pour le bois de charpente et de menuiserie; depuis elle a été destinée aux chantiers de bois de chauffage. Pour la conservation de ces chantiers, la ville, en 1730, fit soutenir cette île par des pieux, élargir le canal qui la séparoit du mail, et construire une estacade ou digue pour rompre les glaces, laquelle est ouverte au milieu afin de laisser passer les bateaux, qui y trouvent un abri commode. En 1735 cette digue fut allongée; et en même temps on agrandit et l'on exhaussa l'île. Enfin l'année suivante on y rapporta encore des terres; on aligna, on borna les places que devoient occuper les chantiers, et l'on élargit le pont pour la facilité des gens de pied.
(p. 425) En 1549, les prévôt des marchands et échevins de Paris y avoient fait construire une espèce de havre pour donner à Henri II et à Catherine de Médicis le spectacle d'un combat naval et de la prise d'un fort.
Le bras qui sépare cette île de celle de Saint-Louis a soixante-quinze ou soixante-dix toises de largeur; et le grand canal la sépare du faubourg Saint-Victor.
Il n'est rien de plus obscur et de plus embrouillé dans les antiquités de Paris que la matière que nous allons traiter. Les plans que nous avons donnés de cette capitale désignent avec précision la place de ses monuments publics, mais n'offrent qu'une idée imparfaite de ses rues, qui, dans une si longue suite de siècles, ont changé plusieurs fois et de forme et de nom. Après les nombreux incendies qui consumèrent la Cité, et les ravages que les Normands firent dans les faubourgs, on ne sait si les maisons furent relevées dans leurs anciens alignements ou sur des plans nouveaux; et les traditions les plus anciennes qui (p. 426) nous en restent datent de plus d'un siècle après le dernier incendie[482]. Mais ce dont on ne peut douter, c'est que, jusqu'au seizième siècle, elles étoient étroites, sales et irrégulières; plusieurs rues de la Cité et des quartiers environnants, où trois personnes peuvent à peine passer de front, et dont quelques maisons ont encore conservé l'ancien toit en forme de pignon, nous présentent une image assez juste de ce qu'étoit alors la ville entière. Sauval, qui vivoit dans le dix-septième siècle, prétend que les rues larges qui existoient à cette époque, avoient été élargies de son temps ou vers la fin du siècle précédent.
Cependant ces rues si étroites, où la lumière pénétroit à peine, où l'air ne pouvoit circuler, ne furent pavées que sous Philippe-Auguste. Jusque là elles n'avoient été que d'affreux chemins, inondés d'une boue noire et infecte, dont les exhalaisons rendoient le séjour de Paris désagréable et funeste à ses habitants. L'historiographe de Philippe, qui étoit en même temps son médecin, dit que la puanteur en étoit si insupportable, qu'elle pénétroit jusque dans le palais du roi, et le rendoit presque inhabitable. Il raconte que ce prince s'étant un jour approché des fenêtres qui donnoient sur la rivière, il arriva que des chariots, qui dans ce moment traversoient la Cité, (p. 427) en ayant remué les boues, l'odeur qui s'en éleva fut si horrible, qu'à peine le roi put-il la supporter[483]. Factum est autem post aliquot dies quòd Philippus rex, Parisiis moram faciens, dùm sollicitus pro negotiis regni agendis in aulam regiam deambularet, veniens ad palatii fenestras, undè fluvium Sequanæ, pro recreatione animi, quandoquè inspicere consueverat; rhedæ, equis trahentibus, per civitatem transeuntes, fœtores intolerabiles lutum revolvendo procreaverant, quos rex in aulâ deambulans, ferre non sustinuit.
S'il faut en croire cet auteur, ce fut ce petit événement qui détermina le monarque à porter sur-le-champ remède à un mal aussi dangereux; et sans être rebuté ni de la difficulté de l'entreprise, ni d'une dépense qui avoit effrayé tous ses prédécesseurs, il donna ordre, en 1148, au prévôt de Paris, d'en faire paver toutes les rues et places publiques[484]. Le séjour de cette ville devint, (p. 428) dès ce moment, plus sain et plus commode. Cependant un établissement si utile fut souvent négligé dans les âges suivants, quelquefois même totalement abandonné; et il falloit que des maladies contagieuses, qui suivoient presque toujours une semblable négligence, vinssent réveiller l'attention des magistrats, et faire reprendre des travaux presque toujours imparfaits jusqu'à Louis XIV. C'est à ce grand roi que l'on doit le bel ordre qui règne maintenant dans cette partie si essentielle de la police[485].
(p. 429) Ce n'est qu'en 1728 que l'on commença à écrire aux coins des rues et des places publiques les noms qu'elles portoient, et ces noms n'ont pas varié depuis jusqu'au moment de la révolution. Avant cette époque, il n'est presque pas une rue de Paris, qui, à partir du douzième siècle, n'ait changé plusieurs fois de dénomination, et ces changements se ressentoient de la barbarie de ces temps grossiers. Les origines en sont souvent frivoles et bizarres: elles proviennent ou du nom de quelque personnage distingué qui y possédoit une maison remarquable, ou de quelque enseigne singulière qui avoit frappé les yeux du peuple, ou de quelque événement extraordinaire qui y étoit arrivé. Plusieurs devoient leur titre à leur mal-propreté habituelle, d'autres aux vols et assassinats qui s'y commettoient; quelques-unes enfin ont des noms dont le sens et l'origine sont entièrement inconnus.
Nous avons essayé de débrouiller ce chaos, et de donner, autant qu'il est possible, les étymologies et les mutations de ces noms divers. Nous nous sommes aidés, pour y parvenir, de la (p. 430) critique des écrivains les plus laborieux et les plus exacts qui aient approfondi cette matière, et nous espérons qu'elle ne sera pas la moins curieuse de notre travail. Mais pour rendre ce travail complet, et même pour le faire bien comprendre, nous croyons nécessaire de donner d'abord une pièce très-singulière et unique dans son genre, qui a été mise au jour pour la première fois par le savant abbé Lebeuf. C'est une description en vers des rues de Paris, faite par un poète du treizième siècle, nommé Guillot: on y trouve la plus grande partie des noms de celles qui étoient renfermées dans l'enceinte de Philippe-Auguste; elle indique celles qui sont les plus anciennes, et le nom qu'on leur donnoit quatre-vingts ans après que cette enceinte eut été terminée. L'explication que nous donnerons, à la fin de chaque quartier, de l'origine de ces rues, servira de commentaire à cet ancien écrit, et éclaircira autant qu'il est possible ce qu'il peut avoir d'obscur ou d'inintelligible[486].
Maint dit a fait de Rois, de Conte
Guillot de Paris en son conte;
Les rues de Paris briément
A mis en rime, oyez comment.
L'auteur commence par le quartier qu'on appeloit d'Outre-Petit-Pont, aujourd'hui l'Université.
La rue de la Huchette à Paris
Premiere, dont pas n'a mespris.
Assez tost trouva Sacalie
Et la petite Bouclerie
Et la grand Bouclerie après
Et Herondale tout en près.
En la rue Pavée alé
Où à maint visage halé:
La rue à l'Abbé Saint-Denis.
Siet asez près de Saint Denis,
De la grant rue Saint Germain
Des Prez, si fait rue Cauvin,
Et puis la rue Saint Andri
Dehors mon chemin s'estendi
Jusques en la rue Poupée,
A donc ai ma voie adrécée.
En la rue de la Barre vins
Et en la rue a Poitevins,
En la rue de la Serpent,
De ce de rien ne me repent;
(p. 432) En la rue de la Platriere
La maint une Dame loudière[488]
Qui maint chapel a fait de feuille.
Par la rue de Hautefeuille
Ving en la rue de Champ-petit,
Et au-dessus est un petit[489]
La rue du Paon vraiement:
Je descendi tout bellement
Droit à la rue des Cordeles:
Dame i a[490]; le descort d'elles
Ne voudroie avoir nullement.
Je m'en allai tout simplement
D'iluecques[491] au Palais de Thermes
Où il a celiers et citernes
En cette rue a mainte court.
La rue aux hoirs de Harecourt.
La rue Pierre Sarrazin
Ou l'en essaie maint roncin
Chascun an, comment on le hape[492].
Contreval[493] rue de la Harpe
Ving en la rue Saint Sevring,
Et tant fis qu'au carefour ving:
La Grant rue trouvai briément;
De la entrai premierement
Trouvai la rue as Ecrivains;
De cheminer ne fu pas vains[494]
En la petite ruelette
S. Sevrin; mainte meschinette[495]
Les vers que nous omettons en cet endroit et autres où l'on trouvera du blanc, ne contiennent que des descriptions de lieux qui étoient tolérés alors, et qui sont autorisés aujourd'hui.
. . . . . . . .
En la rue Erembourc de Brie
Alai, et en la rue o Fain;
De cheminer ne fu pas vain,
Une femme vi battre lin,
Par la rue Saint Mathelin.
En l'encloistre m'en retourné
Saint Benoît le bestourné[496];
En la rue as hoirs de Sabonnes
A deux portes belles et bonnes.
La rue à l'Abbé de Cligny
Et la rue au Seigneur d'Igny
Sont près de la rue o Corbel;
Desus siet la rue o Ponel
Y la rue à Cordiers après
Qui des Jacopins siet bien près:
Encontre[497] est rue Saint Estienne;
Que Dieu en sa grace nous tiegne,
Que de s'amour ayons mantel[498].
Lors descendis en Fresmantel
En la rue de l'Oseroie;
Ne sai comment je desvoueroie[499]
Ce conques nul jour[500] ne voué
Ne a Pasques ne a Noué[501]
En la rue de l'Ospital
Ving; une femme i d'espital
Une autre femme folement
De sa parole moult vilement[502].
La rue de la Chaveterie
Trouvai; n'alai pas chiés Marie
En la rue Saint Syphorien
Ou maingnent li logiptien[503]
En pres est la rue du Moine
Et la rue au Duc de Bourgongne
Et la rue des Amandiers près
Siet en une autre rue exprès
Qui a non rue de Savoie.
(p. 433) Guillot de Paris tint sa voie
Droit en la rue Saint Ylaire
Ou une Dame debonnaire
[504]Maint, con apele Gietedas:
Encontre est la rue Judas,
Puis la rue du Petit-Four,
Qu'on appele le Petit-Four:
Saint Ylaire, et puis clos Burniau
Ou l'on a rosti maint bruliau[505]:
Et puis la rue du Noyer.
. . . . . . . .
. . . . . . . .
Enprès est la rue à Plastriers
Et parmi[506] la rue as Englais
Ving à grand feste et à grand glais[507]
La rue à Lavandieres tost
Trouvai; près d'iluec[508] assez tost
La rue qui est belle et grant,
Sainte Geneviéve la grant,
Et la petite ruelete
Dequoi l'un des bouts chien sur l'être[509]
Et l'autre bout si se rapporte
Droit à la rue de la Porte
De Saint Marcel; par Saint Copin
Encontre est la rue Clopin,
Et puis la rue Traversainne
Qui siet en haut bien loin de Sainne[510].
Enprès est la rue des Murs:
De cheminer ne fut pas mus[511],
Jusqu'à la rue Saint Victor
Ne trouvai ne porc ne butor[512],
Mes femmes qui autre conseille[513]:
Puis truis[514] la rue de Verseille
Et puis la rue du Bon puis;
La maint la femme à i chapuis[515]
Qui de maint home a fait ses glais[516].
La rue Alexandre l'Anglais
Et la rue Paveegoire:
La bui-ge[517] du bon vin de beire.
En la rue Saint Nicolas
Du Chardonnai ne fut pas las
En la rue de Bievre vins
Ilueques i petit[518] m'assis.
D'iluec[519] en la rue Perdue:
Ma voie ne fut pas perdue.
Je m'en reving droit en la Place
Maubert, et bien trouvai la trace
D'iluec en la rue à Trois-portes,
Dont l'une le chemin rapporte
Droit à la rue de Gallande
Ou il n'a ne forest ne lande,
Et l'autre en la rue d'Aras
Ou se nourrissent maint grant ras.
Enprès est rue de l'Ecole,
La demeure Dame Nicole;
En celle rue ce me semble
Vent on et fain et fuerre[520] ensemble.
Puis la rue Saint Julien
Qui nous gart de mauvais lien.
M'en reving en la Bucherie,
Et puis en la Poissonnerie.
C'est verité que vous despont[521],
Les rues d'Outre-Petit-Pont
Avons nommées toutes par nom
(p. 434) Guillot qui de Paris, ot[522] nom:
Quatre-vingt par conte en y a.
Certes plus ne mains[523] n'en y a.
En la Cité isnelement[524]
M'en ving après privéement.
La rue du Sablon par m'ame[525];
Puis rue neuve Notre Dame.
En près est la rue à Coulons
D'iluec ne fu pas mon cuer lons[526],
La ruele trouvai briement
De S. Christophe et ensement[527]
La rue du Parvis bien près,
Et la rue du Cloistre après,
Et la grant rue S. Christofle:
Je vis par le trelis d'un coffre
En la rue Saint Pere à beus
Oisiaus qui avoient piez beus[528]
Qui furent pris sur la marine[529].
De la rue Sainte Marine
En la rue Cocatris vins,
Où l'en boit souvent de bons vins,
Dont maint homs souvent se varie[530]
La rue de la Confrairie
Nostre-Dame; et en Charoui
Bonne taverne achiez[531] ovri.
La rue de la Pomme assez tost
Trouvai, et puis après tantost
Ce fu la rue as Oubloiers;
La maint Guillebert a braiés.
Marcé Palu, la Juerie
Et puis la petite Orberie
Qui en la Juerie siet.
Et me semble que l'autre chief
Descent droit en la rue à Feves
Par deça la maison o fevre.
La Kalendre et la Ganterie
Trouvai, et la grant Orberie.
Après, la grant Bariszerie;
Et puis après la Draperie
Trouvai et la Chaveterie,
Et la ruele Sainte Croix
Ou l'en chengle[532] souvent des cios.
La rue Gervese Lorens
Ou maintes Dames ygnorents
Y maignent[533] qui de leur quiterne[534]
En pres rue de la Lanterne.
En la rue du Marmouset
Trouvai[535] homme qui mu fet
Une muse corne bellourde.
Par la rue de la Coulombe
Alai droit o port Saint-Landri:
La demeure Guiart Andri.
Femmes qui vont[536] tout le chevez
Maignent[537] en la rue de Chevés.
Saint Landri est de l'autre part,
La rue de l'Ymage départ[538]
La ruele par Saint Vincent[539]
En bout de la rue descent
De Glateingni, ou bonne gent
Maingnent, (manent) et Dames o corps gent[540]
(p. 435) . . . . . . . . .
La rue Saint-Denis de la Chartre.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
En ving en la Peleterie
Mainte peine y vi esterie[541].
En la faute[542] du pont m'assis.
Certes il n'a que trentesix
Rues contables[543] en Cité
Foi que doi Benedicite[544].
Par deça Grant pont erraument[545]
M'en ving, sçachiez bien vraiment
N'avoie alenas[546] ne poinson.
Premiere, la rue o Poisson
La rue de la Saunerie
Trouvai, et la Mesguiscerie
L'Escole et rue Saint Germain
A Couroiers bien vint à main
Tantost la rue a Lavendiere
Ou il a maintes lavendieres.
La rue à moignes de Jenvau
Porte à mont et porte à vau;
En près rue Jean Lointier
Là ne fu je pas trop lointier[547]
De la rue Bertin Porée.
Sans faire nulle eschauffourée
Ving en la rue Jean l'Eveiller;
Là demeure Perriaus Goullier.
La rue Guillaume Porée près
Siet, et Maleparole en près,
Ou demeure Jean Asselin.
Parmi[548] le Berrin Gasselin;
Et parmi[549] la Hedengerie,
M'en ving en la Tableterie
En la rue à petit soulers
De bazenne tout fut souillés
D'esrer[550] ce ne (fu) mie fortune.
Par la rue Sainte Opportune
Alai en la Charonnerie,
Et puis en la Féronnerie;
Tantost trouvai la Mancherie,
Et puis la Cordoüanerie,
Près demeure Henry Bourgaie;
La rue Baudouin Prengaie
Qui de boire n'est pas lanier[551].
Par la rue Raoul l'Avenier[552]
Alai o siege a Descarcheeurs.
D'ileuc[553] m'en allai tantost ciex[554]
Un tavernier en la viez place
A Pourciaux, bien trouvai ma trace
Guillot qui point d'eur bon n'as[555].
Parmi la rue a Bourdonnas
Ving en la rue Thibaut a dez,
Un hons trouvai en ribaudez[556]
En la rue de Bethisi
Entré, ne fus pas ethisi[557]:
Assez tost trouvai Tire chape;
N'ai garde que rue m'eschape
Que je ne sache bien nommer
Par nom, sans nul mesnommer[558].
Sans passer guichet ne postis[559]
En la rue au Quains de Pontis
(p. 436) Fis un chapia[560] de violete.
La rue o serf et Glorïete
Et la rue de l'arbre sel
Qui descent sur un biau ruissel[561]
Trouvai et puis Col de Bacon
. . . . . . . . .
Et puis le Fossé Saint Germain
Trou-Bernard trouvai main à main,
Part ne compaigne[562] n'attendi,
Mon chemin a val s'estendi
Par le saint Esperit[563], de rue
Sus la riviere en la Grant-rue
Seigneur de la porte du Louvre;
Dames y a gentes et bonnes,
De leurs denrées sont trop riches.
Droitement parmi Osteriche
Ving en la rue saint Honouré,
La rue trouvai-je Mestre Huré,
Lez lui[564] seant Dames polies.
Parmi la rue des Poulies
Ving en la rue Daveron
Il y demeure un Gentis-hon.
Par la rue Jehan Tison
N'avoie talent de proier[565],
Mès par la Croix de Tiroüer
Ving en la rue de Neele
Navoie tabour ne viele:
En la rue Raoul Menuicet
Trouvai un homme qui mucet[566]
Une femme en terre et ensiet,
La rue des Estuves en près siet.
En près est la rue du Four:
Lors entrai en un carefour,
Trouvai la rue des Escus
Un homs à grans ongles locus[567]
Demanda, Guillot, que fais tu?
Droitement de Chastiau-Festu
M'en ving à la rue a Prouvoires
Ou il a maintes pennes vaires[568];
Mon cuer si a bien ferme veue.
Par la rue de la Croix neuve
Ving en la rue Raoul Roissole,
N'avoie ne plais[569] ne sole
La rue de Montmartre trouvai
Il est bien seu et prové
Ma voie fut delivre[570] et preste
Tout droit par la ruelle e piestre[571]
Ving à la pointe Saint Huitasse
Droit et avant sui[572] ma trace
Jusques en la Tonnellerie
Ne sui pas cil qui trueve lie.
Mais par devant la Halle au blé
Ou l'en a mainte fois lobé[573]
M'en ving en la Poissonnerie
Des Halles, et en la Formagerie,
Tantost trouvai la Ganterie,
A l'encontre est la Lingerie
La rue o Fevre siet bien près
Et la Cossonnerie après.
Et por moi mieux garder des Halles
Par dessous les avans des Halles
Ving en la rue à Prescheeurs
La bui[574] avec Freres Meneurs
Dont je n'ai pas chiere marie[575]
Puis alai en la Chanvrerie
Assez près trouvai Maudestour
Et le carrefour de la Tour,
Ou l'on giete mainte sentence
En la maison à Dam[576] Sequence
Le puis le carrefour départ[577]:
(p. 437) Jehan Pincheclou d'autre part
Demeura tout droit a l'encontre.
Or dirai sans faire lonc conte[578]
La petite Truanderie
Es rues des Halles s'alie
La rue au Cingne ce me samble
Encontre Maudestour assamble
Droit à la grant Truanderie
Et Merderiau n'obli-je mie,
Ne la petite ruéléte
Jehan Bingne par saint-Clerc[579]suréte[580].
Mon chemin ne fut pas trop rogue[581]
En la rue Nicolas Arode
Alai, et puis en Mauconseil.
Une Dame vi sur un seil[582]
Qui moult se portoit noblement;
Je la saluai simplement,
Et elle moi par saint Loys.
Par la sainte rue Saint Denis
Ving en la rue as Oües droit
Pris mon chemin et mon adroit
Droit en la rue Saint-artin
Ou j'oi chanter en latin
De Nostre Dame un si dous chans.
Par la rue des Petits Champs
Alai droitement en Biaubourc
Ne chassoie chievre ne bouc:
Puis truit la rue a Jongleeurs
Con ne me tienne à jeugleeurs[583].
De la rue Gieffroi l'Angevin
En la rue des Estuves vin,
Et en la rue Lingariere
La ou leva mainte plastriere
D'archal mise en œuvr pour voir[584]
Plusieurs gens pour leur vie avoir
Et puis la rue Sendebours
La Trefilliere a l'un des bous,
Et Quiquenpoit que j'ai moult chier,
La rue Auberi le Bouchier
Et puis la Conreerie aussi,
La rue Amauri de Roussi,
En contre Troussevache chiet,
Que Diex gart qu'il ne nous meschiet[585],
Et la rue du Vin-le-Roy,
Dieu grace on n'a point de desroy[586]
En la Viez Monnoie par sens
M'en ving aussi conpar à sens[587].
Au-dessus d'iluec un petit
Trouvai le Grand et le Petit
Marivaux, si comme il me samble;
Li uns à l'autre bien s'assamble;
Au dessous siet la Hiaumerie
Et assez prez la Lormerie
Et parmi la Basennerie
Ving en la rue Jehan le Conte;
La Savonnerie en mon conte
Ai mise: Par la Pierre o let
Ving en la rue Jehan Pain molet,
Puis truis[588] la rue des Arsis;
Sus un siege un petit m'assis
Pour ce que le repos fu bon:
Puis truis les deux rues Saint Bon.
Lors ving en la Buffeterie,
Tantost trouvai la Lamperie,
Et puis la rue de la Porte
Saint Mesri; mon chemin s'apporte
Droit en la rue à Bouvetins.
Par la rue a Chavetiers tins
Ma voie en la rue de l'Estable
Du Cloistre qui est honestable
De Saint Mesri en Baillehoe
Ou je trouvai beaucoup de boe
(p. 438) Et une rue de renon.
Rue neuve Saint Mesri a non.
Tantost trouvai la Cour Robert
De Paris. Mes par saint Lambert
Rue Pierre o lart siet près,
Et puis la Bouclerie après:
Ne la rue n'oublige pas
Symon le Franc. Mon petit pas
Alai vers la Porte du Temple;
Pensis ma main de lez[589] ma temple.
En la rue des Blans Mantiaux
Entrai, où je vis mainte piaux
Mettre en conroi[590] et blanche et noire;
Puis truis la rue Perrenelle
De Saint Pol, la rue du Plastre
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
En près est la rue du Puis.
La rue à Singes après pris
Contreval[591] la Bretonnerie
M'en ving plain de mirencolie[592]:
Trouvai la rue des Jardins
Ou les Juifs maintrent[593] jadis;
O carrefour du Temple vins
Ou je bui plain henap de vin
Pour ce que moult grand soif avoie.
A donc me remis a la voie,
La rue de l'Abbaye du Bec.
Hellouin trouvai par abec[594],
M'en allai en la Verrerie
Tout contreval la Poterie
Ving au carrefour Guillori
Li un di ho, l'autre hari,
Ne perdit pas mon essien[595].
La ruelete Gencien
Alai, ou maint un biau varlet[596],
Et puis la rue Andri Mallet,
Trouvai la rue du Martrai,
En une ruelle tournai
Qui de Saint Jehan voie à porte[597]
En contre la rue des Deux Portes.
De la viez Tisseranderie
Alai droit en l'Esculerie
Fit en la rue de Chartron
. . . . . . . .
. . . . . . . .
En la rue du Franc-Monrier
Alai, et vieux-cimetiere
Saint Jehan meisme en cotiere[598]
Trouvai tost la rue du Bourg—
Tibout, et droit a l'un des bous
La rue Anquetil le Faucheur
La maint un compain tencheeur[599].
En la rue du Temple alai
Isnelement[600] sans nul délai:
En la rue au Roi de Sezille
Entrai; tantost trouvai Sedile[601],
En la rue Renaut le Fevre
Maint, ou el vent et pois et feves
En la rue de Pute-y-muce
Y entrai en la maison Luce
Qui maint en rue de Tyron
Des Dames ymes[602] vous diron
La rue de l'Escoufle est près
Et la rue des Rosiers près
Et la grant-rue de la Porte
Baudeer si con se comporte
M'en allai en rue Percié
Une femme vi destrecié[603]
Pour soi pignier[604], qui me donna
(p. 439) De bon vin. Ma voie adonna
En la rue des Poulies Saint Pou
Et au dessus d'iluec un pou[605]
Trouvai la rue a Fauconniers.
. . . . . . . .
. . . . . . . .
Parmi la rue du Figuier
Et parmi la rue a Nonains
D'Iere, vi chevaucher deux nains
Qui moult estoient esjoi.
Puis truis la rue de Joy
Et la rue Forgier l'Anier,
[606]Je ving en la Mortellerie
Ou a mainte tainturerie
La rue Ermeline Boiliaue
La rue Garnier sus l'yaue
Trouvay, à ce mon cuyer s'atyre[607]:
Puis la rue du Cimetire
Saint Gervais, et l'Ourmeciau,
Sans passer fosse ne ruisseau
Ne sans passer planche ne pont
La rue a Moines de Lonc-pont
Trouvai, et rue Saint Jehan
De Greve, ou demeure Jouan
Un homs qu' n'a pas vue saine
Près de la ruele de Saine
En la rue sus la riviere
Trouvai une fausse estriviere[608].
Si m'en reving tout droit en Gréve
Le chemin de rien ne me gréve
Tantost trouvai la Tannerie
Et puis après la Vannerie
La rue de la Coifferie
Et puis après la Tacherie
Et la rue aux Commenderesses
Ou il a maintes tencheresses[609]
Qui ont maint homme pris o brai[610]
Par le Carefour de Mibrai
En la rue Saint Jacque et ou porce[611]
M'en ving, n'avois sac ni poce[612]:
Puis alai en la Boucherie
La rue de l'Escorcherie
Tournai; parmi la Triperie
M'en ving en la Poulaillerie,
Car c'est la dernière rue
Et si siet droit sur la Grant-rue.
Guillot si fait à tous sçavoir,
Que par deça Grand pont pour voir[613]
N'a que deux cent rues mains six:
Outre Petit-pont quatre-vingt
Dedans les murs non pas dehors.
Les autres rues ai mis hors
De sa rime puisqu'il n'ont chief[614].
Ci vout faire de son Dit chief[615]
Guillot, qui a fait maint bias dits,
Dit qu'il n'a que trois cent et dix
Rues à Paris vraiement
Le dous Seigneur du Firmament
Et sa tres douce chiere Mere
Nous défende de mort amere.
Explicit le Dit des Rues de Paris.
(p. 440) Guillot marque expressément qu'il a exclu de son ouvrage le nom des rues sans chief, c'est-à-dire qu'il ne fait aucune mention des culs-de-sac, de manière que si les noms de quelques-uns de ceux qui existent aujourd'hui se trouvent dans cette nomenclature, c'est qu'ils auront été formés depuis par la construction de quelque édifice, ce qui est arrivé quelquefois, et même dans le siècle dernier.
Il résulte de son calcul qu'il n'y avoit alors que trois cent dix rues à Paris. L'abbé Lebeuf observe que, dans le quartier d'au-delà du Grand pont[616], ce poète compte cent quatre-vingt-quatorze rues, et n'en nomme que cent quatre-vingt-quatre dans ses vers. Ce savant présume que cette différence vient de quelque erreur de copiste, et l'on voit en effet, dans Sauval, qu'en 1300 il existoit plusieurs rues de ce quartier-là qui ne sont point spécifiées dans ce poëme. Il y avoit, par exemple, sur la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, la rue gui d'Aucerre, la rue gui le Braolier, la rue Gilbert l'Anglois; sur celle de (p. 441) Saint-Eustache, la rue de Verneuil, la rue Alain de Dampierre; sur celle de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, la rue Jean Bonne Fille; sur celle de Saint-Jean, la cour Harchier; sur celle de Saint-Méri, la rue Guillaume Espaulart.
Gilles Corrozet, qui vivoit vers le milieu du seizième siècle, ne compte encore dans cette ville que quatre cents rues ou ruelles. Aujourd'hui il y en a plus de mille.
Rue de l'Abreuvoir. Elle alloit du cloître Notre-Dame à la Seine. Lorsque l'endroit vulgairement appelé le Terrain eut été environné de murs, on y laissa un côté ouvert pour conduire les chevaux à la rivière, et c'est de là que cette rue a pris son nom[617].
Rue Sainte-Anne. Elle commence à la rue Saint-Louis, et aboutit à l'une des portes du Palais. Cette rue fut ouverte en 1631, et nommée ainsi en l'honneur de la reine Anne d'Autriche. C'étoit par cette rue que le roi passoit chaque fois qu'il alloit au Palais.
