Title: Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises
Author: Charles Nodier
Release date: December 7, 2012 [eBook #41577]
Language: French
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ADOPTÉ
Par la Commission d'Instruction publique,
POUR LES BIBLIOTHEQUES DES LYCÉES.
PARIS,
DEMONVILLE, Imprimeur-Libraire,
rue Christine, No. 2.
1808.
A
MONSIEUR OUDET,
BIBLIOTHÉCAIRE DE LA POLICE GENERALE.
HOMMAGE
De l'estime et de la reconnaissance.
On a desiré quelquefois un dictionnaire des Onomatopées françaises. On a cru que ce recueil serait utile à ceux qui étudient notre langue, et je souhaite que mon ouvrage ne trompe pas cette espérance.
Il y a, sans doute, peu de mérite à ces sortes de compilations. Ce sont de ces travaux qui, suivant l'expression de Duverdier, exigent plus de zèle que de talent, et plus de patience que d'industrie. Mais c'est en cela même qu'ils sont dignes de quelque considération, quand ils atteignent leur but, puisqu'ils supposent à la fois du désintéressement et du courage. On connaît ces vers de Scaliger:
«L'Onomatopée, dit Dumarsais, est une figure par laquelle un mot imite le son naturel de ce qu'il signifie. On réduit sous cette figure les mots formés par imitation du son, comme le glouglou de la bouteille: le cliquetis, c'est-à-dire le bruit que font les boucliers, les épées, et autres armes en se choquant: le tric trac qu'on appelait autrefois tic tac, sorte de jeu assez commun, ainsi nommé du bruit que font les dames et les dez dont on se sert à ce jeu: tinnitus acris, tintement, c'est le son clair et aigu des métaux: bilbire, bilbit amphora, la petite bouteille qui fait glouglou, on le dit d'une petite bouteille dont le goulot est étroit: taratantara, c'est le bruit de la trompette,
»C'est un ancien vers d'Ennius au rapport de Servius. Virgile en a changé le dernier hémistiche qu'il n'a pas trouvé assez digne de la poésie épique; voyez Servius sur ce vers de Virgile:
»Cachinnus, c'est un rire immodéré. Cachinno, onis, se dit d'un homme qui rit sans retenue. Ces deux mots sont formés du son ou du bruit que l'on entend, quand quelqu'un rit avec éclat.
»Il y a aussi plusieurs mots qui expriment le cri des animaux, comme bêler, qui se dit des brebis.
»Baubari, aboyer, se dit des gros chiens. Latrare, aboyer, hurler, c'est le mot générique. Mutire, parler entre les dents, murmurer, gronder comme les chiens. Les noms de plusieurs animaux sont tirés de leurs cris, sur-tout dans les langues originales.
»Upupa, huppe, hibou.
»Cuculus, qu'on prononçait coucoulous, un coucou, oiseau.
»Hirundo, une hirondelle.
»Hulula, une chouette.
»Bubo, un hibou.
»Gracculus, un choucas, espèce de corneille.
»Gallina, une poule»...
»Le nom de cette figure est composé de deux mots grecs, onoma, nomen, et poïo, fingo. Nominis seu vocabuli fictio.»
Il paraîtra, peut-être, étonnant qu'on ne puisse citer sur l'Onomatopée que cette notice imparfaite, et à-peu-près insignifiante. Elle n'a été traitée qu'en passant par Dumarsais, parce que les détails auxquels elle aurait pu le conduire étaient étrangers au plan et à la marche de son ouvrage. Ici même, il serait hors de propos d'épuiser cette matière, et de rassembler les raisonnemens qui attestent que les langues n'ont pas eu d'autre type, et n'ont pas suivi dans leur formation d'autre mode que cette figure. En attendant que je puisse offrir au public le résultat des études dont cette question a été pour moi l'objet, je dois me borner à des applications purement classiques; et si j'y attache cependant quelques considérations élémentaires qui feront pressentir mon systême, c'est que j'ai cru qu'il étoit nécessaire à la tête d'un recueil d'Onomatopées, de donner de l'Onomatopée une idée plus distincte et plus précise que celles qu'on puiserait dans les vagues définitions des rhéteurs.
Pour faire passer une sensation dans l'esprit des autres, on a dû représenter l'objet qui la produisait par son bruit ou par sa figure.
Les noms des choses, parlés, ont donc été l'imitation de leurs sons, et les noms des choses, écrits, l'imitation de leurs formes.
L'Onomatopée est donc le type des langues prononcées, et l'hieroglyphe, le type des langues écrites.
Les êtres qui n'ont pas des formes propres et des bruits particuliers n'ont été dénommés que par analogie, soit dans le langage, soit dans l'écriture.
Les abstractions morales qui sont plus ou moins postérieures à l'établissement des premières sociétés, du moins en très-grande partie, ont dû être dénommées, conformément à la même règle.
Les premiers rapports des choses sensibles et des choses intellectuelles, tels qu'ils ont été saisis par des sens neufs, ayant échappé à nos organes, à travers la succession des temps, ne peuvent être que difficilement retrouvés. Les motifs qui ont déterminé la désignation de ces idées, étant assez généralement perdus, il restera dans les langues une partie qu'on peut appeler la langue abstraite, et dont l'origine ne se démontrera que par une longue suite d'analyses et de comparaisons.
L'autre partie s'expliquera d'elle-même. La nature se nomme.
On aurait tort de conclure, cependant, que suivant les principes que j'émets, tous les hommes dussent parler la même langue, ou que toutes les langues du moins, dussent rapporter leurs termes aux mêmes racines; car, non-seulement, les objets physiques ne nous apparaissent pas à tous sous les mêmes rapports, en raison de la variété de notre organisation; mais encore il n'en est aucun qui ne puisse nous apparaître sous un grand nombre de rapports différens, parmi lesquels notre choix s'est fixé quand il s'est agi de déterminer des signes. Il n'est donc pas surprenant que dans des temps postérieurs à la création d'une langue première, et après de grandes révolutions du globe qui ont dispersé les hommes et effacé les traditions, on en soit venu à reconstruire de nouvelles langues, formées sur des racines nouvelles; mais le procédé aura été le même, l'analyse de ces langues n'exigera que le même genre d'études, et on remontera par elles, comme par les langues antérieurement parlées, aux racines naturelles, seule et véritable source de tout idiome.
Il en sera de même des mots à sens abstrait ou figuré, car l'esprit ne fait pas par-tout les mêmes comparaisons et ne saisit pas toujours les mêmes analogies. Tel aperçoit entre deux objets une relation qui n'y sera point pour les autres, ou qui ne se révélera à leur esprit qu'au moyen d'une série d'observations moins rapides.
Ces modifications dans la nature des sons dont se composent les langues, dépendent de toutes sortes d'influences dont il serait trop long d'examiner l'effet; mais celle des climats s'y fait sur-tout reconnaître. Dans le vocabulaire des pays chauds, tous les mots sont vocaux et fluides. Le grec a une emphase majestueuse, comme le bruit des flots du Pénée. L'italien roule dans ses syllabes sonores, le murmure des cascatelles et le frémissement des oliviers. Dans celui des pays froids, tous les mots sont rudes et consonnans; leurs sons retentissans et heurtés rappellent la rumeur des torrens, le cri des sapins que l'orage courbe, et le fracas des rocs qui s'écroulent.
L'extension des sons radicaux qui expriment une chose bruyante à des sensations d'un autre ordre, n'est pas plus difficile à comprendre. Parmi les sensations de l'homme, il n'y en a qu'un certain nombre qui soient propres au sens de l'ouïe, mais comme c'est à ce sens que s'adresse la parole, et que c'est par lui qu'elle transmet le signe de l'objet qui nous frappe, toutes les expressions paraissent formées pour lui. Des sons ne peuvent exprimer par eux-mêmes les sensations de la vue, du goût, du tact et de l'odorat, mais ces sensations peuvent se comparer jusqu'à un certain point avec celle de l'ouïe, et se rendre manifestes par leur secours. Ces comparaisons n'ont rien d'ailleurs qui ne soit naturel et facile. C'est à elles que toutes les langues doivent les figures et tout concourt à prouver que le langage de l'homme primitif était très-figuré.
Quand on dit qu'une couleur est éclatante, par exemple, on n'entend point par là qu'une couleur puisse produire sur l'organe auditif la sensation d'un bruit violent, comme celui dont la racine du mot éclatant est l'expression; mais bien que cette couleur produit sur l'organe visuel une sensation vive et forte comme celle à laquelle on la compare.
L'impression que font éprouver à l'organe du goût les substances acres, âpres ou aigres, n'est accompagnée d'aucun bruit qui reproduise à l'oreille la racine de ces mots qualificatifs; mais elle rappelle à l'organe de l'ouïe les impressions qui ont agi sur lui d'une manière analogue. Si on était porté à croire que ces idées sont forcées, et que l'esprit ne fait pas aisément les comparaisons de sensations, il suffirait de jeter un coup-d'œil sur les poésies primitives qui en sont remplies, ou de donner un instant à la conversation d'un homme ingénieux et simple. Le langage des enfans abonde en figures de cette espèce, et au défaut du terme propre, ils emploient souvent le signe d'une sensation étrangère pour représenter la leur. Les femmes qui ont la sensibilité plus délicate, et qui saisissent plus vîte les rapprochemens les plus fins, en font aussi un grand usage. Enfin, on peut dire que les sens se servent si nécessairement les uns les autres, que sans les emprunts qu'ils se font, on ne pourrait guère peindre qu'imparfaitement les effets qui leur sont propres, et qu'il n'y a rien qui en rende la perception plus exacte et plus profonde.
Indépendamment des mots formés par imitation, il y a dans les langues un très-grand nombre de mots qui sans avoir la même origine n'en sont pas moins composés très-naturellement, et doivent être rapportés à la même figure, c'est-à-dire, à l'Onomatopée, littéralement, fiction de nom.
Par exemple, chaque touche vocale étant appropriée à deux ou trois sons particuliers, on ne s'étonnera pas que le nom de ces touches ait été construit sur les sons auxquels elles étaient affectées. C'est ce que j'appellerais langue mécanique. Ainsi, la lettre labiale B a désigné initialement dès le commencement des langues l'organe qui la forme.
Les lettres dentales D et P ont caractérisé les dents.
Les lettres gutturales G et K expriment universellement l'idée de gorge et de gosier.
La nazale N indique le nez.
La lettre L a été consacrée à la langue, parce qu'elle est le plus liquide des sons que la langue forme, et que la langue, pour la prononcer, ne faisant qu'agir contre la voûte du palais, en paraît d'abord la seule touche et le seul agent.
Qui ne voit quelles immenses générations, cette petite quantité de mots a pu fournir, et jusqu'à quel point leurs dérivations ont dû s'étendre dans les langues?
Ensuite, en considérant, avec tous les philosophes qui ont analysé la parole, les sons simples ou vocaux comme la première langue de l'homme, et en passant de là aux sons compliqués, ou consonnans, qui ont dû se succéder suivant le degré de facilité de leur prononciation, nous verrons les langues s'enrichir d'une immense famille d'expressions également naturelles, et c'est ce que j'appelle la langue puérile, parce qu'elle se retrouve toute entière dans le premier langage des enfans.
Le desir, la haine, l'épouvante, le plaisir, toutes les passions que peut éprouver l'homme si voisin de son berceau, ne se manifestent d'abord que par une émission de sons simples, de cris ou de vagissemens. C'est sa langue vocale.
Il invente de nouvelles lettres à mesure que ses organes se développent, et qu'il commence à juger de leurs rapports et de leurs actions réciproques. Il apprend l'emploi des touches de la parole. C'est sa langue consonnante ou articulée.
Mais comme il ne s'en instruit que lentement, et dans un ordre successif, en allant du plus simple au plus composé, les sons dont l'artifice est le plus facile sont les premiers qu'il saisisse, et par conséquent les premiers qu'il attache à ses idées. Telles sont les lettres labiales.
Aussi observe-t-on que ces lettres sont les caractéristiques de toutes les idées essentiellement premières qu'admet l'esprit des enfans. C'est par elles qu'ils désignent presque toutes les choses qui les touchent immédiatement, comme le bien et le mal physique, les rapports de parenté les plus prochains, le boire, le manger, l'action même de parler, etc.
Parcourez les peuples de l'univers, anciens et modernes, dit M. de Brosse; vous verrez que dans tous les siècles et dans toutes les contrées, on employe la lettre de lèvre, ou à son défaut la lettre de dent, ou toutes les deux ensemble, dans la construction des mots enfantins qui représentent ceux de père et de mère.
Le Chananéen, continue-t-il, l'Hébreu, le Syriaque, l'Arabe, et autres dérivés de l'Assyrien et du Phénicien, que nous n'avons plus, disent aB, aBBa, aVa, aBoh, aBou;
Le Grec, le Latin, l'Italien, l'Espagnol, le Français: PaTer, PaDre, Père;
L'Istrien, le Catalan, le Portugais, le Gascon: Pari, Para, Pae, Paire;
Le Tudesque, le Francisque, l'Anglo-Saxon, le Belgique, le Flamand, le Frison, le Rhunique, le Scandinave, l'Écossais, l'Anglais, l'Allemand, le Persan, et autres qui paraissent dérivés du Scythe: FaDer, FaTer, VaTTer, VaDer, PaDer, Payer, Peer, Feer, FoeDor, FaDiir, FaTher, FaTTer, etc.
L'Arcadien, FaVor;
Le Malabare, PiTaVe;
Le Chingulais de l'île Ceylan, PiTa;
L'Ethiopien, l'Abyssin, le Mélindien des Côtes d'Afrique, et autres qui paraissent dérivés de l'Arabe: aBi, aBBa, aBa, BaBa;
Le Turc, BaBa;
Le Moresque, aBBé;
Le Sarde, BaBu;
L'ancien Rhoetique, PaPa;
Le Hongrois, aPa;
Le Malais de l'Inde et du Bengale, BaPPa;
Le Balie des Siamois, Poo;
Le Mogol, BaaB;
Le Tangut, haPa;
Le Thibet, Fa;
Le Hottentot, Bo;
Les Chinois, l'Annamitique du Tunquin, Fu, Phu;
Le Tartare, BaBa;
Le Mantcheou, aMa;
Le Tunguz, aMin;
Le Georgien et l'Ibérien, MaMa;
Le Caraïbe, BaBa;
Le Groënlandais, uBia;
Le Galibis, BaBa;
Le Sauvage de la rivière des Amazônes, PaPe;
Le Kalmouck, aBega;
Le Samoïède, aBaM;
Le Moluquois, BaPa;
Le Tamoul, BiTa, ViDa;
Passant ensuite à la lettre de dent, le même Savant rapporte les synonimies de l'Egyptien, du Cophte, de l'Africain d'Angola, qui disent TaauT, TheuT, ThoT, ToT;
L'Africain du Congo dit TaT;
Le Cimraëc, le Celtique, l'Armorique, le Bas-Breton, le Gallois, le Cantabre disent TaaT, TaaD, TaD, TaTh, Taz, aiTa;
L'Irlandais, naThair;
Le Gothique, aTTa;
L'Epirote, aTTi;
Le Frison, haiTe;
Le Valaque, TaTul;
L'Esclavon, le Russe, le Polonais, le Bohémien, le Dalmate, le Croate, le Vandale, le Bulgare, le Servite, le Carnique, le Lusacien, et autres dérivés de l'ancien Illyrien et de l'ancien Sarmate: oTTsc, oTsche, oTshe, ou par corruption, oièze, woTzo, wschzi, oTzki, wosche;
Le Sauvage de la Nouvelle Zemble, oTcze;
Le Lapon, aTTi;
Le Livonien, le Curlandais, le Prussien, le Lithuanien, le Mecklenbourgeois: TaBas, Tewes, Tews, Thawe, Tewe;
Le Hongrois, aTyank, aTya;
Les Sauvages du Canada, aisTan, ayTan, ouTa, aDatti;
Le Huron, aihTaha;
Le Groënlandais, aTTaTa;
Le Mexicain, TaThli;
Le Brasilien, TuBa;
Le Sybérien, aTaï;
Le Russe, oTeTze, etc.
Je ne serais même point étonné qu'on m'alléguât que la lettre dentale de l'une et de l'autre touche paraît déjà d'un artifice un peu difficile pour ces premiers essais de la parole, et que l'expérience prouve d'ailleurs que les enfans ne l'employent point successivement, mais simultanément avec les lettres labiales. Il sera aisé de répondre à cette objection, en rappelant simplement que l'articulation de cette lettre nous est apprise, en quelque sorte, dès le premier jour de la vie, puisque la succion du sein de la mère se fait nécessairement avec un petit claquement de la langue contre la partie la plus extérieure du palais, à l'origine des dents, ou plutôt vers la place qu'elles doivent occuper, et que ce bruit ne peut être représenté que par la lettre dentale douce ou forte. Aussi, voit-on que le son thet ou theta, représenté chez les Grecs par une lettre qui a la forme de la mamelle avec son mamelon, est, dans toute les langues connues, le type ou la racine des signes servant à exprimer les idées qui ont rapport à l'action de teter, comme de ceux qui désignent les premières relations de parenté.
Veut-on s'assurer de l'affinité de la langue puérile et de la langue primitive dans leurs progrès? Que l'on consulte les vocabulaires recueillis par les voyageurs et les missionnaires chez les peuples incivilisés, on verra que presque tous leurs mots sont composés de voyelles et de consonnes des premières touches.
C'est encore guidé par le même principe d'imitation et d'analogie, que l'homme a composé un grand nombre de mots, d'après l'affinité de nature qu'il a cru apercevoir entre le son de certaines lettres et l'esprit de certaines idées. La lettre h, par exemple, voyelle indéterminée, ou plutôt signe particulier d'aspiration, qu'on attache quelquefois aux voyelles, fut propre à exprimer imitativement tous les accidens de la respiration humaine; mais en la considérant sous le rapport de son esprit, et en prenant égard à la manière dont elle est formée, qui a quelque chose d'un empressement avide, d'une rapacité impatiente, on la consacra à représenter les idées qui ont rapport à l'action de saisir ou de dérober. La palatale roulante R peignait à l'oreille un bruit méchanique engendré par le mouvement circulaire des corps; et comme on ne peut faire rendre ce son à la touche, par un mouvement simple et indécomposable de la langue, mais seulement par un frôlement rapide et prolongé de cet instrument, il est devenu le caractère de tous les signes par lesquels on avait à rendre l'idée de continuité, de répétition, de renouvellement; et cela s'est opéré d'une manière si naturelle, qu'il est commun dans les langues de le voir unir capricieusement et sans règles à toutes les espèces de mots dans lesquels on a besoin d'indiquer la réproduction ou la multiplicité d'action, et que le peuple l'employe tous les jours arbitrairement à cet usage.
«On peut remarquer, dit M. de Châteaubriand sur ce sujet, que la première voyelle de l'alphabet se trouve dans presque tous les mots qui peignent les scènes de la campagne, comme dans charrue, vache, cheval, labourage, vallée, montagne, arbre, pâturage, laitage, etc.; et dans les épithètes qui ordinairement accompagnent ces noms, tels que pesante, champêtre, laborieux, grasse, agreste, frais, délectable, etc. Cette observation tombe avec la même justesse sur tous les idiomes connus. La lettre a ayant été découverte la première, comme étant la première émission naturelle de la voix, les hommes, alors pasteurs, l'ont employée dans tous les mots qui composaient le simple dictionnaire de leur vie. L'égalité de leurs mœurs et le peu de variété de leurs idées, nécessairement teintes des images des champs, devaient aussi rapeler le retour des mêmes sons dans le langage. Le son de l'a convient au calme d'un cœur champêtre et à la paix des tableaux rustiques. L'accent d'une ame passionnée est aigu, sifflant, précipité; l'a est trop long pour elle: il faut une bouche pastorale qui puisse prendre le temps de le prononcer avec lenteur. Mais toutefois il entre fort bien encore dans les plaintes, dans les larmes amoureuses, et dans les naïfs hélas d'un chévrier. Enfin, la nature fait entendre cette lettre rurale dans ses bruits, et une oreille attentive peut la reconnaître diversement accentuée, dans les murmures de certains ombrages, comme dans celui du tremble et du lière, dans la première voix ou la finale du bêlement des troupeaux, et la nuit dans les aboiemens du chien rustique.»
L'Onomatopée est d'un grand secours aux poëtes, puisqu'elle est comme l'ame de l'harmonie pittoresque et de la poésie imitative.
On voit qu'indépendamment des Onomatopées nombreuses qu'a employées le poëte, il a trouvé un autre moyen d'harmonie dans le concours heureux de certains mots choisis, qui sans être imitatifs par eux-mêmes, produisent cependant une imitation parfaite.
Ce vers, par exemple, est composé de monosyllabes durs et heurtés qui représentent très-bien la marche du bœuf, et qui la notent exactement à l'oreille.
Tout le monde se rappelle cet admirable passage de Boileau, dans le poëme du Lutrin:
Cet hémistiche ne le cède en rien au procumbit humi bos de Virgile.
Ces exemples ne sont pas rares chez les Latins, et sur-tout dans ce dernier poëte. Il n'est personne qui n'ait entendu citer ces vers d'une si riche harmonie:
On est même parvenu à exprimer les différentes passions de l'ame, au moyen de la seule prosodie.
Et dans Virgile:
Mais autant ces belles combinaisons sont agréables et ingénieuses, autant est misérable l'abus qu'on en a fait quelquefois, et principalement de nos jours. Puisqu'on a osé reprocher à Racine un emploi trop recherché de l'Onomatopée dans certains vers d'Andromaque et de Phèdre, que doit-on penser, en effet, de ces poëmes descriptifs devenus si communs, et qui ne sont, à dire vrai, qu'un entassement laborieux d'expressions étudiées? Cette affectation est tout-à-fait indigne d'un vrai poëte, et le résultat de tant d'efforts minutieux n'est bon qu'à augmenter le nombre de ces nugæ difficiles si méprisées des gens de goût. Il me serait trop aisé de montrer à quel point on a porté récemment ce travers d'esprit, et ce que j'en dirais ne serait peut-être pas sans utilité; mais qu'il me suffise de rappeler la description de l'alouette, par Dubartas, qui est le prototype de toutes les sottises qu'on a faites dès-lors en ce genre.
Je ferai la même observation sur les mots purement factices que des auteurs peu délicats dans le choix des termes, ont cru pouvoir créer pour exprimer des sons qu'ils ne savaient pas imiter autrement. Si une pareille fantaisie était de nature à devenir contagieuse, la langue serait bientôt inondée d'onomatopées barbares, et n'offrirait plus qu'une suite de cacophonies intolérables. Le vers macaronique, qui peint les éclats de l'escopette, et le taratantara d'Ennius sont de cette espèce; mais il n'y a rien de comparable, parmi les abus de l'harmonie imitative et du langage factice, au breke ke koax de J.-B. Rousseau. Il est d'ailleurs important de remarquer qu'il n'est donné qu'aux poëtes d'un grand talent d'employer heureusement les effets d'une harmonie rauque et pénible. On ne choque impunément l'oreille, qu'autant qu'il le fallait pour ajouter à la force et à l'éclat de la pensée. Ce sont de ces licences qui veulent être justifiées par le succès, et qu'on ne pardonne qu'en faveur de l'impression qu'elles produisent.
Je parlerai maintenant du plan que je me suis tracé pour la composition de ce Dictionnaire. Mon premier projet était de recueillir les Onomatopées de tous les peuples, et de faire ainsi un espèce de lexicon polyglote de tous les sons naturels qui restent dans les langues, de manière à remonter, en quelque sorte, à une langue commune et primitive, indépendante des conventions particulières, et universellement intelligible. Mais, sans compter les difficultés essentielles que mon impuissance aurait opposées à l'exécution de cet ouvrage, ainsi conçu, et les circonstances qui ont restreint mes recherches, il m'a semblé qu'une énumération raisonnée des Onomatopées françaises remplirait assez bien le dessein le plus important que je me sois proposé, qui est d'épargner un soin incommode et futile, et de présenter, sous un cadre étroit, une série de rapprochemens curieux à ceux que ce genre d'observations intéresse, et qui peuvent en tirer parti pour leurs études.
J'ai cru cependant ne pas devoir négliger les principales Onomatopées que les langues mortes ou étrangères ont consacrées; mais je ne les ai recueillies qu'autant qu'elles avaient rapport à des Onomatopées françaises, et qu'il résultait de leur analogie une comparaison instructive et piquante.
Je ne me suis point attaché à rassembler tous les mots dont un son naturel a pu être la racine. Je crois ces mots très-nombreux, mais inutiles à mon plan. Je crois même qu'il n'y en a presque point qu'on ne dérive au besoin de cette espèce d'origine, soit immédiatement, soit par extension. On pourra voir quelques-unes de leurs immenses générations, dans le systême de M. Court de Gébelin, systême spirituel et séduisant, mais encore un peu conjectural, comme tous les systêmes, et dans l'ouvrage non moins docte et non moins ingénieux que prépare un écrivain de l'amitié duquel j'aime à m'honorer, M. David de Saint-Georges. Je répète que si l'avenir me laisse quelques loisirs, et que ce faible essai m'obtienne un seul encouragement de l'indulgence, j'entreprendrai sans doute un jour de jeter quelque lumière sur cette partie importante de la grammaire générale, et d'appliquer d'une manière plus complète ma théorie des étymologies naturelles. En attendant, il n'y aura ici que des Onomatopées incontestables et frappantes, et qu'il sera aisé de ramener à leur racine, sans le secours d'une analyse laborieuse.
Je n'ai pas cherché non plus à rapporter à chaque Onomatopée spécifique toutes les expressions qui en sont composées dans notre langue, et tous les modes qu'elle a subis, si ce n'est quand il a pu sortir de cette aride énumération des observations de quelque intérêt. Ceux à qui ces dérivations ne paraîtraient pas si superflues, les retrouveront sans peine en partant du mot typique.
Enfin, j'ai rangé sous le même titre, et à leur rang alphabétique, un certain nombre d'Onomatopées que notre langue n'a point encore admises, mais qui sont comme naturalisées par l'usage que d'excellens écrivains en ont fait. Les Onomatopées anciennes qui sont tombées en désuétude avec une partie de notre langue, trouveront place dans cet ouvrage toutes les fois qu'elles me sembleront bonnes à conserver, et que je n'en verrai pas l'équivalent dans les vocabulaires modernes; mais pour éviter les méprises qui proviendraient d'une telle confusion, je distinguerai ces deux familles de mots inusités, par l'astérisque en tête de l'article.
Qu'on me permette d'ajouter à ce propos que si la manie du néologisme est extrêmement déplorable pour les lettres, et tend insensiblement à dénaturer les idiomes dans lesquels elle se glisse, il n'en serait pas moins injuste de repousser sous ce prétexte, un grand nombre de ces expressions vives, caractéristiques, indispensables, dont le génie fait de temps en temps présent aux langues. Il n'appartient à personne d'arrêter irrévocablement les limites d'une langue, et de marquer le point où il devient impossible de rien ajouter à ses richesses. Voltaire, pour qui la nôtre était si opulente et si féconde, l'accuse d'être une gueuse fière à qui il faut faire l'aumône malgré elle. J'avoue que je me suis souvent étonné de la voir exclure tel mot qu'elle ne peut remplacer que par une périphrase languissante, et le dictionnaire que je soumets au public en renferme quelques-uns de ce genre. C'est une témérité qui avait besoin d'apologie.
Au reste, on insistera moins sur le reproche qu'elle devrait me mériter, si on daigne se rappeler que la classe de littérature de l'Institut fait espérer un dictionnaire qui ne laissera plus de doute sur la valeur des mots que notre langue a acquis ou qu'elle a tenté de ressusciter dans ces derniers temps. En attendant le monument que cette savante compagnie se propose d'élever, l'homme de lettres peut lui apporter des matériaux, et le Lexicographe peut essayer d'en réunir quelques-uns, en subordonnant son jugement prématuré à celui de ses maîtres.
