The Project Gutenberg eBook of De la démonialité des animaux incubes et succubes

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Title: De la démonialité des animaux incubes et succubes

Author: Ludovico Maria Sinistrari

Translator: Isidore Liseux

Release date: September 10, 2013 [eBook #43686]

Language: French, Latin

Credits: Produced by Laurent Vogel, Ian Swainson and the Online
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DE LA DÉMONIALITÉ DES ANIMAUX INCUBES ET SUCCUBES ***

Book cover

DE LA
DÉMONIALITÉ

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DE LA
Démonialité
ET DES ANIMAUX
INCUBES ET SUCCUBES

où l'on prouve qu'il existe sur terre des créatures
raisonnables autres que l'homme, ayant comme lui
un corps et une âme, naissant et mourant comme
lui, rachetées par N. S. Jésus-Christ et capables
de salut ou de damnation,

Par le R. P.
Louis Marie SINISTRARI d'Ameno
de l'Ordre des Mineurs Réformés de l'étroite Observance
de Saint-François (XVIIe siècle)

Publié d'après le Manuscrit original découvert
à Londres en 1872 et traduit du Latin par

ISIDORE LISEUX
SECONDE ÉDITION

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PARIS
Isidore LISEUX, 5, Rue Scribe
1876

La première édition de cet ouvrage, publiée il y a quelques mois à peine, est aujourd'hui épuisée.

En le réimprimant, l'Éditeur est heureux de pouvoir remercier les lecteurs d'élite qui ont si favorablement accueilli, dès son apparition, le chef-d'œuvre du Père Sinistrari. Comme il fallait s'y attendre, une bonne part de ces remercîments revient au Clergé catholique: avec leur perspicacité habituelle, les Ecclésiastiques réguliers et séculiers ont compris ce qu'un tel livre ajoutait d'éclat à l'enseignement de l'Église Romaine; leur concours seul devait suffire pour en assurer le succès.

Mais ce qui a le plus touché l'Éditeur, il l'avoue ingénument, c'est le témoignage tout spontané de satisfaction qui lui a été adressé par l'un des supérieurs de l'Ordre même auquel appartenait son auteur, par le R. P. Provincial des Capucins pour la province de P..... On trouvera à la fin du volume la lettre du Révérend Père A.....: elle est de nature à éclairer les personnes défiantes qui, ne voulant croire à la sincérité de cette publication, avaient osé formuler leurs soupçons par le vilain mot de «facétie bibliographique». Ces hommes de peu de foi sont excusables peut-être de ne pas pousser le Christianisme jusqu'à dire avec Saint Augustin, Credo quia absurdum: ils devraient au moins ne pas se montrer plus incrédules que la sagesse payenne, et observer avec Horace qu'il ne faut s'étonner de rien, nil admirari.

Mai 1876.

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AVANT-PROPOS

DE LA PREMIÈRE ÉDITION (Paris, 1875)


J

J'étais à Londres en l'année 1872, et j'y bouquinais,

Car que faire là-bas, à moins qu'on ne bouquine?

Les vieux livres me faisaient vivre dans les âges passés, heureux d'échapper au présent, d'échanger les petites passions du jour contre la tranquille intimité des Alde, des Dolet ou des Estienne.

Un de mes libraires favoris était M. Allen, respectable vieillard, établi dans l'Euston Road, presque à la porte de Regent's Park. Non que sa boutique fût particulièrement riche en bouquins poudreux: au contraire, elle était fort petite, et cependant jamais remplie. A peine quatre ou cinq cents volumes à la fois, bien époussetés, bien luisants, rangés avec symétrie sur des rayons à portée de la main; ceux du haut restaient vides. A droite, la Théologie; à gauche, les Classiques Grecs et Latins, en majorité, avec quelques livres Français et Italiens; car telles étaient les spécialités de M. Allen: on eût dit qu'il ignorait absolument Shakespeare et Byron, et que la littérature de sa nation n'allait pas pour lui au delà des sermons de Blair ou de Macculloch.

Ce qui, au premier coup d'œil, frappait dans ces livres, c'était la modicité de leur prix, comparée à leur excellent état de conservation. Évidemment ils n'avaient pas été achetés au tas, au mètre cube, comme les rebuts des ventes publiques, et pourtant les plus beaux, les plus anciens, les plus vénérables par leur format, in-folio ou in-quarto, n'étaient pas cotés plus de 2 à 3 shillings; les in-octavo se vendaient 1 shilling, les in-douze six pence: chacun suivant sa taille. Ainsi le décidait M. Allen, homme méthodique s'il en fut, et bien il s'en trouvait, car sa clientèle de clergymen, de scholars et de collectors lui restant fidèle, son stock se renouvelait avec une rapidité que des spéculateurs plus prétentieux eussent peut-être enviée.

Mais comment se procurait-il ces volumes bien reliés et bien conservés, qui, partout ailleurs, eussent été cotés cinq ou six fois plus cher? Ici, encore, M. Allen avait sa méthode, sûre et régulière. Personne ne suivait plus assidûment que lui les ventes publiques qui se font chaque jour à Londres: sa place était marquée au bas du pupitre de l'auctioneer. Les livres les plus rares, les plus précieux, passaient devant lui, disputés à des prix souvent fabuleux par les Quaritch, les Sotheran, les Pickering, les Toovey, et autres bibliopoles de la capitale Britannique; M. Allen souriait de ces folies: une fois l'enchère mise par tout autre, il n'eût pas ajouté un penny, se fût-il agi d'un Gutenberg inconnu ou du Boccace de Valdarfer. Mais si de temps à autre, soit distraction, soit lassitude, la concurrence des acheteurs faiblissait (habent sua fata libelli), M. Allen était là: six pence! murmurait-il, et parfois l'article lui restait; parfois même, deux numéros consécutifs, réunis faute de trouver acheteur isolément, lui étaient adjugés, toujours pour ce minimum de six pence, qui était, à lui, son maximum.

Beaucoup de ces dédaignés méritaient sans doute leur sort; mais il pouvait s'en glisser dans le nombre qui n'étaient pas indignes des honneurs du catalogue, et que, à tout autre moment, des acheteurs plus attentifs ou moins capricieux eussent peut-être couverts d'or. Ceci, toutefois, n'entrait pour rien dans les calculs de M. Allen: la seule règle de son estimation, c'était le format.

Or, un jour qu'à la suite d'une vente publique considérable, il avait exhibé dans sa boutique des achats plus nombreux que d'ordinaire, je remarquai spécialement quelques Manuscrits en langue Latine, dont le papier, l'écriture, la reliure, dénotaient une origine Italienne, et qui pouvaient avoir deux cents ans d'existence. L'un avait pour titre, je crois: De Venenis, un autre: De Viperis, un troisième (c'est le présent ouvrage): De Dæmonialitate, et Incubis, et Succubis. Tous trois, d'ailleurs, d'auteurs différents, et indépendants l'un de l'autre. Poisons, vipères, démons, que d'horreurs réunies! pourtant, ne fût-ce que par politesse, il fallait acheter quelque chose; après un peu d'hésitation, ce fut le dernier que je choisis: Démons il est vrai, mais Incubes, mais Succubes, le sujet n'est pas vulgaire, et moins vulgaire encore était la façon dont il me semblait traité. Bref, j'eus le volume pour six pence (63 centimes), un prix de faveur pour un in-quarto: M. Allen jugeait sans doute ce gribouillage au-dessous du tarif de la lettre moulée.

Ce manuscrit, en papier fort du XVIIe siècle, relié en parchemin d'Italie, et d'une conservation parfaite, a 86 pages de texte. Le titre et la première page sont de la main de l'auteur, une écriture de vieillard; le reste est fort nettement écrit par une autre main, mais sous sa direction, comme en témoignent des additions et rectifications autographes répandues dans tout le corps de l'ouvrage. C'est donc bien le Manuscrit original, selon toute apparence unique et inédit.

Notre bouquiniste avait fait cette acquisition quelques jours auparavant à la salle Sotheby, où avait eu lieu (du 6 au 16 Décembre 1871) la vente des livres du baron Seymour Kirkup, collectionneur Anglais, mort à Florence. Le Manuscrit était ainsi indiqué dans le Catalogue de la vente:

No 145. Ameno (R. P. Ludovicus Maria [Cotta] de). De Dæmonialitate, et Incubis, et Succubis, Manuscript. Sæc. XVII–XVIII.

Quel est cet écrivain? a-t-il laissé des ouvrages imprimés? c'est une question que j'abandonne aux bibliographes, car, malgré de nombreuses recherches dans les Dictionnaires spéciaux, je n'ai rien pu apprendre à cet égard. Brunet (Manuel du libraire, art. Cotta d'Ameno) soupçonne vaguement son existence, mais il le confond avec son homonyme, et sans doute aussi son compatriote, Lazaro Agostino Cotta d'Ameno, avocat et littérateur Novarais. «L'auteur», dit-il, «dont, à ce qu'il paraît, les véritables prénoms seraient Ludovico-Maria, a écrit plusieurs ouvrages sérieux...» L'erreur est évidente. Ce qui est certain, c'est que notre auteur vivait dans les dernières années du XVIIe siècle, comme il résulte de son propre témoignage, et qu'il avait professé la théologie à Pavie.

Quoi qu'il en soit, son livre m'a paru très-intéressant à divers points de vue, et je le donne en toute confiance à ce public choisi, pour qui le monde invisible n'est pas une chimère. Je serais fort étonné qu'après l'avoir ouvert à une page quelconque, on ne fût pas tenté de revenir sur ses pas et d'aller jusqu'au bout. Le philosophe, le confesseur, le médecin, y trouveront, avec la foi robuste du Moyen-âge, des aperçus neufs et ingénieux; le lettré, le curieux apprécieront la solidité du raisonnement, la clarté du style, la gaîté des récits (car il y a des historiettes, et finement contées). Tous les théologiens ont consacré plus ou moins de pages à la question des rapports matériels de l'homme avec le démon; de gros volumes ont été écrits sur la sorcellerie, et le mérite de ce travail serait assez mince s'il se bornait à développer la thèse ordinaire; mais tel n'est pas son caractère. Le fond de l'ouvrage, ce qui lui donne un cachet vraiment original et philosophique, c'est la démonstration toute nouvelle de l'existence des Incubes et des Succubes en tant qu'animaux raisonnables, corporels à la fois et spirituels comme nous, vivant au milieu de nous, naissant et mourant comme nous, comme nous enfin rachetés par les mérites de Jésus-Christ et capables de salut ou de damnation. Pour le Père d'Ameno, ces créatures douées de sens et de raison, entièrement distinctes des Anges ou des Démons purs esprits, ne sont autres que les Faunes, les Sylvains, les Satyres du paganisme, continués par nos Sylphes, nos Lutins, nos Follets; et ainsi se trouve renouée la chaîne des croyances. A ce titre seulement, et sans parler de l'intérêt des détails, ce livre appellerait l'attention des lecteurs sérieux: je suis persuadé qu'elle ne lui fera pas défaut.

I. L.

Mai 1875.


L'Avertissement qui précède était composé à l'imprimerie et prêt à mettre sous presse, lorsque, en me promenant sur les quais, je rencontrai par hasard un exemplaire de l'Index librorum prohibitorum. Machinalement je l'ouvris, et la première chose qui me tomba sous les yeux fut l'article suivant:

de Ameno Ludovicus Maria. Vide Sinistrari.

Mon cœur battait très-fort, je l'avoue. Étais-je enfin sur la trace de mon auteur? était-ce la Démonialité que j'allais voir clouée au pilori de l'Index? Je courus aux dernières pages du redoutable volume, et je lus:

Sinistrari (Ludovicus Maria) de Ameno, De Delictis et Pœnis Tractatus absolutissimus. Donec corrigatur. Decr. 4 Martii 1709.

Correctus autem juxta editionem Romanam anni 1753 permittitur.

C'était bien lui. Le vrai nom du Père d'Ameno était Sinistrari, et je possédais le titre d'un au moins de ces «ouvrages sérieux» auxquels le bibliographe Brunet faisait allusion. Ce titre même, De Delictis et Pœnis, n'était pas sans rapport avec celui de mon Manuscrit, et j'avais lieu de supposer que la Démonialité était au nombre des délits examinés et jugés par le Père Sinistrari: en d'autres termes, ce manuscrit, en apparence inédit, se trouvait peut-être publié dans le volumineux ouvrage qui m'était révélé; peut-être encore était-ce à cette monographie de la Démonialité que le Tractatus de Delictis et Pœnis devait sa condamnation par la Congrégation de l'Index. Tous ces points étaient à vérifier.

Mais il faut avoir tenté des investigations de ce genre pour en connaître les difficultés. J'interrogeai les Catalogues de livres anciens qui me tombèrent sous la main; je fouillai les arrière-boutiques des bouquinistes, des antiquaires, comme on dit en Allemagne, m'adressant particulièrement aux deux ou trois maisons qui exploitent à Paris la vieille Théologie; j'écrivis aux principaux libraires de Londres, de Milan, de Florence, de Rome, de Naples: le tout sans résultat; le nom même du P. Sinistrari d'Ameno semblait inconnu. J'aurais dû sans doute commencer par une enquête à notre Bibliothèque Nationale; force me fut d'y recourir, et là du moins j'eus un commencement de satisfaction. On me présenta deux ouvrages de mon auteur: un in-4o de 1704, De Incorrigibilium expulsione ab Ordinibus Regularibus, et le premier tome d'une collection de ses Œuvres complètes: R. P. Ludovici Mariæ Sinistrari de Ameno Opera omnia (Romæ, in domo Caroli Giannini, 1753–1754, 3 vol. in-folio). Malheureusement ce premier tome ne contenait que la Practica Criminalis Minorum illustrata: le De Delictis et Pœnis faisait l'objet du tome troisième, et ce dernier volume, aussi bien que le second, manquait à la Bibliothèque.

J'avais cependant un renseignement positif, et je continuai mes recherches. Peut-être serais-je plus heureux à la Bibliothèque du Séminaire de Saint-Sulpice. Elle n'est pas publique, il est vrai, mais les Pères Sulpiciens sont hospitaliers: n'ont-ils pas jadis donné asile à Des Grieux repentant, et Manon Lescaut elle-même n'a-t-elle pas foulé les dalles de leur parloir? J'osai donc m'aventurer dans cette sainte Maison; il était midi et demi, le dîner finissait; je demandai le bibliothécaire, et au bout de quelques minutes, je vis venir à moi un petit vieillard d'une politesse irréprochable, lequel me fit traverser le parloir commun pour m'introduire dans un autre beaucoup plus étroit, une simple cellule donnant sur un corridor, vitrée dans toute sa largeur et ouverte ainsi à tous les yeux. Précaution ingénieuse dont l'évasion de Des Grieux avait bien montré l'urgence. Ce ne fut pas sans peine que je fis comprendre au bon père, qui était sourd et myope, le but de ma visite. Il me laissa pour se rendre à la bibliothèque, et revint bientôt, mais les mains vides: là aussi, dans ce sanctuaire de la Théologie Catholique, le Père Sinistrari d'Ameno était entièrement ignoré. Je n'avais plus qu'une ressource: c'était d'aller trouver ses frères en Saint François, les Pères Capucins, en leur couvent de la Rue de la Santé! Cruelle extrémité, on en conviendra, car j'avais peu de chance d'y rencontrer comme ici l'ombre aimable de Manon.

Enfin, une lettre de Milan vint me tirer d'embarras. Le livre introuvable était trouvé; je recevais à la fois la première édition du De Delictis et Pœnis (Venetiis, apud Hieronymum Albriccium, 1700), et l'édition de Rome, 1754.

C'est un traité complet, tractatus absolutissimus, de tous les crimes, délits, péchés imaginables; mais, hâtons-nous de le dire, dans l'un comme dans l'autre de ces volumineux in-folio, la Démonialité occupe à peine cinq pages, sans aucune différence de texte entre les deux éditions. Et ces cinq pages ne sont même pas un résumé de l'ouvrage manuscrit que je donne aujourd'hui au public, elles en comprennent seulement l'exposition et la conclusion (Nos 1 à 27 et 112 à 115). Quant à ce qui fait l'originalité du livre: à savoir, la théorie de ces animaux raisonnables, incubes et succubes, doués comme nous de corps et d'âme et capables de salut ou de damnation, on l'y chercherait vainement.

Ainsi, après tant d'efforts, j'étais fixé sur tous les points que je m'étais proposé d'élucider: j'avais découvert l'identité du Père d'Ameno;[1] la comparaison des deux éditions du De Delictis et Pœnis, la première condamnée, la seconde permise par la Congrégation de l'Index, m'avait appris que les fragments imprimés de la Démonialité n'étaient pour rien dans la condamnation du livre, puisqu'ils n'avaient subi aucune correction; enfin, j'étais arrivé à la conviction que, sauf pour quelques pages, mon Manuscrit était absolument inédit. Heureuse terminaison de cette Odyssée bibliographique, qu'on me pardonnera d'avoir contée tout au long «pour l'esbattement» des Bibliophiles «et non aultres».

I. L.

Août 1875.

NOTE

[1] Voir la notice biographique à la fin de ce volume.


DÉMONIALITÉ
ou
INCUBES ET SUCCUBES

demonalite

DÆMONIALITAS


DÉMONIALITÉ


V

Vocabulum Dæmonialitatis primo inventum reperio a Jo. Caramuele in sua Theologia fundamentali, nec ante illum inveni Auctorem, qui de hoc crimine tanquam distincto a Bestialitate locutus sit. Omnes enim Theologi Morales, secuti D. Thomam, 2.2., q. 154. in corp., sub specie Bestialitatis recensent omnem concubitum cum re non ejusdem speciei, ut ibi loquitur D. Thomas, et proinde Cajetanus, in Commentario illius quæstionis et articuli, 2.2., q. 154., ad 3. dub., coitum cum Dæmone ponit in specie Bestialitatis; et Cajetanum sequitur Silvester, vo Luxuria, Bonacina, de Matrim., q. 4., et alii.

L

Le premier auteur qui, à ma connaissance, ait imaginé le mot de Démonialité, est Jean Caramuel, dans sa Théologie fondamentale, et personne avant lui ne me paraît avoir distingué ce crime de celui de Bestialité. En effet, tous les Théologiens Moralistes, à la suite de S. Thomas (2, 2, question 154), comprennent, sous le titre spécifique de Bestialité, «toute sorte de commerce charnel avec un objet quelconque d'espèce différente»: ce sont les propres termes de S. Thomas. Cajetan, par exemple, dans son Commentaire sur cette question, classe le commerce avec le Démon dans l'espèce de Bestialité; de même Sylvestre, au mot Luxuria, Bonacina, de Matrimonio, question 4, et les autres.