Rue de l'Arcade. Elle donne d'un bout dans la rue de Nazareth, de l'autre dans la cour du Palais, et doit son nom à la voûte qui sert de communication aux bâtiments de la chambre des comptes. Elle se nommoit autrefois rue de Jérusalem, et l'on présume que ce nom lui venoit de l'hospice où saint Louis logeoit les pélerins qui alloient à Jérusalem ou qui en revenoient[618].
(p. 443) Rue de la Barillerie. Elle commence à la descente du pont Saint-Michel, et finit à la rue Saint-Barthélemi. En 1398, la partie de cette rue qui commence à celle de la Calendre se nommoit rue du Pont-Saint-Michel[619]. Dès l'an 1280 elle est appelée Barilleria. Guillot la nomme la grant Bariszerie. Ce surnom de grande a pu lui être donné pour la distinguer d'une ruelle de la Barillerie qui lui étoit parallèle, et alloit de la rue de la Calendre à la rivière. Celle-ci est maintenant coupée et couverte de maisons.
Rue Saint-Barthélemi. Elle continue la rue de la Barillerie, et finit à la place du pont au Change. On ne la distinguoit point de cette dernière au quatorzième siècle. Cependant dès 1220 on lui trouve le nom qu'elle porte encore aujourd'hui[620].
Rue de Basville. On a donné ce nom à une communication de la cour Neuve à celle de Lamoignon, construite par les ordres de Guillaume de Lamoignon, premier président et seigneur de Basville.
Rue de la Calendre. Elle donne d'un bout dans la rue de la Barillerie, et de l'autre dans la rue du Marché-Palu, vis-à-vis celle de Saint-Christophe. Elle portoit ce nom dès 1280; mais on ignore s'il lui venoit d'une enseigne ou si elle le devoit à quelque famille[621]. On (p. 444) trouve dans le censier de saint Éloi de 1343, une maison qui fut à Jean de la Kalendre[622]; une autre indiquée sous le même nom en 1351; et dans celui de 1367, la maison à Nicolas le Kalendreur, où souloient être les lions du roi. Cependant elle n'a pris ce nom que vers le milieu du treizième siècle, et avant cette époque on la voit désignée dans les titres sous la dénomination générale de Via quâ itur à Parvo ponte ad plateam Sancti-Michaelis.
Rue des Trois-Canettes. Elle donne d'un bout dans la rue de la Licorne, et de l'autre dans celle de Saint-Christophe. Elle est désignée sous les deux noms de la Pomme Rouge et des Canettes, dans un arrêt du 4 juillet 1480[623]. Sauval rapporte l'extrait d'un compte de 1421[624], où est indiquée une rue de l'Homme Sauvage, dont la situation annonce de l'identité avec celle-ci. (p. 445) Le peuple a souvent substitué à l'ancien nom des rues celui d'une enseigne ou d'une maison plus remarquable.
Rue des Carcaisons. Elle aboutit à la rue de la Calendre et au Marché-Neuf. Ce nom, dont on ne peut découvrir l'origine, n'a jamais varié que dans la manière de l'écrire, Sauval l'appelle d'Escarcuissons, d'autres, des Carquillons, des Carcuissons ou Carcaissons. Il y a dans cette rue un cul-de-sac du même nom.
Rues Chanoinesse, des Chantres et du Chapitre. On a donné ces noms à trois rues qui sont dans le cloître Notre-Dame. La rue du Chapitre a reçu depuis peu le nom de rue Massillon.
Rue Saint-Christophe. Elle commence au coin de la rue de la Juiverie et du Marché-Palu, et aboutit au Parvis. Elle doit son nom à l'église qui existoit en cet endroit. Dans les anciens titres elle est indiquée sous celui de la Regraterie[625]. Guillot l'appelle grant rue Saint-Christophe pour la distinguer d'une ruelle qui portoit le même nom et qui n'existe plus. Cette ruelle, désignée depuis sous le nom de rue de la Huchette, fut comprise dans le Parvis Notre-Dame.
Dans la rue Saint-Christophe est un cul-de-sac qui porte le nom de cul-de-sac de Jérusalem.
Cloître Notre-Dame. On entend sous ce nom tout l'espace compris depuis le Terrain jusqu'au pont Rouge; de là en suivant les rues d'Enfer et de la Colombe, jusqu'à l'extrémité de la rue des Marmousets, puis en retour l'alignement qui alloit rejoindre la porte placée, avant la révolution, auprès de l'église Notre-Dame. (p. 446) Dans cet espace étoient situées la chapelle de Saint-Agnan, l'église de Saint-Denis-du-Pas et celle de Saint-Jean-le-Rond[626].
Rue Cocatrix. Elle aboutit à la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs et à celle des Canettes. Le nom de Cocatrix est celui d'une famille fort connue au treizième siècle, et du fief qui lui appartenoit[627]. Il étoit situé entre la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs et celle des Deux-Ermites. Un acte de 1300 l'indique ainsi: Domus Cocatricis quæ contigit domui Marmosetorum.
Rue de la Colombe. Elle traverse de la rue des Marmousets dans la rue d'Enfer. On voit dans un acte d'amortissement de deux maisons, fait à l'Hôtel-Dieu[628], qu'elle portoit ce nom en 1223. Cependant Sauval dit qu'elle se nommoit rue de la Couronne en 1408. Jaillot pense qu'il s'est trompé, et que ce nom n'a été donné qu'à la rue du Chevet Saint-Landri.
Rue Sainte-Croix. Elle aboutit aux rues de la Vieille-Draperie et Gervais-Laurent. Au douzième siècle on la nommoit petite rue Sainte-Croix, et dans les siècles suivants, ruelle Sainte-Croix[629].
Rue de la Vieille-Draperie. Elle va de la rue de la Barillerie à celle de la Juiverie, vis-à-vis la rue des Marmousets. C'est une des plus anciennes rues de la Cité: elle étoit en partie habitée par des Juifs; et lorsqu'ils (p. 447) en furent chassés en 1183, Philippe-Auguste y établit des drapiers, auxquels il donna vingt-quatre maisons, moyennant cent livres de rente[630]: c'est ce qui lui fit donner le nom de Judæaria Pannificorum[631]. En 1293 on l'appeloit la Draperie, et en 1313 la Viez-Draperie[632]. Tous les titres du quinzième siècle l'appellent rue de la Vieille-Draperie, et depuis, ce nom n'a pas varié; elle fut élargie à ses deux extrémités dans le dix-septième siècle[633].
Rue Saint-Éloi. Elle traverse de la rue de la Calendre dans celle de la Vieille-Draperie. En 1280 cette rue s'appeloit Cavateria; Guillot la nomme la Chavaterie, et les censives de Saint-Éloi de 1343 et 1367, la Cavaterie et la Saveterie. Enfin elle fut nommée de Saint-Éloi, parce qu'elle fut ouverte sur la partie de l'église et du chœur du monastère de ce saint.
Dans cette rue est un cul-de-sac nommé de Saint-Martial, parce qu'il conduisoit à l'église de ce nom. On disoit ruelle Saint-Macial en 1398[634], ruelle du Porche Saint-Martial en 1404, et rue Saint-Martial en 1459.
Rue d'Enfer. Elle commence à la rue Basse-des-Ursins, et aboutit à la porte du cloître de Notre-Dame et au pont Rouge. On ne doit chercher l'étymologie de ce nom que dans l'ancienne situation de cette rue, qui n'étoit pas alors séparée de la rivière par un quai[635]. Les registres (p. 448) capitulaires de Notre-Dame la nomment via inferior, portus Sancti-Landerici. En 1300, 1313 et depuis, on la nommoit le port Saint-Landri, rue Saint-Landri, du port Saint-Landri, et grant rue Saint Landri-sur-l'Yaue. Vers le milieu du seizième siècle, elle a pris le nom de rue d'Enfer[636]; et dernièrement le nom de cette rue a été changé en celui de rue Basse-des-Ursins.
Rue l'Évêque. Elle commence à la première porte de l'Archevêché, et aboutit à la rivière et au pont de l'Hôtel-Dieu. C'étoit en cet endroit que commençoit le port l'Évêque, c'est-à-dire le rivage qui règne le long du jardin de l'Archevêché, jusqu'au Terrain. On la nommoit, en 1282, rue du port l'Évêque et rue des Bateaux, vicus ad Batellos[637]. La justice du chapitre s'étendoit jusque là, ainsi que le prouvent une de ses ordonnances, et la transaction passée entre Étienne Tempier, évêque de Paris, et le chapitre de Notre-Dame en 1272[638]. Plusieurs autres titres en font également foi.
Rue aux Fèves. Elle va de la rue de la Vieille-Draperie à celle de la Calendre. On n'a guère varié que sur l'orthographe de son nom, mais les différentes façons de l'écrire ont donné lieu à différentes étymologies. Elle est nommée rue aux Fèves dans un titre de 1291[639], ainsi que dans Guillot; et dans les actes du chapitre du quatorzième siècle, etc., vicus Fabarum. D'autres l'ont appelée rue (p. 449) au Feure, mot qui signifie de la paille; ce qui paroîtroit assez plausible, à cause du marché au blé qui en étoit voisin[640]. Enfin il y en a qui ont écrit: rue aux Febvres, aux Fevres (via ad Fabros)[641]. Ce dernier nom paroît le véritable, parce qu'elle est indiquée ainsi dans le plus ancien titre qui en fasse mention. Ce sont des lettres de saint Louis de 1260, par lesquelles il cède trente sous de cens sur une maison; in vico Fabrorum, prope S. Martialem[642].
Rue du Four-Basset. C'étoit un passage qui communiquoit de la rue de la Juiverie dans la rue aux Fèves, et qui est fermé depuis long-temps. Guillot le nomme en 1300 la petite Orberie. Dans le rôle des taxes de 1313 il est indiqué rue du Four-Basset, soit que ce nom lui vînt d'un four bâti en cet endroit, soit qu'il le dût à une grande maison nommée la Cour-Basset, dont il est fait mention dans un censier de Saint-Éloi[643].
Rue Gervais-Laurent. Elle donne d'un bout dans la rue de la Lanterne, et de l'autre dans celle de la Vieille-Draperie. En 1248, 1250, etc., on la nommoit vicus Gervasii Loorandi, vicus de Loorens, Lohorens[644]; en 1300 et 1313, rue Gervese-Lorens. On a dit depuis Gervais-Laurent.
(p. 450) Rue de Glatigny. Elle commence à la rue des Marmousets, et aboutit à la rivière. On donnoit le nom de Glateingni à cette rue et aux environs de Saint-Denis-de-la-Chartre jusqu'à l'hôtel des Ursins. Des titres disent qu'on y voyoit une maison de Glategni, qui, en 1241, appartenoit à Robert et Guillaume de Glatigni[645]. En 1266 on trouve des maisons indiquées in Glatigniaco[646]. Dès le quatorzième siècle, cette rue étoit habitée par des femmes publiques, et on la nommoit le val d'Amour. En 1380 elle avoit aussi le nom de rue au Chevet de Saint-Denis-de-la-Chartre. Mais alors même on la nommoit, comme avant et après, rue de Glatigny.
Rue de Harlay. Elle traverse du quai de l'Horloge à celui des Orfèvres, et doit son nom, comme nous l'avons déjà dit, au premier président de Harlay, à qui le roi avoit donnée, en 1607, les deux petites îles qui étoient au bout du jardin du Palais. En 1672 on abattit une maison, afin d'y pratiquer une porte et un passage qui communiquât à la cour Neuve.
Rue des Deux-Ermites. Elle donne d'un bout dans la rue Cocatrix, et de l'autre dans celle des Marmouzets. En 1220 on la nommoit la cour Ferri de Paris, proprisia Ferrici dicti Paris. On la nomma ensuite rue de la Confrérie Notre-Dame, parce que la maison de la Communalité des Chapelains y étoit située[647], et au seizième siècle, rue de l'Armite, ensuite des Ermites, et des Deux-Ermites, à cause d'une maison qui avoit cette (p. 451) enseigne. En 1640 elle est indiquée dans le rôle des commissaires de ce quartier, sous le nom des Deux Serviteurs[648].
Rue de la Juiverie. Elle continue la rue du Marché-Palu, et aboutit à celle de la Lanterne. Les juifs qui y demeuroient lui ont fait donner ce nom, qui n'a varié que dans l'orthographe. Guillot écrit la Juerie; en 1313, la Juyrie; la Juisvie en 1405, Juiferie et Juifrie en 1450 et 1560. Il y avoit dans cette rue un marché au blé, qu'on appeloit la halle de Beauce. Un titre nous apprend que Philippe-Auguste la donna à son échanson[649].
Rue Saint-Landri. Elle commence à la rue des Marmouzets, et finit à la rivière. Elle étoit anciennement désignée sous le nom de port Notre-Dame[650], et confondue avec la rue d'Enfer et celle des Ursins. En 1267 on la nommoit Terra ad Batellos[651]. L'évêque, vers ce même temps, y avoit une maison, nommée de la Lavanderie[652]. Le bout de ce chemin, vers le pont Rouge, se nommoit Fimus en 1213; Firmarium et vicus Firmarii en 1219 et 1222; rue du Fumer en 1248[653].
(p. 452) Au bout de cette rue étoit une petite ruelle qui aboutissoit à la rivière et qui depuis a été fermée à ses deux extrémités. En 1265 on la nommoit rue Percée[654].
Rue du Chevet-Saint-Landri. Elle donne d'un bout dans la rue des Marmouzets, et de l'autre dans la rue d'Enfer; dès le treizième siècle on disoit le Chevez-Saint-Landri, parce que le fond de cette église, qu'on nomme le Chevet, donnoit dans cette rue. Dans un bail fait en 1451 par l'abbé de Saint-Victor, elle est nommée rue de la Couronne[655]. Il y a dans cette rue un cul-de-sac qui porte le même nom.
Rue de la Lanterne. Elle continue la rue de la Juiverie, et aboutit au pont Notre-Dame. Elle est appelée, dans les cartulaires de Saint-Denis-de-la-Chartre, rue de la place de Saint-Denis-de-la-Chartre, rue devant la place et l'église Saint-Denis, rue devant la Croix Saint-Denis, rue du Pont-Notre-Dame[656]. Son dernier nom lui vient d'une enseigne; et on le trouve dès 1326[657], puis dans la liste des rues du quinzième siècle, dans Corrozet, et sur tous les plans.
Rue de la Licorne. Elle traverse de la rue Saint-Christophe à celle des Marmouzets. En 1269 elle étoit appelée rue près le Chevet de la Madeleine; mais elle étoit déjà connue sous le nom de vicus Nebulariorum, rue as Oubloyers, des Oublayers, Oblayers, aux Obléeurs et Oublieurs[658]. Elle prit le nom qu'elle porte (p. 453) encore aujourd'hui, d'une ruelle qui y aboutissoit, et dans laquelle pendoit une enseigne de la Licorne.
Rue Saint-Louis. Elle aboutissoit au pont Saint-Michel et au quai des Orfèvres. On commença à l'ouvrir sous le règne de Henri IV, pour faciliter la communication avec le pont Neuf. On l'appela d'abord la rue Neuve, et ensuite la rue Neuve-Saint-Louis[659].
Rue du Marché-Neuf. Elle commence au bout du pont Saint-Michel, et aboutit à la rue du Marché-Palu, en face de la rue Neuve-Notre-Dame. On comprend sous ce nom le marché et les deux petites rues qui y conduisent. Guillot l'appelle la grant Orberie. Elle étoit autrefois bouchée du côté du Marché-Palu, et ce ne fut qu'en 1557 qu'on l'ouvrit pour en faire un marché[660]. En 1560 le quai Saint-Michel fut construit[661], et l'on bâtit, quelques années après, dix-sept boutiques, une halle au poisson et deux boucheries aux deux extrémités, vers les deux ponts. Ces travaux ayant été terminés en 1568, les marchands de poissons et d'herbes qui se tenoient près le Petit-Châtelet eurent ordre de s'établir dans ce marché. En 1734, douze maisons furent démolies; on ne conserva qu'une boucherie, et l'on établit un corps-de-garde à l'autre extrémité[662].
Rue du Marché-Palu. Elle commence au petit Pont (p. 454) et finit au coin des rues de la Calendre et de Saint-Christophe. Elle étoit connue sous ce nom au treizième siècle, et il ne paroît pas qu'elle en ait changé depuis[663]. Elle doit sans doute ce titre de Marché à celui qui s'y voyoit de toute ancienneté, et qui s'étendoit dans la rue de la Juiverie. On y vendoit du blé, des herbes et des légumes. Le surnom de Palu lui vient de ce que cet endroit étoit humide et non pavé. Il ne faut pas croire cependant que ce terrain, quoiqu'il ait été depuis considérablement exhaussé, fût alors un marais. Il y avoit une enceinte de murs autour de la Cité, qui en mettoit l'intérieur à l'abri des inondations, et le marché étoit à une certaine distance du rivage; mais les eaux pluviales et toutes celles de la Cité qui passoient par cet endroit pour se rendre à la rivière, comme elles y passent encore aujourd'hui, le rendoient extrêmement marécageux[664].
Rue des Marmouzets[665]. Elle commence à la rue de la Juiverie, et aboutit au cloître Notre-Dame, au coin de la rue de la Colombe. Elle doit ce nom à une grande (p. 455) maison appelée, dans les anciens titres, domus Marmosetorum[666]; ce nom n'a guère varié. Guillot la nomme du Marmouzet; le rôle des taxes de 1313, des Marmozets; la liste des rues du quinzième siècle, des Marmouzettes.
Rue du Haut-Moulin. Elle aboutit aux rues de la Lanterne et de Glatigny. Guillot la nomme rue Saint-Denis-de-la-Chartre. Il paroît, par les titres de ce prieuré, que, dès 1204, elle s'appeloit rue Neuve Saint-Denis[667]; cependant, dans un acte de 1206, elle n'est indiquée que sous le nom de Strata anterior. Au milieu du seizième siècle, cette rue étoit partagée en deux parties; l'une s'appeloit rue Saint-Symphorien, et l'autre des Hauts-Moulins[668].
Rue de Nazareth. Elle commence au quai des Orfèvres, (p. 456) et aboutit à l'hôtel du premier président[669]. Anciennement elle se nommoit rue de Galilée.
Rue Neuve Notre-Dame. Elle aboutit au Marché-Palu et au Parvis de la cathédrale. Elle fut ouverte par Maurice de Sully, évêque de Paris; avant lui il n'y avoit point de rue en cet endroit, et l'on se rendoit de ce coté à Notre-Dame par la rue des Sablons, qui étoit située entre les maisons de cette rue et les bâtiments de l'Hôtel-Dieu. La rue nouvelle prit d'abord le nom de Neuve, qu'elle portoit encore en 1250. On y ajouta ensuite celui de Notre-Dame, qu'elle a toujours conservé depuis.
Il y avoit anciennement quatre rues qui aboutissoient à celle-ci, et qui ne subsistent plus. La première forme un cul-de-sac appelé de Jérusalem; les trois autres s'appeloient rues du Coulon[670], de Venise[671] et du Parvis[672]. Ces trois dernières rues ont été comprises dans l'agrandissement du Parvis et dans les bâtiments des Enfants-Trouvés.
Place du Palais. Elle fut construite, par ordre de Louis XVI, en 1787. Avant cette époque, la rue de la Vieille-Draperie se prolongeoit jusqu'à celle de la Barillerie, à l'exception du vide que formoit l'emplacement de la maison de Jean-Châtel.
Rue de la Pelleterie. Elle aboutissoit d'un côté à la rue Saint-Barthélemi, et de l'autre à la rue de la Lanterne, vis-à-vis Saint-Denis-de-la-Chartre. Au douzième (p. 457) siècle elle étoit occupée par les juifs; et après leur expulsion, Philippe-Auguste, par ses lettres de 1183, donna, moyennant 73 livres de cens, dix-huit de leurs maisons aux Pelletiers, qui s'y établirent, et lui donnèrent leur nom[673]. Auparavant, elle est indiquée sous celui de Macra-Madiana, dont on n'a pu trouver la signification[674]. Depuis 1300, elle a pris le nom de la Vieille-Pelleterie, et ce nom n'a pas changé.
Il y avoit quatre ruelles dans cette rue, l'une étoit désignée sous le nom de Port-aux-Œufs (Voy. ci-après); les trois autres n'étoient connues que sous la dénomination générale de ruelles allant à la Seine[675]. Le côté de la rue de la Pelleterie qui longeoit la rivière a été abattu, et sur l'espace qu'il occupoit on a établi le Marché-aux-Fleurs; l'autre côté de la rue existe, et a conservé son ancien nom.
Rue Perpignan. Elle traverse de la rue des Trois-Canettes dans celle des Marmouzets. Elle s'appeloit au douzième siècle rue Charauri[676], rue de Champrosai en 1399[677]. Ce nom a été altéré depuis, et changé en ceux de Champron, de Champourri, de Champrousiers, des Champs-Rousiers, du Champ-Flori et de Champrosy. Le nom de Perpignan vient de celui d'un jeu de paume qui s'y trouvoit au commencement du seizième siècle.
(p. 458) Rue Saint-Pierre-aux-Bœufs. Elle donne d'un côté dans la rue des Marmouzets, et de l'autre elle aboutit au Parvis. On la trouve indiquée, dès 1206, sous le nom de la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs. Guillot l'appelle rue Saint-Pierre-à-Beus. Les prisons du chapitre étoient anciennement situées dans cette rue.
Le cul-de-sac Sainte-Marine est ouvert dans cette rue. Il portoit au douzième siècle le nom de ruelle Sainte-Marine. Une ordonnance du chapitre de Notre-Dame, du 26 août 1417, ordonna de fermer cette ruelle à l'une de ses extrémités[678]. Elle y est simplement désignée par ces mots: Viculus contiguus Januæ claustris ante S. Johannem Rotundum.
Rue du Port-aux-Œufs. Le Port-aux-Œufs est un des plus anciens de Paris. On en connoît l'emplacement par cette rue ou ruelle qui aboutissoit d'un côté dans la rue de la Pelleterie, et de l'autre à la rivière. En 1259 on la nommoit ruelle Jean-Notteau[679], en 1398 elle s'appeloit rue Garnier-Marcel[680]. Le terrain de cette rue qui a été détruite est maintenant renfermé dans celui qu'occupe le marché aux Fleurs.
Le Terrain. Voy. p. 208.
Rues Haute, Basse et du Milieu des Ursins. Les deux premières sont traversées par celle qu'on appelle du Milieu, et aboutissent d'un côté dans la rue de Glatigny, et de l'autre dans celle de Saint-Landri. Elles tirent leur nom de Juvénal des Ursins, prévôt des marchands, qui occupoit un hôtel au port Saint-Landri. Cet hôtel étant tombé en ruines, fut rebâti vers le milieu du seizième siècle; et on ouvrit sur le terrain qu'il occupoit (p. 459) une rue qui fut appelée rue du Milieu. On croit reconnoître dans la rue Haute celle que Guillot appelle rue de l'Ymage.
Quai des Orfèvres. Il borde la partie méridionale de la cité, depuis le pont Neuf jusqu'au pont Saint-Michel. Dans le projet de construction du premier de ces deux ponts, on fit entrer celui d'ouvrir une rue qui allât au pont Saint-Michel, et de là à Notre-Dame. Pour l'exécuter, on coupa en partie l'île de la Gourdaine, du côté du grand cours de l'eau; on détruisit le moulin, et sur les deux côtés du triangle on construisit les deux quais que nous y voyons aujourd'hui. Ils furent commencés en 1580, ensuite interrompus, puis repris vers le temps où l'on achevoit le pont Neuf, enfin terminés en 1611. L'année suivante, le président Jeannin obtint la permission d'y faire bâtir des maisons ou boutiques, partie sur le quai, partie sur la rivière, et des échoppes le long des murs du Palais: il n'y eut de construit que les échoppes qui viennent d'être abattues.
Quai de l'Horloge ou des Morfondus. Il s'étend du côté septentrional de la Cité, depuis le pont Neuf jusqu'au pont au Change. Le nom de quai de l'Horloge lui vint de l'horloge du Palais, située à son extrémité; celui de quai des Morfondus de sa situation qui est exposée au vent du nord.
Rue de Bretonvilliers. Elle aboutit à la rue Saint-Louis et sur le quai Dauphin. Elle doit son nom à l'hôtel qui est situé à l'extrémité méridionale de l'île.
Rue de la Femme-sans-Tête. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Louis, et de l'autre sur le quai de Bourbon. Elle portoit dans toute sa longueur le nom de rue Regrattier. Une enseigne représentant une femme sans tête lui fit donner ce nom.
Rue Guillaume. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Louis, de l'autre sur le quai d'Orléans, et doit son nom à Guillaume, père d'un des derniers entrepreneurs des bâtiments de l'île Saint-Louis.
Rue Saint-Louis. Elle traverse l'île dans toute sa longueur, et doit ce nom à l'église qui s'y trouve située. Suivant le plan de Messager, elle porta d'abord le nom de Palatine jusqu'à celle des Deux-Ponts; depuis celle-ci jusqu'au bout on l'appeloit rue Carelle. En 1654 on la nommoit rue Marie.
Rue des Deux-Ponts. Elle est ainsi nommée à cause de sa situation entre le pont de la Tournelle et le pont Marie, auxquels elle communique par ses deux extrémités. Elle est appelée rue Saint-Louis sur le plan de Messager.
Rue Poulletier. Elle traverse l'île Saint-Louis, et (p. 461) aboutit aux quais d'Alençon et des Balcons. Sur le plan de Messager elle est indiquée sous le nom de Florentine. Elle doit celui qu'elle porte à M. Le Poulletier, trésorier des Cent-Suisses, l'un des associés du sieur Marie.
Rue Regrattier. C'est la prolongation de la rue de la Femme-sans-Tête. Elle aboutit au quai d'Orléans. Messager la nomme rue Angélique. Le nom qu'elle porte vient de celui de M. Le Regrattier, autre associé du sieur Marie. Elle porta d'abord ce nom dans toute sa longueur jusqu'au quai Bourbon.
Quai de Bourbon. Il s'étend sur le côté septentrional de l'île, à partir de la pointe qui regarde la Cité jusqu'au pont Marie.
Quai d'Anjou. Ce quai fait la continuation du précédent, et du même côté jusqu'à l'extrémité orientale de l'île.
Quai d'Orléans. Il commence, de même que le quai Bourbon, à la pointe de l'île, et s'étend, du côté méridional jusqu'au pont de la Tournelle.
Quai Dauphin ou des Balcons. C'est la continuation du quai d'Orléans; et de même que le quai d'Anjou, il vient finir à la pointe orientale de l'île.
Les plus connues de ces antiquités sont les pierres cubiques découvertes en 1712, sous le chœur de l'église cathédrale, elles sont au nombre de neuf, et toutes (p. 462) chargées sur leurs diverses faces de bas-reliefs et d'inscriptions. La plus grande a trois pieds et quelques pouces de hauteur, la plus petite environ un pied et demi.
Sur l'une de ces pierres on lit l'inscription suivante:
TIB. CAESARE. AUG. JOVI. OPTUMO
MAXSUMO . . . . M. NAUTAE. PARISIAC.
PUBLICE POSIERUNT.
En restituant les quatre lettres qui manquent dans l'espace fruste qui précède la lettre M, on traduit ainsi cette inscription: Sous Tibère César Auguste, les NAUTES parisiens ont publiquement élevé cet autel à Jupiter très-bon, très-grand. Ainsi, le sujet du monument se trouve expliqué; et nous apprenons en même temps qu'il y avoit à Paris, sous le règne de Tibère, une association de gens qui y faisoient le commerce ou le transport des marchandises par eau.
Ces pierres, toutes couvertes de bas-reliefs, présentent d'abord plusieurs divinités du paganisme indiquées par leurs noms: IOVIS (Jupiter), VOLCANVS (Vulcain), CASTOR (Castor); une autre figure placée à côté de celle-ci, et dont l'inscription a été effacée, est évidemment POLLVX. On a cru y reconnoître encore Vénus et Mercure; puis viennent ensuite deux divinités gauloises indiquées par ces deux mots: ESVS et CERNVNNOS, que l'on croit être le dieu de la guerre et celui qui présidoit aux forêts, le Mars et le Pan des Grecs et des Romains.
On y voit encore un taureau surmonté de trois grues avec cette inscription: TARVOS TRIGARANVS (taureau à trois grues), animal mystique qui étoit pour les Gaulois un objet de vénération; puis des soldats armés de piques et de boucliers, un prêtre gaulois et plusieurs autres (p. 463) figures qui ont exercé la sagacité des antiquaires, et sur lesquelles on n'a pu présenter jusqu'à présent que des conjectures d'un assez médiocre intérêt.