Je ne finirai point cette préface sans payer de justes tributs de reconnaissance à ceux qui ont bien voulu protéger ou éclairer mes études. Il en est un à qui j'en ai offert les premiers fruits. Il m'est doux de joindre à son nom celui d'un ami que l'élévation de son caractère et de ses talents doit porter à de grandes destinées, sous un gouvernement qui apprécie et qui récompense, M. de Roujoux, sous-préfet de Dôle; si jamais j'ai osé desirer que cet écrit fût accueilli de quelque estime, c'était pour le voir plus digne d'eux.
Les mots dont il est question dans ce Dictionnaire, n'étant considérés que sous le rapport de leurs sons, on a cru devoir exprimer les Onomatopées hébraïques et grecques, par la simple lettre italique, pour en mettre la lecture à la portée des premières études.
L'Astérisque * indique les Onomatopées anciennes tombées en désuétude, et les Onomatopées non encore admises, mais employées par quelques bons Ecrivains.
* AARBRER. Se cabrer. Terme de Manége, qui se dit des chevaux qui se dressent sur les pieds de derrière quand on leur tire trop la bride.
Ce mot, plus énergique que celui qui nous est resté, et dont la double voyelle rend la construction plus imitative, est depuis long-temps hors d'usage. On le trouve dans le vieux roman de Perceval.
ABOI, ABOIEMENT, ABOIER. En vieux langage, Abai.
C'est une des Onomatopées qui expriment le cri du chien. Quelques Étymologistes dérivent ce mot de ad baubare, forme de baubare, que les Latins ont dit, ainsi que boare. Ces mots eux-mêmes sont des Onomatopées.
On peut présumer, au reste, que les Grecs de la colonie de Massilia introduisirent dans les Gaules le mot bauzein, moins expressif qu'aboier, mais dont celui-ci doit être fait.
Dans les Langues Canadiennes, un chien s'appelle gagnenou, autre Onomatopée qui a beaucoup de rapport avec le canis des Latins.
Aboiement, est plus d'usage qu'aboi, qui ne s'emploie plus guère qu'au figuré. Un de nos poètes dit cependant en parlant du chien:
ACHOPPEMENT. Ce mot qui était une Onomatopée faite du bruit d'un corps qui en heurte un autre, ne s'emploie plus au sens propre. On ne s'en sert même que dans cette façon proverbiale de parler: une pierre d'achoppement, pour dire, Un obstacle inattendu.
Chopper, est presque tout-à-fait hors d'usage.
AFFRES. Il ne se dit guères qu'au pluriel. C'est un grand effroi, une émotion extrême, causée par quelque terrible vision. L'Onomatopée exprime le frémissement qu'excitent l'épouvante et l'horreur. On a donc eu tort de dériver ce mot du latin affari ou du grec phren et afronos, comme Voltaire, qui regrette d'ailleurs qu'on ne l'emploie pas plus souvent.
Pourquoi ne dirait-on pas les affres de la mort que l'Académie autorise? Il n'y a rien qui puisse mieux représenter les frissons de l'agonie. D'affres, on a fait
Affreux, qui se dit des objets qu'on ne peut voir sans éprouver un sentiment de crainte ou d'aversion.
AGACEMENT, AGACER. Du son dont on se sert pour irriter ou agacer les animaux, ou bien du bruit que produit sous les dents un fruit acide, ou un fruit qui n'est point à sa maturité, et dont l'effet est d'agacer les dents.
On a dit assez hardiment, au style figuré, les agaceries d'une coquette, des regards, des propos agaçans, des manières agaçantes.
Ménage a très-bien dérivé ce mot du latin acaciare, qui a la même racine. Il aurait pu remonter jusqu'au grec où elle se trouve également. On disait hegaçç en celtique.
AGOUTI. C'est un quadrupède des Antilles, qui a beaucoup de rapport avec le lièvre. Son nom est formé d'après son cri qu'on exprime à-peu-près par le mot couy. M. de Buffon compare ce cri au grognement du cochon.
Pison et Marcgrave disent qu'au Brésil on appelle cet animal cotia. Souchu de Rennefort l'appelle couti, dont on a fait acouti et agouti.
Il est bon de remarquer en passant, sur ce mot, que la plupart des animaux sont caractérisés par l'Onomatopée, et que l'énumération en serait devenue fatigante si je ne m'en étais tenu aux indigênes et à ceux qui sont tellement connus, que leur nom est devenu propre à la Langue. Celui-ci est de cette dernière espèce.
AGRAFFE, AGRAFFER. L'agraffe est une espèce de crochet qui sert ordinairement à fixer ensemble les deux côtés d'une robe ou d'un manteau. L'Onomatopée consiste dans l'imitation du bruit produit par le déchirement de l'objet que les pointes de l'agraffe saisissent.
Le père Labbe croit qu'agraffer a été pris pour agriffer. Budée le fait venir du grec agra, qui signifie l'action de saisir vivement, et qui a la même racine naturelle. On peut la reconnaître encore dans le verbe hébreu garah ou garaph que Saint Jérôme exprime par le mot arripere, au cinquième chapitre des Juges.
Rafler, mot ignoble de notre Langue, se rapporte à ceux-ci par le sens et par le son. Les vieux Dictionnaires disent aussi riffler.
* Rafle ou Raphe, qui n'est plus français, est un mot ancien de la même famille. Nicod rapporte ces paroles de Nicole Gilles en la vie de Dagobert: «Notre Seigneur Jésus-Christ, afin qu'ils l'en voulsissent croire, s'approcha du ladre, et lui passa la main par-dessus le visage, et lui osta une raphe de la maladie de lèpre qu'il avoit au visage, si que la face lui demeura belle, claire et nette, et le restitua en santé. Laquelle raphe est encore gardée en un reliquaire en ladite église Saint-Denys». Par lequel mot, ajoute Nicod, il semble vouloir dire une poingnée, un plein poing. «Car on dit rapher quand au jeu de dez qu'on appelle la raphe, ayant gaigné, on prend hastivement ou bien plustost rapidement la mise qui est sur le jeu. Ce qu'on dit aussi raphler ou rafler, et par métaphore, rafler tout, quand on prend rapidement tout ce qu'on trouve en un lieu».
Dans le vieux langage, raphe signifiait encore la poignée, le manche d'un outil, l'endroit par où on le saisissait.
AGRIPPER. Du bruit que produit le frottement des griffes ou des mains contre les corps dont elles s'emparent. Voyez Griffe et Agraffe.
Grappiller, est peut-être un diminutif de ce verbe, et de là on aurait fait
Grappe, un fruit sujet à être grappillé,
Grappilleur, celui qui grappille,
Grappillon, ce que l'on rejette d'une grappe,
Grappe, instrument de Menuiserie qui présente plusieurs pointes propres à saisir ou agripper le bois,
Grappin, instrument de fer dont on se sert pour accrocher un vaisseau, soit pour l'aborder, soit pour y attacher un brûlot.
Je n'ai pas besoin de faire observer que presque tous ces mots sont du style le plus bas.
Gravir, s'aider avec les ongles dans les anfractuosités d'un chemin raboteux.
Gravier, le sable qui se détache sous les ongles d'un homme qui gravit.
Grimper, gravir difficilement une route roide et montueuse, me paraissent autant d'Onomatopées qui se rapportent à la même racine, et que je rassemble autour d'elle pour mettre ici autant d'ordre que la méthode alphabétique en permet. Ce qui rend cette analogie plus sensible, c'est que le peuple emploie bassement le mot grappiller au sens de gravir dans un grand nombre de provinces, et que gravir s'est même dit grapir en français, selon Borel.
Nicod rapporte grip, qui se disait autrefois en style trivial pour piraterie et rapine. Les Grecs avaient construit beaucoup de mots sur le même son et d'après le même esprit; gripos, qui étoit un filet à prendre du poisson; gripeus, le preneur de poissons; grupès, l'ancre du navire, et le grappin dont on saisissait un navire ennemi; grupaï, les aires des vautours et des oiseaux carnassiers.
Nos vieux Écrivains ont employé plus communément encore grippe, qui signifiait vol et filouterie.
dit Chevalier dans la désolation des filous. Cholières, tome II de ses Contes, applique gripperie au même usage.
La grupée, c'était le produit, le revenant bon de la grippe. On dit dans la comédie de la Passion:
On a dit aussi gruper pour, agraffer, et plus souvent pour agripper ou saisir avec les griffes. «Qui sait, dit Rabelais, s'ils useroient de qui pro quo, et en lieu de rominagrobis grupperoient paovre Panurge?»
Les Bretons ont krapa, krafa, gripper, grimper, égratigner; kraf, égratignure; craban, griffe; crib, peigne; criba, peigner; cribin, peigne de fer; crabb, cancre, écrevisse, qui s'est conservé dans le français. Craff est le nom gallois du grappin, du harpon des mariniers.
* AHALER. Pousser l'haleine au dehors. Quelques Écrivains ont dit adhaler. Ce mot très-expressif a un autre sens qu'exhaler, et n'a point d'équivalent en français. Haleter donne l'idée d'une respiration forte et pressée. C'est l'anhelare des Latins qui avaient aussi halare et halitus.
Il semble que l'hiatus considérable qu'on remarque dans l'expression proposée, lui donne quelque chose de pittoresque qui n'est pas dans cette dernière Langue.
AHAN, AHANER. Ahan représente un grand effort qui ôte presque la faculté de respirer. C'est l'expression du bucheron, des manœuvres pour reprendre leur souffle, et se donner la force nécessaire pour bien porter leur coup. De là on a fait ahaner, travailler avec peine, avec ahan, comme dans ces vers de Dubellay:
Ahaner un champ, s'est dit par extension pour, Cultiver une terre difficile.
Ahan, est passé au style figuré pour exprimer de pénibles travaux d'esprit, et l'agitation d'un homme qui a de la peine à se résoudre à quelque chose.
On a fait venir ce mot du grec ao et du latin anhelare. C'est l'opinion de du Cange. Ménage en a cherché l'étymologie dans l'italien affanno, peine, douleur. On aurait pu le retrouver tout entier dans le dictionnaire des Caraïbes et dans beaucoup d'autres, puisqu'il est tiré du dictionnaire de la Nature. C'est la plus évidente des Onomatopées. Pasquier et Nicod ne s'y sont pas mépris.
Dans des lettres de rémission de l'an 1375, on trouve: «Après ce que ledit Jehan fut deschaucié, entra ondit gué, et tant se y efforça pour mettre hors laditte charrette, que il entra en fièvre en icelui gué, pour le grant ahan que il avoit eu».
On ne se sert plus de ce mot qui était très-familier à nos anciens Écrivains. Rabelais, Montaigne, Amyot l'ont singulièrement affectionné. Il est encore dans Costar. Jupiter, dit-il, en sua d'ahan.
AÏ. C'est le quadrupède, autrement nommé le Paresseux, qui est un des anthropomorphes de Linné.
Il articule les syllabes dont on a formé son nom avec des modulations si justes, que cela a donné lieu à Clusius de dire très-ridiculement que c'était le Paresseux qui avait inventé la musique. Il aurait pu d'ailleurs appuyer cette bizarre présomption d'une analogie curieuse de la Langue grecque ou aïo s'est dit quelquefois pour cano, et il faut observer que ce mot est passé dans la Langue latine avec le sens de loquor. Il n'appartenait qu'à ces peuples d'harmonieux langage d'attacher la même expression aux idées de chant et de parole.
AME. Le principe de la vie dans l'homme et dans les animaux.
L'opinion qui range ce mot au nombre des Onomatopées, repose sur une théorie bizarre et curieuse. La lettre labiale M est une consonne qui résulte, comme on le sait, de la jonction des lèvres, en sorte que la bouche très-ouverte doit produire en se fermant le son composé am: savoir, la voyelle par le moyen du souffle émis dans le moment où l'organe est ouvert, et la consonne par le contact des deux parties de la touche, dans le moment où l'organe se resserre. C'est ce qu'on appelle rendre l'ame, car telle est la figure de l'expiration de l'homme, et l'esprit de cette racine.
Au contraire, pour prononcer M initiale suivie d'une voyelle, il faut que les deux parties de la touche labiale agissent mutuellement l'une sur l'autre, et se séparent pour l'émission du bruit vocal qui succède au bruit consonnant. Ainsi se prononcera ma, qui est une racine dont l'esprit est diamétralement opposé à celui de la précédente, puisqu'au lieu d'exprimer le dernier acte physique de l'homme, elle exprime, par la figure et par le son, le premier acte, et, en quelque sorte, la prise de possession de la vie.
Cette racine ma seroit donc la désignation nécessaire de l'existence matérielle, comme cette racine am de l'existence spirituelle. La première appartiendra aux idées purement corporelles; la seconde aux idées morales, à celles des principes animans, de l'amour, de l'amitié, de toutes les affections.
En appuyant la racine ma sur la touche dentale, ou en fera mat, qui est le son typique du nom de la mort dans la plus grande partie des Langues premières.
En la nazalant, on en fera man, qui est le signe presque universel du nom de l'homme.
Je donne, au reste, ces hypothèses comme plus ingénieuses que probables, et M. Court de Gébelin, qui les a suggérées, se livre trop souvent et avec trop d'abandon à son imagination, pour être toujours un guide sûr.
Ce qu'il y a de certain, c'est que les différens noms de l'ame chez presque tous les peuples, sont autant de modifications du souffle et d'Onomatopées de la respiration, diversement modulées. Tels sont le Psyché des Grecs, le Seele des Allemands, le Soul des Anglais, l'ayre des Espagnols, l'alma et le fiato des Italiens. Il serait, à la vérité, difficile d'en dire autant de l'anima des Latins, dont le mot ame est une contraction évidente.
ANCHE. Partie d'un instrument à vent, faite de deux pièces de canne, jointes de si près, qu'elles ne laissent qu'un espace très-resserré pour le souffle; ce qui a fait penser à de savans Étymologistes que ce mot venait du celtique anc, étroit, resserré, affilé. Il paraît plus vraisemblable qu'il a été formé par Onomatopée; et ce qui me porte à le croire, c'est que je trouve une Onomatopée grecque absolument semblable à celle-ci, qui exprime l'idée que nous rendons par notre verbe suffoquer. L'air étouffé dans l'étroit canal de l'anche, séparé de l'instrument auquel elle appartient, imite très-bien le gémissement aigu et forcé d'un homme qui suffoque. De là, la conformité de ces deux Onomatopées.
ASTHME. L'asthme est une infirmité qui consiste dans une grande difficulté de respirer dans de certains temps. Cette Onomatopée imite le bruit de la respiration brusquement interrompue. Elle nous vient immédiatement, et sans changement, d'une Onomatopée grecque qui représente la même chose.
BABIL, BABILLARD, BABILLER. Babil, abondance de paroles sur des choses inutiles, manie importune de parler continuellement.
De la lettre b qui résulte de la simple disjonction des lèvres, et qui est la première que les enfans combinent avec les sons vocaux. Aussi est-elle la première consonne de tous les alphabets.
Nicod dérive ce mot de Babel, à cause de la confusion des Langues qui y eut lieu. Ménage le fait venir de bambinare, qui a été fait de bambino, diminutif de bambo, transféré selon lui dans l'italien du syriaque babion, qui signifie enfant. De la même racine, nous avons créé
Babiole, une chose de peu de conséquence, une bagatelle qui ne peut occuper que des enfans;
Babouin, Bambin, un petit enfant qui articule à peine; en gallois bach, d'où vient le nom de Bacchus qu'on représente ordinairement comme un enfant gros et joufflu;
Bamboche, un enfant grotesque et contrefait, une marionnette ridicule;
Bambochade, un genre de Peinture qui ne s'exerce que sur des formes triviales, sur des marionnettes et des bambins.
Ménage aurait trouvé d'ailleurs une étymologie plus exacte et plus naturelle encore dans le grec, où l'on dit bao, babazo, babalo et bambaino pour loquor. Mais le fait est que tous ces mots et leur immense famille sont composés d'après le son naturel.
Baba, babe, en arabe, signifient bouche, ouverture; be a le même sens en Langue celtique. Dans la même Langue, enfant se dit map, vap, mab, vab, et avec le diminutif, babic, un petit enfant.
On dit dans le latin garrulitas, garrulus, garrire, autres Onomatopées; dans l'italien, garrire, cicalare, ciarlare et ciachierare; dans l'espagnol, babillar, charlar, chicarrar.
Amyot a dit rebabiller. «Si un babillard escoute un peu, ce n'est que comme un reflux de babil qui prend haleine pour rebabiller puis après encore davantage».
Madame Pernelle dit dans le Tartuffe:
Voilà l'étymologie de Nicod consacrée par deux vers de Molière.
BÂILLEMENT, BÂILLER. De l'action d'ouvrir involontairement la bouche dans le sommeil ou dans l'ennui.
Observez que la première syllabe de ce mot est longue, et qu'autrefois on disait baailler et baaillement, ce qui donnait plus d'expression à l'Onomatopée.
En latin, hiare, hiatus; en italien, sbadigliare, sbadigliamento.
Béer, ou plutôt, Bayer, mot fait pour peindre une curiosité vaine et un peu niaise, qui se manifeste par la même émission vocale et par la même figuration de la bouche, appartiennent à la même racine. Bayer aux corneilles, est une expression proverbiale assez en usage dans notre langue. On lit dans un de nos plus anciens dictionnaires: bayer à la mamelle, appetere mammam. «C'est proprement ouvrir la bouche, mais parce que quand plusieurs regardent par grande affection quelque chose, ils ouvrent la bouche; de là est que bayer signifie aucunes fois autant que regarder».
Bah, est un mot factice ou artificiel qui échappe aux gens étonnés. De là
Badaud, homme simple et sans expérience, qui s'étonne de tout,
S'ébahir, être ébahi, termes attachés au même sens. S'il est vrai qu'ils remontent à l'hébreu Schebasch, comme l'ont prétendu les Etymologistes, c'est que celui-ci a été fait sur le son commun, et n'a pas d'autre type naturel.
BARBOTER. Ce mot, dit Ménage, est formé du bruit que font les cannes quand elles cherchent dans la boue de quoi manger, et on appelle de là barboteur, un canard privé. Barboter en cette signification semble être une Onomatopée.
Baret. On emploie presqu'indistinctement baret, barret, ou barri. C'est le cri de l'éléphant. On appelait autrefois l'éléphant barre aux Indes orientales. En latin, on l'appelle barrus, et son cri barritus.
Nous avons perdu ce mot.
BEFFROI. Espèce de tocsin. «Quasi bée effroi, dit Nicod, car il est expressément fait pour béer et regarder, ou faire le guet en temps soupçonneux, et pour sonner à l'effroi».
Il est à remarquer cependant qu'un instrument d'airain creux et sonore s'appelait bel en breton, et que de là peuvent venir l'anglais belfry et le français beffroi.
BÊLEMENT, BÊLER. On disait beaucoup mieux autrefois béellement, béeller. Onomatopée du cri du mouton. Elle est parfaitement naturelle, et Pasquier la préfère avec raison au balare des Latins.
Bégayement, Bégayer, ont été pris de la même racine, parce que le défaut de prononciation que ces mots désignent consiste à répéter souvent le même son avec des inflexions tremblantes, comme les animaux bêlans.
BELIER. Le nom de cet animal est certainement formé d'après son cri, d'après son bêlement. Il est donc ridicule de l'avoir cherché dans vellus qui signifie toison; dans bahal, hebreu, qui est notre mot Seigneur ou chef, parce que le belier est le maître du troupeau.
dit Ronsard; et dans Jobel, autre terme de la même langue, qui était un des noms de ce quadrupède.
Belin, est l'ancien nom du belier. On le dit encore en certains lieux, des agneaux, et il s'est conservé long-tems au figuré où il signifiait doucereux. C'est un nom d'amitié, que l'on donne aux enfans, mon belin, ma beline; on a employé beliner, faire le doucereux, dans quelques occasions, et Rabelais l'a étendu à des acceptions très-variées. Il est absolument hors d'usage.
BEUGLEMENT, BEUGLER. Cri du taureau, du bœuf, de la vache, mugir comme les taureaux.
Ménage dérive ce mot de baculare, à bacula; mais c'est une Onomatopée qui est également dans le latin boare, d'où bos a été tiré.
Bœuf, est le nom d'un animal qui beugle.
Boa, est celui d'un serpent énorme dont le cri ressemble au beuglement des taureaux.
Meuglement, Meugler, qui se prononcent sur la même touche avec une bien légère modification, s'emploient indistinctement. On a même dit muglement en vieux langage, comme dans ce passage d'Amadis: «La blanche biche qui en la forest craintive eslevoit ses muglements contre le ciel, sera retirée et rappellée».
BIBERON. Homme qui aime à boire, qui boit avec excès.
Du bruit que fait le vin en coulant goutte à goutte. Le bibax et sur-tout le bibulus des Latins, représentent bien cette expression. Ces mots dérivaient de leur bibere, qui était aussi fort imitatif, et dont nous avons dégradé la valeur en le contractant dans le mot boire. Leur joli mot bilbire était de la même famille.
En celtique, le mot boire se rend par ef, ev, Onomatopées du bruit que fait la bouche en aspirant un liquide. C'est de là que vient probablement le verbe avaler.
C'est une idée d'une hardiesse bien plaisante et bien ridicule, que celle de ce savant d'ailleurs estimable, qui explique le nom d'Eve par ce petit verbe de la Langue celtique, et qui se sert de ce rapprochement pour prouver que cette Langue est la première que les hommes aient parlée.
BIFFER. Effacer une écriture en passant la plume dessus.
Un habile Etymologiste regarde ce mot comme pris de buffare, souffler, qui est une Onomatopée latine: ainsi, biffer signifierait, détruire un objet, et le faire disparaître, comme en soufflant dessus. Sans aller en fixer si loin l'origine, on l'aurait trouvée dans le bruit que fait une plume passée brusquement sur le papier. Cette conjecture est d'autant plus vraisemblable, que le mot biffer n'a point d'analogie de consonnance avec les mots anciens qui ont été attachés à une idée de même espèce, et peut passer pour une Onomatopée très moderne.
BOMBE. Ce mot dérive du bruit de la bombe qui éclate.
Il était au moins inutile d'en chercher ailleurs l'étymologie, et de la dériver, soit de Lombardie, parce qu'on croit qu'elle y a été inventée, soit de bomba dont quelques Auteurs ont usé pour parler de certaines coquilles qui servaient de trompettes, ou de bombus qui exprime le bruit du même instrument, ou de l'allemand bomber qui signifiait baliste. Il est étonnant qu'on ne l'ait pas fait remonter aussi aux belles Onomatopées italienne et espagnole, rimbomba et zumbido avec lesquelles il a tout autant de rapport; mais le fait est qu'on devait le chercher, aussi bien que ses différens analogues, dans le son naturel qui les a tous produits.
BOND, BONDIR, BONDISSEMENT. L'Onomatopée est prise du retentissement de la terre sous un corps dur qui la frappe, et se relève aussitôt.
Le mot bondir revient au subsilire des Latins qui est moins imitatif.
BORBORIGME. On dit aussi borborisme. Bruit de l'air contenu dans les intestins.
BOUC. La grande conformité des différens noms de cet animal dans presque toutes les Langues, prouve qu'ils ont dû avoir une racine commune et naturelle. C'est l'imitation de son cri. Les Grecs qui l'appelaient communément tragon, l'ont aussi nommé bekkos. Ménage dit que buccus se trouve dans la loi salique, et bouch dans le Celtique. En Langue franque, c'est buk, en allemand, bock, en italien, becco.
BOUFFÉE, BOUFFI. «Ces mots, suivant Nicod, sont par raison d'Onomatopée, et représentent tant le son du vent qui vient à bouffées, que de la flamme bouffant, ainsi que de la bouche de l'homme quand il bouffe, c'est-à-dire, souffle ou le feu, ou la poudre, ou autre chose».
Ouf, est le son radical converti en interjection pour exprimer l'émission de l'air, poussé par un homme essoufflé. Les Latins en avaient fait buffare ou bouffare, que nous avons fidèlement transporté en notre langue dans le vieux verbe bouffer.
Buffe, se dit fort anciennement pour un soufflet, pour un coup sur les joues, comme en ce passage de Marot:
Et observez que buffe et soufflet ont été faits analogiquement, et d'après le même principe, parce que la joue frappée paraît souffler ou bouffer sous la main qui la comprime.
On a employé buffoi au figuré, pour orgueil et présomption; et en perdant l'expression, nous avons conservé la métaphore. Bouffi de vanité, est une figure d'un usage très-commun.
Bouffon, doit se rapporter à la même racine, suivant Ménage qui, d'après Saumaise, le dérive du bocca infiata des Italiens. Ils appellent encore buffo magro, un maigre bouffon, le mauvais plaisant qui ne les fait pas rire; soit, comme le dit Voltaire, qu'on veuille dans un bouffon un visage rond et une joue rebondie; soit que cette bouffissure des joues, qui est une des bouffonneries les plus triviales des plus grossiers saltinbanques, ait déterminé leur nom générique. Il serait tout au moins difficile d'en donner une autre explication.
BOUILLIR, BOUILLONNEMENT, BOUILLONNER.
Bouillie, Bouillon, choses que l'on fait bouillir. Ces mots viennent du bruit que fait un liquide échauffé à certain degré. Dans le verbe bouillir, le son radical pur a été conservé aux trois personnes du singulier de l'indicatif présent.
Malherbe.
Bulle, mot par lequel on désigne ces petites éminences qui s'élèvent sur l'eau bouillante,
Boule, qui en est une espèce d'homonyme, étendu à des acceptions plus générales,
Bouton, autre terme qui, dans toutes ses acceptions, signifie une éminence ou un corps de la même forme, n'ont probablement pas d'autre étymologie. Le peuple, si riche en expressions pittoresques, se sert du verbe boutonner pour déterminer le premier degré de l'ébullition.
M. Court de Gébelin s'est donc certainement trompé en dérivant toute cette famille de mots du Celtique bal, qui signifierait œil, et par une extension d'ailleurs très-forcée, suivant l'usage de cet érudit, tous les objets ronds ou roulans. Il est faux qu'œil se dise en Celtique autrement que lagad; les deux yeux, daou lagad. L'auteur du monde primitif a pris cette fausse interprétation dans Bullet et dans tel autre lexicographe, qui ont confondu le Basque et le Celtique, et y ont mêlé, en outre, une foule de mots qui n'ont jamais fait partie de ces deux langues.
BOURDON, BOURDONNEMENT, BOURDONNER.
«Bourdon, dit Nicod, est une espèce de grosse mouche, tavelée comme mouche à miel, n'ayant point de picquon ou aiguillon, plus grosse de corsage que la mouche à miel nommée abeille, et ne fait ni ne sert à faire le miel ni la cire; ains dévore l'aliment et la provision que les mouches à miel se sont pourchassé, seulement de sa chaleur conserve les petits abeillons, qui est la cause que Virgile, au quatrième des Géorgiques, l'appelle ignavum pecus, fainéant et coüard. Pline, en son livre onzième, leur attribue partie de l'opifice des mouches à miel, ce que Varron son devancier ne fait pas, fucus. Le Français lui a donné ce nom par Onomatopée, à cause du bruit qu'il fait quand il volète.»
Boud a signifié le bourdonnement du frélon, dans la Langue Celtique.
Bourdon, cloche très-sonore qui produit un bruit de même genre que celui dont il est question dans cet article, a été ainsi nommée par analogie.