2. Sed revera D. Thomas in illo loco considerationem non habuit ad coitum cum Dæmone: ut enim infra probabimus, hic coitus non potest in specie specialissima Bestialitatis comprehendi; et ut veritati cohæreat sententia S. Doctoris, dicendum est, quod in citato loco, quando ait, quod peccatum contra naturam, alio modo si fiat per concubitum ad rem non ejusdem speciei vocatur Bestialitas: sub nomine rei non ejusdem speciei intellexerit animal vivens, non ejusdem speciei cum homine: non enim usurpare potuit ibi nomen rei pro re, puta, ente communi ad animatum et inanimatum: si enim quis coiret cum cadavere humano, concubitum haberet ad rem non ejusdem speciei cum homine (maxime apud Thomistas, qui formam corporeitatis humanæ negant in cadavere), quod etiam esset si cadaveri bestiali copularetur; et tamen talis coitus non esset bestialitas, sed mollities. Voluit igitur ibi D. Thomas præcise intelligere concubitum cum re vivente non ejusdem speciei cum homine, hoc est cum bruto, nullo autem modo comprehendere voluit coitum cum Dæmone. 2. Cependant il est certain que S. Thomas, dans le passage en question, n'a eu nullement en vue le commerce avec le Démon. Comme je le prouverai plus loin, ce commerce ne peut être compris dans l'espèce très-spéciale de la Bestialité; et, pour faire cadrer avec le vrai cette sentence du saint Docteur, il faut admettre qu'en disant du péché contre nature, que «lorsqu'il se commet par commerce avec un objet d'espèce différente, il prend le nom de Bestialité», sous cette dénomination d'objet d'espèce différente, S. Thomas entend désigner un animal vivant, d'une autre espèce que l'homme; car il n'a pu employer ici le mot objet ou chose dans son sens le plus général, pour exprimer indifféremment un être animé ou inanimé. Qu'un homme, en effet, s'avise de forniquer cum cadavere humano, il aura affaire à un objet d'une autre espèce que lui (surtout pour les Thomistes, qui refusent au cadavre la forme de corporéité humaine); même chose si cadaveri bestiali copularetur; et pourtant talis coitus ne sera pas bestialité, mais pollution ou mollesse. Ce que S. Thomas a donc voulu préciser ici, c'est le commerce charnel avec un objet vivant d'une autre espèce que l'homme, c'est-à-dire avec une bête, et il n'a pas songé le moins du monde au commerce avec le Démon.
3. Coitus igitur cum Dæmone, sive Incubo, sive Succubo (qui proprie est Dæmonialitas), specie differt a Bestialitate, nec cum ea facit unam speciem specialissimam, ut opinatus est Cajetanus: peccata enim contra naturam specie inter se distingui contra opinionem nonnullorum Antiquorum, et Caramuelis, Summ. Armill., v. Luxur. n. 5., Jabien., eo. v. n. 6., Asten. lib. 2. tit. 46. art. 7., Caram. Theol. fundam. post Filliucium, et Crespinum a Borgia, est opinio communis; et contraria est damnata in proposit. 24. ex damnatis ab Alexandro VII.; tum quia singula continent peculiarem, et distinctam turpitudinem repugnantem castitati, et humanæ generationi; tum quia quodlibet ex iis privat bono aliquo secundum naturam, et institutionem actus venerei, ordinati ad finem generationis humanæ; tum quia quodlibet ipsorum habet diversum motivum, per se sufficiens ad privandum eodem bono diversimode, ut optime philosophatur Filliuc., tom. 2. c. 8. tract. 30. qu. 3. no 142.; Cresp., q. mor. sel. contro.; Caramuel. q. 5. per tot. 3. Donc, le commerce avec le Démon, soit Incube, soit Succube (qui est proprement Démonialité), diffère en espèce de la Bestialité, et ne saurait être confondu avec ce dernier crime, comme le pense à tort Cajetan, sous la qualification d'espèce très-spéciale; car, malgré qu'en aient dit quelques Anciens, et après eux Caramuel, dans sa Théologie fondamentale, les péchés contre nature sont entre eux d'espèce bien distincte. C'est du moins la doctrine générale, et l'opinion contraire a été condamnée par Alexandre VII: d'abord, parce que chacun de ces péchés porte avec lui sa turpitude particulière et distincte, contraire à la chasteté et à la génération humaine; ensuite, parce qu'en le commettant, on sacrifie chaque fois quelque avantage naturellement attaché à l'institution de l'acte vénérien, lequel a pour but normal la génération humaine; enfin, parce que tous ont un motif différent, mais suffisant en soi pour produire de diverses manières la privation du même bien, comme, le déduisent excellemment Filliucius, Crespin et Caramuel.
4. Ex his autem infertur, quod etiam Dæmonialitas specie differt a Bestialitate: singula enim ipsarum peculiarem, et distinctam turpitudinem castitati, ac humanæ generationi repugnantem involvit; siquidem Bestialitas est copula cum bruto vivente, ac sensibus et motu proprio prædito: Dæmonialitas autem est commixtio cum cadavere (stando in sententia communi, quam infra examinabimus), nec sensum, nec motum vitalem habente; et per accidens est, quod a Dæmone moveatur. Quod si immunditia commissa cum brutali cadavere, vel humano, differt specie a Sodomia et Bestialitate, ab ista differt pariter specie etiam Dæmonialitas, in qua, juxta communem sententiam, homo cum cadavere concumbit accidentaliter moto. 4. Il suit de là que la Démonialité diffère en espèce de la Bestialité, car chacune d'elles a sa turpitude particulière et distincte, contraire à la chasteté et à la génération humaine. La Bestialité est l'union avec une bête vivante, douée de sentiments et de mouvements qui lui sont propres: la Démonialité, au contraire, est la copulation avec un cadavre (au moins d'après la doctrine générale, que j'examinerai ci-après), lequel cadavre n'a ni sentiment ni mouvement, et ne se trouve mû qu'accidentellement, par un artifice du Démon. Or, si la fornication commise avec un cadavre d'homme, de femme ou de bête, diffère en espèce de la Sodomie et de la Bestialité, la même différence existe pour la Démonialité qui, dans l'opinion commune, est le commerce de l'homme avec un cadavre mû accidentellement.
5. Et confirmatur: quia in peccatis contra naturam, seminatio innaturalis (hoc est, ea ad quam regulariter non potest sequi generatio) habet rationem generis; subjectum vero talis seminationis est differentia constituens species sub tali genere, unde si seminatio fiat in terram, aut corpus inanime, est mollities: si fiat cum homine in vase præpostero, est Sodomia; si fiat cum bruto, est bestialitas; quæ absque controversia inter se specie differunt, eo quod terra, seu cadaver, homo, et brutum, quæ sunt subjecta talis seminationis, specie differunt inter se. Sed Dæmon a bruto non solum differt specie, sed plusquam specie: differunt enim per corporeum, et incorporeum, quæ sunt differentiæ genericæ. Sequitur ergo quod seminationes factæ cum aliis differunt inter se specie, quod est intentum. 5. Autre preuve: dans les péchés contre nature, la sémination anti-naturelle (c'est-à-dire qui ne peut être régulièrement suivie de génération) constitue un genre; mais le sujet de cette sémination est la différence qui constitue les espèces classées sous le genre. Ainsi, que la sémination ait lieu sur la terre, ou sur un corps inanimé, c'est pollution; qu'elle s'opère cum homine in vase præpostero, c'est Sodomie; avec une bête, c'est bestialité: tous crimes qui, sans contredit, diffèrent en espèce entre eux, par la même raison que la terre, le cadavre, l'homme et la bête, sujets passifs talis seminationis, sont entre eux d'espèce différente. Mais la différence du Démon avec la bête n'est pas seulement spécifique, elle est plus que spécifique: la nature de l'une est corporelle, l'autre incorporelle, ce qui établit une différence générique. D'où il suit quod seminationes pratiquées sur des sujets différents diffèrent en espèce entre elles; ce qu'il fallait démontrer.
6. Pariter, trita est doctrina Moralistarum fundata in Tridentino, sess. 14. c. 5. D. Th. in 4. dist. 16. q. 3. art. 2., Vasquez, q. 91. art. 1. dub. 2. n. 6., Reginald. Valenz. Medin. Zerola. Pesant. Sajir. Sott. Pitig. Henriquez apud Bonac. de Sac. disp. 5. q. 5. sect. 2. punct. 2. § 3. diffic. 3. n. 5., et tradita per Theologos, quod in confessione manifestandæ sint tantum circumstantiæ quæ mutant speciem peccatorum. Si igitur Dæmonialitas et Bestialitas sunt ejusdem speciei specialissimæ, sufficit in confessione dicere: Bestialitatis peccatum commisi, quantumvis confitens cum Dæmone concubuerit. Hoc autem falsum est: igitur non sunt ejusdem speciei specialissimæ. 6. J'invoquerai encore la doctrine bien connue des Moralistes, établie dans le Concile de Trente, session 14, et admise par les Théologiens, à savoir: que, dans la confession, il suffit d'énoncer les circonstances qui modifient l'espèce des péchés. Si donc la Démonialité et la Bestialité sont d'une même espèce très-spéciale, il suffira au pénitent, chaque fois qu'il aura forniqué avec le Démon, de dire à son confesseur: J'ai commis le péché de Bestialité. Or, ceci est faux: donc ces deux péchés ne sont pas de même espèce très-spéciale.
7. Quod si dicatur, aperiendum esse in confessione circumstantiam concubitus cum Dæmone ratione peccati contra Religionem: peccatum contra Religionem committitur, aut ex cultu, aut ex reverentia, aut ex deprecatione, aut ex pacto, aut ex societate cum Dæmone (D. Thomas, 2. 2. q. 90. art. 2. et q. 95. art. 4. in corp.); sed, ut infra dicemus, dantur Succubi, et Incubi, quibus nullum prædictorum exhibetur, et tamen copula sequitur: igitur respectu istorum nulla intervenit irreligiositas, et commixtio cum istis nullam habebit rationem ulteriorem, quam puri et simplicis coitus, qui, si est ejusdem speciei cum Bestialitate, sufficienter exprimetur dicendo: Bestialitatem commisi; quod tamen falsum est. 7. On dira peut-être que si les circonstances du commerce avec le Démon doivent être révélées au confesseur, c'est à cause de l'atteinte qu'il porte à la Religion; cette atteinte résulte, en effet, soit du culte rendu au Démon, soit des hommages ou des prières qu'on lui adresse, soit du pacte de société conclu avec lui (S. Thomas, quest. 90). Mais, comme on le verra dans la suite, il est des Incubes et des Succubes auxquels rien de tout cela ne s'applique, et cependant copula sequitur. Il n'y a donc, dans ce cas spécial, aucun élément d'impiété, aucun caractère autre quam puri et simplicis coitus; et, s'il est de même espèce que la Bestialité, on l'énoncera suffisamment en disant: J'ai commis le péché de Bestialité, ce qui est faux.
8. Ulterius in confesso est apud omnes Theologos Morales, quod longe gravior est copula cum Dæmone, quam cum quolibet bruto; in eadem autem specie specialissima peccati non datur unum peccatum gravius altero, sed omnia æque gravia sunt; perinde enim est coire cum cane, aut asina, aut equa; sequitur ergo, quod si Dæmonialitas est gravior Bestialitate, non sint ambo ejusdem speciei. Nec dicendum gravitatem majorem in Dæmonialitate petendam esse ab irreligiositate, seu superstitione ex societate cum Dæmone, ut scribit Cajetanus ad 2. 2. q. 154., ar. 11. § ad 3. in fine, quia hoc fallit in aliquibus Succubis et Incubis, ut supra dictum est; tum quia gravitas major statuitur in Dæmonialitate præ Bestialitate, in genere vitii contra naturam: major autem gravitas in illa supra istam ratione irreligiositatis exorbitat ex illo genere, proinde non facit in illo genere, et ex se graviorem. 8. En outre, de l'aveu de tous les Théologiens Moralistes, copula cum Dæmone est beaucoup plus grave que pareil acte commis avec n'importe quelle bête. Or, dans une même espèce très-spéciale de péché, un péché n'est pas plus grave qu'un autre, mais tous sont également graves: c'est même chose d'avoir commerce avec une chienne, ou une ânesse, ou une jument; d'où il suit que, si la Démonialité est plus grave que la Bestialité, ces deux actes ne sont pas de même espèce. Et qu'on ne prétende pas, comme le fait Cajetan, attribuer plus de gravité à la Démonialité, à cause de l'outrage que recevrait la Religion du culte rendu au Démon ou du pacte de société conclu avec lui: ceci, en effet, on l'a vu plus haut, ne se rencontre pas toujours dans le commerce de l'homme avec les Incubes et les Succubes; de plus si, dans le genre du péché contre nature, la Démonialité est plus grave que la Bestialité, l'outrage à la Religion n'est pour rien dans cette aggravation, puisqu'il est étranger à ce genre lui-même.
9. Statuta igitur differentia specifica Dæmonialitatis a Bestialitate, ut gravitas illius percipiatur in ordine ad pœnam de qua principaliter nobis tractandum est, est necessarium inquirere quotupliciter Dæmonialitas accidat. Non desunt qui sibi nimis scioli negant quod gravissimi Auctores scripsere, et quod quotidiana constat experientia, Dæmonem scilicet tum Incubum, tum Succubum, non solum hominibus, sed etiam brutis carnaliter conjungi. Aiunt proinde esse hominum imaginationem, phantasmatibus a Dæmone perturbatis læsam, seu dæmoniaca esse præstigia: sicuti etiam Sagæ, seu Striges, sola imaginatione perturbata a Dæmone, sibi videntur assistere ludis, choreis, conviviis, et conventibus nocturnis, et carnaliter Dæmoni commisceri; nullo vero reali modo deferuntur corpore ad ejusmodi loca, et actiones, prout textualiter dicitur in quodam Capitulo, ac duobus Conciliis. Cap. Episcop. 26. q. 5., Conc. Ancyr. c. 24., Conc. Rom. 4. sub Damaso, c. 5. apud Laur. Epitom. vo Saga. 9. Or, ayant établi la différence spécifique de la Démonialité d'avec la Bestialité, de telle sorte qu'on puisse en apprécier la gravité et déterminer le degré de pénitence qu'elle mérite (ce qui, pour nous, est le point capital), il nous faut maintenant rechercher de combien de manières différentes ce péché de Démonialité peut être commis. Il ne manque pas de gens, trop infatués de leur petit savoir, qui osent nier ce qu'ont écrit les plus graves Auteurs et ce qu'atteste l'expérience de chaque jour: à savoir que le Démon, soit Incube, soit Succube, s'unit charnellement, non-seulement aux hommes ou aux femmes, mais aussi aux bêtes. A les en croire, tout cela n'a de fondement que dans l'imagination humaine, troublée par l'artifice du Démon; ce ne sont que fantasmagories et prestiges diaboliques. Pareille chose, disent-ils, arrive aux Sorcières ou Sagas qui, sous l'empire d'une illusion produite par le Démon, s'imaginent assister aux jeux, danses, festins et sabbats nocturnes, et avoir avec le Démon un commerce charnel, sans y être en réalité présentes ou agissantes de corps, ainsi que l'ont textuellement défini un Capitule et deux Conciles.
10. Sed non negatur, quin aliquando mulierculæ, illusæ a Dæmonibus, videantur nocturnis Sagarum ludis corporaliter interesse, dum tamen sola imaginaria visione ipsis hoc accidit: sicut etiam in somnis videtur nonnullis cum fœmina aliqua concumbere, et semen vere excernitur, non tamen concubitus ille realis est, sed tantum phantasticus, paratus non raro per illusionem diabolicam; et in hoc verissimum est quod habent citatum Capitulum et Concilia. Sed hoc non semper est; sed ut in pluribus, corpore deferuntur Sagæ ad ludos nocturnos, et vere carnaliter corpore conjunguntur Dæmoni, et Malefici non minus Dæmoni succubo miscentur, et hæc est sententia Theologorum, et jure consultorum Catholicorum, quos abunde citat Frater Franciscus Maria Guaccius in suo libro intitulato Compendium Maleficarum; Grilland. Remig. Petr. Damian. Sylvest. Alphon. a Cast. Abul. Cajet. Senon. Crespet. Spine. Anan. apud Guaccium, Comp. Malef., c. 15. § Altera, quam verissimam... n. 69. lib. p.; quæ sententia confirmatur decem et octo exemplis, ibidem allatis et relatis per viros doctos et veridicos de quorum fide ambigendum non est, quibus probatur Maleficos et Sagas corporaliter ad ludos convenire, et cum Dæmonibus succubis et incubis corporaliter turpissime commisceri. Et pro omnibus sufficere debet auctoritas Divi Augustini, qui loquens de concubitu hominum cum Dæmonibus, sic ait lib. 15. de Civitate Dei, c. 23.: «Et quoniam creberrima fama est, multique se expertos, vel ab eis qui experti essent, de quorum fide dubitandum non est, audivisse confirmant, Sylvanos et Faunos, quos vulgo Incubos vocant, improbos sæpe extitisse mulieribus, et earum appetiisse et peregisse concubitum. Et quosdam Dæmones, quos Dusios Galli nuncupant, hanc assidue immunditiam et tentare et efficere, plures talesque asseverant, ut hoc negare impudentia videatur.» Hæc Augustinus. 10. Mais, sans doute, on ne conteste pas que parfois de jeunes femmes, trompées par le Démon, se figurent prendre part, en chair et en os, aux sabbats nocturnes des Sorcières, sans qu'il y ait là autre chose qu'une vision imaginaire. C'est ainsi qu'en rêve, on s'imagine assez souvent cum fœmina aliqua concumbere, et semen vere excernitur, non tamen concubitus ille realis est, mais seulement fantastique et fréquemment l'œuvre d'une illusion diabolique: en quoi le Capitule et les Conciles ci-dessus cités ont parfaitement raison. Mais ceci n'est pas toujours le cas; il arrive, au contraire, le plus souvent, que les Sorcières sont bien présentes de corps aux sabbats nocturnes, qu'elles ont avec le Démon un commerce parfaitement charnel et corporel, et que tout pareillement les Sorciers s'accolent au Démon femelle ou succube. C'est là l'opinion des Théologiens comme des Jurisconsultes catholiques, qu'on trouvera cités tout au long dans le Compendium Maleficarum, ou Répertoire des Sorcières, de Frère François-Marie Guaccius. On y verra cette doctrine confirmée par dix-huit exemples tirés des récits d'hommes savants et véridiques, dont le témoignage est au-dessus du soupçon, et qui prouvent que les Sorciers et Sorcières sont bien présents de corps aux sabbats, et font bel et bien l'œuvre de chair avec les Démons incubes ou succubes. En définitive, nous avons, pour trancher la question, l'autorité de S. Augustin, lequel, parlant du commerce charnel des hommes avec le Démon, s'exprime ainsi au livre 15, chap. 23, de la Cité de Dieu: «C'est une opinion très-répandue, et confirmée par les témoignages directs ou indirects de personnes absolument dignes de foi, que les Sylvains et les Faunes, vulgairement appelés Incubes, ont souvent tourmenté les femmes, sollicité et obtenu d'elles le coït. Il y a même des Démons, nommés par les Gaulois Duses (ou lutins), qui se livrent très-régulièrement à ces pratiques impures: ceci est attesté par des autorités si nombreuses et si graves, qu'il y aurait impudence à vouloir le nier.» Tels sont les propres termes de S. Augustin.
11. Prout autem apud diversos Auctores legitur, et pluribus experimentis comprobatur, duplici modo Dæmon hominibus carnaliter copulatur: uno modo quo Maleficis et Sagis jungitur, alio modo quo aliis hominibus minime maleficis miscetur. 11. Or divers Auteurs nous enseignent, et leur opinion est confirmée par de nombreuses expériences, que le Démon a deux manières de s'unir charnellement aux hommes ou aux femmes: l'une qu'il emploie à l'égard des Sorciers ou des Sorcières, l'autre à l'égard d'autres hommes ou femmes parfaitement étrangers à toute sorcellerie.
12. Quantum ad primum modum, non copulatur Dæmon Sagis, seu Maleficis, nisi præmissa solemni professione, qua iniquissimi homines Dæmoni addicuntur; quæ professio, ut ex variis Auctoribus referentibus confessiones Sagarum judiciales in tormentis factas, quas collegit Franciscus Maria Guaccius, Comp. Malef., c. 7., lib. 1., consistit in undecim ceremoniis. 12. Dans le premier cas, le Démon ne s'accole aux Sorcières ou aux Sorciers qu'après une profession solennelle, en vertu de laquelle ces misérables créatures humaines s'abandonnent à lui. Suivant plusieurs auteurs, qui ont rapporté les aveux judiciaires arrachés aux Sorcières dans les tortures, et dont les récits ont été recueillis par François-Marie Guaccius, Compend. Malef., livre Ier, chap. 7, cette profession consiste en onze cérémonies:
13. Primo, ineunt pactum expressum cum Dæmone, aut alio Mago seu Malefico vicem Dæmonis gerente, et testibus præsentibus, de servitio diabolico suscipiendo: Dæmon vero viceversa honores, divitias, et carnales delectationes illis pollicetur. Guacc. loc. cit. fol. 34. 13. Premièrement, les Novices doivent conclure un pacte exprès avec le Démon, ou avec quelque autre Sorcier ou Magicien agissant au lieu et place du Démon, par quoi, en présence de témoins, ils s'enrôlent au service du Diable. Le Démon, de son côté, leur garantit honneurs, richesses et plaisirs charnels.
14. Secundo, abnegant catholicam fidem, subducunt se obedientiæ Dei, renuntiant Christo, et protectioni Beatissimæ Virginis Mariæ, ac Ecclesiæ omnibus sacramentis. Guacc. loc. cit. 14. Deuxièmement, ils abjurent la foi catholique, se soustraient à l'obéissance de Dieu, renoncent au Christ et à la protection de la Très-Bienheureuse Vierge Marie, et à tous les Sacrements de l'Église.
15. Tertio, projiciunt a se Coronam, seu Rosarium B. V. M., Chordam S. P. Francisci, aut Corrigiam S. Augustini, aut Scapulare Carmelitarum, si quod habent, Crucem, Medaleas, Agnos Dei, et quidquid sacri aut benedicti gestabant, et pedibus ea proculcant. Guacc. loc. cit. fol. 35. Grilland. 15. Troisièmement, ils jettent loin d'eux la Couronne ou le Rosaire de la Très-Bienheureuse Vierge Marie, le Cordon de S. François d'Assise ou la Courroie de S. Augustin, ou le Scapulaire des Carmélites, selon qu'ils appartiennent à tel ou tel ordre, la Croix, les Médailles, les Agnus Dei, enfin tout ce qu'ils pouvaient porter de saint ou de bénit, et ils foulent tout cela aux pieds.
16. Quarto, vovent in manibus Diaboli obedientiam, et subjectionem, eique præstant homagium et vassallagium, tangendo quoddam volumen nigerrimum. Spondent, quod nunquam redibunt ad fidem Christi, nec Dei præcepta servabunt, nec ulla bona opera facient, sed ad sola mandata Dæmonis attendent, et ad conventus nocturnos diligenter accedent. Guacc. loc. cit. fol. 36. 16. Quatrièmement, ils jurent entre les mains du Diable obéissance et soumission; ils lui rendent hommage et vasselage, les doigts posés sur un certain volume très-noir. Ils s'engagent à ne jamais revenir à la foi du Christ, à ne tenir aucun compte des préceptes divins, à ne faire aucune bonne œuvre, mais à obéir au Diable seul, et à fréquenter assidûment les réunions nocturnes.
17. Quinto, spondent se enixe curaturos, et omni studio ac sedulitate procuraturos adducere alios mares et fœminas ad suam sectam, et cultum Dæmonis. Guacc. loc. cit. 17. Cinquièmement, ils promettent de faire tous leurs efforts, d'employer tout leur zèle et tous leurs soins, pour enrôler dans leur secte, au service du Diable, d'autres créatures mâles et femelles.
18. Sexto, baptizantur a Diabolo sacrilego quodam baptismo, et abnegatis Patrinis et Matrinis baptismi Christi, et Confirmationis, et nomine, quod sibi fuit primo impositum, a Diabolo sibi assignantur Patrinus et Matrina novi, qui ipsos instruant in arte maleficiorum, et imponitur nomen novum, quod plerumque scurrile est. Guacc. loc. cit. 18. Sixièmement, le Diable leur administre une sorte de baptême sacrilége, et, après avoir renié les Parrains et Marraines qu'ils ont eus au Baptême du Christ et à la Confirmation, ils se font assigner par le Diable un Parrain et une Marraine nouveaux, chargés de les instruire dans l'art des maléfices; ils quittent le nom qu'ils portaient avant et en reçoivent un nouveau, qui le plus souvent est un sobriquet bouffon.
19. Septimo, abscindunt partem propriorum indumentorum, et illam offerunt Diabolo in signum homagii, et Diabolus illam asportat, et servat. Guacc. loc. cit. fol. 38. 19. Septièmement, ils coupent une partie de leurs propres vêtements pour l'offrir au Diable en signe d'hommage, et le Diable l'emporte et la garde.
20. Octavo, format Diabolus circulum super terram, et in eo stantes Novitii Malefici et Sagæ firmant juramento omnia, quæ ut dictum est promiserunt. Guacc. loc. cit. 20. Huitièmement, le Diable trace sur la terre un cercle, et dans ce cercle se tiennent les Novices, Sorciers et Sorcières, pour y confirmer tous les serments qu'ils ont faits comme il est dit ci-dessus.
21. Nono, petunt a Diabolo deleri a libro Christi, et describi in libro suo, et profertur liber nigerrimus, quem tetigerunt præstando homagium, ut dictum est supra, et ungue Diaboli in eo exarantur. Guacc. loc. cit. 21. Neuvièmement, ils demandent au Diable de les rayer du livre du Christ, et de les immatriculer dans le sien. Alors paraît ce livre très-noir qu'ils ont touché en rendant hommage (voyez plus haut), et dans ce livre ils sont enregistrés par la griffe du Diable.
22. Decimo, promittunt Diabolo statis temporibus sacrificia, et oblationes; singulis quindecim diebus, vel singulo mense saltem necem alicujus infantis, aut mortale veneficium, et singulis hebdomadis alia mala in damnum humani generis, ut grandines, tempestates, incendia, mortem animalium, etc. Guacc. loc. cit. fol. 40. 22. Dixièmement, ils promettent au Diable, à des époques déterminées, des sacrifices et des offrandes: tous les quinze jours, ou au moins tous les mois, le meurtre de quelque enfant, ou un sortilége homicide, et chaque semaine d'autres méfaits au préjudice du genre humain, tels que grêles, tempêtes, incendies, épizooties, etc.
23. Undecimo, sigillantur a Dæmone aliquo caractere, maxime ii, de quorum constantia dubitat. Caracter vero non est semper ejusdem formæ, aut figuræ: aliquando enim est simile lepori, aliquando pedi bufonis, aliquando araneæ, vel catello, vel gliri; imprimitur autem in locis corporeis magis occultis: viris quidem aliquando sub palpebris, aliquando sub axillis, aut labiis, aut humeris, aut sede ima, aut alibi; mulieribus autem plerumque in mammis, aut locis muliebribus. Porro sigillum, quo talia signa imprimuntur, est unguis Diaboli. Quibus peractis ad instructionem Magistrorum qui Novitios initiarunt, hi promittunt denuo, se nunquam Eucharistiam adoraturos; injuriosos Sanctis omnibus, et maxime B. V. M. futuros; conculcaturos ac conspurcaturos Sacras Imagines, Crucem, ac Sanctorum Reliquias; nunquam usuros Sacramentis, aut sacramentalibus, nisi ad maleficia; integram confessionem sacramentalem sacerdoti nunquam facturos, et suum cum Dæmone commercium semper celaturos. Et Diabolus vicissim pollicetur, se illis semper præsto futurum; se in hoc mundo votis eorum satisfacturum, et post mortem illos esse beaturum. Sic peracta professione solemni, assignatur singulis eorum Diabolus, qui appellatur Magistellus, cum quo in partes secedunt, et carnaliter commiscentur: ille quidem in specie fœminæ, si initiatus est vir; in forma autem viri, et aliquando satyri, aliquando hirci, si fœmina est saga professa. Guacc. loc. cit. fol. 42 et 43. 23. Onzièmement, ils sont marqués par le Démon de quelque signe, ceux surtout dont la constance lui est suspecte. Ce signe, du reste, n'est pas toujours de même forme ou figure: tantôt c'est l'image d'un lièvre, tantôt une patte de crapaud, tantôt une araignée, un petit chien, un loir. Il s'imprime dans les endroits du corps les plus cachés: chez les hommes, sous les paupières, ou sous l'aisselle, ou sur les lèvres, sur l'épaule, au fondement ou ailleurs; quant aux femmes, c'est généralement aux seins ou aux parties sexuelles. Maintenant, le cachet qui imprime ces marques n'est autre que la griffe du Diable. Tout ceci étant accompli suivant les instructions des Maîtres qui ont initié les Novices, ces derniers, pour conclure, promettent de n'adorer jamais l'Eucharistie; d'accabler d'insultes tous les Saints et surtout la Très-Bienheureuse Vierge Marie; de fouler aux pieds et vilipender les Saintes Images, la Croix et les Reliques des Saints; de ne jamais faire usage des Sacrements ou cérémonies sacramentelles, sinon pour les maléfices; de ne jamais faire au prêtre la confession sacramentelle complète, et de lui cacher toujours leur commerce avec le Démon. Le Démon, de son côté, s'engage à leur donner toujours prompte assistance; à combler leurs vœux en ce monde, et à les rendre heureux après leur mort. La profession solennelle ainsi accomplie, chacun d'eux se voit assigner un Diable, appelé Magistelle ou Petit-Maître, avec lequel il se retire en particulier pour consommer l'union charnelle; ce Diable, naturellement, a la forme d'une femme si l'initié est un homme: ou la forme d'un homme, et quelquefois d'un satyre, quelquefois d'un bouc, si c'est une femme qui est reçue sorcière.
24. Quod si quæratur ab Auctoribus, quomodo possit Dæmon, qui corpus non habet, corporalem commixtionem habere cum homine? Respondent communiter, quod Dæmon aut assumit alterius maris, aut fœminæ, juxta exigentiam, cadaver, aut ex mixtione aliarum materiarum effingit sibi corpus, quod movet, et mediante quo homini unitur. Et subdunt, quod quando fœminæ gaudent imprægnari a Dæmone (quod non fit, nisi in gratiam fœminarum hoc optantium), Dæmon se transformat in succubam, et juncta homini semen ab eo recipit; aut per illusionem nocturnam in somnis procurat ab homine pollutionem, et semen prolectum in suo nativo calore, et cum vitali spiritu conservat, et incubando fœminæ infert in ipsius matricem, ex quo sequitur conceptio. Ita multis citatis docet Guaccius, l. 1. c. 12., per totum, qui prædicta multis exemplis desumptis a variis Doctoribus confirmat. 24. Mais, demandera-t-on aux Auteurs, comment se fait-il que le Démon, qui n'a pas de corps, ait cependant avec l'homme ou la femme un commerce charnel? Ils vous répondent tout d'une voix que le Démon emprunte le cadavre d'un autre être humain, mâle ou femelle, suivant le cas, ou bien qu'il se forme avec d'autres matières un corps à l'aide duquel il s'unit à l'homme. Et lorsqu'il prend aux femmes la fantaisie de concevoir des œuvres du Démon (ce qui n'a lieu que du consentement et suivant le désir exprès desdites femmes), le Démon se transforme en succube femelle, et juncta homini semen ab eo recipit; ou bien, il provoque chez cet homme, dans son sommeil, quelque rêve lascif suivi de pollution, et semen prolectum in suo nativo calore, et cum vitali spiritu conservat, et incubando fœminæ infert in ipsius matricem, d'où résulte la conception. C'est là ce qu'enseigne Guaccius, livre I, chap. 12, en apportant à l'appui de sa thèse une foule de citations et d'exemples empruntés à divers Docteurs.
25. Alio modo jungitur Dæmon tum Incubus, tum Succubus, hominibus, fœminis aut maribus, a quibus nec honorem, nec sacrificia, oblationes, maleficia, quæ a Sagis et Maleficis, ut supra dictum est, prætendit, recipit; sed ostendens deperdite amorem, nil aliud appetit, quam carnaliter commisceri cum iis quos amat. Multa sunt de hoc exempla, quæ ab Auctoribus referuntur, ut Menippi Lycii, qui fuit sollicitatus a quadam fœmina ad sibi nubendum, postquam cum ea multoties coivit; et detecta fœmina quænam esset a quodam Philosopho, qui convivio nuptiali intererat, et Menippo dixit illam esse Compusam, puta Dæmonem succubam, statim ejulans evanuit, ut narrat Cœlius Rodiginus, Antiq. lib. 29, c. 5. Pariter adolescens quidam Scotus a Dæmone succuba omnium gratissima, quas vidisset, forma, quæ occlusis cubiculi foribus ad se ventitabat, blanditiis, osculis, amplexibus per multos menses fuit sollicitatus, ut secum coiret, ut scribit Hector Boethius, Hist. Scotor. lib. 8., quod tamen a casto juvene obtinere non potuit. 25. D'autres fois aussi le Démon, soit incube, soit succube, s'accouple avec des hommes ou des femmes dont il ne reçoit rien des hommages, sacrifices ou offrandes qu'il a coutume d'imposer aux Sorciers et aux Sorcières, comme on l'a vu plus haut. C'est alors simplement un amoureux passionné, n'ayant qu'un but, un désir: posséder charnellement la personne qu'il aime. Il y a de ceci une foule d'exemples, qu'on peut trouver dans les Auteurs, entre autres celui de Menippus Lycius, lequel, après avoir maintes et maintes fois paillardé avec une femme, en fut prié de l'épouser; mais un certain Philosophe, qui assistait au repas de noces, ayant deviné ce qu'était cette femme, dit à Menippus qu'il avait affaire à une Compuse, c'est-à-dire à une Diablesse succube: aussitôt notre mariée de s'évanouir en gémissant..... Lisez là-dessus Cœlius Rodiginus, Antiq., livre 29, chap. 5. Hector Boethius, Hist. Scot., raconte aussi le cas d'un jeune Écossais qui, pendant plusieurs mois, reçut dans sa chambre, quoique les portes et fenêtres en fussent hermétiquement fermées, les visites d'une Diablesse succube, de la plus ravissante beauté; caresses, baisers, embrassements, sollicitations, cette Diablesse mit tout en œuvre ut secum coiret: ce qu'elle ne put toutefois obtenir de ce vertueux jeune homme.
26. Similiter, multas fœminas legimus ab Incubo Dæmone expetitas ad coitum, ipsisque repugnantibus facinus admittere, precibus, fletibus, blanditiis, non secus, ac perditissimus amasius procurasse animum ipsarum demulcere, et ad congressum inclinare; et quamvis aliquoties hoc eveniat ob maleficium, ut nempe Dæmon missus a maleficis hoc procuret: tamen non raro Dæmon ex se hoc agit, ut scribit Guaccius, Comp. Mal., lib. 3. c. 8., et non solum hoc evenit cum mulieribus, sed etiam cum equabus, cum quibus commiscetur; quæ si libenter coitum admittunt, ab eo curantur optime, ac ipsarum jubæ varie artificiosis et inextricabilibus nodis texuntur; si autem illum adversentur, eas male tractat, percutit, macras reddit, et tandem necat, ut quotidiana constat experientia. 26. On peut lire encore nombre d'exemples de femmes sollicitées au coït par le Démon Incube, et qui, si elles répugnent d'abord à sauter le pas, se laissent bientôt fléchir par ses prières, ses larmes, ses caresses; c'est un amoureux fou, il faut lui céder. Et quoique ceci résulte parfois des maléfices de quelque sorcier, qui emploie le Démon comme intermédiaire, il n'est point rare cependant que le Démon agisse pour son propre compte, comme l'écrit Guaccius; et ce n'est pas seulement aux femmes qu'il s'attaque, mais aussi aux juments: sont-elles dociles à ses désirs, il les accable de soins, de caresses, il tresse leur crinière en une infinité de nœuds inextricables; mais si elles résistent, il les maltraite, les frappe, leur donne la morve, et finalement les tue, comme il est constaté par l'expérience de chaque jour.
27. Et quod mirum est, et pene incapabile, tales Incubi, qui Italice vocantur Folletti, Hispanice Duendes, Gallice Follets, nec Exorcistis obediunt, nec exorcismos pavent, nec res sacras reverentur ad earum approximationem timorem ostendendo, sicuti faciunt Dæmones, qui obsessos vexant; quantumvis enim maligni Spiritus sint obstinati, nec parere velint Exorcistæ præcipienti, ut exeant a corporibus quæ obsident, tamen ad prolationem Sanctissimi Nominis Jesu, aut Mariæ, aut aliquorum Versuum Sacræ Scripturæ, impositionem Reliquiarum, maxime Ligni Sanctæ Crucis, approximationem Sacrarum Imaginum, ad os obsessi rugiunt, strident, frendent, concutiuntur, et timorem, ac horrorem ostendunt. Folletti vero nihil horum, ut dictum est, ostendunt, nec a divexatione, nisi post longum tempus, cessant. Hujus rei testis sum oculatus, et historiam recito quæ reipsa humanam fidem superat: sed testis mihi sit Deus quod puram veritatem multorum testimonio comprobatam describo. 27. Enfin, chose prodigieuse et presque incompréhensible, ces Incubes, qu'on appelle en Italien Folletti, en Espagnol Duendes, en Français Follets, n'obéissent pas aux Exorcistes, n'ont aucune peur des exorcismes, aucune vénération pour les objets sacrés, à l'approche desquels ils ne manifestent pas la moindre frayeur: bien différents en cela des Démons qui tourmentent les possédés; car, si obstinés que soient ces malins Esprits, si rétifs qu'ils se montrent à l'injonction de l'Exorciste qui leur commande de déloger du corps du possédé, il suffit pourtant de prononcer le très-saint nom de Jésus ou de Marie ou quelques versets des Saintes Écritures, d'imposer des Reliques, principalement le Bois de la Sainte Croix, ou d'approcher les Saintes Images, pour qu'aussitôt on les entende rugir à la bouche du possédé, et qu'on les voie grincer des dents, s'agiter, frémir, montrer, en un mot, tous les signes de la crainte et de l'horreur. Mais ces coquins de Follets, rien de tout cela n'a d'effet sur eux: s'ils discontinuent leurs vexations, ce n'est qu'après longtemps et quand ils le veulent bien. De ceci je suis témoin oculaire, et je vais en conter une histoire qui réellement passe toute croyance humaine: mais, que Dieu m'en soit témoin! c'est la pure vérité, confirmée d'ailleurs par de nombreux témoignages.
28. Viginti quinque abhinc annis plus, minusve, dum essem Lector Sacræ Theologiæ in Conventu Sanctæ Crucis Papiæ, reperiebatur in illa civitate honesta quædam fœmina maritata optimæ conscientiæ, et bonum habens ab omnibus eam agnoscentibus, maxime Religiosis, testimonium, quæ vocabatur Hieronyma; et habitabat in Parochia Sancti Michaelis. Hæc quadam die domi suæ panem pinserat, et per furnarium miserat ad illum decoquendum. Reportat panes coctos furnarius, et cum illis grandem quamdam placentam curiose elaboratam, conditam butyro, et pastulis Venetis, ut in ea civitate solent fieri placentæ hujusmodi. Renuit illa placentam recipere, dicens, se talem nullam fecisse. Replicat furnarius, se illa die alium panem coquendum non habuisse, nisi illum quem ab ea habuerat; oportere proinde, etiam placentam a se fuisse factam, licet minime de illa recordaretur. Acquievit fœmina, et placentam cum viro suo, filia quam habebat triennem, et famula comedit. Sequenti nocte, dum cubaret mulier cum viro suo, et ambo dormirent, expergefacta est a quadam tenuissima voce, velut acutissimi sibili ad ipsius aures susurrante, verbis tamen distinctis: interrogavit autem fœminam, num placenta illi placuisset? Pavens fœmina cœpit se munire signo Crucis, et invocare sæpius nomina Jesu et Mariæ. Replicabat vox, ne paveret, se nolle illi nocere, immo quæcumque illi placerent paratum exequi, esse filo captum pulchritudinis suæ, et nil amplius desiderare, quam ejus amplexu frui. Tum fœmina sensit aliquem suaviantem ipsius genas, sed tactus ita levis, ac mollis, ac si esset gossipium subtilissime carminatum id, a quo tacta fuit. Respuit illa invitantem, nec ullum responsum illi dedit: sed jugiter nomen Jesu, et Mariæ repetebat, et se Crucis signo muniebat, et sic per spatium quasi horæ dimidiæ tentata fuit, et postea abscessit tentator. 28. Il y a environ vingt-cinq ans, alors que j'étais Professeur de Théologie Sacrée au couvent de Sainte-Croix, à Pavie, habitait dans cette ville une femme mariée, d'excellentes mœurs, et dont tous ceux qui la connaissaient, principalement les Moines, disaient le plus grand bien. Elle se nommait Hieronyma, et demeurait sur la paroisse de Saint-Michel. Un jour, cette femme avait pétri chez elle du pain, qu'elle confia ensuite au fournier pour le faire cuire. Le fournier lui rapporte le pain cuit, et en même temps une grande galette de forme très-curieuse, arrangée au beurre et aux pâtes de Venise, comme on a coutume de faire les gâteaux dans ce pays-là. Elle refuse de recevoir cette galette, disant qu'elle n'a rien fait de pareil. «Mais, dit le fournier, je n'ai pas eu aujourd'hui d'autre pain à cuire que le vôtre: il faut bien que la galette aussi vienne de chez vous; votre mémoire est en défaut.» Notre bonne dame se laisse convaincre; elle accepte la galette, et la mange en compagnie de son mari, de sa petite fille âgée de trois ans et de sa servante. La nuit d'après, tandis qu'elle était couchée avec son mari et que tous deux dormaient, la voici qui s'éveille au son d'une voix extrêmement fine, quelque chose comme un sifflement aigu, mais qui cependant lui murmurait à l'oreille des paroles très-distinctes: cette voix lui demandait «si le gâteau avait été de son goût.» Effrayée, notre bonne dame commence à se munir du signe de la Croix, et à invoquer coup sur coup les noms de Jésus et de Marie, «Ne crains rien,» disait la voix, «je ne te veux pas de mal; bien au contraire, il n'est rien que je ne fasse pour t'être agréable, je suis épris de ta beauté, et mon plus grand désir, c'est de jouir de tes embrassements.» En même temps, elle sentait quelqu'un qui lui baisait les joues, mais si légèrement, si mollement, qu'elle se serait crue frôlée par un duvet de coton de la plus extrême finesse. Elle résista, sans rien répondre, se bornant à répéter maintes et maintes fois le nom de Jésus et de Marie, et à faire le signe de la Croix: la tentation dura ainsi près d'une demi-heure, après quoi le tentateur se retira.
Sequenti mane fuit mulier ad Confessarium virum prudentem ac doctum, a quo fuit in fide confirmata et exhortata, ut viriliter, sicut fecerat, resisteret, et sacris Reliquiis se muniret. Sequentibus noctibus par priori fuit tentatio, et verbis, et osculis, et par etiam in muliere constantia. Hæc pertæsa talem ac tantam molestiam, ad Confessarii consultationem, et aliorum gravium virorum, per Exorcistas peritos fecit se exorcizare ad sciendum, num esset obsessa; et cum invenissent a nullo malo spiritu possideri, benedixerunt domui, cubiculo, lecto, et præceptum Incubo fecerunt, ne auderet molestiam amplius mulieri inferre. Sed omnia incassum; siquidem tentationem inceptam prosequebatur, ac si præ amore langueret, ploratus, et ejulatus emittebat ad mulierem demulcendam, quæ tamen gratia Dei adjuta semper viriliter restitit. Renovavit Incubus tentationem, ipsi apparens interdiu in forma pusionis, seu parvi homunculi pulcherrimi, cæsariem habens rutilam et crispam, barbamque fulvam ac splendentem velut aurum, glaucosque oculos, ut flos lini, incedebatque indutus habitu Hispanico. Apparebat autem illi quamvis cum ea alii morarentur; et questus, prout faciunt amantes, exercens, et jactando basia, solitasque preces repetendo tentabat mulierem, ut ad illius amplexus admitteretur. Videbatque, et audiebat illa sola præsentem ac loquentem, minime autem cæteri adstantes. Le matin venu, la dame alla trouver son Confesseur, homme grave et savant, lequel la confirma dans la foi, et l'exhorta à continuer la résistance vigoureuse qu'elle avait faite et à se munir de quelques saintes Reliques. Les nuits suivantes, pareille tentation, avec paroles et baisers de même sorte; pareille constance aussi chez la dame. Fatiguée cependant d'épreuves si pénibles et si prolongées, elle prit le parti, sur le conseil de son Confesseur et d'autres hommes sérieux, de se faire exorciser par des Exorcistes expérimentés pour savoir si, par hasard, elle n'était pas possédée. Les Exorcistes, n'ayant rien trouvé en elle qui indiquât la présence de l'Esprit malin, bénirent la maison, la chambre à coucher, le lit, et firent injonction à l'Incube d'avoir à cesser ses importunités. Mais chansons que tout cela! la tentation continua de plus belle; le galant faisant mine de mourir d'amour, et pleurant, et gémissant pour attendrir la dame, qui pourtant, avec la grâce de Dieu, resta invincible. L'Incube, alors, s'y prit d'une autre manière: il apparut à sa belle sous la forme d'un jeune garçon ou petit homme de la plus grande beauté, à la chevelure dorée et frisée, à la barbe blonde et resplendissante comme l'or, aux yeux glauques pareils à la fleur du lin, et, pour ajouter au charme, élégamment vêtu à l'Espagnole. D'ailleurs, il ne laissait pas de lui apparaître, malgré qu'elle se trouvât en compagnie; il se plaignait, comme font les amants, il pleurait, il lui envoyait des baisers, employait en un mot tous les moyens de séduction possibles pour obtenir ses faveurs. Elle seule le voyait et l'entendait: pour tout autre qu'elle, il n'y avait rien.
