The Project Gutenberg eBook of Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde Author: Voltaire Contributor: marquise Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil Du Châtelet Release date: October 30, 2015 [eBook #50340] Most recently updated: January 18, 2016 Language: French Credits: Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net ((This file was produced from images generously made available by "E-rara.ch")) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ELÉMENS DE LA PHILOSOPHIE DE NEUTON: MIS À LA PORTÉE DE TOUT LE MONDE *** Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net ((This file was produced from images generously made available by "E-rara.ch")) Au lecteur Cette version électronique reproduit dans son intégralité, la version originale. Nous avons utilisé une typographie plus moderne que celle de la version papier en remplaçant les s longs par des s. La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections mineures. Les corrections indiquées dans les ERRATA ont été prises en compte. L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés. La liste des modifications se trouve à la fin du texte. [Illustration] ELÉMENS DE LA PHILOSOPHIE DE NEUTON, Mis à la portée de tout le monde. Par MONSIEUR. DE VOLTAIRE. [Illustration] A AMSTERDAM, Chez ETIENNE LEDET & Compagnie. M. DCC. XXXVIII. ELEMENS DE LA PHILOSOPHIE DE NEUTON. [Illustration] [Illustration] A MADAME LA MARQUISE DU CH.** Tu m'appelles à toi vaste & puissant Génie, Minerve de la France, immortelle Emilie, Disciple de Neuton, & de la Vérité, Tu pénétres mes sens des feux de ta clarté, Je renonce aux lauriers, que long-tems au Théâtre Chercha d'un vain plaisir mon esprit idolâtre. De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché. Que le jaloux Rufus à la terre attaché, Traîne au bord du tombeau la fureur insensée, D'enfermer dans un vers une fausse pensée, Qu'il arme contre moi ses languissantes mains Des traits qu'il destinoit au reste des humains. Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle, Eleve en fremissant une voix imbécile. Je n'entends point leurs cris que la haine a formez. Je ne vois point leurs pas dans la fange imprimez. Le charme tout-puissant de la Philosophie Eleve un esprit sage au-dessus de l'envie. Tranquille au haut des Cieux que Neuton s'est soumis, Il ignore en effet s'il a des Ennemis. Je ne les connois plus. Déja de la carriere L'auguste Vérité vient m'ouvrir la barriere. Déja ces tourbillons l'un par l'autre pressez, Se mouvant sans espace, & sans règle entassez, Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent. Un jour plus pur me luit; les mouvements renaissent. L'espace qui de Dieu contient l'immensité, Voit rouler dans son sein l'Univers limité, Cet Univers si vaste à notre faible vûe, Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'étendue. Dieu parle, & le Chaos se dissipe à sa voix; Vers un centre commun tout gravite à la fois, Ce ressort si puissant l'ame de la Nature, Etoit enséveli dans une nuit obscure, Le compas de Neuton mesurant l'Univers, Leve enfin ce grand voile & les Cieux sont ouverts. Il déploye à mes yeux par une main savante, De l'Astre des Saisons la robe étincelante. L'Emeraude, l'azur, le pourpre, le rubis, Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits. Chacun de ses rayons dans sa substance pure, Porte en soi les couleurs dont se peint la Nature, Et confondus ensemble, ils éclairent nos yeux, Ils animent le Monde, ils emplissent les Cieux. Confidens du Très-Haut, Substances éternelles, Qui brûlés de ses feux, qui couvrez de vos aîles Le Trône où votre Maître est assis parmi vous, Parlez, du grand Neuton n'étiez-vous point jaloux? La Mer entend sa voix. Je vois l'humide Empire, S'élever, s'avancer, vers le Ciel qui l'attire, Mais un pouvoir central arrête ses efforts, La Mer tombe, s'affaisse, & roule vers ses bords. Cometes que l'on craint à l'égal du tonnerre, Cessez d'épouvanter les Peuples de la Terre, Dans une ellipse immense achevez votre cours, Remontez, descendez près de l'Astre des jours, Lancez vos feux, volez, & revenant sans cesse, Des Mondes épuisez ranimez la vieillesse. Et toi Sœur du Soleil, Astre, qui dans les Cieux, Des sages éblouïs trompois les faibles yeux, Neuton de ta carriere a marqué les limites, Marche, éclaire les nuits; tes bornes sont prescrites. Terre change de forme, & que la pesanteur, En abaissant le Pole, éleve l'Equateur. Pole immobile aux yeux, si lent dans votre course, Fuyez le char glacé de sept Astres de l'Ourse, Embrassez dans le cours de vos longs mouvements, Deux cens siècles entiers par delà six mille ans. Que ces objets sont beaux! que notre ame épurée Vole à ces vérités dont elle est éclairée! Oui dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel, L'esprit semble écouter la voix de l'Eternel. Vous à qui cette voix se fait si bien entendre, Comment avez-vous pu, dans un âge encor tendre, Malgré les vains plaisirs, ces écueils des beaux jours, Prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours, Marcher après Neuton dans cette route obscure Du labyrinthe immense, où se perd la Nature? Puissai-je auprès de vous, dans ce Temple écarté, Aux regards des Français montrer la Vérité. Tandis[a] qu'Algaroti, sûr d'instruire & de plaire, Vers le Tibre étonné conduit cette Etrangere, Que de nouvelles fleurs il orne ses atraits, Le Compas à la main j'en tracerai les traits, De mes crayons grossiers je peindrai l'Immortelle. Cherchant à l'embellir je la rendrais moins belle, Elle est ainsi que vous, noble, simple & sans fard, Au-dessus de l'éloge, au-dessus de mon Art. [a] Mr. Algaroti jeune Vénitien fait imprimer actuellement à Venise un Traité sur la lumiere dans lequel il explique l'attraction. [Illustration] [Illustration] A MADAME LA MARQUISE DU CH** _AVANT PROPOS._ MADAME, Ce n'est point ici une Marquise, ni une Philosophie imaginaire. L'étude solide que vous avez faite de plusieurs nouvelles vérités & le fruit d'un travail respectable, sont ce que j'offre au Public pour votre gloire, pour celle de votre Sexe, & pour l'utilité de quiconque voudra cultiver sa raison & jouïr sans peine de vos recherches. Il ne faut pas s'attendre à trouver ici des agrémens. Toutes les mains ne savent pas couvrir de fleurs les épines des Sciences; je dois me borner à tâcher de bien concevoir quelques Vérités & à les faire voir avec ordre & clarté. Ce seroit à vous de leur prêter des ornemens. Ce nom de Nouvelle Philosophie ne seroit que le titre d'un Roman nouveau, s'il n'annonçoit que les conjectures d'un Moderne, opposées aux fantaisies des Anciens. Une Philosophie qui ne seroit établie que sur des explications hazardées, ne mériteroit pas en rigueur le moindre examen. Car il y a un nombre innombrable de manieres d'arriver à l'Erreur, il n'y a qu'une seule route vers la Vérité: il y a donc l'infini contre un à parier, qu'un Philosophe qui ne s'appuiera que sur des Hypothèses ne dira que des chiméres. Voilà pourquoi tous les Anciens qui ont raisonné sur la Physique sans avoir le flambeau de l'expérience, n'ont été que des aveugles, qui expliquoient la nature des couleurs à d'autres aveugles. Cet Ecrit ne sera point un cours de Physique complet. S'il étoit tel, il seroit immense; une seule partie de la Physique occupe la vie de plusieurs hommes, & les laisse souvent mourir dans l'incertitude. Vous vous bornez dans cette étude, dont je rends compte, à vous faire seulement une idée nette de ces Ressorts si déliez & si puissants, de ces Loix primitives de la Nature, que Neuton a découvertes; à examiner jusqu'où l'on a été avant lui, d'où il est parti, & où il s'est arrêté. Nous commencerons, comme lui, par la lumiere: c'est de tous les corps qui se font sentir à nous le plus délié, le plus approchant de l'infini en petit, c'est pourtant celui que nous connoissons davantage. On l'a suivi dans ses mouvemens, dans ses effets; on est parvenu à l'anatomiser, à le séparer en toutes ses parties possibles. C'est celui de tous les corps dont la nature intime est le plus développée. C'est celui qui nous approche de plus près des premiers Ressorts de la Nature. On tâchera de mettre ces _Elémens_, à la portée de ceux qui ne connaissent de Neuton & de la Philosophie que le nom seul. La Science de la Nature est un bien qui appartient à tous les hommes. Tous voudroient avoir connaissance de leur bien, peu ont le tems ou la patience de le calculer; Neuton a compté pour eux. Il faudra ici se contenter quelquefois de la somme de ces calculs. Tous les jours un homme public, un Ministre, se forme une idée juste du résultat des opérations que lui-même n'a pu faire; d'autres yeux ont vu pour lui, d'autres mains ont travaillé, & le mettent en état par un compte fidèle de porter son jugement. Tout homme d'esprit sera à peu près dans le cas de ce Ministre. La Philosophie de Neuton a semblé jusqu'à présent à beaucoup de personnes aussi inintelligible que celle des Anciens: mais l'obscurité des Grecs venoit de ce qu'en effet ils n'avoient point de lumiere; & les ténèbres de Neuton viennent de ce que sa lumiere étoit trop loin de nos yeux. Il a trouvé des vérités: mais il les a cherchées & placées dans un abîme, il faut y descendre & les apporter au grand jour. On trouvera ici toutes celles qui conduisent à établir la nouvelle proprieté de la matiere découverte par Neuton. On sera obligé de parler de quelques singularités, qui se sont trouvées sur la route dans cette carriere; mais on ne s'écartera point du but. Ceux qui voudront s'instruire davantage, liront les excellentes Physiques des Gravesandes, des Keils, des Muschenbroeks, des Pembertons & s'approcheront de Neuton par degrez. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE PREMIER. _Ce que c'est que la Lumiere & comment elle vient à nous._ [Définition singuliére par les Péripatéticiens.] LES GRECS & ensuite tous les Peuples Barbares, qui ont appris d'eux à raisonner & à se tromper, ont dit de Siècle en Siècle: «La Lumière est un accident, & cet accident est l'acte du transparent en tant que transparent, les couleurs sont ce qui meut les corps transparens. Les corps lumineux & colorez ont des qualités semblables à celles qu'ils excitent en nous par la grande raison que rien ne donne ce qu'il n'a pas. Enfin, la lumiere & les couleurs sont un melange du chaud, du froid, du sec, & de l'humide; car l'humide, le sec, le froid, & le chaud, étant les Principes de tout, il faut bien que les couleurs en soient un composé». C'est cet absurde galimatias que des Maîtres d'ignorance, payez par le Public, ont fait respecter à la crédulité humaine pendant tant d'années: c'est ainsi qu'on a raisonné presque sur-tout, jusqu'aux tems des Galilées & des Descartes. Long-tems même après eux ce Jargon, qui deshonore l'Entendement humain, a subsisté dans plusieurs Ecoles. J'ose dire que la Raison de l'homme, ainsi obscurcie, est bien au-dessous de ces connaissances si bornées, mais si sûres, que nous appellons Instinct dans les Brutes. Ainsi nous ne pouvons trop nous féliciter d'être nez dans un tems & chez un Peuple, où l'on commence à ouvrir les yeux, & à jouïr du plus bel appanage de l'Humanité, l'usage de la Raison. [L'Esprit Systématique a égaré Descartes.] Tous les prétendus Philosophes ayant donc deviné au hazard, à travers le voile qui couvroit la Nature, Descartes est venu qui a découvert un coin de ce grand voile. Il a dit: la Lumiere est une matiere fine & déliée, qui est répandue par-tout, & qui frappe nos yeux. Les couleurs sont les sensations que Dieu excite en nous, selon les divers mouvemens qui portent cette Matiere à nos organes. Jusques-là Descartes a eu raison, il falloit, ou qu'il s'en tint là, ou qu'en allant plus loin, l'expérience fût son guide. Mais il étoit possédé de l'envie d'établir un Systême. Cette passion fit dans ce grand Homme ce que font les passions dans tous les hommes; elles les entraînent au-delà de leurs Principes. Il avoit posé pour premier fondement de sa Philosophie, qu'il ne falloit rien croire sans évidence; & cependant au mépris de sa propre Règle, il imagine trois Elémens formez des cubes prétendus qu'il suppose avoir été faits par le Créateur, & s'être brisez en tournant sur eux-mêmes, lorsqu'ils sortirent des mains de Dieu. Ces trois Elémens imaginaires sont, comme on sait: [Son Systême.] 1º. La partie la plus épaisse de ces cubes, & c'est cet Elément grossier dont se formerent selon lui les corps solides des Planetes, les Mers, l'Air même. 2º. La poussiere impalpable que le brisement de ces dés avoit produite, & qui remplit à l'infini les interstices de l'Univers infini dans lequel il ne suppose aucun vuide. 3º. Les milieux de ces prétendus dés brisés, attenués également de tous côtés, & enfin arondis en boules, dont il lui plaît de faire la lumiere, & qu'il répand gratuitement dans l'Univers. [Faux.] Plus ce Systême étoit ingénieusement imaginé, plus vous sentez qu'il étoit indigne d'un Philosophe. Car, puisque rien de tout cela n'est prouvé, autant valloit adopter le froid & le chaud, le sec & l'humide. Erreur pour erreur qu'importe laquelle domine! Ne perdons point de tems à combattre cette création des cubes & des trois Elémens, ou plutôt ce Chaos. Contentons-nous de voir ici seulement les erreurs Philosophiques dans lesquelles l'esprit Systématique a entraîné le génie sublime de Descartes; & ne réfutons sur-tout que ces sortes d'erreurs qui, ayant l'air de la vérité, sembloient respectables, & méritoient d'être relevées. Selon Descartes la lumiere ne vient point à nos yeux du Soleil, mais c'est une matiere globuleuse répandue par-tout, que le Soleil pousse, & qui presse nos yeux comme un bâton poussé par un bout presse à l'instant à l'autre bout. Cela paroissoit plausible, mais cela n'en est pas moins faux: cependant Descartes étoit tellement persuadé de ce Systême que dans sa dix-septième Lettre du troisième Tome, il dit & répète positivement: _J'avoue que je ne sai rien en Philosophie si la lumiere du Soleil n'est pas transmise à nos yeux en un instant_. En effet, il faut avouer que, tout grand génie qu'il étoit, il savoit encore peu de chose en vraye Philosophie; il lui manquoit l'expérience du Siècle qui l'a suivi. Ce Siècle est autant supérieur à Descartes, que Descartes l'étoit à l'Antiquité. [Du mouvement progressif de la lumiere.] 1º. Si la lumiere étoit toujours répandue, toujours existante dans l'air, nous verrions clair la nuit comme le jour, puisque le Soleil sous l'Hemisphére pousseroit toujours les globules en tout sens, & que l'impression en viendroit également à nos yeux. 2º. Il est démontré que la lumiere émane du Soleil, & on sait que c'est à peu près en sept ou huit minutes de tems qu'elle fait ce chemin immense, qu'un boulet de Canon conservant sa vîtesse ne feroit pas en vingt-cinq années. [Erreur du Spectacle de la Nature.] L'Auteur du Spectacle de la Nature, Ouvrage très-estimable, est tombé ici dans une petite méprise qu'il corrigera sans doute à la premiere Edition de son Livre. Il dit que la lumiere vient en _sept minutes des Etoiles, selon Neuton_; il a pris les Etoiles pour le Soleil. La lumiere émane des Etoiles les plus prochaines en six mois, selon un certain calcul fondé sur des expériences très-délicates & très-fautives. Ce n'est point Neuton, c'est Huygens & Hartsoeker, qui ont fait cette supposition. Il dit encore, pour prouver que Dieu créa la lumiere avant le Soleil, _que la lumiere est répandue par toute la Nature, & qu'elle se fait sentir, quand les Astres lumineux la poussent_; mais il est démontré qu'elle arrive des Etoiles fixes en un tems très-long. Or, si elle fait ce chemin, elle n'étoit donc point répandue auparavant. Il est bon de se précautionner contre ces erreurs, que l'on répète tous les jours dans beaucoup de Livres qui sont l'écho les uns des autres. Voici en peu de mots la substance de la Démonstration sensible de Romer, que la lumiere employe sept à huit minutes dans son chemin du Soleil à la Terre. [Démonstration du mouvement de la lumiere.] On observe de la Terre en C. ce Satellite de Jupiter, qui s'éclipse réguliérement une fois en quarante-deux heures & demie. Si la Terre étoit immobile, l'Observateur en C. verroit en trente fois quarante-deux heures & demie, trente émersions de ce Satellite, mais au bout de ce tems, la Terre se trouve en D. alors l'Observateur ne voit plus cette émersion précisément au bout de trente fois quarante-deux heures & demie, mais il faut ajouter le tems que la lumiere met à se mouvoir de C. en D. & ce tems est sensiblement considérable. Mais cet espace C. D. est encore moins grand que l'espace G. H. car C. D. est corde du Cercle, & G. H. est le Diametre du Cercle. Ce Cercle est le grand Orbe que décrit la Terre, le Soleil est au milieu; la lumiere en venant du Satellite de Jupiter, traverse C. D. en dix minutes, & G. H. en 15. ou 16. minutes. Le Soleil est entre G. & H. donc la lumiere vient du Soleil en 7 ou 8 minutes. [Illustration: _pag. 20._] Mr. Broadley, en dernier lieu, a observé par des expériences réïtérées & sûres, que plusieurs Etoiles, vues en différens tems, paroissoient tantôt un peu plus vers le Nord, tantôt un peu plus vers le Sud; il a prouvé que cette différence ne pouvoit venir que du mouvement annuel de la Terre, & de la progression de la lumiere. Il a observé que si ces Etoiles ont une parallaxe, cette parallaxe n'est que d'une seconde. Or cela présupposé, voici le raisonnement que je fais: Un Astre, qui n'a qu'une seconde de parallaxe annuelle, est quatre cens mille fois plus loin de nous que le Soleil; si la lumiere nous vient du Soleil en 8. minutes, comme le croit Mr. Broadley, elle nous viendra donc de ces Etoiles en 6. années & plus d'un mois. Mais ce n'est pas tout. Ces Etoiles sont de la premiere grandeur, donc les Etoiles de la sixième grandeur, étant six fois plus éloignées, ne font parvenir leur lumiere à nous qu'en plus de 36. ans & demi. 3º. Les rayons qu'on détourne par un Prisme, & qu'on force de prendre un nouveau chemin, démontrent que la lumiere se meut effectivement, & n'est pas un amas de globules simplement pressé. 4º. Si la lumiere étoit un amas de globules existans dans l'air & en tous lieux, un petit trou qu'on pratique dans une chambre obscure devroit l'illuminer toute entiére: car la lumiere, poussée alors en tout sens par ce petit trou, agiroit en tout sens, comme des boules d'yvoire rangées en rond, ou en quarré, s'écarteroient toutes, si une seule d'elles étoit fortement pressée; mais il arrive tout le contraire. La lumiere reçue par un petit orifice, lequel ne laisse passer que peu de rayons, éclaire à peine un demi-pied de l'endroit qu'elle frappe. 5º. La lumiere entre toujours par un trou en ligne droite, en quelque sens que l'on puisse imaginer, mais si des globules étoient simplement pressés, il seroit impossible que cette pression se fît en ligne droite. Il est donc démontré que Descartes s'est trompé & sur la nature de la lumiere & sur la maniere dont elle nous est transmise. [Erreur du Pere Mallebranche.] Le Pere Mallebranche, génie plus subtil que vrai, qui consulta toujours ses méditations, mais non toujours la Nature, adopta sans preuve les trois Elémens de Descartes; mais il changea beaucoup de choses à ce Château enchanté. Il imagina sans autre preuve une autre explication de la lumiere. Des vibrations du Corps lumineux impriment, selon lui, des secousses à de petits tourbillons mous, capables de compression, & tout composés de matiere subtile. Mais si on avoit demandé à Mallebranche comment ces petits tourbillons mous auroient transmis à nos yeux la lumiere, comment l'action du Soleil pourroit passer en un instant à travers tant de petits corps comprimés les uns par les autres, & dont un très-petit nombre suffiroit pour amortir cette action, comment enfin ses tourbillons mous, ne se seroient point mêlez en tournant les uns sur les autres, qu'auroit répondu le Pere Mallebranche? Sur quel fondement posoit-il cet édifice imaginaire? Faut-il que des hommes qui ne parloient que de _vérité_ n'ayent écrit que des Romans! [Définition de la lumiere.] Qu'est-ce donc enfin que la lumiere? C'est _le feu lui-même_, lequel brûle à une petite distance, lorsque ses parties sont moins tenuës, ou plus rapides, ou plus réunies; & qui éclaire doucement nos yeux, quand il agit de plus loin, quand ses particules sont plus fines, & moins rapides, & moins réunies. Ainsi une bougie allumée brûleroit l'œil qui ne seroit qu'à quelques lignes d'elle, & éclaire l'œil qui en est à quelques pouces. Ainsi les rayons du Soleil, épars dans l'espace de l'air, illuminent les objets, & réunis dans un verre ardent fondent le plomb & l'or. Ce feu est dardé en tout sens du point rayonnant: c'est ce qui fait qu'il est apperçu de tous les côtez; il faut donc toujours le considérer comme des lignes partant d'un centre à la circonférence. Ainsi tout faisceau, tout amas, tout trait de rayons, venant du Soleil ou d'un feu quelconque, doit être considéré comme un cone, dont la base est sur notre prunelle, & dont la pointe est dans le feu qui le darde. Cette matiere de feu s'élance du Soleil jusqu'à nous & jusqu'à Saturne, &c. avec une rapidité qui épouvante l'imagination. Le calcul apprend que, si le Soleil est à vingt-quatre mille demi-diametres de la Terre, il s'ensuit que la lumiere parcourt de cet Astre à nous, (en nombres ronds) mille millions de pieds par seconde. Or un boulet d'une livre de balle, poussé par une demi-livre de poudre, ne fait en une seconde que 600. pieds; ainsi donc la rapidité d'un rayon du Soleil est, en nombres ronds, seize cens soixante & six mille six cens fois plus forte que celle d'un boulet de Canon. [Voyez Mémoires de l'Académie 1728.] Je n'entrerai point ici dans la fameuse dispute des forces vives; je renvoye sur cela le Lecteur au Mémoire plein de sagesse & de profondeur qu'a donné Mr. de Mairan. J'espére que ce Philosophe & ceux qui sont le plus opposés aux forces vives, permettront qu'on avance en toute rigueur cette Proposition suivante: L'effet que produit la force d'un corps dans un mouvement, du moins uniformement accéléré, est le produit de sa masse par le quarré de sa vîtesse; c'est-à-dire qu'un corps, s'il a dix degrez de vîtesse, fera, toutes choses égales, cent fois autant d'impression, que s'il n'avoit qu'un degré de vîtesse. [Extrême petitesse du corps de la lumiere.] Si donc une seule particule de lumiere agit en raison du quarré de sa vîtesse, & si cette vîtesse est environ seize cens mille par rapport à celle du boulet, ce quarré sera 2560000000000; il sera donc vrai que, si cet atome n'est que deux milliasses cinq cens soixante miliards moins gros qu'une livre, il fera encore le même effet qu'un boulet de Canon. Supposez cet atome mille miliards plus petit encore; un moment d'émanation de lumiere détruiroit tout ce qui vegète sur la surface de la Terre. Concevez qu'elle doit être la petitesse d'une particule de lumiere, qui passe si librement à-travers d'un verre; & pour avoir quelque idée de l'infini, concevez ce que doit être une matiere un million de fois plus subtile encore, qui passe entre les pores de l'Or & de l'Aimant, & qui pénétre les Rochers & les entrailles de la Terre. Le Soleil qui nous darde cette matiere lumineuse en sept ou huit minutes, & les Etoiles, ces autres Soleils, qui nous l'envoyent en plusieurs années, en fournissent éternellement, sans paraître s'épuiser, à peu près comme le Musc élance sans cesse autour de lui des corps odoriférants, sans rien perdre sensiblement de son poids. Enfin, la rapidité avec laquelle le Soleil darde ses rayons est en proportion avec sa grosseur, qui surpasse environ un million de fois celle de la Terre, & avec la vîtesse dont ce Corps de feu immense roule sur lui-même en vingt-cinq jours & demi. [Proportion dans laquelle toute lumiere agit.] La force, l'illumination, l'intensité, la densité de toute lumiere, est calculée. Il se trouve par un calcul singulier que cette force est précisément en même raison, que la force avec laquelle les corps tombent, & avec laquelle Mr. Neuton fait voir que tous les Globes célestes s'attirent. Cette proportion est ce qu'on appelle la raison inverse du quarré des distances. Il faut se familiariser avec cette expression. Elle signifie une chose simple & intelligible: c'est qu'un corps qui sera exposé à quatre pieds d'un feu quelconque, sera seize fois moins éclairé & moins échauffé, recevra seize fois moins de rayons que le corps qui sera à un pied; seize est le quarré de quatre. Or quatre est la distance où est le corps moins éclairé, donc la lumiere envoye à ce corps distant de quatre pieds, non pas quatre fois moins de rayons, mais seize fois moins de rayons. Voilà ce qu'on appelle la raison inverse du quarré des distances, ce qu'il faut bien entendre; car cette proportion sera un des fondemens de la Nouvelle Philosophie que nous tâchons de rendre familiere. [Progression de la lumiere. Preuve de l'impossibilité du plein.] Nous pouvons en passant conclure de la célérité avec laquelle la substance du Soleil s'échappe ainsi vers nous en ligne droite, combien le plein de Descartes est chimérique. Car 1º. comment une ligne droite pourroit-elle parvenir à nous, à travers tant de millions de couches de matiere mues en ligne courbe, & à travers tant de mouvemens divers? 2º. Comment un corps si délié pourroit-il en sept ou huit minutes parcourir l'espace de trente millions de nos lieues, qui est entre le Soleil & nous, s'il avoit à pénétrer dans cet espace une matiére résistante? Il faudroit que chaque rayon dérangeât en un moment trente millions de lieues de matiére subtile. Remarquez encore que cette prétendue matiére subtile résisteroit dans le plein absolu, autant que la matiére la plus compacte. Car une livre de poudre d'or, pressée dans une boëte, résiste autant qu'un morceau d'or pesant une livre. Ainsi un rayon du Soleil auroit bien plus d'effort à faire, que s'il avoit à percer un cone d'or, dont l'axe seroit trente millions de lieues. Il y a plus. L'expérience, ce vrai Maître de Philosophie, nous apprend que la lumiere en venant d'un Elément dans un autre Elément, d'un milieu dans un autre milieu, n'y passe pas toute entiere, comme nous le dirons: une grande partie est réflechie, l'air en fait rejaillir plus qu'il n'en transmet; ainsi il seroit impossible qu'il nous vint aucune lumiere des Etoiles, elle seroit toute absorbée, toute répercutée, avant qu'un seul rayon pût seulement venir à moitié de notre atmosphére. Mais dans les Chapitres, où nous expliquerons les principes de la gravitation, nous verrons une foule d'arguments, qui prouvent que ce plein prétendu étoit un Roman. Arrêtons-nous ici un moment pour voir combien la Vérité s'établit lentement chez les hommes. Il y a près de cinquante ans que Romer avoit démontré par les observations sur les Eclipses des Satellites de Jupiter, que la lumiere émane du Soleil à la Terre en sept minutes & demie ou environ, cependant non-seulement on soutient encore le contraire dans plusieurs Livres de Physique; mais voici comme on parle dans un Recueil en trois Volumes, tiré des observations de toutes les Académies de l'Europe, imprimé en 1730. _page 35. Volume. 1_. «Quelques-uns ont prétendu que d'un Corps lumineux, comme le Soleil, il se fait un écoulement continuel d'une infinité de petites parties insensibles, qui portent la lumiere jusqu'à nos yeux; mais cette opinion, qui se ressent encore un peu de la vieille Philosophie, n'est pas soutenable». Cette opinion est pourtant démontrée de plus d'une façon: & loin de ressentir la vieille Philosophie, elle y est directement contraire; car quoi de plus contraire à des mots vuides de sens, que des mesures, des calculs, & des expériences? [Illustration] [Illustration] CHAPITRE DEUX. _La proprieté que la lumiere a de se réflechir n'étoit pas véritablement connue. Elle n'est point réflechie par les parties solides des corps, comme on le croioit._ AYANT su ce que c'est que la lumiere, d'où elle nous vient, comment & en quel tems elle arrive à nous; voyons ses proprietés, & ses effets ignorés jusqu'à nos jours. Le premier de ses effets est qu'elle semble rejaillir de la surface solide de tous les objets, pour en apporter dans nos yeux les images. Tous les hommes, tous les Philosophes, & les Descartes & les Mallebranches, & ceux qui se sont éloignez le plus des pensées vulgaires, ont également cru qu'en effet ce sont les surfaces solides des corps qui nous renvoyent les rayons. Plus une surface est unie & solide, plus elle fait, dit-on, rejaillir de lumiere; plus un corps a de pores larges & droits, plus il transmet de rayons à travers sa substance. Ainsi le miroir poli dont le fond est couvert d'une surface de vif argent, nous renvoye tous les rayons; ainsi ce même miroir sans vif argent ayant des pores droits & larges & en grand nombre, laisse passer une grande partie des rayons. Plus un corps a de pores larges & droits, plus il est diaphane: tel est, disoit-on, le diamant, telle est l'eau elle-même; voilà les idées généralement reçues, & que personne ne révoquoit en doute. Cependant toutes ces idées sont entiérement fausses, tant ce qui est vraisemblable, est souvent ce qui est le plus éloigné de la vérité. Les Philosophes se sont jettez en cela dans l'erreur, de la même maniere que le Vulgaire y est tout porté, quand il pense que le Soleil n'est pas plus grand qu'il le paroît aux yeux. Voici en quoi consistoit cette erreur des Philosophes. [Aucun corps uni.] Il n'y a aucun corps dont nous puissions unir véritablement la surface. Cependant beaucoup de surfaces nous paraissent unies & d'un poli parfait. Pourquoi voyons nous uni & égal ce qui ne l'est pas? La superficie la plus égale, n'est par rapport aux petits corps qui composent la lumiere, qu'un amas de montagnes, de cavitez & d'intervales, de même que la pointe de l'éguille la plus fine est hérissée en effet d'éminences & d'aspérités que le Microscope découvre. Tous les faisceaux des rayons de lumiere qui tomberoient sur ces inégalités, se réflechiroient selon qu'ils y seroient tombez; donc étant inégalement tombez ils ne se réflechiroient jamais réguliérement, donc on ne pourroit jamais se voir dans une glace. [Lumiere non réflechie par les parties solides.] La lumiere qui nous apporte notre image de dessus un miroir, ne vient donc point certainement des parties solides de la superficie de ce miroir; elle ne vient point non plus des parties solides de mercure & d'étain étendues derriere cette glace. Ces parties ne sont pas plus planes, pas plus unies, que la glace même. Les parties solides de l'étain & du mercure sont incomparablement plus grandes, plus larges, que les parties solides constituantes de la lumiere; donc si les petites particules de lumiere tombent sur ces grosses parties de mercure, elle s'éparpilleront de tous côtés comme des grains de plomb tombant sur des platras. Quel pouvoir inconnu fait donc rejaillir vers nous la lumiere réguliérement? Il paroît déja que ce ne sont pas les corps qui nous la renvoyent ainsi. Ce qui sembloit le plus connu le plus incontestable chez les hommes, devient un mystère plus grand que ne l'étoit autrefois la pesanteur de l'air. Examinons ce Problême de la Nature, notre étonnement redoublera. On ne peut s'instruire ici qu'avec surprise. Prenez un morceau, un cube de cristal, par exemple; voici tout ce qui arrive aux rayons du Soleil qui tombent sur ce corps solide & transparent. [Illustration] 1º. Une petite partie des rayons rebondissent à vos yeux de sa premiere surface A. sans toucher même à cette surface, comme il sera plus amplement prouvé. 2º. Une partie des rayons est reçue dans la substance de ce corps, elle s'y joue, s'y perd & s'y éteint. 3º. Une troisième partie parvient à l'intérieur C. de la surface B. & d'auprès de cette surface B. elle retourne en A. & quelques rayons en viennent à vos yeux. 4º. Une quatrième partie passe dans l'air. 5º. Une cinquième partie qui est la plus considérable revient d'au-delà de la surface ultérieure B. dans le cristal, y repasse, & vient se réflechir à vos yeux. N'examinons ici que ces derniers rayons qui, s'échappant de la surface ultérieure B. & ayant trouvé l'air, rejaillissent de dessus cet air vers nous en rentrant à travers le cristal. Certainement ils n'ont pas rencontré dans cet air des parties solides sur lesquelles ils ayent rebondi, car si au lieu d'air ils rencontrent de l'eau à cette surface B. peu reviennent alors, ils entrent dans cette eau, ils la pénétrent en grand nombre. Or l'eau est environ huit cens fois plus pesante, plus solide, moins rare que l'air. Cependant ces rayons ne rejaillissent point de dessus cette eau, & rejaillissent de dessus cet air dans ce verre, donc ce n'est point des parties solides des corps que la lumiere est réflechie. Voici une observation plus singuliere & plus décisive: Exposez dans une chambre obscure ce cristal A. B. aux rayons du Soleil de façon, que les traits de lumiere parvenus à sa superficie B. fassent un angle de plus de 40. degrez avec la perpendicule. [Expériences décisives.] [Illustration] La plûpart de ces rayons alors ne pénétre plus dans l'air, ils rentrent tous dans ce cristal à l'instant même qu'ils en sortent, ils reviennent, comme vous voyez, mais cette courbure est insensible. Certainement ce n'est pas la surface solide de l'air qui les a repoussés dans ce verre, plusieurs de ces rayons entroient dans l'air auparavant, quand ils tomboient moins obliquement; pourquoi donc à une obliquité de 40 degrez dix-neuf minutes, la plûpart de ces rayons n'y passe-t-elle plus? trouvent-ils à ce degré plus de résistance, plus de matiere dans cet air, qu'ils n'en trouvent dans ce cristal qu'ils avoient pénétré? trouvent-ils plus de parties solides, dans l'air à quarante degrés & un tiers qu'à 40? l'air est à peu près deux mille quatre cens fois plus rare, moins pesant, moins solide, que le cristal, donc ces rayons devoient passer dans l'air avec deux mille quatre cens fois plus de facilité, qu'ils n'ont pénétré l'épaisseur du cristal. Cependant, malgré cette prodigieuse apparence de facilité, ils sont repoussez; ils le sont donc par une force qui est ici deux mille quatre cens fois plus puissante que l'air, ils ne sont donc point repoussez par l'air; les rayons encore une fois ne sont donc point réflechis à nos yeux par les parties solides de la matiere. La lumiere rejaillit si peu dessus les parties solides des corps, que c'est en effet du vuide qu'elle rejaillit. Vous venez de voir que la lumiere tombant à un angle de 40. degrez 19. minutes sur du cristal, rejaillit presque toute entiere de dessus l'air qu'elle rencontre à la surface ultérieure de ce cristal. Que la lumiere y tombe à un angle moindre d'une seule minute, il en passe encore moins hors de cette surface dans l'air. Qu'on ôte l'air, il ne passera plus de rayons du tout. C'est une chose démontrée. Or quand il y a de l'eau à cette surface, beaucoup de rayons entrent dans cette eau au lieu de rejaillir. Quand il n'y a que de l'air, bien moins de rayons entrent dans cet air. Quand il n'y a plus d'air, aucun rayon ne passe; donc c'est du vuide en effet que la lumiere rejaillit. Voilà donc des preuves indubitables que ce n'est point une superficie solide qui nous renvoye la lumiere: il y a bien d'autres preuves encore de cette nouvelle vérité; en voici une que nous expliquerons à sa place. Tout corps opaque réduit en lame mince, laisse passer à travers sa substance des rayons d'une certaine espèce, & réflechit les autres rayons: or, si la lumiere étoit renvoyée par les corps, tous les rayons qui tomberoient sur ces lames, seroient réflechis sur ces lames. Enfin nous verrons que jamais si étonnant paradoxe n'a été prouvé en plus de manieres. Commençons donc par nous familiariser avec ces Vérités. 1º. Cette lumiere qu'on croit réflechie par la surface solide des corps, rejaillit en effet sans avoir touché à cette surface. 2º. La lumiere n'est point renvoyée de derriere un miroir par la surface solide du vif argent; mais elle est renvoyée du sein des pores du miroir, & des pores du vif argent même. 3º. Il ne faut point, comme on l'a pensé jusques à présent, que les pores de ce vif argent soient très-petits pour réflechir la lumiere, au contraire il faut qu'ils soient larges. [Plus les pores sont petits plus la lumiere passe.] Ce sera encore un nouveau sujet de surprise pour ceux qui n'ont pas étudié cette Philosophie, d'entendre dire que le secret de rendre un corps opaque, est souvent d'élargir ses pores, & que le moyen de le rendre transparent est de les étrecir. L'ordre de la Nature paraitra tout changé: ce qui sembloit devoir faire l'opacité, est précisément ce qui opérera la transparence; & ce qui paraissoit rendre les corps transparens, sera ce qui les rendra opaques. Cependant rien n'est si vrai, & l'expérience la plus grossiére le démontre. Un papier sec, dont les pores sont très-larges, est opaque, nul rayon de lumiere ne le traverse: étrecissez ses pores en l'imbibant, ou d'eau ou d'huile, il devient transparent; la même chose arrive au linge, au sel, &c. Il y a donc des principes ignorés qui opérent ces merveilles, des causes qui font rejaillir la lumiere, avant qu'elle ait touché une surface, qui la renvoyent des pores du corps transparent, qui la ramenent du milieu même du vuide; nous sommes invinciblement obligés d'admettre ces faits, quelle qu'en puisse être la cause. Etudions donc les autres mystères de la lumiere, & voyons si de ces effets surprenans, on remonte jusqu'à quelque Principe incontestable, qu'il faille admettre aussi-bien que ces effets même. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE TROIS. _De la proprieté que la lumiere a de se briser en passant d'une substance dans une autre, & de prendre un nouveau chemin._ LA SECONDE proprieté des rayons de la lumiere qu'il faut bien examiner, est celle de se détourner de leur chemin en passant du Soleil dans l'air, de l'air dans le verre, du verre dans l'eau, &c. C'est cette nouvelle direction dans ces différens milieux, c'est ce brisement de la lumiere qu'on appelle réfraction, c'est par cette proprieté qu'une rame plongée dans l'eau parait courbée au Matelot qui la manie; c'est ce qui fait que dans une jatte nous appercevrons, en y jettant de l'eau, l'objet que nous n'appercevions pas auparavant en nous tenant à la même place. Enfin c'est par le moyen de cette réfraction que nos yeux jouïssent de la vûe. Les secrets admirables de la réfraction étoient ignorés de l'Antiquité, qui cependant l'avoit sous les yeux, & dont on faisoit usage tous les jours, sans qu'il soit resté un seul Ecrit, qui puisse faire croire qu'on en eût deviné la raison. Ainsi encore aujourd'hui nous ignorons la cause des mouvemens même de notre corps, & des pensées de notre ame; mais cette ignorance est différente. Nous n'avons & nous n'aurons jamais d'Instrument assez fin pour voir les premiers ressorts de nous-mêmes; mais l'industrie humaine s'est faite de nouveaux yeux, qui nous ont fait appercevoir sur les effets de la lumiere, presque tout ce qu'il est permis aux hommes d'en savoir. [Comment la lumiere se brise.] Il faut se faire ici une idée nette d'une expérience très-commune. Une pièce d'or est dans ce bassin: votre œil est placé au bord du bassin à telle distance, que vous ne voyez point cette pièce: [Illustration] Qu'on y verse de l'eau, vous ne l'apperceviez point d'abord où elle étoit: maintenant vous la voyez où elle n'est pas; qu'est-il arrivé? L'objet A. réflechit un rayon qui vient frapper contre le bord du bassin, & qui n'arrivera jamais à votre œil: il réflechit aussi ce rayon A. B. qui passe par-dessus votre œil: or à présent vous recevez ce rayon A. B. ce n'est point votre œil qui a changé de place, c'est donc le rayon A. B.; il s'est manifestement detourné au bord de ce bassin en passant de l'eau dans l'air, ainsi il frappe votre œil en C. [Illustration] Mais vous voyez toujours les objets en ligne droite, donc vous voyez l'objet suivant la ligne droite C. D. donc vous voyez l'objet au point D. au-dessus du lieu où il est en effet. Si ce rayon se brise en un sens, quand il passe de l'eau dans l'air, il doit se briser en un sens contraire, quand il entre de l'air dans l'eau. [Illustration] J'élève sur cette eau une perpendiculaire, le rayon A. qui partant du point lumineux se brise au point B. & s'approche dans l'eau de cette perpendiculaire en suivant le chemin B. D. & ce même rayon D. B. en passant de l'eau dans l'air, se brise en allant vers A., & en s'éloignant de cette même perpendiculaire; la lumiere se réfracte donc selon les milieux qu'elle traverse. C'est sur ce Principe que la Nature a disposé les humeurs différentes qui sont dans nos yeux, afin que les traits de lumiere, qui passent à travers ces humeurs, se brisent de façon qu'ils se réunissent après dans un point sur notre _rétine_: c'est enfin sur ce Principe que nous fabriquons les Lunettes dont les verres éprouvent des réfractions encore plus grandes qu'il ne s'en fait dans nos yeux, & qui, apportant ainsi plus de rayons réunis, peuvent étendre, jusqu'à deux cens fois, la force de notre vûe; de même que l'invention des leviers a donné une nouvelle force à nos bras, qui sont des leviers naturels. Nous allions expliquer la raison que Neuton a trouvée de cette proprieté de la lumiere; mais vous voulez voir auparavant comment cette réfraction agit dans nos yeux, & comment le sens de la vûe, le plus étendu de tous nos Sens, doit son existence à la réfraction. Quelque connue que soit cette matiere, il est bon de fortifier par un nouvel examen les idées que vous en avez. Les personnes qui pourront lire ce petit Ouvrage, seront bien-aises de ne point chercher ailleurs ce qu'elles desireroient savoir touchant la vûe. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE QUATRE. _De la conformation de nos yeux, comment la lumiere entre & agit dans cet organe._ [Description de l'œil.] POur connaitre l'œil de l'homme en physicien qui ne considere que la vision, il faut d'abord savoir que la premiere enveloppe blanche, le rempart & l'ornement de l'œil, ne transmet aucun rayon. Plus ce blanc de l'œil est fort & uni, plus il réflechit de lumiere; & lorsque quelque passion vive porte au visage de nouveaux esprits, qui viennent encore tendre & ébranler cette tunique, alors des étincelles semblent en sortir. Au milieu de cette membrane s'éleve un peu la cornée, mince, dure & transparente, telle précisément que le verre de votre montre que vous placeriéz en cette façon sur une boule. [Illustration] Sous cette _cornée_, est _l'iris_, autre membrane, qui, colorée par elle-même, répand ses couleurs sur cette _cornée_ transparente qui la couvre; c'est cette _iris_ tantôt brune, tantôt bleue, qui rend les yeux bleus ou noirs. Elle est percée dans son milieu, qui ainsi paroît toujours noir; & ce milieu est la prunelle de l'œil. C'est par cette ouverture que sont introduits les rayons de la lumiere: elle s'agrandit par un mouvement involontaire dans les endroits obscurs, pour recevoir plus de rayons; elle se resserre ensuite, lorsqu'une grande clarté l'offense. Les rayons admis par cette prunelle ont déja souffert une réfraction assez forte en passant à travers la _cornée_ dont elle est couverte. Imaginez cette _cornée_ comme le verre de votre montre, il est convexe en dehors, & concave en dedans: tous les rayons obliques se sont brisés dans l'épaisseur de ce verre; mais ensuite sa concavité rétablit ce que sa convéxité a brisé. La même chose arrive dans notre _cornée_. Les rayons ainsi rompus & brisés, trouvent après avoir franchi la _cornée_, une humeur transparente dans laquelle ils passent. Cette eau est nommée l'humeur aqueuse. Les Anatomistes ne s'accordent point encore entr'eux sur la forme de ce petit réservoir. Mais, quelle que soit sa figure, la Nature semble avoir placé là cette humeur claire & limpide, pour opérer des réfractions, pour transmettre purement la lumiere, pour que le _cristallin_, qui est derriere, puisse s'avancer sans effort, & changer librement de figure, pour que l'humidité nécessaire s'entretienne, &c. Enfin, les rayons étant sortis de cette eau trouvent une espèce de diamant liquide, taillé en lentille, & enchassé dans une membrane déliée & diaphane elle-même. Ce diamant est le _cristallin_, c'est lui qui rompt tous les rayons obliques, c'est un principal organe de la réfraction & de la vûe; parfaitement semblable en cela à un Verre lenticulaire de Lunette. Soit ce cristallin ou ce Verre lenticulaire. [Illustration] Le rayon perpendiculaire A. le pénétre, sans se détourner; mais les rayons obliques B & C. se détournent dans l'épaisseur du Verre en s'approchant des perpendiculaires, qu'on tireroit sur les endroits où ils tombent. Ensuite quand ils sortent du Verre pour passer dans l'air, ils se brisent encore en s'éloignant du perpendicule; ce nouveau brisement est précisément ce qui les fait converger en D. foyer du Verre lenticulaire. Or la _rétine_, cette membrane legére, cette expansion du nerf optique, qui tapisse le fond de notre œil, est le foyer du cristallin: c'est à cette _rétine_ que les rayons aboutissent: mais avant d'y parvenir, ils rencontrent encore un nouveau milieu qu'ils traversent; ce nouveau milieu est l'humeur vitrée, moins solide que le _cristallin_, moins fluide que l'humeur aqueuse. C'est dans cette humeur vitrée que les rayons ont le tems de s'assembler, avant de venir faire leur derniere réunion sur les points du fond de notre œil. Figurez-vous donc sous cette lentille du _cristallin_, cette humeur vitrée sur laquelle le _cristallin_ s'appuye; cette humeur tient le _cristallin_ dans sa concavité, & est arondie vers la _rétine_. Les rayons en s'échapant de cette derniere humeur achevent donc de converger. Chaque faisceau de rayons parti d'un point de l'objet vient fraper un point de notre _rétine_. Une figure, où chaque partie de l'œil se voit sous son propre nom, expliquera mieux tout cet artifice, que ne pourroient faire des lignes, des A. & des B. La structure des yeux ainsi développée, on peut connaitre aisément pourquoi on a si souvent besoin du secours d'un Verre, & quel est l'usage des Lunettes. [Oeil presbite.] Souvent un œil sera trop plat, soit par la conformation de sa _cornée_, soit par son cristallin, que l'âge ou la maladie aura desseché; alors les réfractions seront plus faibles & en moindre quantité, les rayons ne se rassembleront plus sur la _rétine_. Considérez cet œil trop plat que l'on nomme œil de _presbite_. [Illustration: _Pag. 54._] [Illustration: _Pag. 55._] Ne regardons, pour plus de facilité, que trois faisceaux, trois cones des rayons, qui de l'objet tombent sur cet œil, ils se réuniront aux points A. A. A. par delà la _rétine_, il verra les objets confus. La Nature a fourni un secours contre cet inconvénient, par la force qu'elle a donnée aux muscles de l'œil d'allonger, ou d'aplatir l'œil, de l'approcher ou de le reculer de la _rétine_. Ainsi dans cet œil de Vieillard, ou dans cet œil malade, le _cristallin_ a la faculté de s'avancer un peu, & d'aller en D. D.: alors l'espace entre le _cristallin_ & le fond de la _rétine_ deviennent plus grands, les rayons ont le tems de venir se réunir sur la _rétine_, au lieu d'aller au-delà; mais lorsque cette force est perdue, l'industrie humaine y supplée, un verre lenticulaire est mis entre l'objet & l'œil affaibli. L'effet de ce verre est de rapprocher les rayons qu'il a reçus, l'œil les reçoit donc & plus rassemblés & en plus grand nombre: ils viennent aboutir à un point de la _rétine_ comme il le faut; alors la vûe est nette & distincte. [Oeil myope.] Regardez cet autre œil, qui a une maladie contraire, il est trop rond: les rayons se réunissent trop tôt, comme vous le voyez au point B. ils se croisent trop vîte, ils se séparent en B. & vont faire une tache sur la _rétine_. C'est-là ce qu'on appelle un œil _myope_. Cet inconvénient diminue à mesure que l'âge en amene d'autres, qui sont la sécheresse & la faiblesse: elles aplatissent insensiblement cet œil trop rond; & voilà pourquoi on dit que les vûes courtes durent plus long-tems. Ce n'est pas qu'en effet elles durent plus que les autres, mais c'est qu'à un certain âge, l'œil desseché s'aplatit: alors celui qui étoit obligé auparavant d'approcher son Livre à trois ou quatre pouces de son œil, peut lire quelquefois à un pied de distance: mais aussi sa vûe devient bien-tôt trouble & confuse, il ne peut voir les objets éloignés; telle est notre condition, qu'un défaut ne se répare presque jamais que par un autre. [Illustration: _Pag. 56._] Or, tandis que cet œil est trop rond, il lui faut un Verre qui empêche les rayons de se réunir si vîte. Ce Verre fera le contraire du premier, au lieu d'être convexe des deux côtés, il sera un peu concave des deux côtés, & les rayons divergeront dans celui-ci, au lieu qu'ils convergeroient dans l'autre. Ils viendront par conséquent se réunir plus loin, qu'ils ne faisoient auparavant dans l'œil, & alors cet œil jouïra d'une vûe parfaite. On proportionne la convéxité & la concavité des Verres aux défauts de nos yeux: c'est ce qui fait que les mêmes Lunettes qui rendent la vûe nette à un Vieillard, ne seront d'aucun secours à un autre; car il n'y a ni deux maladies, ni deux hommes, ni deux choses au monde égales. L'Antiquité ne connaissoit point ces Lunettes. Cependant elle connaissoit les Miroirs ardents; une vérité découverte n'est pas toujours une raison pour qu'on découvre les autres véritéz qui y tiennent. L'attraction de l'Aimant étoit connue, & sa direction échapoit aux yeux. La démonstration de la circulation du sang étoit dans la saignée même que pratiquoient tous les Médecins Grecs, & cependant personne ne se doutoit que le sang circulât. Il y a grande apparence que c'est du tems de Roger Bacon au XIII. Siècle que l'on trouva ces lunettes appellées besicles, & les loupes qui donnent de nouveaux yeux aux Vieillards; car il est le premier qui en parle. Vous venez de voir les effets que la réfraction fait dans vos yeux, soit que les rayons arrivent sans secours intermédiaire, soit qu'ils ayent traversé des cristaux: vous concevez que sans cette réfraction opérée dans nos yeux, & sans cette réflexion des rayons de dessus les surfaces des corps vers nous, les organes de la vûe nous seroient inutiles. Les moyens que la Nature employe pour faire cette réfraction, les loix qu'elle suit, sont des mystères que nous allons déveloper. Il faut auparavant achever ce que nous avons à dire touchant la vûe, il faut satisfaire à ces questions si naturelles: Pourquoi nous voyons les objets au-delà d'un Miroir, & non sur le Miroir même? Pourquoi un Miroir concave rend l'objet plus grand? Pourquoi le Miroir convexe rend l'objet plus petit? Pourquoi les Telescopes rapprochent & agrandissent les choses? Par quel artifice la Nature nous fait connaitre les grandeurs, les distances, les situations? Quelle est enfin la véritable raison, qui fait que nous voyons les objets tels qu'ils sont, quoique dans nos yeux ils se peignent renversez? Il n'y a rien là qui ne mérite la curiosité de tout Etre pensant; mais nous ne nous étendrions pas sur ces sujets que tant d'illustres Ecrivains ont traités, & nous renverrions à eux, si nous n'avions pas à faire connaitre quelques vérités assez nouvelles, & curieuses pour un petit nombre de Lecteurs. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE CINQ. _Des Miroirs, des Telescopes: des Raisons que les Mathématiques donnent des mystères de la vision; que ces raisons ne sont point du tout suffisantes._ LES RAYONS qu'une Puissance, jusqu'à nos jours inconnue, fait rejaillir à vos yeux de dessus la surface d'un Miroir, sans toucher à cette surface, & des pores de ce Miroir, sans toucher aux parties solides; ces rayons, dis-je, retournent à vos yeux dans le même sens qu'ils sont arrivés à ce Miroir. Si c'est votre visage que vous regardez, les rayons partis de votre visage parallèlement & en perpendiculaire sur le Miroir, y retournent de même qu'une balle qui rebondit perpendiculairement sur le plancher. [Miroir plan.] Si vous regardez dans ce Miroir M. un objet qui est à côté de vous comme A. il arrive aux rayons partis de cet objet la même chose qu'à une balle, qui rebondiroit en B. où est votre œil. C'est ce qu'on appelle l'angle d'incidence égal à l'angle de réflexion. [Illustration] La ligne A. C. est la ligne d'incidence, la ligne C. B. est la ligne de réflexion. On sait assez, & le seul énoncé le démontre, que ces lignes forment des angles égaux sur la surface de la glace; maintenant pourquoi ne vois-je l'objet ni en A. où il est, ni dans C. dont viennent à mes yeux les rayons, mais en D. derriere le Miroir même? La Géométrie vous dira: c'est que l'angle d'incidence est égal à l'angle de réflexion: c'est que votre œil en B. rapporte l'objet en D.; c'est que les objets ne peuvent agir sur vous qu'en ligne droite, & que la ligne droite continuée dans votre œil B. jusques derriere le miroir en D. est aussi longue que la ligne A C. & la ligne C B. prises ensemble. Enfin elle vous dira encore: vous ne voyez jamais les objets que du point où les rayons commencent à diverger. Soit ce Miroir M. I. [Illustration] [Miroir plan.] Les faisceaux de rayons qui partent de chaque point de l'objet A, commencent à diverger dès l'instant qu'ils partent de l'objet; ils arrivent sur la surface du Miroir: là chacun de ces rayons tombe, s'écarte, & se réflechit vers l'œil. Cet œil les rapporte aux points D. D. au bout des lignes droites, où ces mêmes rayons se rencontreroient; mais en se rencontrant aux points D. D. ces rayons feroient la même chose qu'aux points A. A. ils commenceroient à diverger; donc vous voyez l'objet A. A. aux points D. D. Ces angles & ces lignes servent, sans doute, à vous donner une intelligence de cet artifice de la Nature; mais il s'en faut beaucoup qu'elles puissent vous apprendre, la raison Physique efficiente, pourquoi votre ame rapporte sans hésiter l'objet au-delà du Miroir à la même distance qu'il est au deçà. Ces lignes vous représentent ce qui arrive, mais elles ne vous apprennent point pourquoi cela arrive. Si vous voulez savoir comment un Miroir convexe diminue les objets, & comment un Miroir concave les augmente, ces lignes d'incidence & de réflexion vous en rendront la même raison. [Miroir convexe.] On vous dit: Ce cone de rayons qui diverge du point A. & qui tombe sur ce Miroir convexe, y fait des angles d'incidence égaux aux angles de réflexion, dont les lignes vont dans notre œil. Or ces angles sont plus petits que s'ils étoient tombés sur une surface plane, donc s'ils sont supposés passer en B. ils y convergeront bien plutôt, donc l'objet qui seroit en B. B. seroit plus petit. [Illustration] Or votre œil rapporte l'objet en B. B. aux points d'où les rayons commenceroient à diverger, donc l'objet doit vous paraitre plus petit, comme il l'est en effet dans cette figure. Par la même raison qu'il parait plus petit, il vous parait plus près, puisqu'en effet les points où aboutiroient les rayons B. B. sont plus près du Miroir que ne le sont les rayons A. A. [Illustration] Par la raison des contraires, vous devez voir les objets plus grands & plus éloignés dans un Miroir concave, en plaçant l'objet assez près du Miroir. Car les cones des rayons A. A. venant à diverger sur le Miroir aux points où ces rayons tombent, s'ils se réflechissoient à travers ce Miroir, ils ne se réuniroient qu'en B. B. donc c'est en B. B. que vous les voyez. Or B. B. est plus grand & plus éloigné du Miroir que n'est A. A. donc vous verrez l'objet plus grand, & plus loin. Voilà en général ce qui se passe dans les rayons réflechis à vos yeux, & ce seul Principe, que l'angle d'incidence est toujours égal à l'angle de réflexion, est le premier fondement de tous les mystères de la Catoptrique. MAINTENANT il s'agit de savoir, comment les lunettes augmentent ces grandeurs & raprochent ces distances. Enfin pourquoi les objets se peignant renversés dans vos yeux, vous les voyez cependant comme ils sont. [Explications géométriques de la vision.] A l'égard des grandeurs & des distances, voici ce que les Mathématiques vous en apprendront. Plus un objet fera dans votre œil un grand angle, plus l'objet vous paraitra grand: rien n'est plus simple. Cette ligne H. K. que vous voyez, à cent pas, trace un angle dans l'œil A. (figure premiere); à deux cens pas, elle trace un angle la moitié plus petit dans l'œil B. (figure seconde). Or l'angle qui se forme dans votre _rétine_ & dont votre _rétine_ est la baze, est comme l'angle dont l'objet est la baze. Ce sont des angles opposez au sommet: donc par les premieres notions des Elémens de la Géométrie ils sont égaux; donc si l'angle formé dans l'œil A. est double de l'angle formé dans l'œil B., cet objet paraitra une fois plus grand à l'œil A. qu'à l'œil B. [Illustration: _Pag. 69._] Maintenant pour que l'œil étant en B. voye l'objet aussi grand, que le voit l'œil en A., il faut faire en sorte que cet œil B. reçoive un angle aussi grand que celui de l'œil A. qui est une fois plus près. Les verres d'un télescope feront cet effet. Ne mettons ici qu'un seul verre pour plus de facilité, & faisons abstraction des autres effets de plusieurs verres. L'objet H. K. (troisième figure) envoye ses rayons à ce verre. Ils se réunissent à quelque distance du verre. Concevons un verre taillé de sorte, que ces rayons se croisent pour aller former dans l'œil en C. un angle aussi grand que celui de l'œil en A. alors l'œil, nous dit-on, juge par cet angle. Il voit donc alors l'objet de la même grandeur, que le voit l'œil en A. Mais en A. il le voit à cent pas de distance: donc en C. recevant le même angle, il le verra encore à cent pas de distance. Tout l'effet des verres de lunettes multipliez, & des télescopes divers, & des microscopes qui agrandissent les objets, consiste donc à faire voir les choses sous un plus grand angle. L'objet A. B. est vu par le moyen de ce verre sous l'angle D, C, D. qui est bien plus grand que l'angle A, C, B. [Illustration] Vous demandez encore aux règles d'optique, pourquoi vous voyez les objets dans leur situation, quoiqu'ils se peignent renversez sur notre rétine? Le rayon qui part de la tête de cet homme A., vient au point inférieur de votre rétine A. ses pied B. sont vus par les rayons B. B. au point supérieur de votre rétine B. Ainsi cet homme est peint réellement la tête en bas & les pieds en haut au fond de vos yeux. Pourquoi donc ne voyez-vous pas cet homme renversé, mais droit, & tel qu'il est? [Illustration] Pour résoudre cette question, on se sert de la comparaison de l'aveugle, qui tient dans ses mains deux bâtons croisez avec lesquels il devine très-bien la position des objets. [Illustration] Car le point A., qui est à gauche, étant senti par la main droite à l'aide du bâton, il le juge aussi-tôt à gauche; & le point B. que sa main gauche a senti par l'entremise de l'autre bâton, il le juge à droite sans se tromper. Tous les Maîtres d'optique nous disent donc, que la partie inférieure de l'œil rapporte tout d'un coup sa sensation à la partie supérieure A. de l'objet, & que la partie supérieure de la rétine rapporte aussi naturellement la sensation à la partie inférieure B.; ainsi on voit l'objet dans sa situation véritable. [Nul rapport immédiat entre les règles d'optique & nos sensations.] Quand vous aurez connu parfaitement tous ces angles, & toutes ces lignes Mathématiques, par lesquelles on suit le chemin de la lumiere jusqu'au fond de l'œil, ne croyez pas pour cela savoir comment vous appercevez les grandeurs, les distances, les situations des choses. Les proportions géométriques de ces angles & de ces lignes sont justes, il est vrai; mais il n'y a pas plus de rapport entr'elles & nos sensations, qu'entre le son que nous entendons & la grandeur, la distance, la situation de la chose entendue. Par le son, mon oreille est frappée; j'entends des tons & rien de plus. Par la vûe, mon œil est ébranlé; je vois des couleurs & rien de plus. Non-seulement les proportions de ces angles, & de ces lignes, ne peuvent en aucune maniere être la cause immédiate du jugement que je forme des objets; mais en plusieurs cas ces proportions ne s'accordent point du tout avec la façon dont nous voyons les objets. [Exemple en preuve.] Par exemple, un homme vu à quatre pas, & à huit pas, est vu de même grandeur. Cependant l'image de cet homme, à quatre pas, est précisément double dans votre œil, de celle qu'il y trace à huit pas. Les angles sont différens, & vous voyez l'objet toujours également grand; donc il est évident par ce seul exemple, choisi entre plusieurs, que ces angles & ces lignes ne sont point du tout la cause immédiate de la maniere dont nous voyons. Avant donc de continuer les recherches que nous avons commencées sur la lumiere, & sur les loix mécaniques de la Nature, vous m'ordonnez de dire ici comment les idées des distances, des grandeurs, des situations, des objets, sont reçues dans notre ame. Cet examen nous fournira quelque chose de nouveau & de vrai, c'est la seule excuse d'un Livre. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE SIXIE'ME. _Comment nous connaissons les distances, les grandeurs, les figures, les situations._ [Les angles, ni les lignes optiques, ne peuvent nous faire connaitre les distances.] COMMENÇONS par la distance. Il est clair qu'elle ne peut être apperçue immédiatement par elle-même; car la distance n'est qu'une ligne de l'objet à nous. Cette ligne se termine à un point, nous ne sentons donc que ce point; & soit que l'objet existe à mille lieues, ou qu'il soit à un pied, ce point est toujours le même. Nous n'avons donc aucun moyen immédiat, pour appercevoir tout d'un coup la distance, comme nous en avons, pour sentir par l'attouchement, si un corps est dur ou mou; par le goût, s'il est doux ou amer; par l'ouïe, si de deux sons l'un est grave & l'autre aigu. Il faut donc que l'idée de la distance nous vienne par le moyen d'une autre idée intermédiaire: mais il faut au moins que j'apperçoive cette intermédiaire; car une idée que je n'aurai point, ne servira certainement pas à m'en faire avoir une autre. Je dis qu'une telle maison est à un mille d'une telle riviére; mais si je ne sai pas où est cette riviére, je ne sai certainement pas où est cette maison. Un corps cède aisément à l'impression de ma main; je conclus immédiatement sa mollesse. Un autre résiste, je sens immédiatement sa dureté; il faudroit donc que je sentisse les angles formés dans mon œil, pour en conclure immédiatement les distances des objets. Mais personne ne s'avise de songer à ces angles quand il regarde un objet. La plûpart des hommes ne savent pas même si ces angles existent; donc il est évident que ces angles ne peuvent être la cause immédiate de ce que vous connaissez les distances. [Exemple en preuve.] Celui qui, pour la premiere fois de sa vie, entendroit le bruit du Canon, ou le son d'un Concert, ne pourroit juger si on tire ce canon, ou si on exécute ce concert à une lieue, ou à trente pas. Il n'y a que l'expérience qui puisse l'accoutumer à juger de la distance qui est entre lui & l'endroit d'où part ce bruit. Les vibrations, les ondulations de l'air, portent un son à ses oreilles, ou plutôt à son ame; mais ce bruit n'avertit pas plus son ame de l'endroit où le bruit commence, qu'il ne lui apprend la forme du canon ou des instrumens de Musique. C'est la même chose précisément par rapport aux rayons de lumiere qui partent d'un objet, ils ne nous apprennent point du tout où est cet objet. [Ces lignes optiques ne font connaitre ni les grandeurs ni les figures.] Ils ne nous font pas connaitre davantage les grandeurs ni même les figures. Je vois de loin une espèce de petite Tour. J'avance, j'apperçois, & je touche un grand Bâtiment quadrangulaire. Certainement ce que je vois & ce que je touche, n'est pas ce que je voiois. Ce petit objet rond qui étoit dans mes yeux, n'est point ce grand Bâtiment quarré. [Exemple en preuve.] Autre chose est donc l'objet mesurable & tangible, autre chose est l'objet visible. J'entends de ma chambre le bruit d'un carosse: j'ouvre la fenêtre & je le vois; je descends & j'entre dedans. Or ce carosse que j'ai entendu, ce carosse que j'ai vu, ce carosse que j'ai touché, sont trois objets absolument divers de trois de mes sens, qui n'ont aucun rapport immédiat les uns avec les autres. Il y a bien plus: il est démontré, comme je l'ai dit, qu'il se forme dans mon œil un angle une fois plus grand, quand je vois un homme à quatre pieds de moi, que quand je vois le même homme à huit pieds de moi. Cependant je vois toujours cet homme de la même grandeur: comment mon sentiment contredit-il ainsi le mécanisme de mes organes? L'objet est réellement une fois plus petit dans mes yeux, & je le vois une fois plus grand. C'est en vain qu'on veut expliquer ce mystère par le chemin, ou par la forme que prend le cristallin dans nos yeux. Quelque supposition que l'on fasse, l'angle sous lequel je vois un homme à quatre pieds de moi, est toujours double de l'angle sous lequel je le vois à huit pieds; & la Géométrie ne résoudra jamais ce Problême. [Ni la situation des objets.] Ces lignes & ces angles géométriques ne sont pas plus réellement la cause de ce que nous voyons les objets à leur place, que de ce que nous les voyons de telles grandeurs, & à telle distance. L'ame ne considere pas si telle partie va se peindre au bas de l'œil, elle ne rapporte rien à des lignes qu'elle ne voit point. L'œil se baisse seulement, pour voir ce qui est près de la terre, & se relève pour voir ce qui est au-dessus de la terre. Tout cela ne pouvoit être éclairci, & mis hors de toute contestation, que par quelqu'aveugle-né, à qui on auroit donné le sens de la vûe. Car si cet aveugle, au moment qu'il eût ouvert les yeux, eût jugé des distances, des grandeurs & des situations, il eut été vrai que les angles optiques, formez tout d'un coup dans sa rétine, eussent été les causes immédiates de ses sentimens. Aussi le Docteur Barclay assûroit après Mr. Loke (& allant même en cela plus loin que Loke) que ni situation, ni grandeur, ni distance, ni figure, ne seroit aucunement discernée par cet aveugle, dont les yeux recevroient tout d'un coup la lumiere. [Preuve par l'expérience de l'aveugle-né guéri par Chiselden.] Mais où trouver l'aveugle, dont dépendoit la décision indubitable de cette question? Enfin en 1729. Mr. Chiselden, un de ces fameux Chirurgiens, qui joignent l'addresse de la main aux plus grandes lumieres de l'esprit, ayant imaginé qu'on pouvoit donner la vûe à un aveugle-né, en lui abbaissant ce qu'on appelle des cataractes, qu'il soupçonnoit formées dans ses yeux, presqu'au moment de sa naissance, il proposa l'opération. L'aveugle eut de la peine à y consentir. Il ne concevoit pas trop, que le sens de la vûe pût beaucoup augmenter ses plaisirs. Sans l'envie qu'on lui inspira d'apprendre à lire & à écrire, il n'eût point desiré de voir. Il vérifioit par cette indifférence, qu'_il est impossible d'être malheureux, par la privation des biens dont on n'a pas d'idée_: vérité bien importante. Quoi qu'il en soit, l'opération fut faite & réussit. Ce jeune homme d'environ quatorze ans, vit la lumiere pour la premiere fois. Son expérience confirma tout ce que Loke & Barclay avoient si bien prévu. Il ne distingua de long-tems ni grandeur, ni distance, ni situation, ni même figure. Un objet d'un pouce, mis devant son œil, & qui lui cachoit une maison, lui paraissoit aussi grand que la maison. Tout ce qu'il voioit, lui sembloit d'abord être sur ses yeux, & les toucher comme les objets du tact touchent la peau. Il ne pouvoit distinguer ce qu'il avoit jugé rond à l'aide de ses mains, d'avec ce qu'il avoit jugé angulaire, ni discerner avec ses yeux, si ce que ses mains avoient senti être en haut ou en bas, étoit en effet en haut ou en bas. Il étoit si loin de connaitre les grandeurs, qu'après avoir enfin conçu par la vûe, que sa maison étoit plus grande que sa chambre, il ne concevoit pas comment la vûe pouvoit donner cette idée. Ce ne fut qu'au bout de deux mois d'expérience, qu'il put appercevoir que les tableaux représentoient des corps solides: & lorsqu'après ce long tatonnement d'un sens nouveau en lui, il eut senti que des corps, & non des surfaces seules, étoient peints dans les tableaux; il y porta la main, & fut étonné de ne point trouver avec ses mains ces corps solides, dont il commençoit à appercevoir les représentations. Il demandoit quel étoit le trompeur, du sens du toucher, ou du sens de la vûe. Ce fut donc une décision irrévocable, que la maniere dont nous voyons les choses, n'est point du tout la suite immédiate des angles formés dans nos yeux; car ces angles Mathématiques étoient dans les yeux de cet homme, comme dans les nôtres, & ne lui servoient de rien sans les recours de l'expérience & des autres sens. [Comment nous connaissons les distances & les grandeurs.] Comment nous représentons-nous donc les grandeurs & les distances? De la même façon dont nous imaginons les passions des hommes, par les couleurs qu'elles peignent sur leurs visages, & par l'altération qu'elles portent dans leurs traits. Il n'y a personne, qui ne lise tout d'un coup sur le front d'un autre, la honte, ou la colére. C'est la Langue que la Nature parle à tous les yeux; mais l'expérience seule apprend ce langage. Aussi l'expérience seule nous apprend, que quand un objet est trop loin, nous le voyons confusément & faiblement. Delà nous formons des idées, qui ensuite accompagnent toujours la sensation de la vûe. Ainsi tout homme qui, à dix pas, aura vu son cheval haut de cinq pieds, s'il voit, quelques minutes après, ce cheval comme un mouton, son ame, par un jugement involontaire, conclud à l'instant ce cheval est très-loin. Il est bien vrai que, quand je vois mon cheval gros comme un mouton, il se forme alors dans mon œil une peinture plus petite, un angle plus aigu; mais c'est-là ce qui accompagne, non ce qui cause mon sentiment. De même il se fait un autre ébranlement dans mon cerveau, quand je vois un homme rougir de honte, que quand je le vois rougir de colére; mais ces différentes impressions ne m'apprendroient rien de ce qui se passe dans l'ame de cet homme, sans l'expérience dont la voix seule se fait entendre. Loin que cet angle soit la cause immédiate de ce que je juge qu'un grand cheval est très-loin, quand je vois ce cheval fort petit; il arrive au contraire, à tous les momens, que je vois ce même cheval également grand, à dix pas, à vingt, à trente pas, quoique l'angle à dix pas soit double, triple, quadruple. [Exemple.] Je regarde de fort loin, par un petit trou, un homme posté sur un toit, le lointain & le peu de rayons m'empêchent d'abord de distinguer si c'est un homme: l'objet me parait très-petit, je crois voir une statue de deux pieds tout au plus: l'objet se remue, je juge que c'est un homme, & dès ce même instant cet homme me parait de la grandeur ordinaire; d'où viennent ces deux jugemens si différens? Quand j'ai cru voir une statue, je l'ai imaginée de deux pieds, parce que je la voiois sous un tel angle: nulle expérience ne plioit mon ame à démentir les traits imprimés dans ma rétine; mais dès que j'ai jugé que c'étoit un homme, la liaison mise par l'expérience, dans mon cerveau, entre l'idée d'un homme & l'idée de la hauteur de cinq à six pieds, me force, sans que j'y pense, à imaginer, par un jugement soudain, que je vois un homme de telle hauteur, & à voir une telle hauteur en effet. [Nous apprenons à voir comme à lire.] Il faut absolument conclure de tout ceci, que les distances, les grandeurs, les situations, ne sont pas, à proprement parler, des choses visibles, c'est-à-dire, ne sont pas les objets propres & immédiats de la vûe. L'objet propre & immédiat de la vûe, n'est autre chose que la lumiere colorée: tout le reste, nous ne le sentons qu'à la longue & par expérience. Nous apprenons à voir, précisément comme nous apprenons à parler & à lire. La différence est, que l'art de voir est plus facile, & que la Nature est également à tous notre Maître. [La vûe ne peut faire connaitre l'étendue.] Les jugemens soudains, presque uniformes, que toutes nos ames, à un certain âge, portent des distances, des grandeurs, des situations, nous font penser, qu'il n'y a qu'à ouvrir les yeux, pour voir de la maniere dont nous voyons. On se trompe; il y faut le secours des autres sens. Si les hommes n'avoient que le sens de la vûe, ils n'auroient aucun moyen pour connaitre l'étendue, en longueur, largeur, & profondeur; & un pur Esprit ne pourroit jamais la connaitre, à moins que Dieu ne la lui revelât. Il est très-difficile de séparer dans notre entendement l'extension d'un objet d'avec les couleurs de cet objet. Nous ne voyons jamais rien que d'étendu, & de-là nous sommes tout portez à croire, que nous voyons en effet l'étendue. Nous ne pouvons guère distinguer dans notre ame ce jaune que nous voyons dans un Louïs d'or, d'avec ce Louïs d'or dont nous voyons le jaune. C'est comme, lorsque nous entendons prononcer ce mot _Louïs d'or_, nous ne pouvons nous empêcher d'attacher, malgré nous, l'idée de cette monnoye au son que nous entendons prononcer. Si tous les hommes parloient la même Langue, nous serions toujours prêts à croire, qu'il y auroit une connexion nécessaire entre les mots & les idées. Or tous les hommes ont ici le même langage, en fait d'imagination. La Nature leur dit à tous: Quand vous aurez vu des couleurs pendant un certain tems, votre imagination vous représentera à tous, de la même façon, les corps auxquels ces couleurs semblent attachées. Ce jugement prompt & involontaire que vous formerez, vous sera utile dans le cours de votre vie; car s'il falloit attendre pour estimer les distances, les grandeurs, les situations, de tout ce qui vous environne, que vous eussiez examiné des angles & des rayons visuels; vous seriez morts avant de savoir, si les choses dont vous avez besoin, sont à dix pas de vous, ou à cent millions des lieues, & si elles sont de la grosseur d'un ciron, ou d'une montagne. Il vaudroit beaucoup mieux pour vous être nés aveugles. Nous avons donc très-grand tort quand nous disons que nos Sens nous trompent. Chacun de nos sens fait la fonction à laquelle la Nature l'a destiné. Ils s'aident mutuellement pour envoyer à notre ame, par les mains de l'expérience, la mesure des connaissances que notre état comporte. Nous demandons à nos Sens, ce qu'ils ne sont point faits pour nous donner. Nous voudrions que nos yeux nous fissent connaitre la solidité, la grandeur, la distance, &c.; mais il faut que le toucher s'accorde en cela avec la vûe, & que l'expérience les seconde. Si le Pere Mallebranche avoit envisagé la Nature par ce côté, il eût attribué moins d'erreurs à nos Sens qui sont les seules sources de toutes nos idées. Il est tems de reprendre le fil des découvertes de Neuton, & de rentrer dans l'examen Physique & Mathématique des choses. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE SEPT. _De la cause qui fait briser les rayons de la lumiere en passant d'une substance dans une autre; que cette cause est une loi générale de la Nature inconnue avant Neuton; que l'inflexion de la lumiere est encore un effet de cette cause, &c._ NOUS avons déja vu l'artifice presque incompréhensible de la réflexion de la lumiere, que l'impulsion connue ne peut causer. Celui de la réfraction dont nous allons reprendre l'examen n'est pas moins surprenant. [Ce que c'est que réfraction.] Commençons par nous bien affermir dans une idée nette de la chose qu'il faut expliquer. Souvenons-nous bien, que quand la lumiere tombe d'une substance plus rare, plus legére comme l'air, dans une substance plus pesante, plus dense comme l'eau, & qui semble lui devoir résister davantage, la lumiere alors quitte son chemin & se brise en s'approchant d'une perpendicule, qu'on éleveroit sur la surface de cette eau. Mr. Le Clerc, dans sa Physique, a dit tout le contraire faute d'attention. En son Livre cinq, chapitre huit: «Plus la résistance des corps est grande, dit-il, plus la lumiere qui tombe dans eux s'éloigne de la perpendicule. Ainsi le rayon s'éloigne de la perpendicule en passant de l'air dans l'eau». Ce n'est pas la seule méprise qui soit dans le Clerc, & un homme qui auroit le malheur d'étudier la Physique dans les Ecrits de cet Auteur, n'auroit guère que des idées fausses ou confuses. Pour avoir une idée bien nette de cette vérité, regardez ce rayon qui tombe de l'air dans ce cristal. [Illustration] Vous savez comme il se brise. Ce rayon A E. fait un angle avec cette perpendiculaire B E. en tombant sur la surface de ce cristal. Ce même rayon réfracté dans ce cristal, fait un autre angle avec cette même perpendiculaire qui régle sa réfraction. Il fallut mesurer cette incidence & ce brisement de la lumiere. Snellius trouva le premier la proportion constante, suivant laquelle les rayons se rompent dans ces différens milieux. On en fit l'honneur à Descartes. On attribue toujours au Philosophe le plus accrédité les découvertes qu'il rend publiques: il profite des travaux obscurs d'autrui, & il augmente sa gloire de leurs recherches. La découverte de Snellius étoit alors un Chef-d'œuvre de sagacité. Cette proportion découverte par Snellius est très-aisée à entendre. [Illustration] [Ce que c'est que sinus de réfraction.] Plus la ligne A. B. que vous voyez, est grande, plus la ligne C. D. sera grande aussi. Cette ligne A. B. est ce qu'on appelle _sinus_ d'incidence. Cette ligne C. D. est le _sinus_ de la réfraction. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer en général ce que c'est qu'un _sinus_. Ceux qui ont étudié la Géométrie le savent assez. Les autres pourroient être un peu embarassez de la définition. Il suffit de bien savoir que ces deux _sinus_, de quelque grandeur qu'ils soient, sont toujours en proportion dans un milieu donné. Or cette proportion est différente, quand la réfraction se fait dans un milieu différent. La lumiere qui tombe obliquement de l'air dans du cristal, s'y brise de façon, que le _sinus_ de réfraction C. D. est au _sinus_ d'incidence A. B. comme 2. à 3. ce qui ne veut dire autre chose, sinon que cette ligne A. B. est un tiers plus grande dans l'air, en ce cas, que la ligne C. D. dans ce cristal. Dans l'eau cette proportion est de 3. à 4. Ainsi il est palpable que le cristal réfracte, brise la lumiere d'un neuvième plus fortement que l'eau. Il faut donc savoir que dans tous les cas, & dans toutes les obliquités d'incidence possibles, le cristal sera plus refringent que l'eau d'un neuvième. Il s'agit de savoir non-seulement la cause de la réfraction, mais la cause de ces réfractions différentes. [Idée de Descartes ingénieuse, mais fausse.] [Le corps le plus solide n'est pas le plus réfractant.] [Preuve.] Descartes a trouvé, à son ordinaire, des raisons ingénieuses & plausibles de cette proprieté de la lumiere; mais là, comme en tout le reste, mettant son esprit à la place des choses, il a donné des conjectures pour des vérités. Il a feint que la lumiere, en passant de l'air dans un milieu nouveau, plus épais, plus compact, y passe plus librement, y est moins retardée dans sa tendance prétendue au mouvement, & _moins retardée_, disoit-il, _moins troublée dans un milieu dense, comme le verre, que dans un milieu moins épais, comme l'eau_. Nous avons déja vu combien il s'abuse en assûrant que la lumiere n'a qu'une tendance au mouvement. Nous avons vu que les rayons se meuvent en effet, puisqu'ils changent de place à nos yeux dans leurs réfractions. Mais son erreur ici est encore assez importante: il se trompe en croyant que les corps les plus solides sont toujours ceux qui brisent le plus la lumiere, & qui lui ouvrent en la brisant un chemin plus facile. Il n'est pas vrai que tous les corps solides réfractent, brisent plus la lumiere absolument, que les corps fluides; car quoiqu'en effet l'eau opére une réfraction moins forte, absolument parlant, que le verre; cependant par rapport à sa densité, elle opére une réfraction plus forte. Il est bien vrai que la lumiere se brise environ un neuvième davantage dans le verre, que dans l'eau; mais si la réfraction suivoit le rapport de la densité, elle devroit, dans le verre, aller fort au delà d'un neuvième. Imaginez deux hommes, dont l'un aura quatre fois plus de force, que l'autre. Si le plus fort ne porte qu'un poids une fois plus pesant, il sera vrai de dire que par rapport à sa force, il n'a pas, à beaucoup près, tant porté que l'autre; car il devroit porter quatre fois davantage. L'ambre opére une réfraction bien plus forte que le cristal, par rapport à sa densité. Peut-on dire cependant que l'ambre ouvrira un chemin plus facile à la lumiere, que le cristal? C'est donc une supposition fausse: _que la lumiere se brise vers la perpendiculaire, quand elle trouve un corps transparent plus solide qui lui résiste moins, parce qu'il est plus solide_. Remarquez que toute expérience & tout calcul ruïne presque toutes les idées de Descartes, quand ce grand Philosophe ne les fonde que sur des hypothèses. Ce sont des perspectives brillantes & trompeuses qui diminuent à mesure qu'on en approche. Tous les autres Philosophes ont cherché des solutions de ce Problême de la Nature; mais l'expérience a renversé aussi leurs conjectures. [Méprise des autres grands Géométres à ce sujet.] Barrow enseignoit, après le Pere Deschalles, que la réfraction de la lumiere, en approchant de la perpendicule, se faisoit _par la résistance du milieu_; que _plus un milieu résistoit au cours de la lumiere, plus cette réfraction devoit être forte_. Cette idée étoit le contraire de celle de Descartes; elle prouvoit seulement qu'on va à l'erreur par différens chemins. Ils n'avoient qu'à voir les expériences; ils n'avoient qu'à mesurer les réfractions qui se font dans l'esprit de vin, beaucoup plus grandes que dans l'eau; ils n'avoient qu'à considerer qu'assûrément l'esprit de vin ne résiste pas plus que l'eau, & que cependant il opére une réfraction une fois plus forte, ils auroient corrigé cette petite erreur. Aussi le Pere Deschalles avoue qu'il doute fort de son explication. [Grande découverte de Neuton.] Enfin Neuton seul à trouvé la véritable raison qu'on cherchoit. Sa découverte mérite assûrément l'attention de tous les Siècles. Car il ne s'agit pas ici seulement d'une proprieté particuliere à la lumiere, quoique ce fût déja beaucoup; nous verrons que cette proprieté appartient à tous les corps de la Nature. Considerez que les rayons de la lumiere sont en mouvement, que s'ils se détournent en changeant leur course, ce doit être par quelque loi primitive, & qu'il ne doit arriver à la lumiere, que ce qui arriveroit à tous les corps de même petitesse que la lumiere, toutes choses d'ailleurs égales. Qu'une balle de plomb A. soit poussée obliquement de l'air dans l'eau, il lui arrivera d'abord le contraire de ce qui est arrivé à ce rayon de lumiere; car ce rayon délié passe dans des pores, & cette balle, dont la superficie est large, rencontre la superficie de l'eau qui la soutient. [Illustration] [Attraction.] Cette balle s'éloigne donc d'abord de la perpendiculaire B.; mais lorsqu'elle a perdu tout ce mouvement oblique qu'on lui avoit imprimé, elle est abandonnée à elle-même, elle tombe alors, à peu près suivant une perpendiculaire, qu'on élèveroit du point où elle commence à descendre. Or Neuton a découvert & a prouvé qu'il y a dans la Nature une force, qui fait tendre tous les corps, en ligne perpendiculaire, les uns vers les autres en proportion directe de leur masse. Donc cette force (telle qu'elle soit) doit agir dans l'eau sur ce rayon; & la masse du rayon étant incomparablement moindre que celle de l'eau, ce rayon doit sensiblement être mu vers elle. Regardez donc ce rayon de lumiere qui descend perpendiculairement de l'air sur la surface de ce cristal. [Illustration] [L'attraction agit en perpendicule, & accélere la chûte des rayons.] Comme cette ligne descend perpendiculairement, le pouvoir de l'attraction, tel qu'il soit, agissant en ligne droite, le rayon ne se détourne point de son chemin; mais il arrive plus promptement, qu'il n'auroit fait en B., & c'est encore une vérité apperçue par Neuton. Avant lui on croioit que ce rayon de lumiere étoit retardé dans son cours en entrant dans l'eau. Au contraire, il y entre avec accélération. Pourquoi? Parce qu'il y est porté, & par son propre mouvement, & par celui de l'attraction que l'eau, ou le verre, lui imprime. Ce rayon arrive donc en B. par cette force accélératrice plus promptement qu'il n'eût franchi l'air. Mais si nous considerons dans ce même bassin d'eau, ou dans cette même masse de verre, ce rayon oblique qui tombe dessus, qu'arrive-t-il? Il conserve son mouvement d'obliquité en ligne droite, & il en acquiert un nouveau en ligne perpendiculaire. Que cette attraction, que cette tendance, que cette espèce de gravitation existe, nous n'en pouvons douter: car nous avons vu la lumiere attirée par le verre, y rentrer sans toucher à rien; or cette force agit nécessairement en ligne perpendiculaire, la ligne perpendiculaire étant le plus court chemin. Puisque cette force existe, elle est dans toutes les parties de la matiere. Les parties de la superficie d'un corps quelconque, éprouvent donc ce pouvoir, avant qu'il pénétre l'intérieur de la substance, avant qu'il parvienne au centre où il est dirigé. Ainsi dès que ce rayon est arrivé près de la superficie du cristal, ou de l'eau, il prend déja un peu en cette maniere le chemin de la perpendicule. [Illustration] [Lumiere brisée avant d'entrer dans les corps.] Il se brise déja un peu en C. avant d'entrer: plus il entre, plus il se brise; c'est que plus les corps sont proches, plus ils s'attirent, & que celui qui a le plus de masse détermine vers lui, celui qui en a moins. Ainsi il arrive à ce rayon de lumiere la même chose qu'à tout corps, qui a un mouvement composé de deux directions différentes; il n'obéït à aucune, & tient un chemin qui participe des deux. Ainsi ce rayon ne tombe pas tout-à-fait perpendiculairement, & ne suit pas sa premiere ligne droite oblique, en traversant cette eau, ou ce verre; mais il suit une ligne qui participe des deux côtés, & qui descend d'autant plus vîte, que l'attraction de cette eau, ou de ce cristal, est plus forte. Donc loin que l'eau rompe les rayons de lumiere, en leur résistant, comme on le croioit, elle les rompt en effet, parce qu'elle ne résiste pas, &, au contraire, parce qu'elle les attire. Il faut donc dire que les rayons se brisent vers la perpendiculaire, non pas quand ils passent d'un milieu plus facile dans un milieu plus résistant, mais quand ils passent _d'un milieu moins attirant dans un milieu plus attirant_. Observez qu'il ne faut jamais entendre par ce mot _attirant_, que le point vers lequel se dirige une force reconnue, une proprieté incontestable de la matiere. Vous savez que beaucoup de gens, autant attachés à la Philosophie, ou plutôt au nom de Descartes, qu'ils l'étoient auparavant au nom d'Aristote, se sont soulevés contre l'attraction. Les uns n'ont pas voulu l'étudier, les autres l'ont méprisee, & l'ont insultée après l'avoir à peine examinée; mais je prie le Lecteur de faire les trois réflexions suivantes. [Il faut examiner l'attraction avant de se révolter contre ce mot.] 1º. Qu'entendons-nous par attraction? Rien autre chose qu'une force par laquelle un corps s'approche d'un autre, sans que l'on voye, sans que l'on connaisse, aucune autre force qui le pousse. 2º. Cette propriété de la matiere est établie par les meilleurs Philosophes en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, & même dans plusieurs Universitez d'Italie, où des Loix un peu rigoureuses ferment quelquefois l'accez à la Vérité. Le consentement de tant de savans hommes n'est pas une preuve, sans doute; mais c'est une raison puissante pour examiner au moins si cette force existe ou non. 3º. L'on devroit songer que l'on ne connait pas plus la cause de l'impulsion, que de l'attraction. On n'a pas même plus d'idée de l'une de ces forces que de l'autre; car il n'y a personne qui puisse concevoir pourquoi un corps a le pouvoir d'en remuer un autre de sa place. Nous ne concevons pas non plus, il est vrai, comment un corps en attire un autre, comment les parties de la matiere gravitent mutuellement. Aussi ne dit-on pas que Neuton se soit vanté de connaitre la raison de cette attraction. Il a prouvé simplement qu'elle existe: il a vu dans la matiere un phénomêne constant, une propriété universelle. Si un homme trouvoit un nouveau métal dans la terre, ce métal existeroit-il moins, parce que l'on ne connaitrait pas les premiers Principes dont il seroit formé? Que le Lecteur qui jettera les yeux sur cet Ouvrage ait recours à la discussion métaphysique sur l'attraction, faite par Mr. de Maupertuis, dans le plus petit & dans le meilleur Livre qu'on ait écrit peut-être en Français, en fait de Philosophie. On y verra à travers la reserve avec laquelle l'Auteur s'est expliqué, ce qu'il pense, & ce qu'on doit penser de cette attraction, dont le nom a tout effarouché. Nous avons vu dans le second chapitre, que les rayons réflechis d'un Miroir ne sauroient venir à nous de sa surface. Nous avons expérimenté que les rayons transmis dans du verre à un certain angle, reviennent au lieu de passer dans l'air; que, s'il y a du vuide derriere ce verre, les rayons qui étoient transmis auparavant reviennent de ce vuide à nous. Certainement il n'y a point-là d'impulsion connue. Il faut de toute nécessité admettre un autre pouvoir; il faut bien aussi avouer, qu'il y a dans la réfraction quelque chose qu'on n'entendoit pas jusqu'à présent. [Preuves de l'attraction.] Or quelle sera cette puissance qui rompra ce rayon de lumiere dans ce bassin d'eau? Il est démontré (comme nous le dirons au chapitre suivant) que, ce qu'on avoit cru jusqu'à présent un simple rayon de lumiere, est un faisceau de plusieurs rayons, qui se réfractent tous différemment. Si de ces traits de lumiere contenus dans ce rayon, l'un se réfracte, par exemple, à quatre mesures de la perpendiculaire, l'autre se rompra à trois mesures. Il est démontré que les plus réfrangibles, c'est-à-dire, par exemple, ceux qui en se brisant au sortir d'un verre, & en prenant dans l'air une nouvelle direction, s'approchent moins de la perpendiculaire de ce verre, sont aussi ceux qui se réflechissent le plus aisément, le plus vîte. Il y a donc déja bien de l'apparence, que ce sera la même loi qui fera réflechir la lumiere, & qui la fera réfracter. Enfin, si nous trouvons encore quelque nouvelle propriété de la lumiere, qui paraisse devoir son origine à la force de l'attraction, ne devrons-nous pas conclure que tant d'effets appartiennent à la même cause? [Inflexion de la lumiere auprès des corps qui l'attirent.] Voici cette nouvelle propriété qui fut découverte par le Pere Grimaldi Jésuite vers l'an 1660. & sur laquelle Neuton a poussé l'examen jusqu'au point de mesurer l'ombre d'un cheveu à des distances différentes. Cette propriété est l'inflexion de la lumiere. Non-seulement les rayons se brisent en passant dans le milieu dont la masse les attire; mais d'autres rayons, qui passent dans l'air auprès des bords de ce corps attirant, s'approchent sensiblement de ce corps, & se détournent visiblement de leur chemin. Mettez dans un endroit obscur cette lame d'acier, ou de verre aminci, qui finit en pointe: exposez-la auprès d'un petit trou par lequel la lumiere passe; que cette lumiere vienne raser la pointe de ce métal. [Illustration] Vous verrez les rayons se courber auprès en telle maniere, que le rayon qui s'approchera le plus de cette pointe, se courbera davantage, & que celui qui en sera plus éloigné, se courbera moins à proportion. N'est-il pas de la plus grande vraisemblance, que le même pouvoir qui brise ces rayons, quand ils sont dans ce milieu, les force à se détourner, quand ils sont près de ce milieu? Voilà donc la réfraction, la transparence, la réflexion, assujeties à de nouvelles loix. Voilà une inflexion de la lumiere, qui dépend évidemment de l'attraction. C'est un nouvel Univers qui se présente aux yeux de ceux qui veulent voir. Nous montrerons bien-tôt qu'il y a une attraction évidente entre le Soleil & les Planetes, une tendance mutuelle de tous les corps les uns vers les autres. Mais nous avertissons ici d'avance, que cette attraction, qui fait graviter les Planetes sur notre Soleil, n'agit point du tout dans les mêmes rapports que l'attraction des petits corps qui se touchent. Il faudra que l'on songe bien, que ces rapports changent au point de contact. Qu'on ne croye point que la lumiere est infléchie vers le cristal & dans le cristal, suivant le même rapport, par exemple, que Mars est attiré par le Soleil. Tous les corps, comme nous le verrons, sont attirez en raison inverse du quarré de leurs distances; mais au point de contact, ils le sont en raison inverse des cubes de leurs distances, & beaucoup plus encore. Ainsi l'attraction est bien plus forte, & la force s'en dissipe bien plus vîte; & cette attraction des corps qui se touchent, augmente encore à mesure que les corps sont petits. Ainsi des particules de lumiere attirées par les petites masses du verre, sont bien loin de suivre les loix du Systême planétaire. Deux atomes, & deux Planetes telles que Jupiter & Saturne, obéïssent à l'attraction, mais à différentes loix de l'attraction. C'est ce que nous nous reservons d'expliquer dans l'avant dernier Chapitre, & ce que nous avons cru nécessaire d'indiquer ici pour lever toute équivoque. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE HUIT. _Suites des merveilles de la réfraction de la lumiere. Qu'un seul rayon de la lumiere contient en soi toutes les couleurs possibles; ce que c'est que la refrangibilité. Découvertes nouvelles._ [Imagination de Descartes sur les couleurs.] SI vous demandez aux Philosophes ce qui produit les couleurs, Descartes vous répondra que _les globules de ses Elémens sont déterminez à tournoyer sur eux-mêmes outre leur tendance au mouvement en ligne droite, & que ce sont les différens tournoyemens qui font les différentes couleurs_. Mais, en vérité, ses Elémens, ses globules, son tournoyement, ont-ils même besoin de la pierre de touche de l'expérience pour que le faux s'en fasse sentir? Une foule de démonstrations anéantit ces chiméres. Voici les plus simples & les plus sensibles. Rangez des boules les unes contre les autres: supposez les poussées en tout sens, & tournant toutes sur elles-mêmes en tout sens; par le seul enoncé, il est impossible, que ces boules contigues puissent avancer en lignes droites réguliérement. De plus, comment verriez-vous sur une muraille ce point bleu, & ce point verd? [Illustration] Les voilà marquez sur cette muraille; il faut qu'ils se croisent en l'air au point A. avant d'arriver à vos yeux. Puisqu'ils se croisent, leur prétendu tournoyement doit changer au point d'intersection. Les tournoyemens qui faisoient le bleu & le verd ne subsistent donc plus les mêmes: il n'y auroit donc plus alors de point verd, ni de point bleu. Un Jésuite Flamand fit cette objection à Descartes. Celui-ci en sentit toute la force, mais que croiriez-vous qu'il répondit? Que ces boules _ne tournoyent pas à la vérité_, mais qu'_elles ont une tendance au tournoyement_. Voilà ce que Descartes dit dans ses Lettres. L'acte du _transparent en tant que transparent_, est-il plus intelligible? Vous me direz, sans doute, que cette difficulté est égale dans tous les Systêmes. Vous me direz que ces rayons, qui partent de ce point bleu & de ce point verd, se croisent nécessairement, quelque opinion qu'on embrasse touchant les couleurs; que cette intersection des rayons devroit toujours empêcher la vision, qu'en un mot, il est toujours incompréhensible que des rayons qui se croisent, arrivent à nos yeux dans leur ordre; mais ce scrupule sera bien-tôt levé, si vous considerez que toute partie de matiere a plus de pores incomparablement que de substance. Un rayon du Soleil, qui a plus de trente millions de lieues en longueur, n'a pas probablement un pied de matiere solide mise bout à bout. Il seroit donc très-possible qu'un rayon passât à travers d'un autre en cette maniere, sans rien déranger. [Illustration] Mais ce n'est pas seulement ainsi qu'ils passent, c'est l'un par-dessus l'autre comme deux bâtons. Mais direz-vous, des rayons émanez d'un centre n'aboutiroient pas précisément, & en rigueur Mathématique, à la même ligne de circonférence. Cela est vrai. Il s'en faudra toujours un infiniment petit. Mais deux hommes ne verroient pas les mêmes points du même objet. Cela est encore vrai. De mille millions de personnes qui regarderont une superficie, il n'y en aura pas deux qui verront les mêmes points. Il faut avouer que dans le plein de Descartes, cette intersection de rayons est impossible; mais tout est également impossible dans le plein, & il n'y a aucun mouvement, tel qu'il soit, qui ne suppose & ne prouve le vuide. [Erreur de Mallebranche.] Mallebranche vient à son tour & vous dit: _Il est vrai que Descartes s'est trompé. Son tournoyement de globules, n'est pas soutenable; mais ce ne sont pas des globules de lumiere, ce sont des petits tourbillons tournoyans de matiere subtile, capables de compression, qui sont la cause des couleurs; & les couleurs consistent comme les sons dans des vibrations de pression._ Et il ajoute: _Il me parait impossible de découvrir par aucun moyen les rapports exacts de ces vibrations_, c'est-à-dire, des couleurs. Vous remarquerez qu'il parloit ainsi dans l'Académie des Sciences en 1699. & que l'on avoit déja découvert ces proportions en 1675; non pas proportions de vibration de petits tourbillons qui n'existent point, mais proportions de la réfrangibilité des rayons qui font les couleurs, comme nous le dirons bien-tôt. Ce qu'il croioit impossible étoit déja démontré, &, qui plus est, démontré aux yeux, reconnu vrai par les sens, ce qui auroit bien déplu au Pere Mallebranche. D'autres Philosophes sentant le faible de ces suppositions, vous disent au moins avec plus de vraisemblance: _Les couleurs viennent du plus ou du moins de rayons réflechis des corps colorez. Le blanc est celui qui en réflechit davantage; le noir est celui qui en réflechit le moins. Les couleurs les plus brillantes seront donc celles qui vous apporteront plus de rayons. Le rouge, par exemple, qui fatigue un peu la vûe, doit être composé de plus de rayons, que le verd qui la repose davantage._ Cette Hypothèse parait d'abord plus sensée; mais elle n'est qu'une conjecture (d'ailleurs très-incomplette & erronée), & une conjecture n'est qu'une raison de plus pour chercher, & non pas une raison pour croire. [Expérience & démonstration de Neuton.] Addressez-vous enfin à Neuton. Il vous dira ne m'en croyez pas: n'en croyez que vos yeux & les Mathématiques: mettez-vous dans une chambre tout-à-fait obscure, où le jour n'entre que par un trou extrêmement petit; le rayon de la lumiere viendra sur du papier vous donner la couleur de la blancheur. Exposez transversalement à un rayon de lumiere ce prisme de verre; ensuite mettez à une distance d'environ seize ou dix-sept pieds une feuille de papier P. vis-à-vis ce prisme. [Illustration] Vous savez déja que la lumiere se brise en entrant de l'air dans ce prisme; vous savez qu'elle se brise, en sens contraire, en sortant de ce prisme dans l'air. Si elle ne se brisoit pas ainsi, elle iroit de ce trou tomber sur le plancher de la chambre Z. Mais comme il faut que la lumiere, en s'échappant, s'éloigne de la ligne Z. cette lumiere ira donc frapper le papier. C'est-là que se voit tout le secret de la lumiere & des couleurs. Ce rayon qui est tombé sur ce prisme n'est pas, comme on croioit, un simple rayon; c'est un faisceau de sept principaux faisceaux de rayons, dont chacun porte en soi une couleur primitive, primordiale, qui lui est propre. Des mêlanges de ces sept rayons naissent toutes les couleurs de la Nature; & les sept réunis ensemble, réflechis ensemble de dessus un objet, forment la blancheur. Approfondissez cet artifice admirable. Nous avions déja insinué que les rayons de la lumiere ne se réfractent pas, ne se brisent pas tous également; ce qui se passe ici en est aux yeux une démonstration évidente. Ces sept rayons de lumiere échappez du corps de ce rayon, qui s'est anatomisé au sortir du prisme, viennent se placer, chacun dans leur ordre, sur ce papier blanc, chaque rayon occupant une ovale. Le rayon qui a le moins de force pour suivre son chemin, le moins de roideur, le moins de matiere, s'écarte plus dans l'air de la perpendiculaire du prisme. Celui qui est le plus fort, le plus dense, le plus vigoureux, s'en écarte le moins. Voyez-vous ces sept rayons qui viennent se briser les uns au-dessus des autres? [Illustration] Chacun d'eux peint sur ce papier la couleur primitive qu'il porte en lui-même. Le premier rayon, qui s'écarte le moins de cette perpendicule du prisme, est couleur de feu; le second orangé; le troisième jaune; le quatrième verd; le cinquième bleu; le sixième indigo. Enfin celui qui s'écarte davantage de la perpendicule, & qui s'éleve le dernier au-dessus des autres, est le violet. [Anatomie de la lumiere.] Un seul faisceau de lumiere, qui auparavant faisoit la couleur blanche, est donc un composé de sept faisceaux qui ont chacun leur couleur. L'assemblage de sept rayons primordiaux fait donc le blanc. Si vous en doutez encore, prenez un des verres lenticulaires de lunette, qui rassemblent tous les rayons à leur foyer: exposez ce verre au trou par lequel entre la lumiere; vous ne verrez jamais à ce foyer qu'un rond de blancheur. Exposez ce même verre au point, où il pourra rassembler tous les sept rayons partis du prisme: [Illustration] Il réunit, comme vous le voyez, ces sept rayons dans son foyer. La couleur de ces sept rayons réunis est blanche; donc il est démontré que la couleur de tous les rayons réunis est la blancheur. Le noir par conséquent sera le corps, qui ne réflechira point de rayons. [Couleurs dans les rayons primitifs.] Car, lorsqu'à l'aide du prisme vous avez séparé un de ces rayons primitifs, exposez-le à un miroir, à un verre ardent, à un autre prisme, jamais il ne changera de couleur, jamais il ne se séparera en d'autres rayons. Porter en soi une telle couleur est son essence, rien ne peut plus l'altérer; & pour surabondance de preuve, prenez des fils de soye de différentes couleurs; exposez un fil de soye bleue, par exemple, au rayon rouge, cette soye deviendra rouge. Mettez-la au rayon jaune, elle deviendra jaune: ainsi du reste. Enfin ni réfraction, ni réflexion, ni aucun moyen imaginable, ne peut changer ce rayon primitif, semblable à l'or que le creuset a éprouvé, & encore plus inaltérable. [Vaines objections contre ces découvertes.] Cette propriété de la lumiere, cette inégalité dans les réfractions de ses rayons, est appellée par Neuton réfrangibilité. On s'est d'abord révolté contre le fait, & on l'a nié long-tems, parce que Mr. Mariote avoit manqué en France les expériences de Neuton. On aima mieux dire que Neuton s'étoit vanté d'avoir vu ce qu'il n'avoit point vu, que de penser que Mariote ne s'y étoit pas bien pris pour voir, & qu'il n'avoit pas été assez heureux dans le choix des prismes qu'il employa. Ensuite même, lorsque ces expériences ont été bien faites, & que la vérité s'est montrée à nos yeux, le préjugé a subsisté encore au point, que dans plusieurs Journaux & dans plusieurs Livres faits depuis l'année 1730. on nie hardiment ces mêmes expériences, que cependant on fait dans toute l'Europe. C'est ainsi qu'après la découverte de la circulation du sang, on soutenoit encore des Thèses contre cette vérité, & qu'on vouloit même rendre ridicules ceux qui expliquoient la découverte nouvelle en les appelant _Circulateurs_. Enfin, quand on a été obligé de céder à l'évidence, on ne s'est pas rendu encore: on a vu le fait, & on a chicané sur l'expression: on s'est révolté contre le terme de réfrangibilité, aussi-bien que contre celui d'attraction, de gravitation. Eh qu'importe le terme, pourvû qu'il indique une vérité? Quand Christofle Colomb découvrit l'isle Hispaniola, ne pouvoit-il pas lui imposer le nom qu'il vouloit? Et n'appartient-il pas aux Inventeurs de nommer ce qu'ils créent, ou ce qu'ils découvrent? On s'est récrié, on a écrit, contre des mots que Neuton employe avec la précaution la plus sage pour prévenir des erreurs. [Critiques encore plus vaines.] Il appelle ces rayons, rouges, jaunes, &c. des rayons _rubrifiques_, _jaunifiques_, c'est-à-dire, excitant la sensation de rouge, de jaune. Il vouloit par-là fermer la bouche à quiconque auroit l'ignorance, ou la mauvaise foi, de lui imputer qu'il croioit comme Aristote, que les couleurs sont dans les choses mêmes, dans ces rayons jaunes & rouges, & non dans notre ame. Il avoit raison de craindre cette accusation. J'ai trouvé des hommes, d'ailleurs respectables, qui m'ont assûré que Neuton étoit Péripatéticien, qu'il pensoit que les rayons sont colorez en effet eux-mêmes, comme on pensoit autrefois que le feu étoit chaud; mais ces mêmes Critiques m'ont assûré aussi que Neuton étoit Athée. Il est vrai qu'ils n'avoient pas lu son Livre, mais ils en avoient entendu parler à des gens qui avoient écrit contre ses expériences, sans les avoir vues. Ce qu'on écrivit d'abord de plus doux contre Neuton, c'est que son Systême est une Hypothèse; mais qu'est-ce qu'une hypothèse? Une supposition. En vérité, peut-on appeller du nom de supposition, des faits tant de fois démontrez? Est-ce par amour propre qu'on veut absolument avoir l'honneur d'écrire contre un grand Homme? Mais ne devroit-on pas être plus flatté d'en être le Disciple, que l'Adversaire? Est-ce parce qu'on est né en France qu'on rougit de recevoir la vérité des mains d'un Anglais? Ce sentiment seroit bien indigne d'un Philosophe. Il n'y a, pour quiconque pense, ni Français, ni Anglais: celui qui nous instruit est notre compatriote. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE NEUV. _Où l'on indique la cause de la réfrangibilité, & où l'on trouve par cette cause, qu'il y a des Corps indivisibles en Physique._ [Différences entre les rayons de la lumiere.] CETTE réfrangibilité, que nous venons de voir, étant attachée à la réfraction, doit avoir sa source dans le même principe. La même cause doit présider au jeu de tous ces ressorts: c'est-là l'ordre de la Nature. Tous les Végétaux se nourrissent par les mêmes loix; tous les Animaux ont les mêmes principes de vie. Quelque chose qui arrive aux corps en mouvement, les loix du mouvement sont invariables. Nous avons déja vu que la réflection, la réfraction, l'inflexion de la lumiere, sont les effets d'un pouvoir qui n'est point l'impulsion (au moins connue): ce même pouvoir se fait sentir dans la réfrangibilité; ces rayons, qui s'écartent à des distances différentes, nous avertissent que le milieu, dans lequel ils passent, agit sur eux inégalement. Un faisceau de rayons est attiré dans le verre, mais ce faisceau de rayons est composé de masses inégales. Ces masses obéïssent donc inégalement à ce pouvoir par lequel le milieu agit sur elles. Le trait de lumiere le plus solide, le plus compact, doit résister le plus à ce pouvoir, doit être moins détourné de sa route, doit être le moins réfrangible. C'est ce que l'expérience confirme dans tous les milieux, & dans tous les cas. Le rayon rouge est toujours celui qui se détourne le moins de son chemin; le rayon violet est toujours celui qui s'en détourne le plus. Aussi le rayon rouge a-t-il le plus de substance, est-il le plus dur, le plus brillant, & fatigue-t-il la vûe davantage. Le violet qui de tous les rayons colorez repose le plus la vûe est le plus réfrangible, & par conséquent est composé de parties plus fines & moins gravitantes; & ne croyez pas que ce soit ici une simple conjecture, & qu'on devine au hazard, que la lumiere a de la pesanteur, & qu'un rayon pese plus qu'un autre. [La lumiere est pesante.] Des expériences, faites par les mains les plus exercées & les plus habiles, nous apprennent que plusieurs corps acquiérent du poids après avoir été long-tems imbibez de lumiere. Les particules de feu qui ont pénétré leur substance l'ont augmentée. Mais quand on révoqueroit en doute ces expériences, le feu est une matiere; donc il pese, & la lumiere n'est autre chose que du feu. Il est évident qu'un rayon blanc pese tous les rayons qui le composent. Or supposez, un moment, que ces rayons s'écartent tous également l'un de l'autre, alors il est évident, en ce cas, que le rayon rouge, étant sept fois moins réfrangible que le rayon violet, doit avoir sept fois plus de masse, & sept fois plus de poids, que le rayon violet. Ainsi le rayon rouge pesant comme sept; l'orangé supposé ici, comme six: le jaune supposé, comme cinq: le verd, comme quatre: le bleu, comme trois: le pourpre indigo, comme deux, & le violet, comme un: la somme de tous ces poids étant vingt-huit, & le blanc étant l'assemblage de tous ces poids, il est démontré qu'un rayon blanc, dans la supposition de ce calcul, pese vingt-huit fois autant qu'un rayon violet; &, quel que soit le calcul, il est évident que le rayon blanc pese beaucoup plus qu'aucun autre rayon, puisqu'il les pese tous ensemble. Nous avons déja vu quelle doit être la petitesse prodigieuse de ces rayons de lumiere, contenant en eux toutes les couleurs, qui viennent du Soleil pénétrer un pore de diamant. Une foule de rayons passe dans ce pore, & vient se réunir près de la surface intérieure d'une facette. De cette foule de traits de lumiere qui occupe un si petit espace, il n'y en a aucun qui ne contienne sept traits primordiaux. Chacun de ces traits est encore lui-même un faisceau de traits teints de sa couleur. Le rayon rouge est un assemblage d'un très-grand nombre de rayons rouges. Le violet est un assemblage de rayons violets. Si donc ce faisceau violet pese vingt-huit fois moins qu'un faisceau blanc, que sera-ce qu'un seul des traits de ce faisceau? [Atomes dont la lumiere est composée.] [Les principes des corps sont des atomes.] Considérons un de ces traits simples, qui différe d'un autre trait: par exemple, le plus mince trait rouge différe en tout du plus mince trait violet. Il faut que ses parties solides soient autant d'atomes parfaitement durs, lesquels composent son être. En effet, si les corps n'étoient pas composés de parties solides, dures, indivisibles, de véritables atomes: comment les espèces des corps pourroient-elles rester éternellement les mêmes? Qui mettroit entre elles une différence si constante? Ne faut-il pas que les parties qui font leur essence, soient assez dures, assez solides, assez unes, pour être toujours ce qu'elles sont? Car comment est-ce que dans le germe d'un grain de bled seroient contenus tant de grains de bled, & rien autre chose, si la configuration des petites parties n'étoit pas toujours la même, si elle n'étoit pas toujours solide, indivisible: ce qui ne veut dire autre chose que toujours indivisée? Dans l'œuf d'une mouche se trouvent des mouches à l'infini; mais si ces petites parties qui contiennent tant de mouches n'étoient pas parfaitement dures, elles se briseroient certainement l'une contre l'autre, par le mouvement rapide où tout est dans la Nature. Elles se briseroient d'autant plus, que les petits corps ont plus de surface par rapport à leur grosseur. Cependant cet inconvénient n'arrive point: l'œuf d'une mouche produit toujours les mouches qu'il contenoit; chaque semence, depuis l'Or jusques au grain de moutarde, reste éternellement la même. Donc il est à croire que chaque semence des choses est composée d'atomes toujours indivisés, qui font la substance de chaque chose: mais ce n'est pas assez d'indiquer cette grande Vérité à laquelle l'observation des rayons de la lumiere nous a conduits: il la faut démontrer: il faut prouver en rigueur qu'il y a nécessairement des atomes physiquement indivisibles; & c'est ce que nous allons faire voir dans le Chapitre suivant. [Illustration] CHAPITRE DIXIE'ME. _Preuves qu'il y a des atomes indivisibles, & que les parties simples de la lumiere sont de ces atomes. Suite des découvertes._ [Preuve qu'il y a des atomes.] VOUS avez déja compris quelle est l'extrême porosité de tous les corps. L'eau même qui n'est que dix-neuf fois moins pesante que l'or, passe pourtant entre les pores de l'or même, le plus solide des Métaux. Il n'y a aucun corps qui n'ait incomparablement plus de pores que de matiere: mais supposons un cube qui même, si l'on veut, ait autant de matiere apparente que de pores: par cette supposition il n'aura donc réellement que la moitié de la matiere qu'il parait avoir; mais chaque partie de ce corps étant dans le même cas, & perdant ainsi la moitié d'elle-même, ce cube ne sera donc par cette deuxième opération que le quart de lui-même; il n'y aura donc dans lui que le quart de la matiere qui semble y être. Divisez ainsi chaque partie de chaque partie; restera le huitième de matiere. Continuez toujours cette progression jusqu'à l'infini, & faites passer votre division par tous les ordres d'infini; la fin de la progression des pores sera donc l'infini, & la fin de la diminution de la matiere sera _zero_. Donc si l'on pouvoit physiquement diviser la matiere à l'infini, il se trouveroit qu'il n'y auroit que des pores & point de matiere. Donc la matiere, telle qu'elle est, n'est pas réellement physiquement divisible à l'infini: Donc il est démontré qu'il y a des atomes indivisibles, c'est-à-dire, des atomes qui ne seront jamais divisés, tant que durera la constitution présente du Monde. Présentons cette démonstration d'une maniere encore plus palpable. Je suis arrivé par ma division aux deux derniers pores: il y a entre eux un corps, ou non: s'il n'y en a point, il n'y avoit donc point de matiere; s'il y en a, ce corps est donc sans pores. Je dis qu'il est sans pores; puisque je suis arrivé aux derniers pores, cette particule de matiere est donc réellement indivisible. Au reste, que cette proposition ne vous paraisse point contradictoire à la démonstration géométrique, qui vous prouve qu'une ligne est divisible à l'infini. [La divisibilité de la matiere n'empêche point qu'il n'y ait des atomes.] Ces deux proportions qui semblent se détruire l'une l'autre, s'accordent très-bien ensemble. La Géométrie a pour objet les idées de notre esprit. Une ligne géométrique est une ligne en idée, toujours divisible en idée, comme une unité numérique est toujours réductible en autant d'unités qu'il me plaira d'en concevoir. Je puis diviser l'unité d'un pied, en cent milles milliasses d'autres unités; mais ensuite je pourrai toujours considerer ce pied comme une unité[*]. [*] Mr. de Malesieu, dans la Géométrie de Mr. le Duc de Bourgogne, n'a pas fait assez d'attention à cette vérité, p. 117. Il trouve de la contradiction où il n'y en a point. Il demande, comme une question insoluble, si un pied de matiere est une substance ou plusieurs? C'est une substance certainement, quand on le considére comme un pied cube. Ce sont dix-sept cens vingt-huit substances, quand on le divise en pouces. Les points sans ligne, les lignes sans surfaces, les surfaces sans solides, l'infini 1., l'infini 2., l'infini 3., sont en effet les objets de propositions certaines de la Géométrie; mais il est également certain que la Nature ne peut produire des surfaces, des lignes, des points sans solides. De même il est indubitable qu'une ligne en Géométrie est divisible à l'infini; & il est indubitable qu'il y a dans la Nature des corps indivisibles, c'est-à-dire, des corps indivisés, des corps qui resteront tels, tant que la constitution présente des choses subsistera. Tenons donc pour certain qu'il y a des atomes. Chaque partie constituante d'un rayon simple coloré, peut être considérée comme un atome; chacun de ces atomes est pesant, c'est sa différente attraction qui fait sa différente réfrangibilité. Songeons que ces atomes les plus réfrangibles sont aussi les plus réflexibles, & qu'enfin puisqu'ils sont réfrangibles à raison de leur attraction vers le milieu le plus agissant, il faut bien qu'ils réflechissent aussi en raison de cette attraction. Maintenant il est aisé de connaitre que le rayon violet, par exemple, qui est le plus réfrangible, est toujours le premier qui se réflechit en sortant du prisme qui a reçu tous les rayons. Mr. Neuton a fait cette expérience à l'aide de quatre prismes avec une sagacité & une industrie dignes de l'inventeur de tant de vérités. Je donnerai ici la plus simple de ces expériences. [Illustration] [Expérience importante.] Ce prisme a envoyé sur ce papier ces sept couleurs: tournez ce prisme sur lui-même dans le sens A, B, C. vous aurez bien-tôt cet angle selon lequel toute lumiere se réflechira de dedans ce prisme au dehors, au lieu de passer sur ce papier; si-tôt que vous commencez à approcher de cet angle, voilà tout d'un coup le rayon violet qui se détache de ce papier, & que vous voyez se porter au Plat-fond de la chambre. Après le violet, vient le pourpre; après le pourpre, le bleu; enfin le rouge quitte le dernier ce papier où il est peint, pour venir à son tour se réflechir sur le Plat-fond. Donc tout rayon est plus réflexible à mesure qu'il est plus réfrangible; donc la même cause opére la réflexion & la réfrangibilité. Or la partie solide du verre ne fait ni cette réfrangibilité, ni cette réflexion; donc encore une fois ces proprietés ont leur naissance dans une autre cause que dans l'impulsion connue sur la Terre. Il n'y a rien à dire contre ces expériences, il faut s'y soumettre, quelque rebelle que l'on soit à l'évidence. [Objection.] On pourroit tirer des expériences même de Neuton de quoi faire quelques difficultés contre les loix qu'il établit. On pourroit lui dire, par exemple: Vous nous avez prouvé que l'impulsion d'aucun corps connu ne peut opérer le brisement de la lumiere, ni sa réflexion, puisqu'elle se brise dans des pores & se réflechit dans du vuide: Vous nous avez dit qu'il y a un pouvoir dans la Nature qui fait tendre tous les corps les uns vers les autres, & en attendant que vous nous montriez, comme vous nous l'avez promis, les loix de ce pouvoir, nous concevons qu'en effet sa puissance doit agir sur toute la matiere, & que le plus petit des corps imaginables doit être soumis à cette puissance de même que le plus grand de tous les corps possibles: Vous nous avez dit qu'une des loix de ce pouvoir est d'agir sur tous les corps, selon leurs masses, & nous avouons que cela est bien vraisemblable; mais par vos propres expériences ne démentez-vous pas ce Systême? L'eau a beaucoup plus de masse que l'esprit de vin, que l'esprit de térébenthine: cependant elle attire moins un rayon de lumiere, la réfraction se fait moindre dans l'eau que dans l'esprit de vin; donc ce pouvoir de gravitation, d'attraction, n'agit pas comme vous le dites, selon la masse. [Réponse. Pourquoi les fluides moins pesants que l'eau attirent plus la lumiere.] Cette objection loin d'ébranler la vérité des découvertes nouvelles, la confirme en effet. Pour la résoudre clairement, considérons que tous les corps tendent vers le centre de la Terre, que tous tombent dans l'air avec une force proportionnée à leur masse; mais que si outre cette force on leur en applique encore une autre, ils iront plus vîte qu'ils n'auroient été par leur propre poids. Tel est le cas des rayons de la lumiere entrant dans des corps déja remplis de particules inflammables, lesquelles ne sont que la lumiere elle-même retenue dans leurs pores. Ces atomes de feu qui résident en effet dans certains corps sulphureux & transparens, augmentent la réfraction de la lumiere vers la ligne perpendiculaire, comme une nouvelle force qui lui est appliquée: il arrive alors ce qui arrive à un flambeau qui vient d'être éteint, & qui fume encore; il se rallume dès qu'il est à une certaine distance d'un autre flambeau allumé. Il est tout naturel que les rayons de lumiere entrent aisément dans l'esprit sulphureux de térébenthine, comme la flamme dans la méche fumante d'un flambeau éteint; or une nouvelle cause jointe à la réfraction augmente nécessairement la réfraction. De plus, la réaction est toujours égale à l'action: les corps sulphureux sont ceux sur lesquels le feu, qui n'est que la lumiere, agit davantage; donc ils doivent agir aussi plus que les autres corps sur la lumiere, la briser, la réfracter davantage. [L'attraction n'entre pas dans tous les effets de la lumiere.] Remarquons sur-tout ici que cette attraction inhérente dans la matiere ne s'étend pas à tout, n'opére pas tous les effets. Le mystère de la lumiere réflechie du milieu des pores, & de dessus les surfaces, sans toucher aux surfaces, a des profondeurs que les loix de l'attraction ne peuvent sonder: il n'y a qu'un Charlatan, qui se vante d'avoir un remede universel, & ce seroit être Charlatan en Philosophie que de rapporter tout, sans preuve, à la même cause; cette même force d'esprit qui a fait découvrir à Neuton le pouvoir de l'attraction, lui a fait avouer que ce pouvoir est bien loin d'être l'unique Agent de la Nature. Il est bien vrai que le rayon le plus réfrangible étant le plus réflexible, c'est une preuve évidente que la même puissance opére la réflexion, la réfraction, & l'accélération de la chûte des rayons dans ce verre, &c.; mais enfin la force de l'attraction semble n'avoir rien de commun avec d'autres phénomênes. Il y a sur-tout des vibrations de rayons, des jets alternatifs de la lumiere allant & venant sur les corps, que la gravitation n'expliqueroit pas; mais ces nouvelles difficultés, c'est Neuton lui-même qui les a créées. Non-seulement il a découvert des mystères que la gravitation développe; mais il en a trouvé qu'elle ne développe pas. Ces jets alternatifs de la réflexion de la lumiere sont un de ces Secrets de la Nature, dont il est bien étonnant que les yeux humains ayent pu s'appercevoir. Nous parlerons de cette singularité en son lieu dans le Chapitre treizième; continuons à voir les effets de la réfrangibilité. L'Arc-en-Ciel est un de ces effets, & le plus considérable, nous allons l'expliquer dans le Chapitre qui suit. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE ONZIE'ME. _De l'Arc-en-Ciel; que ce Météore est une suite nécessaire des loix de la réfrangibilité._ [Mécanisme de l'Arc-en-Ciel inconnu à toute l'Antiquité.] L'Arc-en-Ciel, ou l'Iris, est une suite nécessaire des proprietés de la lumiere que nous venons d'observer. Nous n'avons rien, dans les Ecrits des Grecs, ni des Romains, ni des Arabes, qui puisse faire penser qu'ils connussent les raisons de ce phénomêne. Lucrèce n'en dit rien, & par toutes les absurdités qu'il débite au nom d'Epicure sur la lumiere & sur la vision, il parait que son Siècle, si poli d'ailleurs, étoit plongé dans une profonde ignorance en fait de Physique. On savoit qu'il faut qu'une nuée épaisse se résolvant en pluye, soit exposée aux rayons du Soleil, & que nos yeux se trouvent entre l'Astre & la nuée pour voir ce qu'on appelloit l'Iris, _mille trahit varios adverso sole colores_, mais voilà tout ce qu'on savoit; personne n'imaginoit ni pourquoi une nuée donne des couleurs, ni comment la nature & l'ordre de ces couleurs sont déterminés, ni pourquoi il y a deux Arcs-en-Ciel l'un sur l'autre, ni pourquoi on voit toujours ce phénomêne sous la figure d'un demi-cercle. [Ignorance d'Albert le Grand.] Albert qu'on a surnommé _le Grand_, parce qu'il vivoit dans un Siècle où les hommes étoient bien petits, imagina que les couleurs de l'Arc-en-Ciel venoient d'une rosée qui est entre nous & la nuée, & que ces couleurs reçues sur la nuée, nous étoient envoyées par elle. Vous remarquerez encore que cet _Albert le Grand_, croioit avec toute l'Ecole que la lumiere étoit un accident. [L'Archevêque _Antonio de Dominis_ est le premier qui ait expliqué l'Arc-en-Ciel.] Enfin le célèbre _Antonio de Dominis_ Archevêque de Spalatro en Dalmatie, chassé de son Evêché par l'Inquisition, écrivit vers l'an 1590. son petit Traité _De radiis Lucis & de Iride_, qui ne fut imprimé à Venise que vingt ans après. Il fut le premier qui fit voir que les rayons du Soleil réflechis de l'intérieur même des goûtes de pluye, formoient cette peinture qui parait en Arc, & qui sembloit un miracle inexplicable; il rendit le miracle naturel, ou plutôt il l'expliqua par de nouveaux prodiges de la Nature. Sa découverte étoit d'autant plus singuliére, qu'il n'avoit d'ailleurs que des notions très-fausses de la maniere dont se fait la vision. Il assûre dans son Livre que les images des objets sont dans la prunelle, & qu'il ne se fait point de réfraction dans nos yeux: chose assez singuliére pour un bon Philosophe! Il avoit découvert les réfractions alors inconnues dans les goûtes de l'Arc-en-Ciel, & il nioit celles qui se font dans les humeurs de l'œil, qui commençoient à être démontrées; mais laissons ses erreurs pour examiner la vérité qu'il a trouvée. [Son expérience.] Il vit avec une sagacité alors bien peu commune, que chaque rangée, chaque bande de goûtes de pluye qui forme l'Arc-en-Ciel, devoit renvoyer des rayons de lumiere sous différens angles: il vit que la différence de ces angles devoit faire celle des couleurs: il sut mesurer la grandeur de ces angles: il prit une boule d'un crystal bien transparent qu'il remplit d'eau; il la suspendit à une certaine hauteur exposée aux rayons du Soleil. [Imitée par Descartes.] Descartes qui a suivi Antonio de Dominis, qui l'a rectifié & surpassé en quelque chose, & qui peut-être auroit du le citer, fit aussi la même expérience. Quand cette boule est suspendue à telle hauteur que le rayon de lumiere, qui donne du Soleil sur la boule, fait ainsi avec le rayon allant de la boule à l'œil un angle de quarante-deux degrez deux ou trois minutes, cette boule donne toujours une couleur rouge. [Illustration] Quand cette boule est suspendue un peu plus bas, & que ces angles sont plus petits, les autres couleurs de l'Arc-en-Ciel paraissent successivement de façon, que le plus grand angle, en ce cas, fait le rouge, & que le plus petit angle de 40 degrez 17 minutes forme le violet. C'est-là le fondement de la connaissance de l'Arc-en-Ciel; mais ce n'en est encore que le fondement. [La réfrangibilité unique raison de l'Arc-en-Ciel.] La réfrangibilité seule rend raison de ce phénomêne si ordinaire, si peu connu, & dont très-peu de Commençans ont une idée nette; tâchons de rendre la chose sensible à tout le monde. Suspendons une boule de crystal pleine d'eau, exposée au Soleil: plaçons-nous entre le Soleil & elle; pourquoi cette boule m'envoye-t-elle des couleurs? & pourquoi certaines couleurs? Des masses de lumiere, des millions de faisceaux, tombent du Soleil sur cette boule: dans chacun de ces faisceaux il y a des traits primitifs, des rayons homogênes, plusieurs rouges, plusieurs jaunes, plusieurs verds, &c. tous se brisent à leur incidence dans la boule, chacun d'eux se brise différemment & selon l'espèce dont il est, & selon l'endroit dans lequel il entre. Vous savez déja que les rayons rouges sont les moins réfrangibles; les rayons rouges d'un certain faisceau déterminé iront donc se réunir dans un certain point déterminé au fond de la boule, tandis que les rayons bleus & pourpres du même faisceau iront ailleurs. Ces rayons rouges sortiront aussi de la boule en un endroit, & les verds, les bleus, les pourpres en un autre endroit. Ce n'est pas assez. Il faut examiner les points, où tombent ces rayons rouges en entrant dans cette boule & en sortant pour venir à votre œil. Pour donner à ceci tout le degré de clarté nécessaire, concevons cette boule telle qu'elle est en effet, un assemblage d'une infinité de surfaces planes; car le cercle étant composé d'une infinité de droites infiniment petites, la boule n'est qu'une infinité de surfaces. [Illustration] Des rayons rouges A, B, C. viennent parallèles du Soleil sur ces trois petites surfaces. N'est-il pas vrai que chacun se brise selon son degré d'incidence? N'est-il pas manifeste que le rayon rouge A. tombe plus obliquement sur sa petite surface, que le rayon rouge B. ne tombe sur la sienne? Ainsi tous deux viennent au point R. par différens chemins. Le rayon rouge C. tombant sur sa petite surface encore moins obliquement se rompt bien moins, & arrive aussi au point R. en ne se brisant que très-peu. [Explication de ce phénomêne.] J'ai donc déja trois rayons rouges, c'est-à-dire, trois faisceaux de rayons rouges, qui aboutissent au même point R. A ce point R. chacun fait un angle de réflexion égal à son angle d'incidence, chacun se brise à son émergence de la boule, en s'éloignant de la perpendiculaire de la nouvelle petite surface qu'il rencontre, de même que chacun s'est rompu à son incidence en s'approchant de sa perpendicule; donc tous reviennent parallèles, donc tous entrent dans l'œil, selon l'ouverture de l'angle propre aux rayons rouges. S'il y a une quantité suffisante de ces traits homogênes rouges pour ébranler le nerf optique, il est incontestable que vous ne devez avoir que la sensation de rouge. Ce sont ces rayons A, B, C. qu'on nomme rayons visibles, rayons efficaces de cette goûte; car chaque goûte a ses rayons visibles. Il y a des milliers d'autres rayons rouges, qui, venant sur d'autres petites surfaces de la boule, plus haut & plus bas, n'aboutissent point en R, ou qui, tombés en ces mêmes surfaces à une autre obliquité, n'aboutissent point non plus en R.; ceux-là sont perdus pour vous, ils viendront à un autre œil placé plus haut, ou plus bas. Des milliers de rayons orangés, verds, bleus, violets, sont venus à la vérité avec les rouges visibles sur ces surfaces A, B, C.; mais vous ne pourrez les recevoir. Vous en savez la raison, c'est qu'ils sont tous plus réfrangibles que les rouges: c'est qu'en entrant tous au même point, chacun prend dans la boule un chemin différent; tous rompus davantage, ils viennent au-dessous du point R., ils se rompent aussi plus que les rouges en sortant de la boule. Ce même pouvoir qui les approchoit plus du perpendicule de chaque surface dans l'intérieur de la boule, les en écarte donc davantage à leur retour dans l'air: ils reviennent donc tous au-dessous de votre œil; mais baissez la boule, vous rendez l'angle plus petit. Que cet angle soit de quarante degrez environ dix-sept minutes, vous ne recevez que les objets violets. Il n'y a personne qui sur ce principe ne conçoive très-aisément l'artifice de l'Arc-en-Ciel; imaginez plusieurs rangées, plusieurs bandes de goûtes de pluye, chaque goûte fait précisément le même effet que cette boule. Jettez les yeux sur cet Arc, &, pour éviter la confusion, ne considerez que trois rangées de goûtes de pluye, trois bandes colorées. [Illustration] Il est visible que l'angle P, O, L. est plus petit que l'angle V, O, L., & que l'angle R, O, L. est le plus grand des trois. Ce plus grand angle des trois est donc celui des rayons primitifs rouges: cet autre mitoyen est celui des primitifs verds; ce plus petit P, O, L. est celui des primitifs pourpres. Donc vous devez voir l'Iris rouge dans son bord extérieur, verte dans son milieu, pourpre & violette dans sa bande intérieure. Remarquez seulement que la derniére couche violette est toujours teinte de la couleur blanchâtre de la nuée dans laquelle elle se perd. Vous concevez donc aisément que vous ne voyez ces goûtes que sous les rayons efficaces parvenus à vos yeux après une réflexion & deux réfractions, & parvenus sous des angles déterminés. Que votre œil change de place, qu'au lieu d'être en O. il soit en T. ce ne sont plus les mêmes rayons que vous voyez: la bande qui vous donnoit du rouge vous donne alors de l'orangé, ou du verd, ainsi du reste; & à chaque mouvement de tête vous voyez une Iris nouvelle. Ce premier Arc-en-Ciel bien conçu, vous aurez aisément l'intelligence du second que l'on voit d'ordinaire qui embrasse ce premier, & qu'on appelle le faux Arc-en-Ciel, parce que ses couleurs sont moins vives, & qu'elles sont dans un ordre renversé. [Les deux Arcs-en-Ciel.] Pour que vous puissiez voir deux Arcs-en-Ciel, il suffit que la nuée soit assez étendue & assez épaisse. Cet Arc, qui se peint sur le premier & qui l'embrasse, est formé de même par des rayons que le Soleil darde dans ces goûtes de pluye, qui s'y rompent, qui s'y réflechissent de façon, que chaque rangée des goûtes vous envoye aussi des rayons primitifs; cette goûte un rayon rouge, cette autre goûte un rayon violet. Mais tout se fait dans ce grand Arc d'une maniere opposée à ce qui se passe dans le petit; pourquoi cela? C'est que votre œil qui reçoit les rayons efficaces du petit Arc venus du Soleil dans la partie supérieure des goûtes, reçoit au contraire les rayons du grand Arc venus par la partie basse des goûtes. [Illustration] Vous appercevez que les goûtes d'eau du petit Arc reçoivent les rayons du Soleil par la partie supérieure, par le haut de chaque goûte; les goûtes du grand Arc-en-Ciel au contraire reçoivent les rayons qui parviennent par leur partie basse. Rien ne vous sera, je crois, plus facile que de concevoir comment les rayons se réflechissent deux fois dans les goûtes de ce grand Arc-en-Ciel, & comment ces rayons deux fois réfractés, & deux fois réflechis, vous donnent une Iris dans un ordre opposé à la premiere, & plus affaiblie de couleur. Vous venez de voir que les rayons entrent ainsi dans la petite partie basse des goûtes d'eau de cette Iris extérieure. [Illustration] Une masse de rayons se présente à la surface de la goûte en G. là une partie de ces rayons se réfracte en dedans, & une autre s'éparpille en dehors; voilà déja une perte de rayons pour l'œil. La partie réfractée parvient en H. une moitié de cette partie s'échappe dans l'air en sortant de la goûte, & est encore perdue pour vous. Le peu qui s'est conservé dans la goûte, s'en va en K. là une partie s'échappe encore: troisième diminution. Ce qui en est resté en K. s'en va en M. & à cette émergence en M., une partie s'éparpille encore: quatrième diminution; & ce qui en reste parvient enfin dans la ligne M, N. Voilà donc dans cette goûte autant de réfractions que dans les goûtes du petit Arc; mais il y a comme vous voyez deux réflexions au lieu d'une dans ce grand Arc. Il se perd donc le double de la lumiere dans ce grand Arc où la lumiere se réflechit deux fois, & il s'en perd la moitié moins dans le petit Arc intérieur, où les goûtes n'éprouvent qu'une réflexion. Il est donc démontré que l'Arc-en-Ciel extérieur doit toujours être de moitié plus faible en couleur que le petit Arc intérieur. Il est aussi démontré par ce double chemin que font les rayons, qu'ils doivent parvenir à vos yeux dans un sens opposé à celui du premier Arc, car votre œil est placé en O. Dans cette place O. il reçoit les rayons les moins réfrangibles de la premiere bande extérieure du petit Arc, & il doit recevoir les plus réfrangibles de la premiere bande extérieure de ce second Arc; ces plus réfrangibles sont les violets. Voici donc les deux Arcs-en-Ciel ici dans leur ordre, en ne mettant que trois couleurs pour éviter la confusion. [Illustration] [Ce phénomêne vu toujours en demi-cercle.] Il ne reste plus qu'à voir pourquoi ces couleurs sont toujours apperçues sous une figure circulaire. Considérez cette ligne O, Z. qui passe par votre œil. Soient conçues se mouvoir ces deux boules toujours à égale distance de votre œil, elles décriront des bases de cones, dont la pointe sera toujours dans votre œil. [Illustration] Concevez que le rayon de cette goûte d'eau R. venant à votre œil O. tourne autour de cette ligne O, Z. comme autour d'un axe, faisant toujours, par exemple, un angle avec votre œil de 42 degrez deux minutes; il est clair que cette goûte décrira un cercle qui vous paraitra rouge. Que cette autre goûte V. soit conçue tourner de même, faisant toujours un autre angle de quarante degrez dix-sept minutes, elle formera un cercle violet; toutes les goûtes qui seront dans ce plan formeront donc un cercle violet, & les goûtes qui sont dans le plan de la goûte R. feront un cercle rouge. Vous verrez donc cette Iris comme un cercle, mais vous ne voyez pas tout un cercle; parce que la Terre le coupe, vous ne voyez qu'un Arc, une portion de cercle. La plûpart de ces vérités ne purent encore être apperçues ni par Antonio de Dominis, ni par Descartes: ils ne pouvoient savoir pourquoi ces différens angles donnoient différentes couleurs; mais c'étoit beaucoup d'avoir trouvé l'Art. Les finesses de l'Art sont rarement dues aux premiers inventeurs. Ne pouvant donc deviner que les couleurs dépendoient de la réfrangibilité des rayons, que chaque rayon contenoit en soi une couleur primitive, que la différente attraction de ces rayons faisoit leur réfrangibilité, & opéroit ces écartemens qui font les différens angles, Descartes s'abandonna à son esprit d'invention pour expliquer les couleurs de l'Arc-en-Ciel. Il y employa le _tournoyement_ imaginaire de ces globules & _cette tendance au tournoyement_; preuve de génie, mais preuve d'erreur. C'est ainsi que pour expliquer la _systole_ & la _diastole_ du cœur, il imagina un mouvement & une conformation dans ce viscère, dont tous les Anatomistes ont reconnu la fausseté. Descartes auroit été le plus grand Philosophe de la Terre, s'il eût moins inventé. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE DOUZE. _Nouvelles découvertes sur la cause des couleurs qui confirment la doctrine précédente. Démonstration que les couleurs sont occasionnées par l'épaisseur des parties qui composent les corps._ PAr tout ce qui a été dit jusqu'à présent il résulte donc, que toutes les couleurs nous viennent du mêlange des sept couleurs primordiales que l'Arc-en-Ciel & le prisme nous font voir distinctement. Les corps les plus propres à réflechir des rayons rouges, & dont les parties absorbent ou laissent passer les autres rayons, seront rouges, & ainsi du reste. Cela ne veut pas dire que les parties de ces corps réflechissent en effet les rayons rouges; mais qu'il y a un pouvoir, une force jusqu'ici inconnue, qui réflechit ces rayons d'auprès des surfaces & du sein des pores des corps. [Connaissance plus approfondie de la formation des couleurs.] Les couleurs sont donc dans les rayons du Soleil, & rejaillissent à nous d'auprès des surfaces, & des pores & du vuide. Cherchons à présent en quoi consiste le pouvoir apparent des corps de nous réflechir ces couleurs, ce qui fait que l'écarlate parait rouge, que les Prés sont verds, qu'un Ciel pur est bleu; car dire que cela vient de la différence de leurs parties, c'est dire une chose vague qui n'apprend rien du tout. [Grandes vérités tirées d'une expérience commune.] Un divertissement d'enfant, qui semble n'avoir rien en soi que de méprisable, donna à Mr. Neuton la premiere idée de ces nouvelles vérités que nous allons expliquer. Tout doit être pour un Philosophe un sujet de méditation, & rien n'est petit à ses yeux. Il s'apperçut que dans ces bouteilles de Savon que font les Enfants, les couleurs changent de moment en moment, en comptant du haut de la boule à mesure que l'épaisseur de cette boule diminue, jusqu'à ce qu'enfin la pesanteur de l'eau & du savon qui tombe toujours au fond, rompe l'équilibre de cette sphére legére, & la fasse évanouïr. Il en présuma que les couleurs pourroient bien dépendre de l'épaisseur des parties qui composent les surfaces des corps, & pour s'en assûrer il fit les expériences suivantes. [Expérience de Neuton.] Que deux crystaux se touchent en un point: il n'importe qu'ils soient tous deux convexes; il suffit que le premier le soit, & qu'il soit posé sur l'autre en cette façon. [Illustration] [Les couleurs dépendent de l'épaisseur des parties des corps, sans que ces parties réfléchissent elles-mêmes la lumiere.] Qu'on mette de l'eau entre ces deux verres pour rendre plus sensible l'expérience qui se fait aussi dans l'air: qu'on presse un peu ces verres l'un contre l'autre, une petite tache noire transparente parait au point du contact des deux verres: de ce point entouré d'un peu d'eau se forment des anneaux colorés dans le même ordre & de la même maniere que dans la bouteille de savon: enfin en mesurant le diamétre de ces anneaux & la convéxité du verre, Neuton détermina les différentes épaisseurs des parties d'eau qui donnoient ces différentes couleurs; il calcula l'épaisseur nécessaire à l'eau pour réflechir les rayons blancs: Cette épaisseur est d'environ quatre parties d'un pouce divisé en un million, c'est-à-dire, quatre millionêmes d'un pouce; le bleu azur & les couleurs tirant sur le violet dépendent d'une épaisseur beaucoup moindre. Ainsi les vapeurs les plus petites qui s'élevent de la Terre, & qui colorent l'air sans nuages, étant d'une très-mince surface, produisent ce bleu céleste qui charme la vûe. D'autres expériences aussi fines ont encore appuyé cette découverte, que c'est à l'épaisseur des surfaces que sont attachées les couleurs. Le même corps qui étoit verd, quand il étoit un peu épais, est devenu bleu, quand il a été rendu assez mince pour ne réflechir que les rayons bleus, & pour laisser passer les autres. Ces vérités d'une recherche si délicate, & qui sembloient se dérober à la vûe humaine, méritent bien d'être suivies de près; cette partie de la Philosophie est un Microscope avec lequel notre esprit découvre des grandeurs infiniment petites. [Tous les corps sont transparens.] Tous les corps sont transparens, il n'y a qu'à les rendre assez minces, pour que les rayons ne trouvant qu'une lame, qu'une feuille à traverser, passent à travers cette lame. Ainsi quand l'Or en feuilles est exposé à un trou dans une chambre obscure, il renvoye par sa surface des rayons jaunes qui ne peuvent se transmettre à travers sa substance, & il transmet dans la chambre obscure des rayons verds, de sorte que l'Or produit alors une couleur verte; nouvelle confirmation que les couleurs dépendent des différentes épaisseurs. [Preuve que les couleurs dépendent des épaisseurs.] Une preuve encore plus forte, c'est que dans l'expérience de ce verre convexe-plan, touchant en un point ce verre convexe, l'eau n'est pas le seul élément qui dans des épaisseurs diverses donne diverses couleurs: l'air fait le même effet, seulement les anneaux colorés qu'il produit entre les deux verres, ont plus de diamétre que ceux de l'eau. Il y a donc une proportion secrete établie par la Nature entre la force des parties constituantes de tous les corps & les rayons primitifs qui colorent les corps; les lames les plus minces donneront les couleurs les plus faibles, & pour donner le noir il faudra justement la même épaisseur, ou plutôt la même ténuité, la même mincité, qu'en a la petite partie supérieure de la boule de savon, dans laquelle on appercevoit un petit point noir, ou bien la même ténuité qu'en a le point de contact du verre convexe & du verre plat, lequel contact produit aussi une tache noire. [Sans que les parties solides renvoyent en effet la lumiere.] Mais encore une fois qu'on ne croye pas que les corps renvoyent la lumiere par leurs parties solides, sur ce que les couleurs dépendent de l'épaisseur des parties: il y a un pouvoir attaché à cette épaisseur, un pouvoir qui agit auprès de la surface; mais ce n'est point du tout la surface solide qui repousse, qui réflechit. Cette vérité sera encore plus visiblement démontrée dans le chapitre suivant qu'elle n'a été prouvée jusqu'ici. Il me semble que le Lecteur doit être venu au point où rien ne doit plus le surprendre; mais ce qu'il vient de voir mene encore plus loin qu'on ne pense, & tant de singularités ne sont, pour ainsi dire, que les frontiéres d'un Nouveau Monde. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE TREIZE. _Suites de ces découvertes; Action mutuelle des Corps sur la lumiere._ LA réflexion de la lumiere, son infléxion, sa réfraction, sa réfrangibilité, étant connues, l'origine des couleurs étant découverte, & l'épaisseur même des corps nécessaire pour occasionner certaines couleurs étant déterminée: il nous reste encore à examiner deux propriétés de la lumiere non moins étonnantes & non moins nouvelles. La premiere de ces propriétés est ce pouvoir même qui agit près des surfaces, c'est une action mutuelle de la lumiere sur les corps, & des corps sur la lumiere. La seconde est un rapport qui se trouve entre les couleurs & les tons de la Musique, entre les Objets de la vûe & ceux de l'ouïe; nous allons rendre compte de ces deux espèces de miracles, & c'est par-là que nous finirons cette petite introduction à l'Optique de Neuton. [Expérience très-singuliére.] Vous avez vu que ces deux crystaux se touchant en un point, produisent des anneaux de couleurs différentes, rouges, bleus, verds, blancs, &c. Faites cette même épreuve dans une chambre obscure, où vous avez fait l'expérience du prisme exposé à la lumiere qui lui vient par un trou. Vous vous souvenez que dans cette expérience du prisme vous avez vu la décomposition de la lumiere & l'anatomie de ses rayons: vous placiez une feuille de papier blanc vis-à-vis ce prisme: ce papier recevoit les sept couleurs primitives, chacune dans leur ordre: maintenant exposez vos deux verres à tel rayon coloré qu'il vous plaira, réflechi de ce papier, vous y verrez toujours entre ces verres se former des anneaux colorés; mais tous ces anneaux alors sont de la couleur des rayons qui vous viennent du papier. Exposez vos verres à la lumiere des rayons rouges, vous n'aurez entre vos verres que des anneaux rouges; [Illustration] Mais ce qui doit surprendre, c'est qu'entre chacun de ces anneaux rouges il y a un anneau tout noir. Pour constater encore plus ce fait & les singularités qui y sont attachées, présentez vos deux verres, non plus au papier, mais au prisme, de façon que l'un des rayons qui s'échappent de ce prisme, un rouge, par exemple, vienne à tomber sur ces verres, il ne se forme encore que des anneaux rouges entre les anneaux noirs; mettez derriére vos verres la feuille de papier blanc, chaque anneau noir produit sur cette feuille de papier un anneau rouge, & chaque anneau rouge, étant réflechi vers vous, produit du noir sur le papier. [Illustration] Il résulte de cette expérience que l'air ou l'eau qui est entre vos verres, réflechit en un endroit la lumiere & en un autre endroit la laisse passer, la transmet. J'avoue que je ne peux assez admirer ici cette profondeur de recherche, cette sagacité plus qu'humaine, avec laquelle Neuton à poursuivi ces vérités si imperceptibles; il a reconnu par les mesures & par le calcul ces étranges proportions-ci. Au point de contact des deux verres, il ne se réflechit à vos yeux aucune lumiere: immédiatement après ce contact, la premiere petite lame d'air ou d'eau, qui touche à ce point noir, vous réflechit des rayons: la seconde lame est deux fois épaisse comme la premiere, & ne réflechit rien: la troisième lame est triple en épaisseur de la premiere, & réflechit: la quatrième lame est quatre fois plus épaisse, & ne réflechit point: la cinquième est cinq fois plus épaisse, & transmet; & la sixième six fois plus épaisse, ne transmet rien. De sorte que les anneaux noirs vont en cette progression 0, 2, 4, 6, 8. & les anneaux lumineux & colorés en cette progression, 1, 3, 5, 7, 9. [Conséquences de ces expériences.] Ce qui se passe dans cette expérience arrive de même dans tous les corps, qui tous réflechissent une partie de la lumiere & en reçoivent dans leurs substances une autre partie. C'est donc encore une proprieté démontrée à l'esprit & aux yeux, que les surfaces solides ne sont point ce qui réflechit les rayons. Car si les surfaces solides réflechissoient en effet; 1º. le point où les deux verres se touchent réflechiroit & ne seroit point obscur. 2º. Chaque partie solide qui vous donneroit une seule espèce de rayons devroit aussi vous renvoyer toutes les espèces de rayons. 3º. Les parties solides ne transmettroient point la lumiere en un endroit & ne la réflechiroient pas en un autre endroit, car étant toutes solides toutes réflechiroient. 4º. Si les parties solides réflechissoient la lumiere, il seroit impossible de se voir dans un miroir, comme nous l'avons dit, puisque le miroir étant sillonné & raboteux, il ne pourroit renvoyer la lumiere d'une maniere réguliére. Il est donc indubitable qu'il y a un pouvoir agissant sur les corps sans toucher aux corps, & que ce pouvoir agit entre les corps & la lumiere. Enfin loin que la lumiere rebondisse sur les corps mêmes & revienne à nous, il faut croire que la plus grande partie des rayons qui va choquer des parties solides y reste, s'y perd, s'y éteint. Ce pouvoir qui agit aux surfaces, agit d'une surface à l'autre: c'est principalement de la derniere surface ultérieure du corps transparent que les rayons rejaillissent; nous l'avons déja prouvé. C'est, par exemple, de ce point B. plus que de ce point A. que la lumiere est réflechie. [Illustration] [Action mutuelle des corps sur la lumiere.] Il faut donc admettre un pouvoir lequel agit sur les rayons de lumiere de-dessus l'une de ces surfaces à l'autre, un pouvoir qui transmet & qui réflechit alternativement les rayons. Ce jeu de la lumiere & des corps n'étoit pas seulement soupçonné avant Neuton, il a compté plusieurs milliers de ces vibrations alternatives, de ces jets transmis & réflechis. Cette action des corps sur la lumiere, & de la lumiere sur les corps, laisse encore bien des incertitudes dans la maniere de l'expliquer. [Conjectures de Neuton.] [Mais il faut se défier de toute conjecture.] Celui qui a découvert ce mystère n'a pu, dans le cours de sa longue vie, faire assez d'expériences pour assigner la cause certaine de ces effets. Mais quand par ses découvertes il ne nous auroit appris que des nouvelles proprietés de la matiere, ne seroit-ce pas déja un assez grand service rendu à la Philosophie? Il a conjecturé que la lumiere émane du Soleil & des Corps lumineux par accès, par vibrations; que de ces vibrations du Corps lumineux, la premiere opére une réflexion, la seconde une transmission, & ainsi de suite à l'infini. Il avoit aussi préparé des expériences, qui conduisoient à faire voir en quoi ce jeu de la Nature tient au grand principe de l'attraction; mais il n'a pas eu le tems d'achever ses expériences. Il avoit conjecturé encore qu'il y a dans la Nature une matiere très-élastique & très-rare, qui devient d'autant moins rare qu'elle est plus éloignée des corps opaques: que les traits de lumiere excitent des vibrations dans cette matiere élastique: & il faut avouer, que cette hypothèse rendroit raison de presque tous les mystères de la lumiere, & sur-tout de l'attraction & de la gravitation des corps; mais une hypothèse, quand même elle rendroit raison presque de tout, ne doit point être admise. Il ne suffit pas qu'un Systême soit possible pour mériter d'être cru, il faut qu'il soit prouvé: si les Tourbillons de Descartes pouvoient se soutenir contre toutes les difficultés dont on les accable, il faudroit encore les rejetter, parce qu'ils ne seroient que possibles; ainsi nous ne ferons aucun fondement réel sur les conjectures de Neuton même. Si j'en parle, c'est plutôt pour faire connaitre l'histoire de ses pensées, que pour tirer la moindre induction de ses idées que je regarde comme les rêves d'un grand Homme; il ne s'y arrête en aucune maniere, il s'est contenté des faits, sans rien oser déterminer sur les causes. Passons à l'autre découverte, sur le rapport qui existe entre les raïons de la lumiere & les tons de la Musique. [Illustration] CHAPITRE QUATORZE. _Du rapport des sept couleurs primitives avec les sept tons de la Musique._ VOus savez que très-long-tems avant Descartes on s'étoit apperçu, qu'un prisme exposé au Soleil donne les couleurs de l'Arc-en-Ciel: on avoit vu souvent ces couleurs se peindre sur un linge, ou sur un papier blanc, dans un ordre qui est toujours le même: bien-tôt on alla, d'expérience en expérience, jusqu'à mesurer l'espace qu'occupe chacune de ces couleurs; enfin on s'est apperçu que ces espaces sont entre eux les mêmes que ceux des longueurs d'une corde, qui donne les sept tons de la Musique. [Chose très-remarquable dans Kirker.] J'avois toujours entendu dire, que c'étoit dans Kirker, que Neuton avoit puisé cette découverte de l'analogie de la lumiere & du son. Kirker en effet dans son _Ars Magna Lucis & Umbræ_, & dans d'autres Livres encore, appelle le _Son_ le Singe de la lumiere. Quelques personnes en inféroient que Kirker avoit connu ces rapports; mais il est bon, de peur de méprise, de mettre ici sous les yeux ce que dit Kirker, page 146. & suivantes. «Ceux, dit-il, qui ont une voix haute & forte tiennent de la nature de l'Ane: ils sont indiscrets & pétulans, comme on sait que sont les Anes; & cette voix ressemble à la couleur noire. Ceux dont la voix est grave d'abord, & ensuite aigue, tiennent du Bœuf; ils sont, comme lui, tristes & coléres, & leur voix répond au bleu céleste». Il a grand soin de fortifier ces belles découvertes du témoignage d'Aristote. C'est-là tout ce que nous apprend le Pere Kirker, d'ailleurs l'un des plus grands Mathématiciens & des plus savans hommes de son tems; & c'est ainsi, à-peu-près, que tous ceux qui n'étoient que Savans, raisonnoient alors. Voyons comment Neuton a raisonné. [Maniere de connaitre les proportions des couleurs primitives de la lumiere.] Il y a, comme vous savez, dans un seul rayon de lumiere sept principaux rayons, qui ont chacun leur réfrangibilité: chacun de ces rayons a son sinus, chacun de ces sinus a sa proportion avec le sinus commun d'incidence; observez ce qui se passe dans ces sept traits primordiaux, qui s'échappent en s'écartant dans l'air. Il ne s'agit pas ici de considérer que dans ce verre même tous ces traits sont écartés, & que chacun de ces traits y prend un sinus différent: il faut regarder cet assemblage de rayons dans le verre comme un seul rayon, qui n'a que ce sinus commun A, B.: mais à l'émergence de ce crystal chacun de ces traits s'écartant sensiblement prend chacun son sinus différent; celui du rouge, (rayon le moins réfrangible,) est cette ligne C, B. celui du violet, (rayon le plus réfrangible,) est cette ligne C, B, D. [Illustration] Ces proportions posées, voions quel est ce rapport, aussi exact que singulier, entre les couleurs & la Musique. Que le sinus d'incidence du faisceau blanc de rayons, soit au sinus d'émergence du rayon rouge, comme cette ligne A, B, est à la ligne A, B, C. Sinus donné dans le verre A B ---------- Sinus donné dans l'air A B C. -------------- ------ Que ce même sinus A, B, d'incidence commune soit au sinus de réfraction du rayon violet, comme la ligne A, B, est à la ligne A, B, C, D. A B -------------- A B C D. -------------- ------ ---- Vous voyez que le point C est le terme de la plus petite réfrangibilité, & D le terme de la plus grande; la petite ligne C, D, contient donc tous les degrés de réfrangibilité des sept rayons. Doublez maintenant C, D, ci-dessus, en sorte que I, en devienne le milieu, comme ci-dessous. A I C H G F E B D. ------------------ -- -- -- -- -- -- -- Alors la longueur depuis A en C fait le rouge: la longueur de A en H, fait l'orangé: de A en G, le jaune: de A en F, le verd: de A en E, le bleu: de A en B, le pourpre; de A en D, le violet. Or ces espaces sont tels que chaque rayon peut bien être réfracté, un peu plus ou moins, dans chacun de ces espaces, mais jamais il ne sortira de cet espace qui lui est prescrit: le rayon violet se jouera toujours entre B & D: le rayon rouge entre C & I, ainsi du reste, le tout en telle proportion que si vous divisez cette longueur depuis I jusqu'à D, en trois cens soixante parties, chaque rayon aura pour soi les dimensions que vous voyez dans la grande figure ci-jointe. [Analogie des tons de la Musique & des couleurs.] Ces proportions sont précisément les mêmes que celles des tons de la Musique: la longueur de la corde qui étant pincée fera _Re_, est à la corde, qui donnera l'octave de _Re_, comme la ligne A, I, qui donne le rouge en I, est à la ligne A, D, qui donne le violet en D; ainsi les espaces qui marquent les couleurs, dans cette figure, marquent aussi les tons de la Musique. _Table des couleurs & des tons de la Musique._ C H G F E B D A | | | | | | | ---+---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ | Rouge | Orange |Jaune |Verd |Bleu |Pourpre|Violet| +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ |se jouë | | | | | | | |de ce | de C | de H |de G |de F | de E | de B | |demi- | en H | en G |en F |en E | en B | en D | |cercle | | | | | | | |en C | | | | | | | +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ | 45 | 27 | 48 | 60 | 60 | 40 | 80 | = 360. +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ | | | | | | | | 1/2 9/16 3/5 2/3 3/4 5/6 8/9 1 | | | | | | | | +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ | | | | | | | | re ut si la sol fa mi re | | | | | | | | +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ |la plus |celle |celle |celle|celle|celle |celle | |grande |de |du |du |du |du |du | |refrangi-|l'orange|jaune |verd |bleu |pourpre|violet| |bilité |à |à |à |à |à |à | |du rouge | | | | | | | |répond | | | | | | | |à | | | | | | | | | | | | | | | | ut si la sol fa mi re | | | | | | | | +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ | | | | | | | | +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ La plus grande réfrangibilité du violet répond à _Re_: la plus grande réfrangibilité du pourpre répond à _Mi_: celle du bleu répond à _Fa_: celle du verd à _Sol_: celle du jaune à _La_: celle de l'orangé à _Si_: celle du rouge à l'_Ut_; & enfin la plus petite réfrangibilité du rouge se rapporte à _Re_, qui est l'octave supérieure. Le ton le plus grave répond ainsi au violet, & le ton le plus aigu répond au rouge. On peut se former une idée complette de toutes ces proprietés, en jettant les yeux sur la Table que j'ai dressée, & que vous devez trouver à côté. Il y a encore un autre rapport entre les sons & les couleurs, c'est que les rayons les plus distants (les violets & les rouges) viennent à nos yeux en même-tems, & que les sons les plus distants (les plus graves & les plus aigus) viennent aussi à nos oreilles en même-tems. Cela ne veut pas dire, que nous voyons & que nous entendons en même-tems à la même distance; car la lumiere se fait sentir six cens mille fois plus vîte, au moins, que le son; mais cela veut dire, que les rayons bleus, par exemple, ne viennent pas du Soleil à nos yeux, plutôt que les rayons rouges, de même que le son de la note _Si_, ne vient pas à nos oreilles, plutôt que le son de la note _Re_. Cette analogie secrete entre la lumiere & le son, donne lieu de soupçonner, que toutes les choses de la Nature ont des rapports cachés, que peut-être on découvrira quelque jour. Il est déja certain qu'il y a un rapport entre le _Toucher_ & la _Vûe_, puisque les couleurs dépendent de la configuration des parties; on prétend même qu'il y a eu des Aveugles nés, qui distinguoient au toucher la différence du noir, du blanc, & de quelques autres couleurs. [Idée d'un Clavessin oculaire.] Un Philosophe ingénieux a voulu pousser ce rapport des Sens & de la lumiere peut-être plus loin qu'il ne semble permis aux hommes d'aller. Il a imaginé un Clavessin oculaire, qui doit faire paraitre successivement des couleurs harmoniques, comme nos Clavessins nous font entendre des sons: il y a travaillé de ses mains, il prétend enfin qu'on joueroit des airs aux yeux. On ne peut que remercier un homme qui cherche à donner aux autres de nouveaux Arts & de nouveaux plaisirs. Il y a eu des Pays, où le Public l'auroit récompensé. Il est à souhaiter sans doute, que cette invention ne soit pas, comme tant d'autres, un effort ingénieux & inutile: ce passage rapide de plusieurs couleurs devant les yeux semble peut-être devoir étonner, éblouïr, & fatiguer la vûe; nos yeux veulent peut-être du repos, pour jouïr de l'agrément des couleurs. Ce n'est pas assez de nous proposer un plaisir, il faut que la Nature nous ait rendus capables de recevoir ce plaisir: c'est à l'expérience seule à justifier cette invention. En attendant il me parait que tout esprit équitable ne peut que louer l'effort & le génie de celui qui cherche à agrandir la carriére des Arts & de la Nature. [Toute cette Théorie de la lumiere a rapport avec la Théorie de l'Univers.] Nous ne pousserons pas plus loin cette Introduction sur la lumiere, peut-être en avons nous trop dit dans de simples Elémens; mais la plûpart de ces vérités sont nouvelles pour bien des Lecteurs. Avant que de passer à l'autre partie de la Philosophie, souvenons-nous, que la Théorie de la lumiere a quelque chose de commun avec la Théorie de l'Univers dans laquelle nous allons entrer. Cette Théorie est, qu'il y a une espèce d'attraction marquée entre les corps & la lumiere, comme nous en allons observer une entre tous les Globes de notre Univers: ces attractions se manifestent par différens effets; mais enfin c'est toujours une tendance des corps, sans qu'il paraisse aucune impulsion. [La matiere a plus de proprietés qu'on ne pense.] Parmi tant de proprietés de la matiere telle que ces accès de transmission & de réflexion des traits de lumiere, cette répulsion que la lumiere éprouve dans le vuide, dans les pores des corps, & sur les surfaces des corps; parmi ces proprietés, dis-je, il faut sur-tout faire attention à ce pouvoir par lequel les rayons sont réflechis & rompus, à cette force par laquelle les corps agissent sur la lumiere & la lumiere sur eux, sans même les toucher. Ces découvertes doivent au moins servir à nous rendre extrêmement circonspects dans nos décisions sur la nature & l'essence des choses. Songeons que nous ne connaissons rien du tout que par l'expérience. Sans le toucher nous n'aurions point d'idée de l'étendue des corps: sans les yeux, nous n'aurions pu deviner la lumiere: si nous n'avions jamais éprouvé de mouvement, nous n'aurions jamais cru la matiere mobile; un très-petit nombre de sens que Dieu nous a donnés, sert à nous découvrir un très-petit nombre de proprietés de la matiere. Le raisonnement supplée aux sens qui nous manquent, & nous apprend encore que la matiere a d'autres attributs, comme l'attraction, la gravitation; elle en a probablement beaucoup d'autres qui tiennent à sa nature, & dont peut-être un jour la Philosophie donnera quelques idées aux hommes. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE QUINZE. _Premieres idées touchant la pesanteur & les loix de la gravitation: Que la matiere subtile, les tourbillons & le plein doivent être rejettés._ UN Lecteur sage qui aura vu avec attention ces merveilles de la lumiere, convaincu par l'expérience qu'aucune impulsion connue ne les opére, sera sans doute impatient d'observer cette puissance nouvelle dont nous avons parlé sous le nom d'attraction, qui doit agir sur tous les autres corps plus sensiblement que sur celui de la lumiere. Que les noms encore une fois ne nous effarouchent point; examinons simplement les faits. [Attraction.] Je me servirai toujours indifféremment des termes d'_attraction_ & de _gravitation_ en parlant des corps, soit qu'il tendent sensiblement les uns vers les autres, soit qu'ils tournent dans des orbes immenses, autour d'un contre commun, soit qu'ils tombent sur la Terre, soit qu'ils s'unissent pour composer des corps solides, soit qu'ils s'arondissent en goutes pour former des liquides. Entrons en matiere. Tous les corps connus pesent, & il y a long-tems que la legéreté spécifique a été comptée parmi les erreurs reconnues d'Aristote & de ses Sectateurs. Depuis que la fameuse Machine pneumatique fut inventée, on a été plus à portée de connoître la pesanteur des corps, car lorsqu'ils tombent dans l'air, les parties de l'air retardent sensiblement la chûte de ceux qui ont beaucoup de surface & peu de volume; mais dans cette Machine privée d'air, les corps abandonnés à la force, telle qu'elle soit, qui les précipite sans obstacle, tombent selon tout leur poids. [Expérience qui démontre le vuide & les effets de la gravitation.] La Machine pneumatique inventée par Ottoguerike, fut bien-tôt perfectionnée par Boyle; on fit ensuite des récipiens de verre beaucoup plus longs, qui furent entiérement purgés d'air. Dans un de ces longs récipiens composé de quatre tubes, le tout ensemble aïant huit pieds de hauteur, on suspendit en haut, par un ressort, des pièces d'or, des morceaux de papier, des plumes; il s'agissoit de savoir ce qui arriveroit, quand on détendroit le ressort. Les bons Philosophes prévoioient, que tout cela tomberoit en même-tems: le plus grand nombre assûroit que les corps les plus massifs tomberoient bien plus vîte que les autres; ce grand nombre, qui se trompe presque toujours, fut bien étonné, quand il vit dans toutes les expériences, l'or, le plomb, le papier & la plume tomber également vîte, & arriver au fond du récipient en même-tems. Ceux qui tenoient encore pour le _Plein_ de Descartes, & pour les prétendus effets de la matiere subtile, ne pouvoient rendre aucune bonne raison de ce fait; car les faits étoient leurs écuëils. Si tout étoit plein, quand on leur accorderoit qu'il pût y avoir alors du mouvement, (ce qui est absolument impossible) au moins cette prétendue matiere subtile rempliroit éxactement tout le récipient: elle y seroit en aussi grande quantité que de l'eau, ou du mercure, qu'on y auroit mis: elle s'opposeroit au moins à cette descente si rapide des corps: elle résisteroit à ce large morceau de papier, selon la surface de ce papier, & laisseroit tomber la balle d'or ou de plomb beaucoup plus vîte, mais cette chûte se fait au même instant; donc il n'y a rien dans le récipient qui résiste; donc cette prétendue matiere subtile ne peut faire aucun effet sensible dans ce récipient; donc il y a une autre force qui fait la pesanteur. En vain diroit-on qu'il est possible qu'il reste une matiere subtile dans ce récipient, puisque la lumiere le pénétre; il y a bien de la différence. La lumiere qui est dans ce Vase de verre, n'en occupe certainement pas la cent-millième partie; mais selon les Cartésiens, il faut que leur matiere imaginaire remplisse bien plus éxactement le récipient, que si je le supposois rempli d'or, car il y a beaucoup de vuide dans l'or, & ils n'en admettent point dans leur matiere subtile. [La pesanteur agit en raison des masses.] Or par cette expérience la pièce d'or, qui pese cent-mille fois plus que le morceau de papier, est descendue aussi vîte que le papier; donc la force, qui l'a fait descendre, a agi cent mille fois plus sur lui que sur le papier; de même qu'il faudra cent fois plus de force à mon bras pour remuer cent livres, que pour remuer une livre; donc cette puissance qui opére la gravitation, agit en raison directe de la masse des corps. Elle agit en effet tellement selon la masse des corps, non selon les surfaces, qu'une livre d'or réduite en poudre pesera précisément comme cette même livre en feuille. La figure des corps ne change ici en rien leur gravité; ce pouvoir de gravitation agit donc sur la nature interne des corps, & non en raison des superficies. [D'où vient ce pouvoir de pesanteur.] Ce pouvoir ne réside point dans la prétendue matiere subtile, dont nous parlerons au Chapitre 16., cette matiere seroit un fluide. Tout fluide agit sur les solides en raison de leurs superficies; ainsi le Vaisseau présentant moins de surface par sa proue, fend la Mer qui résisteroit à ses flancs. Or quand la superficie d'un corps est le quarré de son diametre, la solidité de ce corps est le cube de ce même diametre: le même pouvoir ne peut agir à la fois en raison du cube & du quarré; donc la pesanteur, la gravitation n'est point l'effet de ce fluide. De plus, il est impossible que cette prétendue matiere subtile ait d'un côté assez de force, pour précipiter un corps de 54000 pieds de haut en une minute, (car telle est la chûte des corps) & que de l'autre elle soit assez impuissante, pour ne pouvoir empêcher le pendule du bois le plus leger de remonter de vibration en vibration dans la Machine pneumatique, dont cette matiere imaginaire est supposée remplir exactement tout l'espace. Je ne craindrai donc point d'affirmer que, si l'on découvroit jamais une impulsion, qui fût la cause de la pesanteur des corps vers un centre, en un mot la cause de la gravitation, de l'attraction, cette impulsion seroit d'une toute autre nature qu'est celle que nous connoissons. Voilà donc une premiere vérité déja indiquée ailleurs, & prouvée ici: il y a un pouvoir qui fait graviter tous les corps en raison directe de leur masse. [Pourquoi un corps pese plus qu'un autre.] Si l'on cherche actuellement pourquoi un corps est plus pesant qu'un autre, on en trouvera aisément l'unique raison: on jugera que ce corps doit avoir plus de masse, plus de matiere sous une même étendue; ainsi l'or pese plus que le bois, parce qu'il y a dans l'or bien plus de matiere & moins de vuide que dans le bois. [Le Systême de Descartes ne peut en rendre raison.] Descartes & ses Sectateurs soutiennent qu'un corps est plus pesant qu'un autre sans avoir plus de matiere: non contents de cette idée, ils la soutiennent par une autre aussi peu vraie: ils admettent un grand tourbillon de matiere subtile autour de notre Globe; & c'est ce grand tourbillon, disent-ils, qui en circulant chasse tous les corps vers le centre de la Terre, & leur fait éprouver ce que nous appellons pesanteur. Il est vrai qu'ils n'ont donné aucune preuve de cette assertion: il n'y a pas la moindre expérience, pas la moindre analogie dans les choses que nous connoissons un peu, qui puisse fonder une présomption legére en faveur de ce tourbillon de matiere subtile; ainsi de cela seul que ce Systême est une pure hipothèse, il doit être rejetté. C'est cependant par cela seul qu'il a été accrédité. On concevoit ce tourbillon sans effort, on donnoit une explication vague des choses en prononçant ce mot de matiere subtile; & quand les Philosophes sentoient les contradictions & les absurdités attachées à ce Roman Philosophique, ils songeoient à le corriger plutôt qu'à l'abandonner. Hugens & tant d'autres y ont fait mille corrections, dont ils avouoient eux-mêmes l'insuffisance; mais que mettrons-nous à la place des tourbillons & de la matiere subtile? Ce raisonnement trop ordinaire est celui qui affermit le plus les hommes dans l'erreur & dans le mauvais parti. Il faut abandonner ce que l'on voit faux & insoutenable, aussi-bien quand on n'a rien à lui substituer, que quand on auroit les démonstrations d'Euclide à mettre à la place. Une erreur n'est ni plus ni moins erreur, soit qu'on la remplace ou non par des vérités; devrois-je admettre l'horreur du vuide dans une pompe, parce que je ne saurois pas encore par quel méchanisme l'eau monte dans cette pompe? Commençons donc, avant que d'aller plus loin, par prouver que les tourbillons de matiere subtile n'existent pas: que le _Plein_ n'est pas moins chimérique; qu'ainsi tout ce Systême, fondé sur ces imaginations, n'est qu'un Roman ingénieux sans vraisemblance. Voyons ce que c'est que ces tourbillons imaginaires, & examinons ensuite si le _Plein_ est possible. [Illustration] CHAPITRE SEIZE. _Que les tourbillons de Descartes & le Plein sont impossibles, & que par conséquent il y a une autre cause de la pesanteur._ DESCARTES suppose un amas immense de particules insensibles, qui emporte la Terre d'un mouvement rapide d'Occident en Orient, & qui d'un Pole à l'autre se meut parallèlement à l'Equateur; ce tourbillon qui s'étend au-delà de la Lune, & qui entraîne la Lune dans son cours, est lui-même enchassé dans un autre tourbillon plus vaste encore, qui touche à un autre tourbillon sans se confondre avec lui, &c. [Preuve de l'impossibilité des tourbillons.] 1º. Si cela étoit, le tourbillon qui est supposé se mouvoir autour de la Terre d'Occident en Orient, devroit chasser les corps sur la Terre d'Occident en Orient: or les corps en tombant décrivent tous une ligne, qui étant prolongée passeroit, à-peu-près, par le centre de la Terre; donc ce tourbillon n'existe pas. 2º. Si les cercles de ce prétendu tourbillon se mouvoient & agissoient parallèlement à l'Equateur, tous les corps devroient tomber chacun perpendiculairement sous le cercle de cette matiere subtile auquel il répond: un corps en A. près du Pole P. devroit, selon Descartes, tomber en R. [Illustration] Mais il tombe à-peu-près selon la ligne A, B. ce qui fait une différence d'environ 1400 lieues; car on peut compter 1400 lieues communes de France du point R à l'Equateur de la Terre B.; donc ce tourbillon n'éxiste pas. 3º. Si ce tourbillon de matiere autour de la Terre, & ces autres prétendus tourbillons autour de Jupiter & de Saturne, &c. éxistoient, tous ces tourbillons immenses de matiere subtile, roulant si rapidement dans des directions différentes, ne pourroient jamais laisser venir à nous, en ligne droite, un rayon de lumiere dardé d'une Etoile. Il est prouvé que ces rayons arrivent en très-peu de tems par rapport au chemin immense qu'ils font; donc ces tourbillons n'éxistent pas. 4º. Si ces tourbillons emportoient les Planetes d'Occident en Orient, les Cometes, qui traversent en tout sens ces espaces d'Orient en Occident & du Nord au Sud, ne les pourroient jamais traverser. Et quand on supposeroit que les Cometes n'ont point été en effet du Nord au Sud, ni d'Orient en Occident, on ne gagneroit rien par cette évasion, car on sait que quand une Comete se trouve dans la région de Mars, de Jupiter, de Saturne, elle va incomparablement plus vîte que Mars, que Jupiter, que Saturne; donc elle ne peut-être emportée, par la même couche du fluide qui est supposé emporter ces Planetes; donc ces tourbillons n'éxistent pas. 5º. Ces prétendus tourbillons seroient ou aussi denses, aussi massifs que les Planetes, ou bien ils seroient plus denses, ou enfin moins denses. Dans le premier cas, la matiere prétendue, qui entoure la Lune & la Terre, étant supposée dense comme un égal volume de Terre, nous éprouverions pour lever un pied cubique de Marbre, par exemple, la même résistance que si nous avions à lever une colomne de Marbre d'un pied de base, qui auroit pour sa longueur la distance de la Terre à la Lune. Dans le deuxième cas, la matiere fluide étant plus grave que la Terre, notre Globe nageroit sur ce fluide, comme un Vaisseau nage sur l'Eau, & ne pourroit être plongé, comme on le prétend, dans cette matiere subtile. Dans le troisième cas, le fluide étant moins dense, moins pesant que la Terre, ce fluide ne pourroit jamais la soutenir, par la raison que l'Eau ne peut soutenir le fer, ni rien de ce qui pese plus qu'elle; donc ces tourbillons n'éxistent pas. 6º. Si ces fluides imaginaires éxistoient, tout l'ordre des Astres seroit interverti: le Soleil qui tourne sur lui-même, perdroit bien-tôt de son mouvement à force de rencontrer ce fluide; & aucune des Planetes ne suivroit la route qu'elle tient, n'auroit le mouvement qu'elle a, n'auroit bien-tôt aucun mouvement. 7º. Les Planetes emportées dans ces tourbillons supposés ne pourroient se mouvoir que circulairement, puisque ces tourbillons, à égales distances du centre, seroient également denses; mais les Planetes se meuvent dans des Ellipses; donc elles ne peuvent être portées par des tourbillons; donc, &c. 8º. La Terre a son Orbite qu'elle parcourt entre celui de Venus & celui de Mars: tous ces Orbites sont elliptiques, & ont le Soleil pour centre: or quand Mars, & Venus & la Terre sont plus près l'un de l'autre, alors la matiere du torrent prétendu, qui emporte la Terre, seroit beaucoup plus resserrée: cette matiere subtile devroit précipiter son cours, comme un Fleuve rétreci dans ses bords, ou coulant sous les arches d'un Pont: alors ce fluide devroit emporter la Terre d'une rapidité bien plus grande qu'en toute autre position; mais au contraire c'est dans ce tems-là même que le mouvement de la Terre est plus ralenti. [Illustration] Quand Mars paroît dans le Signe des Poissons, Mars, la Terre & Venus sont à-peu-près dans cette proximité que vous voyez: alors le Soleil paroît retarder de quelque minutes, c'est-à-dire que c'est la Terre qui retarde; il est donc démontré impossible qu'il y ait là un torrent de matiere qui emporte les Planetes; donc ce tourbillon n'éxiste pas. 9º. Parmi des démonstrations plus recherchées, qui anéantissent les tourbillons, nous choisirons celle-ci. Par une des grandes loix de Kepler, toute Planete décrit des aires égales en tems égaux: par une autre loi non moins sûre, chaque Planete fait sa révolution autour du Soleil en telle sorte, que si, par exemple, sa moyenne distance au Soleil est 10. prenez le cube de ce nombre, ce qui fera 1000., & le tems de la révolution de cette Planete autour du Soleil sera proportionné à la racine quarrée de ce nombre 1000. Or s'il y avoit des couches de matiere qui portassent des Planetes, ces couches ne pourroient suivre ces loix; car il faudroit que les vîtesses de ces torrents fussent à la fois proportionelles à leur distances au Soleil, & aux racines quarrées de ces distances; ce qui est incompatible. Pour comble enfin, tout le monde voit ce qui arriveroit à deux fluides circulant l'un vis-à-vis de l'autre. Ils se confondroient nécessairement & formeroient le Chaos au lieu de le débrouiller. Cela seul auroit jetté sur le Systême Cartésien un ridicule qui l'eût accablé, si le goût de la nouveauté, & le peu d'usage où l'on étoit alors d'examiner, n'avoient prévalu. Il faut prouver à présent que le _Plein_, dans lequel ces tourbillons sont supposés se mouvoir, est aussi impossible que ces tourbillons. [Preuve contre le _Plein_.] 1º. Un seul rayon de lumiere, qui ne pese pas, à beaucoup près, la cent-millième partie d'un grain, auroit à déranger tout l'Univers, si elle avoit à s'ouvrir un chemin jusqu'à nous à travers un espace immense, dont chaque point résisteroit par lui-même, & par toute la ligne dont il seroit pressé. 2º. Soient ces deux corps durs A, B: (nous avons déja prouvé qu'il faut qu'il y ait des corps durs) ils se touchent par une surface, & sont supposés entourés d'un fluide qui les presse de tous côtés: or, quand on les sépare, il est clair que la prétendue matiere subtile arrive plutôt au point A, où on les sépare, qu'au point B; [Illustration] Donc il y a un moment où B sera vuide; donc même dans le Systême de la matiere subtile, il y a du vuide, c'est-à-dire de l'espace. 3º. S'il n'y avoit point de vuide & d'espace, il n'y auroit point de mouvement, même dans le Systême de Descartes. Il suppose que Dieu créa l'Univers plein & consistant en petits cubes: soit donc un nombre donné de cubes représentant l'Univers, sans qu'il y ait entre eux le moindre intervalle: il est évident qu'il faut qu'un d'eux sorte de la place qu'il occupoit, car si chacun reste dans sa place, il n'y a point de mouvement, puisque le mouvement consiste à sortir de sa place, à passer d'un point de l'espace dans un autre point de l'espace; or qui ne voit que l'un de ces cubes ne peut quitter sa place sans la laisser vuide à l'instant qu'il en sort, car il est clair que ce cube en tournant sur lui-même doit présenter son angle au cube qui le touche, avant que l'angle soit brisé? donc alors il y a de l'espace entre ces deux cubes; donc dans le Systême de Descartes même, il ne peut y avoir de mouvement sans vuide. 4º. Si tout étoit plein, comme le veut Descartes, nous éprouverions nous-mêmes en marchant une résistance infinie, au lieu que nous n'éprouvons que celle des fluides dans lesquelles nous sommes, par exemple, celle de l'eau qui nous résiste 860. fois plus que celle de l'air, celle du mercure qui résiste environ 14000. fois plus que l'air; or les résistances des fluides sont comme les quarrés des vîtesses; c'est-à-dire, si un homme parcourt dans une tierce un pied d'espace du mercure qui lui résiste 14000. fois plus que l'air, si cet homme dans la seconde tierce a le double de cette vîtesse, ce mercure lui résistera dans la seconde tierce comme le quarré de 2. multiplié par 14000., résistance 56000. fois plus forte que celle de l'air qui résiste alors à nos mouvemens; donc si tout étoit plein, il seroit absolument impossible de faire un pas, de respirer, &c. 5º. On a voulu éluder la force de cette démonstration; mais on ne peut répondre à une démonstration que par une erreur. On prétend que ce torrent infini de matiere subtile pénétrant tous les pores des corps, ne peut en arrêter le mouvement. On ne fait pas réflexion que tout mobile, qui se meut dans un fluide, éprouve d'autant plus de résistance, qu'il oppose plus de surface à ce fluide: or plus un corps a de trous plus il a de surface: ainsi la prétendue matiere subtile en choquant tout l'intérieur d'un corps, s'opposeroit bien davantage au mouvement de ce corps, qu'en ne touchant que sa superficie extérieure; & cela est encore démontré en rigueur. 6º. Dans le _Plein_ tous les corps seroient également pesants; il est impossible de concevoir qu'un corps pese sur moi, me presse, que par sa masse une livre de poudre d'or pese autant sur ma main, qu'un morceau d'or d'une livre. En vain les Cartésiens répondent que la matiere subtile pénétrant les interstices des corps ne pese point, & qu'il ne faut compter pour pesant que ce qui n'est point matiere subtile: cette opinion de Descartes n'est chez lui qu'une pure contradiction, car selon lui cette prétendue matiere subtile fait seule la pesanteur des corps, en les repoussant vers la Terre; donc elle pese elle-même sur ces corps; donc, si elle pese, il n'y a pas plus de raison pourquoi un corps sera plus pesant qu'un autre, puisque tout étant plein, tout aura également de masse, soit solide, soit fluide; donc le _Plein_ est une chimére; donc il y a du _vuide_; donc rien ne se peut faire dans la Nature sans vuide; donc la pesanteur n'est pas l'effet d'un prétendu tourbillon imaginé dans le _Plein_. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE DIX-SEPT. _Ce que c'est que le_ Vuide, _& l_'Espace, _sans lequel il n'y auroit ni pesanteur ni mouvement_. [Difficulté contre le _Vuide_.] CEUX qui ne peuvent concevoir le _Vuide_, objectent que ce _Vuide_ ne seroit rien, que le rien ne peut avoir des proprietés, & qu'ainsi il ne se pourroit rien opérer dans le _Vuide_. [Réponse.] On répond qu'il n'est pas vrai que le _Vuide_ soit rien; il est le lieu des corps, il est l'espace, il a des proprietés, il est étendu en longueur, largueur & profondeur, il est pénétrable, il est inséparable, &c. Il est vrai que je ne peux pas me faire dans le cerveau une image de l'_Espace_ étendu, comme je m'en fais une du Corps étendu; mais je me suis démontré que cet _Espace_ éxiste. Je ne puis en Géométrie me représenter une infinité de cercles passant entre un cercle & une tangente; mais je me suis démontré cependant que la chose est vraie en Géométrie, & cela suffit. Je ne puis concevoir ce que c'est qui pense en moi, je suis cependant convaincu que quelque chose pense en moi. De même je me démontre l'impossibilité du _Plein_ & la nécessité du _Vuide_, sans avoir une image du _Vuide_; car je n'ai d'image que de ce qui est corporel, & l'_Espace_ n'est point corporel. Autre chose est se représenter une image, autre chose est concevoir une vérité; je conçois très-bien l'_Espace_, & les Philosophes Epicuriens, qui n'avoient guère raison qu'en cela, le concevoient très-bien. Il n'y avoit d'autre réponse à cet Argument que de dire que la Matiere est infinie; c'est ce que plusieurs Philosophes ont assûré, & ce que Descartes a renouvellé après eux. [La Matiére n'est pas infinie.] Mais surquoi imagine-t-on que la Matiere est infinie? Sur une autre supposition que l'on s'est plû de faire. On dit: l'Etendue & la Matiere sont la même chose: on ne peut concevoir que l'Etendue soit finie; donc il faut admettre la Matiere infinie. Cela prouve combien on s'égare, quand on ne raisonne que sur des suppositions. Il est faux que l'Etendue & la Matiere soient la même chose: toute matiere est étendue; mais toute étendue n'est pas matiere. Descartes en avançant que l'Etendue ne peut-être que de la matiere, disoit une chose bien peu Philosophique, car nous ne savons point du tout ce que c'est que Matiere; nous en connoissons seulement quelques proprietés, & personne ne peut nier qu'il ne soit possible qu'il éxiste des millions d'autres substances étendues, différentes de ce que nous appellons Matiere; or ces substances où seront-elles, sinon dans l'_Espace_? Outre cette faute, Descartes se contredisoit encore, car il admettoit un Dieu; or où est Dieu? Il n'est pas dans un point mathématique, il est immense; qu'est-ce que son immensité, sinon l'Espace immense? [Discussion de cette Vérité.] A l'égard de l'infinité prétendue de la Matiere, cette idée est aussi peu fondée que les tourbillons. Nous avons vu que le _Vuide_ est d'une nécessité absolue dans l'ordre des choses, & qu'ainsi la Matiere ne remplissant point tout l'Espace, elle n'est point infinie; mais, qu'entend-on par une Matiere infinie? car le mot _d'indéfinie_, dont Descartes s'est servi, ou revient au même, ou ne signifie rien. Entend-on que la Matiere est infinie essentiellement par sa nature? En ce cas elle est donc Dieu? Entend-on que Dieu l'a créée infinie? D'où le sauroit-on? Entend-on que l'Etendue & la Matiere sont la même chose? C'est un argument dont on a prouvé assez la fausseté. L'éxistence de la Matiere infinie est, au fond, une contradiction dans les termes. Mais dira-t-on, vous admettez un Espace immense, infini; pourquoi n'en ferez-vous pas autant de la Matiere? Voici la différence: L'Espace éxiste nécessairement, parce que Dieu éxiste nécessairement; il est immense, il est comme la durée, un mode, une proprieté infinie d'un Etre nécessaire, infini. La Matiere n'est rien de tout cela: elle n'éxiste point nécessairement: & si cette substance étoit infinie, elle seroit ou une proprieté essentielle de Dieu, ou Dieu même: or elle n'est ni l'un ni l'autre; elle n'est donc pas infinie & ne sauroit l'être. [Remarque singuliére.] Je conclurai ce Chapitre par une remarque qui me paroît mériter beaucoup d'attention. Descartes admettoit un Dieu Créateur & Cause de tout: mais il nioit la possibilité du _Vuide_: Epicure nioit qu'il y eût un Dieu Créateur & Cause de tout, & il admettoit le _Vuide_; or c'étoit Descartes qui par ses principes devoit nier un Dieu Créateur, & c'étoit Epicure qui devoit l'admettre. En voici la preuve évidente. Si le _Vuide_ étoit impossible, si la Matiere étoit infinie, si l'Etendue & la Matiere étoient la même chose, il faudroit que la Matiere fût nécessaire: or si la Matiere étoit nécessaire, elle éxisteroit par elle-même d'une nécessité absolue, inhérente dans sa nature primordiale, antécédente à tout; donc elle seroit Dieu; donc celui qui admet l'impossibilité du _Vuide_, doit, s'il raisonne conséquemment, ne point admettre d'autre Dieu que la Matiere. Au contraire, s'il y a du _vuide_, la Matiere n'est donc point un Etre nécessaire, éxistant par lui-même, &c.; donc elle a été créée; donc il y a un Dieu; donc c'étoit à Epicure à croire un Dieu, & c'étoit à Descartes à le nier. Pourquoi donc au contraire Descartes a-t-il toujours parlé de l'éxistence d'un Etre Créateur & Conservateur, & Epicure l'a-t-il rejetté? C'est que les hommes dans leurs sentimens, comme dans leur conduite, suivent rarement leurs principes, & que leurs Systêmes ainsi que leurs vies sont des contradictions. [Conclusion.] Nous voyons de tout ce qui précéde que la Matiere est finie, qu'il y a du _vuide_, c'est-à-dire, de l'espace, & même incomparablement plus d'espace que de matiere dans notre Monde; car il y a beaucoup plus de pores que de solides. Nous concluons que le _Plein_ est impossible, que les tourbillons de matiere subtile le sont pareillement; qu'ainsi la cause que Descartes assignoit à la pesanteur & au mouvement est une chimére. Nous venons de nous appercevoir par l'expérience dans la Machine pneumatique qu'il faut qu'il y ait une force qui fasse descendre les corps vers le centre de la Terre, c'est-à-dire, qui leur donne la pesanteur, & que cette force doit agir en raison de la masse des corps; il faut maintenant voir quels sont les effets de cette force, car si nous en découvrons les effets, il est évident qu'elle éxiste. N'allons donc point d'abord imaginer des Causes & faire des Hypothèses: c'est le sûr moyen de s'égarer: suivons pas à pas, ce qui se passe réellement dans la Nature; nous sommes des Voyageurs arrivés à l'Embouchure d'un Fleuve, il faut le remonter avant que d'imaginer où est sa source. [Illustration] CHAPITRE DIX-HUIT. _Gravitation démontrée par les découvertes de Galilée & de Neuton; que la Lune parcourt son Orbite par la force de cette gravitation._ [Loix de la chûte des corps trouvées par Galilée.] GALILE'E le restaurateur de la Raison en Italie, découvrit cette importante proposition, que les Corps graves qui descendent sur la Terre (faisant abstraction de la petite résistance de l'air) ont un mouvement accéléré dans une proportion dont je vais tâcher de donner une idée nette. Un Corps abandonné à lui-même du haut d'une Tour, parcourt, dans la premiere seconde de tems, un espace qui s'est trouvé être de 15 pieds de Paris, selon les découvertes d'Hugens inventeur en Mathématiques. On croyoit avant Galilée que ce Corps pendant deux secondes auroit parcouru seulement deux fois le même espace, & qu'ainsi il feroit 150 pieds en dix secondes, & neuf cens pieds en une minute: c'étoit-là l'opinion générale, & même fort vraisemblable à qui n'examine pas de près; cependant il est vrai qu'en une minute ce corps auroit fait un chemin de cinquante-quatre mille pieds, & deux cens seize mille pieds en deux minutes. Voici comment ce progrès, qui étonne d'abord l'imagination, s'opére nécessairement & avec simplicité. Un Corps est précipité par son propre poids: cette force quelconque qui l'anime à descendre de quinze pieds dans la premiere seconde, agit également à tous les instans, car rien n'ayant changé, il faut qu'elle soit toujours la même; ainsi à la deuxième seconde le Corps aura la force qu'il a acquise à chaque instant de la premiere seconde, & la force qu'il éprouve chaque instant de la deuxième. Or par la force qui l'animoit à la premiere seconde il parcouroit quinze pieds, il a donc encore cette force quand il descend la deuxième seconde. Il a outre cela la force de quinze autres pieds qu'il acquéroit à mesure qu'il descendoit dans cette premiere seconde, cela fait trente: il faut (rien n'ayant changé) que dans le tems de cette deuxième seconde, il ait encore la force de parcourir quinze pieds, cela fait quarante-cinq; par la même raison le Corps parcourra soixante-quinze pieds dans la troisième seconde, & ainsi du reste. De là il suit 1º. que le mobile acquiert en tems égaux infiniment petits des degrés infiniment petits de vîtesse, lesquels accélérent son mouvement vers le centre de la Terre, tant qu'il ne trouve pas de résistance. 2º. Que les vîtesses qu'il acquiert sont comme les tems qu'il employe à descendre. 3º. Que les espaces qu'il parcourt sont comme les quarrés de ces tems où de ces vîtesses. 4º. Que la progression des espaces parcourus par ce mobile sont comme les nombres impairs 1, 3, 5, 7. Cette connoissance nécessaire de ce Phénomêne qui arrive autour de nous à tous les instans, va être rendue sensible à ceux même qui seroient d'abord un peu embarrassés de tous ces rapports; il ne faut qu'un peu d'attention en jettant les yeux sur cette petite table que chaque Lecteur peut augmenter à son gré. +-----------+----------+---------------------+-------------------+ | Tems | Espaces | Espaces parcourus | Nombres impairs, | | dans | qu'il | sont comme les | qui marquent | | les | parcourt | quarrés des tems. | la progression du | | quels le | en | | mouvement, | | mobile | chaque | | & les espaces | | tombe. | tems. | | parcourus. | +-----------+----------+---------------------+-------------------+ | 1re. | Le Corps | Le quarré d'un est | Une fois | | Seconde, | descend | un, le corps | quinze, | | une | de 15 | parcourt | | | vîtesse: | pieds: | 15. pieds. | | | | | | | +-----------+----------+---------------------+-------------------+ | | | Le quarré de deux | | | | | secondes, ou de | | | 2me. | Le | deux vîtesses est | Trois fois | | Seconde, | Corps | quatre: quatre fois | quinze; | | deux | parcourt | quinze font 60; | ainsi la | | vîtesses: | 45. | donc le corps a | progression | | | pieds: | parcouru 60. pieds | est | | | | c'est-à-dire, 15. | d'un à 3. | | | | dans la premiere | dans cette | | | | seconde, & 45. dans | seconde. | | | | la deuxième. | | +-----------+----------+---------------------+-------------------+ | | | | Cinq fois | | | | Le quarré de 3. | 15. pieds; | | | | secondes est neuf: | ainsi la | | 3me. | Le | or neuf fois 15. | progression | | Seconde | Corps | font 135; donc le | est visiblement | | trois | parcourt | corps a parcouru | selon | | vîtesses. | 75. | dans les trois | les nombres | | | pieds. | secondes | impairs | | | | 135. pieds. | 1. 3. 5. &c. | +-----------+----------+---------------------+-------------------+ Il est clair d'abord qu'à chaque instant infiniment petit, le mobile reçoit un mouvement accéléré, puisque, par l'énoncé même de la proposition & par l'expérience, ce mouvement augmente continuellement. Par cette petite Table un coup d'œil démontrera, qu'au bout d'une minute le mobile aura parcouru cinquante-quatre mille pieds, car 54000. pieds font le quarré de soixante secondes, multiplié par quinze; or quinze multiplié par le quarré de soixante, qui est 3600. donne cinquante-quatre mille. De ces Expériences il naissoit une nouvelle conjecture, à la vérité bien fondée, mais qui requéroit pourtant une démonstration particuliére. Car, voyant qu'un corps, par une pesanteur toujours égale, faisoit soixante fois autant de chemin au bout de 60 minutes, qu'il en faisoit pendant la premiére minute, on présuma que la pesanteur elle-même devoit varier en raison quelconque des distances du centre de la Terre. Cela fit aussi soupçonner deslors à quelques grands Génies, qui cherchoient une route nouvelle, & entr'autres au fameux Bacon Chancelier d'Angleterre, qu'il y avoit une gravitation, une attraction des Corps au centre de la Terre, & de ce centre aux Corps. Il proposoit dans son excellent Livre _Novum Scientiarum Organum_, qu'on fît des expériences avec des Pendules sur les plus hautes Tours & aux profondeurs les plus grandes; car, disoit-il, si les mêmes Pendules font de plus rapides vibrations au fond d'un Puits que sur une Tour, il faut conclure que la pesanteur, qui est le principe de ces vibrations, sera beaucoup plus forte au centre de la Terre, dont ce Puits est plus proche. Il essaya aussi de faire descendre des mobiles de différentes élévations, & d'observer s'ils descendroient de moins de quinze pieds dans la premiére seconde; mais il ne parut jamais de variation dans ces expériences, les hauteurs & les profondeurs où on les faisoit étant trop petites. On restoit donc dans l'incertitude, & l'idée de cette force agissant du centre de la Terre demeuroit un soupçon vague. Descartes en eut connoissance: il en parle même en traitant de la pesanteur; mais les expériences qui devoient éclaircir cette grande question manquoient encore. Le Systême des tourbillons entraînoit ce Génie sublime & vaste: il vouloit en créant son Univers, donner la direction de tout à sa Matiere subtile: il en fit la dispensatrice de tout mouvement & de toute pesanteur; petit à petit l'Europe adopta son Systême faute de mieux. [Expérience faite par des Académiciens, laquelle conduit à cette découverte.] Enfin en 1672. Mr. Richer dans un Voyage à la Cayenne près de la Ligne, entrepris par ordre de Louïs XIV. sous les auspices de Colbert le Pere de tous les Arts: Richer, dis-je, parmi beaucoup d'observations, trouva que le Pendule de son Horloge ne faisoit plus ses oscillations, ses vibrations aussi fréquentes que dans la Latitude de Paris, & qu'il falloit absolument racourcir le Pendule d'une ligne & de plus d'un quart. La Physique & la Géométrie n'étoient pas alors, à beaucoup près, si cultivées qu'elles le sont aujourd'hui. Quel homme eût pu croire que de cette remarque si petite en apparence, & que d'une ligne de plus ou de moins, pussent sortir les plus grandes vérités Physiques? On trouva d'abord, qu'il falloit nécessairement que la pesanteur fût moindre sous l'Equateur, que dans notre Latitude, puisque la seule pesanteur fait l'oscillation d'un pendule. [La Terre plus haute à proportion à l'Equateur qu'au Pole.] On vit par conséquent que, puisque la pesanteur des Corps étoit d'autant moins forte, que ces Corps sont plus éloignés du centre de la Terre, il falloit absolument que la Région de l'Equateur fût beaucoup plus élevée que la nôtre, plus éloignée du centre, & qu'ainsi la Terre ne pouvoit être une Sphére. Beaucoup de Philosophes firent à propos de ces découvertes ce que font tous les hommes, à qui il faut changer d'opinion; ils combattirent la Vérité nouvelle. Une partie des Docteurs jusqu'au XV. Siècle avoit cru la Terre plate, plus longue d'Orient en Occident que du Midi au Septentrion, & couverte du Ciel comme d'une Tente en demi-voute. Leur opinion leur paroissoit d'autant plus sûre qu'ils la croyoient fondée sur la Bible. Peu de tems avant la découverte de l'Amérique, un Evêque d'Avila traitoit l'opinion de la rondeur de la Terre, d'impieté, & d'absurdité. Enfin la Raison & le Voyage de Christophe Colomb rendirent à la Terre son ancienne forme sphérique, que les Chaldéens & les Egyptiens lui avoient donnée. Alors on passa d'une extrémité à l'autre; on crut la Terre une Sphére parfaite, comme on croyoit que les Etoiles faisoient leur révolution dans un vrai cercle. Cependant du moment que l'on commença à bien savoir que notre Globe tourne sur lui-même en vingt-quatre heures, on auroit du juger de cela seul, qu'une forme entiérement ronde ne peut lui appartenir. On n'avoit qu'à considerer que le mouvement de rotation en vingt-quatre heures doit élever les Eaux de la Mer: que ces Eaux élevées plus que le reste du Globe devroient à tout moment retomber sur _les Terres_ de la Région de l'Equateur & les inonder: or elles n'y retombent pas; donc la Terre solide y doit être élevée comme les Eaux. Ce raisonnement si simple, si naturel, étoit échapé aux plus grands Génies; preuve certaine du préjugé qui n'avoit pas même permis ce leger examen. On contesta encore l'expérience même de Richer: on prétendit que nos Pendules ne faisoient leurs vibrations si promptes vers l'Equateur, que parce que la chaleur allongeoit ce métal: on vit que la chaleur du plus brûlant Eté l'allonge d'une ligne sur trente pieds de longueur; & il s'agissoit ici d'une ligne & un quart, d'une ligne & demie, ou même de deux lignes sur une verge de fer longue de 3 pieds 8 lignes. Quelques années après, Mrs. Deshayes, Varin, Feuillée, Couplet, repétérent vers l'Equateur la même expérience du Pendule; il le fallut toujours racourcir, quoique la chaleur fût très-souvent moins grande sous la Ligne même, qu'à quinze ou vingt degrès de la Ligne Equinoxiale. Cette expérience vient d'être confirmée de nouveau par les Académiciens qui sont à présent au Pérou; & on apprend dans le moment que vers Quito, dans un tems où il geloit, il a fallu racourcir le Pendule à secondes d'environ deux lignes. Tandis qu'on trouvoit ainsi de nouvelles vérités sous la Ligne, Mr. Picart par les mêmes ordres avoit donné en 1669 une mesure de la Terre, en traçant une petite partie de la Méridienne de la France. Elle ne donnoit pas à la vérité une mesure aussi exacte de notre Globe qu'on l'auroit eue, si l'on en avoit mesuré des degrés en France, & vers l'Equateur & vers le Cercle Polaire; mais cette différence sera trop petite pour être comptée dans les choses dont nous allons parler. Ces découvertes étoient nécessaires pour fonder la Théorie de Neuton. On se croit obligé ici de rapporter sur ces découvertes & sur cette Théorie une Anecdote qui ne sera pas sans utilité dans l'Histoire de l'Esprit humain, & qui servira à faire connoître combien l'exactitude est nécessaire dans les Sciences & combien Neuton cherchoit sincérement la Vérité. [Anecdote sur ces découvertes.] Il avoit jetté dès l'année 1666 les fondemens de son admirable Systême de la gravitation; mais il falloit pour que ce Systême se trouvât vrai dans toutes ses parties, & sur-tout pour tirer du mouvement de la Lune les conclusions que nous allons voir; il falloit, dis-je, que les degrés de Latitude fussent chacun environ de vingt-cinq lieues communes de France, & de près de soixante & dix milles d'Angleterre. Dès l'année 1636: Norwood Mathématicien Anglais avoit fait, par pure curiosité, depuis Londres jusqu'à Yorck, vers le Nord d'Angleterre, les mêmes opérations que les bienfaits du Ministère de France firent entreprendre depuis par Picart en 1669, vers le Nord de Paris, dans un moindre espace de terrain. Les degrés de Norwood se trouvoient, à très-peu de chose près, de 70 milles d'Angleterre, & de 25 lieues communes de France; c'étoit précisément la mesure que Neuton avoit devinée par sa Théorie, & qui pouvoit seule la justifier. Mais ce qui paroîtra étonnant, c'est qu'en 1666, & même plusieurs années après, Neuton ne savoit rien des mesures de Norwood, prises plus de 30 ans auparavant. Les malheurs qui avoient affligé l'Angleterre, avoient été aussi funestes aux Sciences qu'à l'Etat. La découverte de Norwood étoit ensévelie dans l'oubli; on s'en tenoit à la mesure fautive des Pilotes, qui par leur estime vague comptoient 60 milles seulement pour un degré de Latitude. Neuton retiré à la Campagne pendant la peste de 1666, n'étant point à portée d'être instruit des mesures de Norwood, s'en tenoit à cette fausse mesure des 60 milles. Ce fut par cette fausse mesure qu'il rechercha, comme nous l'allons dire, si le même pouvoir qui fait graviter ici les corps vers le centre de la Terre, retient la Lune dans son Orbite. Il se trouva assez loin des conclusions, où il seroit parvenu avec une mesure plus exacte de la Terre, & il eut la bonne foi d'abandonner sa recherche. Il la reprit quelques années après, sur les mesures de Picart, & il s'y confirma encore davantage en 1683. par les mesures plus exactes de Cassini, la Hire, Chazelles & Varin, qui encouragés par Colbert embrassérent un plus grand terrain que Picart. Ces Académiciens poussérent la Méridienne jusqu'en Auvergne; mais Colbert étant mort, Louvois, qui lui succéda dans le Département de l'Académie, & non dans son goût pour les Sciences, interrompit un peu ce grand travail. Ce ne fut guère que vers ce tems-là que Neuton eut connoissance des opérations de Norwood; il vit avec étonnement que ces mesures étoient les mêmes que celles de Picart & de Cassini, à cela près, que le degré mesuré par Norwood surpassoit celui de Picart de 240 toises, & ne surpassoit celui de Cassini que de huit. Neuton attribuoit ce petit excédant de huit toises par degré à la figure de la Terre, qu'il croyoit être celle d'un Sphéroïde applati vers les Poles; & il jugeoit que Norwood en tirant sa Méridienne dans des Régions plus Septentrionales que la nôtre, avoit du trouver ses degrés plus grands que ceux de Cassini, puisqu'il supposoit la courbe du terrain mesurée par Norwood plus longue. Quoi qu'il en soit, voici la sublime Théorie qu'il tira de ces mesures, & des découvertes du grand Galilée. [Théorie tirée de ces découvertes.] La pesanteur sur notre Globe est en raison réciproque des quarrés des distances des corps pesants du centre de la Terre; ainsi plus ces distances augmentent, plus la pesanteur diminue. La force qui fait la pesanteur ne dépend point des tourbillons de Matiere subtile, dont l'existence est démontrée fausse. Cette force, telle qu'elle soit, agit sur tous les corps, non selon leurs surfaces; mais selon leurs masses. Si elle agit à une distance, elle doit agir à toutes les distances; si elle agit en raison inverse du quarré de ces distances, elle doit toujours agir suivant cette proportion sur les corps connus, quand ils ne sont pas au point de contact, je veux dire, le plus près qu'il est possible d'être, sans être unis. Si, suivant cette proportion, cette force fait parcourir sur notre Globe 54000 pieds en 60 secondes, un corps qui sera environ à soixante rayons du centre de la Terre, devra en 60 secondes tomber seulement de quinze pieds de Paris ou environ. [La même cause qui fait tomber les corps sur la Terre, dirige la Lune autour de la Terre.] La Lune dans son moyen mouvement est éloignée du centre de la Terre d'environ soixante rayons du Globe de la Terre: or par les mesures prises en France on connoît combien de pieds contient l'Orbite que décrit la Lune; on sait par-là que dans son moyen mouvement elle décrit 187961 pieds de Paris en une minute. [Illustration] La Lune dans son moyen mouvement, est tombée de A, en B, elle a donc obéï à la force de projectile, qui la pousse dans la tangente A, C, & à la force, qui la feroit descendre suivant la ligne A, D. égale à B, C: ôtez la force qui la dirige de A, en C, restera une force qui pourra être évaluée par la ligne C, B: cette ligne C, B. est égale à la ligne A, D; mais il est démontré que la courbe A, B. valant 187961. pieds, la ligne A, D. ou C, B. en vaudra seulement quinze; donc que la Lune soit tombée en B, ou en D, c'est ici la même chose, elle auroit parcouru 15. pieds en une minute de C, en B; donc elle auroit parcouru 15. pieds aussi de A, en D. en une minute. Mais en parcourant cet espace en une minute, elle fait précisément 3600 fois moins de chemin qu'un mobile n'en feroit ici sur la Terre: 3600. est juste le quarré de sa distance; donc la gravitation qui agit ici sur tous les corps, agit aussi entre la Terre & la Lune précisément dans ce rapport de la raison inverse du quarré des distances. Mais si cette puissance qui anime les corps, dirige la Lune dans son Orbite, elle doit aussi diriger la Terre dans le sien, & l'effet qu'elle opére sur la Planete de la Lune, elle doit l'opérer sur la Planete de la Terre. Car ce pouvoir est par-tout le même: toutes les autres Planetes doivent lui être soumises, le Soleil doit aussi éprouver sa loi: & s'il n'y a aucun mouvement des Planetes les unes à l'égard des autres, qui ne soit l'effet nécessaire de cette puissance, il faut avouer alors que toute la Nature la démontre; c'est ce que nous allons observer plus amplement. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE DIX-NEUF. _Que la gravitation & l'attraction dirigent toutes les Planetes dans leurs Cours._ [Comment on doit entendre, la Théorie de la pesanteur chez Descartes.] PResque toute la Théorie de la pesanteur chez Descartes est fondée sur cette loi de la Nature, que tout corps qui se meut en ligne courbe, tend à s'éloigner de son centre en une ligne droite, qui toucheroit la courbe en un point. Telle est la fronde qui en s'échapant de la main au point B, suivroit cette ligne B, C. [Illustration] Tous les corps en tournant avec la Terre font ainsi un effort pour s'éloigner du centre; mais la Matiere subtile faisant un bien plus grand effort repousse, disoit-on, tous les autres corps. Il est aisé de voir que ce n'étoit point à la Matiere subtile à faire ce plus grand effort, & à s'éloigner du centre du tourbillon prétendu, plutôt que les autres corps; au contraire c'étoit sa nature (supposé qu'elle éxistât) d'aller au centre de son mouvement, & de laisser aller à la circonférence tous les corps qui auroient eu plus de masse. C'est en effet ce qui arrive sur une table qui tourne en rond, lorsque dans un tube pratiqué dans cette table, on a mêlé plusieurs poudres & plusieurs liqueurs de pesanteurs spécifiques différentes; tout ce qui a plus de masse s'éloigne du centre, tout ce qui a moins de masse s'en approche. Telle est la loi de la Nature; & lorsque Descartes a fait circuler à la circonférence sa prétendue Matiere subtile, il a commencé par violer cette loi des forces centrifuges, qu'il posoit pour son premier principe. Il a eu beau imaginer que Dieu avoit créé des dés tournans les uns sur les autres: que la raclure de ces dés qui faisoit sa Matiere subtile, s'échapant de tous les côtés, acquéroit par-là plus de vîtesse: que le centre d'un tourbillon s'encroutoit, &c.; il s'en falloit bien que ces imaginations rectifiassent cette erreur. Sans perdre plus de tems à combattre ces Etres de raison, suivons les loix de la Mécanique qui opére dans la Nature. Un corps qui se meut circulairement, prend en cette maniere, à chaque point de la courbe qu'il décrit, une direction qui l'éloigneroit du Cercle, en lui faisant suivre une ligne droite. [Illustration] Cela est vrai. Mais il faut prendre garde que ce corps ne s'éloigneroit ainsi du centre, que par cet autre grand Principe: que tout corps étant indifférent de lui-même au repos & au mouvement, & ayant cette inertie qui est un attribut de la Matiere, suit nécessairement la ligne dans laquelle il est mu. Or tout corps qui tourne autour d'un centre, suit à chaque instant une ligne droite infiniment petite, qui deviendroit une droite infiniment longue, s'il ne rencontroit point d'obstacle. Le résultat de ce principe, réduit à sa juste valeur, n'est donc autre chose, sinon qu'un corps qui suit une ligne droite, suivra toujours une ligne droite; donc il faut une autre force pour lui faire décrire une courbe; donc cette autre force, par laquelle il décrit la courbe le feroit tomber au centre à chaque instant, en cas que ce mouvement de projectile en ligne droite cessât. A la vérité de moment en moment ce corps iroit en A, en B, en C. s'il s'échapoit; [Illustration] [Ce que c'est que la force centrifuge, & la force centripète.] Mais aussi de moment en moment il retomberoit de A, de B, de C. au centre; parce que son mouvement est composé de deux sortes de mouvemens, du mouvement de projectile en ligne droite, & du mouvement imprimé aussi en ligne droite par la force centripète, force par laquelle il iroit au centre. Ainsi de cela même que le corps décriroit ces tangentes A, B, C. il est démontré qu'il y a un pouvoir qui le retire de ces tangentes à l'instant même qu'il les commence. Il faut donc absolument considerer tout corps se mouvant dans une courbe, comme mu par deux puissances, dont l'une est celle qui lui feroit parcourir des tangentes, & qu'on nomme la force centrifuge, ou plutôt la force d'inertie, d'inactivité, par laquelle un corps suit toujours une droite s'il n'en est empêché; & l'autre force qui retire le corps vers le centre, laquelle on nomme la force contripète, & qui est la véritable force. C'est ainsi qu'un corps mu selon la ligne horisontale G, E. & selon la ligne perpendiculaire G, F. obéït à chaque instant à ces deux puissances en parcourant la diagonale G, H. [Illustration] De l'établissement de cette force centripète, il résulte d'abord cette démonstration, que tout mobile qui se meut dans un cercle, ou dans une ellipse, ou dans une courbe quelconque, se meut autour d'un centre auquel il tend. Il suit encore que ce mobile, quelques portions de courbe qu'il parcoure, décrira dans ses plus grands arcs & dans ses plus petits arcs, des aires égales en tems égaux. Si, par exemple, un mobile en une minute borde l'espace A, C, B. qui contiendra cent milles d'aire, il doit border en deux minutes un autre espace B, C, D. de deux cens milles. [Illustration] Cette Loi inviolablement observée par toutes les Planetes, & inconnue à toute l'Antiquité, fut découverte il y a près de 150. ans par Kepler, qui a mérité le nom de _Législateur_ en Astronomie, malgré ses erreurs Philosophiques. Il ne pouvoit savoir encore la raison de cette règle à laquelle les corps célestes sont assujettis. L'extrême sagacité de Kepler trouva l'effet dont le génie de Neuton a trouvé la cause. Je vais donner ici la substance de la Démonstration de Neuton: elle sera aisément comprise par tout Lecteur attentif; car les hommes ont une Géométrie naturelle dans l'esprit, qui leur fait saisir les rapports, quand ils ne sont pas trop compliqués. On trouvera la Démonstration plus étendue en Notes[1] [2]. [1] DÉMONSTRATION. _Que tout mobile attiré par une force centripète décrit dans une ligne courbe des aires égales en tems égaux_. [Illustration] Tout corps se meut d'un mouvement uniforme, quand il n'y a point de force accélératrice; donc le corps A. mu en ligne droite dans le premier tems de A, en B. ira en pareil tems de B, en C. de C, en Z. Ces espaces conçus égaux, la force centripète dans le second tems donne à ce corps en B. un mouvement quelconque, & le corps au lieu d'aller en C. va en H.; quelle direction a-t-il eue différente de B, C.? Tirez les 4. lignes C, H. G, B. C, B. G, H. le mobile a suivi la diagonale B, H. de ce parallélogramme. Or les 2. côtés B, C. B, G. du parallélogramme sont dans le même plan que le triangle A, B, S. donc les forces sont dirigées vers G, S. & vers la droite A, B, C, Z. Les triangles S, H, B. S, C, B. sont égaux, puisqu'ils sont sur la même base S, B. & entre les parallelles H, C. G, B; mais S, B, A. S, C, B. sont égaux, ayant même base & même hauteur; donc S, B, A. S, H, B. sont aussi égaux. Il faut en dire autant des triangles S, T, H. S, D, H; donc tous ces triangles sont égaux. Diminuez la hauteur à l'infini, le corps à chaque moment infiniment petit décrira la courbe, de laquelle toutes les lignes tendent au point S.; donc dans tous les cas les aires de ces triangles sont proportionelles aux tems. [2] DÉMONSTRATION. _Que tout corps dans une courbe décrivant des triangles égaux autour d'un point, est mu par la force contripète autour de ce point_. [Illustration] Que cette courbe soit divisée en parties égales A, B. B, H. H, F. infiniment petites, décrites en tems égaux; soit conçue la force agir aux points B, H, F. soit A, B. prolongée en C. soit B, H. prolongée en T. le triangle S, A, B. sera égal au triangle S, B, H. car A, B. est égal à B, C; donc S, B, H. est égal à S, B, C; donc la force en B, G. est parallelle à C, H; mais cette ligne B, G. parallelle à C, H. est la ligne B, G, S. tendante au centre. Le corps en H. est dirigé par la force centripète selon une ligne parallelle à F, T. de même qu'au point B. il étoit dirigé par cette même force dans une ligne parallelle à C, H. Or la ligne parallelle à C, H. tend en S.; donc la ligne parallelle à F, T. tendra aussi en S.; donc toutes les lignes ainsi tirées tendront au point S. Concevez maintenant en S. des triangles semblables à ceux ci-dessus; plus ces triangles ci-dessus seront petits, plus les triangles en S. approcheront d'un point Physique, lequel point S. sera le centre des forces. [Illustration] Que le corps A. soit mu en B. en un espace de tems très-petit: au bout d'un pareil espace, un mouvement également continué (car il n'y a ici nulle accélération) le feroit venir en C; mais en B. il trouve une force qui le pousse dans la ligne B, H, S.; il ne suit donc ni ce chemin B, H, S. ni ce chemin A, B, C; tirez ce parallélogramme C, D. B, H. alors le mobile étant mu par la force B, C. & par la force B, H. s'en va selon la diagonale B, D. Or cette ligne B, D. & cette ligne B, A. conçues infiniment petites sont les naissances d'une courbe, &c.; donc ce corps se doit mouvoir dans une courbe. [Cette démonstration prouve que le Soleil est le centre de l'Univers & non la Terre.] Il doit border des espaces égaux en tems égaux, car l'espace du triangle S, B, A. est égal à l'espace du triangle S, B, D.: ces triangles sont égaux; donc ces aires sont égales; donc tout corps qui parcourt des aires égales en tems égaux dans une courbe, fait sa révolution autour du centre des forces auquel il tend; donc les Planetes tendent vers le Soleil, tournent autour du Soleil, & non autour de la Terre. Car en prenant la Terre pour centre, leurs aires sont inégales par rapport aux tems, & en prenant le Soleil pour centre, ces aires se trouvent toujours proportionnelles aux tems; si vous en exceptez les petits dérangemens causés par la gravitation même des Planétes. Pour bien entendre encore ce que c'est que ces aires proportionnelles aux tems, & pour voir d'un coup d'œil l'avantage que vous tirez de cette connoissance, regardez la Terre emportée dans son ellipse autour du Soleil S. son centre. Quand elle va de B, en D. elle ballaye un aussi grand espace que quand elle parcourt ce grand arc H. K: le Secteur H, K. regagne en largeur ce que le Secteur B, S, D. a en longueur. Pour faire l'aire de ces Secteurs égale en tems égaux, il faut que le corps vers H, K. aille plus vîte que vers B, D. Ainsi la Terre & toute Planéte se meut plus vîte dans son périhélie, qui est la courbe la plus voisine du Soleil S, que dans son aphélie, qui est la courbe la plus éloignée de ce même foyer S. [Illustration] [C'est pour les raisons précédentes que nous avons plus d'Eté que d'Hyver.] On connoît donc quel est le centre d'une Planéte, & quelle figure elle décrit dans son orbite par les aires qu'elle parcourt; on connoît que toute Planéte, lorsqu'elle est plus éloignée du centre de son mouvement, gravite moins vers ce centre. Ainsi la Terre étant plus près du Soleil d'un trentième, c'est-à-dire, d'un million de lieues, pendant notre Hyver que pendant notre Eté, est plus attirée aussi en Hyver; ainsi elle va plus vîte alors par la raison de sa courbe; ainsi nous avons huit jours & demi d'Eté plus que d'Hyver, & le Soleil paroît dans les Signes Septentrionaux huit jours & demi de plus que dans les Méridionaux. Puis donc que toute Planéte suit, par rapport au Soleil, son centre, cette Loi de gravitation que la Lune éprouve par rapport à la Terre, & à laquelle tous les corps sont soumis en tombant sur la Terre, il est démontré que cette gravitation, cette attraction, agit sur tous les corps que nous connoissons. Mais une autre puissante Démonstration de cette Vérité, est la Loi que suivent respectivement toutes les Planétes dans leurs cours & dans leurs distances; c'est ce qu'il faut bien examiner. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE VINGT. _Démonstration des loix de la gravitation, tirée des règles de Kepler; qu'une de ces loix de Kepler démontre le mouvement de la Terre._ [Grande règle de Kepler.] KEPLER trouva encore cette admirable règle, dont je vais donner un exemple avant que de donner la définition, pour rendre la chose plus sensible & plus aisée. Jupiter a 4. Satellites qui tournent autour de lui: le plus proche est éloigné de 2. Diamétres de Jupiter & 5. sixièmes, & il fait son tour en 42. heures: le dernier tourne autour de Jupiter en 402. heures; je veux savoir à quelle distance ce dernier Satellite est du centre de Jupiter. Pour y parvenir, je fais cette règle. Comme le quarré de 42. heures, révolution du 1er. Satellite, est au quarré de 402. heures, révolution du dernier; ainsi le cube de deux Diamétres & 5/6 est à un 4e. terme. Ce 4e. terme étant trouvé, j'en extrais la racine cube, cette racine cube se trouve 12. 2/3.; ainsi je dis que le 4e. Satellite est éloigné du centre de Jupiter de 12. Diamétres de Jupiter & 2/3. Je fais la même règle pour toutes les Planétes qui tournent autour du Soleil. Je dis: Venus tourne en 224. jours, & la Terre en 365; la Terre est à 30000000. de lieues du Soleil, à combien de lieues sera Venus? Je dis: comme le quarré de l'année de la Terre est au quarré de l'année de Venus, ainsi le cube de la distance moyenne de la Terre est à un 4e. terme dont la racine cubique sera environ 21700000. de lieues, qui font la distance moyenne de Venus au Soleil; j'en dis autant de la Terre & de Saturne, &c. Cette loi est donc, que le quarré d'une révolution d'une Planete est toujours au quarré des révolutions des autres Planetes, comme le cube de sa distance est aux cubes des distances des autres, au centre commun. [Raisons indignes d'un Philosophe données par Kepler de cette loi admirable.] Kepler qui trouva cette proportion, étoit bien loin d'en trouver la raison. Moins bon Philosophe qu'Astronome admirable, il dit (au 4e. Liv. de son Epitome) que le Soleil a une ame, non pas une ame intelligente _animum_, mais une ame végétante, agissante, _animam_: qu'en tournant sur lui-même il attire à soi les Planetes; mais que les Planetes ne tombent pas dans le Soleil, parce qu'elles font aussi une révolution sur leur axe. En faisant cette révolution, dit-il, elles présentent au Soleil tantôt un côté ami, tantôt un côté ennemi: le côté ami est attiré, & le côté ennemi est repoussé; ce qui produit le cours annuel des Planetes dans des Ellipses. Il faut avouer pour l'humiliation de la Philosophie, que c'est de ce raisonnement si peu Philosophique, qu'il avoit conclu que le Soleil devoit tourner sur son axe: l'erreur le conduisit par hazard à la vérité; il devina la rotation du Soleil sur lui-même plus de 15. ans avant que les yeux de Galilée la reconnussent à l'aide des Telescopes. Kepler ajoute dans son même Epitome p. 495. que la masse du Soleil, la masse de tout l'Ether, & la masse des Sphéres des Etoiles fixes sont parfaitement égales; & que ce sont les 3. Symboles de la Très-Sainte Trinité. Le Lecteur qui en lisant ces Elémens, aura vu de si grandes rêveries, à côté de si sublimes vérités, dans un aussi grand homme que Kepler, dans un aussi profond Mathématicien que Kirker, ne doit point en être surpris: on peut être un Génie en fait de calcul & d'observations, & se servir mal quelquefois de sa raison pour le reste; il y a tels Esprits qui ont besoin de s'appuyer sur la Géométrie, & qui tombent quand ils veulent marcher seuls. Il n'est donc pas étonnant que Kepler, en découvrant ces loix de l'Astronomie, n'ait pas connu la raison de ces loix. [Raison véritable de cette loi trouvée par Neuton.] Cette raison est, que la force centripète est précisément en proportion inverse du quarré de la distance du centre de mouvement, vers lequel ces forces sont dirigées; c'est ce qu'il faut suivre attentivement. Il faut bien entendre, qu'en un mot cette loi de la gravitation est telle, que tout corps qui approche 3. fois plus du centre de son mouvement, gravite 9. fois davantage: que s'il s'éloigne 3. fois plus, il gravitera 9. fois moins; & que s'il s'éloigne 100. fois plus, il gravitera 10000. fois moins. Un corps se mouvant circulairement autour d'un centre, pese donc en raison inverse du quarré de sa distance actuelle au centre, comme aussi en raison directe de sa masse; or il est démontré que c'est la gravitation qui le fait tourner autour de ce centre, puisque sans cette gravitation, il s'en éloigneroit en décrivant une tangente. Cette gravitation agira donc plus fortement sur un mobile, qui tournera plus vîte autour de ce centre; & plus ce mobile sera éloigné, plus il tournera lentement, car alors il pesera bien moins. C'est par cette raison que la Terre, quoique 1170. fois plus petite que Jupiter, ne pese pourtant sur le Soleil que 8. fois moins que Jupiter; & cela en raison directe des masses, & en raison inverse des quarrés des distances de ces Planetes au Soleil. [Récapitulation des preuves de la gravitation.] Voilà donc cette loi de la gravitation en raison du quarré des distances, démontrée 1º. Par l'Orbite que décrit la Lune, & par son éloignement de la Terre, son centre; 2º. Par le chemin de chaque Planete autour du Soleil dans une Ellipse; 3º. Par la comparaison des distances & des révolutions de toutes les Planetes autour de leur centre commun. [Ces découvertes de Kepler & de Neuton servent à démontrer que c'est la Terre qui tourne autour du Soleil.] Il ne sera pas inutile de remarquer que cette même règle de Kepler, qui sert à confirmer la découverte de Neuton touchant la gravitation, confirme aussi le Systême de Copernic sur le mouvement de la Terre. On peut dire que Kepler par cette seule règle a démontré ce qu'on avoit trouvé avant lui, & a ouvert le chemin aux vérités qu'on devoit découvrir un jour. Car d'un côté il est démontré que si la loi des forces centripètes n'avoit pas lieu, la règle de Kepler seroit impossible; de l'autre il est démontré que suivant cette même règle, si le Soleil tournoit autour de la Terre, il faudroit dire: Comme la révolution de la Lune autour de la Terre en un mois, est à la révolution prétendue du Soleil autour de la Terre en un an, ainsi la racine quarrée du cube de la distance de la Lune à la Terre, est à la racine quarrée du cube de la distance du Soleil à la Terre. Par ce calcul on trouveroit que le Soleil n'est qu'à 510000. lieues de nous; mais il est prouvé qu'il en est au moins à environ 30. millions de lieues; ainsi donc le mouvement de la Terre a été démontré en rigueur par Kepler. Voici encore une démonstration bien simple tirée des mêmes théorêmes. [Démonstration du mouvement de la Terre tirée des mêmes loix.] Si la Terre étoit le centre du mouvement du Soleil, comme elle l'est du mouvement de la Lune, la révolution du Soleil seroit de 475. ans, au lieu d'une année; car l'éloignement moyen où le Soleil est de la Terre, est à l'éloignement moyen où la Lune est de la Terre, comme 337. est à un: or le cube de la distance de la Lune est 1., le cube de la distance du Soleil 38272753: achevez la règle, & dites: Comme le cube 1. est à ce nombre cubé 38272753. ainsi le quarré de 28. qui est la révolution périodique de la Lune est à un 4e. nombre: vous trouverez que le Soleil mettroit 475. ans au lieu d'une année à tourner autour de la Terre; il est donc démontré que c'est la Terre qui tourne. Il semble d'autant plus à propos de placer ici ces Démonstrations, qu'il y a encore des hommes destinez à instruire les autres en Italie, en Espagne, & même en France, qui doutent, ou qui affectent de douter du mouvement de la Terre. Il est donc prouvé par la loi de Kepler & par celle de Neuton, que chaque Planete gravite vers le Soleil, centre de l'Orbite qu'elles décrivent: ces loix s'accomplissent dans les Satellites de Jupiter par rapport à Jupiter, leur centre: dans les Lunes de Saturne par rapport à Saturne, dans la nôtre par rapport à nous: toutes ces Planetes secondaires qui roulent autour de leur Planete centrale gravitent aussi avec leur Planete centrale vers le Soleil; ainsi la Lune entraînée autour de la Terre par la force centripète, est en même tems attirée par le Soleil autour duquel elle fait aussi sa révolution. Il n'y a aucune varieté dans le cours de la Lune, dans ses distances de la Terre, dans la figure de son Orbite, tantôt aprochante de l'ellipse, tantôt du cercle, &c. qui ne soit une suite de la gravitation en raison des changemens de sa distance à la Terre, & de sa distance au Soleil. Si elle ne parcourt pas exactement dans son Orbite des aires égales en tems égaux; Mr. Neuton a calculé tous les cas où cette inégalité se trouve: tous dépendent de l'attraction du Soleil; il attire ces 2. Globes en raison directe de leurs masses, & en raison inverse du quarré de leurs distances. Nous allons voir que la moindre variation de la Lune est un effet nécessaire de ces pouvoirs combinez. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE VINGT-UN. _Nouvelles preuves de l'attraction. Que les inégalités du mouvement & de l'Orbite de la Lune sont nécessairement les effets de l'attraction._ LA Lune n'a qu'un seul mouvement égal, c'est sa rotation autour d'elle-même sur son axe, & c'est le seul dont nous ne nous appercevons pas: c'est ce mouvement qui nous présente toujours à-peu-près le même disque de la Lune; de sorte qu'en tournant réellement sur elle-même, elle paroît ne point tourner du tout, & avoir seulement un petit mouvement de balancement, de libration, qu'elle n'a point, & que toute l'Antiquité lui attribuoit. Tous ses autres mouvemens autour de la Terre sont inégaux, & doivent l'être si la règle de la gravitation est vraye. La Lune dans son cours d'un mois est nécessairement plus près du Soleil dans un certain point, & dans un certain tems de son cours: or dans ce point & dans ce tems sa masse demeure la même: sa distance étant seulement changée, l'attraction du Soleil doit changer en raison renversée du quarré de cette distance: le cours de la Lune doit donc changer, elle doit donc aller plus vîte en certains tems que l'attraction seule de la Terre ne la feroit aller; or par l'attraction de la Terre elle doit parcourir des aires égales en tems égaux, comme vous l'avez déja observé au Chapitre 19. On ne peut s'empêcher d'admirer avec quelle sagacité Neuton a démêlé toutes ces inégalités, réglé la marche de cette Planete, qui s'étoit dérobée à toutes les recherches des Astronomes; c'est-là sur-tout qu'on peut dire: _Nec propius fas est mortali attingere Divos._ [Exemple en preuve.] Entre les exemples qu'on peut choisir, prenons celui-ci: Soit A. la Lune: A, B, N, Q. l'Orbite de la Lune: S. le Soleil; B. l'endroit où la Lune se trouve dans son dernier quartier[*]. [*] On a laissé ce blanc, & renvoyé la suite du Texte avec la Figure aux pages suivantes, pour la commodité du Lecteur. Elle est alors manifestement à la même distance du Soleil qu'est la Terre. La différence de l'obliquité de la ligne de direction de la Lune au Soleil étant comptée pour rien, la gravitation de la Terre & de la Lune vers le Soleil est donc la même. Cependant la Terre avance dans sa route annuelle de T. en V. & la Lune dans son cours d'un mois avance en Z.: or en Z. il est manifeste qu'elle est plus attirée par le Soleil S. dont elle se trouve plus proche que la Terre; son mouvement sera donc accéléré de Z. vers N.; l'Orbite qu'elle décrit sera donc changée, mais comment sera-t-elle changée? En s'aplatissant un peu, en devenant plus approchante d'une droite depuis Z. vers N.; ainsi donc de moment en moment la gravitation change le cours & la forme de l'Ellipse, dans laquelle se meut cette Planete. [Illustration: _Pag. 264._] Par la même raison la Lune doit retarder son cours, & changer encore la figure de l'Orbite qu'elle décrit, lorsqu'elle repasse de la conjonction N. à son premier quartier Q; car puisque de son dernier quartier elle accéléroit son cours en aplatissant sa courbe vers sa conjonction N. elle doit retarder ce même cours en remontant de la conjonction vers son premier quartier. Mais lorsque la Lune remonte de ce premier quartier vers son plein A. elle est alors plus loin du Soleil qui l'attire d'autant moins, elle gravite plus vers la Terre. Alors la Lune accélérant son mouvement, la courbe qu'elle décrit s'applatit encore un peu comme dans la conjonction; & c'est-là l'unique raison pour laquelle la Lune est plus loin de nous dans ses quartiers, que dans sa conjonction & dans son opposition. La courbe qu'elle décrit est une espèce d'ovale approchant du cercle à-peu-près en cette maniere. [Illustration] Ainsi donc le Soleil, dont elle s'approche, ou s'éloigne à chaque instant, doit à chaque instant varier le cours de cette Planete. [Inégalités du cours de la Lune, toutes causées par l'attraction.] Elle a son apogée & son périgée, sa plus grande & sa plus petite distance de la Terre; mais les points, les places de cet apogée & de ce périgée, doivent changer. Elle a ses nœuds, c'est-à-dire, les points où l'Orbite qu'elle parcourt, rencontre précisément l'Orbite de la Terre; mais ces nœuds, ces points d'intersection, doivent toujours changer aussi. Elle a son Equateur incliné à l'Equateur de la Terre; mais cet Equateur, tantôt plus tantôt moins attiré, doit changer son inclinaison. Elle suit la Terre malgré toutes ces variétés: elle l'accompagne dans sa course annuelle; mais la Terre dans cette course se trouve d'un million de lieues plus voisine du Soleil en Hyver qu'en Eté. Qu'arrive-t-il alors indépendemment de toutes ces autres variations? L'attraction de la Terre agit plus pleinement sur la Lune en Eté: alors la Lune acheve son cours d'un mois un peu plus vîte; mais en Hyver au contraire, la Terre elle-même plus attirée par le Soleil, & allant plus rapidement qu'en Eté, laisse ralentir le cours de la Lune, & les mois d'Hyver de la Lune sont un peu plus longs que ses mois d'Eté. Ce peu que nous en disons suffira pour donner une idée générale de ces changemens. Si quelqu'un faisoit ici la difficulté que j'ai entendu proposer quelquefois, comment la Lune étant plus attirée par le Soleil, ne tombe pas alors dans cet Astre? Il n'a d'abord qu'à considerer que la force de gravitation qui dirige la Lune autour de la Terre est seulement diminuée ici par l'action du Soleil; nous verrons de plus à l'article des Cometes, pourquoi un corps qui se meut en une Ellipse & qui s'approche de son foyer ne tombe point cependant dans ce foyer. [Déduction de ces vérités.] De ces inégalités du cours de la Lune, causées par l'attraction, vous conclurez avec raison, que deux Planetes quelconques, assez voisines, assez grosses pour agir l'une sur l'autre sensiblement, ne pourront jamais tourner dans des cercles autour du Soleil, ni même dans des Ellipses absolument réguliéres. Ainsi les courbes que décrivent Jupiter & Saturne, éprouvent, par exemple, des variations sensibles, quand ces Astres sont en conjonction: quand, étant le plus près l'un de l'autre qu'il est possible, & le plus loin du Soleil, leur action mutuelle augmente, & celle du Soleil sur eux diminue. [La gravitation n'est point l'effet du cours des Astres, mais leur cours est l'effet de la gravitation.] Cette gravitation augmentée & affoiblie selon les distances, assignoit donc nécessairement une figure elliptique irréguliére au chemin de la plûpart des Planetes; ainsi la loi de la gravitation n'est point l'effet du cours des Astres, mais l'orbite qu'ils décrivent est l'effet de la gravitation. Si cette gravitation n'étoit pas comme elle est en raison inverse des quarrés des distances, l'Univers ne pourroit subsister dans l'ordre où il est. Si les Satellites de Jupiter & de Saturne font leur révolution dans des courbes qui sont plus approchantes du cercle, c'est qu'étant très-proches des grosses Planetes qui sont leur centre, & très-loin du Soleil, l'action du Soleil ne peut changer le cours de ces Satellites, comme elle change le cours de notre Lune; il est donc prouvé que la gravitation, dont le nom seul sembloit un si étrange paradoxe, est une loi nécessaire dans la constitution du Monde; tant ce qui est peu vraisemblable est vrai quelquefois. Souvenons-nous ici combien il sembloit absurde autrefois que la figure de la Terre ne fût pas sphérique, & cependant il est prouvé, comme nous l'avons vu, que la Terre ne peut avoir une forme entiérement sphérique; il en est ainsi de la gravitation. Il n'y a pas à présent de bon Physicien qui ne reconnoisse & la règle de Kepler, & la nécessité d'admettre une gravitation telle que Neuton l'a prouvée; mais il y a encore des Philosophes attachés à leurs tourbillons de Matiere subtile, qui voudroient concilier ces tourbillons imaginaires avec ces Vérités démontrées. [Cette gravitation, cette attraction, peut être un premier Principe établi dans la Nature.] Nous avons déja vu combien ces tourbillons sont inadmissibles; mais cette gravitation même ne fournit-elle pas une nouvelle démonstration contr'eux? Car supposé que ces tourbillons existassent, ils ne pourroient tourner autour d'un centre que par les loix de cette gravitation même; il faudroit donc recourir à cette gravitation, comme à la cause de ces tourbillons, & non pas aux tourbillons prétendus, comme à la cause de la gravitation. Si étant forcé enfin d'abandonner ces tourbillons imaginaires, on se réduit à dire, que cette gravitation, cette attraction, dépend de quelqu'autre cause connue, de quelqu'autre proprieté secrette de la Matiere: ou cette autre proprieté sera elle-même l'effet d'une autre proprieté, ou bien sera une cause primordiale, un premier principe établi par l'Auteur de la Nature; or pourquoi l'attraction de la Matiere ne sera-t-elle pas elle-même ce premier principe? [Illustration] [Illustration] CHAPITRE VINGT-DEUX. _Nouvelles preuves & nouveaux effets de la gravitation: que ce pouvoir est dans chaque partie de la Matiere; Découvertes dépendantes de ce principe._ REcueillons de toutes ces notions que la force centripète, l'attraction, la gravitation, est le Principe indubitable & du cours des Planetes, & de la chûte de tous les corps, & de cette pesanteur que nous éprouvons dans les corps. Cette force centripète, cette attraction, n'est & ne peut être le simple pouvoir d'un corps d'en appeller un autre à lui: nous la considérons ici comme une force dont résulte le mouvement autour d'un centre; cette force fait graviter le Soleil vers le centre des Planetes, comme les Planetes gravitent vers le Soleil, & attire la Terre vers la Lune, comme la Lune vers la Terre. Une des loix primitives du mouvement est encore une nouvelle Démonstration de cette Vérité: cette loi est que la réaction est égale à l'action; ainsi si le Soleil gravite sur les Planetes, les Planetes gravitent sur lui, & nous verrons au commencement du Chapitre suivant en quelle maniere cette grande loi s'opére. Or cette gravitation agissant nécessairement _en raison directe de la masse_, & le Soleil étant environ 760 fois plus gros que toutes les Planetes mises ensemble, (sans compter les Satellites de Jupiter, & l'anneau & les Lunes de Saturne) il faut que le Soleil soit leur centre de gravitation; ainsi il faut qu'elles tournent toutes autour du Soleil. [Remarque générale & importante sur le principe de l'attraction.] Remarquons soigneusement que, quand nous disons que le pouvoir de gravitation agit _en raison directe des masses_, nous entendons toujours que ce pouvoir de la gravitation agit d'autant plus sur un corps, que ce corps a plus de parties, & nous l'avons démontré en faisant voir qu'un brin de paille descend aussi vîte dans la Machine purgée d'air, qu'une livre d'or. Nous avons dit (en faisant abstraction de la petite résistance de l'air) qu'une balle de plomb, par exemple, tombe de 15. pieds sur la Terre en une seconde: nous avons démontré que cette même balle tomberoit de 15. pieds en une minute, si elle étoit à 60. rayons de la Terre comme est la Lune; donc le pouvoir de la Terre sur la Lune est au pouvoir qu'elle auroit sur une balle de plomb transportée à l'élévation de la Lune, comme le corps solide de la Lune seroit avec le corps solide de cette petite balle. C'est en cette proportion que le Soleil agit sur toutes les Planetes; il attire Jupiter & Saturne, & les Satellites de Jupiter & de Saturne, en raison directe de la matiere solide, qui est dans les Satellites de Jupiter & de Saturne, & de celle qui est dans Saturne & dans Jupiter. De-là il découle une Vérité incontestable, que cette gravitation n'est pas seulement dans la masse totale de chaque Planete, mais dans chaque partie de cette masse; & qu'ainsi il n'y a pas un atome de matiere dans l'Univers, qui ne soit revêtu de cette proprieté. [La gravitation, l'attraction, est dans toutes les parties de la matiere également.] Nous choisirons ici la maniere la plus simple dont Neuton a démontré que cette gravitation est également dans chaque atome. Si toutes les parties d'un Globe n'avoient pas également cette proprieté: s'il y en avoit de plus foibles & de plus fortes, la Planete en tournant sur elle-même présenteroit nécessairement des côtés plus foibles, & ensuite des côtés plus forts à pareille distance; ainsi les mêmes corps dans toutes les occasions possibles éprouvent tantôt un degré de gravitation, tantôt un autre à pareille distance; la loi de la raison inverse des quarrés des distances & la loi de Kepler seroient toujours interverties; or elles ne le sont pas; donc il n'y a dans toutes les Planetes aucune partie moins gravitante qu'une autre. En voici encore une Démonstration. S'il y avoit des corps en qui cette proprieté fût différente, il y auroit des corps qui tomberoient plus lentement & d'autres plus vîte dans la Machine du vuide: or tous les corps tombent dans le même-tems, tous les pendules mêmes font dans l'air de pareilles vibrations à égale longueur: les pendules d'or, d'argent, de fer, de bois d'Erable, de verre, font leurs vibrations en tems égaux; donc tous les corps ont cette proprieté de la gravitation précisément dans le même degré, c'est-à-dire, précisément comme leurs masses; de sorte que la gravitation agit comme 100. sur 100. atomes, & comme 10. sur 10. atomes. De Vérité en Vérité on s'éleve insensiblement à des connoissances qui sembloient être hors de la sphére de l'Esprit humain. [Calcul hardi & admirable de Neuton.] Neuton a osé calculer à l'aide des seules loix de la gravitation, quelle doit être la pesanteur des corps dans d'autres Globes que le nôtre: ce que doit peser dans la Lune, dans Saturne, dans le Soleil, le même corps que nous appellons ici une livre; & comme ces différentes pesanteurs dépendent directement de la masse des Globes, il a fallu calculer quelle doit être la masse de ces Astres. Qu'on dise après cela que la gravitation, l'attraction, est une qualité occulte: qu'on ose appeller de ce nom une loi universelle, qui conduit à de si étonnantes découvertes. Il n'est rien de plus aisé que de connoître la grosseur d'un Astre quelconque, dès qu'on connoît son diametre; car le produit de la circonférence du grand Cercle par le diametre donne la surface de l'Astre, & le tiers du produit de cette surface par le rayon fait la grosseur. Mais en connoissant cette grosseur, on ne connoît point du tout la masse, c'est-à-dire, la quantité de la matiere que l'Astre contient; on ne le peut savoir que par cette admirable découverte des loix de la gravitation. [Comment on peut connoître la quantité de matiere d'un Astre, & ce que les mêmes corps pesent sur les divers Astres.] 1º. _Quand on dit_ densité, quantité de matiere, _dans un Globe quelconque, on entend que la matiere de ce Globe est homogène; par exemple, que tout pied cubique de cette matiere est également pesant._ 2º. _Tout Globe attire en raison directe de sa masse; ainsi toutes choses égales, un Globe qui aura 10. fois plus de masse, attirera 10. fois davantage qu'un corps 10. fois moins massif n'attirera à pareille distance._ 3º. _Il faut absolument considerer la grosseur, la circonférence de ce Globe quelconque; car plus la circonférence est grande, plus la distance au centre augmente, & il attire en raison renversée du quarré de cette distance. Exemple, si le diametre de la Planete A. est 4. fois plus grand que celui de la Planete B. toutes deux ayant également de matiere, la Planete A. attirera les corps à sa superficie 16. fois moins que la Planete B. & ce qui pesera une livre sur la Planete A. pesera 16. livres sur la Planete B._ 4º. _Il faut savoir sur-tout en combien de tems les mobiles attirés par ce Globe duquel on cherche la densité, font leur révolution autour de ce Globe; car, comme nous l'avons vu au Chapitre 19. tout corps circulant autour d'un autre, gravite d'autant plus qu'il tourne plus vîte; or il ne gravite davantage que par l'une de ces deux raisons, ou parce qu'il s'approche plus du centre qui l'attire, ou parce que ce centre attirant contient plus de matiere. Si donc je veux savoir la densité du Soleil par rapport à la densité de notre Terre, je dois comparer le tems de la révolution d'une Planete comme Venus autour du Soleil, avec le cours de la Lune autour de notre Terre, & la distance de Venus au Soleil avec la distance de la Lune à la Terre._ 5º. _Voici comme je procéde. La quantité de matiere du Soleil, par rapport à celle de la Terre, est comme le cube de la distance de Venus au centre du Soleil est au cube de la distance de la Lune au centre de la Terre (prenant la distance de Venus au Soleil 257. fois plus grande que celle de la Lune à la Terre), & aussi en raison réciproque du quarré du tems périodique de Venus autour du Soleil, au quarré du tems périodique de la Lune autour de la Terre._ _Cette opération faite, en supposant toujours que le Soleil est à la Terre en grosseur comme un million à l'unité, & en comptant rondement, vous trouverez que le Soleil, plus gros que la Terre un million de fois, n'a que 250000. fois ou environ plus de matiere._ _Cela supposé, je veux savoir quelle proportion se trouve entre la force de la gravitation à la surface du Soleil, & cette même force à la surface de la Terre; je veux savoir en un mot combien pese sur le Soleil ce qui pese ici une livre._ _Pour y parvenir, je dis: La force de cette gravitation dépend directement de la densité des Globes attirants, & de la distance du centre de ces Globes aux corps pesants sur ces Globes: or les corps pesants se trouvants à la superficie du Globe, leur distance est précisément le rayon du Globe; mais le rayon du Globe de la Terre est à celui du Soleil comme 1. est à 100. & la densité respective de la Terre est à celle du Soleil comme 4. est à 1. Dites donc: comme 100, rayon du Soleil multiplié par un, est à 4, densité de la Terre multipliée par 1. ainsi est la pesanteur des corps sur la surface du Soleil à la pesanteur des même corps sur la surface de la Terre: ce rapport de 100. à 4. réduit aux plus petits termes, est comme 25. à 1.; donc une livre pese 25. livres sur la surface du Soleil, ce que je cherchois._ _J'ai supposé ici les densités respectives de la Terre & du Soleil comme 4. & 1., mais ce n'est pas tout-à-fait 4; aussi la pesanteur des corps sur la surface du Soleil est à celle des corps sur la Terre environ comme 24., & non pas comme 25. à 1._ On ne peut avoir les mêmes notions de toutes les Planetes, car celles qui n'ont point de Lunes, point de Satellites, manquant de Planetes de comparaison, ne peuvent être soumises à nos recherches; ainsi nous ne savons point le rapport de gravitation qui est entre Mercure, Mars, Venus & nous, mais nous savons celui des autres Planetes. Je vais donner une petite Théorie de tout notre Monde Planétaire, tel que les découvertes de Neuton servent à le faire connoître; ceux qui voudront se rendre une raison plus approfondie de ces calculs, liront Neuton lui-même, ou Grégory, ou Mr. de Gravesande. Il faut seulement avertir qu'en suivant les proportions découvertes par Neuton, nous nous sommes attachés au calcul Astronomique de l'Observatoire de Paris. Quel que soit le calcul, les proportions & les preuves sont les mêmes. [Illustration] [Illustration] CHAPITRE VINGT-TROIS. _Théorie de notre Monde Planétaire._ LE SOLEIL. LE Soleil est au centre de notre Monde Planétaire & doit y être nécessairement. Ce n'est pas que le point du milieu du Soleil soit précisément le centre de l'Univers; mais ce point central vers lequel notre Univers gravite, est nécessairement dans le corps de cet Astre, & toutes les Planetes, ayant reçu une fois le mouvement de projectile, doivent toutes tourner autour de ce point, qui est dans le Soleil. En voici la preuve. Soient ces deux Globes A. & B. le plus grand représentant le Soleil, le plus petit représentant une Planete quelquonque. S'ils sont abandonnés l'un & l'autre à la loi de la gravitation, & libres de tout autre mouvement, ils seront attirés en raison directe de leurs masses: ils seront déterminés en ligne perpendiculaire l'un vers l'autre; & A. plus gros un million de fois que B. forcera B. à se jetter vers lui un million de fois plus vîte que le Globe A. n'ira vers B. [Illustration] [Démonstration du mouvement de la Terre autour du Soleil tirée de la gravitation.] Mais qu'ils ayent l'un & l'autre un mouvement de projectile en raison de leurs masses, la Planete en B, C. le Soleil en A, D.: alors la Planete obéït à 2. mouvemens: elle suit la ligne B, C. & gravite en même-tems vers le Soleil suivant la ligne B, A; elle parcourera donc la ligne courbe B, F. le Soleil de même suivra la ligne A, E; & gravitant l'un vers l'autre, ils tourneront autour d'un centre commun. Mais le Soleil surpassant un million de fois la Terre en grosseur, & la courbe A, E. qu'il décrira étant un million de fois plus petite que celle que décrit la Terre, ce centre commun est nécessairement presqu'au milieu du Soleil. Il est démontré encore par-là que la Terre & les Planetes tournent autour de cet Astre; & cette démonstration est d'autant plus belle & plus puissante, qu'elle est indépendante de toute observation, & fondée sur la Mécanique primordiale du Monde. [Grosseur du Soleil.] Si l'on fait le Diametre du Soleil égal à cent Diametres de la Terre, & si par conséquent il surpasse un million de fois la Terre en grosseur, il est 760. fois plus gros que toutes les Planetes ensemble, en ne comptant ni les Satellites de Jupiter ni l'Anneau de Saturne. Il gravite vers les Planetes & les fait graviter toutes vers lui; c'est cette gravitation qui les fait circuler en les retirant de la tangente, & l'attraction que le Soleil exerce sur elles, surpasse celles qu'elles exercent sur lui, autant qu'il les surpasse en quantité de matiere. Ne perdez jamais de vûe que cette attraction réciproque n'est autre chose que la loi des mobiles gravitants tous & tournants tous vers un centre commun. [Il tourne sur lui-même autour du centre commun du Monde planétaire.] Le Soleil tourne donc sur ce centre commun, c'est-à-dire sur lui-même en 25. jours & 1/2. son point de milieu est toujours un peu éloigné de ce centre commun de gravité, & le corps du Soleil s'en éloigne à proportion que plusieurs Planetes en conjonction l'attirent vers elles; mais quand toutes les Planetes se trouveroient d'un côté & le Soleil d'un autre, le centre commun de gravité du Monde Planétaire sortiroit à peine du Soleil, & leurs forces réunies pourroient à peine déranger & remuer le Soleil d'un Diametre entier. [Il change toujours de place.] Il change donc réellement de place à tout moment, à mesure qu'il est plus ou moins attiré par les Planetes: & ce petit approchement du Soleil rétablit le dérangement que les Planetes opérent les unes sur les autres; ainsi le dérangement continuel de cet Astre entretient l'ordre de la Nature. Quoiqu'il surpasse un million de fois la Terre en grosseur, il n'a pas un million plus de matiere, comme on l'a déja dit. S'il étoit en effet un million de fois plus solide, plus plein que la Terre, l'ordre du Monde ne seroit pas tel qu'il est; car les révolutions des Planetes & leurs distances à leur centre dépendent de leur gravitation, & leur gravitation dépend en raison directe de la quantité de la matiere du Globe où est leur centre; donc si le Soleil surpassoit à un tel excès notre Terre & notre Lune en matiere solide, ces Planetes seroient beaucoup plus attirées, & leurs Ellipses très-dérangées. [Sa densité.] En second lieu la matiere du Soleil ne peut-être comme sa grosseur; car ce Globe étant tout en feu, la rarefaction est nécessairement fort grande, & la matiere est d'autant moindre que la rarefaction est plus forte. Par les loix de la gravitation il paroît que le Soleil n'a que 250000. fois plus de matiere que la Terre; or le Soleil un million plus gros n'étant que le quart d'un million plus matériel, la Terre un million de fois plus petite aura donc à proportion 4. fois plus de matiere que le Soleil, & sera quatre fois plus dense. Le même corps en ce cas, qui pese fur la surface de la Terre comme une livre, peseroit sur la surface du Soleil comme 25. livres; mais cette proportion est de 24. à l'unité, parce que la Terre n'est pas en effet 4. fois plus dense, & que le diametre du Soleil surpasse seulement 97 fois & demi celui de la Terre. [En quelle proportion les corps tombent sur le Soleil.] Le même corps qui tombe ici de 15. pieds dans la 1ere. seconde, tombera d'environ 350. pieds sur la surface du Soleil, toutes choses d'ailleurs égales. Le Soleil perd toujours, selon Neuton, un peu de sa substance, & seroit dans la suite des siècles réduit à rien, si les Cometes, qui tombent de tems en tems dans sa Sphére, ne servoient à réparer ses pertes; car tout s'altére & tout se répare dans l'Univers. MERCURE. Depuis le Soleil jusqu'à onze à douze millions de nos lieues ou environ, il ne paroît aucun Globe. A 11. ou 12. millions de nos lieues du Soleil est Mercure dans sa moyenne distance. C'est la plus excentrique de toutes les Planetes: elle tourne dans une Ellipse qui la met dans son périhélie près d'un tiers plus près que dans son aphélie; telle est à-peu-près la courbe qu'elle décrit. [Illustration] Mercure est à-peu-près 27. fois plus petit que la Terre; il tourne autour du Soleil en 88. jours, ce qui fait son année. [Idée de Neuton sur la densité du corps de Mercure.] Sa révolution sur lui-même qui fait son jour est inconnue; on ne peut assigner ni sa pesanteur, ni sa densité. On sait seulement que si Mercure est précisément une Terre comme la nôtre, il faut que la matiere de ce Globe soit environ 8. fois plus dense que la nôtre, pour que tout n'y soit pas dans un degré d'effervescence qui tueroit en un instant des Animaux de notre espèce, & qui feroit évaporer toute matiere de la consistence de eaux de notre Globe. Voici la preuve de cette assertion. Mercure reçoit environ 7. fois plus de lumiere que nous, à raison du quarré des distances, parce qu'il est environ 2. fois 2/3 plus près du centre de la lumiere & de la chaleur; donc il est 7. fois plus étouffé, toutes choses égales. Or sur notre Terre la grande chaleur de l'Eté étant augmentée environ 7. à 8. fois, fait incontinent bouillir l'eau à gros bouillons; donc il faudroit que tout fût environ 7. fois plus dense qu'il n'est, pour résister à 7. ou 8. fois plus de chaleur que le plus brûlant Eté n'en donne dans nos Climats; donc Mercure doit être au moins 7. fois plus dense que notre Terre, pour que les mêmes choses qui sont dans notre Terre puissent subsister dans le Globe de Mercure, toutes choses égales. Au reste, si Mercure reçoit environ 7. fois plus de rayons que notre Globe, parce qu'il est environ 2. fois 2/3 plus près du Soleil, par la même raison le Soleil paroît, de Mercure, environ 7. fois plus grand, que de notre Terre. VENUS. Après Mercure est Venus à 21. ou 22. millions de lieues du Soleil dans sa distance moyenne; elle est grosse comme la Terre, son année est de 224. jours. On ne sait pas encore ce que c'est que son jour, c'est-à-dire, sa révolution sur elle-même. De très-grands Astronomes croyent ce jour de 23. heures, d'autres le croyent de 25. de nos jours. On n'a pas pu encore faire des observations assez sûres pour savoir de quel côté est l'erreur; mais cette erreur, en tout cas, ne peut-être qu'une méprise des yeux, une erreur d'observation, & non de raisonnement. L'Ellipse que Venus parcourt dans son année est moins excentrique que celle de Mercure; on peut se former quelqu'idée du chemin de ces 2. Planetes autour du Soleil par cette figure. [Illustration] [Prédiction de Copernic sur les Phases de Venus.] Il n'est pas hors de propos de remarquer ici que Venus & Mercure ont par rapport à nous des Phases différentes ainsi que la Lune. On reprochoit autrefois à Copernic, que dans son Systême ces Phases devoient paroître, & on concluoit que son Systême étoit faux, parce qu'on ne les appercevoit pas. Si Venus & Mercure, lui disoit-on, tournent autour du Soleil, & que nous tournions dans un plus grand cercle, nous devons voir Mercure & Venus, tantôt pleins tantôt en croissant, &c.; mais c'est ce que nous ne voyons jamais. C'est pourtant ce qui arrive, leur disoit Copernic, & c'est-ce que vous verrez, si vous trouvez jamais un moyen de perfectionner votre vûe. L'invention des Telescopes & les observations de Galilée servirent bien-tôt à accomplir la prédiction de Copernic. Au reste, on ne peut rien assigner sur la masse de Venus & sur la pesanteur des corps dans cette Planete. LA TERRE. Après Venus est notre Terre placée à 30. millions de lieues du Soleil, ou environ, au moins dans sa moyenne distance. Elle est à-peu-près un million de fois plus petite que le Soleil: elle gravite vers lui, & tourne autour de lui dans une Ellipse en 365. jours, 5. heures & 48. minutes; & fait au moins 180. millions de lieues par an. L'Ellipse qu'elle parcourt est très-dérangée par l'action de la Lune sur elle, & tandis que le centre commun de la Terre & de la Lune décrit une Ellipse véritable, la Terre décrit en effet cette courbe à chaque Lunaison. [Illustration] [Quelle est la cause de la rotation journaliére de la Terre.] Son mouvement de rotation sur son axe d'Occident en Orient constitue son jour de 23. heures, 56. minutes. Ce mouvement n'est point l'effet de la gravitation. Il paroît sur-tout impossible de recourir ici à cette raison suffisante dont parle le grand Philosophe Leibnitz. Il faut absolument avouer que les Planetes & le Soleil pouvoient tourner d'Orient en Occident; donc il faut convenir que cette rotation d'Occident en Orient est l'effet de la volonté libre du Créateur, & que cette volonté libre est l'unique raison suffisante de cette rotation. La Terre a un autre mouvement que ses Poles achevent en 25920. années: c'est la gravitation vers le Soleil & vers la Lune qui cause évidemment ce mouvement; ce que nous prouverons dans le Chapitre XXV. La Terre éprouve encore une révolution beaucoup plus étrange, dont la cause est plus cachée, dont la longueur étonne l'imagination, & qui sembleroit promettre au Genre Humain une durée que l'on n'oseroit concevoir. Cette période est selon toutes les apparences d'un million neuf cens quarante-quatre mille ans. C'est ici le lieu d'insérer ce qu'on fait de cette étonnante découverte avant que de finir le Chapitre de la Terre. DIGRESSION _Sur la Période de 1944000. ans nouvellement découverte._ L'Egypte & une partie de l'Asie, d'où nous sont venues toutes les Sciences qui semblent circuler dans l'Univers, conservoient autrefois une Tradition immémoriale, vague, incertaine, mais qui ne pouvoit être sans fondement. On disoit qu'il s'étoit fait des changemens prodigieux dans notre Globe, & dans le Ciel par rapport à notre Globe. La seule inspection de la Terre donnoit un grand poids à cette opinion. On voit que les Eaux ont successivement couvert & abandonné les lits qui les contiennent; des Végétaux, des Poissons des Indes, trouvés dans les pétrifications de notre Europe, des Coquillages entassés sur des Montagnes, rendent assez témoignage à cette ancienne Vérité. Ovide en exposant la Philosophie de Pithagore, & en faisant parler ce Philosophe instruit par les Sages de l'Asie, parloit au nom de tous les Philosophes d'Orient, lorsqu'il disoit: _Nil equidem durare diu sub imagine eâdem Crediderim; sic ad ferrum venistis ab auro Sæcula, sic toties versa est fortuna locorum. Vidi ego quod fuerat quondam solidissima Tellus Esse Fretum: vidi factas ex Æquore Terras: Et procul à pelago Conchæ jacuere marinæ: Quodque fuit Campus Vallem decursus aquarum Fecit; & eluvie Mons est deductus in Æquor, Eque paludosa siccis humus aret arenis._ On peut rendre ainsi le sens de ces Vers. Le Tems qui donne à tout le mouvement & l'être, Produit, acroît, détruit, fait mourir, fait renaître, Change tout dans les Cieux, sur la Terre & dans l'Air; L'Age d'Or à son tour suivra l'Age de Fer: Flore embellit des Champs l'aridité sauvage: La Mer change son lit, son flux & son rivage: Le limon qui nous porte est né du sein des Eaux: Le Caucase est semé du débris des Vaisseaux: Bien-tôt la main du Tems applanit les Montagnes, Il creuse les Vallons, il étend les Campagnes; Tandis que l'Eternel, le Souverain des tems, Est seul inébranlable en ces grands changemens. Voilà quelle étoit l'opinion de l'Orient, & ce n'est pas lui faire tort de la rapporter en vers, ancien langage de la Philosophie. A ces témoignages que la Nature donne de tant de révolutions qui ont changé la face de la Terre, se joignoit cette idée des anciens Egyptiens, Peuple autrefois Géometre & Astronome, avant que la Superstition & la Mollesse en eussent fait un Peuple méprisable. Cette idée étoit que le Soleil s'étoit levé pendant des Siècles à l'Occident; il est vrai que c'étoit une Tradition aussi obscure que les Hiéroglyphes. Hérodote, qu'on peut regarder comme un Auteur trop récent, & par conséquent de trop peu de poids à l'égard de telles Antiquités, rapporte au Livre d'Euterpe que, selon les Prêtres Egyptiens, le Soleil dans l'espace de onze mille trois cens quarante ans, (& les années des Egyptiens étoient de 365. jours) s'étoit levé deux fois où il se couche, & s'étoit couché deux fois où il se leve, sans qu'il y eût eu le moindre changement en Egypte, malgré cette variation du cours du Soleil. Ou les Prêtres qui avoient raconté cet Evénement à Hérodote, s'étoient bien mal expliqués, ou Hérodote les avoit bien mal entendus. Car que le Soleil eût changé son cours, c'étoit une Tradition qui pouvoit être probable pour des Philosophes; mais qu'en onze mille & quelques années, les Points cardinaux eussent changé deux fois, cela étoit impossible. Ces deux révolutions, comme nous l'allons voir, ne pourroient s'opérer qu'en près de quatre millions d'années. La révolution entiére des Poles de l'Ecliptique ou de l'Equateur s'acheve en près de 1944000. années, & cette révolution de l'Ecliptique & de l'Equateur peut seule, à l'aide du mouvement journalier de la Terre, tourner notre Globe successivement à l'Orient, au Midi, à l'Occident, au Septentrion. Ainsi ce n'est que dans une Période de deux fois 1944000. années que notre Globe peut voir deux fois le Soleil se coucher à l'Occident, & non pas en 110. Siècles seulement, selon le rapport vague des Prêtres de Thèbes, & d'Hérodote, le Pere de l'Histoire & du mensonge. Il est encore impossible que ce changement se fût fait sans que l'Egypte s'en fût ressentie; car si la Terre en tournant journellement sur elle-même eût successivement fourni son année d'Occident en Orient, puis du Nord au Sud, d'Orient en Occident, du Sud au Nord en se relevant sur son axe, on voit clairement que l'Egypte eût changé de position comme tous les Climats de la Terre. Les pluyes qui tombent aujourd'hui depuis si long-tems du Tropique du Capricorne, & qui fertilisent l'Egypte en grossissant le Nil, auroient cessé. Le terrain de l'Egypte se fût trouvé dans une Zone glaciale, le Nil & l'Egypte auroient disparu. Platon, Diogène de Laërce & Plutarque ne parlent pas plus intelligiblement de cette révolution; mais enfin ils en parlent, ils sont des témoins qui restent encore d'une Tradition presque perdue. Voici quelque chose de plus frappant & de plus circonstancié. Les Philosophes de Babylone comptoient, au tems de l'entrée d'Aléxandre dans leur Ville, quatre cens trente mille ans depuis leurs premiéres Observations Astronomiques, l'Année Babylonienne n'étant que de 360. jours; mais cette Epoque de 403000. ans a été regardée comme un Monument de la vanité d'une Nation vaincue, qui vouloit, selon la coutume de tous les Peuples & de tous les Particuliers, regagner par son antiquité la gloire qu'elle perdoit par sa foiblesse. Enfin les Sciences ayant été apportées parmi nous, & s'étant peu-à-peu cultivées, le Chevalier de Louville, distingué parmi la foule de ceux qui ont fait honneur au Siècle de Louïs XIV. alla exprès à Marseille en 1714. pour voir si l'obliquité de l'Ecliptique y paroissoit la même qu'elle avoit été observée & fixée par Pitheas, il y avoit plus de 2000. ans. Il trouva cette obliquité de l'Ecliptique, c'est-à-dire, l'angle formé par l'axe de l'Equateur & par l'axe de l'Ecliptique, moindre de 20. minutes que Pitheas ne l'avoit trouvé. Quel rapport de cet angle diminué de 20. minutes avec l'opinion de l'ancienne Egypte? avec les 403000. ans dont se vantoit Babylone? avec une Période du Monde de près de deux millions d'années, & même, selon l'Observation du Chevalier de Louville, de plus de deux millions? Il faut voir l'usage qu'il en fit, & comment il en doit résulter un jour une Astronomie toute nouvelle. Si l'angle que l'axe de l'Equateur fait avec l'axe de l'Ecliptique est plus petit aujourd'hui de 20. minutes, qu'il ne l'étoit il y a 2000. ans, l'axe de la Terre en se relevant sur le Plan de l'Ecliptique, s'en approche d'un degré entier en 6000. ans. Que cet angle, P. E. soit, par exemple, d'environ 23. degrés & 1/2. aujourd'hui, & qu'il décroisse toujours jusqu'à ce qu'il devienne nul, & qu'il recommence ensuite pour accroître & décroître encore, il arrivera certainement que dans 23. fois & 1/2. six mille ans, c'est-à-dire, dans 141000. années, notre Ecliptique & notre Equateur coïncideront dans tous leurs points: le Soleil sera dans l'Equateur, ou du-moins s'en éloignera très-peu pendant plusieurs Siècles; les Jours, les Nuits, les Saisons seront égaux sur toute la Terre. Il se trouve selon le calcul de l'Astronome Français, calcul un peu réformé depuis, que l'axe de l'Ecliptique avoit été perpendiculaire à celui de l'Equateur, il y a environ 399000. de nos années, supposé que le Monde eût existé alors. Otez de ce nombre le tems qui s'est écoulé depuis l'entrée triomphante d'Aléxandre dans Babylone, on verra avec étonnement que ce calcul se rapporte assez juste avec les 403000. années de 360. jours que comptoient les Babyloniens: on verra qu'ils commençoient ce compte précisément au point où le Pole de la Terre avoit regardé le Bélier, & où la Terre dans sa course annuelle avoit été du Midi au Nord; enfin où le Soleil se levoit & se couchoit aux Régions du Ciel où sont aujourd'hui les Poles. Il y a quelque apparence que les Astronomes Chaldéens avoient fait la même opération, & par conséquent le même raisonnement que le Philosophe Français: ils avoient mesuré l'obliquité de l'Ecliptique, ils l'avoient trouvée décroissante: & remontant par leurs calculs jusqu'à un Point Cardinal, ils avoient compté du point où l'Ecliptique & l'Equateur avoient fait un angle de 90. degrés; point qu'on pourroit considérer comme le commencement, ou la fin, ou la moitié, ou le quart de cette Période énorme. Par-là l'Enigme des Egyptiens étoit débrouillée, le compte des Chaldéens justifié, le rapport d'Hérodote éclairci, & l'Univers flatté d'un long avenir, dont la durée plaît à l'imagination des hommes; quoique cette comparaison fasse encore paroître notre vie plus courte. On s'opposa beaucoup à cette découverte du Chevalier de Louville, & parce qu'elle étoit bien étrange, & parce qu'elle ne sembloit pas encore assez constatée. Un Académicien avoit, dans un Voyage en Egypte, mesuré une Pyramide: il en avoit trouvé les 4. faces exposées aux 4. Points Cardinaux; donc les Méridiens, disoit-on, n'avoient pas changé depuis tant de Siècles; donc l'obliquité de l'Ecliptique, qui par sa diminution eût du changer tous les Méridiens, n'avoit pas en effet diminué. Mais ces Pyramides n'étoient point une Barriére invincible à ces découvertes nouvelles; car étoit-on bien sûr que les Architectes de la Pyramide ne se fussent pas trompés de quelques minutes? La plus insensible aberration, en posant une pierre, eût suffi seule pour opérer cette erreur. D'ailleurs, l'Académicien n'avoit-il pas négligé cette petite différence, qui peut se trouver entre les Points où le Soleil doit marquer les Equinoxes & les Solstices sur cette Pyramide, supposé que rien n'ait changé, & les Points où il les marque en effet? N'auroit-il pas pu se tromper dans les fables de l'Egypte où il opéroit par pure curiosité, puisque Ticho-Brahé lui-même s'étoit trompé de 18. minutes dans la position de la Méridienne d'_Uranibourg_, de sa Ville du Ciel, où il rapportoit toutes ses Observations; mais Ticho-Brahé s'étoit-il en effet trompé de 18. minutes, comme on le prétend? Ne se pouvoit-il pas encore, que cette différence trouvée entre la vraye Méridienne d'_Uranibourg_ & celle de Ticho-Brahé, vint en partie du changement même du Ciel, & en partie des erreurs presqu'inévitables, commises & par Ticho-Brahé & par ceux qui l'ont corrigé? Mais aussi le Chevalier de Louville s'étoit pu tromper lui-même, & avoir vu un décroissement d'obliquité qui n'existe point. Pitheas sur-tout étoit vraisemblablement la source de toutes ces erreurs: il avoit observé comme la plûpart des Anciens avec peu d'exactitude: il étoit donc de la prudence, avec laquelle on procéde aujourd'hui en Physique, d'attendre de nouveaux éclaircissemens; ainsi le petit nombre qui peut juger de ce grand différend demeura dans le silence. Enfin, en 1734. M. Godin (l'un des Philosophes que l'amour de la Vérité vient de conduire au Pérou) reprit le fil de ces découvertes: il ne s'agit plus ici de l'examen d'une Pyramide sur laquelle il restera toujours des difficultés; il faut partir de la fameuse Méridienne tracée en 1655. par Dominique Cassini dans l'Eglise de St. Pétrone, avec une précision dont on est plus sûr que de celle des Architectes des Pyramides. L'obliquité de l'Ecliptique qui en résultoit est de 23. d. 29´. 15´´. mais on ne peut plus douter par les dernieres Observations, que cet angle de l'Ecliptique & de l'Equateur ne soit à présent de 23. d. 28´. 