Bourder est un vieux mot très-précieux qui voulait dire rester court en chaire, parce que le prédicateur, en cet état, ne forme plus qu'un murmure et un bourdonnement confus. Il est à regretter que cette expression soit perdue.
Bourde, chose vague et confuse, mensonge qu'on articule à demi, en est clairement dérivé. On a pu dire allusivement qu'un menteur pris sur le fait, se tire d'affaire, en murmurant des mots sans suite, comme un prédicateur qui a perdu le fil de son sermon. Regnier se sert de ce terme dans cette hypothèse même:
BRAIRE. «L'âne brait, dit M. de Buffon, ce qui se fait par un grand cri, très-long, très-désagréable, et discordant par dissonances alternatives de l'aigu au grave, et du grave à l'aigu. Ordinairement, il ne crie que lorsqu'il est pressé d'amour ou d'appétit. L'ânesse a la voix plus aigre et plus perçante. L'âne qu'on fait hongre, ne brait qu'à basse voix, et quoiqu'il paraisse faire autant d'efforts et les mêmes mouvemens de la gorge, son cri ne se fait pas entendre de loin.»
BRAMER. Ce mot se dit du cerf en certaines occasions, et en général de tous les animaux qui crient fortement. Il s'est même employé en vieux langage, pour exprimer le cri de l'homme, comme dans ces vers, attribués à Clotilde de Surville:
Court de Gébelin et Voltaire prétendent que bram signifiait un grand cri en Langue Gothique. Cette racine, commune dans les Langues, se retrouve d'ailleurs toute entière dans le Grec.
Si l'on veut s'assurer, au reste, que l'Onomatopée n'est nulle part plus fréquente que dans les idiomes qui se rapprochent des temps primitifs, que l'on consulte Voltaire au même lieu, dans ses fragmens sur la Langue Française. Les mots que cet auteur, toutefois peu versé dans le mécanisme de la Langue qu'il a enrichie de tant de chef-d'œuvres, les mots, dis-je, qu'il fait dériver du Celte, sont autant d'Onomatopées.
Brailler, terme populaire qui ne se prend qu'en mauvaise part, et dans l'usage le plus trivial, a évidemment le même type.
BREDOUILLER. Parler confusément et articuler avec peine.
Bredi-breda est une locution basse et factice qui exprime l'espèce de bredouillage d'une personne très-loquace, qui articule difficilement. Ce mot ne se trouve que dans Poisson, et quelques auteurs du même ordre.
BROUHAHA. Bruit confus d'applaudissemens qu'on entend dans les spectacles, et dans les lieux d'assemblée où l'on récite des ouvrages d'esprit. C'est une contraction de bruit de haha, prononcé brouit de haha dans le vieux langage.
BROUTER. Du bruit que font les animaux en brisant les plantes près de leur racine, et en les arrachant avec les dents.
Il y a un exemple de l'harmonie pittoresque de ce mot, dans une des plus jolies fables de la Fontaine, le chat, la belette et le petit lapin.
Voici le même mot employé dans la prose, avec un effet d'harmonie imitative aussi vrai que celui qu'on vient de remarquer. Ce passage est de M. de Châteaubriand, un des Écrivains dont notre siècle a le plus à se glorifier; et je rapporte cet exemple avec d'autant plus d'empressement, que je n'en connais point de si riche en Onomatopées:
«Si tout est silence et repos dans les savanes de l'autre côté du fleuve, tout ici au contraire est mouvement et murmure: des coups de bec contre le tronc des chênes, des froissemens d'animaux qui marchent, broutent ou broyent entre leurs dents les noyaux des fruits; des bruissemens d'ondes, de faibles gémissemens, de sourds meuglemens, de doux roucoulemens, remplissent ces déserts d'une tendre et sauvage harmonie.»
BROYEMENT, BROYER. Ces mots sont faits du bruit d'une substance un peu récalcitrante, brisée entre deux corps durs. C'est ce qu'expriment aussi bien le sfratumare des Italiens, et le quebrar des Espagnols.
BRUIRE, BRUISSEMENT, BRUIT. Ces mots bruire et bruissement, qu'on a affecté de négliger je ne sais pourquoi, présentent une des belles Onomatopées de la Langue. Ils donnent l'idée d'un bruit vague, sourd et confus, comme celui qui s'élève d'une forêt ébranlée par des vents impétueux, ou qui résulte du fracas des torrens et de l'écoulement des grandes eaux; en général, ils sont graves et solennels, et ont un caractère particulier d'imitation qu'on ne trouve pas dans leurs analogues.
Un auteur déjà classique, et qu'on peut appeler le Racine de la prose, a prouvé, par l'emploi qu'il a fait de certains temps du verbe bruire, qu'il serait d'une injuste délicatesse de le réduire à l'infinitif, comme quelques Grammairiens y avaient paru disposés.
«La lune, dit M. Bernardin de Saint-Pierre, paraissait au milieu du firmament, entourée d'un rideau de nuages que ses rayons dissipaient par degrés. Sa lumière se répandait insensiblement sur les montagnes de l'île, et sur leurs pitons qui brillaient d'un vert argenté; les vents retenaient leurs haleines. On entendait dans les bois, au fond des vallées, au haut des rochers, de petits cris, de doux murmures d'oiseaux qui se caressaient dans leurs nids, réjouis par la clarté de la nuit et la tranquillité de l'air. Tous, jusqu'aux insectes, bruissaient sous l'herbe.»
La Bruyère a dit aussi brouissement.
«Une femme entend-elle le brouissement d'un carosse qui s'arrête à sa porte, elle prépare toute sa complaisance pour quiconque est dedans, sans le connaître».
Cette licence est heureuse dans cette occasion, parce qu'elle caractérise très-bien l'espèce de bruissement dont il s'agit.
Bruyère. Il est probable que le nom de cette plante, dont les tiges souples, grêles et ligneuses, bruissent au moindre vent, est tiré du même son radical que les mots précédens. L'étymologie que je donne de ce mot n'est d'ailleurs qu'une conjecture, aussi plausible toutefois que celle qui le tire du latin uro, parce qu'on brûle les bruyères pour les défricher, et rendre l'emplacement où elles croissaient susceptible de culture: c'est l'opinion de Borel.
CAHOT, CAHOTER. De la secousse qu'on éprouve dans une voiture mal suspendue qui roule sur un chemin âpre et raboteux, et de l'effort qu'on fait pour reprendre la respiration durement interrompue.
Les Latins ont dit succussus, qu'ils prononçaient soucoussous, et qui rendait la même idée.
CAILLE. «Le mâle et la femelle, dit Buffon, ont chacun deux cris, l'un plus éclatant et plus fort, l'autre plus faible. Le mâle fait ouan, ouan, ouan, ouan; il ne donne sa voix sonore que lorsqu'il est éloigné des femelles, et il ne la fait jamais entendre en cage, pour peu qu'il ait une compagne avec lui: la femelle a un cri que tout le monde connaît, qui ne lui sert que pour rappeler son mâle; et quoique ce cri soit faible, et que nous ne puissions l'entendre que d'une petite distance, les mâles y accourent de près d'une demi-lieue; elle a aussi un petit son tremblotant cri cri. Le mâle est plus ardent que la femelle, car celle-ci ne court point à la voix du mâle, comme le mâle accourt à la voix de la femelle dans le temps de l'amour, et souvent avec une telle précipitation, un tel abandon de lui-même, qu'il vient la chercher jusques dans la main de l'oiseleur».
C'est de ce cri, que Buffon dit connu de tout le monde, et qu'un autre Ornithologiste a exprimé par les mots factices caille caillette, qu'est venu le nom de la caille dans notre Langue et dans la plupart des autres. En effet, on a dit kakkaba en grec, qualea dans la basse latinité, cuaderviz en espagnol, excellente Onomatopée dont les deux dernières syllabes doivent se prononcer très-brèves, quaglia, en italien, quaïl, en anglais, wachtel, eu allemand; et ce son imitatif se retrouve jusque dans l'hébreu saly ou xaly. De ce nom l'on a fait
Cailletage, babillage insupportable et continuel comme celui de la caille,
Caillette, femme frivole et babillarde,
Cailleter, l'action de parler sans cesse, et à propos de toute chose, expressions que la Langue française a repoussées jusqu'ici, et qui ne sont d'usage que dans le style familier.
Rousseau a dit cependant, en parlant de madame de Warens: «La vie uniforme et simple des Religieuses, leur petit cailletage de parloir, tout cela ne pouvait flatter un esprit toujours en mouvement, qui formant chaque jour de nouveaux systêmes, avait besoin de liberté pour s'y livrer».
CANARD. Du son can can, souvent répété, qui est le cri de cet animal, plutôt que d'anas, probablement à natando, qui est son nom latin. Mon opinion est du moins conforme en ce point à celles de quelques Auteurs, et entr'autres à celle de l'ornithologiste Martinet, qui remarque fort judicieusement qu'il est du génie de notre Langue de terminer par cette syllabe ouverte et éclatante, ard, les mots qui désignent un parleur impitoyable et fatigant, comme bavard et babillard.
Les Allemands ont représenté par une autre Onomatopée le cri rauque, âpre, et enroué du canard. Ils l'ont appelé racha et rachtscha.
Can Can, mot factice tiré du cri du canard, a été appliqué par extension aux bruits tumultueux qui s'élèvent dans une assemblée nombreuse où l'on ne s'accorde pas, et où l'on traite des affaires de peu d'importance. Ce n'est pas le sentiment de l'Académie qui l'écrit quanquan, et qui pense qu'on l'a appliqué aux discussions orageuses sur des choses futiles, par allusion aux horribles disputes que causa au seizième siècle la prononciation du mot quamquam, et qui coûtèrent peut-être la vie à Ramus. Quelqu'égard qu'on doive cependant aux décisions de ce corps savant, j'ai cru pouvoir persister dans mon opinion qui me semble mieux fondée, et que je partage d'ailleurs avec le plus grand nombre des Etymologistes.
CAQUET, CAQUETER. Ces mots se disent au propre, du bruit que font les poules quand elles sont prêtes à pondre, et au figuré, du babillage des personnes qui caquettent comme les poules. Cette Onomatopée se retrouve très-fidèlement dans la Langue grecque.
On disait autrefois dans notre Langue cluper ou gluper, pour exprimer une espèce de caquet de la poule. Ce terme mériterait d'être renouvelé.
Linguet s'est servi du mot caquetage en parlant du chancelier de l'Hôpital. «Aucun, ministre, dit-il, ne fit jamais convoquer autant de grandes assemblées; mais satisfait d'y étaler une éloquence prolixe et toujours mal-adroite, il les laissait toutes dégénérer en cohues tumultueuses ou en caquetages scandaleux dont l'unique résultat était de constater la frivolité et l'impuissance du Gouvernement».
CASCADE. Ménage pense que ce mot est fait de l'italien cascata, ce qui est incontestable. Il fait remonter celui-ci au latin cado, ce qui est plus douteux; mais ce verbe aurait été employé comme désinent dans l'expression dont il s'agit, qu'on n'en devrait pas moins reconnaître cette expression pour une Onomatopée. La première syllabe est un son factice qui fait rebondir la seconde, et cet effet représente d'une manière vive le bruit redondant de la cascade.
Il y a beaucoup d'Onomatopées du même genre, c'est-à-dire, composées d'un son naturel et d'un son abstrait. C'est ce que les Etymologistes n'ont pas remarqué; et satisfaits dès qu'ils ont trouvé dans un mot l'origine d'un de ses membres, on croirait qu'ils ont regardé le reste comme le produit du hasard ou du caprice. Il est cependant démontré que quelque fortuite qu'ait été la composition des Langues, il ne peut y avoir eu qu'un très-petit nombre de mots formés sans motifs.
CATACOMBES. Du grec kata qui est consacré à l'action de descendre ou de tomber, et qui a peut-être fourni le latin cado dont je parlais tout-à-l'heure; et du vieux français combe, vallée, gorge, endroit creux ou souterrain. La réunion de ces deux mots heureusement mariés produit un des beaux effets d'imitation de la Langue. Il est impossible de trouver une suite de sons plus pittoresques, pour rendre le retentissement du cercueil, roulant de degrés en degrés, sur les angles aigus des pierres, et s'arrêtant tout-à-coup au milieu des tombes.
CATARACTE. En Grec, Kataraktès. Chûte d'eau impétueuse et bruyante qui tombe et se brise de roc en roc avec un grand fracas.
Herbinius, dans son Traité de admirandis mundi cataractis supra et subterraneis, a étendu le sens de cette expression à tous les violens chocs élémentaires, de quelque espèce qu'ils fussent.
CHAT-HUANT. «Chahuant, dit un de nos anciens glossateurs, est une espèce d'oiseau qui va voletant et huant de nuict, duquel chant huant il est ainsi nommé, car son chant n'est que hu et cry piteux: pour laquelle cause les Latins l'ont appellé ulula, et aussi noctua, parce qu'il ne chante et ne erre que la nuict. Ils l'ont aussi nommé bubo par Onomatopoée, représentant le chant d'iceluy par ce nom, et dient que cest oiseau est féral et funébre, pour estre ténébreux et nocturne et effrayant: et à ceste occasion tenoit on anciennement son chant pour présage de calamité future, mesme par mort de maladie. Il est hay à merveilles des autres oyseaux, lesquels pour estre diurnes, c'est-à-dire, errans et voletans par jour, et ne avoir la rencontre ordinaire de ce dit chahuant, et pour l'aspect hydeux de luy, le hayent et poursuyvent à coups de bec et de griffes, quand ils le trouvent, faisans tous un esquadron combattant contre luy, ausquels, comme Pline dit au livre X, chap. 17, il résiste par se coucher à l'envers et se reserrant en arc, si qu'il demeure presque couvert de son bec et de ses griffes ou serres, laquelle inimitié estant aperçüe par les oyseleurs, se servent dudit chahuant, pour attraper ceux qui viennent à la meslée contre iceluy. De ce que dessus se voit que de l'appeler chathuant, et pour la difficulté de la prolation françoise en l'aspiration h après la consonne, dire que chahuant est fait de chat huant, il n'y a pas raison grande, veu que ceste particule cha est ailleurs commune au François, comme en ces mots chatouille, chatfourré, chafouyn, esquels le mot de chat n'a que veoir».
CHEVÊCHE. En Latin, Strix. Ce mot a désigné génériquement les oiseaux de nuit de l'espèce de la chouette. Maintenant on n'appelle du nom de chevêche que des oiseaux à qui ce nom ne convient plus, puisqu'il avait été formé par Onomatopée, et qu'il ne désigne point leur cri, mais celui de l'efraye ou fresaye. «Les cris acres et lugubres de l'efraye, et sa voix entrecoupée qu'elle fait souvent entendre pendant le silence de la nuit, semblent articuler grei, gré, crei; et ses soufflemens ché, chei, cheu, cheue, chiou, qu'elle réitère sans cesse, ressemblent à ceux d'un homme qui dort la bouche ouverte: elle pousse encore en volant différens sons aussi désagréables.» Ces expressions, tirées d'un de nos Naturalistes, donnent l'incontestable étymologie des mots chevêche et chouette, et font regretter que l'impéritie des Méthodistes ait consacré de nouvelles appellations insignifiantes et capricieuses, puis transporté les anciennes à des espèces qu'elles ne désignent point, et bouleversé ainsi la nomenclature naturelle, sans qu'il en résulte aucun avantage pour la science.
Oserai-je souhaiter que les Naturalistes à venir, moins jaloux d'étaler une vaine érudition, en appliquant aux animaux des noms difficilement composés, voulussent bien s'en tenir aux désignations imitatives qui sont naturelles à tous les peuples, et qui universaliseraient, en quelque sorte, leurs nomenclatures. Cette idée n'a pas été étrangère à Linné et aux autres Méthodistes philosophes.
CHOC, CHOQUER. Du bruit de deux corps qui se heurtent.
Du même son naturel les Espagnols, pour joûte, ont dit choca.
Nous représentions cette dernière idée par le vieux verbe toster, dont les Anglais ont fait toast.
CHOUCAS. En Grec, ankos, koloïos; en Latin, graccus, gracculus; en Espagnol, graio, graia; en Italien, ciagula; en Savoyard, chüe, caüe, cavette, cauvette; en Turc, tschaucka; en Saxon, aelcke, kaeyke, gache; en Suisse, graake; en Hollandais, kaw, chaw; en Illirien, kauka, kawa, zegzolka; en Flamand, gaey; en Suédois, kaja; en Anglais, kae, chog, jak-daw; en quelques provinces de France, chicas, chocotte et chocas.
J'ai rapporté ces différentes synonymies comme autant d'Onomatopées. Le choucas, indépendamment du cri qui lui a fait donner son nom, en pousse un autre encore qu'on a exprimé par le son tian, tian, souvent répété; mais il lui est beaucoup moins familier, et n'a jamais été converti en Onomatopée.
CHUCHOTTER, CHUCHOTTERIE, CHUCHOTTEUR. Du mot factice st qu'on a employé pour imposer silence, ou pour indiquer qu'il faut baisser la voix, et parler de manière à n'être pas entendu, on a fait chut, suivant l'usage de notre Langue qui mouille ordinairement les sons sifflans, et de là le verbe chuchotter, qui présente une nouvelle Onomatopée par le concours des syllabes sourdes qui le composent. On disait autrefois chuchetter.
On ne supposerait guères que les Étymologistes eussent vu, dans le son radical st qui est si simple et si général, une contraction du silentium tene des Latins. Cela est cependant vrai, car il n'y a point d'idée si bizarre que ce genre d'érudition n'en puisse offrir un exemple.
CIGALE. Du son radical cic, cic, qui est le chant de cet insecte, les Grecs ont fait probablement kik aïodos, l'insecte chanteur qui dit kik; et de ce nom, les Latins cicada, les Espagnols cigarra, les Italiens cigala, et nous le mot cigale, qui est une Onomatopée alongée d'une terminaison oiseuse et étrangère à notre Langue.
* CLAPPEMENT. Un homme d'esprit qui se pique d'originalité sur toutes les matières, et qui a dit beaucoup de mal de Racine et de Newton, a cru devoir, en raison du même principe, attaquer l'ancienne réputation du rossignol, si prôné parmi les chantres des bois.
«Qu'une oreille impartiale, dit-il, écoute avec attention le rossignol; qu'elle entende ses sons souvent aigres, toujours fortement prononcés, mais sans variété, si ce n'est quatre tons, sans modulations; sans nuances, elle éprouvera une sensation pénible, désagréable. Transportez l'oiseau, suspendez sa prison à une fenêtre, le chant sera le même, et le passant l'entendra avec indifférence; s'il s'arrête, ce n'est pas par l'attrait du plaisir, c'est de surprise et d'étonnement. Il croyait que l'oiseau ne chantait que dans les bois et pendant la nuit; mais la lune ne brille pas au travers des branchages touffus; le silence solennel de la nature ne l'environne pas; le murmure vague d'un ruisseau ne s'unit pas aux légers frémissemens du feuillage sous lequel il est assis: il est dans la ville.
«Que peut-on comparer au clappement dur et déchirant que l'oiseau tant vanté fait entendre au milieu ou à la fin de son chant imphrasé? Je souffre quand je réfléchis aux efforts redoublés des muscles de son gosier.»
On ne verra peut-être ici que le caprice d'une imagination d'ailleurs ingénieuse qui se complaît à colorer agréablement des paradoxes; mais je rapporte ce passage pour soumettre aux arbitres de la Langue le mot pittoresque, mais un peu hasardé, qui est l'objet de cet article, et qui me paraît une innovation plus heureuse que le reste.
CLAQUE, CLAQUEMENT, CLAQUER. Du son que produisent les deux mains vivement appliquées l'une contre l'autre, ou contre un corps retentissant.
Claquer se dit aussi fort bien du bruit d'un fouet qui coupe l'air avec force. Il est passé au sens proverbial dans cette acception.
Claquement s'applique sur-tout au heurt convulsif et spontanée des dents.
Court de Gébelin prétend que le son radical claq était un mot celtique qui signifiait grand bruit. Schlagen signifie encore en langue allemande frapper, et du même type, nous avons fait
Claquet, petite latte tremblotante qui est d'usage dans les moulins, et qui frappe la meule avec éclat.
CLIGNOTER. M. de Brosse prétend avec raison, ce me semble, que beaucoup d'Onomatopées ont été formées, sinon d'après le bruit que produisait le mouvement qu'elles représentent, au moins d'après un bruit déterminé sur celui que ce mouvement paraît devoir produire à le considérer dans son analogie avec tel autre mouvement du même genre, et ses effets ordinaires; par exemple, l'action de clignoter, sur laquelle il forme ces conjectures, ne produit aucun bruit réel, mais les actions de la même espèce rappellent très-bien par le bruit dont elles sont accompagnées, le son qui a servi de racine à ce mot.
Clin-d'œil, c'est le petit mouvement d'un œil clignotant.
CLINQUANT. Clinquant s'est dit, au sens propre, d'une feuille de métal si fine et si légère, qu'elle se froisse sous les doigts avec un petit cliquetis aigre dont son nom est formé; et parce que ces feuilles, à cause de leur ténuité ont ordinairement plus d'éclat que de valeur, on les prend figurément pour les choses d'un prix médiocre qui ont une apparence brillante, comme dans ces vers de Boileau:
CLIQUETIS. Onomatopée tirée du son des armes qui se choquent.
Ce mot se dit aussi du bruit des verres, et en général des bruits argentins et mordans.
Cliket est dans le dictionnaire breton de dom Lepelletier, pour loquet de porte ou de fenêtre. Dans Davies on lit cliccied, et analogiquement, cleccian, pour stridere.
CLOSSEMENT, CLOSSER. Du cri ordinaire de la poule.
Ces mots ont peut-être quelque chose de plus aigre et de plus bruyant, et représentent mieux la clameur de la poule inquiète qui rappelle ses petits, ou de la poule irritée qui les défend, que leurs synonymes gloussement et glousser dont ils sont une nuance légère, et qui ne s'en sont pas moins conservés dans la Langue.
Gloussement, Glousser, ont obtenu jusqu'ici la préférence dans le langage poétique, et il me serait facile d'en offrir plus d'un exemple. Je m'en tiendrai à ces vers élégans d'un de nos meilleurs Poètes descriptifs:
La poule glossante s'est autrefois appelée cloucque, à clocqua, dit Borel, id est tintinnabulo, ob sonum similem.
COASSEMENT, COASSER. Du son radical koax, si ridiculement employé par Rousseau, et qui est l'Onomatopée du cri de la grenouille.
On a dit coaxare dans la basse latinité, et quelques Ecrivains français en ont fait coaxer, qui n'est pas admis par l'usage.
COQ. Oiseau dont le chant est exprimé par un mot factice, de la première syllabe duquel on a fait son nom. Il est à remarquer que c'est son incantation la plus familière; aussi a-t-elle fourni aux Langues un grand nombre d'Onomatopées. Les Grecs ont dit souvent kottos et kikkos. Les Polonais ont kogut, les Anglais cok, les Savoyards coq et gau. Nous avons dit autrefois gal de gallus, et gog du son radical imitatif. C'est cette dernière dénomination qui nous est restée avec une modification bien légère.
Ménage ne devait pas dire que coq venait de clocitare, d'où est fait closser, mais plutôt que ces mots venaient d'un type commun qui est le chant du coq.
Coque, mot créé pour représenter l'enveloppe de l'œuf, pourrait bien dériver du nom de l'animal, de l'Onomatopée de son chant. La poule entonne son chant favori à l'instant où elle vient de pondre. Coq-coq, suivant Leroux, exprime le bruit que fait la poule quand elle pond. Cette étymologie me paraît plus naturelle que celle qu'on attribue à ce terme quand on le fait venir à concha. Coquille se dit aussi chez nous pour coque, mais c'est une terminaison diminutive, familière à notre Langue.
Coquetterie, et les mots qui se rapportent à cette idée, sont employés figurément par allusion aux mœurs du coq, à son inconstance et à ses amours. En effet, soit que nous l'ayons appelé gal comme dans le vieux langage, soit que nous l'ayons appelé coq comme aujourd'hui, on peut suivre facilement cette double dérivation, dont les rapports, tout curieux et tout piquans qu'ils sont, ont cependant, je crois, échappé à tous les Etymologistes. Galendé signifiait orné, enrichi, embelli, comme dans ces vers du roman de la Rose:
Gallois se prenait pour agréable et léger. Une belle, une franche Galloise, selon Rabelais et les Auteurs du même temps, c'était une femme éveillée et coquette.
Galeur ou Galeure a un sens analogue dans Coquillard:
Villon se sert du mot galer, pour, se réjouir, et passer agréablement la vie.
Gaillard et Galant nous restent encore.
Les dérivés du mot nouveau sont plus aisés à retrouver, et frapperont tout le monde. Remarquons seulement qu'ils remontent au premier emploi du mot coq, et qu'on les croirait inventés simultanément, tant l'extension en fut naturelle. Il y a plusieurs siècles que le mot coquardeau, désignant un jeune homme étourdi et coquet qui débute dans le monde, se lisait déjà dans le blason des fausses amours.
Villon s'est servi de quoquart dans la même acception.
COUCOU. Voici les Onomatopées équivalentes que d'autres Langues me fournissent.
En hébreu kaath, kik, kakik, kakata, schaschaph; en grec kokkus, et par corruption karkolix, et kakakoz; en latin cuccus, cuculus; en italien cuculo, cucco, cucho; en espagnol cuclillo; en allemand gucker, kuckuch, guggauch, guckuser; en flamand kockock, kockuut; en anglais kuckow, cucoo; en turc koukou; en syriaque coco; en polonais kukulka, kukawka; en danois kuk, gioeg kukert; en catalan cocut, cugul; en vieux français coqu; en Provence coux, cocou; en Sologne coucouat, pour indiquer le petit du coucou.
Il n'y a point d'oiseau dont le nom ait été formé aussi généralement d'après son cri, et cela, peut-être, parce qu'il n'y en a aucun dont le cri soit plus analogue aux modulations de la voix humaine; au reste, il est bon de dire, une fois pour toutes, que si la lettre C prononcée comme K, est l'initiale du nom d'un grand nombre d'oiseaux crieurs, et même de certains que nous n'avons point nommés, parce que cette circonstance nous a paru trop faible pour constituer l'Onomatopée; que si elle est la caractéristique de leur cri; comme dans cailletage, caquet, clappement, clossement, cluppement, croassement; et que si cette observation peut s'étendre indistinctement à toutes les Langues connues, c'est que le chant, ou plutôt la clameur de ces animaux, est engendrée par le claquement de la langue contre le palais, qui est la plus éclatante de toutes les touches vocales, et que ce claquement produit la consonne dont il s'agit.
COURLIS. C'est un oiseau que nous avons aussi nommé curly et turly par imitation de son cri.
Ce son naturel a produit beaucoup d'Onomatopées, l'Elorios des Grecs, le clorius des Latins, le tarlino de la Pouille, le caroli du Milanais, le curlew des Anglais, le greny des environs de Constance, le turlu de Poitou, le turluy et le corleru des Picards, le corlui des Normands, le corlu des Bourguignons, le corly et le corlieu de nos anciens Naturalistes.