Perseverabat in illa constantia mulier, donec contra eam iratus Incubus, post aliquos menses blanditiarum novum persecutionis genus adortus est. Primo abstulit ab ea crucem argenteam plenam Reliquiis Sanctorum, et ceram benedictam, sive Agnum papalem B. Pontificis Pii V., quæ secum semper portabat; mox etiam annulos et alia jocalia aurea et argentea ipsius, intactis seris, sub quibus custodiebantur, in arca suffuratus est. Exinde cœpit illam acriter percutere, et apparebant post verbera contusiones, et livores in facie, brachiis, aliisque corporis partibus, quæ per diem unum, vel alterum perdurabant, mox in momento disparebant contra ordinem contusionis naturalis, quæ sensim paulatimque decrescit. Aliquoties ipsius infantulam lactentem cunis eripiebat, et illam, nunc super tecta in limine præcipitii locabat, nunc occultabat, nihil tamen mali in illa apparuit. Aliquoties totam domus supellectilem evertebat; aliquoties ollas, paropsides, et alia vasa testea minutatim frangebat, subinde fracta restituebat integra. Semel dum ipsa cum viro suo cubaret, apparens Incubus in forma solita, enixe deprecabatur ab ea concubitum, et dum ipsa de more constans resisteret, in furorem actus Incubus abscessit, et infra breve temporis spatium reversus est, secum ferens magnam copiam laminarum saxearum, quibus Genuenses in civitate sua et universa Liguria domos tegunt, et ex ipsis fabricavit murum circa lectum tantæ altitudinis, ut ejus conopeum adæquaret, unde necesse fuit scalis uti, si debuerunt de cubili surgere. Murus autem fuit absque calce, et ipso destructo, saxa in angulo seposita, quæ ibi per duos dies remanserunt visa a multis, qui ad spectaculum convenerant; et post biduum disparuerunt. Notre bonne dame, donc, persévérait dans cette admirable constance, quand enfin, au bout de quelques mois, l'Incube irrité recourut à un nouveau genre de persécutions. D'abord il lui enleva une croix d'argent remplie de saintes Reliques, et une cire bénite ou Agneau papal du Bienheureux Pontife Pie V, qu'elle portait toujours sur elle; puis, ce fut le tour des bagues et autres bijoux d'or et d'argent, qu'il déroba, sans toucher aux serrures, dans la cassette où ils étaient enfermés. Ensuite il commença à la frapper cruellement, et après chaque volée de coups on lui voyait à la figure, au bras et à d'autres endroits du corps, des contusions et des bleus qui duraient un jour ou deux, et tout à coup disparaissaient en un moment, au rebours des contusions naturelles, qui décroissent peu à peu et par degrés. Quelquefois, tandis qu'elle donnait à teter à sa petite fille, il la lui enlevait de dessus ses genoux, pour la placer sur le toit, au bord de la gouttière, ou bien il la cachait, mais sans jamais lui occasionner aucun mal. Tantôt il mettait sens dessus dessous tout le ménage, tantôt il cassait en mille pièces les marmites, les assiettes et autres vases de terre, et en un clin d'œil les rétablissait dans leur état primitif. Une nuit qu'elle était couchée avec son mari, l'Incube, lui apparaissant sous sa forme habituelle, la pria énergiquement de se laisser faire; elle résista comme de coutume. Furieux, l'Incube se retire et, fort peu de temps après, le voici qui rentre avec une charge énorme de ces plaquettes de pierre, dont les habitants de Gênes et de la Ligurie en général se servent pour couvrir leurs maisons. De ces pierres, il bâtit autour du lit un mur si élevé qu'il en atteignait le ciel et que nos époux, pour en sortir, eurent besoin de se faire apporter une échelle. Ce mur, du reste, était construit sans chaux; on le détruisit, et on mit les pierres dans un coin, où elles restèrent exposées à tous les regards pendant deux jours, après quoi elles disparurent.
Invitaverat Maritus ejus in die S. Stephani quosdam amicos viros militares ad prandium, et pro hospitum dignitate dapes paraverat; dum de more lavantur manus ante accubitum, disparet in momento mensa parata in triclinio; disparent obsonia cuncta, olla, caldaria, patinæ, ac omnia vasa in coquina; disparent amphoræ, canthari, calices parati ad potum. Attoniti ad hoc stupent commensales, qui erant octo, inter quos Dux peditum Hispanus ad alios conversus ait: Ne paveatis, ista est illusio, sed pro certo mensa in loco in quo erat, adhuc est, et modo modo eam tactu percipiam. Hisque dictis circuibat cœnaculum manibus extentis tentans mensam deprehendere, sed cum post multos circuitus incassum laborasset, et nil præter ærem tangeret, irrisus fuit a cæteris; cumque jam grandis esset prandii hora, pallium proprium eorum unusquisque sumpsit propriam domum petiturus. Jam erant omnes prope januam domus in procinctu eundi associati a marito vexatæ mulieris, urbanitatis causa; cum grandem quendam strepitum in cœnaculo audiunt. Subsistunt parumper ad cognoscendum causam strepitus, et accurrens famula nuntiat in coquina vasa nova obsoniis plena apparuisse, mensamque in cœnaculo jam paratam esse restitutam. Revertuntur in cœnaculum, et stupent mensam mappis et manutergiis insolitis, salino, et lancibus insolitis argenteis, salsamentis, ac obsoniis, quæ domi parata non fuerant, instructam. A latere magna erecta erat credentia, supra quam optimo ordine stabant calices crystallini, argentini, et aurei cum variis amphoris, lagenis, cantharis plenis vinis exteris, puta Cretensi, Campano, Canariensi, Rhenano, etc. In coquina pariter in ollis, et vasis itidem in ea domo nunquam visis varia obsonia. Dubitarunt prius nonnulli ex iis eas dapes gustare, sed confirmati ab aliis accubuerunt, et exquisitissime omnia condita repererunt; ac immediate a prandio, dum omnes pro usu illius temporis ad ignem sedent, omnia ustensilia cum reliquiis ciborum disparuere, et repertæ sunt antiquæ domus supellectiles simul cum dapibus, quæ prius paratæ fuerant; et quod mirum est, convivæ omnes saturati sunt, ita ut nullus eorum cœnam sumpserit præ prandii lautitia. Quo convincitur cibos appositos reales fuisse, et non ex præstigio repræsentatos. Le jour de la Saint-Etienne, le mari avait invité à dîner quelques braves militaires de ses amis, et, pour faire honneur à ses hôtes, avait préparé un repas respectable. Tandis que, suivant l'usage, on se lave les mains avant de s'asseoir, zest! voilà tout à coup la table disparue: disparus aussi tous les mets, les marmites, les chaudrons, les plats et toute la vaisselle dans la cuisine; disparus les cruches, les flacons, les verses. Je vous laisse à penser l'étonnement, la stupeur de nos convives; ils étaient huit, et dans le nombre un capitaine d'infanterie Espagnol, lequel, se tournant vers ses camarades, leur dit: «N'ayez pas peur, c'est une farce, mais sacrebleu! il y avait une table ici, elle y est encore; minute, je vais la retrouver.» Ceci dit, notre brave fait le tour de la salle, les mains étendues, essayant de saisir la table; mais après bien des tours, voyant qu'il n'arrivait à rien qu'à toucher de l'air, les autres se moquèrent de lui; et comme il était déjà grand temps de dîner, chacun prit sa capote et se mit en devoir de rentrer chez soi. Ils étaient déjà tous à la porte de la maison avec le mari qui, par politesse, leur faisait un bout de conduite, lorsqu'ils entendent un grand bruit dans la salle à manger. Ils s'arrêtent pour en savoir la cause, et bientôt la servante accourt leur annoncer que la cuisine est pleine de vases nouveaux chargés de mets, et que la table est remise en place dans la salle à manger. Ils y reviennent, et ne sont pas peu surpris de voir la table couverte de nappes, de serviettes, de salières, de plateaux qui n'appartenaient pas à la maison, et de mets qui n'y avaient pas été préparés. Sur le côté était une grande crédence, où l'on admirait, disposés dans le meilleur ordre, des calices de cristal, d'argent et d'or, avec toutes sortes d'amphores, de flacons, de coupes, remplis de vins étrangers: vin de Crète, de Campanie, des Canaries, du Rhin, etc. Dans la cuisine aussi, une abondante variété de mets dans des marmites et des plats qu'on n'avait jamais vus. Plusieurs de nos convives hésitèrent d'abord à goûter de ces mets; toutefois, encouragés par d'autres, ils se mirent à table, et tous eurent bientôt fait leur affaire du repas, qu'ils trouvèrent exquis. Immédiatement après, comme ils étaient assis devant le feu suivant l'habitude de la saison, tout disparut à la fois, vaisselle et desserte, et à la place reparut l'ancien couvert du logis avec les plats qui avaient été préparés; mais, chose étonnante, tous les convives étaient rassasiés, si bien que personne n'eut envie de souper après un dîner de cette magnificence. Ce qui prouve assez que les mets substitués aux premiers étaient réels et non imaginaires.
Interea effluxerant multi menses, ex quo cœperat hujusmodi persecutio: et mulier votum fecit B. Bernardino Feltrensi, cujus sacrum corpus veneratur in Ecclesia S. Jacobi prope murum illius urbis, incedendi per annum integrum indutam panno griseo, et chordulato, quo utuntur Fratres Minores, de quorum ordine fuit B. Bernardinus, ut per ipsius patrocinium a tanta incubi vexatione liberaretur. Et de facto die 28. Septembris, qui est pervigilium Dedicationis S. Michaelis Archangeli, et festum B. Bernardini, ipsa veste votiva induta est. Mane sequenti, quod est festum S. Michaelis, ibat vexata ad ecclesiam S. Michaelis, quæ ut diximus erat parochialis ipsius, circa medium mane, dum frequens populus ad illam confluebat; et cum pervenisset ad medium plateæ ecclesiæ, omnia ipsius indumenta et ornamenta ceciderunt in terram et rapta vento statim disparuerunt, ipsa relicta nuda. Adfuerunt sorte inter alios duo equites viri longævi, qui factum videntes dejectis ab humero propriis palliis mulieris nuditatem, ut potuerunt, velarunt, et rhedæ impositam ad propriam domum duxerunt. Vestes et jocalia quæ rapuerat Incubus, non restituit nisi post sex menses. Cependant il y avait plusieurs mois que durait cette persécution, lorsque la dame s'adressa au Bienheureux Bernardin de Feltre, dont on vénère le corps dans l'église de Saint-Jacques, à une petite distance des murs de la ville. Elle lui fit vœu de rester une année entière revêtue d'un froc gris, serré avec une corde, pareil à ceux que portent les Frères Mineurs, à l'Ordre desquels appartenait ce Bienheureux Bernardin, espérant, par son intercession, être enfin délivrée des persécutions de l'Incube. Et de fait, le 28 septembre, qui est la Vigile de la Dédicace de Saint-Michel Archange, et la fête du Bienheureux Bernardin, elle revêtit la robe votive. Le lendemain matin, fête de Saint-Michel, notre affligée prit le chemin de l'église de Saint-Michel, qui était, comme je l'ai dit, sa propre paroisse; c'était vers les dix heures, au moment où une foule énorme se rendait à la messe. Or, la pauvrette n'eut pas plutôt mis le pied sur le parvis de l'église, que tout à coup ses vêtements et ornements tombèrent à terre, et disparurent enlevés par le vent, la laissant elle-même nue comme la main. Il se trouva là fort heureusement, parmi la foule, deux cavaliers d'un âge mûr, lesquels, voyant la chose, s'empressèrent de quitter leurs manteaux, pour en cacher tant bien que mal la nudité de cette femme; et, l'ayant mise dans une voiture, la reconduisirent chez elle. Quant aux vêtements et aux bijoux dérobés par l'Incube, il ne les rendit qu'au bout de six mois.
Multa alia, et quidem stupenda operatus est contra eam Incubus, quæ tædet excribere, et per multos annos in ea tentatione permansit, tandemque Incubus videns operam in ea perdere, destitit a tam importuna et insolita vexatione. Bref, je pourrais vous conter bien d'autres tours, et des plus drôles, que lui joua encore cet Incube, mais il y a terme à tout. Qu'il suffise de savoir que, pendant nombre d'années, il persista dans sa tentation; mais, enfin, voyant qu'il y perdait son temps et sa peine, force lui fut de lever le siége.
29. In hoc casu, et similibus qui passim audiuntur et leguntur, Incubus ad nullum actum contra Religionem tentat, sed solum contra castitatem. Hinc fit quod ipsi consentiens non peccat irreligiositate, sed incontinentia. 29. Dans le cas ci-dessus, comme dans quelques autres de même sorte qu'on peut lire ou entendre raconter de temps en temps, l'Incube ne fait tentation d'aucun acte contraire à la Religion, mais seulement à la chasteté. En conséquence, si l'on cède à la tentation, on ne pèche point par impiété, mais par incontinence.
30. In confesso autem est apud Theologos et Philosophos, quod ex commixtione hominis, cum Dæmone aliquoties nascuntur homines et tali modo nasciturum esse Antichristum opinantur nonnulli Doctores: Bellarm., lib. 1. de Rom. Pont. cap. 12., Suarez, tom. 2. disp. 54. sec. 1.; Maluend., de Antichr. l. 2. c. 8. Immo observant, quod, qui gignuntur ab hujusmodi Incubis, naturali causa etiam evenit, ut nascantur grandes, robustissimi, ferocissimi, superbissimi, ac nequissimi ut scripsit Maluenda, loc. cit. § Ad illud; et hujus rationem recitat ex Vallesio Archiat. Reggio. Sac. Philosoph. c. 8., dicente quod Incubi summittunt in uteros non qualecumque, neque quantumcumque semen, sed plurimum, crassissimum, calidissimum, spiritibus affluens et seri expers. Id vero est eis facile conquirere, deligendo homines calidos, robustos, et abundantes multo semine, quibus succumbant, deinde, et mulieres tales, quibus incumbant, atque utrisque voluptatem solito majorem afferendo, tanto enim abundantius emittitur semen, quanto cum majori voluptate excernitur. Hæc Vallesius. Confirmat vero Maluenda supradicta, probando, ex variis et classicis Auctoribus, ex hujusmodi concubitu natos: Romulum ac Remum, Liv. decad. 1.; Plutarch. in vit. Romul., et Parallel.; Servium Tullium, sextum regem Romanorum, Dionys. Halicar. lib. 4., Plin. lib. 36. c. 27.; Platonem Philosophum, Laer. l. 9. de Vit. Philos., D. Hyeron. l. 1. Controvers. Jovinian.; Alexandrum Magnum, Plutarch., in vit. Alex. M.; Quint. Curt., l. 4. de Gest. Alex. M.; Seleucum, regem Syriæ, Just., Hist. l. 15., Appian., in Syriac.; Scipionem Africanum Majorem, Liv., decad. 3. lib. 6.; Cæsarem Augustum Imperatorem, Sueton., in Octa. c. 94.; Aristomenem Messenium, strenuissimum ducem Græcorum, Strabo, de Sit. Orb. lib. 8., Pausan. de Rebus Græcor. lib. 3.; et Merlinum, seu Melchinum Anglicum ex Incubo et Filia Caroli Magni Moniali, Hauller, volum. 2. Generat. 7.; quod etiam de Martino Luthero, perditissimo Heresiarca, scribit Cocleus apud Maluendam, de Antich. lib. 2. c. 6. § Cæterum. 30. Or, il est avéré pour les Théologiens et les Philosophes, que de la copulation de l'homme, mâle ou femelle, avec le Démon, naissent quelquefois des hommes; et c'est de la sorte que doit naître l'Antechrist, suivant bon nombre de Docteurs: Bellarmin, Suarez, Maluenda, etc. Ils observent en outre que, par une cause toute naturelle, les enfants ainsi procréés par les Incubes, sont grands, très-robustes, très-audacieux, très-superbes et très-méchants. Voyez là-dessus Maluenda; quant à la cause en question, il nous la donne d'après Vallesius, Archiatre de Reggio. «Ce que les Incubes introduisent in uteros, n'est pas qualecumque, neque quantumcumque semen, mais abondant, très-épais, très-chaud, très-chargé d'esprits et sans aucune sérosité. Ceci est d'ailleurs pour eux chose facile: ils n'ont qu'à choisir des hommes chauds, robustes, et abundantes multo semine, quibus succumbant; puis des femmes de même tempérament, quibus incumbant, en ayant soin de procurer aux uns et aux autres voluptatem solito majorem, tanto enim abundantius emittitur semen, quanto cum majori voluptate excernitur.» Tels sont les termes de Vallesius. Maluenda confirme ce qui a été dit plus haut, prouvant, par le témoignage de divers Auteurs, classiques la plupart, que c'est à pareilles unions que doivent leur naissance: Romulus et Rémus, d'après Tite-Live et Plutarque; Servius-Tullius, sixième roi des Romains, d'après Denys d'Halicarnasse et Pline l'Ancien; Platon le Philosophe, d'après Diogène Laërce et Saint Jérôme; Alexandre le Grand, d'après Plutarque et Quinte-Curce; Séleucus, roi de Syrie, d'après Justin et Appien; Scipion l'Africain, premier du nom, d'après Tite-Live; l'empereur César-Auguste, d'après Suétone; Aristomène de Messénie, illustre général Grec, d'après Strabon et Pausanias. Ajoutons encore l'Anglais Merlin ou Melchin, né d'un Incube et d'une Religieuse, fille de Charlemagne; et, enfin, comme l'écrit Cocleus, cité par Maluenda, ce damné Hérésiarque, qui a nom Martin Luther.
31. Salva tamen tot, et tantorum Doctorum, qui in ea opinione conveniunt, reverentia, non video, quomodo ipsorum sententia possit subsistere; tum quia, ut optime opinatur Pererius, tom. 2. in Genes. cap. 6. disp. 5., tota vis et efficacia humani seminis consistit in spiritibus, qui difflantur, et evanescunt, statim ac sunt extra genitalia vasa, a quibus foventur, et conservantur, ut scribunt Medici. Nequit proinde Dæmon semen acceptum conservare, ita ut aptum sit generationi, quia vas, quodcumque sit illud, in quo semen conservare tentaret, oporteret, quod caleret calore assimetro a nativo organorum humanæ generationis; similarem enim a nullo alio præterquam ab organis ipsis habere potest. In vase autem non calente vi tali calore, sed alieno, spiritus resolvuntur, nec sequi potest generatio. Tum quia generatio actus vitalis est, per quem homo generans de propria substantia semen defert per organa naturalia ad locum generationi congruentem. In casu autem delatio seminis non potest esse actus vitalis hominis generantis, quia ab eo non infertur in matricem; proinde nec dici potest, quod homo cujus est semen, generet fœtum, qui ex eo nascitur. Neque Incubus ipsius pater dici potest; quia de ipsius substantia semen non est. Hinc fiet, quod nascetur homo, cujus nemo pater sit, quod est incongruum. Tum quia in patre naturaliter generante duplex causalitas concurrit, nempe materialis, quia semen, quod materia generationis, ministrat, et efficiens, quia agens principale est in generatione, ut communiter statuunt Philosophi. In casu autem nostro homo ministrando solum semen, puram materiam exhiberet absque ulla actione in ordine ad generationem; proinde non posset dici pater filii, qui nasceretur: et hoc est contra id, quod homo genitus ab Incubo non est illius filius, sed est filius ejus viri, a quo Incubus semen sumpsit. 31. Cependant, sauf le respect dû à tant et de si grands Docteurs, je ne vois pas comment leur opinion pourrait résister à l'examen. En effet, comme l'observe très-bien Pererius, dans son Commentaire sur la Genèse, chap. 6, toute la force, toute l'efficacité du sperme humain consiste dans les esprits, qui s'évaporent et s'évanouissent aussitôt sortis des vases génitaux, où ils étaient chaudement emmagasinés: les Médecins sont d'accord là-dessus. Il n'est donc pas possible au Démon de conserver le sperme qu'il a reçu, dans un état d'intégrité suffisant pour produire génération; car, quel que soit le vase où il essayerait de le retenir, il faudrait que le vase eût une chaleur égale à la chaleur naturelle des organes génitaux humains, laquelle ne se trouve nulle part que dans ces mêmes organes. Or, dans un vase où cette chaleur n'est pas naturelle, mais factice, les esprits se résolvent, et aucune génération n'est possible. Une seconde objection, c'est que la génération est un acte vital par lequel l'homme, engendrant de sa propre substance, introduit le sperme, au moyen d'organes naturels, dans le lieu propre à la génération. Au contraire, dans le cas spécial qui nous occupe, l'introduction du sperme ne peut pas être un acte vital de l'homme engendrant, puisque ce n'est point par lui qu'il est introduit dans la matrice; et, par la même raison, on ne peut pas dire que l'homme, à qui appartenait le sperme, ait engendré le fœtus qui en est procréé. L'Incube, non plus, ne saurait être considéré comme son père, puisque le sperme n'est pas de sa propre substance. Voilà donc un enfant mis au monde, et n'ayant personne pour père, ce qui est absurde. Troisième objection: quand le père engendre naturellement, il y a concours de deux causalités: l'une matérielle, car il fournit le sperme, qui est la matière de la génération; l'autre efficiente, car il est l'agent principal dans la génération, suivant l'opinion commune des Philosophes. Mais, dans notre espèce, l'homme, se bornant à fournir le sperme, ne ferait l'apport que d'une matière pure et simple, sans aucune action tendant à génération; donc, il ne pourrait être considéré comme le père de l'enfant procréé dans ces circonstances: et ceci est contraire à la notion que l'enfant engendré par un Incube n'est pas le fils de l'Incube, mais le fils de l'homme dont cet Incube a emprunté le sperme.
32. Præterea omni probabilitate caret quod scribit Vallesius, et ex eo recitavimus supra no 30.; mirorque a doctissimi viri calamo talia excidisse. Notissimum enim est apud Physicos, quod magnitudo fœtus non est a quantitate molis, sed est a quantitate virtutis, hoc est spirituum in semine: ab ea enim tota generationis ratio dependet, ut optime testatur Michael Ettmullerus, Instit. Medic. Physiolog. car. 22. thes. 1. fol. m. 39., scribens: Tota generationis ratio dependet a spiritu genitali sub crassioris materiæ involucro excreto; ista materia seminis crassa nullo modo, vel in utero subsistente, vel ceu materia fœtum constituente: sed solus spiritus genitalis maris unitus cum spiritu genitali mulieris in poros uteri, seu quod rarius fit in tubos uteri se insinuat, indeque uterum fecundum reddit. Quid ergo facere potest magna quantitas seminis ad fœtus magnitudinem? Præterea nec semper verum est, quod tales geniti ab Incubis magnitudine molis corporeæ insignes sint: Alexander enim Magnus, qui, ut diximus, natus taliter scribitur, statura pusillus erat; unde carmen, 32. En outre, ce qu'écrit Vallesius, et que nous avons cité d'après lui (voir plus haut, no 30), n'a pas la moindre probabilité; et je m'étonne qu'une telle énormité ait pu tomber de la plume d'un si docte personnage. Les Médecins, en effet, savent parfaitement que la grandeur du fœtus ne tient pas à la quantité de matière, mais à la quantité de vertu, c'est-à-dire d'esprits contenus dans la semence; là est tout le secret de la génération, comme le remarque très-bien Michel Ettmuller, Institut. Medic. Physiolog.: «La génération,» dit-il, «dépend entièrement de l'esprit génital contenu dans une enveloppe de matière plus épaisse; cette matière spermatique ne reste pas dans l'utérus, et ne contribue en rien à former le fœtus; seul, l'esprit génital du mâle, uni à l'esprit génital de la femme, pénètre dans les pores, ou, plus rarement, dans les tubes de l'utérus, qu'il féconde par ce moyen.» Quel peut donc être l'effet d'une grande quantité de sperme, au point de vue de la grandeur du fœtus? De plus, il n'est pas toujours vrai que les hommes ainsi engendrés par des Incubes, soient remarquables par la grandeur de leur corps; Alexandre le Grand, par exemple, qu'on raconte être né de cette manière, comme nous l'avons dit, était de fort petite taille, d'où ce vers:
Magnus Alexander corpore parvus erat.
Magnus Alexander corpore parvus erat.
Item quamvis taliter concepti supra cæteros homines excellant, non tamen hoc semper est in vitiis, sed aliquando in virtutibus etiam in moralibus, ut patet in Scipione Africano, Cæsare Augusto, et Platone Philosopho, de quibus Livius, Suetonius et Laertius respective scribunt, quod optimi in moribus fuere; ut proinde arguere possimus, quod si alii eodem modo geniti pessimi fuere, hoc non fuerit ex hoc, quod fuerint ab Incubo geniti, sed quia tales ex proprio arbitrio extitere. Enfin, quoique les personnages conçus dans ces conditions soient généralement supérieurs aux autres hommes, ce n'est pas toujours dans les vices qu'ils excellent, mais quelquefois aussi dans les vertus, même morales; exemple: Scipion l'Africain, César-Auguste et Platon le Philosophe, qui, d'après les témoignages respectifs de Tite-Live, Suétone et Diogène Laërce, étaient de mœurs excellentes. De quoi nous pouvons conclure que si d'autres individus, engendrés de même manière, ont été de parfaits coquins, ce n'est pas parce qu'ils devaient la vie à un Incube, mais parce que, de leur libre arbitre, il leur avait plu d'être tels.
Pariter ex textu Sacræ Scripturæ, Gen. c. 6. v. 4., habemus quod gigantes nati sunt ex concubitu filiorum Dei cum filiabus hominum, et hoc ad litteram sacri textus. Gigantes autem homines erant statura magna, ut eos vocat Baruch, c. 3. v. 26, et excedente communem hominum proceritatem. Monstruosa statura, robore, latrociniis, et tyrannide insignes; unde Gigantes per sua scelera fuerunt maxima, et potissima causa Diluvii, ait Cornelius a Lapid. in Gen. c. 6. v. 4. § Burgensis. Non quadrat autem quorumdam expositio, quod nomine filiorum Dei veniant filii Seth, et vocabulo filiarum hominum filiæ Cain, eo quod illi erant pietati, Religioni, et cæteris virtutibus addicti, descendentes autem a Cain viceversa: nam salva opinantium, Chrysost. Cyrill. Theodor. Rupert. Ab., et Hilar. in Psalm. 132. apud Cornel. a Lap. c. 6. G. v. 2. § Verum dies, reverentia, talis expositio non cohæret sensui patenti litteræ; ait enim Scriptura, quod ex conjunctione talium nati sunt homines monstruosæ proceritatis corporeæ: ante illam ergo tales gigantes non extiterunt: quod si ex ea orti sunt, hoc non potuit esse ex eo, quod filii Seth coivissent cum filiabus Cain, quia illi erant staturæ ordinariæ, prout etiam filiæ Cain, unde oriri ex his naturaliter non potuerunt, nisi filii staturæ ordinariæ; si ergo monstruosa statura filii nati sunt ex tali conjunctione, hoc fuit, quia non fuerunt prognati ex ordinaria conjunctione viri cum muliere, sed ex Incubis dæmonibus qui ratione naturæ ipsorum optime possunt vocari filii Dei, et in hac sententia sunt Philosophi Platonici, et Franciscus Georgius Venetus, tom. 1. problem. 74.: nec dissentiunt ab eadem Joseph. Hebræus, Philo Judæus, S. Justinus Martyr, Clemens Alexandrinus, et Tertullianus. Joseph. Hebræus, Antiq. l. 1., Philo, l. de Gigant., S. Justinus M., Apolog. 1., Clemens Alex., lib. 3., Tertull., lib. de Habit. Mul., apud Cornel., loc. cit., Hugo de S. Victor., Annot. in Gen., c. 6., qui opinantur illos fuisse Angelos quosdam corporeos qui in luxuriam cum mulieribus delapsi sunt, ut enim infra ostendemus istæ duæ sententiæ in unam, et eamdem conveniunt. On lit aussi dans la Sainte Écriture, Genèse, chap. 6, verset 4, que des géants sont nés du commerce des fils de Dieu avec les filles des hommes: ceci est la lettre même du texte sacré. Or, ces géants étaient des hommes de grande stature, comme il est dit dans Baruch, chap. 3, verset 26, et de beaucoup supérieurs aux autres hommes. Outre cette taille monstrueuse, ils se signalaient encore par leur force, leurs rapines, leur tyrannie; aussi est-ce aux crimes des Géants qu'il convient d'attribuer la cause première et principale du Déluge, suivant Cornelius a Lapide, dans son Commentaire sur la Genèse. Quelques-uns prétendent que, sous le nom de Fils de Dieu, il faut entendre les fils de Seth, et, sous celui de Filles des hommes, les filles de Caïn, parce que les premiers pratiquaient la piété, la religion et toutes les autres vertus, au rebours des enfants de Caïn, qui se signalaient par tout le contraire; mais, sauf le respect dû à Chrysostome, Cyrille, Hilaire et autres qui partagent cette opinion, on avouera qu'elle est en désaccord avec le sens patent du texte. Que dit en effet l'Écriture? Que de la conjonction des susdits sont nés des hommes d'une monstrueuse grandeur corporelle: donc, ces géants n'existaient pas auparavant; et si leur naissance a été le résultat de cette union, il n'est pas admissible qu'on puisse l'attribuer au commerce des fils de Seth avec les filles de Caïn, lesquels, étant eux-mêmes de taille ordinaire, n'ont pu procréer que des enfants de taille ordinaire. Par conséquent, si la conjonction dont il s'agit a donné le jour à des êtres d'une monstrueuse stature, il faut y voir, non le commerce ordinaire de l'homme avec la femme, mais l'opération des Démons Incubes, qui, à raison de leur nature, peuvent très-bien être appelés fils de Dieu. Cet avis est celui des Philosophes Platoniciens et de François Georges de Venise; et il n'est pas en contradiction avec celui de Josèphe l'Historien, Philon de Judée, S. Justin martyr, Clément d'Alexandrie et Tertullien, d'après lesquels ces Incubes seraient des Anges corporels qui se sont laissés glisser dans le péché de luxure avec les femmes. En effet, comme nous le montrerons plus loin, il n'y a là, sous une apparence double, qu'une seule et même opinion.
33. Si ergo Incubi tales, ut fert communis sententia, Gigantes genuerunt, accepto semine ab homine, juxta id, quod supra dictum est, non potuerunt ex illo semine nasci nisi homines ejusdem staturæ plus, minusve, cum eo a quo semen acceptum est: nec enim facit ad altiorem corporis staturam major seminis quantitas, ita ut attracta insolite a Dæmone, dum succubus fit homini, augeat ultra illius staturam enormiter corpus ab eo geniti; quia, ut supra diximus, hoc residet in spiritu, et non in mole seminis: ut proinde necesse sit concludere, quod ab alio semine, quam humano hujusmodi gigantes nati sint, et proinde Dæmon Incubus non humano, sed alio semine utatur ad generationem. Quid igitur dicendum? 33. Si donc ces Incubes, d'après l'avis commun, ont engendré des Géants au moyen de sperme emprunté à l'homme ainsi qu'il a été dit plus haut, il est impossible qu'il soit né de ce sperme autre chose que des hommes de même taille, plus ou moins, que celui qui l'avait fourni; car ce serait en vain que le Démon, en jouant avec l'homme son rôle de Succube, lui soutirerait une dose extraordinaire de liqueur prolifique pour en procréer des enfants de plus forte taille: la dose ici ne fait rien à l'affaire, puisque, comme nous l'avons dit, tout dépend de la vitalité de cette liqueur, non de sa quantité. Nous arrivons donc forcément à cette conclusion: que les Géants sont nés d'un sperme autre que celui de l'homme, et que, par conséquent, le Démon Incube, pour engendrer, emploie un sperme qui n'est pas emprunté à l'homme. Mais alors, que faut-il dire?
34. Quantum ad hoc, sub correctione Sanctæ Matris Ecclesiæ, et mere opinative dico, Incubum Dæmonem dum mulieribus commiscetur, ex proprio ipsius semine hominem generare. 34. Sous le contrôle de Notre Sainte Mère Église, et à titre de simple opinion, je dis que le Démon Incube, dans son commerce avec les femmes, engendre le fœtus humain de sa propre semence.
35. Paradoxa in fide, et parum sana nonnullis videbitur hæc opinio; sed lectorem meum deprecor, ut judicium non præcipitet de ea: ut enim incivile est nondum tota lege perspecta judicare, ut Celsus, lib. 24. ff. de legib. et S. C., ait, ita neque damnanda est opinio, nisi prius examinatis, ac solutis argumentis, quibus innititur. Ad probandam igitur supradatam conclusionem, nonnulla sunt necessario præmittenda. 35. Beaucoup de gens trouveront cette proposition hétérodoxe et peu sensée, mais je supplie mon lecteur de ne pas la condamner à la légère; car si, comme l'observe Celse, il n'est pas convenable de prononcer un jugement sans avoir examiné la loi sous toutes ses faces, de même il est injuste de condamner une opinion avant d'avoir pesé et réfuté les arguments sur lesquels elle s'appuie. Il s'agit donc de prouver ma conclusion, et je dois nécessairement, à cet effet, entrer dans quelques développements.
36. Præmittendum primo de fide est, quod dentur Creaturæ pure spirituales nullo modo de materia corporea participantes, prout habetur ex Concillio Lateranensi, sub Innocentio Tertio, c. Firm. de Sum. Trin. et Fid. Cath. Conc. Eph. in Epist. Cyrill. ad Reggia, et alibi. Hujusmodi autem sunt Angeli beati, et Dæmones damnati ad ignem perpetuum. Quamvis vero nonnulli Doctores, Bann. par. 1. q. 5. ar. 1. Can. de Loc. Theol. l. 5. c. 5. Sixt. seu Bibliot. San. l. 5. annot. 8., Mirand. Sum. Concil. vo. Angelus, Molina, p. 1. q. 50., a. 1., Carranz., Annot. ad Synod. 7., etiam post Concilium illud docuerint spiritualitatem Angelorum et Dæmonum non esse de fide, ita ut nonnulli alii, Bonav. in lib. 2. sent. dist. 3. q. 1., Scot. de Anim. q. 15., Cajet. in Gen. c. 4., Franc. Georg. Problem. l. 2. c. 57., August. Hyph., de Dæmon., l. 3. c. 3., scripserint illos esse corporeos, et proinde Angelos Dæmonesque corpore et spiritu constare non esse propositionem hæreticam, neque erroneam probet Bonaventura Baro, Scot. Defens. tom. 9. apolog. 2., act. 1., p. § 7.: tamen quia Concilium ipsum statuit de fide tenendum, Deum esse Creatorem omnium visibilium, et invisibilium, spiritualium, et corporalium, qui utramque de nihilo condidit creaturam spiritualem et corporalem Angelicam, videlicet ut mundanam: ideo dico de fide esse quasdam creaturas dari mere spirituales, et tales esse Angelos, non quidem omnes, sed quosdam. 36. En premier lieu, je constate, comme un article de foi, l'existence de Créatures purement spirituelles, n'ayant aucun rapport avec la matière corporelle, ainsi que l'a décidé le Concile de Latran, sous Innocent III. Tels sont les Anges bienheureux, et les Démons condamnés au feu éternel. Un certain nombre de Docteurs, il est vrai, ont enseigné, même après ce Concile, que la spiritualité des Anges et des Démons n'était pas article de foi; d'autres même, allant plus loin, ont affirmé qu'ils étaient corporels, d'où Bonaventure Baron a conclu qu'il n'y avait rien d'hérétique ni d'incohérent à donner aux Anges et aux Démons une double substance, corporelle et spirituelle. Cependant, en présence de la déclaration formelle du Concile, qu'il est de foi que Dieu est le Créateur de toutes choses visibles et invisibles, spirituelles et corporelles, qui a tiré du néant toute créature spirituelle et corporelle, Angélique ou terrestre, je dis qu'il est de foi d'admettre l'existence de certaines créatures purement spirituelles, et que tels sont les Anges: non pas tous, mais un certain nombre.
37. Inaudita forsan erit sententia hæc, sed non destituta erit probabilitate. Si enim a Theologis tanta inter Angelos diversitas specifica, et proinde essentialis statuitur, ut in via D. Thomæ, p. p., q. 50., ar. 4., plures Angeli nequeant esse in eadem specie, sed quilibet Angelus propriam speciem constituat, profecto nulla invenitur repugnantia, quod Angelorum nonnulli sint purissimi spiritus, et proinde excellentissimæ naturæ, alii autem corporei, et minus excellentes, et eorum differentia petatur per corporeum, et incorporeum. Accedit quod hac sententia facile solvitur alias insolubilis contradictio inter duo Concilia Œcumenica, nempe Septimam Synodum generalem, et dictum Concilium Lateranense: siquidem in illa Synodo, quæ est secunda Nicæna, actione quinta, productus est liber Joannis Thessalonicensis scriptus contra quemdam Philosophum gentilem, in quo ita habetur: De Angelis, et Archangelis, atque eorum Potestatibus, quibus nostras Animas adjungo, ipsa Catholica Ecclesia sic sentit, esse quidem intelligibiles, sed non omnino corporis expertes, et insensibiles, ut vos Gentiles dicitis, verum tenui corpore præditos, et æreo, sive igneo, sicut scriptum est: qui facit Angelos suos spiritus, et ministros suos ignem urentem. Et infra: Quamquam autem non sint ut nos, corporei, utpote ex quatuor elementis, nemo tamen vel Angelos, vel Dæmones, vel Animas dixerit incorporeas: multoties enim in proprio corpore visi sunt ab illis, quibus Dominus oculos aperuit. Et cum omnia lecta fuissent coram Patribus synodaliter congregatis, Tharasius, Patriarcha Constantinopolitanus, poposcit adprobationem Sanctæ Synodi his verbis: Ostendit Pater, quod Angelos pingi oporteat, quoniam circumscribi possunt, et ut homines apparuerunt. Synodus autem uno ore respondit: Etiam, Domine. 37. Ceci paraîtra étrange peut-être, mais on conviendra que ce n'est pas improbable. Si en effet les Théologiens s'accordent à constater parmi les Anges une diversité spécifique, et par suite essentielle, si grande que, à en croire S. Thomas, il n'existe pas deux Anges de même espèce, mais que chacun d'eux constitue une espèce à lui seul, quelle difficulté trouvera-t-on à ce que certains Anges soient des esprits très-purs, conséquemment de nature très-supérieure, et qu'il y en ait d'autres qui soient corporels et de nature moins parfaite, différant ainsi les uns des autres par leur substance corporelle et incorporelle? Cette doctrine, remarquons-le, a l'avantage de concilier aisément les décisions, autrement incompatibles, de deux Conciles Œcuméniques, savoir le Septième Synode Général, et le susdit Concile de Latran. En effet, dans la cinquième séance de ce Synode, qui est le deuxième de Nicée, on produisit un livre de Jean de Thessalonique, écrit contre un Philosophe païen, où se trouvent les propositions suivantes: «A l'égard des Anges, des Archanges et de leurs Puissances, auxquelles j'adjoindrai nos propres Ames, l'avis réel de l'Église Catholique est que ce sont des intelligences, mais non tout à fait dépourvues de corps et insensibles comme vous autres Gentils le prétendez; elle leur reconnaît au contraire un corps subtil, de la nature de l'air ou du feu, suivant ce qui est écrit: Il fait des esprits ses Anges, et du feu ardent son Ministre.» Et encore: «Bien qu'ils ne soient pas corporels à notre manière, c'est-à-dire composés des quatre éléments, il est néanmoins impossible de dire que les Anges, les Démons et les Ames sont incorporels; car ils sont apparus nombre de fois, revêtus de leur propre corps, à ceux dont le Seigneur a daigné ouvrir les yeux.» Et après que ce livre eut été lu dans son entier devant tous les Pères réunis en synode, Tharasius, Patriarche de Constantinople, le soumit en ces termes à l'approbation du Saint Synode: «La démonstration du Père conclut à ce que les Anges doivent être représentés en peinture, puisque leur forme est circonscrite, et qu'on les a vus sous la figure humaine.» A quoi le Synode, d'une voix unanime, répondit: «Oui, Monseigneur.»
38. Hanc autem Conciliarem adprobationem de materia ad longum pertractata a D. Joanne in libro coram Patribus lecto, statuere articulum fidei circa corporeitatem Angelorum, perspicuum est: unde ad tollendam contradictionem hujus, cum allata definitione Concilii Lateranensis multum desudant Theologi. Unus enim, Suarez, de Angelis, ait, quod Patres non contradixerunt tali asserto de corporeitate Angelorum, quia non de illa re agebatur. Alius, Bann., in p. p. q. 10., ait, quod Synodus adprobavit conclusionem, nempe Angelos pingi posse, non tamen adprobavit rationem, quia corporei sunt. Alius, Molin., in p. p., q. 50. a. 1., ait, quod definitiones Conciliares in illa Synodo factæ sunt solum actione septima, proinde ea quæ habentur in actionibus præcedentibus non esse definitiones de fide. Alii, Joverc. et Mirand., Sum. Conc., scribunt nec Nicænum, nec Lateranense Concilium intendisse definere de fide quæstionem; et Nicænum quidem locutum fuisse juxta opinionem Platonicorum, quæ ponit Angelos corporeos, et tunc prævalebat; Lateranense autem locutum esse juxta mentem Aristotelis, qui, l. 12. Metaphys., tex. 49., ponit intelligentias incorporeas, quæ sententia contra Platonicos apud plerosque Doctores invaluit expost. 38. Maintenant, que cette approbation par un Concile de la doctrine exposée tout au long dans le livre de Jean, constitue un article de foi à l'égard de la corporéité des Anges, ceci ne fait pas l'ombre d'un doute: aussi les Théologiens suent-ils sang et eau pour enlever à cette décision ce qu'elle a de contradictoire avec la définition, rapportée plus haut, du Concile de Latran. A en croire Suarez, si les Pères n'ont pas contredit une telle assertion de la corporéité des Anges, c'est que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait. Un autre prétend que le Synode a bien approuvé la conclusion, à savoir qu'on pouvait peindre les Anges, mais non le motif donné, qu'ils sont corporels. Un troisième, Molina, fait observer que les définitions conciliaires émises par ce Synode, l'ont été seulement dans la septième séance, d'où il conclut que celles des séances précédentes ne sont pas des définitions de foi. D'autres, enfin, écrivent que ni le Concile de Nicée, ni celui de Latran n'ont entendu définir une question de foi: le Concile de Nicée ayant parlé suivant l'opinion des Platoniciens, qui fait des Anges des êtres corporels et qui prévalait alors; le Concile de Latran, au contraire, ayant suivi l'autorité d'Aristote, lequel, au livre 12 de sa Métaphysique, établit l'existence d'intelligences incorporelles, doctrine qui, depuis, a eu gain de cause contre les Platoniciens auprès de la plupart des Docteurs.
39. Sed quam frigidæ sint istæ responsiones nemo non videt, ac eas minime satisfacere oppositioni palmariter demonstrat Bonaventura Baro, Scot. Defens., tom. 9., apolog. 2., actio. 1., § 2. per totum. Proinde ad tollendam contradictionem Conciliorum dicendum est, Nicænum locutum esse de una, Lateranense autem de alia specie Angelorum, et illam quidem corpoream, hanc vero penitus incorpoream; et sic conciliantur, aliter irreconciliabilia Concilia. 39. Mais il est aisé de voir combien ces réponses sont faibles, et Bonaventure Baron (Scot. Defens., tome 9), démontre jusqu'à l'évidence qu'elles ne supportent pas l'examen. Donc, pour mettre d'accord ces deux Conciles, il faut dire que celui de Nicée a voulu parler d'une espèce d'Anges, et celui de Latran d'une autre espèce: la première corporelle, la seconde, au contraire, absolument incorporelle; et c'est ainsi que se concilient deux Conciles autrement inconciliables.