20´´. à-peu-près, à moins que les réfractions, qui entrent dans la détermination de la hauteur du Pole faite par l'Etoile Polaire, & par conséquent aussi dans celle de l'élévation de l'Equateur & de l'obliquité de l'Ecliptique, ne soient un peu changées depuis ce tems: changement qu'on commence à soupçonner par la différence des élévations du Pole, trouvées dans les mêmes Villes après quelque espace de tems, comme dans celles de Londres, d'Amsterdam & de Coppenhague; quoique ces Observations ne suffisent pas encore pour nous assûrer entiérement, que de siècle en siècle l'air se trouve tantôt plus, tantôt moins transparent. Il est vrai qu'on a découvert depuis peu, & démontré infailliblement, que les réfractions de deux endroits, même à très-peu de distance l'un de l'autre, peuvent différer quelquefois au delà de l'opinion; ce qui oblige à présent un Observateur exact de bien déterminer, avant toutes choses, les réfractions de son Horizon, s'il veut que ses observations soient accréditées; mais l'on sait aussi que, selon l'expérience de Mr. Huygens, en laissant une Lunette dans une situation constante, & dirigée vers la pointe de quelque Clocher élevé, depuis midi jusqu'au soir, l'on y verra cette pointe toujours plus élevée sur le déclin du jour, qu'à midi, & que par conséquent l'air peut changer de transparence. Cependant comme tout cela ne contribue rien à un changement, tel que celui qu'on pourroit soupçonner de se mêler au Phénomêne de cette question, on auroit tort d'admettre un fait aussi douteux, vû qu'on n'en a point encore de preuves convaincantes, ni de raisons Physiques. A l'égard des Pyramides d'Egypte, & de la constance des Méridiens, qui semble contraire à cette mobilité des Poles de l'Equateur, il est à propos de remarquer encore, qu'en supposant la figure de la Terre, non pas sphéroïde, comme elle l'est véritablement, mais exactement sphérique, ce mouvement du Plan de l'Equateur & de ses Poles, se peut concevoir de deux manieres. Car, ou la plûpart des Places, situées à présent sous l'Equateur, auront après quelques siècles une Latitude Méridionale ou Septentrionale, l'Equateur les ayant quittées pour s'approcher de l'Ecliptique, (auquel cas tous les Méridiens seront dérangés, & deux Villes quelconques, sans avoir changé de place, de distance, ni de leur premiére situation sur la Terre, auront pourtant changé de _Rumb_, l'une à l'égard de l'autre); ou l'Equateur n'abandonnera jamais les Places, qui ont été de tout tems situées sous lui, mais son Plan tournera avec elles autour de l'Ecliptique, sans qu'il se fasse jamais aucun changement dans les Méridiens, leur constance ne prouvant pas la même chose contre le mouvement de l'Equateur que dans la premiére supposition. Au contraire reprenant la figure sphéroïde de la Terre, qui est la véritable, il est clair que ses parties solides se soutenant & ne se pouvant pas quitter les unes les autres, les plus éloignées du Centre de la Terre demeureront toujours dans le même éloignement, & que par conséquent la circonférence de l'Equateur, qui les a une fois environnées, ne les quittera jamais; de sorte que le Plan de l'Equateur, tant mobile qu'immobile, ne sauroit jamais apporter aucun dérangement aux Méridiens. On voit par là que, quoique les Architectes Egyptiens ayent eu ordre d'asseoir les Pyramides parallèlement aux quatre Points Cardinaux du Monde, & qu'ils ayent exécuté cet ordre avec la derniere exactitude, cela n'empêche pas que l'angle de l'intersection de l'Equateur & de l'Ecliptique ne puisse toujours varier autant que l'on voudra. Rien ne fait plus de plaisir que de voir rétablir le crédit des Vérités les plus respectables par leur ancienneté, après avoir été mises en contestation dans des Siècles aussi circonspects & aussi peu crédules qu'est le nôtre; mais il faut avouer néanmoins, que si les Egyptiens & les Babyloniens ont été les premiers à découvrir le décroissement de cette obliquité, ils l'ont découvert par des raisonnemens bien moins fondés, que ne sont ceux par lesquels nous leur attribuons cette découverte. Hérodote publia son Histoire environ cent ans après qu'Anaximandre de Milet eut trouvé, le premier, le moyen de mesurer l'obliquité de l'Ecliptique: & cette invention ayant passé peu après en Egypte par les Voyages de Cléostrate, d'Harpale & d'Eudoxe, les Egyptiens, qui ne manquérent pas de trouver cette obliquité plus petite que ne l'avoit trouvée Anaximandre, s'en prévalurent pour en faire honneur à leur Nation; comme si la diminution & par conséquent la mesure de l'obliquité de l'Ecliptique avoient été connues chez eux pendant des milliers d'années, dans le tems que cette derniére venoit seulement d'être découverte parmi les Grecs. Nous avons dit ci-dessus à-peu-près la même chose des Babyloniens, qui également jaloux des Egyptiens & des Grecs, ont remonté, par un pareil calcul, jusqu'à une antiquité incomparablement plus absurde que n'est celle des Egyptiens. Mais, soit que ce mouvement de l'Equateur existe, soit qu'il n'existe pas, il est toujours certain, qu'il ne peut-être produit par aucun méchanisme de ceux qui sont tombés dans la pensée du savant Newton. Le mouvement qui ressemble plus naturellement à celui de l'axe de la Terre, est la variation de l'inclinaison de l'Orbe de la Lune, qui est de 5. deg. 18. ou 19. min. quand les Nœuds de la Lune se trouvent en conjonction, ou en opposition avec le Soleil, & de 5. deg. seulement, quand ces mêmes Nœuds sont dans les Quadratures. Il est vrai que, par une analogie naturelle, ce grand Philosophe attribue à l'axe de la Terre un petit mouvement alternatif, par lequel l'angle de l'intersection de l'Ecliptique & de l'Equinoxiale se trouvant dans les Equinoxes, par exemple, de 23. deg. 29. min. s'étrecit en approchant des Solstices, & s'élargit derechef depuis les Solstices jusqu'aux Equinoxes; de sorte qu'aux Solstices, cet angle, dans sa plus petite dimension, est de 23. deg. 29. min. moins quelques secondes. Mais ces alternatives de diminution & d'accroissement ne produisent point de mouvement circulaire du Plan de l'Equinoxiale, d'un Pole de l'Ecliptique à l'autre. Il faut donc, que cette circulation dépende de quelqu'autre raison inconnue jusqu'à présent, qu'il faut tâcher de découvrir, au cas que ce Phénomêne soit réel. Pour que la diminution de cet angle égale toujours son accroissement, il faut que le centre absolu de pesanteur de toute la masse de la Terre soit le même que le centre géométrique de sa figure sphéroïde; mais il se peut bien faire que cela ne soit pas. Car, si la Terre est tant soit peu plus matérielle du côté Boréal de l'Equateur, que du côté Méridional, & qu'il arrive au dedans de cette Planete, ou à sa surface, quelque changement, qui diminue la quantité de matiére dans un endroit & qui l'augmente dans un autre, il est évident, que la surface extérieure de la Terre & le centre commun de la pesanteur de toute sa masse changeront de position, l'un à l'égard de l'autre; & comme le centre géométrique de sa surface sphéroïde extérieure demeure toujours le même, il est nécessaire que ce centre change aussi de position, à l'égard de celui de pesanteur, dès que quelque raison constante, ou non constante, ôte quelque peu de matiere en quelqu'endroit, pour le porter ailleurs. Or les deux centres, savoir le géométrique de la figure ovale de la Terre & celui de sa pesanteur générale, doivent nécessairement être dans le même axe de son tournoyement, si ce tournoyement doit être égal & uniforme pendant 24. heures, sans s'accélérer & se retarder par reprises; ce qui seroit contraire à l'expérience. Pour effectuer donc ce mouvement du Plan de l'Equateur, il suffit qu'il y ait, au-dedans de la Terre, une matiere, qui en circulant continuellement, mais lentement, déplace toujours le centre commun de pesanteur, par rapport à la surface de la Terre, parce que l'axe du tournoyement suivra toujours le même chemin de ce centre. Si cette matiere ne circule pas, mais qu'elle ait un mouvement irrégulier & très-petit, le Plan de l'Equateur changera aussi de position avec l'Ecliptique, mais sans règle certaine, & pourra être tantôt plus près, tantôt plus loin d'elle; ce qui seroit peut-être plus vraisemblable qu'une circulation parfaite. Mais tout ce raisonnement n'aura lieu que lorsqu'il sera démontré d'une maniere tout-à-fait incontestable, que l'approchement de l'Equateur & de l'Ecliptique, dont les plus habiles Observateurs prétendent s'appercevoir aujourd'hui, est réel: & qu'il n'y a point d'illusion, ni de la part des réfractions, ni des Instrumens, dans une affaire qui est encore si delicate, & si peu sensible dans les observations modernes, où il ne s'agit encore que de quelques secondes de diminution; de sorte que ce ne sera qu'après plusieurs Siècles d'observations continuées, que l'on pourra dire, avec une pleine certitude, si l'obliquité est variable, ou comment elle l'est. Le moyen le plus court & le plus sûr de terminer cette question, seroit de mesurer exactement l'élévation du Pole des ruïnes de l'ancienne Ville de Syène en Egypte. L'on sait, au rapport de Strabon dans le dernier Livre de sa Géographie, que cette Ville étoit située précisément sous le Tropique du Cancer, & qu'il y avoit un Puits très-profond, dans lequel on ne voyoit jamais l'image du Soleil, qu'au point de Midi, aux Solstices d'Eté, le Soleil donnant verticalement sur la surface Horizontale de l'eau, au bas du Puits. Strabon ajoute au même endroit, qu'en partant de la Gréce, cette Ville étoit la premiére que l'on rencontroit, où les _Gnomons_, ou des Colomnes érigées verticalement n'eussent point d'ombre Méridienne une fois dans l'année, savoir au Solstice d'Eté; de sorte que voilà deux preuves différentes, qui nous assûrent que du tems de Strabon, ou quelque tems avant lui, le Tropique du Cancer a passé par le point vertical de cette Ville. Or si en mesurant à présent la Latitude de l'endroit, où a été autrefois cette Place, on y trouvoit le Pole Septentrional élevé de 23. deg. 49. min. ou davantage, ce seroit une preuve indubitable que Mr. le Chevalier de Louville avoit trouvé la vérité, & que l'obliquité de l'Ecliptique étoit diminuée de 20. min. pendant près de 18. siècles. Je dis de 23. deg. 49. min. ou davantage, car la Tour de Syène étant déja renommée, à cause de la propriété dont nous venons de parler, du tems du Prophête Ezéchiel, qui en fait mention au Chap. 29. de sa Prophétie, il est apparent que si l'obliquité de l'Ecliptique étoit variable, elle auroit encore diminué de 5. à 6. minutes, dans la même proportion, depuis le tems de ce Prophête jusqu'à celui de Strabon, pendant plus de cinq Siècles, sans compter ce qu'il pourroit y avoir de diminution depuis la fondation de cette Tour jusqu'au tems de ce Prophête. Mais si au contraire on n'y trouvoit le Pole élevé que de 23. deg. & demi, ou environ, il faudroit conclure, sans hésiter, que, pendant toute cette suite de Siècles, l'obliquité en question a été constamment la même, ou que sa diminution n'a rien eu de considérable; & que l'espace compris entre l'Equinoxiale & l'Ecliptique ne s'est que peu, ou point rétreci. Toute la difficulté ne consisteroit qu'à bien découvrir la situation de cette ancienne Ville au voisinage du Nil & de l'Isle Eléphantine. Ce seroit le moyen de prévenir les soins de la Postérité, & de se faire un mérite auprès d'elle, en lui présentant des Démonstrations achevées d'une vérité, dont l'éclaircissement pourra lui coûter plusieurs siècles. Le dénombrement que nous avons entrepris de faire ici des principales particularités qui regardent la Terre, par rapport au rang qu'elle tient parmi les Planetes, nous engage à examiner les preuves de sa figure sphéroïde que nous avons supposée véritable, & de faire voir l'impossibilité du changement des Méridiens. Nous en avons déja donné une idée générale au Chapitre XVIII. lorsque, par rapport à l'étendue & aux divers degrés de la pesanteur, nous avons fait mention de l'inondation des Eaux vers les Régions de l'Equateur, qui devoit résulter nécessairement du tournoyement de la Terre autour de son axe, si elle étoit exactement sphérique. Mais comme ce n'étoit pas là le lieu de prouver que cette différence étoit assez sensible pour pouvoir être mesurée, nous allons faire voir ici ce qui en est. Les preuves, dont nous nous servirons, sont tirées en partie des raisonnemens de Physique, & en partie de l'Expérience même. Les raisonnemens de Physique, qui nous prouvent la nécessité de cette figure, ne supposent pour tout Principe, que le mouvement journalier de la Terre, de 23. heures 56. minutes. Si la Terre est exactement sphérique, la vîtesse du tournoyement de tous les Corps pesants sous l'Equateur diminuera leur pesanteur, ou la vîtesse de leur chûte, à mesure qu'elle différera moins de celle qu'il faudroit pour faire circuler tous les corps pesants sous l'Equateur, sans pouvoir jamais tomber, ou s'approcher du centre de la Terre; ou pour faire que tout ce qu'il y a de corps sous l'Equateur, fussent autant de Satellites, qui tournassent par leur mouvement journalier dans la circonférence de l'Equateur, comme fait la Lune dans son Orbite. Or en disant par une Règle de _Trois_: Comme le cube de la distance de la Lune, de 60. sémi-diametres de la Terre, est au cube d'un seul de ces sémi-diametres, de même le quarré de 39343 minutes, qui font un mois périodique de la Lune, est au quarré des minutes de la révolution des Satellites, ou des corps pesants, dans la circonférence de l'Equateur terrestre, si l'on vouloit que la force centrifuge contrebalançât exactement la pesanteur. On trouve pour le résultat de ce calcul 84. 2/5 de minutes de révolution; de sorte que si le jour des Etoiles étoit de 84 2/5 de minutes, au lieu qu'il est de 23. heures 56. min. qui est 17. fois plus grand, il n'y auroit sous l'Equateur, ni chûte, ni poids des corps. On trouve le même nombre de 84 2/5 de minutes, sans se servir de la Lune, en suivant le Théorême de Mr. Huygens, par lequel il a trouvé qu'un corps, pour tourner circulairement, d'une force centrifuge égale à son propre poids, doit faire tout le tour du Cercle en autant de tems, qu'un Pendule, de la longueur du rayon du même Cercle, employeroit à faire deux vibrations. Or pour faire l'application de ce Théorême au Cercle de l'Equateur, & au sémi-diametre de la Terre, il faut seulement dire: Comme 3. pieds, & 17/288 d'un pied, longueur du Pendule d'une seconde, sont au quarré d'une seconde, ainsi 19615800 pieds du sémi-diametre de la Terre, selon la mesure de Mr. Picart, sont à 6412430, qui est le quarré de 2532. secondes, ou de 42. min. 12. secondes. Un Pendule de la longueur du sémi-diametre de la Terre, feroit donc chaque vibration en 42. min. 12. secondes; & par conséquent pour égaler la pesanteur à la force centrifuge de la rotation journalière sous l'Equateur, il faudroit que cette rotation s'achevât en 84. min. 24. secondes. Mais, comme elle se trouve 17. fois plus lente, il est évident qu'en supposant la surface de la Terre exactement sphérique, la pesanteur sous l'Equateur excéde sa diminution, ou la force centrifuge, 17. fois 17 fois, c'est-à-dire 289. fois, & par-là la vîtesse de la chûte des corps, sous l'Equateur, seroit à celle de leur chûte sous les Poles, comme 288 sont à 289; & un Pendule d'une seconde, qui feroit sous le Pole 86400. vibrations pendant un jour Solaire, n'en feroit sous l'Equateur qu'environ 86250. tout de même que le Pendule d'une seconde de Paris, étant transporté sous l'Equateur, & y faisant ses chûtes curvilignes, ou ses vibrations un peu plus lentes qu'ici, retarderoit par jour de 2. min. 5. secondes, ou environ. L'expérience de Mr. _Richer_ faite dans l'Isle de Caïenne, celle de Mr. Halley dans l'Isle de _Ste. Hélène_, & celles de ceux dont on peut voir les noms à la page 227. de cette Edition, ayant vérifié, à quelques circonstances près, cette diminution de la pesanteur sous l'Equateur, qui est une conséquence nécessaire & indubitable du mouvement journalier de la Terre; il nous reste à voir le dérangement que causeroient sur sa surface les forces centrifuges de ce même mouvement sous les Cercles parallèles de l'Equateur, si la Terre étoit exactement sphérique. Tout le monde sait qu'une Balance exacte étant suspendue par son milieu, & demeurant en repos, les Bassins, ou des Poids égaux suspendus par des cordelettes à ses deux extrémités, font prendre à ces cordelettes, ou plutôt à leurs milieux, des situations perpendiculaires à leurs Horizons, & qui tendent directement au centre de la Terre. Mais si l'on donne à cette Balance un mouvement circulaire, dont le centre soit le point de suspension de la Balance, on verra d'abord que les Bassins, ou les poids, s'éloigneront de la perpendiculaire, à proportion de la vîtesse du mouvement circulaire; de sorte que les cordelettes ne suivront plus la direction ordinaire de la pesanteur vers le centre de la Terre. Figurons-nous à présent une grande Balance curviligne, dont le milieu soit suspendu à l'un des Poles de la Terre, & dont les deux extrémités s'étendent jusqu'à égale élévation du même Pole, de part & d'autre; il est évident que si la figure sphérique de la Terre (qui est-ce que nous examinons) tourne autour de son axe, & qu'elle emporte en même tems cette Balance curviligne, par un mouvement circulaire autour du même axe, les poids qui étant en repos devroient converger vers le centre de la Terre, s'éloigneront un peu de cette convergence & des perpendiculaires, de part & d'autre. Ainsi le Sinus du petit angle de déviation, compris entre la perpendiculaire & la nouvelle direction du poids, sera bien près de 1/289 du produit du Sinus, & du Co-Sinus de l'élévation du Pole, divisé par le rayon. On voit clairement que sans imaginer cette Balance curviligne, ce raisonnement peut également s'appliquer à toutes les lignes à plomb, qui se trouvent sur la surface de la Terre. C'est de cette maniére qu'on trouve qu'à Paris, & en cent autres endroits de même Latitude, qu'un Pendule en repos ne tendroit pas perpendiculairement à l'Horizon, mais feroit avec la perpendiculaire un angle de près de six minutes, ce qui seroit assez sensible, si la Terre étoit exactement sphérique; cependant comme en nul endroit du Monde on ne trouve aucune déviation, c'est une preuve suffisante que la face de la Terre est telle, qu'il faut qu'elle soit, pour que la direction de la pesanteur soit perpendiculaire, ce qui ne se peut que dans une figure sphéroïde. Cette figure sphéroïde produit encore un autre changement à l'égard de la pesanteur, mais de peu de conséquence. L'on sait que, sans considérer la diminution de la pesanteur, dont nous venons de parler, la pesanteur elle-même varie encore selon la diversité des distances du centre de la Terre, quand même il n'y auroit point de rotation. C'est ce qui fait que les expériences des Pendules transportés en différens Climats, ne répondent pas dans la derniére précision au calcul que nous avons donné ci-dessus, quoiqu'elles prouvent toutes en général que la pesanteur différe sensiblement, & qu'elle est toujours moins forte vers l'Equateur, que vers les Poles. C'est aussi ce qui partage les sentimens des plus grands Géométres sur la proportion de l'axe de la rotation de la Terre au diametre de son Equateur. Mr. Huygens & après lui Jaques Herman dans son excellent Ouvrage de la _Phoronomie_, ont déterminé cette proportion, comme de 577. à 578.; mais Neuton nous la donne de 229. à 230, environ triple de la précédente. La différence de ces mesures ne provient que de ce que Mr. Huygens n'a considéré la pesanteur que comme une force qui pousse les corps vers un seul centre; au lieu que Neuton l'a considérée comme une force par laquelle tous les corps & toutes les particules de la Terre, jusqu'aux plus petites, sont tirées les unes vers les autres. MARS. La quatrième Planete de notre Systême est Mars. Sa moyenne distance du Soleil est de 46. millions de lieues. De toutes les Planetes supérieures, c'est celle qui a la plus grande excentricité, aussi n'en connoît-on point parmi tous les Corps célestes, dont la grandeur apparente soit plus variable; de sorte que sa plus grande Phase excéde jusqu'à 7. fois la plus petite. Au mois d'Août 1719. Mars étant opposé au Soleil, à 2 ou 3 degrés seulement de distance de son périhélie, l'on se souvient encore que plusieurs personnes, qui n'avoient aucune teinture d'Astronomie, furent étonnées de le voir, & le prirent pour une Comete, ou un nouvel Astre, qui venoit de naître dans le Ciel, comme on a fait de Vénus l'année derniere, lorsqu'au mois de Mai ayant atteint sa plus grande hauteur Méridienne au commencement du Cancer, & étant encore assez loin du Soleil pour n'être point éclipsée par son éclat, elle lança ses rayons par le chemin le plus court de la partie Boréale de l'Atmosphére. Comme la grande excentricité de Mars rend son mouvement apparent fort inégal, c'est de lui principalement que _Kepler_ s'est servi, pour examiner & vérifier la découverte qu'il avoit faite de l'égalité des aires parcourues par chaque Planete en particulier, en tems égaux; & c'est aussi par lui, qu'il a reconnu & prouvé la nécessité qu'il y avoit de n'admettre par tout le Ciel que des excentricités plus petites, environ de la moitié de celles qui avoient été établies par les Anciens. De toutes les Planetes, Mars est encore celle qui a la plus grande Atmosphére, à proportion de son noyau, du moins à ce qu'on en connoît jusqu'à présent; ce qui se prouve par le changement de couleur d'une Fixe observée par Mr. Römer, en approchant & en quittant le disque de Mars, laquelle pâlit sensiblement à l'approche de ce disque, étant encore éloignée de lui des deux tiers du diametre du même disque, & qui étant sortie de derriére le corps opaque de Mars, ne recouvra la vivacité naturelle & ordinaire de sa lumiére qu'à la distance des deux tiers du même diametre. Sans l'Etoile de Mars nous ignorerions tout-à-fait l'éloignement & la véritable grandeur des Corps célestes; & c'est le célèbre Mr. Cassini le Pere, qui s'est avisé le premier, de se servir des distances apparentes de cette Planete d'avec les Fixes prochaines, lorsqu'elle est opposée au Soleil, pour trouver la véritable dimension de notre Systême. Sa parallaxe horizontale, qui dans cette situation est assez grande pour être observée & calculée sans qu'il y ait à craindre aucune erreur trop sensible, savoir de 26 à 27. secondes dans son périhélie, nous donne le moyen de calculer les parallaxes horizontales du Soleil & des autres Planetes, qui ne peuvent être observées par elles-mêmes, à cause de leur petitesse. Par les taches de Mars, que nous représentons ici de la maniere, dont elles ont apparu en 1719. l'on a découvert & l'on s'est convaincu, qu'il tourne autour d'un axe toujours parallèle à lui-même, (comme celui de la Terre) en 24 heures, 40 minutes; [Illustration] Ou que 36 révolutions de Mars autour de son axe égalent 37 révolutions de la Terre autour du sien. [Remarques sur les taches de Mars.] Les taches de cette Planete semblent être plus variables que celles de toutes les autres. Les bandes obscures qu'on a observées en 1704. 1717. & 1719. ne conviennent point entr'elles, ni par rapport à leur situation, ni par rapport à leur figure. En 1704. & 1717. on a vu une bande obscure occupant plus d'un hémisphére de Mars, avec cette différence qu'en 1704. elle avoit au milieu une pointe, qui ne s'y trouvoit point en 1717. & qu'en 1717. elle étoit plus éloignée de l'équateur de Mars, & plus près de son pole Méridional qu'en 1704. En 1719. on a trouvé une bande coudée, formée seulement après le mois de Juillet, dont la partie la plus Méridionale, par rapport à nos yeux, s'étendoit obliquement sur la moitié de l'hémisphére de Mars, & égaloit environ un quart de Cercle, prenant son commencement entre le pole Méridional & l'équateur de Mars, & finissant entre son équateur & son pole Septentrional, où les deux parties de cette bande, en se joignant, faisoient un angle, comme cela se voit Figure 2. Le 13. de Juillet d'auparavant on n'avoit observé qu'une seule bande obscure rectiligne, telle qu'on la voit Figure 1. Outre ces bandes obscures, on avoit découvert des taches confuses de figure fort irréguliére, comme dans les Fig. 3. & 4. qui n'étoient aussi que temporaires, & qui n'avoient presque rien de commun avec celles qu'on avoit observées auparavant, que leur inconstance. Mais les taches les plus considérables de cette Planete sont celles, qui s'observent proche de ses deux poles, dont cependant on n'en voit jamais qu'une à la fois, & qui sont ordinairement plus claires que le reste du corps. Il y a près de 70 ans, que ces taches-là sont connues, & qu'on en voit presque toujours l'une ou l'autre, ce qui prouve qu'elles sont permanentes, & que les vicissitudes d'apparition & d'occultation qu'elles subissent, procédent seulement de quelque changement de l'atmosphére de Mars, semblable à celui de la nôtre, causé en partie par la différente constitution de l'air en Eté & en Hyver, & en partie par la différente quantité de pluye, & de beau tems en différens endroits du même Climat. C'est ainsi que depuis le 17. Mai jusqu'au mois de Novembre 1719. le Pole, qui est à notre égard le Méridional, se trouvant éclairé par le Soleil, & par conséquent l'Eté y régnant, & l'Atmosphére y étant rarefiée autant qu'elle l'a pu être, la lumiere éclatante de cette Zone déliée a pu frapper notre vûe, dans le tems que celle du Pole opposé, qui avoit paru aux Observateurs en 1704 & 1717. avec le même éclat que la derniére, se déroboit alors à nos yeux à la faveur des nuages & des vapeurs congelées, qui y changeoient l'Atmosphére, & la rendoient moins transparente. La différence de la clarté de cette Zone, dont une moitié conserva constamment le même degré de lumiére, & dont l'autre au contraire diminua, disparut, puis reparut, ne ressemble pas mal à la différence du tems qu'il fait aux Andes du Pérou, où il ne pleut jamais, & à Borneo où il pleut presque tous les jours. Il se peut qu'il y ait encore d'autres raisons qui puissent produire cet effet; mais il est toujours constant que cette diversité d'apparences vient de la diverse constitution de l'Atmosphére. JUPITER. Jupiter la plus grande de toutes les Planetes de notre Systême, parcourt en 4331 jours, ou 12 ans, en comptant rondement, une Orbite, dont le demi-diametre, en sa moyenne quantité, ou la distance moyenne du Soleil, est de 156. millions de lieues. Son diametre est dix fois plus grand que celui de la Terre. La pesanteur des corps qui tendent vers le centre de cette Planete, ou l'espace qu'ils parcourent en tombant directement sur elle, se peut calculer. [Maniére de calculer la pesanteur des corps qui tombent sur la surface de Jupiter.] Pour cet effet, l'on cherche premiérement le tems périodique d'un Satellite qui raseroit la surface de Jupiter, ce qui se trouve par cette règle: Comme le cube de 25 1/3 de demi-diametres de Jupiter, (qui font la distance du quatrième Satellite), est au quarré de son tems périodique, qui est de 16 2/3 de jours; ainsi le cube d'un seul sémi-diametre de Jupiter est au quarré du tems périodique qu'on cherche. On trouve par-là qu'un tel Satellite acheveroit sa période autour de Jupiter, près de sa surface, en 193 à 194 minutes. Comme toutes sortes de pesanteurs sont en raison directe des rayons des cercles que décrivent les corps pesants, sans tomber, & en raison inverse des quarrés des tems périodiques, on détermine la quantité de la pesanteur de ces corps sur Jupiter de cette maniére: Comme 1 sémi-diametre de la Terre est à 10 1/2 des mêmes sémi-diametres, qui sont la mesure de celui de Jupiter; ainsi 15 1/12 de pieds de chûte sur la Terre, pendant la premiére seconde, sont à 158 3/8 de pieds de chûte sur Jupiter pendant la premiére seconde, si les tems périodiques des Satellites aux surfaces de Jupiter & de la Terre sont égaux. Mais ayant trouvé ci-dessus que le tems périodique d'un Satellite de la Terre, auprès de sa surface, est de 84 2/5 de minutes, il en faut venir à cette derniére règle: Comme le quarré de 193 1/2 de minutes est au quarré de 84 2/5 de minutes; ainsi 158 3/8 de pieds de chûte, (si les deux périodes sont égales) sont à 30 pieds de chûte véritable sur Jupiter. Le pendule à secondes sera donc en Jupiter de 7 pieds & 1/2. Ces mêmes considérations nous font aussi voir que le diametre polaire, ou l'axe de rotation de Jupiter, est plus petit que celui de son équateur, & que cette différence doit être bien plus sensible sur la surface de Jupiter, que sur celle de la Terre. La révolution journaliére de Jupiter est de 9 heures 56 minutes; & la révolution du plus bas Satellite, qui pourroit être autour de lui, ayant été trouvée de 194 minutes, qui n'est quasi que le tiers de sa révolution journaliére, sa pesanteur restante, c'est-à-dire, diminuée par les forces centrifuges sous l'équinoxiale de Jupiter, sera à la pesanteur primitive (en supposant la figure de Jupiter exactement sphérique) comme 8 sont à 9. C'est ce qui donne la proportion du petit axe au grand, à peu de chose près, comme 17 sont à 18, en dressant le calcul selon les principes de Mrs. Huygens & Herman, & comme 7 à 8, en suivant ceux de Neuton, fondés sur la gravitation mutuelle de toutes les parties intérieures de la Planete. Le sentiment de Neuton semble être appuyé par les Observations de Mr. Cassini, le Pere, rapportées à la fin de la XIX. Proposition du III. Livre de sa Philosophie, où il est dit, que le diametre de Jupiter d'Orient en Occident est visiblement plus grand que celui du Sud au Nord. Les bandes obscures de Jupiter, couchées le long de son disque, & toujours parallèles, à-peu-près, à son équateur, sont représentées par les deux Figures suivantes. [Illustration] Cet équateur ne fait avec l'orbite de Jupiter qu'une obliquité de 2. deg. 55. min. au lieu que la nôtre est de 23. deg. & demi. Ces bandes semblent n'être que des exhalaisons, qui, en s'élevant & se joignant ensemble, prennent une figure circulaire. Il est vrai qu'elles ne se produisent jamais toutes entiéres à la fois, témoin surtout cette bande Méridionale, qui renaît quasi de six en six ans, & qui nous ramene toujours une tache noire, située à son bord Septentrional, comme cela est arrivé aux années 1665. 1677. 1713. au mois de Septembre, & aux années 1672. & 1708. au mois d'Avril. En comparant les anciennes Observations avec celles qui ont été faites en dernier lieu, on remarque que ces bandes, qui avoient d'abord paru subir des changemens tout-à-fait bizarres, & ne suivre aucune règle, ne laissent pas d'avoir des retours assez réguliers, qui nous mettront peut-être un jour en état de prédire leurs apparences avec la même certitude qu'on peut calculer les Eclipses. [Remarque sur la tache noire de Jupiter.] La bande dont nous venons de parler, accompagnée de la tache noire, se présente ordinairement, quand Jupiter est aux derniers degrés de la Vierge & des Poissons, vers le tems qu'il a été en opposition avec cet Astre. Ce qu'il y a de plus particulier, c'est que ces apparences suivent plutôt le vrai mouvement de Jupiter que le moyen; car on voit bien que depuis l'opposition de cette Planete avec le Soleil au Signe des Poissons jusqu'à celle qui se fait au Signe de la Vierge, il se passe 6 ans & demi, & 5 seulement & demi de celle-ci au retour de la premiére, le tout faisant ensemble 12 années, pendant lesquelles s'acheve la révolution de Jupiter. Ceci fait voir que, si l'on pouvoit marquer tous les changemens qui surviennent à ces bandes, & qui sont sans doute affectés à certains Signes du Zodiaque, aussi-bien que le Phénomêne de la tache noire, on auroit lieu d'espérer, que l'ordre de leur retour se pourroit prédire, comme celui de cette tache. C'est principalement à cette même tache que nous sommes redevables de la connoissance que nous avons de la révolution journaliére de Jupiter, dont la vîtesse nous surprendroit, sans doute, par rapport à la grandeur de son corps, si Mr. de Mairan n'en avoit pas démontré la possibilité, dans un savant Mémoire inséré dans ceux de l'Académie de l'Année 1729. où il démontre que la différence qu'il y a entre le poids de la partie inférieure d'une Planete, qui est tournée vers le Soleil, & celui de la supérieure qui ne l'est pas, est capable de produire sa rotation d'Occident en Orient. Cette tache est aussi connue aux Astronomes, que la situation d'une célèbre Ville aux Géographes; & on en a déterminé la Latitude Méridionale sur la surface de Jupiter d'environ 16. degrés, comme l'on détermine celle de quelque Place remarquable sur la Terre. Il est vrai qu'en observant ses révolutions au milieu de son parallèle exposé vers nous, on a trouvé qu'elles n'étoient pas tout-à-fait les mêmes, & qu'elles différoient de quelques secondes, quoiqu'il soit très-naturel de les supposer toujours égales entr'elles, comme sont celles de la Terre; mais cela n'est pas de conséquence, & dans une recherche de cette nature, bien loin de blâmer les Astronomes, on doit admirer leur sagacité, & leur savoir bon gré de ne différer entr'eux qu'en secondes. [Pourquoi les Satellites de Jupiter semblent quelquefois moins grands.] Les Satellites de Jupiter, & sur-tout le quatrième, étant tournés vers nous, ont des taches obscures, qui les font paroître quelquefois bien plus petits qu'ils ne sont ordinairement; ce qui fait que le quatrième disparoît quelquefois entiérement, lorsqu'il est bien éloigné du corps & de l'ombre de Jupiter. Mais on n'a point encore déterminé, si ces taches naissent subitement, ou si c'est le tournoyement des Satellites autour d'eux-mêmes, qui nous montre ces taches dans un tems, & nous les cache dans un autre; quoiqu'il y ait bien à parier pour ce tournoyement, à cause des circonstances périodiques qu'on prétend avoir observées dans le quatrième Satellite. Il se pourroit aussi, que les ombres mêmes des Satellites fissent entr'eux de petites Eclipses, dont on ne pourroit s'appercevoir que par la diminution de leur éclat; mais c'est ce qui n'a point encore été examiné. SATURNE. Saturne parcourt son orbe autour du Soleil en 29 ans & demi. Si, en comptant rondement, la distance moyenne de la Terre au Soleil est, comme nous l'avons dit par-tout ailleurs, de trente millions de nos lieues, il s'ensuit par la même raison, que la distance médiocre de Saturne à cet Astre est de 285. à 286. millions des mêmes lieues. C'est la derniére Planete, & la plus éloignée du Soleil qui nous soit connue; du moins n'a-t-on point encore découvert au-delà aucun corps dans de Ciel, qui ait une orbite constante, & qui tourne circulairement. Il est vrai que les Cometes font leurs cours dans des Régions bien plus éloignées que ne fait Saturne; mais comme leur excentricité est beaucoup plus grande que celles des Planetes ordinaires, elles ne font point partie du Systême planétaire que nous considérons dans ce Chapitre. Car quand même on en supposeroit quelqu'une qui feroit réguliérement sa révolution autour du Soleil, par exemple, à 600. millions de lieues de distance du Centre universel de notre Systême, de quoi lui serviroit la lumiére & la chaleur de cet Astre, dans une distance où il ne paroîtroit pas plus grand que ne nous paroissent Jupiter & Venus? J'ai supposé 600. millions de lieues de distance moyenne de ce prétendu corps au Soleil, parce que si cette distance étoit moindre, les Planetes se tireroient & s'embarrasseroient trop par leurs gravitations réciproques. [Calcul de la pesanteur des corps qui tombent sur la surface de Saturne.] Le diametre de Saturne est près de 10. fois plus grand que celui de la Terre. Par ce moyen on peut calculer la proportion de la pesanteur sur Saturne à celle que nous éprouvons sur notre Terre. Son dernier Satellite étant éloigné de lui de 53 à 54. de ses sémi-diametres, c'est-à-dire, le rayon de son orbite étant 53 ou 54. fois plus grand que le sémi-diametre de Saturne, sa révolution doit se faire en 79. jours 22. heures, qui font 1918. heures. Je dis donc que comme 157464, cube de 54 sémi-diametres de Saturne, est à l'unité, ou au cube d'un seul sémi-diametre du même Saturne, ainsi 3678724, quarré de 1918. heures, est à 23 2/5, à-peu-près; d'où tirant la racine quarrée, l'on trouve pour le tems périodique de cette révolution 4 heures & 5/6, ou 4 heures 50 minutes. Donc un corps qui feroit le tour de la surface de Saturne, sans baisser jamais par sa pesanteur, le feroit, comme nous venons de voir, en 4 heures 50 minutes. Pour trouver, à-présent, de combien de pieds les corps pesants tombent sur Saturne pendant la premiére seconde de tems, je dis que, comme 1. sémi-diametre de la Terre, divisé par le quarré de 84. min. & 2/5, que nous avons trouvées page 320, est à 9 1/2 sémi-diametres de la Terre, ou à un seul sémi-diametre de Saturne, divisé par le quarré de 290. minutes, que nous venons de trouver; ainsi 15. pieds parcourus par la chûte d'une seconde de tems vers la Terre, sont à 12. pieds de chûte vers Saturne pendant la premiére seconde, & quelque peu davantage. Mais cette pesanteur des corps vers le centre de Saturne souffre une diminution considérable par leur gravitation, en sens contraire, vers la cavité de son anneau, comme nous l'allons montrer dans la suite. Les Figures suivantes nous représentent les différentes configurations de Saturne: 1. Sa phase ronde avec une seule bande obscure au milieu, causée par l'ombre de l'anneau, & par sa partie obscure, qui ne reçoit point de rayons du Soleil: 2. Cette même phase ronde avec d'autres bandes encore, telles qu'on les a vues en 1715: 3. La phase de son anneau, qui se perd de vûe, & qui reparoît après avoir été quelque tems invisible; & 4. Cet anneau dans sa plus grande largeur, avec des bandes qui environnent le disque de Saturne, comme cela s'est vu en 1696. [Illustration] Le diametre extérieur de l'anneau de Saturne, pris d'un bout à l'autre, est au diametre de cette Planete, comme 9 sont à 4, selon la mesure de Mr. Huygens, ou comme 11 sont à 5, selon celle de Mr. Cassini. Le diametre intérieur, compris entre les deux cavités opposées, est à celui de Saturne comme 6 1/2 sont à 4; car depuis le corps de Saturne jusqu'à la cavité de son anneau, il y a autant d'espace, que depuis cette cavité jusqu'à sa circonférence extérieure. Si Saturne lui-même a 30000 lieues de diametre, il y aura depuis sa surface, jusqu'à la cavité en question, 9375 lieues, & delà jusqu'au bout, aussi 9375, au lieu desquelles on en compte ordinairement 8000. de largeur. La quatrième Figure nous représente cet anneau dans sa plus grande ouverture, lorsque sa largeur de B, en C, ou de D en F, nous paroît la moitié de sa longueur A, E. C'est par cette proportion de longueur & de largeur que l'on a calculé l'angle que fait cet anneau avec l'orbite de sa Planete, savoir de 30 à 31 degrés. Il est à remarquer qu'au milieu de sa largeur apparente, on observe une ligne obscure, telle qu'on la voit marquée par la ligne pointillée. La couleur de sa partie intérieure, qui est plus près du corps de la Planete, paroît plus vive & plus lumineuse, que celle de sa partie extérieure, & la ligne noire, dont nous venons de parler, en fait la séparation. Ainsi toutes les fois que cet anneau disparoît, c'est sa partie extérieure qui se perd la premiére; car l'autre ne disparoît que quelques jours après. Dans les années 1714 & 1715, où l'on a vu cet anneau disparoître & reparoître deux fois, on a observé que sa partie Orientale se perdoit de vûe un jour ou deux plutôt que sa partie Occidentale, & que cette même partie Occidentale se découvroit au contraire un jour ou deux plutôt que sa partie Orientale. En 1671. Mr. Cassini, le Pere, avoit déja observé quelque chose de semblable; ce qui lui fit juger avec raison que les parties de cet anneau, qui sont du même côté, par exemple, A, B, & D, E, de la troisième Figure, ne sont pas dans le même plan, & que par conséquent il est plus mince ou plus pointu par ses extrémités A & E, que vers la cavité intérieure B, C, ou D, F. [Raisons de la disparition de l'anneau de Saturne.] Il y a deux causes différentes, qui nous font perdre cet anneau de vûe. La premiére est que son plan venant à passer par le centre du Soleil, ses deux côtés ne reçoivent ses rayons que fort obliquement de part & d'autre; ce qui fait que sa lumiére devient trop foible pour frapper nos yeux. Cela arrive lorsque Saturne, à l'égard du Soleil, est au 19 degré 45 min. des Poissons ou de la Vierge. Quand il n'y a point d'autre cause qui produit la phase ronde de Saturne, que celle-là, elle ne dure guères au-delà d'un mois, comme on le prouve par les Observations des années 1685 & 1701. Vers la fin de cette phase, on s'apperçoit plus clairement de l'ombre de l'anneau sur le corps de Saturne, qui paroît un peu au-dessus ou au-dessus du milieu de son disque, comme cela se voit Fig. 1. La seconde cause qui nous rend l'anneau invisible, est la coïncidence de sa partie éclairée avec le rayon visuel, qui passe du côté de celle qui ne l'est pas. Cette apparence a des termes moins limités que celle dont il a été parlé ci-devant; cependant on est toujours assûré de la voir deux fois, quand Saturne, apperçu du Soleil au 19 degré 45 min. des Poissons ou de la Vierge, est retrograde par rapport à nous. Sa Latitude étant observée de la Terre, ne peut différer chaque fois que de fort peu de chose; mais ce peu de chose ne laisse pas d'être assez sensible, pour avancer ou proroger ces termes. En 1671, il y eut plus de six mois entre les deux disparitions des anses, à compter depuis la fin du mois de Mai jusqu'au 8 de Décembre. Le lieu de Saturne, étant vu du Soleil, se trouvoit la premiére fois au 13 degré des Poissons, & la seconde au commencement du vingtième. En 1714. le 12 Octobre, jour auquel les anses disparurent, Saturne se voyoit du Soleil au commencement du 17e. degré de la Vierge, & le 22e. de Mars. En 1715. jour moyen de la seconde disparition, il étoit déja à 21 degrés & demi du même Signe à l'égard du Soleil; mais le tems qui s'écoula entre ces deux disparitions, n'est que de 5 mois & quelques jours. Ainsi les phases rondes vers le commencement de Juillet 1744, & au mois de Mars 1760. ne se redoubleront point; & il faudra par conséquent laisser à la Postérité l'observation du retour de ce Phénomêne. Bien des gens sont curieux de savoir si cet anneau est un corps continu ou solide, ou si ce ne sont que des Satellites, qui sont si près les uns des autres, que notre vûe ne peut les distinguer. La derniére de ces deux conjectures me paroît plus vraisemblable. Car si l'on m'objecte que le mouvement de tous ces Satellites, dans une orbite commune, ne pourroit se faire, sans qu'ils se choquassent les uns les autres, s'il y avoit tant soit peu d'excentricité; il me suffira de répondre que ce mouvement n'est point du tout excentrique. Si l'on dit aussi que les Satellites supérieurs ne pourroient pas achever leurs périodes en même tems que les inférieurs, parce que la pesanteur, ou la force centripète de leur mouvement circulaire, diminue en raison quarrée de leur éloignement du centre de Saturne: je réponds encore, qu'à la vérité cette différence de leurs périodes est telle que l'on prétend; mais que la ressemblance exacte de tous les Satellites d'un même ordre nous fait regarder cet assemblage de Satellites séparez comme un corps continu. Il reste pourtant encore une petite difficulté à lever. Cette orbite, dira-t-on, loin de pouvoir être exactement circulaire, est elliptique, son grand axe étant toujours perpendiculaire à une ligne tirée du centre du Soleil à celui de Saturne; parce que tous les Satellites ne sont que des Lunes, qui pour cette raison doivent obéïr aux mêmes loix de la gravitation que la nôtre. Or comme l'orbite de la Lune doit un peu s'applatir dans les conjonctions, de même que dans les oppositions, & avoir plus de courbure aux quadratures, ainsi que nous l'avons prouvé au Chapitre XXII. il s'ensuit nécessairement que le même changement arrivera dans celle des autres Satellites. La chose dépend donc uniquement de la différence de la gravitation de Saturne sur le Soleil, & de celle de ses Satellites sur lui-même; & c'est de cette différence que nous donnerons la mesure au Chap. XXV. Les bandes de Saturne, dont le parallèlisme avec son anneau fait voir, que ce qui les cause est élevé au-dessus de la surface de cette Planete à une assez grande distance, pour que leur courbure ne soit que peu ou point sensible, prouvent indubitablement, que Saturne est environné d'une Atmosphére beaucoup plus vaste que la nôtre. Mais en supposant, comme ci-dessus, que cet anneau n'est composé, que d'une infinité de Satellites, il ne sera pas nécessaire de l'étendre jusque-là. Cependant quelque vaste que soit cette Atmosphére, il faut qu'elle soit incomparablement plus transparente que la nôtre, puisque les Fixes que l'on voit quelquefois entre les anses & le corps de Saturne, n'y souffrent jamais ni réfraction, ni changement de figure, comme dans les autres Atmosphéres. C'est une chose fort remarquable, que parmi les 5 Satellites de Saturne, il y en a quatre, qui font leurs révolutions dans le plan même de son anneau, & que le cinquième est le seul, qui suive une route particuliére. Ce dernier n'a que 15 à 16 degrés d'inclinaison de son orbite à celle de Saturne, au lieu que les 4 autres circulent dans un plan incliné à celui de leur Planete principale de 30 deg. ou davantage. Aussi ses nœuds sont-ils un peu différens de ceux des autres. Ceux-ci ont les mêmes nœuds, que l'anneau, savoir au 19 degré 45 min. des Poissons & de la Vierge; mais le dernier coupe l'orbite de Saturne environ quinze degrés plutôt, savoir au quatrième, ou au cinquième degré des mêmes Signes. [Ralentissement du mouvement de Saturne.] Avant que de quitter Saturne, il faut remarquer une autre particularité de son mouvement qu'on n'a point encore observée à l'égard des autres Planetes. Toutes les plus anciennes Observations étant comparées entr'elles, ainsi qu'avec les modernes, nous donnent son moyen mouvement annuel de 12 degrés 13 minutes, & 33 à 36 secondes, au plus. Mais les modernes seules, comparées les unes avec les autres, donnent ce même mouvement diminué de quelques secondes, savoir de 12 degrés 13 min. & 20 à 29 secondes par an. On a encore observé d'autres petites inégalitez dans le mouvement de Saturne depuis Tycho-Brahé; mais qui ne laissent pas de s'accorder toutes à nous faire voir, que son moyen mouvement est moins prompt à présent, que du tems des Chaldéens & des Egyptiens. Mr. Cassini a prouvé cela incontestablement, en comparant les observations modernes, ainsi que celles de Ptolomée, avec une observation fort ancienne faite le 1. Mars de l'année 4485 de la Période Julienne, dans un Mémoire présenté à l'Académie le 10. Janvier 1728. Quoique Neuton ait prouvé que, lorsque Jupiter est le plus près de Saturne qu'il est possible, il dérange sensiblement le mouvement de cette Planete, néanmoins le ralentissement du mouvement de celui-ci est trop sensible, & d'une nature trop différente de ce qu'elle devroit être, pour en accuser seulement Jupiter. En effet, s'il n'y avoit pas d'autres corps qui y contribuassent, comment se pourroit-il faire que, dans les plus grandes proximités de ces Planetes, le mouvement de Saturne fût tantôt accéléré, & tantôt retardé, comme le démontrent les observations rapportées par Mr. Cassini? Je crois donc que le ralentissement du mouvement qu'éprouve Saturne beaucoup plus sensiblement que toutes les autres Planetes, est causé par l'attraction de plusieurs Cometes, qui font leurs traverses dans les immenses Régions de l'Univers au-delà de lui. Leur nombre & leur grandeur sont assez considérables pour pouvoir être sensible à l'égard de la pesanteur de Saturne sur le Soleil, qui n'est que la 90me. partie de l'attraction de la Terre vers le centre de notre Systême. Aussi les inégalités de ce ralentissement s'expliquent-elles bien plus commodément par les différentes proximités des Cometes, que par toute autre cause; & si les Planetes inférieures se sentent moins que Saturne de leur approchement, c'est parce que la force attractive du Soleil est bien plus forte que celle des Cometes dans les Régions inférieures, que dans celle de Saturne, comme nous l'avons déja dit. [Illustration] [Illustration] CHAP. VINGT-QUATRE. _De la Lumiére Zodiacale, des Cometes, & des Fixes._ _De la Lumiére Zodiacale._ LA principale raison qui nous engage à faire ici mention de la Lumiére Zodiacale, est que certaines Hypothèses, par lesquelles on explique ce Phénomêne, semblent contraires aux Démonstrations de Neuton sur le mouvement des corps dans des milieux résistans; & c'est ce qu'il faut tâcher d'éclaircir. La lumiére zodiacale est une clarté semblable à celle de la _Voye Lactée_, & quelquefois meme plus claire, qui s'étend presque le long du Zodiaque à 50, 60, 70, 80, 90, & quelquefois à 100 degrés & davantage du lieu du Soleil, de part & d'autre. Ainsi ses pointes & une grande partie de son arc lumineux, quand elle n'est pas enveloppée, ou mêlée de notre crépuscule, paroissent avoir un mouvement annuel & journalier autour de la Terre, pareil à celui que le Vulgaire attribue au Soleil. Selon les savantes remarques de Mr. de Mairan, tirées des Observation de Mrs. Cassini, Eimmart, Kirch & d'autres, c'est sur la fin de l'Hyver, & au commencement du Printems, que le soir est plus propre dans nos Climats pour bien observer cette Lumiére; & le matin vers la fin de l'Eté & le commencement de l'Automne. Cette différence est un effet de la différente position de l'Ecliptique sur l'Horizon, qui fait tomber la pointe de la lumiére en question, quelquefois plus haut, quelquefois plus bas. L'angle de sa