M. de Buffon, à qui je dois cette nomenclature, y joint des observations qui viennent très-bien à ce sujet. «Les noms composés des sons imitatifs de la voix, du chant, des cris des animaux, sont, dit-il, pour ainsi dire, les noms de la Nature; ce sont aussi ceux que l'homme a imposés les premiers; les Langues sauvages nous offrent mille exemples de ces noms donnés par instinct; et le goût, qui n'est qu'un instinct plus exquis, les a conservés plus ou moins dans les idiomes des peuples policés, et surtout dans la Langue grecque, plus pittoresque qu'aucune autre, puisqu'elle peint même en dénommant. La courte description qu'Aristote fait du courlis, n'aurait pas suffi sans son nom Elorios, pour le reconnaître et le distinguer des autres oiseaux. Les noms français courlis, curlis, turlis, sont des mots imitatifs de la voix; et dans d'autres Langues, ceux de curlew, caroli, tarlino, s'y rapportent de même; mais les dénominations d'arquata et de falcinellus sont prises de la courbure de son bec, arqué en forme de faulx. Il en est de même y du nom Numénius dont l'origine est dans le mot Néoménie, temps du croissant de la lune; ce nom a été appliqué au courlis, parce que son bec est à-peu-près en forme de croissant; et les Grecs modernes l'ont appelé macritimi, ou long nez, parce qu'il a le bec très-long, relativement à la grandeur de son corps».
On pourrait conclure de ces remarques qu'il y a deux espèces d'Onomatopées ou de fictions de nom; les premières qui sont les Onomatopées naturelles, communes à tous les peuples, parce qu'elles sont formées sur un son qui ne varie pas; les secondes, qui sont les Onomatopées locales, propres à un seul idiome, parce qu'elles sont déterminées sur une figure ou un aspect des corps dont le signe est de convention. Ces deux riches familles de mots pittoresques sont la plus belle partie des Langues.
CRACHAT, CRACHEMENT, CRACHER. Du bruit que fait la salive jetée avec force hors de la bouche.
Cette idée a été exprimée dans les Langues par deux sons également imitatifs, quoique fort distincts, l'un de l'autre. Du premier qui a servi de racine aux mots dont on s'occupe dans cet article, les Bas-Bretons ont fait cranch qui signifie salive, et suivant Court de Gébelin, craing qui signifie la même chose, craincher, cracheur, et crancha, cracher, mais je suis porté à croire qu'il doit ces dernières expressions à un autre vocabulaire. Les mots excreare et screare des Latins ont le même type.
Du second, les Latins ont fait spuere, despuere, expuere, les Italiens sputare, les Allemands speien, et les Anglais spit. Le son radical puth a été souvent converti en interjection, pour marquer un mépris extrême, comme en ces mots tirés d'une mauvaise pièce de Boursaut, intitulée le Portrait du Peintre. «C'est mal répondre, puth, misérable critique!»
Il est presqu'inutile de dire que nos mots conspuer et pituite sont formés d'après cette dernière espèce de son.
Cracher, s'exprime en arabe par le mot ghak, et en hébreu par les mots racac et iarac, qui sont encore des Onomatopées.
CRAN. Incision ou entaille faite sur un corps dur. En celtique, cran, en latin, crena.
Ecran, meuble qui glisse sur des crans.
CRAQUEMENT, CRAQUER. Du bruit que font des corps secs et durs qui se brisent.
Letourneur dit dans sa traduction du Jugement dernier d'Young: «Avez-vous entendu ce craquement effroyable dont tout le globe a retenti dans sa profondeur? C'est le fracas de l'Olympe et de l'Atlas tombans». Ce passage est d'une belle harmonie.
* Craqueter s'est dit quelquefois au sujet d'une matière pétillante et très-sèche qui éclate au feu, comme le sel ordinaire et les feuilles des arbres résineux. Il n'est point à dédaigner dans ce sens. Le poète Théophile en a fait un mauvais usage, quand il a dit qu'on entendait craqueter le tonnerre. Le signe est trop petit pour l'idée.
On ne se sert plus de criquer et de criqueter qui se prenaient autrefois dans un sens analogue. Les herbes sèches criquent, dit Nicod. Herbæ aridæ rixantur. Criqueter, digitis concrepare.
CRESSELLE, CRECELLE, ou CRÉCERELLE. C'est un instrument de bois en usage dans quelques solennités, qui bruit aigrement en tournant sur des crans durs et serrés. On a cherché par-tout l'étymologie de son nom, excepté dans le bruit qu'il produit, et dont elle est certainement tirée.
Ce mot n'est point étranger à la poésie, et Boileau s'en est agréablement servi dans ces vers imitatifs du Lutrin:
CREX. Cri sinistre et fréquent d'un oiseau qui en a pris son nom.
CRI, CRIER. Je ne prends point ces mots comme imitatifs de la voix humaine ou de celle des animaux, mais comme des Onomatopées d'un bruit purement mécanique qui résulte du frottement ou du brisement des corps. On se rappelle le superbe hémistiche du récit de Théramène:
M. Lalanne a fait un heureux emploi du même mot dans ces vers du poème intitulé Les Oiseaux de la Ferme:
Criailler, Criaillerie, Criailleur, sont faits du même son radical que les précédens, et alongés d'une syllabe très-ouverte, pour peindre la continuité fatigante d'un babil disputeur et hargneux.
Notre bon Montaigne est, je crois, un des premiers qui aient fait usage de ce mot. «La criaillerie, quand elle nous est ordinaire, passe en usage, et fait que chascun la méprise. Celle que vous employez contre un serviteur pour un larcin ne se sent point, d'autant que c'est celle mesme qu'il vous a vu employer cent fois contre luy, pour un verre mal rincé, ou pour avoir mal assis une escabelle».
Criocère, est le nom que les Entomologistes français ont donné à une famille d'insectes dont on trouve des espèces sur le lys et sur l'asperge, et qui est remarquable par la propriété qu'ont les petits animaux qui la composent de produire un cri assez aigu, au moyen du frottement de leur corselet contre l'origine des étuis.
CRIC. C'est une machine composée d'une roue dentée ou pignon qui se meut avec une manivelle, et qui roule en criant.
* CRINCRIN. C'était un instrument chargé de grelots, dont il n'est parlé que dans les Fâcheux de Molière:
Ménage, qui rapporte ce terme et cette autorité, n'hésite pas à le regarder comme formé par Onomatopée.
M. de Roujoux pense que le peuple donne au violon le nom de crincrin par allusion aux crins qui forment l'archet; il croit qu'il pourrait bien en être de même de cet instrument qu'il présume être celui dont se servent encore les enfans pour imiter la grenouille, et qui est formé d'un petit cylindre de carton fermé à une de ses extrémités, et attaché par un crin à un bâton autour duquel on le fait tourner pour produire du bruit. Le mot alors, selon M. de Roujoux, ne serait pas une Onomatopée, puisque l'instrument aurait pris son nom de sa principale partie.
* CRISSEMENT, CRISSER. Expressions hors d'usage. C'est l'action de grincer fortement les dents, et de tirer de leur frottement un son aigre et strident qui offense l'oreille.
Crisser, selon Borel et Monnet, c'est faire un bruit aigu et âpre, comme les roues mal ointes.
CROASSEMENT, CROASSER. Du cri lugubre et discord des corbeaux.
Le nom même du corbeau dérive de loin du même son primitif. Du korax des Grecs qui est une Onomatopée, les Latins ont fait corvus, et d'après eux les Espagnols cuervo, et les Italiens corvo. La dénomination que nous avons adoptée est encore moins naturelle, quoiqu'on puisse remonter sans effort à son étymologie; mais il n'y en a point de plus singulièrement corrompue que celles que la Langue allemande et la Langue anglaise ont substituées au corvus des Latins, en retranchant bizarrement de ce mot la consonne initiale, et en faisant du reste par une métamorphose capricieuse les noms insignifians de rabe et de raven.
Boileau écrit quelque part:
Ce mot rauque tombe à la fin du vers d'une manière singulière et inusitée qui rend son effet plus énergique.
CROC. Ce mot ne fut probablement d'abord que le signe factice du déchirement d'un corps saisi par un instrument aigu; et puis il devint par une extension très-naturelle le nom de cet instrument, du croc et du crochet.
Accrocher, c'est saisir avec un croc, ou fixer avec un crochet.
CROQUER. Du bruit que fait un aliment sec et difficile à broyer, en se rompant sous la dent.
Le même La Fontaine a employé le mot de croqueur que notre Langue a rebuté:
Croquet, nom que l'on donne à une espèce de pâtisserie très-cassante, a la même origine que les mots précédens. Ils sont les uns et les autres du style familier.
CROULEMENT, CROULER. Du retentissement sourd et profond des murailles qui s'affaissent, qui s'ébranlent, et qui tombent.
Écroulement et s'Écrouler qui ont un sens moins vif, sont cependant plus en usage.
Le mot croulement a été transporté très-énergiquement par Montaigne dans le style figuré.
«Nos mœurs sont, dit-il, extrêmement corrompües, et penchent d'une merveilleuse inclination vers l'empirement de nos loix et usages; il y en a plusieurs barbares et monstrueuses; toutes fois pour la difficulté de nous mettre en meilleur état, et le danger de ce croulement, si je pouvois planter une cheville à nostre roüe, et l'arrêter en ce poinct, je le ferois de bon cœur».
DANDIN, DANDINER. Pasquier dérive ces mots du terme factice dindan qui exprime le bruit des cloches, parce que la marche d'un dandin, d'un homme hébêté, d'un badaud qui chemine lentement et au hasard, en ne s'occupant que de choses vaines et communes, représente assez bien le mouvement des cloches ébranlées.
Cette dénomination s'est retrouvée souvent dans le style satirique, témoins Thenot Dandin, Perrin Dandin, Georges Dandin.
DÉGRINGOLER. Terme bas qui est pris du bruit d'un corps qui roule d'une certaine hauteur.
Voltaire a dit: «Si deux ou trois personnes ne soutenaient pas le bon goût dans Paris, nous dégringolerions dans la barbarie».
DRILLE. J'oserais conjecturer que ce mot a été fait du bruit que produisaient les pièces d'une vieilles armure, qui, mal unies et agitées au moindre mouvement, se choquaient les unes contre les autres. Par une de ces extensions qui sont familières à toutes les Langues, et sur-tout à la nôtre, ce mot a signifié depuis un habit militaire en lambeaux, puis le soldat qui le portait, et finalement de mauvais haillons. Les traces de cette génération existent encore, puisqu'il est conservé sous toutes ses acceptions.
* DRONOS. Donner dronos sur les doigts est une expression fort triviale que je trouve dans Rabelais. Le Duchat la regarde comme une Onomatopée du bruit que rend un coup dur et retentissant; mais dans le cas où l'imagination des Lecteurs ne voudrait pas se prêter à l'explication qu'il plaît au savant commentateur d'en donner, ils sont libres de la ranger parmi les mots sans nombre que cet Auteur a formés sans autre règle que son caprice, véritables termes macaroniques, dans la construction desquels il n'a cherché qu'à être original et bizarre, et auxquels il s'est peu soucié d'attacher un sens. Voilà pourquoi un commentaire dans le genre de celui de M. Le Duchat, où l'on prétend tout expliquer, est une des entreprises les plus ridicules qu'on ait pu faire sur Rabelais.
* DROUÏNE. Ce mot, tout aussi dédaigné, signifie le havresac dans lequel les chaudronniers mettent leurs outils, dont le choc sonore semble articuler dron, drin, ou drouin.
Chaudron, Chaudronnier, seraient donc des Onomatopées tirées de cette racine.
En anglais, un drouïneur ou chaudronnier qui porte la drouïne, s'appelle tinker, autre Onomatopée aussi tirée du tintement des métaux dont il est chargé.
EBROUER. Onomatopée assez précieuse, qui représente l'action d'un cheval ardent, soufflant avec force pour chasser l'humeur qui l'incommode, et pour reprendre facilement haleine.
Il n'y aurait peut-être rien de comparable à cet admirable passage des Géorgiques, si on ne lisait pas dans Job:
«Est-ce vous qui avez donné au cheval sa force et sa beauté? Le ferez-vous bondir comme la sauterelle, lui, qui du souffle si fier de ses narines, inspire la terreur? Il se rit de la peur; il s'agite, il frémit, il frappe du pied la terre, et l'enfonce. Dès qu'il entend le son de la trompette, il dit: courage! Il sent l'approche de l'armée, et joint ses hennissemens aux cris confus des soldats.»
On reconnaîtra facilement dans les deux Poètes les images dont le mot ébrouer est l'expression elliptique.
ÉCLAT, ÉCLATER. Du bruit d'un corps dur qui se divise avec violence quand on le crève, quand on le fend, quand on le brise.
Il y a long-temps que les Glossateurs et les Étymologistes ont reconnu que ces mots étaient faits du son que rend le bois, par exemple, quand on le met en pièces, comme cela se remarquait au brisement des lances dans les tournois. On lit au deuxième livre d'Amadis: «Adonc baissèrent leurs lances, et donnans des esperons à leurs chevaux, coururent l'un contre l'autre de si grande roideur, que leur bois vola en esclats».
Les Grecs ont dit klao pour frango, et de là, chez les Latins, un éclat de bois s'est quelquefois appelé clasma. Clao signifiait en celtique une espèce de ferrement, et le bruit qu'il rendait sous le marteau.
Cette racine passant au figuré par catachrèse ou extension, a enrichi nos vocabulaires de beaucoup de termes. Elle a fourni aux Langues gothiques le mot cla ou cala, crier, dont il est facile de suivre les nombreuses dérivations.
Clabaud, qui est composé de ce mot et du latin boare ou baubare, a été pour, chien, et figurément pour, un parleur insupportable.
Clabauder, est encore pris quelquefois en ce sens dans un style très-bas.
Clamer, qui signifiait nommer à haute voix, appeler avec éclat, est totalement rejeté par notre Langue, qui a cependant conservé tous ses composés. Il était toutefois difficile à remplacer en certaines occasions.
Guillaume de Lorris.
Clameur, Acclamation, et les autres expressions de cette famille n'ont rien perdu dans l'usage. On disait autrefois clamours, comme dans ces vers de Marot:
Le mot éclisser, pour, faire jaillir des éclats de boue, a cessé d'être français.
Éclabousser, Onomatopée mixte, composée d'éclat et de boue, lui a été substitué.
ÉCLOPPÉ. Je crois que c'est le seul mot qui nous reste de cette racine, qu'on peut croire formée par imitation du bruit inégal et lourd de la marche d'un boiteux.
Rabelais a dit cloper; et, clopiner se trouve dans des Auteurs d'un style assez pur. J'ai lu clanpin dans des mémoires de la fin du dix-septième siècle, où l'on désignait ainsi le duc du Maine.
Claudicare, qui signifiait boiter chez les Latins, n'aurait-il pas la même origine; et de là n'aurait-on pas fait le nom de la cloche, parce que son mouvement ressemble à la marche des boiteux? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on dit encore clocher pour boiter, et qu'on appelle vulgairement cloche, une espèce d'ampoule qui survient aux pieds d'un homme fatigué, et qui le fait clocher.
* Clopin, Clopant, est un mot factice, construit par Onomatopée du pas des boiteux. La Fontaine s'en est servi dans la fable du Pot de terre et du Pot de fer.
ÉCRASER. Ce mot est engendré par un son analogue à celui qui a produit le mot éclater, mais qui représente un brisement moins simultanée, et c'est pour cela qu'il est alongé par la consonne roulante.
Le cri de la craie qui se rompt et qui se pulvérise sous le pied, reproduit fort distinctement cette racine.
Les Chaldéens ont dit kéras, et les Grecs plus vivement encore katatripsis pour obtritus, écrasement. Ce dernier mot n'est pas français.
Si l'on veut s'assurer de la vérité de cette étymologie, qu'on ouvre au mot écraser le dictionnaire de l'Académie; on y verra entr'autres usages de ce mot: écraser des groseilles, du verjus. On écrase donc des bayes sèches, tendues, récalcitrantes. On n'écraserait pas des fruits tendres et pulpeux. D'où vient cette différence? Elle est l'effet du son produit par l'action d'écraser, qui est âpre, aigu dans le premier cas, mousse et presque muet dans le second.
ÉCROU. L'écrou est une pièce de bois ou de fer qui a un trou correspondant à la grosseur d'une vis qui s'y introduit, et y tourne avec un bruit désagréable.
L'écrou, qui est un acte d'emprisonnement, est une figure de celui-ci.
La consonne roulante marque les efforts et le cri de la vis dans les crans pressés où elle s'emboîte; et dans clou, qui est une Onomatopée assez douteuse, le son est bref et net, parce qu'on le fiche brusquement, et qu'il produit un bruit indécomposable et immodulé.
ÉGRISER. Oter les parties brutes d'un diamant en le frottant contre un autre.
Le bruit agaçant de ce frottement, semblable à celui d'un verre que le diamant du vitrier divise, ou qu'on fait grincer en le grattant de l'ongle, a servi de racine à cette Onomatopée.
ENFLER, ENFLURE. Onomatopées composées de la préposition, et du bruit de l'haleine chassée avec effort.
Enfler, s'est dit d'abord pour, l'action de emplir d'air un corps vide et flasque, jusqu'à ce qu'il ait acquis un certain degré de tension; puis, enflé, s'est dit en général de tous les corps qui ont une grosseur inusitée ou accidentelle.
Les Latins disaient inflare qui a la même racine et la même valeur.
Gonfler, que nous avons de plus qu'eux, est peut-être plus imitatif, parce qu'il est plus emphatique, et qu'on ne peut le prononcer sans une assez forte émission du souffle.
ESCOPETTE, ESCOPETTERIE. Du bruit éclatant des mousquets.
Ce mot a donné lieu au plus ridicule des vers factices:
«L'escopette perce l'air avec ses tuf taf, et la coulevrine avec ses bom bom».
Perse avait dit sclopus, pour, le son que rend la bouche, quand on frappe sur les joues gonflées d'air:
De là le diminutif macaronique schiopettus et le français escopette, qui sont des Onomatopées formées sur un son de la même espèce. C'est l'opinion de Paradin et de Polydore Virgile.
ÉTERNUEMENT, ÉTERNUER. «L'esternuement, qui vient de la tête; étant sans blâme, dit Montaigne, nous lui faisons un honneste accueil. Ne vous mocquez pas de cette subtilité; elle est d'Aristote».
Nous disions beaucoup mieux esternüer, parce que ce mot ainsi prononcé conservait le son radical dans toute sa valeur, et s'écartait moins des analogues qu'on lui connaît dans d'autres Langues.
FANFARE. La plupart des instrumens à vent sont caractérisés par la lettre F, parce que cette consonne produite par l'émission de l'air chassé entre les dents, est l'expression du soufflement ou du sifflement. De là, fanfare, qui est un chant de trompette.
Rabelais en avait fait le verbe fanfarer, que je ne me souviens pas d'avoir vu ailleurs.
FIFRE. La voyelle resserrée entre deux lettres très sifflantes, donne une idée très-juste du bruit aigu de cet instrument, et la désinence roulante marque son éclat un peu rauque.
Les Allemands l'ont nommé pfeifer par analogie à l'Onomatopée pfeifen qui signifie siffler. Cette dénomination a été exactement transportée dans notre Langue et dans la plupart des autres. Nous avons même dit pifre, comme en ce passage de la traduction d'Amadis par Gabriel Chapuis. «Plusieurs sont des pifres et autres instrumens». Et en cet autre de Rabelais: «Puis soubdain retourne, et nous asseure avoir à gausche descouvert une embuscade d'andouilles farfeluës, et du cousté droict à demi-lieue loing de là, ung gros bataillon d'aultres puissantes et gigantales andouilles, le long d'une petite colline furieusement en bataille, marchantes vers nous au son des vézes et piboles, des guogues et des vessies, des joyeulx pifres et tabours, des trompettes et clairons».
FLACON. Du bruit de la liqueur versée hors du flacon, et qui tombe de quelque hauteur dans un vase sonore. Il est du moins certain qu'on n'a découvert aucune autre étymologie raisonnable de ce mot, et que l'unanimité avec laquelle tant d'idiomes l'ont admis, donne lieu de penser qu'il n'a pas été formé au hasard. Les Espagnols ont dit flascon, les Italiens fiascone, les Allemands flasche, les Flamands flesche, les Polonais flasha, les Bohémiens flasse, les Hongrois palassk, et les Anglais flagon.
Une observation qui donne du poids à cette conjecture, c'est que flacquer s'est dit autrefois pour, vuider son verre, en jetant les liqueurs qu'il contient. La Bruyère en fournit un exemple dans ce passage. «S'il trouve qu'on lui a donné trop de vin, il en flacque plus de la moitié au visage de celui qui est à sa droite, et boit le reste tranquillement». De là,
Flacquée d'eau, l'eau que l'on flacque, ou que l'on jette contre quelque chose,
Flaque d'eau, mare croupissante et de si peu d'étendue, qu'il semble qu'on l'ait flacquée à l'endroit où elle est,
Flasque, adjectif qui s'est dit d'abord d'une chose amollie par l'humidité, et particulièrement d'un linge mouillé qui produit, quand on le soulève et qu'on le laisse retomber sur lui-même, le bruit de l'eau qu'on flacque à terre. Cette dernière expression dérive secondairement du flaccidus des Latins qui a été immédiatement fait du bruit naturel.
FLANQUER. Du bruit d'un coup violent, le peuple a fait le mot factice flan pour le représenter, et le verbe flanquer pour, donner un coup dont le son est exprimé par flan.
Ces termes sont de la plus basse trivialité.
FLÈCHE. Mot factice formé sur le son de la flèche chassée de sa corde, et qui fuit en sifflant. C'est l'opinion de Nicod, du temps duquel on disait encore indifféremment flèche, flic, ou flis.
En espagnol, c'est flecha, en allemand pfeil, en anglo-saxon fla.
Les Italiens ont aussi freccia, mais plus communément saëtta, du sagitta des Latins1, qui nous a fourni sagette, et qui a du rapport avec la zagaye des Maures et de quelques nomades.
Le mot psi est une autre Onomatopée du bruit de la flèche, dont il reste peu de composés dans les Langues; mais il est à remarquer que les Grecs en ont fait une de leurs lettres qu'ils ont représentée hyéroglyphiquement sous la figure d'une flèche empennée, ou d'un trait appuyé sur son arc.
FLEUR. Du bruit que fait l'air aspiré par l'organe qui recueille les parfums de la fleur.
Flairer, en est formé par métonimie. Cette étymologie laisse d'autant moins de doutes, qu'on a dit autrefois fleurer. Molière s'en est servi dans ce vers d'Amphitrion:
pour désigner un parasite. Le nom de M. Fleurant qu'il a employé dans le Malade imaginaire, est tiré du même verbe, dans la même construction.
Cette racine est propre à caractériser en général tous les termes qui figurent des émanations douces, des formes ondoyantes, des mouvemens caressans, comme flamme, qui est un corps impalpable et tenu, que le vent agite et balance; flatter, qui est une action gracieuse au propre et au figuré; fléchir, qui se dit en parlant de l'inclinaison molle et légère d'un corps souple, comme les jeunes plantes et les roseaux; et beaucoup d'autres expressions de la même espèce, sur lesquelles je ne m'arrêterai pas davantage, et que je ne classerai point à leur rang alphabétique, parce qu'elles me paraissent trop éloignées de leur type.
FLOT.
Fleuve, Flux, Fluides, choses qui fluent.
Du bruit des liquides qui s'écoulent. Cette racine se retrouve dans presque toutes les Langues.
Affluence, a signifié originairement le concours des flots, le flux des grandes eaux, la réunion de plusieurs fleuves qui fluent ensemble vers un même but, et figurément l'action de survenir en grand nombre, et d'aborder dans le même lieu; mais on ne le prend plus que dans sa dernière acception.
Fléon, se disait dans le vieux langage pour un petit fleuve, ou ruisseau.
Sur quoi je ferai remarquer en passant qu'il résulte de cette citation qu'on a dit autrefois êve pour eau en français, et que ce mot ev signifiait, boire ou avaler, en celtique. Voyez au mot biberon. Afon, avon, dont amnis paraît dérivé, représentait dans la même Langue l'idée que nous attachons à ce mot latin, un fleuve, une rivière rapide.
* Floflotter, qui est tout-à-fait perdu, est cependant une assez heureuse Onomatopée du choc des flots en rumeur.
Dubartas a écrit le floflottant Nérée, et c'est, je crois, ce qui a fait dire à Pasquier au huitième livre de ses recherches: «Floflotter est mis en usage par les poètes de notre temps pour représenter le heurt tumultuaire des flots d'une mer, ou grande rivière courroucée».
Je ne sais personne, au reste, qui ait employé ce terme depuis Pasquier, si ce n'est l'extravagant poète Desmarets dans sa comédie des Visionnaires, où il le donne pour épithète au fleuve Nérée, comme avait fait Dubartas.
FLOU. Ce mot se dit en Peinture, et surtout dans la mauvaise école, d'un tableau dont le coloris est doux, tendre, et comme soyeux et velouté. Il est donc dérivé du son moëlleux d'une étoffe précieuse, faiblement froissée avec la main. Dans le Charles Ier. de Wandick, on croit entendre le flou du satin.
Au reste, on se sert ordinairement pour fondre les couleurs, pour les noyer, les dépouiller de leur sécheresse, et amollir leurs nuances, d'une petite brosse de soies légères, qu'on passe délicatement sur ce que le pinceau a touché, et dont on effleure la toile avec tant de précaution, qu'il semble qu'on la caresse. Cette opération est accompagnée d'un petit bruit qui est peut-être devenu par analogie le nom de cette manière de peindre.
FLÛTE. Du flare des Latins qui est une Onomatopée du souffle. La douce émission du son qui flue en quelque sorte par les trous de la flûte, a déterminé le nom de cet instrument.
Les Italiens ont dit flauto, les Espagnols flauta, les Allemands flœte, les Anglais flute, et les Celtes flehut. Cette conformité de dénominations, qui n'est fondée sur aucune autre étymologie apparente, vaut une démonstration.
J'ajouterai que les Orientaux appellent une flûte, avuv, et les Taïtiens, evuvo. C'est l'aspiration de la Langue celtique av ou ev. Remarquez aussi que le v se prononce sur la même touche que l'f qui n'est qu'un v fort. Les Hébreux prononçaient vau pour f; les Allemands prononcent, au contraire, faou pour v. Il résulte de là que le mot avuv des Orientaux, et le mot evuvo des Taïtiens, ont la même construction que le mot fifre, et présentent comme lui un son vocal aigu resserré entre deux dentales. Ils en diffèrent par l'intonation qui est moins brusque, par la désinence qui est plus pleine et plus harmonieuse, et par l'adoucissement des consonnes caractéristiques. Avuv ou evuvo représentent donc très-bien une flûte, un fifre doux.
Le syrinx des Grecs est aussi une Onomatopée, mais qui tient à la mélopée primitive, et au son plus aigre des simples roseaux.
FRACAS, FRACASSER. D'un bruit éclatant et prolongé qui est occasionné par une destruction violente ou par un phénomène naturel, comme le fracas de la foudre qui tombe, le fracas des cataractes, et le fracas des volcans.
Quinaut a supérieurement dit dans ces vers d'une belle harmonie imitative:
FREDON, FREDONNER. En chassant l'air de la bouche, avec un roulement pressé de la langue, et un petit frémissement des lèvres, on produit le bruit sourd ou le chant confus que ces mots expriment. Guichard a rencontré assez heureusement, quand il les a dérivés du fritinnire des Latins, excellente Onomatopée qui a la même racine, et qui avait été faite pour représenter le murmure des hirondelles.
FRELON. Du bourdonnement des ailes de cet insecte, on a fait son nom français. Les Latins ont dit crabro, et les Espagnols tabarro, qui sont d'autres Onomatopées.
FRÉMIR, FRÉMISSEMENT. On ne peut se tromper sur le son radical de ces mots, qui se reproduit dans tant d'occasions, soit qu'il se forme de l'agitation rapide des lèvres dans le frémissement de la fièvre et dans celui de la peur, soit qu'il paraisse émaner des feuillages émus, des herbes fouettées par le vent, des eaux qui murmurent sur les cailloux.