40. Præmittendum 2o., nomen Angeli esse nomen officii, non naturæ, ut concorditer scribunt S. S. Patres: Ambros. in c. 1. epist. ad Hebr., Hilarius, l. 5. de Trin., Augustinus, lib. 15. de Civit. Dei. c. 23., Gregorius, Hom. 34. in Evang., Isidorus, l. de Sum. Bonit., c. 12.; unde præclare ait D. Ambrosius: Angelus non ex eo quod est spiritus, ex eo quod agit, Angelus, quia Angelus Græce, Latine Nuntius dicitur; sequitur igitur ex hoc, quod illi, qui ad aliquod ministerium a Deo mittuntur, sive spiritus sint, sive homines, Angeli vocari possunt; et de facto ita vocantur in Scripturis Sacris: nam de Sacerdotibus, Concionatoribus, ac Doctoribus, qui tanquam Nuntii Dei explicant hominibus divinam voluntatem, dicitur, Malach. c. 2. v. 7.: Labia Sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore ejus, quia Angelus Domini exercituum est. D. Joannes Baptista ab eodem Propheta, c. 3. v. 1., vocatur Angelus, dum ait: Ecce ego mitto Angelum meum, et præparabit viam ante faciem meam. Et hanc prophetiam esse ad litteram de S. Joanne Baptista testatur Christus Dominus in Evangelio Matthæi, 11., v. 10. Immo et ipse Deus, quia fuit missus a Patre in mundum ad evangelizandum legem gratiæ, vocatur Angelus. Ita in prophetia Isaiæ, c. 9. v. 6., juxta versionem Septuaginta: Vocabitur nomen ejus magni consilii Angelus, et clarius in Malachiæ c. 3. v. 1.,: Veniet ad templum sanctum suum Dominator quem vos quæritis, et Angelus testamenti, quem vos vultis. Quæ prophetia ad litteram est de Christo Domino. Sequitur igitur nullum absurdum sequi ex hoc, quod dicimus Angelos quosdam esse corporeos, nam et homines, qui corpore constant, Angeli vocabulo efferuntur. 40. En deuxième lieu, nous devons observer que le nom d'Ange ne s'applique pas à la nature, mais à la fonction: là-dessus les Saints Pères sont d'accord (S. Ambroise, sur l'Épître aux Hébreux; S. Augustin, Cité de Dieu; S. Grégoire, Homélie 34 sur les Évangiles; S. Isidore, de la Suprême Bonté). L'Ange, dit très-bien S. Ambroise, n'est pas ainsi appelé pour sa qualité d'esprit, mais pour la fonction qu'il remplit: Ἄγγελος en Grec, en Latin Nuntius, c'est-à-dire Envoyé; d'où il résulte que ceux à qui Dieu confie quelque mission, esprits ou hommes, peuvent recevoir la qualification d'Anges, et c'est réellement ce qui a lieu dans les Saintes Écritures, où se lisent les paroles suivantes appliquées aux Prêtres, aux Prédicateurs et aux Docteurs qui, en qualité d'Envoyés de Dieu, expliquent aux hommes la volonté divine (Malachie, chap. 2, v. 7): «Les lèvres du prêtre seront les dépositaires de la science, et c'est de sa bouche qu'on recherchera la connaissance de la loi, parce qu'il est l'Ange du Seigneur des armées.» Le même prophète, chap. 3, v. 1, donne le nom d'Ange à S. Jean-Baptiste, dans ce passage: «Je vais vous envoyer mon ange, qui préparera ma voie devant ma face.» Que cette prophétie se rapporte à la lettre à S. Jean-Baptiste, c'est ce qu'atteste Notre-Seigneur Jésus-Christ, Evangile selon S. Mathieu, 11, v. 10. Il y a plus: Dieu lui-même est appelé Ange, parce qu'il a été envoyé par son Père pour annoncer au monde la loi de grâce. Témoin la prophétie d'Isaïe, chap. 9, v. 6, suivant la version des Septante: «Il sera appelé Ange de grand conseil.» Et plus clairement encore dans Malachie, chap. 3, v. 1: «Le Dominateur que vous cherchez, et l'Ange de l'alliance si désiré de vous, viendra dans son temple», prophétie qui s'applique littéralement au Seigneur Christ. Il n'y a donc, de notre part, aucune absurdité à dire que certains Anges sont corporels, puisque ce nom d'Ange est donné à des hommes, qui, assurément, ont un corps.
41. Præmittendum 3o., nondum rerum naturalium, quæ sunt in Mundo, satis perspectam esse existentiam, aut naturam, ut proinde aliquid negandum sit ex eo, quod de illo nunquam alias dictum, aut scriptum fuerit. Patet enim tractu temporis detectas esse novas terras, quas Antiqui nostri ignorarunt, novaque animalia, herbas, plantas, fructus, semina nunquam alias visa; et si pervia esset Terra Australis incognita, cujus indagatio, et lustratio a multis hucusque incassum tentata est, adhuc nova nobis alia panderentur. Patet adhuc, quod per inventionem Microscopii, et alias machinas, et organa Philosophiæ experimentales modernæ, sicut etiam per exactiorem indaginem Anatomistarum, multarum rerum naturalium existentiam, vires, naturamque tum innotuisse, tum dietim innotescere, quæ præcedentes Philosophi ignorarunt, ut patet in auro fulminante, phosphoro, et centum aliis chymicis experimentis, circulatione sanguinis, venis lacteis, vasis lymphaticis, et aliis hujusmodi quæ nuper Anatomistæ adinvenerunt. Proinde ineptum erit aliquod exsibillare ex hoc quod de eo nullus Antiquorum scripserit, attento maxime Logicorum axiomate, quod locus ab auctoritate negativa non tenet. 41. En troisième lieu, il faut bien convenir que l'on n'a pas encore assez scruté l'existence ni la nature des choses naturelles de ce monde, pour qu'il soit permis de nier un fait, par cela seul que d'autres n'en ont jamais rien dit ou écrit. N'est-il pas avéré que, dans le cours des temps, de nouvelles terres ont été découvertes que nos Anciens avaient ignorées? de même des animaux nouveaux, des herbes, des plantes, des fruits, des semences que nulle part ailleurs on n'avait vus? Et si l'on arrivait enfin à explorer cette mystérieuse Terre Australe, comme tant de voyageurs l'ont vainement tenté jusqu'ici, combien de choses nouvelles nous seraient encore révélées! N'est-ce pas aussi un fait avéré que l'invention du Microscope et d'autres instruments employés par la Philosophie expérimentale moderne, jointe aux procédés d'investigation plus exacts des Anatomistes, a mis ou met tous les jours en lumière l'existence, les propriétés, le caractère d'une foule de choses naturelles inconnues aux anciens Philosophes, telles que l'or fulminant, le phosphore, et cent autres compositions chimiques, la circulation du sang, les veines lactées, les vases lymphatiques et autres phénomènes semblables récemment découverts par les Anatomistes? Persifler une doctrine parce qu'on n'en trouve mention dans aucun auteur ancien, est donc chose inepte, surtout si l'on veut bien tenir compte de cet axiome de Logique: locus ab auctoritate negativa non tenet.
42. Præmittendum 4o., quod in Sacra Scriptura, et Ecclesiasticis traditionibus non traditur nisi id, quod ad Animæ salutem necessarium est, quoad credendum, sperandum et amandum; unde inferre non licet ex eo, quod nec ex Scriptura, nec ex traditione aliquod habetur, proinde negandum sit, quod illud tale existat: aut nos quidem Fides docet, Deum per Verbum suum omnia creasse visibilia, et invisibilia; pariterque ex Jesu Christi Domini nostri meritis tum gratiam, tum gloriam omni, et cuivis rationali creaturæ conferri. Num autem alius Mundus a nostro, quem incolimus, sit; et in eo alii homines non ab Adam prognati, sed alio modo a Deo creati existant (sicut ponunt illi, qui lunarem globum habitatum opinantur); pariterque num in hoc Mundo, quem incolimus, aliæ existant creaturæ rationales ultra homines, et Spiritus Angelicos, quæ regulariter hominibus sint invisibiles, et per accidens, et earum executiva potentia fiant visibiles: hoc nullo modo spectat ad fidem, et hoc scire, aut ignorare non est ad salutem hominis necessarium, sicut nec scire rerum omnium physicarum numerum aut naturam. 42. En quatrième lieu, observons que la Sainte Écriture et les traditions ecclésiastiques ne nous enseignent rien au delà de ce qui est nécessaire au salut de l'âme, c'est-à-dire à la Foi, à l'Espérance et à la Charité. Donc, de ce qu'une chose n'est constatée ni par l'Écriture, ni par la tradition, il ne faut pas conclure que cette chose n'existe pas. Par exemple, la Foi nous enseigne que Dieu, par son Verbe, a créé des choses visibles et invisibles; et pareillement, que toute créature raisonnable obtient personnellement la grâce et la gloire par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Maintenant, qu'il existe un Monde, autre que celui que nous habitons; que dans ce monde-là il y ait des hommes non issus d'Adam, mais créés par Dieu de quelque autre manière, comme le supposent ceux qui logent des habitants dans la lune; ou encore, que dans ce Monde même que nous habitons, il y ait des créatures raisonnables indépendamment des hommes et des Esprits Angéliques, lesquelles créatures nous sont généralement invisibles et ne se découvrent à l'homme que par accident, par un acte de leur propre puissance: tout cela n'a rien à faire avec la Foi, et le savoir ou l'ignorer n'est pas plus nécessaire au salut de l'homme, que de savoir le nombre ou la nature de toutes les choses physiques.
43. Præmittendum 5o., nullam inveniri repugnantiam, nec in Philosophia, nec in Theologia, quod dari possint creaturæ rationales constantes spiritu et corpore, aliæ ab homine, quia si esset repugnantia hoc esset vel ex parte Dei (et hoc non quia ipse omnipotens est), vel ex parte rei creabilis; et neque hoc, quia sicut creatura mere spiritualis, ut Angeli, creata est, et mere materialis, ut Mundus, et partim spiritualis, partim corporea, corporeitate terrestri, et crassa, ut homo, ita creabilis est creatura constans spiritu rationali, et corporeitate minus crassa, sed subtiliore, quam sit homo. Et profecto post Resurrectionem Anima Beatorum erit unita corpori glorioso dote subtilitatis donato: ut proinde concludi posset, potuisse Deum creare creaturam rationalem corpoream, cui naturaliter indita sit corporis subtilitas, sicut per gratiam corpori glorioso confertur. 43. En cinquième lieu, ni la Philosophie, ni la Théologie ne fournissent aucune objection à cette donnée de créatures raisonnables ayant esprit et corps, et distinctes de l'homme. L'objection, en effet, ne saurait être qu'une impossibilité tirée soit de Dieu (ce qui est faux puisque Dieu est tout-puissant); soit de la chose à créer, ce qui est faux encore, car, de même qu'il existe des créatures purement spirituelles, comme les Anges, ou purement matérielles, comme le Monde, ou enfin moitié spirituelles, moitié corporelles, et d'une corporéité terrestre et épaisse, comme l'homme, de même peut-on admettre une créature douée d'un esprit raisonnable, et d'une corporéité moins épaisse et plus subtile que l'homme. Il n'est pas douteux d'ailleurs qu'après la Résurrection, l'âme des Bienheureux sera unie à un corps glorieux et subtil: d'où il est permis de conclure que Dieu a pu créer un être raisonnable et corporel, dont le corps est naturellement subtil comme le corps glorieux transfiguré par la grâce.
44. Astruitur autem magis talium creaturarum possibilitas ex solutione argumentorum, quæ contra positam conclusionem fieri possunt, pariterque ex responsione ad interrogationes, quæ possunt circa eam formari. 44. Mais, pour mieux établir la possibilité de ces créatures, nous allons résoudre les arguments qu'on peut former contre notre conclusion et répondre aux questions qu'elle soulève.
45. Prima interrogatio est, an tales creaturæ dicendæ essent animalia rationalia? Quod si sic, quomodo different ab homine, cum quo communem haberent definitionem? 45. Première question: ces créatures devraient-elles être appelées animaux raisonnables? et dans l'affirmative, en quoi différeraient-elles de l'homme, avec lequel cette définition leur serait commune?
46. Respondeo quod essent animalia rationalia sensibus, et organis corporis prædita, sicut homo: differrent autem ab homine non solum ratione corporis tenuioris, sed etiam materiæ. Homo siquidem ex crassiore elementorum omnium parte, puta ex luto, nempe aqua et terra crassa formatus est, ut constat ex Scriptura, Gen. 2. v. 7.; ista vero formata essent ex subtiliore parte omnium, aut unius, seu alterius elementorum; ut proinde alia essent terrea, alia aquea, alia ærea, et alia ignea, et ut eorum definitio cum hominis definitione non conveniret, addendum esset definitioni hominis crassa materialitas sui corporis, per quam a dictis animalibus differret. 46. Je réponds: oui, ce seraient des animaux raisonnables, munis de sens et d'organes corporels, ainsi que l'homme; toutefois, elles différeraient de l'homme, non-seulement par la nature plus subtile de leur corps, mais par la matière. En effet, l'homme a été formé, comme le constate l'Écriture, de la partie la plus épaisse de tous les éléments, c'est-à-dire de boue, mélange épais d'eau et de terre: ces créatures, au contraire, seraient formées de la partie la plus subtile de tous les éléments, ou de l'un d'eux; ainsi les unes tiendraient de la terre, les autres de l'eau, ou de l'air, ou du feu, et pour éviter de les définir dans les mêmes termes que l'homme, il faudrait ajouter à la définition de ce dernier la mention de la matérialité épaisse de son corps, par où il différerait de ces créatures.
47. Secunda interrogatio est, quandonam hujus modi animalia fuissent condita, et num cum brutis producta a terra, aut ab aqua, ut quadrupedia, et aves respective; an vero a Domino Deo formata, ut fuit homo? 47. Seconde question: A quelle époque faudrait-il assigner l'origine de ces animaux, et seraient-ils le produit de la terre ou de l'eau, comme les bêtes, quadrupèdes, oiseaux, etc.; ou, au contraire, auraient-ils été créés, ainsi que l'homme, par le Seigneur Dieu?
48. Respondeo quod de fide est, quod posito, quod existant de facto, creata sint a principio Mundi: sic enim definitur a Concilia Lateranensi (Firm. de Sum. Trinit. et Fide cathol.); nempe quod Deus sua omnipotenti virtute simul ab initio temporis utramque de nihilo condidit creaturam, spiritualem et corporalem. Sub illa etenim Creaturarum generalitate etiam illa animalia essent comprehensa. Quo vero ad eorum formationem, decuisse ipsorum corpus a Deo ministerio Angelorum formatum fuisse, sicut a Deo formatum legimus corpus hominis, quia ipsi copulandus erat spiritus immortalis, quandoquidem spiritus incorporeus, et proinde nobilissimus corpori pariter originaliter nobiliori cæteris brutis jungendus erat. 48. Je réponds: Il est de foi, et le Concile de Latran l'a expressément défini, que tout ce qui existe de fait et actuellement, a été créé dès le commencement du monde. Par sa vertu toute-puissante, Dieu a tiré ensemble du néant, à l'origine des siècles, les deux ordres de créatures, spirituelles et corporelles. Or, les animaux en question seraient compris dans la généralité des créatures. Quant à leur formation, on pourrait dire que c'est Dieu lui-même qui, par le ministère des Anges, a fait leur corps comme il a fait celui de l'homme, auquel devait être uni un esprit immortel. En effet, ce corps étant, de sa nature, plus noble que celui des autres animaux, il y avait lieu d'y joindre un esprit incorporel et très-noble.
49. Tertia interrogatio, an talia animalia habuissent originem ab uno solo, velut omnes homines ab Adam, an vero plura simul formata essent sicut fuit de cæteris animantibus a terra, et aqua productis, in quibus fuerunt Mares, et Fœminæ quæ speciem per generationem conservant? Et si hoc oporteret inter talia animalia esse distinctionem sexus; ipsa nasci, et interire; passionibus sensus affici, nutriri, crescere; et tunc quo alimenta vescerentur, esset quærendum; præterea an vitam socialem ducerent, ut homines; qua politica regerentur; num urbes ad habitandum struxissent; num artes, studia, possessiones, et bella inter ea essent, sicut est in hominibus. 49. Troisième question: Ces animaux descendraient-ils d'un seul individu, comme tous les hommes d'Adam; ou, au contraire, y en aurait-il eu plusieurs de créés en même temps, comme dans les différentes espèces produites de la terre et de l'eau, où se sont trouvés des mâles et des femelles pour se perpétuer par la génération? Ensuite, y aurait-il entre eux des distinctions de sexes? Seraient-ils sujets à naître et à mourir? Auraient-ils des sens, des passions, besoin de nourriture, faculté de croissance? Et alors, quels seraient leurs aliments? Enfin, vivraient-ils en société, comme les hommes? Par quelles lois seraient-ils régis? Bâtiraient-ils des villes pour y habiter? Cultiveraient-ils les arts et les lettres? Posséderaient-ils des biens et se feraient-ils la guerre entre eux, comme les hommes?
50. Respondeo: potuit esse quod omnia ab uno, velut homines ab Adam, sint progenita; potuit pariter esse, quod ex iis multi mares, et plures fœminæ fuissent formatæ, a quibus per generationem eorum species essent propagatæ. Ultro admitteremus talia animalia oriri, et mori; mares alios, alias fœminas inter ea esse; passionibus, sensibus agitari velut homines; nutriri et crescere secundum molem sui corporis; cibum autem ipsorum non crassum qualem requirit crassities corporis humani, sed substantiam tenuem, et vaporosam emanantem per effluvia spirituosa a rebus physicis pollentibus corpusculis maxime volatilibus, ut nidor carnium maxime assatarum, vapor vini, fructuum, florum, aromatum, a quibus copiosa hujusmodi effluvia usque ad totalem partium subtiliorum, ac volatilium evaporationem scaturiunt. Talia autem animalia civilem vitam ducere posse, et inter ea distinctos esse gradus dominantium ac servientium pro conditione naturæ ipsorum, artesque, scientias, ministeria, exercitia, loca, mansiones, ac alia necessaria ad eorum conservationem, nullam penitus importat repugnantiam. 50. Je réponds: Il se peut que tous descendent d'un seul individu, comme les hommes d'Adam; il se peut aussi qu'il en ait été créé, dès l'origine, un certain nombre, mâles et femelles, qui ont servi à propager l'espèce. Nous admettrons encore qu'ils naissent et qu'ils meurent; qu'ils se divisent en mâles et en femelles; qu'ils ont, comme les hommes, des sens et des passions; que leur corps se nourrit et se développe: toutefois, leur nourriture ne doit pas être grossière comme celle qu'exige le corps humain, mais une substance délicate et vaporeuse, émanant par effluves spiritueuses de tout ce qui, dans la nature, abonde en corpuscules très-volatils, comme le fumet des viandes, et spécialement des viandes rôties, la vapeur du vin, des fruits, des fleurs, des aromates, d'où se dégagent des effluves de ce genre, jusqu'à évaporation parfaite des parties subtiles et volatiles. Que, du reste, ils puissent vivre en société; qu'il y ait entre eux différentes conditions de rang et de préséance; qu'ils cultivent les arts et les sciences; qu'ils exercent des fonctions, entretiennent des armées, bâtissent des villes, et fassent enfin tout ce qui est nécessaire à leur conservation: c'est à quoi je ne verrais, au fond, rien à objecter.
51. Quarta interrogatio est, qualis esset eorum corporis figuratio, an humanam, an aliam formam, et qualem haberent, et an partes corporis ipsorum haberent ordinem essentialem inter se, ut corpora cæterorum animalium, an vero accidentalem tantum, ut corpora fluidarum substantiarum, ut olei, aquæ, nubis, fumi, etc.; et num substantiæ suarum partium organicarum diversimode constarent, ut organa hominum, in quibus sunt aliæ partes crassissimæ, ut ossa, aliæ minus crassæ, ut cartilagines, aliæ tenues, ut membranæ. 51. Quatrième question: Quelle serait la forme de leur corps? Serait-ce la forme humaine ou quelque autre? Y aurait-il, entre les diverses parties de leur corps, un ordre essentiel, comme on le voit dans les autres animaux, ou seulement accidentel, comme dans les substances fluides, telles que l'huile, l'eau, les nuées, la fumée, etc.? Ces parties organiques seraient-elles composées de substances différentes, comme les organes du corps humain, où se trouvent des parties très-épaisses, telles que les os; d'autres moins épaisses, telles que les cartilages; et d'autres minces, telles que les membranes?
52. Respondeo, quod quantum ad figuram corpoream nihil certi affirmare debemus, aut possumus, cum talis figura non sit exacte nobis sensibilis, nec quoad visum, nec quoad tactum præ sui corporis tenuitate, ac perspicacitate; qualis proinde vere sit, noverent ipsi, aliique, qui substantias immateriales intuitive cognoscere possunt. Quoad congruentiam et probabilitatem dico, illa referre speciem corporis humani, cum aliquo distinctivo a corpore humano, nisi forte ad hoc sufficiat sua ipsorum tenuitas. Ducor, quia corpus humanum plasmatum a Deo perfectissimum est, inter animalia quæque, et cum cætera bruta in terram sint prona, eo quia anima eorum mortalis est, Deus, ut ait poeta Ovid., Metamorphos.: 52. Je réponds: En ce qui concerne la forme de leur corps, nous ne devons ni ne pouvons rien affirmer de certain, puisque cette forme ne tombe pas sous nos sens, étant trop délicate pour notre vue et notre toucher. Laissons donc cette connaissance à eux-mêmes et à ceux qui ont le privilége de discerner intuitivement les substances immatérielles. Mais, en tant que probabilité, je dis que cette forme doit se rapporter à celle du corps humain, avec quelque particularité distinctive, si la délicatesse même de leur corps n'en est pas une suffisante. Et ce qui me confirme dans cette opinion, c'est de considérer que le corps humain, de tous les ouvrages de Dieu, est le plus parfait; que, tandis que tous les autres animaux, dont l'âme est mortelle, sont courbés vers la terre, Dieu, comme dit le poète Ovide, en ses Métamorphoses,
Os homini sublime dedit, cœlumque tueri
Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus;
A donné à l'homme un visage sublime, lui ordonnant de contempler le ciel,
Et de tenir tes yeux élevés vers les astres,
quia anima hominis immortalis ordinata est ad cœlestem mansionem. Cum igitur animalia, de quibus loquimur, spiritum haberent immaterialem, rationalem, ac immortalem, et proinde capacem beatitudinis, ac damnationis, congruum est, quod corpus, cui talis spiritus copulatur, simile sit omnium animalium nobilissimo, corpori humano. Ex hac positione sequitur, quod ejus corporis partes ordinem inter se essentialem habere deberent; nec enim pes capiti, aut ventri manus conjungi deberet: sed congrua membrorum essentiali dispositione ordinata, ut essent idonea ministeriis propriis perficiendis. Quo autem ad partes componentes ipsarum organa, dico quod necessarium esset, ut nonnullæ ipsarum essent solidiores, aliæ minus solidæ, aliæ tenues, aliæ tenuissimæ pro necessitate operationis organicæ. Nec contra hanc positionem facile potest asseri tenuitas ipsorum corporum: quippe soliditas aut crassities organicarum partium, de qua dicimus, non esset talis simpliciter, sed comparative ad alias partes tenuiores. Et hoc patere potest in omnibus corporibus fluidis naturalibus, ut vino, oleo, lacte, etc.; quantumvis enim omnes partes in ipsis videantur homogeneæ, ac similares, non tamen ita est; nam in ipsis est pars terrea, pars aquea, sal fixum, sal volatile, et pars sulfurea, quæ omnia manipulatione spargirica oculis subjici possunt. Ita esset in casu nostro: posito enim quod talium animalium corpora subtilia, et tenuia, ut corpora naturalia fluida, velut aqua, et ær, essent, non tamen tolleretur, quin in ipsorum partibus diversæ inter se essent qualitates, et aliquæ ipsarum comparative ad alias essent solidæ, et aliæ tenuiores, quamvis totum corpus ex ipsis compositum tenue dici posset. et cela, parce que l'âme de l'homme a été créée immortelle, en vue de la demeure céleste. Or, les animaux dont nous parlons, possédant un esprit immatériel, rationnel et immortel, conséquemment capable de béatitude et de damnation, il est logique d'admettre que le corps, auquel cet esprit est uni, soit semblable au corps le plus noble qui existe dans l'ordre animal, c'est-à-dire au corps humain. D'où il suit que les différentes parties de ce corps doivent avoir entre elles un ordre essentiel; que, par exemple, le pied n'est pas un appendice de la tête, ni la main du ventre, mais que chaque organe est bien à sa place, suivant les fonctions auxquelles il est destiné. Maintenant, pour ce qui est des parties constitutives desdits organes, il est, à mon avis, nécessaire qu'il y en ait de plus ou moins solides, de plus ou moins délicates, afin de répondre aux exigences de l'opération organique. Et si l'on objectait, sur ce point, la délicatesse même de leur corps, je dirais que la solidité, la consistance des parties organiques dont nous parlons, ne serait pas absolue, mais seulement relative aux autres parties plus délicates. C'est, d'ailleurs, ce qu'on peut observer dans tous les corps fluides naturels, comme le vin, l'huile, le lait, etc.: si homogènes, si semblables entre elles que paraissent toutes les parties dont ils se composent, il n'en est cependant pas ainsi; car les unes sont argileuses, les autres aqueuses: il y a du sel fixe, du sel volatil, du soufre; et tout cela n'a besoin, pour sauter aux yeux, que d'être soumis à l'analyse chimique. De même dans le cas qui nous occupe; car, en supposant que les corps de ces animaux fussent subtils et délicats comme les corps naturels fluides: l'eau, l'air, etc., il n'en faudrait pas moins reconnaître des différences dans la qualité de leurs parties constitutives, dont les unes seraient solides en comparaison d'autres plus menues, sans que les corps ainsi composés, pris dans leur ensemble, cessassent de pouvoir être dits délicats.
53. Quod si dicatur, quod hæc repugnant positioni supra firmatæ, circa partium essentialem ordinationem inter se: quandoquidem videmus, quod in corporibus fluidis, ac tenuibus una pars non servat ordinem essentialem ad aliam, sed accidentalem tantum, ita ut hæc pars vini, quæ modo alteri parti contigua est, mox inverso vase, aut moto vino, alteri parti unitur, et sic omnes partes diversam positionem habent quantumvis semper idem vinum sit, et ex hoc sequeretur, quod talium animalium corpora figurata stabiliter non essent, et consequenter, nec organica. 53. Mais, objectera-t-on, ceci répugne à ce qui a été dit plus haut de l'ordination essentielle des parties entre elles; car il est visible que, dans les corps fluides et subtils, une partie n'est pas coordonnée essentiellement, mais seulement accidentellement avec une autre: ainsi, telle partie de vin qui, tout à l'heure, était contiguë à telle autre partie, se trouve bientôt, soit qu'on renverse le vase ou qu'on agite le vin, en contact avec une troisième; et toutes les parties changent à la fois de position, quoique ce soit toujours le même vin. D'où il suivrait que les corps de ces animaux n'auraient pas de figure stable et, conséquemment, ne seraient pas organiques.
54. Respondeo negando assumptum; etenim in corporibus fluidis, quamvis non appareat, manet tamen essentialis partium ordinatio, qua stante stat in suo esse compositum, et hoc patet manifeste in vino: expressum enim ab uvis videtur liquor totaliter homogeneus, non tamen ita est; in eo enim sunt partes crassæ, quæ tractu temporis subsident in doliis: sunt etiam partes tenues, quæ evaporant: sunt partes fixæ, ut tartarus, sunt partes volatiles, ut sulphur, sive spiritus ardens; sunt partes mediæ inter volatile ac fixum, ut phlegma. Partes istæ ordinem essentialem inter se mutant; nam statim, ac expressum est ab uvis, et mustum dicitur sulphur, sive spiritus volatilis, ita implicatum manet particulis tartari, qui fixus est, ut nullo modo avolare valeat. 54. Ma réponse est bien simple: je nie la mineure. En effet si, dans les corps fluides, l'ordination essentielle des parties n'est pas apparente, elle n'en est pas moins réelle, et c'est par là qu'un corps composé reste ce qu'il est. Voyez, par exemple, le vin: à peine exprimé de la grappe, on dirait une liqueur tout à fait homogène, et qui ne l'est point pourtant; car il y a des parties épaisses qui, à la longue, déposent au fond du tonneau; il y a aussi des parties menues, qui s'évaporent; des parties fixes, comme le tartre; des parties volatiles, comme le soufre ou l'alcool; enfin des parties intermédiaires entre le volatil et le fixe, comme le flegme. Ces diverses parties ne gardent pas respectivement un ordre essentiel; car, aussitôt que le moût a été exprimé des grappes, et qu'il prend le nom de soufre ou esprit volatil, il demeure si étroitement lié aux particules du tartre, qui sont fixes, qu'il lui est impossible de s'échapper.
55. Hinc est, quod a musto recenter ab uvis expresso nullo modo potest distillari spiritus sulphureus, qui communiter vocatur aqua vitæ: sed post quadraginta dies fermentationis particulæ vini ordinem mutant, ita ut spiritus, qui alligati erant particulis tartareis, et propria volatilitate eas suspensas tenebant, et vicissim ab eis, ne possent avolare detinebantur, ac tartareis particulis separantur, et divulsi, ac confusi remanent cum partibus phlegmaticis, a quibus per actionem ignis faciliter separantur, et avolant; sicque per distillationem fit aqua vitæ, quæ aliud non est quam sulphur vini volatile cum tenuiore parte phlegmatis simul cum dicto sulphure vi ignis elevata. Post quadraginta dies, alia incipit vini fermentatio, quæ longiori, aut minus longo tempore perficitur, pro vini perfectiori, aut imperfectiori maturitate, et alio, atque alio modo terminatur, pro minore aut majore spiritus sulphurei abundantia. Si enim abundat in vino sulphur, acescit fermentatione, et evadit acetum; si autem parum sulphuris continet, lentescit vinum, et Italice dicitur vino molle, aut vino guasto. Quod si vinum maturum sit, ut cæteris paribus est, vinum dulce breviori tempore, aut acescit, aut lentescit, ut quotidiana constat experientia. In dicta autem fermentatione ordo essentialis partium vini mutatur; non enim ipsius quantitas, aut materia imminuitur, aut mutatur: videmus enim lagenam vino plenam tractu temporis evadere plenam aceto, nullatenus mutata circa quantitatem materiæ, quæ prius ibi extabat, sed tantum mutato partium essentiali ordine: nam sulphur, quod, ut diximus, erat phlegmati unitum, ac a tartaro separatum, iterum tartaro implicatur, et cum eo fixatur, et proinde si distilletur acetum, primo prodit phlegma insipidum, et post spiritus aceti, qui est sulphur vini illaqueatum particulis tartari minus fixi. Mutatio autem essentialis partium supradictarum variat substantiam liquoris expressi ab uva, quod manifeste patet ex variis, et contrariis effectibus, quos causant mustum, vinum, et acetum, et vinum lentum, quod vocatur corruptum, ut proinde duo prima apta materia sint ad consecrationem, secus alia duo. Hanc porro vini economiam hausimus ab erudito opere Nicolai Lemerii, Regis Galliarum Aromatarii, Curs. de Chimi., p. 2. c. 9. 55. C'est pour cela que le moût récemment exprimé des grappes, ne se prête en aucune façon à la distillation de l'esprit sulfureux, vulgairement nommé eau-de-vie; mais, après quarante jours de fermentation, les particules du vin se déplacent; les esprits qui, étant liés aux particules tartriques, les tenaient suspendues par leur propre volatilité, tandis que celles-ci les retenaient eux-mêmes, de manière à en empêcher l'évaporation, se séparent de ces particules, et demeurent mêlés confusément aux parties flegmatiques, puis s'en dégagent facilement par l'action du feu, et s'évaporent: ainsi, au moyen de la distillation, se fait l'eau-de-vie, qui n'est pas autre chose que le soufre contenu dans le vin, volatilisé par la chaleur avec la partie la plus délicate du flegme. Au bout de quarante jours, commence une autre fermentation qui se prolonge plus ou moins, suivant que la maturité du vin est plus ou moins parfaite, et se termine d'une façon ou d'une autre, selon que l'esprit sulfureux est plus ou moins abondant. En effet, s'il y a dans le vin abondance de soufre, il s'aigrit par la fermentation et tourne au vinaigre; si, au contraire, il contient peu de soufre, le vin s'amollit, et c'est ce qu'on appelle en Italien: vino molle, ou vino guasto. Si le vin est mûr tout d'abord, comme il arrive dans d'autres cas, il tourne en moins de temps du doux à l'aigre, ou s'amollit, comme le démontre l'expérience de chaque jour. Or, dans la fermentation dont il est parlé, l'ordre essentiel des parties du vin subit un changement, mais non sa quantité ou sa matière, qui ne change, ni ne diminue: une bouteille pleine de vin, par exemple, au bout d'un certain temps, se trouve être pleine de vinaigre, sans qu'il y ait rien de changé quant à la quantité de matière; l'ordre essentiel des parties est seul changé: le soufre qui, comme nous l'avons dit, était uni au flegme et séparé du tartre, se mêle de nouveau au tartre et reste fixé avec lui; de sorte que si l'on distille le vinaigre, il en sort d'abord un flegme insipide, puis un esprit de vinaigre, qui est le soufre de vin entremêlé de particules de tartre moins fixe. Or, la mutation essentielle des susdites parties affecte la substance de la liqueur exprimée du raisin, comme le prouvent manifestement les effets contraires et variés du moût, du vin, du vinaigre et du vin mou ou corrompu; ce qui fait que les deux premiers sont matière propre à la consécration, mais non les deux autres.—Nous avons emprunté cette exposition de l'économie du vin au savant ouvrage de Nicolas Lémery, Parfumeur du Roi de France, Cours de chimie, p. 2. c. 9.
56. Datam ergo naturalem doctrinam applicando consequenter dico, quod data dictorum animalium corporeitate subtili, et tenui, sicut corpora liquidorum, et data pariter eorundem organizatione et figuratione, quæ partium essentialem ordinationem exigunt, non sequerentur inconvenientia ex adverso illata: nam sicut (quemadmodum dicebamus) ex confusione partium vini, et diversa ipsarum accidentali positione non variatur ordinatio earumdem essentialis, ita esset in corpore tenui dictorum animalium. 56. Maintenant, si nous appliquons à notre sujet la doctrine naturelle ci-dessus, je dis qu'étant donné la corporéité subtile et délicate des animaux en question, analogue à la substance des liquides; étant donné pareillement leur organisation et leur figure, qui exigent une ordination essentielle des parties, il n'y aurait, à supposer le contraire, aucun argument à élever contre leur existence: car de même, avons-nous dit, que la confusion des parties du vin et la diversité de leurs positions accidentelles n'affectent en rien l'ordination essentielle de ces parties, de même il en serait à l'égard du corps subtil de nos animaux.
57. Quinta interrogatio est, an talia obnoxia essent ægritudinibus, ac aliis imperfectionibus, quibus homines laborant, ut ignorantia, metu, segnitie, sensuum impedimentis, etc.? An laborando lassarentur, et ad virium reparationem egerent somno, cibo, ac potu, et quo? et consequenter an interirent, et subinde, an a cæteris animalibus casu, aut ruina possent occidi? 57. Cinquième question: Ces animaux seraient-ils sujets aux maladies et autres infirmités dont souffrent les hommes, telles que l'ignorance, la peur, la paresse, la paralysie des sens, etc.? Se fatigueraient-ils par le travail, et auraient-ils besoin, pour réparer leurs forces, de dormir, de manger, de boire? Quelles seraient leur nourriture et leur boisson? Seraient-ils destinés à mourir, et pourraient-ils être tués soit par accident, soit par le fait d'autres animaux?
58. Respondeo, quod ex quo corpora ipsorum, quamvis tenuia, essent materiata, essent quidem corruptioni obnoxia; et ex consequenti possent pati ab agentibus contrariis, et ita ægrotare, puta, aut simpliciter, aut nisi ægre, perverse, aut vitiose præstare non posse munera, ad quæ eorum organa essent ordinata; in hoc siquidem consistit animalium quorumdam ægritudo quævis: ut resolutive docet præstantissimus Michael Ettmullerus, Physiol. c. 5., thes. 1. Verum est, quod ex eo, quod tantam materiæ crassitatem non haberent, et forte ex tot elementorum mixtione eorum corpus non constaret, et minus compositum esset, quam humanum, non tam facile paterentur a contrariis, et consequenter non tot ægritudinibus velut homines essent obnoxia, et longiorem, etiam homine, vitam ducerent: quo enim perfectius est animal, a tota specie, etiam cæteris, diutius vivit, ut patet de specie humana, cujus vita longior cæteris animalibus est. Nec enim admitto sæcularem vitam cornicum, cervorum, corvorum, et similium, de quibus more suo fabulatur Plinius, et ejus somnia sine prævia discussione secuti sunt cæteri: quandoquidem nullus est, qui talium animalium natale et interitum fideliter adnotaverit, ut pari modo de eo scripserit; sed insolitam diu fabulam quisque secutus est; sicut etiam illud, quod de Phœnice dicitur, quod ut quid fabulosum, circa ejus vitæ spatium recenset Tacitus, l. 6. Annal. Inferendum subinde esset quod illorum animalium vita etiam humana deberet esse diuturnior: ut enim infra dicemus, illa essent homine nobiliora, consequenter dicendum esset, quod essent obnoxia cæteris corporeis pathematis, et quiete, et cibo indigerent, quale diximus supra no 50. Quia vero rationalia, et proinde disciplinabilia essent, ex consequenti etiam capacia ignorantiæ, si eorum ingenia non essent exculta studiis, et disciplina, et inter ea pro intellectus eorum majori, et minori acumine essent aliqua magis, aliqua minus in scientiis excellentia: universaliter vero, et a tota specie essent homine doctiora, non ob eorum corpoream subtilitatem, tum forte, ob majorem spirituum activitatem, tum ob diuturniorem vitæ durationem, in qua plura, quam homines discere possent, quas causas assignat D. Augustinus, lib. de Divin. Dæm. c. 3. init. tom. 3., et lib. de Spir. et Anima, c. 37., pro futurorum prænotione in Dæmonibus. Ab agentibus autem naturalibus pati quidem possent, ac difficulter occidi ratione velocitatis, qua possunt se subtrahere a nocentibus; quapropter, nec a brutis, nec ab homine armis naturalibus, seu artificialibus nisi maxima difficultate possent occidi, aut mutilari, et maxima eorumdem velocitate in declinando contrarium impetum. Possent vero in somno, aut in non advertentia occidi, et mutilari a corpore solido, ut ense vibrato ab homine, aut lapide delapso per ruinam, quia eorum corpus licet tenue, tamen et quantum, et divisibile esset, velut ær qui ferro, fuste, aut alio corpore solido dividitur quamvis tenuis sit. Eorum autem spiritus impartibilis esset, et ceu anima hominis totus in toto, et totus in quavis corporis parte. Hinc fieret quod diviso corpore ipsorum, ut præfertur, per aliud corpus, sequi posset mutilatio, et proinde etiam mors: non enim fieri posset ut diviso corpore idem spiritus utramque partem informaret, cum ipse indivisibilis esset. Verum est quod sicut partes æris divisæ, per intermedium corpus, hoc sublato iterum uniuntur, et evadit idem ær, possent pariter partes corporis divisæ, ut supra ponitur, reuniri, et ab eodem spiritu revivificari. Sed hoc modo nequirent talia animalia ab agentibus naturalibus, aut artificialibus occidi: sed rationabilior esset prima positio; ex hoc enim, quod communicarent cum cæteris in materia, æquum est, ut a cæteris, etiam usque ad eorum interitum pati possent, ut fit cum cæteris. 58. Je réponds: Du moment que leurs corps, quoique subtils, seraient matériels, ils seraient par cela même sujets à corruption; conséquemment, ils pourraient souffrir des agents contraires et, par suite, être malades, c'est-à-dire que leurs organes se refuseraient à remplir, ou ne rempliraient qu'avec peine et imparfaitement les fonctions qui leur seraient assignées, car c'est en cela que consiste toute maladie quelconque chez certains animaux, comme l'enseigne doctoralement le très-illustre Michel Ettmuller, Physiologie, c. 5, thèse 1. A la vérité, comme la matière de leur corps serait moins épaisse que celle du corps humain, comme elle serait formée de moins d'éléments mêlés ensemble, partant moins composite, ils ne souffriraient pas aussi aisément de l'action des contraires, ils seraient donc moins sujets que l'homme aux maladies, et leur vie serait aussi plus longue: car, plus l'animal est parfait, pris dans son espèce, plus il vit longtemps, témoin l'espèce humaine, dont l'existence est plus longue que celle des autres animaux. Je n'admets pas, en effet, la vie séculaire des corneilles, des cerfs, des corbeaux et autres semblables, dont Pline nous conte des fables à sa manière; et, quoique ses rêveries aient été reproduites, sans examen préalable, par divers auteurs, il n'en est pas moins certain que personne, pour écrire ainsi, n'a exactement pris note de la naissance et de la mort de ces créatures: on s'est contenté d'adopter la fable courante, comme on l'a fait à l'égard du Phénix, dont la longévité est traitée de conte par Tacite, Annales, l. 6. Il faudrait donc inférer que les animaux dont nous parlons surpasseraient l'homme lui-même en longévité; car, ainsi que nous le dirons plus bas, ils seraient plus nobles que l'homme; conséquemment aussi, ils seraient sujets aux autres affections corporelles, et auraient besoin de repos et de nourriture comme nous l'avons dit au no 50. Maintenant, en leur qualité d'êtres raisonnables et, par suite, éducables, ils pourraient aussi rester ignorants si leurs esprits n'étaient pas cultivés par l'étude et la discipline, et il s'en trouverait parmi eux de plus ou moins versés dans les sciences, de plus ou moins habiles, suivant que leur intelligence aurait été plus ou moins exercée. Toutefois, à les prendre en général et dans l'universalité de leur espèce, ils seraient plus instruits que l'homme, non à cause de la subtilité de leur corps, mais peut-être soit parce que leur esprit serait plus actif, soit parce que leur vie serait plus longue et leur permettrait d'apprendre plus de choses que les hommes: telles sont effectivement les causes assignées par Saint Augustin (Divin. Démon., ch. 3, et de l'Esprit et de l'Ame, ch. 37), à la prescience des choses futures chez les Démons. Il pourraient, d'ailleurs, souffrir par le fait d'agents naturels, mais difficilement être tués, à cause de la vitesse avec laquelle ils échappent au danger; aussi paraît-il à peine concevable qu'ils puissent être tués ou mutilés par les bêtes ou par l'homme, au moyen d'armes naturelles ou artificielles, tant ils sont prompts à éviter le coup qui les menace. Cependant, ils pourraient être tués ou mutilés pendant leur sommeil, ou dans un moment d'inadvertance, au moyen d'un corps solide, tel qu'une épée vibrée par un homme ou une pierre lancée avec force; car, quoique subtil, leur corps serait divisible, comme l'air qui, tout vaporeux qu'il soit, est cependant divisé par une épée, un bâton, ou quelque autre corps solide. Quant à leur esprit, il serait indivisible et, comme l'âme humaine, tout entier dans tout et dans chaque partie du corps. Conséquemment, la division de leur corps effectuée, comme il est dit ci-dessus, par un autre corps, peut causer une mutilation et même la mort, car il ne serait pas possible à l'esprit, qui est lui-même indivisible, d'animer l'une et l'autre partie d'un corps divisé. Sans doute, de même que les parties de l'air, divisées par l'intermédiaire d'un corps, se réunissent aussitôt ce corps retiré, pour former le même air qu'auparavant; de même les parties du corps divisé, comme il est dit plus haut, pourraient se réunir et revivre avec le même esprit. Mais, de cette manière, il faudrait conclure que nos animaux ne pourraient être tués par des agents naturels ou artificiels: il serait plus raisonnable de nous en tenir à notre première position; car, du moment qu'ils seraient communs en matière avec les autres créatures, il est naturel qu'ils soient exposés à souffrir du fait de ces créatures, suivant la loi commune, et jusqu'à la mort même.
59. Sexta interrogatio est, an ipsorum corpora possent alia corpora penetrare, ut parietes, ligna, metalla, vitrum, etc., et an multa ipsorum possent in eodem loco materiali consistere, et ad quantum spatium extenderetur, seu restringeretur eorum corpus? 59. Sixième question: Leur corps pourrait-il pénétrer d'autres corps, comme les murs, le bois, les métaux, le verre, etc.? Pourraient-ils résider en grand nombre dans un même lieu matériel, et à quel espace s'étendrait ou se restreindrait leur corps?