Ce Cippe quadrangulaire fut découvert en 1784, et à une assez grande profondeur, dans une fouille que l'on fit en face de la rue de la Barillerie, pour établir les fondations d'une partie des bâtiments du Palais de Justice: il a cinq pieds dix pouces de hauteur, ne porte aucune inscription, et présente, sur ses quatre faces, des figures de trois pieds et demi de hauteur, parmi lesquelles on reconnoît facilement Mercure qui s'y montre accompagné de tous ses attributs. Une autre figure armée de l'arc et du carquois semble être une image d'Apollon; mais elle tient d'une main un poisson, et de l'autre s'appuie sur un gouvernail, ce qui pourroit aussi indiquer une divinité qui présidoit à la navigation; la troisième figure est celle d'une femme, et cette femme porte un caducée, attribut qui ne nous paroît pas pouvoir être facilement expliqué; enfin une quatrième figure a des ailes au dos, tient un globe à la main, et est coiffée du pétase ailé, symbole spécialement consacré au fils de Maïa. On s'est encore épuisé en conjectures sur ce monument, beaucoup plus qu'il ne méritoit; et nous nous garderons bien d'ennuyer nos lecteurs de cette obscure et stérile érudition.
Au reste toutes ces sculptures, tant sur le cippe que sur l'autel, sont du travail le plus barbare[681].
Pont Neuf. Ce pont vient d'être réparé et surbaissé à ses deux extrémités, ce qui en rend la pente plus douce. À côté du terre-plein qui porte la statue d'Henri IV, est placé l'un de ces établissemens publics connus sous le nom de Bains-Vigier. L'escalier qui conduit à ces bains est un morceau de charpente qui mérite d'être remarqué.
Place Dauphine. Au milieu de cette place on a construit une fontaine, espèce de monument consacré à la mémoire du général Desaix, tué à la bataille de Marengo. Cette fontaine, dont la forme est ronde, s'élève sur un soubassement, composé d'assise de pierres en retraite, et orné d'inscriptions. Quatre têtes de lions versent l'eau dans des bassins circulaires; deux génies, une couronne de lauriers, des médaillons, des sphinx, deux fleuves, le Nil et le Pô, ornent la surface du piédestal, que surmonte le portrait du général français, en forme d'Hermès. Un jeune guerrier coiffé d'un casque et costumé à la grecque, lui pose une couronne sur la tête. Ce monument, d'un beau style, mais d'une exécution sèche et roide, a été sculpté par M. Fortin, sur les dessins de M. Percier.
Sainte-Chapelle. La couverture de l'escalier extérieur de ce monument a été abattue: on répare, en ce moment, cet escalier qui restera découvert.
Grand'salle du Palais. On y construit maintenant, dans la partie latérale, une grande niche qui sans doute est destinée à recevoir une statue colossale.
La Morgue. C'est un lieu ouvert au public, où l'on dépose les cadavres des personnes mortes de mort violente, (p. 465) que la police a fait recueillir, et dont aucun signe ne constate l'identité. La Morgue, située autrefois dans les bâtimens du Grand-Châtelet, a été transportée, depuis la révolution, dans le quartier de la Cité, et dans un édifice que l'on a construit exprès pour cette destination. C'est un petit bâtiment carré, d'un bon style, orné de quatre pilastres doriques et de bossages. Il s'élève sur la place du Marché neuf, à l'un des angles du pont Saint-Michel.
Marché aux Fleurs. Il a été construit, comme nous l'avons dit, sur le terrain qu'occupoit cette partie de la rue de la Pelleterie dont les maisons étoient situées sur le bord de l'eau; et il s'étend dans tout l'espace qui sépare le pont au Change du pont Notre-Dame. Cet espace a été planté d'arbres, et au milieu sont deux coupes circulaires, recevant l'eau d'une gerbe qui s'élève au milieu.
Église Saint-Pierre-des-Arcis. C'est par erreur que nous avons dit qu'elle existoit encore. Elle vient d'être abattue; et sur la place qu'elle occupoit, on a ouvert une rue nouvelle qui porte le nom de rue Neuve-du-Quai-aux-Fleurs.
Parvis Notre-Dame. Deux fontaines ornent cette place: elles sont formées par deux niches pratiquées dans le bâtiment des Enfants-Trouvés. Ces deux niches sont ornées de coquilles; et deux têtes de lions versent de l'eau dans des cuvettes que surmontent deux vases enrichis de feuillages et de bas reliefs.
Église Notre-Dame. On a fait à cette église des réparations considérables, principalement au portail latéral nord, qui est remarquable par la richesse et la beauté de ses ornemens. Dans l'intérieur la nef a été garnie de nouveau, des deux côtés et dans toute son étendue, des tableaux dont on l'avoit dépouillée, à l'exception de deux ou trois (p. 466) des plus excellents qui sont restés dans le musée du Roi. Une nouvelle grille en fer, ornée de bronzes dorés et d'un très-beau travail, ferme l'entrée du chœur et les arcades du rond-point; et tous les lambris extérieurs de cette partie de l'église sont revêtus de marbres précieux, parsemés de fleurs de lys en bronze doré. Sur le toit de l'église, du côté du rond-point, on a élevé une croix dorée.
La chapelle de la Vierge et celle qui la suit, sont ornées de trois tableaux donnés par la ville, et exécutés par des artistes modernes: la Mort de la Vierge, par M. A. Pujol; la Résurrection du fils de la veuve de Naïm, par M. Gauterot; la descente de Jésus-Christ aux Limbes, par M. Delorme. Deux de ces tableaux doivent surtout être remarqués pour le mérite de la composition et de l'exécution.
Dans la chapelle située à gauche de celle de la Vierge, est le monument du cardinal de Belloy, archevêque de Paris, mort en 1808. Ce mausolée, d'une grande dimension, représente le prélat assis sur son sarcophage; d'une main il donne une bourse à des femmes qui la reçoivent avec l'expression d'une vive reconnoissance; de l'autre il tient le livre des Psaumes ouvert sur ce verset: Beatus qui intelligit super egenum et pauperem; in die malâ liberabit eum Dominus (Ps. XL, I); à ses côtés un prêtre porte la crosse cardinale à double bec; à ses pieds sont placés d'autres attributs de sa dignité. M. Desenne est l'auteur de ce groupe dont la composition est digne d'éloge, et qui présente, surtout dans les draperies, de véritables beautés d'exécution.
Archevêché. Tout ce qui restoit encore des anciennes constructions du palais épiscopal, depuis et non compris (p. 467) la chapelle jusqu'à l'Hôtel-Dieu, a été démoli; ce terrain a été clos de murs, et des deux côtés on a placé des loges de portier. Du côté où est le bâtiment neuf qui sert maintenant de demeure aux archevêques, il a été ouvert une porte d'entrée et élevé un mur qui sert d'enclos à ce bâtiment. Le jardin qui se prolonge ensuite jusqu'au quai est en partie entouré d'une grille en fer; et dans ce jardin on a renfermé le terrain qu'occupoit la rue dite de l'Abreuvoir.
Pont de la Cité. Ce pont, qui a remplacé le pont Rouge, est formé de deux arches en bois, lesquelles sont portées sur un pilier de maçonnerie, placé au milieu du petit-bras de la Seine qui sépare les deux îles de la Cité et de Saint-Louis. Ce pont, recouvert en fer-blanc peint, avoit toutes les apparences d'un pont en pierres; mais il avoit été construit avec si peu de solidité, que, quoiqu'il n'y passât que des gens de pied, il menaçoit ruine au bout de quelques années, et qu'il a fallu le réédifier. Les nouveaux arceaux, composés de plusieurs pièces de bois liées ensemble par des bandes de fer, offrent l'aspect d'une charpente solide et bien exécutée. Cette charpente est restée à découvert.
Quais Nouveaux. Ils font la continuation des deux quais des Orfèvres et de l'Horloge, et entourent l'île entière de la Cité, à l'exception de l'Hôtel-Dieu, et du groupe de maisons qui touche l'angle du Petit pont vers le marché Neuf.
Au côté méridional, le quai qui a pris la place de la rue Saint-Louis, et qui se prolonge jusqu'au Marché-Neuf, (p. 468) a pris le nom du quai des Orfèvres dont il est la continuation.
Au côté septentrional, la partie du quai qui suit celui de l'Horloge, porte depuis le pont au Change jusqu'au pont Notre-Dame le nom de quai aux Fleurs; depuis ce dernier pont jusqu'à celui de la Cité, on le nomme quai de la Cité; en retour et jusqu'au pont au Double, il n'a point encore de dénomination: il est probable qu'on le nommera quai de l'Archevêché.
FIN DU QUARTIER DE LA CITÉ,
ET DE LA PREMIÈRE PARTIE DU PREMIER VOLUME.
PREMIER VOLUME.—PREMIÈRE PARTIE.
QUARTIER DE LA CITÉ.
Erratum. P. 57, ligne 6 de la note, Ledis; lisez Lides.
1: 1532.
2: Théâtre des Antiquités de Paris, in-4o, 1612. L'auteur y ajouta un supplément en 1614; il fut réimprimé avec quelques additions en 1639.
3: MM. de Valois et de Launoy.
4: Il est un grand nombre de savants recommandables dont les excellents travaux ont jeté de grandes lumières sur les antiquités de Paris, tels que Adrien de Valois, les auteurs de la France chrétienne, le savant académicien M. Bonami, etc., etc. Nous en avons tiré de grands secours, et nous aurons souvent occasion de les citer; mais ils ne peuvent être comptés au nombre des historiens de cette capitale.
5: Nous avons conservé, dans cette nouvelle édition, la division de trois volumes, consacrée en quelque sorte par cette disposition des matières, division qu'il eût été impossible de changer, sans détruire l'accord des parties et l'ensemble de l'ouvrage. Mais comme ces volumes eussent été d'une grosseur démesurée dans le format in-8o, que nous avons adopté, il a été nécessaire de les diviser chacun en deux parties, séparées par des titres, et réunies par la suite de la pagination; de cette manière l'ouvrage, qui, dans la première édition, se composoit de 3 volumes in-4o, offrira, dans la deuxième, six demi-volumes in-8o.
6: Joan., XVI, 13.
7: Luc., II, 14.
8: Saint-Pétersbourg.
9: Les Gaulois, bien qu'ils eussent quelque connoissance de l'écriture, ne vouloient rien écrire de leur histoire et des mystères de leur religion; ils les faisoient apprendre de mémoire à leurs enfans, et eux-mêmes ne les savoient que par les traditions et les chants guerriers de leurs ancêtres.
10: Leurs maisons étoient construites de bois et de terre, couvertes de paille et de chaume, et sans cheminées. Ils se servoient de fourneaux pour faire cuire leurs aliments et pour se garantir du froid, usage qu'ils ont conservé long-temps, et qui subsistoit encore du temps de l'empereur Julien. Vers ce même temps, ils commençoient à élever des figuiers autour de la ville, et y cultivoient des vignes, qui produisoient d'excellent vin. (Jul. Misopog).
11: Lutetia oppidum est Parisiorum positum in insulâ fluminis Sequanæ. César, C.
12: Ils adoroient Mars[12-A], Isis, Cybèle et d'autres divinités du paganisme. Le collége des prêtres d'Isis étoit à Issi; et l'église de Saint-Vincent, depuis Saint-Germain-des-Prés, fut bâtie sur les ruines de son temple. Mercure, ou Pluton (car c'étoit le même chez les Gaulois), avoit le sien sur le mont Leucolitius, sur lequel s'élèvent maintenant les Carmélites de la rue Saint-Jacques; et vers l'endroit où est Saint-Eustache, il existoit un édifice consacré à Cybèle. Tous ces temples n'étoient, avant les Romains, que des bocages; et ces dieux avoient alors d'autres noms.
12-A: Le temple de ce dieu étoit à Montmartre qui en a retenu le nom. Cependant Hilduin, qui écrivoit sous le règne de Louis-le-Débonnaire, l'appelle aussi Mons Martyrum, d'après une ancienne tradition qui veut que saint Denis et ses compagnons aient souffert le martyre en cet endroit.
13: Boëce, qui écrivoit peu de siècles après ce grand événement, et qui étoit sénateur romain, dit: Lutetiam Cæsar usque adeò ædificiis adauxit, tamque fortiter mœnibus cinxit, ut Julii Cæsaris civitas vocetur.
14: Ils mirent entre ces villes de grandes distinctions: quelques-unes furent regardées comme alliées; il y en eut qui furent honorées du nom de colonies, d'autres de celui de municipales; ils établirent des préfectures au milieu des peuples les plus mutins; et toutes les villes qui avoient fortement résisté, furent réduites à la condition des vectigales.
15: Le commissaire Delamare. Le nom de Chambre de César qu'a conservé une des chambres du grand Châtelet, et l'inscription Tributum Cæsaris qu'on lisoit sous l'arcade, lui avoient fait adopter cette opinion, soutenue d'ailleurs avant lui par divers historiens de Paris. Lorsque nous parlerons en détail de ce monument, nous donnerons les raisons qui nous déterminent à la rejeter.
16: On ne peut douter qu'il n'y ait eu un palais dans l'île même; mais aucun de nos historiens ne nous apprend ni quand ni comment il fut bâti, ni quel étoit alors son usage. Nous y reviendrons incessamment.
17: «Paris étoit dès lors une ville commerçante, dit le président Hénault, et les Nautæ Parisiaci étoient une compagnie de négociants», mais il se trompe lorsqu'il ajoute qu'on y venoit de tout l'Orient, les Syriens surtout, qui donnèrent leur nom à la rue des Arcis. Cette étymologie est fausse; nous donnerons ailleurs sur ce corps des Nautæ Parisiaci tous les renseignements les plus exacts qu'il a été possible de se procurer jusqu'à présent.
18: Egressus Clodoveus à Turonis Parisios venit, ibique cathedram regni constituit. Greg. Tur., Hist. Franc., lib. 1.
19: Le commissaire Delamare.
20: Les maisons qu'ils construisirent formèrent, dit-on, ces rues sales et étroites de Saint-Bon, de la Tacherie, du Pet-au-Diable, et autres adjacentes.
21: Quartier des Halles.
22: Les rues Culture-Sainte-Catherine et Culture-Saint-Gervais (on prononçoit Coulture) s'appellent ainsi de ce mot, qui signifie des endroits propres à être cultivés. Il y avoit une grande quantité de ces terrains appartenants à des églises, à des abbayes, tant au dedans de Paris qu'au dehors, la Coulture-Saint-Éloi, la Coulture du Temple, celle de Saint-Martin, celle de Saint-Lazare, celle de Saint-Magloire, etc., etc.
23: Au nord, du côté de la ville, le bourg Thiboust, les bourgs l'Abbé et Beaubourg, et l'ancien et le nouveau bourg Saint-Germain-l'Auxerrois. Ils furent en partie renfermés dans l'enceinte que fit faire Philippe-Auguste, et qui fut achevée en 1121. Les rues de ces bourgs en ont toujours conservé les noms. Le commissaire Delamare convient qu'ils étoient séparés de Paris et de ses faubourgs par des prés, des marais et des terres labourées; on peut juger par là du peu d'étendue des faubourgs.
(Note de Saint-Foix.)
24: Les premiers faubourgs, du temps des Romains, furent élevés du côté de l'Université. Saint-Ouen et Frédégaire font aussi mention de deux faubourgs bâtis également de ce côté; l'un qui environnoit l'église Saint-Vincent, depuis Saint-Germain-des-Prés; l'autre, qui étoit situé près de Saint-Pierre, depuis Sainte-Geneviève.
25: La livre numéraire de France doit son institution à Charlemagne; ce fut lui qui fit tailler, dans une livre d'argent, vingt pièces qu'on nomma sous, et dans un de ces sous, douze pièces qu'on nomma deniers; en sorte que la livre d'alors, comme celle d'aujourd'hui, étoit composée de deux cent quarante deniers. Les sous et les deniers ont été d'argent fin jusqu'au règne de Philippe Ier, père de Louis-le-Gros; on y mêla un tiers de cuivre en 1103, moitié dix ans après, les deux tiers sous Philippe-le-Bel, et les trois quarts sous Philippe de Valois. Cet affoiblissement a été porté au point que vingt sols, qui, avant le règne de Philippe Ier, faisoient une livre réelle d'argent, n'en renferment pas aujourd'hui le tiers d'une once. On prétend que Charlemagne étoit aussi riche, avec un million de revenu, que Louis XV avec soixante-douze millions. Vingt-quatre livres de pain blanc coûtoient un denier sous le règne de Charlemagne: ce denier étoit d'argent fin sans alliage. On peut voir, par la valeur qu'il auroit dans ce temps-ci, si le pain et les autres denrées étoient plus ou moins chères alors qu'à présent. Douze livres, du temps de Louis-le-Gros, feroient, je crois, environ douze fois trente-quatre livres de ce temps-ci. (Note de Saint-Foix.)
Suger, abbé de Saint-Denis, et ministre d'état de Louis-le-Gros et de Louis-le-Jeune, se glorifie, dans le livre qu'il a écrit sur son administration, d'avoir élevé les produits de cette porte de douze francs à cinquante.
26: Les écoles de Paris étoient, de temps immémorial, autour du parvis de Notre-Dame, et dépendoient du chapitre de cette église. Sous Louis-le-Jeune, la foule des étudiants devint si grande, à cause du mérite et de la réputation des maîtres qui professoient alors, qu'il fut permis à plusieurs facultés d'aller s'établir au-delà de la rivière. En 1244 cette permission devint générale et sans restriction pour tous ceux qui se livroient à l'enseignement des sciences.
27: À tant d'éclat et de prospérité, il faut joindre l'avantage d'une des plus belles positions qu'il soit possible d'imaginer. Paris, presque entièrement situé dans une plaine, environné de campagnes cultivées, de bois, de prairies, de vallées, de collines, que couvrent une foule de châteaux, de maisons de plaisance, de bourgs, de villages, et dont les productions sont chaque jour étalées dans ses marchés, reçoit encore, au moyen du grand fleuve qui le traverse, les tributs des provinces les plus fertiles de la France. L'Yonne, la Marne, l'Oise, l'Aisne, un grand nombre de canaux qui s'y jettent, les lui apportent continuellement, et la Seine elle-même, facile à remonter, le fait jouir de toutes les richesses de la Normandie et de l'Océan.
28: Cette ville occupe aujourd'hui environ deux lieues de diamètre sur six de circonférence.
29: Abbon: poem. de bello Paris. lib. I, vers. 15.
30: V. pl. 1. Il est probable qu'elle fut élevée après cette dernière et furieuse attaque des Normands, à laquelle les habitants de Paris opposèrent une si longue et si belle résistance; on voulut préserver d'une nouvelle invasion les faubourgs que ces barbares avoient déjà tant de fois saccagés, et dont les plus considérables étoient du côté de la ville.
31: On voudra bien observer qu'on se sert ici de noms de rues, de couvents et de maisons dont une partie n'existoit point alors. Les cartes mêmes qui offrent ici la position exacte des principaux monuments, ne peuvent donner une idée satisfaisante des rues, dont plusieurs ont changé de nom deux ou trois fois dans un siècle, dont quelques-unes ont été comblées et couvertes d'édifices, tandis que de nouvelles étoient percées à côté. Il n'y a aucun moyen d'éclaircir des choses dont on a perdu toutes les traces; et, du reste, il est ici peu intéressant de le faire.
32: Les murs de cette ancienne clôture subsistoient encore proche la porte des Baudets, du temps de Saint-Louis. (Delamare).
33: Voyez pl. 2.
34: Saint-Foix et Delamare.
35: Depuis J.-J. Rousseau.
36: Du nom d'une famille de Paris.
37: Il y avoit en outre sept autres portes moins grandes, dites fausses portes, sans compter les portes particulières, que plusieurs personnes de distinction, dont les maisons étoient accolées aux murailles, obtinrent la permission de faire percer dans leur enclos, pour pouvoir sortir plus facilement de la ville.
38: Nous disons à peu près tracée; il est aisé de se figurer où passoit précisément cette enceinte, en pensant que ces rues ont été bâties sur les fossés, et que ces fossés étoient devant les murailles.
39: Abattues en 1684.
40: Ainsi nommée de Simon de Buci, le premier qui ait porté le titre de premier président.
41: Abattues l'une et l'autre en 1672. Une inscription en lettres d'or sur un marbre noir indique, dans la rue Dauphine, l'endroit où étoit située la porte désignée sous le même nom. C'est à la maison no 50 qu'est attachée cette inscription.
42: Voy. pl. 3.
43: Cette porte a été abattue quelque temps avant la révolution.
44: Cette île, sur laquelle on n'éleva des maisons que sous le règne de Henri IV, est formée de la réunion de deux îles, dont la plus grande se nommoit anciennement l'île Notre Dame, et la plus petite l'île aux Vaches.
45: Au commencement du règne de Henri IV, les îles Saint-Louis et du Palais n'étoient encore que des prairies. Une partie des environs du Temple étoit en terres labourables, et le parc du palais des Tournelles, au quartier Saint-Antoine, en friche et inhabité.
46: Les guerres qui désolèrent la France sous les règnes qui précédèrent ce prince ayant mis dans la nécessité d'augmenter les tailles, plusieurs habitants de la campagne vinrent s'établir à Paris; ce qui engagea les propriétaires des terres qui environnoient ses murs à élever de nouvelles constructions, et on accrut ainsi les faubourgs. (Delamare.)
47: Voyez pl. 4.
48: Voy. pl. 5.
49: À la pointe occidentale de la Cité.
50: La rue qui aboutit du carrefour des Petits-Pères à la place des Victoires, en a conservé le nom.
51: Vis-à-vis la rue Royale.
52: Voy. les pl. 6 et 7. Cette clôture vient d'être agrandie sur un point de sa partie méridionale, à partir de la barrière Fontainebleau jusqu'au bord de l'eau. Par ce moyen on a renfermé dans Paris le village d'Austerlitz, situé dans la plaine d'Issy.
53: Donnée le 12 décembre 1702, et enregistrée le 5 janvier 1703.
54: Un moine de Fleuri-sur-Loire, nommé Asdrevald, déplorant le triste état auquel les incursions des Normands avoient réduit Paris, dit que cette ville n'étoit plus alors qu'un monceau de cendres.
55: Lamprid. in Alex; Vopis. in Aurel; id. in Prob.
56: Pour de telles donations, les empereurs préféroient d'ordinaire les gentils ou nationaux aux Romains, les jugeant plus propres à garder des frontières qui étoient en même temps leur propre pays, et où ils avoient leur famille, leurs propriétés, tous leurs intérêts. De là l'origine du mot gentilhomme. (Voyez le Cod. Theod., liv. 7, tit. 15.)
57: Lib. 18, et ib. 19.
58: On les appeloit aussi prétentures, parce qu'elles formoient une chaîne, derrière laquelle les provinces étoient en sûreté.
59: Amm. Marcell., lib. 16.
60: Amm. Marcell., lib. 29.
61: Cod. Theod., lib. 7, tit. 22, leg. 8.
62: Amm. Marcell., lib. 20.
63: C'est ce qu'on appeloit terres létiques. On nommoit Leti les barbares qui les avoient obtenues, et ils formoient dans l'empire des corps particuliers qui devinrent une partie considérable de la milice romaine. (Cod. Theod., lib. 13, tit. 4, leg. 9.)
64: Procop., De bell. goth., lib. 1.
65: Il n'étoit pas rare de voir des barbares à la fois rois de leur nation et officiers de l'empire (Amm. Marc., lib. 26, 29, 31); et, loin de se croire avilis par l'exercice de ces dignités romaines, ces chefs de peuplades n'ambitionnoient rien tant que de s'en voir revêtus. Pour les obtenir, ils prêtoient serment aux empereurs; mais autant qu'il leur étoit possible, ils ne se faisoient point ses clients; ils ne se dévouoient point. (Ibid., lib. 17.) Ils auroient regardé ce dévouement comme une espèce de dégradation. Il est probable qu'ils se servirent à l'égard des Romains de la même formule, dont usoient chez eux les hommes libres, lorsqu'ils s'engageoient au service d'un de leurs chefs, d'où résultoit un engagement qui, sous le moindre prétexte, pouvoit être rompu.
66: Greg. Tur., lib. 2, cap. 9.
67: De bell. goth.
68: Sur cette intelligence des évêques avec Clovis, les soi-disant philosophes n'ont pas manqué de leur reprocher d'avoir trahi leurs maîtres légitimes. Et cette sottise est répétée, chaque fois que l'occasion s'en présente, par des gens qui ne reconnoissent ni maîtres ni légitimité. Nous aurons bientôt occasion d'examiner si en effet les barbares goths et ariens étoient les maîtres légitimes des évêques catholiques et romains; et cet examen ne sera pas long. (Voyez l'article Églises et Monastères.)
69: Aim., lib. 3, c. 88, et lib. 4, c. 61. Greg. Tur. append. c. 20 et 108. Hist., lib. 9, c. 10. Cap. Car. calv., tit. 14, etc.
70: Greg. Tur. hist., lib. 6, c. 2, lib. 8, c. 43.—Aim. lib. 3, c. 46. Cap., De villis.
71: Voyez de Buat, t. 2, p. 169 et suivantes.
72: Cap., De villis, c. 43, 45, 64, leg. alam., tit. 19, c. 7 et tit. 30.
73: Ce n'est point sans doute ici le lieu de réfuter tout ce qui se débite, dans nos tribunes publiques et dans nos journaux, de niaiseries et d'absurdités sur la servitude, ni de chercher quelle en est la nature et l'origine. Toutefois un ancien auteur (Albert de Staden) nous indique ce qu'elle étoit chez les peuples du Nord, lorsqu'il fait dériver le nom de Lides ou Litons, qu'on y donnoit aux esclaves, du mot qui signifie la permission qu'un vainqueur donne aux vaincus de continuer de vivre; et nous apprenons de Tacite (De mor Germ.) que, beaucoup plus humains que les Grecs et les Romains si fiers de leur police et de leurs lois, ces peuples ne condamnoient point leurs captifs aux pénibles services de la domesticité; mais que, leur distribuant des terres, ils exigeoient seulement d'eux un tribut en blé, en étoffes, en bétail, redevance qui en faisoit des espèces de fermiers, et au-delà de laquelle on ne leur demandoit plus rien. Tels avoient été les colons chez les Romains, de même attachés à la glèbe, mais protégés par des lois infiniment plus douces que celles des esclaves, et qui les mettoient à l'abri des caprices et des violences de leurs maîtres. (S. August., De civ. Dei, lib. 10, c. 2. Cod. Theod. tit. De colonis.) De même que ces colons romains, les serfs des Germains pouvoient acquérir un propre et posséder un pécule. La loi des Lombards les appela serfs rustiques, par opposition aux serfs ministériaux qui étoient des espèces d'esclaves (Cap. addit. ad leg. Long. an. 801, c. 6.), mais qui furent toujours peu nombreux chez les Francs. Et lorsqu'ils eurent pénétré dans les Gaules, ils les remplacèrent par le vasselage, qui, sans détruire la liberté et même une sorte d'égalité, emportoit avec lui certains devoirs de domesticité. Ainsi le serf continua d'être attaché à la culture des terres, et les hommes libres vécurent avec des hommes libres, jusqu'à ce que le Christianisme, source de toute liberté, eût opéré ce prodige, nouveau dans le monde, d'une société sans esclaves.
74: Voyez de Buat. t. 2, p. 303 et seqq.
75: De Buat, t. 2, p. 444 et seqq
Les monuments anciens nous apprennent que le produit de ces terres fiscales suffisoit à l'entretien de la maison du prince, à sa représentation, et au soulagement de ceux qui étoient dans l'indigence; et l'on peut croire que ce dernier emploi en étoit le plus considérable, puisque l'on appeloit aumôniers plusieurs des trésoriers des finances royales, et aumône du roi, le trésor dans lequel certains revenus étoient déposés. Ces mêmes actes nous offrent des témoignages authentiques de cette charité admirable des rois des deux premières races envers les malheureux. Les sommes qu'ils consacroient annuellement au soulagement des pauvres étoient immenses, et la partie la plus considérable de l'argent monnoyé qui entroit dans leurs coffres y étoit destinée. (Cap. Car. calv., tit. 27, 53. Cap. syn. Vernens., an. 755, c. 23. Cap., an. 802, c. 29.)
76: Cap. Car. calv., tit. 36, c. 20.—Les Francs étoient de même jugés selon leur loi, quelque part qu'ils se trouvassent (Cap., De Villis); mais il est certain que, dans la punition des crimes, lorsque les parties intéressées étoient de loi différente, on suivoit toujours la loi de l'offensé. (Cap. Car. calv., tit. 36, c. 20.)