Frisson, Frissonnement, qui sont des frémissemens d'une espèce particulière,
Frayeur, Effroi, sentiment qui excite le frisson,
Froid, sensation physique dont l'effet est le même, sont autant d'expressions qui se rapportent à cette racine, et sur lesquelles je ne reviendrai pas ailleurs.
FRETILLER. Pour exprimer un mouvement très-vif et très-rapide, comme celui d'un petit poisson suspendu à la ligne, et pour représenter le bruit dont il est accompagné.
Fretin, c'est le nom qu'on donne au petit poisson qui fretille.
Et ailleurs:
FRIRE. Du pétillement de l'huile bouillante quand on y plonge un corps froid pour le faire frire.
Cette Onomatopée se retrouve dans toutes les Langues.
Observez que le grec frugo, frughios (torreo, torridus), dont le son a tant d'analogie avec celui sur lequel ce mot est formé, a fourni le nom de l'Afrique et de la Phrygie, pays de feu. Je dois cette remarque à M. de Cambry, dont l'immense érudition a enrichi la science des Langues de tant d'heureuses découvertes.
FRISER. Pour rouler les cheveux, on les presse avec un fer chaud qui les dessèche et qui les crispe. C'est du petit bruit avec lequel ils se retournent sur eux-mêmes, qu'on a fait le mot friser.
Friser se prend aussi pour, effleurer un objet, pour, en passer si près que le bruit du frottement se fait légèrement entendre.
FROISSEMENT, FROISSER. Belles expressions qui représentent ordinairement le cri d'une étoffe ferme que l'on presse avec quelque force; mais qu'on a étendues à d'autres significations, et qui peuvent s'appliquer plus ou moins à toutes sortes de ruptures et de brisemens.
Il est certain qu'elles ont été formées d'après le son naturel, et je n'en atteste que les Auteurs même qui ont cherché ailleurs leur étymologie. Ils remarquent qu'on dit froisser du damas et du satin. On ne le dirait pas d'une étoffe douce et légère qui cède sans bruit sous la main. On la chiffonne, on ne la froisse pas. Froisser est donc un mot imitatif, une véritable Onomatopée.
On dit vulgairement le froufrou d'une robe de satin, d'un vêtement de taffetas, et ce mot factice est la racine de ceux-ci.
FRÔLER, pour, friser, effleurer un corps.
Frôler une robe de taffetas, c'est la faire crier en passant. Frôlement, pour représenter ce bruit, est un mot pittoresque et vrai, mais hasardé.
Freler, qui est de cette famille, s'emploie dans la Langue du peuple, en parlant d'une matière de peu de consistance, comme les cheveux et la barbe, ou le poil, la laine et les plumes des animaux, qui, à peine frôlés ou effleurés par le feu, se retirent en rendant un son faible et rapide dont ce verbe paraît formé.
FRONDE. Une corde qui sert à lancer les pierres avec violence, à les faire déchirer l'air avec bruit et de manière à ce qu'elles en tirent un frémissement long, retentissant et sonore, dont on peut exprimer l'effet par le mot qui fait le sujet de cet article.
Les Grecs ont dit sphendoné, les Latins funda, les Italiens fromba, fronda et frondola. L'e muet qui termine sourdement cette Onomatopée dans notre Langue, et qui figure la désinence d'un bruit mourant, la rend préférable à toutes les autres. J'en excepte cependant l'énergique sling des Anglais, qui est le terme le plus pittoresque que l'on ait attaché à cette idée.
Dans le pays de Léon, fromm exprime le bruit que fait une pierre jetée avec une fronde. Fromm a-ra ar-maen, la pierre bruit. C'est le rombo des Italiens, et le bromos des Grecs.
FROTTEMENT, FROTTER. Le son radical de ces mots est propre, comme on peut le voir, à tous les froissemens, à tous les frémissemens de la nature; il convient également pour exprimer l'action que ces termes figurent, et il rappelle très-bien le bruit dont elle est ordinairement accompagnée.
FROUER. Un soufflement tremblotant de la chouette a servi de type à cette Onomatopée, qui est d'usage parmi les chasseurs pour indiquer l'action de siffler à la pipée, ce qui se fait communément en plaçant entre les lèvres une feuille ployée qui étouffe le son, et qui le module.
GALOP, GALOPER. Nicod conjecture très-plausiblement que ces mots sont faits par Onomatopée du bruit des chevaux qui galopent; mais je ne saurais convenir avec lui et avec certains Etymologistes qui ont partagé son opinion, que le mot haquenée ait été immédiatement formé sur une racine naturelle de la même espèce. Le haca des Castillans, et le faca des Aragonais dont on le fait dériver, descendent probablement comme lui du latin equus, qui a produit equina, et en vieux français haquet et haquenée. Coquillard a dit:
C'est aussi l'opinion de Ménage.
GARGARISER, GARGARISME. Cette Onomatopée est purement grecque, gargarizo, gargarismos. Elle est formée du bruit d'un remède liquide dont on se lave la bouche et l'entrée du gosier. Les Grecs disaient aussi, dans un sens assez analogue, gargalisein, et gargalismos, titillare, titillatio.
Elle est d'ailleurs commune à la plupart des Langues. En hebreu, garghera signifiait le gosier; il se dit gargareon en grec, et gorzaillen en celto-breton: la même initiale caractérise encore assez universellement, et avec peu de modifications, les noms qu'on a donnés à cette partie, soit chez les Latins qui l'appellent jugulum, soit chez les Italiens qui l'appellent golla, soit chez les Allemands qui l'appellent khéle ou ghéle, soit chez les Espagnols qui l'ont appelée garganta. Rabelais n'a fait que transporter en espagnol le nom de son grandgousier, pour en faire celui de Gargantua, qu'il s'amuse à expliquer autrement par un quolibet. Le nom même de gargamelle se prend pour la gorge ou le gosier, dans la Langue du peuple, et Hauteroche l'a employé à cet usage.
On disait autrefois esgargaté de crier, d'un homme qui avait une extinction de voix.
* GARGOUILLE. «Gargouille, dit Nicod, est ce petit canal de pierre ou d'autre chose, issant en forme de couleuure ou d'autre beste, hors d'oeuvre, au dessous des couuertures des églises, et tels autres bastimens pour jetter au loing l'eaüe pluviale qui en descend. Le nom est par Onomatopée du gargouillis, et bruit que l'eaüe fait courant par telles gargouilles».
Marot a pris ce mot pour grosses bouteilles desquelles le vin s'écoule avec abondance, à la manière de l'eau qui tombe des gargouilles, et avec un bruit pareil:
GAZOUILLEMENT, GAZOUILLER. Ces mots sont tirés du chant des oiseaux, dont ils expriment assez bien l'harmonieux babillage, qui est le susurrus, le garritus, le lene murmur des Latins. Mais employés jusqu'à satiété par nos Poètes pastoraux, et cousus depuis deux siècles, aux plus misérables bouts-rimés de la Langue, ils ont perdu toute leur grace et toute leur fraîcheur, et sont tombés dans la classe des lieux communs les plus fastidieux. Il y a certaines de ces expressions et de ces tournures qui, inventées d'abord par une riche imagination, et prostituées depuis à tous les usages, sont devenues aussi fades et aussi importantes qu'elles étaient autrefois vives et ingénieuses2. Avançons une idée vraie qui n'a que l'apparence d'un paradoxe. Un méchant écrivain porte plus de dommage à la Langue dans laquelle il écrit que le plus beau génie ne lui fait d'honneur. C'est la harpie qui souille tout ce qu'elle touche, et dans ses mains tout se fane et se décolore.
GEAI. En grec, karakaxa, en Latin ancien garrulus, et de là garrire, en latin barbare gaius, en espagnol gayo, cayo, en catalan gaitg, gralla, en italien ghiandaja, en allemand jack, en polonais soika, en suédois not-skrika, en anglais jay, ia, ia, en français dans différens lieux et dans différens temps jay, gay, jayon, gayon, jaques, jaquot, jacuta, girard, richard, gautereau.
«Leur cri ordinaire est très-désagréable, dit M. de Buffon, et ils le font entendre souvent. Ils ont aussi de la disposition à contrefaire celui de plusieurs oiseaux qui ne chantent pas mieux, tels que la cresserelle et le chat-huant. S'ils aperçoivent dans le bois un renard ou quelqu'autre animal de rapine, ils jettent un certain cri très-perçant, comme pour s'appeler les uns les autres, et on les voit en peu de temps rassemblés en force, et se croyant en état d'en imposer par le nombre, ou du moins par le bruit. Cet instinct qu'ont les geais de se rappeler, de se réunir à la voix de l'un d'eux, et leur violente antipathie contre la chouette, offrent plus d'un moyen pour les attirer dans les piéges, et il ne se passe guères de pipée sans qu'on en prenne plusieurs; car étant plus pétulans que la pie, il s'en faut bien qu'ils soient aussi défians et aussi rusés. Ils n'ont pas non plus le cri naturel si varié, quoiqu'ils paraissent n'avoir pas moins de flexibilité dans le gosier, ni moins de disposition à imiter tous les sons, tous les bruits, tous les cris d'animaux qu'ils entendent habituellement, et même la parole humaine. Le mot richard est celui, dit-on, qu'ils articulent le plus facilement».
Ce mot se retrouve parmi les nombreuses Onomatopées dont le cri du geai fournit la racine, et de la variété desquelles l'instinct imitatif de cet animal nous donne le motif.
GLAPIR, GLAPISSEMENT. Mots formés d'un bruit aigu, perçant, comme les aigres éclats de la voix d'un animal qui n'est pas adulte, ou le fausset d'une voix discordante et d'un mauvais instrument. En grec klaggé, et de là clangor.
Glatir et Glatissement, ont signifié la même chose. En Picardie, glay se dit pour un grand bruit ou pour un grand concours de voix.
Glas ou Glais, c'est le tintement glapissant d'une cloche qu'on sonne pour un Ecclésiastique qui vient de mourir.
GLISSER. Du bruit d'un corps qui parcourt rapidement la surface d'un corps glissant.
Glace, est un mot formé du même son naturel, parce que la glace offre une surface unie, lisse et glissante. En breton clezr, la glace, et clezra, glacer, dont glisser peut bien être fait.
* GLOUGLOTTER. On a inventé ce mot pour exprimer le chant du coq d'Inde, et cette innovation paraît d'autant plus naturelle, que les Langues anciennes ne pouvaient fournir de terme qui présentât la même idée. Je ne vois pas cependant qu'il ait été mis en usage par aucun Ecrivain considéré.
GLOUGLOU. Mot factice qui se tolère aisément dans une chanson bachique, et qui imite à merveille le bruit d'une liqueur qui s'écoule par un canal étroit.
Madame Deshoulières a dit en parlant du vin:
On se rappelle le couplet de Sganarelle dans le Médecin malgré lui:
Bilbit amphora, dit Dumarsais; c'est la petite bouteille qui fait glouglou.
GLOUTON, GLOUTONNERIE. Un signe presque certain que tel mot est tiré d'un son naturel, c'est sa reproduction dans un grand nombre de Langues. Ainsi, glouton qui s'est dit glous en vieux français, s'est dit glwth en celtique, glout et gloiet en breton, gluto dans la basse latinité, ghiottone en italien, et gluttonous en anglais.
Ces Onomatopées sont formées d'après le bruit que font les alimens, avidement engloutis par un homme affamé, et de là
Engloutir, qui est d'une acception plus noble et plus étendue.
GORET. C'est un nom du cochon, fait de son grognement. Gronder, se dit gorren en Langue flamande.
Le cochon s'est d'ailleurs appelé en grec khoïros, en georgien gorri, en latin gorretus, en italien verro. Sur ce dernier mot et sur notre mot veyrat, on se rappellera que l'initiale g s'est souvent confondue avec le v dans les Langues, et que cette différence ne peut constater deux espèces d'étymologie.
En vieux français, la truie se nommait gorrière.
L'auteur du Monde primitif prétend que du cri du cochon, animal naturellement bruyant, les Celtes avaient fait gawri, qui se prenait pour clamare. Je ne sais comment il a pu tomber dans cette erreur, à moins qu'il n'y ait été induit par une faute d'impression ou une mauvaise écriture, et qu'il n'ait cru lire gawri dans le mot garmi ou sgarmi, dont c'est en effet le sens, et dont garrire paraît dériver. Les gawris ou gawrics étaient dans la religion des Celtes des esprits follets, des espèces de Dusii qui dansaient autour des monumens. Ce mot est formé de gawr, géant, et du diminutif ic3. Cela est fort étranger à l'idée que nous attachons au mot goret.
Le terme celtique qui signifie cochon, est une Onomatopée prise de son grognement, oc'h, ou bien ouc'h, en observant que le c'h est aspiré, et se prononce d'une manière gutturale. Et de là, coc'h, stercus, dont le mot français cochon est incontestablement tiré.
GOULOT. Du glouglou de la bouteille, c'est-à-dire, du bruit que fait le vin en traversant son goulot, on a fait ce dernier mot qui est fort peu en usage.
Regnier a dit goulet dans sa plaisante description des meubles d'une courtisane;
La bouteille s'appelle en hébreu bacbuc, qui est une autre Onomatopée du bruit qu'elle fait quand on la vide. C'est de là que la prêtresse de la dive bouteille a pris son nom dans Rabelais.
GOUTTE. Ce mot est formé du son naturel, du bruit que produit un liquide qui tombe goutte à goutte.
GRAILLEMENT, GRAILLER. Graillement se dit du son d'un cor usé, rompu, enroué, dont on se sert pour rappeler les chiens. C'est une nuance de râlement, ou plutôt, c'est râlement dont on a mouillé l'l, et qu'on a précédé d'un son guttural et criard, pour exprimer l'aigreur de l'airain fêlé.
GRATTER. Du bruit des griffes ou des ongles contre les corps dont ils attaquent la superficie. Egratigner en est le diminutif.
GRÊLE, GRÊLER. Un bruit sec, un peu aigre, un peu retentissant qui accompagne la chute de la grêle, a déterminé son nom. Il faudrait pour en douter n'avoir jamais entendu la grêle frapper le verre en glissant, ou rouler sur l'ardoise qui résonne, en la faisant rebondir.
En latin, c'est grando, grandine en italien, granizo en espagnol, grizill en celtique, où de la racine grill se forment, en général, les noms des choses bruyantes.
Gresil, qui se dit d'une petite grêle, fort menue et fort dure, est immédiatement tiré de ce dernier mot.
GRELOT. Petite boule creuse en métal où l'on enferme quelques corps durs, et qui fait l'office de sonnette quand on l'agite.
C'est le crotalum des Latins, mais ce n'en est point une contraction, comme on l'a dit. Grelot est un mot factice de la même construction et de la même racine que le Drelin du Malade imaginaire.
Grelotter, qui est l'action de heurter les dents quand on éprouve un grand froid, en a été trivialement formé, parce que ce choc imite celui des petits corps que contient le grelot.
GRENOUILLE. Du râlement désagréable et prolongé de cet ovipare, les Latins ont fait rana, ranula, et même ranunculus, qui est employé par Cicéron. Ces mots sont devenus le type de la plupart de ses noms modernes, et entr'autres de celui que nous avons adopté, quoiqu'il en paraisse d'abord plus éloigné qu'aucun autre. Le batracos des Grecs a eu moins de dérivés.
Il ne faut pas omettre que dans quelques-unes de nos provinces les mots rane, raine et rainette se prennent populairement pour grenouille. Or, si l'on pouvait douter que rana fût formé par le procédé imitatif, j'ajouterais une remarque qui me paraît démonstrative; c'est que dans ces mêmes provinces où rainette signifie grenouille, ce mot a un homonyme aussi étranger que lui à notre Langue, et qui se dit de l'instrument qu'on appelle plus régulièrement cresselle. Entre l'une et l'autre de ces expressions, et les bruits dont elles sont tirées, la conformité est si frappante, que je ne crois pas qu'il y ait une identité d'étymologie plus claire et plus authentique.
GRESILLEMENT, GRESILLER. On entend par gresillement le pétillement d'un reste de parties grasses, qui se trouvent dans la peau, le vélin, le parchemin que l'on brûle, et le froncement, le racornissement un peu bruyans qui l'accompagnent. Ces mots me paraissent trop bas pour devoir être employés sans nécessité.
GRIFFE. De griffe, qui est pris de l'éraillement d'un corps plus ou moins solide, et particulièrement d'une étoffe sous les ongles pointus et recourbés d'un animal, on a composé,
Agriffer saisir quelque chose avec les griffes,
Griffer, déchirer d'un coup de griffe,
Griffade, blessure que les oiseaux onglés font avec leurs serres,
Griffon, oiseau de proie fabuleux,
Griffonner, écrire mal, dessiner grossièrement,
Griffonnage, écriture incorrecte et illisible,
* Griffonnement, terme qui n'est point français, mais qui est d'usage parmi les Artistes, pour signifier une esquisse à la plume, ou même un genre de gravure mis en réputation par Rembrandt et Romain Dehooge, et dont les traits confus et bizarres, mais chauds et hardis, ont l'air d'être formés à coups de griffes,
Griffe, outil de serrurier ou de tourneur, qui a la forme d'une griffe, ou plutôt qui en a l'usage.
Cette Onomatopée est commune à beaucoup de Langues. On lit ce portrait de Cerbère au sixième chant de l'Enfer du Dante:
GRIGNOTER. Ce mot se dit bassement de l'action de ronger lentement et avec quelque effort un aliment dur. De là,
Grignon, morceau de pain sec et très-cuit, qui crie sous la dent.
Il est rare de voir employer grignoter à propos de mets doux et pulpeux, comme dans cet exemple qui est tiré de M. de Parny:
Cet exemple pourrait prouver aussi que le talent a le privilége de tout ennoblir, mais je ne crois pas que personne se hasarde à en renouveler l'essai sur cette expression, assez justement dédaignée.
Gruger, qui se prend dans le même sens, en est un augmentatif.
GRILLON. Du petit tintement argentin qui caractérise cet insecte, et que les Entomologistes croient provenir de deux membranes, tendues en forme de tymbales, qu'il frappe vivement et presque sans relâche.
Le grillon s'est nommé grillos en grec, grillus en latin, en espagnol et en italien grillo, en allemand grille, et en anglais criket.
Les Méthodistes français ont transporté ce dernier nom imitatif à une autre espèce de coléoptères qui a beaucoup de rapports avec la sauterelle, mais qui ne se fait remarquer par aucun bruit naturel que cette Onomatopée puisse désigner.
GRINCEMENT, GRINCER. Du frottement convulsif et bruyant des dents, qui se fait entendre dans la douleur, la colère, la rage et le désespoir.
Les Allemands ont greinen, et les Italiens digrignare.
Le trismos des Grecs, qui a tant d'analogie avec notre mot crissement, est une belle Onomatopée. Ils disaient aussi grusein, pour, pousser des cris de douleur, des cris accompagnés de grincemens.
Dans la belle description du Jugement dernier, qui se lit dans une des tragédies de Schiller, les réprouvés sont peints grinçant leurs dents, et les faisant bruire comme des dents de fer.
L'Evangile désigne en ces mots l'enfer et les tourmens des damnés. Ibi erit fletus et stridor dentium. Là seront les pleurs et les grincemens de dents.
GRIVE. M. de Buffon, en peignant le plumage de cet oiseau, dit que ce mot grivelé qu'on emploie ordinairement pour donner une idée de la variété de ses nuances, est visiblement formé du mot grive, qui l'est lui-même du cri de la plupart des oiseaux de ce genre.
Ménage aperçoit l'Onomatopée dans le mot grive, et cependant il aime mieux la faire venir de son dérivé grivelé. L'opinion de M. de Buffon n'en est pas moins incontestable.
GROGNEMENT, GROGNER, GROGNEUR. Ces expressions sont faites du cri du pourceau, et ont des équivalents de même construction dans la plupart des idiomes connus.
En grec grullé, grullismos; et le porc, grullos; en latin grunnitus, grunnire.
* Grognard, Grognon, ne se disent point, quoique usités familièrement par des Écrivains recommandables. Jean-Jacques Rousseau, en racontant une espiéglerie qu'il fit dans son enfance à une nommée madame Clot, ajoute que ce souvenir le fait encore rire, parce que cette voisine, bonne femme au demeurant, était bien la vieille la plus grognon qu'il eût connue de sa vie.
GROMMELER. Ce mot a rapport à l'action de gronder sourdement et entre les dents. Il est fait d'un certain grognement des chiens hargneux.
Grumeler, s'est pris dans le même sens en vieux langage, comme dans ces vers de la farce de Gringore:
GRONDEMENT, GRONDER, GRONDERIE, GRONDEUR. La racine de ces mots est prise dans un murmure plus noble que celle des précédens, et on les admet dans un style plus élevé.
Le substantif gronderie ayant été créé pour un usage figuré, j'ai cru pouvoir hasarder grondement qui me paraît indispensable pour représenter le bruit de la foudre, et celui d'une mer lointaine.
GROIN. Du cri ordinaire du porc.
Voltaire regrette qu'on ait perdu le vieux verbe grouiner, qui exprimait le même bruit.
GRUAU. Du bruit d'un grain que le moulin rompt et concasse.
GRUE. Cet oiseau, dont le nom est formé d'après son cri, est le ghéranos des Grecs, et le grus des Latins. Les Italiens l'appellent gru et grua, les Espagnols grulla et gruz, les Allemands krane et kranich, les Anglais crane, les Anglo-Saxons crane ou croene, les Suisses krie, les Suédois trana, les Danois trane, les Illyriens gerzab; en Gallois, c'est garan, et en Celtique, gru. Bochart pense que c'est l'agur de Jérémie; et la ressemblance de ce nom avec presque tous les noms de la grue, semble confirmer cette idée, quoiqu'il soit exprimé autrement dans la Vulgate.
L'excellent traducteur Legros a partagé l'opinion de Bochart. «La cicogne, dit-il, connaît dans le ciel quand son temps est venu. La tourterelle, l'hirondelle et la grue savent discerner la saison de leur passage, mais mon peuple n'a point connu le temps du jugement du Seigneur».
Une observation pleine d'intérêt, et qui prouve que les articulations de la voix de la grue ont toujours passé pour avoir quelques rapports avec celle de la voix humaine, c'est que les Commentateurs pensent que si certains Poètes ont appelé cet oiseau l'oiseau de Palamède, cela vient de ce qu'outre l'ordre de bataille et le mot du guet, Palamède en avait appris quatre lettres grecques.
* GRULLER. M. Court de Gébelin prend cette mauvaise expression dans deux sens sous lesquels il la trouve également imitative. Dans le premier, elle signifie trembler de froid; dans le second, ébranler un arbre pour en faire tomber les fruits. Il est vrai que le peuple l'emploie ainsi, mais elle n'était pas digne d'être francisée. Sous le premier de ces rapports, elle n'est que l'augmentatif ou la contraction du verbe grelotter; sous le second, elle n'est que le verbe crouler, corrompu.
Crolement ou Grolement, se dit aussi très bassement d'un tremblement spasmodique de la tête, qui a lieu chez les vieillards et chez ceux qui sont sujets aux affections nerveuses. Ce terme me semble fait du même verbe gruller sous sa seconde acception, parce que ce tremblement ressemble à celui d'un arbre agité, dont la tige vibre long-temps.
GUÊPE. Du latin vespa, écrit, selon ses premières racines, avec la voyelle ou initiale, remplacée successivement, comme cela se remarque dans les Langues, par la dento-labiale v, et la gutturale g, si sujettes à se confondre. Le son typique était l'Onomatopée du vol bruyant de la guêpe.
* GUIORER. Terme inusité qui est fait du cri naturel de la souris.
Davies rapporte gwichio, strepere. Selon quelques Savans, gwicha s'est dit en Langue celtique pour, se plaindre à la manière des petits oiseaux. Gwigoura, c'est faire un petit bruit comme une porte qui roule sur des gonds rouillés. Ces bruits ont rapport à celui que ce mot représente, et sont exprimés d'une manière assez semblable.
HACHE. On a cherché fort loin l'étymologie de ce mot. Elle est dans le son naturel, dans l'aspiration forte et profonde, dans l'ahan pénible qui marque les efforts d'un bucheron.
L'initiale h, si nulle dans la plupart des mots, est singulièrement caractéristique lorsqu'elle est aspirée, et les Onomatopées qui expriment les divers accidens de la respiration de l'homme, lui sont, presque toutes, redevables de leur énergie.
* HAHALIS. De hahé, cri de chasse, dont on se sert pour arrêter les chiens qui prennent le change ou qui s'emportent trop, ou bien de l'éclat tumultueux de la voix des chasseurs, et des retentissemens de l'écho, on a composé cette expression, d'ailleurs peu connue et restreinte dans son usage, à l'acception pour laquelle elle a été inventée.
HALETER. Je ne m'attacherai point à démontrer que le mot haleine et certains autres qui en dépendent, sont faits par Onomatopée de l'émission de l'air dans l'acte de la respiration. Cela me paraît bien établi, et je n'aurais point rejeté ces expressions, s'il n'avait pas été de mon projet de réunir seulement celles qui conservent un caractère d'imitation évident, sans m'occuper de celles qui l'ont perdu, et dans lesquelles le son radical se cache parmi des sons étrangers.
Le mot qui fait le sujet de cet article, est sensiblement formé du bruit d'une respiration pressée, entre-coupée et violente. L'anhelare, et mieux encore le diminutif anhelitare des Latins, ont le même type.
HAPPER. Saisir quelque chose avidement, et avec une forte aspiration qui marque l'impatience ou le desir.
Il y a de certaines terres et de certains métaux qui happent la langue dès qu'on l'applique sur leur surface, et, par exemple, l'argille et toutes les agrégations alumineuses. Cet effet est produit par une absorption rapide de la salive qui met en contact plus parfait la peau de la langue et la terre qu'elle essaye. Ce mot semble spécialement fait pour représenter la sensation tenace et subite dont je parle, quoique la rapidité monosyllabique de sa racine le rende d'ailleurs très-pittoresque dans grand nombre d'occasions.
HARPE. Je conjecture que ce mot est fait par Onomatopée du son des cordes de la harpe, rassemblées en grand nombre sous les doigts, et ébranlées simultanément.
Quoi qu'il en soit, le nom de la harpe a très-peu varié dans les Langues modernes. Les Anglo-Saxons l'ont appelée hearpa, les Allemands herp et harf, les Anglais arp, et les Italiens arpa.
Harper, est un vieux terme encore employé par Molière et par Sarrazin, pour, prendre, saisir, dérober. Il semble que le peuple, dont toutes les expressions présentent d'ordinaire des images vives et singulières, s'est emparé de cette racine pour l'appliquer aux actions qui exigent un grand développement de la main, comme dans les exemples auxquels je renvoie. L'arpax des Grecs dont le rapax des Latins est le parfait équivalent, à une petite transposition près, et tous les mots qui en dérivent, n'ont pas dû être autrement construits, quel que soit l'instrument ou l'objet qui en a fourni le son radical.
On disait harpaille en vieux langage, d'une troupe de brigands et de maraudeurs, comme dans ces vers tirés des Vigiles de Charles VII.
On a vu à ce sujet, dans la préface de cet ouvrage, ce que j'ai dit de la lettre h, considérée comme signe figuré d'une rapacité avide et impatiente4. Ces applications particulières sont à l'appui de mon opinion.
Raper, Rapt, sont faits de harper par métathèse.
HENNIR, HENNISSEMENT. Mots formés du cri des chevaux, et qu'on ne peut prononcer sans se rappeler ces beaux vers de M. Delille:
Les Latins avaient cette Onomatopée. On lit dans Virgile au troisième livre des Géorgiques:
C'est le c'hwirina des Bretons. Davies écrit chwyrnu. Il traduit le mot Rhinge qui y a rapport, par stridulus, ou sonus stridens.