60. Respondeo, quod cum in omnibus corporibus quantumvis compactis dentur pori, ut ad sensum patet in metallis, de quibus major esset ratio, quod in ipsis non darentur pori: microscopio perfecte elaborato discernuntur pori metallorum, cum suis diversis figuris, utique possent per poros insinuari quibusvis corporibus, et hoc modo ista penetrare, quantumvis tales pori penetrari non possent ab alio liquore, aut spiritu materiali, aut vini, salis ammoniaci, aut similium, quia longe tenuiora essent istis liquoribus illorum corpora. Quamvis autem plures Angeli possint esse in eodem loco materiali, et etiam restringi ad locum minorem minore non tamen in infinitum, ut probat Scotus in 2. dist. 2. q. 6. § Ad proposi. et quæst. 8., per totum, hoc tamen concedendum non esset de corporibus talium animalium; tum quia corpora ipsa essent quanta, et eorum dimensio non esset reciproce penetrabilis; tum quia si duo corpora gloriosa non possunt esse in eodem loco, quamvis possint simul esse gloriosum, et non gloriosum, ut voluit Gotofredus de Fontibus, quodlibet 6. q. 5., a quo non discordat Scotus in 2. distinct. 2. q. 8. in fine; multo minus possent simul esse istorum corpora, quæ, licet subtilia, non tamen æquarent subtilitatem corporis gloriosi. Quo autem ad extensionem, et restrictionem dicendum esset, quod sicut ex rarefactione, et condensatione majus, aut minus spatium occupatur ab ære, qui etiam arte potest constringi, ut in minori loco contineatur, quam sit suæ quantitati naturaliter debitus, ut patet in magnis pilis lusoriis, quæ per fistulam seu tubum inflatorium inflantur: in his siquidem ær violenter immittitur, et constringitur, et ejus major ibi continetur quantitas, quam naturalis pilæ capacitas exigat; ita pariformiter talia corpora ex ipsorum naturali virtute possent ad majus spatium non tamen excedens eorumdem quantitatem, extendi: ut pariter etiam restringi, non tamen circa determinatum locum suæ quantitati debitum. Et quia ipsorum nonnulla prout etiam in hominibus est, essent magna, et nonnulla parva, congruum esset, ut magna possent plus extendi, quam parva et hæc ad minorem locum restringi, quam magna. 60. Je réponds: Tous les corps, si compactes qu'ils soient, ont des pores, témoin les métaux qui, plus que tous les autres, sembleraient devoir en être privés; en effet, à l'aide d'un microscope parfaitement organisé, on discerne les pores des métaux, avec leurs différentes figures. Or, ces animaux pourraient s'insinuer par les pores dans d'autres corps quelconques et ainsi les pénétrer, encore bien que ces mêmes pores soient impénétrables à des liqueurs ou esprits matériels, de vin, de sel ammoniac ou autres semblables, parce que leurs corps seraient de beaucoup plus subtils que ces liqueurs. Cependant, quoique plusieurs Anges puissent résider dans un même lieu matériel, et même se resserrer dans un espace de plus en plus étroit, non toutefois jusqu'à l'infini, comme le prouve Scott, il serait téméraire d'accorder la même faculté aux corps des animaux dont il s'agit; leurs corps, en effet, sont déterminés en substance, impénétrables l'un à l'autre; et si deux corps glorieux ne peuvent être dans un même lieu, bien qu'un glorieux et un non glorieux puissent s'y trouver ensemble, comme le veulent certains docteurs, bien moins encore le pourraient les corps de ces animaux, subtils sans doute, mais non jusqu'à égaler la subtilité du corps glorieux. En ce qui regarde leur pouvoir d'extension ou de compression, nous prendrions exemple de l'air, qui, raréfié et condensé, occupe un espace plus ou moins grand, et peut même, par des moyens artificiels, être resserré au point de tenir dans un espace plus étroit que son volume naturel ne l'exigerait; c'est en effet ce qu'on voit dans ces ballons qu'on enfle pour s'amuser, au moyen d'un chalumeau ou d'un tube: l'air y est introduit et comprimé violemment, et le ballon en contient une quantité plus grande que sa capacité naturelle ne l'exigerait. Tout pareillement, les corps des animaux dont il s'agit pourraient, par leur vertu naturelle, s'étendre à un espace plus grand, mais qui n'excéderait pas cependant leur propre substance; ils pourraient aussi se comprimer, mais non en deçà de l'espace déterminé exigé par cette même substance. Et comme parmi eux, de même que parmi les hommes, il y en aurait de grands et de petits, il serait naturel que les grands pussent s'étendre plus que les petits, et ceux-ci se comprimer plus que les grands.
61. Septima interrogatio est, an hujusmodi animalia in peccato originali nascerentur, et a Christo Domino fuissent redempta; an ipsis conferretur gratia, et per quæ sacramenta; sub qua lege viverent, et an Beatitudinis, et Damnationis essent capacia? 61. Septième question: Ces animaux naîtraient-ils dans le péché originel, et auraient-ils été rachetés par le Seigneur Christ? La grâce leur serait-elle conférée, et par quels sacrements? Sous quelle loi vivraient-ils, et seraient-ils capables de Béatitude et de Damnation?
62. Respondeo, quod articulus Fidei est, quod Christus Dominus pro universa creatura rationali gratiam, et gloriam meruit. Pariter articulus Fidei est, quod Creaturæ rationali gloria non confertur nisi præcedat in ea gratia, quæ est dispositio ad gloriam. Similis articulus est quod gloria non confertur nisi per merita. Hæc vero fundantur in observantia perfecta mandatorum Dei adimpleta per gratiam. Ex his satis fit positis interrogationibus. Incertum est an tales Creaturæ originaliter peccavissent, necne. Certum tamen est, quod si ipsarum Prothoparens peccasset, sicut peccavit Adam, ipsius descendentes in peccato originali nascerentur, quemadmodum nascuntur homines. Et quia Deus nunquam reliquit Creaturam rationalem sine remedio, dum ipsa est in via; si hujusmodi creaturæ in peccato originali, aut actuali inficerentur, Deus providisset illis de remedio, sed quale sit, an fecisset, noverit Deus, noverint ipsæ. Hoc certum est si inter ipsas essent eadem, aut alia Sacramenta, ac sunt in Ecclesia humana militanti, ipsa habuissent, et institutionem, et efficaciam a meritis Jesu Christi, qui omnium creaturarum rationalium Redemptor, et Satisfactor universalis est. Convenientissimum pariter, immo necessarium esset quod sub aliqua lege a Deo sibi data viverent, ut per ipsius observantiam possent sibi beatitudinem mereri; quænam autem lex fuisset, an naturalis tantum, aut scripta, Mosaica, aut Evangelica, aut alia ab his omnibus differens, prout Deo placuisset, hoc nobis incognitum. Quoquomodo autem fuisset, nulla resultaret repugnantia possibilitatem talium creaturarum excludens. 62. Je réponds: C'est un article de foi, que le Christ a mérité la grâce et la gloire pour toute créature raisonnable. C'est encore un article de foi, que la gloire n'est conférée à la créature raisonnable qu'autant qu'elle a d'abord été dotée de la grâce, qui est la disposition à la gloire. Un autre article, c'est que la gloire n'est conférée que par les mérites. Or ces mérites ont leur fondement dans l'observance parfaite des commandements de Dieu, accomplie par la grâce. Les questions ci-dessus posées se trouvent ainsi résolues. Maintenant, ces créatures ont-elles péché originellement ou non, je ne saurais l'affirmer. Il est certain, toutefois, que si leur premier Père avait péché, comme a péché Adam, ses descendants naîtraient dans le péché originel, comme y naissent les hommes. Et comme Dieu ne laisse jamais sans remède la créature raisonnable, aussi longtemps qu'elle est dans la voie, si les créatures en question étaient entachées du péché, soit originel, soit actuel, Dieu les aurait pourvues d'un remède; mais est-ce le cas et de quelle sorte est ce remède, ceci est leur secret, à Lui et à elles. Assurément, si elles disposaient de Sacrements identiques ou analogues à ceux en usage dans l'Église humaine militante, elles en devraient l'institution et l'efficacité aux mérites de Jésus-Christ, qui est le Rédempteur et Sauveur universel de toutes les créatures raisonnables. Il serait également convenable, nécessaire même, d'admettre qu'elles vivraient sous quelque loi à elles donnée par Dieu, et dont l'observance leur pourrait mériter la béatitude; mais quelle serait cette loi, naturelle seulement ou écrite, Mosaïque ou Évangélique, ou entièrement distincte et spécialement instituée par Dieu, ceci nous est inconnu. Quelle qu'elle fût cependant, il n'en résulterait aucune objection contre l'existence de ces créatures.
63. Unicum porro argumentum, et quidem satis debile post longam meditationem mihi subit contra talium creaturarum possibilitatem: et est quod si tales creaturæ in Mundo existerent, de ipsis notitia aliqua tradita fuisset a Philosophis, Sacra Scriptura, Traditione Ecclesiastica, aut Sanctis Patribus; quod cum non fuerit, tales creaturas minime possibiles esse concludendum est. 63. Le seul argument, et encore assez faible, qu'une longue méditation me suggère contre la possibilité de ces créatures, c'est que, s'il en existait réellement dans le Monde, nous les trouverions mentionnées quelque part dans les Philosophes, la Sainte Écriture, la Tradition Ecclésiastique ou les Saints Pères: pareille mention n'existant pas, il faudrait conclure à l'impossibilité absolue de ces créatures.
64. Sed hoc argumentum, quod revera magis pulsat existentiam, quam possibilitatem illarum, facili negotio solvitur ex iis quæ præmissimus supra no 41. et 42. Argumentum enim ab auctoritate negativa non tenet. Præterquam quod falsum est, quod de illis notitiam non tradiderint tum Philosophi, tum Scriptura, tum Patres. Plato siquidem, ut refert Apuleius de Deo Socratis et Plutarchus de Isid. apud Baronem, Scot. Defens., tom. 9. Apparat. p. 1. fol. 2., voluit Dæmones esse animalia genere, animo passiva, mente rationalia, corpore ærea, tempore æterna: creaturasque istas nomine Dæmonum intitulavit; quod tamen nomen non male sonat ex se: importat enim plenum sapientia; unde cum Diabolum (Angelum nempe malum) volunt auctores exprimere, non simpliciter Dæmonem, sed Cacodæmonem vocant: sicut Eudæmonem, quando bonum Angelum volunt intelligi. Similiter in Scriptura Sacra et Patribus, de dictis creaturis habetur mentio, et de hoc infra dicemus. 64. Mais cet argument qui, en réalité, attaque plutôt leur existence que leur possibilité, se résout facilement par les prémisses que nous avons posées ci-dessus, nos 41 et 42. En effet, un argument ne peut valoir par autorité négative. Ensuite, il est faux que ni les Philosophes, ni l'Écriture, ni les Pères, ne nous disent rien à leur sujet. Platon, comme le rapportent Apulée (Démon de Socrate) et Plutarque (d'Isis et d'Osiris), définit ainsi les Démons: des êtres du genre animal, âmes passives, intelligences raisonnables, corps aériens, éternels quant à la durée; et il donne à ces créatures le nom de Démon, qui en lui-même n'a rien de malsonnant, car il signifie plein de sagesse; aussi lorsque les auteurs veulent désigner le Diable (ou mauvais Ange), ils ne l'appellent pas simplement Démon, mais Cacodémon, et ils disent de même Eudémon lorsqu'ils veulent parler du bon Ange. Quant à la Sainte Écriture et aux Pères, ils font également mention de ces créatures, comme nous le montrerons ci-après.
65. Stabilita huc usque talium creaturarum possibilitate, ad earumdem existentiam probandam descendamus. Supposita tot historiarum veritate de coitu hujusmodi Incuborum et Succuborum cum hominibus et brutis, ita ut hoc negare impudentia videatur, ut ait D. Augustinus quem dedimus, supra no 10., ita arguo: Ubi reperitur propria passio sensus, ibidem necessario reperitur sensus ipse, cum juxta principia philosophica propria passio fluat a natura, sive ubi reperiuntur actiones, seu operationes sensus, ibidem reperitur sensus ipse, cum operationes et actiones sint a forma. Atqui in hujusmodi Incubis aut Succubis, sunt actiones, operationes, ac propriæ passiones, quæ sunt a sensibus; ergo in iisdem reperitur sensus: sed sensus reperiri nequit nisi adsint organa composita, nempe ex potentia animæ et determinata parte corporis: ergo in iisdem reperiuntur corpus et anima; erunt igitur animalia: sed etiam in ipsis et ab ipsis sunt actiones, et operationes animæ rationalis: ergo eorum anima erit rationalis: et ita de primo ad ultimum tales Incubi sunt animalia rationalia. 65. Maintenant que nous avons établi la possibilité des créatures en question, allons plus loin et prouvons leur existence. Nous admettons d'abord la véracité des récits qui nous sont faits touchant le commerce des Incubes et des Succubes avec les hommes et les bêtes, récits tellement nombreux que ce serait impudence de nier le fait, comme dit S. Augustin, dont le témoignage est cité ci-dessus (no 10). Ceci posé, nous arguons: Là où est la passion propre du sens, là est nécessairement le sens lui-même, car, suivant les principes philosophiques, la passion propre découle de la nature, c'est-à-dire que là où sont les actions ou opérations du sens, là est le sens lui-même, les opérations et actions n'étant que sa forme extérieure. Or, chez les Incubes et les Succubes qui nous occupent, on observe des actions, des opérations, des passions propres qui viennent des sens: donc ils possèdent le sens; mais le sens ne peut exister sans accompagnement d'organes composites, sans une combinaison d'âme et de corps: donc ils ont un corps et une âme, et conséquemment ce seront des animaux; mais leurs actions et opérations sont aussi celles d'une âme raisonnable: donc leur âme sera raisonnable; et ainsi, du premier au dernier point, ces Incubes sont des animaux raisonnables.
66. Minor probatur quoad singulas ejus partes. Passio siquidem appetitiva coitus est passio sensus; mœror, ac tristitia, ac iracundia et furor ex coitu denegato passiones sensus sunt, ut patet in quibusvis animalibus; generatio per coitum est operatio sensus, ut notum est. Hæc porro omnia in Incubis sunt, ut enim probavimus supra a no 25. et seq.; ipsi coitum muliebrem, et quandoque virilem appetunt, tristantur, et furunt, ut amantes, amentes, si ipsis denegetur; coeunt perfecte et quandoque generant. Concludendum ergo quod polleant sensu, et proinde corpore; unde inferendum etiam perfecta animalia esse. Pariter clausis ostiis ac fenestris intrant ubivis locorum: igitur ipsorum corpus tenue est; item futura prænoscunt, annuntiant, componunt, ac dividunt; quæ operationes sunt propriæ animæ rationalis: ergo anima rationali pollent; et ita sunt vera animalia rationalia. 66. Notre mineure se démontre facilement par l'analyse. En effet, la passion appétitive du coït est une passion du sens; le chagrin, la tristesse, la colère, la fureur causés par le refus de coït sont des passions du sens, comme on le voit chez tous les animaux; la génération par le coït est évidemment une opération du sens. Or tout cela s'observe chez les Incubes, ainsi que nous l'avons prouvé plus haut: ils sollicitent les femmes, quelquefois même les hommes; éprouvent-ils un refus, ils s'attristent, se mettent en fureur, comme les amants: amantes, amentes; ils pratiquent parfaitement le coït, et engendrent quelquefois. Donc il faut conclure qu'ils sont doués de sens, et conséquemment qu'ils ont un corps; conséquemment aussi, qu'ils sont des animaux parfaits. Il y a plus: portes et fenêtres closes, ils entrent partout à leur fantaisie, donc leur corps est subtil; enfin ils connaissent et annoncent l'avenir, ils composent et ils divisent, toutes opérations qui sont le propre d'une âme raisonnable, donc ils sont doués d'une âme raisonnable, et ce sont bien, en réalité, des animaux raisonnables.
Respondent communiter Doctores, quod malus Dæmon est ille qui tales impudicitias operatur, quod passiones, nempe amorem, tristitiamque simulat ex coitu denegato, ut animas ad peccandum alliciat, et eas perdat; et si coit, et generat, hoc est ex semine, et in corpore alieno, ut dictum fuit supra no 24. A cela les Docteurs répondent communément que ces actes impurs sont le fait du Malin Esprit: lui seul simule les passions, l'amour, le chagrin du refus de coït, afin de faire tomber les âmes dans le péché et de les perdre; et si parfois il pratique le coït, s'il engendre, c'est d'une semence et à l'aide d'un corps empruntés, comme il a été dit plus haut (no 24).
67. Sed contra Incubi nonnulli rem habent cum equis, equabus, aliisque etiam brutis, quæ si coitum adversentur, male ab ipsis tractantur, ut quotidiana constat experientia; sed in istis cessat ratio adducta, nempe quod fingat appetitum coitus, ut animas perdat, cum anima brutorum damnationis æternæ sit incapax. Præterea amoris et iræ passiones in ipso contrarios effectus reales producunt. Si enim aut mulier aut brutum amatum illis morem gerant, optime ab Incubis tractantur; viceversa pessime habentur, si ex denegato coitu irascantur et furant; et hoc firmatur quotidiana experientia; ergo in ipsis sunt veræ passiones sensus. Insuper mali Dæmones, ac incorporei, qui rem habent cum Sagis et Maleficis, ipsas cogunt ad eorum adorationem, ad denegandam Fidem Orthodoxam, ad maleficia et scelera enormia perpetranda tanquam pensum infamis coitus, ut supra no 11. dictum fuit: nihil horum prætendunt Incubi, ergo mali Dæmones non sunt. Ulterius malus Dæmon, ut ex Peltano et Thyreo scribit Guaccius, Compend. Malef. lib. 1. c. 19. fol. 128., ad prolationem nominis Jesu aut Mariæ, ad formationem signi Crucis, ad approximationem sacrarum Reliquiarum, sive rerum benedictarum, et ad exorcismos, adjurationes, aut præcepta sacerdotum, aut fugit aut pavet, concutiturque, et stridet, ut conspicitur quotidie in energumenis, et constat ex tot historiis, quas recitat Guaccius, ex quibus habetur, quod in nocturnis ludis Sagarum facto ab aliquo assistentium signo Crucis, aut pronuntiato nomine Jesu, Diaboli et secum Sagæ omnes disparuerunt. Sed Incubi ad supradicta nec fugiunt, nec pavent, quandoque cachinnis exorcismos excipiunt, et quandoque ipsos Exorcistas cædunt, et sacras vestes discerpunt. Quod si mali Dæmones, utpote a D. N. J. C. domiti, ad ipsius nomen, Crucem, et res sacras pavent: boni autem Angeli eisdem rebus gaudent, non tamen homines ad peccata et Dei offensam sollicitant: Incubi vero sacra non timent, et ad peccata provocant, convincitur ipsos nec malos Dæmones, nec bonos Angelos esse; sed patet, quod nec homines sunt, cum tamen ratione utantur. Quid ergo erunt? Si in termino sunt, et simplices spiritus sunt, erunt aut damnati aut beati: non enim in bona Theologia dantur puri spiritus viatores. Si damnati, nomen et Crucem Christi revererentur; si beati, homines ad peccandum non provocarent; ergo aliud erunt a puris spiritibus; et sic erunt corporati, et viatores. 67. Mais répliquons-nous, il y a des Incubes qui s'attaquent à des chevaux, à des juments ou à d'autres bêtes, et qui, s'ils les trouvent rebelles à leur passion, les maltraitent, comme cela se voit tous les jours: là, pourtant, il n'est plus possible d'avancer que le Démon simule le désir du coït afin de perdre les âmes, puisque les âmes des brutes ne sont pas sujettes à damnation éternelle. De plus, l'amour et la colère produisent chez eux des effets entièrement opposés. Si, en effet, la femme ou l'animal aimé cèdent à leurs caprices, ces Incubes les traitent parfaitement; au contraire, il n'est pas de sévices qu'ils ne leur fassent subir sous l'impression de la colère, de la fureur causée par le refus de coït: l'expérience de chaque jour le démontre assez. Donc ces Incubes ont réellement les passions du sens. En outre, les Malins Esprits, les Démons incorporels qui ont affaire aux Sorcières et aux Possédées, les contraignent à les adorer, à renier la Foi Orthodoxe, à commettre des maléfices et des crimes énormes, le tout comme condition de l'infâme coït, ainsi qu'il a été dit ci-dessus (no 11): or les Incubes n'exigent rien de pareil, donc ce ne sont pas de Malins Esprits. Enfin, pour mettre en fuite le mauvais Démon, pour le faire trembler et frémir, il suffit, comme l'écrit Guaccius, du nom de Jésus ou de Marie, du signe de la Croix, de l'approche des saintes reliques ou des objets bénits, des exorcismes, adjurations ou injonctions des prêtres; c'est ce qu'on voit tous les jours dans le cas des énergumènes, et Guaccius en rapporte maints exemples tirés des jeux nocturnes des Sorcières, où, au signe de la Croix formé par l'un des assistants, au nom de Jésus simplement prononcé, Diables et Sorcières disparaissent tous ensemble. Les Incubes, au contraire, soumis à ces épreuves, ne prennent nullement la fuite, ne manifestent aucune frayeur; parfois même c'est par des ricanements qu'ils accueillent les exorcismes; il y en a qui battent les Exorcistes eux-mêmes et déchirent les vêtements sacrés. Or, si les mauvais Démons, subjugués par Notre-Seigneur Jésus-Christ, tremblent d'effroi au bruit de son nom, à la vue de la Croix et des objets sacrés; si, d'autre part, les bons Anges se réjouissent des mêmes choses, sans cependant exciter les hommes à pécher et à offenser Dieu, tandis que les Incubes, tout en n'ayant aucune peur des choses sacrées, provoquent au péché: il est clair que ces Incubes ne sont ni de mauvais Démons, ni de bons Anges; il est clair également que ce ne sont pas des hommes, encore qu'ils soient doués de raison. Que seront-ils donc? Si on les suppose arrivés au terme, et de purs esprits, ils seront damnés ou bienheureux, car, en bonne Théologie, il n'y a pas de purs esprits en voie de salut. Damnés, ils auraient en révération le nom et la Croix du Christ; bienheureux, ils ne provoqueraient pas les hommes au péché; donc ils seront autre chose que de purs esprits, et, par conséquent, ils auront un corps, et seront dans la voie du salut.
68. Præterea agens materiale non potest agere nisi in passum similiter materiale; tritum siquidem est axioma philosophorum, quod agens, et patiens debent communicare in subjecto; nec id quod materiatum est, potest agere in rem pure spiritualem. Dantur autem agentia naturalia, quæ agunt contra hujusmodi Dæmones Incubos; sequitur igitur quod isti materiati, seu corporei sunt. Minor probatur ex iis quæ scribunt Dioscorides, l. 2. c. 168. et l. 1. c. 100., Plinius, lib. 15. c. 4., Aristoteles, Probl. 34., et Apuleius, l. De Virtute Herbarum, apud Guaccium, Comp. Malef., l. 3. c. 13. fol. 316., et confirmatur experientia, nempe de pluribus herbis, lapidibus ac animalibus, quæ Dæmones depellunt, ut ruta, hypericon, verbena, scordium, palma Christi, centaureum, adamas, corallium, gagates, jaspis, pellis capitis lupi aut asini, menstruum muliebre, et centum alia; unde habetur 26, q. 7. cap. final.: Dæmonium sustinenti liceat petras, vel herbas habere sine incantatione. Ex quo habetur, petras aut herbas posse sua vi naturali Dæmonis vires compescere, aliter Canon hoc non permitteret, sed ut superstitiosum vetaret. Et de hoc luculentum exemplum habemus in Sacra Scriptura, ubi Angelus Raphael dixit Tobiæ, c. 6. v. 8.: cordis ejus (nempe piscis, quem a Tigri attraxerat) particulam, si super carbones ponas, fumus ejus extricat omne genus Dæmoniorum. Et ejus virtutem experientia comprobavit: nam incenso jecore piscis, fugatus est Incubus, qui Saram deperiebat. 68. Observons aussi qu'un agent matériel ne peut agir que sur un passif également matériel. C'est, en effet, un axiome philosophique bien connu, que l'agent et le patient doivent avoir un sujet commun: ce qui est purement matière ne peut agir sur un objet purement spirituel. Or, il y a des agents naturels qui agissent contre les Démons Incubes en question; il s'ensuit donc que ces Incubes sont matériels, ou corporels. Notre mineure est prouvée par les témoignages de Dioscoride, de Pline, d'Aristote et d'Apulée, cités par Guaccius, Comp. Malef., l. 3, chap. 13, fol. 316; elle est confirmée par la connaissance que nous avons de plusieurs herbes, pierres et substances animales qui ont la vertu de chasser les Démons, comme la rue, le mille-pertuis, la verveine, la germandrée, le palma-christi, la centaurée, le diamant, le corail, le jais, le jaspe, la peau de la tête du loup ou de l'âne, les menstrues des femmes et cent autres: pour quoi il est écrit: A celui qui soutient l'assaut du Démon, il est permis d'avoir des pierres, ou des herbes, mais sans recourir aux enchantements. D'où il résulte que les pierres ou les herbes peuvent, par leur vertu naturelle, maîtriser l'effort du Démon: autrement le Canon susvisé n'en permettrait pas l'emploi, et l'interdirait au contraire comme superstitieux. Un exemple éclatant de ce fait est celui que nous trouvons dans la Sainte Écriture, où l'Ange Raphaël dit à Tobie, ch. 6, v. 8, en parlant du poisson qu'il avait péché dans le Tigre: «Si tu jettes sur des charbons une parcelle de son foie, la fumée fera fuir toute espèce de Démons.» L'expérience démontra la vérité de ces paroles, car le foie du poisson ne fut pas plus tôt livré au feu, que l'Incube amoureux de Sara prit la fuite et disparut pour ne plus revenir.
69. Respondent ad hæc communiter Theologi, quod talia agentia naturalia inchoative tantum fugant Dæmonem, completive autem vis supernaturalis Dei aut Angeli, ita ut virtus supernaturalis sit causa primaria, directa, et principalis, naturalis autem secondaria, indirecta, et minus principalis. Unde ab probationem, quæ supra adducta est de Dæmone fugato a fumo jecoris piscis incensi a Tobia, respondet Vallesius, De Sac. Philosoph., c. 28., quod tali fumo indita fuit a Deo vis supernaturalis fugandi Incubum, sicut igni materiali Inferni data est virtus torquendi Dæmones et animas Damnatorum. Ad eamdem autem probationem respondet Lyranus, et Cornelius ad c. 6. Tob. v. 8., Abulentis in 1. Reg. c. 16. q. 46., Pererius in Daniel., pag. 272., apud Cornel. loc. cit., fumum cordis piscis expulisse Dæmonem inchoate vi naturali, sed complete vi angelica et cœlesti: naturali autem impediendo actionem Dæmonis per dispositionem contrariam, quia hic agit per naturales causas et humores, quorum qualitates expugnantur a qualitatibus contrariis rerum naturalium, quæ dicuntur Dæmones fugare; et in eadem sententia sunt omnes loquentes de arte exorcista. 69. A cela les Théologiens répondent d'ordinaire que ces agents naturels chassent bien le Démon, mais seulement inchoativement, et que l'effet complétif est dû à la force surnaturelle de Dieu ou de l'Ange: de telle sorte que la force surnaturelle est la cause première, directe et principale, la force naturelle n'étant que secondaire, indirecte et subordonnée. Ainsi, pour expliquer comment la fumée du foie de ce poisson brûlé par Tobie put mettre le Démon en fuite, Vallesius allègue que cette fumée avait reçu de Dieu le pouvoir surnaturel de chasser l'Incube, de même que le feu matériel de l'Enfer a le pouvoir de torturer les Démons et les âmes des Damnés. D'autres, comme Lyranus et Cornelius, enseignent que la fumée du cœur du poisson a chassé le Démon inchoativement par vertu naturelle, mais complétivement par vertu angélique et céleste: par vertu naturelle, en opposant à l'action du Démon une action contraire, car l'Esprit Malin met en œuvre des causes et des humeurs naturelles, dont les qualités sont combattues par les qualités contraires de choses naturelles que l'on sait capables de chasser les Démons; et cette opinion est partagée par tous les auteurs qui traitent de l'art des exorcismes.
70. Sed hæc responsio, que tamen validas habet instantias, ad plus quadrare potest contra malos Dæmones obsidentes corpora, aut per maleficia inferentes ipsis ægritudines, aut alia incommoda, sed nullo modo facit ad propositum de Incubis: siquidem isti nec corpora obsident, nec ipsis officiunt per ægritudines habituales, sed ad plus ictibus et percussionibus torquent. Quod si equas coitum adversantes macras reddunt, hoc faciunt subducendo illis cibum, et hoc modo macrescere, et tandem interire eas faciunt. Ad hæc autem patranda non eget Incubus alicujus rei naturalis applicatione (qua tamen eget malus Dæmon inferens ægritudinem habitualem), ea enim potest ex sua vi organica naturali. Pariter Dæmon malus plerumque obsidet corpora, et infert ægritudines ad signa cum ipso conventa et posita a Saga aut Malefico, quæ signa multoties res naturales sunt, præditæ vi nativa nocendi, quibus naturaliter resistunt alia pariter naturalia contrariæ virtutis. Incubus vero non sic; quia ex se, et nulla concurrente aut Saga aut Malefico, suas vexationes infert. Præterea res naturales fugantes Incubos suam virtutem exercent, ac effectum sortiuntur absque interventu alicujus exorcismi aut sacræ benedictionis; ut proinde dici non possit, quod fuga Incubi inchoative sit a virtute naturali, completive autem a vi divina, quia ibi nulla particularis intervenit divini nominis invocatio, sed est purus effectus rei naturalis, ad quem non concurrit Deus, nisi concursu universali, tanquam auctor naturæ, et causa universalis, et prima in ordine efficientium. 70. Mais cette explication, si plausibles que soient les faits sur lesquels elle se fonde, peut tout au plus être admise à l'égard des Esprits Malins qui obsèdent les corps ou, au moyen de maléfices, leur communiquent des maladies ou autres infirmités. En ce qui est des Incubes, elle manque absolument de portée. Ceux-ci, en effet, n'obsèdent pas les corps; ils ne leur communiquent pas de maladies, et leur méchanceté se borne à des coups, à des mauvais traitements. S'ils font maigrir les juments qui se refusent au coït, c'est en leur enlevant leur nourriture, par suite de quoi elles dépérissent et finissent par mourir. Pour ce faire, l'Incube n'a pas besoin d'employer un agent naturel, comme l'Esprit Malin lorsqu'il veut communiquer une maladie: il lui suffit d'exercer sa force organique naturelle. De même, quand l'Esprit Malin obsède les corps et leur communique des maladies, c'est le plus souvent à l'aide de signes convenus avec lui et disposés par une sorcière ou un sorcier, lesquels signes sont généralement des choses naturelles, ayant en elles-mêmes vertu de nuire, auxquelles on oppose naturellement d'autres choses également naturelles et douées de vertu contraire. L'Incube, lui, procède différemment: c'est de lui-même, et sans le concours d'aucun sorcier ou sorcière, qu'il inflige les mauvais traitements. En outre, les choses naturelles qui mettent les Incubes en fuite, exercent leur vertu et produisent ce résultat sans l'intervention d'aucun exorcisme ou bénédiction; on ne saurait dire par conséquent que l'Incube soit chassé inchoativement par vertu naturelle et complétivement par force divine, puisqu'il n'y a ici aucune invocation du nom divin, mais effet pur et simple d'une chose naturelle, auquel Dieu ne concourt qu'à titre d'agent universel, comme auteur de la nature, cause universelle et première dans l'ordre des efficientes.
71. Duas circa hoc historias do, quarum primam habui a Confessario Monialium, viro gravi, ac fide dignissimo. Alterius vero sum testis oculatus. 71. Voici à ce sujet deux histoires: je tiens la première d'un Confesseur de Nonnes, homme grave et très-digne de foi; quant à la seconde, j'en suis témoin oculaire.
In quodam Sanctimonalium monasterio degebat ad educationem Virgo quædam nobilis tentata ab Incubo, qui diu noctuque ipsi apparebat, ipsam ad coitum sollicitando eniximis precibus, tamquam amasius præ amore dementatus; ipsa tamen semper restitit tentanti gratia Dei, ac sacramentorum frequentia roborata. Incassum abiere plures devotiones, jejunia et vota facta a puella vexata, exorcismi, benedictiones, et præcepta ab exorcistis facta Incubo, ut desisteret a molestia illa; nec quidquam proficiebatur multitudo reliquiarum, aliarumque rerum benedictarum disposita in camera virginis tentatæ, nec benedictæ candelæ noctu ibidem ardentes impediebant, quominus juxta consuetum appareret ad tentandum in forma speciosissimi juvenis. Consultas inter alios viros doctos fuit quidam Theologus magnæ eruditionis: iste advertens virginem tentatam esse temperamenti phlegmatici a toto, conjectavit Incubum esse dæmonem aqueum (dantur enim ut scribit Guaccius, Comp. Malefic. l. 1. c. 19. fol. 129., Dæmones ignei, ærei, phlegmatici, terrei, subterranei, et lucifugi), et consuluit quod in camera virginis tentatæ continue fieret suffimentum vaporosum sequens. Requirunt ollam novam figulinam vitreatam; in hac ponitur calami aromatici, cubebarum seminis, aristolochiæ utriusque radicum, cardamomi majoris et minoris, gingiberis, piperis longi, caryophyllorum, cinnamomi, canellæ caryophyllatæ, macis, nucum myristicarum, styracis calamitæ, benzoini, ligni ac radicis rodiæ, ligni aloes, triasantalorum una uncia, semiaquæ vitæ libræ tres; ponitur olla supra cineres calidas ut vapor suffimenti ascendat, et cella clausa tenetur. Facto suffimento advenit denuo Incubus, sed ingredi cellam nunquam ausus est: sed si tentata extra eam ibat, et per viridarium ac claustra spatiabatur, aliis invisibilis sibi visus apparebat Incubus, et puellæ collo injectis brachiis violenter, ac quasi furtive oscula rapiebat: quod molestissimum honestæ virgini erat. Consultus denuo Theologus ille ordinavit puellæ, ut deferret pixidulas unguentarias exquisitorum odorum, ut moschi, ambræ, zibetti, balsami Peruviani, ac aliorum compositorum; quod cum fecisset, deambulanti per viridarium puellæ apparuit Incubus faci minaci, ac furenti; non tamen ad illam approximavit, sed digitum sibi momordit tanquam meditans vindictam; tandem disparuit, nec amplius ab ea visus fuit. Dans un monastère de saintes Religieuses vivait comme pensionnaire une jeune vierge de noble famille, laquelle était tentée par un Incube qui lui apparaissait jour et nuit, et, avec les plus instantes prières, avec les allures de l'amant le plus passionné, la sollicitait sans cesse au péché: elle cependant, soutenue par la grâce de Dieu et la fréquentation des sacrements, demeurait ferme dans sa résistance. Mais malgré toutes ses dévotions, ses jeûnes, ses vœux; malgré les exorcismes, les bénédictions, les injonctions faites par les exorcistes à l'Incube de renoncer à ses persécutions; en dépit de la multitude de reliques et autres objets sacrés accumulés dans la chambre de la jeune fille, des flambeaux ardents qu'on y entretenait toute la nuit, l'Incube n'en persistait pas moins à lui apparaître comme de coutume sous la forme d'un très-beau jeune homme. Enfin, parmi les doctes personnages consultés à ce propos, se trouva un Théologien d'une grande érudition: lequel, observant que la jeune fille tentée était d'un tempérament tout à fait flegmatique, conjectura que cet Incube devait être un démon aqueux (il y a en effet, comme en témoigne Guaccius, des démons ignés, aériens, flegmatiques, terrestres, souterrains, ennemis du jour), et ordonna qu'on fît immédiatement dans la chambre de la jeune fille une fumigation de vapeur. On apporte en conséquence une marmite neuve en terre transparente; on y met une once de canne aromatique, de poivre cubèbe, de racines d'aristoloche des deux espèces, de cardamome grand et petit, de gingembre, de poivre long, de caryophylles, de cinnamome, de canelle caryophyllée, de macis, de noix muscades, de storax calamite, de benjoin, de bois d'aloès, et de trisanthes, le tout dans trois livres d'eau-de-vie demi-pure; on place la marmite sur des cendres chaudes, afin de faire monter la vapeur fumigante, et l'on tient la chambre close. La fumigation faite arrive l'Incube, mais qui, cette fois, n'osa jamais pénétrer dans la chambre; seulement, si la jeune fille en sortait pour se promener dans le jardin ou dans le cloître, il lui apparaissait aussitôt tout en restant invisible aux autres, et lui jetant ses bras autour du cou, lui dérobait ou plutôt lui arrachait des baisers, ce qui faisait cruellement souffrir cette honnête pucelle. Enfin, après nouvelle consultation, notre Théologien ordonna à la jeune fille de porter sur elle de petites boulettes composées de parfums exquis, tels que musc, ambre, civette, baume du Pérou et autres. Ainsi munie, elle s'en alla se promener dans le jardin où sur-le-champ lui apparut l'Incube, furieux et menaçant; toutefois il n'osa point l'approcher, et après s'être mordillé le doigt, comme s'il méditait une vengeance, il disparut pour ne plus revenir.
72. Alia historia est, quod in Conventu Magnæ Cartusiæ Ticinensis, fuit quidam Diaconus, nomine dictus Augustinus, maximas, ac inauditas, et pene incredibiles sustinens a quodam Dæmone vexationes; quæ tolli nullo remedio spirituali (quamvis plura juxta plures exorcistas, qui liberationem, sed incassum tentarunt, fuissent adhibita) potuerunt. Me consuluit illius Conventus vicarius, qui curam divexati, utpote Clerici ex officio habebat. Ego videns frustranea fuisse consueta exorcismorum remedia, exemplo historiæ suprarecensitæ consului suffimentum simile superiori, utque divexatus pixidulas odoramentorum supradictas deferret; et quia tabacchi usum habebat, et aqua vitæ delectabatur, suasi, ut et tabaccho et aqua vitæ moschata uteretur. Dæmon illi apparebat diu, noctuque ultra alias species, puta scheleti, suis, asini, Angeli, avis, modo in forma unius, modo alterius ex suis Religiosis, et semel in forma sui Prælati, nempe Prioris, qui hortatus est vexatum ad puritatem conscientiæ, ad confidentiam in Deum, et ad frequentiam confessionis; suasit ut sibi sacramentalem confessionem faceret, quod etiam fecit; et expost Psalmos Exsurgat Deus et Qui habitat, et mox Evangelium S. Joannis simul cum vexato recitavit, et ad ea verba Verbum caro factum est genuflexit, et accepta stola, quæ in cella erat, et aspergillo aquæ benedictæ benedixit cellæ, ac lecto vexati, et ac si revera fuisset ipsius Prior præceptum fecit Dæmoni, ne auderet illum suum subditum amplius divexare, et post hæc disparuit, sicque prodidit quisnam esset: aliter vexatus illum suum Prælatum esse reputaverat. Postquam igitur suffimentum, ac odores, ut supra dictum est, consulueram, non destitit Dæmon juxta solitum apparere; imo assumpta figura vexati fuit ad cameram Vicarii, et ab eo petiit aquam vitæ, ac tabaccum moschatum, dicens sibi talia valde placere. Vicarius utrumque illi dedit: quibus acceptis disparuit in momento, quo facto cognovit Vicarius se fuisse illusum a Dæmone tali pacto: quod magis confirmavit assertum vexati, qui cum juramento affirmavit, se illa die nullo modo fuisse in cella Vicarii. Iste mihi totum retulit, et ex tali facto conjeci Dæmonem illum non fuisse aqueum, ut erat Incubus, qui virginem ad coitum sollicitabat, ut dictum supra est, sed igneum, vel ad minus æreum, ex quo gaudebat vaporibus, ac odoribus, tabacco, et aqua vitæ, quæ calida sunt. Et conjecturæ vim addidit temperamentum divexati, quod erat colericum quo ad prædominium cum subdominio, tamen sanguineo. Dæmones enim tales non accedunt nisi ad eos, qui secum in temperamento symbolizant; ex quo validatur opinio mea de illorum corporeitate. Unde suasi Vicario, ut acciperet herbas natura frigidas, ut nymphæam, hepaticam, portulacam, mandragoram, sempervivam, plantaginem, hyoscyamum, et alias similes, et ex iis compositum fasciculum fenestræ, alium ostio cellæ suspenderet; similibusque herbis, tum cameram, tum lectum divexati sterneret. Mirum dictu! comparuit denuo Dæmon, manens tamen extra cameram, nec ingredi voluit, et cum divexatus illum interrogasset, quare de more intrare non auderet, multis verbis injuriosis jactatis contra me, qui talia consulueram, disparuit, nec amplius reversus est. 72. Voici l'autre histoire: dans le Couvent de la Grande Chartreuse de Pavie vivait un Diacre nommé Augustin, lequel était en butte, de la part de certain démon, à des vexations excessives, inouïes et presque incroyables; plusieurs exorcistes avaient tenté en vain de le délivrer: tous les remèdes spirituels étaient restés sans effet. Le Vicaire du couvent, qui avait la charge spirituelle de ce pauvre clerc, vint me consulter. Moi, voyant l'inefficacité des exorcismes ordinaires, et me rappelant l'exemple ci-dessus rapporté, je conseillai une fumigation de parfums semblable à celle dont il a été question, et ordonnai au diacre de porter sur lui des boulettes odoriférantes de même nature; de plus, comme il avait l'usage du tabac et qu'il aimait beaucoup l'eau-de-vie, je lui recommandai le tabac et l'eau-de-vie musquée. Le démon lui apparaissait sous différentes formes: squelette, cochon, âne, Ange, oiseau; ou bien il empruntait les traits de quelques Religieux du couvent; une fois même ce fut son propre Abbé ou Prieur, lequel l'exhorta à purifier sa conscience, à se confier en Dieu, à user fréquemment de la confession; il lui persuada de lui faire sa confession sacramentelle, récita avec lui les psaumes Exsurgat Deus et Qui habitat, et l'Évangile de Saint Jean: aux mots Verbum caro factum est il fléchit le genou, puis saisissant une étole qui était dans la cellule et le goupillon d'eau bénite, il bénit la cellule et le lit, et, comme s'il eût été réellement le Prieur, il enjoignit au démon de ne plus oser à l'avenir tourmenter son subordonné: après quoi il disparut, trahissant ainsi ce qu'il était, car autrement le jeune diacre le prenait pour son véritable Prieur. Or, nonobstant les fumigations et les parfums que j'avais conseillés, ce démon n'en continua pas moins ses obsessions; bien plus, il revêtit les traits de sa victime pour se présenter chez le Vicaire, auquel il demanda de l'eau-de-vie et du tabac musqué, choses qu'il aimait, disait-il, passionnément. Ayant obtenu l'un et l'autre, il disparut en un clin d'œil, montrant ainsi au Vicaire qu'il avait été le jouet du Démon: et ceci fut amplement confirmé par le Diacre, qui affirma avec serment qu'il n'était pas allé ce jour-là dans la cellule du Vicaire. Le tout me fut rapporté, d'où je conclus que loin d'être aqueux, comme l'Incube amoureux de la jeune fille dont il a été parlé plus haut, ce démon était igné ou tout au moins aérien, puisqu'il se délectait de substances chaudes, comme vapeurs, parfums, tabac et eau-de-vie. Le tempérament du jeune diacre, bilieux et sanguin, mais où le bilieux l'emportait, ne fit que fortifier mes conjectures, car ces démons ne s'attaquent jamais qu'à ceux dont le tempérament est conforme au leur: nouvelle preuve de la vérité de mon opinion sur leur corporéité. Je recommandai en conséquence au Vicaire de faire prendre à son pénitent des herbes froides de leur nature, telles que nénuphar, hépatique, euphorbe, mandragore, joubarde, plantain, jusquiame, et autres semblables, pour en composer deux faisceaux dont il suspendrait l'un à la fenêtre, l'autre à la porte de la cellule, ayant soin également d'en joncher sa chambre et son lit. Chose prodigieuse! le Démon apparut encore, mais en restant hors de la cellule, sans vouloir entrer; et comme le diacre lui demandait la cause de cette réserve inusitée, pour toute réponse il se répandit en injures contre moi qui avais conseillé ces moyens de défense, puis il disparut et jamais plus ne revint.