77: Toutefois il est important de remarquer que, dans le principe, tous les grands seigneurs n'étoient pas vassaux. Les ordonnances des rois carlovingiens distinguent le cantonnier ou possesseur d'un bénéfice militaire, du libre propriétaire, et par conséquent le serf propre du serf cantonnier. (Agobard, De privileg. et jure sacerdot., c. 2.) Le noble franc qui n'avoit point voulu joindre de grands fiefs aux propriétés qu'il avoit reçues de ses ancêtres, et déroger par un hommage à la liberté qui étoit le privilége de sa naissance, n'étoit obligé de prendre les armes que pour la défense de la patrie. Ce fut la raison pour laquelle Clovis, lorsqu'il voulut se faire chrétien, se vit abandonné par un grand nombre des hommes libres qui l'avoient suivi. Ses vassaux seuls crurent que le devoir du vasselage les obligeoit d'embrasser la religion de leur prince. Ce fut à ces fidèles qu'il donna, après la conquête, de grandes propriétés dont la possession étoit indépendante du vasselage; après sa mort, ils devinrent donc libres propriétaires, et formèrent cette haute noblesse qui, comme nous le dirons tout à l'heure, partageoit avec les rois l'exercice de l'autorité souveraine.
78: «Le vassal doit porter honneur à son seigneur, sa femme et son fils aîné, comme aussi les frères puînés doivent porter honneur à leur frère aîné[78-A]. Si le vassal est convaincu par justice avoir mis la main violentement sur son seigneur, il perd le fief; et toute la droiture qu'il y a revient au seigneur. Pareillement le seigneur qui met la main sur son homme et vassal pour l'outrager, perd l'hommage et tenures, rentes et devoirs à lui dus à cause du fief de son vassal, et sont ses foi et hommage dévolus et acquis au seigneur supérieur; et ne paie le vassal outragé rentes de son fief, fors ce qui en est dû au chef-seigneur.» (Cout. de Normand., art 124, 125, 126.)
78-A: Le respect que les cadets devoient à leur frère aîné étoit tellement le modèle de celui que les vassaux devoient à leur suzerain, que ce droit d'aînesse se confondit long-temps avec la suzeraineté. C'étoit là ce qu'on appeloit le parage, que le président Hénault a mal entendu et dont il a donné une fausse définition (Otton de Freisingen, lib. 1. De gest. Freder. Voyez aussi le président Hénault, règne de Charles-le-Chauve.) Tout ce que cet écrivain a dit sur les fiefs, sur le vasselage et sur la féodalité en général, est obscur, incomplet, inexact, et prouve qu'il n'avoit ni bien étudié ni bien compris cette matière. (Voyez ses remarques particulières sur la seconde race.)
79: Greg. Tur., lib. 2., cap. 40 et 42. Aim., lib. 1, cap. 25.
80: Il seroit plus exact de dire: il ne put faire autre chose. Que l'on veuille bien pénétrer un moment avec nous, et avec les écrivains qui ont le mieux connu les antiquités de notre nation, jusqu'à l'origine du pouvoir royal parmi les Francs, afin d'en bien concevoir la nature, et de bien saisir le caractère qu'il dut avoir dans les premiers temps de la monarchie: ce sera pour plusieurs l'occasion de s'en faire une idée plus juste, et de se débarrasser de beaucoup d'erreurs et de préjugés que tant d'écrivains superficiels ont répandus sur cette époque de notre histoire.
Chez les Francs, tous les princes de la maison royale naissoient avec le titre de roi; et tous avoient droit à l'hommage des personnes libres. Ce droit fut égal et sans partage entre eux, avant la conquête, parce qu'il étoit alors l'unique domaine de la famille. Ce fut autre chose quand le chef de cette famille eut acquis des provinces et des trésors: ces biens nouveaux purent être partagés entre ses enfants; mais on ne put de même partager les hommes libres, alors trop fiers et trop indépendants pour se soumettre à un semblable partage.
Il en résultoit donc que, lorsqu'un roi n'avoit pas pris de précautions pour assurer l'état de ses enfants, celui d'entre eux qui avoit su s'attacher un plus grand nombre d'hommes libres, étoit en mesure de se faire donner un plus grand nombre de provinces, et même de se rendre maître du royaume entier, à l'exclusion de ses co-partageants. Un trésor étoit un moyen sûr d'y parvenir; et ce fut pour avoir su s'emparer de celui de son père Clotaire (Grég., Tur. hist., lib. 4, cap. 22) que Chilpéric s'assura l'hommage des seigneurs puissants, de ceux qui commandoient les nations, à qui l'administration militaire avoit été confiée, et qui étoient en possession de partager avec le roi l'exercice de l'autorité souveraine. (Aim. lib. 4, cap. 17.) Ce ne fut point autrement que Dagobert se rendit maître du pouvoir suprême, dont son frère Aribert fut exclu.
On conçoit maintenant que les rois francs n'avoient qu'un seul moyen d'assurer à leurs enfants leur part de royauté: c'étoit de leur donner partage dès leur vivant, et de leur faire rendre hommage par les seigneurs des terres dont se composoit le partage, en prenant toutefois la précaution de se faire comprendre eux-mêmes dans le serment de fidélité que l'on exigeoit à cette occasion. (Marculph. Form. lib. 1., tit. 2.) Les reines qui, comme Frédégonde, craignoient de voir exclure leurs enfants par les enfants d'un autre lit, avoient surtout un grand intérêt à les faire déclarer rois; et comme le moyen le plus efficace de soutenir de pareils droits à la royauté étoit de faire des largesses aux grands, elles avoient soin de leur assigner un trésor, alors qu'ils étoient encore au berceau.
Ainsi les frères étoient les concurrents et les rivaux de leurs frères, les oncles de leurs neveux, souvent même les cousins de leurs cousins; et cette confusion de droits et les désordres qui s'ensuivirent, venoient de ce que la famille publique se gouvernoit par les lois domestiques qui ne sont applicables qu'aux familles privées. Elle partageoit l'État, comme s'il lui eût appartenu, ne sachant pas encore qu'elle appartenoit à l'État.
Les rois carlovingiens imitèrent les rois francs; et ils avoient un motif de plus pour faire ces élections anticipées: c'est qu'alors le vasselage ayant pris des formes plus fixes, plus régulières, et étant nécessairement attaché à tout bénéfice militaire, il s'ensuivoit que, donnant partage à l'un de leurs enfants, ils lui transportèrent ainsi l'hommage d'un grand nombre de leurs vassaux, qu'ils n'auroient pu leur léguer, parce que la mort du suzerain délioit le vassal, ce que nous prouverons tout à l'heure et ce qu'il est important de remarquer: c'étoit le seul moyen efficace qu'ils eussent de fixer la royauté dans leur maison, qui fut toujours moins respectée que celle des rois francs.
«Lorsqu'ensuite, dit de Buat, dont les savantes et judicieuses recherches nous ont été très-utiles dans cette dissertation, la Maison carlovingienne se fut partagée en plusieurs branches, la même précaution fut absolument nécessaire pour assurer au fils unique d'un roi la succession de son père, à laquelle un oncle et un cousin croyoient avoir autant de droit que lui. Tel fut le motif des élections éventuelles et des désignations, dont l'usage fut encore plus fréquent sous la seconde race qu'il ne l'avoit été sous la première.» (Origines, t. 1).
81: (Aim., lib. V, cap. 70.) «La coutume des Francs fut toujours de choisir leurs rois dans la race ou dans la succession des rois derniers morts. Ils n'élurent pas Charles-le-Simple aussitôt après Louis-le-Gros, parce qu'il étoit alors enfant et de corps et d'esprit; qu'il n'étoit pas encore capable de gouverner un royaume, et qu'il eût, par conséquent, été dangereux de l'élire, tandis que la nation étoit exposée à la cruelle persécution des Normands.» (Flodoard, liv. 15., Hist. Remens., cap. 5.)
Ceci se passoit sous la seconde race. Écoutons maintenant Grégoire de Tours, faisant raconter à Gondoald, fils de Clotaire Ier, les motifs qui l'avoient porté à venir dans les Gaules pour y faire valoir les droits qu'ils prétendoit avoir à la couronne: «Lorsque j'étois à Constantinople, disoit ce prince, je m'informai de Boson en quel état étoit ma famille, et j'appris de lui qu'elle étoit réduite à fort peu de chose. Il me dit que, de tous mes parents, il ne restoit que Gontram et Childebert; que les fils de Chilpéric étoient morts aussi bien que lui, à l'exception d'un enfant qui étoit encore au berceau; que Gontram mon frère n'avoit point d'enfants, et que mon neveu Childebert étoit encore très-foible (minime fortis); que par cette raison tous les princes du royaume avoient pris la résolution de me rappeler, et que personne n'avoit osé parler contre moi. Car nous savons tous, ajouta-t-il, que vous êtes fils de Clotaire, et que si vous ne venez pas dans les Gaules, il n'y est resté personne qui puisse les gouverner.» (Hist., lib. VII, cap. 36.) Gontram lui-même, s'adressant au peuple après la mort de Chilpéric, ne fait point valoir d'autres motifs pour obtenir le pouvoir suprême. «Je vous conjure, lui dit-il, de me garder une foi inviolable, de ne pas me tuer comme ont été tués mes frères; qu'au moins je puisse élever mes neveux, qui sont devenus mes enfants adoptifs. Ma mort, si elle arrive pendant qu'ils sont en bas âge, entraînera nécessairement votre ruine, puisqu'il ne restera de notre race aucune personne robuste qui puisse vous défendre.» (Ibid., lib. VII, cap. 8.)
Ceci prouve encore que le peuple concouroit à l'élection du monarque; et en effet, dans la charte où Louis-le-Débonnaire règle l'état de ses enfants, il ordonne expressément «que tout le peuple assemblé[81-A] élise celui des princes qu'il plaira à Dieu.» (Cart. division., an 817.) On pourroit citer beaucoup d'autres exemples de cette confusion d'idées qui régnoit alors au sujet de la succession au trône, principale cause de tous les désordres qui éclatèrent en France sous les deux premières races.
81-A: Par peuple il faut entendre ici tout ce qui avoit la noblesse ou du moins l'ingénuité, depuis les grands vassaux de la couronne jusqu'aux simples propriétaires et aux bourgeois des cités. Les serfs ou esclaves et les colons attachés à la glèbe en étoient exclus: c'est cette classe nombreuse de la société que nous appelons peuple aujourd'hui, et dont le christianisme a, par degré, brisé les fers.
82: La haute noblesse, celle qui se composoit presque toute de libres propriétaires, étoit peu nombreuse, et d'une telle fierté qu'elle ne voyoit rien au-dessus d'elle, pas même la famille des rois. «Remplis de mépris pour la race de Charlemagne, dit le moine de Saint-Gal[82-A], chacun de ces nobles de la première classe tâchoit de s'emparer du gouvernement, et ne prétendoit à rien moins qu'à mettre la couronne sur sa tête.» Ceci se passoit immédiatement après la mort de Charlemagne; et l'on peut juger des dispositions où elle dut se trouver, lorsque, après deux siècles de règne, cette race eut donné des preuves si multipliées de sa dégénération.
82-A: (Mon. Sanct. Gall., lib. II., cap. 27.)
83: On a beaucoup déclamé et l'on déclame encore sur l'usurpation que firent du pouvoir souverain les chefs de la seconde et de la troisième race de nos rois: dans tout ce que l'on a dit à ce sujet, il y a eu souvent de la passion, et toujours beaucoup d'ignorance de la constitution politique de la France, dans ces premiers siècles de la monarchie. Que devons-nous voir dans la race des rois francs? une famille plus honorée sans doute que les autres, où la nation a coutume de choisir ses chefs, mais de telle manière cependant que tous les membres qui la composent peuvent prétendre à l'être, et souvent tous à la fois, et quel que puisse être leur degré de consanguinité. Quels sont ceux qui élisent ces rois? d'une part des seigneurs libres propriétaires, qui ne leur ont jamais engagé leur foi, qui se croient les égaux de cette famille, qui le sont en effet; de l'autre, des vassaux que la mort de leur suzerain a déliés de tout engagement; car le vasselage étoit personnel, et rien n'est plus attesté. Qu'exigeoient-ils de ces rois? qu'ils fussent capables de les commander, de les défendre; et ils étoient jugés indignes du trône, lorsqu'ils étoient inutiles à la nation. Que devoit-il résulter de droits établis sur des conditions aussi rigoureuses d'une part, et sur des obligations aussi légères de l'autre? que la race entière seroit nécessairement rejetée, dès qu'elle auroit dégénéré au point de ne plus offrir que des princes incapables et imbéciles, parce que, il ne faut point se lasser de le répéter, selon la maxime fondamentale des Francs, un prince inutile ne pouvoit être roi. C'est ainsi que la famille des Carlovingiens fut substituée à celle de Clovis, qui ne fut dépossédée qu'en raison de son inutilité; et c'est ce qui fit que Pépin, dont l'élévation supposoit la nullité de tout droit à conserver le pouvoir dans une même famille, essaya de sortir de cette situation fausse et incertaine, en faisant intervenir la puissance spirituelle, seule capable en effet de donner de la fixité à toute institution politique. Le pape Étienne en le sacrant sacra aussi ses deux fils, et prononça l'excommunication contre ceux «qui entreprendroient d'élire un roi qui ne descendit pas de ceux que la bonté divine avoit daigné élever à ce rang suprême.» Mais les coutumes de la nation, le partage impolitique qui continua d'être fait de la puissance royale, le malheur des temps qui rendit la noblesse plus indépendante encore qu'elle ne l'avoit été, surtout le mépris dans lequel tomba la seconde race, qui ne fut jamais aussi respectée que la première, tout se réunit pour légitimer le choix d'une nouvelle famille royale: «car, comme le dit fort bien de Buat, les princes auxquels Hugues Capet fut substitué étoient au moins inutiles; et l'un d'eux avoit fait un hommage qui le rendoit étranger à la nation et peut-être son ennemi.» De telles coutumes et de tels préjugés composoient sans doute une fort mauvaise loi d'hérédité au trône: on ne prétend point le nier; on soutient seulement que ces coutumes et ces préjugés existoient, et que tant qu'on ne comprendra point ces choses, on ne dira que des absurdités sur les deux premières races de nos rois.
84: Sous le règne de Hugues-Capet, un abbé de Cluni invité par Bouchard, comte de Paris, d'amener des religieux à Saint-Maur-des-Fossés, s'excusa de faire un si long voyage dans un pays étranger et inconnu.
85: Les Normands.
86: Remarquez que tous ces malheureux discoureurs, dans tous les systèmes politiques et religieux qu'ils ont rêvés, supposent, avant toutes choses, l'isolement absolu de l'homme, qui se réunit ensuite à d'autres hommes pour composer des sociétés et fabriquer des religions. C'est au moyen de cette extravagance monstrueuse, qu'ils sont parvenus à bouleverser le monde civilisé.
87: M. le vicomte de Bonald, œuv. compl., III, p. 413.
88: Mably, que M. de Bonald avoit cité lui-même. (Ibid.)
89: T. III, p. 411: «Les bois et les champs forment plus la noblesse que les villes. Plus rura et nemus conforunt ad consequendam nobilitatem, dit Poge, qui écrivoit sur le droit public au quinzième siècle.» (Ibid.)
90: 3. Synod. Aurel., can. 5.
91: Decretal. prec. Bal., t. I, p. 199.
92: Parmi les habitants des Gaules, tout ce qui n'étoit point Franc ou Romain étoit désigné sous cette dénomination commune de barbares.
93: Marculf. form., lib. I, tit. 40.
94: Convent. apud Andelan. an. 587. Aim., lib. I, 7; lib. III., c. 48. Ibid. c. 4, 6. Cap. an. 819, tit. II, c. 19.
95: Cap. Car. calv., tit. 27, cap. 14.
96: Ceux-ci étoient à la charge des fidèles, dont le devoir étoit de les bâtir, de les entretenir et de les fournir de toutes les provisions nécessaires, lorsque les rois venoient y établir leur résidence momentanée. (Cap. Car. calv., tit. 36, cap. 37.)
97: On comptoit dans les diverses provinces qui composoient le royaume cent soixante habitations de ce genre. Les monnoies des rois francs, leurs chartes, leurs synodes portent souvent le nom de quelques-unes de ces forteresses ou maisons de campagne qu'ils habitoient successivement.
98: Baluze. Capit. t. II, p. 267.
99: Paris ayant été brûlé tant de fois, et les historiens n'ayant laissé aucune tradition sur les édifices de ce temps-là, on ignore entièrement non-seulement quelle étoit la forme de leur construction, mais encore quelles étoient les matières qui y étoient employées. À peine savons-nous comment cette ville étoit bâtie il y a deux ou trois siècles. Cependant ces nombreux incendies portent à croire que toutes les maisons étoient en bois; et il est certain que, sous Henri IV, elles étoient encore formées de charpentes couvertes d'un enduit de plâtre. On cite, comme une chose remarquable, que, sous Louis XII, les maisons du pont Notre-Dame étoient bâties en briques.
100: Il est impossible de donner à ce sujet aucun renseignement exact. Le premier recensement dont parlent les historiens fut fait en 1323, sous Philippe-le-Bel, et alors Paris s'étoit fort étendu sur les deux rives de la Seine.
101: Sous le règne de Lothaire, l'évêque d'Aleth (aujourd'hui Saint-Malo), craignant la profanation des reliques de son église par les Normands qui infestoient tout le royaume, résolut de les apporter à Paris, alors le seul lieu de sûreté qu'il y eût en France. Les ecclésiastiques et les moines de Bagneux et de Dol, craignant également pour leurs reliques, conçurent le même dessein, et se joignirent à ce prélat pour faire le voyage de Paris. (Félib.)
102: Le moine Abbon est l'auteur de ce poëme. Il étoit normand lui-même, et avoit été témoin de ce siége qu'il décrit avec une grande exactitude de détails. Son ouvrage, écrit en latin barbare, est loin d'être un chef-d'œuvre de poésie, mais doit être considéré comme un monument historique extrêmement curieux; il contient environ douze cents vers divisés en deux livres, et fut composé vers la fin du neuvième siècle.
103: Abbon, v. 504 et seqq. Il fut renversé en partie par un débordement de la rivière, la nuit du 6 février 886. Ceux qui ont confondu le Grand pont avec ce pont de Charles-le-Chauve, attribuent au Petit pont ce qui arriva en effet à celui de ce prince, V. Jaillot, tom. 1, p. 167.
104: Sauval et D. Félibien disent qu'on ne trouve aucuns documents sur ce pont avant l'année 1323; et le premier de ces deux historiens, par une de ces contradictions dans lesquelles il lui arrive si souvent de tomber, rapporte presque au même endroit que ce pont fut emporté par les glaces en 1196, 1280, etc., tom. 1, p. 225.
105: Jaillot prouve sans réplique que tous les historiens de Paris se sont trompés, en appelant la plus grande de ces îles l'île aux Treilles, et la plus petite l'île de Bucy ou du Pasteur aux vaches. Ces noms appartenoient à des îles ou atterrissemens que la Seine avoit formés plus bas, parce qu'alors elle n'étoit pas retenue dans son lit comme elle l'est aujourd'hui. Ces îles ont disparu, soit qu'elles aient été emportées par la violence des débordements, soit qu'en construisant les quais on les ait détruites pour laisser un cours plus libre à la navigation. Toutefois l'île aux Bureaux ne reçut ce nom qu'en 1462, de Hugues Bureau, à qui l'abbé de Saint-Germain la concéda cette même année, moyennant une rente annuelle. On ignore si l'île à la Gourdaine avoit donné son nom au moulin qui étoit placé au-dessus, ou si elle en avoit reçu ce nom, que ce moulin portoit aussi.
106: Cette maison est mal placée sur les plans du commissaire Delamare, qui sont ceux que nous avons copiés; elle s'y trouve à l'endroit où est située aujourd'hui la cour Neuve; et Jaillot prouve qu'elle s'élevoit à l'entrée de la place Dauphine. Ces plans ne représentent aussi qu'une seule île, et il y en avoit deux.
107: Dans ceux-ci on a surbaissé les arcs, ce qui donne plus d'élégance, sans nuire à la solidité.
108: Ce fut lui qui donna les dessins de la galerie du Louvre.
109: Voy. pl. 9.
110: Le produit de la location de ces boutiques, qui sont au nombre de vingt, avoit été donné par Louis XVI à l'académie de Saint-Luc, pour être employé au paiement des pensions des pauvres veuves de cette académie.
111: Voy. pl. 25.
112: Renversée le 11 août 1792.
113: Ce qui donne lieu sans doute à la méprise qui a fait attribuer si long-temps cette figure à un sculpteur françois, c'est qu'en effet le sieur de Franqueville, architecte et premier sculpteur du roi, fut chargé d'envoyer un modèle de la statue du roi à Florence. C'étoit probablement le portrait de Henri IV, modelé d'après nature, dont il étoit difficile sans doute que l'artiste italien pût se passer; et ce portrait fut effectivement envoyé. (Voyez Mémoires historiques relatifs à la fonte de la statue équestre de Henri IV, par M. Ch. J. Lafolie.)
114: Inscription sur la table principale du piédestal:
Errico IV, Galliarum imperatori, Navar. R. Ludovicus XIII, filius ejus opus incho. et intermissum, pro dignitate pietatis et imperii, pleniùs et ampliùs absolvit. Emin. D. C. Richelius commune votum populi promovit, super illust. viri de Bullion, Bouthillier, P. Ærarii F. faciendum curaverunt. MDCXXXV.
Sur la table au-dessous:
Quisquis hæc leges, ita legito: uti optimo Regi precaberis exercitum fortem, populum fidelem, imperium securum et annos de nostris. B. B. F.
Sur la table du côté du faubourg Saint-Germain:
PREMIÈRE INSCRIPTION.
Genio Galliarum S. et invictissimo R. qui, Arquensi prælio, magnas conjuratorum copias parvâ manu fudit.
DEUXIÈME INSCRIPTION.
Victori triumphatori feretrio, Perduelles ad Evariacum cœsi, malis vicinis indignantibus et faventibus, clementiss. imper. Hispano duci optima reliquit.
Sur la table du côté du pont Royal:
N. M. Regis rerum humanarum optimi, qui sine cæde urbem ingressus, vindicatâ rebellione, extinctis factionibus, Gallias optatâ pace composuit.
Enfin sur la table du côté de la Samaritaine:
Ambianum Hispanorum fraude intercepta, Errici M. virtute asserta, Ludovicus XIII, M. P. F. iisdem ab hostibus fraude ac scelere tentatus, semper justitiâ et fortitudine superior fuit.
Sur la table au-dessous:
Mons omnibus ante se ducibus regibusque frustrà petitus, Errici M. felicitate sub imperium redactus, ad æternam securitatem ac gloriam Gallici nominis.
Sur la grille de fer qui renfermoit ce monument, étoit l'inscription qui suit:
Ludovicus XIII. P. F. F. imperii, virtutis et fortunæ obsequentiss. hæres, J. L. D. D. Richelius C. vir supra titulos et consilia omnium retrò principum, opus absolvendum censuit. N. N. II. VV. de Bullion, Bouthillier, S. A. P. dignitati et regno pares, ære, ingenio, curâ, difficillimis temporibus P. P.
115: Ces figures ont été sauvées de la destruction et déposées au Musée royal, où elles sont encore maintenant.
116: Ce monument lui-même est une preuve plus frappante encore de l'inconstance de la multitude, et du mépris que méritent également sa haine et son amour. Pendant près de deux siècles, le souvenir de Henri IV fut cher au peuple de Paris; et sa statue étoit pour ce peuple l'objet d'une sorte de culte. Dans les premiers jours de la révolution, on l'avoit vu forcer les passants à s'agenouiller devant l'image de ce bon roi; environ deux ans après, il l'abattit avec des cris de rage, comme celle du plus affreux des tyrans.
Ce fut le 23 avril 1814, peu de jours après le retour d'un Bourbon dans les murs de Paris, que le conseil municipal de cette ville arrêta, par une délibération, que la statue de bronze de Henri IV seroit rétablie à l'endroit même où elle avoit été abattue, et qu'elle le seroit au moyen d'une souscription à laquelle tous les François seroient appelés à concourir. À peine cette souscription fut-elle ouverte que de toutes les parties de la France, arrivèrent d'innombrables offrandes, et de la part de toutes les classes de ses habitants. L'exécution de la statue avoit été confiée à M. Lemot, déjà célèbre par l'exécution de plusieurs grandes compositions monumentales, parmi lesquelles se fait remarquer le fronton du Louvre, l'un des plus beaux ouvrages de sculpture qu'aient produits les temps modernes. Il commença sur-le-champ son petit modèle, qui ne fut achevé et moulé en plâtre qu'au mois de janvier 1815, peu de semaines avant le funeste retour de Buonaparte. M. Lemot n'en continua pas moins, pendant l'époque dite des cent jours, et avec autant de courage que de persévérance, le travail qu'il avoit commencé. Le modèle en grand du cheval étoit déjà fort avancé lors de la rentrée du Roi; et à la fin de décembre 1815, il étoit moulé, coulé et monté en plâtre, enfin au mois d'avril 1816, l'œuvre de l'artiste étoit entièrement achevée. Le 18 mars 1817, on fondit, dans la fonderie de Saint-Laurent, la tête et le torse de la figure; et ce fut le 6 octobre suivant que le cheval et la partie inférieure du cavalier qui y étoit attenante furent coulés en bronze et avec le succès le plus complet dans les ateliers du Roule, et dans le même fourneau où avoit été fondue la statue de Louis XV, le 5 mai 1758.
Le 28 du même mois d'octobre, S. M. Louis XVIII posa la première pierre du monument, et le 25 août de l'année suivante elle en fit l'inauguration avec une pompe toute royale, et au milieu des acclamations et des transports de joie de l'immense population de Paris. Cette population avait offert quelques jours auparavant (le 14 août) un spectacle encore plus touchant, lorsqu'on l'avoit vue, pendant le transport de la statue, se précipiter sur les traits de l'équipage que dix-huit paires de bœufs ne pouvoient plus ébranler, offrir ses bras par milliers pour traîner un si cher fardeau, et le conduire, comme dans une marche triomphale, jusqu'au pont des Arts, où la statue demeura trois jours. Le 17, soixante-dix chevaux l'amenèrent enfin au terre-plein, où elle fut placée très-heureusement sur son piédestal, par M. Guillaume, charpentier, qui fit cette opération à ses frais, ainsi qu'il l'avoit généreusement proposé, voulant ainsi payer le tribut d'un bon François à la mémoire du bon Henri.
C'est un monument d'un grand style, d'un dessin correct et savant: l'artiste a su allier la beauté des formes à la vérité de l'attitude; la noblesse et la ressemblance parfaite des traits avec la franchise et la naïveté de l'expression. Il s'est montré d'une exactitude scrupuleuse dans tous les détails du costume et jusque dans les moindres accessoires, sans jamais descendre à l'imitation servile d'un copiste; le mouvement du cheval est neuf et vraiment admirable; toutes les parties en sont étudiées avec le plus grand soin, et traitées dans la plus grande manière; enfin, à la place d'une statue médiocre, s'est élevée une statue digne d'un de nos plus grands rois, digne des plus beaux temps de l'art parmi les modernes, et qui attestera à la postérité à quel point, au commencement du 19e siècle, la sculpture étoit florissante.
Les bas-reliefs qui ornent le piédestal, exécutés par la main savante du même artiste, présentent dans des compositions ingénieuses et pleines de sentiment, au côté méridional, Henri IV faisant distribuer des vivres aux habitants de Paris qui, pendant le siége de cette ville, s'étoient réfugiés dans son camp; au côté méridional, le roi, déjà entré en vainqueur dans sa capitale, s'arrêtant au Parvis de Notre-Dame, et là donnant ordre au prévôt de Paris de porter à ses habitants des paroles de paix, et de les inviter tous à reprendre leurs travaux accoutumés.
Sur la façade du piédestal qui regarde le pont Neuf, on avoit peint l'inscription suivante, composée par l'académie des belles lettres:
«HENRICI MAGNI ob paternum in populos animum notissimi principis sacram effigiem, inter civilium furorum procellas, Galliâ indignante, dejectam, post optatissimum LUDOVICI XVIII reditum, ex omnibus ordinibus cives, ære collato; restituerunt, nec non et elogium quod simul cum effigie abolitum fuerat, lapidi rursùs inscribi curaverunt.»
Sur la face qui regarde le pont des Arts doit être placée l'inscription que portoit la face principale de l'ancien piédestal, et que nous avons déjà citée:
ERRICO IV, Galliarum imperatori, etc.
117: Voy. pl. 25.
118: Appelé alors jardin du premier président.
119: Voyez pl. 10.
120: Au milieu de cette place est une fontaine en forme de piédestal, laquelle soutient un petit monument élevé en l'honneur du général Desaix, tué à la bataille de Marengo.
121: Cette île, ainsi que celle à la Gourdaine, appartenoit alors, ainsi que nous l'avons déjà dit, à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés; et l'on n'a point trouvé qu'elles eussent de dénomination particulière avant la fin du quinzième siècle.
122: Voy. dans le deuxième volume, l'article Temple.
123: Le mot chapelle a diverses acceptions: il signifie quelquefois une église particulière, qui n'est ni cathédrale, ni collégiale, ni paroisse, ni abbaye, ni prieuré. Ces sortes de chapelles sont celles que les canonistes appellent sub dio.
On désigne aussi sous le nom de chapelle une partie d'une grande église dans laquelle il y a un autel, et où l'on dit la messe. Celles-ci sont appelées sub tecto.