L'ingénieux auteur du roman de Gulliver a tiré du même son radical le nom factice de houyhinms, pour désigner un peuple de chevaux.
HEURT, HEURTER. Du choc rude et brusque de deux corps durs.
HISSER. Hausser une vergue, la faire monter au haut du mât, au commandement de hisse, hisse.
Ces mots sont pris du bruit de la vergue quand on la relève, et du frémissement de la voile quand on la froisse.
HOQUET. Du bruit d'une inspiration subite, courte et convulsive.
Les Latins ont dit singultus, les Anglais hicket et hiccough, les Flamands hick, les Celtes hak, et hic ou ig, rapportés par Lepelletier et Davies.
Un Etymologiste cherche l'origine de ce mot dans l'hébreu enka, qui veut dire sanglot. Il est probable que ces différentes expressions sont de la même racine.
HORREUR. Horror. Ce mot est une Onomatopée qui représente l'impression que produisent sur nous les objets épouvantables. De là,
Horrible, ce qui fait horreur,
Abhorrer, avoir en horreur.
HUÉE, HUER. Huée se dit d'une clameur de désapprobation qui s'élève dans les assemblées nombreuses, et dont ce mot est formé très-imitativement.
On employait autrefois hus, hüe, et huyer dans le même sens.
HULOTTE. En latin et en italien ulula, en allemand huhu, en anglais howlet.
Ces noms de la hulotte lui viennent de son cri sinistre. Le bubo des Latins, dont nous avons fait peu imitativement le mot hibou, procède de la même analogie.
* Hululer, est un verbe que des Ecrivains en petit nombre ont cru pouvoir tirer du gémissement de la hulotte, pour une foule d'acceptions auxquelles le verbe hurler paraît moins propre. Cette Onomatopée singulièrement précieuse n'a pas été dédaignée dans la Langue latine, et enrichirait la nôtre.
HUMER. Avaler quelque chose avec une aspiration forte et tout d'une haleine.
Le vieux mot super, qui a la même valeur, ne se dit plus qu'en quelques provinces. On peut conjecturer que le mot soupe était fait de la même racine, et cela d'autant plus probablement, que, suivant Ménage, super signifie humer du bouillon.
HUPPE, ou PUPU. Les deux noms de cet oiseau sont l'effet d'une controverse assez oiseuse parmi les Etymologistes. On se demande si le premier lui a été donné en raison de la huppe élégante dont sa tête est ornée, ou s'il est une simple traduction un peu contractée de l'upupa des Latins, qui était dérivé du cri ordinaire de l'animal. On est aussi embarrassé sur le second, que les uns regardent comme l'expression de ce cri, et les autres comme une dénomination odieuse par laquelle nos aïeux désignaient la huppe, à cause de la saleté qu'on lui reproche. Quant à moi, je suis porté à croire que Belon s'est trompé en faisant venir le nom de la huppe de cette touffe de plumes qui la caractérise, et je partage l'opinion de Ménage qui regarde au contraire le mot huppe dans cette dernière signification, comme dérivé du nom de l'oiseau qui l'est lui-même de son cri.
Aristophane s'est amusé à imiter la voix de la huppe dans ces mots factices: epopoë, popopo, popoè, jo, io, ito, ito, ito, ito.
Cette Onomotapée se retrouve chez tous les peuples; c'est l'epops des Grecs, le bubbola des Italiens, le popa des Portugais, le hoppe des Flamands, le hoop et le hoopof des Anglais, le popp des Suédois, etc. Nous avons dit pupeput, pepu et pipu.
HURLEMENT, HURLER. Heureuses Onomatopées du cri des loups et des chiens effrayés.
Cette nuance a échappé à la Langue latine, puisque les mots ululatus et ululare sont plus propres à exprimer des bruits coulans et modulés que le roulement rauque et effroyable que ceux-ci représentent. C'est pourquoi le verbe hululer serait une innovation avantageuse à notre Langue. Les Italiens qui usent d'urlare et d'ululare, suivant les occasions, ont bien senti le prix de cette modification, toute légère qu'elle paraisse. Voyez le Dante, parlant de la pluie de feu qui dévore les damnés dans le troisième cercle:
Et concluons de là que nous avons traduit l'urlare des Italiens, et non pas l'ululare des Latins, qui est cependant susceptible d'un aussi grand nombre d'applications, et qui est au moins aussi noble et aussi harmonieux.
Rabelais a dit ullement dans ce passage de Pantagruel: «Le grand effroi et vacarme principal provient du deuil et ullement des diables, qui là guettans péle mélle les paovres ames des blessez, reçoipvent coups d'épées à l'improviste, et pastissent solution en la continuité de leurs substance aerée et invisible,... puis crient et ullent comme diables».
JAPPEMENT, JAPPER. Ces mots se disent pour aboiement et aboyer, en parlant des petits chiens et des renards.
Les Celtes ont dit chilpa, japper, chilpaden, jappement.
KAKATOÈS. Le nom de cette belle espèce de perroquet est formé de son cri.
Klein et Seba en ont fait kakatocha, Edwards et Albin, cokcatoo, Brisson, catacua, et on l'appelle en certains endroits, cacatou.
LAPPER. Saisir avec la langue, boire à la manière des renards et des chiens. On croirait que c'est le mot happer privé de la forte aspiration qui le caractérise, et augmenté d'une lettre linguale qui en détermine la nouvelle acception.
Cette expression n'est pas tout-à-fait particulière à notre Langue; le mot lap se retrouve dans la Langue celtique, et on pourrait en faire descendre assez naturellement les mots lepus et lapin.
LÉCHER. Du bruit de la langue traînée sur la superficie d'un corps qu'elle suce ou qu'elle nettoie.
C'est le leichein des Grecs, le lingere des Latins, le lecken des Allemands, le leccare des Italiens.
Ajouterai-je, à propos de ce dernier terme, que les Italiens en ont fait il lecchino, le gourmand, le lécheur de plats; et d'il lecchino, al lecchino, qui est devenu l'arlequin de nos théâtres; plaisante méprise d'un érudit qui, sur la foi d'un jeu de mots d'arlequin, fait dériver son nom de l'illustre famille de Harlay!
LORIOT. De vieux Lexicographes prétendent que cet oiseau, est ainsi nommé, parce qu'il semble articuler ce mot dans son chant. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Grecs, et, d'après eux, les Latins, l'ont appelé chlorion, dont le nom français du loriot dérive d'autant plus incontestablement, qu'on a dit autrefois lorion. Or, le mot chlorion a dû être tiré de chloros, viridis, herbidus, luteus, flavus; et comme ces termes désignent une des deux couleurs du loriot, on pourrait penser avec Schrevelius que le nom de cet animal est fait ex colore. C'est donc une Onomatopée un peu douteuse.
LOUP. En grec lukos, en latin lupus, en italien lupo, en espagnol lobo, en allemand et en anglais wolf, en suédois ulf.
Il paraît évident que ces noms ont été construits imitativement d'après le hurlement du loup. Le nom latin du renard, et quelques-uns de ses noms modernes, ont le même type.
Il paraît qu'on a écrit autrefois lou, comme en ces vers de Saint-Amand parlant des anciennes épées sur lesquelles était gravé un loup, et qui étaient recherchées pour leur bonté:
Je suis cependant porté à croire que c'est une simple licence que Saint-Amand a pratiquée pour l'exactitude de la rime; car je ne trouve aucun exemple de cette espèce d'ortographe, qui se rapproche beaucoup plus de la construction naturelle, et qui offrirait sous ce rapport une tradition assez précieuse.
MIAULEMENT, MIAULER. Du cri ordinaire des chats, de ces éclats désagréables de leur voix, dont Boileau se plaint dans sa satire des Embarras de Paris:
Quoique Nicod ait écrit miauler, il semble qu'on disait autrefois miaouler, et certains Grammairiens regrettent cette manière de prononcer qui leur paraît plus imitative. Elle l'est peut-être trop, et j'ai déjà dit que cette recherche excessive d'imitation était fort ridicule quand elle choquait l'harmonie, et qu'elle ne se fondait que sur un cliquetis de sons bizarres et forcés.
MOUE. Il est impossible de prononcer ce mot, sans que la bouche figure ce qu'il signifie, c'est-à-dire, cette espèce de grimace qui est familière aux gens tristes et colères. Le mœrens, le mœstus des Latins, le mesto des Italiens, et sur-tout le mustio des Espagnols, doivent appartenir à cette espèce d'Onomatopée. Il résulte d'ailleurs de l'émission du souffle par les narines, quand les lèvres sont closes, comme cela se remarque dans les gens qui font la moue, un petit bruit que les Grecs ont appelé imitativement mugmos, et les Latins mussatio.
Muffle, qui est le nom de la bouche de certains animaux à lèvres alongées et proéminentes,
Bouder, faire la moue par mécontentement,
Bouderie, habitude de mauvaise humeur,
Boudeur, homme fâcheux, esprit contrariant et chagrin, sont de la même famille et du même effet d'imitation, les initiales de ces trois derniers mois se prononçant sur la même touche.
La Langue Celtique employait moüa, pour, se fâcher, et bouda, pour, chuchoter, bourdonner entre les dents. Je n'ai pas besoin d'insister sur ces analogies.
MUGIR, MUGISSEMENT. Belles Onomatopées tirées des cris sourds et prolongés de quelques animaux, ou du bruit des vagues émues par la tempête, ou enfin du cours tumultueux d'un grand fleuve, comme dans ce magnifique tableau de M. Delille:
MURMURE, MURMURER. Cette Onomatopée ne varie point dans le grec, dans le latin, dans l'italien, dans l'espagnol, etc. Ce sont de ces mots que la nature semble avoir enseignés à tous les peuples.
Leur son peint parfaitement à l'oreille le bruit confus et doux d'un ruisseau qui roule à petits flots sur les cailloux, ou du feuillage qu'un vent léger balance, et qui cède en frémissant. Le mouvement vague et presqu'imperceptible des eaux et des bois, élève dans la solitude une rumeur qui interrompt à peine le silence, tant elle est délicate et flatteuse, et c'est de là que les Langues ont tiré ces expressions si harmonieuses et si vraies, que, tous les jours répétées, elles paraissent toujours nouvelles.
Dans ces vers charmans de Bonneville, toutes les syllabes coulent et murmurent.
J'ose croire que nous n'avons point à envier, dans cette circonstance, la prononciation des Latins, si elle était telle que Dumarsais et beaucoup d'autres Grammairiens le présument. En effet, le mot murmure, prononcé à la française, est composé de sons plus liquides, et en quelque sorte plus fugitifs que n'étaient ceux de leur mourmour et du mormorio des Italiens; et l'harmonie un peu emphatique de ces derniers mots, leur fait perdre, selon moi, beaucoup de leur grâce et de leur fluidité.
MUSC. Je ne hasarde ce mot au nombre des Onomatopées que sur la foi de M. Court de Gébelin qui le croit formé du bruit que fait le nez en flairant, en aspirant les parfums. Il s'appuie de deux analogies différentes, l'une tirée du Celtique ou d'une Langue analogue dans laquelle il prétend que mussa signifie flairer, et musse, odeur; l'autre tirée de l'Ethiopien où ce dernier mot se dit mez; mais cette opinion peut paraître un peu hasardée.
Il est du moins certain que les Grecs qui ont appelé le musc, moschos, ont dit muzo dans le même sens que les Latins musso, clausis labris sonum è naribus emitto; ils ont appelé muron certaines odeurs, et l'odeur en général, murodia. Muxoter, c'est la narine. Le nom du rat, qui est le mus des Grecs et des Latins, et à qui l'odeur du musc est assez communément propre, pourrait procéder aussi de la même analogie.
Les mots odeur et flairer se rendent, d'ailleurs, en Celtique par des expressions qui présentent l'Onomatopée très-juste du bruit que fait l'aspiration des parfums: c'houés et c'houesâd.
OIE. «Le cri naturel de l'oie, dit M. de Buffon, est une voix très-bruyante. C'est un son de trompette ou de clairon, clangor, qu'elle fait entendre très-fréquemment et de très-loin; mais elle a de plus d'autres accens brefs qu'elle répète souvent; et lorsqu'on l'attaque ou l'effraie, le cou tendu, le bec béant, elle rend un sifflement que l'on peut comparer à celui de la couleuvre. Les Latins ont cherché à exprimer ce son par des mots imitatifs, strepit, gratitat, stridet.
»Soit crainte, soit vigilance, l'oie répète à tout moment ses grands cris d'avertissement ou de réclame; souvent toute la troupe répond par une acclamation générale, et de tous les habitans de la basse-cour, aucun n'est aussi vociférant, ni plus bruyant».
C'est ce cri naturel de l'oie qui est devenu son nom dans notre Langue et dans quelques autres. Je crois, du moins, qu'on peut regarder comme des Onomatopées le chen des Grecs, dont ils semblent avoir fait chaino, hio, dehisco, parce que le ronflement rauque d'un homme qui dort la bouche ouverte est assez pareil au bruit que fait l'oie irritée; le kaki de certains Orientaux, le wazon des Arabes, le gwasi des Celtes, le goas des Suédois, le gaas des Danois, et l'apatta des Nègres de la Côte d'Or; mais rien n'est d'un effet d'imitation plus vrai qu'un de ces noms qui est particulier aux Mexicains, et par lequel ils ont voulu exprimer le cri bref et fréquent dont M. de Buffon parle à propos de cet animal. Ils l'ont appelé tlalacatl, et cette dénomination factice a été conservée par Fernandez.
L'oie mâle s'appelle un jars, et ce mot a produit une expression fort usitée. De jars et du Celtique comps, langage, en construction, gomps ou gon, l'on a fait jargon, jargonner, parler comme des oies.
On disait oüe en vieux français, comme le prouvent ces vers de la farce de Patelin:
Il me semble donc que M. Decaseneuve a mal rencontré quand il a fait de ce mot un augmentatif d'oiseau, et qu'il est d'ailleurs difficile de remonter à son étymologie autrement que par l'Onomatopée.
OISEAU. La construction de ce mot est extrêmement imitative; il est composé des cinq voyelles liées par une lettre doucement sifflante, et il résulte de cette combinaison une espèce de gazouillement très-propre à donner une idée de celui des oiseaux. Il est à remarquer comme une singularité très-rare dans notre Langue, que ce mot gazouiller est formé, comme le mot oiseau, des mêmes sons vocaux, liés par la même consonne. Il n'en est distingué que par son intonation qui est prise dans une lettre gutturale, par conséquent très-bien appropriée à l'idée qu'il exprime.
OUATE. C'est la première soie que l'on recueille sur le cocon du ver à soie, ou un duvet léger que fournit une espèce d'anas. On s'en sert pour doubler des vêtemens d'hiver; et le bruit moëlleux que produisent ces vêtemens quand on les froisse, a pu donner l'idée de cette dénomination, qui serait assez imitative; mais c'est une étymologie douteuse que je n'alléguerais point, si les Lexicographes en reconnaissaient une autre, pour peu vraisemblable qu'elle fût.
PÂMER, PÂMOISON. Du spasma des Grecs, qui lui-même est construit imitativement d'après le bruit propre à la figuration particulière de la bouche d'une personne qui se pâme.
PEPIER. C'est du cri naturel des moineaux, ou plutôt de tous les jeunes oiseaux, que ce cri a été formé. On a dit autrefois pipier, qui n'est plus d'usage.
Piauler, piuler, sont dans le même cas, quoiqu'également imitatifs.
Piailler, Piaillerie, Piailleur, dérivent du même son naturel; on les a faits pour exprimer une criaillerie fatigante et perpétuelle, comme les cris des petits oiseaux. Les Latins employaient pipulum pour, injure, huée et rumeur publique, par la même analogie.
Pépie, est le nom d'une maladie dont une grande altération est la cause ou le symptôme. Ne semble-t-il pas que ce mot soit créé du bruit que font de petits oiseaux tourmentés par la soif? Le peperi des Grecs, dont les Latins ont fait piper, ne remonterait-il pas encore à la même racine par une extension peu forcée, parce que c'est une substance qui altère et qui donne la pépie? Les Grecs appelaient pippos un petit oiseau; et ce qui vient singulièrement à l'appui de mes conjectures, pipizo se prenait indifféremment chez eux pour pipio, sugo cum sonitu, ou potum prœbeo. Pio même signifiait bibo, et de là le piot de Rabelais et de nos anciens Auteurs. Pino, qui avait le même sens, est devenu le nom français d'un raisin. Pepier emportait d'ailleurs en vieux langage l'idée de gémissement et de plaintes comme dans ces vers de Villon:
Les Espagnols ont piar, et les Italiens pipire, comme les Latins. Ces derniers appelaient les pigeonneaux pipiones, et nous en avions fait autrefois pipions.
Pipée, dit Nicod «est un mot fait et imité de la voix des oiselets, comme aussi pippe, pipper, et pippeur, et signifie le siffler que l'oiseleur fait avec une fueille de fou, ou d'autre arbre, ou de roseau, ou avec une pippe de bois, contrefaisant la voix d'iceux oiselets. Selon ce on dit, prendre des oiseaux à la pipée, qui est quand un homme caché dedans un buisson et bien entouré de rameaux couverts de gluons, ayant un chathuant ou hibou branché et attaché près de luy, contrefait le pippis des oiseaux, ou bien pressant les ailes ou les pieds d'un oiseau vif, le fait crier, car les oiseaux advolent à ce pippis, ou à ce cry, pour garantir leurs semblables du chathuant qu'ils cuident les tenir, et se perchent sur ces rameaux et s'engluent. Pipée, par métaphore, se prend pour mine ou contenance contrefaite».
Piper, pipeur, qui ne se prennent plus que pour l'action de piper les dés, ont peut-être été rejetés trop dédaigneusement de la Langue; leur emploi était fondé sur une allusion très-naturelle, et leur sens était vif et frappant. Montaigne a dit avec son énergie, avec sa précision ordinaire, que la Rhétorique étoit une art mensongère et piperesse: il y a dans les Langues des expressions si heureusement caractéristiques, qu'une fois perdues, on ne peut plus les remplacer.
PIC. Instrument de fer courbé et pointu vers le bout, qui a un manche de bois, et dont on se sert à ouvrir la terre et à rompre le roc; Onomatopée du bruit que rend la pierre sous l'instrument qui la brise.
Piquer, c'est donc primitivement frapper avec un pic. On dit encore qu'on pique la pierre, quand on blanchit une maison en dépouillant la pierre de sa surface.
Pioche, nom d'un outil de labourage, a été alongé d'un son plus mousse, parce la pioche creuse et ne brise point.
Bêche, est un mot de la même construction, prononcé sur une touche moins dure, parce que la bêche n'attaque pas la terre avec force, et ne sert qu'à la diviser.
En anglais, le verbe piocher se rend par le verbe dig. Dans ce dernier mot, l'imitation du son est frappante. On remarque la même vérité dans la formation du mot tuf, qui est le nom d'une terre compacte et prête à se pétrifier, qui rend sous la pioche et sous la bêche un son net et sec dont ce terme est l'expression; mais comme cette étymologie n'est pas incontestable, je me contente de la rapporter ici à cause de l'analogie du sujet.
* POUPE. Suivant Nicod, que j'aime à citer souvent, «c'est la tette ou mammelle, soit d'une femme comme la nomment en aucunes contrées de France, soit de bestes mordans comme la nomment les veneurs, disans les poupes d'une ourse, et semblables, le mot vient du prétérit grec pépoka, tout ainsi que pot, et est dit poupe, parce que le faon tette et boit le laict par là, ou bien est fait par Onomatopée du son que l'enfançon fait de ses lèvres en suçant à force le laict de la mammelle».
Si toutefois le prétérit grec pépoka pouvait être rapporté à cette racine, c'était plutôt comme dérivé que comme type, et il paraît que Nicod s'en est aperçu. Il aurait fait remonter le mot poupe avec plus de vraisemblance au mot popanon, qui est le popanum des Latins, et qui est incontestablement de la même famille. Remarquez d'ailleurs que les Latins ont dit puppus et puppa, d'où viennent puer et puella.
Poupée, c'est l'image d'une petite fille, d'un enfant qui tette encore. Quelqu'évidente que soit l'étymologie de ce mot, on s'est avisé, je ne sais où, de le dériver de Poppée, parce qu'on prétend que cette femme fut la première qui mit le masque en usage pour conserver la beauté de son teint et le préserver du hâle et des injures de l'air.
Poupon, c'est, dans le langage vulgaire et enfantin, un petit garçon à la mammelle.
PUER. Du bruit que fait la bouche en repoussant, avec une forte émission du souffle, les odeurs désagréables.
Pouah, interjection qui marque le mépris et le dégoût, doit en être le son radical.
RACLER. Du frottement de l'ongle ou d'un instrument aigu sur les corps qu'ils nettoient ou qu'ils déchirent. Rakos signifiait en grec un haillon, un vêtement déchiré, une cicatrice, une ride. Rakterios, c'était le corps brisé ou raclé, qui rendait du bruit. Aristophane appelle Euripide rakiosurraptadès, raccommodeur de vieux haillons. Ragas se disait sur une autre touche pour rupture, déchirement, et de là, raga, pour force et violence.
On pourrait croire que raccommoder en est fait par antiphrase ou contre vérité, à moins qu'on ne fasse voir que les syllabes complétives en déterminent la nouvelle acception.
La famille des mots qui se rapportent à l'idée d'effraction, est évidemment tirée de la racine autour de laquelle je range ces curieuses analogies, quoiqu'elles lui soient devenues plus ou moins étrangères dans leur extension.
RAIRE ou RÉER. Terme de Vénerie emprunté du cerf en amour.
«Il a, dit M. de Buffon, la voix d'autant plus forte, plus grosse et plus tremblante, qu'il est plus âgé: la biche a la voix plus faible et plus courte; elle ne rait pas d'amour, mais de crainte. Le cerf rait d'une manière effroyable dans le temps du rut. Il est alors si transporté, qu'il ne s'inquiète, ni ne s'effraie de rien».
Rut, le temps où le cerf rait.
RÂLE, RÂLEMENT, RÂLER. Du son enroué d'une respiration qui s'épuise, et dont les derniers efforts annoncent une mort prochaine.
Râle, est aussi le nom d'un oiseau que Ménage croit désigné d'après son cri.
RAUQUE. Du bruit âpre et fatigant des voix enrouées.
Roquet, est le nom de mépris qu'on donne à un petit chien importun, et qui aboie sans cesse. Je le crois formé du son rauque de son jappement.
REDONDANCE. C'est une dérivation figurée du son que rend un corps dur qui rebondit dans sa chute.
Ainsi l'on a dit redondance d'une vicieuse superfluité de paroles, qui ne fait que nuire à la netteté du discours, parce que c'est une espèce de bondissement de la pensée, qui, après avoir frappé l'esprit, rejaillit et retombe avec moins de force.
Ce mot n'est point une Onomatopée propre, mais une Onomatopée abstraite construite par analogie.
RETENTIR, RETENTISSEMENT. Belles Onomatopées dont le son radical est le type d'une nombreuse famille de mots, consacrés à exprimer des idées de même ordre. Voyez Tintement, Tinter.
Retentir et ses dérivés s'emploient en général en parlant des échos des montagnes et des voûtes, et ne conviennent point quand il s'agit d'un bruit net et sans répercussion. Racine a dit:
Et ailleurs:
Boileau a dit aussi:
La vérité d'imitation est moins sensible dans ces exemples que dans beaucoup d'autres, parce que la plaine, les bois et les rivages sont des lieux peu retentissans. Je sais combien de telles observations sont minutieuses; mais j'ai rapporté ces vers de deux de nos grands Poètes, pour faire voir de quelle importance est la justesse d'expression pour l'effet poétique, et de combien de nuances la Langue la plus riche peut encore s'orner.
RINCER. Du bruit des doigts contre l'intérieur d'un verre que l'on rince.
Les Irlandais disent rincsail, et les Bretons rinca.
RONFLEMENT, RONFLER. Du bruit que fait dans la gorge et les narines d'un homme endormi, l'air fortement aspiré.
On a employé ces mots par extension, pour exprimer le bruit grave des gros tuyaux d'un orgue, ou celui des canons, et figurément, les éclats de voix présomptueux d'un Comédien qui cherche le brouhaha.
«Il n'y a, dit le Mascarille des Précieuses, que les Comédiens de l'hôtel de Bourgogne qui soient capables de faire valoir les choses. Les autres sont des ignorans qui récitent comme on parle; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s'arrêter au bel endroit».
Du ronchus des Latins, nous avions fait froncher dans le vieux langage, et dom Lepelletier rapporte fronsal, mot de l'usage de Cornouaille, qui a le même sens.
ROSSIGNOL. En latin luscinia, ou lucinia, en italien usignuolo, lusignolo, rusignuolo, en espagnol ruysenor.
Le Castelvetro a pensé que le nom italien de cet oiseau était fait par Onomatopée. Belon et Ménage rapportent des étymologies plus vraisemblables, et M. de Brosse tranche, suivant moi, la difficulté. De luco canens, lucinia, luciniola, lusignuolo, rusignuolo, rossignol; il reste à déterminer si l'imitation du son n'est pas entrée pour quelque chose dans la construction de ces différens dérivés, et c'est ce qui me paraît incontestable.
* ROUCOULEMENT, ROUCOULER. Onomatopées du chant des tourterelles, qui est aussi très-bien exprimé par le to coo des Anglais.
On a dit autrefois rocouler, mais roucouler a été justement préféré.
Roucoulement est un mot harmonieux et utile qui serait bon à admettre dans la Langue. M. de Châteaubriand, d'ailleurs si sévère dans l'emploi des mots nouveaux, en a fait souvent usage.
ROUE5. Ce mot est dérivé du bruit de la roue, et en général du bruit d'un corps rond qui roule avec rapidité sur une surface retentissante.
C'est le trochos des Grecs, le rota des Latins et des Italiens, le rüeda des Espagnols, le rot ou rod des Celtes, et le rad de l'ancien Teuton.
Rodellec signifiait en celtique une voiture à plusieurs roues, un vestige, une ligne, comme celle qui est décrite par la roue.
Route, mot français d'une acception très-voisine, en est probablement dérivé. Cette opinion n'est pas étrangère à M. Court de Gébelin, qui appuie mal-à-propos sa conjecture de quelques fausses étymologies.
RUGIR, RUGISSEMENT. «Le rugissement du lion est si fort, dit M. de Buffon, que quand il se fait entendre par échos la nuit dans les déserts, il ressemble au bruit du tonnerre: ce rugissement est sa voix ordinaire; car quand il est en colère, il a un autre cri qui est court et réitéré subitement, au lieu que le rugissement est un cri prolongé, une espèce de grondement d'un ton grave, mêlé d'un frémissement plus aigu. Il rugit cinq ou six fois par jour, et plus souvent lorsqu'il doit tomber de la pluie».
Ce passage de M. de Buffon m'en rappelle un autre qui a rapport au rugissement du tigre, et où ce grand Ecrivain hasarde, pour exprimer ce cri, une Onomatopée que l'usage n'a pas consacrée depuis. «Le tigre, dit-il, fait mouvoir la peau de sa face, grince les dents, frémit, rugit comme fait le lion, mais son rugissement est différent. Quelques voyageurs l'ont comparé au cri de certains oiseaux. Tigrides indomitæ rancant, rugiuntque leones. (Autor Philomelæ.) Ce mot rancant n'a point d'équivalent en français; ne pourrions-nous pas lui en donner un, et dire, les tigres rauquent, et les lions rugissent; car le son de la voix du tigre est en effet très-rauque».
Je suis bien aise de faire remarquer ici que ce verbe factice, à qui M. de Buffon ne connaît point d'équivalent en français, en a un très-exactement construit sur la même racine, dans le patois de Franche-Comté. Rancôt, c'est le dernier soupir, le dernier râle du moribond; rancoïer, c'est expirer, rendre l'âme, pousser le sanglot convulsif qui annonce la mort.