73. Ex his duabus historiis apparet tales odores, et herbas respective sua naturali virtute, nullaque interveniente vi supernaturali Dæmones propulisse; unde convincitur quod Incubi patiuntur a qualitatibus materialibus, ut proinde concludi debeat, quod communicant in materia cum iis rebus naturalibus, a quibus fugantur, et ex consequenti corpore sint præditi, quod est intentum. 73. Ces deux histoires établissent clairement la mise en fuite des Démons par la seule vertu naturelle des herbes ou des parfums, suivant le cas, sans nulle intervention de force surnaturelle; donc les Incubes sont sujets à être affectés par des qualités matérielles; donc ils participent de la matière de ces mêmes choses naturelles qui ont le pouvoir de les mettre en fuite, et conséquemment ils ont un corps, ce que nous voulons démontrer.
74. Et magis conclusio firmatur, si impugnetur sententia Doctorum supracitatorum, dicentium, Incubum abactum a Sara fuisse vi Angeli Raphaelis, non vero jecoris piscis callionymi, qualis fuit piscis a Tobia apprehensus ad ripam Tigris, ut cum Vallesio, Sacr. Philos., c. 42., scribit Cornelius a Lap. in Tob. c. 6., v. 2., § Quarto ergo: salva enim tantorum Doctorum reverentia, talis expositio manifeste adversatur sensui patenti Textus, a quo nullo modo recedendum est dummodo non sequantur absurda. En verba Angeli ad Tobiam: «Cordis ejus particulam, si super carbones ponas, fumus ejus extricat omne genus Dæmoniorum, sive a viro, sive a muliere, ita ut ultra non accedant ad eos, et fel valet ad unguendos oculos, in quibus fuerit albugo, et sanabuntur.» (Tob., c. 6. v. 8. et 9.) Notetur, quæso, assertio Angeli absoluta, et universalis de virtute cordis, seu jecoris, et fellis illius piscis: non enim dicit: Si pones particulas cordis ejus super carbones, fugabis omne genus Dæmoniorum, et si felle unges oculos, in quibus fuerit albugo, sanabuntur: si enim ita dixisset congrua esset expositio, quod nempe Raphael supernaturali sua virtute illos effectus patrasset, ad quos perficiendos inepta esset applicatio fumi, et fellis: sed non ita loquitur, sed ait talem esse virtutem fumi, et fellis absolute. 74. Mais, pour mieux asseoir notre conclusion, il convient de signaler l'erreur où sont tombés certains docteurs, comme Vallesius et Cornelius a Lapide, quand ils prétendent que Sara fut délivrée de l'Incube par la vertu de l'Ange Raphaël, et non par celle du foie de ce poisson callionyme que Tobie avait pris sur les bords du Tigre. En effet, sauf le respect dû à de si grands docteurs, une telle interprétation est évidemment contraire au sens précis du Texte, dont il n'est jamais permis de s'écarter tant qu'il ne conduit pas à l'absurde. Or, voici les paroles de l'Ange à Tobie: «Si tu jettes sur des charbons une parcelle de son foie, la fumée fait fuir toute espèce de Démons, et le possédé, homme ou femme, en est débarrassé pour toujours; quant à son fiel, il est souverain pour la guérison des yeux atteints d'albugo.» (Tobie, c. 6., v. 8 et 9.) Notez, je vous prie, que cette assertion de l'Ange touchant la vertu du cœur ou du foie et du fiel de ce poisson, est absolue, universelle; car il ne dit pas: «Si tu jettes sur des charbons des parcelles de son foie, tu feras fuir toute espèce de Démons, et si tu appliques son fiel sur des yeux atteints d'albugo, ils seront guéris.» S'il eût dit cela, j'admettrais avec les commentateurs que Raphaël eût réalisé, par sa propre vertu surnaturelle, les effets que la simple application de la fumée et du fiel était impuissante à produire: mais il ne parle pas ainsi, il dit au contraire, et d'une façon absolue, que telle est la vertu de la fumée et du fiel.
75. Quæro modo, an Angelus veritatem puram dixerit de virtute rerum, an mentiri potuerit; pariter an albugo ab oculis Tobiæ senioris ablata sit vi naturali fellis piscis, aut virtute supernaturali Angeli Raphaelis? Angelum mentiri potuisse blasphemia hæreticalis est; sequitur igitur puram veritatem fuisse ab eo assertam; talis autem non esset, si omne genus Dæmoniorum non extricaretur a fumo jecoris piscis nisi addita vi supernaturali Angeli, maxime, si hæc esset causa principalis talis effectus, quemadmodum scribunt de hoc casu Doctores. Mentiretur absque dubio medicus qui diceret, talis herba curat taliter pleuritidem, sive epilepsiam, ut amplius non revertatur: si herba illa non curaret illas ægritudines nisi inchoate, et perfecta illarum sanatio esset ab alia herba conjuncta priori; sic pari modo mentitus fuisset Raphael asserens fumum jecoris extricare omne genus Dæmoniorum ita ut ultra non accedant, si talis effectus esset a fumo solum inchoate, principaliter vero, et perfecte a virtute Angeli. Præterea talis fuga Dæmonis, vel secutura erat universaliter, et semper posito jecore piscis super carbones a quoquam, vel debebat sequi in illo solummodo casu particulari, jecore incusso a juniore Tobia. Si primum, ergo oportet, quod cuicumque talem fumum per accensionem jecoris paranti, assistat Angelus qui supernaturali virtute Dæmonem miraculose abigat regulariter; et hoc est absurdum; ad positionem enim rei naturalis deberet regulariter sequi miraculum, quod est incongruum, et si absque Angeli operatione fuga Dæmonis non sequeretur, mentitus fuisset Raphael asserens eam esse virtutem jecoris. Si autem effectus ille sequi non debeat, nisi in illo casu particulari, mentitus fuisset Angelus enuncians universaliter virtutem piscis, in fugando omni Dæmoniorum genere, quod non est dicendum. 75. On demandera si l'Ange a dit la vérité pure de la vertu des choses, ou s'il a pu mentir; et pareillement, si l'albugo a été enlevée des yeux du vieux Tobie par l'effet du fiel du poisson, ou par la vertu surnaturelle de l'Ange Raphaël? Dire que l'Ange a pu mentir serait blasphème et hérésie, donc il a exprimé la vérité pure; mais ce ne serait plus cette vérité si toute espèce de démons n'était pas chassée par la fumée du foie du poisson sans l'intervention de la force surnaturelle de l'Ange, et surtout si cette intervention était la cause principale de l'effet produit. Le médecin qui dirait: telle herbe guérit radicalement la pleurésie ou l'épilepsie, mentirait sans aucun doute si cette herbe ne guérissait que d'une façon inchoative et si, pour obtenir la parfaite guérison, il fallait ajouter une autre herbe à la première; de même que Raphaël aurait menti en affirmant que la fumée du foie chassait toute sorte de démons, sans qu'ils pussent revenir, si ce résultat était obtenu par la fumée d'une façon inchoative seulement, et principalement, complétement, par la vertu de l'Ange. En outre, ce phénomène de la mise en fuite du démon devait se produire universellement et par le seul fait du placement par n'importe qui du foie du poisson sur des charbons ardents, ou bien il ne devait se produire que dans ce seul cas particulier, à savoir du placement du foie par le jeune Tobie. En admettant la première hypothèse, il faut supposer que toute personne à qui il plaira de faire cette fumée en brûlant le foie, sera assistée d'un Ange pour chasser le Démon, par sa vertu surnaturelle, miraculeusement et régulièrement tout ensemble: ce qui est absurde, car, ou les mots n'ont plus de sens, ou un fait naturel ne saurait être régulièrement suivi de miracle; et si le Démon n'était pas mis en fuite sans le secours de l'Ange, Raphaël aurait menti en affirmant que le foie avait cette vertu. Si au contraire l'effet en question ne devait se produire que dans ce cas particulier, Raphaël aurait encore menti en attribuant à ce poisson, d'une manière générale et absolue, la propriété de mettre en fuite le Démon: or, que l'Ange ait menti, cela ne se peut dire.
76. Ulterius albugo oculorum detracta est ab oculis Tobiæ senioris, et ipsius cæcitas sanata est a virtute naturali fellis piscis illius, ut Doctores affirmant (Liran. Dyonisius; et Seraci. apud Cornel. in Tobi., c. 6. v. 9). Piscis enim Callionymus, qui vocatur Italice bocca in capo, et quo usus est Tobias, fel habet pro celeberrimo remedio ad detegendas albugines oculorum, ut scribunt concorditer Dioscorides, l. 1. c. 96., Galenus, De Simpl. Medicam., Plinius, l. 32. c. 7., Aclanius, De Ver. Histor., l. 13. c. 14. et Vallesius, De Sacr. Philos., c. 47. Textus Græcus Tobiæ, c. 11. v. 13., habet: «Inspersit fel super oculos patris sui, dicens: Confide, Pater; ut autem erosi sunt, detrivit oculos suos, et disquamatæ sunt ab angulis oculorum albugines.» Cum igitur eodem contextu Angelus aperuerit Tobiæ virtutem jecoris, et fellis piscis, et hoc sua naturali virtute cæcitatem Tobiæ senioris curaverit, concludendum est, quod etiam fumus jecoris sua naturali vi Incubum fugaverit: quod concludenter confirmatur a Textu Græco, qui ad Tobiæ c. 8. v. 2., ubi Vulgata habet: «Partem jecoris posuit super carbones vivos», sic habet: «Accepit cinerem, sive prunam thimiamatum, et imposuit cor piscis, et hepar, fumumque fecit, et quando odoratus est Dæmon odores, fugit.» Et Textus Hebraicus ita cantat: «Percepit Asmodeus odorem, et fugit.» Ex quibus textibus apparet, quod Dæmon fugit ad perceptionem fumi, sibi contrarii, ac nocentis, non autem a virtute Angeli supernaturali. Quod si in tali liberatione Saræ ab impetitione Incubi Asmodei, ultra fumum jecoris intervenit operatio Raphaelis, hoc fuit in alligatione Dæmonis in deserto superioris Ægypti, ut dicitur c. 8. v. 3. Tobiæ; fumus quippe jecoris nequibat in tanta distantia agere in Dæmonem, aut illum alligare. Quod inservire potest pro concordia supracitatorum Doctorum (qui voluerunt Saram perfecte liberatam a Dæmone virtute Raphaelis) cum sententia, quam tuemur: dico enim, quod ipsi senserint, quod perfecta curatio Saræ a Dæmone fuerit in alligatione ejus in deserto, quæ fuit ab Angelo, quod et nos concedimus; sed extricatio, sive fugatio ejusdem a cubiculo Saræ fuerit a vi innativa jecoris piscis, quod nos tuemur. 76. Passons maintenant au vieux Tobie: l'albugo a été enlevée de ses yeux et sa cécité guérie par la vertu naturelle du fiel de ce même poisson, comme l'affirment les Docteurs. En effet le poisson callionyme, appelé en Italien bocca in capo, et dont s'est servi Tobie, possède un fiel très-renommé pour la guérison de l'albugo: là-dessus, tout le monde est d'accord, Dioscoride, Galien, Pline, Aclanius, Vallesius, etc. Le texte Grec de Tobie. c. 11, v. 13, porte ce qui suit: «Il répandit le fiel sur les yeux de son père en disant: Ayez confiance, mon père; et comme il y avait érosion, il lui frotta les yeux et enleva l'albugo par écailles aux angles des paupières.» Or, puisque, d'après le même texte, l'Ange a révélé à Tobie la vertu du foie et du fiel du poisson, et que le fiel, par sa vertu naturelle, a guéri la cécité du vieux Tobie, il faut en conclure que c'est également par sa force naturelle que la fumée du foie a mis en fuite l'Incube. Et ceci est confirmé d'une façon concluante par le texte Grec, qui, dans Tobie, c. 8., v. 2, au lieu de cette leçon de la Vulgate: «Il jeta des charbons ardents,» porte tout au long: «Il prit de la cendre ou de la braise de parfums, y mit le cœur et le foie du poisson, et fit de la fumée: le Démon n'eut pas plutôt senti l'odeur, qu'il s'enfuit.» Quant au texte Hébreu, il dit: «Asmodée sentit l'odeur et s'enfuit.» De tous ces textes, il résulte que le Démon s'est sauvé pour avoir senti une fumée qui lui était contraire et nuisible, et nullement par l'effet de la vertu surnaturelle de l'Ange. Que si, dans cette délivrance de Sara des poursuites de l'Incube Asmodée, l'opération de la fumée du foie fut suivie d'une intervention de Raphaël, ce fut pour enchaîner le Démon dans le désert de la Haute-Égypte, comme il est dit dans Tobie, c. 8, v. 3; car, à une si grande distance, la fumée du foie ne pouvait agir sur le Démon, ni l'enchaîner. Et ici nous avons un moyen de concilier notre opinion avec celle des docteurs cités plus haut, lesquels attribuent la délivrance parfaite de Sara à l'opération de Raphaël: en effet, pour ces docteurs, Sara ne fut parfaitement guérie qu'après que le Démon eut été enchaîné dans le désert, ce qui fut l'œuvre de l'Ange, et nous le concédons; mais la délivrance proprement dite, l'expulsion de la chambre à coucher de Sara, ce fut, nous le maintenons, l'effet direct de la vertu native du foie du poisson.
77. Probatur tertio principaliter nostra conclusio de existentia talium animalium, seu de Incuborum corporeitate, ex auctoritate D. Hieronymi, in vita S. Pauli primi Eremitæ. Refert is D. Antonium iter per desertum arripuisse, ut ad visendum D. Paulum perveniret, et post nonnullas diætas itineris Centaurum reperiisse, a quo cum fuisset percontatus mansionem D. Pauli, et ille barbarum quid infrendens potius, quam proloquens, dextræ protensione manus iter D. Antonio demonstrasset, in sylvam se abdidit cursu concitatissimo. Prosecutus iter S. Abbas in quadam valle invenit haud grandem quemdam homunculum, aduncis manibus, fronte cornibus asperata, cujus extrema pars corporis in caprarum pedes desinebat. Ad ejus aspectum substitit Antonius, et timens Diaboli artes signo Sanctæ Crucis se munivit. Ad tale signum nec fugit, nec metuit homuncio ille, immo ad sanctum senem actu humili appropinquans palmarum fructus ad viaticum quasi pacis obsides illi offerebat. Tum B. Antonius quisnam esset interrogans, hoc ab eo responsum accepit: «Mortalis ego sum, et unus ex accolis Eremi, quos vario errore delusa Gentilitas Faunos, Satyros, et Incubos vocans colit; legatione fungor gregis mei; precamur, ut pro nobis communem Deum depreceris, quem pro salute mundi venisse cognovimus, et universam terram exiit sonus ejus.» Ad quæ gaudens D. Antonius de gloria Christi, conversus ad Alexandriam, et baculo terram percutiens, ait: «Veh tibi, Civitas meretrix, quæ pro diis animalia veneraris!» Hæc D. Hieronymus, qui late prosequitur hoc factum, ipsius virtutem longo comprobans sermone. 77. Une troisième preuve principale de notre conclusion touchant l'existence des animaux dont il s'agit, en d'autres termes, touchant la corporéité des Incubes, c'est le témoignage de S. Jérôme dans la Vie de S. Paul, le premier ermite. S. Antoine, raconte ce docteur, se mit un jour en route pour aller voir S. Paul. Après plusieurs journées de voyage, il rencontra un Centaure, auquel il demanda la demeure de l'ermite: sur quoi le Centaure, en balbutiant quelques mots barbares et à peine intelligibles, lui indiqua de la main la route de l'ermitage et courut au galop se cacher dans la forêt. Le saint Abbé continua son chemin: nouvelle rencontre, cette fois d'un petit homme, presque un nain, au mains crochues, au front hérissé de cornes, et dont l'extrémité du corps se terminait en pieds de chèvre. A cette vue, S. Antoine s'arrêta et, craignant les artifices du diable, se munit du signe de la Sainte Croix. Mais, loin de fuir à ce signe, loin même d'en paraître effrayé, le petit homme s'approcha respectueusement du saint vieillard et lui offrit des fruits de palmier, comme pour témoigner de ses intentions pacifiques. Alors le bienheureux Antoine lui ayant demandé qui il était: «Je suis mortel,» répondit-il, «et l'un des habitants du Désert, que la Gentilité, dans son erreur capricieuse, honore sous les noms divers de Faunes, de Satyres et d'Incubes; je suis envoyé en mission par mon troupeau; nous venons te demander de prier pour nous le Dieu commun, que nous savons être descendu pour le salut du monde et dont les louanges retentissent dans toute la terre.» A ces mots, à cette glorification du Christ, S. Antoine, transporté de joie, se tourna vers Alexandrie, et, frappant la terre de son bâton, s'écria: «Malheur à toi, Ville prostituée, qui adores des animaux comme des dieux!» Tel est le récit de S. Jérôme, qui s'étend au long sur ce fait et en développe toutes les conséquences.
78. De hujus historiæ veritate dubitare temerarium est, cum eam constanter referat SS. Ecclesiæ Doctorum maximus D. Hieronymus, de cujus auctoritate nullus Catholicus dubitabit. Addit fol. 21. 25. Notandæ proinde veniunt illius circumstantiæ, quæ sententiam nostram evidentissime confirmant. 78. Douter de la vérité de cette histoire, quand elle est affirmée par le plus grand des Docteurs de l'Église, par S. Jérôme, dont aucun catholique ne contestera jamais l'autorité, serait assurément chose téméraire. Examinons-en donc les circonstances, et faisons voir à quel point elles confirment notre opinion.
79. Primo notandum est, quod si ullus Sanctorum artibus Dæmonis impetitus fuit; si ullus diversas ejus artes nocendi calluit; si ullus victorias, ac illustria de eodem trophea reportavit, is fuit D. Antonius, ut constat ex ejus vita a D. Athanasio descripta. Dum igitur D. Antonius homunculum illum non tanquam Diabolum agnovit, sed animal intitulavit dicens: Veh tibi, Civitas meretrix, quæ pro Diis animalia veneraris! convincitur, quod ille nullo modo fuit Diabolus, seu purus spiritus de cœlo dejectus, ac damnatus, sed aliquod aliud animal. Et confirmatur, quia D. Antonius erudiens suos monachos, eosque animans ad metuendas Dæmonis violentias, aiebat, prout habetur in lectionibus Breviarii Romani in festo S. Antonii Abb. l. 1., quæ recitantur in festo ipsius: «Mihi credite, Fratres, pertimescit Satanas piorum vigilias, orationes, jejunia, voluntariam paupertatem, misericordiam, et humilitatem; maxime vero ardentem amorem in Christum Dominum, cujus unico Sanctissimæ Crucis signo debilitatus fugit.» Dum igitur homunculus ille, contra quem D. Antonius Crucis signo se munivit, ad ejus aspectum, nec pavit, nec fugit, immo confidenter, humiliterque accessit ad eum dactalos illi offerens, signum est, illum nullo modo Diabolum fuisse. 79. Premièrement, il faut noter que si jamais saint fut en butte aux artifices du Démon, pénétra son art infernal et remporta sur lui victoires et trophées, à coup sûr ce fut S. Antoine, comme le constate sa vie, écrite par S. Athanase. Or S. Antoine ne reconnut pas un diable dans ce petit homme, mais un animal, disant: «Malheur à toi, Ville prostituée, qui adores des animaux comme des dieux!», d'où il ressort que ce n'était nullement un diable ou pur esprit, chassé du ciel et damné, mais un animal quelconque. Il y a plus: S. Antoine instruisant ses moines et les mettant en garde contre les entreprises du Démon, leur disait, comme le rapporte le Bréviaire Romain (fête de S. Antoine, Abbé): «Croyez-moi, mes frères, ce que Satan redoute dans les hommes pieux, ce sont les veilles, les prières, les jeûnes, la pauvreté volontaire, la miséricorde, l'humilité: par-dessus tout, l'ardent amour du Christ Notre-Seigneur, puisque, pour le mettre en fuite, il suffit du signe de la Très-Sainte Croix.» Or le petit homme en question, lorsque S. Antoine crut devoir se munir contre lui du signe de la Croix, ne montra aucune frayeur, ne songea nullement à s'enfuir; bien au contraire, il s'approcha du saint d'un air confiant et respectueux, en lui offrant des dattes: preuve certaine que ce n'était pas un diable.
80. Secundo notandum, quod homunculus ille dixit: Mortalis et ego sum; ex quibus verbis docemur, quod ille erat animal morti obnoxium, et proinde, quod per generationem esse accepit: spiritus enim immaterialis immortalis est, quia simplex, et ideo non accipit esse per generationem ex præjacente materia, sed per creationem; unde nec amittit esse per corruptionem, quæ dicitur mors, sed per annihilationem tantum potest desinere esse. Quod si ille se mortalem esse dixit, professus est se esse animal. 80. Secondement, il faut noter que ce petit homme dit: «Je suis mortel, moi aussi», d'où il résulte que c'était un animal sujet à la mort, et qui avait reçu l'être par génération; en effet, un esprit immatériel est immortel parce qu'il est simple, et conséquemment ne reçoit pas l'être par génération d'une manière préexistante, mais par création; conséquemment encore, il ne perd pas l'être par corruption, autrement dite mort; et il ne saurait cesser d'être que par annihilation. Donc, en se disant mortel, il a déclaré être un animal.
81. Tertio notandum, quod ait se cognovisse communem Deum in carne humana fuisse passum. Ex his verbis convincitur illud fuisse animal rationale: siquidem bruta nihil agnoscunt, nisi sensibile et præsens, unde ab ipsis Deus nullo modo cognosci potest. Quod si homunculus ille ait, se cum aliis suis cognovisse Deum in carne humana passum, hoc probat, quod aliquo revelante habuit notitiam de Deo, sicut etiam nos habemus de illo fidem revelatam; pariterque Deum carnem humanam assumpsisse, et in ea passum: quæ duo sunt articuli nostræ Fidei principales, nempe Dei unius, et Trini existentia, et ipsius Incarnatio, Passio, et Resurrectio; ex quibus omnibus habetur, ut dicebam, illud fuisse animal rationale capax divinæ cognitionis, per revelationem, ut nos, et proinde pollens anima rationali, et ex consequenti immortali. 81. Troisième observation: Il sait, dit-il, que le Dieu commun a souffert dans la chair de l'homme. Ces paroles prouvent que c'était un animal raisonnable. En effet, les bêtes ne connaissent rien au delà du sensible et du présent, et ne peuvent conséquemment avoir aucune connaissance de Dieu. Si, comme le dit ce petit homme, lui et ses pareils savent que Dieu a souffert dans la chair humaine, cela prouve que, grâce à quelque révélation, il a eu connaissance de Dieu, de la même manière que nous en avons nous-mêmes la foi révélée; et cette notion, que Dieu a revêtu la chair humaine et y a souffert, constitue les deux principaux articles de notre Foi: d'abord, l'existence de Dieu un et triple, puis son Incarnation, sa Passion et sa Résurrection. Tout cela démontre, comme je l'ai dit, que c'était un animal raisonnable, capable de la connaissance divine par voie de révélation, ainsi que nous-mêmes, doué d'une âme raisonnable, et, par conséquent, immortelle.
82. Quarto notandum, quod oraverit nomine omnium gregis sui, cujus legatione fungi se profitebatur, D. Antonium, ut communem Deum pro illis deprecaretur. Ex his deducitur, quod homunculus ille capax erat beatitudinis, et damnationis, et quod non erat in termino, sed in via: ex hoc enim, quod, ut supra probatum est, se prodidit rationalem, et anima immortali consequenter donatum, consequens est, quod, et beatitudinis, et damnationis capax sit: hæc enim propria passio est Creaturæ rationalis, ut constat ex natura angelica, et humana. Item deducitur, quod ipse erat in via, et proinde capax meriti, et demeriti: si enim fuisset in termino, fuisset vel beatus, vel damnatus; neutrum autem potuit esse, quia orationes D. Antonii, quibus se commendabat, ipsi nullo modo prodesse potuissent, si fuisset finaliter damnatus; et si beatus fuisset illis non eguisset. Quod ipsi se commendavit, signum est eas sibi prodesse potuisse, et proinde in statu viæ, et meriti. 82. Quatrième observation: Au nom de tout son troupeau, dont il se déclare le délégué, il demande à S. Antoine de prier pour eux le Dieu commun. D'où je déduis que ce petit homme était capable de béatitude et de damnation, et qu'il n'était pas in termino, mais in via; en effet, du moment qu'il est un animal raisonnable, et, conséquemment, doué d'une âme immortelle, comme il a été prouvé plus haut, la logique veut également qu'il soit capable de béatitude et de damnation: c'est là, effectivement, le propre de la créature raisonnable, ange ou homme. De même, je déduis qu'il était dans la voie, in via, c'est-à-dire capable de mérite et de démérite; car, s'il eût été au terme, in termino, il eût été ou bienheureux ou damné. Or, il ne pouvait être ni l'un, ni l'autre; car les prières de S. Antoine, auxquelles il se recommandait, ne pouvaient lui être d'aucun secours, s'il était définitivement damné; et, s'il était bienheureux, il n'en avait pas besoin. Puisqu'il se recommandait à ses prières, c'est qu'elles pouvaient lui servir, et qu'il était, par conséquent, dans la voie du salut, in statu viæ et meriti.
83. Quinto notandum, quod homunculus ille professus est, se esse legatum aliorum suæ speciei, dum dixit legatione fungor gregis mei, ex quibus verbis plura deducuntur. Unum est, quod homunculus ille non solus erat, unde potuisset credi monstrum raro contingens, sed quod plures erant ejusdem speciei; tum quia simul congregati gregem faciebant; tum quia nomine omnium veniebat: quod esse non posset si multorum voluntates in illum non convenissent. Aliud est, quod isti profitentur vitam socialem: ex quo nomine multorum unus ex ipsis missus est. Aliud est, quod quamvis dicantur habitare in Eremo, non tamen in eo fixa est eorum permanentia: siquidem cum D. Antonius in illa eremo alias non fuisset (distabat enim illa per multas dietas ab eremo D. Antonii), scire non potuerunt quisnam ille esset cujusve sanctitatis; necessarium igitur fuit, quod alibi eum cognoverint, et ex consequenti extra desertum illum vagaverint. 83. Cinquième observation: Ce petit homme, en disant: «Je suis envoyé en mission par mon troupeau», se déclare le délégué d'autres créatures de son espèce. D'où nous pouvons tirer plusieurs conséquences: d'abord, que ce petit homme n'était pas seul, c'est-à-dire un monstre exceptionnel et rare, mais qu'il en existait plusieurs de même espèce, puisque, réunis ensemble, ils formaient un troupeau, et qu'il se présentait au nom de tous: ce qui n'eût pas été vrai, si un grand nombre de volontés n'eussent concouru à le déléguer. Ensuite, que ces animaux vivent en société, puisqu'ils envoient l'un d'eux pour les représenter tous. Enfin que, tout en habitant le Désert, ils n'y sont cependant pas fixés à l'état permanent: en effet, S. Antoine n'ayant jamais eu jusqu'alors l'occasion de visiter cette solitude, qui était très-éloignée de son ermitage, ils n'auraient pu savoir qui il était, ni à quel degré de sainteté il était parvenu; il était donc nécessaire qu'ils l'eussent connu ailleurs, et, conséquemment, qu'ils eussent voyagé hors de ce désert.
84. Ultimo notandum, quod homunculus ille ait esse ex iis, quos cæco errore delusa Gentilitas Faunos, Satyros et Incubos appellant; et ex his verbis convincitur nostrum intentum principale, Incubos nempe esse animalia rationalia beatitatis, et damnationis capacia. 84. Dernière observation: Ce petit homme dit être de ceux que les Gentils, abusés par une erreur aveugle, appellent Faunes, Satyres et Incubes: ce qui prouve bien la vérité de notre thèse principale, savoir: que les Incubes sont des animaux raisonnables, capables de béatitude et de damnation.
85. Talium homuncionum frequens est apparitio in metallorum fodinis, ut scribit Gregorius Agricola, lib. De Animal. subterran., prope finem. Isti nempe coram fossoribus minerarum comparent induti habitu, qualem habent fossores ipsi, et jocantur inter se, tripudiantque, ac rident et cachinnantur, parvosque lapides joco mittunt in metallarios, et tunc signum est, ait Auctor prædictus, optimi proventus, ac inventionis alicujus rami, aut trunci principalis arboris mineralis. 85. L'apparition de petits hommes de cette sorte est fréquente dans les mines métalliques, comme l'enseigne Gregorius Agricola, dans son livre De Animal. subterran. Ils se font voir aux mineurs vêtus des mêmes habits qu'eux; ils jouent et badinent ensemble, rient, plaisantent, jettent aux mineurs de petites pierres en manière de jeu; et c'est alors bon signe, dit l'auteur précité: on est sûr de découvrir quelque riche rameau ou même un tronc d'arbre minéral.
86. Tales homunculos subterraneos negat Petrus Thyræus Novesianus, lib. De Terrificatio. Noctur., c. 2., per totum, nixus argumentis sane puerilibus, quæ sunt hæc: si darentur hujusmodi homunciones, ubinam degunt, et quænam, et ubi habent sua domicilia, qua ratione genus suum conservant, si per generationem, aut quomodo? si oriantur, et intereant, quo cibo vitam suam sustentent; si beatitudinis, et damnationis capaces sunt, et quibus mediis propriam salutem consequantur? Hæc sunt argumenta Thyræi, quibus permotus negat talem existentiam. 86. Pierre Thyræus, de Neuss, dans son livre De Terrification. Nocturn., nie l'existence de ces petits hommes, en s'appuyant sur des arguments qu'on trouvera sans aucun doute puérils. Étant donné, dit-il, de petits hommes de cette espèce, où vivent-ils, comment et où logent-ils? de quelle manière se perpétue leur espèce, par génération ou autrement? naissent-ils, meurent-ils, usent-ils de nourriture pour soutenir leur vie? sont-ils capables de béatitude et de damnation? et par quels moyens obtiennent-ils leur salut? Tels sont les arguments qui suffisent à Thyræus pour nier cette existence.
87. Sed viri parum cordati est negare id, quod graves Aucthores, fideque digni scribunt, quodque quotidiana constat experientia. Argumenta Thyræi nec minimum cogunt, ac ea solvimus supra a no 45. et seq. Remanet solum satisfacere quæstioni ubinam locorum habitent hujusmodi homunculi, seu Incubi? Ad quod dico, quod ut supra dedimus no 71. ex Guaccio, istorum alii sunt terrei, alii aquei, alii ærei, alii ignei, quorum nempe corpora, aut constant ex talium elementorum subtiliori parte, sive licet ex pluribus constent elementis, prævalet tamen in iis, aut aqua, aut ær pro ipsorum natura. Mansiones igitur, et domicilia eorum erunt in elemento illo cujus natura in eorum corporibus prævalet: ignei enim nisi violenter, et forte nullomodo in aquis aut locis palustribus morabuntur, cum hæc sint sibi contraria, nec aquei ad superiorem ætheris partem ascendere poterunt ob sibi repugnantem regionis illius subtilitatem, quod etiam videmus accidere hominibus, qui ad quorumdam Alpium summa juga pervenire nequeunt præ summa æris subtilitate, quæ homines crassiori æri assuetos nutrire nequit. 87. Mais, on l'avouera, c'est faire preuve de peu de sens que d'oser nier ce qu'ont écrit des auteurs graves et dignes de foi, ce qu'atteste d'ailleurs une expérience de chaque jour. Les arguments de Thyræus n'ont pas la moindre portée, et nous les avons résolus d'avance, nos 45 et suivants. La seule question à laquelle il reste à satisfaire est celle-ci: où demeurent ces petits hommes, ces Incubes? A cela je réponds: ainsi qu'il a été exposé plus haut (no 71) d'après Guaccius, les uns sont terrestres, d'autres aqueux, d'autres aériens, d'autres ignés, c'est-à-dire que leurs corps sont composés de la partie la plus subtile de l'un des éléments, ou si plusieurs éléments s'y trouvent réunis, il y en a pourtant un qui domine, soit l'eau, soit l'air, suivant leur nature. Leurs demeures, conséquemment, se trouveront dans celui de ces éléments qui entrera comme partie dominante dans la composition de leur corps; les Incubes ignés, par exemple, ne résideront pas volontiers ou même ne résideront jamais dans l'eau ou dans les marécages, qui leur sont contraires, et les Incubes aqueux ne pourront s'élever jusqu'à la partie supérieure de l'éther, cette région étant trop subtile pour leur nature. Ceci même s'observe dans les hommes qui, accoutumés à un air épais, ne peuvent résider sur certains sommets des Alpes où l'air est trop subtil pour eux.
88. Pluribus sanctorum Patrum auctoritatibus, quas congerit Molina in p. p. D. Thom., q. 50., ar. 1. circa med., probare possemus Dæmonum corporeitatem; quæ tamen stante determinatione Concilii Lateranensis de incorporeitate Angelorum, ut dictum fuit supra no 37., exponi debent de Dæmonibus istis Incubis, ac viatoribus adhuc, non autem de Damnatis. Tamen ne nimis longus sim, solius D. Augustini, summi Ecclesiæ Doctoris, aucthoritates damus, quibus evidenter convincitur illum fuisse in sententia, quam nos docemus. 88. Molina, dans son Commentaire de S. Thomas, réunit plusieurs témoignages des Saints Pères, qui pourraient nous servir à prouver la corporéité des Démons; mais, en présence de la décision du Concile de Latran, rapportée plus haut (no 87), touchant l'incorporéité des Anges, nous devons entendre que les Saints Pères ont eu en vue ces Démons Incubes, qui sont encore dans la voie du salut, et non les Anges damnés. Cependant, sans aller plus loin, nous nous bornerons à citer S. Augustin, ce grand Docteur de l'Église, et l'on verra à quel point sa doctrine concorde avec la nôtre.
89. D. Augustinus igitur, lib. 2. super Genesim ad litteram c. 17. de Dæmonibus, sic habet: «Quædam vera nosse, partim quia subtiliore sensus acumine, partim quia subtilioribus corporibus vigent,» et lib. 3. c. 1., «etsi Dæmones ærea sunt animalia, quoniam corporum æreorum natura vigent.» Et Epistola 115. ad Hebridium affirmat, eos esse «animantia ærea, seu ætherea acerrimi sensus.» Et de Civit. Dei lib. 11. c. 23, affirmat «Dæmonem pessimum habere corpus æreum.» Et lib. 21. c. 10. scripsit: «Sunt sua quædam etiam Dæmonibus corpora, sicut doctis hominibus visum est, ex isto ære crasso et humido.» Et lib. 15. c. 23. ait «se non audere definire, an Angeli corpore æreo, ita corporati possint etiam hanc pati libidinem, ut quomodo possint, sentientibus fœminis misceantur.» Et in Enarrat. in Psal. 85. ait «corpora beatorum futura post resurrectionem, qualia sunt corpora Angelorum;» et Enarrat. in Psal. 14. 5. ait «corpus Angelicum inferius esse anima.» Et lib. De Divinit. Dæmonum, passim per totum, maxime c. 23., docet «Dæmones subtilia habere corpora.» 89. S. Augustin donc, dans son Commentaire de la Genèse, liv. 2, ch. 17, s'exprime ainsi au sujet des Démons: «Ils connaissent certaines vérités, soit parce que leurs sens sont plus vifs et plus subtils, soit parce que leurs corps eux-mêmes sont plus subtils,» et au livre 3, ch. 1er: «les Démons sont des animaux aériens, parce qu'ils participent de la nature des corps aériens.» Dans son Épitre 115 à Hebridius, il affirme que ce sont «des animaux aériens, ou éthérés, doués d'un sens très-délicat.» Dans la Cité de Dieu, liv. 11, ch. 23, il dit que «le pire Démon a un corps aérien.» Au livre 21, ch. 10, il écrit: «Certains Démons ont même des corps composés, comme l'ont cru des philosophes, de l'air épais et humide que nous respirons.» Au livre 15, ch. 23: «il n'ose définir si les Anges, doués d'un corps aérien, pourraient ressentir cette passion sensuelle qui les pousserait à s'unir aux femmes.» Dans son commentaire du Psaume 85, il dit que «les corps des bienheureux seront, après la résurrection, pareils aux corps des Anges;» au Psaume 14, il observe que «le corps des Anges est inférieur à l'âme.» Enfin, dans son livre de la Divination des Démons, notamment ch. 23, il enseigne que «les Démons ont des corps subtils».
90. Potest etiam sententia nostra aucthoritatibus Sacræ Scripturæ comprobari, quæ licet ab Expositoribus aliter declarentur, non incongrue tamen ad nostrum intentum possunt aptari. Prima est Psalmi 77., v. 24. et 25., ubi habetur: panem Angelorum manducavit homo, panem cœli dedit eis. Hic loquitur David de Manna, qua cibatus fuit Populus Israel toto tempore, quo peregrinus fuit in deserto. Quærendum ergo venit, quo sensu Manna dici possit panis Angelorum. Scio quidem plerosque Doctores exponere hunc passum in sensu mystico, aientes in Manna figuratam esse Sacram Eucharistiam, quæ vocatur panis Angelorum, quia Angeli fruuntur visione Dei, qui per concomitantiam in Eucharistia reperitur. 90. Notre doctrine peut également s'appuyer sur les témoignages des Saintes Écritures, quelque diverse que soit l'interprétation qu'en donnent les Commentateurs. Nous avons d'abord le Psaume 77, v. 24 et 25, où il est dit: «l'homme a mangé le pain des Anges, il leur a donné le pain du ciel.» David parle ici de la Manne, dont le peuple d'Israël s'est nourri tout le temps qu'il a erré dans le désert. Or, on demandera dans quel sens on peut dire de la Manne que c'est le pain des Anges. La plupart des Docteurs, je ne l'ignore pas, interprètent ce passage dans un sens mystique, disant que la Manne figure la Sainte Eucharistie, appelée aussi le pain des Anges, parce que les Anges jouissent de la vue de Dieu, qui se trouve par concomitance dans l'Eucharistie.
91. Sed hæc expositio aptissima est quidem, et quam amplectitur Ecclesia in officio Sanctissimi Corporis Christi, sed in sensu spirituali est. Ego autem quæro sensum litteralem: neque enim in illo Psalmo David loquitur prophetice de futuris, sicut facit in aliis locis, ut proinde facile non sit sensum litteralem habere; sed loquitur historice de præteritis. Ille enim Psalmus, ut patet legenti, est pura anacephalestis, seu compendium omnium beneficiorum, quæ contulit Deus Populo Hebræo ab egressu ipsius de Aegypto, usque ad tempus Davidis, et in eo versu loquitur de Manna Deserti, ut proinde quæratur quomodo, et quo sensu Manna vocetur Panis Angelorum. 91. Cette interprétation est assurément très-admissible, et elle est adoptée par l'Église dans l'office du Très-Saint Corps de Jésus-Christ, mais c'est là un sens spirituel. Or, ce que je cherche, c'est le sens littéral, car, dans ce psaume, David ne parle pas en prophète de choses futures, comme il le fait dans d'autres endroits où il est difficile de trouver un sens littéral; il parle ici en historien, de choses passées. Ce psaume, en effet, pour quiconque le lit, est une pure anacéphaléose, soit une récapitulation de tous les bienfaits conférés par Dieu au peuple Hébreu depuis sa sortie d'Égypte jusqu'au temps de David, et il y est parlé de la Manne du Désert, qu'il appelle le Pain des Anges: pourquoi et dans quel sens, voilà la question.
92. Scio alios, Lyran., Euthim., Bellarm., Titelman., Genebrard., in Psal. 77. v. 24. et 25., interpretari Panem Angelorum Panem ab Angelis paratum, seu Angelorum ministerio a Cœlo demissum; Hugonem autem Cardinalem Panem Angelorum exponere: quia ille cibus hoc efficiebat in Judæis, quod in Angelis efficit cibus illorum, pro parte: Angeli enim non incurrunt infirmitatem. Voluerunt enim expositores Hebræi, ut etiam asseverat Josephus, quod Judæi in Deserto vescentes manna, nec senescerent, nec ægrotarent, nec lassarentur; proinde illa esset tanquam panis, quo vescuntur Angeli, qui nec senio, nec ægritudine, nec lassitudine unquam laborant. 92. D'autres docteurs, je le sais encore, voient dans le Pain des Anges un pain préparé par les Anges, ou envoyé du Ciel par le ministère des Anges. Le cardinal Hugo explique cette qualification, en disant que cette nourriture produisait en partie sur les Juifs l'effet que la nourriture des Anges produit sur ces derniers. Les Anges, effectivement, ne sont sujets à aucune infirmité; et d'un autre côté, les commentateurs Hébreux, et Josèphe lui-même, affirment que tout le temps que les Juifs sont restés dans le Désert, se nourrissant de la manne, ils n'ont connu ni vieillesse, ni maladie, ni fatigue; cette manne était donc semblable au pain dont se nourrissent les Anges, qui ne vieillissent pas et ne sont sujets à aucune fatigue ni maladie.
93. Istas quidem expositiones recipere æquum est, utpote tantorum Doctorum aucthoritate suffultas. Facessit tamen difficultatem, quod ministerio Angelorum Hebræis non minus parata fuere columna nubis, et ignis, coturnices, et aqua de petra, quam manna; nec tamen ista dicta fuere columna, aqua, aut potus Angelorum. Cur ergo potius vocari deberet manna, quia parata ministerio Angelorum, Panis Angelorum, quam Potus Angelorum aqua eorumdem ministerio saxo educta? Insuper in sacra Scriptura panis dum dicitur panis alicujus, dicitur panis ejus qui illo vescitur, non ejus qui illum parat, aut fabricat, et de hoc infinita habemus exempla in sacra Scriptura: ut Exod. c. 23. v. 25. Benedicam panibus tuis, et aquis; lib. 2. Reg. c. 12. v. 3. De pane illius comedens; Tob. c. 4. v. 17. Panem tuum cum egenis comede; et v. 18. Panem tuum super sepulturam Justi constitue; Ecclesiast. c. 11. v. 1. Mitte panem tuum super transeuntes aquas; Isai. c. 58. v. 7. Frange esurienti panem tuum; Jerem. c. 11. v. 19. Mittamus lignum in panem ejus; Matth. c. 15. v. 26. Non est bonum sumere panem filiorum; Luc. c. 11. v. 3. Panem nostrum quotidianum. Ex quibus locis patenter habetur, quod panis dicitur ejus, qui eo vescitur, non vero, qui ipsum conficit, affert, aut parat. Commode igitur in loco citato Psalmi accipi potest Panis Angelorum, cibus quo vescuntur Angeli non quidem incorporei (isti enim materiali cibo non egent), sed corporei, ista nempe rationalia animalia, de quibus hucusque disseruimus, degentia in ære, et quæ ratione tenuitatis suorum corporum, ac rationalis naturæ, quam maxime ad Angelos immateriales accedunt, ut proinde nuncupentur. 93. Ces interprétations, assurément, méritent d'être accueillies avec le respect dû à l'autorité de si grands Docteurs. Il y a cependant une difficulté: c'est que, indépendamment de la manne, le ministère des Anges a également procuré aux Hébreux la colonne de nuée et de feu, les cailles, l'eau du rocher, et que l'Écriture ne dit pas: la colonne des Anges, l'eau ou la boisson des Anges. Pourquoi donc appeler la manne le Pain des Anges, parce qu'elle était préparée par leur ministère, et ne pas appeler Boisson des Anges cette eau qui était tirée du roc aussi par leur ministère? De plus, dans la Sainte Écriture, quand il est dit d'un pain que c'est le pain de quelqu'un, c'est toujours le pain de celui qui s'en nourrit, non de celui qui le prépare ou le fabrique. Les exemples en sont infinis: ainsi, dans l'Exode, ch. 23, v. 25: «Afin que je bénisse ton pain et ton eau;» au livre 2 des Rois, ch. 12, v. 3: «Mangeant de son pain;» dans Tobie, ch. 4, v. 17: «Mange ton pain avec les pauvres,» et v. 18: «Répands ton pain sur la sépulture du Juste;» dans l'Ecclésiaste ch. 11, v. 1; «Répands ton pain sur les eaux qui passent;» dans Isaïe, ch. 58, v, 7: «Romps ton pain avec celui qui a faim;» dans Jérémie, c. 11, v. 19: «Mettons du bois dans son pain;» dans S. Mathieu, ch. 15, v. 26: «Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants;» dans S. Luc, ch. 11, v. 3: «Notre pain quotidien.» Tous ces passages démontrent surabondamment que le pain de quelqu'un, dans le langage des Écritures, c'est le pain de celui qui s'en nourrit, et non de celui qui le fait, l'apporte ou le prépare. Il est donc très-naturel, dans l'endroit du Psaume que nous avons cité, d'entendre par Pain des Anges, la nourriture dont se servent non pas les Anges incorporels (puisque ceux-ci n'ont pas besoin de nourriture matérielle), mais les Anges corporels, c'est-à-dire ces animaux raisonnables dont nous traitons ici, qui vivent dans l'air, et qui, par la subtilité de leurs corps et leur qualité d'êtres raisonnables, approchent de si près des Anges immatériels, que la même dénomination leur est appliquée.
94. Ducor, quia cum animalia sint, et ideo generabilia et corruptibilia, egent cibo, ut restauretur substantia corporea, quæ per effluvia deperditur; vita enim sentientis non consistit nisi in motu partium corporearum quæ fluunt, ac refluunt, acquiruntur, ac deperduntur, ac iterum reparantur; quæ reparatio fit per substantias spirituosas, materiales tamen, attractas a vivente, tum per æris inspirationem, tum per fermentationem cibi, per quam substantia illius spiritualizatur, ut rationatur doctissimus Ettmullerus, Instit. Medic. Physiolog., c. 2. 94. Je déduis: étant des animaux, c'est-à-dire se reproduisant par génération et sujets à corruption, ils ont besoin de nourriture pour restaurer leur substance corporelle, dont la déperdition a lieu par les effluves: la vie de tout être sentant ne consiste, en effet, que dans le va-et-vient des éléments corporels qui affluent et refluent, s'acquièrent, se perdent et se réparent, au moyen de substances spiritueuses, matérielles pourtant, que l'être vivant s'assimile soit par la respiration de l'air, soit par la fermentation de la nourriture, qui spiritualise sa substance, comme l'enseigne le très-docte Ettmuller (Instit. Medic. Physiolog., ch. 2).