Enfin il y a des chapelles domestiques dans l'intérieur des monastères, hôpitaux, communautés, dans les palais des princes et autres maisons particulières. Ce sont proprement des oratoires privés, dans lesquels on a obtenu la permission de faire célébrer le saint sacrifice. On appelle spécialement saintes chapelles celles qui sont établies dans les palais des rois.
124: Duchesne, t. V, p. 411.
125: Duchesne, t. IV, p. 77. Un mémoire manuscrit, conservé dans les archives de la Sainte-Chapelle, reculoit cette fondation jusqu'à l'année 922. Quoi qu'il en soit, il est hors de doute que cette chapelle fut rebâtie par Louis-le-Gros, et la preuve en est dans les lettres de Louis VII de l'an 1160. (Dubois, Hist. ecclés.; Par., t. 1, p. 154.)
126: La gravure extrêmement fidèle que nous donnons de la Sainte-Chapelle (voy. pl. 11) offrira sur-le-champ une idée plus exacte de cet édifice que tout ce que nous pourrions en dire; et généralement la description des monuments gothiques par le simple discours a toujours quelque chose de vague, parce que les termes consacrés à l'architecture ne peuvent y être employés que dans une acception détournée, et par conséquent arbitraire.
127: Voy. pl. 25.
128: De là le proverbe: Vin de la couleur des vitres de la Sainte-Chapelle.
129: Ce privilége lui avoit été accordé par une bulle de Jean XXII du 5 août 1320.
130: Ses restes avoient été transportés, pendant la révolution, dans le jardin du Musée des monuments français, rue des Petits-Augustins; et dans la première édition de cet ouvrage, nous avions laissé entrevoir ce que nous trouvions d'indécent dans cette étrange translation. Depuis le retour du Roi, ils ont été portés à Saint-Étienne-du-Mont, et déposés dans une chapelle de cette église.
131: Dans l'origine, la Sainte-Chapelle avoit un clocher, qui fut brûlé en 1630, avec le comble de l'édifice, par la négligence d'un plombier qui y travailloit; à sa place on éleva une flèche que l'on considéroit comme un modèle de hardiesse et de légèreté. Elle a été démolie dans les premiers temps de la révolution.
132: Après ces cinq principaux chapelains, on comptoit cinq sous-chapelains-prêtres, cinq clercs, diacres ou sous-diacres, et deux marguilliers, aussi diacres ou sous-diacres. En 1248, le saint roi ajouta un troisième marguillier, ordonna que tous les marguilliers fussent prêtres, et qu'ils eussent chacun un clerc, diacre ou sous-diacre. Leur nombre s'augmenta sous ses successeurs jusqu'à quarante-cinq. Celui des chapelains fut réduit à vingt par arrêt du réglement du 19 mai 1681. (Duchesne, t. V, p. 533.)
133: Il y est dit que «lesdits trésorier et chanoines porteront à l'avenir des aumusses de petit-gris, fourrées de menu-vair, au lieu des noires qu'ils portoient avant, parce qu'à peine on pouvoit les distinguer des chapelains, et que très-souvent on leur donnoit ce dernier nom, au lieu de celui qui leur appartenoit.» Quia vix possunt propriè recognosci vel distingui, et sæpissimè dicuntur capellani et non canonici.
134: Duchesne, t. V, p. 533.
135: Presque toutes ces reliques étoient accompagnées de leurs pièces justificatives. L'auteur de l'histoire de la Sainte-Chapelle ne les considère pas toutes néanmoins comme authentiques; et nous partageons les doutes qu'il élève à ce sujet.
136: Il étoit partagé en douze morceaux plaqués, formant une croix d'un pouce de large sur neuf pouces une ligne de haut, et de sept pouces neuf lignes dans la traverse.
137: Il est déposé au cabinet des antiquités de la bibliothèque Royale.
138: Les Grecs avoient fait peindre en émail les quatre Évangélistes aux quatre coins de la plaque dont elle étoit entourée.
139: On l'appeloit alors le grand camaïeu.
140: Déposé au cabinet d'antiquités de la bibliothèque Royale, ainsi qu'un grand nombre des antiquités dont nous venons de donner l'énumération.
141: Déposé au Musée des Petits-Augustins.
142: La construction de la Sainte-Chapelle avoit coûté 40,000 liv., qui valoient 800,000 liv. de notre monnoie. Les reliques et les châsses avoient coûté 100,000 liv. (2,000,000.)
143: En 1306, Philippe-le-Bel nomma les religieux augustins pour faire chaque année à la Sainte-Chapelle l'office de la translation des saintes reliques; il accorda la même prérogative aux jacobins et aux cordeliers en 1309; les carmes obtinrent le même avantage de Charles-le-Bel en 1322.
144: La Sainte-Chapelle est maintenant un dépôt d'archives.
145: Am. Marc., lib. XV, cap. 11.
146: Delamare, tome I.
147: Greg. Tur., Hist., lib. III, cap. 18.
148: Le même historien nous apprend que Caribert étoit logé dans la Cité, et qu'un prêtre de Bordeaux vint l'y trouver. Presbiter, Parisiacæ urbis portas ingressus, regis præsentiam adiit (Lib. IV, cap. 26). On en pourroit citer encore d'autres exemples.
149: Il y avoit encore une maison royale dans le cloître Notre-Dame, où Louis VII passa ses premières années, comme il le témoigne lui-même. On ignore où étoit cette demeure, mais il est certain qu'il y retourna souvent, et qu'il alla l'habiter lorsqu'il céda le palais à Henri II, roi d'Angleterre. (Sauval.)
150: Dans ce jardin-là même, dit Sauval, saint Louis, vêtu d'une cotte de camelot, d'un surcot de tirretaine sans manches, et d'un manteau par-dessus de sandal noir, y rendoit justice, couché sur des tapis, avec Joinville et d'autres, qu'il choisissoit pour conseillers.
151: Aim., lib. I, c. 12.
152: Aimoni nous apprend (lib. 4, c. 1) que Brunchaut ayant envoyé sommer Clotaire de sortir du royaume d'Austrasie où elle prétendoit établir Sigebert, bâtard de Thierri, Clotaire lui fit répondre «qu'elle devoit convoquer l'assemblée des nobles francs, et soumettre à une délibération commune ce qui étoit de l'intérêt commun; que pour lui, il se soumettroit en tout à ce qu'ils auroient jugé, promettant de n'y faire aucune opposition.»
Gontram fit une réponse semblable aux ambassadeurs de Childebert, qui demandoient qu'il lui livrât Frédégonde, la meurtrière de son père et de son oncle. «C'est dans le plaid que nous tenons, que nous ordonnons et traitons de tout ce qui se doit faire.» (Greg. Tur. Hist., lib. 7, c. 7.)
153: Hinem. ep., tit. 14.
154: Ces vassaux ou mineurs donnoient leur avis quand il leur étoit demandé, mais n'avoient aucune autorité dans ces assemblées; et le même écrivain le dit formellement. (Loc. cit.)
155: Lorsque le temps étoit beau, dit encore Hincmar, on s'assembloit dans la campagne (et l'ancienneté de cet usage est attestée par quelques lois de Childebert, rédigées vers l'an 595); mais lorsque le temps ne le permettoit pas, on se retiroit dans des lieux couverts où l'on avoit pratiqué des séparations, afin que les seigneurs pussent s'assembler en particulier, et que la multitude eût aussi un asile et un lieu d'assemblée dans lequel le menu peuple ne pût point entrer et se confondre avec les fidèles: il y avoit deux chambres particulières pour les seigneurs; l'une où s'assembloient les évêques, les abbés et les autres ecclésiastiques d'un ordre éminent, l'autre où se tenoient les comtes et autres seigneurs du premier rang. C'est là qu'ils attendoient l'heure des délibérations, et qu'ils étoient ensuite introduits dans le lieu appelé Curia, lequel se composoit également de deux salles, l'une pour les laïques, l'autre pour les gens d'église. Il étoit libre alors aux prélats et aux seigneurs de se réunir ou de se rassembler, selon qu'ils le jugeoient à propos, et selon la nature des affaires qu'ils avoient à traiter. On leur remettoit de la part du roi les chapitres sur lesquels ils avoient à délibérer, et ils en délibéroient. Au roi seul appartenoit de proposer aux seigneurs l'objet de leur délibération; on appeloit chapitre ou capitule les différents points sur lesquels elle devoit rouler, et collectivement ces matières étoient appelées capitulaires d'interrogation, avertissements ou décrets. Le roi n'assistoit point ordinairement aux délibérations des seigneurs temporels et spirituels. «Il profitoit de ce temps, dit encore Hincmar, pour faire accueil à toute la multitude, tant aux seigneurs qu'aux particuliers et aux subalternes. Il recevoit leurs présents, saluoit les grands, s'entretenoit avec eux, suivant l'âge et l'état des personnes, etc.» (Loc. cit., cap. 35, 36.)
De tels passages montrent quelle est encore l'erreur de ceux qui se représentent ces champs de mars comme des assemblées tumultueuses et populaires, peu différentes de celles de la populace des petites démocraties de la Grèce. Non seulement elles ne se composoient que de l'élite de la nation, mais il n'y avoit encore dans ces premières classes que les plus élevés qui eussent véritablement le droit de délibération.
Lorsque l'usage de la cavalerie se fut introduit dans les armées, comme il arrivoit souvent qu'au sortir de ces assemblés on entroit en campagne, on crut devoir ne les convoquer qu'au mois de mai, parce qu'alors les fourrages étoient plus abondants. Elles prirent donc sous la seconde race le nom de champ de mai.
156: Aim., lib. IV, c. 41.
157: Cette multitude, ainsi que l'appelle Hincmar, se composoit des guerriers qui n'étoient pas comtes, c'est-à-dire des vassaux du roi, de ceux des autres vassaux qui n'étoient pas domestiques, de leurs suzerains, des vicomtes, des centeniers, des dixainiers, des prélats du second ordre et des propriétaires, qui tous n'entroient point dans le grand comité où les grands vassaux avoient seuls le droit de siéger. Telle étoit cette multitude: c'est là ce qu'on appeloit le peuple; et il est important de le bien remarquer pour éviter les erreurs grossières où sont tombés ceux qui ne s'en sont pas fait cette juste idée.
158: Greg. Tur. Hist., lib. III, cap. 7.
159: Aim., lib. IV, c. 79.
160: De morib. Germ., § 5.
161: Le comte palatin paroît avoir remplacé dans la cour des rois francs le grand dignitaire que l'on nommoit maître des offices à celle des empereurs. C'étoit lui qui faisoit la police dans le palais, et même dans tout le canton où résidoit la cour; il recevoit toutes les causes qui étoient portées au palais, et décidoit de celles qui devoient être jugées en présence du roi; il étoit l'introducteur de ceux qui vouloient en obtenir audience, et faisoit auprès de lui les fonctions du ministère public; enfin il présidoit au tribunal où étoient jugées toutes les causes qui ressortissoient de son département. La dignité de comte palatin existoit encore sous Louis-le-Gros en 1136, et l'histoire ne marque point à quelle époque elle fut abolie.
162: Aim. lib. IV, c. 7.
163: (Eginard., In princip.)
164: Bal., tome II. C'est que Paris devint alors la capitale du royaume et le centre de toute l'administration.
165: Aim., lib. V, c. 49.
166: On y procédoit alors contre le roi lui-même, comme il procédoit lui-même à l'égard des particuliers. On s'adressoit à sa cour, et la cour assignoit un jour au roi et à sa partie pour dire leurs raisons et s'entendre juger.
167: C'est la raison pour laquelle les grands vassaux se montrèrent si mécontents de ce qu'on appeloit de leurs sentences, et se portèrent quelquefois aux derniers excès contre les appelants.
168: La création des douze pairs tire aussi son origine de deux autres coutumes: l'une qui établissoit qu'aucun tribunal ne pouvoit être complet, s'il n'étoit composé de douze juges; l'autre, que tous les tribunaux devoient être mi-partis, c'est-à-dire composés d'un nombre égal de juges clercs et laïques: ce fut donc une nécessité pour les grands barons de partager la pairie avec six ecclésiastiques; et comme il falloit que les pairs laïques fussent aussi au nombre de six, cette circonstance fut favorable à quelques-uns des seigneurs qui l'obtinrent, bien que leur puissance fût loin d'égaler celle des ducs de Guienne, de Normandie, etc.
169: Donnée en 1302.
170: Par cette même ordonnance de Philippe-le-Bel (art. 62), il est dit qu'il sera tenu des parlements dans diverses villes du royaume, et ainsi s'explique la véritable signification de ce mot: «c'est une assemblée, un pour-parler de juges ou d'autres personnes.» On comptait les parlements; ils se convoquoient, ils se séparoient, et la cour du roi étoit toujours la même. Elle existoit hors du parlement; elle prorogea même le parlement, lorsqu'elle fut seule assemblée en parlement; c'est-à-dire qu'elle prorogea ses séances solennelles. Tout parlement n'étoit pas une cour souveraine, puisque l'on donna ce nom aux séances d'une cour qu'Alphonse, frère de saint Louis, avoit autrefois tenue à Toulouse. (De Buat., t. IV, p. 71.)
171: Quand le roi y assistoit, c'étoit la cour ou le plaid du roi; c'étoit la cour du palais, quand un autre que lui la présidoit. Le parlement, tel qu'il étoit dans les derniers temps de la monarchie, n'étoit qu'une émanation de cette cour suprême, laquelle forma, par la distribution de ses conseillers, toutes les autres cours supérieures.
172: Il est très-remarquable que ce fut la foiblesse même à laquelle fut réduit le pouvoir des rois à la fin de la seconde race, qui fit tomber en désuétude le plaid général, accrut l'influence de leur propre cour, et finit par les rendre plus puissants qu'ils n'avoient jamais été. En effet, les grands vassaux, s'étant rendus presque indépendants, et réunissant dans leurs fiefs, qui étoient devenus de petites principautés, le pouvoir politique à l'administration civile et judiciaire, se soucièrent peu, dès ce moment, de consacrer par leur présence l'autorité d'une assemblée où leurs vassaux pouvoient se rendre appelants contre eux, où toutes les usurpations que le malheur des temps leur avoit procuré l'occasion de faire, pouvoient leur être si facilement contestées. La pauvreté des rois les éloignoit également de leur cour, alors beaucoup moins magnifique que celle de quelques-uns d'entre eux, et leur absence du manoir royal contribua à accroître l'autorité des grands officiers de cette cour suprême, qui délibéroient alors de toutes les grandes affaires dont la discussion n'étoit pas exclusivement réservée au plaid général. Dès ce moment le plaid du roi fut plus rare et se tint avec plus de solennité; et comme le nombre des vassaux immédiats, qui étoit extrêmement diminué, avoit fini par confondre ensemble toutes les classes de la noblesse, autrefois si distinctes, ce plaid du roi devint insensiblement celui de la nation, et en obtint toutes les prérogatives. Par cela même que les grands vassaux, maîtres chez eux, ne s'inquiétoient nullement du gouvernement des provinces, villes et fiefs qui étoient sous le pouvoir immédiat du roi, il arriva que celui-ci put avoir des conseillers fort inférieurs en puissance personnelle aux premiers conseillers, et que leur autorité fut cependant plus absolue, parce qu'elle s'exerça sur des sujets et vassaux d'une condition moins élevée, et qui par cette raison se montraient moins indociles. Le pouvoir royal s'accroissoit en outre de jour en jour par la réunion d'un grand nombre de fiefs qui rentroient dans le domaine du Roi, et fortifioient ainsi les droits de souverain de ceux de duc, de comte, de marquis, etc. Ceci finit par s'étendre à tout le royaume; et alors commencèrent les grandes polices dont parle Mézerai.
173: Cette chambre des plaids étoit appelée la grand'chambre[173-A]. C'étoit là le parlement proprement dit; là seulement étoit la plénitude de la juridiction, parce que là seulement siégeoient les grands personnages à qui seuls il appartenoit de l'établir.
C'est en la grand'chambre que le roi tenoit son lit de justice, et que le chancelier, les princes et les pairs venoient siéger quand ils le jugeoient à propos. Elle seule étoit compétente pour connoître des crimes; et ce droit elle le conserva exclusivement jusqu'en 1515 qu'il fut aussi accordé à la chambre des Tournelles.
Les ecclésiastiques, les nobles, les magistrats des cours supérieures avoient conservé, comme nous venons de le dire, le privilége de n'être jugés qu'en la grand'chambre, lorsqu'ils étoient prévenus de quelque crime. La présentation de toutes lettres de grâce, pardon et abolition, lui appartenoit, encore que le procès fût pendant à la tournelle ou aux enquêtes. On y plaidoit les requêtes civiles, même contre les arrêts de la tournelle. Elle connoissoit des appellations verbales interjetées des sentences des juges qui étoient du ressort du parlement de Paris; des causes auxquelles le procureur-général étoit partie pour les droits du roi et de la couronne; des causes des pairs pour ce qui regardoit leurs pairies; des causes de l'université en corps et de plusieurs autres communautés. Elle recevoit le serment des ducs et pairs, des baillis et sénéchaux, et de tous les juges et magistrats, dont les appellations se relevoient immédiatement au parlement de Paris.
173-A: On l'a aussi appelée la grand'voûte, et, depuis Louis XII, la chambre dorée, à cause d'un plafond orné de culs-de-lampe dorés dont ce prince l'avoit enrichie.
174: Ces deux chambres se nommoient alors chambres des requêtes de l'hôtel. On les appeloit anciennement les plaids de la porte, parce que, dans les lieux où séjournoit le roi, il y avoit toujours à la porte de son palais un ou deux officiers chargés par lui de recevoir les requêtes, et d'y répondre sur-le-champ, à moins que l'affaire ne méritât d'être portée au prince. Lorsque Philippe-le-Bel eut rendu le parlement sédentaire, il fit un réglement pour les maîtres des requêtes de l'hôtel, par lequel il fut établi qu'ils serviroient par quartier aux lieux où seroit le roi, et le reste du temps au parlement. La chambre des requêtes du palais fut établie par Philippe-le-Long, à l'instar de celle des requêtes de l'hôtel, et on lui attribua, à l'égard du parlement, les mêmes fonctions qu'exerçoient les autres à l'égard du roi, c'est-à-dire qu'elle avoit le pouvoir de prendre et de juger les requêtes présentées à cette compagnie, à l'exception des plus importantes qui devoient lui être rapportées, et sur lesquelles elle avoit seule le droit de prononcer. Henri III créa une seconde chambre des requêtes du palais, par son édit du mois de juin 1580.
175: Cette chambre jugeoit les appellations des procès par écrit, pour connoître s'il avoit été bien ou mal appelé à la cour. Depuis Philippe-le-Long, qui en créa une seconde, jusqu'en 1483, on n'en compte que deux; la première étoit appelée la grand'chambre des enquêtes, et l'autre la petite. François Ier, par lettres du dernier jour de janvier 1521, créa vingt conseillers au parlement, dont fut faite et composée la troisième chambre des enquêtes; il en érigea en 1543 une quatrième, qui fut d'abord nommée chambre du domaine, pour connoître des appellations des procès concernant le domaine et les eaux et forêts du royaume, et depuis quatrième chambre des enquêtes. Enfin Charles IX, par édit du mois de juillet 1568, créa une cinquième chambre des enquêtes, à l'instar des quatre autres.
176: Il déclara qu'il ne députeroit plus de prélats, parce qu'il faisoit conscience de eus empeschier au gouvernement de leurs experituautes. L'évêque de Paris et l'abbé de Saint-Denis continuèrent seuls d'y être admis.
177: On y jugeoit des affaires criminelles qui n'emportoient pas condamnation à mort. Celles-ci étoient renvoyées à la grand'chambre qui prononçoit. L'ordonnance de François Ier, qui la rendit perpétuelle, lui donna en même temps le droit de condamner à mort comme à toute autre peine corporelle.
En 1667, il fut érigé une tournelle civile qui jugeoit certaines affaires à l'audience. Il falloit tous les ans une nouvelle commission pour cette chambre, qui fut supprimée depuis 1698 jusqu'en 1735, et rétablie alors pour cette année seulement. Depuis il ne fut point donné de commissions.
178: Elle avoit été établie pour siéger pendant les vacances du parlement, et faire l'expédition des procès criminels, des matières provisoires et autres qui demandoient de la célérité.
179: On examinoit dans ces assemblées la conduite des conseillers du parlement; et les membres qui les composoient exerçoient dans le principe une autorité qui leur permettoit de destituer ou du moins de suspendre de leurs fonctions ceux qui étoient convaincus de négligence ou de prévarication. Les Mercuriales, qui, du temps de François Ier, se tenoient une fois par mois, furent réduites à quatre par an, par l'ordonnance de Moulins, et dans la suite à deux. Depuis long-temps les droits du procureur ou du premier avocat général se bornoient à faire alternativement un discours pour la réformation de la compagnie en général, et spécialement pour la censure des défauts dans lesquels quelques magistrats pouvoient être tombés.
180: Lorsque les grands fiefs eurent été réunis à la couronne, les rois créèrent de nouvelles pairies par lettres-patentes, ce qui ne s'étoit point pratiqué jusqu'alors. Les premières furent faites sous Philippe-le-Bel, en faveur des princes du sang seulement, et long-temps après on en créa pour les princes étrangers, ce qui fut continué jusqu'au règne de François Ier. Alors toutes les anciennes pairies laïques étant éteintes, on en créa aussi de nouvelles pour d'autres seigneurs, qui n'étoient ni princes du sang ni princes étrangers; et depuis ce temps les créations de duchés-pairies ont été multipliées à mesure que nos rois ont voulu illustrer des seigneurs de leur cour.
Les droits et les honneurs des pairs étoient très-étendus. Ils assistoient au sacre du roi, la couronne en tête, y faisant fonction royale, c'est-à-dire représentant la monarchie, et soutenant tous ensemble la couronne du roi. Chacun d'eux y exerçoit en outre des fonctions particulières attachées à sa pairie. En qualité de plus anciens et de principaux membres de la cour, ils avoient entrée, séance et voix délibérative en la grand'chambre et aux chambres assemblées du parlement, chaque fois qu'ils le jugeoient à propos. Dans leurs causes, tant civiles que criminelles, ils avoient le droit de n'être jugés que par la cour suffisamment garnie de pairs, etc., etc., etc.
181: Ce mortier indiquoit que, dans leur origine, ils furent barons, parce qu'il faisoit partie du costume des seigneurs qui portoient ce titre. Le mortier est encore aujourd'hui la couronne de baron, en termes de blason.
182: Cette pierre énorme étoit dans la cour, et ne doit pas être confondue avec une autre table de marbre qu'on voyoit dans la grand'salle, et dont nous parlerons tout à l'heure. Toutes les deux ont disparu dans l'incendie de 1618.
183: Ce fut la seconde assemblée de ce genre où le tiers-état eût été admis à délibérer des affaires publiques; et la première avoit été tenue sous le même roi. Avant cette époque, il n'y avoit eu d'autre assemblée représentative de la nation que le parlement général; et l'on ne connoissoit que deux ordres dans l'État, le clergé et la noblesse.
184: Voy. pl. 13.
185: Voy. pl. 12.
186: On projette, dit-on, de nouvelles additions à la restauration de la partie de cet édifice qui donne sur le quai de l'Horloge. Déjà une partie des échoppes qui l'obstruoient du côté du pont au Change ont été abattues; on y a fait, de ce même côté, quelques réparations; et dans ce moment on y élève des constructions destinées à masquer l'aspect irrégulier et désagréable de ces vieux bâtiments; on y fait entre autres une nouvelle porte d'entrée.
187: Ces armoiries furent détruites pendant la révolution: les figures ont été épargnées.
188: Maintenant hôtel de la préfecture de police.
189: Maintenant cour de Harlay.
190: L'ordonnance de Philippe-le-Bel qui établit la députation des requêtes de l'hôtel fut rendue à Bourges, dans le grand conseil, le parlement siégeant dès lors à Paris: on pourroit citer d'autres exemples.
191: Olim. an. 1317.
192: Nos rois avoient encore un autre conseil, dont l'origine remonte jusqu'à celle de la monarchie, et qui étoit connu sous le nom de Conseil étroit (Am. lib. IV, c. 7). Clotaire avoit pour conseillers intimes trois seigneurs dont Grégoire de Tours nous raconte la trahison. (App. c. 45.) Il est dit que Charlemagne se faisoit toujours accompagner de ses conseillers les plus éminents et les plus sages; et l'on voit ses successeurs avoir toujours auprès d'eux un semblable conseil, dans lequel ils faisoient entrer telle personne qu'il leur plaisoit, sans avoir là-dessus d'autre règle que leur volonté.
193: De là étoit venu cet usage que le parlement donnât des conseils au roi lorsqu'il faisoit des règlements nouveaux, usage dont cette compagnie a depuis si étrangement abusé. Anciennement, lorsque le souverain vouloit rendre publique une ordonnance nouvelle, il appeloit devant lui les membres du parlement, ou se rendoit lui-même au milieu d'eux, pour en délibérer de nouveau avec cette portion nombreuse de ses conseillers. De cet acte de condescendance le parlement prétendit faire un droit. Il avoit aussi été établi que lorsqu'une ordonnance auroit été rendue dans le grand conseil, elle seroit relue et reconnue dans le Palais, pour y être ensuite déposée. De là les refus d'enregistrement, qui n'étoient autre chose qu'un appel au peuple et à la révolte. C'est ainsi que cette belle institution avoit dégénéré au point de devenir aussi fatale à la France qu'elle lui avoit été utile et glorieuse dans de meilleurs temps.
194: Il ne faut pas confondre ce genre d'établissements avec ceux que fit saint Louis. Les établissements de ce roi ne sont pour la plupart que la rédaction des coutumes générales qui étoient passées en lois. Ils ressembloient beaucoup à la collection des capitulaires de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire, que l'acceptation de l'assemblée générale des Francs fit passer en lois.
195: C'est-à-dire que les ordonnances que le roi faisoit dans sa terre (in terrâ suâ), ainsi que l'on parloit alors, les barons, par le même droit, les faisoient aussi dans leurs terres.
196: C'est-à-dire fait dans l'assemblée générale de la nation. (Cout. de Beauv. cap. 4, p. 265.)
197: Avant l'établissement du Conseil du roi, qui a duré jusqu'à la révolution, le grand conseil, qu'il avoit remplacé, connoissoit, comme nous l'avons dit, d'une foule d'affaires, rarement contentieuses, dans toutes les branches de l'administration, domaines, finances, marine, commerce, lesquelles furent depuis attribuées à d'autres officiers successivement institués par nos rois; mais comme il résultoit de la part de ceux qui se croyoient lésés dans les jugements rendus par ces institutions, de continuelles évocations au grand conseil, cette circonstance détermina Charles VIII à le rendre permanent.
198: Olim. an 1291.—Secousse, t. Ier, p. 803 et 805.
199: Les membres de cette députation étoient si bien les collègues des conseillers au parlement, que, dans certaines occasions, ils remplacèrent la cour et jugèrent des causes qui n'étoient pas dans leur département ordinaire, avec ceux des conseillers qu'ils purent rassembler. (Olim., an. 1314.)
200: Un porc-épic composoit le corps de cette devise; et ces deux mots, et cominùs et eminùs, en faisaient l'âme.
201: Voyez pl. 14. La gravure qui représente ce monument a été exécutée d'après un dessin unique appartenant au cabinet des gravures de la bibliothèque.
202: Ce bâtiment servoit de dépôt à tous les anciens comptes du royaume. Les registres de la cour contenoient d'ailleurs une infinité de choses très-curieuses pour l'histoire, les généalogies, et des titres importants pour l'état d'un grand nombre de familles.
203: Deux fois sous Childebert et sous Gontram, dit Sauval; deux fois par les Normands; brûlé de nouveau en 1034, sous Henri Ier.
204: Sidon, lib. VII, cap. 6; Grég. Tur. Hist., lib. II, c. 25.
205: Nous avons déjà dit que l'empereur Anastase envoya à Clovis les insignes des premières dignités romaines. Voyez p. 49.
206: Grég. Tur. Hist., lib. IV, c. 14 et 18.
207: Grég. Tur. Hist., lib. IX, cap. 20.
208: Cap. Car. tit. 3, c. 12.
209: Art de vérif. les dates, ép. déd.; ibid., préf. p. ix.
210: Cod. Theod., lib. XVI, tit. 2, l. 15.
211: Aim., lib. II., c. 27.
212: Hincm., t. II., epist. ad Episc., c. 38.
213: Aim., lib. V, c. 10.
214: Grég. Tur. Hist., lib. V, c. 26. Il parle, en cet endroit, des hommes de saint Martin à qui Chilpéric fit payer le ban pour les punir de n'avoir point été à l'armée, après en avoir été requis.
215: Cap. Car., cal. tit. 27.
216: Cap. Car. cal., tit. 27. Il s'agit ici de la vision de saint Eucher.
217: Cap. Metens., an. 756, c. 14. Ces bénéfices furent appelés précaires.