pointe, où les deux côtés se réunissent, est fort inégal. On l'a vu quelquefois de 20 degrés, & quelquefois de huit seulement. Mr. de Mairan rapporte encore des observations de Mr. Cassini, qui l'avoit trouvée d'une figure irréguliére, & courbée comme une faucille; il en rapporte aussi de Mr. Fatio de Duilliers, où les deux côtés ont eu des points qu'on appelle en Géométrie points de rebroussement, ou d'inflexion contraire, semblables à ceux de deux conchoïdes sur une même asymptote. Une connoissance des plus essentielles de ce Phénomêne, dont nous sommes redevables à la grande sagacité de Mr. de Mairan, est que la section du milieu de cette lumiére, ou de la matiére qui la réfléchit vers nous, est la même que le plan de l'équateur du Soleil, ayant tous deux les mêmes nœuds avec notre Ecliptique, & faisant avec elle un angle de 7 degrés & demi. Cela prouve fort vraisemblablement, que cette matiére appartient naturellement au Soleil; aussi n'est-ce pas sans raison, qu'on lui a donné le nom d'Atmosphére Solaire, quoiqu'il ne faille pas la confondre avec celle qui l'environne de plus près, & dans laquelle nagent les taches Solaires, qui font avec elle leur révolution périodique en 25 jours & demi. La Figure de cette Atmosphére extérieure est une Sphéroïde fort platte, dont le grand diametre est souvent 5, ou 8 à 9 fois plus grand, que celui qu'on imagine d'un Pole à l'autre. Son étendue est en différens tems si inégale, que sa pointe supérieure est quelquefois bien au-dessous de l'orbite de la Terre, & va quelquefois bien au-delà. C'est ce qui a porté, Mr. de Mairan à croire, que cette Sphéroïde étoit fort excentrique, & que ses apsides avoient un mouvement bien plus prompt, & peut-être moins régulier, que celles des orbites planétaires. Il faudroit donc que l'aphélie de cette Sphéroïde s'étendît jusqu'entre les orbites de Mars & de la Terre, & que son périhélie se terminât au-dessus de l'orbite de Vénus, sans atteindre celle de la Terre. Sur cela on auroit raison de demander comment il se peut faire, que la Terre & la Lune, qui entrent toutes deux dans cette Atmosphére Solaire, ne sentent pas la résistance d'une matiére, qui doit nécessairement avoir quelque densité? Pourquoi la vîtesse de leur mouvement ne se ralentit point? Et pourquoi enfin l'orbite de la Terre ne devient pas plus petite de siècle en siècle, comme cela devroit arriver infailliblement, si ce mouvement se faisoit dans un milieu résistant? C'est une vérité incontestable, & démontrée par Neuton dans la IV. Section du Livre II. de sa Philosophie, que la densité du milieu étant posée en raison inverse des distances du centre du mouvement, & la pesanteur en double raison inverse de ces mêmes distances, le mouvement circulaire doit se changer en celui de spirale; & que cette spirale est précisément celle que Descartes & le R. P. Mersène ont connue les premiers; je veux dire, celle qui coupe tous les rayons partans d'un seul centre, sous un angle toujours égal. Donc, si l'Atmosphére Solaire enveloppe la Terre & la Lune, les années doivent toujours devenir plus courtes, parce que l'Orbite devient plus étroite: la vîtesse de mouvement annuel & journalier diminuera toujours: le diametre apparent du Soleil nous paroîtra toujours plus grand; & la chaleur augmentera à la fin jusqu'à faire périr tout ce qu'il y a de vivant sur la Terre. Voici la maniére, dont je crois pouvoir résoudre cette difficulté. Toutes les parties les plus petites de cette Atmosphére sont autant de petites Planetes, qui tournent autour du Soleil, à peu près de la même maniére & dans le même sens, que les grandes qu'on a connues jusqu'ici sous ce nom. Cela fait qu'elles ont elles-mêmes par-tout des vîtesses fort peu différentes de celles de la Terre dans les mêmes distances du Soleil. On voit bien qu'un amas de particules, qui tournent avec la même rapidité qu'un corps d'une grandeur considérable, qui en est environné, ne peut faire aucune résistance au mouvement que ce corps fait dans le même sens. On voit aussi que, si les vîtesses de cet assemblage de petites Planetes résistent quelquefois un peu à une plus grande qui se trouve parmi elles, les vîtesses du côté opposé, qui doivent être plus grandes, lui font bien-tôt regagner, ce qu'elle en avoit perdu auparavant. C'est particuliérement au célèbre Fatio de Duilliers que nous avons l'obligation de cette idée. Quoique ce grand Géométre n'ait pas prévu l'inconvénient, qui naîtroit de la résistance de cette matiére par rapport au mouvement de la Terre, de la Lune, de Vénus & de Mercure; il est cependant le premier, qui nous ait averti, que cette lumiére pourroit bien être un amas sphéroïde de petites Planetes, comme la _Voye Lactée_ n'est qu'un nombre infini de Fixes si petites, qu'on ne peut les appercevoir. [Premiére Objection contre le sentiment de Mr. de Duilliers.] Mais, quoi, dira-t-on, vous avez détruit au Chapitre XVI. les Tourbillons de Descartes, & maintenant vous en établissez un autre entiérement contraire à vos principes? Cette Atmosphére, qui, selon vous, doit tourner incessamment autour du Soleil, & dont le mouvement s'étend jusqu'au-delà de l'orbite de la Terre, n'est-elle pas un nouveau Tourbillon, par lequel vous prétendez remplacer celui que vous vous êtes tant efforcé d'anéantir en faveur de la Philosophie de Neuton? Et, tourbillon pour tourbillon, pourquoi ne pas adopter plutôt celui de Descartes? A cela je réponds, que les Tourbillons de Descartes sont bien différens du mouvement circulaire ou elliptique des petites Planetes de cette Atmosphére, auquel je consens qu'on donne, si l'on veut, le nom de Tourbillon, pourvû que l'on m'accorde que celui-ci ne ressemble point à ceux de Descartes. Il n'est pas nécessaire de répéter tous les inconvéniens des Tourbillons que nous avons examinés dans les Chapitres précédens; nous nous contenterons de parler d'une seule chose en quoi ils différent de celui dont il s'agit. En effet, pour que les Tourbillons de Descartes ayent assez de force pour emporter les Planetes, qui y nagent, il est nécessaire qu'elles n'ayent jamais ni plus, ni moins de matiére, que la partie du Tourbillon qui les met en mouvement, ce qui est contraire à l'expérience. Car leur mouvement dans leurs aphélies est plus lent, que dans leurs périhélies, & cependant la quantité de matiére, qu'elles contiennent, est toujours égale. Ce qui les fait tourner, n'est donc point une force qui leur est imprimée par une matiére étrangere, autrement cette même matiére étant plus vaste dans leurs aphélies, & plus resserrée dans leurs périhélies, produiroit un effet tout-à-fait contraire. Mais notre Tourbillon ne doit pas se prendre pour un premier ressort du mouvement planétaire, puisque nous considérons la pesanteur ou l'attraction vers le Soleil, comme sa cause véritable & primitive. En effet, nous ne le posons que pour ne pas retarder le mouvement de la Terre & des Planetes inférieures, ce qui est bien différent de leur imprimer du mouvement, comme devroient faire ceux de Descartes. [Seconde Objection.] On pourroit faire une objection bien plus réelle sur la nature du mouvement circulaire ou curviligne, causé par quelque corps central vers lequel tous les autres sont attirés. On ne doute point que le centre des forces ne doive toujours être dans le même plan où se fait le mouvement; car c'est une suite nécessaire des Démonstrations, par lesquelles nous avons prouvé au Chap. XIX. l'égalité des aires décrites en tems égaux. Comment donc, dira-t-on, se peut-il faire que deux corps ou plusieurs, dont la circulation se commence dans des plans différens, mais à égale distance du Soleil, ne se choquent pas quelque part, avant que d'achever seulement leur premiére révolution; puisqu'il est impossible que deux plans circulaires différens & qui ont pourtant le même centre, ne se coupent pas en deux points de leurs périphéries? Néanmoins nous ne voyons pas que cela arrive à la matiére qui produit la lumiére zodiacale, puisqu'un choc comme celui-là, la réduiroit bien-tôt en une seule masse, & en feroit une nouvelle Planete, selon les théorêmes du mouvement causé par la percussion, démontré si clairement par Mrs. Mariotte, Huygens & Herman. Quoique certains petillements de cette lumiére, observés par Mrs. Cassini & de Duilliers, prouvent assez visiblement que le choc des corpuscules qui composent cette matiére, est quelque chose de fort commun, cela ne l'empêche pas de subsister toujours, & d'avoir ses vicissitudes de diminution & d'accroissement. Mais un choc dans l'intersection de deux, ou de plusieurs Plans, tel que celui dont nous venons de parler ligne 7 & suiv. p. 364, n'a jamais été remarqué, & ne le sera certainement jamais. Pour résoudre cette difficulté, il faut voir ce qui arriveroit, s'il y avoit une seconde Terre de la même figure & de la même grandeur que la nôtre, & si ces deux Terres se touchoient tellement aux deux Poles de leur orbite commune, que le Pole Méridional de l'une fût appliqué immédiatement au Pole Septentrional de l'autre. Il est clair que le centre de l'une ou de l'autre décriroit une orbite particuliére, dont le plan non-seulement ne passeroit pas par le centre du Soleil; mais en seroit même éloigné du demi-diametre de chacune des deux. Je dis plus. Si au lieu de ces deux Terres j'en suppose quatre, six, huit, ou davantage, il en faudra nécessairement revenir au même raisonnement; & la multiplication de ces corps de part & d'autre ne produira que la multiplication des centres particuliers des orbites particuliéres. Mais le centre commun de gravité de toutes ces Terres jointes ensemble, situé au point du contact des deux Poles du milieu, décrira pareillement une orbite qui tiendra le milieu de toutes les autres, & passera immanquablement par le centre du Soleil. Pour revenir aux petits corpuscules qui composent cette Atmosphére, figurons-nous que tous ceux qui sont à la même distance du Soleil se touchent; il n'y a pas de doute qu'ils ne s'accompagnassent éternellement, comme feroit une rangée de plusieurs Terres, qui auroient toutes des révolutions égales autour du Soleil. Il est vrai qu'un autre ordre supérieur ou inférieur de ces corpuscules feroit une révolution particuliére dans un tems périodique différent de celui de la précédente; mais ce seroit toujours de compagnie, & sans que les corpuscules d'une même rangée se quittassent jamais. Il importe peu que des rangées différentes supérieures & inférieures se touchent, ou ne se touchent pas, pourvû qu'il n'y ait ni inégalité, ni friction, qui puisse en retarder le mouvement. [Troisième Objection.] Voici encore une objection qu'on pourroit faire contre le mouvement de l'Atmosphére Solaire, tel que nous l'imaginons. Le tems périodique des taches du Soleil & par conséquent de la partie la plus basse de cette Atmosphére, avec laquelle ces taches font visiblement leur révolution, est de 25 jours & demi, que l'on compte depuis qu'une partie de cette Atmosphére a été sous une Fixe quelconque, jusqu'à son retour sous la même Fixe. Comparons maintenant le tems périodique du sédiment de l'Atmosphére Solaire avec celui qu'employent ses parties situées à une élévation égale à celle de la Terre. Pour cet effet nous commencerons par établir que toutes les Planetes, tant grandes que petites, font leurs révolutions dans la même Région du Ciel en tems égaux; car il n'y a personne qui puisse le nier, sans contredire l'expérience même, qui prouve que la disproportion des masses de Jupiter, de Mars & de Mercure, ne dérange rien à la proportion de leurs tems périodiques. Les corpuscules planétaires de cette Atmosphére étant à une distance égale à celle de notre Terre feront donc leur révolution en une année; mais pour bien expliquer la chose il faut avoir recours à cette Règle de _Kepler_: Comme le cube de 213 sémi-diametres du Soleil, qui font la distance moyenne de la Terre à cet Astre, est au quarré de 525949 minutes, ou d'une année, de même le cube d'un seul sémi-diametre du Soleil est au quarré de 169 à 170 minutes. Le fond ou le sédiment de l'Atmosphére Solaire devroit donc tourner en 169 ou 170 minutes; mais l'expérience nous apprend qu'il fait sa révolution en 25 jours & demi, comme on l'a vu ci-dessus, ce qui fait une disproportion trop sensible. Pour faire voir que cette objection a plus de brillant que de solide, il nous suffira de dire que l'Atmosphére Solaire est séparée en deux parties différentes par un vuide assez grand, pour que la partie supérieure n'ait aucune communication avec l'inférieure. Or comme cette séparation fait que l'Atmosphére inférieure peut suivre le mouvement du Soleil autour de son axe, & avoir le même tems périodique, elle nous met en droit de soutenir que la partie supérieure, pour ne pas tomber sur l'inférieure, a besoin d'un mouvement planétaire, dont les forces centrifuges contrebalancent les centripètes. On ne peut donc s'empêcher de nous accorder que cette Atmosphére supérieure doit avoir différens degrés de vîtesse dans ses différentes parties, autrement les plus basses tomberoient toujours vers le Soleil, & les plus hautes pourroient s'élever même au-delà de Saturne. DES COMETES. Neuton est le premier qui nous ait donné la véritable idée du mouvement des Cometes. Cependant Mr. Cassini, le Pere, avoit déja trouvé avant lui le moyen de prédire leur situation apparente, lorsqu'elles ne sont pas trop près du Soleil. Car, quoiqu'il sût très-bien que leur mouvement est curviligne, il ne laissa pas d'en supposer la courbure si peu sensible, qu'on pouvoit la regarder comme une ligne droite; & à l'aide de cette supposition il parvint à un calcul qui ne différe que peu ou point de celui de Neuton, puisque plus des segmens égaux d'une Parabole s'éloignent de son sommet, plus ils approchent d'une ligne droite. Quand Neuton a inventé l'Hypothèse du mouvement parabolique des Cometes, pour en rendre le calcul plus Géométrique & moins embarrassant, il n'a pas cru pour cela que les courbes de leurs trajets soient de véritables Paraboles. Au contraire, dans la XLII. Proposition du III. Livre de sa Philosophie il nous enseigne le moyen de trouver par approximation les grands axes de leurs orbites elliptiques, avec cette restriction néanmoins que ces orbites sont d'une figure si oblongue que nous ne saurions les voir toutes entiéres. Nous ne voyons donc les Cometes que lorsqu'elles sont près de leurs périhélies, parce que tout le reste de leur cours se fait dans des Régions si éloignées, que notre vûe ne peut porter jusque-là. Ce que nous voyons d'une orbite Cométique n'est souvent pas la centième partie de ce que nous n'en voyons point. Car comme les Cometes ne commencent à paroître ordinairement que quand elles sont à une distance du Soleil plus petite que celle de Jupiter, & plus grande que celle de Mars; lorsqu'elles passent dans les Régions supérieures & qu'elles se trouvent à une distance du Soleil égale à celle de Jupiter, leur lumiére est si foible qu'à peine peut-elle être apperçue. Comme la Parabole n'est qu'une Ellipse, dont le centre est infiniment éloigné de son foyer, on s'en sert, suivant les règles de Neuton, au lieu de l'Ellipse, quand on ne sait pas précisément la mesure des deux axes, pourvû que le grand axe excéde du moins 20 fois le petit. Autrement ce seroit non-seulement une faute considérable de prolonger le mouvement parabolique au-delà des distances où les Cometes sont visibles; mais l'on se priveroit encore par-là de l'espérance de les revoir jamais. [Pourquoi les Cometes & les Planetes ne tombent point sur le Soleil dans leurs périhélies.] Ainsi le mouvement des Cometes autour du Soleil ressemble tellement à celui des Planetes ordinaires, que quoique les premiéres approchent beaucoup plus près de cet Astre que les autres, elles ne sont pas exposées à tomber sur lui, lorsque la courbe de leur mouvement devient perpendiculaire à sa distance. Car la force centripète étant plus petite que la troisième proportionnelle à la distance du Soleil & à la vîtesse du périhélie, la Planete ou la Comete n'est pas plutôt parvenue à sa plus grande proximité du Soleil, qu'elle commence à s'en éloigner. L'Atmosphére, la durée, la queue & le retour d'une Comete est ce qu'il y a de plus remarquable. L'Atmosphére d'une Comete différe de celle d'une Planete ordinaire en ce que son noyau est beaucoup plus petit. Il y en a qui ont 15 fois plus de diametre que les corps des Cometes. Aussi une même Atmosphére n'est-elle pas toujours d'une égale extension, vû qu'elle diminue & s'aggrandit par reprises. On ne sait pas bien encore si ces diminutions & ces accroissemens se font réguliérement aux mêmes distances du Soleil & du périhélie. Car selon les Observations d'Hevelius, alleguées par Neuton, ces Atmosphéres diminuent à mesure qu'elles approchent du Soleil, & augmentent à mesure qu'elles s'en éloignent. Au contraire Mr. de Mairan assûre, qu'elles grossissent à l'approche du Soleil par les parties de l'Atmosphére Solaire qu'elles emportent avec elles en passant. L'un & l'autre de ces sentimens paroissent fondés sur ce que les Atmosphéres des Cometes peuvent diminuer jusqu'à la rencontre de celle du Soleil, dans laquelle elles puisent de nouvelles matiéres. De plus ces Atmosphéres contenant un air semblable au nôtre, elles doivent toujours occuper plus d'espace en descendant vers le Soleil qu'en remontant; parce que cet air se rarefie extrêmement lorsqu'elles descendent, & se condense de même, lorsqu'elles remontent. La durée des Cometes se prouve, selon le raisonnement de Neuton, par les degrés de chaleur excessifs qu'elles subissent dans leurs périhélies. Ce Philosophe a calculé que la Comete de l'année 1680, qui passa au-dessus de la surface du Soleil jusqu'à un sixième de son diametre, dut sentir une chaleur 2000 fois plus grande que celle d'un fer rouge. D'où il a conclu que ce corps devoit être bien compacte & aussi ancien que le monde, puisqu'il fut si près du Soleil & qu'il résista si long-tems à ses rayons, sans s'évaporer. Comme le sentiment de Neuton est une espèce de Paradoxe pour ceux qui ne sont pas bien au fait de ces matiéres, il est bon de voir surquoi il est appuyé. La ligne comprise entre le centre du Soleil & la Comete en question dans son périhélie, étoit au rayon de l'orbite de la Terre comme 600 sont à 100000. La chaleur qui se fait sentir à la Terre fut donc alors à celle de la Comete comme 360000 sont à 10000000000, ou comme 1 est à 28000. Or comme la plus grande chaleur de l'Eté n'est à celle de l'eau bouillante que comme 1 est à 3 1/2; & que cette derniére est encore quatre fois moindre que celle d'un fer rouge, il a trouvé que cette chaleur est à celle de la Comete comme 14 sont à 28000, ou comme 1 est à 2000. Si une balle de fer rougie au feu perd sa chaleur en une heure, & que le tems qu'il faut pour refroidir des Sphéres échauffées soit comme leurs diametres & leurs degrés de chaleur, il faudra 108 millions d'années pour refroidir le corps de cette Comete, s'il est égal à notre Terre. [Pourquoi les Orbites des Cometes sont si excentriques.] Cette réflexion nous découvre & nous fait également admirer la sagesse du Créateur. Rien ne pourroit subsister dans les Cometes, si elles n'avoient pas une chaleur suffisante pour la conservation de leur matiére. La Nature, afin de leur en donner autant qu'elles en avoient besoin, même dans les Régions les plus reculées, où un mouvement circulaire, ou peu excentrique, les auroit privés de la chaleur du Soleil, a augmenté si considérablement leurs excentricités, que l'embrasement qu'elles souffrent pendant très-peu de tems, fait qu'elles jouïssent d'une chaleur tempérée pendant le reste de leur révolution. Mais si d'un autre côté il y a des Créatures animées dans les Cometes, comme Mr. Huygens a prouvé qu'il y en a dans les Planetes, il faut absolument qu'elles se retirent dans les cavités intérieures de ces Cometes, pour se garantir de cet incendie général qui se fait à leurs surfaces extérieures. A considérer la figure irréguliére de quelques Cometes, on juge qu'elles ne tournent point autour de leur axe; parce qu'elles ne sauroient avoir cette rotation sans avoir en même tems une figure sphérique, ou sphéroïde, & un seul noyau enfermé dans leur atmosphére. Mais on en a vu quelques-unes, qui n'étoient ni exactement sphériques, ni sphéroïdes: d'autres qui paroissoient un amas de plusieurs noyaux de figures & de grandeurs différentes; ce qui ne convient nullement à un mouvement journalier, & rend la position de leur axe extrêmement variable. Outre cela leurs queues, qui sont très-inégales, & qui changent presqu'à tous momens, devoient ou retarder sensiblement, ou arrêter tout-à-fait le tournoyement dont est question, ce qu'on n'a point encore remarqué. Mais si les Cometes ne tournent point autour d'elles-mêmes, il faut qu'avant & après leur embrasement la même partie soit presque toujours exposée au Soleil; & qu'il n'y ait par conséquent qu'une moitié de leurs Sphéres qui soit habitable, puisqu'elle voit toujours le Soleil, & que l'autre est ensévelie dans une nuit de plusieurs années, ou de plusieurs siècles; ce qui n'empêche pourtant pas que cet hémisphére n'ait autant de chaleur que celui qui est éclairé. Pour expliquer cette espèce de Paradoxe nous ajouterons à ce qui a été dit page 375, que la chaleur qu'elles peuvent recevoir du Soleil dans leurs aphélies n'est pas la 10000me. partie de celle qui se sent aux Poles de la Terre, & que celle qui reste après qu'elles ont passé leurs périhélies doit être égale par toute leur surface. La fumée qui sort des Cometes, & qui se disperse dans les Régions du Ciel qu'elles traversent, compose leurs queues. Elles commencent à se former un peu avant que les Cometes arrivent à leurs périhélies, & dès que la chaleur du Soleil est assez forte pour enflammer les matiéres combustibles de leurs surfaces, & pour que la fumée fasse brêche à leurs atmosphéres. Il est pourtant vrai que cet incendie commence un peu avant qu'on en voye la fumée; mais nous ne considérons ici que le moment où nous commençons à appercevoir leurs queues. Elles ne sont jamais plus longues que quand les Cometes sortent de leurs périhélies, après quoi elles diminuent toujours, lors même qu'elles s'approchent de la Terre. C'est par ces degrés d'augmentation & de diminution que le savant Neuton a connu que les queues des Cometes n'étoient que des fumées. Cela se confirme encore par leur direction qui s'étend toujours vers les parties opposées au Soleil. On ne sauroit donner une comparaison plus sensible de la chose, que celle qu'en a donné ce Philosophe, quoiqu'elle ait besoin d'être un peu plus circonstanciée. Figurons-nous donc une torche allumée dont le lumignon soit renversé, & qui par un mouvement projectile tourne autour de la Terre; toute sa fumée montera en haut, & tendra à s'éloigner du centre de la Terre malgré ce renversement. De plus cette fumée se courbera tellement vers les Régions contraires à la direction du mouvement de la torche, que la partie supérieure semblera se mouvoir moins vîte que l'inférieure. Et ce qu'il y a encore de plus remarquable, c'est que la fumée paroîtra plus large en haut qu'en bas, comme on le voit par celle qui au sortir des cheminées occupe toujours plus d'espace qu'elle n'en occupoit auparavant. Tout cela quadre parfaitement avec les Phénomênes de ces queues. La partie embrasée d'une Comete, qui est tournée vers le Soleil, pousse sa fumée à l'opposite de cet Astre. Cette fumée a toujours quelque courbure à son extrémité, qui est d'autant plus reclinée, c'est-à-dire, panchée en arriére, que la queue est plus longue; & la même extrémité se trouve aussi plus large que celle qui adhére au corps de la Comete. Cette comparaison est si juste qu'elle ne laisse aucun lieu de douter que la queue des Cometes ne soit une véritable fumée que cause leur embrasement à l'approche du Soleil. Voici une autre cause que Mr. de Mairan assigne fort ingénieusement à la queue des Cometes, & que nous allons tâcher de concilier, autant qu'il est possible, avec celle que Neuton vient de nous fournir. Il remarque que les Cometes en passant par l'Atmosphére Solaire en ramassent non-seulement des parties qui font corps avec elles, comme il a été dit page 373; mais encore d'autres qui ne peuvent d'abord suivre la Comete, & s'en détachent pour former derriére elle une espèce de Cone. Cette figure, selon ce grand Philosophe, poussée par la matiére céleste, prend une route contraire à celle de la Comete, comme la chevelure d'une tête, que l'on porteroit contre le vent, prendroit une direction contraire à cette tête. Cette comparaison n'est bonne que pour les queues naissantes des Cometes, qui n'ont pas encore atteint leurs périhélies. Car les amas coniques de l'Atmosphére Solaire que les Cometes traînent après elles & le commencement de leurs fumées étant deux causes différentes, qui ne laissent pas de produire les mêmes apparences, les uns & les autres doivent faire les mêmes effets sur notre vûe. Mais au-delà de leurs périhélies la matiére céleste dirige vers le Soleil celle qui s'accroche aux Cometes. Ainsi l'on ne doit pas s'étonner si leurs fumées s'observent beaucoup plus facilement que ce petit amas de matiére qu'elles emportent avec elles. La révolution périodique des Cometes fait aujourd'hui le principal objet de l'attention de plusieurs Philosophes. Le retour de celle qui parut en 1682 pourroit se prédire, selon Neuton, pour l'année 1757, ou 1758. Il y a tout lieu de croire que c'est la même qui fut vue en 1607; car il se trouve si peu de différence entre la vîtesse, les nœuds & l'inclinaison de l'une & de l'autre, qu'on peut la regarder comme un pur effet de l'attraction des Planetes & des autres Cometes. Mr. Cassini a trouvé que presque tous ces Corps passagers ont une route différente de celle des Planetes. On a ignoré jusqu'ici de quelle conséquence sont ce nouveau Zodiaque & ce retour périodique des Cometes, pour la conservation du Genre Humain. Imaginez-vous, par exemple, que ce sont des Corps fortuits, qui se trouvent par hazard dans notre Ecliptique; quel desastre ne seroit-ce pas pour notre Terre, si malheureusement elle venoit à se trouver au même point? L'idée de deux bombes qui créveroient en se choquant en l'air, est infiniment au-dessous de celle qu'on en doit avoir. Heureusement pour nous, on a découvert que la plûpart des Cometes dans les nœuds de leurs orbites sont bien moins éloignées du Soleil, que ne sont notre Terre, Venus & Mercure. C'est ce qui fait toute notre sûreté, & qui nous fait connoître combien nous avons de graces à rendre à Dieu pour un si grand bienfait. Les Cometes par leurs retours inopinés produisent quelquefois des Phénomênes tout-à-fait surprenans, quand on en ignore la cause. Telle est, selon Whiston, l'éclipse extraordinaire de Soleil dont parle Hérodote, & qui arriva au Printems de l'année 4334 de la Période Julienne, lorsque Xerxès partit de Sardes, Capitale de la Lydie, où il avoit passé l'Hyver. Telle est aussi selon Wolff, celle de Lune, qui arriva dans le XVme. Siècle, puisque ce célèbre Mathématicien dans ses Elémens de Physique dit, après George Phranza, que ce Phénomêne n'a pu arriver naturellement, la Lune étant alors dans une de ses quadratures. Enfin, il en est de même de celui dont Grégoire Abulpharache, Auteur Arabe, fait mention dans son Histoire des Dynasties Orientales, où il marque, que sous l'Empereur Héraclius le Soleil parut par tout le Monde, pendant trois jours, rouge comme du sang; ce qui toutefois a pu arriver par l'interposition de la queue d'une Comete. DES FIXES. [Contradiction apparente du Systême de Neuton à l'égard des Fixes.] Comme le Systême de Neuton paroît se contredire à l'égard des Fixes, qui, selon lui, se tirent les unes les autres, & demeurent pourtant immobiles, il faut commencer par éclaircir son sentiment, & faire voir qu'il n'implique aucune contradiction. La distance qu'il y a d'une Fixe à l'autre est si immense, que leur chûte ne feroit pas seulement une lieue en un an. C'est ce qu'on va voir par le calcul suivant. 1º. Selon nos supputations pages 280 & 281. les corps pesants, en comptant rondement, tombent sur la surface du Soleil de 1260000 pieds, tout au moins, pendant la premiére minute. 2º. Selon Huygens les Fixes les plus proches du Soleil en sont éloignées de 28000 sémi-diametres de l'orbite de la Terre, ou environ, c'est-à-dire, de plus de 5600000 sémi-diametres Solaires, dont le quarré est 313600,0000,0000. Donc la Fixe la plus proche de cet Astre s'avance vers lui de 1260000/31360000000000 d'un pied, pendant la premiére minute. Mais si au lieu de cette fraction l'on compte 1/25000000 d'un pied, l'on trouvera pour la premiére année 11000 pieds, à peu de chose près, eu égard à la somme totale. Neuton a démontré dans la XII. Proposition du III. Livre de sa Philosophie, que le centre commun de gravité de notre Systême Planétaire seroit eloigné de celui du Soleil même, d'un de ses sémi-diametres, c'est-à-dire, de 4000,000,000 pieds, ou à peu près, si toutes les Planetes étoient d'un côté & cet astre de l'autre. Quelle disproportion donc entre le dérangement du Soleil, causé par les Planetes qui l'environnent, & celui qui vient de l'attraction de la Fixe qui en est plus près; j'entends, entre 11000 & 4000000000 pieds? Or comme le Soleil se trouve tantôt d'un côté du centre universel de son propre Systême, tantôt de l'autre, & que la même chose arrive à chaque Fixe à l'égard des Planetes inconnues qui l'environnent, l'on voit clairement que ces corps lumineux s'attirent réciproquement par des forces beaucoup plus foibles que celles qui les éloignent quelquefois les uns des autres. Ces vicissitudes d'approchement & d'éloignement sont donc ce qui retient toujours les Fixes dans leur assiette naturelle, sans qu'elles puissent jamais tomber les unes sur les autres. Comme quelques Fixes, qui, selon les observations de Montanaro, ont disparu depuis quelques années, n'ont pas empêché celles qui sont restées, d'être stables, il faut voir quelles peuvent être les causes de leur disparition. Le célèbre Wolff en spécifie trois dans sa Physique. 1º. Elles peuvent, selon lui, acquérir du mouvement & par-là se dérober à nôtre vûe: 2º. En retombant dans le Chaos elles peuvent créver & s'évaporer entiérement; Et 3º. elles peuvent ou perdre tout-à-fait leur lumiére, ou en perdre du moins assez pour nous devenir invisibles. La premiére de ces causes paroît d'autant moins vraisemblable, que l'attraction de la Fixe, qui disparoîtroit, deviendroit plus forte & précipiteroit, les unes sur les autres, toutes celles qui l'environneroient. La seconde n'est pas plus recevable, vû que cette prétendue dissolution changeroit la gravitation réciproque des Etoiles les plus voisines de celle qui s'évanouïroit, & qu'elles n'auroient plus rien qui les tiendroit en équilibre. Ainsi nous adopterons la troisième, parce qu'en supposant la stabilité de la Fixe, elle conserve toute sa force attractive. Il faut faire le même jugement des retours périodiques d'apparition & de disparition des Etoiles, qu'on a observées dans les Constellations de la Baleine, du Cigne & de l'Hydre. Car quoique la partie qui nous regarde soit plus ou moins lumineuse, & que nous les perdions quelquefois tout-à-fait de vûe, elles ne quittent pas pour cela leurs places, & leur attraction ne laisse pas de tenir l'Univers en équilibre. Il s'ensuit de tout ce raisonnement, que la gravitation réciproque de deux Fixes ne diminue pas précisément en raison inverse des quarrés des distances, sur-tout aux environs du centre commun de leur pesanteur. Il s'ensuit aussi que la loi de la gravitation peut varier, comme on le peut voir sur la fin du Chapitre VII. où il est parlé des différentes sortes d'attraction. L'action de l'Aiman sur le Fer en raison inverse des cubes de ses distances, & celle des corps transparens sur les rayons, ou les atomes de la lumiére, nous prouvent la réalité aussi-bien que la possibilité de la chose. [Illustration] CHAPITRE VINGT-CINQ _Des secondes inégalités du mouvement des Satellites, & des Phénomênes qui en dépendent._ APrès avoir rapporté au Chapitre XXI. diverses particularités du mouvement de la Lune, pour établir la nécessité de l'attraction, il nous reste à faire voir dans celui-ci que la Théorie de ces inégalités, causées par ce méchanisme, est entiérement conforme aux Observations. Neuton assigne trois causes à ces sortes d'irrégularités. Il prétend: 1º. Que la force qui tire la Lune vers la Terre, est moindre que celle qui tire ces deux Planetes vers le Soleil: 2º. Qu'en considérant les orbites comme exactement circulaires, la force qui tire la Terre vers le Soleil est toujours égale, au lieu que celle qui tire la Lune vers cet Astre est plus grande dans sa Conjonction que dans son Opposition; Et 3º. Que les lignes d'attraction, qui tendent vers le Soleil se resserrent à mesure qu'elles en approchent, & augmentent toujours la gravitation de la Lune vers la Terre, surtout lorsque cette Planete est dans ses Quadratures. Si l'on suppose, par exemple, que la Lune soit en Conjonction avec le Soleil, on verra que, par sa seule gravitation vers la Terre, elle décrira en 10 heures 20 min. un petit arc de 100 parties, dont 1000 composent le rayon de son orbite, & 336000 font sa distance du Soleil. Or si pendant ce tems-là la Lune parcourt 100 parties de son rayon, il faut que (suivant la règle du mouvement circulaire dont nous avons fait mention page 372 lignes 3 & 4) comme 1000 parties de ce dit rayon sont à 100 (corde qui différe très-peu de l'arc en question,) de même le nombre de 100 soit à 10, chûte (_uniforme_) de la Lune vers la Terre. Mais si l'on veut déterminer les chûtes de la Terre & de la Lune vers le Soleil, il faut se conformer aux règles données pages 268 & 269, en disant par cette opération abregée: 1º. Comme 1. (distance de la Lune à la Terre) divisé par le quarré d'un mois périodique, est à 337 divisés par le quarré d'une année, ainsi 10 (chûte de la Lune vers la Terre) sont à 19, chûte de la Terre vers le Soleil; 2º. Comme le quarré de 336000 est au quarré de 337000, ainsi 19 (chûte de la Terre vers le Soleil) sont à 19 19/168, chûte de la Lune vers cet Astre. Il y a donc 19/168 d'une seule partie du rayon de la Lune, qu'il faut ôter de 10 parties du même rayon, pour trouver sa véritable chûte vers la Terre, qui sera seulement de 9 149/168, au lieu qu'elle seroit de 10, sans l'action particuliére du Soleil sur ce Satellite. Par la même raison, la distance de la Lune à la Terre, qui étoit de 1000 parties, se trouvera de 1000 19/168; ce qui contribuera encore plus à la diminution de sa pesanteur. Tandis que la Lune est encore si peu éloignée de sa Conjonction, la force qui la pousse vers la ligne des Syzygies n'a rien de considérable; mais elle augmente à mesure que cette Planete approche de son Quartier. Lorsqu'au contraire elle y est parvenue, cette seconde force, qui agit en même sens que sa pesanteur vers la Terre, la pousse toujours vers notre Globe, jusqu'à ce qu'étant dans son Opposition elle ne s'en trouve plus éloignée que de 1000 parties. Par le mêlange de ces deux forces, l'éloignement de la Lune à la Terre, dans ses Quadratures, sera de 1023 à 1024 parties, en continuant le calcul que nous avons ébauché ci-dessus, & en se souvenant de l'obliquité naissante de la configuration de ce Satellite avec le Soleil. Au reste nous n'admettons point encore ici d'excentricité, autrement l'orbite seroit toujours ovale, quoique de largeur & de figure différentes, selon la capacité de l'angle compris entre les deux lignes des apsides & des conjonctions. Car en supposant cet angle _Zero_, l'excentricité devient plus grande que s'il étoit de 90 degrés, puisque le grand axe au premier cas est de 2000 & au second de 2047. Il est vrai que nos dimensions ne sont pas les mêmes que celles de Neuton; mais comme ce grand Homme reconnoît, sur la fin de sa Préface, que sa Théorie Lunaire a ses imperfections, nous avons cru qu'il suffisoit de nous attacher à ses Principes, sans nous assujettir à ses mesures. Quant aux Satellites qui composent l'anneau de Saturne, on trouvera, par un pareil calcul, que le grand axe de leur Orbite est au petit comme 1000 sont à 1000 1/94, & que par conséquent cette même Orbite est 2250 fois moins ovale que celle de la Lune. Mais pour rassûrer ceux qui pourroient douter que notre calcul soit conforme aux Observations, revenons aux excentricités, que nous n'avons fait qu'indiquer ci-devant, & faisons voir, par une nouvelle supputation, qu'elles s'accordent avec les diametres apparens & les mouvemens horaires de la Lune. Lorsque les Apsides tombent dans les Syzygies, la plus grande excentricité de l'Orbite étant, selon les plus fameux Astronomes, à la distance médiocre de la Lune comme 67 sont à 1000, on conçoit bien que l'Apogée est éloigné de 1067 de la Terre, & le Périgée de 933. Par la même raison, quand les apsides sont aux quadratures, l'excentricité en question n'étant que de 44, & la distance médiocre de 1024, celle de l'Apogée à la Terre doit être de 1068, & celle du Périgée de 980. Or le diametre apparent de la Lune dans son Apogée est, (à compter rondement) de 29 min. 40 sec. & ne varie jamais qu'entre 1067 & 1068. Au contraire il varie toujours dans son Périgée depuis 34 min. jusqu'à 32 1/2, c'est à-dire en raison inverse de 933 à 980. Donc les distances de l'Apogée & du Périgée sont précisément, suivant notre calcul, en raison inverse des diametres apparens, qu'on a trouvés jusqu'ici par les Observations. Le mouvement horaire ne prouve pas moins l'exactitude de ces rapports. Car tant que les aires décrites sont égales, ces mouvemens sont par-tout en raison inverse des quarrés des distances. Ainsi comme le quarré de 933 est à 29 min. 20 sec. (horaire de l'Apogée) de même le quarré de 1067 est, selon les Observations, à 38 minutes, horaire du Périgée dans les Syzygies. Et si le quarré de 980 donne 29 min. 20 sec., celui de 1067 en donnera, conformément aux Observations, 35 d'horaire du Périgée dans les Quadratures. On voit aussi que, par les mêmes loix de la gravitation vers le Soleil, la Lune qui n'est pas dans l'Ecliptique, s'en doit approcher jusqu'aux Syzygies; parce que, selon l'angle de son orbite avec la nôtre, sa Latitude devient toujours moindre qu'elle ne devroit être. Cet angle diminue donc à chaque instant, & au lieu que dans les Quadratures, près des nœuds, il étoit de 5 degrés 18 min. il n'est que de 5 degrés dans les Conjonctions comme dans les Oppositions; ce qui rend la surface de l'orbite curviligne. Si au contraire les nœuds se trouvent dans les Syzygies, l'action du Soleil ne diminue point les Latitudes, l'angle en question demeure toujours le même, & l'orbite devient une surface plane. Quant à leur mouvement, il est alors d'une extrême lenteur, parce que l'action du Soleil, qui est, pendant un tems assez considérable, presque parallèle à la distance de la Lune & de la Terre, ne se ralentit guère; mais il n'en est pas de même des Quadratures, où ils rétrogradent considérablement. Car la Lune les rencontre chaque mois environ trois heures plutôt, sur-tout au milieu de son Croissant aussi-bien que de son Decours, où la différence de sa gravitation & de celle de la Terre vers le Soleil augmente & diminue plus vîte que par-tout ailleurs. [Mouvement des Poles de la Terre, p. 295.] La précession des Equinoxes est encore aussi-bien que la rétrogradation des nœuds un effet de ces inégalités, quoique beaucoup plus lente, parce que la quantité de la matiére terrestre, qui est sous l'Equateur, différe très-peu de celle des Méridiens, & que ce petit excédant, sous l'Equinoxiale, tient la place d'un Satellite, ou d'un anneau tel que celui de Saturne. Il y a quelques autres causes qui rendent le mouvement des Satellites un peu irrégulier, mais dont l'effet n'est guére considérable que par rapport à eux. On a remarqué que l'Apogée du premier & du quatrième Satellites de Jupiter est constamment le même que celui de cette Planete, & que ce n'est qu'après plusieurs révolutions de celle-ci que l'orbite du troisième se retrouve à la même inclinaison. Aussi les nœuds de ces quatre petites Etoiles n'ont-ils point varié, du moins depuis plus de cent ans qu'il y a qu'on les observe. En un mot, toutes ces inégalités n'approchent pas de celles de la Lune, sans parler de sa rotation, qui différe considérablement de celle qu'on a cru appercevoir dans les autres Satellites. Après avoir parcouru tous ces différens mouvemens, nous ne pouvons guère nous dispenser d'en indiquer la cause. Elle n'est pas si obscure que bien des gens pourroient se l'imaginer. La voici en peu de mots: le nombre & la proximité des Satellites font que leur attraction réciproque l'emporte beaucoup sur l'action du Soleil. Par là il est aisé de juger que l'anneau de Saturne doit extrêmement déranger les Satellites qui font leurs revolutions autour de lui, sur-tout les plus petits & les plus excentriques. On conçoit pareillement que l'attraction de cet anneau doit retarder considérablement la chûte des corps sur la surface de Saturne. Enfin, l'exemple du flux & du reflux de la Mer ne nous permet pas de douter de cette vérité. Car il s'ensuit de tout ce qui a été dit au Chapitre XVIII., que la pesanteur du centre de la Terre vers la Lune est toujours la même; au lieu que les eaux qui se trouvent entre ce centre & cette Planete, y sont attirées avec plus de vîtesse, que lorsque le tournoyement journalier de la Terre les a fait passer au point diamétralement opposé. Voilà ce que nous avions à dire des principaux effets de l'Attraction Neutonienne, telle que ce fameux Mathématicien l'a imaginée, en la regardant comme la cause unique de la réfraction de la Lumiére, & comme le premier ressort du Méchanisme de l'Univers. Il est vrai qu'en qualité de Philosophe, il lui assigne un empire bien plus vaste dans la Nature, en réduisant sous ses loix toutes les opérations de la chaleur, le mêlange des Mixtes, leur décomposition, & l'électricité qu'on remarque dans l'ambre, le diamant, la cire d'Espagne & autres corps de cette nature; mais nous n'entrerons point dans ce détail, parce qu'il nous meneroit trop loin, & qu'il n'a aucun rapport à la Géométrie, que nous n'avons point perdu de vûe dans tout cet Ouvrage. Nous le finirons donc sans parler de la double réfraction du Crystal d'Islande, de la diminution de la densité & de l'élasticité de l'air, de la ténacité des milieux visqueux, dans lesquels peut se mouvoir un corps quelconque, ni de plusieurs autres matiéres semblables. C'est par la même raison, que nous n'avons touché que legérement certaines choses, comme la précession des Equinoxes & le retour périodique des Marées; Phénomênes où il faut qu'il y ait encore quelqu'autre cause mixte, qui a été inconnue jusqu'ici. Car si l'on ignore ce qui fait l'égalité du mouvement des points Equinoxiaux de Jupiter & des nœuds de ses Satellites, l'on ne sait pas plus pourquoi le flux & le reflux de la Mer suivent plutôt le moyen que le vrai mouvement de la Lune. Du moins faut-il convenir, que la concurrence des actions du Soleil & d'un Satellite sur la Planete principale dans les Syzygies, ou leur différence dans les Quadratures, ne sauroit rendre raison de ces deux expériences. FIN. [Illustration] ERRATA. Le Lecteur est prié de corriger les endroits marqués ci-dessous, sans quoi il ne pourroit pas quelquefois trouver le sens de l'Auteur. Page. Ligne. Faute. Correction. 4 6 un fausse une fausse 23 5 le Nature, la Nature, 29 6 yon, point de virgule. 46 2 A, B, C. A, B. 53 1 B, A, C. B & C. 73 dern. huit quatre 74 2 quatre huit 78 20 à deux à huit 79 8 deux pieds huit pieds; 105 15 Or qu'elle Or quelle 128 dern. La rayon Le rayon 148 3 de courbes de droites infiniment petites 182 Dans la Planche au-dessus de Si, 1/4 3/5 & au-dessus de La, 1/3 2/3 192 4 récipent récipient 198 15 se meuvent & agissent se mouvoient & agissoient 237 10 qu'el qu'elle 246 4 S, B, A. S, H, B. S, B, A. S, C, B. 259 5 dans Jupiter dans les Satellites de Jupiter 267 23 la Soleil le Soleil 269 1 elliplique elliptique 281 11 27 24 289 1 27 24 289 3 plus dense Après dense ajoutez une virgule & ces mots: & que le diametre du Soleil surpasse seulement 97 fois & demi celui de la Terre. 289 6 413 350 295 dern. Chap. suivant. Chap. XXV. * * * * * Liste des modifications: Page 13: «ils» remplacé par «il» (mais il les a cherchées) Page 21: «présuposé» par «présupposé» (Or cela présupposé, voici le raisonnement) Page 25: «bale» par «balle» (Or un boulet d'une livre de balle) Page 26: «miliasses» par «milliasses» (deux milliasses cinq cens soixante miliards) Page 45: «l'apperperceviez» remplacé par «l'apperceviez» (vous ne l'apperceviez point) Page 214: «Matiree» par «Matiere» (si l'Etendue & la Matiere étoient la même chose) Page 254: «couduisit» par «couduisit» (l'erreur le conduisit par hazard) Page 297: «nonotre» par «notre» (dans les pétrifications de notre Europe) Page 346: «elelle» par «elle» (elle ne dure guères) Page 347: supprimé «la» (Vers la fin de cette phase) Page 390: «dimunition» par «diminution» (la diminution de sa pesanteur) Page 396: «Li» par «Il» (Il y a quelques autres causes qui rendent) Page 399: «Sizygies» par «Syzygies» (dans les Syzygies) *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ELÉMENS DE LA PHILOSOPHIE DE NEUTON: MIS À LA PORTÉE DE TOUT LE MONDE *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. 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