On a dit autrefois ruiment pour rugissement, comme dans ce passage des grandes Chroniques de France, dédiées à Charles VIII. «Sembloit que ce fussent urlemens de loups et ruimens de lions». Cela donne quelque probabilité à l'opinion de M. de Caseneuve, qui fait dériver rut, anciennement ruit, du rugitus des Latins, et qui regarde raire ou réer comme une contraction de rugire. Il aurait pu citer ce passage de Job, qui dit, en parlant des biches, à qui l'action de réer est particulière: incurvantur ad fætum, et pariunt, et rugitus emittunt. Marot dit dans sa traduction des Pseaumes:
Voyez Raire ou Réer.
RUISSEAU, RUISSELER. Nicod dérive ces mots du grec reo, fluo. Le grec attique reos signifiait ruisseau. Les Latins ont dit rivus, rivulus, les Italiens rivo, ruscello, les Espagnols rio, les Anglais rivulet. Dour red, en celtique, signifie une eau courante et rapide. Dom Lepelletier nomme rigol, et Davies rhigol, un ruisseau tracé dans un champ; cette expression s'est conservée dans le français. Lebrigand a employé quelque part, comme celtique, le mot ruzelen; mais il paraît que ce n'est que le français ruisselet qui s'est glissé, comme beaucoup d'autres, dans le celto-breton, par le contact des français avec les peuples de l'Armorique. Ru se dit en Géorgien d'un grand écoulement d'eaux. Arou exprime la même idée en Arménien et en Malabare, et rud en Arabe et en Persan. Plusieurs Etymologistes assurent que rit indiquait dans les Langues gothiques un passage ou un gué. Les mots par lesquels nous désignions un ruisseau en vieux langage, se rapprochaient assez du son typique. Reu et ru se trouvent dans Nicod. Ru s'emploie encore pour désigner le lit ou canal d'un petit ruisseau. Ruel et rui sont communs dans nos vieux romanciers. Ruit est employé pour rive dans un passage de Perceval. En remontant la vallée de la Romanche par la nouvelle route de Grenoble en Italie, on voit avant le hameau des Roberts, un torrent que le peuple appelle riou-peirou, c'est-à-dire, ruisseau périlleux.
Notre mot ruisseau peint parfaitement à l'esprit le petit murmure doux et modulé d'une eau vive qui roule entre les cailloux.
S'il est vrai, ainsi que le prétend M. Court de Gébelin, que rat soit un terme de marine qui sert à désigner un endroit de mer où il y a quelque courant rapide et dangereux, on peut faire remonter ce mot à la même racine, soit comme lui par le gallois rhydd, qui signifie gué ou bas-fond, soit, mieux encore, par l'allemand ritha, qui signifiait autrefois torrent, ou par le dour red des Celtes, et par le celto-breton rodo, qui se dit d'un passage de rivière; mais cette assertion est contestée.
«Rat n'est point un terme de marine pour designer un courant rapide et dangereux dans la mer, m'écrit M. de Roujoux, c'est un nom de lieu; le Raz est un vaste écueil situé en face de l'île de Sein, et qui a donné son nom au passage compris entre cette île et lui. Le passage du Raz ou Ratz est célèbre, parce qu'un grand nombre des vaisseaux qui entrent à Brest ou qui en sortent, sont forcés d'y donner. Il est fertile en naufrages, et la baie dont il forme une des pointes, s'appelle la baie des Trépassés. Je ne crois point que ce mot ait de signification connue; il ressemble à une foule de termes auxquels on veut trouver des étymologies, quoiqu'ils n'en aient pas».
Rouir, est très-judicieusement dérivé du vieux français ru, par Ménage. Nicod même écrit ruir, et rend en latin chanvre roui, par cannabis fluviata.
SANGLE, SANGLER. De cingula, cingulare, et originairement du bruit de l'air froissé par une courroie déployée avec force.
Sangle s'exprimait en celtique par cengl et cenclen, et suivant la même analogie, lancer et darder, par cingla.
En vieux français, on disait changle et changler, comme c'est l'usage dans notre Langue, qui a souvent modifié ainsi les sons sifflans.
Cingler, se dit pour, naviguer à pleines voiles, parce que la mer, ouverte vivement par le navire, rend un petit bruit de la même nature que le précédent. Mais le son radical est ici moins emphatique, parce que le froissement qu'il représente est moins éclatant, et a lieu dans un milieu moins sonore. Cependant on a employé ce dernier verbe au même usage que l'autre en nombre d'occasions, et on le dit fort bien, du vent du Nord et de la pluie chassée par un ouragan impétueux.
SAPER. Abattre par le pied, travailler avec le pic et la pioche à détruire les fondemens d'un mur.
Sape, se dit en terme de guerre d'un travail qu'on fait sous terre pour la surprise d'une place. En latin, c'est sappa, en italien zappa.
L'oriental saph ou sap désigne l'action de briser ou de limer, de réduire en poussière.
Ces différens mots sont formés du bruit de l'instrument contre les constructions qu'il attaque, ou sur la terre qu'il entr'ouvre.
SCIE, SCIER. Scie se dit en latin serra, en italien sega, rasega, en espagnol sierra, en anglais saw, en allemand sæge, autant de dénominations tirées du bruit sifflant que produit la scie en divisant le bois.
Le secare et le scindere des Latins sont construits d'après ce son naturel qui a fourni d'innombrables Onomatopées à toutes les Langues.
SCION. C'est le nom qu'on donne à des branches grêles et menues, tendres et pliantes que poussent les arbres. L'osier, par exemple, s'élève en touffes de scions, et je n'hésite pas à penser que ce mot ne soit formé du frémissement de ces branches débiles, quand le vent les courbe devant lui, et qu'elles se relèvent en sifflant.
On appelle encore scions les impressions qui restent sur la peau d'une personne fouettée de verges. C'est le nom de la cause pour celui de l'effet, employé par métonimie.
Cion, s'est dit en vieux langage, de la pluie fouettée par les vents. Il est facile de saisir l'analogie de ces différentes acceptions.
SIFFLER. Verbe dont on connaît les nombreux dérivés, et qui dérive lui-même du bruit de l'air comprimé et chassé par une ouverture étroite. Les Latins ont dit d'abord sifilare, qui se lit dans Nonnius-Marcellus, et ensuite sibilare. Les Italiens ont sibilare, subbiare, zuffulare, fischiare, autant d'Onomatopées qui caractérisent différens modes de sifflement; les Espagnols, silvar; les Allemands, pfeifen, et les Anglais plus heureusement encore whistle.
En vieux français, nous avons dit subler et sibler: Marot a dit sublet pour sifflet. Les Angevins ont gardé cette expression, et Ondin la rapporte dans ses dictionnaires. Le patois bourguignon y a substitué sublô, qu'on lit dans les noels de la Monnoye.
Il est à remarquer que ce sublô du peuple de Bourgogne ressemble beaucoup au subulo de Varron, que celui-ci a employé pour tibicen.
Cirano, acte II, scène III de son Pédant joué, fait dire à Mathieu Gareau: «Ce biau marle qui sublet si finement haut».
Le peuple mouille l'S, et dit communément chiffler.
Il paraît que les Celtes faisaient usage du mot si, pour bruit; sifflement, murmure.
Les Grammairiens appellent consonnes sifflantes ces trois lettres s, x, z, parce qu'on ne les prononce qu'avec une espèce de sifflement. Elles doivent donc être d'un grand usage pour exprimer les bruits de cette espèce. La Langue anglaise est une Langue sifflante, parce qu'elle a beaucoup de mots sur la touche sifflante et sur la touche dentale.
L'emploi fréquent de la lettre S rend la prononciation sifflante. Euripide en faisait un usage vicieux qui passa même en proverbe. On appelait ce défaut le sygmatisme d'Euripide.
Racine a prodigué les S dans ce vers d'Andromaque:
et l'effet d'imitation qui en résulte est frappant. On l'a trouvé, peut-être avec justice, un peu trop minutieux.
Il y a de l'harmonie dans ces vers d'un de nos Poètes lyriques:
La forme et le son de la lettre S la rendent propre à désigner doublement le serpent, et à peindre en même temps ses mouvemens tortueux et ses sifflemens aigus. L'ophis des Grecs, qui est originairement égyptien, a le singulier mérite d'offrir dans ses caractères une espèce de nœuds de couleuvres, et dans sa terminaison, un bruit semblable à celui qui annonce ordinairement ces animaux. C'est tout-à-la-fois un hiéroglyphe et une Onomatopée. La lettre Φ ressemble à un caducée.
Les Latins ont anguis, qui a la même désinence sifflante, et de plus seps et serpens; les Italiens serpente, biscia; les Espagnols sierpe; les Anglais serpent et snake.
On appelle bysse en science héraldique, des serpens et des couleuvres. C'est l'ancien nom français de ces reptiles. Celui par lequel nous désignons actuellement le serpent, est une Onomatopée sans vivacité et sans harmonie, dont je n'ai pas cru devoir faire un article à part, mais dont les analogues curieux me paraissent assez bien placés dans celui-ci.
SILLON, SILLONNER. Du bruit d'un corps qui en effleure légèrement un autre sur un long espace. De là,
Sillage, qui est la trace d'un vaisseau sur la mer, quand il ne fait qu'y glisser doucement.
SIPHON. «Ce sont, dit un vieux commentateur de Rabelais, ces canaux et tuyaux ès-fontaines qui jettent l'eau, et par le moyen et force de l'air qui les presse, rendent un son et sifflement d'où ils ont pris leur nom».
SOUFFLER. Nous avons vu tout-à-l'heure au mot siffler une Onomatopée construite d'après le bruit de l'air chassé à travers un canal étroit. Celle-ci est formée sur l'émission libre de l'air poussé hors d'un canal de grandeur suffisante, avec un bruit mousse et sans éclat.
Les dérivés nombreux de cette expression ne peuvent échapper à personne.
SOURDRE. Sortir, jaillir, s'écouler par une fente de la terre ou du creux d'un rocher.
L'étymologie de ce mot a été rapportée avec raison au surgere des Latins, qui avait le même sens.
Lucret.
On a même dit en français surgeons, tantôt pour ces rejetons qui naissent au pied des arbres, tantôt pour un petit ruisseau qui vient de sourdre de la terre; et surgir, qui est pris pour sourdre, avec un peu d'extension dans ce passage des hymnes de Ronsard:
Mais s'il est vrai que cette origine soit à-peu-près incontestable, il n'en est pas moins certain que l'imitation du son naturel a modifié jusqu'à un certain point l'expression qu'on y rapporte. Il est peut-être malheureux qu'elle vieillisse négligée, car elle est significative et utile. Amyot s'en est servi dans sa traduction de Daphnis et Chloé, et cet exemple en déterminera le sens:
«Il y avoit, dit-il, en ce quartier-là une caverne que l'on appelait la Caverne des Nymphes, qui estoit une grande et grosse roche, au fond de laquelle sourdoit une fontaine qui faisoit un ruisseau dont estoit arrouzé le beau pré verdoyant».
M. Mercier a cru mal-à-propos que ce mot faisait sourdir à l'infinitif, ou que cette nouvelle construction pouvait avoir quelqu'avantage sur l'autre. C'est au bruit de deux consonnes roulantes, durement séparées par une autre, et qui semblent en rompre l'effort, que le mot sourdre doit son harmonie pittoresque.
* STRIDENT. C'est ainsi qu'on qualifie un bruit dur, un peu aigre, un peu frémissant, qui est produit par un corps très-réfractaire, attaqué avec la lime ou avec la scie.
Ce mot expressif et vrai, heureusement formé du stridere des Latins, n'a point encore été admis dans l'usage de notre Langue, qu'il ne pourrait qu'enrichir.
STRIE. C'est une espèce de sillon profond, gravé difficilement dans un corps dur, ce qui est marqué par sa construction rude et stridente. Cette expression est propre à l'Histoire naturelle descriptive.
SUCER. Onomatopée préférable au sugere des Latins dont elle a été formée, avec un changement pris dans le son radical.
C'est le saugen des Allemands, le sycan, le sugan, le succan, le sucian des Anglo-Saxons et de la Langue franque; le zuigen des Flamands, le suck des Anglais, le suga des Suédois, le succhiare des Italiens.
Skinner rapporte toutes ces étymologies au vieux Sarmate cic, qui signifiait mammelle, et dont le type naturel est le même.
Suc, c'est la substance qu'on extrait des corps par la succion.
Sucre, est le nom d'une production végétale qu'on tire des fruits par le même procédé. Les Italiens qui ont aussi reconnu cette analogie, appellent le sucre zucchero, et les Arabes sucar.
* SUSURRATION, SUSURRE, SUSURREMENT, SUSURRER. Je hasarde ici ces trois substantifs et ce verbe qui sont peut-être des latinismes assez heureux, pour exprimer le frémissement des feuillages et le murmure des roseaux émus par le vent. Nous n'avons pour rendre ces idées que des mots trop généraux et des images trop vagues.
Un de nos Lexicographes dit susurre, qui est construit sur le mot murmure avec lequel il a tant de rapports. Susurration est plus conforme au type latin, et susurrement à l'esprit de notre Langue; mais il n'est donné qu'à nos bons Ecrivains de consacrer ces expressions agréables, et d'en fixer l'emploi.
TACT. Le mot factice tac fut inventé pour exprimer le bruit des corps durs et secs qui frappent les uns sur les autres.
Tic tac, eut une signification analogue, et marqua un battement, un mouvement réitéré, comme celui d'un marteau qui frappe, d'un balancier d'horloge, des pulsations du sang et des palpitations du cœur. Regnier l'emploie pour représenter les coups que se donnent dans leur lutte grossière les personnages de son souper ridicule:
Tic, maladie de cheval, est une Onomatopée, selon Ménage, parce que le cheval qui a le tic, reproduit ce bruit en frappant de sa tête contre sa mangeoire; et je crois que tic, dans le sens de caprice ou de manie, en est une acception figurée.
Tiqueté, s'est dit d'un corps taché de petits points, imprimés comme au hasard, et semblables aux meurtrissures qui résulteraient de petits coups dont ce mot rappelle le bruit.
Taquer ou Toquer, qui sont des mots populaires, ont été formés d'après cette racine, et le mot tact en est pris avec une grande extension, pour désigner tout ce qui a rapport à l'action du toucher.
Tâter, Tâtonner, à Tâtons, et autres termes de la même famille, n'ont pas une autre origine, et ont été construits, soit dans notre Langue, soit dans celles qui en offrent les équivalens, d'après le son naturel.
TAFFETAS. Il n'y a point de doute sur l'étymologie de ce mot, qui est prise dans le bruit de l'étoffe qu'il désigne. Dixose assi, dit Covarruvias, del ruido que haze el que va vestido della seda, sonando el tiftaf, par la figura onomatopeia. On a même écrit autrefois taffetaf, comme dans ce passage de la grande nef des Fous du monde: Les bourses comme pannetières, les ceintures de taffetaf, etc.
En italien, c'est taffeta, en espagnol taffatan, en grec moderne, taphata. Ménage prétend que taffata se retrouve dans la basse latinité, et Ducange y a vu taffetas et taffetin.
TAMBOUR. Chez les Latins tympanum, et dans la basse latinité tabur, taburcium et tamburlum; en arabe tabal et tambor, en italien et en espagnol tamburro; en allemand trommel, et l'homme qui bat la caisse tambour; en vieux français tabur, thabur, tabor et tabour, d'où taborer et tabourner. Rabelais et Regnier disent tabouriner, et le peuple tambouriner.
Ces mots sont faits du bruit éclatant de la caisse, et en général des bruits très-retentissans.
De la même racine, on avait tiré dans le vieux langage les mots tabut et tambusteis qui signifiaient grand tumulte et bruit assourdissant comme celui de la caisse.
Tarabuster, en est une dérivation figurée.
TAMPON. On appelle tampon ce qui sert à boucher un vaisseau, parce qu'en enfonçant le tampon, on excite un bruit dont ce nom paraît formé.
Les Latins ont dit tappus dans la même signification, les Italiens zaffo, les Anglais et les Allemands tap.
Tape, Taper, qui s'emploient bassement dans notre Langue, viennent du même son naturel.
Se Tapir dans une place étroite, y demeurer en tapinois, c'est s'y tenir caché, serré, et en quelque sorte adhérent comme un tampon.
Tapon, est un mot très-bas qui se dit d'un paquet pressé, contenu, ou tapi dans un petit lieu. C'est aussi un terme de Marine qui signifie un certain bouchon dont on ferme l'ame du canon pour empêcher l'eau d'y pénétrer.
Taupin, est le nom français d'un insecte dont le thorax est armé d'un ressort au moyen duquel il saute sur lui-même avec bruit.
Étoupe, fait du latin stuppa ou du celtique stoup, qui est le topp de Davies, pourrait se rapporter à cette Onomatopée, parce que les tampons sont ordinairement d'étoupes.
TAN. Ce mot désigne une poudre menue d'écorce de chêne, battue dans de gros mortiers, par la force des roues d'un moulin, et avec un bruit qu'il exprime.
TAON. Le vol bruyant du taon était assez bien représenté par ce nom que la nouvelle prononciation a dénaturée. L'Onomatopée s'est conservée dans le langage du peuple qui dit tavon ou tavan. Je ne doute pas que la même aphérèse ne nous ait fait perdre l'effet imitatif du mot paon, formé du pavo des Latins, qui l'était du cri naturel de cet oiseau.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on a dit autrefois tahon, qui se lit dans ces vers de Christian de Troyes:
Ménage fait hanneton de tabanus, qui est le nom latin du taon, par un procédé bien bizarre. De tabanus, tavanus, tavanettus, vanettus, vanetto, vanetonne, nanettone, hanneton. Je crois qu'on peut établir, sans insulter à la mémoire de ce savant laborieux, qu'il n'y a rien de plus ridicule que ces étymologies arbitraires dont la filiation ne repose que sur des intermédiaires factices. Si hanneton n'est pas fait d'alis tonans, c'est peut-être une Onomatopée.
TARABAT. Instrument bruyant qui servait à appeler les Religieux aux Offices nocturnes.
Les Grecs ont dit thorubein, pour, faire du bruit, et thorubos, pour, tumulte ou fracas. Cette curieuse analogie n'a jamais été aperçue.
TARIN. Les Naturalistes pensent que le nom de cet oiseau a été fait d'après son chant; mais la variété de ses modulations a dû déterminer un grand nombre d'Onomatopées. En effet, les Grecs l'ont nommé thraupis, les Allemands zinsle, zeizel, zyséle, zyschen, zeisich, les Polonais csiseck, les Illyriens csisz, et les Anglais siskin. Nous l'appelons vulgairement scenicle, cinit, cerizin.
Tous ces mots, quoiqu'étrangers les uns aux autres, ont une racine naturelle.
TETER. C'est tirer avec la bouche le lait de la mamelle, et cette action produit un bruit dont le mot qui la désigne est emprunté.
Tette, qui n'est plus d'usage, mais dont les équivalens ont la même racine, et qui signifie l'endroit par où les animaux nourrissent leurs petits, s'est dit en grec titthos et titthion; en latin tetta; en allemand titte; en anglo-saxon tit, titt ou tytt; en Langue franque tuito; en anglais teat, et en espagnol teta. On m'assure que le syrien et le chaldéen thad expriment la même idée; et dans la partie de ma préface où j'ai démontré que les premiers rapports de l'enfant et de la mère, c'est-à-dire, l'action de teter, ont eu dans le langage une racine commune avec les premiers rapports de parenté, j'ai fait sur la forme hiéroglyphique, et sur le son imitatif du thêta des Grecs, une observation assez nouvelle que je recommande à l'attention du Lecteur.
TIMBALES. Tabala était, suivant Plutarque dans la vie de Crassus, et suivant Hésichius, un tambour dont se servaient les Parthes. C'est tablon en arabe, tympanon en grec, et tympanum en latin.
Il paraît que cet instrument s'est d'abord appelé timbre, et qu'il en est question sous ce nom dans Perceval et dans ces vers du roman de la Rose:
Timbre, qui signifie, dans son acception actuelle un instrument d'un métal sonore qui retentit sous le marteau, est incontestablement tiré de la même racine.
Timpan, est le nom qu'on a donné à cette partie de l'oreille qui reçoit les impressions de l'air agité, et qui cause le sentiment de l'ouïe, parce qu'elle est comme une espèce de tambour sur lequel les bruits extérieurs viennent agir.
Timpanon, sorte d'instrument de Musique, monté avec des cordes de laiton qui vibrent sous de petites baguettes, présente le type grec sans aucun changement.
On appliquera facilement aux autres expressions de la même famille les observations que je fais sur celles-ci, soit que les objets qu'elles représentent aient été dénommés d'après le bruit qu'ils rendent, soit que leurs qualifications aient été déterminées par de simples analogies, comme cela a lieu dans le verbe timpaniser, qui se dit pour, blâmer hautement, parce que ces sortes de diffamations sont, en quelque manière, divulguées au son du tambour.
TINTEMENT, TINTER. Onomatopées du son de la cloche, qui avaient d'heureux équivalens dans le tinnitus et le tintinnire des Latins. Ils avaient aussi appelé tintinnabulum la petite clochette qui rend un bruit clair et argentin. Catulle a dit, avec peu de goût, ce me semble: auris tintinnat tintinnabulum.
Tintement, ou Tintouin, se disent indistinctement d'un battement importun qui fatigue l'oreille, et qui ressemble au tintement de la cloche. Nicod en explique assez bien l'extension métaphorique. «Tintouin, dit-il, est un nom imité du chifflement qui se fait aux ventricules du cerveau, et cornissant par les oreilles, et vient de tinter; et parce que tel tintouin empêche le repos de la personne, on l'usurpe aussi par métaphore, pour souci rongeant, travail d'esprit et fatigation de l'entendement».
Tintamarre, vient, selon Pasquier, du bruit que font les paysans quand ils frappent sur leur marre, qui est un instrument de labour, pour avertir ceux qui sont éloignés, de quitter leur besogne, et que midi est sonné. Quoi qu'il en soit de cette désinence parasite, il ne peut y avoir de doute sur l'effet imitatif de cette expression et sur le caractère de sa racine, qui est bien évidemment prise dans le son naturel.
TOCSIN. Ce mot vient de toquer, frapper, et de sing, qui signifiait autrefois une cloche. Il en est fait mention en ce sens dans le Pontifical.
En quelques lieux, on appelle encore petit sing les petites cloches. Il y a aussi un vieux proverbe qui dit: on en fait bien les sings sonner, pour dire, on en fait beaucoup de bruit.
Tocsin, est donc composé d'un son naturel et d'un son abstrait, à supposer que sing lui-même ne soit pas une Onomatopée ancienne. Rabelais a écrit toquesing au chapitre 66 du livre IV de Pantagruel.
TONNER, TONNERRE. Ce météore terrible a fourni des Onomatopées à tous les peuples. C'est une des premières catastrophes naturelles qui aient dû frapper l'imagination de l'homme, et il n'est pas étonnant qu'il ait cherché à le représenter par un concours de sons éclatans. Dans notre Langue même où cette imitation est plus imparfaite que dans beaucoup d'autres, on peut remarquer cependant que le nom du tonnerre est formé d'une syllabe très-sonore, alongée d'une terminaison roulante.
Les Celtes ont dit tonitru, les Latins tonitruum, et leur prononciation donnait à ce mot une harmonie sourde et retentissante comme les grondemens de la foudre dans les échos; les Italiens tuono, les Espagnols tronido, les Anglais thunder, et les Allemands donner.
Ajoutons, sans pousser plus loin cette recherche, que les idiomes humains n'ont pu exprimer un bruit de la nature de celui-ci que par des approximations encore bien imparfaites, quoique le son radical des différens noms par lesquels ils l'ont caractérisé, soit le plus grave de tous ceux que peut former la voix. Aussi est-il devenu dans les mots son et ton, le signe général de tous les bruits, de toutes leurs modifications et de tous leurs effets.
TORRENT. Du bruit d'un courant d'eau très-impétueux, effet que l'auteur d'un roman moderne a cherché à rendre dans ce passage, qui ne me paraît pas tout-à-fait dépourvu d'harmonie.
«Après des pluies abondantes, un torrent large et rapide, grossi de tous les ruisseaux et de toutes les ravines, descend du haut de nos montagnes avec le bruit de la foudre, s'élance furieux dans la plaine, la remplit d'épouvante et de désastres, brise, envahit, dévore tout ce qui contrarie son passage; et, chargé d'arbres déracinés, de rocs et de décombres, il roule et se précipite en grondant dans la Salza».
Torrent se dit strumor en Langue gallique, et se trouve ainsi exprimé dans des fragmens d'anciennes poésies, attribuées à Ossian.
* TOURDE. En vieux français tourd. C'est un nom qu'on donne à la grive dans quelques provinces, et que les Étymologistes disent fait par Onomatopée.
Le mot twrdd a désigné en celtique, suivant M. Court de Gébelin, le chant bruyant de certains oiseaux, et, en général, les bruits tumultueux et fatigans.
Étourdir, rompre la tête à quelqu'un à force de criailleries, est construit sur cette racine.
TOURTEREAU, TOURTERELLE. En hébreu thor; dans presque toutes les Langues orientales tur; en latin turtur, prononcé tourtour; en italien tortora, tortorello, tortorella; en espagnol tortola; en anglais turtledove; en allemand turteltaube; en celtique turzunel; en vieux français tourte et tourtre.
Il n'est personne qui ne reconnaisse dans ces expressions des Onomatopées très-heureuses du roucoulement des tourterelles.
TOUSSER, TOUX. Du bruit que l'on fait en toussant.
Le husten des Allemands, et le cough des Anglais, pour être d'une construction différente, n'en sont pas moins des Onomatopées incontestables.
TRACAS, TRACASSER. Ces mots expriment dans leur sens propre un bruit violent et incommode, comme celui des corps qui se fracassent; mais ils diffèrent de cette dernière espèce d'expression et quant au sens et quant à la racine, en ce que l'idée de fracas emporte celle de rupture et de brisement, qui n'est point inhérente à celle-ci.
Nicod prétend fort mal-à-propos, selon moi, que tracas vient de trac ou trace, comme qui dirait aller çà et là, errer par les voies.
Quoique ce terme et ses dérivés ne soient guère d'usage que dans des acceptions figurées, ils sont sensiblement tirés d'un son naturel, et on appelle encore très-bassement dans la Langue du peuple, du nom de tracas, une chaussure lourde et grossière, qui cause un bruit désagréable quand on marche.
On peut remarquer ici un singulier rapprochement; c'est que la dénomination triviale dont je parle a le même rapport avec le mot tracasser que savate son synonyme avec le mot sabat, qui se prend dans notre Langue pour un bruit haut et tumultueux. Sabata se dit en celtique, pour, faire du bruit ou crier à pleine voix. Sabot dériverait de la même racine, et on aurait fait de ce dernier mot, par extension, le nom de l'ongle de certains animaux.
TRANSIR. La racine de ce mot que je choisis au hasard dans sa famille, caractérise un grand nombre de mots analogues, et dont le sens est marqué par le bruit naturel dont ils dérivent.
Les dents serrées convulsivement dans le frémissement du froid, de la fièvre et de la peur, laissent échapper un son dur et roulant dont on a fait transir, engourdir, pénétrer de froid,
Terreur, sentiment de crainte causé par la présence d'un objet épouvantable,
Tremblement, frissonnement véhément et universel,
Trembler, frissonner avec force par tout le corps,
Trembloter, qui en est le diminutif,
Tremble, arbre ainsi nommé, parce que ses feuilles tremblent et s'agitent au moindre vent,
Trémoussement, se trémousser,
Tressaillement, Tressaillir, qui expriment de petites émotions, de faibles mouvemens d'effroi, de surprise ou de joie.