218: Grég. Tur. Hist. lib. IV, c. 7. C'est là ce qu'on appeloit le droit de régale.
219: Cap. Car. cal. tit. 7, c. 65. Dans ce capitulaire, qui est celui d'Épernay, les évêques demandoient qu'on renouvelât à l'égard des redevances des bénéficiers ecclésiastiques les lois de Louis-le-Débonnaire et de Charles-le-Chauve; mais ces bénéficiers, qui étoient tous puissants seigneurs, rejetèrent cette demande, refusèrent les corvées et gardèrent les précaires.
220: Aim., lib. V, cap. 2. Les honneurs, chez les Francs comme chez les Romains, étoient indiqués par des marques extérieures, insignia. Tout homme libre chez les Francs avoit un honneur, et cet honneur commun à tous étoit la ceinture militaire ou le baudrier. Il le perdoit quand il entroit dans l'état monastique, et ne pouvoit plus le reprendre, même lorsqu'il lui plaisoit de rentrer dans la vie séculière. Cap. addit., c. III, 66; Cap. Met., an. 716, c. 2; I. Cap. an. 819, c. 16.
221: III. Cap. 20, an. 803.
222: III. Cap. 20, an 803.
223: Aim., lib. V, c. 2.
224: On leur donnoit encore le nom de gonfalonnier, parce qu'ils portoient la bannière des églises appelée gonfanum. C'est ainsi que l'oriflamme, bannière et enseigne dont l'abbaye royale de Saint-Denis se servoit dans ses guerres particulières, c'est-à-dire dans celles qu'elle entreprenoit pour retirer ses biens des mains des usurpateurs, ou pour empêcher qu'ils ne fussent enlevés, devint la bannière des rois de France, lorsqu'ils furent devenus maîtres des comtés de Pontoise et du Vexin, dont les seigneurs avoient été jusqu'alors avoués et protecteurs de cette abbaye. Ceci dut arriver sous le règne de Philippe Ier ou de son fils Louis-le-Gros. (Voyez dissert. de Ducange sur l'hist. de saint Louis.)
225: Aim. lib. VIII, c. 2. Cet évêque étoit saint Germain, qui tenoit le siége de Paris; et le monastère qu'il affranchit ainsi étoit celui de Saint-Vincent, depuis l'abbaye Saint-Germain-des-Prés.
226: Ce n'étoit pas contre les commendes en général qu'ils s'élevoient, puisqu'ils en possédoient eux-mêmes, mais contre la nomination abusive et scandaleuse des laïques à de semblables offices; c'étoit la dilapidation des biens des abbayes, souvent même l'expulsion des religieux de ces saintes demeures, qu'ils signaloient à la justice et à la religion du monarque: «Il y a des lieux sacrés, disoient-ils, qui sont devenus en entier la possession des laïques; il en est d'autres, qu'ils se sont en partie appropriés; il en est dont ils se sont donné les métairies comme leur propre héritage.» (Cap. Car. cal., tit. 3, c. 12, tit. 52.)
227: C'est ainsi que l'auteur d'un livre abominable, intitulé Histoire physique, civile et morale de Paris, présente impudemment comme autorités irréfragables de toutes les ordures dégoûtantes, de toutes les calomnies odieuses qu'il a accumulées dans son informe compilation, l'Enfer des chicaneurs, par Louis Vervin; les Variétés sérieuses et amusantes, par Sablier; les Caquets de l'Accouchée; la Pourmenade du Pré-aux-Clercs, poëme burlesque de Bertrand; l'Espadon satirique de d'Esternod: la satire du poète Sigognes contre son haut de chausses, etc., etc. S'il lui arrive de consulter quelquefois des autorités plus graves, ce sont des exceptions qu'il y cherche, afin de les présenter comme règles générales; expliquant ainsi très-facilement en faveur de son système de dénigrement, ce que l'on emploîroit précisément pour le combattre et le renverser de fond en comble. Au reste l'école philosophique et révolutionnaire n'a jamais eu d'autre méthode, depuis qu'elle a commencé sa guerre de plume contre la société; et cet auteur suit fidèlement la route que ses maîtres lui ont tracée. Avec de telles règles de critique et la conscience qu'elles supposent, il seroit facile de présenter saint Louis comme un chef de brigands, et saint Vincent de Paule comme un échappé des galères.
228: M. de Bonald, t. III, p. 412.
229: Les Fidèles descendus des anciens Francs méprisoient les lettres, parloient très-peu latin, n'estimoient que la profession des armes, et ne quittoient les camps que pour aller se confiner dans leurs terres; pendant près de deux siècles, leur ignorance les rendit incapables d'exercer aucune fonction ecclésiastique; tous les clercs étoient Romains.
230: Voyez l'art. Hôtel-Dieu.
231: Misericordia et veritas obviaverunt sibi: justitia et pax osculatæ sunt. (Ps. LXXXIV, II.)
232: «Les évêques parvenus à l'épiscopat par de bonnes voies, dit un capitulaire, doivent montrer le chemin du ciel par leur bon exemple et par la prédication. Ils doivent, autant qu'il est en eux, et tant par eux-mêmes que par leurs subalternes, assister le roi dans l'administration qui lui en est confiée; et quand la négligence ou la mauvaise volonté d'un abbé ou d'une abbesse, d'un comte ou d'un vassal de la couronne, leur fait rencontrer des obstacles à l'accomplissement de leurs devoirs, ils sont obligés d'en avertir le roi, afin qu'appuyés de son assistance ils puissent avoir un libre exercice de l'autorité qui leur appartient.» (Cap. an 823, c. 4)
Agobard, archevêque de Lyon, témoin des vexations et des injustices dont le peuple étoit accablé de la part de ses magistrats, se croyoit obligé d'en avertir le chef de la justice. (Agobard. Epist. ad Marfrid. procer. palat.)
233: Gibbon.
234: On appelle amortissement une aliénation d'immeubles faite au profit de gens de main-morte, comme de couvents, de confréries et autres communautés.
235: L'abbé Lebeuf, Hist. du diocèse de Paris, t. I.
236: Ann. eccl., t. II, p. 856. Gall. Christ, 27. Av. 218.
237: Hist. eccl., Paris, t. I, p. 498.
238: On appelle ainsi la juridiction de l'évêque.
239: Baluze, Capit., t. II, col. 1493.
240: Un prieur est un ecclésiastique préposé sur un monastère ou bénéfice qui a le titre de prieuré. Les réguliers ayant acquis, par la libéralité des fidèles, des biens éloignés de leurs monastères, envoyoient dans ces domaines un certain nombre de leurs religieux, pour régir le temporel et desservir l'église. Le chef de cette colonie avoit le nom de prieur ou prévôt, et ces établissements se nommoient celles ou obédiences.
241: Cart. S. Eligii.—Hist. eccl., Paris, t. I, p. 766.
242: Cette église étant entièrement ruinée, le roi avoit accordé, en 1715, une loterie pour la faire rebâtir; mais le peu d'étendue de sa paroisse fut un motif pour en empêcher la reconstruction: elle fut démolie en entier; on changea l'emplacement en presbytère, et l'on réunit ses paroissiens à ceux de Saint-Pierre-des-Arcis.
243: Le portail, élevé en 1704, est décoré de pilastres d'ordres dorique et ionique, et construit dans la forme pyramidale, qui étoit alors en usage. On a établi dans son intérieur un atelier de fonderie.
244: Extrait d'une lettre de Henri IV, écrite à différentes villes, aussitôt après cet attentat.
«Il n'y avoit pas plus d'une heure que nous étions arrivé à Paris du retour de notre voyage de Picardie, et étions encore tout botté, qu'ayant autour de nous nos cousins le prince de Conti, comte de Soissons et comte de Saint-Paul, et plus de trente ou quarante des principaux seigneurs et gentilshommes de notre cour, comme nous recevions les sieurs de Ragni et de Montigny, qui ne nous avoient pas encore salué, un jeune garçon, nommé Jean Châtel, fort petit, et âgé au plus de dix-huit à dix-neuf ans, s'étant glissé avec la troupe dans la chambre, s'avança sans être quasi aperçu, et nous pensant donner dans le corps du couteau qu'il avoit, le coup (parce que nous nous étions baissé pour relever lesdits sieurs de Ragni et de Montigny, qui nous saluoient) ne nous a porté que dans la lèvre supérieure du côté droit, et nous a entamé et coupé une dent....... Il y a, Dieu merci, si peu de mal, que pour cela nous ne nous en mettrons pas au lit de meilleure heure.»
245: Hist. de Henri-le-Grand, page 163.
246: Journ. de l'Étoile. An 1595.
247: Matth., t. II, liv. 1, p. 182.—Cayet, liv. VI, p. 430.—Mém. de Sully, t. II, p. 457. Éd. de 1763.—De Thou, liv. 3.—Cependant on n'avoit rien négligé pour lui arracher son secret; et pour y parvenir, on avoit employé jusqu'au sacrilége; car nous apprenons de l'Étoile que Lugoly, lieutenant de la maréchaussée, s'étoit déguisé en ecclésiastique, et avoit été introduit en qualité de confesseur auprès de J. Châtel.
248: Voyez le continuateur janséniste de Fleury, Hist. ecclésias., t. XXXVI.
249: Ibid.
250: «Une chose notable, c'est que les juges qui condamnèrent Guignard, parce que Louis Masure, ennemi déclaré des jésuites et député de la cour, avoit trouvé des anciens écrits de ce jésuite, ces mêmes juges étoient, pour la plupart, de ceux qui avoient assisté au jugement de l'arrêt donné contre le feu roi, l'an 1589, qui est une CHOSE ÉTRANGE.» (De l'Étoile. Journ. d'Henri IV,—t. II, p. 155 et suiv.)
251: Si le père Guignard avoit seulement conservé cet écrit, il n'étoit pas plus coupable que les autres gardiens de bibliothèques. S'il l'avoit composé lui-même, c'étoit pendant les égaremens de la ligue; et il y avoit eu amnistie pour tous les ligueurs, y compris le parlement.
252: Mém. d'Est., etc., p. 241.
253: «Guignard, étant conduit au supplice, soutint toujours qu'il avoit toujours été d'avis de prier Dieu pour Sa Majesté. Il ne voulut jamais crier merci au roi, disant que depuis qu'il s'étoit converti, il ne l'avoit jamais oublié au Memento de la messe. Étant venu au lieu du supplice, il protesta de son innocence, et néanmoins ne laissa d'exhorter le peuple à l'obéissance au roi, et révérence au magistrat; même fit une prière tout haut pour Sa Majesté, à ce qu'il plût à Dieu lui donner son saint esprit..... puis pria le peuple de prier Dieu pour les jésuites, et n'ajouter foi légèrement aux faux rapports que l'on faisoit courir d'eux; qu'ils n'étoient point assassins des rois, comme on vouloit le leur faire entendre, ni fauteurs de telles gens qu'ils détestoient; et que jamais les jésuites n'avoient procuré ni approuvé la mort de roi quelconque. Ce furent ses dernières paroles avant de monter à l'échelle.» (Mém. d'Estat. Loc. cit.)
254: «Guéret ne confessa jamais rien, dit de l'Étoile, et pourtant fut mis à la question où il se montra fort constant, et devant fit cette prière en latin tout haut: Jesu-Christe, fili Dei vivi, qui passus es pro me, miserere mei et fac ut sufferam patienter tormentum hoc quod mihi præparatum est, quod merui et majus adhuc; ATTAMEN TU SCIS, Domine, quòd mundus sum et innocens ab hoc peccato». «Ce qui signifie: Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, qui avez souffert pour moi, ayez pitié de moi, et faites que je souffre avec patience le tourment qui m'est préparé; je l'ai mérité et un plus grand encore; cependant vous savez, Seigneur, que je suis pur et innocent du péché qu'on m'impute. Après cette prière étant tiré, il ne jeta aucun soupir ni plainte de douleur: seulement réitéra cette prière: Jesu Christe, fili Dei vivi, etc.». (Journ. d'Henri IV, t. II, page 168.)
255: À l'égard du père Guignard, le procureur général avoit conclu de même au bannissement, «et il y a grande apparence, dit le même de l'Étoile, que s'il ne fût venu à mauvaise heure, comme on dit, il en auroit été quitte pour cela.» (Ibid.) Il étoit assez fâcheux sans doute pour des jésuites, qui ne pouvoient choisir ni deviner la bonne heure du parlement, d'être pendus pour être venus à sa mauvaise heure.
256: Compte rendu au public des comptes rendus aux divers parlemens, etc., t. II.
257: Mém. de du Plessis, t. II, p. 500.—Journal de Henri III, t. V, p. 424.
258: Dupleix, Hist. de Henri-le-Grand.
259: C'est-à-dire leur entière destruction projetée dès le premier moment de leur existence, préparée par les efforts combinés de toutes les sectes de la prétendue réforme, hautement provoquée depuis et même prédite par les jansénistes et par tous les suppôts de la moderne philosophie.
260: Compte rendu déjà cité.
261: Depuis le cardinal d'Ossat.
262: Lettres du cardinal d'Ossat., 16 et 17.
263: Ibid. Lett. 23.
264: Ibid. Lett. 118.
265: Dupleix, Hist. de Henri-le-Grand.
266: Le jésuite Tolet.
267: Ce monarque ordonna, en 1596, qu'on fit par toutes les villes de son royaume, un service solennel pour le repos de l'âme, du jésuite Tolet; et il assista lui-même à celui qui fut fait dans la cathédrale de Rouen, où il étoit alors.
268: Dupleix, Hist. de Henri-le-Grand.
269: Choisy, Hist. de l'Égl., 1743, in-4o, t. X, liv. 31, ch. 4.
270: Dupleix, Hist. de Henri-le-Grand.
271: Ibid.
272: Ibid.
273: Il disoit, en parlant des fondations faites en faveur de la société, «que les fondateurs auroient de la joie, s'ils revenoient au monde, de voir faire un si bon emploi de leurs biens. Ils ont de bonnes lois, ajoutoit-il, parlant encore des jésuites à ses ministres assemblés; laissons-les vivre selon leur règle, et qu'on ne me parle plus d'y rien changer.» (Vie du père Cotton, liv. II.)
274: C'est dans ce discours qu'il déclara que tant s'en falloit qu'un jésuite eût trempé dans le projet d'assassinat de Barrière, que ce fut un jésuite qui l'avertit de son entreprise; et qu'un autre assura ce misérable qu'il seroit damné, s'il osoit l'entreprendre, etc. Enfin lorsque les jésuites vinrent apporter aux pieds de leur bienfaiteur l'hommage de leur vive reconnoissance, voici le discours que leur tint ce grand roi: nous le rapportons en entier sans y changer un seul mot.
«L'assurance suit la confiance, dit Henri IV; je me confie en vous, assurez-vous de moi; avec ce papier (le catalogue des colléges qu'ils tenoient de sa munificence), je reçois les cœurs de toute votre compagnie, et avec les effets, je vous témoignerai le mien. J'ai toujours dit que ceux qui craignent et aiment bien Dieu, ne peuvent faire que bien, et sont toujours les plus fideles à leur prince. Nous nous sommes détrompés; je vous estimois autres que vous n'êtes, et vous m'avez trouvé autre que vous ne m'estimiez. Je voudrois que c'eût été plus tôt, mais il y a moyen de récompenser le passé: aymez-moi, car je vous ayme.» (Matth., panégyr. de Henri IV.)
275: Ces expressions, nous les empruntons à un membre même de la magistrature, le président de Grammond: pyramidam dirui mandat, vetus in jesuitas monumentum procacitate respersum et satirâ. (Hist. gall., p. 107.)
276: Le père Cotton, confesseur du roi, qui vit l'artifice «soutint que la pyramide devoit être démolie pendant le jour, disant tout haut que Henri IV n'étoit point un roi de ténèbres». (Journal de Henri IV, t. III.) Son avis prévalut comme le plus judicieux: le pilier «fut renversé en plein jour, au mois de mai, par le lieutenant civil Miron, envoyé pour ce sujet par Sa Majesté.» (Mém. de Sully, liv. XX).
277: L'auteur de l'Histoire physique, civile et morale de Paris, rapporte exactement dans son livre (t. III, p. 420) toutes ces longues et fastidieuses inscriptions, où la même idée est répétée jusqu'au dégoût; et cette idée n'est pas autre chose que l'expression d'une haine contre les jésuites, furieuse jusqu'au délire. Au reste, dans tout ce que sa propre rage a pu inspirer à cet écrivain contre ces religieux, il n'y a pas un mot qui ne soit une bévue, un mensonge ou une calomnie; et cependant, telle est la puissance de la vérité, qu'à l'occasion du supplice du père Guignard, il ne peut s'empêcher d'avouer que le parlement poussa la rigueur jusqu'à l'iniquité. (T. III, p. 418.)
278: Mercure françois, an 1605.
279: Voyez pl. 25.
280: Duch. t. III, p. 344.—Dubois, t. I, p. 547.—Ann. Bened., t. III, p. 719.
282: Sur le terrain de cette église, démolie peu de temps après, on avoit bâti une salle de spectacle, connue sous le nom de Théâtre de la Cité. Elle a été depuis changée en une vaste maison habitée maintenant par des particuliers.
283: Hist. du dioc. de Par., t. I, 2e p., p. 498.
284: Derrière Saint-Barthélemi et vis-à-vis Saint-Éloi.
285: Cette église a été démolie en 1800; et sur son emplacement on a ouvert une rue qui communique à celle de la Pelleterie.
286: Lebeuf, Hist. du dioc. de Paris, t. I, 2e p., p. 511.
287: L'abbé Lebeuf, t. I, 2e. part., p. 507.
288: Cette église a été démolie, et une maison la remplace. Une partie des murs extérieurs subsiste encore du côté de la petite rue Sainte-Croix.
289: Jaillot a démontré la fausseté de cette étymologie, en prouvant qu'au dixième et même au quatorzième siècle, on ne disoit point Saint-Germain le Vieux, mais le Viel et le Vieil. Tous les titres, d'ailleurs, qui parlent d'églises situées dans des endroits marécageux, et il en existe un grand nombre, ne les désignent jamais que sous le nom de la Palud, ou Palu, du mot latin palus.
290: Cette église, est restée long-temps en ruine; on en a achevé la démolition depuis quelques années, et sur le terrain qu'elle occupoit on a élevé des maisons.
291: Lebeuf, Hist. du Dioc. de Paris.
292: Du Breul, Sauval, Piganiol, Le Maire, Brice, etc.
293: Lebeuf, t. II, p. 575.
294: Lebeuf, t. I, p. 345.
295: Il y avoit un autre archiprêtre, qui étoit le curé de Saint-Séverin; et il avoit même joui de cette dignité avant le curé de la Magdeleine, bien que cette église prît le nom de Première archipresbytérale. C'étoit à ces dignitaires que l'archevêque adressoit ses mandemens, pour les faire passer aux églises du ressort de leur archiprêtré. On pouvoit les regarder comme les doyens des curés. Il y avoit aussi des archiprêtres ruraux.
296: L'emplacement de cette église, dont il ne reste pas le moindre vestige, est maintenant une espèce de cul-de-sac.
297: Cette tradition, adoptée par Du Breul, a été répétée par un grand nombre de compilateurs modernes.
298: Lib. 8, cap. 33.
299: Cependant on ne peut disconvenir que, dans le titre de fondation, il ne soit parlé de la prison de saint Denis, ainsi que dans quelques autres qui y ont rapport; mais la manière dont on en parle prouve que l'on ne s'appuyoit que sur la foi très-incertaine de la tradition. On suppose que cette prison étoit située en cet endroit, et on ne le suppose que sur un ouï-dire: locum illum in quo incarceratus DICITUR beatus Dionysius... in quo gloriosus martyr in carcere TRADITUR fuisse detentum.
300: Hist. sancti Martini de Campis, p. 313 et seq.
301: Mense signifie la part que quelqu'un a dans les revenus d'une église.
302: Sauval donne la description d'une statue qui fut découverte en 1743, dans l'épaisseur du mur de cette église, du côté du couvent et sous les débris du vieux cloître. Cette statue, qui étoit couchée, représentoit un prêtre revêtu d'une chasuble retroussée d'un manipule long et étroit, sur lequel étoient gravées les lettres O. I. B. N. Sur l'étole aussi très-étroite étoient les deux lettres S. A. Ce personnage portoit la barbe longue, la tête nue, les cheveux courts comme les anciens cordeliers; il avoit les mains jointes; au-dessus de sa tête étoit une main qui le bénissoit, et de chaque côté des anges qui l'encensoient. On suppose que cette figure, dont le travail annonçoit le XIIe siècle, étoit celle de quelque ancien prélat.
Le pavé de l'église de Saint-Denis-de-la-Chartre étoit beaucoup plus bas que le pavé extérieur, ce qui prouve l'exhaussement considérable qu'a éprouvé le terrain de la Cité. Il ne restoit plus dans cette église aucun vestige d'antiquité, si ce n'est dans le sanctuaire, dont les piliers devoient être du 12e ou du 13e siècle. Le reste avoit été successivement renouvelé.
303: Voy. pl. 26. Cette église a été démolie dans les dernières années de la révolution, et sur l'emplacement qu'elle occupoit, ainsi que sur celui de ses dépendances, on a élevé des maisons et pratiqué l'ouverture du nouveau quai septentrional de la Cité.
304: Du Breul, p. 117.
305: Cette communauté, connue sous le nom d'Académie de Saint-Luc ou des maîtres peintres et sculpteurs, fut fondée pour relever l'art de la peinture, et pour corriger les abus qui s'y étoient introduits. Les réglements et statuts en furent dressés le 12 d'août 1391, sur le modèle de ceux qui avoient été établis pour les corps de métiers; et l'on créa des jurés et gardes pour visiter et examiner la matière des ouvrages de peinture, avec pouvoir d'empêcher de travailler ceux qui ne seroient pas de la communauté. Dans ces statuts on rappeloit huit articles d'un ancien règlement, qui remontoit jusqu'au commencement de la troisième race. Ce corps fut depuis favorisé par plusieurs de nos rois, et vers le commencement du dix-septième siècle, la communauté des sculpteurs y fut réunie. Mais des abus et des désordres troublèrent cet établissement, dès que l'art eut fait quelques progrès. Les plus habiles, voyant que les fonctions de la jurande les détournoient de leurs travaux, les abandonnèrent à des gens sans talent, qui en firent bientôt une tyrannie insupportable et un moyen de vexation contre tous ceux qui n'étoient pas de leur communauté, de laquelle ils rendoient en même temps l'entrée difficile et entièrement vénale. Les peintres habiles se lassèrent enfin d'un joug si honteux; et leurs réclamations donnèrent naissance à l'académie royale de peinture et de sculpture, dont nous parlerons dans la suite.
Toutefois, l'académie de Saint-Luc continua ses fonctions, et obtint, en 1705, la permission d'ouvrir une école de dessin, et d'y entretenir un modèle. Elle faisoit tous les ans des distributions de prix, et n'a été détruite qu'au commencement de la révolution. La chapelle, qui existe encore, est abandonnée, et l'on a élevé au-dessus plusieurs étages habités par des particuliers.
306: Jaillot, t. I, p. 62.
307: Hist. de Paris, t. III, p. 73. Arch. de Saint-Germain-des-Prés, cartul. de Guillaume III, fol. 36.
308: Voy. pl. 26.
309: Cette église, abandonnée depuis long-temps, est occupée aujourd'hui par un teinturier.
310: Ce monument, long-temps déposé au Musée des Petits-Augustins, et transporté en 1817 dans l'église Sainte-Marguerite, se compose d'un sarcophage de marbre vert, surmonté d'une croix, au pied de laquelle on voit une vierge debout, levant les yeux au ciel avec l'expression de la douleur et de la résignation. Plus bas est étendu le corps du Christ, et des anges sont groupés autour de l'instrument de son supplice, dans l'attitude de l'adoration. On trouve dans cette sculpture les défauts et quelques-unes des beautés qu'offrent les nombreux ouvrages de cet artiste. Élève de Le Brun, il en a l'exagération et l'enflure, lorsqu'il cherche la noblesse des formes; et pour n'avoir pas assez étudié l'antique, et ne s'être point fait sur la véritable beauté, des principes assez sûrs, il devient trivial quand il veut être naïf. Les deux figures principales de ce groupe présentent un exemple assez frappant de cette manière vague qui fait le caractère de toutes les productions de cette école. Cependant elles ne sont point dépourvues de mérite, et les expressions en sont vraies, si les formes en sont médiocres. Il y a même dans les petits anges de la grâce et un assez bon goût de dessin. La croix et toutes les figures sont en marbre blanc.
311: Pastoraux, A, fol. 667; B, fol. 177; D, fol. 166.
312: La chapelle de Saint-Agnan a été démolie en 1795, et, sur le terrain qu'elle occupoit, on a bâti une maison particulière.
313: L'abbé Lebeuf, et Baillet.
314: Past., A., p. 588; B, p. 94; et D, p. 59.
315: Cette chapelle existe encore en partie: sur ses voûtes, composées d'arcs surbaissés, on a élevé une maison à plusieurs étages.
316: Hist. de Paris, t. I, p. 163. Piganiol, t. I, p. 144.
317: T. II, p. 513.
318: Le portail existe encore tel que nous le représentons. (Voy. pl. 26) La construction moderne élevée au-dessus des croisées qui le couronnent a été faite depuis la révolution.
319: Voyez Jaillot, t. I, p. 39.
320: Diplom. lib. 6, num. 14, p. 472.
321: Hist. eccl. Paris, t. I, p. 350.
322: Lebeuf, Hist. du Dioc. de Par. t. I, p. 389.
323: Arch. S. Genov.—Gall. Christ., t. VII.
324: Voy. pl. 15.—Sur cet homme singulier, Voy. les articles Église de Saint-Jacques de la Boucherie et Cimetière des Innocents.
325: Hist. de saint Denis, 2e. part. des preuv., p. clxiv.
326: Sulp. Sev. hist. lib. II.
327: Lib. I, cap. 30.
328: La persécution, qui s'étoit ralentie un moment après la mort de Dèce, recommença, plus violente encore, sous Gallus et Valérius.
329: Val. de Basil. Paris, cap. I, p. 15. Le premier concile de Paris fut tenu dans cette ville en 360.
330: Le Terrain s'appeloit, en 1258, la Motte aux Papelards, Motta Papelardorum; en 1343 et 1356, le Terrail, Domus de Terralio. C'étoit encore, au quinzième siècle, un espace inculte qui se terminoit en pente douce. En 1407, Charlotte de Savoie, seconde femme de Louis XI, y débarqua, lors de son entrée à Paris, et y fut complimentée par l'évêque et par le parlement.
Vers le milieu du dix-septième siècle, les habitants de l'île Saint-Louis, ayant contracté l'obligation de faire revêtir le Terrain d'un mur de pierres de taille, et voulant rompre ce contrat, offrirent au chapitre une somme de 50,000 liv., qu'il accepta et employa à faire construire ce revêtement. On en fit depuis un jardin, uniquement destiné aux chanoines, et dans lequel ils n'admettoient que des hommes. Il a été, pendant la révolution, le dépôt des eaux filtrées de la Seine: depuis il est rentré dans les dépendances de l'archevêché.
331: Fortunat, évêque de Poitiers, et secrétaire de la reine Radegonde, vivoit dans le sixième siècle. On a de lui un poëme en quatre livres sur la vie de saint Martin, et diverses autres poésies, entre autres une pièce de vers intitulée de Ecclesiâ Parisiacâ, dans laquelle ces particularités ont été recueillies. (Voyez Lebeuf, Hist. du Dioc. de Par., t. I, p. 4.)
332: Abbon, lib. II, v. 310. Diplomat., p. 472. Greg. Tur., lib. VIII ch. 33.
333: Le testament d'Ermentrude. Voyez Jaillot, t. I, p. 123 et 131.
334: Hist. eccl. Paris., t. I, p. 82.
335: On lit, dans le Nécrologe de l'église de Paris, qu'Étienne de Garlande, archidiacre, mort en 1142, y avoit fait beaucoup de réparations; et l'auteur de l'Éloge de Suger dit que cet abbé de Saint-Denis fit présent à la même église d'un vitrage d'une grande beauté. On l'appeloit, vers l'an 1110, Nova ecclesia, par opposition à l'église de Saint-Étienne, qui étoit beaucoup plus ancienne. C'est dans cette église de Notre-Dame que nos rois avoient coutume de célébrer le service divin avec le clergé. Un évêque de Senlis, dit une vieille chronique, étant venu à Paris, en 1041, pour demander une grâce au roi Henri, trouva ce prince à la grand messe à Notre-Dame. On a aussi des preuves que le roi Louis-le-Jeune y alloit souvent.
336: Speculum hist. ad an. 1177. Hist. eccl. Paris., t. II, p. 123. In app. Chron. Sigelb. Memor. hist.
337: L'abbé Lebeuf, t. I, p. 9.
338: Lebeuf, Hist. du dioc. de Par., t. I, p. 10.