95. Quia autem eorum corpus tenue est, tenui pariter, et subtili eget alimento. Hinc est quod sicut odoribus aliisque substantiis vaporosis, ac volatilibus suæ naturæ contrariis læduntur ac fugantur, ut constat ex historiis recitatis supra, no 71. et 72., ita paribus rebus sibi convenientibus delectantur, et aluntur. Porro manna non est aliud, quam halitus aquæ, terræque, solis calore exacte attenuatus et coctus, a frigore secutæ noctis in unum coactus, densatusque, ut scribit Cornelius; manna dico, quam demissam de cœlo comederunt Hebræi, quæ toto cœlo differt a manna nostrate, quæ in medicinis adhibetur; nam hæc, ut scribit Ettmullerus Schroder, Dilucid. Physiolog., c. 1. de Manna, fol. m. 154., nihil aliud est, quam succus quarumdam arborum tenuis, vel earum transsudatio, quæ nocturno tempore permixta cum rore, matutino tempore superventu caloris solis coagulatur, et inspissatur. Manna autem Hebræorum diversis orta principiis calore solis non coagulabatur, sed vice versa liquefiebat, ut patet ex Scriptura, Exod. c. 16. v. 22. Manna ergo Hebræorum utpote constans ex halitibus tenuibus terræ et aquæ, profecto tenuissimæ erat substantiæ, utpote, quæ a sole solvebatur, et disparebat; optime ergo potuit esse talium animalium cibus, ita ut diceretur a David Panis Angelorum. 95. Or, comme leur corps est subtil, la nourriture qui lui convient doit être également délicate et subtile. Aussi, de même que les parfums et autres substances vaporeuses et volatiles, quand elles sont contraires à leur nature, les offusquent et les mettent en fuite, témoin ce que nous avons raconté ci-dessus (nos 71 et 72), de même aussi, lorsque leur nature y est conforme, ils se délectent de ces substances ou autres pareilles et en font leur nourriture. Or, «la manne n'est pas autre chose,» comme l'écrit Cornelius, «qu'une émanation d'eau et de terre raffinée et cuite par la chaleur du soleil, puis coagulée et condensée par la fraîcheur de la nuit»: je parle, bien entendu, de la manne envoyée du ciel pour la nourriture des Hébreux, laquelle diffère du tout au tout de la manne nostrate ou médicinale: celle-ci en effet, suivant Ettmuller (Dilucid. Physiol., ch. 1), «n'est pas autre chose que le suc ou la transsudation de certains arbres qui se mêle la nuit à la rosée et, le matin venu, se coagule et s'épaissit à la chaleur du soleil.» La manne des Hébreux, au contraire, formée de principes différents, loin de se coaguler, se liquéfiait à la chaleur du soleil, comme l'atteste l'Écriture, Exode, ch. 16, v. 22. Cette manne des Hébreux était donc une substance extraordinairement subtile, puisqu'elle était composée d'émanations de terre et d'eau, et que le soleil la faisait dissoudre et disparaître; il se peut donc très-bien qu'elle soit la nourriture des animaux en question, et qu'ainsi David l'ait appelée avec raison le Pain des Anges.
96. Alia auctoritas habetur in Evangelio Joannis, in quo, Joannes, c. 10. v. 16., ita dicitur: Alias oves habeo, quæ non sunt ex hoc ovili, et illas oportet me adducere, et vocem meam audient, et fiet unum ovile, et unus Pastor. Si quæramus quænam sint oves, quæ non sunt ex hoc ovili, et qualenam sit ovile de quo loquitur Christus Dominus, respondent communiter Expositores unum ovile Christi esse Ecclesiam, ad quam perducendi erant per prædicationem Evangelii Gentiles, qui erant oves alterius ovilis, ab ovili Hebræorum: opinantur enim Synagogam esse Christi ovile, quia dicebat David, Psal. 94. v. 9: Nos populus ejus et oves pascuæ ejus; et quia Messias promissus fuerat Abraham et David oriturus ex eorum semine, et a populo Hebræo expectatus, et a Prophetis qui Hebræi erant vaticinatus, et ejus adventus, conversatio, passio, mors et resurrectio in sacrificiis, cultu, et ceremoniis Hebræorum legis erant præfigurata. 96. Nous avons de plus, à l'appui de notre thèse, l'Évangile de S. Jean, ch. 10, v. 16, où il est dit: «J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie; il faut aussi que je les amène, et elles entendront ma voix, et il n'y aura qu'une seule bergerie et qu'un seul berger.» Si nous demandons quelles peuvent être ces brebis qui ne sont pas de cette bergerie, et quelle est cette bergerie dont parle le Seigneur Christ, tous les Commentateurs nous répondent que la seule bergerie du Christ, c'est l'Église, à laquelle la prédication de l'Évangile devait amener les Gentils, qui étaient d'une autre bergerie que celle des Hébreux. Pour eux, en effet, la bergerie du Christ, c'était la Synagogue, d'abord parce que David avait dit, Psaume 94, v. 7: «Nous sommes son peuple et ses brebis qu'il nourrit dans ses pâturages»; puis, parce que la promesse avait été faite à Abraham et à David que le Messie sortirait de leur race, parce qu'il était attendu par le peuple Hébreu, annoncé par les Prophètes, qui étaient Hébreux, et que son avénement, ses actes, sa passion, sa mort et sa résurrection étaient comme figurés d'avance dans les sacrifices, le culte et les cérémonies de la loi des Hébreux.
97. Sed salva semper Sanctorum Patrum, ac aliorum Doctorum reverentia, non videtur talis expositio ad plenum satisfacere. Habemus enim quod de fide est a principio mundi Ecclesiam Fidelium extitisse unam, usque ad finem sæculi duraturam. Cujus Ecclesiæ caput est mediator Dei et hominum Christus Jesus, cujus contemplatione creata sunt universa, et omnia per ipsum facta. Fides enim unius Dei Trini (quamvis non ita explicite), et Verbi Incarnatio revelata fuit primo homini, et ab ipso edocti ejus filii, et ab iis descendentes. Hinc est quod quamvis plerique homines ad idolatriam deflexerint, ac veram fidem deseruerint, multi tamen veram fidem a patribus sibi traditam retinuerunt, et legem naturæ servantes in vera Ecclesia Fidelium permanserunt, ut observat Cardinalis Toletus in Job, c. 10. v. 16., et apparet in Job, qui inter Gentiles Idololatras sanctus fuit. Quamvis autem Deus populo Hebræo speciales favores contulerit, peculiaremque legem, ac ceremonias illi præscripserit, ac a Gentilibus segregaverit, non tamen ad eam legem Gentes tenebantur, nec fideles Hebræi aliam Ecclesiam constituebant ab Ecclesia Gentilium, qui fidem unius Dei et Messiæ venturi profitebantur. 97. Mais, sauf le respect dû aux Saints Pères et autres Docteurs, cette explication n'est pas de tout point satisfaisante. Il est de foi en effet que l'Église des Fidèles a été une et a existé depuis le commencement du monde, et qu'elle durera ainsi jusqu'à la fin des siècles. Le chef de cette Église est Jésus-Christ, médiateur de «Dieu et des hommes, créateur et auteur de toutes choses. La foi dans la Trinité divine, (quoique moins explicite) et l'Incarnation du Verbe ont été révélées au premier homme, lequel en a instruit ses fils, et ceux-ci à leur tour leurs descendants. Aussi, bien que la plupart des hommes se fussent laissé égarer dans l'idolâtrie et eussent déserté la vraie foi, beaucoup cependant gardèrent cette foi qui leur venait de leurs pères, et, observant la loi naturelle, restèrent dans la vraie Église des Fidèles. C'est la remarque que fait le Cardinal Tolet, à propos de Job, qui fut un saint au milieu des Gentils Idolâtres. Et quoique Dieu eût conféré des faveurs spéciales au peuple Hébreu, qu'il eût établi pour lui une loi et des cérémonies spéciales, et qu'il l'eût séparé des Gentils, cette loi n'était pas cependant obligatoire pour les Gentils, et les Hébreux fidèles ne constituaient pas une Église différente de l'Église des Gentils qui professaient la foi en un seul Dieu et en la venue du Messie.
98. Hinc est, quod etiam ex Gentilibus fuere, qui Christi adventum, et alia Christianæ fidei dogmata prophetarunt, ut patet de Balaam, Mercurio Trismegisto, Hydaspe, ac Sibyllis de quibus loquitur Lactantius, lib. 1. c. 6., ut scribit Cardinalis Baronius in Apparatu Annal. no 18. Et quod Messias erat a Gentilibus expectatus habet Isaias in pluribus locis, et luculentum testimonium de hoc est prophetia Patriarchæ Jacob de Messia, quæ sic ait, Gen. c. 49. v. 10: Non auferetur sceptrum de Juda, et dux de femore ejus, donec veniat qui mittendus est, et ipse erit expectatio Gentium. Item Prophetia Aggæi, c. 2. v. 8: Movebo omnes Gentes, et veniet desideratus cunctis gentibus, quem locum explicans Cornelius a Lap. in Aggæ. c. 2. v. 8. § Denique gentes, ait: Gentes ante Christum credentes in Deum lege naturæ, æque ac Judæi expectabant ac desiderabant Christum. Pariter Christus ita se prodidit, et manifestavit Gentibus, sicut Judæis: si enim in ipsius nativitate per Angelum ejus notitia data fuit Pastoribus, per stellam miraculosam ad sui adorationem vocavit Magos, qui cum essent Gentiles fuerunt primitiæ Gentium in Christo agnoscendo, et adorando, ut ait S. Fulgentius, Sermon. 6. de Epiph., sicut Pastores fuerunt primitiæ Judæorum. Itidem manifestatio adventus Christi per prædicationem (non quidem Apostolorum) prius facta est Gentilibus, quam Judæis: siquidem ut scribit Ven. Mater Soror Maria de Agreda, in Vita J. C. et B. M. V., p. 1. l. 4. c. 26. n. 664: Quando B. M. Virgo cum S. Joseph portavit Puerum Jesum in Aegyptum, fugiendo Herodis persecutionem, mansit ibi per septennium: quo tempore ipsa Beatissima Virgo prædicavit Aegyptiis veri Dei fidem, et Filii Dei in carne humana adventum. Ulterius in Christi nativitate multa fuere prodigia non solum in Judæa, sed in Aegypto, ubi corruerunt idola, ac oracula conticuere; Romæ ubi fons olei scaturiit; visus globus aurei coloris de cœlo in terram descendere; apparuere tres soles; ac contra naturam circulus variegatus ad modum Iridis solis discum circumscripsit; in Græcia, ubi oraculum Delphicum obmutuit, et interrogatus Apollo ab Augusto ipsi sacrificante in proprio palatio, ubi eidem aram extruxerat, de causa silentii sui, respondit, ut referunt Nicephorus, l. 1. c. 17., Suidas, verbo Augustus, et Cedrenus, Compend. Histor.: 98. On remarquera de plus que, même parmi les Gentils, il y en eut qui prophétisèrent la venue du Christ et les autres dogmes de la foi Chrétienne, témoin Balaam, Mercure Trismégiste, Hydaspe et les Sibylles, dont parle Lactance, livre 1, ch. 6; voir aussi Baronius, Apparat. Annal., no 18. Que le Messie fût attendu par les Gentils, nous en avons la preuve dans plusieurs passages d'Isaïe, et surtout dans la Prophétie du Patriarche Jacob touchant le Messie, ainsi conçue, Genèse, c. 49, v. 10: «Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu'à ce que vienne celui qui doit être envoyé; et c'est lui qui sera l'attente des nations.» De même dans la prophétie d'Aggée, c. 2, v. 8: «J'ébranlerai toutes les Nations, et le désiré de toutes les nations viendra», ce que Cornelius a Lapide commente en ces termes: «Les Gentils antérieurs à la venue du Christ, qui croyaient en Dieu et observaient la loi de nature, attendaient et désiraient le Christ aussi bien que les Juifs.» Le Christ lui-même s'est annoncé et manifesté aux Gentils ainsi qu'aux Juifs; car en même temps que l'Ange donnait aux bergers la nouvelle de sa nativité, au moyen de l'étoile miraculeuse il conviait à l'adorer les Mages qui, étant Gentils, furent les premiers d'entre les Nations, comme les bergers le furent parmi les Juifs, à reconnaître et adorer le Christ (voyez S. Fulgence, Sermon sur l'Épiphanie). De même, ce furent les Gentils qui, avant les Juifs, connurent l'avénement du Christ par la prédication (je ne dis pas la prédication des Apôtres). En effet, comme l'écrit la Vénérable Mère Sœur Marie d'Agreda, dans sa Vie de Jésus-Christ et de la Bienheureuse Vierge Marie: «Lorsque la Bienheureuse Vierge Marie, fuyant avec S. Joseph la persécution d'Hérode, emporta en Égypte l'Enfant Jésus, elle y resta sept ans; et pendant ce temps-là la Bienheureuse Vierge prêcha elle-même aux Égyptiens la foi du vrai Dieu et la venue du Fils de Dieu dans la chair humaine.» En outre, lors de la nativité du Christ, il y eut de nombreux prodiges, non-seulement en Judée, mais en Égypte, où les idoles s'écroulèrent et les oracles se turent; à Rome, où jaillit une fontaine d'huile, où l'on vit un globe de couleur d'or descendre du ciel sur la terre, où trois soleils apparurent, et où un cercle extraordinaire, de nuances variées comme l'arc-en-ciel, entoura le disque du soleil; en Grèce, où l'oracle de Delphes devint muet; au sujet de quoi Apollon, interrogé par l'empereur Auguste qui lui sacrifiait dans son propre palais, où il lui avait élevé un autel, répondit:
Me puer Hebræus, Divos Deus ipse gubernans,
Cedere sede jubet, tristemque redire sub orcum;
Aris ergo dehinc tacitis abscedito nostris.
«Un enfant Hébreu, qui commande aux Dieux et est Dieu lui-même,
M'ordonne de quitter mon siége, et de rentrer dans les Enfers;
Nos autels sont muets maintenant, il faut t'en éloigner.»
Et multa alia acciderunt prodigia, quibus prænuntiabatur Gentilibus Filii Dei adventus, quæ ex variis Aucthoribus recitat Baronius, Apparat. Annal. Eccles. no 24. et seq., et Cornelius in Aggæ. c. 2. v. 8. Il y eut encore beaucoup d'autres prodiges annonçant aux Gentils l'avénement du Fils de Dieu: on les trouvera relatés dans Baronius, Apparat. Annal. Eccles., et dans Cornelius, Commentaire d'Aggée.
99. Ex istis patet, quod etiam Gentiles pertinebant ad ovile Christi idem, ad quod spectabant Judæi, puta ad Ecclesiam eamdem fidelem; igitur non potest recte dici, quod illa verba Christi: Alias oves habeo, quæ non sunt ex hoc ovili, accipienda sint de Gentilibus, qui communem cum Hebræis habuerunt de Deo fidem, de Messia spem, prophetiam, expectationem, et signa, et prædicationem. 99. De tout ceci il appert que les Gentils eux-mêmes appartenaient, comme les Juifs, à la bergerie du Christ, c'est-à-dire à la même Église des fidèles. Par conséquent, ces paroles du Christ: «J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie», ne sauraient s'entendre des Gentils qui eurent, de commun avec les Hébreux, la foi en Dieu, l'espérance du Messie, les prophéties, l'attente, les prodiges et la prédication de son avénement.
100. Dico igitur quod nomine aliarum ovium commode possunt intelligi Creaturæ istæ rationales, sive animalia de quibus hucusque disseruimus. Cum enim, ut diximus, capaces sint beatitudinis, et damnationis, et Christus Jesus sit mediator Dei, et hominum, immo totius rationalis Creaturæ (creaturæ enim rationales, quæ beatitudinem consequuntur, hanc obtinent intuitu meritorum Christi per ab eo sibi collatam gratiam, sine qua nequit beatitudo obtineri), debuit omnis rationalis creatura de eo venturo spem habere, sicut de uno Deo fidem, et de ipsius in carne nativitate, et de præceptis legis gratiæ manifestationem. Istæ igitur erant oves, quæ non erant ex hoc ovili humano, et quas adducere Christum oportebat, et quæ ejus vocem nempe notitiam de ipsius adventu, et de evangelica doctrina, quantum per se, tum per Apostolos Christus erat manifestaturus audire debebant, et ex iis, ac hominibus in cœlo beatificatis fieri unum ovile, et unus Pastor. 100. Je dis donc que par ces mots: d'autres brebis, on peut fort bien entendre ces créatures ou animaux raisonnables dont nous avons traité jusqu'ici. En effet, nous avons établi qu'elles sont capables de béatitude et de damnation; or Jésus-Christ étant médiateur de Dieu et des hommes, ainsi que de toute créature raisonnable (car c'est par l'application des mérites du Christ que les créatures raisonnables obtiennent la béatitude, au moyen de la grâce qu'il leur confère), il en résulte que toute créature raisonnable a dû avoir, en même temps que la foi en un seul Dieu, l'espérance de l'avénement du Christ, et la révélation de sa naissance dans la chair et des préceptes de la loi de grâce. Voilà donc les brebis qui n'étaient pas de cette bergerie humaine, et qu'il lui fallait amener; les brebis qui devaient entendre sa voix, c'est-à-dire l'annonce de son avénement et de la doctrine évangélique, soit directement de lui-même, soit par l'intermédiaire des Apôtres; les brebis enfin qui, réunies aux hommes dans la béatitude céleste, devaient réaliser cette promesse d'une seule bergerie et d'un seul berger.
101. Huic expositioni quam incongruam non puto, vim addit id quod supra no 77. ex D. Hieronymo retulimus de homunculo illo qui rogavit D. Antonium, ut communem Deum, quem in carne humana esse passum cognoverat, pro se et suis deprecaretur. Innuitur enim ex his, quod illi notitiam habuerunt de adventu, et morte Christi, quem tamquam Deum optabant sibi propitium, ut proinde ad hoc intercessionem D. Antonii expostularent. 101. Cette interprétation, à mon avis très-raisonnable, tire une nouvelle force de ce que nous avons rapporté, d'après S. Jérôme, de ce petit homme qui demanda à S. Antoine de prier pour lui et les siens le Dieu commun, qu'il savait avoir souffert dans la chair humaine. Ceci implique, en effet, qu'ils avaient connaissance de l'avénement et de la mort du Christ, et qu'ils désiraient, en sa qualité de Dieu, se le rendre favorable, puisqu'ils recouraient, dans ce but, à l'intercession de S. Antoine.
102. Facit ad idem id, quod ex Eusebio de Præparat. Evang. l. 5. c. 9., et Plutarcho l. de Defectu Oracul., refert Cardinalis Baronius Appar. Annal. no 129., et recenset inter prodigia, quæ tempore mortis Christi evenere. Recitat igitur ex citatis Aucthoribus quod Tiberii Imperatoris, sub quo passus est Christus, tempore, navigantibus nonnullis a Græcia in Italiam, circa Insulas Echinades, cessatis ventis, noctu navigium appulit prope terram. Audita fuit ab omnibus vox magna quæ vocavit Tramnum. Erat is Nauclerus navigii, quo respondente Adsum, replicavit vox: Quando perveneris prope quandam paludem, annunciabis Magnum Pana mortuum esse: quod cum Tramnus fecisset, auditi sunt repente multorum, imo multitudinis prope infinitæ gemitus, et ululatus. Profecto isti fuerunt Dæmones, seu Angeli corporei, seu animalia rationalia prope paludem degentia, utpote aquea, quæ audita morte Christi, qui nomine magni Pan efferebatur, in lacrymas, et lamenta effusa sunt; prout etiam Hebræi nonnulli visa Christi morte percutientes pectora sua revertebantur (Luc. c. 23. v. 48.). Ex hucusque igitur deductis patet, quod dantur hujusmodi Dæmones, succubi et incubi, constantes sensu, et ipsius passionibus obnoxii, ut probatum est; qui generantur, corrumpuntur, et capaces sunt beatitudinis, et damnationis, et ratione corporis subtilioris, nobiliores homine sunt, et qui si cum hominibus, maribus aut fœminis, carnaliter commiscentur, peccant, et eo peccato, quo peccat homo jungendo se cum bruto, quod est homine ignobilius; proinde non raro hi Dæmones consuetudinem habentes cum homine, equabus aut plurimum post longam habitam communicationem eas interficiunt. Causa porro hujus est, quod si inter tales datur peccatum, cum sint in via, dari etiam debet pœnitentia; sicut ergo homini peccanti consuetudinaliter cum bruto, ad tollendam occasionem recidivandi, Confessarius injungit, ut brutum tollat de medio, ita tali Dæmoni consuetudinario in peccato, et tandem pœnitenti accidit, ut animal cum quo peccavit, sive homo, sive brutum fuerit, occidat; nec enim tali Dæmoni mors data homini peccatum erit, sicut mors data bruto non imputatur tamquam peccatum homini: ratione enim essentialis differentiæ inter Dæmonem hujusmodi, et hominem, idem erit homo Dæmoni, quod est homini brutum. 102. Un autre fait à l'appui de ma conclusion, c'est celui que mentionne le Cardinal Baronius (Appar. Annal., no 129), d'après Eusèbe et Plutarque, comme un des prodiges qui signalèrent la mort du Christ. Au temps de l'Empereur Tibère, sous qui eut lieu la passion du Christ, des navigateurs allant de Grèce en Italie et se trouvant la nuit, par un temps calme, dans le voisinage des îles Échinades, leur navire vint à toucher la terre. Alors une grande voix fut entendue de tous, qui appelait Tramnus. C'était le nocher: «Présent,» répondit-il; et la même voix répliqua: «Lorsque tu seras arrivé auprès de tel marais, tu annonceras que Le Grand Pan est mort.» Tramnus obéit, et tout à coup une immense clameur s'éleva comme d'une multitude infinie, éclatant à la fois en gémissements et en sanglots. Qui étaient-ce donc, sinon des Démons ou Anges corporels, ou des animaux raisonnables habitant près de ces marais, à cause, sans doute, de leur nature aqueuse, et qui, à l'annonce de la mort du Christ désigné par ce nom de Grand Pan, se répandaient en larmes et en lamentations? Ainsi, parmi les Juifs qui avaient assisté à la mort du Christ, il y en eut un grand nombre qui s'en retournèrent en se frappant la poitrine (S. Luc, c. 23, v. 48). De toutes les déductions ci-dessus, il ressort donc qu'il existe des Démons de cette sorte, succubes et incubes, lesquels sont doués de sens, et sujets aux passions des sens, comme il a été prouvé; qui naissent par génération et meurent par corruption; qui sont capables de béatitude et de damnation; qui, à raison de la subtilité de leur corps, sont plus nobles que l'homme, et qui, s'il leur arrive d'avoir un commerce charnel avec l'homme ou la femme, commettent un péché analogue à celui dont l'homme se rend coupable en s'unissant avec la brute, qui lui est inférieure. Aussi n'est-il pas rare que ces démons, après avoir entretenu des rapports prolongés avec des hommes, des femmes ou des juments, finissent par tuer leur complice, et cela s'explique: étant sujets à pécher, ils doivent aussi, puisqu'ils sont dans la voie du salut, in via, pouvoir se repentir; or, de même que l'homme, qui pèche habituellement avec une bête, reçoit de son confesseur l'injonction de détruire cette bête afin de supprimer les occasions de récidive, de même il peut arriver au démon repentant de tuer l'homme ou la bête avec qui il péchait d'habitude; et ce démon, en donnant ainsi la mort à un homme, ne péchera pas, pas plus que ne pèche l'homme en donnant la mort à une bête: car, étant observé la différence essentielle qui sépare de l'homme un démon de cette sorte, l'homme sera au démon ce que la bête est à l'homme.
103. Scio multos, et forte plerosque, qui hæc legerint, dicturos de me, quod Epicurei, et Stoici Philosophi nonnulli dixerunt de Divo Paulo, Actor. c. 17. v. 18.: Novorum Dæmoniorum videtur annunciator, et datam doctrinam exsibillabunt. Sed isti tenebuntur solvere argumenta supra posita, et dicere quinam sint Dæmones isti Incubi vulgo Folletti, qui exorcismos, res sacras, et Christi Crucem non pavent, ac alios effectus istorum, ac phænomena salvare, quæ nos ex data doctrina ostendimus. 103. Je sais que beaucoup de mes lecteurs, la plupart peut-être, diront de moi ce que les Épicuriens et bon nombre de Philosophes Stoïciens disaient de S. Paul (Actes des Apôtres, c. 17, v. 18): «Il semble qu'il annonce des divinités nouvelles», et tourneront ma doctrine en ridicule. Mais ils n'en seront pas moins tenus de détruire les arguments qui précèdent, de nous dire ce que c'est que ces Démons Incubes, vulgairement appelés Follets, qui n'ont peur ni des exorcismes, ni des objets sacrés, ni de la Croix du Christ, et enfin de nous expliquer les divers effets et phénomènes relatés par nous dans l'exposition de cette doctrine.
104. Solvitur ergo ex his, quæ hucusque deducta sunt, quæstio, quam proposuimus supra no 30. et no 34.: resolutive innuimus; quomodo mulier potest ingravidari a Dæmone Incubo. Non enim hoc præstare potest ex semine sumpto ab homine, ut fert communis opinio, quam confutavimus no 31 et 32: sequitur ergo, quod ipsa imprægnatur a semine Incubi, cum enim animal sit, et generet, proprio pollet semine: et hoc modo optime salvatur generatio Gigantum secuta ex commixtione Filiorum Dei cum Filiabus hominum; nati siquidem sunt ex tali concubitu Gigantes, qui licet homini essent similes, corpore tamen erant majores: et quamvis a Dæmonibus geniti, viribus proinde pollerent, non tamen Dæmonum vires et potentiam æquabant, ut sequitur in mulis, hinnis et burdonibus, qui medii quodammodo sunt inter eas species animalium, a quibus promiscue generantur, et superant quidem imperfectiorem, non attingunt autem perfectiorem speciem generantium: mulus enim superat asinum, sed non æquat perfectionem equæ, a quibus generatur. 104. Les arguments déduits ci-dessus nous amènent donc à une solution du problème posé aux nos 30 et 34, à savoir: comment une femme peut être fécondée par un Démon Incube. Ceci, en effet, ne peut provenir de sperme emprunté d'un homme, malgré l'opinion commune que nous avons réfutée, nos 31 et 32; il s'ensuit donc qu'elle est directement imprégnée par le sperme de l'Incube, lequel, étant animal et capable d'engendrer, dispose d'un sperme qui lui est propre. Ainsi se trouve parfaitement expliquée la génération des Géants, résultat du commerce des Fils de Dieu avec les Filles des hommes: car, quoique semblables à l'homme, ces Géants étaient de plus haute stature; et quoique engendrés par des Démons qui leur communiquaient de leur force, ils ne les égalaient pourtant ni en vigueur, ni en pouvoir. C'est exactement le cas des mulets, des bardeaux ou des muletons, qui tiennent en quelque sorte le milieu entre les espèces d'animaux dont ils sont engendrés, surpassant la plus imparfaite, mais n'égalant pas la plus parfaite: exemple le mulet, produit de l'âne et de la jument, qui est supérieur au premier, mais n'atteint pas à la perfection de la seconde.
105. Confirmat autem hanc sententiam consideratio, quod animalia genita ex commixtione diversarum specierum non generant; sed sunt sterilia, ut patet in mulis. Gigantes autem non leguntur Gigantes generasse, sed natos a Filiis Dei, puta Incubis, et filiabus hominum: cum enim concepti fuerint ex semine Dæmoniaco mixto cum humano, non potuerunt, tamquam mediæ speciei inter Dæmonem et hominem, generare. 105. A l'appui de cette conclusion, nous ferons observer que les animaux engendrés de l'union d'espèces différentes n'engendrent pas eux-mêmes, mais sont stériles, comme on le voit dans les mulets. Or nous ne lisons nulle part que les Géants aient été engendrés par d'autres Géants, mais bien qu'ils sont nés des Fils de Dieu, c'est-à-dire des Incubes, et des Filles des hommes: ainsi conçus du sperme démoniaque mêlé au sperme humain, formant une espèce mitoyenne entre le Démon et l'homme, ils n'avaient pas pouvoir d'engendrer.
106. Dicetur fortasse contra hoc, non posse, ex semine Dæmonum, quod pro sui natura oportet esse tenuissimum, fieri mixturam cum semine humano, quod crassum est; unde nec generatio sequi possit. 106. On objectera peut-être que le sperme des Démons qui, de sa nature, doit nécessairement être très-fluide, ne saurait se mélanger avec le sperme humain, qui est épais; et que, par conséquent, il n'en pourrait suivre aucune génération.
107. Respondeo quod, ut dictum fuit supra no 32: virtus generandi consistit in spiritu, qui simul cum materia spumosa et viscida deciditur a generante; sequitur ex hoc, quod semen Dæmonis quantumvis tenuissimum, quia tamen materiale, optime potest commisceri cum spiritu materiali seminis humani, ac fieri generatio. 107. Je réponds, suivant ce qui a été dit plus haut, no 32: la vertu génératrice consiste dans l'esprit qui est répandu par l'opérateur avec la matière spumeuse et visqueuse; donc le sperme du Démon, si fluide qu'il soit, étant cependant matériel, peut très-bien se mêler avec l'esprit matériel du sperme humain, et produire génération.
108. Replicabitur adhuc contra conclusionem, quod si vere fuisset Gigantum generatio ex semine Incuborum et Mulierum, nunc quoque Gigantes nascerentur, non desunt enim mulieres coeuntes cum Incubis, ut patet ex gestis SS. Bernardi et Petri de Alcantara, et aliarum historiarum, quæ passim ab Auctoribus recitantur. 108. On répliquera que si la génération des Géants était réellement sortie du sperme combiné des Incubes et des Femmes, il naîtrait aujourd'hui encore des Géants; car il ne manque pas de femmes ayant commerce avec les Incubes, comme on le voit dans les Gestes de S. Bernard et de Pierre d'Alcantara, et d'autres histoires racontées par divers auteurs.
109. Respondeo, quod prout ex Guaccio dictum fuit supra no 81: alii sunt hujusmodi Dæmones terrei, alii aquei, ærei alii, et alii ignei, qui respective in propriis eorum elementis habitant. Videmus autem animalia eo majora esse, quo majus est elementum in quo degunt, ut patet in piscibus, inter quos licet multi sint minuti, ut etiam sunt plura animalia terrestria minutissima, et tamen quia elementum aquæ majus est elemento terræ (utpote continens majus semper est contento), ideo pisces a tota specie superant in magnitudine molis animalia terrestria, ut patet in balenis, orcynis, pistis seu pistricibus, thynnis, ac aliis piscibus cetaceis, seu viviparis, qui quodvis animal terrestre longe superant. Porro cum Dæmones hujusmodi animalia sint, ut hucusque probatum est, eo erunt majores in magnitudine quo elementum majus pro sui natura inhabitabunt. Et cum ær excedat aquam, et ignis ære major sit, sequitur, quod Dæmones ætherei, ac ignei longe superabunt terrestres et aqueos, tum in mole corporis, tum in virtute. Nec contra hoc facit instantia de avibus, qui licet incolant ærem, qui major est aqua, tamen corpore minores sunt a tota specie piscibus et quadrupedibus, quia aves licet per ærem volatu spatientur, revera tamen pertinent ad elementum terræ, in qua quiescunt; aliter enim pisces nonnulli qui volant, ut hirundo marina, et alii, dici deberent animalia ærea, quod falsum est. 109. Je réponds, suivant ce qui a été dit ci-dessus, no 81, d'après Guaccius: des Démons dont il s'agit, les uns sont terrestres, les autres aqueux, les autres aériens, les autres ignés, et chacun réside dans l'élément qui lui est propre. Or un fait connu, c'est que les animaux sont d'autant plus grands, que plus grand est l'élément où ils demeurent, témoin les poissons: beaucoup sans doute sont très-petits, comme il arrive pour les animaux terrestres, mais de même que l'élément aqueux est plus grand que l'élément terrestre (le contenant étant toujours plus grand que le contenu), de même les poissons dans toute leur espèce dépassent en grandeur la masse des animaux terrestres: ceci est clair à voir les baleines, les thons, les cachalots et autres poissons cétacés ou vivipares, qui l'emportent de beaucoup sur n'importe quel animal terrestre. Conséquemment, les Démons dont il s'agit étant des animaux, comme nous l'avons prouvé, leur grandeur corporelle sera en proportion de la grandeur de l'élément où ils habiteront suivant leur nature. Et comme l'air l'emporte sur l'eau, et le feu sur l'air, il s'ensuit que les Démons éthérés et ignés l'emporteront de beaucoup sur leurs congénères terrestres et aqueux, soit en grandeur corporelle, soit en vigueur. On objectera peut-être que les oiseaux, habitants de l'air, qui est plus grand que l'eau, sont néanmoins, pris en général, plus petits que les poissons et les quadrupèdes; mais ceci ne prouve rien, car les oiseaux, tout en parcourant l'air de leur vol, n'en appartiennent pas moins à la terre, où ils se reposent; autrement il faudrait classer certains poissons volants, comme l'hirondelle de mer, parmi les animaux aériens, ce qui est faux.
110. Advertendum autem, quod post diluvium ær iste terraqueo globo citissimus magis incrassatus est ex humiditate aquarum, quam fuerit ante diluvium, et hinc forte est, quod ex tali humido, quod est principium corruptionis, fiat, quod homines non ætatem ita producant, ut faciebant ante diluvium. Ex ista autem æris crassitie fit, quod Dæmones ætherei, ac ignei, cæteris corpulentiores, nequeunt diutius manere in hoc ære crasso, et si descendunt aliquando hoc fit violenter, et eo modo quo urinatores ad ima maris descendunt. 110. Maintenant, une remarque essentielle, c'est qu'après le déluge, cet air qui enveloppe notre globe terrestre et aqueux est devenu, par suite de l'humidité des eaux, plus épais qu'il n'était avant le déluge; et comme l'humidité est le principe de la corruption, c'est peut-être pour cela que la vie des hommes ne se prolonge plus autant que dans les âges antédiluviens. Cette épaisseur de l'air est aussi cause que les Démons éthérés et ignés, d'une corpulence plus forte que les autres, ne peuvent plus demeurer dans cet air épais, et s'ils y descendent quelquefois, c'est violemment et de la même manière que les plongeurs descendent au fond de la mer.
111. Ante diluvium autem, cum adhuc ær non ita crassus erat, veniebant Dæmones, et cum mulieribus miscebantur, et gigantes procreabant, qui magnitudinem corpoream Dæmonum generantium æmulabantur. Nunc vero ita non est: Dæmones enim Incubi, qui fœminas incessunt, sunt aquei quorum corporis moles magna non est: et proinde in forma homuncionum apparent, et quia aquei etiam salacissimi sunt; luxuria enim in humido est: ut proinde Venerem e mari natam Poetæ finxerint, quod Mythologi explicant de libidine, quæ oritur ab humiditate. Cum ergo Dæmones, qui corpore parvi sunt, his temporibus mulieres imprægnent, non gigantes, sed staturæ ordinariæ filii nascuntur. Sciendum porro quod si miscentur corporaliter cum mulieribus Dæmones in sua ipsorum corpulentia naturali, nulla facta immutatione aut artificio, mulieres illos non vident, nisi tanquam umbram pæne incertam, ac quasi insensibilem, ut patet in muliere illa, de qua diximus supra no 28., quæ osculabatur ab incubo, cujus tactus vix ab ea sentiebatur. Quando vero volunt se visibiles amasiis reddere, atque ipsis delectationem in congressu carnali afferre, sibi indumentum visibile assumunt, et corpus crassum reddunt. Qua vero hoc arte fiat, ipsi norunt. Nobis curta nostra Philosophia hoc non pandit. Unum scire possumus, et est, quod tale indumentum seu corpus ex solo ære concreto constare nequiret, hoc enim esse deberet per condensationem, et proinde per frigus; unde oporteret, quod corpus illud ad tactum esset veluti glacies, et ita in coitu mulieres non delectaret, sed torqueret, cum tamen contrarium eveniat. 111. Or avant le déluge, lorsque l'air n'était pas encore aussi épais, les Démons venaient sur la terre et avaient commerce avec les femmes, procréant de la sorte des Géants d'une stature presque égale à celle des Démons leurs pères. Mais à présent il n'en est plus ainsi: les Démons Incubes qui accolent les femmes sont aqueux et de taille restreinte; aussi les voit-on paraître sous la forme de petits hommes, et, par la raison qu'ils sont aqueux, ils sont excessivement lascifs. Luxure et humidité sont deux termes correspondants: ce n'est pas sans raison que les Poëtes ont fait naître Vénus de la mer, voulant indiquer, comme l'expliquent les Mythologues, que la luxure a sa source dans l'humidité. Donc lorsque les Démons, qui sont de petite stature, engrossent aujourd'hui les femmes, ils leur font des enfants de taille ordinaire et non des géants. Ici se place une observation: lorsque ces Incubes s'unissent charnellement aux femmes dans leur corps propre et naturel, sans métamorphose ni artifice, les femmes ne les voient pas, ou, si elles les voient, c'est comme une ombre presque incertaine et à peine sensible: tel était le cas de cette dame dont nous avons parlé au no 28, qui recevait les baisers d'un incube dont elle sentait à peine le contact. Quand, au contraire, les galants veulent se rendre visibles à leurs maîtresses, atque ipsis delectationem in congressu carnali afferre, alors ils revêtent une enveloppe visible, et leur corps devient palpable. Par quel art, ceci est leur secret. Notre philosophie à courte vue est impuissante à le découvrir. Tout ce que nous savons, c'est que cette enveloppe ou ce corps ne pourrait consister seulement en air concret, car ceci ne s'effectuerait que par la condensation, et conséquemment par le froid; un corps ainsi formé produirait au toucher l'effet de la glace; et ita in coitu mulieres non delectaret, il les ferait plutôt souffrir, lorsque cependant c'est le contraire qui arrive.
112. Visa igitur differentia Dæmonum spiritualium, qui cum sagis coeunt, et Incuborum, qui cum fœminis minime sagis rem habent, perpendenda est gravitas hujus criminis in utroque casu. 112. Etant donc admis la distinction des Démons spirituels, qui ont commerce avec les sorcières, et des Incubes, qui ont affaire à des femmes pas du tout sorcières, il nous reste à peser la gravité du crime dans l'un et l'autre cas.
113. In coitu Sagarum cum Dæmonibus, eo quia non fit nisi cum apostasia a Fide, et Diaboli cultu, et tot aliis impietatibus quas recensuimus supra a no 12. ad 24., est maximum quorumque peccatorum, quæ ab hominibus fieri possunt: et ratione tantæ enormitatis contra Religionem, quæ præsupponitur coitu cum Diabolo, profecto Dæmonialitas maximum est criminum carnalium. Sed spectato delicto carnis ut sic, et ut abstracto a peccatis contra Religionem, Dæmonialitas redigenda est ad simplicem pollutionem. Ratio, et quidem convincentissima, est quia Diabolus, qui rem habet cum sagis, purus spiritus est, et est in termino ac damnatus ut dictum supra fuit; proinde si cum sagis coit, hoc facit in corpore assumpto, aut a se formato, ut sentiunt communiter Theologi. Porro corpus illud quamvis moveatur, non tamen vivens est; sequitur ergo quod coiens cum tali corpore, sive mas sive fœmina fuerit, idem delictum committit, ac si cum corpore inanimato, aut cadavere coiret, quod esset simplex mollities, ut alias demonstravimus. Verum est, quod, ut observavit etiam Cajetanus, talis coitus effective potest habere deformitates aliorum criminum juxta corpus a Diabolo assumptum, et vas: si enim assumeret corpus virginis consanguineæ, aut sacræ, effective esset tale crimen incestus aut sacrilegium, et si in figura bruti coiret, aut in vase præpostero, evaderet bestialitas, aut Sodomia. 113. Le commerce des Sorcières avec les Démons, par les circonstances qui l'accompagnent: apostasie de la Foi, culte du Diable, et tant d'autres impiétés que nous avons énumérées plus haut, nos 12 à 24, est le plus grand de tous les péchés qu'il soit donné à l'homme de commettre; et si l'on considère l'énormité de cet attentat contre la Religion, que présuppose le coït avec le Diable, assurément la Démonialité est le plus grand, de tous les crimes de la chair. Mais à envisager le péché de la chair comme tel, et abstraction faite du péché contre la Religion, la Démonialité n'est plus que pollution simple. La raison, et une raison très-convaincante, c'est que le Diable qui a affaire aux Sorcières, est un pur esprit, arrivé au terme et damné, comme il a été dit plus haut; conséquemment, s'il paillarde avec les Sorcières, c'est au moyen d'un corps emprunté, ou qu'il s'est formé lui-même, suivant l'opinion commune des Théologiens. Or, quoique mis en mouvement, ce corps, toutefois, n'est pas vivant; d'où suit que l'être humain, mâle ou femelle, coiens cum tali corpore, commet le même délit que s'il le faisait avec un corps inanimé, un cadavre: ce qui serait pollution simple ou mollesse, comme nous l'avons démontré ailleurs. Il est vrai, du reste, ainsi que l'a observé Cajetan, qu'un commerce de cette nature peut très-bien revêtir les caractères honteux d'autres crimes, suivant le corps emprunté par le Démon et l'organe employé: car s'il empruntait le corps d'une parente ou d'une religieuse, le crime serait effectivement inceste ou sacrilége; et s'il paillardait sous la forme d'une bête, ou in vase præpostero, ce serait bestialité ou Sodomie.
114. In coitu autem cum Incubo, in quo nulla habetur qualitas, vel minima, criminis contra Religionem, difficile est rationem invenire, per quam tale delictum Bestialitate et Sodomia gravior esset. Siquidem gravitas Bestialitatis præ Sodomia, prout supra diximus, consistit in hoc, quod homo vilificat dignitatem suæ speciei jungendose cum bruto, quod est speciei longe inferioris sua. In coitu autem cum Incubo diversa est ratio: nam Incubus ratione spiritus rationalis, ac immortalis, æqualis est homini; ratione vero corporis nobilioris, nempe subtilioris, est perfectior, et dignior homine; et hoc modo homo jungens se Incubo non vilificat, immo dignificat suam naturam, et ita, juxta hanc considerationem, Dæmonialitas nequit esse gravior Bestialitate. 114. Quant au commerce avec l'Incube, où ne se rencontre aucun élément, si faible soit-il, d'offense contre la Religion, il est difficile de voir pourquoi ce délit serait plus grave que la Bestialité et la Sodomie. En effet, si la Bestialité est plus grave que la Sodomie, comme nous l'avons dit plus haut, c'est que l'homme avilit la dignité de son espèce en s'unissant avec la brute, qui est d'une espèce bien inférieure à la sienne. Mais dans le commerce avec l'Incube, c'est le contraire qui a lieu: car l'Incube, du chef de son esprit raisonnable et immortel, est égal à l'homme; du chef de son corps plus noble et plus subtil, il est plus parfait et plus digne que l'homme. Conséquemment, l'homme qui s'unit à l'Incube n'avilit pas sa nature, il la dignifie plutôt; et à considérer la chose à ce point de vue, la Démonialité ne saurait être plus grave que la Bestialité.
115. Tamen gravior communiter censetur, et ratio, meo videri, potest esse: quia peccatum contra Religionem est, quævis communicatio cum Diabolo, sive ex pacto, sive non; puta habendo cum eo consuetudinem aut familiaritatem, seu ab eo petendo auxilium consilium, favorem, aut ab ipso quærendo revelationem futurorum, relationem præteritorum, absentium, aut alias occultorum. Hujusmodi autem homines, seu mulieres, concumbendo cum Incubis, quos nesciunt animalia esse, sed putant esse diabolos, contra conscientiam erroneam delinquunt; et hoc modo ex conscientia erronea ita peccant cum Incubis se jungendo, ac si cum diabolis coirent: unde et gravitatem ejusdem criminis incurrunt. 115. Cependant l'opinion commune veut qu'elle soit plus grave; et voici, à mon sens, ce qui peut justifier cette manière de voir: c'est qu'il y a péché contre la Religion dans toute communication avec le Diable, soit en vertu d'un pacte, soit sans pacte, comme, par exemple, en ayant avec lui des relations d'habitude ou de familiarité, ou en lui demandant secours, avis, faveur, ou en cherchant à obtenir de lui la révélation des choses futures, la connaissance des choses passées, absentes ou cachées. Hommes et femmes, en s'unissant ainsi avec des Incubes qu'ils ne savent pas être des animaux, mais croient être des diables, pèchent par intention ou erreur de conscience, ex conscientia erronea, et leur péché est le même en ayant affaire à des Incubes que s'ils avaient commerce avec des diables; d'où il suit que la gravité de leur crime est exactement la même.
FINIS FIN.