TRANTRAN. Mot factice et populaire qui n'est plus d'usage que dans son acception figurée, c'est-à-dire, pour signifier l'intelligence d'un état, d'un métier, le secret d'un négoce, le cours des affaires de commerce et d'industrie.
Quelques-uns prétendent que ce mot s'est dit proprement du son du cor des chasseurs, sens auquel il est employé dans la vénerie de Dufouilloux, de sorte que ce serait une métaphore tirée de la conduite de la chasse.
D'autres avancent que cette façon de parler vient du bruit des violons qui s'accordent, bruit qu'on peut rendre par trantran; et alors ce serait une métaphore tirée de l'accord et de l'harmonie de la musique.
TRAQUET. Petite soupape qui ouvre et ferme l'ouverture de la trémie, pour laisser tomber ce qu'il faut de grain sous la meule.
TRICTRAC. Jeu dont le nom vient du bruit que font les dames et les dés dont on se sert en jouant. C'est ce bruit que M. Delille exprime admirablement dans ces vers:
Dumarsais croit que ce jeu s'est appelé autrefois tictac, et il est encore désigné de cette manière par les Allemands et les Anglais.
* TRINQUER. Heurter les verres en buvant, ce qui se fait avec un bruit dont le mot trinquer est formé par Onomatopée.
Les Allemands s'en sont emparés, en lui donnant quelque extension, pour représenter l'action de boire elle-même. Ils disent trincken, les Flamands drincken, et les Italiens trincare.
TROMPE, TROMPETTE. Dans la basse latinité trumpa; en italien tromba et trombetta; en anglais trumpet; en allemand trompete.
Il était inutile de chercher l'étymologie du mot trompette dans ces différentes Langues, comme l'a fait Ménage, ou il fallait remonter du moins jusqu'au bruit naturel qui l'a produit, ainsi que ses analogues.
«Trompe, dit le père Labbe, tromper, trompette, trompetter, viennent du son qui se fait ordinairement dans le cor de chasse trom, trom, trom, et non pas de tuba, ni du taratantara du bon Ennius qu'il avait formé sur le son clair et gaillard des clairons et de la doucine».
Trombonne, est le nom italien actuellement francisé d'un instrument que nous avons d'abord nommé trombon.
TROT, TROTTER. Le mot trot représente à l'oreille comme à la pensée l'allure naturelle des chevaux dont on presse le pas. C'est donc avec raison que Pasquier le dérive, par Onomatopée, du bruit que font les animaux en trottant.
De la même racine vinrent le celtique troad qui signifie pied, et le celtique trotta qui signifie trotter.
Je ne sais où M. Court de Gébelin a lu trul, qui se disait pour, aller ou courir çà et là, et dont viendrait le mot populaire trauler.
TURLUT. C'est un oiseau du genre de l'alouette, qu'on a nommé turlut en raison de son chant dont ce mot est l'expression.
Tirelire, est une autre Onomatopée construite pour représenter le même bruit naturel, comme turelure et turelurelu pour imiter le son de la flûte. «Ces termes factices, qui ont bonne grace dans une poésie telle que celle-ci, dit la Monnoye dans son curieux glossaire sur les Noels, seraient insupportables dans un poème sérieux. Virgile n'a eu garde d'employer le taratantara d'Ennius. Un Merlin Coccaïe, un Arena, un Belleau ont eu droit d'exprimer, comme bon leur a semblé, toutes sortes de voix dans leurs macaronées, mais on ne saurait pardonner à Dubartas sa ridicule description du chant de l'alouette, en ces quatre vers du cinquième livre de sa Semaine»:
Il faut dire à l'honneur du siècle de Dubartas que ces vers parurent déjà très-misérables de son temps, car je les lis ainsi corrigés, mais non pas beaucoup meilleurs dans l'édition que je consulte.
C'est cette version qu'Edouard Dumonin a suivie dans sa traduction latine, intitulée Beresithias:
Baptiste Mantouan a cherché à exprimer la même chose dans ce passage de ses poésies, et y a sans doute mieux réussi que ses rivaux, sans recourir au même procédé:
Ronsard a fait usage aussi du mot tire lire dans une piece de ses Gaîtés, intitulée l'Alouette, et c'est peut-être la seule tache qu'il y ait dans ce morceau charmant:
Cet épisode de la fileuse est d'un goût absolument antique, et un des plus gracieux que l'on puisse imaginer. Si Ronsard n'avait jamais fait que de pareils vers, la postérité lui aurait peut-être confirmé jusqu'à un certain point ces titres pompeux de Prince des Poètes, et d'Apollon de la source des Muses, qu'on lui a donnés de son temps.
* VAGIR, VAGISSEMENT. Ces mots expriment le cri des enfans qui viennent de naître, et notre Langue a récemment admis le substantif vagissement sur les réclamations de Voltaire. «C'est une disette insupportable, écrivait-il, d'appeler des choses si différentes du même nom. Le mot vagissement, dérivé du latin vagitus, aurait très-bien exprimé le cri des enfans au berceau.
»Dumarsais, observe un autre Littérateur, a fait tout ce qu'il a pu pour faire prendre ce mot, et n'a point réussi. C'est le cas de le reproduire, et de faire voir qu'il est aussi naturel et aussi utile que mugissement. Le cri d'un enfant au berceau est, à coup sûr, une bien longue périphrase».
Le verbe vagir, qui est fait du substantif, comme de mugissement et rugissement sont faits mugir et rugir, et dont la construction est, par conséquent, très-conforme à l'esprit de notre Langue, n'est sans doute pas à dédaigner. Un étranger qui a donné quelques volumes à la Littérature française, a dit quelque part: «Si Dieu m'offrait le privilége de la rétrogradation jusqu'à mon enfance, et de vagir une seconde fois dans le berceau, je refuserais ses offres».
Vagues, est le nom qu'on donne aux eaux agitées et mugissantes, parce que le bruit qui s'en élève ressemble à un long vagissement. En allemand wage, woge; en gothique wego; en anglo-saxon waeg; en islandais vag.
VIOLON. Je crois devoir rapporter à propos de ce mot les raisons ingénieuses qu'emploie M. Court de Gébelin pour en faire remonter l'origine au son naturel. «Le mot violon, dit-il, désigne un instrument à cordes qu'on fait résonner avec un archet. Mais quelle est l'origine de ce nom? Elle se perd dans la nuit des temps pour tous les Étymologistes; car, dire avec eux qu'il vient de l'espagnol biolone, ce serait tout au plus supposer que cet instrument nous vînt par l'Espagne, ce qui serait, peut-être, difficile à prouver.
»Ce nom tient à ceux de quelques autres instrumens appelés viole, basse de viole, violoncelle, etc.
»Si jamais nom dut être formé par Onomatopée, n'est-ce pas celui d'un instrument de musique? Ils ont un son à eux, un son déterminé et constant, un son propre à les distinguer de tout autre. Ce son dut devenir leur nom dès l'origine; et, quoique naturelle, on dut perdre à jamais cette origine de vue, dès qu'on eut perdu de vue les origines de la Langue qu'on parlait, et les révolutions de la nation dont on faisait partie.
»Les instrumens bruyans, tels que le tambour, le tympanon, et la tymbale, portent des noms parfaitement imitatifs: en les nommant, on peint le coup qui les fait retentir.
»Dans les instrumens à cordes, on avait à peindre des sons d'une toute autre espèce, des sons aigus et sifflans, grêles en quelque sorte; on eut donc recours, pour les peindre, à la voyelle i, dont le son grêle, aigu et sifflant se met si bien à l'unisson de ces instrumens, et qui, associée au son o, sert également à peindre cette joie et cette gaîté qu'accompagne et qu'inspire dans les fêtes le son des instrumens. On dit donc viole, violon par le même sentiment qu'on disait ioh! ioh! et qu'on fit en iol et en jol les mots celtes, theutons, basques, etc. qui peignent la joie et le plaisir.
»C'est de ce mot que les Latins firent également celui de fides, qui désigna les instrumens à cordes, et qui forma le diminutif fidicula, petit instrument à cordes; tandis qu'en le prononçant en v, ils en firent vitula, 1o. la déesse de la joie; 2o. en latin barbare, cet instrument dont nous avons altéré le nom en celui de vielle.
»Ils en firent encore
»Vitulari, se réjouir, folâtrer,
»Vitellianæ, tablettes sur lesquelles on écrivait des choses gaies».
VÎTE, VÎTESSE. Le mot vîte est peut-être l'imitation du souffle, accéléré par la promptitude de la marche.
Les Latins n'en auraient-ils pas fait festinare, se hâter? En anglo-saxon, hwato signifie alerte, prompt, et hwetan, exciter, animer.
ZESTE. C'est une zône très-mince qu'on enlève de la peau d'une orange, en glissant vivement contre sa superficie le tranchant d'un couteau. Le petit bruit qui en résulte a motivé cette dénomination qu'on a étendue depuis à d'autres acceptions, tant propres que figurées.
ZIGZAG. Ce sont, suivant Ménage, des tringlettes croisées en losange les unes sur les autres, qui se resserrent et s'alongent, et dont on se sert pour faire tenir des lettres ou autre chose dans des lieux élevés.
Poisson a composé une petite comédie intitulée le Zigzag, où Octave donne une lettre à Isabelle, qui était à la fenêtre d'un logis.
Ménage reconnaît que ce mot a été fait par Onomatopée.
FIN.
[1] Comme il était de mon intention de donner dans le cours de cet ouvrage quelques exemples de l'extension des sons radicaux et des racines imitatives dans la désignation des êtres qui, comme je l'ai dit, n'ont point de formes propres et de bruits particuliers, et de prouver qu'aucune expression n'a été formée sans motif, et que les termes qui ont caractérisé les sensations premières, ont dû devenir allusivement le signe des sensations analogues; comme le son radical sag qui est une des anciennes Onomatopées du bruit de la flèche, est d'ailleurs un des plus curieux que je connaisse dans les modes qu'il a subis, je vais suivre ses différentes dérivations dans la Langue latine seulement, pour ne pas charger cette note d'un appareil inutile d'érudition.
Racine, SAG. Sens propre, une flèche.
Les Latins en ont fait SAG–itta, et immédiatement, par le procédé comparatif, ce nom est devenu commun à une plante dont il est question dans Pline, et qui ressemble à une flèche, au bout d'un rejeton de vigne qui a la forme d'une flèche barbelée, et à une constellation composée de cinq étoiles qui représente une flèche.
Sens dérivé.
SAG–ittarius a signifié un homme qui lance des flèches, et ensuite un signe du Zodiaque. Puis par une extension commune dans les Langues, on a nommé SAG–ittarius, une monnaie de Perse qui avait un SAG–ittaire pour empreinte.
SAG–ittifer a été le nom du porc épic, parce que les pointes dont il est couvert ont quelque ressemblance avec des flèches.
Jusqu'ici l'opération de l'esprit est simple et sans complication.
Sens relatif.
L'imagination commence à saisir des rapports plus éloignés, mais elle n'a point encore perdu de vue le sens propre.
SAG–aris signifie d'abord un faisceau de flèches, un carquois; il se dit bientôt d'une hache d'armes.
SAG–ma exprime en premier lieu ce qui sert à cacher la pointe de la flèche, à la garantir en temps de paix. Ensuite, il se dit généralement d'un fourreau, et finalement de la selle d'un homme d'armes où les flèches sont fixées.
SAG–men est pris dans un sens plus hardiment figuré, quoiqu'il appartienne encore au sens primitif. On appelle ainsi la verveine par opposition ou contre vérité, parce que les Ambassadeurs proposant la paix ou la guerre, portaient dans leurs mains une verveine et une flèche.
SAG–a signifie premièrement les armes d'un soldat. Ire ad SAG–a, c'est s'emparer de ses javelots et de ses flèches. On en fait SAG–um ou SAG–ulum qui est l'habit d'un soldat en guerre.
Une fois que ce pas est fait, on va beaucoup plus loin. On appelle SAC–itza le pillage d'une ville, l'extermination de ses habitans, parce que les vainqueurs les renversent à coups de flèches, et notre Langue en emprunte les mots SAC et SAC–cager qui conservent encore toute la racine, avec une simple modification de la gutturale g, prononcée sur une touche plus éclatante.
Enfin, il suffit de nazaler cette racine SAG, pour en former SANG–uis, qui s'emploie par une extension du même genre, parce que le sang coule sous les flèches.
N. B. En vieux français, sache a signifié un fourreau, sacher, tirer du fourreau, et ensuite, poursuivre le gibier et le renverser sous les flèches, d'où il semble que chasser a été fait par métathèse.
Sens figuré ou métaphorique.
Ici l'esprit de l'homme s'élance hardiment à des objets très-éloignés, pour peu qu'il y puisse saisir quelque affinité avec le sens originaire du mot inventé.
Une erreur populaire lui persuade qu'une espèce de pierre précieuse attire le bois comme l'aimant attire le fer, et que le bois y vole avec la rapidité de la flèche. Il nomme cette pierre SAG–da.
Il a observé que la flèche, en s'enfonçant dans un corps dur, y frémit long-temps encore. Il appelle SAG–acio, id est, SAG–ittæ actio, tous les genres de palpitation et de tremblement.
Il essaye de trouver un objet de comparaison à l'action de regarder. Le regard parcourt l'espace avec la vîtesse de la flèche, et le son radical SAG devient le nom du regard dans presque toutes les Langues de l'Orient. Les Latins cependant ne se servent point de cette racine à ce dernier usage; mais ils le méconnaissent si peu, qu'ils s'enrichissent de ses dérivations au sens abstrait.
Sens abstrait.
SAG–ire, c'est avoir de la pénétration, du discernement, saisir des yeux de l'esprit.
SAG–ax, c'est un homme pénétrant, un homme dont le regard sûr discerne la vérité.
Sens hyperbolique.
Le dernier terme de cette gradation est si étranger à son type, qu'il serait impossible d'en reconnaître l'origine, si on n'y pouvait remonter, comme nous le faisons, par une succession très-naturelle de sensations et de jugemens. Le sens abstrait s'étendant à des significations nouvelles, ce n'est plus au SAG–e, à l'esprit délicat et subtil qui saisit les choses dès le premier abord, avec une extrême justesse, que doit s'arrêter cette série d'idées que nous venons d'exposer; son regard plus prompt, plus sûr, plus pénétrant encore, perce tous les obstacles. Son esprit s'élève au-dessus de toutes les conceptions ordinaires; il domine, il explique l'avenir,
C'est le devin que les Latins ont appelé SAG–us, la magicienne, l'enchanteresse dont ils ont fait SAG–a, SAG–ana.
Præ–SAG–ire, c'est voir hors du présent, c'est anticiper par la pensée sur les événemens futurs.
Præ–SAG–ium, c'est le pressentiment, le pronostic.
Præ–SAG–us, c'est le sorcier, l'augure, l'homme inspiré, termes dont on a complété le sens par la petite préposition præ, au-devant, au-delà.
Il reste à s'assurer que les autres mots de la Langue naturelle donneront une pareille filiation, et c'est ce que chacun peut reconnaître dans ses études particulières, soit qu'il se contente, ainsi qu'on l'a fait ici, de pousser ses recherches dans une Langue seulement, soit qu'il veuille les étendre à toutes, ce qui n'est pas plus difficile.
[2] Une figure nouvelle est pleine de charme, parce qu'elle donne à l'idée un point de vue nouveau. Une figure rebattue, devenue lieu commun, n'est plus que le froid équivalent du sens propre. On doit donc éviter de prodiguer les figures dans une Langue usée. Elles ne présentent plus qu'un faste insipide de paroles et de tours. Le style purement descriptif sera dès-lors préférable au style figuré, parce que le sens figuré avait fait oublier quelque temps le sens propre, et que celui-ci paraît nouveau. L'aurore aux doigts de roses, qui ouvre les barrières du matin, et dont les pleurs roulent en perles humides sur toutes les fleurs, offre sans doute une image heureuse et brillante; mais on produira beaucoup plus d'effet aujourd'hui en peignant le soleil à son lever, rougissant d'une lueur encore incertaine le sommet des hautes montagnes, les vapeurs de la plaine qui se dissipent, les contours de l'horizon qui se dessinent sur le ciel éclairci, et les fleurs qui se penchent sous le poids de la rosée.
[3] C'est l'opinion de M. de Roujoux. Dom Lepelletier écrit coric qui signifie petit nain. On pourrait penser que gawric est fait de gawr dans son sens le plus ordinaire, élevé, supérieur, et désigne très-bien alors les intelligences secondaires, les génies et les fées, Gawric, petite puissance, ou bien il est tiré de gour ou gwr qui s'est dit pour, homme, et signifie alors avec le diminutif un petit homme, un nain, comme on représentait les êtres surnaturels dont il s'agit.
[4] Il y en a beaucoup d'exemples dans le latin.
Il serait sans doute ridicule d'avancer que la construction de ces mots compliqués n'a eu d'autre base que l'initiale. Rien n'est plus facile que de remonter à leurs racines naturelles, desquelles disparaîtrait cette lettre, qu'on peut regarder comme très-moderne relativement aux temps et au langage primitifs. Mais il serait plus absurde de dire qu'elle a été attachée à ces expressions sans motif, et je pose en principe que le motif qui en a déterminé l'emploi, c'est son caractère, son esprit, l'idée d'avidité qu'elle réveille toutes les fois qu'on l'aspire. Les caprices de la prononciation et de l'écriture ont pu la transporter dans d'autres mots auxquels elle n'a point donné ce sens; mais ces mots seront en très-petite quantité, et les exceptions ne prouvent pas plus ici qu'ailleurs.
[5] Comme le son caractéristique de cette expression est un des plus communs et des plus intéressans de la nature, puisqu'il sert à exprimer le bruit des corps dans leur mode de déplacement le plus ordinaire, je le prendrai pour exemple de ces grandes générations de mots que je n'ai fait qu'indiquer à d'autres articles, et qui auraient surchargé cet ouvrage de trop de détails inutiles. C'est M. Court de Gébelin qui me fournira le tableau des termes dont celui-ci est le type.
Rouage, Rouer.
Rouet, instrument à roue.
Rouelle, tranche coupée en rond.
Rotule, en latin rotula, os cartilagineux, large et rond qui forme le mouvement du genou.
Rotateur, muscle circulaire qui sert à mouvoir l'œil.
Rote, en latin rota, tribunal de la cour de Rome, dont la salle est pavée de carreaux qui représentent des roues.
Roder, aller çà et là en faisant des tours et des détours.
Rodeur.
Rouler, 1o. se mouvoir en rond; 2o. plier en rond: au figuré, considérer, méditer.
Roulant.
Rouleau, chose faite ou tournée en rond.
Roulement, bruit d'une chose qui roule, mouvement en rond.
Roulade, roulement de la voix.
Roulage, action de rouler, facilité de rouler.
Roulier, voiturier de marchandises.
Roulette, petite roue.
Roulis, agitation d'un vaisseau que le vent fait rouler sur les flots.
Roulon, pièce de bois travaillée en rond.
Rôle, autrefois Roole, du latin barbare rotulum, 1o. registre qu'on roule en long, comme les anciens manuscrits; 2o. ce que chaque acteur doit faire ou réciter dans la représentation d'une pièce de théâtre: chaque acteur a son rouleau, son rôle à part pour l'apprendre et pour le jouer; 3o. manière dont chaque homme représente dans le monde; 4o. feuille d'écriture en termes de pratique.
Rôler, écrire des rôles.
Enrôler, en Anjou, Enrotuler, coucher sur les registres, enregistrer dans le catalogue de ceux qui forment le corps où l'on se réunit.
Enrôlement, Enrôleur.
Rotonde, bâtiment en rond.
Rotondité, qualité d'un corps rond.
Rond, en latin rotundus, tout ce qui est en cercle; au figuré, qui va rondement.
Rondeur, figure ronde.
Rondelet, un peu rond.
Rondin, bâton rond.
Rondiner, en vieux français, donner des coups de rondin, de bâton.
Rondache, Rondelle, en vieux français, boucliers ronds.
Rondeau, petit poème composé de couplets finissant par les mêmes mots qui commencent le poème.
Ronde, inspection qu'on fait en parcourant une enceinte.
A la ronde, tout autour.
Rondement, en rond; au figuré, franchement.
Arrondir, donner une forme ronde.
Arrondissement.
Route, chemin.
Routier, 1o. qui connaît les routes, expérimenté; 2o. livre de routes.
Routine, habitude, connaissance acquise par la pratique seule; chemin battu.
Routinier, qui n'a que la routine.
Dérouter, faire perdre à quelqu'un la route, etc.
Cette racine me suggère d'ailleurs une réflexion qui vient à l'appui de ma théorie de l'extension des sons naturels, dans la qualification des êtres insonores. Nous avons vu se composer d'un son radical qui est le signe du mouvement, et qui s'opère lui-même par le roulement de la langue sur le palais, deux familles de mots distincts, dont l'une appartient à une idée de mouvement, et l'autre à une idée de forme. Il n'était pas difficile de reconnaître le point de contact de ces deux familles, et nous avons compris que le signe des bruits qui résultent d'un mouvement circulaire, avait dû devenir dans le langage, l'indicateur des formes rondes. Mais si le rapport des mouvemens et des formes semble d'abord assez naturel pour expliquer la ressemblance des expressions qui les caractérisent, il est également vrai que la nature a établi de frappantes harmonies entre ces deux premières sortes de sensations et celles des couleurs. Le langage figuré nous en offre assez de preuves. Nous avons dit, entr'autres exemples, de sombres gémissemens, et des lueurs éclatantes. La première de ces tournures présente une idée de bruit, spécifiée par une circonstance tirée de l'ordre des couleurs, et la seconde, une idée de couleur déterminée par une épithète qui appartient à l'idée du bruit. Le fameux aveugle-né Saunderson, après avoir cherché long-temps à se faire un sentiment juste des couleurs, finit par comparer la couleur rouge au son de la trompette; et il y a peu d'années que l'intéressant sourd-muet Massieu, interrogé sur l'opinion qu'il se formait des bruits, et celui de la trompette en particulier, le compara sans hésiter à la couleur rouge.
S'il y a de l'harmonie entre ces effets, pourquoi ces effets n'auraient-ils pas été exprimés par des sons de la même espèce?
Le mot rouge et ses dérivés sont donc, selon moi, des Onomatopées construites par extension du son radical du roulement. En vieux français, ro s'est dit pour rouge, et roe pour roue. Toutes les Langues fourniraient de pareils rapports.
M. Bernardin de Saint-Pierre a reconnu l'harmonie du mouvement circulaire, de la forme ronde, et de la couleur rouge. Il se plaît même à étayer ce rapprochement ingénieux des observations les plus agréables; et s'il a négligé de prouver que les mots qui désignent chez la plupart des peuples ce mouvement, cette forme et cette couleur, ont une racine commune, c'est sans doute parce que cette espèce de démonstration empruntée des froides études de la Grammaire, lui a paru trop sèche pour une matière si élégante et si poétique.
[6] Le mot fixer n'est point français dans le sens de regarder fixement, d'attacher un regard fixe sur une personne ou sur une chose; mais c'est une de ces expressions que l'usage devrait avoir consacrées. Ce verbe offre une des figures les plus énergiques, une des hyperboles les plus éloquentes de la Langue; c'est non-seulement saisir l'objet sur lequel nous portons la vue, c'est encore l'arrêter, le rendre immobile, nous l'approprier, nous l'identifier par le seul effet de nos regards, habere in oculis, disaient tout aussi hardiment les Latins.
Jean-Jacques Rousseau, Duclos, Rivarol, madame de Genlis l'ont fréquemment employé. M. de Châteaubriand, tout en le condamnant dans un autre, l'avait laissé échapper deux fois dans la première édition du Génie du Christianisme; et les termes qu'il y a substitués depuis, sont bien loin de racheter le sacrifice que cet Ecrivain a cru devoir en faire à la correction. Il lui appartenait, il appartient à quelques hommes qui doivent à leurs talens le privilége de donner aux mots le droit de cité, d'accueillir celui-ci dont rien ne nous offre l'équivalent: je le recommande aux Lexicographes.
Il n'est guères possible, au reste, de parler de la formation des mots dans les Langues premières, sans être obligé de s'arrêter un moment à ce qu'on appelle la néologie ou création des mots nouveaux. Cette néologie est une des choses dont on a parlé le plus diversement, et dont on peut effectivement porter les jugemens les plus opposés. Elle est à la fois le génie protecteur et le fléau des Langues; elle les enrichit et les dénature. Par elle, tout se dégrade, tout se confond; et sans elle, l'imagination asservie se traîne impatiemment dans ses lisières.
Il est certain que tous les mots ayant été formés pour exprimer la pensée prise sous certain aspect, ou l'être pris dans certaine qualité, et que rien n'étant plus mobile que les aspects de la pensée et plus varié que les qualités de l'être, il n'y a pas un seul homme qui n'ait souvent besoin, pour rendre sa sensation avec justesse, d'improviser une expression qui la peigne. Otez cette ressource à l'esprit, et vous détruisez tout ce qui reste de poésie dans vos Langues. Vous condamnez Racine à parler le patois de Jodelle, et à quelqu'époque même que la Langue soit prise, vous donnez d'injustes entraves à la pensée, car les idées se succèdent sans cesse en variant leur ordre et leurs rapports. Si j'ai vu ce qui n'a point été aperçu jusqu'à moi, si j'ai découvert entre des choses connues un rapport frappant et cependant nouveau, ce qui est le propre d'une organisation poétique, le tour et le mot dont j'ai besoin n'ont pas pu être prévus. Il faut donc que j'imite l'homme primitif dans ses essais, et que je crée un signe pour ma perception; ou bien si vous me forcez à n'employer que des signes déjà convenus, il faut que je délaye une idée forte et ingénieuse dans une périphrase languissante.
D'un autre côté, la néologie sera d'un plus grand secours à ces Ecrivains sans talens, qui, incapables de saisir des effets nouveaux, parviennent cependant à faire croire au vulgaire qu'ils y ont réussi, en revêtant d'un tour audacieux et d'une expression inusitée des idées communes et souvent triviales et populaires. De là ces locutions barbares, ces mots bizarrement composés, ces néologismes intolérables qui frappent l'esprit sans l'instruire, et que la manie des nouveautés perpétue quelquefois dans le langage qu'ils finissent par corrompre.
Il y a donc beaucoup de choses à observer dans l'admission des mots nouveaux: qu'ils soient indispensables, que leur construction ne soit point étrangère à l'esprit de la Langue, qu'elle rappelle distinctement leur racine, que des Ecrivains estimés en aient fait usage.
Au reste, je regarderais un dictionnaire des mots à admettre dans la Langue comme une entreprise peu philosophique et mal mesurée. Les mots, interprètes de la pensée, doivent s'élancer avec elle, et c'est dans la chaleur d'une conception rapide qu'un néologisme heureux se fait pardonner. L'invention ne procède point par ordre alphabétique; mais ce serait peut-être un livre assez curieux que celui qui réunirait les expressions vives, caractéristiques et originales qui sont propres à un seul Ecrivain, qui n'ont point été mises en œuvre depuis lui, ou qui l'ont été rarement, et qui ne se sont point conservées dans les vocabulaires. On en tirerait beaucoup de ce genre des écrits de Cicéron, de Sénèque, de Rabelais, de Montaigne, de Sterne, de Milton, de Schiller, du Dante et d'Alfieri.
On a conservé à l'identique l'orthographe de l'original, y compris ses variantes (par exemple ame/âme, poète/poëte, etc.), à l'exception des coquilles manifestes (ex. qni au lieu de qui) qui ont été corrigées.