339: Le grand autel fut consacré quatre jours après la Pentecôte, en 1182. (Jaillot.)
340: Voyez pl. 16 et 17.
341: Ces statues colossales avoient quatorze pieds de hauteur. Elles ont été renversées pendant l'anarchie de 1793.
342: Le mot ogive vient de l'allemand aug, qui signifie œil, parce que les arcs des cintres, dans les voûtes gothiques, font des angles curvilignes semblables à ceux des coins de l'œil, quoique dans une position différente. Voussure signifie toute sorte de courbure en voûte.
343: Un gentilhomme chartrain, nommé Gobineau de Montluisant, a donné une explication extravagante des figures de cette façade. Il y avoit vu une histoire complète de la science hermétique, dont il étoit entêté. Le Père éternel étendant ses bras, et tenant un ange de chacune de ses mains, représentoit le créateur qui tire du néant le soufre incombustible et le mercure de vie, figurés par ces deux anges; le dragon qui est sous les pieds de saint Marcel figuroit la pierre philosophale, composée de deux substances, la fixe et la volatile; la gueule du dragon dénote le sel fixe, qui, par sa siccité, dévore le volatil, désigné par la queue glissante de l'animal, etc., etc. Tout le reste étoit aussi judicieusement conçu et expliqué.
344: Voyez pl. 17.
345: Le pignon est la partie supérieure d'un mur qui a la forme d'un triangle, et où se termine la couverture d'un comble à deux égouts.
Les maisons de Paris, comme on peut encore en juger par quelques-unes des plus anciennes, présentoient sur leur façade, en forme de pignon, le mur qui, dans les constructions modernes, est devenu mur latéral. C'est de là qu'étoit venue cette locution populaire, avoir pignon sur rue, pour exprimer qu'on étoit propriétaire d'une maison.
346: C'est, dans une église gothique, un grand vitrail rond avec croisillon et nervures de pierre, qui forment un compartiment dont la forme imite celle de la rose.
347: Ce sont des ornements composés de listeaux et de fleurons, liés et croisés les uns avec les autres. Le listeau est une petite moulure carrée et unie qui accompagne ou couronne une autre moulure plus grande, ou qui sépare les cannelures d'une colonne ou d'un pilastre. Les fleurons sont des feuilles ou fleurs dessinées de caprice et sans imitation de la nature, entrelacées quelquefois de figures humaines et d'animaux, soit en entier soit en partie.
348: Rinceau, espèce de branche formée de grandes feuilles naturelles ou imaginaires, et refendues comme l'acanthe et le persil, avec fleurons, roses, boutons et graines; cet ornement entre dans la décoration des gorges, des frises, des panneaux, etc.
349: Nous y joindrons la description de quelques autres fragments antiques, découverts à diverses époques dans différentes parties de la Cité.
350: C'étoit aux balcons des galeries qu'étoient attachés et exposés, pendant la guerre, les drapeaux pris sur les ennemis de la France. On les ôtoit en temps de paix.
351: Le roi Jean.
352: Philippe-le-Bel, vainqueur des Flamands à la bataille de Mons-en-Puelle, le 18 août 1304, entra à Notre-Dame, monté sur le même cheval, et armé des mêmes armes avec lesquelles il avoit soutenu le premier choc de l'ennemi, qui avoit pénétré, par surprise, jusqu'à sa tente. Persuadé qu'il devoit à la protection signalée de la Vierge d'être échappé à un aussi grand danger, il fonda une rente de cent livres à l'église de Notre-Dame, et voulut que sa statue équestre y fût élevée, le casque en tête, et armée seulement de l'épée, tel qu'il étoit lorsqu'il fut surpris par les Flamands. Cette statue, que l'on voyoit près du dernier pilier de la nef, du côté de la chapelle de la Vierge, a été détruite probablement avec tant d'autres monuments de la monarchie; car elle n'existe point au dépôt des Monuments français. Saint-Foix prétend qu'elle fut érigée par Philippe de Valois, après la bataille de Cassel, et non par Philippe-le-Bel. Il donne, pour soutenir son opinion, des raisons qui semblent spécieuses: cependant elle n'a point prévalu.
353: La Chronique d'Albéric de Troisfontaines rapporte un fait qui peut donner une idée de la manière dont on ornoit, dès le treizième siècle, cette superbe basilique. Un voleur ayant formé le projet de s'emparer des bassins et des chandeliers d'argent qui étoient devant l'autel, imagina, la nuit de l'Assomption de l'année 1218, de les tirer à lui du haut des voûtes, où il s'étoit caché; les cierges, qui étoient encore allumés, ayant été enlevés avec les chandeliers, mirent le feu aux riches tentures dont l'église étoit tapissée, et il en brûla, avant qu'on pût l'éteindre, pour la valeur de neuf cents marcs d'argent (45,000 livres).
Dans ces temps-là on avoit coutume, à cette même fête de l'Assomption, de joncher le pavé de cette église d'herbes odoriférantes; deux siècles après, on se contentoit d'y répandre de l'herbe tirée des prés de Gentilli.
Le jour de la Pentecôte, c'étoit encore l'usage à Notre-Dame de jeter, par les voûtes, des pigeons, des oiseaux, des fleurs et des étoupes enflammées, pendant qu'on célébroit l'office divin.
354: La captivité du roi Jean, fait prisonnier à la bataille de Poitiers, en 1356, avoit livré Paris à l'anarchie la plus violente, et à tous les maux qui en sont la suite. Pour toucher le ciel en leur faveur, les bourgeois firent vœu d'offrir tous les ans, à Notre-Dame, une bougie de la longueur du tour de la ville. Cette offrande se fit régulièrement pendant deux cent cinquante ans, jusqu'en 1605, que Paris, prenant chaque jour de nouveaux accroissements, elle devint, d'année en année, plus difficile à remplir. Alors le don annuel de la bougie leur fut remis, et celui de cette lampe d'argent le remplaça.
355: On croit ce tableau de Mignard, dont Sourlay étoit l'élève.
356: Le chef-d'œuvre de ce grand peintre est l'un des tableaux les plus parfaits de l'école françoise.
357: Ces deux chapelles, de la Vierge et de Saint-Denis, construites sur les dessins de Decotte, architecte du roi, avoient été magnifiquement décorées aux frais du cardinal de Noailles, inhumé au pied de celle de la Vierge. La statue en marbre de saint Denis étoit de Coustou l'aîné, celle de la Vierge, de Vassé.
358: Cette sacristie est le bâtiment nouveau qui remplace l'ancienne galerie dont nous avons parlé page 312.
359: Nous ignorons ce que sont devenus la plupart de ces tableaux qui étoient conservés, dit-on, pendant la révolution, dans les divers dépôts du gouvernement. La prédication de saint Paul, par Lesueur, le martyre de saint Pierre, par Bourdon, la mort de la Vierge, par le Poussin, le magnificat, par Jouvenet, et quelques autres, ont été placés dans le musée du Roi: on les verroit avec plus de plaisir encore dans l'église à laquelle ils appartiennent.]
360: Nous ne faisons point entrer dans ce catalogue la statue colossale de saint Christophe, que l'on voyoit au premier pilier de la nef près de la porte principale. Elle avoit été élevée par Antoine Desessarts, frère de Pierre Desessarts, surintendant des finances, qui eut la tête tranchée en 1413. Il rêva la nuit que saint Christophe rompoit les grilles de la fenêtre de sa prison, et l'emportoit dans ses bras. Ayant été déclaré innocent quelques jours après, il fit exécuter cette statue, devant laquelle il étoit représenté à genoux. Cette figure gigantesque[360-A], d'un aspect désagréable, fut abattue en 1784.]
360-A: Elle étoit haute de 28 pieds.]
361: Ces deux statues étoient déposées au Musée des monuments français.
362: Leurs statues, d'un gothique médiocre, étoient placées sur leur tombeau; et, depuis, on a pu les voir au Musée des Petits-Augustins. On y voyoit aussi un tableau également enlevé de Notre-Dame, où ce magistrat étoit représenté avec toute sa famille. Cette peinture, plus médiocre encore que les statues, même pour le temps où elle avoit été faite, offroit une image précieuse et naïve des costumes alors en usage. La postérité masculine de ce personnage s'étant éteinte dans le seizième siècle, ses biens furent transférés dans la famille de Harville, qui hérita en même temps de cette chapelle, où plusieurs de ses membres étoient enterrés.
363: Le cardinal y étoit représenté à genoux devant un prie-Dieu. Cette statue, d'un travail médiocre, est placée sur un entablement posé sur quatre colonnes, au milieu desquelles s'élève un grand cénotaphe en marbre noir (déposé pendant la révolution au Musée des monuments français).
364: Les chanoines jubilés étoient ceux qui avoient desservi leurs prébendes pendant cinquante ans.
365: Du fond d'un grand sarcophage, qu'ouvre un squelette couvert de draperies, on voit se lever le comte d'Harcourt, qui semble se débarrasser de son linceul et adresser la parole à sa femme, représentée à genoux au bas du monument; derrière, l'Hymen éploré éteint son flambeau. Ce groupe, d'une exécution maniérée, d'un dessin pauvre et incorrect, étoit aussi déposé, pendant la révolution, au musée des monuments françois.
Ce monument, et toutes les autres statues enlevées à Notre-Dame, ont été rendus à cette église.
366: On a prétendu qu'elle avoit été d'abord près de Saint-Landri, et que cette église en étoit la chapelle. Cette erreur vient de ce qu'effectivement les évêques possédoient une maison dans cette partie de la Cité.
367: Nécrol. Paris. ld. sept. Dans ces anciens bâtiments étoient les salles des officialités métropolitaine et diocésaine, du bailliage de la duché-pairie de l'archevêque, la chambre ecclésiastique du diocèse, et la bibliothèque des avocats[367-A]. Toute cette partie de l'archevêché a été abattue, à l'exception de la double chapelle. La vue pittoresque que nous joignons ici présente très-exactement l'état actuel de ce palais.
367-A: Cette bibliothèque étoit située dans le pavillon à droite de l'avant-cour de l'archevêché. Étienne Gabrian, seigneur de Riparfonds, l'un des plus célèbres jurisconsultes de son temps, l'avoit léguée en 1704 à ses confrères, avec des fonds pour l'entretenir, et sous la condition de la rendre publique. On y faisoit, une fois par semaine, des consultations gratuites pour les pauvres; et, tous les samedis non fêtés, des avocats distingués y tenoient des conférences sur la jurisprudence.
368: Voyez pl. 18.
369: Dans un diplôme du roi Louis VI, de l'an 1110, les seigneuries de cet évêque, après celle de sa censive dans la Cité, sont dites être Saint-Germain, Saint-Éloi, Saint-Marcel, Saint-Cloud et Saint-Martin-de-Champeaux en Brie. Il avoit aussi, dès le sixième siècle, des possessions dans le diocèse de Sens, et une terre en Touraine, dans les environs d'Amboise. (Lebeuf.)
370: Cap. Sues., an. 744.—C. 3.
371: Cod. Theod., lib. XVI, tit. II, Leg. 2, 39, 41, 47. Edict. Clot., an. 615, c. 4.
372: Cap. Lud. Pii. Bal.
374: Nous apprenons de Grégoire de Tours qu'à la suite d'un désordre dont les juifs d'Auvergne avoient été l'occasion, et qui avoit amené la destruction de leur synagogue, le bienheureux Avitus, évêque de cette ville, leur fit dire «qu'il ne forçoit point, mais qu'il prêchoit; qu'il étoit leur pasteur, et que, s'ils vouloient se conformer à sa croyance, il les réuniroit au reste de son troupeau; que s'ils ne le vouloient pas, ils eussent à sortir de la ville.» Après trois jours de délibération, de doute et de perplexité, une partie des juifs fit dire à l'évêque qu'elle croyoit en Jésus-Christ; et ceux-là furent baptisés. Ceux qui ne voulurent pas recevoir le baptême sortirent de la ville, et allèrent s'établir à Marseille. (Hist., lib. V, c. 2.)
375: Voyez ci-dessus, p. 201 et suiv.
376: Pépin.
377: On appela cour de chrétienté le tribunal ecclésiastique où l'on jugeoit les cas mixtes et les autres délits publics qui étoient susceptibles d'être punis par les censures de l'Église. Toute pénitence publique emportoit avec elle l'interdiction du port d'armes; et une loi de Charlemagne ordonne que les pénitents qui avoient commis quelque crime énorme et capital, seroient enfermés dans une prison[377-A], où, privés de tout commerce avec les fidèles, ils devoient être occupés à quelque travail utile, et accomplir ainsi, selon les canons, la peine qui leur avoit été imposée; ce qui constituoit non-seulement une séparation entière de la société, mais comme une espèce de servitude. Il paroît que le jeûne au pain et à l'eau, qui étoit une des punitions les plus légères, et que l'on appliquoit ordinairement aux fautes les moins graves, étoit rigoureusement imposé à ceux qui subissoient un tel emprisonnement.
377-A: Pendant long-temps ceux qu'on avoit ainsi dégradés parcoururent les provinces comme des vagabonds, nus, et armés seulement d'une épée (Cap. Aquis gran., an. 789, c. 77.)
378: Cap. Car. cal., tit. 36.
379: Ibid., c. 15.
380: S'il arrivoit, au contraire, que le pénitent, touché des avis paternels de son évêque, se soumît à la pénitence qui lui avoit été imposée, le magistrat ne prenoit aucune connoissance de son crime, si ce n'est pour exiger l'amende qu'il avoit encourue en le commettant.
381: Lorsque Carloman confia l'administration de la police aux évêques, il ne leur donna d'autres armes que les censures et leur autorité. «Mais cette autorité, ajoutoit-il, a besoin d'être aidée par la puissance judiciaire; ainsi il a plu à nous et à nos fidèles, en commun, que les commissaires royaux, chacun dans son district, les assistent fidèlement; et que le comte ordonne à son vicomte, à ses centeniers et aux autres ministres de la république, de même qu'aux Francs qui sont instruits des lois civiles, que, pour l'amour de Dieu, la paix de l'Église et la fidélité qu'ils nous doivent, ils les aident en cela du mieux qu'ils pourront» (3. Cap. Carlom., c. 9.)
382: Par l'excommunication du prêtre, le coupable étoit retranché de la société spirituelle, comme par la mort, le bourreau le retranche de la société matérielle; avec cette différence que le repentir et l'expiation pouvoient le faire rentrer dans la première, tandis que la rigueur inexorable de l'autre société le rejette ainsi pour jamais de son sein.
383: Cap. apud Confluent., c. b. Un autre capitulaire offre les paroles suivantes: «Qu'aucun évêque ni prêtre n'excommunie aucune personne avant de prouver que, dans le cas où elle se trouve, les canons ordonnent de le faire, et à moins d'avoir averti celui qui a avoué ou qui est convaincu du délit. (Cap. Car. Calv., tit. XL, c. 10). Le même capitulaire prouve que les laïques pouvoient avoir recours à la justice du roi, lorsqu'ils croyoient avoir été injustement condamnés par leurs évêques. (Ibid., c. 7.)
384: Il étoit défendu à celui qui en avoit été frappé d'entrer dans l'église, et de s'asseoir à table avec aucun chrétien; on ne devoit ni recevoir des présens de lui, ni lui donner le salut et le baiser, ni s'unir à lui dans la prière, jusqu'à ce qu'il eût été réconcilié (Cap. synod. Vern., an. 755.) S'il ne faisoit aucun compte de l'excommunication lancée contre lui, le juge séculier y joignoit ses sommations; si elles étoient également inutiles, le juge ordinaire le faisoit conduire en prison, de sa propre autorité, lorsque le coupable étoit un homme de la multitude, ou prenoit les ordres du roi avant de l'enfermer, s'il étoit du nombre de ses vassaux; si c'étoit un comte, l'évêque lui-même devoit rendre compte au monarque de sa désobéissance. Mais il est facile de concevoir qu'abandonnés ainsi de tous ceux qui les environnoient, et qui, dans tout autre cas, les auroient défendus, à cause de cette terreur religieuse dont leur sentence saisissoit tous les esprits, les plus puissants et les plus endurcis se voyoient forcés de plier sous la main paternelle qui les châtioit, et de venir à résipiscence.
385: On a fait un crime au clergé d'avoir employé l'excommunication contre les ravisseurs de ses biens: quoi de plus juste cependant, puisque, dans la position où se trouvoit alors l'Église, comme société visible et constituée dans l'État, lui ravir ses biens, c'étoit attaquer son existence même, et par conséquent encourir la peine capitale, dont on a puni de tout temps, et dans tous les lieux, les crimes qui compromettent le salut de la société?
386: Tous les monuments témoignent, au contraire, de la confiance sans bornes que les rois avoient dans leur sainteté et leurs lumières, et le noble usage qu'ils faisoient de cette confiance et de leurs fréquentes interventions dans les affaires les plus importantes de l'État. Clotaire et son fils Dagobert les prirent pour arbitres dans les contestations qui s'élevèrent entre eux au sujet des limites de leurs États. «Chilpéric et Gontram, dit Grégoire de Tours, étant divisés entre eux, ce denier fit assembler les évêques de ses États, afin qu'ils fussent arbitres entre son père et lui. Mais le ciel, qui vouloit punir ces princes de leurs péchés par le fléau de la guerre civile, permit qu'ils ne déférassent point alors au jugement des prélats.» Cet historien en parlant de la paix que ce même Gontram fit avec Childebert son neveu: «Voilà, dit-il, ce qui fut conclu entre ces princes, par l'entremise des prélats et des autres grands du royaume.»
387: «La monarchie, dit l'abbé Dubos, eût été renversée de fond en comble dans ces temps d'affliction, si l'Église de France n'avoit point eu l'autorité et les richesses qu'on lui a tant reprochées. Mais la puissance que les ecclésiastiques avoient dans ces temps-là, mit ceux d'entre eux qui avoient de la vertu en état de s'opposer avec fruit à ces hommes de sang, dont les Gaules étoient remplies alors, et qui cherchoient sans cesse à faire augmenter les désordres et à multiplier les guerres civiles, pour usurper dans quelque canton l'autorité du prince, et s'y approprier ensuite le bien du peuple. Les bons ecclésiastiques empêchèrent ces cantonnements dans plusieurs endroits, et y conservèrent assez de droits et assez de domaines à la couronne pour mettre les princes qui la portèrent dans la suite en situation de recouvrer, avec le temps, du moins une grande partie des joyaux qu'on en avoit arrachés. C'est ainsi qu'un mur solide qui se rencontre dans un édifice mal construit, lui sert comme d'étai, et que, par sa résistance, il donne aux architectes le loisir de faire à ce bâtiment des réparations à l'aide desquelles il dure encore plusieurs siècles.»
Ces réflexions sont, au fond, d'une grande vérité, quoiqu'il y ait beaucoup d'inexactitude dans la manière dont elles sont présentées.
389: Il nous semble qu'en traitant cette question, M. de Bonald n'a pas fait preuve de son exactitude accoutumée, lorsqu'il met au nombre des causes qui changèrent ainsi la nature des biens du clergé, les donations multipliées qui lui furent faites. (Voy. Œuvres complètes, t. III, p. 274.) Ce n'est point par donations, mais par restitutions, qu'il devint propriétaire de terres inféodées. Le même écrivain pense aussi que ce fut comme possesseurs de fiefs, que les gens d'église se virent forcés de lever des soldats et souvent de combattre eux-mêmes (ibid., p. 275): nous avons prouvé que ce fut pour eux une triste nécessité de le faire, long-temps avant qu'ils eussent des biens de cette espèce; et nous ajoutons que cette dernière révolution qui rendit ainsi au clergé, avec les priviléges immenses de l'inféodation, tant de propriétés dont il avoit été violemment dépouillé, loin de nuire à son existence, servit au contraire à la consolider.
390: Le territoire de Saint-Germain-l'Auxerrois, qui étoit dans la censive de l'évêque, devint si considérable par son commerce, que l'évêque Étienne crut devoir, pour en maintenir la prospérité, associer le roi Louis-le-Gros aux deux tiers du profit dans tout le clos fermé de fossés qu'on appeloit Champeau, Campellus ou Campelli, et ne s'en réserver qu'un tiers pour lui et son église, le prévôt du roi restant tenu de prêter fidélité à l'évêque, et celui de l'évêque au roi. Ce fameux traité, fait du consentement du chapitre, est daté de l'an 1136, vingt-neuvième de Louis VI, et quatrième de Louis VII son fils.
Mais ce qui contribua le plus à diminuer les anciens droits de l'évêque, fut un autre traité que Guillaume de Seignelay, évêque en 1222, fit avec Philippe-Auguste. Ce prince fut reconnu avoir la justice du rapt et du meurtre dans le bourg Saint-Germain et dans la Culture-l'Évêque, qui en étoit voisine; le droit de lever des impôts sur les habitants pour dépenses de guerre et chevauchées, de même que celui de justice sur les marchands, dans tout ce qui étoit relatif aux marchandises. Lorsqu'il sera question du Louvre, nous parlerons des dédommagements qui furent alors accordés à l'Église pour compenser le tort que lui fit l'érection de cette maison royale.
391: L'exemple suivant pourra faire comprendre quels étoient alors les priviléges des seigneurs suzerains, priviléges contre lesquels venoit se briser toute l'autorité des rois, et qui avoient tout l'effet d'une loi fondamentale de l'État: les évêques de Paris, à leur installation, faisoient leur entrée solennelle à Notre-Dame, portés par quatre seigneurs feudataires de l'Église; et ce qu'on aura peine à croire, c'est que le roi étoit un des vassaux soumis à ce devoir, en qualité de seigneur de Corbeil, de Montlhéry et de la Ferté-Aleps. L'histoire nous apprend que Philippe-Auguste et saint Louis nommèrent des chevaliers qui les représentèrent dans cette cérémonie. Dans la suite, il y eut quatre barons françois destinés à remplir cette obligation; c'étoient les barons de Maci, de Montgeron, de Chevreuse et de Luzarches. Le baron de Montmorency, qui d'abord étoit de ce nombre, cessa d'en être lorsque sa terre eut été érigée en duché-pairie. On ignore quand et comment a fini cette servitude, depuis long-temps abolie; mais les rois, en même temps qu'ils étoient soumis envers les évêques à de tels devoirs, pouvoient à leur tour, et en vertu du droit de régale, s'emparer, à leur mort, de tous les meubles de bois et de fer qui se trouvoient dans leurs maisons; et ces prélats, qu'un tel droit contrarioit beaucoup, ne purent s'en racheter qu'à force de sacrifices et de prières, choisissant pour y parvenir une occasion où Louis-le-Jeune, prêt à faire son voyage d'outre-mer, se trouvoit dans une grande disette d'argent.
392: Cette juridiction des barons devint surtout vicieuse et abusive vers la fin de la seconde race, lorsque les malheurs du temps ayant légitimé les usurpations des grands vassaux, ils détruisirent toute appellation à un tribunal supérieur. Auparavant, ainsi que nous l'avons déjà dit, et que nous aurons occasion de le redire encore[392-A], l'administration de la justice, malgré beaucoup d'imperfections qu'avoient introduites l'ignorance des barbares et la grossièreté de leurs mœurs, étoit bonne dans son principe qui ne demandoit qu'à être bien compris et raisonnablement développé; et ce qui le prouve, c'est qu'il suffit de revenir à ce principe, pour donner à la France la hiérarchie judiciaire la plus parfaite du monde civilisé, et un corps de magistrature auquel rien en Europe ne pouvoit être comparé.
392-A: Voyez ci-dessus, p. 58, et ci-après l'article Châtelet.
393: C'est dans la jurisprudence des tribunaux francs qu'il faut aller chercher l'institution barbare du jury, conservée par la nation anglaise, chez qui elle a été une des causes les plus actives de corruption pour toutes les classes de la société; institution depuis si follement adoptée en France avec tant d'autres qui ont fait sa honte et son malheur. Dans toute affaire, soit civile, soit criminelle, on procédoit par audition de témoins, les uns oculaires, et ceux-ci étoient produits par les parties, les autres simples examinateurs ou jurés, et ceux-là étoient choisis par le juge. Lorsque l'accusé pouvoit réunir en sa faveur la plus grande partie de ces témoins, dont le nombre varioit suivant la nature et la gravité du délit, son innocence étoit prouvée; que si les témoins lui étoient contraires, alors il avoit la ressource de se purger ou par le serment ou par le combat, auquel il provoquoit son accusateur. Toutefois, le serment n'étoit valable que lorsque cet accusé pouvoit déterminer un nombre plus ou moins grand de personnes d'une condition égale à la sienne, à jurer avec lui. C'étoit là ce qu'on appeloit les conjurateurs. Quant à l'accusateur, il ne pouvoit refuser le combat, lorsque l'accusé n'avoit pu réunir le nombre de ces conjurateurs, fixé par la loi. Les combats de cette espèce, si connus sous le nom de jugement de Dieu, étoient très-meurtriers sous la première race (Greg. Tur., lib. X, cap. 10); ils le furent moins sous la seconde, et les capitulaires paroissent n'y autoriser que l'usage de l'écu et du bâton. (Ibid., lib. IV, c. 23.) En 1215 une ordonnance de Philippe-Auguste fixa à trois pieds la plus grande longueur des bâtons dont les champions devoient être armés. (Ordonn. du Louv., t. I, p. 36.)
Il étoit une autre sorte d'épreuves nommée ordalie, ou épreuve par les élémens; mais il n'y avoit que les personnes de condition servile qui y fussent sujettes. (I. Cap., an. 809, c. 28.)
394: Entre autres, le concile de Valence, tenu en 855; Nicolas Ier, dans une épître à Charles-le-Chauve; les papes Célestin III, Innocent III, Honorius III. On les voit condamnés dans quatre conciles assemblés par Louis-le-Débonnaire, et dans le neuvième général de Latran, etc.
395: Par cette loi, dont étoit auteur Gondebaud, roi des Bourguignons, il étoit ordonné que ceux qui ne voudroient pas se tenir à la déposition des témoins ou au serment de leur adversaire, pourroient prendre la voie du duel. (Voy. la note p. 351.)
396: Elle étoit composée des seigneuries de Saint-Cloud, Maisons, Créteil, Ozoir-la-Ferrière et Armentières.
La juridiction ecclésiastique de l'archevêque, dite l'Officialité, tenoit son audience à l'entrée de la chapelle épiscopale inférieure. Ce tribunal étoit composé d'un official, un vice-gérent, et quelquefois plusieurs assesseurs, un greffier, un promoteur, des appariteurs.
Ce prélat avoit encore une autre justice, que l'on nommoit la Temporalité. Elle étoit exercée par un juge qui connoissoit des appellations de sentences rendues en matière civile par les officiers des justices des terres de l'archevêché.
Il possédoit en outre le droit de justice de fief et de voirie dans neuf fiefs situés dans la ville de Paris.
397: Ce mot chanoine, canonicus, vient de à canone, qui signifie règle.
398: On nommoit ces portions divisiones mensurnas, et ils furent appelés fratres sportulantes.
399: Chron. Ademar. ad. ann. 816.
400: Sous la première et la seconde race, on les voit désignés sous le titre de fratres et seniores, vel primores Sanctæ Mariæ. Depuis le concile d'Aix-la-Chapelle, le chapitre est nommé Congregatio vel conventus fratrum aut canonicorum Beatæ Mariæ. Ce n'est qu'en 1073 qu'on lit, pour la première fois, le mot Capitulum.
Ces mots de frères et de règle ont fait croire à quelques auteurs que le chapitre de Notre-Dame étoit, dans les commencements, une communauté de chanoines réguliers, et qu'ils suivoient la règle de saint Augustin. Le culte particulier qu'ils rendoient à ce saint docteur n'est pas une preuve assez forte pour appuyer ce sentiment; et sa fête est célébrée avec solennité dans plusieurs églises qui n'ont jamais reçu sa règle.
401: Il y avoit anciennement treize chapitres à Paris, qui étoient: 1o le chapitre de Notre-Dame; 2o ceux de Saint-Jean-le-Rond; 3o de Saint-Denis-du-Pas; 4o de Saint-Marcel; 5o de Saint-Honoré; 6o de Sainte-Opportune; 7o de Saint-Méry; 8o du Saint-Sépulcre; 9o de Saint-Benoît; 10o de Saint-Étienne-des-Grés; 11o de Saint-Thomas-du-Louvre; 12o de Saint-Nicolas-du-Louvre; 13o de Saint-Germain-l'Auxerrois. Le nombre de ces chapitres avoit été diminué par la réunion qui s'étoit faite de plusieurs d'entre eux, ainsi qu'on le verra par la suite.
402: Ce chapitre étoit indépendant de la juridiction de l'archevêque. Il avoit, ainsi que lui, son officialité et une justice séculière, appelée la Barre du Chapitre. De lui dépendoient aussi les chapitres de Saint-Méry ou Médéric, du Saint-Sépulcre, de Saint-Benoît et de Saint-Étienne-des-Grés. On appeloit vulgairement ces chapitres les quatre filles de Notre-Dame; comme ceux de Saint-Marcel, de Saint-Honoré, de Sainte-Opportune, et celui de Saint-Germain-l'Auxerrois, avant sa réunion au chapitre de Notre-Dame, étoient nommés les filles de l'Archevêque. Nous en parlerons à l'article de ces diverses églises.