APPENDICE


Le Manuscrit de la Démonialité s'arrête sur la conclusion qu'on vient de lire. Au point de vue purement philosophique et théorique, l'œuvre est complète: car il suffisait à l'auteur de déterminer en termes généraux la gravité du crime, sans s'occuper de la procédure à suivre pour en établir la preuve, ni de la peine à édicter. Ces deux questions, au contraire, avaient leur place naturellement marquée dans le grand ouvrage De Delictis et Pœnis, qui est un véritable Code de l'Inquisiteur; et le Père Sinistrari d'Ameno ne pouvait manquer de les y traiter avec tout le soin et toute la conscience dont il a donné tant de preuves dans les pages qui précèdent.

On sera bien aise de trouver ici cette conclusion pratique de la Démonialité.

(Note de l'Éditeur.)

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Probatio Dæmonialitatis


Preuve de la Démonialité


SUMMARIUM

SOMMAIRE

1. De probatione criminis Dæmonialitatis, distinguendum est. 1. Distinctions à établir dans la preuve du crime de Démonialité.
2. Indicia probantia coitum Sagæ cum Diabolo. 2. Indices servant à prouver le commerce d'une Sorcière avec le Diable.
3. Requiritur confessio ipsius malefici ad plenam probationem. 3. Pour la preuve absolue, l'aveu du Sorcier lui-même est indispensable.
4. Historia de Moniali habente consuetudinem cum Incubo. 4. Histoire d'une Nonne qui entretenait de relations avec un Incube.
5. Si adsint indicia visa in recitata historia, potest ad torturam deveniri. 5. Si l'accusation s'appuie sur des récits de témoins oculaires, on peut recourir à la torture.

1. Quantum ad probationem hujus criminis attinet, distinguendum est de Dæmonialitate, puta, vel ejus, quæ a Sagis, seu Maleficis fit cum Diabolis; sive de ea, quæ ab aliis fit cum Incubis.

1. En ce qui touche la preuve de ce crime, il faut distinguer l'espèce de Démonialité: à savoir celle qui se pratique entre Sorcières ou Sorciers et le Diable, d'une part, et d'autre part, celle que d'autres personnes pratiquent avec les Incubes.
2. Quoad primam, probato crimine pacti facti cum Diabolo, probata remanet Dæmonialitas ex consequentia necessaria; nam scopus tum Sagarum, tum Maleficorum in ludis nocturnis, ultra convivia, et choreas, est hujusmodi infamis congressus: aliter, illius criminis nullus potest esse testis, quia Diabolus, qui Sagæ visibilis est, aliorum oculos effugit. Verum est, quod aliquoties visæ sunt mulieres in sylvis, agris, et nemoribus, supinæ jacentes, ad umbilicum tenus denudatæ, et juxta dispositionem actus venerei, divaricatis, et adductis cruribus, clunes agitare, prout scribit Guacc., lib. p. cap. 12, v. Sciendum est sæpius, fol. 65. Tali casu emergeret suspicio vehemens talis criminis, dummodo esset aliunde adminiculata, et crederem talem actum per testes sufficienter probatum, sufficere Judici ad indagandam tormentis veritatem; et hoc maxime, si post aliqualem moram in illo actu, visus fuisset a muliere elevari quasi fumus niger, et tunc mulierem surgere, prout ibidem scribit Guaccius; talis enim fumus, aut umbra, Dæmonem fuisse concumbentem cum fœmina inferre potest. Sicut etiam, si mulier visa fuisset concumbere cum homine, qui post actum de repente evanuit, ut non semel accidisse idem auctor ibidem narrat 2. Quant à la première, étant prouvé le pacte fait avec le Diable, la Démonialité se trouve par là même prouvée; car le but des Sorcières, aussi bien que des Sorciers, dans leurs sabbats nocturnes, après les festins et les danses, est le commerce infâme dont il s'agit: autrement, il ne peut exister aucun témoin de ce crime, parce que le Diable, qui est visible pour la Sorcière, se dérobe aux yeux des autres. Quelquefois, il est vrai, des femmes ont été vues dans les forêts, dans les champs, dans les bocages, couchées sur le dos, ad umbilicum tenus nudatæ, et juxta dispositionem actus venerei, les jambes divaricatis et adductis, clunes agitare, ainsi que l'écrit Guaccius, liv. 1, chap. 12, v. Sciendum est sæpius, fol. 65. En pareil cas, la présomption du crime de Démonialité serait très-forte, pourvu qu'il existât d'ailleurs d'autres indices; et je croirais qu'un tel acte, suffisamment prouvé par témoins, autoriserait le Juge à employer la torture pour connaître la vérité; surtout si, peu après cet acte, on avait vu s'élever de la femme comme une fumée noire, et alors la femme se redresser, comme l'écrit encore Guaccius; car dans cette fumée ou cette ombre on pourrait voir le Démon lui-même, concumbentem cum fœmina. Même conclusion, si, comme il est arrivé plus d'une fois au rapport du même auteur, on a vu une femme concumbere cum homine, lequel, l'acte fini, disparaît tout à coup.
3. Cæterum, ad probandum concludenter aliquem esse Maleficum, seu Maleficam, requiritur propria Confessio; nullus enim haberi potest de hoc testis, nisi forte sint alii Malefici, qui in judicio deponunt de complicibus; sed quia socii criminis sunt, eorum dictum non concludit, nec etiam ad torturam sufficit, nisi alia exstent indicia, puta, sigillum Diaboli impressum in eorum corpore, prout diximus supra num. 23.; et in eorum domibus, facta perquisitione, inveniantur signa, ac instrumenta artis diabolicæ, ut ossa mortuorum, præsertim calvariam; crines artificiose contextos; nodos plumarum intricatos; alas, aut pedes, aut ossicula vespertilionum, aut bufonum, aut serpentium; ignotas seminum species; figuras cereas; vasculos plenos incognito pulvere, aut oleo, aut unguentis minime notis, etc., ut ordinarie contingit reperiri a Judicibus, qui, accepta accusatione de hujusmodi Sagis, ad capturam, et domus visitationem deveniunt, ut scribit Delbene, de Off. S. Inquis., Par. 2. Dub. 206. num. 7. 3. Du reste, pour prouver d'une manière concluante qu'un homme est un Sorcier ou une femme une Sorcière, il faut avoir obtenu son propre aveu: car il ne peut exister de ce fait aucun témoin si ce n'est peut-être d'autres Sorciers qui déposent au procès contre leurs complices; mais, par cela même qu'ils sont associés dans le crime, leur dire n'est pas concluant et ne suffit pas pour autoriser la torture. Il faudrait pour cela qu'il y eût d'autres indices, comme, par exemple, le cachet du Diable imprimé sur leur corps, ainsi que nous avons dit plus haut (no 23), ou qu'après perquisition faite dans leurs maisons, on eût trouvé des signes et des instruments de l'art diabolique, tels que des os de morts et surtout un crâne; des cheveux artistement arrangés; des nœuds de plumes embrouillés; des ailes, ou des pieds, ou des ossements de chauves-souris, de crapauds, de serpents; des sortes de graines, des figures en cire, des vases remplis de poudre ou d'huile, ou d'onguents inconnus, etc., comme en découvrent ordinairement les Juges qui, sur une accusation de ce genre portée contre des Sorciers, procèdent à leur arrestation et à une visite domiciliaire.
4. Quantum vero ad probationem congressus cum Incubo, par est difficultas; non minus enim Incubus, ac alii Diaboli effugiunt, quando volunt, visum aliorum, ut videri se faciunt a sola amasia. Tamen non raro accidit, quod etiam visi sint Incubi modo sub una, modo sub alia specie in actu carnali cum mulieribus. 4. Quant à la preuve du commerce avec un Incube, la difficulté est la même; car l'Incube, tout aussi bien que les Diables, se rend quand il le veut invisible à tout autre qu'à sa maîtresse. Cependant, il arrive encore plus d'une fois aux Incubes de se laisser surprendre, tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, en flagrant délit de cohabitation charnelle avec les femmes.
In quodam Monasterio (nomen ejus et urbis taceo, ne veterem ignominiam memoriæ refricem) quædam fuit Monialis, quæ cum alia Moniali, quæ cellam habebat suæ contiguam, simultatem ex levibus causis, ut assolet inter Mulieres, maxime Religiosas, habebat. Hæc sagax in observando quascunque actiones Monialis sibi adversæ, per plures dies vidit, quod ista in diebus æstivis, statim a prandio non spatiabatur per viridarium cum aliis, sed ab iis sequestra, se retrahebat in cellam, quam sera obserabat. Observatrix igitur æmula curiositate investigans, quid tali tempore illa facere posset, etiam ipsa in propriam cellam se recipiebat; cœpit autem audire submissam quasi duorum insimul colloquentium vocem (quod facile erat, nam cella parvo simplicis, scilicet lateris unius, disterminio dividebatur), mox sonitum poppysmatum,[1] concussionis lecti, gannitus, ac anhelitus, quasi duorum concumbentium; unde aucta in æmula curiositate, accuratius stetit in observatione, ut sciret, quinam in illa cella essent. Postquam autem per tres vices vidit, nullam aliam Monialem egressam e cella illa, præter æmulam, dominam cellæ, suspicata est, Monialem in camera absconditum aliquem virum, clanculum introductum retinere; unde et rem detulit ad Abbatissam, quæ consilio habita cum Discretis, voluit audire sonitus, et observare indicia relata ab accusatrice, ne præcipitanter, et inconsiderate ageret. Abbatissa igitur cum Discretis se receperunt in Cellam observatricis, et audierunt strepitus, et voces, quas accusatrix detulerat. Facta igitur inquisitione, an ulla Monialium potuisset secum in illa Cella clausa esse, et reperto, quod non; Abbatissa cum Discretis fuit ad ostium Cellæ clausæ, et pulsato frustra pluries ostio, cum Monialis nec respondere, nec aperire vellet; Abbatissa minata est, se velle ostium prosterni facere, et vecte aggredi opus fecit a quadam conversa. Tunc aperuit ostium Monialis, et facta perquisitione, nullus inventus est in camera. Interrogata Monialis cum quonam loqueretur, et de causa concussionis lecti, anhelituum, etc., omnia negavit. Dans un Monastère (je ne cite ni son nom, ni celui de la ville où il est situé, pour ne pas rafraîchir la mémoire d'un vieux scandale), il y avait une Nonne, laquelle, à propos de riens, comme c'est l'habitude des femmes, et surtout des Religieuses, s'était brouillée avec une autre Nonne qui occupait la cellule contiguë à la sienne. Celle-ci, fine mouche, s'étant mise à épier tous les pas et démarches de son ennemie, remarqua plusieurs jours de suite, pendant l'été, qu'au lieu de se promener avec les autres dans le jardin au sortir de table, elle s'éloignait pour se retirer dans sa chambre, dont elle fermait la porte à double tour. Vivement intriguée, notre observatrice voulut savoir ce qu'elle pouvait bien faire tout ce temps-là, et dans ce but, elle s'enferma de son côté dans sa cellule. Bientôt, elle entendit comme deux personnes qui parlaient ensemble à voix basse (c'était facile, car les deux cellules n'étaient séparées que par une simple cloison très-mince); puis certain bruit de frottement, des craquements de lit, des gémissements, des soupirs, quasi duorum concumbentium; c'en était assez pour surexciter sa curiosité: elle redoubla d'attention, afin de savoir qui était dans la cellule. Mais, comme par trois fois elle n'en vit sortir que la Nonne son ennemie, elle soupçonna qu'un homme s'y était secrètement introduit, et qu'elle l'y tenait caché. Alors elle rapporta la chose à l'Abbesse qui, après avoir pris conseil de personnes discrètes, voulut entendre les bruits et observer les indices qu'on lui dénonçait, de peur d'agir précipitamment et sans réflexion. En conséquence, l'Abbesse et ses affidées se postèrent dans la chambre de l'observatrice, d'où elles entendirent parfaitement les voix et autres bruits signalés. On fit une enquête pour s'assurer qu'aucune des Religieuses ne pouvait être enfermée avec l'autre dans cette cellule, et le résultat se trouvant négatif, l'Abbesse et sa suite se présentèrent à la porte de la cellule fermée, où elles frappèrent à plusieurs reprises, mais en vain: la Nonne ne voulait ni répondre, ni ouvrir. L'Abbesse dut la menacer de faire enfoncer la porte, et ordonna même à une sœur converse de l'attaquer avec un levier. Sur cette menace, la Nonne ouvrit sa porte: perquisition faite, on ne trouva rien. On l'interrogea: avec qui parlait-elle? pourquoi ces craquements de lit, ces soupirs, etc.? elle nia tout.
Cum vero res perseveraret, accuratior, ac curiosior reddita Monialis æmula perforavit tabulas lacunaris, ut posset Cellam introspicere; et vidit elegantem quemdam juvenem cum Moniali concumbentem, quem etiam eodem modo ab aliis Monialibus videndum curavit. Delata mox accusatione ad Episcopum, ipsaque Moniali omnia negante, tandem metu tormentorum comminatorum adacta, confessa est, se cum Incubo consuetudinem habuisse. Enfin, comme le manége continuait de plus belle, la Nonne rivale devenue plus attentive, plus curieuse que jamais, imagina de faire un trou à la cloison, de manière à voir ce qui se passait dans la cellule; et que vit-elle? un élégant jouvenceau couché avec la Religieuse. Les autres Nonnes vinrent à la suite, à qui elle fit voir la même chose. L'accusation fut bientôt portée devant l'Évêque: la Nonne coupable voulut tout nier encore, mais, effrayée par la menace de la torture, elle finit par avouer qu'elle avait eu commerce avec un Incube.
5. Quando igitur adessent talia indicia, sicut in recitata historia intervenerunt, posset utique in rigoroso examine Rea constitui; sine tamen ejus confessione, non censendum est delictum plene probatum, quantumvis a testibus visus fuisset congressus; siquidem aliquando accidit, quod Diabolus ut infamiam alicui innocenti pararet, præstigiose talem concubitum repræsentaverit. Unde in his casibus debet Judex Ecclesiasticus esse perfecte oculatus. 5. Lors donc qu'il existe des indices de la nature de ceux qui viennent d'être relatés, il y aurait lieu, après un rigoureux examen, à prononcer la mise en accusation; toutefois, à défaut de l'aveu de l'accusée, le délit ne doit pas être considéré comme pleinement prouvé, lors même que le congrès serait attesté par des témoins oculaires, car il arrive parfois que le Diable, afin de perdre une innocente, simule ce congrès par quelque apparence fantastique. C'est pourquoi le Juge Ecclésiastique doit, en pareil cas, ne s'en rapporter qu'à ses propres yeux.

Pœnæ


Peines

Quantum ad pœnas Dæmonialitatis, nulla lex Civilis, aut Canonica, quam legerim, reperitur, quæ pœnam sanciat contra crimen hujusmodi. Tamen, quia crimen hoc supponit pactum, ac societatem cum Dæmone, ac apostasiam a fide, ultra veneficia, atque alia infinita propemodum damna, quæ a Maleficis inferuntur, regulariter extra Italiam, suspendio, et incendio punitur. In Italia autem, rarissime traduntur hujusmodi Malefici ab Inquisitoribus Curiæ sæculari. Quant aux peines afférentes à la Démonialité, aucune loi civile ni canonique, que je sache, n'édicte de peine contre un crime de ce genre. Cependant, comme un tel crime suppose pacte et société avec le Démon, apostasie de la foi, sans parler des maléfices et autres scélératesses en nombre presque infini que commettent les Sorciers, il est puni régulièrement, hors d'Italie, de la hart et du feu. Mais, en Italie, il est très-rare que les Inquisiteurs livrent ces malheureux au bras séculier.
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NOTICE BIOGRAPHIQUE[2]


Le Père Louis Marie Sinistrari, de l'Ordre des Mineurs Réformés de l'étroite Observance de Saint-François, naquit à Ameno, petite ville du district de Saint-Jules, dans le diocèse de Novare, le 26 Février 1622. Il reçut une éducation libérale et fit ses humanités à Pavie, où il entra, en 1647, dans l'Ordre des Franciscains. Se consacrant alors à l'enseignement, il fut d'abord professeur de Philosophie; puis il enseigna dans la même ville la Théologie pendant quinze années consécutives, au milieu d'un concours nombreux d'étudiants que sa réputation avait attirés de tous les pays de l'Europe. Ses prédications dans les principales villes de l'Italie, en même temps qu'elles firent admirer son éloquence, produisirent pour la piété les meilleurs résultats. Également cher au Siècle et à la Religion, il avait reçu de la nature les dons les plus brillants: stature carrée, haute taille, visage ouvert, front large, œil vif, teint coloré, conversation agréable et pleine de saillies;[3] mais ce qui était plus précieux, il possédait aussi les dons de la grâce, qui lui faisait supporter avec une résignation invincible les attaques d'une maladie arthritique à laquelle il était sujet; remarquable d'ailleurs par son humilité, sa candeur et sa soumission absolue aux règles de son Ordre. Homme de toutes sciences,[4] il avait appris sans maître les langues étrangères, et souvent, dans les Comices généraux de son Ordre, tenus à Rome, il soutint des thèses publiques de omni scibili. Toutefois, il s'adonna plus particulièrement à l'étude des Droits Civil et Canonique. Il occupa à Rome le poste de Consulteur au Tribunal suprême de la Sainte Inquisition; fut pendant près de deux ans Vicaire-Général de l'Archevêque d'Avignon, et ensuite Théologien attaché à l'Archevêque de Milan. En 1688, chargé par les Comices généraux des Franciscains de compiler les statuts de l'Ordre, il s'acquitta de cette tâche dans son traité intitulé Practica criminalis Minorum illustrata. Il mourut l'an de grâce 1701, le 6 Mars, à l'âge de soixante-dix-neuf ans.[5]

face

TABLE DES MATIÈRES


PAGE
Avant-propos VII
Démonialité: origine du mot—En quoi ce crime diffère de ceux de Bestialité et de Sodomie.—Opinion de Saint Thomas. Nos 1 à 8. 1
Le commerce matériel avec les Incubes et les Succubes n'est pas imaginaire; témoignage de Saint Augustin. Nos 9 et 10. 15
Sorciers et Sorcières; leurs rapports avec le Diable; cérémonies de leur profession. Nos 11 à 23. 21
Artifices employés par le Diable pour se donner un corps. No 24. 31
Les Incubes ne s'attaquent pas seulement aux femmes. No 26. 35
Esprits Follets: n'ont aucune frayeur des exorcismes. No 27. 37
Histoire plaisante de la signora Hieronyma: le repas enchanté. No 28. 39
Hommes procréés par les Incubes: Romulus et Rémus, Platon, Alexandre le Grand, César-Auguste, Merlin l'Enchanteur, Martin Luther.—C'est d'un Incube que doit naître l'Antechrist. No 30. 57
Les Incubes ne sont pas de purs esprits: ils engendrent, donc ils ont un corps qui leur est propre.—Observation sur les Géants. Nos 31 à 33. 59
Les Anges ne sont pas tous de purs esprits: décision conforme du deuxième Concile de Nicée. No 37. 77
Existence de créatures ou animaux raisonnables, autres que l'homme, et ayant comme lui un corps et une âme. Nos 38 à 43. 79
En quoi ces animaux diffèrent-ils de l'homme? Quelle est leur origine? Descendent-ils, comme tous les hommes d'Adam, d'un seul individu? Y a-t-il entre eux distinction de sexes? Quelles sont leurs mœurs, leurs lois, leurs habitudes sociales? Nos 44 à 50. 93
Quelles sont la forme et l'organisation de leur corps? Comparaison tirée de la formation du vin. Nos 51 à 56. 101
Ces animaux sont-ils sujets aux maladies, aux infirmités physiques et morales, à la mort? Nos 57 et 58. 115
Naissent-ils dans le péché originel? Ont-ils été rachetés par Jésus-Christ, et sont-ils capables de béatitude et de damnation? Nos 61 et 62. 127
Preuves de leur existence. Nos 65 à 70. 133
Histoire d'un Incube et d'une jeune nonne. No 71. 151
Histoire d'un jeune diacre. No 72. 155
Les Incubes sont affectés par des substances matérielles: donc ils participent de la matière de ces substances. No 73. 161
Exemple tiré de l'histoire de Tobie: expulsion de l'Incube qui tourmentait Sara; guérison du vieux Tobie. Nos 74 à 76. 163
Saint Antoine rencontre un Faune dans le désert: leur conversation. Nos 77 à 84. 173
Autres preuves de la corporéité des Incubes, notamment la Manne des Hébreux ou Pain des Anges. Nos 90 à 95. 193
Comment il faut entendre ces paroles du Christ: «J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie».—Discours d'Apollon à l'Empereur Auguste: la fin des Dieux. Nos 96 à 101. 205
«Le Grand Pan est mort», ou la mort du Christ annoncée aux Faunes, Sylvains et Satyres; leurs lamentations. No 102. 217
Solution du problème: Comment une femme peut être fécondée par un Incube.—Comparaison des Géants avec les mulets. Nos 104 à 105. 224
En quoi consiste la vertu génératrice; pourquoi il ne naît plus de Géants. Luxuria in humido. Nos 106 à 111. 224
Appréciation du crime de Démonialité: 1o commis avec le Diable; 2o commis avec l'Incube. Nos 112 à 114. 234
La Démonialité est-elle plus grave que la Bestialité?—Conclusion. No 115. 238
Appendice. 243
Notice Bibliographique. 261
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LETTRE
du
R. P. PROVINCIAL DES CAPUCINS
POUR LA PROVINCE DE P....

P..., vendredi [8 octobre 1875].

Pax

Monsieur Isidore Liseux,

5, rue Scribe, Paris.

J'ai parcouru l'ouvrage que vous m'avez envoyé hier et, vraiment, j'ai été content de l'édition; ce n'est pas encore le moment de donner mon avis sur la valeur de l'œuvre en elle-même. Ici vous n'auriez trouvé, en fait d'ouvrages du R. P. Louis-Marie d'Ameno, que son livre: Practica criminalis Minorum; le De Delictis et Pœnis se trouve, je crois, dans un autre de nos couvents; mais vous auriez reçu un excellent accueil. Je crois que Des Grieux n'a guère habité le Saint-Sulpice actuel, qui ne date que de 1816.

J'ai remarqué, à la page 132–133, une erreur de traduction assez grave: vous rendez Carthusia Ticinensis par Chartreuse du Tessin, quand il s'agit de la fameuse Chartreuse de Pavie, fort connue de tous les voyageurs en Italie. Il y a aussi, autant qu'un coup d'œil superficiel m'a permis de m'en rendre compte, quelques autres erreurs; mais, en somme, l'œuvre est bonne, et vous pouvez recevoir les félicitations de

Votre tout petit serviteur,

Fr. A.....

o. m. c.

m. p.

Couvent des Capucins, rue...


Paris.—Typographie Motteroz, 31, rue du Dragon.

NOTES

[1] Poppysmatum. Cette expression étant peu usitée, il n'est pas inutile de consigner ici la définition qu'en donne le Glossarium eroticum linguæ Latinæ (auctore P. P., Paris, 1826):

POPPYSMA.—Oris pressi sonus, similis illi quo permulcentur equi et canes. Obscene vero de susurro cunni labiorum, quum frictu madescunt.

Le P. Sinistrari, très-versé dans la littérature classique, avait fait son profit de l'épigramme suivante de Martial (l. VII, 18):

IN GALLAM

Quum tibi sit facies, de qua nec fœmina possit
Dicere, quum corpus nulla litura notet;
Cur te tam rarus cupiat, repetat que fututor,
Miraris? Vitium est non leve, Galla, tibi.
Accessi quoties ad opus, mixtisque movemur
Inguinibus, cunnus non tacet, ipsa taces.
Di facerent, ut tu loquereris, et ipse taceret!
Offendor cunni garrulitate tui.
Pedere te mallem: namque hoc nec inutile dicit
Symmachus, et risum res movet ista simul.
Quis ridere potest fatui poppysmata cunni?
Quum sonat hic, cui non mentula mensque cadit?
Dic aliquid saltem, clamosoque obstrepe cunno:
Et si adeo muta es, disce vel inde loqui.

(Note de l'éditeur.)

[2] Cette Notice est extraite du tome Ier des Œuvres complètes du P. Sinistrari (Romæ, 1753).

[3] «Quadrato corpore, statura procera, facie liberali, fronte spatiosa, oculis rutilantibus, colore vivido, jucundæ conversationis, ac lepidorum salium.»

[4] «Omnium scientiarum vir.»

[5] Les Œuvres complètes du P. Sinistrari (Romæ, Giannini, 1753–1754, 3 vol. in-folio), comprennent les livres suivants: Practica criminalis Minorum illustrata,—Formularium criminale,—De Incorrigibilium expulsione ab Ordinibus Regularibus,—De Delictis et Pœnis, auxquels il convient d'ajouter le présent ouvrage: De Dæmonialitate, publié pour la première fois en 1875.