403: Elle a été abattue.
404: Hist. eccl. Paris., t. II, p. 22 et 23.
405: Ces conditions étoient qu'ils s'acquitteroient des mêmes fonctions, l'anniversaire excepté; qu'ils ne pourvoient se qualifier chanoines de Sainte-Marie, mais seulement de Saint-Jean, et que le chapitre conserveroit le droit de les nommer et de les destituer.
406: Cartul. S. Magl., fol. 178.
407: À l'abbaye de Saint-Denis, il y avoit une chapelle de Saint-Nicolas qui est désignée dans les titres, Sanctus Nicolaus de Passu. Au diocèse de Chartres étoit une paroisse appelée le Pas de Saint-Lomer.
408: Cinq de ces prébendes étoient sacerdotales, trois diaconales et deux sous-diaconales.
409: Cette église a été abattue.
410: L'historien de l'église de Paris, D. Félibien; M. de Mautour; Mém. de l'Acad. des Inscrip., t. III, p. 299.
412: Nécrol. de N. D., 27 août et 12 sept.
413: Hist. eccl. Paris, t. II, p. 482.
414: Hist. eccl. Paris, t. III, p. 249.
415: Pastor. A., fol. 804.
416: L'abbé Lebeuf.
417: L'an 1413, les tours de lit commençant à n'être plus de simple toile comme auparavant, et étant formés d'ailleurs d'un bien plus grand nombre de pièces, les chanoines ordonnèrent que leurs héritiers, en donnant cent livres, somme en ces temps-là très-considérable, seroient quittes, s'ils vouloient, de cette charité. Cette disposition nouvelle a duré jusqu'en 1592, que les directeurs séculiers de cet hôpital se plaignirent au parlement, et prétendirent que le ciel, les rideaux, la courtepointe et autres accompagnements des lits des chanoines, soit qu'ils fussent de soie, d'argent, d'or ou de telle autre étoffe que le luxe avoit ajoutée à la simplicité des siècles précédents, devoient leur appartenir. Sur les conclusions des gens du roi, la cour leur accorda leur demande. L'an 1654, elle condamna les héritiers de M. de Gondi, archevêque de Paris, à délivrer aux administrateurs de l'Hôtel-Dieu son lit et tout ce qui en dépendoit.
418: Rec. des tit. de l'Hôtel-Dieu.
419: Leur nombre fut ensuite porté jusqu'à douze, en 1654, sous l'inspection et l'autorité de l'archevêque et des premiers magistrats.
420: Elles étoient aidées dans leurs fonctions par un grand nombre de personnes, tant du dehors que de l'intérieur de l'Hôtel-Dieu. L'état journalier de cette maison en portoit le nombre à plus de cinq cents.
421: La communauté de ces religieuses étoit toujours très-nombreuse, malgré l'austérité de leur règle et les pénibles travaux qui y étoient attachés; elles étoient ordinairement cent trente. Leur noviciat duroit sept ans, à dater du jour de la prise de l'habit, et il ne falloit pas moins de temps pour éprouver une vocation si difficile.
L'administration de cet hôpital a éprouvé bien des changements pendant la révolution; et c'est alors qu'on a pu se convaincre que des dispositions purement humaines et des agents salariés ne pouvoient suffire à des travaux, à des sacrifices qui sont tels qu'aucun prix sur la terre ne peut les payer. Il n'appartient qu'à la religion et aux immortelles espérances qu'elle porte avec elle, de produire de tels prodiges de dévouement et de charité; et ils périroient avec elle, s'il étoit possible qu'elle périt jamais. Les sœurs de l'Hôtel-Dieu ont donc été rappelées, parce que l'on a reconnu qu'il étoit impossible de se passer de leur assistance.
422: Cette chapelle, différente de l'église du même nom, située à l'autre extrémité du parvis, fut rebâtie vers 1380, par les soins d'Oudard de Maucreux, bourgeois de Paris. Elle a été démolie pendant la révolution.
423: Sur la rive méridionale.
424: Voy. pl. 20.
425: L'édit portoit aussi que les gens à cheval paieroient six deniers; mais ils n'y ont jamais passé, car il y avoit une barrière ou tourniquet qui n'en laissoit l'entrée libre qu'aux piétons.
426: Ce droit étoit d'un neuvième.
427: L'ancien portail étoit d'un gothique très-élégant. Voyez la pl. 19, qui offre aussi une vue de l'archevêché, tel qu'il était dans les temps anciens.
428: Past. B., p. 194.—Et D., p. 201.
429: On sait que le grand-maître, sommé par le légat de confirmer les aveux qu'il avoit faits à Poitiers, s'avança sur le bord de l'échafaud, et y fit à haute voix une rétractation, à laquelle le maître de Normandie donna son adhésion; ce qui fut cause qu'ils furent brûlés vifs, le soir même, sur l'île aux Bureaux. Voyez page 104.
430: Cette maison fut nommée la Couche.
431: Reg. du parl.
432: Ibid.
433: On les vendoit, dit-il, vingt sous la pièce dans la rue Saint-Landri; et quelquefois on les donnoit par charité à des femmes malades par suite de couches, qui s'en servoient pour se débarrasser d'un lait corrompu.
434: Cette répartition fut faite de la manière suivante: 3.000 l. par an pour toutes les justices dépendantes de l'archevêché; 2,000 liv. pour celle de l'église du chapitre de Paris; 3,000 liv. pour celle de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés; 1200 liv. pour celle de l'abbaye de Saint-Victor; 1500 liv. pour celle de l'abbaye de Sainte-Geneviève; 1500 liv. pour celle du Grand-Prieuré de France; 2,500 liv. pour celle du prieuré de Saint-Martin; 600 liv. pour celle du prieuré de Saint-Denis-de-la-Chartre; 100 liv. pour celle que l'abbaye de Tiron a dans Paris; 50 liv. pour celle de l'abbaye de Montmartre; 100 liv. pour celle du prieuré de Saint-Marcel; 150 liv. pour celle du chapitre de Saint-Médéric; 100 liv. pour celle du chapitre de Saint-Benoît; 100 liv. pour celle de l'abbaye de Saint-Denis.
435: Ce dernier avoit peint tout ce qui remplissoit les arcades du rez-de-chaussée et toute la partie du fond jusqu'à la voûte. Il y avoit représenté la Nativité, l'Adoration des mages et des bergers; une gloire d'anges couronnoit cette composition. Par une singularité assez remarquable, il avoit imaginé de représenter sur le plafond les débris d'une riche voûte entièrement ruinée, soutenue par d'énormes étais, et menaçant d'une chute prochaine.
436: Il sert maintenant de pharmacie centrale à tous les hospices civils de Paris.
437: Il paroit qu'originairement il étoit plus près de l'emplacement où l'on a bâti depuis le pont Notre-Dame. (Jaillot.)
438: Voyez pl. 25. Ce monument est déposé aux Petits-Augustins.
439: À l'article de la porte Saint-Denis nous parlerons avec plus de détail de cette entrée, qui présente plusieurs particularités remarquables.
440: Les fêtes et dimanches, les oiseliers y venoient vendre toutes sortes d'oiseaux, ce qui leur avoit été permis sous la condition d'en lâcher deux cents douzaines au moment où nos rois et nos reines passeroient sur ce pont dans leurs entrées solennelles.
441: Voyez pl. 21.
443: Ces maisons ont été abattues pendant la révolution, ainsi que celles qui couvraient le petit Pont.
444: Du Breul, Sauval, les historiens de Paris, Piganiol.
445: Raoul de Presle.
446: Ann. Bened., t. VI, p. 180; et Anecd., t. I, col. 371.
447: Le Laboureur, liv. XXXIII, chap. VI.
448: Le journal de Paris, sous le règne de Charles VI, l'appelle le pont de la Planche-de-Mibrai.
449: La démolition en fut commencée en 1787.
450: C'étoit un dominicain, né à Vérone vers le milieu du quinzième siècle, et qui se rendit également célèbre dans les sciences et dans les arts. Indépendamment des beaux monuments qu'il a élevés, il est auteur de remarques très-curieuses sur les commentaires de Jules-César; on a de lui des éditions de Vitruve et de Frontin; et c'est à ses soins que l'on doit la découverte de la plupart des épîtres de Pline. Il fut le maître de Jules Scaliger.
451: Voyez pl. 22. Ce pont est d'un fort beau dessin; mais il laissoit sans doute beaucoup à désirer pour la solidité, car on voit qu'en 1540 il avoit besoin de réparation; qu'en 1577 deux de ses arches étoient fort endommagées, et qu'il fut encore réparé en 1659, ainsi que le témoigne l'inscription qu'on y mit alors.
Jucundus celebrem posuit tibi, Sequana, pontem;
Invito œdiles flumine restituunt.
An. N. S. M.DC.LIX.
452: Déposé au Musée des Petits-Augustins.
453: Nécrol. de N. D.
454: En 1206, 1280, 1296, 1325, 1376, 1393 et autres années. (Jaillot.)
455: Hist. de Paris, t. II, p. 714.
456: Compte de Marcel, IVe liv., fol. 62. Cependant l'abbaye Saint-Germain-des-Prés conserva les droits qu'elle avoit sur ce pont; et l'on trouve qu'au milieu du seizième siècle elle y possédoit encore trois maisons dont elle jouissoit de toute ancienneté; elle étoit en outre propriétaire de plusieurs moulins établis sous ses arches; et cette possession n'étoit pas moins ancienne, puisque ces moulins lui avoient été donnés par Childebert. D'autres moulins, situés du côté de l'Hôtel-Dieu, appartenoient à l'évêque, et étoient nommés les chambres de l'évêque.
457: Hist. de Paris, t. II, p. 1361.
458: Ce pont a été abattu et reconstruit, pendant la révolution, un peu plus au midi de la Cité, vis-à-vis la rue Saint-Louis et le cloître Notre-Dame. Voyez, à la fin de ce quartier, l'article Monuments nouveaux.
459: Voyez l'article Rues de la Cité.
461: Hist. eccl. Paris., t. II, p. 461. Pastor. D., fol. 39.
462: Gr. Cart., fol. 11, ch. 18.
463: Cette fête, dont les historiens du temps nous ont laissé le détail, peut donner une idée de l'espèce de luxe et du genre de divertissemens qui étoient alors en usage à la cour de France. Edouard II, roi d'Angleterre, s'y trouva, avec Isabeau de France sa femme, et les seigneurs les plus distingués de son royaume. Les deux cours se piquèrent de rivaliser entre elles de magnificence: on changeoit d'habits trois et quatre fois par jour; et les rois donnoient l'exemple à leurs courtisans, en étalant à l'envi tout ce que le faste a de plus éclatant. Le peuple prit part à la joie de ses maîtres par des festins et des réjouissances publiques. Elles durèrent huit jours, pendant lesquels les Parisiens donnèrent des représentations de pièces de théâtre, dont Dieu, la vierge Marie, Lucifer, les anges et les diables étoient toujours le sujet. On jouoit, sur un échafaud dressé au bout d'une rue, les récompenses dont jouissoient les élus dans le ciel; et au bout opposé, les peines des âmes damnées. On donna ensuite le spectacle d'une marche de beaucoup d'animaux, et ce spectacle fut nommé la procession du renard, on ne sait pourquoi. Le cinquième jour, les habitans de Paris, les uns à pied, les autres à cheval, passèrent en revue devant les deux rois. Un auteur contemporain assure qu'il y avoit cinquante mille hommes, vingt mille cavaliers et trente mille fantassins, ce qui peut donner une idée du grand nombre d'habitants que contenoit dès lors cette capitale.
464: Hist. eccl. Paris, t. II, p. 562.—Sauval, t. 1, p. 90.
465: Hist. eccl. Paris., t. III, p. 124.
466: Voyez pl. 23.
467: Le procès-verbal que l'archevêque de Paris en fit dresser alors, porte qu'elle étoit large de six à sept toises sur douze de longueur, vitrée, couverte d'ardoises, et ornée d'un tableau représentant saint Louis et sainte Cécile.
468: Il fallut obtenir à cet effet le consentement des curés de Saint-Paul, de Saint-Gervais, de Saint-Jean-le-Rond et de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
469: Voyez pl. 24.
470: Les modillons sont de petites consoles renversées dans la forme d'un S sous le plafond de la corniche; ils semblent soutenir le larmier, toutefois ils ne servent que d'ornements. On appelle métope l'intervalle qu'on laisse entre les triglyphes de la frise dans l'ordre dorique. Les triglyphes sont une espèce de bossage, par intervalles égaux, qui, dans la frise dorique, a des gravures entières en angles, appelées glyphes ou canaux, et séparées par trois côtés d'avec les deux demi-canaux des côtés.
471: Voyez pl. 26.
472: Ce plafond orne maintenant une des pièces du palais du Luxembourg.
473: Ils sont actuellement dans le Musée du Roi. Le plafond qu'avoit peint Le Brun n'a point été enlevé de cet hôtel.
474: Plusieurs de ces tableaux appartiennent maintenant à la collection des rois.
475: Dans cet hôtel à moitié démoli, il y a maintenant une brasserie et un atelier de teinture.
L'hôtel Lambert est devenu le dépôt général des lits de la garde royale.
476: T. III., p. 124.
477: T. III, p. 124.
478: Le plan de Dheulland.
479: T. I, p. 239.
480: Hist. de Paris, t. V, p, 138.
481: T. I, p. 89. Javeau est un terme des eaux et forêts, qui signifie une île nouvellement faite au milieu d'une rivière, par alluvion ou amas de limon et de sable.
482: En 1034, sous Henri Ier.
483: Rigord. vita Philipp. Aug.
484: Il paroît toutefois qu'on se contenta de paver ce qu'on appeloit alors la croisée de Paris, c'est-à-dire deux rues qui se croisoient au centre de cette ville, et dont l'une se dirigeoit du midi au nord, et l'autre de l'est à l'ouest; ce pavé étoit composé de grosses dalles de grès, carrées et de la dimension de trois pieds et demi environ sur toutes leurs faces. L'abbé Lebeuf dit avoir vu plusieurs pierres de cet ancien pavé, au bas de la rue Saint-Jacques, et à une profondeur de sept à huit pieds. Il ajoute qu'on apercevoit, entre le pavé de Philippe-Auguste et le pavé actuel, des débris d'un pavé intermédiaire, preuve nouvelle de l'élévation successive du sol de la ville de Paris.
485: Ce que rapporte à ce sujet le commissaire Delamarre peut donner une idée de l'importance d'un tel bienfait. «Ceux d'entre nous, dit-il, qui ont vu le commencement du règne de Sa Majesté, se souviennent encore que les rues de Paris étoient si remplies de fange, que la nécessité avoit introduit l'usage de ne sortir qu'en bottes; et quant à l'infection que cela causoit dans l'air, le sieur Courtois, médecin, qui demeuroit alors rue des Marmouzets, a fait cette petite expérience, par laquelle on jugera du reste. Il avoit dans sa salle, sur la rue, de gros chenets à pommes de cuivre; et il a dit plusieurs fois aux magistrats et à ses amis que, tous les matins, il les trouvoit couverts d'une teinture assez épaisse de vert-de-gris, qu'il faisoit nettoyer pour faire l'expérience du jour suivant; et que depuis l'an 1663, que la police du nettoiement des rues a été rétablie, ces taches n'avoient plus paru. Il en tiroit cette conséquence que l'air corrompu que nous respirons continuellement faisoit d'autant plus d'impressions malignes sur les poumons et les autres viscères, que ces parties sont incomparablement plus délicates que le cuivre, et que c'étoit la cause immédiate de plusieurs maladies. Aussi est-il certain que, depuis ce rétablissement, il n'a plus paru à Paris de contagions, et beaucoup moins de ces maladies populaires dont la ville étoit si souvent affligée dans les temps que le nettoiement des rues a été négligé.»
486: Nous avons eu soin de faire mettre en italique les noms dont l'usage s'est perdu, soit que les rues qui les portoient aient été couvertes de maisons, soit que la fantaisie du peuple ait changé ces noms. Nous donnons aussi une explication des vieilles locutions les plus difficiles à entendre.
Le lecteur observera que dans cette pièce au est écrit par o, aux par as, qu'on par con, un par la lettre i, le nom de Dieu par Diex.
487: On mettoit en vers, aux treizième et quatorzième siècles, certains sujets qui seroient regardés aujourd'hui comme peu susceptibles des agrémens de la poésie: aussi les poètes d'alors se gênoient-ils peu sur la rime et sur les autres règles de la versification. Leur licence étoit telle, que, pour remplir la mesure, ils fabriquoient des termes nouveaux, ajoutoient des circonstances bizarres et étrangères à leur sujet, et même y inséroient des sermens au nom de tel ou tel saint, qui souvent n'avoit jamais existé, mais dont le nom, imaginé sur-le-champ, achevoit leurs vers, ou pour la rime, ou pour la quantité.
488: Demeure une faiseuse de couvertures.
489: Un peu au-dessus.
490: Il y demeure des Dames.
491: De là.
492: De quelque façon qu'on le prenne.
493: En descendant.
494: Je ne marchai pas en vain.
495: Plusieurs jeunes filles.
496: Le mal tourné, le renversé.
497: Vis-à-vis.
498: Que de son amour nous soyons protégés.
499: Je désavouerai.
500: Que onques, jamais.
501: Noël.
502: Il y vit une querelle de femmes.
503: Demeurent les égyptiens ou diseurs de bonne aventure.
504: Demeure, qu'on.
505: Fagot, broussaille, bourrée.
506: Au milieu de.
507: bruit.
508: Près de là
509: Atrium, l'aitre ou place de Sainte-Geneviève.
510: Loin de la rivière de Seine.
511: Fatigué, las.
512: Oiseau choisi pour la rime.
513: Qui conseille les autres.
514: Trouvai.
515: Manet, demeure la femme d'un charpentier.
516: Ses plaintes.
517: Je bus.
518: Là un peu.
519: De là.
520: On vend foin et paille.
521: Je vous expose.
522: Eut nom.
523: Moins.
524: Promptement.
525: Mon âme.
526: Tardif.
527: Pareillement.
528: raccourcis.
529: sur le bord de la mer.
530: s'enivre.
531: assez ouvri.
532: Où l'on sangle des coups, apparemment qu'il y avoit des Flagellants.
533: Y demeurent.
534: guitare.
535: C'est-à-dire un homme qui m'eut fait une espèce de cornemuse.
536: environnent.
537: habitent.
538: sépare.
539: Espèce de serment placé là pour rimer.
540: gracieux.
541: J'y vis beaucoup d'étoffes historiées; peine Pannus.
542: au bout.
543: Comptables, qu'on puisse compter.
544: Espèce de serment.
545: promptement.
546: alène.
547: éloigné.
548: au milieu de.
549: à travers.
550: D'aller et venir.
551: lent, paresseux.
552: Vendeur d'avoine.
553: De là.
554: chez.
555: qui n'a point de bonheur.
556: En joie.
557: Je ne tombe pas en éthisie.
558: sans en mal nommer aucune.
559: porte fausse.
560: chapeau.
561: La rivière de Seine.
562: camarade.
563: Serment.
564: À côté de lui.
565: prier.
566: cachoit et enfouissoit.
567: C'est-à-dire comme des pieds de sauterelles.
568: Plusieurs étoffes de diverses couleurs.
569: Plie, poisson de mer.
570: facile.
571: vitement.
572: suivi.
573: trompé ou moqué.
574: Là je bus.
575: Dont je ne suis pas fâché.
576: Dom, ou Monsieur.
577: Le puits sépare le carrefour.
578: Longue narration.
579: Manière de serment.
580: Un peu sûre.
581: âpre, rude.
582: Seuil de porte.
583: Qu'on ne me regarde pas comme un railleur.
584: pour vrai.
585: arrive.
586: détour.
587: de dessein formel.
588: Trouvai.
589: proche.
590: pour être corroyées.
591: Par le bas de.
592: mélancolie.
593: demeurèrent.
594: tout juste en commençant.
595: ma connoissance.
596: demeure.... un jeune homme.
597: Qui conduit à la porte St.-Jean.
598: Mot fabriqué pour la rime.
599: demeure un compagnon querelleur.
600: promptement.
601: C'est le nom d'une femme.
602: hymnes, cantiques.
603: embarrassée.
604: se peigner.
605: un peu au-dessus de là.
606: Il manque ici un vers dans le manuscrit.
607: Se portant.
608: Un éperon de terre ou bout d'île.
609: querelleuses.
610: à la pipée.
611: au porche.
612: poche.
613: pour vrai.
614: Rues sans chiefe, fermées par le fond.
615: Il veut faire ici la fin de ses vers.
616: Paris, jusque vers le milieu du quatorzième siècle, étoit divisé en trois parties: le quartier d'Outre-Petit pont, la Cité; le quartier d'Outre-Grand pont. Le premier de ces quartiers a depuis été désigné sous le nom de ville, en raison sans doute de ce que l'Hôtel-de-Ville y étoit situé. Le dernier fut nommé quartier de l'Université, parce que toutes les écoles de cette institution célèbre y étoient renfermées.
617: L'espace qu'occupoit cette rue a été renfermé dans le jardin de l'archevêché.
618: Cette rue porte maintenant le nom de rue de Nazareth.
619: Cens. de S. Éloi.
620: Cart. Episc. Il y avoit autrefois derrière Saint-Barthélemi un cul-de-sac nommé rue des Cordouagners. Cette rue avoit été bouchée dès 1315. Le nom s'en perdit par la suite, et on l'indiquoit simplement sous celui de ruelle du Prieuré, ruelle par où l'on va à Notre-Dame des Voûtes. Notre-Dame des Voûtes étoit une chapelle située au chevet de Saint-Barthélemi. Elle fut depuis réunie à l'église.
621: Ceux qui sont pour la première opinion ne s'accordent point sur la représentation de cette enseigne. Les uns disent que c'étoit un de ces insectes qui rongent le froment, et qu'on nomme aussi charançon; d'autres, une espèce d'oiseau (grive ou alouette), que les Parisiens appeloient calandre; le plus grand nombre, que c'est une machine avec laquelle on tabise et polit les draps, étoffes de soie, etc. Sauval dit que c'est là la véritable origine de ce nom. Au-dessus de la boutique d'une lingère, qui faisoit le coin de cette rue et de celle de la Cité, on lisoit autrefois une inscription, dont la solution a été inutilement proposée aux antiquaires.
Urbs me decolavit,
Rex me instituit,
Medicus amplificavit.
622: Fol. 88, verso.
623: Regist. du Parl., et ord. roy. de la Ville, p. 259.
624: T. III, p. 319.
625: Cartul. de N. D. des Champs.—Cens. de Sainte-Genev.—Cart. de Sorbonne.
626: La partie de cet espace qui longe le côté nord de la cathédrale forme aujourd'hui une rue que l'on nomme Rue du Cloître Notre-Dame; et de l'autre côté, le passage qui conduit au pont au Double, s'appelle rue de l'Évêché.
627: Sauval, t. I, p. 126.
628: Arch. de S. Germ., A. 3, 7, 8.
629: Past., A. fol. 804.
630: Regist. de la Ville, f. 3.
631: Cart. S. Magl., fol. 104 et 238.
632: Hist. de Paris, t. V, p. 620.
633: Sauval, t. I, p. 132.
634: Cens. S. Élig.
635: Quelques auteurs ont pensé qu'il venoit, par corruption, du mot latin inferior ou infera, inférieure, parce qu'elle étoit la dernière rue vers le port Saint-Landri.
636: Reg. capit. 1555.
637: Ord. du chap. de N. D.
638: Gall. Christ., t. VII, col. 3.
639: Manusc. des Coutumes de la Marchand., fol. 39.
640: Cens. S. Élig., 1495.
641: En effet, ce quartier étant occupé par des drapiers et des ouvriers qui donnoient le lustre aux étoffes, on peut croire qu'il renfermoit aussi des fabricants, dont le nom aura été transporté à la rue. Celui de feure ne doit point embarrasser: personne n'ignore que nos anciens écrivains employoient souvent l'u consonne pour l'v voyelle.
642: Cart. S. German. Autiss., fol. 10, recto.
643: Cens. S. Élig., 1367.
644: Cens. S. Genovefæ.
645: Cens. S. Genovef.—Arch. de S. Martin.
646: Past., A., fol. 702 et 801.
647: Cens. S. Élig., 1367 et 1398.
648: Arch. de S. Germ. des Prés, no 1575.
649: Traité de la Police, t. II, p. 727. La portion de cette rue qui s'étend vers le Marché-Neuf et en face de la rue Neuve-Notre-Dame, s'appelle aujourd'hui rue du Marché-Neuf. En 1507 cette rue fut élargie de vingt pieds entre les deux ponts.
650: Past., A., fol. 725.
651: Past., D., fol. 401; et I, fol. 147 et 152.
652: Past., A., fol. 794.
653: Past., D., fol. 300. Ibid., fol. 291; A., fol. 381 et 585; B., fol. 305. Le corps d'Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, morte le dernier jour de septembre 1435, fut porté à Saint-Denis d'une façon singulière: on l'embarqua au port Saint-Landri, dans un petit bateau, et l'on dit au batelier de le remettre au prieur de l'abbaye.
654: Cens S. Élig.
655: Arch. de S. Victor.
656: Cart. S. Dionys. de Carc.
657: Cens. S. Élig.
658: Gens qui faisoient une espèce de pâtisserie.
659: La partie de cette rue qui bordoit la rivière, a été abattue lorsque l'on a construit la suite des quais qui entourent maintenant la Cité.
660: Du Breul, p. 97 et 201.
661: Reg. de la Ville.
662: Il a été ouvert, sur l'emplacement de Saint-Germain-le-Vieux, un passage fermé de deux grilles qui conduit de cette rue dans celle de la Calendre.
663: Arch. de S. Germ., A., 3, 1, 13.
664: La Morgue, autrefois dans une des cours du Grand-Châtelet, a été transportée en cet endroit. (V. monuments nouveaux.)
665: Une tradition populaire veut que cette rue doive son nom à un pâtissier qui faisoit des pâtés avec la chair des enfants qu'il attiroit chez lui, ou des victimes que son voisin le barbier égorgeoit pour son compte. Cette tradition est rapportée par Du Breul[665-A], qui ajoute que la maison dite des Marmouzets fut rasée à cette occasion, avec défense de jamais rebâtir au même lieu, et qu'une pyramide fut élevée en sa place.
On n'a aucune preuve positive de ces faits, qui semblent bien invraisemblables; mais il est constant que, pendant plus de cent ans, il y a eu, dans cette rue, une place vide, sur laquelle le propriétaire ne croyoit pas qu'il fût permis de bâtir. Pierre Belut, conseiller au parlement, à qui elle appartenoit, en demanda la permission à François Ier; et ce prince, par des lettres-patentes du mois de janvier 1536, permit d'y faire réédifier une maison pour être habitée, ainsi que les autres maisons de Paris, nonobstant tout arrêt qui pourroit être intervenu, y dérogeant par ces lettres, et imposant silence perpétuel à son procureur présent et à venir. Quoiqu'on ne trouve nulle part ni informations ni arrêts qui parlent de ce prétendu crime, il ne s'ensuivroit pas de là qu'il fût faux. On sait que dans les crimes atroces et extraordinaires, il a toujours été d'usage, et même dans les derniers temps de la monarchie, de jeter au feu les informations et la procédure, pour les rendre en quelque sorte incroyables. Nam sunt crimina quæ, ipsâ magnitudine, fidem non impetrant.
665-A: page 111.
666: Arch. de S. Éloi et de l'archevêché.—Past., A., p. 341 et 718.—Cart. Sorb., an 1284.
667: Cens. S. Dionys., de Carc.
668: Corrozet, fol. 204, verso.
669: Maintenant la préfecture de police. Cette rue est aujourd'hui désignée sous le nom de rue de Jérusalem.
670: Compte des Matines.
671: Avant, des Dix-Huit, à cause du collége de ce nom.
672: Auparavant, de la Huchette, à cause d'une maison ainsi appelée, qui faisoit le coin de cette rue et de celle de Saint-Christophe.
673: Rég. de la vill., fol. 3.
674: Cart. S. Genovef. an. 1243, fol. 15, verso. Ces mêmes titres nous apprennent que les juifs y avoient des bains et des étuves, domus quæ fuit stupa judæorum; ibid., 1248, fol. 37.
675: Cens. de S. Éloi, 1367.
676: Part. A. p. 633, 707, 819, 825 et 836.—Hist. S. Mart., p. 210.
677: Reg. capit. 5, p. 41.—Reg. capit., 1541.
678: Reg., capit. 8, p. 165.
679: Arch. de l'archev.
680: Cens. S. Élig., 1398.
681: Elles sont déposées, partie au musée du Roi, partie au cabinet d'antiquités de la bibliothèque Royale.